IdeAs Idées d'Amériques

15 | 2020 Eau et gestion de l’eau dans les Amériques

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/ideas/6986 DOI : 10.4000/ideas.6986 ISSN : 1950-5701

Éditeur Institut des Amériques

Référence électronique IdeAs, 15 | 2020, « Eau et gestion de l’eau dans les Amériques » [En ligne], mis en ligne le 01 mars 2020, consulté le 21 septembre 2021. URL : https://journals.openedition.org/ideas/6986 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/ideas.6986

Ce document a été généré automatiquement le 22 octobre 2020.

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NOTE DE LA RÉDACTION

Numéro coordonné par Vincent Dubreuil et François-Michel Le Tourneau, avec le comité de rédaction Rédactrices en chef : Françoise Martinez et Isabelle Vagnoux Secrétaire de rédaction : Charlotte Le Merdy

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SOMMAIRE

L'eau dans les Amériques Vincent Dubreuil et François Michel Le Tourneau

Water in the Americas Vincent Dubreuil et François-Michel Le Tourneau

El agua en las Américas Vincent Dubreuil et François-Michel Le Tourneau

A água nas Américas Vincent Dubreuil et François-Michel Le Tourneau

Eau et gestion de l'eau dans les Amériques

L’eau : politiques étatiques, régionales et jeux d’acteurs

Do Programa Um Milhão de Cisternas ao Água para Todos: divergências políticas e bricolagem institucional na promoção do acesso à água no Semiárido brasileiro Daniela Nogueira, Carolina Milhorance et Priscylla Mendes

Territorios hidrosociales en las geografías altoandinas del Norte de : modernización y conflictos en la región de Tarapacá. Manuel Méndez et Hugo Romero

Who Fought For Water and What Did They Fight For? A Comparative Analysis of Open Water Conflicts in Four South American Countries between 2000 and 2011 Florence Larocque

Le champ des politiques hydriques dans l’Ouest étasunien : éléments d’interprétation des instruments d’action Joan Cortinas et Franck Poupeau

L'eau : regards urbains

Risques d’inondation et vulnérabilité : l’exemple du bassin versant de la rivière Kennebecasis, Nouveau-Brunswick, Canada. Guillaume Fortin, Charlotte Poirier, Françis Duhamel et Daniel Germain

Eventos e episódios pluviais extremos: a configuração de riscos hidrometeorológicos em Curitiba (Paraná - Brasil) Gabriela Goudard et Francisco de Assis Mendonça

Vulnérabilité, risques et conflits liés à l’eau : la zone de protection environnementale de la plaine inondable du Tietê Neli Aparecida de Mello-Théry, Hervé Théry, Danilo Pereira Sato et Heloisa de Camargo Tozato

De la luzerne aux masterplanned communities : enjeux de la gestion de l’eau sur un front d’urbanisation, le cas de Buckeye en Arizona Anne-Lise Boyer et Rebecca F.A. Bernat

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Entretiens

Segurança hídrica e mudanças climáticas no Brasil: uma entrevista cruzada com Jerson Kelman e João Paulo Capobianco. Livia Kalil et Guilherme B. Checco

Sécurité de l'eau et changement climatique au Brésil : entretien croisé avec Jerson Kelman et João Paulo Capobianco Livia Kalil et Guilherme B. Checco

Water crisis, policy making and the role of academia An Interview with Pr. Kirsten Engel. Charles E. Ares Professor of Law, University of Arizona College of Law And Representative, Arizona House of Representatives, Legislative District 10. François-Michel Le Tourneau

Interview with Domingo Garcia, LULAC National President Dallas, Texas, 20 mai 2019. Romain Gilibert

Éclairage Dossier coordonné par Damien Larrouqué

Le Chili s'est réveillé... et après ?

Introduction. Le Chili s’est réveillé… et après ? Damien Larrouqué

La néolibéralisation de l’économie chilienne dans une perspective historique Manuel Gárate

De la transition à l’explosion du 18-O : malaise et rébellion populaire aux portes de la terre promise Emmanuelle Barozet

« Ok pour 30 pesos ? » Vertus et contradictions de la techno-démocratie chilienne Damien Larrouqué

Chile despertó. Mobilisations sociales et politisation au Chili Antoine Faure et Antoine Maillet

Les ambivalences de la droite chilienne dans la gestion de la crise Stéphanie Alenda

Violaciones a los Derechos Humanos en largo octubre chileno Carolina Aguilera

Du mouvement féministe étudiant au mouvement social #ChileDespertó Camila Ponce

Las desigualdades territoriales y el 18-O de Chile: algunos antecedentes Rodrigo Marquez et José Viacava

Nueva Constitución y proceso constituyente María Cristina Escudero Illanes et Jaime Gajardo Falcón

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La gestión pública chilena después del 18-Octubre: Ideas previas y reflexiones futuras Rodrigo Egaña et Cristian Pliscoff

L’impact international de la crise chilienne d’octobre 2019 Kevin Parthenay

Comptes rendus

Charlotte de Castelnau-L’Estoile. Páscoa et ses deux maris : une esclave entre Angola, Brésil et Portugal au XVIIe siècle Paris, Presses Universitaires de France, 2019, 303 pages Silvia Capanema

José Del Pozo Artigas. Diccionario histórico de la dictadura cívico-militar en Chile. Período 1973-1990 y sus prolongaciones hasta hoy Santiago de Chile, LOM ed., 2018, 508 pages Alvar De La Llosa

Mark Rice. Making Machu Picchu. The politics of tourism in Twentieth-century Peru Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2018, 233 pages Irène Favier

Susana Draper. Mexico 1968. Constellations of Freedom and Democracy Durham and London, Duke University Press, XVI, 251 pages Camille Gapenne

Carrie Teresa, Looking at the Stars: Black Celebrity Journalism in Jim Crow America Lincoln, Nebraska: University of Nebraska Press, 2019, 249 pages Claire Parfait

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L'eau dans les Amériques

Vincent Dubreuil et François Michel Le Tourneau

1 La question de l'eau est un enjeu récurrent dans les Amériques. Elle se pose avec une acuité accrue dans le contexte des changements globaux : l'évolution incertaine de la pluviométrie dans un climat qui change, la demande croissante d'une population plus nombreuse et le développement d’activités agricoles ou industrielles extrêmement consommatrices rendent de plus en plus complexe la résolution de l'équation entre l'offre et la demande. Au cours des deux dernières décennies, la multiplication des excès en termes de déficit ou d'abondance a provoqué des "crises de l'eau" successives, justifiant une attention toute particulière portée par les chercheurs des sciences sociales et environnementales.

2 A l’échelle du continent, la ressource en eau est plutôt abondante. Les Amériques représentent par exemple 45,5 % des débits fluviaux cumulés dans le monde, alors qu’elles ne couvrent que 28,5 % des terres émergées. Nombreux sont les fleuves géants, tels le Mississippi, le Saint Laurent ou l’Orénoque, pour ne pas parler de l’Amazone, qui se classe hors catégorie. Le Nord des Amériques, en particulier le Canada, comprend aussi un nombre très important de lacs qui stockent une proportion importante des eaux douces mondiales, et ils sont couverts de manière temporaire ou permanente de neige ou de glace qui représentent elles aussi une part importante de ce stock. Mais cette ressource abondante est marquée par une extrême disparité dans sa répartition, entre les déserts de l'Atacama du Mojave, de nombreuses régions arides comme le Nordeste brésilien ou le Sud-Ouest des États-Unis et, à l’inverse, des régions hyper humides comme l'Amazonie ou les versants Pacifique des Andes colombiennes. Les changements climatiques jouent sur cette répartition, mais plus souvent dans le sens de la multiplication des sécheresses dans les régions déjà peu humides que dans celui d’une extension des régions bien arrosées.

3 L’inégalité de la répartition est aggravée par la « mise en valeur » des ressources hydriques, livrées à une prédation intense au Chili comme dans le Sud-Ouest des États- Unis (Texas, Arizona, Californie) ou dans une approche plus communautaire dans les oasis andines ou nordestines. Car l’eau est une ressource convoitée qui permet le développement d'activités économiques variées : l'agriculture, irriguée ou non, l'industrie et l'énergie, grandes utilisatrices de volumes également, mais aussi les

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usages industriels et la consommation domestique, ces deux dernières étant le plus souvent urbaines et donc de plus en plus éloignées de la ressource. Pour les approvisionner, des systèmes immenses dérivent les flots de fleuves comme le São Francisco ou le Colorado vers des zones arides situées à des centaines de kilomètres de distance, faisant ainsi de l’eau une marchandise et un élément transporté. Elle est aussi en elle-même un vecteur de transport via les voies fluviales du Saint Laurent ou du Parana-Paraguai. L'eau est ainsi au cœur du monde américain de mobilités croissantes.

4 En Amérique, comme ailleurs dans le monde, l'eau participe aussi à une forme (ou une absence) de lien social aussi bien dans la diversité des pratiques qu'elle permet que dans la représentation que les sociétés se font de cet élément et dans la façon dont elles l'intègrent dans leur développement. En ce sens, l'histoire du rapport à l'eau participe à l'histoire tout court. Depuis la Tennessee Valley Authority, d’innombrables projets ont eu pour objectif une gestion intégrée de l'eau. Des canaux traversant le désert sonorien ou la Caatinga jusqu'aux barrages pharaoniques sur la Columbia, le Xingu ou l'Iguaçu, les logiques d'aménagement à large échelle ont longtemps prévalu. Plus de 12 600 barrages de grande portée sont ainsi recensés sur le continent américain1, douze des trente plus grands lacs réservoirs et la moitié des dix plus grandes centrales hydroélectriques du monde se trouvent dans les Amériques. Ces projets acquièrent une complexité supplémentaire lorsque les fleuves ou les aquifères concernés traversent les frontières. Or, la dimension continentale des bassins versants implique des négociations ou des rapports de domination entre Etats voisins, ouvrant une fenêtre intéressante sur des enjeux géopolitiques majeurs.

5 Les enjeux, conflits et représentations liés à l'eau se posent aussi à une échelle plus locale et de manière exacerbée dans les métropoles américaines. D'abord via une dégradation dramatique de la ressource à tel point qu'on a pu écrire parfois que des villes tournaient le dos à leur lac ou leur fleuve. On peut ici citer l’extrême pollution de la rivière Tietê, devenue une véritable nuisance dans la ville de São Paulo, mais aussi la transformation de cours d’eau en égouts à ciel ouvert dans de très nombreuses métropoles, y compris en Amérique du Nord comme à Los Angeles. On constate aujourd’hui un mouvement, initié aux Etats-Unis, de réappropriation des berges dans le cadre de politiques municipales volontaristes de "reconquête". Mais dans beaucoup des mégalopoles latines, la situation reste problématique tant du fait de la pollution des cours d’eau que de l'exposition des populations, souvent les plus modestes, aux risques d'inondations. La diversité des situations américaines quant au rapport à l'eau en ville permet de prendre la mesure des concepts de vulnérabilité et de résilience à l'échelle des territoires.

6 Ce sont ces enjeux globaux et locaux dans leur diversité que souhaite aborder ce numéro thématique de la revue IdeAs sur l'eau dans les Amériques : la dimension environnementale y est fondamentale en mettant l'accent à la fois sur sa dimension physique (quantification des aléas et des ressources) et leur composante sociétale et en prenant explicitement en compte la complexité des jeux des acteurs territoriaux à différentes échelles. En ce sens, les approches géographiques mais aussi historiques, politiques, sociales, économiques et culturelles sont pertinentes pour contribuer à éclairer la thématique couverte par ce volume.

7 Huit articles ont été retenus par le comité éditorial de la revue. Ils couvrent deux pays de l’Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada), et une majeure partie de l’Amérique du Sud (Brésil, Chili, Argentine, Pérou et Bolivie). Ils représentent également une diversité

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de milieux : urbains (Buckeye, Curitiba, São Paulo, Nouveau Brunswick), ruraux (Nordeste, Atacama, Arizona), arides, tropicaux ou froids. Les thèmes des conflits et des jeux d’acteurs sont présents dans la plupart des études et concernent des catégories de population très diverses entre les communautés autochtones, les agriculteurs et, bien sûr, les citadins, quels que soient leur niveau et leur cadre de vie : la vulnérabilité de chacun de ces groupes y est clairement posée par les auteurs qui montrent la diversité des situations locales mais aussi la récurrence des problèmes que posent inondations et accès à la ressource en eau.

8 Un premier ensemble de textes aborde la question de l’eau de manière globale au travers de l’étude des politiques, des institutions ou des programmes mis en œuvre pour gérer la ressource et les conflits qui y sont liés. L’article de Florence Laroque (Who Fought for Water and What Did they Fight For ? A Comparative Analysis of Water Conflicts in Latin America between 2000 and 2011) considère l’eau comme un objet à la fois unique et pluridimensionnel de conflit en Argentine, au Chili, en Bolivie et au Pérou : la dimension comparative de ce texte permet d’éclaircir comment et pourquoi les dimensions conflictuelles de l’eau évoluent dans le temps et diffèrent d’un pays à l’autre. Le texte de Carolina Milhorance, Daniela Nogueira et Priscylla Mendes (Do Programa Um Milhão de Cisternas ao Água para Todos: divergências políticas e bricolagem institucional na promoção do acesso à água) aborde le cas du Nordeste brésilien, région aride et semi-aride, où ont été mis en place les programmes "Un million de citernes" puis "Eau pour tous" : les auteurs détaillent les dynamiques d'alliances entre les acteurs sociaux mais aussi les conflits entre les bureaucraties étatiques et les difficultés de la mise en œuvre des politiques publiques au niveau local. Dans un contexte encore plus aride, celui de l’Atacama chilien, Hugo Romero et Manuel Mendez (Dinámica territorial hidrosocial en las geografías altoandinas del norte de Chile: modernización, poder y conflictos en la región de Tarapacá) analysent les processus de production des territoires hydro- sociaux dans les hauts plateaux andins de la région de Tarapacá : selon les auteurs, les conflits qui s’y cristallisent autour des communautés traditionnelles sont liés à l'introduction des conceptions occidentales de l'espace dans le cadre du processus de modernisation de la région (irrigation, mines). Le dernier texte, de Franck Poupeau et Joan Cortinas (Le champ des politiques hydriques dans l’Ouest étasunien : éléments d’interprétation des instruments d’action), développe l’étude des politiques hydriques face à la sécheresse dans l’Ouest étasunien : après une cartographie des institutions présentes dans le Colorado River Basin, les auteurs proposent une analyse statistique fine et portent une attention particulière aux instruments de water markets dont les usages varient d’un Etat à l’autre.

9 Le deuxième ensemble de textes concerne plus spécifiquement les espaces urbains où la concentration des hommes et des activités pose les questions de risques, vulnérabilité et conflits d’acteurs de manière exacerbée. Le texte de Guillaume Fortin, Charlotte Poirier, Francis Duhamel et Daniel Germain (Risques d’inondation et vulnérabilité : le cas du bassin versant de la rivière Kennebecasis, Nouveau-Brunswick, Canada) revient sur les concepts utilisés en sciences sociales (aléa, vulnérabilité, risque, perception) et leur importance pour l’adaptation des populations aux changements climatiques : ils montrent comment, à l’échelle du quartier, la réduction du risque inondation passe par une meilleure sensibilisation de la population. Cette question du risque inondation est également le focus de l’article de Gabriela Goudard et Francisco Mendonça (Eventos e episódios pluviais extremos: a configuração de riscos hidrometeorológicos em Curitiba, Paraná - Brasil) : les auteurs montrent comment cette «ville modèle» du point de vue

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environnemental est aussi devenue une métropole exposée aux risques liés aux pluies en comparant les éléments physiques (précipitations) et la vulnérabilité des populations, risques éventuellement exacerbés par le manque de coopération inter- communes à l’échelle de l’agglomération. Dans une ville plus grande encore, celle de São Paulo, Neli Aparecida de Mello-Théry, Hervé Théry, Danilo Pereira Sato et Heloisa de Camargo Tozato (Vulnérabilité, risques et conflits liés à l'eau : l'APA de varzea du Rio Tietê, São Paulo, Brésil) détaillent les vulnérabilités et les risques de la plaine inondable de la rivière Tietê via une analyse de l’utilisation des terres : ils montrent comment les pressions de toute sorte (démographiques, immobilières, agricoles et industrielles) mais aussi les enchevêtrements des politiques et projets dans la zone de protection environnementale ont compromis le fonctionnement de la plaine alluviale. Finalement, l’article d’Anne-Lise Boyer et Rebecca F.A. Bernat (De la luzerne aux masterplanned communities : enjeux de la gestion de l’eau sur un front d’urbanisation, le cas de Buckeye en Arizona) expose les modalités de la gestion de l’eau à l’échelle municipale étasunienne et en montre les contradictions : le laisser-faire des divers échelons de la puissance publique (État, municipalités) concernant le foncier limite l’efficacité des dispositifs mis en place pour réguler l’exploitation et la pression sur la ressource en eau.

NOTES

1. Commission internationale des grands barrages (www.icold-cigb.org).

AUTEURS

VINCENT DUBREUIL

Vincent Dubreuil est Professeur à l'Université Rennes 2 et membre de l'UMR 6554 LETG (Littoral Environnement Télédétection Géomatique). Géographe climatologue, ses travaux portent sur les risques (sécheresse) et les changements climatiques en France et au Brésil de l'échelle locale (îlots de chaleur urbain) à l'échelle régionale (impact de la déforestation en Amazonie sur le climat) et utilisent de manière privilégiée les données de satellites. Il coordonne ou participe à plusieurs projets de recherches en collaboration avec le Brésil (CNRS, ANR, COFECUB, H2020, FAPESP...) et a été professeur invité dans les universités de Brasilia, Presidente Prudente, Londrina et Fortaleza.

FRANÇOIS MICHEL LE TOURNEAU

François-Michel Le Tourneau est directeur de recherche au CNRS et directeur-adhoint de l'UMI iGLOBES (CNRS-ENS-Université d'Arizona).

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Water in the Americas

Vincent Dubreuil and François-Michel Le Tourneau Translation : Michael Hinchliffe

1 Water is a recurrent issue throughout the Americas. The context of global change renders it even more acute: the vagaries of rainfall in a changing climate, growing demand from ever increasing populations and the development of high consumption agricultural and industrial activities are making the equation between offer and demand more and more tricky to balance. Over the last two decades, extreme episodes of either drought or excess precipitation have become more frequent and led to successive “water crises”, a situation that has attracted particular attention from researchers in social and environmental studies.

2 On the scale of the continent, the water resource is abundant. The Americas, for instance, account for 45.5% of cumulative worldwide river flow while they cover only 28.5% of the emerged landmass. There are several giant-sized rivers, such as the Mississippi, the Saint Lawrence, the Orinoco, not to mention the Amazon in a category of its own. The Northern regions, Canada in particular, have a very large number of lakes stocking a considerable share of the world’s fresh water and are covered, temporarily or permanently, with snow and ice also representing a large part of the stock. However this abundance is characterized by highly uneven distribution, with deserts such as the Atacama or the Mojave and a large number of arid regions such as the Brazilian Nordeste or the south west of the United States, over and against very wet areas such as Amazonia or the Pacific seaboard of the Columbian Andes. Climate change has its effect on this distribution, but tends rather towards more frequent occurrences of drought where rainfall is already low than to any extension of areas of higher precipitation.

3 Unequal distribution is compounded by ways in which the water resource is exploited, from a highly predatory approach in Chile or in south western US states (Texas, Arizona, California) to a more community oriented one, as in the Andean or Nordeste oases. Water is indeed a much coveted resource, involved as it is in the development of a variety of economic activities: agriculture, whether irrigated or not, heavy industry and energy, both needing vast quantities, but also other industrial and domestic uses which are often situated in urban areas and therefore at increasing distances from the

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origin point. To supply such needs, huge systems divert the flow of rivers like the São Francisco or the Colorado toward arid areas hundreds of kilometers away, thereby merchandizing water as a transported element. It is of course of itself a vector for transport via waterways such as the Saint Lawrence seaway or the Parana-Paraguay canal. Thus water is central to ever increasing mobility in the Americas.

4 In America as elsewhere, water is linked to a form (or an absence) of social bond by virtue both of the range of activities it enables and of the different representations societies construct of the element water, together with the manner in which they integrate it into their development. In this respect, the history of relationships with water is an integral part of history generally. Since the inception of the Tennessee Valley Authority, countless projects have been set up to promote integrated water management. From canals through the Sonora Desert or Caatinga, to pharaonic dams on the Columbia River, the Xingu or the Iguazu, the model long prevalent was that of large scale constructions. The entire American continent numbers over 12,600 large dams1; twelve of the largest reservoir lakes and half of the largest hydroelectric power stations in the world are to be found in the Americas. These projects acquire greater complexity when the rivers or aquifers concerned span national frontiers. The continental dimension of drainage areas implies negotiation and power politics between neighboring states, which opens an interesting window on stakes of major geopolitical importance.

5 All the stakes, conflicts and representations centered on water are to be found more locally and in exacerbation in the large American cities. Primarily this involves a dramatic degradation of the resource such that it has on occasion been written that a city has turned its back on its lake or river. A case in point is the extreme pollution of the Tietê in São Paulo which turned the river into a health hazard, but rivers have become open air sewers in many other cities, North America included, Los Angeles being an example. There is today, originating in the United States, a movement towards the reappropriation of riversides via voluntarist municipal “renewal” policies. However in many Latin American cities the situation remains problem-fraught not just on account of river pollution but also because of the way in which sections of the population, usually the poorest, are exposed to the risk of flooding. To study the diversity of situations with regard to water in cities throughout the Americas is to measure how the concepts of vulnerability and resilience are relevant on the scale of each territory.

6 It is the aim of the present issue of IdeAs on the theme of water in the Americas to look at this diversity of local and more overall situations: the environmental dimensions of the subject are fundamental in that they foreground physical aspects (the quantification of resources and their variations) together with their societal components, which means accounting explicitly for the interplay of the various territorial actors at their different levels. Hence geographical, but also historical, political, social, economic and cultural approaches all have a relevant contribution to make in a cogent study of this general theme.

7 Eight pieces have been selected by the editorial board. They cover the North (USA and Canada) and most South American countries (Brazil, Chile, Argentina, Peru and Bolivia). They also bring into play a diversity of milieus: urban (Buckeye, Curitiba, São Paulo, New Brunswick), rural (Nordeste, Atacama, Arizona), arid, tropical, cold. Most of the studies are concerned with the subject of conflicts together with the roles played by

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the various actors involved and deal with diverse categories of population, indigenous communities, farmers and, of course, city-dwellers with equally diverse standards and conditions of life. The vulnerability of each of these groups is clearly delineated and, while signaling the diversity of local situations, the authors also stress the recurrent problems to do with flooding and the access to water resources.

8 A first group of articles looks at the question of water generally, through the study of policies, institutions and programs put in place to deal with the resource and the conflicts engendered. Florence Larocque (Who Fought for Water and What Did they Fight For? A comparative Study of Water Conflicts in Latin America between 2000 and 2011) defines water as a unique and pluridimensional source of conflict in Argentina, Chile, Bolivia and Peru. The comparative nature of her study lets her trace how and why water conflicts developed and evolved differently from country to country. The study by Carolina Milhorance, Daniela Nogueira and Priscylla Mendes (Do Programa Um Milhão de Cisternas ao Água para Todos: divergências políticas e bricolagem institucional na promoção do acesso à água no Semiárido brasileiro) looks at the case of the Brazilian Nordeste, an arid or semi-arid region in which the “Million Cistern” and later the “Water for All” programs were set up. The authors describe the dynamics of alliances between social actors but also the conflicts between state bureaucracies and the difficulties in enacting public policies at local level. Dealing with an even more arid environment, that of the Atacama desert in Chile, Hugo Romero and Manuel Méndez (Territorios hidrosociales en las geografías altoandinas del Norte de Chile: modernización y conflictos en la región de Tarapacá) analyze the processes of production in the hydro-social territories of the Andean high plateau region of Tarapacá. They describe how conflicts involving traditional communities are linked to the introduction of western conceptions of space as a result of the process of modernization undertaken in the region (irrigation, mining). The last piece in this group, by Joan Cortinas and Franck Poupeau (Le champ des politiques hydriques dans l’Ouest étasunien : éléments d’interprétation des instruments d’action), sets out a study of water policies deployed against drought in the US West. They draw up a map of institutions present in the Colorado River Basin, producing a close statistical analysis and paying particular attention to water markets as an instrument the use of which varies from one state to another.

9 The second group of articles deals more specifically with urban areas where the concentration of people and activities raises more acutely the questions of risk, vulnerability and conflict. In their study, Guillaume Fortin, Charlotte Poirier, Francis Duhamel and Daniel Germain (Risques d’inondation et vulnérabilité : l’exemple du bassin versant de la rivière Kennebecasis, Nouveau-Brunswick, Canada) revisit concepts used by the social sciences (hazard, vulnerability, risk, perception) and their importance with respect to the adaptation of populations to climate change. They demonstrate how, at local, district level, any reduction in the risk of flooding necessitates a greater awareness in the population. Flood risk is also the subject of the piece by Gabriela Goudard and Francisco Mendonça (Eventos e episódios pluviais extremos: a configuração de riscos hidrometerológicos em Curitiba, Paraná – Brasil) in which the authors, by correlating physical elements (precipitation count) with vulnerability, show how Curitiba, a “model city” from the environmental point of view, has become a place exposed to risk from rainfall, a risk potentially aggravated by the lack of inter-communal cooperation on the scale of the agglomeration. Studying an even larger city, São Paulo, Neli Aparecida de Mello-Théry, Hervé Théry, Danilo Pereira Sato et Heloisa de Camargo Tozato (Vulnérabilité, risques et conflits liés à l’eau : la zone de protection environnementale de

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la plaine inondable du Tietê) describe vulnerabilities and risks in the River Tietê flood plain via an analysis of land use. They show how pressure from all directions (demographic, real estate interests, agricultural and industrial) combined with an entanglement of projects and policies in the environmentally protected zone have prevented the flood plain from functioning properly. The final article by Anne-Lise Boyer and Rebecca F.A. Bernat (De la luzerne aux masterplanned communities : enjeux de la gestion de l’eau sur un front d’urbanisation, le cas de Buckeye en Arizona) describes water management and its contradictions at municipal level in the US. The authors show how a laisser-faire approach at various levels of public authority (State and municipal) with regard to land use restricts the efficiency of mechanisms designed to regulate the exploitation of the water resource and the pressures it faces.

NOTES

1. International Commission on Large Dams (www.icold-cigb.org).

AUTHORS

VINCENT DUBREUIL

Vincent Dubreuil est Professeur à l'Université Rennes 2 et membre de l'UMR 6554 LETG (Littoral Environnement Télédétection Géomatique). Géographe climatologue, ses travaux portent sur les risques (sécheresse) et les changements climatiques en France et au Brésil de l'échelle locale (îlots de chaleur urbain) à l'échelle régionale (impact de la déforestation en Amazonie sur le climat) et utilisent de manière privilégiée les données de satellites. Il coordonne ou participe à plusieurs projets de recherches en collaboration avec le Brésil (CNRS, ANR, COFECUB, H2020, FAPESP...) et a été professeur invité dans les universités de Brasilia, Presidente Prudente, Londrina et Fortaleza.

FRANÇOIS-MICHEL LE TOURNEAU

François-Michel Le Tourneau est directeur de recherche au CNRS et directeur-adhoint de l'UMI iGLOBES (CNRS-ENS-Université d'Arizona).

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El agua en las Américas

Vincent Dubreuil y François-Michel Le Tourneau Tradución : Marta Gómez

1 La cuestión del agua es un tema recurrente en las Américas. El problema es aún más acuciante en el actual contexto de cambio climático global: la incierta evolución de la pluviometría en un clima cambiante, la creciente demanda por parte de una población cada vez más numerosa y el desarrollo de actividades agrícolas o industriales que consumen grandes cantidades de agua hacen que cada vez sea más complejo resolver la ecuación entre la oferta y la demanda. En las dos últimas décadas, la multiplicación de excesos en términos de déficit o de abundancia ha provocado una sucesión de «crisis del agua» que ha justificado una atención especial por parte de científicos en ciencias sociales y medioambientales.

2 A escala continental, los recursos hídricos son bastante abundantes. Las Américas representan por ejemplo el 45,5% del caudal fluvial total del planeta, pese a que el continente solo ocupa el 28,5% de la superficie terrestre. Muchos ríos inmensos, como el Mississippi, el río San Lorenzo o el Orinoco, por no hablar del Amazonas, están fuera de categoría. El norte de América, en particular Canadá, cuenta además con un gran número de lagos que almacenan una parte significativa del agua dulce mundial y están cubiertos, temporal o permanentemente, de nieve o hielo, que también representan una parte importante de esta reserva. Sin embargo, este abundante recurso se caracteriza por una enorme disparidad en su distribución entre, por un lado, los desiertos de Atacama o de Mojave y muchas regiones áridas, como el noreste de Brasil o el suroeste de Estados Unidos, y, por otro, regiones superhúmedas como la Amazonia o las laderas del Pacífico de los Andes colombianos. El cambio climático afecta a esta distribución, pero más a menudo en el sentido de un aumento de las sequías en regiones ya de por sí poco húmedas que de una expansión de regiones bien irrigadas.

3 Esta desigual distribución se ve agravada por el «aprovechamiento» de unos recursos hídricos que son objeto de una intensa depredación desde Chile al suroeste de Estados Unidos (Texas, Arizona, California) o, desde un enfoque más comunitario, en los oasis andinos o nordestinos. Porque el agua es un recurso codiciado que permite el desarrollo de actividades económicas diversas: la agricultura —ya sea de regadío o no—, la industria y la energía, que son grandes consumidoras de agua, pero también los usos

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industriales y el consumo doméstico, que son principalmente urbanos y, por tanto, están cada vez más alejados de la fuente. Para abastecer a sus usuarios, existen enormes sistemas que desvían el caudal de ríos como el São Francisco o el Colorado hacia zonas áridas situadas a cientos de kilómetros de distancia, haciendo del agua una mercancía y un elemento transportado. Hablamos también un vector de transporte en sí mismo; ejemplo de ello son las vías fluviales de los ríos San Lorenzo y Paraná-Paraguay. El agua está, por tanto, en el centro de un universo americano marcado por una movilidad creciente.

4 En América, como en otras partes del mundo, el agua también es parte de una especie de vínculo social (o de su ausencia), tanto por la diversidad de prácticas que permite como por la representación que las sociedades se hacen de dicho recurso y por la forma en que lo integran en su desarrollo. En este sentido, la historia de la relación con el agua forma parte de la historia a secas. Desde la creación de la Autoridad del Valle del Tennessee (Tennessee Valley Authority), innumerables proyectos han tenido como objetivo la gestión integrada del agua. Desde los canales que atraviesan el desierto de Sonora o la Caatinga hasta las presas faraónicas de los ríos Columbia, Xingú o Iguazú, durante mucho tiempo ha prevalecido una lógica de planificación a gran escala. Así, se han contabilizado más de 12 600 presas de gran envergadura en el continente americano1, además de doce de los treinta embalses más importantes y la mitad de las diez mayores centrales hidroeléctricas del mundo. Estos proyectos adquieren una complejidad adicional cuando los ríos o los acuíferos correspondientes atraviesan fronteras. Con todo, la dimensión continental de las cuencas hidrográficas implica negociaciones y relaciones de dominación entre Estados vecinos que abren una interesante vía a cuestiones geopolíticas clave.

5 Los desafíos, conflictos y representaciones relacionadas con el agua también se plantean a escala más local, y de forma exacerbada, en las metrópolis americanas. En primer lugar, a través de una dramática degradación de los recursos, hasta tal punto que a veces se ha llegado a escribir que las ciudades daban la espalda a sus lagos o a sus ríos. Cabe citar en este sentido el elevado nivel de contaminación del río Tieté —que se ha convertido en un verdadero problema para la ciudad de São Paulo— o cómo algunos ríos se han transformado en alcantarillas a cielo abierto en numerosas metrópolis, incluso de América del Norte, como Los Ángeles. Actualmente se observa un movimiento, iniciado en Estados Unidos, orientado hacia la reapropriación de las riberas de los ríos como parte de unas políticas municipales voluntaristas de «reconquista». Sin embargo, en muchas megalópolis latinas, la situación sigue siendo problemática, tanto por la contaminación de los cursos de agua como por la exposición de la población, a menudo la más humilde, a riesgos de inundación. La diversidad de situaciones americanas referidas al agua en las ciudades permite evaluar los conceptos de vulnerabilidad y resiliencia a nivel territorial.

6 Estos son los asuntos globales y locales que pretende abordar en toda su diversidad el presente número temático de la revista IdeAs dedicado al agua en las Américas. La dimensión medioambiental es fundamental: se pone el énfasis tanto en su componente físico (cuantificación de riesgos y recursos) como social y se toma explícitamente en consideración la complejidad del juego de actores territoriales a distintos niveles. En este sentido, son pertinentes los enfoques geográficos pero también históricos, políticos, sociales, económicos y culturales para contribuir a arrojar luz sobre un tema que abarca multitud de facetas.

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7 Para este número, el comité editorial de la revista ha seleccionado ocho artículos. Los trabajos abarcan dos países de América del Norte (Estados Unidos y Canadá) y gran parte de América del Sur (Brasil, Chile, Argentina, Perú y Bolivia) y son representativos, además, de una gran diversidad de entornos: urbanos (Buckeye, Curitiba, São Paulo, Nuevo Brunswick), rurales (Región Nordeste, Atacama, Arizona), áridos, tropicales o fríos. La cuestión de los conflictos y los juegos de actores está presente en la mayoría de los estudios y afecta a categorías de población muy diversas entre las comunidades indígenas, los agricultores y, por supuesto, los habitantes de las ciudades, cualquiera que sea su nivel y sus condiciones de vida: los autores plantean claramente la vulnerabilidad de cada uno de estos grupos y muestran la diversidad de situaciones locales, pero también el carácter recurrente de los problemas planteados por las inundaciones y el acceso a los recursos hídricos.

8 Un primer conjunto de textos aborda la cuestión del agua de forma global a través del estudio de las políticas, instituciones y programas implementados para gestionar los recursos hídricos y los conflictos relacionados con estos. El artículo de Florence Larocque (Who Fought for Water and What Did they Fight For? A Comparative Analysis of Water Conflicts in Latin America between 2000 and 2011) considera el agua como un objeto, a la vez único y multidimensional, de conflicto en Argentina, Chile, Bolivia y Perú: la dimensión comparativa de este texto permite esclarecer cómo y por qué los aspectos conflictivos del agua evolucionan con el tiempo y difieren de un país a otro. El texto de Carolina Milhorance, Daniela Nogueira y Priscylla Mendes (Do Programa Um Milhão de Cisternas ao Água para Todos: divergências políticas e bricolagem institucional na promoção do acesso à água no Semiárido brasileiro) aborda el caso de la Región Nordeste de Brasil, árida y semiárida, donde se han implementado los programas «Un millón de tanques de agua» y «Agua para Todos». Las autoras describen en detalle la dinámica de alianzas entre actores sociales, así como los conflictos con la burocracia estatal y las dificultades para poner en marcha políticas públicas a nivel local. En un contexto aún más árido, el del Atacama chileno, Hugo Romero y Manuel Méndez (Territorios hidrosociales en las geografías altoandinas del Norte de Chile: modernización y conflictos en la región de Tarapacá) analizan los procesos de producción discursiva y material de los territorios hidrosociales en el altiplano andino de la región de Tarapacá: según estos autores, los conflictos que cristalizan aquí en comunidades tradicionales están ligados a la introducción de concepciones occidentales del espacio, dentro del proceso de modernización de la región (irrigación, minas). El último texto, de Joan Cortinas y Franck Poupeau (Le champ des politiques hydriques dans l’Ouest étasunien : éléments d’interprétation des instruments d’action), desarrolla el estudio de las políticas hídricas frente a la sequía en el oeste de Estados Unidos: después de trazar la cartografía de las instituciones presentes en la cuenca del río Colorado, los autores proponen un análisis estadístico detallado y prestan una atención especial a los instrumentos de lo llamados water markets, cuyos usos varían de un Estado a otro.

9 El segundo grupo de textos se refiere de forma más concreta a los espacios urbanos, en los que la concentración de personas y actividades plantea cuestiones como los riesgos, la vulnerabilidad y los conflictos entre actores de una manera exacerbada. El texto de Guillaume Fortin, Charlotte Poirier, Francis Duhamel y Daniel Germain (Risques d’inondation et vulnérabilité : l’exemple du bassin versant de la rivière Kennebecasis, Nouveau- Brunswick, Canada) repasa los conceptos utilizados en ciencias sociales (riesgo, vulnerabilidad, amenaza, percepción) y su importancia para la adaptación de la

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población al cambio climático: dichos conceptos muestran cómo, a nivel de los barrios, la reducción del riesgo de inundación pasa por una mayor sensibilización de la población. Este tema del riesgo de inundaciones centra también el artículo de Gabriela Goudard y Francisco Mendonça (Eventos e episódios pluviais extremos: a configuração de riscos hidrometeorológicos em Curitiba, Paraná - Brasil). A través de la comparación de elementos físicos (precipitaciones) y de la vulnerabilidad de ciertas problaciones, los autores muestran cómo Curitiba, «ciudad modelo» desde el punto de vista medioambiental, se ha convertido también en una metrópolis expuesta a riesgos vinculados con episodios de lluvia extrema que, en ocasiones, se ven exacerbados por la falta de cooperación entre las comunidades de la aglomeración. En una ciudad aún más grande como São Paulo, Neli Aparecida de Mello-Théry, Hervé Théry, Danilo Pereira Sato y Heloisa de Camargo Tozato (Vulnérabilité, risques et conflits liés à l'eau : la zone de protection environnementale de la plaine inondable du Tietê) detallan, a través de un análisis del uso de la tierra, la vulnerabilidad y los riesgos de la llanura inundable del río Tieté y demuestran cómo presiones de todo tipo (demográficas, inmobiliarias, agrícolas e industriales), además del entramado de políticas y proyectos en una zona de protección medioambiental, han comprometido el funcionamiento de la llanura aluvial. Por último, el artículo de Anne-Lise Boyer y Rebecca F.A. Bernat (De la luzerne aux masterplanned communities : enjeux de la gestion de l’eau sur un front d’urbanisation, le cas de Buckeye en Arizona) expone las modalidades de gestión del agua a nivel municipal en Estados Unidos y muestra sus contradicciones: el laissez-faire a distintos niveles dentro del poder público (Estado, municipios) con respecto a la tierra limita la eficacia de los dispositivos creados para regular la explotación y la presión sobre los recursos hídricos.

NOTAS

1. Comisión Internacional de Grandes Represas (www.icold-cigb.org).

AUTORES

VINCENT DUBREUIL

Vincent Dubreuil est Professeur à l'Université Rennes 2 et membre de l'UMR 6554 LETG (Littoral Environnement Télédétection Géomatique). Géographe climatologue, ses travaux portent sur les risques (sécheresse) et les changements climatiques en France et au Brésil de l'échelle locale (îlots de chaleur urbain) à l'échelle régionale (impact de la déforestation en Amazonie sur le climat) et utilisent de manière privilégiée les données de satellites. Il coordonne ou participe à plusieurs projets de recherches en collaboration avec le Brésil (CNRS, ANR, COFECUB, H2020,

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FAPESP...) et a été professeur invité dans les universités de Brasilia, Presidente Prudente, Londrina et Fortaleza.

FRANÇOIS-MICHEL LE TOURNEAU

François-Michel Le Tourneau est directeur de recherche au CNRS et directeur-adhoint de l'UMI iGLOBES (CNRS-ENS-Université d'Arizona).

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A água nas Américas

Vincent Dubreuil e François-Michel Le Tourneau Tradução : Alice Fernandes

1 A questão da água é um desafio recorrente nas Américas. Ela é cada vez mais relevante no contexto das mudanças globais: a evolução incerta das precipitações num clima que sofre mudanças, a demanda crescente de uma população mais numerosa e o desenvolvimento de atividades agrícolas ou industriais extremamente consumidoras tornam cada vez mais complexa a resolução da equação entre oferta e demanda. Ao longo das duas últimas décadas, a multiplicação dos excessos em termos de déficit ou de abundância provocaram sucessivas "crises da água", fazendo com que pesquisadores de ciências sociais e ambientais dêem uma atenção particular ao assunto.

2 Na escala do continente, os recursos hídricos são bastante abundantes. As Américas, por exemplo, representam 45,5% dos fluxos fluviais acumulados no mundo, sendo que cobrem apenas 28,5% da área terrestre mundial. Há muitos rios gigantes, como o Mississippi, o São Lourenço e o Orinoco, para não falar do Amazonas, que está fora de categoria. O Norte das Américas, especialmente o Canadá, conta também com um número muito grande de lagos que armazenam uma proporção significativa da água doce do mundo, e que estão temporária ou permanentemente cobertos de neve ou gelo, que também representam uma porção significativa desse estoque. Mas este recurso abundante é marcado por uma extrema disparidade na sua distribuição, entre os desertos do Mojave Atacama, muitas regiões áridas como o Nordeste brasileiro ou o Sudoeste dos Estados Unidos e, inversamente, regiões hiper-úmidas como a Amazônia ou as encostas do Pacífico dos Andes colombianos. As mudanças climáticas afetam esta distribuição, porém mais frequentemente no sentido de um aumento das secas em regiões que já não são muito úmidas do que na extensão de regiões bem irrigadas.

3 A desigualdade na distribuição é agravada pela "valorização" dos recursos hídricos, que estão sujeitos a intensa predação no Chile como no sudoeste dos Estados Unidos (Texas, Arizona, Califórnia) ou de maneira mais comunitária nos oásis andinos ou nordestinos. Pois a água é um recurso cobiçado que permite o desenvolvimento de diversas atividades econômicas: a agricultura, irrigada ou não, a indústria e a energia, que são igualmente grandes consumidores, mas também os usos industriais e o consumo doméstico, sendo que estes dois últimos são na maioria das vezes urbanos e, portanto,

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cada vez mais afastados do recurso. Para abastecê-los, enormes sistemas desviam o fluxo de rios como o São Francisco ou o Colorado para áreas áridas a centenas de quilômetros de distância, fazendo da água uma mercadoria e um elemento a ser transportado. É também em si um meio de transporte através das rotas fluviais do São Lourenço ou do Paraná-Paraguai. A água está, portanto, no centro do mundo americano de mobilidades em crescimento.

4 Na América, como em outras partes do mundo, a água também participa de uma forma (ou de uma ausência) de vínculo social, tanto na diversidade de práticas que permite como nas representações que as sociedades fazem desse elemento e na forma como o integram em seu desenvolvimento. Neste sentido, a história da relação com a água faz parte, pura e simplesmente, da história. Desde a Tennessee Valley Authority, inúmeros projetos têm tido como objetivo uma gestão integrada da água. Desde os canais que atravessam o deserto de Sonora ou a Caatinga até as barragens faraônicas nos rios Columbia, Xingu ou Iguaçu, as lógicas de desenvolvimento em larga escala prevaleceram por muito tempo. Foram identificadas mais de 12.600 barragens de grande porte no continente americano1, doze dos trinta maiores lagos de reservatório e metade das dez maiores centrais hidrelétricas do mundo estão localizadas nas Américas. Estes projetos adquirem uma complexidade adicional quando os rios ou aquíferos em questão atravessam fronteiras. No entanto, a dimensão continental das bacias hidrográficas envolve negociações ou relações de domínio entre Estados vizinhos, abrindo uma janela interessante para algumas grandes questões geopolíticas.

5 As questões, os conflitos e as representações relacionados com a água, também surgem a uma escala mais local e de maneira exacerbada nas metrópoles americanas. Em primeiro lugar, pelo viés de uma degradação dramática do recurso a tal ponto de se ter escrito que, às vezes, cidades deram as costas aos seus lagos ou rios. Podemos citar aqui a extrema poluição do rio Tietê, que se tornou um verdadeiro transtorno na cidade de São Paulo, mas também a transformação dos rios em esgotos a céu aberto em muitas metrópoles, inclusive na América do Norte, como em Los Angeles. Nota-se atualmente um movimento, iniciado nos Estados Unidos, de reapropriação das margens dos rios no âmbito de políticas municipais voluntaristas de "retomada". Mas em muitas megalópoles latinas, a situação continua sendo problemática, tanto pela poluição dos rios como pela exposição das populações, muitas vezes mais modestas, aos riscos de inundações. A diversidade das situações americanas em relação à água na cidade permite avaliar os conceitos de vulnerabilidade e de resiliência a nível dos territórios.

6 São estas questões globais e locais em toda sua diversidade, que este número temático da revista das IdeAs sobre a água nas Américas deseja abordar: a dimensão ambiental é fundamental, enfatizando tanto a sua dimensão física (quantificação dos perigos e dos recursos) como seu componente na sociedade, e levando explicitamente em conta a complexidade da interação dos atores territoriais em diferentes escalas. Neste sentido, as abordagens geográficas, mas também históricas, políticas, sociais, econômicas e culturais, são relevantes para ajudar a lançar luz sobre o tema contemplado neste volume.

7 Oito artigos foram selecionados pelo conselho editorial da revista. Eles abrangem dois países da América do Norte (Estados Unidos, Canadá) e uma parte importante da América do Sul (Brasil, Chile, Argentina, Peru e Bolívia). Representam também uma diversidade de ambientes: urbanos (Buckeye, Curitiba, São Paulo, Novo Brunswick), rurais (Nordeste, Atacama, Arizona), áridos, tropicais ou frios. Os temas dos conflitos e

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das interações entre os atores, estão presentes na maioria dos estudos e dizem respeito a categorias de população muito diversas, entre comunidades indígenas, agricultores e, evidentemente, moradores das cidades, independentemente do seu nível e ambiente de vida: a vulnerabilidade de cada um destes grupos é claramente colocada pelos autores que mostram a diversidade das situações locais, mas também a recorrência dos problemas causados pelas inundações e vinculados com o acesso aos recursos hídricos.

8 Um primeiro conjunto de textos aborda a questão da água de maneira global através do estudo das políticas, das instituições ou dos programas implementados para gerenciar o recurso e os conflitos com ele relacionados. O artigo de Florence Larocque (Who Fought for Water and What Did they Fight For? A Comparative Analysis of Water Conflicts in Latin America between 2000 and 2011) considera a água como um objeto de conflito ao mesmo tempo único e multidimensional na Argentina, no Chile, na Bolívia e no Peru: a dimensão comparativa deste texto permite esclarecer como e por que as dimensões conflitantes da água evoluem ao longo do tempo e diferem de um país para outro. O texto de Carolina Milhorance, Daniela Nogueira e Priscylla Mendes (Do Programa Um Milhão de Cisternas ao Água para Todos: divergências políticas e bricolagem institucional na promoção do acesso à água no Semiárido brasileiro) aborda o caso do Nordeste brasileiro, uma região árida e semi-árida, onde foram implantados os programas "Um milhão de cisternas" e depois "Água para todos": as autoras detalham as dinâmicas das alianças entre os atores sociais, mas também os conflitos entre as burocracias estatais e as dificuldades de implementação das políticas públicas a nível local. Num contexto ainda mais árido, o do Atacama chileno, Hugo Romero e Manuel Méndez (Territorios hidrosociales en las geografías altoandinas del Norte de Chile: modernización y conflictos en la región de Tarapacá) analisam os processos de produção dos territórios hidro-sociais do altiplano andino da região de Tarapacá: segundo os autores, os conflitos que aí se cristalizam em torno das comunidades tradicionais estão ligados à introdução das concepções ocidentais de espaço no âmbito do processo de modernização da região (irrigação, mineração). O último texto, de Joan Cortinas e Franck Poupeau (Le champ des politiques hydriques dans l'Ouest étasunien: éléments d'interprétation des instruments d'action), desenvolve o estudo das políticas da água diante da seca no Oeste dos Estados Unidos: após um mapeamento das instituições presentes na bacia do Rio Colorado, os autores propõem uma análise estatística minuciosa e dão especial atenção aos instrumentos de water markets cujos usos variam de um Estado para outro.

9 O segundo conjunto de textos diz respeito mais especificamente aos espaços urbanos onde a concentração de pessoas e atividades traz de forma exacerbada as questões acerca dos riscos, da vulnerabilidade e dos conflitos entre os atores. O texto de Guillaume Fortin, Charlotte Poirier, Francis Duhamel e Daniel Germain (Risques d’inondation et vulnérabilité : le cas du bassin versant de la rivière Kennebecasis, Nouveau- Brunswick, Canada) revisa os conceitos utilizados nas ciências sociais (imprevisto, vulnerabilidade, risco, percepção) e sua importância para a adaptação das populações às mudanças climáticas: eles mostram como, a nível do bairro, a redução do risco de inundações requer uma melhor conscientização da população. Esta questão do risco inundação é também o foco do artigo de Gabriela Goudard e Francisco Mendonça (Eventos e episódios pluviais extremos: a configuração de riscos hidrometeorológicos em Curitiba, Paraná - Brasil): os autores mostram como esta "cidade modelo" do ponto de vista ambiental se tornou também uma metrópole exposta a riscos relacionados à chuva, comparando os elementos físicos (pluviosidade) e a vulnerabilidade das populações, riscos que podem ser exacerbados pela falta de cooperação intermunicipal

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na escala da aglomeração. Numa cidade ainda maior, a de São Paulo, Neli Aparecida de Mello-Théry, Hervé Théry, Danilo Pereira Sato e Heloisa de Camargo Tozato (Vulnérabilité, risques et conflits liés à l'eau : l'APA de varzea du Rio Tietê, São Paulo, Brésil) detalham as vulnerabilidades e riscos da planície potencialmente inundável do Rio Tietê através de uma análise do uso das terras: mostram como as pressões de todo tipo (demográficas, imobiliárias, agrícolas e industriais), mas também o emaranhado de políticas e projetos na zona de proteção ambiental, comprometeram o funcionamento da planície aluvial. Finalmente, o artigo de Anne-Lise Boyer e Rebecca F.A. Bernat (De la luzerne aux masterplanned communities : enjeux de la gestion de l’eau sur un front d’urbanisation, le cas de Buckeye en Arizona) explica as modalidades da gestão da água a nível municipal nos Estados Unidos e mostra as contradições: o laxismo dos diversos níveis do poder público (Estado, municípios) relativo à propriedade fundiária limita a eficácia dos mecanismos criados para regular o uso e a pressão sobre os recursos hídricos.

NOTAS

1. Comissão Internacional das Grandes Barragens(www.icold-cigb.org).

AUTORES

VINCENT DUBREUIL

Vincent Dubreuil est Professeur à l'Université Rennes 2 et membre de l'UMR 6554 LETG (Littoral Environnement Télédétection Géomatique). Géographe climatologue, ses travaux portent sur les risques (sécheresse) et les changements climatiques en France et au Brésil de l'échelle locale (îlots de chaleur urbain) à l'échelle régionale (impact de la déforestation en Amazonie sur le climat) et utilisent de manière privilégiée les données de satellites. Il coordonne ou participe à plusieurs projets de recherches en collaboration avec le Brésil (CNRS, ANR, COFECUB, H2020, FAPESP...) et a été professeur invité dans les universités de Brasilia, Presidente Prudente, Londrina et Fortaleza.

FRANÇOIS-MICHEL LE TOURNEAU

François-Michel Le Tourneau est directeur de recherche au CNRS et directeur-adhoint de l'UMI iGLOBES (CNRS-ENS-Université d'Arizona).

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Eau et gestion de l'eau dans les Amériques

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Eau et gestion de l'eau dans les Amériques

L’eau : politiques étatiques, régionales et jeux d’acteurs

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Do Programa Um Milhão de Cisternas ao Água para Todos: divergências políticas e bricolagem institucional na promoção do acesso à água no Semiárido brasileiro From One Million Cisterns to Water for All Program: political divergences and institutional bricolage in promoting access to water Du programme Un million de citernes d'eau pour tous : différences politiques et bricolage institutionnel dans la promotion de l'accès à l'eau

Daniela Nogueira, Carolina Milhorance e Priscylla Mendes

Introdução

1 O Brasil é um país privilegiado no que se refere ao volume de recursos hídricos, detentor de cerca de 13% da água doce do planeta (Agência Nacional de Águas, 2013). Todavia, a disponibilidade de água no território nacional não é uniforme, e a oferta de água tratada reflete contrastes associados ao processo de desenvolvimento nacional, bem como às desigualdades sociais e regionais dele resultantes. A região Nordeste compreende uma área de 1.670.000 km2 dos quais 969.589 km2 conformam o chamado Semiárido brasileiro (Figura 1), região historicamente marcada pela ocorrência de secas.

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Localização da região semiárida

Fonte: Autores, Sudene, 2019.

2 O desenho dos arranjos institucionais e as engrenagens de poder são centrais na configuração das relações de poder. Políticas sociais mais inclusivas e de promoção do acesso à água têm contribuído desde o início dos anos 2000 para reduzir as vulnerabilidades sociais da região, diminuindo as assimetrias de poder existentes. No entanto, ainda é possível observar a existência de uma relação direta entre pobreza e acesso aos serviços básicos (Nogueira D., 2017; Bursztyn M. e Chacon S., 2011).

3 Uma das principais ações neste contexto é o Programa Um Milhão de Cisternas (P1MC), coordenado pelo Ministério de Desenvolvimento Social e Combate à Fome (MDS) e executado pela rede de organizações da sociedade civil, Articulação do Semiárido (ASA). Lançado em 2003, o programa incluiu iniciativas de formação, educação e mobilização de famílias rurais para construção de cisternas de captação de água da chuva. Ele trouxe importantes resultados no que tange ao desafio de democratizar o acesso à água no Semiárido brasileiro e se destacou por seu desenho metodológico e grau de capilaridade no território (Nogueira D., 2009). Apesar destes resultados, o programa tornou-se um espaço de disputa político-institucional, não apenas entre atores da sociedade civil local e o governo federal, mas também dentro do próprio governo federal. Mudanças significativas na sua concepção e arranjo institucional foram observadas a partir de 2011, com a criação do Programa Água para Todos (APT), no âmbito do Plano Brasil sem Miséria (PBSM). Coordenado pelo Ministério da Integração Nacional (MI), tal mudança provocou transformações no desenho inicial, assim como no processo de implementação do programa e alterou as estratégias privilegiadas de promoção do acesso à água. A transição resultou na formulação de um programa governamental de escala nacional, dotado de orçamento próprio e que incluiu novos

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tipos de infraestrutura hídrica, atraindo assim o interesse de diferentes grupos de poder e diferentes instituições envolvidas na sua implementação.

4 O presente artigo examina o processo político que levou a tal mudança, trazendo para o centro da discussão suas motivações, evolução e implicações. Além do interesse analítico de um processo de mudança programática e de disputa entre burocracias estatais, incluindo suas dinâmicas de alianças com atores sociais, o artigo discute os desafios de formulação de políticas públicas de acesso à água e de sua implementação em nível local. Por fim, o texto analisa o programa a partir de uma perspectiva mais ampla, destacando os desafios de transpor para a escala nacional iniciativas locais, além de articular tais questões com a redução das vulnerabilidades socioambientais, principalmente no contexto de aumento dos impactos decorrentes das mudanças climáticas.

