IL ÉTAIT DES FEMMES DANS LA RÉSISTANCE... Du Même Auteur

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IL ÉTAIT DES FEMMES DANS LA RÉSISTANCE... Du Même Auteur LES GRANDS SUJETS Collection dirigée par Claude Glayman Dans la même collection Claude BOURDET : L'Aventure incertaine : de la Résistance à la Restauration. Jean-François KAHN : Chacun son tour. Jean DUVIGNAUD : La Planète des jeunes. Georges HOURDIN : Le Malheur innocent. Rolf LIEBERMANN : Actes et Entractes. Paul NOIROT : La Mémoire ouverte. Georges HOURDIN : Pour le concile. Paul BERNETEL : Les Enfants de Soweto. L'Afrique du Sud en question. Jean-Pierre VITTORI : Nous, les appelés d'Algérie. André LAURENS et Thierry PFISTER : Les Nouveaux Commu- nistes aux portes du pouvoir. Préface de Jean Elleinstein. Giuseppe BOFFA et Gilles MARTINET : Dialogue sur le stali- nisme. Traduit de l'italien par Tamara Thorgevsky. Georges HOURDIN : La Tentation communiste. Jean-Pierre CORBEAU : Le Village à l'heure de la télé. A paraître Pierre SCHNEIDER : L'Anti-musée. Maurice FLEURET : La parole est à la musique. A partir d'entretiens avec Claude Glayman. Etc. IL ÉTAIT DES FEMMES DANS LA RÉSISTANCE... Du même auteur LA FÊTE CUBAINE, Julliard, 1962. LA BLANCHE ET LA ROUGE, Julliard, 1964. L'AFRIQUE DES AFRIKAANERS, Julliard, 1966. LES PALESTINIENS, Julliard, 1969. UN ALGÉRIEN NOMMÉ BOUMEDIENNE, Stock, 1976, en collaboration avec Jean-Pierre Séréni. Ania Francos Il était des femmes dans la Résistance... Stock Tous droits réservés pour tous pays. © 1978, Éditions Stock. Pour Shanah, ma mère. A Monique Antoine et Elisabeth Lagache. A Cécile et Samya aussi... Avertissement Toutes, elles m'ont demandé, les héroïnes encore en vie de ce livre : « Pourquoi parler de moi, plutôt que d'une autre ? » Alors je précise que seuls l'amitié et le hasard ont fait que de chaque mouvement de résistance, je privilégie les aven- tures de telle ou telle femme. Que les milliers d'autres, dont la vie vaudrait un roman, me pardonnent. Ania FRANCOS. Avant-propos « Madame, dit le procureur allemand, en s'incli- nant devant Agnès Humbert, madame, si les femmes françaises avaient fait la guerre, nous ne serions jamais arrivés à Paris. » C'était en février 1942, et Agnès jouait sa tête dans l'affaire du musée de l'Homme où sept hommes et trois femmes furent condamnés à mort. « Madame, vous vous étonnez qu'il n'y ait eu que 6 femmes sur 1 059 compagnons de la Libéra- tion ! » s'exclame en 1978, au téléphone, le secré- taire général de l'Ordre des compagnons, un vieux monsieur, sans doute couvert de médailles. « Mais c'est normal : elles n'ont pas été au feu ! » Puis après un long silence : « Pourtant, c'est vrai, elles nous ont accompagnés pendant la campagne d'Italie. Nous avons eu des ambulancières, des cantinières. Des braves filles d'ailleurs ! » Puisque ce livre voudrait donner à voir des femmes qui ont résisté aux nazis entre 1939 et 1945, il est bon d'avoir à l'esprit que lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en 1939, les femmes ne sont ni éligibles ni électrices. Cela, malgré huit débats En guise de prologue... Souvent, la nuit, je les réunis dans ma chambre. Les vivantes et les mortes. Celles qui vont avoir soixante-dix ans et celles qui n'en auront jamais trente. Parfois, je ne vois pas bien leur visage. Une ombre passe. Je distingue à peine une silhouette décharnée dans une vaste chemise rayée, un crâne rasé. Et ce cou, ce torse dénudé, ces cheveux relevés, pour quel homme, quelle femme ? Pour la hache du bourreau ? Désir de caresser ces boucles rousses ramenées en coque sur le front. Je tends la main dans le vide. De celle-là, je n'aperçois que les chaus- sures à semelles de bois compensées, les socquettes blanches, le sac en bandoulière. Mais pourquoi a- t-elle monté sa bicyclette ? Certaines me demandent du thé, d'autres se ser- vent des rasades de whisky sec. Elles fument trop. C'est mauvais pour les infarctus. C'était bon, jetée au secret pendant des mois ? Sotte : au secret, on est privé de tout. Pourquoi ne tiennent-elles pas en place ? Pourquoi n'ont-elles pas besoin comme moi de se recroque- viller dans un coin ? L'une me raconte des histoires cocasses qui me font sangloter. L'autre m'ordonne d'interrompre mon compagnonnage avec le Valium : il ne sert à rien, il tue le désir ; et, en dehors de la mort, rien n'est dramatique. Je leur dis : « Avez-vous remarqué l'indifférence des Français lorsque les policiers raflent ceux qui ont le teint basané dans le métro ? J'ai lu des graffiti antisémites sur des murs de synagogues. J'ai vu un poster d'Hitler dans la chambre d'un adoles- cent de quinze ans. J'ai peur des enfants d'Hitler et de Staline, du désespoir de la bande à Baader, de la logique de mort des Brigades rouges qui assas- sinent au nom du peuple, j'ai peur des services secrets qui les