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Contents 1-2/2003 Sommaire

Editorial par André Onkelinx page 3 General introduction

Knowledge organisation and a new world polity: the rise and fall and rise of the ideas of Paul Otlet by Boyd Rayward page 4

Savoir et décrire Knowing and describing L’architecture du savoir. Une recherche sur le Mundaneum et les précurseurs européens de l’Internet par Charles van den Heuvel, Boyd Rayward et Pieter Uyttenhove page 16

Ordo ab chaos. Classer est la plus haute opération de l’esprit par Jean-François Fuëg page 29

Fonder le monde, fonder le savoir du monde ou la double utopie d’Otlet par Paul Ghils page 36 Classer le monde et son savoir Classifying knowledge and the world La postérité d’Otlet dans le domaine de la documentation par Stéphanie Manfroid page 49

L’homme qui voulait classer le monde par Françoise Levie page 53 La Cité mondiale The World City Les relations entre Otlet et Genève par Catherine Courtiau page 60

Transnational Associations Associations transnationales

1 Convergences et divergences : de à Otto Neurath par Giuliano Gresleri page 72

The Language of the World Museum: Otto Neurath, Paul Otlet, Le Corbusier by Nader Vossoughian page 82 L’anticipation de l’hypertexte An anticipation of the hypertext De l’hypetexte à l’expertexte, ou du savoir au savoir-faire par Jean-Luc Guérin et Yannick Marchand page 94

Paul Otlet’s 100-year hypertext conundrum? by Anthony Judge page 107 Hier et demain Yesterday and Tomorrow Document Raymond Rodgers’ Man in the Telesphere by Ted Gemberling page 112

Document Discours de Robert Fenaux adressé à la Fédération internationale de documentation à l’occasion de son 80e anniversaire page 115

*** Book reviews/Bibliographie page 119

Association News Vie associative page 125

New international organisations Nouvelles organisations internationales page 126

2 Editorial par André Onkelinx*

es événements dramatiques de ces dernières Mais le non-respect des principes de base des semaines nous interpellent tous, quel que Nations Unies en matière de sécurité, la violence L soit notre rôle au sein de la communauté des injures proférées, le caractère fascisant de la internationale. conduite des affaires pour certains Etats nous Et Paul Otlet, dont nous célébrons aujour- amènent à souhaiter un changement d’attitude d’hui la mémoire, aurait sans doute, s’il avait radical dans la conduite des affaires, loin du encore été parmi nous, dit sa consternation, son “choc des civilisations” dont on a coutume de indignation devant ce déferlement de violences nous menacer. qui sèment à nouveau terreur et désolation dans Les Nations Unies doivent rester au coeur de les territoires du Proche-Orient. l’action internationale, particulièrement dans le C’est le sentiment d’échec qui paraît le plus domaine de la paix et de la sécurité. dominant devant cette nouvelle tragédie : A la fin des années trente, le jour où la Société • échec de la négociation internationale qui n’a des Nations n’a plus été à même d’apporter son pu éviter le recours à cette guerre annoncée, concours aux efforts de règlement des diffé- • échec de la mise en application de plusieurs rends, nous sommes entrés de plain-pied dans la principes inscrits, à l’issue de négociations seconde guerre mondiale. souvent laborieuses, dans des instruments de Peut-être, comme première étape - outre les droit international (tels Charte des Nations tâches de reconstruction des régions dévastées Unies, Conventions de Genève, Droit de La par le conflit actuel - un “code de conduite Haye...), internationale” à l’adresse des Etats pourrait-il • échec également de l’utilisation bénéfique des être élaboré, sous les auspices des Nations Unies. extraordinaires moyens de communication Il pourrait préconiser une approche plus modes- dont dispose notre époque. te, plus modérée de la part des dirigeants dans la Paul Otlet, loin de baisser les bras, aurait, dans défense des intérêts de leurs peuples. La toléran- son approche systématique des relations interna- ce, la patience, l’écoute et le respect des autres tionales, tenté de tirer la leçon des présents évé- communautés, le non-recours à des conflits nements pour reprendre, patiemment, avec inégaux ou à l’humiliation, pourraient égale- tenacité, la recherche des moyens de réactiver le ment y figurer. dialogue international, loin des accusations, des Les 50 premières années des Nations Unies nous injures, des rumeurs. ont apporté des instruments fondamentaux sur les Aujourd’hui, le débat sur la conduite des droits de l’homme ou le droit humanitaire. affaires mondiales n’est plus uniquement l’apa- Pourquoi les premières années du 21è siècle ne nage des dirigeants des Etats. Lorsqu’il s’agit de nous apporteraient-elles pas une amorce de la paix et du devenir du monde, chacun cherche codification des règles de comportement et des à faire valoir ses vues, à crier ses angoisses. devoirs des Etats, à la lumière des développe- L’Union des associations internationales, qui ments actuels de la vie internationale ? oeuvre, depuis 1910, à la promotion de l’inter- L’Union des associations internationales est nationalisme, a inscrit, comme premier objet, disposée à coopérer à la réussite de pareille entre- dans ses statuts : “Concourir à un ordre universel prise, en apportant le concours de ses bases de fondé sur des principes de dignité humaine, de soli- données, fruit de ses recherches et des multiples darité des peuples et de libre communication”. Elle études conduites depuis sa création en 1907. poursuivra, cela va de soi, ses activités tradition- nelles de documentation, de recherche, d’études 1er avril 2003 au service de l’associationnisme international.

*Secrétaire géneral de l’Union des associations internationales (UAI) Associations transnationales 1-2/2003, 3

3 General introduction Knowledge organisation and a new world polity: the rise and fall and rise of the ideas of Paul Otlet by W. Boyd Rayward* *Research Professor, Graduate School of Library and Information Science, University of “Dreams are true while they last, and do we not live in dreams?” Illinois at Urbana- Tennyson, the Higher Pantheism Champaign, Champaign, IL 61820-6211, ph: 217 - 244- 9741;fax: 217 244 - About organisations difficult and obstructive as he grew old. His 3302 ideas and the extraordinary institutional 2. See W. Boyd Rayward, he story of Otlet (1868-1944) and Henri arrangements in which they had finally come to The Universe of Information: the Work of La Fontaine (1854-1943) and their organi- be expressed, the Palais Mondial or Mundaneum, Paul Otlet for T sations is a fascinating one, much told and seemed grandiose, unfocused and passé.6 In the Documentation and retold. The first of the organisations was the early 1930s there was a quietly dramatic struggle International Organsation. : Published for the International Institute and Office of to remove the International Institute of International Federation Bibliography (1895), its tools, repertories, collec- Bibliography, transformed eventually into the for Documentation by the tions (bibliographical, iconographic and docu- International Federation for Documentation, All-Union Institute for mentary)2 and its satellite institutes: Institut from this institutional complex and from under Scientific and Technical Information (VINITI) of international de photographie, 1905; Biblio- what was considered to be the dead hand of the the USSR Academy of thèque collective des sociétés savantes, 1906; and past - effectively the hand of the still very much Sciences, 1975, Ch III Musée de la presse, 1907.3 The Office central des alive but ageing Otlet. From about 1924 with Foundation of the IIB, Ch associations internationales, 1907, became the the first relatively brief part-expulsion of the V the Universal Decimal Classification, Ch VI the secretariat of the Union of International Palais Mondial from the Palais du Universal Bibliographic Associations created in Brussels following an Cinquantenaire the other major component, the Repertory. enormous conference organised by Otlet and La Union of International Associations, was to 3. Rayward, Fontaine and held under Royal patronage in became moribund. It was revived after the Universe….Ch VII the 4 Development of the 1910 on the occasion of the Brussels World Fair. Second World War when both its founders, International Office and In that same year the International Museum was Otlet and his lifelong colleague and friend Institute of Bibliography formed with collections derived largely from the Henri La Fontaine, were dead.7 The quarters 4. Rayward, Universe…Ch VIII The Union of exhibits at the World Fair. This set of organisa- occupied by the Palais Mondial in the Palais du International Associations tions was effectively completed for Otlet by the Cinquantenaire were closed completely by the 5. Rayward, Universe…Ch creation in 1920 of a International Summer Government in 1934 but, just as war broke out X the Palais Mondial, and pp. 226, 239 and 254 for School. Otlet and his colleagues called this some- in 1939, the City authorities of Brussels offered the Université what misleadingly a Université internationale. It Otlet new quarters in the Parc Léopold. He Internationale met only on three occasions – in September called this the Mundaneum and what remained and pp 226, 1920, August-September 1921, and August of the collections and records of the Palais 6. Rayward, Universe….Ch XI L’Affaire 1922. Beginning in 1910, a transformation not Mondial were to remain there until the early du Palais Mondial completed until 1919 after the hiatus of the War, 1970s. 7. Rayward, these organisations were brought together physi- Otlet died in 1944, at the age of 76, just as Universe,…Ch XIII cally in a huge installation to which Otlet gave Brussels was being liberated. He left behind a Change, New Directions, and Ch XLV Last Decades the name Palais Mondial, later Mundaneum, in corps of disciples, Les Amis du Palais Mondial, 8. See the bibliography in the left wing of Palais du Cinquantenaire in to perpetuate his memory while they lived, a Paul Otlet: International Brussels.5 In Otlet’s thinking this new institution huge body of rather repetitive publications,8 and Organisation and Dissemination of of internationalism would eventually form the the archival remains of the two principal organ- Knowledge: Selected Essays nucleus of a World City, itself symbolical of a isations that he and La Fontaine, who at age 89 of Paul Otlet. Edited and new world order. predeceased him by a year, had created and nur- translated by W. Boyd Perhaps at one level, Otlet, is best regarded as a tured for over the period of half a century - the Rayward. Amsterdam: Elsevier, 1990, pp. 221- fin de siècle figure whose work enjoyed a consid- Union of International Associations and what 248. Also available at erable measure of acceptance and support at home was now called the International Federation for http://alexia.lis.uiuc.edu/~ and abroad before World War I. But after the War, Documentation. wrayward/otlet/otbib.htm it rapidly lost favour. Once influential nationally Perhaps it is best to see Otlet as a transitional Transnational Associations and internationally, at least in a relatively figure caught in the changes that transformed 1-2/2003, 4-15 specialised circle, Otlet came to be regarded as the English world of high Victorian and

4 9. Rayward, Universe, Edwardian cultural certitude, the brilliant world ment to create at the end of the First World War …Ch IX The War and its Aftermath of the Belgian “Belle époque,” into the new a League of Nations, that phantasm of hope, 10. see for example, much more troubled world that emerged from that was to secure universal and lasting peace.9 Rayward, Universe of the First World War. This new world is recog- With all the self-possession of a scion of the Information ….1975 (note 2 above) pp.245 and 266- nisably our modern world. In the late 1930s, we upper classes but perhaps of a more retiring and 7 may see Otlet peering myopically at it through introverted disposition than La Fontaine, Otlet 11. Robert Goldschmidt his tiny round spectacles. He is a surprisingly tried to imagine and give institutional expres- and Paul Otlet, “Sur une tall, slightly stooped elderly man with sparse sion to new ways of organising and disseminat- nouvelle forme du livre: le livre micropho- white hair and a thick, well-trimmed, snow- ing knowledge. In this way, with a wave as it tographique,” Institut white beard. As the forces of even greater eco- now seems of some kind of magic organisation- International de nomic, social and political change than he and al wand, both he and La Fontaine hoped that Bibliographie Bulletin 12 (1907): 61-69, translated his contemporaries had so far endured swept eventually a new, stable and just international as “the Microphotgraphic past him towards the vast upheaval of the social order might be erected. Book,” in Otlet, Second World War, it is easy to think of these Thus, Otlet’s story is not simply the life-cycle International Organisation changes leaving him silent, socially and intellec- story of the founding of organisations that, for and Dissemination….2000, tually displaced, as erasing his relevance. half a century, grew, flourished, declined and pp.87-95 Editor’s note 1 struggled for existence in the changing political gives a publishing history About ideas and economic circumstances of the tiny of this essay (see note 2 European kingdom of Belgium, though it is all above). 12. See the discussion in But this is too simple. What Otlet left behind of that too. Indeed the struggle and its inevitable Françoise Levie, “Paul him was in fact much more than the chaotic outcome eventually attained a kind of epic qual- Otlet et la multimedia” remnants of his various organizations. Buried in ity that was even recognized in the mocking below in this issue of all of the mass of his writing and all of the mass reportage of the times as the struggle neared its Transnational Associations/ 10 Associations Transnational of the documentation that has survived him are end. Otlet’s story is ultimately a story of ideas, 13. W. Boyd Rayward, important ideas and intellectual relationships. of passionately held and unwavering belief in Visions of Xanadu: Paul The passage of time is now allowing us to exca- the importance of intellectual life, in the possi- Otlet (1868-1944) and Hypertext,” Journal of the vate and to disentangle these ideas and relation- bility of its transformation by means of new American Society of ships from the institutional expression they were kinds of tools and machines for managing and Information Science 45 given during his lifetime. The irony of those last communicating knowledge, and in the need to (1994): 235-250; and “The Origins of rather depressed and depressing years of Otlet’s achieve at last a new, peaceful, world society. Information Science and life is that he had foreseen many of the changes The document: At the heart, the centre of the Work of the bearing down on society and had some sense of these ideas and beliefs, lay Otlet’s concept of the International Institute of the nature of the new world that was in the document. For him, knowledge was embedded Bibliography/ International Federation making. He was deeply concerned about how, in documents which objectified it and gave it a for Documentation and with new technologies and new forms of organ- kind of public status. But documents not only Information(FID),” isation, knowledge might be mobilised to man- consisted of the written or printed word. Journal of the American age social change more effectively than in the Objects, pictures and illustrations, music - Society for Information Science 48(April 1997): past. whatever had evidentiary value, that “docu- 289-300. La Fontaine was a senator in the Belgian par- mented” something, were documents. The 14. Paul Otlet, Monde, liament for nearly 40 years. A leading figure in burning question was how could documents in Editiones Mundaneum; Brussels: Van Keerberghen the international peace movement, he won the their many manifestations and formats be made & Fils, 1935Monde, p. Nobel Peace Prize in 1913. Ironically, the out- to yield up the knowledge that they “contained” 124. break of war prevented him giving the tradi- or represented? 15. See for example for a tional acceptance speech of Nobel Laureates. He In Otlet’s view it was necessary to assemble recent discussion of them: The Internet in everyday collaborated with Otlet from the early 1890s and interrelate all documents in their various life, edited by Barry until his death in 1943. Otlet, however, unlike formats. The objective was universality. The Wellman and Caroline La Fontaine, worked very little at the level of library, the museum and the archive were all to Haythornthwaite Oxford: Blackwell, 2002. politics or direct social action. This was especial- be seen as aspects of a single documentary 16. See Otlet’s ly true after the War, though he too, like La organisation. In the case of textual documents, “Conception du Fontaine, had been tirelessly active in the move- Otlet suggested that it was necessary to identify

5 Mundaneum” and “Les what was important and new in particular doc- and practical to the scholarly and scientific, was Types du Mundaneum”” in Monde… (note 14 uments. All that was simply rhetorical or represented had to be marshalled into this net- above), pp. 448-458. duplicative or in error had to be stripped away. work as well. The interlinking that was neces- 1.7 See for example sec- The aim was, in effect, to acquire, inventory and sary had to be centralised, in Otlet’s view, in a tion 7 of Monde, “L’Inconnu. Le mystère. shell all documents as they appeared of their hierarchical arrangement that led by means of Le secret (X+Y),” pp. 393- valuable information - their facts - as one shells the network from the local level, up through 400. peas from a pod. If each “fact” were separately various forms of national and international 18. FID Publications: an recorded in a standardised way, then these organisation, to a central world hub. Here in a 80-year Bibliography, 1895-1975. FID 532; The records could be systematically linked, arranged great world palace, the Mundaneum, would be Hague: FID, 1975 and and re-arranged according to the conceptual located the nerve center for managing knowl- Georges Speeckaert, ordering of fields of knowledge represented by edge acquisition and dissemination on a global Bibliographie sélective sur l’organisaton internationale, the minutely detailed tables and other devices of scale. Around it would grow a world city repre- 1885-1965. FID the UDC. For Otlet this process is an essential senting symbolically a new polity in which Publication 361; UIA desideratum of what were effectively the “man- international relations of all kinds could be publication 191; Bruxelles: ual” hypertextual/multimedia systems he envis- rationally ordered for the benefit of mankind. UIA, 1965. 19. G.P. Speeckaert, “A aged. Such a process for us today, inhabitants of The Mundaneum: In the last pages of Monde, glance at sixty years of a post-modern age and its relativist, revisionist his last major work, it is as if Otlet distils the activity (1910-1970) of mentalité, is fraught with all kinds of conceptu- decades of his evolving thought into what has the Union of International al and “epistemological” difficulties. become by now an intricately multi-layered Associations,” and J. Baugniet, “Two pioneers Otlet stressed the importance of creating new notion of the Mundaneum. In ten pages he pre- in the sphere of interna- kinds of documents as part of this process - sents a summation of the beliefs and ideas that tional co-operation and charts, tables and diagrams correlating, sum- lie behind his life’s work. The Mundaneum, he world peace: Henri La Fontaine and Paul Otlet,” marising, illustrating and simplifying informa- tells us, is an idea of universalism. It is an insti- in Union of International tion that was otherwise voluminous and com- tution in which is brought together “the muse- Associations, 1910-1970: plex. The idea was to bring together, correlate, um for seeing, the cinema for viewing, the past, present, future; sixtieth integrate, and create multiple representations of library, encyclopedias and archives for reading, anniversary. Union of International Associations. knowledge that had been produced and dissem- the catalogue for consulting, the lecture, radio Brussels: UIA, 1970. inated haphazardly, that was as a result frag- and the disc for listening, and the conference for 20. Paul Otlet, “les mented, scattered, repetitive, error-prone, and debating (Ad Mundum, vivendum et legendum, Sciences bibliographiques et la Documentation,” incomplete. This process of representing and et audiendum et discutiendum).” The Latin, Institut International de reconstituting knowledge Otlet called codifica- with its classical and liturgical overtones, is Bibliographie Bulletin tion. He believed it to be the most important designed perhaps to stress the importance of this 8(1903):254-271(trans as function of a new kind of encyclopedia he was litany of functions. the “Science of Bibliography and proposing. It required new modes of communi- But the Mundaneum is more. It is a method Documentation,” in Paul cation such as by microfilm (he reported widely involving among other things, “research and Otlet: International on his experiments with this as early as 190611) prediction, unification and standardisation, Organisation…1990 (note and radio, television and what was called the ordering and classification, cooperation, plan- 8 above), pp. 71-86) 12 21. The Consortium’s Cinescope. He also foreshadowed the inven- ning and regulation, ultimately expression, pre- website is at: tion of new kinds of machines that would sup- sentation and reproduction.” It is a physical edi- http://www.udcc.org/abou port and enhance intellectual work - what we fice to be realised architecturally. It is, finally, a t.htm 13 22. S.C. Bradford, would describe as workstations and networks. network. Ideally the Mundaneum would exist as Documentation. London: The Network: For all of this to be effective, a central prototype with a descending scale of Crosby Lockwood & information agencies such as libraries and muse- derivative exempla: a national level (the Sons, 1948. Bradford, ums had to be transformed or re-invented to Mundaneum-France or the Mundaneum- ), Director of the Science Museum Library in become offices of documentation linked, and and regional and local levels. It would be repre- London, was a passionate their contents in some way reproducible, in a sented at the personal level by a Studium- advocate of the UDC and universal documentary network. All the associa- Mundaneum, a technologically sophisticated helped found the English “daughter society” of the tions and societies that brought people together personal office in which individuals would be IIB, The British Society according to specialist interests and through able to make use of the new methods of docu- for International which knowledge of all sorts, from the mundane mentation that foreshadow “technically unlimited

6 Bibliography, BSIB. possibilities” of “analytical repertories and syn- and his work. Perhaps he has been neglected in 23. See the papers and 14 bibliography in F. Donker thetic tables listing and visualising facts.” the past, but in the history of ideas and of schol- Duyvis: His life and work. The new global imperative of the Mundaneum, arship the passage of fifty years and more does The Hague: Netherlands l’idée mondiale et universelle, which will animate not seem an unduly long period to have elapsed Institute for Documentation and Filing the technologies and documentary systems of before we can begin to see a figure so complex (Nederlands Instituut voor each person’s Studium -Mundaeum will have and multifaceted as Otlet in the round, as it Documentatie en widespread effects. It would, Otlet believes, were. He stands at the confluence of so many Registratuur, NIDER), impact the individual’s “own life, occupations, streams of historical experience - of ideas, of 1964. 24. For example, E.M.R. work and personal, family and social relations wars, of literary and print culture, the institu- Ditmas, “Co-ordination of (Otlet uses the word ‘aspirations’).” Such a state- tional structures of society and social change, of information : a survey of ment might be thought to offer a resumé of the Belgium and Europe. For all that, looking back, schemes put forward in the last fifty years, “Journal issues about the changing nature of community, one can see that at least a residual awareness of of Documentation, 3 work-based practices and social relationships him in the various worlds he had inhabited has (1948): 209-22; Katherine that have attracted so much commentary and never in fact quite dissipated. What follows is O. Murra, “History of research in relation to the Internet and the not intended to be a complete study of what has attempts to organize bibli- 15 ography internationally, “ World Wide Web. Through the Réseau uni- been written about Otlet or the approaches that in Bibliographic versel and the web of interactions it facilitates have been taken to him and his work. It is, I Organization, edited by (Otlet does not use this term), the individual is acknowledge and regret, almost entirely Jesse Shera and Margaret able to reach back up through its various levels Eurocentric. It is intended merely to suggest a Egan. Chicago: University of Chicago Press, 1951, to participate in the World City, the “Civitas continuity of interest and the gathering com- 24-33; and Edith Scott, Mundaneum.” Otlet resorts again to Latin and plexity of the discussion that mark the long fifty “IFLA and FID- History its liturgical echoes, perhaps we may also hear year period that brings us to the present. and programs,” The Library Quarterly 32 yet more distant echoes of Augustine and FID and UIA: The International Federation (1962): 1-18. Campanella: “The World City that the nations of Documentation (FID) in the Hague, which 25. Jesse Shera and will build together and in which the spirit of became bankrupt in 2001, and the Union of Margaret Egan, “A Review Humanity will dwell - la Beata Pacis Civitas, la international Associations (UIA), still very of the present state of 16 librarianship and docu- Bienheureuse Cité de la Paix. much alive in Brussels, have always contained in mentation” [an introduc- There is a fascinating and continuously evolv- their work some shadow of the memory of their tion to a reprinting of] ing interplay throughout the course of Otlet’s founders. Both organisations were responsible Documentation by S.C. long life between abstraction and reality, for what have proved to be indispensable early Bradford, London: Crosby 18 Lockwood & Sons, 1953; between the utopian and the mundane, between bibliographies related to their history. A 60th Jesse Shera, rhetorical grandeur and the facts, between a anniversary volume of essays for the UIA deals “Documentation: its scope strong positivist rationalism and an almost mys- with a wide range of subjects. Of particular and limitations,” Library 17 Quarterly 21(1951):13-26; tical apprehension of the spiritual. On interest in this context is Georges Speeckaert’s Jesse Shera and Donald hand lie his abstract, utopian ideas prescriptive- survey of the history of the UIA from its found- Cleveland, “History and ly and repetitively (often tediously) set out in a ing and J. Baugniet’s discussion of the specific Foundations of huge body of published and unpublished writ- contributions of Otlet and La Fontaine.19 Information Science,”Annual Review of ing. On the other hand are these ideas imper- Documentation: A major thread of interest in Information Science and fectly instantiated in systems that employ a many countries throughout the world has been Technology, ch.8; New primitive technology embedded in ineffectively Otlet’s ideas about documentation and the York: Wiley, for the American Documentation managed organisations. Yet, for all their ulti- UDC and their implications for changes in Institute, 1977, pp. 11-45. mate inadequacy, within these arrangements librarianship and what in English was called 26. “Eric de Grolier: both then and now glints something grand and library science. Otlet coined the term “docu- selected bibliography,” inspiring of the vision behind them. mentation” as early as 1903.20 International col- International Classification 18 no. 2 (1991): 71-2 laborative work on the development of the 27. “Festschrift for Paul Towards an Otletian historiography Universal Decimal Classification (UDC) began Otlet,” Cahiers de la in 1896 in the heady days of optimism and Documentation; 22,4 (1968): 95-116 It is easy to say that Otlet and his ideas were experiment at the turn of the century. The UDC 28. Irene Farkas-Conn, quickly forgotten after his death, given the cur- became part of the armamarium of new tech- From documentation to rent vitality of interdisciplinary interest in him nologies and techniques that Otlet and his col-

7 information science: the leagues devised for documentation both as a changes represented by this terminological evo- beginnings and early devel- opment of the American field of study and of professional practice. lution, Otlet’s ideas about technology, informa- Documentation Institute- Though FID has disappeared, the UDC tion and communication were even more rele- American Society for remains in widespread use in Europe and its vant and thought provoking than before. I have Information Science. New continued development is managed by a consor- argued that Otlet’s Traité de Documentation was York: Greenwood Press, 21 1990. tium of interested organisations. In England, in fact one of the first great treatises in informa- 29. W. Boyd Rayward, where UDC was eventually adopted by the tion science.29 “Library and Information British Standards Institute as a British standard, Other work in the 1950s and 1960s: In the Science: An Historical Perspective,” Journal of S. C. Bradford’s essays on the UDC and the his- decades after the Second World War, histories of Library History 20(1985): tory of the FID were collected and published the peace movement, the League of Nations and 120- 136 and “Visions of posthumously in 1948 in his Documentation.22 of international organisation more generally Xanadu: Paul Otlet (1868- They form an early point of reference in English make reference to the work of Otlet and La 1944) and Hypertext,” 30 Journal of the American for Otlet studies along with some of the papers Fontaine and the UIA. Fleeting glimpses can Society of Information of Frits Donker Duyvis who had worked with be had of him too in other work such as the Science 45 (1994):235 Otlet and La Fontaine in the 1920s and had early studies devoted to Otlet’s long-time friend, 30. For example, F.P. Walters refers to the “two been appointed a third Secretary General of FID the Scottish sociologist and town planner, gallant Belgians Henri in 1928. He continued as Secretary General Patrick Geddes.31 In Belgium extensive scholarly LaFontaine and Paul until his death in 1961.23 entries on both Otlet and La Fontaine were pre- Otlet” and gives a brief Documentation: 1950s-60s: Several early sur- pared for the national biographical dictionary account of the UIA in the standard work, A History vey histories of the international organisation of published by the Belgian National Academy, a of the League of Nations. bibliography and documentation also deserve measure of some kind of recognition at last for London: Oxford still to be remembered.24 prophets in their own country.32 My own doc- University Press, 1969 (reprint), p. 190 In the 1950s and 60s in the United States, toral studies, based on research in 1967-8 in the 31. Amelia Defries, Jesse Shera recognised the importance of, and Mundaneum when its was in the Parc Léopold Interpreter Geddes, the man helped keep alive, Otlet’s ideas about classifica- in Brussels, attempted perhaps the first compre- and his gospel. New York, tion and documentation.25 An important French hensive account of Otlet’s life and work, though Boni & Liveright, 1928; Philip Boardman, Patrick figure writing extensively on classification and explicitly seeing the life as incidental to the Geddes, maker of the future, information retrieval in the 1950s and for thirty work.33 This research and its continuation have with an introduction by years beyond has been Eric de Grolier. His cri- underpinned a number of papers over the last Lewis Mumford. Chapel tiques of UDC and accounts of its development twenty years or so, several focusing on aspects of Hill, University of North 34 Carolina Press, 1944; formed a platform for later theoretical work rel- documentation. revised as The worlds of evant to developments in information science. A Documentation 1980s and 1990s: Interest in Patrick Geddes : biologist, bibliography of his writing is given in Otlet’s contributions to Documentation and the town planner, re-educator, 26 peace-warrior. London: International classification. In 1968 An issue of history of information science continued in the Routledge and K. Paul, the journal of the Association Belge de 1980s and 1990s. At the University of 1978; Paddy Kitchen, A Documentation was offered as a “festschrift” for Amsterdam Paul Schneiders prepared a doctoral most unsettling person: the Otlet on the 100th anniversary of his birth.27 thesis bearing centrally on Otlet.35 A major life and ideas of Patrick Geddes, founding father of For many years, the letterhead of the event for Otlet watchers occurred in Belgium in city planning and environ- American Documentation Institute (created in the 1980s when André Canonne began to mentalism. New York: 1937), now the American Society for champion the idea of reviving the Mundaneum Saturday Review Press, Information Science,28 carried (unacknowl- as a museum and archive with a view to estab- 1975. 36 32. Georges Lorphèvre, edged) a definition of documentation by Otlet lishing it in Liège. He arranged to have Otlet’s “Otlet,Paul,” Biographie which also appeared on the masthead of its Traite de Documentation reprinted in 1989 in nationale. Bruxelles: Journal, American Documentation (now Journal recognition of its importance and scarcity.37 In Académie Royale des Science, des Letters et des of the American Society for Information Science). 1990, I published an English translation of a Beaux Arts de Belgique. t. In the late 1960s and 1970s in the field of study selection of Otlet’s papers on both documenta- 32 (1964): cols 545-558; and professional practice that had been general- tion and international organisation that covered Robert Abs, “Fontaine (Henri-Marie la),” ly described by Otlet’s term “documentation” the period from his first speculative paper on Biographie nationale t. 38 was increasingly designated “information sci- bibliography of 1893 through to his moving (supplément 10). ence.” But to me and to others examining the tribute to Henri La Fontaine in 1934. The

8 Bruxelles: Académie introduction to this work sought to highlight Successors” of an issue of the Journal of the Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux Arts the pioneering nature of his ideas about the American Society for Information Science devoted de Belgique, 1973-4, cols organisation of knowledge and the use of new to the history of the subject. A compilation of 215 221 kinds of then speculative machinery for this these articles and a range of other articles 33. W. Boyd Rayward, The Universe of purpose. The bibliography provided in this formed the basis for Historical Studies in Information: the Work of work is still perhaps the most comprehensive Information Science in which Buckland and Liu’s Paul Otlet for (though still incomplete) listing of Otlet’s writ- review of the literature of the history of Documentation and ing to date.38 To appear in 2003 is a Russian Information science contains a section on International Organsation 51 ….. 1975 (see note 2 translation by Ruggero Giliarevskii of some of Otlet. above). (This was translat- Otlet’s papers on bibliography libraries and doc- France: Over the years a number of interesting ed into Russian as umentation.39 Giliarevskii has long been inter- articles on the history of documentation in Universum informastsii ested in Otlet. He translated my early book on France that touch on Otlet have appeared in the Zhizn’ i deiatl’ nost’ Polia 52 Otle.Trans.R.S. Otlet into Russian and has also been interested professional journal Documentaliste. the Giliarevesky. Moscow: in the terminological changes that have marked Institut International de Bibliogrpahie and its VINITI, 1976,402pp and new approaches to the field designated “docu- collections and techniques are given their place later into Spanish, see note 45 below). mentation” by Otlet and now often called in Sylvie Fayet-Scribe’s extraordinarily compre- 34. Among other studies “informatics” in Europe.40 hensive “Chronologie des supports, des disposi- have been: “UDC and Spain: There has been a strong history of tifs spatiaux, des outils de repérage de l’informa- FID: a Historical interest in Otlet and Documentation in Spain tion” published in the online journal SOLARIS Perspective,” Library Quarterly 37(1967): 259- during these decades. Among the main figures in 1997. In the course of another work, she has 78; “Paul Otlet, a associated with this are José López Yepes, Felix also examined the development of documenta- Centennial Tribute,” Sagredo and José-María Izquierdo Arroyo.41 tion in France touching on the pioneering work International Associations 20(1968): 55-58; “the Izquierdo Arroyo’s linguistic-based interests cul- of General Hyppolyte Sebert, another long-time International Institute for minated in 1995 in a physically curious double friend and colleague of Otlet’s, who was instru- Bibliography and Pierre volume of excerpts of Otletian texts and a for- mental in setting up the French “daughter soci- Nenkoff, a Bulgarian mal hermeneutical analysis of them by.42 Otlet’s ety” of the Belgian Institute, the Bureau Librarian: an Attempt at 53 International Co- Traité de Documentation was translated into Bibliographique de Paris in 1896. Operation,” libri Spanish by María Dolores Ayuso García who, Henri La Fontaine. While the focus of contri- 24(1974): 209-28; “IFLA- with José Antonio Moreiro González, also pub- butions mentioned above has been essentially on FID - Is It Time For 43 Federation?” IFLA Journal lished a terminological study derived from it. Otlet, it should be noted that Henri La Fontaine 3(1977): 278-280; “Paul An online Spanish text on information retrieval was a figure of major importance both in Otlet,” World Encylopedia has an introductory section on Otlet and some Belgium politics and in the international peace of Library and Information commentary on changing terminology.44 More movement. There seems not to be a large litera- Services. 1st ed; Chicago: American Library recently Pilar Arnau Rived’s doctoral disserta- ture on La Fontaine but there are, not surpris- Association, 1980, tion has been published along with a Spanish ingly, several useful articles about him in Journal pp.418-20 (and subse- translation by Arnau Rived of my early study of of the Union of international Associations, quent editions); “The Otlet and a selection of my later papers.45 Transnational Associations, such as Irwin Adams’s International Exposition and the World The US: In the US Michael Buckland pub- personal memoir and a note by Nadine Documentation Congress, lished important theoretical papers on the Lubelski-Bernard. 54 Lubelski-Bernard has pub- Paris, 1937,” Library nature of the document and of information sys- lished a series of important papers directly relat- Quarterly 53(July 1983): tems and projected into our own day the image ed to La Fontaine and the Peace movement in 254-268; “The Case of 55 Paul Otlet, Pioneer of of Madame Documentation, the early French Belgium. A number of her other papers on the Information Science, documentalist, Suzanne Briet and her ante- Belgian peace movement from the point of view, Internationalist, Visionary: lope.46 The work of Ron Day47 and Isabelle for example, of feminist participation or in rela- Reflection On Biography,” 48 Journal of Librarianship Rieusset-Lemarie has brought aspects of criti- tion to Free Masonry touch on other aspects of and Information Science 23 cal theory to bear on Otletian text and work. La Fontaine’s interests and commitments. (September 1991): 135- Day argues that Otlet was engaged in a “proto Let me also mention here, out of chronologi- 145. “Visions of Xanadu: deconstructionist understanding of textuality.”49 cal place, the publication in 2002 by the Paul Otlet (1868-1944) 50 and Hypertext,” (see note These articles along with one by me appear in Mundaneum of a collection of essays entitled 13 above); and “The a subsection labelled: “Paul Otlet and his Henri La Fontaine: tracés d’une vie. Several of the

9 Origins of Information chapters are by the excellent curatorial and from its initial formulation by Hendrik Science …..(see note 13 above). This last article archival staff of the Mundaneum; others by Anderson and its design by Ernest Hébrard was reprinted in the FID prominent Belgian scholars, including a major before the First World War to its development Journal, International contribution from Lubelski-Bernard.56 Though by Otlet and his enlistment of the great mod- Forum for Information and it is physically slight, this work reveals the range ernist architect, Le Corbusier, as designer in the Documentation 22 (1997): 65 3-15, in the Russian edi- of La Fontaine’s interests and achievements in late 1920s. Catherine Cortiau has prepared tion of this journal, in his own right. It suggests the complexity that several different accounts of the saga of this ven- Historical Studies in must have characterised the long association and ture.66 More recent writing on Patrick Geddes Information Science, edited by Trudi Bellardo Hahn collaboration between him and Otlet (and also notes the Otlet connection if only tangen- and Michael Buckland. leaves us astonished at how extraordinarily well tially. Otlet is referred to briefly, for example, by Medford, N.J.: La Fontaine must have managed his time!).57 Sofia Leonard in exploring Geddes’ European Information Today, for 67 ASIS, 1998, and in Otle Other connections: As well as these increas- legacy and also by Volker Welter in his recent Pol’. Biblioteka – ingly more sophisticated studies of aspects of and splendidly realised “architectural history” Bibliografiya – documentation and information science, new study of Geddes’ ideas about the city.68 Helen Dokumentatsy…2003 (see kinds of studies began to appear that examined Meller presents Otlet’s relationship with Geddes note 39 below) 35. P. Schneiders, “De other aspects of Otlet’s work, relating it to dif- more substantively in a study of Geddes’s town bibliotheek en documen- ferent scholarly and disciplinary contexts. planning and biological ideas, a study that is tatie beweging 1880-1914: Takashi Satoh discussed the work of Wilhelm much more sophisticated and rigorous than the bibliografische on derne- Ostwald, the Nobel Prize winning chemist, in more hagiographic accounts that preceded her mingen rond 1900,” 69 unpublished doctoral the- the briefly lived Bridge Movement in Germany work. sis, University of with which Otlet was associated before the First Hypertext and Internet: As the information rev- Amsterdam, 1982. World War.58 This Otlet connection is also olution got underway, Otlet’s work could be seen 36. Cannone, André‚ explored more recently in Thomas Hapke’s sev- in new kind of context. What had seemed utopi- “Regards sur 59 ‘Mundaneum,’ eral papers on Ostwald and in Rolf Sachsse’s an, even rather science fiction-like in his specula- Classification Décimale et very substantial online study of Die Brücke.60 tions about what we now call information tech- C.L.P.C.F. [Centre de la Stimulated by Brigitte Schroeder-Gudehus’s nology, began to seem prescient of this new world. Lecture Publique de la Communauté‚ Française]. work on the international organisation of sci- In 1991, I wrote of these ideas of Otlet as antici- Lectures, 5, May - June ence, Anne Rasmussen has opened up yet pating hypertext and computer-based networks70 1985, pp. 2-20. another perspective on the UIA and Otlet and and explored formally and at some length the 37. Paul Otlet, Traité de La Fontaine in her study of the history of inter- hypertext implications in a 1994 paper entitled, Documentation. Le Livre 71 sur le Livre: Théorie et national congresses and of the international rep- “Visions of Xanadu...” Otlet’s place in the history Pratique (reprint of the resentation of intellectual work.61 David Forester of hypertext has proved to be particularly intrigu- 1934 ed.) Liège : Centre has examined Otlet’s contributions to account- ing. Anthony Judge has assembled on the UIA de Lecture Publique de la Communauté Française, ing both of a theoretical kind and more practi- website relevant excerpts, to which separate refer- 1989. cally when Otlet was President of the ence is not made here, from a number of papers 38. Paul Otlet: Association Internationale de Comptabilité.62 In about Otlet and hypertext. He has given his com- International Organisation their turn, Jean-François Füeg and Vincent mentary the title: “Union of International and Dissemination of Knowledge…1990 (see Algraint have begun to study Otlet’s interests Association - Virtual Organization: Paul Otlet’s note 8 above).The bibliog- and relationship concerning photography.63 100-year hypertext conundrum.”72 This forms the raphy is available online at Town planning and architecture, Geddes and basis for his paper in the present issue of http://alexia.lis.uiuc.edu/~w rayward/otlet/otbib.htm Le Corbusier: nearly twenty years ago, Pieter Transnational Associations /Associations Trans- 39. Otle Pol’. Biblioteka – Uyttenhove opened up a new area of Otlet stud- nationales which contains the appropriate refer- Bibliografiya – ies by examining Otlet’s ideas about post war ences. Dokumentatsya: Izbrannye Brussels and Belgium from the perspective of trudy pionera informatiki, 64 trans Ruggero Giliarevski. urban planning. Since then a number of histo- Renewed interest: the Mundaneum, : Pashkov Dom, rians of architecture and town planning have Mons 2003 touched on Otlet in studies focussed on matters 40. For his translation see note 33 above; also R. S. of central interest to them. In Italy in 1982 Some of the vigour and direction taken by the Gilyarevskii, “Chto takoe Giuliano Gresleri and Dario Matteoni complet- renewed interest in Otlet in the 1990s can be informatika? [What is ed a lengthy study of the idea of a world city attributed in part to the creation in 1995-6 of

10 informatics?],”Nauchno- the new Mundaneum, for which André apparent hubris of his utopian visions and the Tekhnicheskaya Informatsiya; Series1, 11 Canonne had undertaken the preliminary initia- motley physical reality of what was actually (1989:18-21. tives ten years before in Liège. Now we see the achieved, captured so strikingly in the mise en 4.1 Felix Sagredo Mundaneum realised and installed in the town scène of the Mundaneum, are of great human Fernandez and Antonia Garcia Moreno, “History centre of Mons in substantial locations dramat- interest. In 1998 the Dutch documentary film of information science in ically designed by Benoît Peeters and François maker, Ijsbrand van Veelen, having read about Spain: a selected bibliogra- Schuiten.73 It is an archive and museum devoted the new Mundaneum and Otlet, created a short phy,” Journal of the to the work of Otlet and La Fontaine and a film Alle Kennis Van de Wereld: het Papieren American Society for Information Science 48 number of individuals and organisations associ- Internet for the Dutch science program (April 1997): 369-372. ated with them and the period in which they Noorderlicht.77 TheatreAdhoc, a Dutch experi- 42. Jose-Maria Izquierdo flourished. The collections of the Mundaneum mental performance group, also became Arroyo, La organiza- cizquierdo Arroyo, y for comprise, with related material, what remains of intrigued by Otlet. Preparing a dramatic pro- Informa 1/1 El Marco the original records and collections of the organ- duction on Stefen Themerson and the “ultimate Documental. Madrid: isations from which the original Palais Mondial intelligence machine,” they began to do exten- Technidoc, 1996, 502 pp. or Mundaneum was formed. Despite all that has sive research on Otlet in order to include an Bound with La organizaci Documental. Madr been lost or destroyed after more than 60 years account of his ideas. Their research in the conocimiento 1/2 el marco of removals to and from various locations under Mundaneum was augmented by an interview documental (corpus appalling physical conditions of storage, the col- with Otlet’s grandson, Jean, still living in Otletiano),188pp. lections are still of great richness and depth. An Brussels, and another with Melisa Coops in the 43. El tratado de docu- mentaci(corpus account of their range, an introduction to Otlet Hague who, as a young girl, had been Otlet’s Otletiano),188pp. and la Fontaine, and a history of the “editorial assistant” in the preparation of the 502 pp. Bound with ation Mundaneum and its various removals from one Traité de Documentation of 1934.78 science in traduccio de documentaci(corpus kind of inadequate warehouse storage to anoth- Of particular note, however, in its orientation Otletiano),188pp. er along with the documentary losses associated towards the general public is the deeply 502 pp. Bound with ation with these moves, is given on the Mundaneum’s researched, imaginatively realised, prize-win- science in Spain: a selected very extensive, extremely informative website.74 ning 2002 film about Otlet by Françoise Levie. bibliography,” - Tekhnicheskaya As the archival collections have been organised Entitled, “The Man Who Wanted to Classify Informatsiya; SerConceptos and inventoried in the Mundaneum, they have the World,” it was shown on Belgian television fundamentales de la teoría enabled new research of various kinds to be and is available in both English and French de la documentaci p y estu- 79 dio terminoltales de la undertaken. This research potential was in a video versions. teoría de la documentaci pp. sense given a first expression in Cent Ans de Architecture of knowledge Colloquium: This Bound w. Murcia: DM, l’Office International de Bibliographie, sponsored film was shown to much acclaim to a particular- 1998. iv, 315 by the Mundaneum in 1995. This work con- ly well-informed audience at the Mundaneum 44. Jesús Tramullas, Introducci teoría de la tains a considerable set of papers that review in Mons in May 2002 as part of a colloquium, documentaci pp. Bound aspects of the life and times of both Otlet and “Architecture of Knowledge: the Mundaneum with ation science Henri La Fontaine and discuss some of the col- and European Antecedents of the World Wide http://www.tramullas.com lections related, for example, to feminism, anar- Web.” Organized by Charles Van den Heuvel, /nautica/documatica/indic e.html chism and the international peace movement an historian of architecture, at that time from 45. Pilar Arnau Rived, now housed in the Mundaneum.75 As men- the McLuhan Institute at the University of Documentaciu Rived, tioned above, in 2002 the Mundaneum also Maastricht in co-operation with Pieter .com/nautica/documatica/in sponsored the publication of a collection of Uyttenhove, an historian of town planning from dice.html 76 p. Boun, Madrid: edicived, essays, La Fontaine, traces d’une vie.” Ghent University and myself, an historian of .com/nautica/documatica/i Documentary films and theatre: In part information science from the University of ndice.hEl Universo de la because of the publicity surrounding the cre- Illinois, this colloquium drew together scholars Documentaciica/documati- ca/indice.html ation of the Mundaneum and its availability to from a range of disciplines and nations to exam- p. Bound with ation science the public as a museum, Otlet has recently ine the ideas of, and collaborations between, in Spain: a selecte. Trans. begun to attract a wider, more populist public Otlet and a number of his contemporaries. Our Pilar Arnau Rived. Madrid: notice beyond the specialists and scholars who hope is to ensure that this symposium will be edicica/indice.html have been concerned with him in the past. The one of several that will help us formulate a pro- p. Bound ed 1999; W tragedy and comedy of his life and work, the gram for and stimulate interest in an interna-

11 Boyd Rayward, Hasta la tional conference centered not on Otlet directly Secondary or Other-orientation: Perhaps documentacirded. Madrid: edicica/indice.html but on the themes and the period embraced by beginning to move conceptually away from p. Bound with ation science Otlet’s life and work. A report on the first collo- direct interest in Otlet, Anthony Judge raises in Spain: a s traducida por quium is given below. issues of how we are to conceptualise the Union Pilar Arnau Rived. Madrid: Mundarnau, of International Associations in the digital world 2002 Transnational Associations and presents a gathering of work on Otlet and 46. Michael Buckland, Associations Transnationales hypertext that informs his speculative essay. “Information as thing,” While Guérin and Marchand are concerned to Journal of the American Society for Information This issue of Transitional Association make sure that Otlet as a pioneer of information Science 42 (1991): 351- Associations Transnationales continues the trend technology is admitted to the pantheon of 360; “Information in Otlet studies represented in part by the already well-known heroes like Vanevar Bush, retrieval of more than text,” Journal of the Architecture of Knowledge colloquium men- Douglas Englebart and Ted Nelson, their prima- American Society for tioned above. This trend has become more gen- ry focus is on a new approach to developing the Information Science 42 erally evident in the last few years. It involves an hypertextual expert sytem, NESTOR. (1991): 586-588; increasing focus on Otlet by scholars and others Otlet had important contacts with Le Information and informa- tion systems. New York: from a wide range of disciplines and interests, Corbusier and Otto Neurath. Le Corbusier was Praeger, 1991; “The cente- not just documentalists and information scien- one of the leading architects of his time. That nary of ‘Madame tists. There are two sometimes distinct, some- Otlet was able to inspire him to design a plan for Documentation’: Suzanne times blurred orientations associated with it. the Mundaneum that Otlet, in despair at his Briet, 1894-1989,” Journal of the American Society for The first orientation is that of those who have a treatment in Belgium, proposed to try to create Information Science, 46 direct interest in Otlet, his organisations, his first in Geneva and then elsewhere, is of great (April 1995): 235-237, ideas and the scholarly and other contexts to interest to historians of architecture. Otto trans as “Le centenaire de ‘Madame Documentation’: which they can be related. Otlet is the primary Neurath was a member of the Vienna Circle of Suzanne Briet, 1894- focus. The second orientation is taken by those logical positivist philosophers. Among his many 1989,” Documentaliste: whose primary interests lie elsewhere but who interests was the problem of knowledge repre- Sciences de l’information, seek to examine Otlet’s relationships with their sentation, the invention of a new kind of visual 32, no. 3, 179-181, 1995. 47. Ron Day, “Paul Otlet’s subjects for the light that he can shed on them - language, and the development of what he and Book and the writing of Ostwald, Le Corbusier, Neurath, and issues of his colleagues called a unified encyclopedia of social space,” Journal of the international organisation and knowledge visu- science. All were matters of the liveliest concern American Society for Information Science, 48 alisation for example, are cases in point. There to Otlet. It is not surprising to see the over-bur- (April 1997): 310-317; are, of course, those whose orientation falls dened older man and the younger revolutionary “Totality and representa- somewhere in between these two extremes! figure strike up an acquaintance and begin to tion: a history of knowl- Primary Otlet-orientation: Jean-François Fuëg’s correspond with each other. Nader edge management through European documentation, “ordo ab chaos: classer est la plus haute opération Vossoughian’s paper on the interactions between critical modernity, and de l’esprit,” Stéphanie Manfroid’s “Utopies et réal- them on the nature of the Mundaneum as a post-Fordism, Journal of itiés d’une documentation,” and Françoise Levie’s museum, drawing in part on correspondence he the American Society for “Paul Otlet et le Multimédia” deal with issues has found in the Mundaneum, is a major origi- Information Science, 52 (2001): 724-735, The directly related to Otlet, the documentary ele- nal contribution. The connection between Otlet modern invention of infor- ments of the Mundaneum and Otlet’s interest in and Neurath forms a background to Giuliano mation : discourse, history, audio visual media and how they were exploited Gresleri’s, “Convergences et divergences: de Le and power. Carbondale, Ill.: Southern Illinois in his Mundaneum. Levie’s discussion of the radio Corbusier à Otto Neurath “ in which he exam- University Press, 2001 and the Cinescope in this context presents new ines the links between le Corbusier and Neurath 48. Isabelle Rieusset- material. Paul Ghils’s “Fonder le monde, fonder le at CIAM’S Athens conference (Congrès Lemarie, “P.Otlet’s savoir du monde” undertakes a difficult and Internationaux d’Architecture Moderne ). He Mundaneum and the international perspective important task of examining how the utopian in believes that this connection will throw new in the history of documen- Otlet’s ideas about knowledge and politics can be light on the drawing up of the statement of tation and information understood in relation both to contemporary cur- functionalist principles for the modern city science,” Journal of the American Society for rents of thought and to older philosophical tradi- known as the . Catherine Information Science, 48 tions as well. The Leibnizian echoes he uncovers Cortiau in her “La création d’une ville interna- (April 1997): 301-309 are compelling. tionale autonome, selon Paul Otlet,” traces the

12 49. Michael Buckland and history of Otlet’s ideas about the embodiment of Technological and Information society vision- Ziming Liu, “History of Information Science [a a world city architecturally, noting his interest in ary: Otlet’s continuing importance may lie in part review of the literature],” the early work of Anderson and Hébrard, in our perception that he was a visionary figure Historical Studies in through to his collaboration with Le Corbusier whose thinking about globalisation on the one Information Science edited by Trudi Bellardo Hahn in deciding what the new center should look like hand and the representation and organisation of and Michael Buckland. and where and how it might be placed in knowledge on the other, prefigures the digitised, Medford, N.J.: Geneva.80 networked world of today. It is no small claim to Information Today for fame that Otlet may now be considered one of the American Society for Information Science, Conclusion: Assessing Otlet’s “grandfathers” of the internet and digitization and 1998, p.283. importance the changing social order that is suggested by such 50. Rayward, “The terms as globalisation, the information revolution Origins of Information Science and the Work of This issue of Transnational Associations along and the information society. What more do we the International Institute with the Architecture of Knowledge symposium need to understand about his ideas, their deriva- of Bibliography…1997 details about which are given below represent a tion, what they reflect about his times and what (see note 13 above). maturing of research related to Otlet and of our more can further examination of them reveal 51. Buckland and Liu, “History of Information understanding of the various worlds he inhabit- about our own times? Science…,” pp. 272-295 ed during his long and curious life. As central as European modernist: In terms of another reg- (note 47 above). Otlet’s life and work are to historians of docu- ister of analysis, however, Otlet’s importance 52. For example, M-F mentation and information science, other schol- may also be thought to lie in how he and the cir- Balnquet, “La fonction documentaire, étude dans ars have begun to take an interest in him from cle of those working with and around him are une perspective his- their increasingly diverse perspectives. We are integral to the development of European mod- torique,” Documentaliste now able to see him and his work as a part of, ernism in the late nineteenth century and early 30,4/5 (Jul/Oct 1993):199-204; A. Serres, and reflecting broader themes and movements twentieth centuries in ways that we are only just “Hypertexte: une histoire a in European intellectual life and culture. beginning to realise and to explore. Here the revisiter,” Documentaliste; It seems to me that he can provide a special research plough has hardly been introduced into 32, 2 (Mar/Apr 1995):71- path into, a productive perspective on, a range the field. 83; Sylvie Fayet-Scribe, “Etude de trois associa- of aspect of life and letters in the last quarter of Incompletly known biographically: But at tions professionnelles the nineteenth century and the first half of the the most human of levels, that of the man and Francaises dans l’entre- twentieth century that have yet to be fully inves- his biography, there remains the fascination of deux-guerres,” Documentaliste 35,4/5 tigated. His participation, for example, once we the apparent complexity of and contradictions (Jul/Oct 1998):216-28 understand it, might give us new insights into in Otlet’s personality, his wide network of 53. Sylvie Fayet-Scribe, the pre-War literary and artistic culture of acquaintances, colleagues and friends that bring “Chronologie des sup- Belgium, for example. Given all that has been him into contact with so many of the intellectu- ports, des dispositifs spati- aux, des outils de repérage written from an Anglo-American perspective on al, social and political currents of his time, and de l’information,” Solaris, the Fist World War and the Peace Movement the extraordinary vicissitudes of his life and Septembre 1997 that culminated in the founding of the League career. About all of these matters much yet http://www.info.unicaen.fr of Nations, what can the activities and writing remains to be discovered and understood. /bnum/jelec/Solaris/d04/4f ayet_0intro.html of Otlet and his associates tell us about the Only recently, for example, Françoise Levie, Fayet-Scribe Sylvie, dynamics of this movement in Europe in those during her research in the Mundaneum for Histoire de la documenta- critical War years? What light might his rela- “The Man Who Wanted to Classify the tion en France: culture, sci- 81 ence et technologie de l’in- tionship shed on the work of other important World” found a collection of Otlet’s love letters formation, 1895-1937. figures in the social, intellectual and political life to the Dutch woman, Cato Van Nederhasselt, Paris: CNRS, 2000 of Europe beyond Ostwald, Geddes, Le who became his second wife in 1912. From 54. Irwin Abrams, “Henri Corbusier and Neurath on whom discussion has them we begin to see that much more than ink Lafontaine: a true interna- tional man,” Transnational tended to focus hitherto? ran in Otlet’s veins. Associations, 6( 1999): 293 - 296. Previously pub- lished in Inter- Parliamentary Bulletin, 1996, pp. 63-68 and avail- able at

13 Appendix — Union of International Associations — Virtual Organization: Paul Otlet’s 100-year Hypertext W. Boyd Rayward’s Otlet Links Conundrum? Films and Documentaries Item from UIA on its work in relation to the • Het papieren Internet; Alle Kennis van de Wereld founder’s ideas. This document also assembles sum- Description, in Dutch, of a documentary film by maries of a number of other documents, available Ijsbrand van Veelen for Dutch TV on Otlet. on the web concerning the “secret history” of hyper- • Sofidoc, Documentary, Animation, Film text. Production Company Homepage for Sofidoc and Otlet Pages filmmaker Francoise Levie who created The Man • W. Boyd Rayward’s Otlet page W. Boyd Rayward http://www.uia.org/uiata/l Who Wanted to Classify the World, broadcast on is a research professor at the University of Illinois afontaine.htm. Also, Belgian TV October 2002. Contains contact at Urbana-Champaign’s Graduate School of Nadine Lubelski-Bernard, “Henri Lafontaine et la addresses. Library and Information Science. On this site, are société internationale de la • Ministère de la Communauté française de Belgique, references to his publications about Paul Otlet. paix,” Transnational Site du Service Général de l’Audiovisuel et des • Michael Buckland’s Otlet page Michael Associations/Associations transnationales, 45(1993), Multimédias Brief French description of the film Bucklandis a Professor in the School of n°4, pp. 186-189, 206. The Man Who Wanted to Classify the World. Information Management &Systems at Berkeley. 55. Nadine Lubelski- Mundaneum On this site he provides a range of useful links to Bernard, “Les débuts de • Homepage of the Mundaneum Homepage of the information about Paul Otlet. l’Union Interparlementaire et la Belgique (1888- Mundaneum, Rue de Nimy 76, 7000 Mons, • Michael Buckland’s History of Information 1914),” in Mouvements et Belgium. Archive and Museum. Preeminent site Management and Information Science Michael initiatives de paix dans la for information about Otlet and related figures and Buckland’s history of information science web politique internationale (1867-1928), edited by movements and various collections of archives. page contains important and relevant material on Jacques Bariéty and Many interesting images. Text is in French. Otlet, plus much related information. Antoine Fleury, Bern: Organizations • Ron Day’s website Ron Dayis an Assistant Peter Lang, 1987 pp. 81- • American Society for Information Science and Professor at the Library and Information Science 110; “The Institute of International Law, Auguste Technology program at Wayne State University in Detroit, Beernaert and Henri La — ASIST’s Historical Studies in Information Michigan. Some of his work considers Otlet from Fontaine,” In The Nobel Science book contains several articles about Paul the perspective of critical theory. Peace Prize and the laure- Otlet. This page contains ordering information, • Scientific Information and Communication: A ates : an illustrated bio- graphical history, 1901- including price and ISBN number. collection of Internet-Links Thomas Hapke, 1987, edited by Irwin • TheatreAdHoc TheatreAdHoc is an experimental German Chemistry Librarian, provides this page Abrams. Boston: G.K. Dutch theatre group which, after considerable on the history of information and communica- Hall, 1994; “Henri La Fontaine (1854-1943) ou research, creates dramatizations for contemporary tion. Has references on his writing on Wilhelm la paix par le droit,” Revue issues. Site is in Dutch; some weblogs contain Ostwald and Otlet along with references to recent belge de droit international, English summaries. events of interest to historians of scientific infor- 28 (1995): 343-356. — TheatreAdHoc weblogs: see entries for March 2- mation and communication. 56. Nadine Lubelski- Bernard, “Le Partisan de la 16 for visit to the Mundaneum, Mons • University of Maastricht, Architecture of paix,” in Heri La Fontaine: — Theatre AdHoc’s weblogs: see entries for June 7 Knowledge: the Mundaneum and European tracés d’une vie, edited by for images of Colloquium, Mons, held May 24- Antecedents of the World Wide Web Preliminary Henry Goffin. Mons: Mundaneum, 2002, pp. 25, 2002 web page with wonderful image of Otlet for pro- 71-87 — TheatreAdHoc’s weblogs: see entries for July 12 ject centered on McLuhan Institute at University 57. Henri La Fontaine: for images of Jean Otlet, Paul Otlet’s grandson. of Maastricht called Architecture of Knowledge: tracés d’une vie..(see note • Universal Decimal Classification Consortium the Mundaneum and European Antecedents of 56 above). 58. Satoh, Takashi ,”the Discussion of the origins and the history of the the World Wide Web. Bridge Movement in Universal Decimal System from the Consortium’s • Report of first meeting of colloquium in Mons at Munich and Ostwald’s home page. the Mundaneum about the Otlet “Architecture of Treatise on the • Union of International Associations The Union of Knowledge” project, May 24-25, 2002. Organisation of Knowledge,” Libri International Associations home page. 37(1987): 1-24

14 59. Thomas Hapke, “Wilhelm Ostwald, the ‘Brücke’ 68. Volker Welter, Biopolis : Patrick Geddes and the city of (Bridge), and connections to other bibliographic activities life. Cambridge, Mass.: MIT Press, 2002. at the beginning of the twentieth century,” in Proceedings 69. Helen Meller, Patrick Geddes : social evolutionist and of the 1998 Conference on the History and Heritage of city planner. London: Routledge, 1990. Science Information Systems, edited by Mary Ellen 70. W. Boyd Rayward, “Restructuring and mobilising Bowden, Trudi Bellardo Hahn, Robert V. Williams. information in documents; a historical perspective,” in Medford, NJ: Information Today, 1999, pp. 139-147; Conceptions of Library and Information science: historical, “Wilhelm Ostwald und seine Initiativen zur Organisation empirical and theoretical perspectives (proceedings of und Standardisierung naturwissenschaftlicher Publizistik : COLIS I, Tampere Finland, 1991) edited by Perti Vakkari Enzyklopädismus, Internationalismus und Taylorismus and Blaise Cronin. London: Taylor Graham, 1992, am Beginn des 20. Jahrhunderts,” in Fachschrifttum, pp.50-68. A revised version of this was published as Bibliothek und Naturwissenschaft im 19. und 20. “Some Schemes for restructuring and mobilising informa- Jahrhundert, hrsg. von Christoph Meinel. Wiesbaden: tion in documents; a historical perspective,” Information Harrassowitz, 1997 (Wolfenbütteler Schriften zur Processing and Management, 30 (1994): 163-175. Geschichte des Buchwesens ; 27) S. 157-174 ; also: 71. Rayward, “Visions of Xanadu …(see above note 13). Wilhelm Ostwald’s activities to improve scholarly infor- 72. “Union of International Associations — Virtual mation ...Paul Otlet and the Institut International de Organization: Paul Otlet’s 100-year Hypertext Bibliographie (IIB) at http://www.tu- Conundrum ?” harburg.de/b/hapke/ostwald/lpz3-1.htm http://laetusinpraesens.org/docs/otlethyp.php#history 60. Rolf Sachsse, Das Gehirn der Welt: 1912: Die 73. Schuiten, Peeters (sic), Le Mundaneum: projet d’exposition Organisation der Organisatoren durch die Brücke, permanente ( 24 leaves; and annexe:”L’Homme qui voulait 19.11.1998. Teleopolis container; Heize online classer le monde, projet de documentaire 52’ “; no date or http://www.heise.de/tp/deutsch/inhalt/co/2481/1.html place of publication.Available at the Mundaneum, Mons). 61. For example, Anne Rasmussen, “Jalons pour une his- 74. toire des congrès internationaux au XIXe siècle: regulation http://www.mundaneum.be/content/archives/archives_fra scientifique et propagande intellectuelle,” Relations me.html and http://www.mundaneum.be/content/mun- Internationales no 62 (1990): 115-133 daneum/qqsmots.html 62. David A. R. Forrester, “European Congresses of 75. Cent Ans de L’Office International de Bibliographie: les Accounting: a preliminary review of their history,” An premisses du Mundaeum. Mons: Editions Mundaneum, Invitation to Accounting History. Glasgow: Strathclyde 1995. Convergences, 1998. Available online: 76. La Fontiane, tracés d’une vie… see note 56 above. http://accfinweb.account.strath.ac.uk/df/c6.html 77. Alle Kennis Van de Werld: Het papieren internet, a doc- 63. Jean-Françoise Füeg and Vincent Algraint, “Albert umentary film created and directed by IJsbrand van Kahn et Paul Otlet: deux pioniers de l’iconographie,” Veelen for Noordelicht, was shown on Dutch TV Sunday, Archives et Bibliothèques de Belgique 69 (1998):99-110 November 1, 1998. 64. Pieter Uyttenhove, “Les efforts internationaux pour 78. TheatreAdhoc have extensive weblogs of their work in une Belgique moderne,” in Resurgam :La reconstruction en the Mundaneum and their interviews. See: Belgique après 1914, edited by Marcel Smets. Bruxelles: http://www.theateradhoc.nl/index.php Crédit Communal de Belgique, 1985, pp. 35-68 79. Françoise Levie, “The Man who wanted to classify the 65. Giuliano Gresleri and Dario Matteoni , La città mon- world: from the index card to the World City, the vision- diale: Andersen, Hébrard, Otlet, Le Corbusier. Venice: ary life of a Belgian Utopian, Paul Otlet (1868- Marsilio, 1982. 1944)[film].”Original script written by Benoit Peeters and 66. Catherine Cortiau, “La Cité internationale, 1927- Françoise Levie, Brussels, Sofidoc, 2002. 1931,” in Le Corbusier à Genève 1922-1932. Lausanne: 80. This whole subject including both Andersen and Le Payot, 1987, 53-69; “L’Epopée de la Cité Mondiale de Corbusier is an important feature of Levie’s film about Paul Otlet,” Lectures no 41 (1988) 13-17. Otlet (note 79 above). The film takes us to the Villa 67. Sofia G. Leonard, “The context and legacy of Patrick Hélène in where Andersen worked, to the League Geddes in Europe,” in The City after Geddes, edited by of Nations building in Geneva and to the Fondation Le Volker Welter and James Lawson. Oxford: Peter Lang, Corbusier in Paris. 2000, pp. 73-4 81. See note 79 above.

15 L’architecture du savoir Une recherche sur le Mundaneum et les précurseurs européens de l’Internet1 par Charles van den Heuvel*, Boyd Rayward** et Pieter Uyttenhove***

Les 24 et 25 mai 2002, un symposium eut lieu sur le thème « Architecture of Knowledge. The Mundaneum and European Antecedents of the World Wide Web ». Plusieurs conférenciers internatio- naux étaient invités afin de faire un premier tour d’horizon sur le sujet. Ces journées d’étude constituent la première étape d’un projet plus large d’échange, de recherche et de publication sur l’architecture du savoir, organisé par le comité scientifique composé de Charles van den Heuvel, Boyd Rayward et Pieter Uyttenhove, dont le premier est également l’initiateur du projet. Le Mundaneum, sous la direction d’Henry Goffin, assisté de Suzanne Lecoq, avait accueilli généreusement le symposium.