5 Foram mobilizados dados primários e secundários, incluindo dados bibliográficos e estudos de avaliação dos programas, documentos institucionais, e entrevistas realizadas entre setembro de 2018 e junho de 2019, com gestores públicos e privados, incluindo técnicos e agentes de mobilização de organizações não-governamentais, em Brasília e na região semiárida de Petrolina e Juazeiro, nos estados de Pernambuco e Bahia, respectivamente. Em Brasília, tais gestores fazem parte dos quadros técnicos das instituições federais responsáveis pela formulação e implementação do P1MC e do APT. Já nos estados, estão ligados às unidades gestoras, em algumas ocasiões participando do processo como voluntários.

6 O artigo é subdividido em quatro seções. A primeira contextualiza a evolução recente do debate sobre o acesso à água no Semiárido brasileiro. A segunda descreve a emergência e a consolidação do P1MC. Em seguida são trazidas informações de primeira mão sobre a mudança institucional e transição para o APT, listando os principais objetivos e determinantes deste processo. Finalmente, a quarta seção, discute as implicações desta mudança do ponto de vista político e do potencial do programa em reduzir as vulnerabilidades socioambientais na região.

Evolução das respostas político-institucionais ao desafio do acesso à água no Semiárido brasileiro

7 O acesso à água é o fio condutor das diversas concepções de desenvolvimento adotadas na formulação de políticas públicas, assim como os ciclos de desenvolvimento econômico que marcaram a região. Políticas decorrentes da “solução hidráulica” ou “açudagem”, passando por iniciativas como a estratégia desenvolvimentista, e recentemente, estratégias nacionais mais centralizadoras, foram implementadas em toda a região. No entanto, não priorizavam as particularidades regionais e de forma geral tinham um caráter mais emergencial e menos transformador das estruturas sociais (Nogueira D., 2009; Chacon S., 2007). Algumas dessas políticas públicas acabaram por beneficiar elites locais e reforçar o clientelismo, pois se restringiam a ações pontuais, privilegiando pessoas que já tinham alguma forma de acesso ao poder ou correligionários das oligarquias locais. Corroborando para a manutenção das estruturas de poder existentes na região (Bursztyn M., 2008).

8 Os planos de desenvolvimento macrorregional marcaram a estratégia desenvolvimentista, que prevaleceu entre os anos 1950 e 1970 e levou em consideração,

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de forma mais sistemática, aspectos da estrutura econômica da região. Apesar de ter sido criado no início do século XX, o Departamento Nacional de Obras Contra as Secas (Dnocs) teve um papel importante na construção de grandes reservatórios de água e obras de infraestrutura hídrica. Destaca-se também o papel da Superintendência do Desenvolvimento do Nordeste (Sudene), criada em 1959, que atuou na elaboração de planos regionais de desenvolvimento, com base em uma perspectiva de que a disponibilidade hídrica não significava exclusivamente um problema climático. No entanto, as iniciativas propostas permaneceram baseadas em soluções desconectadas de ações mais enraizadas e geradoras de autonomia e, consequentemente, mais transformadoras da estrutura social e econômica. O reconhecimento dos limitados resultados das políticas de combate à seca no que se refere à melhoria das condições de vida da população impulsionou o surgimento e atuação de novos atores na construção de alternativas mais sustentáveis para o Semiárido (Milhorance C. et al. 2019b; Nogueira D., 2009).

9 Assim como as políticas desenvolvimentistas, estratégias setoriais também não se apresentaram como propostas de redução das desigualdades e vulnerabilidades sociais. Grandes empreendimentos de geração de energia elétrica têm sido implantados na região, aproveitando o potencial dos recursos naturais locais, como as usinas hidrelétricas no rio São Francisco e, mais recentemente, os parques de energia eólica. Contudo, essas iniciativas pouco contribuíram para a redução dos impactos socioambientais sofridos pelas populações rurais mais vulneráveis (Milhorance C. et al. 2019b). A formulação e implementação dessas iniciativas caracterizaram-se por uma lógica de centralização que acabou por reproduzir a dinâmica de poder já existente e a permanência de entraves à democratização do acesso à água (Nogueira D., 2017).

10 A partir da seca de 1992 a 1993, houve um progressivo reconhecimento dos limitados resultados das políticas de combate à seca no que se refere à melhoria das condições de vida da população rural. Este episódio impulsionou a atuação de novos atores na construção de alternativas de desenvolvimento para o Semiárido. Observa-se uma mudança na reação de organizações da sociedade civil pressionando as autoridades do poder público por ações mais concretas (Cardoso G., 2007). Um conjunto de ações permanentes para convivência com o Semiárido tornou-se objeto de diálogo entre a sociedade civil e o Governo Itamar Franco (1992-1995). O projeto ganhou mais consistência a partir de 1996 por meio das parcerias firmadas com o programa Comunidade Solidária e com a Sudene (Nogueira D., 2009). Todavia, estas permaneceram medidas emergenciais, e o crédito rural para o fortalecimento da infraestrutura hídrica privilegiou os grandes e médios proprietários (Nogueira D., 2009).

11 Um ponto de inflexão institucional neste processo foi o estabelecimento da Política Nacional de Recursos Hídricos (PNRH), preconizada pela Lei 9.433, de 1997, que tem como fundamentos o uso múltiplo das águas e a gestão descentralizada dos recursos hídricos, a partir da participação do poder público, dos usuários e das comunidades. Além de contribuir para a mudança de paradigma referente ao uso e distribuição da água no Brasil, a política estabeleceu como um de seus objetivos o incentivo e promoção da captação, preservação e aproveitamento de águas pluviais, incluindo as cisternas domiciliares.

12 É dentro de um contexto de mudanças políticas na gestão dos recursos hídrico e de insatisfação com as políticas historicamente implementadas na região que, em 1999,

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durante a III Conferência das Partes das Nações Unidas sobre o Combate à Desertificação e Mitigação dos Efeitos da Seca (COP 3) em Recife (PE), representantes de sindicatos de trabalhadores e trabalhadoras rurais, movimentos sociais, entidades religiosas e ONG elaboraram a Declaração do Semiárido. O texto trouxe como mensagem central a ratificação de que a adaptação às condições fisiográficas do Semiárido brasileiro era possível (Silva D., 2014; Nogueira D., 2009).

13 Nesta perspectiva, diversas organizações governamentais e da sociedade civil vêm alterando suas ações de um enfoque de “combate às secas” – caracterizado pelo estabelecimento de grandes infraestruturas hídricas e pela lógica de centralização na gestão dos recursos hídricos – para uma perspectiva de “convivência com o Semiárido”. Uma das premissas destas mudanças é assegurar o acesso à água de forma autônoma e descentralizada, garantindo assim a segurança hídrica e alimentar, condições básicas para a permanência das pessoas na região. A evolução institucional da promoção do acesso à água no Semiárido brasileiro, descrita ao longo desta seção, é ilustrada na Figura 2.

Evolução institucional da promoção do acesso à água no Semiárido brasileiro

Fonte: Autores

Programa Um Milhão de Cisternas Rurais: institucionalização de uma estratégia de convivência com a seca

14 Apesar do aproveitamento da água de chuva para consumo humano e para atividades produtivas ter sido promovido por diversas organizações da sociedade civil do Semiárido desde o início dos anos 1990, sua institucionalização como política pública deu-se em 2003, com a criação do P1MC, durante a presidência de Lula da Silva (2003-2010) (Gandure S.; Walker S. e Botha, J. 2013). O programa destacou-se por seu desenho metodológico, grau de capilaridade, complexidade e, consequentemente, potencial de transformação. A iniciativa inclui formação, educação e mobilização de pessoas e instituições, executado pela ASA, que vem desencadeando um movimento de

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articulação e de convivência sustentável com o Semiárido a partir do fortalecimento da sociedade civil e da construção de cisternas.

15 A ASA é um ator central nesse processo, fruto de uma articulação entre entidades que vinham desenvolvendo iniciativas para promoção de tecnologias sociais no Semiárido, sendo estas realizadas com o apoio da Fundação Grupo Esquel Brasil e da Federação Brasileira dos Bancos (Febraban). Esse processo intensificou-se durante a preparação da COP3 e resultou na criação do Fórum de Articulação do Semiárido (Nogueira D., 2009). No início tratava-se de um grupo relativamente pequeno, formado por organizações de vários estados do Nordeste. A iniciativa expandiu-se e, em 2002, foi criada a Associação Programa Um Milhão de Cisternas (AP1MC), com o objetivo de administrar a implementação do P1MC e repassar os recursos para as Unidades Gestoras Microrregionais (UGM), comissões responsáveis pela execução das ações. Além das UGM, a ASA é composta por uma Comissão Executiva formada pelas entidades diretoras estaduais.

16 Desde a sua fase inicial, o P1MC contou com várias fontes financiadoras. Dentre as principais, é possível destacar a Agência Nacional de Águas (ANA), a Febraban, a Associação Recife Oxfam para a Cooperação e Desenvolvimento (Oxfam), o Ministério do Meio Ambiente (MMA) e o MDS. O Programa teve início mediante um convênio entre a ASA e o MMA em 2001. Todavia, foi em 2003, por meio de um termo de parceria assinado com o então Ministério Extraordinário de Segurança Alimentar e Combate à Fome (MESA)1, que o P1MC ganhou impulso.

17 Entre 2003 e 2010, 329.569 cisternas de placas para abastecimento humano foram construídas no âmbito do P1MC (MDS 2016). Entre as principais vantagens dessa infraestrutura destacam-se a qualidade da água, a proximidade da residência e o custo relativamente baixo - cerca de R$ 3 mil, que inclui material, mão-de-obra, mobilização e capacitação das famílias beneficiadas com a tecnologia (Santana V. et al. 2011). O uso da água armazenada nas cisternas residenciais deve ser exclusivo para o abastecimento humano, não sendo suficiente para atender outras necessidades durante a seca. Trata- se de uma alternativa ao alto custo dos carros-pipa e à falta de garantia da qualidade da água de outras fontes de abastecimento, como açudes, sendo também usada como reservatório para armazenamento nos períodos de seca, principalmente nas regiões mais distantes dos aglomerados comunitários (Andrade T. et al. 2015; Nóbrega R. et al. 2013).

18 Portanto, o P1MC trouxe inovações metodológicas e de gestão ao desafio histórico de democratizar o acesso à água no Semiárido brasileiro. O programa ganhou reconhecimento nacional e internacional como estratégia de superação da pobreza rural na região. No entanto, sua capacidade de execução e universalização do acesso à água foi considerada baixa por membros do governo federal. Neste contexto, o P1MC vem assumindo diferentes contornos ao longo dos anos, resultado da experimentação e do diálogo - nem sempre harmonioso (Nogueira D., 2017) –entre atores da sociedade civil local e do governo federal, que contribuíram para moldá-lo (Bonnal P. e Piraux M. 2010). Mudanças mais importantes na sua concepção e no seu arranjo institucional ocorreram a partir da criação do programa APT, e serão discutidas nas próximas seções.

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O Programa Água para Todos e a proposta de universalização do acesso à água

Objetivos, governança e implementação

19 O Programa APT foi instituído em julho de 2011 pelo governo federal, no contexto do Plano Brasil Sem Miséria (PBM), com a proposta de universalizar o acesso à água na zona rural. Considerado uma das principais bandeiras políticas do governo Dilma Rousseff (2011-2016), a principal diretriz do PBM é a priorização da população em situação de extrema pobreza, ampliando o acesso aos serviços públicos e também a oportunidades de ocupação e renda. O APT tem como objetivo garantir o amplo acesso à água para as populações rurais dispersas e em situação de extrema pobreza, seja para o consumo próprio ou para a produção de alimentos e a criação de animais, possibilitando a geração de excedentes comercializáveis para a ampliação da renda familiar dos produtores rurais (MI 2012).

20 O APT combinou iniciativas existentes de disseminação de infraestruturas e tecnologias hídricas, mas com maior número de parcerias e diferentes arranjos institucionais. A principal tecnologia apoiada é a cisterna para captação de água da chuva para abastecimento humano, seja de placas de cimento ou de polietileno. A estratégia de captação e armazenamento de água da chuva no Semiárido foi preconizada pela PNRH no final dos anos 1990, mas tornou-se uma estratégia política relevante apenas nos anos 2000, promovendo o acesso descentralizado e territorializado à água (Campos A. e Melo Alves A. 2014). A inovação na utilização das cisternas de placas no âmbito do P1MC foi o desenho metodológico, que incluiu formação dos beneficiários para construção e manutenção das cisternas e organização social na gestão dos recursos hídricos, e o arranjo institucional de implementação, que envolveu parcerias entre o governo federal e organizações da sociedade civil local (Pereira M., 2016).

21 Com a constituição do APT, o governo federal pretendia ampliar significativamente a instalação de cisternas, tendo como meta entregar 750 mil em um período de menos de quatro anos, o que exigia mudanças importantes no desenho institucional e uma maior articulação entre atores (Campos A. e Melo Alves A. 2014). Além de incluir novos órgãos, como o MI, o MMA, a Fundação Nacional de Saúde (Funasa), e a Fundação Banco do Brasil (FBB), foram assinados contratos de prestação de serviços com o Banco do Nordeste do Brasil (BNB), e firmados convênios com consórcios públicos de municípios, que até então não participavam do processo. 22 Quanto às tecnologias apoiadas, o governo ampliou suas opções, incluindo a cisterna de polietileno, tecnologia promovida pelo MI. A operacionalização da compra e instalação dessas cisternas foi viabilizada pela Companhia de Desenvolvimento dos Vales do São Francisco e do Parnaíba (Codevasf) e pelo Dnocs, por meio de convênios com estados e licitação para contratar empresas privadas, nas quais duas multinacionais saíram vencedoras. Além disso, foram incorporadas novas infraestruturas, tais como sistemas coletivos de abastecimento e tecnologias de água para produção, como pequenas barragens, cisternas calçadão, barreiros e kits de irrigação.

23 O argumento do governo para promover o modelo de fabricação e instalação das cisternas de polietileno foi a celeridade na implementação do programa, em comparação com as cisternas de placa. Segundo os gestores, tal decisão foi embasada pela existência de outras experiências com o produto em países como México,

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Austrália, Nova Zelândia, Estados Unidos, Malásia e Indonésia, e regiões com alta incidência solar, à semelhança da região do Semiárido brasileiro. Além disso, estudos realizados pelo MI indicavam que as cisternas de placa teriam demonstrado alta durabilidade –cerca de 20 anos– e sua instalação era considerada mais simples que as de placa (MI 2011).

24 No entanto, foram várias as críticas a esta escolha. Neste contexto, a ASA lançou em 2011 a campanha "Cisterna de Plástico/PVC - Somos Contra!". Segundo representantes da rede, a mudança para o APT resultou na concentração de recursos financeiros, menor capacidade de dinamização da economia local, além da inadequação da tecnologia escolhida às características produtivas da região. Além disso, a cisterna de polietileno excluía a componente de formação e mobilização das famílias rurais para a convivência com o Semiárido (Pereira M., 2016; ASA 2011). Mais do que uma mudança metodológica, observou-se uma mudança na configuração política do programa. Segundos diversos atores que estiveram à frente do processo de resistência, uma maior celeridade na implementação do P1MC poderia ter sido mais facilmente alcançada mediante a desburocratização dos repasses financeiros aos agentes envolvidos, bem como por meio do aumento dos recursos destinados às unidades executoras da sociedade civil, uma vez que estas já eram detentoras da expertise necessária à governança e à execução do programa.

25 Em paralelo à execução da instalação das cisternas de polietileno pelo MI, a instalação das cisternas de placas continuou sendo executada pelo MDS, depois de impasses na negociação com a ASA. Posteriormente, em outubro de 2013, o governo federal instituiu o Programa Nacional de Apoio à Captação de Água de Chuva e Outras Tecnologias Sociais de Acesso à Água (Programa Cisternas), dando força de lei às ações de implementação de cisternas pelo MDS. Além do abastecimento humano, o Programa Cisternas tem como finalidade promover o acesso à água para produção alimentar, por meio de cisternas produtivas. No caso das cisternas de produção, tal tecnologia já estava sendo difundida pela ASA desde 2007, por meio do Programa Uma Terra e Duas Águas (P1+2), com o objetivo de promover a segurança alimentar e nutricional das famílias agricultoras, além de estimular a geração de emprego e renda (ASA 2019) – objetivos que se alinham diretamente com o propósito central do APT.

26 Após muitos embates e alguns ajustes, o novo arcabouço institucional buscou simplificar os processos de contratação e prestação de contas pelas organizações da sociedade civil. Uma das principais mudanças foi a possibilidade de formalizar contratos por dispensa de licitação com entidades privadas sem fins lucrativos previamente credenciadas pelo MDS. Este marco contribuiu para institucionalizar um modelo de governança da política que fortalece a relação entre Estado e sociedade civil na execução de políticas públicas e trouxe inovações importantes para a superação de entraves burocráticos.

27 A Tabela 1 resume os atores e instrumentos legais de cada programa e a Tabela 2 informa as tecnologias de captação da água entregues por estes programas. Os dados foram organizados entre os períodos anterior (2003 a 2010) e posterior (2011 a 2016) à criação do Programa APT. Vale notar que as informações sobre impactos de cada programa no aumento do acesso à água e no fortalecimento da capacidade de convivência com o semiárido não estão disponíveis. No entanto, no que se refere especificamente à instalação de cisternas, os dados mais recentes de implementação do APT indicam um aumento substancial do número inicial. No período de 2011 a fevereiro

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de 2016, mais de um milhão de cisternas de consumo (placas e polietileno) e de produção foram entregues. Este número é cerca de três vezes maior que as cisternas implantadas entre os anos de 2003 e 2010. Se compararmos apenas as cisternas de produção nos dois períodos citados, esse aumento chega a ser 20 vezes maior (MDS 2016). Segundo dados do Ministério do Planejamento, em 2017, mais de 47 mil tecnologias sociais de acesso à água para consumo humano foram entregues, incluindo comunidades indígenas, e quase onze mil de água para produção agrícola (MPDG 2017). Os dados após este período são pouco sistematizados, criando uma lacuna de informação para o acompanhamento destas ações. Apesar disto, a última seção deste artigo discute alguns dos resultados e limites de cada programa.

Tabela 1 Quadro síntese dos programas federais para universalização do acesso à água no Semiárido brasileiro

P1MC APT Programa Cisternas

Cisternas de polietileno de Cisternas de placas de abastecimento humano (16 mil Principais Cisternas de placa abastecimento humano litros), barreiros, cisternas tecnologias de abastecimento (16 mil litros), cisternas produtivas (calçadão, hídricas humano (16 mil produtivas (calçadão, enxurrada, etc.) (52 mil litros), disseminadas litros) enxurrada, etc.) (52 mil pequenas barragens, kits de litros) irrigação

Parceria com entidades Convênios com entidades pré-cadastradas pelo MDS privadas, instituições regionais, Marco legal e Termo de Parceria estados e municípios Lei 12.873/2013, modalidades de regulamentada pelo N◦ 01/2003 Decreto nº 7.535, de 26 de julho parceria Decreto 8.038/2013 e de 2011, alterado pelo Decreto revogado pelo Decreto nº 8.039/2013 9.606/2018.

Instituição ASA/MDS MI MDS coordenadora

Principais MDS, MI, Codevasf, DNOCS, instituições ASA MMA, ANA, Funasa, FBB, ASA e prefeituras envolvidas na BNDES, Petrobras e a ASA execução

Fonte: Autores

Tabela 2 Tecnologias de captação de água de chuva entregues no Semiárido, por tipo de tecnologia e período

2003 a 2010 2011 a 2016

Consumo humano 329.569 928.101

Produção 7.505 162.032

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Cisternas nas escolas* - 2.281

Fonte: MDS, 2017

28 *Iniciativa iniciada em 2015

Processo de formulação, ajustes e bricolagem institucional

29 Com a criação do APT, o governo federal buscava aplicar um ritmo mais acelerado de execução e instalação de tecnologias de captação de água. O MI, cuja missão passava pela diminuição das desigualdades regionais mediante a garantia do acesso à água, foi indicado pelo governo Rousseff para coordenar a articulação de iniciativas governamentais já existentes, mas até então fragmentadas em diversos setores e ministérios, dentre eles desenvolvimento regional, agricultura, desenvolvimento rural, cidades e meio ambiente.

30 Inicialmente, o APT teve como foco geográfico o Semiárido, privilegiando áreas onde se concentra o maior número de famílias em situação de vulnerabilidade. Posteriormente, o Comitê Gestor deliberou pela inclusão de aposentados rurais que não estivessem no Cadastro Único para Programas Sociais do Governo Federal (CadÚnico), assim como de alguns municípios com escassez hídrica fora dos limites oficiais do Semiárido. Estes estavam localizados nos estados do Amazonas, Espírito Santo, Goiás, Maranhão, Pará, Rio Grande do Sul, Santa Catarina e Tocantins.

31 Tais mudanças resultaram em modificações no papel e na autonomia de determinadas instituições envolvidas, no padrão de alocação de recursos federais, e na metodologia e no objetivo final do APT em relação ao P1MC, gerando críticas dentro e fora do governo. Do ponto de vista institucional e financeiro, o MDS perdeu parte substancial do orçamento da Secretaria Nacional de Soberania Alimentar e Nutricional e de sua autonomia na aplicação de tais recursos. Na sociedade civil, as críticas vieram, sobretudo, da ASA, que teve seu orçamento reduzido, e sofreu o impacto da perda de autonomia do MDS na execução. Além disso, viu sua centralidade institucional e programática se fragmentar com o aumento de órgãos executores, diversificação de tipos de infraestrutura e pulverização de recursos.

32 No que se refere à diversificação dos órgãos executores, cabe destaque para o papel assumido pelos municípios. A inclusão de um leque mais amplo de atores no APT contribuiu, de um lado, para a complexificação do arranjo institucional do programa; e de outro, para a retomada do protagonismo dos municípios e, consequentemente, das elites locais na (re)configuração do desenho de novos pactos políticos em torno da água.

33 Para além de divergências político-institucionais, desde o seu início, o APT sofreu duras críticas no que se refere à simplificação do seu desenho metodológico e até mesmo de uma descaracterização de seus elementos mais inovadores. Estes incluíam o envolvimento e a capacitação das famílias beneficiadas, focalização em famílias chefiadas por mulheres, dinamização da economia local e descentralização do modelo de governança mediante o fortalecimento da sociedade civil local. Tais críticas reforçaram a pressão para que a coordenação do APT realizasse ajustes no seu desenho, aproximando-o dos componentes mais inovadores que constavam no P1MC. No entanto, dada a escala geográfica de implementação e a complexidade de seu arranjo

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institucional, os ajustes configuraram-se mais como uma bricolagem institucional do que com um novo desenho de fato (Nogueira D., 2009), isto é, a elaboração de um ‘novo’ desenho metodológico inspirado em alguns componentes do P1MC foi uma tentativa de dar uma resposta rápida às duras críticas recebidas, mas que na prática pouco guardou do seu conteúdo original em seu processo de implementação, particularmente, no que se refere ao seu potencial de transformação e democratização do acesso à água.

34 Essa bricolagem institucional configurou-se, portanto, como novo arranjo de política que combinou elementos do “moderno” – ao buscar manter um modelo de governança descentralizado e participativo fundamentado no desenho do P1MC – e do “tradicional” – ao dialogar com as oligarquias locais, incialmente não incorporadas na etapa de implementação. Vale notar que estas oligarquias foram reconhecidas como atores centrais em sua governança. Além disso, o novo arranjo mesclou componentes e regras “formais”, ao reproduzir a estrutura de governança proposta no novo desenho, e “informais”, ao ignorar alguns dos critérios de priorização existentes. Este processo de bricolagem materializou a reprodução de uma série de divergências político- institucionais e de diferentes concepções de desenvolvimento na elaboração das políticas públicas e acabou por não operar a desejada ruptura nas assimétricas relações de poder que permeiam as iniciativas de acesso à água no Semiárido.

Discussão

Divergências políticas e concepções de desenvolvimento

35 Parte das reações ao APT se deu em torno das características das tecnologias priorizadas, principalmente no que se refere às diferenças entre as cisternas de placas e de polietileno. A ASA trouxe para o debate uma série de críticas às cisternas de polietileno. Dentre elas, sua baixa capacidade de dinamização do desenvolvimento local, uma vez que a compra de grandes lotes de cisternas de poucas empresas contribuiria para a concentração de rendimentos. Em contraste, o processo de construção de cisternas de placas foi reconhecido por seu potencial de gerar renda de forma desconcentrada para pedreiros, mobilizadores comunitários e técnicos de ONG, além de movimentar a economia local, onde são comprados os materiais de construção (ASA 2011).

36 Críticas semelhantes surgiram também na academia. Estudos mostraram o potencial do P1MC em promover uma reflexão sobre a gestão e o manejo comunitário dos recursos hídricos e a articulação com organizações da sociedade civil de base local (Silva D., 2017; Pereira M., 2016). A participação das famílias é considerada relevante para a apropriação da tecnologia no processo de captação da água, garantia de sua qualidade e manutenção do sistema no longo prazo (Pereira M., 2016; Nogueira D., 2013).

37 A qualidade do material também foi questionada. Argumentou-se, por exemplo, que as cisternas de polietileno não seriam adequadas à região semiárida por não resistirem às altas temperaturas, resultando em deformação do material e aquecimento da água armazenada (Pereira M., 2016). Vale notar que algumas desvantagens das cisternas de placas foram mencionadas, cabendo destaque para o fato do processo de construção exigir pedreiros qualificados (Nogueira D., 2013), possibilidade de fissuras por onde a água vaza, e necessidade de intervalo de três semanas entre a fabricação das placas e o início do levantamento das paredes (Gnadingler J., 1999).

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38 No entanto, os estudos comparativos entre as duas tecnologias ainda são pouco conclusivos. Por exemplo, no estado do Ceará houve divergência entre regiões (Trairi e Caucaia) quando os beneficiários foram questionados sobre a melhor solução (cisternas de placa ou polietileno) para o abastecimento de água (Schmitt J., 2015). No estado do Rio Grande do Norte, estudos indicaram uma rejeição do público à cisterna de plástico, alegando menor durabilidade do produto industrializado e orientação inadequada quanto ao manejo da água (Morais H.; Paiva, J. e Souza, W. 2017). Nos estados de Bahia e Pernambuco (Juazeiro e Petrolina), entrevistas realizadas em maio de 2019 indicaram certa preferência pelas cisternas de polietileno no que se refere à manutenção da qualidade da água armazenada. Por outro lado, a maior parte destas cisternas não se encontrava conectada aos telhados e era utilizada como reservatório para água distribuída por caminhão-pipa ou poços artesianos, enquanto as cisternas de placa estavam em sua maioria conectadas aos telhados das casas. A justificativa recorrente para a desconexão dos telhados é a ausência ou insuficiência de chuva. Ainda sim, predomina a percepção dos gestores e beneficiários de que a possibilidade de utilização como reservatório é um grande avanço, pois possibilita o armazenamento de água próximo à residência. Tudo isso indica falhas na implementação dos programas, especialmente no que se refere ao monitoramento ou mesmo à ausência de uma avaliação ex-post.

39 Uma série de instituições gestoras entrevistadas também demonstraram preferência em relação às cisternas de placa. O MDS ratificou as vantagens já elencadas nesse trabalho: geração de emprego e renda, baixo custo, comparado com as cisternas de polietileno. A Codevasf destacando o menor custo em relação às de polietileno. Enquanto a FBB tomou uma decisão técnica de apoiar a cisterna de placas no âmbito de seus projetos.

40 Os estudos mencionados de avaliação de impacto englobam um número muito limitado de beneficiários e de localidades, e são pouco sistemáticos. Estudos mais amplos e aprofundados seriam necessários para melhor embasar este debate. Ainda assim, mesmo os estudos mais favoráveis às cisternas de polietileno recomendam uma revisão dos mecanismos de instrução que fortaleça as aptidões das famílias na manutenção e higienização do sistema, além de uma análise mais aprimorada das condições de acesso à água em cada microrregião (Schmitt J., 2015; Mota D.; Vianna M. e Lacerda K. 2016). 41 Mais do que uma divergência sobre o potencial e os limites das tecnologias de armazenamento de água, a mudança no desenho original do P1MC resultou em mudanças políticas e alteração no papel de cada instituição envolvida. Com o lançamento do APT, a parceria com a ASA foi brevemente interrompida. O atrito entre a ASA e o governo federal deu-se num contexto de divulgação de escândalos de desvio de recursos públicos envolvendo convênios com ONG e o Ministério do Esporte. Apesar de não haver nenhum indício de irregularidades por parte da AP1MC e este modelo de parceria ter sido considerado transparente por diversos analistas (Pereira M., 2016), as regras relativas às transferências de recursos da União foram alteradas.

42 Segundo representantes do MI, o apoio à distribuição de infraestruturas descentralizadas de acesso à água ilustrava uma gradual incorporação da lógica de “convivência com o Semiárido” nas ações deste ministério (De Nys E. e Engle N. 2014). Todavia, de acordo com representantes da ASA e alguns pesquisadores, a persistência das cisternas de plástico significava uma nova versão da lógica de “combate à seca”, dada a concentração de recursos em poucos fornecedores, o baixo envolvimento das

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famílias e das organizações da sociedade civil, e a transferência de tecnologias desenvolvidas em outros países e não necessariamente adaptadas às condições ambientais do Semiárido (Pereira M., 2016; ASA 2011).

43 Diante da pressão da sociedade civil e de membros do governo, os convênios foram retomados por meio do Programa Cisternas, apresentado na seção anterior. No Programa APT, a distribuição de cisternas de polietileno pela Codevasf, Dnocs e Funasa foi mantida. Além disso, foi definido um critério de contratação de empresas que utilizassem mão de obra local tanto na produção quanto na implementação de cisternas. Neste contexto, uma multinacional mexicana que ganhou a licitação para o primeiro lote de cisternas, construiu fábricas em Petrolina-PE, Penedo-AL, Teresina-PI e Montes Claros-MG. O MI também buscou estabelecer um desenho e modelo de interlocução com os parceiros e beneficiários inspirado no modelo da ASA/MDS, o que incluiu a criação de comitês gestores estaduais e municipais. Todavia, estes não contavam com a mesma capilaridade institucional das UGM da ASA, o que dificultou a implementação do novo desenho e facilitou a reprodução da lógica já existente (MDS 2015).

44 Em resumo, o processo descrito neste artigo ilustra uma série de mudanças incrementais (Lindblom C., 1979) baseadas em disputas, negociações e colaboração entre o governo federal e organizações da sociedade civil no que se refere à concepção e às formas de implementação dos programas de acesso à água. A distribuição dos recursos hídricos envolve disputas políticas e controvérsias em torno das distintas concepções de desenvolvimento do Semiárido nordestino. Ao longo do tempo, os programas foram passando por mudanças incrementais, fruto da dupla relação de colaboração e oposição entre o governo e as organizações da sociedade. Houve interrupções do programa, principalmente em função de alterações das regras de repasse e uso de recursos públicos. 45 No entanto, cabe mencionar que, sem a parceria do governo federal e do setor privado (por meio da Febraban), dificilmente o P1MC alcançaria a atual abrangência em todo o Semiárido. Por outro lado, a interação entre os atores locais envolvidos no P1MC e os órgãos públicos municipais, em especial as prefeituras, tem sido baixa. Este cenário estaria relacionado à preocupação em se distanciar de possíveis capturas clientelistas. A participação das prefeituras mostrou-se importante para transpor gargalos do programa em diversas circunstâncias, porém estas interações não foram suficientemente adensadas (Andrade J. e Cordeiro J. 2016).

Por uma abordagem com base nas vulnerabilidades socioambientais

46 Independentemente do arranjo institucional, as cisternas apresentam-se como uma alternativa na garantia ao acesso à água para o abastecimento humano e a pequena produção, aumentando assim a segurança hídrica das famílias rurais que vivem afastadas dos aglomerados comunitários. Trata-se de uma estratégia de baixo custo, e impacto ambiental praticamente nulo quando comparado ao impacto gerado pelas grandes obras de infraestrutura hídrica historicamente priorizadas na região. No entanto, as cisternas não constituem soluções definitivas para as questões da vulnerabilidade social e climática no Semiárido, pois nem sempre há água suficiente para enchê-las. Tal característica tem colaborado para a perpetuação de políticas

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emergenciais como a dos carros-pipa e ressalta a necessidade da continuidade dos investimentos em infraestrutura e formação. Neste contexto, tanto o P1MC quanto o APT devem ser considerados como iniciativas absolutamente relevantes e necessárias, mas não suficientes para o atingimento da segurança hídrica das famílias sertanejas.

47 De fato, a meta de universalização torna o Programa APT uma iniciativa de grande relevância na direção da garantia do direito humano ao acesso à água. Entretanto, a redução das vulnerabilidades socioambientais requer abordagens mais amplas que vão além da distribuição de infraestruturas hídricas. São necessárias abordagens integradas para enfrentar os desafios da multidimensionalidade da pobreza.

48 Aspectos como o avanço nas condições de saúde, educação, redução do tempo e esforço gastos nos deslocamentos para a obtenção de água, tarefa executada principalmente por mulheres e meninas de diferentes idades, têm sido reconhecidos por diversos estudos e autores (Nogueira D., 2013; Pereira M., 2016; TCU 2006). Em Pernambuco e na Paraíba, houve uma diminuição da evasão escolar de meninas nos períodos da seca (Nogueira D., 2009). Na Bahia observou-se, por exemplo, uma redução da mortalidade por diarreia e outras causas evitáveis. Contudo, a mortalidade proporcional por estas causas permanece elevada e sua redução requer intervenções multissetoriais por meio da articulação de políticas que enfrentem de forma mais abrangente seus determinantes sociais (Rasella D., 2013). Por exemplo, a integração entre políticas sociais e sanitárias com as políticas habitacionais, de inclusão produtiva e ações regulares de controle da qualidade da água armazenada é considerada fundamental (Andrade J. e Nunes M. 2017). Para captar o volume de água suficiente para encher a cisterna, é necessário que o telhado da residência esteja em boas condições estruturais e possua área de pelo menos 40m2, o que não representa uma realidade em todo Semiárido (Andrade J. e Nunes M. 2017).

49 O cruzamento de informações das bases de beneficiários do APT e de outras ações do PBM (por meio do CadÚnico) sugere que muitas famílias foram incluídas num processo mais amplo de superação da situação de extrema pobreza. A condicionalidade da instalação de cisternas de abastecimento doméstico para a instalação de cisternas produtivas por meio do Programa P1+2 também denota uma atuação mais integrada por parte do governo federal na ampliação do acesso à água no Semiárido. Outras políticas públicas foram sendo agregadas nesse contexto, ampliando o acesso das famílias beneficiárias a serviços públicos, como a emissão de documentos pessoais de identificação e ações de assistência técnica e extensão rural por meio do Programa Fomento do MDS. No entanto, uma série de fatores políticos e operacionais limita o aprofundamento deste tipo de abordagem (Milhorance C. et al. 2019a).

50 Além do mais, a relativa autonomia dos agentes implementadores das cisternas de placa leva a resultados positivos em termos de apropriação das tecnologias e de articulação das políticas de redução da pobreza. Estudos têm mostrado, por exemplo, o papel informal dos agentes locais na articulação destas ações com políticas de acesso ao crédito rural e de vendas institucionais da agricultura familiar (Milhorance C. et al. 2019a).

51 Além do desafio de integração programática, uma questão adicional na redução das vulnerabilidades socioambientais é o avanço das mudanças climáticas e dos processos de desertificação em curso no Semiárido (Martins M. et al. 2017; Silva B. et al. 2019; Marengo J. et al. 2019). Estes cenários indicam desafios crescentes e maior complexidade no atendimento das demandas de água, principalmente, das populações

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rurais difusas. Além disso, as desigualdades no acesso à água podem exacerbar ainda mais as clivagens de gênero (Nogueira D., 2013), étnico-raciais e geracionais já existentes (Nogueira D., 2017; Pereira M., 2016).

52 Neste contexto, a perspectiva da adaptação às mudanças climáticas não pressupõe um retorno às soluções hidráulicas orientadas pela percepção de que a questão da seca se limita ao fenômeno climático. Pelo contrário, ela integra questões sociais estruturais em que os condicionantes naturais estão imbricados com os de natureza humana e principalmente política. Princípios de equidade estão estreitamente relacionados à identificação das vulnerabilidades. O foco nas questões de governança e tomada de decisão é considerado fundamental para promoção da capacidade adaptativa, especialmente num contexto de assimetrias de poder e no acesso aos recursos (Adger N., 2006). Parte desta literatura argumenta ainda que as intervenções políticas devem reconhecer a pluralidade de tipos de conhecimento e de sistemas de governança que são usados para gerenciar riscos e promover a resiliência (Adger N., 2006).

53 Estudos têm mostrado a necessidade de se adaptar as características das cisternas em determinadas regiões, por exemplo, a área do telhado (área de captação) e o dimensionamento da cisterna, para que a população local tenha acesso à água mínima necessária para uso. As medidas de manejo assinadas para atender ao déficit hídrico da população semiárida devem ser adequadas à realidade de cada localidade. Isso permitirá, além da aplicação de tecnologias mais eficientes para as características locais, maior economia na implementação das medidas de gestão propostas (Rodriguez R. et al. 2016). Sistemas de policulturas também são reconhecidos por garantir maior segurança alimentar em contextos de instabilidade ambiental. Portanto, a articulação entre a disseminação de cisternas produtivas e práticas de produção agrícola mais resilientes é fundamental neste processo.

54 Por fim, mais do que uma estratégia de convivência baseada no aprendizado sobre o histórico do clima na região, será preciso incorporar às políticas de promoção do acesso à água no Semiárido os impactos já conhecidos e as projeções de aumento da variabilidade climática. Tal consideração é coerente com posições de determinados atores institucionais, por exemplo, de representantes do Ministério da Fazenda. Além de incorporar as projeções climáticas no planejamento público, o representante entrevistado destacou a necessidade de se rever o investimento em ações emergenciais que se tornaram rotineiras, com base nestas projeções. No entanto, tal percepção ainda não é difundida ou materializada no âmbito da administração pública.

55 Outro exemplo é a redefinição do valor de construção das cisternas instaladas pela FBB para incluir o abastecimento com uma carga de água por carro-pipa. Tal opção foi reativa aos impactos da seca de 2012-2016, possivelmente associados à intensificação de eventos climáticos extremos associada às mudanças climáticas globais. Portanto, além dos desafios político-institucionais decorrentes das mudanças programáticas e metodológicas observadas na transição do P1MC ao APT, novos desafios se impõem às políticas de promoção do acesso à água no Semiárido. Além da capacidade de integração das intervenções em um mesmo território, será importante incorporar o debate das alterações climáticas no próprio planejamento das políticas públicas, estabelecendo maior flexibilidade institucional a fim de garantir capacidade de revisão e ajuste ao longo do tempo e considerando as projeções climáticas (e não apenas seu histórico).

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Considerações finais e perspectivas

56 O objetivo de universalização do acesso à água torna os programas P1MC, APT e Cisternas iniciativas de grande relevância na promoção do direito humano ao acesso à água e na busca da segurança hídrica e alimentar, particularmente em áreas semiáridas, onde o acesso aos serviços básicos é marcado por desigualdades sociais e políticas. Estudos que demonstram as vantagens e desvantagens de cada tipo de tecnologia ainda carecem de avaliações mais sistemáticas. Ainda assim, a cisterna é sinônimo de autonomia, independentemente do tipo de tecnologia e do acesso a outro tipo de abastecimento, oferecendo um acesso mínimo à água para famílias rurais do Semiárido. Sua eficácia, porém, depende do uso sustentável da água e da compreensão pelas famílias sobre os limites de armazenamento em período de estiagem e sobre o tratamento da água para consumo.

57 No entanto, a redução das vulnerabilidades socioambientais requer abordagens mais amplas e transformadoras que vão além da distribuição de infraestruturas hídricas. A mobilização social e a formação para a gestão descentralizada da água contribuem para ampliar o impacto e os ganhos sociais da tecnologia e, portanto, merecem ser mantidas e aprofundadas. Assistência técnica para construção e manutenção das cisternas e outros tipos de infraestrutura, formação das famílias para garantia da manutenção da cisterna e da qualidade da água armazenada, cultivo de alimentos saudáveis, além do fortalecimento da organização social, incluindo a transversalização da questão de gênero nos diversos ciclos da integração das políticas públicas em nível local, são alguns dos aspectos capazes de serem fortalecidos. As tecnologias sociais têm o potencial de aprofundar o debate sobre os contextos locais e políticos, que são a base de qualquer estratégia de redução das vulnerabilidades.

58 As divergências e os conflitos observados na evolução dos programas de distribuição de cisternas não se limitam ao tipo de material empregado, mas a concepções e projetos de desenvolvimento e a atores políticos. A resposta tem sido a manutenção de ambas estratégias de forma paralela. A bricolagem institucional foi o caminho encontrado para formulação de desenhos de políticas baseados em experiências de sucesso concebidas a partir de novos (re)arranjos institucionais delineados para diferentes escalas e modelos de governança concebidos a partir de realidades menos complexas. O aumento da escala ainda é um dos grandes desafios e esbarra na tentativa de replicar iniciativas locais ou regionais de sucesso para realidades de maior alcance, sob pena de seus desenhos metodológicos apresentarem pouca efetividade. Diante deste contexto, a compreensão das implicações políticas causadas pela mudança de estratégia a partir do lançamento do APT é relevante para se avançar nos processos de negociação e de formulação de iniciativas mais efetivas.

59 Finalmente, mas não menos importante, vale destacar a diminuição crescente dos recursos destinados nos últimos anos aos programas aqui analisados, resultando na descontinuidade dos arranjos institucionais apresentados e na próxima execução das políticas. As justificativas são de várias naturezas. Estas incluem a crise fiscal entre União, estados e municípios e tangenciam a crise das instituições democráticas participativas, incluindo o questionamento acerca da legitimidade e a efetividade das organizações da sociedade civil. Todavia, subjacente a todos esses aspectos há que se reconhecer que a mudança na orientação ideológica do governo federal e a opção por um projeto de desenvolvimento liberal-conservador contribuiu para marginalização

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das políticas sociais que preconizam um desenvolvimento mais democrático e inclusivo induzido pelo Estado. Tanto o processo de fragilização destas políticas, quanto seu impacto na garantia do acesso à água, e os mecanismos emergentes de resistência merecem ser analisados em uma agenda futura de pesquisa.

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ANEXOS

Fonte: Autores e ASA Brasil

NOTAS

1. Ministério precursor do MDS, criado em 2004.

RESUMOS

A universalização do acesso das populações rurais à água permanece um desafio em regiões como o Semiárido brasileiro. Uma série de políticas públicas, em especial o Programa Um Milhão de Cisternas, tem contribuído desde o início dos anos 2000 para alcançar este objetivo, promovendo a construção de cisternas de captação de água da chuva. Apesar dos resultados de ampliação do acesso à água e do grau de inovação do seu desenho metodológico, mudanças significativas na concepção e no arranjo político-institucional do programa foram observadas a partir de 2011, com a criação do Água para Todos. Com base em dados secundários, relatórios de avaliação e entrevistas com gestores federais e locais nos estados da Bahia e Pernambuco, o presente artigo examina o processo político que levou a tal mudança, trazendo para o centro da discussão suas motivações, evolução e as implicações. Além do interesse analítico de um processo de mudança programática e de disputa entre burocracias estatais, incluindo suas dinâmicas de alianças com atores sociais, o artigo discute os desafios de formulação de políticas públicas e de sua

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implementação em nível local. Por fim, o programa é discutido sob uma perspectiva mais ampla de redução das vulnerabilidades socioambientais e de necessidade de ajustes frente a desafios decorrentes das mudanças climáticas globais.

The universalization of access to water in rural communities remains a challenge in regions like the Brazilian semi-arid. Several public policies, especially the One Million Cisterns Program, has contributed since the beginning of the 2000s to achieve these goals by promoting the establishment of rainwater catchment cisterns. Despite the results in terms of increase of the access to water and the degree of innovation in its methodological design, significant changes in the conception and political-institutional arrangement of the program were observed from 2011 onwards, with the creation of the Water for All Program. Based on secondary data, evaluation reports and interviews with national and subnational managers in the states of Bahia and Pernambuco, this article examines the political process that led to such change, shedding light on its motivations, evolution and implications. In addition to the interest of analysing a process of programmatic change and dispute between state bureaucracies, including their patterns of alliances with social actors, the article discusses the challenges of policy formulation and implementation at the local level. Finally, the program is discussed with regard to the reduction of socio-environmental vulnerabilities and the need for adjustments in the face of global climate change challenges.

L'universalisation de l'accès à l'eau pour les populations rurales reste un défi dans des régions telles que la région semi-aride du Brésil. Une série de politiques publiques, notamment le programme "Un million de citernes", a contribué depuis le début des années 2000 à atteindre cet objectif en préconisant la construction de citernes de collecte des eaux de pluie. Malgré les résultats atteints en matière d'élargissement de l'accès à l'eau et le degré d'innovation dans sa conception méthodologique, des changements significatifs dans la conception et l'arrangement politico-institutionnel du programme ont été observés à partir de 2011, avec la création du programme "Eau pour tous". En se fondant sur des données secondaires, des rapports d'évaluation et des entretiens avec des responsables fédéraux et locaux dans les états de Bahia et de Pernambuco, cet article examine le processus politique qui a conduit à ce changement, en plaçant ses motivations, son évolution et ses implications au centre de la discussion. Outre l'intérêt analytique d'un processus de changement programmatique et de conflit entre les bureaucraties étatiques, notamment leur dynamique d'alliances avec les acteurs sociaux, l'article aborde les défis de la formulation et de la mise en œuvre des politiques publiques au niveau local. Enfin, le programme est examiné sous une optique plus large de réduction des vulnérabilités socio-environnementales et de la nécessité de procéder à des ajustements face aux défis du changement climatique mondial.

ÍNDICE

Mots-clés: Brésil, eau, arrangements institutionnels, vulnérabilité, semi-aride. Keywords: Brazil, water, institutional arrangements, vulnerability, semiarid. Palavras-chave: Brasil, água, arranjos institucionais, vulnerabilidade, Semiárido.

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AUTORES

DANIELA NOGUEIRA

Daniela Nogueira é pesquisadora associada e pós-doutoranda do Centro de Desenvolvimento Sustentável da Universidade de Brasília onde participa da Rede-Clima e do Projeto INCT-Odisseia - Observatório das Dinâmicas Socioambientais. Sua área de pesquisa concentra-se nas políticas de adaptação às mudanças climática, vulnerabilidades socioambientais e capacidade adaptativa; governança global para segurança hídrica com perspectiva de gênero e gestão participativa. Coordenou o Dossiê Gênero: uma abordagem necessária à gestão das águas da Revista Sustentabilidade em Debate, v.8, n.3, 2017 e publicou recentemente o livro ”Objetivo de Desenvolvimento Sustentável 6 – Água e Saneamento: estudos e proposição de medidas para implementação e monitoramento da Agenda 2030 no Brasil”, Brasília: IPEA, 2019 (no prelo). [email protected]

CAROLINA MILHORANCE

Carolina Milhorance é pós-doutoranda do Centro de Desenvolvimento Sustentável da Universidade de Brasília. Seus trabalhos de pesquisa têm como foco as políticas de adaptação às mudanças climáticas e vulnerabilidades socioambientais no Brasil; a cooperação sul-sul no setor rural e o papel das organizações internacionais na transferência de políticas públicas. Publicou recentemente o livro: “New Geographies of Global Policy-Making: South-South Networks and Rural Development Strategies”, Routledge: New York, London, 2018. [email protected]

PRISCYLLA MENDES

Priscylla Mendes é doutoranda do Centro de Desenvolvimento Sustentável da Universidade de Brasília. Participa dos projetos Rede Clima (sub-rede Desenvolvimento Regional), INCT-Odisseia – Observatório das Dinâmicas Socioambientais e Artimix (Articulação das Políticas de Adaptação às Mudanças Climáticas na América Latina e no Caribe). Desenvolve pesquisa sobre interação de políticas de adaptação e de mitigação às mudanças climáticas para agricultura familiar na Bacia do São Francisco. Sua mais recente publicação foi o capítulo “Clima, políticas públicas e adaptação: vulnerabilidades em três contextos”, do livro Agricultura de baixa emissão de carbono em regiões semiáridas – experiência brasileira, Petrolina: Embrapa Semiárido, 2019 (no prelo). [email protected]

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Territorios hidrosociales en las geografías altoandinas del Norte de Chile: modernización y conflictos en la región de Tarapacá1. Territoires hydro sociaux dans les hauts plateaux andins du Chili du Nord : modernisation et conflits dans la région de Tarapacá Hydrosocial territories in andean geographies of Northern Chile: modernization and conflicts in the Tarapacá region

Manuel Méndez y Hugo Romero

1 Abordar los conflictos en torno al agua desde una perspectiva hidrosocial es reconocer el carácter complejo e híbrido del fenómeno, entendiéndolo como un proceso continuamente reconstituido por diversos actores socionaturales. Esta perspectiva confronta la visión unidimensional a través de la cual diversos estudios económicos, bio-físicos, climáticos e ingenieriles abordan las disputas en torno al agua, ignorando los aspectos históricos, políticos y de relaciones de poder. A través del lente de la ecología política, el presente trabajo analiza los conflictos por el agua en un espacio donde convergen intereses socioculturales, ambientales, políticos y económicos, en un contexto de gran variabilidad climática y un extremo desequilibrio de la distribución de la riqueza: el altiplano andino de la región de Tarapacá ubicado en el borde oriental del Desierto de Atacama.

2 A partir del trabajo seminal de Carl Bauer (1995), se han realizado diversos aportes al entendimiento de los conflictos por el agua en Chile (Budds J., 2004 y 2009; Molina F., 2012; Romero H., et al.., 2012a; Prieto M., 2015 y 2016; Méndez M. y H. Romero, 2019, entre otros). No obstante, la mayoría de estos se han centrado en el periodo post dictadura (1973-1990). Desde una perspectiva geo-histórica, el presente trabajo avanza en el reconocimiento y la comprensión de los contextos sociales, culturales y ambientales que interactúan en la producción discursiva y material de los territorios hidrosociales y cómo estas distintas concepciones entran en conflicto durante la

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“modernización” de la región. De esta forma, se siguen las premisas planteadas por Scott (1998) y Elden (2010) para la comprensión de la modernización del territorio, y las propuestas de Worster (1985), Linton (2010) y Lansing (2007) para la comprensión de la modernización del agua.

3 El texto se desarrolla de la siguiente forma: en una primera instancia se presentan los aspectos teórico-conceptuales y metodológicos que se utilizaron para estudiar la producción de los territorios hidrosociales en la región. Posteriormente, y a través de la consideración de estudios arqueológicos, históricos, paleoclimáticos y geográficos, se analiza la producción de los territorios hidrosociales multisituados de Tarapacá. Finalmente, se desarrolla un estudio de caso en las comunidades2 andinas de Lirima y Cancosa, a través del cual se pone en evidencia los cambios discursivos y materiales de la producción territorial durante el último siglo. En el desarrollo de este mismo caso, se presta particular atención a los efectos culturales y materiales que tuvo la introducción de la legislación neoliberal y la actividad minera moderna en estas dos comunidades indígenas.

Aspectos teóricos y metodológicos del estudio: el territorio y el agua visto desde la ecología política.

4 Siguiendo los lineamientos del materialismo histórico-geográfico propuestos por Harvey (1996), la presente investigación aborda el espacio geográfico desde una perspectiva dialéctica, en la cual naturaleza y sociedad no existen de forma individual, ni tampoco antes que los procesos, flujos y relaciones que los constituyen indisolublemente. De igual forma, se asume que los procesos socionaturales se encuentran intrínsecamente ligados a la dinámica geográfica e histórica particular de los lugares donde se producen, influenciados de mayor o menor manera por dinámicas geohistóricas de regiones adyacentes y lejanas. En otros términos, la socio-naturaleza es “producida” por su contexto temporal y espacial particular (Lefebvre H., 2000; Smith N., 2008).

5 Sobre la base de lo anteriormente planteado, se comprenderá al territorio como un proceso de construcción socionatural del espacio geográfico, en el cual las personas incorporan en sus estructuras socioculturales las características del paisaje en el que habitan, al mismo tiempo que plasman en él la complejidad de sus propias características socioculturales (Aliste E., 2010).

6 En esta misma perspectiva, Elden (2010) propone que todo examen del territorio obedece a una interrogante histórico-geográfica de las condiciones complejas y multivariadas que posibilitan los hechos y fenómenos socioambientales tal cual se presentan. Además, propone que un análisis territorial implica comprender las condiciones textuales (discursivas) y contextuales (geohistóricas) en las cuales se producen sus significados, perspectiva que denomina “genealogía del territorio”. Al encontrarse constituido por su contexto histórico y geográfico particular, cada territorio contiene propiedades únicas y dinámicas, que lo individualizan respecto a otros. No obstante, los diferentes territorios se pueden presentar de forma adyacente, distante o incluso superpuesta (Méndez M. y H. Romero, 2018).

7 En el caso del agua, Swyngedouw (2015) plantea que este elemento es un “híbrido socionatural” que fusiona los aspectos físicos, biológicos, sociales, políticos, económicos

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y culturales, entre otros. El estudio de este proceso hidrosocial implica un examen histórico de los actores involucrados en su co-producción, además de la comprensión de las relaciones multiescalares de control y poder que se materializan en el proceso de construcción (Swyngedouw E., 1999; Smith N., 2008; Boelens R., et al.., 2016).

8 Berkes y Folke (2000) han reconocido la necesidad de investigar estos temas como complejos sistemas sociecológicos, cuya capacidad de resiliencia y adaptabilidad al cambio, tanto de las autoregulaciones de los ecosistemas naturales como de los actores, organizaciones e instituciones sociales dependen de la existencia de formas de gobernanza adaptativa operacionalizadas sobre la base de la co-gestión emprendida por el capital social, focalizado en la existencia de redes, lenguajes y confianza.

9 Nuestra investigación utiliza la definición de territorios hidrosociales propuesta por Boelens, et al.., (2016), como un sistema socioambiental de interacciones multiescalares, donde aspectos culturales (sistemas epistemológicos), materiales (prácticas cotidianas), institucionales y ambientales coproducen los diferentes significados y flujos materiales del agua.

10 Por otro lado, Scott (1998) propone que la modernización es un mecanismo de simplificación de la realidad para lograr un mejor control sobre la naturaleza y la sociedad, proceso que se encuentra asociado a la creación de los Estados modernos, los cuales buscaban “legibilizar” (medir, codificar y simplificar) la tenencia de la tierra y la propiedad de la naturaleza, con fines impositivos y administrativos. Según Scott (1998), la medición se realiza principalmente a través de catastros y cartografías. La codificación se materializaba discursivamente a través de la imposición de una concepción científica-occidental, la cual se pone en práctica a través de la legislación. Estos procesos previos, creaban conjuntamente la simplificación de la naturaleza, a través de su significación unidimensional económica, por la cual pasa a ser un “recurso natural”.

