Chef Étoilé *** Au Michelin
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Chef étoilé *** au Michelin Modération : 4 avril 2019 Marie-Luce RIBOT (Sud Ouest) REVUE DE PRESSE © Céline Clanet EN PARTENARIAT AVEC Le lutin gourmet et ses accessibles étoiles S’il n’y avait qu’une seule maxime à retenir des pour quelque temps au rang de divas » (« Mots… », « Pensées de Michel » (Guérard), ce serait sans doute p. 90), on sentirait poindre la colère et la fièvre en cas celle-ci : « Pour un cuisinier, il faut faire en sorte, comme de manquement au premier commandement du sur les champs de bataille, qu’un canard, qu’un merlan « Guérardlogue » : « Tu ne tueras point un poulet pour ou qu’un poulet ne soient pas morts pour rien » (Paris- rien ! ». Normandie, 12 février 2017). Une vie d’artiste Entendez cela ! Viandards incultes, massacreurs du dimanche midi, pisse-froids des dernières modes D’une certaine manière on croit tout connaître de alimentaires, faces-de-carême des œufs trop cuits, Michel Guérard. Peut-être parce qu’il fut l’un des culottes-de-peau de l’ordinaire, équarisseurs du bon premiers chefs à habiter le « fenestron » et à venir goût et faux inventeurs molécularisés : le produit cuisiner dans le salon des Français, avec Anne-Marie doit être respecté comme un grand chef de guerre Peysson, l’une des plus populaires speakerines, respecte ses hommes. Quand on lui demande d’octobre 1977 à décembre 1981 ; peut-être parce que « qu’est-ce qu’un bon produit ? », le chef triplement sa réussite familiale et professionnelle, le « roman de étoilé au Michelin, en son palais de la reine Christine sa vie » à Eugénie-les-Bains a été maintes fois célébré ; (son épouse) au royaume d’Eugénie-les-Bains depuis peut-être parce que son statut de « cofondateur de 42 ans, répond sans détour : « C’est un pléonasme ». Il la nouvelle cuisine » puis de « pape de la cuisine est d’ailleurs un signe qui ne trompe pas chez Michel minceur », ont fait de lui une figure incontournable Guérard : quand il raconte de la gastronomie ses recherches culinaires, contemporaine. Mais que les produits qu’il travaille sait-on vraiment de la prennent vie, forme humaine. Quand on lui demande nature humaine ? L’anthropomorphisme est Naissance en 1933 à là… Une huître au café ? : « À « qu’est-ce qu’un bon Vétheuil (aujourd’hui dans mon premier essai je plonge produit ? », le chef triplement le Val d’Oise), tout près une huître dans une infusion de étoilé au Michelin, en son de Giverny, au pays des café torréfié… Elle n’en pouvait Impressionnistes. L’église est plus la pauvre huître. Elle avait palais de la reine Christine coiffée d’un joli toit à motifs les yeux qui lui sortaient de la (son épouse) au royaume qui lui donnerait presque tête. Le café écrasait tout. Elle d’Eugénie-les-Bains depuis des allures de Stephansdom, n’avait jamais vécu ça… ». On 42 ans, répond sans détour : la grande cathédrale de souffre avec elle pour ainsi Vienne. Michel Guérard dire. Au terme d’une collection « C’est un pléonasme ». raconte volontiers que le d’essais, de croquis, de papilles grand Claude Monet qui excitées, cela donne, à la fin aurait séjourné à la fin du de la recette « Les huîtres au XIXe siècle à Vétheuil, aurait café vert », cet étonnant commentaire : « C’est à la fois peint sa grand-mère quand elle était enfant. Le grand inattendu, léger, voluptueux, rare. N’ayant à ce jour, reçu chef ajoute : « J’ai encore en mémoire les tartes de ma aucune récrimination en provenance du syndicat de grand-mère, monuments de gourmandise, dont le secret défense des lamellibranches à coquille feuilletée : j’ai la résidait dans leur innocente simplicité » (« Mots… », faiblesse de croire que lesdites concernées sont, pour la p.122). Comme si la cuisine pouvait être innocente ? Il plupart, satisfaites de cet apprêt » (« Mots et mets », éd. sait bien qu’il nous raconte une fable l’ami Guérard, Sud Ouest, 2017, p. 84) un conte pour enfants. Mais c’est tellement bon d’y croire. Car c’est le même qui nous dit que « la Les produits, chez Michel Guérard, sont sacrés, tout cuisine relève un peu de la sorcellerie » (« Mots… », p.71, simplement. Au point que chez cet homme d’une conclusion d’une recette « à tomber » intitulée « La gentillesse exquise, doux et fondant comme ses crème des gigots »). « légères et délicates madeleines-joujoux, candides à souhait, tout juste sorties du four, amusées de figurer 2 La seconde guerre mondiale rattrape les Guérard. La famille descend les boucles de la Seine et tient boucherie dans la commune de Pavilly à 20 kilomètres au nord-ouest de Rouen. On y compte près de 4.000 âmes au déclenchement du conflit. À Pavilly, les Allemands installent