charles IX

L’édito de françois mitterrand

« Si Je ne reproche pas à la pornographie la vérité de ses images mais le mensonge de ses mythes. l’amour La fable d’un bonheur qui naîtrait de la science du geste et du pittoresque des situations me désole. La physique main d’Alissa qui, dans La Porte étroite, se détache de celle de Jérôme, parce qu’au haut de la route, ils apportait ont chaud, me raconte mieux ce qu’est l’amour que la mimique de La Bête de Borowczyk honorant sa le bonheur... » partenaire. Si l’amour physique, les jeux et les puis- sances du corps apportaient le bonheur, je veux dire cet état qui prête à l’espèce humaine le sentiment de découvrir un secret de la vie, par là-même justifiée, on n’aurait pas attenduEmmanuelle pour le savoir. Au contraire de l’ordinateur, quand il marche, cette machinerie sexuelle poncée, huilée, déodorée qui consiste, selon les films porno, à joindre d’ingénieuse façon les pièces éparses d’un « Meccano » – toujours les mêmes, quelles que soient l’imagination du scénario et la bonne volonté des acteurs, désespérément peu nombreuses, ce qui borne d’autant la variété des figures – ne restitue pas à ceux qui l’in- terrogent les données qu’on lui a fournies. Il manque toujours une réponse. « Cette amoureuse pieuvre faite de jambes et de bras » que chante Cocteau, croire qu’on l’aura inventoriée quand on aura décompté le nombre de combinaisons qu’elle relève d’un grossier contresens. N’exagérons pas cependant les méfaits de la pornographie en tant que phénomène social. Elle n’est après tout que le produit d’une société marchande dont la morale consiste à servir en toute chose ses intérêts. Le porno rapporte, vive le porno ! Mais on voit ses limites. Je m’inquiète davantage de la drogue de More et de la violence d’Orange mécanique. Au bout du « toujours plus » la déchéance et la mort guettent. L’argument que les professionnels du cinéma tirent du succès des films pornographiques vaut ce qu’il vaut : en boudant pas leur plaisir les spectateurs prouvent la réalité du besoin. Est-ce suffisant pour laisser faire ? Non, mille fois non. Le dressage minutieux, sous les yeux d’un public record, d’O violentée, lacérée et le sexe Sources : L’ABEILLE ET L’ARCHITECTE, annelé, rappelle trop qu’au jardin des supplices il FLAMMARION, 1978 n’est pas d’autre fleur que le sang. —

3 renseignements généraux

je t'aime moi non plus P. 6 graine de star P. 26 raphaëlle Bacqué journaliste au monde Politologue à 17 ans

politburo P. 16 L'interview d'un charles P. 32 André santini par anne le strat

pour qui votez-vous ? P. 20 franz-olivier giesbert PATRICE NORMAND © PATRICE

5 Charles Renseignements généraux JE T’AIME MOI NON PLUS

Raphaëlle bacqué « Hollande ferait un très bon rédacteur en chef » Depuis plus de quinze ans, le nom de Raphaëlle Bacqué est accolé de manière indissociable à celui du journal Le Monde. Après des débuts – entre autres – à l’AFP, au Parisien et à Marianne, la journaliste a disséqué avec sa plume l’ensemble de la classe politique française, depuis l’agonie de la Mitterrandie jusqu’aux années Hollande. Elle livre un constat cruel et amusé sur un milieu fait de grandeur, parfois, et de petitesses, souvent. Propos recueillis par Olivier Faye portraits Yannick Labrousse

7 Charles Renseignements généraux raphaëlle Bacqué

Le masque romain de , de Villepin, Mitterrand l’emmuré de l’Élysée un « fou » au palais Le premier souvenir marquant de ma carrière de Chirac était un cas particulier : on pouvait le voir pendant Villepin, lui, est très volcanique. Il pouvait chercher à 1997, Villepin, qui poussait journaliste politique, c’est d’avoir rencontré une heure et il ne disait rien d’important. J’ai couvert vous intimider, jouer la comédie pour vous séduire ou en faveur de cette décision, François Mitterrand. C’était son dernier 14 son septennat à l’Élysée, entre 1995 et 2002. J’avais vous impressionner. Il se levait, s’asseyait, parlait en a testé l’idée auprès de jour- juillet à l’Élysée, en 1994. Il était déjà très été trompée par la biographie écrite par Franz-Olivier martelant ses phrases, avec une façon très particulière de nalistes pour voir comment affaibli par son cancer, avec un teint jaune Giesbert, en 1988, qui racontait un Chirac extraordi- scander ses mots. Vous aviez l’impression d’être devant la presse le prendrait. J’ai su et cireux et cette peau fine sur l’ossature naire, drôle, épique, un véritable Cyrano. Or, quand je un acteur, il joue ce qu’il dit, c’est un spectacle. Cela m’a après coup qu’il avait donné qui dessinait une espèce de masque l’ai rencontré, je n’ai vu qu’un homme emmuré dans son toujours beaucoup amusé de le décrire dans mes papiers. ce jour-là trois rendez-vous romain très particulier. Ce jour-là, palais, qui ne disait rien sinon des banalités, soumis à une Et, en même temps, il y avait toujours quelque chose successifs à trois journa- Alain Delon était l’un des hôtes de équipe de communicants dirigée par sa fille et qui prenait d’un peu fêlé chez lui, d’un peu fou, ce qui fait que je ne le listes différents : Anne Fulda marque de la garden party. Et parmi mille précautions pour donner une information parfai- prenais pas vraiment au sérieux. Anna Cabana a d’ailleurs du Figaro, Gilles Bresson de les 3 000 autres invités, Alain Delon tement anodine. Et, pendant ce temps-là, Dominique écrit un livre sur lui qui s’appelle Villepin : La Verticale du Libération, et moi, qui était à comme Mitterrand, dans deux genres très de Villepin (alors secrétaire général de l’Élysée – NDLR) fou. C’est à cause de cet aspect de sa personnalité que j’ai l’époque au Parisien. Auprès différents, possédaient une sorte d’aura, jouait un rôle théâtral pour occuper la scène. Il a fallu commis un des plus gros ratages de ma carrière. de chacun d’entre nous, à l’antique. Il se formait comme un cercle chroniquer le rien, l’impuissance, ce qui est un exercice de Lorsque le président Chirac a envisagé la dissolution en il a évoqué l’hypothèse autour d’eux. Ils étaient comme deux fauves. style intéressant. de la dissolution. Ce qui L’un, Alain Delon, encore très beau, acteur légendaire Chirac est un homme qui en a vu d’autres, donc ce n’était paraissait le plus attendu, et magnifique du cinéma. L’autre, Mitterrand, tout petit pas un mauvais papier du Monde qui pouvait le blesser. Il à l’époque, c’était plutôt un et incroyablement diminué par son cancer, dégageant ne faut pas se surestimer. En tout cas, il n’appelait jamais remaniement et le renvoi pourtant une force impressionnante, qui était bien sûr pour se plaindre. De temps à autre, par représailles, je d’Alain Juppé. J’ai donc trouvé cette hypothèse dingue. Je liée à ce qu’on savait de lui et de son mythe. n’étais pas invitée avec mes confrères à un petit briefing me souviens de lui avoir dit tout de suite : « Vous prenez un J’étais une journaliste trop inexpérimentée, trop jeune « off », mais cela n’avait pas beaucoup d’importance parce risque incroyable de perdre les élections alors que vous avez pour parler à Mitterrand, je n’étais rien. Je l’ai donc sim- qu’il y a mille autres façons d’obtenir des informations la majorité. Personne ne comprendra que vous le fassiez. » plement regardé. Aujourd’hui, n’importe qui aborde et beaucoup de conseillers, de proches de Chirac, conti- Sur le moment, j’ai eu un raisonnement cartésien. Donc, n’importe qui. Mais, à l’époque, cela ne se faisait pas. Mit- nuaient à me parler. dans mon papier du lendemain, j’ai simplement écrit que terrand était marmoréen, on aurait dit une statue flottant Toutefois, je réalise maintenant qu’à l’époque, j’étais trop la dissolution était une hypothèse parmi d’autres. Gilles dans l’air. Seuls quelques journalistes triés sur le volet, jeune pour comprendre un homme de son âge. Lorsque je Bresson, lui, a fait la une de Libé en disant : « Chirac va les grands noms de l’époque, Ivan Levaï, Alain Duhamel, relis ce que j’écrivais, ce n’est pas mauvais, il y a de l’infor- dissoudre. » Bresson était un confrère formidable, intelli- Pierre Favier de l’AFP, etc., étaient d’ailleurs invités à mation, mais il manque de la finesse psychologique. Tout gent et drôle. Il avait vingt ans de plus que moi et donc venir prendre place autour de lui dans un des petits salons simplement parce que c’est difficile pour une jeune femme la supériorité de l’expérience. Il savait que le journalisme du rez-de-chaussée. C’était vraiment la cour du Roi Soleil. de 30 ans d’écrire sur une personne qui en a le double et « Chirac était un cas consiste aussi à prendre au mot vos interlocuteurs et non Beaucoup d’entre eux avaient d’ailleurs des liens étroits a donc bien plus vécu que vous. Surtout sur un homme particulier : on pouvait à raisonner à leur place. Moi, je me disais « Il y a un fou avec Mitterrand, certains même étaient militants. Ivan aussi compliqué à saisir que Chirac, qui se livre assez à l’Élysée. » Mais le fou prend quand même des décisions. Levaï en 1981 avait quand même participé à l’écriture peu, dont la culture est cachée et qui se présente sous les le voir pendant une heure Ce qui est important, c’est au moins de les rapporter à du discours de victoire dans l’auberge du Vieux Morvan, dehors d’un type indécis et sans relief. Pour être un bon leur juste proportion. C’est un cas d’école qui m’a servi de à Château-Chinon ! Bref, toute une série de journalistes journaliste, il faut posséder soi-même l’expérience de la et il ne disait rien leçon : il ne faut pas chercher à être plus raisonnable que étaient vraiment admiratifs de Mitterrand, comme on vie. Donc, peut-être qu’à 70 ans je serai enfin une bonne votre interlocuteur, que ce soit en politique ou n’importe n’oserait plus l’être aujourd’hui. journaliste (rires). d’important. » où ailleurs.

9 Charles Renseignements généraux raphaëlle Bacqué

« Séguin jetait des cendriers « Je pense qu’on va s’en à la tête des gens, hurlait, aller, sinon je vais la coller mais c’était une composante au mur. » du personnage. Chacun Philippe douste-blazy fermait les yeux car il y avait à propos de Raphaëlle Bacqué par ailleurs une grande intelli- gence, des convictions, une un ministre des Affaires étrangères est par définition toujours en voyage, j’ai donc accepté de me plier à son façon de faire de la politique agenda. Il me reçoit dans un des superbes salons du Quai avec noblesse. » d’Orsay, dont les fenêtres donnent sur la Seine, et me sert un magnifique numéro de langue de bois. Comment a-t-il pu croire que cela me suffirait ? Le lendemain, lors d’une Quand philippe réunion avec les collaborateurs de son cabinet, il s’est en tout cas vanté : « Alors, j’ai vu la fille duMonde hier soir et je l’ai em-ba-llée. » J’avais une taupe dans son cabinet qui m’a Séguin brûle tout de suite raconté la scène. C’était bien évidemment Douste-Blazy, tout le contraire ! Vu les questions que je posais, tous Le Monde Narcisse au Quai d’Orsay ses collaborateurs comprenaient que je préparais un papier qui allait l’éreinter. Mais lui était convaincu de son Mille fois j’ai eu des engueulades à propos d’un papier que C’était un maniaco-dépressif, qui connaissait des périodes Une engueulade, c’est compliqué à gérer car il faut assu- charme. j’avais écrit. Philippe Séguin, par exemple, a littéralement de dépression extrêmement intenses quand il sentait mer de se fâcher avec tout un journal derrière. Les res- Le jour de la parution de l’article, le ministre avait un brûlé Le Monde devant moi. J’avais rendez-vous avec lui, l’échec électoral arriver, comme pour les municipales à ponsables politiques cherchent donc plutôt à vous voyage prévu à l’étranger et devait prendre l’avion du un jour où j’avais signé un article – je ne me souviens plus en 2001. Et il avait aussi des périodes d’euphorie convaincre, à vous retourner. C’est ce qu’a tenté Philippe GLAM (Groupe de liaisons aériennes ministérielles, unité lequel – qui lui avait déplu. Il a pris Le Monde, a saisi son incroyables pendant ses campagnes contre l’Europe. Je Douste-Blazy avec moi. de l’Armée de l’air dissoute en 1995). Il emmenait dans ses briquet et a brûlé le journal devant moi ! Il a failli mettre l’ai vu en 1992, pour une de mes premières campagnes, J’ai fait un portrait de lui incendiaire en 2006 lorsqu’il était bagages sa suite habituelle de collaborateurs, ainsi que le feu à son bureau, c’était grotesque. Cette forme de celle du référendum sur le traité de Maastricht. Avec ministre des Affaires étrangères (« Philippe Douste-Blazy, les journalistes chargés de couvrir la politique étrangère. démonstration théâtrale m’a toujours fait rire. Il était Pasqua ils avaient peu de moyens, ils emmenaient les Mister Bluff au Quai d’Orsay »). Une double-page entière Il a fait attendre l’avion sur le tarmac le temps que le volcanique, on pouvait écrire un truc anodin et il faisait journalistes qui les suivaient dans des petits avions brin- dans Le Monde, ça a de l’impact. Je racontais qu’il ne parlait motard amène le journal. C’était encore l’époque où l’on des scènes pour une demi-phrase. Il en faisait aux journa- quebalants qui manquaient dix fois de s’écraser avant aucune langue étrangère, qu’il ne connaissait absolument « apportait » Le Monde dans les ministères. Aujourd’hui, listes, mais aussi à ses collaborateurs ou à des collègues d’arriver à bon port. Pasqua avait pris soin d’apporter pas la géographie, qu’il n’était jamais présent au ministère ils liraient ça sur une tablette ou sur leur smartphone. députés. Cela n’avait pas de conséquences. Il jetait des un panier entier de charcuterie corse et ils se bâfraient et qu’il mentait tout le temps à ses interlocuteurs. Bref, Le motard arrive avec 50 exemplaires du journal. Tout cendriers à la tête des gens, il hurlait, mais c’était une tous les deux dans l’avion en buvant du vin. Ils étaient un portrait accablant. J’avais vu tout le monde dans son l’avion, lui compris, a lu pendant le voyage ce papier composante du personnage d’une certaine façon. Chacun enchantés. Séguin défendait des convictions auxquelles cabinet, à l’extérieur aussi, et passé des coups de fil à nos qui le critiquait. Deux ou trois mois plus tard, nous nous fermait les yeux car il y avait par ailleurs une grande intel- il croyait profondément, pendant ces périodes-là, et, dans correspondants qui m’avaient raconté mille anecdotes sommes retrouvés par hasard dans les coulisses d’une ligence, des convictions, une façon de faire de la politique ce mélange d’accord entre lui-même et une partie impor- recueillies dans les ambassades. J’étais donc très blindée. chaîne de télévision. Il ne m’a pas serré la main, et a lancé avec noblesse. tante des électeurs, il était ravi. Pour préparer ce portrait, je le vois à dîner en tête-à- seulement à la personne qui l’accompagnait : « Je pense tête au Quai d’Orsay. D’ordinaire, j’évite les dîners, mais qu’on va s’en aller, sinon je vais la coller au mur. »

11 Charles Renseignements généraux raphaëlle Bacqué

La pression de l’audimat Bayrou le plaintif, Aujourd’hui, les pressions ne sont plus le fait des poli- tiques. Elles viennent des lecteurs et de leurs commen- Lang l’enjôleur taires. Nous sommes soumis à un audimat, c’est une J’ai dirigé quelques temps le service politique du Monde, pression infiniment plus forte que de recevoir un coup un poste pour lequel on reçoit de nombreux coups de fil de fil d’un homme politique qui râle. Je le constate au de la part de politiques mécontents. Le spécialiste en la Monde : les gens sont très soumis, blessés ou attentifs à matière était François Bayrou. Il n’était jamais satisfait l’audience de leurs sujets. « Combien de lecteurs ai-je eus du journaliste qui le « suivait », demandait à ce que je le pour ce papier ? Quels sont les commentaires ? » Quand j’ai ou la change. Il se plaignait : « Il est nul, il ne comprend débuté dans le journalisme, il y a vingt ans, nous nous rien. Regardez, il n’a pas fait ci ou ça, il n’est pas venu à tel moquions de TF1 et du fait que, chaque matin, l’audimat événement, et quand j’ai dit ce truc extraordinaire il n’en n’a était affiché dans l’ascenseur. C’était grotesque. Eh bien fait que deux lignes. » Dans ces cas-là, il faut répondre de aujourd’hui, nous avons l’audimat tous les jours. C’est façon très ferme, mais aussi très courtoise. Comme avec un changement d’époque très important. Évidemment, n’importe quel lecteur. les hommes politiques aimeraient toujours contrôler la Jack Lang aussi, dans une version différente, est un spé- presse, cela existe, et cela existera encore. Au Monde, les cialiste en la matière. Il appelait des centaines de fois, non fadettes de Gérard Davet ont été saisies (le téléphone pas pour se plaindre, mais pour réclamer. Il commençait « Hollande est un du journaliste du Monde en charge de l’enquête sur par dix compliments sur vous : « Vous êtes merveilleuse... l’affaire Bettencourt avait été placé sous surveillance intelligente... vous écrivez extrêmement bien... et puis vous commentateur formidable par la DCRI – NDLR), Nathalie Kosciusko-Morizet s’est êtes élégante... d’ailleurs je vous ai vu l’autre fois à la télé, de son action, mais on n’a plainte de la couverture de l’élection à la mairie de Paris cette nouvelle coiffure vous va très bien... » Venait enfin le par notre journaliste. Mais quelque chose a irrémédia- véritable sujet de son appel : un discours auquel il sou- pas le sentiment qu’il est blement changé, avec des aspects très positifs aussi : les haitait que vous prêtiez attention, un livre qu’il va vous lecteurs ont pris le pouvoir. Jusqu’alors ils s’exprimaient envoyer personnellement et dont il espérait une critique, celui qui agit. » au café du commerce et ça ne passait pas le pas de la etc. porte. Aujourd’hui, ils l’expriment publiquement, et tout un chacun peut le voir. François Hollande, Le public a toujours le sentiment que les politiques font rédacteur en chef de la sans cesse pression sur les journalistes. C’est loin d’être le cas. Les entreprises, le sport, l’univers du luxe, tous ces François Hollande est très particulier, j’ai du mal à le le sentiment qu’il est celui qui agit. Il serait certainement secteurs dont les enjeux financiers sont importants, sont saisir. Heureusement, j’ai suivi Chirac, c’est mon point un très bon rédacteur en chef : il a des idées de sujets, de beaucoup plus encadrés par des agences de communica- de repère. Il lui ressemble beaucoup, politiquement. hiérarchisation, il est capable de très bien analyser le tion qui tentent de surveiller et d’influencer la presse. Je En revanche, plus que Chirac, il entretient des rapports paysage politique. Mais c’est comme s’il n’était pas au rappelle souvent aux lecteurs qui m’interrogent sur le de complicité avec beaucoup de journalistes, comme si pouvoir. C’est tout de même un problème ! sujet que le journal a eu beaucoup plus de conflits avec lui-même en était un. L’été dernier, nous l’avons reçu au Il connaît très bien la presse classique, mais je pense qu’il le Real Madrid, lorsque nous enquêtions sur les affaires Monde pour un déjeuner. Arnaud Leparmentier lui avait n’a aucune idée de ce qu’Internet et les réseaux sociaux de dopage, ou plus récemment avec Vincent Bolloré, qui envoyé un texto pour l’inviter, comme ça, pour tenter le ont changé. L’histoire de Closer et de Julie Gayet est révé- avait détesté sa photo en couverture de M, le magazine coup. Nous ne pensions pas qu’il dirait oui. Il a répondu latrice : jamais, ni lui ni son équipe, n’ont imaginé qu’un du Monde (magnifique photo mais dont il trouvait qu’elle dans la foulée : « Lundi, ça vous va ? » journal ou un magazine oserait publier de telles photos. le vieillissait), qu’avec ou François Quand vous discutez avec lui, vous êtes frappés : c’est un Ils n’ont pas pris en compte la désacralisation du pouvoir Hollande... commentateur formidable de son action, mais on n’a pas qui est en marche depuis plusieurs années.

13 Charles Renseignements généraux raphaëlle Bacqué

Les pressions « Le pouvoir n’est plus en nicolas Sarkozy des Strauss-Kahn politique. Les esprits plus l’hypermnésique Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair connaissaient brillants se dirigent là parfaitement au moins l'un de nos actionnaires Matthieu où il se trouve aujourd’hui : Sarkozy engueule, fait sauter des patrons de presse, mais Pigasse, le président du directoire du Monde, Louis cherche plus encore à séduire. Il se place dans un rapport Dreyfus et le directeur des rédactions d’alors, Érik Izrae- l’économie. » de complicité artificielle. Néanmoins, il fait aussi partie lewicz (décédé en novembre 2012 – NDLR). « Izra » avait de ceux qui téléphonent directement aux journalistes ou connu Strauss-Kahn à HEC. Je dois cependant lui rendre aux patrons de presse pour se plaindre. Nous avons eu hommage : jamais il ne nous a rapporté un mot des conver- Les apparatchiks de nombreuses disputes, sans conséquences toutefois. sations qu'il avait pu avoir avec DSK sur notre livre ou Lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, j’ai écrit un portrait sur la façon dont Le Monde rendait compte de l'affaire du de Richard Attias intitulé « La Liaison dangereuse ». Sofitel puis de celle du Carlton. L’ami du couple, le consti- de cabinets Attias, avec lequel Cécilia Sarkozy était déjà partie tutionnaliste Guy Carcassonne, avait démissionné du Le niveau de la classe politique a baissé, mais ce n’est pas plusieurs mois, avait subi les représailles profession- conseil d’administration du Monde pour protester contre irréversible. Il y a des cycles. L’Angleterre a eu John Major ; nelles du ministre. Mon article racontait essentiellement la publication dans le journal d'une partie des procès- en Espagne, depuis Felipe González, et peut-être Aznar, la comment Nicolas Sarkozy avait fait pression sur Maurice verbaux mettant en cause DSK dans l’affaire du Carlton. classe politique est faible. Cela arrive dans tous les pays. Lévy, le patron de Publicis, pour qu’il évince Attias de son Érik Izraelewicz en a pris acte, sans rien répercuter sur la Chez nous, la baisse du niveau a commencé sous Chirac. groupe. Sur le coup, il ne m’a pas appelée. Mais quelques rédaction, ni modifier les axes d’enquête du journal. Cela, Ce ne sont pas seulement les présidents de la République semaines plus tard, dans le cadre d’une autre engueulade, c'est vraiment une marque d'indépendance. À son enter- mais aussi la classe politique en général. Je suis arrivée il s’est mis à me réciter des passages entiers de cet article. rement, DSK et Anne Sinclair étaient au premier rang. dans ce milieu au moment des scandales de la Mitterran- Hypermnésique, il en connaissait encore chaque mot. die, j’ai donc été déniaisée assez vite. En août 2007, lorsqu’il est parti en vacances aux États- Mais, au-delà de ces turpitudes, le souci Unis dans une résidence luxueuse du New Hampshire, de l’intérêt général me paraissait plus nous avons enquêté, Ariane Chemin et moi-même, sur présent, surtout chez les hauts fonc- son séjour payé par ses amis, les Cromback et les Agosti- tionnaires. Un passage en cabinet est nelli, et sur le fait que Cécilia avait créé un petit incident désormais perçu comme une étape dans diplomatique en ne se rendant pas à un pique-nique avec une carrière, un tremplin. Et les cabinets le couple Bush. Alors que nous étions en train d’écrire, de la gauche sont très faibles, plus encore mon portable sonne. C’était Nicolas Sarkozy. La voix très que ceux de la droite, qui pourtant ne douce, il a plaidé pendant vingt minutes, sans agressivité, brillaient guère. Ils sont faibles dans leur pour que nous n’écrivions pas un mot sur Cécilia. Il n’y armature intellectuelle. avait que cela qui comptait à ses yeux. — Très souvent, c’est le règne des appa- « La voix très douce, il a plaidé ratchiks, des gens qui ont fait carrière dans le parti, n’ont aucune idée de ce pendant vingt minutes, sans qu’est la France et affichent du mépris à agressivité, pour que nous l’égard des catégories populaires. C’est un problème d’époque, lié au fait que le n’écrivions pas un mot sur pouvoir n’est plus en politique. Les esprits Cécilia. Il n’y avait que cela qui plus brillants se dirigent là où se trouve le pouvoir aujourd’hui : l’économie. comptait à ses yeux. »

15 Charles Renseignements généraux politburo andré santini par anne le strat Adjointe au maire de Paris en charge de l’eau, l’assainissement et la gestion des canaux et présidente de Eau de Paris. Et pourtant, tant de choses nous rapprochaient Connu pour ses bons mots, le député des Hauts-de-Seine André Santini a été élu plusieurs fois « député le plus drôle » par la presse et s’est taillé dans la salle des quatre colonnes une réputation de « bon client » des médias. Mais lorsqu’on est son adversaire politique et que les jeux de mots se transforment en injures, on n’apprécie pas forcément de la même manière la bonhommie du personnage. Depuis le début des années 2000, Anne Le Strat l’affronte dans son combat pour la gestion de l’eau en Île-de-France. Elle nous raconte ici un André Santini moins rigolo qu’il en a l’air.

illustrations Anne-Gaëlle Amiot

l y a de cela treize ans, lorsque ma vie a croisé Car si d’André Santini on retient toujours, à juste titre du celle d’André Santini, les astres semblaient reste, le sens de la petite phrase, la blague toujours prête I alignés à merveille. Nous sommes tous les à être dégainée, il faut peu de temps avant de réaliser que deux Balance, donc faits pour s’entendre. Les derrière le sourire, la colère peut être violente. Du « Salut » astres sont si importants pour lui qu’il assume s’intéres- bonhomme et goguenard qui constitue sa marque de ser plus au signe astrologique qu’au CV d’un candidat à fabrique, son ouverture habituelle dans les interviews l’embauche, et en appeler à la numérologie pour gérer et entretiens, aux injures et menaces, il n’y a parfois ses collaborateurs… Ne partagions-nous pas une passion qu’un pas. Gare à celui ou à celle qui ose lui résister ; ses commune pour la politique en général, et pour la politique opposants politiques en savent quelque chose. Que n’ont de l’eau en particulier ? N’était-il pas distingué adhérent pas entendu ces « misérables » et « minables » adversaires au club des parlementaires tintinophiles, président même politiques, comme Lucile Schmid, candidate « complè- du groupe d’amitié France-Bordurie, quand mon enfance tement givrée » de l’opposition aux cantonales 2011 sur avait été bercée par la Castafiore et rythmée par les l’une des deux circonscriptions d’Issy-les-Moulineaux – Dupont-Dupond ? André Santini s’étonnant : « Je ne savais pas que l’on était Mais il était écrit quelque part en belles lettres rondes – je devenu une décharge. » Humour délicat et primesautier… le précise pour toi André, je sais que la graphologie t’est Une récidive parmi d’autres, le langage fleuri de notre également chère – que cette relation devait rapidement vivace élu le conduisant plus qu’à son tour à la barre tourner au conflit. d’un tribunal : deux fois condamné déjà pour injures

17 Charles Renseignements généraux politburo

« André Santini, c’est avant tout une manière nement de fonds publics, prise illégale d’intérêts, faux et usage de faux » dans de faire de la politique, à l’ancienne : ne pas l’affaire Hamon du projet de musée d’art s’embarrasser d’une pensée politique structurée contemporain à Issy-les-Moulineaux. Condamné à deux ans de prison avec et de convictions, se concentrer sur la conquête sursis, à une amende de 200 000 euros et l’exercice du pouvoir. » et à cinq ans d’inéligibilité le 21 janvier 2013, André Santini a fait appel. Et si le jugement de première instance était publiques, une nouvelle fois cité à comparaître pour des ter le débat vers l’échange d’arguments, slalomant entre confirmé, il y a fort à parier que notre faits similaires, je ne sais s’il s’agit d’un record, mais la esquives et plaisanteries ponctuées de saillies très agres- bonhomme se pourvoira en cassation, performance est à saluer. sives d’André Santini, qui n’a pas même été capable de ce qui repoussera encore le moment Très bon client des médias qui l’invitent régulièrement, répondre à la question du prix de l’eau distribuée par le effectif auquel le maire (en supposant il sait flatter l’auditoire en cherchant le rire, et ne s’em- SEDIF, qu’il préside juste depuis 1983… Presque confuse qu’il soit réélu d’ici là) devrait, le cas barrasse ni de raccourcis démagogiques ni d’approxima- de cette audace je me suis vue forcée de le lui rappeler ! échéant, céder sa place. La justice suit tions. Peut-être faut-il se montrer indulgent : c’est que le On ne le dira jamais assez : le cumul des mandats, ça son cours, comme on dit – à son rythme, débat contradictoire, l’échange de points de vue, ne sont n’aide pas à lire les dossiers. qu’on ne pourra s’empêcher de trouver pas son fort. S’il peut couper la parole à ses interlocuteurs, Car en matière de cumul, il s’y connaît. Député-maire beaucoup moins rapide que lors de l’in- digresser à sa guise et placer quelques jeux de mots impro- d’Issy-les-Moulineaux, multiprésident ou membre de validation éclair de l’élection à la prési- visés (ou pas), passe encore, mais s’il est acculé à devoir syndicats, d’associations, de groupes, de comités, André dence du Comité de bassin de l’AESN en parler du fond des dossiers, il devient au mieux confus et Santini est un homme de réseaux, pas de rapports. Et qui septembre 2011 que j’avais remportée au pire agressif, particulièrement si l’adversaire est une dit réseaux dit parfois mélange des genres. Il peut ainsi face à lui, avant que ce dernier ne femme. Et l’ambiance peut tourner au vinaigre ; je l’ai envoyer des courriers officiels sur papier à en-tête de saisisse un tribunal administratif sou- plus d’une fois expérimenté. En 2005, lors d’un déjeuner Veolia (titulaire du contrat de délégation attribué par le dainement capable de prouesses et de du comité de bassin de l’agence de l’eau Seine-Norman- SEDIF), marquant ainsi sa très grande proximité avec la rendre en un mois et demi, soit dix fois die (AESN), les convives – essentiellement des élus, pour multinationale. Son appartenance de longue date au Club plus rapidement qu’à l’accoutumée, un la plupart de son camp politique – éberlués, avaient ainsi des parlementaires amateurs de havanes est célèbre ; un jugement en sa faveur… rendu la veille vu leur collègue perdre en quelques instants sa gouaille réseau qui ne dédaigne pas se réunir sous la houlette du de la première séance du comité de bonhomme pour se mettre à proférer des injures et lobby du tabac, comme lors de ce déjeuner organisé en bassin que je devais présider ! Vingt ans menaces très explicites à mon encontre, allant jusqu’à juin 2013 par le fabricant de cigarettes British American auparavant, le tribunal administratif promettre qu’il s’occuperait personnellement de mon cas Tobacco (BAT), au cours duquel la lobbyiste de BAT inter- avait mis quinze mois – le délai tradi- pour que je ne sois jamais réélue ! La conversation, il est pellait les élus sur la nécessité d’avoir « une réglementation tionnel de l’instruction – pour rendre sa vrai, tournait autour de l’opacité (le mot est de moi, mais équilibrée et cohérente » – enfreignant ainsi la Convention- décision sur un recours entre deux élus de droite pour la politique structurée et de convictions, se concentrer sur il est faible) du secteur de l’eau de la région, le Conseil de cadre de l’Organisation mondiale de la santé sur la lutte présidence du comité de bassin, et avait validé l’élection. la conquête et l’exercice du pouvoir, jouer la domination la concurrence ayant peu de temps auparavant condamné antitabac, ratifiée par la France, qui stipule que « l’État doit Mais nous ne devons pas avoir les mêmes réseaux. et le rapport de forces, privilégier l’entretien des réseaux le Syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF), présidé par veiller à ce que les politiques ne soient pas influencées par les Décidément non, lorsqu’on y réfléchit, André Santini, et des contacts. Lorsqu’il reçoit les nouveaux embauchés t p o ur charles André Santini, pour non-respect de la concurrence et des intérêts de l’industrie du tabac. » ce n’est pas seulement un personnage coloré, avec ses dans sa mairie, il leur dit « Le patron, c’est pas votre chef de règles de marché dans un dossier d’approvisionnement Et puis il y a les affaires plus sérieuses encore, et en parti- aspérités et ses charmes, quelques casseroles en queue service, c’est moi. » en eau de Rungis au détriment des eaux de Paris que je culier celle qui fait planer une épée de Damoclès au-dessus de paon et un verbe haut. Il peut aborder son humour Il faut croire que les astres peuvent se tromper. J’ai pu présidais. Quelques années plus tard, lors d’une émission de la tête de notre « héros » depuis plus de dix ans et tarde en banderole, créer un nouveau club chaque matin, partager des centres d’intérêts avec André Santini ; mais sur France Inter portant sur les modes de gestion de l’eau, à connaître son épilogue, depuis ce 3 juin 2006 où il a André Santini, c’est avant tout une manière de faire de la il y a des visions irréconciliables de la politique. Après

publics versus privés, j’essayais, difficilement, d’orien- été mis, avec Charles Pasqua, en examen pour « détour- © Ann e- G aëlle Amio politique, à l’ancienne : ne pas s’embarrasser d’une pensée tout, ça tombe bien, je déteste l’odeur du cigare. —

19 Charles Renseignements généraux BULLETIN pour qui votez-vous, Franz-Olivier Giesbert ? « Évidemment, je vote de Gaulle »

On le disait en train de prendre du champ, de s’éloigner de la presse pour écrire tranquillement ses romans en Provence. Mais « l’affaire Copé » qu’a sortie son journal, l’hebdomadaire Le Point, l’a relancé dans un sacré tour de piste médiatique ! Au point que certains se sont demandé, à commencer par le vrai faux patron de l’UMP, pour qui roulait vraiment Franz-Olivier Giesbert. Nous lui avons donc posé la question.

par Pierre-Simon Gutman portraits Arnaud Meyer Dans l’histoire de la vème République, évidemment je vote de Gaulle. Quand on voit tout ce qu’il a fait, on a parfois l’impression qu’il a tout inventé et «qu’on ne peut pas sortir de son ombre. Mais je voterais quand même bien Mitterrand et par moments Chirac. Il a eu des moments brefs mais brillants, par exemple lors du discours du Vel d’Hiv. À ce moment il a été très courageux et seul. Il était comme ça, il pouvait tout à coup ne plus être cynique et s’arrêter sur quelque chose d’important. Donc tout en haut de Gaulle, puis Mitterrand et Chirac par moments, même si ces deux-là ont eu des fins de prési- dence absolument lamentables. Ils ne foutaient plus rien et étaient devenus des rois fainéants.