11 Siguiendo este mismo orden de ideas, Linton (2010) propone que el agua deviene moderna cuando este elemento se aísla de los aspectos socioculturales (el agua se

reduce a sus aspectos “naturales”) y cuando su definición química (H2O) y medición (unidades de volumen y/o tiempo-volumen) se vuelven universales. Asimismo, Worster (1985), Lansing (1997) y Linton (2010) proponen que los “expertos” (académicos y/o actores institucionales) juegan un rol esencial en la imposición y hegemonización del agua moderna.

12 De esta forma, la presente investigación se plantea dos objetivos. El primero de ellos se centra en identificar y analizar los aspectos discursivos y materiales de largo plazo de la producción moderna de los territorios hidrosociales de la región de Tarapacá. El segundo objetivo, plantea analizar, desde la realización de un estudio de caso de las comunidades altoandinas de Lirima y Cancosa, los aspectos discursivos y materiales de la modernización de los territorios hidrosociales, así como también los procesos de conflictos asociados a esta modernización.

13 En términos metodológicos, para llevar a cabo el primer objetivo se recurrió a una exhaustiva revisión de información secundaria contenida en estudios históricos, antropológicos, climáticos y paleoclimáticos de la región. El foco de esta revisión estuvo centrado en establecer un panorama temporal y territorial de la disponibilidad superficial y subterránea del agua en la región. Asimismo, se estableció, a escala regional, un resumen de los principales aspectos materiales (adaptabilidad socioambiental) que participaron en la producción de los territorios hidrosociales

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regionales durante los periodos prehispánico y pre-moderno. Posteriormente, se estableció una cronología de los principales aspectos discursivos que participan en el proceso de modernización de los territorios hidrosociales regionales. Para complementar este último análisis, se utilizó la información recolectada a través de entrevistas no estructuradas realizadas a actores claves de las comunidades y la administración comunal, metodología que será analizada en el siguiente apartado.

14 Para la realización del segundo objetivo, se utilizaron dos metodologías de recolección y análisis de información; el desarrollo de la observación participante y la aplicación de entrevistas semiestructuradas. La Observación Participante (OP) se llevó a cabo en cuatro sesiones, las cuales correspondieron a encuentros comunitarios donde la producción local del territorio se encontraba en el centro de la actividad. Las dos primeras se desarrollaron en la comunidad de Lirima (octubre 2011); OP I) “vigilancia de los animales en los humedales” y OP II) “once comunitaria”3 en dependencias de la empresa de exploración geotérmica. Las otras dos actividades se desarrollaron en la comunidad de Cancosa (enero-febrero 2012); OP III) “floreo de animales”4 y OP IV) el “ JACH’A ANATA”5. El objetivo principal de estas observaciones fue de identificar, desde “dentro” de las comunidades (Guber R., 2001:50), los significados sociales que sus miembros producían respecto de sus territorios, así como también, de recopilar información general de éstas. En este sentido, Filstead (1986) propone que los significados sociales “sólo pueden ser examinados en el contexto de la interacción de los individuos” (citado en Anguera M., 1997:73). En términos prácticos, en cada una de estas actividades se estableció un registro, entendido como una transcripción de las realidades observadas (Anguera M., et al., 1993), el cual fue posteriormente codificado temporal y espacialmente, con el objetivo de reconstruir socialmente los territorios comunitarios o territorialidades (información utilizada en la elaboración de las cartografías multitemporales).

15 Por otro lado, se aplicaron entrevistas semiestructuradas, entendidas por Spradley (1979:9) como “una estrategia para hacer que la gente hable sobre lo que sabe, piensa y cree” (citado en Guber R., 2001:75), a dirigentes y actores claves6 de ambas comunidades, a miembros de la administración de escala local (Comuna de Pica) y a académicos especialistas de la región (N=11). Por razones de resguardo de la identidad de las personas entrevistadas, sus nombres fueron omitidos, tratándolos en el texto como “Informantes”. De esta manera, y aun cuando se utilizaron las 11 entrevistas en la elaboración de las cartografías multitemporales, se citan textualmente sólo a seis informantes: Informante 1; comunero de Lirima, 65 años. Informante 2; comunera de Lirima, 73 años, habitante de la ciudad de Iquique Informante 3; funcionario municipal, Pica, 31 años. Informante 4; comunera de Cancosa, 25 años, habitante de la ciudad de Iquique Informante 5; comunero de Cancosa, 76 años. Informante 6; comunero de Cancosa, 32 años.

16 Establecida previamente una cronología local desde las fuentes secundarias, las entrevistas se concentraron en conocer la dinámica de la relación de los entrevistados con los territorios comunitarios y las actividades modernas (minería y turismo). Las preguntas estuvieron guiadas por tres temáticas; territorio (¿cuál es el territorio de la comunidad?, ¿cómo lo entienden?, ¿cómo lo usan?, ¿qué cambios ha notado en su medioambiente?), comunidad (¿cuáles han sido los cambios más importantes que ha vivido la comunidad durante su vida?, ¿han cambiado las relaciones comunitarias?,

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¿cómo?) y actividad socioeconómica (¿cuál (es) es (son) las actividades económicas más importante (s) de la comunidad?, ¿han ido cambiando?, ¿cómo?). Estas preguntas de base se fueron adaptando según cómo fue evolucionando el relato de los entrevistados y el contexto de las entrevistas.

17 Una vez aplicadas las entrevistas, se procedió al estudio de la información mediante el análisis sociológico de los discursos7. Sobre la base de Ruiz (2009), quien propone establecer las conexiones entre los discursos, el contexto social y el espacio geográfico en el que surgen, se estableció un sistema de categorías espaciotemporales que busca caracterizar las “historias de vida” de las comunidades. De esta forma se establecen dos categorías de análisis (según dos de las tres temporalidades propuestas por Braudel, 1974, citado en Borrera, 2012:29 y Prado L., 2012:2); la categoría de “proceso social”, comprendida como la temporalidad de los procesos sociales y políticos (en el caso de nuestro estudio, el tiempo de existencia de las comunidades) y la categoría de “proceso coyuntural”, comprendida como la temporalidad del trabajo, los conflictos, solidaridad y movilidad en la vida cotidiana (en el caso de nuestro estudio, las últimas tres décadas).

18 Finalmente, y sobre la base de la información recolectada mediante Observación Participante y las categorías de análisis de los discursos de las entrevistas, se elaboraron cartografías multitemporales de dos momentos de las trayectorias de los territorios hidrosociales (figuras 4A-B y 5A-B).

Geografía de la variabilidad socioambiental en Tarapacá; entre la adaptabilidad y el conflicto

Características hidroclimáticas de Tarapacá, presente y pasado de una condición dinámica

19 Situada en el extremo norte de Chile, entre los 19° y los 21° Lat. Sur, la región de Tarapacá se encuentra en pleno centro de la zona considerada como la más seca del planeta: el desierto de Atacama (figura N°1). En términos pluviométricos, las precipitaciones de la región se registran principalmente sobre los 3.000 m.s.n.m., se concentran casi exclusivamente en los meses de verano: diciembre-marzo (Garreaud R., et al., 2003) y presentan una alta variabilidad en sus montos interanuales (Sarricolea P. y H. Romero, 2015). Asimismo, Tarapacá registra una menor cantidad de días de precipitación y los montos de estas son menores que las regiones vecinas, así como también, la ocurrencia frecuente de varios años seguidos de sequías (Sarricolea P., et al., 2017).

20 La confluencia de los sistemas de circulación atmosférica de escala continental, regional y local (con sus campos de presión asociados), las temperaturas oceánicas del Pacífico y la topografía regional y subcontinental configuran un clima de extrema variabilidad (Romero H., et al., 2012; Sarricolea P. y H. Romero, 2015). En términos resumidos, Romero et al. (2013) y Mendonça (2017) indican que las fluctuaciones en los montos de precipitación estarían explicadas por la presencia e interacción compleja de fenómenos multiescalares como los son El Niño Oscilación del Sur (ENSO), la Oscilación Decadal del Pacífico (PDO) y la Zona de Convergencia Intertropical (ZCIT), entre otras. La condición sinóptica que propicia el desarrollo de las precipitaciones más

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frecuentemente en la región se presenta cuando la Alta Presión de Bolivia –célula de convergencia de flujos de aire que se ubica a gran altura– se intensifica, permitiendo que masas de aire húmedo, provenientes desde la cuenca amazónica y desde el Chaco, lleguen hasta las zonas altas del altiplano chileno. La presencia de células convectivas aumenta durante los periodos en que se presenta el fenómeno de La Niña y disminuye en presencia de El Niño (Nester P., et al., 2007; Mendonça M., 2017).

21 De esta forma, y bajo las condiciones hidroclimáticas actuales, el escurrimiento superficial es exiguo y se presenta sólo en los valles y quebradas que se encuentran en la mitad norte de la región, así como también en pequeñas lagunas y vertientes altoandinas (Aceituno P., 1996; Romero H., et al., 2013). Respecto al escurrimiento superficial de las aguas de la zona altoandina, Ahumada y Faúndez (2009) indican que en la mayor parte de las vertientes altiplánicas se clasifica como “azonal”, es decir que no se explicaría por las condiciones climáticas presentes en la región, sino por la existencia y profundidad del acuífero, la actividad geotérmica, el tipo de suelo y la pendiente. En términos generales, las napas subterráneas presentes en la región se consideran como “acuíferos fósiles”, es decir que sus cuerpos de agua fueron acumulados en periodos climáticos más húmedos que los actuales y sus recargas (esporádicas, semipermanentes y permanentes) no son suficientes para mantener su equilibrio hídrico, transformándolos en un recurso no renovable de alta fragilidad (Messerli B., et al., 1997; JICA, 1995; Houston J., 2006; Romero H., et al., 2012a y 2013).

Figura 1 Contexto geográfico de la región de Tarapacá

Fuente: Elaboración propia.

22 Desde una perspectiva paleoclimática, la región de Tarapacá ha mantenido su condición de hiperaridez durante los últimos 12.000 años Antes del Presente (Gayó E., et al., 2012a). Pese a estas condiciones generales, registros paleoclimáticos de menor escala

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temporal han puesto en evidencia numerosos episodios de “anomalías hidroclimáticas positivas”, los cuales se presentaron durante todo el periodo Holoceno (Lehmann S., 2013; Amudson R., et al, 2012; Gayó E., et al., 2012a y b; Jordan T., et al., 2014). Estas “anomalías” se caracterizan por registrar mayores sumas promedio de precipitación en los sectores altoandinos y prolongarse desde unos pocos años hasta algunas décadas.

23 En consecuencia, las condiciones hidroclimáticas mayormente áridas de los últimos milenios, han sido interrumpidas por periodos cortos de mayor precipitación en las zonas cordilleranas. Estos escenarios ambientales de sequedad extrema impusieron grandes dificultades a las poblaciones ancestrales para su habitabilidad y circulación por los territorios regionales. No obstante, mediante el surgimiento de complejos mecanismos socioambientales de adaptabilidad, la región presenta trazas de una habitabilidad permanente durante al menos 12.000 años AP (Santoro C., et al., 2017).

La producción de territorios multisituados como mecanismo de adaptabilidad socioambiental

24 Sin adoptar una perspectiva de determinismo ambiental, es preciso indicar que las condiciones hidroclimáticas y topográficas particulares de la región de Tarapacá alcanzan una alta relevancia en la producción espaciotemporal de los territorios hidrosociales. En este sentido, importantes investigaciones arqueológicas y paleoclimáticas señalan que la disponibilidad de agua tuvo un rol esencial en los procesos de desarrollo cultural y construcción territorial de la región. De esta forma, Núñez et al. (2010) proponen que el agua es el elemento más importante a la hora de comprender los cambios socioambientales de la región, ubicada en pleno desierto de Atacama. Por otro lado, Santoro, et al., (2017) y Gayo, et al., (2012b) establecen una estrecha relación entre los periodos de anomalías hidroclimáticas positivas (asociados a una mayor disponibilidad de servicios ecosistémicos: agua, vegetación ripariana y fauna) y el desarrollo de estrategias socioculturales y espaciales para aprovechar estos periodos de abundancia relativa de recursos. Asimismo, Marquet, et al., (2012) plantean que la ocupación humana de las quebradas y costa de Tarapacá se relaciona directamente con los episodios de anomalías hidroclimáticas positivas.

25 Se evidencian de esta manera, complejos mecanismos a través de los cuales los grupos sociales prehispánicos modificaban sus patrones ocupacionales y socioeconómicos teniendo en cuenta la disponibilidad y abundancia de agua, vegetación y fauna, al mismo tiempo que intervenían microlocalmente la disponibilidad de estos elementos. Sobre la base de esta evidencia, se interpreta que estos mecanismos de adaptabilidad socioambiental (sensu Walker B., et al., 2004) producían diferentes territorios hidrosociales. Así, la producción territorial regional estaba constituida por pequeños territorios hidrosociales locales (muchos de ellos independientes políticamente), ubicados en diferentes altitudes y condiciones topoclimáticas (exposición, topografía local, posición en la cuenca), que favorecían una producción agrícola particular y una permanente dinámica socioambiental.

26 Algunos de los principales mecanismos de adaptabilidad socioambiental que producían diferentes territorios hidrosociales en la región durante el periodo prehispánico eran: la migración hacia zonas con mayor presencia de agua superficial (según Ledru M.P., et al., 2013; localizados a una altura mayor a 3700 m.s.n.m.); la concentración de la habitación en “refugios ecológicos”, definidos como lugares puntuales con presencia de

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agua superficial permanente (Núñez L., 1986); la diversificación y amplificación, con fines de intercambio y/o guarda, de la producción agrícola y pastoril (Zori C. y E. Brant, 2012); el manejo simultáneo de diferentes topoclimas y recursos situados en pisos altitudinales distintos y en diferentes periodicidades estacionales basadas en una división y organización multi territorial de la producción, además de la especialización de tareas y movilidad de la fuerza de trabajo entre el altiplano, los valles, la pampa y la costa (Murra J., 1972; Van Kessel J., 2003). De igual manera, se desarrollaron tecnologías socioculturales complejas e intercambio político, económico y cultural, que, en el caso de la gestión de los recursos hídricos, implicaba “sofisticadas tecnologías de manejo de agua superficial, que incluían la construcción de pequeñas represas, canales de regadío, zonas de cultivo irrigado y el manejo de especies salvajes” (Santoro, et al., 2017:34). En este mismo contexto, Van Kessel (2003) y Zori y Brant (2012) interpretan el surgimiento y uso de determinadas terrazas de cultivo y canales de regadío como una adaptabilidad socioambiental, debido a la menor disponibilidad de agua. De igual manera, la necesidad de mayor seguridad alimentaria por el aumento demográfico y un clima social regional beligerante implicaba el uso de rocas para almacenar calor durante el día y generar micro-perturbaciones en las madrugadas para evitar las heladas. En el caso específico de la quebrada de Tarapacá, los asentamientos se desplazaban aguas arriba en periodos de escaso escurrimiento superficial y aguas abajo, incluyendo la Pampa del Tamarugal, cuando las precipitaciones eran abundantes, adaptando a su vez, las técnicas de riego y los productos cultivados a las diferentes características topográficas y de suelo.

27 Pese a que los grupos sociales prehispánicos desarrollaron un sinnúmero de mecanismos de adaptabilidad socioambiental, la gran variabilidad hidroclimática regional impedía que alguna de estas estrategias, por sí sola, les brindara una seguridad alimentaria (Barnard H. y A. Dooley, 2017). Ante este escenario, estas comunidades recurrían a una combinación compleja de decisiones que les permitiera asegurar su permanencia como grupo social. En consecuencia, la región se fue configurando a través de la producción articulada de una red de territorios multisituados8 (Girault, 2013; Méndez M. y H. Romero, 2018), generando condiciones hidrosociales que les permitía adaptarse a la elevada incertidumbre en la disponibilidad de agua, su control político y su uso y manejo a escala de cuencas y subcuencas. Asimismo, estos territorios multisituados no poseían una continuidad espacial, ni homogeneidad sociocultural, ni menos aún límites estables y claramente definidos, como propone Elden, 2010 para los territorios modernos, sino más bien una ecología política altamente dinámica (Boelens R., 2014).

La modernización de Tarapacá y los conflictos por el territorio y el agua

28 Méndez y Romero (2018) proponen que la modernización de los territorios de Tarapacá ha sido un proceso geo-histórico complejo que comienza con las primeras decisiones administrativas coloniales (ver figura N°2). La imposición de los límites del corregimiento de Arica en 1578 (que incluía la actual región de Tarapacá) implicó la introducción de una concepción occidental del territorio, la cual debilitó las interacciones entre los territorios multisituados preexistentes, disminuyendo el

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intercambio cultural, económico y ritual entre las cabeceras de las colonias (ubicadas en el sector boliviano) y los territorios situados en las quebradas tarapaqueñas.

29 Adicionalmente, el nuevo Estado colonial introduce las denominadas “Cédulas Reales”9, las cuales reforzaron el concepto occidental de límite (como una línea fija establecida bajo parámetros objetivos), hecho que provocó la aparición de los primeros conflictos por el uso del territorio incluyendo las tierras agrícolas, las aguas y los humedales, entre otros. El primer conflicto territorial registrado en la región de Tarapacá se produce en 1612 (Paz Soldán M., 1878). No obstante, en este estudio centraremos nuestra atención en el primer conflicto por el uso y acceso de un humedal altoandino10.

Figura 2 Cronología de la producción territorial regional.

Fuente: Elaboración propia sobre la base de Méndez y Romero, 2018; Uribe, et al., 2007 y Santoro, et al., 2017

30 En 1768, tras la implantación de los límites de los corregimientos de Tarapacá, Lípez y Carangas en el altiplano tarapaqueño, la comunidad de Llica, cuyo pueblo principal se sitúa actualmente en territorio boliviano, quedó sin acceso a los humedales que tenía ubicados en las cercanías del cerro Sillajhuay (ver figura N°3), los cuales contaban con abundante agua y hierbas. Tras este proceso administrativo, la comunidad se vio forzada a pagar un “derecho de herbaje” a la comunidad de Pica (que había quedado como dueña de este sector) (Paz Soldán M., 1878; Sanhueza C., 2008; Bouysse-Cassagne T. y J. Chacama, 2012). El desencuentro se produce cuando la comunidad de Llica interpreta esta apropiación como injusta, dejando de pagar este canon por el acceso a un territorio que, bajo los arreglos de uso ancestral, siempre dispuso libremente. Estos conflictos se fortalecieron entre 1810 y 1840, llegando incluso a que la comunidad de Llica “invadiera” y destruyera, entre otras localidades, la hacienda de Cancosa (Paz Soldán M., 1878:32-34).

31 Aun cuando estas disputas fueron puntuales y se produjeron “entre” las comunidades y no “al interior” de ellas, donde continuó funcionando la construcción territorial ancestral11, en términos prácticos los conflictos causados por la superposición del ejercicio territorial bajo los usos y costumbres andinas y los deslindes privados coloniales marcan el inicio de la imposición occidental del concepto de territorio (Méndez M. y H. Romero, 2018).

32 En el caso del agua, la imposición de los territorios hidrosociales modernos es menos evidente, pues no existen registros históricos de conflictos directos por su uso y/o acceso hasta la llegada del Estado chileno. Sin embargo, se propone que uno de los primeros indicios de la imposición conceptual del “agua moderna” (sensu Linton J.,

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2010) se produce a través del proyecto hidráulico propuesto por Antonio O’Brien durante la segunda mitad del siglo XVIII. Empujado por la crisis económica de la corona española, O’Brien realiza en 1765 un estudio del mineral de Huantajaya (ubicado en las cercanías de Iquique), llegando a la conclusión de que la escasa rentabilidad del yacimiento se explicaba por la falta de agua (Donoso C., 2008)12. Tras esta conclusión, O’Brien propone un proyecto hidráulico que buscaba captar las aguas desde las nacientes del río Piga, para luego canalizarla y de otras fuentes en la cuenca de Lagunillas y la cuenca alta de la Quebrada de Tarapacá (además de captar aguas de las lagunas de Chuncara, situadas fuera de la zona de estudio), para abastecer la denominada Pampa Iluga, que es la proyección de la Quebrada de Tarapacá en la Pampa del Tamarugal. El foco del proyecto era poner a disposición de la actividad minera una mayor cantidad de recursos hídricos para su procesamiento y para generar una gran zona de actividad agrícola que abasteciera de alimentos al mismo yacimiento (Hidalgo J., 1985).

33 Posteriormente, y junto con la llegada de los Estados modernos a Tarapacá, otro elemento de transformación discursiva y material de la construcción territorial hidrosocial de la región fue la explotación industrial del salitre, entre fines del siglo XIX y comienzos del XX. Esta industria se encontraba instalada en las zonas más bajas (y secas) de la Pampa del Tamarugal. Durante las primeras décadas de explotación mineral, el agua era extraída de pozos ubicados junto a los yacimientos traída desde las “aguadas” más cercanas (Méndez M., 2019). Posteriormente, entre las décadas de 1850-1870, la inserción del salitre tarapaqueño en los circuitos capitalistas mundiales marca un gran salto en el número de explotaciones y los volúmenes de nitrato extraídos (Bermúdez O., 1963). Este incremento productivo empujó a los capitalistas a considerar las aguas como un elemento de especulación económica más del territorio salitrero (Godoy M. y M. Méndez, 2018). De esta manera, la independencia espacial que la tecnología de bombas y el uso de cañerías les brindaba a los industriales salitreros les permitió extraer aguas subterráneas cada vez más cerca de las quebradas y de los asentamientos ancestrales de la Pampa del Tamarugal (Méndez M., 2019). En este contexto de competencia por el recurso, se produce el primer conflicto moderno por el agua, entre el Estado de Chile y la comunidad indígena del valle de Quisma13 (situado inmediatamente al este de la actual localidad de Matilla, ver figura N°1). Este conflicto terminó con la expropiación de las tierras y las aguas del valle y la expulsión de la comunidad de este territorio agrícola ancestral (Castro L., 2010).

34 Otro aspecto de modificación de la producción territorial regional (y sus condiciones hidrosociales particulares) fue la introducción obligatoria de la educación formal (Méndez M., y H. Romero, 2018). Posterior a la Guerra del Pacífico14, el Estado chileno refuerza la concentración de la población a través de la instalación de “poblados centrales”. Aun cuando este fue un instrumento de control territorial impuesto durante la colonia, se ve intensificado en Tarapacá durante el proceso de chilenización15. En este último periodo, el Estado obliga a las comunidades locales a recibir una educación occidental (lengua, costumbres, expectativas de vida, ropa, comida, etc.), obligándolas a agruparse espacialmente para tener acceso a los “servicios” estatales. Respecto a este periodo el Informante 1 recuerda: “Inclinarse por la tradición del abuelo, de la mamá… mostrar cierto interés era implícitamente prepararme el camino p’al infierno…y que voy a querer un castigo po… ¿quién va a querer eso?”

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35 En este contexto, González (2002), propone que las comunidades indígenas no fueron “actores pasivos” del proceso, pues eran estas mismas quienes solicitaban al Estado la instalación de escuelas en sus poblados, llegando incluso a contratar profesores particulares. Esta propuesta es coincidente con diversas entrevistas realizadas por los autores en diferentes localidades del altiplano de Arica-Parinacota y Tarapacá, en el sentido que los habitantes altoandinos identifican la educación como el único medio de “escapar” de la exclusión y marginalidad asociadas a su realidad cotidiana. En consecuencia, se puede aseverar que los habitantes habían incorporado (cooptados o no)16 en su discurso y su acción, lo que Gundermann (1986) (en González S., 2002) denomina el estereotipo del progreso y el desarrollo.

36 Durante los primeros años de la inserción de las escuelas en el altiplano tarapaqueño, las comunidades mantenían su territorialidad dispersa. Así se puede rescatar desde el relato de Ornaldo Bacián Callpa, profesor que estuvo a cargo de la escuela primaria N°18 de Cancosa desde 1959, quien asevera: “En la escuela yo tenía unos 22 chiquillos y el poblado [la comunidad] tendría unas 15 familias… ése era un pueblo de pastores, no tienen su residencia permanente allí en Cancosa se juntaban los vecinos algunas veces no más en el año, cuando hay fiestas religiosas, el carnaval, en mayo, el año nuevo, pero después se iban a los cerros, a los lugares de pastoreo…” (González 2002:133).

37 No obstante, y según el relato de los Informante 1 y 5, a medida que los escolares avanzaban en sus currículums, la solución más recurrentemente adoptada por las familias andinas fue el desplazar su habitación permanente hacia las ciudades o localidades que contaban con educación media y universitaria. Otra estrategia utilizada, extraída del relato del Informante 4, fue que la madre de familia “bajaba” para estar con los jóvenes durante el periodo escolar, para posteriormente volver a la comunidad en vacaciones. Pese a que algunas familias se esforzaron por mantener viva la tradición territorial, a medida que los niños se transformaron en jóvenes, fueron haciendo menos recurrentes sus “subidas” a la comunidad originaria.

38 Las principales consecuencias registradas por los autores fueron dos. Por un lado, las primeras generaciones de jóvenes aymaras con educación occidental jugaron un rol importante en el proceso de cambio cultural. En este sentido el Informante 1 indica: “En estas escuelas se les preparaba para vivir en la ciudad, les daban comida traída desde Iquique, cuando llegaban a casa [los niños] se enojaban con las mamás y papás por cómo vestían y porque hablaban aymara.”

39 Estos primeros “ciudadanos andinos” se convirtieron en agentes de cambio cultural en el seno de sus propias familias, donde fueron reproduciendo su educación occidental. Por otro lado, al habitar en otros territorios, las nuevas generaciones dejan de aprender y aplicar su cultura cotidiana de construcción territorial; ya no conocen los ciclos de la naturaleza, desconocen el nombre de cerros o plantas, o han perdido la capacidad de reconocer los estados de los animales, ya no recorren los circuitos de pastoreo. Las nuevas generaciones no estaban pensando en recuperar las variedades de quinua, o en el cuidado de los animales, o los sistemas de cultivos de papa, entre otros. Desde una visión contemporánea, la Informante 4 nos resume de forma bastante elocuente: “mi forma de vida está hecha acá [ciudad de Iquique], solo que esporádicamente subo [a la comunidad altoandina]… no es que yo vaya a ser mi vida arriba, es super difícil, por el tema que uno después prefiere tener hijos, quiere tener familia, después tú quieres que ellos tengan una mejor educación o mayores aspiraciones…

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no hay mucho de la generación que quiera sacrificar esta comodidad [vivir en la ciudad] para irse para allá.”

Producción de territorios neoliberales: estudio de los conflictos entre las comunidades de Lirima y Cancosa.

40 Lirima y Cancosa son dos comunidades de etnia aymara, las cuales se formaron a principios del siglo XX y se constituyeron como “comunidades indígenas” de acuerdo con la Ley dictada en 1993 para proteger sus culturas y territorios. Desde sus inicios, hasta la década de los años 1980’s, ambas comunidades se dedicaban principalmente a la ganadería extensiva de camélidos, lo cual comienza a cambiar con la llegada de empresas trasnacionales de la gran minería del cobre, las cuales se interesan por la disponibilidad de agua que poseen estos territorios altoandinos. La introducción de este nuevo actor provocó la reconversión de estas comunidades hacia los servicios mineros, en el caso de Lirima, y del turismo, en el caso de Cancosa.

41 Bajo la dictadura del general Pinochet (1973-1990), se consolidan los procesos de privatización de recursos públicos y comunitarios en todo el país, incluyendo el derecho de uso privado de las aguas con fines económicos que se estableció a contar de 1981. Las exploraciones hidrogeológicas y la inscripción, por parte de empresas externas de derechos de uso de agua adquiridos entre otros actores a las comunidades indígenas, desató una álgida disputa por los recursos hídricos almacenados en la laguna del predio Huantija y pos sus territorios adyacentes.

Comunidad de Lirima

42 La comunidad de Lirima se encuentra ubicada en la comuna de Pica, específicamente en la cuenca superior de la Quebrada de Tarapacá y en la cuenca endorreica de Lagunillas (ver figura N°3). Su poblado central (Lirima) se encuentra a 4.087 m.s.n.m. y al año 2002 registraba una población permanente de seis personas. Sus principales actividades económicas eran los servicios mineros y la ganadería extensiva.

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Figura 3 Comunidades de Lirima y Cancosa.

Fuente: Elaboración propia.

43 Esta comunidad nace a principios del siglo XX, cuando algunas familias originarias del pueblo de Cultane se organizan para establecerse como tal en el sector de Lirima. En esta primera ocupación las estancias (terrenos) habitadas eran La Rinconada, Estación Aguas Calientes, Pacopacone (San Antonio), Salvador y Andrés Jiguata (ver figura N°4A).

44 La localidad central de Lirima se comienza a construir en septiembre de 1966; sin embargo, es en la década de 1970 cuando el poblado toma su forma actual. En 1978 comienza a funcionar la escuela de Lirima (particular), para luego pasar a ser una escuela subvencionada por el Estado, y cerrar definitivamente en 1994.

45 Cuando el Informante 1 era niño (década de 1960), la principal actividad en este lugar era la crianza de llamas, ovejas y cabras. A pesar de un pequeño auge económico basado en la crianza de alpacas que vivió la comunidad a mediados de la década de 1970, la población fue disminuyendo inexorablemente17. (1982) indica que, a inicios de los años 1980’s, en el sector de Lirima había entre 1400 y 1500 animales (75% de ellos eran llamas y alpacas y el resto ovejas). Para el mismo año, entre el 70-80% de las zonas de pastoreo de Lirima eran los bofedales (humedales altoandinos). La Informante 2 revela que en 2008 había 1.500 animales, pero la falta de lluvia fue secando los campos y causando su muerte. Hoy en día la crianza de animales está circunscrita sólo a los bofedales, lo que implica que no hay pastoreo, pues los animales permanecen en estos espacios y cuando hay momentos de sequía o nieve, los alimentan con forraje. En relación con estas nuevas formas de pastoreo, el Informante 3 indica: “se ha perdido el manejo ancestral de los humedales, lo que ha generado que la calidad forrajera de los pastos se haya perdido.”

46 Actualmente, las personas más jóvenes de la comunidad (que viven en las ciudades de Iquique o Alto Hospicio) trabajan en la planta de extracción y conducción de aguas desde Pampa Lirima hacia el yacimiento de cobre de la Compañía Minera Cerro Colorado (CMCC), así como también, hay algunos comuneros que prestan servicios en el

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yacimiento mismo (OP II). Otra de las fuentes de empleo de los “comuneros citadinos” es la empresa geotérmica Energía Andina, la cual llega al territorio de Lirima en el año 2008. Tras una discusión interna, la comunidad aprueba la instalación de la empresa y por este acuerdo, presta el servicio de alimentación, aseo y mantenimiento al campamento de la compañía (OP II). En este sentido, el Informante 1 señala que, si ellos no llegaban a acuerdo con la empresa de energía, sería el tribunal quien dictaría la intervención, obligando a entregar una servidumbre de paso para el aprovechamiento del subsuelo.

Comunidad de Cancosa

47 Cancosa es una comunidad aymara que se localiza en la comuna de Pica, sobre las cuencas del río Cancosa y la cuenca de Lagunillas. El poblado principal de la comunidad se ubica a 3.950 m.s.n.m (ver figura N°3) y al año 2012 contaba con 12 habitantes permanentes. Su principal actividad es la ganadería extensiva, la cual es complementada con el cultivo de quinua y una creciente actividad turística.

48 La comunidad de Cancosa se funda alrededor de 1920 por cuatro familias, las cuales provenían desde los alrededores de la localidad de Cariquima (Salinas J., 2012). El apogeo de la comunidad se vivió a inicios de la década de 1980’s, periodo en el cual vivían alrededor de 200 personas, debido al gran tráfico de productos entre la Zona Franca de Iquique-Chile (ZOFRI) y la ciudad de Oruro en Bolivia, además de la extracción de azufre desde el cerro Sillajhuay, situado en las cercanías. En este periodo la localidad central contaba con una posta de salud rural, por lo que los comuneros no tenían la necesidad de ir a la ciudad. Estos años de “bonanza” terminan cuando se abre un nuevo paso internacional entre Chile y Bolivia por la localidad cercana de Colchane, a fines de la misma década.

49 Al año 2012, existían alrededor de 600 animales en la comunidad, la mayoría de los cuales eran corderos, llamas y alpacas. Respecto a la actividad ganadera, la Informante 4 señala que el cuidado de los corderos requiere de mayor trabajo, pues se deben sacar diariamente desde sus corrales; mientras que el cuidado de las alpacas demanda menos vigilancia, pues se pueden dejar solos en el humedal. En el caso de las llamas, que en épocas anteriores era el animal más importante en términos de volumen, los comuneros los van a ver sólo una vez por semana pues “hay que ir a buscarlo a los cerros”. En la mayor parte de los casos este recorrido se realiza en vehículos, lo que ha originado una pérdida del uso de los senderos de pastoreo, así como la tradición misma de la actividad (OP IV). En este sentido, las familias que no se encuentran viviendo permanentemente en la comunidad “externalizan” el cuidado de estos, a través de familiares o la contratación de pastores bolivianos (OP IV).

50 Respecto a las condiciones actuales de la crianza de animales, el Informante 5 indica que los pastores han perdido varios animales por los ataques del puma, que incluso entra a los corrales, “el mes anterior [enero 2012] se comió 4 alpacas en un humedal que está junto al pueblo”. Además, según la percepción de mismo informante, antes había más lluvia y más seguido, lo que afecta el crecimiento de los pastos de secano (cuando hay mucha sequía, los comuneros alimentan a sus animales con forraje comprado en los valles cercanos). En este mismo sentido, el Informante 6 señala que el número de animales ha disminuido por la sequía (“no llovió desde 2001 hasta el 2011”) y debido a que hay una plaga de pumas. Asimismo, el relato del Informante 5 es clarificador

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respecto a los cambios de la actividad, pues en la actualidad sólo tiene alpacas; antes de bajar a la ciudad tenía llamas, pero ahora no las puede cuidar. Según lo que indica este pastor, todas las familias tienen derecho de tener sus animales en el humedal ubicado junto a Cancosa, como consecuencia de su propiedad comunitaria18. Finalmente, el mismo informante nos señala que en invierno mantienen los animales en el humedal, pues el agua continúa escurriendo (surgencias geotérmicas).

51 Según la Informante 4, los abuelos de la comunidad siguen criando animales en la medida que aún constituyen su sustento, vendiéndolos para la celebración de las fiestas patronales (religiosas) y fiestas de la independencia nacional, entre otras. Cada llama se vende entre 100.000 y 120.000 pesos chilenos (US$ 120-150) y cada cordero entre 50.000 y 60.000 pesos chilenos (US$60-80). Los animales se comercializan cuando tienen una edad de alrededor de 2 años y medio, ya que con posterioridad la carne pierde calidad y precio. Respecto a las alpacas, la Informante 4 indica que sólo quedan algunos abuelos que crían esta especie, pero que esta práctica se está abandonando.

Territorio, minería y conflictos hidrosociales inter e intracomunitarios.

52 Los conflictos hidrosociales entre las comunidades de Lirima y Cancosa con las empresas mineras comienzan por una solicitud de inscripción de derechos de agua superficial en los sectores de Lirima, Piga y Huantija por parte de la empresa Conocco Chile en 1981 (Van Kessel J., 1985). Según el relato del Informante 1, la comunidad de Lirima se entera fortuitamente por la prensa que, utilizando la nueva legislación de privatización de los derechos dictada ese mismo año, la empresa estaba realizando los procesos de inscripción de sus aguas superficiales. Tras una serie de maniobras institucionales, la comunidad presenta una oposición a la inscripción e impide la apropiación de estas, transformándose en la primera que se resiste al desarrollo de la actividad minera en su territorio.

53 En 1982 la empresa minera Río Chile comienza a hacer sondajes en los territorios de Lirima, los cuales fueron paralizados gracias a una acción legal interpuesta por la comunidad. Tras unos meses, la misma empresa inicia sondeos en Huantija (Pampa Lirima) con la autorización de la comunidad de Cancosa, quienes les arriendan terrenos y aguas superficiales (Van Kessel J., 1985). Según los relatos de Javier Vilca (citado en Van Kessel J., 1985), el predio de Huantija pertenecía a un comunero de Lirima, quien realizó una venta a su comunidad. No obstante, y con la ayuda de los abogados de la empresa minera, una comunera de Cancosa (ex esposa del dueño original del predio) presenta una demanda contra la comunidad de Lirima, juicio que estaba destinado a impedir la paralización de los trabajos19. Durante el transcurso del mismo año (1982), la Dirección General de Aguas (DGA) otorga 300 lt/seg. de derechos de agua subterránea en el sector de Huantija a la Compañía Minera Cerro Colorado (CMCC) (Salinas J., 2012).

54 En 1985 la empresa Sociedad Cobre Iquique Ltda., presenta una demanda por servidumbre de paso a la comunidad de Lirima (para la construcción de un camino y la instalación de un acueducto por sus terrenos). Aun cuando la comunidad intenta rechazar la solicitud, los artículos 120 del Código Minero y 76 del Código de Aguas (ambos cuerpos legales impuestos en periodo de dictadura), obligan a conceder esta servidumbre. Es así como la comunidad de Lirima llega a un acuerdo con la empresa, a través del cual la minera dotó de electricidad al poblado central y contrató a sus

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comuneros para mantener en funcionamiento la planta de extracción de agua de Pampa Lirima (Van Kessel J., 1985).

55 Superados los problemas intercomunitarios, en la década de los años 1990 se originan nuevos conflictos por la propiedad de tierras y agua, esta vez entre la CMCC y la comunidad de Cancosa, los que terminan a través de un acuerdo económico que, a juicio de los mismos comuneros, afectó severamente la harmonía interna de la comunidad.

56 En 1992 CMCC inicia sus faenas de extracción y procesamiento del mineral de cobre y en 1994 comienza la extracción de agua subterránea desde el predio Huantija (Salinas J., 2012). Según la Informante 4, los problemas entre la minera y la comunidad comienzan a fines de la década de los años noventa, cuando esta última percibe el desecamiento de los humedales (bofedales), que están en torno a la laguna Lagunillas, así como también, el descenso del nivel de las aguas en este cuerpo. En 2006 la autoridad hídrica del Estado (Dirección General de Aguas, DGA) y la Comisión Nacional del Medio Ambiente (CONAMA, actual Ministerio del Medio Ambiente) sancionan económicamente a la compañía minera por el daño ambiental infringido al acuífero de Pampa Lirima, estableciendo un programa de restauración ecológica para estos humedales. Pese a que en el año 2006 los comuneros de Cancosa habían interpuesto acciones legales contra CMCC, la comunidad y la minera llegan a un acuerdo extrajudicial en 2008, válido por un plazo de 30 años, consistente en una compensación económica por el daño al humedal de Lagunillas y las medidas de recuperación de este bofedal. Los dineros correspondientes se entregan mensualmente a la comunidad, quienes no los asignan directamente a cada familia miembro, sino que financian una estructura administrativa comunitaria, proyectos de desarrollo y becas de estudios para los hijos de los comuneros.

57 En este mismo sentido, el Informante 5 indica que el acuerdo entre la comunidad y la empresa minera provocó profundas divisiones internas por causa del dinero que recibieron de CMCC, señalando que hoy en día no hay un interés real por la comunidad: “los que se acercan a ella sólo buscan tener acceso a los recursos y no quieren trabajar la tierra.”

58 Por su parte, el Informante 4 revela que los abuelos nunca pensaron que las acciones legales con que se opusieron a las instalaciones mineras iban a terminar generando una división con las nuevas generaciones de las familias fundadoras, las cuales intentan demostrar que poseen mejores derechos para recibir la compensación económica. En este mismo sentido, el Informante 4 indica que durante las asambleas de la comunidad surgen muchas disputas causadas por el acceso al poder y por los intereses personales, al mismo tiempo que se debilitan los intereses de la comunidad en su conjunto.

Dinámica territorial hidrosocial de dos subcuencas altoandinas: desde la complejidad multisituada a la simplificación neoliberal

59 De esta forma, sobre la base de información secundaria, de aquella recolectada a través de la observación participante y de las entrevistas, se propone una reconstitución de la construcción territorial de las comunidades de Lirima y Cancosa en dos momentos (figuras N°4 y N°5). En el primero de ellos, plasmado en las cartografías de las figuras N°4A y N°5A, se observa el funcionamiento de los territorios hidrosociales multisituados, cuyos principales elementos de producción territorial son la movilidad

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espacial (uso de circuito de pastoreo y transhumancia), el uso familia/comunidad de fuentes de agua y terrenos adyacentes (bofedales/praderas) y la habitabilidad dispersa (OP I, OP III y entrevistas). Se propone que esta producción territorial compleja es representativa del periodo comprendido entre la creación histórica y consuetudinaria de las comunidades (inicios del siglo XX) y la segunda mitad de la década de 1950, periodo en el cual se finaliza la construcción de la carretera Iquique-Oruro y se instala la escuela en Cancosa.

60 El segundo momento, que por defecto se extiende entre mediados de la década de 1950 y la actualidad (representadas en las cartografías N°4B y N°5B), correspondería al periodo en el cual se va instalando paulatinamente la territorialidad occidental, es decir una comprensión del territorio y sus recursos como propiedad privada. Durante este periodo, la habitabilidad se concentra en los asentamientos centrales, con fines educacionales. Como consecuencia de este mismo proceso de inserción de las nuevas generaciones de las comunidades a la educación formal, las familias comienzan a migrar hacia las ciudades de la región, con el fin de que sus hijos puedan continuar sus estudios (OP II y entrevistas). Posteriormente, la instalación de la legislación neoliberal en la década de los 1980’s transforma discursiva y materialmente a la naturaleza (agua y subsuelo) en un commodity, cuyos derechos de uso por parte de las empresas privadas implica compensaciones económicas a las comunidades, proceso que desencadena la pérdida de las relaciones cercanas de éstas con su entorno natural, con las comunidades vecinas y aún al interior de estas.

Figura 4 Cambios territoriales en la comunidad de Lirima.

A) Producción territorial hidrosocial multisituada.

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B) Producción territorial neoliberal.

Fuente: Elaboración propia.

Figura 5 Cambios territoriales en la comunidad de Cancosa.

A) Producción territorial hidrosocial multisituada.

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B) Producción territorial neoliberal.

Fuente: Elaboración propia.

Reflexiones finales

61 Tanto los resultados de esta investigación, como otros estudios analizados, ponen en evidencia que los variados sistemas sociopolíticos que han ocupado los espacios altoandinos han producido diferentes configuraciones territoriales, siendo la modernidad colonial y los Estados republicanos el periodo de mayores cambios. Este complejo proceso de imposición de conceptos y prácticas coloniales que se produce en la región de Tarapacá, se va materializando lentamente a través del reconocimiento cooptado por parte de las comunidades, de las instituciones coloniales como entes que controlaban la toma de decisiones, las cuales instalan sus procedimientos administrativos en el seno del ejercicio del poder territorial (distribución y tenencia de la tierra y el agua), además de invisibilizar los conocimientos y procedimientos de gestión hidrosocial y territorial prehispánicos. De esta forma, se puede aseverar que las modificaciones en el funcionamiento cultural fueron erosionando paulatinamente la construcción territorial hidrosocial multisituada, para instalar en su lugar la habitabilidad centralizada y la concepción territorial moderna como elemento característico de los paisajes altiplánicos tarapaqueños.

62 Entre las principales consecuencias de este proceso se pueden mencionar: el severo despoblamiento de las zonas rurales, el desuso de las costumbres socioproductivas y los cambios en la construcción territorial. Respecto a este último aspecto, tanto el análisis de fuentes secundarias como el estudio de caso muestran un notable abandono de las costumbres ancestrales de producción territorial hidrosocial, provocando una

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simplificación, resignificación y desocupación de los espacios altoandinos, volviéndolos más permeables a la penetración de formas de capital más agresivo, como lo es la actividad minera de gran escala.

63 Asimismo, la legislación neoliberal sobre otorgamiento de derechos de uso del agua, impuesta desde 1981, permitió a las empresas tener acceso los recursos hídricos sin necesidad de disponer de tierra, o la explotación de las aguas subterráneas, aun cuando no fuesen propietarias de los terrenos superficiales. La separación de las aguas y las tierras, de las fuentes superficiales y las subterráneas, la obligación de aceptar servidumbres de paso a las empresas y la ausencia de una gestión integrada de cuencas que considerara la vinculación entre las secciones superiores, medias y bajas de estas, han constituido fuerzas directrices relevantes en la configuración territorial más reciente y en la generación de conflictos socioterritoriales permanentes.

64 De esta manera, los principales aportes de esta investigación son tres. Desde una perspectiva teórica, la adopción de un análisis geo-histórico, así como una comprensión dialéctica de las relaciones entre la sociedad y la naturaleza, permiten avanzar en el conocimiento de los profundos cambios hidrosociales y socioambientales experimentados por las comunidades altoandinas del Desierto de Atacama.

65 Con respecto a los territorios de Lirima y Cancosa, proponemos la existencia de tres territorios diferentes. La territorialidad de los adultos mayores, quienes son los únicos que viven permanentemente en los lugares y que mantienen, en la medida que su edad se los permite, la construcción andina ancestral. La territorialidad de los adultos de mediana edad, quienes viven en las ciudades, mantiene algunas actividades económicas ligadas a la territorialidad ancestral en las comunidades de origen, además de participar activamente en sus festividades y actividades20. La territorialidad de los jóvenes, quienes viven en la ciudad y se muestran escasamente interesados en la mantención de la construcción comunitaria. Respecto a este último segmento, se puede afirmar que, aun cuando hay un reconocimiento y de cierta manera un rescate de los aspectos valóricos de la cultura comunitaria ancestral, los aspectos materiales territoriales no poseen una continuidad en su generación.

66 Respecto a los procesos de conflictividad territorial, se observa que el periodo minero más reciente ha intentado reparar los daños ambientales causado por sus instalaciones y por el apoderamiento de los derechos de agua mediante el pago de compensaciones económicas a las comunidades, lo que ha aumentado las tensiones y conflictos, ahora no solo entre los inversores externos y las comunidades, sino que también entre los propios representantes comunitarios que pugnan por obtener una mayor participación en los beneficios personales sin que necesariamente se pretenda mantener a la comunidad de lugar.

67 Finalmente, la comparación de los dos momentos histórico-territoriales de las comunidades de Lirima y Cancosa (figuras N°4A-B y N°5A-B) pone en evidencia la dilución paulatina de la propiedad común altoandina, marcando su punto culminante durante el proceso de comodificación del agua y el subsuelo del sector Lagunillas y Pampa Lirima. Respecto a este último punto, cabe destacar que la llegada de la actividad minera del cobre, y posteriormente la prospección geotérmica, no son los únicos elementos causantes de los cambios territoriales de estas comunidades, sino más bien, hitos cúlmines del proceso de modernización territorial, donde se alcanza la mayor simplificación de las relaciones territorio/sociedad/naturaleza.

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NOTAS

1. El desarrollo de este artículo se enmarca en el proyecto de investigación “Laboratoire International Associé (LIA) Mines Atacama” del Centro Nacional de la Investigación Científica de Francia (CNRS) y el proyecto FONDECYT N°1150701. 2. De manera general, definiremos como “comunidad” a un grupo social compuesto por dos o más familias, muchas veces emparentadas entre sí, las cuales comparten características culturales y de organización social común, y se encuentran asociadas territorialmente. 3. Una “once comunitaria” es una actividad donde se reúne parte o la totalidad de una comunidad con el fin de compartir bebidas calientes (principalmente té) y comida. 4. Es una ceremonia familiar donde se marcan los animales con llamativos pendientes de lana, para ser reconocidos en los humedales.

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5. Es la segunda fiesta más importante (luego del “año nuevo indígena”) de las comunidades quechuas y aymaras. En esta ceremonia se celebra el fin de la temporada húmeda y el comienzo de la temporada seca o de menores recursos. Esta se desarrolla en la cima del cerro sagrado de la comunidad y se agradece a la Pachamama (madre tierra) por los frutos entregados, sacrificando para ellos una llama en su honor. 6. Se entendió como actor clave a los informantes que, por su edad o por los cargos ejercidos anteriormente, contaban con información agregada de cada comunidad y sus segmentos etarios; funcionamiento administrativo y/o social, actividad económica, 7. En nuestra investigación se utiliza la definición del discurso de Ruiz (2009:2), quien propone que discurso es “cualquier práctica por la que los sujetos dotan de sentido a la realidad” 8. Girault (2013:208) propone que los territorios multisituados son “dispositivos espaciales muy coherentes, donde las unidades se encuentran dispersas, pero funcionalmente conectadas, en un espacio producido política e históricamente de manera diferenciada por diferentes segmentos de la sociedad”. 9. En términos simples, las Cédulas Reales eran los terrenos que el Estado colonial entregaba a una comunidad (o su representante), sobre la base de su ocupación territorial ancestral (Yáñez N. y R. Molina, 2008) 10. Los humedales altoandinos o bofedales y vegas, son espacios de una alta densidad vegetal, cuyos pastos poseen una gran calidad forrajera, muchos de los cuales se encuentran asociados a vertientes de agua subterránea de origen geotérmica (Ahumada y Faúndez 2009). Aun cuando estas vertientes son de origen natural, los habitantes canalizaban el agua para agrandar y mantener la superficie de estos espacios (Fajardo M., 1982;

Palacios F., 1992), lo que transformaba a los humedales en un territorio hidrosocial inserto en la red de territorios multisituados andinos. 11. Pese a la imposición de estas nuevas formas de acceso a la tierra (legislación moderna), al interior de las comunidades altoandinas se mantenía la práctica de construcción territorial sobre la base de sus arreglos culturales particulares. En tal sentido, el acceso al territorio se determinaba a través de su uso, es decir que los territorios de la comunidad eran asignados como espacios de pastoreo de las llamas (Lama glama), las cuales se alimentan de las hierbas de secano, y de las alpacas (Vicugna pacos), que lo hacen de los pastos que se encuentran en bofedales y vegas. En términos de la organización del uso y acceso intracomunitario a estos espacios, los pastos de secano (laderas) son de uso común para todas las familias de la comunidad y los bofedales (bajo riego permanente) tienen un uso familiar exclusivo (la comunidad o Ayllu podía estar compuesta por varias familias)

(Méndez M. y H. Romero, 2019). 12. Ya en 1571 Pedro Pizarro señalaba: “en este Tarapacá ay grandes rriquezas de minas encubiertas, que por falta de agua y leña, ni se pueden buscar ni labrar las cubiertas” (citado en Donoso C., 2008; p.62). 13. La intención de ocupar las aguas del valle de Quisma para el abastecimiento de la industria salitrera y la creciente población de la ciudad de Iquique comienza durante la administración peruana (1873). Sin embargo, es el Estado chileno quien materializa esta expropiación en 1924 (Castro L.,

2010; Méndez M., 2019) 14. La Guerra del Pacífico (1879-1883) fue un conflicto bélico que involucró a los ejércitos de Bolivia, Chile y Perú. Después de la guerra, que se originó por disputas sobre la propiedad y explotación de nitratos, la Provincia Litoral de Bolivia (actualmente la región de Antofagasta) y las regiones peruanas de Tarapacá y Arica (actualmente las regiones de Tarapacá y Arica-Parinacota, respectivamente) pasaron a ser administradas por Chile. 15. Se denomina “chilenización” al periodo durante el cual el Estado chileno despliega una serie de instrumentos institucionales, legales, culturales, entre otros, destinados a imponer (construir) una nacionalidad y una soberanía chilena entre los habitantes de las recién incorporadas regiones de

Antofagasta y Tarapacá. Para un análisis particular de este proceso en la región de Tarapacá ver González (2002). 16. Existe una gran discusión respecto a si las comunidades fueron cooptadas por el contexto sociopolítico y/o ellas incorporan estas características como una “adaptación” a su contexto sociocultural cambiante. En este sentido, se adhiere a la propuesta de Aedo (2008), quien plantea que las poblaciones altoandinas vivieron una intensa reconformación cultural, por lo que no tiene sentido pensar la cultura aymara como un ente puro, aislado de la influencia de la cultura occidental. 17. Principalmente por llevar a sus hijos a desarrollar sus estudios secundarios y la búsqueda de otros estilos de vida “menos duros”. 18. Interpretamos este uso comunitario de un humedal como una adaptación a la nueva realidad de la comunidad, donde los habitantes de mayor edad viven en la localidad central. 19. En 1993 la comunidad de Lirima llega a un acuerdo con la comunidad de Cancosa (por el predio de Huantija), quienes con la ayuda económica de CMCC, compran definitivamente estos terrenos (Salinas J., 2012). 20. Aun cuando no poseemos el número exacto comuneros de este rango etario, sobre la base de las entrevistas realizadas se estima que alrededor de un 50% de este segmento participa activamente en la comunidad.

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RESÚMENES

Desde la perspectiva de la ecología política se analizan, para distintos periodos históricos, los procesos de producción discursiva y material de los territorios hidrosociales en la zona altiplánica de la región de Tarapacá, situada en el centro del Desierto de Atacama, norte de Chile. Se propone que los procesos conflictuales surgidos durante la producción socionatural de los territorios altoandinos de Tarapacá se encuentran íntimamente ligados a la introducción de las concepciones occidentales del espacio/territorio y del agua, en el marco del proceso de modernización de la región. A través del estudio de caso de los conflictos intra e intercomunitarios de las localidades de Lirima y Cancosa, se pone en contraste la producción ancestral territorial hidrosocial multisituada y la producción moderna del territorio. Sobre la base de los casos de estudio analizados, se propone que la modernización de los territorios en un proceso de larga data, el cual ha simplificado y comodificado las geografías altoandinas de la región.

Depuis la perspective de l'Écologie Politique, les processus de production discursive et production matérielle des territoires hydro-sociaux dans les hauts plateaux andins de la région de Tarapacá, située au centre du désert d'Atacama (nord du Chili), sont analysés pour différentes périodes historiques. Il est proposé que les processus de conflits qui se sont produits pendant la production socio-naturelle des hauts territoires andins de Tarapacá soient étroitement liés à l'introduction des conceptions occidentales de l'espace / territoire et de l'eau, dans le cadre du processus de modernisation de la région. À travers l'étude de cas des conflits intra et intercommunautaires dans les villages de Lirima et Cancosa, la production territoriale ancestrale territoriale multisituée et la production moderne du territoire sont contrastées. Sur la base des études de cas analysées, nous proposons que la modernisation des territoires s’inscrive dans un processus de longue date, lequel a simplifié et marchandise les hauts plateaux andins de la région.

