Le Retour de la Tour Ou l’imposture du débat sur la grande hauteur dans les villes françaises DE Mémoire de fin d’études

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT AU

SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

Samuel Coquereau DE1 Architecture contemporaine : cultures / pratiques / critiques Sous la direction de Marie-Paule Halgand Le Retour de laNANTES Tour Ou l’impostureDE du débat sur la grande hauteur dans les villes françaises.

Mémoire de fin d’études Samuel Coquereau

DE1 Architecture contemporaine : cultures / pratiques / critiques D'AUTEURSous la direction de Marie-Paule Halgand

D'ARCHITECTURE Je tiens à remercier tous ceux qui DROIT m’ont aidé, de près ou de loin, à l’élabora- tion de ce mémoire. En particulier Marie- AU Paule Halgand pour ces deux ans de suivi jusque dans la capitale irlandaise et Ana Bela de Araujo avec qui j’ai développé mon intérêt pour le sujet. Leurs apports théoriques sur l’histoire contemporaine de SOUMIS l’architecture m’ont été d’une aide indis- SUPERIEURE pensable.

Merci à mes parents pour la relec- ture assidue, à l’équipe de la bibliothèque de l’ensan pour leur accueil et leur dispo- nibilité (et pour leur indulgence quant aux DOCUMENT retards !), à Crépon pour notre motivation NATIONALE réciproque, à Lucie pour les (nombreuses) pauses café, ainsi qu’à Justine, Céline, Richard, Clémence, Éric, Églantine et Simon pour leur soutien durant toute cette période. ECOLE PréambuleAvant-propos 2 3

NANTES DE

« La hauteur est une expression populaire et enfantine de la ville. » sur un sujet beaucoup plus complexe que je ne l’imagi- Christian de Portzamparc nais. Je me suis naturellement dirigé en deuxième année, dans le cadre d’un enseignement de « bibliographie cri- tique », vers le sujet « La grande hauteur en dans J’ai toujours eu une certaine fascination pour les la seconde moitié du XXème siècle ». Ce travail se fondait tours. Ces monolithes qui s’élevaient dans le ciel faisaient sur l’étude deD'AUTEUR trois textes différents, tous traitant de la partie pour moi des symboles les plus prégnants de la grande hauteur en France mais que j’avais voulu variés grande mégalopole, grouillante et dynamique, au même tant par l’époque traitée que par le public visé. Si cette titre que le métro ou que les boulevards encombrés. Ma première approche m’avait permis une meilleure compré- première visite dans le quartier de la Défense lors d’un D'ARCHITECTUREDROIThension des enjeux actuels, j’avais surtout acquis la certi- séjour à m’avait marqué. Au milieu du parvis par- tude que les réponses catégoriques et systématiques à la semé d’employés et de badauds, les yeux au ciel rivés sur AU question « faut-il construire des tours en France ? » étaient les bâtiments austères si éloignés de l’image du Paris tou- réductrices et insuffisantes. Ces prises de positions, récur- ristique que je connaissais. Un petit goût d’Amérique à rentes aussi bien dans la sphère architecturale que poli- la fois familier et inédit à seulement deux heures de train tique ou au sein du grand public étaient justifiées par des de la ville de province dans laquelle j’ai grandi, et qui me constats historiques rapides et des arguments écologiques et urbanistiques scabreux. semblait tout d’un coup si petite et limitée. SOUMIS SUPERIEURE Ces mêmes tours étaient, de plus à mes yeux, Sans doute un peu frustré de voir ma vision de l’image du métier d’architecte auquel je commençais à la ville du futur parsemée de gratte-ciel avant-gardistes m’intéresser. Alors que les petits immeubles et maisons et bridée par une conscience objective de plus en plus me paraissaient communs et familiers, le gigantisme et la aiguisée, le sujet m’est resté en tête durant la suite de mes rareté des gratte-ciel étaient la formalisation d’un dessin études. Attisé par la multiplication actuelle des projets de assuré et l’expression d’un certain savoir-faire. Le résul- tours présentés dans les médias et par les réactions de plus tat incontesté et incontestableDOCUMENT du travail d’un maître en plus virulentes que ces derniers engendrent, cet intérêt reconnu. NATIONALE m’a poussé à traiter du débat sur la grande hauteur dans mon mémoire de master. Cette vision dichotomique et idéalisée a bien sûr très vite évolué après mes premiers mois passés à l’école d’architecture. Les cours suivis et les articles lus, consa- crés ECOLEà l’histoire de l’architecture et au débat qui existe aujourd’hui sur la grande hauteur m’ont ouvert les yeux PréambuleTable des matières 4 5

Avant propos 2 B. The American ayW of Life - Un urbanisme américainNANTES Introduction 6 - Entre rentabilité et préservation du patrimoine : une espéranceDE de vie limitée Préambule 10 - Vers une américanisation de l’architecturale mondiale ? Entre buidling et IGH, une définition impossible ? - La poétique des noms C. Le fantasme de la ville dense - L’IGH français - Un combat de chiffres - Une question de perception - Pourquoi la densité ? - Bigness - Un tissu urbain à adapter D'AUTEUR- Densités réelles / densités vécues

I. Les origines d’un modèle, entre rêve et remise en question 15 III. Le dilemme français 79 A. Naissance du gratte-ciel D'ARCHITECTURE - L’apparition du transport vertical DROIT A. Dichotomie architecturale - Chicago, berceau mondial du gratte-ciel - Un nouveau modèle urbain ? - New-York, nouveau centre du monde AU - Vers plus de mixité sociale ? - L’idéologie du principe B. La relation complexe de la France avec la hauteur - Le patrimoine en toile de fond : pour une immuabilité - Les débuts timides d’un modèle en construction (1889 – 1945) des villes ? - Vers la généralisation (1945 – 1958) > Détour 2 : Une question de taille - L’apogée du modèle (1958 – 1974) SOUMIS B. Un combat politico-architectural : la valse des égos > Détour 1 : Paris 67, visions de modernité SUPERIEURE - Images croisées - Le déclin rapide (1974 – 1990) - Le combat parisien - Du local à l’international II. La hauteur en question 55 > Détour 3 : Vu et entendu A. L’image de la ville du futur - Hugh Ferriss, The Metropolis of TomorrowDOCUMENT et autres Conclusion 106 visions américaines NATIONALE - La ville tours d’Auguste Perret Bibliographie 110 - Le plan Voisin du Corbusier - L’image populaire Iconographie 116 ECOLE PréambuleIntroduction 6 7

Malgré l’évidente controverse, la France semble 2. La Tour Eiffel, imaginée Gustave Eiffel et ses colla- repartie à la course mondiale à la hauteur. L’Hermitage borateurs pour l’Exposition Plaza1, projet de tours jumelles actuellement le plus universelle de Paris de « haut » de France devrait tutoyer NANTESde manière hautement 1889, est restée pendant 40 ans la structure la plus 2 symbolique les 324m de la Tour Eiffel , Dame de Fer qui haute du monde. Elle est domine le ciel parisien depuisDE 125 ans. Paris devrait alors encore aujourd’hui, 125 rattraper le retard qu’elle a pris par rapport à d’autres ans après sa construction, Air, First, Phare, Hermitage… Autant de noms la plus haute structure grandes villes européennes comme Francfort, Rotterdam, accessible de France. vendeurs pour désigner les projets de constructions de Londres ou Moscou qui ont poursuivi ces dernières tours qui fleurissent un peu partout dans les grandes villes 3. Moscou s’est douce- décennies la construction de tours de bureaux toujours ment imposée comme la françaises. Rêvées au début du siècle, adulées dans les plus hautes3. Sans parler des villes nord-américaines, et « capitale des gratte-ciels » années 50 puis « tour à tour » critiquées, oubliées et stig- en Europe : la Mercury surtout chinoises ou du Moyen-Orient qui rivalisent de City Tower du nouveau matisées, ces objets font depuis une dizaine d’années un projets plus D'AUTEURfous les uns que les autres4, faisant ainsi de quartier d’affaires de retour fracassant sur le devant de la scène architecturale. la tour le modèle architectural caractéristique de leurs Moskva-City est depuis Elles solutionneront le problème du manque de loge- 2012 la plus haute tour grands centres urbains. d’Europe (339m). Situé ment à Paris, afficheront enfin l’ambition qui manquait dans le même quartier, le tant à , propulseront en grand centre éco- Complexe de la Fédération D'ARCHITECTURE Le « retour de la tour » constitue t-il pour autant montera fin 2014 sur la nomique européen… Les tours sont fréquemment pré- DROITune réelle opportunité urbaine ou la simple consécra- première place du podium sentées comme élément fondateur de la ville de demain, tion d’une vie de politique ou d’architecte, basé sur un avec une hauteur d’antenne de 509m. dense, écologique et socialement mixte. AU modèle architectural dépassé ? Car dans le même temps, 4. La tour Burj Khalifa les tours construites dans les décennies passées sont régu- La recette n’est pourtant pas nouvelle, et de nom- de Dubaï est actuellement lièrement présentées comme l’origine de tous les maux la tour la plus haute du breuses expériences de quartiers d’urbanisme vertical aux de nos grandes villes. Les démolitions de tours HLM se monde (2010, 828m), succès mitigés se sont succédées depuis les années 50 en battant le précédent record multiplient dans certaines banlieues, sous les applaudis- détenu depuis 2004 par la France. Le modèle de la tour est à la fois le symbole d’un sements nourris d’élus soulagés tandis que de nombreux tour Taipei 101 (Taipei, 1. Arch. Norman Foster urbanisme technocratique ancien et remis en cause, et SOUMIS Taïwan, 508m). Dans (320m, 280 000m²) SUPERIEURE sondages internet élisent de manière constante la tour celui du fantasme de la mégalopole du futur. Cette dualité seulement 5 ans, cette Projet de tours regroupant Montparnasse comme « le pire bâtiment parisien5 ». Le dernière devrait se situer logements, bureaux, ème a inévitablement créé un débat sur l’intérêt de construire débat qui fait rage est-il porteur de réflexion et d’innova- aux alentours du 15 rang commerces et hôtels et mondial… situé dans le quartier ou non « l’objet tour » dans nos villes ; débat aujourd’hui tion sur nos modèles architecturaux ou est-il le reflet d’un d’affaires de La Défense à 5. énormément repris dans la presse spécialisée mais égale- concours d’égos ? Il ne s’agira donc pas de juger la qualité BOMMELAER Claire, l’ouest de Paris. Le projet ment dans la sphère politique. Car si l’urbanisme est un SASPORTAS Valérie, « Ces est surtout connu pour architecturale des tours existantes ou à venir, ni de com- bâtiments dont vous ne susciter la controverse, sujet peu évoqué par nos élus, la construction de tours prendre le fonctionnement complexe de ces « machines à voulez plus… », LeFigaro. tant pour son financement reste un thème souvent repris dans les discours politiques. fr, 22 avril 2009. Ce par le groupe russe DOCUMENT gaz » mais bien d’étudier l’impact qu’ont eu ou que pour- sondage, réalisé auprès de Hermitage que pour la Les arguments mis NATIONALEen avant, tant par les « pro » que par ront avoir les tours sur la fabrication de nos villes. 15000 internautes, visait à destruction des immeubles les « anti » se suivent et se ressemblent : la tour est l’image élire les bâtiments « les plus d’habitations existants qu’il de la vitalité économique et de l’innovation, nous devons indésirables » de la capitale. engendre. Les différents Le thème est évidemment international, avec La recours retardent encore poursuivre leur construction pour certains, alors que des enjeux économiques ou de densités parfois similaires obtient 35,4 % des aujourd’hui les travaux, qui d’autres y voient une aberration écologique et urbanis- sondages, devant les tours doivent débuter courant ECOLE entre des villes géographiquement opposées, mais nous du quartier Front de Seine 2014 pour une livraison en tique, relais d’un impérialisme économique à l’opposé des nous focaliserons ici sur le cas des villes françaises, et en (31,4%). 2018. intérêts des usagers. PréambuleIntroduction 8 9

particulier Paris. Contrairement à beaucoup d’autres pays européens, la France a choisi dès le milieu les années 50 d’appliquer les principes de l’architecture moderne pour construire ses nouveaux quartiers, aboutissant NANTES sur la construction de nombreuses tours de logements aujourd’hui vieillissantes et à l’image bas de gamme. DE Cette page historique a imprégné l’imaginaire collectif et influence le débat actuel de manière récurrente, et spéci- fique à notre pays. Les cas étudiés concerneront des villes aux dimensions et démographies très différentes, avec des enjeux spécifiques et des influences plus ou moins impor- tantes. La question de la grande hauteur y est donc abor- dée différemment pour chacune d’entre elles, avec des D'AUTEUR échelles et des visions inégales, mais elle suscite toujours autant la même passion et les mêmes controverses…

Note : Toutes les hauteurs de tours indiquées dans ce mémoire D'ARCHITECTURE proviennent des bases de données Emporis (http://www.empo- DROIT ris.com/), SkyscraperPage (http://skyscraperpage.com/) ou CTBUH (Council on Tall Buildings and Urban Habitat, http:// AU www.ctbuh.org/).

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Chantier du projet « Nouvelle Vague », Mail Pablo Picasso, Nantes, mai 2014 Arch. Barré Lambot

DOCUMENT Programme mixte comprenant un immeuble de 7 niveaux de bureaux et une tour de 84 logements. NATIONALE L’ensemble, dont la livraison est prévue à la fin de l’année 2014, sera la premier à dépasser la hauteur de 50 mètres depuis les dernières tours de logements construites dans la ville à la fin des années 70. Plusieurs autres projet de tours d’une hauteur similaire devraient sorir de terre dans les années à venir dans ce quartier du Pré-Gauchet, destiné à devenir le quartier d’affaires de la ville. En arrière plan, les tours rénovées du quartier Malakoff en pleine mutation. Elles ont été construites de 1969 à 1971. ECOLE Préambule 10 Entre building et IGH, une définition impossible ? 11

L’influence américaine se fait également très vite sentir dans ce domaine. John Moser est le premier à intro- duire le terme de sky-scrapper pour désigner en 1883 le dôme du Capitole de l’État du ConnecticutNANTES à Hartford 8, 8. HUGRON Jean- culminant à 87 mètres et achevé cinq ans plus tôt. Philippe, « La tour, objet hétéronyme », Urbanisme, L’appellation poétique a parDE la suite été reprise en France, n°353, mai-juin 2007, p41. traduite en « gratte-ciel » alors que le terme building, litté- ralement « immeuble » ou « bâtiment » est populairement Entre building et IGH, une définition associé à la forme d’une tour. impossible ? L’IGH français La tour est un objet architectural iconique, En France, la norme qui fait référence est la connu de tous. Lui donner une définition précise se révèle norme IGH*D'AUTEUR (« Immeuble de Grande Hauteur »), une pourtant compliqué. Qu’est ce qu’une tour ? norme visant à appliquer des contraintes spécifiques quant à la construction de bâtiments « hauts ». Des La poétique d’un nom contraintes et procédures spécifiques leur sont imposées D'ARCHITECTUREDROITafin d’assurer prévention et lutte contre les incendies. tour n.f. : Corps de bâtiment ou bâtiment de plan massé L’article R-122 du code de l’urbanisme donne une défini- 6 6. Larousse, 2014. et nettement plus haut que large . AU tion précise d’un immeuble de grande hauteur, soit « tout tour n.f. : Bâtiment construit en hauteur , dominant un corps de bâtiment dont le plancher bas du dernier niveau édifice ou un ensemble architectural / Bâtiment indé- est situé, par rapport au niveau du sol le plus haut utili- pendant, de grande hauteur, à usage d’habitation ou de sable pour les engins des services publics de secours et de 7. Le Nouveau Petit bureaux7. lutte contre l’incendie à 50 mètres pour les immeubles à Robert, 2010. usage d’habitation et à plus de 28 mètres pour tous les SOUMIS autres immeubles.9 » 9. Article R122-2 du code La terminologie complexe et variée SUPERIEUREde ces bâti- de l’urbanisme. ments « construits en hauteur », « plus hauts que larges » qui dominent nos villes est le reflet de la complexité à défi- Les « IGH » sont également classés dans des nir un modèle architectural subjectif dans sa perception. sous-catégories (logements, bureaux, établissement rece- Car le terme « tour » est une désignation relativement vant du public…) pour lesquels s’appliquent des normes récente dans l’histoire de ce modèle. Aux Etats-Unis, les différentes. Une catégorie supplémentaire, les ITGH premiers immeubles construits en hauteur sont à la fin (« Immeubles de Très Grande Hauteur ») définie les règles du XIXème siècle sobrement appelésDOCUMENT « High Building ». concernant tous les immeubles de plus de 200 mètres. Auguste Perret reprendNATIONALE quant à lui le terme « maison » On dénombre pour le moment seulement deux ITGH en pour parler d’immeubles d’une dizaine d’étages, avant France : la Tour Montparnasse dans le quartier parisien d’évoquer le modèle de la « maison-tour » en 1922, qui du même nom (209m), et la récemment inau- assemblées forment logiquement une « ville-tours ». Pour gurée (231m) dans le quartier d’affaires de la Défense. Le Corbusier,ECOLE il s’agit plus de « villages-verticaux ». Préambule 12 Entre building et IGH, une définition impossible ? 13

Une question de perception Bigness

Pour autant réduire la définition de la « tour » L’architecte et théoricien de l’architecture néer- à sa seule hauteur serait insuffisant : peut-on réellement landais Rem Koolhaas s’est penchéNANTES sur la question de la considérer un « IGH » de 50 mètres (voire 25 m) comme perception de la grande dimension dans les villes. Dans une tour ? En particulier dans une ville comme Paris où son ouvrage théorique New-York Délire11, il prend le 11. Rem KOOLHAAS, DE New York Délire, Paris, les hauteurs maximales constructibles autorisées peuvent fameux quartier de Manhattan en exemple pour distin- Chêne, 1978, 262p. 10. Le PLU actuel de la être ponctuellement relativement élevées10. Les quartiers guer trois catégories d’immeubles, trois formes typolo- ville de Paris limite les e hauteurs des nouvelles situés dans le sud ouest du 15 arrondissement ou en bor- giques différentes. La première serait le bloc, un îlot qui constructions à 25 dure du périphérique dans le Nord-Est du 17e arrondis- épouse la parcelle dessinée par les rues qui l’entourent. ou 31 mètres dans le sement ont ainsi un plafond de constructibilité fixé à 50 Ce système a le principal défaut selon Rem Koolhaas centre historique, mais autorise des constructions mètres. Un immeuble de 50 mètres se retrouverait par d’être assez peu rentable pour une ville comme New-York de 50 mètres dans conséquent complètement intégré au tissu urbain, et la où les loyers valent de l’or. La deuxième est la tour, une certains quartiers plus D'AUTEUR périphériques. sensation d’être face à une « tour » serait inexistante. simple multiplication verticale de plans horizontaux qui constitue un non sens urbain. Enfin, le building est un Les formes urbaines avoisinantes ainsi que les détournement de la tour qui adopte le socle du bloc pour hauteurs moyennes des constructions du quartier dans une meilleure cohabitation. Le gratte-ciel résulte d’un lesquelles s’insère un immeuble haut sont donc inhérentes D'ARCHITECTUREDROIT« mix » des trois éléments. Il en assemble les défauts pour à la sensation de hauteur. Une tour insérée dans un tissu les transformer en avantages. Il considère ici que le gratte- urbain ancien, relativement bas, ne procure pas du tout AU ciel est un monument du simple fait de ses dimensions. le même effet q’un ensemble continu de tours, même si Il ne répond plus à aucun critère de taille spécifique mais ces dernières sont, de fait, relativement hautes. Ce phéno- à une « sensation » de gigantisme qui rend le bâtiment mène se vérifie à Nantes où la (144m), tour impossible à contrôler par des gestes architecturaux. Par isolée et intégrée dans un centre ville historique homo- sa seule taille, il entre dans le domaine de l’anormal, ne gène et bas, marque une rupture forte dans la skyline du SOUMIS fait plus partie du tissu urbain et son impact ne dépend centre ville. Le même effet se produit à ParisSUPERIEURE avec la Tour donc plus de ses qualités propres. Rem Koolhaas a appelé Montparnasse qui dépasse largement les constructions cette « théorie de la grande dimension » la Bigness. avoisinantes, même si la rénovation de la gare et du quar- tier voisin en un « quartier d’affaires de la rive gauche » a entraîné dans les années 60 la construction d’autres tours telles que la tour de l’hôtel Pullman (116m) et surplombe le cœur historique de Paris aux hauteurs globalement homogènes. Nous considèreronsDOCUMENT donc dans la suite de ce mémoire qu’une tourNATIONALE est une construction qui dépasse de manière significative les autres constructions avoisinantes. Un immeuble de 20 étages pourra donc être considéré comme une tour dans une ville moyenne, mais ne le sera pas dansECOLE certains quartiers de Paris… NANTES DE 15 Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en D'AUTEURquestion

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ECOLE Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 16 Naissance du gratte-ciel 17