21 Charles Renseignements généraux Franz-Olivier Giesbert

« Je ne me suis jamais dit : je vais voter à droite ou à gauche, avant une élection »

Il y a un côté bête dans mon parcours politique, c’est que accrochages avec une extrême droite qui était à cette vateur et je peux vous dire qu’il y avait des personnes pour réussir en politique. » Il avait également une posture je n’ai jamais vraiment changé d’opinion. J’ai toujours époque, au Figaro, très structurée. C’était presque une haut placées dans la hiérarchie, qui votaient à droite et ne d’ouverture sur le monde, même sur des gens qui l’abor- été une sorte de social-démocrate de droite, ou conser- bataille de tous les jours. Et au Point je me suis retrouvé s’en cachaient pas. Beaucoup d’entre eux, en 88, ont voté daient dans la rue alors qu’il était pressé. Les grands vateur de gauche. J’ai toujours eu ces contradictions en dans mes chaussures normales d’européen. Chirac, et assez peu ont voté Barre d’ailleurs. Et au Figaro, politiques sont souvent comme cela, Chirac par exemple. moi : je suis pour la solidarité, la redistribution sociale, et J’ai eu des votes très différents tout au long de ma modeste pas mal de gens à des postes importants votaient eux, Mitterrand s’arrêtait dans la rue pour tout le monde. Il de l’autre côté je suis pour la liberté d’entreprise, l’écono- vie de journaliste : j’ai voté Mitterrand en 74, Giscard au socialiste, au point que je ne sais pas très bien pour qui écoutait, posait des questions, ce qui n’est par contre pas mie de marché. En 65, alors que je n’avais pas la culture deuxième tour en 81, Barre au premier tour en 88. J’ai votent les gens. Souvent pour des idées. Moi j’ai toujours le cas de gens comme Balladur, ou Sarkozy, qui passent politique que j’ai aujourd’hui, je collais avec ma mère aussi souvent voté Bayrou, et j’ai dû voter Rocard aux voté pour des idées. tout le temps à toute vitesse. Au bout du compte, ce que des affiches pour Mitterrand. Et en 68, quand tous mes européennes. En fait, je ne me suis jamais dit : je vais voter N’ayant pas connu de Gaulle, la personnalité qui m’a j’aimais bien ce sont les politiques qui parvenaient à n’être copains étaient gauchistes, je collais encore des affiches à droite ou à gauche, avant une élection. C’est sans doute le plus marqué personnellement est bien entendu Mit- pas trop cyniques. Le cynisme est quand même la grande pour Mitterrand. Maintenant, je pense que si j’avais eu la mon côté anglo-saxon, je viens d’une culture politique en terrand. J’ai écrit sur lui des horreurs, parfois des choses maladie de la politique moderne, le côté sans foi ni loi, culture politique que j’ai aujourd’hui, j’aurais été gaulliste. fait assez américaine. Je me vois assez avec mon caddie, beaucoup trop bienveillantes. Il y avait beaucoup de desperado, on rigole entre nous, c’est vraiment insuppor- Historiquement, c’était probablement là qu’il fallait être. dans le marché de la politique, en train de choisir untel ou passion dans ma relation avec lui et je n’étais franche- table. Mitterrand l’était beaucoup sur la classe politique, J’ai ainsi une composante de gauche et une composante un autre selon ses compétences ou son talent. ment pas toujours très lucide, parfois aveuglé soit par la mais pas dans les rapports humains, pas avec vous, moi, de droite, deux hémisphères de mon cerveau qui fonc- Je n’appartiens pas, et je n’ai ai jamais appartenu, à aucune haine soit par l’amour. J’étais tout simplement fasciné, ou les gens qu’il pouvait croiser dans la rue. On voyait tionnent très bien chacun, et je refuse que l’un prenne chapelle. Je n’ai pas de carte, même si j’en ai eu une. J’ai eu parfois dans la répulsion et à d’autres moments dans bien qu’il n’y avait pas de cynisme dans ses rapports car le dessus sur l’autre. C’est peut-être pour cela que je une carte du PS, dans les années 1970, et je l’ai d’ailleurs la passion. Il m’a marqué parce que je l’ai bien connu, il perdait souvent du temps avec beaucoup de gens sans peux donner l’impression de prendre des positions poli- regretté. Je l’ai prise après la défaite de Mitterrand en beaucoup suivi. Au cours d’une journée, je pense bien que ça lui fasse gagner une voix. Ne parlons pas de Chirac tiques différentes, mais elles ne le sont pas. Je ne dis pas 1974, comme beaucoup en fait. Rapidement, je n’étais pas entendu souvent à mes parents, morts depuis longtemps, chez qui cette même habitude était décuplée. Il perdait du cela pour me vanter, car je trouve tout à fait normal de vraiment là et de toute façon ils voulaient m’exclure. En mais je pense également souvent à des choses qu’avait pu temps, mais répondait même personnellement à toutes changer d’opinion. Par exemple, au Nouvel Obs, j’étais de fait, je pense que je ne suis resté, au bout d’un moment, me dire Mitterrand, à des phrases qu’ils m’avaient lancées les lettres. Je me souviens d’une occasion où il est arrivé toute évidence à la droite du journal. Quand je suis devenu que parce qu’ils voulaient m’exclure. Mes papiers n’étaient comme ça, pour que je m’en rappelle, sur la vie ou sur les en retard à une émission de 8 heures du matin à France directeur de rédaction, beaucoup de personnes sont pas appréciés et donc régulièrement, au Bureau national, gens. C’est donc vous dire à quel point il a joué un rôle Inter parce qu’il avait rencontré une femme de ménage parties, tout simplement, en se disant que le journal allait mon nom revenait sur le tapis. Ils se disaient qu’il fallait important dans ma vie. qui lui avait parlé de son cas. Tous ses conseillers étaient changer de ligne parce que Giesbert, selon la terminolo- se débarrasser de ce type ! Diverses phrases de Mitterrand dont je me souviens, affolés mais lui restait et insistait en disant que c’était gie de l’époque, était droitier. Par contre, au Figaro, j’étais Il y a aussi une perception bizarre de la presse dans le mêmes banales : « quand on a trahi une fois, on re-trahira important. Là aussi, ça ne lui a pas rapporté une voix. à la gauche du journal, ce qui n’est certes pas très difficile public, qui est que si l’on est dans un journal, on appar- forcément » ; « attention, ce type a un gros ego, et dans ce cas J’aime ainsi les politiques qui ne sont pas trop cyniques, (encore qu’il y avait des gens de gauche). J’ai alors eu des tient à un parti. J’ai travaillé des années au Nouvel Obser- on ne va jamais très loin » ; « cette femme est trop haineuse même s’ils le sont toujours un peu.

23 Charles Renseignements généraux Franz-Olivier Giesbert

« J’ai malgré tout toujours eu un rapport assez distancié avec la politique »

J’ai ainsi souvent eu de l’admiration pour des hommes se comportent en hommes d’État, qui disent que certaines politiques. De toute façon, même quand je suis méchant, choses ne peuvent pas se faire. Mauroy, par exemple, que je donne des coups de pied ou jette quelques vannes, était comme ça. Dans les moments difficiles, Mitterrand je ne suis pas mû par la haine. C’est plutôt une forme de ou Chirac pouvaient soudain avoir ce comportement. mépris. J’aime bien tirer quand je trouve les types nuls, Pendant un bref moment, lors de la crise financière de incompétents, ou absurdes. 2007, Sarkozy l’a eu. Même si il n’a pas sauvé le monde, Quelqu’un comme Copé, par exemple, vole tout sim- comme peuvent le prétendre les sarkozystes, puisque plement un parti. On ne voit pas ça dans la vie de tous c’est plutôt Gordon Brown (avec « sa boîte à outils ») qui les jours. Il triche, il a moins de voix, et à la fin il garde a conceptualisé leur démarche, le fait est qu’ensemble, le parti ! Il n’y a qu’en politique qu’on peut voir ça ! ils sont arrivés à quelque chose de pas mal. Ils ont, à ce Admettons un moment qu’ils aient tous triché, et donc moment, servi leurs contemporains. également le clan Fillon, mais dans le décompte final il a Je suis surtout attiré par le côté romanesque du personnel moins de voix. Il devrait laisser la place, mais il la garde. politique. C’est un métier fascinant, beaucoup plus dur Même le cas Aubry/Royal au congrès de Reims est moins que la plupart des autres professions. On meurt symboli- pire. Certes, Aubry avait triché, enfin pour être précis ses quement souvent, il faut une force de caractère incroyable camarades, pas forcément elle, ont triché, et pas plus que dont je suis parfois assez admiratif, surtout de gens qu’on le camp Royal. Mais, à l’arrivée, elle avait plus de voix, croit morts, qui reviennent de nulle part et parviennent, et dans l’autre cas même pas. Fillon a plus de voix, mais par la force du poignet, à se hisser à nouveau au premier il n’a pas le parti. C’est vraiment des trucs de dingues et plan professionnel. En même temps ce n’est pas ma pré- la politique comme je la déteste. On achète des voix, on occupation principale. Je pense que c’est très important, fait n’importe quoi, et on laisse le pays dans l’état où il que cela dessine l’avenir d’un pays, d’une communauté, se trouve, c’est-à-dire en train de dégringoler depuis déjà d’une société, mais j’ai malgré tout toujours eu un rapport plusieurs décennies. assez distancié avec la politique. Et peut-être que c’est Ce qui m’a le plus énervé en politique est une forme de justement cela qui a plu. je m’en-foutisme économique. On prépare la prochaine Les gens m’identifient beaucoup à la politique car je passe élection sans vraiment se préoccuper du reste. Que ce soit dans des émissions télé politiques, et cela a beaucoup Chirac, Jospin, Mitterrand ou Sarkozy, ils ont tous eu cette défini mon image publique, peut-être à tort. À la base, capacité à laisser filer, à tenter de gagner les élections en je voulais être écrivain. Je passe mon temps à lire, je vis lâchant des concessions sans vraiment se préoccuper des là-dedans. J’ai également une vie en Provence. Je jardine. »

© A r n aud m eyer p o ur charles conséquences. Donc je suis forcément ému par ceux qui —

25 Charles Renseignements généraux GRAINE DE STAR

À 17 ans, Octave Nitkowski s’est déjà fait un nom en relatant sur son blog la campagne législative de 2012 à Hénin-Beaumont. Puis en publiant en décembre 2013 un premier essai de politologue. Une froide analyse de l’ascension du FN dans le Nord, qui lui vaudra quelques tracas judiciaires et un joli succès médiatique. Passionné depuis sa plus petite enfance par la politique, lecteur accro du Canard enchaîné dès l’âge de 9 ans, Octave Nitkowski, cet adolescent pas comme les autres, du bassin minier, souhaite devenir diplomate. Pour l’instant. par Julien Chabrout Montée portraits Antoine Chesnais d’un Octa oudain, il se relève du canapé et se remet droit. « Je fais attention, une journaliste de l’AFP a écrit dans son papier que j’étais affalé », rigole Octave ve Nitkowski, qui reçoit chez ses parents à Rouvroy, S commune voisine d’Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais. Désormais rodé aux entretiens avec les journalistes, le jeune homme aux réflexes de vieux briscard soigne son image. Cet étudiant de 17 ans, en double cursus en première année à Paris, et en histoire à la Sorbonne, a pourtant un visage qu’on n’oublie pas. « Un physique atypique », estime Marine Tondelier, ancienne candidate écologiste aux législatives à Hénin- Beaumont en 2012 et présente sur la liste soutenue par le PS et EELV aux dernières élections municipales. « Il fait un peu extraterrestre. Son physique y contribue », lâche Bruno Pieters, professeur de sciences économiques et sociales (ES) au lycée Fernand-Darchicourt, à Hénin-Beaumont, où était scolarisé le garçon. Même Michel Boujenah, qui le croisait par hasard dans Saint-Germain-des-Prés, a cru reconnaître en lui un acteur...

27 Charles Renseignements généraux Octave Nitkowski

Octave Nitkowski a l’habitude de s’habiller en noir. « Des « j’ai un physique particulier, vêtements sobres, préfère dire ce jeune homme d’1 mètre alors je compense avec un style 85 au corps frêle. Déjà que j’ai un physique particulier, alors vestimentaire assez classique je compense avec un style vestimentaire assez classique pour pas qu’on me prenne pour un excentrique », déclare-t-il. pour pas qu’on me prenne pour « Il a un côté mormon, toujours en noir, c’est peut-être la seule un excentrique » chose qui le rattache à l’adolescence, l’envie de se construire une image », analyse le rédacteur en chef de La Voix du Nord à Hénin-Beaumont, Pascal Wallart. Avant d’ajouter : « Il a quelque chose d’une machine un peu froide. » Surtout, sur François Mitterrand », note sans plus d’affect Octave Octave est chauve. La faute à une maladie, la pelade, qui Nitkowski, qui a glissé une citation d’Arthur Rimbaud en l’a conduit à raser ses derniers cheveux avant de passer préambule de son bouquin : « On n’est pas sérieux quand son oral du bac de français. Mais l’étudiant a compris que on a 17 ans. » « C’est un clin d’œil ; on peut faire un travail son physique détonnant pouvait aussi être un avantage. sérieux quand on a 17 ans », en ajoutant qu’il a fait un livre De même que les éditions Jacob Duvernet, qui ont mis en de politologue « parce que ça l’éclate. » couverture de son livre une photo de lui posant à l’ombre Octave enchaîne les rendez-vous médiatiques avec une d’un terril. « Quand on a su son âge et qu’il visait Sciences certaine aisance, même s’il est parfois mis à rude épreuve Po, on s’est dit que c’était intéressant médiatiquement. Il a par des journalistes, comme ce 7 février où il est invité un côté petit génie. Nous, on le voit avec un œil marketing », aux « Grandes Gueules » sur RMC à Hénin-Beaumont. convient Louis de Mareuil, responsable communication Accusé d’être pro-FN, Octave est bousculé. Il parle vite, et marketing chez Jacob Duvernet. parfois en dehors du micro. Il n’est pas loin de s’énerver. Dans ce premier tome d’une série consacrée à la vie Pas grave. « Je suis là pour apprendre », estime-t-il quelques politique à Hénin-Beaumont, intitulée La France perd jours après cette épreuve. L’adolescent a pourtant l’habi- le Nord. Sur la couverture du Front national des villes et le tude de poser devant les caméras. Deux ans auparavant, Front national des champs, Octave Nitkowski opère une c’est en effet lui qui avait révélé l’affaire des faux tracts à froide analyse politique de l’ascension du FN à Hénin- Hénin-Beaumont lors des législatives de 2012. Beaumont. Parfois péremptoire, de temps en temps pro- À l’époque, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen s’affron- Il faut dire qu’Octave adore lire. Les livres d’Histoire, l’étudiant réside désormais la semaine avant de revenir phétique, l’auteur donne souvent des clefs pertinentes tent à couteaux tirés dans un duel hautement médiatisé d’abord, particulièrement ceux consacrés à l’Égypte. chez ses parents le week-end. pour comprendre la progression du parti frontiste dans où le PS et son candidat Philippe Kemel l’emporteront « Les enseignants en avaient marre qu’il s’intéresse autant Tout petits, Octave et son frère Celestin jouaient aux cette ville du bassin minier qui fait office de laboratoire finalement de quelques voix. Octave, « un garçon hors- à l’égyptologie », note son père. Mais aussi les journaux. À Playmobil, en imaginant des institutions politiques avec pour Marine Le Pen. L’ouvrage aurait pu passer inaperçu. norme dans une campagne hors norme », avance Pascal 9 ans, il devient accroc au Canard enchaîné. Huit ans plus les figurines. Aujourd’hui, quand la famille se rend au Mais Octave Nitkowski et son éditeur ont fait le choix de Wallard, est alors aux premières loges pour relater la tard, il est également abonné à Marianne, Le Nouvel Obser- Louvre, les parents sont presque gênés de voir leur fils dévoiler l’homosexualité de deux cadres du FN. Quelques campagne sur son blog, « Front contre Front », un site vateur, Courrier international, Libération et The Times. aîné jouer au guide. C’est comme si Octave avait déjà lignes seulement qui ont valu à l’auteur d’être assigné en ouvert par son frère cadet Célestin, dont il est très proche « J’achète aussi L’Opinion, La Croix », tient-il à préciser par visité les lieux de nombreuses fois. « Quand on partait en référé pour atteinte à la vie privée, la veille de la parution et à qui il a dédié son livre. souci de neutralité. « Je suis fétichiste du papier, j’aime bien vacances, il préparait un dossier avec tout ce qui était à voir. de l’ouvrage. Alors que le tribunal de grande instance de Le jeune homme se fabrique pour l’occasion des cartes le contact avec, ça me fait de la peine de voir la mauvaise C’est lui qui faisait le programme culturel et historique », se Paris décide d’expurger plusieurs passages litigieux, la de visite qu’il distribue sur le marché d’Hénin-Beau- situation économique des journaux. » Dans sa chambre souvient Célestin, 16 ans, actuellement en terminale S au cour d’appel réduit finalement les passages censurés à mont, épicentre de la vie politique locale. De quoi sur- aux allures de service de documentation d’une rédaction, lycée Fernand-Darchicourt, à Hénin-Beaumont. « Vu de un seul cadre du FN dont la notoriété est jugée moindre. prendre la plupart de ses interlocuteurs, particulièrement s’entassent des piles de journaux et de livres politiques l’extérieur, quand on discutait avec les autres gens on avait Réimprimé à 10 000 exemplaires dans sa nouvelle version, étonnés de lire sur sa carte : « Octave, blogueur, lycéen de qui obstruent une bonne partie des lieux. « J’aime pas l’impression d’être pas normaux, à part », avoue la maman. l’ouvrage a disparu des étals pendant vingt-quatre jours. 15 ans ». Très vite, il se fait repérer par Libération, qui lui jeter les choses. Les journaux marquent un truc précis à un Elle raconte une anecdote : pour ses 10 ans, Octave oin e C hes n a i s p o ur charles « C’est la première fois qu’un livre est interdit de parution propose d’héberger son site et lui consacre un portrait en moment. » Avant de préciser que c’est le même décor dans demande un cadeau original, le Code civil, qui trône

pour atteinte à la vie privée depuis celui du Docteur Gubler septembre 2012. © An t son 9 mètres carrés à Saint-Germain des Près, à Paris, où toujours dans sa chambre. Puis il envoie à sa famille un

29 Charles Renseignements généraux Octave Nitkowski

« Je déplore la “BFMisation” frontiste par certains. « Je fais une analyse politique sans du journalisme. Il faut en finir complaisance pour personne, ça dérange partout et tout le monde : le FN et les anti-FN, car la vérité n’est pas bonne avec le sensationnalisme non plus à entendre pour eux. Mais c’est la réalité brute, à outrance. » sans fioriture », plaide Octave, désormais blacklisté par le FN après le passage controversé sur l’homosexualité de deux cadres du parti. Octave entretenait pourtant jusque-là des bonnes relations avec le parti d’extrême droite. En novembre 2012, il avait même été invité aux 40 ans du candidat frontiste aux municipales, Steeve Briois, fêtés dans les locaux du parti, à Hénin-Beaumont. « Le FN carton d’invitation quelque peu particulier, titré « Appel aurait pu m’utiliser sans ce passage sur l’homosexualité », du 18 juin, moi Octave Nitkowski ». lâche-t-il, comme si ce passage avait été écrit pour cette Une passion pour le général de Gaulle qui coule de source, raison-là. puisqu’Octave est né un 18 juin. « Une fois en allant en Pour le moment, l’adolescent souhaite passer le concours vacances on a fait un détour de 100 kilomètres pour se de l’ENA et devenir diplomate. « Il veut se lancer dans la rendre à Colombey-les-Deux-Églises », se remémore sa mère diplomatie et il a des qualités qui pourraient coller. Il est tout aussi incapable que son mari de dire non aux caprices gentil, bien élevé, très courtois, très malin. Il comprend les de leur fils. Mais c’est surtout pendant la campagne prési- choses et les relations humaines. C’est quelqu’un de très dentielle de 2007 que le goût d’Octave pour la politique se intuitif », estime Louis de Mareuil qui ne tarit pas d’éloges révèle complètement. Il a alors 11 ans et il demande à ses sur son poulain. « Il a été très mûr dans sa démarche pour parents de participer au dépouillement le soir du premier aborder un éditeur », s’étonne-t-il encore un an après. Rien tour. Et l’enfant prend des notes... n’est toutefois figé. « On verra comment ça évolue, je vis Sans surprise, le perfectionniste Octave Nitkowski, qui au jour le jour », affirme de son côté Octave, qui n’exclut dès son plus jeune âge a voulu être le meilleur, obtient la pas toutefois, de se lancer un jour en politique, même si mention très bien au bac avec 19,16 de moyenne et réussit ses convictions ne sont pas encore tranchées et peuvent le concours de Sciences Po dans son lycée. toujours évoluer. « Je préfère penser que prendre parti », Octave a bien un temps voulu être journaliste politique. dit-il, lui qui ne pourra voter qu’en 2015 ! « Les gens n’ar- Mais à force de côtoyer ceux qui ont trop souvent rivent pas à me mettre dans une case et à m’étiqueter, ça les tendance à l’appeler Oscar, il se dit profondément déçu dérange, on est comme ça en France », poursuit l’adolescent par la profession. Il ne manque d’ailleurs pas de l’écrire à qui on demande souvent quel est son bord politique. « Il dans son livre. « Je déplore la “BFMisation” du journalisme. est très fort dans sa capacité à être neutre. On ne sait pas ses J’ai été choqué par l’image du bassin minier telle qu’elle a été idées politiques. Il n’a pas d’idéologie. Ce qui est sûr, c’est qu’il relayée lors du duel Mélenchon/Le Pen. Il faut en finir avec le est très attaché à la démocratie et la République », souligne sensationnalisme à outrance. » son ancien prof, Bruno Pieters. « Son avenir est tout tracé, il Il se montre encore plus critique depuis la publication de fera un bon techno-politique », estime Pascal Wallard. « Je le son livre. « Il y avait des trucs que je ne soupçonnais pas verrais plus en conseiller politique qu’en politique : l’homme sur la complaisance de certains journalistes envers le FN. de l’ombre », rigole Bruno Pieters. Un jeune homme longi- Un journaliste de Libé a aussi été très critique envers mon ligne, chauve, habillé de vêtements sombres, gourou d’un livre, il était jaloux. Dans le journalisme, il y a beaucoup de politique ? Michel Boujenah n’était pas loin d’avoir vu oin e C hes n a i s p o ur charles jalousies et de règlements de comptes, mais ça se fait par juste. Octave Nitkowski pourrait tout aussi bien devenir

© An t derrière », estime-t-il, en regrettant d’avoir été taxé de acteur. —

31 Charles Renseignements généraux L'interview d'un charles

Avec son mari Michel Pinçon, tu Monique Charlot forme le couple de sociologues le plus décapant du moment. Proches du Parti parles... communiste, ces émules de Pierre Bourdieu ont renouvelé Monique « la théorie de la domination » en ne s’intéressant plus aux dominés, Charlot ! mais aux dominants. Avec leurs enquêtes sur les « beaux quartiers », sur la bourgeoisie, sur les quartiers d’affaires, ils démontrent que les riches sont aujourd’hui la seule classe sociale organisée en tant propos recueillis par Arnaud Viviant portraits Patrice Normand que telle.

onique Charlot : Je suis née le 15 mai Ton père était donc en fonction durant la guerre... 1946 à Saint-Étienne, dans une petite Il a commencé en zone libre à Nîmes en 1944… Je ne sais M chambre toute rose. Je signale la couleur rien de cette période. En revanche, je sais qu’à Mende, il car je pense qu’un certain enthousiasme a été confronté en tant que procureur aux contentieux et optimisme qui m’animent tient à la beauté du cadre dans qui se sont réglés après la Libération. Et qu’il a assisté à lequel je suis venue au monde. D’autant que c’était chez plusieurs condamnations à mort. mes grands-parents maternels que j’ai toujours beaucoup Tu n’as aucune des idées politiques de ton père ? aimés. Mon grand-père était un industriel qui fabriquait Oh que si ! Il nous les a suffisamment imposées ! C’était des rubans de soie, un soyeux. C’était un homme de droite un homme très autoritaire qui menait sa famille à la tout à fait fidèle aux valeurs de son milieu, mais il était baguette. Nous n’avions pas le droit de parler à table, et les fantaisiste au sens où son entreprise l’embêtait un peu et quatre enfants Charlot devaient se tenir les pouces droits qu’il préférait faire du cinéma, du théâtre, de la peinture… lorsqu’ils ne mangeaient pas. Nous avons été nourris de Pendant ce temps-là, mon père et mon frère aîné étaient ses idées politiques très à droite, de tout ce qui faisait la à Mende, où mon père était procureur de la République. vie d’un procureur de la République, mais racontées plutôt J’ai passé à Mende les dix-sept premières années de ma d’un point de vue institutionnel : ce qu'il faut faire pour vie, sans jamais franchir la Loire, en étant bloquée dans avoir le poste au-dessus, pour plaire au procureur général ce département très isolé du reste de la France. qui venait lui rendre visite de temps en temps...

33 Charles Renseignements généraux monique charlot

« Un jour, j’ai eu très peur. J’ai entendu les ouvrières manifester au cri de : “Charlot, on veut des sous !” Naïve comme je l’étais, j’ai cru qu’elles s’adressaient à mon père ! Mais Charlot, c’était Charles de Gaulle. »

Cela a été difficile pour moi, dans ma construction person- l’école de Lille étant privée, mon père n’a pas voulu payer. nelle, de voir quelqu’un censé rendre la justice, se conduire J’ai donc considéré que la sociologie était la matière la à la maison comme un dictateur. Ma capacité de révolte plus proche. Je voulais être journaliste à partir du moment ou de réflexion était totalement nulle. Je pensais que ma où la télévision est arrivée en Lozère en mars 1963 ! C’était vie était ainsi par nature ou par un Dieu qui était omni- un truc de petite fille, mais je me disais : « Quand je saurai, présent dans notre famille très catholique. Et de la même c’est à la télévision que je l’expliquerai. » manière que des tas de gens aujourd’hui ne peuvent pas Après ma propédeutique, je me suis inscrite à la fac de imaginer que le système économique libéral dans lequel sociologie de Lille, et là, pratiquement le premier jour, le on vit puisse être changé, je ne pensais pas qu’une autre 5 novembre 1965, j’ai rencontré Michel à la bibliothèque. vie que celle que je subissais soit possible. J’ai ainsi eu le Il était avec un copain, moi j’étais avec une copine et je nez dans le guidon, sans place pour la réflexion, jusqu’à l’ai entendu dire : « Tiens, elles sont pas mal les filles de la l’âge de 17 ans. nouvelle promotion. » Car il avait, il a toujours, quatre ans Alors qu’est-ce qui se passe à ce moment-là ? de plus que moi. Mon père est nommé à Lille ! Pour se loger, mes parents ont C’est donc la rencontre. Il était comment Michel à loué un grenier dans la résidence d’un très riche industriel. cette époque ? Nous, on rentrait par l’entrée de service. Il y avait une belle Il était, il est toujours, assez bohème, fainéant, glandeur… adresse, mais de l’autre côté de la rue, il y avait comme Poète, contemplatif… Voilà… Je suis tombée amoureuse partout dans le Nord, à cette époque, ce qu’on appelait les d’un type qui avait l’air flegmatique, rêveur, tout doux, courées, là où vivaient les ouvriers, les mineurs, et leurs et qui semblait prendre son temps pour faire ses études. On se met ensemble très vite, je ne suis pas encore majeure études de sociologie, et surtout je veux travailler pour ne femmes qui travaillaient pour La Redoute à Roubaix. Là, D’autant plus qu’il était pion au lycée Faidherbe à Lille (la majorité était encore à 21 ans). Mais je profite du fait pas dépendre de Michel et vivre à l’aise, comme lui. C’est ça a été un vrai choc ! Je me suis sentie à l’aise. Avec ma pour les prépas. Comme il était bien payé, 800 francs par que mon père ne vivait plus avec nous à cette époque car ainsi, en me présentant au bluff auprès du rectorat, que je sœur, on allait dans les courées, on ne parlait pas trop, mois, ce qui à l’époque représentait quatre fois le salaire le général de Gaulle l’avait nommé avocat général de la suis devenue institutrice d’enfants polonais dans le bassin mais on se posait des questions… D’ailleurs, un jour, j’ai d’une ouvrière du textile, il profitait de la vie. Il faut dire Cour de sûreté de l’État, après les événements de Mai minier. Une expérience inoubliable. L’année suivante, eu très peur. J’ai entendu les ouvrières manifester au cri qu’il est né dans une famille ouvrière vraiment pauvre, 68. C’était au fort d’Aubervilliers. C’est lui qui a assuré Michel fait sa coopération. Il est nommé dans un collège de : « Charlot, on veut des sous ! » Naïve comme je l’étais, avec cette culture dont parle Richard Hoggart, cette le procès Geismar, par exemple. On en trouve des traces du désert marocain, lequel regroupe tous les enfants des j’ai cru qu’elles s’adressaient à mon père ! Mais Charlot, dignité dans la pauvreté, cette fierté, cette rigueur… Mais dans le livre Génération de Rotman et Hamon. Et puis aussi oasis du sud-est du Maroc. Par chance, je vais avoir un c’était Charles de Gaulle. Et puis j’ai eu la chance de c’est un miraculé scolaire. Sauf que, un peu comme ce que dans la presse. Il y a eu des incidents, car ma sœur cadette poste dans le même établissement, mais pour cela, nous ma vie ! En classe de philo, je suis tombée sur une prof, raconte Annie Ernaux dans Les Armoires vides, la culture était engagée dans le gauchisme, elle faisait partie de la allons devoir nous marier. Et nous voilà partis pour deux Noëlla Baraquin, qui était toute jeune. Elle avait 22 ans, scolaire qu’il acquérait avec beaucoup d’intérêt l’éloignait Gauche prolétarienne. Bref, ça faisait désordre ! ans au Maroc. Et là, on a profité de cette expérience extra- elle venait d’avoir son agrégation et elle était existenti- de ses parents. Donc il a toujours eu un rapport très schi- Et toi, où en es-tu politiquement, à ce moment-là ? ordinaire pour finir notre licence par correspondance et aliste ! Elle m’a donné accès à la réflexion. Après, j’ai fait zophrénique aux institutions, que ce soit le lycée, l’Uni- Je prends tranquillement mes marques, je ne m’excite pour faire notre maîtrise sur les fonctions de classe de la

des études de sociologie. Je voulais être journaliste, mais versité ou plus tard le CNRS. i ce no r m a n d p o ur charles © patr pas. Je suis très amoureuse de Michel, je veux réussir mes langue française dans le Maroc indépendant depuis

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« C’est Michel qui, le premier, a adhéré au Parti communiste et je l’ai rejoint quinze jours plus tard. Nous sommes restés encartés jusqu’en 1977 ; ensuite nous devenons des compagnons de route. »

1956, avec ce paradoxe que la langue française était un marqueur important des différents niveaux sociaux selon qu’on la maîtrisait plus ou moins bien. Dès la maîtrise, vous travaillez donc déjà ensemble ! Oui. Notre couple s’est basé d’emblée sur une espèce de solidarité. On est très différents l’un de l’autre, Michel et moi. On n’a pas été élevés dans le même milieu. Lui a été bien construit par une famille unie, mais très dépourvue de capital culturel, économique, social, sans parler du capital symbolique ! Moi, j’avais d’autres problèmes. Ma construction psychologique n’était pas très bonne, j’avais des phobies pas croyables, de l’eczéma, j’étais incapable de parler en public, à la fois timide mais aussi dotée d’une force intérieure qui m’a toujours fait soulever des montagnes, ce dont Michel est beaucoup plus dépourvu. En revanche, il a des capacités d’analyse, d’écriture qui font que, si nos livres sont bien écrits, c’est en grande partie grâce à lui. Et après le Maroc ? On décide de s’installer à Paris, ce qui était le rêve de Michel. On s’inscrit à Vincennes, cette fac de Mai 68 qui nous fascinait. Et là, j’ai été très perplexe. Je n’adhérais pas du tout au gauchisme, je sentais beaucoup de bluff, un manque de sincérité. J’ai du mal à l’expliquer, mais quelque chose me déplaisait. Michel aussi. C’est lui qui, le premier, a adhéré au Parti communiste et je l’ai rejoint quinze jours plus tard. Nous sommes restés encartés jusqu’en 1977 ; ensuite nous devenons des compagnons de route. Le plus drôle, c’est qu’à l’époque nous vivions dans une petite chambre de la rue Saint-Dominique, dans le viième arrondissement. On a donc commencé à militer dans une cellule des beaux quartiers. Par exemple,

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« Quand on se met à lire Bourdieu dans les années 70, j’ai dit à Michel : “C’est exactement comme ça que je vois le monde, on me propose les lunettes que je cherche depuis que je suis née, c’est fabuleux ! ” »

je me souviens qu’un comte avait un château en Lozère cessaient de parler de cette ségrégation en l’inscrivant cherché, mais on a littéralement épousé la théorie de la recherches. Et là, on décolle ! Nous étions des chercheurs dans notre cellule… À part ça, la rentrée approchait et dans des rapports de domination, mais sans évoquer les domination de Bourdieu. Michel avait été son étudiant à de l’ombre, de pauvres bougres, il faut bien dire les choses nous n’avions pas envie, Michel et moi, de recommencer à dominants, sans jamais lever la tête. En n’évoquant que Lille en 1962-63, et puis, quand on revient du Maroc, non comme elles sont, et puis, petit à petit, on sent qu’on a des enseigner le français dans le secondaire. On voulait faire les jeunes des cités, les exclus, les gens en difficulté. Ce seulement on est au Parti communiste, mais on fait aussi hypothèses, un système théorique, le matériau prend de de la recherche. Michel est allé au Centre de sociologie qui est normal, puisqu’il faut souvent des financiers pour les écoles du Parti, jusqu’au niveau fédéral. Ce dernier la valeur, cela donne de l’amplification aux travaux que urbaine (CSU) où ils cherchaient justement deux socio- pouvoir faire nos recherches quand on est au CNRS et que niveau durait quinze jours (le niveau suivant, c’était l’on remet au commissariat au plan. En 1985, Bourdieu logues pour aller faire à Dijon une enquête commanditée la vocation de l’argent public des ministères est plutôt de à Moscou, cela durait un an, on ne l’a pas fait), on s’est nous confie une charge de conférence à l’École des hautes par la mairie. Après cela, on a été embauchés en CDI en financer des recherches sur le chômage, sur la relégation, bien marrés avec les copains, mais dans le même temps, études. Cela s’est bien passé, et à partir de 1986, il nous a tant qu’assistants de recherche. Au bout d’un an, on a la difficulté de vivre dans des HLM, des cités dégradées… ma colère contre les institutions a repris le dessus. On demandé de venir une journée par semaine au Centre de exigé le statut de chercheurs. Enfin, le 31 décembre 1975, Mais nous, on trouvait qu’au CNRS, où il s’agit quand nous parlait du capital, de l’État, tout cela manquait de sociologie européenne, et là, il nous a fait profiter de son Valéry Giscard d’Estaing a eu une idée de génie : il a décidé même de recherche fondamentale, c’était tout de même chair, tout était réifié ! Quand on se met à lire Bourdieu capital de chercheurs internationaux. On a travaillé avec que tous les chercheurs sans statut qui émargeaient sur bizarre que personne ne s’occupe des dominants, à part le dans les années 70, vraiment bien, de façon systéma- des Russes, des Suédois, des Finlandais, des Brésiliens, l’enveloppe « recherche » d’un ministère allaient être laboratoire de Bourdieu et de Monique de Saint-Martin. tique, en prenant Esquisse d’une théorie de la pratique, en des Canadiens… La dernière fois qu’on a vu physique- intégrés au CNRS. C’est donc sur une décision purement Cette décision de s’intéresser sociologiquement aux ayant chacun son exemplaire, même si ça coûtait cher à ment Bourdieu, c’était pour son dernier cours au Collège bureaucratique que nous sommes devenus chercheurs au riches, c’est le tournant de votre carrière. l’époque, cela a été la révélation. J’ai dit à Michel : « C’est de France, le 28 mars 2001. On ne se doutait évidemment CNRS ! C’est pourquoi, quand je parle de notre vie, je dis Oui. En 1986, on sort un peu de l’ombre. On a publié dans exactement comme ça que je vois le monde, on me propose les pas qu’il allait partir aussi vite. Il y avait un cocktail, mais toujours que rien n’a été glorieux... la Revue française de sociologie, Michel a publié dans les lunettes que je cherche depuis que je suis née, c’est fabuleux ! » comme d’habitude, Bourdieu était encerclé par une cour C’est à Dijon que vous élaborez votre méthode d’entre- Actes de la recherche en sciences sociales de Bourdieu. On Et c’était la même chose pour Michel. On était très fans. de fidèles que je ne nommerai pas… J’ai dit à Michel : « On tien ? se sent, disons, un peu la tête hors de l’eau. Et c’est là Plus que ça même. On était aveugles, et Bourdieu nous a y va. » J’ai poussé tout le monde et j’ai dit à Bourdieu : « Je Disons une stratégie d’écoute, une grille d’entretien. que, sur les conseils du directeur de notre laboratoire qui permis de voir le monde. C’est un bonheur inouï. voulais vous remercier pour tout ce que vous nous avez Et tous les deux on a, je pense, un contact super avec s’appelle Paul Rendu, et qui est issu de la grande bour- Jusqu’à quel point avez-vous été proches de lui ? apporté, c’est énorme, on est heureux de vivre. Notre métier les gens, fussent-ils hyper modestes, pauvres, dans le geoisie de Neuilly, nous commençons à travailler sur Lorsqu’il était prof à Lille, Bourdieu avait invité quelques de sociologue est magnifique grâce à vous. » Plus réservé, désarroi le plus total ; ou bien, au contraire, riches, beaux les riches. Il nous donne des contacts avec sa famille, et étudiants, dont mon mari, à venir travailler quinze jours Michel le salue aussi. On s’en va, le cercle autour de lui se et bien portants. nous voilà partis pour le livre qui allait s’appeler Dans les avec lui à Paris. Cela a beaucoup marqué Michel. Après referme tout de suite, et puis, ô surprise, Pierre Bourdieu As-tu plus de capacité à parler aux riches que Michel ? beaux quartiers. On n’était jamais allés à Neuilly, ça nous nos rapports… Est-ce qu’ils existaient, est-ce qu’ils n’exis- nous poursuit, nous rattrape et nous dit : « Oh, j’ai oublié Ah oui, incontestablement. Michel souffre beaucoup semblait hallucinant. Et puis on a envoyé un synopsis du taient pas ? Tout de même, quand il publie La Noblesse de vous dire quelque chose qui est très important pour moi. de la violence symbolique, du fait de ses origines. C’est livre à Patrick Rotman. Trois jours après, il nous proposait d’État, il nous fait une dédicace : « À mes Pinçon chéris. » Et J’aime beaucoup la façon dont vous arrivez à travailler avec d’ailleurs moi qui en 1986 ai tiré Michel vers ce sujet, un contrat d’édition ! Alors là, le monde a basculé. Un puis, à partir du moment où il est professeur au Collège les médias. Je vous écoute à la radio. Eh bien, vous y arrivez ! même s’il ne demandait que ça, quand j’ai décidé qu’on contrat d’édition au Seuil ! On n’osait même pas le dire à de France, là, c’est que du bonheur. On assiste à tous ses Vous arrivez vraiment à faire passer de la sociologie dans les en avait marre de travailler sur les problèmes de ségré- nos collègues ! cours. On a un cahier chacun, on divise la page en deux : médias. » Venant de lui, sur ce thème, quel compliment ! — gation dans l’espace. Marre des chercheurs qui, dans Venons à Bourdieu, votre Maître. d’un côté, on note ce que dit Bourdieu, et de l’autre toutes tous les colloques nationaux ou internationaux, ne On n’a jamais inventé un concept avec Michel, on n’a pas les idées que cela nous donne pour nos enquêtes et nos

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interview d'une pécheresse p. 42 GUIDE P. 74

Porno p. 54 portrait P. 96

MAGAZINE P. 102 Entretien p. 62

REPORTAGE P. 110 SEXOLOGIE P. 68 © i s aac bonan po u r charle

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À 70 ans, Christine Boutin n’a plus peur Christine Boutin de rien. Et surtout pas de parler de sexe. La catho la plus tradi de la vème République, « Je l’opposante historique au PACS, au mariage pour tous, jugée excessive et caricaturale suis par ses détracteurs, entend en effet corriger son image : « Je ne suis pas une bonne femme par Camille Vigogne Le Coat portraits Tom Buisseret [TS74] dans le formol. » Dans cette interview pour une , elle évoque donc son corps, son mari, Charlesles mœurs politiques, DSK, l’homosexualité pécheresse ! » ou encore la prostitution. Avec une franchise quasi biblique.

