Une Femme Est Une Femme De Jean-Luc Godard (1961)
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Une femme est une femme de Jean-Luc Godard (1961) Scénario : Jean-Luc Godard d’après une idée de Geneviève Cluny. Photographie : Raoul Coutard. Musique : Michel Legrand. Chorégraphie : Robert “Bob” Fosse. Prix Spécial du Jury du Festival de Berlin (1961) « pour l’originalité, la jeunesse, l’audace et l’impertinence d’un film qui secoue les normes de la classique comédie filmée ». Prix de la Meilleur Actrice (Berlin, 1961) à Anna Karina Interprétation : Anna Karina Angela Récamier Jean-Claude Brialy Emile Récamier Jean-Claude Belmondo Alfred Lubitsch Nicole Paquin Suzanne Ernest Menzer le patron avec la participation de Jeanne Moreau Scénario (si,si, il y en a un !) Angela et Emile « aiment Dashiell Hammett et Marie-Claire » (texto dans le synopsis !); ils s’aiment. Mais Emile ne veut pas d'enfant; Angela, si, et avec lui. Elle se tourne vers le bel Alfred Lubitsch (tiens,tiens !) pour faire enrager Emile, pris au piège. « Angela, tu es infâme. — Non, je suis une femme. » Divagations périfilmiques Vous avez compris que le scénario de Geneviève Cluny, déjà porté à l'écran par Philippe de Broca l’année précédente (Les jeux de l'amour), n’est ni neuf ni consistant. Qu’importe : Godard s’amuse. Il offre à Lubitsch et à la comédie américaine, la grande, ses hommages irrespectueusement respectueux, à ses copains de la Nouvelle Vague, maintes private jokes (Bébel demandant nonchalamment à Jeanne Moreau « comment marche Jules et Jim »…), et à sa femme… une dizaine de scènes de ménage. • Primo, Angela fait le lit (au cinéma c'est bien une scène de ménage…). • Deuzio, « Tu ne m’aime pas. — Non, c’est toi. » • Tertio-trimo,Emile balaye (voir primo), avec style. • Quarto, Emile « rrramène » son vélo et sa « frrraise ». • Quinto, on ne peut pas dire qu’Emile soit contrariant, justement… • Sizio, « je fais la gueule ». • Septimo, guerre des brosses à dents — que fait Clausewitz ? • Octo, du bon usage des citations. • Neuvio, on passe son adversaire par le fil… du téléphone. • Dizio, avec stores, c’est mieux… Le tout avec « une préchichion chientifique », comme dit Anna Karina de son « douzaccent » (certains critiques, qui n’ont de toute évidence jamais entendu Mireille Darc ou Catherine Deneuve pousser la chansonnette, ont prétendu qu’elle chantait comme une casserole…). Mais je laisse à Anna Karina le soin de nous présenter l'ambiance dans laquelle un « mec avec des lunettes noires » dynamisait/dynamitait le cinéma (interview pour les Cahiers du Cinéma) : Cahiers — Comment s’est passée votre première rencontre avec Godard ? Vous avez répondu à une annonce… Anna Karina — Non, pas du tout. En ce qui me concerne rien n’est plus faux que cette histoire d'annonce. Il est vrai que Jean-Luc et Truffaut ont mis une annonce. Le texte était dans le style : « cherche interprète et âme sœur pour mon prochain film ». C’était un peu pour s’amuser, pour voir des jeunes filles. J’avais déjà connu Jean-Luc quand il cherchait une interprète pour un petit rôle dans A bout de souffle, et pour lequel il a finalement pris une fille qui s'appelait Liliane David. C’est le petit rôle à St-Germain où elle montre ses seins et Belmondo lui pique 50 francs. Il m’avait fait venir parce qu’il m’avait vue dans une pub pour Monsavon. Il me dit : « il faut vous déshabiller ». Là-dessus, j’ai répondu que je ne me déshabillais pas. C’était dans le bureau de Beauregard [le producteur de Godard]. Je suis partie et j’ai oublié cette histoire. Se passent quelques mois. Entretemps, je suis devenue amie avec Claude Brasseur et Saddy Rebbot, qui d’ailleurs joue dans Vivre sa vie. Un jour, je reçois un télégramme qui me propose de me présenter chez Georges de Beauregard, mais cette fois-ci c’est peut-être pour le rôle principal. Je pensais que c’était encore un mec qui me draguait, qui voulait coucher avec moi. Je montre le