Using the perspective of the Political Ecology this paper analyses, for different historical periods, the processes of discursive and material production of the hydrosocial territories in the High Andean zone of the Tarapacá region, located in the center of the Atacama Desert, northern Chile. It is proposed that the conflict processes that arose during the socionatural production of the high Andean territories of Tarapacá are closely linked to the introduction of the western conceptions of space / territory and water, within the framework of the region's modernization process. Through the study of the inside-community and between communities’ conflicts in the villages of Lirima and Cancosa, the multi-situated ancestral way of territorial production and the modern production of the territory are contrasted. Based on these cases analyzed, it is proposed that the modernization of the territories is a long-standing process, which has simplified and commodified the High Andean zone of the region.

ÍNDICE

Mots-clés: Écologie Politique, Territoires Hydro-Sociaux, Conflits Socio-Environnementaux, Tarapacá, Chili. Keywords: Political Ecology, Hydro-social territories, socioenvironmental struggles, Tarapacá, Chile Palabras claves: Ecología Política, Territorios hidrosociales, conflictos socioambientales, Tarapacá, Chile.

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AUTORES

MANUEL MÉNDEZ

Doctorando en cotutela: Historia en LAHM-CReAAH, Université de Rennes 2 (Francia) y Antropología en IIAM, Universidad Católica del Norte (Chile). E-mail: [email protected]

HUGO ROMERO

Profesor Asociado, Departamento de Geografía Universidad de Chile. E-mail: [email protected]

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Who Fought For Water and What Did They Fight For? A Comparative Analysis of Open Water Conflicts in Four South American Countries between 2000 and 2011 Qui s’est battu pour l’eau et pour quoi luttaient-ils ? Une analyse comparative des conflits ouverts relatifs à l’eau dans quatre pays sud-américains entre 2000 et 2011 ¿Quiénes lucharon por el agua y por qué lucharon? Un análisis comparativo de los conflictos abiertos relacionados con el agua en cuatro países sudamericanos entre 2000 y 2011

Florence Larocque

1 Water and, with it, the competition for water, is a recurring and increasing source of conflicts around the world: “by 2050, global water demand is projected to increase by 55%” (United Nations World Water Assessment Program, 2015). Latin America is no exception, and is additionally “at once the most urbanized and most unequal of the world’s continents in terms of access to water” (Poupeau F. et al., 2018: 6).

2 Water conflicts in Latin America and elsewhere have mostly been studied by focusing on case studies or by comparing conflicts of a similar nature (privatization of water services, mining contamination, or management models of urban services) (examples include Bottaro L., Latta A. and Sola M., 2014; Akhmouch A., 2009; de Gouvello B, and Fournier J.-M., 2002; Mayaux P.-L., 2017; Spronk S., 2009; Poupeau F. et al., 2018). This article takes a different stance. Starting from the standpoint of considering water as a unique and multidimensional object of conflict, it systematically reviews all open social conflicts in which (any dimension of) water was central in four South American countries (Argentina, Chile, Bolivia and Peru), for a same period of twelve years

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(between January 2000 and December 2011). It then shows how and explores why the actors mobilizing and the dimensions of water under conflict vary overtime and between countries.

3 The four countries studied differed according to socio-economic development variables and their main productive industries, but also in the levels of drinking water coverage and the extent to which the sector underwent privatizing reforms. The first main contribution of the article is therefore to present the “big picture” of water conflicts that emerged in these different countries over the period of twelve years preceding the rise of “water crises” in the public and political arenas.

4 This overview brings readers to take a step (or a few ones) back from in-depth and detailed case studies of water conflicts. We believe this broader perspective is useful to situate the objects of these case studies, for instance to reveal how unique the water crisis in Cochabamba was and that protests for the protection of water sources from mining activities have taken place across borders. It also sheds light on the important role citizens’ committees have played in the mobilization for water (beyond that of traditional social and political actors).

5 The article also contributes to the understanding of how contextual factors have influenced the emergence of water conflicts. It suggests that protests asking for an expansion of water services did not only respond to lower levels of drinking water coverage, but also to whether governments had compromised or launched political initiatives raising the expectations of the population in this respect. It also shows that social responses to privatization varied greatly, and that social protests against mining activities were not correlated with the importance of mining in the national economy.

6 The article proceeds as follow. The first section describes the conceptual framework of this study and the second, its methodology. The third section presents an analytical overview of water conflicts in each of the country studied: Argentina, Chile, Bolivia and Peru. The fourth section draws insights from the comparison between cases.

Fighting for Water?

7 Studying water conflicts necessarily raises the question of what “fighting for water” is. The question involves two components: water as an object and the conceptualization of conflicts.

Water as a Unique and Multidimensional Object

8 Two conceptualizations of water have recurrently been identified at the core of water conflicts (Barraqué B. and Zandaryaa S., 2011: 7-9; Poupeau F. et al, 2018: 20). First, considering water as an economic good and therefore through the management of water services: its public or private nature, its regulation of access, allocation and quality (Bakker K., 2007; Furlong K., 2010; Morgan B., 2011). Second, conceptualizing water as a resource with various uses (human consumption, agriculture, industry, etc.) that may compete with one another (Sosa M. and Zwarteveen M., 2012; Bottaro L., Latta A. and Sola M., 2014). Yet, the distinction between these two conceptualizations hides overlaps that are encountered in empirical cases, for instance “when poor people are not connected to water services [and] they have to take water directly from the

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resources” (Barraqué B. and S. Zandaryaa, 2011: 8) or when competing uses affect (in quality or quantity) the water sources that supply water services.

9 We consider that water is a unique object in part because it is simultaneously an economic good and a resource, but also because its unicity goes beyond this “overlapping” conceptualization. Because it is essential to life and directly impacts health, it is also “the quintessential massively consumed product, and access to water is generally perceived to be more of a "social" and "basic" service than other utility services” (Savedoff W. and P. Spiller, 1999: 6). It also has a cultural, social and spiritual dimension that is important to acknowledge (McGregor D., 2012; Yates J., Harris L. and N. Wilson, 2017; Yañez N. and S. Poats, 2007; Boelens R., Perreault T. and J. Vols, 2018). A “social imaginary” may be associated to water (Wagner J., 2012) and, for instance, E. Simmons (2016) noted that “Cochabamba water symbolized region, nation, and Andean heritage, among other things.”

10 The unicity and multidimensionality of water as an object is thus inherent to the study of water conflicts. Indeed, these characteristics of water are central in the arguments developed to explain these conflicts. E. Simmons (2016) argues that threat to a “subsistence good” like water (which is not only material but also a threat to community) can foster mass mobilization around the issue; B. De Gouvello and J.-M. Fournier (2002) argue that water may be associated to games of power in a community. On the basis of this multidimensional conceptualization of water, this study overviews all social conflicts which relate to any dimension of water.

What is a Water Conflict?

11 Water conflicts have often been assimilated to “water wars,” taking the form of massive and sometimes violent protests. The limitations of this perspective have been given special attention in the recent literature. Some noted that conflict related to water insecurity (for instance in the US) does not necessarily manifest through publicized protest movements polarizing the debate, and that it is also “likely to be situated within the institutions responsible for regulating the environment” (Poupeau F. et al., 2018: 7). Others directly argue: “Water control conflicts are everywhere. Disputes and struggles may occur over how water is to be used, distributed, managed, treated or talked about […]. […] they cannot always easily be witnessed. Water conflicts may be open and visible, but often also happen in subtler, less directly visible ways” (Boelens R., Perreault T. and J. Vols, 2018: 20).

12 Although open water conflicts are a sub-category of water conflicts, there is a great variety within this sub-category. Conflicts may involve violence or not, may be more or less massive, may happen at the local or national scale, etc. Our conceptualization of open water conflicts include any social conflict that manifests on the public sphere, no matter how they characterize regarding other criteria (number of people involved, type of actions pursued, actors’ involved, etc.).

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Analyzing Water Conflicts: Methodological Choices and Data

Studying Open Water Conflicts

13 The choice to focus on open water conflicts presents both advantages and limitations. On one side, its main advantage is that it allows to take into account any social conflict somehow related to water, without pre-delimitating any policy sector, geographical region, or dimension of water. Studying open conflicts also makes it possible to have a comparable source of data for all four countries, for the whole period (see section Data Sources and Analysis).

14 On the other side, it neglects any water conflict that occurred behind doors, including within water institutions or “hydrocracies” (Poupeau F. et al., 2018; Molle F., Mollinga P. and P. Wester, 2009). The explanatory power of the study is also limited by the fact that negative cases (cases of non-conflict) are de facto excluded. Therefore this study cannot and does not explain why some conflicts can be prevented (if so).

Case Selection

15 The time period studied, between 2000 and 2011, opens with the Cochabamba Water War and closes as “water crises” started (or were about to start) rising in the public and political arenas of the four countries. These twelve years have witnessed different water reforms, policies and contexts in Latin America, and especially in the four countries studied, which combine similarities and differences at the beginning of and throughout this period.

16 Geographically, they all share an Andean region and have similar water poverty indexes, varying between 61 and 69 (Word Resources Institute, 2006). The four of them also present important subnational variations in the availability of water resources.

17 In terms of traditional variables of socio-economic development, they separated in two pairs. On one side Argentina and Chile had 2000 GDP per capita amongst the highest of the region, at respectively 8657 and 9651 (in 2010 constant US dollars) (CEPAL, 2014). In 2000 the national coverage of (at least basic) drinking water services was estimated at 96% in both countries, and that of (at least basic) sanitation was at 87% for Argentina and 92% in Chile (WHO-UNICEF, 2019). On the other side, Bolivia and Peru had significantly lower GDPs per capita in 2000, respectively of 1612 and 3287 (in 2010 constant US dollars) (CEPAL, 2014). Their levels of coverage of (at least basic) water services were estimated to be significantly lower too, with 79% for Bolivia and 81% for Peru. The coverage levels of (at least basic) sanitation were estimated at 34% for Bolivia and 64% for Peru (WHO-UNICEF, 2019).

18 In terms of productive activities, the role of mining and agricultural activities in the national economies of the countries vary. In 2000, at the beginning of the period studied, the participation of mining (and careers) in the national GDP was 5.2% in Argentina, 21.7% in Chile, 11% in Bolivia, and 12.3% in Peru. As for agricultural activities, they represented 8.3% of the GDP in Argentina, 3.2% in Chile, 11.7% in Bolivia’s and 8.7% in Peru (CEPAL, 2015). The share of total land dedicated to

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agriculture also varied from 47% in Argentina, to 20% in Chile, 34% in Bolivia and 18% in Peru (FAO, 2018).

19 Finally, as for the privatization of water services, the countries faced four different scenarios during the period studied. Chile finalized the privatization of its urban water services over the period, and these privatizations persisted until now. Argentina, where water services had partly been privatized in the 1990s, re-nationalized some (but not all) of its water services over the period. Bolivia started the period under study with the reversal of the Cochabamba water privatization, which was followed a few years later by the reversal of the privatization of the only other water services that had been privatized, in La Paz and El Alto. Finally, Peruvian water services were essentially public for the whole period, except for the water services of Tumbes, which was privatized in 2005. The privatization of other water services has been discussed, but did not materialize.

Data Sources and Analysis

20 The data source for conflicts is the chronologies of social conflicts published by the Observatorio Social de América Latina of the Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales. They were built by an expert team in each country, on the basis of a review of national newspapers. They are currently available online through the Red de bibliotecas virtuales de ciencias sociales de América Latina y el Caribe (http://biblioteca.clacso.edu.ar).

21 The chronologies from January 2000 until December 2011 for all four case studies have been systematically reviewed to identify all social conflict events mentioning water. Among all of these conflicts, only the ones where water was (at least partly) the object of the conflict were kept. The classification of conflict events was done through a double review of data (either by two different persons or with a time lapse of two years between the reviews).

22 This similar data available from a single source for all countries offers a unique opportunity to compare water conflicts in four different countries over a same period of 12 years. One important limitation of the data is however that the data only includes open conflicts reported in newspapers. (It goes beyond the aim of this study to analyze why some open conflicts may not be reported in newspapers.)

An Overview of Water Conflicts in Argentina, Chile, Bolivia and Peru, 2000-2011

23 This section presents a summary of water conflicts that took place between 2000 and 2011 for each country. In total 421 water conflict events were identified and analyzed. Bolivia and Peru stand out with a significantly greater number of water conflict events (see Table 1).

Table 1 Number of Water Conflict Events by Geographic Area in Argentina, Chile, Bolivia and Peru, 2000-2011

Geographic Area* Total

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Rural Town Periphery Urban National

Argentina 10 5 13 24 - 52

Chile 21 2 - 6 3 32

Bolivia 66 8 37 40 8 159

Peru 95 9 35 22 17 178

* Classifications made considering: rural: settlement with less and 5000 inhabitants; town: settlement with between 25 000 and 70 000 inhabitants; periphery: marginal neighborhoods or informal settlements adjacent to urban areas; urban: settlement with over 100 000 inhabitants; national: at least two simultaneous distant localizations. Source: Own elaboration, based on data compiled from CLACSO chronologies (see section 2.3).

Argentina

24 Between 2000 and 2011 the socio-economic-political context of Argentina was first deeply marked by the 2001 economic crisis, during which the peso argentino was highly devaluated and the country had five presidents over a period of two weeks. In early 2002, Eduardo Duhalde became president until 2003, when Nestór Kirchner was elected. In the next presidential election, Cristina Kirchner (his wife) was elected president and remained so until 2015.

25 Social conflicts around the issue of water that took place in Argentina between 2000 and 2011 mostly related to the management of water services (consumers’ rates and re- nationalization), the extension or improvement of water services and competing uses of water (including its contamination).

26 The conflicts related to the management of water services took place sporadically. Protests objecting the rise of consumers’ rates first took place in Buenos Aires and Salta, in midst of the 2001 crisis. In 2009, neighbors of Chivilcoy and La Plata (in the province of Buenos Aires) also protested against increases in water prices. Demonstrations in 2005-2006 also asked for the re-nationalization of water services that had been privatized in Santa Fe, Córdoba and Misiones. In 2006 the privatized services of the capital (and of the 13 municipalities attached to it) and of the province of Buenos Aires were re-nationalized, following a presidential and a governor’s decree.

27 Protests about water services also encompassed those of neighbors asking to be connected to a drinking water distribution network. The reported conflicts mostly took place from 2006 on and in villas (informal settlements) of Buenos Aires or neighborhoods of Greater Buenos Aires, but there was also a case in Chaco (asking for water access on productive lands) and in Coronel Arias (in the province of Jujuy). Moreover, interruptions of water supply was a recurrent problem that led neighbors to protest, especially between 2005 and 2009. These protests extended to neighborhoods of the capital, Greater Buenos Aires and Salta.

28 Conflicts over the uses of water included protests specifically against mining activities contaminating water in Chubut (2006), Mendoza (2006, 2009) and Jujuy (2011), as well as demonstrations in Buenos Aires against gold mining activities of Barrick Gold and La Alumbrera in the Andes (2008, 2010). As members of 86 indigenous communities

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protested against lithium mining in the province of Jujuy (2011), they also asked control over water reserves. Besides conflicts involving mining activities, environmentalists in Colonia Carlos Pellegrini (in the province of Corrientes) protested against illegal water use by the rice industry in 2010; protests also denounced the contamination of the Centro Atómico de Ezeiza (with uranium), cellulose manufactures, and sugar refineries, as well as the long-lasting contamination of the Riachuelo river and waters of Bahía Blanca.

Chile

29 The coalition of the Concertación was in power in Chile from 1990 until 2010. In 2000, Ricardo Lagos from the socialist party was elected president, and Michelle Bachelet (also from the socialist party) succeeded him in 2006, until 2010. Sebastián Piñera from the Alianza coalition was president between 2010 and 2014.

30 Water conflict events in Chile between 2000 and 2011 mostly categorize either as conflicts of uses or around the issue of water contamination. Protests related to water services were very limited, and there was only one protest asking for the nationalization of water (as part of many other claims) in 2009.

31 As for water services, the only reported protests were those of inhabitants of Temuco (2005), Pichilemu (2006) and Padre Hurtado (2008) opposing the installation of treatment plants by private providers of water services, as well as one of neighbors of Ciudad Satélite in Maipu (2011) asking that leaking water pipes of the municipal water services be repaired or replaced.

32 The conflicts over uses or rights of water were significantly more frequent. In the northern (desert) regions of the country, Aymaras protested against the reactivation of the exploitation of water sources in 2001 and to defend indigenous rights over water in 2005. Residents of San Pedro de Atacama and Alto el Loa protested against the exploitation of geothermal fields in 2006. From 2006 until 2011 (and on) mining projects in the Valle del Huasco were also protested against recurrently, because they threatened water sources (including by contaminating them). The southern regions have also been the source of water conflicts. Mapuches’ organizations, as well as environmental and social ones, have protested to denounce that timber industry dry water tables and oppose various hydroelectric projects between 2005 and 2011. Mapuches also protested against water contamination due to cellulose manufactures, dumping sites and pumice industry.

Bolivia

33 Between 1995 and 2002, Bolivian presidents governed with “pacted democracy” coalitions that were negotiated after each election to support the elected presidency. Presidents from three traditional parties succeeded each other, and Hugo Bánzer was president from 1997 to 2002. In 2002, the traditional MNR party again got the most votes (22.9 %), and its candidate Gonzalez Sánchez de Lozada became president. The elections nevertheless marked a significant shift, since the MAS party (led by Evo Morales) and the new NFR party (led by Manfred Reyes Villa) arrived in second and third places, both with 20.9%. Within this new political setting, the Gas War irrupted in 2003, and the president resigned. His vice-president Carlos Mesa assumed presidency

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until resigning in 2005, when he was replaced by Eduardo Rodríguez Veltzé for the interim. In 2006 Evo Morales was elected president and re-elected in 2010 and 2015.

34 Water conflicts that took place in Bolivia between 2000 and 2011 were of course dominated by the emblematic Cochabamba Water War. Other conflicts included some that also related to the public-private management of waters, but the great majority of them rather focused on the provision of water services (mostly their expansion) or showed tensions over water uses (and contamination).

35 The Cochabamba Water War unfolded between January and April 2000 through numerous episodes of protests. Protesters opposed the privatization of Cochabamba water services and the hikes in consumers’ rates that took effect with the private company taking over in January. From the end of March, they also manifested their opposition to Law 2029 (which was passed to ensure the legality of the contract with Aguas del Tunarí). The privatization process was finally reversed.

36 Around the issue of water privatization, there were protests (more limited in scope) in Potosí in 2001 to oppose a bill that could allow water mercantilization and in Tiquipaya in 2003 against the concession of drinking water services and the installation of sanitation. In 2004 and 2005 neighbors of El Alto organized various protests asking for the expulsion of the private water company; the rescission of the contract was announced by Carlos Mesa in January 2005 and officialised by Evo Morales in January 2007. Later in 2007 irrigators mobilized against the proposal to allow departmental authorities to grant concessions for the commercialization and exploitation of water.

37 Provision of water services has been a recurring claim over the period. In 2001 and 2005, following the reversal of the privatization of Cochabamba water services, a few demonstrations asked for the extension of its water network in marginal neighborhoods of Cochabamba and Vinto. It is however from 2006 on that reported protests demanding provision of water services multiplied. Between 2006 and 2011 they took place across the country, in the departments of Cochabamba, La Paz, Santa Cruz, Sucre and Beni.

38 Whereas conflicts over water services mostly focused on asking for their expansion, neighbors and social organizations also protested to denounce the deficiencies of water services in Sucre (2001), Yacuses (2010), as well as in San Miguel de Velasco, El Alto and La Paz (2011). Besides the Cochabamba Water War, protests against increases in consumers’ rates were only reported in 2011 in Santa Cruz (following the installation of water metering).

39 Conflicts over water uses occurred recurrently, but the competing uses varied significantly. Protests against mining activities contaminating or exploiting water were conducted by rural communities in the provinces of Quillacollo, Tacaparí and Capinota (in 2004), irrigators of Tacagua (in 2007) and indigenous peoples of ayllu Jesús de Machaca (in 2008). Water contamination with chemicals or drugs by other industries, or with sewage water also generated conflicts with communities in the departments of Cochabamba and La Paz. Among these, indigenous authorities and peasants of Laja asked for the decontamination of the Titicaca Lake in 2006 and the Agua Blanca community denounced the contamination of eternal snow (their source of water) by the cooperative Flor de Nevado in 2011.

40 Rural and indigenous peoples protested against hydroelectric plants and dams affecting the irrigation of their crop lands (because of too low water levels or debits) in ayllu Jila,

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Colonia Berlín, El Paso and Arbieto and Tolata (departments of Potosí, Santa Cruz and Cochabamba). In the department of Cochabamba, there have been recurrent conflicts between communities or neighbors over the use of wells since 2007. Finally, two conflicts over water uses involved transnational waters (Silala river and Madera river), for which there were negotiations between the Bolivian government and (respectively) Chile and Brazil. Labor unions, environmental organizations and local institutions (in Bolivia) also mobilized to participate in these debates.

Peru

41 The Peruvian president Alberto Fujimori resigned in November 2000 (in midst of a political turmoil), after a decade in power. Valentín Paniagua Corazao was then designed as the interim/ transitional president until the next election. In July 2007, the new elected president Alejandro Toledo took over. Alan García from the Partido Aprista Peruano (and former 1985-1990 president) became president in 2006 and promoted the program Agua para todos (to expand the coverage of water services).

42 Water conflicts that took place in Peru between 2000 and 2011 had three main purposes: asking for water provision, protecting water sources from activities damaging them, and opposing the privatization of water services or the increases in water consumers’ rates. Other (less numerous) protests requested better water services.

43 Extension of water services is a recurring demand expressed in the street by communities in Peru. In 2001, 2004, 2006 and 2007 inhabitants of human settlements in the province of Lima protested to ask for services. Demonstrations on this topic intensified starting in 2008 and extended to most departments (Puno, Arequipa, Tacna, Ancash, Junín, Pasco, Trujillo, Cajamarca and Piura) by 2010. Demands for water services regularly referred to the Agua para Todos program (whether by asking for its implementation or the extension of the area covered) or to electoral promises made by local authorities.

44 The protection of water sources mobilized many communities across the country, and repeatedly. The contamination of waters by mining activities was by far the one denounced the most frequently: in the departments of Cajamarca (2005, 2006, 2008, 2011), Lambayeque (2005, 2009), Pasco (2007, 2008), Tacna (2007, 2011), Puno (2007), Ayacucho (2008), Arequipa (2008, 2009, 2010, 2011), Junín (2009), La Libertad (2010, 2011), Cuzco (2010, 2011), Moquegua (2010, 2011), Piura (2011) and Apurímac (2011). Other uses of water that were protested against included hydroelectric generation (2003, 2008, 2011), Pluspetro contaminating activities (2006, 2008, 2010) and private uses (2008, 2009). There were also a few demonstrations against water contamination by sewage or used waters in Lima (2007, 2008, 2009), Virú (2008) and Huamanga (2008).

45 Opposition to increases in water consumers’ rates and the privatization of water services motivated many social conflicts. There were protests against rates’ increases in February 2000 (ahead of the election) and the privatization of Lima’s water services in May 2002, but most conflicts took place between 2005 and 2010, across the country (in Lima and in the departments of San Román, Junín, Ayacucho, Piura, Abancay, Cuzco, Apurímac, Puno and Arequipa). In most demonstrations of 2009, this opposition was directed toward the Ley de Recursos Hídricos enacted in March 2009, that promoted the participation of the private sector through its article 105.

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46 Finally, there were some protests (mostly in 2008) of communities asking for authorities to address the deficiencies of their water services, more specifically, unplanned interruptions, inefficient management and weak pressure.

Comparative Insights on Water Conflicts

47 This section compares the water conflicts reviewed over two dimensions: their protagonists and their subject.

Protagonists

48 In the four countries, it was reported that a range of different actors took part in the conflicts, as Table 2 summarizes. It first stands out that in Chile Indigenous communities and organizations were the most frequent protagonists (in half of all the conflict events compiled). In Bolivia and Peru, where Indigenous populations are proportionally more important, they often participated in conflicts through organizations or groups not specifically identified as Indigenous.

Table 2 Protagonists of Water Conflicts in Argentina, Chile, Bolivia and Peru, 2000-2011

Number of Water Conflict Events in Which … Took Part

Environmental/ Labor Unions/ Politicians Neighbors’ Issue-based Indigenous Social NGOs Associations or Parties committees organization

Argentina 6 9 5 1 33 3

Chile 7 4 - 16 11 7

Bolivia 36 67 26 7 95 33

Peru 41 45 19 10 96 48

* In various water conflict events, more than one category of protagonists took part. Source: Own elaboration, based on data compiled from CLACSO chronologies (see section Data Sources and Analysis).

49 A more general observation that stands out from the comparative analysis is the role played by neighbors’ groups and committees. They are the type of protagonists the most (or the second-most, in the case of Chile) frequently mobilizing for water over the period. In all four countries, they are involved in more water conflict events than more traditional social and political actors (like environmental or social NGOs, labor unions and associations). Often they are mobilized without any reported with other actors. This “personalized” involvement of citizens in water issues goes in line with the recent transformations of activism in general, as part of a “do-it-yourself politics” (Dufour P., Bherer L. and C. Rothmayr Allison, 2015). It would be interesting to investigate whether this is (or not) a new trend regarding water conflicts, especially given its vital (daily) necessity. Have citizens always taken a “personalized” active

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political stance regarding water or have they only recently mobilized away from social and political organizations?

Subjects

50 Whereas conflicts over uses took place in all four countries, the extent to which other subjects like drinking water coverage and privatization of water services were taken to the street differed significantly (see Table 3).

Table 3 Number of Water Conflict Events by Subject in Argentina, Chile, Bolivia and Peru, 2000-2011

Drinking Water Privatization of Water Competing Water Uses (incl.

Coverage Services Contamination)

Argentina 14 10 17

Chile 0 1 26

Bolivia 37 45 73

Peru 39 24 95

Source: Own elaboration, based on data compiled from CLACSO chronologies (see section Data Sources and Analysis).

Drinking Water Coverage

51 One would of course expect that there would be more protests asking for water services where drinking water is not already provided to the population. Given their significantly lower drinking water coverage at the beginning of the period studied, in 2000, it is therefore not a surprise to see that Bolivia and Peru witnessed a great number of conflicts around this issue.

52 Yet, the overview of conflicts in these countries does not only show that extension of water services was one of the main demands of water protests, but also that these conflicts intensified starting in 2006 in Bolivia and in 2008 in Peru. This intensification followed political commitments taken by both national governments regarding water services. In Bolivia, Evo Morales took power in 2006 and the expansion of water access was one of his political priorities (and more specifically the goal of reaching the Millennium Development Goals), as the creation of a Ministry of Water indicated. In Peru, one of the key electoral promises of Alan García in 2006 was to provide half a million people with drinking water (in six months) with the program Agua para todos. The program was created in 2007. In both cases it is after these political initiatives were launched that protests intensified, suggesting that they created expectations and that these expectations motivated communities to ask for water services. Although further research would be needed to understand the motivations of protesters, the program Agua para todos in Peru was frequently referred to after 2007 when extension for water services were claimed for, which seems to indicate that it did raise the population’s expectations.

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53 Chile and Argentina had very similar levels of coverage of water services in 2000: 96% nationally, which disaggregated in coverages of 99% (or more) in urban areas, and of 75 and 76% in rural areas (WHO-UNICEF, 2019). Yet, there were protests requesting drinking expansion of water services in Argentina, but not in Chile. These different political dynamics seem to be explained by a specific dimension of coverage: whether water is piped to households. 89% of Argentinian households had piped water supply, compared to 94% of Chilean ones. The difference between urban households with piped water was also significant: 94% in Argentina and 99% in Chile. In Argentina protests requesting the expansion of water services indeed took place in peripheral urban areas and, as shown in Table 1, no conflict took place in the periphery of cities in Chile.

Privatization of Water Services

54 Between 2000 and 2011 the privatization of water services generated various protests in Argentina, Bolivia and Peru, but only one in Chile. During this period each country was going through very different scenarios regarding the privatization of their water services.

55 In Argentina, the federal government had privatized the only water services under its jurisdiction (that of the capital and 13 surrounding municipalities of “Greater Buenos Aires”) in 1993. Provinces (and some municipalities, where provinces had transferred them the jurisdiction in the 1980s) were encouraged to also privatize water and sanitation services: there were 12 concessions between 1991 and 2000 (Azpiazu D., Bonofiglio N. and C. Nahón, 2008; de Gouvello B., Lentini E. and F. Brenner, 2012 : 93-94; de Gouvello B., 2003; Post A., 2014).

56 In Chile, the privatization of urban water services took place successively in all regions, between 1993 and 2004. The first small-scale “trials of different privatization type” in 1993 in Valdivia (region XIV) and in 1995 in Litoral Sur (region V) were followed by the sale of actions of public water providers of the regions of Valparaiso, Santiago, Bío-Bío, Los Lagos, and O’Higgins between 1998 and 2000. Between 2001 and 2004, the remaining urban water services were privatized through 30-year concession contracts (Valenzuela S. and A. Jouravlev, 2007: 25; Cariola E. and M. Alegría, 2004: 76-77; Baer M., 2014).

57 In Bolivia, water and sanitation services were conceded in three of its main cities: in La Paz and El Alto in 1997 (together in the same concession contract) and in Cochabamba in 1999 (after three calls for bids in 1996, 1998 and 1999). Both concessions were reverted: in 2000 in Cochabamba (following the emblematic Cochabamba Water War) and in 2005 in La Paz/ El Alto. (Salinas Gamarra, 2007; Nickson A. and C. Vargas, 2002; Mayaux P.-L., 2008; de Gouvello B. and Fournier J.-M., 2002).

58 In Peru the privatization of Lima water services was prepared for in the 1990s, but it was finally not implemented (Alcázar L., Xu L., and A. Zuluaga, 2000). Water services remained public in Peru until, in 2005, the water and sewerage services of Tumbes were conceded with a 30-year contract (which was however rescinded in 2018). The concession of the services of Piura, Huancayo, Trujillo and Pucallpa was also considered but did not go forward (Cotlear B. and C. Alza, 2010).

59 The conflicts reported for the four countries in relation to the privatization of water services interestingly inform the relation between social conflicts and privatization. First, protest against the privatization of water services tends to be reactive rather than proactive: it is when there is a concrete project to privatize services that

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mobilization organizes. Although that may appear obvious, it is important to note that population likely take a stance about the public or private management of water services when the consequences of privatization can be foreseen in a short-time horizon.

60 Second, the patterns noted in all four countries highlight that privatization does not always generate strong popular opposition and that protests against it may happen preventively or be posterior to privatization. Massive popular protests against water privatization have largely drawn scholars’ attention (Simmons E., 2016; Spronk S., 2009; de Gouvello B. and J.-M. Fournier, 2002), but other privatization processes which were not strongly opposed (or were socially accepted) have been less studied. Yet, one scholar analyzing these differences between privatization responses argues that the rhythm of privatization processes plays an important role in fomenting opposition or consent when water services are privatized (Mayaux P.-L., 2017).

Competing Water Uses

61 Conflicts over water uses stand out as the type of conflicts that occurred in all four cases. The uses threatening water sources do vary between countries, but there is one constant: mining activities has generated conflicts over water sources in all four countries. Their impact on water is essentially threefold: first, a great quantity is needed for production and transport; second, processes pose risks of water contamination; third, mining activities’ geographical location tend to overlap catchment areas of water sources, and glaciers (or eternal snow, which consist in water sources “for the future”) (Bottaro L., Latta A. and M. Sola, 2014: 98; Sosa M. and M. Zwarteveen, 2012; Bebbington et al., 2008; Oyarzún J. and R. Oyarzún, 2011; Budds J. and L. Hinojosa, 2012).

62 The importance of mining activities for the national economy (as measured by the participation in percentage of mining in GDP) does not correlate with the number of conflicts reported. This is likely because, where mining is historically established, it is perceived as intertwined with development and faces less direct contestation (social movements rather focus on reform). Besides, at the “new frontiers of extraction,”1 where there is no strong mining tradition, there is stronger resistance (Svampa M., 2019).

63 Most protests against mining or other industrial activities for the protection of water sources mention directly superficial waters (being contaminated or diverted) or glaciers/external snows being damaged (one exception is the Mapuches protesting against the timber industry drying the water tables in Southern Chile). This observation raises a hypothesis for further research: could subterranean waters be less at risk or are they more subjected to be threatened without generating conflicts? The physical perception of the threat could be an important factor to consider; there was indeed one protest in Argentina asking for the clean-up of the Riachuelo River that involved dyeing it in green.

64 Finally, among the conflicts over the uses of water, some of the ones that took place in Cochabamba definitely singled out: communities or neighbors have more than once confronted each other over the use of wells. These acute conflicts certainly reveal the unique ongoing water crisis taking place in this region (for more details, see: Hines S., 2018).

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Conclusion

65 Argentina, Chile, Peru and Bolivia shared commonalities in the open water conflicts they faced between 2000 and 2011, but also differences. Similarities include that, in all four countries, neighbors’ committees and groups took an active part in water conflicts. Mining activities frequently generated conflicts over the protection of water sources in all four countries but not the expansion of water services: the latter did so mostly when governments had created expectations about it (and where it was lacking the most). Finally, the privatization of water service was a frequent subject of conflicts in three of the four countries (not in Chile), and confrontations between neighbors over water wells were a type of conflict specific to the Cochabamba region.

66 The general contribution of this overview of water conflicts is mostly twofold. First, it allows to situate in a larger context the numerous in-depth studies that dig into the motivations and consequences of one or of a few water conflicts. Second, and more substantively, it offers an overview of water conflicts taking place during the period preceding the rise of “water crises” in the public and political arenas of the four countries studied. This necessary preliminary step informs and/or complements the studies analyzing how water crises unveiled in the last decade.

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NOTES

1. I would like to thank one of the reviewer for suggesting this formulation.

RÉSUMÉS

Les conflits relatifs à l’eau ont surtout été étudiés en tant qu’études de cas ou en comparant des conflits sur des thématiques communes (comme la privatisation des services d’eau potable, la contamination des activités minières ou la gestion des services d’eau potable). Cet article se positionne différemment, en considérant d’emblée l’eau comme un objet à la fois unique et multidimensionnel de conflit. Il présente, d’abord, une revue des conflits sociaux ouverts relatifs à (n’importe laquelle des dimensions de) l’eau, qui ont eu lieu en Argentine, au Chili, en Bolivie et au Pérou entre janvier 2000 et décembre 2011. Cette vue d’ensemble permet de mettre en perspective les études approfondies de conflits spécifiques et l’essor des « crises hydriques » de la dernière décennie. Ensuite, cet article met en lumière comment et pourquoi les acteurs impliqués ainsi que les dimensions conflictuelles de l’eau varient dans le temps et entre les pays. L’analyse empirique repose sur une double revue systématique des chronologies des conflits sociaux publiées par l’Observatorio Social de América Latina du Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales (CLACSO).

Water conflicts have mostly been studied by focusing on case studies or by comparing conflicts sharing a common issue (like privatization of water services, mining contamination or management of water services). This article takes a different standpoint by at once considering water as a unique and multidimensional object of conflict. Its first main contribution is to present an overview of open social conflicts related to (any dimension of) water that took place in Argentina, Chile, Bolivia and Peru between January 2000 and December 2011. This overview is useful to put in perspective in-depth studies of specific conflicts and the rise of “water crises” in the 2010s. Second, the article contributes to the understanding of how and why the actors mobilizing and the dimensions of water under conflict vary overtime and between countries. The empirical analysis builds on a systematic double review of the chronologies of social conflicts published by the Observatorio Social de América Latina of the Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales (CLACSO).

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Los conflictos relacionados con el agua han sido sobre todo investigados a través de estudios de casos o de análisis comparativo de conflictos que comparten temáticas (como la privatización de los servicios de agua potable, la contaminación por las actividades mineras o la gestión de los servicios de agua). Este artículo opta por una postura distinta, al considerar de partida el agua como un objeto a la vez único y multidimensional de conflicto. Primero, presenta un panorama de los conflictos sociales abiertos relacionados con (cualquiera dimensión) del agua, los cuales tuvieron lugar en Argentina, Chile, Bolivia o Perú entre enero de 2000 y diciembre de 2011. Este panorama permite poner en perspectiva los conflictos estudiados en profundidad y el auge de las “crisis hídricas” de la última década. Segundo, este artículo evidencia cómo y porqué los actores involucrados y las dimensiones conflictivas del agua varían en el tiempo y entre los países. El análisis empírico se basa sobre una doble revisión sistemática de las cronologías de conflictos sociales publicadas por el Observatorio Social de América Latina del Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales (CLACSO).

INDEX

Mots-clés : eau, conflits, mobilisation sociale, Amérique du Sud, crise hydrique Keywords : water, conflicts, mobilization, South America, water crisis Palabras claves : agua, conflictos, movilización social, América del Sur, crisis hídrica

AUTEUR

FLORENCE LAROCQUE

Florence Larocque completed her PhD in Political Science at Columbia University in 2018. Her PhD thesis analyzed the reforms of drinking-water services that took place in Latin America between 1980 and 2014. She currently is a FRQSC postdoctoral fellow at the Université du Québec à Montréal and the Universidad de Chile. Her postdoctoral project studies mobilization against threats to drinking-water sources. Her research interests more generally include social policy, environmental politics, multilevel governance and political participation. Chaire de recherche en Sociologie des conflits sociaux, Université du Québec à Montréal/Instituto de Asuntos Públicos, Universidad de Chile. [email protected]

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Le champ des politiques hydriques dans l’Ouest étasunien : éléments d’interprétation des instruments d’action The field of water policy in the Western United States: elements of interpretation of policy instruments El campo de las políticas hídricas en el oeste de los Estados Unidos: elementos de interpretación de los instrumentos de política pública.

Joan Cortinas et Franck Poupeau

Introduction

1 L’Ouest étatsunien vit une situation de crise hydrique1. L’augmentation des températures, provoquant une baisse des précipitations dans les Montagnes Rocheuses – État du Colorado – a entrainé une baisse du volume du principal fleuve qui alimente en eau l’ouest des États-Unis : le Colorado2 (voir carte 1). Cette diminution, couplée à une surexploitation du fleuve depuis des années sonne l’alarme et annonce de potentielles pénuries d’eau dans plusieurs régions de l’Ouest des États-Unis. A cette crise du Colorado, s’ajoute une sécheresse qui s’explique par une baisse drastique des précipitations hivernales depuis 2010. Enfin, le réchauffement climatique a provoqué des phénomènes d’accélération dans les processus d’évaporation des eaux de surface, aggravant les problèmes de disponibilité hydrique. Réchauffement climatique, modèle économique très consommateur en énergies fossiles, agriculture intensive extrêmement gourmande en eau et modèle urbain en expansion continue dans une région semi-aride, sont les éléments signalés comme étant à la source d’une crise hydrique qui ne saurait s’expliquer que par des « causes naturelles ».

2 Face à cette « crise hydrique » les acteurs compétents sur la politique de l’eau dans l’Ouest des États-Unis ont décidé d’apporter des réponses qui peuvent être qualifiées de

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« néo-conservationnistes ». Il est question pour les autorités compétentes de promouvoir la mise en place d’une gestion plus « durable » de l’eau. Celle-ci est axée sur le développement de technologies plus efficientes, sur le recyclage et la construction de nouveaux réservoirs pour stocker l’eau de pluie, sur la construction d’un marché de l’eau qui permet de vendre et d’acheter des volumes d’eau entre usagers excédentaires et usagers déficitaires. Ces réponses ont été élaborées dans un processus de concertation entre acteurs de l’eau. Il n’est pas tant question de revoir le modèle économique et urbain à la source d’une consommation en eau excédant les ressources disponibles, que de trouver des arrangements contractuels et techniques permettant de poursuivre l’expansion économique et urbaine. Or de l’aveu même des experts cette solution ne peut être que temporaire3. En effet, si l’expansion urbaine et l’agriculture continuent de progresser, les demandes en eau ne pourront que croitre, de sorte à préparer une nouvelle crise dans les années à venir. Dans cet article nous cherchons à décrypter les ressorts sociologiques de la mise en œuvre de cette (non) solution à la crise hydrique associant autorités publiques, opérateurs d’eau et ONG.

3 En prenant une certaine distance par rapport aux approches de la géographie critique4 sur ces questions, on défendra ici l’idée que l’émergence du « néo-conservationnisme » observé dans l’Ouest des États-Unis n’est pas le résultat d’une domination incontestée des élites économiques, politiques et bureaucratiques dont le seul moteur serait de lever les obstacles au processus d’accumulation de capital. La thèse de l’article est que les politiques hydriques observées doivent être plutôt considérées comme l’objectivation provisoire d’un état du rapport de forces structurel entre les différents protagonistes de l’eau. La notion de champ permet de formuler l’hypothèse selon laquelle les protagonistes de l’eau du Colorado River Basin, même s’ils ne se trouvent pas tous en contact les uns avec les autres, se trouvent reliés à la fois par un même enjeu (la gestion de la sécheresse et de la diminution des eaux du Colorado), et par des normes communes (autour de l’impératif d’assurer un approvisionnement suffisant pour les activités humaines), qui fixent le cadre des politiques hydriques et les conditions de leur application par chaque institution dans les limites de ses attributions territoriales (Summit A.R., 2013 ; Fleck J, 2016).

4 Les politiques hydriques consistent évidemment, en premier lieu, à gérer des flux ou des infrastructures, et à trouver des sources d’approvisionnement en eau susceptibles de soutenir le développement économique. Mais l’eau, comme d’autres biens nécessaires à la vie sociale, est un « objet à double face, économique et symbolique, (…) à la fois marchandise et signification » (Bourdieu P., 1999) : gérer les flux hydriques consiste à gérer un pouvoir qui ne se limite pas aux capacités financières générées par le marché de l’eau, mais qui engage une vision du monde social au sein duquel les politiques hydriques prennent tout leur sens. Celles-ci engagent en particulier une détermination du mode de développement économique privilégié et donc du modèle de management adopté, en termes d’objectifs prioritaires comme d’instruments d’action. Les différents protagonistes de l’eau luttent donc pour imposer une définition des politiques hydriques la plus ajustée à leur position dans le système des institutions concernées, en fonction de leurs capacités d’action. Ces luttes sont évidemment liées au pouvoir relatif de chaque institution, qu’il s’agisse des droits prioritaires possédés sur l’eau, de la puissance de lobbying et de négociation relative aux règles fédérales ou étatiques édictées, des moyens financiers disponibles – qui peuvent contraindre les stratégies vers la construction et l’entretien de grandes infrastructures destinées à

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diversifier l’approvisionnement ou au contraire vers l’implantation de petits dispositifs de conservation de l’eau, etc. (Cortinas J. et al., 2016a).

5 À ces variables objectives, l’approche sociologique ajoute une dimension d’agency : ces luttes pour l’imposition d’un modèle légitime de la politique hydrique sont aussi liées aux caractéristiques des professionnel-l-es de l’eau, dont la formation académique (d’ingénieur, de juriste, d’économiste, d’environnementaliste, etc.) et le parcours institutionnel sont susceptibles d’influer sur les domaines de compétence et donc sur les capacités d’action. Dans une étude fondatrice sur les politiques hydriques dans l’Ouest étasunien, l’historien de l’environnement Richard Gottlieb notait déjà les transformations qui commençaient à affecter le secteur : « the public water agencies are the mainstay of the water industry. Their local leaders, members of their boards, are often drawn from the business and political elite in their communities. (…) The leaders of these public agencies have often tended to be middle-aged or elderly white men. Many of them have held their positions ten years or more, some as long as thirty or forty years. Agency managers, also nearly exclusively white and male, have largely been engineers, though both lawyers and those with a financial background have played more of a role in recent years » (Gottlieb R., 1988: 247-248).

6 Si ces transformations du monde des professionnels de l’eau n’étaient qu’en gestation au moment où Gottlieb écrivait, il reste à comprendre comment ces modes de domination ont pu, depuis lors, se perpétuer, et à analyser dans quelle mesure ils ont pu être impactés par le contexte de rareté de l’eau. La remise en cause du savoir des ingénieurs et des instruments qu’ils promouvaient, a en effet toutes les chances d’affecter le fonctionnement même du marché de l’eau comme secteur institutionnellement encadré et régulé. Les relations entre les caractéristiques des institutions de ce secteur industriel, les propriétés socioprofessionnelles de leurs dirigeants et les instruments qu’ils mettent en place pour répondre aux menaces de coupure d’eau, se trouvent ainsi au cœur de l’analyse de champ proposé dans cet article.

7 Envisagée sous cet angle, la sociologie des politiques hydriques s’inscrit dans une sociologie politique de la domination : de la constitution de l’eau comme « objet de gouvernement » (Carroll P., 2012), comme réalisation du pouvoir des « bureaucraties hydriques » (Molle F. et al., 2009) dont les compétences sont désormais contestées (Poupeau F. et al., 2016a), comme instauration d’inégalités de distribution des ressources naturelles et de leurs bénéfices à travers des grands systèmes techniques ayant présidé à la construction de l’agro-industrie et des métropoles contemporaines, mais aussi ayant généré des conflits environnementaux susceptibles d’avoir en retour un impact sur les politiques (Walton J., 1993, W. Espeland, 1998). En dernier lieu, l’étude du champ des politiques hydriques constitue un apport à une sociologie des marchés, au sens d’espaces « socialement construits où firmes, fournisseurs, clients, employés et gouvernement interagissent » (Fligstein N. et L. Dauter, 2007 : 3). Dans cette perspective, les stratégies d’action et leurs « instruments » (Fligstein N. et R. Calder, 2015 :11) doivent être rapportés au système de positions occupées par ces différents protagonistes dans le champ, et aux prises de position qu’ils adoptent en conséquence (Bourdieu P., 1977).

8 Les instruments des politiques hydriques étudiées ont été implantés en réponse à la sécheresse qui affecte l’Ouest étasunien et plus particulièrement le bassin du Colorado depuis les années 2000 : un enseignement de moindre ampleur est en particulier mis en

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évidence pour expliquer la réduction des flux de la Colorado River (Buys W., 2011 ; G. Garfin et al., 2013). Par son ampleur et sa durée, la sécheresse engage un vaste ensemble d’institutions, fédérales, étatiques, municipales et locales, autour de mesures de réduction des usages de l’eau. Outil de développement économique, l’usage des eaux dans l’Ouest étasunien se caractérise par un fort degré de conflictualité, mais aussi par la recherche de consensus en matière de prise de décisions (Davis S. K., 2001 : 538). L’étude des réponses à la sécheresse permet ainsi d’étudier comment sont choisis et mis en place les instruments de régulation environnementale destinés à éviter les coupures d’eau qui menacent la région (Taylor C. et al., 2012), et de les replacer dans les contextes de leurs « modes d’appropriation » (Lascoumes P. et L. Simard, 2011).

9 L’étude des politiques hydriques face à la sécheresse dans l’Ouest étasunien peut relever d’une analyse en termes de champ, dans la mesure où les protagonistes concernés forment moins un empilage de strates administratives qu’un ensemble qui fait système, et dont les éléments se définissent avant tout de façon relationnelle, par leur place relativement aux autres éléments. Il s’agit d’abord de dresser un « mapping » des institutions pertinentes (Bourdieu P. et L. Wacquant, 1992), et donc d’expliciter un certain nombre de choix méthodologiques relatifs au principe de sélection des agents en lutte pour la définition des politiques hydriques dans la région. Il faut notamment tenir compte de l’inégal poids politique et économique de chaque type d’institution, au sein de contextes territoriaux et sociaux spécifiques. L’usage de la notion de champ consiste alors à faire l’hypothèse selon laquelle il y a une homologie entre le système des positions institutionnelles, et les prises de position adoptées en termes de lutte contre la sécheresse, prises de position qui sont étudiées à partir des instruments de politiques hydriques utilisés par chaque institution (voir annexes 1et 2). Ce texte reviendra tout d’abord sur une description du système technico-normatif structurant les politiques hydriques à l’échelle du bassin desservant en eau l’Ouest des États-Unis – le bassin du Colorado. Il se penchera ensuite sur le principe de sélection adopté pour choisir les institutions du Colorado River Basin prises en compte dans l’analyse, avant de construire les variables pertinentes à étudier et de tester l’hypothèse présentée à l’aide d’une analyse des correspondances multiples. Une attention toute particulière sera portée aux instruments de water markets dont les usages varient d’un État à l’autre.

Le Colorado River Basin : du territoire à l’espace relationnel des institutions

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Carte 1 : Carte du bassin du Colorado

© Rositsa Yaneva

10 Le Colorado River Basin désigne ainsi un système technique et normatif complexe, dont les réalisations les plus impressionnantes sont le Hoover Dam (1936) et le Glenn Canyon Dam (1967) qui permettent de stocker les eaux respectivement dans les lacs Mead et Powell, le Colorado River Aqueduc (1935) qui approvisionne le Metropolitan Water District (MET) à Los Angeles (CA), le All-American Canal (1942) qui dessert Imperial Valley (CA) et la région de Yuma (AZ), ainsi que le Central Arizona Project (CAP) (1992) qui achemine l’eau sur près de 600 kms jusqu’à Phoenix et Tucson (AZ) (Cortinas et al. 2016a). Une multitude d’autres dispositifs (20 barrages, des milliers de kilomètres de canaux de dérivation, etc.) font du Colorado une des « most controlled, controversial and litigated rivers in the world », pour reprendre l’expression de la Southern Nevada Water Authority (2012). Ce système technique est régulé par la « Law of the River », qui désigne un ensemble de conventions interétatiques (comme le Colorado Water Compact de 1922), de lois et règlementations fédérales5, de décrets, de décisions de justice et de contrats, qui établissent le partage des 16 MAF6 annuels estimés du Colorado entre les Etats (O’Neill B. et al., 2016). Ainsi le Boulder Canyon Project Act (1928) attribue 4,4 MAF annuels à la Californie, tandis que l’Arizona en obtient 2,8 MAF, mais ne signe les accords qu’en 1944.

11 En Californie, le Seven Party Agreement (1931) fixe les volumes d’eau entre contractors ( Palo Verde Irrigation District, Yuma Project, Imperial Irrigation District, Coachella Valley Irrigation District, Metropolitan Water District, the City and County of San Diego). L’Imperial Irrigation District se voit attribuer près de 70% de l’eau reçue du Colorado pour l’État de Californie, mais le Metropolitan Water District obtient, pour Los Angeles et ses opérateurs, de pouvoir utiliser l’eau que les autres États n’auraient pas consommé sur leur volume attribué – la Californie reçoit ainsi plus de 5 MAF par an pendant plusieurs décennies,

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jusqu’aux restrictions imposées par la sécheresse contemporaine. Face à l’émergence de ces deux protagonistes principaux, liés à l’agro-industrie et au développement urbain, l’Arizona présente une situation plus encadrée : le décret Arizona vs. California (1964) consolide le partage des volumes d’eau attribués en faveur de l’Arizona (2,8 MAF par an) alors que le Colorado River Project Act (1968) ratifie la création du Central Arizona Project tout en régulant les coupures d’eau entre États en cas de sécheresse, et en limitant l’approvisionnement du CAP aux zones déjà irriguées. Dans les années 1970, la construction du CAP est subordonnée à la mise en place d’une régulation des usages des eaux souterraines : le Groundwater Management Act voté en 1980 donne alors un pouvoir conséquent à l’agence étatique Arizona Department of Water Resources (ADWR) (Coeurdray et al. 2016). Quant au secteur agro-industriel de l’État, il est conçu comme une sorte de zone d’amortissement de la réduction des coupures d’eau, alors qu’en Californie, certains districts d’irrigation (Palo Verde, Imperial Valley) se voient dotés de droits prioritaires (les Present Perfected Rights validés par la Cour Suprême en 1979) ; la position des agences urbaines se trouve ainsi fragilisée en cas de sécheresse prolongée, d’autant que le MET pouvait disposer des excédents non utilisés, accentuant les déséquilibres créés par une évaluation des flux du Colorado surévaluée dès l’origine des accords, avec 16,5 MAF au lieu des 15,5 MAF en année régulière (Lynn-Ingram B. & F. Malamud-Roam, 2013).

12 Enfin, les effets du changement climatique sur la ressource hydrique croisent un autre facteur : l’expansion urbaine, qui connaît en particulier en Arizona et Californie les taux de croissance les plus forts des États-Unis (Ross A., 2011 ; Padowski J.C. et J.W. Jawitz, 2012). Dès le début des années 2000, la Californie est particulièrement stigmatisée par les autres États pour sa consommation excessive et en 2003, le Secretary of Interior (SOI) lui impose de se limiter aux 4,4 MAF attribués. Le Water Conservation Act est édicté en 2009 pour réduire la consommation urbaine en eau fournie par les opérateurs de 20% à l’horizon 2020. En dépit de ces mesures, le niveau des lacs Mead et Powell, les principaux réservoirs pour le Lower Colorado Basin, ne cesse de baisser, au point d’atteindre des niveaux historiquement bas en 2016, avec respectivement 37% et 51% de leurs capacités. En Arizona, la généralisation des Drought Management Plans témoigne aussi d’une prise de conscience de la limitation des ressources hydriques et ce sont désormais les grandes villes, comme Phoenix et Tucson, qui promulguent des mesures de water conservation (Hess D. et al., 2016 ; Benites E. et al., 2016). Des agences d’État (Natural Resources Agency, Fish and Wildlife Agency, etc.) apportent leur contribution à cette nouvelle « croisade conservationniste » (Hays S.P., 1969). Une multiplicité d’institutions agissent donc au sein de cadres législatifs contraignants : en Californie, c’est l’article (X, §2) du Code de la Loi sur l’eau qui fixe les normes d’approvisionnement en eau selon les « usages raisonnables » et la « protection des écosystèmes », que les opérateurs urbains et les districts d’irrigation doivent respecter (Cortinas J., 2016b); en Arizona, le Code de l’eau fixe le partage des eaux acheminées par le Central Arizona Project, et les limites d’utilisation des eaux souterraines (dont la gestion est régulée par le Groundwater Management Act cf. supra).

13 Le partage des eaux du Colorado concerne donc une multiplicité d’organisations, qui se déploient à des niveaux d’action différents, du fédéral au local. Ainsi, des agences s’occupent de la qualité de l’eau ou la concession de permis d’usage (State Water Resources Control Board of California, Arizona Department of Water Resources), d’autres des questions environnementales (protection des espèces animales et végétales), d’autres des infrastructures acheminant l’eau (State Water Project, Central Arizona Project, etc.)

