Un Univers De Cartes : Jeu, Fiction Et Mythe Dans Magic : L'assemblée
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Université Paris X Nanterre Année 2006-2007 Mémoire de master 1 Directeur : Lettres classiques Charles Delattre Pierre Cuvelier Un univers de cartes : jeu, fiction et mythe dans Magic : l’Assemblée Remerciements Je tiens à adresser mes sincères remerciements à : M. Delattre, pour ses conseils rigoureux et toujours encourageants ; Mme Webb, pour le temps et l’attention qu’elle a bien voulu prêter à cette étude ; Mme Leclercq-Neveu, pour sa tutelle bienveillante à l’Ecole Normale Supérieure. J’exprime également ma chaleureuse gratitude envers : - les amies et amis de mon groupe de joueurs, habituels ou occasionnels, qui ont contribué à faire naître l’idée de cette étude, et, par la suite, à me rappeler utilement de temps à autre qu’un jeu est aussi fait pour qu’on y joue : Anne-Sophie, Marie-Anne, Anna, Olivier, Victor, Samuel, François Crampe, Guillaume… - mes amies et amis de l’Ecole qui, par leurs avis, leurs conseils, et leur simple présence, m’ont apporté un soutien précieux : Karine, Hamidou, François Bompaire, Alexandra, Elodie, Myriam, Ajda, Warren, et alii… Pour Anne-Sophie, qui, en me faisant redécouvrir Magic, a rendu possible cette étude. Mémoire de M1 – Un univers de cartes : jeu, fiction et mythe dans Magic : l’Assemblée – Page 2 de 175 Introduction Magic : l’Assemblée (Magic : the Gathering) propose à deux joueurs ou plus de s’affronter dans des combats magiques qui prennent place dans un univers médiéval-fantastique. Les cartes représentent soit des terrains, que les magiciens utilisent pour produire des points d’énergie magique, soit des sortilèges qu’ils peuvent lancer en dépensant un certain nombre de points de magie. Toutes sortes de sortilèges sont mis à leur disposition, dans cinq couleurs de magie différentes. Magic est créé aux Etats-Unis par le concepteur de jeux Richard Garfield, mathématicien de formation, pour le compte de Wizards of the Coast, petit éditeur de jeux de rôle fondé trois ans plus tôt par Peter Adikson. C’est un petit jeu, réclamant peu de place et peu de temps, destiné principalement aux amateurs de science-fiction et de fantasy et en premier lieu aux joueurs de jeux de rôle, lesquels sont apparus une vingtaine d’années plus tôt avec Donjons & Dragons dont la première édition remonte à 1974. Magic : the Gathering paraît en août 1993 et est présenté à la GenCon, une importante convention de jeux américaine. Le succès rencontré amène Wizards of the Coast à rééditer le jeu de base et à concevoir des séries de cartes supplémentaires, les extensions, qui commencent à paraître régulièrement. Ce succès s’avère durable dans les années suivantes et fait la fortune de Wizards of the Coast, qui rachète TSR, l’éditeur de Donjons & Dragons, en 1997. Wizards of the Coast est lui-même racheté par le géant du loisir Hasbro en 1999. Le succès de Magic : l’Assemblée est dû en partie au fait qu’il invente un nouveau principe, celui d’un jeu de cartes à la fois à jouer et à collectionner.1 Jusque là, il existait d’un côté des jeux de société utilisant uniquement des cartes, comme le Jeu des Mille bornes (publié en 1954) ou l’Uno au début des années 1970, et d’un autre côté des séries d’images à collectionner, par exemple les images de joueurs de football que la famille Panini commence à vendre en Italie dans les années 1960 et qui aboutissent, à partir des années 1970, à des séries de vignettes autocollantes sur divers thèmes, destinées à être collées dans des albums. Les cartes Magic combinent les deux principes : chaque joueur se constitue une collection de cartes dans laquelle il puise pour élaborer lui-même un paquet (deck) avec lequel il joue et qu’il peut améliorer au fil des parties en remplaçant certaines cartes par d’autres. La collection, même si elle n’a pas à être exhaustive (et ne peut pas l’être, à moins d’être un collectionneur acharné disposant de gros moyens), fait partie du principe du jeu : plus le joueur possède de cartes, plus les possibilités qui lui sont offertes dans la construction des paquets sont 1 On peut faire remonter la création du tout premier jeu de cartes à collectionner jusqu’à 1904 : The Baseball Card Game, produit par The Allegheny Card Co., comprenait 104 cartes représentant des joueurs de baseball, à l’aide desquelles chaque joueur pouvait se constituer une équipe pour affronter d’autres joueurs. Cependant, ce jeu ne semble avoir été conçu qu’à titre de prototype jamais commercialisé, et les principes des jeux de cartes à collectionner actuels sont dérivés de ceux de Magic. Notons que Richard Garfield a fait breveter le principe du jeu de cartes à collectionner en tant qu’invention (USA Patent