MARTIN DURAND

ÉVOLUTION ET CONSOLIDATION DE L’ESPACE FRANCOPHONE DU GRAND AU NOUVEAU-BRUNSWICK : 1960-2002

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sciences géographiques pour l’obtention du grade de maître en sciences géographiques (M.Sc.Géogr.)

Département de géographie FACULTÉ DE FORESTERIE ET DE GÉOMATIQUE UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

MARS 2004

© Martin Durand, 2004 ii Résumé

L’évolution de l’espace francophone du Grand Moncton au Nouveau-Brunswick, est, depuis 1960, le fruit de nombreuses luttes menées par les francophones aux niveaux culturel, politique, économique, social et linguistique. Ces luttes ont notamment permis l’ajout de postulats fondamentaux nécessaires au développement de la communauté de langue française et ont contribué à la diversification et l’enrichissement des espaces vécu et institutionnel ainsi que des liens supra régionaux de la communauté. Ces différents éléments ont directement influencé la zone d’influence francophone en milieu urbain qui, durant cette période, a pris de l’expansion. Malgré son développement constant depuis 1960, de nombreux défis attendent la communauté francophone du Grand Moncton toujours aux prises avec des taux d’assimilation élevés et l’absence de loi protégeant la langue d’affichage et de travail. La récente ouverture d’esprit de la communauté anglophone permettra néanmoins de relever ces défis dans un environnement plus favorable que celui des années 1960. iii

Avant Propos

Nous aimerions profiter de ces quelques lignes pour remercier, tout particulièrement, M. Dean Louder, professeur de géographie à l’Université Laval et directeur de ce mémoire. Ses précieux conseils et ses encouragements ont été grandement appréciés.

Nous sommes aussi extrêmement reconnaissant envers M. Samuel Arseneault, professeur de géographie à l’Université de Moncton, pour sa patience, son soutien et la justesse de ses commentaires.

Nous aimerions remercier toutes les personnes qui ont accepté de nous rencontrer, de partager leurs souvenirs et leurs réalisations personnelles dans le développement de la francophonie de Moncton et du Nouveau-Brunswick.

Nous voulons aussi souligner notre étroite collaboration avec Kevin Robert et Hugo Godin, étudiants à l’Université de Moncton et les remercier tous deux pour leur aide lors de la réalisation de plusieurs figures présentes dans ce mémoire.

Des remerciements s’adressent aussi à toute ma famille, plus particulièrement ma mère et mon père pour leurs encouragements.

Finalement, j’aimerais remercier le Conseil de la vie française en Amérique qui a cru en mon projet dès le début en m’octroyant une bourse d’étude me permettant de supporter financièrement mon séjour dans la région de Moncton au Nouveau-Brunswick, à l’automne 2002.

iv Table des matières

Résumé...... ii

Avant Propos...... iii

Table des matières ...... iv

Liste des figures...... vi

Liste des tableaux...... ix

Liste des photos ...... x

Introduction...... 1

Chapitre I Repères géo-historiques de la communauté francophone du Nouveau-Brunswick et de celle du Grand Moncton avant 1960 ...... 15

1.1 Colonisation française...... 16 1.2 Colonisation anglaise ...... 18 1.3 Le développement de Petcoudiac...... 19 1.4. La renaissance des communautés francophones du Nouveau-Brunswick...... 23 1.5 Milieu politique...... 25 1.6 Milieu associatif...... 26 1.7 Médias et presse écrite ...... 30 1.8 Milieu institutionnel et développement économique...... 32 1.9 Milieu de l’éducation...... 37 1.10 Milieu culturel...... 39 1.11 Présence francophone dans la grande région de Moncton ...... 41 1.12 Vivre en français à Moncton...... 42 1.13 Schéma de l’espace francophone...... 44

Chapitre II Le temps des réformes et des revendications sociales : 1960 à 1980...... 47

2.1 Milieu politique...... 48 2.2 Milieu de l’éducation...... 61 2.3 Bouleversements sociaux ...... 65 2.4 Milieu associatif et institutionnel...... 72 2.5 Milieu économique...... 76 2.6 Milieu culturel...... 77 2.7 Milieu religieux...... 80 2.8 Répartition géographique des francophones du Grand Moncton ...... 83 2.9 Schéma de l’espace francophone...... 86 v

Chapitre III Consolidation des acquis et développement de la francophonie : 1980 à 2002 ...... 89

3.1 Milieu politique et juridique ...... 90 3.2 Milieu de l’éducation...... 99 3.3 Milieu associatif et institutionnel...... 108 3.4 Milieu économique...... 116 3.5 Milieu culturel...... 119 3.6 Développement des réseaux francophones...... 124 3.7 Ville de Moncton et développement de la francophonie...... 126 3.8 Paysage linguistique...... 131 3.9 Répartition géographique des francophones du Grand Moncton ...... 135 3.10 Origine ethnique ...... 137 3.11 Langue maternelle et langue parlée à la maison...... 143 3.12 Indice de continuité linguistique...... 156 3.13 Langue parlée au travail...... 160 3.14 Schéma de l’espace francophone...... 164

Conclusion ...... 168

Bibliographie ...... 177

Annexe A ...... 187 Cadre de référence pour les entrevues semi-dirigées...... 188

Annexe B ...... 195 Loi 88...... 196

vi Liste des figures

Figure 1 Terrirore du Grand Moncton...... 1

Figure 2 Concept d’espace francophone ...... 8

Figure 3 Acadie néo-écossaise avant 1755 ...... 17

Figure 4 Familles francophones établies dans la région du Coude, 1750...... 20

Figure 5 Établissements des francophones sur le territoire du Nouveau-Burnswick actuel, après 1763 ...... 24

Figure 6 Rues habitées par les familles francophones de Moncton en 1895...... 42

Figure 7 Espace francophone de Moncton avant 1960 ...... 45

Figure 8 Les quinze comtés du Nouveau-Brunswick en 1960...... 53

Figure 9 Carte de la Province acadienne...... 60

Figure 10 Par qui seront-ils écrasés...... 68

Figure 11 What?...... 68

Figure 12 Population catholique du Grand Moncton d'origine ethnique française, 1962 ...... 81

Figure 13 Population catholique du Grand Moncton d'origine ethnique française, 1973 ...... 82

Figure 14 Population catholique du Grand Moncton d'origine ethnique française, 1980 ...... 82

Figure 15 Rues habitées par les familles francophones de Moncton en 1895...... 83

Figure 16 Population d’origine ethnique française de Moncton, 1961...... 84

Figure 17 Espace francophone du Grand Moncton,1960-1980 ...... 86

Figure 18 Population étudiante du grand Moncton inscrite au programme d’immersion française, 1976...... 103

Figure 19 Population étudiante du grand Moncton inscrite au programme d’immersion française, 1986...... 104 vii

Figure 20 Population étudiante du grand Moncton inscrite au programme d’immersion française, 1996...... 105

Figure 21 Population étudiante du grand Moncton inscrite au programme d’immersion française, 2001...... 106

Figure 22 Pourcentage de la population d’origine ethnique française du Grand Moncton, secteur de dénombrement, 1981 ...... 140

Figure 23 Pourcentage de la population d’origine ethnique française du Grand Moncton, aire de diffusion, 2001 ...... 141

Figure 24 Population totale du Grand Moncton d’origine ethnique française, aire de diffusion, 2001...... 142

Figure 25 Langue des ménages du quartier Sunny Brae selon le patronyme, 1961-2001 ...... 146

Figure 26 Population totale du Grand Moncton ayant le français comme langue maternelle, secteur de dénombrement, 1981 ...... 148

Figure 27 Pourcentage de la population du Grand Moncton ayant le français comme langue maternelle, secteur de dénombrement, 1981...... 149

Figure 28 Population totale du Grand Moncton ayant le français comme langue maternelle, aire de diffusion, 2001 ...... 150

Figure 29 Pourcentage de la population du Grand Moncton ayant le français comme langue maternelle, aire de diffusion, 2001...... 151

Figure 30 Population totale du Grand Moncton ayant le français comme langue d’usage, secteur de dénombrement, 1981 ...... 152

Figure 31 Pourcentage de la population du Grand Moncton ayant le français comme langue d’usage, secteur de dénombrement, 1981 ...... 153

Figure 32 Population totale du Grand Moncton ayant le français comme langue d'usage, aire de diffusion, 2001 ...... 154

Figure 33 Pourcentage de la population du Grand Moncton ayant le français comme langue d'usage, aire de diffusion, 2001...... 155

Figure 34 Indice de continuité linguistique, population francophone du Grand Moncton, secteur de dénombrement, 1981 ...... 158

viii

Figure 35 Indice de continuité linguistique, population francophone du Grand Moncton, aire de diffusion, 2001 ...... 159

Figure 36 Pourcentage de la population du Grand Moncton utilisant le plus souvent le français à son lieu de travail, aire de diffusion, 2001 ...... 163

Figure 37 Espace francophone du Grand Moncton, 1980-2002 ...... 167

ix Liste des tableaux

Tableau 1 Population francophone de l’Acadie des Maritimes...... 15

Tableau 2 Répartition (en nombres et en pourcentages) des employés des principales entreprises de Moncton, selon l'appartenance linguistique et l'employeur, par année choisie...... 34

Tableau 3 Population étudiante de l’Université de Moncton, 1963-1971...... 64

Tableau 4 Localités ayant accueilli les Jeux de l’Acadie et nombre de participants : 1979-2003 ...... 114

Tableau 5 Ménages canadiens contenant au moins un utilisateur régulier d’Internet, selon le lieu d’accès ...... 125

Tableau 6 Magasins à grande surface ayant obtenu, pour l’année 2001-2002, les meilleurs résultats au niveau de l’affichage en français dans la grande région de Moncton……………………………………………………………………..134

x Liste des photos

Photo 1 Louis J. Robichaud ...... 47

Photo 2 Ville de Moncton...... 75

Photo 3 Radio communautaire Beauséjour...... 111

Photo 4 Centre culturel Aberdeen...... 122

Photo 5 Herménégilde Chiasson...... 123

Introduction

« Moncton. Un lieu exact, une erreur monumentale sur la carte de notre destin, le nom de notre bourreau commun graffiti sur la planète. Moncton. Un espace difficile à aimer (un espace difficile pour aimer), une ville qui nous déforme et où nous circulons dans les ramages du ghetto. Et pourtant, c'est de cet espace que jaillit notre conscience, vécu dans les méandres de la diaspora et articulée dans un faisceau rutilant de colère et d'ironie1». Herménégilde Chiasson

Au début des années 1960, la grande région de Moncton est loin d'être un milieu propice au développement et à l'épanouissement d’une communauté francophone minoritaire. Au plan géographique, les francophones sont, à cette époque, dispersés sur l’ensemble du territoire du Grand Moncton qui comprend les municipalités de Moncton, Dieppe et Riverview tel qu’illustré sur la figure 1.

Territoire du Grand Moncton

Figure 1 Carte réalisée par Martin Durand, Ottawa, février 2004

1 Gérald Leblanc, L'Extrême frontière : poèmes 1972-1988, Moncton, Éditions d'Acadie, 1988, p.7. 2

L’établissement des francophones sous la forme d’îlots dans les quartiers de Parkton, Sunny Brae ou encore Lewisville amène le géographe Jean-Claude Vernex à conclure en 1969 : « En réalité, ces quartiers forment des îlots de peuplement isolés les uns des autres, non un bloc d'un seul tenant, îlots dont la population totale d'origine française ne dépasse jamais 2600 habitants. Il n'est point étonnant que ce fractionnement de la population francophone favorise l'assimilation2».

En plus d'être dispersée sur l'ensemble du territoire, la population de langue française de Moncton, qui représente 32,1% de la population totale en 19613, n’a fait que de timides avancées sur les plans économique, culturel, institutionnel et social4. Les années 1960 sont aussi marquées par les nombreuses tensions qui existent entre les francophones et les anglophones. La présence à la mairie de Moncton, entre 1963 et 1974, de Leonard C. Jones5, un homme farouchement opposé au bilinguisme, rend le dialogue entre les deux communautés linguistiques difficile. De plus, l'affichage commercial est alors essentiellement, sinon totalement en anglais. L’accueil réservé aux unilingues francophones dans les commerces est souvent très froid, voire hostile6.

Pour ceux et celles qui quittent le Nord majoritairement francophone pour s'établir dans la grande région de Moncton pour y trouver du travail ou encore pour venir y étudier (surtout après 1963, année de la création de l’Université de Moncton), il s’agit d’un vrai choc culturel7. Encore aujourd'hui, certains étudiants rencontrés sur le campus universitaire de Moncton nous ont avoué avoir éprouvé des difficultés à s’adapter à ce nouvel

2 Jean-Claude Vernex, «Densité ethnique et assimilation : les francophones à Moncton», Revue de l’Université de Moncton, vol. 2, no. 3 (1969), p.160. 3 Ibid., p.160. 4 Au plan économique par exemple, peu d'entrepreneurs francophones ont, à cette époque, réussi à faire leurs marques dans le milieu des affaires. Toutefois, la mutuelle d'assurance Assomption-Vie est un bel exemple de réussite. Au plan institutionnel, l'Université de Moncton reçoit officiellement son statut d'université le 15 juillet 1963. Au plan artistique, seulement quelques artistes réussissent à se tailler une place à travers cet énorme marché anglophone (Antonine Maillet, Ronald Després, tous deux publiés au Québec). 5 E.W. Larracey, Resurgo : L'histoire de Moncton, des débuts jusqu'à 1990, Moncton, Ville de Moncton, 1999, vol. 2, p. 373. 6 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec le Père Maurice Légère à Moncton à l’automne 2002. 7 L’ensemble des personnes ayant quitté leur région majoritairement francophone pour s’établir à Moncton au début des années 1960 que nous avons rencontrées, à l’automne 2002, nous ont confirmé ce constat. 3 environnement linguistique après avoir quitté leur région majoritairement francophone du nord du Nouveau-Brunswick8.

Dans le but de transformer le visage anglophone et conservateur de la ville de Moncton, de nombreuses actions ont été entreprises depuis les quinze dernières années par les membres de la communauté, mais aussi par les différents paliers gouvernementaux et les organismes communautaires. En ce sens, le geste le plus significatif est l’adoption par le conseil de ville, en août 2002, d’une résolution visant à faire de Moncton une ville officiellement bilingue, la première au Nouveau-Brunswick. La tenue à Moncton, en 1994, du Ier Congrès mondial acadien et, en 1999, du VIIIe Sommet de la Francophonie sont d’autres exemples illustrant le développement de la francophonie dans la grande région de Moncton au cours des 40 dernières années.

Les différentes conjonctures, tant politique, sociale, culturelle qu’économique, ainsi que les nombreux combats menés par les francophones au sein des conseils scolaires, des conseils municipaux, des associations régionales, des regroupements économiques et des partis politiques sont sous-jacents au développement et à la consolidation de la francophonie dans la grande région de Moncton. Par exemple, la création des lois fédérale et provinciale sur les langues officielles, l’implantation d’institutions axées sur le rayonnement de la culture francophone (Centre culturel Aberdeen, Société Radio-, Université de Moncton) et le dynamisme économique de la population de langue française sont quelques-uns des éléments ayant contribué à ce développement. Ces gains amassés, au fil des ans, ont permis de transformer l’espace francophone du Grand Moncton. Les droits de la communauté de langue française reposent aujourd’hui sur plusieurs postulats fondamentaux (exemple : nouvelle loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, le statut bilingue de la ville de Moncton...). De plus, des modifications substantielles ont été apportées à l'espace institutionnel et à l'espace vécu des francophones de la région. Par conséquent, l’ensemble de ces éléments a solidifié les assises de la communauté minoritaire.

8 Nous avons abordé ce sujet avec deux étudiants et une étudiante du nord du Nouveau-Brunswick qui ont bien voulu partager leur, impression, avec nous, mais qui ne voulaient pas être cités dans cette étude.

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Dans le but de mieux comprendre comment cette dynamique en milieu urbain s’est construite, développée et consolidée, nous pouvons nous poser la question suivante comportant deux volets : quels sont les éléments qui caractérisent la zone d'influence francophone du Grand Moncton depuis 1960 et comment cette zone a-t-elle évolué, tant au niveau des postulats, de l’espace vécu et de l’espace institutionnel, qu'au niveau des liens supra-régionaux qui viennent s'y greffer ?

Depuis 1960, de nombreuses entreprises, écoles et autres institutions francophones ont vu le jour à Moncton. De plus en plus de services, d'actions communautaires et de loisirs sont offerts aux citoyens francophones de la région. Sur le plan artistique, par exemple, grâce au Festival international du cinéma francophone en Acadie, Moncton est un lieu important de diffusion cinématographique. Au plan économique, les réussites sont nombreuses comme en fait foi le succès pancanadien de la chaîne de restaurants Pizza Delight et le rôle important joué par la compagnie d’assurance Assomption-Vie dans les provinces maritimes. De plus, avec l'apparition du complexe l’Assomption au centre-ville et de l'axe Archibald-St George (qui comprend l'Hôpital Georges-Dumont, les bureaux de la Société Radio-Canada, le Centre culturel Aberdeen et autres), les francophones se sont appropriés un espace urbain qui était essentiellement occupé par les anglophones au début des années 1960. Au-delà de ces préoccupations territoriales, la grande région de Moncton s'est taillée une place importante dans la francophonie canadienne et nord-américaine grâce au développement de réseaux qui se sont mis en place bien avant que Moncton n'accueille le Congrès mondial acadien en 1994 et le Sommet de la Francophonie en 1999. Par conséquent, nous pouvons poser l’hypothèse suivante : la zone d’influence francophone du Grand Moncton a connu une forte expansion, entre 1960 et 2002, due majoritairement aux réalisations des francophones tant dans les domaines économique, social, institutionnel que culturel renforçant ainsi l’espace vécu, l'espace institutionnel, les postulats et les liens supra-régionaux de la communauté. Nous pouvons aussi avancer que l’expansion de la zone d’influence francophone s’explique, en partie, par la création de l’Université de Moncton, par la multiplication des réseaux et des institutions francophones, mais aussi par un changement d’attitude récent de la part de la population anglophone de la ville face au bilinguisme. 5

Tout comme la communauté de langue française de Moncton, les francophones vivant en milieu minoritaire dans différentes villes du Canada ont dû et doivent faire face à de nombreuses contraintes économiques, politiques et sociales qui viennent perturber l’espace qu’ils occupent en milieu urbain. Par conséquent, nous espérons que cette étude permettra de développer des connaissances au sujet de l’appropriation de l’espace par les francophones vivant en milieu minoritaire et, bien sûr, en milieu urbain.

La présente étude a donc pour but de retracer l’évolution de l’espace francophone du Grand Moncton, défini par le concept de « zone d'influence francophone en milieu urbain », sur une période s’échelonnant entre 1960 et 2002. Nous n'avons donc pas l'intention d'étudier les actions identitaires des francophones du Grand Moncton. Ces gestes, posés au quotidien9 par la population de langue française et qui visent à maintenir, préserver et développer leur francophonie, demandent une étude qui se veut très délicate et qui nécessite une enquête de terrain beaucoup plus approfondie et multidisciplinaire.

Pour être en mesure de quantifier et de qualifier l'espace francophone, il est indispensable de bien définir ce concept qui a été, à plusieurs reprises, utilisé par de nombreux chercheurs au cours des 30 dernières années. Mentionnons, entre autres, Anne Gilbert, Micheal O’Keefe, André Langlois et Philippe Falardeau qui ont tous travaillé sur la thématique de l’espace francophone10. De plus, les sujets gravitant autour du phénomène de la mondialisation sont de plus en plus populaires et le thème de la francophonie en est un bel exemple. C’est dans cette optique que les travaux de Didier de Robillard sur l’espace francophone ont été réalisés11. Par conséquent, plusieurs auteurs ont influencé notre démarche nous permettant d’élaborer le concept d’espace francophone utilisé pour cette étude. Un survol des plus récentes études abordant le thème de l’espace francophone nous

9 Par exemple, la décision pour certains parents d’inscrire leur enfant à l’école française plutôt que dans un programme d’immersion ou le fait d’exiger un service en français dans un commerce sont des exemples d’actions identitaires posées au quotidien par la population de langue française en milieu minoritaire. 10 Consulter les articles suivants à ce sujet : André Langlois, «L’espace comme élément stratégique : l’importance de la répartition géographique des francophones de l’Ontario», Études canadiennes/Canadian studies, no. 30, p.13-30. ; Philippe Falardeau, Hier, la francophonie : fenêtre historique sur le dynamisme des communautés francophones et acadiennes du Canada, Ottawa, La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, 1992, 78p. ; Anne Gilbert, Espaces franco-ontariens : essai, Ottawa, Ontario : Éditions du Nordir, 1999, 198 p. 11 Didier de Robillard, Le français dans l'espace francophone, Paris, H. Champion, 1993, 121p.

6 permettra de mieux définir les éléments retenus pour l’élaboration du concept utilisé pour cette étude.

État des recherches sur l’espace francophone

Quelques spécialistes de la géographie urbaine et de la francophonie se sont penchés sur le thème précis de l’espace francophone. Dans le contexte canadien, l’étude de Thériault et Falardeau nous démontre que la francophonie canadienne ne peut prétendre à un espace géographique bien délimité. C’est pourquoi ces auteurs ont élaboré un concept original qui permet de redéfinir la francophonie selon un concept spatial plus large que ceux basés sur une entité territoriale. Sur ce thème précis, les deux auteurs s’expriment comme suit : « Aussi longtemps que nous percevrons l’espace francophone en fonction de l’espace politique et territorial habituel, le fait français conservera ses attributs minoritaires12 ».

Le concept que ces deux auteurs avancent déborde de la notion de territoire. Ils proposent un concept « d’espace psychologique ». Cette approche suppose que des liens d’interdépendance soient créés entre les communautés. D’autres auteurs se sont penchés sur l'étude des francophonies minoritaires en milieu urbain dans des contextes linguistiques mixtes. Malheureusement, ces études sont peu nombreuses. Mentionnons, toutefois, l’ouvrage de Robert Stebbins sur les Franco-Calgariens, celui de Maxwell sur les francophones de , l'étude de Jackson sur Tecumseh près de Windsor et, finalement, les recherches de Greg Allain sur la communauté francophone de St-Jean et celle de Fredericton au Nouveau-Brunswick.

Notre concept d’espace francophone

Il faut, d’entrée de jeu, souligner que l'espace est fondamentalement un produit social. Il est l’objet d’une appropriation, le lieu du déploiement des stratégies de groupes,

12 Aurèle Thériault et Philippe Falardeau, «Pour un espace francophone : obsèques du réflexe minoritaire», L’Action nationale, vol. 80, no.10, (décembre 1990), p.1456. 7 une réalité physique et il se modèle selon la perception que nous en avons13. Pour bien analyser cet espace, nous devons nous intéresser à son découpage. De plus, l’espace ne peut pas être étudié par les géographes comme une catégorie indépendante, puisqu’il n’est justement rien d’autre qu’un des éléments du système social. En fait, si nous voulons avoir une compréhension plus globale de l’espace, il nous faut analyser les sous-systèmes sociaux localisés. Ainsi, nous pourrons examiner les forces et les rapports de production, explorer les niveaux idéologiques, politiques et culturels de la dynamique sociale. Pour ce faire, le géographe doit enquêter sur le terrain, mais l'enquête doit rester un moyen et non une fin en soi14.

Dans le cadre de cette étude, c’est surtout le développement et l'évolution de l'espace qui nous intéresse. Sur une période de 40 ans, comment les francophones du Grand Moncton se sont-ils appropriés l’espace ? Comment cette zone d'influence francophone s'est-elle transformée tout au long de cette période ? Quelles sont les limites d'une telle zone ? Comme Paulet le souligne : « Les villes que les hommes construisent reflètent à un moment donné, l’image que les hommes se font du monde15». En effet, la grande région de Moncton, en 1960, ne peut refléter la même francophonie que la grande région de Moncton en 2002. La culture politique, les débats, les projets de société et le développement économique sont quelques-uns des facteurs qui viennent influencer notre perception du monde.

Pour être en mesure de bien cerner toutes les transformations et l'évolution de l'espace francophone du Grand Moncton, nous avons développé un concept qui dégage quatre éléments influençant la zone d'influence francophone de l'espace urbain étudié : les postulats, l'espace vécu, l'espace institutionnel et les réseaux. Ces éléments sont présentés dans la figure 2.

13 Bernard Kayser, «Systèmes spatiaux et structures régionales», dans Bernard Kayser, Géographie entre espace et développement, Toulouse, PUM, 1990, p.60. 14 Ibid., p.237. 15 Paulet, op. cit., p. 184.

Figure 2 Schéma réalisé par Martin Durand

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D'abord, pour bien comprendre la dynamique particulière liée à la vie des francophones en milieu minoritaire et leur rapport à l’espace, reconnaissons que la situation des francophones est différente des autres communautés culturelles du Canada (mise à part, dans certains cas, les communautés autochtones). En effet, les francophones bénéficient d’une situation privilégiée par rapport aux autres communautés minoritaires. La Loi sur les langues officielles et la Constitution canadienne (dans le cas du Nouveau- Brunswick, mentionnons la nouvelle Loi sur les langues officielles, la Loi 88 et l’adoption d’un statut bilingue par la ville de Moncton) sont des dispositions qui protègent les droits des francophones vivant en milieu minoritaire. Les politiques gouvernementales du Secrétariat d’État et de Patrimoine canadien sont, elles aussi, fondamentalement liées au développement et à l’épanouissement (articles 41 et 42) des communauté francophones (et anglophones) minoritaires. Finalement, le Commissariat aux langues officielles joue, lui aussi, un rôle important dans cette dynamique puisqu’il veille au respect des modalités de la L.L.O. du gouvernement fédéral et de ses dispositions. Le regroupement de tous ces éléments nous permet d’affirmer qu'il existe des «postulats» fondamentaux qui influencent directement l'évolution, la consolidation et le développement de la zone d'influence francophone en milieu urbain. C'est ce que nous avons représenté en gris dans la figure 2.

Ensuite, nous devons souligner l’apport (financier, juridique, matériel) important des différents paliers de gouvernement auprès des institutions, des associations et des organismes communautaires. Parmi ceux présents à Moncton, mentionnons la Société Radio-Canada, l’Hôpital Georges-Dumont, le Centre culturel Aberdeen, différents quotidiens et revues, les centres jeunesses… Cette catégorie comprend aussi le système d’éducation et la religion qui, à leurs façons respectives, participent à l’encadrement institutionnel de la population francophone du Grand Moncton. Cette partie appelée «espace institutionnel» est représentée par la couleur bleue dans la figure 2. Cet espace, qui assure les fondements institutionnels de la communauté, agit directement sur la zone d'influence francophone et vice versa.

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«L'espace vécu», représenté par la couleur verte dans la figure 2, est, lui aussi, un élément extrêmement important qui alimente la zone d'influence francophone. Associé au milieu familial, au milieu du travail, aux loisirs et au paysage linguistique (l'affichage), cet espace, bien que plus difficile à mesurer, doit être étudié pour bien décrire et analyser l'évolution de l'ensemble de l'espace francophone du Grand Moncton.

Finalement, il faut ajouter un phénomène plutôt récent à ce schéma, celui des «réseaux». Les chercheurs qui s’intéressent aux communautés francophones minoritaires ne peuvent, dans leurs études, faire abstraction des liens supra-territoriaux. En effet, les différents chercheurs qui ont étudié les francophones en milieu minoritaire ont pratiquement tous ignoré, jusqu’à tout récemment16, les liens importants qui s’opèrent entre les communautés minoritaires de langue française. C’est pourquoi l’étude de ces communautés ne doit pas se restreindre au niveau local, mais doit être ouverte à une dynamique francophone qui s’opère au-delà du local, allant du régional à l’international, en passant souvent par le provincial et le national17. L'élément «réseaux» est représenté par la couleur orange dans la figure 2.

À un moment ou à un autre de la période étudiée, certains postulats viendront s'ajouter à notre schéma, des éléments de l'espace vécu ou de l'espace institutionnel seront ajoutés ou seront soustraits au rythme des luttes, des gains et des pertes de la communauté francophone. De plus, pour faciliter la compréhension du lecteur, nous ajouterons des exemples à l’intérieur des différentes catégories sélectionnées et nous augmenterons ou diminuerons la grosseur des catégories selon leur importance relative durant la période à l’étude. Finalement, chacun des chapitres de ce mémoire se terminera par une analyse et une interprétation du schéma de l'espace francophone du Grand Moncton.

L'approche conceptuelle que nous venons de présenter n'est pas la seule qui aurait

16 Voir les actes du colloque «La Francophonie internationale et la mondialisation : un univers de réseaux», dans la Revue de l’Université de Moncton, 2001, numéro hors série. 17 Fernand Harvey, «Le champ de recherché sur les communautés francophones minoritaires du Canada : sa structuration, ses orientations», Francophonies d’Amérique, no.14 (2002), p.18. 11

pu être utilisée pour étudier l'espace francophone du Grand Moncton18. Toutefois, nous croyons que le modèle que nous avons conçu s'applique particulièrement bien à l’étude des communautés francophones minoritaires en milieu urbain. Il ne faut pas oublier, comme le souligne Simon Laflamme, que : « Un modèle théorique doit simplifier la complexité ; il ne doit pas l'altérer. Et un modèle n'est jamais qu'une possibilité de la construction analytique de la réalité observée, ce qui signifie qu'il pourrait y avoir d'autres modélisations, à partir, par exemple, d'autres catégories analytiques, d'autres variables19».

Approche méthodologique

Au plan méthodologique, nous avons décidé de suivre les recommandations du sociologue Greg Allain qui, pour assurer une meilleure validité des données recueillies lors de son étude de la communauté francophone de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick en 1999, a décidé de «faire appel à la triangulation, c'est-à-dire de recourir à plusieurs techniques de collecte d’information20». Par conséquent, nous avons décidé de jumeler l'enquête de terrain à une approche semi-dirigée d’entrevues et à une revue détaillée de la littérature produite sur l’étude des minorités de langues officielles.

Tout d'abord, nous avons séjourné quatre mois au sein de la communauté francophone du Grand Moncton. Durant ce séjour, nous avons utilisé une technique d’enquête de terrain basée sur l’observation participante. Ce type d’enquête comporte, comme son nom l’indique, deux volets : l’observation et la participation. En ce qui concerne le premier volet, notre séjour dans la région du Grand Moncton nous a, entre autres, permis de circonscrire les caractéristiques particulières du paysage linguistique. De plus, nous avons, à de nombreuses reprises, visité des commerces, des institutions, des cafés, des bars et des restaurants dans le but de connaître la langue la plus souvent utilisée au niveau de l’offre de service. En parcourant les rues, en visitant ou en fréquentant les

18 Le concept des balanciers compensateurs développé par Allard et Landry aurait aussi pu être utilisé pour réaliser cette étude. À ce sujet consulter : Rodrigue Landry et Réal Allard, «L'éducation dans la francophonie minoritaire», dans Joseph Yvon Thériault, Francophonies minoritaires au Canada : l'état des lieux, p. 418. 19 Simon Laflamme, «Alternance linguistique et postmodernité», Francophonies d'Amérique, no. 12 (2001), p.108. 20 Greg Allain, «La communauté francophone de Saint-Jean, Nouveau-Brunswick : de la survivance à l'affirmation», Francophonies d'Amérique, no. 14 (2001), p. 38.

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lieux publics, les librairies, les écoles et les hôpitaux, nous nous sommes familiarisés avec le territoire à l’étude. La deuxième partie de notre enquête de terrain nous a amené à participer à des événements culturels, à séjourner chez des résidents de la ville, à participer à des sports collectifs et surtout à ne pas hésiter à rencontrer les gens habitant ou encore travaillant sur le territoire. Chacune de ces rencontres était agrémentée de discussions variées abordant différents sujets liés à la vie en milieu minoritaire. Ainsi, nous avons acquis une meilleure compréhension des attentes, des préoccupations, mais aussi des activités quotidiennes façonnant la vie de la population de langue française. Cette deuxième partie de l’enquête de terrain nous permet de compléter et d’enrichir les informations diffusées à la suite des recensements.

En plus des dizaines de personnes que nous avons rencontrées lors de notre enquête de terrain, nous avons aussi sélectionné 35 intervenants avec qui nous avons réalisé des entrevues semi-dirigées. Ces hommes et femmes représentent les différents profils de la communauté francophone et anglophone de Moncton. Ces profils sont les suivants : le milieu économique, le milieu politique, le milieu culturel, le milieu social, le milieu institutionnel et le milieu linguistique. Afin de déterminer qui seraient les intervenants retenus pour les entrevues, nous avons opté pour une démarche sociologique appelée «échantillon en boule de neige» (snowball sampling)21. Cette méthode permet une plus grande objectivité lors de la sélection de l'échantillon nécessaire à notre étude qualitative. Le but consiste à contacter les meilleurs informateurs de la communauté à l’étude par l'entremise de contacts locaux. Une fois que ceux-ci ont déterminé qui sont les intervenants les mieux placés pour parler d'un profil en particulier (par exemple, le milieu culturel), le chercheur doit rencontrer ces informateurs et leur demander à leur tour qui, à leur avis, sont les mieux placés pour parler ou représenter leur domaine. L'échantillon est déterminé une fois que tous les intervenants ont été réunis et qu'aucun nouvel intervenant n’a été identifié. Nous avons procédé de cette façon pour tous les profils mentionnés ci-

21 Benoît Gauthier, Recherche sociale : de la problématique à la collecte des données, Sillery, Presses de l'Université du Québec, 1984, p. 209. Cette approche a aussi été utilisée par Wilfrid Denis dans son étude de la complétude institutionnelle des communautés françaises de la Saskatchewan en 1992. Wilfrid B. Denis, «La complétude institutionnelle et la vitalité des communautés fransaskoises en 1992», Cahiers franco-canadiens de l’Ouest, vol. 5, no. 2, p. 264.

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haut. Après avoir discuté avec les informateurs qui nous avaient été suggérés, nous avons déterminé que cinq intervenants par profil étaient suffisants pour assurer la représentativité de celui-ci. En effet, un plus grand nombre d’intervenants aurait apporté une certaine redondance aux propos recueillis. Ceci explique pourquoi nous avons à cinq reprises, lors de notre sélection, éliminé un intervenant. Finalement, notre échantillon ne comporte aucun anglophone de langue maternelle à l'exception de M. Sullivan, assistant gérant à la ville de Moncton. Il s'agit là d'une des limites de notre approche puisque la communauté anglophone est largement sous-représentée. Nous avons placé à l’annexe A, la liste des intervenants sélectionnés, la grille utilisée pour la construction des questionnaires ainsi qu’un questionnaire de base à partir duquel nous avons réalisé l’ensemble de nos entrevues.

Pour appuyer les commentaires des intervenants et aussi pour visualiser plus facilement l'évolution démographique de la population francophone du Grand Moncton, nous avons retenu les données des recensements de 1961, de 1981 et de 2001. Les variables linguistiques ayant retenu notre attention sont les suivantes : l’origine ethnique française, la langue maternelle française, la langue parlée à la maison, la langue parlée au travail et l’indice de continuité linguistique. Elles sont représentées dans ce travail à l'aide de figures et de tableaux.

Le plan de travail que nous avons adopté pour la réalisation de cette étude comporte trois approches différentes. La première est une approche chronologique puisque nous nous intéressons à une période de 40 ans s'échelonnant de 1960 à 2002. Chacun des chapitres suit donc une logique temporelle. Nous avons aussi opté pour une approche thématique. De nombreux thèmes comme le milieu économique, politique, social, culturel et religieux sont abordés à l’intérieur de chacun des chapitres. Ces thèmes nous permettent de mieux suivre les luttes et les débats liés au développement de la zone d'influence francophone de Moncton. Finalement, la dernière approche, plus conceptuelle, nous rapporte au schéma de l'espace francophone qui a été présenté plus tôt. L'interprétation des résultats se rapportant à chacune des décennies nous permettra de cerner et d'analyser l'évolution de la zone d'influence francophone du Grand Moncton puisque nous porterons 14 une attention particulière aux éléments suivants : les postulats, l'espace institutionnel, l'espace vécu et les liens supra régionaux.

Bien que la période à l'étude dans cet ouvrage s'échelonne de 1960 à 2002, il est important de donner quelques repères historiques liés au développement de la communauté francophone de la grande région de Moncton avant 1960. C’est pourquoi le premier chapitre de ce travail trace le portrait des communautés francophones du Nouveau- Brunswick, et plus particulièrement celle de Moncton, de l’arrivée des premiers francophones jusqu’à la fin des années 1950.

Chapitre I

Repères géo-historiques de la communauté francophone du Nouveau-Brunswick et de celle du Grand Moncton avant 1960

L'année 2004 marque le 400e anniversaire de la présence française au Canada. Pour souligner cet événement, la grande famille acadienne se donne rendez-vous au IIIe Congrès mondial acadien qui se tiendra en Nouvelle-Écosse à l'été 20041. D'une petite communauté francophone qu'elle était au milieu du XVIIe siècle avec à peine 400 habitants, l'Acadie des Maritimes, telle que définie par Gratien Allaire2, compte maintenant près de 285 000 parlants français, ce qui représente, en 2001, un peu plus de 16% de la population totale des provinces maritimes3 (voir tableau 1). Les francophones sont aujourd'hui dispersés aux quatre coins des Maritimes, de Tracadie (Nouveau-Brunswick) à Chéticamp (île du Cap- Breton), en passant par Moncton (Nouveau-Brunswick) et la Région évangéline (l’île-du- Prince-Édouard).

Population francophone de l’Acadie des Maritimes Tableau 1

île-du- Nouvelle- Nouveau- Canada Prince- Écosse Brunswick Total Édouard

Population 29 639 035 133 385 897 570 719 710 1 750 665 totale

Nombre de parlants 6 864 615 6 005 36 740 242 060 284 905 français

% de parlants 23,16% 4,50% 4,09 33,63% 16,27% français

Source Statistique Canada, 2001.

1 Pour plus d’information, consulter le site Internet officiel du Congrès mondial acadien à l’adresse suivante : http://www.cma2004.com/ 2 Gratien Allaire, La francophonie canadienne : Portraits, Sudbury-Québec, Prise de parole/CIDEF-AFI, 2001, p. 41. 3 Statistique Canada : http://www.statcan.ca/francais/Pgdb/demo18a_f.htm

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Dans le but d’analyser et de mieux comprendre l’évolution de la communauté francophone du Grand Moncton, nous devons, en premier lieu, définir la population qui compose cet espace, s’interroger sur son histoire, ses réalisations et déterminer comment elle a assuré son développement et son épanouissement depuis les 400 dernières années. La première partie de cette étude vise donc à tracer l'histoire du développement des communautés francophones du Nouveau-Brunswick, et plus particulièrement celle du Grand Moncton avant 1960.

1.1 Colonisation française

Bien que de nombreux pêcheurs basques, normands et bretons fréquentent les côtes des Maritimes bien avant le début du XVIIe siècle, le développement et l'implantation d'une colonie française en Amérique ne débute officiellement qu'en 1604 avec l'arrivée de commerçants et de négociants français dont Samuel de Champlain et Pierre Du Gua de Monts. En 1603, ce dernier obtient du roi Henri IV un monopole de traite, d'une durée de dix ans, sur le territoire s'étendant du 40e au 46e degrés de latitude nord. Les premiers colons français s'établissent d’abord à l'île Sainte-Croix, située dans l'actuelle baie de Fundy, aux limites du Maine et du Nouveau-Brunswick, puis à Port-Royal dès l’année suivante. Au XVIIe siècle, la présence française en Acadie se limite à l'activité commerciale de quelques hommes. Ce territoire, compris entre les établissements français de la vallée du Saint-Laurent (à l'ouest) et les colonies britanniques de la Nouvelle-Angleterre (au sud-est), fait l'objet de nombreuses tractations politiques qui ont pour dénouement l'établissement permanent d'une colonie royale française en 1670. À cette époque, environ 400 colons sont dispersés au sein de quelques établissements comme Beaubassin, Grand-Pré et Chipoudie bien que Port-Royal soit encore le seul établissement d'importance. La figure 3 présente les principaux établissements acadiens avant 1755.

Acadie néo-écossaise avant 1755

Figure 3 Carte réalisée par Craig Brigley et reproduite ici à partir des collections numérisées du Canada : Atlas historique acadien de la Nouvelle-Écosse http://collections.ic.gc.ca/neo-ecossaise/fr/regions.htm 17

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Grâce au développement du système des aboiteaux4, la population réussit à entretenir des terres agricoles très fertiles ce qui, par le fait même, lui permet de vivre sans avoir à se soucier des famines et des épidémies.

La position géographique de l'Acadie lui donne une place peu envieuse lorsque surviennent des conflits entre les empires coloniaux français et anglais d’Amérique. Entre 1689 et 1748, les Acadiens doivent, au rythme des nombreux conflits5, s'adapter afin d’assurer leur sécurité et leur développement sur le territoire nord-américain. En 1704, 1707 et 1710, par exemple, ils font l'objet de nombreuses attaques (notamment à Port- Royal), mais réussissent à résister et à surmonter les difficultés. Ils n'hésitent pas non plus à prêter serment d'allégeance à la France, en 1697, en échange de vivres et de produits de toutes sortes6. Toutefois, le XVIIIe siècle s’ouvre sur un autre conflit qui se solde par le traité d’Utrecht (1713) mettant fin à la guerre de Succession d'Espagne. Au terme de cette guerre, la France cède aux Anglais la baie d’Hudson, Terre-Neuve et l’Acadie. L’île Royale (île du Cap-Breton) et l’île Saint-Jean (île-du-Prince-Édouard) demeurent toutefois sous la juridiction française.

1.2 Colonisation anglaise

Le début de la période coloniale anglaise coïncide avec le traité d’Utrecht en 1713 et avec un nouveau mouvement de colonisation, cette fois-ci anglais, qui ne fait que plonger davantage la population francophone dans un climat d’incertitude. Politiquement et juridiquement, l'Acadie n'existe plus. Elle est remplacée par le territoire de la Nova-Scotia7.

4 Maurice Basque, Nicole Barrieau et Stéphanie Côté, L’Acadie de l’Atlantique, Moncton-Québec, SNA/Centre d’études acadiennes/CIDEF-AFI, 1999, p.19. Voir aussi une illustration de ce système dans l’article de Bernard V. LeBlanc et Ronnie-Gilles LeBlanc, «La culture matérielle en Acadie», dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p. 626. 5 La guerre de la Ligue d’Augsbourg (1689-1697), la guerre de Succession d’Espagne (1701-1713) et la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) sont les trois plus importants conflits qui, durant cette période, viendront bouleverser la vie des Acadiens. 6 Jean Daigle, «L'Acadie de 1604 à 1763, synthèse historique», dans, Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes. Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p.20. 7 Basque, op. cit., p.20 et consulter aussi Philippe Doucet, « La politique et les Acadiens », dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes. Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p.301.

