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Séquences La revue de cinéma

Vues d’ensemble

Number 213, May–June 2001

URI: https://id.erudit.org/iderudit/36484ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this review (2001). Review of [Vues d’ensemble]. Séquences, (213), 53–59.

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15 MINUTES

Entre la piètre comédie Two of a Kind (1983) et l'excellent thriller 2 Days in the Valley (1996), le réalisateur John Herzfeld a tourné The Story, The Preppie Murder, A Father's Revenge, Tales from the Crypt et, plus récemment, Don King: Only in America, des téléfilms dénonciateurs empreints de sensationna­ lisme. 15 Minutes, sa toute dernière pro­ duction, s'inscrit dans la même ligne de pensée. Désirant leurs quelques minutes de gloire, deux criminels d'Europe de l'Est débarquent à New York, commettent des ENEMY AT THE GATES meurtres atroces, filment chacun d'entre eux et tentent de vendre à prix fort leur Saisissant par moments, Enemy at the production. Un détective affecté aux Gates nous plonge jusqu'au cou (et parfois homicides, un expert en incendies et un au-delà), en plein enfer de la bataille de journaliste assoiffé d'ambition se retrou­ Stalingrad. Sur cette toile de fond se vent à leurs trousses. déroule la confrontation mythique entre Sans subtilité, John Herzfeld dépeint Vassily Zaïtsev (personnage réel devenu maladroitement les carences du système héros national soviétique) et du major judiciaire américain, ce qui laisse croire Koenig, deux tireurs d'élite appelés à se que chez nos voisins du Sud les crimes pourchasser entre les ruines de la ville restent impunis et souligne à gros traits jusqu'à se détruire l'un l'autre. l'ingérence des médias dans la société. Bien plus qu'une simple histoire de Mais à trop vouloir montrer du doigt ces chat et de souris, Enemy at the Gates revers, le réalisateur-scénariste semble au présente des éléments épiques, que ce soit contraire prôner ce qu'il dénonce. Sa dans la nature de la confrontation réflexion est vite remplacée par des effets nationale et individuelle, dans celle des multiples condamnant le spectateur au psychologies rivales ou même dans l'im­ rôle de simple voyeur. portance des petites actions. Enemy at the Gates Résultat : 15 Minutes, un drame Film commercial dans le sens strict du trop post-warholienne pour l'époque, policier terne, inégal, décevant et d'une terme, tous les éléments d'intérêt sont avouons-le. On regrette également violence extrême, qui n'est pas sans rappeler présents : la relation amoureuse et la qu'Annaud n'ait pas suivi les pas de Ridley celle de National Born Killers d'Oliver jalousie entre les potentiels amants, l'en­ Scott dans The Duellists (1977) et donné Stone, s'avère l'un des films les plus fant qui fait office d'espion, la violence vis­ un peu plus de poids au conflit entre les racoleurs du genre. Avec en prime une cérale, etc. Or, contrairement à l'usage, ces deux tireurs et un peu moins à l'aventure caméra sautillante, un montage saccadé et éléments jouent ici un rôle essentiel dans la amoureuse; le coup de feu final aurait une direction d'acteurs bâclée, on se mesure où ils contribuent à maintenir assurément eu beaucoup plus d'impact. demande ce que a bien pu l'équilibre entre l'horreur et l'espoir, entre Hormis ces accrocs au bon sens et à y trouver d'exaltant. Only in America! le présent et le futur de l'après-guerre. l'efficacité, le film fait preuve néanmoins Pierre Ranger Le film présente pourtant un certain d'une intensité surprenante dans ses bons nombre d'inconsistances qui permettent de moments. ^H 15 minutes faire le pont avec le public moyen au détri­ Alexis Ducouré États-Unis 2000, 120 minutes - Réal. : John Herzfeld - Scén. : John Herzfeld - Int. : Robert De Niro, , ment de la cohérence et de la profondeur. Kelsey Grammer, John DiResta, Melina Kanakaredes - Dist. : L'exemple le plus frappant est l'importance ^H L'Ennemi aux portes Alliance Atlantis Vivafilm. Allemagne/États-Unis/Grande-Bretagne/Irlande 2001, 131 qu'attribuent d'abord Danilov et ensuite minutes — Réal. : Jean-Jacques Annaud — Scén. : Jean- Zaïtsev à la notoriété qu'obtiendra ce Jacques Annaud, Alain Godard — Int. : Jude Law, Joseph dernier grâce à sa présence en première Fiennes, Rachel Weisz, Ed Harris, Bob Hoskins, Ron Perlman, Gabriel Thomson, Eva Mattes, Mathias Habich — Dist. : page du journal. Préoccupation un peu Paramount Pictures.