1850 pour voir apparaître le premier système de monte- charge mû par une machine à vapeur et imaginé par Henry Waterman. Elisha Graves Otis présente quant à lui en 1954 le premier système sécuriséNANTES au Crystal Palace Hall de New York. Entouré par une foule interrogative, l’inventeur américain, perchéDE à plusieurs mètres du sol, demande à son assistant de couper les cordes de son étrange machine. A la surprise générale, la plateforme sur Drancy, les gratte-ciel Naissance du gratte-ciel Reproduction d’une carte laquelle se trouve Otis ne s’écroule pas mais reste suspen- postale due grâce à des dents en métal qui se sont enclenchées dans les montants latéraux en bois, faisant ainsi office La cité de la Muette est La complexité de la définition du « gratte-ciel » de frein12. Le premier système sécurisé est né et permet- 12. GASTON-BRETON construite à Drancy par rend également sa date de naissance difficile à définir. tra d’envisager l’augmentation du nombre d’étages des Tristan, « Les inventeurs- Eugène Beaudoin et Les premiers immeubles véritablement plus hauts que la D'AUTEUR entrepreneurs : Elisha Otis Marcel Lods de 1935 à moyenne sont apparus aux Etats-Unis à la fin du XIXème immeubles en assurant confort et sécurité à ses usagers. et l’ascenseur », Les Echos, 1938. n°18965, 12 août 2003, siècle grâce à deux innovations techniques majeures : p35. l’apparition de l’ascenseur et de la structure métallique porteuse. D'ARCHITECTUREDROIT Le ciel des villes françaises à lui été longtemps dominé par les édifices religieux, qui étaient les seuls à AU dépasser les hauteurs de constructions régulières. La hau- teur était alors symbolique, matérialisant la relation entre la Terre et le Ciel. La course à la hauteur n’est donc pas un sujet récent, dès le XIIIème siècle chaque ville se battait pour construire la cathédrale la plus impressionnante, SOUMIS dotée de la plus haute nef ou la plus haute SUPERIEUREflèche. Celle de Notre-Dame à Paris culminait à 96 mètres, celle de Rouen (la plus haute de France) à 146 mètres. Bien sûr la hauteur n’a pas ici de rôle fonctionnel particulier, mais comme c’est le cas pour Rouen, la cathédrale reste encore aujourd’hui l’édifice le plus élevé de beaucoup de viles françaises. DOCUMENT NATIONALE Publicité Otis L’apparition du transport vertical Publicité pour les ascenseurs automatiques sans liftier, L’arrivée d’un système mécanique permettant de 1953.

gravir les étages sans peine était indispensable au dévelop- Les améliorations techniques pementECOLE des immeubles de grande hauteur. Les systèmes des ascenseurs transforment de levage vertical à l’aide de cordes et poulies étaient la hauteur en plus-value. depuis longtemps très utilisés, mais il faudra attendre Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 18 Naissance du gratte-ciel 19

Le premier ascenseur à vérins hydrauliques est structure métallique deviendra ainsi progressivement la présenté en 1867 par l’ingénieur français Félix Léon norme pour les gratte-ciel américains à partir du début Edoux à l’Exposition Universelle de Paris. Moderne, du XXème siècle. ce système équipera quelques immeubles luxueux, des NANTES grands magasins, l’hôtel de ville de Paris et même le châ- teau de Napoléon III à Saint-Cloud. Mais le système à eau DE The Home Insurance se voit très vite laissé de côté pour des versions électriques, Building, Chicago Carte postale plus économes. La hiérarchie classique des étages admise à l’époque va alors s’inverser. Les étages supérieurs, plus lumineux, vont être désormais préférés grâce à l’appari- tion de ce système ingénieux. Chicago, berceau mondial du gratte-ciel D'AUTEUR Il est très difficile de dire quel fût le premier gratte-ciel à voir le jour. Certains historiens évoquent l’Equitable Life Assurance Company Building, imaginé par Gilman, Kendall et Post à New-York et livré en 1870. Ses D'ARCHITECTUREDROIT sept étages n’avaient alors rien d’impressionnant, mais les 40 mètres de hauteur de ce massif immeuble en faisait le AU plus haut bâtiment en ossature métallique construit. Il disposait d’ailleurs d’un système d’ascenseur, mais ses lon- gues façades ne provoquaient pas vraiment un sentiment d’élévation vers le ciel. SOUMIS L’Home Insurance Building de Chicago,SUPERIEURE signé 13. William Le Baron de l’ingénieur William Le Baron Jenney13 en 1884, est Jenney (1832-1907) est également cité comme premier gratte-ciel mondial. un architecte et ingénieur américain. Ses réalisations L’horizontalité est pourtant encore une fois marquée avec ont fondé les fondements une écriture architecturale très classique (briques, pierres, de l’Ecole de Chicago et soubassements, balustrade…). Mais l’immeuble est alors ont inspiré Louis Sullivan unique par ses dix étages et son utilisation exclusivement Le grand incendie de Chicago en 1870 est le et Daniel H. Burnham, tous deux formés dans son commerciale. Sa structure est deDOCUMENT plus particulièrement catalyseur de la naissance des gratte-ciel aux Etats-Unis. agence. innovante : une structureNATIONALE métallique porteuse dissociée Le 8 octobre de cette année-là, une maison s’enflamme de la façade, rendant possible le dégagement de plateaux au Sud-Ouest de la ville. Attisées par des vents chauds de grandes superficies sans murs de refend. Car se posait violents du Sud, les flammes se propagent dans la soirée là un problème technique conditionnant le développe- au centre-ville, détruisant toutes les institutions et les ment d’immeubles plus élevés, le poids des structures principaux immeubles de la ville. L’incendie durera maçonnéesECOLE limitant jusque là les hauteurs des édifices. La trois jours, faisant près de 300 morts et détruisant un tiers de la ville, soit 48 blocs. La reconstruction com- Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 20 Naissance du gratte-ciel 21

mença immédiatement après l’incendie. Les possibilités Sullivan pousse cette théorie encore plus loin en dessinant offertes par ces espaces à reconstruire, associées à l’appétit la même année avec Dankmar Adler le Guaranty Building de spéculateurs fonciers et aux avancées techniques de à Buffalo (Etat de New-York). Isolée sur sa parcelle, la tour l’époque (ascenseur, structures métalliques porteuses…) de quatorze niveaux affiche uneNANTES grille de façade rigide. entraîna une reconstruction rapide de la ville et l’appa- L’alignement vertical des ouvertures crée une dynamique rition d’immeubles toujours plus grands. On parle alors verticale renforcée par des DEbriques non-structurelles dis- 14. SULLIVAN Louis, The Tall Office Building Artisti- de « L’Ecole de Chicago ». Le dynamisme de la ville attire posées en colonnes. Une corniche ornementée chapeaute cally Considered, 1896 : « It migrants et capitaux et fait passer la population de 330 les façades au dessin unifié. Sullivan, souvent considéré Must be every inch a proud 000 habitants avant l’incendie à un million en 1883 comme le père des gratte-ciel modernes, écrit en 1896 and soaring thing, rising in sheer exultation that from (date à laquelle la ville accueille l’Exposition Universelle) « ce doit être une chose fière, jusqu’en sa moindre partie, bottom to top it is a unit et deux millions en 1910. L’apparition de mastodontes de haut en bas, s’élevant en hauteur sans la moindre dis- without a single dissenting de pierres et de fonte après le terrible incendie devient sonance14 ». line ». le symbole d’une Amérique conquérante et novatrice. D'AUTEUR Guaranty Building, Le terme (« gratte-ciel ») apparaît pour la pre- Buffalo (Etat de New- York) mière fois dans un article du Chicago Tribune en 1889. Photographie, 1896 En 1891, le Monadnock Building de l’agence Burnham et Root monte à seize niveaux. Record dépassé un an plus D'ARCHITECTURE tard avec le Masonic Temple de la même agence qui frôle DROIT les cent mètres de hauteur. AU C’est logiquement à Chicago que le style archi- tectural des gratte-ciel va peu à peu évoluer. Les premiers « grands immeubles de bureaux » ont un style alors très classique, reprenant les codes esthétiques connus. Le développement de l’acier et l’escalade à la hauteur seront SOUMIS dans les années suivantes facteurs du développementSUPERIEURE d’un style architectural propre au gratte-ciel : les parties vitrées s’agrandissent, les éléments verticaux cassent la compo- sition horizontale traditionnelle, les ornementations se font plus discrètes… Plus petit avec ses quatorze étages que certains de ses prédécesseurs, le Reliance Building (1885) est néanmoins représentatif de ces changements stylistiques : de grandes baies vitréesDOCUMENT illuminent des étages identiques de la baseNATIONALE à la toiture qui a troqué ses pentes de toit classiques pour une toiture plate. Peu à peu, les gratte-ciel de Windy City perdent leur esthétique de « grand palais » pour un style à part entière, plus moderne et dépouillé,ECOLE et qui affiche son prestige par l’exacerbation de hauteurs jusque-là inconnues en architecture. Louis Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 22 Naissance du gratte-ciel 23

New-York, nouveau centre du monde Les Etats-Unis s’imposent donc au début du XXème siècle comme le modèle à suivre. Chicago ou New- La course à la hauteur déjà effrénée à Chicago York sont les villes où les avancés techniques explosent marque pourtant un coup d’arrêt dès 1892 avec un arrêté pour mieux répondre aux besoins d’uneNANTES société capitaliste municipal limitant la hauteur des constructions à 40 devenue reine. La seconde guerre mondiale permettra au mètres dans la ville. A New-York en revanche, le nombre pays de renforcer son influenceDE mondiale dans tous les de gratte-ciel explose en cette fin de siècle. L’activité éco- domaines, dont celui de l’architecture. Les Etats-Unis, nomique intense de l’île de Manhattan fait exploser les épargnés par les bombardements des guerres mondiales, prix de l’immobilier, et aucune règlementation urbaine incarnent la modernité en faisant la part belle à la vitesse, ne vient limiter la hauteur des constructions. Chaque à la technique et à la machine. Les plus grands architectes parcelle qui s’arrache à prix d’or est exploitée à son maxi- européens s’en inspireront désormais pour leur réflexions mum, symbole d’un capitalisme moderne grandissant. sur les villes du Vieux Continent, et en particulier le Alors que toutes les réflexions urbaines s’étaient principa- Corbusier qui y voyagera en 1935, émerveillé par la 17. LE CORBUSIER, lement construites autour du modèle de Chicago, New- D'AUTEUR Quand les cathédrales « liberté de l’esprit » rendue possible grâce au « quadril- York s’impose au début du XXème siècle comme la grande étaient blanches. Voyage lage clair de New-York » où « des millions d’êtres agissent au pays des timides, Paris, capitale mondiale de l’urbanisme. dans la simplicité et l’aise17 ». Librairie Plon, 1937. L’Equitable Building de l’architecte Ernest R. D'ARCHITECTUREDROIT Equitable building, Graham devient le symbole de cette frénésie. L’immeuble New-York Carte postale, 1926 s’élève d’un bloc massif sur toute la (vaste) surface de ter- AU rain et sur une hauteur de 38 étages, créant une ombre sur tous les bâtiments alentours. Consciente de la nécessité d’une régulation de l’architecture afin d’éviter que les rues de la ville ne deviennent des canyons, la municipalité met en œuvre une nouvelle réglementation destinée à limiter SOUMIS le volume des constructions. Pour s’élever dansSUPERIEURE le ciel, les tours devront désormais être dessinées avec des setbacks, 15. Arch. Shreve, Lamb & un système de retrait permettant au bâtiment de s’affiner Harmon Associés (1931, avec la hauteur. Le marché immobilier est tel que ce règle- 443m). L’Empire State ment de 1916, le Zoning Ordinance, ainsi que la meilleure Building a regagné sa place de plus haut immeuble maitrise des outils techniques a pour conséquence l’inten- de New-York après les sification de course à la hauteur, avec un nouveau style de attentats du 11 septembre tours épurées et surmontées d’uneDOCUMENT flèche, symbolisé par 2001… Avant de se faire 15 détrôner par le nouveau les chantiers mythiquesNATIONALE de l’Empire State Building et de One World Trade Center, la Chrysler Tower16. The Big Apple, devenue ville la plus achevé en 2014. peuplée du monde devant Londres, accueille en 1925 le 16. Arch. William Van second congrès mondial d’urbanisme, le deuxième du Alen (1930, 319m). genre après celui d’Amsterdam organisé un an plus tôt. New-YorkECOLE devient la capitale mondiale du gratte-ciel, et lance une course à la hauteur qu’il sera difficile d’arrêter. Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 24 La relation complexe de la France avec la hauteur 25

[…] écrase de sa masse barbare : Notre-Dame, la Sainte- Chapelle, la tour Saint-Jacques, le Louvre, le dôme des Invalides, l’Arc de triomphe, tous nos monuments humi- liés, toutes nos architectures rapetissées,NANTES qui disparaîtront dans ce rêve stupéfiant.19 » Le succès est cependant bien 19. Le Temps, 14 février au rendez-vous, et la tour DEreçoit 1 968 287 visiteurs en 1887 six mois d’exploitation. L’engouement retombe à la fin de l’exposition universelle, mais la tour s’est inscrite dura- La relation complexe de la France avec la blement dans le paysage parisien. Sa destruction, prévue hauteur après 20 ans d’exploitation, est finalement annulée.

Tour Eiffel illuminée Les débuts timides d’un modèle en construction par Citroën (1889 – 1945) D'AUTEUR Photographie, 1925

Une première tour devenue icone 250.000 lampes ont éclairé la Tour Eiffel, alors plus La première expérimentation de la grande hau- haute strucure du monde, teur en France est bien évidemment la construction de D'ARCHITECTUREDROIT pour la marque Citroën la Tour Eiffel pour l’exposition Universelle de Paris de de 1925 à 1934. La force d’image et la puissance 1889. Edouard Lockroy, ministre du Commerce et de AU emblématique des tours l’Industrie, avait le 2 mai 1886 lancé un concours en en faisait déjà un support vue de l’exposition. L’article 120 prévoyait « l’élévation publicitaire privilégié. d’une tour en fer à base carrée, de 125 mètres de côté à 18. Article 120 de l’arrêté la base et de 300 mètres de hauteur18 » comme emblème concernant « un concours pour l’exposition marquant le centenaire de la révolution. en vue de L’Exposition C’est le projet de l’ingénieur et industriel Gustave EiffelSOUMIS universelle de 1889 », 1er SUPERIEURE mai 1886. qui est retenu pour édifier la tour sur le Champ de Mars. Prouesse technique, la grande structure sera réalisée en un peu plus de deux ans pour dominer le ciel parisien le jour de l’ouverture de l’exposition. Elle était à l’époque la construction la plus haute au monde.

Comme un avant-goûtDOCUMENT des débats sur les tours dans la capitale quiNATIONALE se tiendront un siècle plus tard, la tour suscite autant l’émerveillement que la critique. Un collectif d’artistes, dont Guy de Maupassant et Alexandre Dumas fils, s’indigne en février 1887 contre « l’érection, en plein cœur de notre capitale, de l’inutile et mons- trueuseECOLE tour Eiffel ». Les critiques sont virulentes. Il est notamment dit que « la tour, vertigineusement ridicule, Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 26 La relation complexe de la France avec la hauteur 27

Le logement social, terrain d’expérimentations Malgré cette modernité affichée, le bilan est plus Malgré un premier succès et le nombre crois- que mitigé. L’écrivain et critique Léandre Vaillat déplore dans un article du quotidien Le Temps du 4 janvier 1939 sant de gratte-ciel aux Etats-Unis, la France n’engagera NANTES pas de programme de tours dans les décennies suivantes. la dureté de la vie dans ces nouvelles habitations où « l’eau Il faut attendre 1933 pour voir apparaître les premières s’infiltre dans les interstices des fenêtres par temps de tours habitées en France avec le début des travaux de la grosses pluies » et où « le froidDE descend à plusieurs degrés au-dessous de zéro en hiver ». Le parti pris est ici évident, cité de la Muette à Drancy. Commanditée par l’Office 22. Françoise Choay, née Public d’HBM du département de la Seine et réalisée par mais il est vrai que la tour dut être transformée en loge- le 29 mars 1925 à Paris, les architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods, l’opé- ments pour les soldats mobiles de la Garde Républicaine est historienne des théories puis en camp d’internement pour les juifs durant la et des formes urbaines et ration est modifiée en cours de route pour augmenter sa architecturales. 20. La loi Loucheur du densité suite à l’adoption de la loi Loucheur20. seconde guerre mondiale pour endiguer son abandon 13 avril 1928 prévoit 22 progressif par ses habitants. Pour Françoise Choay , 23. La cité de Muette a la création de 260 000 la cité de La Muette aujourd’hui inscrite au registre été classée monument logements, répartie Cinq tours de quinze étages seront finalement D'AUTEUR23 historique le 25 mai sur 5 années, avec un des monuments historiques est « le produit bâtard de construites, ainsi que des barres plus classiques de trois à 2001 à la fois en tant que financement d’Etat modernisme et d’académisme » et est « une préfiguration quatre niveaux en forme de « fer à cheval ». Ces immeubles « réalisation architecturale pouvant aller jusqu’à 90% 24 des pires grands ensembles des années 1950 – 1960. » et urbanistique majeure du du coût total. bas abritent les Habitations Bon Marché, tandis que les XXe siècle » mais également tours accueillent les Habitations Bon Marché « amélio- D'ARCHITECTURE DROITUn nouveau symbole urbain pour « son utilisation rées ». Le journaliste de l’article consacré à l’opération durant la Deuxième Guerre 21. J.R, « La Cité de dans la revue Urbanisme de juillet 193321 expose avec Parallèlement à la construction de la cité de la mondiale d’abord comme AU camp d’internement, la Muette à Drancy », enthousiasme tous les avantages de ces tours : on y loge Muette se développe un nouveau quartier à Villeurbanne, Urbanisme, n°16, juillet puis comme camp de 1933, pp.206-210. beaucoup d’habitants tout en évitant l’effet d’étouffement, en proche banlieue de Lyon. L’opération vise à doter la regroupement avant la les bonnes circulations d’air et de lumières sont assurées ville en pleine mutation d’un centre qui lui fait défaut, déportation, qui en fait pour éviter les épidémies, les quinze étages permettent de et d’un symbole fort lui permettant d’affirmer son statut aujourd’hui un haut lieu de la mémoire nationale ». rentabiliser l’installation du très couteux mais confortable de seconde ville de l’agglomération. Le programme pré- Le chantier de la 24. CHOAY Françoise, Muette et moderne ascenseur, et tous les services techniques sont SOUMIS voit la construction d’un nouvel Hôtel de Ville, de loge- SUPERIEURE « Drancy : le culte du Photographie, 1933 réunis dans une centrale commune à l’extrémité de la cité. ments aux normes sanitaires modernes et d’un « Palais du patrimoine », Urbanisme, Travail » regroupant piscine, brasserie, théâtre… n°325, juillet – août 2002

Le concours pour ce dernier édifice est remporté le 30 mars 1928 par Môrice Leroux, simple dessina- teur à Beauvais et Paris complètement inconnu à Lyon. DOCUMENT L’hôtel de ville, conçu par Robert Giroud sera par la suite NATIONALE construit face au palais du travail. Son beffroi culmine alors à 65 mètres de hauteur. Les immeubles d’habita- tions sont, quant à eux, construits perpendiculairement aux deux premiers bâtiments. L’ensemble prend fin au nord par deux tours de 19 étages (60 mètres de hauteur). ECOLE L’opération est plutôt singulière ; Lazare Goujon, maire socialiste de la ville élu en novembre 1924 voulait en Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 28 La relation complexe de la France avec la hauteur 29

effet construire une cité moderne pour les ouvriers. Le L’arrivée des tours en France est en fait assez quartier fonctionnera sur le modèle de la cité ouvrière : tardive. Alors que des toujours plus grands la construction est gérée par des coopératives ouvrières poussent dans les principales villes états-uniennes au et les chauffages et balcons sont communs. Le quartier début du XXème siècle, les premièresNANTES tentatives fran- se développe sur des terrains préalablement acquis par la çaises, peu nombreuses, ont un succès mitigé. Les tech- commune sur des dessins de la Société Villeurbannaise niques constructives sont DEencore mal maîtrisées, et les d’Urbanisme, première Société d’Economie Mixte créée nouveaux modes de vie imposés effraient la majorité de pour l’occasion. Cette dernière assure l’apport financier la population. Le modèle est de plus jugé incompatible habituellement opéré par un promoteur immobilier. avec les villes françaises et le sujet prête déjà à débat : le Colonel Icre s’interroge dès 1933 dans un article de la La composition du quartier est également ori- revue urbanisme sur la pertinence des tours de Drancy ginale car elle déroge entièrement aux grands principes pourtant encore en chantier. Mais c’est la seconde guerre 25. Le premier Congrès fonctionnels du mouvement moderne issu des CIAM25 mondiale quiD'AUTEUR marquera un tournant dans l’histoire des International d’Architec- qui seront, eux, suivis par la suite dans presque toutes les tours en France. ture Moderne (CIAM) s’est tenu en 1928 à La Sarraz, opérations d’immeubles de grande hauteur en France. Le en Suisse. zonage est ici absent, la base des immeubles d’habitations Vers la généralisation (1945 – 1958) est occupée par des commerces. L’influence américaine D'ARCHITECTURE est en revanche bien présente, les façades mitoyennes DROIT Les bombardements de la seconde guerre mon- des tours forment des rues continues, recréant ainsi l’es- diale ont laissé des cicatrices importantes dans les villes pace « classique » de la rue. Le style architectural fait de AU françaises. Des quartiers entiers doivent être reconstruits redents se veut aussi à la croisée de plusieurs influences. de manière saine et moderne, mais surtout rapidement. L’opération est pourtant encore une fois mitigée : la hau- teur des tours, encore très rare à cette époque, effrayait les La reconstruction, ou la nécessité de bâtir vite premiers habitants qui leur préféraient les immeubles bas. C’est à Amiens qu’apparaît le premier immeuble