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Sur ce territoire conquis, la population francophone et catholique se voit offrir par les Anglais deux options : quitter dans un délai de douze mois suivant la signature du traité ou demeurer sur le territoire et prêter serment d'allégeance au monarque britannique. La très grande majorité décide de rester mais, prise entre deux empires se disputant le contrôle de l'Amérique du Nord, une grande partie de la population adopte une stratégie de neutralité « afin de protéger [ses] intérêts et [ses] acquis sur le territoire en litige8».

1.3 Le développement de Petcoudiac

Durant la première partie du XVIIIe siècle, quelques Acadiens s'installent dans la région de la rivière «Petcoudiac» (Petitcodiac) dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Situé à près de 30 kilomètres de son embouchure, « le cours nord-sud de la Petcoudiac forme une vaste courbe spectaculaire que les Acadiens appellent le Coude9». C'est à cet endroit que se développe la région de Moncton telle qu'on la connaît aujourd'hui. Parmi les premiers francophones à occuper, dans la première moitié du XVIIIe siècle, les terres fertiles situées au nord de la Petcoudiac, mentionnons la famille Thibaudot. D’autres colons, tels que Sylvain Breau, frère du gendre d'Antoine Thibodeau, et son futur beau- frère Jean Darois, implantent une colonie à l'entrée nord de l'anse du Coude située la plus en aval. Se joindront à eux, d'autres membres de la famille Breau, ainsi que Jean Babinot, Paul Trahan et la famille Broussard. Avant l'occupation militaire du milieu du XVIIIe siècle, de nombreuses familles francophones, grâce, entre autres, à la neutralité politique qu'ils pratiquent lors des conflits, réussissent à endiguer les terres situées sur le territoire actuel du Grand Moncton, à cultiver les prés et à construire des maisons10. La figure 4 localise les familles établies dans la région du Coude (aujourd’hui Grand Moncton) vers1750.

8 Phyllis E. Leblanc, «Les grandes périodes de l’histoire de l’Acadie », dans Joseph Yvon Thériault, Francophonies minoritaires au Canada : L’état des lieux, Moncton., Éditions d’Acadie, 1999, p.134-135. 9 Paul Surette, Atlas de l'établissement des Acadiens aux trois rivières du Chignectou : 1660-1755, Moncton, Les Éditions d’Acadie, 1996, p. 148. 10 Ibid., p. 150-151.

Familles francophones établies dans la région du Coude, 1750

Figure 4 Carte reproduite à partir de l’ouvrage de Paul Surette, Atlas de l'établissement des Acadiens aux trois rivières du Chignectou : 1660-1755. Moncton, Les Éditions d’Acadie, 1996. p. 149.

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La neutralité politique des francophones est régulièrement mise à l'épreuve par les nombreux conflits entre les Français et les Anglais, notamment la guerre de Succession d'Autriche (1744 à 1748). À partir de 174911, suite au traité de paix d'Aix-la-Chapelle, les Anglais mettent en place une politique de colonisation qui amène plus de 2000 colons protestants sur le territoire de la . Durant cette période de colonisation, les Acadiens continuent d'affirmer leur position de francophones neutres12 sans que cette approche ne soit nécessairement appuyée par les autorités françaises et britanniques. Les Acadiens se voient donc divisés entre deux positions irréconciliables : une fidélité ultime à la France et une allégeance temporaire à l’Angleterre. En 1749, le gouverneur britannique Cornwallis demande à la population acadienne de prêter serment sans réserve sous peine d'être expulsée. Celle-ci refuse et Cornwallis doit reculer. Charles Lawrence, nommé lieutenant-général en 1753, envisage d'expulser les Acadiens du territoire pour faciliter le développement d’une colonie anglaise et protestante. Le début de la guerre de Sept Ans en Amérique, en 1754, lui donne l'opportunité de mettre son projet à exécution. En juillet 1755, la question du serment d'allégeance n'étant pas encore réglée, car la population acadienne veut encore débattre et discuter de la question, le conseil législatif prend la décision de déporter les Acadiens13.

En 1755, certains habitants du Coude, comme , participent à la défense de l’un des forts construits par les Français dans la région : le . Au début juin, le lieutenant-colonel Monckton et 3000 soldats assiègent le fort. Le 16 juin 1755, suite aux attaques répétées des Anglais, l’armée française, avec à sa tête Dupont de Vergor, capitule et rend le fort aux Britanniques. S’ensuit un guet-apens dans lequel la plupart des hommes de la région tombent14. Une fois les hommes français retenus à l’intérieur du fort, les Anglais demandent aux femmes du Coude de venir rejoindre leurs

11 La fondation d’Halifax en 1749 soutient bien cette volonté du gouvernement britannique d’angliciser massivement la Nouvelle-Écosse. 12 Nous devons quand même mentionner que des partisans acadiens prennent les armes aux côtés des Français qui tentent, en 1744, de reprendre l’Acadie des mains des Britanniques. Cette prise de position fait douter les autorités britanniques quant à la loyauté des Acadiens. Sur la position politique des Acadiens à cette époque, consulter : Philippe Doucet, «La politique et les Acadiens», dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes Études thématiques des débuts à nos jour, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p. 303. 13 Daigle, loc. cit., p. 38-39. 14 Surette, op. cit., p. 153.

22 maris. Devant leur refus, trois vaisseaux anglais remontent la Petcoudiac au début septembre et deux d’entre eux s'arrêtent au Coude. Les 200 soldats anglais présents sur le navire détruisent tous les villages des deux anses avant de repartir15. Au cours du mois d'octobre, des milliers d'Acadiens, dont Joseph Breau et Alexandre Broussard, sont déportés au Massachusetts ou encore en Caroline. Au mois de septembre 1755, quelques membres de la famille Breau tentent de résister à l'envahisseur anglais, mais plus les mois s'écoulent, plus les résistants doivent combattre le froid, la famine et la maladie. En novembre 1758, une autre expédition punitive contre les habitants du Coude a lieu. Le lieutenant-colonel Monckton donne l'ordre au major George Scott de saisir tous les habitants qu'il pourra trouver et de brûler et détruire toutes les maisons, fermes et autres bâtiments qu’il trouvera16. À la suite de la capitulation générale en 1759, certains Acadiens, dont les frères Broussard, quittent pour la Louisiane17. Il faut attendre près de 50 ans avant de voir les francophones s’établir à nouveau sur les berges de la Petcoudiac.

À différents moments entre 1755 et 1763, années associées aux vagues successives de déportation, les habitants de divers établissements de la baie Française de la Nova Scotia (Nouvelle-Écosse), de l’île Saint-Jean et de l'île Royale sont rassemblés et plus de 600018 d'entre eux sont envoyés vers différentes colonies américaines. Certains sont déportés vers les colonies américaines et vers la France tandis que d'autres vont, entre autres, se réfugier dans les bois situés plus au nord du territoire du Nouveau-Brunswick actuel ou encore en Nouvelle-France19. On déporte même des Acadiens en Louisiane, en Guyane française et dans les îles Malouines20.

Suite au traité de Paris mettant fin à la guerre, les Acadiens déportés ont le droit de revenir dans leur région à partir de 1764, mais le Board of Trade leur impose certaines

15 Ibid., p.158, et aussi E.W. Larracey, Resurgo : L'histoire de Moncton, des débuts jusqu'à 1990, Moncton, 1999, vol. 1, p.31-32. 16 Larracey, op. cit., p.38, et aussi Régis Brun, Les Acadiens à Moncton. Un siècle et demi de présence française au Coude, Moncton, Régis Brun, 1999, p.11. 17 Surette, op cit., p. 149-158. 18 Le nombre exact d’Acadiens qui sont déportés entre 1755 et 1763 est difficile à évaluer. À ce sujet, consulter les chiffres avancés par Philippe Doucet dans Philippe Doucet, loc. cit., p.305. 19 Jean Daigle, loc. cit., p. 39. 20 Léon Thériault, « l'Acadie de 1763 à 1990, synthèse historique », dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes Études thématiques des débuts à nos jour, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p.48-49.

23 restrictions. Ceux-ci doivent s'installer en petit groupe et doivent prêter serment d'allégeance à la couronne britannique21. Toutefois, de nombreux Acadiens ont perdu la vie durant les déplacements, soit lors des tempêtes, soit par le manque de nourriture ou les mauvaises conditions sanitaires. Ceux qui reviennent s'installent sur de nouvelles terres, plus particulièrement dans la région du Nouveau-Brunswick actuel (partie inférieure de la vallée de la Saint-Jean), à l’île du Cap Breton, à l'île Madame, à l'extrémité est et ouest de la péninsule de la Nouvelle-Écosse (Tracadie et Yarmouth par exemple) ainsi qu'à l’île Saint-Jean (île-du-Prince-Édouard), dans la région de la Malpèque22. Les francophones présents dans les Maritimes, qui étaient au nombre de 12 000 en 1750, ne représentent plus, au début du XIXe siècle, que 8400 âmes23 et vivent surtout le long des côtes des provinces maritimes actuelles24.

1.4. La renaissance des communautés francophones du Nouveau-Brunswick

Au lendemain de la déportation, peu d’Acadiens retournent occuper les terres qu'ils possédaient avant le Grand dérangement, car celles-ci sont désormais habitées par des colons incités à s’établir dans la région par les Anglais. De plus, les autorités anglaises préfèrent que les francophones se dispersent et s'établissent en petits groupes. Ceux qui reviennent sur le territoire du Nouveau-Brunswick actuel s’établissent dans le nord, à l'est ainsi que dans le haut de la vallée de la rivière Saint-Jean25. La figure 5 nous permet de visualiser géographiquement ces établissements francophones après 1763.

21 Leblanc, loc. cit., p.137 et voir aussi Thériault, loc. cit., p.47. 22 Thériault, loc. cit., p.49. 23 Leblanc, loc. cit., p.138. 24 De 500 personnes, en 1670, la population de l’Acadie grimpera à 12 000, en 1750, avant de redescendre à 8408 en 1803. Daigle, loc. cit., p. 22. 25 Les francophones qui s'établissent dans la région de la vallée de la Saint-Jean doivent, à nouveau, quitter leurs terres au moment de l'arrivée de Loyalistes américains dans la région entre 1784 et 1796. Consulter à ce sujet : Léon Thériault, loc. cit., p.48-49. 24

Établissements des francophones sur le territoire du Nouveau- Brunswick actuel, après 1763

Moncton

Légende

Frontière internationale

Limite provinciale

Établissements français

Figure 5 Adaptation d’une carte représentant le relief du Nouveau-Brunswick. Atlas du Canada. Ministère des Ressources naturelles du Canada, Gouvernement du Canada

Pendant de nombreuses années, la population francophone concentre ses efforts sur sa survivance immédiate et il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que les francophones occupent une place plus prépondérante dans cette société majoritairement anglophone26.

26 Robert A. Stebbins, The French Enigma : Survival and Development in Canada's Francophone Societies, Calgary, Detselig Enterprises, 2000, p. 44-45. 25

1.5 Milieu politique

Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les francophones catholiques sont absents de l'appareil politique britannique. Cela s'explique par le fait que la population francophone habitant le territoire conquis fait l'objet d'une discrimination linguistique et religieuse. En effet, les catholiques sont privés de droits politiques, car pour occuper un poste au sein de la fonction publique, ceux-ci doivent, au préalable, souscrire au serment du Test27. Ce n'est qu'en 1810, avec l'abolition de ces serments, que les catholiques obtiennent le droit de vote. Toutefois, les serments pour siéger au Parlement ne sont abolis qu’en 183028. Il faudra quand même attendre plusieurs années avant de voir les francophones participer activement à la politique29. Au Nouveau-Brunswick30, Amand Landry est le premier député de langue française à être élu, en 1846, à l'Assemblée législative. Malgré cette faible représentation au sein des institutions politiques31, les francophones, à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, s’intéressent de plus en plus à la politique provinciale. Dès le début des années 1860, les francophones du Nouveau-Brunswick s'opposent farouchement au projet de confédération canadienne32. Il s'agit donc d'un premier mouvement politique collectif qui représente, par le fait même, la volonté des francophones de s’impliquer au niveau des instances décisionnelles. La communauté francophone manque toutefois, à cette époque, de leaders pouvant représenter les aspirations des membres de leur communauté. Un des facteurs qui favorise l'émergence d'une élite francophone au Nouveau-Brunswick est la réouverture du Séminaire Saint-Thomas, sous le nom de Collège Saint-Joseph, à Memramcook en 1864. Ce développement, au niveau des maisons d'enseignement, permet aux francophones d'occuper une plus grande place en politique et leur donne l'occasion de défendre leurs droits sur la place publique.

27 Il existe plusieurs formules liées au serment du Test. Par exemple, ceux qui y souscrivent reconnaissent l'autorité du monarque britannique comme seul chef de l'Église ou encore dénoncent l'autorité spirituelle du pape. Doucet, loc cit., p.305. 28 Thériault, loc. cit., p. 50. 29 Les premiers catholiques à s'impliquer pleinement en politique sont d'origines écossaise et irlandaise. 30 Le territoire de la Nouvelle-Écosse est divisé en 1784 pour créer la province du Nouveau-Brunswick. 31 La faible participation s'explique par le nombre peu élevé de maisons d'enseignement et d'instruments nécessaires au développement socio-économique de la population. Par conséquent, il y a peu de professionnels qui peuvent représenter la population de langue française à l'Assemblée législative. Doucet, loc. cit., p.309-310. 32 Les francophones voteront à deux reprises contre le projet, soit en 1865 et en 1866. À ce sujet, consulter Thériault, loc. cit., p. 58.

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Entre 1860 et 1869, quatre députés francophones sont élus à l'Assemblée législative de la province. À cette époque, l'élection d'un membre de la communauté minoritaire au Nouveau-Brunswick n’est pas une tâche facile puisque les candidats doivent faire face à l'intimidation constante de la population anglophone. La représentation des francophones à l'Assemblée législative provinciale augmente tout au long des décennies qui suivent la Confédération, pour graduellement atteindre un nombre de députés équivalant proportionnellement à leur présence au Nouveau-Brunswick à la fin des années 1950.

Dans la grande région de Moncton, c'est surtout au niveau de la politique municipale que la population a la possibilité de s'exprimer. Le premier conseiller municipal francophone à être élu à Moncton est Alfred J. Babang (Babin), commerçant et homme d'affaires, en 187833. Il est suivi du docteur Louis-Napoléon Bourque en 1900. Graduellement, dix-huit autres francophones siègent au conseil municipal entre 1908 et 1959. Certaines années, comme en 1924 par exemple, deux conseillers francophones sont présents en même temps à la mairie de Moncton. La plupart des conseillers francophones sont des professionnels : médecins, commerçants, éditeurs, architectes ou encore fonctionnaires pour l’Intercolonial. Toutefois, ces derniers n'occupent presque jamais des postes d'importance dans l'administration municipale puisque, durant cette période, le poste le plus élevé détenu par un francophone est celui de percepteur d'impôt occupé par Célime Melanson entre 1934 et 195234. Étant donné la faible présence des francophones en politique dans la première moitié du XXe siècle, le milieu associatif devient une alternative intéressante à l’épanouissement des différentes communautés francophones.

1.6 Milieu associatif

Les institutions politiques ne sont pas les seuls leviers utilisés par la minorité de langue française pour faire entendre sa voix et manifester ses revendications économiques, sociales et culturelles. À la fin du XIXe siècle, la jeune élite de langue française du Nouveau-Brunswick décide de se réunir pour discuter des enjeux majeurs liés au

33 Au sujet de Monsieur Babin, consulter : Brun, op. cit., p. 53. 34 Ibid., p.194-195. 27 développement et à l'épanouissement des communautés francophones des Maritimes. C'est en 1881, à Memramcook, que se déroule la première de nombreuses conventions nationales acadiennes35. Environ 5000 personnes sont présentes aux premières assises et quelques centaines participent activement aux débats. Les conférences abordent des thèmes variés tels que l'agriculture, la colonisation, l'éducation et le rôle de l'Église36. Les conventions nationales sont des endroits propices aux discussions et aux débats qui permettent de constater à quel point la population francophone du Nouveau-Brunswick a besoin d'institutions et d'associations vouées au développement et à l'épanouissement de ses communautés. La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle voient donc apparaître de nombreuses associations qui établissent les assises fondamentales du développement des communautés francophones.

L'une des premières associations qui vient façonner le paysage francophone du Nouveau-Brunswick est la Société nationale Assomption fondée en 1881, lors de la première convention nationale acadienne à Memramcook. Chapeautant aujourd’hui les associations provinciales situées dans les quatre provinces de l’Atlantique, la Société est devenue l'un des plus importants acteurs représentant les communautés francophones auprès des instances gouvernementales et défendant les garanties constitutionnelles et les droits linguistiques des francophones de l'Atlantique.

D’autres associations ont aussi eu une influence majeure sur le développement et l’épanouissement des communautés francophones du Nouveau-Brunswick. C’est le cas d’une organisation secrète du nom de l’Ordre de Jacques-Cartier. Cette organisation, connue aussi sous le nom de «la Patente», est fondée en 1926 par des fonctionnaires francophones d’Ottawa victimes d’injustice et de discrimination de la part de patrons anglophones. Elle a pour but «d’aider les fonctionnaires francophones à obtenir des promotions et de prévenir l’assimilation des communautés francophones minoritaires37»

35 Seize conventions nationales auront lieu entre la première à Memramcook et la dernière à en 1979. 36 De cette première convention nationale, retenons, entre autres, le choix du 15 août comme fête nationale des Acadiens. C’est en 1884 à Miscouche, à l’Î-P-É, que les Acadiens adoptent le tricolore français avec l’étoile dorée comme drapeau national. 37 Gabriel Bertrand, «The Moncton, , Refrancisation Campaign of 1934 : Reflections on Acadian Minority Nationalism», Revue canadienne des études sur le nationalisme, Île du Prince-Édouard, 2001, vol. 28, no.1-2. p.99.

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(traduction libre). C’est en novembre 1933 que l’Ordre fait son apparition au Nouveau- Brunswick avec la création d’une succursale à Campbellton. En 1935, une cellule de la Patente est créée dans la région de Moncton (cellule XC Marcel-Richard). En tout, 30 cellules sont créées au Nouveau-Brunswick jusqu’au début des années 1960.

Les membres de cette organisation secrète proviennent de différents secteurs du milieu des affaires, mais on y trouve aussi des prêtres, des médecins, des avocats et des journalistes. Les membres de la Patente ont pour mission d’infiltrer diverses organisations afin de diffuser les idées de l’Ordre et de défendre la cause partout où il y a des Canadiens français. Cette approche moins directe, qui conserve néanmoins comme objectif la revendication de meilleures conditions pour la population francophone, attire moins les regards des associations anglophones, comme l’Ordre d’Orange par exemple, qu’une approche plus directe exigeant des débats sur la place publique. Toutefois, les dossiers couverts par l’Ordre sont tout aussi variés que ceux touchés par la Société nationale Assomption. En effet, l’Ordre s’attaque à des sujets essentiels au développement de la communauté francophone de la province tels que les commissions scolaires homogènes, la dualité au ministère de l’Éducation ou encore une répartition plus équitable des sièges entre francophones et anglophones à l’Assemblée législative de la province38.

Les critiques sont nombreuses envers l’organisation, surtout vers la fin des années 1960. Au début de cette décennie, une nouvelle génération de francophones remet en question l’élite traditionnelle qui n’arrive plus, selon eux, à représenter adéquatement leurs intérêts. La nouvelle génération ne trouve pas sa place au sein de l’Ordre et le climat politique et social n’est plus aussi favorable à la voie souterraine employée par l’organisation pour véhiculer les revendications francophones. L’Ordre de Jacques-Cartier est dissout en juillet 1965. Malgré le fait que de nombreux francophones issus de la nouvelle génération de leaders critiquent sévèrement l’Ordre, cette association a permis à plusieurs francophones, tant dans les milieux économique, politique que culturel, d’accéder

38 Gilbert Finn, ancien recteur de l’Université de Moncton et ex-président de la Société mutuelle l’Assomption-Vie, était membre de cette organisation. Un chapitre de ses mémoires est consacré à l’Ordre de Jacques-Cartier. À ce sujet consulter : Gilbert Finn, Fais quelque chose, Dieppe, G. Finn, 2000, p.69-74. 29

à des postes importants et ainsi favoriser le développement et l’épanouissement des communautés minoritaires de langue française du Nouveau-Brunswick39.

Mise à part la Société nationale Assomption et l’Ordre de Jacques-Cartier, 196 associations sont enregistrées officiellement, avant 1925, auprès du gouvernement du Nouveau-Brunswick dont près de 5% sont des associations francophones40. Il s’agit d’associations à buts non lucratifs telles que les organisations communautaires et professionnelles, les associations de travailleurs ou encore les clubs fraternels. Bien que le nombre d’associations peut paraître peu élevé, il croît continuellement jusqu’au début des années 1960. Ainsi, à l’aube de l’arrivée de comme premier ministre de la province, il existe plus de 250 associations enregistrées au Nouveau-Brunswick, dont 15,1% œuvrent en français41.

Dans la région du sud-est du Nouveau-Brunswick, et plus particulièrement à Moncton, plusieurs associations religieuses sont présentes dans les quartiers où l'on trouve une concentration élevée de population de langue française. À Parkton42, par exemple, de nombreuses associations sont soutenues et dirigées par le clergé. Les Jeunesses ouvrières catholiques (1941) est l'un de ces mouvements d'action catholique qui organisent, pour les jeunes travailleurs âgés de 16 à 25 ans, des pique-niques, des épluchettes de blé d'Inde, des débats organisés entre les paroisses, des danses, des soirées d'amateurs et même des conférences. La Société Saint-Vincent-de-Paul (1942) organise, elle aussi, plusieurs activités d'action catholique et a pour but de venir en aide aux gens dans le besoin. De plus, le scoutisme est pratiqué dans plusieurs communautés dont celle de Parkton à partir de 1940. Cette association a pour but de cultiver, chez les jeunes garçons et les jeunes filles, des qualités morales et sportives. Plusieurs autres associations, comme la Confrérie des dames de Sainte-Anne (1945) ayant pour but de servir la famille, la communauté de foi et la société, la Ligue du Sacré-Coeur (1945), la Société des ouvriers acadiens des provinces

39 Ibid., p. 74-75. 40 Robert A. Young, «Voluntary Associations in New-Brunswick : Past and Future», Le Nouveau-Brunswick en l'an 2000/New Brunswick in the Year 2000, Maurice Beaudin et Donald J. Savoie, p.140. 41 Ibid., p. 144. 42 Ce quartier, autrefois appelé Georgetown ou encore Parkside, est situé dans le secteur nord-ouest de la ville de Moncton. 30 maritimes (1916) ou encore la Société littéraire Saint-Louis-de-Gonzague (1896) sont présentes dans les différentes communautés francophones43.

1.7 Médias et presse écrite

À la fin du XIXe siècle, la presse écrite est, après le sermon du curé, l’un des moyens privilégiés par l'élite pour véhiculer ses idées et informer la population au sujet des grands débats de société. Quelques problèmes viennent toutefois ralentir l’établissement de journaux au Nouveau-Brunswick à la fin du XIXe siècle. Tout d'abord, bien que le Nouveau-Brunswick se caractérise par une population d'origine ethnique française s'élevant à 44 907 personnes en 1871, l'ensemble de cette population est dispersée au sein de communautés majoritairement rurales localisées dans le nord, l'est et le sud-est de la province. Par conséquent, cette répartition géographique de la population rend difficile la distribution des journaux. Ensuite, les francophones n’éprouvent pas un grand intérêt pour la lecture des journaux étant donné leur faible scolarisation et le haut taux d'analphabétisme de la province. De plus, il faut un niveau de vie suffisamment élevé pour permettre à un individu ou à une famille de consacrer quelques dollars à l'abonnement d’un journal44.

Il faut attendre 1867 pour voir apparaître le premier journal francophone du Nouveau-Brunswick et des provinces de l’Atlantique45. Il s'agit du Moniteur Acadien. Publié à partir de Shédiac, son fondateur Israël Landry, un Canadien français du Québec, «diffuse un discours nationaliste, religieux et politique et [est] au coeur des débats de la Renaissance acadienne à la fin du XIXe siècle46». En 1885, un deuxième journal est fondé au Nouveau-Brunswick, il s'agit du Courrier des provinces maritimes. Situé à Bathurst, ce journal est publié jusqu'en 1904, tandis que le Moniteur Acadien ferme ses portes en 1926. En 1887, Valentin Landry, originaire du nord-est du Nouveau-Brunswick, fonde, à Digby

43 Au sujet des différentes activités organisées par les associations dans le quartier Parkton de Moncton, consulter les ouvrages suivants : Henri-Eugène Duguay, Une histoire à se rappeler : Notre-Dame-de-Grâce, Georgetown, Parkton, Moncton 2000, Saint-André Leblanc, N.-B., Édition ad hoc, 2000, p.59, et consulter aussi Brun, op. cit., p.201. 44 Gérard Beaulieu, «Les médias en Acadie», dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes. Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p.505-510. 45 À titre de comparaison, 216 journaux anglophones ont été fondés entre 1783 et 1867 au Nouveau-Brunswick. Voir : Ibid., p.510. 46 Basque, op. cit., p.137-141 et aussi Beaulieu, op.cit., p. 512-514.

31 en Nouvelle-Écosse, le journal L’Évangéline47. Pendant près de vingt ans, le journal est publié à partir de la Nouvelle-Écosse. Mais, en 1905, le journal est déplacé à Moncton, car son fondateur considère que : Moncton est le point central de l'Acadie française, comme des provinces maritimes. Sa position géographique, son importance comme quartiers généraux de l’Intercolonial lui donnent un avantage marqué. En nous installant à Moncton, nous avons cru nous mettre mieux en contact avec la masse de nos nationaux et nous établir à l'endroit où tous les centres acadiennes convergent comme à leur foyer48.

Ce journal, dont la devise est «Unir et Instruire», est plus libéral que le Moniteur Acadien ou encore le Courrier des provinces maritimes. Il s'attaque surtout aux dossiers chers aux francophones comme l'éducation, la religion et l'agriculture. Tout au long du XXe siècle, une dizaine d'autres journaux sont créés, mais leur portée est moins importante que celle de L’Évangéline49.

En ce qui concerne la radiodiffusion en français au Nouveau-Brunswick, c'est la région du nord-est qui est la première à être desservie par une radio de langue française en 1933 (CHNC de New Carlisle en Gaspésie)50. Edmundston, dans le nord-ouest, est la seconde région desservie, cette fois-ci par une station locale, CJME, en 1944. Il faudra attendre une commission royale d'enquête (la Commission Massey) pour que les francophones du Nouveau-Brunswick et des Maritimes obtiennent un poste de radiodiffusion de la radio française de la Société Radio-Canada. C'est à Moncton, en 1954, que la station CBAF entre en onde. La télévision française de Radio-Canada ouvre, quant à elle, son premier poste de télédiffusion à Moncton en 1959. Moncton, au plan médiatique, se positionne graduellement comme l'un, sinon le lieu privilégié, des institutions francophones du Nouveau-Brunswick.

47 Le journal devient un quotidien à partir de 1949 et ferme ses portes en 1982. À ce sujet, consulter : Gérard Beaulieu, L’Évangéline 1887-1982 : entre l'élite et le peuple, Moncton, Éditions d'Acadie, 1997, p.22. 48 Ce commentaire de Landry paraît dans la publication du 1er juin 1905 de L’Évangéline et est repris par Gérard Beaulieu dans son article : Gérard Beaulieu, «Les médias en Acadie», dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes. Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p.519. 49 Par exemple, Le Fermier acadien, Le Réveil (Dieppe) et Maître Guillaume (Scoudouc) paraissent dans la région du sud- est du Nouveau-Brunswick. À ce sujet consulter : Brun, op. cit., p. 160. 50 Il est important de mentionner qu’il existe à Moncton, à partir de 1925, une programmation française préparée à Montréal pour les travailleurs du Canadien national et diffusée par la station CNRA. Beaulieu, loc. cit., p.535-536.

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1.8 Milieu institutionnel et développement économique

À leur retour sur le territoire du Nouveau-Brunswick après la déportation, les francophones concentrent la majeure partie de leurs activités économiques à la survivance et à l'exploitation des ressources naturelles liées aux forêts, à la mer et à la terre. Par conséquent, l'économie des francophones du Nouveau-Brunswick évolue peu entre 1755 et 186051. Durant cette période, il existe encore très peu d'entrepreneurs francophones, la plupart étant des Irlandais, des Anglais, des Écossais ou des Américains. Le secteur de l'exploitation minière est majoritairement dirigé par des anglophones et seulement quelques francophones y sont employés. L'agriculture demeure une activité peu productive et d'importance secondaire. La pêche, quant à elle, ne permet pas à tous les francophones de subvenir adéquatement à leurs besoins et plusieurs doivent chercher un autre revenu d'appoint. La population francophone, majoritairement rurale, a beaucoup de difficultés à suivre le rythme de l'industrialisation à la fin XIXe siècle. Ceci s’explique en partie par des raisons historiques et religieuses, car la population de langue française et le clergé catholique associent l'agriculture à la survivance de leur langue et de leur foi52. Toutefois, la construction du chemin de fer stimule l’économie du Nouveau-Brunswick entraînant une demande de main-d'oeuvre accrue pour alimenter les nouvelles industries. En réponse à cette demande de main-d'oeuvre, la population de la ville de Moncton augmente de 373 % entre 1871 et 194153. Parmi ceux qui émigrent vers les grands centres urbains des Maritimes et du nord-est des États-Unis à la fin du XIXe siècle, nombreux sont les francophones qui décident de s'établir dans la région de Moncton. En effet, Moncton acquiert les fonctions administratives et techniques du chemin de fer Intercolonial (Canadien national depuis 1913) à partir de 187054.

51 P.-M. Desjardins, «Les Acadiens et l’économique : de la colonisation à 1960», dans L'Acadie des Maritimes Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p. 216-218. 52 Daniel Hickey, Moncton, 1871-1929, Changements socio-économiques dans une ville ferroviaire, Moncton, Éditions d'Acadie, 1990, p.21 et p.137. 53 En 1941, la ville de Moncton compte 22 763 habitants, dont près de 34% sont francophones. Phyllis E. LeBlanc, «Une communauté en transition : Moncton, 1870-1940», dans Jacques Paul Couturier et Phyllis E. LeBlanc (sous la dir.), Économie et société en Acadie, 1850-1950, Moncton, Éditions d'Acadie, 1996, p. 146. 54 Hickey, op. cit., p.131.

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Durant la décennie 1880, la ville de Moncton connaît une prospérité économique dans les secteurs du sucre, du coton, des lainages et du matériel ferroviaire. Les conditions économiques très favorables ont pour effet d'attirer bon nombre de francophones dans la région et, entre 1851 et 1881, la population francophone résidant dans la ville de Moncton passe de 9 à 363 habitants. Toutefois, l’une des conséquences liée à l’urbanisation des francophones est l’assimilation linguistique et culturelle. En effet, les milieux urbains sont beaucoup plus favorables à l'assimilation que les communautés rurales, beaucoup plus homogènes. Pour l’année 1881, les mariages entre les hommes francophones et les femmes anglophones dans la région de Moncton représentent 27,9 % de la totalité des mariages, tandis que les mariages mixtes en milieu rural n’en représentent que 6 %55.

L’historien Régis Brun soutient que la venue de l'Intercolonial à Moncton a un impact majeur sur l'économie et sur la population de langue française puisqu'en «1913, 3117 personnes [sont] employées par l'Intercolonial, soit 27% des 11 345 habitants recensés à Moncton cette année-là56». De nombreuses entreprises gravitent autour de la présence des ateliers du chemin de fer à Moncton. En effet, des ateliers de métallurgie, de construction, des fonderies et d'autres industries se sont implantés à Moncton entre 1865 et 1913. De plus, Moncton étant devenu un centre ferroviaire majeur, le nombre d’entreprises liées au secteur des ventes passe de 5 à 53 entre 1865 et 191357. Graduellement, un nombre plus ou moins grand de francophones réussissent à accumuler un capital commercial ou industriel suffisant pour se tailler une place parmi les petits et moyens entrepreneurs de la ville, surtout positionnés dans le secteur des ventes et des services58.

Les usines de filature de Moncton (la Moncton Cotton Manufacturing, le Humphrey Mills et l’Atlantic Underwear), offrent, aux femmes de la ville, du travail comme couturières, tailleuses ou blanchisseuses. L'arrivée de la compagnie Eaton en 1920 et l'établissement d'une section de commande par catalogue permettent à une quarantaine de femmes de langue française de se trouver un emploi. Le tableau 2 reprend les données

55 Ibid., p. 26. 56 Brun., op. cit., p.44. 57 Hickey, op. cit., p. 47. 58 Ibid., p. 137-138.

34 compilées par l’historienne Phyllis Leblanc en portant une attention particulière à la répartition des employés des principales entreprises de Moncton selon l’appartenance linguistique entre les années 1896 et 1938.

Répartition (en nombre et pourcentage) des employés des principales entreprises de Moncton, selon l’appartenance linguistique et l’employeur, par année choisie

Tableau 2

Entreprise 1896 1911 1930 1938 Total Intercolonial Nbre % Nbre % Nbre % Nbre % Nbre % (Canadien national) Anglophones 601 92,5 1 633 70,7 1 379 70,4 1085 78,2 6 583 74,7 Francophones 49 7,5 677 29,3 581 29,6 302 21,8 2 226 25,3 Eaton Anglophones – – – – 768 91,0 909 92,0 1 677 91,5 Francophones – – – – 76 9,0 79 8,0 155 8,5 Moncton Cotton Anglophones 11 64,7 31 14,8 – – – – 42 18,5 Francophones 6 35,3 179 85,2 – – – – 185 81,5 Swift Meat Packing Anglophones – – – – 51 85,0 120 78,4 171 80,3 Francophones – – – – 9 15,0 33 21,6 42 19,7 Record Foundry Anglophones 9 90,0 120 74,1 16 51,6 46 70,8 191 71,3 Francophones 1 10,0 42 25,9 15 48,4 19 29,2 77 28,7

Source Tableau reproduit à partir d’un article de Phyllis E. LeBlanc, «Une communauté en transition : Moncton, 1870-1940», dans Jacques Paul Couturier et Phyllis E. LeBlanc (sous la dir.), Économie et société en Acadie,1850-1950, Moncton, Éditions d'Acadie, 1996, p. 146.

Malgré le succès économique relatif de la ville de Moncton, les francophones du Nouveau-Brunswick s'adonnent surtout aux activités économiques traditionnelles, comme l'exploitation agricole, l'exploitation des forêts et de la pêche, à titre d'employés jusqu'à la Première Guerre mondiale. Les conditions économiques difficiles pour les francophones, 35 tant en milieu rural qu’urbain, (ceux-ci occupent souvent des emplois mal rémunérés) favorisent donc le développement et la diffusion de l'idéologie coopérative dans les provinces maritimes. Pour aider les familles dans le besoin, à la suite de la mort d'un parent par exemple, un groupe de francophones fonde au Massachusetts, en 1903, la Société l'Assomption59. L’historien Maurice Basque explique :

Cette société fraternelle de secours mutuel se veut garante de l'avenir des Acadiens de la Nouvelle-Angleterre, par l'amélioration de leurs conditions socio-économiques. Elle veut protéger ses membres et défendre leur religion, leur langue et leurs coutumes. Son succès déborde cependant des frontières de la Nouvelle-Angleterre ; en 1910, la Société mutuelle l'Assomption possède 97 succursales dispersées dans les provinces maritimes et aux États-Unis. Trois ans plus tard, le siège social de la Société est transféré à Moncton60.

La Société possède plusieurs succursales à travers le Nouveau-Brunswick et celle de Moncton, la Succursale La Tour, est l'une des plus actives au niveau des revendications visant l’amélioration des conditions sociales, économiques et culturelles de la population francophone. Les membres de ces succursales sont impliqués dans différentes activités liées à l'éducation, aux loisirs et aux organismes de charité. Ils organisent aussi des levées de fonds pour l'achat de livres en français et font des pressions auprès des radiodiffuseurs pour l'obtention d'une programmation française. En 1934, la Succursale La Tour prend les devants dans une campagne de refrancisation qui a pour but d'encourager la population de langue française à acheter chez les commerçants francophones afin d'assurer leur survivance et à exiger un service dans leur langue dans les commerces de la ville. La réponse anglophone, dirigée par l’English Speaking Citizen Committee, est de faire circuler des lettres chez les anglophones pour dénoncer la campagne orchestrée par la Succursale La Tour et pour encourager les anglophones à faire leurs emplettes uniquement chez les commerçants anglais. De plus, les anglophones créent, en 1934, la English Speaking League qui a pour but de prévenir le développement du bilinguisme à Moncton. Ce tollé de protestation, provenant des anglophones, met fin à la campagne de refrancisation61.

59 Pour être membre de cette société fraternelle en 1903, il est essentiel d’être Acadien de langue française maternelle ou paternelle. Cette condition est toutefois graduellement assouplie au fil des ans. Ainsi, toute personne s'identifiant comme acadienne ou appuyant la cause acadienne peut être membre. 60 Basque, op. cit., p.89. 61 Bertrand, loc. cit., p.93-107. 36

La campagne de refrancisation de 1934, qui a pour objectif de venir en aide aux commerçants de langue française durant la crise économique des années 1930, n’obtient pas le succès escompté. La crise économique affecte l’ensemble des francophones, qu’ils proviennent des milieux ruraux ou urbains. Dans ce contexte difficile, le mouvement corporatif semble une voie encourageante. Déjà en 1920, le mouvement d'Antigonish, basé sur la restauration sociale, encourage la création de coopératives de pêcheurs dans les Maritimes. C'est dans ce contexte que la première caisse populaire acadienne est fondée à Petit-Rocher en 1936. Dès 1938, 25 autres caisses populaires font leur apparition au Nouveau-Brunswick. S'ajoutent à cela, 46 caisses populaires anglophones (Crédit Union) sous l'égide de la New Brunswick Credit Union League. En 1946, le mouvement est scindé sur une base linguistique et l'on crée la Fédération des caisses d'épargne acadienne62.

Le regroupement de la population francophone du Nouveau-Brunswick au sein d'associations et d'organisations corporatives encourage les contacts entre les différentes communautés et facilite la mobilisation de la population lorsque vient le moment de revendiquer des meilleures conditions de vie auprès des instances gouvernementales. L'une des luttes importantes, menée par l'élite et la population francophone du Nouveau- Brunswick, est celle pour l'obtention d'un évêque francophone à la tête d'un diocèse et la création de paroisses françaises au Nouveau-Brunswick.

À la fin du XIXe siècle, les facteurs ne sont pas encore tous réunis pour assister à la nomination d'un évêque d’origine ethnique française. En 1900, ce sont deux évêques anglophones qui sont sacrés à la cathédrale de Saint-Jean. Devant la difficulté de faire nommer un francophone à la tête d'un diocèse déjà existant, la population catholique française envisage de créer un nouveau diocèse, soit dans le nord-est du Nouveau- Brunswick ou à Moncton. Profitant d'un séjour à Rome, en 1907, Mgr Marcel-François Richard plaide la cause des francophones devant le pape Pie X. Mgr Richard retourne au Nouveau-Brunswick avec l'assurance qu'un troisième diocèse sera créé à Moncton après ceux de Chatam et de Saint-Jean.

62 Desjardins, loc. cit., p. 243. 37

À partir de 1908, les francophones de Moncton entreprennent de revendiquer la division de la paroisse catholique Saint-Bernard dans le but d'en créer une autre, cette fois- ci française. C'est en 1914 que naît la paroisse catholique française de Notre-Dame de l'Assomption. Deux ans plus tôt, en 1912, le père Édouard LeBlanc est nommé évêque de Saint-Jean, mais les francophones de Moncton sont toujours dans l'attente d'un troisième diocèse. C'est finalement en 1936 que Rome annonce la création du diocèse de Moncton avec, comme premier archevêque, Mgr Louis-Joseph-Arthur Melanson63. C’est en 1939 que débute la construction de la cathédrale Notre-Dame de l'Assomption. Cet édifice situé au centre-ville de Moncton, sur la rue St George, est l'un des plus imposants de la ville mesurant 246 pieds de longueur et 90 de largeur. La cathédrale est l'un des symboles les plus importants pour la communauté francophone de la ville64.

Un autre symbole de la présence francophone à Moncton est l'établissement du premier hôpital français, l’Hôtel-Dieu de l'Assomption, en 1922, sur la rue Church. L'hôpital quitte la rue Church, en 1928, pour emménager à l'intérieur des locaux d’un édifice nouvellement construit entre les rues Archibald et Highfield. L'hôpital compte 125 lits, comparativement à dix-sept dans l'ancien emplacement de la rue Church, et plus de 1000 patients y sont admis en 192965. À partir de 1928, la formation des infirmières, dans la région de Moncton, est assurée par l'École de garde-malade de l’Hôtel-Dieu. En 1930, quatre gardes-malade deviennent les premières diplômées de l’Hôtel-Dieu66. Cette institution d'enseignement fait partie des nombreuses institutions administrées par des religieux et des religieuses jusqu'au début des années 1960.

1.9 Milieu de l’éducation

Entre 1784 et 1871, la dispersion des francophones dans le nord du Nouveau- Brunswick rend difficile l’établissement d'un système scolaire. Les communautés sont trop

63 Duguay, op. cit., p.25. 64 Maurice A. Léger, Souvenir du 50e anniversaire de l'archidiocèse de Moncton, Moncton, 1986, p.20-21. 65 Claude Bourque, Rêves de visionnaires : historique de l'Hôtel-Dieu/Hôpital Dr Georges-L. Dumont, Moncton, Éditions d’Acadie, 1997. p.53. 66 Brun, op. cit., p.179-180.

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éloignées les unes des autres pour permettre aux enfants de parcourir les distances nécessaires pour fréquenter les écoles. Par conséquent, les maîtres ambulants, les prêtres ainsi que les parents sont pratiquement les seuls à instruire les enfants. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick fait, tout au long du XIXe siècle, de nombreux efforts pour améliorer la situation. Par exemple, le gouvernement offre une aide financière aux instituteurs à partir de 1802 et crée, en 1858, une école de formation pédagogique. L’implication de l’État dans le milieu de l’éducation permet la création d’écoles publiques qui, au milieu du XIXe siècle, se comparent, en nombre, aux écoles privées confessionnelles dirigées par des groupes de religieux et de religieuses67.

