LA SITUATION URBAINE de la province d’

La province d’Al Hoceima qui se caractérise par la singularité du parcours et du profil de ses agglomérations urbaines à l’échelle de la région Taza-Al Hoceima-Taounate, enregistre une dynamique urbaine tout aussi particulière à plus d’un niveau. Cette démarcation à l’échelle régionale qui puise ses origines dans les dynamiques démographiques, sociales et économiques qui traversent cette province se traduit par une évolution urbaine qui tend à l’accentuation de la concentration du phénomène urbain dans un milieu peu favorable à une telle tendance. Aussi, les problèmes de l’urbanisation ne se posent-ils pas dans cette province uniquement en termes d’explosion démographique et de déficience urbaine, mais également en termes de risques urbains. Ce qui pose la question de la planification urbaine dans toutes ses dimensions. Un examen rapide des principaux aspects de la dynamique urbaine et de l’entreprise publique en matière de régulation du processus d’urbanisation, en cours sur place, permettent de cerner les dysfonctionnements et les risques qui entravent la vie urbaine dans cette province.

1 – LA DYNAMIQUE URBAINE

Le processus d’urbanisation de la province d’Al Hoceima est l’un des plus récents du Maroc. En effet, à l’exception des vieux comptoirs de Badis et Nekour, le déclenchement de ce processus remonte au milieu des années 1920, avec l’émergence d’Al Hoceima et sous l’effet de la colonisation espagnole. Depuis lors, le processus d’urbanisation n’a cessé de prendre de l’ampleur. Tableau 1 : Les principaux indicateurs de l’urbanisation de la province d’Al Hoceima Population urbaine Taux Nombre Indicateurs Effectifs T.A.M.A. d’urbanisation d’agglomérations urbaines 1960 13559 4 , 7 % 7,1 % 2 1971 22496 9,1 % 3 9 , 2 % 1982 59490 19,1 % 4 5 , 4 % 1994 112588 29,4 % 8 0 , 5 % 2004 118454 29,9 % 8 Source : R.G.P.H. 1960, 1971, 1982, 1994, 2004

Ce tableau met en évidence la récence du phénomène urbain dans cette province et l’explosion urbaine qui la caractérise depuis les années 80. Malgré l’essoufflement de cette évolution au cours de la dernière décennie, la province d’Al Hoceima conserve sa place au sein de la région, comme elle renforce sa dynamique urbaine.

1 – 1 L’évolution urbaine à l’échelle régionale La population urbaine de la région Taza – Al Hoceima – Taounate s’est élevée à plus de 436 900 habitants en 2004. Les trois capitales provinciales accaparent 52,1% de cet effectif. Ce qui met en évidence un déséquilibre de taille à l’échelle de la région et au sein de chacune des provinces qui la composent. L’évolution du taux d’urbanisation à l’échelle provinciale dévoile un des aspects significatifs de ce déséquilibre. Tableau 2 : Evolution du taux d’urbanisation par province Province Province Province Dates d’Al Hoceima de Taounate de Taza Région 1971 9.1 % 1.9 % 14.2 % 8.5 % 1982 19.1 % 3.9 % 17.6 % 12.9 % 1994 29.4 % 8.3 % 29.1 % 21.5 % 2004 29,9% 10,2% 33,6% 24,2% Source : - Direction de la Statistique : Population légale selon le RGPH de 1971 , 1982, 1994, et 2004

Si le taux d’urbanisation s’accroît à un rythme soutenu à l’échelle régionale, les différences entre les provinces persistent. Au moment où celle d’Al Hoceima voit le rythme d’accroissement de son taux d’urbanisation s’essouffler, celles de Taza et Taounate gardent toujours un rythme d’urbanisation assez soutenu. Et si la différence entre la province de Taounate et les deux autres reste importante, celle d’Al Hoceima est dépassée par la province de Taza qui confirme par là sa suprématie antérieure. Malgré tout, le taux d’urbanisation unifie la région par son dynamisme et confirme une tendance qui tranche totalement avec l’accroissement de la population globale de la région. En effet, entre le recensement de 1982 et celui de 1994, la population urbaine s’est accrue de 182 120 personnes contre seulement 76 962 pour la population rurale. Tendance qui a été confirmée par l’évolution enregistrée entre 1994 et 2004, puisque la population urbaine s’est accrue de quelques 65 860 âmes contre seulement 21 407 pour la population rurale. En d’autres termes la part des villes dans le solde démographique régional est passée de 70,3% entre 1982 et 1994 à 75,5% entre 1994 et 2004.