SÉQUENCES 213 mai/juin 2001 L-ES FILMS

HANNIBAL Lalonde en réponse au cinéma hollywoodien qu'ils jugent immoral. Membres de Neût été de l'énorme succès commercial l'Église, les deux collaborateurs ont vu et critique du film The Silence of the dans le cinéma un moyen de promouvoir Lambs (avec 150 millions de dollars de la morale catholique auprès des foules de recette et cinq Oscars), sa suite, Hannibal, moins en moins pratiquantes. aurait été semblable à n'importe quel Partie de ce projet éducatif, Left thriller comportant ses qualités et ses Behind prend pour point de départ le récit défauts. Toutefois, en raison des attentes biblique prédisant qu'avant le début de élevées et nombreuses, les comparaisons l'Apocalypse, les croyants seront enlevés de étaient inévitables et le résultat s'avère leur foyer et ramenés vers Dieu, alors que décevant. Le film de Ridley Scott ceux qui n'ont pas entendu l'Appel (Gladiator, The lin a and Louise et Blade demeureront sur terre pour souffrir de Runner) n'offre tout simplement pas la leurs péchés et, on imagine, s'en repentir finesse psychologique de son prédécesseur éventuellement. Le récit se tisse donc sur la ni ses odieux frissons. conversion de ceux « laissés derrière » et la Sans doute faudrait-il d'abord blâmer mise en place du processus apocalyptique l'auteur, Thomas Harris, qui n'a pas su à travers les personnages d'un journaliste, approfondir adéquatement les lignes d'un pilote d'avion et de sa fille. directrices de son livre, dont se sont Le film prend effectivement la morale inspirés les scénaristes David Mamet et hollywoodienne à rebours. Il substitue à la Steve Zaillian. Trop d'intrigues et de scènes confiance en soi celle en Dieu, et à l'indivi­ violentes embourbent l'histoire et, au bout dualisme, la communauté. Après s'être du compte, lassent le spectateur. aveuglément battu contre le mal, le héros Rappelons par ailleurs que le jeu psy­ prend conscience de son impuissance et s'en chologique et la mainmise de Hannibal sur remet à la volonté divine. La seule action qui Clarice faisaient la grande force du premier lui soit possible est l'union avec ceux qui ont opus. Ici, à tort, les deux personnages ne également reconnu la voix de Dieu. sont réunis qu'à la moitié du récit, ce qui Les nombreux plans rapprochés nuit considérablement à l'unité du film. Il présentent des visages égarés par la douleur aurait pourtant été si fascinant de les revoir d'avoir perdu ceux qu'ils aiment, les larmes dans une autre aventure terrifiante. de la conversion, les convulsions de la honte. Outre, malgré tout, l'incomparable Toutefois, si le ton surprend, le discours prestation d'Anthony Hopkins, l'amal­ religieux qui est tenu, lui, dérange franche­ game de scènes léchées et la finale surpre­ ment. Il est le verbe d'une droite qui se nante digne des films de Hitchcock, revendique du Dieu de l'Ancien Testament, Hannibal manque encore trop de mor­ Dieu vengeur et non miséricordieux qui dant pour tenir en haleine. Parions que le n'accorde la liberté aux hommes que pour réalisateur Jonathan Demme, le scénariste leur faire passer un test. Ainsi, les individus Ted Tally et l'actrice Jodie Foster avaient bons, mais non croyants, ne seront pas flairé le risque en refusant de ne pas donner sauvés. La morale qui est exprimée ne prend suite au premier long métrage. aucunement compte de la liberté fonda­ Pierre Ranger mentale de l'Homme. Elle propose un dog­ matisme absolu qui invite l'Homme à la

Etats-Unis 2001, 131 minutes - Réal. : Ridley Scott - Scén. : résignation et au quiétisme dans un monde David Mamet, Steve Zaillian, d'après le roman de Thomas qui requiert des prises de positions actives. Harris - Int. : Anthony Hopkins, Julianne Moore, Gary Julie Tremblay Oldman, Ray Liotta, Frankie R. Faison, Giancarlo Giannini — Dist. : MGM-UA/Univcrsal Pictures.