Les points de repères d’un projet de bien devenir invisible. L’attention se déplace de recherche plus en plus de la machine physique vers l’orga- nisation des réseaux et des principes sousjacents. orsqu’on saisit au hasard le mot « architectu- Ce développement technologique qui rend invi- re » dans un moteur de recherche informa- sible notre principal outil de visualisation lui- L tique contemporain, et on pose ensuite la même, aura de grandes conséquences pour la même question en faisant abstraction de tout ce société. Aujourd’hui, nous devons porter beau- qui a trait à l’ordinateur, l’Internet, le virtuel ou coup d’intérêt à l’énorme impact des développe- le digital, on ne gardera qu’un sixième des ments révolutionnaires dans le domaine des réponses. Autrement dit, environ quinze pour médias informatisés et de l’Internet. cent de toutes les références Internet à l’archi- La transparence est une des conditions de la tecture concernent l’architecture en rapport avec démocratie. Toute structuration de grandes les sites de la Toile, l’informatique, etc., alors quantités d’information a des implications pour que seulement une petite partie a rapport au la société. Pour l’Internet, ces implications sont sens original de l’architecture. Ce simple exerci- d’ordre global. Les sociologues ont lancé des ce illustre bien le fait que la nature même de l’ar- mises en garde contre la création d’une division chitecture s’est transformée considérablement. entre les gens « en ligne » et ceux « hors ligne ». D’un art portant sur la construction matérielle Mais même ceux qui ont accès à l’Internet n’au- des bâtiments et des structures, l’architecture a ront pas nécessairement l’information qu’ils sou- glissé vers une discipline portant sur l’organisa- haitent. La Toile n’est pas transparente mais tion de l’espace virtuel et des systèmes informa- consiste d’un nœud d’information. Les « hits », tiques. De matière, l’architecture s’est transfor- ou résultats d’une quête effectuée par un moteur mée en métaphore. de recherche dépendent également des questions *Maastricht McLuhan Non seulement l’architecture mais aussi notre déjà posées par d’autres utilisateurs. Du moment Institute, Université de façon de chercher, d’organiser, de présenter, de qu’on a récolté des informations, il est difficile de Maastricht diffuser la connaissance a changé profondément contrôler leur fiabilité et leur véracité. **Université de l’Illinois, Urbana Champaign par l’introduction de l’ordinateur. D’un engin Cependant, il serait très risqué de vouloir struc- ***Département d’archi- capable de calculer à très grande vitesse, l’ordi- turer l’accès à l’Internet. Ceci demande un enga- tecture et d’urbanisme, nateur est devenu progressivement un outil à gement total de la société. L’absence de structu- Université de Gand plusieurs fonctions et emplois dont on peut se ration aussi pourrait avoir des conséquences mas- 1. Pour plus d’informa- servir pour écrire, télécopier, visionner, enregis- sives. Dans tous les cas de figures, les principes tion, voir aussi le site web trer, se faire assister, apprendre ou observer la sousjacents de l’architecture du savoir doivent http://www.mmi.uni- mémoire collective du monde. Sans arrêt, par un être éclairés. L’interaction forte qui existe entre maas.nl\\Otlet. 2. Le compte-rendu processus de miniaturisation, l’ordinateur a l’architecture et l’ordinateur demande d’être ana- reprend en partie les som- rétréci, depuis la machine qui remplissait des lysée dans la perspective plus large de l’organisa- maires écrits par les inter- chambres entières, jusqu’à l’ordinateur de table, tion du savoir. Étant donné que l’architecture venants. le portable et récemment celui qui se tient dans aussi bien que l’ordinateur ont tendance a deve- Associations transnationales le creux d’une main. Bientôt, grâce à cette pro- nir moins visibles et plus implicites, une 1-2/2003, 16-28 gression de la miniaturisation, il pourra aussi approche plus historique de leur relation pour-

16 rait faire comprendre mieux l’Internet et condui- titutions similaires étaient fondées à La Haye et re à son utilisation positive et transparente. Vienne, ainsi que des Cités mondiales en Belgique, France, Italie, Suisse, aux États-Unis et Les Mundaneums et les antécédents aux Pays-Bas. de l’Internet Le projet de recherche porte sur l’histoire du Mundaneum et sur les quelques Européens qui, La relation entre l’architecture et la connais- de par leur action pour la création de ces insti- sance existe de longue date. Pensons au temple tutions et leurs efforts afin d’ouvrir des voies salomonien de la sagesse, à l’usage métaphorique nouvelles pour l’organisation et la diffusion du des édifices dans l’ars memoriae grec, à la cathé- savoir sur une échelle mondiale, peuvent être drale médiévale comme biblia pauperum, les considérés comme les précurseurs de l’Internet. constructions du savoir dans les cités utopiques L’intention du projet est de focaliser sur et idéales, etc. À la fin du XIXe siècle, suite en quelques protagonistes et leurs réseaux de partie aux travaux des universalistes et des posi- contacts : Paul Otlet (1868-1944), Otto tivistes, cette relation est revêtue d’une significa- Neurath (1882-1944), Patrick Geddes (1854- tion nouvelle et intéressante car elle illustre bien 1932) et Wilhelm Ostwald (1853-1932). À la les puissances et dangers de l’Internet, à savoir la fois Otlet et Neurath ont vu leurs idées culminer structuration et la visualation du savoir à un en ce qui fut appelé le Mundaneum, de même niveau global. que Geddes dans l’Outlook Tower/Index À la fin du XIXe et pendant les premières Museum et Ostwald dans Die Brücke qui repré- decennies du XXe siècle, plusieurs chercheurs et sentaient des idées comparables. Henri La scientifiques européens ont envisagé des voies Fontaine (1854-1943) et Donker Duyvis (1894- nouvelles pour unifier l’art et la science. Ils cher- 1961) étaient également des figures de premier chaient d’autres moyens pour conserver et repré- plan liés à Paul Otlet. senter notre connaissance du monde, en vue de La recherche sur ces nouvelles institutions sa simplification et de sa visualisation, ainsi que mondiales qui ont précédé l’Internet, doit se de sa réorganisation permettant un accès univer- prolonger dans des études plus générales portant sel. Ils ont développé de nouveaux systèmes de sur les tendances – à la fois pleines de promesse classification ouverte, de nouveaux standards et menaçantes – que reflètent, d’un point de vue pour conserver et organiser des données. Ils ont historique, les relations entre architecture et exploré les nouvelles technologies de leur organisation des savoirs. époque afin de remédier aux carences du livre et de lui trouver des substituts. À part l’Espéranto, Matériel - virtuel ils ont cherché d’autres nouveaux languages constitués d’images et de symboles qui pour- Bien qu’Otlet, Neurath et Geddes ont tenté de raient être utiles de par le monde. Un problème « matérialiser » les savoirs sous forme d’architec- fondamental important avec lequel chacun tures (Mundaneum, Outlook Tower, Musée d’eux se battait, fut celui d’incorporer tous les social et économique) et de villes, ils se trou- savoirs du monde dans de nouveaux genres vaient à la charnière de développements qui d’institutions mondiales. Ceci constituait pour vont conduire aux constructions virtuelles. Aux eux un problème architectural, notamment celui formes traditionnelles incorporant les savoirs de trouver des formes physiques expressives, sous forme de livres, bibliothèques, etc. se sub- adaptées au savoir, et en relation avec les diverses stituent les médias nouveaux comme le télépho- finalités sociales et intellectuelles qui les moti- ne, le télégraphe et la télévision, qu’Otlet appe- vaient. De là aux différents plans pour des lait en général les « substituts du livre ». À la fin musées, des bibliothèques ou des archives, des de sa vie, Otlet développait des thèmes décrits universités ou des organisations mondiales, inté- dans son Traité de documentation et portant sur grées au sein d’institutions comme le des machines qui fonctionneraient comme un Mundaneum ou la Cité mondiale, il n’y a qu’un cerveau collectif du monde, exploreraient l’espa- pas. À part le Mundaneum à Bruxelles, des ins- ce-temps et pourraient être consultées depuis la

17 maison. Les développements technologiques Dans ses croquis, Otlet envisageait aussi de nou- actuelles comme celui de l’ordinateur ont rendu veaux moyens de s’orienter dans le monde de possible ses rêves. Otlet se servait de la machine l’information, comparable à ce qu’on connaît comme une métaphore pour décrire la produc- actuellement dans la conception des interfaces tion et la distribution du savoir. En traduisant modernes. les idées d’Otlet sur le Mundaneum par des concepts architecturaux, Le Corbusier utilisait la Global – local même métaphore pour décrire ses bâtiments. Geddes pensait en termes d’un jeu d’échecs en Cette dimension est directement liée aux pré- quatre dimensions, composé de graphismes cédentes car elle concerne la façon dont le savoir dont les mouvements dans l’espace devraient s’incorpore matériellement et virtuellement dans traduire des relations fluctuant dans le temps. Si l’espace, ainsi que la relation entre le producteur nous n’avons pas l’intention d’établir une simple et le consommateur de ce même savoir. Le modè- continuité linéaire entre le passé et le présent, ni le centralisé d’Otlet d’un « centre mondial » même entre les mondes matériel et virtuel, leurs reflète un rapport en sens unique du haut en bas, travaux reflètent la reconnaissance des limites et du centre vers la périphérie. L’inventeur de la matérielles de l’organisation et de la diffusion du souris d’ordinateur, Douglas Engelbart, se servait savoir à leur époque, ainsi que leurs tentatives d’un autre schéma figurant dans le Traité de d’explorer de nouvelles dimensions spatiales et documentation d’Otlet, notamment celui temporelles. Même si l’architecture et l’ordina- connectant dix organismes, afin de relier des pro- teur ont tendance a disparaître dans un monde ducteurs en periphérie. Les modèles jouent un virtuel, le support est toujours matériel dans un rôle dans les discussions de Nelson, Nielsen et sens ou dans l’autre. autres, au sujet de l’accessibilité de l’Internet et l’inclusion de différents points de vue. Neurath Diffusion du savoir – accessibilité était intéressé par la question du « traitement égal pour l’usager de vues différentes » par rapport à l’ordre social. Telle quelle la question de l’architecture du savoir Les précurseurs de l’Internet que nous avons – qui reste notre point de mire – est liée à la dis- mentionnés ci-dessus, se préoccupaient beau- cussion sur l’usage démocratique de l’Internet et coup de la diffusion du savoir sur le plan mon- sur la mondialisation. Dans ce débat, la méta- dial. Cela faisait partie de leur croyance dans le phore architecturale, du « village global » fait que l’on peut construire une société. Même (McLuhan) aux « cottages adaptés mondiale- si l’usager ne se trouve presque jamais au centre ment fabriqués et localement diffusés » (Castells) de leurs modèles de diffusion, il n’en possédait joue un rôle important. pas pour autant un rôle secondaire. Son rôle est probablement le plus éminent dans les travaux Savoir permanent et médias instables d’Otto Neurath dont l’intérêt portait principale- ment sur le développement de nouvelles D’un côté, Otlet, Geddes, Neurath et Ostwald méthodes de communication afin d’offrir à envisageaient chacun la création d’institutions de « l’usager futur » un accès « démocratique » à la mémoire pour conserver les arts et les sciences l’information, de le mettre devant des sujets du monde de façon permanente. De l’autre, ils complexes bien présentés et expliqués, et de lui tentaient d’adapter ce « savoir permanent » selon donner de l’information « vérifiable ». des évolutions récentes mais parfois temporaires, Cependant, même Otlet qui préconisait sans et d’utiliser le potentiel des nouveaux médias. Les doute les modèles de diffusion les plus centra- tentatives d’Otlet et de Neurath afin d’actualiser listes, avait beaucoup de considération pour les savoirs ou d’insérer de l’information nouvelle, l’usager. Au début de son œuvre, le rôle de l’usa- défiaient les médias en place, qui préservaient le ger est intégré dans les modèles de diffusion, à la savoir permanent tout en conduisant vers de nou- fin il se trouve comme dans un fauteuil au bout velles voies de présentation et de diffusion qui de la chaîne du système de diffusion mondial. anticipaient l’Internet.

18 Texte/linéarité – image/figure évolutions émergeantes à partir d’une série de données. Ce dualisme entre processus standardi- Otlet, Geddes, Neurath, Ostwald étaient tous sés et évolutionnaires a joué un rôle important conscients des limites du texte. Otlet tentait dans le travail des protagonistes de l’Internet d’incorporer des fichiers d’images dans les réper- mentionnés ci-dessus. Lorsqu’il jettait un regard toires documentaires en vue de constituer un rétrospectif sur tant d’années pendant lesquelles il nouveau genre d’encyclopédie multimédias. Il avait entretenu une correspondance avec Patrick reproduisit ainsi sur microfilm une sélection Geddes, Lewis Mumford, le célèbre historien de d’images, chartes et diagrammes du la ville, critiqua dans un texte qu’il publia sous le Mundaneum, l’Encyclopædia Microphotica titre “La gambite de Geddes”, la contradiction Mundaneum. Il essayait également de créer un qui existait entre la tentative de son maître d’arri- système de lignes courbes et brisées, de formes ver à une synthèse finale (Opus syntheticum) au polygoniques et courbées, d’unités élémentaires travers de « raccourcis intellectuels », et ses vues de diagrammes, de figures et de plans qui en tant que biologiste évolutionnaire. Pour Otlet, seraient faciles à insérer dans du texte imprimé. l’organisation des systèmes d’accès aux bases de De même, Geddes développait une données, se fondait d’un côté sur un processus de Encyclopédie graphique. Lorsque Neurath était standardisation – pensons aux fiches 3 x 5 inch en train de développer son encyclopédie qui ou au système de classification décimale univer- devait réunir les sciences du monde, il pensait selle des savoirs – et de l’autre sur les moyens faci- également à un atlas visuel comparable à l’Orbis litant les connexions et les mises en relation. La Pictus de Comenius qui offrait une représenta- machine qu’il envisageait, devait permettre une tion graphique standardisée de concepts et d’ob- manipulation mécanisée de toutes les données jets utilisés dans l’éducation, la médecine et l’in- afin de générer de nouvelles combinaisons de faits géniérie. En développant l’Isotype, un langage et des liens innovants entre idées. Autrement dit, symbolique, il voulait rendre lisible son encyclo- le processus de standardisation et de mécanisation pédie pour tout le monde. Ces visualisations du devait engendrer de nouvelles formes de savoir. savoir consacraient directement des problèmes Au sein de sa réflexion, Neurath aussi se bat avec de société. Dans le domaine de l’urbanisme et de le dualisme existant entre le systémique et l’ency- la planification, par exemple, Otto Neurath fut clopédique, en disant qu’il n’y a pas de sens à vou- sollicité par les Ciam (Congrès internationaux loir parler d’une encyclopédie complète servant d’architecture moderne), afin de développer ses comme une référence standard, que la science idées sur les nouvelles techniques pour visualiser progresse au contraire d’une encyclopédie à une les problèmes urbains et les données statistiques. autre et que c’est cela que l’on appelle l’« encyclo- La manière par laquelle celles-ci recoupaient les pédisme ». données spatiales de la cartographie, antici- Le concept de standardisation est probable- paient les GIS (Geographical Information ment le plus développé dans l’œuvre d’Ostwald Systems) actuels. Mis à part les cartes et les atlas, (et Goldberg) et de Donker Duyvis. Ostwald à les diagrammes prenaient de plus en plus d’im- la fois proposait des formats de standardisation portance en tant que raccourci visuel du savoir. pour toutes les tailles de papier et publications, Pieter Uyttenhove et Volker Welter ont discuté notamment le format A4, et préconisait l’orga- chacun l’emploi de diagrammes par Geddes et nicisme de la science. Comme Otlet, il voulait par beaucoup d’autres protagonistes de l’histoire résoudre ce paradoxe en déconstruisant le savoir de l’urbanisme. scientifique en plusieurs parties qui pouvaient ensuite être rassemblées en combinaison et en Standardisation – évolution émergeante rapport avec les transformations qui se présente- raient dans le temps et selon certains domaines L’ordinateur possède la qualité de pouvoir cal- épistémologiques. Duyvis fonda le Bureau néer- culer des solutions optimales et de rationaliser des landais de l’Association internationale de stan- processus par le biais de la standardisation. Il per- dardisation (ISA) et jouait un rôle important met aussi de faire apparaître et de visualiser des dans plusieurs comités techniques de l’ISO.

19 Il y a des liens très forts entre la standardisation Le symposium2 et les formes du savoir. Des objets intelligents ont conscience de ce qu’ils sont et savent comment se Boyd Rayward (Université de l’Illinois, présenter dans divers environnements en se ser- Urbana Champaign) vant des standards comme l’ISO. Ils sont capables de déterminer leurs degrés de « manu- Dans sa contribution « Life and work of Paul facturabilité » afin de refléter la facilité (ou la dif- Otlet. Visions and reality », Boyd Rayward éva- ficulté) avec laquelle pourra se développer une luait l’apport visionnaire de Paul Otlet par rap- forme qui devra ensuite mener à une standardi- port aux réalités de l’époque. Soutenant qu’au sation ultérieure. En outre, la vision d’Otlet et tournant du XXe siècle, il occupait une place un Ostwald sur une architecture du savoir adaptable peu à part dans la vie intellectuelle internationa- aux changements spatio-temporels, affectait cette le, Rayward commençait par constater qu’Otlet, même architecture : l’immeuble pyramidal du avec son collègue Henri La Fontaine, n’en était Mundaneum d’Otlet qui pouvait être visité par pas moins une figure importante dans la vie l’usager, devenait plus tard un centre d’informa- sociale et culturelle à Bruxelles, sa ville natale, tion radiophonique monumental qui émettait ainsi que dans un champ international en plein jusqu’à la maison même chez l’usager. La même développement, habité par des organisations et transition se présente aussi dans le domaine de des associations internationales, qu’ils ont aidé à l’architecture virtuelle. Des architectes comme formaliser et structurer à partir de 1910. Dans Greg Lynn, Kas Oosterhuys et Lars Spuybroek les années 20 et 30, une période flottante mar- n’ont aucunement une conception de la forme quée par des crises économiques et politiques de leurs bâtiments qui irait de haut en bas à par- menant tout droit à la seconde guerre mondiale, tir de l’apport de données, au contraire, leur les travaux d’Otlet furent rejetés aussi bien chez architecture se conçoit de bas en haut, informée lui qu’ailleurs parce qu’ils paraissaient trop par les usagers. Bâtiment et usager sont ici consi- décrochés des urgences de l’époque. À Bruxelles, dérés comme des émetteurs et des récepteurs on se moquait de ses idées comme étant gran- d’information qui donnent continuellement dioses et utopiques, ce qui ne fut pas sans fon- forme à l’architecture. Architecture et savoir sont dement réel. À Genève et Paris, Otlet, avec La ainsi reliés entre eux. Fontaine, s’était investi dans la création de la « La caractéristique du livre d’être une “architec- Ligue des Nations et son Institut international ture d’idées”, de données intellectuelles, conduit à pour la coopération intellectuelle, mais occupées prendre en considération l’énorme révolution par des questions auxquelles ses projets n’appor- accomplie de nos jours par l’architecture elle- taient rien sinon de l’embarrassement, ces insti- même », constata Otlet en 1934. Dû aux dévelop- tutions ne lui accordaient aucune aide. pements technologiques, l’architecture, le savoir et Lorsqu’il meurt en 1944 à l’âge de 76 ans, un la relation entre les deux, ont changé très rapide- groupe de disciples, Les Amis du Palais Mondial, ment. Le glissement vers des mondes virtuels a va continuer la mémoire d’Otlet en publiant un affecté profondément la façon de concevoir et de grand ensemble d’ouvrages plutôt répétitifs, et en représenter notre connaissance du monde, et donc conservant les archives, ou ce qui en restait, des de notre société. Il est important de savoir com- organisations qu’en espace d’un demi-siècle, il ment et pourquoi les choses sont devenues ce avait fondées avec La Fontaine, lui-même mort à qu’elles prétendent être. Nous suggérons que l’âge de 89 ans, un an avant Otlet. quelque chose d’important pour notre temps a été Rayward faisait remarquer aussi que, pendant exploré par un groupe de chercheurs et de scienti- la période de l’après-guerre, les idées d’Otlet fiques pendant la première partie du XXe siècle. avaient été perdues de vue, alors que son patri- Notre défi est de déterminer nature, dimensions et moine fut négligé en Belgique et subissait plu- conséquences de leur œuvre en faveur de l’organi- sieurs déménagements nuisibles à son intégrité. sation du savoir et l’architecture de l’Internet. Lors Actuellement, la distance que nous avons prise des journées d’étude au Mundaneum, la plupart dans le temps nous permet de réévaluer l’ordre de ces thèmes ont été abordés. et l’importance de l’action d’Otlet. Les résidus

20 des organisations qui ont donné forme à ses tion sur « Nigel Henderson. Parallel of Life and visions utopiques sur la vie internationale et la Art » qui eut lieu en 2001-2002, à savoir si structuration du savoir, et à l’instauration des- « derrière tout ceci ne se situerait pas un écho de quelles Otlet s’est donné corps et âme, comme l’œuvre de Patrick Geddes ». L’écran proverbial l’Union des associations internationales, la derrière lequel Smithson croyait apercevoir l’ur- Classification décimale universelle et, du moins baniste et sociologue écossais Patrick Geddes jusqu’à une époque récente, la Fédération inter- (1854-1932), correspondait à la « grille » expo- nationale de documentation – l’organisation qui sée pendant le Ciam 9 à Aix-en-Provence en succéda à l’Institut international de bibliogra- 1953. Ces tableaux matriciels rassemblaient sous phie –, ne peuvent pas être considérés comme le des épithètes identiques (telles que rue, ville, noyau de son succès alors qu’ils continuent de etc.) des photographies et des dessins architectu- fleurir. Par contre, l’intérêt d’Otlet est situé, raux montrant, en tant que cadre social et archi- selon Rayward, dans notre prise de conscience tectural de la vie de l’individu, des situations du qu’il fut une figure visonnaire dont la pensée à la vécu quotidien mélangées à des images de vie en fois sur la mondialisation et sur la représentation communauté. Ainsi, par exemple, le délégué et l’organisation du savoir et l’utilisation d’une franco-marocain Michel Écochard affichait des nouvelle « technologie informatique » préfigu- illustrations de la vie dans les maisons à cour rent le monde digitalisé et réseautique d’aujour- marocaines et les accompagnait de photogra- d’hui. En outre, et encore plus fondamentale- phies appropriées ainsi que de projets pour des ment, il est probable que l’importance d’Otlet se versions contemporaines de ce type de maison. trouve dans la façon dont Otlet et les siens se Cependant, dans leur grille à eux, les Smithson soient intégrés au modernisme euopéen de la fin opposaient des projets pour des communautés du XIXe et du début du XXe siècles. Un des urbaines à Bethnal Green aux photographies de aspects majeurs de ce mouvement fut le fait que la vie dans cette partie de Londres, prises par Bruxelles était déjà, pendant cette période, sur la Nigel Henderson. À l’origine, les documents de voie de devenir un important centre pour ce dernier faisaient partie d’une observation l’internationalisme dont Otlet et La Fontaine sociologique que Judith Henderson, l’épouse de furent parmi les protagonistes. Nigel, avait menée à Bethnal Green dans les Rayward se félicitait que la Belgique a finale- années 40. Welter faisait valoir que Smithson ment pris sa responsabilité par rapport à la détectait un ‘glissement vers le spécifique’, en conservation d’une importante partie du patri- particulier dans l’œuvre des Henderson, et qu’il moine intellectuel national, en créant le musée prétendait que, grâce à ce travail, « la sociologie et les archives du Mundaneum à Mons dont la avait commencé à quitter la forêt pour la rue ». conception de François Schuiten et Benoît Ceci dit, telle qu’elle se montrait dans les photos Peeters frappe par sa grande sensibilité. En fai- de Henderson et qu’elle soustendait la grille des sant ainsi, elle rendra accessible ces mêmes Smithson, la sociologie n’avait en fait jamais sources, pour des recherches fondamentales non quitté les rues (ni été développée dans la forêt). seulement sur l’œuvre d’Otlet et La Fontaine, Au contraire, comme le faisait remarquer mais également sur les courants de pensée qui les Welter, c’était dans les rues de l’Édinbourgh du ont propulsés dans le futur. XIXe siècle que l’observation de la vie urbaine comme base de l’intervention architecturale Volker Welter (Département d’histoire de future avait débuté lorsque Geddes guettait la l’art et d’achitecture, Université de réalité urbaine au moyen d’une caméra, Californie) recueillait des scènes et des situations urbaines, et analysait les résultats à l’aide d’une grille, la Au début de sa contribution sur « People and « Notation of life ». things, grids and cities : Diagrammatic Dans son exposé, Welter développait deux approaches to urban realities c. 1900-1950 », pistes de réflexion en affirmant que des phases Volker Welter reprenait la question que Peter successives de l’approche visuelle et sociologique Smithson s’est posée dans la préface à l’exposi- de la réalité urbaine se développait au sein du

21 débat sur la ville moderne. C’est là où, à part mentionnés ci-dessus. Cependant, pendant cette Geddes et les Smithson, Jacqueline Tyrwhitt période, le nombre d’innovations radicales dans (1905-1983) entre en scène. Dans un essai de l’organisation et la technologie du savoir fut 1951 elle fait explicitement le lien entre la grille marginal en dehors et même au sein des mouve- de Geddes et la grille Ciam, c’est-à-dire entre ments socialistes. cette dernière, la théorie de l’observation geddé- L’exposé de Karl Müller sur « Neurath’s sienne, et l’étude sociologique et photogra- “Encyclopedia of United Science”, “Isotype”, phique de Bethnal Green par Henderson. the fight against bourgeois Metaphysics – and Ensuite, Welter développait une réflexion sur les the missing Internet » tentait pourtant de vertus de la grille en tant qu’outil analytique afin contredire cette tendance par un exemple de comprendre les villes et leurs réalités. La mise contradictoire. Son intervention se tenait le plus en place d’images de situations sociales et archi- près possible des textes originaux d’Otto tecturales particulières à l’intérieur des coordon- Neurath (1889-1945) qui, avec Rudolf Carnap, nées rigides d’un tableau standardisé semble sug- Charles Morris, Philipp Frank et beaucoup gérer une perte de spécifité en faveur d’une com- d’autres, était en train de développer et d’expli- parabilité plus générale. Si l’on considère la grille quer la vision pour un nouveau type comme une version de la notion heideggerienne d’« Encyclopedia of Unified Science ». L’aspect du Ge-Stell (c’est-à-dire l’idée de l’encadre- contradictoire de l’exposé de Müller s’exprimait ment), la question se pose, selon Welter, de par la référence permanente à l’Internet actuel et savoir si l’architecture pourra jamais « glisser vers sa potentialité d’offrir des solutions rapides et le spécifique » ou si son engagement primaire bon-marché en vue d’une architecture épistémo- dans l’ordre (tectonique, esthétique, ou autre) logique d’une « Unified Science ». nécessitera toujours de mettre en avant le géné- Müller tentait ainsi de combiner des éléments ral et l’universel. Or, à la lumière de la réflexion constitutifs essentiels des stratégies encyclopé- de Walter Benjamin sur la collection et ses effets diques de Neurath, y compris son langage picto- sur les objets collectionnés, une autre question graphique Isotype, avec des designs et des tech- se pose en envisageant la grille comme une col- nologies actuels de la Toile. lection d’images urbaines : la grille peut-elle jamais être considérée comme la représentation Charles van den Heuvel (Maastricht d’une « image du monde » universelle tel que McLuhan Institute, Université de semble le suggérer Tyrwhitt. Maastricht)

Karl Müller (Wisdom-Research, La raison pour laquelle Charles van den Vienne, Autriche) Heuvel s’intéresse à la figure de Paul Otlet ne provient pas de l’importance de ses activités Il appartient aux paradoxes du XXe siècle que la bibliographiques ni de ses idées en rapport avec première moitié du siècle a vu apparaître un l’architecture ou l’urbanisme mais de la relation grand nombre d’inventions radicales dans le entre les deux. Telle est aussi la raison pour domaine de l’organisation et du développement laquelle il a monté le présent projet de recherche des outils pour la représentation du savoir dans sur l’architecture du savoir. Là où l’étude d’Otlet le contexte des mouvements socialistes euro- et son œuvre concernant l’organisation du savoir péens, alors que les infrastructures des technolo- et ses implications pour l’architecture s’est faite gies de l’information et de la communication principalement à partir de ses publications, Van s’étaient encore développées que très faiblement, den Heuvel a voulu faire valoir dans sa contri- et restaient à l’intérieur des canaux traditionnels, bution sous le titre « Otlet’s sketches – Historical surtout en ce qui concerne l’accessibilité à l’in- interfaces for knowledge organisation and visua- formation, son rayon d’action et sa diffusion. lisation on a global level » qu’il existe au Par contre, pendant la deuxième moitié du XXe Mundaneum un fond de croquis non publiés siècle, la percée du monde de l’ICT fut specta- d’Otlet qui pourrait apporter de nouveaux éclai- culaire, spécialement dans les trois domaines rages. À travers ces croquis Otlet semble avoir

22 conçu ses idées sur l’organisation du savoir, sur diffusion du savoir qui avait lieu à un niveau sa visualisation et sur son incorporation dans les plus global parmi des gens comme Patrick bâtiments et les villes. D’autres montrent ses Geddes, Otto Neurath, Wilhelm Ostwald, Frits visions d’expositions de villes, comme Bruxelles, Donker Duyvis et des institutions comme le par exemple, et les villages situés dans son agglo- Mundaneum, l’Outlook Tower et l’Index mération non pas en tant qu’objets matériels Museum, l’Institute for Visual Education et mais en tant qu’infrastructures et activités éco- l’Isotype Institute, Die Brücke et l’ISO. Charles nomiques, sociales et culturelles statistiquement Van den Heuvel faisait remarquer que, mis à fondées. Ces croquis coïncident avec des classifi- part ceux déjà présents au symposium, plusieurs cations de la vie et des activités urbaines, visua- chercheurs comme Gresleri, Mattelart et lisées à leur tour dans d’autres croquis. Van den Alessandra Ponte, tentent actuellement de plus Heuvel expliquait également que Paul Otlet se en plus de comparer et de décrire des liens éven- servait de métaphores architecturales afin de tuels entre ces protagonistes. Comme la plupart visualiser ses idées sur l’organisation du savoir. de ces protagonistes partageaient un grand inté- Ces croquis nous permettraient donc de com- rêt dans l’architecture et la visualisation du prendre sa vision de l’architecture du savoir, savoir, l’analyse des croquis d’Otlet pourrait ainsi que les processus qui soustendent l’organi- illustrer le lien entre les deux et instruire un sation, la visualisation et le rôle de l’architectu- débat encore plus large. re. Van den Heuvel observait aussi que plusieurs Van den Heuvel exprimait également sa croquis semblent être des croquis d’une archi- conviction que la recherche scientifique sur l’ar- tecture en construction plutôt que des plans chitecture du savoir et sur les antécédents euro- d’une quelconque matérialisation du savoir dans péens de l’Internet devait aller en parallèle avec un objet architectural. En outre, ces croquis la classification et la documentation des sources montrent plusieurs facettes du personnage archivistiques du Mundaneum et d’autres insti- d’Otlet. Là où ses diagrammes soulignent son tutions comparables en Europe. Ceci exige des approche plutôt de haut en bas, rigide, très cen- recherches au sein de ces institutions. Il expri- tralisatrice et sans compromis, les croquis mon- mait ainsi également son intention de commen- trent en général un Otlet plus incertain et à la cer un « catalogue raisonné » des croquis d’Otlet recherche de quelque chose. Ceci devient parti- au Mundaneum, considérés comme fondamen- culièrement clair dans les croquis qu’il appelle taux, notamment de ses « substituts du livre » et ses « schèmes et tableaux fondamentaux ». évidemment de ses « schèmes et tableaux fonda- Enfin, ces croquis seraient selon Van den mentaux ». Heuvel intéressants non pas seulement afin de reconstruire les processus qui ont mené à son Thomas Hapke (Université technique de architecture du savoir mais aussi pour l’histoire Hambourg-Harburg) ultérieure de l’architecture du savoir. Boyd Rayward et autres ont souligné déjà l’importan- Wilhelm Ostwald (1853-1932) peut être ce de l’œuvre d’Otlet comme antécédent de l’ère considéré comme un des membres du mouve- informatique. Généralement cette importance ment bibliographique et comme un des précur- est établie en faisant référence à la publication de seurs énergiques en faveur de l’amélioration de la son Traité de documentation en 1934. Plusieurs documentation scientifique et de la communica- des croquis de 1943 qui se trouvent au tion à travers le monde. Dans son exposé intitu- Mundaneum, visualisent non seulement les lé « Order, “Classics”, popularization, and media idées avancées dans cet ouvrage mais illustrent – Wilhelm Ostwald as an organizer and commu- aussi le développement ultérieur de sa réflexion nicator of knowledge », Thomas Hapke tentait sur « les substituts du livre » et les interfaces des d’offrir un aperçu de la pensée d’Ostwald et de années immédiatement avant sa mort en 1944. donner des exemples illustrant les éventuelles Les idées et activités de Paul Otlet n’étaient connexions avec Geddes, Neurath et Otlet. pas isolées mais faisaient partie d’un débat plus L’ouvrage d’Ostwald sur la littérature chi- large en Europe au sujet de l’organisation et la mique est mentionné dans l’International ency-

23 clopedia of information and library science beaucoup plus que la science énergétique, était (1997) comme un exemple précoce d’un essai au fondement de sa « pyramide de la science » et sur la science de l’information. Hapke expliquait de sa philosophie de la nature. Ostwald appli- que la contribution la plus importante quait ses idées sur l’ordre aux langages, aux for- d’Ostwald à l’organisation du « travail intellec- mats de papier, aux sciences, aux couleurs et aux tuel » concerne trois concepts. Il y a d’abord son formes. Sa théorie de l’ordre appliqué au classe- concept philosophique de l’ordre et sa prise de ment des sciences concernait une petite partie de conscience de l’urgence de la standardisation la tradition existant dans l’organisation du savoir qu’il a exprimés en particulier à travers ses idées du point de vue du bibliothécaire ou du scienti- sur les formats de papier ainsi que dans ses acti- fique de l’information. vités en vue de la mise au point d’une langue Ostwald proposait des formats standards pour synthétique auxiliaire comme moyen de com- toutes les publications. Parmi les avantages mis munication internationale. Ostwald proposait en avant pour la standardisation des formats de également de compartimenter le savoir par le papier, on trouve entre autres l’économie d’espa- découpage des périodiques et le classement par ce sur les bureaux et dans les rayonnages des sujet, une idée qui apparemment faisait partie de bibliothèques, ainsi que la standardisation qui l’esprit du Zeitgeist avant la première guerre en résulte des machines d’imprimerie, la réduc- mondiale. Cette idée s’est prolongée dans les tion des prix des publications et la facilité de structures hypertexte qu’ont adoptées les pério- compiler ses publications personnelles. Plus diques électroniques actuels. Finalement, tard, le « format mondial » (Weltformat) Ostwald envisageait l’exigence de vulgariser la d’Oswald fut adopté avec très peu d’altérations à connaissance scientifique afin de communiquer travers la proposition d’un standard allemand et la science à un public plus large. international faite par Porstmann (les formats Hapke rappelait que Wilhelm Ostwald fut A4, etc.). Un autre thème important pour la l’un des fondateurs de la chimie physique à la fin communication scientifique était l’action du XIXe siècle. S’appuyant sur la thermodyna- d’Ostwald en faveur du développement d’un mique et le positivisme, il développait la science langage artificiel et auxiliaire. énergétique qu’il transformait en une philoso- Dans son exposé, Hapke abordait également phie de la nature (Naturphilosophie). « Ne gas- la proposition d’Ostwald de découper le savoir. pillez pas l’énergie , mais convertissez-la en une Ostwald résumait dans son livre sur la littératu- forme plus utile », fut son soi-disant « impératif re chimique plusieurs des intentions de Die énergétique » et formait la base de ses efforts Brücke et prévoyait des formats de publication ultérieurs pour organiser la recherche scienti- nouveaux. Un périodique devrait se diviser en fique. Selon Hapke, il démissionna de sa chaire papiers séparés car les scientifiques n’aiment pas à Leipzig en 1906 afin de vouer plus de temps à en lire la totalité. Ostwald avait utilisé le princi- la philosophie et au monisme ainsi qu’à l’orga- pe de « l’usage indépendant de la pièce indivi- nisation internationale du travail scientifique et duelle » (ou Monographieprinzip) depuis la au développement de sa théorie des couleurs. En publication de son Klassiker der exakten 1909, il obtint le Prix Nobel de Chimie. Wissenschaften en 1889, dans lequel il avait reé- Après 1906, la quête d’harmonie et d’unité et dité des travaux scientifiques originaux en vue l’impératif énergétique étaient les principes de leur accessiblité facile sous forme de plusieurs sousjacents de l’œuvre d’Ostwald. ceci est aussi volumes séparés. Dans son autobiographie il valable pour ses efforts en matière de communi- réaffirmait que la publication des Klassiker avait cation entre chercheurs. Pour Ostwald, harmo- été « le germe de ses idées bien ultérieures sur niser était la même chose qu’ordonner et organi- l’organisation technique de la science ». Il vou- ser. Hapke précisait que, pour Ostwald, le lait équilibrer la quantité croissante des journaux concept d’ordonner signifiait aussi de concep- à lire par une sélection de papiers qui garde- tualiser, c’est-à-dire d’abstraire afin d’ordonner raient leur intérêt. la matière de nos organes sensitifs. Une théorie Avec son manuel utopique du futur, Ostwald de l’ordre (Ordnungswissenschaften, Mathetik), tentait de rester « entièrement actuel éternelle-

24 ment ». C’était le prédécesseur des collections à fichier étaient des machines intellectuelles pour feuilles mobiles, réalisées actuellement par l’édi- lui. Un livre se présentait à ses yeux comme un tion électronique. La nécessité de ranger les par- « transformateur d’énergie pour la création de ties séparées ou monographiques ramenait de qualités intellectuelles ». nouveau au problème de classement. Hapke Hapke terminait son exposé en faisant montrait clairement que la possibilité d’offrir à quelques nouveaux rapprochements. Des mou- chaque être humain un livre à lui-même en vements qui sont apparus simultanément combinant les monographies auxquelles il s’inté- comme le taylorisme et le positivisme (en parti- resse, constituait en quelque sorte une des pre- culier en proximité avec l’empirisme logique), mières formes d’information personnalisée. l’encyclopédisme et l’internationalisme ainsi que Selon Rayward, « il est possible qu’Otlet s’est les arts et métiers etc., formaient les fondements servi du terme depuis qu’il s’était investi dans des liens entre Ostwald et ses contemporains et Die Brücke ». Ainsi pourrait-on dire, gardant à successeurs dans le mouvement bibliographique, l’esprit les origines de Die Brücke avec comme Paul Otlet. Non moins intéressant est la l’Internationale Monogesellschaft, que l’une des participation à Die Brücke de plusieurs importants principes de ce qu’a apporté Otlet à membres du Werkbund allemand, comme la science de l’information, provenait, au moins Georg Kerschensteiner, Peter Behrens et dans sa terminologie, de la publicité. Hermann Muthesius. La tentation de lier arts et Pour Ostwald la création d’institutions biblio- métiers et design industriel qui était aussi le but graphiques comme Die Brücke, l’Institute for du Werkbund, avait aussi ses effets sur la publi- the Organization of Intellectual Work, et cité. La vision de Neurath sur la science, son l’International Institute of Chemistry qui était image d’un bateau, était très similaire à ce que planifié, signifiaient des moyens importants préconisait Ostwald qui voyait la science comme pour atteindre ses buts. Le terme de « cerveau du un pont « qui subit continuellement des répara- monde » (Gehirn der Welt) employé par tions sans jamais être parfait ». Dans son essai Ostwald pour la nouvelle organisation de Die sur les systèmes pictographiques et la langue Brücke, fut déjà utilisé par La Fontaine et par mondiale, il semblait établir un chaînon dans la Friedrich Naumann, ainsi que par H.G. Wells. chaîne qui va d’Étienne-Jules Marey à Otto Hapke rappelait aussi que Rayward a montré Neurath. Le mouvement De Stijl aux Pays-Bas comment le concept de Wells d’un cerveau avec Piet Mondrian s’intéressait à la théorie des mondial et d’une encyclopédie mondiale conte- couleurs avec laquelle Ostwald tentait de nait pas mal de pensée totalitaire. Ostwald était construire un système de perception utilisant conscient de la proximité entre son concept de des méthodes non-empiriques ». cerveau mondial et le principe dictatorial lors- Hapke concluait en qualifiant Ostwald de pré- qu’il écrivait : « Finalement toute la cause de la curseur de beaucoup de thèmes modernes en science devra être réglée par des moyens organi- matière de mondialisation et d’internationalisa- sationnels et non pas dictatoriaux ». tion. Lorsqu’il écrit que « le savoir est un moyen L’organisation machinale du travail intellec- de vivre dans le sens le plus élevé du terme... », tuel était un point de discussion dans la famille il doit être considéré comme un précurseur de la d’Ostwald. Il publiait un mémoire sur « l’inven- gestion du savoir. D’après Sachsse, Die Brücke tion systématique ». Entre les deux parties de ce serait « le discours qui précède l’Internet ». Son mémoire d’Ostwald, se trouvent deux autres intention d’organiser les processus les plus papiers, le premier portant sur les machines simples et élémentaires du travail intellectuel se Hollerith, le second intitulé Rundschau, étant présenterait comme la « standardisation des un essai par son fils Walter Ostwald sur les structures de base du langage comme la fonda- machines à penser (Denkmaschinen). Ostwald tion ou protocole de transfert d’un échange developpait une théorie sur les moyens de com- non-hiérarchique, interdisciplinaire et chaotique munication, les soi-disant Verkehrsmittel, afin de particules et de références du savoir ». Même d’aider la mémoire et le travail intellectuel en les dans le catalogue l’exposition de l’Exposition organisant. Même un cahier de notes ou un 2000 à Hannovre, Ostwald est mentionné dans

25 la section « savoir, information, communica- à la cité qui contient d’elle-même la figure de tion » comme le précurseur de la mise en réseau quelque chose de plus global ? interactive et encyclopédique. Afin de répondre à ces question générales, l’ex- posé de Uyttenhove regardait de plus près le Pieter Uyttenhove (Département type de diagramme urbain le plus signifiant, d’architecture et d’urbanisme, Université de notamment celui de forme radioconcentrique. Il Gand) y a deux figures fondamentales qui déterminent ces diagrammes : le cercle (qui fait référence à la Dans son exposé « Urban diagrams and global centralité, à l’unité), et l’arbre (qui signifie la knowledge. The centre and the circle, the tree hiérarchie, la structure pyramidale). Les deux and the grid », Pieter Uyttenhove abordait le figures sont profondément enracinées dans l’his- thème spécifique des diagrammes urbains et leur toire depuis le Moyen Age lorsqu’elles ont com- rapport avec l’organisation du savoir. Les dia- mencé à donner sens aux diagrammes. Plusieurs grammes urbains représentent une forme de façons de voir semblent expliquer leur architec- savoir particulière sur lequel peu a été publié. Sa ture et leur sens. Leur forme d’abord, car depuis contribution voulait tracer quelques pistes de la Renaissance la forme urbaine coïncidait de recherches possibles pour étudier la relation moins en moins avec la topographie mais ne entre le phénomène du diagramme, sa représen- pouvait s’en passer entièrement. La forme du tation iconographique et son architecture épisté- diagramme devrait donc être analyse ayant à mologique. Il n’est probablement pas une coïn- l’esprit l’information topographique sinon topo- cidence si la « cité », prise dans son sens le plus logique qu’il contient. Du point de vue symbo- large de communauté, de société politiquement lique, les diagrammes font évidemment référen- organisée, constitue l’un des objets les plus ce à la forme urbaine mais aussi au social, au emblématiques représentés par les diagrammes. politique et à l’organique ainsi qu’à leur organi- Au XIXe siècle, cet objet diagrammatique s’est sation et leur unité en tant que « polis » et en transformé progressivement en une représenta- tant que territoire. Finalement, les diagrammes tion de la ville comme un environnement phy- constituent aussi des instruments mnémoniques sique construit par l’homme. Ce sont ces en vue de la composition et de l’aménagement images-là que Uyttenhove appelle des dia- des villes. Ils transfèrent, depuis des temps très grammes urbains. Le diagramme introduisait reculés, un savoir dense et élevé comme une ainsi non seulement des questions sur l’organi- croyance dans la cité. Dans ce contexte, comme sation graphique du savoir mais aussi sur la le faisait remarquer Uyttenhove, le diagramme façon dont ce savoir devait être appréhendé et parfois agit comme une image de publicité de la sur son statut même. Selon Uyttenhove, plu- modernité pour le dessin des villes et la consti- sieurs problèmes sont alors à considérer. tution d’une discipline urbanistique, derrière Il faudrait d’abord bien éclairer ce que c’est laquelle se perd souvent la signification histo- qu’un diagramme. Tout savoir nécessite un sup- rique et symbolique sousjacente. port matériel (un livre, des cerveaux, un ordina- teur, un langage, etc.) afin d’exister, d’être enre- Enrico Chapel (École d’architecture de gistré et communiqué. Dans chaque diagramme Paris-La Villette) un savoir synthétique et très densifié réunit en un tout plusieurs parties d’un savoir plus com- En s’appuyant sur ses travaux consacrés à la mun. Ce « tout » que nous appelons un dia- question de l’écriture du projet urbain au tour- gramme, a besoin du support d’un savoir moins nant du XXe siècle, Enrico Chapel interrogeait élevé s’il veut créer et signifier quelque chose dans sa contribution intitulée « La méthode gra- d’un ordre plus élevé. Si un diagramme com- phique comme langage mondial – Éducation ou porte ainsi un « seuil » ou un « saut » dans l’or- propagande par le visuel ? », les articulations de ganisation du savoir, il faudrait aussi examiner cette question avec les entreprises de structura- d’où peut venir cet ordre élevé : est-ce le dia- tion et de visualisation du savoir mondial qui gramme lui-même qui le crée, ou est-il inhérent faisaient l’objet du colloque. L’analyse de la ten-

26 tative d’application de la statistique pictoriale visualisation du savoir : celui de Patrick Geddes (Bildstatistik ou Pictorial Statistics) d’Otto et celui de Paul Otlet. Neurath au domaine de l’urbanisme ont permis La thèse de doctorat de Chabard porte sur à Chapel de questionner la place que tenait la l’écossais Patrick Geddes, penseur polymorphe, pensée statistique (Statistical Thinking), non concerné aussi bien par la biologie, la botanique, seulement dans la structuration de ce domaine l’économie, la géographie humaine, la sociolo- disciplinaire, mais encore dans le projet d’unifi- gie, les sciences de l’éducation, que par le town- cation et de diffusion du savoir mondial de ce planning. Elle part du constat que l’historiogra- savant (Encyclopedia, Museums of the Future, phie de Geddes, dominée par les historiens de etc.). Chapel discutait ensuite la conception de l’urbanisme, ne s’est que très récemment pen- la méthode graphique comme langue neutre chée sur certains aspects de sa pensée, et notam- (Neutral Language) au sein de ce projet. ment n’a pas suffisamment analysé le vaste pro- Selon Neurath, le langage visuel (international jet épistémologique d’unification des sciences et standardisé) possède une certaine neutralité, qu’il a mené tout au long de sa vie. Ce projet qui le rend plus apte que le langage verbal à la qui, d’après Chabard, semble dépasser le strict représentation objective des faits (Factual cadre de l’histoire de l’urbanisme et qui servait, Knowledge). Mais son langage d’images et sym- chez Geddes, un véritable projet de civilisation, boles, comme toute autre forme de représenta- s’est manifesté de manière privilégiée, non pas tion, était né de pratiques, de conflits et de pro- dans ses livres, mais dans les multiples dispositifs jets. Il était imprégné des enjeux et des perspec- d’exposition qu’il a pu élaborer. tives d’action de son auteur (démocratisation du Le terrain principal étudié par Chabard est la savoir, éducation visuelle...). La représentation Cities and Town Planning Exhibition de qu’il donnait des faits était fortement condition- Geddes, dont le germe fut sa contribution à la née par ces éléments et pouvait produire, par Town Planning Conference de Londres en ailleurs, des effets très différents selon les acteurs 1910, et qu’il montrait pour la dernière fois à – en particulier chez les architectes et les urba- Jérusalem en 1919. Considérant cette exposi- nistes – qui l’utilisaient et cherchaient à l’instru- tion comme une véritable construction théo- mentaliser à d’autres fins. rique, Chabard l’analysait en la mettant en série Après avoir précisé le caractère orienté du sys- dans trois contextes différents. Tout d’abord le tème de Neurath et certains de ses effets, Chapel contexte des Expositions universelles (notam- posait quelques questions sur l’idée de la métho- ment celle de Paris en 1900), dont il faisait l’hy- de graphique comme langage universel. Les pothèse qu’elles constituaient une origine divers protagonistes de la mondialisation du conceptuelle majeure de l’exposition de savoir n’approchaient probablement pas la Geddes ; ensuite le contexte de l’œuvre même de méthode graphique de la même manière. Geddes, et de tous les autres dispositifs d’expo- L’analyse du rôle que chacun d’entre eux attri- sition du savoir qu’il a pu élaborer (Thinking buait à cette méthode pourrait ainsi contribuer à Machines, Surveys, City Pageants, jardins péda- décliner les visions du monde qui sous-tendaient gogiques, Outlook Towers, etc.), qui entrete- leurs projets. naient entre eux de nombreux rapports d’homo- logie ; enfin le contexte de l’urbanisme (dont Pierre Chabard (Université de Paris VIII) Geddes est souvent présenté comme un des pré- curseurs), et des autres expositions d’urbanisme La contribution sur « L’exposition comme qui lui étaient contemporaines. architecture du savoir » de Pierre Chabard a Dans le cadre de sa thèse, Chabard s’est égale- consisté à porter un regard comparatif sur deux ment intéressé à Paul Otlet, qui a collaboré en visions de l’organisation du savoir humain, deux diverses occasions avec Geddes ; en particulier projets contemporains et parfois entremêlés de lorsque sa Cities and Town Planning Exhibition mise en ordre de la connaissance universelle, fut montrée à l’Exposition Universelle de Gand projets qui se sont manifestés dans les deux cas en 1913, accompagnant le premier Congrès de par des dispositifs spatiaux d’exposition et de l’Union Internationale des Villes. Les deux

27 hommes ont été souvent rapprochés par les his- die implique d’historiciser les formes d’organisa- toriens : deux savants généralistes égarés dans le tion de la connaissance, de rechercher les diffé- siècle de la spécialisation scientifique, deux paci- rences et les variations davantage que l’identité fistes convaincus à l’heure des grands conflits et les permanences ». mondiaux, deux esprits classificateurs et ency- Au-delà de la comparaison entre Geddes et clopédistes dans un monde en croissante frag- Otlet, le fond de l’interrogation de Chabard mentation. Dans un article intitulé « Le macchi- portait sur les méthodes, sur les catégories ne pensanti : Dall’Outlook Tower alla Città conceptuelles possibles pour analyser, en tant Mondiale », Alessandra Ponte les relie tous les que telle, l’architecture du savoir ; comment deux à la tradition encyclopédiste : « Geddes est classifier ces classifications, comment regarder sans doute » dit-elle, « le dernier descendant des ces regards sur le savoir ? utopiens de la classification, de Sade, Fourier et Le projet de l’étudiant en architecture Jeroen Bentham, …à Paul Otlet ». Verdonschot « Le Mundaneum, a monument Cependant, même si Chabard partageait pour for Paul Otlet », présenté lors de ces journées une part l’affirmation d’Alessandra Ponte, il d’étude, fut discuté en détail et apprécié pour voulait quant à lui s’interroger, moins sur ce qui son imagination. Le symposium se terminait par les liait, que sur ce qui distinguait leur deux le visionnage du film « L’homme qui voulait visions du savoir, leurs deux manières de l’orga- classer le monde » de Françoise Levie (Sofidoc niser et de l’exposer. Il suivait en cela le conseil Film production) et la visite des collections du méthodologique de Christian Jacob : « écrire Mundaneum. Un deuxième symposium est l’histoire de l’encyclopédisme et de l’encyclopé- prévu pour cette année.

28 Ordo ab chaos Classer est la plus haute opération de l’esprit par Jean-François Füeg*

aul Otlet est un homme du XIXème siècle. Il Classification de Dewey (DC). Plus tard, Otlet a fréquenté le collège Saint Michel à sera un des inventeurs de la microfiche et du P Bruxelles et y a reçu une éducation humanis- livre microphotographique. te, baignée par l’héritage des Anciens. Pour lui, Le RBU doit par nature embrasser toutes les le monde procède d’un Ordre et tout son effort facettes du savoir humain. Outil principal de la intellectuel sera marqué par la volonté de le connaissance, mis à disposition de tous les mettre en lumière. Il appartient à la lignée des peuples, le RBU se trouvera au centre d’un réseau Linné, Buffon, Mendeleïev, de ces taxinomistes international de l’intelligence. Il doit jouer le rôle infatigables qui firent passer la science à l’âge d’une mémoire centrale des hommes permettant à adulte, celui de la Raison et de l’organisation. tous de savoir ce qui a été écrit sur quelque sujet Toutefois, l’obsession du classement conduira que ce soit. Les fiches sont classées très méthodi- Otlet à des visions sociales effrayantes. L’Ordre quement par des bataillons de documentalistes permet la Connaissance qui elle-même engendre afin de permettre à l’utilisateur de s’y retrouver. le Bien. Partant de ces prémices, il finira par se L’OIB adopte d’abord le système de l’Américain persuader qu’il n’y a qu’une société juste et que Dewey (1851-1931) qui consiste en une division les scientifiques en détiennent la clef. du savoir en 10 classes. Mais la Decimal Classification a été développée dans un cadre uni- L’Office international de versitaire et s’adapte mal aux réalités diverses et 1*Ancien conservateur en complexes reflétées par le RBU. Il en faut plus chef du Mundaneum à bibliographie Mons (Belgique), François pour faire reculer nos téméraires bibliographes. De Fuëg a enseigné à Le 2 septembre 1895, s’ouvre à Bruxelles la 1899 à 1905, Paul Otlet et Henri La Fontaine l’Université libre de première conférence internationale de feront paraître, sous l’égide de l’OIB, la Bruxelles. Il est actuelle- 2 ment professeur d’histoire Bibliographie . Elle a été convoquée par deux Classification Décimale Universelle. La CDU se à l’Institut Paul-Henri jeunes avocats, Paul Otlet et Henri La Fontaine. distingue par l’utilisation d’éléments permettant Spaak à Bruxelles. Les discussions aboutissent à la création d’un d’introduire des précisions sur le document. Ainsi Ce texte est dédié à Daniel Office International de Bibliographie (OIB) apparaissent les divisions de langues, les tables Lefèbvre, archiviste du Mundaneum, qui, à tra- dont le but principal est de créer un Répertoire géographiques, des données analytiques et de vers toutes les tempêtes, Bibliographique Universel (RBU) qui doit ras- point de vue, des signes de relation. La classifica- continue opiniâtrement le sembler les notices de tous les ouvrages publiés tion se fait langage. travail de classement et d’inventaire qui seul per- dans le monde sur tous les sujets et à toutes les Ainsi un ouvrage consacré aux socialistes néer- mettra de rendre aux époques. Programme ambitieux, utopique au landophones du Hainaut entre 1885-1960 aura citoyens l’extraordinaire regard de nos critères modernes mais qui pou- comme cote dans la DC: 335.493, à savoir l’in- héritage d’Otlet et La vait paraître réaliste au sortir d’un dix-neuvième dice du socialisme immédiatement suivi de celui Fontaine. 2. Sur l’histoire du siècle qui avait vu la publication d’à peine huit de la Belgique. Dewey ne permettait pas de don- Mundaneum et de l’OIB, millions de livres3. On estime que ce répertoire a ner plus de précisions. Dans la CDU, la cote voir: DESPY, A (dir) Cent contenu jusqu’à 12 millions de fiches en 1937. devient: 335.52(493.5)(=393.2)”1885-1960”, ans de l’office international De ce travail colossal, la plus importante biblio- ce qui permet d’exprimer l’ensemble des infor- de bibliographie, les prémisses du Mundaneum, graphie générale et rétrospective jamais entre- mations contenues dans le titre. Mons, Editions prises, restent aujourd’hui 260 meubles fichiers Paul Otlet écrira : “ Classer est la plus haute Mundaneum, 1995. s’étirant sur une longueur de 186 mètres. opération de l’esprit, celle qui implique toutes 3. A titre de comparaison, signalons que pour la seule L’entreprise nécessite une coopération interna- les autres. L’esprit s’élève à mesure qu’il est sus- année 1990, 842.000 tionale, aussi l’OIB s’attache-t-il à normaliser les ceptible d’abstraction, de systématisation et de ouvrages furent publiés outils et techniques bibliographiques. C’est synthèse”4. Par ce travail Otlet cherche à appré- (sources Unesco). l’OIB qui fait adopter la fameuse fiche de 12,5 hender le monde et l’humanité comme un tout. 4. OTLET, P., Traité de documentation, le Livre sur sur 7,5 centimètres (ce qui correspond au 3 sur Ainsi chaque lecteur devient “Membre produc- le livre, Bruxelles, 5 pouces des Américains) munie d’un trou qui teur de l’humanité pensante”, chaque idée Mundaneum, 1934, p. permet de la fixer au fichier que connaissent les “Aspect de la Pensée Universelle”, chaque livre 379. bibliothécaires du monde entier. Il est aussi à “fragment du Livre Encyclopédique Universel”, Associations transnationales l’origine de la fameuse Classification Décimale chaque bibliothèque “Partie de la Bibliothèque 1-2/2003, 29-35 Universelle, une adaptation de la Decimal universelle”, chaque notice “Elément du réper-

29 toire bibliographique universel”, chaque service Les collections bibliographique “Station d’un réseau internatio- nal de communications intellectuelles”5. Le En 1919 s’ouvre au Palais du cinquantenaire, Mundaneum, sera un point de rencontre, le sous le nom de Palais Mondial-Mundaneum, un centre de coordination de l’organisation interna- temple dédié au savoir et à la fraternité universelle tionale de l’Intelligence. De cette vision univer- fruit du travail incessant que menaient les deux saliste vont naître plusieurs projets de Plan hommes depuis près de 25 ans. L’ouverture de ce Mondial. centre était demandée par Otlet au gouvernement Dans son traité de documentation (1934), belge depuis 1913 afin d’y accueillir les divers fonds Otlet écrit: “Ainsi la pensée de chacun pourra documentaires créés en marge du Mundaneum. atteindre la conception du tout; l’humanisme En effet, parallèlement à la création du RBU, poursuivi par l’éducation pourra devenir le bien les collaborateurs de l’Office International de de tous; la civilisation devenant universelle et Bibliographie se sont mis à collationner de la dirigée par des moyens rationnels, pourra enfin documentation. Au fichier s’adjoint petit à petit opposer victorieusement aux horreurs et aux un fonds énorme qui doit permettre à tous les confusions de la crise, de la guerre et de la révo- visiteurs de l’Office, à tous les chercheurs de se lution l’idéal et le bien de la prospérité, de la documenter sur l’ensemble des savoirs du paix, de la justice et de l’ascension des hommes monde. Pour parvenir à donner l’image la plus vers une plus haute destinée”6. fidèle possible de l’état des connaissances, les Ainsi la science apporterait-elle enfin le bon- collaborateurs d’Otlet adressent systématique- heur à l’humanité. Au sortir d’un XIXème siècle ment des demandes de versements d’ouvrages, qui a vu l’Europe bouleversée par d’incessants de journaux, de documents divers à l’ensemble conflits, le projet d’Otlet et La Fontaine est des éditeurs, associations, et autres producteurs avant tout destiné à favoriser la paix et la com- d’information. préhension universelle. La Bibliothèque collective des sociétés En 1913, Henri La Fontaine obtient le Prix savantes (1907), le Musée International de la Nobel de la Paix pour son action internationa- Presse (1909), les Archives Encyclopédiques liste. Sénateur socialiste, il avait participé à la Internationales ou Répertoire Iconographique mise sur pied du Bureau International de la Paix Universel (1908) et l’Office de documentation et milité dès la fin du XIXème siècle pour la féminine (1910) sont ainsi regroupés en un seul constitution d’une Société des Nations. Juriste, lieu. Le Mundaneum abrite aussi l’Union des il s’était intéressé à l’arbitrage des conflits entre Associations Internationales. Le Musée interna- états et avait contribué à jeter les bases d’un tional est composé d’une suite de panneaux droit international plus humain. didactiques destinés à faire connaître la civilisa- Dès 1910, date de l’exposition universelle de tion de tous les pays, d’une série de salles tech- Bruxelles, Otlet et La Fontaine conçoivent le niques (aviation, télécommunications, machines projet d’un Palais Mondial ou Mundaneum qui diverses...), d’objets parfois aussi invraisem- 5. OTLET, Paul, L’Etat actuel de l’organisation pourrait permettre de rassembler toutes leurs blables que des graines de plantes brésiliennes, mondiale de la documenta- initiatives (bibliographie, collections, organisa- des défenses de phacochère et même un revolver tion, Communication tions de réunions internationales) et être l’em- de la Fabrique Nationale d’armes de guerre à présentée au Sixième Congrès international de bryon d’une espèce de centre culturel mondial, Herstal. Depuis 1903 en effet, Otlet s’est inté- chimie industrielle, 26 sep- oeuvrant au progrès de l’humanité. ressé au concept de document, affirmant qu’il tembre-2 octobre 1926, En 1919, le gouvernement belge mettra à leur est erroné de s’en tenir aux seuls imprimés, ce Paris, 1927, p. 4. disposition 50 salles du Palais du Cinquantenaire qui doit primer n’est plus le texte lui-même mais 6. OTLET, Paul, Traité de documentation, op. cit., p. qui abrite les Musées Royaux d’Art et d’Histoire, bien l’information quel que soit son support. 64. pour y développer leur projet. Tout ce qui est porteur d’information devient 7. Sur l’histoire du Otlet est un homme du XIXème siècle, un document. Il faut donc compléter le RBU Mundaneum voir Despy, A. (dir.), Cent ans de positiviste. Pour lui le monde procède d’un d’écrits mais aussi d’objets. l’Office International de ordre et son effort documentaire tend à le mettre Otlet veut donc rassembler au Mundaneum Bibliographie, op. cit. en lumière. C’est la clef de toute sa démarche7. une documentation globale. Il a formé le projet

30 de créer une Encyclopédie documentaire univer- Mundaneum et s’est vu confier la tâche d’étu- selle. Il écrit : “Le travail d’organisation de la dier le projet voit dans le répertoire un outil qui documentation se présente (...) sous un triple donnerait à chacun la possibilité “de visiter aspect: il importe tout d’abord de collectionner et toutes les galeries et tous les musées du de classer méthodiquement tous les titres de tout monde”10. A l’appui de cet internet de papier, ce qui a été écrit et publié dans les divers pays et Otlet et La Fontaine ont évidemment recours à aux diverses époques; puis, l’œuvre s’élargissant, il ce puissant moteur de recherche qu’est la CDU. y a lieu de réduire en leurs éléments toutes les Les documents sont placés physiquement selon publications et tous les écrits et de les redistribuer leurs cotes. pour en former des dossiers conçus comme les Au total, le Musée Mondial occupera jusqu’à chapitres et les paragraphes d’un unique livre uni- cinquante salles du palais du cinquantenaire. versel; enfin devant l’abondance des documents, Contemplant ce monument à la fois dérisoire et le besoin s’impose de les résumer et d’en coor- admirable, Le Corbusier écrira: “Il existe à donner les matériaux en une Encyclopédie uni- Bruxelles un Musée dénommé Palais Mondial verselle et perpétuelle. Une telle encyclopédie, qui contient soixante salles environ occupées par monument élevé à la pensée humaine et matéria- des bouts de carton, des bouts de papiers colo- lisation graphique de toutes les sciences et de tous rés, des petites images de toute sorte et qui les arts est l’étape ultime. Elle aurait en fait, pour atteint ce modeste effet de visualiser toute l’his- collaborateurs tous les penseurs de tous les temps toire humaine depuis ses origines, et cela, d’une 8. OTLET, P., La Belgique et le Mouvement et de tous les pays: elle serait la somme totale de manière saisissante, poignante, stimulante pour International, pour la créa- l’effort intellectuel des siècles”8. ceux qui ne sont pas exactement des abrutis”11. tion à Bruxelles d’un Palais L’idée même que l’on puisse organiser tous les International destiné aux services des associations savoirs en une somme intellectuelle unique est Du Palais Mondial à la Société des Internationales et à la for- révélatrice de la pensée d’Otlet et annonce les Nations mation de collections mon- dérapages ultérieurs. En effet, si l’on additionne diales, Bruxelles, Office toutes les informations contenues dans tous les Le Palais Mondial doit devenir un centre intel- Central des Associations Internationales, 1913, p. livres jamais écrits, on obtient certes une ency- lectuel universel, un instrument dans la marche 65. clopédie comprenant tous les savoirs du monde. de l’humanité vers un avenir radieux. Otlet a des 9. « Appel à la collabora- Mais ce grand tout, sera aussi la somme de tous projets grandioses pour le Palais Mondial, il tion des photographes, des éditeurs, des fabricants et les points de vue, de toutes les théories plus ou l’imagine doté d’un centre de congrès interna- des collectionneurs pour le moins fiables de toutes les conceptions de la vie tionaux, d’une université internationale... développement du en société. Comment,dès lors, ce travail pour- Le Palais ouvre ses portes au public en 1920. Répertoire Iconographique rait-il orienter l’humanité vers la Lumière ? C’est à l’Union des Associations Internationales Universel », Bulletin de l’Institut International de Positiviste, Otlet semble croire à une science que le gouvernement a donné accès au cinquan- Bibliographie, 1906, p. 46. objective, définitive, indiscutable. On ne peut tenaire. On espérait que celle-ci pourrait jouer 10. DE POTTER, E., s’empêcher de penser à Comte qui, à la fin de sa un rôle au sein de la Société des Nations. Le L’image, ibidem, p. 58. vie, s’imagine grand prêtre d’une Humanité Palais Mondial et l’UAI sont aussi des instru- 11. Lettre de Le Corbusier à Lucien Vogel, directeur enfin débarrassée des oripeaux de l’idéologie, ments pour l’approfondissement de la coopéra- de la revue Vu, 13 avril enfin unie autour de la Vérité. tion intellectuelle. Toutefois la SDN ne donnera 1934. Otlet et Lafontaine accordent une grande jamais à Otlet et La Fontaine la reconnaissance 12. HERNON, E., « Regard sur les ONG importance à l’image et, dès 1906, ils entrepren- qu’ils espèrent. Trop dépendante du gouverne- dans le mouvement inter- nent de créer un Répertoire iconographique ment, concurrente de la Section des bureaux national de coopération universel. Présentant leur projet, ils affirment internationaux de la SDN, une officine défen- intellectuelle et d’éduca- “C’est une encyclopédie par l’image, complétant due par la bureaucratie de la SDN, elle était en tion pour la paix dans l’entre-deux-guerres: le cas pour l’étude et l’enseignement, les conférences, outre structurellement faible. Oeuvre “de deux de l’Union des associations les publications illustrées, les simples démons- idéalistes acharnés” comme l’a écrit Hermon12, internationales », trations, les renseignements descriptifs que for- manquant d’organisation, de coordination, Canadian Journal of 9 History. Annales canadi- ment les textes des livres et des périodiques” . souffrant de l’obsession centralisatrice d’un ennes d’histoire, t. 20, Ernest De Potter, un collectionneur qui a Otlet qui entretient un rapport passionnel avec 1985, n°3, pp. 337-367. offert l’ensemble de ses précieuses images au ses créations. L’UAI s’éteint en 1927.