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« à chaque fois que je récite le "Notre Père", il y a un moment où je sais parfaitement à qui je dois pardonner. Au début, en n 1999, vous confiez à la revue Tabloïd, un Justement : au moment du PACS, Lionel Jospin politique, je n’y arrivais pas. mensuel gay et lesbien : « Je suis une femme qui vous traite de « députée outrancière dans ses propos et Je me disais "Ah, celui-là, quel aime la vie et qui aime le sexe. » Pourquoi avoir marginale » … Vous pleurez dans l’hémicycle. Vous ne décidé de le dire ? Pensiez-vous que les gens vous étiez pas encore endurcie à l’époque ? salaud !" et je continuais. » E en doutaient ? Je n’étais pas encore complètement endurcie, car les Christine Boutin : Bah oui. Parce que je suis catholique, vraies attaques sont arrivées à ce moment-là. Il faut bien que je défends la famille et le respect de la vie, on s’imagine comprendre qu’une femme ou un homme politique reste que je suis une espèce de bonne femme dans le formol, que une personne humaine. On était en plein débat sur le je ne connais rien de la vie, que je n’ai pas mes plaisirs ! PACS, et outre les nombreuses nuits passées dans l’hé- Mais je suis comme tout le monde, j’aime la vie. Le jour- micycle, j’accumulais toute la tension nerveuse, politique naliste m’a posé la question comme si j’étais une bonne et médiatique des derniers jours. Je n’étais nerveusement femme qui ne connaissait rien de la sexualité, qui était pas préparée à la déclaration de Monsieur Jospin dans sa hors du coup ! Alors, à un moment je lui ai dit : « Mais enfin responsabilité de Premier ministre, et je me suis mise à monsieur, vous aimez le sexe, eh bien moi aussi ! » Évidem- pleurer. Du reste, les femmes socialistes de l’époque se sont terminé. Ce que je peux vous dire, c’est qu’à chaque fois que ment, il a titré avec ça. Ce que j’ai voulu démontrer c’est moquées de moi en me disant que j’avais joué la comédie. je récite le « Notre Père », il y a un moment où je sais parfai- qu’on peut très bien défendre des valeurs qui sont éter- Les femmes sont très dures entre elles, c’est terrible. En tement à qui je dois pardonner. J’identifie physiquement nelles et ne pas pour autant rejeter tout ce qui est sexuel. particulier les femmes socialistes. Non, je n’ai pas joué la mon pardon. Au début, en politique, je n’y arrivais pas. Je La sexualité fait partie de la nature humaine. Je ne dis pas : comédie, non je ne voulais pas pleurer. Ça n’a d’ailleurs pas me disais « Ah, celui-là, quel salaud ! » et je continuais. « Mettez votre ceinture de chasteté ! » Au contraire, profitez duré longtemps, puisque je me suis ressaisie. Je suis sortie Sur Twitter, vous écriviez récemment à Cécile de la vie, aimez la vie ! Le contraire serait bien dommage. dans la salle des quatre colonnes et j’ai dit : « J’annonce la Duflot : « Vous êtes trop sensible ma chère ! À côté de ce Vous avez subi des attaques très dures, très per- manifestation du mois de janvier ! » que je reçois, c’est rien ! » sonnelles tout au long de votre vie politique. Comment Vous avez pardonné à Lionel Jospin depuis ? Quand on est une femme politique, il faut accepter. On le vivez-vous ? Bien sûr que j’ai pardonné. Je ne dis pas que c’est à cause ne recule pas parce qu’il y a des attaques. Cécile Duflot Vous dire que c’est agréable, non. Qu’on s’y habitue, non. de ça, mais vous savez, M. Jospin a été bien puni, il a disait : « Je ne suis plus active sur Twitter compte tenu des Vous dire qu’on s’endurcit, oui. En réalité, c’est le risque de payé la note si je puis dire (elle rit). Et puis le fait que j’ai attaques que je reçois. » Je voulais lui dire : Ma chère, un peu toute personne publique. Et si on n’accepte pas la critique, eu un moment de faiblesse a touché le cœur des gens, de courage. Allons, allons, allez ! Vous n’allez pas baisser même quand elle est injurieuse, il ne faut surtout pas car la compassion existe. Vous ne pouvez pas savoir le les bras ! faire de politique. Ça fait partie du jeu. Mais on ne s’y fait nombre de messages que j’ai reçus à l’époque ! En parti- Pendant la Manif pour tous, vous tombez dans jamais. Heureusement, je suis très aidée par le fait d’être culier, les hommes n’aiment pas voir les femmes pleurer. les pommes. Un tumblr a été créé et même Fleur catholique. L’exercice du pardon est inhérent à ma foi. La D’une certaine façon, il m’a rendu service, ce brave Jospin. Pellerin vous a imitée sur Canal +. Vous arrivez à en politique m’a appris ça. Il y a trente ans, je n’y arrivais pas. Mais j’avoue que ce n’était pas le pardon le plus difficile à rire ? Mais aujourd’hui je le fais, et c’est une très grande force. accorder. Non. Il y a eu des images détournées sur Twitter de Vraiment je ne le dis pas pour faire bien, je le dis parce que Quels ont été les plus difficiles à accorder ? mon évanouissement. Cela fait partie du risque, mais je le vis. Et c’est ce qui me permet de supporter ! Parce que Je ne sais plus, car maintenant, dès que j’ai un type qui certaines étaient indignes. Ce que je n’ai pas accepté, c’est sinon ça serait insupportable. m’attaque, je lui pardonne. J’appuie sur un bouton et c’est que certaines émissions – comme sur LCI – suite p.47

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reprennent des images détournées de moi façon L’Origine « Cette représentation du monde (Sur un tumblr, Christine Boutin apparaît en de moi-même par les Guignols effet nue, les jambes écartées, comme dans le tableau de Gustave Courbet – NDLR). Et là, j’ai vraiment attaqué LCI en truie était terrible. Certes, en leur disant : « Retirez immédiatement cette image. » Que ils sont dégueulasses d’avoir les twittos le fassent c’est un risque, mais que des journa- fait un truc pareil. Mais je me listes le reprennent à leur compte, ce n’est pas acceptable. De la même manière, je trouve que ce qu’a fait Madame suis dit : Christine t’as quand Pellerin, en position de ministre, manquait vraiment même ta part de responsabilité ! d’élégance. Il y a aussi eu cette marionnette des Guignols, Si tu leur as inspiré ça, c’est au moment du PACS, où une truie vous représentait. qu’il y a quelque chose qui Une chose très rare, les marionnettes ayant d’ordi- naire forme humaine. Elle a d’ailleurs été changée cloche. Alors j’ai changé un ensuite. peu de look, et fait un régime. » On est dans un monde médiatique où la place de l’image est fondamentale. C’est vrai que cette représentation des Guignols était quelque chose de terrible pour moi, pour mes enfants. Cette marionnette était insupportable pour mon environnement familial. Mais je me suis dit, quand même, comment est-ce que j’ai pu leur suggérer ça ? Certes ils sont dégueulasses d’avoir fait un truc pareil. Mais, Christine tu as quand même ta part de responsabi- lité ! Si tu leur as inspiré ça, il y a quand même quelque chose qui cloche. Il faut te remettre en cause… C’est pas que de leur faute à eux. Alors j’ai changé un peu de look, et fait un régime. Vous savez, le problème du poids… Quand je vous vois, là, toute mignonne, profitez-en ! Vous êtes jolie comme un cœur, je me dis c’est formidable quand on est jeune comme ça, profitez-en ! Après la vie arrive, et quand on est comme moi, qu’on a tendance à grossir… Moi j’ai passé ma vie à faire des régimes ! J’ai au moins perdu dix fois mon poids ! Et quand on est une personnalité publique, il faut naturellement faire attention ! Comment est-ce que j’avais pu – même si mes idées ne leur plai- saient pas, même s’ils les combattaient – leur suggérer de me présenter comme ça ? Comment avez-vous perçu les critiques, à l’oc- casion du débat sur le mariage pour tous, à l’encontre de votre mariage avec votre cousin germain ? Ça m’a blessée. Du reste, mes adversaires l’ont parfai-

bu i sseret [ts74] p o ur charles © Tom tement compris, et je l’ai sans doute trop montré.

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Je trouve ça très injuste. Je ne vois pas ce qu’il y a de homosexuels, qui sont mes frères, mes amis, et qui ont vise à pénaliser les clients de prostituées ? « Je n’ai jamais condamné un mal à se marier avec son cousin ! Ni la République, ni ma une dignité aussi grande que ceux qui ont d’autres com- J’ai beaucoup réfléchi sur le problème de la prostitution, homosexuel. L’homosexualité religion ne me l’interdisent ! Ça fait belle lurette qu’il n’est portements sexuels. Ils sont pécheurs comme je le suis, on parce que dans mon engagement politique, la dignité plus mon cousin ! Des cousins, j’en ai des tas d’autres, et je est tous pécheurs. Je suis dans le péché moi aussi, je suis de la personne humaine est quelque chose qui me est une abomination. Pas la ne suis pas mariée avec eux ! Je trouve ahurissant que des une pécheresse (elle rit) ! Mais jamais vous ne me verrez touche. Surtout celle des plus fragiles. Et naturellement personne. Pour moi c’est comme gens me reprochent une chose pareille. faire l’apologie d’un péché. Même si je peux pardonner un les femmes qui se prostituent sont dans une situation Certains disent que pour qu’un mariage de ce péché. de fragilité. À partir du moment où on arrive à donner la différence entre le pécheur genre soit valide, il faut une dispense papale… Vous avez récemment affirmé que l’homo- son corps en objet de commerce, on touche à la dignité et le péché. Le péché n’est jamais Ceux qui m’attaquent en précisant qu’il faut une autorisa- sexualité était une « question de mode » … humaine. J’ai beaucoup travaillé quand j’étais parlemen- acceptable, mais le pécheur est tion religieuse – et il y a cinquante ans cette autorisation J’ai dit ça, un matin de bonne heure, fatiguée, sur RMC taire sur le sujet, et j’ai évolué dans ma façon de penser. était automatique tout comme elle l’est aujourd’hui ! – avec Bourdin, que j’aime bien. C’était le jour du festival Ma première réaction a été de dire : est-ce qu’il ne faut pas toujours pardonné ! » c’est de l’ordre religieux, donc du privé. C’est ce qu’insi- de Cannes où on venait de donner la Palme d’or à La Vie rouvrir les maisons closes, la prostitution existant depuis nuent ces personnes qui m’a le plus blessée. Elles sous- d’Adèle, donc je réponds : « C’est une question de mode. » que le monde est monde ? Est-ce qu’il ne vaut pas mieux entendent l’inceste, je ne vois pas ce que ça peut être C’était une parole un peu malheureuse un matin, et puis donner une garantie au moins psycho-sanitaire à ces d’autre. Je ne suis pas quelqu’un d’incestueux. naturellement tout le monde l’a ressortie. Comprenez personnes ? Puis je me suis rendue compte que ce n’était Votre conseiller en communication était bien, ce n’est pas la mode au sens léger du terme, mais pas la bonne solution. En réalité cela ne faisait qu’institu- Charles Consigny, jeune éditorialiste au Point.fr et au sens d’environnement. C’est la mode au sens où tout tionnaliser l’esclavage des personnes. Alors, j’ai réfléchi à gay. N’est-ce pas contradictoire pour quelqu’un qui a le monde met un blue-jeans, parce que c’est entré dans la pénalisation des clients. Quand on écoute les personnes déclaré en 1999 à la revue Tabloïd que « l’homosexualité les codes de notre époque. Ce qui n’était pas le cas il y a qui se prostituent, ce n’est pas la réponse à leurs difficul- est une abomination comme il est très clairement dit dans trente ou cinquante ans. Ce n’est pas quelque chose de tés, car la pénalisation des clients entraîne des perver- l’Ancien et le Nouveau Testament » ? superficiel. Est-ce qu’on portera toujours un blue-jeans ? sions dans les pratiques, ces derniers exigeant davantage Ce n’est pas du tout contradictoire. Charles Consigny Je n’en suis pas certaine ! Il n’empêche qu’aujourd’hui, ne des hommes et des femmes qui se prostituent. Ce n’est vient de rentrer dans la bande à Ruquier et je le félicite. pas avoir un blue-jeans dans sa garde-robe, c’est vraiment pas la solution et pourtant je campe maintenant sur une Je n’ai jamais condamné un homosexuel. Jamais. Ce n’est être hors-jeu. Tout comme il y avait une période où tous position abolitionniste de la prostitution. Alors, ça peut pas possible. L’homosexualité est une abomination. Mais les cols blancs avaient un attaché-case. Il fallait avoir son paraître complètement utopique. On peut me dire que ce pas la personne. attaché-case pour être bien intégré dans son temps et la n’est pas possible. Mais en réalité on s’aperçoit que l’abo- Vous avouerez que la frontière peut paraître société de son époque. L’homosexualité fait partie des lition de la prostitution – ça mettra du temps – génère un ténue. nouveaux codes. Mais mon âge me permet de dire que les environnement qui met à la fois le client et le proxénète Ah non, ce n’est pas la même chose ! Pour moi, la diffé- choses peuvent changer. en position d’accusés. Et cela répond aussi à la préoccu- rence est la même qu’entre le pécheur et le péché. Le péché En 1999, vous affirmiez que beaucoup d’hommes pation de ne pas faire du corps un objet de commerce. Le n’est jamais acceptable, mais le pécheur est toujours politiques étaient gays, mais ne le disaient pas publi- texte qui a été proposé par l’actuel gouvernement est un pardonné ! Ça n’a rien à voir ! C’est cette subtilité qui n’est quement. Est-ce toujours le cas quinze ans après ? premier pas vers l’abolition. pas toujours comprise. J’ai des amis homosexuels ! Je vous Il y en a qui se sont révélés depuis, qui ont fait leur coming Le 9 octobre 1998, vous sortez la Bible pendant assure, de vrais amis ! Mais, en ce qui concerne le compor- out. Ça ne me gêne pas. Moi j’ai bien besoin de dire que le discours d’Élisabeth Guigou, garde des Sceaux à tement sexuel, chacun fait comme il peut. Je ne dis même je suis catholique, que je crois en Dieu. Il y a des tas de l’époque, qui défendait le PACS. La Bible a-t-elle sa pas comme il veut, je dis comme il peut. Personnellement, catholiques qui n’ont pas besoin de le dire. S’il y a des place dans l’hémicycle ? je n’ai aucun jugement à porter sur la personne. Comme homosexuels qui font ce choix, ils sont libres. C’est la grande question qu’on me pose toujours. Je vais elle, je fais ce que je peux avec ce que je suis. Avec ma foi, Pensez-vous que le législateur doive intervenir vous répondre, en rejoignant l’actualité d’aujourd’hui : je la personne homosexuelle est autant aimée de Dieu que dans la sphère privée que représente la sexualité ? pense qu’il ne doit jamais y avoir aucune censure contre je le suis. Merci de me permettre de vous le dire, c’est là Ma réponse spontanée est non. Le politique n’a pas à s’in- la pensée. Aucune. Alors naturellement, dans un pays que se situe une importante confusion. L’homosexua- téresser à la sexualité des gens. que l’on dit laïc, sortir la Bible dans l’hémicycle peut être lité n’a rien à voir avec les jugements que je porte sur les Que pensez-vous de la proposition de loi qui considéré comme une provocation. Et je comprends

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qu’on l’ait perçu comme tel. Mais il se trouve que c’était La séduction est-elle importante en politique ? « Les gens qui travaillent à l’Assemblée couchent souvent « Quand on parle de séduction, la discussion sur le PACS et que les députés socialistes Bien sûr. D’abord, c’est important pour les femmes. Je entre eux, mais ils se marient aussi très souvent entre on parle souvent des hommes n’étaient pas présents en séance. S’il y avait eu un vote pense que la séduction – c’est magnifique, la séduction – eux. C’est très endogame. […] Les députés ont une petite à ce moment-là, nous aurions fait tomber le texte sur le reste un concept très féminin. Nous les femmes, avons chambre. On voyait souvent passer des escort girls. politiques qui ont des aventures, PACS. Donc, pour gagner du temps, Mme Guigou relisait vraiment la séduction inhérente à notre ADN, de façon Baiser dans les cas de stress, ça aide. » ( n°3, Les il faut savoir que les femmes son discours. Je lui ai montré , en lui disant : encore plus profonde que les hommes. Et c’est du reste pour Ouvriers de la politique, 2012). Est-ce vrai selonCharles vous ? « Vous pourriez tout aussi bien nous lire le journal. » Or, ça que les femmes entre elles sont tellement dures. Il y a Écoutez, je ne sais pas s’il y avait des escort girls. Je ne se jettent dans leurs bras ! dans mon sac, j’avais la Bible. J’aurais eu Victor Hugo, des compétitions de séduction très fortes entre femmes. suis pas certaine non plus que les lits en question per- Ce n’est pas si évident pour n’importe quoi, La Princesse de Clèves, ça aurait été la Voilà pour le cadre général. En politique, il faut par nature mettent ce genre de chose. Ça ne veut pas dire que cela eux de résister ! » même chose. J’ai donc sorti la Bible, avant de la ranger séduire, qu’on soit homme ou femme. Séduction au sens ne se passait pas ailleurs ! Quant à dire qu’ils se marient immédiatement. Le geste a été tellement rapide que les positif du terme, au sens où il faut plaire à ses électeurs, à entre eux… Les avocats se marient avec les avocats, les caméras de l’Assemblée nationale ne l’ont même pas son public. Si vous n’êtes pas un peu séducteur, vous avez médecins avec les médecins, il n’y a rien d’étonnant à ce filmé. La France entière m’a vue avec la Bible, mais c’est peu de chance d’être élu ! que les politiques se marient entre eux. Du reste, je dirais un montage. L’image que les Français ont vue est celle Jacques Chirac ne se lassait pas de serrer des que c’est plutôt ouvert, car on trouve des politiques en où je brandissais le règlement de l’Assemblée nationale. mains… Quel est le rapport au corps, au contact, couple avec des journalistes. Sur l’histoire du lit, ça fait Car pour avoir la parole, il fallait montrer le règlement quand on est élu ? bien dans le folklore… Mais les responsables politiques, en disant : « Monsieur le Président, au nom de l’article 51, je C’est un rapport très curieux. En politique, on a besoin de hommes ou femmes, sont habitués à une certaine forme vous demande la parole. » se toucher. Quand vous voyez quelqu’un, vous lui serrez de confort. Ça m’étonnerait qu’ils fassent l’amour sur une Dans ma tête, je me suis dit : « Ce n’est pas un livre neutre la main, vous le prenez par l’épaule, vous lui touchez le planche ! C’est peut être arrivé aux pingres, à ceux qui ne quand même. » Mais n’oublions pas que lorsqu’il était à bras... Si vous êtes dans une relation en-dehors du cadre veulent pas louer une chambre (rires). court d’idées, le député communiste Georges Hage lisait politique, vous continuez à prendre le type par la main ou Dans Rachida ne meurt jamais, Elisabeth le Cantique des cantiques (en faveur du PACS, il essayait par le bras, et les gens sont un peu surpris. Celui qui n’est Chavelet explique que celle-ci avait fait de la lui aussi de gagner du temps – NDLR). Sortir un bouquin, pas politique, il se dit : « Qu’est-ce qui lui prend à celui-là de séduction une « méthode Dati » afin d’obtenir ce qu’elle c’est quand même moins grave que lire un texte de la me toucher le bras ? » En politique, il y a des contacts. De voulait. Il est écrit qu’elle pratiquait les « sextos ». Bible ! Après cela, j’ai reçu des lettres d’insultes et des la pensée, des combats, et aussi des contacts physiques. Je n’ai pas eu de sextos ! (rires) J’aime beaucoup Rachida. lettres d’encouragement. Pour moi, il n’y avait absolu- On dit d’ailleurs que Jacques Chirac était un Dans mes collègues politiques, il y a quelques ministres ment aucun courage là-dedans. Ce n’était pas ma volonté. grand séducteur… que j’ai aimés. Rachida, je l’ai beaucoup appréciée. J’étais vraiment candide, je voulais simplement faire Écoutez, je pense que oui. Je n’étais pas très proche de lui, Pourtant, Dieu sait si on ne devait pas se rencontrer a comprendre que Mme Guigou cherchait à gagner du mais c’est la réputation qu’il avait. Je ne peux pas vous priori. Mais c’est une fille qui en veut. Elle a la niaque. Oui, temps. Mais il s’est passé quelque chose de très important en dire davantage. Mais vous savez, en politique, il n’y a bien sûr qu’elle joue de la séduction, mais elle n’est pas la dans l’hémicycle à ce moment-là. C’est à partir de cet pas que Chirac. Quand on parle de séduction, on évoque seule. Elle avait peut-être plus de talent que d’autres ! Elle événement qu’ont été organisés des colloques à l’Assem- souvent les hommes politiques qui ont des aventures, usait de ce qu’elle avait, on ne peut pas lui reprocher. À blée nationale sur la laïcité. Qu’est-ce que c’est que la mais il faut savoir que les femmes se jettent dans leurs chacun son talent. Je ne dis pas que c’est le seul dont elle laïcité ? Cela a permis d’évoluer. Quand je suis arrivée à bras ! Ce n’est pas si évident pour eux de leur résister ! dispose, mais c’est une séductrice. l’Assemblée nationale, en 1986, la laïcité était considérée Déjà, ils n’ont pas tellement envie... La vraie question est : Et vous, quelle était votre recette pour séduire comme l’interdiction des religions. En contradiction totale pourquoi est-ce ainsi ? Je pense que le pouvoir attire. Dans les électeurs ? avec notre Constitution, puisqu’elle dit que nous sommes ma vie politique, j’ai pu voir comment les femmes peuvent Je peux vous parler de celle qui est volontaire, car je pense un État laïc qui respecte TOUTES les croyances et les être attirées par les hommes de pouvoir. C’est moins vrai que il y a dans la séduction une part inconsciente qu’on religions. Ce n’est pas l’interdiction des religions ! C’est pour les hommes : les femmes politiques et députées, on ne maîtrise pas obligatoirement. Ma « méthode » repose au contraire l’acceptation des religions. Pour résumer, ce voit moins d’hommes leur tourner autour. sur le fait de ne pas mentir. C’est pour moi quelque chose geste n’était pas une provocation. Mais depuis, il me colle Michel Houellebecq, qui a été informaticien à d’important. Je pense qu’il y a assez peu de gens qui sont à la peau ! l’Assemblée nationale, confiait récemment à Charles : dans cette approche. La partie inconsciente je ne peux

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pas vous la décrire ! Mais mon « truc » à moi, c’est d’être « Qu’est-ce qu’il y a toujours dans la vérité, la spontanéité. d’extraordinaire à ce C’est payant ? Je trouve que ça m’a plutôt réussi. Mais peut-être que sur que DSK saute une fille ? une autre personne ça ne marcherait pas du tout ! Et puis Je pense qu’il en a sautées je trouve ça très reposant. À partir du moment où vous êtes dans la vérité, la sincérité, vous ne jouez pas. C’est pas mal ! Pourquoi joue-t-on beaucoup plus simple. le patron du FMI sur un truc Comment concilier vie de famille et vie pareil ? » politique quand on passe son temps à voyager entre Paris et sa circonscription ? Vous avez parlé tout à l’heure de mon image : celle que je trouve très injuste, celle d’une femme complètement passéiste, d’avant-hier, avec des idées du xixème siècle. Il n’empêche que j’aurai été une des premières femmes à m’engager dans le monde politique en étant mariée et en ayant une famille. J’ai eu un mari, qui, dans les années quarante-cinq ans ensemble en disant que ça a toujours 70-75, a accepté que sa femme quitte le foyer pour aller été magnifique. Ce n’est pas vrai. Mais si on arrive à faire de la politique. Donc j’étais en avance ! J’avais des surmonter les crises, le couple se renforce. Moi je peux copines qui, à l’époque, disaient : « Il est bien brave son vous dire que j’aime davantage mon mari aujourd’hui que mari de la laisser partir. » J’étais totalement en avance le jour de mon mariage ! par rapport au combat féminin. Et notre couple a fonc- Dernière question : comment avez-vous réagi à tionné, et fonctionne toujours ! Vous ai-je dit que nous l’annonce de l’affaire du Sofitel impliquant DSK ? allons fêter notre quarante-cinquième anniversaire de J’étais sidérée. J’ai fait partie des gens qui ont douté. On mariage ? Parce qu’on a construit notre couple et notre savait que DSK aimait beaucoup les femmes. J’ai trouvé famille sur l’acceptation de la personnalité des deux. Qui ça énorme que ça sorte comme ça. Je vais vous le dire, sont très différentes. Mon mari ne m’a jamais fait la soupe j’ai pensé à un complot politique. Qu’est-ce qu’il y a d’ex- à la grimace quand j’étais absente le soir. Il m’a suppléé traordinaire à ce que DSK saute une fille ? Je pense qu’il auprès de mes enfants, il a sacrifié sa carrière. Quand vous en a sautées pas mal ! Pourquoi joue-t-on le patron du êtes deux, il est rare que les deux puissent y arriver. Mon FMI sur un truc pareil ? Ça m’a paru tellement énorme mari aurait pu avoir une carrière beaucoup plus brillante que je me suis dit : « C’est pas possible, c’est une affaire que celle qu’il a eue. Mais il fallait qu’il déménage. Si on politique. » Qu’est-ce qui s’est passé ? Et puis après, on a déménageait, je perdais tout le travail que j’avais fait dans vu que c’était vraiment vrai. Et ça a pris des proportions ma circonscription. Et on ne m’attendait pas ailleurs ! On énormes. Il y a du reste quelque chose qui, honnêtement, a donc fait ce choix. Faire croire aux gens que dans un me paraît toujours bizarre dans cette affaire. Vous savez, couple, les deux peuvent y arriver au même moment, en politique, tout est permis pour tuer. On utilise tout. est une vaste erreur. Du reste, on voit bien ce que cela a Qu’on mette en cause la responsabilité du patron du FMI donné avec Ségolène Royal et François Hollande ! Si on sur une affaire de coucherie… veut former un couple, il faut qu’il y ait un effort des deux En l’occurrence, c’est devenu une affaire de viol. côtés. Vous dire que c’est facile, non. De toute façon, c’est Était-ce du viol ? Je ne sais pas… Je trouve ça très curieux par les difficultés que se renforce le couple. Ce n’est pas cette affaire. Mais ça a pris une telle proportion que je me

bu i sseret [ts74] p o ur charles © Tom un long fleuve tranquille, non, non, non. On ne passe pas suis dit : « Christine, tu es encore à côté de la plaque ! » —

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La Vérité sur l’affaire

DXK par Mattis Meichler On ne saura sans doute jamais ce qui s’est réellement passé le 14 mai 2011 derrière la porte de la suite 2806 du Sofitel de New York. Un mystère qui, allié à un cocktail explosif (un homme puissant, l’argent, le pouvoir, et une femme de chambre), a suscité bien des fantasmes chez les Français à l’heure du JT. Du pain bénit pour le milieu du porno en pleine déliquescence.

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uelques semaines après l’épisode du Sofitel, Christophe Clark, figure emblématique du X des années 90, est contacté par deux producteurs pour réaliser un film parodiant l’affaire. Convaincu de la pertinence du projet, il n’imagine pas pouvoir tourner le film sans rassembler devant la caméra deux Q autres légendes du porno, Roberto Malone et Alban Ceray pour incarner les personnages de DXK et son avocat : « Parmi les gens du X, il y a des gens qui sont énormes, comme Roberto et Alban. J’ai voulu les réunir pour faire quelque chose de bien. Et puis c’était une histoire qui se prêtait bien à ça. C’est comme ce qui se passe maintenant avec l’affaire Gayet-Hollande, il y a quelque chose à faire ! » Lorsque Christophe Clark l’appelle, Roberto Malone, acteur franco-italien à la filmographie imposante – 3 000 films au compteur et des partenaires comme Tabatha Cash et Julia Chanel – a quitté le milieu du porno pour se reconvertir dans la vente de cigarettes électroniques sur la Côte d’Azur. Mais il se laisse facilement convaincre de sortir de sa retraite pour incarner l’ancien patron du FMI. femme de chambre et l’épouse de DXK. « C’était difficile de trouver « Christophe m’a dit : si ce n’est pas toi, je ne peux pas faire Pour la première, Christophe Clark choisit une star le film. J’étais le seul acteur d’un certain âge à pouvoir jouer montante du X, Katia de Lys, une jolie brune d’origine quelqu’un pour jouer cette dans un porno. » Roberto prépare sérieusement ce qui sera cubaine – « J’allais pas prendre une Suédoise ! » Pour la femme qui a fait rêver toute la sans doute son dernier rôle. « J’ai observé DSK. J’ai étudié seconde, il fait appel à l’actrice roumaine Sandra Romain. France avec “7 sur 7”. J’ai pris son style, sa façon de parler, la manière dont il bouge... C’est « C’était difficile de trouver quelqu’un pour jouer cette femme plus facile de jouer dans une parodie, on a juste à suivre la qui a fait rêver toute la France avec “7 sur 7”. J’ai pris cette cette petite roumaine, elle est réalité. » Christophe Clark ne tarit pas d’éloges sur sa per- petite roumaine, elle est plus toute jeune (elle est née en plus toute jeune, mais personne formance. « Roberto avait une classe incroyable, il mériterait 1978 – NDLR), mais personne ne pouvait remplacer la un César ! » vraie. » « Elles sont bien dans leurs rôles, estime Roberto ne pouvait remplacer la vraie. » Alban Ceray n’hésite pas non plus à rejoindre l’aventure. Malone, on a fait un film de cul, donc il fallait quand même Christophe Clark « Christophe, je l’ai pratiquement fait entrer dans le métier. que cela fonctionne au niveau du physique. » Il a pensé à moi, car pour un avocat il n’allait pas prendre Divisé en six chapitres, le scénario suit le déroule- un jeune mec de 20 ans. Mais à mon âge, je me fous plus à ment des évènements, remplissant librement les zones poil. » Les deux compères sont rejoints sur le tournage d’ombre. « J’ai laissé mon imagination naviguer, mais on ne à Budapest par d’autres visages connus du X français, voulait salir personne », précise Christophe Clark. Comme comme Bruno SX et Ian Scott. Reste à trouver celles le rappelle Alban Ceray, « il n’y a que les deux protagonistes

qui incarneront deux personnages-clés de l’intrigue : la © Co urtesy l m a x d i str but ion de l’affaire qui connaissent la vérité. »

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« Les hommes politiques tirent « Chambre 2807 » tous, mais DSK c’est particulier : Un grand hôtel New Yorkais. « David Sex King » chantonne problème est d’être un homme qui a beaucoup de pouvoir, Le X a choisi son camp. Alban Ceray insiste sur la libido dans la baignoire, quand il entend quelqu’un entrer dans très riche, et surtout d’être un bel homme, leur explique- hors normes de l’ex-directeur du FMI. « Les hommes poli- il s’affichait dans des clubs sa suite. C’est la femme de chambre. La jeune femme porte t-il. Il est arrivé dans ma vie que des femmes me sautent tiques tirent tous, mais DSK c’est particulier : il s’affichait échangistes. » un costume de soubrette qui met ses formes en valeur. En dessus. » Clamant son innocence, il va jusqu’à accuser la dans des clubs échangistes. » À 69 ans, l’acteur à la retraite faisant le lit, elle tombe sur le passeport du locataire. Un femme de chambre de l’avoir violé, puis enchaîne. « Elle sait de quoi il parle. En parallèle de sa longue carrière Alban Ceray sourire se dessine sur son visage lorsqu’elle l’examine. m’a dit : s’il vous plaît, est-ce que je peux vous sucer ? Comme – plus de 500 films en trois décennies – il a été dans les Entre-temps, DXK est apparu à la porte de la salle de bains, je suis un homme très gentil, je la sors comme ça. » Joignant années 80, barman au club échangiste le 106, tenu par nu sous son peignoir. Il pense tout haut – « Hoho, qu’est-ce le geste à la parole, il continue à raconter la scène tout en Denise, une figure des nuits parisiennes. Il a ensuite géré qu’elle est bonne… » – et s’approche. « Qu’est-ce que tu es se livrant à une reconstitution détaillée avec une avocate son propre club, Le Clos Palissy, à deux pas de l’ancien belle, laisse-moi te regarder. Moi, je suis le pouvoir. (Il lui qui passait par là. Tout le monde commence à faire drugstore St-Germain. S’il se rappelle avoir croisé de prend la main, la pose sur son sexe). Je sais que je n’ai pas l’amour dans la salle d’audience. Jusqu’à ce que le juge nombreux hommes politiques dans ses établissements, il le droit, mais je te donnerai ce que tu veux. » Ne se faisant – interprété par Christophe Clark – intervienne pour clore précise qu’ils savaient se montrer discrets. pas vraiment prier, la jeune femme s’agenouille pour lui les ébats, convaincu de l’innocence de DXK : « La séance « Les politiques baisent entre deux portes, ils se font faire prodiguer une fellation. Soudain, elle semble prendre est levée ! » une pipe vite fait, explique Alban Ceray, ils ont une vie peur. DXK la rassure : « T’as pas à t’inquiéter, y aura pas de problème. » Mais à peine ont-ils fini leur rapport sexuel que la femme de chambre change brusquement d’attitude : « Mais qu’est-ce que vous avez fait ?! » Pris de panique, DXK nie l’avoir agressée, tente d’acheter son silence. À quatre pattes, il ramasse précipitamment ses affaires et sort de la pièce en lançant : « Tu m’as baisé, salope ! ». Après avoir quitté l’hôtel, oubliant son téléphone portable, il est arrêté en pleine rue par deux flics agressifs. « Vous savez qui je suis ? – Ferme ta gueule. » « Je crois à la théorie du complot, confie Robert Malone, DSK était candidat à la présidence. Il ne faut pas aller chercher trop loin pour trouver des raisons de le piéger. » Alban Ceray, comme le fait son personnage d’avocat dans le film, insiste sur les origines de la jeune femme. « On sait que Nafissatou est analphabète. Elle vient de Guinée, travaille au Sofitel, gagne 3 000 dollars par mois. Dans sa tête, peut-être qu’une femme de chambre doit faire ce que lui demande l’homme. »

Partouze générale La suite du film relate la descente aux enfers de DXK, de la prison de Rikers Island à la scène finale au tribunal, qui comme le veut la tradition du genre, vire à la partouze générale. On retiendra toutefois la tirade de l’accusé,

appelé à se défendre devant les jurés : «Mon plus grand © Co urtesy l m a x d i str but ion