Les « Gratte-Ciel » SOUMIS d’habitation de plus de 100 mètres, conséquence de la Timbre édité à l’occasion SUPERIEURE guerre. La ville de Picardie, bombardée en 1941, met en des fêtes inaugurales du place dès 1942 un plan de reconstruction. Auguste Perret nouveau centre de est chargé de l’aménagement de la place de la Gare où Villeurbanne l’architecte pourra mettre en pratique ses théories sur les « maisons-tours » en béton. Il prévoit ainsi l’implanta- tion d’une tour de bureaux de 104 mètres de haut, trans- formée dès 1945 en tour d’habitation. La construction DOCUMENT débute en 1949 grâce aux crédits spéciaux affectés au NATIONALE titre de « construction expérimentale ». Mais le chantier est stoppé trois ans plus tard, car comme à Villeurbanne quelques années auparavant, personne ne veut habiter la tour, alors immeuble le plus haut d’Europe. Les pre- ECOLE miers habitants emménagent seulement en 1960, après sept ans d’abandon et un rachat en 1959 par l’architecte Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 30 La relation complexe de la France avec la hauteur 31

François Spoerry qui apporta de nombreuses modifica- A la fin des années 50, la France n’a toujours pas tions à l’édifice, notamment en rajoutant des bureaux au pansé ses plaies de guerre. Les quartiers historiques des programme initial. villes touchées par les bombardements sont pour la plu- part reconstruits, sans pour autantNANTES résoudre le problème Il faut attendre 1958 pour voir le premier chan- du mal-logement. Et la croissance exponentielle que tier de gratte-ciel à Paris, dans le 13e arrondissement. connaît la France à cette époque,DE due au baby-boom, à Ironie du sort, sa construction a été rendue possible l’exode rural et à l’afflux massif de populations immigrées en 1956 par la présence d’un monument national, Le n’arrangera pas la situation. Il faut construire de nom- Mobilier National, sur la parcelle voisine. Après avoir breux logements, sains, qui répondront aux nouvelles essuyé un premier refus de permis de construire pour normes d’hygiène et de confort. quatre immeubles bas, Edouard Albert obtint l’auto- risation exceptionnelle d’ériger une tour de 67 mètres. L’apogée du modèle (1958 – 1974) Malgré la présence du Mobilier National, le 13e arrondis- D'AUTEUR sement n’était pas considéré comme un secteur « à sauve- Des ZUP aux métropoles d’équilibre, ou le sursaut des garder »… villes de province C’est une évidence, les villes françaises doivent L’éradication de l’insalubrité en ligne de mire D'ARCHITECTUREDROITs’étendre. Les quartiers historiques actuels ne peuvent Au cœur de l’hiver 1954, l’abbé Pierre lance un plus supporter dans de bonnes conditions l’afflux de nou- veaux (et nombreux) habitants. Le décret n°58-1464 du appel à tous les français pour attirer leur attention sur la AU situation catastrophique dans laquelle se trouve le loge- 31 décembre 1958 officialise dans ce sens la création de ment en France. L’appel met l’accent sur le manque d’hé- nouveaux territoires, des « Zones à Urbaniser en Priorité » bergements d’urgences qui pourraient abriter les familles où se focaliseront les constructions massives de nouveaux démunies qui dorment dans les rues de ce rude mois de logements capables d’inverser la situation. Le texte pré- février. L’abbé exige un réveil populaire pour qu’ « aucun cise que ces zones devront avoir « une superficie suffi- gosse ne couche sur l’asphalte ou sur les quais de Paris », SOUMIS sante pour contenir au moins cinq cent logements, avec 27 27. Décret N°58-1464 du et met en évidence le manque de logement socialSUPERIEURE dans le les édifices, installations et équipements annexes ». La mesure, qui apporte une réponse quantitative au manque 31 décembre 1958, Journal pays. Officiel de République de logements, connaît un grand succès. Dans toutes les Française, 4 janvier 1959. Emile Pelletier, préfet de la Seine, et Pierre moyennes et grandes villes, l’Etat achète des terres en Sudreau, commissaire à la Construction et à l’Urbanisme périphérie des zones urbanisées pour mettre en place les de la région parisienne, présentent en 1956 au conseil nouveaux « grands ensembles ». général et au conseil municipalDOCUMENT les mesures qui seront prises pour l’aménagement des quartiers délaissés de la Des quartiers entiers sortent de terre. NATIONALE Majoritairement constitués de logements, ils doivent 26. ANDREU Sylvie, capitale. Ils affirment qu’« il ne s’agit pas seulement d’éra- LELOUP Michèle, La diquer les fameux îlots insalubres dont on parle depuis néanmoins répondre à tous les besoins d’une ville en s’équi- Tour Montparnasse 1973 – 1918, mais également ceux insuffisamment occupés pour pant d’écoles, de complexes sportifs et de commerces. Ces 2013 : Je t’aime… moi non que s’impose la reconquête du sol26 ». La politique de la quartiers sont à l’image de la vie moderne vers laquelle plus, Paris, Editions de la tend la France dans les années 60 et dont les grands prin- Martinière, 2013, p33. tableECOLE rase est donc prônée au nom du progrès social. cipes sont énoncés dès 1933 dans la Charte d’Athènes, Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 32 La relation complexe de la France avec la hauteur 33

aboutissement du quatrième Congrès International d’Ar- ou d’entreprises dont les technologies et les prix sont hors chitecture Moderne présidé par le Corbusier. La trame marché, mais objets de concurrence à des prix de série. rigide du texte énonce 95 points à respecter pour un déve- C’est un peu à ce mythe qu’il faut s’attaquer, et s’il reste loppement harmonieux des nouveaux quartiers de villes, des bâtiments exceptionnels, ce serontNANTES ceux au-dessus de avec des circulations automobiles hiérarchisées et séparées ce que j’appellerai I.G.H. de grandeur conforme : 100 m des circulations piétonnes ainsi qu’un concept de zonage de haut. Dans la centaine deDE tours qui seront construites qui permet de répartir les espaces urbains selon quatre « dans la région parisienne d’ici 10 ans, 100 000 personnes fonctions » humaines (habiter, travailler, se divertir et cir- vivront et travailleront.28 » 28. HOLLEY Michel, « culer). La charte préconise également le recours aux tours L’Immeuble de grande hau- teur dans la ville », Annales pour leurs qualités d’ensoleillement et de circulation de La systématisation architecturale n’est pourtant de l’Institut technique du l’air. pas une règle absolue. Raymond Lopez, autre architecte bâtiment et des travaux moderne phare, écrit au même moment « On ne peut publics, supplément au La cité de la Tour, n°281, mai 1971, p3. édifier une maison en « oubliant » ceux qui vont y vivre. La Courneuve D'AUTEUR Carte postale, année Chaque immeuble peut être personnalisé. » Le Président inconnue Pompidou, pourtant grand défenseur de l’architecture moderne et des tours à Paris, s’interroge déjà sur l’esthé- La tour, par son pragma- tisme et sa densité, répond D'ARCHITECTUREtique produite par les grands ensembles, dont « l’absence parfaitement au modèle DROITde relief est en elle-même source de laideur29 ». Le confort, 29. Entretien avec Georges de quartier préconisé avec inédit, apporté par les grands ensembles de logements est Pompidou, Le Monde, 17 les ZUP. octobre 1972. AU salué par la majorité, mais leur traitement urbanistique pose déjà question ; on parle de « défaillance architectu- rale dans le domaine de l’habitation » qui touche aussi « les ensembles dits ‘de grand standing’ qui ne sont pas […] d’une qualité esthétique supérieure aux HLM30 ». 30. Ib. SOUMIS Agglutinées en bouquets dans desSUPERIEURE zones éloi- Les nouveaux géants urbains gnées des centres-villes et isolées, les tours, d’une hauteur souvent similaire, s’imposent dans le paysage Français Une deuxième grande tendance se développe mais ne se remarquent pas. Leur rôle n’est pas de créer un durant la même période en France. Pour lutter contre signal ou d’exacerber une qualité architecturale particu- l’hypercentralisation parisienne que connaît le pays, il est lière, mais bien de loger de façon rationnelle et moderne décidé en 1963 la création de huit métropoles d’équilibre 31. -Roubaix- des milliers de personnes. Loin d’être un fardeau, cette sur le territoire. Ces huit grandes agglomérations de pro- Tourcoing, Nancy-Metz, 31 Strasbourg, Lyon- banalisation et cette standardisation est au contraire vécue vince doivent alors gagner en autonomie et prendre un DOCUMENT poids décisionnaire autrefois réservé à Paris pour estomper Grenoble-Saint-Etienne, comme une avancéeNATIONALE par les concepteurs. Michel Holley, Marseille, Toulouse, architecte de nombreux ensembles de tours à Paris, le système très centralisé sur lequel fonctionne la France. Bordeaux, Nantes-Saint- Nazaire sont les premières écrit à ce sujet : « Les tours ne sont plus maintenant des Ces villes, assez peuplées, puissantes et éloignées de Paris pour jouer le rôle de métropole, se retrouvent alors au métropoles d’équilibre monuments exceptionnels, mais des objets de production créées. Rennes, Clermont- courante, bientôt de série, et c’est plus particulièrement centre d’une agglomération, d’une aire urbaine et d’une Ferrand, Dijon et Nice ECOLE seront par la suite ajoutées celles-ci qui vont créer le nouveau cadre urbain. Elles ne région. Des équipements locaux doivent voir le jour pour à la liste. sont déjà plus ‘tour de force’ d’ingénieurs, d’architectes, répondre aux besoins nouveaux de villes en pleine muta- Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 34 La relation complexe de la France avec la hauteur 35

La Tour Bretagne, tion que Paris seule ne pouvait satisfaire. Institutions Nantes administratives et bancaires, équipements culturels Photographie, mai 2014 d’envergure voient le jour dans ces huit agglomérations. La tour de bureau domine Les tours seront parmi les formes architecturales les plus NANTES le ciel nantais depuis utilisées pour remplir ce rôle. Elles permettent de rassem- 1976. Elle est aujourd’hui le seul « gratte-ciel » de bler en un même endroit les surfaces nécessaires tout en DE la ville, et le plus haut affichant les ambitions et le pouvoir nouvellement acquis immeuble du grand ouest de ces « mini-capitales » régionales. C’est l’époque des français. premières tours « totem », qui s’élèvent dans les centres urbains historiques de la plupart des grandes villes fran- çaises. La course est lancée, chacun veut sa tour plus D'AUTEUR grande que celle du voisin, où travailleront employés et fonctionnaires dans un cadre moderne et agréable. 32. Tour des archives départementales de Seine- Rouen est la première à prendre de la hauteur avec un Maritime, Arch. Henry immeuble de 85 mètres32 (104 avec son antenne) achevé D'ARCHITECTURE Bahrmann, Rodolphe sur les bords de Seine en 1965 et qui abritera les archives DROIT Dussaux et Raoul Leroy. départementales. Le Ministère Décentralisé des Affaires 33. Arch. Jean Dumont. Etrangères s’installe à Nantes avec le Trésor Public dans AU L’immeuble, qui nécessitait 33 une lourde rénovation, a le Tripode , tour de 18 étages en forme d’étoile à trois été démoli le 27 février branches construite en 1972 sur les bords de Loire, face 2005. aux quartiers historiques du centre-ville. Elle sera large- 34. Arch. Claude Devorsine ment dépassée par la Tour Bretagne34, chapeautée d’une étonnante réserve d’eau à 144 mètres du sol et dont la SOUMIS construction, entamée en 1971, s’achève enSUPERIEURE 1976. Elle ne garde son statut de « plus haute tour de province » que quelques mois, battue en 1977 par les 165 mètres de 35. Arch. Araldo Cossutta la Tour du Crédit Lyonnais35, en forme de crayon, dans & Associés. le quartier de La Part Dieu à Lyon. Bordeaux inaugure 36. Arch. Pierre Mathieu et quant à elle les deux tours de sa cité administrative36, dont Pierre Calmon la plus haute culmine à 112 mètres, en 1974. DOCUMENT 37. Tour Thiers (90m), NATIONALE arch. Michel Folliasson et Même des villes beaucoup plus modestes veulent Jacques Binoux. leur « building ». Nancy profite de la restructuration de la place Thiers en centre-ville en 1970 pour lancer un chantier de tour de plus de 100 mètres37, soit à peu près 38. Tour de l’Europe 38 (100m), arch. François la mêmeECOLE hauteur que la tour de l’Europe à Mulhouse Spoerry. inaugurée par le maire de la ville Émile Muller en mai Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 36 La relation complexe de la France avec la hauteur 37

1973. Tulle, petite ville de Corrèze d’à peine plus de 20 La première zone concernée est le Front de 000 habitants à cette époque, regroupe tous ses services Seine, à quelques encablures de la Tour Eiffel. Le quar- administratifs dans une tour de 86 mètres dont l’impo- tier, précédemment occupé par des industries et quelques sante silhouette détonne au milieu des petits immeubles habitations aux styles hétérogènes,NANTES présente l’avantage et maisons individuelles au creux de l’étroite vallée de la de se situer au cœur du réseau autoroutier voulu par les Corrèze. Si toutes les grandes villes françaises n’entrent autorités à l’époque. Le terrain,DE situé en bordure de Seine, pas dans la course (les centres-villes de Toulouse, Nice, est de plus totalement inondable. La création d’une dalle 41. Une seule tour a en Strasbourg ou Marseille sont épargnés par la construc- piétonne surélevée, avec les circulations automobiles au fait été construite après tion de tours durant cette période), nombre d’entre elles niveau du sol naturel serait ainsi parfaitement adaptée au 1979 : la Tour Cristal (1990, 98m, arch. Julien s’équipent donc d’un nouveau « monument » urbain site tout en répondant aux critères établis dans la Charte Penven, Jean-Claude Le moderne aux façades de verre dont les mensurations et le d’Athènes. Raymond Lopez, ainsi que son collabora- Bail). Le premier projet style architectural contrastent souvent avec les immeubles teur Michel Holley seront chargés de la conception du sur le terrain, une tour pour l’ORTF plus haute avoisinants. Les tours modifient le paysage urbain et bou- quartier, en partenariat avec Henry Pottier, Grand Prix D'AUTEUR de 30 mètres par rapport leversent les lignes d’horizons des villes en concurrençant d’Architecture de Rome en 1944. Les travaux débutent à se voisines, avait suscité les aiguilles des églises et cathédrales. en 1967, les premières tours sont inaugurées en 1970. de nombreuses critiques De nombreuses modifications sont apportées au projet avant d’être annulé. Le deuxième projet, une tour New-York en plein Paris D'ARCHITECTUREdurant sa construction (réduction de la dalle, suppres- d’habitation, était lui aussi DROITsion de la rocade…), mais toutes les tours d’une centaine tombé à l’eau à cause d’une Si les ZUP se développent dans les villes fran- de mètres, emblèmes du quartier, sortiront bien de terre conjoncture immobilière défavorable. çaises, c’est dans le centre de Paris que l’habitation en AU entre 1970 et 199041. hauteur atteint son paroxysme. Le constat des urba- nistes est simple : la densité d’habitation de la capitale, Le Front-de-Seine en ajoutée à un plafond de construction à 30 mètres crée construction automatiquement « un horizon bouché par des murs Photographie, 1973 39 39. HOLLEY Michel, continus ». La construction de tours sur 10% de la sur-SOUMIS Au premier plan, la L’Espace Parisien, Centre de face au sol permettrait donc de « laisser passerSUPERIEURE la vue », et cheminée-sculpture documentation et d’urba- réalisée par François Stahly nisme de la ville de Paris, dans le même temps de « libérer le sol pour l’équipement 40 et qui domine l’ensemble 1961, 16p. public ». Deux quartiers se distinguent particulièrement du quartier. e 40. Ib. dans cette course à la hauteur : le Front de Seine (15 arrondissement), et Italie XIII (13e arrondissement). Ces développements ont été rendus possibles par l’adoption en juillet 1961 du Plan d’Urbanisme Directeur (PUD) de la ville. Ce plan est le premierDOCUMENT à clairement autoriser la construction de toursNATIONALE dans les quartiers périphériques de Paris nécessitant une rénovation par le déplafonnement des constructions et l’incitation au recul d’alignement par une dissociation rue-bâtiments. ECOLE Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 38 La relation complexe de la France avec la hauteur 39

La seconde zone concernée est quant à elle située La conception de ces deux quartiers est une dans le 13e arrondissement, de la place d’Italie à la porte « parenthèse fulgurante dans l’histoire urbaine de de Choisy. Comme pour le Front-de-Seine, il s’agit de Paris42 ». L’application d’un urbanisme vertical dans le 42. MOIROUX Fran- réhabiliter des zones entières en suivants les préceptes de centre de Paris n’est pourtant pas,NANTES selon Michel Holley, çoise, « Les Olympiades Paris XIIIe, Une moder- la Charte d’Athènes. 55 tours doivent sortir de terre dans une tentative de transposer un modèle de ville à l’améri- nité Contemporaine », un quartier traversé encore une fois par une rocade. Cette caine aux villes Françaises, maisDE bien d’adapter un quartier Connaissance des Arts, « double autoroute souterraine » est d’ailleurs la colonne moderne au Paris traditionnel. Le réseau viaire sous dalle Hors Série n°564, février vertébrale du projet. Elle ne sera jamais réalisée. Le projet est par exemple une reprise du tracé des routes existantes. 2014, p9. de l’architecte en chef Michel Holley (encore un point L’espace de la rue est quant à lui recréé sur la dalle avec ses commun avec le Front-de-Seine) est accepté le 13 jan- commerces et ses équipements habituels, et il est même vier 1966 par le Conseil Municipal de Paris. L’opération rendu plus agréable par l’absence de voiture. Enfin, pour Projet pour la Place est divisée en ilots, dont le plus connu, appelé « Les respecter la légendaire construction horizontale de Paris, d’Italie Olympiades », est entièrement construit sur une dalle qui les tours devrontD'AUTEUR toutes faire une hauteur sensiblement Dessin exposé à l’Hôtel de recouvre les voies de la gare SNCF des Gobelins. La Tour identique, aux alentours de 100 mètres. Ville en 1969 et 1970 Apogée devait être le signal fort de ce quartier. Haute de La dalle des Olympiades Une première autoroute 160 à 230 mètres selon les différents projets et déplacée Coupe perspective, André passe sous la Place d’Italie, en 1968 de la Porte d’Italie à la Place d’Italie, elle ne sera Martinat (collaborateur de un seconde par dessus. Sur D'ARCHITECTUREDROIT Michel Holley),1969 la place, la Tour Apogée, jamais réalisée non plus. Une trentaine de tours sortent de emblème du quartier. terre à un rythme effréné entre 1970 et 1976. Le dessin, utilisé AU pour l’exposition « La reconquête urbaine de Paris », présente l’organisation du quartier des Olympiades. Les fonctions essentielles sont SOUMIS superposées pour mieux SUPERIEURE être séparées.

Contrairement à l’idée préconçue souvent admise qui ferait des tours des monuments du logement social, la majorité des programmes des quartiers Italie DOCUMENT NATIONALE XIII et Front-de-Seine sont destinés au logement privé en accession ou en location. Il est vrai que l’architecture ultra-rationalisée et systématique (en particulier pour le quartier Italie) n’a pas aidée à améliorer l’image de ces immeubles. Pourtant, en six ou sept ans, 11 000 loge- ECOLE ments sont mis sur le marché dans le secteur Italie, 3 500 au Front-de-Seine. Les promoteurs doivent vendre ces Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 40 La relation complexe de la France avec la hauteur 41

appartements et un nouveau mode de vie qui va avec. La vente en Etat Futur d’Achèvement est autorisée depuis 1967, mais n’est pas vraiment favorisée par le ballet des grues et l’absence de réputation de quartiers en mutation. NANTES

Le marketing immobilier se développe alors DE pour vanter tous les avantages d’une vie en hauteur. Des portraits de villes idylliques se dessinent sur papier glacé avec ses services à portée de main (transports en commun, écoles, services, équipements…). Mais c’est surtout un nouveau confort de vie qui est mis en avant. Le frisson d’une « vie au sommet », avec ses vues exceptionnelles sur Paris, la possibilité à la « maitresse de maison » d’offrir Piscine plein ciel Plaquette de D'AUTEURvente des appartements de la tour Super Italie, 1971. 43. Brochure Publicitaire « un dîner panoramique à ses convives43 », et cela dans pour la tour Défense 2000, un confort moderne de premier ordre : systèmes de ven- « Sans doute est-ce un privilège stupéfiant de posséder une plage privée en plein ciel 1972. tilation dans toutes les pièces, isolation phonique perfor- de Paris, là où l’air est pur, le calme et la lumière se donnent encore rendez-vous. (...) Placée au mante, groupe électrogène pour assurer le bon fonction- sommet de la tour, elle constitue le couronnement, au plein sens du mot, de cette architecture D'ARCHITECTUREDROITtranquillement et solidement audacieuse, lancée à la conquête de l’espace vertical. (...) Et c’est nement des ascenseurs en toutes circonstances… sont donc toujours en costume de bain qu’ils pourront pas tous les temps aller boire un verre au bar » autant d’arguments mis en avant par les publicitaires. Les Brochure publicitaire cuisines et salles-de-bains équipées viennent parfaire le AU Brochure Publicitaire pour tableau d’appartements dont la luminosité n’a d’égal que La Défense, nouveau far-west la tour Défense 2000, 1972 les dimensions généreuses des pièces de vie. Mieux, les Le troisième pion de l’échiquier des grands pro- Présentation des studios tours les plus huppés d’Italie XIII et celles du Front-de- jets parisiens se trouve à l’extérieur des limites de la ville. du 4ème au 45ème étage. Seine, d’un standing généralement plus élevé, proposent Plans, dessin d’ambiance A l’extrémité Ouest de l’Axe Historique de la capitale se et explication technique un luxe jusque là inconnu : piscines en toiture, vaste halls SOUMIS dresse au milieu des années 50 un quartier entier de petits sur le chauffage et la d’entrées recouverts de marbres… Les toursSUPERIEURE définissent pavillons, de vieilles fermes et de bidonvilles. Insalubre et ventilation. La légende un nouveau confort de vie urbain, aussi bien pour des peu dense, cette zone sera logiquement concernée par les précise que les studios habitants de tours HLM en périphérie que pour les classes sont destinés à des opérations de rénovations urbaines voulues par le gou- « célibataires, bohèmes ou moyennes et supérieures propriétaires d’un appartement vernement. L’emplacement, stratégique, est retenu pour raffinés ». cossu à quelques centaines de mètres du cœur de Paris. créer une « cité d’affaires » permettant de décongestionner le centre-ville de Paris. Ce véritable Manhattan français DOCUMENT aura également pour but d’exposer la nouvelle puissance NATIONALE d’une France en pleine croissance. C’est dans ce but qu’est créé l’Etablissement Public pour l’Aménagement de la Défense (EPAD) le 9 septembre 1958. Le premier édi- fice construit est le CNIT44, bâtiment qui prend la forme 44. Centre National des Industries et des d’une gigantesque voûte de béton tenue par seulement Techniques, arch. Camelot, ECOLE trois points d’appui. de Mailly et Zehrfuss. (suite page 46) Détour 1 Paris 67, visions de modernité

1967, Charles de Gaulle, premier président de la Vème République dirige un pays en pleine croissance qui doit se moderniser. Le 1 juillet de la même année NANTES sort un numéro « exceptionnel » du magazine Paris Match qui dévoile au grand public le visage de Paris dans les années à venir, une fois les grands travaux de réno- DE vations urbaines dirigés par Paul Delouvrier, alors préfet et vice-président de la direction à l’Aménagement du territoire, achevés. Le journaliste Marc Heimer livre dans l’hebdomadaire français plus habitué aux scoops de célébrités qu’aux questions d’architecture ou d’urbanisme, 15 pages d’illustrations et de commentaires sur une capitale métamorphosée à la veille du XXIème siècle. Ce document est aujourd’hui le témoin d’une époque où la recherche la modernité, tant vantée, passe par l’édifi- cation de tours, ces « géants qui seront les monuments de la ville nouvelle ». D'AUTEUR Marc HEIMER, « Paris dans 20 ans », Paris Match, n°951, 1 juillet 1967, pp. 41 – 56.