Tableau 3 : Evolution de la population urbaine régionale Provinces : Al Hoceima Taounate Taza Région Population urbaine : 22 496 8 732 70 890 102 118 1971 59 490 21 173 108 260 188 923 1982 112 588 52 274 206 181 371 043 1994 118 454 68 191 250 258 436 903 2004 Taux d’accroissement : 1971 – 1982 9, 2 % 7, 6 % 3, 9 % 5, 7 % 1982 – 1994 5, 4 % 7, 8 % 5, 5 % 5 ,7 % 1994 - 2004 0, 5 % 2 ,7 % 1, 9 % 1, 6 % Sources : Direction de la Statistique : Population légale selon le RGPH de 1971 , 1982, 1994 et 2004

Il ressort de ce tableau que le processus d’urbanisation de la région de Taza – Al Hoceima – Taounate qui conserve un rythme d’accroissement supérieur à la moyenne nationale n’est pas partout le même, dans sa valeur comme dans son dynamisme. La baisse généralisée du taux d’accroissement moyen annuel de la population urbaine qui est conforme à la tendance enregistrée à l’échelle nationale n’est pas synonyme d’une quelconque remise en question de l’équilibre établi à l’échelle régionale depuis l’explosion urbaine des années 80 , comme le souligne clairement le tableau suivant. Tableau 4 : Evolution de la répartition de la population totale et urbaine entre les provinces de la région 1971 1982 1994 2004 Provinces Population Population Population Population Totale Urbaine Totale Urbaine Totale Urbaine Totale Urbaine Al Hoceima 20.6 % 22 % 21.3 % 31.6 % 22.2 % 30.3 % 21.9% 27.1% Taounate 37.6 % 8.5 % 36.7 % 11.2 % 36.5 % 14 % 37 % 15.6% Taza 41.7 % 69.4 % 41.9 % 57.3 % 41.6 % 55.5 % 41.1% 57.3% TOTAL 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100% Sources : Direction de la Statistique : Population légale selon le RGPH de 1971, 1982, 1994 et 2004

La province de Taza qui accapare encore la majorité de la population urbaine enregistre une régression continue et plus rapide que celle enregistrée par sa part de la population régionale totale. La province d’Al Hoceima dont l’évolution ressemble à celle de Taza arrive à maintenir la prééminence de la dynamique urbaine. Par contre la province de Taounate qui arrive à peine à maintenir sa part de la population totale, améliore difficilement sa proportion dans la population urbaine. Ce qui revient à dire que la région de Taza – Al Hoceima – Taounate recèle des réalités différentes et partant des dynamiques tout aussi divergentes. La baisse du taux de fécondité se conjugue à l’accroissement de l’émigration vers l’étranger, dans la province d’Al Hoceima, pour expliquer cette évolution. Dans celle de Taounate , la large proportion de la population rurale continue à alimenter , à la fois, sa forte position dans la population rurale régionale et le processus d’urbanisation. Par contre, dans la province de Taza l’importance de la dynamique urbaine qu’alimentent d’importants flux de l’exode rural s’associe à l’ampleur de l’émigration vers l’étranger pour engendrer une évolution tout aussi différente. Ce qui se traduit par des positions inégales dans la dynamique urbaine régionale.

Tableau 5 : Evolution de la répartition du gain démographique Urbain entre les provinces Provinces Gain Gain Gain 1971 – 1982 1982 – 1994 1994 - 2004 Al Hoceima 42.6 % 29.1 % 8,9 % Taounate 14.3 % 17 % 24,2 % Taza 43 % 53.7 % 66,9 % Total 100 % 100 % 100 % Sources : Direction de la Statistique : Population légale selon le RGPH de 1971, 1982, 1994 et 2004

Cette répartition souligne, une autre fois, que la province de Taza maintient sa primauté en tant qu’espace dynamique en matière d’urbanisation. Ainsi le processus d’urbanisation qui unifie la région de Taza – Al Hoceima – Taounate, par son dynamisme est également vecteur de différentiation par l’inégalité de son ampleur et de ses retombées. Autrement dit , cette région dont aucune partie n’échappe désormais à la dynamique de l’urbanisation n’assimile pas les mutations provoquées par cette dynamique de la même manière et au même rythme . Les pesanteurs de l’histoire et la pression du présent sont à même de faire prévaloir la différence sur l’uniformité. Dans ce contexte la province d’Al Hoceima est de plus en plus fragilisée par les conditions difficiles du développement d’une vie urbaine à même de permettre à la province de sauvegarder sa place régionale. De ce fait, l’accession d’Al Hoceima au rang de chef-lieu régional n’a pas eu, jusqu’à maintenant, l’impact escompté en matière de redynamisation de la vie urbaine.