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(Blomquist W. et al., 2001). Pour la seule Californie, le nombre d’organisations ayant une compétence dans le domaine de l’eau est supérieur à deux mille. Chaque instance possède son niveau de compétence et en conséquence un certain degré d’autonomie (Rajagopalan B. et al., 2009). De plus, l’architecture institutionnelle de la gestion de l’eau varie selon les États. On peut observer un modèle extrêmement décentralisé avec des institutions étatiques dont le pouvoir est essentiellement tourné vers l’incitation et la définition de grandes lignes de gestion plutôt que sur une capacité de contrainte et de coercition de l’ensemble des protagonistes de l’eau. Ainsi, l’outil essentiel dont dispose l’agence californienne de l’eau est le planning, qui consiste à fixer les objectifs à atteindre pour l’ensemble d’institutions fournissant de l’eau aux différents usagers ; elle ne dispose pas d’un pouvoir de coercition mais de mesures incitatives – essentiellement l’octroi de subventions – afin de convaincre les différentes agences de suivre les normes édictées. A l’opposé, la législation très dense relative à la gestion de l’eau en Arizona confère aux institutions étatiques un rôle majeur pour encadrer les modèles de gestion de l’eau de chaque agence. Le fait de s’attacher au Colorado River Basin permet finalement de considérer les institutions concernées par les eaux du fleuve comme un système dont les éléments, s’ils ne sont pas tous en contact direct, sont néanmoins interdépendants : ils sont liés par des lois, des normes juridiques et des accords inter- ou intra- étatiques partageant les eaux ou garantissant les droits de propriété.

Le système des institutions pertinentes : principes de sélection

14 Le premier choix pour reconstituer le champ des politiques hydriques dans l’ouest des États-Unis a consisté à identifier les institutions qui ont un lien direct avec le Colorado River Basin dans les différents niveaux de gouvernement existants. Leurs membres ont leurs lieux de rencontre et de négociation, autour d’enjeux communs, où les réponses à la sécheresse sont débattues : ainsi la réunion annuelle de la Colorado Rivers Water Users Association a lieu tous les ans en décembre à Las Vegas, et elle permet d’observer l’ensemble des organisations publiques et privées concernées. On a tout d’abord recensé les institutions officielles pour chacun des États du bassin du Colorado en charge des négociations relatives au partage des eaux du fleuve, qui sont indépendantes du pouvoir politique et composées par les institutions ayant des contrats avec l’agence fédérale en charge du Colorado, le Bureau of Reclamation : Arizona Department of Water Resources, Colorado River Board of California, etc. On a également intégré les institutions en charge de la régulation de l’eau dans chaque État, qui peuvent être les mêmes que les précédentes, et dont l’influence opère au travers de deux mécanismes. D’une part, elles ont la capacité de faire appliquer les lois existantes, qui concernent essentiellement la gestion des eaux souterraines, à l’image du Groundwater Management Act (1980) en Arizona. D’autre part, ces agences ont le pouvoir de donner les permis d’usage de l’eau sur un territoire précis et d’établir des lignes directrices des plans de gestion de l’eau. Compte tenu de la multiplicité des institutions et des situations, le tableau d’ensemble des politiques hydriques a incité à limiter le détail de l’analyse aux États d’Arizona et de Californie, qui sont les protagonistes principaux des luttes pour le partage des eaux, et qui représentent à maints égards, on le verra, des orientations opposées.

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15 On a aussi identifié les organisations qui reçoivent l’eau du Colorado, en fonction des types de consommateurs. Il s’agit des compagnies municipales, seules ou regroupées sous l’égide des nommés water districts, et des entreprises d’irrigation, nommées irrigation districts, délivrant de l’eau au secteur agricole. Cette liste a été établie grâce à l’annuaire des usagers de l’eau du Colorado pour l’année 2015, qui se trouve dans le rapport annuel de la Colorado River Water Users Association. A côté des agences de l’eau de chaque État, des villes et des irrigation districts, les conflits relatifs aux potentiels risques de restrictions dans l’usage des eaux du Colorado ont fait aussi apparaître l’importance des organisations environnementales qui ont pu influencer, depuis la fin des années 1970 (Gottlieb R. et M. FitzSimmons, 1991), les politiques hydriques de l’Ouest américain, avec l’élaboration de certains accords, lois ou régulations liés à la sécheresse, la participation à des réunions et symposiums sur les réponses à donner à la sécheresse ou encore s’opposant par voie légale à des projets hydriques (comme les usines de désalinisation à San Diego). On a aussi identifié la présence d’associations d’agences de l’eau urbaines et rurales qui agissent en tant que lobby vis-à-vis du pouvoir politique en matière de gestion de la sécheresse. C’est le cas par exemple de l’association Association of California Water Agencies (ACWA) qui regroupe des centaines d’opérateurs en Californie et dont on a appris lors des entretiens que son président avait été une figure très importante pour l’élaboration du Water Plan promulgué par le gouverneur californien en 2013. L’enquête exploratoire a ainsi débouché sur une première liste délimitant ainsi, de façon provisoire, les frontières du champ des politiques hydriques relatives au Colorado.

16 L’enjeu de cette première liste, qui englobait des centaines d’institutions, a consisté à définir les principes de sélection d’organisations susceptibles d’être comparées en dépit de la diversité des situations institutionnelles au sein du Colorado River Basin. Une série d’entretiens informatifs a été menée afin de vérifier la pertinence des choix réalisés. Il s’agissait de passer à une délimitation qui prenne en compte les informations provenant directement des protagonistes des politiques hydriques. Cette phase d’ajustement des limites du champ étudié s’est tout d’abord focalisée sur les agences de l’eau les plus importantes en termes de poids démographique et politique, et présentes de fait dans les institutions officiellement dédiées à la gestion du partage des eaux du bassin, ainsi que sur les districts d’irrigation recevant le plus d’eaux du Colorado et/ou ayant la priorité sur l’usage des eaux du Colorado (IID, Yuma, Palo Verde Irrigation District, Coachella Valley Irrigation district). Ces entretiens ont permis de comprendre le poids du Secrétaire de l’intérieur et donc du niveau fédéral dans l’élaboration des mesures prises face à la sécheresse. En effet, le Secrétaire de l’intérieur est le seul en capacité de prendre la décision d’établir des restrictions d’eau dans l’Ouest américain ; à travers l’agence fédérale du Bureau of Reclamation (BOR), il est l’autorité politique en charge des ressources naturelles de la nation et donc du Colorado River.

17 Les opérateurs urbains, qui sont plus ou moins dépendants du Colorado, en fonction de leur accès à d’autres sources d’eau, de leur position dans la priorité des droits d’appropriation et des dynamiques démographiques ont également été étudiés plus précisément : leur poids lors des prises de position sur les réponses à la sécheresse apparaît en effet indispensable à prendre en compte (Padowski J.C. et J.W. Jawitz, 2012). De toutes les villes possibles, seules les plus importantes d’un point de vue démographique ont été conservées (Phoenix, Las Vegas, Tucson, Los Angeles, San Diego), ainsi qu’un petit nombre de villes en expansion particulièrement actives sur le

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plan des politiques hydriques, du fait de leur dépendance par rapport à l’eau du Colorado. Les petites villes en expansion tentent en effet de détourner les règles environnementales en vigueur afin de se procurer les nouvelles sources d’eau nécessaires à leur développement (Benites E. et al., 2016). Le résultat final de ces diverses opérations est une nouvelle liste de 67 institutions sur les États du bassin du Colorado qui souffrent le plus intensément les effets de la sécheresse. Cette liste constitue une base pour établir l’ensemble des variables que les opérations de lecture et d’entretien permettent de définir comme pertinentes pour comprendre les réponses face à la sécheresse.

18 La délimitation du champ à partir de la construction d’une liste d’institutions exerçant un effet de champ permet de construire une base de données dont les lignes représentent les agents de l’eau inclus dans l’analyse et les colonnes les variables que le travail de terrain a révélé comme indispensables à la compréhension des politiques hydriques. L’élaboration de la liste de variables pertinentes n’allait cependant pas de soi, par rapport à l’étude de populations d’individus aisément identifiables comme les intellectuels, les artistes ou les économistes, pour lesquelles des variables comme l’origine sociale, le diplôme, etc., apparaissent essentiels (Bourdieu P., 1997, 1999). Il existe ainsi dans l’ensemble des États considérés des professionnels de l’eau qui peuvent occuper des fonctions de direction des institutions concernées, et qui font carrière en passant d’une institution à une autre sans être propriétaires de l’entreprise dirigée (sauf dans le cas, peut-être, des irrigation districts); si ces positions ne sont pas occupées par hasard, au sens où elles font appel à des compétences certifiées et reconnues, elles brouillent cependant l’homologie utilisée dans d’autres études de champ.

La construction des variables pertinentes

19 Afin de délimiter un ensemble de variables effectives (voir Annexes 3 et 4), on a tout d’abord identifié les conflits existants dans chacune des régions en ce qui concerne la pénurie d’eau et la situation du fleuve Colorado, grâce à des articles de presse sur chacun des États concernés (en particulier le Lower Bassin regroupant la Californie et l’Arizona). Les conflits permettent en effet de faire apparaître les prises de position des principaux protagonistes des politiques de lutte contre la sécheresse : leurs objectifs prioritaires et leurs instruments d’action publique. Ce premier moment a permis de révéler les enjeux différentiels en fonction des États, de leur accès à la ressource naturelle, du type d’usages et de droits de l’eau. Ainsi dans le Nevada, les enjeux sont essentiellement urbains (Las Vegas concentrant l’essentiel de la population et de la génération des revenus), tandis qu’en Californie, ils sont encore principalement ruraux – malgré la croissance urbaine, l’agriculture représente encore près de 80% des usages de l’eau. D’autres États comme le Colorado et l’Arizona ont des situations plus contrastées dans la répartition rural/urbain, mais alors que le premier dispose d’un accès upstream aux eaux du fleuve, le second est marqué par une relative pénurie, du fait de sa situation downstream, qui ne lui confère pas de droits prioritaires – alors que ses autres ressources d’eaux de surface ou souterraines ont été affectées par des décennies d’usages intensifs.

20 La construction des prises de position a été réalisée à partir des documents des différentes institutions. S’il existe un certain consensus sur les actions à entreprendre

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pour enrayer la sécheresse, le problème est de savoir quelles sont les actions véritablement mises en œuvre par chacune des institutions, au-delà des injonctions à la conservation provenant des décrets du gouverneur ou des plans des administrations étatiques. On a analysé au cas par cas les objectifs prioritaires d’action publique, ce qui a permis de discerner, parmi tous les objectifs énoncés, les actions prioritaires pour chacune des institutions ainsi que les instruments souhaités pour les mettre en œuvre. La différenciation des prises de position s’est ensuite basée sur un matériel très divers : articles de journaux, interviews (n=74), où les différents responsables des institutions étudiées parlent de la sécheresse et des réponses souhaitées, plans d’action pour l’eau (water plans) de chacune des institutions, qui présentent les lignes directrices de la politique hydrique de chaque institution.

21 A partir de ces analyses, on a établi un ensemble de priorités ainsi que d’instruments privilégiés de politiques hydriques, qui se structurent d’une part entre des tentatives de satisfaire les demandes futures en eau pour les villes ou pour l’agriculture (principalement portées par les agences de l’eau), et d’autre part des objectifs écologiques distincts (Markard J. et al., 2012) – entre un radicalisme écologique qui cherche à mettre en cause l’usage de l’eau comme facteur de croissance économique et une forme d’environnementalisme institutionnel qui entend apporter des réponses à la crise hydrique d’un point de vue sectoriel (qualité de l’eau, espèces en danger, etc.). Ces priorités se déclinent en instruments différents. A côté des instruments classiques de gestion de l’offre et la demande portés par des water managers soucieux de « bonnes pratiques », on trouve les instruments d’une gouvernance de l’eau qui permettent de rendre la gestion plus adaptée aux risques de la sécheresse, avec plus de coordination entre institutions, etc. Dans ce même registre mais en dehors des instances bureaucratiques, des organisations promeuvent la création d’espaces de concertation extra-institutionnels entre protagonistes de l’eau pour produire des solutions collectives à la crise hydrique. Finalement, les groupes environnementalistes, souvent locaux, utilisent essentiellement la protestation et les procès contre les politiques de gestion de l’eau subordonnées au développement économique.

22 Cette compréhension à la fois systématique et différenciée des enjeux du champ a surtout permis d’identifier les ressorts sociaux du pouvoir des protagonistes engagés. D’une part, les grandes villes (Los Angeles, San Diego, Phoenix, Tucson, Les Vegas) ont un poids démographique et économique qui les constitue en enjeu électoral majeur susceptible d’interférer avec les processus de prise de décision sur la gestion de l’eau en période de pénurie. De ce fait, elles ont une influence majeure au sein des organisations officielles qui négocient le partage des eaux du Colorado. On peut identifier d’autre part, les irrigation districts, dont les plus importants sont situés en Californie (Imperial, Palo Verte, Coachella Valley) et en Arizona (Yuma, Pinal County). Le volume d’eau géré exerce une double influence. D’une part, il s’agit d’un poids lié à la capacité de consommation ; plus le volume d’eau acheté par une institution est important, plus elle pèse sur les comptes de résultats de l’agence vendeuse, et en conséquence plus les avis de cette institution tendent à être pris en compte. C’est ce qui explique que les grandes villes telles que Los Angeles ou Phoenix pèsent autant dans les décisions des agences qui leur vendent l’eau mais aussi dans les mesures prises par les gouverneurs du fait de leur impact électoral. Ce poids électoral des villes est particulièrement important dans des États comme l’Arizona ou le Nevada où plus de 80% de la population habite les grandes villes et leurs aires métropolitaines. D’autre part, le volume d’eau géré en tant que variable efficiente au sein du champ fonctionne aussi en lien avec les droits à l’eau :

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ainsi l’eau du Colorado est attribuée par loi à une série d’agences contractantes avec le gouvernement fédéral ; ces volumes constituent un droit pour ces agences ce qui entraine une obligation du gouvernement fédéral à leur égard de leur garantir les volumes d’eau prévus par la loi. De fait, les agences de l’eau avec le plus de volume d’eau alloué et les droits définis comme les plus prioritaires, ont une importance majeure lors des prises de décisions politiques. En Californie, le fait que trois irrigation districts reçoivent plus de 80% des eaux du Colorado attribuées à l’État renvoie aussi au fait qu’ils sont aussi des usagers d’eau prioritaires par rapport aux villes en cas de pénurie, du fait de la législation sur les droits à l’eau dans l’Ouest des USA (O’Neill B., 2016)7.

La polarisation du champ des politiques hydriques

23 Ce travail de construction des limites du champ et des variables pertinentes permet d’élaborer un modèle explicatif des stratégies développées face à la sécheresse, à l’aide d’une analyse des correspondances multiples (ACM). Le travail de terrain réalisé à travers les entretiens, l’étude des pratiques et l’observation des réunions ne fonctionne pas tant comme une sorte de « validation empirique » des hypothèses que comme une étape dans la construction d’objet : un complément à l’élaboration des hypothèses de recherche. Cette ACM est significative statistiquement puisque les trois premiers axes expliquent 37,61% de la variance, ce qui est élevé pour des variables qualitatives. Comme on le voit sur le diagramme 1 (Annexe 5), les différents protagonistes de l’eau se distribuent, sur le premier axe (15,03% de la variance), en fonction de leur rôle dans l’espace des institutions, avec une opposition très nette entre celles qui exercent une fonction régulatrice, rattachées aux gouverneurs de Californie et d’Arizona d’une part, et d’autre part les opérateurs locaux, opérant au niveau des villes ou des districts d’irrigation. On peut noter la position intermédiaire d’organisations comme le Metropolitan Water District de Los Angeles, le Central Arizona Project, le CAGRD, le Pima County ou la California Farm Water Coalition : des administrations publiques ou des opérateurs qui, sans être formellement étatiques, impactent les politiques de leur État, du fait de leur taille, de leur puissance économique ou de leur poids démographique. Cet axe exprime bien la double caractéristique du marché de l’eau, à la fois bien matériel et bien symbolique : la gestion de l’eau consiste indissociablement à opérer une distribution opérationnelle de flux, et à promouvoir un ensemble de normes destinées à réguler les principes de cette distribution.

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Diagramme 1 nuage des observations dans le plan des axes 1 et 2

24 Le pouvoir des opérateurs repose sur les connexions qu’ils établissent entre eux, principalement dans la participation aux Boards (conseils d’administration) des associations d’usagers. Ainsi, par exemple, le fait pour une petite agence de l’eau urbaine de faire partie du conseil d’administration d’une organisation régionale lui permet d’avoir un poids sur le champ qu’elle n’aurait jamais eu en restant isolée. Les coalitions qui se forment dans les conseils d’administration d’agences d’eau régionales chargés de répartir les eaux du Colorado (Metropolitan Water District of Southern California, Central Arizona Project, etc.) et souvent dans des instances corporatistes tels que l’Association of California Water Agencies, le Farm Bureau en Californie, ou la Southern Arizona Water Users Associations, donnent ainsi aux petits opérateurs une façon de faire entendre leurs demandes : le côté gauche du plan des axes 1-2 réunit ainsi des institutions qui, à travers ces Boards, auxquels ne participent pas les autres types d’organisations, forment un monde interconnecté mais relativement exclusif. De plus, la récurrence de ces coprésences dans les Boards va de pair avec la multi-positionnalité de certains responsables, dont le pouvoir ne provient pas tant du fait qu’ils occupent des positions centrales que du rôle de passeurs qu’ils jouent entre institutions.

25 A l’opposé, la fonction régulatrice est exercée principalement par des institutions publiques des États (ADWR, ADEQ, CRBC, SWCB, etc.), qui se révèlent très proches des administrations fédérales (SOI, BOR, NRA, etc.) ainsi que des ONG ou des think tanks actifs sur la gestion de la sécheresse. Comme le montre le diagramme 2, leurs directeurs possèdent généralement des compétences environnementales et/ou juridiques qui se distinguent de la formation à l’ingénierie des autres professionnels de l’eau dont la carrière se déroule au sein des opérateurs et des entreprises municipales. La capacité effective d’émettre et de faire appliquer des normes ou des règles de gestion de l’eau, qui est le propre d’institutions étatiques et fédérales, peut s’exercer au travers de décrets et autres instruments à valeur de loi. Elle peut aussi s’exercer au travers d’instruments incitatifs qui fixent les grandes lignes à suivre mais qui n’obligent pas à y adhérer : dans cette perspective, les Water Action Plans élaborés par les Départements de l’eau des différents États constituent les instruments les plus répandus des politiques hydriques.

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Diagramme 2 nuage des propriétés dans le plan des axes 1et 2

26 La régulation de l’eau ne peut cependant être considérée comme un mécanisme fixé une fois pour toutes et appliqué de façon homogène. Elle constitue elle-même un enjeu de luttes, qui visent à définir non seulement un modèle légitime de gestion mais aussi le principe même de définition des politiques hydriques. C’est au sein du deuxième axe (13,68 % de la variance) que l’on peut observer une différenciation très nette interne du pôle régulateur, entre les institutions présentant une expertise institutionnelle, légale et administrative d’une part, et d’autre part les organisations présentant une expertise environnementale, fondée sur des compétences scientifiques. Sur le côté gauche du plan des axes 1 et 2 (voir diagramme 2), cette opposition est redoublée par celle entre MBA d’administration publique et diplôme en ingénierie hydraulique, entre capacités de régulation (bas de l’axe 2) et connaissances techniques (haut de l’axe 2). Ces deux principes d’expertise portés par des directeurs appartenant respectivement aux institutions publiques et aux organisations non gouvernementales, recoupent des domaines d’action différents, entre les enjeux de partage des flux au niveau interétatique du bassin du Colorado, qui font l’objet de négociations de nature juridique, et les enjeux environnementaux visant à une préservation plus générale des ressources, et qui font appel à une expertise scientifique où l’ingénierie et les sciences de la nature occupent une place centrale pour définir les ressorts des actions de lobbying menées principalement par les ONG opérant au niveau fédéral ou étatique, mais aussi par quelques centres de recherche académiques dont les directeurs, à l’image de ceux du Water Resources Research Center de l’Université d’Arizona et du Water Resources Institute en Californie, sont sollicités comme experts actifs dans les boards des institutions d’État, comme le Central Arizona Project.

27 La régulation de l’eau fait ainsi appel à plusieurs principes de légitimité concurrents, selon que l’eau est considérée comme un service à distribuer entre organisations distinctes sur des territoires distincts, ou comme une ressource naturelle dont l’usage doit être établi au-delà des clivages institutionnels. Le premier principe occupe un pouvoir temporel dominant, du fait des capacités d’action et de management environnemental dont les institutions régulatrices qui le composent (principalement dans le cadran en bas à gauche) sont dotées (administrations étatiques, coalitions d’agences, etc.) : il fonctionne au plus près des enjeux de gestion des flux, avec des

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directeurs d’institution comme Tom Buschatzke à l’Arizona Departement of Water Resources et Felicia Marcus au State Water Resources Control Board de Californie, auxquels les organisations régulatrices à visée environnementale, Nature Conservancy, Adubon Society ou Pacific Institute, dédiées à la qualité de l’eau, à la préservation des écosystèmes et à la planification de l’usage des ressources (dans le cadran en haut à gauche) ne peuvent opposer qu’une compétence scientifique, fondée principalement sur l’hydrologie et les sciences naturelles, qui n’est reconnue que dans la mesure où elle est vu comme « applicable » et « utile » aux « décisions » politiques.

28 Ces principes de légitimité se trouvent eux-mêmes concurrencés par la légitimité pratique des professionnels appartenant aux opérateurs, qui peuvent ainsi cumuler les compétences techniques reconnues par une formation d’ingénierie de base (niveau BA), et l’expérience acquise au plus près du terrain, à l’échelon local des villes et des districts d’irrigation. Ainsi le directeur de Tucson Water, Alan Forrest, a reçu une formation d’ingénieur civil, avant de travailler pendant sept ans dans l’entreprise privée d’ingénierie CH2M ; il prend ensuite la direction de Tucson Water, où il impulse des actions de recyclage et de stockage des eaux ; à son départ de Tucson Water, il retourne dans la même entreprise du secteur privé. En Californie, la trajectoire de Keith Lewinger est aussi exemplaire des passerelles entre les secteurs privé et public. Né dans une famille ouvrière à New York en 1949, il fait des études d’ingénierie industrielle et après avoir décroché son Master, il est embauché au Los Angeles County Sanitation District (1972-1979) ; il devient ensuite consultant en water resources management dans la région, et en 1990 il décide de prendre la direction de l’Irvine Ranch Water District (1990), un water district au Sud de la Californie.

29 Pour résumer, les axes 1 et 2 donnent à voir une opposition entre une fonction de régulation et une fonction commerciale qui est aussi une opposition de compétences : entre des institutions qui sont le plus dotées en capacités administratives (agences d’État, ONG, think tanks, instituts académiques ou d’expertise) et des institutions dont l’activité principale est la vente d’eau à des villes, des industries ou des districts d’irrigation. La polarisation du champ des politiques hydriques, entre priorités écologiques et priorités économiques, trouve sans doute ici son fondement ; mais cette opposition ne permet cependant pas d’expliquer dans quelle mesure les politiques de water conservation, qui sont promues à des degrés divers (d’application et, sans doute, de sincérité) par l’ensemble des institutions, s’affirment comme plus ou moins autonomes par rapport aux impératifs de développement économique.

Une fonction intermédiaire fondamentale

30 Le troisième axe (8,9 % de la variance) apporte un autre principe de différenciation, en isolant de façon très nette le groupe des contractants chargés d’acheminer et de répartir les eaux du Colorado : le Metropolitan Water District et le Colorado ou le Colorado River Board en Californie, tout comme le CAP en Arizona, en sont les représentants les plus importants. Mais ce groupe est lui-même traversé par une opposition entre les institutions opérant au niveau du bassin et des relations entre États, principalement à l’aide de contrats et de négociations, d’une part, et celles dont l’action se situe au niveau des villes ou des boards d’agences. L’expertise des contractors opérant au niveau étatique ou inter-étatique, basée sur les compétences juridiques, politiques, économiques et managériales, se distingue fortement de l’expertise des autres

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organisations, plus marquée par l’ingénierie ou la gestion environnementale au niveau local (voir digrammes 3 et 4). Le poids du Metropolitan Water District de Los Angeles est ici déterminant, et son General Manager Jeffrey Kightlinger occupe une position centrale dans les réunions des professionnels de l’eau.

Diagramme 3 nuage des institutions dans le plan des axes 1 et 3

Diagramme 4 nuage des propriétés dans le plan des axes 1et 3

31 Né à Los Angeles début des années 1960, Jeffrey Kightlinger passe une licence en Histoire à l’UC Berkeley avant de suivre les traces de son père juge, et d’obtenir un doctorat en droit à l’université de Santa Clara en California. Il commence sa carrière comme avocat mais il bifurque rapidement vers le monde des affaires, du transport et de l’immobilier : il devient consultant en planning urbain pour les municipalités de Californie, grâce à ses compétences juridiques relatives aux diverses régulations en la matière. C’est sur la base de cette expérience qu’il est embauché en 1995 par le MET, pour travailler sur la négociation et le développement de contrats d’achats de terrains

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et de construction d’infrastructures. Son habileté à jouer avec les règles du California Code of Regulations et d’obtenir les permis pour les grands réservoirs et les canaux planifiés par l’agence, lui font rapidement gravir les échelons, et en 2006 il est nommé General Manager du MET – une étape importante dans l’histoire d’une agence où les postes de direction étaient généralement occupés par des ingénieurs civils.

32 En Arizona, les protagonistes de l’eau les plus influents font plutôt partie de l’administration d’État, l’Arizona Department of Water Resources ( ADWR), mais une organisation joue un rôle central du fait de sa fonction d’acheminement des eaux du Colorado : le Central Arizona Project, qui est une subdivision administrative de l’ADWR, mais qui possède une véritable autonomie d’action. Son directeur en 2015, David Modeer, présente une expérience d’une quarantaine d’années dans le secteur de l’eau (opérations, planning, services aux clients, etc.). Il a été directeur de l’entreprise municipale de Tucson et du Département des eaux de la mairie de Phoenix pendant une dizaine d’années, et il a fait partie de l’organisation American Water Works Inc., pendant plus de 25 ans : il y a officié comme vice-président des Opérations pour les régions de Pennsylvanie et les États de l’Ouest. Il est élu au Board of Directors du Central Arizona Water Conservation District (CAWCD) en 2003 avant d’en être nommé General Manager en 2009, en charge de la surveillance du CAP. Ce poste est crucial en Arizona dans la mesure où il contrôle les opérations du Central Arizona Groundwater Replenishment District et de l’Arizona Water Banking Authority, dont la tâche est d’opérer les stockages d’eaux souterraines grâce à 6 réservoirs (groundwater recharge facilities). Son profil est sensiblement différent de celui de Jeffrey Kightlinger, puisqu’il a obtenu un Master en biologie (et un minor en chimie) à l’Université de Creighton à Omaha (Nebraska) : il reste dans un profil classique de professionnels de l’eau plus proche de l’ingénierie que du droit.

33 Le principe de différenciation des institutions contractantes (contractors) du Colorado River traduit en fait des positions très dispersées sur les deux premiers axes mais regroupées sur l’axe 3, et dont les propriétés secondaires sont très discriminantes par rapport à leurs catégories premières d’appartenance (voir les diagrammes 5 et 6). Par rapport d’une part aux directeurs des institutions régulatrices, dotés de hauts niveaux de diplôme dans le domaine de l’environnement, de la science ou, éventuellement, du droit, et d’autre part aux membres des opérateurs locaux, dotés de diplômes moins élevés dans les domaines de l’ingénierie civile ou hydrique, les directeurs des institutions contractantes présentent des compétences managériales plus affirmées (MBA), tournées vers l’expertise juridique ou économique (et bien souvent appuyées sur un PhD). Les directeurs ou directrices des contractors occupent finalement des positions très politiques : ils font le lien entre les intérêts des institutions régulatrices et ceux des opérateurs locaux, de plusieurs façons. Avec les régulateurs fédéraux ou étatiques dont ils partagent le haut niveau de diplôme, ils peuvent négocier en valorisant leur expérience de gestion d’agence et leurs capacités techniques ; mais ils ne sont pas gestionnaires pour autant et avec les opérateurs auxquels ils revendent les eaux du Colorado (qui ont reçu quant à eux, la plupart du temps, une formation d’ingénieurs civils ou d’hydrologues), ils peuvent faire état de leur expertise juridique et économique, et de leurs contacts avec les autorités fédérales ou étatiques qui imposent les normes environnementales. Entre valorisation des bonnes pratiques managériales et respect de l’environnement, cette position d’entre-deux se révèle ainsi

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essentielle à la mise en place d’une politique de consensus sur le partage des eaux et la gestion de la sécheresse.

Diagramme 5 nuage des institutions dans le plan des axes 2 et 3

Diagramme 6 nuage des propriétés dans le plan des axes 2 et 3

34 Qu’il s’agisse du CAP (et du CAGRD qui en dépend) et du Yuma Irrigation District pour l’Arizona, ou du Metropolitan Water District of Southern California et de l’Imperial Irrigation District pour la Californie, ces institutions présentent une autre caractéristique spécifique : les volumes d’eau gérés (v3 ou v4) sont nettement plus importants que ceux des opérateurs locaux (v1 ou v2). Au final, les différents niveaux d’action se retrouvent globalement sur des quadrants différents du plan des axes 1 et 3 ( diagramme 3), avec en haut à droite le niveau local, en dessous un niveau plus métropolitain, puis un niveau étatique en haut à gauche et inter-étatique en dessous ; cette différentiation recoupe, on le verra en détail dans les prises de position, des savoir-faire particuliers qui font système, avec respectivement des capacités techniques d’ingénierie, du

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management économique, des compétences de gestion environnementale et des qualifications scientifiques mises au service de l’écologie.

Des positions aux prises de position : les instruments dans leurs contextes

35 Les prises de position en matière de politiques hydriques, à savoir les instruments déployés en fonction des priorités affichées, doivent être rapportées aux contraintes structurales exercées par le champ. Elles ne semblent pas pour autant se déduire directement des positions dans l’espace des institutions et de leurs propriétés. L’homologie entre l’espace des positions (caractéristiques des institutions et de leurs directeurs) et l’espace des prises de position (instruments de politiques hydriques) n’est pas tout à fait exacte, sans doute du fait de la pluralité des instruments utilisés, parfois simultanément, par l’ensemble des institutions. C’est donc dans la façon dont le champ des politiques hydriques retraduit les contraintes externes dans des logiques propres de fonctionnement, c’est-à-dire dans des stratégies institutionnelles différenciées, qu’il faut chercher la clé des principes explicatifs de ces politiques.

36 Les prises de position rendues publiques par les institutions et leurs directeurs tendent bien, de façon globale, à se distribuer entre deux grands pôles (diagramme 7) : d’un côté ( droite de l’axe 1), la poursuite d’une politique de l’offre, par la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement, par des moyens classiques (barrages, canaux) ou des nouvelles solutions techniques (désalinisation) ; de l’autre, une réorientation de ces politiques pour promouvoir une plus grande conservation des ressources et une meilleure protection des écosystèmes. Cette polarisation partage globalement les institutions entre les régulateurs, qui adoptent plutôt des mesures de de défense de la qualité de l’eau ou de promotion d’une nouvelle politique de l’eau moins axées sur de nouvelles sources que sur une transformation des usages (new institutional frame), et les opérateurs qui se caractérisent plutôt par des solutions techniques, avec la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement (large scale) ou l’amélioration des usages grâce à des solutions techniques à petite échelle (small scale). Cette division de l’espace entre priorités institutionnelles de conservation (institutional conservation), à laquelle il faut ajouter, dans une moindre mesure due au moindre poids institutionnel, l’ecological conservation des ONG ou de gestion durable des ressources (sustainable regulation) d’une part, et d’autre part les priorités accordées au développement économique (economic development) et au management (sustainable management), se retrouve sur les deux premiers axes, mais elle laisse néanmoins un certain flou autour d’instruments comme les water reuses, les outils de groundwater stockage ou, dans une moindre mesure, les water markets8.

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Diagramme 7 nuage des variables passives dans le plan des axes 1 et 2

37 L’axe 2 (diagramme 7) révèle en fait une opposition contre-intuitive au premier abord, entre les priorités accordées à la conservation écologique d’une part, et d’autre part l’usage d’instruments destinés à réduire la demande d’eau, qui se combinent avec les instruments de garantie de water quality et les water markets pour réaliser tendanciellement les objectifs de gestion durable. Cette opposition renvoie en fait à la division déjà notée dans l’espace des positions, entre les organisations environnementalistes de type ONG et les administrations publiques de régulation, auxquelles s’ajoutent les think tanks et institutions académiques (qui étaient associées aux ONG dans l’espace des positions).

38 De façon plus générale, les instruments de water reuse apparaissent, sur les 3 axes principaux de l’analyse (diagramme 8), beaucoup moins au service d’objectifs environnementaux que l’on pourrait s’y attendre : sur l’ensemble du champ, ils semblent adoptés pour donner le change et répondre aux injonctions des régulateurs à plus d’économies d’eau, sans pour autant bouleverser les priorités économiques des organisations concernées.

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Diagramme 8 nuage des variables passives dans le plan des axes 1 et 3

39 Pour résumer, le plan des axes 2 et 3 (diagramme 9) livre de fait une différenciation plus fine des stratégies de lutte contre la sécheresse : en mettant quelque peu à l’écart les priorités accordées aux objectifs écologiques (ecological conservation) et les ONG qui les défendent, il permet de faire apparaître, parmi les institutions engagées dans la gestion des flux et des normes de partage des flux (opérateurs, contracteurs et régulateurs), des combinaisons d’instruments d’action spécifiques et peu évidentes au premier regard. La priorité accordée par les contracteurs (MET, CRBC, CAP, etc.) en charge de répartir les eaux du Colorado aux objectifs de sustainable regulation, combinant normes écologiques et développement économique, se traduit par la défense des processus de water markets, combinés aux mesures de water reuse et, parfois, de water planning (Taylor C. et al., 2012). Inversement, les opérateurs de moindre taille, comme Pima County ou d’autres villes d’Arizona et de Californie, combinent des mesures de water quality et de modification de la demande, sans pour autant négliger des solutions techniques ou le water reuse promus par le pôle économique. Ils s’inscrivent dans un espace à l’opposé des organisations possédant des droits prioritaires de l’eau (water rights), caractéristiques des plus vieux districts (prioritaires) d’Arizona et de Californie. Dans les deux cas, les politiques de water conservation apparaissent comme contraintes, mais pour des raisons diamétralement opposées : en ce qui concerne les petits opérateurs récents, pour des raisons purement écologiques, par effet de la rareté présente et à venir de la ressource ; en ce qui concerne les opérateurs dotés de droits prioritaires, par obligation juridique de se conformer aux nouvelles normes environnementales.

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Diagramme 9 nuage des variables passives dans le plan des axes 2 et 3

40 C’est dans ce cadre aussi qu’apparaît toute l’ambiguïté des water markets, qui peuvent être aussi bien compris comme une mesure d’inspiration libérale consistant à commercialiser l’eau, que comme un instrument destiné à changer les règles du jeu et à transformer les principes de répartition existants – au point d’être adoptés, parfois, par des institutions qui privilégient les objectifs environnementaux (Culp P.W. et al., 2014). Ce qui peut être désigné comme une « unlikely coalition of free-market ideologues and environmental activities » (Erie S.P., 2006 : 189) a donc constitué une force de transformation des politiques hydriques. En particulier, le Central Valley Project Improvement Act (CVPIA) destiné à protéger l’environnement, a permis d’introduire les transferts d’eau d’institution à institution. Le récit postérieur des événements met en scène la façon dont le General manager du Metropolitan Water District de l’époque (1984-1993), Carl Boronkay, a saisi l’opportunité de soutenir le texte pour assurer l’approvisionnement en eau de Los Angeles : « politically, we knew that no new dams would be built. Reallocation would be the name of the game » (Boronkay, in Erie S.P., 2006 : 184). Un jeu dont les contractors du Colorado se sont trouvés en position de redéfinir non seulement les règles, mais les enjeux, de façon à concilier des exigences contradictoires émanant des normes environnementales promues par l’État fédéral, des risques de coupure d’approvisionnement en eau et des exigences toujours fortes de développement économique. L’eau a ainsi été constituée comme un « property right that recipients could buy and sell to other users (…): the result was the privatization of a publicly developed, common property resource » (Pincetl S., 2002 : 260-61).

41 Cependant, de telles analyses en termes de privatisation (voir aussi Scoville C., 2015) manquent un point que l’ACM permet de souligner : le fait que l’usage des instruments de politiques hydriques n’est pas réductible à la division public/privé, et que certains sont utilisés par tous les types d’organisations. De fait, les principaux promoteurs des water markets sont des organisations publiques, capables de jouer aussi bien sur le terrain des opérateurs locaux que celui des régulateurs étatiques et fédéraux, et donc de changer les règles du jeu. De tels game changers, comme le MET et, dans une moindre mesure, l’AWBA, peuvent ainsi être reconnus aussi bien pour les solutions « modernisatrices » qu’ils proposent, que pour leur prudence consistant à ne mettre qu’un pied dans le privé, et à garder l’autre dans le domaine commun. C’est alors au

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niveau des propriétés des managers qu’il faut chercher les principes de transformation de ces politiques. Comme le déclarait Tim Quinn, l’ancien sous-directeur général of Metropolitan Water District of Southern California, puis Directeur de l’Association of California Water Agencies, au sujet de Carl Boronkay : « Boronkay changed the DNA of the planners of southern California, at that time we were talking about the perfect canal [Delta] it was an engineering solution that we still need, but the votes were going down 90 to 10% in northern California (I assume the public opinion in that issue) nothing goes 90-10% except in communist countries and in Berkeley […]. Chief planner at MET that time name was Dan Brooks, he was a civil engineer, he has been around forever, he was a complete state water project guy, one of the most bureaucratically powerful folks, Carl shut them out the door and hired Willy Horne, Willy Horne was not a civil engineer, he had a PhD in water resources modelling, he replaced a civil engineer by a guy who was not a civil engineer, that was 1984. He was not a water important guy, he was a water recycling specialist, a completely different mindset on how you think about the future. MET went from a civil mentality on State Water Project to a completely different focus on how do we come up with an integrative plan. We were not thinking about sustainability, we were thinking on how do you supply water when you are not gonna get new major supplies of surface water imports, observing environmental revolution, we were not environmentalist, we were water supply managers, but we understood that. We were learning to be good water supply managers » (Entretien, juillet 2016).

42 Cette même ambiguïté dans l’usage des instruments se retrouve au niveau des dispositifs de water reuse, qui sont le fait d’institutions comme la ville de Tucson et, dans une moindre mesure, le Pima County, mais aussi, et de façon plus surprenante en Californie, Palo Verde Irrigation District, Imperial Irrigation District ou West Bassin District – soit des institutions qui, excepté les opérateurs d'Arizona, donnent priorité aux impératifs de développement économique, et à un management durable des ressources qui ne remettent pas en cause ce développement. Le recyclage de l’eau doit tout d’abord être mis en relation avec les orientations générales de chaque État, dans la mesure où la Californie promeut depuis les années 1990 le recyclage à grande échelle pour faire face à la rareté de la ressource ; c’est aussi le cas de petites villes de Californie dont les ressources hydriques sont faibles, comme West Bassin, qui ont intérêt à promouvoir ce genre de mesures pour bénéficier des aides de l’État et réduire le coût de l’achat d’eau à d’autres opérateurs; en revanche la priorité donnée par le gouverneur d’Arizona au water planning correspond non seulement à une priorité accordée à la reconstitution des réserves souterraines, conformément au Groundwater Management Act de 1980, mais aussi exprime la plus forte régulation des flux hydriques de la part des autorités étatiques (ADWR), ce qui n’exclut pas des alliances avec les autorités locales en matière d’implantation de water reuse. Mais au-delà de la distinction entre les politiques hydriques de chaque État, on peut constater que les niveaux de priorité dans l’usage des eaux du Colorado sont aussi déterminants : ainsi, les deux organisations ayant le plus de droits – Palo Verde ID et Imperial ID en Californie, Yuma ID en Arizona – promeuvent le recyclage des eaux afin de donner les gages politiques leur permettant de maintenir un niveau d’usage constant – et finalement de garder le statu quo. Le même processus a lieu au niveau urbain en Arizona, où la mise en avant de politiques de water conservation par les « grandes villes » que sont Phoenix et Tucson, apparaît comme une façon de protéger leurs usages actuels, contre l’expansion immobilière de leurs villes périphériques.

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43 Les réponses institutionnelles à la sécheresse se développent ainsi sur un prisme compris entre deux grandes orientations loin d’être incompatibles en pratique : d’une part, la promotion d’un marché de l’eau, par des mesures de transferts des flux et de crédit sur les stocks (water markets) ; d’autre part, la consolidation de régulations collectives appliquées non seulement aux écosystèmes, mais aux sources d’approvisionnement et aux usages de l’eau (water planning). Ces grandes orientations comprennent une base commune : l’impératif de préserver les ressources hydriques (water conservation) pour assurer le développement économique présent et futur. La mise en place des water markets, comme les mesures de water reuse, doivent être mis au service du même objectif de sécurisation de l’approvisionnement et de protection de l’environnement : derrière l’opposition entre politiques de l’offre et politiques de la demande, on voit donc apparaître une différenciation plus fine des instruments de water conservation : water markets et water reuse sont utilisés par les différentes institutions pour concilier économie et environnement. On voit donc ici à la fois l’intérêt et les limites d’une analyse par les instruments pour analyser les politiques de l’environnement : ils permettent d’éclairer l’éventail des prises de position impliquées par des objectifs généraux de politiques hydriques, mais ils peuvent se révéler trop malléables et dépendants de leurs contextes de mise en œuvre pour dégager clairement des principes d’action.

44 Si la mise en place de certains instruments est conditionnée à la place que chacune de ces institutions occupe dans le champ des politiques hydriques, il n’y a donc pas homologie parfaite entre l’espace des positions et l’espace des prises de position : il faut alors introduire le profil des water managers pour formuler des hypothèses plus précises sur la mise en œuvre des instruments de politique hydrique. Ainsi les water markets sont principalement le fait de professionnels ayant une formation en économie et management, alors que les instruments de water reuse sont en relation avec des profils plus diversifiés : parfois spécialisés en économie, ils ont surtout des formations d’ingénierie, hydraulique ou environnementale (cf. tableau en Annexe 2). Inversement, le développement d’instruments classiques de grands projets d’équipement, centré sur l’offre et l’augmentation des sources d’approvisionnement, provient de managers dotés d’une expérience professionnelle de gestion dans de l’eau (souvent avec une formation d’ingénierie, inférieure au niveau master).

45 Cette analyse du champ des politiques hydriques ouvre ainsi de nouvelles perspectives de recherche sur les relations entre les contextes institutionnels des politiques hydriques et les caractéristiques des professionnels de l’eau. Elle oriente la réflexion vers la capacité de quelques game changers – en Californie, le directeur du MET, en Arizona, le directeur de Pima County, etc. – à mobiliser et combiner des intérêts parfois divergents, notamment entre opérateurs et régulateurs. Cette capacité (liée à leur dispersion sur les axes 1 et 2) à mettre en relation des organisations ou institutions différentes, doit aussi être comprise en référence à leur cohésion autour d’enjeux liés au Colorado (particulièrement visible sur l’axe 3) : ils partagent de ce point de vue un ensemble de propriétés distinctes des autres protagonistes de l’eau (compétences techniques et managériales, capital social, expériences professionnelles etc.), qui leur permettent de dépasser les antagonismes ordinaires entre promoteurs du développement et défenseurs de l’environnement, et d’impulser des dynamiques paradoxales, par lesquelles la cause de l’écologie finit par garantir celle de l’économie, en produisant un consensus sur des objectifs partagés.

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BIBLIOGRAPHIE

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ANNEXES

Annexe 1 – Classer les instruments des politiques hydriques

Les instruments sont généralement classés en plusieurs catégories (Sterner 2016) : instruments réglementaires (normes techniques, autorisations administratives, etc.) qui sont destinés à contraindre les comportements (« command and control approach »), instruments économiques à visée incitative (subventions, taxes, permis, marchés, etc.), instruments informationnels (sur les solutions ou les dommages écologiques) et les accords volontaires ou négociés (engagements industriels sur des objectifs). Cette classification n’a pas pu être reprise dans le cas des politiques hydriques menées dans l’Ouest étasunien, principalement parce que les organisations prises en compte ont des domaines et des niveaux d’action très différents. Par exemple, les opérateurs distribuent de l’eau sur un territoire donné, les administrations d’État régulent les flux à un niveau plus large en produisant des normes, en délivrant des permis, etc. La mise en œuvre des politiques hydriques ne correspond donc pas aux critères élaborés par Christopher Hood (1986) : il n’y a pas en la matière un gouvernement identifiable dont on pourrait définir une modalité homogène, des formes d’autorité équivalentes, des ressources financières opérant de façon comparable et une capacité d’action directe (organisation) ayant des impacts similaires. Les politiques de l’eau sont menées par une diversité d’organisations aux moyens d’action trop divers pour constituer une liste cohérente d’instruments. Ainsi, certains opérateurs peuvent jouer sur les prix, et certaines autorités peuvent promulguer des blocs tarifaires, mais le fait que ces autorités n’aient pas d’intervention directe sur le marché interdit de prendre le prix de l’eau comme un instrument commun. Il fallait donc intégrer cette diversité de fonctions afin de comparer les modes d’action respectifs des institutions et leurs contributions à la fabrication ou la mise en œuvre des politiques hydriques face aux risques de coupure d’eau. On est partis du constat selon lequel « un dispositif sociotechnique, permettant d’intervenir dans un domaine de l’action, est formé par un grand nombre d’instruments qui relèvent de différents registres (politiques, juridiques, techniques) » (Lorrain 2004 : 191). Face à la diversité d’instruments possibles, mais aussi des contextes de mise en œuvre rencontrés sur l’ensemble du Colorado River Basin, le parti-pris méthodologique a été tout d’abord de s’attacher aux pratiques des agents concernés, à ce qu’ils font concrètement pour s’adapter au manque d’eau: construire de nouvelles infrastructures pour accéder à de nouvelles sources d’approvisionnement (canaux, barrages, usines de désalinisation, prôner une régulation des flux plus contraignante etc.), mettre en place des mesures de réductions de la consommation (limitation des flux, taxes, jeu sur les prix, etc.) ; à travers les interviews menées avec les professionnels du secteur, ou les Water Plans de chaque institution, on a observé comment les volumes d’eau perdus du fait de la situation hydrique étaient remplacés. A partir de cette idée que « dans l’action, l’instrument seul n’existe pas » (Lorrain, 2004 : 170), la recherche a permis de cerner les fonctions effectives qui définissent des objectifs susceptibles d’orienter le choix des instruments. Si les instruments façonnent

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l’action publique, les façons de voir et de concevoir les réponses à la sécheresse dressent le cadre, ou plus exactement les principes de vision et de division du monde social à partir desquels ces instruments sont implantés. Par exemple, un instrument concernant le stockage de l’eau de pluie, peut être partagé et mis en œuvre par des institutions dont les objectifs sont diamétralement opposés : à des fins écologiques, dans le cas d’une institution conservationniste comme le Pima County en Arizona, ou dans le but de préserver des droits prioritaires tout en donnant le change aux autorités fédérales, comme l’Imperial Irrigation District en Californie. Les « orientations prioritaires » constituent ainsi une façon de prendre en compte la signification sociale des instruments mis en œuvre. Elles ont été déterminées au cours du processus de recherche empirique, à partir de deux principes. Le premier concerne les régimes de causalité que les agents établissent pour rendre compte du risque de manque d’eau. Ce risque peut être relié à un excès de consommation d’eau, qui recouvre plusieurs types de situation : pour certains il s’agit des modes de production et des styles de vie de l’Ouest américain qui sont en cause ; pour d’autres il s’agit essentiellement de problèmes techniques qui nécessitent la mise en place de technologies plus efficientes. Mais le risque de coupure d’eau peut être relié à une autre causalité, plus focalisée sur l’offre : il faudrait un meilleur approvisionnement afin de faire face aux conditions climatiques de l’Ouest étasunien ; pour certains il s’agit de diversifier les sources d’eau afin d’alimenter de nouveaux barrages, de nouveaux puits et de nouveaux réservoirs ; pour d’autres, il s’agit plutôt d’un problème de gestion de l’eau, dans la mesure où la fragmentation empêcherait les transferts d’eau entre usagers des zones excédentaires vers des régions en déficit. Le deuxième principe concerne les fins des politiques hydriques, qui oscillent entre deux extrêmes. D’un côté, l’eau est conçue comme service destiné à garantir, voire impulser, la croissance économique et urbaine ; de l’autre, elle constitue une ressource naturelle indispensable à l’équilibre des écosystèmes, que les politiques environnementales devraient protéger contre les usages humains. Ces deux principes structurants – régimes de causalité et objectifs des politiques hydriques – et leurs multiples modalités peuvent être synthétisés en cinq « orientations prioritaires » : • la priorité accordée à la protection des écosystèmes sur les activités économiques (urbanisation, industrie, agriculture, etc.) définit un pôle environnementaliste qualifié d’ecological conservation ; • à l’opposé, la subordination des mesures hydriques au secteur économique a permis de définir un pôle d’economic development, qui ne reconnaît la menace de la rareté que dans la mesure où elle peut être résolue de façon technique ; entre ces deux pôles, plusieurs types d’orientations ont été distinguées : • une orientation affichant des objectifs environnementaux explicites (préservation des rivières et des parcs, traitement des eaux usées, réduction des usages dans des plans contre la sécheresse, etc.) tout en les conciliant avec les exigences de développement économique a été qualifiée d’institutional conservation ; • la promotion de mesures (normes, règles de droit, etc.) consistant à réguler collectivement les usages pour garantir la pérennité des activités humaines à venir en contexte de rareté hydrique reconnu définit une orientation de sustainable regulation ; • l’insistance mise sur la gestion durable des ressources hydriques pour garantir les demandes à venir du secteur économique, constitue une orientation de sustainable

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management, dont les orientations sont moins promues collectivement qu’au niveau de chaque organisation. La classification des instruments a ensuite pris en compte la distinction des technologies de gouvernement proposée par Lascoumes et Le Galès (2004 : 361), qui se base sur les types de rapport politique organisés par les instruments et par les types de légitimité qu’ils supposent : législatif et réglementaire, économique et fiscal, conventionnel et incitatif, informationnel, normes et standards de best practices. Les modèles d’instruments ainsi élaborés combinent ces différentes dimensions en fonction des objectifs qu’ils remplissent, et on a distingué les instruments mis en œuvre de façon principale pour réaliser ces objectifs, et les instruments utilisés à titre secondaire, souvent pour répondre à des injonctions extérieures d’adaptation à la sécheresse. La prise en compte des instruments dans leur contexte se base ainsi sur un modèle faisant jouer trois dimensions : objectifs prioritaires, instruments principaux, instruments secondaires. On a ainsi distingué : • les instruments législatifs et réglementaires consistant à (i) protéger les écosystèmes et garantir des droits d’accès à l’eau pour tous, à (ii) assurer le stockage des eaux souterraines ou, inversement à (iii) garantir les droits prioritaires des plus anciens usagers ; • les instruments économiques et fiscaux consistant à rechercher de nouvelles sources d’approvisionnement par (iv) la construction d’infrastructures hydriques (large scale water supply) ou (v) la recherche de solutions techniques, qui peuvent aussi viser à réduire les usages gaspillant la ressource ; • les instruments conventionnels et incitatifs destinés à obtenir les engagements des institutions, à travers (vi) le traitement de la qualité des eaux, (vii) les mesures de water reuse (usines de recyclage, dispositifs de prévention des crues et des stormwaters) ; (viii) les water plans destinés à réguler des systèmes territoriaux dans le long terme (stockage, réserves); • les instruments informationnels consistant à promouvoir (ix) l’éducation à l’environnement ou à (x) impulser un nouveau cadre institutionnel pour réguler l’eau ; • les instruments de standardisation de best practices introduisant des ajustements au sein de la « société civile » et des mécanismes de concurrence avec (xi) la mise en place de water markets destinés à créer des transferts entre usagers institutionnels (qui sont aussi des normes et standards) Annexe 2 - Tableau des Water conservation instruments

Highest Academic academic BA of the Academic MA or Expertise Sphere of degree of Policy Institution general PhD of the general sustaining his/her professional Policy Goals the instruments manager/ manager career career executive Director manager

Arizona Blue Social Public Institutional Water Ribbon No Masters JD Law/Econ Sciences Institutions Conservation Reuses Water panel

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Tucson Broker Sustainable Water Water/City Engineer hydroengineering MA planning Management Regulation Reuses of Tucson

Water now Social Environmental Institutional Water JD Env.Management NGO Alliance Sciences Studies Conservation Reuses

Palo Verde MBA/ Economic Water Irrigation Engineer MA Water Manager Water utility PAdministration Development Reuses District

Upper San Gabriel Valley Social MBA/ Sustainable Water MA Law/Econ Water utility Municipal Sciences PAdministration Management Reuses Water District

West basin municipal Sustainable Water Engineer hydroengineering MA Water Manager Water utility water Management Reuses district

Los Angeles Department Sustainable Water Engineer hydroengineering MA Water Manager Water utility of Water and Management Reuses Power

Natural Environmental Ecological Water Surfrider MA Env.Science NGO Sciences Studies Conservation Reuses

Natural Resources Natural MBA/ Ecological Water MA Env.Science Broker Env Defense Sciences PAdministration Conservation Reuses Council

California urban water Institutional Water No Masters conservation Conservation Reuses council

Imperial Economic Water Irrigation Engineer No Masters BA Law/Econ Water utility Development Reuses District

The international Institutional Water center for Engineer hydroengineering PhD Env.Science NGO Conservation Reuses water technology

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The Water Resources Institute, Social MBA/ Institutional Water MA Env.Science NGO California Sciences PAdministration Conservation Reuses State University

Social MBA/ Public Sustainable Water Governor CA JD Nominated Sciences PAdministration Institutions Regulation Reuses

Arizona Department Natural Public Sustainable Water No Masters BA Law/Econ of Water Sciences Institutions Regulation Planning Resources

Arizona Municipal Social Public Sustainable Water No Masters JD Law/Econ Water Users Sciences Institutions Management Planning Association

BOR Lower Natural Public Sustainable Water Colorado hydroengineering PhD planning Sciences Institutions Regulation Planning office

Central Natural MBA/ Sustainable Water Arizona MA planning Water utility Sciences PAdministration Regulation Planning Project

City of Social MBA/ Sustainable Water PhD planning Water utility Phoenix Sciences PAdministration Regulation Planning

Social Public Sustainable Water Governor AZ No Masters BA business ties Sciences Institutions Regulation Planning

Metro Water Social MBA/ Sustainable Water MA planning Water utility Tucson Sciences PAdministration Regulation Planning

Morison Social Passeur Sustainable Water Institute for No Masters JD Law/Econ Sciences Management Regulation Planning Public Policy

Salt River Sustainable Water Engineer hydroengineering BA planning Water utility Project Management Planning

Southern Arizona Sustainable Water Engineer No Masters MA planning Water utility Water Users Regulation Planning Association

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Water Resources Social MBA/ Broker Sustainable Water PhD planning Research Sciences PAdministration Management Regulation Planning Center

Arizona Water Social Environmental Sustainable Water MA planning Broker Env Banking Sciences Studies Management Markets Authority

City of Economic Water Engineer hydroengineering MA technical Water utility Glendale Development Markets

City of Social MBA/ Economic Water MA business ties Water utility Marana Sciences PAdministration Development Markets

City of Social MBA/ Economic Water JD Law/Econ Water utility Scottsdale Sciences PAdministration Development Markets

Colorado River Natural Public Sustainable Water No Masters BA Law/Econ Negotiating Sciences Institutions Regulation Markets Team

San Diego County Social MBA/ Sustainable Water MA Law/Econ Water utility Water Sciences PAdministration Management Markets Authority

Association of California Social MBA/ Sustainable Water PhD Law/Econ Water utility Water Sciences PAdministration Regulation Markets agencies

Annexe 3 - La construction des caractéristiques pertinentes

11 variables, réparties en 3 groupes, ont été retenues pour construire l’espace des protagonistes de l’eau dans l’Ouest étasunien.