D'ARCHITECTUREDROIT AU

SOUMIS SUPERIEURE

Paris chamboulé La Défense, quartier phare DOCUMENTCouverture du magazine Carte des secteurs rénovés NATIONALE Pas moins de 50 zones sont concernées par les C’est le quartier de la Défense alors en début transformations. Toutes n’ont pas été achevées de vie qui est présenté en une du magazine. Un (ensemble Pleyel), ni même réalisées pour cer- quartier nouveau qui sera, selon la légende, « avec taines (une tour de 180m devait abriter le mi- ses tours climatisées, ses jardins suspendus et nistère de l’éducation nationale dans le quartier ses 25000 places de parking à l’image du Paris Denfert-Rochereau). Mais les plusECOLE importantes transformé de 1990 ». Seules deux tours sont (Front se Seine, La Défense, Super Italie) sont construites sur le site à l’époque : la tour Esso (11 aujourd’hui les témoins de l’architecture mo- étages, 1963) et la (109m, 1966). derne dans la capitale et restent les seuls grandes zones de tours de la ville. NANTES DE

D'AUTEUR

Le Front-de-Seine, quartier du Mouvement Moderne Illustration du quartier Front-de-Seine - Beaugrenelle rénové L’illustration du quartier Front-de-Seine est sans aucun doute celle qui se révélera la plus « véridique » D'ARCHITECTURE de l’article. L’héliport au milieu de l’Ile des Cygnes n’a jamais vu le jour, ni « l’autoroute à six voies DROIT qui traverse le quartier » et les hydroglisseurs et hélicoptères restent rares à Paris, mais ce quartier du 15e arrondissement, à quelques pas de la tour Eiffel, reste une application fidèle des préceptes du Mouvement Moderne. Une vingtaine de tours ont ainsi été construites sur une dalle pavée réservée aux AU circulations piétonnes. La construction de ces tours, d’une hauteur uniforme de 100m, s’est finale- ment étalée sur plus de vingt ans. Cette durée explique la présence de styles architecturaux plus variés que sur l’illustration de Paris Match. La tour Cristal, achevée en 1990, est aujourd’hui considérée comme le dernier gratte-ciel construit à Paris. Jugé vieillissants, le centre-commercial et l’espace public du quartier ont été rénovés à partir de 2005. La dalle gigantesque, élément phare du projet, a disparu 1 au profit d’une toiture végétalisée (7000m²) devenue la plus importante de la ville . SOUMIS 1. GARRIC Audrey, « Les «toits verts» se multiplient dans les villes françaises », Le MondeSUPERIEURE, 06 avril 2013

Une nouvelle trame urbaine Schéma routier de Paris projeté

Les transformations concernent également le schéma routier de la ville complètement remis à plat. Pour favoriser les flux dans la capitale, un réseau d’autoroutes urbaines est imaginé. Les doubles traits bleus représentent des autoroutes « à six ou huit voies » et les simples les « voies express ». Tous les carre- fours sont quant à eux remplacés par des échangeurs ou des tunnelsDOCUMENT et équipés de passages souterrains pour les piétons. Les travaux, critiqués par « les adversairesNATIONALE des autoroutes qui dénoncent les 10 000 logements à détruire », devront selon le journaliste durer « jusqu’à l’an 2000 ». Ces projets semblent aujourd’hui complètement insensés, pourtant les quelques axes finalement réalisés sont actuellement empruntés par des nombreux parisiens, et le boulevard périphérique issu des mêmes réflexions et dont la construction venait seulement de débuter paraît indispensable au bon fonctionnement de Paris. Loin d’être un phénomène isolé, l’implantation de tours, nouvelle « forme architecturale », était donc un instrument intégré à une nouvelleECOLE vision qui repensait complètement le fonctionnement de nos villes. Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 46 La relation complexe de la France avec la hauteur 47

L’ensemble, spectaculaire, est destiné à recevoir des Les utopies du quai d’Orsay, signes d’une époque grands salons et permet d’exposer « les techniques excep- 45. POUVREAU Emma- 44 tionnelles de l’industrie française ». La prouesse archi- La compagnie des chemins de fer d’Orléans nuel (président du Syndicat tecturale va exercer un intérêt certain pour le quartier, qui NANTES des constructeurs français fait édifier en 1871 la gare d’Orsay, sur les ruines de de machines-outils), in sera désormais une vitrine nationale d’architecture et de l’ancien Palais d’Orsay incendié qui abritait le ministère CHATEL François, « Le modernité. Un plan d’aménagement est présenté en juin de Commerce et de la courDE des comptes. Le but est ici chantier de la Défense », 1960 par les architectes Camelot et de Mailly, associés aux Radiodiffusion Télévision de rapprocher le terminus de la compagnie du centre Française, 3 janvier 1958, urbanistes Robert Auzelle et Paul Herbé. Encore une fois, de Paris. L’architecte Victor Laloux signe un bâtiment INA, 7 min. le principe de la Charte d’Athènes est appliqué : une vaste majestueux, sorte de chef-d’œuvre de l’architecture de dalle accueillera les immeubles d’une hauteur similaire verre. Mais avec des quais trop courts et un emplacement (des barres de douze à quatorze étages pour les habitations finalement peu pratique, la gare se révélera être un échec et des tours de 100 mètres pour les bureaux), suivant une et le trafic grandes lignes fut supprimé dès 1939. Il fut composition symétrique « à la française » respectant l’axe 46 donc questionD'AUTEUR dans les années 60 de raser le bâtiment 46. Le bâtiment du historique. Les premières tours, dites de « génération 1 », pour construire sur le site face aux Tuileries un hôtel Musée d’Orsay est classé voient le jour de 1965 à 1969. Mais le succès est mitigé, moderne et un palais des Congrès. Le règlement précise au registre des Monuments Historiques depuis 1978. la hauteur similaire de toutes les tours ne permet pas une que les nouvelles constructions « se doivent d’accuser un bonne identification visuelle recherchée par les sociétés. D'ARCHITECTUREDROITcaractère monumental et témoigner d’une architecture Ces dernières hésitent de plus à investir dans des locaux de palais plutôt que d’une architecture fonctionnelle ». dont la conception ne permet pas le travail d’équipe à AU La question de la grande hauteur est également évoquée cause de parois de béton trop nombreuses. Loin de dans la note qui précise que « le site géographique de la remettre en cause le modèle, le ministre de l’Équipe- vallée de la Seine exclut à cet endroit les constructions à ment Albin Chalandon décide de supprimer le plafond grande hauteur », et que « l’ambiance calme et horizon- de construction de 100 mètres en 1969. Cette discision tale manifestée par le cours du fleuve et les compositions entraîne la construction de gratte-ciel de « deuxième prestigieuses qui l’entourent font repousser l’idée d’une génération », avec la tour GAN (170 m) et la tour Fiat SOUMIS architecture verticale ». (174 m), inaugurée toutes les deux en 1974.SUPERIEURE La course à la hauteur est lancée, et la Défense sera la chef de file. Faisant fi de ces recommandations, Le Corbusier proposa une tour de trente-cinq étages, soit 105 mètres de La Défense haut, posée sur une dalle-jardin située à 8 mètres au-des- Plan de masse, 1960 sus du quai. Le projet, décrié, fut mis de côté au profit du L’immense dalle entourée projet des architectes René Coulon et Guillaume Gillet, de boulevards circulaires un volume monolithique de 160 mètres de long pour « isole le nouveau quartier DOCUMENT seulement » neuf étages. Mais en février 1971, Jacques du tissu urbain ancien. NATIONALE Duhamel, alors ministre des Affaires Culturelles, annule le permis de démolir et le projet qui « s’intègre mal par sa masse et sa hauteur dans le site ». Le projet est définitive- ment classé en mars 1973, la gare d’Orsay restera intacte. ECOLE Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 48 La relation complexe de la France avec la hauteur 49

Projet d’Hôtel et de palais Le déclin rapide (1974 – 1990) des congrès pour la Gare d’Orsay, Le début des années 70 est marqué par la succes- Photomontage, sion des crises économiques et financières qui stoppent Le Corbusier,1961 NANTES la frénésie économique que connaît la France depuis les années 50. Les dévaluationsDE du dollar de 1971 et 1973, la guerre du Kippour qui entraîne la multiplication par trois, puis par quatre des prix du pétrole sont autant d’évènements qui plombent le moral et les économies du pays. L’élection du Président Valéry Giscard d’Estaing le 27 mai 1974, plus conservateur que ses prédécesseurs sur les questions urbanistiques, déterminé à lutter contre l’enrichissement des promoteurs immobiliers et tout sim- plement opposéD'AUTEUR aux tours à Paris renverse la destiné des Ces péripéties sont assez représentatives du IGH en France. tournant opéré dans les choix urbanistiques au début des années 70. L’immeuble de grande hauteur est l’idéal L’opération Italie XIII à Paris est stoppée, les moderne qui doit s’imposer dans toutes les rénovations D'ARCHITECTUREdeux dernières tours qui sortent de terre sont isolées au urbaines dans les années 60, quitte à entraîner la destruc- DROIT milieu d’un tissu urbain finalement conservé et sont qua- tion d’un patrimoine architectural trop « poussiéreux ». lifiés « les vestiges esseulés d’opérations inachevées48 ». 48. MOIROUX Françoise, Mais les nombreux bouleversements économiques mon- AU La construction de la Tour Apogée, pourtant autorisée « Les tours du 13ème », diaux du début des années 70 vont renverser de manière AMC Le moniteur par l’administration cinq ans plus tôt, et annulée. L’Etat aussi rapide la perception de ces tours qui ont poussé un Architecture, n°159, mars s’engage au versement de 470 millions de francs au 2006, p95. peu partout en France. promoteur. Le projet Italie XIII était le plus ambitieux des années 70, il est également le plus touché par l’arrêt Le début des années 70 reste pourtant la période SOUMIS brutal de la construction de tours. Non seulement 26 de où le plus d’IGH ont été construits en France,SUPERIEURE et en parti- 47. CROIZE Jean-Claude, ces tours initialement prévues ne verront jamais le jour, culier à Paris : 59 en 1970 (dont 42 dans les limites même TILMONT Michèle, Les mais des équipements publics, des infrastructures et des IGH dans la ville : dossier de la capitale), 45 en 1971 et 49 en 1972 (dont 27 et 25 à continuités de dalles seront elles aussi annulées, détrui- sur le cas français, Paris, Paris même)47. CRU, 1978, « classement sant ainsi tout le principe de ville autonome voulue par des projets d’IGH au 1er les concepteurs et vantée auprès de tous. juin 1974 par année », p18. DOCUMENT Des paysages urbains modifiés, le prix à payer NATIONALE Le débat se focalise déjà au début des années 70 sur des questions de forme, plus que de fond. Doit-on construire ces géants de verre si modernes au risque de bousculer un paysage urbain établi, de boucher des pers- ECOLE pectives historiques reconnues ? L’élément déclencheur du débat se trouve à la Défense. En 1972, soit deux ans après Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 50 La relation complexe de la France avec la hauteur 51

avoir autorisé le déplafonnement des hauteurs maximales Le miroir économique constructibles dans le quartier d’affaires, la construction Pourtant, la question de la réelle nécessité, ou 49. Arch. Harrison & 49 de la tour GAN et ses 42 étages (179 mètres) débute sous du moins de l’opportunité de construire de telles tours Abramovitz, J. P. Bisseuil. fond de polémique. Alors que le permis de construire est NANTES La tour, rénovée de 2009 reste en suspens. Le succès commercial mitigé des tours à 2010 est actuellement délivré, plusieurs parisiens dénoncent la taille de la tour construites dans les années 60 dans les villes moyennes occupée par SUEZ (la plus haute de La Défense) visible depuis l’axe histo- en atteste. Les coûts de constructionDE et de maintenance environnement et ses rique de la capitale reliant le Louvre au quartier d’affaires. filiales. des tours rendent ces dernières viables dans les quar- Si un retour à l’ancien plafond des constructions, évoqué tiers ou les villes à la pression immobilière élevée, et au un temps par le Premier Ministre Pierre Messmer, n’est pouvoir d’attraction tout aussi important. Certaines des plus envisageable, les mentalités sont marquées. D’autant 50. La tour, officiellement villes moyennes n’avaient peut-être pas cette attractivité plus que la construction en 1966 du centre administratif appelée « Tour Zamansky », nécessaire, mais le volontarisme politique associé aux a été lourdement rénovée de Morland avec ses 16 étages avait déjà scandalisé à cause investissements privés rendaient la construction difficile- de 2004 à 2009. Le de sa situation en plein Paris historique, tout comme la ment contestable.D'AUTEUR Les programmes étaient alors essentiel- coût des travaux était tour du campus de Jussieu50 et ses 88 mètres inaugurée largement supérieur que lement tournés vers le tertiaire, seule la vente de surfaces les coûts engendrés par une en 1970 à quelques encablures de Notre Dame. La ville de bureaux étant capable d’assurer un minimum de ren- destruction/reconstruction, moderne a ses qualités, mais ne doit pas interférer avec la tabilité financière aux investisseurs. Mais encore fallait-il mais les réglementations ville historique, construite sur un modèle horizontal, sous actuelles n’auraient pas D'ARCHITECTUREDROITtrouver les entreprises volontaires. permis la construction peine de voir le patrimoine architectural et historique de d’une telle tour sur le nos villes définitivement altéré. Ce précepte deviendra A Nantes, de nombreuses surfaces de la Tour même site. AU une règle assidûment respectée jusqu’à nos jours. Bretagne livrée en 1976 sont restées vides durant les pre- La Tour Montparnasse mières années d’exploitation, à cause des charges élevées face aux quartiers et du nombre important d’immeubles de bureaux déjà historiques implantés dans le secteur. André Morice, maire de Nantes Photographie, année lors de l’élaboration du projet et fervent défenseur du inconnue SOUMIS projet de la Tour Bretagne s’était d’ailleurs exprimé pour SUPERIEURE justifier du choix de la construction tour de bureaux en 1971, malgré des besoins sans doute trop faibles pour une ville de cette taille. Il écrit lors d’un échange de courrier avec le Préfet : « on peut assurément ne pas aimer les tours […] mais il est désormais impossible, depuis que l’Etat a cessé de subventionner efficacement de telles opéra- DOCUMENT tions, de faire de la rénovation urbaine sans adopter des NATIONALE partis architecturaux d’une hauteur exceptionnelle51 ». 51. STANESCOU Luc, L’optimisme économique généralisé au moment des 144 : opération tour Bretagne, TPFE, Nantes, premières esquisses des années 60 s’est heurté aux crises ensan, 2004, p95. économiques des années 70. Les investisseurs mêmes du projet (dont le Crédit Lyonnais) seront finalement instal- ECOLE lés dans les étages de la tour, avant d’être remplacés par les Les origines d’un modèle, entre espoir et remise en question 52 La relation complexe de la France avec la hauteur 53

bureaux de services publics encore aujourd’hui en place (services municipaux de Nantes métropole, Inspection du Travail…). NANTES Le même phénomène avait touché la tour du 52. SAUGEY Bernard, Crédit Lyonnais à Lyon, qui devait pourtant selon l’archi- DE Lyon horizon 1980. La tecte en chef du quartier Charles Delfante palier aux 200 Part-Dieu, Centre régional de Décision, Rhône Alpes 000 m² de bureaux manquants, dans un quartier pour- actualités, 5 septembre tant destiné à devenir un « Centre Régional de Décision » 1970, INA, 6min. d’une agglomération « qui tendait à atteindre 2 millions 53. Projection faite pour d’habitants52 »53. Pour les mêmes raisons de bouleverse- le début des années 80. ment du contexte économique, la tour ne sera occupée L’explosion démographique qu’à 30% les premières années, plombant l’économie de des villes dans les années 60 D'AUTEUR laissait penser que la popu- tout le quartier d’affaires. Même Paris est touchée par le lation de ces villes aug- phénomène : 600 000 m² de bureaux sont vides en 1973 menterait rapidement et de à la Défense54 qui connaît sa crise la plus importante, manière significative dans les décennies suivantes. rappelant que la viabilité des tours est inhérente à un D'ARCHITECTURE En 2011 selon l’INSEE, la contexte économique soumis aux instabilités. DROIT communauté urbaine du Grand Lyon comptait 1 293 164habitants. AU 54. http://www.ladefense. fr/fr/histoire-du-lieu, lien consulté le 02 juin 2014

Les tours sont, dans les années 60 et jusqu’au SOUMIS milieu des années 70, le symbole d’un mondeSUPERIEURE qui se rêve en grand : des grandes métropoles, des grands projets, des La Tour Montparnasse grandes autoroutes… Elles sont par conséquent montrées Photographie, Jean Bruchet, du doigt quand cette vision grandiloquente de la ville de 1974 demain est remise en cause avec les crises économiques La tour Montparnasse, et pétrolières des années 70. La France, qui avait réussi à par ses dimensions et sa se réapproprier un modèle né aux Etats-Unis, se retrouve situation, est devenue tiraillée entre, d’un côté, un patrimoineDOCUMENT de tours d’habi - le symbole de l’âge d’or tations récent maisNATIONALE déjà dur à assumer et de l’autre, la des tours en France... et focalise toutes les critiques nécessité d’assurer une compétition architecturale mon- actuelles. diale dont une grande puissance ne peut s’extraire. ECOLE NANTES DE 55 La hauteur en question D'AUTEUR 2 D'ARCHITECTUREDROIT AU

SOUMIS SUPERIEURE

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ECOLE La hauteur en question 56 L’image de la ville du futur 57

de la vile du future. Encore une fois, la stratification des sols et des sous-sols permet une séparation des flux entre les tours, devenus de vraies machines à habiter. NANTES « La ville future ; DE une solution hardie du problème de la circula- tion, d’après le Scientific American » Kasimierz Podsadecki, L’image de la ville du futur Dessin, Harvey Wiley La ville, creuset de la vie Corbett, L’illustration, 9 Photomontage, 1928 août 1913 La tour fait partie intégrante d’une vision popu- laire de la ville moderne, elle reste dans l’imaginaire col- lectif le symbole du progrès technique qui guidera la ville D'AUTEUR du futur vers plus de respect écologique, de justice sociale, de modernité et de bien-être. Cette étiquette collée aux tours n’est pas nouvelle, les gratte-ciel ont depuis leur création suscités la fascination du grand public comme D'ARCHITECTURE des praticiens qui ont utilisé la grande hauteur et son DROIT idéal fonctionnel dans leurs rêves d’une cité adaptée au futur. AU