31 L’Université internationale, n’a connu que trois La Cité mondiale doit permettre de régler les sessions d’été de 1920 à 22 et une autre en 1927. conflits en organisant la vie des peuples sur le Quant au RBU, il contient déjà presque l’en- plan culturel mais aussi politique et écono- tièreté de ses fiches en 1919. Les accroissement mique. se ralentissent tellement entre les deux guerres La ville comprend un quartier des affaires, un que seul un demi millions de fiches sont centre industriel, un centre de culture physique, adjointes au répertoire de 1927 à 1931. Au un centre d’art, des jardins botanique et zoolo- fonds, comme l’a bien montré Sven Steffens13, si gique, un musée des sciences naturelles et des la création du Palais Mondial marque une apo- serres. Le centre scientifique est doté de biblio- gée, elle marque aussi le début d’un déclin qui thèques, salles de congrès et universités ainsi que ne s’arrêtera jamais. d’une agence de presse universelle et de quatre La crise économique, l’absence de reconnais- Offices internationaux des congrès scientifiques. sance officielle par la SDN, le désintérêt du gou- Une Cours internationale de justice, une banque vernement belge auront raison du Palais mondiale et un Temple des religions complètent Mondial. le projet. Des quartiers résidentiels sont prévus. Il faut avoir à l’esprit que lorsque Otlet ren- Le projet d’Andersen : une capitale contre Andersen, le projet est terminé. Otlet, du Monde qui n’est pas architecte l’accepte tel quel. Il ne se pose donc aucune question sur le langage archi- C’est en 1912, à Paris, que Paul Otlet ren- tectural qu’il convient d’adopter pour la création contre l’architecte et sculpteur norvégien de la Cité. Andersen qui termine un projet de Centre mon- Chaud partisan de la Société des Nations, dial de communication. Une équipe de trente Otlet y lie sa proposition de Cité mondiale. En architectes a travaillé des années durant sous la 1917, il publie:”Constitution mondiale de la conduite d’Hébrard, un architecte issu de l’éco- Société des Nations, le nouveau droit des gens”. le des Beaux-Arts, à dresser les plans d’une capi- Il y imagine la Cité mondiale siège de la SDN et 14 13. Voir: STEFFENS, S, tale du monde . défend la candidature de la Belgique comme « Le palais mondial, Le projet est colossal, articulé autour d’une siège de la future capitale du monde. Petit pays grandeur et misère d’une “Tour du progrès”, haute de 320 mètres et qui neutre “centre vivant d’internationalisme avant entreprise idéaliste », dans Cent ans de l’Office sera “comme le signal qui symbolise la marche la guerre, héroïque et martyr depuis sa fidélité International de en avant de l’humanité”. La Cité doit rassembler aux conventions internationales, son sol n’est-il Bibliographie, les esprits les plus cultivés et les scientifiques les pas devenu l’assise d’attente de toute la recons- Mundaneum, Mons, plus brillants pour mener l’humanité vers un truction mondiale?”15 1995. 14. Sur le projet avenir radieux. C’est pourtant Genève qui est choisie. Otlet d’Andersen, voir : Otlet et Andersen partagent une certaine idée de tente de lier la création de la Cité mondiale à ANDERSEN, HC, La la fraternité universelle, toutefois, si le premier est l’exposition internationale qui doit se tenir à conscience mondiale – mû par des sentiments humanistes et une profon- Bruxelles en 1930. Sans succès... dépité, il se ral- Société internationale pour favoriser la création d’un de confiance dans le progrès, le second est impré- lie au choix de Genève. En 1924, le quatrième centre mondial, Rome, gné de mysticisme. Son projet est religieux; sa congrès de l’Union des Associations 1916. volonté est de réaliser sur terre ce que Dieu attend Internationales a lieu à l’Université de Genève. 15. OTLET, P, « Une capi- tale internationale », de nous. Au positivisme d’Otlet s’oppose la Otlet y défend l’idée d’un Mundaneum financé dans Le Mouvement com- recherche du Bien au sens religieux chez Andersen. par les associations internationales et conçu munal, 15 mars 1919, p. 1. Malgré ces différences, Otlet voit dans les comme “non seulement le siège de la Société des 16. OTLET, P., Le siège épures d’Andersen la concrétisation de ses Nations mais comme celui de tous les orga- définitif de la société des Nations en une Cité mondi- propres attentes. Il présente le projet à l’Union nismes internationaux indistinctement officiels ale, centre autonome et des Associations Internationales, une officine ou privés”16. En 1927, il rencontre Le Corbusier. extraterritorialisé des organ- créée par Henri La Fontaine et qu’il préside, qui Il a, à cette époque, décidé de sortir de l’acadé- ismes internationaux, Union des associations l’adopte avec enthousiasme. Otlet consacrera misme architectural dans lequel le projet internationales, Bruxelles, une énergie considérable à la propagande en vue d’Andersen est enferré. Il tente de se ressourcer Palais Mondial, 1926. de la création de la Cité mondiale. en faisant appel à un architecte résolument

32 moderne tandis qu’Andersen ira proposer ses Il est intéressant de noter qu’Otlet s’affirme épures à Mussolini qui l’accueillera avec enthou- dès les premiers contacts comme le seul maître siasme. d’œuvre. C’est lui qui donne les consignes. D’autre part, il n’a aucune intention de payer Le Le Corbusier entre en scène Corbusier, il lui demande presque de faire un travail militant. Enfin, il insiste sur l’importance En 1926 Le Corbusier a été exclu du concours de l’architecture qui doit représenter l’idée de international pour la création d’un Palais de la l’Institution. Il exigera de Le Corbusier dans une société des Nations pour un motif futile. De note ultérieure qu’un bâtiment emblématique nombreuses personnalités du monde entier le soit construit pour y placer services et collec- soutiennent dans sa campagne contre ce qu’il tions principales. L’accord de Le Corbusier face considère comme une injustice. à ce Diktat peut paraître surprenant mais l’as- C’est sans doute à cette occasion que les deux pect promotionnel et le battage médiatique hommes entrent en contact. Le 7 octobre 1927, international qui entourent le projet attirent Le Corbusier écrivait à Otlet: “Bien reçu votre l’architecte et répondent à ses propres ambi- lettre du 6 et votre note sur le transfert à Genève tions. Si le projet aboutit, il sera le constructeur du Palais Mondial. Votre idée magnifique et du Mundaneum et pourquoi pas de la future émouvante continue l’initiative que vous avez Cité Mondiale. prise depuis des années (...)”17 Paul Otlet a jeté les bases, précisé l’idéologie et Quelque temps plus tard, les deux hommes donné les ordres à suivre. Le Corbusier réussit le décident de s’associer, chacun espérant profiter tour de force d’apposer sa marque au projet. Le de la notoriété et du réseau de relations de musée mondial, bien qu’expression de la pensée l’autre. d’Otlet adopte une forme architecturale à la fois Le projet de Genève commence par la proposi- traditionnelle et au fonctionnement inédit. tion d’y installer le Mundaneum, embryon de la En juin, tandis que Le Corbusier travaille au Ville mondiale. Pour le financement Otlet reste projet, Otlet lui écrit, lui demandant de traiter le vague, il pense à une souscription mondiale. sujet avec grandeur : « Vous savez ce que j’en- En avril, il écrit à Le Corbusier: “Il a été tends par là : mot qui ne vise pas l’ampleur tout convenu que vous apporterez au projet votre en la visant, mais visualisation architecturale concours d’architecte; un concours qui revêt le d’une grande idée : non pas Une idée mais caractère essentiel d’une coopération à double l’idée. Car jugez-en par votre fâcheuse aventure, point de vue: 1° sur la base du programme, de la SDN ne peut être seule l’incarnation (…) de buts, d’idées et de besoins que je vous ai déve- l’idée centrale, idéale, non politique d’humani- loppé, vous préparerez un plan tenant compte té ».19 de l’ensemble des desiderata de telle manière que En juillet 1928, une première épure est termi- l’édifice ou complexe d’édifices, placé dans son née et Le Corbusier décide de construire une parc et celui-ci déterminé dans son site, soit si maquette pour faciliter la promotion du projet étroitement lié à l’idée, à l’institution, à son auprès des autorités. Otlet espère toujours lier la fonctionnement, qu’il aide réellement à son construction du Mundaneum à celle du Palais expression symbolique, à sa représentation, aux de la SDN. En novembre, le projet est prêt. services à en attendre. L’idée et l’édifice, l’édifice Otlet croit même avoir une solution de finance- et l’idée devront être étroitement liés. 2° dans ment, faisant construire la cité par un trust privé 17. Lettre de Le Corbusier l’état actuel des choses; il n’y a nulle certitude qui se chargerait de la revendre aux Etats. à Otlet, Papiers Otlet con- que le Mundaneum puisse s’élever à Genève, Fin 1928 paraît, à l’enseigne des associations servés au Mundaneum à Mons. bien que des probabilités et des espoirs de succès internationales, un ouvrage simplement 18. Lettre d’Otlet à Le soient largement assurés. Assumant le risque du intitulé : Mundaneum. Le Mundaneum sera Corbusier, 02.04.1928, plan, vous travaillerez avec nous à transformer quartier général pour les associations, congrès, papiers Otlet, op. cit. 19. Lettre d’Otlet à Le les chances en réalité. Vous même devant alors libres mouvements internationaux et centre Corbusier, 02.06.1928, être chargé de la construction même selon le scientifique, documentaire, éducatif. Le papiers Otlet, op. cit. plan qui sera alors définitivement arrêté”18. Corbusier a dessiné une bibliothèque, un musée,

33 une maison des associations internationales, une La première présente l’œuvre humaine, la université et un institut. deuxième montre des documents graphiques et Le Mundaneum doit être construit entre le des reconstitutions scientifiques, la dernière s’at- Grand Saconnex et Prégny, à proximité de tache à décrire le contexte naturel, insistant sur Genève, sur un plateau, de manière à être vu de les aspects géographiques. Cette triple nef, en toutes parts : « c’est comme une borne gigan- spirale, se déroulant de haut en bas telle une tesque » dira Le Corbusier. Cinq ou six bâti- tour de Babel, présente la préhistoire à son som- ments constituaient le Mundaneum, cité rectan- met et le monde moderne, dans toute sa com- gulaire. plexité, à la base. Derrière la pyramide en spira- Le pivot de la Cité réside dans le Musée le, d’immenses halles des Temps Modernes Mondial dont les quatre angles marquent les accueillent les expositions de toutes natures. points cardinaux. Elevés sur pilotis, les bâtiments Pour accéder à l’entrée, au sommet, le visiteur permettent à la vue de passer dessous afin d’aller doit emprunter une rampe extérieure. « A chercher « les sites qui bornent l’horizon »20. chaque tournant un horizon neuf, à chaque spi- Une bibliothèque monumentale est prévue, rale, une vue plus dégagée. Le site grandit à divisée en trois sections : fiches, dossiers, livres. mesure. Au sommet, le site est là, tout entier, Construite sur pilotis, avec circulation automo- panoramique : les Alpes les plus altières , le lac le bile en dessous, elle est constituée d’un immen- plus suave, la ville tapie au fond ; au pied de ses se prisme, entièrement vide, au sommet duquel rochers horizontaux, le Rhône ce grand fleuve se trouvent les deux salles de lecture et les du monde, qui s’enfonce dans la mer. Alors, il bureaux. L’entièreté du volume est occupée par pénètre dans le musée par le haut »21. On peut des rayonnages, des passerelles, des monte- difficilement trouver vision plus grandiloquente charges et les systèmes pneumatiques, symbole de la culture. L’idée de Le Corbusier est d’initier de modernité, chers à Otlet. Les visiteurs accè- par ce dispositif le visiteur à une connaissance dent aux salles de lecture par un ascenseur ou globale de l’histoire de l’humanité. Les œuvres et une rampe, enfermés dans une trémie de verre les idées sont confrontées aux grands faits histo- qui, montant au milieu des ouvrages et des riques, à la dimension mondiale et à l’univers. A documents, indiquent au lecteur ce qu’est une la fin du parcours, le visiteur monte l’escalier qui bibliothèque internationale. le conduit à l’intérieur du globe, dans le plané- Le centre d’études international universitaire tarium. doit trouver place au centre du Mundaneum. Il Le message est clair : seule une vision totale de est prévu que chaque université du monde y l’histoire permettra de réaliser la synthèse néces- délègue deux étudiants pour « s’initier aux ques- saire pour les actions futures, ce n’est que sur tions entièrement neuves que soulève l’organisa- cette base que se développera la Paix universelle. tion des nations ». L’Université est entourée de Le Mundaneum est ainsi dressé pour les élites hauts murs clos, ouvrant sur un jardin intérieur. intellectuelles, l’architecte leur offre un lieu pour Ce cloître se poursuit sous les pilotis donnant en se découvrir, se comprendre, se reconnaître. Il a bout face au grand auditorium. créé des formes qui permettent aux idées d’Otlet Les auditoires, superposés, forment d’im- d’exister concrètement. menses créneaux. Une avant dernière partie est Après ce premier travail, en 1929, Otlet et Le formée de cinq pavillons réservés aux états et Corbusier préparent un projet plus large. Le villes et destinés à présenter les réalisations Mundaneum redevient Cité Mondiale avec majeures de l’humanité comme dans une exposi- aéroport, habitations, Palais des Nations, Cours tion universelle permanente. Ce nouveau musée de Justice … 20. En 1928, les deux hommes publient leur international est entouré de cours plantées Ils ne connaissent guère plus de succès. programme : OTLET, P et d’arbres autour desquelles se trouvent en anneau LE CORBUSIER, une série de petits bâtiments réservés aux Etats. Mundaneum, Union des Aspects idéologiques associations interna- Une deuxième couronne est réservée aux villes. tionales, Bruxelles, 1928. Vient enfin le Musée Mondial, formé de trois L’objectif d’Otlet est de favoriser la Paix. Il 21. Ibidem, p. 37. nefs côtes à côtes, sans cloisons pour les séparer. pense que la science apportera naturellement le

34 bonheur à l’humanité. Son premier projet, le architectes belges dessinèrent des plans essayant répertoire universel de documentation, est déve- de construire la Cité à Bruxelles et même aux loppé pour permettre aux hommes de mieux se Etats-Unis. comprendre mutuellement. La bibliographie Devenu vieux, Otlet était complètement obsé- doit être la clef d’accès à la connaissance. dé par son projet. En 1941, il le proposa à La Cité mondiale, temple de la science et du Hitler, lui promettant « une importante place savoir s’inscrit dans la même démarche. Elle sera pour la culture allemande ». En septembre 1944, capitale culturelle du monde. Otlet n’a jamais il écrivit à Hubert Pierlot, premier ministre de perçu le danger qu’il y avait à donner le mono- retour de Londres, pour lui proposer de pole des affaires culturelles et scientifiques à une construire la Cité. seule institution. Il semble qu’il n’ait jamais réfléchi au côté totalitaire de sa vision utopique. Une utopie totalitaire ? L’amitié profonde qui finit par naître entre Le Corbusier et Otlet est aussi liée à leur vision Le Corbusier a proposé en 1922 son plan commune et autoritaire du monde. Tous deux “pour une de trois millions pensent savoir ce qui est juste pour l’humanité d’habitants, cité des temps modernes”. Ce pro- même si l’humanité ne le sait pas et tous deux jet-manifeste marque selon lui le début de “l’ère estiment qu’il est légitime d’imposer ce qui est des grands travaux”, le triomphe de l’esprit col- juste. lectif. Bâtir une nouvelle cité c’est affirmer que Sur le plan architectural, son projet de “l’heure radieuse de l’harmonie et de la Mundaneum sacralise la culture. C’est réelle- construction et de l’enthousiasme”22 est venue. ment un Temple du savoir qui doit être bâti. L’ordre est exprimé dans l’architecture par des Mais un Temple exclut la majorité du public. La formes pures, des rues symétriques et à angles Cité mondiale aurait rassemblé les personnalités droit, la ville moderne, c’est le symbole de la vic- les plus intelligentes qui auraient conduit les toire de l’ordre et de la raison sur le chaos. autres au bonheur. Otlet, l’homme qui voulait Dans les villes de Le Corbusier, tout est classé classer le monde, croyait profondément que le par secteur, comme dans le répertoire d’Otlet. progrès nécessitait l’Ordre. Chaque information La même obsession de l’ordre va rapprocher les sur la bonne fiche, chaque être humain à la deux hommes. Classer est la plus haute opéra- bonne place. tion de l’esprit. Tout deux auront, chacun à sa manière, le désir d’une autorité suprême, Après Genève contrôlant l’ordonnancement du monde. Au fond, le programme “La Paix par la Le projet de Cité mondiale à Genève était Culture”, s’est mué petit à petit en “La Paix par gigantesque, il devait couvrir près de 600.000 l’Ordre” et les architectes, loin de nuancer ou de hectares. Démesuré pour un petit Canton suis- critiquer cette vision, s’y sont engouffrés. se, il effrayait la population. D’autre part, les La Cité mondiale est devenue quelque chose autorités fédérales craignaient de perdre la pré- d’effrayant et, finalement, il est sans doute heu- dominance diplomatique de la Suisse si une Cité reux qu’elle n’ait pas été construite. libre, jouissant d’un statut d’extraterritorialité Paul Otlet est mort le 10 décembre 1944. était construite. Enfin et surtout, Otlet ne trou- Désespéré, aigri en contemplant son œuvre à va jamais de financement. demi détruite. L’héritage qu’il nous laisse est En 1932, Le Corbusier et Otlet essayèrent de fabuleux et fera encore rêver plusieurs généra- construire la Cité mondiale à Anvers dans le tions même si l’heure est venue d’en finir avec cadre de l’urbanisation de la rive gauche de les commémorations lénifiantes et de porter un l’Escaut. Ce fut un nouvel échec et les deux regard, à la fois critique et bienveillant, sur ce 22. Cité par FISHMAN hommes se séparèrent. Par la suite plusieurs merveilleux fou qui voulait classer le monde. R., L’utopie urbaine au XXème siècle, Mardaga, Bruxelles-Liège, 1979, p. 137.

35 Fonder le monde, fonder le savoir du monde, ou la double utopie de Paul Otlet par Paul Ghils* « L’utopie de nos jours devient scientifique » Paul Otlet, Monde, 19352 L’universel et le singulier ses motivations rationnelles et de son contexte historique. Enfin, la portée de son oeuvre ne peut randiose dans sa conception, le projet être appréciée qu’en la replaçant dans le temps et d’Otlet l’est aussi par les moyens qu’il dans l’espace qui l’ont vu se construire. Nous par- G assigne à sa mise en oeuvre, qui vise deux tirons donc du contexte de sa démarche pour ten- objectifs essentiels : édifier la Cité mondiale ter, dans un deuxième temps, d’en saisir les arti- d’une part, fonder la connaissance du monde et culations et les intentions. des sociétés humaines d’autre part. Il se décline en trois volets. Le premier vise la totalisation et Le contexte historique la classification des connaissances et sa représen- tation par les diverses formes d’un langage scien- L’œuvre d’Otlet peut être envisagée sous deux tifique universel censé refléter l’ordre des choses aspects, d’égale pertinence au regard des enjeux et des êtres. Ce premier système en fonde un contemporains : d’une part la perspective cos- second, qui consiste en une mondialisation des mopolitique de la Cité mondiale et, d’autre part, sociétés humaines découlant de la globalisation celle de la répertorisation universelle du patri- des savoirs, pour aboutir à un « cerveau collec- moine intellectuel de l’humanité, qui traduit tif » incarnant simultanément la science, le sen- l’influence des modèles scientifiques du temps. timent, la volonté et la mémoire du monde. Le Nous verrons toutefois que chacune de ces troisième système pose l’ordre naturel du monde approches reste incomplète en tant que telle. La comme se redoublant en un ordre surnaturel qui vision utopique se résoud en partie en une le surplombe. réponse rationnelle à une situation historique Ce projet soulève bien évidemment bien trop particulière et celle-ci, à l’inverse, renvoie fré- de questions pour pouvoir être commenté ou quemment à une figuration utopique du monde 1. Philosophe. Professeur de relations internationales analysé en quelques pages. Nous n’aborderons à construire. La question fondamentale que à la Haute Ecole de par conséquent que quelques aspects des deux posent l’une et l’autre conception renvoie par Bruxelles. axes du projet d’Otlet qui ont le plus retenu l’at- ailleurs à la question de la démocratie interna- 2. Editions du Mundameum, Bruxelles, tention de ses héritiers et de nos contemporains, tionale ou, pour employer un terme moins p. 202. à savoir l’édification de la Cité mondiale et la ambigu, à celle de l’horizon cosmopolitique des 3. Cf. Daniel Archibugi, systématisation des savoirs par la méthode docu- relations internationales, qui suppose un mode Cosmopolitan Democracy. mentaire et classificatoire, soit la finalité des d’organisation politique où les citoyens, quelle An Agenda for a New World Order, Polity, deux premiers volets selon l’exposé synthétique que soit leur localisation géographique, dispo- Cambridge, 1995, p. 12- qu’il en fit dans son opus magnum sous le titre sent d’un moyen d’expression, d’action et de 13. La huitième proposi- Monde, publié en 1935 aux editions du représentation dans le champ international3. Et tion de l’Idée d’une histoire Mundaneum à Bruxelles. tout comme la recherche scientifique et la universelle au point de vue cosmopolitique de Kant Sans doute les projets universalistes et, en l’oc- réflexion politique et philosophique d’autres (1784) énonce qu’un Etat currence, mondialistes du passé sembleront-ils époques, la recherche d’Otlet est historiquement cosmopolitique universel, entachés d’anachronisme ou de naïveté. Il ne fau- située dans le contexte des savoirs et conçue à dessein suprême de la nature, arrivera un jour à drait cependant pas en conclure que l’utopie a l’horizon philosophique de ses contemporains. s’établir, «foyer où se déve- disparu du paysage humain, qu’il s’agisse de la Mais le contexte des années de l’entre-deux lopperont toutes les dispo- construction politique des sociétés, des fonde- guerres n’est pas univoque. L’époque est essen- sitions primitives de l’espè- ments du savoir ou de la représentation de l’hom- tiellement une époque de transition et compor- ce humaine». On retrouve sans peine, d’un bout à me dans le cosmos. Nous verrons dans les pages te pour cette raison des tensions et des ambiguï- l’autre des écrits d’Otlet, la qui suivent que le projet universaliste d’Otlet – le tés qui se retrouvent dans ses travaux, tant pour prégnance du schéma kan- singulier étant ici justifié par l’intention de réunir ce qui a trait au statut de la science que de la tien. en un tout fédérateur ses divers aspects - peut représentation politique de la société. Associations transnationales certes être appréhendé à partir de la dimension Sur le premier point, on peut voir que, si 1-2/2003, 36-48 utopique de la démarche, mais aussi au travers de Edmond Husserl fait remonter à 1935 le senti-

36 ment d’hostilité ou de méfiance à l’égard de la De façon plus générale, la pensée d’Otlet est science4, Otlet reste imprégné des conceptions de sous l’emprise de cette alliance entre les deux l’époque antérieure et se rattache manifestement idéalismes, le politique et le scientifique, où l’édi- à la fin du courant scientiste, où l’investissement fication de la Cité mondiale s’appuie sur l’entre- dans la science pour garantir l’avenir des sociétés prise scientifique en même temps qu’elle y trou- reste puissant : « … l’ensemble des sciences abou- ve certains de ses fondements. C’est à cette tit à la connaissance du Monde en sa totalité. »5 époque, rappelons-le, que Max Weber soulignait Sur le second point, le courant dit « idéaliste » que les anciens modes de légitimation du savoir issue de l’ancien libéralisme philosophique (théologiques et cosmologiques) cédaient devant reprend les thèses de penseurs aussi divers que la rationalisation intégrale de la vie sociale, pro- Kant, Locke, Hume ou Rousseau pour affirmer duisant ce « désenchantement du monde », notion 4. Cf. Dominique après la Première Guerre mondiale la possibilité schillerienne (Weltentzaüberung) dont l’idée est Lecourt, Contre la peur. d’un monde pacifié et l’organisation d’une désormais attachée au nom du sociologue alle- Suivi de Critique de l’appel société internationale fondée sur des institutions mand7. Si Otlet ne cite guère Max Weber, qui eut de Heidelberg, Hachette, multilatérales animées par le souci de valeurs la sagesse de ne pas identifier la sociologie à une Paris, 1990. L’Appel de Heidelberg est le éthiques de solidarité, de démocratie et de liber- physique sociale, on comprendra pourquoi : il Manifeste de cinquante- té civile. Le pacifisme juridique que traduit l’éta- insiste, au contraire de Weber, sur la question de deux prix Nobel et deux blissement de tribunaux internationaux est vite la prévision, de la planification et sur les moyens cents chercheurs de renom dépassé par un courant utopique orienté vers la nouveaux qui s’offrent en vue de parfaire l’ordre international adressé aux chefs d’Etat et de gouver- création d’un véritable gouvernement interna- social, selon le modèle épistémologique de la nement présents au tional. Leonard Woolf (le mari de Virginia) est physique : « Le mouvement récent dit de « tech- Sommet de la Terre à Rio chargé par la Fabian Society de rédiger une nocratie » donne à la prévision sociologique l’oc- en 1992. Il réaffirmait étude sur le sujet, qui paraît en 1916 sous le titre casion de s’exercer en grand. » notamment l’engagement 6 à l’égard d’une « écologie International Government , soit un an à peine C’est là peut-être la pierre angulaire de tout scientifique » face aux avant la publication par Otlet de sa propre l’édifice otlétien : la fusion épistémologique entre craintes formulées par les Constitution mondiale de la Société des nations. l’expression des connaissances et les concepts tenants de l’ « écologie profonde ». Plus que les influences mutuelles que l’on peut scientifiques qu’elle désigne. Le langage scienti- 5. Monde, Editions ici supposer et qui nous semblent plausibles, les fique se trouve survalorisé, selon un principe Mundaneum, Bruxelles, deux faits pertinents sont, d’une part, l’intérêt qu’on retrouvera de nos jours dans l’entreprise de 1935, p. VII. 6. Macmillan, Londres. porté à l’idée de démocratie internationale et le normalisation de la langue techno-scientifique, 7. C’est dans Le Savant et vaste débat qu’elle suscita dans l’opinion et mais aussi des des concepts et notions qu'elle maî- le Politique (1919) que parmi les intellectuels après la Grande Guerre et trise. L’universel d’Otlet transmet l’objectif récur- Max Weber évoque sous ce jusque dans les années 1930 et, d’autre part, la rent des organisations scientifiques inter/transna- terme l’idée que la rationa- lisation et l’intellectualisa- création de la Société des nations qui constitue tionales selon lequel “Etant donné la nature tion ne signifient pas une la première tentative de création d’un gouverne- intrinsèquement universelle de la science, sa réus- connaissance générale ment mondial. Du point de vue qui nous site dépend de la coopération, de l’interaction et croissante des conditions concerne, c’est cependant le premier point qu’il de l’échange, dont une grande part dépasse les dans lesquelles nous 8 vivons, mais plutôt le fait faut retenir, car c’est l’idée même de démocratie frontières nationales” . Ce programme rejoint, que nous savons ou que internationale qui était alors – elle l’est toujours comme l’ont bien noté Giuliano Gresleri et nous croyons qu’à chaque – utopique, par l’affirmation du principe de Nader Vossoughian dans ce même numéro, le instant nous pourrions, pourvu seulement que l’égalité des Etats et de l’unanimité, à l’heure où programme physicaliste du Cercle de Vienne, nous le voulions, nous ces deux principes étaient loin d’être réalisés fondé sur l’unification de la science et la normali- prouver qu’il n’existe en dans l’ordre interne des Etats membres. Utopie sation terminologique qui l’accompagne, sur principe aucune puissance donc, parce que l’idéalisme fonde – pour la pre- l’idée que les variations culturelles recèlent des mystérieuse et imprévisible qui interfère avec le cours mière fois en des termes normatifs - la construc- concepts et des valeurs susceptibles de fonder un de la vie. tion de la démocratie internationale sur des système conceptuel universel que la science, ses 8. CIUS/ICSU (Conseil principes qui dépassent la simple addition des taxonomies et ses terminologies ont pour tâche de international des unions scientifiques), Déclaration démocraties nationales (encore celles-ci étaient- construire. La normalisation des savoirs et de leur sur la libre circulation des elles elles-mêmes en voie de construction) pour expression, qui faciliteront la transparence de l’in- scientiques, 1989. considérer la nature des relations internationales. formation et de la communication, réalisent la

37 transnationalisation du savoir détaché de ses furent amenés à créer en 1895 l’Institut interna- attaches locales et temporelles, renouant de la tional de bibliographie. Les fondements de la sorte avec la tradition de l'unification de la scien- mondialisation de la vie intellectuelle s’appuyant ce que consacrent, en prolongeant Aristote, les en bonne partie sur le développement des orga- scientifiques et les philosophes du Cercle de nisations internationales non gouvernementales, Vienne. Paul Otlet et Henri La Fontaine créeront en « En grand » sans aucun doute, puisque Otlet 1907 l’Office central des associations internatio- envisage la possibilité de synthétiser l’ensemble nales, devenu en 1910 à Bruxelles l‘Union des des interactions ente les facteurs existants par associations internationales, dont le but était une « équation sociologique », elle-même inté- d’ « assumer la coordination en vue de réunir en grée à l’ « équation du monde ». Plutôt que la un système général tous les systèmes particuliers référence à Weber, la modèle qui s’impose logi- d’unification et d’unités.»10 L’Union projette quement à Otlet, en conformité avec la pré- d’organiser un Congrès mondial dans lequel sont gnance à son époque du modèle physique sur représentées toutes les associations en vue de l’ensemble des sciences, est celle de Quételet coordonner les relations inter-scientifiques et qui, dans la lignée des Physiocrates, compose organise les congrès mondiaux des associations une Physique sociale où la notion d’ « homme internationales à Bruxelles en 1910 et 1913. moyen » fonde la prévision sociologique en sou- C’est aussi à Bruxelles qu’est établi un centre mettant le comportement à la loi statistique des international comprenant un musée internatio- grands nombres. L’équation sociologique peut nal (16 salles, 3000 objets et tableaux), une alors, au même titre que les cycles historiques et bibliothèque collective (75.000 volumes) et un économiques, rendre compte des contraintes qui répertoire bibliographique universel (11 millions 8a. Verdiana Grossi, pèsent sur la liberté humaine dans un cadre qui de notices classés par matières et par auteurs). « Utopie et réalité d’une progresse de la relation contractuelle au plan L’objectif ultime de cet ensemble d’initiatives culture de la paix”. social et à la législation. La notion de finalité est, selon Otlet, «d’unir le monde civilisé tout http://www.eip- qu’Otlet rattache à la prévision sociologique se entier dans une action commune en vue de réa- cifedhop.org/publica- tions/thematique8/ grossi- trouve ainsi orientée, serait-ce de manière relati- liser certains buts d’intérêt universel, dépassant notes.html#12 ve, par un déterminisme exprimé par le calcul les forces d’un seul pays, de donner à 9. Cf. Speeckaert, Georges des probabilités. La reconnaissance par Otlet de l’Humanité les organes dont elle a besoin pour Patrick, Le premier siècle de la coopération internationa- la liberté humaine semblera dès lors soumise, ici agir avec la puissance accrue d’une collectivité le, 1815-1914, Bruxelles, comme dans d’autres parties de son œuvre, à la plus nombreuse, de placer l’activité humaine Union des Associations volonté de canaliser l’expression créatrice et l’in- dans les conditions optima pour qu’elle se déve- internationales, 1980, pp. ventivité humaines selon un ordre construit. loppe dans toute son ampleur. L’organisation 63 et 64. 10. Mattelart, Armand, On comprend mieux, dans cette perspective, la internationale est liée au progrès de l’Humanité L’histoire de l’utopie planétai- finalité pratique qui oriente deux des projets et de la civilisation. À côté des civilisations re de la cité prophétique à la d’Otlet, la documentation et la construction nationales, superposées à elles, doit exister une société globale, Paris, La d’une ou de plusieurs cités mondiales. Dès 1901, civilisation mondiale basée sur ce qu’il y a de Découverte, 1999, p. 111. 11. Union des Kémény avait préconisé la création d’une commun dans les civilisations nationales et réa- Associations internatio- Académie mondiale qui aurait pour but de lisant l’esprit de polycivilisations»11. C’est dans nales, Constitution du réunir «tous les mouvements culturels» ayant cet esprit qu’ils proposèrent en 1920 le plan Centre international. Congrès mondial. Office trait aux sciences, lettres, arts de tous les peuples. d’une organisation internationale du travail central. Musée internatio- Il mentionne aussi un centre mondial pour l’édu- intellectuel, dont une partie aboutit à la création nal. Documentation univer- cation et l’instruction8a. Cette idée aboutira à la à Paris de l’Institut de coopération intellectuelle selle, Bruxelles, Office des fondation, en 1909, d’un Bureau international au sein de la Société des nations. Associations internatio- nales, 1912. de documentation éducative à Ostende, dirigé La collecte systématique des données et leur 12. La classification déci- par Edouard Peeters jusqu’en 1914, qui est la traitement par les divers outils analytiques et male établie par le biblio- première institution d’éducation comparée9. mathématiques qui s’offrent au chercheur per- thécaire américain Melvil 12 Dewey en 1876 est enri- C’est avec la même idée de favoriser l’enseigne- met de créer un système documentaire qui chie et affinée par Otlet et ment et l’unification des connaissances dans un peut être mis au service de la prévision sociolo- Lafontaine (voir plus bas). esprit universaliste qu’Otlet et La Fontaine gique : « Il y a là des sources abondantes pour la

38 prévision. La condition de la prévision est la rationalisme dogmatique à la Christian Wolff 17 possession de toutes les données. Il faut donc et d’un empirisme sceptique à la Hume. dans le domaine sociologique procéder pour ces Cependant, les trois systèmes placés par Otlet au données à un enregistrement de plus en plus départ de la conception du monde – le système complet, détaillé, rapide..» Otlet apporte à l’ap- de l’analyse positive, celui de la synthèse des lois pui de sa méthode ce qui déjà se réalise à l’échel- de la pensée et de l’intuition et celui de l’ordre le mondiale dans le domaine des prévisions surnaturel – rappellent davantage le rationalisme météorologiques, de l’astronomie, de la géolo- dogmatique de Wolff, notamment par la tripar- gie, toutes sciences qui « … nous offrent des tition de la métaphysique entre la psychologie exemples d’inventaires immenses qui devraient (science de l’âme), la cosmologie (science du inspirer et encourager la sociologie. »13 Couplée monde) et la théologie (science du divin). à la systématisation des opérations mécaniques L’approche d’Otlet est particulièrement explicite que laisse entrevoir la naissance et le développe- à cet égard, qui distribue les diverses branches du 13. Monde, p.425-426. ment de la robotique, la prévision sociologique système des sciences dans un tableau articulé C’est nous qui soulignons. lui permet de poser la question : « Est-il défen- entre l’ontologie (science des choses) et la théo- 14. Monde, p. 429. 15. Association socialiste du de concevoir que la société possédera un logie (science du divin), dont il rappelle oppor- britannique, fondée à ensemble d’institutions d’adaptation rapide réa- tunément que « l’une et l’autre sont traitées ordi- Londres à la fin de 1883 et lisant en son sein des fonctions d’équilibre ana- nairement sous le nom de métaphysique »18. Une tirant son nom de Fabius logues à ceux de ces pilotes automatiques en autre similitude entre Wolff et Otlet concerne Cunctator, «le 14 Temporisateur». Elle préco- aviation ? » On retrouve là, parmi d’autres tra- l’aisance avec laquelle l’un et l’autre se situent du nisait une évolution lente ditions de pensée, l’influence de Saint-Simon, point de vue de Dieu. Le rapprochement s’arrête et pacifique vers le socialis- de Fourier, de la Fabian Society15 et d’autres cou- là toutefois car, à la différence de Wolff et à l’in- me et fut l’auteur de remarquables réalisations rants alliant les dimensions scientiste et cosmo- verse de celui-ci, ce sont le monde surnaturel et au niveau de la politique politique de ce qui se présentait comme l’élabo- la science du divin qui constituent le référent municipale. En 1889 paru- ration d’un nouvel ordre mondial. ultime d’Otlet. rent les Fabian Essays in Sur les plans scientifique et philosophique, Socialism, série d’articles écrits par sept membres de l’œuvre d’Otlet porte la trace d’un ensemble de L’utopie scientifique la société, parmi lesquels conceptions et de caractéristiques qui la ratta- George Bernard Shaw et chent à la fois au rationalisme kantien, à la L’instauration des sciences modernes s’est faite Sidney Webb, qui constitua l’apport théorique le plus recherche par Leibniz d’un langage universel – par celle d’une forme de connaissance, de ratio- intéressant du socialisme plus qu’à celle de l’Encyclopédie de Diderot – et nalité qui excluait d’autres formes de connais- évolutionniste britannique. au projet romantique de Novalis de l’intégration sance ou de pensée. Depuis l’idéal théorique des En 1893, elle comptait du savoir humain. D’un côté, la méthode d’Otlet philosophes grecs, l’instauration de ce savoir quelque 650 membres et coiffait 74 filiales; cepen- s’inspire de la tentative kantienne de fonder la décontextualisé, déculturé car à la fois rationnel dant, à partir de cette connaissance sur des évidences immédiates, par et universel s’est faite sur la séparation du scien- époque, elle régressa. Ses la recension minutieuse et systématique des don- tifique et de son objet, où le penseur se trouve- membres s’associèrent aux nées disponibles référant aux diverses branches rait « divinisé », selon l’expression d’Aristote, syndicalistes (1900) et par- ticipèrent à la création du du savoir. D’autre part, elle partage avec l’huma- autonomisé, libéré de la doxa, de l’opinion, Labour Party (1906). nisme de Kant cet élan progressiste qui proclame comme des mythes issus de la religion. Mais 16. Vers la paix perpétuelle. sa foi dans la raison et la liberté et s’engage dans l’histoire des sciences a aussi montré que cette Qu’est-ce que les Lumières ? Que signifie s’orienter dans une pédagogie destinée à instruire l’humanité autonomie du scientifique et l’objectivité de son la pensée ?, Flammarion, entière, appelée par cette voie à se libérer de cet objet d’étude se sont révélées bien souvent illu- Paris, 1991. « état de minorité » , ou « l’incapacité de se servir soires, le contexte culturel exerçant un biaise- 17. Celui-ci représente, de son entendement sans être dirigé par un ment constant de la construction du savoir. De dans la première moitié du 16 17e siècle, la forme radica- autre » . Les facultés de raison, de volonté et de même, l’entreprise scientifique n’a jamais cessé le du rationalisme. sensibilité qui définissent l’homme selon Kant se d’engendrer elle-même des mythes, dans le sens 18. Monde, p. XV. retrouvent chez Otlet, mutatis mutandi, sous les d’une méfiance à son égard (La Chute, Icare, 19. La recherche de la langue parfaite dans la cul- termes de connaissance, d’action et de sentiment. Faust, Frankenstein…). Leurs présupposés sont ture européenne, Seuil, De même, la méthode qu’il défend veut se pré- que les moyens humains sont finis, qu’il n’ap- Paris, 1994. senter, comme chez Kant, à égale distance d’un partient pas à l’homme de diviniser l’homme de

39 science (Aristote), ni de jouer au dieu en s’ins- très remarquable que de nos jours les plus taurant créateur ou recréateur du cosmos. De grandes découvertes expérimentales n’ont pas filiation platonicienne, cette catégorie de mythes été faites dans le domaine des anciennes sciences parle du monde, le représente au moyen du lan- bien reconnues, mais dans les zones frontières, le gage et des instruments iconographiques qui le no man’s land des sciences.»22. Mais cette démultiplient. Elle est contemplative (zoon logon démarche est en fin de compte subordonnée à echon, être vivant doué de parole et de raison) une vision plus englobante, qui recherche les plutôt qu’active, enseigne le monde plutôt qu’el- éléments unifiants des différentes disciplines et le ne le transforme (homo faber). C’est la tradi- préconise « … que soit formulée, admise et tion de la langue parfaite qu’Umberto Eco19 ou enseignée une science générale de la société », Maurice Olender20 ont admirablement retracée, car « tout se simplifie, s’intègre, se féconde. Les en montrant que la recherche scientifique sur le généralités de chaque discipline se fondent en langage reste imprégnée d’éléments mythiques des généralités communes à toutes ; une base jusqu’au début du 20siècle, et notamment du générale est donnée à toutes les démarches de mythe des origines de l’humanité. l’esprit. »23 La solution de la contradiction notée A l’opposé de ces premiers mythes, une par Otlet entre son aspiration à une unification deuxième catégorie se dessine, qui s’engage réso- du monde qu’il place tantôt sous le signe de la lument à l’égard de la science, de la technique et « Destinée », tantôt sous l’empire attendu d’un de ce qui apparaît de plus en plus aujourd’hui « gouvernement scientifique », et la tendance comme la technoscience, en ce que les enjeux et qu’il déplore d’un monde « en voie d’hypersépa- le dynamisme de l’une et de l’autre sont intime- ratisme » est confiée à la documentation car, dit- ment liés, voire directement commandés par la il, « … il n’y aura bientôt plus que la documen- technique. La science universelle d’Otlet se pro- tation pour établir un contact régulier et bien- jette à cet égard dans une technoscience où la veillant entre les hommes. » 24 prédominance de l’élément technique s’exprime On retrouve ici mêlées des conceptions rele- explicitement en annonçant le règne du machi- vant des diverses traditions de l’encyclopédisme, nique, appelé à prendre en charge « … le pro- de Leibniz à Diderot en passant par Novalis. Les cessus d’organisation intégrale jusqu’à laisser entreprises encyclopédiques des siècles précé- entrevoir que l’Humanité, par des liaisons paci- dents, comme celle de Diderot et d’Alembert et, fiques et fécondes entre tous ses membres, plus encore que cette dernière, la visée d’en- deviendra un jour une unité organique, comme semble comme la méthode mise en œuvre par la Terre l’est devenue avec les cycle reliés de tous Leibniz dans l’établissement d’un système de ses mouvements (Géon). »21 communication universel induit par l’universali- té des connaissances ou par Novalis dans la mise Documentation ou encyclopédie ? en relation interdisciplinaire des diverses branches du savoir rappellent les filiations mul- Sur un plan plus pratique, l’œuvre d’Otlet est tiples mais souvent convergentes de l’ « équation guidée par la volonté de rassembler les connais- mondiale » d’Otlet. sances déjà constituées et les éléments épars des Les conceptions de Leibniz, à commencer par pratiques humaines, qui expriment des savoirs elles, sont particulièrement éclairantes pour ce qui non systématisés. Aussi son entreprise vise-t-elle est de l’universalisation des connaissances, mais à l’universalité, ce qu’il ne peut atteindre qu’en aussi de la recherche d’un moyen de communica- sublimant la diversité des cultures au nom de tion universel débarrassé des contextes sociocultu- cette même universalité, mais aussi des exigences rels comme de la subjectivité des scientifiques. méthodologiques qu’imposent le système de Outre l’intérêt porté par le philosophe allemand – 20. Les langues du Paradis, classification et de documentation choisis. La par ailleurs conseiller à la cour de l’électorat de Seuil, Paris, 1989. méthode en question, à cet égard, nous semble Mayence – à la consolidation de la paix au sein de 21. Monde, p. XI. 22. Monde, p. 360. aller au-delà de l’interdisciplinaire et s’engager l’ordre européen, on connaît, mieux sans doute 23. Monde, p. 123. vers le transdisciplinaire. La méthode interdisci- que son action diplomatique, le grandiose projet 24. Monde, p. 388 et 400. plinaire est certes clairement affirmée : « Il est d’une caractérisation universelle de la connaissan-

40 ce, voué à l’échec mais que l’informatique rend des raisons. Quant aux instruments mobilisés par aujourd’hui plus plausible. La démarche leibni- la méthode, on trouve nombre d’éléments qui se zienne ne quitte pas la sphère utopique dans la retrouveront dans le réseau universel de docu- mesure où elle ignore, comme son auteur sera mentation d’Otlet : cryptographie, cartographie, finalement amener à constater, que toute classifi- systèmes divers de communication (y compris cation est arbitraire et conjecturale. Ce que Borges pour les sourds-muets), systèmes de documenta- illustrera par la classification chinoise des animaux tion pour les bibliothèques. Bref, un ensemble de dite du Marché céleste des connaissances bénévoles, systèmes de signes que Marcelo Dascal considère dont il reprendra l’idée au Trésor de l’histoire des justement comme une véritable « sémiologie »26, langues de Claude Duret (m. 1611)25. Mais la ce dont on pourrait tout aussi bien qualifier le démarche de Leibniz répond dans le même temps Mundaneum (successeur du Palais mondial) à une nécessité pratique qui le conduit tant à pro- qu’Otlet définissait comme étant simultanément poser l’application du calcul infinitésimal aux une idée, une méthode, un réseau, une institu- questions relevant de la politique et de la morale, tion et un « Résumé du total, symbole de tous les qu’à soutenir que toute discussion pouvait être symboles, prototype de toutes les choses impor- réduite à un simple calcul, pourvu que le langage tantes rapprochées et en ordre, classification des dans lequel il serait conduit fût réformé selon la classifications, documentation des documenta- structure rigoureuse des mathématiques, de façon tions, foyer des foyers, université des à assurer leur adéquation aux concepts par le biais universités. »27 La méthode elle-même est leibni- de la « caractéristique universelle ». Depuis le 17e zienne, à rapprocher de la combinatoire qui se siècle, des essais de nomenclature avaient été réali- compose chez Leibniz en trois moments : l’ana- sés en vue d’assurer la bonne formation des expres- lyse des idées, qui ramène le complexe et le sions et par là de garantir leur vérité. Dans la pen- confus à un inventaire de notions simples et fon- sée classique (chez Descartes, Dalgarno, Wilkins), damentales reprises dans un répertoire dit ce requisit est lié à une ontologie et à une métho- « alphabet des pensées humaines » ; la représen- dologie cognitive, ces deux éléments recouvrant ce tation symbolique de ces notions dans une écri- que Leibniz nommait L’encyclopédie (selon une ter- ture universelle faite de symboles numériques; minologie que reprendra Couturat, son premier enfin, la combinaison des symboles selon la grand commentateur). logique combinatoire proprement dite, qui Otlet reprendra l’idée leibnizienne d’une nota- exprime les rapports entre les idées. Le symbolis- tion symbolique universelle qui réponde à une me mathématique que cette méthode met en nécessité pratique, notamment pour ce qui œuvre constitue une mathesis universelle dont on touche à l’universalité des langues, qui elle-même retrouve les articulations dans la méthode renvoie à l’universalité conceptuelle des connais- d’Otlet. Celui-ci considère que le problème ulti- sances. La classification bibliographique décima- me de la connaissance scientifique passe par le de Melvil Dewey (1873) adoptée par l’Institut l’analyse qui « désintègre » tout ce qui existe et en de bibliographie international, fondé à Bruxelles effectue l’analyse mathématique, pour ensuite en 1895 pour établir le répertoire bibliogra- enregistrer les données au moyen des différents phique des productions intellectuelles du monde modes de notation, pour pouvoir en assurer la entier, répond à cette même nécessité. transmission autant que pour établir des tables 25. Cf. Claude Duret, Mais on retiendra aussi une caractéristique du de prévision dont la fonction ultime serait la cor- Thrésor de l’Histoire des système de Leibniz plus essentielle à notre pro- rection et l’adaptation des réalités aux données Langues de cest Univers, pos, qui consiste à regrouper les éléments en les établies mathématiquement. La notation biblio- Coligny, 1613, in-4°. Cité organisant de sorte que chacun d’eux soit lié à graphique en est une traduction, par l’introduc- dans Sylvain Auroux (dir.), Histoire des idées linguis- tous les autres, ce qui crée la possibilité de plu- tion d’éléments syntaxiques (relations entre tiques, tome 3, Mardaga, sieurs voies (ordres) pour aller de l’un à l’autre – signes) et sémantiques (portant sur le contenu Liège, 2000, p. 381. c’est là le propre d’une véritable structure en géographique, linguistique et interprétatif). La 26. La sémiologie de Leibniz, Aubier réseau. Leibniz établit de la sorte une pensée sys- logique de référence n’est autre que la logique Montaigne, Paris, 1978. tématique qui se sépare de l’ordre déductif linéai- d’Aristote, dont Otlet estime qu’elle n’a pas été 27. Monde, p. 453. re qui, comme chez Descartes, caractérise l’ordre dépassée, celle-la même qui fut cultivée comme

41 28. Cf. Logique de Port- instrument (organon) de la pensée par la corollaires de la modernité en marche. Le réper- Royal, désignation couran- te de l’ouvrage d’Antoine Scolastique médiévale, villipendée par la toire bibliographique de la totalité des produc- Arnauld et Pierre Nicole Renaissance et même par Descartes avant d’être tions intellectuelles serait idéalement transmis, paru en 1662 sous le titre réhabilitée par Leibniz, qui y reconnaît un « art croyait-on, à l’aide d’un instrument de commu- de la Logique ou l’Art de penser. d’infaillibilité », et qui se continuera dans les pro- nication unique. 29. Histoire des idées lin- jets de rectitude du langage qui parcourt tout le Depuis le début du 20e siècle, toutefois, le guistiques, tome 3, 17e siècle28. De là, la logique étendra son empire projet de langue universelle (lié à une ontologie Mardaga, Liège, p. 378. à la totalité de la langue et prétendra à la réduc- par son adéquation à l’expression directe des 30. La langue universelle 30 est condamnée à demeurer tion de toutes les langues à une seule (universel- idées) devait peu à peu laisser la place à celui de dans le domaine de l’uto- le, projet sur lequel Descartes resta très réservé), langue internationale auxiliaire (conçue comme pie car impossible à réali- car la logique était considérée comme un îlot de instrument pratique et pragmatique adapté aux ser, tant dans sa dimension extensionnelle (la fixation rigueur dans l’océan mouvant des langues parlées besoins concrets de la communication). L’idée définitive des concepts la par les hommes. Cette conception parviendra au de langue universelle ne subsiste aujourd’hui soustrairait à l’histoire) 20e siècle en acquérant une dimension interna- que dans les langages formels et les langages de que dans sa dimension tionale qui s’ajoutait à la légitimité logico-scien- programmation, dont l’universalité n’est telle intensionnelle (il faudrrait atteindre l’achèvement du tifique qui lui servait de modèle. que par imposition étendue à la planète entière savoir). Cf. l’argumenta- Cet aspect de l’universalisme, qui retint l’at- d’un formalisme particulier. Par contre, les tion de Destutt de Tracy tention d’Henri La Fontaine plus que d’Otlet défenseurs des langues internationales auxiliaires (Grammaire, 1803) résu- lui-même, est étroitement associé à la dimension n’ont pas désarmé, et on comprendra que les mée par Sylvain Auroux dans Histoire des idées lin- sociale et scientifique de leur collaboration. entreprises d’Otlet et La Fontaine aient accueilli guistiques,tome 3, op.cit., Comme le remarque Sylvain Auroux, l’intro- avec sympathie le projet espérantiste. Au point p.380-382. En 1931, le duction du premier numéro de la Tribune des que le Congrès universel de l’Union des associa- deuxième théorème de Gödel démontre que la Linguistes précise que la langue universelle « … tions internationales de 1920 adopta une résolu- démonstration de la non- est le complément nécessaire, fatal, des chemins tion en sa faveur. La Fontaine en particulier, contradiction d’un système de fer, des télégraphes électriques, des grandes sénateur à l’époque et partisan de longue date de ne peut appartenir au sys- expositions, de toutes les découvertes scienti- la diffusion de l’espéranto, devint rapporteur de tème lui-même, ce qui 31 implique notamment l’im- fiques, de toutes les créations industrielles de la délégation des onze pays qui présentèrent la possibilité de toute langue notre époque. »29 C’est ici qu’on aperçoit une même année, à la première Assemblée de la ou caractéristique univer- différence de point de vue entre Otlet et La fon- SdN, un projet de résolution en ce sens. selle de type leibnizien. C’est cependant un projet taine – le premier étant concerné par un langage de même ambition que apte à transmettre les concepts posés comme L’empreinte romantique relance l’Ecole de Vienne étant universels au fondement des connaissances et singulièrement la termi- de l’humanité, le second étant davantage sen- Le monde conçu comme perpétuel devenir nologie technoscientifique internationale dont on sible à la communication pragmatique au-delà déchiré de multiples contradictions est l’un des connaît la vitalité aujour- des divisions linguistiques et donc à l’adoption thèmes saillants du romantisme et singulière- d’hui (Cf. Paul Ghils, d’une langue internationale, voire universelle. ment d’un auteur qu’on pourra s’étonner de voir “Standardized Non qu’Otlet méconnût l’enjeu de l’universalis- évoqué ici, mais qui, pour n’être pas le plus Terminologies and Cultural Diversity”, me linguistique, qui confortait son propre pro- représentatif du romantisme, représente sans Zeitschrift für allgemeine jet. L’humaniste Ludwik Lejzer Zamenhof, pour aucun doute l’une des tentatives les plus origi- Wissenschaftstheorie/Journal citer celui qui lança en 1906 les fondements nales de la tradition encyclopédiste. Dans la for General Philosophy of Science, 23/1, 1992. d’une religion universelle, le hillélisme, respec- perspective post-kantienne, dite de l’idéalisme 31. Afrique du Sud, tueuse des particularités religieuses, linguis- allemand, Novalis a en effet conçu en 1798- Belgique, Brésil, Chili, tiques, nationales de chacun mais les réunissant 1799 l’élaboration d’un savoir absolu et systé- Chine, Colombie, Haïti, dans un amour de l’humanité tout entière, ne matique, dont le contenu vient de faire l’objet Inde, Italie, Perse, Tchécoslovaquie (Cf. René pouvait laisser Otlet indifférent, ne serait-ce d’une édition intégrale sous la direction éclairée Centassi et Henri Masson, qu’en raison du caractère total et de la connota- d’Olivier Schefer32. Novalis jeta les bases de ce L’homme qui a défié Babel, tion mystique de l’initiative du « docteur qui devait être une « Bible scientifique » ambi- L’Harmattan, Paris, 2001. 32. Novalis, Le Brouillon Esperanto ». La seconde moitié du 19e siècle tionnant de réunir, pour reprendre les termes du général, Editions Allia, avait vu se multiplier les systèmes de communi- néo-platonicien Hemsterhuis cité par l’auteur, Paris, 2000. cation universels, considérés comme autant de « les membres longtemps séparés de la science

42 totale. » On notera avec intérêt, avec Schafer, coopération de plus en, plus étendue – une pen- que l’encyclopédisme de Novalis s’apparente, sée collective.»35 D’un autre point de vue, il reste plus qu’à l’ « agrégat empirique » de Diderot et toutefois en deçà de la conception novalisienne, d’Alembert33, à un projet systématique visant à qui propose de dépasser cette fermeture vers un surmonter les oppositions non résolues par la modèle plus ouvert, sans point de référence pri- pensée critique entre le sujet et l’objet, ente vilégié, « chaotique » , « dynamisé par une phi- l’idéal et le réel. Du droit à la géologie en passant losophie de l’infini »36. Otlet conçoit au contrai- par la réflexion philosophique la plus abstraite, re « un point d’où se dérouleraient toute les Novalis entend établir une systématisation des choses du monde, un point d’où chacun aperce- savoirs qui concilie science, philosophie, religion vrait que sa conscience, sa volonté, son senti- et esthétique. Non pas tant pour résoudre les ment ne sont que des aspects du grand total, tensions en un tout ordonné par le Vrai et le l’aspect approprié à la synthèse de sa personne Beau que pour établir un universalisme relatif, (son cas personnel). Là, les trois unités, connais- 33. Il faudrait ici rendre pluriel, dont l’extrême modernité s’exprime sance, sentiment et action, s’étant chacune orga- justice à Diderot, dont notamment par la conception de l’unité dans la nisée et unifiée séparément au maximum, à leur l’œuvre ne peut être rédui- 37 te, pensons-nous, à un pluralité, d’un univers mobile et inépuisable et tour, se rapprochent et se fusionnent. » « agglomérat empirique » par l’exigence corrélative de l’interdisciplinarité dans la mesure où Diderot – qui dans ce cas référerait davantage à une L’utopie politique est l’un des initiateurs en forme de transdisciplinarité - et de l’interroga- littérature, mais aussi en philosophie, de cette tion sur le sens de l’identité et de la contradic- Si Otlet apparaît comme étant leibnizien, avec « pluralité des voix », tion. Mais l’originalité de Novalis, souligne une touche romantique, dans la sphère du savoir aujourd’hui appelée Schefer, réside essentiellement dans la complica- et de sa diffusion, en va-t-il autant s’agissant des « polyphonie », qui ren- voie à une communication tion du modèle combinatoire leibnizien, relations internationales ? Après tout, Otlet non identitaire et réticulai- qu’évoque inévitablement la tradition encyclo- conçoit un projet de (re)construction totale après re. pédiste. Novalis invite en effet à penser en plu- les affres d’une guerre qui elle-même était « tota- 34. « Encyclopédie et sieurs sens, à « parcourir une série mathéma- le », non seulement militaire, économique et cul- combinatoire », Ibid., p. 15. tique, ou une suite de problèmes, en dehors de turelle, mais touchant aussi les populations 35. Monde, p. 256. tout point d’origine. »34 Il s’agit d’une véritable civiles - 38, là où Leibniz écrit dans les décennies 36. Novalis, Ibid., p. 325. ouverture vers un univers dynamique et décen- qui suivent la Guerre de Trente Ans scellée par la 37. Monde, p. 385-386. 38. Cf. Stéphane Audoin- tré, débarrassé de l’ontologie platonicienne signature des Traités de Westphalie (1648) et Rouzeau et Annette (l’harmonie préétablie) de Leibniz, proche de la cherche à créer un moyen de communication Becker, La Grande Guerre. « pensée nomade » de Deleuze et qui préfigure la entre les peuples qui puisse conjurer les pouvoirs 1914-1918, Gallimard, pensée réticulaire, la philosophie des réseaux dévastateurs des rationalités théologiennes qui Paris, 1998. Notons que l’acception du terme dont Otlet, à certains égards, jettera les bases. avaient déchiré l’Europe. Mais la comparaison « guerre totale » diffère ici Celui-ci conserve du romantisme, d’autre s’arrête là, car Leibniz ne fut jamais pacifiste et ne de celle qui qualifia la part, ce qui tient à la notion de cycle articulé sur partagea pas l’idée de « paix perpétuelle pour Deuxième Guerre mondia- une structure ternaire, dont le système roman- l’Europe » énoncée par l’abbé de Saint-Pierre, le, mais aussi du même terme utilisé par tique ne se départit pas et où le troisième terme tandis qu’Otlet restait utopiste au niveau inter- Clausewitz, à qui est attri- (art, religion ou philosophie) a pour fonction de national comme il l’était dans sa conception de la bué sa création, mais qui synthétiser, d’équilibrer les deux premiers termes science. Le « meilleur des mondes possibles » n’avait rien à dire au sujet des non-belligérents dans (le réel et l’idéal). La référence au néo-platonis- leibnizien, même s’il suppose la nécessité d’un la guerre menée contre la me est présente chez Otlet comme chez Novalis, fondement rationnel, voire mathématique (par France révolutionnaire. assez élogieuse du reste à l’égard d’une histoire l’application du calcul infinitésimal) à l’unité 39. Cf. Gottfried W. de la pensée qui se caractérise, souligne le pre- politique s’apparente plutôt à la Realpolitik39, tan- Leibniz, « Observations sur le projet d’une paix mier, par une continuité (dix siècles depuis dis que la « constitution mondiale » d’Otlet et La perpétuelle de M. l’abbé l’école d’Alexandrie) et une unité remarquables Fontaine est explicitement cosmopolitique. de Saint-Pierre », 1715, in et qui dans son fondement « résume toutes les Le projet de société auquel pense Otlet frappe Oeuvres complètes, Firmin Didot, Paris, tome IV, p. philosophies, toutes les religions, toutes les d’autre part par sa tonalité platonicienne : on 328-336. moeurs de l’Antiquité » et oriente la formation pourra voir dans la grille des formes de gouver- 40. Monde, p.329. ultérieure de la pensée « selon des vues d’une nement 40 une configuration platonicienne, de

43 même que dans la finalité du « gouvernement la ville moderne. Les destructions de la guerre et scientifique » dont la teneur n’est guère éloignée les révolutions politiques sont l’occasion de sceller de l’aristocratie du savoir qui s’incarne chez l’alliance entre l’architecture et ce qui devient déjà Platon dans le gouvernement des philosophes, et la technoscience, symbolisée par l’entrée en scène dont l’incarnation la plus contemporaine serait de l’ « architecte démiurge ». La Cité mondiale l’oligarchie des experts, notamment des experts constitue l’un des avatars d’une utopie caractérisée en communication/information, avant que par ce paradoxe qui est de naître de l’imagination peut-être une nouvelle oligarchie des maîtres de confrontée aux problèmes sociaux, économiques la biotechnologie ne lui succède. ou politiques qui surgissent dans les sociétés, spé- La conception qui se dégage de cette perspec- cialement dans les périodes de transition ou de tive d’une « prévision totale » et d’une « équa- mutation, pour concevoir une réflexion critique et tion du monde » devait mener tout naturelle- de là se projeter en une multitude de projets réfor- ment à cette autre face de l’utopisme d’Otlet mateurs, voire révolutionnaires, dans l’espace et qu’est l’édification de la Cité mondiale. De dans le temps. A cet égard, le modèle spatial façon analogue, il tentera de concilier la liberté auquel pensent Otlet et Le Corbusier plonge ses et l’inventivité humaines avec l’idée de la maîtri- racines, comme bien d’autres utopies, dans les se des corrélations liant des diverses activités de remous de la Renaissance, lorsque Thomas More l’homme. Ces deux démarches, prévision socio- lançait le texte instaurateur de l’Utopia (1516) qui, logique et construction de la Cité, dont on aper- parti de la critique de la société existante, élaborait çoit que sur le fond elles comportent des pré- cette « cité de nulle part », l’anti-société opposée à supposés contradictoires, sont puissamment sti- la première. La méthode des topoi, comme le mulées par les nombreuses initiatives et notait déjà Aristote est en effet l’une des fonctions réflexions touchant à la paix mondiale, au rôle de l’imagination aptes à cristalliser la mémoire42 - de la science et, de façon de plus en plus insis- Otlet s’y réfère souvent -, en liant des impressions tante, à l’architectonique des sociétés dans le sensorielles par une opération de spatialisation sens le plus littéral, soit la conception architec- visuelle artificiellement mise en place, laquelle per- turale des villes et des cités et les réseaux com- met une mise en action maîtrisée. Mais si l’utopie municationnels qui les irriguent. de More n’avait pas de finalité pratique, celle L’admiration que voue Otlet au génie inventif d’Otlet se veut aboutissement pratique justifié par de Le Corbusier, qui illustre pour lui, dans l’ordre les horreurs de la Première Guerre mondiale, selon de l’imprévisible et de l’inattendu, ces « éclate- un mouvement de « réalisation de l’utopie » carac- ments continus, précipités, accélérés des événe- téristique de cette configuration de l’imaginaire. ments modernes, remue-ménage puissant de la vie Peut-être est-ce cette volonté pratique qui qui se manifeste à nous par ces médiums les inven- explique le caractère absolu, quasiment teurs. »41, la Cité qui résulta de leur collaboration mythique attaché aux projets de cités modèles pourra au contraire donner le sentiment, récurrent proches de l’esprit de la Charte d’Athènes. On dans toute utopie de ce type, d’une totalisation peut aussi penser que c’est la raison pour laquel- qui ne laisse guère de champ à la liberté et à la le les détracteurs de la ville-modèle dénoncèrent création. Le courant progressiste – ce terme étant la collusion de ses architectes avec un terrorisme entendu comme référant à la voie ouverte par la scientiste recourant à l’affirmation dogmatique science aux progrès sociaux et sociétaux – qui selon laquelle, comme le soutenait Le Corbusier, domine l’urbanisme dans la première moitié du « Les preuves de laboratoire existent, tout est 20e siècle jusqu’en 1960 s’affirme dans les expérimenté par les sciences »43. 41. Monde, p. 418. Congrès internationaux d’architecture moderne L’aspect politique de ce mouvement s’inscrit 42. Cf. Jean-Jacques Wunenburger, Philosophie (CIAM), à la création desquels Le Corbusier pour ainsi dire naturellement dans le déploie- des images, PUF, Paris, contribue activement en 1928 et qui aboutit à la ment concret du projet utopique : le phénomè- 1997. Charte d’Athènes, œuvre collective d’abord ne semble en effet récurrent depuis les anciens 43. Françoise Choay, « Urbanisme – théorie et publiée anonymement en 1933, dont Le Grecs, où le mythe, d’abord lié aux récits reli- réalisations », Encyclopédie Corbusier signa une édition en 1943 et qui se gieux pourvoyeurs d’une vérité collective dans Universalis, 2001. donne explicitement pour solution du « chaos » de les sociétés dites prérationnelles ou tradition-