n°5 662 332, le 2 septembre 1997). Mémoire de M1 – Un univers de cartes : jeu, fiction et mythe dans Magic : l’Assemblée – Page 3 de 175 grandes ; les achats et les échanges lui permettent de se procurer les cartes les plus intéressantes pour son jeu, mais une échelle de rareté limite l’accessibilité aux cartes les plus puissantes. Ce principe d’un jeu collectionnable, déjà présent à une moindre mesure dans les jeux de bataille avec figurines tels que Warhammer, mais entièrement nouveau dans le domaine des jeux de société plus classiques, est aussitôt repris par d’autres éditeurs, au point d’ouvrir un nouveau marché dans l’industrie du jeu : celui des jeux à collectionner, qui vient occuper un espace intermédiaire entre les jeux de société au sens large et l’industrie des collectibles – images, cartes, figurines et accessoires en tout genre tournant autour de personnages de comics et de jeux vidéo. Cependant, une différence distingue Magic de la plupart de ses émules sur le plan de la fiction. Les jeux parus après Magic se fondent presque tous sur des univers fictionnels déjà existants, qu’ils se contentent d’adapter. Il peut s’agir de reprises d’univers de grands classiques des littératures de l’imaginaire, tels Le Seigneur des Anneaux de Tolkien dont s’inspirait Le Seigneur des Anneaux : les Sorciers, ou bien d’univers de jeux de rôle, par exemple Spellfire adapté de Donjons & Dragons ou Mythos adapté de L’Appel de Cthulhu (lui-même inspiré des nouvelles fantastiques d’H.P. Lovecraft), ou bien, plus souvent, de licenses commerciales sûres telles que Star Wars ou, plus récemment, les jeux vidéo Pokémon et World of WarCraft. Mais presque aucun ne développe un univers original. Legends of the Five Rings d’Alderac Entertainment Group, lancé en 1995, qui propose un univers de fantasy inspiré du Japon médiéval, fait figure d’exception confirmant la règle. Magic : l’Assemblée, de son côté, prend pour cadre de jeu un univers médiéval-fantastique, qui est un univers original, au sens où il a été créé pour le jeu. C’est plus précisément un « multivers », un ensemble de mondes, qui puise son inspiration dans la littérature anglo-saxonne de fantasy, en premier lieu J.R.R. Tolkien et Michael Moorcock2. En une quinzaine d’années de développement, tandis que Magic gagnait le statut de classique du jeu, son univers s’élargissait et s’enrichissait rapidement, au point de ne plus rien avoir à envier aux univers des grands cycles romanesques de fantasy ou de science-fiction. Du point de vue de la fiction, le jeu présente donc une double ambition : d’une part, permettre au joueur non seulement de jouer, mais de jouer dans un univers riche et détaillé ; d’autre part, faire découvrir cet univers au joueur par le biais d’un support nouveau : un ensemble de séries de cartes que le joueur reçoit dans un ordre aléatoire et qu’il ne connaîtra jamais toutes. Or un tel support se prête très mal au développement d’une fiction, a fortiori d’une fiction à grande échelle. 2 Michael Moorcock a largement contribué à répandre la notion de « multivers », qu’il utilise dans plusieurs cycles de fantasy regroupés sous le nom de « cycle du Champion Eternel ». Chacun de ces cycles met en scène un héros différent (par exemple Elric, Hawkmoon ou Corum). Au fil de leurs aventures, chacun finit par découvrir qu’il existe non pas un seul monde mais plusieurs mondes parallèles, qui dérivent dans le multivers selon des lois précises, de sorte que lorsque deux mondes passent l’un près del’autre, il est possible de voyager de l’un à l’autre. Les différents héros se rencontrent et comprennent qu’ils sont les incarnations d’un archétype commun, le Champion Eternel, chargé de maintenir un équilibre constant entre la Loi et le Chaos, les deux forces régissant le multivers. La notion de multivers, à l’origine utilisée comme hypothèse dans les interrogations sur la forme de l’univers en cosmologie, a connu une grande fortune dans les cycles de fantasy, où elle est un bon moyen de conférer de vastes dimensions à un univers fictif, ou de fournir un plus petit dénominateur commun à plusieurs récits par ailleurs autonomes (une sorte de transposition fictionnelle minimale du concept genettien d’architexte). Mémoire de M1 – Un univers de cartes : jeu, fiction et mythe dans Magic : l’Assemblée – Page 4 de 175 Je me propose donc d’examiner le statut et le fonctionnement de la fiction dans Magic : l’Assemblée. Comment la fiction est-elle mise en °uvre dans le cadre d’un jeu de ce type ? Comment cohabite-t- elle avec le jeu proprement dit, comment s’articule-t-elle avec lui, quelles sont sa place et son importance par rapport à lui, et quel est, en définitive, son statut au sein du jeu ? Deux extrêmes semblent a priori envisageables.