Hugh Ferriss, The Metropolis of Tomorrow et autres utopies urbaines La tour n’est pas, pour ces théoriciens, une finalitéSOUMIS en soi mais bien l’expression d’une cité moderneSUPERIEURE et ration- nelle. Les réseaux mécaniques enfouis, les flux exacerbés et les parcours piétons séparés sont autant d’éléments de L’architecte et perspectiviste américain Hugh la ville qui devra absorber une population urbaine gran- Ferriss a également traité le gratte-ciel dans la ville du dissante. Car la densité de villes comme New-York pose demain, mais dans un futur plus proche. Son ouvrage déjà question, et l’on s’aperçoit assez vite de la nécessité de The Metropolis of Tomorrow est un recueil de perspec- traiter les réseaux dans ces quartiers denses où la mécani- tives dessinées illustrant les possibilités offertes par le nou- sation des transports se généralise.DOCUMENT Harvey Wiley Corbett veau règlement urbanistique de New-York de 1916. Les publie ces théories dèsNATIONALE le début des années 1910 dans le dessins représentent des gratte-ciel dans un clair-obscur magazine Scientific American où il présente une vue d’une quasi mystique. Aucune ornementation ne vient troubler ville du futur imaginaire où les passerelles transpercent les l’élévation au ciel des façades puissantes et monumen- gratte-ciel, par-dessus une rue libérée aux voitures et tram- tales. Ferriss fait à la fois le portrait de villes américaines ways,ECOLE et des sous-sols encombrés de différents réseaux de des années 20 prospères et en mutation, et anticipe dans métro et de canalisations. Au même moment, l’architecte un même temps l’évolution de l’architecture des années à Eugène Hénard propose quant à lui une coupe sur la rue venir : une course à la hauteur toujours plus importante, La hauteur en question 58 L’image de la ville du futur 59

mais dans un style plus épuré. Populaire, le perspectiviste capitale entourée d’une ceinture de maisons énormes… travaillera avec de nombreux architectes américains et Il suffirait de les espacer convenablement pour que l’air contribuera à la popularisation du gratte-ciel auprès des circule ». américains. NANTES Avec ses tours de 250m de hauteur et ses passe- « Une Ville d’Aiguilles » Illustration d’un projet de relles qui relient chaque bâtimentDE entre eux, Perret semble Raymond Hood, 1924 tout à fait convaincu par un « urbanisme à l’américaine » pour le futur Paris. Il entend pourtant adapter ce modèle de maisons qui apporte, certes, tout le confort moderne mais qui n’est pas exempt de défauts. Les maisons-tours sont tout d’abord placées à l’emplacement des fortifica- tions que l’on s’apprête à déclasser en périphérie de Paris, 55. PERRET Auguste, laissant le centre-ville intact. Elles sont également séparées propos cités par M. Pays, D'AUTEUR « Esthétique Urbaine, par des avenues de 250m de large, car selon l’architecte l’adaptation des villes aux « les gratte-ciel américains sont tout à fait illogiques car exigences de la vie contem- dans des avenues trop étroites55 ». Ces derniers devront poraine », Excelsior, Août D'ARCHITECTUREde plus « avoir la forme de croix pour que la lumière se 1921, p3. DROITrépande à flots dans tous les appartements56 ». La grande 56. PERRET Auguste, hauteur aurait, toujours selon Perret, de nombreux avan- propos cités par R. AU Cogniat, « la ville de tages : silence et air pur (assuré « dès le quatorzième demain, l’opinion de M. étage »…) qui permettent aux logements de « s’échapper Perret », Comoedia, Août des miasmes de la ville ancienne ». La forme la plus ache- 1922, p1. vée des plans de Perret est dévoilée en 1922 dans le projet « Villes-tours » et illustrée par Jacques Lambert. SOUMIS Les Maisons-Tours, La ville tours d’Auguste Perret SUPERIEURE Auguste Perret Illustration, 1922

Les tours ont aussi été utilisées pour les visions futures des villes européennes et françaises. L’architecte Auguste Perret est le premier à évoquer la construction de gratte-ciel dans la capitale. La construction de son immeuble du 25bis rue Benjamin-FranklinDOCUMENT en système poteaux-poutres béton,NATIONALE révolutionnaire pour l’époque, s’achève en 1904. Situé sur la colline de Chaillot, l’im- meuble domine la Seine en contrebas. Depuis le dernier étage, à 33 mètres de hauteur, l’architecte affirme « nous rêvons de faire mieux et espérons un jour construire une maisonECOLE de vingt étages, […] et soyez persuadé que l’esthé- tique de Paris n’en souffrirait pas. Imaginez-vous, notre La hauteur en question 60 L’image de la ville du futur 61

Emprise du Plan Voisin Le plan Voisin du Corbusier Le Corbusier, photomontage Le Corbusier entame sa réflexion sur la grande « Tels sont les quartiers hauteur au début des années 20. Il s’oppose dans diffé- qu’on projette de détruire, NANTES tels sont ceux qu’on rents articles au « futurisme inutile et incohérent » de projete d’édifier à leur Perret dans de nombreux articles. Il évoque pourtant DE place. (Ces deux plans dès 1921 des « Villes-Tours » dans l’Esprit Nouveau. La sont à la même échelle.) » réflexion du Corbusier s’appuie pourtant sur un rejet du modèle américain qu’il juge excessif et désordonné.

Sa vision de la ville du futur est concrètement 57. LE CORBUSIER, présentée en 1925 par le plan Voisin, du nom de Gabriel Urbanisme, Paris, Vincent Voisin, constructeur automobile. Le Corbusier y pro- et Fréal , 1966, p266. jette la reconstruction totale du centre de Paris. La ville D'AUTEUR 58. Ib. ancienne, « aplatie et tassée », est remplacée par un tapis 59. Le Corbusier prévoit de tours aux hauteurs homogènes, des « cristaux purs de raser les quartiers du de verre57 » formant « une ville en hauteur offerte à l’air Marais, du Temple et des et à la lumière, étincelante de clarté, radieuse58 ». Mais D'ARCHITECTURE Archives. DROIT le patrimoine historique n’est pas oublié, au contraire. 60. LE CORBUSIER, Urbanisme, Paris, Vincent Il est même « sauvé », selon Le Corbusier. Car s’il pré- AU et Fréal , 1966, p267. voit la destruction de nombreux quartiers anciens59, Le 61. Ib. Corbusier conserve les églises anciennes qui, se retrouvant au milieu de parcs, seraient mises en valeur. De plus, la La cité moderne Le Corbusier, perspective succession de plans verticaux et les vues dégagées créées par l’alignement des tours respectent les grands tracés de SOUMIS Il est précisé que la vue Louis XIV, Louis XV et Napoléon. La nouvelleSUPERIEURE cité don- depuis l’autodrome permet nerait donc « l’impression d’être dans la tradition et de une vision d’ensemble 60 « des gratte-ciel baignés suivre la progression normale », au contraire « du chaos d’air et de lumière ». de la ville ancienne61 ».

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ECOLE La hauteur en question 62 L’image de la ville du futur 63

Les représentations utopiques des villes abondent Les tours cristallisent les rêves et les peurs de la au début du XXème siècle. Les tours, la séparation des flux société. Encore aujourd’hui, les espoirs de la ville du futur et l’apologie de la technique et de la vitesse sont la concré- sont portés par ces bâtiments. Les objectifs ont évolués, tisation rêvée d’une société en pleine expansion. A partir les tours sont désormais le supportNANTES d’énergies renouve - des années 50, ces visions prospectives interrogent le réel. lables, d’agriculture urbaine… elles portent sur elles les La nécessité d’étendre les villes, le progrès technologique, questions de la ville de demain,DE tout en focalisant une l’amélioration générale du confort de vie sont autant de partie des maux de la société actuelle dont elles seraient le facteurs qui permettent au rêve de prendre forme dans reflet. des quartiers entiers. Les Utopiales de Nantes Les tours restent un symbole fort de cet opti- Affiche de l’édition 2013 misme généralisé ; elles sont aussi logiquement le symbole Festival international de d’une vision fortement bridée dans les années 70 par la D'AUTEUR science-fiction prise de conscience d’une fragilité de notre société. Les tours représentent à la fois notre fascination pour le pro- grès techniques, et la peur d’une aliénation à cette techno- logie. Cette vision duelle est également populaire, imagée D'ARCHITECTURE par les perspectivistes mais aussi utilisée au cinéma. Fritz DROIT 62. LANG Fritz, Metropolis, Lang imagine dès 1927 une cité du futur62 où la hau- 1927. teur des constructions divise verticalement la ville, avec AU une société haute dirigeante et une société basse ouvrière. 63. TATI Jacques, Jacques Tati filme en 197663 une ville moderne de tours Playtime, 1976. de bureaux froides et impersonnelles dans lesquelles l’hu- main est dépassé par la technologie. John Guillermin et Irwin Allen mettent eux en scène un terrible incendie qui SOUMIS 64. GUILLERMIN John, dévaste le plus haut gratte-ciel au monde à SanSUPERIEURE Francisco 64 IRWIN Allen, La Tour le jour de son inauguration , et menace les convives ins- infernale, 1974. tallés au 135ème étage.

La vi(ll)e moderne vue par Tati Playtime, 1976 DOCUMENT NATIONALE

ECOLE La hauteur en question 64 The American Way of Life 65

Manhattan se fonde sur une perpétuelle reconstruction sur elle-même, dans le but de faire toujours mieux, tou- jours plus haut. NANTES Entre rentabilité et préservation du patrimoine : une espérance de vie limitéeDE

Cette faculté de démolir pour mieux rebâtir est The American Way of Life beaucoup moins présente en Europe où le patrimoine historique est omniprésent et protégé. A Paris, les rares quartiers de tours se sont ainsi développés lors de grands Un urbanisme américain travaux de rénovations urbaines visant à endiguer l’insa- Le développement des gratte-ciel aux Etats-Unis lubrité de laD'AUTEUR capitale. Mais le cœur historique a lui été a été permis grâce à l’absence quasi-totale de patrimoine épargné, et présente un ensemble souvent très homogène architectural, à la grande différence des villes européennes. de bâtiments anciens régulièrement rénovés et remis aux L’urbanisme de grille s’y est donc développé dès le XVIIème normes actuelles, favorisé par de nombreux règlements siècle. Le réseau en mailles régulières constitue un système D'ARCHITECTUREcontraignants. La durée de vie des immeubles y est alors simple et flexible propice au développement de la grande DROITtrès élevée. Ce système ne se vérifie pourtant pas à la hauteur. Le meilleur moyen de rentabiliser un îlot étant Défense, un des rares quartiers de la capitale où la course ici d’accumuler les surfaces en empilant les étages. C’est AU à la hauteur semble se poursuivre. Le quartier a vu le jour ici l’un des principaux intérêts de la tour : rentabiliser une au début des années 60, remplaçant usines et bidonvilles petite surface au sol en multipliant autant que possible et s’est développé en étapes successives. On considère les surfaces habitables sur la hauteur. Cette théorie fonc- ainsi que trois « générations » de tours se sont succédées tionne parfaitement dans les villes américaines qui se sont dans un périmètre bien défini, ceinturé par un boulevard historiquement construites sur leurs ruines pour prendre SOUMIS circulaire à sens unique. Cette superficie restreinte consti- de la hauteur. SUPERIEURE tue donc un frein au développement de nouvelles tours à la Défense.

65. Henry J. Hardenberg, 65 1897 Le cas du destin du Waldorf-Astoria est évoqué par Rem Koolhaas dans New York Délire66. En 1929, Pour contourner cette limite, de nouvelles tours 66. Rem KOOLHAAS, New York Délire, Paris, l’hôtel situé sur la très chic Park Avenue à Manhattan, est se sont développées en dehors du boulevard circulaire. Chêne, 1978, 262p. alors considéré comme « le centre de gravité mondain de C’est le cas par exemple de la , imaginée par 67. Ib., p135 Manhattan67 » grâce à sa modernité affichée et au renom les architectes Denis Valode et Jean Pistre et inaugu- de ses propriétaires. Mais, dansDOCUMENT une « paradoxale tradi - rée en 2008 dans le quartier du faubourg de l’Arche à tion du dernier cri NATIONALE», il se voit devenir très vite démodé . Pour continuer de construire à la Défense, et fut démoli pour laisser place au beaucoup plus impo- le seul moyen restant est de démolir des tours plus sant Empire State Building. Le bâtiment de l’hôtel était anciennes pour en reconstruire de nouvelles plus hautes ainsi rayé de la carte après seulement 33 ans d’existence. et plus modernes. Les 30 000m² répartis sur 11 étages de RemECOLE Koolhaas explique en fait que toute la conception de la tour Esso, première tour du quartier achevée en 1963, furent ainsi démolis en 1993 pour laisser place à la tour Cœur Défense avec ses 350 000 m2 sur 40 niveaux. La hauteur en question 66 The American Way of Life 67

De la même manière, la ville de Nantes a vu en ment présentes dans d’autres grandes villes en Europe, 2005 le Tripode, tour de 18 étages évoquée plus haut, en Asie ou en Océanie mais faisaient figures d’objet aty- s’écrouler. Les règlementations spécifiques de protection pique, d’accroc dans un tissu urbain régulier et étaient contre les incendies s’appliquant aux immeubles de cette qualifiées de monument, ou à contrarioNANTES d’erreur urba- hauteur avaient entraîné, lors de la réalisation de l’im- nistique isolée. Pourtant depuis les années 70, le modèle meuble dans le début des années 70, le flocage à l’amiante de la tour s’est mondialementDE développé dans de nom- en guise de plafonds dans les bureaux, le long des parois, breuses parties du globe pour devenir le symbole interna- dans les habillages de poteaux et dans les galeries tech- tional de la ville mondiale et puissante. De nombreuses niques. En 1992, après 20 ans de services, le bâtiment est ville européennes ont été épargnées par cet engouement, vidé de ses utilisateurs jusque là exposés au produit très et se sont contentées de construire des quartiers de tours 68 Destruction du Tripode toxique avant d’entrer dans un long et couteux processus en périphérie, comme c’est le cas à Paris ou Madrid 68. Les quatre tours les Extraits vidéo, 2005 de désamiantage. mais beaucoup d’autres ont complètement intégré cette plus hautes d’Espagne (Torre Espacio, 224m, forme architecturale.D'AUTEUR Les tours font désormais partie inté- Torre Sacyr Valleher- grante de la culture de villes en dehors des Etats-Unis à moso, 236m, Torre de São Paulo, Shanghai ou Sydney. L’évolution de la liste des Cristal, 249m et Torre Caja Madrid, 250m) ont plus grands immeubles dans le monde en est la preuve : été construites de 2005 D'ARCHITECTUREen 1975, dix-huit des vingt plus hauts gratte-ciel se trou- à 2009 dans le quartier DROITvaient aux Etats-Unis. Ils n’étaient plus que 4 en 2013. d’affaires « Cuatro Torres Ce constat de cycle de vie « court » souligne un Business Area », au nord de la capitale Espagnole. problème récurrent des immeubles de grandes hauteurs : AU Un gratte-ciel peut, par son originalité, sa hau- leur sophistication technique les rend d’autant plus rapi- teur démesurée, sa qualité architecturale ou sa valeur dement désuets et inadaptés aux modes de vie contempo- historique devenir le symbole identitaire d’une ville. La rains. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les tours de Tour Eiffel à Paris, la CN Tower à Toronto, l’Empire State bureaux des années 70 bénéficient d’une image beaucoup Building à New-York, la tour Burj Khalifa de Dubaï font plus « vieillotte » que les immeubles du centre anciens de SOUMIS partie des exemples les plus connus. A l’inverse, on peut Paris. N’existe-t-il pas alors une contradictionSUPERIEURE à imaginer reprocher à de nombreuses villes de perdre une partie de des immeubles toujours plus « High-tech » (et donc cou- leur âme en rénovant et modernisant leurs centres-villes teux) si on sait que ceux-ci seront d’autant plus sujet au par l’ajout de tours au style international monotone. Si vieillissement prématuré ? beaucoup de Skyline gardent leur spécificité, la standardi- sation des villes créée par l’assemblage de ces « monotones Vers une américanisation de l’architecturale mon- symboles de l’uniformisation culturelle69 » est souvent 69. GOLDBERGER Paul diale ? (préface de), « Le siècle frappant au niveau de la rue. Différencier le centre-ville des gratte-ciel », Caroline DOCUMENT d’Atlanta, de Montréal, de Sydney ou de Frankfort se L’histoire du gratte-ciel prend indéniablement MIEROP, Gratte-ciel, Paris, NATIONALE révèle parfois périlleux, et il faut pour y parvenir se réfé- Norma, 1995, 224p. ses origines aux Etats-Unis. Les tours de Chicago, New- rencer non plus comme souvent aux typologies et aux York ou Houston ont indéniablement façonné une par- styles architecturaux mais aux éléments culturels, clima- ticularité architecturale que ce jeune pays n’avait pas tiques ou géographiques. auparavant ; ces villes gratte-ciel qui se sont construites apparaissentECOLE aujourd’hui comme le symbole du pays. Des constructions parfois très hautes étaient bien sur égale- La hauteur en question 68 The American Way of Life 69

Downtown San Diego, Californie Photographie, 2012

L’image d’une ville NANTES mondialisée et standardisée ? DE

Il est indéniable que le modèle de la tour tel qu’on D'AUTEUR le connaît aujourd’hui est né aux Etats-Unis, et que toutes les grandes agglomérations du pays, et même d’Amérique du nord en général ont leur Downtown ponctué d’édifices plus ou moins hauts. Mais les villes américaines ont éga- D'ARCHITECTUREDROIT lement la particularité d’être construites à l’horizontale. La majeure partie de ces villes est constituée de maisons AU individuelles posées au milieu de grands terrains et de zones industrielles ou commerciales construites sur un seul niveau. Il en résulte des villes très faiblement denses, avec un centre ville faisant exception à la règle. Même New-York, « ville-tours » par excellence, est fondée sur ce SOUMIS modèle. Le gigantisme de l’agglomération et SUPERIEUREson attracti- vité ont certes nécessité l’édification de nombreuses tours (553 tours de plus de 100 mètres sur l’ensemble de la 70. New-York City, www. ville70), en particulier sur la presque-île de Manhattan, emporis.com mais les quatre autres borough (Queens, le Bronx, Staten Island, Brooklyn) qui rassemblent la plus grande partie des habitants de l’agglomération, sont majoritairement composés d’immeubles bas et deDOCUMENT maisons individuelles. La tour est donc indéniablementNATIONALE le modèle des centres- villes américains, mais on ne peut réduire les Etats-Unis

Structure urbaine de aux gratte-ciel. Détroit, Michigan Images satellite, 2010 ECOLE La hauteur en question 70 Le fantasme de la ville dense 71

Un combat de chiffres

Sans remettre en cause ou non la nécessite de densifier nos villes, il est aisé deNANTES comparer des densités de quartiers de tours face aux densités de quartiers « clas- siques ». Et le résultat est parfoisDE surprenant. Une étude de la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme datant de 200674 a ainsi étudié plusieurs densités de dif- 74. BELLIOT Marcel, férents quartiers de villes françaises, dont trois quartiers CUILLIER Francis, Le fantasme de la ville dense STARKMAN Nathan, parisiens très différents : un îlot Haussmannien Boulevard Habitat, Forme Urbaine, Rochechouart dans le 4e arrondissement, une portion de Densités comparées et L’argument de la tour comme créatrice de den- l’opération Masséna - ZAC Paris Rive Gauche dans le tendances d’évolution en sité est sans aucun doute le plus repris par les défenseurs 13e arrondissement et dans ce même arrondissement le France, Paris, Inovapresse, 2006, 271p. de ce modèle. A Paris, où l’accès à la propriété est devenu square DunoisD'AUTEUR issu de l’opération « Italie 13 » caractérisée impossible pour une très grande partie des habitants, par ses tours posées sur une dalle horizontale . Malgré l’augmentation du nombre de logements disponibles à la les 33 étages des immeubles de ce dernier exemple, la vente ou à la location reste une question centrale. Alors densité bâtie du quartier (3,16) se révèle beaucoup moins même que la capitale n’a cessé de perdre des habitants D'ARCHITECTUREDROITimportante que celle du quartier Haussmannien avec ses depuis plus d’un siècle, un appartement s’y échangeait immeubles R+5 (5,57), et même légèrement inférieure à en moyenne au quatrième semestre 2014 à plus de 8000 AU celle du quartier Masséna (3,70) dont les immeubles les euros le m², soit une augmentation de plus de 26% sur plus hauts comptent « seulement » 11 étages. 71. http://www.paris. 5 ans71. Et avec une moyenne de 22 euros/m² pour des notaires.fr/outil/immobi- appartements d’une superficie de 50m²72 , la location n’y lier/carte-des-prix Ce constat de faibles densités des quartiers de est pas pour autant plus aisée. La première conséquence tours est particulièrement vérifié pour les opérations 72. Chiffre de de cette situation est l’absence de mixité sociale : les l’Observatoire des Loyers issues de l’urbanisme moderne. Les logiques de plan ménages moins aisés se sont déplacés en banlieue pour SOUMIS SUPERIEURE masse, d’autonomie et de rationalisme de l’époque ont trouver des logements à des prix plus raisonnables. La engendré la construction de tours isolées sur une dalle situation est même pire pour le logement social ; 135 000 ou dans un parc, déconnectées de l’espace publique de la dossiers sont aujourd’hui en attente de traitement par des rue. La libération d’espaces publics, végétalisés, de « respi- agents de la direction du logement et de l’habitat (DLH). ration » parfois sous-utilisés, ou purement ornementaux La construction de tours, objet architectural dense par et couteux à entretenir a toujours été la condition sine excellence, pourrait donc être une solution à ce problème qua non à la construction d’immeubles de grande hauteur en permettant l’empilement des DOCUMENTétages, et donc l’accumu - en France. Le Corbusier voyait dès le début des années 75. LE CORBUSIER, 73. Avec une densité de lation de planchersNATIONALE sur une emprise au sol raisonnable. 20 dans la construction de tours la possibilité de libérer Urbanisme, Paris, Vincent population de 130 000 et Fréal , 1966, p266. Il est vrai que les villes les plus denses au monde se sont 95% de surface au sol consacrée « aux grandes artères, aux hab/km², le quartier de 73 Mong Kok à Hong Kong construites en hauteur . garages de stationnement et aux parcs75 ». Henri Sellier 76. Henri SELLIER, est réputé être le plus dense écrit quant à lui dans un dossier de la revue Urbanisme de du monde. Le quartier « L’habitation en hauteur », 193376 qu’il serait possible en France de règlementer cette présente une mixité ECOLE Urbanisme, n°16, juillet d’immeubles moyenne- création d’espaces libres autour des tours pour que « la 1933, pp.202-205. ment hauts et de tours. densité en hauteur soit la même que la densité en juxta- La hauteur en question 72 Le fantasme de la ville dense 73