1 – 2 Les caractéristiques de l’urbanisation de la province d’Al Hoceima La récence du phénomène urbain dans la province d’Al Hoceima est à l’origine de la consécration d’un certain nombre de caractères que ce phénomène a développé, à l’échelle nationale, au cours des dernières décennies du 20ème siècle. Les particularités locales ont également joué dans ce sens en imposant des réadaptations aux conditions naturelles et sociales propres à la population de cette province. Trois grandes caractéristiques méritent d’être soulignées : - Une urbanisation qui a enregistré des taux d’accroissement parmi les plus élevés du pays. Les taux d’accroissement enregistrés par la population urbaine de la province d’Al Hoceima, depuis les années 80 , quoiqu’ils ont été très élevés ne reflètent pas totalement l’importance prise par le phénomène urbain dans cette province. En effet, cette province compte parmi les espaces marocains qui animent une urbanisation diffuse qui s’est généralisée à tout l’espace rural provincial. Ce qui se traduit par le renforcement du caractère urbain de l’essentiel de l’habitat rural et d’un grand nombre de localités classées en tant que rurales. L’adoption du modèle d’habitat urbain par l’essentiel de la population rurale constitue un vecteur de changement qui joue dans le sens du renforcement de la dynamique urbaine dans cette province. Cette évolution dont les instigateurs étaient les travailleurs marocains à l’étranger est devenue une caractéristique de la région et tend même à s’imposer en tant qu’un des principaux vecteurs des mutations qui traversent cette province, dans tous les domaines et à tous les niveaux. Le taux d’urbanisation qui est passé, en l’espace de trois décennies, de moins 10% à près du tiers de la population provinciale, reste encore en dessous de la moyenne nationale , mais il a évolué à un rythme tellement rapide qu’il a provoqué une véritable explosion urbaine à laquelle la province n’était pas préparée. Même si ce taux a enregistré un essoufflement lors du dernier recensement, la province d’Al Hoceima n’est pas faite pour rester à l’écart de la tendance générale que connaît le pays, et qui est à l’origine du passage du Maroc de la majorité démographique rurale à la majorité urbaine. Ce qui laisse supposer que la dynamique urbaine déclenchée depuis trois décennies n’a pas épuisée toutes les potentialités dont dispose la province. En d’autres termes, le processus d’urbanisation constitue désormais une donne avec laquelle il faut compter dans toutes les prévisions, notamment dans une province prédisposée sur tous les plans à entretenir une telle dynamique. - L’émergence d’une zone urbaine littorale. L’ampleur de la dynamique urbaine de la province d’Al Hoceima est en train de se traduire par la formation d’une aire urbaine littorale s’étendant d’Al Hoceima à Bni Bouayache en passant par , Sidi Bouafif, et . Cette zone urbaine qui regroupe les plus grandes et les plus dynamiques agglomérations urbaines de la province concentre également l’essentiel de la population urbaine provinciale.

Tableau 6 : Evolution de l’aire urbaine littorale d’Al Hoceima Années Nombre Population Part de la population Part du solde d’agglomérations urbaine urbaine provinciale urbain provincial 1960 1 11 262 83 % 1971 2 20 564 91, 4 % 104 % 1982 3 55 564 93, 6 % 94, 6 % 1994 4 97 560 86, 6 % 79, % 2004 4 101 416 85, 6 % 65, 6 % Sources : Direction de la Statistique : Population légale selon le RGPH de 1971, 1982, 1994 et 2004

