Eric Drexler: Une Porte Ouverte Sur L'avenir (Hache)
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Eric Drexler: Une porte ouverte sur l’avenir (Hache) http://editions-hache.com/essais/drexler/drexler1.html?nu=oui Une porte ouverte sur l’avenir Eric Drexler, mars 2003 (écrit en 1986) Adresse originale : http://editions-hache.com/essais/drexler/drexler1.html Éditions Hache : http://editions-hache.com/essais/ Ce texte est la traduction par Marc Macé du chapitre 9, consacré à la cryonie (appelée ici du terme plus général « biostase »), du livre Engines of Creation de K. Eric Drexler (Anchor Books, 1986) consacré aux nanotechnologies. La traduction complète de Marc Macé a depuis été publiée par Vuibert . Le texte original (en anglais) complet est disponible sur le site d’ Eric Drexler . Londres, avril 1773. A Jacques Dubourg 146 . Vos observations sur les causes de la mort et les expériences que vous proposez pour rappeler à la vie ceux qui semblent avoir été tués par la foudre démontrent à la fois votre sagacité et votre humanité. Mais la doctrine de la vie et de la mort est encore peu comprise… J’aimerais qu’il soit possible […] d’inventer une méthode pour embaumer les noyés de manière à ce qu’ils puissent être ramenés à la vie à une époque donnée, même éloignée. J’ai un très ardent désir de voir et d’observer l’état de l’Amérique dans une centaine d’années. A une mort naturelle je préférerais être immergé dans une barrique de Madère, avec quelques amis, pour être ramené à la vie cent ans plus tard par la chaleur du soleil de ma chère patrie ! Mais […] selon toute probabilité, nous vivons dans un siècle trop peu avancé et trop proche de la naissance de la science pour qu’un tel art soit porté à sa perfection de notre vivant… Veuillez… Benjamin Franklin Benjamin Franklin voulait un procédé pour stopper et faire repartir le métabolisme mais il n’y en avait alors aucun de connu. Vivons-nous à une époque suffisamment avancée dans laquelle la biostase est disponible — pour ouvrir un futur de bonne santé à des patients qui n’auraient d’autre choix que d’être désagrégés après qu’ils ont expiré ? Nous pouvons actuellement stopper le métabolisme de différentes manières mais la biostase, pour être utile, doit être réversible. Ceci conduit à une situation curieuse. Notre faculté de placer des gens en biostase avec les techniques actuelles dépend entièrement de la capacité des techniques futures à inverser le processus. La procédure comprend deux parties et nous n’avons besoin d’en maîtriser qu’une seule. Si la biostase peut garder les structures du patient inchangées pendant des années, alors ces futures techniques incluront des systèmes de réparation cellulaire sophistiqués. Nous devons donc juger le succès des techniques de biostase actuelles à la lumière des capacités ultimes de la médecine du futur. Avant que les machines de réparation cellulaire ne deviennent une perspective claire, ces capacités — et donc les conditions requises pour réussir une biostase — demeuraient très incertaines. Maintenant, les conditions fondamentales semblent assez évidentes. Les conditions requises pour la biostase 1 of 14 20/11/2016 10:39 Eric Drexler: Une porte ouverte sur l’avenir (Hache) http://editions-hache.com/essais/drexler/drexler1.html?nu=oui Des machines moléculaires peuvent construire des cellules en partant de zéro, comme le démontrent les cellules qui se divisent. Elles peuvent aussi construire des organes et des systèmes d’organes en partant de rien, à l’instar du développement des embryons. Les médecins pourront utiliser une technologie de réparation cellulaire pour diriger la croissance de nouveaux organes en partant d’une cellule d’un patient. Ceci laisse une grande liberté aux médecins actuels pour effectuer une biostase, parce que même s’ils étaient obligés d’endommager la majorité des organes d’un patient ou de s’en débarrasser, ils ne causeraient pas de torts irréversibles. Leurs collègues du futur, équipés de meilleurs outils, seront capables de réparer ou remplacer les organes impliqués. La plupart des gens seraient heureux d’avoir un nouveau cœur, de jeunes reins ou une peau plus lisse 147 . Mais le cerveau est une autre affaire. Un médecin qui autorise la destruction du cerveau d’un patient autorise en fait la destruction de la personne en tant que telle, quoi qu’il advienne du reste du corps. Le cerveau contient la mémoire, la personnalité, le soi. Les victimes d’embolies cérébrales ne perdent qu’une partie de leur cerveau ; ils souffrent cependant de maux allant de la cécité partielle à la paralysie totale et de la perte du langage à la baisse d’intelligence, en passant par des troubles de la personnalité et bien pire encore. Les effets dépendent de l’emplacement des dégâts. Ceci suggère que la destruction totale du cerveau cause une cécité, une paralysie, une aphasie et une perte de la personnalité totale, que le corps continue à respirer ou non. Comme Voltaire l’a écrit : « Pour naître à nouveau — en restant la personne que vous étiez — vous