44 nelles, s’autonomise « et n’est révélateur de sens projet imaginé par Otlet (le plan mondial d’Otlet , et non imposition de vérité unique, que s’il est comporte un volet hygiéniste). On retrouve éga- contemporain d’un logos, d’une raison hermé- lement la trace de la tradition de pensée saint- neutique qui l’interprète de manière libre, simonienne, où tout peut être mis en relation ouverte, en fonction d’un questionnement. »44 avec tout et engendrer un mouvement de circula- C’est ainsi que le politique, en Occident, s’est tion des personnes, des biens, des capitaux, des lentement construit sur la défaite du mythe, idées, du savoir, autant de secteurs de l’activité depuis l’autonomisation de la cité des anciens humaine dont Otlet prend soin de souligner les Grecs en tant que communauté politique jus- interconnexions. Ce principe s’accompagne chez qu’à l’apparition, beaucoup plus tard, des démo- Saint-Simon d’une pensée originale sur la contra- craties modernes. Le projet d’Otlet, s’il se carac- diction entre solide et fluide. La contradiction térise par son caractère ingénu ou son optimis- tient au fait que l’organisation implique une cer- me excessif, ne fait donc que reprendre ce geste taine solidité alors que la fluidité est nécessaire à qui va du présupposé absolu à son illustration la vie, à ses changements incessants. Elle trouve sa par un construit à caractère politique. Dès la résolution dans une circulation (fluide) à travers seconde moitié du 18e siècle, dans le cadre de la des tuyaux, des tubes, des canaux, des vaisseaux, «médicalisation» de la société européenne, la caractéristiques d’une structure solide. Les saint- modélisation scientifique se précise par l’adop- simoniens se réfèrent ainsi à un ensemble de tion de formes fragmentaires telles que les concepts que l’on retrouve sans peine chez Otlet : «machines à guérir» ou hôpitaux modèles de la promotion des réseaux - bancaires et financiers, Tenon, ou encore le panoptisme de Jeremy routiers, maritimes, ferroviaires… Le réseau n’est Bentham. Dans son Panopticon (1787), celui-ci plus ici un concept seulement opératoire, il est le proposait un dispositif permettant de régler et vecteur d’une philosophie et même d’une mys- de contrôler, en les corrigeant et en les normali- tique de la communication généralisée. L’utopie sant, les comportements de groupes sociaux communicationnelle - que l’on retrouvera de nos nécessitant une surveillance. jours sous les formes que l’on sait - est une carac- Une modélisation critique, globale et non plus téristique essentielle des courants progressistes fragmentaire, apparaît au début du 19e siècle avec vouant une même foi dans le progrès scientifique les réformateurs utopistes. Progressistes ou cultu- et technique – d’où le sens particulier du terme ralistes, ceux-ci fondent pareillement leurs projets « progressiste » déjà noté -, une même conception de contre-sociétés sur une double critique, socio- de l’individu humain comme type universel, économique et morphologique de la ville dans la identique en tous temps et en tous lieux malgré la société industrielle. Et afin de pouvoir «métamor- diversité culturelle qui leur est par ailleurs recon- phoser subitement le monde social» (Fourier), ils nue. imaginent pareillement des cités modèles desti- En ce sens, on pourra considérer que l’utopie, nées à être réalisées. En fait, l’échelle des réalisa- qu’elle soit cognitive, mondialiste ou communi- tions (New Harmony d’Owen, colonies ica- cationnelle, recèle le danger sinon d’une forme riennes de Cabet) ne fut pas significative. de totalitarisme, du moins d’une totalisation qui Néanmoins, les textes et projets utopiques méri- étouffe en fin de compte la créativité et la liber- tent le nom de pré-urbanisme dans la mesure où té de l’individu comme des collectivités 44. Cf. Jean-Jacques Wunenburger, Une utopie leur démarche commune préfigure celle de l’ur- humaines. On a pu voir dans la Cité de Platon de la raison. Essai sur la banisme, et où les prémices idéologiques et les et dans toutes les utopies englobantes qui lui ont politique moderne, La Table établissements modèles respectifs des utopies pro- succédé les expressions d’un dogmatisme du Ronde, Paris, 2002. gressistes et culturalistes sous-tendent ceux des savoir, d’un monopole du pouvoir politique ou 45. Cf. Pierre Musso, « Le 45 cyberepace, figure de l’uto- deux courants de l’urbanisme . d’une censure de l’expression humaine dans sa pie technologique réticu- C’est cependant le modèle progressiste élaboré diversité. Cependant, si l’on restitue encore une laire », Sociologie et sociétés, par des hygiénistes comme B. W. Richardson fois aux représentations humaines leur contexte XXXII.2, 2000. http://www.erudit.org/rev (Hygeia, 1876), mais surtout par ceux que Marx a historique, il est tout aussi justifié de voir dans ue/socsoc/2000/v32/n2/00 nommés les «socialistes utopistes», Owen, La République et Les Lois les modèles de cités 1521ar.pdf. Fourier, Cabet et leurs disciples qui annoncent le justes plus proches des mystiques communau-

45 taires que des Etats totalitaires. La forme de la oméga » de Teilhard de Chardin ou le « cerveau cité platonicienne se trouverait en effet, comme planétaire » de Joël de Rosnay que les expres- le propose Jean-Jacques Wunenburger, « … sions mythiques, de la cyberculture au cyberes- interposée entre le modèle des confréries pytha- pace, de l’utopie communicationnelle. Mais elle goriciennes et les projets de sociétés imaginées les préfigure à condition de ne garder bien sou- par les utopies religieuses chrétiennes de la vent de la première qu’une version partielle voire Renaissance. »46 .Les utopies postérieures en partiale, qui force le trait au point de ne retenir question, de Thomas More à nos jours et de qu’une lecture littérale du platonisme ou du façon analogue, sont des sociétés closes minu- néo-platonisme, de la caracteristica universalis de tieusement réglementées dans les domaines de la Leibniz ou de l‘héritage pédagogique de l’ency- propriété, de la religion ou de la vie sexuelle qui clopédisme dont l’oeuvre d’Otlet reprend les n’ont pas grand-chose à voir avec les projets cos- thèmes. On trouvera une illustration dans le mopolitiques contemporains. La Cité mondiale « problème ultime de la documentation » uni- d’Otlet resterait alors prisonnière du paradoxe verselle, vu comme matérialisation du monde d’une sociologie qui, malgré les ambitions pro- des idées que la science, en tant que se détachant gressistes qu’elle affiche et qui portent les progressivement de l’esprit des hommes, permet marques de la modernité, demeurerait ancrée de construire. Si l’on complète cette perspective par ses concepts essentiels dans une perspective par celle de la contemplation de l’Univers grâce qui la rapproche implicitement du conservatis- à la saisie instrumentale et instantanée de chacu- me philosophique et politique. ne de ses parties et de chacun de ses mouve- ments48, on perçoit point par point ce qui équi- L’horizon communicationnel vaut à la recréation du monde des idées platoni- ciennes, la mimétique où l’Idea est ce « modèle Le projet politique contemporain, dans sa idéal dont l’artiste va réaliser une copie dans le dimension nationale tout au moins, a sans aucun monde physique »49. Mais les thèses défendues doute perdu de sa substance comme de son élan par nombre d’utopistes des cybermondes et de la initial, au point que même la démocratie se voit cyberculture sont en réalité la radicalisation de aujourd’hui menacée, d’une part par les dogma- ce que suggèrent et parfois explicitent les écrits tismes de tous bords, du religieux à l’économique d’Otlet, cette prolifération de formes qui se en passant par le scientifique et, d’autre part, par déploient en une hiérachie dynamique dont une implosion qui nous ramènerait, comme le l’aboutissement est ce « cerveau collectif » qui suggère un Emmanuel Todd en pensant à Platon, ferait de l’homme cet « être omniscient, à la à une oligarchie des puissants ou des experts47. manière de Dieu lui-même. »50 Le formisme, Mais il est tout aussi vrai que d’autres dimensions repris plus tard par le néo-platonisme de la utopiques sont apparues, plus proches de cette forme génératrice pour réapparaître aujourd’hui 46. Jean-Jacques cité universelle qu’imagina Otlet après bien chez divers penseurs, dessine la « hiérarchie Wunenburger, op. cit., p. d’autres utopistes. Ainsi, certains aspects de l’uto- d’images visibles et invisibles à travers laquelle 90. 47. Cf. La fin de l’empire. pie de Thomas More, de la Cité de Campanella, l’âme, comprise comme oeil intérieur, regard Essai sur la décomposition voire de la Cité parfaite de Platon se retrouvent, spirituel, peut accéder à la contemplation du du système américain, Paris, au moins par leur esprit, dans les mythes contem- modèle divin lui-même »51 Ainsi chez Pierre 2002. 48. Monde, p. 390-391. porains de la noosphère et de la cyberculture, de Lévy, pour qui l’évolution humaine se décline en 49. Jean-Jacques la société civile mondiale ou de la juridiction uni- une expansion de la conscience dont les étapes se Wunenburger, Philosophie verselle, c’est-à-dire dans ce qui reste peut-être le conçoivent en un geste unique menant à la des images, PUF, Paris, seul horizon offert à l’imaginaire utopique : la « sphère des formes », la (cyber)culture se 1997, p. 117. 50. Monde, p. 358 et 390- construction d’un ordre planétaire fondé sur une construit comme ensemble de modes de trans- 391. démocratisation des relations internationales, sur mission et de réception dont la réalisation est 51. Jean-Jacques un nouveau contrat entre l’homme et la biosphè- physique, mais converge dans la notion teilhar- Wunenburger, op. cit., p. re ou sur l’accès universel au savoir. dienne de « noosphère », qui exprime un unique 118. 52 52. World Philosophie, On peut donc penser que la pensée d’Otlet élan de création, de la création. On notera avec Odile Jacob, Paris, 2000. préfigure aussi bien la projection du « point curiosité que le lyrisme formiste de Lévy reprend

46 l’idée du « musée universel », promu ici comme Eco l’avait exprimé en son temps, en montrant foyer harmonique de la genèse et du déploie- qu’il y a communication parce qu’on ne voit pas ment des formes actuelles et virtuelles de l’arbre tout d’un seul coup, ou mieux encore, parce que cosmique : « Le cyberespace deviendra un extra- le Tout ne peut être aperçu d’un seul coup55. ordinaire musée où seront exposés toutes les Autrement dit, les notions que nous croyons être formes et leurs rapports »53. au fondement de conceptions opposées ne sont- elles pas le départ de nouvelles problématiques, Conclusion dans la mesure où elles ne peuvent s’expliquer elles-mêmes ni se décrire dans leur propre langa- Comme toutes les utopies, la Cité mondiale et ge, sans évoquer cela même qui les met en ques- le Mundaneum central d’Otlet se nourrisent de tion? Ainsi en va-t-il des notions de centre et de diverses traditions, le plus souvent fort décentrement qui se combattent dan la repré- anciennes, mais présentent aussi cette particula- sentation réticulaire, où le réseau serait plus un rité du mythe d’annoncer des projets histo- lieu de passage qu’un outil heuristique. Leibniz riques, voire de se traduire en réalisations ne s’y trompa point, lorsqu’il attribua l’origine concrètes. L’inspiration platonicienne et néo- des kua (les hexagrammes chinois du yi king, platonicienne, leibnizienne et kantienne du pro- dont il nota l’affinité avec l’idée de caracteristica jet d’Otlet se retrouve en effet dans un certain universalis) à un Hermès chinois, non sans rai- nombre de courants intellectuels contemporains son en effet, nous dit Umberto Eco, puisque qui mêlent la toute-puissance de la technoscien- Fou-Hi (le concepteur mythique, mais non his- ce, l’illusion de la communication universelle et torique, des hexagrammes) était considéré le projet cosmopolitique dont les prémices comme une sorte de père des inventions56. étaient présentes dès le début du 20e siècle. Quant aux spécialistes contemporains du cyber- Parmi ces diverses sources, c’est peut-être la tra- monde, ils ne disent rien d’autre lorsqu’ils voient dition platonicienne qui est la plus affectée par dans les techniques de communication le lieu le phénomène d’affaiblissement graduel de vide d’un passage, le messager du destin et de l’utopie observé par les historiens. En un certain l’avenir, plutôt que le fondement d’une nouvell- 53. Id., p. 172. sens mais en un sens fondamental, la vision le organisation sociale57. 54. Ainsi, « L’ordre juri- d’Otlet apparaît d’abord et manifestement On touche ici à l’un des paradoxes du projet dique est conçu comme 54 un ensemble de relations comme totalisante. L’image de la sphère , l’une d’Otlet, qui s’explique peut-être par ce paradoxe coordonnées à un point de ses métaphores privilégiées, est ici particuliè- propre à la sociologie qui fait que, pour progres- central » (Monde, p. 385; rement significative, notamment lorsqu’elle se sistes que soient ses objectifs et les valeurs poli- « Par le Mundaneum cen- résout en quelques concepts tels que la présence tiques et scientifiques de ses figures principales tral, en un point du globe existera l’image et la signi- à la réalité dans toute son extension, la plénitu- dans la genèse de la modernité, ses concepts fication totale du de de l’être, une forme d’ubiquité restreinte au essentiels et ses perspectives implicites la pla- monde. » (p. 452) ; point central, dont la signification profonde cent, d’une façon générale, beaucoup plus près « l’ordre cognitif est rame- s’oppose en réalité à la vision réticulaire dont on du conservatisme philosophique. Ainsi, la pen- né à une sphère dont le centre est le point de réfé- attribue fréquemment la paternité à Otlet. La sée sociologique française, de Comte à rence de l’ensemble des conception et la pratique des réseaux, telles que Durkheim, se préoccupe de la recréation de la relations entre les nous les connaissons mais aussi telles qu’elles communauté et de la restauration de l’«ordre» éléments » (p. XXV). 55. La structure absente. s’affirmaient déjà dans les années 1920 et 1930, social par le moyen d’une nouvelle autorité Introduction à la recherche se présentent en effet bien davantage comme un morale qui contrôlerait le comportement et qui, sémiotique, Mercure de enchevêtrement d’entrelacs de nature très diver- effectivement, retarderait le changement social. France, Paris, 1972, p. sifiée et d’une extrême hétérogénéité. Elles oscil- Cette préoccupation apparaît aussi chez 368-370. 56. Les langues du Paradis., lent entre le chaos – aboutissement aussi légiti- Tönnies, lorsqu’il dépeint le contraste existant p. 325-326. me des mathématiques contemporaines que le entre les deux types de sociétés qu’il appelle 57. Cf. notamment Pierre fut l’harmonie des utopistes – et l’hyperstructu- «communauté» (caractérisée par d’étroites rela- Musso, op. cit., ou Lucien Sfez, Critique de la com- ration, entre l’ordre et le désordre, dans un mou- tions personnelles) et «société» (où prédominent munication,PUF, Paris, vement dont Novalis avait aperçu qu’il est rétif à des relations impersonnelles, comme en connaît 1992. toute référence unique. Comme aussi Umberto l’économie capitaliste). On retrouve plus tard le

47 même souci dans le pessimisme de Weber qui projet d’Otlet retrouve ici aussi, sur le plan phi- déplore les conséquences de la rationalisation losophique cette fois, une expression double : croissante de la vie sociale et le «désenchante- créer et contempler le monde.59 ment du monde»58, soit l’érosion de la dimen- C’est ainsi que le « vertige taxonomique » d’Otlet, sion communautaire des sociétés. exemple singulier de la raison classificatoire, s’ali- La Cité d’Otlet reste donc platonicienne par mente, dans le droit fil de Leibniz et de l’utopie l’ambition que suggère la finalité de la docu- encyclopédiste, à l’idée du deus ex machina, l’illu- mentation, car s’il concède que « L’homme n’au- mination d’origine machinique, qui préserve l’har- rait plus besoin de documentation s’il était assi- monie préétablie de l’ontologie platonicienne. De milé à un être devenu omniscient, à la manière même que l’intérêt que portait Leibniz aux idéo- de Dieu lui-même » , il réintroduit de manière grammes chinois se justifiait par la recherche d’un subreptice l’ambition divine elle-même, dont le langage conceptuel universel qui permît une com- but ultime est de parfaire la connaissance scien- munication internationale effective, Otlet chercha tifique à tel point qu’il serait possible alors de à fonder par la synthèse documentaire la concep- « désintégrer tout ce qui existe, de le reconsti- tion de la « machine intellectuelle », sorte de tuer, de l’ordonner de manières différentes » . dédoublement de l’organisme physique de l’hom- C’est la machine qui alors prend la place de me et de la société qui, par le biais de représenta- Dieu, s’instaurant régulatrice suprême de l’uni- tions multiples allant de la notation mathématique vers, car « Chacun pourrait obtenir tout ce qu’il à l’idéogramme en passant par les supports gra- désirerait en faisant appel directement aux phiques, aboutirait à une forme d’abstraction choses seules, et en se dispensant des hommes. maximale qui serait celle de la connaissance, mais Ainsi la machine serait devenue la libératrice de aussi celle du régime démocratique national et chacun, son fonctionnement se faisant par un mondial. Si Otlet préfigure par là les techniques de seul et les choses étant disposées dans l’ordre communication contemporaines, qui ne sont pas convenant pour ce seul. » Il s’agit ici de la révolutionnaires si l’on veut bien y voir un avatar machine dont Otlet avait imaginé qu’elle enser- de la conception organiciste du monde, il se sépa- rerait et relierait un jour, en recourant à l’en- re de la pensée systématique et réticulaire telle semble des moyens techniques existants, l’en- qu’elle avait été élaborée par un Novalis, soit semble des activités de l’homme. Refusant dans comme monde ouvert et en perpétuelle transfor- un premier temps de transgresser l’interdit de mation, dépourvu de point de référence unique. l’omniscience divine, Otlet se réapproprie dans Mais après tout, la modernité n’est-elle pas inéluc- un deuxième mouvement son image parfaite, tablement double, ne butte-t-elle pas sur ce para- projetée par la machine elle-même : « Ainsi doxe insoluble qui la projette vers un espace ubi- serait établie l’image mouvante du monde, sa quitaire, déterritorialisé, transnational en même mémoire, son véritable double. » Mais il peut temps qu’il la retourne vers des formes collectives cette fois en prendre la commande, car cette plus communautaires et identitaires, celles-là image n’est qu’une virtualité, une projection. Le même que l’on associe au prémoderne?

58. Cf. Thomas B. Bottomore, Élites et société (Elites and Society, 1964), trad. R. Bourdariat, Paris, 1967. 59. Monde, p. 390-391.

48 Utopies et réalités d’une documentation par Stéphanie Manfroid*

Les institutions créées jour, il faut qu’il en contienne cinq fois plus et leurs objectifs (cinquante millions).4 Jamais cet objectif n’a pu être atteint que ce soit du vivant d’Otlet ou voquer aujourd’hui le Mundaneum, c’est après son décès. appréhender les théories, les idéologie véhi- Deuxième étape, la documentation complète E culées par Otlet et La Fontaine depuis 1890. la synthèse universelle du savoir qu’il veut pro- Mais c’est aussi entrer dans un monde particu- poser à Bruxelles. Son concept de documenta- lier voué à la connaissance universelle et au tion englobe alors tout ce qui est vecteur d’in- savoir humain. formation. La forme revêtue par celle-ci impor- 1. Historienne, Stéphanie Le point de départ de cette aventure, dédiée au te moins que le message véhiculé. Plusieurs Manfroid est attachée au pacifisme, débute sur un mode bibliographique moyens sont proposés de réunir et collecter cette Mundameum depuis pour aboutir ensuite à une bibliothèque (ency- documentation : la bibliothèque universelle, 1996, se spécialisant 2 notamment dans l’inven- clopédie) et à un musée. Une cité mondiale l’encyclopédie documentaire et le musée inter- taire du fonds féminisme. devait compléter ce tableau qui fut le vaste chan- national. L’objectif de l’encyclopédie est décrit Depuis mars 2002, elle est tier d’une Idée. « Le Mundaneum est une Idée. comme suit. « Le travail d’organisations de la responsable des archives du Mundaneum. L’idée de l’universalisme et du mondialisme, la documentation se présente sous un triple aspect : il 2. V. Piette, Le projet de nécessité d’œuvrer à l’unité et aux moyens de s’en importe tout d’abord de collectionner et de classer création d’une cité mondi- approcher, par conséquent d’œuvrer à une concep- méthodiquement les titres de tout ce qui a été écrit ale ou l’utopie pacifiste tion générale du monde, science, synthèse, doctrine et publié dans les divers pays et aux diverses faite de briques, in : 1895- 1995, Cent ans de l’Office et système, à une méthode universelle de pensée et époques ; puis, l’œuvre s’élargissant, il y a lieu de International de d’action, à un droit et une constitution, une orga- réduire en leurs éléments toutes les publications et Bibliographie, les prémisses nisation embrassant l’ensemble des rapports tous les écrits et de le redistribuer pour en former du Mundaneum, sous la directions d’A. Despy- humains, à des directives coordonnées et à un plan. des dossiers conçus comme les chapitres et les para- Meyer,Editions L’idée qui place la connaissance synthétique du graphes d’un unique Livre universel ; enfin, devant Mundaneum, Mons, monde au centre de toutes les connaissances parti- l’abondance des documents, le besoin s’impose de les 1995. culières, le sentiment sympathique à l’égard des résumer et d’en coordonner le matériaux en une 3. P.Otlet, Essai d’univer- salisme, connaissance du êtres du monde à la base de tous les sentiments par- Encyclopédie universelle et perpétuelle. Une telle monde : sentiment du ticuliers ; l’action synergique pour l’amélioration encyclopédie, monument élevé à la pensée humaine monde : action organisée et du monde à la base de toutes les activités particu- et matérialisation graphique de toutes les sciences et plan du monde. Editiones Mundaneum, 1935, lières. L’idée qui propose de « mondialiser » le de tous les arts, est l’étape ultime. Elle aurait, en p.448. monde à ces trois points d evue ; à faire passer dans fait, pour collaborateurs tous les penseurs de tous les 4. P. Otlet, la Belgique et le tous les domaines du stade anarchique et inférieur temps et dessous les pays : elle serait la somme tota- mouvement international : actuel, fait de séparation et d’opposition, à un stade le de l’effort intellectuel des siècles».5 pour la création à Bruxelles d’un palais international au supérieur de culture, d’harmonie et de civilisation Dès le début du XXe siècle, le musée du Livre service des associations universelles. L’idée force aussi d’une Humanité (1906), la bibliothèque collective des Sociétés internationales et à la for- une, capable d’au moins autant de perfectionne- savantes (1907), Le Musée International de la mation de collections mon- ments et de progrès dans l’avenir qu’elle en a réali- Presse (1907) augmentent l’apport du RBU. diales. Office central des 3 Associations sé depuis ses premières origines. ». Ensuite, s’ajoute l’encyclopédie universelle qui Internationales, 1913, p. Résumons en quelques points ces différentes recouvre deux types de collections : le répertoire 64. étapes. 1895, L’Office International de Biblio- Universelle de Documentation (RUD) et le 5. P. Otlet, La Belgique et le mouvement international graphie voit le jour avec comme réalisation prin- Répertoire Iconographique Universel (RIU). …, p.65. cipale le répertoire bibliographique universel Pour coordonner les associations internationales 6. Office Central de (RBU) utilisant la classification décimale uni- ainsi que toutes les institutions nouvellement Documentation pour les verselle (CDU). Ce fichier qui eut son heure de créées, l’Union des Associations Internationales questions concernant la femme, Institut gloire jusqu’aux premières années du XXème voit le jour en 1910. D’autres offices spécialisés International de siècle reflète les références de tout ce qui avait pu intègrent l’UAI comme l’Office Central de Bibliographie, 1909, être publié à travers le monde dans toutes les dis- Documentation féminine en 1909.6 n°105, pp. 3-6. ciplines. En 1912, Otlet annonce que le conte- Voilà, le foisonnement associatif auquel on Associations transnationales nu du RBU avoisine pas moins de onze millions assiste au XXe siècle. Le gouvernement belge 1-2/2003, 49-59 de fiches. Il ajoute que pour que ce travail soit à consent, après la seconde guerre mondiale, la

49 centralisation des institutions découlant de Tous les collaborateurs assidus ou non trans- l’OIB au Cinquantenaire sous le nom Palais- mettent leurs papiers personnels et accumulent Mondial - Mundaneum. Signalons que la recon- une documentation en rapport avec leurs naissance de l’Etat et son soutien financier ne centres d’intérêts. Il en résulte quelques décou- vaut que pour précisément l’OIB. Les consé- vertes inattendues et un manque de cohérence quences de cette absence de reconnaissance entre les centres d’intérêts. Les dossiers biogra- nationale et légale ne réduit pas les ambitieux phiques du RUD s’enrichissent de notices de projets de Paul Otlet.7 Enfin, la structure et les personnalités du monde du spectacle des années liens entre ces associations évoluent simultané- soixante et septante. Les dossiers géographiques ment de façon très complémentaire. Même si les de ce même RUD contiennent de nombreux objectifs sont définis en cours de route dans une exemplaires de brochures touristiques. Cette structure de type pyramidale. Prenons l’Office accumulation désordonnée semble avoir été central de documentation féminine dont les ser- anarchique et peu suivie. Notons que durant vices proposés sont les suivants : bibliographie, cette époque difficile, les Amis du Palais bibliothèque, iconographie et dossiers docu- Mondial continuent d’organiser des confé- mentaires. On retrouve ces sections plus haut rences, des expositions et publient beaucoup dans le texte. Seule(s) la ou les thématique(s) pour preuve de leur dynamisme et de leur opti- diffère(nt). misme. Aujourd’hui, après des multiples déménage- Prenons encore le cas de l’Office Central de ments effectués dans de mauvaises conditions, Documentation féminine qui est joint aux après un travail laborieux mené par des succes- papiers de Léonie La Fontaine, pendant que le seurs valeureux mais sans moyen financier, après dépouillement d’une documentation spécialisée des prêts de longue durée,8 après des élimina- continue via les médias. Cette situation conduit tions inévitables, le Mundaneum propose des aujourd’hui à une relative incertitude quant à collections documentaires à valeur historique l’intégrité des fonds et des collections relatives à ainsi que des archives spécialisées. ce sujet. Ne parlons même pas de l’histoire des collections qui est hors de notre portée aujour- La documentation récoltée d’hui tant que nous n’aurons pas pu classer et inventorier les papiers de toutes les institutions Les modalités pratiques de récoltes internatio- du Mundaneum. Au lieu de pouvoir transmettre nales puisque le Mundaneum se veut une synthèse correctement les documents liés au développe- du savoir n’est pas connue avec précision. ment associatif du Mundaneum, on a préféré D’ailleurs, la bonne volonté des collaborations continuer l’œuvre de Paul Otlet en collectant internationales constitue la méthodologie d’usage.9 des documents ou en exploitant, démembrant Après la seconde guerre mondiale, les collabo- ainsi dles collections. rateurs du Mundaneum ne modifient pas la Sans critiquer ce travail effectué, nous ne pou- technique et tentent tant bien que mal à ordon- vons manquer d’observer ces éclatements succes- ner les collections, à les rendre accessible et à sifs. Le fonds des cartes postales que nous possé- publier la CDU. Apparemment, ce travail de dons est le fruit d’un travail minutieux de classement reste largement tributaire des recherche dans les papiers Léonie La Fontaine, 7. A. Canonne, les fonda- teurs, in : Lectures, N°25, moyens financiers et des locaux disponibles. Henri La Fontaine et Paul Otlet pour ne citer 1985, pp. 3-13. Les archives des fondateurs viennent compléter que ceux-là. Les archives personnels de ces indi- 8. Le Mundaneum est les collections déjà importantes. Henri La vidus ont donc été amputées de ces correspon- heureux de récupérer plus Fontaine offre ses archives aux Amis du Palais dances. de dix ou vingt ans après des documents empruntés. Mondial. Le testament de Léonie La Fontaine sti- Nous remercions à l’a- pule la même chose. Cato Van Nederhasselt, en La documentation conservée vance ceux qui reversent mémoire de son époux Paul Otlet, participe à celles-ci. Précisons que la au Mundaneum durée des prêts aujour- cette nouvelle section d’archives du Mundaneum d’hui est de maximum six en donnant ses papiers tant personnels que ceux Dans un dossier consacré par Christian L’Hoest mois. liés à la gestion des entreprises Otlet. dans le magazine Lecture en 1992 et dans un aper-

50 çu des collections du Mundaneum rédigé par Enfin, le pacifisme, en dehors des papiers La Jean-François Füeg en 1999, il est possible d’abor- Fontaine, s’est accru avec les archives du der les collections du Mundaneum. Une base de CNAPD (Comité national d’Action pour la données informatique permet aussi depuis 1996 Paix et le développement) et des documents Jean de classer les collections du Mundaneum en pro- Van Lierde. L’objection de conscience et la non- posant un volet descriptif du document et une violence trouve une place de choix au image de celui-ci.10 Mundaneum depuis la première guerre mondia- En 2003, que reste-t-il des collections du le jusque dans les année soixante. Entre-temps, Mundaneum accumulées par Otlet et La les collaborateurs de Otlet ont transmis leurs Fontaine ? documents : Georges Lorphèvre et André Colet. Quelles sont nos progrès en matière d’inven- Tout récemment, le Mundaneum a acquis les 9. Apparemment, Paul taires et de classement ? Quelles sont les axes papiers d’un médecin du Borinage, Valentin Van Otlet n’envisageait pas prioritaires de travail ? Hassel. Spécialisé dans plusieurs disciplines l’exhaustivité mais une Depuis les années fastes du Mundaneum, ins- médicales (chirurgie, gynécologie), il parvient à sélection représentative. tallé au Cinquantennaire, des efforts constants concilier une passion profonde pour la littératu- Les critères de sélection sont flous. L’intervention ont été nécessaires pour conserver l’ensemble des re. Il collabore à différentes publications litté- de commissions spéciales collections intact. Les Amis du Palais Mondial raires. Libéral, il fonde quelques organes de pres- était prévu mais aucune ont continué jusque dans les années quatre- se locaux et participe en tant que journaliste précision supplémentaire vingt 11 la collecte documentaire et l’édition de la dans le journal « La province ». Attentif au sort ne fut apportée. 10. La base de données est CDU. Plus aucune création de type internatio- des plus démunis, il désire soulager la misère. Il en cours de transfert sur nal n’a vu le jour. C’est plutôt un travail de s’installe dans le borinage et est à l’origine de un autre support de maintien ou de survie qui est effectué au l’hôpital inter charbonnier de Warquignies. manière à offrir aux chercheurs et aux visiteurs Mundaneum entre les années d’après guerre jus- Tandis que le fonds féminisme est enfin classé un accès via le web. qu’aux années nonante. en 1998. Une biographie intitulée Tracé(s) 11. La Communauté Des dons ou des achats ont contribué à l’ac- d’une vie est consacrée en 2002 à Henri La Française a pris en main le croissement des fonds d’archives spécifiques. Fontaine dont les Papiers vont être disponibles Mundaneum et sa gestion en 1984 suite à la dissolu- C’est ainsi que le Mundaneum s’est spécialisé dès la mise route de notre nouvelle base de don- tion de l’ASBL des Amis dans le féminisme, le pacifisme et l’anarchisme. nées sur notre site Mundanuem.be. Les papiers du Palais Mondial. André Le féminisme est une section à part entière Paul Otlet quant à eux sont en cours de traite- Canonne, Mundaneum, in : Lectures, N°25, depuis la création de l’Office en 1909. Le paci- ment. Un ouvrage devrait lui être consacré à 1985.p. 2-20. fisme est une préoccupation à la base même de l’horizon 2004. 12. Militant anarchiste, la création du Mundaneum. Otlet et La Les fonds documentaires évoqués plus haut membre des Amis du Fontaine ont publié leurs réflexions sur le sujet. sont en cours de traitement. Le RBU depuis son palais Mondial. Tout au long de sa vie, il conserve Henri La Fontaine consacre une bonne partie de retour de la Bibliothèque Royale où il fut de nombreux ouvrages et ses activités publiques à cette question. Rien conservé jusqu’en 1998 ne bénéficie d’aucun brochures sur le mouve- d’étonnant à voir un fonds spécial consacré à ce traitement de notre part. Il constitue une sorte ment libertaire. Cette col- sujet. L’anarchie est une question moins ancien- d’internet de papier mais des moyens informa- lection sert de base à l’ensemble des documents ne. Quelques collaborateurs dont Walter tiques considérables sont nécessaires à l’exploita- anarchistes conservés au Glineur 12 et Hem Day 13, se sont intéressés à ce tion ou plutôt au recensement des fiches conser- Mundaneum. courant de pensée et ont eu l’opportunité de vées. 13. Anarchiste (1902- 1969). Il collabore à l’œu- conserver des archives et de la documentation Le RUD comporte quant à lui trois sections vre et à la documentation sur place. importantes. Les documents géographiques du Mundaneum. Fervent Les papiers d’Hem Day, pseudonyme de belges et internationaux, les dossiers biogra- défenseur de l’objection de Marcel Dieu, ceux de Jean Cordier, Alfred phiques et enfin des dossiers thématiques. La conscience, il anime le Comité International d Lepape et de Jean Van Lierde complètent le Belgique et plus particulièrement la province de eDéfense Anarchiste et sujet. Hainaut ont été privilégiés pour des raisons évi- l’Internationale des Le féminisme s’est enrichi de fonds du Conseil dentes de recherches. Les dossiers biographiques Résistants à la Guerre. Il anime la revue « Pensée et National des Femmes Belges et de la documen- sont classés alphabétiquement permettant une Action » pendant de nom- tation récoltée par Luce Hautier. C’est plus de recherche aisée. Quant aux dossiers thématiques, breuses années. cent années de féminisme qui sont illustrées ici. ils doivent faire l’objet de notre attention. Seules

51 des recherches ponctuelles nous permettent de Le Musée International de le Presse contient connaître l’étendue de cette collection. des périodiques belges et étrangers classé selon Le RIU est divisé en différentes sections selon leur pays et lieu d’édition respectif. Les journaux le support de conservation. On retrouve des belges d’Ancien Régime, des provinces de affiches, des cartes postales, des photographies et Hainaut, Namur, et Luxembourg sont invento- des plaques de verres. Les affiches ont bénéficié riés. Les journaux liégeois et bruxellois sont en d’un traitement informatique dès l’acquisition cours de traitement. de matériel adéquat en 1996. On y retrouve tous Les expositions universelles constituent un ce qui concerne l’Encyclopedia Universalis fonds particulier qui a été classé en 2000. Mundaneum, soit les panneaux utilisés pour le L’inventaire est sorti en 2002. Enfin depuis Palais Mondial ou le Musée Mondial. 2002 les efforts de l’équipe du Mundaneum se Les cartes postale toponymiques sont traîtées concentre sur un élément important : le biblio- depuis 2001. Il demeure les cartes anecdotiques thèque collective des sociétés savantes. Ce travail et thématiques à classer. Les plaques de verre est en cours et devrait fournir des résultats dès devront attirer notre attention pour les années à 2006. venir. Il en va de même pour les photographies.

Bibliographie C. L’Hoest, Le Mundaneum et ses collec- André Canonne, Mundaneum, in : Lectures, tions, in : Lectures, n°66, 1992. N°25, 1985.p. 2-20. 1895-1995, Cent ans de l’Office International de J.F. Füeg, Aperçu des collections du Bibliographie, les prémisses du Mundaneum, sous la Mundaneum, Collection des inventaires, direction d’A. Despy-Meyer, Editions Mundaneum, Editions Mundaneum, 1999. Mons, 1995.

52 Paul Otlet et le multimédia par Françoise Levie*

aul Otlet n’est pas seulement un homme de sept millions de fiches, réparties par noms d’au- plume et de papier, c’est aussi un homme teur et par matières, classées selon la P ouvert aux nouvelles technologies de son Classification Décimale Universelle. époque. Dès 1905, il n’hésite pas à considérer la Mais ce recensement de l’écrit ne suffit pas à photographie comme un outil de connaissance, de Otlet. Le voici attiré par les illustrations et surtout classification et de recensement. A la même pério- par les photographies. Il décide de créer un nou- de, il met au point avec Robert Goldschmidt le veau répertoire, le Répertoire Iconographique Livre Microphotographique, dans lequel il perfec- Universel, qui rassemblera les images du monde et tionne le microfilm. Dans les années trente, il montrera « l’activité humaine dans toutes ses pense radio, et avec l’aide de la société Philips, il manifestations ». cherche à guider les visiteurs du Palais Mondial à Cette jolie idée est dans l’air du temps. A travers les cent salles du Cinquantenaire grâce à un Paris, au même moment, le banquier Albert système audio centralisé. Il aime le cinématographe Kahn créée les Archives de la planète pour les- et il y voit un formidable outil éducatif. Il propose quelles il veut répertorier photographiquement des projections sur les plafonds des hôpitaux et sur tous les lieux du monde. les voûtes des planétariums. Dès 1933, il s’ouvre à Pour Paul Otlet, le Répertoire Iconographique la télévision et, toujours avec Philips, organise au constituera « une encyclopédie universelle par Cinquantenaire des essais d’émission et de récep- l’image, un musée des musées, un vaste panora- tion auxquels le public est convié. Dans son livre, ma du monde et de ce qu’il contient, un inven- le Traité de Documentation, il voit dans l’association taire illustré de tout ce qui a existé et est suscep- combinée de la télévision et du téléphone, un tible d’une représentation imagée ».2 Il s’agit là moyen d’accéder à des livres entreposés au loin… d’un vaste programme, bien dans la ligne des C’est ce qu’il appellera la « bibliothèque irradiée » Encyclopédistes du 18e siècle. ou encore le « livre télévisionné »… Et dans le Afin de pouvoir classer les documents photo- même ouvrage il imagine confusément un moyen graphiques, Paul Otlet imagine deux types de d’avoir accès à la connaissance qui nous fait penser fiches. Le premier a la taille d’une carte postale, immédiatement à l’ordinateur et à Internet. En le second la dimension approximative d’un A4, 1937, dans son rapport annuel de l’IID, il cite dans c’est à dire 21,5 cm x 27,5 cm. De couleur les progrès futurs de la Documentation, « les crème, ces grandes fiches de carton sont pré- machines intellectuelles et en particulier le cinéma imprimées Répertoire Iconographique Universel et sonore et colorié, le disque et la télévision ».1 portent le logo de l’Institut, Index Scientiae, c’est *Cinéaste, auteur du film Dans beaucoup de domaines, comme celui des à dire l’arbre de la connaissance doté d’une gros- documentaire sur Paul associations internationales ou encore celui de la se clef. Les secrétaires qui travaillent pour Otlet L’Homme qui voulait classer le Monde (Sofidoc Banque Mondiale, Paul Otlet se montre un pré- l’Institut International de Bibliographie complè- 2002), Fançoise Levie est curseur et un visionnaire. Mais son côté « nou- tent les fiches à la main et collent au verso l’illus- l’auteur avec Benoît velles technologies », tout aussi novateur, le rend tration ou la photo. Peeters d’un livre à plus proche de nous, plus moderne en fait, bien Des négatifs sur verre et des plaques de lanterne paraître sur Paul Otlet aux Editions Complexe. qu’il soit mort en 1944. Paul Otlet n’avait rien magique, que Otlet appelle des « diapositives », Courriel : d’un bibliographe fermé aux influences, au pro- complètent le Répertoire Iconographique pro- [email protected] grès. Il n’était pas figé dans d’anciennes tech- prement dit. 1. Paul Otlet, Rapport niques ni dans de vieux acquis. C’était un homme Pour pouvoir accueillir ces nouvelles fiches, Annuel Général, IID qui avait une foi immense dans l’avenir. Et pour beaucoup plus grandes que celles du Répertoire Communicationes, octo- lui, l’avenir était synonyme d’un meilleur accès à Bibliographique Universel, Otlet fait construire bre 1938, p.100. la connaissance, d’une plus grande tolérance entre des meubles en bois aux larges tiroirs, dont il 2. Paul Otlet, «L’Office International de les peuples, et surtout d’un idéal de paix. existe de nombreuses photographies. En 1905, le Bibliographie », Le nombre de documents iconographiques conser- Mouvement scientifique en vés à l’Institut International de Bibliographie est Belgique 1830-1905, p. De l’importance de la photographie 12. d’environ cent vingt-cinq mille. En 1905, l’ensemble du Répertoire Ce Répertoire Iconographique Universel est Bibliographique Universel comprend plus de destiné aux membres de l’Institut. Mais Otlet

53 Autre fonction de l’Institut International de Photographie : le service central de vues pour pro- jections lumineuses qui a pour objet de recueillir, de classer, de cataloguer et de prêter des vues pour projections lumineuses destinées aux cours, classes, conférences et démonstrations publiques. Paul Otlet tente même de développer un réseau plus vaste d’utilisateurs et de prêteurs potentiels qui inclurait les administrations publiques, les universités, les sociétés scienti- fiques et les cours d’enseignement supérieur. Le microfilm Paul Otlet cherche aussi comment il pourrait se servir de la photographie comme moyen de se substituer au livre. C’est une de ses idées les plus novatrices et les plus révolutionnaires. En 1906, il publie Sur une forme nouvelle du livre. Le livre microphotographique.3 De quoi s’agit- il ? Soucieux d’envisager les transformations pro- fondes du livre en tant qu’instrument de conserva- tion et de transmission de la pensée, Paul Otlet demande à l’ingénieur Robert Goldschmidt d’étu- dier un système qui permette la photographie de livres et de documents et leur reproduction sous forme de projection ou de photogrammes. Ce pro- cédé de la microphotographie avait déjà été appli- qué par Dagron, lors du siège de Paris en 1870. veut s’en servir aussi comme d’une agence de Des milliers de dépêches avaient été transférées sur presse avant la lettre, où les journalistes et les de la pellicule photographique et confiées à des éditeurs de journaux et de revues viendront pui- pigeons voyageurs. Arrivées dans le camp retran- ser les images dont ils ont besoin. Otlet y voit un ché, ces pellicules étaient agrandies, et les dépêches 3. Robert Goldschmidt et auxiliaire précieux. « Les plus grands quotidiens recopiées et distribuées à leurs destinataires. Paul Otlet, Sur une forme font appel au travail du photographe, mais pour Mais dans le cas d’Otlet, il s’agit d’une appli- nouvelle du livre : le livre être utile le recrutement et le classement des cation radicalement différente, et il s’est tou- microphotographique. documents ne peuvent être faits que par une jours vanté du fait que « c’est dans nos Instituts Institut International de 4 Bibliographie (n°81), organisation spéciale », écrit-il. qu’a pris naissance en 1906 le microfilm ». Bruxelles, 11 p.,1906. Le Répertoire Iconographique est géré par L’appareil baptisé Bibliophote se compose de Robert Goldschmidt et Ernest De Potter, grand spécialiste de la photo- deux parties distinctes, un appareil enregistreur Paul Otlet, Livre Microphotographique, Le graphie, à l’intérieur de l’Institut International qui photographie chaque page du livre sur un Bibliophote ou livre à pro- de Photographie. Dans les deux minuscules film « du format cinématographique universel », jection, Institut pièces de la rue du Musée, De Potter offre un et un appareil reproducteur qui reçoit les films et International de service bibliographique entièrement consacré à les agrandit par projection sur une surface de Bibliographie (n°113), Bruxelles, 11 p., 1911. la photo, un « service des voyages » avec la liste lecture. On peut projeter sur un plan horizontal 4. Paul Otlet, « Film – des chambres noires mises à la disposition des disposé comme une table de lecture ou encore Documentor – touristes et celle des localités où l’on peut se pro- faire pivoter l’appareil et projeter sur le mur, à la Mundaneum », texte dactylographié en date de curer des fournitures photographiques, ainsi manière d’une lanterne de projection. 1937.09.24. Archives du qu’un choix d’itinéraires et les principales curio- Paul Otlet voit dans son Bibliophote une Mundaneum, Mons. sités à photographier dans chaque pays. manière économique de fournir à tous des

54 copies de documents, des articles de journaux, des manuscrits, des partitions de musique, des éditions rares. Le terme de bibliophote provient des mots livre et photographie et permet d’autres dérivés comme : bibliophotographie, bibliofilm, biblio- photogramme ou encore bibliophotoenregistreur… En 1925, Otlet et Goldschmidt améliorent le procédé.5 Grâce à des appareils et à des films plus performants, ils arrivent dorénavant à « fil- mer en deux cent secondes, cent pages d’un livre à reproduire. En une heure, plusieurs milliers de pages peuvent donc être ainsi enregistrées par un Une première subvention de 100.000 francs seul appareil et cela à un prix modique. »6 est accordée. L’article du budget de 1919 voté à Les copies positives, destinées à la lecture, ce propos explique la dépense en ces termes : « A s’obtiennent par simple contact au moyen de raison de la Société des Nations et de la poli- machines spéciales permettant de tirer 1.000 tique à suivre par la Belgique à l’égard des mètres à l’heure, soit 52.000 pages ! Les épreuves Associations Internationales, il importe pour le sur film sont placées dans la « Machine à lire » pays de s’assurer le Centre international le plus qui reconstitue en grandeur nature le texte ou le développé du monde ».8 Ce n’est pas rien ! document graphique. Afin de réaliser ce Centre international unique Otlet voit dans ce procédé toutes sortes au monde, Otlet rassemble sous le même toit les d’usages, dont une pratique bibliographique. répertoires, associations et musées qu’il a créés Sur chaque mètre de film, l’on peut reproduire depuis 1895, disséminés jusque-là dans diffé- 1.248 fiches et obtenir ainsi des bandes qui rents locaux du centre de Bruxelles, l’ancienne représenteraient des « tiroirs continus » et illimi- chapelle Saint Georges, les caves de la rue de la tés. Autres utilisations possibles : une Centrale Régence, et les locaux de la Montagne de la des Brevets ou des Périodiques, une réédition à Cour. bon marché de livres épuisés ou rares ou encore Le Palais du Cinquantenaire est un endroit 5. Robert Goldschmidt et la reproduction de partitions musicales. prestigieux, mais gigantesque. Dans ce lieu gran- Paul Otlet, La conservation Otlet, dont l’amour pour le rangement va de diose, l’Union des Associations Internationales et la diffusion interna- pair avec sa passion pour les techniques dispose d’une centaine de salles couvrant un peu tionale de la pensée. Le livre modernes, imagine un meuble baptisé micropho- plus d’un hectare de superficie. Suite à un tour microphotographique. Institut International de tothèque, composé de dix tiroirs d’un mètre de de passe-passe du prestidigitateur Otlet, l’Office Bibliographie (n°144), surface sur 12 cm de hauteur, pouvant contenir International de Bibliographie et l’Institut Bruxelles, 7 p., 1925. 18.750 volumes microphotographiés de 350 International de Bibliographie se retrouvent, on 6. Paul Otlet, Traité de pages… Et il ajoute : « C’est l’équivalent d’une ne sait trop comment, abrités sous l’aile de Documentation. Le livre sur le livre. Théorie et pratique. bibliothèque dont les rayons mis bout à bout l’Union des Associations Internationales, sous le Bruxelles, Editiones auraient 468 mètres »…7 On retrouve là son terme générique de Palais Mondial ou encore de Mundaneum, 1934, goût pour les chiffres et les statistiques. Mundaneum. p.206. 7. idem. Au fil des années, les relations entre les diffé- 8. Paul Otlet, La radio au Palais mondial rents gouvernements et les secrétaires du Palais Memorandum sur les Mondial, Henri La Fontaine et Paul Otlet, se Rapports du Gouvernement Par une loi du 25 octobre 1919, le roi Albert dégradent. La foire commerciale, qui se tient Belge avec l’Union des Associations Internationales accorde la personnification civile et l’autonomie chaque année dans le parc du Cinquantenaire, et le Palais Mondial, UAI à l’Union des Associations Internationales. Le est prétexte à des déménagements hâtifs et à des n° 108, juin 1923, p.3. souverain met également à la disposition de fermetures provisoires qui découragent Paul 9. Paul Otlet, Lettre à Hendrik Andersen du 15 l’UAI une partie de l’aile droite des bâtiments Otlet. « Préférer une extension de Foire février 1922, Archives du du Cinquantenaire, environ dix mille mètres Commerciale à un Palais Mondial ! Quelle Mundaneum, Mons. carrés, pour en faire un Palais Mondial. honte pour notre patrie aimée !»9

55 Pourtant, c’est grâce à la Foire Commerciale que Paul Otlet rentre en contact avec la firme Philips. Au début des années trente, avec l’aide de la firme hollandaise, il se livre à un essai de « guide automatique des visiteurs » à partir d’un microphone central. Il découvre aussi la radio et s’en sert pour donner des conférences sur des sujets qui lui tiennent à cœur. « Ici Radio Conférence. Salut à vous auditeurs que je ne vois pas, à qui je m’adresse comme une voix qui viendrait d’ailleurs, sans contact avec un auditoire qu’elle n’a pas choisi, sans possibi- lité aucune d’établir ce contact d’esprit à esprit…. Voilà, auditeurs inconnus, d’heureuses condi- A partir de 1929, la Cinescopie propose des tions pour se borner à penser tout haut, presque films fixes sur les sujets les plus variés destinés dans l’abstrait, de faire entendre des paroles essentiellement aux écoles. D’année en année, quasi mathématiques, d’aborder l’examen de ces ses catalogues sont de plus en plus fournis et le questions : Aurons-nous la guerre, comment évi- matériel de projection proposé de plus en plus ter la guerre ? Que fait la Société des Nations fiable. Les séries couvrent la géographie et les pour nous protéger ? Ce sont les problèmes les voyages, l’histoire, les Beaux-Arts, la littérature, plus vastes et les plus angoissants que l’esprit les sciences sociales, les sciences appliquées et la peut se poser en ce moment, les plus hauts aussi, religion. Le Cinéscope est un appareil de projec- car il s’agit du monde, de l’ensemble du monde, tion circulaire, fixé à une tige métallique. Le film de l’organisation efficiente ou défectueuse de cet se bobine à la main ce qui permet de faire défi- ensemble. »10 ler les images à la vitesse du conférencier. Toujours avec la firme Philips, Otlet dirige Paul Otlet comprend le parti qu’il peut tirer dans le grand auditorium des démonstrations d’un matériel visuel propre au Mundaneum et il techniques qui traitent de problèmes d’émission, commande à Van Remoortel une série de films de projection et d’audition. Igor Platounoff, fixes qui ont pour thème Les Belges dans la Vie alors jeune recrue du Palais Mondial, raconte à ce Internationale, A travers le Palais Mondial, l’Atlas propos les premiers essais de télévision. « Je me de la Civilisation, la Classification Décimale, La souviens de plusieurs séances de télévision qui se Société des Nations et la Paix, et bien sûr la Cité déroulèrent au Palais Mondial. La télévision était Mondiale, dont il se sert pour ses conférences et connue théoriquement, c’était tout. Paul Otlet ses cours. Ces films constitués d’une trentaine de voulait prouver que la télévision était possible. vues fixes portent le titre collectif d’Encyclopedia Dans une salle, on émettait et dans une autre Universalis Mundaneum. En général, on retrou- salle, quelques centaines de mètres plus loin, on ve sur ces films les photos et les dessins dont recevait. Et les gens venaient voir ce qu’au Otlet s’est servi pour l’illustration de ses bro- 10. Paul Otlet, « La Mundaneum on montrait à la télévision ! »11 chures. Mais il y a néanmoins des surprises Société des Nations à elle seule est-elle suffisante comme cet instantané où on le voit surgir au- pour assurer la Paix ? », La cinescopie dessus d’une maquette de la Cité Mondiale, tel texte d’une radio con- un diable de sa boîte, se demandant sans doute férence, en date du 10 Son souci de l’éducation par les technologies si le photographe a terminé son cliché… novembre 1930, Document dactylographié nouvelles pousse Paul Otlet à encourager les tra- Certains des textes qui accompagnent ces vues n°6220, Archives du vaux d’une firme belge, la Cinescopie. Cette fixes ont été rédigés par le secrétaire de Paul Mundaneum, Mons. société a été créée par André Van Remoortel, un Otlet, Georges Lorphèvre. Il en subsiste 11. Interview d’Igor Platounoff réalisée le 7 ancien collaborateur de Robert Goldschmidt, quelques-uns à la Bibliothèque Royale de mars 2000 par Benoît celui-là même qui publia avec Otlet plusieurs Bruxelles, dont celui sur les Marchands de Peeters et l’auteur. ouvrages sur la pratique du microfilm. Canons. Vu l’ampleur du texte, ces films

56 devaient constituer de véritables conférences ordonnées autour d’une trentaine de photos. La Cinescopie offre également un service d’ac- tualités. « Hebdomadairement nous éditons un film sur les 20 actualités marquantes de la semai- ne. Cette revue du monde est expédiée réguliè- rement à ceux qui en font la demande ». Il est probable que l’idée a dû plaire à Paul Otlet et il demande à Van Remoortel d’abonner le Palais Mondial à ce service. Les films destinés au Palais Mondial sont livrés avec un titre particulier en début de bobine, Projectiones Mundaneum, suivi Pour Otlet, la documentation auditive et par un numéro d’identification et la date du sonore a sa place à côté de la documentation jour. A partir de 1933 jusqu’en 1939, Paul Otlet visuelle et graphique. « C’est le vaste domaine de commentera ainsi publiquement le dimanche la parole, de la musique et du signal par le son, matin les actualités fixes de la semaine. La mati- soit d’expression directe et présente, soit retardée née se poursuivait ensuite par une conférence. ou conservée (phonogramme), soit encore d’ex- pression transmise à distance (téléphone, Les substituts du livre TSF). » Et il va jusqu’à parler de livre visible, de livre audible, de livre tangible. Le 1er juin 1934, le Palais Mondial est fermé Parmi les substituts du livre, Otlet accorde une définitivement par décision du gouvernement. large place au cinéma. Etait-il cinéphile ? Il ne Un bureau provisoire est installé au domicile fait aucun doute en tout cas qu’il aime le cinéma privé de Paul Otlet, 44, rue Fétis, et les réunions et qu’il lui trouve toutes les qualités. s’organisent dans diverses salles extérieures. « Le cinéma dispense de voyager, de lire, de se Cinq mois après cette expulsion, Paul Otlet bourrer le cerveau de mille choses encombrantes publie son livre le plus important : Traité de dont le souvenir s’est effacé au moment où l’on Documentation – Le livre sur le Livre. veut y recourir. Le cinéma au contraire parle au Il s’agit d’un ouvrage de référence traitant des cerveau par les yeux. Le cinéma vous transporte problèmes du livre et de la documentation. partout, il pénètre partout. Il initie aux secrets Au fil du texte, Otlet sort du domaine restric- de fabrication, il vous fait assister à toutes les tif du papier pour inclure peu à peu dans la démonstrations, il consigne tous les faits. Avec le documentation ce qu’il appelle joliment les cinéma, il n’y a plus de passé : la réalité passagè- « substituts du livre ». Parmi ceux-ci, le cinéma, re subsiste éternellement vivante et ce n’est pas la télévision, les techniques audio sont abon- un des moindres prodiges du cinématographe damment développés en tant qu’outils de que d’avoir définitivement vaincu, semble-t-il, connaissance et de diffusion. la puissance destructive du temps. »13 « Coup sur coup des inventions merveilleuses Otlet reprend alors les idées qu’il avait déjà sont venues étendre immensément les possibili- défendues dans une brochure écrite en 1926 sur tés de la documentation. Elles ne se sont pas pré- L’Education et les Instituts du Palais Mondial. sentées dans le prolongement direct du dévelop- « Le cinéma s’adresse au cerveau par le sens le pement du livre mais en quelque sorte dans son plus avide d’expression, la vue, dont le champ d’ex- prolongement dévié : l’objet dans le musée, le ploration est plus vaste que celui des autres sens. Le télégraphe et le téléphone, la radio, la télévision, ciné agit sur le cerveau plus directement que le le cinéma, les disques. Il y a là sous un certain cours et même le théâtre, parce qu’il supprime l’ef- 12. Paul Otlet, Traité de rapport des substituts du livre, en ce sens que les fort d’interprétation de la langue écrite et parlée et Documentation. Le livre sur procédés nouveaux permettent d’atteindre les qu’il condense l’émotion par la vue immédiate des le livre. Théorie et pratique. p. 216. résultats que recherche le livre (information, choses. Il économise le travail mental. L’image ani- 13. op cit., pp. 223 et communication), en mettant en œuvre d’autres mée n’aide pas seulement à penser, elle grave pro- 224. moyens que lui. »12 fondément la notion que l’on veut enseigner. Le

57 cinéma ne vise jamais à faire comprendre, mais acteurs les plus distingués ou les panoramas les plus uniquement à faire sentir et à suggérer. Il ne lointains, les plus pittoresques, sur une scène de s’adresse qu’aux sens et à l’imagination. »14 théâtre et même chez soi, et d’entendre en même Et le vieux bibliographe, qui a vu naître le temps le chant et la musique lointains enregistrés Cinématographe des frères Lumière quand il par les appareils récepteurs. Il sera possible alors de avait vingt-sept ans, n’hésite pas à écrire que « le pouvoir assister d’un fauteuil de spectacle et même cinéma porte en lui les germes d’une expression de chez soi, à l’exécution d’après nature de travaux unanime, sincère et exclusive du monde moder- et d’expériences les plus inédits qui permettront de ne. Tragédie chez les Grecs, cathédrales au développer l’esprit de l’homme et de le mettre au Moyen-Age, cinéma chez nous. Même rang courant de tous les progrès humains. »17 exactement. »15 Mais Paul Otlet est avant tout un bibliographe Sa volonté encyclopédique le pousse ensuite à et, grâce à la télévision et au téléphone, il imagi- détailler les divers procédés et appareils de pro- ne un moyen de pouvoir consulter les livres à jection. Il décrit les tentatives du cinéma en distance. relief, de l’enregistrement sonore synchrone, et « Ici, la Table de Travail n’est plus chargée développe la dernière formule du cinéma améri- d’aucun livre. A leur place se dresse un écran et cain qui consiste à transformer la salle de spec- à portée un téléphone. Là-bas au loin, dans un tacle en un prolongement de l’écran lui-même. édifice immense, sont tous les livres et tous les Le cinéma « atmosphérique » est conçu de telle renseignements. De là, on fait apparaître sur manière que les spectateurs s’imaginent partici- l’écran la page à lire pour connaître la question per vraiment à l’action. posée par téléphone, avec ou sans fil. Un écran Si Otlet se montre un tel fan du cinéma, c’est serait double, quadruple ou décuple s’il s’agissait aussi parce qu’il permet des « applications excep- de multiplier les textes et les documents à tionnelles ». Celui qui avait gardé une âme d’en- confronter simultanément; il y aurait un haut- fant s’émerveille de la possibilité de projeter des parleur si la vue devait être aidée par une donnée films sur les plafonds des hôpitaux, sur le fond ouïe, si la vision devait être complétée par une circulaire des théâtres ou encore à l’intérieur audition. Et ce perfectionnement pourrait aller d’une sphère, grâce à un ou plusieurs appareils peut-être jusqu’à rendre automatique l’appel des dont les images se juxtaposent. Selon lui, ce ciné- données sur l’écran. »18 panorama réussirait à « reconstituer un paysage Ailleurs, dans un autre texte, il parle de ou une scène dans son entièreté. Le planétarium « bibliothèque irradiée » ou encore de « livre de Zeiss réalise dans le même principe la projec- télévisionné ».19 tion de la voûte céleste. »16 Le Traité de Documentation s’achève par un Le bibliographe aborde ensuite le domaine chapitre consacré à l’avenir et l’anticipation du tout neuf de la télévision. Pour lui, il ne fait livre. Après avoir évoqué le « cas limite », celui aucun doute que ce mode de transmission où il ne serait plus nécessaire d’avoir recours au immatériel des informations est à ranger dans les livre et à la documentation dans l’hypothèse substituts du livre. « d’un pur esprit ayant à tout moment la Il compare la technique de la télévision à celle connaissance intuitive et complète de toutes de la gravure. « Tout dessin, toute photographie, choses », Otlet se montre plus réaliste et concret, est constitué par un assemblage de points blancs mais aussi formidablement novateur, dans ces et noirs. C’est sur ce fait que sont fondées la lignes où l’on ne peut s’empêcher de voir l’ana- photogravure, la microphotographie et mainte- logie avec l’ordinateur et le réseau Internet. 14. op. cit. p. 224. nant la télévision avec ou sans fil, avec ou sans « Sous nos yeux est en voie de se constituer 15. op. cit. p. 225. 16. op. cit. p. 227. mouvement. » une immense machinerie pour le travail intellec- 17. op. cit. p. 238. Otlet entrevoit même l’impact futur de la télévi- tuel. Cette machinerie constituerait un véritable 18. op. cit. p. 428. sion. « Des scènes vivantes d’aspect seront repro- cerveau mécanique et collectif. 19. Paul Otlet, Document n° 8734, en date de duites en même temps à des millions d’exemplaires Un système de publication universelle, 1943.09.19. Archives du sur des dispositifs qui permettront au public d’ob- condensant l’ensemble des données fragmen- Mundaneum. Mons. tenir la sensation de voir se dérouler l’action des taires et individuelles, et tenu constamment à

58 jour, doit être constitué pour chaque branche Ce qui fait dire à W. Boyd Rayward : « Otlet’s des sciences et des activités. importance lies in part in our perception that he Ce Réseau, doit relier entre eux les centres was a visionary figure whose thinking about glo- producteurs, distributeurs, et utilisateurs. balisation on the one hand and the representa- Toute personne ayant quelque donnée à faire tion and organisation of knowledge and the connaître, quelque proposition à présenter ou à exploitation of new « information technology » défendre, peut au moindre effort et avec un on the other, prefigures the digitised, networked maximum de sûreté et d’abondance, entrer en world of today. »20 possession de ce qui lui est offert.»

20. W. Boyd Rayward, “The Life and Work of Paul Otlet. Visions and Reality.” Présentation lors du Colloquium Mundaneum “Architecture of Knowledge”, Mons, 24 et 25 mai 2002.