Il ressort de ce tableau que la zone urbaine littorale en formation consacre sa position de premier pôle urbain provincial et de première aire urbaine en son genre à l’échelle de toute la région, en concentrant, non seulement plus des 4/5 de la population urbaine mais en s’imposant, également, comme premier foyer urbain attirant les deux tiers du gain démographique urbain, malgré l’augmentation du nombre d’agglomérations urbaines. Cette évolution qui reste conforme à la tendance nationale de littoralisation de la population marocaine et plus particulièrement du phénomène urbain, acquiert ici une importance particulière par son dynamisme et l’exiguïté de l’espace concerné. Cette dynamique qui n’est pas soutenue par une autre sur le plan économique est à l’origine d’une urbanisation à risques sur le plan naturel et génératrice de problèmes sur le plan urbanistique et social. - Une urbanisation défiant tous les risques. Les agglomérations urbaines de la province d’Al Hoceima, et notamment celles de la zone littorale, se caractérisent par une forte agressivité vis à vis du milieu naturel. Cette agressivité est notable, plus particulièrement, au niveau des sites naturels occupés et au niveau des zones d’extension urbaine les plus dynamiques. Aux sites perchés de la falaise côtière d’Al Hoceima, l’urbanisation annexe les lits des oueds, les terrasses fluviales les plus vives, et les versants les plus fragilisés par l’érosion. Ce qui se traduit par une extension soutenue de la production d’espaces urbains à risques, et la généralisation des processus urbains non conformes à la protection de l’environnement naturel et de la vie d’une population de plus en plus importante. Le mitage des espaces agricoles notamment du périmètre irrigué du constitue une autre forme d’agressivité vis à vis de l’environnement naturel, dans la mesure où le massacre des jenanats n’est pas sans conséquences, à la fois écologiques et économiques. Cette évolution est à même d’accentuer le phénomène de déficience urbaine d’en souffrent toutes les agglomérations urbaines de la province sur le plan des équipements de base. Déficience qui contribue largement à la reproduction de la fragilité et la vulnérabilité des tissus urbains inhérente au recours presque généralisé à l’autoconstruction non réglementaire.

AL HOCEIMA : Constructions dans un lit d’oued et sur des versants fragilisés

BNI

BNI BOUAYACH : Immeubles construits sur une terrasse faiblement stabilisée

De ce fait, la province d’Al Hoceima consacre un processus urbain hypothéqué par son statut foncier particulier, fragile par son système d’occupation de l’espace et vulnérable par la multiplicité des risques auquel il est soumis.

Il ressort de ce qui précède que les problèmes de l’urbanisation dans la province d’Al Hoceima relèvent des dysfonctionnements prévalant sur le plan du déploiement spatial du phénomène urbain et des sites occupés que les carences en matière de régulation technique et administrative amplifient largement.

1 – 3 L’évolution de l’armature urbaine provinciale La population urbaine de la province d’Al Hoceima s’élève selon le recensement de 2004 à quelques 118 588 habitants. La capitale provinciale accapare, à elle seule, 55 357 habitants. Ce qui représente 46, 6 % et met en évidence un déséquilibre de taille dans l’articulation de l’armature urbaine, en tant que structures d’accueil et comme facteurs d’organisation du territoire, si armature urbaine il y a dans cette province !

Tableau 7 : Evolution de la répartition des agglomérations urbaines selon la taille démographique

Taille des agglomérations 1960 1971 1982 1994 2004 +50 000 à 100 000 hts - - - 1 1 + 20 000 à 50 000 hts - - 1 1 1 10 000 à 20 000 hts 1 1 - 1 2 - 10 000 hts 1 2 3 5 4 Total 2 3 4 8 8 Sources : Direction de la Statistique : Population légale selon le RGPH de 1971, 1982, 1994 et 2004

Ce tableau démontre que les structures urbaines de la province d’Al Hoceima sont tiraillées par deux pôles diamétralement opposés : la capitale provinciale qui ne cesse de creuser l’écart qui la sépare des autres agglomérations et un autre pôle composé de centres de petite taille ( - 10 000 hts ). A cette bipolarisation sur le plan quantitatif ne correspond pas une autre sur le plan qualitatif, puisque seule Al Hoceima présente les aspects et les fonctions d’une véritable ville. Ce qui ne permet pas de parler d’une véritable armature urbaine au sein de cette province. Cette situation met en valeur l’importance de la dynamique démographique dans le processus d’urbanisation qui est celui de la province d’Al Hoceima. Ce qui pose d’emblée le problème du développement urbain dans toutes ses dimensions, et partant hisse la question de la planification urbaine au rang d’une priorité, dans cette province.