77. Ib., p204. position77 » de façon à conserver les atouts de la construc- nomène touche chez nous les plus grandes villes, seules tion en hauteur et d’éviter ses inconvénients (effets de assez puissantes pour accueillir des tours et leurs grandes masses, congestion du trafic…). Encore aujourd’hui, les surfaces de planchers à louer… et logiquement les villes règlements d’urbanisme définissent des COS maximaux où les pénuries de logements sont lesNANTES plus importantes. Le qui augmentent mathématiquement les surfaces au sol déficit de logements serait ainsi estimé à 300 000 unités libérées lorsque les constructions prennent de la hauteur. en Ile-de-France alors que DEdans le même temps 15 mil- 79. Selon l’économiste Il faudrait donc pour augmenter significativement les lions de mètres carrés de bureaux (dont un grande partie Jean-Michel Ciuch, directeur général d’Immo 79. densités de nos villes construire des tours « rapprochées », dans des immeubles neufs) restent désespérément vides Group Consulting, ce qui aurait pour conséquences la création de couloir CHAUVOT Myriam, « En venteux, d’une sensation d’écrasement pour les piétons. Les communes de et Courbevoie, dans Ile-de-France, les bureaux écrasent les logements », Les proximités engendrées et le manque de luminosité l’ouest parisien, sont aujourd’hui parmi les plus riches de Les Echos, 27 novembre dans les étages bas seraient de plus difficilement tolérables France. Elles se partagent en effet le quartier de la Défense 2013. pour les habitants de ces tours… qui génère à D'AUTEURlui seul plus de 150 millions d’euros de taxe professionnelle chaque année grâce à la présence des nom- Pourquoi la densité ? breuses tours qui abritent cinq cents sièges sociaux et où travaillent plus de 170 000 salariés80. Pourtant parsemé 80. LAUTROU Pierre- La question de l’usage doit également être mise de tours, le quartier est très faiblement bâti et la densité Yves, « La cagnotte de la en avant dans ce débat. Les opérations majeures de tours D'ARCHITECTUREDROIT Défense », Lexpress.fr, 20 habitée est très basse pour un quartier de la région pari- octobre 2005. actuelles, en particulier à Paris, abritent principalement sienne. Les constructions de tours prévues ne devraient bureaux et hôtels. L’habitat dans les tours est certes plutôt AU paradoxalement pas arranger la situation : ces dernières mal perçu par une majorité, là où travailler en hauteur seront encore une fois majoritairement constituées de 81. Cf. Détour « Une serait mieux toléré ; mais le phénomène résulte surtout 81 question de taille ». bureaux . Les quelques logements prévus dans certaines d’une logique économique. Le calcul est en fait assez de ces tours sont quant à eux luxueux et serviront sans 82. CHAUVOT Myriam, simple, les surfaces allouées au secteur tertiaire sont une doute plus d‘hébergement de passage aux cadres travail- « Première tour mixte source majeure recettes fiscales pour les municipalités de France, Hermitage SOUMIS lant dans les tours voisines qu’aux familles en recherche Plaza intéresse surtout les qui favorisent au passage l’implantation d’entreprises 82 SUPERIEURE de logement . étrangers », Lesechos.fr, puissantes (et, en conséquent, la création de nombreux 21 mars 2014. Le projet emplois) sur leur territoire. La construction de tours de A Boulogne-Billancourt, le projet d’aména- des tours jumelles de logements implique quant à elle l’afflux de nouveaux l’ (320m, gement de l’île Seguin qui abritait les anciennes usines 280 000m²) consacrera habitants, et donc la création de crèches, écoles, équipe- Renault revient souvent sur le devant de la scène. La com- par exemple 60% de sa ments sportifs… chers à construire et à faire fonctionner. mune de l’ouest parisien, très prisée, est réputée inacces- surface à des logements de luxe. .. Mais aura La spéculation immobilière qui résulte de la construction sible pour les personnes désirant accéder à la propriété. de tours peut donc avoir un effet paradoxal sur la ville : entraîné la destruction DOCUMENT Les biens, rares à la vente, s’arrachent à des prix identiques de deux immeubles la densité bâtie augmenteNATIONALE fortement, alors que dans le à ceux pratiqués en plein cœur de la capitale. Beaucoup résidentiels, soit 250 même temps la densité habitée diminue. Ce mécanisme voyaient dans l’aménagement des friches industrielles de logements. Le programme se vérifie particulièrement dans les pays en développement vise principalement l’île une opportunité de créer logements et parcs publics une clientèle d’affaires où les populations des grandes villes qui habitaient dans 78. JIAN Zhuo, « Petite dans un cadre privilégié. Un premier projet de musée étrangère. des petites surfaces denses n’ont plus les moyens de payer histoire de la tour en Chine ECOLE contemporain par François Pinault est abandonné par 83. PINAULT François, », Urbanisme, n°353, mai- le loyer d’une tour et se voient contraints de déménager l’architecte en 200583 en raison de lourdeurs administra- « Ile Seguin : je renonce », juin 2007, pp50-53. dans des périphéries toujours plus lointaines78. Le phé- Le Monde, 10 mai 2005. La hauteur en question 74 Le fantasme de la ville dense 75

tives et de tensions entre les dirigeants. Après plusieurs Un tissu urbain à adapter projets avortés, le plan de Jean Nouvel est finalement adopté. Il prévoit la construction d’un hôtel, de com- L’augmentation de la densité des villes a des merces, d’un multiplexe cinématographique, d’un « pôle NANTES conséquences sur la structure même de la ville. Une forte 84. « Voilà les tours de l’île d’art et de musique » et de cinq tours… de bureaux84. Seguin », Le Parisien, 16 concentration d’habitants, mais surtout d’activités, néces- Les cinq immeubles cristallisent les plaintes des habitants DE juin 2011. site une augmentation des capacités des infrastructures du de la commune, regroupés en associations pour dénoncer quartier concerné. Raymond Unwin85, urbaniste anglais, 85. Raymond Unwin est né un projet qu’ils estiment de plus beaucoup trop dense. s’est penché sur ce sujet dès le début des années 20. Dans en 1863 à Rotherham dans La municipalité demande alors à Jean Nouvel d’imaginer le nord-est de l’Angleterre. son rapport Higher Building in relation to Town Planning86, deux variantes au projet initial, formellement différentes Il est l’auteur de nombreux il démontre de façon scientifique que le gratte-ciel est un Version retenue pour et moins denses. Le référendum organisé en octobre 2012 écrits théoriques mais est obstacle insurmontable à la planification rationnelle de surtout connu pour sa l’aménagement de l’île donnera gagnante une version du projet comportant une Seguin la ville. Sa théorie s’appuie sur l’exemple d’un immeuble participation à la concep- seule tour. tion de Letchworth, le Infographie, Atelier Jean new-yorkais,D'AUTEUR le Woolworth Building de l’architecte Cass Nouvel, 2012 prototype des cités-jardins Gilbert (1913). Ses 26 niveaux et ses deux sous-sols imaginées par Ebenezer accueillent quotidiennement plus de 14000 employés Howard. En 1919, il est nommé architecte en chef auxquels il faut ajouter les visiteurs occasionnels. du nouveau Ministère de la D'ARCHITECTUREDROITRegroupée sur un trottoir, cette population en occuperait Santé britannique ainsi que environ 800 mètres linéaires, voire 2 kilomètres si cette conseiller en chef pour le plan régional de Londres. AU même population se mettait en marche. Il faudrait ainsi environ une demi-heure de délai pour permettre l’accès 86. UNWIN Raymond, de toute cette population au métro. L’incapacité de nos « Higher Building in Rela- tion to Town Planning », villes à « engloutir » la densité induite par la grande hau- RIBA journal, 1924, vol. teur serait ainsi la raison de la saturation des Downtown XXXI, n°5, pp.125-140. SOUMIS des grandes villes américaines. SUPERIEURE Si ces études sont aujourd’hui très datées, elles soulignent un problème toujours actuel d’adaptation La théorie de l’augmentation de la densité par la des infrastructures urbaines. Ce constat se vérifie parti- construction de tours ne doit pourtant pas être enterrée, culièrement à Paris où le développement des tours dans car il est tout à fait possible d’imaginer des tours parse- le quartier de la Défense a créé un déséquilibre dans la mées dans un tissu d’îlots ouverts « classiques », qui aurait répartition des emplois sur toute la région Ile de France. pour effet d’augmenter automatiquementDOCUMENT la densité de ces Un nombre important d’emplois est ainsi concentré sur îlots sans en compromettreNATIONALE le fonctionnement, et avec des un territoire limité avec une migration pendulaire impor- conditions de vie tout à fait acceptable pour leurs occu- tante. La Ligne 1 du métro Parisien qui dessert le quar- pants. C’est d’ailleurs vers ce modèle que nous tendons à tier est ainsi la plus fréquentée du réseau de transports en nous diriger aujourd’hui, même si il faut nuancer le terme commun de la ville, et se retrouve complètement saturée de tours : les constructions les plus hautes dans les ZAC se aux heures de pointes, et cela malgré l’apparition de la limitentECOLE généralement à une dizaine d’étages. ligne A du RER en 1977 desservant également le premier quartier d’affaires Européen… ligne par ailleurs la plus La hauteur en question 76 Le fantasme de la ville dense 77

fréquentée du réseau régional. Le problème structurel ne L’Atelier Parisien d’Urbanisme a publié une étude en se pose pas seulement avec les transports collectifs, mais 200387 portant sur la différence entre les mesures de den- 87. Milliex Jean-Michel, également avec le transport individuel. S’il parait possible sités théoriques et l’expérience (la densité perçue) qu’en MEZIANI Mehand, BORDAS-ASTUDILLO NANTES88 d’envisager aujourd’hui des tours de bureaux sans parking ont les habitants dans quatre quartiers parisiens . Dans Florence, Denstiés vécues pour les employés, dans des zones denses et donc cor- les secteurs aux densités les plus faibles (Falguière, COS et formes urbaines. Etude rectement desservies par les transports en commun (avec de 1,93, Jeanne d’Arc, 3,15),DE la majorité des personnes de quatre quartiers pari- tous les problèmes de saturation évoqués…), il est impos- dit souffrir de trop de densité bâtie. Dans les quartiers siens, Paris, Atelier Parisien d’Urbanisme, juin 2003. sible d’envisager de vendre des logements sans parking au contraire beaucoup plus denses (la Roquette, 3,4, individualisé. Autrefois déportées sur les espaces libérés Rochechouart, 4,5), le tissu resserré et continu du bâti 88. L’étude se base sur la comparaison de 4 autour des tours, ces places de parking doivent, dans une aux hauteurs homogènes (R+7) procure un sentiment quartiers « typiques » de zone potentiellement dense, être intégrées dans le bâti- d’intimité et de bien-être aux habitants. Plus les habitants Paris : Haussmannien (rue ment lui-même. Or il est évidemment plus difficile de vivent dans des immeubles hauts et plus ils ont tendance Lafayette, Rochechouart, 9ème), de faubourg (rue stocker un nombre important de voitures sur l’emprise au à considérer D'AUTEURque la hauteur des bâtiments est oppressante de la Roquette, 11ème), sol réduite d’une tour. Creusement de plusieurs niveaux et que le quartier est « trop bâti ». La hauteur est en fait mixte issu d’un développe- de sous-sols, mutualisation des parkings… les solutions le critère objectif déterminant la perception de la densité, ment des années 80 (rue de Falguière, 15ème), de tours techniques existent, mais sont couteuses et souvent com- plus que la densité concrètement chiffrée. (rue Jeanne d’Arc, 13ème). plexes. D'ARCHITECTURE DROIT L’étude montre également que, par conséquent, les fortes densités ne sont pas forcément mal vécues si AU elles sont synonymes d’animations, de diversité com- « Density taken for cars and people » merciale et de services publics performants. Les grands Raymond Unwin, 1923 ensembles, qui n’ont au final pas de conséquence sensible Longueur de rue nécessaire sur la densité, véhiculent en revanche les clichés négatifs pour recevoir les automo- des fortes densités : oppression, manque d’intimité… biles et les piétons avec un immeuble de 5, 10, ou 20 SOUMIS étages. SUPERIEURE L’argument des tours synonyme de densité, étrangement jugé comme acquis par les deux « camps », est donc à prendre avec des pincettes. En France et comme dans beaucoup d’autres pays européens, les caractéris- tiques de la ville dense sont en général inverses de celles d’un urbanisme inspiré du mouvement moderne : un tissu 89. Lors d’un sondage organisé pour l’élaboration compact aux hauteurs homogènes plutôt qu’une réunion du nouveau PLU, 63% Densités réelles / densités vécuesDOCUMENT d’objets solitaires ponctuellement hauts. La grande hau- des parisiens interrogés NATIONALE teur est d’ailleurs mal vécue pour la plupart des français89, se disaient opposés à la Un certain paradoxe persiste autour de la den- sans doute marqués par l’échec de l’urbanisme de grands construction d’IGH dans la capitale. sité urbaine. Présentée comme la clé d’un développement ensembles des trente glorieuses. Un « échec » tellement futur harmonieux de nos villes, tant écologiquement que déclaré que les journalistes le reprennent à leur compte 90. Selon un sondage socialement, elle garde une connotation péjorative pour comme un fait. Il ne faut pas oublier que la maison indi- du CREDOC de 2004, ECOLE la maison individuelle le grand public qui l’associe à l’étouffement, la perte viduelle reste le logement idéal pour plus de deux tiers des d’intimité, le manque d’espaces publics ou de transports. représente le logement idéal français90… pour 82% des français. Préambule

NANTES DE 79 Le dilemme français D'AUTEUR 3 D'ARCHITECTUREDROIT AU

SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE Le dilemme français 80 Dichotomie architecturale 81

d’affaires Européen, et terminera enfin l’Axe historique de Paris, sujet à de nombreuses spéculations depuis des décennies déjà92. En 1989, Jean Nouvel remporte le 92. Les projets sur le site concours du Triangle de la Folie dansNANTES le même quartier, de La se sont succédés depuis les années avec une tour « Sans Fins » de 400 mètres qui s’évanouit 50. Celui des architectes dans le ciel grâce à un subtilDE jeu d’opacités de vitrages. La André et Jean Polak, parmi même année, Dominique Perrault remporte le projet de les plus fous, prévoyait en 1962 la construction Bibliothèque Nationale avec ses quatre tours en forme de Dichotomie architecturale d’une tour de tourisme et Maquette, Atelier Jean « livres ouverts » qui marqueront durablement les berges de radiodiffusion de 750 Nouvel de Seine dans le 13e arrondissement. mètres de hauteur. Un nouveau modèle urbain ? Tour de 100 étages Mais les crises immobilières du début des années (425m) projeté en 1990 à La vision populaire des tours, grandes « victimes côté de la Grande Arche. 90 marquent,D'AUTEUR une nouvelle fois, un coût d’arrêt dans la A l’image que suscite le architecturales » des crises des années 70, se modifie large- construction de tours en France. Aucun immeuble de débat sur la grande hau- ment dans les années 80. Alors que l’économie de la France plus de 100 mètres ne sort de terre en France entre 1990 teur en France, le projet a repart doucement à la hausse, de nouveaux projets sortent et 1995, et le goût de plus en plus prononcé des Français été plusieurs fois reportés des cartons. Le premier ministre Raymond Barre ordonne avant d’être définitivement D'ARCHITECTUREpour les maisons individuelles dans des banlieues pavil- annulé en 2000. en 1978 la construction de 350 000 m² de bureaux à la DROITlonnaires qui semblent s’étendre de plus en plus n’arrange Défense au nom de la relance économique. Les tours de pas la situation. « troisième génération » y voient le jour sous des formes AU désormais plus variées, à la recherche d’économies d’éner- Pourtant, comme un éternel recommencement, gie et d’un meilleur confort pour les utilisateurs. Mais de nouveaux projets de tours font leur apparition au 91. Le groupe d’immeubles l’image des tours a considérablement évoluée. Elles ne début des années 2000. Le maire de Paris d’alors, Bertrand imaginé en 1980 rue peuvent désormais plus prétendre être une solution répé- des Haute-Formes (13e Delanoë, se déclare ainsi le 26 octobre 2003 au micro titive et identique à un problème urbain, mais se doivent arrondissement) par SOUMIS d‘Europe 1 favorable au retour des tours dans sa ville pour Christian de Portzamparc d’incarner, un peu à la manière de la Tour Eiffel,SUPERIEURE des évè- « favoriser l’arrivée de nouvelles activités économiques et marque un tournant dans nements ponctuels et isolés dotés d’une architecture hors améliorer l’accès au logement ». Plusieurs projets sont, ce sens. Comme pour faire du commun pour marquer un lieu, un évènement ou une un pied de nez aux tours dans les mois qui suivent, présentés dans la presse locale 93. CHASLIN François, voisines du quartier des symbolique précise. Alors que l’architecture domestique et nationale, dont certains dans les limites même de Paris. Olympiades, l’architecte tourne le dos à une époque moderne désormais révolue « Un rationalisme paradoxal, entretien imagine un petit groupe en réinterprétant ses modèles historiques91, les années 80 d’immeubles bas assez Et le phénomène ne touche pas que la capitale. avec Rem Koolhaas », dense, aligné sur rue et sont marquées par les Grands Projets architecturaux, dont A Lille, c’est l’architecte hollandais Rem Khoolhaas qui L’Architecture d’Aujourd’hui, n°280, avril 1992. transpercé par des venelles certains font la part belle à la hauteur.DOCUMENT est chargé de l’aménagement du nouveau quartier de la piétonnes et des petites NATIONALE gare TGV-Nord en centre d’affaires Européen. Dès le places. L’opération, qui va 94. Ib. à contresens des préceptes A la Défense, le projet un architecte danois milieu des années 90, il entend marquer symboliquement de la Charte d’Athènes qui inconnu, Johan Otto Van Spreckelsen, est sélectionné « l’arrêt93 » dans un quartier « dominé par les flux94 » par 95. , arch. prévalaient jusque-là, est par le Président Mitterrand parmi les 424 propositions la construction de tours au dessus des lignes de chemin Christian de Portzamparc saluée par la critique. (120m, 1995), et Tour du concours International pour la Tête-Défense lancé 95 ECOLE de fer. Deux d’entre elles seront finalement construites , Lilleurope, arch. Claude par l’EPAD en 1982. Son cube ajouré à l’architecture dans une ville jusque là peu habituée à la grande hauteur. Vasconi et Jean-Claude audacieuse sera le nouveau symbole du premier quartier Burdèse (110m, 1995). Le dilemme français 82 DichotomieUn combat politico-architecturalarchitecturale : la valse des égos 83

Euralille, de la théorie à ensembles se multiplient également dans des quartiers la pratique « sensibles » auxquels on voudrait « redonner une échelle Croquis, photographie, plus humaine »… OMA NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT AU