En 1871, le gouvernement du Nouveau-Brunswick vote une loi ayant pour but d'organiser un système scolaire public pour offrir l'instruction à tous les enfants de la province. Cette loi contient quelques aspects positifs, comme la construction d'écoles selon les besoins du milieu, mais comporte certains aspects contentieux comme la défense d’enseigner le catéchisme ou encore l'obligation pour les religieuses d'obtenir un brevet du gouvernement. De plus, la loi institue une seule langue d'enseignement : l'anglais. Les Anglo-protestants appuient le projet, mais les catholiques s'y opposent, car la loi de 1871 empêche les francophones et les Irlandais catholiques de faire instruire leurs enfants dans des écoles confessionnelles. Les quatre années qui suivent sont marquées par les nombreuses protestations des catholiques et, en 1875, le gouvernement propose un compromis portant sur quatre points, dont un qui retient plus particulièrement notre attention : la possibilité de communiquer et d'étudier en français dans les écoles primaires.

Au niveau de l'enseignement supérieur, le premier collège privé à avoir un succès permanent au Nouveau-Brunswick est le Collège Saint-Joseph de Memramcook, fondé en 1864 par les Pères de Sainte-Croix de Montréal. D'autres collèges font leur apparition au Nouveau-Brunswick à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, dont le Collège Sacré- Coeur de Caraquet fondé en 1899. L'établissement est toutefois la proie des flammes en 1915. C'est à Bathurst que l'on décide de construire le nouveau collège qui reçoit, en 1941,

67 Gilberte Couturier Leblanc, «L’enseignement français dans les Maritimes, 1604-1992», dans Jean Daigle L'Acadie des Maritimes. Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p.549. 39 le statut d’université68. Un troisième collège pour hommes fait son apparition en 1946, il s'agit du Collège Saint-Louis d'Edmundston. Deux autres collèges sont fondés à Moncton, soit le Collège Assomption (1943) et le Séminaire Notre-Dame du Perpétuel-Secours (1956). Du côté féminin, plusieurs couvents et collèges sont fondés au cours de la même période, dont le Couvent Notre-Dame du Sacré-Coeur de Memramcook (1943) qui permet aux jeunes filles francophones d'obtenir un baccalauréat. S'ajoutent, entre autres, à cet établissement, le Collège Notre-Dame d'Acadie à Memramcook, le Collège Maillet à Saint- Basile et le Collège Jésus-Marie à Shippagan. Bien que l'enseignement dispensé par les religieux soit d'une grande qualité, il faut attendre les années 1960 pour que l'on regroupe quelques-uns des collèges classiques pour créer l'institution francophone d'enseignement supérieur du Nouveau-Brunswick : l'Université de Moncton en 1963. Nous discuterons des changements importants apportés au système d'éducation dans les années 1960 dans le prochain chapitre.

1.10 Milieu culturel

Les congrégations religieuses étant à la tête des institutions francophones d'enseignement supérieur et des couvents, il n’est pas surprenant de constater que l'Église joue un rôle prépondérant dans le développement culturel et musical des francophones du Nouveau-Brunswick. L'un des endroits par excellence pour l'étude de l'art dramatique et de la musique est le Collège Saint-Joseph de Memramcook. La chorale du Collège du Sacré- Cœur, situé à Caraquet et ensuite à Bathurst à partir de 1916, acquiert aussi une réputation fort enviable.

Du côté de l’instruction féminine, le Collège Notre-Dame d'Acadie, administré, à partir de 1943, par les religieuses de Notre-Dame du Sacré-Coeur à Moncton, est un collège général pour les jeunes filles. Ce collège, qui offre un baccalauréat en musique, possède des succursales à Bathurst, Grand-Sault, Petit-Rocher, Saint-Basile, Edmundston et Campbellton.

68 Ibid., p. 575. 40

Déficient de toutes les infrastructures entourant cette forme d'expression artistique et susceptible d'en assurer son rayonnement dans les meilleures conditions possibles, le théâtre, quant à lui, n'a fait que de timides percées à l'aube des années 1960. Au niveau de l'écriture, c’est d’abord au sein des différents journaux que l’on trouve les premiers écrivains francophones du Nouveau-Brunswick. Il s’agit d’une forme d’expression littéraire qui permet à plusieurs auteurs de débattre sur différents sujets chers aux francophones. La littérature, quant à elle, reste confinée, jusqu'aux années 1960, dans un discours axé sur le passé et la tradition en hommage aux fondateurs, aux curés et aux pionniers des professions libérales. C’est à la toute fin des années 1950 que deux auteurs importants pour la francophonie du Nouveau-Brunswick publient leur premier livre. Il s’agit d’Antonine Maillet, qui publie en 1958 le roman Pointe-Aux-Coques, et de Ronald Després qui, la même année, sort son premier recueil de poèmes intitulé : Silences à nourrir de sang69. La période qui suit marque l'affirmation et le développement d'une littérature propre aux francophones du Nouveau-Brunswick.

Les activités sociales et culturelles sont très nombreuses à se dérouler dans les quartiers francophones comme celui de Parkton à Moncton. Le clergé participe activement à l'élaboration et à l'organisation de spectacles, de pièces de théâtre, de concerts, de repas paroissiaux et de danses. Par exemple, au sous-sol de l'église Notre-Dame-du-Bon-Secours, on trouve deux allées de quilles, une table de billard, une table de ping-pong et un piano. Ces endroits sont tous propices au développement d'activités sociales comme des bazars et des bingos. À plusieurs reprises, les Bunkhouse Boys se produisent à la salle paroissiale de Parkton. À partir de 1945, ce groupe de musique country/western est l'un des plus populaires dans tout l’est du Canada. Le groupe est formé de plusieurs membres de la famille Myers (Maillet) de Saint-Antoine au Nouveau-Brunswick. À l'occasion, d'autres francophones se joignent à eux, comme Johnny Richard, Pat Doiron ou encore Shirley LeBlanc70.

69 Raoul Boudreau et Marguerite Maillet, «Littérature acadienne», dans L'Acadie des Maritimes Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p.724. 70 Duguay, op. cit., p.60-61. 41

1.11 Présence francophone dans la grande région de Moncton71

Au début du XIXe siècle, on trouve peu de francophones dans la région du Coude. La plupart des habitants établis dans cette région, à la suite de la déportation des Acadiens, sont des immigrants allemands de la Pennsylvanie72. Ce n'est que vers le milieu du XIXe siècle que l'on fait mention de la présence de francophones dans la région. Comme le souligne Régis Brun : « Jusque vers 1840, tout porte à croire qu'aucun francophone, sauf les quelques ouvriers de Dieppe et de Saint-Anselme employés au commerce maritime, n'habitait en permanence au Coude73.» Un bref coup d’œil aux statistiques nous apprend qu'en 1851, seulement une trentaine de francophones sont établis dans la région de Moncton. Ce nombre passe à 363 en 1881, ce qui représente 7,2%, d'une population totale de 5032 individus. La structure démographique de la ville de Moncton se modifie graduellement à la suite de la croissance rapide du groupe francophone attiré par le développement économique de la ville. Cette prospérité accentue l'immigration de la population de langue française à la fin XIXe et au début de XXe siècle, si bien que le nombre et le pourcentage de francophones sont à la hausse tout au long des décennies qui suivront puisqu’en 1941 les francophones représentent 33,58% de la population totale de Moncton, soit 7405 individus74. Finalement, le recensement de 1961 nous apprend que 14 105 personnes de langue maternelle française, soit 32,5% de la population totale, habitent la région de Moncton75.

L'appropriation de l'espace par les francophones se fait surtout dans l'est de la ville. L'une des rues où l'on trouve le plus de francophones au début du siècle est la rue Robinson, suivie de la rue Main. Plusieurs familles s'installent aussi sur les rues Lewis,

71 «Dans les années 1800, le Coude compte une centaine d'habitants. Il est baptisé Monckton, en l'honneur du lieutenant- colonel qui fait tomber le Fort Beauséjour en 1755, marquant ainsi le début de la Déportation. C'est par inadvertance qu'en 1876 un copieur de l'Assemblée législative de la province laisse tomber le « k » dans «Monckton». À la suite de cet événement, la communauté assume sa propre identité». Extrait tiré du site Internet de la ville de Moncton www.moncton.org 72 Brun, op. cit., p.13. Les informations proviennent aussi d’un texte disponible sur le site Internet de la ville de Moncton. Pour plus d’informations, consulter ce lien : www.moncton.org 73 Ibid. 74 Ibid. 75 Jean-Claude Vernex, «Densité ethnique et assimilation : les francophones à Moncton», Revue de l’Université de Moncton, vol.2, no.3 (1969), p.160.

42

Lutz, Sumner et King. La figure 6 nous permet de plus facilement visualiser l’emplacement des familles francophones dans l’est de la ville de Moncton en 1895.

Figure 6 Carte réalisée en collaboration avec Hugo Godin, Québec, août 2003. Données tirées de Régis Brun, Les Acadiens à Moncton. Un siècle et demi de présence française au Coude. Moncton, Régis Brun, 1999. p15-16.

En plus d’occuper l'est de la ville, les francophones s’établissent dans différents villages localisés en périphérie de la ville de Moncton. Il s'agit, entre autres, de Parkton, Sunny Brae (40 francophones en 1920), Lewisville (93 francophones en 1901) et Humphrey (92 francophones en 1901)76.

1.12 Vivre en français à Moncton

L'établissement des francophones dans différents endroits de la ville et des banlieues permet à la communauté minoritaire d'organiser une vie française sur ce territoire

76 Brun, op. cit., p.15-24. 43 majoritairement anglophone. En effet, il existe à Moncton plusieurs entreprises et entrepreneurs qui offrent des services en français et qui, à l'occasion, s'affichent en français. Les épiceries et les commerces de provisions, administrés par des francophones, sont nombreux. On en compte une douzaine vers 1915 et une vingtaine en 1920. Parmi les administrateurs notons A. J. Babang, l'un des plus importants hommes d'affaires francophones de l'époque, et Henriette Girouard-White dont le chiffre d’affaires se compare avantageusement à celui des commerçants anglophones. Du côté des boulangeries, l'un des hommes d’affaires les plus prospères est Tilmon T. LeBlanc. Sa boulangerie, LeBlanc’s Pure Food Bakery, est, au début du XXe siècle, la seule boulangerie française en ville. Toutefois, on en compte cinq de plus en 1950. À cette époque, de nombreux hôtels, bars et restaurants sont aussi administrés par des francophones. Les hommes peuvent aussi se faire couper les cheveux chez l'un des nombreux barbiers francophones de la rue Main. Ces derniers sont d’ailleurs majoritaires dans ce métier dans la première moitié du XXe siècle. En 1909, la presque totalité de ces établissements sont situés sur la rue Main, ce qui montre à quel point les francophones se sont appropriés le centre-ville dès leur arrivée à Moncton au début du XXe siècle.

Il est aussi possible de se faire soigner en français puisque l’on construit à Moncton, en 1922, un hôpital francophone : l’Hôtel-Dieu. Toutefois, plusieurs médecins francophones pratiquent dans la région de Moncton entre 1873 à 1957 dont, entre autres, le docteur Louis-Napoléon Bourque, le docteur Landry, le docteur Richard ainsi que les dentistes Antoine Cormier, Yvon Gaudet et Jules LeBlanc. La minorité de langue française peut aussi s'assurer les services de pharmaciens francophones et même finir ses jours au salon funéraire LeBlanc Funeral Home situé sur la rue King et administré par Sylvère Leblanc.

Certains commerçants, peu nombreux, s'affichent en français malgré le fait que la population anglophone est largement majoritaire dans la ville. C’est le cas de Mlle 44

Bourgeois. C’est aussi le cas de Raphaël Léger qui annonce son commerce dans le journal comme étant un magasin général tenu par «des Français»77.

1.13 Schéma de l’espace francophone

À partir du milieu du XIXe siècle, les francophones du Nouveau-Brunswick se dotent graduellement d'un système institutionnel leur permettant de favoriser le développement des différentes communautés dispersées sur tout le territoire. Pour eux, Moncton devient progressivement le centre culturel, social et économique de la province grâce, entre autres, à l'établissement des ateliers et du siège social de l'Intercolonial, de la création de l'archidiocèse de Moncton, de l'implantation de la radio et de la télévision française de Radio-Canada, des différents établissements d'enseignement, d'un hôpital français ainsi que de nombreuses associations comme la Société nationale Assomption78. De plus, le clergé est hautement impliqué dans le milieu de l’éducation et organise, dans les différentes paroisses, une panoplie d’activités sociales et culturelles. Par conséquent, l’espace institutionnel favorise grandement le développement de la zone d’influence francophone en milieu urbain.

Dès la fin du XIXe siècle, suite aux conventions nationales acadiennes, des liens sont tissés entre les représentants des différentes communautés francophones de l’est du Canada. Le développement des réseaux francophones offre à la population minoritaire de langue française un pouvoir de revendication plus grand auprès des instances gouvernementales. Il ne faut pas oublier qu’à la fin des années 1950, leur seule protection juridique ou constitutionnelle est l’article 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui permet aux francophones d’utiliser le français au Parlement et dans les tribunaux fédéraux.

77 Les informations ayant servi à rédiger cette section proviennent de l’ouvrage de Régis Brun, Les Acadiens à Moncton. Un siècle et demi de présence française au Coude, Moncton, Régis Brun, 1999, 255p. Celui-ci offre une description encore plus détaillée des différents emplois occupés par les francophones dans la région de Moncton entre 1850 et 1960. 78 Phyllis E. LeBlanc, « L'élaboration d'une vision commune d'une communauté urbaine : les élites francophones et anglophones de Moncton, de 1870 à 1940 », dans Égalité : revue acadienne d’analyse politique, no. 35, printemps 1994, p.44-45. 45

Le milieu familial ainsi que les nombreux loisirs, comme les danses, les pique- niques et les soirées d’amateurs, continuent d’être des milieux propices à la préservation de la langue française, même si la population minoritaire n’est pas à l’abri de l’assimilation présente au sein des mariages mixtes. De plus, les francophones travaillant dans des commerces et des restaurants sont constamment appelés à servir une clientèle anglophone. Malgré ces constatations, l’espace vécu contribue, lui aussi, de façon substantielle au développement de la zone d’influence francophone en milieu urbain. Un coup d’œil à la figure 7 nous permet de mesurer l’importance relative de tous ces éléments à l’intérieur de l’espace francophone du Grand Moncton.

Figure 7 Schéma réalisé par Martin Durand

À l’aube des années 1960, les francophones du Nouveau-Brunswick sont de plus en plus présents au plan politique, mais accusent encore beaucoup de retard au plan économique, car la classe moyenne reste peu développée. La minorité de langue française possède toutefois plusieurs journaux et peut vivre sa foi au sein de paroisses francophones.

46

***

Avant les années 1960, il n’existe pratiquement aucun postulat fondamental, sous la forme de protections juridiques ou législatives, permettant aux francophones de la province de consolider les bases linguistiques, culturelles ou éducatives nécessaires au développement de leur communauté. Toutefois, des réformes majeures sont sur le point de survenir au Nouveau-Brunswick, réformes qui affecteront l'ensemble des communautés francophones de la province, y compris celle de Moncton.

Chapitre II

Le temps des réformes et des revendications sociales : 1960 à 1980

«The great danger in times of change comes from those who are motivated by bigotry, prejudice and intolerance and see in the honest apprehensions of many people a chance to exploit theses apprehensions and subvert the democratic process. They mask bigotry by protestations of brotherhood. They preach democracy and practice intolerance. They hide their prejudices behind a cloak of freedom. These are the people against whom we must all be on the alert. We must listen to the honest critics of change and assuage their fears by rational and logical explanations of the needs of the time». Photo 1 Louis J. Robichaud

Della M.M Stanley. Louis Robichaud: A Decade of Power. Extrait d’un discours prononcé par Louis J. Robichaud le Halifax, Nimbus, 1984. 24 février 1966. Archives de la Société Radio-Canada. CBC Television News

À l’aube des années 1960, les francophones du Nouveau-Brunswick, et plus particulièrement ceux de la grande région de Moncton, ont réussi à mettre sur pied un réseau institutionnel adéquat, formé d’institutions d’enseignement supérieur, d’un hôpital de langue française et d’un quotidien leur permettant de véhiculer leurs revendications. De plus en plus d’associations viennent en aide à la communauté minoritaire de langue française, associations souvent administrées par le clergé catholique et français. Le

48 quotidien L’Évangéline leur permet aussi d’échanger des idées sur les grands enjeux qui préoccupent les francophones de la province. Toutefois, les protections juridiques et constitutionnelles pouvant assurer un certain développement et un épanouissement de la communauté sont toujours absentes du cadre législatif provincial. De plus, la situation économique des francophones est encore très précaire et il existe toujours de nombreuses inégalités au niveau des services publics offerts à la population de langue française. Celle- ci vit majoritairement dans les comtés pauvres et ruraux de la province alors que les anglophones résident majoritairement dans les comtés urbains plus favorisés. Cette situation est sur le point de changer au début des années 1960 avec l’arrivée d’un Acadien francophone à la tête de la province : Louis J. Robichaud.

2.1 Milieu politique

Le 7 mai 1960, lorsque le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Hugh John Flemming, annonce la date du 27 juin comme journée d’élections générales, peu de journalistes et d’analystes politiques croient aux chances des Libéraux de s’emparer du pouvoir. Pourtant, depuis son arrivée à la tête du Parti libéral en 1958, Louis J. Robichaud fait preuve d’une excellente éthique de travail et s’engage activement à l’intérieur et à l’extérieur de l’Assemblée législative. Ces deux facteurs ont pour effet de fouetter les troupes libérales. En effet, «Robichaud’s youthful and compulsive drive and contagious vitality and energy inspired the Liberals1». De plus, l’enthousiasme de ce jeune politicien de 34 ans, sa franchise, son charisme et son talent d’orateur sont des qualités grandement appréciées par l’électorat, tant anglophone que francophone.

Tout au long de la campagne électorale, Louis Robichaud multiplie les discours. Son talent d’orateur est régulièrement mis à l’épreuve, mais cela n’inquiète pas le jeune politicien puisque : «Louis was usually at his best in a crowd, confident, flamboyant and persistent in his platform presentations, rarely referring to his notes, quick to sense the atmosphere of his audience and blessed with a photographic memory when it came to

1 Della M.M. Stanley, Louis Robichaud : a Decade of Power, Halifax, Nimbus, 1984, p.31. 49 learning new material shortly before he was to speak. He possessed a rare natural understanding of crowd psychology and could turn it to his advantage2».

Au moment même où se déroule la campagne électorale du Nouveau-Brunswick, d'autres élections provinciales façonnent le paysage politique canadien. Le 6 juin 1960, les Conservateurs de Robert Stanfield sont reportés au pouvoir en Nouvelle-Écosse. Le lendemain, c'est au tour des électeurs de la Saskatchewan de se rendre aux bureaux de vote. Ceux-ci décident de reporter au pouvoir le Parti Cooperative Commonwealth Federation (CCF) et son chef Tommy Douglas. Si ces deux dernières élections n’ont qu'un effet négligeable sur l'élection provinciale au Nouveau-Brunswick, la venue au pouvoir de l'équipe libérale de Jean Lesage au Québec, le 22 juin 1960, a un effet beaucoup plus considérable sur les intentions de vote des électeurs, en particulier ceux du nord-ouest de la province3. Tout comme plusieurs membres du Parti libéral du Québec, Louis J. Robichaud est l’un des élèves du père Georges-Henri Lévesque, professeur à l'Université Laval. Celui- ci est persuadé que les francophones du Canada doivent s'adapter aux réalités économiques et sociales d’une société moderne afin de survivre et de se s'épanouir au sein d'un pays majoritairement anglophone. Une semaine après l'élection de Jean Lesage au Québec, Louis J. Robichaud devient le premier Acadien élu premier ministre de la province du Nouveau-Brunswick4. Les Libéraux sont majoritaires à l'Assemblée législative avec 31 des 52 sièges disponibles.

Plusieurs facteurs expliquent l'arrivée d'un francophone à la tête de la province. Tout d'abord, pour réussir à se faire élire en politique au Nouveau-Brunswick, le candidat doit avoir l'appui tant de la communauté de langue française que de celle de langue anglaise5. C'est le cas de Louis Robichaud aux élections de 1960 et lors de ses réélections en 1963 et en 1967. Durant toute la campagne de 1960, la couverture médiatique est très

2 Ibid., p.41. 3 Ibid., p.46 et 260. 4 Robichaud n'est toutefois pas le premier Acadien à occuper ce poste. En effet, entre 1923 et 1925, Pierre-Jean Véniot occupe le poste de premier ministre de la province après avoir été élu par le cocus de son parti à la suite de la démission du premier ministre W. Foster. Roger Ouellette, Le Parti acadien : De la fondation à la disparition, 1972-1982, Moncton, Chaire d'études acadiennes, 1992, p.16. 5 Philippe Doucet et Robert Tremblay, «Aperçu de la vie politique au Nouveau-Brunswick : 1960-1986», Égalité : revue acadienne d'analyse politique, Moncton, no. 19 (automne 1986), p. 34-35.

50 favorable à Robichaud et aux Libéraux. De plus, l'un des enjeux de la campagne est la prime d'assurance hospitalisation, dossier particulièrement bien géré par les Libéraux. Ceux-ci proposent sensiblement la même approche que celle adoptée par les Conservateurs de Robert Stanfield en Nouvelle-Écosse. Ainsi, Robichaud propose d'abolir la prime d'assurance hospitalisation de 50 $ par famille, prime qu'il considère très élevée pour les familles à faibles revenus6.

Les premières années du gouvernement Robichaud sont marquées par la volonté du gouvernement de moderniser la société néo-brunswickoise. L'une des premières préoccupations du gouvernement est l'enseignement supérieur. En mai 1961, le gouvernement crée une commission royale d'enquête sur l'enseignement supérieur au Nouveau-Brunswick présidée par John Deutsch, vice-recteur de l'Université Queens, par le juge Adrien Cormier et par le docteur Robert Maxwell. Au début des années 1960, il existe au Nouveau-Brunswick une université provinciale (University of New Brunswick) et cinq collèges et universités affiliés à des mouvements religieux (Mount Allison University, Saint Thomas University et les collèges classiques de Memramcook, Bathurst et d’Edmundston). Avec l'augmentation du nombre d’inscriptions dans ces universités et collèges, il devient de plus en plus difficile de gérer les coûts liés au développement des infrastructures et à la gestion opérationnelle. La situation financière de certaines de ces institutions est extrêmement difficile. L’université provinciale, la University of New Brunswick, reçoit la presque totalité des subventions gouvernementales, tandis que les autres universités et collèges de la province doivent partager entre eux le reste des fonds gouvernementaux. La commission a pour but d'étudier le financement de l'enseignement supérieur, son organisation ainsi que l'aide aux étudiants.

À la suite des audiences publiques et de la présentation de nombreux mémoires, John Deutsch dépose son rapport en juin 1962. Les membres de la Commission recommandent notamment que la Mount Allison University, considérée économiquement viable, demeure autonome et que la Saint Thomas University soit fusionnée à la University

6 Arthur T. Doyle, The Premiers of New Brunswick, Fredericton, N.B., Brunswick Press, 1983, p.70. 51 of New Brunswick et que cette dernière ouvre une succursale à Saint-Jean. Toutefois, la plus importante conclusion du rapport est celle recommandant :

[…] la création d'une université de langue française, à laquelle se rattacheraient les institutions existantes de Bathurst, de Saint-Joseph, d'Edmundston par l'entremise de la faculté des arts. L'enseignement des sciences proprement dites, du commerce, de la psychologie, du nursing et les autres enseignements professionnels seront confiés à la seule Université de Moncton et les anciennes universités deviendront ainsi des collèges affiliés. Seule l’Université de Moncton pourra décerner des diplômes, établir des programmes et ce, à compter de sa création en juin 19637.

Au niveau du financement, le gouvernement suit la recommandation de la commission voulant que l’État augmente sa contribution financière afin de supporter les coûts d'opération nécessaires au développement des infrastructures et des ressources matérielles. De plus, un comité est nommé par le gouvernement dans le but d’examiner, à tous les cinq ans, les ressources et les revenus des établissements d’enseignement. Un système de prêts basé sur les besoins de chaque institution et sur les effectifs est aussi mis en place. Ainsi, la nouvelle Université de Moncton se voit octroyer un prêt de 300 000 $ pour la construction et le développement de ses installations. S’ajoute à ces mesures, l’organisation d’une campagne de levée de fonds qui réussit à accumuler plus de cinq millions de dollars grâce à de nombreux dons privés (K.C. Irving, Jean-Louis Lévesque, Jules Brillant et Paul Desmarais par exemple)8. Nous nous attarderons plus en détail à l'impact économique et social de la création de l’Université de Moncton dans la section portant sur le milieu de l’éducation, mais nous pouvons affirmer, dores et déjà, que l'implantation d’une université francophone provinciale dans la ville de Moncton aura un impact majeur sur le développement de la francophonie de la ville. En ce qui concerne les écoles primaires et secondaires, la question du financement est abordée au sein d'une autre commission royale d'enquête consacrée aux finances provinciales et à la taxation municipale.

7 Reportage diffusé à la radio de Radio-Canada, Archives de la Société Radio-Canada, 26 juin 1965. 8 Stanley, op. cit., p.100. 52

Créée en 1962 et présidée par l’avocat et ancien maire de Bathurst, Edward Byrne9, cette commission étudie les inégalités entre les régions pauvres et les régions riches du Nouveau-Brunswick ainsi que les modes de financement des services publics notamment la santé, l’éducation et le bien-être social. Au début des années 1960, les comtés n'arrivent plus à soutenir les dépenses occasionnées par les besoins croissants en éducation, en santé et pour le bien-être social. La majorité des comtés ruraux se caractérisent par une population dont le revenu moyen est nettement inférieur à la moyenne provinciale. Toutefois, l'accroissement démographique de la population entraîne une plus grande demande pour des services municipaux modernes, un système d'éducation complet, des soins de santé améliorés, des maisons de retraite et des garderies. Les comtés les plus pauvres n'arrivent donc pas à améliorer les services en augmentant le fardeau fiscal d’une population déjà défavorisée économiquement10. Par exemple, le taux de taxation pour chaque 100 $ d'évaluation dans les comtés à prédominance française dépasse celui des comtés dont la population est anglophone. Ayant peu de grandes industries, les revenus fiscaux des comtés ruraux majoritairement francophones sont faibles. Le nombre élevé d'enfants dans ces comtés exige des budgets scolaires importants, d'où le fardeau fiscal imposant pour la population. Pour plusieurs comtés, comme celui de Kent, de Gloucester ou encore de Madawaska, la hausse des taxes n'arrive plus à combler les besoins si bien que ces derniers sont au bord de la faillite11. La figure 8 nous donne un aperçu du découpage administratif du Nouveau-Brunswick en 1960.

9 Alexandre Boudreau, Arthur E. Andrews, Ulderic Nadeau et Charles N. Wilson siègent également à la commission. 10 Stanley, op. cit., p.125. 11 Ibid., p.123. 53

Les quinze comtés du Nouveau-Brunswick en 1960

Figure 8 Carte reproduite à partir de l’ouvrage de Della Stanley, Louis Robichaud : a Decade of Power, Halifax, Nimbus, 1984, p.123.

Le gouvernement Robichaud décide donc d’intervenir et de centraliser l’administration publique qui, en 1960, est un chassé-croisé complexe entre les villes, les villages, les cités et les comtés. Jean Cadieux, directeur de l'École de commerce de la University of New Brunswick, explique :

Il y a d'abord et avant tout le gouvernement provincial, puis les comtés au nombre de quinze, à l'intérieur desquels on retrouve des cités, des villes et des villages incorporés. Dans chaque cas, on retrouve toute une kyrielle d'administrateurs qui doivent s'occuper de la chose publique. Chaque comté est divisé en paroisses civiles qui chacune élisent [sic] des représentants pour former le conseil de comté qui lui se réunit deux fois par année. Les principales attributions des comtés d'après la loi sont les suivantes : premièrement, maintenir des bâtiments administratifs où siège 54

le juge du comté, où est situé le bureau du greffe et où sont logés la prison du comté et son shérif. Deuxièmement, établir le rôle d'évaluation et collecter les taxes. Troisièmement, s'occuper du bien-être social, de l'hygiène publique et des problèmes hospitaliers. Quatrièmement, fournir à la commission scolaire du comté, les fonds nécessaires à la construction et à l'administration des écoles et le paiement des salaires aux instituteurs et aux institutrices12.

Le financement des comtés provient, en partie, des municipalités, mais surtout des subsides provinciaux. Malgré cela, ils n'arrivent pas à subvenir aux besoins de la population. Le rapport Byrne propose donc une approche très avant-gardiste pour remédier à la situation :

Les solutions proposées dans le rapport sont audacieuses. Un seul mot les définies : services égaux, taxes égales et ce, pour tous les citoyens de la province. En un mot, toute la province devient une seule et unique unité administrative. Le rôle d'évaluation sera le même dans toute la province, le taux de taxation sera le même et les instituteurs recevront les mêmes salaires, qu'ils enseignent en ville ou en campagne. Par conséquent, il faut donc centraliser l'administration13.

Bien que la majorité de la population soit en faveur des modifications proposées par le gouvernement Robichaud14, les changements radicaux apportés à l’administration des finances publiques provoquent un certain mécontentement populaire. En effet, en proposant d'abolir les conseils de comtés et de mettre fin au régime des exemptions, les grands industriels et les administrateurs locaux s'opposent ouvertement aux réformes du gouvernement. De plus, ce programme fait en sorte que les municipalités les plus riches aident à subventionner les plus pauvres, ce qui est loin de plaire à la population

12 Extrait d’une entrevue réalisée avec Jean Cadieux, invité de François Bertrand, à la radio de la Société Radio-Canada, Archives de la Société Radio-Canada, 18 décembre 1965. 13 Extrait d’une entrevue réalisée avec Jean Cadieux, invité de François Bertrand, à la radio de la Société Radio-Canada. Archives de la Société Radio-Canada, 18 décembre 1965. 14 Il faut mentionner que l'électorat francophone évite toutefois d’afficher en public son appui au projet. En effet, les francophones ne veulent pas mettre le gouvernement Robichaud encore plus dans l’embarras, car ce sont eux qui profitent majoritairement des nouvelles mesures entreprises par le gouvernement. 55 anglophone vivant majoritairement en milieu urbain15. Louis J. Robichaud, qui n'a jamais caché le fait qu'il souhaitait améliorer les conditions de vie de tous les habitants du Nouveau-Brunswick, va malgré tout de l'avant avec ce qu'il appelle le programme Chances égales pour tous. Ce programme de réformes est l’un des plus audacieux et avant-gardiste de l'époque. Il faut toutefois souligner que l’époque se prête bien à ces transformations sociales puisqu’au même moment, le Québec poursuit rapidement sa Révolution tranquille. Cette révolution, entamée par les Libéraux de Jean Lesage, marque le début d’une série de mesures prônant l’interventionnisme accru du gouvernement provincial dans les affaires publiques. Le gouvernement Robichaud décide donc d’intervenir en suivant les recommandations du rapport Byrne qui propose un changement radical dans la façon d'administrer le système de taxation au Nouveau-Brunswick.

Il faut aux Libéraux l'adoption, en juin 1966, de plus de 130 projets de loi, dont la Loi sur l'évaluation, la Loi sur l'assistance sociale et la Loi scolaire, pour mettre officiellement le programme en application16. Pour être en mesure de financer les énormes coûts liés au développement du système de santé, d’éducation, du bien-être social et de la justice, le gouvernement augmente la taxe de vente provinciale de 2 % et bénéficie de l’apport financier de nombreux programmes de subventions du gouvernement fédéral17. Avant de quitter le pouvoir en 1970, les Libéraux uniformisent le système d'aide aux institutions d'enseignement supérieur et réduisent le nombre de districts scolaires de 421 à 3318. De plus, en votant un ensemble de lois portant sur l'évaluation des propriétés, la taxe foncière et le pouvoir des municipalités, le gouvernement Robichaud adopte un système d’évaluation provincial qui centralise le régime de subventions scolaires et sociales et uniformise la taxe foncière abolissant, par le fait même, les inégalités entre les comtés riches et les comtés pauvres.

15 Cette situation est loin de plaire aux anglophones qui voient dans le programme Chances égales pour tous un système qui ne fait que voler Peter pour payer Pierre. Les anglophones faisant ainsi allusion au fait que les régions francophones bénéficient le plus de la politique redistributrice du gouvernement provincial. Doucet et Tremblay, loc. cit., p.40. 16 Michel Doucet, Le discours confisqué, Moncton, Éditions d'Acadie, 1995, p.31. 17 Propos du premier ministre lors d’une entrevue réalisée avec Pierre Nadeau à Radio-Canada à la fin des années 1970. Herménégilde Chiasson, Robichaud : les années 60 au Nouveau-Brunswick, Ottawa, Office national du film du Canada, 1989, 60 min. 18 Les 33 districts scolaires possèdent tous une école secondaire polyvalente alimentée par plusieurs écoles primaires et intermédiaires, ce qui n'était pas le cas avant la réforme. En effet, 275 des 421 districts scolaires n'offraient aucun programme d’enseignement secondaire.

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En mettant en place le programme Chances égales pour tous, Louis Robichaud vient en aide à tous les pauvres de la province, mais il diminue aussi le clivage entre les anglophones et les francophones, ces derniers bénéficiant majoritairement des réformes entreprises par son gouvernement. Toutefois, Louis Robichaud, fidèle à son leitmotiv de justice sociale, continue d’affirmer que l’objectif des réformes entreprises par son gouvernement n’est pas de favoriser une communauté plutôt qu’une autre : « […] il y a des pauvres partout au Nouveau-Brunswick comme il y a des pauvres partout ailleurs et les pauvres n'appartiennent pas à une race en particulier, ils appartiennent à toutes les races19».

Le fossé qui sépare les francophones et les anglophones du Canada et du Nouveau- Brunswick inquiète aussi le gouvernement fédéral. En 1963, Lester B. Pearson, nouvellement élu à la tête du pays, demande la création de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Le mandat de cette commission comporte trois volets. Le premier a pour but d'enquêter sur l'état et la pratique du bilinguisme dans les services et les institutions de l'appareil fédéral. Le deuxième objectif s’attarde au rôle des institutions, tant publiques que privées, en vue de favoriser le bilinguisme. Finalement, le troisième objectif est de discuter avec les élus provinciaux afin de mettre en place des moyens pour permettre à la population de devenir bilingue. À la tête de cette commission, le gouvernement nomme le journaliste André Laurendeau et le président de l'Université Carleton, Davidson Dunton.

Parmi les recommandations du premier volume du rapport publié en 1967, les commissaires proposent que l’anglais et le français soient déclarés langues officielles du Parlement du Canada et de toutes les institutions fédérales. Ils suggèrent aussi que le gouvernement adopte une loi sur les langues officielles20, que la capitale, Ottawa, se proclame officiellement bilingue, tout comme les provinces de l'Ontario et du Nouveau- Brunswick.

19 Chiasson, op. cit. 20 La Loi sur les langues officielles du Canada est approuvée le 9 juillet 1969 et le Canada devient officiellement bilingue le 9 septembre 1969. Stanley, op. cit., p.186. 57

C’est dans le prolongement de ces recommandations que le gouvernement Robichaud réalise l’une de ses plus importantes réformes21 : l'adoption d'une loi sur les langues officielles. Ce contexte politique favorable est l’un des facteurs essentiels à l’adoption de la loi, car comme le souligne Michel Doucet, avocat et professeur de droit à l’Université de Moncton : « le fait que le fédéral allait dans cette direction-là, le fait qu'il y ait eu cette étude Laurendeau-Dunton, tout ça a effectivement pu donné un certain élan au Nouveau-Brunswick. Si ça n'avait pas été de ça, on ne l'aurait pas fait22».

Même si le contexte politique est favorable à l'adoption d'une loi sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick, la société néo-brunswickoise n'appuie pas aussi facilement le projet. C'est ce que constate Michel Doucet :

Il ne faut pas croire que cela s'est fait dans une période où tout le monde était favorable, bien au contraire. Je crois que la majorité des gens était contre. Ça s'est fait dans la foulée du rapport sur le bilinguisme et le biculturalisme et ça a été un peu un à côté de tout ça. Mais, déjà en 68, la population anglophone du Nouveau-Brunswick trouvait que la loi allait beaucoup trop loin et un élément important de la population francophone considérait qu'elle pourrait aller beaucoup plus loin. Donc, ça ne s'est pas fait avec l'appui de la majorité de la population du Nouveau-Brunswick. C'est évident que les francophones étaient favorables, mais du côté anglophone, il y avait énormément de contestation. D'ailleurs, le maire de Moncton à l'époque, Jones, a porté cette loi jusqu'à la Cour suprême. Il contestait le pouvoir de la province du Nouveau-Brunswick d'adopter une loi sur les langues officielles et du gouvernement fédéral également. Donc, ce n'était pas une période propice à l'adoption de lois sur les langues officielles. Mais c'était le moment où il fallait le faire, si on ne le faisait pas là... Je crois que le gouvernement n'avait pratiquement plus le choix, je crois que la population acadienne, avec l'université, avec les structures qu'elle s'était données, était rendue au point qu'elle allait l'exiger, sinon il y aurait de graves problèmes sur le plan social au Nouveau-Brunswick23.

21 Parmi les autres accomplissements du gouvernement, mentionnons l’augmentation substantielle des effectifs de la fonction publique qui, entre 1960 et 1970, voit le nombre des employés de l’État plus que doubler. Durant cette période, le nombre d’emplois gouvernementaux passe de 2908 postes à 6767 postes. Pierre Bouchard et Sylvain Vezina, «Modernisation de l'administration publique au Nouveau-Brunswick, démocratie et bureaucratie : le modèle de Louis J. Robichaud», L'ère Louis J. Robichaud, 1960-1970 : actes du colloque. Moncton, Institut canadien de recherche sur le développement régional, 2001, p.63. 22 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée à Moncton, à l'automne 2002, avec Michel Doucet, juriste et professeur à la faculté de droit de l'Université de Moncton. 23 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée à Moncton, à l'automne 2002, avec Michel Doucet, juriste et professeur à la Faculté de droit de l'Université de Moncton. 58

Les francophones déplorent que la loi reste silencieuse au sujet des municipalités, des corporations professionnelles, des syndicats et de la santé24. De leur côté, les anglophones de la province font parvenir des lettres dans les journaux pour s'opposer au projet du bilinguisme considéré comme une machination politique pour écarter la majorité anglophone25. C'est autour de la English Speaking League et de la Canadian Loyalist Association que se regroupent les opposants les plus radicaux. La Canadian Loyalist Association fait même parvenir une lettre au premier ministre Robichaud pour manifester son opposition au projet de loi et dans laquelle on peut lire : […] The Canadian Loyalist Association wish (sic) to congratulate you on the masterful manner in which you have deceived the people of New Brunswick and Canada by leading them to believe that New Brunswick has two official languages. Your senseless, degenerate and ruinous Official Language Act is one of the worst evils anyone ever tried to perpetuate on the citizens of this province26.

Le gouvernement Robichaud va tout de même de l'avant avec le projet de loi qui, en soi, sans être calqué sur la loi fédérale sur les langues officielles votée en avril 196927, consiste en cinq points28. Le premier affirme le principe de l'anglais et du français comme langues officielles de la province. Le deuxième appuie le droit et l'usage des deux langues dans les travaux de l'Assemblée législative. Le troisième incite le gouvernement à prendre des mesures pour imprimer et diffuser tous les documents du Parlement provincial dans les deux langues. Le quatrième encourage le gouvernement à prendre rapidement les mesures nécessaires pour établir un régime linguistique propre à une province bilingue en éducation, dans la fonction publique et dans le système judiciaire. Finalement, le cinquième point recommande au gouvernement de consulter les autres gouvernements

24 Michel Doucet, « Nos outils législatifs : un bilan », Égalité : revue acadienne d'analyse politique, Moncton, no. 35 (automne 1994), p.44-45. 25 Chedly Belkhodja, « Émergence et succès d'un parti politique populiste de droite au Nouveau-Brunswick ? Le cas du parti Confédération of Regions », Égalité : revue acadienne d'analyse politique, Moncton, no. 35 (automne 1994), p.53- 79. 26 Cet extrait de la lettre est reproduite dans l’article de Doucet et Tremblay, loc. cit., p.45. 27 Michel Doucet, op. cit., p.41. 28 Il s’agit d’un geste extrêmement important pour la communauté francophone, car avant les lois fédérales et provinciales sur les langues officielles, la seule protection linguistique des francophones venait de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique de 1867 qui, à l’article 133, permet l’usage du français et de l’anglais au Parlement et dans les tribunaux fédéraux. Avant la fin des années 1960, les francophones du Nouveau-Brunswick n'ont toujours pas le droit de s'adresser à l'administration provinciale dans leur langue, ils n’ont pas le droit à un procès en français et ils n’ont pas le droit de gérer leur système scolaire. Michel Bastarache et Andrée Boudreau Ouellet, «Droits linguistiques et culturels des Acadiens et Acadiennes de 1713 à nos jours», dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes. Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p 385-430. 59 provinciaux et le gouvernement du Canada dans le but de coordonner les programmes linguistiques29. Il faut attendre jusqu'en 1977 pour que soient mis en vigueur tous les articles de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick30.

C'est essentiellement sous la gouverne du Parti conservateur de Richard Hatfield que ces articles sont adoptés puisque celui-ci s’empare du pouvoir à la suite des élections de 1970. Le nouveau gouvernement met ainsi fin aux dix années de pouvoir des Libéraux. Richard Hatfield continue les réformes entreprises par le gouvernement Robichaud et maintient la priorité de faire du Nouveau-Brunswick une province officiellement bilingue.

Durant sa présence à la tête du Nouveau Brunswick, Richard Hatfield et son gouvernement conservateur consolident non seulement les politiques innovatrices des Libéraux de Louis Robichaud, mais ils sont, à leur tour, à l’origine de plusieurs politiques visant à moderniser l’appareil étatique. Ils réussissent à accomplir cette tâche en modifiant, entre autres, la carte électorale et le financement de l’activité politique. Poussé par une volonté de créer une identité néo-brunswickoise basée sur l'harmonie entre les deux groupes linguistiques, Hatfield met à profit ses qualités exceptionnelles de politicien et s’entoure de francophones influents comme Jean-Maurice Simard qu’il affecte, dans ses premières années au pouvoir, au ministère des Finances. Les deux hommes tentent, tout au long de leur présence à Fredericton, de combler le fossé séparant les communautés francophone et anglophone de la province31. Ce qui constitue l’un des faits marquants de la période Hatfield est l'adoption, en 1981, de la Loi 88 qui reconnaît l'égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick. Nous reviendrons sur cette loi et sur son importance dans le prochain chapitre.