Canada 2000, 95 minutes - Réal. : Vic Sarin - Scén. : John LEFT BEHIND Bishop, Alan McEIroy, Paul Lalonde, Joe Goodman, d'après le roman de Tim Lahaye et de Jerry Jenkins — Int. : Kirk Cameron, Brad Johnson, Chelsea Noble, Clarence Gilyard Jr., La maison de production Cloud Ten Janaya Stephens, Colin Fox, Gordon Currie - Dist. : Alliance Pictures fut mise sur pied par Peter et Paul Atlantis Vivafilm.

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LISTE D'ATTENTE

On ne peut, il me semble, réaliser un film comme Liste d'attente (Lista de espéra) que dans un pays où il y a encore une cohé­ sion sociale, où les spectateurs, s'ils ne se reconnaissent pas eux-mêmes, reconnais­ sent leurs voisins dans les types sociaux qu'incarnent les personnages et où les cinéastes, les artistes, pensent encore que le cinéma, que l'art, a le pouvoir de changer la société, la vie, le monde. Ce pays est Cuba et ce que le film espère changer, en envoyant à ses spectateurs (cubains) une image critique d'eux-mêmes, une image qui devrait provo­ quer une réflexion autocritique, c'est leur comportement individualiste, leur attitude LOVE COME DOWN défaitiste, leur pessimisme. Sur un ton comique et tonique, le récit Alors que l'ironie et l'autocritique ont met en scène une galerie de types sociaux, envahi jusqu'aux écrans américains (en chacun représentant une manière typique apparence du moins), il existe encore de composer avec les difficultés écono­ quelques œuvres « convaincues ». Love miques qui assiègent l'île et leurs consé­ Come Down, du cinéaste canadien quences. Ce microcosme de la société Clement Virgo, nous offre à voir un film cubaine attend, en province, dans une qui croit dur comme fer à ses intentions. métaphorique gare d'autobus très délabrée, Deux frères, l'un blanc l'autre noir, luttent le départ d'un car pour la grande ville. Mais avec un passé tragique (parricide dans la le car est en panne et irréparable, et ceux qui famille). Le premier se défoule dans la boxe passent n'ont de place que pour un pas­ alors que l'autre s'adonne à la danse et à la sager. .. La nuit tombe et les passagers s'en­ drogue. Ils veillent soigneusement l'un sur dorment sur les bancs, et rêvent. l'autre, du mieux qu'ils peuvent. L'amour Le rêve qu'ils font est celui de l'entraide, du cadet pour une jeune chanteuse noire tions, avec son passé et atteindre d'un seul de l'autarcie, d'une collectivité qui prend son élevée par des parents d'adoption juifs souffle le bonheur et la réussite (il y sort en main et qui, de ses mains, construit annonce peut-être un renouveau. Mais parviendra). Tout est terrifiant de son avenir. L'allégorie de la solidarité que mille obstacles les attendent encore. Qu'à cohérence et de bonté dans ce film qui présente ce récit est très attachante, comme cela ne tienne, la porte de la rédemption ratisse large. L'appel ne date pas d'hier, le sont les comédiens qui l'incarnent, n'est pas loin. Le tout se termine (après mais il a le mérite ici d'être clair : par­ comme le sont l'esprit lumineux qui l'anime avoir frôlé la mort) dans la joie et l'har­ ticipons tous ensemble à l'hégémonie en et l'humour qui l'exprime. monie, la réconciliation et le pardon, l'abo­ route, élaborons un monde sans misère ni Je ne sais pas si dans notre société néo­ lition des différends et le bonheur. conflit. On aimera les beaux sentiments ou libérale, cynique et atomisée ce film peut être Voilà donc un mélodrame mono­ on s'inquiétera devant pareil sermon, c'est autre chose qu'un spectacle agréable pour chrome s'articulant sans nuance autour de selon. Il est à noter que le film a reçu trois certains et mièvre pour d'autres. Mais valeurs établies et jamais remises en ques­ prix à la 21e remise des Prix Génie j'espère de tout mon cœur qu'il est une tion. Le Bien comme le Mal y sont clairement (meilleur montage sonore, meilleur traite­ source d'inspiration et de conscientisation identifiés. Pas de nuance possible. ment sonore et meilleur rôle de soutien pour son premier public, le public cubain. L'ennemi est à nos portes. Comment lut­ [Martin Cummins]). Monica 1 lai ni ter ? « God loves you », répète passionné­ Philippe Théophanidis ment (et inlassablement) le personnage ^B Lista de espéra peu crédible de la nonne, défendu tant Cuba/Espagne/France/Mexique 2000, 104 minutes - Réal. : Canada 2000, 99 minutes - Réal. : Clement Virgo - Scén. : Juan Carlos Tabio — Scén. : Juan Carlos Tabio, Senel Paz, bien que mal par Sarah Polley au jeune Clement Virgo - Int. : Larenz Tate, Deborah Cox, Martin Arturo Arango, d'après une nouvelle de ce dernier - Int. : Neville, pour l'aider à se sortir à de son Cummins, Rainbow Francks, Peter Williams, Barbara Vladimir Cruz, Thaimi AluariAo, Jorge Perugorria, Saturnino « enfer ». Argument de taille. Un seul Williams, Kenneth Welsh, Sarah Polley - Dist. : Equinox Garcia, Alina Rodriguez, Antonio Valero - Dist: Remstar Entertainement. Distribution. objectif : faire la paix avec ses contradic­