Capacités d’action des institutions (variables actives, sauf les volumes d’eau)

La variable du « rôle » se divise en 4 modalités : institution régulatrice (n=13), agence d’eau-district d’irrigation (n=19), institution contractante pour la Colorado River (n=20), organisations d’expertise (ONG, think tanks, instituts académiques, n=14). La variable « type d’influence » comporte 5 modalités : membre d’un board (n=15), lobby (n=13), expertise (n =13), négociations et contractualisation (n=13), promulgation de normes de régulation (n=12).

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Faute de pouvoir définir un indicateur économique homogène, du fait de la disparité du type d’institutions, on a pris le « volume d’eau géré » comme un indicateur de l’importance de chaque institution. On a construit quatre classes en fonction de la connaissance du terrain, de façon à distinguer les opérateurs en fonction des classements recueillis auprès des enquêtés. Les opérateurs ainsi identifiés comme « petits », « moyens » et « très gros » ont servi pour fixer les trois premiers seuils (v1: moins de 0,1 MCAF ; v2 : entre 0,1 et 1 MAF ; v3 : entre 1 et 4 MAF). Le quatrième seuil (v4 : +4 MAF) correspond au volume total d’eau du Colorado reçu par la Californie, et il permet d’identifier les institutions étatiques et fédérales. Le risque de séparation trop nette entre États d’Arizona et de Californie à cause des volumes d’eau gérés (alors qu’il s’agissait d’intégrer leurs institutions respectives dans un même espace de positions) a conduit à n’utiliser cet indicateur qu’en variable passive. Les droits prioritaires ne concernant qu’une minorité d’institutions, principalement en Californie (et dans le district d’irrigation de Yuma en Arizona), ils n’ont pas été intégrés dans l’analyse quantitative mais ils sont pris en compte dans l’analyse des stratégies.

Caractéristiques des directeurs des institutions (variables actives)

Le plus haut de diplôme obtenu comporte 4 catégories : Bachelor (n=10), Master (n=30), PhD (n=7) et Juris Doctor (n=14). Les types de Bachelor du directeur de l’institution sont divisés en 4 catégories : ingénierie (n= 19), sciences environnementales (n=8), sciences naturelles (n=18), sciences sociales (n= 26) tandis que les Master & PhD présentent 4 modalités : hydro- ingénierie (n=13), MBA ou Master en administration publique (n=22), études environnementales (n= 12), pas de Master (n=17), plus une non renseignée (n=7). L’expertise principale mise en avant dans la carrière professionnelle comporte 5 modalités : sciences de la nature et de l’environnement (n=9), gestion et planification des ressources environnementales (n=8), gestion de ressources hydriques (n= 11), planification hydrique (n=11), management juridique et économique (n=17), plus une non renseignée (n=7). Enfin, la sphère dans laquelle se déroule la carrière professionnelle présente 4 modalités : Administration publique hors environnement (n=15), entreprises de distribution de l’eau (water agency, n=25), ONG (n=10), institutions publiques à visée environnementale (n=6).

Objectifs prioritaires et instruments des politiques hydriques (variables passives)

Les objectifs prioritaires ont été classés en 5 modalités : le conservationnisme à visée écologique qui refuse la priorité de l’économie (ecological conservation, n=6), le conservationnisme institutionnel (institutional conservation, n=14) qui privilégie l’environnement tout en restant compatible avec le développement économique, dont l’affirmation comme seul objectif constitue une modalité à part entière (economic development, n=17), mais qui se décline en deux autres orientations : le sustainable management, qui incorpore les normes environnementales à la gestion de l’eau (n=12),

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et la sustainable regulation (n=17), qui entend renforcer le contrôle des normes environnementales sur les activités économiques sans pour autant les entraver. Les instruments d’action mis en œuvre ont été regroupés en deux grandes catégories : les instruments prioritaires et les instruments complémentaires. Les instruments prioritairement mis en œuvre présentent 10 modalités : protection des écosystèmes et des droits d’accès à l’eau (n=6), mise en place d’un nouveau cadre de gestion plus attentif à l’environnement (n=8), mesures de garantie de la qualité de l’eau (n=1), mesures de réutilisation des eaux (n=15), élaboration de plans de gestion hydrique (n=11), mise en place de crédits d’usage et de stockage des eaux (water markets, n= 7), solutions techniques à petite échelle (n= 6), nouvelles sources d’approvisionnement par de grandes infrastructures (n=8). Les instruments complémentaires utilisés par les institutions permettent d’entrer d’affiner la mise en œuvre des politiques en ajoutant les modalités suivantes : éducation à l’environnement (n=3) et transformation de la demande (n=1), protection des eaux souterraines (n=8) ; les instruments de la catégorie précédente se distribuent de la façon suivante : mise en place d’un nouveau cadre de gestion plus attentif à l’environnement (n=12), mesures de garantie de la qualité de l’eau (n=3), mesures de réutilisation des eaux (n=17), élaboration de plans de gestion hydrique (n=2), mise en place de crédits d’usage et de stockage des eaux (water markets, n= 5), solutions techniques à petite échelle (n= 2), nouvelles sources d’approvisionnement par de grandes infrastructures (n=10). Annexe 4: Variables utilisées dans l’ACM

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Source : Joan Cortinas et Franck Poupeau

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NOTES

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RÉSUMÉS

Face à la « crise hydrique » que traverse l’ouest des États-Unis depuis une quinzaine d’années les acteurs compétents dans le domaine de l’eau ont décidé d’apporter des réponses qui peuvent être qualifiées de « néo-conservationnistes ». Il n’est pas tant question de revoir le modèle économique et urbain à la source d’une consommation en eau excédant les ressources disponibles, que de trouver des arrangements contractuels et techniques permettant de poursuivre l’expansion économique et urbaine. En prenant une certaine distance par rapport aux approches de la géographie critique sur ces questions, l’article défend l’idée que l’émergence du « néo-conservationnisme » observé dans l’Ouest des États-Unis n’est pas le résultat d’une domination incontestée des élites économiques, politiques et bureaucratiques dont le seul moteur serait de lever les obstacles au processus d’accumulation de capital. La thèse de l’article est que les politiques hydriques observées doivent être plutôt considérées comme l’objectivation provisoire d’un état du rapport de forces structurel entre les différents protagonistes de l’eau au sein du champ des politiques hydriques.

Faced with the "water crisis" that the western United States has been going through for the past fifteen years or so, the competent players in the field of water have decided to provide answers that can be described as "neo-conservationist". It is not so much a question of reviewing the economic and urban model at the source of water consumption exceeding the available resources, but rather of finding contractual and technical arrangements that will enable economic and urban expansion to continue. By distancing itself from critical geography approaches to these issues, the paper argues that the emergence of "neo-conservationism" in the Western United States is not the result of an unquestioned domination by economic, political and bureaucratic elites whose only motivation is to remove obstacles to the process of capital accumulation. The thesis of the article is that the water policies observed should rather be considered as the provisional state of structural power relations between the different protagonists of the water policy field.

Ante la "crisis hídrica" que atraviesa el oeste de los Estados Unidos desde hace unos quince años, los actores competentes en materia de gestión de recursos hídricos han decidido aportar respuestas que pueden calificarse de "neo-conservacionistas". No se trata tanto de revisar el modelo económico y urbano responsable de un consumo de agua que excede los recursos disponibles, sino de establecer acuerdos contractuales y técnicos entre actores que permitan proseguir con la expansión económica y urbana. Distanciándose de los enfoques geográficos críticos de estas cuestiones, este articulo sostiene que el surgimiento del "neo-conservacionismo" hídrico en el oeste de los Estados Unidos no es el resultado de una dominación incontestable de las elites económicas, políticas y burocráticas cuyo objetivo sería eliminar los obstáculos al proceso de acumulación de capital. La tesis del artículo es que las políticas hídricas observadas deben considerarse como la objetivación del estado actual de las relaciones estructurales de poder entre los diferentes protagonistas del agua en el ámbito de las políticas hídricas.

INDEX

Mots-clés : Sécheresse, Ouest étasunien, Instruments d'action publique, théorie des champs Palabras claves : Sequia, Oeste de los Estanos Unidos, Instrumentos de política pública, Teoría de los campos Keywords : Drought, Western United States, Policy instruments, Fields theory

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AUTEURS

JOAN CORTINAS

Joan Cortinas Muñoz est chercheur post-doctoral au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po Paris. Il est titulaire d'un doctorat de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Ses recherches portent actuellement sur les ressorts, mais aussi les blocages, à la mise en place de mesures d’écologisation de la gestion des ressources naturelles à partir d’une sociologie de l’administration couplée à une sociologie de l’action publique. Ses terrains de recherche couvrent différentes régions en France, en Espagne et en Amérique. Il a publié de nombreux articles et ouvrages dont le plus récent est The field of water policy: Power and scarcity in the American West (Routledge, 2019).

FRANCK POUPEAU

Franck Poupeau est directeur de recherche au CNRS, affecté à l’Institut français d’études andines (La Paz, Bolivie), chercheur associé au CREDA et directeur d’études à l’IHEAL. Il a été directeur, entre 2012 et 2017, de l’unité conjointe internationale de recherche iGLOBES (Interdisciplinary and Global Environmental Studies) basée à l’université d’Arizona. Ses recherches portent sur les inégalités urbaines et les politiques de l’eau en Amérique du Sud et aux États-Unis. Il a publié de nombreux articles et ouvrages dont les plus récents sont The Field of water policy: Power and Scarcity in the American West (Routledge, 2019), Water Bankruptcy in the Land of Plenty (CRC Press, 2016), et Water Regimes: Beyond the Public and Private Sector Debate (Routledge, 2016). Il prépare un ouvrage rassemblant plus de vingt ans de travaux de terrain sur les conflits environnementaux dans la région andine et la Bolivie (Altiplano, 2020).

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Eau et gestion de l'eau dans les Amériques

L'eau : regards urbains

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Risques d’inondation et vulnérabilité : l’exemple du bassin versant de la rivière Kennebecasis, Nouveau-Brunswick, Canada. Flood Hazards and Vulnerability: The example of the Kennebecasis River Watershed, New Brunswick, Canada. Riscos de inundação e vulnerabilidade: o exemplo da bacia hidrográfica do rio Kennebecasis, New Brunswick, Canadá.

Guillaume Fortin, Charlotte Poirier, Françis Duhamel et Daniel Germain

Nous remercions M. Bernard Hétu pour ses commentaires et suggestions sur la version antérieure du manuscrit.

Introduction

1 Selon la base de données EM-DAT (Emergency Events Database), l’occurrence des inondations répertoriées à l’échelle mondiale depuis les années 1960 a connu une hausse significative (Tanoue M. et al., 2016). Cette tendance devrait se poursuivre et le nombre de gens qui habitent dans les zones inondables devrait tripler d’ici 2030 (Ward P.J. et al., 2013). Cette augmentation, observée aussi au Canada, inquiète puisque les inondations représentent le risque naturel le plus fréquent (Sécurité publique Canada, 2015). Les dommages imputables aux inondations en font d’ailleurs le risque naturel le plus coûteux (Story, 2016), auquel s’ajoutent en moyenne une centaine de décès et de nombreux sinistrés annuellement (Keller E.A. et al., 2008). Les inondations, par leurs causes et leurs conséquences variables, représentent donc un défi majeur d’adaptation pour les communautés touchées. Au cours des dernières années, plusieurs provinces canadiennes dont le Québec et le Nouveau-Brunswick (N.-B.) ont été durement touchées par les inondations. Ces catastrophes naturelles ont toutefois permis de sensibiliser les divers paliers de gouvernements à investir davantage de ressources pour développer et

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mettre en place des stratégies d’adaptation et des plans de gestion pour réduire la vulnérabilité des populations à risque. Le risque étant ici défini de manière générale par le croisement de l’aléa et la vulnérabilité (parfois aussi appelé enjeu). L’aléa correspond à un évènement météorologique généralement de forte intensité, lequel peut se traduire en une forte pluie ou une fonte rapide du couvert de neige dans le cas des inondations. La vulnérabilité, comme nous le verrons dans les sections à venir, est un terme parfois galvaudé en vertu de ses nombreuses définitions (Wisner B. et al., 2003 ; Cutter S.L. 1996 ; Veyret Y. et M. Reghezza, 2006).

2 Les connaissances actuelles et les progrès technologiques offrent aux décideurs et aux populations de plus en plus d’outils (nombreux modèles hydrologiques et hydrauliques) et d’informations utiles (données géospatiales à haute résolution) pour optimiser la gestion et l’aménagement sécuritaire du territoire (Metzger R. 2003). La demande croissante pour des connaissances de pointe issues de la recherche scientifique s’explique notamment par une forte hausse démographique, laquelle s’accompagne par la densification des zones urbaines et périurbaines dont plusieurs sont situées au sein de zones inondables à des fréquences variées. Pourtant, il existe des outils pour aider à mieux comprendre, gérer et appréhender le risque d’inondation, notamment la cartographie des zones inondables qui est fréquemment utilisée pour assurer la gestion sécuritaire des villes et des municipalités situées dans les zones sensibles. L’utilisation des informations cartographiques peut alors servir à mettre en place des mesures d’atténuation et d’adaptation appropriées face aux risques d’inondation et ce, dans un contexte de changements climatiques. Le réchauffement climatique récent a d’ailleurs des impacts indéniables sur le régime hydrologique. On note une modification de la fréquence, de l’intensité et du type de précipitations, ce qui se traduit par une variabilité accrue du régime des inondations. Au cours des dernières années, plusieurs localités canadiennes ont été affectées sur une base récurrente. Pourtant, ces mêmes communautés ont encore aujourd’hui du mal à s’adapter en raison d’un manque de connaissances scientifiques quant aux causes et caractéristiques des inondations. Or, ce constat paradoxal complique le rôle des décideurs, d’autant plus que la dimension humaine (vulnérabilité, résilience, adaptation, etc.) du risque d’inondation demeure encore peu documentée. Il va sans dire qu’il s’agit là d’un défi sérieux pour une saine gestion du territoire face aux inondations.

3 Thiault et al. (2018) soulignent notamment le besoin de cartographier de manière intégrée les dimensions socio-environnementales afin de fournir des informations pertinentes aux communautés et aux décideurs et ce, dans le but d’identifier et de prioriser les interventions en gestion. Si l’utilisation d’infrastructures rigides de protection (digues, barrages, etc.) était la norme dans le passé, à partir de 1950, ces dernières se sont néanmoins montrées peu efficaces et coûteuses sur le long terme (Jousseaume V. et al., 2004 ; Jellet M., 2017). C’est pour cette raison, mais également suite à une prise de conscience environnementale collective, que des efforts importants sont consentis aujourd’hui pour valoriser la conservation des écosystèmes qui peuvent servir à atténuer les inondations. Au Canada, des projets tels que le Municipal Natural Assets Initiative ou MNAI (ICF, 2018) ont été mis en place dans plusieurs régions. Ce type de projets privilégie des approches basées sur la conservation et la valorisation des services écosystémiques, lesquels offrent de multiples bénéfices à long terme pour les communautés tout en permettant de réduire les coûts de construction et d’entretien des infrastructures. L’objectif relié à cette prise de conscience tournée vers un

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aménagement environnemental et durable est évidemment de réduire la vulnérabilité des populations et ainsi améliorer leur qualité de vie tout en préservant l’intégrité écologique des milieux sensibles.

4 Le but du présent article est donc de partager une réflexion à propos des concepts de vulnérabilité et de perception du risque dans le cadre des inondations. Le bassin versant de la rivière Kennebecasis, situé dans le sud du Nouveau-Brunswick au Canada, est utilisé pour illustrer nos propos à l’effet que ces concepts peuvent contribuer de manière significative à une meilleure gestion du risque d’inondation à l’échelle d’un bassin versant.

Le risque d’inondation au Nouveau-Brunswick

5 La majorité des cartes des zones inondables de la province du N.-B. ont été réalisées dans les années 1980, ce qui explique l’urgence de procéder rapidement à leur mise à jour. Pourtant, le risque d’inondation n’est pas un phénomène récent car depuis 1854, ce sont plus de 50 inondations majeures, et donc incluses dans la base de données provinciales, qui ont été répertoriées dans la région de Sussex dans le bassin versant de la rivière Kennebecasis (figure 1), un tributaire du fleuve Saint-Jean (GNB, 2019). Le fleuve Saint-Jean constitue le plus grand cours d’eau de la province et la principale zone à risque d’inondation. On estime que les deux tiers des coûts des dommages sont reliés aux inondations printanières et aux embâcles de glace. À titre d’exemples, les inondations du printemps 2018 sont survenues suite à une fonte rapide d’un épais couvert de neige et les dommages ont été estimés à près de 80 millions de dollars canadiens (± 53,9 millions d’Euros). Les dégâts liés aux inondations du printemps 2019 ont été chiffrés à 23,3 millions de dollars canadiens (± 15,7 millions d’Euros) (Radio- Canada, 2019). D’autre part, les inondations qui se produisent à l’automne résultent généralement plutôt de pluies abondantes issues des tempêtes post-tropicales en provenance de la côte est américaine.

6 Les causes anthropiques comme la modification de l’occupation et l’utilisation du territoire peuvent aussi contribuer à l’accroissement du risque d’inondation. L’imperméabilisation des surfaces associée à l’étalement urbain, la modification du réseau de drainage, l’absence de législation stricte encadrant la conservation des zones riveraines et des milieux humides, et la forte pression foncière sur ces milieux, sont autant de facteurs explicatifs de l’augmentation des conséquences sociales et financières des inondations. En regard des scénarios prospectifs des changements climatiques (augmentation moyenne de 10 % des précipitations), une gestion intégrée du risque d’inondation à l’échelle régionale s’avère essentielle afin de réduire la vulnérabilité des communautés néobrunswickoises (Jellet M., 2017).

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Figure 1 Carte de localisation du bassin versant de la rivière Kennebecasis dans le sud de la province du Nouveau-Brunswick.

7 Le bassin versant de la rivière Kennebecasis est situé dans le sud-est de la province du Nouveau-Brunswick dans l’Est du Canada. Il occupe une superficie de 2056 km2 et est composé de plusieurs tributaires dont la Trout Creek, soit le cours d’eau le plus problématique pour les inondations. Son profil en long se caractérise par un dénivelé de 360 m sur les 29,1 km de son tracé (Fortin G. et al., 2018). Ce cours d’eau dynamique traverse les localités habitées de Sussex et Sussex Corner. Au cours des dernières décennies, ces deux petites localités ont subi des impacts socioéconomiques importants provoqués par les inondations récurrentes. Les dommages physiques directs (destruction de ponts et ponceaux, intrusion d’eau dans le sous-sol des bâtiments et maisons, érosion des berges) et indirects (pollution et contamination avec des hydrocarbures, des eaux usées, etc.) sont généralement bien quantifiés en termes de coûts économiques et environnementaux. En revanche, les impacts humains tels que le stress et l’anxiété demeurent plus difficiles à décrire et à quantifier. Plusieurs auteurs se sont néanmoins penchés sur cette dimension du risque et ont proposé, au fil des ans, des approches pour tenter d’identifier, de décrire et de comptabiliser ces impacts sur la population (santé mentale et physique par exemple).

La prise en compte nécessaire des enjeux sociaux

8 De manière générale, l’évaluation et la cartographie de la vulnérabilité sont des dimensions moins développées que ne l’est celle de l’aléa (Birkman J., 2007). À l’échelle de la zone d’étude, des travaux en cours depuis 2015 ont lieu pour spatialiser l’aléa inondation d’un point de vue physique (Fortin G. et al., 2018, 2019). Or, ne considérer que l’intensité et la fréquence des inondations ne procure qu’une vision fragmentaire

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du risque. En effet, la matérialisation de celui-ci ne peut se faire que si la société est affectée. Le risque, souvent défini comme une probabilité, est donc issu autant des composantes sociale (vulnérabilité) que naturelle (aléa) (Cardona O.D. et al., 2012 ; Szewrański S. et al., 2018). De plus, les sociétés sont souvent considérées, à tort, comme des victimes passives condamnées à réparer les dégâts matériels causés aux infrastructures et ce, avant le prochain évènement (Veyret Y. et M. Reghzza, 2006). Pourtant, des inondations d’une même intensité peuvent avoir des effets très variables en fonction des territoires et de la période d’occurrence, dans la mesure où les caractéristiques du bâti évoluent avec le temps, modifiant ainsi l’exposition et la vulnérabilité des populations. Le N.-B. n’échappe pas à cette tendance et plusieurs zones inondables ont connu un développement anthropique important comme la région de Sussex. Le concept de risque, issu de la combinaison d’un aléa (évènements) climatique ou météorologique et de l’exposition (vulnérabilité) de la population à cet aléa (Field C.B. et al., 2012), montre la nécessité de considérer le volet humain dans l’équation afin de dresser un portrait réaliste du risque d’inondation.

Définition et portée du concept de vulnérabilité

9 Encore aujourd’hui, on note l’absence d’un consensus quant à la définition de la vulnérabilité, sans doute liée à son utilisation dans une pluralité de disciplines scientifiques (Birkmann J., 2005, 2007). Field et al. (2012) définissent la vulnérabilité comme étant la propension d’éléments exposés tels que les êtres humains, leurs moyens de subsistance et leurs actifs à subir des effets néfastes lorsqu’ils sont touchés par des évènements dangereux. La vulnérabilité est donc liée aux susceptibilités, aux prédispositions, aux capacités d’adaptation et à la résilience (Birkmann J. et al., 2013 ; Cardona O.D. et al., 2012 ; Gallopín G.C., 2006). Les susceptibilités représentent les facteurs de prédisposition des enjeux face au risque, alors que la vulnérabilité constitue une situation préexistante à l’évènement qui induit le risque, mais elle est également liée au rétablissement post-catastrophe.

10 La vulnérabilité peut donc être perçue ou appréhendée selon plusieurs dimensions : physique, économique, sociale et environnementale. La vulnérabilité physique ou matérielle représente la susceptibilité du cadre bâti à subir des dommages (Cardona O.D. et al., 2012). La vulnérabilité économique réfère à la prédisposition, à savoir que la capacité de production d’un système soit perturbée par des dommages matériels et des perturbations liées à l’occurrence d’un aléa (Balica S. et al., 2009). La vulnérabilité sociale se résume à « la propension au bien-être humain à être endommagé par la perturbation individuelle (santé mentale et physique) et collective (santé, services éducatifs, etc.) » (Birkmann J. et al., 2013, p. 200). Cela se traduit par une incapacité à anticiper, résister ou se remettre des chocs et du stress issus d’un aléa (Blaikie P. et al., 1994 ; Cutter S.L., 1996). On parle alors de l’absence de résilience. La vulnérabilité socioéconomique, elle, étudie les individus, les systèmes sociaux et leurs caractéristiques (genre, âge, marginalisation des groupes sociaux, etc.) (Cutter et al., 2003). Enfin, la vulnérabilité environnementale s’intéresse au rôle des écosystèmes, leur dégradation face au risque et l’impact cumulatif sur la société. Elle représente aussi l’interrelation entre différents écosystèmes, leur capacité à faire face à des perturbations et se remettre suite à une diminution des ressources plus ou moins importante dans le temps et dans l’espace (Cardona O.D. et al., 2012).

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11 Plusieurs autres concepts peuvent aussi être associés à la vulnérabilité tels que la sensibilité, la capacité d’adaptation et la résilience. La sensibilité (ou susceptibilité) est la prédisposition d’éléments exposés et donc dommageables face au risque (Birkmann J. et al., 2013). La capacité d’adaptation réfère à la capacité d’un système à s’adapter aux perturbations, à diminuer les dommages potentiels et à faire face aux conséquences des modifications qui surviennent (Gallopín G.C., 2006). La résilience correspond à la capacité d’un individu, d’une communauté ou d’un système humain à supporter divers changements résultant d’un aléa ou d’une perturbation et à se remettre dans un état fonctionnel au plan social, structurel, économique, politique, etc. (Gallopín G.C., 2006).

12 Wisner et al. (2003) rapportent d’ailleurs une évolution du concept de vulnérabilité au cours des dernières décennies ainsi qu’une augmentation de la littérature scientifique qui lui est consacrée. Néanmoins, force est de constater qu’encore aujourd’hui on note bien souvent l’absence de prise en compte des pertes immatérielles comme les dimensions historiques, psychologiques et culturelles. La vulnérabilité doit donc être utilisée au sens large du terme et ainsi intégrer les aspects sociaux tels que le patrimoine culturel, le sentiment d’appartenance, d’accomplissement et de satisfaction que procure par exemple un lieu de travail et de résidence. Par contre, une difficulté inhérente à la mesure de la vulnérabilité réside dans la composante géographique, donc dans la prise en compte de la dimension spatiale. En effet, la notion d’échelle influence la mesure de la vulnérabilité. De façon générale, c’est l’échelle régionale qui est utilisée car elle permet une simplification et une généralisation fonctionnelle à l’échelle du territoire, mais cause en contrepartie une perte significative d’information.

La perception du risque d’inondation

13 La perception du risque est souvent mentionnée comme un indicateur important de la vulnérabilité (Kellens W. et al., 2011 ; Lechowska E., 2018). Toutefois, on note encore peu d’études incluant la perception dans l’évaluation du risque. Cela relève sans contredit d’une part, des difficultés méthodologiques que posent l’évaluation quantitative de la perception et, d’autre part, du défi associé à l’acquisition de ces données à travers des sondages (Lechowska E., 2018 ; Müller A. et al., 2011). Paradoxalement, de nombreux auteurs se sont attardés à la perception du risque d’inondation (Becker G. et al., 2013 ; Bradford R. et al., 2012 ; Bubeck P. et al., 2012), mais ne l’ont pas incluse dans un cadre plus large portant sur la vulnérabilité.

14 Dans le cas de la perception du risque, on s’intéresse non pas à un objet (l’inondation) mais plutôt à un concept (le risque). La recherche sur la perception du risque étudie donc les émotions et les comportements face à un aléa (Kellens W. et al., 2011), mais aussi l’évaluation de la probabilité perçue du danger et des impacts négatifs (Lechowska E., 2018 ; Bubeck P. et al., 2012 ; Becker G. et al., 2013) à travers notamment la mémoire individuelle et collective des évènements passés.

15 La perception du risque par les acteurs institutionnels (scientifiques et représentants des autorités publiques) est différente de la perception par les individus affectés ou susceptibles de l’être (Beck U., 1986). Il est donc important de comprendre comment les gens touchés par l’aléa perçoivent leur situation pour ainsi améliorer la coordination et la communication entre les autorités et la population, mais aussi afin de proposer des mesures efficaces et adaptées en gestion du risque (Baggio S. et M.-L. Rouquette, 2006 ; Bradford R. et al., 2012 ; Kellens W. et al., 2011). Certains auteurs placent même la

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perception du risque au centre des préoccupations, puisque le manque de compréhension des perceptions de la population par les autorités est, selon eux, la principale raison de l’échec des politiques publiques de gestion des inondations (Bradford R. et al., 2012).

Limites des méthodes traditionnelles d’évaluation de la vulnérabilité sur le BV de la Kennebecasis

Situation à l’échelle de l’aire de diffusion

16 Plusieurs facteurs limitent l’utilisation des approches traditionnelles d’évaluation et de cartographie de la vulnérabilité dans le secteur d’étude. La première limite est liée au maillage cartographique utilisé et la deuxième, dépendante de la première, est causée par la grande diversité des indicateurs de vulnérabilité choisis ainsi que l’inclusion de la vulnérabilité individuelle (perception, représentation du risque) dans l’analyse. La cartographie traditionnelle de la vulnérabilité utilise généralement les secteurs de recensement gouvernementaux comme maillage d’étude (Tanguy M., 2016). Au Canada, la plus petite unité géographique de diffusion de l’information pour laquelle une large quantité de données socioéconomiques est disponible est l’aire de diffusion (AD) accessible via Statistique Canada. Chaque AD regroupe entre 400 et 700 habitants. Comme mentionné précédemment, le bassin versant de la rivière Kennebecasis est vaste et la densité de population y est faible. Nous avons estimé qu’en moyenne les AD couvrent 26,8 km2 et comptent 528 habitants (Statistique Canada, 2019), ce qui équivaut à une densité de population de 19,6 habitants/km2.

17 L’échelle d’analyse semble donc inadéquate puisque cela implique que la totalité de l’AD est exposée au même niveau de risque d’inondation, ce qui est d’autant plus problématique puisque les changements de vulnérabilité se font surtout à une échelle plus fine. Par exemple, les indicateurs d’exposition tels que le niveau d’eau et la vitesse d’écoulement diffèrent d’une manière significative dans l’AD, et sont même inexistants en dehors des plaines inondables, lesquelles peuvent représenter des portions plus ou moins importantes dans certaines AD. La cartographie par AD suggère donc que tous les individus présents dans la zone sont vulnérables de manière équivalente, ce qui est erroné puisque les disparités socioéconomiques changent à l’échelle des quartiers, voire des bâtiments. Dans une perspective multiscalaire, il est possible d’étudier simultanément les disparités de vulnérabilité entre quartiers à partir d’une cartographie à l’échelle du bâtiment, mais le contraire est impossible d’où l’intérêt de travailler à une échelle fine. De plus, la cartographie à l’échelle du bâtiment est avantageuse pour la sécurité civile afin de prioriser des populations, quartiers, etc. et ce autant en phase de prévention, d’atténuation, d’intervention et de rétablissement (Tanguy M., 2016).

18 Des auteurs ont déjà mentionné l’importance de cartographier le risque et ses composantes à l’échelle la plus fine possible en préconisant la parcelle ou le bâtiment (Dewals B.J. et al., 2011 ; Merz B. et al., 2007). D’autres auteurs ont appliqué ce type de maillage cartographique mais seulement dans une analyse purement axée sur la dimension économique (Müller A. et al., 2011) ou en termes de perte de vie humaine (Ramsbottom D. et al., 2003). À notre connaissance, Tanguy (2016) est l’une des seules à

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avoir créé un outil cartographique à l’échelle du bâtiment destiné à une utilisation opérationnelle.

19 Dans le cas du bassin versant de la rivière Kennebecasis, l’approche par bâtiment semble être le seul moyen de localiser avec précision les individus et les résidences les plus à risque pour diminuer efficacement la vulnérabilité. Il est aussi important d’utiliser une approche intégrée allant au-delà de l’analyse purement économique (valeur du logement, courbe des dommages) (Merz B. et al., 2007) ou de l’analyse utilisant seulement les indicateurs socioéconomiques classiques comme l’âge, le revenu, le niveau d’éducation et le genre, etc. (Müller A. et al., 2011). Enfin, l’analyse à l’échelle du bâtiment permet entre autres d’inclure la vulnérabilité du bâtiment résidentiel ainsi que d'intégrer la perception et la préparation individuelle comme indicateurs de vulnérabilité.

Observations préliminaires sur la situation à Sussex

20 À l’été 2019, l’étude du risque et de la vulnérabilité à l’échelle du bâtiment dans le bassin versant de la rivière Kennebecasis a été réalisé. Pour ce faire, la population locale a été contactée afin de dresser un portrait détaillé des conditions socioéconomiques et de la perception du risque de la communauté. Dans un premier temps, la superposition des intervalles de retour des inondations et du cadre bâti a permis l’identification de quatre principales zones exposées au risque. Ces zones ont ensuite été corroborées d’une part, avec les acteurs locaux et, d’autre part, avec l’analyse des évènements historiques d’inondation (GNB, 2019). Un questionnaire s’appuyant sur les bases théoriques précédemment exposées a ensuite été distribué à tous les deux bâtiments localisés dans la plaine inondable de la localité de Sussex. Le questionnaire est divisé en trois sections : la première concerne des informations générales (âge, sexe, expérience avec les inondations, etc.), la deuxième comprend des questions sur la perception (composantes affectives et cognitives) et la dernière porte sur les mesures de préparation aux inondations.

21 Les réponses au questionnaire (22,8 % de taux de réponse ; soit 57 questionnaires complétés sur 250 questionnaires distribués) ont permis de dresser les constats suivants : • La population de la zone d’étude est vieillissante et plusieurs individus ont des problèmes de mobilité. • La perception du risque est, en général, très élevée, c’est-à-dire que les répondants ont une grande connaissance de l’aléa inondation et qu’ils sont très inquiets des impacts que les inondations peuvent avoir sur leurs biens et leur personne. La perception a été évaluée à partir de plusieurs questions et énoncés en rapport avec l’aléa et pour lesquels les répondants ont exprimé leur degré d’accord ou de désaccord avec l’échelle de Likert (1 à 5). • Les gens qui n’ont pas vécu d’inondation dans leur vie ont une perception et une préparation plus faible que ceux qui en ont vécu, mais le nombre d’inondations ne semble pas influencer ni la perception ni la préparation. La préparation a été évaluée en fonction du nombre de mesures préparatoires en place comme la trousse de 72 heures, la présence d’une pompe, la construction d’un système de drainage, le rehaussement du bâtiment, etc. • Une perception élevée ne mène pas nécessairement à des mesures de préparation plus nombreuses et adéquates. Par contre, cette information s’avère très utile pour orienter les

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actions futures des autorités qui devront davantage se concentrer sur des mesures de sensibilisation et de préparation que sur les connaissances liées aux inondations.

22 La figure 2 illustre les résultats de l’analyse statistique prédictive (test Gamma de Kuskal et Goodman) sur quatre composantes de la vulnérabilité (lieu, âge, ressources financières et l’expérience des inondations). Dans la zone D, on note une très faible probabilité d’obtenir une faible préparation par comparaison aux zones A à C (figure 2a ; KG = 0,174). L’âge comme facteur de vulnérabilité traduit le fait que les personnes les plus âgées (65 ans et plus) sont généralement moins enclines que les plus jeunes à se préparer (figure 2b ; KG = 0,147). Les personnes qui jugent avoir le moins de ressources financières pour des mesures d’adaptation et d’atténuation face aux inondations sont celles qui adoptent le moins de mesures de préparation (figure 2c ; KG = 0,11). Enfin, les résultats préliminaires montrent aussi une relation entre le fait d’avoir vécu une inondation et l’adoption de mesures de préparation (figure 2d ; KG = 0,176).

23 La stratégie de communication du risque des autorités locales devrait par conséquent cibler d’une part, certains groupes plus vulnérables et moins préparés comme les personnes âgées et, d’autre part, celles situées dans des zones spécifiques. La transmission d’une meilleure information sur l’aide financière disponible semble aussi représenter une solution appropriée. Les informations supplémentaires issues des questionnaires serviront à calculer un indice de vulnérabilité lorsque combinées avec d’autres indicateurs classiques de la vulnérabilité. Il sera alors possible de produire une cartographie de la vulnérabilité à l’échelle du bâtiment et issue d’une approche participative car élaborée avec la population exposée. Celle-ci sera utile aux autorités locales pour la prévention, l’atténuation, l’intervention et le rétablissement de la communauté de Sussex face au risque d’inondation.

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Figure 2 Analyse statistique probabiliste de l’effet prédictif du lieu (a), de l’âge (b), des ressources financières (c) et de l’expérience des inondations (d) sur l’adoption de mesures de préparation face au risque d’inondation dans la localité de Sussex.

Conclusion

24 À la lumière des éléments présentés dans cet article, nous constatons que l’ajout des concepts de vulnérabilité et de la perception gagneraient à être pris en compte dans le cadre de la gestion du risque d’inondation. De plus, il serait avantageux de prendre en compte le concept d’espace de liberté qui, selon Biron P. et al., (2013) « vise à identifier les espaces d’inondabilité et de mobilité du cours d’eau et à le laisser évoluer dans ces espaces plutôt que de le contraindre à évoluer dans un corridor fluvial façonné par les interventions anthropiques ». Tout comme l’utilisation des services écosystémiques, la conservation d’un espace de liberté présente de nombreux avantages tels que la recharge en sédiments des plages, la conservation des habitats riverains, etc. Cependant, on constate au Nouveau-Brunswick, comme ailleurs au pays, qu'un manque de soutien législatif freine la mise en place de ces outils de prévention et de réduction du risque d’inondation (Jellet M., 2017 ; Biron P. et al., 2013).

25 Un dilemme subsiste toujours sur le choix des meilleures stratégies à adopter pour faire face aux inondations. Les mesures de protection par la construction d’infrastructures peuvent s’avérer coûteuses, perturber les écosystèmes et leur durée de vie est limitée. Néanmoins ce type de pratique est encore courant comme en témoigne l’investissement important au montant de 637 000 $ canadiens qui vient d’être consenti par le Gouvernement canadien. Dans le cadre du programme national d’atténuation des catastrophes (PNAC) relevant du ministère de la Sécurité publique et de la protection civile du Canada, cet argent servira à la construction d’une berme d'inondation et d'une

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station de pompage des eaux pluviales qui devraient assurer la protection contre les inondations au cœur de la ville de Sussex.

26 D’autre part, bien que la cartographie des zones inondables demeure un outil pertinent et utile pour délimiter les zones à risque et permet d’orienter la règlementation de construction, cela n’empêche pas l’eau issue des inondations de pénétrer dans les zones sensibles et de causer des dommages. Il semble donc que des mesures préventives, telles que la sensibilisation et l’éducation, s’avèrent à la fois des stratégies efficaces et peu coûteuses qui favorisent la réduction de la vulnérabilité. De plus, l’exemple du bassin versant de la rivière Kennebecasis montre que l’application de mesures d’adaptation et d’atténuation face au risque d’inondation doit être gérée au cas par cas et que celles-ci demeurent généralement spécifiques au milieu étudié (à l’échelle locale) et pas nécessairement transférable à d’autres zones inondables. Par contre, à l’échelle de la province du Nouveau-Brunswick, une importante opération de mise à jour des cartes des zones inondables a été amorcée en 2018 et se poursuivra jusqu’en 2020 au minimum. Cette mise à jour s’inscrit dans le cadre de la volonté du gouvernement du Nouveau-Brunswick de réduire les coûts associés aux inondations tel qu’énoncé dans le cadre de la stratégie de réduction des risques d’inondations (GNB, 2014). De plus, les inondations majeures qui ont atteint des niveaux records le long du fleuve Saint-Jean aux printemps 2018 et 2019 ont causé des dommages importants qui forcent les gouvernements provinciaux et fédéraux, puisque les coûts sont partagés entre les deux instances, à agir de manière urgente.

27 Finalement, à ce jour la mise en œuvre de stratégies d’adaptation et d’atténuation est, présentement, surtout assumée par des organisations locales et par le monde municipal, même si ceux-ci disposent en général de peu de moyens. Au Nouveau- Brunswick, plusieurs organisations de gestion des bassins versants assument un rôle important d’éducation, sans en avoir le mandat officiel, mais aussi dans l’élaboration de plans d’adaptation aux changements climatiques qui incluent la prise en compte des inondations côtières et fluviales. La gestion des inondations est une tâche complexe qui demande l’accès à des données, des ressources humaines spécialisées ainsi que des ressources financières importantes. C’est pour ces raisons que Aerts J. et al. (2014) mentionnent qu’il est nécessaire de créer des partenariats pour le partage des données, d’expertise et d’expérience. Entre autres, les partenariats tels que la collaboration des différents paliers gouvernementaux, de l’industrie privée comme les compagnies d’assurances qui possèdent des bases de données, des institutions de recherche, etc. Malgré le fait que l’analyse des risques procurent des résultats intéressants mais variables selon les facteurs utilisés, cela ne devrait pas constituer une excuse valable à l’absence de développement d’outils et de prise d’actions (Aerts J. et al., 2014).

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RÉSUMÉS

La province du Nouveau-Brunswick, située dans l’est du Canada, est très affectée par les inondations. Bien que moins documentée que l’aléa, la dimension humaine du risque que représente la vulnérabilité est importante pour l’adaptation des populations. Cet article fait un survol des principaux concepts liés à la vulnérabilité et présente leur application à l’échelle d’un bassin versant de taille moyenne. Les résultats montrent la nécessité de considérer simultanément la perception et la préparation au risque d’inondation. En effet, si certains résidents dans les zones à risque ont une bonne connaissance des inondations et une perception réaliste du risque, cela ne se traduit pas nécessairement par une préparation adaptée et adéquate face au risque. La réduction du risque passe indéniablement par une meilleure sensibilisation et éducation de la population.

The province of New Brunswick, located in eastern Canada, is very affected by the floods. Although less documented than the hazard, the human dimension of the risk, especially the notion of vulnerability is important for the adaptation of populations. This article provides an overview of the main concepts related to vulnerability and presents their application on the scale of a medium-sized watershed. The results show the need to simultaneously consider perception and preparedness for the risk of flooding. Indeed, if certain residents in risk areas have a good knowledge of floods and a realistic perception of the risk, this does not necessarily translate into suitable and adequate preparation for the risk. Risk reduction undeniably requires better awareness and education of the population.

A província de New Brunswick, localizada no leste do Canadá, é muito afetada pelas inundações. Embora menos documentada que o perigo, a dimensão humana do risco, especialmente a noção de vulnerabilidade, é importante para a adaptação das populações. Este artigo fornece uma visão geral dos principais conceitos relacionados à vulnerabilidade e apresenta sua aplicação na escala de uma bacia hidrográfica de tamanho médio. Os resultados mostram a necessidade de considerar simultaneamente a percepção e a preparação para o risco de inundações. De fato, se certos residentes nas áreas de risco têm um bom conhecimento das inundações e uma percepção realista do risco, isso não se traduz necessariamente em uma preparação adequada e adequada para o risco. A redução de riscos inegavelmente requer uma melhor conscientização e educação da população.

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INDEX

Palavras-chave : Risco, inundação, vulnerabilidade, percepção, bacia hidrográfica Mots-clés : Risque, inondation, vulnérabilité, perception, bassin versant Keywords : Hazard, flood, vulnerability, perception, watershed

AUTEURS

GUILLAUME FORTIN

Guillaume Fortin est professeur de géographie à l'Université de Moncton. [email protected]

CHARLOTTE POIRIER

Charlotte Poirier est étudiante à la maîtrise. Maîtrise en étude de l’environnement, Université de Moncton. [email protected]

FRANÇIS DUHAMEL

Françis Duhamel est étudiant à la maîtrise. Département de géographie, Université du Québec à Montréal. [email protected]

DANIEL GERMAIN

Daniel Germain est professeur de géographie. Département de géographie, Université du Québec à Montréal. [email protected]

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Eventos e episódios pluviais extremos: a configuração de riscos hidrometeorológicos em Curitiba (Paraná - Brasil) Extreme rain events and episodes: the configuration of hydrometeorological risks in Curitiba (Paraná - Brazil) Événements et épisodes de pluie extrême : la configuration des risques hydrométéorologiques à Curitiba (Paraná - Brésil) Eventos y episodios de lluvia extrema: la configuración de los riesgos hidrometeorológicos en Curitiba (Paraná - Brasil)

Gabriela Goudard e Francisco de Assis Mendonça

Agradecimentos Á CAPES/Ministério da Educação do Brasil pelo suporte financeiro desta pesquisa.

Introdução

1 Os riscos climáticos encontram-se presentes na pauta dos temas da ciência desde longa data, configurando-se como componentes onipresentes e inerentes da sociedade moderna (Beck U., 2008; Almeida L., 2010). Contudo, na atualidade, estes processos vêm se destacando, sobretudo, mediante a concentração humana nas cidades e a severa insegurança em face dos cenários de possíveis mudanças climáticas globais e seus impactos nas diversas regiões do mundo.

2 A compreensão dos riscos reveste-se de grande importância em face dos prognósticos de mudanças do clima –unânimes que são na crença de intensificação das temperaturas do planeta e dos impactos de extremos climáticos-, quer seja pela necessidade de entendimento das complexidades inerentes ao sistema atmosférico (habitualidades e excepcionalidades), quer seja pela análise conjugada destes processos às dinâmicas de

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ocupação do espaço e de exposição das populações aos riscos (condições de vulnerabilidade) (IPCC, 2007; 2013; Mendonça F., 2010).

3 No Sul do Brasil, região na qual se insere a cidade de Curitiba (Figura 1), os principais desastres naturais configuram-se como sendo aqueles de origem pluvial (Monteiro C., 1991; EM-DAT, 2015; Silveira W et al., 2009), com destaque para as inundações urbanas. Dessa forma, modificações nos padrões de variabilidade pluvial e de extremos climáticos, em decorrência de possíveis mudanças climáticas globais, potencializam condições de perigo e riscos associados a estas dinâmicas.

4 Partido destas premissas, faz-se necessário compreender a variabilidade dos eventos extremos (condições discrepantes de um padrão habitual do clima), os episódios pluviais extremos (impactos atrelados às inundações, enchentes e alagamentos) e a configuração dos riscos hidrometeorológicos (Armond N., 2014; Goudard G., 2015; 2019).

5 Ressalta-se que no contexto deste artigo, os riscos são compreendidos como resultantes de uma construção social, na qual as condições físicas da natureza não se configuram como determinantes, de maneira isolada, mas interagem com as ações humanas (Dauphiné A., 2001; Dubois-Maury J., 2004; Veyret Y., 2007). Além disso, são abordados em sua dimensão hidrometeorológica (Goudard G., 2019), partindo-se dos pressupostos das interações entre as dinâmicas atmosféricas (meteorologia dos extremos pluviais – tempestades, chuvas concentradas), suas repercussões em processos hidrológicos (episódios pluviais extremos – inundações, enchentes e alagamentos) e os impactos na sociedade (exposições das populações perante as condições de riscos). A suscetibilidade é considerada como as condições físico-naturais que favorecem o acúmulo de água, potencializando a ocorrência de inundações, ao passo que a vulnerabilidade se refere ao grau de exposição das populações às condições de risco (Goudard G., 2019).

Figura 1 Localização do município de Curitiba.

Organização: Goudard (2019)

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6 Partindo-se destes pressupostos e levando-se em consideração a relevância da temática, o presente artigo propõe-se a colocar em evidência um estudo de caso na cidade de Curitiba, destacando as condicionantes climáticas atreladas à ocorrência de eventos e episódios extremos, as zonas de inundação e as áreas de vulnerabilidade perante a estes processos. Além disso, o estudo permite evidenciar os desafios da abordagem dos riscos em ambientes urbanos, bem como as suas potenciais aplicações do ponto de vista da gestão.

7 Para tanto, as análises desenvolvidas sustentam-se nos pressupostos da Climatologia Geográfica, especificamente o Sistema Clima Urbano – S.C.U. (Monteiro C., 1976) e Sistema Ambiental Urbano – S.A.U. (Mendonça F., 2004), os quais, em conjunto, possibilitam realizar abordagens integradas das excepcionalidades climáticas (natural) e seus impactos no ambiente urbano (social e construído).

Métodos e técnicas empregados na pesquisa

8 No intuito de evidenciar as condições de riscos ligados às chuvas na cidade de Curitiba, os seguintes procedimentos foram executados:

Caracterização dos eventos pluviais extremos

9 Os eventos extremos de chuva foram identificados a partir de dados pluviais diários da estação meteorológica de Curitiba (2549006 – Figura 1) no período de 1980 a 2015, sendo estes provenientes do banco de dados Hidroweb – Sistemas de Informações Hidrológicas da Agência Nacional de Águas (ANA).

10 O limiar correspondente aos extremos pluviais foi determinado a partir do parâmetro percentil 99, sendo este corresponde a 48,6 mm/24h para a temporalidade supracitada e representando 1% das precipitações mais expressivas da série histórica de dados. A escolha deste limiar pautou-se em recomendações do ETCCDMI - Expert Team on Climate Change Detection and Indices, bem como em estudos de Pinheiro G. (2016) e Goudard G. (2015; 2019), que demonstraram boas aplicações deste parâmetro para a compreensão de eventos extremos e seus impactos na cidade de Curitiba.

11 Posteriormente à identificação, estes eventos foram caracterizados quanto à frequência, relativa ao número de dias de chuva iguais ou superiores ao percentil 99 e em relação as condições sinóticas, através de Cartas Sinóticas da Marinha do Brasil e imagens de satélite do Centro de Previsão do Tempo e Estudos Climáticos (CPTEC), visando identificar a gênese climática associada as excepcionalidades pluviais na área de estudo.

Identificação dos impactos de episódios pluviais extremos e das zonas de inundação

12 A caracterização dos episódios pluviais extremos (impactos ligados às inundações, enchentes e alagamentos) pautou-se em dados secundários referentes aos seguintes aspectos: manchas históricas de inundações mapeadas para tempos de retorno de 10 e 25 anos através do modelo Mike11, pelo Instituto das Águas do Paraná (2002 – antiga SUDERHSA); dados do Jornal Gazeta do Povo e relatórios de ocorrência do Sistema

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Informatizado de Defesa Civil (SISDC) no período de 1980 a 2015, bem como registros pontuais na temporalidade de 2005 a 2015 do Sistema de Gerenciamento da Guarda Municipal – SISGESGUARDA (SMDS, 2018).

13 Os eventos extremos e seus respectivos episódios foram validados por meio de consultas ao Jornal Gazeta do Povo, as quais foram realizadas tendo como base o limiar 48,6 mm/24h, pautando-se no dia anterior ao evento, dia do evento e posterior ao evento extremo. A espacialização das ocorrências de impactos foi realizada a nível de bairros, permitindo identificar porções da cidade com maiores frequências de episódios extremos.

14 De modo conjugado, os dados pontuais de impactos, disponibilizados pela SISGESGUARDA, possibilitaram realizar mapeamentos através do estimador de Kernel no software ArcGIS 10.3, permitindo a identificação de densidades de ocorrências de episódios pluviais extremos no município.

Mapeamento do cenário de vulnerabilidade

15 Para a construção de um cenário de vulnerabilidade foram coletados dados relativos às condições de renda, educação e saneamento por setores censitários, segundo censo de 2010 do Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE, 2010). De modo a complementar a análise, levantamentos de invasões e ocupações irregulares (Silva M., 2012) também foram utilizados (Quadro 1). Para Almeida L. (2010) estas variáveis permitem identificar condições de vulnerabilidades das populações perante a problemas socioambientais, tais como as inundações urbanas.

16 O mapeamento da vulnerabilidade foi realizado por meio da análise multicritério e da técnica de cartografia de síntese, conforme procedimentos descritos por Martinelli M. (1991; 2003), Sampaio T. (2012), Buffon E. (2016) e Goudard G. (2019), através das etapas de normalização, padronização e ponderação de dados.

17 A normalização refere-se à relação de divisão entre duas variáveis, ao passo que a padronização leva em consideração os valores máximos e mínimos da amostra de dados e a amplitude total do conjunto de dados (Sampaio. T, 2012).

18 A atribuição de pesos às variáveis escolhidas foi feita com base em estudos de Almeida L. (2010), Nascimento E. (2013), Goudard G. (2015), Buffon E. (2016) e Goudard G. (2019), conforme expresso no Quadro 1. Estes estudos utilizaram-se de análises multicritério e ponderações para evidenciar vulnerabilidades sociais em diversas realidades espaciais.

Quadro 1 Variáveis e ponderações do cenário de vulnerabilidade

Categoria Peso Subcategoria Peso Variáveis

Alfabetização 10 % Total de responsáveis não alfabetizados Características 40% dos moradores Total responsável com renda até 2 salários Renda 30 % mínimos

Características 60% Rede de esgoto Domicílios particulares permanentes sem rede 10 % dos domicílios ou fossa séptica de esgoto ou fossa séptica

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Domicílios particulares permanentes em outra Moradia 30 % condição de ocupação (não são próprios, Irregular alugados e nem cedidos)

Domicílios particulares permanentes sem coleta de lixo, com depósito na propriedade, Coleta de lixo 20 % em terreno baldio, logradouro, rio, lago ou mar, ou outro destino

Fonte: IBGE (2010) Organização: Goudard (2019)

19 Desse modo, por meio da cartografia de síntese e da álgebra de mapas entre as variáveis adotadas e ponderadas, fez-se possível evidenciar, espacialmente, as áreas de vulnerabilidades muito baixas a muito altas no município de Curitiba, bem como realizar análises integradas em relação às zonas mais afetadas por impactos ligados à pluviosidade, possibilitando a verificação das principais áreas de (e em) risco do município.

20 Ressalta-se que a compreensão das condições de vulnerabilidade concomitantemente às porções do município mais afetadas pelos extremos pluviais, possibilita a adoção de medidas de gestão de riscos mais eficientes no ambiente urbano, uma vez que permite o reconhecimento das áreas mais críticas em relação aos impactos de inundações urbanas na área de estudo.

Curitiba: da “cidade modelo” à cidade permeada por condições de riscos e vulnerabilidades ligados às chuvas

21 A cidade de Curitiba ainda que considerada planejada, ecológica e modelo de planejamento urbano, é marcada por diversos impactos de episódios pluviais extremos (inundações, enchentes e alagamentos) ao longo de sua história (Figura 2), em decorrência de quatro aspectos principais: 1) chuvas concentradas, 2) baixas declividades, 3) densa rede de drenagem, com modificações expressivas e 4) dinâmica de ocupação e expansão da cidade ao longo dos vales e confluências dos rios, desconsiderando o espraiamento das águas superficiais (Geissler H. e Loch R., 2004; Goudard G., 2015; 2019).

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Figura 2 Caracterização da evolução histórica dos episódios pluviais extremos

Organização: Goudard (2019)

22 Mendonça F., et al. (2013) ao realizarem uma análise histórica e crítica das manifestações de inundações no município em face das mudanças climáticas globais, constataram que tratam-se de processos recorrentes presentes desde os primórdios da fundação da cidade no final do século XVIII, sendo estes diferenciados em dois momentos: I) da fundação até meados do século XX apenas a porção central da cidade (1 – Figura 2) era fortemente impactada, culminando na realização de diversas obras por parte do poder público, cujo marco histórico foi a construção do Passeio Público, em 1886, no intuito de minimizar as repercussões negativas atreladas a estas dinâmicas no ambiente urbano; II) dos anos 1950 em diante as periferias geográficas (2 e 3 – Figura 2) passaram a serem impactadas com maiores frequências, devido à “exportação” dos problemas das áreas centrais e mediante o crescimento urbano destas porções espaciais, sem planejamento adequado. Dessa forma, para além das condições do meio físico que favorecem a deflagração desses processos em Curitiba, os impactos de episódios pluviais extremos, em grande parte, acompanharam o crescimento urbano do município e de sua região metropolitana (Mendonça F. et al., 2013; Goudard G., 2015; 2019).