Cette belle harmonie que Hatfield tente de créer entre les deux communautés linguistiques ne semble pas plaire à une certaine partie de l’élite francophone puisqu’en 1972, les francophones du Nouveau-Brunswick créent un nouveau parti politique, le Parti

29 Robert Pichette, « Cultures et langues officielles », L'ère Louis J. Robichaud, 1960-1970 : actes du colloque, Moncton, Institut canadien de recherche sur le développement régional, 2001, p.75. 30 Michel Doucet, loc. cit., p. 44. et Stanley, op. cit., p.186. 31 Phillip Lee, Frank : la vie et la politique de Frank McKenna, Québec, Éditions de la Francophonie, 2001, p. 46 et 66. 60 acadien32. Sans avoir la prétention de vouloir être porté au pouvoir, le Parti acadien se donne pour objectif d'influencer le gouvernement et de politiser la population francophone du Nouveau-Brunswick. Les membres du Parti acadien sont surtout des hommes de langue française fortement scolarisés qui proviennent majoritairement du nord-est de la province. Le programme du parti est essentiellement basé, à court terme, sur la décentralisation des services et des pouvoirs provinciaux et, à long terme, sur la création d'une province acadienne33 (figure 9).

Carte de la Province acadienne

Figure 9 Reproduction d’une carte réalisée par Stéphane Raymond tirée du livre de Roger Ouellette, Le Parti acadien : De la fondation à la disparition, 1972-1982, Moncton, Chaire d'études acadiennes, 1992, p.80.

Les meilleurs résultats du Parti acadien sont enregistrés aux élections de 1978. Le parti présente 23 candidats et ceux-ci récoltent en moyenne 7,97 % du vote populaire dans

32 Roger Ouellette, op. cit., p.24. 33 Ibid., p.90. 61 leur circonscription. Le père Armand Plourde est le candidat ayant enregistré la meilleure performance dans Restigouche-Ouest avec 34,83 % des votes exprimés. Il termine toutefois deuxième34. Quatre ans plus tard, en 1982, le parti présente seulement dix candidats aux élections provinciales et ceux-ci ne récoltent en moyenne que 4,36 % du vote populaire. Le nombre de membres peu élevé, la faiblesse du militantisme et les ressources financières modestes, rendent difficile la survie du parti. Celui-ci cesse d'exister en décembre 1982. Le milieu politique n’est toutefois pas le seul endroit où les francophones décident de s’affirmer et de revendiquer de meilleures conditions sociales. La population de langue française s’exprime aussi à travers les nombreuses luttes menées dans le milieu de l’éducation.

2.2 Milieu de l’éducation

Les luttes pour le développement d'un enseignement en français de qualité sont nombreuses entre les années 1960 et 1980. En effet, au début des années 1960, les manuels scolaires en français sont rarement disponibles dans les écoles bilingues35 de la province. La situation décrite par Dorothy White est donc courante : « Dans les écoles françaises, on était enseigné par des religieuses et par des francophones, mais on avait les manuels scolaires en anglais. On se débrouillait quand même assez bien, mais on avait toujours le dictionnaire. [...] À partir de la septième année jusqu'à la douzième année, les manuels scolaires de mathématiques étaient uniquement en anglais36».

Il faut attendre le début des années 1970 pour que la majorité des manuels scolaires soient disponibles en français37. Les années 1960 et 1970 sont aussi des années de revendications pour la population francophone de nombreuses villes comme Saint-Jean, Fredericton, Moncton et Campbellton qui veulent obtenir des écoles offrant, au primaire et

34 Ibid., p.95. 35 Au début des années 1960, les écoles françaises sont coiffées de l’étiquette bilingue afin de calmer les anglophones qui s’opposent aux réformes scolaires. Gilberte Couturier Leblanc, Alcide Godin et Aldéo Renaud, «L’enseignement français dans les Maritimes, 1604-1992», dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes. Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p. 558. 36 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Dorothy White à Moncton à l’automne 2002. 37 Les francophones ne se reconnaissent pas nécessairement non plus dans les premiers volumes utilisés pour enseigner l’histoire puisque ceux-ci sont publiés au Québec et leur contenu ne laisse qu’une infime place aux francophones du Nouveau-Brunswick dans l’histoire du Canada. 62 au secondaire, un enseignement totalement en français. À partir de 1964, deux sous- ministres à l'éducation sont nommés, l'un francophone, l'autre anglophone, mais la population réclame toujours la dualité complète au sein du ministère de l’Éducation. À Moncton, une école secondaire où toutes les matières sont enseignées en français est fondée en 1963. Il s’agit de l'École Vanier. Les démarches se multiplient pour obtenir des écoles et des districts homogènes dans le but de remplacer les établissements bilingues. Les changements s’opèrent graduellement avec la transformation, en 1971, des districts appelés bilingues en districts francophones. La transformation se fait petit à petit et l'un des pas importants dans cette direction est la division, en 1974, du ministère de l'Éducation entre les services francophones et les services anglophones. En 1976, l'article 13 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick institue le principe selon lequel le français est la langue principale d’enseignement pour les élèves de langue maternelle française et l’anglais, la langue seconde. Ce n'est qu’en 1980 que le rapport Finn-Élliott propose l'implantation de deux réseaux scolaires parallèles et homogènes38.

Du côté universitaire, nous avons déjà mentionné que le fait marquant des années 1960 est la création de l'Université de Moncton en 1963. Le choix de l'emplacement de l'université suscite de nombreuses réactions. Une partie de la population de langue française ne voit pas d'un bon oeil l'implantation d’une université francophone dans un milieu majoritairement anglophone et francophobe. Ceux-ci préfèreraient que l’on construise l’université dans le nord de la province, région majoritairement francophone. Encore aujourd'hui, les francophones ne s'entendent pas sur le choix de l'emplacement de l'université. Ces trois témoignages montrent les divergences d’opinions parmi les représentants de la communauté francophone de Moncton.

[…] mettre l’université dans le nord et renforcer le noyau acadien qui est vraiment développé et qui aurait pu rayonner après. En fin de compte, c’est ça qui serait arrivé. Ça aurait francisé tout le nord Dalhousie, Campbellton, Bathurst… Edmundston. Toute cette région-là aurait été beaucoup plus française et il y aurait probablement eu un développement économique un peu mieux. Là, on s’est coupé de cet apport. On a transplanté l’université dans un milieu anglophone pis on a, en fin de compte, bilinguisé plus que francisé. Ça, c’est la réalité maintenant39.

38 Michel Doucet, op. cit., p.60-61. 39 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Jean-Claude Basque, syndicaliste, à Moncton à l'automne 2002. 63

J'aime bien Caraquet, je n'ai rien contre Caraquet et tout ça, mais si l'université avait été là et ça s'était développé un petit peu comme ville, au lieu d'être une ville, je ne sais pas, je dis ça 10 000 habitants, ce serait une ville de peut-être 25 000 mettons ça au mieux. Bien, une ville de 25 000, c'est encore rien que 25 000. Ça fait, ici (à Moncton) on dirait que c'était l'urbanité réelle, aussi réelle que cela puisse être, puis ça n'est pas une grosse ville là. Puis, je pense que c'était peut-être un petit peu impensable de mettre toutes les institutions officielles dans une ville comme Caraquet. Ça fait que je crois pour toutes ces considérations-là, je veux dire, l'aéroport est à Moncton, elle était là, on ne pouvait pas, on ne l'aurait pas changé de place. Le train passait à Moncton, tu sais, on dirait que c'était un nombre de facteurs et c'est pour ça que je pense que c'était un peu naturel40.

Dans l’esprit du père Clément Cormier, si on avait installé l’université à Caraquet, on aurait bien réussi je crée ben. On aurait utilisé une bonne partie de la population. Pour lui, il fallait s’en aller à la limite de la frontière41.

Avec le recul, on peut maintenant évaluer le rôle et l'impact qu'a eu l'Université de Moncton sur la communauté francophone, sur l'ensemble du Nouveau-Brunswick et aussi sur la grande région de Moncton. Tout d'abord, l'université emploie de nombreux professeurs et un personnel de soutien qui, pour la plupart, réinvestissent une partie de leur revenu annuel au sein même de la communauté du Grand Moncton. S'ajoutent à ces derniers, la population étudiante, à temps plein et à temps partiel, qui possède, elle aussi, un pouvoir d'achat important. La clientèle de l'université provient du Grand Moncton, des autres régions du Nouveau-Brunswick et même de l'extérieur de la province. Les étudiants doivent donc se loger, se nourrir, se vêtir, ce qui multiplie encore plus l'impact économique de cette institution d'enseignement supérieur42. De plus, selon David Lonergan, plusieurs d'entre eux décident de s'installer dans la région après leurs études : […] il y en a beaucoup qui s'établissent (à Moncton). Ça veut dire que par le temps que tu sors de ton bac, tu as un chum ou une blonde, pour 80 % de la population... Et ces couples-là, on peut penser qu'ils vont vouloir vivre ensemble. Elle, elle vient de Caraquet et lui, du Madawaska, il vient de la Baie-Sainte-Marie, elle vient de Moncton. Peu importe d'où

40 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec France Daigle, auteure, à Moncton à l'automne 2002. 41 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Médard Colette, ancien recteur de l’Université de Moncton, à Moncton à l'automne 2002. 42 Benjamin Higgins et Maurice Beaudin, Impact de l'Université de Moncton sur les régions de Moncton, d'Edmundston et de Shippagan, Moncton, Institut canadien de recherche sur le développement régional, 1988, p.15-18, 64

ce qu'ils viennent, ils vont vouloir vivre ensemble. Où que ça se passe quand t’as un bac, une maîtrise en art ? À Moncton43.

La population étudiante a connu un accroissement considérable au cours des dix premières années d'existence de l'établissement. Ceci s'explique, entre autres, par le développement des différents programmes comme celui des sciences infirmières (1965- 1966), des sciences domestiques (1967-1968) et de l'École normale (1960-1969) qui deviendra la Faculté des sciences de l'éducation en 1973-197444. Le tableau 3 présente l’évolution des effectifs de la population étudiante de l’Université de Moncton entre 1963 et 1971.

Population étudiante de l'Université de Moncton, 1963-1971 Tableau 3

Années Temps plein Temps partiel

Nombre Hausse (%) Nombre Hausse (%)

1963-1964 1158 2164

1964-1965 1296 11,9 2323 7,3

1965-1966 1455 12,3 2938 26,5

1966-1967 1632 12,2 3535 20,3

1967-1968 1990 21,9 3785 7,1

1968-1969 2316 16,4 4098 8,3

1969-1970 2689 16,1 4395 7,2

1970-1971 3148 17,1 5272 19,6

Source Reproduction d'un tableau tiré de l'article de Gratien Allaire, « Unilinguisme, bilinguisme et institution universitaire dans la francophonie des années 60 », Francophonies d'Amérique, 2002, no. 14, p. 105.

43 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec David Lonergan, professeur aux départements de littérature et de théâtre de l’Université de Moncton, à Moncton à l'automne 2002. 44 Il est important de mentionner que les chiffres présentés dans le tableau 3 représentent les effectifs pour l'Université de Moncton ainsi que ses campus affiliés. Gratien Allaire, « Unilinguisme, bilinguisme et institution universitaire dans la francophonie des années 60 », Francophonies d'Amérique, 2002, no. 14, p. 101-115.

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L'impact de l'Université de Moncton n'est pas seulement économique, il est aussi social. Depuis sa création en 1963, l'université a permis aux francophones d'occuper une plus grande place dans le milieu des affaires, dans la fonction publique ou encore au sein du milieu juridique. À chaque année, une nouvelle cohorte amène des avocats, des enseignants, des techniciens ou encore des fonctionnaires francophones sur le marché du travail. Bien que ceux-ci aient un pouvoir économique important, la réalisation majeure réside surtout dans le fait que la population francophone du Nouveau-Brunswick, qui était avant 1960 majoritairement rurale et défavorisée économiquement, participe de plus en plus aux milieux politique, économique, culturel et social de la province, grâce au développement du système d’éducation.

2.3 Bouleversements sociaux

Le nouveau milieu universitaire, créé autour de l'Université de Moncton, devient un lieu d'échanges et de questionnements pour la nouvelle génération francophone. Les jeunes s'interrogent sur leur société, leurs aspirations et s'opposent à l’élite traditionnelle issue des collèges classiques. Ces derniers proposent un discours qui tend à se distancer du discours indépendantiste qui fait surface au Québec à la même époque45. L'élite traditionnelle francophone a de la difficulté à redéfinir son discours qui, encore dans les années 1960, repose essentiellement sur la valorisation du passé et des valeurs religieuses. En plus de remettre en question le discours des leaders francophones, la nouvelle génération s’attaque aux fondements mêmes des institutions de la communauté. Roger Savoie, professeur à l’Université de Moncton dans les années 1960 explique :

Depuis des siècles, d'autres se sont chargés de dicter leur volonté sur nous et de diriger notre avenir. La Société nationale est-elle représentative de nos aspirations ? Je me permets d'en douter, car ce qui caractérise la (Société) nationale depuis trop longtemps, c'est l'opportunisme et la prudence. C'est aussi la peur. Sauf en de trop rares occasions, la S.N.A craint de se prononcer. Le gouvernement provincial est-il notre vrai représentant ? Il n'est pas exagéré de dire un gros non. Une politique de demi-mesures, ménager la chèvre et le chou d'un côté et de

45 Ouellette, op. cit., p.21. 66

l'autre, ne pas se compromettre. Une politique où il faut tergiverser continuellement. Ça mène tout droit, à mon sens, à la médiocrité culturelle46.

En 1968, les étudiants de l'Université de Moncton, appuyés par une partie du corps professoral s’insurgent contre la hausse des frais de scolarité et déclenchent une grève qui s'avère être le point de départ de nombreuses revendications de la minorité francophone. Cette prise de position s’accentue tout au long des années 1970. Voici comment Jean Dumas, membre de l'exécutif de l'Association des professeurs de l’Université de Moncton, décrit la situation :

Cette grève a pour prétexte l'augmentation des frais de scolarité, mais dès le départ, en conservant cet objectif premier et catalyseur, elle a débouché sur des perspectives beaucoup plus vastes. Il s'agit d'une prise de conscience par les étudiants de la situation injuste dans laquelle se trouve la population francophone du Nouveau-Brunswick47.

Parallèlement à cette grève et dans la foulée de la publication du premier rapport de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, les étudiants de Moncton décident d'organiser une marche sur l'Hôtel de ville, rassemblant plus de mille48 partisans, dans le but de réclamer une plus grande place au français à la ville de Moncton. Ces événements du mois de février 1968 ont fait l'objet, à l’époque, d'un film documentaire intitulé l'Acadie l'Acadie. Ce film présente, entre autres, la requête de quelques étudiants de l'université auprès du maire Leonard C. Jones. Maire de Moncton entre 1963 et 1973, Leonard C. Jones s’est toujours ouvertement opposé au bilinguisme tel que proposé par la

46 Extrait radio d’un discours de Roger Savoie, professeur à l’Université de Moncton, D'un océan à l'autre, Archives de la Société Radio-Canada, 17 février 1968. 47 Extrait radio d’une entrevue avec Jean Dumas, D'un océan à l'autre, Archives de la Société Radio-Canada, 17 février 1968. 48 Le nombre exact de manifestants varie énormément, allant de 400, dans le livre de E.W.Larracey Resurgo : L'histoire de Moncton, des débuts jusqu'à 1990, Moncton, 1999, vol 2. p.376, à 800-1000 dans le Moncton Transript, 15 février 1968, p.3, en passant par près de 2000 dans la quotidien L’Évangéline, 15 février 1968, p.1.

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Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme et, par le fait même, à celui avancé par la province du Nouveau-Brunswick. La façon agressive et paternaliste avec laquelle il reçoit la requête des étudiants fait réagir les francophones de la ville et des différentes régions de la province49. L’attitude parfois raciste et xénophobe d’une partie de la population anglophone de la ville lors de ces événements attise les tensions entre les deux communautés linguistiques. Les requêtes successives des francophones, en 1968 et dans les années subséquentes, poussent même l'administration municipale à créer un comité ayant pour but d'étudier la proposition de services bilingues à la ville de Moncton50.

Les tensions culminent avec le geste posé par deux étudiants québécois de l’Université de Moncton qui, le soir du 15 février 1968, présentent en cadeau au maire Jones, une tête de cochon emballée dans une boîte. Les deux jeunes hommes sont immédiatement traduits en justice. Devant la cour du juge Henry Murphy, ils demandent, comme leur droit le leur permet, que leur procès se déroule en français. Le juge Murphy leur refuse ce droit et l’avocat des deux hommes porte le jugement en Cour supérieure. Malgré le fait que leur démarche soit encore une fois rejetée par les tribunaux (décision du juge J. Hughes), ils attirent néanmoins l'attention de tout le Canada sur leur cause, à un moment où le discours politique est centré sur l’équité et l’égalité des deux langues officielles. Les tensions s’accentuent encore une fois lors de la diffusion du documentaire de Pierre Perreault l’Acadie l’Acadie à Radio-Canada en janvier 1972. Un bref regard sur quelques caricatures (figures 10 et 11) et lettres du lecteur, publiées dans les journaux de l’époque, nous permet de constater l’ampleur du fossé existant entre les communautés francophone et anglophone de la région :

49 Michel Doucet, op. cit., p.49. 50 Moncton Transcript, 15 février 1968, p.12. 68

Figure 10 Caricature tirée du quotidien L’Évangéline en date du 21 janvier 1972, p. 4

Figure 11 Caricature tirée du quotidien L’Évangéline en date du 18 janvier 1972, p.4.

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Well, well, here we have another big mouth shooting off about our Mayor. I refer to the letter in The Transcript and signed Lakavich. He states he has only lived in Moncton a year, and is ashamed to be from Moncton, so I would suggest from the sound of his name he should go back, and real quick, to the country he came from for we can get along without short-term residents like him. Of course we do not know what kind of company he travels with, but perhaps birds of a feather flock together. He also states we cannot allow this kind of leadership. Who does he mean by we, as I am sure he could not include me. Carry on Mayor Jones, we wish we had more like you51.

For years the City of Moncton has been held up as an example of cooperation and understanding and had reached a point of trust and mutual friendship by the English and French. Then the University of Moncton came into being and has promoted nothing but ill will and a feeling of distrust between these two groups. Not until this university came to Moncton was it necessary to have a riot squad in this city, but with the influx of French troublemakers and self-styled heroes on this campus we find it necessary for the protection of the lives and property of taxpayers to maintain a fully equipped riot squad. Apparently, French culture style has come to «The City With A Heart» to spread terror, distrust and in general pull the city of Moncton down to the economic and cultural level of the cities in the Province of . No doubt the kidnappings, the bombings etc. are not too far away if these people are allowed to go unchecked and keep making demands for everything in the city in French52.

Cher rédacteur, par l'entremise de votre journal, je veux crier mon dédain […] au royaliste Nouveau-Brunswick et surtout, surtout à un certain personnage «imminent» de Moncton. Vous êtes responsable directement de ce qui se passe entre […] francophones et anglophones. Vous êtes tous des fanatiques qui jusqu'à présent avaient réussi à nous assimiler, à nous humilier, à nous insulter, à nous rendre la vie insupportable […]. Vous me répugnez et je vous blâme publiquement pour toute la discrimination flagrante que vous exercez chaque jour à notre égard. Vous avez l’audace de nous appeler des «frogs» et je ne sais sur quoi vous vous basez pour nous appeler ainsi mais une chose est certaine, vous, vous êtes des serpents venimeux qui étouffent et qui avalent ces «frogs». Vous vous prétendez intelligents, mais vous êtes plus ignorants que les ignorants eux-mêmes en agissant comme vous le faites à l'égard des francophones. Savez-vous le prix au moins que nous devons payer par votre faute ? Sinon, moi je vais vous le dire ; injustice, persécution, misère, cauchemars, illusion, écrit etc., etc… Bon d'accord nous sommes des lâches, des timides pour ne pas nous

51 Extrait d'une lettre signée Disgusted, publiée dans le Moncton Times en date du 18 janvier 1972, p. 4. 52 Extrait d'une lettre écrite par la Canadian Loyalist Association (district des Maritimes) publiée dans le Moncton Times en date du 15 février 1972, p.4. 70

défendre contre vos attaques injustes, mais croyez-moi, vous êtes doublement plus lâche de ne pas apprendre notre langue. Nous, nous avons appris votre langue et cela par la force tandis que vous autres, vous avez la liberté de choix. En plus d'être méprisables vous êtes orgueilleux, vous gardez ce qui nous revient. Mais faites attention L’HEURE «H» peut sonner d'une semaine à l'autre. Le réveil des Acadiens est commencé53.

Le maire Jones fait encore parler de lui, en 1972, lorsque l’Hôtel de ville emménage sur la rue Main, dans un nouvel édifice construit par la Société mutuelle Assomption. À cette époque, le maire décide d’installer une plaque unilingue anglaise pour commémorer l’ouverture de l’Hôtel de ville dans ses nouveaux locaux. Hector Cormier, secrétaire général de la Société nationale des Acadiens à cette époque, nous raconte sa discussion avec le maire Jones : […] Je lui ai demandé pourquoi la plaque qui commémorait l’ouverture de l’Hôtel de ville était-elle uniquement en anglais. Ben c’est parce que le bilinguisme coûtait cher. J’ai dit si mon association faisait une levée de fonds pour payer une plaque identique en tout point, traduit par les meilleurs traducteurs de la place, est-ce que tu l’accepterais, et il a dit il faudrait que je présente ça au Conseil. Alors nous, on s’est magistralement foutu de lui, on a lancé une campagne à travers le Canada […]54.

La campagne connaît un succès considérable et permet d’amasser les fonds suffisants pour permettre la confection d’une version française de la plaque qui doit être apposée à côté de la version anglaise. Toutefois, le maire Jones n’avait pas dit son dernier mot comme nous le rappelle Hector Cormier : « […] j’ai appelé le maire. Je lui ai dit la plaque est arrivée. Est-ce que tu es prêt à l’accepter ? Il a dit on en a une, une maudite plaque, pis elle est bien assez. « We have a god damn plaque and it’s good enough». Alors, ça a fait les manchettes, pis j’ai dit aux journaux que c’est ce qu’il vient de dire55».

Ces hommes et femmes, comme Leonard C. Jones, qui s’opposent publiquement au bilinguisme dans les années 1960 et 1970, permettent à une partie de la population francophone de Moncton et de différents endroits de la province, de se mobiliser et de demander le respect de leurs droits en tant que citoyens à part entière de la société

53 Extrait d'une lettre signée Un Acadien, publiée dans L’Évangéline en date du 19 janvier 1972, p.5. 54 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Hector Cormier à Moncton à l'automne 2002. 55 Ibid. La plaque ne sera pas installée par le maire Jones durant son passage à la mairie de Moncton. C’est son successeur, Gary D. Wheeler, qui affiche finalement la plaque en 1974. 71 canadienne. Il ne faut pas oublier que le maire Jones est resté au pouvoir pendant 10 ans grâce, entre autres, à l’appui d’une partie de la population anglophone de Moncton. Cette opposition au bilinguisme et à l’épanouissement de la communauté de langue française est l’un des facteurs ayant favorisé la prise de conscience des Acadiens pour la revendication de leurs droits. C’est ce que soulignent Hector Cormier et Louie Surette :

Je crois que, quand on a des gens qui opposent aux causes, cela ne peut pas faire autre chose que rallier les gens. Moi, je connais bien le maire Jones, je suis né à Moncton. Je le voyais passer devant la porte chez moi… Comme jeune enfant, j’imaginais pas que quand il serait maire il rejetterait toutes les valeurs qui me sont propres. Quand il a dit au conseiller Léonide Cyr assieds-toi donc! Sit down, pis parle donc une langue que tout le monde comprend, c’est sûr que cela a aidé56.

[…] le plus grand promoteur de la langue française pour la ville de Moncton c'était Leonard Jones. Vous en avez sans doute entendu parler. Je ne suis pas pour reprendre sa vie, parce que c'était un gars qui a réussi à mettre le feu au cul des francophones qui ont dit non, non, ça suffit. Puis, je pense que c'est à ce moment-là qu'il y a eu vraiment un ralliement, une conscience sociale du fait français57.

À la même époque où une nouvelle génération de leaders s'affirme et revendique plus de français à la ville de Moncton, quatre membres de l'élite traditionnelle (Gilbert Finn, Adélard Savoie, Euclide Daigle et le Dr. Léon Richard) s'envolent pour Paris dans le but de rendre visite au général de Gaulle et d’exposer au gouvernement français les besoins des francophones du Nouveau-Brunswick. Durant leur séjour en France, ils réussissent, entre autres, à négocier une aide financière pour la sauvegarde du quotidien L’Évangéline, l’envoi de livres pour étoffer la bibliothèque de l’Université de Moncton et des écoles publiques de la province ainsi qu’un soutien technique et professoral58. À leur retour, les leaders francophones sont accueillis à l’aéroport de Moncton par quelques centaines de personnes. Cette euphorie ne touche pas tous les membres de la communauté francophone puisque certains leaders de la nouvelle génération remettent en question le choix des délégués faisant partie de la mission. Ils accusent les délégués de s'être autoproclamés

56 Ibid. 57 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Louie Surette à Moncton à l'automne 2002. 58 Gilbert Finn. Fais quelque chose, Dieppe, G. Finn, 2000, p. 87.

72 représentants de la société francophone acadienne59. Toutefois, de nombreuses personnes, comme le directeur de l'École de commerce de la University of New Brunswick Jean Cadieux, considèrent le voyage de ces quatre hommes comme un «exploit remarquable»60. Depuis cet événement, les accords de coopérations et d’aide en matière d’éducation entre la France et le Nouveau-Brunswick n’ont pas cessé de se développer61.

2.4 Milieu associatif et institutionnel

Durant les décennies des années 1960 et 1970, le milieu institutionnel et associatif connaît une période de restructuration. Le temps des grandes conventions nationales du début du siècle est révolu et, de plus en plus, la nouvelle génération remet en question les institutions dirigées par l'élite traditionnelle francophone. C'est dans ce contexte qu'en 1965, s'éteint l’Ordre de Jacques-Cartier, une société secrète oeuvrant au Nouveau- Brunswick et partout au Canada français depuis plus de 30 ans dans le but de faire avancer la cause des francophones. De son côté, la Société nationale des Acadiens semble avoir de la difficulté à représenter l'ensemble des Acadiens des provinces maritimes. Déjà, en 1919, les Acadiens et les Acadiennes de l'île-du-Prince-Édouard créent leur propre association : la Société Saint-Thomas-d'Aquin. En 1967, c'est au tour de la Nouvelle-Écosse de créer sa propre fédération acadienne. Puis, en 1975, naît la Fédération des francophones hors Québec qui réunit neuf associations provinciales et qui a pour but de défendre les intérêts des francophones partout au Canada à l’extérieur du Québec62.

La Société nationale des Acadiens continue, quant à elle, de se dire représentative de la communauté francophone du Nouveau-Brunswick. Cependant, son discours est tourné vers le passé et n'arrive plus à rejoindre la jeunesse francophone en pleine effervescence63. Lors du grand ralliement de la jeunesse acadienne à Memramcook, en 1966, la Société tente de sensibiliser la jeunesse à la cause nationale, mais ses efforts ne

59 Ibid., p. 86. Propos exprimés par le sénateur Edgar Fournier. 60 Ibid., p. 87. 61 On compte maintenant des échanges d’étudiants, des bourses d’études, des professeurs invités, des colloques… 62 Philippe Doucet, «La politique et les Acadiens », dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p.327-328. 63 Michel Doucet, op. cit., p.51. 73 remportent aucun succès. Les participants reprochent à la Société nationale son manque de représentativité, ses nombreux jeux de coulisses et ses démarches à pas feutrés. Les nombreuses contestations amènent les dirigeants de la Société nationale des Acadiens à organiser un grand congrès national à Fredericton le 20 mai 1972. C'est au terme de cette réunion que naît la Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick64. Cette nouvelle association prend la relève de la Société nationale des Acadiens et concentre ses efforts essentiellement sur la protection des droits des francophones du Nouveau- Brunswick et sur le développement des différentes communautés francophones de la province.

La Société nationale des Acadiens n’est pas la seule association francophone à subir des transformations durant cette période. Des changements importants s’opèrent aussi à l'intérieur même de la structure organisationnelle de la Société l’Assomption. En effet, le 1er janvier 1969, à la convention générale, la majorité des délégués appuie la transformation de la Société mutuelle Assomption en l’Assomption-Vie compagnie mutuelle d'assurance-vie. La compagnie cesse d’être une fraternelle et devient une maison d'affaires lui permettant d'offrir de nouveaux services comme l'assurance collective, les pensions sans assurance et les plans non participants65. Le rôle des succursales disparaît avec la transformation de l'organisation, mais l'implication de la compagnie auprès de la communauté francophone continue si bien que, dans les années 1960, la Société débourse annuellement plus de 25 000 $ pour l'éducation des jeunes. Entre 1903 et 1977, la compagnie octroie pour plus de 1 600 000 $ en bourses d'études66.

En 1961, la situation financière de la compagnie se porte bien et son actif est de 22 746 000 $. Le nombre de membres est, quant à lui, de 74 000. À la suite de la mutualisation de la compagnie, l'actif de celle-ci passe de 30 millions de dollars en 1969, à 84 millions de dollars en 197967.

64 Ibid., p.52. Malgré ces transformations, la S.N.A continue d’œuvrer et, en 1992, elle change de nom et devient la Société nationale de l’Acadie. 65 Finn, op. cit., p. 56-57. 66 Informations recueillies sur le site Internet http://creations.acadie.net/historique/start.html et préparées par Léon Thériault, professeur au Département d’histoire et de géographie de l’Université de Moncton. 67 Ibid. 74

L'un des gestes les plus importants posés par la Société est la construction de la Place de l'Assomption au centre-ville de Moncton sur la rue Main. Le déplacement de la compagnie de la rue St George à la rue Main n’est pas un geste important en soi, mais la construction de l'édifice qui abrite, entre autres, les locaux de la compagnie et l’Hôtel de ville, représente un geste symbolique extrêmement important pour la communauté francophone. En effet, l'édifice, dont l’affichage extérieur est exclusivement en français, domine tous les autres de la ville.

À la fin des années 1970, nombreux sont les symboles institutionnels qui représentent l’état du développement de la communauté francophone du Grand Moncton. L'université, le nouveau complexe immobilier Place de l’Assomption, la cathédrale francophone, l'hôpital de langue française Georges-Dumont68 et la Société Radio-Canada sont des exemples parfaits de l’appropriation du territoire par les francophones de la ville. La communauté minoritaire grâce, entre autres, à ces institutions, transforme le paysage linguistique et institutionnel de Moncton. Cette dynamique symbolique influence grandement la façon dont les francophones se perçoivent et s’identifient dans cette ville majoritairement composée d’anglophones. Les institutions publiques ou la représentation symbolique de celles-ci doivent s’inscrire dans le prolongement de l’identité personnelle de la population de langue française pour que celle-ci puisse se reconnaître à travers ses institutions. Si, au contraire, les institutions représentent les aspirations et les fondements identitaires de la communauté anglophone, il devient plus difficile pour les francophones de développer, en regard de cette société, un sentiment d’appartenance. Ils risquent de se sentir comme des étrangers et n’auront pas l’impression que cette société les représente. Raymond Breton décrit ainsi ce phénomène :

The construction of a symbolic order also entails the shaping of cultural traditions: values and norms on the one hand; customs and ways of doing things on the other. Perhaps the most important component of this cultural way of life is that embedded in the forms and style of public institutions: the form of government and its institutionalised practices; the administration of justice; the school curriculum and the disciplinary methods; the organisation of business activities; the conduct of labour-

68 La construction de l’hôpital débute en 1966, mais celui-ci n’ouvre ses portes qu’en 1975. L'Hôpital Georges-Dumont est situé sur l'avenue de l'Université juste à côté des locaux de la Société Radio-Canada. 75

management relations, and so on. The forms and styles of the various institutions also become incorporated in systems of ideas that are symbolically reinforced in laws, official speeches and documents, constitutional provisions and their discussion, advertisements, and other public relations behaviours69.

La photo 2 offre une vue de la ville de Moncton à partir de la municipalité de Dieppe. On peut y distinguer quelques-uns des plus importants symboles de la communauté francophone, soit la cathédrale, la Place de l’Assomption et l’Hôpital Georges-Dumont.

Ville de Moncton

Photo 2 Au centre de la photo, nous pouvons voir la Place de l’Assomption, à droite, la cathédrale Notre-Dame de l'Assomption et, à l’extrême droite, l’Hôpital Georges-Dumont. Photo prise par Martin Durand, automne 2002.

Le milieu associatif, malgré sa restructuration, reste impliqué dans les différentes luttes menées par la communauté francophone. Au plan de l'enseignement, par exemple, l'Association des professeurs de l'Université de Moncton soutient les grèves étudiantes de 1968 et 1969 qui ont pour but de contrer la hausse des frais de scolarité. De plus, les combats menés pour l'obtention de districts francophones et la lutte pour la dualité au ministère de l'Éducation mobilisent l'Association acadienne d'éducation et l'Association

69 Raymond Breton, « The Production and Allocation of Symbolic Resources: An Analysis of the Linguistic and Ethnocultural Fields in Canada », Canadian Review of Sociology and Anthropology, vol. 21, no. 2, p. 125-126.

76 des instituteurs acadiens (1958) qui devient, en 1970, l'Association des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick. Les luttes scolaires ne sont pas les seuls combats à être menés dans la région de Moncton. En effet, d’autres associations, comme les regroupements communautaires, administrés en grande partie par le clergé, l'Ordre de Jacques-Cartier ou encore la Société nationale des Acadiens, militent en faveur d’une plus grande place pour les francophones dans la fonction publique et, notamment, pour le bilinguisme officiel à l’Hôtel de ville.

2.5 Milieu économique

La compagnie d'assurances l'Assomption-Vie connaît une expansion et un développement économique important jusqu'à la fin des années 1970. Toutefois, cette entreprise n’est pas la seule à participer à la croissance économique de la région. D’autres employeurs, comme le Canadien national70 ou encore l'Université de Moncton, se hissent parmi les plus importants de la région du Grand Moncton. Les emplois disponibles au sein de l’institution d’enseignement supérieur sont bien rémunérés et accroissent ainsi le pouvoir d’achat des travailleurs. L'université permet aussi à de jeunes diplômés d'obtenir une formation académique de qualité leur permettant de percer le milieu des affaires71. Bien qu’il existe, au début des années 1970, des outils de promotion économique, comme la Chambre de commerce du Grand Moncton créée en 1971, il faut attendre jusqu’en 1979 pour voir la création d’un regroupement de gens d’affaires administré uniquement par des francophones. C’est Gilbert Finn, le président de la Société d’assurance Assomption-Vie, qui en lance l’idée en 1973. L'organisme voit le jour en 1979 sous le nom du Conseil économique acadien et comprend une cinquantaine de membres72. Le conseil change de nom et devient le Conseil économique du Nouveau-Brunswick en 1982. Depuis 1981, un secrétariat permanent est présent à Moncton. Depuis sa création, cet organisme permet aux entrepreneurs francophones de se réunir et d'échanger sur le milieu des affaires73.

70 Au cours des années 1960, environ 3500 résidants de la région de Moncton travaillent pour le Canadien national. Pierre-Yves Chiasson, « Les partenariats le développement économique communautaire : l'exemple du grand Moncton », Rapport final préparé pour l'agence de promotion économique du Canada atlantique, mars 1998, p.5. 71 Ibid., p.3. 72 Finn, op. cit., p.97-98. 73 Ibid., p.99. 77

Finalement, le développement de différents centres de distribution et de centres commerciaux, comme le Moncton Mall (1973) dans le nord-ouest de la ville, le Riverview Mall (1973) et la Place Champlain (1974) située aux limites de Moncton et Dieppe, compense en partie la perte des 1300 emplois causée par la fermeture, en 1976, du centre de distribution par catalogue Eaton74.

2.6 Milieu culturel

À la suite de la création de l'Université de Moncton, la nouvelle génération de leaders francophones s'affirme de plus en plus sur le plan politique, social et culturel. Déjà, à la fin des années 1950, Ronald Després et Antonine Maillet publient leur premier recueil. Les années 1960 et 1970 représentent une période d'affirmation dans le milieu artistique francophone. David Lonergan, professeur aux départements de littérature et de théâtre de l’Université de Moncton, souligne qu’à l’époque :

[…] tu as une petite tale de jeunes, des Raymond-Guy LeBlanc, des Calixte Duguay, Herménégilde Chiasson qui, à la toute fin des années 1960, sortent leur guitare, leur piano, leur pinceau. Chiasson est d'abord et avant tout un peintre qui commence à faire des «sparages» un peu partout, des manifestations, des occupations d'université. Ça brasse ! Puis, un moment donné, on veut publier, on veut exposer...75.

Les structures ne sont toutefois pas encore présentes, au début des années 1960, pour permettre aux écrivains de publier leurs oeuvres à partir du Nouveau-Brunswick. Il faut attendre 1972 pour que soit fondée la maison d’édition les Éditions d’Acadie. Le premier auteur à y être publié est Raymond-Guy Leblanc avec Cri de Terre (1972), un recueil de poésie. Avec la publication de cet ouvrage, il ouvre la porte à toute une littérature de la dénonciation, de la révolte et de la recherche du pays. D’autres auteurs, comme Herménégilde Chiasson avec Mourir à Scoudouc (1974) ou encore Calixte Duguay

74 Chiasson, loc. cit., p.5. et Serge Belley, «Développement économique local et interventionnisme municipal : le cas de Moncton, 1960-1987», Revue de l’Université de Moncton, Moncton, vol. 22, no. 1-2 (décembre 1982), p.67. 75 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec David Lonergan, professeur aux départements de littérature et de théâtre de l’Université de Moncton, à Moncton à l'automne 2002. 78 avec Les stigmates du silence (1975), jettent un regard critique sur la situation des francophones. Parallèlement au développement d'une littérature acadienne, les francophones se réunissent et organisent des grandes célébrations musicales et littéraires que l'on appelle les Frolics. Le professeur Lonergan les décrit ainsi :

Les Frolics acadiens c'était une immense fête populaire; on appelait ça notre Woodstock. Ça, ça a été fait par des hurluberlus de l'Université de Moncton dans le bout de Memramcook d'abord et Cap Pelé. La raison que je mentionne ça, c'est que au plus fort des Frolics en 1975-76, par exemple, il y avait jusqu'à 10 000 personnes qui allaient là. Il y en avait du Nord aussi, mais c'était vraiment un phénomène du Sud-Est. Ça commençait à midi et ça allait jusqu'au lendemain matin à huit heures. Alors, c'était toute musique confondue. C'était beaucoup de traditionnelle, beaucoup de violon, beaucoup de guitare, beaucoup de western, beaucoup de «stepettes», mais aussi les premières acclamations du groupe 1755, des groupes révolution, des groupes punk, en d'autres termes, tout ce qui bougeait en Acadie. Ça, ça a été vraiment comme un regain de fierté. C'est comme le poème de Guy Arsenault Acadie rock que j'aime tellement ! Et, c'est important de parler de Guy Arsenault parce que, c'est comme Raymond LeBlanc, un poète urbain, de Parkton d'ailleurs. Il a fait un livre qui s'appelle Acadie rock en 72 que tu dois lire absolument. C'est intéressant le titre, Acadie rock donc justement les choses dont je te parlais, la perception que l'on a de nous-mêmes, que l'Acadie peut rocker76.

Durant cette période, les francophones se donnent aussi des lieux de rencontre, de création, un espace francophone culturel. Parmi les premiers lieux de rencontres francophones à Moncton au début des années 1960, il y a le café Chez Marcil, au coin de la rue St George et Archibald, et La cave à pape, localisée elle aussi dans le secteur de la cathédrale. Toutefois, l’un des lieux les plus importants, non seulement pour les artistes mais aussi pour toute cette génération de jeunes francophones, est le bar de l’université appelé le Kacho. Créé en 1972 et localisé au sous-sol de l’édifice Taillon sur le campus de l’université, le Kacho devient rapidement le centre de la culture «souterraine» francophone de Moncton. Cet endroit permet aux artistes francophones de s’exprimer ouvertement lors des soirées «jams» présentées à tous les vendredis. Le Kacho est l’endroit privilégié pour les lectures de textes et de poésie ainsi que pour les concerts de musique alternative. Il s’agit d’un endroit où les francophones peuvent exprimer leurs idées politiques ou encore

76 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Gérald Leblanc, poète, à Moncton à l'automne 2002. 79 leur mécontentement par rapport à la discrimination linguistique et culturelle dont ils sont l’objet77. Toutefois, le Kacho n’est pas le seul lieu de rencontre de la population francophone de la région de Moncton. Selon le professeur Lonergan, il y en a plusieurs autres comme :

Le fameux Kacho va devenir comme le premier lieu sacré, mais tu as les Éditions d'Acadie. Tu vas avoir une prolifération : Radio-Canada prend plus de place, la création de l'ONF, Studio Acadie en 74. Il y a toutes sortes de choses, l'établissement de la GUM (Galerie de l’Université de Moncton), une vraie GUM, une vraie galerie d'art de l'Université de Moncton, donc une entreprise consistante. Pis tu vas voir aussi l'apparition du Centre culturel Aberdeen, pas le Aberdeen actuel, mais le Centre culturel de la rue Church, puis ensuite l'apparition de l'Association des écrivains acadiens en 78, autour de Melvin Gallant toujours, et de là, va en naître la revue Éloise […]78.

Au niveau des arts de la scène, il y a à Moncton, entre 1969 et 1979, trois compagnies théâtrales : le Théâtre amateur de Moncton, l’Escaouette et Les Feux Chalins. Cette dernière a pour but de promouvoir le théâtre francophone dans la région de Moncton. Au cours des années, la compagnie offre des pièces de théâtre, des spectacles, des ateliers de formation artistique et technique. C’est cette même compagnie qui présente, sous la direction d’Eugène Gallant en 1971, La Sagouine d'Antonine Maillet, pièce interprétée par Viola Léger. Les Feux Chalins ne se limitent pas seulement à la mise en scène théâtrale, ils produisent aussi des spectacles de musique, de danses et de variétés.

L’année 1978 marque la fondation de la troupe de théâtre l’Escaouette qui devient, en septembre 1979, la Coopérative de théâtre l'Escaouette Ltée. Elle emprunte, elle aussi, différentes avenues avec la tenue de pièces de théâtre, mais aussi de pièces pour enfants, de cabarets-théâtre et de dîners-théâtre.