télégramme aux copains. Ils me disent : « Tu es folle. Jean-Luc Godard, c’est génial. » Je leur demande : « Jean-Luc Godard, c’est pas un mec avec des lunettes noires ? — Si,si, c'est lui. Il vient de faire un film génial avec un pote à nous qui s’appelle Jean-Paul Belmondo. Il parait que le film est formidable. Il faut absolument que tu ailles le voir. Surtout si c’est pour le rôle principal… » Je vais le voir. Il tourne trois fois autour de moi. Il me regarde de haut en bas et me dit : « C’est d’accord. Venez signer votre contrat demain. » Je lui demande en balbutiant ce que c’est que ce film. Il me répond qu’il n’y a pas de scénario, que c’est un film politique. Je lui dit : “Un film politique ? Mais je ne connais rien à la politique française… » Il me dit de ne pas m’occuper de ça et de faire ce qu’il me dirait. A l'époque il disait toujours « y’a qu’a ». J’avais un problème pour venir signer mon contrat le lendemain parce que j’étais mineure et que ma mère était à Copenhague. Il me demanda de la faire venir le lendemain par avion. Mais j’étais fâchée avec ma mère que je n’avais pas revue depuis six mois et elle avait peur de prendre l’avion. Il était désolé. Finalement, j’ai appelé ma mère et j’ai réussi à la convaincre de venir en lui racontant que j’allais faire du cinéma avec un grand metteur en scène qui s’appelait Jean-Luc Godard. C'est comme ça que j’ai signé mon contrat pour Le petit soldat. Ensuite, je lis dans France-Soir, sous la plume de France Roche : « Anna Karina, interprète et âme sœur de Jean-Luc Godard ». En lisant ça je me dis qu’il y a quelque chose qui cloche. Je demande aux copains ce que ça veut dire, et ils me répondent évasivement , avec plein de sous- entendus. Je téléphone à la production pour leur dire que je ne fais plus le film. Puis je reçois un autre télégramme qui dit : « Quand on est un personnage de Hans-Christian Andersen, on n’a pas le droit de pleurer ! » [rigoureusement sic !]. Et il arriva avec 50 roses en s’excusant et en me racontant que c’était une blague qui ne me concernait pas. Je lui dit que je ne veux pas passer pour une putain. Parce qu’à cette époque c’était énorme de dire des choses comme ça. Finalement, on est partis tourner Le petit soldat [1960] on est tombés amoureux et on ne s’est plus quittés. [Ils se sont mariés le 3 mars 1961.] CdC — Après Le petit soldat, vous avez changé complètement de registre puisque vous avez tourné Une femme est une femme… AK — Pour Une femme est une femme, il n’avait absolument pas pensé à moi. Après Le petit soldat, il ne voulait plus tourner avec moi. Michel Deville m’a engagée pour Ce soir ou jamais tandis que Le petit soldat restait invisible puisqu’il était interdit [par la censure, qui ne l’a libéré qu'en 1963]. Quand Jean-Luc a vu Ce soir ou jamais il m’a proposé Une femme est une femme, alors qu’il avait vu tout Paris. Il avait même envoyé un télégramme à Joan Collins qu’il adorait. Il avait demandé à Marina Vlady, etc. A qui n’avait-il pas demandé de jouer dans ce film ? Et quand il a vu Ce soir ou jamais, il m’a donc demandé, un soir dans sa vieille Ford, si je voulais faire Une femme est une femme. J’étais folle de joie. Je chantais tout le temps à l’époque et j’adorais les chansons américaines et françaises. C'est peut-être ça qui lui a donne l’idée. (…) CdC — Vous ne tourniez pas les films à la maison ? AK — Une femme est une femme a été tourné en studio. Il voulait tourner dans un petit appartement rue St-Denis mais les petits vieux qui habitaient là n’ont pas voulu déménager. Alors, il a fait construire, dans les studios de St-Maurice, exactement le même appartement , avec des murs et des plafonds inamovibles. Tous les soirs, il fermait la porte à clef. Personne ne pouvait rentrer dans l’appartement avant qu’il ouvre le matin. Il tournait en studio comme s’il était dans un décor naturel. Les autres protestaient ! On a tout de même fait quelques raccords chez les petits vieux..