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« J’étais à la terrasse du café de sexuelle normale, mais ils sont hyperactifs, dorment trois, Flore, quand François Baroin m’a quatre heures par nuit. Ils ne rentrent pas à huit heures pour se taper bobonne. » Il s’amuse d’avoir été reconnu par abordé. Il m’a dit : "pendant mes certains d’entre eux dans la rue. « J’étais à la terrasse du études, vous m’avez bien aidé." » café de Flore, quand François Baroin m’a abordé. Il m’a dit : pendant mes études, vous m’avez bien aidé. » Alban Ceray La fin d’une époque Le budget annoncé du film est de 200 000 euros. Pour trouver une partie des fonds, les producteurs ont misé sur le financement participatif, montant un site Internet baptisé MyPorn Productions, sur lequel ils proposent des contreparties en échange de dons. Pour acquérir une part du film, il faut débourser 50 euros. On peut ensuite acquérir des goodies : 40 euros pour des photos, 200 pour de la lingerie portée par les actrices, 1 000 euros pour assister au tournage. Les plus motivés peuvent même écrire leur propre scène pour… 16 000 euros. Et les inter- nautes ne sont pas les seuls à mettre la main à la poche. « J’ai mis mes sous dedans pour faire quelque chose de bien, car on ne fait pas une salade de fruits avec une banane et une pomme », explique Christophe Clark. Le lancement du film est exceptionnel pour un porno. Philippe Besson y consacre un sujet dans son émission « Paris dernière » et les sites d’infos se délectent. Édité par Colmax et distribué par le magazine Hot Vidéo, le film se retrouve vendu dans tous les kiosques. Mais ni les inter- nautes, ni Christophe Clark, ne reverront l’argent qu’ils ont investi. Et pour cause : les deux producteurs se vola- tilisent à peine la promo terminée. Et il est impossible de lever les fonds, le projet aurait été difficile à lancer. Mais euros par scène, renchérit Alban Ceray, et elles ne savent de retrouver leur trace : alors que leur société est basée on n’attend pas de s’être remboursés pour payer les inter- même plus faire les putes, elles ne sont pas cultivées. » à Hong Kong, leurs comptes sont à Londres. « Le budget nautes, ce serait du vol », se justifiaient à l’époque les Christophe Clark, qui aime à rappeler qu’il est encore annoncé du film était de 200 000 euros, mais avec mon expé- représentants de MyPorn Productions dans une interview présent dans des millions de foyers grâce aux cassettes rience de vieux pornocrate je peux vous dire qu’il ne coûtait à 20 minutes. Aujourd’hui, leur site Internet est inactif et vidéo, estime pour sa part que le porno est devenu « un pas plus de 30 000 euros, s’énerve Alban Ceray, les types DXK reste à ce jour leur seule production. drôle de petit métier, fait par une petite classe de gens qui sont des escrocs, ils sont partis avec 170 000 euros dans les Pour Roberto Malone, le film et les magouilles qui l’ont se conduisent mal. L’argent ce n’est pas tout, les gens n’ont poches. » entouré montrent ce qu’est devenu le milieu du porno pas de cœur. Moi, je vis avec mon cœur, pas avec ma bite. » Les contributeurs n’auront même pas le droit aux contre- avec l’arrivée de RedTube et YouPorn. « Internet a tout L’ancien acteur ne veut même plus entendre parler du parties promises. Le film était déjà dans la boîte au massacré. Les cassettes, les DVD, c’est fini. Aujourd’hui, c’est film. « J’ai pas eu mon mot à dire sur le montage, il était moment de l’appel aux dons, et les producteurs avaient impossible de faire des films à gros budget. La pornographie bidon, c’est dommage. Pourtant, c’était une belle histoire. Et annoncé qu’elles seraient valables sur les prochains est condamnée à faire des films sans scénario. » « Les filles je suis sûr que ça s’est vraiment passé comme ça. » —

tournages… qui n’auront jamais lieu. « Si on avait attendu © Co urtesy l m a x d i str but ion tournent pour remplir leur frigo, alors qu’avant c’était 1 000

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Marcela Iacub « Le jour où le pouvoir des femmes fera bander les hommes » Elle titille, agace, provoque, énerve. On la déteste ou on la regarde de biais. Mais pour parler de sexe et politique, la juriste et chercheuse au CNRS Marcela Iacub est la personne idoine. En une conversation à bâtons rompus, elle évoque pour « l’inconscient démocratique » qui transformeCharles la vie sexuelle de nos dirigeants politiques. Notamment au prisme de la récente affaire Julie Gayet.

par Arnaud Viviant illustrations Benoît Carbonnel

l semble que nous vivions un moment particu- miques. Donc on peut penser qu’une partie des questions Évidemment, je ne parle pas des gouvernants abuseurs gouvernant doit avoir une vie sexuelle et amoureuse qui lier de la démocratie française où les questions que tu évoques n’a rien de singulier. En revanche, je pense sexuels, mais d’autre chose. Comment les gens qui gou- serve d’exemple à la collectivité), ce qui était hypocrite, sexuelles envahissent le paysage politique. De que tu parles d’autre chose avec ce mot de « politique ». vernent doivent-ils envisager leur vie privée ? Les affaires à un monde dans lequel le président doit vivre comme façons diverses : affaire Julie Gayet, phénomène D’abord, une lecture de la sexualité en termes d’abus de récentes ont montré que nous étions en train d’élaborer n’importe qui d’autre. Où un président « normal » est tel des Femen, rumeur sur la théorie du genre, pouvoir. La pénalisation du client de la prostitution en de nouvelles règles à ce propos. Par exemple, Hollande a parce qu’il trompe sa femme… Mais d’autres ont dit des dénonciation par Copé d’un livre pour enfants, est un bon exemple. On ne cherche plus à départager supprimé la fonction de première dame ! Cela me semble choses différentes : qu’un président ne devrait pas tomber Imariage pour tous, loi sur l’abolition de la prostitu- les comportements entre violence et consentement (par énorme ! Car soudain le couple ou le mariage ne sert plus amoureux pendant son mandat; qu’il doit se consacrer tion, etc. Il s’agit d’événements qui se situent à des violence, j’inclus bien entendu non seulement la violence à octroyer à un individu un statut politique par ricochet. à sa fonction. Que l’état amoureux est un symptôme de niveaux très différents de la société, mais qui donnent physique, mais aussi le chantage, les menaces, le har- Est-ce que cela veut dire que, dans un décloi- déprime. Que Hollande cherche à compenser ses échecs un sentiment étrange : celui que sexe et politique cèlement). Maintenant, c’est au sein même des com- sonnement vie privée/vie publique, le personnel politiques avec ses réussites amoureuses... Qu’on peut n’ont jamais aussi été inextricablement noués. Qu’en portements consentis que l’on trace de nouvelles lignes politique est devenu malgré lui la vitrine des compor- laisser les urgences d’un cœur, ou d’autres organes, en penses-tu ? de partage. Une femme qui couche pour de l’argent est tements sexuels autorisés dans la société? veille pendant cinq ans pour mieux servir son peuple. Le sexe a toujours été une question politique si l’on entend ainsi censée être victime d’un abus de pouvoir. De l’autre Je crois plutôt que les nouvelles règles ne sont pas encore Voilà qui rappelle plein de phrases célèbres. par là le fait qu’une société bâtit des règles de conduite à côté, on s’interroge sur ce que doit être la vie sexuelle définies. On a entendu plein de choses avec l’affaire Gayet. Napoléon qui disait « Je n’ai qu’une passion, qu’une ce propos.... Et ces règles ont toujours suscité des polé- des gouvernants, sachant qu’elle n’est plus celle de jadis. Pour certains, on serait passé de l’exemplarité de jadis (un maîtresse ; c’est la France : je couche avec elle. » De

63 Charles Politique & sexualité Marcela iacub

« Quelque part il y a l'idée suspens. En bref, pour nous résumer, on pourrait dire trois protéger les femmes, on aurait dû faire en sorte que les du président robot, d’un choses au regard de la question du sexe et de la politique femmes apprennent à désirer et à se comporter comme ces derniers mois. La première est celle de l’élargissement les homosexuels masculins. Ces derniers, quand ils sont exécutant de la volonté de la notion d’abus de pouvoir dont la pénalisation du jeunes, trouvent des amants du même âge ou plus âgés du peuple qui doit laisser client de la prostitution est paradigmatique et qui aura à qu’eux, et lorsqu’ils vieillissent, ils changent de position. de plus en plus ses intérêts mon sens des retentissements importants dans d’autres Ils couchent avec les plus jeunes. Ils n’ont pas de rôles fixes questions sexuelles aussi pacifiques et consensuelles que comme les hommes et les femmes hétérosexuels. Dans personnels de côté. De la la prostitution. La seconde est celle de la sexualité des notre société inégalitaire, ces dernières sont censées être même manière qu'il ne doit gouvernants comme forme possible ou pensable de la toujours dans la position de la jeune femme désirée par un pas s'enrichir pendant son corruption. La troisième celle de la transparence de la vie homme plus mûr. Et peu importe que ces femmes soient mandat, il ne doit pas en privée des gouvernants. présidentes de la République, prix Nobel... Elles sont Peux-tu développer ? Premier point, donc : censées avoir une manière de désirer typique de la jeune profiter pour multiplier les l’abus de pouvoir. On pense tous évidemment, pauvres femme. Ce qu’un mouvement féministe devrait essayer conquêtes amoureuses, voire que nous sommes, à l’affaire DSK. Et pourquoi cet abus de faire au lieu de dénoncer l’oppression sexuelle des pour vivre durant cette de pouvoir qui concernerait le client de la prostitution femmes, c’est de penser aux vieilles qui ne couchent plus. lequel a si peu de pouvoir qu’il doit payer pour baiser ? Pour cela, il faudrait que les femmes puissent désirer les période une grande passion. » Jusqu’à maintenant, la sexualité était licite quand les hommes comme des objets, elles aussi. C’est un travail sur partenaires étaient consentants. Seul le non consente- la culture qu’il faudrait faire. La prostitution masculine ment et donc la violence sous toutes ses manifestations pour les femmes ne serait pas la seule conséquence de Gaulle, à Londres, en plein blitzkrieg : « Je n’ai qu’une étaient pénalisés. Dans la prostitution, le consentement cette transformation. Il y aurait aussi de plus en plus de liaison, avec la France. » Ou encore, plus près de nous, existe... Désormais on pénalise le mobile du consente- relations entre les femmes âgées et les hommes jeunes. Marie-Laure de Villepin qui, à propos de son ex-mari, ment au sexe. On imagine que la prostituée n’est pas libre Voilà comme il aurait fallu concevoir l’égalité au regard du confiait à un magazine : « Oui Dominique m’a trompée... car elle cherche à gagner de l’argent. On pense que le sexe, au lieu de pénaliser le client de la prostituée. oui… avec la France et la politique. » Pendant que celui-ci fait pour le client de payer, est un abus de pouvoir. C’est Dans ce numéro de , on montre comment comparait la France à une femme en chaleur... Comme tellement stupide que cela ne mérite pas de commen- Chirac ou Mitterrand ontCharles usé, et non pas abusé, de si la politique était en soi une activité sexuelle, fina- taire. Vous imaginez les conséquences d’un tel raison- leur pouvoir à des fins sexuelles... Aujourd’hui, il lement. nement. Si chaque personne faisant quelque chose pour semblerait que cela tomberait sous le coup d’un abus Pas forcément dans ce sens... Plutôt dans le sens inverse, gagner de l’argent n’était pas libre, alors nous serions tous de pouvoir. Comme si on demandait à l’homme ou de nos jours... Je te disais tout à l’heure que cela faisait des esclaves, sauf les rentiers. Pourquoi le sexe serait si la femme politique (je pense à Rachida Dati) de se penser à la notion de corruption. Avec l’affaire Hollande différent des autres activités ? Dans le même temps, si conduire sexuellement normalement. Est-ce on a suggéré que le contribuable payait d’une certaine l’on se mettait à sonder pourquoi nous couchons avec nos l’homme ou la femme politique qui doit redevenir manière les passions amoureuses du président. Non en partenaires, la plupart du temps nous découvririons que normal, ou l’homme et la femme de la rue qui argent. Mais il se déconcentre de ses fonctions, il court nous le faisons pour d’autres raisons que le pur plaisir : par ont une conscience politique, même normative, des risques, etc. Ce n’est pas pour tomber amoureux qu’on gentillesse, par habitude, pour faire la paix, etc. Bref, c’est de leur sexualité ? Autrement dit, dans un enjeu l’a choisi. Quelque part il y a l’idée du « président robot », d’une bêtise sans nom. Mais pour les féministes qui ont démocratique grave, qui a conscientisé l’autre ? d’un exécutant de la volonté du peuple qui doit laisser de prôné cette réforme, le sexe a un statut à part de toutes Je crois que ce que tu dis de l’usage du pouvoir à plus en plus ses intérêts personnels de côté. De la même les activités humaines. C’est la chose par laquelle, nous des fins sexuelles dépasse la question politique. manière qu’il ne doit pas s’enrichir pendant son mandat, les femmes, sommes exploitées. Coucher avec un homme Mais pour l’instant cela concerne les hommes. il ne doit pas en profiter pour multiplier les conquêtes pour de l’argent implique pour elles une sorte d’abus de Le marché sexuel et matrimonial est fait de telle amoureuses, voire pour vivre durant cette période une pouvoir lié au genre. Elles ont en tête les jeunes femmes, manière qu’il privilégie les hommes puissants et grande passion. Mais il y a eu aussi l’autre question très et elles oublient les vieilles qui ne trouvent personne pour les femmes jeunes. Puissants de n’importe quel point de

intéressante de la transparence qui est restée elle aussi en les « exploiter ». Au lieu de pénaliser la prostitution pour © be no ît carb onn el vue : argent, pouvoir politique, célébrité. L’homme qui

65 Charles Politique & sexualité Marcela iacub

« On ne peut pas dire que problèmes ? Pourquoi la prennent-elles comme naturelle ? Le jour où le pouvoir des femmes fera bander les hommes, Mitterrand ET CHIRAC on sera dans un monde beaucoup plus égalitaire. AIENT abusé de leur Tu pourrais me rétorquer qu’être de gauche c’est prôner une société plus égalitaire entre les riches et les pauvres, pouvoir, car les femmes entre les puissants et les impuissants sociaux, plutôt avec lesquelles ils qu’entre les hommes et les femmes. Eh bien, j’assume ce grief, tout en étant de gauche. Car je crois quand même ont été n'attendaient que l’on irait plus vite vers une société plus égalitaire si les femmes n’étaient pas considérées comme des êtres à part, que cela. » aussi bien parmi les riches que parmi les pauvres. Les iné- galités entre les hommes et les femmes sont honteuses, et exerce un pouvoir politique n’est qu’un cas parmi autres. l’on ne peut pas aspirer à devenir des peuples plus démo- Ces hommes-là que l’on appellera puissants ont trop cratiques tant que nous, les femmes, continuons à avoir d’opportunités chez les femmes, ils sont très demandés la place infâmante que nous avons dans le marché matri- par elles. On ne peut pas dire que Mitterrand ou Chirac monial et sexuel. Car notre position amoindrie vient de là. ait abusé de leur pouvoir, car les femmes avec lesquelles Le deuxième point de ta démonstration était ils ont été n’attendaient que cela. Peut-être les mises en sur la corruption : la sexualité des gouvernants question actuelles de la sexualité pacifique des hommes comme forme possible ou pensable de corruption. Que qui nous gouvernent sont-elles justement une manière veux-tu dire par là ? de les démarquer des autres hommes, puissants, riches et C’est un peu tout ce que je viens d’expliquer. Une sorte célèbres de la société civile. De se dire qu’ils ne peuvent d’interprétation à la Max Weber de l’évolution des règles pas agir de la même manière qu’eux, car ils exercent des des comportements des gouvernants. Plus nos sociétés fonctions publiques. deviennent démocratiques, moins elles supportent que Mais j’insiste : il en va de même avec des hommes très l’on tire des profits personnels de l’exercice du pouvoir. part on disait que Closer était dégueulasse, on ne cessait dissidence et de conflit. Et on n’a même pas honte de dire riches ou très célèbres. Chez les femmes qui occupent ces Un gouvernant, qui se sert de la position que le peuple de parler des révélations de ce magazine. Si le reportage ça, alors que ça fait plus penser à l’Union soviétique ou postes-là c’est différent. Ces femmes-là ne deviennent lui confère pour profiter des avantages que celle-ci lui était dégueulasse, car à leurs yeux c’était une affaire de au franquisme qu’à une société démocratique ! Peut-être pas plus désirables parce qu’elles ont du pouvoir ; alors accorde dans le marché sexuel, abuse de son pouvoir, vie privée et donc à bannir de l’espace public, il aurait fallu cette nouvelle règle dont on parlait – la sexualité des gou- que les hommes, oui. même si les femmes sont consentantes et désirantes et ne pas le commenter partout. Comme si l’acte de Closer vernants prise dans le prisme de la corruption – relève-t- Pourquoi ces femmes de pouvoir ne sont-elles qu’elles n’attendent aucune prébende en retour. L’intérêt était admis dans l’inconscient démocratique de la popu- elle, elle aussi, de cette idée d’inconscient démocratique. pas plus désirables ? de ces nouvelles règles c’est qu’elles n’ont rien à voir avec lation et des élites, mais non dans leurs discours. Car je À une époque comme la nôtre dans laquelle les acteurs Parce que c’est la logique du marché matrimonial et la morale sexuelle, rien à voir avec le puritanisme ou avec crois qu’il y a quelque chose que l’on peut qualifier d’in- sociaux ne cessent de parler de sexe partout en pensant sexuel. Les partenaires féminins et masculins n’ont pas une conception étriquée de la sexualité. Mais tout à voir conscient démocratique. Des pratiques et des savoirs qui maîtriser le présent et le cours de l’histoire, ceux-ci ne les mêmes atouts. Les femmes sont censées prendre le avec la démocratie. s’imposent à nous, sans que nous soyons en mesure de les peuvent pas voir qu’il y a des normes qui se construisent statut des hommes dans le mariage (et donc aussi, d’une Dernier point : celui de la transparence et du expliquer et de les justifier. En France il y a un décalage à leur insu. De fait, les mouvements politiques qui s’in- certaine manière, dans les relations sexuelles), alors que respect de la vie privée. Au moment de l’affaire Julie permanent entre ces deux niveaux. Il y a un déficit certain téressent au sexe n’ont pas dit un seul mot sur l’affaire les hommes ne prennent pas celui de la femme. Ce qui est Gayet, on a eu le sentiment d’un double discours de dans le discours public sur la démocratie. Il en est ainsi sur Hollande et Julie Gayet. Comme si cela dépassait leur toujours objet de désir, c’est le corps des femmes et donc la part du personnel politique. À savoir qu’il fallait la vie privée des personnes publiques, mais aussi sur bien entendement. Mais je t’avoue que moi-même qui travaille leur beauté et leur jeunesse, et non leur statut social. respecter une vie privée que, par ailleurs, ils n’hési- d’autres choses. Le plus énorme est sans doute la concep- sur les mœurs depuis bien des années, je n’y aurais pas C’est un marché profondément machiste. Et voilà encore tent pas à exhiber dans les magazines quand cela les tion républicaine de l’espace public. La classe politique et pensé si tu ne m’avais posé la question. Drôle d’interview un grief que l’on peut faire au mouvement féministe : arrange… médiatique ne cesse de clamer que l’espace public doit être m’obligeant à préciser quelques idées vagues que j’avais à

pourquoi cette inégalité-là ne leur pose-t-elle pas de Le double discours est allé bien au-delà de cela. Si d’une © be no ît carb onn el un lieu d’affirmation des valeurs communes, et non pas de ce propos. Du journalisme socratique ? (Elle rit.) —

67 Charles Politique & sexualité SEXOLOGIE Fuck me Mister President ! Alors que le pouvoir est aujourd’hui plutôt entre les mains des grands industriels que dans celles des politiques, alors que ces derniers sont rarement les hommes les plus beaux et les plus glamour de la terre, pourquoi tant de femmes sont-elles encore attirées par eux ? Comment acceptent-elles de vivre, de souffrir, et très souvent d’être trompées, à leur côté ? Et de vivre dans un meublé, même par Tristane Banon portraits Patrice Normand s’il s’agit de l’Élysée ? Les tentatives de réponse de Tristane Banon.

ntendu à propos d’un homme politique en activité, appelons-le François pour l’occasion : « En tout cas, ça n’est pas pour son physique qu’elle y est allée ! » Ok, dont acte. Nous avons tous accepté l’idée que ça n’était pas pour le corps sculptural dudit François que cette très belle jeune femme, Eactrice confidentielle mais à potentiel redoutable (appe- lons-la « mademoiselle J » par commodité), avait décidé de partager quelques virées à scooter avec son François, et plus, si possibilités. Reste la question beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît, sorte de Rubik’s cube en apparence évident mais finalement insoluble. Alors, pourquoi ?

69 Charles Politique & sexualité Tristane Banon

l’auteur de ces lignes ne bizarrement, n’a même pas essayé ! De là à dire que Salma notre président actuel vient de nous faire commentera même pas le soi Hayek ou Natalia Vodianova seraient plus intéressées que une démonstration patente que non, non, Julie Gayet ou Valérie Trierweiler, il y a qu’un pas que je rien n’a changé… si ce n’est la façon de disant « charme » d’un ancien ne franchirai pas. D’abord parce que je pense, naïvement communiquer sur la chose. Sans faire de directeur du FMI. Pour autant, peut-être, que l’amour de ces femmes est sincère. Ensuite déductions hâtives, on peut ainsi conclure je crois que, comme dans tout amour véritable, chacun que la fidélité n’est pas non plus ce qui peut l’existence de ce babouin y trouve un intérêt, celui des unes différant simplement rendre dévotes tant de belles femmes qui politique nous a permis à tous de celui des uns. Loin de moi l’idée de démontrer que les paient pourtant, toutes ou presque, leur et à chacun(e) de constater que épouses de ces messieurs de la politique sont de saintes inclination au prix fort. martyres dévouées à l’ambition masculine, mais j’ai envie Si l’on accepte l’idée que l’argent fait les mœurs n’étaient, pas plus que de préciser que les motivations que l’on plaque trop géné- tourner le monde bien avant le politique l’apparence, l’atout séduction ralement sur les inclinations de ces (premières) dames ne et que le glamour fait tourner la tête d’une sont pas forcément là où on les voit. majorité de femmes, quand le calme d’un des politicards ! Alors où ? La gloire ? Il faut pourtant admettre que, couple sans trahison ne fait que rêver la quitte à choisir des exemples glorieux, les jeunes femmes minorité résiduelle, que reste-t-il de sexy rêvent plus aisément devant la moue internationalement chez le pantin politique moderne ? Qu’a On voudrait répondre (parce que « on » est un con et que ravageuse d’un Brad Pitt (lequel ne touche sans doute donc à offrir ce jouet des tempêtes média- les discussions de salon ne diffèrent, finalement, des dis- pas une quetsche en politique française, mais restera tiques et des crises, récipiendaire de toutes cussions de comptoir que par le fait que ceux qui les pra- l’homme le plus séduisant à travers le monde depuis Fight les foudres et de toutes les vindictes, pas tiquent sont plus prétentieux et boivent moins de bière Club) que devant un François Mitterrand au charisme même cher payé à sa tâche, et rarement que leurs confrères du bar d’en face), on voudrait donc indéniable, certes, mais au sex appeal… discutable ! beau ? Sans doute pas la qualité de vie, répondre : « Pour le pouvoir, évidemment… » Ah, le pouvoir, Si l’on prend le temps de se souvenir que Jacques Chirac pleine de faste certes, mais autrement responsable de tous les vices et de toutes les déviances. est reconnu comme étant « le » président le plus attirant moins rock’n’roll que celle de l’épouse de Plagiant Cyrano de Bergerac, il faudrait alors répliquer de la vème République, ça situe quand même le niveau ! Et Zlatan Ibrahimovic ou encore de Kate à « on » : « Ah ! Non ! C’est un peu court, jeune homme ! On l’auteur de ces lignes ne commentera même pas le soi- Moss, laquelle a habilement choisi le pouvait dire… Oh ! Dieu !… Bien des choses en somme. » disant « charme » d’un ancien directeur du FMI dont je chanteur des Kills, Jamie Hince, pour Effectivement. tairai le nom par pudeur, tant il est éloigné de celui d’un profiter de la vie. Rappelons, à toutes fins Car alors, si c’est le pouvoir que recherchent ces femmes Robert Pattinson ou d’un Nicolas Duvauchelle, autrement utiles, que la Brindille et son mari vivent de belle vie, papillons du politique scintillant, il serait plus évident et efficace, selon mes critères. Imaginer que dans 625 mètres carrés dans le quartier charitable de dire à ces dames ce qu’elles ne peuvent l’on puisse se jeter dans les griffes d’un tel singe par attrait huppé de Highgate Hill à Londres, quand vraiment ignorer. Que de tout temps l’argent dirige le de la lumière nécessite d’avoir soi-même soit une opinion un président français en activité ne peut monde, que c’est lui le pouvoir véritable. Alors pourquoi très exagérée de ce que peut être le bonheur de baigner s’enorgueillir « que » de 300 mètres carrés se brûler les ailes à la chaleur d’un jouet quand on peut dans la lumière relative de flashs blafards, soit d’avoir une d’appartements privés à l’Élysée dont il ne faut pas abîmer aller directement séduire le fabricant ? Natalia Vodianova notion de l’esthétique trop éloignée de la mienne pour que une seule des 320 pendules, propriétés de l’État. ne s’y est pas trompée. La belle top modèle russe a préféré la discussion soit possible. Passons ! Carla Bruni, première dame préférée des Français lors le sourire (que l’on peut admettre comme séduisant, Pour autant, l’existence de ce babouin politique nous a de la mandature de son époux Nicolas Sarkozy, épaissit lui !) d’un Antoine Arnault, potentiel héritier du sourire permis à tous et à chacun(e) de constater que les mœurs encore un peu plus le mystère. La belle chanteuse est paternel et de ses 24 milliards d’euros, rappelons-le. Alors n’étaient, pas plus que l’apparence, l’atout séduction des déjà riche et célèbre quand elle rencontre son Raymond, que François-Henri Pinault, autre héritier, a logiquement politicards ! Il faut se rappeler que Félix Faure mourut, président de la République française en exercice et trouvé grâce aux yeux de la magnifique comédienne en 1899 déjà, dans les bras de sa maîtresse ; que l’on ne récemment divorcé. Après avoir refusé de se marier

Salma Hayek, qui aurait vraisemblablement trouvé à se compte plus les liaisons extraconjuguales de François i ce N o r m a n d p ur charles atr toute sa vie, la belle Italienne, dont on sait qu’elle eut des

faire aimer d’un François Hollande (par exemple) mais qui, Mitterrand, pas plus que celles de Jacques Chirac ; et que © P aventures avec des légendes internationales comme

71 Charles Politique & sexualité Tristane Banon

Alors que la plus haute La déconvenue attend pourtant, sûre de son heure et fonction rend séduisant celui patiente, au bout du chemin. Marilyn Monroe y laissa (peut-être) la vie, Jacqueline Kennedy une certaine vision qui l’occupe, ces femmes de du bonheur quand elle ramassera la cervelle éclatée président ne veulent-elle pas de son John Fitzgerald de mari le 22 novembre 63 sur la tout simplement, l’espace d’un banquette arrière de la Lincoln Continental présiden- tielle à Dallas. Difficile de dire si Danielle Mitterrand, instant, se penser utiles à un contrainte de garder silencieuse sa séparation de corps peuple, à un pays ? d’avec son président d’époux (lequel vivait, on le sait aujourd’hui, avec Anne Pingeot et sa fille Mazarine), a gardé un souvenir impérissable et empreint de roman- tisme de son mariage... Pas dit non plus que Julie Gayet aime sa nouvelle vie, empêchée de sortir librement qu’elle Mick Jagger ou Eric Clapton, tombe folle amoureuse de est désormais, traquée de façon perpétuelle par les papa- Nicolas Sarkozy et l’épouse, en toute intimité, le 2 février razzis, pour le meilleur et surtout pour le pire. 2008 à 10h45, au salon vert de l’Élysée. Son promis sort On se souviendra, pour la petite histoire et dans la tout juste d’une réunion sur la crise militaire au Tchad… grande, que Carla Bruni avoua à Valérie Trierweiler, lors Personne ne pourra lui reprocher d’avoir voulu jouer les de la passation de pouvoir de 2012 : « Je n’en peux plus princesses de conte de fée, aveuglée qu’elle aurait été par de cette vie-là. » Laquelle Valérie Trierweiler confessa la célébrité dangereuse d’un politique, par essence, moins quelque vingt mois plus tard « la difficulté des attaques aimé qu’elle ! Car c’est une loi arithmétique basique. Tout permanentes. » En ajoutant : « Tout ce que Carla m’a dit à ce président, si bien élu soit-il, s’attire la haine de la presque moment-là s’est révélé vrai. » moitié de l’électorat ayant voté pour le camp d’en face, là Elles se font donc du mal ; elles n’y gagnent souvent où Carla Bruni et ses 3 millions d’albums vendus, était un que des nèfles présidentielles et des ors élyséens imper- exemple singulier de top modèle à la reconversion réussie, sonnels ; la violence médiatique les abîme pour une vie. jolie chérie des médias et du public. Si certains crétins ont Et pourtant, elles y retournent comme on va à la guerre vu derrière son coup de foudre un fourbe calcul, ils ne pieds nus, convaincues qu’elles sont que cela en vaut la savent pas que l’ancienne mannequin avait des possibili- chandelle et son candélabre. face au Dalaï-lama, devenir immortelle en mêlant sa tés autrement plus glamour. Et si elles voulaient prendre part à l’Histoire ? La grande petite histoire sentimentale à la grande Histoire, celle Et que dire d’Yvonne de Gaulle qui, après avoir souvent Histoire, l’Histoire que leurs enfants liront, plus tard, dans qui dure après la mort. Ne pas être oubliée, demeurer, tenté de décourager son général de mari de la politique, les livres scolaires ? Et si les présidents avaient ça de plus marquer son temps avec la solennité de la République, arriva au palais de l’Élysée le 21 décembre 1958 en sur les rock stars, qu’ils sont les héritiers des empereurs supporter l’insupportable pour celles et ceux qui font un Première dame de France, son époux tout juste élu, en et des rois, issus de droit divin souvent, cheville d’intérêt pays, se sentir soudain investie d’une mission plus grande déclarant, pleine de bon sens : « Désormais, il va nous et capitale de la construction d’un pays tout le temps, que soi. Alors que la plus haute fonction rend séduisant falloir vivre en meublé. » Elle ne changera pas d’avis avec inscrits dans le marbre de l’aventure d’une nation, envers celui qui l’occupe, ces femmes ne veulent-elle pas tout le temps et, fidèle à son caractère franc, dira au président et contre tous, au-delà des polémiques de l’instant ? simplement, l’espace d’un instant, se penser utiles à un américain Eisenhower, à propos de sa luxueuse demeure Il n’est pas de livre d’Histoire qui fasse fi de Tante Yvonne, peuple, à un pays, investies d’un destin national, voire de fonction : « Tout le monde y est chez soi, sauf nous. » Et d’Anne-Aymone Giscard d’Estaing, de Danielle Mit- international ? Ces femmes n’ont-elles pas simplement pourtant, pourtant, combien sont celles qui rêvent de s’y terrand, de Claude Pompidou, de Bernadette Chirac, de trouvé la réponse à la question que chacun d’entre nous sentir comme à la maison ? Combien de femmes prêtes Cécilia Sarkozy, de Carla Bruni et bientôt de Valérie Trie- se pose : à quoi je sers ? Ces femmes-là ne luttent-elles pas

à tout pour un président, même à lui découvrir un sex- rweiler. Demain Julie Gayet, peut-être ? Chatouiller l’his- i ce N o r m a n d p ur charles atr juste contre notre peur commune : celle de mourir sans

appeal improbable à première vue ? toire de près, déjeuner avec Barack Obama, s’agenouiller © P avoir vécu, et qu’il n’en reste rien ? —

73 Charles Politique & sexualité guide

Anthologie des femmes des présidents de la République

« Quand j’étais ministre, quelques femmes m’ont résisté ; une fois président du Conseil, plus une seule », se plaisait à raconter Edgar Faure. La fonction présidentielle révélerait-elle des charmes insoupçonnés à ceux qui l’exercent ? Ou au contraire la charge du pouvoir annihilerait-elle toute forme de libido ? Ce précis – sûrement incomplet – des femmes des présidents de la vème République distille au travers d’une soixantaine de romances réelles ou fantasmées un début de réponse.

© DR par Marc Bautels

75 Charles Politique & sexualité anthologie des femmes de présidents

Charles Fantasmes de Gaulle L’épouse du premier Kolb, La comtesse Liaison — Bardot, Brigitte — — président malgache — — Thérèse — — Czetwertynska — Au sortir de la Grande Guerre, En 1919, le militaire est envoyé — Vendroux, Yvonne — Charles est attiré par cette cousine d’office en Pologne. Les dames de éloignée. Son fils Philippe s’en Varsovie apprécient le jeune homme souvient : « Il m’en a parlé en marge, de 29 ans. L’une d’elles, la comtesse un jour, sans me dévoiler quelles Czetwertynska aime déguster des avaient été ses intentions à son égard. gâteaux avec lui dans un café de Dans une lettre à sa mère que j’ai Nowy-Swiat, la rue principale de retrouvée, il avoue en parlant d’elle : la capitale polonaise. (De Gaulle, “Je n’hésite pas à vous répondre que le rebelle, Jean Lacouture, 1990) naguère elle m’avait produit une vive impression. J’ai gardé d’elle — Valère, Simone — Née dans une famille bourgeoise Début de la vème République : Mada- un souvenir très particulier. Celui Au début des années 60, une rumeur du Pas-de-Calais, elle rencontre le gascar, tout juste indépendante, élit d’une jeune fille en effet charmante d’adultère parcourt les rédactions. jeune commandant en 1920. Elle le président Philibert Tsiranana et comme vous le dites, et dont l’intelli- Philippe Alexandre entend parler a 20 ans, lui 30, mais pour elle, il sa femme. Charles et Yvonne font gence réservée et la délicate finesse d’une liaison avec une célèbre comé- n’y a plus aucun doute : « Ce sera 1967 : B.B. débarque à l’Élysée pour la tournée des jeunes pays décolo- m’avaient frappé.” Il avait donc eu dienne de la compagnie Renaud- lui ou personne », explique-t-elle Fidèle à la gaudriole et aux propos la projection de Viva Maria de Louis nisés. Le jour des adieux, l’épouse probablement pour elle le début d’un Barrault. Le journaliste du Nouveau à ses parents. Ils se marieront en grivois chers aux militaires, le Malle avec Jeanne Moreau. À la fin du chef de l’État malgache a revêtu sentiment profond. » (De Gaulle, mon Candide cherche « s’il avait eu des avril 1921 et auront trois enfants : Général regardait avec intérêt le de la projection, le Général lui dit une tenue pastel qui tape dans l’œil père, Philippe de Gaulle, 2004) maîtresses » mais il n’a « rien trouvé ». Philippe, Élisabeth et Anne. Yvonne sexe opposé. Pendant ses années tout le bien qu’il a pensé de Babette du Général. De Gaulle embrasse (Sexus politicus, Christophe Deloire mourra neuf ans moins un jour après dans le 33ème régiment d’infante- s’en va-t-en guerre (Christian-Jaque, alors sur les deux joues la jeune Rumeurs et Christophe Dubois, 2006) lui. (L’Élysée, Patrice Duhamel et rie dirigé par le futur Maréchal 1959). « Si la réalité et la fiction femme pour lui dire « au revoir ». Jacques Santamaria, 2012) — de France, la grande asperge n’avaient fait qu’une, j’aurais effec- Croyant bien faire, l’intéressée — Anonyme — d’un mètre 93 « étai(t) très sur les tivement aimé vous avoir dans mon tente une accolade avec Madame de À Londres, pendant la Seconde femmes. Pétain aussi ; ça nous rap- régiment ! » Le hasard, sans doute, Gaulle qui « l’a repoussée de ses deux Guerre mondiale, son aide de camp, prochait ! » (Charles de Gaulle, Éric veut qu’en 1969, année érotique, mains. » (Dictionnaire amoureux de la Claude Guy, vient le voir et lui aurait Roussel, 2002) Marianne ait pris les traits du politique, Philippe Alexandre, 2011) tenu à peu près ce langage : « On dit fantasme des Français. (L’Élysée, que vous avez une liaison. » De Gaulle Patrice Duhamel et Jacques Santa- aurait répliqué : « Je n’ai de liaison maria, 2012) qu’avec la France. » (Charles de Gaulle, Éric Roussel, 2002)

Le journaliste du Nouveau Candide cherche « si De Gaulle avait eu des

maîtresses » mais il n’a « rien trouvé ». © DR 77 Charles Politique & sexualité anthologie des femmes de présidents

Georges ValÉry Pompidou Fantasme Liaisons Giscard d’Estaing Fantasmes Cahour, — Tessier, Valentine — — Claude — — Anonyme — En 1930, à 19 ans, en khâgne à — "B.B." — En 1934, Georges a intégré Normale Invitée à Chanonat, ville clé des Henri iv, il songe à approcher la star Sup et Claude, 22 ans, est en fac Giscard après Chamalières, une d’Amphitryon 38, la pièce de Jean À ne pas confondre avec Brigitte de droit. Comme beaucoup d’étu- jeune titulaire de la carte de presse Giraudoux : « Je vous demande simple- Bardot. C’est un amour, resté diants, ils se retrouvent dans un café a frustré VGE. Il se démène, prépare ment une photo, une photo signée de inconnu, de khâgne : « Libre et du Quartier latin. Elle est grande, la cuisine, récite des poèmes écrits vous. Ainsi pourrai-je avoir devant les amusante et, en même temps, pleine blonde, sportive, indépendante et de sa main ; mais quand il apporte yeux celle qui, si Alcmène était la plus de pudeur et de dignité. » Il rêve même portée sur les arts. « Je n’ai eu un seul les plats, ils sont froids... Made- belle des Grecques, est la plus belle des d’un avenir à deux ; il en parle à son coup de foudre dans ma vie, le jour où moiselle va dans la chambre qui Alcmène, Alcmène aux longs voiles, ami Robert Pujol en décembre 1929 : j’ai rencontré ma femme », racontera- lui est réservée pour s’enfermer aux yeux clairs et prenants. Voyez- « Sa mère est emballée. Il ne me reste t-il. Le témoignage d’amour est réci- à double tour et s’endormir toute vous, Mademoiselle, pour le petit plus qu’à faire le dernier pas dans le proque. Alors que Madame Brejnev seule. « Ah, sacré Giscard ! » se serait étudiant que je suis, vous êtes l’image cœur de B.B. et ensuite à faire céder lui demande si elle admire son mari, exclamé Mitterrand en apprenant même de la beauté, de l’intelligence et le père. » (Lettres, notes et portraits / Claude répond : « Moi, je l’aime. » l’anecdote. (Les Amazones de la Répu- de la poésie. » Quasiment quarante 1928-1974, Georges Pompidou, 2012) Trente-trois ans après son époux, blique, Renaud Revel, 2013) ans plus tard, élu président, la tragé- elle s’éteindra en 2007 à 94 ans. Le président des poètes et des dienne le félicitera pour son élection. (L’Élysée, Patrice Duhamel et Jacques Le membre de droit du Conseil — Diana — intellectuels aura toisé le corps (Lettres, notes et portraits / 1928- © DR Santamaria, 2012). — constitutionnel – 88 ans au Dans l’un de ses romans, il s’est des femmes pendant ses années 1974, Georges Pompidou, 2012) compteur – est toujours marié imaginé dans les bras de Lady Di. d’études, mais une seule obtiendra depuis décembre 1951 à Anne- L’ancien président de la Répu- les clés de son cœur pour de bon : Aymone Sauvage de Brantes avec blique se rebaptise Jacques-Henry Claude Cahour. Ils seront salis par laquelle il a eu quatre enfants : Lambertye et renomme son désir l’affaire Markovic. Cet ex-garde Louis, Henri, Valérie-Anne et Lady Patricia. Un « fantasme de vieil du corps d’Alain Delon aurait Jacinthe. Si la vie en avait décidé homme », selon la presse anglo- été tué pour avoir été le témoin autrement, ce polytechnicien saxonne. (La Princesse et le Président, de partouzes auxquelles aurait énarque aurait obtenu le rôle-titre Valéry Giscard d’Estaing, 2009) participé Madame. Monsieur, de L’Homme qui aimait les femmes en campagne présidentielle, en de François Truffaut (1977). La voudra toute sa vie à Maurice maxime de ce film aurait pu être la Couve de Murville, son succes- sienne : « Les jambes de femme sont seur à Matignon, qui n’a rien fait des compas qui arpentent le globe pour calmer le jeu. « Je le tuerai terrestre en tous sens, lui donnant de mes propres mains », aurait-il son équilibre et son harmonie. » dit. (L’Élysée, Patrice Duhamel et Jacques Santamaria, 2012)