Le milieu des arts visuels est, quant à lui, marqué par l’ouverture, en 1964, de la Galerie d’art de l’Université de Moncton. Depuis ses débuts, la galerie sert de point de

77 Paul Bossé, Kacho Komplo, Moncton, Office national du film du Canada, 2002, 52 min. 78 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec David Lonergan, professeur aux départements de littérature et de théâtre de l’Université de Moncton à l'automne 2002. 80 lancement pour les artistes de la région de Moncton. Les années 1960 et 1970 voient aussi apparaître de nombreux talents francophones sur la scène musicale avec des artistes comme Patsy Gallant et Édith Butler79. Celles-ci connaîtront un succès national et même international. Au milieu des années 1970, deux formations musicales viennent façonner le paysage francophone du Nouveau-Brunswick. Il s’agit des groupes 1755 et Beausoleil- Broussard. Le premier permet, grâce à la richesse de ses textes, de mettre des mots sur les réalités socio-politiques des francophones de l’époque permettant ainsi aux jeunes d’affirmer leur identité. Beausoleil-Broussard, quant à lui, s’inspire essentiellement du folklore acadien traditionnel. Le groupe, à de nombreuses occasions, représente la communauté francophone à travers toute la francophonie internationale en participant à des festivals et en donnant des spectacles en Europe et en Amérique du Nord80.

Somme toute, pour les francophones du Nouveau-Brunswick, cette période est dominée par une effervescence artistique sans précédent ponctuée de succès littéraires (Antonine Maillet reçoit le prix du Gouverneur général du Canada, en 1974, pour Don l’Orignal et le prix Goncourt, en 1979, pour Pélagie-la-Charette) et d’une représentation limitée mais continue à l’échelle nationale et internationale.

2.7 Milieu religieux

Durant les années 1960 et 1970, malgré le fait que les communautés religieuses se désengagent graduellement de l’éducation et des soins de santé, la population continue de fréquenter les églises et de participer aux activités centrées sur les paroisses. Un bref coup d’œil à la figure 12 nous permet de constater qu’en 1962, le plus grand bassin de population francophone catholique est toujours concentré autour de la cathédrale81.

79 Roger Cormier. « La musique et les Acadiens», dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p.865. 80 Ibid., p.866-867. 81 Selon François Levert, responsable du centre de documentation de l’archidiocèse de Moncton, il n’existe aucune délimitation des paroisses francophones situées sur le territoire du Grand Moncton. Par conséquent, nous avons décidé de représenter, sur les figures 12 à 14, les différentes paroisses par l’église paroissiale. 81

Figure 12 Carte réalisée par Martin Durand, printemps 2004, Annuaire de l’archidiocèse de Moncton, 1962

Il y a encore peu de familles francophones dans le quartier de Parkton, au nord- ouest de la ville. Cependant, la plupart des membres de ces familles francophones sont des catholiques pratiquants. La communauté de langue française située dans ce quartier de Moncton est très active et impliquée dans toutes sortes d’activités sociales.

Le fait que le nombre de paroissiens se maintienne et même augmente de 1962 à 1980 (figures 12 à 14) est révélateur de la place importante du clergé au sein de la communauté francophone. Les catholiques de langue française sont de plus en plus présents et actifs dans la société industrielle et urbaine de Moncton, même si les milieux francophones sont, dans les années 1960 et 1970, plutôt conservateurs. On constate aussi que de 1962 (fig. 12) à 1980 (fig. 14), en passant par 1973 (fig. 13), les familles catholiques habitant au centre et dans l’est de la ville sont moins nombreuses.

82

Figure 13 Carte réalisée par Martin Durand, printemps 2004, Annuaire de l’archidiocèse de Moncton, 1973

Figure 14 Carte réalisée par Martin Durand, printemps 2004, Annuaire de l’archidiocèse de Moncton, 1980

83

De fait, tous les secteurs centraux de la ville de Moncton connaissent des chutes de population qui varient entre 23% et 50 % entre 1971 et 1981. Parallèlement à ce phénomène, le quartier Parkton voit son nombre de familles considérablement augmenter. Ce phénomène s’explique par le développement des quartiers et villages périphériques comme Parkton (incorporé à Moncton en 1956), Dieppe (constituée en ville en 1952), Humphrey (incorporé à Moncton en 1957) et Sunny Brae (incorporé à Moncton en 1955). Ainsi, ces quartiers et villages périphériques82 enregistrent une hausse moyenne de population de 44%83. Le centre-ville de Moncton, quant à lui, laisse plus de place au développement commercial et met de côté la vocation résidentielle84.

2.8 Répartition géographique des francophones du Grand Moncton

Comme nous l’avons démontré au chapitre précédent, la concentration de la population francophone de Moncton est, au tournant du XXe siècle, localisée essentiellement dans le centre et l’est de la ville (figure 15).

Figure 15 Reprise de la figure 6, p.44.

82 Les quartiers de la ville de Moncton ne peuvent être adéquatement représentés sur une carte, car les limites géographiques de ces quartiers n’existent pas. C’est ce que nous expliquait Rachel Cassie, urbaniste à la Ville de Moncton, lors d’une rencontre à l’automne 2002. 83 Belley, loc. cit., p.54. 84 Ibid., p.58. En 1959, le conseil municipal de la ville de Moncton crée la Société de développement industriel de Moncton Limitée. En 1960, celle-ci achète 275 acres de terrain dans la partie sud-ouest de la ville. En 1972, 13 000 autres acres de terrain sont achetées dans la partie nord-ouest de la ville.

84

Ce phénomène se poursuit jusqu’au début des années 1960 grâce, entre autres, à la création, en 1914, de la première paroisse francophone de Moncton et de la construction de la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption en 1939. En effet, nous pouvons constater, sur la figure 16, que le centre et l’est de la ville sont, encore une fois, les endroits ayant la plus forte densité ethnique française.

Figure 16 Carte réalisée en collaboration avec Hugo Godin, Québec, août 2003 Reproduction d’une carte tirée de Jean-Claude Vernex, «Densité ethnique et assimilation : les francophones à Moncton», Revue de l’Université de Moncton, Vol. 2, no 3 (1969), p.159.

Le pouvoir d’attraction de la paroisse francophone, et notamment de la cathédrale, est encore très fort en 1961. Le centre et l’est de la ville sont aussi des secteurs où se sont implantés de nombreuses institutions francophones comme la Société l'Assomption et L’Évangéline sur la rue Church, sans oublier Radio-Canada, le Collège Notre-Dame du Sacré-Coeur et l’Hôtel-Dieu.

85

Au début des années 1960, Dieppe est encore un petit village localisé à mi-chemin entre la ville et la campagne. Cette semi-ruralité motive de nombreux francophones à s’y installer. Ainsi, ils peuvent continuer à cultiver leurs jardins comme leurs parents ou leurs grands-parents le faisaient autrefois. Toutefois, même si nous trouvons sur la figure 16 une concentration élevée d’individus d’origine ethnique française dans cette municipalité, il est essentiel de souligner qu’en 1961, le nombre de francophones vivant à Dieppe est limité. Seulement 2641 personnes d’origine ethnique française habitent la région de Dieppe, ce qui ne représente que 6 % de la population totale du Grand Moncton qui comprend les villes de Moncton, Dieppe et Riverview85.

La figure 16 ne présente aucune donnée sur la ville de Riverview. Lorsque Jean- Claude Vernex réalise la carte que nous avons reproduite, les données sur Riverview ne sont pas encore disponibles. Toutefois, la concentration de francophones dans cette région est, en 1961, infime puisqu’il s’agit du plus important foyer de concentration de population anglophone de la région. Par conséquent, l’analyse du secteur de Riverview, situé au sud de la rivière Petitcodiac, n’est pas essentielle à ce stade-ci de notre étude.

Un autre quartier majoritairement occupé par les francophones est celui de Parkton. Ce quartier ouvrier, dont la population masculine travaille surtout aux ateliers du Canadien national, est, en 1961, culturellement et économiquement homogène. Les francophones y possèdent une école, une épicerie, des commerces, une église, mais aussi des clubs sociaux où ils y pratiquent de nombreuses activités paroissiales. La population francophone de ce quartier est l’une des plus dynamiques de la communauté. Avec le centre et l’est de la ville, le quartier Parkton est l’endroit où l’on trouve la plus grande concentration de population d’origine ethnique française dans la région de Moncton.

Dans les autres quartiers comme Lewisville et Sunny Brae, la population d’origine ethnique française y est présente dans une proportion inférieure à 50 % de la population

85 Jean-Claude Vernex, «Densité ethnique et assimilation : les francophones à Moncton», Revue de l’Université de Moncton, vol. 2, no 3 (1969), p.158. et Maurice Beaudin, «L'apport d'une minorité à sa région : les Acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick», dans Langue et bilinguisme, une approche économique, Chaire du développement économique du Nouveau-Brunswick. Moncton, (2002) p. 249.

86 totale. Comme nous l’avons démontré dans le chapitre précédent, ces quartiers ne font pas partie des premiers foyers d’établissements francophones de la région. La population, qui s’était établie dans ces secteurs au début du siècle, l’avait fait pour des raisons économiques, étant donné la présence de manufactures et d’industries textiles. En 1961, la population francophone y est encore présente, mais elle y est en concentration moins élevée qu’au début du siècle.

2.9 Schéma de l’espace francophone

De nombreux événements, tant politiques, sociaux, économiques que culturels, façonnent la société néo-brunswickoise et la grande région de Moncton durant les années 1960 et 1970. Pour bien mesurer l'impact de ces événements, de ces lois, de ces transformations sociales et institutionnelles, nous pouvons examiner plus en détail la figure 17 représentant le schéma de la zone d’influence francophone en milieu urbain, conceptualisée dans le cadre de cette étude.

Figure 17 Schéma réalisé par Martin Durand 87

Avant les années 1960, la seule protection juridique des francophones du Nouveau- Brunswick réside dans l'article 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Celui-ci permet l’usage du français et de l’anglais au Parlement et dans les tribunaux fédéraux. Avant la fin des années 1960, les francophones du Nouveau-Brunswick n'ont toujours pas le droit de s'adresser à l'administration provinciale dans leur langue, ils n’ont pas le droit à un procès en français et ne peuvent toujours pas gérer leur propre système scolaire. Cette situation change, en 1969, avec l'adoption des lois provinciale et fédérale sur les langues officielles. Toutefois, l'application de tous les articles de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick n’est complétée qu’en 1977. Nous devons ajouter aux postulats de base de notre schéma ces nouvelles protections juridiques. C'est aussi à la fin des années 1970 et au début des années 1980 que les francophones obtiennent le droit d’administrer leurs propres districts scolaires. C’est pourquoi ce postulat s’ajoute, lui aussi, à notre schéma.

Durant les années 1960 et 1970, l'espace institutionnel de la région de Moncton a considérablement pris de l’expansion. Les francophones de Moncton voient naître, entre autres, des districts scolaires homogènes, une université francophone, un nouvel hôpital français et le développement de la compagnie Assomption-Vie.

Bien que connaissant une période de restructuration, le milieu associatif est très actif au niveau des revendications sociales, politiques et culturelles entre 1960 et 1980. Les luttes scolaires, les revendications étudiantes, le combat pour l'obtention d'une plus grande place du français dans les lieux publics et à l'Hôtel de ville ne sont que quelques- unes des luttes menées par la population francophone et le milieu associatif. La religion catholique et les valeurs qui lui sont attachées sont toujours aussi présentes au sein des foyers, mais l’Église se retire graduellement de l’éducation et du système de santé.

Au niveau de l'espace vécu, la famille continue de jouer un rôle de premier plan en ce qui concerne la préservation de la langue. Les lieux de rencontres pour les loisirs et le développement culturel se multiplient, mais restent toutefois marginaux dans cet environnement majoritairement anglophone.

88

Finalement, au niveau des réseaux et des liens supra-régionaux, nous avons vu que la période en est une de recul. Les liens établis au début du siècle avec les francophones des autres provinces s’effritent graduellement avec la redéfinition du mandat de la Société nationale des Acadiens et la création de la S.A.N.B., la Société Saint-Thomas d'Aquin et la Fédération des Acadiens de la Nouvelle-Écosse.

Malgré quelques difficultés au sein du milieu associatif et des liens supra- régionaux, nous pouvons affirmer que, durant la période s’échelonnant de 1960 à 1980, la zone d'influence francophone de l'espace urbain de la région de Moncton a pris de l'expansion. Les postulats qui constituent la base même de ce concept s'organisent sur des assises plus solides. L’espace institutionnel, grâce, entre autres, à la création de l'Université de Moncton, se diversifie et prend de l'expansion. L'espace vécu, malgré le désengagement graduel du clergé dans l'éducation et la santé, se maintient. L'effritement des liens entre les différentes communautés francophones de l'est du Canada n’influence pas grandement la zone d'influence de l'espace urbain, car, durant cette période, les luttes menées par la population francophone du Grand Moncton sont surtout concentrées sur des problèmes et des enjeux locaux. ***

La période qui suit les années 1970 est donc centrale au niveau de l’évolution de la zone d'influence francophone de l'espace urbain de la grande région de Moncton puisque les nombreuses luttes menées dans les années 1960 et 1970 ont permis à la communauté francophone minoritaire d’établir des bases solides et fondamentales propices à son développement. En bénéficiant d’une protection juridique au plan linguistique et d’un système complet et homogène d’éducation en français, les francophones s’assurent ainsi de pouvoir s’épanouir malgré le fait qu’ils constituent une minorité dans une région majoritairement anglophone. La période qui suit nous permettra donc de constater à quel point ces mesures favorisent le développement de la communauté et de voir si ces gestes sont suffisants pour permettre à la zone d'influence francophone de l'espace urbain de se diversifier et de prendre de l’expansion.

Chapitre III

Consolidation des acquis et développement de la francophonie : 1980 à 2002 multipiste

Moncton serait cet espace où j'ai traversé le rouge dans toutes ses dimensions réseaux dévorants des accidents de parcours rages et rumeurs de l'émotion lyrisme du trop-plein ville de mes vies parallèles Moncton multipistes dans l'immense Amérique de mon désir

19861

Les années 1960 et 1970 ont été pour les francophones du Nouveau Brunswick des années de revendications, marquées par de nombreuses manifestations publiques et par une accentuation des tensions entre la communauté de langue française et celle de langue anglaise. À la suite de différentes luttes, comme celle pour l’obtention d’une loi sur les langues officielles, les francophones se sont munis d’instruments associatifs, culturels, juridiques et institutionnels essentiels au maintien de leur communauté. Par exemple, les francophones bénéficient désormais d’une éducation continue en français de la maternelle à l’université. Toutefois, les gains obtenus durant les années 1960 et 1970 ont été durement acquis. Ils sont le fruit de plusieurs années de luttes, dont le succès réside dans la patience dont font preuve les francophones du Nouveau-Brunswick. Hector Cormier, ancien président de la Société nationale des Acadiens, appuie cette affirmation en précisant que :

Les Acadiens […] sont très patients. Peut-être trop. C’est ce qui nous distingue des Québécois qui le sont beaucoup moins, qui sont plus affirmatifs. Mais, quand on [les Acadiens] décide d’embarquer dans une

1 Poème de Gérald Leblanc tiré de Gérald Leblanc, L'Extrême frontière : poèmes 1972-1988, Moncton, Éditions d'Acadie, 1988, p. 106.

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lutte, il n’y a pas de fin et c’est pour ça qu’on les a presque toutes gagnées. […] Les Anglais, à un moment donné, viennent assez essoufflés avec nous qu’ils savent plus quoi faire, pis ils nous disent d’aller chez le diable, pis ils vont finir par dire vous voulez vous séparer, séparez-vous2.

Les années 1980 et 1990 sont également marquées par des luttes dont les résultats sont recueillis à moyen et long terme. Pendant les années 1980 et 1990, les francophones continuent de mener différents combats politiques, juridiques et sociaux, notamment dans le secteur de la santé. Ils poursuivent ces luttes dans le but d’améliorer les conditions de vie des francophones à travers la province, mais ils essayent aussi et surtout, de consolider les acquis obtenus dans les années 1960 et 1970.

3.1 Milieu politique et juridique

Au début des années 1980, les Conservateurs de Richard Hatfield sont toujours à la tête de la province du Nouveau-Brunswick. À la suite de la promesse faite par le député et bras droit de Richard Hatfield en matière linguistique et culturelle, Jean-Maurice Simard3, le gouvernement propose, en 1980, l’adoption d'un projet de loi visant à reconnaître officiellement l'égalité des deux communautés linguistiques et culturelles du Nouveau- Brunswick. Il s’agit de la Loi 88. Cette loi reconnaît officiellement et assure l'égalité de statut et l'égalité des droits et privilèges des deux communautés linguistiques officielles. De plus, elle garantit aux communautés le droit et l’accès à des institutions distinctes destinées à des activités culturelles, éducationnelles et sociales. Finalement, la loi encourage le gouvernement à intervenir auprès des communautés en instaurant des programmes d’aide et de subventions dans différents secteurs liés au développement

2 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Hector Cormier à Moncton à l'automne 2002. Philippe Doucet et Robert Tremblay confirment aussi les propos de M. Cormier dans leur article : Philippe Doucet et Robert Tremblay, «Aperçu de la vie politique au Nouveau-Brunswick : 1960-1986», Égalité : revue acadienne d'analyse politique, Moncton, no. 19 (automne 1986), p. 33-59. 3 Cette promesse a été faite lors de la Convention d’orientation nationale des Acadiens tenue à Edmundston en octobre 1979. Lors de cette convention, les Acadiens se prononcent en faveur d'une plus grande autonomie. 47 % des participants à la rencontre supportent une motion visant la création d'une province acadienne. Donald Poirier, «Projet de loi sur l’égalité des deux communautés linguistiques officielles du N.-B.», Égalité : revue acadienne d'analyse politique, Moncton, no. 1 (automne 1980), p. 119.

91 culturel, économique, éducationnel et social des communautés linguistiques de langues officielles4.

Les réactions au projet de loi sont multiples. Tout d'abord, la population francophone s'y oppose. La S. A. A. N.B. estime que le projet de loi ne va pas assez loin. L'Association des étudiants de l'Université de Moncton considère, quant à elle, que la loi devrait reconnaître les droits politiques et économiques en plus des droits linguistiques, culturels et sociaux. Le Parti libéral du Nouveau-Brunswick s'oppose, lui aussi, au projet de loi en invoquant sa similitude à la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. Quant à la communauté anglophone, celle-ci y voit une menace favorisant la naissance d’une province acadienne. Finalement, la population francophone ne voit dans la loi qu'un simple énoncé de principe dont l’application demeure vague. Cette dernière observation s’avère être passablement juste dans la mesure où les articles ne présentent pas d’actions concrètes pour mettre en oeuvre cette loi reconnaissant l'égalité des deux communautés linguistiques. De plus, la communauté francophone se questionne sur les recours disponibles à la population pour faire respecter les articles de la loi5.

Le débat entourant l'adoption du projet de loi demeure toutefois confiné à la sphère politique. La population francophone ne s'engage pas publiquement dans le débat. C’est donc sans trop de déchirements sociaux qu’en juillet 1981, la Loi 88 est adoptée à l’unanimité à l'Assemblée législative. Les Libéraux qui, au départ, s'opposaient au projet de loi décident, dans les derniers instants avant le vote final, d’appuyer la démarche des Conservateurs. Pour les francophones de la province, l’entrée en vigueur de la loi fait en sorte qu’ils peuvent désormais discuter d'égal à égal avec un partenaire plus réceptif et disposé à entendre leurs revendications.

En 1980, les opposants libéraux à l'adoption du projet de loi suggèrent, en contrepartie de la Loi 88, une profonde modification de la loi provinciale sur les langues

4 Une copie du texte de loi est disponible à l’annexe B de ce travail. 5 Michel Doucet, Le discours confisqué, Moncton, Éditions d'Acadie, 1995, p. 84-94.

92 officielles ou encore de modifier le projet constitutionnel fédéral en inscrivant dans la Constitution canadienne le principe reconnaissant l'égalité des deux communautés linguistiques du Nouveau-Brunswick. Le gouvernement conservateur considère alors qu'il est trop tard pour inclure cet ajout dans le projet d'Ottawa6. La prochaine étape permettant aux francophones de bénéficier d’une plus grande protection juridique vient au moment du rapatriement de la Constitution canadienne, en 1982, et de l’enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés au sein de celle-ci. En effet, la Loi constitutionnelle de 1982, qui inclue la Charte canadienne des droits et libertés, contient de nombreuses garanties constitutionnelles à l'égard du statut et de l'emploi des langues officielles du Canada dans les institutions fédérales. De plus, « En vertu de l'article 23 de la Charte, les provinces et les territoires sont tenus de fournir à leurs minorités l'enseignement primaire et secondaire dans leur langue, là où le nombre le justifie (l'anglais au Québec, le français partout ailleurs)7».

Dans la foulée de l'inscription dans la Charte de nouvelles garanties constitutionnelles pour la minorité francophone et de l'adoption de la Loi 88, le gouvernement du Nouveau-Brunswick crée un comité afin de réviser la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. À la suite des différentes mesures prises par les gouvernements fédéral et provincial, plusieurs articles de la loi sont en effet devenus désuets. Par conséquent, le gouvernement Hatfield nomme Michel Bastarache, Donald Poirier, Michel Thériault et Michel Kerr à la tête de ce comité qui dépose son rapport au mois de mai 1982. En plus de se voir confier la tâche de proposer une révision complète de la Loi sur les langues officielles, le groupe de travail doit « […] étudier et évaluer l'incidence du bilinguisme dans tous les domaines d'activité, qu'il s'agisse des services gouvernementaux, des organismes parapublics, des municipalités, des associations professionnelles ou du secteur privé8».

6 Ibid., p. 88. 7 La Cour suprême du Canada établit, en 1990, avec l’arrêt Mahé que cet article donnait à ces minorités le droit de gérer leurs écoles. http://www.pch.gc.ca/progs/lo-ol/pol/biling_f.cfm, site Internet officiel du gouvernement canadien, Patrimoine canadien, division des langues officielles. 8 Michel Doucet, « Trente années de langues officielles au Nouveau-Brunswick », Égalité : revue acadienne d'analyse politique, Moncton, no. 46 (printemps 2002), p.24.

93

Le comité formule 96 recommandations ayant pour but de favoriser une plus grande égalité linguistique. L’avocat Michel Doucet résume ainsi les recommandations de ce rapport :

Le rapport a été un rapport volumineux avec des recommandations très importantes qui proposaient un réaménagement assez draconien des langues officielles au Nouveau-Brunswick. Il y avait quatre grands principes, si on veut, qui pourraient en ressortir. Le premier principe c'était que les citoyens avaient un droit égal à des services partout et pour réaliser cette égalité-là, on proposait la dualité dans tous les ministères, dualité telle qu'on la retrouvait en éducation. On parlait aussi d'une représentation équitable de la communauté francophone au sein de la fonction publique. On parlait aussi du droit de travailler dans sa langue et on parlait d'une régionalisation administrative au Nouveau-Brunswick sur une base linguistique également. Décentralisation des pouvoirs sur une base linguistique avec des territoires plus ou moins administratifs, organisés sur une base linguistique9.

Le rapport recommande aussi l'adoption d'une nouvelle loi relative aux droits linguistiques et la création d'un bureau des langues officielles, ce dernier ayant pour but de veiller à l’application de la politique linguistique. Le gouvernement Hatfield décide de ne pas suivre les recommandations du rapport Poirier-Bastarache et recommande, en 1984, la création d'un nouveau comité auquel on demande de parcourir la province dans le but de prendre le pouls de la population concernant les recommandations du rapport. Ce nouveau comité est composé de membres anglophones et francophones et permet à la population de s’exprimer lors d’audiences publiques. Certaines de ces rencontres sont parfois houleuses puisque de nombreux anglophones font preuve d’un comportement xénophobe, voire raciste envers tout ce qui est acadien et francophone10. À Saint-Jean, par exemple, dès qu'un membre francophone du comité est sur le point de parler, plusieurs froissent leur journal afin d’enterrer ses propos. À Moncton, une centaine d'écouteurs qui servaient à la

9 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Michel Doucet à Moncton à l’automne 2002. 10 Michel Doucet, op. cit., p.110.

94 traduction sont brisés11. Roger Cormier, directeur du Centre scolaire et communautaire Beauséjour dans la région de Miramichi, dont 10% de la population régionale est francophone, relate le déroulement de l'une de ces séances :

[…] il y avait un comité consultatif qui a fait une tournée dans la province et qui est venu dans la Miramichi venir expliquer le rapport. [...] À cette réunion-là, on avait participé à la réunion et puis c'était très houleux. Il y avait les anglophones et ils ont garoché des tomates. Les membres du comité ne pouvaient pas parler en français parce que s'ils s'approchaient au micro, c'était des hous et des cris. Ça fait qu'ils ne pouvaient pas communiquer en français12.

Le comité reçoit 512 mémoires et dépose son rapport à la fin juin 1986. Le rapport conclut qu'en matière linguistique, peu de progrès ont été réalisés dans la fonction publique à l'exception du ministère de l'Éducation. Le comité propose sensiblement les mêmes recommandations que le rapport Poirier-Bastarache, mais encore une fois, le gouvernement décide de rejeter les recommandations du rapport et, par conséquent, les Conservateurs refusent de modifier la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.

Malgré le fait que le gouvernement conservateur laisse de côté les recommandations de ces deux rapports, la communauté francophone de la province bénéficie, à la fin du dernier mandat de Richard Hatfield, d’une plus grande protection juridique et constitutionnelle. En effet, durant leurs dix-sept années au pouvoir, les Conservateurs ont, entre autres, établi la dualité au ministère de l'Éducation, divisé les écoles et les conseils scolaires sur une base linguistique, créé un centre scolaire communautaire à Fredericton, Saint-Jean et Miramichi et adopté une loi reconnaissant l'égalité des deux communautés linguistiques. Roger Cormier, directeur du Centre communautaire et scolaire Beauséjour à Miramichi, explique : « Toutes ces réalisations ont été rendues possibles grâce au travail acharné de la communauté acadienne, mais aussi grâce à l'ouverture d'esprit de M. Hatfield. Tous ces changements avaient échauffé les esprits des anglophones. Ils se sont sentis

11 Irène Grant-Guérette, « Réflexions », Égalité : revue acadienne d'analyse politique. 2001, no. 46 p. 36. Des événements semblables ont lieu, entre autres, à Newcastle. Michel Doucet, Le discours confisqué, Moncton, Éditions d'Acadie, 1995, p. 110, et Phillip Lee, Frank : la vie et la politique de Frank McKenna, Québec, Éditions de la Francophonie, 2001, p.181. 12 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Roger Cormier, directeur du Centre communautaire et scolaire Beauséjour à Miramichi à l’automne 2002.

95 menacés par ces changements qui dépassaient largement les frontières folkloriques auxquelles ils étaient habitués13».

Ceci permet à l’historien Arthur Doyle d’affirmer que : « […] in the long run Richard Hatfield’s most important legacy will be that, more than any other premier, including Robichaud, he aggressively promoted the Acadian culture and language, and undertook to substantially increase the role of in the provincial government, and in his Progressive Conservative party14».

Avec l’arrivée au pouvoir de Frank McKenna en 1987, les francophones du Nouveau-Brunswick s'attendent à ce que le nouveau gouvernement modifie la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. Le gouvernement libéral décide plutôt d'adopter une nouvelle politique linguistique. La mise en oeuvre de cette politique ne répond toutefois pas à la complexité du problème linguistique de la province. La politique, qui exige, entre autres, que chaque ministère et organisme visé mette au point un plan stratégique décrivant la mise en œuvre de la politique, n’obtient pas le succès escompté15.

L’adoption de cette nouvelle politique linguistique par le gouvernement McKenna s’inscrit dans une période de vives tensions entre francophones et anglophones. Tel que nous l’avons mentionné précédemment, les audiences publiques de la Commission Guerette-Smith ont été le théâtre de comportements haineux de la part de la population anglophone. Frank McKenna est conscient du climat social et culturel qui sévit dans la province, car, avant son arrivée au pouvoir, celui-ci avait demandé à Georges Perlin de mettre sur pied une enquête publique dans le but de connaître les espoirs, les rêves, les craintes et, bien entendu, les opinions politiques de la population du Nouveau-Brunswick. Le vaste rapport confidentiel remis à McKenna, à l’aube de son élection, lui révèle un profond désaccord entre la population de langue française et celle de langue anglaise. Chez

13 Grant-Guerette, loc.cit., p. 35-38. 14 Arthur T Doyle, The Premiers of New Brunswick, Fredericton, N.B.: Brunswick Press, 1983, p. 75. 15 En 1996, le rapport Delaney-Leblanc constate, entre autres, que l'offre active est déficiente au niveau de la langue de services, que 70 % des francophones ont de la difficulté à utiliser leur langue au travail et que le français est rarement parlé lors des réunions. Michel Doucet, loc.cit., p.31-32.

96 les anglophones, le sentiment antifrancophone se développe rapidement. C’est du moins ce que souligne Frank Lee, auteur d’une biographie consacrée à l’ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick Frank McKenna : Plus de 50 % de la communauté anglophone était d’avis que les Acadiens n'apportaient rien de bon au Nouveau-Brunswick. Plus de la moitié disait se sentir plus d'affinités avec les anglophones des autres provinces qu'avec ses voisins francophones, qui composaient le tiers des 710 000 habitants de la province. Moins de la moitié des gens questionnés appuyaient le bilinguisme officiel. […] Plus de 70 % des anglophones néo- brunswickois étaient d'accord pour réduire les services gouvernementaux en français16.

Nombreux sont les membres de l’électorat anglophone qui, pendant la période Hatfield, furent découragés par l’attitude des Conservateurs envers la communauté de langue française et des efforts du gouvernement afin d’améliorer le bilinguisme de la province. Lorsque les Libéraux remportent la totalité des 58 sièges lors de l’élection de 1987, ce vide politique, jumelé au mécontentement d’une partie de l’électorat anglophone à l'endroit des partis traditionnels, amène des militants en faveur de l’abolition du bilinguisme officiel au Nouveau-Brunswick à créer une division provinciale du parti Confederation of Régions, déjà présent sur la scène fédérale. Ce sont deux membres de la division néo-brunswickoise de l’Association of English Speaking Canada qui décident, à la fin des années 1980, de créer un parti provincial relié à la branche fédérale du CoR17. Misant sur un discours pouvant être qualifié de francophobe, en raison de son opposition au bilinguisme et de son refus de reconnaître les droits de la minorité de langue française, le parti obtient un succès impressionnant aux élections provinciales de 1991. Le parti constitue l'opposition officielle avec huit sièges et obtient près de 20% du suffrage populaire18.

Le succès du CoR s'explique avant tout par la popularité du discours contre le bilinguisme officiel. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque, le débat constitutionnel est à son plus fort puisque le gouvernement canadien négocie avec les provinces les Accords du

16 Lee, op.cit., p.42-43. 17 Chedly Belkhodja, « Émergence et succès d'un parti politique populiste de droite au Nouveau-Brunswick ? Le cas du parti Confédération of Regions », Égalité : revue acadienne d'analyse politique. Moncton, no 35 (printemps 1994), p. 66. 18 Belkhodja, loc.cit., p. 66.

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Lac Meech. De son côté, la S.A.A.N.B. profite de cette occasion pour inciter le gouvernement libéral de Frank McKenna à inscrire les principes énoncés dans la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau- Brunswick dans la Charte canadienne des droits et libertés. Cette disposition est officiellement instituée, en mars 1993, à la suite du référendum sur les Accords de Charlottetown sous l’article 16.1 de la Charte19.

Quelques années avant les négociations infructueuses des accords du Lac Meech et de Charlottetown, le gouvernement fédéral décide, en 1988, de modifier la loi fédérale sur les langues officielles. La nouvelle loi reprend, en les précisant, les obligations de la Charte canadienne des droits et libertés en matière d'utilisation des deux langues dans les services gouvernementaux et au sein des institutions fédérales. Elle expose également l'engagement du gouvernement à faire la promotion de la dualité linguistique au sein de la société canadienne et à appuyer le développement des communautés linguistiques en situation minoritaire. Cette dernière disposition se trouve aux articles 41 et 42 de la partie VII de la loi : 41. Le gouvernement fédéral s'engage à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu'à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.

42. Le ministre du Patrimoine canadien, en consultation avec les autres ministres fédéraux, suscite et encourage la coordination de la mise en oeuvre par les institutions fédérales de cet engagement20.

Le mandat du ministère du Patrimoine canadien21, créé en juin 1993, consiste donc à promouvoir le français et l'anglais dans la société canadienne et à favoriser l'épanouissement des communautés francophones et anglophones en milieu minoritaire. Concrètement, le ministère remplit ses engagements en encourageant l’intégration des différentes communautés culturelles à la vie communautaire, en facilitant la mise en œuvre

19 Doucet, op. cit., p. 210 et 219. 20 Extrait de la Loi sur les langues officielles du Canada (1988). 21 Au moment de l’entrée en vigueur de la loi, c’est le Secrétariat d’État qui détient le mandat aujourd’hui donné à Patrimoine canadien. D’autres ministères comme Santé et Bien être Canada ou encore le ministère des Communications se partageaient, à l’époque, les fonctions occupées aujourd’hui par Patrimoine canadien.

98 des plans de développement globaux des communautés ou en augmentant la prestation des services dans les deux langues officielles. C'est surtout par la concertation interministérielle que le gouvernement fédéral remplit son mandat de promouvoir le développement des communautés de langues officielles en situation minoritaire (francophones hors Québec, anglophones au Québec)22. Le ministère du Patrimoine canadien offre aussi un programme d’aide et de subventions pour des organismes culturels ou encore pour la promotion des langues officielles.

Au Nouveau-Brunswick, il faut attendre l’année 2002 pour que le gouvernement conservateur de Bernard Lord effectue une refonte substantielle de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, loi ayant été adoptée plus de 30 ans plus tôt par Louis Robichaud. Les nouvelles dispositions de la loi incluent, entre autres, des seuils justes et raisonnables pour permettre aux municipalités de se conformer à la décision de traduire les arrêtés municipaux, la nomination d’un commissaire aux langues officielles, l’accès, dans la langue de son choix, aux soins de santé disponibles au sein du réseau de santé provincial et une révision aux dix ans de la Loi sur les langues officielles23. La loi ne présente toutefois aucune disposition en lien avec la langue d’affichage et la langue de travail. Pour certains, comme Michel Doucet, avocat et professeur à l’Université de Moncton, la loi ne va pas assez loin puisque :

La nouvelle loi n'adresse qu'une question, c'est la langue de services. Elle crée également des recours avec l'existence d'un commissaire, mais un commissaire qui n'a pas de pouvoir d'intenter des poursuites judiciaires, qui n'a qu'un pouvoir de recommandations à l'Assemblée législative. Mais elle n'adresse qu'une chose, c'est la langue de services. Elle ne touche pas aucunement à la langue de travail qui est un élément très important dans la fonction publique, elle ne touche pas la langue d'affichage dans le privé, elle ne touche pas aux associations professionnelles […]24.

Malgré ce constat, les nouvelles dispositions de la loi ainsi que la création d’un

22 En 1999, le gouvernement fédéral a désigné 29 ministères et organismes clés en vertu de leur importance pour le développement des communautés minoritaires. Ces ministères et organismes consultent les communautés minoritaires quant à leurs besoins en développement et élaborent un plan d'action annuel ou pluriannuel pour faire état de leurs activités pour appuyer ces communautés. 23 Site Internet officiel du gouvernement du Nouveau-Brunswick. www.gnb.ca 24 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Michel Doucet à Moncton à l’automne 2002.

99 commissaire aux langues officielles donnent à la communauté de langue française du Nouveau-Brunswick de nouveaux outils législatifs lui permettant de consolider sa présence sur le territoire et de continuer son développement.

3.2 Milieu de l’éducation

Si les années 1960 et 1970 sont, pour la communauté francophone du Nouveau- Brunswick, des années de luttes en matière linguistique, les années 1980 et 1990 sont essentiellement marquées par la consolidation des structures mises en place dans les décennies précédentes. À ce chapitre, l’Université de Moncton continue de jouer un rôle indispensable dans le développement économique, social et culturel de la communauté francophone de la région de Moncton et de la province25. Une analyse réalisée par Benjamin Higgins et Maurice Beaudin démontre que, pour l'année 1986, l’ensemble des salaires découlant directement de la communauté universitaire de Moncton, représente plus de 25 millions de dollars. Étant donné que près de 80 % des 750 employés demeurent à l'intérieur des limites du Grand Moncton, ces deux auteurs affirment que ces revenus profitent directement à la grande région de Moncton. Les dépenses des employés du centre universitaire de Moncton, pour cette même année, sont supérieures à 17 millions de dollars. À ces 750 employés, il faut ajouter les 3405 étudiants réguliers fréquentant le campus de Moncton qui, durant l'année 1986-1987, ont dépensé environ 14,3 millions de dollars. En tenant compte des dépenses de l'université, de celles des étudiants et des visiteurs, Beaudin et Higgins évaluent à 56,3 millions de dollars, l'injection directe dans l'économie de Moncton pour l'année 1986-198726. Il faut aussi souligner que la majeure partie de cet argent investi dans la communauté provient des différents gouvernements, c’est-à-dire de subventions provinciales et fédérales ou encore des subventions de recherche et de développement. Les retombées économiques de la présence de l'université dans la ville de Moncton ne s’arrêtent pas là. Le développement de cette institution a un effet boule de

25 Pierre-Yves Chiasson, «Les partenariats le développement économique communautaire : l'exemple du Grand Moncton», Rapport final préparé pour l'agence de promotion économique du Canada atlantique, mars 1998, p.39. 26 Benjamin Higgins et Maurice Beaudin, Impact de l'Université de Moncton sur les régions de Moncton, d'Edmundston et de Shippagan, Moncton, Institut canadien de recherche sur le développement régional, 1988, p.14-15.

100 neige sur l’économie régionale. L’économiste Pierre-Yves Chiasson décrit ainsi cette situation :

L'augmentation de la demande de produits alimentaires, de vêtements, d'automobiles et de bicyclettes entraîne de nouveaux investissements dans les magasins de gros et de détail […] Le processus d'expansion crée des emplois et des revenus et favorise la croissance démographique ce qui, à son tour, encourage le gouvernement à investir dans des écoles, des hôpitaux et des installations de loisir. Les banques ouvrent de nouvelles succursales, les compagnies d'assurances ouvrent de nouveaux bureaux, et cela conduit à la construction de nouveaux immeubles commerciaux. Tous ces investissements engendrent leur propre processus multiplicateurs27.

Il ne faut pas oublier que l'université contribue aussi à l'accroissement de la qualité de vie de la population de la ville de Moncton, car, en plus d’offrir un programme académique complet, l'université offre de nombreuses activités sociales et culturelles telles que des pièces de théâtre, des concerts de musique, des expositions de peinture et d'art visuel, des conférences publiques et des compétitions sportives. Ces différentes activités sont accessibles à l’ensemble de la population, tant francophone qu’anglophone, de la ville et de la région ce qui influence directement la qualité de vie de la population du Grand Moncton.

Finalement, plusieurs centaines d’étudiants par année sont diplômés par les différentes facultés de l’Université de Moncton, dont 3 900 en administration des affaires et 600 en génie entre 1963 et 200228. Tel que mentionné au chapitre précédent, de nombreux diplômés décident de s'installer dans la région de Moncton après leurs études. Ce choix peut s'expliquer par des motifs économiques, la région de Moncton étant l'un des moteurs économiques les plus importants de la province, mais aussi par un choix culturel et social. Dans le domaine des arts visuels, par exemple, de nombreux artistes de langue française

27 Ibid., p.16. 28 On trouve parmi les diplômés, des avocats, des enseignants, des infirmières, mais aussi des scientifiques qui sont associés aux différents centres de recherche de l’Université tels que le Centre de recherche en biologie marine, le Centre de recherche de développement de la tourbe, le Centre de recherche sur les aliments et le Groupe de recherche dans le golfe du Saint-Laurent. De plus, depuis 1982, la ville de Dieppe possède un Collège communautaire francophone qui forme à chaque année des centaines de techniciens divers.

101 considèrent que le milieu artistique francophone de Moncton est le plus effervescent et le plus dynamique de la province. Jennifer Bélanger, directrice de l’atelier d’estampes Imago confirme cette réalité et ajoute :

Il y a beaucoup de jeunes qui vont rester ici. Je pense que c’est parce que, justement, le milieu artistique est très… il bouge beaucoup. Il y a beaucoup de choses qui se passent. Je veux dire, on organise beaucoup de choses pour un petit groupe, pis je pense que c’est aussi avoir accès aux deux cultures, je pense c’est important pour nous autres, pis c’est assez une grande ville que on a accès à tout ce qu’on a de besoin, mais en même temps, c’est pas trop grand que c’est stressant. On est proche d’Halifax, on est proche de… Mais, au Nouveau-Brunswick, je pense que pour le milieu artistique, je pense que c’est ici que ça bouge le plus29.

Depuis sa création en 1963, l’Université de Moncton a accordé 36 878 diplômes à des étudiants provenant de la grande région de Moncton, du Nouveau-Brunswick, du Canada et même de différents pays de la francophonie30. Cette clientèle internationale, qui représente près de 10% de la population totale des étudiants, est très active sur le campus et dans la communauté et enrichit considérablement l’espace francophone de Moncton31.

Parmi les autres facteurs ayant considérablement influencé le développement de la francophonie dans la région de Moncton, il est indispensable de mentionner l'apport substantiel de la population francophone issue des programmes d’immersion. Au Canada, les programmes d’immersion française débutent, en 1965, avec un projet pilote mené dans la région de Montréal à la St Lambert Elementary School. Micheline Ouellette, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de Calgary, résume les objectifs de ce programme :

Lorsque le St-Lambert Bilingual School Study Group a formulé une proposition au ministre de l'Éducation en 1963 pour la création d'une école bilingue à Saint-Lambert, il désirait atteindre les objectifs suivants : le bilinguisme équilibré, de meilleures chances d'emploi, un affermissement de l'unité nationale ou un rapprochement des deux solitudes, un enrichissement culturel des enfants qui apprennent la langue-cible et une méthode alternative d'enseignement de la langue seconde qui serait

29 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Jennifer Bélanger, directrice de l’atelier d’estampes Imago, à Moncton à l'automne 2002. 30 Données fournies par le bureau du Registraire de l’Université de Moncton, automne 2003. 31 Gratien Allaire, La francophonie canadienne : Portraits, Sudbury-Québec, Prise de Parole/CIDEF-AFI, 2001, p.56.

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efficace32.

L'expérience de Saint-Lambert connaît un succès spectaculaire, ce qui entraîne le développement de programmes d’immersion française partout au Canada. Grâce aux programmes d’immersion, déjà, au milieu des années 1970 : «The learning of French was improved beyond anything that could normally be expected from conventional French instruction; mother tongue as well as general educational progress did not suffer; and such findings were not based on superficial impressions, but on «hard data» […] 33».