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échanger votre chambre au Million Dollar Hotel contre une représentation du Théâtre de Quat'sous. Maurice Elia

l^M L'Hôtel d'un million de dollars Allemagne/États-Unis/Grande-Bretagne 2000,122 minutes- Réal. : Wim Wenders — Scén. : Wim Wenders, Nicholas Klein, d'après une idée de Bono - Int. : Jeremy Davies, Milla Jovovich, Mel Gibson, Jimmy Smits, Julian Sands, Amanda Plummer, Peter Stormare — Dist. : Alliance Atlantis Vivafilm.

MOURIR POUR SOI

L'image du cœur de Nicole Ayoub qui bat littéralement à fleur de peau est celle qui me restera de ce film sur la décision de vivre ou de mourir, un film qui nous The Million Dollar Hotel réserve une surprise. Après le générique de celui des anges (Les Ailes du désir/Der fin, un protagoniste, Jacques Pohier, Himmel iiber Berlin). Toujours plus loin, revient pour nous dire : « Celui qui m'em­ mais tout en restant aussi proche... pêche de mourir comme je le veux est celui C'est dire l'ambition du cinéaste une qui me tue ». fois entamé le tournage de ce Million Lina B. Moreco construit son dialogue Dollar Hotel. Qu'en est-il résulté ? Pas à plusieurs voix sur la nécessité de l'accom­ grand-chose, diront certains en se basant pagnement vers la mort, sur la confiance sur la filmographie du cinéaste et en entre les êtres à cette étape, sur la place des remarquant que Buena Vista Social Club parents et amis dans cette démarche, sur la n'était peut-être finalement qu'une nécessité du doute chez les médecins, en pochade musicale destinée à pousser passant le plus souvent dans son montage quelques snobs à se procurer le DC. par des liens d'idées entre les divers inter­ En suivant les efforts d'un Mel Gibson venants. Nicole Ayoub veut continuer à en agent spécial du FBI venu enquêter sur vivre pour profiter de ce qui lui reste, et non la mort du résident d'un hôtel où pleurer sur ce qu'elle n'a plus; Terry demeurent en communauté quelques Graham, Jr. se lance dans une longue diatribe doux dingues, on se surprend à chercher, contre les gouvernements; Marie-Thérèse dans tout ce confus fatras où trône l'im­ Buissières, instigatrice du testament Mourir pour soi mobilisme le plus outrancier, la touche du biologique au Québec, attaque directement THE MILLION DOLLAR HOTEL maître, le non-conformisme propre à une certaines pratiques passées dans nos hôpi­ œuvre qui n'existait jusqu'à ce jour qu'en taux. Et pourtant, la diversité contradictoire Repenser les bases sur lesquelles se fonde fonction du mode d'expression qu'elle de ces témoignages est reliée par une écoute la définition même du cinéma : ce fut s'était choisi : l'espace, le mouvement, les attentive et une mise en images subtile où, autrefois l'un des soucis majeurs de Wim images, les sons, bref le cinéma. vers la fin, viennent poindre des vues de Wenders, l'une de ses plus profondes aspi­ Bien sûr, Los Angeles semble n'avoir montagnes au soleil, possibles chutes du rations. D'où sa trilogie routière (Alice jamais été mieux filmé (mais Alan voyage à Compostelle de Croire, le précé­ dans les villes/Alice in den Stâdten, Faux Rudolph ne l'a-t-il pas déjà fait, plusieurs dent film de la réalisatrice. mouvement/Falsche Bewegung, Au fil du années plus tôt, avec les mêmes saxos en Luc Chaput temps/Im Lauf der Zeit), ses hommages arrière-fond ?). Vrai, il faut noter les vague­ hollywoodiens (Lightening over Water, ment délirantes prestations des acteurs mis Canada [Québec] 2001, 74 minutes - Réal. : Lina B. Moreco Hammett) ou simplement ciné­ en présence, mais la répétition de leurs tics - Scén. : Benoît Guichard, Lina B. Moreco - Avec : Nicole matographiques (L'État des choses/Der (tous, pas seulement ceux de Jeremy Ayoub, Roger Bouchard, Jacques Artau, Valéda Turgeon, Terry Stand der Dinge), son épopée désertique Graham, Jr., Jean-Claude Côté, Marie-Thérèse Buissières, Davies) finit par exaspérer. Et si s'ajoute à Jacques Pohier, Bernard Senet - Dist. : Office national du (Paris, Texas) et même son poétique tout cela votre indélébile antipathie à l'égard film du Canada. regard sur les deux par l'intermédiaire de de Milla Jovovich, je vous imagine vite