La carte de la répartition spatiale des agglomérations urbaines montre que la dynamique de littoralisation du phénomène urbain est en passe de substituer au noyau d’une armature urbaine celui d’une région urbaine allant d’Al Hoceima à Bni Bouayache. Ce qui laisse entrevoir l’importance des difficultés à prévoir en matière de régulation et de gestion de la dynamique d’urbanisation dans cette province. A ce niveau, les problèmes les plus en vue actuellement sont : - Les difficultés de coordination en matière de gestion de la croissance urbaine des différentes agglomérations constituant la région urbaine en formation, - L’incapacité de chacune des entités urbaines à faire face seule aux problèmes liés à la dynamique urbaine en cours, - Le gaspillage du peu de moyens dont disposent chacune de ces entités, notamment à travers la recherche de solutions en dehors de toute coordination et sans souci aucun d’un devenir commun. Cette évolution qui tend à bloquer l’émergence d’une véritable armature urbaine et à hypothéquer le devenir de la conurbation urbaine en formation, nécessite une nouvelle approche du phénomène urbain dans cette province. Traiter les problèmes urbains dans le cadre d’entités urbaines isolées au moment où l’ensemble des dynamiques et des structures urbaines évoluent vers un devenir commun sous la forme d’une grande concentration urbaine littorale, n’est pas à même d’apporter des solutions efficaces aux problèmes de l’urbanisation dans un cadre vulnérable et de plus en plus fragilisé par les initiatives isolées et entreprises en dehors de tout cadre de coordination et de planification globale Ainsi, les problèmes de l’urbanisation vus de l’angle des structures urbaines provinciales ne se posent pas, dans cette province, en termes d’armature urbaine, mais plutôt en termes de planification d’une région urbaine en formation au dépens d’un certain nombre d’équilibres qui risquent de démultiplier les dysfonctionnements et les risques que recèlent la province dans sa globalité.

Il ressort de cet examen rapide de la situation urbaine dans la province d’Al Hoceima, à travers ses principales composantes et les facteurs majeurs de la dynamique urbaine, que nous sommes en présence d’une variante du processus d’urbanisation au Maroc où la gestion des risques doit être au centre de toute politique urbaine. Cependant , la focalisation sur les risques naturels est également porteuse de risques dans la mesure où les tendances observées mettent en évidence des opportunités de développement socio-économique qui ont besoin d’être régulées et non pas contrecarrées. L’un des plus grands risques de ce genre est de privilégier les solutions techniques et d’oublier que cette province a besoin avant tout d’une relance économique à même de faire adhérer la population à toute entreprise de lutte contre les risques naturels.

2 - LA REGULATION DU PHENOMENE URBAIN

Si la régulation des mécanismes de l’urbanisation est au Maroc une affaire publique , elle reste , malgré tout, objet et source de beaucoup de problèmes. Dans la province d’Al Hoceima où les risques naturels pèsent fortement dans la gestion de l’urbanisation , cette régulation acquiert une dimension stratégique, et intéresse les instances centrales du pouvoir au même titre que les autorités et les collectivités locales. Ce qui implique, non seulement la contribution de toutes les compétences concernées , mais également et surtout l’adoption de visions plus novatrices et plus globales des problèmes urbains, à commencer par reconnaître l’existence de ces problèmes. A ce propos, le discours royal du 20 août 2001 et le discours du trône de 2003 ont comporté des signaux très forts en vue de l’adoption d’une nouvelle approche des problèmes urbains et de la gestion de la ville marocaine. Dans ce sens, la régulation du phénomène urbain sera abordée ici sur trois plans :

2 - 1 La couverture des agglomérations par les documents d’urbanisme La couverture des agglomérations urbaines et rurales par des documents d’urbanisme constitue, non seulement un cadre de référence en matière de régulation de l’urbanisation, mais un véritable indicateur de l’intérêt accordé à cette régulation et aux problèmes inhérents aux différentes dynamiques urbaines. La province d’Al Hoceima dont la couverture en outils d’urbanisme est passée de 52,4% en 1999 à 69% au début de 2005, enregistre effectivement une évolution notable dans ce domaine.