Au Nouveau-Brunswick, l'expérience débute en 1968 à Saint-Jean. Le programme s’étend ensuite à Moncton en 1971 et à Fredericton en 197434. Pour avoir une meilleure compréhension du développement des écoles d’immersion française et de son impact sur la ville et la région de Moncton, analysons les figures 18 à 21.

Tout d’abord, le nombre d’élèves inscrits au programme d’immersion française dans la région du Grand Moncton (district scolaire no. 2), pour l’année 1976, est de 1062. Ce nombre représente 8,09 % de l’ensemble des élèves de langue anglaise résidant sur le territoire du Grand Moncton. Seulement 11 des 29 écoles du district offrent le programme d’immersion française aux élèves anglophones. Un regard attentif à la figure 18 nous permet de constater que, dans les écoles offrant le programme d’immersion française, la proportion d’élèves inscrits en immersion est inférieure à celle des élèves de langue anglaise. De plus, l’école Victoria, située à Moncton, possède la proportion la plus élevée d’élèves inscrits au programme d’immersion française, soit 25%.

32 Micheline Ouellet, Synthèse historique des immersions françaises au Canada suivi d'une bibliographie sélective et analytique, Québec, Centre international de recherche sur l'aménagement linguistique, 1990, p.7. 33 H. H. Stern, « French Immersion in Canada: Achievements and Directions », The Canadian Modern Language Review, 1978, vol. 34, no.5, p. 839. 34 M Swain, « Bibliography: Research on Immersion Education for the Majority Child », The Canadian Modern Language Review, 1976, vol. 32, no. 5, p.592-600.

103

Figure 18 Carte réalisée par Martin Durand, Ottawa, printemps 2004, ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick

Cette situation change considérablement de 1976 à 1986 comme le démontre la figure 20. En effet, en 1986, 17 des 22 écoles du district offrent le programme d'immersion française. Le nombre d'élèves inscrits à ce programme fait un bond considérable par rapport à 1976, car, en 1986, 4685 des élèves sont inscrits en immersion française, ce qui représente 40,94 % du total de la population étudiante. Cette augmentation du nombre d'inscriptions est aussi perceptible au niveau du pourcentage des élèves inscrits en immersion française par rapport à ceux des élèves inscrits au programme régulier de langue anglaise. En comparaison, en 1976, l'école ayant la plus faible proportion d’élèves inscrits au programme d'immersion française, soit 26%, est l'école Sunny Brae, alors que les élèves en immersion française de l'école Birchmount représentent plus de 60% de la population totale étudiante. La répartition géographique des écoles offrant le programme d’immersion française sur l'ensemble du territoire traduit aussi les besoins d'une population anglophone,

104 de plus en plus intéressée à bénéficier des avantages de l'apprentissage d'une deuxième langue.

Figure 19 Carte réalisée par Martin Durand, Ottawa, printemps 2004, ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick

Le constat pour 1996 (figure 20) est semblable à celui de 1986 puisque la popularité des programmes d’immersion française ne cesse d'augmenter dans la région de Moncton, si bien que 20 des 22 écoles du district offrent le programme à leur clientèle anglophone. Le nombre d'élèves anglophones participant aux programmes d’immersion française est, pour l’année 1996, de 5147, ce qui représente 48,24% du total de la population étudiante anglophone du district. Le nombre d'élèves inscrits dans les programmes d’immersion française est supérieur au nombre d'élèves inscrits au programme régulier de langue anglaise dans plus de la moitié des écoles du district.

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Figure 20 Carte réalisée par Martin Durand, Ottawa, printemps 2004, ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick

Finalement, la figure 21 nous permet de jeter un regard actuel sur l'importance des programmes d’immersion pour la grande région de Moncton. Les données de 2001 nous apprennent que 21 des 22 écoles du district offrent le programme d'immersion française à la population anglophone du Grand Moncton. Ces écoles sont réparties sur l'ensemble du territoire de la ville de Moncton, de la ville de Dieppe et de la ville de Riverview, là où la concentration de population anglophone de la région est la plus importante. Par rapport à 1996, le nombre d'inscriptions aux programmes d’immersion française a diminué, passant de 5147 à 5062. Toutefois, le pourcentage est, quant à lui, à la hausse, passant de 48,24 % pour l'année 1996, à 48,81 % pour l'année 2001. Il est aussi important de noter que la ville de Riverview est l'endroit où l'on trouve en 1986, 1996 et 2001 l’école ayant le plus grand nombre d'inscriptions au programme d’immersion française. Il s'agit d'un phénomène normal puisque la ville de Riverview est composée d'une population majoritairement

106 anglophone. Le fait que la majorité des élèves de cette ville soient inscrits aux programmes d’immersion française est révélateur du changement d'attitude de la population anglophone à l'égard du bilinguisme et de la langue française.

Figure 21 Carte réalisée par Martin Durand, Ottawa, printemps 2004, ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick

Cette situation s'applique non seulement à la ville de Riverview, mais aussi à l'ensemble du district 2. L'augmentation du nombre des écoles offrant le programme d’immersion française et l'augmentation du nombre d'élèves inscrits à ce programme démontrent à quel point la population anglophone de la région de Moncton considère l'apprentissage d'une deuxième langue comme un élément important lié de l’éducation culturelle et intellectuelle des jeunes de la région. Toutefois, ce sont surtout les avantages économiques liés à l'apprentissage de cette deuxième langue qui influencent à la hausse le nombre d'inscriptions des élèves au programme. La nouvelle économie des téléservices

107 dans la grande région de Moncton et le départ à la retraite de nombreux employés de la fonction publique fédérale et provinciale sont deux exemples des différents besoins d’une main d’œuvre bilingue dans la région.

Bien que la qualité du français parlé par les élèves qui terminent des programmes d’immersion dans la région de Moncton ne soit pas prise en compte dans la présente étude, nous pouvons quand même affirmer que, depuis 1976, de nouveaux acteurs s'ajoutent, à chaque année, à la zone d'influence francophone en milieu urbain. Ces acteurs interagissent dans l'espace francophone du Grand Moncton que ce soit au niveau des loisirs, du milieu culturel, politique, économique ou encore institutionnel. L'apport des programmes d’immersion, depuis 1971, dans la région de Moncton est donc considérable. Rodrigue Landry, directeur de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, confirme cette réalité :

D'ailleurs, il y a des personnes qui travaillent dans le domaine de la langue qui diront que l'attraction d'une langue comme langue seconde est un indice de la vitalité d'une langue. On se sert souvent du nombre de personnes qui la parlent à la maison et des choses comme ça, il y a bien des indices de vitalité que l'on peut aller chercher, mais souvent on oublie que si c'est une langue qui est le moindrement forte, elle va avoir un effet d’attraction chez les autres communautés35.

L'engouement de la population anglophone pour les programmes d’immersion française dans la région de Moncton s'est répandu graduellement depuis 1971. Il s’agit d’un changement d’attitude considérable compte tenu de l’état des relations entre francophones et anglophones dans les années 1960 et 1970. Une organisation comme Canadian Parents for French, créée en 1977, a largement contribué au succès des programmes d'immersion française à travers le Canada et dans la région de Moncton. L'organisation, qui compte aujourd'hui plusieurs milliers de membres à travers le Canada, a pour but de promouvoir, auprès de l'ensemble de la population du Canada majoritairement anglophone, l'apprentissage et la pratique du français36 . Rodrigue Landry, confirme l’importance d’une

35 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Rodrigue Landry à Moncton à l'automne 2002. 36 Informations provenant du site Internet officiel de l’organisation. http://www.cpfnb.com/

108 telle association :

Si ça n'avait pas été de Canadian Parents for French, par exemple, une organisation très forte à travers le Canada qui s'est monopolisée autour du besoin de l'immersion, qui s’est regroupée autour de cette question-là, probablement que l'immersion ne serait pas aussi forte qu'elle l'est à Moncton. Probablement qu'elle serait encore plus forte s’il n'y avait pas la pression d'un certain nombre de parents qui trouvent qu'il y a trop d'enfants en immersion37.

Le rôle d’information et de conscientisation de cette organisation est souvent colossal puisqu’il existe, encore aujourd’hui, beaucoup de préjugés au sujet de la culture et de la langue française comme le souligne le Père Maurice Léger : « […] j’ai déjà entendu dans une réunion une dame qui a dit : « I’d like my child to learn French but I don’t want her to become a frog38».

D’une façon générale, nous pouvons affirmer que le milieu de l’éducation de la région de Moncton est en pleine expansion grâce au développement continu de l‘Université de Moncton et du succès, depuis leur implantation en 1971 à Moncton, des programmes d’immersion française. Toutefois, à l’automne 2002, la population anglophone de Moncton lance un débat autour des problèmes associés à la popularité des programmes d’immersion. Celle-ci soutient que l’immersion française draine les meilleurs élèves, laissant les moins performants dans le programme d’anglais régulier. Ceux-ci se retrouvent donc dans des classes moins fortes dans lesquelles la qualité de l’enseignement est, par conséquent, nivelée vers le bas.

3.3 Milieu associatif et institutionnel

Le milieu associatif et institutionnel est marqué, au début des années 1980, par la

37 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Rodrigue Landry, directeur du Centre d'études sur les minorités linguistiques, à Moncton à l'automne 2002. 38 Propos d’une dame anglophone dans une réunion de Canadian Parents for French dans les années 1980. Anecdote racontée par le père Maurice Léger lors d’une entrevue réalisée avec lui à Moncton à l’automne 2002.

109 fermeture d'une institution presque centenaire, le quotidien L’Évangéline. La fermeture du journal est le fruit de causes multiples. Tout d’abord, les difficultés financières de l'institution sont pratiquement insurmontables39. De plus, les relations internes entre les représentants syndicaux et les patrons de la compagnie sont extrêmement tendues. Un rapport commandé, en 1982, par le gouvernement Hatfield indique, entre autres, qu'il existe de nombreuses anomalies dans la structure de fonctionnement de l'entreprise, que l'équipe de rédaction possède peu d'expérience et que la convention collective est trop rigide40. À la suite des recommandations du rapport, le gouvernement de Richard Hatfield décide de ne plus supporter financièrement le quotidien. Les patrons de l’entreprise ferment officiellement le journal le 27 septembre 1982. La perte de ce quotidien de langue française, basé à Moncton, est considérable pour la communauté francophone du Nouveau- Brunswick. Voici quelques-uns des propos émis par des membres de l’élite francophone du Nouveau Brunswick après la disparition du quotidien :

L’Évangéline fut souvent le porte-parole des Acadiens et des Acadiennes. Depuis sa disparition, l'Acadie n'a plus son « chien de garde », son défenseur, son promoteur41.

Les artisans du journal L’Évangéline ont joué un rôle stratégique dans nos luttes pour obtenir une école française, un conseil scolaire, un centre scolaire communautaire et tout ce qui a entouré l'édification de la communauté. [...] Nous savions tous que ce journal était plus à Fredericton. L’Évangéline avait un poids politique. L'engagement que prenait ce journal donnait du pouvoir à la cause acadienne dans l'avancement de ses dossiers. Bien sûr, L’Évangéline était critiquée. Personne ne demeurait neutre face au journal, car sa position était engagée, claire et forte42.

Deux ans plus tard, en 1984, naît un nouveau quotidien francophone au Nouveau- Brunswick : L'Acadie Nouvelle. Ce sont les gens d’affaires qui, à la suite d’une campagne de sensibilisation des trois administrateurs du quotidien, investissent les 350 000$ nécessaires à l’ouverture du journal. Ce quotidien, basé dans la péninsule acadienne, publie ses premières copies le 6 juin 1984. Pendant les cinq premières années de son existence, le

39 Gérard Beaulieu, L’Évangéline 1887-1982 : entre l'élite et le peuple, Moncton, Éditions d'Acadie, 1997, p.110. 40 Ibid., p.122. 41 Propos de Bernard Poirier. Ibid., p.392. 42 Propos de Irène Grant-Guerette. Ibid., p.345.

110 quotidien n’est distribué que dans les foyers de la péninsule acadienne. Toutefois, en septembre 1989, L’Acadie Nouvelle devient officiellement le seul quotidien provincial francophone. Son tirage est alors de 14 496 copies43. Les années qui s’écoulent entre la disparition de L’Évangéline et la diffusion panprovinciale de l’Acadie Nouvelle marquent aussi la perte d’un important lieu de débat au moment même où la société néo- brunswickoise est aux prises avec de nombreux enjeux linguistiques. Par conséquent, d’autres organismes comme la S.A.A.N.B. prennent la relève. Au plan juridique, par exemple, en 1987, l’Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick est créée et regroupe, en 2002, plus de 250 juristes francophones de la province. Depuis sa création, elle a notamment mené la lutte pour l'obtention de services de langue française égaux dans les domaines juridiques et du droit du justiciable d’être entendu directement dans sa langue, sans le recours à un interprète devant tout tribunal44.

La presse écrite n’est toutefois pas le seul médium qui permet à la population francophone de la grande région de Moncton de s’exprimer. En effet, en 1994, les francophones du sud de la province fondent la Radio communautaire Beauséjour45 dont le bureau central est à Shédiac. Ils se donnent ainsi un nouveau lieu de diffusion leur permettant de revitaliser le caractère francophone de leur région46. La photo 3 présente les installations de Radio Beauséjour.

43 Au début des années 2000, le tirage du journal dépasse quotidiennement les 22 000 copies et l’établissement possède 65 employés ainsi qu’un réseau de 275 camelots pour assurer sa distribution. 44 Luc Desjardins, « Message ouverture », Égalité : revue acadienne d'analyse politique, Moncton, no. 46 (printemps 2002), p.16. 45 Cette radio n’est pas la seule radio de langue française à diffuser dans la région de Moncton puisqu’il y a aussi la radio de la Société Radio-Canada, CKUM la radio étudiante de l’Université de Moncton et tout récemment la venue, en 2000, de la radio privée CHOI 99,1 FM. 46 Il existe aujourd'hui six autres radios communautaires au Nouveau-Brunswick et 35 de langue française dans tout le Canada. Annette Boudreau et Stéphane Guitard, « Les radios communautaires : instrument de francisation », Francophonies d'Amérique, no. 11 (2001), p. 126.

111 Radio communautaire Beauséjour

Photo 3 Photo prise par Martin Durand, automne 2002

Cet outil de promotion de la langue française, même s’il ne s’agit pas toujours d’un français standard, rejoint sur une base régulière plus de 45 % des francophones de la région47. Grâce à une programmation de qualité, comportant au moins 65 % de contenu francophone, et à la qualité de la langue utilisée lors des émissions, la Radio communautaire Beauséjour participe à la construction d'un espace public francophone dans la région du sud-ouest du Nouveau-Brunswick. Gilles Arseneault, directeur de Radio- Beauséjour, présente quelques-uns des facteurs expliquant la popularité de cette radio communautaire :

Le succès de Radio-Beauséjour est basé sur le fait que l’on a toujours et on continue toujours à être à l’écoute, c'est-à-dire on implique des gens du milieu, on est partout, on couvre tous les événements qui animent la vie quotidienne des gens. Au niveau des accents, c’est des gens d’ici, des gens qui connaissent leur milieu et ça, c’est fondamental. On pense être une radio unique comme toute radio communautaire devrait être, c'est-à-dire unique dans un milieu qu’elle doit refléter quotidiennement. Donc, les gens se reconnaissent et je crois que les gens du Sud-Est ont rapidement adopté Radio-Beauséjour parce qu’ils se reconnaissaient dans cette radio-là tout simplement48.

47 Ibid., p.123. De plus, Gilles Arsenault, directeur de Radio Beauséjour nous disait, au moment de notre rencontre, que plus de 44 000 personnes écoutent régulièrement la radio communautaire de la grande région de Moncton. 48 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Gilles Arseneault, directeur de la radio communautaire Beauséjour, à Shédiac à l'automne 2002

112

La norme utilisée quant à l'utilisation de français fait fréquemment l'objet d'une remise en question de la part des leaders francophones de la communauté. Ces derniers soutiennent que l'utilisation d’un français acceptable, mais non standard, reflétant les pratiques langagières de la communauté du Sud-Est, n'encourage pas les francophones à améliorer la qualité de leur français49. Toutefois, la Radio communautaire Beauséjour encourage la population francophone du Sud-Est à s'exprimer davantage dans sa langue maternelle et, comme le souligne Gilles Arseneault, donne aux artistes francophones une tribune publique :

Quand tu es interprété par d’autres tout le temps, vous êtes ça, vous êtes comme ci, parce que je dirais que les gens du Sud-Est, en grande majorité, avaient une image de soi négative, c'est-à-dire qu’être francophone, c’était pas une grande chose, c’était pas un avantage, c’était pas un plus : c’était un négatif. Vous parlez mal, vous vous exprimez mal, vous êtes pas beau, je ne sais pas moi. Donc, tout d’un coup, les gens ont commencé à s’entendre, ils ont commencé à s’écouter. Aie ! On peut faire des choses, on peut faire de la musique50.

Selon Annette Boudreau, professeure au Département d’études françaises de l’Université de Moncton, le succès populaire de la radio communautaire Beauséjour, dans le Sud-Est, est aussi lié à l'approche langagière utilisée par ses animateurs :

Les auditeurs s'y reconnaissent et participent de plain-pied à son développement. En effet, la popularité de la radio communautaire laisse entrevoir un regain de vie de la culture d'expression française. Elle constitue un formidable outil de promotion de la musique francophone. […] la radio communautaire crée donc un espace public, un lieu de rencontre où il est possible de rejoindre les gens. Et les animateurs le font au moyen de leur langue et c'est à travers elle que se reconnaisse une majorité des locuteurs francophones de la région51.

49 Sylvia Kasparian, professeure au Département de français de l’Université de Moncton, nous indiquait, lors d’une rencontre à Moncton, à l’automne 2002, que ces commentaires sont souvent formulés par des linguistes qui proposent une approche unilinguiste et conflictuelle de la langue en avançant que les échanges et contacts linguistiques, comme l’incorporation de mots anglophones dans le vocabulaire des parlants français du Sud-Est, comporte le risque de diminuer la qualité de la langue française. 50 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Gilles Arseneault, directeur de la radio communautaire Beauséjour, à Shédiac à l'automne 2002. 51 Boudreau et Guitard, loc.cit., p.131.

113

L'impact du développement de la radio communautaire Beauséjour, dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, ne se limite désormais plus aux frontières de la région, puisqu’un réseau pancanadien de diffusion d’émissions de langue française a été établi en l’an 2000. Ce réseau se nomme : le Réseau francophone d'Amérique. Gilles Arseneault explique :

Le Réseau francophone d'Amérique (RFA) que l'on a mis sur pied, possède son siège social à Ottawa. C'est l'alliance des radios communautaires qui a mis ça sur pied […] RFA est en onde depuis 2 ans. C'est le premier réseau décentralisé au monde. […] Le système n'est pas parfait, ce n'est pas évident. On a encore technologiquement des obstacles, mais on arrive de plus en plus à notre objectif, c'est-à-dire d'avoir un réseau décentralisé où les gens peuvent magasiner et dire ça, ça m'intéresse ça vient de Shédiac, ça, ça fitterait bien avec ma radio ici donc, je vais prendre ça. […] Notre émission du midi, Midi Rétro, est diffusée sur les autres radios. Il y a plusieurs radios à travers le Canada qui diffusent cette émission-là. Donc, on est relié par satellite à travers notre réseau52.

La radio communautaire n’est pas le seul médium lié à l’épanouissement de la communauté de langue française du Nouveau-Brunswick. Sans s’attarder à tous les événements favorisant le développement institutionnel et associatif des francophones de la grande région du Grand Moncton, il est important de souligner l'apport considérable de la création des Jeux de l'Acadie dans l’enrichissement de la francophonie néo-brunswickoise. Créée en 1979, cette organisation a, entre autres, pour but de :

Promouvoir la participation à l'activité physique comme moyen de maintenir et améliorer sa santé physique et mentale, initier la jeunesse francophone à la pratique de différentes disciplines sportives par l'entremise de compétitions, cliniques et ateliers de formation et d’organiser un programme de formation pour le développement du leadership chez la jeunesse francophone53.

À ses débuts, cette manifestation sportive regroupe uniquement les jeunes du Nouveau-Brunswick. Au total, en 1979, 386 jeunes provenant de six différentes régions du Nouveau- Brunswick participent à la rencontre provinciale. L’impressionnant succès de la

52 Propos recueillis lors d'une entrevue réalisée avec Gilles Arseneault, directeur de la radio Beauséjour, à Shédiac à Shédiac à l'automne 2002. 53 Site Internet officiel de la Société des Jeux de l’Acadie. www.jeuxdelacadie.org/

114 première édition pousse les organisateurs à tenir, en juin 1980, les deuxièmes Jeux de l'Acadie. À cette deuxième rencontre, les organisateurs décident d'inviter une délégation de l'île-du-Prince-Édouard et de la Nouvelle-Écosse. L'année suivante, les Jeux sont annulés à la suite du retrait des services volontaires des enseignantes et des enseignants du Nouveau- Brunswick. En 1982, les Jeux de l'Acadie sont décentralisés, ce qui permet aux communautés acadiennes de différentes régions de l’est du Canada de participer à la compétition sportive.

Localités ayant accueilli les Jeux de l’Acadie et nombre de participants : 1979-2003

Tableau 4

Municipalité Nombre de Nombre de hôtesse de la Finale participants (es) à la Année participants (es) des Jeux de Finale des Jeux de aux Jeux régionaux l'Acadie l'Acadie 1979 Moncton, N.-B. 327 0 1980 Moncton, N.-B. 597 2007 1981 Moncton, N.-B. Annulés Annulés 1982 Tracadie-Sheila, N.-B. 675 2297 1983 Cap-Pelé, N.-B. 707 3085 1984 Petit-Rocher, N.-B. 752 2826 1985 Bouctouche, N.-B. 937 2938 1986 Lamèque, N.-B. 901 3667 1987 Memramcook, N.-B. 940 3639 1988 Bathurst, N.-B. 955 3755 1989 Shippagan, N.-B. 940 3058 Mont-Carmel / 1990 1020 3601 Wellington, Î.-P.-É. 1991 Dalhousie, N.-B. 961 3970 1992 Grand-Sault, N.-B. 970 3810 1993 Dieppe, N.-B. 1028 3720 1994 Caraquet, N.-B. 982 3866 Richibucto / Saint- 1995 974 3464 Louis-de-Kent, N.-B. 1996 Saint-Jean, N.-B. 990 3547 1997 Edmundston, N.-B. 1068 3862 1998 Moncton, N.-B. 1069 3466

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1999 Bathurst, N.-B. 1056 3740 2000 Fredericton, N.-B. 1070 3738 Abram-Village / 2001 1047 4065 Wellington, Î.-P.-É. 2002 Dieppe, N.-B. 1111 3985 2003 , N.-B. 1087 3745 Balmoral, Charlo et 2004 Eel River Crossing, N.-B. Total 22 164 79 851

Source Reproduction d’un tableau disponible sur le Site officiel de la Société des Jeux de l’Acadie. Le développement et la promotion de l’activité sportive chez les francophones est l’un des éléments essentiels liés au développement de la zone d’influence francophone au sein d’une communauté minoritaire. La création de nombreuses associations sportives au Nouveau-Brunswick enrichit donc cet aspect fondamental de l’espace francophone. Parmi les associations créées dans les années 1980 et 1990, mentionnons notamment le Marathon de l'Acadie (1983), la Société Acadie en forme (1984), le Comité pour l'avancement de la femme à l'activité physique (1989) et le Conseil de développement du sport francophone du Nouveau-Brunswick (1989)54.

La présentation annuelle des Jeux a permis, depuis sa création, à plus de 22 000 jeunes francophones de différents coins de l’est du Canada de se rencontrer, de créer des amitiés et d’entrer en contact avec différentes réalités culturelles et linguistiques vécues par les jeunes provenant des nombreuses communautés francophones de l’est du Canada. De plus, les villes qui accueillent les Jeux bénéficient d’un apport économique non négligeable55. L'avènement des Jeux de l'Acadie, en 1979, arrive au moment où le Nouveau-Brunswick et la région de Moncton sont plongés au beau milieu d'une crise économique. Au début des années 1980, la grande région de Moncton s'apprête à perdre l'une de ses plus grandes industries, les ateliers du chemin de fer du Canadien national.

54 Daniel O’Carroll, «Les activités sportives en Acadie», dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes. Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p. 593. 55 Lors de la septième finale des Jeux de l'Acadie, 5300 personnes, excluant les participants, visitent les lieux. La durée moyenne de chaque visite est de trois jours et les visiteurs dépensent durant leur séjour 275 600 $. Les prévisions pour les retombées économiques des Jeux de l’Acadie pour l’année 2004 sont évaluées à plus d’un million. Ibid., p.591.

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3.4 Milieu économique

Tout au long du XXe siècle, le plus grand employeur de la grande région de Moncton est sans contredits le Canadien national. Toutefois, l'entreprise, au début des années 1980, est en perte de vitesse. Déjà, à la fin des années 1970, de nombreux emplois avaient été abolis, résultat de la modernisation des équipements, mais aussi du remplacement des locomotives à vapeur par le train à moteur diesel dans les années 1950. La fermeture officielle des ateliers du C.N., en 1988, provoque la perte de 1150 emplois directs. Ce chiffre représente presque 13% de la base économique de la ville de Moncton56. À la suite de la fermeture des ateliers, la compagnie continue d’employer quelques centaines de travailleurs, mais l’érosion des emplois dans ce secteur se poursuit. Pratiquement au même moment où les ateliers du C.N. ferment leurs portes, le gouvernement canadien annonce, en 1989, la fermeture de la base des Forces armées canadiennes de Moncton. Cette fermeture représente 445 emplois directs pour la communauté. Malgré l’opposition populaire, le gouvernement va malgré tout de l’avant et ferme la base en 1996. De nombreux ministères fédéraux voient aussi, durant cette période, leurs effectifs diminuer à la suite des coupures budgétaires gouvernementales. C’est le cas, entre autres, de l'Office national des transports et du ministère des Pêches et Océans57.

La population du Grand Moncton décide donc de se rassembler et de trouver des solutions dans le but de relever l’économie régionale. Les grandes associations économiques comme la Chambre de commerce du Grand Moncton, le Conseil économique du Nouveau-Brunswick, la Commission économique du Grand Moncton sont quelques- unes des associations autour desquelles la communauté se regroupe pour promouvoir la qualité de la main-d'oeuvre et la qualité de vie de la grande région de Moncton. De nombreux efforts sont déployés pour développer le secteur des services personnels, des services aux consommateurs, des services professionnels, des services aux entreprises et, en particulier, des téléservices. En 1991, le Grand Moncton attire un premier centre d’appel.

56 Chiasson, loc.cit., p.11. 57 Les emplois dans les ministères fédéraux et provinciaux qui représentaient 18 à 19% des emplois locaux au début des années 1990, ne représentent plus que 10% au début des années 2000. Ibid., p.9.

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Depuis, vingt autres centres ont ouvert leurs portes dans la région de Moncton et emploient près de 3000 personnes58. Les employés présents au sein de ces entreprises sont majoritairement bilingues. Il s'agit d'un fait non négligeable puisque ces jeunes travailleurs bilingues peuvent pratiquer le français au travail. Le milieu du travail fait, lui aussi, partie de la zone d’influence francophone de la communauté et une personne qui n'a pas l'occasion de parler français à la maison ou à l'intérieur du milieu communautaire a la chance, grâce à ce type d’emploi, de développer ses aptitudes linguistiques multiples59.

Un regard plus général sur le milieu économique de la région nous permet d’observer que, depuis le début des années 1990, le nombre d'entreprises dans la grande région de Moncton n’a cessé d'augmenter, si bien qu’entre 1991 et 1995, le nombre total d'entreprises passe de 3300 à 390060. Cet essor économique s'explique en partie par l'apport considérable de la population francophone qui possède de meilleures connaissances et compétences professionnelles grâce, en partie, à l'Université de Moncton. De plus, les nombreux diplômés de l’université, qui décident de fonder une petite ou moyenne entreprise dans la région de Moncton, font à leur tour appel à une main d’œuvre francophone ou bilingue.

Le succès économique de la grande région de Moncton, depuis les dix dernières années, incite de nombreux francophones du nord de la province à s'établir dans le sud-est. Entre 1981 et 1991, le nombre de locuteurs français de la région de Moncton a enregistré une hausse de 12,5%61. La population totale de la ville de Dieppe s'est, quant à elle, accrue de 17,3 % depuis 1991. Certains voient dans ce déplacement de population, un enjeu important pour le développement de la francophonie. D’autres y voient un affaiblissement de la population majoritairement francophone du Nord, car les taux d’assimilation dans le Sud-Est sont largement supérieurs à ceux du nord de la province. L’attrait économique de Moncton fait souvent en sorte qu’un francophone quitte le Nord, majoritairement

58 Ibid., p.10. 59 Sylvie Roy, « Le bilinguisme, les jeunes et le milieu de travail : maintien d'une communauté ? », Francophonies d'Amérique, no. 12 (2001), p.56. 60 Chiasson, loc.cit., p.11. 61 Maurice Beaudin, «Les Acadiens des Maritimes et l’économie», dans Joseph Yvon Thériault, Francophonies minoritaires au Canada : L’état des lieux, Moncton. Éditions d’Acadie, 1999, p.245.

118 francophone, pour occuper un emploi de langue anglaise dans la région de Moncton. Toutefois, d’autres personnes, comme la femme d’affaires Aldéa Landry, voient dans l’attrait économique de Moncton des aspects positifs pour les francophones :

Je pense que ça c'est un rôle catalyseur que Moncton joue, celui de pouvoir maintenir un pôle de croissance sur le plan francophone […] et de pouvoir finalement être suffisamment un pôle d'attraction pour que l'on puisse attirer les francophones parce qu'ils iraient ailleurs de toute façon. Ils ne vont pas rester dans leur milieu. Alors, moi, je me dis, je crois que c'est positif62.

Parmi les entrepreneurs francophones qui contribuent au succès du développement économique de Moncton des dernières années, il y a de nombreux jeunes entrepreneurs francophones qui s’impliquent de plus en plus dans le milieu des affaires, à la chambre de commerce et au conseil économique. Depuis quelques années déjà, de plus en plus de femmes décident, elles aussi, de s’impliquer en affaires. C’est le cas, par exemple, de France Bouchard-Michaud qui a remporté, en l’an 2000, le prix d’excellence pour le Centre de santé et de soins esthétiques Medes, fondé à Moncton en 1989, et aujourd’hui appelé Medes Esthetik et Spa63.

Somme toute, les francophones prennent, depuis les dix dernières années, de plus en plus de place dans le milieu des affaires. Cette nouvelle réalité économique joue un rôle important dans le maintien et le développement de la communauté puisque selon le sociologue Greg Allain :

[…] si le groupe minoritaire contribue à l’économie de sa région et à son développement […], en retour, la bonne performance économique d’un milieu urbain peut jouer un rôle clé dans le maintien de la population, de la langue et du patrimoine du groupe minoritaire. La vitalité sociale, culturelle, linguistique d'une communauté minoritaire ne peut donc être dissociée de la vigueur économique du milieu dans lequel elle s’insère64.

62 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Aldéa Landry à Moncton à l’automne 2002. 63 Mme Bouchard-Michaud a aussi fondé, à Moncton en 1994, le Collège de soins esthétiques Medes. Cet établissement accueille, en 2002, plus de 60 étudiants et étudiantes. 64 Greg Allain, «La communauté francophone de Saint-Jean, Nouveau-Brunswick : de la survivance à l'affirmation», Francophonies d'Amérique, 2002. no. 14. p. 42.

119

Le milieu économique n’est toutefois pas le seul à sourire aux francophones puisque le domaine culturel foisonne, lui aussi, durant les décennies 1980 et 1990.

3.5 Milieu culturel

La génération des auteurs des années 1960 et 1970, comme Herménégilde Chiasson, Raymond-Guy Leblanc ou Calixte Duguay, encourage bon nombre d’auteurs, d’artistes et de musiciens à s’exprimer à travers leur art. Si les années 1960 et 1970 sont synonymes d’affirmation, les années 1980 sont, quant à elles, synonymes d’implantation et de consolidation. Les années 1990 sont, pour leur part, associées à l’expansion et à l’exportation des artistes francophones. Ces deux décennies sont donc foncièrement différentes. Tout d’abord, la situation dans les années 1980 est passablement difficile pour les artistes francophones du Nouveau-Brunswick. En effet, les Éditions Perce-Neige et les Éditions d’Acadie traversent une période de crise65. Michel Henri, directeur de cette dernière, quitte les Éditions d’Acadie afin de fonder sa propre maison d’édition. L’industrie du disque est, quant à elle, fortement frappée par la crise économique du début des années 1980 et plusieurs groupes musicaux et artistes de la scène mettent fin à leur carrière. David Lonergan nous décrit cette situation :

1755 tombe, Beausoleil-Broussard tombe, ils tombent tous l'un derrière l'autre […] On est dans la période où on ne fait pas de disque. On est dans la période où il se publie moins. On est dans une période creuse et puis, vers la fin de la décade, ça va recommencer, rejaillir. Alors, Perce- Neige qui est très fort en 81, 86-88 ça tombe, c'est mis en grande veille. Michel Henry dure deux ans, 86-88, et après ça, au tournant des années 1990, arrive une autre talle de jeunes qui ont pas été dans la crise économique. Les Jean Philippe Raîche, les Frédéric Gary Comeau, les Paul Bourque au niveau de l'organisation et ils vont relancer Perce-Neige, qui va devenir le Perce-Neige que l'on a aujourd'hui66.

Les années 1990 marquent l’ascension et la reconnaissance d’auteurs comme Rose DesPrés, Daniel Dugas, Serge-Patrice Thibodeau, Yvon Gallant ou encore France Daigle.

65 Les Éditions d’Acadie ferment officiellement leurs portes en l’an 2000. 66 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec David Lonergan à Moncton à l’automne 2002.

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Cette dernière décide de placer la ville de Moncton au centre de l’action de trois de ses romans67. Dans cuex-ci, Daigle décrit l’espace tant francophone qu’anglophone de Moncton. Elle y nomme des lieux et traite de certains enjeux liés à la langue française dans un milieu minoritaire. Cette auteure ne publie pas seulement qu’au Nouveau-Brunswick, elle publie aussi ses livres au Québec et fait ainsi découvrir la francophonie de Moncton aux lecteurs québécois. De plus, les quatre derniers romans de France Daigle ont été traduits en anglais et sont distribués partout au Canada.

Un autre auteur qui est, lui aussi, très prolifique durant cette période est le poète et écrivain Gérald Leblanc. Lui aussi nomme les lieux, décrit des situations et parle, dans ses écrits, de la francophonie de Moncton. Au sujet de son affection pour Moncton, Gérald Leblanc écrit dans son livre Moncton Mantra :

Pourquoi Moncton ? Dans un premier temps, les amis. C'est aussi une ville. Nous sommes minoritaires, certes, mais j'aime la friction que cela occasionne parfois. Nous avons rarement la chance d'être complaisant, même avec nos acquis. La tension me nourrit, que je lui dis. Et pour abonder dans son idée de province acadienne, j'ajoute que nous ne pouvons pas tous déménagés dans la Péninsule acadienne, car en demeurant à Moncton, nous serons les résistants à la frontière de la future province68.

Au niveau de la production musicale, la situation s’améliore énormément dans les années 1990. Depuis 1994, la production de disques a largement augmenté au Nouveau- Brunswick. Trente disques sont produits cette année-là, ce qui triple la production de l'année précédente. De nombreux facteurs favorisent, à cette époque, la relance de l'industrie du disque au Nouveau-Brunswick. Tout d’abord, le gouvernement fédéral, par le biais d’une entente sur le développement du secteur culturel, procure une aide financière aux différents acteurs de l’industrie. Ensuite, trois studios du Nouveau-Brunswick, dont le Studio Staccato de Moncton, se perfectionnent en améliorant leurs infrastructures. Ces facteurs, jumelés à un meilleur réseau de distribution, permettent donc à plusieurs artistes de percer le marché de l'est du Canada. Depuis 1993, la région de Moncton possède une

67 Le premier roman s’intitule Pas pire, le deuxième Un fin passage et le troisième Petites difficultés d’existence. 68 Leblanc, op.cit., p.137-138.

121 nouvelle salle de spectacles offrant aux spectateurs ainsi qu’aux artistes des installations de qualité. Cet édifice, appelé le Capitol, est restauré grâce, entre autres, à la contribution financière de la Fédération des caisses populaires acadiennes et est utilisé tant par les artistes anglophones que francophones de la région. Depuis son ouverture en 1993, cette salle de spectacles présente de nombreux événements artistiques dont plus de 45% mettent en vedette des francophones69. Le Capitol est donc un lieu de diffusion culturelle important pour la communauté de langue française de la région de Moncton.

D’autres événements culturels font aussi la promotion de la langue française dans la grande région de Moncton. C’est le cas du Festival international du cinéma francophone en Acadie (FICFA) créé en 1987. Il s’agit du festival de cinéma francophone le plus important en Amérique dont l’objectif principal est de promouvoir le cinéma et la culture francophone internationale. Il est essentiel aussi de mentionner la tenue à Moncton et Dieppe de la Francofête qui célèbre, en 2003, sa septième édition. La Francofête est née, en 1996, de la réunion de plusieurs événements culturels et artistiques importants dans les régions francophones de l’est du Canada. Le but premier de cet événement est la promotion et la valorisation de la création artistique et culturelle dans des communautés francophones du Canada Atlantique. La Francofête présente des concerts musicaux, des prestations artistiques, des pièces de théâtre ainsi que des films mettant en vedette des artistes, comédiens et musiciens francophones. L’événement se déroule à tous les ans au début du mois de novembre.

L’une des plus grandes réalisations de la communauté francophone de Moncton est la mise sur pied, en 1986, d’une coopérative d’artistes : le Centre culturel Aberdeen.

69 Ces données ont été évaluées à partir de la programmation disponible sur le site Internet du théâtre Capitol. En 2003, 52 des 113 événements présentés dans cette salle de spectacle mettent en vedette des artistes francophones. http://www.capitol.nb.ca/

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Centre culturel Aberdeen

Photo 4 Photo prise par Martin Durand

Ce centre, situé dans une ancienne école anglaise du centre-ville, regroupe aujourd’hui une vingtaine d’organismes à vocation artistique, culturelle et éducationnelle dont de nombreux regroupements liés aux arts visuels. Parmi les organismes présents au centre culturel, nous retrouvons la Galerie Sans Nom, la Galerie 12 et l'atelier d'estampes Imago, mais aussi les Éditions Perce-Neige, la troupe de danse Productions DansEncorps Inc et les Productions cinématographiques Phare Est. Chaque année, plus de 2000 personnes s’inscrivent aux activités régulières qu’organisent les membres alors que plus de 50 000 autres participent aux événements et aux activités spéciales qui s’y tiennent70. Le succès de cet établissement engendre un pouvoir d’attraction considérable sur les artistes francophones du Nouveau-Brunswick et aussi sur les étudiants du Département d’arts visuels de l’Université de Moncton71. Ce pouvoir d’attraction stimule et renforce l’espace culturel francophone de la ville de Moncton.

Même si de nouveaux artistes émergent au Nouveau-Brunswick pendant les années 1980 et 1990, les auteurs, les peintres et sculpteurs des années 1960 et 1970 sont toujours

70 Informations recueillies lors de notre visite au Centre culturel Aberdeen à l’automne 2002. 71 Propos tenus par Jennifer Bélanger, directrice de l’Atelier d’estames Imago, lors de notre rencontre à Moncton à l’automne 2002. Celle-ci souligne aussi que le centre culturel joue un rôle important dans la décision des artistes francophones de s’établir à Moncton plutôt qu’ailleurs dans la province.

123 présents et continuent de participer au développement culturel de la région de Moncton. L’un des artistes les plus prolifiques de la région de Moncton depuis les 40 dernières années, Herménégilde Chiasson, a notamment été nommé par le gouvernement libéral de Jean Chrétien comme lieutenant-gouverneur de la province du Nouveau-Brunswick. Il est le troisième francophone à occuper ce poste après Gilbert Finn et Hédard Robichaud. La nomination de M. Chiasson, un homme impliqué dans le milieu des arts de Moncton, est très importante puisque le lieutenant-gouverneur est dans une position privilégiée lui permettant de promouvoir les réalisations des artistes de la grande région de Moncton à travers le Canada et le monde. Il est aussi dans une position lui offrant l’occasion de développer des liens solides avec d’autres artistes de la francophonie mondiale72.

Herménégilde Chiasson

Photo 5 Photo tirée de l’HebdoCampus, 4 septembre 2003

72 La nomination de M. Chiasson comme lieutenant-gouverneur de la province le 15 août 2003 a suscité beaucoup de réactions chez la population francophone acadienne du Nouveau-Brunswick qui voit dans l’acceptation de ce poste, un paradoxe énorme entre les actions et le discours revendicateur, dénonciateur de M. Chiasson dans sa production artistique et sa réponse favorable à représenter la couronne britannique au Nouveau-Brunswick. De plus, pour occuper le poste de lieutenant-gouverneur, M. Chiasson doit prêter serment d’allégeance à la Reine d’Angleterre ce qui déplait à une grande partie des Acadiens de la province.

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3.6 Développement des réseaux francophones

Les regroupements d’artistes comme l’Association des écrivains acadiens (1978), l’Association acadienne des artistes professionnelles du Nouveau-Brunswick ou le Conseil provincial des sociétés culturelles du Nouveau-Brunswick (1989) sont quelques-uns des regroupements publics au sein desquels les francophones se regroupent dans le but d’échanger et d’entretenir des liens avec d’autres artistes évoluant un peu partout au Nouveau-Brunswick ainsi qu’à l’extérieur des frontières provinciales. L’établissement de ces lieux d’échanges, sous la forme de réseaux plus ou moins complexes et étendus sur l’ensemble du territoire de la francophonie canadienne et mondiale, ne se limite pas seulement au milieu culturel73. En effet, ces réseaux se sont multipliés depuis le début des années 1980 au Nouveau-Brunswick et touchent aujourd’hui le milieu économique, institutionnel et politique74. Par exemple, aux plans social et culturel, le Nouveau- Brunswick compte, aujourd’hui, trois centres scolaires et communautaires, soit un à Saint- Jean, à Miramichi et à Fredericton75. Ces établissements entretiennent des liens entre eux et avec les autres centres du Canada76. De plus, les radios communautaires du Nouveau- Brunswick ainsi que celles du Canada partagent un temps d’antenne significatif grâce à une programmation variée au sein du Réseau Francophone d’Amérique.