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PETITE CHÉRIE

Premier long métrage d'Anne Villacèque, Petite chérie suscite l'admiration. Et pour cause : tournée à l'aide de moyens dérisoires et tirée d'un fait divers décon­ certant, cette comédie noire au sujet casse- gueule à la fois déstabilise, trouble et fascine. Le résultat est tout à fait probant. Sybille, une femme de 30 ans, plutôt moche et toujours vierge, habite encore chez ses parents. Elle rêve au prince char­ mant en lisant des romans à l'eau de rose jusqu'au jour où elle rencontre Victor, un séducteur paumé et sans domicile fixe. Sournoisement, Victor s'immisce dans la maison familiale de Sybille et brouille les cartes. « L'idée du couple mal assorti m'a tout PRINCES ET PRINCESSES de suite ravie, explique dans le cahier de presse la réalisatrice également coscéna- Fort du succès de Kirikou et la sorcière, riste. J'ai pensé à The Honeymoon Killers, un magnifique film qui a su rejoindre un film incroyablement dérangeant et efficace large public de tout âge à sa sortie en salle dans la construction d'un malaise. » et en vidéo, Michel Ocelot, ce cinéaste L'univers de Petite chérie comporte d'animation obstiné, a regroupé six contes son lot de scènes inquiétantes. Nombre réalisés en 1989 pour le compte de la télévi­ d'entre elles, à la limite du supportable, sion européenne autour du thème uni­ sont d'ailleurs criantes de vérité. À travers versel des princes et des princesses. ce huis clos familial, élément drama- L'homme aime les défis, si bien que ces récits turgique très fort, les regards et les non-dits sont animés avec l'unique technique des prennent ici une place capitale. Chaque ombres chinoises, aplanissant ainsi tout personnage parle peu, mais se révèle beau­ contour, forme ou expression. Peut-on voir pathique lorsqu'il est habillé d'un langage coup; on croit vivre l'illusion du bonheur dans cette réédition la réplique du cinéaste aussi concis qu'accessible et que le rythme alors qu'on s'engouffre pourtant dans la aux distributeurs américains qui tour­ demeure soutenu et fluide avec une éton­ détresse. nèrent systématiquement le dos à son nante économie de moyens. Ocelot signe En arrière-plan, des couleurs vives précédent long métrage pour cause de ici ce que l'on pourrait considérer un film contrastent avec ce monde terne et insolite nudité frontale dans sa représentation de la d'animation indépendant, évitant les effets où l'angoisse de la solitude, le dégoût de la femme africaine ? Souhaitons cette fois une à l'emporte-pièce afin de constituer une grappe familiale et la fascination du détail meilleure visibilité à cette œuvre riche en esthétique cohérente et personnelle, puisée anodin atteignent par moments leur détails et textures qui ose interpeller l'intel­ entre la tradition asiatique du spectacle paroxysme. Il n'y a pas à dire, grâce à ses ligence du spectateur-enfant, à mille lieues d'ombres et celle, résolument européenne, comédiens hors pair, sa mise en scène de la traditionnelle bouillie disneyienne. de l'animation néo-psychédélique de René ingénieuse et son scénario original, Petite Au cœur d'une cité anonyme, deux Laloux. À mi-parcours, sous l'œil attentif chérie est une grande réussite. enfants s'amusent à créer et à interpréter d'un hibou-sablier, un bref entracte octroie Pierre Ranger des histoires féeriques venant de l'Egypte au spectateur une minute pour parler, une pharaonique, du Moyen Âge, du futur ou initiative aussi originale que généreuse du Japon des estampes de Hokusai. marquant le respect et l'importance du France 2000,106 minutes - Réal. : Anne Villacèque - Scén. : Elisabeth Barrièrc-Marquet, Anne Villacèque — Int. : Corinne Résultat : le spectateur est conquis par la spectateur chez Ocelot. Chapeau ! Dcbonnière, Jonathan Zaccaï, Laurence Février, Patrick candeur de ces héros sans visage aux des­ Charles-Stéphane Roy Préjean - Dist. : Remstar Distribution. tins interchangeables et par la finesse de scénarios suggérant des exploits bien au- France 1999, 70 minutes - Réal. : Michel Ocelot - Scén. : delà de la sempiternelle lutte manichéenne. Michel Ocelot - Voix : Ariette Mirapeu, Philippe Cheytion, Ce tour de force devient d'autant plus sym­ Yves Barsacq, François Voisin - Dist. : Remstar Distribution.