manipulent, j'ai peur des autonomes qui réclament des P.38 en levant le bras droit. J'ai peur de la raison d'Etat, de l'espace judiciaire européen, de la chasse aux terroristes, de la délation devenue devoir national, des escadrons de la mort à la française, vêtus et gantés de cuir, qui tuent, en choisissant symboliquement leurs victimes parmi les Arabes et les Juifs... Je vieillis, je ne supporte plus les Viva la muerte, les uniformes, les Kalashinkof en érection, même quand ce sont les armes d'un guérillero. » Et je demande obsessionnellement : « N'avez-vous plus jamais peur ? Faut-il passer par là pour ne plus avoir peur ? » Parfois, l'une me donne un conseil : « Pendant le supplice de la baignoire, n'essaie jamais de respirer. Noie-toi tout de suite : alors ils cessent. Ne te crispe pas, laisse-toi aller lorsqu'on te frappe. Et surtout crie très fort comme les Méditerranéennes lorsqu'elles donnent la vie ; c'est une sorte de respi- ration sur le modèle de l'accouchement sans dou- leur. » L'autre ironise : « Tes mains tremblent. Pendant les interrogatoires, garde-les sur tes genoux, - ou assieds-toi dessus. » Et toutes de me recommander de ne jamais oublier de me laver, même avec de l'eau boueuse. « Ils ont une véritable obsession de la propreté. Pendant la sélection pour la chambre à gaz, la saleté ne pardonne pas. » Et je demande : « Faut-il se séparer des enfants ? » Oui, il faut se séparer des enfants. On peut entraîner un homme dans la mort, pas un enfant. Accent bourguignon, accent provençal, accent alsa- cien, accent parisien, accent polonais, accent espa- gnol : elles parlent trop souvent en même temps avec des voix étonnamment nettes. Alors en moi tout est confus, tout se mêle, s'emmêle ; ça me tord les viscères. Je les scrute, les détaille, les découpe, les déshabille : visages lisses, visages roses, cheveux blancs, cheveux argentés, cheveux fauves, cheveux noirs, ports de tête bien droits, yeux clairs même quand ils sont bruns, regards intimidants, même quand ils sont angoissés ; corps de femmes qui par- lent, sexes de femmes que l'on a aimées, qui ont donné la vie. Leur secret ? Je voudrais avoir été leur mère, leur amant, leur enfant. Je n'ose leur dire : « Aimez-moi, consolez-moi, rassurez-moi, reconnais- sez-moi... » Il était une fois dans un pays qui me semble si lointain et trop proche une petite fille qu'on appelait parfois Oudleh comme sa grand-mère maternelle, morte dans ce qui allait devenir le ghetto de Var- sovie. Son papa, qui était beau et blond, avait en français un terrible accent polonais. Il l'appelait, lui : « ma princesse de Palestine », car il venait de Palestine où les Anglais jetaient en prison les Arabes nationalistes et les Juifs communistes ou terroristes. Shoshanah, sa femme, répétait souvent en yiddish : « Motek, tu gâtes trop cette enfant. » Et Mordekhai répondait : « Mais je n'ai qu'une fille. » C'est du moins ce que j'aime à me raconter. Il faisait très beau ce matin-là du côté de Vierzon, en France. « Un bel été », disait peut-être Mor- dekhai. Six jours plus tard, le 19 juillet 1942, Oudleh allait avoir quatre ans. Le bel homme blond lui mettait des gouttes dans le nez, et elle ressentait, et elle ressent toujours à ce souvenir, un grand émoi, car il la tenait serrée contre lui, et un grand déplaisir, peut-être à cause de cet étrange plaisir. Alors deux inconnus s'encadrent dans la porte de la ferme. Ils portent des uniformes sombres et ils parlent français. Oudleh ne comprend pas ce qu'ils disent. Shoshanah se met à pleurer en demandant : « Mais que va devenir la petite ? » Les deux hommes en uniforme ont l'air très malheureux. Ils disent, je crois : « Nous avions l'ordre de vous emmener tous les trois... l'enfant aussi. Alors il nous faut au moins l'homme. » Tout ensuite s'est passé très vite. Mordekhai aurait prononcé cette phrase : « Shoshanah, ne perds pas la tête. Pense à l'enfant, n'oublie pas son anni- versaire... » Je suis certaine que les deux hommes en uniforme ont dit plusieurs fois d'une voix douce : « Nous reviendrons pour vous demain. » Et Mor- dekhai, qui portait un pantalon de tweed (et, vous pouvez en rire, je ne pourrai plus jamais voir un bel homme blond en pantalon de tweed sans en avoir le cœur chaviré), est parti sans se retourner. Il n'est jamais revenu. Et longtemps, je me suis raconté que c'était sans doute parce que je n'avais pas été sage, pour le plaisir et le déplaisir des gouttes dans le nez. Et, à chaque aube qui se lève, je les attends, ces deux hommes en uniforme qui doivent revenir demain pour me chercher et m'em- mener de prison en prison jusqu'à ce camp, ce peloton, ce charnier où je retrouverai mon bel amour blond, dont le diminutif « Motek » veut paraît-il dire, en je ne sais quelle langue : « Mon doux cœur.
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