59 La création d’une ville internationale autonome selon Paul Otlet Par Catherine Courtiau*

ne des multiples facettes de l’étonnante per- sonnalité qu’incarnait Paul Otlet1 a retenu U tout particulièrement notre attention : celle de l’architecte-urbaniste. Comme d’autres grands penseurs et philosophes, ce juriste et humaniste entretenait d’étroites relations avec les milieux appropriés pour concrétiser son idéal de Centre mondial destiné à servir d’instrument à l’accom- plissement d’une harmonie universelle. Il avait contacté dans cette intention de nombreux pro- Le Palais du Cinquantenaire à Bruxelles, dans lequel était 2 *L’auteur détient un diplô- fessionnels et non des moindres, tel Le Corbusier . installé le Musée international ; reproduit en page de me de licence ès lettres de couverture de la publication no 27a de l’UAI, Le Musée l’Université de Genève En 1987, Genève n’avait pas manqué de célé- (Histoire de l’art, russe et brer, à l’instar d’autres sites, la commémoration international, 1914. Linguistique). du centième anniversaire de Le Corbusier en Historienne de l’art et de organisant une exposition à l’immeuble Clarté3, ment à disposition le Palais du Cinquantenaire, l’architecture indépendan- te. Membre de l’ICOMOS la seule réalisation du grand architecte dans cette vestige de l’Exposition universelle qui venait et responsable de ville. Et pourtant, son cousin au troisième degré, d’avoir lieu cette année-là à Bruxelles. l’“Antenne romande” de la Pierre Jeanneret4, avec lequel il était associé de Société d’histoire De l’art 1920 à 1940, était né et mort à Genève. en Suisse, Berne. Un Centre mondial à Bruxelles 1. Paul Otlet (1868- L’exposition avait pour but de montrer les nom- 1944). Pour ses idées et breux projets que ces deux cousins y avaient Très rapidement, l’exiguïté de ces locaux et la concept de Centre mon- conçus entre 1922 et 1932. Parmi les recherches précarité du prêt incitèrent Otlet et La Fontaine dial, se référer à la biblio- graphie succincte et aux à effectuer, il s’agissait d’étudier l’important pro- à créer en Belgique un centre mondial perma- sources d’archives men- jet d’une Cité mondiale qui avait eu l’heur de nent pouvant réunir leurs institutions et leurs tionnées en note 5. réunir Paul Otlet, le philosophe idéaliste, et Le archives documentaires et encyclopédiques. Ce 2. Charles-Edouard Corbusier, le constructeur pragmatique. Cette centre devait en outre pouvoir recevoir des expo- Jeanneret, né le 6 octobre 1887 à La Chaux-de- recherche fit alors l’objet de plusieurs publica- sitions temporaires complétant les activités de Fonds, en Suisse, et décédé tions5. Tout en reprenant certaines données, nous leur Musée international. Cette idée était née le 27 août 1965 au Cap allons, dans la présente contribution, nous pen- des nombreuses expositions nationales et univer- Martin, en France. 3. Catalogue d’exposition, cher davantage sur l’importance qu’Otlet accor- selles à caractère éphémère qui avaient entraîné coll., Le Corbusier à dait à l’urbanisme, sur le projet d’Andersen et des dépenses vertigineuses. Quant au concept de Genève 1922-1932, Hébrard et sur les diverses relations qu’il cultivait cité mondiale, il remontait à la Conférence de Lausanne 1987. – avec Genève, ville internationale par excellence et paix à La Haye en 1899 qui engendra une mul- L’immeuble Clarté fut réa- lisé à Genève en 1931/32 qui ne devait certes pas le laisser indifférent. titude de projets de villes destinées à concentrer par Le Corbusier et Pierre En effet, Paul Otlet, fervent avocat d’un idéal les activités politiques, culturelles et scientifiques Jeanneret. Il s’agit en outre de paix universelle, avait fondé à Bruxelles avec universelles, où les conflits internationaux trou- de leur seule construction son compatriote, Henri La Fontaine6, juriste, veraient une solution. d’avant-garde en Suisse, si l’on excepte la « Petite sénateur et Prix Nobel de la Paix, l’Office inter- Dès lors, Paul Otlet porta un vif intérêt à l’ur- Maison » de 1923 à national de bibliographie en 1895 et la banisme et se mit à fréquenter assidûment les Corseaux, près de Vevey. Bibliothèque internationale en 1907. Ensemble milieux d’architectes. L’Union internationale 4. Pierre Jeanneret, né à 7 Genève le 22 mars 1896 ils inventèrent la classification décimale univer- des Villes , dont le secrétariat permanent se où il est décédé le 4 selle et établirent la fiche standardisée (12,5 x trouvait à Bruxelles depuis sa création en 1913 décembre 1967, après 7,5 cm) encore utilisée. Leur accointance avec la et à laquelle Otlet avait adhéré, était présidée par avoir vécu à Chandigarh franc-maçonnerie n’est plus un secret, puis- l’architecte et urbaniste néerlandais Hendrik depuis 1951. Il y avait été 8 envoyé par Le Corbusier, qu’une partie de leur fonds est conservée par Petrus Berlage et dirigée par Louis Van der après leur réconciliation, cette association. Lors du Congrès mondial, qui Swaelmen9, un des grands animateurs des cités- pour y construire la nou- réunit 132 organisations, Otlet et La Fontaine jardins et de l’urbanisme moderne en Belgique. velle capitale du Penjab. créèrent en 1910 l’Union des associations inter- Pendant la Première Guerre mondiale, Otlet Associations transnationales nationales (UAI) et le Musée international. Le fonda le Comité néerlando-belge d’art civique à 1-2/2003, 60-71 gouvernement belge leur mit alors gracieuse- La Haye notamment avec Van der Swaelmen,

60 divinité, la « Conscience mondiale ». En 1913, 5. Giuliano Gresleri, Dario Matteoni, La Città Andersen et Hébrard publièrent leur projet dans Mondiale: Andersen, une édition de luxe15, avec les plans d’un centre Hébrard, Otlet, Le mondial de communication dédié à la paix. Ils Corbusier, Venise 1982. – Catherine Courtiau, « La offrirent leur livre aux chefs de gouvernement, Cité internationale, 1927- aux parlements, aux bibliothèques et universités 1931 », Le Corbusier à du monde entier, et lancèrent une souscription à Genève 1922-1932, cata- la « Société de la Conscience mondiale ». logue d’exposition, En 1916, accablés par les tragiques événe- Lausanne 1987, pp. 53- « Anno 1912. International World Centre. Perspective 69. – idem, « La cité inter- générale. Vue à vol d’oiseau. Hendrick C. Andersen. ments de la « Grande Guerre », ils firent paraître nationale 1927-1931 », in Ernest M. Hébrard, architecte. ». Frontispice du livre de un autre volume insistant sur la nécessité d’une Associations Transnationales, 1987, no luxe intitulé Création d’un Centre mondial de société mondiale humanitaire et sur leur appel 5, pp. 254-266. – idem, communication, publié à Paris en 1913 par Hendrik pour la paix. Sur la page de titre, Andersen avait « Paul Otlet », in Le Christian Andersen et Ernest M. Hébrard. apposé sa sentence : « Devant servir d’abri et Corbusier – une ency- (Bibliothèque de l’ONU, Genève, reproduction d’organe aux intérêts communs des nations, en clopédie, Paris 1987, pp. photographique par Matthias Thomann ; collection privée 278-279. – idem, C. Courtiau) vue d’aider tous les peuples à marcher, par la « L’épopée de la cité mon- paix et la dignité, dans les larges voies du progrès diale de Paul Otlet », in alors expatrié aux Pays-Bas. Dans le cadre des humain. » Ce livre contenait les réponses offi- Lectures, 1988, no 41, pp. activités de ce Comité, qui préparait, entre cielles relatives à la démarche de ses auteurs dans 13-17. – La documenta- tion qui avait servi à la autres, le travail à accomplir après la guerre par l’édition de 1913, ainsi qu’une lettre de Paul rédaction de ces divers l’Union internationale des Villes, Van der Otlet et Henri La Fontaine qui leur avait été textes de 1987 et 1988 Swaelmen publia en 1916 un traité théorique10 adressée le 28 février 191216, témoignant de leur provenait des fonds suiv- ants : la Collection sur l’aménagement des villes utilisé comme base enthousiasme et de leurs convergences d’idées : CLPCF Mundaneum et à la reconstruction de la Belgique. En 1919, il « Des moyens précis de coopération, on vous en l’UAI à Bruxelles, les créa la revue La Cité11 qui servit à plusieurs a déjà parlé. C’est d’abord une affirmation Archives de la Fondation reprises de tribune à la propagation des idéaux publique et réciproque. De notre côté, nous Le Corbusier à Paris, les Archives d’Etat de Genève, d’Otlet. déclarerions que, pour donner à l’organisation le CRR de l’Ecole d’archi- que nous poursuivons une installation matériel- tecture de l’Université de Le projet d’Andersen et Hébrard : le digne d’elle et appropriée à ses besoins, c’est Genève, les Archives du dans votre Cité Internationale que nous souhai- BIT et de l’ONU à une nouvelle Rome antique Genève. tons la voir vivre et se développer. De votre côté, 6. Henri La Fontaine universelle vous déclareriez qu’il faut à votre Cité des habi- (1854-1943). C’est précisément au 1er congrès de l’Union tants, des services, un esprit qui ne sont autres 7. Organisation perma- 12 nente issue du Congrès internationale des Villes à Gand , en 1913, que que ceux-là même de l’organisation que nous périodique international Paul Otlet présenta le projet de « Centre mon- avons créée. » des Villes en vertu d’une dial de communication » conçu par les archi- Cette cité mondiale schématique, conçue résolution du 1er Congrès tectes Hendrik Christian Andersen13 et Ernest pour 10,000 habitants, pouvait être implantée à Gand, le 31 juillet 1913. 14 8. Hendrick Petrus Berlage Michel Hébrard . Otlet avait découvert ce pro- dans n’importe quel site au climat tempéré, situé (1856-1934), né à jet en 1910 déjà dans l’atelier parisien de ce der- au bord d’un plan d’eau et entretenant des liens Amsterdam et mort à La nier. Enthousiasmé, il soumit aux membres de avec l’internationalisme. Dans leur publication, Haye. 9. Louis Van der l’UAI, lors de leur réunion en avril 1911 à ils proposaient son établissement soit à Swaelmen (1883-1929), Bruxelles, cette cité humanitaire et allégorique Tervueren près de Bruxelles, où se trouvait le architecte, paysagiste et exprimant une recherche spirituelle afin « d’as- Musée du Congo construit par le roi Léopold ; urbaniste, né à Bruxelles et surer et de promouvoir tous les progrès ». Ce en Suisse, entre les lacs de Neuchâtel et de décédé à Montreux en Suisse, actif en Belgique de projet, qui correspondait parfaitement aux aspi- Morat, près de Berne, « siège de diverses associa- 1911 à 1929. Il fonda en rations d’Otlet, fut dès lors intégré dans le pro- tions internationales » ; à l’ouest de La Haye, où 1919 la Société des urban- gramme de l’UAI. La structure de la ville et son était établie la Cour d’Arbitrage ; au nord-ouest istes belges, qui devint la Société belge des urban- architecture de style Beaux-Arts devaient sym- de Paris, « ville internationale » ; près de Fréjus istes et architectes mod- boliser la fusion des âmes de tous les hommes en non loin de Cannes, également désignée comme ernistes. une âme universelle, une manifestation de la « ville internationale » ; à San Stefano près de

61 10. Louis Van der techniques était mise en évidence : construction Swaelmen, Préliminaires d’art civique mis en relation en acier revêtue de marbre et aménagement d’as- avec le de la censeurs dans la tour. Ce centre urbain triparti- Belgique, Leiden 1916. te était strictement international. De là, la ville 11. Van der Swaelmen créa cette revue avec était disposée en damier, pouvant se développer Raphaël Verwilghen, graduellement. Elle comportait l’habitation et la Fernand Bodson et Huib cité-jardin. Un canal entourait la ville sur trois Hoste. côté, le quatrième donnant sur le plan d’eau de 12. « Premier Congrès international et exposition la zone portuaire, protégée par deux statues comparée des villes ». monumentales, à l’image du colosse de Rhodes, L’exposition montra, entre dont Andersen avait réalisé une reconstitution autres, la « Cities and Town Planning qu’il publia dans son ouvrage de 1913. Tous ces Exhibition » de l’urbaniste secteurs étaient reliés au centre par de larges ave- anglais Patrick Geddes et nues et par un chemin de fer souterrain. Une une sélection de docu- troisième circulation était assurée par des canaux ments de la « Chicago Welfare Association ». et bassins convergeant vers la zone portuaire. A 13. Hendrik Christian l’image d’un corps humain animé par un systè- Andersen (1872-1941), me nerveux et structuré par des articulations, ces sculpteur et architecte éléments devaient fonctionner comme les veines norvégien, né à Bergen. Arrivé en 1873 à et artères destinées à irriguer son cerveau et son Newport, Rhode , il cœur censés réunir la science et la religion, les fit ses études de sculpture arts décoratifs, le commerce et l’industrie, sous et d’architecture à Boston, Paris, Naples et à Rome, le label de la paix. où il mourut après y avoir Ce projet ne constituait pas un cas isolé dans vécu de nombreuses la créativité des urbanistes et architectes du années. début du XXe siècle. Depuis toujours, des cités 14. Ernest Michel Hébrard (1866-1933), les plus fantastiques avaient animé les esprits, architecte français. Grand- mais ce plan correspondait parfaitement à pen- Frontispice du livre d’Andersen et Hébrard Création d’un Prix de Rome en 1904, il sée de la fin du XIXe siècle imprégné par la révo- séjourna à la villa Médicis Centre mondial de communication, « A World Centre. en même temps que Tony Peace », Paris 1913. lution industrielle et en quête d’un urbanisme à Garnier, Henri Prost et (Bibliothèque de l’ONU, Genève, reproduction grande échelle, de programmes de villes idéales Léon Jaussely. En 1907, il photographique par Matthias Thomann, Genève ; aux visions futuristes. L’imagination fertile des procéda à la reconstitution collection privée C. Courtiau) concepteurs n’avait rien à envier à un Jules du palais Dioclétien à Spalato (Split). Nommé Verne, dont ils s’étaient peut-être même inspi- responsable du service Constantinople, « carrefour Orient-Occident » ; rés. Tony Garnier planifiait depuis 1901 sa archéologique de l’armée à l’embouchure du Tibre près de Rome, « autre- « Cité industrielle ». Léon Jaussely reçut en 1902 française stationnée à fois capitale du monde » ; dans le New Jersey le 1er prix Chenavard pour son projet « Une Salonique en 1917, il supervisa les projets de aux Etats-Unis, « continent, dont les habitants place du Peuple dans la métropole d’un grand reconstruction du centre descendent de tous les peuples de la terre ». Etat démocratique ». Rappelons que ces deux de la ville. Séjour à Le plan de la cité d’Andersen et Hébrard était architectes français avaient séjourné à la villa Athènes ; puis, nommé architecte-urbaniste en articulé autour d’un noyau comprenant le centre Médicis à Rome en même temps qu’Ernest Indochine, où il séjourna scientifique, le centre artistique et le centre Hébrard. Entre 1900 et 1917, Hendrik Petrus de 1923 à la fin des années olympique reliés par une large avenue, appelée Berlage élabora un plan d’extension 1920. l’avenue des Nations. Dominant le centre scien- d’Amsterdam-Sud, sillonné de canaux et de tra- Cf. Gwendolyn Wright et Paul Rabinow, « Savoir et tifique et la ville entière depuis la place des cés orthogonaux ou radioconcentriques, pen- pouvoir dans l’urbanisme Congrès, une sorte de tour de Babel, la Tour du dant qu’il présentait celui de La Haye en 190817. moderne colonial d’Ernest Progrès, haute de 320 mètres environ, abritait la Citons encore le plan de 1907 pour Chicago, Hébrard », in Les cahiers de la recherche architec- presse internationale et un bureau central de dessiné par Jules Guérin pour l’architecte améri- turale, no 9, Paris 1982, l’information. Ici, la modernité des systèmes de cain Daniel Hudson Burnham, ou celui du pp. 26-43. construction, des matériaux, des inventions « Concours pour la création d’une nouvelle

62 Malgré l’intérêt affiché par ces diverses per- sonnalités et instances internationales, cette mégalopole ne fut jamais réalisée, au grand dam de Paul Otlet. Effondrement tragique d’un idéal et sa renaissance La Première Guerre mondiale avait mis un terme aux prestigieux projets d’urbanisme et ébranla le mouvement idéaliste en faveur de la « An international World Centre. Vue perspective de la paix et de la pensée universelle. Paul Otlet pour- place des Congrès», publié in Hendrik Christian Andersen suivit néanmoins son but en élaborant les fon- et Ernest M. Hébrard, Création d’un Centre mondial de dements d’une charte pour la création d’une communication, Paris 1913. Société des Nations, dont le texte fut publié en (Bibliothèque de l’ONU, Genève, reproduction 19 photographique par Matthias Thomann ; collection privée 1917 à Paris . Puis, le Traité de Versailles en C. Courtiau) 1919, instituant la Société des Nations, et l’en- trée en vigueur du Pacte des Nations en janvier capitale fédérale Canberra », conçu en 1912 par 15. Hendrik Christian le Finlandais Eliel Saarinen. Enfin, le projet du Andersen et Ernest M. « Beacon of Progress » de l’architecte français Hébrard, Création d’un Constant Désiré Despradelle fut présenté à l’oc- Centre mondial de commu- nication, Paris 1913. casion du Paris Prize de 1913, lors du concours 16. Hendrik C. Andersen, pour l’aménagement de la pointe sud de La conscience mondiale - Manhattan, et exposé à Boston. Tous ces projets Société internationale pour avaient en commun un idéal de bien-être, de favoriser la création d’un Centre mondial, Rome progrès, totalement remis en question dans 1916, p. 60. – Cushing l’entre-deux-guerres par le film de Fritz Lang Andersen et Hendrik « Métropolis » qui présageait déjà des cadences Christian Andersen, Création d’un Centre mon- infernales et du comportement social incongru dial de communication des villes à venir. (Umano, Science positive Enfin, le projet d’Andersen et Hébrard fut du gouvernement ; soutenu par le roi Albert de Belgique et le roi Jeremiah W. Jenks, Les avantages économiques), Victor Emmanuel d’Italie. Même Benito Rome 1918. Mussolini promit, en 1926, un vaste terrain près 17. Le système de voies de d’Ostie, à condition qu’Andersen complétât ses communication transver- plans et trouvât un support financier nécessaire sales et radiales disposées 18 autour du centre-ville, à la construction de la cité . appliqué notamment par Ce concept de « Création d’un Centre mon- Andersen et Hébrard, fut dial de communication » fut encouragé plus tard développé en théorie par l’architecte viennois Otto par la Société des Nations. Il n’est donc pas sur- Wagner dans son ouvrage prenant qu’un exemplaire de l’édition de luxe Die Grossstadt, publié en parue en 1913, portant le numéro 112, se trou- 1911. ve aujourd’hui à la bibliothèque de l’ONU à 18. Cf. Helen Hendricks, « Hendrik Christian Genève. Andersen l’avait dédicacé en février Elévation de la Tour du Progrès sur la place des Congrès, Andersen », in World 1929 par ces mots : « ...With the ardent hope publié in Hendrik Christian Andersen et Ernest M. Unity Magazine, no 8, and desire that these plans of – A City to God – Hébrard, Création d’un Centre mondial de communication, août 1931, pp. 320-324. will be realized and built by the collaboration of Paris 1913. 19. Paul Otlet, Charte (Bibliothèque de l’ONU, Genève, reproduction organisant la Société des the Nations in this World, to promote Religion, photographique par Matthias Thomann ; collection privée C. Nations, Paris, juin 1917. Science, Justice and Peace. » Courtiau)

63 Swaelmen conçut alors une adaptation du plan d’Andersen et Hébrard à ce terrain. Otlet exposa ce projet lors de la « Conférence de la reconstruc- tion » qui eut lieu à Bruxelles en 191920. L’année suivante, il s’adressa à l’architecte belge Oscar Francotte pour planifier le Palais de la Ligue des Nations et le Palais des Associations internatio- nales dans le parc de la Woluwe à Bruxelles. Cependant, ce projet resta, lui aussi, lettre morte. Genève et sa mission de centre diplomatique et intellectuel Alors que Paul Otlet poursuivait ses grandes intentions en Belgique, Genève avait déjà été désignée lors du Traité de Versailles pour recevoir le siège définitif de la SdN, au détriment de La Haye, de Vienne et de Lausanne, mais surtout de la grande perdante, Bruxelles. Otlet avait toute- fois gardé espoir de le voir s’installer en Belgique. En effet, pour entériner le choix de Genève, il fallait que la Suisse adhérât à la Ligue de la SdN. Le conseiller fédéral Giuseppe Motta obtint en 20. Paul Otlet, « Louis 1920 la Déclaration de Londres qui accordait à la Van der Swaelmen et le Suisse le droit de conserver au sein de la Ligue sa Palais Mondial », in La Le Palais mondial dans le parc du Cinquantenaire à neutralité militaire en s’associant pourtant aux Cité, no 8, vol. VI, Bruxelles, reproduit en page 3 de la publication no 96 de Bruxelles 1930, p. 97. mesures économiques et financières contre un 21. Le vote eut lieu le 16 l’UAI, Centre international, novembre 1920. Etat coupable d’agression. La voie était alors libre mai 1920. Sur 22 cantons, pour demander au peuple suisse son avis. Celui- seuls 11,5 acceptèrent. La de l’année suivante furent la consécration des ci se prononça cependant à une très faible majo- Suisse compte en fait cer- 21 tains demi-cantons comme idées d’Otlet, dont le Centre mondial, nouvelle- rité en faveur de cette adhésion, contrairement Bâle-Ville et Bâle- ment appelé Mundaneum, fut installé en sep- à la population genevoise qui l’approuva à une Campagne ou Appenzell tembre au Palais mondial dans le parc du écrasante majorité ! Ainsi, Genève ouvrit ses Rhodes intérieures et Rhodes extérieures. Cinquantenaire à Bruxelles. portes pour accueillir la Société des Nations et le 22. Cf. ci-dessous, la note Désormais, Otlet pouvait lier concrètement son Bureau international du travail22. 49. projet de cité mondiale autonome et la SdN. Avec Paul Otlet devait se résigner à cette décision et 23. Dans le domaine de Henri La Fontaine, il convoqua la « Quinzaine abandonna ses projets bruxellois pour se tourner La Fenêtre que le comte Jean-Jacques de Sellon universitaire internationale » pour créer vers Genève, dont l’histoire répondait toutefois (1782-1839) avait créé – l’Université internationale. Otlet relança son pro- à ses idéaux. En effet, cette ville jouissait de sa aujourd’hui résidence du jet d’établir autour du Palais mondial une cité renommée de Cité du Refuge au XVIe siècle directeur de l’ONU à Genève – se trouve le tem- réunissant des édifices et des pavillons abritant les déjà, à l’époque de Calvin et de la Réforme, puis ple rond édifié en 1838 et organisations internationales réglant les questions de ville d’accueil de Rousseau ou de Voltaire. consacré à l’Amitié et à la politiques, économiques, sociales et intellectuelles Elle fut le berceau de la Société de la Paix créée Paix. de toutes les nations. En effet, il estimait plus en 1830 par Jean-Jacques de Sellon23 qui s’inté- 24. La Croix-Rouge fut officialisée par la urgente que jamais la concentration des efforts de ressait à Calvin, au théâtre, au mouvement paci- Convention de Genève la nouvelle Société des Nations et de l’Union des fiste, à l’abolition de la peine de mort et à la fra- signée en 1864 par Henry associations internationales en vue d’assurer une ternité entre les peuples. Enfin, la Croix-Rouge Dunant, Guillaume-Henri 24 Dufour, Gustave Moynier, paix durable et universelle. Dans cette optique, il y fut fondée par Henry Dunant en 1863. Le Louis Appia et Théodore examina plusieurs projets d’aménagement urbain tumultueux Congrès de la Paix, en présence de Maunoir. du plateau de Tervueren. Louis Van der Garibaldi, s’y tint en 1867, succédé en 1872 du

64 nement belge et l’expulsion de l’UAI du Palais mondial27 en février 1924, en dépit de sa deman- de au directeur du Bureau international du tra- vail, Albert Thomas, d’intercéder en sa faveur. Il mit tout en œuvre pour créer des édifices per- manents, dans le cadre d’un « Centre intellectuel mondial au service de la SdN ». Paul Otlet demeura longuement à Genève en vue de préparer, avec le Comité genevois d’orga- nisation, le « Quatrième Congrès des associa- tions internationales » de 1924 à l’Université de Genève, sous la présidence du pédagogue Hôtel National à Genève après sa construction en 1875, Edouard Claparède et d’Henri La Fontaine. Il façade regardant le lac. s’adressa à l’entreprise immobilière genevoise (Centre d’iconographie genevoise, Duret et Baumgartner qui annonçait dans son Vieux-Genève, 13x18, 3669) Journal illustré de mars 1924 la vente du domai- ne Bartholoni, sur la rive droite du lac, qu’il Traité de paix dans l’affaire de l’Alabama qui mit choisit comme emplacement de son fin à la guerre américaine de Sécession. Mundaneum. Ce terrain se situait entre l’ancien Ainsi toujours liée aux événements internatio- Hôtel National, siège de la SdN, et la parcelle, naux, bénéficiant de surcroît de sa neutralité au nord, destinée à recevoir le bâtiment du 25. L’Hôtel National fut depuis son entrée dans la Confédération helvé- Bureau international du travail alors en construit entre 1872 et 1875 par l’architecte suisse tique, décidée en 1814, Genève était toute dési- construction et dont l’architecte lausannois Jacques-Elisée Goss (1839- gnée pour devenir le siège de la Société des Georges Epitaux lui communiqua son prix au 1921). Il prit le nom de Nations en 1919. mètre cube, qui s’élevait à 60 francs suisses28. Palais Wilson en décembre Les projets de Paul Otlet pouvaient de surcroît Otlet avait ainsi choisi le premier terrain rete- 1920, date de l’attribution du prix Nobel de la Paix répondre aux problèmes posés par l’arrivée de cette nu lors du concours pour l’édification du Palais au président américain institution et de ses nombreux délégués dans cette des Nations. Woodrow Wilson. ville-canton dépourvue d’arrière-pays, cernée par 26. Depuis 1947 siège du CICR, situé au nord- ses frontières naturelles et politique, une sorte d’en- ouest, à proximité de clave en territoire français. En effet, le Secrétariat l’actuel Palais de l’ONU. de la Société des Nations était installé dans l’ancien Ce bâtiment, construit en Hôtel National25 au bord du lac, à la limite septen- 1873-1876 par Charles Boissonnas, fut transformé trionale du périmètre urbain de Genève, les assem- pour recevoir l’Hôtel blées étaient tenues en divers locaux dispersés dans Carlton de 1927 à 1939. le centre-ville et les délégués logés dans les grands Pendant la Seconde hôtels. Quant au Bureau international du travail, il Guerre mondiale, il fut occupé par la Croix-Rouge fut provisoirement placé, de 1920 à 1926, dans suisse. l’ancien Pensionnat Thudicum26. Toutes ces infra- 27. L’affaire du Palais structures étaient concentrées sur la rive droite du Mondial, publication no 112 de l’UAI, Bruxelles, lac et du Rhône, dont la traversée aura toujours mars 1924. posé de graves problèmes de circulation. Il se trou- 28. Lettre de Georges ve cependant que cette partie du canton de Genève Epitaux à Paul Otlet, 30 est la seule à être directement reliée, par un étroit juillet 1924 (Coll. CLPCF - Mundaneum, Bruxelles, passage terrestre, à la Suisse. Archives Otlet). – La pose de la première pierre du « Genève. Etude de situation du Palais des Nations et bâtiment du BIT avait eu Un site convoité au bord du Léman d’une Gare à rebroussement », échelle 1 :10’000, signée J. lieu le 21 octobre 1923 et Dériaz et datée avril 1920 le bâtiment fut inauguré le Dès lors, Otlet se rendit souvent à Genève, en (Archives de l’ONU, reproduction photographique par 5 juin 1926. particulier après les déconvenues avec le gouver- Matthias Thomann, Genève)

65 De nouveaux sites sur les hauteurs de la rive droite du lac Lors de la conférence de l’Union des associa- 29. Paul Otlet, tions internationales organisée en septembre Mundanuem – Le Nouveau 1924 à Genève, Otlet présenta son projet de Palais Mondial organisé en Mundaneum qu’il publia à la fin de l’année29. Centre Intellectuel L’architecte genevois Jean-Jacques Dériaz30 lui International, publication no 116 de l’UAI, envoya alors son propre projet d’implantation Bruxelles, s.d. [fin 1924]. d’un palais des Nations31 qu’il avait élaboré en 30. Jean-Jacques Dériaz avril 1920 déjà, soit un mois avant le vote qui (1893-1972). 31. Lettre du 13 septem- devait entériner l’adhésion de la Suisse à la Société bre 1924 (Coll. CLPCF - des Nations. Ce plan portait dans un cartouche la Mundaneum, Bruxelles, légende suivante : « Genève deviendra un centre Archives Otlet) et plan à Plan de situation du Mundaneum dans la « Zone de la diplomatique et essentiellement intellectuel. Le Cité Internationale » par Paul Otlet au nom de l’Union l’échelle de 1:10’000 daté o d’avril 1920 et signé de Palais des Nations sera situé sur l’emplacement des associations internationales, février 1928, n 3434. l’auteur J. Dériaz. actuel de l’Asile des Vieillards au Petit-Saconnex. (FLC, FI, 14) 32. Il s’agit de l’emplace- Afin d’éviter les brouillards de toutes les grandes ment du champ d’aviation villes on n’admettra dans les quartiers suburbains siècle, dont le faîte ne devait jamais être dépassé ouvert en 1922 et qui s’est développé successivement que les industries ne dégageant pas de fumées. La par aucun autre gabarit. pour devenir l’aéroport grosse industrie sera sur le Rhône, voie navigable Ce projet resta sans suite, mais son contenu international de Cointrin. (Chèvres, Bernex). Le raccordement du Rhône au n’aura pas été sans séduire Paul Otlet et sans 33. Cette gare, datant de 1858, avait été partielle- Lac se fera par un souterrain rive droite. La gare doute l’inspirer dans son choix d’un nouveau site. ment reconstruite après de triage des marchandises sera à Meyrin. » Il lui avait de surcroît permis de mieux connaître son incendie en 1909 et Dériaz prévoyait le déplacement des voies fer- la topographie et les données géopolitiques de ne pouvait plus répondre rées, partiellement recouvertes, leur prolonge- Genève. En effet, Otlet abandonna, au début de aux exigences d’une ville devenue le siège de la ment vers Meyrin, à proximité du champ d’avia- l’année 1926, le terrain du bord du lac, lui préfé- SdN. Elle fut en effet tion32 dont l’aménagement venait d’être décidé. Il rant les hauteurs de la rive droite, soit un peu plus reconstruite en 1927-1933 envisageait en outre la création d’une gare centra- au nord de l’emplacement du palais des Nations par Julien Flegenheimer, 33 un des architectes du le, au détriment de la vétuste gare à Cornavin , proposé par Dériaz. Il s’agissait en l’occurrence de Palais des Nations. sur la rive droite de l’Arve, affluent du Rhône, « la colline de Pregny et du Grand Saconnex avec 34. En fait, la gare de ainsi que celle d’une gare de marchandises à connexion ou inclusion de l’Ariana »35. marchandises à La Praille rebroussement à La Praille34, au sud de la ville, Pour la seconde fois, Otlet anticipait le scéna- ne fut construite qu’en 1941-1947. dont le tracé des voies ferrées devait emprunter le rio houleux du concours international lancé en 35. Paul Otlet, Le Siège pont Butin alors en construction. Dans sa lettre 1926 pour la construction du Palais des Nations définitif de la Société des d’accompagnement de 1924 à Otlet, Dériaz pré- et dont le programme fut augmenté, l’année sui- Nations en une Cité mondi- cisait : « J’ai l’honneur de vous remettre une peti- vante, du projet de créer une Bibliothèque offer- ale, centre autonome et exterritorialisé des organ- te étude de situation du Palais des Nations au te par Rockefeller Jr et que le terrain Bartholoni ismes internationaux, pub- sommet de la colline du Petit-Saconnex, étude sur les rives du lac acquis en 1926 se révéla trop lication no 119 de l’UAI, faite il y a quatre ans uniquement pour montrer exigu. Suite aux pourparlers avec les descendants Bruxelles, février 1926, pp. 36 5-6. – Cf. ci-dessous, le le parti heureux que l’on peut tirer d’une prolon- de la famille Revilliod qui avait légué le domai- projet de « Zone de la Cité gation de la rue du Mont-Blanc par une grande ne de l’Ariana à la Ville de Genève pour en faire Internationale » émanant avenue [appelée avenue des Nations, comme l’ar- un parc public, il fut décidé en septembre 1928 de l’Union des associations tère principale dans le projet d’Andersen et d’y implanter le Palais des Nations, à proximité internationales de février 1928. Hébrard publié en 1913]. La Ville Internationale, du site pressenti par Otlet pour son 36. Dont Hélène de dont le plan n’a pas été étudié ici, pourrait faire Mundaneum deux ans auparavant. Mandrot, fervante parti- pendant sur cette colline de la rive droite à la Cette résolution s’imposait en raison des obstacles sane de Le Corbusier qui prit sa défense lors du con- Vieille Cité sur la rive gauche. » Sur la colline de liés au parcellaire du bord du lac, trop contraignant cours pour le Palais de la la ville ancienne, cité par Dériaz, se hisse un des par rapport à l’important développement du pro- Société des Nations. symboles de Genève, sa cathédrale du XIIe/XIIIe gramme constructif et à l’élaboration d’un plan

66 Palais des Nations à Genève38. Rappelons seule- ment que le concours avait été lancé en 1926, la première pierre posée en septembre 1929 et que le chantier ne fut achevé qu’en septembre 1937, soit deux ans avant l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale! Rappelons aussi que Le Corbusier et Pierre Jeanneret, ayant été sélec- tionnés au premier rang ex aequo avec huit autres concurrents, s’insurgèrent contre cette décision en publiant divers pamphlets. En rai- son de la lenteur des travaux, il fallut construire d’urgence un bâtiment, adossé à l’ancien Hôtel National, pour recevoir, en 1932, la conférence sur le Désarmement. Ce pavillon, d’une archi- tecture résolument avant-gardiste, connut une issue aussi désastreuse que la conférence, puis- qu’il succomba aux flammes le 1er août 1987. C’est dans ce contexte que Paul Otlet eut l’oc- casion de rencontrer Le Corbusier, peut-être par l’entremise de deux architectes belges, membres du jury du concours, Victor Horta et Hendrik Petrus Berlage, qu’il connaissait par l’Union des Villes à Bruxelles, et peut-être aussi par l’Union

Croquis du Musée mondial, sous forme de ziggourat, par Le Corbusier, publié dans son ouvrage Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme, Paris 1930, réédition 1960, p. 220. juridique et financier. En fait, il était prévu de créer une Fondation mondiale, sous le haut protectorat de la SdN et de tous les gouvernements partici- pants, qui devait se situer dans un site exterritoriali- sé à implanter à cheval sur Suisse et sur France. La solution financière consistait à établir, au sein de la Cité mondiale, une Banque internationale, dont les impôts auraient été versés à la Fondation, et qui aurait permis de liquider les dettes et réparations des alliés et de l’Allemagne envers les Etats-Unis par des accords multilatéraux. La concession territoriale de 37. Paul Otlet, La Banque internationale, Bruxelles la France et de la Suisse de 600 ha pour chacune des 1929. parties aurait pu contribuer, selon Otlet, à résoudre 38. Palais des Nations fut le problème des zones franches qui perdurait depuis construit par les archi- l’adhésion de Genève à la Suisse en 181437. tectes Henri-Paul Nénot (Paris) et Julien Plan de février 1929 signé par Le Corbusier et Pierre Flegenheimer (Genève), Le Corbusier et Pierre Jeanneret : auxquels furent adjoints Jeanneret pour le projet de Cité internationale, à Carlo Broggi (Rome), une nouvelle Acropole à Genève l’instigation de Paul Otlet. Légende: « PREVOIR ne Camille Lefèvre (Paris) et coûte rien c’est SEMER l’abondante RECOLTE de Joseph Vago (Rome- Il n’est pas dans notre propos de relater ici DEMAIN ». Budapest). l’épineux concours pour la construction du (BIT, Genève, Archives Otlet)

67 Vue panoramique de la Cité internationale à Genève, par Le Corbusier et Pierre Jeanneret, avril 1929. (Archives CRR, EAUG ; exemplaire colorié, archives C. Courtiau)

des architectes néerlandais ou la Société centrale L’idée émise par Jean-Jacques Dériaz en 1924 de Belgique. Toujours est-il qu’ils avaient un ami de créer une deuxième ville, faisant pendant à la en commun en la personne de Blaise Cendrars. cité ancienne, fut reprise par Le Corbusier et Le Corbusier et Pierre Jeanneret furent sollici- Pierre Jeanneret. tés par Otlet à la fin de l’année 1927 et, en avril Ils firent paraître successivement deux bro- 1928, ce dernier leur envoya une lettre, accom- chures41 : en août 1928 le Mundaneum et en pagnée de documents, notes, croquis et schémas février 1929 – après le changement de terrain du Mundaneum39, dans laquelle il se référait à destiné au nouveau Palais des Nations en sep- leurs diverses rencontres. tembre 1928 – celui de son extension en Cité Sur le plan de « Zone de la Cité mondiale. Dans ces publications, les architectes Internationale » établi par l’Union des associa- produisirent leurs plans accompagnés de textes tions internationales en février 1928, Otlet avait explicatifs, introduits par un exposé général de implanté le Mundaneum dans l’axe de l’Ariana, Paul Otlet révélant ses intentions. à proximité de l’ancien Pensionnat Thudicum, En septembre 1928, Otlet présenta le projet devenu Hôtel Carlton après son occupation pro- du Mundaneum au public genevois dans le visoire jusqu’en 1926 par le Bureau internatio- palais de l’Athénée. Il séjourna à Genève pour nal du travail, et non loin du futur aérodrome promouvoir son programme par des confé- international40. Le Secrétariat de la SdN était rences, notamment aux délégués de l’Assemblée encore logé dans l’ancien Hôtel National et le de la SdN, et par de nombreuses publications. terrain du futur Palais des Nations encore prévu Le Musée mondial, réunissant tous les orga- à Bartholoni au bord du lac. Cette vaste zone nismes créés par Otlet et La Fontaine, se présen- internationale s’étendait de la frontière française tait sous la forme d’un ziggourat, dont les angles à l’ouest jusqu’aux rivages du lac. étaient orientées vers les quatre points cardinaux Connaissant le caractère autoritaire de Le et le sommet déterminé par les deux axes princi- Corbusier, Otlet prit ses devants en exigeant paux définissant, selon la règle d’or, le rectangle 39. Lettre de Paul Otlet à péremptoirement : « Sur la base du programme, de de l’enceinte du Mundaneum. Le choix de la Le Corbusier et Pierre buts, d’idées et de besoins que je vous ai développés, pyramide n’était sans doute pas fortuit, peut-être Jeanneret du 2 avril 1928 (Archives Fondation Le vous préparerez un plan tenant compte de l’en- même suggéré par Otlet, puisque Andersen et Corbusier, Paris, F1-14). semble des desiderata, de telle manière que l’édifice Hébrard avaient reproduit dans leur ouvrage de 40. Cf. note 32. ou complexe d’édifices, placé dans son parc et celui- 1913 sur le Centre mondial une vue générale du 41. Paul Otlet, Le Corbusier et Pierre ci déterminé dans son site, soit si étroitement lié à Palais de Khorsabad, capitale d’Assyrie créée Jeanneret, Mundaneum, l’idée, à l’institution, à son fonctionnement, qu’il entre 713 et 707 avant notre ère, qui montre publication no 128 de aide réellement à son expression symbolique, à sa cette même structure architecturale. l’UAI, Bruxelles, août représentation, aux services à en attendre. » Dans la Cité mondiale, encadrant le 1928. - Paul Otlet, Le Corbusier et Pierre Y voyant sans doute un moyen de prendre leur Mundaneum, Le Corbusier et Pierre Jeanneret Jeanneret, Cité mondiale. revanche sur l’échec essuyé lors du concours du envisagèrent notamment l’aménagement d’une Geneva: World Civic Palais des Nations, mais aussi séduits par ce halte-station de chemin de fer, le développement Center: Mundaneum, pub- 42 lication no 133 de l’UAI, gigantesque programme, Le Corbusier et Pierre du champ d’aviation à Cointrin indiqué sché- Bruxelles, février 1929. Jeanneret acceptèrent et soumirent leur projet à matiquement par un cercle, la percée d’un canal 42. Cf. note 32. Paul Otlet. reliant le lac au Rhône, avec l’implantation

68 d’une cité industrielle, et la construction d’un pont traversant la rade entre les deux phares du lac en ville de Genève, ainsi que la création d’une cité hôtelière et résidentielle. Le Corbusier, qui avait suivi et interprété tous les préceptes d’Otlet, décrivit ainsi le site désigné: « Le lieu choisi pour la Cité mondiale est tout particulièrement favorable. La carte en relief met en évidence cette sorte d’Acropole dominant le lac, commandant à droite la ville et à gauche le Haut-Lac et qui est ceinte sur trois horizons de la couronne majestueuse des montagnes les plus belles et les plus variées : les Alpes de Savoie, le Salève, les montagnes de l’Ain, le Jura. C’est là véritablement le lieu vrai d’une cité dédiée au labeur de l’esprit. »43 Le Corbusier et Pierre Jeanneret avaient si bien su s’inspirer des idéaux d’Otlet qu’ils appo- sèrent sur leur plan de la Cité internationale44, daté de février 1929, la devise suivante : « PRE- VOIR ne coûte rien / c’est SEMER l’abondante / RECOLTE de DEMAIN » 43. Ce projet n’est pas sans rappeler un vieux Le diorama de la Cité mondiale, réalisé par Le plan de Karl-Rudolf Corbusier et Pierre Jeanneret et daté du 20 Kasthofer (1808-1874), juillet 1929, fut exposé dans la villa Bartholoni datant de 1833. Celui-ci du 1er août au 20 septembre de la même année proposait de construire ex nihilo une capitale de et commenté le 2 août par Otlet au nom de Plan du Mundaneum de Le Corbusier et Pierre Jeanneret, 3000 habitants au centre l’Union des associations internationales. La villa août 1928, pubié dans L’Architecture vivante, Paris, géographique de la Suisse. Bartholoni se trouvait précisément dans le printemps/été 1929, pp. 46-47 : En son milieu, cette petite domaine qui aurait dû céder la place au premier 1) Musée mondial, 2) Halles des Temps modernes, 3) Associations ville aurait été occupée par internationales, 4) Bibliothèque, 5) Université, 6) Cité une sorte de Musée projet genevois de Paul Otlet en 1924, puis au universitaire, 7) Stade, 8) Annexes du centre sportif, national, un temple à l’an- Palais des Nations en 1926. 9) Démonstration-Exposition : continents, nations, villes, tique. Mais ce vaste programme se heurta aux auto- 44. Plan colorié conservé 10) Cité hôtelière et résidence, 11) Chemin de fer : Halte au BIT, Genève, Archives rités helvétiques. Berne, centre de la internationale Garage du Centre de Tourisme, Otlet. Confédération, voyait d’un mauvais œil la créa- 12) Autostrade. Genève vers Lausanne, Berne, Zurich, 45. Victor Bourgeois tion d’une telle cité mondiale exterritorialisée, 13) Débarcadère, 14) Centre nautique, 15) Siège actuel du (1897-1962), un des prin- une sorte de « cité vaticane » selon leurs dires, à Bureau international du travail, 16) Phares, 17) Jardin cipaux représentants du botanique et minéralogique (extension de l’Ariana), mouvement moderne l’extrémité occidentale de la Suisse, trop éloi- 18) Route de France (par la Faucille) ; raccordement au belge. gnée de sa souveraineté politique et diploma- quai Wilson, 19) Quai Wilson ; liaison de Genève avec la 46. Paul Otlet, tique. Enfin, la Banque internationale vint s’ins- Cité internationale, 20) Réserves pour aéroport et station de L’Exposition Universelle de 1930 en Belgique et l’étab- taller à Bâle en 1930, ce qui rassura les Etats- TSF, 21) Emplacement réservé lissement d’une Cité inter- Unis qui n’appréciaient guère de la voir si proche nationale, publication no de la SdN. Tervueren près de Bruxelles conçu par l’architec- 103 de l’UAI, Bruxelles, te belge Victor Bourgeois45, en vue de s.d. [1922]. – Paul Otlet, « Urbaneum – Bruxelles, Retour en Belgique et les derniers l’Exposition universelle de 1930, reprenant ainsi Cité mondiale, Bruxelles, soubresauts pour une Cité mondiale son objectif de 192246. grande ville, Bruxelles, Dans la perspective du concours pour l’amé- capitale de la Belgique », Paul Otlet n’abandonna pas pour autant son nagement de la rive droite de l’Escaut, près in La Cité, no 10, vol. IX, er Bruxelles, 1931, pp. 121- projet de Cité mondiale, mais renonça à l’im- d’Anvers, qui eut lieu du 1 octobre 1932 au 31 129. planter à Genève. Il présenta un projet pour mai 1933, Otlet sollicita une nouvelle fois la

69 quartiers d’habitation furent créés au coup par coup. Le secteur n’a jamais été doté d’un statut juridique et administratif spécial. Et pourtant, la ZADAI (Zone d’urbanisme à destination des acti- vités internationales) fut envisagée en 1964, en même temps que la FIPOI (Fondation des immeubles pour les organisations internationales), puis créée en 1971 pour être abandonnée une année après. La ZADAI avait pour but de réunir les conditions nécessaires à l’urbanisation d’un

Diorama de la Cité mondiale avec au centre le ziggourat (Musée mondial), signé par Le Corbusier et Pierre Jeanneret, daté du 20 juillet 1929 à Paris. Exposé du 1er août au 20 septembre 1929 à la villa Bartholoni à Genève et présenté par Paul Otlet au nom de l’Union des associations internationales le 2 août de la même année. (Archives C. Courtiau) contribution de Le Corbusier et Pierre Jeanneret en collaboration avec des architectes belges et hollandais. Profondément agacé de devoir parta- ger ses prérogatives, Le Corbusier accepta néan- moins, mais à la seule condition de travailler comme « chef d’orchestre » avec Huib Hoste et Victor Bourgeois. Finalement, un plan fut éla- boré par Le Corbusier et Jeanneret avec la parti- cipation de Hoste et Loquet47, combinant Ville 47. G.A.L. Brunfant, « A radieuse et Cité mondiale dotée de la pyramide propos de l’urbanisme du Musée. Ce projet ne fut pas retenu et le pro- d’Anvers rive gauche », in L’Emulation. Architecture et gramme urbanistique visionnaire finalement urbanisme, revue mensu- abandonné. elle de la Société centrale L’Union des associations internationales fut d’architecture de Belgique, expulsée à la fin du mois de mai 1934 des locaux no 11, Bruxelles 1933, pp. 232-235. qu’elle occupait dans le Palais du 48. « Don de l’Union des Cinquantenaire à Bruxelles et qui lui avait été associations internationales mis à disposition par le gouvernement belge. à la Société des Nations », Dans un dernier élan d’espoir, Paul Otlet et note no 7425 de l’UAI, Bruxelles, 21 avril 1934 Henri La Fontaine s’adressèrent, à titre officieux, (Coll. CLPCF – à la SdN à Genève pour lui demander sa haute Mundaneum, Bruxelles, protection pour les associations et instituts qu’ils Archives Otlet). 49. En juin 1940, le secré- avaient créés et pour lui proposer de faire don de Photomontage : vue aérienne sur le bâtiment de la SdN tariat de la SdN et le BIT ceux-ci et de toutes leurs collections, soit l’en- (1929-1937) reliée en ligne droite par une large avenue, fermèrent leurs portes. semble du Mundaneum48. Mais la situation poli- jamais percée, au bâtiment du BIT (1923-1926), en Après la Seconde Guerre tique et économique mondiale ébranlée par direction du lac et du Mont-Blanc. mondiale et la Charte des l’avènement du fascisme et du national-socialis- Au premier plan, à gauche, l’ancien Pensionnat Nations, le siège européen Thudicum de 1876, devenu Hôtel Carlton de 1927 à de l’ONU vint remplacer me ne s’y prêtait guère et la SdN amorçait déjà 1939, actuellement siège du CICR. A droite, le palais de la moribonde SdN, dis- son déclin49. soute en 1946. L’ONU est l’Ariana, aujourd’hui musée, construit entre 1878 et 1884 appelée depuis 1966 A Genève, un grand secteur de cette rive droite pour la mère du grand mécène Gustave Revilliod, ancêtre Office des Nations Unies à du Léman est cependant resté le centre des organi- d’Hélène de Mandrot. Genève. sations internationales et de nombreux nouveaux (Carte postale, collection privée C. Courtiau)

70 la désignation de « zone internationale », comme Otlet l’avait indiqué sur son plan de 1928. En guise de conclusion L’appel à des architectes aussi différents dans leur conception et approche de cet art démontre que Paul Otlet ne s’attachait pas à un mouve- ment stylistique précis, mais qu’il cherchait avant tout à concrétiser son idéal de centre mon- dial pour la paix. Son choix s’était aussi bien porté sur des archi- tectes du mouvement international Beaux-Arts Projet d’aménagement des voies d’accès au Palais de la comme Andersen et Hébrard que sur des prota- SdN à l’Ariana, vers 1930, en grande partie réalisé. Extrait gonistes de l’avant-garde de la modernité du « Grand plan de Genève et de sa banlieue dressé par comme Le Corbusier et Pierre Jeanneret ou Adrien Piccioni, géomètre agréé... ». (Archives de la Ville de Genève, reproduction Victor Bourgeois. Tous surent néanmoins photographique par Matthias Thomann, Genève) s’adapter aux préceptes d’Otlet, à sa pensée uto- pique et universaliste, et concevoir des cités quartier à vocation internationale. Mais une gran- de partie de ce périmètre porte aujourd’hui encore

« Genève. Institutions internationales et extention [sic] des quartiers de résidence avoisinants », projet Le pavillon du Désarmement construit en 1931/32 et à d’aménagement de nouveaux quartiers, 1942. Plan publié l’arrière-plan, l’ancien Hôtel National, siège du Secrétariat dans l’article de Ernest Martin, « Genève, cité de la SdN à Genève. Côté quartier des Pâquis. internationale », in Bulletin technique de la Suisse romande, (Carte postale, collection privée C. Courtiau) 26 juin 1948, p. 171.

71 Convergences et divergences : de Le Corbusier à Otto Neurath par Giuliano Gresleri*

’aurai moi aussi recours à un apologue cher à Mogens Krustrup (grand historien de Le Corbusier, héros et intellectuel de la guerre de *Architecte. Professeur J résistance au Danemark) où il rappelle com- d’histoire de l’art et de l’architecture modernes à ment les soldats alliés, tout au long de leur pro- la faculté d’architecture de gression en Normandie, pouvaient lire cette l’université de Bologne. mystérieuse inscription sur les murs des villages Texte traduit de l’italien en ruine : « Kilrog est passé par ici avant vous ». par Libero Tatti. Personne n’était en mesure d’identifier le per- 1. G. Pollini, G. Gresleri , sonnage ou les personnes qui s’étaient battues Da Bruxelles ad Atene : la afin que le débarquement puisse avoir lieu, si città funzionale, « Parametro », n. 52, bien que Kilrog demeurait un mystère. 1976. Contrairement aux soldats américains, moi je 2. M. Steinmann (Hrsg.), sais à qui être redevable lors de mes « abordages » CIAM. Dokumente 1928- sur les plages de l’histoire de la Charte d’Athènes. 1939, Birkhäuser, Basel- Stuttgart 1979. Tout d’abord à Gino Pollini avec lequel j’ai pu 3. G. Ciucci Il contributo attentivement étudier en 1976 ce qui reste des olandese ai primi Ciam, in archives de Gieidon1, ensuite Helena Syrkus ou Aa.vv., Architettura, encore Martin Steinmann2 et Giorgio Ciucci3 socialdemocrazia, Olanda, 1900-1940, Arsenale, qui à plusieurs reprises ont anticipé puis repris le Venezia 1979. On peut sujet. trouver de nombreuses Helena Syrkus m’a confié, par testament olo- informations intéressantes sur ce sujet dans N. graphe, tous ses documents des archives de Luning-Prak, Fondazione Varsovie qui n’ont pas pu être transférés en Italie dei Ciam e movimento uniquement en raison d’évènements tragiques moderno in Olanda, qui se produisirent après sa disparition. Peu « Parametro », n. 58, avant cela elle était néanmoins parvenue à orga- 1977. Cette étude est une La couverture du texte dactylographié de Hubert traduction de l’original niser un numéro monographique de Hoffman, La Charte d’Athènes, 1971 [Archives allemand paru dans « Parametro » dans lequel elle reprenait et com- Hoffmann, veit bei Graz]. « Baumen », Amsterdam 1971 et qui précède donc plétait les enquêtes que Gino Pollini avait com- toutes les questions repris- mencées en se basant sur ce qu’il restait des continuité : il s’agit de Le Corbusier et de Otto es ici. archives du groupe italien des CIAM dans le Neurath, l’architecte et l’intellectuel. 4. H. Syrkus, 1928-1934. bureau de la rue Manin à Milan4. J’ai pu récemment entrer en contact avec La Sarraz e la Varsavia funzionale, « Parametro », Plus tard nous nous sommes attelés avec Dario Hubert Hoffman, qui fut autrefois professeur au n.70, 1978. De nombreux Matteoni à la rédaction d’une Histoire de la Bauhaus de Dessau, exilé en 1933 et observateur thèmes ici résumés avaient Charte d’Athènes pour Marsilio, un ouvrage qui scrupuleux de ce qui se passa à bord du Patris II, déjà été développés par le n’a jamais vu le jour mais auquel je travaille à l’époque d’Athènes et au cours du retour à même auteur dans sa célèbre autobiographie encore aujourd’hui. Enfin il y eut les études de Marseille. La figure atypique de Hoffman, qui Spoleczne Cele Giorgio Gerosa qui, avec son Le Corbusier : était en contact avec le Cercle de Vienne, prend Urbani-Zacji, Panstwowe urbanisme et mobilité, réalisa la première lecture souvent le dessus sur celle de Neurath, qu’il eut Widawnctwo, Warszawa critique complète de la Charte, ce qui, à mes l’occasion de connaître et de fréquenter car tous 1984. Se référer notam- 5 ment aux pages 196-296. yeux, en fait un nouveau Kilrog… . deux avaient été les hôtes de Werner Moser à Cette œuvre n’est pas La mission qui m’a été confiée couvre plu- Zurich la semaine qui avait précédé le départ encore disponible en ital- sieurs aspects, ce qui nécessite de ma part une pour Marseille6. Ses mémoires permettent de ien. 5. P.G. Gerosa, Le tentative de résumer les évènements qui précè- mieux comprendre le rôle que joua le philo- Corbusier : urbanisme et dent et de compléter ceux-ci par la synthèse sophe dans la rédaction des « résolutions », de la mobilité, Birkhäuser, Basel- d’une série de découvertes concernant deux pro- Charte ainsi que dans la formation de la pensée Stuttgart 1978. tagonistes de premier rang du débat de 1933, urbanistique dans le deuxième après-guerre, Associations transnationales sur lesquels il faut encore beaucoup enquêter lorsqu’il se transféra d’abord aux Etats-Unis et 1-2/2003, 72-81 maintenant que les recherches ont repris avec ensuite, de façon définitive, en Angleterre.

72 6. Les « mémoires » de La figure de Neurath et son projet Hubert Hoffman, en ce qui concerne les évène- d’Encyclopédie internationale des sciences unifiées, ments d’Athènes, sont visant à développer la vision d’un cosmopolitis- recueillies dans un fasci- me scientifique, font aujourd’hui l’objet de mul- cule polycopié distribué en 1985 avant sa disparition tiples recherches soutenues par les philosophes de la scène culturelle du Cercle de Vienne. Le « scepticisme cognitif » européenne. Cfr. H. de Neurath en particulier (qui, d’après les récits Hoffmann, Le Corbusier, de Hoffman, fut explicité à Athènes) suscite un la Charte d’Athènes die 7 funktionelle Stadt, Veite bei vaste intérêt au niveau international . Bien que Graz 1984. le philosophe fût à l’époque une figure de proue 7. Pour comprendre ces dans le débat culturel européen et bien qu’il fût questions et, de manière plus générale, les théories l’ami de Einstein et qu’il s’opposât à Russell, il de Otto Neurath, les avait tendance à rester au second plan à Athènes, études de Walter Tega et comme « à l’écart » des questions qui préoccu- Danilo Zolo sont indis- paient le plus les architectes. C’est à lui que sera pensables. Il est conseillé de lire au moins E. confié le deuxième des rapports officiels (ceux Nemeth, F. Stadler, qui se tiendront à l’Institut Polytechnique après Encyclopedia and Utopia. le discours inaugural de Le Corbusier au stade), The Life and Work of Otto axé sur les problèmes du langage et de la repré- Neurath 1882-1945, Kluwer Academic sentativité, d’après la méthode que son maître Publishers, Dordrecht- Paul Otlet avait laissée en suspens, en lui Boston-London 1996, et confiant la responsabilité d’organiser un en particulier l’essai de 8 Enrico Chapel contenu Mundaneum à Vienne . dans celui-ci, Otto Neurath La « communication » constitue en effet un and the system for Town problème crucial au Congrès d’Athènes. Outre planning, pages 167 et la mise au point d’un langage symbolique suivantes. 8. À propos des rapports capable d’exprimer le contenu de la science Programme rédigé par Christian Zervos pour une entre Otlet et Neurath, de urbaine et outre les limites des différentes élabo- « expédition artistique » au Mont Athos en 1928 [archives nombreuses informations rations techniques, la communication demeu- FLC, Paris]. d’intérêt majeur ont tran- spiré lors du séminaire rait une question fondamentale liée à la trans- organisé par Walter Tega mission des idées. On dénombrait en effet sept notamment lorsque à Marseille, après le 13 au Département de groupes linguistiques obligés de travailler simul- août, on tenta de rédiger une première version philosophie de Bologne le tanément pendant dix-huit jours. De graves pro- des Constatations conclusives. Cela explique en 26 avril 1996, dont le thème était Neurath et blèmes de compréhension survinrent fréquem- bonne partie les malentendus qui se créèrent par l’Encyclopédie interna- ment (Pollini s’en souvenait très bien), et la suite en ce qui concerne les « délibérations » et tionale des sciences unifiées, les interprétations que l’on en fit, à tel point dont les rapporteurs qu’aujourd’hui encore il nous est bien difficile étaient P. Parrini (Université de Florence), d’en dresser un bilan objectif. Une chose est sûre G. Wolters (Université de cependant : l’expression consacrée selon laquelle Constanz), M. Stöltzner « le bien-être collectif doit toujours prévaloir sur (Cercle de Vienne), A. Jansen (Université de le bien-être individuel » s’applique parfaitement Hambourg), G. Gresleri aux positions prises de façon explicite par (Université de Bologne), Neurath, car des architectes issus de courants D. Zolo (Université de politiques opposés s’accordaient paradoxale- Florence) et dont les actes sont toujours en cours ment pour l’affirmer. d’impression. Pour un pas- Une histoire donc, celle du IVe Congrès, qui - sage en revue général du malgré tout - doit encore être en grande partie projet de Mundeanum et de l’idée de ville mondiale Le navire Patris II dans un dépliant de 1933 qui publiait retracée, tant elle manque d’informations pré- essentielle il reste G. la liste officielle des participants au IV CIAM [archives cises et tant elle a été souvent considérée comme Gresleri, D. Matteoni, La FLC, Paris]. terminée alors même que l’on venait d’en

73 des documents d’archive en s’appuyant sur les instruments de la critique moderne. Attendu qu’ils ont constitué une extraordinai- re occasion de rencontre et de convergence des principales expériences architecturales résultant de trente ans de recherches sur les problèmes de l’habitat, les CIAM doivent être reconsidérés avec la plus grande attention. Il suffit pour s’en convaincre de penser au fait que, malgré le saut d’échelle et la quantité différente de transforma- tions advenues, aucune des questions fonda- mentales affrontées de 1928 (La Sarraz) à 1959 Le groupe Ciam-Est. La deuxième femme en partant de la (Otterlo) n’a encore trouvé de solution ni de droite est Helena Syrkus ; à sa gauche et à sa droite se trouvent respectivement son mari Symon Syrkus et réponse appropriée aux besoins des gens. Hélène de Mandrot. Dans la seconde rangée, derrière La crise qui a frappé la culture occidentale a Mme de Mandrot, se trouve B. Fuchs, à gauche Farkas mis en évidence la manière dont la réalité se Molnar, à droite, avec le chien, J. Kalivoda (?) [collection nourrit de données éminemment « politiques », privée, Bologne]. en nous permettant de dépasser des diatribes idéologiques désormais obsolètes, et en nous reprendre l’analyse, dans l’espoir d’homologuer autorisant à reconsidérer des valeurs et des juge- les résultats des délibérations finales en les repla- çant dans un contexte contemporain plus rassu- rant. En effet, un ouvrage tel que le Dictionnaire encyclopédique d’architecture et d’urbanisme ne reprend pas le terme CIAM, ni les noms d’une bonne moitié des protagonistes d’Athènes. C’est là une négligence presque inexcusable même en tenant compte des difficultés liées au repérage de la documentation et à la croyance désormais his- toriquement acquise en une conclusion « muet- te » du IVe Congrès par rapport à laquelle la for- mulation de la Charte a fini par représenter une espèce d’appendice littéraire destiné à Le Corbusier, un « incident diplomatique » posthu- me sur lequel il a paru longtemps inutile de mener une enquête. Cependant le réexamen des sources et la lecture que l’on fait aujourd’hui de tout ce qui a trait à ces évènements lointains, semblent depuis Città Mondiale, Andersen, quelque temps aller au-delà de la volonté tout à Hébrard, Otlet, Le Corbusier, Marsilio, Venise fait compréhensible de replacer les évènements 1982. De nombreuses dans leur contexte, étant donné que de toutes recherches ont fait suite à parts on assiste à des tentatives de revoir les juge- cet essai qui en ont retracé ments et les conclusions et de ne pas considérer la structure. Cfr. notam- ment C. Courtiau La Cité comme dépassés les résultas de l’époque. Le Internationale 1927-1931, débat qui a été relancé comporte en effet un dans Le Corbusier à mérite, qui est celui d’essayer de comprendre le Genève, Catalogue de l’ex- position du même nom, pourquoi d’un « procédé intellectuel », en le L’Avant-propos du texte dactylographié de Hubert Payot, Lausanne 1997, revendiquant comme nôtre chaque fois que les Hoffman, La Charte d’Athènes, 1971 [Archives pages 53 et suivantes. contingences nous permettent une lecture claire Hoffmann, veit bei Graz].