SÉQUENCES 213 mail juin 2001 -LES FILMS

on s'attarde à nous montrer le sang qui gicle capitales occidentales. Sur place, Osnard se et les têtes qui roulent. Le ridicule dans cer­ mettra en contact avec le couturier le plus tains dialogues, qui rappelle le très distant et réputé de Panama, un Britannique au passé itératif « In the States we don't mix drugs louche, qui côtoie de près tous les tenants du with alcohol » de Mother's Meat, Freud's pouvoir politique, économique et occulte Flesh, est encore perceptible, mais cette de l'État. poésie de l'insensé qui doit se déguster à En quelques minutes, le décor est plan­ Shirley Pimple in John Wayne's Temple of Doom petites doses continues pour faire effet se té. Le spectateur n'aura en effet aucun mal à voit diluée dans une avalanche de mots et de reconnaître la griffe des films d'espionnage concepts. sophistiqués. Mais rapidement quelque Dans ce cas, la question est de savoir chose se met à clocher (comme ce plan en jusqu'à quel point le film a souffert d'im­ accéléré du couturier au travail). La carte provisation. Les images mémorables de son postale de Panama a les coins abîmés et long métrage antérieur, évoquées à notre espion n'a rien du héros. Et s'il fallait quelques reprises dans celui-ci, sont rares en trouver un, dans ce « Casablanca sans (la tête coupée d'un soldat qui parle à côté héros », ce serait plutôt Harry, le couturier, d'un bébé dans un champ de bataille). Au superbement interprété par Geoffrey Rush. contraire, on est ici en présence d'images Héros, Harry l'est, aux yeux de disparates qui semblent provenir directe­ Boorman du moins, parce que, comme le ment de quelque rebut cinématographique. cinéaste, le couturier mène tout le monde Film de rage et de révolte, Shirley Pimple in en bateau en racontant des histoires absolu­ John Wayne's Temple of Doom déboussole ment farfelues (la vente du canal à un con­ et repousse sans rien offrir en échange. sortium sino-taïwanais !) qui assouvissent Alexis Ducouré la soif d'information des Occidentaux. Belle prémisse, donc. Mais, étrangement, à la sor­ tie du film, nous restons avec l'impression Canada [Québec] 1999, 100 minutes - Réal. : Demetri que nous avons été floués, certes, mais pas Estdelenecropolis — Scén. : Marion Morrison — Int. : Chelsea SHIRLEY PIMPLE IN JOHN Mclsaac, Richard Tremblay, Barry Corber, Nettie Harris, Michel autant que nous l'aurions voulu ! Le pro­ WAYNE'S TEMPLE OF DOOM Gagnon, Leopoldo Gutierrez, Detroit Burns, Chris Wilson, blème, c'est qu'ici tout va trop vite, tout John Hislop - Dist. : Cinéma Libre. simplement. Boorman ne nous laisse pas le Un peu plus de 15 ans après le délirant temps de nous installer dans son récit à Mother's