« Prenez de la hauteur ! » A Lyon, le quartier de la Part-Dieu, deuxième Vers plus de mixité sociale ? Photographie, Nantes, pôle d’affaires français qui paraissait bloqué dans les 2014 années 70, semble renaître avec l’inauguration en 2010 de Le manque de logements sociaux dans les 96 96. Arch. Arte Charpentier la tour Oxygène et plusieurs autres projets dont certains SOUMIS grandes villes françaises est également un argument (115m, 2010). en construction. De manière plus modeste, Nantes déve- SUPERIEURE récurrent chez les défenseurs des tours. Ces dernières 97. L’article 55 de la loppe elle aussi un nouveau quartier d’affaires à quelques seraient un moyen d’éradiquer, ou du moins d’atténuer loi n°2000-1208 du 13 pas de sa gare SNCF. Plusieurs tours d’une cinquantaine le problème d’embourgeoisement des centres-villes évo- décembre 2000 prévoit de mètres devraient y voir le jour, dont certaines exclusi- un pourcentage de 20 % qués plus haut, connu par toutes les grandes villes et en de logements sociaux dans vement dédiées au logement. particulier par Paris. Elles seraient donc également un les communes de plus de moyen efficace d’atteindre le fameux seuil de la loi rela- 3 500 habitants (1 500 en Doit-on faire de nouveau appel au modèle de Île-de-France) comprises tive à la Solidarité et au Renouvellement Urbains (dite dans une agglomération de la tour ? La question est épineuseDOCUMENT et génère aujourd’hui loi SRU) dont l’article le plus notoire vise à imposer plus de 50 000 habitants, deux points de vue NATIONALEradicalement opposés… et une situa- aux villes au moins 20% de logements sociaux sur leur comprenant au moins une tion qui peut paraître paradoxale. Car si d’un côté les territoire97. L’équipe municipale parisienne tend depuis commune de plus de 15 000 habitants. projets de tours se développent dans les nouveaux quar- plusieurs années à appliquer ce principe, notamment en tiers de ville avec des arguments de vente (un « nouveau déplafonnant les hauteurs maximales pour les immeubles 98. « Feu vert pour des regardECOLE sur la ville »…) qui laissent une impression de d’habitation dans les quartiers proches du périphérique98 gratte-ciel dans Paris ? », déjà-vu, les destructions de barres et de tours de grands France Soir, 18 novembre pour augmenter le nombre de constructions de logement 2010. Le dilemme français 84 Un combat politico-architectural : la valse des égos 85

sociaux. Ce mécanisme idyllique peut pourtant paraître de la ville, connu à travers le monde. Mais ce système un peu simpliste au regard des expériences passées. Les renforce encore un peu la hiérarchie verticale, reflet d’une normes IGH sont en France très strictes, notamment en richesse ou d’une puissance qui régit souvent l’organisa- ce qui concerne les réglementations incendie. Les frais liés tion des tours. NANTES au fonctionnement et à l’entretien (gardiennage, camé- ras de sécurité, entretien des espaces libérés au sol...) de L’idéologie du principe DE ces mêmes tours sont parfois deux fois plus élevés que 99 Le quartier Italie XIII à Paris est souvent consi- 99. MOIROUX Françoise, dans un immeuble « classique » , soit par exemple 300 « Maudites tours ! », d’A, euros pour un appartement de 50m² en 2008100 dans la déré comme modèle d’urbanisme à ne pas reproduire, n°158, octobre 2006, p49. tour Défense 2000101 située dans le quartier d’affaires du mais est régulièrement cité comme exemple de mixité 100. CORLIN Peggy, même nom. Il faut à cela ajouter un coût de construction sociale réussie, au sein même de Paris. Comme le rappelle « C’est comment d’habiter Françoise Moiroux103104, les tours du 13e arrondissement 103. MOIROUX dans la plus haute tour de au m² plus élevé pour un immeuble haut à cause de struc- ont nettement participé à la fuite de la classe ouvrière qui Françoise, « Maudites tours France ? », rue89.nouvelobs. tures porteuses plus imposantes et d’une sophistication D'AUTEUR ! », d’A, n°158, octobre com, 9 aout 2008. technique logiquement couteuse. Il devient alors évident occupait le quartier auparavant. Mais sous leur aspect 2006, pp. 48-49. 101. Arch. Michel similaire, les tours cachent en fait une grande diversité que les tours d’habitation sont un modèle luxueux par 104. MOIROUX Proux, Jean-Michel opérationnelle due à un nouveau financement testé avec Françoise, « Les Demones et Jean-Michel essence ; espérer résoudre le problème du logement social la rénovation du quartier : l’encadrement de la promotion Olympiades Paris Srot. La tour, inaugurée en par la construction de tours de logements HLM serait D'ARCHITECTURE XIIIe, Une modernité 1974, comporte plus de DROITprivée. Les terrains nécessaires à la construction des tours illusoire. D’autant plus qu’il serait difficile de parler de Contemporaine », 300 appartements et reste sont cédés au secteur privé en échange d’une participation « mixité sociale » avec des tours exclusivement consti- Connaissance des Arts, Hors considéré comme la tour à la construction d’immeubles HLM destinés à reloger Série n°564, février 2014, d’habitation la plus haute tuées de logements sociaux dans les limites de Paris mais AU 43p. de France (134 mètres). à proximité des limites administratives, tel que le PLU les populations expropriées ainsi que d’équipements, de l’autorise actuellement. routes et d’infrastructures nécessaires au fonctionnement du quartier. L’opération des Olympiades reste dans le Des expérimentations ont cependant eu lieu quartier le meilleur exemple d’une « diversité sociale » pour tenter de concilier logements sociaux et tours. C’est SOUMIS aujourd’hui si convoitée. Les quelques 3500 logements 102. Arch. Santiago le cas du mythique gratte-ciel Turning Torso102 de Malmö répartis en six tours de logements en accession privée clas- SUPERIEURE 105 Calatrava Valls, 190 mètres, en Suède. La tour, qui semble tourner sur elle-même, sique, deux tours de logements ILN , et trois immeubles 105. « Immeuble à 2005. HLM. La complexité du montage financier de l’opération Loyer Normal », statut créé est exclusivement résidentielle. Pour assurer une offre de par la loi cadre de 1957 logements sociaux dans une tour rendue couteuse par pose aujourd’hui des problèmes de gérance, notamment sur le logement. Cette une spécificité et un avant-gardisme dans son dessin, un en ce qui concerne la dalle dont le statut juridique « d’es- catégorie d’immeubles pace privé accessible au public » pose question, mais elle était destinée aux classes système pyramidal a été mis en place dans la conception moyennes. des logements. Alors que les premiers étages sont réservés a créé une diversification de population rare au sein de la aux logements sociaux, les étagesDOCUMENT les plus hauts sont au capitale. Avec l’appropriation progressive des commerces contraire les plus luxueuxNATIONALE et bénéficient donc de vues plus et des logements par les communautés asiatiques de dégagées sur la ville. Leurs charges sont donc plus élevées Paris, le quartier des Olympiades est aujourd’hui devenu 106 et permettent d’assurer l’entretien de l’immeuble. Tous une « micro-métropole asiatique » au cœur d’un des 106. FROMONOT quartiers les plus dynamiques de Paris. Plus largement, Françoise, « Des tours ces habitants se croisent dans le hall d’entrée commun, à Paris », Criticat, n°1, la trentaine de tours du 13e arrondissement assurent une permettantECOLE la cohabitation de personnes issues de classes janvier 2008, p16. sociales différentes dans un immeuble devenu le symbole diversité de l’offre immobilière, suivant un schéma clas- sique de l’attrait d’une situation géographique centrale. Le dilemme français 86 Un combat politico-architectural : la valse des égos 87

Les logements des tours du secteur Italie I, situé à la l’étiquette « d’erreur urbanistique », en pointant du doigt périphérie de l’opération entre la petite ceinture ferro- des dysfonctionnements techniques et d’usages d’une viaire et les boulevards Maréchaux, sont les moins chers à époque où il est vrai, tout se faisait en vitesse. De plus, l’achat. Paradoxalement, leur côte basse, bien au-dessous certains de ces dysfonctionnementsNANTES (une passerelle man- du prix du marché du quartier, attirent des acheteurs qui quante, l’aménagement incomplet de la dalle, l’absence ne pourraient pas se permettre d’investir à Paris sinon. de commerces…) sont directementDE liés à l’arrêt brutal des Plus au nord au contraire, les logements des tours iso- projets dans la capitale entre 1974 et 1975, biaisant ainsi le lées et construites à proximité de quartiers mieux côtés fonctionnement imaginé par les concepteurs. L’idéologie s’échangent à un prix bien plus élevé, mais dans des four- atteint son paroxysme quand on évoque le supposé « mal- chettes de prix toujours plus basses que la moyenne. Cette être social » des usagers des tours, au mépris d’habitants différence s’explique sans doute aussi par le montant des attachés à ce mode de vie si spécial et dont l’appartement charges à supporter annuellement par les propriétaires, ferait rêver beaucoup de « banlieusards ». De plus, ces bien plus élevé que dans un immeuble « classique ». différents quartiersD'AUTEUR n’affectent que très peu le fameux Mais les prestations et les nombreux services proposés en Paris-musée constitué de monuments et de boulevards contrepartie trouvent un écho auprès de beaucoup d’ha- Haussmanniens qu’il faudrait à tout prix protéger de la bitants associant le parking privé, le gardiennage 24h sur présence, même lointaine, de quelques tours. 24, la vidéosurveillance et les vues panoramiques à une D'ARCHITECTURE certaine idée du luxe. Certaines des tours les plus hup- DROIT Le patrimoine en toile de fond : pour une pées, avec leurs halls marbrés un brin clinquant, inversent même la situation en attirant des populations plus aisées AU immuabilité des villes ? dans un arrondissement plutôt populaire. Car si tous les Les tours seraient, pour beaucoup, incompa- habitants des tours n’ont pas fait le choix de ce mode vie, tibles avec Paris, capitale du goût et de l’harmonie. Selon ceux interrogés ne le renient pas pour autant et admettent Françoise Fromonot, on peut distinguer trois « familles » de les qualités intrinsèques de ce type d’habitat. Mieux, partisans d’un certain traditionalisme architectural108. Les 108. FROMONOT certains revendiquent un choix de vie en hauteur, et la SOUMIS premiers, gardiens ultimes d’un Paris muséifié, tiennent à Françoise, « Des tours à Paris », Criticat, n°1, déconnexion de la ville qu’il implique. UneSUPERIEURE journaliste conserver le subtil et fragile héritage patrimonial si riche 107 janvier 2008, pp.5-53. 107. CORLIN Peggy, de Rue89 explique ainsi dans son article sa surprise à de la capitale. Toute nouvelle rupture d’échelle reviendrait « C’est comment d’habiter la découverte du lien social tissé entre les habitants d’une dans la plus haute tour de à se tirer une balle dans le pied, et constituerait une faillite France ? », rue89.nouvelobs. tour d’habitation du quartier de la Défense. au devoir de legs du patrimoine aux générations futures. com, 9 aout 2008. Les seconds défendent un patrimoine plus social qu’urba- e Les tours du Front de Seine et du 15 arrondis- nistique. Les tours constituent pour eux une « allégeance sement sont, à mon avis, un témoin unique d’une vision 109 DOCUMENT à la mondialisation et à ses normes », leur édification 109. Ib., p14 de la cité moderne rêvéeNATIONALE dans les années 60, et la concré- dans la capitale signerait donc la mort d’un Paris populaire tisation la plus fidèle et complète d’idées de théoriciens déjà mis à mal par les opérations d’envergure des années du XXème siècle, tel que Le Corbusier, qui se révèleront 60-70. Les troisièmes, enfin, sont plus modérés ; rénover être des visionnaires en leur temps. Sans pour autant faire et embellir en douceur la ville ancienne dans laquelle ils l’apologie de la ville fonctionnelle voulue par les moder- vivent est pour eux un « automatisme culturel110 », mais 110. Ib., p13 nistes,ECOLE il est regrettable de regrouper ces quelques quar- la construction de tours serait un signe du temps auquel tiers de Paris (une petite partie seulement de la ville !) sous on ne peut échapper. Ils tolèreraient donc l’édification Le dilemme français 88 Un combat politico-architectural : la valse des égos 89

de quelques tours (mais uniquement des chefs-d’œuvre Cette prise de conscience patrimoniale est d’ail- architecturaux !) à l’extérieur des limites administratives leurs en marche dans plusieurs des villes concernées. A de Paris. Paris, la Tour Montparnasse est depuis longtemps fré- quentée par les touristes, en particulierNANTES étrangers113 , qui 113. Les étrangers Les tours construites durant les années 70 dans peuvent accéder à un restaurant au 56ème étage et à la ont représenté 80% des visiteurs sur l’année 2011, les centres-villes concentrent la plupart des critiques. terrasse panoramique du 59èmeDE étage. Le point de vue « Fréquentation record à la Elles sont pourtant, par leurs dimensions, leur style et sur la capitale est unique, et particulièrement apprécié de Tour Montparnasse », Le leur traité urbain, les représentantes les plus évidentes ses détracteurs car « la plus belle vue de Paris est à son Parisien, 26 octobre 2012. d’une vision monumentale de la ville aujourd’hui révolue sommet, le seul endroit d’où on ne la voit pas114 ! ». La 114. Formule comme le sont les cathédrales, châteaux et autres arcs de fréquentation de ces deux étages, rénovés en 2005, est en inventée par Tristan Ber- nard, écrivain qui utilisa triomphe pour leurs époques de construction respectives. constante augmentation et a dépassé pour la première fois l’expression pour la Tour Ces « monuments historiques », surprotégés et régulière- de son histoire le millionième visiteur en 2012 malgré un Eiffel mais qui sera associée ment rénovés à grands frais et dans le plus strict respect ticket d’entréeD'AUTEUR à 14,50€115. La tour est ainsi devenue le à la Tour Montparnasse dès de leur état originel, sont les porte-étendards d’une his- dixième monument le plus fréquenté116 de la capitale. les années 70. Un signe du temps ! toire urbaine riche et complexe. Il en sera sans doute de 115. Plein tarif en même pour les « monuments modernes » que sont les De la même manière à Nantes, le dernier étage 2014pour l’accès au 56ème Perspective sur le tours, mais le recul historique est pour le moment insuf- de la tour Bretagne, «le ‘gratte-ciel’ du centre ville, occupé étage et à la terrasse pano- Champs-de-Mars, D'ARCHITECTUREDROIT ramique Ecole Militaire et Tour fisant. Les politiques de rénovations actuelles visent quasi à son ouverture par un restaurant était resté désespéré- Montparnasse systématiquement à maquiller les tours à grand coups ment vide depuis douze années. La première édition en 116. « Fréquentation d’éclairages LED ou de parements en surépaisseur pour AU 2012 du « Voyage à Nantes », événement estival basé sur record à la Tour Montparnasse », Le 111. Nathalie tenter d’enfin augmenter leur côte de popularité auprès la création d’un parcours urbain visant à promouvoir le Kosciusko-Morizet, Parisien, 26 octobre 2012. Interview de SABBAH du grand public. Je suis persuadé que dans quelques patrimoine de la ville, a été l’occasion d’une rénovation Catherine, « Municipales décennies, nous lirons avec amusement les commentaires et d’une réouverture au public du dernier étage de la Paris 2014, dossier des nombreuses personnes qui affirment haut et fort que tour. L’espace, transformé en bar sur le thème du nid de spécial », Archistorm, n°65, 111 117 117. mars – avril 2014, p53. la Tour Montparnasse « défigure le paysage urbain » SOUMIS cigogne , s’ouvre sur une terrasse sécurisée offrant une Le Nid, comme nous nous délectons aujourd’hui desSUPERIEURE propos de vue panoramique sur toute l’agglomération nantaise. Le Jean Jullien plasticien, Urbanmakers architectes 112. Le Temps, 14 Guy de Maupassant et Alexandre Dumas fils, évoquant « succès est immédiat, 2000 visiteurs attendent chaque jour février 1887. d’opération, Métalobil l’inutile et monstrueuse tour Eiffel112 » en 1887. parfois jusqu’à une heure en bas de la tour pour accéder créateurs du mobilier. au bar du 32ème étage118. La tour souvent décriée devient 118. « 45 000 dès lors un support de communication de la ville, un élé- visiteurs en trois semaines: le succès vertigineux du ment du paysage que l’on présente avec fierté aux tou- Nid », Presse Océan, 9 ristes en visite dans la ville… remplissant ainsi une partie juillet 2012. DOCUMENT NATIONALE des objectifs de sa construction dans les années 70.

ECOLE Les immeubles de plus de 50m de Détour 2 Lille Une question de taille 150 100 L’aspect compétitif est indissociable du thème de la grande hauteur. Si 50 le nombre d’étages ou les superficies varient énormément entre chaque gratte- NANTES ciel, la hauteur atteinte reste le critère principal de comparaison. Les tours fran- 0 m çaises restent dans ce domaine très éloignées des records mondiaux ; il s’agit Tour de Lille La Tour LilleuropeDETour Kennedy Cité administrative Hôtel de Région Résidence de pourtant du critère mis en avant lors des différents débats sur la construction 120m 110m 82m 78m 67m l’Europe 1 1995 1995 1968 1955 2008 63m d’IGH en France. Alors, « qui à la plus grande ? ». Etat des lieux des skylines de 1962 Paris, Lyon, Nantes et Lille. Christian de Jean-Claude Jean-Pierre Secq Albert Laprade Luc Delemazure, Portzamparc Burdèse, Claude Gilles Neveux, Henri Chomette Vasconi Jean-Michel Sources : SkyscraperPage, pss-archi.eu Wilmotte Illustrations personnelles

D'AUTEUR

Paris est clairement la capitale des tours en France. Le quartier de la Dé- fense, à l’Ouest, fait office de vitrine architecturale rendue possible grâce à une règlementation privilégiée. Il héberge une grande partie des plus hauts gratte- D'ARCHITECTURE ciel français et concentre tous les projets majeurs des années à venir. Les autres DROIT grands projets à l’extérieur de cette zone et qui font grand bruit aujourd’hui ne devraient pas changer radicalement la physionomie de la capitale. Situés aux AU Nouveau Mons alentours du périphérique, ils poursuivent une logique de « verticales isolées » Euralille aux limites de la ville déjà établie.

Le cas des trois autres villes fait ressortir les logiques de développements historiques évoquées plus tôt : d’un côté, les ZUP qui se sont développées en de- hors des limites de la ville (la Duchère et les Minguettes à Lyon), et de l’autreSOUMIS les nouveaux quartiers d’affaires métropolitains (Euralille, La Part-DieuSUPERIEURE à Lyon ou le Pré-Gauchet à Nantes), véritables contrepoints aux centres-villes historiques.

DOCUMENT 100 NATIONALE 50 Principales zones d’urbanisme Bureaux de grande hauteur Habitations 0 m Limites administratives Usage mixte de la commune Complexe hôtelier 50 ECOLEInstitution Légende (mairie, ministère...) 0 m Les immeubles de plus de 50m de Les immeubles de plus de 50m de Nantes Lyon 200

150 150 100 100 NANTES 50 50

0 m 0 m DE Tour Bretagne Sillon de Bretagne Tour Vulcain IVTours Vulcain I, II & III Tour Hâméra Tour Incity Two Lyon Tour Tour Icade Tour Silex II Tour Oxygène Tour Swiss Tour 144m 85m 59m 59m Amazonie 54m 200m 178m Part-Dieu 130m 120m 120m Life Panoramique 1976 1974 1973 1973 55m (2015) (2015) (2018) 178m (2015) 1975 (2016) 2010 82m 80m (2015) 200 1977 1990 1972 Claude Devorsine J. Boquien, G. Béranger & Valode & Dominique Atelier de la Atelier de la Rize Arte Charpentier Ganuchaud, M. a/LTA Vincent 150 Pistre Perrault Araldo Rize Má Architectes Architectes Batton- François-Régis Lameynardie Architectes Cossutta Roustit Cottin J. Maëder, J. Parois 50 D'AUTEUR 0 m

50 Charpennes - D'ARCHITECTURETonkin 0 m DROITLa Duchère 50 Gratte-Ciel Port-Boyer AU 0 m Part-Dieu 50 Malako / Pré-Gauchet 0 m

SOUMIS 50 Beaulieu SUPERIEURE 0 m Les Minguettes

50

0 m

50 DOCUMENT 0 m 50 NATIONALE 50

0 m 0 m 50 50 0 m 0 m ECOLE 50

0 m Les immeubles de plus de 100m de Paris

300 250 NANTES 200 200 150 150 DE 100 100

50 50

0 m 0 m Hermitage Plaza 1&2 Tour Phare Tour First Tour Montparnasse Tour Air² Hotel Concorde Tour T1 Fina Tour Triangle Tour CB21 Tours Duo 323m 300m 231m 210m 203m 193m Lafayette 178m 190m Elf 184m 180m 179m 175m 171m (2016) (2016) 2011 1973 (2015) 2014 190m 1974 2008 187m 2008 (2017) 1974 (2020) 2014 1974 1985 Sir Norman Foster Morphosis David Serero Saubot, Beaudouin, Arquitectonica Jean-Paul Roger Saubot, Denis Valode, Christian de Herzog & de Meuron, Max Abramovitz, Ateliers Jean Anthony Béchu, ( om Mayne) Cassan, Hoÿm de (Bernardo Fort Viguier Henri Guibout, Serge Francois Jullien Jean Pistre WZMH Portzamparc Kentaro Ishida, Wallace K. Nouvel Tom Sheehan Marien Brescia) Maloletenkov, Yves Architects, Raymond Jr. Gaëtan Harrison Betin D'AUTEURRoger Saubot, François Jullien 150

100 50 D'ARCHITECTURE 0 m DROIT Trinity Tours Chassagne et Tour EDF Coeur Défense Cité judiciaire de Tour Egée 167m Alicante 166m 165m 161m Paris 155m 155m 2015 167m 2013 2001 2001 160m 1999 1999 AU 1995 (2016) Crochon Robert A. M. Sterm,Pei Cobb Freed Jean-Paul Viguier Brullmann Michel Andrault, SRA-Architectes & Partners Renzo Piano Michel Andrault, Pierre Parat, Nicolas Nicolas Ayoub ayoub Les Orgues de La Défense Flandres 150 100 SOUMIS 50 SUPERIEURE

0 m Front de Seine Italie XIII 100

50

0 m 100 DOCUMENT 50 NATIONALE

0 m Bureaux Principales zones 100 100 Habitations d’urbanisme de grande hauteur Usage mixte 50 50 Complexe hôtelier 0 m ECOLE 0 m Institution (mairie, ministère...) Le dilemme français 96 Un combat politico-architectural : la valse des égos 97

nées dans tous les domaines, semble dans ces conditions assez incroyable. Mais il montre à quel point les tours sont encore aujourd’hui un symbole prégnant sur lesquels les forces politiques tentent de s’appuyerNANTES pour asseoir une image de puissance et de prospérité à l’échelle mondiale : la candidate affirme que «DE cette image forte doit s’accom- 122. « Municipales à pagner de mesures fortes pour créer les conditions de Nantes : le projet «Phare l’attractivité de Nantes au niveau européen et internatio- Bretagne» de Laurence Un combat politico-architectural : la valse nal122 », même pour une agglomération de taille moyenne Garnier », Presse-Océan, 13 décembre 2013. des égos comme Nantes.