Tableau 8 : Evolution de la couverture en documents d’urbanisme des agglomérations de la province d’Al Hoceima

Documents Homologués En cours Caducs Total 1999 2005 1999 2005 1999 2005 1999 2005 S.D.A.U. 1 1 - 1 - - 1 2 P.A. 4 5 1 5 - - 5 10 P.D.A.R. 17 17 - 2 2 1 19 20 Total 22 23 1 8 2 1 25 32 Source : Agence Urbaine de Taza, 2005

L’état actuel du taux de couverture démontre que le déficit dans ce domaine ne concerne pas les seules agglomérations rurales où se joue l’avenir de l’urbanisation d’une province encore sous urbanisée, mais également des agglomérations déjà classées comme urbaines. La promotion de l’antenne d’Al Hoceima au rang d’agence urbaine est à même de combler ce déficit et de consacrer l’évolution entamée depuis la fin des années 1990. Cependant, le problème le plus épineux en matière de régulation de l’urbanisation dans cette province au caractère montagneux et sismique, réside dans la construction dans des zones à risques, en rapport avec le glissement de la population vers le littoral. C’est le cas des versants rocheux surplombant la ville d’Al Hoceima classés comme espaces non aedificandi par le dernier S.D.A.U. et qui font l’objet d’une urbanisation non réglementaire soutenue et défiant les normes les plus élémentaires de l’urbanisme. C’est également le cas de la plaine du Nekour où débouchent les eaux torrentielles des montagnes à l’aval d’un barrage fortement envasé. C’est aussi le cas des rives vives de l’oued Nekour et l’oued Rhis et leurs affluents qui subissent le déversement des agglomérations urbaines et rurales. . . Face à ces débordements et à ces différentes formes d’urbanisation compacte et diffuse, qui s’attaquent aux zones les plus sensibles et les plus exposées aux risques de tous genres, il semble que les documents d’urbanisme n’ont pas d’impact sur la croissance et la structuration des agglomérations de la province. Ce qui pose la question de la gestion des documents d’urbanisme dans toutes ses dimensions. Autrement dit toute la politique urbaine se retrouve ramenée à la gestion de l’urbanisation.

2 - 2 La gestion des problèmes de l’urbanisation Il est important de souligner que les agglomérations de la province d’Al Hoceima où l’urbanisation pose des problèmes délicats et nombreux sont toutes couvertes par des documents d’urbanisme. Al Hoceima est couverte par un S.D.A.U. homologué en 1995 qui concerne également les agglomérations d’Ajdir, Imzouren, et Bni Bouayache. Et toutes ces agglomérations ont des plans d’aménagement homologués depuis 1998. Ce qui revient à dire qu’il ne suffit pas de doter le maximum de centres d’outils d’urbanisme, mais faut-il encore assurer le suivi nécessaire à leur mise en œuvre . Dans ce sens, la zone urbaine littorale qui a été sinistrée, en l’espace de trois mois, par des inondations de l’oued Rhis le 17 novembre 2003 et un séisme le 24 février 2004, ne bénéficie pas d’une gestion appropriée en tant que zone à risques. Ces deux catastrophes naturelles ont révélé la fragilité de cette zone à travers la vulnérabilité de son processus d’urbanisation et la déficience de son système de gestion en matière d’urbanisme. Les défaillances dont souffre la régulation de l’urbanisation notamment dans une zone à risques qui est en passe de devenir une aire urbaine d’importance régionale ne peuvent être comblées par le seul recours aux normes antisismiques. Il est certain que ce recours s’impose, mais il reste insuffisant à lui seul s’il ne s’insère pas dans le cadre d’une planification stratégique globale assortie d’une réglementation appropriée et d’un suivi coordonné et unifié. Le laisser-aller qui était pour beaucoup dans l’aggravation des conséquences du séisme a démontré les limites du système de régulation en place.