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giscard, suite « Mon épouse Rumeurs est devenue la Ottenheimer, Saunier-Seité, Kristel, Sauvage de Brantes, Jobert, — Ghislaine — — Alice — — Sylvia — maîtresse de Giscard — Anne-Aymone — — Marlène — d’Estaing. » S. M. I. Jean-Bédel Bokassa

des Finances au Louvre. Sur les tirages qui défilent dans les mains de Françoise Giroud, la reporter est elle-même assise sur le bureau La star du film étotique Emma- du jeune président. En 2006, elle nuelle n’a jamais fréquenté Giscard, récusera l’existence de ce cliché. (Les Nul n’a oublié sa timidité lors des Il est 5 heures, Paris s’éveille. La contrairement à une légende qui Amazones de la République, Renaud vœux du 31 décembre 1975. Elle Ferrari de Roger Vadim a mauvaise a beaucoup circulé. Dans une Revel, 2013 ; Sexus politicus, Chris- sait pourtant faire preuve d’humour mine. Prêtée au président, elle interview accordée près de trente tophe Deloire et Christophe Dubois, comme à ce dîner à l’Élysée, du percute la camionnette d’un laitier. Sept ans après avoir quitté l’Élysée, ans plus tard, l’actrice explique 2006) temps où son mari est ministre du Éméché, le président aurait été giflé VGE raconte un meeting à Ajaccio qu’elle était « 100 % mitterrandiste. » Général, et où de Gaulle lui demande par l’accidenté. La célèbre actrice Au son pétaradant de sa moto sur les en avril 1981 où il observe sa secré- (France Soir, 7 février 2003) combien ils ont d’enfants : « Quatre, partira assez vite. Valéry rentrera à graviers de l’Élysée, elle réveille les taire d’État aux Universités à la mon Général. » L’hôte, un peu l’Élysée et prendra son petit-déjeu- conseillers endormis. Seule femme tribune : « Je la regarde parler devant Liaisons fatigué, lui repose la question à la ner avec Anne-Aymone, comme si de en pantalon-blouson au milieu moi, tournée de trois quarts. Son corps fin du souper : « Toujours quatre, mon rien n’était. (La Lettre de l’Expansion d’une bande taillée au cardigan, la est musclé, avec des mouvements Decker (de), Général ! » (L’Élysée, Patrice Duhamel et Le Canard enchaîné, 1974) journaliste détonne. Giscard l’invite d’une aisance féline, et des jambes qui —Marie-Laure — et Jacques Santamaria, 2012) à boire un jus d’orange avec Patrice me paraissent bronzées. Une pensée Duhamel, Jean-Pierre Elkabbach bizarre me traverse l’esprit : quand elle et Michele Cotta ( n° 7) faisait l’amour, elle devait y mettre la mais n’en reste pasCharles là et demande même véhémence. » Dans cette auto- Bokassa, Il est 5h. à Patrice Duhamel d’organiser un biographie, il avoue même avoir été — Catherine — dîner. Ce dernier refusera. (Les « amoureux de 17 millions de Fran- Le 10 février 1980, l’empereur cen- La Ferrari de Roger Vadim, Amazones de la République, Renaud çaises ». (Le Pouvoir et la Vie, Valéry trafricain déchu et exilé en Côte Revel, 2013) Giscard d’Estaing, 1988) d’Ivoire écrit à son ex-homologue prêtée au président, percute togolais le général Eyadéma : « À la camionnette d’un laitier. Giscard l’invite à boire un jus d’orange Kigali, en mai 1979, Giscard d’Estaing Journaliste-photographe, elle m’avait demandé d’envoyer mon Éméché, VGE aurait été giflé mais n’en reste pas là et demande réalise pour L’Express le jour de la épouse Catherine en France (...) mon à Patrice Duhamel d’organiser un présidentielle une des premières épouse est devenue et est la maîtresse par l’accidenté. La célèbre séries photos du nouveau chef de de Giscard d’Estaing. » (La Manipula- dîner. Ce dernier refusera. l’État dans son bureau de ministre © DR tion, Roger Delpey, 1981) actrice partira assez vite. 81 Charles Politique & sexualité anthologie des femmes de présidents

Fantasmes Jacquemin, Saint-Cricq, Rumeurs François — Marine — — Nathalie — Mitterrand « J’aime cette C’est Danièle Burguburu (voir Liaisons/Burguburu) qui dit un jour — Cotta, Michèle — trentenaire. à son amie : « Le Président veut te L’auteure des Carnets secrets de la voir. » Cette reporter de guerre le République en quatre tomes a couché Avant trente ans, rencontre à la fin de sa vie. Ils se nombre de confidences politiques c’est trop jeune, sont promenés sur les quais, ils sur le papier. Elle rencontre François ont lu des livres ensemble, ils se La femme de Patrice Duhamel, Mitterrand quand elle étudie à ça joue... » sont téléphoné... Mitterrand aimait actuelle chef du service politique Sciences-Po : « J’avais 20 ans, il avait Mitterrand à propos surtout que la journaliste lui raconte de France 2, a régulièrement été 41 ans. » Il la nomme à la tête de de Juliette Binoche la guerre du Golfe de l’intérieur. (Les rudoyée par Mitterrand pour s’être la Haute autorité (futur CSA) en Amazones de la République, Renaud refusée à lui. Un jour, à Latche, alors 1982. Le point fort de leur « solide Binoche, Clerc, Revel, 2013) que des mulets braient, l’hôte lâche amitié » : lors du débat d’entre-deux- — Juliette — — Christine — un cinglant : « Mademoiselle Saint- tours entre le président et Chirac en Invité par des fidèles, dont Georges- Cette grande journaliste a connu Cricq, mes ânes vous appellent ! » (Les 1988 que la journaliste anime. (Les Marc Benhamou qui racontera le rituel mitterrandien (Liaisons/ Amazones de la République, Renaud Amazones de la République, Renaud l’histoire, à dresser le portrait-robot Anonymes) mais ne s’y est jamais Revel, 2013) Revel, 2013 ; Sexus politicus, Chris- de la femme idéale, Mitterrand se pliée : « Ça l’intéressait de vous tophe Deloire et Christophe Dubois, Sous Giscard, les Renseigne- livre à un éloge de la comédienne débusquer, de deviner ce qu’il y avait Schaal, 2006) ments généraux surveillent la brune : « Elle dépasse toutes les au-delà des apparences et des usages. » — Florence — vie sexuelle du rival. Le candidat autres... J’aime cette trentenaire. Avant L’éconduit donnait une toute autre est décrit comme « sensible au trente ans, c’est trop jeune, ça joue... » version : « Elle me fait du gringue, charme féminin » à tel point que (Le Dernier Mitterrand, Georges-Marc mais je ne l’aime pas. Cette femme est « le recensement de ses liaisons Benhamou, 2005) d’extrême droite ! » (Les Amazones de la est difficile à établir car à des République, Renaud Revel, 2013) aventures plus durables, il mêle des Chabridon, brèves amours et des rencontres — Jacqueline — Fauvet-Mycia, — Sagan, Françoise — fugitives. » Déjà en 1965, lorsqu’il Quelques années après avoir — Christine — En 1993, la romancière est reçue à « Je savais que vous apprend que l’électorat féminin marié Mademoiselle Chabridon et La jeune journaliste du Monde, l’Élysée avec Pierre Bergé et Georges- s’est tourné vers de Gaulle au Monsieur Hernu, son ministre de la aujourd’hui au Figaro, est l’une Marc Benhamou. Le cœur battant L’ex-journaliste de TF1 a eu le embrassiez beaucoup second tour, il soupirera : « Ce Défense, il emmène Jacqueline en des rares détentrices de la carte de la chamade, Mitterrand rappelle, malheur, en 1993, d’embrasser sur la sont les femmes qui m’ont battu. déplacement présidentiel. Tout d’un presse à avoir résisté aux assauts avec un certain sourire, qu’elle avait joue Jacques Toubon, alors ministre de monde, Florence, Et pourtant, j’ai beaucoup d’amitié coup, Mitterrand, au volant, s’arrête répétés du président. Un jour, fait un malaise à Bogota : « C’est-à- de la Culture, devant le patron. Son pour elles et, au surplus, je crois sur la route et tente une approche. le conseiller spécial François de dire que j’étais allé vous rendre visite sang n’a fait qu’un tour : « Je savais mais je ne savais pas qu’elles se trompent. » (Une histoire La journaliste décline. Quelques Grossouvre est même envoyé pour à l’hôpital, vous étiez endormie. Et le que vous embrassiez beaucoup de de la séduction politique, Christian années plus tôt, en revanche, elle la ramener à la raison : « Tu sais, drap qui vous recouvrait avait légère- monde, Florence, mais je ne savais pas que vous embrassiez la Delporte, 2011) était tombée dans les bras d’un autre François est très triste, il ne comprend ment glissé, laissant entrevoir l’un de que vous embrassiez la Terre entière », Terre entière. » futur chef d’État. (Chirac/Liaisons) vraiment pas ton attitude. » (Les vos seins. Il était splendide. Ce fut une avant de repartir, vexé comme un (Le Président qui aimait les femmes, Amazones de la République, Renaud vision magnifique... » (Les Amazones de pou. (Les Amazones de la République, François Mitterrand, vexé,

Marie-Thérèse Guichard, 1993) Revel, 2013) © DR la République, Renaud Revel, 2013) Renaud Revel, 2013) à Florence Schaal

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François Mitterrand, suite

Cresson, — Evin, Forsne, Girardot, Gouze, — Edith — — Kathleen — — Christina — — Annie — — Danielle — le président. Elle répliquera, une Ils ont trente ans semaine plus tard, dans VSD : « Il d’écart quand la réduisait ma relation avec François journaliste suédoise Mitterrand à une partie de jambes le croise au congrès en l’air : “Le Président ne veut que de l’Internationale sauter la vieille.” J’ai trouvé ça inac- socialiste en 1979. ceptable. » (« La Star des astrologues Elle dément être règle ses comptes », VSD, Arnaud son amante, mais Bédat, 2004) a écrit un livre sur leur aventure où elle Liaisons évoque une « amitié amoureuse ». Elle Journaliste au Matin de Paris, insulte même Danielle Mitterrand elle dispose de la ligne directe du — Burguburu, Danièle — trois décennies plus tard dans un Rentré d’Alger et de Londres peu Président. (Les Amazones de la Répu- La secrétaire générale du Conseil de quotidien suédois : « Son mariage avant la fin de la guerre, il retrouve blique, Renaud Revel, 2013) la magistrature et son mari, grand ne tenait plus debout. C’était une En 1978, l’actrice dort avec un son ami de captivité Patrice-Roger avocat et bâtonnier, étaient des militante de gauche naïve qui prenait homme qui ne devrait pas être Pelat, amoureux transi de Madeleine Teissier, grands amis du chef de l’État. « Ces le Concorde pour aller distribuer des là. Sur le palier, son compagnon Gouze. Cette jeune étudiante en — Élisabeth — deux hommes ont servi dans le même bouteilles d’Évian aux victimes des Bernard Fresson, de qui elle s’est cinéma décide de présenter à l’ex-pri- corps », glissa, un jour, Pierre Bergé. tremblements de terre. » (Aftonbladet, récemment séparée, tambourine à la sonnier sa sœur Danielle qui cèdera Jamais une maîtresse supposée n’en (Les Amazones de la République, 2012 ; François, Christina Forsne, porte et hurle de colère. À l’intérieur, à ses avances. Le 28 octobre 1944, a autant souffert : « Pompadour » Renaud Revel, 2013) 1997) sa fille voit sortir l’amant « en caleçon François et Danielle se marient en (favorite de Louis xv), « Amabotte », et chemise ». Son nom : François l’église parisienne de Saint-Séverin. « l’apprentie »... L’unique Première — Dalida — Mitterrand. (La Mémoire de ma mère, (Une jeunesse française, Pierre Péan, ministre de la France a connu son Mitterrand ne s’encombre pas de Giulia Salvatori, 2007) 1994) patron en 1965 lors d’une réunion de paroles quand il demande à ses la Fédération de la gauche démocrate chauffeuses (dont Michèle Cotta) et socialiste. L’un des premiers com- de le déposer chez ses maîtresses. pagnons de route, Thierry Pfister, Quand il dit « En bas du Sacré- raconte : « Ce qui a marqué la mémoire Cœur ! », il faut l’emmener chez la « Son mariage ne tenait plus debout. de ce groupe de mâles, c’est une trans- chanteuse. (Sexus politicus, Chris- gression soudaine symbolisée par Ils ont un point commun : la tophe Deloire et Christophe Dubois, C’était une militante de gauche naïve la belle et charpentée créature qui croyance dans les forces de l’esprit. 2006) qui prenait le Concorde pour aller accompagnait leur chef de file. Ils n’ont L’astrologue de la Mitterrandie oublié ni l’opulente chevelure auburn, est attaquée en 2004 dans l’émis- Quand il disait « En bas distribuer des bouteilles d’Évian aux ni la poitrine généreusement offerte. » sion « On ne peut pas plaire à tout du Sacré-Cœur ! », victimes des tremblements de terre. » (Lettre ouverte à la génération Mit- le monde » par Guy Carlier. Le terrand qui marche à côté de ses polémiste lui reproche de n’avouer il fallait l’emmener Christina Forsne, pompes, Thierry Pfister, 1988 qu’une liaison épistolaire avec chez la chanteuse © DR à propos de Danielle Mitterrand 85 Charles Politique & sexualité anthologie des femmes de présidents

FRANçOIS MITTERRAND, suite

Groult, Pingeot Pierre-Brossolette, — Benoîte — — Anne — — Sylvie — Jacques Chirac Fantasmes Dessus Hausser — Sophie — — Anita —

Il croise son regard chez Lipp et « J’ai été la maîtresse de Mitterrand ! », À l’image de sa mère Yvonne Lorrain envoie son homme de confiance s’exclame, fièrement un jour, la « femme austère, catholique et fort lui donner son numéro. « Qu’elle féministe. Son amie journaliste pieuse », sa double femme, née à m’appelle et nous déjeunerons Jacqueline Chabridon (cf. Chirac et Clermont-Ferrand, vient d’une ensemble. » La jeune femme de 24 ans Mitterrand) lui rétorque : « Crois-tu famille de droite, très dévote. Elle passe à l’acte. Mitterrand la décrit La blonde la plus courue de Corrèze Hiver 1975 : Le Premier ministre que cela soit très original ? » (Les élèvera leur fille Mazarine, née le comme la nouvelle Jackie Kennedy. s’est mariée en septembre 2012. Et de Giscard est en déplacement à Amazones de la République, Renaud 18 décembre 1974. En 1981, VGE y Michel Charasse s’amuse de la « Avec son physique, il aurait pu faire dire que le Corrézien le plus célèbre Pointe-à-Pitre. RTL a dépêché sur Revel, 2013) fait allusion dans le débat de l’entre- « pauvrette » qui se rêve unique alors n’importe quel mariage. » C’est sa de France n’a cessé de la draguer ! place sa meilleure reporter politique deux-tours : « Prenons l’exemple d’une qu’elle ne sera pas la dernière. (Les maman Marie-Louise qui l’a dit une Une première fois en 2009, quand qui, poussée par ses consœurs, se — Louquette — ville que vous connaissez bien, Cler- Amazones de la République, Renaud fois à Bernadette, son « point fixe ». il demande une chaise pour elle, retrouve dans la même pirogue que À Alger, pendant la guerre, le mont-Ferrand... » Cinq ans plus tard, à Revel, 2013) Car l’homme a couru : « Les filles, ça sous les yeux de Bernadette, et une Chirac. Celui-ci lui ouvre son cœur résistant fait la connaissance d’une l’inauguration du musée d’Orsay en galopait ! » raconte-t-elle à Patrick deuxième fois en 2011 lorsqu’il et ses sentiments. Gênée, la journa- infirmière. Fille d’un haut gradé, compagnie de Giscard, et de Chirac, Terrasse, de Carolis. Jacques avouera en 2007 multiplie les clins d’œil à son endroit. liste promet au gourmand un kouglof elle lui fera connaître les personnes maire de Paris, Mitterrand la croise — Marie-Louise — qu’il n’a « pas détesté les femmes » Invité avec sa femme à l’union de s’il vient la voir en Alsace. Quelques qui comptent dans cette société. (elle y est conservatrice) et lui dit Le jeunot a 23 ans, elle est une avant de préciser : « Je n’en ai jamais Sophie Dessus, seule Madame Chirac mois plus tard, il arrive chez elle, La passion ne dure pas, Mitterrand « Bonjour Madame ! » Les avertis en lycéenne de 15 ans. Il a le coup de abusé. » Son homme de confiance, s’y est rendue. (Voici ; « Le Petit mais n’obtiendra rien de plus que le doit repartir à Londres puis à Paris. restent cois par tant de froideur. foudre. Il l’invite Jean-François Probst, raconte, lui, en Journal » de Canal +) gâteau promis. (Les Amazones de la (Une jeunesse française, Pierre Péan, (L’Élysée, Patrice Duhamel et Jacques à danser, il 2010 que « dans les meetings, il y avait République, Renaud Revel, 2013) 1994)) Santamaria, 2012 ; Le Monde, Jean- devient « fou des petites gonzesses, des groupies qui Marie Colombani, 9 janvier 1996) d’elle » et il se déchaînaient et sautillaient dans un Jacques Chirac, Rumeurs lui proposera phénomène d’hystérie et d’auto exci- même de tation. » (Une histoire de la séduction invité avec sa — Cardinale, Claudia — l’épouser. politique, Christian Delporte, 2011 ; femme à l’union Le soir du 31 août 1997, le pont de « J’ai été la maîtresse de Mitterrand ! » Elle refusera. Le Monde, Raphaelle Bacqué, 7 mai l’Alma est fatal à la princesse Diana. de Sophie Dessus : - Crois-tu que cela soit très original ? » Plus tard, elle 2002 ; Conversation avec Bernadette Jacques Chirac est injoignable. deviendra la speakerine Catherine Chirac, Patrick de Carolis, 2001 ; seule Madame « Où est le président ? » demande Jacqueline Chabridon Langeais. (Une jeunesse française, L’Inconnu de l’Élysée, Pierre Péan, un conseiller au chauffeur qui dort

à Benoîte Groult Pierre Péan, 1994) © DR 1997) Chirac s’y est rendue dans la voiture. Bernadette est

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Jacques chirac, suite

Mitterrand, Barzach, Chodron de Courcel, Cotta, Friederich, — Danielle — — Michèle — — Bernadette — —Michèle — — Élisabeth — En 1986, le maire Sous le surnom « Monsieur Georges » de Paris devient il aimait appeler « Babeth » au Premier ministre service politique de l’AFP, ses et nomme la collègues n’hésitant pas à brancher charmante médecin le haut-parleur en son absence. Au à la Santé. Déprimé sommet de la francophonie, en 1995, après son échec au Bénin, alors que Chirac dîne avec à la présiden- des représentants locaux, il invite la tielle, il demande lors des journées reporter à sa table. Dans la soirée, il Une après-midi, la femme de parlementaires du RPR en 1989 C’est Luce Perrot de l’AFP qui Très jaloux, Chirac la débarque de lui promettra même de divorcer. (Les François reproche à son amie Jac- d’être assis à côté d’elle. Ils arrivent rapporte cet échange surréaliste la Haute autorité (cf. Mitterrand/ Amazones de la République, Renaud queline Chabridon de parler sans finalement main dans la main avec avec Madame Chirac en 1995 : « Je Rumeurs) en 1986 : « Cocotte, tu Revel, 2013) cesse de sa liaison avec le grand une heure de retard. Face à cette suis heureuse de voir Luce que vous dégages ! », très loin du « Je t’aime » Jacques. L’intéressée rétorque : quasi officialisation, Françoise de n’êtes pas une dragueuse vous au qu’il lui écrivit au rouge à lèvres sur Garaud, appelée en dernier recours, mais elle « Allons Danielle s’il te plaît ! » avant Panafieu préfère quitter la salle. moins ! – Mais pourquoi me dites- un grand mouchoir blanc du temps — Marie-France — l’ignore aussi. La même, en mars de rappeler qu’une photo, dans les (Sexus politicus, Christophe Deloire vous cela ? – Parce que toutes les de leur passion. Ils se reverront en Celle qui a été la conseillère de 1998, candidate aux cantonales en années 80, avait été publiée en et Christophe Dubois, 2006). journalistes sont des dragueuses, des 1988 quand elle animera le débat Pompidou suit le poulain à l’Hôtel Corrèze, s’étonnera devant toute la couverture de France Soir montrant voleuses de mari ! – Encore faut-il que d’entre-deux-tours entre Mitterrand de Ville de Paris. Son apparte- presse présente : « Je ne suis pourtant Jacques Chirac et Danielle Mit- les maris leur fassent la cour. – Non ! et lui. (Les Amazones de la Répu- ment et celui du couple Chirac pas Claudia Cardinale, tout de même ! » terrand souriant et très complices. Chabridon, Elles sont prêtes à tout. J’en ai souffert. blique, Renaud Revel, 2013) communiquent par un escalier en L’actrice italienne dément encore Pour simple réponse, Jacqueline — Jacqueline — Oui, je peux vous dire, cruellement colimaçon. Un soir, elle hurle « Vous aujourd’hui. (Sexe et pouvoir : Secrets obtient le silence de son amie. (Les En 1975, la journaliste de gauche souffert. » (Les Amazones de la Répu- ne savez même pas tenir une maison » d’alcôve, de César à DSK, Dimitri Amazones de la République, Renaud du Figaro s’en ouvre à l’une de ses blique, Renaud Revel, 2013) à Madame. Casali, 2012) Revel, 2013) collègues qui la met en garde contre Excédée, le soir le bulldozer : « Ne me dis pas que tu es des européennes tombée sous le charme de ce type ! N’y de 1979, Ber- Une journaliste touche pas, il fait une cour insensée « Toutes les journalistes sont des nadette s’en « embrassée à pleine Liaisons à toutes les femmes. Moi, y compris. ouvre à Jacques : Cela ne marchera jamais. » Chirac a dragueuses, des voleuses de mari ! « Quel que soit bouche sous le regard — Anonyme — failli divorcer. Comme Mitterrand le résultat des des gardes républicains » Une journaliste « embrassée à pleine une dizaine d’années plus tôt... (Les Elles sont prêtes à tout. J’en ai élections, ces avant une cérémonie bouche sous le regard des gardes Amazones de la République, Renaud gens-là s’en iront. Ou bien c’est moi républicains » avant une cérémonie Revel, 2013) souffert. Oui, je peux vous dire, qui partirai. » Et Chirac signa la fin, de vœux à la presse. de vœux à la presse. L’intéressée cruellement souffert. » selon son chauffeur, d’une « relation à L’intéressée rira devant rira devant confrères et consœurs : la fois maternelle et amoureuse. » (25 « Il est vraiment fou ! » (Dictionnaire Bernadette Chirac ans avec lui, Jean-Claude Laumond, confrères et consœurs : amoureux de la politique, Philippe à une journaliste 2002 ; De si bons amis, Nicolas

« Il est vraiment fou ! » Alexandre, 2011) © DR de l'AFP Domenach et Maurice Szafran, 1994) 89 Charles Politique & sexualité anthologie des femmes de présidents

Jacques chirac, suite Fantasmes Herlihy, Hubert, Sudre, Nicolas Laroche-Verdun, — Florence — — Élisabeth — — Margie — Sarkozy — Anne-Marie — Une Américaine connue quand Qui sont les salauds qui t’appellent l’étudiant est vendeur de glaces au fin fond des forêts américaines aux États-Unis à l’été 1953 : « Je fais pour te balancer le nom d’Emmanuelle passer une petite annonce pour donner Béart ? » (Off, Nicolas Domenach et des leçons particulières de latin, et Maurice Szafran, 2011) c’est ainsi que j’entre en relation avec une jeune fille ravissante, dont le père, Dati, catholique bon teint, est une person- — Rachida — nalité connue de Caroline du Sud (...) Il a 5 ans, elle en a 22. Elle en a même Elle vient me chercher dans sa Cadillac écrit un livre : J’ai été la première blanche décapotable. Elle m’appelle maîtresse de Sarkozy. Eh oui, il s’agit tendrement Honey child. (...) nous de sa première institutrice au cours envisageons très vite de nous fiancer privé de Saint-Louis. (Paris VIII) Elle bien que je sois en partie déjà engagé Congrès du RPR, années 80, l’ex- Comme son prédécesseur, Jacques eut même droit à la première décla- auprès de Bernadette. » Les parents Premier ministre est à la tribune aime gouverner aux côtés de ses ration d’amour du « petit Nicolas » : Chirac ne sont pas d’accord, Jacques et envoie des petits mots dans la anciennes, actuelles ou futures « Je vous aime parce que vous êtes rompt et rentre en France. (Chaque salle pour faire passer le temps. copines, à l’instar de cette secrétaire belle. » pas doit être un but. Mémoires – Tome Olivier Guichard ouvre l’un d’eux d’État à la Francophonie. Quand La passion de Nicolas pour Le 31 décembre 2007, Carla Bruni I, Jacques Chirac, 2009) et lit « Chérie, tu es toujours aussi FOG, le patron du Point, écrit sur ces Cécilia selon Marianne : « Ils s’at- Rumeurs fait visiter les appartements privés désirable. » Réalisant sa bévue, il le années-là, il parle d’elle comme d’un trapaient du bout des doigts, même de l’Élysée à son amie Rachida. transmet à la bonne destinataire : « vieux paquet » abandonné. Telle son lorsqu’ils étaient séparés ou que Béart, Devant le lit présidentiel, l’ex-Pre- sa collègue députée de Loire-Atlan- homonyme Thatcher, le sang de l’eu- son regard gourmand s’égarait vers — Emmanuelle — mière dame aurait lâché : « Tu aurais tique. (Les Amazones de la Répu- rodéputée ne fera qu’un tour. Dans quelque beauté sculpturale avec un bien aimé l’occuper, n’est-ce pas ? » (La blique, Renaud Revel, 2013) une lettre envoyée au journaliste, penchant pour la bimbo péroxydée. Véritable Histoire de Carla et Nicolas, elle lui reprochera de ne pas avoir Nicolas Sarkozy restait un homme Valérie Benaim et Yves Azéroual, eu le cran d’écrire « maîtresse ». (La au grand appétit, vorace même, 2008) Tragédie du président, Franz-Olivier mais... un homme sentimental et de Giesbert, 2006) — ce point de vue hors normes en com- « Tu aurais bien paraison de ses prédecesseurs et rivaux. » (Off, Nicolas Domenach aimé l’occuper, et Maurice Szafran, 2011) n’est-ce pas ? » En 2005, Cécilia est partie mais se « Elle m’appelle tendrement Honey child. tient au courant des aventures de Carla Bruni Nous envisageons très vite de nous fiancer son ex-Élyséen. Alors qu’il discute à Rachida Dati avec les patrons de Marianne, son bien que je sois en partie déjà engagé téléphone sonne : « Mais non Cécilia, devant le lit

auprès de Bernadette. » © DR je ne la connais pas Emmanuelle Béart. présidentiel 91 Charles Politique & sexualité anthologie des femmes de présidents

nicolas sarkozy, suite Ciganer-Albéniz, Ferrari, Jouanno, — Cécilia — — Laurence — — Chantal — Elle sera restée à l’Élysée cinq mois Pour devenir sénatrice de Paris, et 19 jours. L’histoire est connue : l’ex-championne de karaté serait elle épouse Jacques Martin devant tombée dans les bras de Nicolas Nicolas Sarkozy, maire de Neuilly, Sarkozy. C’est ce que sous-entend un qui tombe amoureux d’elle. Ils soir Pierre Charon au micro d’I-Télé ; vivront des années en cachette « Elle sera élue qu’elle soit sur les avant de s’unir en 1996 et d’avoir tatamis ou au lit. » L’homme, qui alors leur fils Louis en 1997. Se mettant en est conseiller du Prince, refuse que scène comme les Kennedy, la famille la parachutée (du 92 !) soit tête de éclate en 2005. Août 2006, elle est liste pour la capitale. Il sera exclu de prise en photo avec Richard Attias, C’est le Daily news, quotidien britan- l’UMP avant d’être réintégré quelque son actuel mari. Elle reviendra nique, qui fait, le premier, état d’une temps après son admission à la quelque temps en 2007 mais elle ne liaison entre les deux, citant un Chambre haute. votera pas au second tour. Fin de séjour marocain à la Toussaint 2007. l’histoire : le divorce est prononcé La nouvelle court le Tout-Paris. Trois Liaisons le 15 octobre 2007. Ultime rebon- Culioli, Fulda, ans plus tard, la star du JT confiera dissement, dans son dernier livre, — Marie-Dominique — — Anne — avoir « laissé dire ». « Qu’est-ce qu’on Bruni-Tedeschi, elle confie que des amies à elle ont La première et la plus méconnue des La chroniqueuse du Figaro a failli peut faire contre une rumeur ? Il ne — Carla — divorcé pour épouser son ex : « Les femmes de Nicolas Sarkozy. Très devenir sa troisième épouse. Sarkozy sert à rien de la démonter », s’interro- Jacques Séguela invite à dîner les gens feraient n’importe quoi pour de peu d’informations circulent sur elle. avait même rendu visite à sa mère, gera-t-elle dans Libération. célibataires Nicolas et Carla, Luc l’argent ou du pouvoir. » (Une envie de Tout juste sait-on qu’elle est la nièce qui ne compre- Ferry et sa femme Marie-Caroline, vérité, Cécilia Attias, 2013) d’Achille Peretti, le maire de Neuilly nait pas que sa Fontenoy, et un autre couple. Coup de foudre de 1947 à 1983, date du « putsch » fille ait quitté — Maud — du locataire de l’Élysée : « Es-tu cap Chirac, de Sarkozy contre Pasqua. Mariés mari et enfants à cet instant de m’embrasser sur la — Claude — en 1982, ils se séparent en 1989 et pour lui. Avenue bouche ? » Moins de trois mois plus « Il était si gentil avec Claude. Elle riait divorcent en 1996. Elle est la mère Victor Hugo, dans tard, et après le fameux « Avec Carla, grâce à lui. » Lorsque Nicolas Sarkozy de Jean (1986), le fameux élu du le xvième, il était c’est du sérieux ! » en conférence de quitte la chiraquie, sa première Conseil général des Hauts-de-Seine, impossible de presse, la chanteuse épouse son famille, en 1995, Bernadette est et de Pierre (1985), plus connu sous rater les allées et Raymond le 2 février 2008. Depuis, très remontée : « Ce petit voyou, je lui le nom de Mosey, DJ et producteur venues du couple. est née une petite Giulia en 2011. botterai les fesses jusqu’à ce qu’il n’en de rap. Ni Paris Match, dont Alain Genestar (Autobiographie non autorisée, ait plus... » Elle dit encore : « C’est un avait publié en Une, une photo de Jacques Séguéla, 2009) médiocre, il n’en vaut pas la peine... « Ce petit voyou, je lui Cécilia et Richard Attias, ni VSD, L’image a marqué les esprits. En L’histoire ne retiendra pas son nom. » sollicités, n’ont publié les clichés. juillet 2007, alors que le chef de Et enfin : « Cet imbécile a cru dénicher botterai les fesses Et ils eurent raison, dès que la New- l’État remet l’Ordre national du « Es-tu cap à cet instant de m’embrasser une truffe. Pour abattre mon mari. jusqu’à ce qu’il n’en Yorkaise revint, la journaliste dut mérite à la navigatrice, il pose sa C’est un voyou... un petit voyou... » retourner à ses colonnes sans piper main sur la poitrine de la jeune sur la bouche ? » (Off, Nicolas Domenach et Maurice ait plus... » mot. (Les Amazones de la République, femme qui ne s’en soucie pas, Nicolas Sarkozy à Carla Bruni © DR Szafran, 2011) Bernadette Chirac Renaud Revel, 2013) arborant un large sourire. 93 Charles Politique & sexualité anthologie des femmes de présidents

François Rumeurs Liaisons Hollande — Hidalgo, Gayet, Royal, Trierweiler, — Anne — — Julie — — Ségolène — — Valérie — Le grand public prend connaissance de la liaison en août 2007 avec la publication par l’hebdo Closer de photos prises sur une plage près de Tanger. Lorsqu’elle quitte l’Élysée début 2014, la journaliste dit à une collègue de Paris Match qu’elle a cru « tomber d’un gratte-ciel ». Ségolène Royal, qui, elle aussi, a pleuré son malheur dans les médias, lâche : « Il ne faut rien exagérer. Ce n’est quand même pas le 11 septembre ! » Mars 2013, le nom de la comédienne (Le Canard enchaîné, 5 février 2014 ; Julie Gayet est déjà sur toutes les L’État spectacle 2, Roger-Gérard « En amour et avec les filles, c’est lèvres. Neuf mois plus tard, au début Schwartzenberg, 2009) — comme en anglais, je suis plutôt de l’année, l’hebdomadaire people dans la catégorie des médiocres. » Closer publiera les fameuses photos. C’est la confidence de l’intéressé à « Il ne faut rien Serge Raffy dans le livre portrait Robert, qu’il lui a dédié en 2011 (Le L’élue de la ville de Paris serait la — Dominique — exagérer. Ce n’est Président : François Hollande, iti- mère de Flora, la dernière des quatre À Sciences Po, François Hollande a La femme fatale, décrite par Ariane quand même pas néraire secret, Serge Raffy, 2011). enfants Royal-Hollande. À l’école, pour petite amie Dominique Robert, Chemin et Raphaelle Bacqué, est la le 11 septembre ! la petite, qui est pourtant le portrait la nièce du député socialiste du mère des quatre enfants de François » craché de sa mère, entend « tu es la Calvados Louis Mexandeau. Leur Hollande : Thomas, Clémence, Julien Ségolène Royal réagissant fille d’Anne Hidalgo ! » Pour calmer histoire d’amour dure de 1973 à et Flora. Ils se rencontrent à l’ENA, au fameux « J'ai cru tomber tout le monde, un dîner est organisé 1978. Ils se retrouveront quelques débutent ensemble au cabinet de entre les deux couples et les enfants années plus tard en 1991 sur les Max Gallo et intègrent tous deux en d'un gratte-ciel » de Valérie sont rassurés. Ségolène prend bancs de l’Assemblée. (Le Président : 1988 l’Assemblée nationale. Trierweiler désormais les devants et décide ce François Hollande, itinéraire secret, soir-là d’appeler dix fois par jour Serge Raffy, 2011). François avant qu’ils ne se séparent. (Sexus politicus, Christophe Deloire et Christophe Dubois, 2006) i eu Ri egler © DR /Matth

95 Charles Politique & sexualité portrait Trans en France Brigitte Goldberg a tenté de se présenter à l’élection présidentielle en 2012, mais elle n’a pas réussi à obtenir les 500 signatures. Cet homme devenu femme est présidente du lobby TransEurope depuis 2009, et milite pour que la modification de l’état civil des transsexuels s’opère plus rapidement. Un combat

où la France est en retard, et par Marc Bautels portrait Renaud Monfourny qui, paradoxalement, se révèle plus difficile avec la gauche au

gouvernement, qu’avec la droite. 2 ans, 1 mètre 83, Brigitte Goldberg, préside depuis 2009 le think-tank Trans- Europe, un collectif qui rassemble aujourd’hui plus de 1 600 personnes transsexuelles ou non, homosexuelles ou pas. « Ce n’est pas une association de terrain. Nous 5sommes une force de propositions qui essaye, sans succès pour l’instant, de porter des amendements auprès des par- lementaires. » Elle ignore le nombre exact de personnes transgenres et transsexuelles vivant en France, mais elle se voit bien comme leur porte-parole : « Je défends simple- ment le droit des personnes. La majorité de gauche ne fait rien alors que le précédent gouvernement, qui ne nous avait rien promis, nous a au moins donné quelques miettes, lui. »