Meat, Freud's Flesh, Dimitri THE TAILOR OF PANAMA double niveau, que déjà le canular a litté­ Estdelacropolis revient au long métrage ralement mis le feu aux poudres. Mais le (sous son nouveau pseudonyme Demetri Le cinéma a très tôt pris conscience que sa spectateur, lui, qui a déjà tout compris de la Estdelenecropolis) avec un tout aussi chao­ plus grande force résidait dans la manipula­ stratégie de Harry, n'est pas prêt à se laisser tique que cacophonique Shirley Pimple in tion. Dès les débuts du cinéma, Georges convaincre aussi facilement par une John Wayne's Temple of Doom. Méliès avait bien compris que les images intrigue aussi mince. Narré dans un anglais monocorde et à pouvaient tromper le spectateur et l'inciter, Dans la vraie vie, des actions diploma­ peine compréhensible dans le plus pur style sous le couvert du vraisemblable, à croire en tiques et militaires ont peut-être effective­ post-structurel des études sociales culturelles certains récits extraordinaires ou farfelus. ment été lancées pour des raisons encore et sexuelles dont est si friande l'intelligentsia C'est dans cet esprit que se présente The plus frivoles que celle de The Tailor of anglophone, mais qui en définitive sonne Tailor of Panama, le nouveau film de John Panama. Mais le cinéma de fiction et la creux (avec abondance de substantifs, d'ad­ Boorman. réalité, ce sont deux choses. Si l'édifice nar­ jectifs et de verbes conjugués au present con­ La machination de Boorman com­ ratif de Boorman s'écroule, c'est parce qu'il tinuous), le film nous plonge sans préavis mence dès la première scène du film. Pierce n'a pas su développer suffisamment ses per­ dans le monde de l'incohérence discursive. Brosnan apparaît dans les bureaux des ser­ sonnages et ses situations pour que la ruse Tout y est, mais rien ne s'y trouve. vices secrets britanniques sous les traits de soit vraiment efficace. L'absurdité, une des principales qualités du l'agent Andy Osnard. Muté à Panama en Carlo Mandolini film, n'est même pas toujours présente et, raison d'un scandale romantique, l'agent ^•i Le Tailleur de Panama lorsqu'elle l'est, déferle, inonde les sens et aura pour mission de se renseigner sur les États-Unis/Irlande, 2001, 109 minutes - Réal. : John engloutit tout sur son passage. intentions du gouvernement panaméen à Boorman — Scén. : John Boorman, Andrew Davies, John Le Carré, d'après le roman de ce dernier — Int. : Pierce Brosnan, Le film se trouve à son meilleur propos du fameux canal, dont la récente Geoffrey Rush, Jamie Lee Curtis, Brendan Gleeson, Catherine lorsqu'il touche le gore, parce que justement rétrocession indispose encore certaines McCormack, Leonor Varela - Dist. : Columbia Pictures.