2 - 3 Les dysfonctionnements majeurs des agglomérations urbaines Les carences en matière de régulation des problèmes de l’urbanisation sont mis à nu par les problèmes majeurs qui pénalisent le développement urbain des principales agglomérations de la province : - AL HOCEIMA : La capitale provinciale et régionale souffre d’un certain nombre de problèmes qui ne lui permettent pas de s’imposer en véritable pôle dans son espace provincial et régional . Dans ce sens, il y a lieu de signaler : - La dégradation soutenue du patrimoine urbain légué par la période coloniale, - L’urbanisation des zones difficiles d’accès et à risques (versants fragiles et abrupts, lits des oueds...) - Densification du tissu urbain, en l’absence d’artères suffisamment larges, - La dilapidation du capital touristique de la ville à travers le massacre des sites paysagers naturels, - L’aggravation de la question de l’habitat qui se pose jusqu’ici beaucoup plus en termes quantitatifs qu’en termes qualitatifs, et qui risque de prendre une ampleur généralisée. - TARGUIST : La deuxième véritable ville de la province n’est pas sortie de sa léthargie, malgré son dynamisme démographique et urbanistique. Elle souffre essentiellement de : - Un enclavement handicapant sur tous les plans, - Une dégradation soutenue de son patrimoine urbain, - Une urbanisation incontrôlée, - La reproduction de ses aspects d’une vieille citée en crise. - IMZOUREN : L’un des centres urbains les plus dynamiques de la province n’arrive pas à s’imposer en véritable ville, à cause de la multiplication des problèmes, notamment : - La croissance urbaine incontrôlée est à l’origine d’une urbanisation à problèmes de tous genres et de toutes tailles, - La déficience urbaine y est frappante et généralisée, ce qui hypothèque l’avenir du centre en rendant son équipement difficile et coûteux, - Les retombées de l’émigration à l’étranger qui sont à l’origine de la croissance effrénée du centre, sont à l’origine d’un marché immobilier sans commune mesure avec l’économie locale et même provinciale, - Les dérapages urbains sont forts voyants et difficiles à gérer à long terme. - : Un centre au dynamisme semblable à celui de son voisin Imzouren, et dont les problèmes sont également identiques : - Une croissance urbaine soutenue et génératrice de problèmes urbanistiques de tous genres, - Les équipements ne suivent pas et deviennent même source d’autres problèmes, - La proximité d’Imzouren est en train d’amplifier les effets néfastes d’une urbanisation incontrôlée, en donnant lieu à une agglomération urbaine qui menace l’avenir des périmètres irrigués du Nékour et du Rhis. - AJDIR : La proximité d’Al Hoceima qui a gêné son développement, devient de plus en plus favorable, dans la mesure où ce centre, s’il est équipé, pourrait être à même d’attirer l’extension de la capitale provinciale. En liaison avec cette perspective certains problèmes peuvent amplifiés : - L’attraction qu’il peut exercer, en raison de sa situation et de son potentiel touristique et résidentiel, risque d’accentuer les dérapages urbanistiques, - La création, en cours , d’une voie rapide et le projet de la rocade méditerranéenne, qui feront de ce centre un grand carrefour routier, ne seront pas sans problèmes en matière de gestion de son urbanisation et de la circulation qu’il doit réguler. - Les autres centres urbains : Il s’agit essentiellement de , , et qui tout en étant de simples agglomérations émergentes accumulent déjà des problèmes d’ordre urbain à gérer : - Ces centres de taille modeste enregistrent des dynamiques urbaines disproportionnées par rapport à leurs fonctions de chef – lieux communaux et/ou de bourgades routières. La régulation de ce niveau de l’urbanisation provinciale est donc plus que nécessaire, - L’implantation des équipements publics qui est pour quelque chose dans le dynamisme urbain de ces agglomérations n’est pas toujours en conformité avec les besoins de la population, les exigences de l’émergence de véritables centres urbains, et les documents d’urbanisme quand ils existent. - La majorité de ces centres ont un aspect foncièrement rural, lié essentiellement à la prédominance de l’autoconstruction qui s’opère au gré des opportunités foncières et l’absence de l’action publique de production et de régulation de l’espace urbain. - La question de l’habitat ne se pose , dans ces centres, en termes quantitatifs, mais plutôt en termes qualitatifs., d’où la nécessité d’un suivi permanent et de proximité.