97 Charles Politique & sexualité brigitte goldberg

Et pourtant, elle a toujours été de gauche « comme mon serait temps qu’on les juge sur leurs compétences et sur ce plus et ne se posent plus de questions. » Avant, elles ont « Un homme qui devient une grand-père en 36 ou mon père qui a connu 68. » qu’elles font ! » toutes compris le vrai sens des mots discrimination et femme, dans notre société Plus exactement, Brigitte se définit de centre gauche, Cinq ans donc que Brigitte Goldberg consacre son exclusion : « Un homme qui devient une femme, dans notre plaidant pour un retour à la croissance et un rétablisse- existence aux trans. Sa vie d’avant, c’était autre chose : société judéo-chrétienne, c’est souvent vu comme quelque judéo-chrétienne, c’est souvent ment de la justice sociale. En 2011, elle franchit le cap et bac économique, quelques années à la fac d’histoire, et, chose de dégradant. Une forme de déchéance. C’est même vu comme quelque chose fonde Avenir 2012 avant de se déclarer candidate à l’élec- avec la libéralisation des ondes par François Mitterrand, inconcevable aux yeux de la morale ! » tion présidentielle. « J’avais donné l’exclusivité au quotidien création de la radio locale parisienne Radio 3008. Évasion Brigitte se souvient par cœur de la déclaration de l’avocat de dégradant. Une forme 20 minutes le jour des trente ans de l’arrivée de François Mit- FM, son dernier nom, fermera en 1983. Pendant près de général Michel Jeol le 1er février 1993 : « Qu’un homme de déchéance. C’est même terrand à l’Élysée. » Cette partie de campagne, sa directrice vingt ans, elle composera des bandes originales de courts ou une femme rejette le sexe dans lequel il est né avec une inconcevable aux yeux de de com, Marie-Pierre Gil, qui se définit comme lesbienne, métrages, la musique de films d’entreprise, de documen- détermination pouvant le conduire au suicide, qu’il s’identi- s’en souvient : « Nous nous sommes rencontrées quelque taires ou l’accompagnement sonore de films institution- fie mentalement à l’autre sexe au point d’en adopter le com- la morale ! » temps avant dans le milieu trans LGBT par des amis inter- nels et/ou événementiels. C’est en 2002 qu’elle décide de portement et d’en revêtir l’apparence, que, pour parfaire cette posés. Je ne m’étais jamais engagée dans une association changer de sexe. Elle sera une femme sans-papier durant identification, il demande au médecin de mutiler son corps auparavant, mais je lui ai proposé d’être sa dircom, ce qu’elle tout le quinquennat de Jacques Chirac. « À l’époque, je et au juge de modifier son état civil, voilà qui peut paraître a accepté. Cela a été difficile, mais nous sommes arrivées à gagnais plutôt bien ma vie et je m’étais renseignée pour me extravagant, sinon choquant, voire sacrilège. » faire quelque chose. On s’est accrochées ! » faire opérer à l’étranger, mais ça coûtait une fortune. » Arrive Mais Brigitte Goldberg tient à préciser que l’appréciation Une nouvelle qui n’a pas plu à toute la communauté, selon 2007 et son premier procès pour changer de prénom. Un juridique diverge selon le sexe choisi : « Pour une femme Brigitte : « Ma campagne a été très mal perçue par certaines ancien prénom qu’elle taira car « c’est le passé et je protège qui devient un homme, les tribunaux tiennent compte de la associations. Je le reconnais : il faut quand même être un peu mes proches. C’est ma vie privée, vous comprenez ! » Le dangerosité et du caractère insatisfaisant de l’opération et mégalo pour le faire ! Nos amis gays ont une visibilité média- procureur ne veut rien entendre à sa requête et assène discriminent un peu moins les demandeurs. » Aujourd’hui, tique et politique, mais citez-moi une personnalité trans- qu’il est « totalement opposé au changement de prénom et elle rigole de ce passé avec Jean-Luc Romero, séropo- sexuelle… (Silence) C’est impossible, hein ?! » Alexandre d’état civil des transsexuels. » « C’est à cet instant qu’est né sitif assumé, fondateur d’Élus locaux contre le Sida et Marcel, d’IDAHO France (International Day Against mon engagement ! » sourit Brigitte. président de l’Association pour le droit de mourir dans Homophobia and Transophobia) n’a pas été choqué et a Le parcours médical est très lourd. Elle habite alors à Dijon la dignité. Tous deux sont régulièrement la cible de sites même apprécié sa démarche : « C’est une très bonne chose. et décide de prendre rendez-vous à Lyon avec le psychiatre Internet d’extrême droite et des catholiques intégristes, Il y a peu de personnes qui dénoncent la transphobie avec Jean-Pierre Vignat. Il n’y a en effet que quatre équipes ce qui les rapproche dans leurs combats. autant de courage et de force. » Sylvie Fondacci, présidente spécialisées en France : une à Paris, une à Lyon, une à Pour l’instant, Brigitte s’emporte contre les socialistes : « Je d’HomoSFèRe, l’asso’ LGBT du groupe SFR, voudrait, elle, Bordeaux et une à Marseille. Elle sera opérée par l’uro- devais être reçue par la conseillère technique de Jean-Marc la rencontrer : « Je n’ai pas suivi sa campagne, mais je suis logue Nicolas Morel-Journel : « Même si on n’a pas le libre Ayrault aux affaires juridiques mais j’ai dû annuler le ren- très intéressée par le droit des personnes transsexuelles. choix de nos médecins, je peux dire que le mien est considéré dez-vous car Erwann Binet a renoncé à publier un amen- Dans le milieu associatif, nous ne sommes pas assez soli- comme le meilleur. Il a une liste d’attente de dix-huit mois car dement sur le changement d’état civil des trans sans même daires vis-à-vis d’elles. » c’est un mec génial. Il vous respecte et il est très compétent, nous prévenir ! » Le député de l’Isère, rapporteur du projet La candidate s’est investie dans sa campagne : « Je savais alors que c’est une opération complexe et que les probléma- de loi sur le mariage pour tous, s’était engagé à signer un bien que nous n’obtiendrions pas les 500 signatures. De toute tiques postopératoires sont nombreuses. J’ai une très grande amendement pour renforcer les droits des transsexuels façon, si on n’aime pas être sur le devant de la scène, on ne le admiration pour lui. Dire qu’avant 1979, les praticiens qui dans le projet de loi sur l’égalité femme-homme, mais il y fait pas. C’est quand même assez flatteur de voir des articles réalisaient l’opération risquaient dix ans de prison… » a renoncé sous la pression du gouvernement. Sollicité, il sur vous dans Libé, Les Inrocks, 20 minutes... » L’autodé- Le retour à la vie normale, et dans son nouveau corps, n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. rision n’empêche pas le sérieux : « Les dix mois précédant ne prendra effet qu’en 2009. Sa compagne, cadre dans le Au Parlement, les soutiens ne manquent pourtant pas. ma déclaration, on a travaillé par groupes de compétences privé, sera, elle, opérée à l’étranger, mais Brigitte n’en dira Jean-Jacques Urvoas et Jean-Pierre Sueur, respective- sur dix-sept thèmes de société. Les personnes transsexuelles pas plus. Sa dircom, Marie-Pierre, non plus : « Brigitte est ment présidents des commissions des lois à l’Assemblée ne sont considérées que pour ce qu’elles sont. Aux yeux de une femme qui vit pleinement sa vie avec sa copine. Elles et au Sénat, ainsi que les conseillers juridiques des pré- la société, elles sont d’abord trans avant d’être quelqu’un. Il n’ont aucun problème dans la rue. Les gens ne se retournent sidents Claude Bartolone et Jean-Pierre Bel, lui ont tous

99 Charles Politique & sexualité brigitte goldberg

« En janvier 2014, en pleine loi que le changement d’état civil des transsexuels s’opère ne veulent pas réveiller le chat qui dort, mais avec l’amende- Taubira, une conseillère du plus facilement. « Depuis 1992, une jurisprudence existe ment sur l’IVG, ils ont réussi à relancer les manifs. En janvier depuis que la France a été condamnée par la Cour euro- 2014, en pleine loi Taubira, une conseillère du chef de l’État chef de l’État m’a même dit “on péenne des droits de l’homme. Avant, la Cour de cassation m’a même dit “on ne va pas rouvrir la boîte de Pandore”. » ne va pas rouvrir la boîte de refusait tout changement d’état civil au nom de l’état d’in- Et d’attaquer bille en tête: « Il y a deux poids deux mesures disponibilité des personnes (“Un individu ne peut disposer dans l’égalité républicaine. Le mariage pour tous, c’était entre Pandore.” » de sa personne juridique que dans des cas précis prévus trois et quatre millions d’électeurs qui justifiaient ce combat ! par la loi.”) » Les décisions varient d’un tribunal à l’autre. Et nous, combien ? » L’absence de toute législation ne facilite pas en effet les En 2011, encouragée par Laura Leprince, déléguée aux choses. Brigitte se souvient, elle, du juge d’un tribunal questions d’identité de genre de l’association Homo- de grande instance de région, qui, malgré une opération sexualité et Socialisme, Michèle Delaunay, ex-députée de assuré que « c’est une très bonne idée, ça ne fera pas de visible et manifeste, a demandé une expertise médico- Gironde et aujourd’hui ministre chargée des personnes secousses ! De toute façon, une proposition de loi ne passera légale et une expertise psychiatrique, niant les certificats âgées et de l’Autonomie, « avait déposé une proposition de jamais… » L’un d’eux, Christophe Sirugue, vice-président médicaux préétablis. La sénatrice UDI Chantal Jouanno loi, introduisant la notion de “possession d’état”, c’est-à- de la chambre basse, reconnaît aujourd’hui que Brigitte confirme : « La situation de discordance entre leur état civil dire facilitant le témoignage d’individus pouvant assurer le a fait un « travail important de pédagogie auprès des parle- et leur état physique est un casse-tête pour les personnes changement d’état civil. Son président de groupe, Jean-Marc mentaires, qu’elle rencontre pour leur expliquer le sens de son transsexuelles. Je souhaite que la France puisse évoluer sur Ayrault, et 70 élus socialistes, l’avaient même cosignée. La combat (...) ses différentes pistes attestant de ses qualités et cette question pour éviter leur rejet, leur clandestinité et clé de voûte, c’est ça : le changement d’état civil ! » compétences juridiques indéniables. » leur précarité. » Sous Nicolas Sarkozy, Brigitte avait déjà Trois ans plus tard, Laura Leprince continue le combat : Entre-temps, le député écolo Sergio Coronado, repré- rencontré Michèle Alliot-Marie qui lui avait répondu : « Un « Le sujet porté est complexe. Il se rapporte à un problème sentant les Français d’Amérique du Sud et des Caraïbes, projet de loi, je ne me vois pas présenter ça en Conseil des sérieux de droits humains bafoués pour des personnes qui a annoncé, le vendredi 31 janvier 2014, le dépôt d’une ministres », tout en signant la circulaire du 14 mai 2010 sont précarisées et qui perdent leur dignité, à cause d’un proposition de loi pour « faciliter la vie des personnes qui demande aux procureurs de n’exiger une expertise État ignorant et niant le problème depuis trop longtemps. » transsexuelles. » Le rendez-vous est pris le 10 avril 2014 qu’en cas « de doute réel et sérieux sur la réalité du trans- Autre personnalité à qui elle reproche de ne pas tenir ses pour « améliorer l’insertion professionnelle et la vie quoti- sexualisme du demandeur. » Le 10 février 2010, Roselyne promesses : la ministre des Droits des femmes et porte- dienne des personnes transsexuelles en facilitant leur chan- Bachelot, ministre de la Santé, supprimait, par décret, parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem. Le gement d’état civil quand elles sont entravées dans leurs la transsexualité de la catégorie des « affections psychia- 16 septembre 2013, lors du vote au Sénat du projet de loi droits à l’emploi et au logement. » Dans sa circonscription triques de longue durée. » Leur collègue à l’Écologie puis à femmes-hommes en première lecture, les amendements qui regroupe 33 pays, deux États sont effectivement en la Jeunesse entre 2009 et 2012, Chantal Jouanno a, elle, ont été retirés à sa demande. avance sur le reste du monde. « mesuré l’importance » du combat des personnes trans en « Chantal Jouanno a déposé deux amendements reprenant À la première place, l’Uruguay fait figure de pionnière avec 2012 après l’audition de Samantha Montfort, coauteur du notre proposition de loi telle qu’on l’avait rédigée avec le une loi de septembre 2009 qui autorise les transsexuels de livre blanc sur les personnes trans et l’état civil, au palais concours de juristes et d’avocats, ce à quoi Najat Vallaud- 18 ans et plus à changer de nom et de genre sur les papiers du Luxembourg : « Le droit pourrait utilement servir leur Belkacem a rétorqué que c’était un cavalier législatif qui officiels. Sa voisine, l’Argentine, a suivi le mouvement en situation. Elles sont trop souvent mises au ban de la société pouvait amener le projet devant le Conseil constitution- faisant voter une loi en 2012 autorisant les personnes et tombent dans une forme d’isolement et de précarité. » nel », explique Brigitte. Marie-Pierre, sa dircom, en garde transgenres à changer de genre sur leur carte d’identité Brigitte, en revanche, n’a pas été très entendue à gauche : un goût amer : « Ça a capoté complètement... » Idem pour sans nécessité d’opération. La cheffe de l’État Christina « Entre septembre et décembre 2012, j’ai été reçue par quatre Chantal Jouanno : « La ministre a argumenté d’un travail Kirchner a même présidé une cérémonie publique de ministères (Droits des femmes, Famille, Santé, et Éducation plus approfondi qui devait être mené pour être présenté au remise de nouveaux documents, citant l’exemple de la nationale) et par des conseillers du Premier ministre et du premier semestre 2014... Il n’y a, semble-t-il, pour l’heure France qui discutait, au même moment, le projet de loi sur président, sinon rien. » aucun signe dans le calendrier législatif qui laisse entrevoir le mariage pour tous. Elle a aujourd’hui le sentiment d’être oubliée : « On est dans une ouverture. Or, à mon sens, il s’agit d’un vrai problème

Brigitte s’exaspère : cela fait cinq ans qu’elle se bat pour © re n aud monfo ur y p o charles l’impasse législative la plus totale. Depuis quinze mois, ils d’égalité... » —

101 Charles Politique & sexualité magazine Sexpol « Aujourd’hui, on ne pourrait plus dessiner autant de quéquettes »

En 1975 naissait Sexpol, une revue dédiée à domaines séparés, mais une façon d’envisager une relation la fois à la sexualité et à la politique. Retour entre soi – être humain complexe – et la société – tout aussi complexe », explique l’écrivain et chercheur Christian quarante ans après sur un projet éditorial qui, Poslaniec, qui fut l’un des principaux collaborateurs de ce dès le premier numéro, affichait son ambition magazine. de « changer le monde ». Et qui dut en partie À l’origine de Sexpol, il y a un homme, Gérard Ponthieu. son succès grâce au ministre de l’Intérieur Un journaliste que la pratique de son métier ne satisfait déjà plus, même si, en 1974, il ne l’exerce que depuis une Michel Poniatowski. dizaine d’années : « Avec mon ami Yves de la Haye, diplômé comme moi de l’ESJ de Lille et qui deviendra sociologue, nous étions très critiques sur cette espèce de journalisme de surface, pour ne pas dire de superficialité, que nous étions par Pascal Mateo amenés à pratiquer au quotidien. » Les deux hommes décident alors de créer leur propre revue, qui posera des questions de fond et analysera en profondeur à la fois l’in- ’était le temps où tout semblait dividu – à travers la sexualité – et la société. permis : la contestation de l’ordre Gérard Ponthieu est alors largement influencé par Mai établi, les revendications les 68 : « Les critiques libertaires, anarchistes et situationnistes plus utopiques, l’aspiration à la résonnaient beaucoup pour moi. » Dans la perspective de Cliberté… C’était l’époque de l’après Mai 68, dont les acteurs la création de son propre magazine, il rédige – toujours estimaient alors qu’ils avaient fait un pas de géant vers avec Yves de la Haye – une sorte de feuille de route, qu’il l’émancipation de l’homme et de la femme. C’était l’heure baptise « Itinéraire balisé pour (s)explorateurs prudents » de l’insouciance, de l’ébullition des sens et de l’euphorie et qui sera publiée dans les trois premiers numéros. Un de la pensée. C’était le milieu des années 70… C’est aussi document dans lequel il multiplie les références situation- à ce moment-là que naît Sexpol, une revue que ses fonda- nistes, écrivant par exemple qu’est prolétaire « quiconque teurs entendent alors consacrer à la fois à la sexualité et est dépossédé du plein emploi de sa vie. » Mais un texte dans

© DR à la politique. « Sexualité et politique, ce ne sont pas deux lequel sont aussi déterminées les grandes lignes de ce

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que devra être le magazine à naître : « La revue Sexpol va Dès le mois de décembre exprimer les luttes menées partout pour une sexualité libre ; fournir des éléments concrets (enquêtes, témoignages, inter- 1975, sur décision du ministre views, etc.) destinés à définir une politique sexuelle qui ne soit pas l’appendice sexuel de la politique ; dénoncer la récu- de l’Intérieur, Michel pération idéologique et marchande de la sexualité. » Un bien Poniatowski, Sexpol fait vaste programme dans lequel Gérard Ponthieu et Yves de la Haye font référence à celui qui restera le mentor de l’objet d’une interdiction l’aventure : Wilhelm Reich (1897-1957). Influencé à la fois par Marx – pour la philosophie politique – et par Freud – aux mineurs et à l’affichage pour la théorie analytique – ce médecin et psychana- lyste avait fondé en 1931, en Allemagne, un mouvement destiné à venir en aide aux adolescents en proie à la misère sexuelle. Un mouvement baptisé… Sexpol. Et Dès le mois de décembre 1975, sur décision du ministre même si certaines de ses théories – sur la fin de sa vie, en de l’Intérieur, Michel Poniatowski, Sexpol fait l’objet d’une particulier – ont parfois été à la limite du délire mystique, interdiction aux mineurs et à l’affichage. « Les gens du Wilhelm Reich reste l’un des précurseurs de la révolution ministère ont motivé leur décision en épluchant les petites sexuelle. annonces gratuites que nous publiions sans aucune censure, Le refus du journalisme de surface pour prétexte, Mai explique Gérard Ponthieu. Dans le lot, ils en ont trouvé deux 68 pour référence, Wilhelm Reich pour inspirateur, la ou trois de nature pédophilique. » L’argument est imparable. revue naît en janvier 1975 dans un local du xviiième arron- Pour autant, les membres du comité de rédaction s’oppo- dissement de Paris, situé au 44 rue du Ruisseau. Dès le sent à ce qu’on range Sexpol dans le même sac que les premier numéro, Sexpol affirme résolument son caractère magazines pornographiques et refusent de laisser cette novateur. Le magazine donne ainsi la parole à deux interdiction signer l’arrêt de mort de leur revue. femmes témoignant de « la réalité lamentable de l’obscu- Très vite, ils lancent une contre offensive en organisant rantisme et de la frustration féminine. » Recueille le témoi- une conférence de presse, en mettant sur pied un comité gnage de l’écrivain Daniel Guérin, militant bien connu de de soutien, en faisant signer des pétitions, en procédant l’émancipation homosexuelle. Consacre un long article à des dessinateurs attitrés de la revue. « Nous n’étions pas les articles de ses rédacteurs évoquent ouvertement la à la vente sauvage du magazine dans le Quartier latin… l’histoire, aux activités et aux limites du planning familial. des militants au sens étroit du terme, à une époque où cela sexualité, ils sont illustrés exclusivement de dessins Ces fins connaisseurs des recettes de l’agitprop entendent Publie une enquête sur le cinéma porno. D’emblée, Sexpol fleurissait partout, complète Christian Poslaniec. Dans stylisés. Certainement pas par ces photos aux gros plans ainsi mobiliser la presse et l’opinion. Et leur stratégie finit se distingue de ces multiples fanzines amateurs et autres cette revue, on échangeait, on réfléchissait et on tournait gynécologiques qui commencent alors à fleurir dans les par payer : un membre du cabinet de Michel Poniatowski feuilles pseudo-révolutionnaires qui émergent alors. autour de quelques utopies comme la non-violence, le respect revues pornographiques. Néanmoins, dans la France des accepte quelques jours plus tard de recevoir des membres « C’était un magazine très professionnel et qui n’avait rien d’autrui et le rejet de tous les extrémismes. » années 70, encore et toujours – malgré Mai 68 – empêtrée de l’équipe. de militant : notre ambition était de parler de politique au Sexpol n’a rien d’une publication polissonne portée sur dans son hypocrisie puritaine, le magazine n’est pas « Dès notre arrivée au ministère, nous avons déversé sur son

sens “vie de la cité” », souligne Claude Gaisne, qui fut l’un la gaudriole. La revue fait la part belle au texte. Et si © DR épargné par la censure. bureau une valise remplie de revues pornographiques,

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simplement pour lui montrer combien nous étions différents L’interdiction momentanée de de ces publications », se souvient Gérard Ponthieu. Le la revue ne tarde pas à passer hasard – qui, parfois, fait bien les choses – veut qu’à cet instant, un coursier apporte au technocrate Le Monde du aux yeux de ses lecteurs pour jour dans lequel vient d’être publié un article de soutien un véritable certificat de à Sexpol. « Après l’avoir parcouru, il s’est montré embar- rassé et nous a laissés seuls un moment, poursuit Gérard subversion. Dans les jours qui Ponthieu. À son retour, il nous a proposé de lever l’inter- suivent, le local de la rue du diction si nous consentions à ne plus jamais publier de Ruisseau est assailli par les petites annonces pédophiliques. » Quelques heures plus tard, un débat interne s’engage au sein du comité de courriers de soutien et les rédaction. Et débouche sur une scission : « Deux membres demandes d’abonnement. de l’équipe ont refusé de céder sur ces principes et sont partis », explique Gérard Ponthieu. Quant aux autres, ils acceptent volontiers cette forme d’autocensure. Et passent la nuit suivante à arracher la page de petites annonces des quelques milliers d’exemplaires du numéro à venir – imprimé depuis déjà quelques semaines – et à la historique de Sexpol. Pour le reste, les survivants de la remplacer par une page d’explications. revue se montrent plutôt fiers d’avoir œuvré au service de Cet épisode aura été une bénédiction : l’interdiction cette publication. Même si, faute de fonds et de moyens momentanée de la revue ne tarde pas à passer aux yeux humains suffisants, elle ne paraîtra pas avec une régula- de ses lecteurs pour un véritable certificat de subversion. rité invariable. « Ce fut une vraie belle aventure, certes avec Dans les jours qui suivent, le local de la rue du Ruisseau des hauts et des bas, mais aussi avec des rencontres parmi est assailli par les courriers de soutien et les demandes les plus enrichissantes », souligne Gérard Ponthieu. Ainsi, d’abonnement. Au fil des mois, le tirage de Sexpol finira Sexpol donnera notamment la parole à quelques célébri- même par franchir la barre des 20 000 exemplaires. Et le tés qui, par la suite, feront un sacré bout de chemin. Dans magazine ne sera plus jamais inquiété par les représen- le numéro 7, le dessinateur et écrivain François Cavanna tants du pouvoir. s’exprime sur la censure, un sujet que ce membre éminent Il aurait pu l’être, pourtant. Non pas à cause de ses petites de l’équipe d’Hara-Kiri connaît parfaitement. Et dans annonces, désormais bannies. Mais parce que Sexpol le numéro 24, c’est l’économiste Jacques Attali – alors ouvre ses colonnes à des écrivains exaltant la sexualité proche collaborateur de François Mitterrand – qui n’hésite des enfants ; et pour certains justifiant la pédophilie. Avec pas à faire un parallèle entre musique et sexualité, « deux plus de trois décennies de recul, Gérard Ponthieu regrette activités créatrices qui renvoient au même type de jouissance amèrement de s’être montré complaisant à leur égard dans un rapport de soi avec l’environnement. » et d’avoir péché par libéralisme inconsidéré : « C’était Surtout, durant plus de cinq ans, Sexpol évoquera des une concession à l’air du temps, au permissif à tout crin en dizaines de sujets sacrément tabous. « Nous nous réunis- vigueur à cette époque. » Même son de cloche chez Claude sions chaque semaine, le mardi soir, se souvient Gérard Gaisne : « Nous n’avons pas dénoncé la pédophilie assez vite, Ponthieu. Nous travaillions chaque numéro autour d’un alors que c’est une chose avec laquelle on ne plaisante pas. » thème central retenu collectivement selon nos discussions, Mais cette indulgence coupable – « qui intervint dans un selon l’air du temps et selon nos rencontres, nos lectures et les Décembre 75 : Poster de soutien contexte où l’on s’interdisait d’interdire », rappelle Gérard suggestions diverses de nos lecteurs, dont nous recevions un

à Sexpol, vendu 12F © DR Ponthieu – constitue le seul et unique remords de l’équipe courrier très abondant », se rappelle Gérard Ponthieu.

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« La sexualité a perdu sa charge érotique, poétique, subversive, tandis que la politique s’est abandonnée aux mains des financiers. Le couple “sex-pol” s’est dissous, dissocié, absorbé dans la fragmentation individuelle – le fameux “tout à l’ego” selon Régis Debray. » Gérard Ponthieu Dessins de Claude Gaisne parus dans Sexpol

Au fil de ses 39 numéros, Sexpol évoque ainsi la misère etc. « Il me suffit de parcourir les titres de mes articles, parus de leur actualité. Des dessins qui, pour l’essentiel, gardent sexuelle des soldats de l’armée française, s’interroge sur dans cette revue, pour me rendre compte de la diversité des leur acuité. « Même si, aujourd’hui, on ne pourrait plus la sexualité des prisonniers de droit commun, sollicite le approches : la violence familiale dans le numéro 9, l’enfer- dessiner autant de quéquettes », tempère Christian Gaisne témoignage d’un prêtre écartelé entre sa foi et les appels mement des naturistes dans le numéro 10, la neurobiologie dans un sourire. Il est vrai que ce monde, que le magazine de la chair, voue un dossier entier à la sexualité de groupe, dans le numéro 12, “Psychologie de masse et fascisme rêvait de changer, a évolué. Et pas forcément en bien… donne la parole à une actrice porno, aborde la sexualité quotidien” dans les numéros 18-19... » complète Christian « La sexualité a été totalement absorbée par le champ de la des handicapés, des obèses, des personnes âgées, etc. Poslaniec. Bref, dans chacun de ses 39 numéros, Sexpol marchandise et du spectacle ; la pornographie s’est ainsi « Sexpol a en quelque sorte prolongé la révolution sexuelle porte un regard acéré sur la société de son époque. normalisée, touchant les enfants de plus en plus jeunes par de 1968 en questionnant la sexualité au-delà des stéréotypes Mais il n’y eut jamais de numéro 40. En octobre 1980, le biais d’Internet », relève Gérard Ponthieu. « La sexualité et des évidences », résume Gérard Ponthieu. l’équipe rédactionnelle décide d’en terminer avec cette a perdu sa charge érotique, poétique, subversive, tandis Un questionnement qui ne sera jamais dépourvu aventure. « Nous avions l’impression de commencer à que la politique s’est abandonnée aux mains des financiers. d’humour, notamment dans les dessins de Claude Gaisne tourner en rond », justifie Christian Poslaniec. Surtout, Le couple “sex-pol” s’est dissous, dissocié, absorbé dans la qui se souvient ainsi avec délectation d’un numéro Gérard Ponthieu avait fini par être gagné par une forme fragmentation individuelle – le fameux “tout à l’ego” selon consacré aux militants de tous poils : « Nous avons souvent de lassitude : « Le journal reposait beaucoup sur mes Régis Debray. » De même, depuis 1980, la dictature du charrié leur manque d’humour et le fait qu’ils nous parais- épaules car j’étais le seul journaliste professionnel : je faisais paraître – dénoncée abondamment dans les colonnes du saient bien peu portés sur la chose. » Dans ce numéro, il beaucoup de réécriture et j’effectuais la mise en page tout journal – n’a fait qu’empirer. avait dessiné une femme se masturbant avec un marteau, seul, sans l’apport d’un ordinateur. En outre, nous ne nous Néanmoins, force est de constater que, depuis la fin de juste au-dessus d’une faucille… versions que de petits salaires qui ne nous permettaient pas l’aventure, certaines évolutions des mentalités ont été Sexpol ne peut se résumer à un magazine exclusivement de vivre. » Après la publication d’un ultime numéro bilan, dans le bon sens. « Les gens sont moins ignorants sur les consacré à la sexualité. Un numéro sera ainsi intégrale- Sexpol s’éteint brutalement. questions de sexualité, l’époque est probablement moins ment consacré à la drogue, un autre à la bouffe, un autre Près de quarante ans plus tard, que reste-t-il de ce machiste et le féminisme plus subtil », énumère Gérard aux bioénergies – « Nous étions écolos avant l’heure », magazine qui, dès son premier numéro, rêvait de « changer Ponthieu. « Nous avons modestement apporté notre pierre

précise Claude Gaisne –, un autre encore aux mysticismes, le monde » ? Des textes qui, pour certains, n’ont rien perdu © C laude G a i s n e à cet édifice. » —

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Femen, de l’amour à la haine Les Femen ne sont plus en odeur de sainteté. À trop scander le rejet du patriarcat et de l’Église, les célèbres activistes aux seins nus ont fini par cabrer jusqu’à leurs plus fidèles soutiens. Deux actions dans des églises, à Notre-Dame puis à la Madeleine, ont obligé les politiques de droite, mais aussi de gauche, à se désolidariser de ce nouveau féminisme. Même François Hollande s’y est mis. Enquête. par Lamia Belhacene Reportage photo Laurence Geai

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out commence dans ce qu’elles appellent « le camp d’entraînement ». En plein cœur du quartier de la Goutte-d’Or, dans le xviiième arrondissement Tde Paris, les Femen ont transformé le Lavoir, théâtre destiné à la fermeture, en un véritable antre du féminisme nouvelle version. Punching ball marqué du sigle Femen et murs envahis de slogans, de photos et de dessins de couronnes fleuries. Cet endroit délabré est devenu un QG presque accueillant. En ce samedi, la salle d’entraînement ne désemplit pas. Elles sont une dizaine de soldates prêtes à tout donner pour crier leur haine du patriarcat. Il y a les nouvelles et les aguerries qui mènent la séance d’échauffement à bras le corps en attendant la capitaine Inna. Avec le plus grand sérieux, elles sautent, courent au rythme des slogans « Free Amina », « Pope no more » et de « In Gay we trust ». En une farandole effrénée, la lutte aurait déjà commencé. La présence de journalistes ne les dérange pas outre mesure. Elles n’y prêtent aucune attention. Et pour cause, il ne se passe pas un samedi sans que photographes, équipes de télévisions et autres plumitifs ne prennent place dans cet univers où la transpiration Femen sature l’atmosphère. Une séquence médiatique indispensable, nous expliquera-t-on. À l’arrivée d’Inna, on lit l’émerveillement dans le visage pas question de montrer la moindre faiblesse devant la le patriarcat existerait sous plusieurs formes, selon Inna. de celles qui ont été séduites par ce new feminism. Pas de chef. L’une d’elle serait l’Église. temps pour le blabla ! Devenue l’icône charismatique du Inna aime être photographiée en action, lorsqu’elle C’est donc avec satisfaction qu’elles ont accueilli mouvement, Inna conduit ses troupes comme si elle se maîtrise parfaitement son image et lorsqu’elle le décide. l’annonce de la démission du pape Benoît xvi et le vote de préparait à aller au champ de bataille. « Vous avez pris assez de photos non ? Alors ce n’est pas la la loi sur le mariage pour tous. Et quoi de mieux pour fêter Face à ses nouvelles recrues, elle ne montre pas la moindre peine de continuer », nous ordonne-t-elle. Elle est en guerre. ça que d’aller sonner les cloches de Notre-Dame de Paris, empathie. Inna n’est pas là pour plaisanter et elle le dit « Nous préparons une vraie révolution. Nous savons que symbole à la fois pittoresque et majestueux ? Idéal pour clairement : « Votre visage ne doit pas sourire. Vous devez nous avons un ennemi. Juste un, mais il n’est pas petit. C’est la photo. imaginer que ces hommes en face de vous vont se précipiter le patriarcat. C’est notre ennemi et il est partout, il nous L’organisation n’en n’est certes pas à sa première action sur vous. » entoure. Il est ce que nous combattons. Il est très puissant. anticléricale. En août 2012, munie d’une tronçonneuse, Alors, gare à celle qui ne mettrait pas assez d’expression Il est ancré dans l’esprit même des hommes et des femmes. Inna s’était donnée en spectacle en sciant, à Kiev, une sur son visage. Le visage doit suivre la parole. Les unes Il est partout. Le patriarcat pénètre dans l’esprit des femmes croix en bois, en soutien aux Pussy Riot condamnées en en face des autres, elles doivent hurler les slogans sans du monde entier. 90% des femmes suivent ce système et n’y Russie à deux ans de camp pour avoir chanté du punk

jamais languir ni se relâcher. Certaines s’égosillent, mais © L aure n ce gea i résistent pas », assène-t-elle. Disséminé dans la société, rock dans une église. Des images qui font le tour du

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« Votre visage ne doit pas sourire. Vous devez imaginer que ces hommes en face de vous vont se précipiter sur vous. » Inna Shevchenko

monde et qui ont obligé Inna à fuir l’Ukraine pour venir et touristes qui profitent du spectacle, elles vont sonner L’action choque et donne lieu à toutes sortes d’interpré- se réfugier en France. Plus tôt, en juillet, elles avaient les cloches. À ce moment-là, les Femen sont loin d’imagi- tations. L’affabulation fait son nid. Notamment celle d’un assuré le comité d’accueil de Kirill, patriarche de l’église ner que le vent, jusqu’alors en leur faveur, va prendre une complot politique sur lequel les deux sénateurs interpel- orthodoxe russe lors de sa visite en Ukraine. L’antireligio- autre direction. lent. « Il faut s’interroger sur l’instrumentalisation possible sité coule désormais dans les veines du mouvement. Car, quelques heures seulement après leur action topless, par le gouvernement qui, en optant pour un certain laxisme, De loin, la France condamne la sévérité des peines les réactions politiques commencent à pleuvoir. Si à droite, recherche manifestement des relations violentes (…) afin de encourues par les Pussy Riot. On parle d’atteinte à la les ténors demeurent silencieux, les sénateurs Pierre ternir très certainement l’image des croyants, pour la plupart liberté d’expression. La France se croyait-elle alors à l’abri Charon (UMP) et Yves Pozzo Di Borgo (UDI) expriment opposés à la réforme du mariage », concluent-ils. de la déferlante antireligieuse des Femen ? Dans ce cas, en revanche dans un communiqué commun leur indigna- C’est tout de même aller vite en besogne. Car la gauche, et elle aura été naïve. Car c’est vêtues d'un mini short noir et tion : « Il est incompréhensible que des activistes étrangères principalement le gouvernement, ne tardent pas non plus le corps recouvert de slogans « Pope no more » (Plus jamais ne soient pas empêchées d’agir. Surtout aujourd’hui où il y a à dégainer. Jusqu’alors elle s’était montrée bienveillante de pape) qu’elles fêtent, en l’église Notre-Dame de Paris, une conjoncture spéciale : émotion des catholiques suite à la vis-à-vis du mouvement. Mais elle déchante et tient elle

la démission de Benoît xvi. Face aux nombreuses caméras © L aure n ce gea i démission du Pape, vote de la loi sur le mariage pour tous. » aussi à faire partager son émoi.