23 Os impactos frequentes motivaram a realização de diversos estudos com o intuito de compreender a dinâmica e a espacialidade dos impactos em Curitiba, tais como o de Zanella M. (2006), no bairro Cajuru; Fortunato R. (2006) e Goudard G. e Mendonça F. (2018) na bacia do Rio Belém; Lohmann M. (2011) ao retratar os alagamentos no município no período de 2005 a 2010; Goudard G. (2015) ao analisar os eventos e episódios extremos em Curitiba de 1980 a 2010; Goudard G. (2019) ao evidenciar os riscos hidrometeorológicos híbridos na Bacia do Alto Iguaçu, englobando Curitiba e região metropolitana, entre outros.

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24 Entretanto, em sua grande maioria, as referidas análises consideraram apenas uma das dimensões das condições de riscos, a saber: as excepcionalidades do clima (eventos pluviais extremos), as suscetibilidades expressas pelos modelos de inundação (físicas), as vulnerabilidades (sociais) e a configuração espacial dos episódios pluviais extremos. Dessa forma, o presente artigo procura evidenciar o histórico de episódios pluviais extremos no município de Curitiba e as relações entre as dimensões supracitadas, visando contribuir com as discussões acerca dos riscos ligados ao clima e à pluviosidade nas áreas urbanas, de maneira integrada.

25 Neste sentido, do ponto de vista dos condicionantes do clima, evidencia-se que Curitiba apresenta variações médias de 1250 a 2000 mm anuais, com chuvas bem distribuídas, ainda que mais concentradas no verão (cerca de 500 mm), em detrimento do inverno (280 mm, em média). Estes fatores são resultado do posicionamento geográfico em médias latitudes e das configurações do relevo associados aos centros de ação e massas de ar atuantes, os quais conferem à região uma condição de zona de transição climática e a tipologia Cfb (Clima Temperado), segundo a classificação de Köppen (Nimer E., 1979; Alvares C. et al., 2013).

26 Os eventos pluviais extremos (precipitações iguais ou superiores ao percentil 99, com potencial de gerarem impactos) concentram-se, sobretudo, nos meses de verão (34%), seguidos do outono (24%), primavera (21%) e inverno (20%) na área de estudo. De acordo com análises de Goudard G. e Mendonça F. (2017) as concentrações espaciais destes eventos ocorrem na porção noroeste (acumulado e primavera), nordeste (outono) e leste (verão e inverno). Estas chuvas encontram-se associadas, ora às convecções intensas de verão, ora às oposições entre a Massa Tropical Atlântica (mTa) e Polar Atlântica (mPa), na forma de sistemas frontais (SF); e nas estações de transição, os Complexos Convectivos de Mesoescala (CCM’s) também se expressam como importantes moduladores da pluviosidade na área (Grimm A., 2009).

27 Dessa forma, os riscos ligados aos episódios pluviais extremos no município são mais evidentes na temporada prolongada de verão e nas estações de transição, como corroboram as análises de Mendonça F. (2012), refletindo as condições temporais preferenciais associadas a estas ocorrências. Além disso, as chuvas desencadeadoras de impactos são bastante variadas, desde fortes e localizadas pancadas de chuva (30 mm, em poucos minutos/horas) até a ocorrência prolongada de precipitações (superiores a 30 mm/dia).

28 Em relação aos impactos destes eventos extremos, no recorte temporal do presente estudo (1980 a 2015) foram identificadas 51 ocorrências da Defesa Civil e 96.490 pessoas afetadas, de acordo com o relatório do Sistema Informatizado de Defesa Civil (SISDC). Em relação aos eventos extremos e seus retrospectos negativos no ambiente urbano, a partir dos registros combinados entre chuvas e as fontes documentais do Jornal Gazeta do Povo foram constatados 132 dias de chuvas extremas, das quais 84 deflagraram episódios pluviais extremos no município, com destaque para os meses de verão (DJF) e de transição, como setembro (Figura 3).

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Figura 3 Eventos (chuvas extremas) e episódios pluviais extremos (chuvas extremas que geraram impactos) em Curitiba (1980 – 2015)

Organização: Goudard (2019)

29 Os episódios mais expressivos em termos de afetados, tendo como base os dados de jornais e os relatórios de ocorrências de Defesa Civil, são evidenciados no Quadro 2, com destaque para o dia 21/02/1999, no qual foram registradas chuvas de 146,2 mm em 2 horas, culminando em impactos significativos em 13 bairros da cidade.

Quadro 2 Episódios pluviais extremos, tipos de tempo e pessoas afetadas (1980 – 2015)

Pluviosidade Sistema Pessoas Data Manchete dos Jornais (mm/ (mm/ Atmosférico Afetadas evento) mês)

Enchente deixa 3 mil sem teto e 31/11/1981 52,4 136,9 SF 600 muitos prejuízos

22 e Desabrigados e prejuízos com o 88,7 - SF 300 23/05/1988 excesso de chuva

Famílias vivem um drama com o 13/03/1991 52,8 156,5 SF 70 temporal

Chuvas desabrigam 3 mil em 21/09/1993 103,3 357,2 SF 3.000 Curitiba

Temporal provoca o caos em ZCAS (mEc) e 10/01/1997 74,6 403,3 2 mortes Curitiba/ Curitiba avalia prejuízos SF causados pela chuva

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11 e 132,9 232,9 SF 1.000 Chuvas voltam a causar inundações 12/02/1997

Chuva de duas horas traz o caos a ZCAS (mEc) e 21/02/1999 146,2 445,2 15.000 Curitiba / Curitiba vive um SF domingo de inundação

Chuva causa estragos em Curitiba e RMC / Chuvas causam mais 12/09/2000 57,9 249,1 SF 2.000 destruição e desalojados já passam de 2 mil

20 e Chuvas deixam 2 mortos e 502 137,9 319,0 SF 8.545 21/06/2013 desalojados no Paraná

Prefeito de Curitiba decreta estado 07/06/2014 95,2 210,4 SF 16.804 de alerta por conta de temporais

Chuva atinge 44 mil pessoas em 22/12/2014 47,6 155,6 SF 41.700 todo o Paraná

Chuva causa alagamentos e deixa ZCAS (mEc) e 04/02/2015 54,3 243,1 1.960 22 mil casas sem luz em Curitiba e SF região

Chuva provoca alagamentos em 27/05/2015 27,9 115,1 SF 7.188 Curitiba

Fonte: Hidroweb, Defesa Civil, Jornal Gazeta do Povo, Cartas Sinóticas da Marinha do Brasil e CPTEC (2018). Organização: Goudard (2019)

30 A análise do Quadro 2 permite evidenciar que os Sistemas Frontais (SF), marcados pela oposição entre massas de características térmicas, de umidade e pressão distintas, configuram-se como os principais desencadeadores das excepcionalidades climáticas ligadas às chuvas na área. As incursões destes sistemas ocorrem durante o ano todo na região sul do país, com 30 a 45 passagens médias anuais, desestabilizando a atmosfera e gerando pluviosidade (Cavalcanti I. e Kousky V., 2009). Em alguns casos também se evidenciam contribuições dos sistemas de ZCAS (Zona de Convergência do Atlântico Sul), uma banda de nebulosidade entre a região Norte e Sudeste-Sul do país (Carvalho L. e Jones C., 2009).

31 As zonas de inundação (Figura 4c) expressam as condições de suscetibilidade, as quais referem-se à relação de atributos físicos que refletem a probabilidade espacial de ocorrência de um determinado fenômeno, tais como as baixas declividades e proximidades de rios no que tange aos riscos de inundações (Zêzere J. et al., 2005). Neste contexto, verifica-se que as bacias do Belém (compreendendo o centro da cidade), do Barigui, do Ribeirão dos Padilhas e Atuba são as mais suscetíveis ao acúmulo de água e aos potenciais impactos de episódios pluviais extremos (Figura 4c). Estes fatores, de ordem natural, são agravados ao se considerar as impermeabilizações e as modificações

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expressivas nas redes de drenagem que foram realizadas nestas bacias ao longo do tempo.

32 A espacialização das manchas de inundação (Figura 4c), de modo conjugado aos registros de impactos provenientes dos jornais (1980 – 2015) – (Figura 4a) e à densidade das notificações pontuais da Defesa Civil (2005 – 2015) – Figura 4b, permitem constatar que algumas áreas da cidade, notadamente, as porções central, oeste e leste são recorrentemente afetadas por impactos ligados aos extremos de chuva. Dessa forma, os bairros do Centro, Cidade Industrial, Boqueirão, Uberaba, Cajuru e Hauer destacam-se como os mais impactados (Figura 4a), com variações de 16 a 29 casos no recorte temporal da presente análise.

Figura 4 Áreas afetadas por episódios pluviais extremos no município de Curitiba

Organização: Goudard (2019)

33 Salienta-se ainda que os casos pontuais de impactos (Figura 4b) corroboram com este cenário, de maiores concentrações de densidade de episódios pluviais extremos no Centro, na porção leste do município (bairros Uberaba, Cajuru, Boqueirão) e na Cidade Industrial (oeste), evidenciando a recorrência destes processos no âmbito destas porções da cidade.

34 Cabe ressaltar, que ainda que sob as mesmas condições de excepcionalidades climáticas (chuvas extremas) e suscetibilidades (baixas declividades e ocupações próximas aos rios, refletidas por meio do mapeamento de zonas de inundação), as populações não são atingidas de maneiras iguais por estes episódios, refletindo diferentes condições de vulnerabilidade. A vulnerabilidade é expressa por Pelling M. (2003) como a heterogeneidade dos impactos advindos dos riscos que se abatem sobre uma dada população, estando associada à exposição, resistência e resiliência; e refletindo a (in)capacidade de reação e dificuldade de adaptação diante da materialização do risco. De modo semelhante, Marandola Junior E. (2009) e Mendonça F. (2010) reiteram que se

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tratam de diferentes condições de exposição e de fragilidade de grupos sociais aos riscos.

35 Neste sentido, do ponto de vista das condições de vulnerabilidade ao longo do município (Figura 5), notam-se em algumas áreas da cidade coincidências entre as zonas suscetíveis a impactos de episódios pluviais extremos (zonas de inundação e registros de impactos) e áreas de alta vulnerabilidade, com a concentração de ocupações irregulares. De um modo geral, conforme nota-se na Figura 5, a porção leste, na confluência com os municípios de Pinhais e São José dos Pinhais; e parcelas da bacia do Barigui se destacam, com condições de alta vulnerabilidade e sujeitas às inundações. Estes processos são decorrentes, sobretudo, do fato de que as populações com menores condições de vida se sujeitam a viver em áreas de risco nos ambientes urbanos (notadamente a porção leste da cidade, em partes da Bacia do Belém e em parcelas da bacia do Barigui, no bairro Cidade Industrial).

36 Além disso, por meio da análise da figura 5, constata-se que as condições de moderada a muito alta vulnerabilidade ampliam-se à medida em que ocorrem distanciamentos da região centro-norte da cidade, em direção às periferias geográficas. Estas condições reiteram as afirmações de Deschamps M. (2004), Zanella M. (2006), Cunico C. (2013) e Goudard G. (2015) ao retratarem que os episódios extremos ocorrem e impactam de modo heterogêneo a cidade, verificando-se, em alguns bairros, coincidências entre as áreas de suscetibilidade natural (zonas inundáveis, próximas aos rios) e vulnerabilidade social (populações com menores condições de renda a acesso a serviços de saneamento), ampliando as condições de riscos em algumas regiões do município.

Figura 5 Condições de vulnerabilidade no município de Curitiba

Organização: Goudard (2019)

37 Para Deschamps M. (2004) estas dinâmicas são explicadas mediante ao fato de que a demanda por solo para a expansão da cidade provoca o aproveitamento de terras impróprias e expostas a riscos naturais, de modo que, as dificuldades enfrentadas pela

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população de mais baixa renda –em condições de maior vulnerabilidade social– as obriga a instalar-se em áreas de risco, potencializando ainda mais o seu grau de vulnerabilidade perante a estes processos.

38 Dessa forma, partindo-se dos pressupostos destacados por Birkmann J. (2007) ao afirmar que uma abordagem integrada e holística dos riscos pressupõe o reconhecimento de três pontos norteadores, quais sejam: os mais vulneráveis, os espaços expostos a risco; e os fatores que influenciam e produzem vulnerabilidade/ risco, ressalta-se que na cidade de Curitiba os impactos históricos e recorrentes ligados às chuvas não podem ser analisados de maneira dissociada. Assim, fazem-se necessárias análises integradas que considerem a variabilidade das condições climáticas e suas excepcionalidades (eventos pluviais extremos), as suscetibilidades atreladas a atributos físicos (zonas sujeitas às inundações) e às vulnerabilidades sociais, sendo estes processos articulados e eivados de complexidades.

Considerações finais: os desafios da abordagem dos riscos em áreas urbanas no Brasil

39 A cidade de Curitiba apresenta um histórico significativo de impactos ligados às chuvas, estando estes associados às condicionantes do clima (eventos pluviais extremos), às condições de suscetibilidade (baixas declividades, alta densidade de ocupações às margens dos rios e modificações dos canais fluviais, zonas inundáveis) e vulnerabilidade (diferentes graus de exposição aos riscos). Ressalta-se que a análise destes processos e as medidas de gestão em relação aos riscos hidrometeorológicos vêm apresentando diversos avanços, contudo alguns desafios em relação às suas aplicações, sobretudo, em ambientes urbanos altamente modificados, ainda dificultam abordagens dos riscos em escalas refinadas e de maneiras integradas.

40 Na atualidade, os avanços tecnológicos, sobretudo, no que se refere ao Sistema de Informações Geográficas (SIG) vêm proporcionando melhores compreensões das configurações espaço-temporais dos riscos, tanto em face da espacialização dos dados de cunho geográfico, como da multiplicidade de modelos que permitem evidenciar, no tempo e no espaço, os processos associados a estas dinâmicas.

41 Contudo, alguns desafios ainda encontram-se presentes na abordagem integrada dos riscos climáticos em ambientes urbanos, entre os quais quatro principais merecem destaque, quais sejam: 1) escala temporal dos dados climáticos, 2) modelos para mapeamentos de suscetibilidade e espacialização de zonas inundáveis, 3) dados atrelados à vulnerabilidade e 4) metodologias para a compreensão dos riscos em contextos metropolitanos.

42 No que se refere aos dados climáticos, notadamente pluviais, verifica-se uma carência de séries históricas com recortes temporais horários no Brasil. Este fato dificulta a compreensão das variabilidades espaço-temporais das chuvas desencadeadoras de impactos, uma vez que impactos decorrentes de precipitações concentradas em poucos minutos, acabam sendo mascarados em séries de dados diárias (amplamente utilizadas em estudos do clima). Em Curitiba, as séries horárias do CEMADEN (Centro Nacional de Monitoramento e Alertas de Desastres Naturais) com boa espacialização são bastante recentes, datadas de 2013 até os dias atuais. Salienta-se que a utilização de dados

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horários possibilitaria melhores compreensões da relação de tempo de ocorrência dos impactos, permitindo medidas mais efetivas em relação à gestão de riscos de origem pluvial.

43 Os mapeamentos de suscetibilidade e os modelos de zonas de inundação também se configuram como desafios em face destas temáticas, visto que são produzidos, em geral, com base nas dinâmicas fluviais e em atributos físicos (hipsometria, declividade, solos, entre outros). No contexto dos ambientes urbanos, muitos impactos são decorrentes de alagamentos, ligados à impermeabilização excessiva, de modo que muitos destes mapeamentos não possibilitam detalhamentos das áreas potenciais de impacto, mas apenas aproximações em relação às zonas preferenciais de acúmulo de água, com base na dinâmica fluvial. Dessa forma, modelos adaptados às condições urbanas, levando em consideração atributos para além dos físico-naturais, possibilitariam melhores respostas em relação às áreas potencialmente inundadas nas cidades.

44 No que se refere à vulnerabilidade, no Brasil, em grande parte, os dados sociais são provenientes dos censos do IBGE, com atualizações de 10 em 10 anos. Este fato dificulta análises mais detalhadas das alterações de variáveis sociais ao longo do tempo, sobretudo, em áreas urbanas com modificações bastante rápidas.

45 Além disso, em realidades de metropolização, tais como a de Curitiba e região metropolitana, as análises dos riscos são realizadas de maneira isolada, em escalas municipais, inviabilizando medidas integradas entre os municípios, conforme destacam Buffon E. et al. (2017). Assim, em muitos casos medidas adotadas em algumas áreas, acabam por transferir os impactos para zonas e municípios a jusante. Neste sentido, reitera-se a necessidade de estudos integrados em contextos metropolitanos, visto que os riscos climáticos e hidrometeorológicos não respeitam os limites municipais.

46 Partindo-se destas premissas, no que se refere à análise de riscos climáticos em contextos urbanos, como o apresentado neste estudo de caso para a cidade de Curitiba, faz-se necessário considerar as condições sinóticas deflagradoras de chuvas extremas, os processos de suscetibilidade do meio físico (zonas sujeitas às inundações, incorporando aspectos de modificação urbana, tais como impermeabilizações e modificações nas redes de drenagem) e as diferentes condições de vulnerabilidade das populações atingidas por esses processos. Estas dinâmicas, de maneira integrada, possibilitam contribuições à gestão de riscos de ordem climática nos ambientes urbanos, visto que permitem identificar as áreas críticas em relação aos impactos e aos impactados no âmbito das cidades, contribuindo para o planejamento urbano.

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RESUMOS

O presente artigo apresenta como objetivo analisar os riscos hidrometeorológicos em Curitiba, colocando em evidência as condicionantes climáticas atreladas à ocorrência de eventos e episódios extremos, as zonas de inundação e as áreas de vulnerabilidade. Para tanto, utiliza-se de dados pluviais, de áreas inundáveis e de variáveis sociais de maneira integrada. Os resultados encontrados configuram-se como subsídios à gestão de riscos climáticos ligados à pluviosidade em ambientes urbanos.

This paper presents the objective of analyzing the hydrometeorological risk in Curitiba, highlighting the climatic conditions linked to the occurrence of extreme events and episodes, flood zones and vulnerable areas. For that, it uses rain data, flooded areas and social variables in

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an integrated manner. The results found are configured as subsidies to the management of climatic risks linked to rainfall in urban environments.

Cet article analyse les risques hydrométéorologiques à Curitiba, en mettant en évidence les conditions climatiques liées à la survenue d'événements et d'épisodes extrêmes, de zones inondables et de zones vulnérables. Pour cela, il utilise les données pluviométriques, les zones inondées et les variables sociales de manière intégrée. Les résultats trouvés contribuent à la gestion des risques climatiques liés aux précipitations en milieu urbain.

Este artículo tiene como objetivo analizar los riesgos hidrometeorológicos en Curitiba, destacando las condiciones climáticas vinculadas a la ocurrencia de eventos y episodios extremos, las zonas de inundación y las áreas vulnerables. Para eso, utiliza datos de lluvia, áreas inundadas y variables sociales de manera integrada. Los resultados encontrados subsidian la gestión de riesgos climáticos vinculados a la lluvia en entornos urbanos.

ÍNDICE

Mots-clés: variabilité pluviale, événements de pluie extrême, inondations urbaines, risques hydrométéorologiques, Curitiba Palavras-chave: variabilidade pluvial, eventos pluviais extremos, inundações urbanas, riscos hidrometeorológicos, Curitiba Keywords: pluvial variability, extreme rain events, urban floods, hydrometeorological risks, Curitiba Palabras claves: variabilidad de la lluvia, eventos de lluvia extrema, inundaciones urbanas, riesgos hidrometeorológicos, Curitiba.

AUTORES

GABRIELA GOUDARD

Gabriela Goudard é doutoranda em Geografia pelo programa de pós-graduação da Universidade Federal do Paraná (UFPR – Brasil). Pesquisadora no Laboratório de Climatologia (LABOCLIMA/ UFPR) - Centro Politécnico – Ed. João José Bigarella, sala 210, Curitiba, [email protected]

FRANCISCO DE ASSIS MENDONÇA

Francisco de Assis Mendonça é Professor Titular do Departamento de Geografia da Universidade Federal do Paraná. Laboratório de Climatologia (LABOCLIMA/UFPR) - Centro Politécnico – Ed. João José Bigarella, sala 210, Curitiba, Brasil. [email protected]

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Vulnérabilité, risques et conflits liés à l’eau : la zone de protection environnementale de la plaine inondable du Tietê Vulnerabilidade, riscos e conflitos relacionados à água: a APA da várzea do rio Tietê Vulnerability, risks and conflicts related to water: the Tietê river floodplain APA

Neli Aparecida de Mello-Théry, Hervé Théry, Danilo Pereira Sato et Heloisa de Camargo Tozato

Introduction

1 Carlos Nobre, climatologue et membre du GIEC (récompensé du prix Nobel de la Paix en 2007), longtemps chercheur à l'Institut National d'Études Spatiales brésilien (Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais- Inpe) a l'habitude de commencer ses conférences sur le climat de la ville de São Paulo en disant que celle-ci est un véritable laboratoire des effets du changement climatique sur la vulnérabilité et les risques liés à l'eau. En effet, comme il l'indique, les températures moyennes y ont déjà augmenté de 2 à 3 degrés, les pluies y sont devenues plus courtes et plus violentes, la garoa (crachin) qui était caractéristique de son climat a disparu et a été remplacée par des orages courts et intenses qui causent des inondations catastrophiques dans la vallée du Tietê, le cours d'eau qui traverse la ville.

2 C'est pourquoi il est particulièrement intéressant d'analyser la situation de l'aire de protection de la plaine inondable du Tietê (Area de Proteção Ambiental das Várzeas do Rio Tietê-APA-VRT). Elle se situe au cœur de la principale métropole brésilienne, São Paulo, qui compte près de vingt millions d'habitants et produit près de 20 % du PIB du Brésil. Elle constitue un des principaux espaces verts de sa région orientale (la Zona Leste, 4,5 millions d'habitants), qui en manque le plus, et a un effet sensible sur le climat urbain

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en créant un « îlot de fraicheur » qui contrebalance en partie les effets de l’« îlot de chaleur » urbain (Lombardo M. 1985)1. Elle contribue, en retenant une partie des eaux venues de l'amont, à régulariser les crues qui atteignent régulièrement la ville de São Paulo. Pour toutes ces raisons a été créée une zone de protection de l’environnement de la plaine inondable du Tietê, l'APA-VRT, qui devait à la fois protéger ce milieu original et fragile et en assurer l'intégration harmonieuse à la ville, à laquelle elle devrait rendre de précieux services.

3 Cela n'a malheureusement pas été tout à fait le cas et les pressions de tous ordres – démographiques, immobilières, agricoles et industrielles – ont grandement compromis le fonctionnement des várzeas et l'analyse qui suit vise, pour contribuer au débat sur la vulnérabilité et les risques liés à l'eau en contexte de changement climatique, à montrer toute la complexité de la situation actuelle, les enchaînements de causes et effets dont elle résulte et les responsabilités des différents acteurs dont les intérêts divergents s'affrontent autour de ces plaines inondables.

4 Le texte qui suit s'ouvre par une présentation des vulnérabilités et des risques de ces plaines inondables dans l'APA-VRT, puis propose une analyse de l’utilisation des terres et de ses changements récents (urbanisation pour les classes moyennes, aisées et populaires, production horticole, industries). Suit une étude des agents et des processus de transformation de l’APA-VRT. Nous analyserons ensuite les politiques et projets dans la zone de protection environnementale de la zone inondable du Tietê et les enchevêtrements qui en limitent l'efficacité.

Le Tietê, au cœur de São Paulo

5 Le Tietê est étroitement associé à la ville et à l'Etat de São Paulo (Théry H., 2016). Il prend sa source dans la commune de Salesópolis (à 820 mètres d’altitude, dans la Serra do Mar, la chaîne montagneuse qui marque le rebord du plateau central), à environ 120 kilomètres en amont de la ville de São Paulo. Il s’étend sur près de 1 150 km et se jette dans le Paraná (dans le lac du barrage de Jupiá), après avoir traversé la ville et l’Etat de São Paulo dans le sens sud-est/nord-ouest (figure 1). Son bassin couvre plus de 150 000 km2 et ses eaux sont utilisées tant pour les besoins des populations riveraines et pour l'irrigation que pour la production d’énergie et le transport. La multiplicité des occupations illégales et l'usage désordonné des sols sont la cause d'une intense pollution qui commence dès les quarante premiers kilomètres en aval de la source.

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Figure 1 Localisation du Tietê

Source : Neli Aparecida de Mello-Théry, Hervé Théry, Danilo Pereira Sato, Heloisa de Camargo Tozato

6 Les plaines d’inondation du Tietê (APA-VRT) ont une faible superficie, néanmoins le fait d’être situées dans la région métropolitaine de São Paulo leur confère une importance toute particulière. Elles sont l’objet de pressions de l’expansion urbaine, de la mise en place d’infrastructures et de différentes activités économiques, dont certaines sont anciennes, comme l’extraction de sable. S'y pose également la question du déversement des eaux usées, de la construction des voies périphériques, de l’installation des trains urbains et de la présence de l’agriculture sur les plaines d’inondation.

7 La zone de protection de l’environnement des plaines inondables du Tietê (Área de proteção ambiental das várzeas do rio Tietê / APA-VRT) concerne douze communes (figure 2)2 de la région métropolitaine de São Paulo. Fondée en 1987 (loi de l'État de São Paulo n°5598/87) pour protéger les plaines inondables du Tietê, elle s’étend sur 7 400 hectares. La loi y a interdit les lotissements et établit des zones de vie sylvestre. Elle est définie comme une unité de conservation environnementale (par le Système national d’unités de conservation, SNUC), et se superpose à la zone de préservation permanente (APP, Área de proteção permanente) des plaines inondables.

8 L'APA est interrompue dans la partie centrale de São Paulo, ce qui nuit évidemment à son fonctionnement mais le cours fluvial y est si transformé que l'inclure dans une aire de protection environnementale n'aurait plus eu aucun sens : la voie sur berge dite « marginal do Tietê » compte par endroits jusqu'à onze voies en bordure du cours d'eau, qui a été rectifié, canalisé et curé à de multiples reprises.

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Figure 2 L'APA-VRT et ses communes

Source : Neli Aparecida de Mello-Théry, Hervé Théry, Danilo Pereira Sato, Heloisa de Camargo Tozato

9 Une étude détaillée de la zone de protection de l’environnement des plaines inondables du Tietê et de son entourage immédiat a été menée dans le cadre de la préparation du plan de gestion de l'APA-VRT3. Nous avons analysé, au-delà des limites de l'APA, une zone-tampon d'un kilomètre et, pour les données socio-économiques, l'ensemble des secteurs censitaires dans laquelle elle s'inscrit (figure 3).

Figure 3 Le tracé de l'APA-VRT et les secteurs censitaires analysés

Source : Neli Aparecida de Mello-Théry, Hervé Théry, Danilo Pereira Sato, Heloisa de Camargo Tozato

10 L'étude a été fondée, pour la morphologie fluviale, sur la méthodologie des niveaux de perturbation morphologique de la plaine fluviale du Tietê (Rodrigues C., 2015 : 335), prenant en compte les zones de méandres d’origine, les superficies originales de plaines et de terrasses et les fragments de la forêt marécageuse. Pour l'analyse des politiques publiques nous avons pris en compte le référentiel législatif, les normes liées aux zones de protection de l’environnement et aux zones de protection permanente, de façon à repérer la superposition de politiques et d’actions publiques étatiques et municipales. Des campagnes de terrain et des interviews avec des acteurs-clés des autorités locales et des associations d'habitants (dont leur inventaire complet) ont été réalisés. Quelques-uns des points de ce travail sont repris ci-dessous, alors que d'autres ont été laissés de côté, comme les analyses climatiques et les inventaires de faune et de flore.

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Les plaines inondables, l’APA-VRT, vulnérabilités et risques

11 Rappelons d'abord les principales définitions de « vulnérabilité » et « risques ». On parle de vulnérabilité lorsque, face à une perturbation, la réponse de l'environnement dépend de ses caractéristiques locales, naturelles et humaines. C'est-à-dire que « chaque fraction du territoire a une condition intrinsèque qui, en interaction avec le type d'ampleur de l'événement que nous provoquons, a pour effet une quantité d'effets négatifs » (Santos, R. 2007 : 20). Pour le GIEC (IPCC, 2014 : 6), la vulnérabilité est la prédisposition à être soumis à des effets néfastes et peut se produire en raison de plusieurs facteurs, sociaux ou physiques. Deux aspects sont intrinsèques à la vulnérabilité : sa persistance est liée à l'équilibre de l'environnement local et sa résilience liée au retour à son état d'équilibre. La vulnérabilité compte généralement plusieurs classes ou degrés et peut être déterminée comme élevée, moyenne, faible.

12 Le risque environnemental a été à l'origine systématisé par Talbot Page en 1978, lorsqu'il a clairement distingué la vision traditionnelle de la pollution du concept de risque, qui est lié à l'incertitude et à l'ignorance des véritables dimensions du problème environnemental. Il peut être défini dans les limites entre deux conceptions radicalement distinctes de l'évaluation des ressources naturelles, de rentabilité et de durabilité. Bien que la notion de risque ait toujours été appliquée dans les évaluations des investissements et prenne en compte des catastrophes naturelles à différentes échelles et périodes de temps, elle exprime désormais également la dimension sociale des événements catastrophiques et la perception individuelle de leurs effets (Fortunato I. et J. Fortunato Neto, 2012).

13 On peut distinguer, selon Egler C. (1996) trois catégories de base : risque naturel, social et technologique :

14 a) le risque naturel est associé au comportement dynamique des systèmes naturels et lié au degré d'instabilité exprimé dans leur vulnérabilité aux événements critiques à court ou long terme. On y range, par exemple, les inondations, les glissements de terrain et l'accélération des processus érosifs, dans le cas de cette analyse, liés au Tietê lui-même

15 b) le risque technologique est lié à des évènements mettant des vies en danger, à court, moyen et long terme, et résultant de décisions d'investissement dans la structure de production. Elle implique une évaluation à la fois de la probabilité d'explosions, de fuites ou de déversements de produits toxiques, de la contamination à long terme des systèmes naturels par le rejet et l'élimination des déchets du processus de production.

16 c) le risque social résulte de l'insuffisance de développement humain complet, qui contribue à la dégradation des conditions de vie. Il se manifeste dans les conditions d'habitabilité, par la fragilité des maisons elles-mêmes, dans l'accès aux services de base (traitement de l'eau, collecte des ordures). L'occupation illégale de zones protégées par la législation (fonds de vallée et de plaine inondable) est un exemple classique d'aggravation du risque social identifié dans l'APA-VRT. À long terme, elle affecte la formation technique de la population locale, l'emploi et les revenus et, par conséquent, le plein développement humain durable.

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17 La complexité actuelle de la dynamique des risques exige la création de nouvelles catégories de risques et a suscité de nombreuses nouvelles approches, cependant, comme nous nous intéressons au risque comme critère de gestion du territoire, nous avons choisi de nous appuyer sur la définition d’Egler C. (1996) et de mettre en évidence les effets de la forte croissance démographique et de l'urbanisation des várzeas dans la région métropolitaine de São Paulo. Nous l'avons associée à la définition de la vulnérabilité de Santos R. (2007), celle qui soumet la population locale aux effets néfastes des différents facteurs, mettant en évidence les conditions de santé et de logement médiocres, les inondations fréquentes de la várzea, par exemple.

L'APA-VRT dans le système brésilien de protection de l'environnement

18 Pour mieux saisir la situation de l'APA-VRT, il convient de préciser qu'au Brésil, les plaines inondables sont des zones de préservation permanente (APP), un concept établi par le Code Forestier de 1965 (loi fédérale n°4771) pour « la conservation et la préservation de zones proches de phénomènes naturels qui ont besoin de protection pour leur permanence et leur fonction environnementale ».

19 Protéger ces espaces est une nécessité parce que dans le milieu rural brésilien, beaucoup ont été utilisés pour l'agriculture (voire les monocultures), avec pour conséquence les impacts les plus divers sur l’environnement : ensablement de cours d’eau, installation de processus érosifs, déforestation de forêts ciliaires4 empêchant le flux génique de la flore et de la faune et causant un appauvrissement des sols, en particulier de ceux dont la fertilité naturelle est faible.

20 En ville, la loi n°7803/89 a imposé des limites et établi des définitions pour les zones de préservation permanente. La loi n°6766/79 (et ses modifications ultérieures) ont encadré les projets de lotissement du sol dans des aires d’expansion urbaine définies selon les lois municipales. Parmi les conditions urbanistiques, elle a déterminé des zones non aedificandi (non constructibles) le long de cours d’eaux courantes et dormantes, avec une obligation de réserve d’au moins quinze mètres sur chaque berge. Cependant, les principes de ces dispositifs n’admettent pas l’utilisation en zone de préservation permanente et les pouvoirs publics peuvent imposer plus d’exigences car ils ont la prérogative légale de définir ce qu’est l’espace urbain et son expansion : ils peuvent les accroître, mais jamais les revoir à la baisse.

21 La controverse sur les zones de préservation permanente associées à des cours d’eau et, par extension, aux autres milieux naturels non protégés, vient surtout des dispositifs de lois fédérales, décrets, résolutions, arrêtés, etc. qui régulent la délivrance de permis environnementaux à des projets de développement aux interventions que peuvent réaliser les états fédérés et les municipalités.

22 Par ailleurs, ces lois de développement urbain peuvent être liées au Système national des unités de conservation (SNUC). Dans les unités de conservation d’usage durable, celles qui présentent le moins de restrictions d’utilisation sont les zones de préservation environnementale (APA) ; elles doivent seulement indiquer les taux et modalités d’occupation dans leur plan de gestion. Elles peuvent donc être vues comme des espaces pour la planification intégrant la conservation et des utilisations urbaines ou rurales.

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23 Deux instruments sont essentiels pour l’implantation du Système brésilien d’unités de conservation : l’instrument politique qui est le Conseil de gestion, et l’instrument technique ou Plan de gestion. Pour l’APA-VRT, le conseil a été créé onze ans après sa création, en même temps que la définition de son zonage. Deux grandes zones ont été délimitées : celle d’usage contrôlé et celle de la zone des méandres (décret de l’État de São Paulo n°42837/98). Le plan de gestion a été actualisé en 2011 après de nouveaux diagnostics et pronostics pour pouvoir répondre aux conditions légales. Il n’a été définitivement approuvé qu’en 2017 par le Conseil environnemental de l’État de São Paulo, après quatre années de négociations.

24 Pour cela, il a dû être approuvé par le Conseil de gestion et le Conseil de l’Environnement de l’Etat de São Paulo (Conselho Estadual de Meio ambiente de São Paulo). Toutefois, il a été suspendu peu de temps après suite à une action civile publique environnementale et d’improbité administrative du Ministère public de l’État de São Paulo, dans le but d’analyser les modifications apportées a posteriori à la minute du décret et aux cartes de zonage. La procédure s’est finalement achevée en 2018 par l’annulation du plan de gestion (MPSP, 2017 ; Lara W. 2018).

25 Le temps mis à définir des règles d’occupation et d’utilisation des terres dans ces plaines inondables ne peut être expliqué que par le degré élevé de conflictualité entre ce que doit être la protection et la pression immobilière présente dans les zones urbaines ou métropolitaines. C'est notamment le cas dans les parties de la plaine les plus vulnérables, c’est à dire celles où des crues ont déjà eu lieu et ont mis en danger la population, sans servir d’éléments d’alerte et de décision.

26 Deux éléments fondamentaux contribuent aux vulnérabilités de la plaine inondable : la « rectification » du Tietê et l'occupation de ses terrasses alluviales. Même si des plans de rectification étaient prévus depuis 1894, l’aménagement du Tietê n'a commencé dans la commune de São Paulo qu'avec le « Plan des Avenues » du gouvernement Pires do Rio (1926-1930) et s'est poursuivi jusque dans les années 1960, avec le développement des transports routiers et du marché immobilier. Ce dernier met en avant des arguments d’assainissement et de lutte contre les crues pour attribuer de nouvelles utilités aux zones désoccupées des plaines d’inondation (Gouveia I. C., 2016).

27 À titre d'exemple, la figure 4 est un extrait de l'une des trois cartes réalisées pour l'étude, elle ne porte que sur l'extrémité occidentale du secteur principal (périmètre 2). Elle montre la vulnérabilité à l’inondation selon la classification du plan de gestion (Fundação Florestal, 2013) : basse, moyenne, forte et très forte. La forte augmentation de la vulnérabilité serait due à l’occupation des várzeas par des zones d'habitat illégal5. Nous y reviendrons dans la troisième partie.

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Figure 4 Répartition de la vulnérabilité aux inondations dans le périmètre 2 de la zone de protection environnementale des plaines inondables du Tietê (APA-VRT)

Source : Diagnostic de l’environnement physique, Plan de gestion de l’APA-VRT (Fundação Florestal, 2013)

L’utilisation des terres et les occupations dans des zones vulnérables

28 Toutes les régions métropolitaines brésiliennes possèdent encore des zones inoccupées et disponibles pour l’urbanisation, issues de l’activité rurale, de l’exploitation minière ou abandonnées parce que jugées économiquement sans intérêt. Ces zones sont intéressantes pour le secteur de l’immobilier parce qu’elles sont proches du centre de la métropole, donc de ses services et de ses infrastructures. La demande augmente continuellement pour des lotissements et des copropriétés résidentielles (condomínios6) de luxe, mais aussi des constructions institutionnelles. Le prix du m2 est encore attractif, on y trouve des équipements de loisirs et la sécurité est y assurée, ce sont donc des espaces prioritaires pour un segment de la population qui recherche confort, sécurité et déplacements compatibles avec ses intérêts. Par ailleurs les occupations irrégulières y ont augmenté, dans des zones normalement inconstructibles, ce qui renforce encore la croissance horizontale urbaine.

29 Dans le cas des várzeas de la région métropolitaine de São Paulo, les aires disponibles sont situées à la limite des zones de préservation permanente, voire à l’intérieur. Dans l’APA-VRT, nombre de ces zones sont des forêts résiduelles en bon état de conservation7, avec même la présence d’une faune résiduelle.

30 Ces zones rémanentes fournissent des services écosystémiques écologiques, sociaux, esthétiques et économiques. Par exemple, les forêts ont un rôle dans la réduction de la

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température, l’augmentation des précipitations, l’interception des pluies, l’infiltration de l’eau dans le sol, l’augmentation de l’humidité atmosphérique, la réduction de polluants, l’interception du rayonnement solaire, la réduction de la vitesse du vent, l’atténuation des bruits, l’amélioration de la qualité de l’air, l’équilibre mental et psychologique de la population (Tryväinen L. et al., 2005).

31 En plus des forêts résiduelles, certaines zones d’expansion urbaine à l’intérieur de l’APA-VRT possèdent encore les caractéristiques du milieu rural. Cependant, elles tendent à disparaître avec le rapprochement des limites de la ville et le projet urbain. La conversion du sol a lieu par l’intermédiaire de projets urbains présentés à la mairie qui, en retour, fournit les directrices urbanistiques. Il y a donc ici possibilité de conflits étant donné que l’instance de décision de la zone de protection environnementale relève d’un agent étatique et la conversion du sol de la municipalité.

32 Sur le plan méthodologique, cette étude s’est appuyée sur des images satellites de ces zones pour identifier différentes utilisations et occupations et ainsi observer le degré de préservation, d’altération et d’effet de bord de la végétation dans l’APA-VRT et dans son entourage immédiat. La sélection des lieux a été basée sur : I. Une typologie des formes principales d’utilisation et d’occupation du sol dans la zone de protection environnementale et dans le buffer d'un kilomètre au-delà des limites de l'APA choisi comme zone d’étude : urbanisation de la plaine d’inondation et de faible revenu, copropriétés des classes moyennes et des classes aisées, industrialisation de la plaine d’inondation, production horticole et élevage de petits animaux. L’objectif était de voir et de photographier sur le terrain (en spécifiant les coordonnées géographiques) les principaux types détectés dans le traitement des images satellites ; II. Des exemples caractéristiques de transformation de l’utilisation et de l’occupation des terres en comparant les années 2002, 2007 (cartographie Emplasa8) et 2011 (travail de terrain). L’objectif était de vérifier la réalité et l’extension de la transformation, mais aussi d’observer ce qui s’est passé dans ces endroits.

33 En outre, pour chaque lieu d’étude a été prise une série de photographies représentatives du paysage dominant géoréférencée de deux manières : selon la définition classique de sa longitude et de sa latitude (mesurée par un GPS), et sa localisation à partir de ces coordonnées sur une carte Google Earth (image satellite, rues/routes avec nomenclature) ; et dans la plupart des cas, des photos et/ou des images Google Earth complémentaires (Théry H., 2011).

Urbanisation des plaines d’inondation

34 L’avancée de l’urbanisation dans la zone de protection environnementale est un des phénomènes les plus inquiétants de l’évolution de la région. Les figures 5 et 6 offrent une vision du front d’urbanisation qui va jusqu’au bord de la rivière, une situation qui augmente évidemment les risques de pollution hydrique et/ou les inondations.

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Figure 5 Urbanisation des plaines d’inondation dans l’APA-VRT

Figure 6 Urbanisation des várzeas dans l’APA-VRT (détail)

Source : Hervé Théry

35 Il faut toutefois distinguer plusieurs types d'urbanisation des várzeas, selon que cette occupation est menée par des lotissements destinés aux classes moyennes, aux classes aisées ou aux classes populaires.

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Lotissements pour classes moyennes

36 Les images qui suivent montrent le remplacement progressif d’une zone jusque-là totalement occupée par la végétation native par un espace résidentiel, avec des rues et des parcelles où sont construites des maisons unifamiliales (figures 7, 8 et 9). Sur la figure 7 la limite du côté de la plaine d’inondation (haut de l'image verticale) est très sinueuse et ne correspond à aucune déclivité ou autre limite naturelle.

Figure 7 Copropriété pour classe moyenne dans l’APA-VRT

37 Le lotissement est condomínio fechado, une copropriété clôturée de murs ou de grillages, accessible uniquement par une entrée gardée 24 heures sur 24 (figure 8).

Figure 8 L'entrée du condomínio

Source : Hervé Théry

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Figure 9 La clôture séparant le condomínio de l'APA-VRT

Source : Hervé Théry

38 Matérialisée par un grillage et une haie, la clôture du lotissement du côté de la rivière suit rigoureusement la limite de la zone de protection environnementale, indiquant par-là un bon niveau d’information des entrepreneurs et un – certain – respect de la législation environnementale.

Lotissements pour classes aisées

39 Une autre forte tendance observée dans la transformation de l’utilisation et de l’occupation du sol dans la zone de protection de l’environnement de la plaine d’inondation du Tietê et dans son entourage est la croissance d’espaces résidentiels fermés de haut standing (Figures 10 et 11), les condomínios de luxo.

40 Rechercher des aires dotées d’un milieu naturel agréable pour en faire un argument de vente peut représenter un sérieux risque environnemental. Le cas choisi en est un exemple, comme le montre la séquence d’images de Google Earth : une copropriété de haut standing installé dans une clairière créée dans une parcelle de forêt par un incendie : les promoteurs ont eu l'autorisation de la lotir en échange de la transformation du reste de la forêt en parc public, séparé du lotissement par des grilles.

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Figure 10 Lotissements pour classes aisées dans l'APA-VRT

41 Le lotissement a été un succès, comme en témoigne la figure 11 : malgré un prix élevé9 presque toutes ses parcelles ont été occupées

Figure 11 Évolution du lotissement 2002-2019

Source : Hervé Théry

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Lotissements pour classes populaires

Figure 12 Urbanisation pour classes populaires dans la zone de protection environnementale des plaines d’inondation du Tietê (APA-VRT)

42 L’urbanisation désordonnée des zones inondables, particulièrement occupée ? par des populations à faibles revenus, est une des préoccupations majeures dans la région. Ces populations pauvres sont de loin les plus vulnérables. L’occupation des plaines inondables par des habitations précaires n’expose pas seulement la population qui y vit : le processus d’imperméabilisation du sol augmente les risques et la possibilité d’inondation. L’exemple le plus clair en est le quartier Jardim Romano et ses alentours où les figures 12 et 13 ont été prises. Plusieurs inondations y ont déjà eu lieu au cours des années antérieures, la plus significative en 2009 où des maisons ont été inondées pendant presque 60 jours d’affilée. En réponse, une digue de protection (figure 13) a été construite, longue de 1 600 mètres de longueur mais celle-ci n'a toutefois pas été très efficace car de nouvelles inondations se sont produites en 2012, 2016 et 2019. Des fortes crues ont submergé l’ouvrage.

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Figure 13 Digue censée protéger le lotissement des inondations

Source : Hervé Théry

43 La croissance horizontale urbaine de copropriétés de moyen et haut standing et d’habitations de la classe populaire génère de forts impacts environnementaux, la qualité des eaux superficielles est influencée par l’existence et la qualité de l’assainissement. L’absence ou l’inefficacité de la collecte et du traitement entraînent un apport significatif d’eaux usées domestiques dans le Tietê. D’après le Compte rendu sur la qualité des eaux superficielles de l’agence de contrôle environnemental de l’État de São Paulo (CETESB), en 2014 l’unité de gestion des ressources hydriques de la région Alto Tietê présentait 84 % de réseau de collecte d’égouts mais seulement 50 % de traitement (CETESB, 2014).

44 La croissance désordonnée et socialement inégale provoque donc une dégradation socio-environnementale qui augmente les risques de désastres environnementaux, en particulier dans les zones urbanisées où les conditions sont précaires et la population plus vulnérable. Jatobá S. (2011) pense que si ces régions présentent des risques élevés, elles sont aussi celles où les chances d’améliorer la situation sont les plus grandes, pourvu que soit renforcée la capacité de réponse des individus et des groupes sociaux concernés. Nous reviendrons sur ce point avec les actions des agents des processus de transformation.

Production horticole

45 La production horticole et l’élevage de petits animaux sont un autre type d’activité menée dans l’APA-VRT. La première a besoin de grandes superficies de terres proches du lit de la rivière et d’eau pour irriguer ses parcelles (figures 14 et 15).

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Figure 14 Production maraîchère dans l'APA-VRT

46 Dans la zone de protection environnementale, la compétition pour être le plus près de la rivière a donné lieu à la formation de parcelles longues et étroites – comme le montre clairement la figure 15.

Figure 15 Horticulture au bord du Tietê

Source : Hervé Théry

47 Qualifiée d’activité potentiellement polluante à cause des résidus d'engrais chimiques utilisés dans les cultures, elle est néanmoins économiquement importante pour la

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région. Des améliorations de cette situation sont possibles, car ce sont dans les régions métropolitaines que des circuits courts peuvent se mettre en place du fait de la proximité d'un vaste marché consommateur comprenant des acheteurs disposés à payer un peu plus cher pour des fruits et légumes orgânicos10.

48 La gestion raisonnée du rapport entre offre et demande en eau pourrait, avec la participation de techniciens, de chercheurs, de la société civile et de producteurs ruraux, contribuer notamment à des projets où tout le monde est gagnant, à la récupération de zones dégradées, à la réduction des conflits par l’approvisionnement en eau et à l’augmentation de la production.

49 À titre d’exemples on peut citer, dans ce domaine, les systèmes de production durables indiqués dans le plan sectoriel brésilien d’agriculture à faible teneur en carbone, ou plan ABC. Ou encore le projet producteur d’eau dans le bassin hydrographique de Ribeirão Pipiripau (District Fédéral), un exemple réussi de production et de conservation de l’eau et du sol (Lima J. et Ramos A., 2018). Ce projet s’est fondé sur l’utilisation d’un instrument économique régulé par les forces de marché pour mettre en place un réseau régional de consommateurs intéressés par des produits de l’agriculture durable et de producteurs ruraux désireux de les fournir.

L'industrie dans l’APA-VRT

50 Les terrains plats et la disponibilité en eau sont des facteurs qui favorisent l’activité industrielle dans l'APA-VRT, mais sa présence augmente évidemment les risques d’impacts socio-environnementaux négatifs.

51 Les figures 13 et 14 montrent le cas d’une industrie sidérurgique située dans la plaine. Le secteur présente des risques liés à l’utilisation des ressources naturelles et des risques pour le territoire et les populations environnantes.

Figure 16 Installations industrielles dans l'APA-VRT

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52 La vue détaillée de la figure 17 montre que certaines de ces installations industrielles sont de grande taille, et sont situées très près du Tietê (méandres visibles au bas de la figure).

Figure 17 Industrie sidérurgique située dans l'APA-VRT

Source : Hervé Théry

53 Or les complexes sidérurgiques constituent des activités économiques extrêmement polluantes (Milanez B. et M. Porto 2008) et de fait le compte rendu sur la qualité des eaux superficielles de la CETESB pour 2014, a indiqué pour le point TIET02050, situé sur le Tietê (Tietê-Biritiba), des résultats non conformes aux normes de qualité en matière de manganèse, zinc, cadmium, aluminium et fer dissous (CETESB, 2014).

54 Selon les opposants à cette présence industrielle dans les várzeas, même si les impacts des usines sidérurgiques installées dans la zone de protection environnementale ne sont pas suffisants pour demander leur fermeture ou leur retrait, des actions immédiates devraient cependant être entreprises pour les atténuer. Des exemples de mesures à prendre dans l'APA-VRT sont présentes dans les plans sectoriels brésiliens d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques, comme la production industrielle à partir de sources alternatives et renouvelables, l’adoption de pratiques de recyclage et de remplacement de matériaux, de technologies à teneur en carbone moins intensive, de fours « flex11 » pour l’utilisation de charbon de bois produit de manière durable, le contrôle des émissions de gaz, la surveillance et le contrôle des éléments d’échappement. La création d’un label d’efficacité pour le secteur pourrait être une alternative pour ces zones de la région métropolitaine de São Paulo, de façon à chercher la solution des problèmes locaux (ici la pollution par la sidérurgie) par des mesures concrètes inspirées de politiques conçues à plus petite échelle globale : comme souvent il serait bon de penser globalement pour agir localement.

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Agents et processus de transformation de l’APA-VRT

55 Différents agents peuvent être identifiés : le Conseil de gestion de l’APA-VRT, la Fondation Forestière de l’état de São Paulo, l’institution qui gère l’unité de conservation et sa présidence, les mairies qui administrent les douze communes, des institutions privées comme le Centre des industries de l’état de São Paulo (CIESP) et des représentations de la société organisée12.

56 Les divergences existent même pour ce qui est de la protection de l'environnement : la zone est simultanément zone de protection environnementale (APA) et zone de préservation permanente (APP), mais chacune a des normes de gestion distinctes et leurs visions tendent parfois à diverger bien que toutes deux aient pour priorité la préservation des várzeas.

57 La divergence des intérêts est plus forte encore sur le plan social. Davies M. (2006) observe que les populations aux faibles revenus n’ont à leur disposition que des lieux peu accessibles et qui sont, généralement, censés être sous protection environnementale. La figure 18 synthétise les vecteurs de pression sur l'APA-VRT : les vecteurs démographiques sont liés à la densité, les vecteurs urbains opposent les zones d'urbanisation déjà consolidée (en rose pâle) de celles où elle avance encore (en rouge) ou appelées à l'être prochainement (lotissements encore non totalement occupés, en orange). Et les pressions sont très différentes si l'on prend en compte les contrastes socio-économiques entre zones peuplées principalement par des populations de classe moyenne (en mauve) de celles qui sont marquées par la pauvreté rurale (en vert) ou urbaine (en orange).

58 Du point de vue aussi bien physique que social, les occupations dans des zones vulnérables et à risque résultent du manque de contrôle des pouvoirs publics en termes d’utilisation du sol, mais aussi de la planification immobilière. Du fait de l’instrument de régularisation foncière et de la désignation de Zones spéciales d’intérêt social (ZEIS, sigle en portugais), le déplacement de populations et leur réinstallation ailleurs est rare dans la région métropolitaine de São Paulo (et au Brésil en général), bien que cela soit arrivé en 2009, pour 222 familles qui occupaient l'espace nécessaire pour la construction de la digue de protection du Jardim Romano.

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Figure 18 Vecteurs de pression sur l'APA-VRT

Figure 18 légende traduite

59 Des actions menées par les agents publics et par la population seraient certainement à mener pour répondre à la fréquence des inondations dont il est prévisible qu'elle augmente : les études sur les changements climatiques et leurs effets dans la région métropolitaine de São Paulo prévoient 1,5 inondations tous les deux ans (Nobre C. et al., 2010). Une situation qui exige une planification et une exécution à court, moyen et long

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terme. Plusieurs quartiers de la zone Est de São Paulo, comme Jardim Romano, Jardim Pantanal et Vila Itaim, vivent depuis des années au rythme des crues de durée diverse. En plus de l’eau qui envahit les maisons, la population est confrontée aux maladies transmises par l’eau, à la pollution hydrique et à d’autres difficultés. En 2012, 2016 et 2019 de nouvelles intempéries ont atteint la région.

60 Si de tels événements étaient vraiment perçus comme prioritaires, il serait souhaitable que chaque membre du Conseil de gestion défende non pas son seul point de vue mais l'intérêt commun, l’utilisation rationnelle et intégrée des plaines inondables pour des activités résidentielles, industrielles et activités agricoles. Leurs prises de position tendent parfois à s’éloigner de l’objectif premier de la création de l'APA-VRT, qui était la protection des plaines inondables du Tietê…

61 Prenons l’exemple de la représentation des populations vivant à Jardim Romano : leurs actions au sein du Conseil de l'APA a toujours été de demander la régularisation foncière du quartier, le maintien de la population sur place et la construction de digues, et ce, malgré la nécessité de retirer et de reloger ailleurs certaines familles. À aucun moment les informations scientifiques sur les changements climatiques n’ont été prises en compte pour penser à réduire le nombre d’habitations ou à reloger les familles trop proches du cours d’eau. De la même manière, le Centre des industries de São Paulo (CIESP) défendait l’utilisation de la plaine inondable pour les activités industrielles et le maintien des installations existantes. Certaines entités municipales se battaient pour garantir des projets immobiliers dans la plaine, dans des zones centrales de leur villes, tandis que d’autres se souciaient de la qualité de l’eau de la rivière mais sans faire le lien avec les utilisations des sources ou des rives de la rivière.

Politiques et projets dans la zone de protection environnementale de la zone inondable du Tietê

62 Massardier G. (2003) définit comme politiques publiques celles qui proviennent d'une construction collective complexe, dirigée par des acteurs sociaux (ou groupes d'acteurs), des organisations publiques et des organisations internationales, et Vianna J. (1996) affirme qu'elles comprennent une action gouvernementale planifiée qui vise, par divers processus, à atteindre un objectif. L'action publique doit reposer sur cinq processus simultanés et parfois contradictoires :

63 1) la division sociale croissante du travail ;

64 2) une plus grande ouverture des décideurs à leurs multiples « dogmes » ;

65 3) la transversalité de l'action publique (politiques dites intégrées) ;

66 4) une corrélation à sa territorialisation ;

67 5) l'élaboration de politiques publiques dans les arènes et les réseaux (Massardier G., 2011 : 85).