2 - 4 La nécessaire mise à niveau urbaine Le séisme du 24 février 2004 a constitué une occasion pour attirer l’attention sur la gravité des problèmes urbains qui n’a cessé de s’amplifier. Le précédent examen des problèmes majeurs qu’affronte l’urbanisation à tous les niveaux de la hiérarchie urbaine, plaide pour une mise à niveau qui passe nécessairement par : - Une vigueur accrue de l’action publique, en matière de régulation des dynamiques urbaines, de production de l’espace urbain, et de suivi sur le plan des équipements de base. - La lutte contre toutes les formes non réglementaires de l’urbanisation, n’est pas ici une simple exigence du respect de la réglementation en vigueur, mais elle est avant tout une nécessité qu’impose la fabrication urbaine dans une province à risques. Dans ce sens, la nécessité de développer un urbanisme adapté aux risques qui menacent la province, ne se limite pas à la seule conformité aux normes antisismiques, mais il faut également mettre en place un urbanisme de montagne à même de résoudre les problèmes de la carence en terrains urbanisables et spécifique à la gestion de l’urbanisation anarchique des zones difficiles d’accès et/ou fragiles. - La mise à niveau ne se limite pas, non plus, au seul volet des équipements publics qui font défaut à tous les centres urbains, encore faut-il les étendre pour englober tous les besoins et notamment les voies de communication qui par leur mauvaise qualité ou leur absence, constituent un puissant facteur d’enclavement et de déclassement des centres les mieux dotés par la nature. La lutte contre la déficience urbaine est donc un passage obligé pour toute mise à niveau urbaine. - La mise à niveau n’est pas également une simple question technique. Elle doit passer impérativement par le renforcement des centres urbains en tant qu’outils de valorisation des produits locaux et régionaux, notamment ceux de l’agriculture et de la mer. La mise en place des conditions d’encouragement et de promotion de l’investissement dans les différents secteurs économiques est à même de consolider le potentialités des centres urbains. L’encouragement du transfert des investissements des travailleurs à l’étranger de l’immobilier vers les autres secteurs d’activité constitue une des voies les plus indiquées pour accomplir cette mise à niveau sur le plan économique. - La croissance urbaine qui se fait dans de nombreux centres urbains au dépens des terres agricoles les plus riches, a besoin d’une rectification de tir pour sauvegarder un potentiel rare, notamment à Bni Bouayach et à Imzouren qui s’accroissent au dépens des jnanats et de périmètres irrigués irremplaçables. - La lutte contre l’insalubrité urbaine constitue un autre vecteur de la mise à niveau urbaine, non seulement, par son rôle indéniable dans la requalification de l’environnement urbain, mais également par ses effets sur l’investissement à caractère économique. - La mise à niveau est également une affaire de protection de l’environnement. Le rejet des eaux usées et des déchets solides directement dans la nature, à proximité de tous les centres urbains de la province, n’est pas fait, ni pour préserver la nature qui constitue l’essentiel du capital touristique et halieutique de la province, ni pour donner à ces centres l’environnement urbain et naturel nécessaire à leur épanouissement en tant que sites résidentiels et économiques. - Tous ces aspects évoqués, en tant que vecteurs de la mise à niveau urbaine que nécessite la province d’Al Hoceima, convergent vers l’octroi à la régulation du processus d’urbanisation la place qui est la sienne. La relance de la planification urbaine, à toutes les échelles, constitue la pièce maîtresse de l’entreprise de mise à niveau urbaine.

Conclusion :

Ce rapide examen de la situation urbaine de la province d’Al Hoceima, à travers les principaux aspects de la dynamique urbaine et la régulation de ce phénomène, permet de souligner la singularité de cette province et la nécessaire adaptation de la politique urbaine aux spécificités régionales. En tant que milieu naturel fragile et à risques, cette province doit faire l’objet d’un urbanisme spécifique. Ce qui ne veut aucunement dire la doter d’une législation ou d’une réglementation particulière, mais tout simplement faire d’elle un laboratoire national pour la mise en place de normes urbanistiques spécifiques aux zones fragiles et à risques. Parallèlement à ce traitement spécifique sur le plan des normes d’urbanisation, cette province a besoin de rattraper le retard accumulé , depuis des décennies, en matière d’équipements de base et socioculturels. Ce traitement est plus que nécessaire dans la mesure où l’urbanisation non régulée et déficiente est à long terme handicapante et coûteuse. Les risques de voir la situation urbaine devenir ingérable et les déséquilibres difficiles à redresser plaident pour une mise à niveau urbaine. Les conséquences du séisme du 24 février 2004 ont mis à jour, à la fois, la fragilité de la gestion urbaine et celle des structures d’accueil en milieu urbain.

Mustapha CHOUIKI

Texte relevant d’une étude scientifique réalisée sur la province d’El Hoceima suite au séisme du 24 avril 2004 pour le comte de l’Agence pour la Promotion et le Développement Economique et Social des Préfectures et Provinces du Nord du Royaume, sous la direction de Mustapha CHOUIKI Juillet 2005