Projet « Phare Images croisées Bretagne »... Et ses D'AUTEUR parodies Les élections municipales de 2014 ont été l’oc- Photomontages, 2014 casion de souligner l’importance de la symbolique de la présence de tours dans nos villes, et là cristallisation de visions urbaines qu’elles pouvaient générer auprès D'ARCHITECTURE de personnalités politiques et d’habitants. A Nantes, les DROIT premiers sondages de décembre 2013 sont plutôt défavo- 119. La candidate soute- 119 nue par le Parti Socialiste rables à Laurence Garnier , candidate UMP à la tête de AU remportera finalement la mairie. Alors que la campagne s’est faite discrète dans l’élection au second tour du les médias jusqu’ici et que le climat politique national, sur 30 mars 2014 avec 56,21% des suffrages, contre fond de crise économique, est plutôt favorable à la droite, 43,78% pour la candidate l’équipe de la candidate sort sa première proposition pour UMP. la ville : le « Phare Bretagne ». Une structure d’une cin-SOUMIS 120. « Municipales à quantaine de mètres en matériaux compositesSUPERIEURE qui vient Nantes : le projet «Phare coiffer la Tour Bretagne, tour du centre ville nantais. Trois Bretagne» de Laurence Garnier », Presse-Océan, 13 photomontages du projet sont présentés le 12 décembre décembre 2013. à la presse locale, effaçant complètement les autres pro- 121. LAURENT Sibylle, positions phares du programme de l’équipe présentées « L’UMP Laurence Gar- le même jour. La valeur symbolique est ici pleinement nier propose un ‘Phare assumée par la candidate qui affirme « croire en la force Bretagne’ pour Nantes », DOCUMENT MetroNews.fr, 13 décembre du symbole, vecteurNATIONALE à la fois de cohésion locale, de fierté 2013. La candidate précise des habitants de la ville et d’attractivité à l’extérieur de la que cela représente « 1, 55 ville120 ». La stratégie utilisée ici peut pourtant paraître % du budget d’investisse- scabreuse. Les tours en général, et en particulier la tour ment sur un mandat, […] moins que l’édition 2012 Bretagne, divisent l’opinion publique. Le projet d’investir Comme l’ont fait remarquer plusieurs inter- du Voyage à Nantes dont sept ECOLEmillions d’euros 121 pour une structure au but symbo- nautes après la révélation, la structure, au rendu plutôt il ne reste plus grand-chose lique, et à l’heure où les restrictions budgétaires sont prô- amateur, avait de toute manière peu de chances d’aboutir aujourd’hui ». Le dilemme français 98 Un combat politico-architectural : la valse des égos 99

à cause des coûts engendrés et de la proximité du couloir est ici présentée comme une plus-value, et plus seulement aérien de l’aéroport Nantes Atlantique. De nombreuses comme une réponse technique à un manque objectif de « parodies » des photomontages de l’équipe de Laurence logements. Garnier sont d’ailleurs apparues dans les jours qui ont NANTES suivi. Pour Anne Hidalgo, construire à Paris n’est pas un problème car de nombreusesDE potentialités foncières 125. L’idée de « coiffer » la tour Bretagne n’était pour- seraient encore disponibles, notamment près des voies THEPOT Marie, « Hidalgo promet 30% de tant pas nouvelle, il s’agissait en fait d’une reprise d’une ferroviaires parfois délaissées. Elle évoque également le logements sociaux à Paris, 123 123. Association nantaise proposition de l’association Promo Nantes parmi 40 processus de mutation qui entraîne Paris à se reconstruire bluff électoral ou objectif de différents acteurs propositions exprimées aux candidats des élections muni- sur elle-même, offrant encore de nouvelles possibilités. réaliste? », Latribune.fr, 16 septembre 2013. économiques, sociaux ou cipales de mars 2014. La proposition n°34 visait ainsi à Elle prend appuie sur le bilan de l’ancienne équipe de politiques locaux dirigée 126. Selon les chiffres par Hugues Frioux, « décorer la tour Bretagne d’une vraie ‘tête illuminée’ » la mairie de Paris qui aurait réussi à faire passer le pour- du logement social de commerçant rue Franklin. afin de donner à la ville « un emblème incontournable qui centage de logementsD'AUTEUR sociaux à 20% du parc résidentiel l’APUR (Atelier Parisien s’illuminerait chaque soir et deviendrait le rendez-vous total de la capitale , et se dit même prête à monter jusqu’à d’Urbanisme) de 2012, le incontournable d’un séjour à Nantes, visible de toute 30% à l’horizon 2030126. Les tours sont quant à elle un pourcentage de logements sociaux à Paris serait passé la métropole, fierté de ses habitants et indiquant, tel un moyen de libérer des espaces publics « généreux », mais de 13,4% en 2001 à plus joyau, le centre de la métropole ». Là encore la structure D'ARCHITECTUREégalement de « dégager des vues exceptionnelles depuis de 17% des résidences décorative ornant la plus haute tour de la ville semblait DROITles logements » et de « créer une vraie skyline127 » dans principales en 2011. Les objectifs de la loi SRU porter l’image et l’attractivité de toute l’agglomération… le paysage des quartiers concernés, source selon elle de (20% de logements sociaux AU fierté et d’attachement pour ses habitants. Mais comme dans les grandes villes) Le combat parisien toujours, cette vision reste cantonnée à des quartiers spé- devraient être atteints en cifiques, sur des « territoires ciblés94 » en périphérie de la 2014. C’est encore une fois à Paris que se focalisent les ville, dans les quartiers construits sur d’anciennes friches 127. SABBAHCatherine, débats autour de constructions de nouvelles tours. Les « Municipales Paris industrielles ou ferroviaires (Bercy, Paris Rive Gauche…). 2014, dossier spécial », élections municipales de 2014 ont été l’occasion de cris- SOUMIS Archistorm, n°65, mars – talliser des prises de positions sur le sujet, et SUPERIEUREune manière La principale adversaire d’Anne Hidalgo à la avril 2014, p58. de se distinguer de son adversaire en surfant sur les argu- mairie de Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet oppose (sans 128. Ib. ments souvent utilisés par les riverains (et donc les élec- grande surprise !) une vision complètement différente. teurs…). Anne Hidalgo, candidate pour le Parti Socialiste Celle qui considère que la tour Montparnasse « défigure à la succession du maire PS de la ville Bertrand Delanoë, 129 le paysage urbain » se dit résolument contre l’idée de 129. Ib., p52. propose un programme urbanistique dans la lignée de construire des tours à Paris. L’équipe sortante aurait déjà, son prédécesseur. Comme pour se justifier d’être plutôt selon elle, « chargé et surchargé des zones denses130 ». 130. Ib., p54. favorable aux projets de tours deDOCUMENT la capitale, la candidate La réponse au manque de logements passerait, toujours met en avant le manqueNATIONALE d’espaces extérieurs de la ville. selon Nathalie Kosciusko-Morizet, par la construction de Elle promet que la construction de tours permettra la nouveaux immeubles de bureaux sur les friches proche création de « quartiers intenses, tout en offrant la pos- du périphérique qui permettrait la reconversion des nom- 124. SABBAH Catherine, sibilité de trouver des nouvelles surfaces » pour « libérer « Municipales Paris breux immeubles haussmanniens occupés par des activi- 2014, dossier spécial », des espaces au sol et offrir plus de convivialité, d’échanges tés tertiaires de l’ouest parisien en habitations, rééquili- ECOLE124 Archistorm, n°65, mars – et de nature ». Fait assez rare, elle n’évoque que très brant ainsi la répartition géographique des logements et avril 2014, p56. brièvement la nécessité de densifier la capitale. La hauteur Le dilemme français 100 Un combat politico-architectural : la valse des égos 101

des bureaux de la capitale. Quant à la tour Montparnasse, qui semble être le cauchemar de la femme politique, sa présence même dans le paysage parisien justifierait la prise de mesures exceptionnelles pour discuter avec les 300 NANTES 131. ARLOT Alexandre, propriétaires d’une éventuelle destruction131. L’esthétique « Faut-il raser la tour si dérangeante de la tour nécessiterait donc une remise en DE Montparnasse ? », Le Parisien, 5 mars 2014. cause du principe de propriété privée sur un immeuble qui semble satisfaire ses occupants, devenu attraction tou- ristique et dont la construction avait été pourtant autori- sée par les services municipaux lors de sa conception… Cette mesure qui parait exceptionnelle n’est pourtant pas une idée isolée. Wallerand de Saint-Just, candidat d’ex- trême droite à la mairie de Paris, y était également favo- D'AUTEUR rable, tout comme le maire de l’époque Bertrand Delanoë quelques années auparavant… maire pourtant partisan de la construction de nouvelles tours dans sa ville. D'ARCHITECTURE Du local à l’international DROIT Les avis politiques sont nombreux sur la question AU des tours en ville, et empiètent souvent sur la politique Jacques Chirac, président durant une période, Le Général de Gaulle à nationale. On connaît l’importance qu’a joué Georges il est vrai, relativement creuse en ce qui concerne la l’Hôtel de Ville de Paris Photographie, 1966 Pompidou, féru de modernité et soutient infaillible de construction de tours s’est quant à lui fait plus discret sur la création contemporaine sous toutes ses formes, dans le sujet. Le RPR avait pourtant occupé la 32ème étage Le préfet de la Seine, Raymond l’érection de tours dans la capitale, voulant ainsi faire de la tour Montparnasse dès le milieu des années 70. Haas-Picard, présente au de Paris une ville moderne à l’image des villes améri-SOUMIS Général de Gaulle une maquette SUPERIEURE Malgré les controverses déjà suscitées par sa silhouette du quartier Italie XIII, avec ses caines. On connaît tout aussi bien l’influence qu’a eu sombre et imposante, la tour Montparnasse incarnait à tours et son autoroute urbaine. Valéry Giscard d’Estaing, élu en 1974 et qui fit arrêter de l’époque l’ambition et l’avant-gardisme recherchés par les manière brutale tous les grands projets d’urbanisme pari- politiques. siens, dont ceux de tours il est vrai déjà bien affaiblis par les crises pétrolières et la dévaluation du dollar. François Nicolas Sarkozy avait lui aussi à plusieurs reprises Mitterrand inaugura quant à lui la Grande Arche, bâti- évoqué son intérêt pour les tours dans une ambition à ment le plus connu de La DéfenseDOCUMENT par son architecture peine cachée d’être à l’origine d’un moderne monumentale et parNATIONALE sa situation à la fin de l’axe histo- et conquérant. Son discours d’inauguration de la Cité rique. Ce monument moderne est aujourd’hui assuré- de l’Architecture et du patrimoine du Palais de Chaillot ment associé à la période d’exercice du président socia- avait été l’occasion de saluer le travail de l’architecte liste. Les tours, par la force de leur symbolique et leur Thom Mayne pour son projet de tour Phare qui fait selon monumentalité,ECOLE impactent principalement un territoire lui « l’unanimité, par sa beauté esthétique et par son inté- local mais influencent une image à l’échelle nationale. gration parfaite dans cette forêt de hautes constructions Le dilemme français 102 Un combat politico-architectural : la valse des égos 103

qu’est le quartier de la Défense ». Mais le président reste prudent sur ce sujet épineux : il ne faut pas rejeter en bloc le modèle de la tour, mais étudier l’opportunité de quelques verticales au cas par cas. Il faut dire que Nicolas NANTES Sarkozy marche sur des œufs, coincé entre une ambition nationale et son clan politique qui s’oppose farouchement DE au niveau local aux projets de tours du maire socialiste de Paris d’alors, Bertrand Delanoë. La position est d’ailleurs ambiguë, car si le président demande à ce qu’on répare « les erreurs commises dans le passé par la démarche du général de Gaulle et le préfet Paul Delouvrier », il veut également imaginer avec le Grand Paris la ville du futur, car « la question pour nous n’est pas de penser les six D'AUTEUR mois qui viennent mais le siècle qui s’ouvre ». Il prend pour modèle « ce qui s’est passé de grand il y a cinquante ou soixante ans »… soit exactement la période où Paul Delouvrier présentait fièrement ses projets urbains pour D'ARCHITECTURE Paris, réalisations qualifiées aujourd’hui « d’erreurs DROIT monumentales ». La puissance médiatique des tours vaut bien quelques positionnements scabreux basés sur des AU jugements hâtifs…

Jacques Chirac dans son bureau de la Tour Montparnasse SOUMIS Photographie, 1976 SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE Détour 3 « Il y a des partisans de toutes les tours, et il y a des adversaires de toutes les tours. Avec ces attitudes on ne risque pas d’aller très loin. Certes, Vu et entendu la Tour Montparnasse ne nous facilite pas la tâche. » Nicolas Sarkozy , septembre 2007

« Il n’en faut pas si ellesNANTES sont laides, il en faut si elles sont belles. » La popularité du débat sur les tours entraîne un florilège de prises de Nicolas Sarkozy , octobre 2007 positions et de petites phrases de la part de professionnels d’architecture, de politiques ou de simples passionnés de ces objets iconiques. Extraits. DE « Les tours sont à l’urbanisme ce que le 4X4 est à l’automobile : hors de prix, ostentatoires et anti-écologiques. » René Dutrey (Elu EELV chargé du développement durable, de l’environnement et du plan climat à la ville de Paris), 2008 « La tour de la Maison de la Radio a été tronquée par rapport au projet d’Henry Bernard. Ce fut une erreur esthétique. Oserai-je dire que les tours de Notre-Dame sont trop basses ? » « Il y a des partisans de toutes les tours, et il y a des adversaires de Georges Pompidou, octobre 1972 toutes les tours. Avec ces attitudes on ne risque pas d’aller très loin. Certes, la Tour Montparnasse ne nous facilite pas la tâche. » D'AUTEUR Nicolas Sarkozy , septembre 2007

« On n’a pas d’architecture moderne dans les grandes villes sans tours. Tout dépend de la qualités de ces tours : il y en a des laides, il y en a des superbes. » « Ce qui est laid, ce n’est pas la tour, c’est la tour laide. » Georges Pompidou, octobre 1972 D'ARCHITECTUREDROIT Nicolas Sarkozy, février 2012

« J’aime, je le confesse, les tours de la Défense et ne déteste pas celle AU de Montparnasse; » François Mitterrand, novembre 1972 « Il faut que les architectes découvrent que le destin des villes est de leur responsabilité partagée, bien avant l’arrivée de monuments narcissiques. » Paul Chemetov, 2012 « Dans tout cela, pas de manifeste, pas de débat architectural, pas de doctrines urbaines, pas d’idéologie, pas de théorie, une seule réalité : le gratte-ciel. » Rem Koolhaas, 1978 SOUMIS « Et sur ce point, elle [la tour Montparnasse] est bien placée, car SUPERIEURE grâce à elle on n’a plus fait de tours en plein Paris ; ça peut mériter une petite reconnaissance » Jean-Marc Blanchecotte (Architecte des bâtiments de France, chef du « Ce n’est pas la hauteur qui pose problème, mais l’esthétique, et service territorial de l’Architecture et du Patrimoine de Paris), 2013 comment on y vit. » Bertrand Delanoë , octobre 2003 « Ce que j’aime, c’est être à ses pieds [la tour Montparnasse] et lever la tête : cela me procure un vertige à l’envers, un peu comme à Man- « La hauteur est une expression populaire et enfantine de la ville » hattan. » Christian de Portzamparc,DOCUMENT octobre 2003 Pierre-Marie Tricaud (Architecte, paysagiste et urbaniste chargé d’études NATIONALE à l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Ile-de-France), 2013

« Paris ne doit pas devenir la banlieue de la banlieue. » Jean Pierre Caffet « Les grands-ensembles […] tirent leurs racines de l’idée que la modernité de Paris passait par le suivisme d’une mode, celle de la vertica- (adjoint à l’urbanisme de la ville de Paris), janvier 2004 lité. Je crois tout le contraire : Paris ne doit pas suivre les modes, mais les ECOLE créer en puisant dans son histoire et sa vitalité artistique. » Nathalie Kosciusko-Morizet, mars 2014 Conclusion 106 107

(mais pas trop quand même !). Le modèle de la ZAC est l’entre-deux qui découle de ces visions et qui se développe à Paris et dans les moyennes et grandes villes de province. Ces nouveaux quartiers de villes parfoisNANTES déconnectés du tissu urbain existant sont des assemblages d’îlots ouverts, sortes de modèle de la villeDE historique remis au goût du jour, ponctués ici et là de quelques immeubles plus hauts. Le manque cruel d’arguments contemporains et justifiés Notre vision de la ville a incontestablement cache peut-être le vrai problème du débat sur le retour des changé depuis la dernière vague de construction d’IGH tours en France : la mise en avant d’une opinion subjec- en France, mais l’image des tours reste figée dans une tive (le désamour de l’esthétique, il est vrai, rigoureuse et époque pourtant révolue. Les arguments du débat actuel parfois un peu « cheap » de beaucoup de tours des années prennent appui sur des projets de tours dont la construc- 60 et 70) impossibleD'AUTEUR à démontrer et transformée en théo- tion remonte à plusieurs décennies (ne pas rééditer « l’er- rème architectural érigé au rang de vérité absolue. Aucune reur » de la Tour Montparnasse revient très souvent…) véritable expérimentation sur le logement en hauteur n’a et dont le style dépassé influence toute réflexion sur les du coup eu lieu en France depuis l’arrêt brutal des opéra- possibilités offertes par la grande hauteur. Dans la même D'ARCHITECTUREtions parisiennes opéré en 1974 et 1975 par le président veine, les quartiers de grands-ensembles (les fameuses « DROITValéry Giscard d’Estaing alors fraîchement élu. cages à lapin ») dont on associe l’échec au modèle de l’Im- meuble de Grande Hauteur conforte l’idée qu’habiter un AU Quant aux tours de logement existantes, les pro- tour serait une hérésie sociale, alors même que beaucoup jets de rénovations actuels se limitent souvent à un embel- d’habitants de tours existantes, en particulier à Paris, lissement de leur esthétique, sans modifier les origines des semblent apprécier ce mode de vie si particulier. dysfonctionnements qu’elles connaissent (la dalle de la Tour Montparnasse par exemple). Les architectes Lacaton Le déplafonnement de certaines zones urbaines SOUMIS et Vassal ont peut-être initié un virage dans ce domaine pourrait pourtant sans aucun doute permettreSUPERIEURE dans des avec leur rénovation de la tour Bois le Prêtre dans le 17e cas ciblés d’atteindre des objectifs précis en terme de arrondissement de Paris. Tout en améliorant certains nombre de logements, d’image d’une entreprise cher- aspects techniques qui entravaient auparavant l’usage de chant des locaux ou d’attractivité d’un territoire. Mais l’immeuble (ajout d’ascenseurs, amélioration de l’isola- la multitude de contextes historiques, sociaux ou archi- tion…), les architectes ont souligné et amélioré les qua- tecturaux imposerait une réflexion « au cas par cas », là lités de vue, de luminosité et d’expositions voulues par où le débat sur la grande hauteur a canalisé deux visions les modernistes par l’ajout de grandes loggias vitrées en bornées desquelles personne ne DOCUMENTsemble vouloir sortir. La remplacement des façades existantes et de leurs modestes première voudrait qu’absolumentNATIONALE toutes les tours soient fenêtres. Ne faudrait t-il pas revoir notre jugement rapide un scandale social, écologique ou patrimonial et qu’il fau- et parfois vaniteux du modèle de la tour qui empêche drait donc bannir le modèle même de la tour de nos villes. toute réflexion sur une réactualisation de ses qualités La seconde serait celle d’une ville intégrée à la course à certaines plutôt que de chercher à tout prix à effacer les l’attractivitéECOLE des métropoles, ponctuée de quelques tours supposées « erreurs » du passé en bannissant les tours des en sa périphérie. Des bijoux d’architecture, fières et forcé- centres-villes dans les projets actuels ? ment (très) hautes, à la fois écologique, mixtes et denses Conclusion 108 109

Appartement de la Tour Les tours gardent et garderont un impérieux pou- Bois le Prêtre rénové voir de fascination en exhibant de façon ostentatoire pou- Photographie, Lacaton et Vassal, 2011 voir, richesse et maitrise technique. Il parait aujourd’hui difficile, voire facétieux, de contrebalancerNANTES ces paramètres Chaque logement a gagné avec les arguments écologiques, patrimoniaux et sociaux une loggia et un balcon. mis en avant dans le débat DEfrançais. Ce même débat qui pourrait être écourté dans un futur proche par la situa- tion économique hésitante de la France, car cette véri- table main invisible surpuissante a, plus que les pouvoirs publics ou les urbanistes, soufflé le chaud et le froid sur les constructions d’immeubles de grande hauteur depuis la création des premiers buildings américains des siècles passés. Les projetsD'AUTEUR fous présentés ces cinq dernières années La situation des tours de bureaux est quant à elle aux quatre coins de Paris et devenus de vrais serpents de un peu différente. Les expériences de tours isolées dans les mer pour la presse locale et nationale pourraient ainsi se centres-villes dans les années 70 n’ont jamais été recon- transformer en utopies mort-nées, repoussant encore un duites. Les échecs commerciaux, ajoutés au désamour que D'ARCHITECTUREpeu plus loin toute possibilité de réel débat sur un modèle la majorité leur porte et à la croissance économique en DROITqui continue d’effrayer autant qu’il fait rêver. berne ont modéré les ambitions architecturales des archi- tectes et des personnalités politiques de ces années pros- AU pères. Pourtant, leur construction n’a jamais vraiment cessée, en particulier dans le quartier de la Défense qui a acquis au fil du temps un statut particulier ; la construc- tion de tours y est devenue banalisée et admise de tous, comme si le quartier était de toute manière « perdu »… SOUMIS Les tours sont ici des vitrines techniques etSUPERIEURE architectu- rales, qui ont permis au quartier de devenir le premier pôle d’affaires Européens, symbole de la puissance de la France… et bien éloigné des arguments de densité, de mixité sociale et d’écologie habituellement mis en avant par les architectes de ces emblèmes capitalistes. Le même phénomène touche aujourd’hui, à une échelle différente, les autres grandes métropoles françaisesDOCUMENT qui se sont elles aussi dotées de quartiersNATIONALE d’affaires, uniques champs de développement de tours autorisés par les règlements d’ur- banisme. La nécessité de l’image d’un territoire attractif semble être une justification suffisante à la construction de tours,ECOLE même si ces dernières porteront des panneaux « à louer » pendant un petit bout de temps… Bibliographie 110 111

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