74 de deviner à quel point les nouvelles recherches allaient devoir se mesurer aux conditions concrètes et de tous les jours propres aux diffé- rentes réalités locales. Et il s’agissait là d’un fait exceptionnel pour l’époque. S’il est vrai que l’on reprocha par la suite aux Congrès de ne pas être parvenus à définir une politique du logement et de l’environnement urbain précise, ceux-ci ont toutefois permis de rassembler les expériences les plus diverses, en enrichissant la culture d’une ville d’un patrimoi- ne d’idées avec lesquelles nous sommes appelés à nous mesurer tous les jours. Il nous est dés lors permis de faire une pre- mière constatation (qui pourrait devenir une hypothèse de travail ultérieure) qui consiste à dire que les conditions « politiques » de l’archi- tecture moderne sont certainement plus claires mais que la transposition de celles-ci en images spatiales s’est arrêtée à ces années-là, et peut-être a-t-elle même régressé, malgré l’ampleur du domaine d’expérimentation offerte par la reconstruction d’après-guerre, les new towns et la recherche contemporaine. Même l’énorme effort qu’a nécessité le débat concernant les législations, les normes et les sys- tèmes liés aux expériences en matière de préfa- Otto Neurath vers 1945 [E. Nemeth, F. Stadler, brication n’a que partiellement donné des résul- Encyclopedia and Utopia. The Life and Work of Otto tats fiables (et dans une certaine mesure tout Neurath 1882-1945, Kluwer Academic Publishers, juste plus avancés que ceux obtenus à Bruxelles) Dordrecht-Boston-London 1996]. uniquement là où, en l’absence de la concurren- ments définis avec la volonté manifeste de servir ce du marché, les recherches visaient à ne satis- exclusivement ses propres intérêts. En 1928 déjà faire qu’un nombre limité de conditions le vieux Berlage, dans la chapelle gothique de La requises. En revanche, si au sein d’un même sec- Sarraz et face à un public plus jeune d’une géné- teur nous concentrons notre attention sur les ration, avait été le seul à aborder la thématique expériences occidentales, nous constatons la pré- de la relation entre l’art et la politique avec le dominance de facteurs liés à des objectifs de pro- rapport intitulé « Rapports entre État et archi- ductivité précis sans aucun élément innovateur tecture », une thématique qui non seulement du point de vue architectural et typologique par constituait l’une des « questions délicates » du rapport aux recherches des années trente. Congrès9 mais qui en plus se précisera au cours Ceci pourrait également signifier que, malgré des rencontres qui suivirent (en allant du tout, les besoins en architecture diminuent, que les Congrès de Francfort sur le logement minimal réponses que celle-ci peut fournir sont moins en jusqu’à la Grille de Bergame) alors même que la rapport avec la réalité que ce que l’on croit, que nature des négociations restait éminemment l’écart entre la recherche et les besoins réels est 9. Se référer, outre à spécifique. Berlage n’avait pas la possibilité de devenu excessif, que l’on a placé l’architecture dans « Parametro », n. 52, concevoir pour lui-même et d’exposer aux autres une situation qui l’empêche d’avoir un effet suffi- également à M. Steinmann (Hrsg.), CIAM. de façon convaincante la situation générale à sant sur la configuration de la « cité moderne ». Dokumente 1928-1939, venir et le destin de la nouvelle architecture. Lorsqu’on étudia les trente-trois villes à pages 21 et suivantes. Mais le thème de sa conférence lui avait permis Athènes, en étendant le champ de l’enquête de

75 quartiers résidentiels situés au-delà de la zone urbaine actuelle sont conçus pour de grandes unités, telles que des ensembles plus ou moins autonomes qui sont effectivement séparés l’un de l’autre par de vastes zones récréatives et des terrains ouverts […] mais qui sont reliés entre eux le plus étroitement possible […] et qui sont à leur tour raccordés à la vieille ville »11. Quelques mots qui résument déjà en partie les constatations de la future Charte et qui sous- entendent une attitude culturelle à l’égard de la 10. Le nombre de villes étudiées à bord du Patris ville qui a du mal à s’affirmer aujourd’hui encore, II a plusieurs fois fait l’ob- l’Europe à l’Amérique et à l’Asie, tous ces pro- et ce même si elle appartient de fait aux aspira- jet de discussions, d’au- blèmes étaient déjà latents, ce qui conféra une tions normales d’une quelconque administration cuns affirmant que l’on en touche de pessimisme aux rapports qui furent moderne. La pratique urbanistique des CIAM et comptait trente-quatre, d’autres qu’il y en avait dressés et aux rencontres qui se tinrent. Bien que le fait que la Charte qui émana du Congrès de trente-cinq ou trente-six. beaucoup des protagonistes de Francfort et de 1933 ne propose aucun modèle mais se situe à Nous nous en remettons Bruxelles fussent absents, on éprouva le besoin un moment précis de l’histoire en tant que carac- ici aux déclarations con- de procéder à une comparaison avec leur travail, térisation d’une méthode de travail ne doit dés cordantes de Gino Pollini et Helena Syrkus ainsi et on en arriva même, dans la mesure du pos- lors pas être lue comme un projet destiné à qu’au texte des sible, à orienter la discussion dans cette même œuvrer avec des solutions en mesure de « chan- Constatations du IV direction. En effet les trente-trois villes (le ger le monde » mais elle doit être considérée en Congrès dans lesquelles ont chiffre trente-trois est-il symbolique ou est-ce le tant que proposition concrète et de long terme, évoque de façon définitive e trente-trois villes : « Ces fruit du hasard s’il coïncide avec l’année du IV alternative à la pratique administrative courante. groupes [nationaux] ont CIAM ?)10 ne constituent pas des plans urbanis- En effet il est possible - si l’on considère comme présenté au IV Congrès les tiques élaborés par les congressistes, mais plutôt allant de soi les procédés d’homologation de pro- plans de trente-trois villes : Amsterdam, Athènes, des états de fait, des « cartographies » issues de duction et de développement - d’opposer aux Bruxelles, Charleroi, conditions locales différentes, étrangères à l’ar- villes soumises à l’examen (quelles que soient les Cologne, Baltimore, chitecture comme celles que nous avons coutu- sociétés qui les représentent) non pas un modèle Bandoeng, Budapest, Berlin, Barcelone, Côme, me de voir, nous qui sommes issus de la généra- urbain défini une fois pour toutes mais une Dalat, Detroit, Dessau, tion de l’après-guerre (se référer à la séquence de recherche visant à prévenir les maux de l’urbani- Francfort, Genève, Gênes, diapositives demandée par Van Eesteren pour sa sation (plutôt qu’à les soigner) ou à corriger les La Haye, Los Angeles, conférence) à l’intérieur desquelles on dit qu’il distorsions au fur et à mesure qu’elles se présen- Littoria (ancienne dénomi- nation de la ville de Latina est encore possible d’amorcer des procédés cor- tent. – N.d.T.), Londres, recteurs, d’orienter l’évolution en fixant des Après le Congrès de Dubrovnik en 1956 et Madrid, Paris, Prague, paramètres qui en l’espace d’une dizaine d’an- celui d’Otterlo en 1959, alors que les recherches Oslo, Rome, Rotterdam, nées deviendront des points de repère de notre se concentrent sur des aspects structuralistes, Stockholm, Utrecht, Vérone, Varsovie, Zagreb, façon de travailler : en somme, les « plans » ne sociologiques et linguistico-formels, ce qui met Zurich » ; se référer à La seraient que les prémisses essentielles des projets en évidence les mérites et les limites de l’expé- ville fonctionelle/5 à venir. rience rationaliste, les thèses de la Charte Résolutions du IV CIAM, « Parametro », n. 52, page Scheffer (qui, avec De Graaf et Van Lohuizen d’Athènes demeurent un outil de vérification 45 et à l’Anthologie des faisait partie en ’34 de l’équipe qui depuis 1931 dont l’urbanisme moderne ne peut se passer, textes et documents du IV était chargée du plan d’Amsterdam sous la direc- qu’il s’agisse du problème des centres historiques Congrès international d’ar- tion de Cornelis Van Eesteren) était pleinement (affronté pour la première fois par Le Corbusier chitecture moderne, dans ce volume. conscient de la portée de ces opérations et décla- à La Rochelle-Pallice), des new towns, ou encore 11. Cfr. C. Van Eesteren, rait : « La nécessité de trouver une structure pour de la plus vaste question du logement. Urbanistique fonctionnal- la future expansion dans laquelle il serait pos- L’absence des architectes soviétiques au iste, l’expérience d’Amsterdam, dans sible de concrétiser au mieux l’idée de la ville Congrès prive ces hypothèses d’un apport “Parametro”, n. 52, page décentralisée en en éliminant les désavantages concret indispensable. Nous savons que Le 38 et suivantes. ressort clairement de [notre] plan général. Les Corbusier (Pollini le rappelle avec précision)

76 jectif et le subjectif – écrit-il dans la légende qui accompagne le tableau – sont les deux pôles entre lesquels s’élève l’œuvre humaine faite de matière et d’esprit »14. La « main ouverte », l’ar- chitecture (qu’il considère comme embléma- 12. Dans la très vaste cor- tique) de la boîte d’allumettes, le stylo qui, trans- respondance concernant ce posant la pensée, trace l’angle droit sur la feuille sujet à la Fondation Le blanche, sont les seuls instruments capables Corbusier, on a récem- ment retrouvé un Rapport d’ordonner la masse informelle et insaisissable sur l’histoire du Paris mod- qui apparaît à l’arrière plan. Ainsi l’ouvrage n’est erne, déjà partiellement autre que la métaphore de l’ordonnateur ou de accueillie, fortement mod- ifiée dans La Ville l’harmoniseur, autrement dit celui qui, par son Radieuse. Le texte dactylo- travail, est en mesure de rendre sa dignité à la graphié de huit pages, cité des hommes. Même s’il enverra une copie encore inédit, comporte de son livre à Mussolini en y incluant une dédi- une légende manuscrite de Le Corbusier « Rapport fait cace pleine d’admiration, Le Corbusier semble sur le bateau Patris destiner son ouvrage aux autorités soviétiques II/CIAM 1933 ». Il s’agit (qui sont les seules à avoir « réalisé » et qui sont selon toute probabilité du à présent « désinformées », en se repliant sur la même rapport avec lequel « réaction ») ainsi qu’à celles d’Alger, de Le Corbusier accompagna Exemples de représentation de l’état de fait d’une ville ses argumentations sur ses l’Amérique latine, de Paris et, plus tard, au grâce à la méthode de l’Isotype, élaborée par Otto propositions pour la capi- maréchal Pétain lui-même. La conférence Air, tale au cours de la discus- Neurath, 1937 [E. Nemeth, F. Stadler, Encyclopedia and sion générale sur les Utopia. The Life and Work of Otto Neurath 1882-1945]. son, lumière, chant lyrique face à l’Acropole, trente-trois villes. Cfr. improvisé la veille sur quelques feuilles dans sa archive FLC, Paris, Ville était arrivé au Congrès avec un carnet contenant chambre d’hôtel, est la preuve du « repli » du Radieuse, boîte 2/05/19 ss. les projets de la . Il avait program- maître sur un thème encore central du débat, Pour ce qui est de la date d’édition de la Ville mé la publication de l’œuvre pour le mois de (celui des « techniques modernes ») mais indolo- Radieuse, contrairement à mai 1933 (à la suite d’interminables négocia- re ; le problème politique de la ville reste en sus- ce que Le Corbusier ajoute tions avec l’éditeur) pour la dédier à l’ « Autorité pens face au caractère tragique des évènements en apostille dans l’édition désinformée »12. européens. Ce « cultivez votre jardin » qui conclut de 1964, à savoir que le 15 livre aurait été imprimé en La Ville Radieuse, qui encore aujourd’hui doit la lettre de Gropius à Giedion , officiellement 1935, tous les documents faire l’objet d’une analyse, se pose en effet dans l’empêchement de participer au Congrès que nous avons retrouvés comme un texte programmatique sur lequel ten- pour « obligations de travail urgentes », repré- confirment qu’en mai 1933 Le Corbusier possé- ter de construire la ville moderne. Le caractère sente le cri ravalé et prophétique d’un échec que dait des versions défini- extrêmement fragmentaire du débat empêchera les fêtes somptueuses d’Athènes (rappelées dans tives du texte qu’il consid- à Le Corbusier d’axer le déroulement du les mémoires de Hoffman) étouffent dans leur érait lui-même comme Congrès sur son travail. Du reste, il est impos- insouciante allégresse. À cet instant l’autorité prêtes pour l’impression. 13. Cette toile, connue sible, en raison de son imposant format, de résu- n’est plus uniquement « désinformée » ; comme également sous le nom de mer la Ville Radieuse, bien qu’elle demeura pen- à Moscou, elle n’est pas disposée à accueillir les Le Despote, est intitulée La dant plus de vingt ans la synthèse de toutes les architectes modernes, ni à les écouter. Les rai- main et le silex dans l’œu- vre picturale de Le tentatives de modifier les mécanismes de gestion sons de cela, il faut aller les chercher très loin. Corbusier. de la ville. Parmi les congressistes, Le Corbusier Après le Congrès de Bruxelles, il était probable 14. Cfr. Le Corbusier, La était le seul à pouvoir revendiquer des relations que la « méthode fonctionnelle » fut applicable Ville Radieuse, édition et des expériences avec les systèmes de gestion non seulement au problème du logement et de ses Vincent Fréal & c., Paris 1964 (1933), page non politique les plus divers. La grande peinture par prolongements (selon les explications de Le numérotée, à côté du fron- laquelle l’ouvrage commence, La main à la boîte Corbusier) mais également, en se basant sur les tispice. d’allumettes13, datée de 1930 (et dont un croquis résultats obtenus par Symon Syrkus et par son 15. Cfr. Lettre de Gropius à Giedion, Berlin, 10 avril est annexé au texte dactylographié évoqué), groupe, à la totalité du territoire, d’après la théo- 1933, « Parametro », n. constitue un « autoportrait » de l’auteur et des rie de la « Varsovie fonctionnelle » à laquelle le 52, cit., page 17 évènements qu’il se propose d’organiser : « l’ob- groupe CIAM Est travaillait au cours de ces mois-

77 politiciens ou de leurs décisions, mais bien des réponses concrètes que les architectes pouvaient fournir : la Réponse à Moscou, Magnitogorsk, les projets de la « brigade » de May, le plan de Moscou de El Lissickij, sont conçus comme des opérations à mener sur la ville existante avec l’in- tention de « la transformer et de la dénaturer ». Mais c’est là également le moment où, comme le dit Punin, l’avant-garde « finit par opposer aux règles la production de ces mêmes règles »18. L’intérêt des Russes pour la Ville de trois millions d’habitants (correspondance Le Corbusier- J.- L. Géricault, Le radeau de la Méduse (1818-1819), Ehrenburg, 1924) est le symptôme que la ville Paris, Musée du Louvre. moderne est étudiée en URSS comme un système là16. Ce type de procédure est important afin qu’il est possible d’opposer à l’organisme ancien d’établir les modalités exactes, encore aujourd’hui sans distinctions apparentes entre culture capita- en grande partie confuses, à travers lesquelles l’on liste et culture socialiste. Du reste, le travail des prit la décision quelque peu controversée d’af- architectes modernes en URSS se caractérise par fronter un problème d’aussi grande envergure certains points facilement vérifiables également comme celui de la ville moderne. dans le travail des avant-gardes occidentales, La décision d’organiser le IV Congrès à qu’elles soient françaises, allemandes ou ita- Moscou était certainement un signe de l’intérêt liennes, comme le montrent les discussions à bord croissant que suscitaient les expériences sovié- du Patris II : a) transformation de la ville existan- tiques telles qu’elles étaient perçues dans le te ; b) construction de nouvelles installations et de contexte européen. En projetant et en expéri- nouveaux types en travaillant sur les anciens types mentant de nouveaux types de modèles résiden- pour les adapter ; c) invention et planification du tiels, en fondant de nouvelles villes, l’URSS nouvel organisme et de nouveaux mécanismes ouvrait un champ opérationnel et de recherche à relationnels entre résidence et services. une échelle jusque là impensable, de sorte qu’il La conséquence de tout cela est le besoin, apparaissait encore tout à fait normal d’inviter éprouvé de façon généralisée, d’établir un nou- les avant-gardes au Concours pour le Palais des veau rapport entre le travail des techniciens et Soviets. Les rapports qui accompagnaient le l’administration publique. Le caractère expéri- déroulement du concours – malgré son issue tra- mental et le professionnalisme en Allemagne, à gique – servirent à promouvoir un échange Barcelone ou à Amsterdam doivent en effet se direct entre les représentants du Mouvement confronter au caractère de l’expérimentation en moderne et une nouvelle gestion de l’État, URSS qui, en tant que tel, pourrait aller bien au- même si les architectes furent appelés en URSS delà des résultats obtenus en Occident et s’affir- au moment où les avant-gardes locales se mer en tant qu’avant-garde permanente. C’est demandaient désormais si elles devaient conti- pour cette raison que, en l’absence des architectes nuer ou mettre un terme à leur collaboration soviétiques, le plan d’Amsterdam (plus que La 16. Cfr. « Parametro », n. 70, cit. avec le régime, autrement dit dans un moment Ville Radieuse) polarise l’attention des architectes 17. Cfr. G. Gresleri, de crise qui, vu de l’extérieur, semblait encore du IV CIAM. À partir de ce moment, la ville Architetti e movimento plus grave qu’il n’y paraissait aux yeux des archi- hollandaise devient « son propre modèle », bien moderno in Unione tectes soviétiques ; « la main tendue du que sa condition « fonctionnelle » ne se différen- Sovietica. L’esperienza della rivoluzione 1919-1930, Constructiviste (tout comme celle « ouverte » de cie pas beaucoup de celle des autres capitales dans Aa.vv., Esperienze e Le Corbusier par la suite) reste suspendue en européennes. En effet, ce qui fait d’Amsterdam orientazioni dell’edilizia l’air » (Arvatov)17. « la ville de l’architecture moderne », ce n’est pas abitativa sovietica, Bologna, Ente Fiere, La nouvelle ville socialiste et les nouveaux la qualité de ses édifices, mais bien la méthode Bologna 1976, p. 129. modèles urbains du capitalisme n’auraient plus que les architectes et les administrateurs ont mise 18. Ibid., p. 124. jamais dû émaner uniquement de la volonté des au point afin de travailler ensemble.

78 Ainsi la Charte qui résulte de l’examen des trente-trois villes apparaît non pas tant comme cet unique programme pour l’avenir que l’histo- riographie récente nous a présenté comme s’agissant de l’extrema ratio corbusiérienne mais plutôt comme le bilan d’une politique d’inter- vention sur la ville tentée avec une certaine approche logique dans les années 1928-33 en se basant sur des résultats déjà souvent vérifiés. Avec les intentions et les propositions qui sous-tendent la rédaction de La Ville Radieuse, la fondation de l’Ascoral, le Mouvement Villes Radieuses (à propos duquel nous savons encore Le télégramme envoyé par Weinshenker à Giedion le très peu de choses)19 et l’attitude culturelle de 15.4.1930 : « Le Congrès ne peut avoir lieu avant 1934 » [archives GTA-ETH, Zurich]. Manière de penser l’urbanisme, Le Corbusier Frontispice du texte dactylographié définitif de La Ville aborde individuellement un discours global sur Radieuse, 1933 [archives FLC, Paris]. la ville contemporaine qui ne s’intègre que par- tiellement dans l’expérimentation tentée par les avec la table rase de Bauhaus, il oppose à cette architectes modernes durant l’après-guerre et dernière la croyance en ce que l’on appelle la cir- qui avec le recul finira par être observé avec une cularité de la pensée, autrement dit le fait qu’il extrême suspicion. soit possible de communiquer uniquement en C’est à ce moment-ci de notre discours qu’il passant par un nombre infini de tables précé- est plus facile de comprendre comment ces dentes. Tout discours entre deux interlocuteurs intentions se marient avec la pensée de Neurath. ne peut pas dépendre du fait que l’un d’eux Outre l’importance de son discours en appa- passe sous silence certains principes qui lui sont rence fade concernant la « Représentation avec propres, et compromette ainsi la diffusion du la méthode viennoise », il faisait preuve d’une message et son développement. C’est de cette grande familiarité avec le travail des architectes façon que Neurath en arrive à l’intuition du plu- modernes qu’il connaissait très bien, attendu ralisme des univers, théorie selon laquelle les qu’il avait été responsable de la politique de sciences évoluent en passant d’une encyclopédie logement, directeur du Museum für Siedlung à l’autre pour former continuellement de nou- und Städtebau, vice maire de Vienne, et étant velles encyclopédies. Dans les récits de Hubert donné qu’il avait enseigné dans différentes écoles Hoffman, qui discuta longtemps de ces ques- d’architecture en tant que professeur extraordi- tions avec Le Corbusier, ce dernier parvenant naire en sociologie et économie. Neurath avait même à lui dénicher une lettre de recommanda- été condamné à mort, malgré sa profession tion pour le directeur de l’Armée du salut (où le déclarée d’apolitisme, pour avoir fait partie de ce même Hoffman logera durant les premiers jours que l’on appela le « gouvernement bolcheviste de son exil parisien)20, La Ville Radieuse n’était des Conseils de Munich ». Le voyage à Athènes autre, pour Neurath, qu’une première tentative revenait donc pour lui non seulement à s’assurer de constituer une encyclopédie de la connais- la fuite de l’Autriche occupée, mais également à sance architecturale du XXè siècle qu’il fallait avoir la possibilité de planifier, avec l’aide de transposer avec des signes adéquats, les Isotypes, Wells Coates et de Symon Syrkus, son propre afin de la vulgariser et d’en faire une « œuvre avenir en tant que professeur en Hollande, en ouverte ». L’image de la science en tant que navi- 19. Cfr. Mouvement Villes radieuses, archives FLC, Angleterre et aux Etats-Unis. re destiné à une navigation perpétuelle comme il Paris, Ville Radieuse, cit., Nous savons que, dans les mois qui suivirent la décrit à cette époque, évoque des analogies boîte b2 – 05 / suiv. immédiatement le Congrès, Neurath travaillait aussi mystérieuses que métaphoriques avec le 20. Cfr. H. Hoffmann, Le Corbusier, La Charte déjà à sur la « théorie du relativisme cognitif », navire réel qui transporte les architectes à travers d’Athènes die funktionelle en affirmant que tout type de réalité peut s’ex- l’espace et le temps jusqu’aux origines de l’archi- Stadt, cit., P. 47. pliquer uniquement par le langage. En contraste tecture occidentale, l’Acropole, mouton à cinq

79 Le Corbusier, qui insistait pour retourner avec son groupe dans la solitude du Mont Athos, (qu’il avait visité dix ans auparavant avec son ami Klipstein) et qui avait failli se noyer durant l’excursion dans les îles, n’hésita pas à dire, lui qui aimait les paradoxes - et ce malgré l’optimis- me plusieurs fois revendiqué à propos de « la jeunesse des Congrès » - que ce retour n’était pas sans lui rappeler le Radeau de la Méduse de Géricault. Dans la gestion chaotique des resca- pés, seul l’ingénieur Corréard, responsable de la malheureuse expédition au Sénégal, en haut au centre (s’agit-il de Le Corbusier lui-même?) indique la voie du salut aux naufragés, tandis qu’un impassible « Socrate » en bas à gauche (qui partage une curieuse ressemblance avec Neurath) médite sur le caractère inéluctable du fatum, tout en restant maître de la situation. Après leur sauvetage, les chemins des naufra- gés de Géricault se séparèrent, et il en alla de Exemples de représentation de l’état de fait d’une ville même pour les congressistes le 13 août. À partir grâce à la méthode de l’Isotype, élaborée par Otto de ce moment l’histoire des Congrès ne fut plus Neurath, 1937 [E. Nemeth, F. Stadler, Encyclopedia and la même. Face à la tragédie qui était sur le point Utopia. The Life and Work of Otto Neurath 1882-1945]. de se jouer en Europe du Nord, on voyait pattes destiné à la renaissance d’une nouvelle poindre, et notamment à travers le « groupe pensée architecturale. d’Alger », au sein duquel Albert Camus eut un Arrivé en Angleterre, où son œuvre sera cou- rôle déterminant, l’idée d’une « Méditerranée ronnée d’un énorme succès et où à partir des unie » qui s’opposait à l’idée d’un continent années cinquante elle influencera tout l’univers eurocentrique (il est d’ailleurs surprenant de voir des communications visuelles, Neurath eut comme cette dernière vision est aujourd’hui encore quelques contacts avec Le Corbusier, et d’actualité) et qui devait constituer le thème du de nombreuses discussions reprirent entre les IV Congrès, prévu dans l’oasis de Gardaja en deux hommes lorsque le philosophe décida de se 1934…, mais il s’agit là d’une autre histoire qui consacrer à la rédaction de l’Orbis pictus, atlas de doit encore être entièrement écrite, car elle est la communication iconographique (une œuvre en grande partie enfouie dans des archives dissé- colossale en dix volumes) qui affirmait tenir son minées aux quatre coins du monde. inspiration de la Cité mondiale de Otlet, ainsi Cela fait donc peu de temps que l’histoire de la que du Mundaneum de Le Corbusier, telle une rédaction de la Charte a fait l’objet d’enquêtes sys- matérialisation symbolique d’un espéranto des tématiques. Ceci est certainement dû en partie au sciences. fait que les archives des protagonistes de cette his- On peut ainsi dresser le compte-rendu du toire lointaine sont aujourd’hui disponibles, retour à Marseille (contrairement à ce qui advint puisque nombre de ces protagonistes ont disparu. à l’aller) en se basant sur des épisodes rapportés Ce qu’il nous reste essentiellement à élucider, qui souvent ne sont pas reliés entre eux et donc c’est l’incroyable affaire de l’ « oubli », ou mieux difficiles à agencer (par exemple Alvar Anto, encore du manque d’intérêt en ce qui concerne arrivé à Athènes en train, s’en retourne en le problème des Constatations finales. Rédigé à Finlande avec le même moyen de transport sans Marseille d’abord et à Zurich ensuite, ce docu- dés lors prendre part au débat final, ignare du ment conclusif du IV CIAM (Constatations du silence qui s’installera entre les interlocuteurs IVè Congrès) fut publié par Le Corbusier sur une fois les assemblées athéniennes terminées). « Prélude » et ensuite dans « AC », la revue du

80 GATEPAC, ainsi que sur le numéro monogra- sera diffusé à grande échelle et sera considéré par phique que « Technika Chronika/Annales tous ceux qui par la suite s’occupèrent de la Techniques » consacra à ces évènements. Charte comme l’unique conclusion du Congrès Dans les années qui suivirent il y eut d’autres d’Athènes à publication posthume, pour des rai- tentatives de publier un document résumant les sons sur lesquelles personne ne s’interrogea. travaux du Congrès et qui, plus précisément, C’est au texte de Le Corbusier de 1943 que aurait vulgarisé les tables d’analyse des trente- l’historiographie architecturale des trente der- trois villes présentées, mais ces tentatives ne pro- nières années se réfèrera à chaque fois qu’elle duisirent aucun résultat. devra affronter les analyses des idées urbanistiques Il nous faut aller jusqu’aux années de la secon- des CIAM, comme le font par exemple Leonardo de guerre mondiale pour entendre à nouveau Benevolo dans son Histoire de l’architecture parler du IV CIAM. En 1942 Joseph Lluis Sert moderne21 ou Kenneth Frampton dans Modern publia aux Etats-Unis Can our Cities Survive ?, Architecture : a critical History22. On peut affirmer qui contient une version des Constatations revue sans détour que les architectes italiens, bien que la en profondeur. génération rationaliste ait joué un rôle de premier Dans le même temps, Le Corbusier se char- plan à l’époque, feront montre d’une piètre geait de diffuser le document final du Congrès connaissance de la Charte : en effet la reconstruc- d’Athènes en France. Le livre de Le Corbusier tion de l’après-guerre a lieu dans le cadre d’une parut à Paris en 1943 sous le couvert de l’ano- culture qui se précipite sur de nouvelles hypo- nymat, avec le titre Urbanisme des C.I.A.M. La thèses en brûlant les étapes. Ce n’est qu’en 1960 Charte d’Athènes. Les articles des Constatations que les éditions de Comunità publieront la étaient accompagnés d’un commentaire explica- Charte en Italie, au moment où en Angleterre on tif de Le Corbusier lui-même. Jean Giraudoux, est en train de construire les new towns et où Le qui en écrivit la préface, avait pour mission de Corbusier perfectionne seul le modèle resté en rendre la Charte d’Athènes accessible au pouvoir « suspens » de l’Unité d’habitation à grandeur politique (le régime de Vichy) vers lequel Le conforme, une autre singulière métaphore de Corbusier se tournait à cette époque. Le texte navire à la dérive dans la ville contemporaine.

21. Cfr. L. Benevolo, Histoire de l’architecture moderne, Laterza, Bari 1960. 22. K. Frampton, : a critical History, Thames and Hudson, London 1980 ; trad. it. Storia dell’architet- tura moderna, Zanichelli, Bologna 1982.

81 The Language of the World Museum: Otto Neurath, Paul Otlet, Le Corbusier by Nader Vossoughian*

y 1933, the Austrian Otto Neurath’s *Doctoral candidate, University of Illinois. Musuem of Society and Economy had The author wishes to thank opened satellite branches in Amsterdam, W. Boyd Rayward B The Hague, London, Berlin-Kreuzberg, and (University of Illinois at Urbana-Champaign) for his Moscow. By 1933, Neurath had published his excellent editorial and Society and Economy (1930) [Gesellschaft und research advice, as well as Wirtschaft], The Colorful World (1929) [Die for his support. He also bunte Welt], Technology and Humanity (1932) wishes to thank Friedrich Stadler (University of [Technik und Menschheit], and Pictoral Vienna) for encouraging his Statistics according to the Vienna Method for work on Otto Neurath and Schools (1933) [Bildstatistik nach der Wiener for providing him with an intellectual context in Methode in der Schule]. By 1933, Neurath was Vienna that has been receiving visitors all over the world. By 1933, enriching both personally Neurath was traveling all throughout Europe Otto Neurath and Gerd Arntz. Axonometric study of a and intellectually. In and Asia. By 1933, Neurath was one year shy of standardized museum space, c. 1938-1940.55 Vienna, he is also most (Reproduced by permission from the Otto and Marie appreciative for the leaving Vienna for good. National Socialism was Gastfreundschaft of gaining sway in Austria, and the Museum of Neurath Isotype Collection, Department of Typography Elisabeth Nemeth Society and Economy in Vienna would become & Graphic Communication, The University of Reading, (University of Vienna) and one its earliest casualties. This is not to say that United Kingdon). Volker Thurm-Nemeth. A significant debt is also owed all was lost, as in 1934 Neurath would be able to he was prepared to produce copies of his muse- to Matthew Specter (Duke) reestablish himself in The Hague, where he had um that he could disseminate all throughout the and Paul Ghils only recently opened his International world. For him, the museum had become an (Transnational Associations) for their editorial feedback. Foundation for Visual Education. Moreover, he increasingly ephemeral medium whose identity He is also indebted to was also taking his ideas about museums in new was no longer site-specific. Accordingly, he archivists and research lia- directions. In 1933, Neurath published a semi- began to view the modern museum as a form of sons Stéphanie Manfroid nal statement in the progressive American social communication whose boundaries were no (Paul Otlet Papers, Mundaneum), Eric Kindel welfare journal Survey Graphic (a popularized longer constrained by physical matter: “[j]ust as (ISOTYPE Archive, version of its predecessor, the Pittsburgh-based in Vienna the Department of Transformation University of Reading), journal of professional social work, The Survey), has succeeded in securing complete unity of Evelyne Trehin (, Paris), and in which he made the bold (and somewhat method,” he wrote, referring to what would Brigitta Arden (Rudolf grandiose) claim that the serial reproduction of later be known as the Isotype or “International Carnap Papers, University modern museums could promote the democra- System of Typographic Picture Education,” so of Pittsburgh). He also tization of culture in economic and cultural our effort should be to create a similarly uni- thanks their respective insti- 2 tutions for allowing him terms; economically, Neurath reasoned, because form method for all the museums of a country permission to include the Fordist, assembly-line production methods – yes, of the whole world. Only through a uni- illustrations, diagrams, and could help reduce costs incurred through the fied, planned, central control of all museums photographs that appear in purchasing and displaying of exhibits; and cul- and educational institutions is it possible to lead the article. For financial support, he wishes to thank turally, he contended, because standardizing the public from one museum to another with the Austrian Exchange museums could foster a common sense of histo- the greatest benefit to its education, and thereby Service [Österreichischer ry and tradition world-wide. As Neurath to make the individual more and more familiar Austauschdienst] and Columbia University’s remarked in the pages of Survey Graphic, “[t]o with the world in which he lives. Museums, Graduate School of speak of the museum of the future is like speak- exhibitions and periodicals might be regarded as Architecture, Planning, and ing of the automobile of the future. three different means of education with the Preservation. At Columbia, Automobiles are manufactured in series and not identical purpose of making him less afraid of he is particularly grateful to 3 4 Dean Bernard Tschumi, produced one by one in a smithy.” the world in which he lives. Mary McLeod, and his dis- According to Neurath, just as he had perfect- In order to realize his dream of a mechanically sertation sponsor Kenneth ed the standardization of museum displays dur- reproducible museum, Neurath began to work out, Frampton. ing the 1920s – developing uniform standards conceptually, “universal spaces,” that is, exhibition Transnational Associations for graphic representation, layout, and produc- halls that could be adapted to any geographical or 1-2/2003, 82-93 tion – so too had he now reached a point where cultural circumstance (Figures 1, 2).5 He began

82 I also wish to cite the con- developing them in conjunction with the artist guage, if not for science then for society at large. tinued support of my exter- nal advisor Detlef Mertins Gerd Arntz, whom he had met in 1926 and had He felt that the standardization of culture could (University of Toronto). been working with since 1928. On account of his help bring reason and rationality to the masses 2 An excellent background contact with the German avant-garde (including, while also promoting global understanding. source on the history of Survey Graphic is Cara perhaps, the 1923 “Prounen-raum” studies of What were the intellectual foundations of his Finnegan, Social Welfare Lissitzky), Arntz, like Neurath, wanted to merge quest for a “standardized” museum? Where did and Visual Politics: The what objects say, semiotically speaking, with how the impetus come from, intellectually speaking? Story of Survey Graphic. they appear, in ontological terms. Arntz was a What were some of the advantages to serially Available from http://newdeal.feri.org/sg/es socialist concerned with making social reality acces- reproducing museums and how did this notion say.htm. sible to the masses, and he sought accordingly to evolve from his earlier thinking? Although his 3 Otto Neurath, “Museums develop a visual idiom that could cast the plight of relationship with Arntz was central, Arntz’s of the Future,” in Empiricism and Sociology, the working class in a dialectical light, that is to say, input primarily came from his artistic ability, ed. Marie Neurath and in relation to the larger economic “superstructure” which refined the methods of the Museum of Robert Stohne Cohen of modern society. At the same time, Arntz wanted Society and Economy, as well as its world-wide (Dordrecht: Reidel, 1973) his work to be accessible and not overly abstract. image. Moreover, Arntz’s left behind little in the 218. 4 Otto Neurath, “Museums His and Neurath’s was thus a search for the primal way of an intellectual corpus that gives one the of the Future,” in beginnings of language (where “groups of people sense that he was an important conceptual insti- Empiricism and Sociology, are truly represented by groups of people,”6 as Arntz gator that helped further Neurath along. ed. Marie Neurath and once put it), much as rationalist philosopher Second, Neurath’s relationship with Carnap and Robert Stohne Cohen (Dordrecht: Reidel, 1973) Leibniz had sought to achieve in his own work on the Vienna Cirle, though fruitful, dwelled large- 222. the scientific origins of language. Arntz and ly on philosophical matters. Carnap was inter- 5 There is great debate as to Neurath sought to create “meta-Isotypes,” that is, ested in popularizing scientific knowledge, but when Neurath and Artnz actually began experiment- three-dimensional axonometric and two-dimen- his early (pre-1933) correspondences with ing with the design of stan- sional elevation drawings that illustrated how, ideal- Neurath focused primarily on problems of lan- dardized museums. The ly, the graphic displays of the Museum of Society guage relating to the work of Mach, Poincaré, Otto and Marie Neurath and Economy could to be standardized in space Bertrand Russell, and other eminent philoso- Isotype Collection in Reading dates these studies and time. phers and scientists. Though Carnap was to give to Neurath’s latter years in These representations, one of which appeared a series of lectures at the Bauhaus in 1929, even Holland (approximately in Neurath’s 1936 International Picture these presentations were largely theoretical, lack- 1938-1940). I, however, would probably date their Language but have otherwise been buried in his ing concrete prescriptions and analyses. inception sooner (to as archive, were important because they reflect In trying to account for Neurath’s preoccupa- soon as 1935), given that Neurath’s long-standing preoccupation with tion with standardization and museums, a more Neurath had already pub- uncovering the grammar of three-dimensional compelling answer, I would argue, is to look at lished an elevation render- ing of a “universal” muse- reality, which is something he debated intensely Neurath’s relationship with the Belgian bibliog- um space in his with his friend and Vienna Circle interlocutor rapher and museum director Paul Otlet, whose International Picture Rudolf Carnap from 1923 onwards. Carnap, efforts to consolidate the knowledge of the Language of 1936. See who authored the Logical Construction of the world into a single, common database paralleled Otto Neurath, International Picture World [Logischer Aufbau der Welt] in 1928, Neurath’s concern for democratizing the dissem- Language (Reading: sought to theorize an ideal languange of philos- ination of culture and information. Otlet had University of Reading ophy, much as Neurath sought to theorize an founded his World Palace or “Palais Mondial” in Department of Typography & Graphic ideal language of museum display. As Carnap 1910 with the intention of creating an interna- Communication, 1980) 45. would report in an October, 1928 letter to tional museum of world culture. In 1928, he 6 Gerd Arntz, “Zur Neurath, “a logic, a method of concept building initiated talks to create a great “World City [Cité Methode des Gesellschafts- must be proposed [by someone] who has con- Mondiale]” in Geneva, with assistance from Le und Wirtschaftsmuseum in Wien,” Arbeiterbildung in sidered the fact that we are constantly confusing Corbusier and his cousin Pierre Jeanneret. der Zwischenkriegszeit: “crystals with dirt,” who can propose rules for Neurath was inspired by the ambition and scope Otto Neurath — Gerd articulating scientific concepts and statements, of Otlet’s Wold City endeavor, and it undoubt- Arntz. ed., Friedrich 7 Stadler. (Vienna and so long as an “ideal language” does not exist.” edly exercised an indelible influence on him in Munich: Löcker Verlag, Through mass standardization, Neurath terms of helping him elaborate further his 1982). Originally published believed he could help forge this new ideal lan- thoughts on modern museums; Neurath wanted

83 in A-Z (1930) century.10 Otlet, like Geddes, believed that 7 “…eine Logik, eine Methode der museums and exhibitions were forums for Begriffsbildung aufgestellt showcasing the unity of human knowledge, and werden mu_, die die he sought to create a microcosm of the world Tatsache berücksichtigt, da_ wir stets Kristalle und that he could nurture and cultivate in a single Dreck gemischte vor uns enclosed space. As Otlet wrote in 1914, “[the haben, die also angibt, museum] tends to become a world in miniature, welche Forderungen an a cosmoscope that permits the viewing and wissenschaftliche Begriffe und Aussagen zu stellen understanding of man, society, [and] the uni- sind, solange die “ideale verse.”11 At the World Palace, Otlet stressed uni- Sprache” nicht vorliegt.” formity and coherence (“it must be a museum of Rudolf Carnap. Letter to Paul Otlet’s World Museum c. 1914 (Reproduced by per- average types and standards,”12 he wrote), and in Otto Neurath, October 7, mission from the Paul Otlet Archive, Mundaneum, Rudolf Carnap Collection, Mons, Belgium). the curating of displays he was partial to inno- University of Pittsburgh vations in transportation and communication Library, 1928. to bring knowledge and rationality to the masss- (e.g., the creation of canals, the postal service, 8 Otto Neurath, International Picture es, and he recognized in Otlet’s vision of a the telegraph, the telephone, etc.). For Otlet, Language (Reading: World Museum a means of achieving this ideal the world of communication represented the University of Reading in the realm of cultural production: “[i]n our “glue” that brought the world ever closer togeth- Department of Typography own day Paul Otlet (Palais Mondial, Brussels) is er, much as Geddes’ own intellectual forebearer, & Graphic Communication, 1980) 64. taking a step further,” Neurath wrote in 1936. Friedrich Le Play, had believed that a statistical- 9 For a more in-depth “His idea is the building of a ‘cité mondiale’ for ly-based “science of culture” could bridge cul- treatment of Otlet’s life and the organization of museums and the distribu- tural differences between peoples in France and career, see W. Boyd 13 Rayward, “The Origins of tion of printed materials and pictures. He made elsewhere. Over the years, Otlet featured Information Science and a start to get together picture material from all model airplanes and scientific tools and instru- the International Institute countries. He has the desire to get museums of ments, geographical maps and diagrams repre- of a new sort started in all countries: senting the earth and all its nations (Figure 3). Bibliography/International Federation for Information MUNDANEUMs, that is, museums of man’s There were vitrines laid out for the viewing of and Documentation development.”8 In hindsight, Neurath probably precious objects, and installations hung from all (FID),” Journal of the mischaracterized Otlet’s goals (the idea of stan- corners. There were projectors old and new, and American Society of Information Science 48 dardizing museums throughout the world was gadgets drawn from the ages: microscopes, tele- (1997). Avail. online via more his dream than Otlet’s), but Otlet never- scopes, navigation devices, and printing tools. http://alexia.lis.uiuc.edu/~w theless helped Neurath adapt his ideas about Otlet organized exhibits geographically by rayward/otlet/OriginsofInfo museums to the global arena, to consider how nation or region and comparatively according to Sci.htm; W. .Boyd Rayward, “The Case of his philosophy about museums and visual com- research methodology (e.g., historical, biologi- Paul Otlet, Pioneer of munication could be executed on an interna- cal, or statistical analysis). Information Science, tional scale. During the 1920s, Otlet increasingly came to Internationalist, Visionary: Otlet began the World Palace with exhibits came to see his World Palace as a public space Reflections on Biography,” (1991). Avail. online via drawn from the 1910 Brussels World’s Fair. He that brought people and ideas of different http://alexia.lis.uiuc.edu/~w started it with help from Henri La Fontaine, nationalities together, as well as a place to con- rayward/otlet/PAUL_OTL with whom he collaborated on the creation of a solidate and manage disinterested information. ET_REFLECTIONS_ON _BIOG.HTM; W. Boyd mammoth card catalog from 1895 onwards (the Post-1930, this would exercise a significant Rayward, “Introduction,” catalog boasted 1.5 million entries in 1897 and influence on Neurath, who shared Otlet’s view International Organisation over 9 million by 1912).9 The creation of the that museums could serve social, as well as intel- and Dissemination of World Palace drew inspiration (if partially) from lectual, ends. In 1924, Otlet drafted his first Knowledge: Selected Essays of Paul Otlet, ed., W. Boyd the Scottish naturalist and town planner Patrick statements calling for the creation of a global Rayward (Amsterdam: Geddes, a figure who played a significant role in ‘Mundaneum’ (also known as the cité mondial), Elsevier, 1990). the World’s Fairs of 1900 (Paris) and 1910 which he believed should include a university, 10 For a treatment of Geddes’ contribution to the (Brussels). Geddes had himself had dreamed of library, museum, and public gathering hall. Paris World’s Fair, see creating a universal ‘index museum to the Promoting public intercourse was important for Philip Boardman, The world’ during the last decade of the nineteenth him, as “[t]he repercussions of interdependence

84 Worlds of Patrick Geddes: can become too cramped, engenders violence, Biologist, Town Planner, Re-Educator, Peace-Warrior disorder, disastrous chaos… if the idea of orga- (London: Routledge & nization does not carry with it coordination and Kegan Paul, 1978) 178- does not sublimate interdependency to the 184; Pieter van Wesemael, 14 Architecture of Instruction point of solidarity.” In 1928, Otlet solicited and Delight : A Socio- concrete architectural proposals for the World Historical Analysis of City from Le Corbusier and his partner and World Exhibitions as a cousin Pierre Jeanneret. Although Otlet would Didactic Phenomenon (1798-1851-1970) have had reason to select the Belgian Garden (Rotterdam: 010 City designer Louis van Swaelmen (1883-1929) Publishers, 2001) 433. instead (van Swaelman had created a prototype 11 “Par leur moyen, il tend devenir un Monde en World City outside Brussels), he decided upon miniature, un Cosmoscope, Le Corbusier because of his international pres- permettant de voir et de com- tige and his previous involvement in the 1927 Arial view of Le Corbusier and Pierre Jeanneret’s pro- prondre l’Homme, la Société, League of Nations competition.15 Le Corbusier posed Mundaneum design. (Reprinted from Paul Otlet, l’Univers.” Paul Otlet, Le and Jeanneret had been disqualified from the Mundaneum (Brussels: L’Union des Associations Musée International: Notice- Internationales, 1928). Catalogue (Brussels: Office competition, for reasons that many found dubi- Central des Assiciations ous (they submitted printed rather than ink Internationals, 1914) 7. drawings), yet the project led to the publication the world city, but he did stress that its core 12“Ce doit être un Musée des meilleurs types et des of Le Corbusier’s Une Maison – un Palais in buildings would house information about histo- standards.” Paul Otlet, Le 1928, which included a variation of their ry, science, the arts, education, geography, and Musée International: Notice- League of Nations scheme.16 Though the sociology: “The museum will have presentations Catalogue (Brussels: Office Central des Assiciations Marxian arm of the architectural avant-garde of objects and collections of materials,” Otlet Internationals, 1914) 7. (led by the Czech critic Karel Teige) denounced wrote, “but its intention will be essentially to 13 See Paul Otlet, Le Le Corbusier and Jeanneret’s League of Nations visualize ideas, feelings, [and] intentions that lie Musée International: entry (they found it overly sculptural and behind. It will be an “Idearium.””19 Otlet stated Notice-Catalogue (Brussels: Office Central des metaphorical), moderate internationalists (Otlet that the World City would set bibliographical Assiciations Internationals, included) embraced the scheme’s poetic qualities and documentary standards for the maintenance 1914) 9. despite its seeming departure from functionalist and preservation of cultures around the world 14“Les répercussions de cette interdépendance dev- dogma: it integrated Le Corbusier’s novel pilotis- and that it would act as a a meeting place to dis- enue plus ‘étroite, engen- based structural system, creating large, open cuss and exchange political, social, and cultural dreront désormais violence, spaces built of steel and reinforced concrete (the ideas. Its mission resembled that of the League désordre, chaos plus désas- new materials of the day), but its grand entrance of Nations in that it sought to foster peace and treux encore si l’idée d’or- ganisation n’y vient and picturesque gardens were reminiscent of security, but it differed in that its role was pri- apporter coordination et Baroque palace architecture. marily to be cultural and intellectual. The World sublimer l’interdépendance In their joint publication Mundaneum (1928), City was to maintain a network of relationships elle-même jusqu’à la soli- Otlet and Le Corbusier outlined their plans for with regional museums and institutions from darité.” Paul Otlet, Mundaneum (Brussels: the World City. Otlet stated that the project was around the world, the majority of which would L’Union des Associations to be built on the shores of Lake Geneva, con- be beholden to uniformly applied guidelines. Internationales, 1928) 3. sisting of “a scientific association, museum, In their design, Le Corbusier and Jeanneret 15 See Paul Otlet, Le Musée International: library, university, and institute… Together, sited a series of low-rise residential units along a Notice-Catalogue (Brussels: they assume the functions of research, docu- garden-draped boulevard which opened onto a Office Central des mentation, discussion, collaboration, and teach- sports complex and the World City’s campus Assiciations Internationals, ing.”17 According to Otlet, the goal of the World proper (Figure 4, 5). Their public buildings, 1914); Kenneth Frampton, “The Humanitarian v. the City was to “have as its object the demonstra- organized around the proposal’s minor axis, fea- Utilitarian Ideal,” tion of the actual state of the world, of its mech- tured wide-open plazas that allowed each struc- Architectural Design 38: 3 anisms, complexity… the general problems that ture to assert its distinct identity. They made (1968). impose themselves upon the attention of a peo- provisions for docking and railway stations, an 16 Kenneth Frampton, Le 18 Corbusier (New York: ple and its citizens and its leaders.” Otlet did airport, highway, and extensive system of foot- Thames & Hudson, 2001) not spell out how anyone would actually live in paths. Although in his conceptual schemas Otlet

85 83-84. intended that the World City be conceived on 17“C’est l’Association sci- entifique, le Musée, la an global scale (in relation to other intellectual Bibliothèque, l’Université, l centers world-wide), as well as on an architec- ‘Institut. Ensemble ils assu- tural and regional level, Le Corbusier focused ment les fonctions de recherche, de documentation, almost exclusively on the project’s relationship de discussion, de collabora- to its immediate physical location. He made tion, d’enseignement.” Paul extensive provisions for automobile facilities and Otlet, Mundaneum transportation infrastructure, but he entirely (Brussels: L’Union des Associations ignored larger-scale telecommunications issues, Internationales, 1928) 6. many of which were already being discussed by 18[His goal was to] “avoir architects and planners during the 1920s. pour objet une démonstra- tion de l’état actuel du Instead, Le Corbusier and Jeanneret focused pri- monde, de son mécanisme, marily on the planning of the World City “cam- compelex… des problèmes pus” itself, many of whose buildings looked Perspective View, World Museum. (Reproduced by per- généraux qui s’imposent more inward than outward. Indeed, the focal mission from the Le Corbusier Archive, Fondation Le d’une manière permanent à Corbusier, Paris, France). l’attention des peuples et à point of their design was the ziggurat-shaped leurs dirigeants.” Paul World Museum (“[t]he terrain has its culminat- Otlet, Mundaneum ing point at the place of the World Museum,” It was to contain – as Le Corbusier reports — (Brussels: L’Union des Le Corbusier wrote20), whose profile dominated “statistics and iconographies, graphics situated Associations Internationales, 1928). the World City’s skyline. Seemingly withdrawn throughout,” as well as “images, scientific recon- 19“[Le musée] y aura from the world, unfolding, as Le Corbusier structions… products natural and artificial, présentation d’objets et describes it, like a film “[in] slow motion,” the etc.”22 It was to be a testament to the emergence d’ensembles matériels, mais le but essentiel sera de visu- World Museum was to narrate the history of of a new “global” consciousness, one that tran- aliser les idées, les senti- mankind from its primal beginnings. As Le scended the nationalisms that defined the nine- ments, les intentions placés Corbusier commented, teenth century. For Le Corbusier, the World à l’arrière… Ce sera This form is a triple nave that unrolls along a Museum was a gathering point for the world’s un”Idearium.”” Paul Otlet, Mundaneum (Brussels: spiral. At the start of the spiral: on top, pre-his- citizens that brought together all aspects of cul- L’Union des Associations toric times… then the first historical epoch. ture and society into a single place, and allowed Internationales, 1928). And descending the spiral, the following [his- for the democratic exchange of ideas and beliefs 20 Paul Otlet, torical epoch] and the next, the entirety of world at a neutral site. Above all, its helicoidal shape Mundaneum (Brussels: 23 L’Union des Associations civilization. History and archeology accumulate evoked the Biblical Tower of Babel. In other Internationales, 1928) 33. more and more documents. We learn more and words, Otlet and Le Corbusier sought to evoke 21“Cette forme est une more how man maintained himself through dif- the primal “origins” of culture, much like triple nef se déroulant au long d’une spirale : en haut, ferent periods of cultural organization. The dio- Neurath and Arntz later on in the 1930s. Faced les temps préhistoriques et rama becomes more and more vast and more with the fallout from the first World War – the la représentation succincte and more precise. The spiral enlarges its spiral, antagonisms, the buried enmity, the fear of fur- – d’ailleurs saissante – que the space is augmented. The exhibition of ther conflict – Le Corbusier wanted to give nous en avons. Puis les pre- mières époques dites his- objects in space and time provoke [one] like a nations a means by which to develop a common toriques. Et descendant la clamor getting stronger and stronger. sense of history and tradition, and he and spirale, à la suite les unes Everything is linked together; every act, crazy, Jeanneret seized on the ziggurat form as a means des autres, toutes les civili- sations mondiales. L’histoire egotistical, reckless, or disinterested, has its con- of representing global unity. This was in the et l’archéologie accumulant sequence. The map of the world gets larger, spirit of Le Corbusier’s “purist” works, a stage in de plus en plus les docu- modifies, pounds like a… prize in a slow- his career that ran concurrently with his work ments. Nous savons de plus motion cinema. What a lesson! 21 on the World City. For Le Corbusier, as well as en plus comment l’homme s’est maintenu à travers les Le Corbusier’s World Museum symbolized for the painter Amédée Ozenfant (with whom formes différentes de l’or- both the end and beginning of history, bringing he started the purist movement), was an ganisation et de la culture. a new “globalized” order to fruition, as Otlet aesthetic that restored unity to art and architec- Le diorama devient de plus en plus vaste et de plus en would have termed it, and inaugurating (sym- ture, reviving Platonic geometries and ideal pro- plus précis. La spirale bolically speaking) a period of harmony and portional systems. For Le Corbusier, the World agrandit son déroulement, cooperation between the countries of the world. City and its ziggurat-shaped World Museum

86 la place augment. were but further iterations of the desire for known to entice herds of strangers out of street L’exposition des objets dans le lieu et le temps provoque absolute clarity and proportion, derived as they cars and into his Museum of Society and comme une clameur de were from the Pythagorean Golden Section. Economy for a late-night tour (no doubt much plus en plus forte. Tout Inspired by the same spirit of pacificism and public pleading was involved). He boasted, in s’enchaîne ; tous les actes fous, égoistes, téméraires ou global peace, Neurath shared Le Corbusier’s addition, that two thousand visitors saw his muse- désintéressés ont leur con- longing for peace and cooperation between um daily, usually during quick coffee breaks from séquence… La carte du nations. Like Le Corbusier, he also believed that work. Nevertheless, Neurath gained a great deal monde grandit, se modifie, appealing to “universal” systems of representa- from his exchanges with Otlet, particular with palpite comme une florai- son prise au ralenti du ciné- tion – whether pictoral graphics or Golden regard to standardization. In the World City, ma. Quel enseignement !” Sections – could help mend the world’s differ- “[o]ne will collect and conserve objects,” Otlet Paul Otlet, Mundaneum, ences on a cultural and social level. More than wrote, “but they will never have to be rare or pre- (Brussels: L’Union des simply internationalists, however, the triumvi- cious, [as] copies and reproductions will suffice in Associations 25 Internationales, 1928) 36- rate Neurath, Otlet and Le Corbusier viewed backing up ideas”. In many regards, Neurath 37. human beings as biological animals whose facul- picked up on just this sentiment and put it to the 22“…les statistiques, l’i- ties of perception were identical for everyone, furthest extreme. If you can reproduce an entire conographie, les graphiques situent tout” ;”…les regardless of ethnicity or belief. Indeed, increas- collection, why can’t you copy entire museums, graphiques, les images ingly over the course of the 1930s, Neurath building included? As I hope to show, Neurath transmises, les reconstitu- would characterize his pictoral graphics as signs was to stress this vein of thinking in his own work, tions scientifiques, etc… whose grammar and syntax was naturally suited but only after engaging Otlet’s ideas for an exten- [d]es produits naturels ou artificiels, etc.”Paul Otlet, to the “in-born” proclivities of the optic nerves. sive period of time. Mundaneum (Brussels: Similarly, from his early writings on purism Neurath first visited Otlet at the World Palace L’Union des Associations onwards, Le Corbusier spoke of his abstract in the summer of 1929. Neither of them spoke Internationales, 1928) 36- 37. geometries in terms of their being projections of the other’s language fluently (Neurath wrote in 23 For a treatment of the “primary sensations” native to human experi- his native German, while Otlet, in French), yet symbolic and cosmological ence. As for Otlet, he considered himself an they felt an immediate affinity that smoothed significance of the World apologist of the empiricist philosophy of over any communications barrier. “I would like Museum, see Alfred Willis, “The Exoteric and Esoteric Herbert Spencer, August Comte, and the ratio- to repeat again,” Neurath wrote in a letter date Functions of Le Corbusier’s nalist legal scholar Edmond Picard, and he July 6th, immediately after his return from Mundaneum,” Modulus believed passionately that the ordering of Brussels, “that the incredibly set-up of you (1980-1981). human knowledge could be conducted as ratio- museum, [your] tough chase after all-encom- 24 Dario Matteoni and 24 Giuliano Gresleri, La Città nally as the ordering of nature herself. passing international plans made a deep impres- Mondiale (Venice: Marsilio Yet differences would also emerge in their work. sion on me. I would happily guess, provided we Editori, 1982) 65. Neurath, for one, was deeply inspired by the orient our workshops and scientific partnership 25 “On collectionnera et on conserva des objets,” he grandeur of Le Corbusier’s World City design, but toward doing quality work in the service of the writes,”mais ils ne devront in his own collaborations with Otlet he began to future Mundaneum, that we would be able to pas nécessairement être emphasize the “decentralizing” and “decentering” give your plans a technically complete shape rares ou précieux, des tendencies exhibited by mass forms of communi- [Gestalt] and complement our own work.”26 A copies et des reproductions étant suffisantes pour venir cation, as well as by modern museums. In other week later, Neurath forwarded Otlet the mission à appui des idées.” Paul words, while Le Corbusier conceived of the World statement of his Museum of Society and Otlet, Mundaneum Museum as a hermetically-sealed facility, Neurath Economy, which he had published in Vienna’s (Brussels: L’Union des interpreted Otlet’s vision on a much more com- Österreichische Gemeinde-Zeitung [Austrian Associations 27 Internationales, 1928) 10. prehensive scale. He wanted to dispense as much Municipal News] in 1925. In that 1925 docu- 26“Ich möchte aber information as possible to as many people as pos- ment, Neurath asserted that there was an unspo- nochmals wiederholen,” sible. Le Corbusier picked up on the monasticism ken demand for social museums in contempo- reported an emphatic Neurath in a July 6th letter, latent to Otlet’s thinking, while Neurath spun out rary culture, that is to say, institutions that could “da_ mir die gewaltige a more “public” interpretation of his work that relate the importance of macro-social forces (the Anlage Ihres Museums, die made the undifferentiated masses its focal point, balance of trade between nations, for example) zähe Verfolgung umfassender internationaler rather than the contemplative museum connois- to the everyday life of the average worker. He Pläne tiefen Eindruck auf seur. This effort to forge a “museum for the mass- lamented the then-prevalent tendency of equat- mich gemacht hat. Ich es” was not new to Neurath. In Vienna, he was ing museums with “curiosity cabinets” (i.e.,

87 würde mich glücklich Geneva, July-August 1919,” Neurath later schätzen, wenn wir unsere st auf Qualitätsarbeit wrote, “in a July 31 board meeting of the eingestellten international participants of the exhibition, at Ausstellungswerkstätten the suggestion of the World Association of und die wissenschaftliche Arbeitsgemeinschaft People’s Federations, under the auspices of Mr. dauernd in den Dienst des Maurette, the department chief of the zukünftigen Mundaneums International Worker’s Bureau, Director Otlet stellen dürfen, um Ihren and Director Neurath decided to establish an Plänen technisch jeweils eine möglichst vol- institution which would have as its task the cre- lkommene Gestalt zu geben ation of an Atlas of World Culture.”31 und um manches aus In October of 1929, Otlet and Neurath for- unserer Arbeit heraus zu ergänzen. Ich glaube, da_ malized this announcement by signing a joint unser Archiv für pic- protocol agreement which pledged extensive tographische Erziehung List of listeners in attendance at Paul Otlet’s August 2nd, cooperation between their respective institu- und unser Archiv für tions. The agreement, tenable for a period of Sozialstatistik manches 1929 World City presentation at the Union of enthalten wird, was Ihnen International Associations meeting. Otto Neurath’s name two years, was known as the “Novus Orbis Pictus und Ihren Mitarbeitern is third from the top. (Reproduced by permission from N.O.P., Brussels, Geneva, Vienna Protocol.” zusagt.” Letter from Otto the Paul Otlet Archive, Mundaneum, Mons, Belgium). The acronym “N.O.P.,” literally “New Orbis Neurath to Paul Otlet, July Pictus,” was a reference both to the initials of 6, 1929, Paul Otlet Papers, Mundaneum. places for housing strange and exotic objects), Otlet and Neurath and to an early encyclopedic 27 Letter from Otto and he called upon like-minded socialists to picture book by Johann Amos Comenius known Neurath to Paul Otlet, July embrace the use of mass media technologies as Orbis Sensualium Pictus (1658) (Figure 8). It 6, 1929, Paul Otlet Papers, Mundaneum. (e.g., “models, films, slide shows, also illustra- called for the creation of an autonomous entity 28 Otto Neurath, tions, lectures, publications and all other appro- that would oversee relations between the “Gesellschafts- und priate means”) in a museological context.28 Museum of Society and Economy and the Wirtschaftsmuseum in Towards the end of July, in 1929, Neurath World Palace. The N.O.P. was to be overseen by Wien,” Gesammelte Bildpädagogische Schriften. traveled to Geneva to hear Otlet speak at the Anna Oderfeld and Lothian Small of the World vol. 3. eds. Rudolf Haller annual meeting of the Union of International Association of People’s Federations [Weltverband and Robin Kinross. Associations, an organization Otlet started in der Völkerbundlingen], who were based in (Vienna: Hölder-Pichler- Tempsky, 1991) 2. 1910 with the aim of providing an “internation- Geneva, but the core parties were still Otlet and Originally published in al framework for intellectual relations” for Neurath themselves. Österreichische Gemeinde- museums, universities, libraries, and intergov- In effect, the mission of the N.O.P. was to Zeitung. 2:16 (1925): 1-12 ernmental organizations all throughout the campaign for the creation of a network of muse- 29 W. Boyd Rayward, world.29 This two-day summit, which took place ums dispersed throughout the world and to “Introduction,” nd rd International Organisation from the 2 to the 3 of August, ran in con- publish a series of books on a range of subjects; and Dissemination of junction with the third biennial conference of specifically, a universal atlas containing geo- Knowledge: Selected Essays the World Federation of Education graphical, climactic, social, and economic maps of Paul Otlet, ed., W. Boyd Rayward (Amsterdam: Associations, where Otlet and his World Palace about all regions of the world and their histories; Elsevier, 1990) 5. presented an exhibit entitled “Atlas of a “specialist atlas” for individual professions and 30 World Federation of Civilization” between July 25 and August 5, targeted age groups; a world encyclopedia, with Education Associations: 30 Third Biennial Conference, 1929 (Figure 6). That Neurath was eager to images and accompanying text; a children’s Geneva, Switzerland, July engage Otlet’s ideas is attested to by the fact that book series, a children’s newspaper, and an adult 25-August 4, 1929, 1929, he was among the first to enter his name among newspaper. The museums, on the other hand, Paul Otlet Papers, those who attended Otlet’s World City presen- known as Mundaneums, were to be standard- Mundaneum. 31 “Während des tation (Figure 7). Moreover, during the World ized according to specifications drafted jointly Kongresses des Federation of Education Associations meeting, by the Museum of Society and Economy and Weltverbandes der päda- Neurath and Otlet publicly announced plans to Otlet’s World Palace. As stated in the statutes of gogische Vereinigungen in Genf, Juli-August 1929, begin to work on a series of book and exhibition the protocol agreement (which Neurath drafted, wurde am 31. Juli in einem projects. “During the Congress of the World but with Otlet’s blessings), “[t]he Institute Aussschu_ internationalen Federation of Education Associations in “Novus Orbis Pictus,” hereinafter called

88 Teilnehmer der Ausstellung, “N.O.P.,” seeks to promote enlightenment über Anregung des Weltverbandes der through pictures, in particular books and exhi- Völkerbundlingen, unter bitions.” 32 The document adds, dem Vorsitz des Herrn The Atlas of World Culture “Novus Orbis Maurette, Departementchef des Internationalen Pictus” should be disseminated throughout the Arbeitsamtes, Direktor und world, the material of the World Museum Direktor Neurath die (“Mundaneum”) copied in as many regional Einrichtungen eines museums as possible. Thus the World Museum Instituts übertrage, da_ die Schaffung eines will consist primarily of reproducible pieces Weltkmultur-Atlasses zur stuck together. The Institute will seek to collab- Aufgabe hat.” Otto orate with associations and learned organiza- Neurath, Paul Otlet, Anna Oderfeld, and Lothian tions from all countries, in particular interna- Small, “Novus Orbis tional organizations. Both creations of the Pictus” (NOP), Brüssel- N.O.P. have been established with the interest of Genf-Wien Protokoll, consolidating scientific research, as well as 1929, Paul Otlet Papers, Mundaneum. spreading and democratizing knowledge and its 32“Das Institut”Novus instruments to disseminate social education orbis pictus”, im folgenden throughout the world.33 immer N.O.P genannt, ist Neurath and Otlet divided up their responsi- dazu bestimmt, bildhafte Aufklärung auf jede Weise, bilities as follows: while the Museum of Society insbesondere durch and Economy was to look after resolving design Veröffentlichlichungen und issues – the construction and maintenance of Ausstellungen zu unter- stützen.” Otto Neurath and exhibits, as well as overseeing publication of the Paul Otlet, Statuten des atlas of civilization – the World Palace was to “Novus Orbis Pictus” NOP, assume control of assembling, classifying, and Sketch by Otto Neurath. Acronym “NOP” refers both to Brüssel-Genf-Wien, 1929, organizing each project on a macro-level.34 Novus Orbis Pictus and the first and last initials of Otlet Paul Otlet Papers, “What we from the Mu-So-Ec [Museum of and Neurath. The elephant represents Neurath himself (it Mundaneum. was a common way for him to sign his letters). 33“Der Weltkultur- Society and Economy] will contribute would be (Reproduced by permission from the Paul Otlet Archive, Atlas”Novus orbis pictus” the method of pictoral statistics and the system- Mundaneum, Mons, Belgium). soll in möglichst vielen Ländern verbreitet werden, atic cartographic execution [of projects], as well das Material des as the intensive wish to illustrate all The two sought to build unity between their insti- Weltmuseums chrono[grams], topo[grams], and quanto[grams] tutions, familiarizing themselves with the other’s (“Mundaneum”) in through copies, texts, etc.,” Neurath wrote. work. At the same time, they sought to solicit möglichst vielen Landesmuseen kopiert wer- “What the World Palace would be contributing sponsorship from curators, museum directors, sci- den. Daher wird das would be a striving toward comprehensiveness entists, and politicians from all of the world. Weltmuseum vorwiegend and systematicity in the early stages of work, the One of their earliest allies was the American aus reproduzierbaren abundance of objects, pictures, contemporary journalist, author, and curator Waldemar Stücken zusammengesetzt werden. Das Institut wird artistic expressions of all kinds, distinguishing Kaempffert, who directed the Chicago Museum die Mitarbeit von Vereinen text, and the wish to be as exacting as possi- of Science and Industry between 1928 and 1931. und Gelehrten aller Länder, ble.”35 Neurath added that the World Palace Kaempffert was a science editor at The New York insbesondere die der inter- nationalen Organisationen would be expected to continue its work with Le Times from 1927 to 1928, and again from 1931 zu gewinnen suchen. Beide Corbusier and Jeanneret on the World City in onwards, and was instrumental in bringing Schöpfungen des N.O.P. Geneva, and that this city, if built, would Neurath’s ideas to the United States during the sind Einrichtungen im “anchor” and administer the dissemination of 1930s. As Kaempffert maintained in his two-vol- Interesse der Verbindung wissenschaftlicher knowledge to individual Mundaneum institutes. ume Popular History of American Inventions Forschung, sowie der In the fall of 1929, Otlet visited with Neurath in (1924), he believed (much like Nuerath) that the Verbreitung und Vienna, where he and his wife enjoyed the compa- organization of large-scale, technologically-based Demokratisierung des ny of Neurath, his wife Olga Hahn, his collabora- systems of power was key to the democratization Wissens und Instrumente 36 zur planmäßigen tors at the Museum of Society and Economy, and of knowledge and culture. Kaempffert was very Ausbreitung sozialer officials from the Vienna municipal government. receptive to Neurath and the N.O.P., particular-