L’un des plus grands changements au niveau du développement des réseaux depuis les quinze dernières années est l’accessibilité au réseau Internet. Ce nouveau moyen de communication et de diffusion de l’information s’inscrit au sein d’une francophonie

73 L’étude de Anne Gilbert sur le déploiement des réseaux francophones en Ontario souligne l’apport important de cette dimension dans la consolidation et le développement de l’espace francophone de cette province. Anne Gilbert, Espaces franco-ontariens : essai, Ottawa, Éditions du Nordir, 1999, 198 p. 74 Le gouvernement provincial a développé, depuis les années 1960 de nombreux partenariats avec différents pays de la francophonie en matière d’éducation et de soutien technique. De plus la S.A.A.N.B. entretient des relations bilatérales avec la France, la Belgique et la Louisiane, mais aussi avec une panoplie d’associations et de réseaux associatifs. Chedly Bekhodja et Roger Ouelette, «Louis J. Robichaud et Frank McKenna : deux axes de l’action du gouvernement du Nouveau-Brunswick au sein de la francophonie», dans L'ère Louis J. Robichaud, 1960-1970 : actes du colloque, Moncton, Institut canadien de recherche sur le développement régional, 2001, p.115-126. 75 Le Centre Sainte-Anne de Fredericton est le premier centre scolaire et communautaire créé au Canada en 1978. Il célèbre en 2003, 25 années d’existence. 76 Roger Cormier nous expliquait lors d’une entrevue réalisée à Miramichi à l’automne 2002 que depuis quelques années, les dialogues entre les centres sont moins fréquents bien que lors de notre rencontre ils étaient à préparer un évènement spécial pour souligner le 25e anniversaire du Centre Sainte-Anne de Fredéricton.

125 souterraine, voire «invisible», telle que décrite par le sociologue Robert Stebbins77. En effet, cette francophonie souterraine était plus ou moins présente et perceptible au début des années 1980. Le fait de pouvoir, en l’an 2002, trouver de l’information en français rapidement et gratuitement par la voie électronique, de communiquer avec des proches ailleurs dans la province et au pays, constitue un événement majeur dans le développement des réseaux francophones. Virtuellement, les élèves francophones et anglophones des écoles du Grand Moncton, par exemple, peuvent apprendre sur les différentes cultures de la francophonie mondiale. Ils peuvent se renseigner sur différents pays francophones, participer à des groupes de discussion et même télécharger des pièces musicales en français. Ce nouvel espace francophone virtuel est ouvert non seulement aux francophones, mais à tous ceux qui participent à la communauté virtuelle.

Ménages canadiens comptant au moins un utilisateur régulier d'Internet, selon le lieu d'accès Tableau 5

Nouveau-Brunswick Canada 1999 2000 2001 1999 2000 2001

Tous les lieux 38,0 45,2 52,4 41,8 51,3 60,2

Maison 23,6 32,5 38,2 28,7 40,1 48,7 Travail % des 19,2 24,2 27,9 21,9 27,5 32,6 Bibliothèques ménages 2,5 3,9 5,0 4,5 6,5 7,9 publiques École 13,1 14,8 18,5 14,9 19,2 22,2 Autre lieux 4,1 4,0 8,4 3,9 3,2 9,6

Source Statistique Canada, CANSIM II, tableau 358-0002 et produit no 56F0004MIF au catalogue. Bien que se situant sous la moyenne canadienne dans tous les secteurs, le Nouveau- Brunswick a fait des progrès depuis les trois dernières années quant à l’accessibilité à l’Internet. Comme nous pouvons le constater en examinant le tableau 5, entre 1999 et

77 Robert A. Stebbins, The French Enigma : Survival and Development in Canada's Francophone Societies, Calgary, Detselig Enterprises, 2000, p.26. Cette francophonie invisible est aussi caractérisée par son éloignement des institutions traditionnelles. En ce sens, un lieu commun comme le Kacho (bar de l’Université de Moncton) représente bien cette francophonie invisible. Jusqu’en 1996, année de sa fermeture, le Kacho reste un lieu de convergence pour de nombreux penseurs, flâneurs, philosophes, artistes et musiciens francophones qui ne se reconnaissent pas nécessairement au sein des institutions de la communauté. Paul Bossé, Kacho Komplo. Moncton, Office national du film du Canada, 2002, 52 min.

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2001, l’accessibilité à l’Internet chez les ménages du Nouveau-Brunswick, est passée de 38% à 52,4%. La plus forte hausse a été enregistrée au niveau de l’accessibilité à la maison avec 15% d’augmentation. Il s’agit donc d’un progrès important qui génère un fort potentiel pour la diffusion et la promotion de la francophonie à un vaste public de tout âge, tant francophone qu’anglophone. Bien entendu, il n’y a pas de lien direct entre les utilisateurs francophones et anglophones d’Internet et la promotion et la mise en valeur de la langue française. Il appartient au navigateur de choisir la langue de navigation de son choix, les sujets recherchés ainsi que les sites visités. Toutefois, la question ici n’est pas de vérifier si, dans tous les foyers francophones, les jeunes et les moins jeunes visitent des sites francophones et naviguent en français78. Nous sommes conscients que la culture américaine a une influence considérable sur la population francophone de la grande région de Moncton, mais aussi sur la population francophone en générale. Toutefois, ce qui est important de souligner, c’est le potentiel immense généré par le développement de cet espace francophone aujourd’hui disponible à une population tant francophone qu’anglophone.

Le développement de réseaux francophones n’est pas le seul outil de promotion de la francophonie puisque, depuis les vingt dernières années, la ville de Moncton participe, elle aussi, à la sensibilisation au fait français dans sa région.

3.7 Ville de Moncton et développement de la francophonie

Dans la région de Moncton, de nombreux événements ont facilité, durant les vingt dernières années, l’établissement de réseaux francophones. Par exemple, Moncton et Dieppe accueillent en 1979, 1980, 1993, 1998 et 2002 les Jeux de l’Acadie et, plus récemment, le Grand Moncton organise, en 1994 et 1999, deux grandes rencontres

78 D’autres auteurs se sont toutefois penchés sur le sujet. Dans un article paru en 2001, Ann Denis et Michèle Olivier ont étudié l’utilisation d’Internet chez des populations francophones, bilingues et anglophones âgées entre 18 et 19 ans en Ontario. Ils constatent que 56,3% des francophones naviguent «souvent à très souvent» en français, pourcentage qui descend à 41,9% pour la population bilingue et 23,1% pour les anglophones. Ces conclusions confirment donc que le potentiel d’éducation et de promotion de la langue française par l’entremise d’Internet est bien réel. Ann Denis et Michèle Olivier, «Nouvelles technologies d’information et de communication : accès et usage chez les jeunes filles et garçon en Ontario», Francophonies d’Amérique, no. 12 (2001), p.37-59.

127 francophones internationales, soit le Congrès mondial acadien et le Sommet de la Francophonie. La tenue de ces deux événements a largement favorisé le développement de la francophonie dans la région de Moncton, mais a aussi favorisé la sensibilisation de la population anglophone aux valeurs et à la culture propres à la communauté de langue française.

Dans un premier temps, le Congrès mondial acadien de 1994 permet à de nombreux Acadiens, dispersés dans différents endroits du monde, de se réunir dans la région de Moncton et de célébrer leurs racines communes. Parmi les centaines d’activités organisées pour le congrès, plus de 150 conférences sont offertes à la population couvrant quatre volets différents : communication, culture et patrimoine, économie et éducation. Ces conférences ont pour but de permettre aux Acadiens et aux Acadiennes de réfléchir sur leur avenir et de discuter des enjeux quotidiens liés à la vie en contexte minoritaire. L’une des activités remportant le plus de succès est sans contredit les retrouvailles acadiennes qui offrent à de nombreuses familles une occasion unique de se réunir79. Le volet des fêtes populaires offre, quant à lui, de nombreux spectacles culturels à la grande population du Sud-Est. Le spectacle l’Acadie parle au monde, présenté à Shédiac, attire plus de 20 000 personnes et rejoint plus de 800 000 spectateurs à travers le Canada puisque le concert est diffusé à l’antenne de Radio-Canada. Le succès populaire du Congrès mondial acadien de 1994 permet donc à la communauté francophone du Nouveau-Bruswick de faire connaître ses racines et de s’exprimer sur son passé, son présent et son avenir.

Pour sa part, le Sommet de la Francophonie de 1999 permet à la communauté francophone internationale de réaliser à quel point la francophonie canadienne est diversifiée, mais aussi déchirée par sa situation minoritaire. De plus, la tenue du sommet dans la ville de Moncton permet aussi à bon nombre de Canadiens de se familiariser avec cette «francophonie de marge» ou «d’extrême frontière» comme la décrit Gérald Leblanc. En effet, pour certains, la région de Moncton est encore aujourd’hui synonyme

79 Certaines familles sont représentées par plus de 6 000 personnes comme les familles LeBlanc, Arseneault, Boudreau ou encore Cormier. Au total, 37 rassemblements réunissant 72 familles ont attiré entre 60 000 et 75 000 personnes. Greg Allain, « Le Congrès mondial acadien de 1994 : Réseaux, conflits, réalisations », Revue de l’Université de Moncton, Moncton, vol. 30, no. 2 (1997), p.144-145.

128 d’assimilation. Pour d’autres, qui se souviennent du passage du maire Jones à la mairie de la ville, voir sur la même tribune le premier ministre du Canada et celui du Nouveau- Brunswick vanter les mérites de la communauté francophone de la ville et de la province est tout simplement renversant80.

Pour la population anglophone et francophone de la région du Sud-Est, cette rencontre internationale est une occasion unique d’entrer en contact et de découvrir la diversité et la richesse de la francophonie internationale, car le comité organisateur aménage sur le campus du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick à Dieppe, un Village de la Francophonie. Tout au long du Sommet de la Francophonie, les aspects culturels de la francophonie canadienne et internationale sont à l'honneur. Parallèlement au sommet, de nombreuses conférences publiques sont organisées et traitent de thèmes variés. En plus de ces conférences, le comité organise des olympiades universitaires, un forum commercial francophone et les assises de la presse francophone. Des rencontres diplomatiques sont aussi au menu avec, entre autres, la rencontre du Président de la République française, Jacques Chirac, avec la communauté acadienne. Le succès du Sommet de la Francophonie de 1999 a fortement contribué au changement progressif d’attitude des anglophones par rapport à la communauté de langue française et du bilinguisme officiel, comme le souligne la responsable du programme d'immersion française dans la région de Moncton, Dorothy White : «Pour avoir vu le Sommet de la Francophonie ici, le pays de Leonard Jones, le territoire de Leonard Jones, on a eu des représentants, des dignitaires de partout, tous les pays francophones du monde, ça c'est un très grand pas. Ce qui caractérise Moncton aujourd’hui je crois comme citoyenne, ce que je vois, c'est que l'on peut vivre en harmonie dans les deux langues81».

C’est aussi durant la décennie 1990 que la population de Moncton élit un premier maire francophone à la tête de la ville. Il s’agit de Léopold Béliveau82. Tel que mentionné dans les chapitres précédents, l’élection d’un francophone comme maire, député ou même

80 Ce type de commentaire a été formulé par de nombreuses personnes que nous avons rencontrées lors de notre séjour à Moncton à l’automne 2002. 81 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Dorothy White à Moncton à l’automne 2002. 82 Son premier mandat à la mairie de Moncton débute en 1989. Il restera au pouvoir près de 10 ans.

129 comme président d’une association régionale est très difficile au Nouveau-Brunswick puisque le candidat ou la candidate doit recevoir l’appui combiné de la communauté anglophone et de la communauté francophone. Voici comment M. Béliveau explique son approche auprès de ses concitoyens :

Moi, j’ai été élu pour représenter et travailler au nom de tous les citoyens et citoyennes […] .Dans mon approche des citoyens, tout le monde est égal, très conscient du fait qu’en tant qu’Acadien, les Acadiens et Acadiennes s’attendaient à ce que je m’intéresse de façon particulière aux préoccupations qu’ils pourraient avoir. Mon approche personnelle, ce n’est pas de faire la guerre à la majorité, c’est de gagner la confiance de la majorité, influencer la majorité…83.

Cette élection à la mairie de Moncton démontre à quel point la population anglophone de la ville fait preuve d’une plus grande maturité politique, tout comme l’ensemble de l’électorat du Nouveau Brunswick à la même époque84. Le rayonnement de la francophonie de Moncton dans les années 1990, jumelé à de nombreux facteurs comme la présence d’un maire francophone, Léopold Béliveau, ou le changement d’attitude de la population anglophone à l’égard de la communauté de langue française, permet au conseil de ville de voter unanimement, en l’an 200285, une motion visant à faire de la ville de Moncton la première ville officiellement bilingue du Nouveau-Brunswick86. Cette nouvelle déclaration s’inscrit dans la foulée de l’adoption d’une politique linguistique à la suite du Sommet de la Francophonie en 1999. Au début de l’année 2003, tous les arrêtés municipaux sont traduits en français et officialisés par le conseil de ville. De plus, la direction de l’Hôtel de ville est consciente de la nécessité d’offrir à la population des services en français dans l’ensemble de ses départements. C’est pourquoi, depuis plusieurs

83 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Léopold Béliveau à Moncton à l’automne 2002. 84 Il ne faut pas oublier qu’en 1999, les Néo-brunswickois viennent tout juste de porter au pouvoir Bernard Lord, un jeune francophone âgé de 33 ans. Lord succède à deux autres francophones, Raymond Frenette et Camille Thériault qui, entre 1997 et 1999, sont portés à la tête du gouvernement libéral de la province. 85 Il faut mentionner que deux conseillers, opposés à la motion, ne sont pas présentés lors du vote dont Mme Catherine Barnes. 86 Un autre événement vient influencer la décision du conseil de ville. En 1999, un homme d’affaires francophone de Moncton, Mario Charlebois, s’est adressé aux tribunaux après avoir reçu, en anglais seulement, un avis d’un inspecteur en bâtiments. Il affirmait que ses droits constitutionnels avaient été bafoués. Dans une décision rendue en décembre 2001, le juge Joseph Daigle lui a donné raison et a statué que le bilinguisme officiel du Nouveau-Brunswick s’appliquait également aux municipalités. Le tribunal, pour atténuer l’impact de sa décision, a suggéré au gouvernement d’adopter une loi pour restreindre cette exigence aux 15 municipalités où la minorité linguistique représente au moins 20 % de la population.

130 années maintenant, un programme de formation linguistique a été mis en place pour permettre aux employés municipaux anglophones d’apprendre le français ou de perfectionner leurs connaissances de cette langue. La ville mise aussi sur une approche combinant la dotation des postes à combler et le niveau de compétences linguistiques au sein des groupes de travail des différents départements. Catherine Dallaire, directrice des communications à la ville de Moncton, nous explique : «Même si les responsabilités de la personne n’exigeraient peut-être pas, disons la capacité de travailler dans les deux langues, si l’équipe a vraiment besoin d’augmenter leur pourcentage de capacité bilingue, on prend ça en considération dans l’embauche d’un nouvel employé87».

Bien que cette approche soit préconisée lors de l’embauche de nouveaux fonctionnaires municipaux, la population de la région de Moncton reste malgré tout très alerte et s’implique activement dans ce débat dans le but de s’assurer que la déclaration sur le bilinguisme officiel à la ville de Moncton ait une portée réelle et concrète. Lors de notre séjour dans la région, à l’automne 2002, la ville venait tout juste d’embaucher huit nouveaux pompiers, mais la municipalité n'a pas exigé que ces nouveaux employés soient bilingues. Seulement 30 employés du service des incendies sur 111 sont considérés comme étant bilingues. Il arrive même dans certaines casernes qu’il n’y ait aucun pompier qui comprenne le français. Voici ce que le chef du service des incendies de la Ville de Moncton avait à dire à ce sujet : «Notre objectif en ce moment, c'est d'avoir une personne bilingue dans chaque équipe en tout temps. C'est un objectif qu'on s'est fixé il y a quelques années et alors c'est avec cet objectif qu'on essaie d'offrir le service aux citoyens88».

Du côté des sports et loisirs, la ville de Moncton travaille en collaboration avec de nombreuses associations sportives et culturelles dans le but de créer des ponts entre les gens voulant pratiquer différents types de sports et de loisirs. Cette approche innovatrice offre de nombreux avantages à la population qui, par l’entremise du Département des sports et loisirs, peut plus facilement communiquer avec les associations et recevoir des conseils

87 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Catherine Dallaire à Moncton à l’automne 2002. 88 Propos cités par le service des nouvelles de Radio-Canada dans un article intitulé : Il n'est pas nécessaire d'être bilingue pour être pompier à Moncton, 4 décembre 2002.

131 pratiques dans le but de fonder ses propres associations. La ville s’implique donc, en tant que facilitatrice et non organisatrice des activités, en offrant un service de soutien aux associations. Par conséquent, ces dernières peuvent organiser à leur façon leurs activités sportives et culturelles.

Dans la région de Moncton, nous avons évalué à plus de 110 le nombre d’associations culturelles et sportives francophones sans toutefois être exclusives à la communauté de langue française de la région89. Cet espace social est en constante expansion depuis les dix dernières années et est extrêmement important dans le développement d’une zone d’influence francophone en milieu urbain. Robert Stebbins professeur de sociologie à l’Université de Calgary ajoute que :

Les activités de loisirs dans le cadre desquelles les parents ont des relations très étroites avec leurs enfants sont souvent associées aux sentiments positifs de respect, d'un amour et d'encouragement. Bien sûr, il en va de même pour les loisirs entre adultes, soit avec de la parenté ou des amis. On peut avancer l’hypothèse que la combinaison de sentiments positifs avec l'attirance des activités de loisirs dynamises les francophones en milieu minoritaire et, d'une certaine façon, leur donne les meilleurs moyens d'assurer la survivance de leur style de vie90.

3.8 Paysage linguistique

Avant d’entamer la partie sur la répartition des francophones dans la région du Grand Moncton, nous voulons nous attarder quelques instants sur la notion de paysage linguistique. Rodrigue Landry, directeur de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, définit le paysage linguistique de la façon suivante : « The linguistic landscape refers to the visibility and salience of language on public and

89 Ce chiffre représente 18,5 % du total des activités offertes à la population de Moncton. Nous avons évalué ce pourcentage à partir des associations s’étant enregistrées à la ville sous un nom français. Les associations couvrent différentes activités sportives, culturelles et de loisirs allant des arts martiaux à l’artisanat, en passant par la musique et le yoga. Vous pouvez trouver des informations au sujet des 110 associations francophones sur le site Internet de la ville de Moncton www.moncton.org 90 Robert A Stebbins, «Famille, loisir, bilinguisme et style de vie francophone en milieu minoritaire», Recherches sociographiques, vol. 36, no. 2, p. 276.

132 commercial signs in a given territory or region91». Cet affichage public et commercial possède, selon M. Landry, deux fonctions majeures, l’une symbolique et l’autre informative : «The linguistic landscape may act as the most observable and immediate index of relative power and status of the linguistic community inhabiting a given territory. […] More often than not, it is the dominant language group that can most systematically impose its own language on the linguistic landscape of a given territory92».

C’est le cas de la grande région de Moncton où la presque totalité de l’affichage commercial et public est de langue anglaise. D’ailleurs, plusieurs membres de la communauté francophone, comme le juriste Michel Doucet, déplorent cette situation.

Même dans la ville de Dieppe, dont plus de 75% de la population est de langue maternelle française, l’affichage est, bien que dans une proportion moins élevée qu’à Moncton, majoritairement en anglais. Rodrigue Landry explique les raisons liées à ce phénomène :

Ça s'explique probablement par plusieurs facteurs […] Un facteur qui probablement joue c'est tout ce qui est anglais... Il ne faut pas oublier que même au Québec, avant la Révolution tranquille, à Montréal l'économie était complètement dominée par la minorité anglophone et elle exerce encore un rôle fort aujourd'hui. Il y a tout ce phénomène-là, que l'argent en Amérique du Nord c'est en anglais. […] L’autre facteur ce serait […] que on n'a pas tout le temps le mot juste en français. […] Souvent, ils n'ont même pas le vocabulaire pour savoir comment mettre le mot, ils ne veulent pas se faire ridiculiser donc ils trouvent plus facile d'afficher en anglais que d'afficher en français. Une autre chose, […] c'est que les francophones peuvent lire l'anglais mais les anglophones ne peuvent pas lire le français. Donc, on rejoint tout le monde avec l'anglais. […] On voit le bilinguisme comme un phénomène personnel. Moi je suis bilingue, les personnes sont bilingues, ils comprennent les deux langues donc pourquoi se tracasser. Mais il ne réalise pas que si tout le monde fait ça, le français n'a plus de raison d'être. À quoi ça sert que Moncton soit bilingue si tous les francophones utilisent l'anglais. C'est que les francophones eux-mêmes souvent ne font pas la démarche pour s'exprimer en français. Donc, les anglophones, eux, encore moins. Finalement, on a des institutions, on a un

91 Rodrigue Landry et Richard Y. Bourhis, «Linguistic Landscape and Ethnolinguistic Vitality: An empirical study», Journal of Language and Social Psychology, London, Thousand Oaks, vol. 16, no. 1 (Mars 1997), p. 23. 92 Ibid., p. 27.

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statut de bilinguisme, mais on n'a pas la pratique93. Dans le but de contrer ce phénomène, la SAANB fait, dans les années 1980, certaines démarches pour inciter les commerces de la Place Champlain à améliorer leurs services en français. Ces démarches ont connu peu de succès. La Société s’est ensuite tournée vers la municipalité de Dieppe qui accepte de former, en 1990, le Comité de promotion du français et du patrimoine. Ce comité a élaboré un programme d’offre active qu’il a ensuite promu auprès des commerces de la ville. Malgré ces efforts, peu de commerces de la Place Champlain offrent présentement un service adéquat à la communauté d’expression française. C’est ce que Johanne Thériault, journaliste et étudiante à l’Université de Moncton, a constaté au mois de mars 2003 :

Première constatation : aucune boutique de la Place Champlain ne joue de la musique en français dans son commerce, pas même la Place Champlain dans ses longs et sinueux corridors. Deuxième constatation : l’affichage en français n’est pas très présent. Seulement trois des dix boutiques visitées affichaient leurs prix et marchandises en français. Finalement, la grande question qui est au coeur de la journée : « Est-ce qu’il y a du service en français à la Place Champlain? » Eh bien, trois des dix boutiques m’ont servie en français. Cependant, cinq des sept vendeurs qui m’ont servie en anglais étaient très courtois même si je m’adressais à eux en français. […] Le fait que je puisse m’adresser en français à un vendeur anglophone et qu’une bonne communication soit établie entre nous m’amène à me demander si ce ne serait pas cela le bilinguisme. Pouvoir parler dans sa langue et se faire comprendre, n’est-ce pas là l’important94?

Depuis 2001, le Comité régional Francisation Acadie-Beauséjour effectue quelques activités de sensibilisation dont la plus importante est l’évaluation des services en français de 28 magasins à grande surface du Grand Moncton. L’un des constats du comité est que, mise à part quelques exceptions, plus l’on s’éloigne de Dieppe, moins le français est présent dans les magasins. Dans la région de Moncton, peu de magasins à grande surface affichent en français. Au total, 28 commerces ont été inclus dans l’étude du Comité régional Francisation Acadie-Beauséjour. Le tableau 6 présente les treize meilleures performances de la région de Moncton.

93 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Rodrigue Landry à Moncton à l’automne 2002. 94 Johanne Thériault, «Est-ce qu’il y a du service en français à la Place Champlain ?» Le Front, 12 mars 2003, p.7.

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Magasins à grande surface ayant obtenu, pour l’année 2001-

2002, les meilleurs résultats au niveau de l’affichage en français dans la grande région de Moncton Tableau 6

Affichage Affichage intérieur extérieur Zeller’s Rue Main, S/O Atrium 70% 70% Moncton Zeller’s Ch. Mountain, Nul 60% Moncton Co-op Basics Ch. 100% 85% Mapleton, Moncton Co-op Basics Rue Record, 100% 85% Moncton Sobey’s Rue Paul, Dieppe 50% 70% Sobey’s Place Champl., 50% 90% Dieppe Future Shop Dieppe 40% 80%

Kent Building Dieppe 75% Nul Supplies Kent Building Pr. Trinity, 15% 25% Supplies Moncton La Baie Moncton 90%% 85-90% (1 exc.) Canadian Tire Dieppe 95% 40%

Canadian Tire Ch. Mountain, 50% Nul Moncton Costco Pr. Trinity, 90% 95% Moncton

Source Reproduction d’une partie des résultats compilés par le Comité régional Francisation Acadie-Beauséjour, 2002

Un paysage linguistique plus représentatif de la présence francophone dans la région du Grand Moncton aurait un effet très positif sur la communauté minoritaire. En plus de

135 modifier le rapport de force entre les deux communautés, il permettrait à la communauté minoritaire de se percevoir comme un groupe ayant une forte vitalité ethnolinguistique95.

Bien que la situation se soit améliorée depuis les 40 dernières années, il reste encore beaucoup de chemin à faire dans ce domaine. La nouvelle loi sur les langues officielles ne fait aucune mention de la langue d’affichage, c’est pourquoi la population francophone de la province s’en remet à la sensibilisation et à la promotion de la langue française auprès des commerçants dans l’attente d’un nouveau projet de loi.

3.9 Répartition géographique des francophones du Grand Moncton

Avant d'examiner plus en détail la répartition géographique des francophones dans la grande région de Moncton, il est nécessaire de préciser que l’analyse spatiale réalisée est grandement tributaire des données de Statistique Canada issues des différents recensements. Tout d’abord, nous sommes conscients que la grande majorité des francophones du Nouveau-Brunswick sont de descendance et d'origine acadienne. Toutefois, la désignation Acadien ou Acadienne ne peut strictement être associée aux parlants de langue française, car de nombreux Acadiens francophones se sont, au fil du temps, assimilés à la langue anglaise. Malgré tout, ces gens continuent de se définir comme Acadien96. De plus, il nous est impossible de retenir seulement le groupe qui se définit comme Acadien puisque, selon nous, cela ne nous permettrait pas d'inclure, dans la catégorie francophone, les parlants français qui arrivent de l'extérieur du Nouveau- Brunswick. Par exemple, les francophones en provenance du Québec, de l’Ontario, de la Saskatchewan et de l’Algérie ne s’identifient pas comme Acadiens. Pourtant, ces nouveaux arrivants dans la communauté de Moncton sont tous des parlants français97. C'est pourquoi nous avons décidé d'utiliser le concept de parlant français ou francophone.

95 Landry et Bourhis, loc.cit., p.31. 96 Marc Paulin, Moncton : Acadie, Moncton, Office national du film du Canada, 1990, Collection Chroniques de l'Atlantique, 55 min. 97 Cette approche est très différente de celle présentée par Muriel K. Roy qui, dans son article sur la démographie en Acadie, considère comme Acadien toutes les personnes de langue ou d’origine française qui aujourd’hui habitent dans l’une ou l’autre des trois provinces des Maritimes. Muriel K. Roy, «Démographie et démolinguistique en Acadie, 1871- 1991», dans Jean Daigle, L'Acadie des Maritimes Études thématiques des débuts à nos jours, Moncton, Chaire d'études acadiennes, Université de Moncton, 1993, p.141.

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De plus, le simple examen du positionnement géographique des parlants français de la région de Moncton ne peut, à lui seul, définir l’étendue de la zone d’influence francophone en milieu urbain. En effet, les statistiques recueillies lors des recensements ne peuvent à elles seules décrire l’espace dans lequel interagissent des individus qui ont en commun une connaissance et une utilisation courante de la langue française. Par exemple, une personne de langue maternelle anglaise qui a fréquenté l'école d'immersion française lorsqu'elle était enfant, peut décider de se réunir régulièrement avec des anciens camarades francophones de l’université et pratiquer, à toutes les semaines, une activité sportive comme le hockey. Cette personne, de langue maternelle anglaise n’utilisant pas le français à la maison, est donc absente des données du recensement, mais interagit au sein de cet espace francophone. C’est pourquoi nous devons aborder l’étude statistique qui suit en ayant en tête que l’espace francophone n’est pas exclusif aux habitants du territoire ayant comme langue maternelle et langue d’usage le français, qu’il inclut aussi les francophones circonstanciels ou occasionnels qui ne peuvent être mesurés lors des recensements.

Dans le but d’illustrer l’évolution démographique et linguistique des francophones du Grand Moncton, cinq variables font l’objet d’une attention particulière, il s’agit de l’origine ethnique française, la langue maternelle française, la langue d’usage (parlée à la maison), la langue parlée au travail et l’indice de continuité linguistique. Nous avons examiné ces variables, pour l’année 1981, au niveau des secteurs de dénombrement et, pour l’année 2001, au niveau des aires de diffusion. Ces unités sont les plus petites et les plus précises recensées par Statistique Canada.

Quelques problèmes méthodologiques nous empêchent toutefois de dégager des constats précis à la suite de ces analyses. Tout d’abord, les statistiques issues des recensements représentent un échantillon de 20% de la population totale à l’étude et comportent, en moyenne, une marge d’erreur d’environ 5%. Ensuite, les questions et les réponses offertes aux répondants des deux recensements ne sont pas les mêmes d’une année à l’autre. Micheal O’keefe, spécialiste de ces questions à Patrimoine canadien, nous le rappelle : «Les problèmes associés avec des données sur l’ethnicité sont nombreux et bien connus. Parmi ces problèmes, notons le nombre croissant de réponses multiples, la

137 difficulté de comparer les résultats d’un recensement à l’autre compte tenu des changements au questionnaire et le grand nombre de personnes à répondre «Canadien»98.

Finalement, la plus précise unité géographique disponible, en 1981, est le «secteur de dénombrement» tandis que, pour l’année 2001, Statistique Canada a développé une nouvelle unité géographique appelée «aire de diffusion». En utilisant les unités les plus précises pour les deux recensements, les frontières géographiques des unités ne sont plus correspondantes. Ces différents facteurs rendent très complexes l’analyse et l’interprétation des variables des différents recensements. Nous dégagerons, malgré tout, les grandes tendances linguistiques de la population francophone de la région de Moncton pour les années 1981 et 2001. Examinons, en premier lieu, l’origine ethnique de la population habitant le territoire à l’étude.

3.10 Origine ethnique

Comme nous l’avons mentionné plus tôt dans ce chapitre, l’analyse de cette donnée nécessite une attention particulière puisque les répondants peuvent, depuis 1981, inscrire plus d’une réponse à cette question. Par conséquent, nous avons jumelé certaines catégories de réponses pour représenter plus fidèlement la population d’origine ethnique française99.Selon cette approche, le nombre de personnes se définissant comme ayant des origines ethniques françaises, en 1981, est essentiellement concentré dans le quartier de Parkton, le centre et l’est de Moncton, mais aussi dans la ville de Dieppe. Cette ville de petite taille s’accroît graduellement au début des années 1980, si bien que la concentration de la population d’origine ethnique française y est parmi les plus élevées du Grand Moncton avec des pourcentages s’élevant à plus de 70%, voire plus de 76% dans certains secteurs de Dieppe (figure 22). Cette concentration de la population d’origine ethnique française entraîne d’autres francophones à s’établir dans cette ville qui, à cette époque, bénéficie d’un environnement quotidien plus francophone que Moncton ou Riverview.

98 Michael O’keefe, Minorités francophones : assimilation et vitalité des communautés, Patrimoine canadien, Gouvernement du Canada, 2001, p.5-6. 99 Pour l’année 2001, par exemple, nous avons combiné les réponses Français, Québécois et Acadien.

138

L’autre facteur, lié à la plus grande concentration de la population d’origine ethnique française, est le faible prix d’achat des terrains dans cette région, inférieur à cette époque aux prix de Moncton. C’est la même situation dans la région de Riverview où nous constatons, sur la figure 22, la présence d’un secteur de dénombrement majoritairement composé d'une population d'origine ethnique française100. Dans le cas de Riverview, ce phénomène est transitoire puisqu’en 1961, la concentration de la population d'origine ethnique française habitant ce secteur est moins élevée. Finalement, d'autres secteurs regroupant une forte concentration de population d’origine ethnique française sont situés au nord de l'Université de Moncton. Grâce au développement de l'université depuis 1963, le quartier Sunny Brae est, en 1981, majoritairement composé d'une population d’origine ethnique française. En effet, la proximité de l’université permet au quartier d'accueillir plusieurs étudiants et professeurs.

Les données pour l’année 2001 démontrent que le nombre et la concentration de la population d’origine ethnique française de la région du Grand Moncton est majoritairement située dans la ville de Dieppe (figures 23 et 24). Cette ville affiche, entre 1996 et 2001, la plus grande croissance démographique au Nouveau-Brunswick, enregistrant une hausse de plus de 19%. L’un des facteurs expliquant cette hausse est l’apport migratoire d’une population francophone en provenance du nord de la province. Quelques îlots situés dans le nord-ouest de la ville présentent une forte concentration et un nombre élevé d’habitants d’origine ethnique française. Cette nouvelle réalité, absente en 1981, résulte de l’étalement urbain de la ville de Moncton. D’autres îlots, situés au centre du quartier Parkton, au centre-ville de Moncton et dans le quartier Sunny Brae, au nord de l'université, affichent un pourcentage (figure 23) et un nombre élevé (figure 24) d’habitants d’origine ethnique française.

Il est difficile de comparer les données de 1981 avec celles de 2001 puisque les répondants du recensement de 2001 peuvent répondre à la question en indiquant que leurs

100 Serge Belley utilise aussi l’appellation ville dortoir pour qualifier la ville de Riverwiew durant cette époque puisqu’une proportion importante des résidents de Riverview travaillent dans les secteurs du commerce, de la finance et de l’administration publique. Serge Belley, «Développement économique local et interventionnisme municipal : le cas de Moncton, 1960-1987», Revue de l’Université de Moncton, Moncton, Vol. 22, no. 1-2 (décembre 1982), p.56.

139 ancêtres étaient d’origine ethnique canadienne, réponse absente du questionnaire de 1981. Cependant, nous pouvons néanmoins affirmer que la concentration de la population d’origine ethnique française a diminué dans la grande région de Moncton entre 1981 et 2001. Les statistiques démontrent une baisse importante dans tous les secteurs qui présentaient une forte densité ethnique française en 1981. La ville de Dieppe, par exemple, passe d’une concentration de plus de 70%, en 1981, à une concentration variant entre 30% et 60% à certains endroits (figure 23). Mis à part les problèmes liés à la méthodologie utilisée lors du recensement, les facteurs expliquant cette diminution sont nombreux et variés. Tout d’abord, le développement économique de Dieppe a pour effet d’attirer non seulement la population francophone du Nord, mais aussi de nombreux anglophones de partout dans la province et de la région de Moncton. Le développement de Saint-Anselme (quartier favorisé de Dieppe), situé dans le coin droit au bas de la figure 23, entraîne un déplacement de la population à l’intérieur même de la ville de Dieppe. Malgré ces constations, les îlots de recensements situés dans la ville de Dieppe et le quartier Saint- Anselme (figure 24) sont ceux où l’on trouve le plus grand nombre d’habitants d’origine ethnique française avec une moyenne supérieure à 280 personnes.

Figure 22 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2003, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 1981

140

Figure 23 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2003, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 2001 141

Figure 24 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2003, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 2001 142

143

3.11 Langue maternelle et langue parlée à la maison

L’une des premières observations que nous pouvons faire, en analysant les figures 26, 27, 30 et 31 pour l’année 1981, est la forte concentration d’habitants ayant le français comme langue maternelle et comme langue d'usage dans trois régions distinctes du Grand Moncton, soit les quartiers Sunny Brae et Parkton, situés respectivement dans les parties nord et ouest de Moncton, ainsi que la ville Dieppe. Cette concentration dans les différents secteurs de dénombrement s’exprime par des pourcentages variant entre 25% et 61% pour l’ensemble de ces trois entités géographiques. Ces pourcentages sont aussi les plus élevés pour l’ensemble du territoire à l’étude. C’est Dieppe qui enregistre les pourcentages les plus élevés puisque plus de 61% de la population de cette ville possède le français comme langue maternelle et comme langue d’usage, tandis que la ville de Riverview, au sud de Moncton, enregistre les pourcentages les plus faibles. Le secteur de recensement majoritairement peuplé de résidents de langue maternelle française et employant le plus souvent le français à la maison situé dans la ville de Riverview, n’est que transitoire. L’attrait des faibles coûts de lotissements et de constructions domiciliaires est majoritairement responsable de cette situation

Fait intéressant, le pourcentage de résidents ayant le français comme langue d’usage et comme langue maternelle au centre-ville de Moncton est, pour l’année 1981, plus élevé que dans les quartiers Sunny Brae et Parkton, avec des pourcentages de 49% et plus au centre-ville, comparativement à des pourcentages variant entre 25% et 60% pour les quartiers de Parkton et de Sunny Brae (figures 30 et 31). Rappelons que le développement commercial du centre-ville en est, à cette époque, encore à ces débuts et que l’attrait, pour les francophones, de Dieppe et de Saint-Anselme ne fait que débuter. Ces deux facteurs expliquent en partie le pourcentage élevé de résidents du centre-ville ayant le français comme langue maternelle et langue d’usage.

Finalement, la plupart des secteurs situés dans la ville de Dieppe et les quartiers Parkton et Sunny Brae possèdent un nombre de résidents de langue maternelle française

144 supérieur à 401. Ce chiffre diminue toutefois à plus de 281 lorsque l’on examine le français comme langue d’usage.

Les figures 28 et 32 nous permettent d’affirmer que les secteurs les plus peuplés au niveau de la langue maternelle française et du français comme langue parlée le plus souvent à la maison, pour l’année 2001, sont ceux de la ville de Dieppe. La concentration de la population de langue maternelle française dans cette ville dépasse 61% (figure 29). En ce qui concerne la langue d’usage, le pourcentage diminue quelque peu (figure 33). Le recensement de 2001 permet aussi de déterminer si la personne recensée parle une autre langue à la maison. Bien que cette question ne soit pas incluse dans cette étude, il est important de mentionner que les répondants ayant affirmé parler une autre langue à la maison ne sont pas seulement des usagers de la langue française. En effet, une partie des répondants de langue d’usage et de langue maternelle anglaise affirment parler français le plus souvent à la maison.

Un autre quartier enregistrant une forte concentration de population de langue d’usage et de langue maternelle française est Sunny Brae. Le pourcentage de la population de langue d’usage et maternelle française est toutefois beaucoup moins élevé au centre et dans l’ouest de la ville de Moncton. Dans ces secteurs, le pourcentage de population varie entre 25% et 49 % (figures 29 et 33). La concentration de population dans le quartier Parkton ayant le français comme langue maternelle et langue d'usage a diminué par rapport aux années 1980. Ceci est dû en partie au fait que la population du quartier est vieillissante et au fait que les nouveaux arrivants à Moncton décident de s'installer plus au nord ou à l'ouest de la ville ou en périphérie comme à Dieppe ou Saint-Anselme. L'essor économique de la ville vient en effet bouleverser la composition démographique du quartier Parkton, jadis considéré comme un quartier ouvrier et défavorisé. Les nouvelles générations d'entrepreneurs francophones s'installent surtout dans la ville de Dieppe ou encore au centre-ville de Moncton. Il existe donc un déplacement des foyers francophones vers le nord et l'extrême est de la ville, par extension Dieppe et Saint-Anselme.

145

Le quartier Sunny Brae, situé au nord de la ville de Moncton, est, quant à lui, formé d’une population de retraités, d'étudiants et d’employés de l'université101. Ces étudiants sont souvent de passage dans la ville et constituent une population flottante qui varie d'une année à l'autre. Toutefois, il est important de mentionner qu’une partie d'entre eux décident, après leurs études, de s'installer dans cette partie de la ville102. Comme nous venons de le souligner, le quartier Sunny Brae est fortement influencé par la proximité de l’Université de Moncton. Une étude réalisée par Guy Vincent, professeur au Département d’histoire et de géographie de l’Université de Moncton, s’attarde à l’évolution démographique du quartier entre 1961 et 2001. En analysant les patronymes associés aux différents ménages du quartier, celui-ci conclut que les francophones se sont graduellement appropriés ce quartier de la ville tout au long des quatre dernières décennies. La figure 25 présente les résultats de cette étude103.

101 Guy Vincent, « Le paradoxe du français à Moncton : Fragilité et force économique ?» Francophonies d’Amérique, no.16 (2003). p.133-148. 102 C’est ce que soutient Jennifer Bélanger, directrice de l’Atelier d’estampe Imago et diplômée de l’Université de Moncton. 103 Vincent, loc. cit., p. 133-148.

146

Langue des ménages du quartier Sunny Brae selon le patronyme, 1961-2001

Figure 25 Reproduction d’une carte réalisée par Guy Vincent, Département d’histoire et de géographie de l’Université de Moncton, hiver 2003

Le quartier Parkton qui constituait, quant à lui, l'un des foyers francophones au début du siècle ainsi que dans les années 1960 et 1980, voit sa population de langue maternelle française en nombre entier diminuer, passant en moyenne à plus de 401

147 habitants par secteur en 1981, à une moyenne entre 201 et 400 habitants en 2001 (figure 28). Cette constatation va de pair avec le vieillissement de la population de ce quartier comme nous l'avons vu lors de notre analyse, au chapitre précédent, des cartes représentant l'espace religieux.

Finalement, la ville de Riverview enregistre la plus faible concentration de population ayant le français comme langue maternelle et langue d’usage pour l’ensemble de la région du Grand Moncton, tant en 1981 qu’en 2001.

Figure 26 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2004, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 1981 148

Figure 27 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2004, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 1981 149

Figure 28 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2004, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 2001 150

Figure 29 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2004, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 2001 151

Figure 30 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2004, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 1981 152

Figure 31 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2004, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 1981 153

Figure 32 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2004, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 2001 154

Figure 33 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2004, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 2001

155

156

3.12 Indice de continuité linguistique

L’indice de continuité linguistique révèle l'usage du français à la maison par les personnes de langue maternelle française. Cet indice, pour une unité géographique donnée, correspond à la proportion de la population de langue maternelle française qui déclare parler français le plus souvent à la maison. Cette population inclut les personnes qui ont déclaré le français comme leur seule langue maternelle ou parlée, ainsi que celles qui ont déclaré le français parmi leurs premières langues apprises et leurs langues parlées. Si dans une unité donnée, les répondants sont moins nombreux à utiliser le français à la maison que le nombre de répondants de langue maternelle française, l’indice est inférieur à 100. Nous pourrions donc conclure qu’il y a une perte au plan linguistique pour ce secteur donné. Toutefois, si l’indice est supérieur à 100, cela signifie qu’il y a un gain linguistique puisque, pour cette unité donnée, le nombre de répondants ayant affirmé parler français à la maison est supérieur au nombre de répondants de langue maternelle française.