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par ce geste grossier. Si la laïcité permet à chacun de croire ou de ne pas croire en toute liberté, la République entend, dans le même temps, garantir à tous les croyants de pouvoir pratiquer leur religion dans la dignité et le respect mutuel », finit-il par ajouter. « Il y a deux choses. Il y a d’abord la mairie de Paris, parce que c’est Notre-Dame de Paris. Déjà Delanoë s’était illustré en nommant le parvis de Notre-Dame Jean Paul II… Et puis il y a le ministre de l’Intérieur chargé des relations avec les cultes qui est officié au titre de cette fonction », analyse Caroline Fourest, journaliste et essayiste, proche du mouvement depuis ses débuts en France. Dans son livre intitulé Inna, elle tient à se démarquer de l’action à Notre-Dame et se donne le rôle de la conseillère stratégique flouée. « Tu viens de perdre tout le crédit que vous aviez gagné. Rentrer dans une église, ce n’est pas comme s’attaquer à un cortège intégriste, ni aller sonner les cloches à Kiev. Ici, c’est un pays laïc. Ils nous fichent la paix au Parlement, on leur fiche la paix dans leurs églises ! » écrit- elle, en relatant l’une de ses discussions tendues avec Inna, dont elle est au passage tombée amoureuse. Mais, de toute évidence, le conseil de Caroline Fourest n’a pas fait mouche. Quelques mois plus tard, les Femen décident en effet de lancer l’action « Christmas is cancelled » (Noël est annulé) dans plusieurs villes euro- péennes dont Rome, Genève et Paris. Il est 11 heures ce samedi 20 décembre 2013, lorsqu’Éloïse Bouton, activiste du mouvement Femen, s’introduit dans l’église de la Madeleine. Un chœur répète, ce qui n’était pas prévu. « Nous avions fixé l’heure de l’action à 11 heures afin d’éviter d’interrompre la messe. On ne s’attendait pas à qui fût assez grande. Car nous pensons toujours à la beauté « Je vois ça comme une performance. « C’est avec tristesse que j’apprends la provocation inoppor- tomber sur une chorale en répétition », raconte aujourd’hui du lieu », essaie-t-elle de se justifier. L’action dure exacte- Il y a une dimension toujours très tune et déplacée à laquelle plusieurs militantes du groupe Éloïse. ment une minute et trente secondes. Le temps de quelques parodique dans nos actions. Femen se sont livrées à l’intérieur de Notre-Dame. Je réprouve Aussi habilement que furtivement, elle va se déshabiller clichés, puis la Femen disparaît comme elle est apparue. Il s’agit de provoquer pour un acte qui caricature le beau combat pour l’égalité femmes- et brandir des morceaux de foie de veau, dans un silence N’empêche, la photographie ne fut pas du goût de tout hommes et choque inutilement de nombreux croyants », écrit clérical, pour protester contre le recul du droit à l’avorte- le monde. Ce qui devait être une action de plus s’installe interpeller. En réalisant cette dans un communiqué, Bertrand Delanoë, le maire de Paris. ment en Espagne. à nouveau dans le jeu politique. En l’occurrence celui de action à la Madeleine, nous Le même soir, c’est au tour du ministre de l’Intérieur et « Je vois ça comme une performance. Il y a une dimension la campagne municipale. Nathalie Kosciusko-Morizet, cherchions à parodier une crèche. » des cultes, Manuel Valls, de marquer « sa consternation toujours très parodique dans nos actions. Il s’agit de candidate UMP à la mairie de Paris, dégaine la première éloïse Bouton face aux agissements des neuf membres du groupe Femen », provoquer pour interpeller. En réalisant cette action à la avec un tweet : « Suite à leur action de ce matin, je condamne jugeant la provocation « inutile » et témoignant son Madeleine, nous cherchions à parodier une crèche. Nous en la profanation de l’église de la Madeleine par les Femen. Stop

« soutien aux catholiques de France qui ont pu être offensés avions cherché une dans Paris, mais il n’y en avait aucune © L aure n ce gea i à la provocation ! »

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« Aucun combat, aucune manifestation n’exige aujourd’hui dans notre ville de piétiner, moquer ou stigmatiser la foi d’une communauté » Anne Hidalgo

Son opposante, Anne Hidalgo, préfère la discrétion et choisit de partager son soutien par le biais d’une lettre adressée au curé de la paroisse de la Madeleine et rendue publique par le journal La Vie : « Aucun combat, aucune manifestation n’exige aujourd’hui dans notre ville de piétiner, moquer ou stigmatiser la foi d’une communauté. » La droite se saisit de ce « silence » et attire l’attention de l’opinion sur une intervention de la candidate socialiste lors d’une émission (tournée avant l’action à la Madeleine) où elle exprime sa « bienveillance » vis-à-vis du mouvement. Rattrapée par la pression politique et médiatique, Anne Hidalgo est alors sommée de s’exprimer et de se justifier, publiquement cette fois. « Je réprouve les méthodes qui visent à agresser les lieux de culte. Et je condamne avec la plus grande fermeté les méthodes des Femen », finira-t-elle par lâcher. « Les politiques sont toujours dans leur calendrier électora- liste. C’est le jeu politique. Il y a un calendrier, deux élections cette année, avec les municipales et les européennes. Sur la manif pour tous, c’est là où le gouvernement les a soutenues, car c’était le bon timing. Pour eux », analyse la féministe Safia Lebdi, ancien pilier de l’association Ni putes ni soumises. Celle qui a permis l’installation des Femen en France a fini par quitter le mouvement. « Le problème, c’est qu’elles se sont trompées de lieux. Il y a des églises intégristes à Paris, mais Notre-Dame de Paris est plutôt un lieu touris- tique et culturel. » Plus marquant, le chef de l’État s’invite dans le débat. Lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014, François Hollande évoque les Femen, sans les nommer, en répondant à la question d’un journaliste sur l’affaire Dieudonné : « La République ce n’est pas deux poids, deux mesures… Il y a des actes antichrétiens avec des

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« On nous trouvait sympathiques quand nous défendions le mariage pour tous. En revanche lorsque nous n’allons pas dans le sens de leur politique… Ils sont dans une logique électoraliste et c’est vrai qu’il y a plus de catholiques que de féministes » éloïse Bouton

personnes qui pensent qu’on peut s’exhiber dans une église et faire des gestes qui touchent profondément les consciences des croyants. Aucun de ces actes ne peut être accepté. » Cette fois, la sentence politique est prononcée depuis l’Élysée. La référence aux Femen, mises sur le même plan que Dieudonné, fait son petit effet. Alors que certains catholiques s’insurgeaient du silence du gouvernement, les voilà rassurés. Certains prêtres félicitent, via Twitter eux aussi, le président d’avoir su condamner des actes antichrétiens. « On nous trouvait sympathiques quand nous défendions le mariage pour tous. En revanche lorsque nous n’allons pas dans le sens de leur politique… Ils sont dans une logique électoraliste et c’est vrai qu’il y a plus de catholiques que de féministes. Entre protéger les catholiques et protéger les droits des femmes, le gouvernement a choisi son camp », rétorque Éloïse Bouton qui vient de quitter le mouvement (« pour des raisons personnelles qui n’ont rien à voir avec les actions » affirme-t-elle). « Ce qui m’inquiète plus, c’est la confusion qu’a fait François Hollande à un moment donné en mettant sur le même plan des actes comme ceux de Dieudonné, c’est-à-dire des pro- vocations qui incitent à la haine. Les gens sont en train de penser en termes de communauté, y a rien à faire. Pour répondre à l’accusation du “deux poids deux mesures”, il faut qu’on mette sur le même plan les provocations de Dieudonné contre les juifs, les insultes contre les mosquées et les musulmans et les actes des Femen contre les églises.

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Sauf que ce n’est pas du tout la même chose. On ne peut pas réfutées : « Éloïse Bouton n’a pas profané, puisqu’elle n’a pas compris si j’avais été mise en garde à vue pour trouble à « Le problème dans lequel elles mettre sur le même plan l’incitation à la haine raciale et le touché au Saint-Sacrement », a-t-il ainsi confié au journal l’ordre public. J’assume totalement. Cela fait partie des se sont engouffrées, c’est que blasphème, ce n’est pas possible. Ça, c’est vraiment un piège La Vie. risques qu’on prend, lorsque l’on mène ce genre d’action. Mais absolu », s’alarme Caroline Fourest. On cherche donc à condamner les Femen. Et peu importe exhibition sexuelle… encore une fois on nous ramène à une maintenant, elles ne peuvent Malgré sa position distanciée vis-à-vis des actions suc- le grief, pourvu qu’il y en ait un. forme de folie, de déviance pathologique. On nous fait passer pas faire moins. Elles doivent cessives dans les églises, Caroline Fourest voit dans la « Le problème, c’est qu’il existe un droit au blasphème, qu’on le pour des malades », déplore Éloïse. provocation des Femen une certaine cristallisation de veuille ou pas. On peut ne pas être d’accord, mais on ne peut Dans aucun des deux procès, le droit au blasphème n’est faire plus, car elles sont dans l’après « manif pour tous ». « À partir du moment où on est pas condamner les Femen sur ce motif. L’autre problème, c’est invoqué, pas plus que la question de la liberté d’expres- la surenchère et dans la sur entrés dans cette hystérie politique, je suis obligée de recon- qu’on est aujourd’hui face à une alliance objective entre les sion. Le décalage est donc total entre le discours politique naitre qu’elles ont mis le doigt sur quelque chose d’inquiétant humanistes du PS et les catholiques d’extrême droite, sans et les chefs d’inculpation. Alors que la classe politique médiatisation. » qui est, encore une fois, que désormais les politiques ont très compter le FN qui est au cœur de l’acharnement contre les semble s’inquiéter des limites à donner à la liberté de blas- Safia Lebdi peur des réactions de certains catholiques. » Femen », explique Safia Lebdi avant de poursuivre : « Et phémer, la justice, elle, ne tranchera pas sur ce volet. Valérie Boyer dénonce quant à elle le fameux « deux poids, puis le mariage pour tous est passée par là et elle a fédéré une Craint-on de retomber dans l’affaire des caricatures du deux mesures » : « S’il avait été question de synagogue ou de droite qui est apparue rassemblée mais aussi religieuse. On prophète Mahomet ? Craint-on de raviver des braises mosquée, tout le monde aurait été dans la rue. » Quelques ne l’a jamais vue aussi prosélyte. » encore chaudes ? Car nous n’en sommes pas à la première jours seulement après l’action à la Madeleine, cette Le samedi 8 février, les mouvements d’extrême droite se affaire où le religieux entre en collision avec ce qui est députée UMP de Marseille a formulé une question écrite donnent rendez-vous place Vauban, dans le viième arron- tantôt jugé comme atteinte à la liberté de culte ou incita- au ministre de l’Intérieur le priant de bien vouloir rendre dissement pour une manifestation « anti Femhaines ». tion à la haine, tantôt comme liberté d’expression ou droit publiques les origines et sources de financement du Le rassemblement compte dans ses rangs des figures de au blasphème. À l’époque, Charlie Hebdo, journal satirique, mouvement. « En tant que députée de la République, je suis proue de l’extrême droite, comme Carl Lang, ancien secré- publie en une des caricatures du prophète Mahomet. Les garante de ce qu’il advient de l’argent de l’État. Je souhaite- taire général du Front National ou encore Alain Escada, dessins paraissent peu de temps après la sortie du film rais donc savoir si cet argent finance les Femen. » président de l’institut Civitas. Dans le même temps, des Innocence of Muslims qui suscita une vague de violences N’ayant jamais réellement disparu des sites d’extrême pétitions circulent sur les réseaux sociaux avec, pour provoquant la mort de plusieurs ressortissants améri- droite, le sujet des financements du nouveau féminisme revendication, « la mise hors d’état de nuire des Femen » ou cains. refait subitement surface avec, comme priorité, cette encore « le retrait du timbre à l’effigie d’une Femen. » Plusieurs détracteurs assignent Charlie Hebdo en justice fois, de vérifier que l’argent public ne subventionne pas Deux jours plus tard, c’est au tour de Georges Fenech, pour provocation et incitation à la haine raciale, mais le l’organisation. Ancienne sympathisante de ce néo-fémi- député UMP, de monter au créneau. Qualifiant les Femen journal est relaxé. nisme (« vu de loin » précise-t-elle), Valérie Boyer se dit de « groupuscule utilisant des méthodes sectaires » le « Au moment de l’affaire des caricatures de Mahomet, les aujourd’hui « choquée » par « l’obscénité » de ces femmes. député saisit la Miviludes (Mission interministérielle de gens ont porté plainte contre Charlie Hebdo pour racisme « Nous sommes dans un climat particulier en ce moment. Le vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) dont il antimusulman, en fait c’était pour avoir caricaturé le discours du gouvernement et des hommes politiques alimente est l’ancien président. Cette fois, cela va plus loin. Les prophète », relate Caroline Fourest, qui participa active- notre moulin. Voir que certains ne nous soutiennent plus est Femen deviennent un nouvel ennemi de la République, ment à défendre le journal dans la tourmente. bien la preuve que l’Église a un énorme pouvoir. Ce qu’on une secte. « Quand on a une droite qui va jusqu’à parler de La justice devra se prononcer sur ces deux affaires. Qu’ad- dénonce ce sont les institutions et le pouvoir du patriarcat profanation, qui va exiger des têtes, faire une campagne viendra-t-il ensuite des Femen ? Safia Lebdi ne manque et force est de constater que l’on ne peut pas toucher à cette dans Le Figaro qui est hallucinante, là y a quelque chose de pas de s’en inquiéter : « Le problème dans lequel elles se sont institution », en conclut Éloïse Bouton. révélateur sur une droite républicaine qui est en train de se engouffrées, c’est que maintenant, elles ne peuvent pas faire Les groupes d’extrême droite profitent en tout cas de faire enfoncer par une droite religieuse », s’insurge Caroline moins. Elles doivent faire plus, car elles sont dans la suren- cette ambiance contestataire pour asseoir davantage leur Fourest. chère et dans la sur médiatisation. » — « légitime lutte » contre le mouvement. Leur terrain de jeu Les Femen sont donc aujourd’hui poursuivies en justice principal : Internet où les accusations de « profanation », pour « dégradation » des cloches dans le cadre de l’action lancées par Nathalie Kosciusko-Morizet se multiplient, à Notre-Dame et pour « exhibition sexuelle » en ce qui alors que le curé de la Madeleine les a pourtant lui-même concerne l’action dans l’église de la Madeleine. « J’aurais

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éloïse bouton, ex-femen, se rhabille photographie Samuel Guigues

125 Charles Politique & sexualité Portfolio © s am u el gu i e po r charle

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carte blanche page 130

en images page 148 normand © patrice

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par Maël Renouard

Normalien, agrégé de philosophie, traducteur et écrivain (il vient d’obtenir le prestigieux prix Décembre), Maël Renouard a aussi été, entre 2010 et 2012, l’une des plumes de François Fillon à Matignon. Dans cette nouvelle inédite, il retrace le destin de Félix Gaillard qui fut, à 38 ans, le plus jeune Premier ministre de la ivèmeRépublique. Un personnage oublié de notre vie politique, qui mourra tragiquement dans un accident de bateau, au large de Jersey, en 1970.

uand je préparais le concours de l’École normale supérieure, il y a un peu plus de quinze ans, l’his- toire était la discipline qui occupait la part la plus considérable de l’emploi du temps des khâgneux. Nous pouvions être interrogés sur tout ce qui s’était Q passé en France depuis 1848 et tout ce qui s’était passé dans le monde depuis 1914. Rares étaient ceux qui avaient la sagesse de ne pas se laisser intimider par cet océan et avaient défini à leur usage un service minimum auquel ils se tenaient, en misant sur les talents qu’on leur reconnaissait de toute façon dans d’autres disciplines ; mais pour le commun des élèves, l’idée de devoir traiter de sujets comme « la papauté entre 1905 et 1912 » et de n’avoir absolument rien à dire était assez inquiétante pour qu’on se voue corps et âme à quadriller l’immensité en se précipitant sur toutes les parcelles de savoir disponibles. Dès que nous avions un peu de temps libre, on l’employait donc à réviser des cours d’histoire ou bien à parcourir encore et encore les mêmes manuels. On ne se séparait

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jamais des ouvrages de la « Nouvelle histoire de la France contempo- mon père avaient été frappés à la fois par ce drame et par le sublime raine », collection éditée au Seuil qui était alors très renommée chez à-propos dont Pompidou avait fait preuve. On lui avait reproché son nos professeurs. Les miens étaient couverts de marques de crayon passage par la banque Rothschild ; il avait soudain revêtu les habits mine, de Stabilo jaune, de feutre rouge et de stylo bleu qui témoi- du lettré, de l’humaniste à qui le tragique de la vie inspire le langage gnaient comme des strates géologiques de la succession de mes du mystère et de la grandeur. Mon père, pour ne pas accroître l’écra- lectures ; leur tranche était défoncée par les pliures, les pages s’en sante pression que je m’étais moi-même mise sur les épaules, avait décollaient. toujours mis un point d’honneur à me faire sentir qu’il ne serait pas Je me souviens des derniers jours qui précédèrent les épreuves le moins du monde affecté si j’échouais au concours ; mais l’admira- écrites ; ils étaient caniculaires. C’était au mois de mai. Je travaillais tion qu’il laissa transparaître pour cet acte parfait que seul devait tard dans la nuit, avec toutes mes fenêtres ouvertes. Les lampes accomplir un président normalien me fit comprendre qu’il ne serait ravivaient la chaleur que l’on essayait d’évacuer en organisant tout de même pas mécontent que je le réussisse. des courants d’air, et elles attiraient des nuées d’insectes qui s’ag- Un soir, il évoqua le souvenir d’un homme politique des années 60 glutinaient à l’intérieur des abat-jours et sur les cercles de lumière qui était mort jeune alors qu’on lui prêtait de grandes aptitudes et dessinés au plafond. J’avais réquisitionné l’une des plus grandes un grand avenir ; cet homme se tenait à l’écart, attendant son heure, tables de la maison. Tous mes livres d’histoire et toutes mes fiches qui aurait pu sonner après la reconfiguration de la scène politique étaient étalés là. Tantôt je lançai des coups de sonde au hasard, entraînée par le départ du général de Gaulle, et puis il avait disparu tantôt j’engageai des relectures systématiques à vitesse accélérée. en mer, au large de Jersey, dans le naufrage de son voilier ou bien en Mon père veillait non loin de moi, assis dans un fauteuil, son ordi- tombant par-dessus bord. nateur portable sur les genoux. Il me voyait à la peine ; c’est la seule Cette fin brutale, non dépourvue de romantisme, avait pour nous période de ma vie où je suis sûr d’avoir travaillé plus que lui. De deux une résonance singulière, car mon père m’avait appris à temps à autre, il décidait qu’il fallait interrompre mon labeur, ou du naviguer et j’avais passé une grande partie de mon adolescence moins lui donner une tournure plus plaisante, plus légère, et il me sur des bateaux. Je ne me rappelle plus s’il sut me dire le nom de racontait ses souvenirs d’une époque qui était celle de sa jeunesse cet homme. Je pense qu’il l’avait oublié, ou qu’il se trompa, sinon je et qui était pour moi un objet d’étude. Il semblait d’ailleurs prendre l’aurais certainement retrouvé aussitôt dans un index nominum. Il est au sérieux ces intermèdes, comme s’il avait pensé que les éléments même probable, maintenant que je me remémore la scène, qu’il l’ait anecdotiques concrets qu’il me livrait de source sûre, non seulement oublié et qu’il m’ait justement demandé si je n’avais pas eu l’occasion s’imprimeraient dans ma mémoire d’autant plus facilement qu’ils de croiser, au cours de mes lectures, une figure qui correspondît à me distrairaient, mais pourraient aussi me servir à faire la différence ce portrait, de sorte que c’est moi qui aurais pu en faire resurgir le aux yeux de mes examinateurs. Il avait certainement raison et je ne nom. Cela ne me disait absolument rien. Je feuilletai quelques livres, m’en rendais pas assez compte. en vain. Les manuels d’histoire traitent rarement des possibles Souvent les choses qui l’avaient marqué n’apparaissaient pas dans qui n’ont pas eu lieu et ne s’attardent guère sur les sports auxquels mes livres d’histoire. C’est lui qui me parla de Gabrielle Russier – peuvent s’adonner les personnalités politiques, à plus forte raison l’enseignante qui était tombée amoureuse d’un de ses élèves âgé quand elles n’ont laissé qu’une trace fugitive comme il semblait que de 16 ans, avait été condamnée pour détournement de mineur et ce fût le cas de cet homme. s’était suicidée en prison – et de la conférence de presse où Georges Si cela avait lieu aujourd’hui, il suffirait sans doute de taper sur Pompidou, qui venait d’être élu président de la République, récita des Google « homme politique français naufrage bateau 1960 », ou vers de Paul Éluard quand on lui demanda son sentiment sur l’affaire. quelque chose d’approchant, pour identifier, au détour d’une page « Moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant de résultats, de qui il s’agissait. Nous connaissions l’existence de perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés... » l’Internet – je suis à peu près sûr d’avoir lu en 1996 un grand article Plus tard, j’ai remarqué que beaucoup de gens de la génération de dans Le Monde qui annonçait son avènement – mais­­ nous ignorions

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son usage. Au reste, il n’aurait sans doute pas été d’un grand secours La persistance de l’énigme était d’autant plus étonnante que les à cette époque-là. Si j’en crois mon expérience, jusqu’au milieu des hommes politiques français férus de navigation à voile étaient années 2000 l’Internet n’était pas encore allé très loin dans son assez rares pour être facilement énumérés. J’en faisais quelquefois processus de densification infinie, ce processus – encore en cours la liste avec mon père. Il y avait Jean-François Deniau, propriétaire – qui nous permet de retrouver à partir de quelques vagues mots- d’un joli yawl en bois, qui avait régaté avec Juan Carlos ; Michel clés, d’une manière saisissante, des données précises répondant aux Rocard, que j’avais vu photographié dans une revue nautique à la interrogations qui nous passent par la tête. Il n’était pas l’intellectus barre d’un bateau aux couleurs de Conflans-Sainte-Honorine lors agens à peu près incollable qu’il est devenu aujourd’hui. C’était un du départ d’une étape du Tour de France à la voile, où il ne dut faire univers lacunaire ; il y manquait beaucoup d’informations. Mais les qu’un passage éclair, puisque, sauf si ma mémoire me trompe, c’était vides se sont comblés ; l’Internet est devenu de plus en plus dense, à à l’époque où il devait être Premier ministre ; Jean Glavany, dont un une vitesse de plus en plus accélérée. collègue de mon père avait loué les qualités de marin, s’étant trouvé Pendant de longues années, j’ai gardé dans un recoin de mon esprit le pris avec lui dans un fort coup de vent où il avait fait preuve d’un souvenir de cette conversation avec mon père. J’avais l’image floue remarquable sang-froid. d’une petite voile blanche perdue à l’horizon sur les eaux grises de la Le meilleur, cependant, avait certainement été Gaston Defferre. Tant Manche, aux confins de la ivème et de la vème République. Je me disais que le nom du mystérieux naufragé de la politique française n’était par jeu que, tel le Hollandais volant, cet homme errerait en mer pour pas retrouvé ni son existence même attestée, c’était d’ailleurs lui qui l’éternité à l’état de fantôme, tant que je ne lui aurais pas rendu me paraissait le plus proche d’être « le Edward Heath français ». La son identité. En mon for intérieur, je lui avais donné pour nom de série de ses Palynodie n’avait rien à envier à celle des Morning Cloud code « le Edward Heath français ». Edward Heath avait été Premier de Heath. Tous étaient de beaux voiliers, rapides, dessinés par les ministre du Royaume-Uni de 1970 à 1974 et je connaissais son nom meilleurs architectes du temps – notamment Olin Stephens à qui de très longue date, car j’avais vu des photographies de ses voiliers Defferre comme Heath avaient fait appel à la fin des années 60. dans un album en noir et blanc de Beken of Cowes que j’ai lu et relu Le palmarès d’Edward Heath fut cependant supérieur, en termes durant toute mon enfance. Heath était un excellent navigateur et de régates comme d’élections. Heath a gagné Sydney-Hobart en régatier ; pour cette raison, il fut pendant longtemps, avec Churchill 1969, quand il était encore le chef de l’opposition conservatrice, et et Thatcher, l’un des seuls Premiers ministres britanniques dont je il a barré l’un des trois bateaux de l’équipe d’Angleterre victorieuse pouvais citer le nom. Outre-Manche, il semble que son souvenir se de l’Admiral’s Cup en 1971. Ces courses étaient alors parmi les plus soit vite estompé ; j’ai lu récemment un article de presse qui le quali- prestigieuses ; l’Admiral’s Cup était l’équivalent d’un championnat fiait de « Britain’s forgotten and mysterious Prime Minister ». du monde de yachting. Defferre, quant à lui, n’a jamais remporté Mais sur le mystérieux personnage oublié de la vie politique la Giraglia, qui était sans doute ce qu’il y avait de mieux à l’époque française, je ne trouvais jamais rien. Quand j’ai commencé à mesurer en Méditerranée, mais dont le niveau restait en-deçà des régates les capacités de l’Internet et à régulièrement m’en servir, j’ai espéré gagnées par Edward Heath ; et il n’a jamais atteint à des responsabi- que son nom surgirait d’un moteur de recherche ; cela ne se produisit lités aussi élevées que le yachtsman anglais. Candidat de la SFIO à pas. Peu à peu j’ai fini par croire que j’avais rêvé, ou bien que mon père l’élection présidentielle en 1969, il fut éliminé au premier tour avec un avait rêvé, ou bien encore que j’avais rêvé son rêve. Peut-être, tout score tragique de 5% des voix, alors même qu’il avait fait campagne simplement, qu’il avait confondu avec un homme d’État étranger en annonçant que, s’il était élu, le très estimé Pierre Mendès France (Heath, justement) ou qu’il avait prêté à un obscur sénateur qui serait son Premier ministre ; ainsi deux des plus grandes figures de faisait parfois du bateau un destin national virtuel qui dépassait la politique française avaient-elles échoué de concert, scellant main la mesure de la réalité. L’être poétique qui avait surgi du fond d’une dans la main leur destin d’éternels « peut-être » ou d’éternels seconds. nuit de labeur quittait le domaine de la réalité à quoi son apparte- Je ne peux m’empêcher d’imaginer Defferre au début des années 70, nance avait été trop belle, et rejoignait celui de la fiction. replié en son hôtel de ville de Marseille, humilié dans ses ambitions

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nationales, encore condamné à l’opposition, après déjà plus de dix sûr qu’il m’avait répondu : « Non, non, ce n’est pas Defferre… » ans de gaullisme, mais sans plus pouvoir prétendre en être le leader, Plus le disparu s’avérait impossible à identifier, plus il prenait un et lisant des dépêches qui lui apprennent, tantôt à la rubrique des aspect légendaire. Tout au long des années 60, les médias avaient sports, tantôt à celle de la politique étrangère, les succès de Heath ; été en quête d’un introuvable « Kennedy français ». Jean Lecanuet et il devait ruminer sa secondarité mélancolique, qui était aussi celle ses dents blanches, Defferre et ses voiliers, Chaban-Delmas et sa tête de la ville portuaire dont il fut le maire pendant trente-cinq ans. d’acteur, Servan-Schreiber et son américanophilie, Giscard d’Estaing J’entends ici par mélancolie le sentiment provoqué par la virtualité et sa silhouette longiligne de patricien qui joue au tennis briguèrent d’un grand destin qui n’a pas eu lieu, et dont le sujet contemple son successivement le rôle. Mais nul n’avait toutes les qualités requises inachèvement dans le spectacle d’un double plus glorieux. pour égaler le modèle américain. Chacun ne pouvait prétendre qu’à Ce n’était pas la première fois que Defferre avait laissé passer sa une petite parcelle du mythe. Le seul véritable Kennedy français, chance. Il avait été longtemps pressenti pour être le candidat qui me disais-je au bout du compte, c’était mon mystérieux personnage. allait représenter la gauche face à de Gaulle ; puis Mitterrand l’avait Il n’y avait que plus de drame et d’injustice dans l’oubli où il était habilement écarté à son profit. Dans la librairie de mon ami Jacques tombé. Je lui attribuais tous les prestiges, jeunesse, richesse, beauté, Goursaud, près du Jardin des Plantes, j’ai acheté, fin 2010, une mono- voiliers. Si jamais il n’avait pas existé, il était nécessaire de l’inventer. graphie de Philippe Alexandre sur Defferre, éditée un an avant la pré- Un jour, par acquit de conscience, j’ai recommencé mon enquête sur sidentielle de 1965, qui s’appelait L’Adversaire du Général ; le genre Google, avec les fameux mots-clefs qui jusqu’alors avaient été infruc- d’acquisition qui suscite chez Jacques un mélange très perceptible de tueux ; c’était il y a deux ou trois ans, je ne me souviens plus exac- perplexité quant à mes goûts et de joie profonde à l’idée de se débar- tement ; et soit que le changement fortuit d’un terme ait produit le rasser d’un invendable. D’un trait de crayon allègre, j’ai souligné une miracle que je n’espérais plus, soit que le processus de densification seule phrase de ce livre, un propos de Defferre à ses amis, dont la de l’Internet ait fini par concerner le point qui me préoccupait (cette sonorité me parut inouïe en France, ce pays où les responsabilités dernière hypothèse est sans doute la bonne, car je vois aujourd’hui suprêmes n’ont jamais été confiées à un marin, mais toujours à des que la page Wikipédia qui répondit à mon interrogation n’a été créée hommes enracinés dans les terres, ou prétendant l’être : « Si je m’ins- qu’en 2010), j’eus soudain la révélation (et je me récitai cette phrase, talle à l’Élysée, il y aura moins de dîners officiels, mais davantage de que déposent tant de gens sur l’Internet comme une action de grâce week-ends, surtout pendant la saison des régates. » Qui se souvient à la déesse Mnémosyne : « I’ve been looking for it for ages… ») que le que Defferre a pu apparaître, un temps, comme le rival du général talentueux politicien qui avait sombré dans la mer inhumaine et la de Gaulle ? Qu’Alain Poher était donné vainqueur dans les sondages, mémoire humaine était Félix Gaillard. J’avais croisé son nom au cours moins d’un mois avant la présidentielle de 1969, par 55 % des voix au de mes études, mais rien ne m’avait permis de le raccrocher à la brève second tour contre 45 % à Georges Pompidou ? Qu’en 1980, François description que mon père avait faite. Mitterrand, jugé archaïque et même ringard, était nettement moins Félix Gaillard, né en 1919, avait été l’un des tout derniers présidents populaire que Michel Rocard dans l’électorat de gauche, tandis du Conseil de la ivème République. Il était mort dans le naufrage de que toutes les prévisions annonçaient Giscard d’Estaing reconduit son voilier, pendant l’été 1970, et c’était en effet au large de Jersey. l’année suivante ? Les ouvrages d’histoire ne connaissent que la Il avait été le plus jeune chef de gouvernement que les différents nécessité ; il faut lire les témoignages des contemporains pour régimes républicains de la France eussent connu. Il était même plus retrouver les possibles entre lesquelles une époque hésitait, et qui jeune qu’Élie Decazes et Adolphe Thiers, qui avaient été d’éphémères ont été enfouis dans le plus profond oubli. Premiers ministres sous la Restauration. Une hypothèse qui venait raisonnablement à l’esprit était que le Son parcours avait été brillant, précoce, marqué par une ascension personnage évoqué par mon père n’était autre que Gaston Defferre. régulière, rapide, implacable et cependant sereine. Il avait été reçu au Mais nous savions très bien tous les deux qui était Defferre. J’étais concours de l’inspection des Finances en 1943, en même temps que sûr d’avoir demandé à mon père si ce n’était pas à lui qu’il pensait, et Jacques Chaban-Delmas dont il était ami ; il avait collecté des fonds

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pour le Conseil national de la Résistance qu’avait créé Jean Moulin ; à mai. On avait vu des gouvernements plus brefs. Il tomba sur l’affaire la fin de la guerre, Jean Monnet, commissaire au Plan, et Charentais algérienne, comme plusieurs de ses prédécesseurs, et comme le comme lui, l’avait choisi pour être son chef de cabinet. En 1946, il régime tout entier. En février, l’armée française avait bombardé s’était lancé en politique, peut-être encouragé par Chaban-Delmas, le village tunisien de Sakiet Sidi Youssef que l’on tenait pour une et il avait été élu député de la Charente, sous l’étiquette du Parti base arrière du FLN. Il y eut plus de soixante-dix morts, dont une radical. L’année suivante, il était sous-secrétaire d’État ; puis secré- vingtaine d’enfants. Le scandale était grand. Ce fut le déclenche- taire d’État en 1951 ; enfin, en 1957, ministre des Finances, juste ment de ce qu’on appela « l’internationalisation » du conflit algérien. avant d’accéder à Matignon, et l’on disait déjà, alors, qu’il était l’un Bourguiba mit la France en accusation devant l’ONU. Une médiation des plus jeunes de l’histoire à ce poste. fut confiée à un Américain et un Britannique, qui furent baptisés par À la fin du mois d’octobre, le président de la République, René Coty, la presse « Messieurs Bons Offices ». lui demanda de former un nouveau gouvernement. Le 5 novembre, Félix Gaillard se trouva dès lors dans une situation intenable, et il prononça devant l’Assemblée un discours où il exposait ses inten- le comprit. On lui reprochait tantôt d’avoir été responsable d’un tions ; dans la nuit, son investiture fut votée à une large majorité ; il massacre d’innocents, tantôt de remettre le destin de la France venait très exactement d’avoir trente-huit ans. Seul Laurent Fabius entre les mains des puissances atlantiques, tantôt de préparer en supplanta Félix Gaillard du point de vue de la précocité, à un mois secret l’indépendance de l’Algérie. Sa jeunesse offrit un point d’ac- près. Encore faut-il distinguer la situation de Félix Gaillard. Laurent croche aux critiques. Ses épaules, disait-on, étaient trop frêles. Dans Fabius et Adolphe Thiers étaient les seconds, d’un président ou d’un son « bloc-notes » de L’Express, François Mauriac ne l’appelait plus roi. Gaillard n’était pas un second ; mais il n’était pas non plus tout à que « le jeune Monsieur Gaillard ». C’était sans nul doute injuste ; fait le premier. le régime avait déjà fait la preuve de son impuissance ; vieux ou La France avait alors un régime politique étrange où la notion de chef jeunes, ses caciques avaient l’un après l’autre mordu la poussière. La de l’État était des plus floues. Les présidents du Conseil étaient à la moindre prise de position claire et nette était prétexte à la formation merci des intrigues parlementaires et les présidents de la République éphémère d’alliances hostiles. Le système encourageait l’indéci- n’avaient pas de rôle exécutif. Où est le pouvoir ? Qui le détient ? sion, que naturellement l’on blâmait aussi. Nul n’aurait pu arriver Ces questions simples étaient sans réponses franches. Disons que au pouvoir et s’y maintenir avec l’indépendance de l’Algérie pour si Eisenhower ou Adenauer voulaient parler à celui qui conduisait programme ; pas même de Gaulle, on le sait. Tous cultivaient l’ambi- la politique de la France, c’était au président du Conseil qu’ils télé- guïté en attendant de trouver par miracle la quadrature du cercle. De phonaient. Le président de la République avait tout de même un Gaulle l’emporta car il avait l’ambiguïté plus la force. pouvoir, réduit mais non négligeable, ou si l’on préfère l’appeler ainsi Si l’on met entre parenthèses les quinze jours de mai pendant une prérogative, celle d’« appeler » quelqu’un à former un nouveau lesquels Pflimlin fut président du Conseil, Félix Gaillard fut de facto gouvernement, ce qui arrivait souvent, car les gouvernements, que le dernier chef de l’exécutif avant le général de Gaulle. On rapporte l’Assemblée pouvait aisément faire tomber, ne duraient pas plus de que celui-ci lui proposa un portefeuille ministériel dans son gouver- quelques mois. C’est ainsi que René Coty appela Félix Gaillard, et non nement, et qu’il le refusa. Le général de Gaulle n’était certainement pas François Mitterrand dont les observateurs étaient nombreux pas indifférent à ses capacités et à son sens de l’État. Les historiens à penser qu’il entrerait alors à Matignon, après avoir enchaîné les reconnaissent que Félix Gaillard fut particulièrement conscient des postes ministériels sans être pris en défaut d’habileté ; lui-même périls encourus par l’économie française, anémique et lourdement l’espérait, l’attendait ; il ne savait pas qu’il lui faudrait vingt-quatre endettée, et qu’il prit des mesures courageuses pour les conjurer ; ans pour retrouver le chemin du pouvoir. qu’il fut l’un des instigateurs du programme nucléaire militaire de la Félix Gaillard resta président du Conseil jusqu’au printemps. Il France, dès 1952, quand il n’était que secrétaire d’État ; qu’il engagea présenta sa démission le 15 avril 1958, mais il expédia les affaires une réforme constitutionnelle destinée à atténuer la paralysie de courantes pendant un mois encore ; Pierre Pflimlin fut investi le 14 l’exécutif, réforme qui ne fut pas désapprouvée mais resta dans les

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limbes du circuit parlementaire. Ce sont là trois orientations qui en revanche de soutenir la révision constitutionnelle. Il n’acceptait préfigurent, à l’état naissant, celles de la république gaullienne. pas l’effacement du Parlement. Quelques années plus tard, quand de De Gaulle, qui ne négligeait pas de protéger sa légende, rend à Gaulle instaura l’élection du président de la République au suffrage Félix Gaillard un hommage discret dans les Mémoires d’espoir. De universel, il exprima son profond désaccord. Il appela à voter non au nombreux gaullistes – hommes politiques, conseillers ministériels, référendum de 1969 sur la réforme du Sénat. hauts fonctionnaires – l’ont fait d’une manière plus généreuse. Il vécut en retrait, se consacrant au développement économique de La ivème République avait ressemblé à un théâtre où les acteurs sa région et à sa vie de famille, qui donnait toutes les apparences du passaient d’un rôle à l’autre et pouvaient chacun à son tour se bonheur. Les projecteurs étaient braqués ailleurs et il ne semblait retrouver en tête d’affiche, si l’on jugeait qu’ils avaient convenable- pas en souffrir. Il avait de la fortune ; c’était quelqu’un à qui la vie ment fait leurs classes et s’ils ne s’étaient pas violemment aliéné les souriait. Il allait dans l’existence sans angoisse, nonchalant et autres sociétaires, mais où les représentations étaient presque tous confiant, sûr de ses forces qu’il ne poussait pas à l’excès ni à contre- les soirs menacées de chuter sous le coup de cabales diverses. La temps. L’homme qui était entré à Matignon à 38 ans avait la répu- troupe avait à ses débuts reçu le renfort de quelques vieilles gloires de la génération précédente, Herriot, Blum, Daladier ; elle avait ses vedettes, Pinay, Queuille, Edgar Faure, hommes de bon sens ou d’esprit dans lesquels le régime se plaisait à contempler son image, si bien qu’ils furent plusieurs fois présidents du Conseil ; elle avait son grand homme intègre, Pierre Mendès France, éternelle victime de la faiblesse des institutions et des manœuvres humaines en général ; elle avait son mal-aimé, Guy Mollet, l’homme de gauche qui menait une politique de droite et dont la mémoire est restée honteuse, ou honnie, au Parti socialiste ; et elle avait ses jeunes premiers, Chaban- Delmas, Bourgès-Maunoury, Mitterrand, Félix Gaillard. Mitterrand et Chaban-Delmas se sont réincarnés dans la vème Répu- blique, non sans souffrances, ayant dû vivre avec l’obsession dou- loureuse de l’élection présidentielle, ce Graal où un seul être portera ses lèvres, après avoir connu l’époque où il y avait à la fois beaucoup d’appelés et beaucoup d’élus, où le pouvoir était à portée de mains, se partageait, se donnait volontiers, même s’il était, en contrepar- tie, tout relatif. Maurice Bourgès-Maunoury, polytechnicien, ancien résistant, maintes fois ministre, président du Conseil à 41 ans, juste avant Gaillard, sombra corps et biens dans la transition ; battu aux législatives de 1958, il ne fut jamais réélu au Parlement. Félix Gaillard resta député de la Charente ; il aura été constamment reconduit depuis sa première élection en 1946. Il fut un opposant à la fois ferme et courtois au régime gaulliste où, s’il l’avait voulu en définitive, il aurait certainement été accueilli à bras ouverts. Mais il n’attaqua guère la personne du Général, ni ne dénonça sa dictature sur les tréteaux, comme le faisait François Mitterrand inlassablement. Il avait voté l’investiture, le 1er juin 1958. Il s’abstint