89 Bildung auf der ganzen ly with respect to the former’s suggestion that political scientist Ernst Jäckh.42 Jäckh was Erde.” Otto Neurath and Paul Otlet, Statuten des forming a large-scale “museum cooperative” involved in the Deutscher Werkbund, which was “Novus Orbis Pictus” NOP, could help coordinate the dissemination of formed in 1907 with the aim of enhancing the Brüssel-Genf-Wien, 1929, knowledge. “The idea that a unified supply of quality of German design and encouraging Paul Otlet Papers, Mundaneum. museums should exist, led us to the thought of greater interaction between between the arts, 34 Otto Neurath, Paul building a museum cooperative,” Neurath industry, and society at large. Though in later Otlet, Anna Oderfeld, and wrote, “whose technical work, inasmuch as it years Neurath took objection to the Werkbund’s Lothian Small, “Novus entails photocopies and other such work, could tendency toward aesthetic formalism (its obses- Orbis Pictus” (NOP), Brüssel-Genf-Wien be carried out in Chicago (at your museum); sion with the “flat-roof aesthetic,” as architect Protokoll, 1929, Paul Otlet inasmuch as it entails pictoral representations or Josef Frank once called it), he identified with its Papers, Mundaneum; Otto certain building models, it could be done by us efforts to apply principles of mass standardiza- Neurath and Paul Otlet, Statuten des “Novus Orbis in Vienna, where the technical work of the tion in the realm of design, as well as the coop- Pictus” NOP, Brüssel-Genf- N.O.P. is concentrated. As soon as I hear Otlet’s erative, communally-based philosophy on Wien, 1929, Paul Otlet position on these plans, I will make a more con- which the organization was based.43 In 1929, Papers, Mundaneum. crete offer to you. I cannot say anything defini- Neurath took a leading role in forming the 35“Was wir vom Ge-Wi- 37 Mu [Gesellschafts- und tive on behalf of the N.O.P. without Otlet.” newly-formed Austrian Werkbund [Österreichis- Wirtschaftsmuseum] beis- Kaempffert relationship with the N.O.P. was che Werkbund] and also became a frequent con- teuern, wäre die Methode more an intellectual kinship than anything, but tributor to the Deutscher Werkbund’s theoretical der Bildstatistik und die nonetheless he did visit Neurath and Otlet on journal Die Form. systematische kartographis- che Durcharbeitung, sowie separate occassions in the fall of 1929. Moreover, In his own article in Die Form, Jäckh der intensive Wunsch, alle in 1932 his Museum of Science and Industry announced plans for an International Chrono-Topo- und hosted an exhibit about coal mining and manu- Werkbund Exhibition (“Die neue Zeit” or “The Quantogramme durch Abbildungen, Texte usw. zu facturing, which Neurath curated under the aus- New Era” it was to be called) in Cologne, and illustrieren. Vom Palais pices of the Museum of Society and Economy. both Neurath and Otlet were inspired by the Mondial hingegen wäre In tandem with his hopes of creating a “ratio- ambition and scope of the proposal. Jäckh called beizusteuern ein Streben nal” cooperative organization for museum cura- for an encyclopedic, Gesamtkunstwerk-like exhi- nach umfassender Systematik in die tors and directors, Neurath and Otlet initiated bition that would juxtapose the latest achieve- Anfangsstadien der Arbeit, talks with the International Rationalization ments in architecture, industry, economics, art, die Fülle von Objekten, Institute [Internationales Rationalisierungs- and science, seeking to furnish the spectator Bildern, zeitgenössischen Kunstäußerungen aller Art, Institut], with whom they hoped to carry out a with a “bird’s-eye” view of contemporary cul- kennzeichnenden Text und number of traveling exhibitions. Neurath also ture. “At no point has man become so dominant der Wunsch, da_ dies alles cultivated ties with the mayor of Magdeburg (in and yet so inconsequential as he has in our own aufs exakteste ausgeführt Germany), to whom he “suggest[ed]… the cre- times,” Jäckh wrote. “Man is no longer the wird.” Letter from Otto 38 Neurath to Paul Otlet, July ation of a permanent museum,” while Otlet anthropocentric “mass of things,” but rather a 6, 1929, Paul Otlet Papers, courted authorities in Poznan, Poland. “We see microbic quantum-atom in this vast universe.”44 Mundaneum. the institution [the “Poloneum,” Otlet called it] Neurath and Otlet were moved by the spirit of 36 Arthur P. Molella, being established in the capital of Varsovie.”39 rationality that inspired Jäckh’s macrocosmic “Mumford in Historiographical Context,” Otlet wrote to the Soviets with a proposal to conception contemporary culture. As Neurath Lewis Mumford: Public build “regional museums and historical muse- wrote in the pages of Die Form, “it makes sense Intellectual, eds., Thomas P. ums of civilization,”40 while Neurath contacted that the Werkbund design brings to conscious- Hughes and Agatha C. Hughes (New York and the director of the Vredes- en Volken- ness the “world picture” of our times, especially Oxford: Oxford UP, 1990) bondstentoonstelling in the Netherlands. In 1930, if it must be said that [this world picture] deals 35-37. Neurath and Otlet were visited individually by on many levels with logical and mathematical 37“Der Gedanke, da_ officials from the Museum of the City of New thought processes, that are not easy [to imag- eine… Belieferung von Museen stattfinden soll, hat York and by the Committee on the Association ine], but still must be visualized for the visitor. uns zu dem Gedanken of American Museums, both of which expressed Because it is characteristic of our times that geführt, eine interest in the N.O.P., and who pledged, in many of our most meaningful intellectual Museumsgenossenschaft addition, to help support their aims.41 achievements are playing themselves out in the auf kooperativer Grundlage 45 zu bilden, die ihre technis- A further figure from whom Neurath and arena of logic.” Due to a lack of funding, che Arbeiten, soweit es sich Otlet received great support was a Berlin-based Jäckh’s “New Era” Exhibition never came to

90 um Maschinenkopien und distance from the vicissitudes of the market econ- gewisse andere Arbeiten handelt, bei Euch in omy, Neurath embraced strategies of modern Chicago durchführen kön- mass advertising. “All the objects would carry the nte, soweit es sich um bild- unified name of Orbis, which has the advantage hafte Darstellungen, gewisse Baumodelle, han- that we can introduce a copy written brand delt, bei uns in Wien, wo [Schutzmarke]!” Neurath explained. “It is psycho- die technische Arbeiten des logically better, if the object-brands are copy- N.O.P. konzentriert wer- righted! A kind of global corporation! Then there den. Sobald ich Otlets Meinung über diesen Plan would be propaganda for individual objects – kenne, werde ich Dir einen Orbis propaganda – and a propaganda for the genaueren Vorschlag assemblage of a visual totality – Mundaneum – machen. Ich kann ohne 47 Otlet für das N.O.P.- propaganda!” Although Otlet ratified the Institut nicht sendgültiges restructuring, he did so only hesitantly, sensing sagen.” Letter from Otto Otto Neurath and Gerd Arntz. Elevation rendering of a (correctly) that it represented a shift in priorities. Neurath to Waldemar standardized museum space, c. 1938-1940.56 “But I do continue to find it regrettable and con- Kaempffert, October 21, (Reproduced by permission from the Otto and Marie fusing,” he wrote in his journals, “that the duali- 1929, Papers of Paul Otlet, Neurath Isotype Collection, Department of Typography Mundaneum. ty of the name Orbis and Mundaneum was 38“…schlagen… die & Graphic Communication, The University of Reading, done.”48 As time wore on, Neurath paid increas- United Kingdon). Schaffung eines ing attention to the Orbis publications (for which Dauermuseums in Magdeburg vor.” Letter fruition, but his voice nevertheless did help the his own Museum of Society and Economy was from Otto Neurath to Herr N.O.P align its aims with those of the Deutscher responsible), while the more challenging difficul- Oberbürgermeister der Werkbund, whose publications and meetings (it ties posed by the Mundaneum project (including Stadt Magdeburg, November 29, 1929, Paul was hoped) would provide them with a further the construction of the World City) were left (to Otlet Papers, Mundaneum. forum in which to voice their aims. “The plan a large extent) for Otlet to contend with. 39 Otlet’s complete state- to create an Orbis magazine,” Neurath wrote in A second factor that caused the N.O.P. to ment, in French : ”Nous an October 23, 1929 letter to Jäckh, “an Orbis come to a quick and sudden halt was the stock voyons l’institution ‘s établir dans la capitale à children’s newspaper and eventyually a more rig- market crash of 1929. Neurath and Otlet had Varsovie, confiée dans cha- orous journal… ought to overlap with your plan hoped to receive philanthropic funding from cune de ses parties aux of having a “New Era” publication. Pending the American concerns like the Carnegie organismes qui ont créé les sections de Poznan ; placée agreement of Otlet, I would like to emphasize Foundation, and little of any of that was expect- sous une direction centrale, again that the unification of both [our] plans is ed to materialize after the events of “Black s’inspirant d’un plan de something we should seriously consider.”46 Tuesday.” As Neurath would report in a memo coordination, de sélection By the middle of 1930, the sense of optimism to Otlet, “[a]t the moment, I see the chances of et synthèse.” Paul Otlet, Journal No. 9— and hope that set the N.O.P. into motion was the fight for the Mundaneum, which I am still 1929.12.02, 1929, Paul (unfortunately) all but abandoned. First, in prepared to carry out, not very practical. Stock Otlet Papers, Mundaneum. December of 1929 the N.O.P. was restructured as market crash in the United States, in almost all 40“des musées régionaux, two separate entities, which caused conflict countries.”49 Their correspondence continued des musées historiques de la Civilisation.” Paul Otlet, between Neurath and Otlet. The N.O.P. was bro- through January of 1930, after which it petered Journal No. 10— ken down into the Orbis Institute, which was off steeply, with sporadic exchanges over the fol- 1929.12.24, 1929, Paul charged with creating the world atlas of civiliza- lowing four years. Otlet and Neurath had Otlet Papers, Mundaneum. 41 See Paul Otlet, Journal tion, and the Mundaneum, which set about planned a joint exhibition in the Museum of No. 14— 1930.04.28, building regional museums and exhibitions. Society and Economy in the summer of 1930, 1930, Paul Otlet Papers, Neurath suggested the split because he was trou- but it remains uncertain (as far as the archival Mundaneum. bled by the cumbersome-sounding Novus Orbis record is concerned) whether the project was ever 42 Letter from Otto Neurath to Ernst Jäckh, Pictus acronym, and felt, moreover, that the carried out. They also continued to publish state- October 23, 1929, Papers N.O.P. needed a more streamlined image. For ments citing their work together, even if much of of Paul Otlet, Neurath, the public’s perception of the organiza- it had already been behind them. In 1931, Otlet Mundaneum; Letter from Otto Neurath to I. Urwick, tion was of paramount importance, especially published “The Visualization of Human November 22, 1929, Paul where publishing and fundraising were con- Collaboration,” where he discussed his World Otlet Papers, Mundaneum. cerned. Contra Otlet, who sought to maintain City plans in the context of his work with

91 43 For a discussion of Neurath’s Museum of Society and Economy.50 In Neurath’s involvement in the Deutscher Werkbund, addition, Neurath sought to revive the N.O.P. see Margarethe Engelhardt- later on (“When will we finally begin work on Krajanek, “Der the Atlas for Civilization?” he wrote in 1932), Werkbundgedanke und seine Verbindung zum but their much-anticipated collaboration never Wiener Kreis am Beispiel got very far, not in practical terms As early as von Josef Frank,” 1930, Neurath tried to include Otlet and the Konstruktion zwischen World Palace in producing Society and Economy Werkbund und Bauhaus: Wissenschaft-Architektur- (1930), a book he made containing one hundred Wiener Kreis, ed., Volker oversized plates designed by the Museum of Thurm-Nemeth (Vienna: Society and Economy, but the organization that Hölder-Pichler-Tempsky, 1998).; regarding Neurath’s commissioned the project – the Bibliographical critique of the Deutscher Institute in Leipzig – ultimately rejected the idea. Werkbund, see Otto Nevertheless, the impact that Otlet had for Neurath, “Die interna- Neurath’s own career was dramatic, particularly tionale Werkbundsiedlung Wien als “Ausstellung”,” in terms of how he helped Neurath reinvent his Die Form 8 (1932). Museum of Society and Economy as an interna- 44 “Zu keiner Zeit ist der tional body, both in theory as well as in practice. Mensch so beherrschend To speak first of Neurath’s concrete endeavors, in gro_ d zugleich so ver- schwindend klein gewoden 1931 Neurath began the Vienna Mundaneum wie in unserer Zeit – der [Mundaneum Wien], an institute whose mission Mensch nicht mehr das was to oversee international traveling exhibits and Flyer for the World Federation of Education Associations anthropozentrische „Ma_ der Dinge,“ sondern ein exhibitions commissioned to the Museum of in Geneva (Reproduced by permission from the Paul mikrobisches Quantenatom Society and Economy (Figure 9). It received little Otlet Archive, Mundaneum, Mons, Belgium). des Weltalls. ” Ernst Jäckh, assistance from Otlet (not practically anyway), “Idee und Realisierung der but he used the name nonetheless with Otlet’s Society and Economy away from class-based con- Internationalen Werkbund- Ausstellung “Die neue blessings. That year, Neurath also established the cerns to communication- and linguistically-based Zeit” Köln 1932,” Die “Isostat Institute” in Moscow, which gave him a issues. While during the 1920s the Museum was Form 4: 15 (1929) 406. foothold in Soviet Russia. In 1932, the Museum primarily concerned with the plight of the work- 45“Es hat einen guten Sinn, da_ der of Society and Economy was donated permanent er – with the gap, that is, that separated the haves Werkbundentwurf zur exhibition space by Amsterdam’s Museum van de from the have-nots, both intellectually and eco- Einführung das Weltbild Arbeit and London’s Association for Adult nomically – during the 1930s Neurath came to unserer Zeit zum Education, and the following year Neurath see his mission increasingly as linguistic struggle, Bewu_tsein bringt, wenn auch gesagt werden mu_, opened the Hague Mundaneum (also known as not an economic one. He was concerned more da_ es sich dabei vielfach the International Foundation for the Promotion and more about the flow of information between um logisch-mathematische of Visual Education by the Vienna Method).51 In nations rather than between classes. The most vis- Denkprozesse handelt, die 1934, the Russell Sage Foundation helped ible expression of this shift occurred in 1935, man nicht leicht, aber immerhin dem Beschauer Neurath open and coordinate Pictoral Statistics, when when Neurath began to refer to his graph- anschaulich machen kann. Inc., which was based in New York. ic methods collectively as the International Denn es ist für unsere Zeit In a theoretical sense, Otlet influenced the System of Typographic Picture Education or kennzeichnend, da_ viele ihrer bedeutsamsten image and structure of the Museum of Society ‘Isotype’, and as he became more enamored of the gedanklichen Neuerungen and Economy. He gave Neurath a new conceptu- project of creating an International Encyclopedia sich bereits im logischen al framework within with to think about his of Unified Science.52 That is to say, rather than Gebiet abspielen.” Otto museum endeavors. The “decentralized” model using the more provincial-sounding ‘Vienna Neurath, “Die neue Zeit,” Die Form 21 (1929) 136. that Neurath adopted during the 1930s – creat- Method of Pictoral Statistics,’ which aligned 46 “Der Plan, eine Orbis- ing museums throughout the world, but with a Neurath’s graphic techniques with a specific geo- Magazin zu schaffen, eine central institution as their anchor — was a strat- graphical location (namely Vienna), in 1935 Orbis-Kinderzeitschrift und eventuell ein strengeres egy he borrowed from Otlet. Moreover (and Neurath began to redefine the image of his muse- Journal… dürfte sich in more importantly perhaps), Otlet helped um philosophy in a more global light. At the vielem mit Ihrem Plan Neurath shift the priorities of the Museum of same time, he became more acutely aware of the

92 einer Zeitschrift „Die neue need to forge a common scientific language that parted ways, their mutual influence upon one Zeit“ berühren. Vorbehaltlich der reversed the trend of intellectual specialization, another was undeniable. Architecturally speak- Zustimmung Otlets, and which made made knowledge more accessi- ing, Otlet’s World City, the designs for which möchte ich nochmals beto- ble across national boundaries. As Neurath were prepared by Le Corbusier and Jeanneret, nen, da_ eine Vereinigung der beiden Plänen ernsthaft remarked in his International Picture Language, motivated Neurath to engage problems of com- ins Auge zu fassen wäre. ” “[r]eading a picture is like making observations munication posed by international bodies and Letter from Otto Neurath with the eye in everyday experience: what we may institutions. Otlet also brought to Neurath’s to Ernst Jäckh, October 23, say about a language picture is very like what we attention the need to formulate a strategy of 1929, Papers of Paul Otlet, Mundaneum. may say about other things seen by the eye. For “information sharing” that linked centers of cul- 47“Alle Objekte wurden example: the man has two legs; the picture-sign tural production (“culture capitals” such as the dann einheitliche den has two legs; but the word-sign ‘man’ has not two World City) to the outer-most edge of a society. Orbis Namen führen, was 53 auch den großen Vorteil legs.” The concept that Isotypes were ‘natural’, While Le Corbusier identified an architectural hätte, dass wir eine ein- that is to say, intelligible to everyone regardless of solution to the problem, Neurath’s subsequent heitliche Schutzmarke ein- nationality, was a conviction he first began to work led him to explore graphic- and informa- führen könnten! Es ist psy- articulate in one of his many exchanges with tion-intensive solutions that relied heavily on chologisch besser, wenn die Objekte-Marke einheitlich Otlet, even though he first began to publicize this mass reproduction. While Le Corbusier and ist! Eine Art Weltfirma! view during the mid-1930s. As Neurath wrote to Jeanneret were ultimately to propose a mam- Dann Gäbe es eine Otlet in 1929, “we must have an international moth, seven-story helicoidal structure that hon- Propaganda für word for every mass of pictures! Quantogram ored the unity of all cultures, Neurath, through Einzelobjekte – Orbit- Propaganda – und eine works also with Teleki-Diagrams [Tafeln]! his graphic studies with Arntz, sought to cele- Propaganda für Pictogram? Also Pictocartogram, pictochrono- brate the interchangeability of cultures, the fact Zusammenstellungen als gram, pictoquantogram. Although I do not find that abstract types could substitute particular Schaugesamtheit— these creations terrible charming. But chemical cultural traditions. Neurath’s efforts to theorize Mundaneum – 54 Propaganda!” Letter from formulas are also just boring!” “universal spaces” in the late 1930s were influ- Otto Neurath to Paul For Neurath, museums had to offer a transna- enced by his exposure to Le Corbusier’s work, Otlet, October 22, 1929, tional means of communicating, an Esperanto- which sought to forge a “universal” temple of Paul Otlet Papers, Mundaneum, OP 100. like language as universal as the laws of nature. culture. This quest for the Tower of Babel, for 48“Mais je dois persister à This view was something he only cultivated, as the origins of language, was an aspiration that croire regrettable et con- I’ve already noted, after coming into contact the architect Le Corbusier shared with Neurath, fusible la dualité de nom Orbis et Mundaneum était with Otlet, who introduced him to the concept but which would be mediated by Neurath’s spir- donné.” Paul Otlet, Journal of the World City. Although the two eventually ited (if short-lived) relationship with Paul Otlet. No. 7— 1929.11.20, 1929, Paul Otlet Papers, Mundaneum. 49“Börsenkrach in New York, Krisen in fast allen Ländern… Selbst der Orbis-Plan stösst auf große finanzielle Schwierigkeiten, obglich ich mit Hochdruck für ihn wirke.” Letter from Otto Neurath to Paul Otlet, July 6, 1929, Paul Otlet Papers, Mundaneum. 50 See Paul Otlet, “Die Veranschaulichung der Löcker Verlag, 1982), 246-249. 54“Wir müssen für Mengenbilder usw. Ein besonderes menschlichen 52 For a discussion of the Ernst Mach Society and its rela- internationales Wort finden! Quantogramm gilt auch von Zusammenarbeit,” Das tionship to the International Encylcopedia of the Unity of Teleki-Tafeln! Piktogramm? Also Pictokartogramm, werdende Zeitalter 10: 6 Science, see Friedrich Stadler, The Vienna Circle: Studies in Pictochronogramm, Pictoquantogramm. Obgleich ich diese (1931). the Origisn, Development and Influence of Logical Bildungen nicht übermäßig entzückend finde. Aber chemis- 51 Friedrich (ed.) Stadler, Empiricism (Vienna and New York: Springer, 2001) 356- che Formeln sind ja auch langweilig!” Letter from Otto Arbeiterbildung in der 371. Neurath to Paul Otlet, October 22, 1929, Paul Otlet Zwischenkriegszeit: Otto 53 Otto Neurath, International Picture Language (Reading: Papers, Mundaneum. Neurath — Gerd Arntz University of Reading Department of Typography & 55 See note 5. (Vienna and Munich: Graphic Communication, 1980) 20. 56 See note 5.

93 De l’Hypertexte à l’Expertexte ou du savoir au savoir-faire par Jean-Luc Guérin et Yannick Marchand*

De la même façon qu’il est tentant d’identifier l’iceberg à sa partie émergée, le concept d’hypertexte a été quelque peu dénaturé depuis son apparition sur le Web. Après avoir rappelé les fondations de ce concept telles qu’elles ont été pensées par les pionniers du domaine, nous présenterons un proto- type d’hypertexte respectant ces caractéristiques, dédié à la gestion des recommandations techniques chez France Telecom. Enfin, nous présenterons une extension du concept d’hypertexte que nous nommerons “expertexte”, visant à capturer une partie du savoir faire des utilisateurs, ainsi, nous nous approcherons davantage encore du “cerveau collectif” annoncé par Paul Otlet. Introduction invariablement cités pour évoquer “l’histoire” récente des hypertextes. En effet, qu’ils soient e Web et plus particulièrement ses outils de l’expression d’idées novatrices ou de réalisations navigation ont, d’une part, démocratisé plus concrètes, les projets Memex [1], Augment L Internet et, d’autre part, popularisé la notion [2] et Xanadu [3] ont été déterminants dans d’hypertexte. Si l’on peut évidemment se réjouir l’éclosion de ce domaine de recherches. de l’accès d’un plus grand nombre au “réseau des On peut toutefois légitimement déplorer l’ab- réseaux”, on peut en revanche regretter que dans sence de Paul Otlet dans cet aréopage scienti- le même mouvement le concept d’hypertexte ait fique tant cet auteur belge a fait preuve dans ses été simplifié au point d’éclipser certaines de ses écrits [4], 11 ans avant Bush, d’une clairvoyance finalités originelles définies et rêvées par ses fon- hors du commun. C’est pour cette raison, que dateurs. Dans cet article, nous commencerons dans cette section nous nous sommes appuyés tout d’abord par rappeler les principes fonda- sur ces quatre pionniers de l’hypertexte pour teurs de l’hypertexte en nous appuyant sur les mettre en exergue trois éléments essentiels qui aspirations des pionniers en la matière, à savoir, caractérisent et justifient le fait que le terme Vannevar Bush, Douglas Engelbart, Theodor ‘hypertexte’ évoque étymologiquement “plus Nelson et aussi Paul Otlet, auteur visionnaire que” “texte”. * Université de Picardie plus rarement cité. Jules-Verne, LaRIA – 5, 2 rue du Moulin Neuf, Ensuite, nous présenterons NESTOR , un pro- Le don d’ubiquité 80000 Amiens - France totype d’hypertexte dédié à l’exploitation de docu- Email : jean-luc.guerin@u- ments de références utilisés par le CNET3 de Constatant que la masse de livres et de docu- picardie.fr 2. Dans la mythologie Lannion pour la rédaction de spécifications tech- ments s’accroît chaque jour d’unités nouvelles gréco-latine, Nestor, roi de niques. Cette expérience s’appuie d’une part sur en nombre déconcertant, Otlet propose, pour Pylos, était réputé pour sa l’enrichissement volontaire du système d’informa- faire face à ce déluge d’informations, de fonder sagesse et son expérience tion par les utilisateurs (le savoir) et d’autre part, la “bibliologie”, une science et une technique ayant participé grâce à son grand âge à de nombreuses par un auto-enrichissement (“apprentissage”) basé générale du document. Celle-ci, pour exister, expéditions légendaires. sur l’observation de l’utilisation du système afin de nécessiterait “un complexe de machines asso- En outre, juste après la mettre en évidence des relations de dépendances ciées” pouvant réaliser sept opérations dont guerre de Troie, le vieillard non explicites entre des blocs d’informations (le “l’établissement des documents de manière à ce favori d’Homère fit preuve d’une remarquable dextéri- savoir faire). Sur un plan technique, la partie que chaque donnée ait son individualité propre té dans l’art subtil de la “apprentissage” utilise un réseau de Hopfield et et dans ses relations avec celles de tout l’en- navigation (concept clé peut être, d’une certaine façon, assimilée à une semble, qu’elle y soit rappelée là où il est néces- des hypertextes) puisqu’il fut le premier avec ses “maïeutique” du savoir-faire, particularité que nous saire” (opération 3) et “la récupération automa- compagnons de route, avons désignée par le néologisme d’Expertexte. tique des documents à consulter” (opération 6). bien avant tous les autres Enfin, nous terminerons en présentant plusieurs On peut remarquer que ces pionniers parta- rois grecs, à revenir chez remarques et perspectives pour notre approche. geaient la même préoccupation : organiser la lit- lui par une traversée éclair de la mer Egée. térature au sens large, support des connaissances 3. Centre National Les principes fondateurs de accumulées à travers les siècles, afin de la rendre d’Etudes des l’hypertexte facilement et rapidement accessible à ceux qui la Télécommunications manipulent. Dans les projets Memex et Associations transnationales Les noms de Vannevar Bush, Douglas Augment, il s’agit d’aider les chercheurs dans 1-2/2003, 94-106 Engelbart et Theodor Nelson sont, à juste titre, leur recherche documentaire. Quant à Xanadu,

94 le rêve avoué est de construire un immense (Hypertext Markup Language) [5] qui est utili- réseau prenant en compte la totalité des sé pour décrire les documents. La mise en rela- ouvrages de tout genre publiés à ce jour. tion qu’effectue le lien est pourtant une activité On peut dire que ces aspirations humanistes et intellectuelle capitale puisqu’elle constitue pour ambitieuses se sont concrétisées avec le Web. En son auteur un élément argumentatif et rhéto- effet, ce dernier joue en quelque sorte le rôle d’une rique.Enfin, nous anticiperons sur la caractéris- bibliothèque mondiale permettant à ses utilisa- tique suivante en constatant que même si notre teurs un accès souple et immédiat à un ensemble utilisateur possédait toutes ces connaissances, il de documents géographiquement éparpillés. Ainsi n’aurait tout simplement pas les droits au sens leur donne-t-il l’impression de consulter un docu- informatique du terme, pour modifier les docu- ment unique alors qu’ils visitent des serveurs dis- ments qu’il consulte. séminés dans le monde entier. Dématérialisant les documents et abolissant les notions de distance et L’omniscience de temps, le Web offre l’étonnante possibilité par simple pointage électronique d’être virtuellement “La machine qui réaliserait ces sept desiderata partout à la fois. Notons que Engelbart, par l’in- serait un véritable cerveau mécanique et collec- vention de l’interface dorénavant familière qu’on tif” (Otlet). “Une communauté active sera appelle “souris” et l’expérimentation du multi- constamment impliquée dans un dialogue au fenêtrage d’écran, a fortement contribué à ce que sujet du contenu de son manuel” (Engelbart). le déplacement au sein de cette jungle d’informa- Ces deux citations mettent l’accent sur le dernier tions soit instantané et associatif, autrement dit, trait distinctif du concept d’hypertexte, à savoir, que ce déplacement s’inspire, comme le souhaitait le travail coopératif qui inscrit l’élaboration des Bush, de notre manière naturelle de penser (“As liens et des commentaires personnalisés dans le We May Think”). cadre d’une construction sociale de la connais- sance. Cette approche fait en sorte, qu’étant L’omnipotence adaptable et partageable, un hypertexte n’est jamais un produit terminé mais demeure pour Paul Otlet mentionne un deuxième principe ses utilisateurs un lieu d’expression et de mémoi- essentiel du concept d’hypertexte. Il s’agit de la re en constante évolution. L’hypertexte prend “présentation des documents, soit sous les yeux alors la forme d’un outil flexible de communica- ou sous la partie d’une machine ayant à y faire tion socialisée au service de processus d’intelli- des inscriptions additionnelles” (opération 6) et gence collective [6]. Dès lors, il devient possible de la “manipulation mécanique à volonté de pour chaque utilisateur de connaître l’ensemble toutes les données enregistrées pour obtenir de des connaissances acquises par la communauté. nouvelles combinaisons de faits, de nouveaux A son époque, Bush imaginait déjà la nouvelle rapports d’idées” (opération 7). Dans cette profession “d’ouvreur de pistes” (trails blazer), optique, l’utilisateur n’est plus seulement passif sorte d’expert capable de découvrir et de tracer se contentant de consulter des éléments d’infor- des parcours utiles au sein de ces “magmas” mations connectés par des liens activables mais documentaires. également actif en ce sens qu’il peut disposer à sa En dépit des apparences, c’est certainement guise de ces éléments pour les enrichir d’annota- cette caractéristique qui différencie le plus le Web tions et de liens qui lui sont personnels. des aspirations premières du concept d’hypertexte. Sur le Web, un utilisateur non informaticien Le Web étant organisé selon une architecture ne peut malheureusement pas exercer pleine- client-serveur, chaque auteur ne gère qu’un ment cette liberté d’action sur les documents. ensemble limité de documents dans lesquels il est En effet, la création d’un lien, par exemple, ne le seul autorisé à définir des liens vers d’autres lui est ni naturelle ni conviviale du fait qu’elle documents. Autrement dit, le milieu des “autres” nécessite une connaissance minimale (i) des est reconstitué et consultable mais la communica- notions de répertoire et fichier, (ii) d’un éditeur tion en tant que telle est inexistante, puisqu’il n’est de texte, et surtout (iii) du langage HTML pas possible pour le lecteur d’ajuster et de trans-

95 former ce milieu. Il s’agit plus d’une intercon- meau? - Un cheval normalisé!”. Différentes rai- nexion de savoirs répartis : chacun des utilisateurs sons expliquent l’origine de cette distorsion: met bénévolement ses connaissances à la disposi- - D’abord, la langue naturelle est intrinsèque- tion de la collectivité sachant qu’en retour il accè- ment source d’ambiguïtés. Ce “parasitage” lin- de gratuitement, en s’appuyant sur le savoir des guistique est, dans notre étude, d’autant plus uns et des autres, à des informations qui n’étaient important que la documentation est essentiel- pas en sa possession [7]. “J’offre aux autres mon lement écrite en anglais, c’est-à-dire dans une microcosme documentaire” s’est donc substitué à langue qui n’est pas la langue maternelle de l’idée originelle de “Partageons l’univers docu- ceux qui consultent les documents. mentaire que nous transformons conjointement”. - Ensuite, bien que normalisés, ces documents ne sont pas ipso facto objectivement légitimes. De l’hypertexte à l’expertexte Derrière une norme, il y a toujours des enjeux cachés. Quand on parle de normes, on se réfè- Nous allons présenter maintenant les prin- re à des décisions négociées par des consom- cipes sur lesquels repose notre prototype hyper- mateurs, des entreprises, des syndicats profes- texte, dans le cadre de l’utilisation de documents sionnels et des consultants réunis au sein des de référence pour la réalisation d’une tâche: comités de normalisation. C’est pourquoi les entreprises cherchent à éviter de se voir impo- Principe d’appropriation ser une norme qui remettrait en question leur stratégie. Elles s’efforcent bien au contraire, en Au fil du temps, l’utilisateur en interagissant étant présentes dans toutes les instances où se avec l’hypertexte, acquiert une connaissance du décident les normes, de faire en sorte que leurs domaine qu’il explore [8]. Certaines expérimen- intérêts soient pris en compte. tations tendent effectivement à montrer que les - De plus, une norme appropriée au moment de utilisateurs d’un système hypertexte s’adaptent son élaboration peut devenir au cours du sans difficulté à la navigation [9] et mémorisent temps complètement caduque tant les pro- aussi bien la description du contenu informatif duits sur lesquels elle s’appliquait ont évolué. des nœuds que la description des voies d’accès Le poids de l’existant et “l’amnésie” concer- reliant ces îlots d’informations les uns aux autres nant ses origines peuvent néanmoins contri- (réseau de navigation) [10]. buer à la faire perdurer. La disposition des Cette acquisition se fait essentiellement au touches sur les claviers des ordinateurs est à ce sein de “Nestor” par les liens structurels linéaires titre très parlante [11]. Ainsi, lorsque et hiérarchiques. Ces liens, sont directement l’Américain Christopher Latham Sholes, issus de l’organisation logique des documents et imprimeur de son métier, inventa la machine assurent une lecture traditionnelle (c’est-à-dire à écrire en 1868, la mécanique connaissait linéaire) des documents. La lecture, en effet, quelques ratés. Dès les premiers essais, les produit du sens car elle rassemble ce qu’elle doigts des secrétaires couraient trop rapide- découvre et l’intègre dans une compréhension. ment sur les touches. La machine se coinçait Le terme “legere”, matrice du mot lire nous rap- et ne parvenait pas à enchaîner lettre sur lettre. pelle qu’en latin il signifiait à la fois “faire la Sholes consulta alors son frère qui trouva la moisson”et “lier”, ce qui a donné “inter-legere” parade. Pour masquer les défauts de l’appareil, d’où l’on a tiré le mot “intelligence”. il fallait d’abord éloigner les lettres fréquem- ment utilisées en combinaison. Par exemple, Principe de distorsion sur les claviers français, le Q et le U. Ensuite, ils placèrent les lettres les plus utilisées sous Certaines normes techniques n’ont pas une l’emplacement des doigts les moins agiles (par bonne adéquation avec la réalité que côtoient exemple, le A se déclenche au moyen du petit quotidiennement les “spécifieurs”. Pour illustrer doigt, alors que le G, plus rare, est la proie du cet état de fait, on nous lança un jour dans une vaillant index). De la même façon, les lettres réunion cette boutade: “Qu’est-ce qu’un cha- les plus utilisées, comme le E, le S, le R ou le

96 T, sont toutes destinées à être frappées avec les auteur potentiel. L’utilisateur a ainsi l’opportu- doigts de la main gauche (qui, chez les droi- nité de structurer concrètement ses acquis et de tiers en tout cas, porte bien son nom). construire son propre savoir. L’hypertexte Finalement, aux États-Unis, l’ordre des devient alors pour lui, dépositaire d’un savoir- touches choisi fut QWERTY, et en France faire, un moyen d’organiser ses connaissances en AZERTY. De nos jours, les claviers d’ordina- corrigeant et complétant via la création de liens teurs, devenus d’incontestables standards, personnalisés, les incohérences et lacunes qu’il a pourraient en fait suivre des cadences de frap- pu mettre en évidence. Ce principe est égale- pe beaucoup plus rapides (voir le “clavier ment appelé principe de métamorphose[6]. Marsan” présenté dans [12]). On peut donc dire que dans un premier temps - Enfin, découper le champ du savoir n’est pas l’utilisateur s’approprie la connaissance des chose aisée. Car, même si Descartes préconise “de textes via les liens structurels pour ensuite se la diviser chacune des difficultés (…) en autant de réapproprier grâce aux liens personnalisés. Cette parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour réappropriation témoigne du savoir-faire de les mieux résoudre” [13], on peut légitimement se l’utilisateur puisqu’elle vise à résorber toute demander jusqu’où ou à partir de quand, le pro- forme de distorsion. cessus d’atomisation d’un système d’éléments devient raisonnable. Un système d’éléments ne Principe de contextualisation veut pas dire qu’il est une somme d’éléments, comme le raisonnement cartésien nous inciterait L’utilisation proprement dite de “Nestor” à le croire. De même, il n’est pas du tout certain repose sur un ensemble de cycles d’exploration que le morcellement obtenu n’aboutisse à une (ou de consultation) caractérisés par la sélection espèce de puzzle dont les différentes parties d’un nœud initial suivie d’une navigation au seraient ciselées au point de s’emboîter parfaite- sein de l’hypertexte via les liens. La non linéari- ment les unes aux autres. Ainsi, la hiérarchie des té de l’hypertexte autorise virtuellement une chapitres au sein d’un document structuré écra- multitude de parcours possibles. Le comporte- se-t-elle, sous une apparence de précision, la ment de l’utilisateur est régi par un principe de variété et la complexité des relations d’ordre dans rationalité [15] qui peut s’énoncer comme suit: un texte telles que, entre autres, la causalité ou s’il sait (ou pense) que l’une des actions dont il encore la temporalité. De plus, l’hypertextualisa- dispose au sein de “Nestor” (activation de liens tion d’un texte repose sur l’intelligence analy- hypertextes) lui permet de réaliser un de ses tique de leurs concepteurs. Or, découper, c’est buts, il la sélectionne (intentionnalité de l’utili- choisir, autrement dit, tout découpage quand sateur et, par conséquent, finalité de ses actions). bien même il viserait à être objectif, n’en reste pas Autrement dit, l’utilisateur devient réellement moins empreint des choix arbitraires de celui (ou actif dans la mesure où il opère des choix et, par là ceux) qui l’a (ont) fait. Il n’est pas du tout évident même, donne un sens à ce qu’il lit en associant à que les partitions puissent être aisément utili- travers son cheminement des fragments textuels. sables par une intelligence différente de celle qui les a conçues. Des hiérarchies peuvent avoir une Du savoir au savoir-faire logique élégante, mais si l’utilisateur ne peut rat- tacher celles-ci ni à une nécessité interne, ni à De plus en plus nombreuses à prendre une structure narrative identifiable, l’élégance conscience de la valeur de leur “capital intelli- conceptuelle n’est alors d’aucune utilité [14]. gence” [16], les entreprises, et à un moindre degré, d’autres structures pour lesquelles capita- Principe de réappropriation liser les acquis d’un travail collectif constitue un enjeu crucial (un groupe de recherche par La catégorie des liens personnalisés est capita- exemple) [17] tentent de mettre en place des le pour les hypertextes puisqu’elle donne la pos- outils leur permettant de conserver une partie de sibilité d’ajouter a posteriori des liens transfor- leur savoir-faire. mant d’une certaine façon chaque lecteur en Cette capitalisation des connaissances est

97 d’autant plus essentielle que le renouvellement pourrait être due au fait qu’il correspondrait à ou la suppression des membres de la structure l’application d’une procédure rapide court-cir- concernée sont importants. Ainsi, l’accélération cuitant le raisonnement dans une situation don- du rythme des restructurations, des licencie- née [20]. De plus, la conscience de la mise en ments et des retraites anticipées ne fait qu’am- oeuvre de telles procédures n’est pas évidente plifier le phénomène. pour l’expert qui est surtout préoccupé par la Dans le cadre de l’exploitation d’une source tâche qu’il doit réaliser. documentaire, il paraît donc important que les Devant tant de difficultés à découvrir et à utilisateurs aient la possibilité d’annoter les communiquer ce précieux “savoir-faire”, il sem- documents qu’ils consultent afin de pouvoir blait donc illusoire de compter uniquement sur partager cette nouvelle source de connaissances un ajout systématique d’informations de la part par la suite. Cependant, si de nombreux logiciels des utilisateurs. D’où l’idée de proposer un outil permettent aujourd’hui d’ajouter des commen- permettant de repérer de telles situations afin de taires dans son environnement de travail, ces stimuler leur verbalisation (dans la mesure du informations sont le plus souvent inexploitables. possible naturellement [21]). Tout système d’information devrait prendre en Notre système ne va donc pas tenter de “rai- compte ces annotations qui sont autant d’enrichis- sonner” à partir des actions d’un utilisateur, sements potentiels pouvant être assimilés à des notes mais uniquement repérer les mises en relation de travail contenant probablement bon nombre entre granules d’information que l’utilisateur d’astuces professionnelles. Cependant, si elles sont effectue au cours de sa recherche. Ainsi, le systè- parfois consignées sur un support physique (calepin, me va évoluer au cours du temps et sera à même feuilles libres…), ces connaissances n’ont bien sou- pour un utilisateur donné, de proposer des mises vent aucune consistance matérielle et se limitent à en relations de certaines informations. n’être que “dans la tête” de ceux qui les détiennent. Cependant, la validation et l’ajout d’une séman- Vouloir formaliser ce savoir pour l’exploiter collecti- tique à cette suggestion sont laissés aux bons vement implique alors pour l’entreprise le dévelop- soins de l’utilisateur. Les relations validées peu- pement et la mise en place d’une méthode instau- vent alors enrichir le système d’information et rant, notamment, des procédures de recueil et de devenir accessibles aux différents utilisateurs. mise en forme d’expériences élémentaires (inter- La découverte de ces relations implicites perti- views, fiches, mémos, notes…) [18]. nentes ne peut être purement logique du fait de Le transfert des compétences se trouve donc l’absence de règles justifiant les associations confronté aux difficultés voire à l’impossibilité d’idées des utilisateurs. Nous proposons de les qu’a un expert, par exemple, à décrire ses connais- mettre en évidence en utilisant une approche sances. Le savoir-faire est-il un ensemble de connexionniste basée sur le modèle de Hopfield, connaissances qu’un être humain possède sur le que nous nommerons “Expertexte” (cf. figure 1). monde ou bien qu’il a du monde? Dans la pre- Notre système ne peut être qualifié que de mière acception, les connaissances apparaissent semi-adaptatif dans la mesure où il nécessite l’in- comme un catalogue de relations finies entre des tervention de l’utilisateur pour enrichir le systè- objets atomiques bien déterminés. Dans la secon- me d’information. C’est à l’utilisateur de de acception, les connaissances se cristallisent demander les suggestions du système et c’est dans une habitude et une familiarité, qui se mani- festent par une habileté globale de l’homme à interagir avec le monde dans lequel il est plongé [19]. En ce sens, l’introspection, portant sur des connaissances vagues, intuitives et probablement indescriptibles de manière analytique, serait vouée à l’échec. En bref et pour jouer avec les mots, il s’agirait en quelque sorte de la détention “d’un savoir-faire sans pouvoir le faire savoir”. Cette difficulté d’expression du savoir faire Figure 1: La notion d’expertexte au sein de “Nestor”

98 également à lui de les valider et de leur donner formation est opportune car comme le fait une sémantique. Le reste du temps, le système se remarquer Nielsen [22] “les meilleurs films ne veut le plus discret possible et “espionne” l’utili- sont pas ceux qui sont tournés en plaçant la sateur sans perturber son travail. caméra au premier rang d’une salle de théâtre; de même les meilleurs hypertextes ne sont pas Présentation de “NESTOR” ceux qui sont créés à partir d’un texte écrit à l’origine pour un média linéaire”. A cette objec- On appelle spécifications techniques un docu- tion, on peut, dans notre cas, avancer l’argu- ment définissant les caractéristiques d’un pro- ment selon lequel il serait laborieux, voire illu- duit ou d’un service. Ces spécifications obéissent soire, de restructurer ces textes. “Une fusée à des recommandations (ou normes), c’est-à- engendre son propre poids en papier” plaisan- dire à un ensemble de règles qui, bien souvent, tent les documentalistes d’Arianespace. Dans le sont élaborées par des organismes internatio- domaine des télécommunications, la documen- naux de normalisation. Cette section décrit tation est à la fois volumineuse et complexe. comment de telles recommandations ont été traitées au sein de “Nestor”, prototype d’hyper- texte que nous développons pour le CNET de Lannion. Caractéristiques du corpus traité et objectifs

Pour le personnel qui doit écrire les spécifica- tions, le corpus des recommandations peut s’ap- parenter à une encyclopédie. En effet, de la même façon qu’encyclopédie (du grec “egkuk- lios paideia”) signifie littéralement éducation par le cercle, c’est-à-dire embrassant tout le cercle du Figure 2 : Exemple de recommandations savoir, les recommandations englobent elles aussi la totalité des connaissances disponibles pour bien spécifier. Stratégiques parce que sou- “Nestor” étant un prototype d’hypertexte, il vent consultés, ces documents de références devra logiquement présenter les caractéristiques donnent, principalement sous forme de texte précédemment citées, (cf. section 2: Les prin- libre en anglais, les informations concernant, cipes fondateurs de l’hypertexte) à savoir, le don entre autres, les définitions, concepts ou encore d’ubiquité, l’omnipotence et l’omniscience. Ces exemples du domaine. vocables volontairement provocateurs et empha- Ces recommandations forment un “microcos- tiques avaient pour but de souligner le caractère me” fini de documents interdépendants et sont quasi divin du concept d’hypertexte tel qu’il structurées comme des textes linéaires tradition- avait été défini à ses débuts. Dans notre cas, il nels, c’est à dire, comportant un sommaire et un s’agit de retrouver les deux derniers principes ensemble de paragraphes successifs réunis en fondateurs à travers la terminologie plus pro- chapitres. Chaque document contenant de mul- saïque de création aisée de liens personnalisés et tiples références (cf. figure 2) aussi bien internes de collecticiel; la littérature universelle étant ici, qu’externes, la consultation de ces “documents qui plus est, avantageusement remplacée par un spaghetti” repose autant sur un mécanisme d’as- ensemble fini de recommandations ! sociation d’idées que sur une lecture séquentiel- le et chronologique. Nœuds et typologie des liens L’objectif de “Nestor” est de transformer l’en- semble de ces recommandations en hypertexte Les hypertextes ont pour première vocation sur le Web. On peut se demander si cette trans- d’articuler et d’organiser des entités plus ou

99 moins atomiques d’informations (nœuds), à l’ai- faire, un moyen d’organiser ses connaissances en de de relations (liens) existant entre ces granules corrigeant et complétant via la création de liens de connaissances. Ces liens sont activés par l’uti- personnalisés, les incohérences et lacunes qu’il a lisateur pour se “transporter” ailleurs, en fonc- pu mettre en évidence. Notons que dans notre tion de ses intérêts. cas, seul l’ajout de liens est réalisable, le nombre Dans “Nestor”, les nœuds représentent les de nœuds étant, par définition, constant divisions formelles et logiques que l’on trouve puisque déterminé par un ensemble fini de dans les recommandations, à savoir, le sommai- documents. re, les chapitres et accessoirement les annexes. A On peut donc dire que dans un premier partir de ce découpage “naturel” des unités de temps, l’utilisateur s’approprie la connaissance sens, on définit les liens suivants : des textes via les liens structurels, pour ensuite se - Liens “zoom” (ou de focalisation) : liens unis- la réapproprier grâce aux liens personnalisés . sant les différents chapitres d’un sommaire aux Pour pouvoir expliciter la sémantique associée chapitres proprement dits. à un lien personnalisé en cours de création, l’uti- - Liens plan : liens entre les chapitres et le som- lisateur peut remplir un champ “commentaires” maire correspondant (liens inverses des liens en plus de l’ancre et du nœud de destination. “zoom”). Les champs “commentaires” et “destination” - Liens de succession : liens utilisés pour une étant optionnels, les liens personnalisés que l’on lecture linéaire des documents telle qu’elle s’ef- trouve dans “Nestor” sont de trois types: fectue sur support papier (notion de chapitre suivant). Destination Commentaires - Liens de précédence : liens inverses des liens Liens directs (LD) Oui Non de succession (notion de chapitre précédent). Liens commentés (LC) Oui Oui - Liens de référence (ou de renvoi) : liens unis- Liens à commentaires (CS) Non Oui sant un mot (ou groupe de mots) d’un cha- Tableau 1: Liens personnalisés pitre soit à un sommaire qui ne le référence pas soit à un autre chapitre. Les références en Notons que dans le cas du lien à commen- question peuvent être internes ou externes et taires, le terme de “lien” est utilisé par abus de sont généralement précédées par les expres- langage dans la mesure où il ne relie pas deux sions telles que “cf”, “voir”, “par exemple” nœuds de l’hypertexte mais un nœud à une etc... feuille de commentaires (d’où l’acronyme “CS” Ces liens que l’on pourrait qualifier de struc- signifiant “Commentaires simples”) ce qui lève turels du fait qu’ils sont directement issus de partiellement les limitations dues au fait que le l’organisation logique des textes linéaires peu- nombre de nœuds soit fixe dans notre système. vent être identifiés et générés automatiquement Il est naturellement possible d’ajouter diffé- par un compilateur. rents types de liens à une même ancre. C’est A ces liens objectifs s’opposent des liens sub- pourquoi, nous avons dû introduire une nouvel- jectifs [23], liens de référence créés par les utili- le signalétique permettant de donner des infor- sateurs qui enrichissent la connectivité initiale mations sur les différents liens présents sur une de l’hypertexte. Cette catégorie de liens person- ancre. L’exemple suivant illustre le cas d’une de nalisés est capitale pour les hypertextes puis- ces ancres à liens multiples: qu’elle donne la possibilité d’ajouter a posteriori Ancre (Lc) (Cs) (Ld) ❑ des liens transformant, d’une certaine façon, - Trois liens sont associés à l’ancre, à savoir, res- chaque lecteur en auteur potentiel. L’utilisateur pectivement un lien commenté, un lien à a ainsi l’opportunité de structurer concrètement commentaires simples et un lien direct, ses acquis et de construire son propre savoir. En - Les deux derniers liens ne lui appartiennent effet, au fil du temps, l’utilisateur en interagis- pas du fait qu’ils sont en italique, sant avec l’hypertexte acquiert une connaissance - La signature de tous ces liens ainsi que leurs du domaine qu’il explore [8]. L’hypertexte informations complémentaires sont acces- devient alors pour lui, dépositaire d’un savoir- sibles par l’activation du symbole ❑.

100 Sur la figure suivante qui récapitule l’ensemble ∈ U, l’existence d’un lien hypertexte entre les des liens définis dans “Nestor”, on constate que nœuds i et j. des droits (les mêmes que sous UNIX) existent On supposera pour la suite que l’on a une sur les liens personnalisés. Ainsi, un lien peut matrice d’adjacence MH associée à H et que les être réservé à l’usage propre de son créateur nœuds sont numérotés de 1 à N. (privé), ou mis à la disposition de l’ensemble des utilisateurs y compris ceux qui ne font pas par- Ce qui donne, pour notre exemple : tie du CNET (public), ou bien encore, réservé à X = {1=Sommaire doc1, 2=Sommaire doc2, tous les membres du groupe dont fait partie son 3=Chap.1, 4=Chap.2, 5=Chap.A, créateur (groupe). 6=Chap.B, 7=Chap.C}

On associe à chaque arc u ∈ U un nombre nbl(u), appelé “longueur de l’arc u”, tel que nbl(u) ∈ N et représente dans H, si u=(i,j), le nombre de liens hypertextes unissant i et j (on dit que H est valué par les longueurs nbl(u)). Graphiquement, une flèche sans valeur signifie que la longueur de l’arc ainsi représentée est égale à 1.

Pour notre exemple : nbl (MH(3,4)) = 2 dans la mesure où l’on Figure 3: Typologie des liens dans “Nestor” trouve pour le chapitre 1 du document 1 un lien successeur et un lien de référence vers le D’un point de vue pratique, on notera égale- chapitre 2. On donne dans la figure 4 le ment que: graphe hypertexte obtenu à partir deux - Toute valeur ajoutée aux documents est systé- documents de la figure 2 (on suppose qu’il matiquement assortie d’une signature com- n’i a pas encore eu de création de liens per- prenant la date de modification, ainsi que le sonnalisés). nom et l’adresse électronique de l’auteur. - L’approche égalitaire qui consiste à dire que tous les utilisateurs ont accès aux opérations permet- tant d’enrichir les documents n’est vérifiée que pour les membres du CNET, d’où la nécessité de stocker les mots de passe permettant de les reconnaître. En utilisant “Nestor” avec la valeur “anonyme” pour mot de passe, un utilisateur extérieur à la communauté du CNET pourra néanmoins consulter les recommandations et l’ensemble des ajouts ayant été déclarés publics. Figure 4: Graphe obtenu à partir des documents de la Formalisation figure 2

“Nestor” est défini par un graphe orienté L’implantation sur machine de “Nestor” utilise H=[X,U] déterminé par : Matisse4 une base de données orientée objets pour - Un ensemble X dont les éléments sont appelés tout ce qui concerne le stockage des informations, des nœuds où X = S∪ C, S et C représentant et Python5, un langage de scripts également orien- respectivement les sommaires et les chapitres té objets pour toute la partie programmation. (et annexes) des documents dits de références. L’utilisation de “Nestor” ne nécessite qu’un outil - Un ensemble U d’arcs représentant, si u=(i,j) standard de navigation sur le web.

101 Liens implicites et connexionnisme Neurones formels et connexions On couple chaque graphe hypertexte MH de Outre les liens canoniques (liens d’origine de l’hy- “Nestor” avec un réseau de neurones formels pertexte imposés par la structure des documents), RN en faisant correspondre pour chaque nœud que l’on peut qualifier d’explicites en ce sens qu’ils de MH un neurone de RN. De plus, on y asso- sont “visibles” et exprimables, et les liens personna- cie une matrice LI telle que dans le cadre de lisés, on soupçonne l’existence de liens implicites notre étude LI(i,j)=1 représente un lien virtuel susceptibles d’être pertinents. Ce sont des liens potentiellement pertinent et LI(i,j)=0 un lien informels à la fois tissés par le vécu et porteurs d’un virtuel non pertinent (“lien absurde”). Pour savoir-faire pratique difficilement formalisable. identifier ces liens non opportuns, quatre La découverte de ces liens ne peut être pure- contraintes sont appliquées sur LI: ment logique du fait de l’absence de règles justi- - Contrainte d’hypothèse: suppression (c’est-à- fiant les associations d’idées des utilisateurs. On dire LI(i,j)=0) des liens explicites dans la propose de mettre en exergue ces liens implicites mesure où, par hypothèse, on ne s’intéresse par une approche connexionniste basée sur le qu’aux liens implicites susceptibles d’être per- modèle de Hopfield. tinents dans MH. On a donc MH(i,j)=1 fi LI(i,j)=0 (marquée Ch dans la matrice LI ci- Modèle de Hopfield dessous représentant notre exemple). Le réseau de Hopfield [24][25] est sans doute le - Contrainte sémantique: suppression des liens réseau de neurones le mieux connu sur le plan LI(i,i) ou encore des liens ayant un même théorique. Typique d’un réseau totalement nœud comme origine et comme destination connecté, il est surtout utilisé en tant que mémoi- (marquée Cs dans la matrice). re associative [26]: une forme mémorisée est - Contrainte de définition: suppression des liens retrouvée par une stabilisation du réseau, s’il a été LI(i,j) avec i Œ S, j Œ C et j qui n’est pas un stimulé par une partie adéquate de cette forme. chapitre de i (marquée Cd dans la matrice). Chaque neurone formel a deux états possibles On considère que la vocation et la définition [27]: Vi=0 (état inactif) et Vi=1 (état actif). Le d’un sommaire est de référencer exclusivement réseau est composé de N neurones, tous inter- ses propres chapitres et annexes. connectés. La connexion (et son coefficient asso- - Contrainte d’accessibilité: suppression des liens cié appelé poids) d’un neurone i à un neurone j de nœuds qui ne peuvent pas être associés marque l’influence possible (et son intensité) du dans une navigation (dans notre exemple, ce neurone i sur le neurone j. cas de figure n’existe pas). Chaque neurone formel transforme l’en- Le tableau suivant répertorie les liens supprimés semble des activités qu’il reçoit en un signal de par les contraintes énoncées ci-dessus. Seules les sortie qui est communiqué aux autres neurones. cases marquées d’un 1 représentent encore des La transformation s’effectue en deux étapes. liens implicites potentiellement intéressants: D’abord, le neurone multiplie chaque signal d’entrée par le poids de la connexion corres- 4. Matisse (Multimedia pondante puis ajoute toutes Advanced Technology for Information Systems ces entrées pondérées afin Semantic Engineering) est d’obtenir une stimulation une marque déposée par la totale (ou activation). Ensuite, société ADB (Advanced à l’aide d’une fonction de Data Base) 5. Python a été créé par transfert, il calcule son activité. A ce stade, nous pouvons représenter la typo- Guido Van Rossum au Le principe de l’apprentissage consiste à modi- logie complète des liens utilisés au sein de CWI (Centrum voor fier les paramètres du réseau (poids des “Nestor” de la manière suivante: Wiskunde en Informatica) d’Amsterdam connexions) suivant une règle définie à partir du On a vu que l’utilisateur, dans sa recherche (http://www.python.org/ jeu d’apprentissage caractéristique du processus hypertextuelle, mettait en relation en les agré- pour plus d’informations). à modéliser. geant un certain nombre d’îlots d’informations

102 l’autre, autrement dit, cette règle consiste à aug- menter le poids d’une connexion entre deux neurones chaque fois qu’il sont actifs simultané- ment. La règle d’apprentissage utilisée dans RN (cf. figure 6) est une variante de celle de Hebb dans la mesure où elle affaiblit certaines connexions.

Figure 5: Typologie des liens dans “Nestor”

(principe de contextualisation). Les formes à Figure 7: apprendre (appelées prototypes) pour RN sont Règle d’apprentissage dans “Nestor” (ª règle de Hebb) données par les cycles d’exploration. A chaque nœud de MH “visité” (c’est-à-dire consulté) lors Il nous faut maintenant déterminer la valeur d’une navigation le neurone associé de RN est (ou intensité) à incrémenter dans le cas d’une activé: Nœud i Œ Navigation fi Vi=1 (0 sinon). connexion à renforcer ou à décrémenter dans Pour illustrer cette correspondance, on donne celui d’une connexion à affaiblir. Ces valeurs dans la figure 6 l’exemple de la navigation sui- sont définies dans une matrice IA (matrice des vante: N={1,4,1,4,2,5}. intensités de l’apprentissage) telle que:

LI(i,j) = 0 ➩ IA(i,j) = 0 et LI(i,j) = 1 ➩ IA(i,j) = D

D est fonction de la “proximité” de i et de j mais aussi de la “difficulté” à les associer dans une navigation. En effet, on augmentera d’au- tant plus le poids de la connexion de deux neu- Figure 6: Exemple de navigation rones qu’il aura été difficile de mettre en relation dans le même cycle d’exploration les deux nœuds correspondants du graphe hypertexte (récom- Règle d’apprentissage pense proportionnelle à l’effort consenti). Après avoir vu le sens des unités du réseau (un Il est possible, dans la théorie des graphes, neurone formel = un nœud du graphe hypertex- d’appréhender plus formellement les notions te), l’architecture des connexions et l’échantillon floues et intuitives de “proximité” et de “diffi- d’apprentissage (dans notre cas, cycle d’explora- culté” par celles de plus court chemin entre deux tion), il nous reste à définir, pour être complets, nœuds et de probabilité d’accessibilité. Soit l’apprentissage, c’est-à-dire la dynamique du PCC(i,j) l’ensemble des plus courts chemins réseau qui va consister à modifier le poids des entre les nœuds i et j. On définit IA(i,j) comme connexions de RN. étant la probabilité, partant du nœud i, d’accé- Dans notre cas où l’utilisateur dans un cycle der au nœud j par le(s) plus court(s) chemin(s): d’exploration associe des nœuds selon ses IA(i,j) = ∑ Prob(c) avec c ∈ PPC(i,j). besoins, le poids RN(i,j) exprime le degré de col- Dans le cas du renforcement d’une connexion, laboration (ou relation de dépendance) entre les on ajoute au poids de celle-ci le complémentaire nœuds i et j et obéit à la règle de Hebb [28]. à 1 de cette probabilité, à savoir, 1 - IA(i,j). Dans Cette dernière peut s’énoncer de la façon sui- “Nestor”, un neurone formel est actif lorsque son vante: deux neurones qui sont activés en même activation est strictement supérieure à zéro. temps, vont finir par être associés, de sorte que Ayant à notre disposition les matrices RN (le l’entrée en activité de l’un facilitera celle de Réseau de Neurones formels), LI (les Liens

103 Implicites, c’est-à-dire les connexions à sur- encore victimes du “virus du zapping”, inoculé veiller et traiter dans RN) et IA (les Intensités de d’une certaine façon par la rapidité et la simpli- l’Apprentissage), on peut maintenant donner cité d’emploi des systèmes hypertextes. l’algorithme d’apprentissage utilisé au sein de Néanmoins, on peut penser que, dans notre cas, “Nestor”: ce principe reste en grande partie valide du simple fait que l’utilisateur de “Nestor” est un “spécifieur” dont la première des motiva- tions est avant tout profession- nelle, technique et pragma- tique. Une solution envisageable aurait été de faire valider par l’utilisateur ses cycles d’explo- ration obéissant au critère d’in- tentionnalité contenu dans le Quand, au cours de sa navigation, l’utilisateur principe de contextualisation. Cette procédure a demande à “Nestor” de lui suggérer des liens été abandonnée car contraignante pour l’utilisa- autres que ceux qu’il a actuellement à sa disposi- teur et susceptible de fausser la spontanéité de tion, le nœud courant activé est présenté au ses navigations. Plutôt que de mettre en place un réseau RN. Puis on itère jusqu’à stabilisation du mécanisme lourd, astreignant l’utilisateur à réseau pour soumettre à l’utilisateur les liens décrire ce qu’il fait, nous avons préféré suivre implicites potentiellement pertinents, autre- l’idée selon laquelle “Faire, c’est décrire”. De ment dit, l’ensemble des nœuds i tels que: plus, comme nous l’avons déjà signalé, les asso- LI(nœud courant, i)=1 et Vi=1. ciations d’idées d’un utilisateur ne sont pas tou- D’un point de vue strictement pratique, lors- jours facilement justifiables. qu’un utilisateur “arrive” sur le nœud destination Il est utile de remarquer que l’on démarre avec après avoir sélectionné un lien implicite suggéré un ensemble de connexions toutes nulles par le système, il a la possibilité s’il le désire, de le (RN(i,j)=0, hypothèse de la table rase). Chaque valider en tant que lien personnalisé en entrant une utilisateur ayant besoin d’une phase de familia- ancre (représentation du lien, habituellement un risation avec le graphe hypertexte avant d’y cir- mot ou groupe de mots en surbrillance) dans un culer efficacement, il semble judicieux de pro- masque de saisie. L’ancre est suivie d’une annota- longer cette initialisation à zéro quelque temps tion jouant le double emploi de justification et de avant de commencer l’apprentissage. Un sémantique du lien en question. On notera que, nombre de navigations à effectuer ou mieux un pour aider l’utilisateur à formuler cette annotation, nombre de nœuds à visiter constituent un seuil “Nestor” présente l’ensemble des mots-clés associés au delà duquel l’apprentissage peut alors avanta- au nœud courant et au nœud de destination. geusement s’engager. Deuxièmement, l’apprentissage au sein de Conclusions et perspectives “Nestor” s’opère par l’assimilation des navigations effectuées à des configurations d’un réseau de L’approche connexionniste que nous venons neurones formels. Dans cette correspondance, de présenter autant que les hypothèses qui la disparaît une information qui est la fréquence (ou sous-tendent sont discutables voire contestables nombre d’occurrences) des nœuds visités. Cette sur plusieurs points. information perdue est-elle utile à l’apprentissa- Premièrement, l’hypothèse du principe de ge? Si oui, comment la prendre en compte? contextualisation est, dans l’absolu, quelque peu Deux axes de recherches orthogonaux seraient forte pour ne pas dire optimiste, dans la mesure également intéressants à développer (cf. figure 7): où les navigations au sein d’un hypertexte peu- - Parvenir à une “réelle” adaptativité en injec- vent être, entre autres, alambiquées par goût ou tant directement dans le graphe hypertexte

104 d’origine les liens personnalisés pouvant être d’observation moins bonnes que celles ren- des invariants pour l’ensemble des utilisateurs. contrées dans “Nestor”. Ainsi, à la version Ainsi, l’hypertexte étant à la fois cause et résul- “Big Brother ” dans laquelle on connaît à la tat des navigations effectuées, obtiendrait-on fois le graphe hypertexte et les déplacements une imprégnation féconde et réciproque de de chaque utilisateur, pourrait s’opposer une chacun des protagonistes du couple version plus “dégradée” dans laquelle seules les Hypertexte/Utilisateur (notion de symbiose). navigations seraient connues. Cette méthode A cette problématique se greffe assez naturel- pourrait alors s’appliquer avec profit dans les lement une double question: Quels sont les situations suivantes: (i) par définition les critères qui légitiment ce passage de l’indivi- hypertextes dont on ne connaît pas a priori la duel au collectif ? Quel est le statut de ces liens structure (cf le Web), (ii) les hypertextes dont implicites communs à tous? le nombre élevé de noeuds interdirait l’ap- - Concevoir une méthode qui aurait le même proche connexionniste utilisée dans “Nestor”, objectif, c’est à dire, trouver des liens impli- (iii) les hypertextes à forte géométrie variable cites pertinents, mais avec des conditions (ajout et suppression fréquents de noeuds).