devez conserver parfaitement votre mémoire, puisque c’est la mémoire qui constitue l’identité. Si votre mémoire était perdue, comment pourriez-vous être le même homme ? ». L’anesthésie interrompt la conscience sans perturber la structure du cerveau et la biostase doit faire de même mais plus longtemps. Ceci soulève la question de la nature des structures physiques qui sous-tendent la mémoire et la personnalité. La neurobiologie et le bon sens s’accordent sur la nature fondamentale de la mémoire. Quand nous formons des souvenirs et que nous façonnons notre personnalité, notre cerveau change. Ces changements affectent le fonctionnement du cerveau en modifiant son activité : quand nous nous souvenons, notre cerveau fait quelque chose ; quand nous agissons, pensons ou percevons, notre cerveau fait autre chose. Le cerveau travaille en utilisant une machinerie moléculaire. Des changements durables dans le fonctionnement du cerveau proviennent de modifications stables de cette machinerie moléculaire — à la différence des ordinateurs, le cerveau n’a pas été conçu pour pouvoir être vidé et rempli à nouveau à volonté. La personnalité et la mémoire à long terme sont durables. Dans tout le corps, des changements de fonctions durables impliquent des changements à long terme dans les machineries moléculaires. Quand les muscles deviennent plus forts ou plus rapides, leurs protéines varient en nombre et en répartition. Quand un foie s’habitue à faire face à l’alcool, son contenu en protéines change aussi. Quand le système immunitaire apprend à reconnaître une nouvelle sorte de grippe, son contenu en protéines change à nouveau. Il fallait s’attendre à une telle relation, puisque les machines à base de protéines effectuent réellement le travail qui consiste à bouger les muscles, dégrader les toxines et reconnaître les virus. Dans le cerveau, les protéines donnent leur forme aux cellules nerveuses, parsèment leur surface, relient une cellule à la suivante, contrôlent les courants ioniques lors de chaque impulsion nerveuse, produisent les signaux chimiques que les cellules nerveuses utilisent pour communiquer à travers les synapses et bien d’autres choses encore… Quand les imprimantes écrivent des mots, elles déposent des motifs d’encre ; quand les neurones changent leur comportement, ils modifient des motifs de protéines. L’impression bosselle également le papier ; les cellules nerveuses changent plus que la configuration de leurs protéines. Mais l’encre sur le papier et les protéines dans le cerveau sont suffisantes pour rendre ces motifs lisibles. Les modifications impliquées ne sont pas trop subtiles 148 . Les chercheurs rapportent que les changements à long terme dans le comportement des cellules nerveuses impliquent des « modifications morphologiques d’importance 149 » dans les synapses : elles changent de manière visible en taille et en structure. Il semble bien que la mémoire à long terme ne soit pas une sorte de motif terriblement délicat, prêt à s’évaporer du cerveau à la moindre excuse. La mémoire et la personnalité sont au contraire fermement attachées à la manière dont les cellules ont grandi ensemble, en des réseaux sculptés à travers les ans. La mémoire et la personnalité ne sont pas plus matérielles que les personnages d’un roman mais elles sont comme eux incarnées dans la matière. La mémoire et la personnalité ne s’exhalent pas avec le dernier souffle d’un patient. En fait, de nombreuses personnes sont revenues de ce qui est appelé la « mort clinique », même sans machine à réparer les cellules pour les aider. Les structures de l’esprit ne sont détruites que lorsque le médecin laisse le cerveau du patient entrer dans un processus de dégradation. Ceci également laisse aux médecins une grande marge de manœuvre pour procéder à une biostase : en particulier, ils n’ont pas besoin de stopper le métabolisme avant l’arrêt des fonctions vitales 150 . 2 of 14 20/11/2016 10:39 Eric Drexler: Une porte ouverte sur l’avenir (Hache) http://editions-hache.com/essais/drexler/drexler1.html?nu=oui Il semble que la préservation de la structure des cellules et de la configuration des protéines du cerveau préservera la structure de l’esprit donc la personne. Les biologistes savent déjà comment préserver ainsi les tissus. La technologie qui les ressuscitera devra attendre de pouvoir utiliser les réparateurs cellulaires mais la biostase est quant à elle déjà entre nos mains. Méthodes de biostase L’idée que nous disposons déjà de techniques de biostase peut sembler surprenante, puisque de nouvelles capacités surgissent rarement du jour au lendemain. En fait, ces techniques sont anciennes — seule la compréhension de leur réversibilité est nouvelle. Les biologistes ont développé les deux principales approches pour d’autres raisons. Pendant des décennies, ils ont utilisé des microscopes électroniques pour étudier la structure des cellules et des tissus. Pour préparer les échantillons, ils utilisent une technique appelée fixation qui fixe les structures moléculaires en place.