les premières rampes de lancement des V1 et V2, bombes volantes et fusées qui s’écrasent sur Londres et les grandes villes anglaises toutes les nuits. Le petit Michel lave les tripes et les abats dans la rivière glacée, les temps sont durs. À l’âge de 10 ans, la guerre est synonyme de vacances, mais les vacances n’existent pas. Alors quand on est petit garçon on hésite entre les Épitres de Saint-Paul et entrer au petit séminaire, et faire le Le Pot au Feu à Asnières pitre en roulant des épaules, pour « faire l’acteur », comme tous les enfants de son âge. À moins que Mais avant cela, n’oublions pas le « Pot au Feu », son l’on ne se voit en médecin. Apothicaire des âmes premier restaurant acheté « à la bougie » au tribunal ou moderne Asclépios des corps. Mais finalement, de Commerce de la Seine, sans qu’il l’ait même vu, quitte à s’occuper des ventres : pourquoi pas en 1963. On est à Asnières. La ville est dirigée par apprenti pâtissier ? Et c’est ainsi que le jeune Michel un héros de la France Libre, député, ministre puis devint Guérard, à partir de 16 ans, chez Kléber Alix, sénateur gaulliste, Michel Maurice-Bokanowski, son maître d’apprentissage à Mantes-la-Jolie. Avec Compagnon de la Libération. Mais si la ville est de cet hommage, 75 ans plus tard, peut-être le plus droite, le « Pot au Feu » n’est pas vraiment destiné beau qu’il soit donné de recevoir : « Je garde pourtant à être une adresse réservée aux bourgeois locaux. à mon Maître, brusque et maladroit, mais au fond Pour tout dire c’est un rade, un bouge, un bistrot et chaleureux et passionné, une reconnaissance éperdue de pas des plus fameux. Coincé entre une usine de rivets m’avoir façonné en homme » (« Mots… », p. 125). et une rue en impasse. D’ailleurs on est à la limite de Au retour de 28 mois de service militaire à l’Amirauté Gennevilliers. Et là c’est une autre histoire : une des de Cherbourg comme cuisinier : l’hôtel de Crillon plus dense concentration de pègre de la préfecture dans la brigade des pâtissiers et le titre très convoité de la Seine. « Quand Pépé la jactance / Truand de de MOF (Meilleur Ouvrier de France) en pâtisserie Gennevilliers / Nous causait de la vieille France / Nous à 25 ans. Puis le « plus grand cabaret du monde », tous on en bavait… » écrira plus tard Pierre Perret : le Lido, avec les « Blue Bell Girls », des magiciens, tout un programme ! C’est dire que la truanderie des dompteurs, des orchestres, des crooners aussi est une spécialité locale. Alors Michel Guérard va (Ah ! la visite de « The Voice », Franck Sinatra). Le leur faire de la place « à ces Messieurs en noir », monde entier se bouscule au 78, Champs Elysées. aux pardessus en beau tissu, taillés sur mesure et C’est la grande vie tous les soirs. Michel Guérard y aux poches assez amples pour contenir « l’artillerie acquiert une réputation de joyeux fêtard mais aussi d’un croiseur ». Le restaurant est tout petit (30 d’excellent professionnel : le charme et l’efficacité, couverts en se serrant). Le Tout-Paris s’y presse et s’y la joie et la rigueur. Michel aurait pu arrêter-là le fil encanaille. Des vedettes du showbiz évidemment, de son histoire, appuyer sur « pause » et ne plus chanteurs, acteurs, mais d’autres aussi comme Ted redémarrer : il aurait été un pilier de plus des « Nuits Kennedy, Marlene Dietrich, des leaders syndicalistes parisiennes ». « Cigarettes, whisky et p’tites pépés » de FO et de la CGT. Le lieu est discret. C’est le temple chantait Eddy Constantine. L’alcool l’aurait sans de la « Nouvelle Cuisine » que deux journalistes doute confit. Les paillettes et les strass l’auraient gastronomiques Gault et Millau contribuent à lancer certainement brûlé comme un éphémère trop près en 1968 en considérant que le meilleur de tous c’est des spotlights. « Michel » qui a décroché son premier macaron au « Michelin » en 1967. La célébrité l’a rattrapé. Elle ne Pygmalion-Christine et Galatée-Michel le lâchera plus. Eschyle a imaginé « Prométhée enchaîné ». Sans aucun Pourtant c’est en 1972, au Réginskaïa, le bar de doute peut-on considérer que le sous-titre « Galatée Régine, la célèbre « Reine de la Nuit », que Papageno, libérée » irait comme un gant à Michel Guérard, arrivé « l’oiseleur Michel » qui y prête son concours et, comme un martien sur notre planète, à Eugénie-les- déjà, son nom, va rencontrer sa Papagena : Christine Bains, en 1972. Barthélémy. D’elle il dira qu’elle fut « son coup de soleil 3 au cœur » (« Mots… », p. 139). Et sous les auspices nouvelle place au soleil est de tout repos. Pour la mériter de Mozart, c’est toute leur vie qui va désormais être il arrive souvent au bélier que je suis d’avoir à affronter, une « Parenthèse enchantée ».