Une comparaison des figures 34 et 35 montre à quel point la francophonie de Moncton a évolué. En 1981, pratiquement l'ensemble du territoire, à l'exception de Dieppe, de l'est de la ville et, dans une moins grande proportion, des quartiers Parkton et Sunny Brae, présentent des indices de continuité linguistique inférieurs à 55 (figure 34). La situation a passablement changé depuis 1981, comme l’indique la figure 35, puisque sur presque l'ensemble du territoire les indices de continuité linguistique varient entre 73 et plus de 90. Par rapport à 1981, Dieppe, une région à forte densité ethnique et linguistique française, a maintenu son indice de continuité linguistique autour de 90. Ce sont toutefois les résidents de langue maternelle française du nord et de l'ouest de Moncton ainsi que ceux de Riverview qui ont réussi, durant cette période, à freiner l’importance des transferts linguistiques en utilisant le français le plus souvent à la maison. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette tendance : la multiplication des espaces culturels, des institutions et des moyens de communication en langue française et surtout la valorisation du fait français et de la langue française. La plus grande employabilité des personnes bilingues, le succès des programmes d'immersion ainsi que les mariages exogames sont quelques-uns des facteurs

157 ayant favorisé cette évolution. Toutefois, il ne faudrait pas croire que ce progrès compense le phénomène de l’assimilation linguistique. Au contraire, même si certains secteurs de Dieppe et de Sunny Brae, par exemple, enregistrent des indices supérieurs à 90, le fait demeure que la ville de Dieppe et le quartier Sunny Brae accusent des pertes linguistiques. L’indice moyen de continuité linguistique pour la ville de Dieppe, pour l’année 2001, est de 89,36. Par conséquent, environ 11% de la population de langue maternelle française n’utilise pas majoritairement le français à la maison et préfère utiliser une autre langue. Cette situation est inquiétante puisque la région de Dieppe est celle qui représente, pour le Grand Moncton, la plus forte concentration de population d’origine ethnique française et de résidents ayant le français comme langue maternelle et comme langue d’usage. Malgré un environnement et un encadrement francophone fort, la ville encaisse de nombreuses pertes linguistiques104.

L’indice moyen pour la région de Moncton est de 89,28, donc semblable à Dieppe, tandis que celui de Riverview affiche le plus haut indice de continuité linguistique des trois villes avec 90,28. Cette dernière constatation est pour le moins surprenante étant donné l’environnement essentiellement anglophone de cette municipalité.

Somme toute, dans la région du Grand Moncton, l’indice de continuité linguistique a augmenté dans plusieurs secteurs depuis 1981. Il y a donc, en 2001, moins de pertes linguistiques sur l’ensemble du territoire du Grand Moncton qu’il n’y en avait en 1981. Toutefois, comme nous l’avons mentionné, la communauté francophone encaisse chaque année de nombreuses pertes linguistiques, c’est pourquoi elle continue d’être vigilante et d’intervenir pour freiner ce phénomène105.

104 Il faut toutefois mentionner que l’indice de continuité linguistique ne prend pas en considération que le français peut, malgré tout, être parlé dans les foyers des personnes ayant indiqué parler le plus souvent une autre langue que le français. De plus, le pourcentage ne peut inclure les anglophones de langue maternelle qui parlent, à l’occasion, le français à la maison. Ces deux dernières constatations sont importantes à considérer lorsque l’on examine les transferts linguistiques du français vers l’anglais. 105 L’initiative du Comité régional Francisation Acadie-Beauséjour est un exemple des différentes actions entreprises par la communauté.

Figure 34 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2004, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 1981 158

Figure 35 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2004, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 2001 159

160

3.13 Langue parlée au travail106

La langue parlée au travail est une variable permettant de jeter un regard sur l'utilisation de la langue française au travail dans la grande région de Moncton. Le fait de pouvoir travailler dans sa langue maternelle est extrêmement important pour le rayonnement de la langue française en milieu minoritaire, car, comme nous l’avons mentionné précédemment, il n’existe présentement aucune protection juridique au Nouveau-Brunswick assurant aux francophones le droit de travailler dans leur langue maternelle107. De plus, le milieu du travail fait partie de la catégorie représentée par l’espace vécu dans notre schéma d’analyse de l’espace francophone. Il s’agit d’une composante primordiale au même titre que la famille ou encore les loisirs.

L’analyse de la figure 36 nous révèle qu’il existe de nombreuses variations entre les différentes régions situées sur l’ensemble du territoire couvert par le Grand Moncton. Les plus grandes disparités au niveau du français comme langue de travail sont celles observées dans les villes de Riverview et de Dieppe. En effet, sur l’ensemble du territoire de Riverview, seulement 14% de la population recensée affirme utiliser le plus souvent la langue française au travail, contre plus de 45% de la population dans la ville de Dieppe. Cette constatation va de pair avec la composition linguistique de ces deux ville du Grand Moncton puisque Dieppe est majoritairement francophone de langue maternelle et de langue d’usage, tandis que Riverview est très majoritairement composée d’une population de langue d’usage et maternelle anglaise.

Moncton se situe entre ces deux extrêmes avec une population de travailleurs indiquant, dans une proportion de 31%, travailler le plus souvent en français. Il est intéressant de souligner que, dans la ville de Moncton, la concentration la plus élevée de population utilisant le plus souvent le français à son lieu de travail se situe dans les secteurs de l’université, du quartier Sunny Brae, ainsi que dans le centre et l’est de la ville. Cette

106 Cette donnée n’est disponible que depuis le recensement de 2001. Par conséquent, nous n’avons pas pu réaliser de cartes pour l’année 1981 et comparer les résultats avec l’année 2001. 107 Il faut toutefois mentionner que les employés provinciaux et fédéraux communiquent avec le gouvernement dans la langue de leur choix.

161 situation s’explique essentiellement par la présence de nombreuses institutions francophones comme l’Assomption-Vie, la Société Radio-Canada, l’Université de Moncton, l’Hôpital Georges-Dumont ainsi que des congrégations religieuses et des maisons de retraités.

C’est la ville de Dieppe qui enregistre les plus fortes proportions de population utilisant le plus souvent la langue française en milieu de travail. Il faut toutefois mentionner que ces pourcentages restent malgré tout assez faibles (45% en moyenne) étant donnée la forte proportion de la population de cette région s’étant déclarée de langue maternelle française (75%).

Sur l’ensemble du territoire du Grand Moncton, 29% de la population affirme utiliser le plus souvent le français au travail. Ce pourcentage inclut à Riverview 1670 personnes dont 995 sont de langue maternelle anglaise, 15 075 à Moncton dont 3 720 de langue maternelle anglaise et, finalement, 6985 à Dieppe dont 745 de langue maternelle anglaise. Il faut toutefois mentionner qu’une partie significative de la population de langue maternelle française utilise le plus souvent l’anglais à son lieu de travail. Par conséquent, sur l’ensemble du territoire, 17 635 répondants de langue maternelle française ont déclaré, en 2001, utiliser l’anglais le plus souvent au travail dont 825 personnes habitaient à Riverview, 5 830 à Dieppe et 10 980 à Moncton. Cette réalité ne peut pour l’instant être comparée dans le temps puisque la langue de travail ne fait partie du recensement canadien que depuis le recensement de 2001. Toutefois, les futurs recensements nous permettront d’analyser cette variable et d’examiner si les francophones seront en mesure de travailler en plus grand nombre dans leur langue maternelle. Cette dynamique linguistique au niveau du milieu du travail est extrêmement importante puisque « plus le français prend de la place dans la vie des gens, par exemple dans la vie professionnelle, plus on voudra l’utiliser dans les autres sphères de la vie108».

Pour l’instant, nous pouvons affirmer que, dans l’ensemble, il existe de nombreuses

108 Annette Boudreau, «Le français à Parkton : de la Back Yard au centre d'appel,» Francophonies d'Amérique, no. 14 (2002), p. 36.

162 disparités au sein même du Grand Moncton. La région de Dieppe enregistre les plus forts pourcentages de population ayant pour langue de travail le français. Toutefois, les secteurs situés au nord, à l’est et au centre de la ville de Moncton enregistrent eux aussi des pourcentages comparables à ceux de la région de Dieppe.

Figure 36 Carte réalisée par Martin Durand en collaboration avec Kevin Robert, Ottawa, printemps 2004, Statistique Canada, E-STAT, Recensement 2001 163

164

3.14 Schéma de l’espace francophone

Comme nous l'avons mentionné dans ce chapitre, de nombreux événements, tant politiques, sociaux, économiques que culturels, façonnent la société néo-brunswickoise et la grande région de Moncton durant les années 1980 et 1990. Pour bien mesurer l'impact de ces événements, de ces lois, de ces transformations sociales et institutionnelles, nous pouvons examiner plus en détail la figure 37 représentant le schéma de la zone d’influence francophone en milieu urbain, conceptualisée dans le cadre de cette étude.

Au niveau des postulats, les années 1980 et 1990 marquent une forte consolidation des acquis linguistiques des francophones puisque le gouvernement du Nouveau-Brunswick crée une loi (la Loi 88) affirmant l’égalité des communautés linguistiques de langues officielles du Nouveau-Brunswick. Cette reconnaissance est aussi incluse dans la Charte canadienne des droits et libertés. En plus de cette protection juridique, les gouvernements provincial et fédéral procèdent chacun à une refonte de leur loi sur les langues officielles. Les nouvelles lois sur les langues officielles, mieux adaptées au nouveau contexte juridique, politique et culturel du Canada et du Nouveau-Brunswick sont officiellement appliquées à partir de 1988, pour l’ensemble du Canada, et 2002, pour le Nouveau- Brunswick. De son côté, la ville de Moncton s’est déclarée, en 2002, ville officiellement bilingue. Il faut souligner l’importance d’événements comme la tenue du Congrès mondial acadien, en 1994, et celle du Sommet de la Francophonie, en 1999, dans l’adoption d’une approche bilingue à la ville de Moncton. L’ajout de ces différents postulats consolide les acquis juridiques et politiques de la communauté francophone du Grand Moncton.

Depuis le début des années 1980, l’espace vécu de la population francophone de la grande région de Moncton a, lui aussi, connu une période d’expansion grâce, entre autres, à la nouvelle approche municipale au niveau de la promotion des sports et loisirs. Celle-ci permet à la communauté francophone de plus facilement créer et de diriger diverses associations culturelles et sportives. Un regard sur le milieu du travail nous permet, quant à lui, de constater qu’un grand nombre de francophones de langue maternelle française n’arrivent pas à utiliser le français sur leur lieu de travail. Toutefois, dans certains secteurs

165 du Grand Moncton, c’est plus de 50% de la population francophone qui travaille dans sa langue maternelle. L’arrivée au sein du milieu économique du Grand Moncton de nombreux entrepreneurs francophones ainsi que l’apparition du secteur des téléservices, depuis les vingt dernières années, a largement favorisé l’augmentation du nombre de travailleurs francophones dans la région. En ce qui concerne l’affichage, même si peu de progrès ont été réalisés depuis le début des années 1980, des initiatives ont été mises en place par la population pour faire la promotion de la langue française au niveau des services et de l’affichage. Finalement, l’apport des programmes d’immersion depuis le milieu des années 1970 a contribué, entre autres, à une nouvelle approche par rapport au bilinguisme et à la langue française. En 2002, la majorité des anglophones de la région font preuve d’une plus grande ouverture d’esprit envers la francophonie, en général, et la langue française en particulier. C’est ce qu’a constaté l’avocat Michel Doucet :

Ah oui, il y a eu un changement d'attitude, je crois pour plusieurs raisons : les écoles d'immersion du côté anglophone ont joué un rôle important, la nouvelle génération de leaders municipaux est certainement plus ouverte à la dimension linguistique, les francophones également avec la nouvelle économie ont pris leur place à Moncton, contrôlent beaucoup plus les leviers économiques qu'ils le faisaient dans les années 70 où c'était une ville industrielle tout simplement109.

Au plan culturel, malgré une période assez difficile au début des années 1980, la communauté francophone du Nouveau-Brunswick produit aujourd’hui plus de disques et de livres que jamais. La région de Moncton est particulièrement riche au plan culturel. Depuis 1986, une coopérative d’artistes (Centre culturel Aberdeen), des troupes de danse et de théâtre (DansEncorps et l’Escaouette), des galeries d’art (Galerie Sans Nom), une salle de spectacles (Capitol), un festival francophone du film (FICFA) et une fête musicale francophone (Franco-fête Dieppe Moncton) viennent enrichir le paysage culturel de la région de Moncton. Le milieu associatif s’est, lui aussi, beaucoup développé avec la création de l'Association des enseignantes et enseignants francophones du Nouveau- Brunswick, la Fédération des citoyens aînés du Nouveau-Brunswick, le Centre international pour le développement de l'inforoute en français, la Fédération des agriculteurs et

109 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Michel Doucet à Moncton à l’automne 2002.

166 agricultrices francophones du Nouveau-Brunswick ou encore l’Association des municipalités francophones du Nouveau-Brunswick. Au milieu institutionnel francophone, déjà fortement représenté dans la région de Moncton, s’est ajouté un acteur important : la Radio communautaire Beauséjour. Celle-ci fait aussi partie du Réseau Francophone d’Amérique qui permet à la communauté francophone de la région d’être branchée sur d’autres régions francophones du Canada. Avec le développement du réseau Internet, depuis les 10 dernières années, les communications et le réseau d’information et de diffusion des francophones se sont passablement agrandis.

L’apparition de nouveaux postulats dans notre schéma, jumelée au développement du milieu associatif, institutionnel et des liens supra-régionaux au cours de cette période, nous permet donc d’affirmer et de constater que la zone d’influence francophone en milieu urbain pour le Grand Moncton a pris de l’expansion depuis le début des années 1980. Toutefois, il est important de mentionner que le développement et la consolidation de la francophonie dans cette région du Nouveau-Brunswick ne s’est pas fait sans difficulté. En effet, l’économie locale a été perturbée par la fermeture des ateliers du Canadien national. La crise économique qui a sévi au début des années 1980 a fortement touché le développement artistique sur l’ensemble du territoire. De plus, il est essentiel de mentionner que, malgré ces réalisations, la communauté de langue française de la région de Moncton enregistre encore des indices de continuité linguistique inquiétants dans certains secteurs du Grand Moncton. Même la ville de Dieppe, à forte densité francophone, enregistre des pertes linguistiques. Finalement, il n’existe aucune protection juridique assurant le droit aux francophones de travailler dans leur langue maternelle ni aux commerçants l’obligation d’afficher dans les deux langues officielles. C’est pourquoi la communauté francophone du Grand Moncton continue d’être vigilante et s’engage activement dans différentes luttes ayant pour but d’assurer son développement et son épanouissement.

Figure 37 Schéma réalisé par Martin Durand

167

Conclusion

La francophonie minoritaire en milieu urbain est un objet d’étude encore peu étudié au Canada. La présente étude s’inscrit dans une démarche scientifique visant à mieux comprendre ce phénomène. Au centre de notre analyse, nous avons placé la notion d’espace, plus précisément l’espace francophone du Grand Moncton. Il s’agit d’un concept extrêmement complexe et difficile à analyser. Les différentes approches que nous avons utilisées, pour mener à bien ce projet, nous ont toutefois permis de tracer un profil juste et global de l’évolution de l’espace francophone du Grand Moncton entre 1960 et 2002. Pour être en mesure de bien dégager les caractéristiques propres à l’évolution de cet espace, nous avons, tout au long de cette étude, remis en contexte les différentes luttes et événements ayant façonné la francophonie de cette région. Grâce à cette démarche, il nous est maintenant plus facile de reprendre notre questionnement de base visant à déterminer : quels sont les éléments qui caractérisent la zone d'influence francophone du Grand Moncton depuis 1960 et comment cette zone a-t-elle évolué, tant au niveau des postulats, de l’espace vécu et de l’espace institutionnel, qu'au niveau des liens supra-régionaux qui viennent s'y greffer ?

Un bref coup d’œil aux figures 7, 18 et 37 nous permet de retracer l’évolution de l’espace francophone du Grand Moncton entre 1960 et 2002. Une comparaison de ces trois figures révèle que la zone d’influence en milieu urbain a connu une période de forte expansion depuis les quarante dernières années. Nous avons aussi constaté que les différents profils de la communauté, c’est-à-dire les milieux économique, social, institutionnel et culturel se sont diversifiés et ont, eux aussi, connu une importante phase de développement. Par exemple, le milieu institutionnel francophone bénéficie aujourd’hui d’un réseau plus complet et diversifié qu’au début des années 1960. En effet, la région possède, entre autres, un hôpital moderne et adapté aux besoins des francophones (Hôpital Georges-Dumont), une université francophone (Université de Moncton), un centre culturel regroupé sous la forme d’une coopérative d’artistes (Centre Aberdeen), un quotidien provincial de langue française (L’Acadie Nouvelle), une radio communautaire

169

(Radio Beauséjour) ainsi que des écoles et des commissions scolaires homogènes. Le rôle prépondérant que jouait la religion catholique dans la vie quotidienne de la population francophone au début des années 1960 diminue considérablement tout au long de la période étudiée. Bien que le nombre absolu de paroissiens francophones ait augmenté entre 1962 et 2002, passant de 15 437 à 20 726, le pourcentage de ceux-ci par rapport à la population totale du Grand Moncton a diminué de moitié, passant de 35,01%, en 1962, à 17,60% en 2002. De plus, comme nous avons pu le constater lors de nos visites dans les églises du Grand Moncton à l’occasion de la célébration de messes, la population francophone pratiquante de la région est composée majoritairement de personnes du troisième âge. Le désengagement progressif de l’Église catholique du milieu de l’éducation et des loisirs, par exemple, est toutefois partiellement compensé par un engagement massif de l’État dans les affaires publiques.

Le milieu associatif s’est, quant à lui, développé d’une façon différente puisqu’il a connu une période de restructuration entre les années 1960 et 1980 avec, entre autres, la séparation des différentes associations francophones de l’est du Canada et le repositionnement de la Société nationale des Acadiens. Toutefois, depuis les vingt dernières années, un nombre élevé de nouveaux regroupements et de nouvelles associations francophones ont vu le jour tant sur la scène régionale que provinciale. Le milieu associatif couvre aujourd’hui des domaines comme la santé, l’éducation, le travail, les loisirs et les affaires municipales. À ce milieu associatif, nous devons aussi ajouter les organismes provinciaux ou encore régionaux subventionnés qui aident et qui promeuvent le développement et l’épanouissement des communautés francophones en milieu minoritaire. En somme, l’espace institutionnel du Grand Moncton n’a cessé, depuis 1960, de prendre de l’expansion et de se diversifier dans le but de répondre adéquatement aux besoins de la population francophone de la région.

Entre 1960 et 2002, l’évolution de l’espace vécu a été marquée par une nouvelle dynamique sociale et par l’apport de nouveaux éléments fondamentaux. Grâce à l’approche proposée par le service des loisirs de la ville de Moncton, les activités sociales, qui gravitaient autour du clergé et du monde religieux au début des années 1960, sont,

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depuis une dizaine d’années, prises en charge par l’ensemble de la communauté francophone de la région. La vie sociale des francophones du Grand Moncton s’organise aujourd’hui autour de plusieurs dizaines d’organisations sportives, culturelles et sociales. La famille continue, tout au long de cette période, de jouer un rôle important dans le développement de l’espace vécu. L’analyse des figures 34 et 35, représentant l’indice de continuité linguistique pour les années 1981 et 2001, nous permet de constater les énormes progrès réalisés, au plan linguistique, par la population francophone du Grand Moncton. En effet, sur l’ensemble du territoire, les pertes linguistiques sont moins nombreuses en 2001 qu’en 1981. Par conséquent, l’indice de continuité linguistique est plus élevé en 2001 qu’en 1981. Toutefois, ce constat positif doit faire l’objet d’une analyse plus précise et détaillée. Plusieurs régions du territoire à l’étude présentent, encore aujourd’hui, un faible indice de continuité linguistique. De plus, les villes et quartiers majoritairement francophones, comme Dieppe, Saint-Anselme ou encore Sunny Brae, subissent des pertes linguistiques importantes malgré le fait que la population de ces secteurs bénéficie d’un environnement francophone plus favorable que d’autres villes ou quartiers de la région. Bien que la sphère familiale enregistre une performance acceptable dans l’ensemble du Grand Moncton, ces dernières observations nous permettent d’affirmer que cette dimension de l’espace vécu connaît encore des difficultés à promouvoir la culture et la langue française.

Finalement, deux autres éléments viennent compléter l’espace vécu de la population francophone du Grand Moncton. Comme nous le constatons sur la figure 37, le paysage linguistique et le milieu du travail influencent directement la zone d’influence francophone en milieu urbain. L’ajout de ces deux derniers éléments est le résultat d’une transformation graduelle du milieu du travail et de la langue d’affichage dans la grande région de Moncton. Tout d’abord, l’apport économique considérable d’entrepreneurs francophones, formés pour la plupart à l’Université de Moncton, a encouragé le développement d’entreprises offrant un climat de travail bilingue ou français à leurs employés. Le repositionnement économique du Grand Moncton depuis les vingt dernières années, à la suite, entre autres, de la fermeture des ateliers du C.N., a grandement favorisé et promu l’usage de la langue française au travail, notamment dans le secteur des

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téléservices. L’opportunité, offerte à la population francophone et anglophone, d’utiliser le français d’une façon régulière au travail, contribue au développement de la zone d’influence francophone en milieu urbain. Toutefois, il faut mentionner qu’il n’existe encore aucune protection juridique assurant aux travailleurs francophones le droit de travailler dans leur langue maternelle. Il n’existe à ce jour encore aucune protection juridique rendant obligatoire l’affichage bilingue au Nouveau-Brunswick. Cette réalité fait en sorte que sur l’ensemble du Grand Moncton, l’affichage commercial est essentiellement en anglais. Même dans une ville comme Dieppe, qui possède une très forte concentration de population de langue d’usage et de langue maternelle française, l’affichage en français est largement sous-représenté. Malgré ce constat, la situation a quelque peu évolué depuis les 40 dernières années. Nous avons placé cette dimension dans l’espace vécu puisqu’une représentation adéquate du français dans l’affichage peut avoir un impact majeur sur la valorisation de la langue de la minorité, mais aussi influencer grandement la zone d’influence francophone en milieu urbain. Nous pouvons donc conclure que depuis 1960, l’espace vécu s’est transformé et s’est adapté aux nouvelles réalités de la communauté francophone du Grand Moncton et de la société néo-brunswickoise. Par conséquent, cette évolution de l’espace vécu enrichit directement la zone d’influence francophone en milieu urbain.

La hausse du nombre de postulats fondamentaux assurant la consolidation et le développement de la communauté francophone est ce qui caractérise plus spécifiquement l’évolution de l’espace francophone du Grand Moncton depuis le début des années 1960. En effet, de nombreuses protections juridiques et constitutionnelles assurent aujourd’hui des droits fondamentaux à la communauté de langue minoritaire. Ces outils législatifs ne proviennent pas seulement du gouvernement fédéral, mais aussi du gouvernement provincial. En effet, les deux paliers gouvernementaux ont, durant cette période, créé des lois sur les langues officielles garantissant à la population francophone du Canada et du Nouveau-Brunswick des droits fondamentaux en éducation et au niveau de la prestation de services. Depuis leur adoption, à la fin des années 1960, ces deux lois ont été révisées afin de s’adapter aux nouvelles dispositions juridiques et aux besoins des communautés de

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langues officielles1. Le gouvernement fédéral a aussi créé un ministère (ministère du Patrimoine canadien) pour coordonner les mesures visant à promouvoir l’épanouissement des communautés de langues officielles du Canada. Cet engagement permet donc à plusieurs organismes et associations de bénéficier d’un support financier de l’État leur permettant de développer des projets culturels, sociaux et autres à l’intérieur même des communautés minoritaires.

Un autre élément ayant favorisé la reconnaissance de la communauté de langue française dans la grande région de Moncton est la décision du conseil de ville de Moncton, en août 2002, de déclarer la municipalité officiellement bilingue. En plus de desservir la population de la région dans les deux langues officielles, la ville a officiellement traduit tous les édits municipaux et il est aujourd’hui possible d’obtenir une traduction simultanée des débats se déroulant au conseil de ville. Somme toute, l’apparition de nombreux postulats favorisant la consolidation et le développement de la communauté francophone a largement contribué à l’expansion de la zone d’influence francophone en milieu urbain entre 1960 et 2002.

À la suite de ces différentes observations, nous pouvons confirmer l’hypothèse affirmant que : la zone d’influence francophone du Grand Moncton a connu une forte expansion, entre 1960 et 2002, due majoritairement aux réalisations des francophones, tant dans les domaines économique, social, institutionnel que culturel renforçant, ainsi l’espace vécu, l'espace institutionnel, les postulats et les liens supra-régionaux de la communauté.

En effet, les 35 personnes que nous avons rencontrées en entrevue à l’automne 2002, nous ont tous affirmé avoir observé, depuis 1960, une évolution positive dans leurs champs de compétence respectifs. Ils ont aussi ajouté que cette évolution était de près liée aux succès des luttes menées par la population francophone au sein des milieux politique, culturel, social et linguistique. L’un des intervenants représentant le milieu associatif, ira

1 La loi fédérale a été révisée en 1988, tandis que la loi provinciale l’a été en 2002.

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même jusqu’à dire, en parlant du progrès réalisé durant cette période : «Ça a été une ascension continuelle, des fois ça avait même l’air vertigineux2».

Malgré les différentes réalisations dans les milieux culturel, politique, social et de l’éducation, quelques-unes des personnes rencontrées nous ont souligné qu’il existe encore de nombreuses luttes à mener notamment au niveau de la langue de travail. Le syndicaliste Jean-Claude Basque explique :

Il n’y a aucune loi qui te protège ou te permet de travailler dans ta langue. Donc, beaucoup de choses se passent en anglais. Si tu vas à une réunion, pis il y a un anglophone de présent, ben là, ça va parler en anglais… Même nous on le voit dans le secteur public à l’heure actuelle, quand il y a des rencontres patronales-syndicales, ça se passe à peu près toujours en anglais parce qu’il y a un anglophone l’autre bord de la table […]3.

Dans certains cas, même si la population possède des droits garantis par la Constitution et par des lois fédérales et provinciales, il n’en reste pas moins qu’il existe encore des écarts à combler entre le discours politique et l’application formelle des lois et des dispositions juridiques. Rodrigue Landry, directeur de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, exprime ainsi cette réalité : «C'est toujours comme ça, une loi c'est bon de l'avoir parce que cela donne des droits, etc. Mais le statut que tu as sur le plan des droits et le statut que tu as sur le plan de la réalité, c'est deux choses. On regarde la Loi 88, bien, ils disent que le Nouveau-Brunswick à deux communautés égales. Bien ça, c'est la loi, la réalité c'est que c'est une lutte constante4».

Une autre tendance observée dans la région de Moncton et confirmée par l’ensemble des gens que nous avons rencontrés à l’automne 2002, est le changement d’attitude de la population anglophone à l’égard de la langue française et du bilinguisme. Selon plus de 95% des personnes que nous avons rencontrés en entrevue, ce changement

2 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Hector Cormier à Moncton à l’automne 2002. 3 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec les syndicalistes Jean-Claude Basque et Raymond Léger à Moncton à l’automne 2002. 4 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Rodrigue Landry à Moncton à l’automne 2002.

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d’attitude est récent. Cela ne fait qu’une dizaine d’années à la suite, entre autres, de la disparition du CoR, que les anglophones font preuve d’une plus grande ouverture d’esprit vis-à-vis du bilinguisme et de la communauté francophone du Grand Moncton. Toutefois, ce changement d’attitude de la population anglophone a contribué à une diminution significative des tensions entre les deux communautés linguistiques de la région comme le souligne David Lonergan :

Les tensions, ça a été réglé, moi je pense il y a déjà un certain temps. Je pense que la dernière fois où ça s'est réglé, ça a été au Congrès mondial acadien de 1994. Tu ne rencontres presque plus, jamais chez les jeunes, quelquefois chez les vieilles anglophones qui vont te dire d'un air dédaigneux, en te crachant dans le visage : «Sorry, I don't speak French.» Tu vas avoir oui le :«Sorry, I don’t speak French», mais pas sur le mode de si je l'apprenais, je vomirais dessus…6

Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce changement d’attitude de la part de la population anglophone qui s’opposait farouchement au bilinguisme et aux revendications de la population de langue française dans les années 1960 et 1970, époque où le maire Leonard Jones était à la tête de la ville de Moncton. Encore tout récemment, dans les années 1980, les gestes posés par certains anglophones de la région7 traduisent le malaise qui régnait à l’époque entre les deux communautés de langues officielles. Depuis ces événements, la population a élu, à la mairie de Moncton, un maire francophone (Léopold Béliveau) et, plus récemment, un maire francophile (Brian Murphy). De plus, la ville a accueilli deux rencontres francophones internationales : le Congrès mondial acadien en 1994 et le Sommet de la Francophonie en 1999. En plus de ces deux événements, d’autres facteurs ont aussi contribué au changement d’attitude de la population anglophone de la région tels que l’apport des programmes d’immersion, les transformations économiques de la région qui misent d’avantage sur les compétences bilingues des travailleurs, l’apport considérable de l’Université de Moncton au développement culturel, économique et social de la région ainsi que la position municipale face au bilinguisme officiel.

6 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec David Lonergan à Moncton à l’automne 2002. 7 Nous avons discuté, dans le troisième chapitre, de ces actions posées par les anglophones lors des audiences publiques à la suite duu rapport Poirier-Bastarache

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Il existe aujourd’hui un vaste éventail de possibilités désormais offertes à la population de langue française du Grand Moncton lui permettant de s’épanouir et de développer sa francité. La perception que les francophones ont de Moncton aujourd’hui est bien différente de celle que la communauté de langue française avait au début des années 1960. Voici quelques-uns des commentaires recueillis auprès des intervenants qui ont bien voulu nous confier ce que Moncton représente pour eux aujourd’hui :

Moncton, c’est le moteur économique et socioculturel de la province8. C’est un endroit où je peux vivre mes deux langues9. C’est un milieu que l'on est en train de conquérir10. Un beau discours, mais un visage très anglophone11. Une ville où, comme francophone, je peux vivre complètement en français12.

C'est quand même le triomphe qu'une minorité pouvait […] être une petite communauté dans une ville, s'intégrer et vivre en français, développer des institutions et être des urbains13.

En 2002, il est désormais possible pour un francophone de faire un parcours scolaire totalement en français, possibilité qui n’était pas présente au début des années 1960. Les francophones de la région peuvent aussi assister à des spectacles offerts, dans leur langue, par des artistes issus de leur communauté, ils peuvent écouter la télévision, la radio et même naviguer sur Internet en français. L’Hôpital Georges-Dumont leur offre des soins de santé en français et, dans de nombreuses institutions francophones, la langue de travail est le français. Plus d’une centaine d’organismes offrent à la population des activités sportives et des loisirs en français et de nombreuses associations diverses défendent leurs droits linguistiques. Il ne fait aucun doute que, depuis 1960, la zone d’influence francophone en milieu urbain au sein du Grand Moncton s’est diversifiée et a pris de l’expansion. Les possibilités sont donc offertes à la population de développer et

8 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Aldéa Landry à Moncton à l’automne 2002. 9 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Dorothy White à Moncton à l’automne 2002. 10 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Maurice Léger à Moncton à l’automne 2002. 11 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Michel Doucet à Moncton à l’automne 2002. 12 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Rodrigue Landry à Moncton à l’automne 2002. 13 Propos recueillis lors d’une entrevue réalisée avec Claude Bourque à Moncton à l’automne 2002.

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vivre sa francité dans ce contexte minoritaire urbain. Une étude qualitative sur les habitudes de vie et de consommation culturelle des francophones de cette région pourrait faire suite à ce travail dans le but de déterminer si les francophones du Grand Moncton profitent des occasions qui leur sont offertes. En ce sens, les travaux réalisés par Robert Stebbins, sociologue à l’Université de Calgary, sur le style de vie francophone en milieu minoritaire s’inscrivent dans cette démarche scientifique visant à mieux comprendre les comportements sociaux des francophones vivant en milieu minoritaire. Une enquête de terrain approfondie des activités familiales, des loisirs et des pratiques culturelles des francophones du Grand Moncton nous permettrait d’enrichir nos connaissances de l’espace francophone en milieu urbain.

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BOSSÉ, Paul. Kacho Komplo. Moncton, Office national du film du Canada, 2002. 52 min.

CHIASSON, Herménégilde. Robichaud : les années 60 au Nouveau-Brunswick. Ottawa, Office national du film du Canada, 1989. 60 min.

DAIGLE, France. Pas pire. Moncton, Éditions d’Acadie, 1998. 203p.

DAIGLE, France. Petites difficultés d’existence. Montréal, Éditions du Boréal, 2002. 189p.

DAIGLE, France. Un fin passage. Montréal, Éditions du Boréal, 2001. 130p.

LEBLANC, Gérald. Moncton mantra. Moncton, Éditions Perce-Neige, 1997. 144p. Collection Prose.

LEBLANC, Gérald. L'Extrême frontière : poèmes 1972-1988. Moncton, Éditions d'Acadie, 1988. 167p.

PAULIN, Marc. Moncton : Acadie. Moncton, Office national du film du Canada, 1990. Collection Chroniques de l'Atlantique. 55 min.

PERREAULT, Pierre et Michel Brault. L'Acadie, l'Acadie. Montréal, Office national du film du Canada, 1971. 118 min.

Annexe A

Cadre de référence pour les entrevues semi-dirigées

188 Liste des intervenants avec qui nous avons réalisé des entrevues à l’automne 2002

Par respect pour ceux et celles qui ne voulaient pas être cités dans ce travail, mais qui ont accepté de nous accorder une entrevue, nous avons seulement donné une description générale de leurs fonctions

Léopold Beliveau Ancien maire de Moncton

Robert Pichette Journaliste et ancien chef de cabinet sous Louis-J Robichaud

Bernard Imbeault Homme d'affaire et fondateur des restaurants Pizza Delight

Gilbert Finn Ancien Lientunant-gouverneur du Nouveau-Brunswick et ancien président de la compagnie d’assurances l’Assomption-Vie

France Bouchard-Michaud Femme d'affaire de Moncton

Denis Losier Président 2003 de l’Assomption-Vie

Aldéa Landry Femme d'affaire et femme politique

France Daigle Auteure, écrivaine

Gérald Leblanc Auteur, poète

David Lonergan Professeur au département de communication de l'Université de Moncton

Roméo Savoie Artiste, ancien directeur du Centre culturel Aberdeen

189

Jeniffer Bélanger Artiste

Michel Doucet Juriste et professeur à la faculté de droit de l’Université de Moncton

Louis Guay Responsable du programme d’apprentissage du français langue seconde au Collège communautaires du N.-B à Moncton.

Jean-Claude Basque Syndicaliste

Raymond Léger Syndicaliste

Jean-Marie Nadeau Syndicaliste

Roger Martin Directeur du Centre scolaire et communautaire de Miramichi

Hector Cormier Ancien président de la Société nationale des Acadiens

Claude Bourque Journaliste, ancien directeur de l'information à Radio-Canada (Moncton)

Médard Collette Ancien recteur de l'Université de Moncton

Marie-Claire Pierce Chef du département des loisirs à la ville de Moncton

Catherine Dallaire Responsable des communications à la ville de Moncton

Rodrigue Landry Directeur de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques

Sylvia Kasparian Linguiste, professeure au département d'études françaises

Louie Surette Directeur de la Caisse populaire acadienne Beauséjour, succursale de Moncton

190

Maurice Léger Curé de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce

Gilles Arseneault Directeur de l'Association des radios communautaires du N.-B.

Dorothé White Responsable du programme d'immersion française (district 2)

Maurice Beaudin Directeur de la chaire d’étude sur l’économie

*** Journaliste de la presse écrite

*** Journaliste pour la télévision

*** Conseiller municipal de Moncton

*** Responsable des langues officielles, gouvernement du Nouveau-Brunswick

Grille de référence pour l’élaboration des questionnaires

Descriptions Opinions Évaluations Expériences personnelles 1960-1980 Contextualisation Espace (public et vécu) Perceptions/Attitudes Actions Bilan décennie 1981-2002 Contextualisation Espace (public et vécu) Perceptions/Attitudes Actions Bilan décennie Perspectives

191

Questionnaire Espace francophone de Moncton 1960-2002

Ce questionnaire a pour but d’avoir une meilleure compréhension de l’espace francophone de Moncton depuis les 40 dernières années. Nous avons sélectionné une trentaine d’intervenants provenant de différents profils, allant du secteur politique, à institutionnel, en passant par les secteurs culturel et social. De par leur expérience et leur participation active dans le développement de la communauté francophone de Moncton, ces intervenants nous permettront de mieux définir l’évolution de l’espace francophone de Moncton depuis les 40 dernières années.

Première partie

1. Quel est votre nom et quelles sont ou quelles ont été vos occupations depuis 40 ans ?

2. Etes-vous originaire de Moncton ?

3. Avez-vous vécu à Moncton depuis les 40 dernières années ?

Deuxième partie

Contextualisation 1960-1970-1980-1990-2002

4. Pouvez-vous remettre en contexte la situation des francophones du Nouveau- Brunswick et plus particulièrement ceux de Moncton en faisant un survol de chacune des décennies. En fait, il s'agit de décrire la situation à quelqu'un qui n'est pas du Nouveau-Brunswick et de Moncton. Vous pouvez donner des exemples selon votre domaine de compétences.

5. Selon vous, quels ont été les événements les plus importants des différentes décennies pour les francophones du Nouveau-Brunswick et plus particulièrement ceux de Moncton ? Expliquer.

6. Est-ce que ce ou ces événements ont eu un impact positif sur le développement et l’épanouissement de la communauté francophone de Moncton ? Expliquez.

192

193

Actions 1960-1970-1980-1990-2002

7. Pouvez-vous me donner des exemples d'actions entreprises par les francophones de Moncton durant ces différentes périodes ?

8. Y a-t-il eu des actions ou des gestes posés par les francophones ou encore d'autres groupes qui n'ont pas eu un effet positif sur le développement de la communauté francophone de Moncton ? Des exemples de régression...

9. Avez-vous participé ou joué un rôle au sein du développement et de l’épanouissement de la communauté francophone de Moncton durant ces décennies ? Si oui, expliquez.

Espace (public et vécu) 1960-1970-1980-1990-2002

10. Dans la vie de tous les jours, comment se vivait la francophonie à Moncton ? Comment pourrait-on décrire l’espace public et l’espace vécu d’un francophone de Moncton durant ces décennies ? Par exemple : les services en français, les loisirs en français, les commerces francophones, les écoles, le travail, la maison…

11. Plus spécifiquement, selon votre domaine de compétence, pouvez vous décrire la situation pour un ______francophone à Moncton ?

12. Étiez-vous présent à cette époque à Moncton ? Si oui, comment personnellement avez-vous vécu ces décennies ? Donnez des exemples.

13. Pour vous, qu'est-ce que cela signifie un «espace francophone» ? Seriez-vous plus à l'aise avec un concept d'espace bilingue ?

14. Selon votre définition où cet espace serait-il situé ? Représentez-moi sur une carte l'espace francophone de Moncton. Où sont les francophones ?

15. Est-ce que cet espace a évolué depuis les 40 dernières années ? De quelles façons ?

194

Perceptions/Attitudes 1960-1970-1980-1990-2002

16. Pouvez-vous décrire et qualifier la relation qui existait entre la communauté anglophone et francophone de Moncton durant ces décennies et évaluer la façon dont cette relation a évolué ? Vous pouvez donner des exemples.

17. Comment les francophones étaient et sont-ils perçus par la communauté anglophone ?

18. Dans votre domaine de compétence, est-ce que la situation était semblable ?

19. Comment la ville de Moncton et sa communauté francophone était-elle perçue par les francophones des autres régions du Nouveau-Brunswick ?

Bilan décennies 1960-1970-1980-1990-2002

20. Quel est (selon votre domaine de compétences), l’enjeu le plus important pour les francophone de Moncton durant chacune des décennies ?

21. Si vous aviez à évaluer la décennie, Tireriez-vous un bilan positif ou négatif de celle- ci ? Expliquez.

Troisième partie

22. À l'heure actuelle, quels sont les enjeux importants pour les francophones de Moncton? Quels seront les enjeux importants dans les années à venir?

23. Quelles sont les perspectives à court, moyen et long terme pour Moncton et sa communauté francophone (selon votre domaine de compétences) ?

24. Qu’est-ce que Moncton représente pour vous ? Pour la francophonie au Nouveau- Brunswick ?

Annexe B Loi 88

196

Loi 88

CHAPITRE 0-1.1

Loi reconnaissant l'égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick sanctionnée le 17 juillet 1981

Sommaire Reconnaissance de la communauté linguistique française et de la communauté linguistique anglaise et affirmation de l'égalité de statut et de l'égalité des droits et privilèges de chacune …………………………………...... 1

Protection de l'égalité de statut et de l'égalité des droits et privilèges des communautés linguistiques officielles ……………………………………...... 2

Promotion du développement culturel, économique, éducationnel et social ...... 3

CONSIDÉRANT que l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick reconnaît l'existence de deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick dont les valeurs et les héritages culturels émanent des deux langues officielles du Nouveau- Brunswick et s'expriment par elles; et

CONSIDÉRANT que l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick cherche à accroître les possibilité de chaque communauté linguistique officielle de profiter de son héritage culturel et de le sauvegarder pour les générations à venir; et

CONSIDÉRANT que l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick désire affirmer et protéger dans ses lois l'égalité de statut et l'égalité des droits et privilèges des communautés linguistiques officielles;

ET CONSIDÉRANT que l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick désire enchâsser dans ses lois une déclaration de principes relative à cette égalité de statut et à cette égalité des droits et privilèges qui doit fournir un cadre d'action aux institutions publiques et un exemple aux institutions privées.

197

À CES CAUSES, Sa Majesté, sur l'avis et du consentement de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, décrète :

1. Reconnaissant le caractère unique du Nouveau-Brunswick, la communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise sont officiellement reconnues dans le contexte d'une seule province à toutes fins auxquelles s'étend l'autorité de la Législature du Nouveau-Brunswick; l'égalité de statut et l'égalité des droits et privilèges de ces deux communautés sont affirmées.

2. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick assure la protection de l'égalité de statut et de l'égalité des droits et privilèges des communautés linguistiques officielles et en particulier de leurs droits à des institutions distinctes où peuvent se dérouler des activités culturelles, éducationnelles et sociales.

3. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick, dans les mesures législatives qu'il propose, dans la répartition des ressources publiques et dans ses politiques et programmes, encourage, par des mesures positives, le développement culturel, économique, éducationnel et social des communautés linguistiques officielles.