Figure 8: Les deux axes de recherche du projet Nestor

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106 Union of International Associations - Virtual Organization Paul Otlet’s 100-year hypertext conundrum? by Anthony Judge*

Introduction understood as a deliberate effort to create, with- in the frameworks of the time, what is now his document points to the existence of a understood to be a “virtual organization” — in number of other documents, available on the absence of the technology that currently T the web [see references] or in this issue of makes this possible? Transnational Associations, concerning the Of course, as it was formally created, the UIA “secret history” of hypertext — the basis for indeed appeared to be the first effort to coordi- what is now the World Wide Web. It appears nate the actions of the existing international from these recent studies by historians of infor- organizations of the nascent “international com- mation science that the official history of hyper- munity” — as an “umbrella organization”. text has yet to come to terms with the work of a Although perhaps the only strategically viable precursor, Paul Otlet. However even these stud- approach at the time, with hindsight this may be ies, which focus on Otlet’s vast bibliographic seen to have been unnecessarily and dysfunc- enterprises and his Universal Decimal tionally focused on the more explicit, literal and Classification, fail to recognize a possible further tangible aspects of: twist to the story. •“union”: resulting in an excessive concern Otlet was indeed co-founder (with Nobel with contractual bonds and coordination Prize laureate Henri La Fontaine) in 1895 of the through operational norms — which history International Office of Bibliography — whose has demonstrated to be essentially ineffectual work gave rise to current interest in Otlet’s or unsustainable amongst autonomous bodies prophetic role in framing insight into the possi- (at least with current understandings of what bilities of hypertext. In 1938, the Office had is meant by such cross-sectoral integration). become the recently-defunct International This focus obscured the subtleties of the chal- Federation for Documentation (FID), but lenge of creating unifying frameworks at the much of the documentation collected by Otlet conceptual level which are still a concern in was held by another institution, the the elaboration of global plans, strategies and Mundaneum. ethical frameworks; What historians have not recognized, in this •“international”: resulting in an excessive con- context, is that Otlet and La Fontaine co-found- cern with geo-political boundaries. This focus ed another body in 1910, namely the Union of displaced attention from the more general International Associations (UIA). Based in issues of creating conceptual bridges across Brussels, this has been a continuing source of any form of boundary, as subsequently given international reference materials on “interna- form in the Universal Declaration of Human tional associations”, notably over the past 50- Rights as well as in increasing concern with years since the deaths of its founders. The ques- interdisciplinarity and transdisciplinarity; tion is whether this initiative of the founders •“associations”: resulting in a focus on organi- was totally dissociated from that on which zations of people and other bodies. This hypertext historians have only recently focused. obscured the other forms of conceptual associ- ations and linkages. Some are basic to the sci- *Director of Constraints of the past ence of bibliographical classification of which Communications and Otlet was an acknowledged expert — and Research, Union of From a hypertext perspective, it is difficult to which are a major justification for recognizing International Associations. avoid asking the question whether a “Union of his role in relation to hypertext. This paper is entirely the responsibility of the auther International Associations” was not in some It is curious also that Paul Otlet, in another and should in no way be measure created to exemplify in organizational little-known exercise in synthesis (Monde: essaie considered as reflecting the practice — through an enigma à la Umberto d’universalisme — connaissance du monde; senti- views of the organization. Eco — how semantic “associations” across con- ment du monde; action organisée et plan du Transnational Associations ceptual boundaries could be formed into a monde, Brussels, Editions du Mundaneum, 1-2/2003, 107-111 “union”. To what degree should the UIA then be 1935), effectively framed the UIA’s much later

107 initiative in 1972 to undertake an Encyclopedia terdépendance de ses parties, quelle devrait être of World Problems and Human Potential in asso- l’institution, l’instrumentation scientifique ciation with Mankind 2000. The book Monde propre aux besoins et aux possibilités de notre opens with a preface on Le Problème des temps? Un temps qui se distingue par le depas- Problèmes and closes with one of the earliest sement du stade national et spécial et l’avène- explorations of the methodology and organiza- ment de la vie universelle et mondiale — un ins- tion of world sociological futures studies — the trument qui tende à faciliter l’oeuvre de la subsequent raison d’être of Mankind 2000. “mondialisation”. La réponse est une institution Otlet’s Monde goes far beyond the technicali- d’un type nouveau, dit le Mundaneum...” (p. ties of his Traité de documentation (1934) on 447) which information science historians have Otlet describes there ( p. 456-7) the ways in focused. It is essentially a treatise on synthesis — which the Union of International Associations prefiguring work on the nature of transdiscipli- had prefigured and taken the initial steps to narity. His concluding prophetic description of bring about such an institution with consider- a Universal Documentation Network, on which able assistance from the Belgian government hypertext historians have focused, is as follows: from 1920 — suddenly withdrawn in 1934.

French (original) - 1934 - English (translation)

“L’homme n’aurait plus besoin de documenta- Man would no longer need documentation if tion s’il était assimilé à un être devenu omni- he were assimilated into an omniscient being - scient, à la manière de Dieu même. A un degré as with God himself. But to a less ultimate moins ultime serait créée une instrumentation degree, a technology will be created acting at a agissant à distance qui combinerait à la fois la distance and combining radio, X-rays, cinema radio, les rayons Röntgen, le cinéma et la pho- and microscopic photography. Everything in tographie microscopique. Toutes les choses de the universe, and everything of man, would be l’univers, et toutes celles de l’homme seraient registered at a distance as it was produced. In enregistrées à distance à mesure qu’elles se pro- this way a moving image of the world will be duiraient. Ainsi serait établie l’image mouvante established, a true mirror of his memory. From du monde, sa mémoire, son véritable double. a distance, everyone will be able to read text, Chacun à distance pourrait lire le passage enlarged and limited to the desired subject, lequel, agrandi et limité au sujet desiré, vien- projected on an individual screen. In this way, drait se projeter sur l’écran individuel. Ainsi, everyone from his armchair will be able to con- chacun dans son fauteuil pourrait contempler template creation, as a whole or in certain of its la création, en son entier ou en certaines de ses parts. (Monde, pp. 390-391) parties.” (Monde, pp. 390-391)

Otlet, as one of the first internationalists, fol- Although intricately interrelated to that point, lowed his detailed appendix on futures method- the Mundaneum and the UIA went their quite ology with one on a detailed World Plan (in separate ways thereafter — barely surviving the relation to the work of the League of Nations), war. and another on a World Constitution. These To what extent did such overly explicit were followed by a fourth laying out in detail visions, anchored in tangible documents, per- the framework of a new type of organization form a historical function as carrier for an which would be simultaneously concept, insti- implicit vision that framed and prefigured fur- tution, method, manifestation, edifice and net- ther developments — but which their preoccu- work: pations with hardcopy and institutions (and “Pour considérer le monde dans son total, buildings to house them) effectively obscured pour l’envisager dans son ampleur et dans l’in- for many?

108 Pressures of the present •“associations”: perhaps most ironic, the last 50-years have seen an ever-increasing invest- A further irony to this hypertext story is that ment by the UIA in explicit logical and func- — in the best tradition of such historical riddles tional links between organizations, between — the hidden facets of this “secret” were seem- their profiled problems and/or strategies, ingly never revealed to those who worked at the between their values, and between under- UIA, over the many decades since its creation, or standings of human development. These are by those who developed its strategic objectives thus woven together in complex networks after Otlet’s death. The secret was effectively These tendencies have come to fruition with- embodied in the name of the UIA (see another in the World Wide Web since much of its doc- exploration of this at http://www.uia.org/ umentation (in electronic form since the uia/namemean.php) and in its statutory objec- 1970s), was already effectively organized as tives — that have remained fundamentally hypertext with a common meta-data structure. unchanged since its creation. Of course, in the The multitude of explicit associative links spirit of Umberto Eco again, one might choose became immediately “clickable” when its data- to speculate on the possibility that the secret was bases were converted for web access from 1996 passed on within the UIA in some special way. (see http://www.uia.org/data.htm). These now The irony is however greater still in that in order total some 500,000 documents and a greater to sustain its continuing role in the emerging number of hyperlinks. The UIA has modeled information society — as a source of internation- Otlet’s vision in practice. al reference information on “international associa- The UIA’s Encyclopedia databases (problems, tions” and their preoccupations — the UIA has strategies) are now accessible over the web been progressively obliged to innovate and adapt (http://www.uia.org/data.htm) after recently in such a way as to exemplify the “hidden” less being further augmented under a contract with tangible dimensions concealed by the enigma. the European Commission. Consistent with This shift in awareness is indicated by the title of Otlet’s vision, they are interlinked by hyperlinks a pre-hypertext paper by a UIA staff member in with the databases on which the UIA has 1977 on Knowledge Representation in a Computer- focused from its origin (organizations, biogra- supported Environment (http://www.laetusinprae- phies, bibliographies, meetings). sens.org/docs/knowrep.php). It might be said that to survive the UIA had to increase the consonance Clues for the future of its actions with the coherence of the implicit virtual dimensions that empowered it — all For the UIA of the present, facing a challenging unknowingly of course ! Thus, with respect to: future in a turbulent knowledge-based society, it •“union”: there have been increasing pressures might be asked how these clues now suggest that on the UIA to find new ways to exemplify, an implicit virtual organization might emerge from through knowledge management, the integri- the closet of explictness in which it has been so ty of the whole range of human activity respectably entrapped over the years. Is it indeed expressed through “international associations” the case that the explicit focus of the UIA should (which remains its mandate) — to render it be understood as the tip of an implicit semantic comprehensible as a whole, notably in a way iceberg for which a suitable form of expression is that is relevant to the increasing concerns of yet to be found — most probably through the global governance; web? If semantic “virtuality” is indeed embedded •“international”: in addition to the UIA’s long- embryonically in a 100-year form, how is it to be standing sensitivity to bridging differences revealed through the statutory and other forms by that are basic to human rights, there have been which its actions have been governed over the increasing requirements for sensitivity across intervening years? This would make for an inter- the conceptual boundaries of ideologies, disci- esting theme in psycho-social science fiction ! plines and methodologies, as well as those Reviewing once again the keyword clues of the across cultures and forms of knowledge; UIA’s title:

109 •“union”: What integrative dimensions need to mal structures, permanence, etc that character- be introduced into the global organization of ized “associations” of the past. The “associations” knowledge to make that integration compre- may even include the aesthetic, involving other hensible and of significance to a future chal- senses (including sound, taste, touch and smell) lenged by global incoherence and conceptual as Otlet’s multi-media vision anticipated. But fragmentation? Such integration would seek what might be the nature of the services to be to articulate and respond to the challenges of developed — based on the linkages between global governance. It would seek to move associated entities, rather than on the entities beyond checklists of resources currently typi- themselves (which others can more readily pro- cal of the web environment. The UIA’s multi- file)? How do the UIA’s existing skills in hyper- media experiments (under a EU contract) text editing offer clues to these possibilities? with visualization and sound are an embryon- Is an organization only what its statutes say it ic indication of the possibilities. What kinds is in a strictly legal context, or is it the pattern of of services could be developed to respond to associations it assiduously cultivates that the increasingly articulated need for some embody the insights in which it has invested — form of coherent, global organization of a pattern that connects? knowledge? What new frameworks for Is the UIA, as it is now understood to be, “union” might be required in the light of effectively a metaphor of what its founders advances in mathematics and other disciplines intended it to be — a virtual organization in a since a century ago? How are these integrative knowledge society? approaches to conceptual complexity to be What did Paul Otlet mean by “union”? In the integrated into a hypertext environment and conclusion to Monde he states: facilitated by it? “L’Unité: Non pas à la manière qui broie la • “international”: The “nations” of the future pierre et en fait du sable, à la manière chimique will be more closely associated with conceptual, qui décompose chacun des corps et tend à les cultural and semantic landscapes than they are réduire à un même élément; mais l’unité à la with the geo-political territories that continue manière de la musique. Dans les masses vocales to be the most tangible focus of attention. It is et instrumentales, chaque voix, chaque instru- on these new territories that the dynamics of ment demeure soi, s’associe en famille de voix et identity and “national sovereignty” will be d’instruments et se produit tour à tour en soli ou played out yet again. There is already an explo- en tutti, affirme et développe les “soi”, les sive growth in single sector sources of informa- familles, l’unité, les associations, les nations, tion. The UIA is already recognized as being mais les rassemble aussi en humanité, et par delà uniquely positioned to focus on knowledge en univers.” (p. 403) ecology — given its long-track record of Anticipating current hyertext visualization involvement with trans-disciplinarity. What efforts at the UIA, Otlet closed a commentary form might trans-sectoral and trans-boundary on the requirements of any suitable notation services take in the future?. towards this end, with the remark: • “associations”: Clearly the UIA already has a “On pourrait ainsi, schématiquement, repré- fundamental, if implicit, commitment to “asso- senter le total du monde donnant une vue ciations” in a broader cognitive sense — rather approximative concrète des éléments en présen- than solely to those of a conventional organiza- ce. On pourrait aussi, schématiquement, repré- tional form. With the development of the web, senter le total du monde par une sphère dont les many conventional understandings of “associa- divers grands cercles, divisés en segments, se rap- tion” have been challenged by new ways in procherairent aux diverse catégories d’éléments which people organize themselves: networks, vir- et à leurs subdivisions, cercles et segments étant tual organizations, movements, belief systems, supposés projetés en un point central et s’y peer groups, internet usenet groups, and the like. entrecouper pour figurer l’ensemble de leurs These are increasingly, and often deliberately, rapports réciproques.” (p. xxv) distant from the constraints of legal status, for- 28 May 2001

110 References: Views of historians on Paul Otlet The papers presented below, with abstracts (http://curry.edschool.virginia.edu/aace/conf/ and/or extracts, point to further ways to explore webnet/html/203.htm). This paper is espe- this enigma as it relates to the further develop- cially valuable in that it draws attention to ment of a dream of virtual organization embod- Otlet’s focus on seven operations basic to the ied in the social process nearly a century ago: virtual organization of hypertext. • W Boyd Rayward: Visions of Xanadu: Paul • Morgan Alan Holt: A Brief History of Otlet (1868-1944) and Hypertext. Journal of Hypertext (http://students.washington.edu/ the American Society for Information Science. ~canth/hypertext.html) This short paper is v45 (4) (May 1994). (http://alexia.lis.uiuc. valuable in the way it contrasts the overt and edu/gslis/people/faculty/fac_papers/rayward/r secret histories of hypertext. ayward3.html) This paper of 1994 seems to • Guy Teasdale. L’hypertexte: historique et have triggered the recent exploration of Otlet’s applications en bibliothéconomie. Cursus role in relation to hypertext. Rayward’s thesis vol.1 no 1 (octobre 1995) (http://home. is entitled: The Universe of Information: the worldnet.fr/~patrocle/homepage15.html) work of Paul Otlet for documentation and • Jean-Max.Noyer et Alexandre.Serres. De Paul international organization. Moscow, VINITI, Otlet à l’Internet en passant par hypertexte. 1975 (for the International Federation for (http://www.uhb.fr/urfist/SerreDEF.htm ) Documentation, FID #520) • Jean-Luc Guérin et Yannick Marchand. • Yannick Marchand, Jean-Luc Guérin, Jean- De’l’hypertexte à l’expertxte ou du savoir au Paul Barthès: From a Set of Technical savoir-faire. Assocations Transnationales, 2003, Documents to a Hypertext System on the Web

111 Document Raymond Rodgers’ Man in the Telesphere by Ted Gemberling*

aymond Spencer Rodgers’ 1971 book Man Science from Columbia and taught in the in the Telesphereforesaw a number of ele- 1960’s at a couple of universities in the southern R ments of the World Wide Web as it has United States. While teaching in Louisiana, he developed over the last thirty years. Looking at became very prominent in a movement for the the social, intellectual and technological scene of revival of Cajun culture, a culture with French, his time, he foresaw the development of a Canadian, and American connections. This worldwide electronic communication network contributed to one of his most central themes, and its potential decentralizing tendencies. In the proper place of minorities in relation to spite of its relative primitiveness, he saw that the “majority” cultures. The Cajuns form a computer technology of his time provided the Francophone minority in the US and are related potential for a new way for humans to interact. to a Francophone minority in Canada (the Rodgers may have been the first to call this net- Acadians). Rodgers’ political research focused a work a “Web.” Unfortunately, the book did not great deal on the question of how to balance the have the influence it deserved at the time, prob- diversity of human cultures with the need for ably because it focused on the social, not tech- greater world unity and integration in the age of nological, aspects of computing. Man in the the Cold War. From his youth he saw the poten- Telesphere is really a work of philosophy as well tial of computers, foreseeing as early as 1951 as sociology and futurism, since it discusses the that computers would “shrink, and link, and ethical issues in human communication. In par- help us think” (in letters to Popular Science and ticular, the book has a great deal to say about Popular Mechanics). On the one hand, they nationalism. would create new forms of connection between *Wichita State University. people and ideas; on the other, they might allow E-mail: Here is how Rodgers describes his for a decentralization that would allow minori- Ted.Gemberling@wichi- work’s uniqueness: ties and individuals the autonomy needed for ta.edu full self-realization. Rodgers saw nationalism This paper is reprinted from the text appearing at Rodgers in the Fifties and Sixties had and internationalism as complementary: it was the URL: absolutely no awareness of Bush, Englebart, only after self-realization that people could http://libweb.ablah.twsu.e Kleinrock, Licklider, Nelson, Taylor, Tomlinson move on to wider forms of integration. In a du/ ~tgemberl/telesphere.html. et al. Although these and other persons were sit- series of appendices to the book, he concentrates Last update: Thursday, uated in high-tech environments, and Rodgers on Canada’s need to find a unique identity, dis- January 01, 1970 not so positioned, he nevertheless was more pre- tinct from the United States. At the time he 1. Vancouver now has an cise and predictive than they were with respect wrote Man in the Telesphere, he appears to have international university, “University Worldwide”, to some of the now-realized concepts in this pre- identified with Canada more than the US. He conceived as INGO - sent text - and likely as to the epochal paradigm- has lived in the Vancouver,1 British Columbia, international NGO – shift vision alluded to in Telesphere...Marshall area (including a time across the border at Point which in that context is the world’s first coopera- McLuhan had not the slightest perception that Roberts, Washington) since 1970. tively-structured (consor- an internet was impending, and wrote about The book was never published, circulating in tium) centralizing mass media in a resulting global vil- photocopies at some universities and “think INGO university. Other lage...And no, Vannevar Bush’s memex micro- tanks.” The original text has been reproduced on seeming INGO universi- ties (Oklahoma City U, fiches were not linked in an on-line network; the Web, the only change being a few places where Chadwick U, etc) operate etc. Telesphere in 1971 specifically predicted an items that were particularly prophetic, such as use on the branches or fran- “electronic web,” describing what we now have of the word “web,” are put in boldface. chises model. We often early in the 21st Century - and probable conse- Michael Hauben’s History of ARPANET experience the facilitation problems discussed in my quences ahead (Telesphere “welcome” page). shows the “democratizing” trend of ARPANET, 1960 UIA book. See lower Born in 1935 in Britain, Rogers was adopted which was beginning to link computers through portion of during World War II by his American step- the telnet and ftp protocols right about the time http://www.vcn.bc.ca/wun icols/worldu.htm father. A short biographical sketch of 1997 says Rodgers composed his work. Hauben expresses that he has spent most of his lifetime in Canada particular surprise that an organization with Transnational Associations but identifies more with America than with strong military ties should help promote a new 1-2/2003, 112-114 Canada and Britain. He got a Ph.D in Political openness:

112 [The l]ate 1960’s was a time awash in popular information, but could choose with whom and protest for freedom of speech and demanding on what he wanted to communicate. The tele- more of a say of how the country is run. The phone system also provided the potential for an openness contained in trying to develop new interconnection of computers on a global basis. technologies fits well with the cry for more The airline reservation system, referenced above, democracy which students demanded through- provided an early model of some of the envi- out the country and the world. What is amazing sioned system’s qualities, minus its democratic is that the collaboration of the NWG (mostly openness. He also saw computers’ potential for graduate students) and ARPA (a component of translating signals from one medium to another the military), seems to be contrary to the normal (e.g., visual to electronic). atmosphere of the times...What is even more Rodgers doubted that a World Wide Web, for important is [that] the work of these computer which he coined the name “Telesphere,” could scientists founded what has led to the most be acceptable when he was writing. It would amazing and democratic body (i.e.: The Net and probably be seen as “communications colonial- the culture attached to it) to emerge in long ism,” given the current dominance of the time. The community that has developed and United States and other industrialized nations in the tools which accompany it form an impor- computer development and data banks (ibid.). tant democratic force (History, Part III). He thought this sort of political barrier was Apparently, a desire for greater openness and good since it allowed people time to find ways of participation was in the air in the late 60’s and making computers more “democratic.” Perhaps early 70’s. From their different angles, both the development of the desktop computer and Rodgers and the creators of ARPANET recog- silicon chip, both nonexistent in 1971, has nized that computers, often imaged as instru- made this possible. By reducing the dependence ments of Orwellian manipulation, could open of computer users all over the world on a limit- up new channels of communication and partic- ed number of central “data banks,” the desktop ipation. Rodgers: computer has made them more equal. It pro- A computerized system can be paternalistic, as vides both the multi-directionality of the tele- when a passenger-listing system is able to com- phone and the informational richness of the mununicate such details as the time for passen- television set. ger X to receive a special diet, and for passenger In the final chapter, Rodgers relates the Y to be met with a wheel-chair at journey’s end. Telesphere to the “Noosphere” envisioned by But we want more than paternalism; we want Pierre Teilhard de Chardin. Teilhard had said participation in the process of deciding what that mankind is “evolution becoming conscious sonic systems will do or not do, what they will of itself,” and Rodgers suggests that the poten- include or exclude. The democratization of sys- tial of the Telesphere should make us consider tem design is a major task facing us as more and new ways of living. For one thing, it should more computer systems spring up around us. reduce the need for censorship. In a passage rel- System design must become the concern of all, evant to current discussions among librarians, and not the exclusive domain of a priesthood. he says: (And the task of the priests is helped, not hin- The intervention and censorship of the state is dered, by participation; in that it gives a sense of readily understandable when a physical location responsibility to the participants)(Telesphere, draws a crowd which may turn violent, or is an section 1.1). establishment distributing intoxicants to Rodgers divined this potential from several minors. This type of intervention is less justifi- aspects of computers. First, he recognized that able where the participants are electronically, when linked up they could allow for a “multi- rather than physically present, and where par- channel, multi-directional communication sys- ents, for example, can directly control media tem” (ibid.). In this sense they were more like presentations received in the home. telephones than television sets: the computer In the context of the Cold War, Rodgers user did not have to be a passive receiver of thought the Telesphere gave hope for new forms

113 of world integration, reducing the threat of uing problems of overpopulation and threats to nuclear annihilation, while allowing for local our environment, Rodgers’ vision of world fed- and cultural autonomy. It might be possible for eralism may still offer a useful model for the the sorts of threats posed by the Cold War to be future; increasing freedom calls for a greater resolved and a more just world realized without sense of responsibility for our world. No one can stifling localized initiatives. He thought the foresee the future completely, but Rodgers’ book architecture of the Web might lead human rela- is striking in its prescience of late-twentieth-cen- tions in new directions, just as the physical lay- tury developments. out of the British House of Commons, WorldwideUniversity.edu is the domain of a originally designed for another use, had influ- worldwide consortium university in the making. enced British government practice. To see how Vancouver University - from its very Like Teilhard, he envisions a SuperMan who has beginning - has been transnational in perspec- achieved a higher level of self-consciousness and tive and membership, click here. ethics than we enjoy at present. He worries about Vancouver University Worldwide now has a potential of the Web, information overload: member colleges in Africa, the Americas, Asia Our problem is not so much the incapacity of Australasia, and Europe. These are not branch- a computerized communication system to trans- plants or franchises. The member colleges have mit and store the vast flood of messages moving equal status on the Board of the university’s col- in many directions in such a system. It is the rel- leges society (a registered charity in Canada and atively lesser ability of human beings to deal the USA - donations large and small welcomed). with them, whether they be invitations or orders, one at a time. Men must have time to Editor’s note think. Supermen (and survival itself requires we act as and become such) will need time to super- Vancouver University Worldwide is a globally- think. membered non-governmental organization. It is interesting to reflect that Rodgers’ Occasionally it therefore has the same funda- Telesphere has come into existence without all mental ‘foot-hold’ or ‘head-office base-location’ the ethical and political effects he hoped for. problem which can adversely affect various The Cold War has ended by the collapse of international NGOs, from time to time, as Communist power, not by a new world federal- detailed in the Raymond Spencer Rodgers 1960 ism and ethics. We have gained the ability to book, Facilitation Problems of International communicate over computers through seeming- Associations, published by the Union of ly limitless pathways on seemingly limitless sub- International Associations, Brussels. [And hav- jects. While the Internet has given us more free- ing something of a ‘foot-hold’ in cyberspace (the dom, it has not spawned a new ethics, at least “telesphere”) was discussed by Dr Rodgers in a not a widely accepted one. But with the contin- 1971 book].

114 Document Discours de Robert Fenaux adressé à la Fédération internationale de documentation à l’occasion de son 80e anniversaire

Monsieur le Président, simplement dans la compagnie des plus illustres C’est pour moi un rare plaisir du coeur et de inventeurs, fût-ce un Léonard de Vinci. l’esprit d’apporter le salut de l’Union des Aussi bien, vous n’hésitez pas - je vous cite - “à Associations Internationales à la Fédération nommer en même temps Jules Verne et, tout d’une Internationale de Documentation à l’occasion haleine, Paul Otlet et Henri La Fontaine, les fon- du 80ème anniversaire de ses origines. dateurs de l’Institut international de bibliographie Il y a des coïncidences heureuses. Ainsi, un en 1895”. Et vous ajoutez qu’à la différence de concours de circonstances, une identité de ces illustres inventeurs, Otlet et La Fontaine souche et d’idéal, apparente noblement votre “furent emportés si loin par leur enthousiasme, Fédération à notre Institut. L’un et l’autre, en qu’ils passèrent immédiatement à l’action - malgré effet, l’UAI et la FID, dans sa première incarna- le fait qu’il n’y avait pas d’ordinateur, pas de systè- tion l’IIB - l’Institut international de Biblio- me de classification, pas le moyen de copies sous graphie - nous sommes nés à Bruxelles, ce haut forme microscopique, ni bien d’autres facilités lieu d’associations et de congrès internationaux encore qui sont aujourd’hui à notre disposition. qui, dès l’autre siècle déjà, était à l’avant-garde C’était, dites-vous, comme si Léonard de Vinci de l’organisation internationale, publique et pri- avait voulu construire l’avion de 1950 avec le tech- vée, à Bruxelles, qui accueillit le premier congrès nique de 1500”. mondial des associations internationales dont Le rapprochement est peut-être aisé, il n’est notre Institut, l’UAI, allait être, en 1910, le pro- pas sacrilège. longement et l’établissement permanent. Mais surtout nous avons la même filiation, les - oOo - mêmes pères, ces juristes, ces sociologues, ces documentalistes, précurseurs du monde moder- A propos de Henri La Fontaine, le premier de ne, ces mondialistes de la première heure qui mes prédécesseurs, je dirai combien il a mérité la s’appelèrent, avec Auguste Beernaert, Prix Nobel couronne du Prix Nobel de la Paix dans l’esprit de la Paix 1909, Henri La Fontaine, Prix Nobel même de cette suprême distinction - alors au de la Paix en 1913, et Paul Otlet. La Fontaine et sommet de son prestige - qui a consacré, en plei- Otlet, deux jumeaux spirituels à qui vous avez ne action, une vie d’une rare densité et une eu la pieuse idée de rendre hommage en ce jour. oeuvre considérable, toute au service de la concorde universelle et d’une humanité dont il - oOo - pressentait les solidarités là où tant d’autres ne voyaient encore que les rapports de force. Nul n’est prophète en son pays, en sa maison, Paul Otlet, de 14 ans son cadet, à un an de sa cela demeure aussi vrai qu’aux temps bibliques. propre mort en 1944, a prononcé l’éloge On est tellement habitué, aujourd’hui, à la révo- funèbre de son frère de combat, un éloge réver- lution des télécommunications et de l’informa- sible qui aurait largement pu être le sien : “Une tion, on trouve si naturel la transmission instan- vie, une longue vie” disait Otlet, et quelle belle tanée dans le monde fini de Valéry, qu’on en vie celle de La Fontaine, qu’il résumait en oublie, quand on ne l’ignore pas, les pionniers quelques phrases à sa manière drue et contrastée. de l’oeuvre accomplie, ceux qui ont frayé le che- “En musique, Wagnérien à l’heure des luttes min de nos connaissances et de nos réalisations. intenses ; explorateur alpiniste alors que nos courses On chercherait en vain leurs noms dans les étaient encore en plaine; social quand se dessinaient 1. Dr Arntz - Président de manuels scolaires qui perpétuent parfois des à peine les formes qui allaient grandir ; pacifique, la Fédération gloires beaucoup plus minces. dans des temps qui ne connaissaient qu’ignorance et Internationale de Etrangement, il faut qu’un maître allemand de indifférence pour ces vitaux problèmes... Ami et col- Documentation. la Documentation, en votre personne M. le laborateur de l’enseignement. Avocat toujours, bien 1 Associations transnationales Président Arntz, viennent nous apprendre, hic qu’enclin aux choses des ingénieurs et des inventeurs ; 1-2/2003, 115-118 et nune, que le génie des pionnniers les met tout mais avocat pour aider et défendre les petits, plus que

115 pour attaquer et combattre les grands. A son heure, le plus tard, un Congrès international de la Paix. plus jeune parmi les Sénateurs, qui le retiennent On lui doit un manuel des lois de la Paix et un parmi eux jusqu’à ce qu’il soit devenu le plus âgé. Et, Code de l’arbitrage. On le trouve président du la Bibliographie, oui, notre Bibliographie - c’est tou- Bureau International de la Paix en 1907. jours Otlet qui parle - agrandie jusqu’à devenir la L’internationaliste a perpétué son souvenir dans Documentation, avec les oeuvres communes du notre Union des Associations Internationales, non Répertoire Bibliographique Universel, de la sans avoir été des premiers à proposer une foule Classification Décimale Universelle, de l’Union des d’institutions avec une imagination stupéfiante : Associations Internationales et du Palais Mondial, un institut pédagogique international, une école demain la Cité Mondiale”. mondiale, un office international du commerce, un office central d’émigration, un Bureau central - oOo - de statistiques, un Parlement international, une union arbitrale, une Cour internationale de Justice. Par un parallélisme étonnant du Destin, La Tout un semi d’idées qui ont poussé et fleuri Fontaine et Otlet commencèrent leur carrière, depuis. l’un et l’autre, comme stagiaires d’un grand En 1916, la World Peace Foundation de maître belge du Barreau, Edmond Picard, une Boston publie son ouvrage The Great solution, personnalité d’exception dont l’âme ardente et Magnissima Charta, où il développe ses idées qui généreuse a dû les marquer de son empreinte. annoncent la Société des Nations et Dis-moi qui t’a formé, je te dirai qui tu es. l’Organisation des Nations Unies, de concert Et c’est avec raison que, dans une notice bio- avec les oeuvres de Paul Otlet. graphique qui unit les deux hommes, M. Qui fera un jour le parcours intellectuel de ces Georges Lorphèvre, rédacteur en chef de la idées généreuses et la part revenant en propre à Revue de la Documentation, observait, en 1954, nos éminents fondateurs dans l’ascension d’un que c’est de sa contribution à l’édifice des ordre mondial aussi difficile que les exploits Pandectes et de sa collaboration avec Picard que alpins de La Fontaine; mais dont le sommet La Fontaine a gardé toute sa vie “le goût du tra- suprême est promis à la grande cordée des vail à des oeuvres encyclopédiques”. hommes de bonne volonté ? L’avocat publie dès 1891 des rapports sur les Associations d’avocats, sur la femme et le - oOo - Barreau et, au plan international, l’histoire documentaire des arbitrages internationaux ; Passant à Paul Otlet, je dirai que les gens de aussi, en 1907, un rapport sur la situation juri- ma génération, formés du temps de la S.D.N. à dique internationale au Congo. ce qu’on appelait alors l’esprit international, ont Le parlementaire, qui deviendra premier vice- gardé le souvenir ému d’un beau vieillard à la président du Sénat en 1930, préside le Conseil tête neigeuse dont les cours à l’Institut des de l’Union Interparlementaire en 1931 et ses Hautes Ecoles, alors rue de la Concorde, frémis- interventions sont remarquées à tous les saient d’idéal et ruisselaient d’érudition, mais Congrès de l’Union. surtout l’image affligeante d’un vieil homme Le documentaliste se confond avec Otlet dans brocardé par ses contemporains quand il leur la fondation de l’Office International de proposa son “Mundaneum” et qui, en désespoir Bibliographie et dans ses développements ulté- de local, installe un jour symboliquement sa rieurs. machine à écrire sur les marches du Palais du Le musicologue publie une traduction ryth- Cinquantenaire. Cette émouvante protestation mée de la Walkyrie et du Crépuscule des Dieux de souleva alors plus de quolibets que d’applaudis- Wagner. sements parce qu’un faux réalisme considérait de Le sociologue, des ouvrages sur le collectivis- bon sens l’idée nationale de la stricte défense de me, l’économie politique, l’enseignement social. frontières, avec des alliés si possible, et de non Le pacifiste fonde la Société belge pour l’arbi- sens l’idée transnationale de solidarité, d’interdé- trage et la Paix en 1889 et organise, cinq ans pendance, d’organisation mondiale.

116 Paul Otlet était la voix qui criait dans le désert ; programmes et des plans fragmentaires, au-delà est- peu de gens avaient lu ses ouvrages aux titres il possible que soit reconnue une unité essentielle suspects d’utopie, et aujourd’hui encore, on dans les choses ? Un effort de l’esprit ne doit-il être serait enclin à appliquer, à la méfiance, le mot de fait pour les embrasser toutes dans les artifices d’un Beaumarchais sur la calomnie : raillez, raillez, il système qui conduise ensuite à une coopération en reste toujours quelque chose. cohérente par un plan général ?... Problèmes fonda- mentaux dominant tous les autres ... Problèmes des - oOo - Problèmes”. Tout est là, à quarante ans d’ici, tout est dit J’ai repris à votre intention ce livre étonnant déjà de nos préoccupations du jour. Otlet n’a que Paul Otlet a publié en 1935 : Monde, qui pas attendu la grande découverte nucléaire, la nous apparaît comme la somme de ses pensées et révélation du drame de l’environnement, la de ses travaux. La somme d’une vingtaine d’ou- décolonisation et l’avènement du tiers et du vrages dont les seuls titres annoncent tous nos quart monde, la stratégie au développement, la problèmes actuels au long d’un itinéraire intel- proposition d’un nouvel ordre économique lectuel de quarante ans. international, la grande panique du pétrole, ni la Cela commence en 1895-96 avec le Répertoire profession de foi des hommes comme d’un tout bibliographique universel et la Classification déci- et de l’interdépendance des peuples comme de la male universelle. Suivent alors, à l’approche de la loi de notre temps. première guerre, l’organisation systématique de L’introduction à son essai d’universalisme, la documentation, l’organisation internationale qu’il sous-titre Connaissance du Monde, senti- et les associations internationales, la Charte ment du Monde, action, organisation et Plan du mondiale. Puis, la guerre venue, à son désespoir : Monde, est une synthèse d’une densité prodi- les problèmes internationaux et la guerre, la gieuse, dont on a peu d’exemple, à quoi s’ajoute constitution mondiale de la Société des Nations, une qualité de style qui en fait une belle illustra- la société intellectuelle des nations. tion de la langue française. Après la guerre, l’organisation des travaux scientifiques, l’organisation internationale du - oOo - travail intellectuel. Et déjà en 1920, l’université internationale qui est actuellement en cours Cependant, pour vous tous réunis ici, spécia- d’organisation. Enfin c’est l’ouverture sur le listes, orfèvres de la documentation et de l’infor- monde : “Le Mundaneum”, le franc postal uni- mation, les deux frères La Fontaine et Otlet versel, l’Education et les Instituts du Palais représentent une valeur plus spécifique, plus Mondial, la Cité Mondiale, la Banque mondia- particulière à votre mission : ils sont les docteurs le et le Plan économique mondial. Un dernier de la science moderne de l’information, un peu Traité de Documentation en 1935 et, l’année sui- comme on dit les docteurs de l’Eglise, en même vante : Monde, qui fait la somme totale. temps que les premiers praticiens de l’art d’in- La préface de Monde - cet ouvrage qu’on appel- former. Ainsi, quand je lis les définitions lerait aujourd’hui une encyclopédie de poche ou savantes que l’on nous donne actuellement de une mini-encyclopédie - est restée d’une actuali- l’informatique ou de la cybernétique, dans un té si brûlante que la Revue de l’UAI l’a republiée jargon technologique de plus en plus obscur, il l’an dernier avec succès. Il s’agit du “Problème me semble que l’intelligence perspicace de nos des problèmes” : Il faut, écrit Otlet, “il faut, en précurseurs n’a pas attendu la quincaillerie du sujet général, traiter du Monde”. Car notre temps “hardware” ni l’emploi du “software” pour per- constate l’interdépendance à un extrême degré, ses cevoir l’avenir des problèmes de communication répercussions, ses incidences”. Je cite encore “Dès internationale et transnationale et pour en pré- lors se posent, pressantes, ces questions. Au-delà des parer l’ouvrage. pluralités, des séparations et des compartiments, Et l’idée me vient que si, d’aventure, par l’ef- ceux des doctrines et des sciences particulières, ceux fet d’un mystère, cher à nos amis anglais, les fan- des harmonies et des autres distinctions, ceux des tômes de La Fontaine et de Otlet hantent ce

117 Congrès, ils doivent avoir un large et bon souri- plique moins par des difficultés techniques que re, de satisfaction et de bonheur. par une mentalité tendant à ne considérer de haut qu’une douzaine de grands problèmes sans - oOo - les décomposer ni les diversifier au sol et surtout sans souci de leur inter-relation. Mais, voyez-vous, ce sourire là, je voudrait Mais voici qu’en coopération avec l’associa- qu’il fût aussi le témoignage de la continuité et tion Mankind 2000 et grâce au concours de l’or- de l’épanouissement de leur oeuvre. ganisation internationale, nos services ont réussi Cette continuité, que soulignait si justement un exercice de collecte et de présentation des tout à l’heure le professeur Humblet, cet épa- données de ces problèmes, qui a déjà permis de nouissement, votre Fédération l’assure pour sa répertorier 2.800 problèmes mondiaux. part, avec autant de foi que de talent et de com- Entreprise considérable et sans précédent menée pétence. Qu’elle en soit ici chaleureusement féli- à bien au stade expérimental avec la compétence citée et remerciée. de M. Anthony Judge, secrétaire général adjoint Quant à notre Institut, co-héritier du même de l’UAI, et de son équipe. Une première édi- patrimoine, il devait à ses pères, lui aussi, de tion va sortir de presse. J’avais espéré, M. le mettre ses études, ses recherches, ses services, ses Président, pouvoir vous offrir ce beau cadeau à publications de références à l’heure du siècle, l’occasion de ce symposium. Un délai technique d’un siècle qu’on retiendra peut-être comme nous en a empêchés. L’ouvrage paraîtra dans étant somme toute celui de la révolution dans la deux mois. Mais j’ai tout de même plaisir à documentation de l’information. annoncer l’événement et à vous inviter à en Instruits par l’expérience que notre Institut découvrir le sens dans le numéro de la Revue de s’est acquise dans le domaine des données notre Institut que nous avons consacré à la FID d’identité des acteurs de l’organisation interna- et qui est à votre disposition. tionale, Etats et associations, et nous étant équi- J’en termine, Monsieur le Président. pés en ordinateur pour l’édition de l’Annuaire Dans un teme de changement qui, sous bien que nous publions avec la collaboration des des aspects, apparaît décevant, sinon désespé- Nations Unies en version anglaise et française, rant, dans une société de transition dont on est nous avons mis en chantier un autre Annuaire parfois plus tenté de voir les vides que les pleins, complémentaire ayant trait cette fois aux pro- faisons ensemble, si vous le voulez bien, à la blèmes mondiaux et au potentiel humain. Car, mémoire de nos fondateurs, un acte de foi et si étonnant que cela soit, il n’existait pas jus- d’espérance, un acte de solidarité aussi (plutôt qu’ici de description systématique de cette mul- que de charité), en constatant, avec joie, qu’il y titude de problèmes mondiaux, considérés dans a tout de même une chaîne du progrès, une leurs rapports avec d’autres problèmes conçus chaîne qui tourne et qui avance, imperturbable- dans un même ensemble. Une lacune qui s’ex- ment.

118 Book Reviews 4/2000 Bibliographie

Holding corporations accountable, by Judith Richter, New York: Palgrave Macmillan (Zed Books), 2003.

t the recent meeting of the World Economic trol over the market to ensure that TNCs are Forum in Davos, Switzerland, business lead- socially accountable. A ers debated the question of how to improve In this connection, the concept of governance, corporate governance in the wake of Wall Street first introduced in UN circles, is discussed. scandals. There was obvious tension between the Governance is defined as a framework of rules, necessity for rule setting on one hand and the institutions and practices that set limits on the unregulated market on the other. In the light of behaviour of individuals, governments and Washington’s efforts to regulate good corporate companies. It is argued that there must be a behavior, Peter Brabeck-Letmathe, chief execu- clear distinction between the roles of two of the tive officer of the Swiss based food giant, Nestle, main actors in rule setting, i.e. commercial enti- SA, voicing his skepticism said, “For me, corpo- ties with a clear profit motive and civil society rate governance is not important” Instead of reg- organizations dedicated to the public interest. ulations, laws and rules, the Nestle chief stressed This distinction has an immediate bearing on the importance of integrity and good behavior the appropriateness of “dialogue” and “partner- based on “principles”. (International Herald ships” between these actors. Tribune, 21.1.03 p.11) The background to the International Code of It is in the context of how, in today’s globalized Marketing of Breast Milk Substitutes (the Code) economy, corporate accountability can be improved is set in the history of the manufacture of infant that the book, Holding Corporations Accountable, formula, originally initiated by Nestlé in 1867, by Judith Richter is particularly relevant. and its aggressive marketing and promotion The author addresses key issues of corporate world wide as one important element in the accountability , including the role of transna- subsequent decline in breast feeding and the cat- tional corporations (TNCs) in today’s global astrophic rise in infant disease and deaths, espe- market place, the purpose and mechanisms of cially in developing countries. Civil society regulation by national governments and inter- organizations raised public awarness of the governmental organizations, and the role of civil infant food issue during the 1970’s and brought society organizations (NGOs) in helping to harmful marketing practices onto the interna- develop regulatory regimes and monitor their tional agenda. An international problem implementation. demanded an international response. This is done by focusing on the experiences The WHO/UNICEF proposals for a draft gained in the formulation and adoption of the Code were dealt with in an unprecedented broad International Code of Marketing of Breast Milk consultative process. Political pressures brought to Substitutes by the World Health Assembly in bear by the infant food industry and the US gov- 1981, and endorsed by UNICEF, and its imple- ernment influenced the content and legal stand- mentation over a twenty year period. Though ing of the Code. The resulting International Code this might be considered a limitation, it is eventually was a bear minimum requirement, apparent that most of the issues the author wish- contained vague and unclear wording, and, as a es to pursue are inherent in this case study. Recommendation, was of weak legal status. These The first chapters describe past national and factors plus the persistent misinterpretations by international measures to regulate corporations industry of Code provisions, as well as diminish- and their effects in today’s globalized market ing United Nations lead support for the regulation place An historical overview of regulation in the of industry have proved to be serious difficulties in United States suggests that regulation has been a translating the Code and its subsequent matter of democratic control to prevent abuses Resolutions into effective national legislation and by the economically powerful. regulation as required. Though a majority of In the face of an ideological shift to a liberal countries(more than 100) have passed into legisla- Transnational Associations economic model which favors business self reg- tion some aspects of the Code, only 21 countries 1-2/2003, 119-121 ulation, the case is made for the democratic con- have based legislation on the entirety of the Code.

119 Against these impediments, the author explores The gap between baby food industry state- the efforts of international agencies, especially ments of corporate responsibility and tactical UNICEF, to limit and prevent the inappropriate practices remains large. The strategies used by marketing of breast milk substitutes and to create corporations to avoid implementation of the an environment that would enable mothers to Code are detailed in Ch.7 and enlarged on in breast feed. These have notably included The Ch.8 A sampling includes lobbying for weak Baby Friendly Hospital Initiative(1991) which national legislation, challenging national legisla- aims to and has been effective in the improve- tion in the Courts, co-opting the support of ment of hospital maternity practices which health professions, threatening the relocation of encourage breast feeding and further emphasizes industry, claiming the right of “free commercial education about infant nutrition. speech”. The larger picture of corporate strate- The UNICEF inspired Convention on the gies is drawn by the author who has done con- Rights of the Child (1990) was a decisive siderable work in the area of public relations, moment in linking the International Code to namely, on the “engineering of consent” and human rights. The Convention obligates states issue management. to protect breast feeding and in that regard every These “concealed” instruments of corporate state must report regularly on its progress in power used to influence legislation and the implementing the Code. political process through the use of dialogue and In recognition that the global reach of TNCs public private partnerships are linked to project- is not matched by a coherent global system of ing a positive corporate image. The growing accountability, the author explores the various sophistication of industry to pro-actively define possibilities, particularly of the Commission for health issues from a business perspective, to Human Rights, to strengthen the international manipulate the debate together with the effort framework under which infant food marketing to exclude opposing voices and isolate citizen can be addressed -such as formulating legally action groups is examined in relation to infant binding meaures and institutional arrangements feeding. These strategies, it is noted, are also that would effectively address corporate mal- widely used in other sensitive areas where prod- practice. ucts and production processes produce environ- Perhaps it is because of the complex nature of mental and health hazards. the subject at hand or the number of issues Rather than shunning conflict, the author explored , that it is only in Ch.6 that the reader welcomes the inevitable conflict between the is acquainted with the precise provisions of the views of public interest groups and private-for- Code and of industry violations. Though it is profit interests as a driving force for change. She asserted that some corporate marketing practices sees the necessity for further analysis of the dif- have improved, such as reduction in direct pro- fering and appropriate roles of civil society orga- motion in the mass media, there are still wide- nizations and corporations. spread violations in the provision of free sup- A theme which runs throughout the book is plies to health care facilities and the marketing the growing influence of civil society organiza- of new products which tend to undermine a tions in opening the opportunity for people to mother’s choice to and confidence in her ability participate in international decision making. to breastfeed. Thus, the history and work of the International Meanwhile new issues have come to the fore. Baby Food Action Network (IBFAN) in shaping The WHO Resolution fixing the minimum the infant food debate is presented. period for exclusive breast feeding at 6 months IBFAN is a network which aims to pressure is challenged in corporate marketing practices. the infant food industry to change socially detri- The uncertainty and confusion initially caused mental marketing practices through the applica- by the mother to child transmission of HIV- tion of the International Code and its subse- AIDS through breast feeding has been and is quent resolutions, and to improve the well being used by the infant food industry to promote of mothers and children through the protection, breast milk substitutes. promotion and support of breastfeeding.

120 IBFAN, recognized for its prioneering work in Though attention has been given to the role of monitoring the compliance of governments and corporations and civil society organizations in the infant food industry with the International this study , certainly further research is indicat- Code, has been essential to bringing and keep- ed into the experiences of national governments ing the infant feeding issue on national and and the obstacles they face in the implementa- international agendas. IBFAN has been engaged tion of Code provisions. Even today, interna- in a host of activities and campaigns focusing on tionally agreed standards and regulations in the the need for the regulation of marketing prac- form of legally binding measures, are strongly tices, advocacy in international fora, the devel- dependent on national legislation and its imple- opment of educational materials, the training of mentation for their effectiveness. A recent edito- lawyers and policy makers in the formulation of rial in the BMJ, proposes that the Code is cen- national legislation and in the development of tral to ensuring the protection of breast feeding support groups for mothers. as a critical area for improving child health, “but Notable among its campaigns has been the a better way of monitoring and enforcing its Nestle Boycott which since 1977 has been one application in both industrialised and low of the most effective techniques used by social income countries must be identified”.(BMJ, movements. It is rightly credited with fostering p113-114, 18 January 2003) important changes in company policies and Throughout the text a two-track approach to practices in the distribution of free supplies of improving infant survival through breastfeeding infant formula. has been presented. First: the support for the It is evident that one of the values of Codes, in Code on the international level and its imple- general, has been in setting internationally mentation by national governments designed to agreed standards for corporate behaviour, a limit harmful promotional practices by the powerful tool which can be used by govern- infant food industry, and two:and, in addition, ments, international organizations and advocacy the activities/projects and programs carried out groups to raise public awareness of pressing by international and civil society organizations social issues and to build public pressure to in support of breastfeeding. The statistical change harmful corporate practices. Citizen results of the first strategy have been presented pressure groups acting legitimately in a democ- in National Implementation Tables. The impact ratic society play a key and complementary role of both strategies on breastfeeding would have to that of government in clarifying and correct- added to a results- inspired analysis. ing the proper conduct of TNCs. From this per- The author has suggested that this study has spective the deficiencies of industry self regula- ramification beyond the baby food issue. tion or co-regulation are pointed out. Indeed, the “global corporate accountability In conclusion, the author formulates a formi- movement” composed today of coalitions of dable agenda for civil society organizations and civil society organizations addresses important UN bodies in their on going effort to draw up issues in a growing number of areas in which and implement national and international regu- corporate accountability is crucial to individual lations of the infant food industry. Recent scien- and societal well being. This growing body of tific studies on the benefits of breast feeding pro- experience can be expected to build on and add vide a powerful incentive for public interest and to, many of the ideas put forward in this book. United Nations organizations to claim the For anyone interested in pursuing any of the resources available to change the “power balance” many issues presented in this study, the twenty in favor of the public accountability of TNCs. page bibliography as well as the informative Indeed, the author has provided a valuable boxes throughout the text do provide an intro- overview of the processes involved in the formu- duction to useful source material. lation, adoption and implementation of the International Code, one of the longest efforts to Marybeth Morsink regulate a particular sector of industry through A member of UAI, Marybeth Morsink is a international action. representative of Consumers International.

121 Association News Vie associative

NGOs and UN Conference follow up activity

A GA draft resolution participation in the working E/1996/31: (A/C.2/57/L.28) calling for the group, but no other member http://www.un.org/documents/ec establishment of a UN General states supported this considera- osoc/res/1996/eres1996-31.htm Assembly open-ended ad hoc tion. INTGLIM believes that it is an working group on integrated UN It is cause for concern that a understatement to say that infor- conference follow-up was adopted GA open-ended ad hoc working mal participation of NGOs in the as “Integrated and coordinated group on implementation of UN “open-ended” ad hoc GA working implementation of and follow-up conferences has been established groups of the 1990s could have to the outcomes of the major without granting monitor rights made a significant contribution United Nations conferences and to relevant, consultative status and perhaps avoided the widely- summits in the economic and NGOs. perceived failures of these processes. social fields” (A/C.2/57/L.70). Negotiation of L.28 was carried The Resolution, In addition to the important out by the GA’s 2nd Committee A/C.2/57/L.70, was officially issue of UN conferences’ imple- without sufficient consultation adopted on Friday, December mentation, this GA ad hoc working with the 3rd Committee. 20th. The open-ended ad hoc group had the potential to address Reportedly, a number of member working group is mandated to many wider UN systemic issues states are upset about this proce- make specific recommendations such as: rationalizing the work of dure and will most likely respond on how best to address the review the GA’s 2nd and 3rd Committees, by making this a lame duck work- of the implementation of major the role of the ECOSOC and its ing group. UN conferences and summits. It functional commissions and The open-ended ad hoc work- commenced its work in January strengthening the GA. ing group’s chair will be the 57th 2003 and will make its report in The working group could have GA President Kavan. The two June 2003. considerable impact on NGOs Vice Chairs are yet to be elected. The text of Resolution, work and, therefore, while the It is INTGLIM’s hope that the A/C.2/57/L.70 can be received as text was being negotiated, INT- President and Chairs will allow an attachment by email from GLIM wrote to the Chairs of the NGOs monitoring rights as [email protected]. 2nd and 3rd Committees request- requested in our letter - including ing that relevant NGOs in consul- the right to observe the working From: Victoria Clarke, Program tative status be granted the rights group’s meetings, receive docu- Associate World Federalist to observe the working group’s mentation, and be able to make Movement & International NGO meetings, receive documentation, available our reports and written Task Group on Legal and and be able to make available our documents. Of all the committees Institutional Matters (INTGLIM) reports and written documents. of the GA, it is particularly 777 UN Plaza, 12th floor, New important that the 2nd and 3rd York, NY 10017 Outcome Committees respect the construc- Tel # 212-599-1320, Direct line The final resolution tive consultative rights of NGOs # 212-599-2542, ext. # 25, Fax # (A/C.2/57/L.70) makes no provi- in their work as stipulated in 212-599-1332 sions for NGOs. During the ECOSOC Resolution 1996/31 Email: [email protected], Website: negotiations one member state and in over five decades of prac- http://www.wfm.org did bring up the issue of NGO tice in these committees.

122 World Bank highlights positive development impact of trade unions Brussels, 12 February 2003 The Bank’s communiqué must now go on to translate these (ICFTU online). The positive announcing the launch includes important findings into policy, impact of trade unions in eco- statements endorsing the positive which may involve a significant nomic development, as well as economic impact of “sound shift in its organisational culture. evidence showing the role of trade industrial relations” from manag- In contrast to the worker-friendly unions in combating discrimina- ing director Mamphela Ramphele. statements at the global level, tion and in reducing inequality, The lead author of the book, country-level Bank staff still rou- are among the central findings of Zafiris Tzannatos, is quoted as tinely advise governments to, in a new World Bank publication, stating that with the transforma- effect, violate the core labour launched today. According to the tions brought about by globalisa- standards by making access to ICFTU, however, there is still a tion, “labour standards can no unionisation and collective bar- long way to go in terms of trans- longer be the concern of just indi- gaining more difficult.” lating these findings into policy at vidual governments but also of In follow-up to a high-level the national level. the entire international communi- round of meetings between Bank The report, Unions and ty. [...] Labour standards are now officials and representatives of Collective Bargaining, reaffirms the a prominent item on the interna- ICFTU affiliates and Global Bank’s support for the core labour tional agenda and are likely to Union Federations which took standards “as important elements stay there for a long time to place last October (see of a well-functioning labour mar- come”. http://www.icftu.org/displaydocu- ket”. Based on a survey of more Of particular significance on ment.asp?Index=991216617), than a thousand studies on the the eve of the eighth ICFTU trade unions around the world economic effects of unions and World Women’s Conference, will be able to raise the findings collective bargaining, the newly which opens next week in of this latest report in their deal- released book concludes that high Melbourne, is the fact that the ings with country-level representa- unionisation rates often lead to publication also points to the tives of the Bank. lower inequality of earnings, marked benefits of unionisation Unions and Collective decreased wage discrimination for women workers. According to Bargaining: Economic Effects in a against women and minority the report, union membership Global Environment, which is 185 workers, and improved economic tends to reduce wage differences pages long, will shortly be avail- performance. It finds that the pos- between men and women. able on the World Bank’s web site itive impacts of unionisation tend “Although it comes as no sur- (www.worldbank.org) in English to be greater in countries with prise to the ICFTU, this public only. highly coordinated collective bar- acknowledgement by the World gaining than in countries where Bank, backed by in-depth research International Trade Union the labour movement is more is welcome,” said ICFTU General Confederation (ICFTU) fragmented. Secretary Guy Ryder, “The Bank http://www.global-unions.org

123 Ciel unique

L’accord des ministres des paux axes : la gestion commune nelle entre l’UE et Eurocontrol; la Transports le 5 décembre 2002 de l’espace aérien; la création mise en place d’une technique sur le “Ciel Unique européen” vise d’autorités de surveillance natio- adaptée et rénovée; une meilleure à réaliser un espace aérien euro- nales indépendantes; l’intégration coordination des ressources péen intégré le 31 décembre progressive d’une gestion civile et humaines dans le secteur du 2004. Il en définit les six princi- militaire; la synergie institution- contrôle aérien. Sécurité maritime

Sans attendre la décision du contribuer à l’amélioration du sys- Commission entend interdire les Conseil européen sur le siège de tème de sécurité maritime de l’UE eaux européennes aux navires ne l’Agence européenne de sécurité et à la réduction des risques d’ac- présentant pas les normes et maritime, la Commission a décidé cidents maritimes, de pollutions conditions de sécurité requises d’en accélérer la mise en ouvre marines et de pertes de vie (navires à coque unique par opérationnelle. Cette agence doit humaines en mer. Par ailleurs, la exemple). OGM Le commissaire chargé de la prend plus de 45 laboratoires de leur utilisation en Europe. Le recherche, Philippe Busquin, a contrôle situés dans les États réseau élaborera et validera des inauguré le réseau européen de membres de l’UE, a pour but méthodes de détection et de laboratoires de référence pour les d’améliorer la traçabilité des quantification des OGM dans les organismes génétiquement modi- OGM dans la chaîne alimentaire denrées alimentaires et les ali- fiés (OGM). Ce réseau, qui com- et de contribuer au contrôle de ments pour animaux. Transnationalism in the European Union European Science England from 20-22 June 2003. of their PhD project (1 page, Foundation The workshop bursary will cover including subject area and supervi- Workshop Bursaries for APEX flight, accommodation and sor) to [email protected] European PhD Students subsistence at Portsmouth. PhD (copied to [email protected]) students from Southern Europe by 15 March The European Science and East-Central European appli- Foundation will fund 10 PhD cant states are especially encour- Philippa Rowe, Administrator, students from contemporary his- aged to apply. ESF Exploratory Workshops tory, political The workshop bursaries will be European Science Foundation, 1 science/International Relations, allocated on a competitive basis. quai Lezay Marnesia, FR-67080 sociology and social science- Interested PhD students should Strasbourg Cedex informed law to participate in an send a short e-mail explaining their Tel: +33 3 88 76 71 60 - Fax: ESF Exploratory Workshop on interest in attending the workshop, +33 3 88 76 71 80 “Transnationalism in the together with (as attachments in [email protected]; European Union” to take place at Word for Windows) a) a short CV www.esf.org/workshops the University of Portsmouth in (1 page) and b) short description

124 New... Creations... Plans... New... Creations... Plans... New...

Adhérer à l’Espace Al-Hajjaji of the Libyan Arab Commission were urged to économique européen Jamahiriya as Chairperson for demonstrate their confidence in (EEE) 2003, along with three Vice- the tried and tested methods of Chairpersons and a Rapporteur. the past by voting for the African L’Espace économique européen, Ms. Al-Hajjaji was elected by a candidate with a resounding créé en 1994, comprend les quin- secret ballot of 33 in favour and 3 majority. ze pays de l’Union européenne opposed, with 17 abstaining www.nonviolentpeaceforce.org/ plus l’Islande, le Liechtenstein et among the Commission’s 53 Organisation/New%20old.htm la Norvège. Ces trois non- member countries. membres de l’UE bénéficient d’un The vote, requested by the New group seeks to accès libre au marché communau- United States, was unusual – realise old dream taire, et en contrepartie contri- Chairpersons are usually elected buent au maintien de la cohésion by acclamation. Over 130 peace workers from territoriale de l’UE à travers les In a statement on request for a 47 countries are meeting for five Fonds structurels, selon l’article vote, Sipho George Nene (South days outside New Delhi to create 115 de l’Accord EEE. Africa) said the call for a vote on an unarmed alternative to military Les dix nouveaux membres, en the Chairperson nominee placed peacekeeping forces. Mahatma adhérant à l’UE, devront obliga- the Commission and the African Gandhi was trying to create such toirement adhérer à l’EEE. Les Group in particular in a very dif- a “peace army” when he was killed négociations en ce sens ont débu- ficult and unenviable position. It not far away 55 years ago. té le 9 janvier dernier et devront was regrettable that the U.S. dele- The participants include a for- s’achever avant le 16 avril, date de gation had opted for the extreme mer head of state, Sheikh Hasina, la signature des Traités d’Adhésion method of demonstrating its non- who now leads the opposition des pays d’Europe centrale et endorsement of the African party in Bangladesh; parliamen- orientale. Outre certaines ajuste- Group’s candidate. Since the deci- tarians; conflict resolution special- ments juridiques, les vrais enjeux sion to propose Ambassador Al- ists; former diplomats; and veter- de ces négociations portent sur la Hajjaji had been taken by the ans of nonviolent interventions in participation financière des trois highest political organ of the conflicts across the globe. Israelis pays aux Fonds structurels que la African Union, the group had no and Palestinians, black and white Commission européenne souhaite choice but to respond to the Zimbabweans, Serbs and Croats augmenter sensiblement, de political challenge posed by the are working together to create the l’ordre de 20 à 30 fois ce que les subjection of the election to a Nonviolent Peaceforce. trois pays de l’EEE payent à l’heu- vote. For 46 years the tried and The Nonviolent Peaceforce pro- re actuelle. tested practice of the unanimous ject is the latest effort to create an election of the Chair of the unarmed civilian alternative to UN Commission on Commission had contributed pos- military intervention in conflicts. Human Rights elects itively in setting a solid founda- Mahatma Gandhi had begun tion for the proceedings of the organizing a conference to create chairperson and bureau Commission. This reliable prac- what he called “Shanti Sena”, lit- for fifty-ninth session tice had been violated today. It erally Peace Army, when he was was the Group’s hope that this cut down by an assassin’s bullet. Najat Al-Hajjaji of Libya unfortunate act would not be The current effort began at the Elected Chairperson by Secret emulated in the future. The right 1999 Hague Appeal for Peace Ballot of 33 in Favor and 3 of regional groups to present can- Conference and is the first major Opposed, with 17 Abstentions. didates of their choice should be citizen’s initiative to achieve the The Commission on Human respected. goals of the UN’s Decade of a Rights - meeting on 20 January Great efforts had been made to Culture of Peace and 2003 under a new procedure two persuade the U.S. to use other Nonviolence. Seven of the Nobel months in advance of its annual available methods of expressing its Peace Prize laureates who persuad- six-week session - elected Najat displeasure. Members of the ed the United Nations to pro-

125 claim the Decade have endorsed The nonviolent heritage and its the cycle of war and violence.” the Nonviolent Peaceforce, applicability to contemporary con- Over the next three days, the including Lech Walesa, Oscar flicts were constant themes on the 130 delegates will choose a govern- Arias and the Dalai Lama. opening day of the conference. In ing board representative of all six At the opening session, noted her opening address, former Prime populated continents, ratify a bare- Gandhian Rajiv Vora quoted Minister of Bangladesh Sheikh bones constitution and decide on Mahatma Gandhi, whose life and Hasina reviewed the history of war the site of the Nonviolent writings are the source for most and the history of nonviolence Peaceforce’s first mission. nonviolent activists throughout the through concrete examples. She Press release, 29 November 2002 last century: “Nonviolence is as old concluded “We must forge a world Nonviolent Peaceforce. Suraj as the hills.” Vora clearly sees nonvi- wide grand alliance for peace.” Kund, India olence as an idea whose time has Gandhi’s granddaughter Ela, her- Media Contact: come. He heralded the Nonviolent self a Member of the South African +91.9810099121 Peaceforce as the first citizen’s initia- Parliament, told participants she [email protected] tive of the United Nation Decade of saw the Nonviolent Peaceforce “as www.nonviolentpeaceforce.org a Culture of Peace and Nonviolence. the necessary intervention to stop

126 Transnational Associations 55th year Associations transnationales 55e année

Some items in recent issues: Issue number: Parmi les thèmes traités récemment : Numéros : Transnational actors in the international system 2/1999, 6/1999, Les acteurs transnationaux dans le système international 2/2000, 3/2001.

The recognition of the legal personality of INGOs 3/1986, 3/1990, La reconnaissance de Ia personnalité juridique des OING 5/1990, 3/1995.

Cooperation between INGOs and IGOs 1/1997, 2/1999, La coopération entre les OING et les OIG 6/1999, 6/2000.

Social movements, trade unions and cooperatives 6/1996, 3/1997 Mouvements sociaux, syndicats et coopératives 5/1999, 1/2001

Social and economic development 1/1996, 4/1996, Développement économique et social 4/1998, 5/1999.

Environmental problems 4/1995, 2/1996, Les problèmes écologiques 3/2000, 2/2001.

Humanitarian aid and humanitarian law 2/1994, 2/1996, L'aide et le droit humanitaires 2/1999, 2/2001.

Language, communication, education and gender 2/1998, 1/1999, Langage, communication, éducation et égalité des sexes 6/1999, 2/2000.

Civil Society and the State 4/1998, 1/1999, La société civile et I’Etat 4/2000, 2/2001.

Internationalism in Science 6/1997. Science et transnationalité

Latin American and North-American Associations 6/1989, 3/1990, Les associations latino-américaines et nord-américaines 1/1993, 4/1996.

African Associations 4/1995, 1/1996, Associations africaines 2/1996, 1/1999.

European Associations 6/1999, 2/2000, Les associations européennes 3/2000, 6/2000.

Arab Associations 1/1998, 6/1999 Associations arabes 2/2001

Asian Associations 2/1997, 6/1999 Associations asiatiques

Some authors / ont publié dans nos colonnes : Sami A. Aldeeb, Chadwick Alger, Benjamin R. Barber, Chérif Bassiouni, Mohammed Bedjaoui, Jan Berting, Maurice Bertrand, Elise Boulding, Boutros Boutros-Ghali, Cynthia Cockburn, Jacques Delors, Adama Dieng, Johan Galtung, Susan George, André Gorz, Group of Lisbon, Robin Guthrie, Robert Harris, Jürgen Höffner, Bill Jordan, Alexandre Kiss, Alain Labrousse, Ronnie D. Lipschutz, Marc Luyckx, Federico Mayor, Elikia M’Bokolo, Marcel Merle, Morton Mitchnik, Edgar Morin, Basarab Nicolescu, Ignacio Ramonet, François Rigaux, Nigel Rodley, John G. Ruggie, Wolfgang Sachs, Pierre de Senarclens, Jan Aart Scholte, Vaudana Shiva, Rodolfo Stavenhagen, Rajesh Tandon, Charles Taylor, Fernand Vincent, Peter Waterman.

127 Transnational Associations 55th year Associations transnationales 55e année

Forthcoming topics: Dans les prochains numéros : • NGO participation in WTO La participation des ONG au travail de l’OMC

• Social capital Capital social

• NGOs and the Ottawa Convention Les ONG et la Convention d’Ottawa

Articles appearing in the journal are indexed in PAlS (Public Affairs Information Service) and AGRIS (International Information System for the Agricultural Sciences and Technology), FAO.

EU / UE Rest of Europe Rest of the world Belgique Autres pays européns Hors Europe Surface Mail Airmail Surface Mail Airmail Surface Mail Airmail Voie normale Voie aérienne Voie normale Voie aérienne Voie normale Voie aérienne

1 YEAR EUR 51,64 EUR 62,35* EUR 67,31* EUR 65,33 EUR 71,77 EUR67,31 EUR 76,23 (2003)

*VAT 6 % to add if no VAT number I TVA 6 % à ajouter si non assujetti An electronic version will be available free of charge for the subscribers to the magazine Une version electronique sera disponible sans frais pour les abonnés de la Revue

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