SÉQUENCES 213 mai/juin 2001 VATEL

De deux lettres de madame de Sévigné à sa fille, et de quelques paragraphes des mémoires de Jean Hérault de Gourville et de ceux de la duchesse de Montpensier (épouse du duc de Lauzun qui a inspiré celui du film), Jeanne Labrune a construit une histoire de dorures et de sang se déroulant durant trois jours d'avril 1671 sous le règne de Louis XIV Car c'est bien sur la notion de sacrifice que joue ce récit, dont la mise en scène de Roland Joffé ne réussit pas à tirer toute la substantifique moelle. La décision de tourner en anglais paraît éminemment bizarre, avec un Gérard Depardieu serviteur parlant anglais avec un accent français à des maîtres anglophones. La version française arrondit presque les angles puisque tout le monde Vatel parle un français plausible. WAYDOWNTOWN r*mp^ b C'est donc à une reconquête de la faveur du roi que Vatel, intendant du Comme ceux de Montréal, les urbanistes prince de Condé, s'acharne dans une de Calgary ont construit une partie du débauche de chairs, de fleurs et de décora­ centre-ville sur le modèle de la fourmilière. tions. Il est d'ailleurs normal que le seul Habitations, lieux de travail et de com­ César qu'ait remporté ce film soit celui du merce y sont reliés par tout un réseau de meilleur décor, décerné à Jean Rabasse. En tunnels et de passerelles permettant, à qui plus de nous convier à des images de veut se tenir à carreau du froid, de fonc­ couloirs et à des jeux de coulisses, le film tionner et de subsister sans jamais avoir à est soutenu par une trame de sacrifices : les enfiler ses bottes ou son paletot. Dans cris de la mère qui a perdu son fils dans la Waydowntown du jeune cinéaste cana­ construction de Versailles, la mort du pale­ dien Gary Burns, on assiste aux derniers Waydowntown frenier lors de la représentation du spectacle jours d'un pari fondé sur cette prémisse. révolte (ou si peu et du bout des lèvres), ni aérien chanté, le sang des oiseaux qu'on Quatre employés tentent de ne pas sortir exultation mais beaucoup de soucis. immole pour la santé du prince, les servi­ du complexe pendant un mois. L'enjeu : un Le filmd e Gary Burns a été abondam­ teurs qu'on joue aux cartes. mois de salaire. Mais les humains ne sont ment primé dans les festivals canadiens. Ce Malheureusement, le suicide de Vatel, pas des fourmis et le miel de l'aventure jeune réalisateur a un talent indéniable, qui peut être imputable à un état dépressif, devient aigre. Claustrophobie, déprime, sans doute comparable à celui d'un Denis est mal filmé, presque à la sauvette par un projets de suicide assaillent les protago­ Villeneuve. Mais, comme pour ce dernier, Roland Joffé impatient d'en finir. nistes, chacun selon son tempérament. on peut se demander si c'est un bien fier L'interprétation est bonne, spécialement D'un point de vue technique, service à leur rendre que de donner le si­ celle de Tim Roth qui rend parfaitement le Waydowntown est un film réussi. La gnal que ces œuvres sont déjà suffisantes côté cassant que suppose le terme de petit caméra et le montage sont dynamiques et pour accéder aux plus grands honneurs. La marquis. pleins d'invention, le rythme est soutenu et publicité peut sûrement s'en contenter, Luc Chaput l'espace, bien utilisé. Visiblement, on a mais une cinématographie ne se fonde pas affaire à un cinéaste qui aime et sait tour­ là-dessus. *» ner. Mais s'est-il déjà interrogé sur ce qu'il Michael Hogan France/Grande-Bretagne 2000, 117 minutes - Réal. : Roland Joffé - Scén. : Jeanne Labrune, Tom Stoppard — Int. : Gérard pouvait bien avoir à dire ? Sa mécanique Depardieu, Uma Thurman, Tim Roth, Julian Glover, Julian tourne rondement mais toujours à vide. La Sands, Timothy Spall - Dist. : Alliance Atlantis Vivafilm. minceur du scénario ne supporte jamais Canada 2000, 83 minutes - Réal. : Gary Burns - Scén. : Gary qu'un constat éploré, peut-être cynique, Burns, James Martin — Int. : Fabrizio Filippo, Don McKellar, Marya Delver, Gordon Currie, Jennifer Clement, Tobias sur la vacuité de la vie. Ni réflexion, ni Godson - Dist. : Alliance Atlantis Vivafilm.

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