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tation d’un sportif, bien qu’il fumât beaucoup et fût un peu joufflu. Quand il parlait, son sourcil gauche se relevait automatiquement, mais d’une façon presque comique qui atténuait le sentiment d’ar- rogance que l’on est tenté d’associer à ce genre de geste. Selon les témoignages de l’époque, il plaisait. Dans une caricature de presse de 1958, on voit de Gaulle en statue du commandeur ; René Coty en Sganarelle, pointant l’index et disant : « elle a bougé ! » ; Félix Gaillard, c’est Don Juan. Il était grand. J’ai retrouvé une photographie où il reçoit de Gaulle en Charente, en 1963, sur une piste d’atterrissage ; ils ont la même stature. Deux films d’archives de l’INA le montrent discourant en province, alors qu’il était président du Conseil. Dans la première, il égrène des chiffres, un peu technocrate avant l’heure ; dans la seconde, il a des intonations qui rappellent de Gaulle. C’était un homme qui apprenait vite. Quand le Général quitta le pouvoir, il n’avait pas 50 ans. Son visage s’était affiné, avait gagné en gravité ; son air de premier de la classe ironique s’était estompé. Il avait une expérience que beaucoup pouvaient lui envier et l’avenir lui restait ouvert. ministère des Finances, voire Matignon en remplacement de Cha- Ses biographes disent que juste avant l’été fatidique Georges ban-Delmas qui se comportait cavalièrement avec la présidence. Pompidou lui aurait proposé de prendre au mois de septembre le Plusieurs indices rendent ces hypothèses plausibles. Dans les premières semaines de 1970, Gaillard multiplia les entretiens avec des responsables politiques et économiques ; il reprit contact avec d’anciens collaborateurs ministériels en leur laissant entendre qu’il aurait bientôt besoin d’eux ; il écrivit plus d’articles qu’au cours des dix années précédentes ; il loua des bureaux dans le viiième arrondisse- ment. Au début du mois de juin, il fut invité avec sa femme, Dolorès, à une réception à l’Élysée ; c’était la première fois qu’il y revenait depuis le départ de René Coty. Georges Pompidou les accueillit cha- leureusement. Deux ou trois semaines plus tard, par une belle fin d’après-midi d’été, Pompidou lui téléphona à son domicile ; l’homme qui assista à la scène, un des plus vieux amis de Gaillard, resta toute sa vie persuadé que le président lui avait demandé d’être son Premier ministre au retour des vacances. L’été, Félix Gaillard se rendait en Bretagne, à Binic, un petit port situé entre Paimpol et Saint-Brieuc ; il avait là une villa et son bateau, le Marie Grillon. C’était un très bon navigateur, mais pas un compétiteur acharné à la manière de Gaston Defferre. Il ne se faisait pas dessiner tous les trois ou quatre ans une nouvelle monture à la pointe de la technique pour briller en régate. Le Marie Grillon était un joli voilier en bois, long d’un peu plus de onze mètres, avec un arrière

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dit norvégien, qui n’avait rien d’un foudre de guerre. pour qui la sentence est certainement plus vraie. Ensuite, et surtout, Le matin du 9 juillet 1970, Félix Gaillard quitta l’île de Jersey, où il il ne présente pas les choses comme si c’était la mort de Félix Gaillard avait fait escale pour la nuit, et mit le cap sur Binic ; il avait avec lui qui l’avait empêché d’avoir un grand destin, mais comme si sa mort trois amis à son bord. Le temps était calme. Ils n’arrivèrent jamais à n’avait été qu’un accident d’une impossibilité fondamentale. Tel est bon port. Dolorès Gaillard donna l’alerte le lendemain. Dans l’après- sans doute le regard que les vainqueurs portent sur le passé. Par midi, les secours repérèrent les restes du voilier, à six milles au calcul ou par instinct, ils élèvent autour de leur trajectoire une for- large de Jersey ; ils étaient calcinés. Les corps des naufragés furent teresse qui la défend contre les assauts de la contingence. Ils accen- retrouvés le jour suivant. On ignore le déroulement exact des faits. tuent la nécessité, quand ils retracent le cours des événements qui L’hypothèse qui revient le plus souvent est que le réfrigérateur à gaz les ont conduits au sommet. qui équipait le bateau était défectueux et provoqua son explosion. Devant l’histoire, on est soit spinoziste, soit leibnizien ; soit on Lors de ses funérailles, les plus hautes personnalités de la Répu- relègue dans le non-être les possibles qui n’ont pas eu lieu, soit on blique louèrent sa mémoire avec tristesse et admiration. rêve de leur restituer une existence minime, de déambuler dans ce Imaginer Félix Gaillard à Matignon en septembre 1970, c’est « palais des destinées » dont parle Leibniz, où des appartements peut-être s’avancer un peu trop. Penser qu’il prendrait la tête d’un alignés à l’infini renferment chacun, placé sur une table, un livre dans grand ministère des Finances à un moment ou un autre durant le lequel il suffit de toucher une ligne du doigt pour voir se dérouler une mandat présidentiel de Georges Pompidou, c’est spéculer d’une séquence d’un monde qui n’a pas eu lieu. Les historiens, comme les manière assez raisonnable. On voit bien, de toute façon, quel est vainqueurs, sont spinozistes. Les leibniziens sont Marcel Schwob, le scénario échafaudé par ceux qui restent attachés à son souvenir Jorge Luis Borges, Pierre Michon. Félix Gaillard eût été, pour eux, un et continuent d’entretenir l’idée qu’un grand destin l’attendait : matériau de choix. ministre d’État ou Premier ministre, il aurait pu se présenter, et l’em- Quand j’avais 20 ans, il y avait une citation de Merleau-Ponty à porter, en 1974, après la disparition de Pompidou. laquelle je pensais souvent : « Un homme jeune a beaucoup fait s’il a L’un de ses biographes, Samuel Cazenave, trace des parallèles été un peut-être. D’un homme mûr qui est toujours là, il nous semble entre son parcours et celui de quelques-unes des plus grandes qu’il n’a rien fait. » C’est à propos de Paul Nizan qu’il écrivit ces figures qui imprimèrent leur marque sur la vie politique française phrases – et elles apparaissent dans ce qui fut, je crois, son dernier dans la deuxième moitié du xxème siècle. Comme Mendès France, texte, car lui-même devait mourir brutalement, peu après. Je ne il fut un radical préoccupé par l’assainissement des finances du compris que bien plus tard, car le style de Merleau-Ponty est sin- pays et opposé aux idées constitutionnelles du général de Gaulle. gulièrement elliptique, qu’il décrivait là une illusion rétrospective. Comme Jean Monnet, il venait d’une famille de négociants charen- Il est naturel d’attribuer toutes les grâces à quelqu’un qui a disparu tais prospères, il était partisan de la construction européenne et trop tôt et d’honorer son souvenir en montrant à quel point sa perte il croyait aux vertus politiques de la liberté du commerce. Comme est tragique, à quel point il manque au monde et l’aurait sauvé. Valéry Giscard d’Estaing, il était inspecteur des Finances et avait Penser que Félix Gaillard est mort précisément au moment où il gagné la réputation d’un « grand argentier » à l’intelligence brillante. allait revenir sur le devant de la scène, c’est peut-être céder à une Comme François Mitterrand, autre Charentais, ministre à 30 ans et illusion rétrospective ; c’est extraire d’une note de bas de page dans pilier de nombreux gouvernements entre 1947 et 1957, il avait été l’histoire de l’après-guerre la trame d’une nouvelle, d’un roman, l’un des talents de la ivème République. Mitterrand a dit de lui, en d’une uchronie qui reste sage. Mais la rêverie résiste et murmure que 1981, peu après son élection : « Celui qui, dans ma génération, aurait la réalité n’emprunte pas toujours la voie du plus terne, de plus gris. le plus mérité d’être président, c’est Félix Gaillard. Mais il n’a pas voulu Un jour où j’allai voir mon père, je lui reparlai du mystérieux homme sacrifier sa famille, sa tranquillité, son bateau. » Ce jugement est politique disparu en mer dont il avait évoqué la figure devant frappant. D’abord, je ne crois pas, en définitive, que son bateau l’ait moi, un soir, il y avait bien des années. J’étais heureux à l’idée tant accaparé. Mitterrand doit ici l’amalgamer avec Gaston Defferre, que j’allais lui apprendre enfin de qui il s’agissait. J’imaginais qu’il

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attendait comme moi, depuis très longtemps, depuis ce soir de mai autre ami. Peut-être qu’il faisait nuit, peut-être qu’il faisait jour ; 1998, que cette énigme fût résolue. Or, avant même que j’aie eu le d’autres scènes se mêlent au souvenir de celle-ci. Ce qui est sûr, temps de révéler ma précieuse découverte, il me dit : « Ah oui, Félix c’est que Laurent sortit de sa poche un petit livre ; c’était la Délie de Gaillard… » Il se rappelait très bien son nom. En revanche, il n’avait Maurice Scève. Il nous dit que, un peu plus tôt dans l’après-midi, il aucun souvenir de cette vieille conversation ou, selon moi, il l’avait était tombé, au milieu du recueil, sur quelques dizains incroyable- oubliée. Je lui racontai ce que j’avais trouvé sur ce personnage. « Et ment baudelairiens. Il voulut les retrouver pour nous montrer qu’il toi, ajoutai-je, tu m’avais dit qu’on lui prêtait un grand avenir ; quelques n’avait pas déliré ; il eut à peine besoin de feuilleter le livre, l’ayant années plus tard, peut-être qu’il serait devenu président. » Mon père comme par miracle ouvert devant nous là où se trouvaient les pages était, comme toujours, assis dans un fauteuil, probablement le en question. On s’était arrêté de marcher ; nous étions à la hauteur même qu’en 1998, avec son ordinateur sur les genoux. Il leva les de la bouche de métro située près de la grande entrée du jardin, yeux, resta silencieux un instant, et dit : « Félix Gaillard, président de face au Panthéon et à la rue Soufflot. Et il nous les lut, à haute voix. la République ? Je ne crois pas qu’on l’ait beaucoup envisagé à l’époque. C’était extraordinaire, en effet. Nous étions convaincus. Contre Il était très estimé, mais enfin, c’était quelqu’un qui était resté, fonda- toute attente, Baudelaire était là, déjà là, chez ce poète lyonnais du mentalement, un radical ; à mon avis, il était trop imprégné de l’esprit xvième siècle, cet hermétiste pétrarquisant ; Baudelaire, le Baudelaire de la ivème République pour faire son chemin dans la vème. » Je réfléchis à des parfums exotiques, de la mer odorante et vagabonde et des corps mon tour. « J’ai lu qu’en 1965 il avait soutenu Mitterrand, qu’en 1969 il de femme qui, pareils à des vaisseaux de la Compagnie des Indes, était plutôt favorable à Poher, mais que Pompidou avait ensuite songé à roulent bord sur bord et plongent leurs vergues dans l’eau. le rappeler comme ministre ou comme Premier ministre. » Je me disais, J’ai plusieurs fois essayé de remettre la main sur ces dizains tout en parlant, que c’était assez étrange ; que les biographes de magiques ; j’aurais dit qu’il y en avait cinq ou six, pas davantage, Gaillard s’étaient peut-être laissés aller à reconstituer des enchaîne- une brève série dissimulée au sein du recueil. Je ne les ai jamais ments somme toute miraculeux, pour les besoins de leur démons- retrouvés. J’ai fini par penser que j’avais rêvé. Un jour, j’ai demandé tration. « Tu le vois bien, je ne suis pas sûr que cela aurait marché. En à Laurent s’il se souvenait de la promenade le long du Luxembourg 1974, aurait-il été à la place de Mitterrand ou de Giscard d’Estaing ? et des dizains baudelairiens de la Délie qu’il nous avait lus. « Oui, La question se pose, tout de même. Le risque était grand qu’il multiplie me dit-il, je me souviens de tout ; mais moi non plus je ne les ai jamais les tours de piste, comme Edgar Faure. » Mon père avait refermé, d’un retrouvés. » Et nous nous sommes remémorés ces temps difficiles, où coup sec, le registre leibnizien des mondes possibles. tout n’était que présages et destinées. — Je me rendis compte ce jour-là que, soit que ma mémoire fût particu- lièrement aiguë, soit que je fusse sujet à confondre mes souvenirs et mes rêves, il m’était arrivé plusieurs fois de rappeler à des gens qui m’étaient proches des propos qu’ils m’avaient tenu longtemps aupa- ravant et dont ils ne se souvenaient absolument pas, dont ils niaient jusqu’à la possibilité qu’ils les aient prononcés. À peu près à la même époque où mon père avait évoqué – du moins le pensais-je – l’homme politique disparu en mer dont on ne retrou- vait pas le nom, il y eut un épisode qui présenta plusieurs simili- tudes et qui hanta lui aussi ma mémoire pendant des années. C’était au mois de juin, entre les écrits et les oraux du concours de l’École Il existe deux biographies de Félix Gaillard, où j’ai puisé l’essentiel des infor- normale. On éprouvait déjà un sentiment de libération et de renais- mations dont je me sers ici : Félix Gaillard : un destin inachevé, par François sance. Nous marchions le long des grilles du Luxembourg, du côté Le Douarec (Économica, 1991), et Félix Gaillard, le Président, par Samuel du boulevard Saint-Michel. Il y avait avec moi Laurent Folliot et un Cazenave (Gingko éditeur, 2011, avec une préface de Jean-Louis Borloo).

147 Charles révolution culturelle en images

Quand la publicité politique se popularise au début du xxème siècle, il est impossible de trouver un homme imberbe sur les cartons électoraux. Gravures et tracts affichent ostensiblement des générations de poilus. Pourquoi tous ces candidats se sont-ils rués sur la barbe et la moustache ? Tout d'abord, la moustache a toujours représenté l’ordre et l’autorité à travers celle portée par la maréchaussée et les hommes de loi. Ensuite, la barbe ramène aux patriarches de la Bible, mais aussi aux philosophes grecs, aux érudits et aux savants. Sagesse, connaissance, force : une histoire des politiques lorsqu’ils sont à poils. par Zvonimir Novak © DR / Emm a n uel S auss i er

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Habituellement associée à l’extravagance et à la préciosité des artistes en vogue comme le peintre Salvador Dalí, la moustache de Lasies ressemble plutôt à deux baïonnettes finement aiguisées, prêtes à embrocher l’ennemi.

orsque la maison Fortin et Marotte réalise des cartes électorales pour les élections législatives de 1902, elle propose aux candidats, pour un prix modique, leur L photographie accompagnée de leur pro- fession de foi. C’est ainsi que la publicité politique commence, avec des poses grandiloquentes, des formules ampoulées et des défilés de barbes et de moustaches. Car la pilosité faciale n’est pas seulement la projection d’un statut social, elle est aussi un faire-valoir esthétique pour les hommes politiques. Elle permet de modifier l’expression d’un visage, de l’embellir, tout en cachant quelques vilains défauts morphologiques. Cet avantage, les hommes politiques du début du vingtième siècle en ont vite pris conscience. Ainsi à travers des tracts et des cartons électoraux, nous pouvons admirer les pilosités faciales les plus soignées. De la mouche qu’ils se laissaient pousser au-dessous de En revanche, la philanthropie n’est pas la caractéris- lisses et parfaitement entretenues. La moustache en la lèvre inférieure, en passant par la barbette taillée très tique principale de Joseph Lasies. Comme à la Belle pointe, les yeux roulants de haine et le cheveu en bataille, courte, jusqu’aux fameuses côtelettes portées par Jules époque un visage d’homme ne se conçoit pas sans barbe Joseph Lasies est une vraie terreur. Il passe son temps Ferry, nos postulants aux plus hautes fonctions affichent ni moustache, ce candidat du Gers porte les deux. Les à décharger sa bile contre les juifs et le colonel Dreyfus leur identité politique à travers le poil. Ainsi François moustaches dites en guidon portées par les Brigades du qu’il souhaiterait faire fusiller. Élu plusieurs fois député Gueugniaud porte pour les élections municipales du 3 tigre, ces flingueurs d’anarchistes, ont la particularité du Gers puis de la Seine, cet émule de Déroulède est mai 1908, une barbichette à la Richelieu. Sa barbe est d’avoir les extrémités pointées vers le haut, comme celle célèbre pour ses interventions intempestives à l’Assem- aussi pointue que l’est son courroux contre les fumistes, d’un vélo. Mais celle du candidat Lasies est encore plus blée nationale. Résultat : il se fait sans cesse rappeler à les parasites et les saltimbanques de la politique. Ce agressive ; on appelle ça une moustache en croc. Habi- l’ordre, puis finit par être expulsé de l’hémicycle. Lasies citoyen, autodéclaré candidat de la protestation, s’élève tuellement associée à l’extravagance et à la préciosité fait en effet partie du groupe des députés lié à la Fédéra- contre les trafiquants de mandats. Il est plein de com- des artistes en vogue comme le peintre Salvador Dalí, la tion antisémitique de France, dont le seul programme est passion pour le sort des travailleurs et désire élever le moustache de Lasies ressemble plutôt à deux baïonnettes le combat antijuif. Son agressivité pathologique n’a pas niveau social des individus en les rendant meilleurs. finement aiguisées, prêtes à embrocher l’ennemi. Car cet échappé à l’humour ravageur d’un caricaturiste dreyfu- D’un tempérament emporté, il termine sa profession de ancien militaire en cavalerie a gardé les habitudes de son sard. Un tantinet moqueur, celui-ci lui a dédié quelques foi par un aphorisme inoubliable : « Dans la vie, le plus corps d’armée. En effet, il était obligatoire de porter dans vers pince-sans-rire : « S’il est un nom bien doux fait pour

fort n’est pas le plus grand ; le plus grand, c’est le meilleur. » © DR les parades militaires de longues paires de moustache, la poésie. Ah ! Dites, n’est-ce pas le doux nom de Lasies. »

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politique. À quelques encablures de là et au même mo- ment, Hippolyte Ducos se présente tout autre- ment. À l’opposé de la barbe soigneusement ordonnée de son collègue Henri, celle d’Hippolyte est en désordre. Une nature brouillonne pour- rait-on penser ? Eh bien non, c’est le contraire ! Cette barbe que lui envie- raient certainement les membres du groupe de rock ZZ top traduit un orgueil démesuré. Car Hippolyte a du bagage et le fait savoir. Ce fils de paysan est parvenu à devenir agrégé de lettres, Pilosité faciale et modestie grâce à un tempéra- Ce courage-là, tous ne l’ont pas eu. Pierre Jolibois porte Pendant des siècles, barbes et moustaches ont été ment bien trempé. Mais la barbe dite en éventail, celle des bons vivants et des associées à la guerre. Ce sentiment est resté ancré dans Hippolyte a commis une amuseurs de banquets, très pratique pour attraper les les esprits, à tel point que la pilosité faciale rime encore faute de goût impardon- miettes et éviter de salir sa chemise. Il se présente en 1904 au début du xxème siècle avec l’arrogance du brave. La nable pour un candidat. aux élections municipales parisiennes dans le quartier moustache du candidat Géo-Gérald, dit triple G, est à la Avec sa raie solidement Notre-Dame, le cœur de la ville. Ses excellents amis de hauteur de ses ambitions, c’est-à-dire démesurées. Car Le député de Haute-Garonne Henri Auriol, lui, a vraiment fixée à la brillantine, ses bésicles d’intellectuel et sa barbe tablée lui ont rédigé à l’occasion un carton électoral. Mais depuis son élection comme député des Charentes, le jeune les moustaches en guidon. Beaucoup plus modéré que fleurie à la Charlemagne, il sera sévèrement battu faute le choix d’une formule un peu trop conviviale en guise de Géo-Gérald n’y tient plus et manque d’humilité. Sa pro- Joseph Lasies, il réussit l’exploit de siéger pendant plus de modération pileuse. Cette erreur de jeunesse lui servira programme politique ne l’aidera pas, bien au contraire. fession de foi, alliée à un port de moustache majestueux, de trente ans sur les bancs de l’Assemblée nationale toutefois de leçon. Aux élections de 1919, il se taille la C’est l’échec. Pierre Jolibois ne tentera plus jamais l’aven- déverse sur le pauvre électeur courtisé un flot d’éloges dans différentes formations de droite et de centre droit. barbe et devient enfin député. Depuis son succès au pays ture des urnes. Pourtant ce gai bourguignon était loin à n’en plus finir. Toute la presse est unanime, paraît-il, Henri Auriol est un homme d’ordre qui ne plaisante pas. du cassoulet, il est imbattable et vole de victoires en d’être un imbécile, il était ingénieur et chevalier de la pour louer l’œuvre immense accomplie, tant en France Candidat aux élections législatives de 1910, il sait par- victoires. Député radical, pur produit de l’ascension répu- légion d’honneur. que dans le monde par ce jeune député d’à peine 36 ans. faitement adapter son système pileux à ses convictions blicaine, il occupe les plus hautes fonctions. Un bémol Autre candidat amateur de buvettes, le député de Nérac En plus de ses qualités d’homme d’action, ce génie de la politiques. Sa barbe, fermement taillée en carré, épouse toutefois dans son parcours, il votera les pleins pouvoirs Louis Lagasse. Chez cet avocat, tout est rond, le nez, les Charente est un monsieur dévoué, intelligent et plein de à la perfection la forme rectangulaire et sculpturale de au maréchal Pétain. En vieux routier de la gauche tran- yeux et même le visage. La moustache, qu’il porte avec tact, ce qui lui vaut d’être nommé au grade de chevalier son visage, tout en angles et en saillies. Comme celle-ci quille, il finit sa carrière en 1968 à la FGDS de François fierté à la façon moujik russe, lui est indispensable. Elle lui de la légion d’honneur. Mais Géo-Gérald vise plus haut nous le suggère, ce docteur en droit est un politicien Mitterrand, agrippé à ses fonctions de doyen de l’Assem- sert à corriger un problème facial, superficiel certes, mais que sa moustache et fait dire : « On s’attendait qu’il devint ferme, intransigeant qui restera solidement campé sur blée nationale. Et seule la mort le délivre, à l’âge de 89 ans, tout de même complexant : une lèvre inexistante. député : on présage aujourd’hui avec la même assurance qu’il

ses positions conservatrices pendant toute sa carrière de son goût immodéré pour la compétition électorale. © DR deviendra un jour ministre du commerce. »

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Son arrogance lui attire rapidement les sarcasmes de ses concitoyens et, pour parer aux critiques, il riposte avec une devise pleine de sous-entendus : « Bien faire et laisser dire. » Cela ne suffit pas et triple G sera battu en 1910 par L’énigme Jean Hennessy, un célèbre fabriquant de cognac, qui a l’avantage de donner du travail aux paysans de la région. communiste Hennessy répond d’ailleurs à l’immortelle devise Géo- Géraldienne par une pensée pleine de malice : « Dire ce que l’on pense et faire ce que l’on dit. » Le candidat Léon Mabille ne fait pas partie de cette gauche conformiste et son système pileux nous le raconte. Il arbore la barbe des révolutionnaires, celle des commu- nards de 1871 et de l’écrivain journaliste Jules Vallès. Si l’on observe de près le panthéon marxiste, Mais à y regarder de plus près, nous pouvons relever une contradiction entre sa barbe, celle des utopistes, et sa fine de Karl Marx à Mao Zedong, comment ne pas voir moustache de dandy. D’ailleurs le Docteur Mabille porte l’irrésistible et progressive disparition du poil ? fièrement la lavallière, un élément vestimentaire affec- Serait-ce un signe ? Marcel Cachin portait la tionné à la fin du xixème siècle par les artistes et intellec- moustache broussailleuse, André Marty l’avait tuels de gauche. Plus qu’un simple accessoire de coquet- espagnole, mais Maurice Thorez l’a perdue dans terie, la lavallière est un signe d’appartenance à l’extrême les années 30. Jacques Duclos, le père de Pif le gauche. Si Léon Mabille est un fervent partisan de la chien et le fils spirituel de Staline, réalise un bon république sociale, la modestie est loin d’être son credo. score aux élections présidentielles de 1969, grâce Il sait tout et promet tout. De l’amélioration du sort des à sa moustache agricole. Mais en 1981, le glabre travailleurs à celui des commerçants, il passe aisément à Georges Marchais, qui garde toutefois des paquets celui des cultivateurs. Dépassant sans problème les fron- de poils dans ses oreilles et dans son nez, perd six tières de la lutte des classes, il est pour l’ordre, le progrès points par rapport à Duclos. Où est le problème ? et contre les impôts nouveaux ; mais qui serait pour ? Le Les candidats communistes ont beau tout essayer, journal Le Cri du peuple, devenu socialiste, nous dresse le peuple se méfie d’eux. Alors que faire ? En un tableau élogieux de ce candidat médecin : « C’est un général la barbe durcit le visage, or il y a une barbe travailleur acharné, doué d’une extraordinaire puissance qui donne de la jovialité au visage, c’est le collier. d’assimilation, instruit de tous les problèmes politiques, éco- Des décennies après Abraham Lincoln qui adopta nomiques et sociaux. » Mabille sera battu par un traitre à sa cette forme d'ornement pour adoucir son regard, classe, un misérable radical-socialiste. Il se consolera plus un communiste est rentré dans les annales du collier, Le candidat Léon Mabille tard en écrivant deux best-sellers : Sauvez votre foie et Les c’est Robert Hue. Il porte un collier poivre-sel qui Secrets de la vie active. celui des pauvres. Il est plébiscité et réélu sans interrup- nous rappelle un personnage sage et sympathique, ne fait pas partie de cette Un autre médecin n’a pas ces prétentions. Il porte une tion jusqu’à sa mort. Un vilain coup d’opinel toutefois Prof, le petit nain de Blanche neige. Comme Prof, gauche conformiste et moustache sans connotation particulière, tout simple- dans ce brillant parcours politique. Sa sœur épousera Robert Hue a le visage rond et porte les lunettes de son système pileux nous ment dans l’air du temps. Le docteur Joseph Claussat, Pierre Laval, un copain du coin, fils de cafetier comme lui, la connaissance. Pour remonter un Parti communiste le raconte. Il arbore la barbe maire de Chateldon dans le Puy-de-Dôme, paraît bien qui deviendra un ami d’Hitler et un ennemi acharné de la en chute libre, Robert Hue et son collier magique se modeste sur sa photographie de campagne. C’est normal, Franc-maçonnerie. De quoi faire retourner dans sa tombe présentent aux élections présidentielles de 1995. des révolutionnaires, celle puisqu’il se présente à Thiers en 1911, non pas en tant que ce bon docteur des pauvres, membre de la loge maçon- Le coup du collier a failli fonctionner, mais il n’a des communards de 1871. candidat républicain comme tout le monde, mais comme © DR nique Les Enfants de Gergovie. Suite p. 156 pas suffi. — 155 Charles révolution culturelle histoire de la pilosité en politique

Pour être un candidat crédible jusqu’au début des années 30, il faut avoir l’air méchamment sérieux et arborer une pilosité faciale impeccable. Il est d’ailleurs conseillé d’avoir le regard dur et dédaigneux, car la politique n’est pas une affaire de pied-tendre.

Poils et poses Pour être un candidat crédible avant la grande guerre et synonyme de fermeté, mais aussi très pratique quand on le terroir, hors du temps et de ses modes. Les bras croisés marquent certes jusqu’au début des années 30, il faut avoir l’air mécham- ne sait pas où mettre ses mains. Les bras croisés marquent Retour aux années 30. Jean Taurines est quelqu’un de une position de confort, mais ment sérieux et arborer une pilosité faciale impeccable. Il certes une position de confort, mais surtout un signe de décidé et il le prouve. Son buste est photographié de trois- surtout un signe de fermeture, est d’ailleurs conseillé d’avoir le regard dur et dédaigneux, fermeture, nous disent aujourd’hui les synergologues, ces quarts, mais il tient à tourner son visage vers l’électeur. car la politique n’est pas une affaire de pied-tendre. Le spécialistes du langage du corps. Et effectivement ça ne Une torsion corporelle certainement douloureuse pour nous disent aujourd’hui les député Paul Faure ne plaisante pas avec ses concitoyens. ratera pas. Tout socialiste qu’il est, Paul Faure soutient les ce parlementaire, qui est revenu de la première guerre synergologues, ces spécialistes du Il porte la moustache dite à la française, c’est-à-dire équi- accords de Munich et rallie Vichy en 1940. mondiale avec une jambe en moins. Ses bras croisés langage du corps. librée et finement relevée, associée à un bouc acerbe. Car Alors que la moustache a depuis longtemps déserté les placés assez bas indiquent une attitude à la fois sereine monsieur Paul, en tant que secrétaire général du Parti visages de nos hommes politiques, notons que l’un d’entre et déterminée. Car cet homme issu d’une famille modeste socialiste (SFIO) depuis 1920, a l’habitude de commander, eux adopte une posture de défiance proche de celle de n’a plus rien à prouver. Son amputation ne l’a pas empêché mais aussi de batailler ferme contre les différentes Paul Faure : José Bové, le lutteur du Larzac et du combat d’être plusieurs fois réélu député et sénateur. Son système factions qui cherchent à s’emparer du parti. Pour affirmer anti-OGM, a la moustache antique de nos ancêtres les pileux suit les us et coutumes du moment, il se rationalise son leadership, il associe à son bouc aiguisé un croisement Gaulois. Il ne fait aucune concession à notre époque et à et la moustache commence à s’alléger.

de bras autoritaire. C’est une posture commune à l’époque, ses sourires, les deux pieds profondément enracinés dans © DR

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L’acteur Rudolph Valentino au visage parfaitement lisse et aux cheveux plaqués à la gomina change l’opinion des hommes sur la pilosité comme référent sexuel.

Sans barbe ni moustache, les oreilles bien dégagées, françois valentin est, à 26 ans, le plus jeune député de France. Quatre ans plus tard en 1940, il doit faire un choix épineux pour sa carrière, suivre de Gaulle ou Pétain. Pas de chance, il se trompe de route et suit le Maréchal. La chute du poil Jusqu’à la décennie des années 30, les barbes et les mous- sont des preuves vivantes que le dynamisme et la force François Valentin, candidat d’Union nationale et sociale, taches imposent leur dictature sur le monde politique. ne sont plus du côté du poil. Toutefois les hommes poli- est un spécimen de la nouvelle génération montante de Mais les glabres vont bientôt prendre le pouvoir. Les poli- tiques résistent. Pourquoi risquer, avec la chute du poil, de l’entre-deux-guerres, moderne et propre sur lui. Sans ticiens ne font que s’adapter aux goûts en vigueur dans perdre un attribut d’autorité et de pouvoir ? La nouvelle barbe ni moustache, les oreilles bien dégagées, notre la société. Dorénavant ce ne sont plus les guerriers, mais garde politique n’a pas ces reflexes de notable. Le fils du jeune loup est, à 26 ans, le plus jeune député de France. les acteurs et les hommes de spectacles qui servent de peuple Maurice Thorez a le visage d’un poupon, tandis Quatre ans plus tard en 1940, il doit faire un choix épineux modèle. Ainsi l’acteur Rudolph Valentino au visage parfai- que le Colonel de la Rocque, la valeur montante de la pour sa carrière, suivre de Gaulle ou Pétain. Pas de chance, tement lisse et aux cheveux plaqués à la gomina change droite, ressemble à un danseur de tango lissé au plus près. il se trompe de route et suit le Maréchal. Il devient secré- l’opinion des hommes sur la pilosité comme référent La percée des idées hygiénistes et l’engouement pour les taire général de la Légion française des combattants, puis sexuel. Les sportifs deviennent aussi des exemples. activités sportives et de plein-air incitent à prendre le se ravise. Un bref passage devant le bureau de l’épuration,

L’aviateur Louis Mermoz et le boxeur Georges Carpentier rasoir. Désormais le poil fait vieux et sale. © DR un coup d’inéligibilité et hop ! Il redevient député, puis

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Après la guerre, les poils tombent et seuls quelques dinosaures Le retour du hirsutes survivent. Les élections présidentielles de 1965 leur donnent système pileux ? le coup de grâce, car l’american way of life souffle désormais sur la France.

Marcel Barbu, De gauche à droite : Claude Germon, Charles Hernu, candidat rasé de près Jean-Luc Mélenchon, Gilbert Gaillard aux élections de 1965 Il faut dire que depuis la Libération, les candidats et élus Claude Germon par exemple, trois fois député et maire sénateur et une fois de plus député. Difficile d’échapper serait-elle devenue une marque d’archaïsme ? John F. adeptes de la barbe et de la moustache sont devenus de Massy dans l’Essonne, a plusieurs cordes à son arc. au virus de la politique, surtout quand on l’attrape aussi Kennedy leur montre la voie et tous les candidats à la rares. Quelques égarés ici et là persistent et signent. Il est toujours resté fidèle à son système pileux, mais jeune. présidence française s’y engouffrent ou presque. Jean Des originaux certainement, qui bataillent à rebrousse- surtout il a découvert un phénomène politique, Jean-Luc Après la guerre, les poils tombent les uns après les autres Lecanuet et François Mitterrand sont rasés de près, seul le poil contre le politiquement correct. Pourtant en 1981, Mélenchon. Il l’a tellement couvé son poulain, que celui-ci et seuls quelques dinosaures hirsutes survivent dans Général de Gaulle résiste et garde un résidu de moustache une vague de barbus envahit l’Assemblée nationale. s’est pris d’affection pour son mentor et a voulu lui ressem- le monde politique. Les premières élections présiden- en souvenir de ses années de guerre. Pourtant l’un des Tous profs, instits ou fonctionnaires, ils sont arrivés dans bler en se laissant pousser la barbe. Malheureusement, tielles françaises de 1965 leur donnent le coup de grâce, candidats de 1965 aurait pu avoir une certaine légitimité les bagages de François Mitterrand. La plupart disparaî- Claude Germon a été inculpé en 1993 par le juge Renaud car l’american way of life souffle désormais sur la France. à porter la barbe, mais il ne l’a pas fait. Il s’appelait Marcel tront le temps d’un mandat, la barbe entre les jambes, Van Ruymbeke pour trafic d’influences et fausses factures Une statistique imparable montre qu’aux USA, aucun Barbu et le général de Gaulle le traitera avec mépris de mais certains se sont cramponnés à leur siège et ont dans l’affaire Urba. Une sale histoire pour cet ancien candidat barbu n’avait gagné une élection présidentielle, « brave couillon » — appris le travail de parlementaire. Charles Hernu, Louis inspecteur des impôts. —

depuis Rutherford B. Hayes en 1877. La pilosité faciale © DR Mexandeau, et Jean Auroux ont fait de brillantes carrières.

161 Charles Charles IX OURS

numéro 7 JOURNALISME NUM é RO 7 & POLITIQUE NUMéRO 7 D’un côté, une presse qui va mal, de l’autre une démocratie qui ne se sent pas très bien. Oui, mais comment vivent-elles ensemble aujourd’hui ? Comment se porte le couple ? JOURNALISME & Est-il toujours aussi lié, ou bien un espace de liberté a-t-il été trouvé avec Internet, comme semble le prouver l’affaire Cahuzac ? Si Jean-Luc Mélenchon agonit d’insultes les médias, traite les journalistes de « larbins » et de « collabos » et suppose qu’un journaliste politique ne saurait être objectif, doit-on forcément le croire ? Il faut sans cesse vérifier POLITIQUE la bonne santé démocratique du quatrième pouvoir et son degré d’indépendance. Rappelons que dans le dernier rapport de Reporters sans frontières, la France pointait au 37ème rang mondial de la liberté de la presse. +

avEc EntrEtiEn tEstamEnt : qui était vraimEnt richard dEscoinGs ? PiErrE sidos enquête sur l’élection de Frédéric Mion l'hommE qui a voulu tuEr dE GaullE sciEncEs Po vu Par sEs anciEns élèvEs : Maastricht, Mitterrand et Moi, laurent JoFFrin, Marin de viry, par GuillauMe durand coloMbe schnecK, Maria MalaGardis, Pour qui vote Nicolas Bedos ? thoMas Gayet, cécile Guilbert, ariane cheMin nKM vue par cléMentine autain

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