68 Nous avons identifié les cinq processus, bien qu'à des degrés et des intensités variables, dans la construction du diagnostic pour le plan de gestion de l'APA-VRT.

69 Le scénario est encore plus complexe quand on analyse les différents projets et politiques sur le territoire de l'APA-VRT. D’après Pessoa D. (2006), le Tietê et ses plaines inondables sont depuis longtemps l’objet de l’attention publique et concernées par des plans et des projets, de rectification, construction d’infrastructures (routes et

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Hidroanel13), dépollution, dragage, création de parcs, plans de drainage et de gestion du bassin hydrographique.

70 Formulés et exécutés par divers organismes publics, les plans, programmes et projets des politiques publiques présentent différents degrés d’intégration ou de sectorisation. En plus de l’APA-VRT qui vise la récupération et la protection des plaines d’inondation de la région, il existe notamment le programme Parc des plaines inondables du Tietê (PVT), du département des Eaux et de l’Énergie électrique (DAEE), pour créer des parcs linéaires ; le Plan de bassin hydrographique d’Alto Tietê ; le Projet Tietê de dépollution de la rivière, par la Compagnie d’assainissement de l’État de São Paulo (SABESP) ; le projet Hidroanel pour le transport de charges et de résidus solides sur les cours d’eau, du Département des voies d’eau du Secrétariat d’état à la logistique et aux transports ; et le Plan directeur de macro-drainage du Bassin de l’Alto Tietê, mené par le DAEE, pour les infrastructures destinées à contrôler les inondations et le drainage.

71 Plus spécifiquement, le programme Parc des plaines inondables du Tietê (PVT)14 a remplacé le projet antérieur de Burle Marx, daté de 1974, pour la protection et la création de zones de loisirs dans les plaines inondables (Fundação Florestal, 2013). Le programme répète les objectifs de l’APA-VRT, il vise la préservation des plaines inondables du Tietê et l’atténuation des crues. Il en est différent au sens où l’APA-VRT établit un zonage et un plan de gestion pour orienter l’utilisation du sol et le PVT porte sur la création d’un parc linéaire et le déplacement d’une partie de la population des zones vulnérables de la plaine d’inondation (DAEE, 2019).

72 Le programme présente une série d’actions dont le dragage de la rivière, des travaux de drainage, la construction de parcs urbains, des pistes cyclables, un canal périphérique, des polders, la recomposition de forêts ciliaires, le retrait et le relogement de familles et de commerces. Il est divisé en trois étapes sur une longueur de 75 km et de 107 km2 sur les territoires de São Paulo, Guarulhos, Itaquaquecetuba, Poá, Suzano, Mogi das Cruzes et Biritiba Mirim (Sato D., 2018). Lancé en 2009 et d’une durée initialement prévue de 11 ans, ses actions et ses comptes rendus se limitent jusqu’à présent à l’étape 1, dans les communes de São Paulo et Guarulhos.

73 Comme on le voit, il existe depuis le début un effort d’articulation entre l’APA-VRT et le PVT, notamment symbolisé par la participation de représentants du Conseil de gestion de l’APA au PVT et du DAEE au Conseil de l’APA. L’initiative est d’autant plus importante que les actions du PVT s’insèrent majoritairement dans la zone Est de l’APA-VRT, la zone la plus préservée et où les possibilités d’actions sont les plus élevées, mais qui, simultanément, subit des pressions d’expansion urbaine (DAEE, 2019). Toutefois, la participation n’implique pas nécessairement des actions alignées (Scatena G., 2015 ; Sato D., 2018).

74 Les figures 19 et 20 représentent les actions menées par le Département des eaux et de l’énergie électrique pour la Banque interaméricaine de développement (BID) (DAEE, 2019). Le secteur Est compte le plus grand nombre d'actions dans les várzeas de la région métropolitaine de São Paulo, qui jouent le rôle de réservoirs pendant les crues et atténuent ainsi les inondations (Rodrigues C., 2015).

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Figure 19 Actions du programme Parc des plaines inondables du Tietê (PVT) partie ouest

Figure 20 Actions du programme Parc des plaines inondables du Tietê (PVT) partie est

75 NB : dans la limite de la zone de protection environnementale des plaines inondables du Tietê (APA-VRT)

76 Le relogement de familles qui habitaient dans les zones à risque, ainsi que le dragage du Tietê dans la partie concernée par l’Étape 1 du PVT, visent à augmenter le volume d’eau qui peut être retenu dans les várzeas. Au total, 675 familles ont été relogées entre 2014 et 2017 avec la collaboration du Secrétariat d’État au logement de São Paulo. S'y

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ajoutent 63 familles dans un autre grand ensemble avec l’aide de la Compagnie de développement urbain.

77 Les zones de pression urbaine et occupées dans les limites du PVT sont les plus vulnérables aux inondations, aussi bien dans le Plan de gestion de l’APA-VRT que dans les études pour le relogement des 738 familles qui vivent au sein de la zone de protection environnementale des plaines d’inondation du Tietê et du Parc des plaines d’inondation du Tietê (Fundação Florestal, 2013 ; DAEE, 2019). Toutefois, certains travaux du PVT modifient les attributs naturels des várzeas et ont contribué à la perte de la fonction environnementale de rétention des eaux (Rodrigues C., 2015).

Conclusion

78 La zone de protection environnementale des plaines d’inondation du Tietê (APA-VRT) constitue donc un exemple complexe de cas où la vulnérabilité se fonde sur la relation entre les changements environnementaux, les conditions sociales et les actions publiques.

79 Reprenant les observations de Jatobá S. (2011) on peut conclure que l’APA-VRT présente les caractéristiques suivantes concernant les trois principaux facteurs présents dans les définitions sur la vulnérabilité : I. Une exposition élevée de la population au risque, en particulier pour les logements des personnes à faible revenu, et aux impacts socio-environnementaux potentiels. La dégradation environnementale est aggravée par les formes désordonnées et inégales de la croissance urbaine ; II. Les ressources à la disposition de la population ne sont pas adaptées pour faire face à ces risques, notamment l’accès aux biens et aux services marchands, les possibilités d’emploi, d’éducation, d’accès aux services de santé, d’assainissement et de conditions de logement ; III. Une capacité insuffisante de réponse aux risques causée par l’inefficacité de la mise en œuvre des législations qui y sont liées, d’une mauvaise gestion des conflits, de l’action inefficace du Conseil de gestion de l’APA-VRT et de l’absence de prise en compte des orientations sur l’occupation et l’utilisation des sols dans les plaines inondables.

80 Même s'il s'agit d'une zone protégée, le processus d'occupation urbaine des várzeas, qu'il soit dû au besoin de logement, à l'occupation agricole ou industrielle, s'est fait sans respecter la loi et sans tenir compte des conditions intrinsèques. Les institutions responsables de la gestion de cette aire protégée n'ont pas réussi à contrôler l'utilisation du territoire. Les actions publiques y ont même contribué, en stimulant différents projets dans le fond de la vallée, négligeant la pression immobilière et industrielle et en étant très lentes par rapport à la dynamique locale, ne serait-ce que par le long délai entre la création de l'APA, son zonage, et la définition de son plan de igestion.

81 Cet échec peut être expliqué par le degré élevé de conflictualité entre ce que doit être la protection et la pression immobilière au sein de l’APA-VRT. La situation montre l’inefficacité de gestion de la croissance démographique et de l’aménagement du territoire de la région métropolitaine de São Paulo, la plus grande région métropolitaine du Brésil.

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NOTES

1. Il convient de rappeler la thèse classique de Lombardo M. (îlot de chaleur dans la métropole paulistana) qui, en 1984 a dévoilé la genèse des températures les plus chaudes à l'intérieur de la métropole de São Paulo et qui a généralisé ce concept. 2. Salesópolis, Biritiba Mirim, Mogi das Cruzes, Suzano, Poá, Itaquaquecetuba, Guarulhos, São Paulo, Osasco, Carapicuíba, Barueri et Santana do Parnaíba. 3. L’étude de référence a été réalisée pour la Fondation Forestière par une équipe pluridisciplinaire – comprenant les auteurs de l'article – de l’Université de São Paulo-USP (contrat TAG/Petrobras/FUSP numéro 7102.0000344.10.2 entre 2011 et 2012). Pour cet article, des nouvelles études ont été incluses, en particulier les résultats présentés dans un mémoire de 3e cycle en géographie humaine à l'USP et dans une recherche de postdoctorat de deux des auteurs. 4. NdT : large bande de végétation primaire qui protège les sources et les berges.

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5. NdT : Aglomerados subnormais, littéralement agglomérats sous-normaux, appellation donnée par l’Institut brésilien de géographie et statistiques (IBGE) pour désigner les bidonvilles, quand il y a urbanisation en dehors des standards. 6. NdT: Condomínios : espaces résidentiels, la plupart du temps fermés et surveillés. 7. Bien que les sols de certaines d’entre elles soient parfois contaminés à cause de l’utilisation excessive et durable d’engrais chimiques ou du traitement minier antérieur. 8. Empresa paulista de planejamento metropolitano SA, l'organisme de planification de la région métropoliaine de São Paulo 9. Vérifié sur place par les auteurs en se faisant passer pour des acheteurs potentiels : en 2011 les parcelles se vendaient en moyenne pour 250 000 Reais (environ 125 000 Euros) et la vendeuse indiquait avec fierté qu'aucune des maisons alors construites n'avait coûté moins d'un million de Reais (500 000 Euros). 10. NdT: équivalent en portugais du Brésil de "bio" en français 11. NdT : acceptant plusieurs types de combustibles 12. NdT : leurs équivalents français seraient des ONG et des associations régies par la loi de 1901. 13. NdT : Hidroanel : projet destiné à rendre les cours d’eau de la région métropolitaine de São Paulo navigables. 14. Programme élaboré par Ruy Ohtake, architecte et paysagiste renommé au Brésil.

RÉSUMÉS

L’article analyse la situation de la zone de protection de l’environnement de la plaine inondable du Tietê (APA-VRT) et des zones de préservation permanente (APP) dans la région métropolitaine de São Paulo. L’accent est mis sur les vulnérabilités, les risques et les changements liés à l’utilisation des terres, ainsi que sur le rôle des acteurs dans le processus de transformation et leurs relations avec les actions publiques visant la préservation de l'environnement et la défense du bien commun. Le texte contient 20 illustrations élaborées par la cartographie de données collectées à diverses sources statistiques, de l'analyse d'images et de travaux de terrain menées dans l'APA-VRT.

O artigo analisa a situação da Área de Proteção Ambiental da várzea do rio Tietê (APA-VRT) e das Áreas de Preservação Permanente (APP) no contexto da região metropolitana de São Paulo, ressaltando as vulnerabilidades e riscos, as mudanças de uso do solo, seguidas pela apreciação dos atores, suas ações no processo de transformação e as suas relações com as ações públicas voltadas para a conservação ambiental e pela defesa do bem comum. O texto contém 20 ilustrações desenvolvidas pelo mapeamento de dados coletados de várias fontes estatísticas, análise de imagens e trabalho de campo realizado na APA-VRT.

The article analyses the situation of the Tietê River floodplain Environmental Protection Area (APA-VRT) and the Permanent Preservation Areas (APP) in the context of the metropolitan region of São Paulo, highlighting the vulnerabilities and risks, changes in land use, followed by appreciation of the stakeholders, their actions in the transformation process and their relations with public actions aimed at environmental conservation and the defense of the common good. The text contains 20 illustrations developed by mapping data collected from various statistical sources, image analysis and field work carried out in the APA-VRT.

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INDEX

Keywords : Vulnerabilities, risks, conflicts, Tietê River floodplain APA (São Paulo), Brazil. Palavras-chave : Vulnerabilidades, riscos, conflitos, APA Várzea do rio Tietê (São Paulo), Brasil. Mots-clés : Vulnérabilités, conflits, zone de protection environnementale de la plaine d’inondation de la rivière Tietê (São Paulo), Brésil

AUTEURS

NELI APARECIDA DE MELLO-THÉRY

Neli Aparecida de Mello-Théry est professeur à l’Université de São Paulo, à l’École des Arts, Sciences et Humanités (EACH/USP), coordinatrice du groupe de recherche Politiques publiques, territorialités et société à l’Institut d’Études Avancées de l’USP. Ses thèmes de recherche sont l’Amazonie, la gestion de l’environnement, les dynamiques territoriales, les politiques environnementales, le développement durable, les politiques internationales. Coéditrice de la Revue Franco-Brésilienne de Géographie Confins. (https://journals.openedition.org/ confins)[email protected]

HERVÉ THÉRY

Hervé Théry est directeur de recherche émérite au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), professeur au programme de pos graduation en général humaine à l’Université de São Paulo (USP) et membre du groupe de recherche Politiques publiques, territorialités et société à l’Institut d’Études Avancées de l’USP. Co-éditeur de la Revue Franco-Brésilienne de Géographie Confins. (https://journals.openedition.org/confins). Thèmes de recherche : Géographie régionale et politique, Géographie du Brésil, Cartographie thématique, Modélisation graphique. Auteur du Blog de recherche Braises (http://braises.hypotheses.org/)[email protected]

DANILO PEREIRA SATO

Master en Géographie Humaine à l’Université de São Paulo, licence de Gestion de l’environnement à l’École des Arts, Sciences et Humanités (EACH/USP). Doctorant et boursier au projet « Démocratie, Arts et Savoir Pluriels ». Expérience dans les domaines de l’aménagement environnemental, la géographie politique, les politiques territoriales et le patrimoine [email protected]

HELOISA DE CAMARGO TOZATO

Heloisa de Camargo Tozato est chercheuse à l’IPC-IG/PNUD de l’Institut de Recherche Économique Appliquée (IPEA). Membre du groupe de recherche Politiques publiques, territorialités et société à l’Institut d’Études Avancées de l’USP. Ses thèmes de recherche sont les politiques publiques pour atteindre les Objectifs du développement durable, en particulier l’adaptation au changement climatique. Docteur en Sciences de l’USP et Docteur en Géographie de l’Université de Rennes 2 – Haute Bretagne (France). Lauréat du prix de thèses USP 2016 dans la catégorie Sciences de l’environnement (São Paulo, Brésil)[email protected]

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De la luzerne aux masterplanned communities : enjeux de la gestion de l’eau sur un front d’urbanisation, le cas de Buckeye en Arizona From growing alfafa to building masterplanned communities: water management issues at the urban fringe, case study of Buckeye, Arizona Desde el cultivo de alfafa hasta la construcción de comunidades planificadas: problemas de expansión urbana y gestión del agua, estudio de caso de Buckeye, Arizona

Anne-Lise Boyer et Rebecca F.A. Bernat

Introduction

1 Aux États-Unis, d’après un classement des services américains du recensement (U.S. Census) en 2018, les villes dont la population croît le plus vite se situent au sud et à l’ouest, dans les régions les plus chaudes et les plus sèches. Dans le sud-ouest états- unien semi-aride, la croissance urbaine est même sans commune mesure avec le reste du pays (Liddell E., 2015 ; Nédélec P., 2016 ; Benites-Gambirazio E. et al., 2016) : en Arizona, la croissance démographique a été de + 783 % sur la période 1950-2010, quand elle a seulement doublé à l’échelle nationale. En 1950, Phoenix, la capitale de l’État, comptait 107 000 habitants, en 2010 son aire métropolitaine représente 4,2 millions d’habitants. Cette croissance exponentielle repose notamment sur la dynamique d’étalement urbain, qui vient étendre la superficie de la ville sous une forme peu dense et éparpillée, et fait des zones périurbaines de la région l’un des moteurs de la croissance économique (Le Goix R., 2001 ; Bruegmann R., 2005 ; Benites-Gambirazio E., 2016).

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2 Cette croissance démographique du Sud-Ouest s’accompagne d'une transition économique régionale dans laquelle la grande majorité des nouveaux emplois et revenus est désormais issue du secteur des services, et non plus de l'extraction des ressources, de l’industrie lourde ou de l’agriculture (Gober P., 2006 ; Sheridan T., 2012 ; Boyer A.-L. et al., 2017). Ces changements régionaux impliquent des mutations dans les modes de mise en valeur des ressources naturelles, notamment l’eau (Travis W., 2003), dans un contexte semi-aride où tout développement est conditionné par la disponibilité de cette ressource (Le Tourneau F.M. et F. Dubertret, 2019). Avec l’augmentation de la population, la consommation d’eau glisse du secteur agricole aux usages urbains.

3 Située en bordure ouest de l’agglomération de Phoenix, à 50 km de la ville-centre, et désignée par l’U.S. Census comme la ville qui croît le plus vite des États-Unis1, Buckeye est un cas qui semble faire jouer à l’extrême les dynamiques économiques, sociales, et environnementales qui caractérisent le Sud-Ouest états-unien semi-aride. De 726 habitants en 1920, à 6 537 en 2000, Buckeye compte aujourd’hui 74 370 résidents. L'Association des Gouvernements du comté de Maricopa prévoit même que Buckeye pourrait atteindre une population de plus de 310 000 habitants d'ici 2040, soit une augmentation de 326 % (Matrix Design Group, 2018). À l’origine une bourgade de fermiers fondée à la fin du XIXe siècle à proximité de la rivière Gila, Buckeye correspond désormais à un front d’urbanisation (Le Goix R., 2002 ; 2016) où les terres agricoles sont de plus en plus converties en terrains constructibles et en lotissements immobiliers.

4 Cependant, ces transformations posent question dans le contexte d’une région marquée depuis une vingtaine d’années par une sécheresse prolongée qui met de plus en plus en jeu l’approvisionnement en eau des centres urbains (Euzen A. et B. Morehouse, 2014 ; Barbier N., 2015 ; Poupeau F. et al., 2016). Ainsi, face à une situation de rareté de la ressource qui va s’aggravant, cette transition d’une zone agricole à une zone urbaine soulève de nombreuses questions et tensions dans la gestion de la ressource à l’échelle locale. Depuis les années 1980, c’est notamment l’exploitation des nappes phréatiques, régulée par le Groundwater Management Act (GMA), qui est au cœur des enjeux. Ainsi, alors que la ville de Buckeye croît à grande vitesse, de plus en plus d’espaces dépendent désormais du Central Arizona Groundwater Replenishment District (CAGRD), dispositif mis en place par l’État d’Arizona dans le but de compenser les pompages excessifs dans les aquifères. Cependant, face à la croissance urbaine frénétique, dominée par les masterplanned communities, des lotissements planifiés par de grands promoteurs, aménagés sur le modèle de l’enclave (comptant logements, commerces, écoles, activités récréatives, etc.) et de l’oasis fortement consommatrice d’eau (cours de golf, piscines, parcs, etc.), la gestion durable de la ressource en eau reste difficile à mettre en œuvre.

5 Ces dynamiques locales s’inscrivent dans le contexte plus large des changements globaux (aridification du climat, changements dans l’occupation des sols, urbanisation, etc.) qui concernent bien d’autres espaces à l’échelle de la planète (Arnauld de Sartre X., 2016) et peuvent être comprises dans le cadre actuel de diffusion du néologisme Anthropocène : une ère géologique dans laquelle les activités humaines modifient irréversiblement leur environnement (Crutzen P., 2002). L’engouement que connait cette notion ainsi que les discussions qu’elle suscite (Bonneuil C. et J.B. Fressoz, 2013) participe du renouvellement de l’approche des problématiques environnementales par les sciences sociales qui portent notamment un intérêt grandissant aux diverses modalités d’action publique ayant pour objectif de résoudre les principaux problèmes environnementaux (Beau R. et C. Larrère, 2018). Sur la question de l’eau, à la suite

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d’auteurs comme Clarke-Sather A. et al. (2017) qui insistent sur l’importance d’examiner à l’échelle locale « les tactiques géopolitiques nouvelles » liées à l’entrée dans l’Anthropocène, et en particulier celles qui articulent eau et droit et mettent en jeu un cadre législatif, nous proposons à travers le cas de Buckeye, d’étudier la dynamique d’étalement urbain et ses conséquences sur les modes de gestion de l’eau dans le cadre de la loi d’Arizona sur la gestion des eaux souterraines, le GMA de 1980.

6 Le travail présenté ici est issu du croisement de deux projets de recherches doctorales, l’un s’intéressant aux modes de gestion de la rareté de la ressource en eau dans les espaces urbains, l’autre se concentrant sur le fonctionnement du système de recharge artificielle des nappes phréatiques en Arizona. Cet article se fonde sur une analyse de la bibliographie disponible sur la région (publications scientifiques mais aussi littérature grise) et d’entretiens menés auprès des acteurs de l’État (Arizona Department of Water Resources, Central Arizona Project, etc.) et des acteurs municipaux (services des eaux des municipalités de l’agglomération de Phoenix, notamment les hydrologues et les water conservation specialists, en charge de la gestion de la demande municipale). Cette enquête est complétée par des séances d’observation participante dans les instances de décision sur l’eau ouvertes au public (réunion du comité de direction du Central Arizona Project, Plan d’Urgence contre la Sécheresse) et dans des ateliers de gestion de la demande en eau à destination des ménages. C’est dans ce cadre plus large que le cas de Buckeye, mentionné par de nombreux acteurs, a fait l’objet d’une attention plus particulière (collecte de littérature grise, d’articles de presse, d’entretiens d’histoire orale déposés aux archives, visite et entretien au musée local, entretiens avec les services de l’eau, avec la mairie, visites commentées du lotissement Verrado, entretien téléphonique avec le CAGRD). Dans cet article, nous proposons ainsi de revenir sur l’histoire du développement de la ville de Buckeye, conditionné par la disponibilité de la ressource en eau d’abord mise en valeur à des fins agricoles, pour explorer ensuite les contradictions des modalités actuelles d’une gestion désormais urbaine de l’eau qui doit composer avec la croissance urbaine et les projets de développement immobilier d’un côté, et le cadre législatif du GMA de l’autre.

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Figure 1A : Buckeye, Arizona : un front d’urbanisation en bordure ouest de Phoenix

Source : ADWR, University of Arizona GIS, Maricopa County GIS, Google Streets, 2019

Figure 1B : Buckeye, Arizona : un front d’urbanisation en bordure ouest de Phoenix

Source : ADWR, University of Arizona GIS, Maricopa County GIS, Google Streets, 2019

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Du désert aux champs de luzerne : la mise en valeur agricole de la vallée de Buckeye

Éléments de localisation : une vallée semi-aride du désert de Sonora

7 La vallée de Buckeye se situe dans le désert de Sonora, dans le comté de Maricopa, dans une zone climatique semi-aride où les précipitations sont rares sur de longues périodes. En effet, la moyenne annuelle des précipitations se situe à 200 mm, répartie sur 36 jours de pluie, avec une moyenne mensuelle qui peut atteindre 32 mm au mois d’août pendant la saison des orages (la « mousson » qui apporte des vagues d'air tropical humide et des orages violents fréquents mais localisés) ou 2 mm seulement aux mois de mai et juin. La zone connaît aussi des pluies d’hiver, cependant plus faibles qu’en été. La température moyenne sur l’année est de 22 °C et 90 % des journées sont ensoleillées. Les hivers sont particulièrement doux en comparaison des autres déserts d’Amérique du Nord. En revanche, pendant les trois mois d’été, les températures dépassent quotidiennement 40 °C et dans les zones de désert, des températures supérieures à 50 °C ont pu être observées (NOAA, 2018).

8 La vallée de Buckeye se compose d’une succession de cônes alluviaux provenant des montagnes arides et dénudées des alentours. La rivière Gila, qui coule est-ouest, est le cours d’eau principal qui draine la région, dans laquelle se jettent la rivière Hassayampa et la rivière Agua Fria, toutes deux intermittentes, marquées par une alternance entre tronçons pérenne et éphémère selon les saisons (Photographie 1). Les sols donnent lieu en majorité à des terrains sableux, argileux et limoneux en bordure des cours d’eau. Le développement de l’agriculture remonte à la fin du XIXe siècle, à l’exception de quelques arpents de terres le long des rivières Agua Fria et Gila, cultivés dans le passé par les populations amérindiennes Hohokam qui habitaient la région entre le IIIe siècle et le XVe siècle et sont à l’origine des premiers réseaux de canaux (Purdue L., 2015). Après l’abandon du système de canaux Hohokam, le développement agricole s’arrête jusqu’aux années 1860 quand des colons viennent s’installer dans la vallée depuis Phoenix, à 50 km à l’est, pour cultiver les terrasses alluviales à proximité des rivières dont l’eau peut être facilement divertie pour irriguer les champs.

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Photographie 1 : La rivière Gila, à la confluence avec la rivière Salée et l’Agua Fria, juin 2019

Source : Anne-Lise Boyer

« Premier arrivé, premier servi » : la mise en valeur des eaux de surface grâce au Buckeye Canal

9 Dans les années 1870 et 1880, dans le contexte de la Conquête de l’Ouest, les politiques économiques et sociales fédérales favorisent le développement par le biais de l'exploitation minière, de l'agriculture et de la création de localités par les colons2 (Getches D., 2003). Dans le contexte d’une région semi-aride, c’est notamment l’eau qui va servir de levier principal pour mener à bien la mise en valeur de nouveaux territoires grâce à la Doctrine de l’appropriation antérieure (Doctrine of Prior Appropriation). Initiée lors de la Ruée vers l'or en Californie au milieu du XIXe siècle, la doctrine de l’appropriation antérieure détermine une règle simple : ceux qui revendiquent pour la première fois l’accès à l'eau peuvent en faire ce qu'ils veulent (Cech T., 2010). Contrairement à la doctrine riveraine (Riparian Doctrine), qui prévaut à l’est du 100e méridien, nul besoin de s’installer près d’un cours d’eau pour revendiquer un droit sur l’eau, il suffit d’être le premier à construire un canal ou une digue pour acheminer l’eau vers sa propriété. « Premier arrivé, premier servi » devient ainsi la ligne directrice de la gestion de l’eau dans l’Ouest des États-Unis (Miller C., 2000) afin que les individus se trouvent en droit de « s'approprier » l'eau dans le but d’en faire un usage économique et productif (Lasserre F., 2001 ; O’Neill B. et al., 2016).

10 Le centre de l’Arizona connaît d’abord un boom économique dans la vallée de la rivière Salée (Coeurdray M. et al., 2016) qui voit se développer une agriculture intensive irriguée. Avec la mise en exploitation des ressources de la région et l’afflux de population qu’elle génère, se créent les premiers maillages administratifs du territoire : le comté de Maricopa est créé en 1871, la ville de Phoenix est incorporée3 en 1881. C’est

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à cette époque que l’économie de l’État d’Arizona s’organise autour des « Cinq C » historiques : citrus (agrumes), cotton (coton), cattle (bétail), climate (climat), copper (cuivre) (Sheridan T., 2012).

11 Bien vite, la recherche de nouvelles terres agricoles et d’accès à l’eau libre de droit s’étend au-delà de la rivière Salée. En 1884, trois hommes, Malie M. Jackson, Joshua L. Spain et Henry Mitchell, partent de Phoenix et décident de suivre l’ancienne route de fret vers Yuma le long de la rivière Gila, en rive nord, jusqu’à la rivière Agua Fria. Ils sont à la recherche d'un endroit où il serait facile de développer un système d'irrigation. Ils repèrent un point situé à l’ouest de la confluence entre l’Agua Fria et la Gila propice à la construction d’un barrage et d’un canal d’irrigation. Ainsi que le rapporte l’histoire locale4, ils marquent l’emplacement sur le tronc d’un saule avec de la poudre à canon avant de retourner à Phoenix enregistrer l’avis légal d’appropriation de la ressource « à des fins agricoles ou hydrauliques » (Parkman I., 1957). En 1886, le Buckeye Canal est construit, appelé ainsi par M. Jackson, en l’honneur de son État d’origine, l’Ohio, le « Buckeye State » (l’État du marron). Il marque le début de la transformation de terrains auparavant rugueux et désertiques en des terres agricoles productives (Logan M., 2006). En 1907 est créée la Buckeye Canal Irrigation Company, propriétaire et opérateur du canal qui fournit alors de l’eau depuis la rivière Gila pour l’irrigation de 8 000 hectares de terres (Parkman I., 1957).

12 La première génération d'agriculteurs de la vallée de Buckeye se concentre sur la culture de la luzerne. En effet, celle-ci leur apparaît comme le meilleur mode de mise en valeur agricole de la vallée car elle peut être stockée pour de longues périodes, permet de nourrir le bétail sur place et nécessite moins d'eau que les cultures fruitières, trois facteurs importants à une époque où la vallée est encore isolée. C’est seulement en 1910 que la région de Buckeye est connectée au monde extérieur grâce au chemin de fer qui relie Phoenix à Los Angeles et enfin, dans les années 1920, grâce à l’une des premières autoroutes transcontinentales, l’autoroute 80 qui reliait Savannah en Géorgie à San Diego en Californie (Meck V., 2007).

Toujours plus d’eau : le Roosevelt Irrigation District et les pompages dans la nappe phréatique

13 Dans ce contexte de développement rapide, les eaux de surface de la rivière Gila ne paraissent pas suffisantes pour mettre en irrigation de nouvelles terres. La mobilisation des ressources en eaux souterraines s’accroît donc et en 1927, un nouveau canal – le canal Roosevelt – est construit pour récupérer le surplus d’eau du Salt River Project (SRP)5, qui, à l’est de Buckeye, doit gérer des problèmes de terrains gorgés d’eau dus aux conditions naturelles de drainage à la confluence Gila River / Salt River, à l’irrigation intensive et aux fuites des canaux (Buckeye Waterlogged Area, voir Figure 1). Pour tenter de résoudre ce problème, le SRP a installé des pompes afin de drainer la zone qui va servir de source d’approvisionnement pour le Roosevelt Irrigation District. Celui-ci est créé dans le but de financer de nouvelles infrastructures pour obtenir cet approvisionnement en eau et mettre en valeur des terres non encore exploitées au nord du canal de Buckeye (Parkman I., 1957). Aujourd’hui, ce sont 78 % des eaux du Roosevelt Irrigation District qui proviennent des nappes phréatiques, pesant ainsi de plus en plus lourdement sur les ressources souterraines. A l’époque, ce projet est un tournant et permet de rendre disponible 14 000 hectares supplémentaires

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pour l’agriculture et apporte de nouvelles opportunités dans la vallée : avec ce surplus d’eau, les agriculteurs se tournent vers la culture du coton, dont la production peut désormais être expédiée par voie ferrée6. Au début des années 1930, dans le contexte de la Grande Dépression, de nombreux chômeurs vont migrer vers l’Ouest et trouver à travailler dans la culture du coton qui nécessite une main d’œuvre importante (Sheridan T., 2012). En 1929, Buckeye, petite ville prospère passée de 726 habitants en 1920 à 1 077, est incorporée.

14 Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, la mécanisation croissante du travail agricole réduit le nombre d’ouvriers nécessaires. De plus, à la fin des années 1970, les nouvelles autoroutes 10 (de la Floride à Los Angeles) et 8 (du sud de Phoenix à San Diego) placent Buckeye à un carrefour d’envergure nationale dans un contexte ou l’Arizona s’inscrit pleinement dans la dynamique de la Sun Belt, attirant retraités aisés, appelés snowbirds, qui quittent leur État d’origine pour des régions plus ensoleillées, et populations diplômées intéressées par le développement des secteurs de pointe hérités de l’industrie de l’armement (Ghorra-Gobin C., 1998 ; Benites-Gambirazio E. et al., 2016). Alors que se rendre à Phoenix prend désormais moins d’une heure par l’autoroute 10, la vallée de Buckeye entre dans une nouvelle période de croissance fondée sur l’étalement urbain et le développement immobilier. La vallée traverse ainsi une phase de transition, caractéristique de l’État d’Arizona qui passe d’une période « extractive » autour de la mise en valeur minière et agricole du territoire à une « société urbaine de la Sun Belt » (Sheridan T., 1995 ; 2012) fondée sur le développement immobilier et les services (Ross A., 2011) qui ont pour point commun de nécessiter la mobilisation de fortes quantités d’eau. Dans les années 2000, Buckeye devient le nouveau front d’urbanisation du comté de Maricopa : de nouveaux lotissements s’intercalent désormais entre les exploitations agricoles, de plus en plus reléguées au statut de vestiges du passé agricole de la région (Photographie 1 ; 2).

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Photographie 2 : L’étalement urbain gagne sur les terres agricoles : Cove Dove Estate à Buckeye, juin 2019

Source : Anne-Lise Boyer

Photographie 3 : Terres agricoles à vendre à Buckeye, Miller Road, juin 2019

Source : Anne-Lise Boyer

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Buckeye, un front d’urbanisation en plein boom

Une politique agressive de « land grab » au service de la croissance urbaine

15 Même si Buckeye conserve pour l’instant son patrimoine agricole, aujourd’hui, d’après P. Gober (2006), nulle autre ville en Arizona ne montre des stratégies pro- développement urbain aussi évidentes. En effet, Buckeye a annexé tellement de terrains en prévision de la croissance urbaine qu’elle est maintenant la plus grande municipalité de la région : d’à peine 3 km2 à sa fondation en 1888, la municipalité atteint aujourd’hui 1 020 km2 dont seulement 8 % sont aménagés (Figure 1). Ce mode d’expansion municipale par annexion est un procédé commun aux États-Unis au XIXe siècle. Au XXe siècle, il se fait de plus en plus rare sur la côte Est et dans le Midwest mais persiste dans le Sud et dans l’Ouest après la Seconde Guerre Mondiale. En effet, alors que la population s’éloigne des centres-villes et s’installe dans la Sun Belt, l’annexion permet aux municipalités de capter les résidents éloignés et de nouvelles sources de revenus sous la forme de recettes fiscales (Abbott C., 1987). Ainsi certaines municipalités entrent en concurrence voire en conflit au sujet de leurs limites et de l’incorporation de terres adjacentes, ce qui contribue aussi à la mise en place de politiques agressives d’annexion. Dans l’Ouest, les municipalités achètent des parcelles de terre dans le but d’obtenir aussi les droits sur l'eau qui leur sont rattachés afin de sécuriser leur approvisionnement (Barbier N., 2015 ; Benites-Gambirazio E. et al., 2016). C’est surtout dans les années 1990-2000 que Buckeye enregistre une forte augmentation de sa superficie. Par exemple, en 1999, Buckeye a annexé le site qui correspond aujourd’hui au plus grand lotissement planifié de l’aire urbaine de Phoenix, Verrado. Avec 18 000 habitants et trois zones commerciales à Verrado, Buckeye peut compter sur des recettes fiscales annuelles de 10 millions de dollars (Heim C., 2008). En 2002, la ville annexe 137 km2 de terres pour développer Douglas Ranch, un projet de masterplanned community financé par JDM Partners, l’entreprise immobilière d’un célèbre homme d’affaires de Phoenix qui a possédé un temps l’équipe de basket Phoenix Suns et l’équipe de baseball Arizona Diamondsbacks. Douglas Ranch est présenté comme un projet de « ville du futur », innovant en termes d’urbanisme et de gestion de l’environnement, construit autour d’un parc inspiré de Central Park à New York en plein désert de Sonora7… Cependant, fortement impactées par la crise de 2008, les premières étapes du projet ne devraient voir le jour qu’en 2020.

16 Aujourd’hui, Buckeye compte 26 masterplanned communities, et 166 lotissements construits par des promoteurs immobiliers, tous sont gérés par des Homeowners Associations (HOAs)8, mais sont sous la juridiction de la Ville de Buckeye qui prend en charge les services et infrastructures publics. Ainsi, la municipalité approvisionne en eau 96 % des logements de Buckeye, les 4 % restants sont desservis par des entreprises privées.

Quelle eau pour la croissance urbaine ?

17 Les villes du centre de l’Arizona utilisent différentes ressources en eau : l’eau du fleuve Colorado acheminée par le canal « Central Arizona Project » (CAP), les eaux des rivières à l’intérieur de l’État, les eaux souterraines, ainsi que les eaux usées traitées des

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municipalités (Poupeau F. et al., 2016). Chaque type de ressource est gouverné par une règlementation spécifique (Colby B. et K. Jacobs, 2007). L’eau du Colorado acheminée via le canal CAP est distribuée à certaines municipalités, industriels et nations autochtones possédant des contrats. La Ville de Buckeye par exemple reçoit 83 877 000 de litres d’eau du CAP par an, mais cela ne correspond qu’à 2 % de l’eau consommée par la ville9. Les eaux de surface, comme la rivière Gila ou l’Agua Fria, sont gouvernées par la doctrine de l’appropriation antérieure, et seuls les usagers détenant ces droits sur les eaux de surface peuvent les mobiliser. À Buckeye, ce sont les agriculteurs qui possèdent ces droits.

18 En 1980, le GMA a créé des zones de gestion appelées Active Management Areas (AMAs) dans lesquelles l'utilisation des eaux souterraines est réglementée par le Département des Ressources en eau de l'Arizona (Arizona Water Resources Department). Il y a désormais cinq AMAs : Phoenix – dans laquelle se situe la ville de Buckeye –, Pinal, Prescott, Santa Cruz et Tucson, qui dans l’ensemble correspondent au couloir de développement urbain nord-sud, formant la région du Sun Corridor10. Dans ces zones, il est interdit aux agriculteurs d’étendre l’irrigation à de nouvelles terres, ce qui contribue à renforcer l’expansion urbaine comme nouveau mode de mise en valeur du territoire.

19 En 1995, des règles appelées « Assured Water Supply (AWS) » (approvisionnement en eau garanti) ont été ajoutées au GMA pour assurer l’approvisionnement en eau des nouveaux développements immobiliers. Pour obtenir un permis de construire au sein d’une AMA, un promoteur immobilier doit donc soit obtenir son propre certificat d’AWS, soit être approvisionné en eau par un service d’eau qui a déjà une appellation AWS. Les règles d’AWS exigent que soit démontrée la disponibilité physique et légale d’une ressource en eau, en continu pendant cent ans, ainsi qu’une capacité financière à traiter et à fournir une eau conforme aux normes de qualité, en cohérence avec l'objectif de gestion de l'eau souterraine de l'AMA et en conformité avec les plans de gestion périodiques requis pour chaque AMA, théoriquement revu tous les dix ans (AAWS Overview, 2019).

20 Dans l’AMA de Phoenix, l’objectif de gestion de l’eau est de maintenir un « safe-yield », un équilibre à long terme entre la quantité annuelle d’eau souterraine prélevée et la quantité annuelle de recharge naturelle et artificielle d’ici 2025 : les pompages dans les nappes sont donc fortement limités tant qu’ils ne sont pas pré-rechargés ou remplacés par renflouage artificiel avec de l’eau renouvelable (Bernat R. et al., 2020). En Arizona, les eaux souterraines sont considérées comme non-renouvelables, contrairement aux eaux de surface et aux eaux usées. En effet, dans le Sud-Ouest états-unien, le taux de recharge naturelle des nappes phréatiques est de seulement 8 % et diminuera très certainement de 4 % d’ici 2031-2050 du fait du changement climatique (Niraula R. et al., 2017).

21 Pourtant à Buckeye, les usages résidentiels de l’eau reposent à 98 % sur la mobilisation des ressources des nappes phréatiques. La disponibilité de cette ressource est même mise en avant dans les campagnes de marketing territorial de la municipalité comme le montre cet extrait du livre « City of Buckeye–Welcome to Arizona’s biggest opportunity », publié en 2015 : « voici les raisons pour lesquelles les nouveaux habitants, entreprises et visiteurs potentiels doivent considérer Buckeye comme l’endroit où s’installer. Vous pouvez construire, nous avons des terrains disponibles. Nous avons de l’eau, Buckeye se trouve sur une nappe phréatique (…)11 ».

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22 Cependant, Buckeye n'a pas de certificat d’AWS, bien que la ville ait candidaté en 2008. Dans le but de diversifier son approvisionnement, notamment en ressources renouvelables, et pour prétendre au certificat d’AWS en 2017, la municipalité de Buckeye, avec l’aide d’une entreprise de conseil en ingénierie environnementale, a élaboré un plan directeur de gestion de la ressource en eau (« water master plan ») (Carollo Engineers, 2017). D’après ce plan, les solutions qui s’offrent à la Ville sont : acquérir plus d’eau en provenance du CAP, stocker à Buckeye de l’eau du CAP appartenant à d’autres municipalités pour obtenir des crédits de long terme qui permettent de mieux se positionner sur le marché de l’eau, mobiliser des eaux souterraines au-delà de l’AMA de Phoenix dont l’utilisation échappe au GMA (cette dernière option pose cependant la question du coût des infrastructures pour transporter l’eau jusqu’à Buckeye). Par ailleurs, la Ville profite des héritages liés à la mise en valeur agricole de la ressource en eau. Elle a notamment établi un contrat avec l’entreprise privée Buckeye Canal Irrigation Company qui lui fournit notamment l’eau nécessaire à l’irrigation des espaces publics (parcs, terrains de sport, cours d’école, etc.). La majorité du centre-ville de Buckeye, installé sur d’anciennes terres agricoles auxquelles sont attachées un droit à l’eau, ont accès à une pratique héritée de la gestion agricole de la ressource : l’irrigation par submersion (« flood irrigation »). Il s’agit d’eau de surface non traitée, délivrée par gravité depuis les canaux gérés par les districts d’irrigation, Buckeye Canal et Roosevelt, vers un système de fossés ouverts, de conduites souterraines, de portes de contrôle et de vannes organisé à l’échelle du quartier. De faible coût et délivré deux fois par mois, cet apport d’eau permet notamment de maintenir des pelouses ou des arbres fruitiers dans le climat semi-aride de la région (Wentz E. et P. Gober, 2007).

23 Cet affichage d’abondance ne va pas sans poser question au regard de la vitesse à laquelle croit la ville de Buckeye, sur un modèle d’étalement urbain considéré aujourd’hui comme prédateur de ressources naturelles (Bruegmann R., 2005 ; Berque A. et al., 2006) et dans le contexte de changement climatique qui aggrave les pressions sur la ressource en eau à l’échelle régionale. En effet, dans le sud-ouest des États-Unis, les modèles climatiques prévoient une hausse des températures de 2,2 °C d’ici 2100 qui aurait notamment pour conséquence une réduction du manteau neigeux dans les Rocheuses et une diminution des débits des cours d’eau, et qui pourrait faire entrer la région dans une période de méga-sécheresse de plusieurs décennies (Cayan D. et al., 2013 ; Udall B. et J. Overpeck, 2017).

Les tensions autour de la ressource en eau

Soutenir la croissance sur le long-terme : le transfert des usages agricoles de l’eau aux usages urbains

24 Depuis le GMA en 1980, à l’échelle locale, la concurrence entre les utilisateurs d’eau se fait de plus en plus forte. En effet, le GMA suppose que les usages agricoles de l’eau vont progressivement céder le pas aux usages urbains, à plus haute valeur ajoutée (Blomquist W. et al., 2004). Les acteurs en faveur des usages urbains de l’eau affirment qu'il semble plus intéressant d'affecter une plus grande quantité de la ressource aux grandes zones urbaines, où vivent désormais 80 % de la population de l’État car les villes disposent de moyens financiers plus importants pour financer les coûts de

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l’approvisionnement en eau (Kenski H., 1988). Pourtant, le secteur agricole utilise encore 74 % du total de l’eau consommée en Arizona. Des études ont montré que si les usages agricoles étaient remplacés en intégralité par des usages résidentiels, et que la consommation domestique restait de 750 litres par personne par jour – ce qui est la moyenne dans l’agglomération de Phoenix aujourd’hui (la moyenne nationale s’élève à 315 litres par personne et par jour) - la métropole pourrait accueillir une population urbaine de 9 millions d’habitants (Wright B., 1997 ; Gammage G., 2016). Les opposants à cette idée soutiennent que ce transfert de la ressource aura un impact profond sur les économies rurales locales qui ont contribué à façonner l’attractivité de l’Arizona autour d’un « western ranching lifestyle » (habitat peu dense, centré sur l’extérieur et ouvert sur les grands espaces, inspiré des ranches) (Gammage G. et al., 2011 ; Benites-Gambirazio E. et al., 2016).

25 La plupart des anciennes familles d’agriculteurs de Buckeye se montrent favorables à la croissance urbaine, conscientes que « désormais, plutôt que la luzerne, le coton ou les produits laitiers, faire pousser des lotissements est devenu la culture commerciale rentable de la région12 » (Meck V., 2007). Un urbaniste qui travaille pour la Ville s’en étonne même : « Quand je suis arrivé ici je pensais que ces gens ne voudraient rien changer, qu’ils ne voudraient pas que quiconque touche à leurs terres, mais non, on est complètement dans la situation inverse. Les agriculteurs veulent gagner de l’argent. Dans le contexte actuel : leurs enfants ne veulent pas forcément reprendre l’exploitation, des promoteurs sont intéressés, donc ils veulent vendre… Et certains ne veulent pas refuser 30 millions de dollars13 ». De plus, il est plus facile de construire sur d’anciennes terres agricoles, car elles ont été déjà aplanies et possèdent bien souvent un accès à l’eau, voire des droits sur l’eau associés à la terre, ce qui réduit le coût des investissements en termes d’infrastructures et de négociations pour démontrer la viabilité de l’approvisionnement sur cent ans. L’État d’Arizona encourage fortement la croissance urbaine grâce à un encadrement minimal de la construction résidentielle (Benites-Gambirazio E., 2016) : tout projet de construction est autorisé sur un terrain de 4 000 m2 minimum. Ainsi, les municipalités n’ont pas les compétences pour refuser des projets de développement. À Buckeye, des voix s’élèvent parmi les habitants pour préserver le patrimoine agricole de la ville qui trouvent écho auprès de certains membres du conseil municipal. Pour rester dans le cadre des régulations prévues par l’État d’Arizona, la Ville de Buckeye, dans son Plan Général d’Urbanisme, a défini un zonage spécifique pour des parcelles dédiées à l’agriculture qu’elle souhaiterait laisser en l’état pour préserver un « environnement rural agréable »14 qui a un rôle dans l’identité et l’attractivité de la commune. Bien que légalement la Ville ne puisse refuser un projet, le but est de décourager les promoteurs qui souhaiteraient proposer de l’habitat à forte densité (lotissements de petits immeubles à deux étages, ou de maisons mitoyennes par exemple) dans ces zones marquées comme agricoles.

Développement dans le désert et gestion de l’eau à travers le Central Arizona Groundwater Replenishment District (CAGRD)

26 Si le transfert de la ressource du secteur agricole aux usages urbains est considéré comme un moyen d’augmenter les sources d’approvisionnement en eau, une part importante de l’expansion urbaine gagne aussi sur des espaces de désert encore vierges de tout développement (Gober P., 2006) – c’est le cas de Douglas Ranch – ou sur des

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terrains désertiques transformés, comme dans le cas de Verrado, construit sur des anciens terrains d’essai Caterpillar au pied des White Tank Mountains.

27 Cependant, dans ce cas, le développement repose sur l’exploitation des nappes phréatiques, encadrée par la règle d’Assured Water Supply. Dans l’AMA de Phoenix, un lotissement souhaitant obtenir un certificat d’Assured Water Supply ne peut prétendre mobiliser qu’une quantité limitée d’eaux souterraines, correspondant à 2 % de sa demande annuelle en eau escomptée. La garantie de l’approvisionnement sur cent ans doit donc être complétée par l’acquisition de droits sur d’autres ressources en eau15. Au-delà de ces 2 %, la quantité d’eau souterraine utilisée par le lotissement est considérée comme étant « excessive ». De ce fait, la législature de l'État de l'Arizona a créé le Central Arizona Groundwater Replenishment District (CAGRD) en 1993, une entité gouvernementale qui fournit un mécanisme aux propriétaires fonciers et aux fournisseurs d'eau pour se conformer aux objectifs de gestion durable de la ressource de l’AMA (Megdal S., 2007). Le CAGRD, en centralisant les déclarations de consommations excessives d’eau et en organisant le renflouement des nappes phréatiques, permet donc de mettre en œuvre l’une des règles de l’AWS qui oblige à utiliser des eaux renouvelables (Bernat R. et al., 2020). La création du CAGRD était donc un compromis indispensable pour le passage des règles de l’AWS au niveau législatif, qui, seules, auraient considérablement limité le développement économique dans les AMAs.

28 Un lotissement qui ne dispose pas d’un accès suffisant à une source d’eau renouvelable peut devenir membre du CAGRD (« member land »), ce qui lui permet de se conformer à l’objectif de gestion de l’AMA et donc d’obtenir le certificat d’« Assured Water Supply » dont dépend son existence (Figure 2). Pour bénéficier de ce service, les lotissements dans l’AMA de Phoenix puisant en excès dans les nappes doivent devenir membres du District et s’acquitter de frais d’inscription de 1 080 dollars, chaque logement doit aussi payer des frais d’adhésion annuels (28.59 dollars) et une redevance annuelle de 0.59 dollar par mètre cube (CAGRD, 2019). Le CAGRD détermine le coût total du réapprovisionnement des nappes dans chaque AMA et divise ce total par le volume qu’il est obligé de renflouer dans les nappes, il en résulte un taux de renflouement qui est imputé à chaque membre en fonction du volume d'eau souterraine qu'il a utilisé. Les frais de renflouement de l’AMA de Phoenix incluent les coûts d’achat de ressources renouvelables (CAP, effluents, crédits issus de la recharge artificielle), les frais administratifs et la construction d’infrastructures. Le CAGRD a trois ans pour renflouer dans l’AMA de Phoenix l’excès d'eau souterraine pompée pour les besoins du développement urbain.

29 Une municipalité ou un service d’approvisionnement en eau peut également faire appel au CAGRD (en tant que « member service area ») pour obtenir une appellation d’AWS. Puisque la municipalité de Buckeye n’a pas de désignation d’AWS, les promoteurs immobiliers de 166 lotissements ont rejoint le CAGRD pour obtenir leur propre certificat d’AWS, ce qui oblige ensuite la Ville à les desservir. À l’échelle locale, cela pose la question de la faiblesse d’un pouvoir public limité (en termes de ressources humaines et de budget) sur un territoire municipal immense, à bâtir, ouvert aux investissements immobiliers privés. Par exemple, le service municipal de Buckeye ne compte pour l’instant que 80 employés et se dit parfois débordé16.

30 Si le CAGRD permet bien de contrebalancer les quantités d’eau souterraine pompées par ses membres qui dépassent les limites réglementaires, le dispositif est cependant

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sujet à controverse. D’abord, du fait de l’étalement urbain, le CAGRD a vu son nombre d’adhérents fortement augmenter (Avery C. et al., 2007). Selon des estimations menées en 2014, le CAGRD devra obtenir une augmentation de 194 % d’eau disponible pour renflouer l’excès d’eau souterraine pompée par ses adhérents dans les cent prochaines années. Ainsi, la quantité d'eau renouvelable que le CAGRD devra trouver disponible pour recharger les nappes phréatiques ne fait que croître. Dans ce contexte, le CAGRD a prévu des hausses régulières de la redevance liée au renflouement des aquifères (par exemple, 0.74 dollar par mètre cube pour l’année 2024). Ainsi, pour Buckeye, le coût de la participation au système de recharge encadré par le CAGRD pourrait finir par s’élever à 47,2 millions de dollars en 2040, pour environ 300 000 habitants (Ferris K. et S. Porter, 2019). À plus long terme, il a été calculé que, si la Ville de Buckeye réussit à obtenir son certificat d’AWS et à rejoindre le CAGRD, et si tout le territoire municipal finit par être aménagé pour des usages résidentiels (il abriterait alors 800 000 habitants environ selon Matrix Design Group, 2018), le CAGRD se trouverait en capacité de ne répondre, en termes de recharge, qu’à seulement 20 % de la demande en eau de la ville. Enfin, le système instauré par le CAGRD implique une dépendance quasi totale à l’eau du CAP. Jusqu’en 2004, le CAGRD n’utilisait que l’eau du CAP (Jacobs K. et J. Holway, 2004) pour s’acquitter de ses obligations en matière de renflouement des nappes phréatiques, plus récemment il a pris la décision de diversifier ses approvisionnements en eau, notamment grâce à l’achat d’effluents et de crédits issus de la recharge artificielle (en eau renouvelable) des aquifères (CAGRD, 2015 ; Bernat R. et al., 2020) (Figure 2). En effet, dans le contexte de sécheresse prolongée que connaît la région depuis une quinzaine d’années, le CAP, qui apparaissait jusque-là comme une source d’approvisionnement garantie, montre de plus en plus ses limites. Le Drought Contingency Plan (Plan d’urgence face à la sécheresse), ratifié en mai 2019 par les trois États du bassin du Bas Colorado (Arizona, Californie, Nevada) et l’État fédéral, prévoit une réduction de 6,9 % de l’allocation en eau du Colorado pour l’Arizona afin de conserver une plus grande quantité d’eau dans le lac Mead, le réservoir principal. Cette réduction ne devrait pas toucher directement les usagers mais concerne précisément l’eau destinée au renflouement des nappes phréatiques par le CAGRD. Cet accord vise à repousser l’imminence d’une déclaration de pénurie sur le Colorado (si le niveau du lac Mead passe sous les 325 mètres) qui annulerait totalement la disponibilité de l’eau du CAP pour le CAGRD17. Ainsi, le CAGRD est un mécanisme qui permet aux promoteurs immobiliers de se décharger de leur responsabilité envers l’objectif de gestion durable de l’AMA. Devant les difficultés à diversifier l’approvisionnement en eau dans des zones encore peu développées, l’adhésion au CAGRD est même devenue la stratégie par défaut pour les périphéries en croissance des métropoles d’Arizona, Phoenix mais aussi Tucson (Ferris K. et S. Porter, 2019).

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Figure 2 : Groundwater Management Act et étalement urbain : un jeu d’acteurs pour compromis

Gérer la demande dans une ville fragmentée, développée par des intérêts privés

31 Le développement urbain récent prend place dans de petites municipalités, à l’ouest de Phoenix – comme c’est le cas à Buckeye – qui ne disposent pas des mêmes ressources en eau, plus durables et plus flexibles (accès au CAP, accès au SRP) que les grandes villes de l’aire urbaine de Phoenix (Mesa, Tempe, Scottsdale). Buckeye, malgré les efforts de planification déployés au sein de son « water master plan », a bien du mal à montrer comment elle parviendra, dans le cadre du Groundwater Management Act, de l’Assured Water Supply, et du CAGRD, à fournir de l’eau pour répondre à la demande d’une population escomptée de 800 000 habitants.

32 De plus, l’expansion urbaine de Buckeye se fait au gré des investissements immobiliers, de manière fragmentée. La municipalité de Buckeye s’organise sous la forme d’un archipel de lotissements sans continuité dans le tissu urbain. Ce développement est marqué par le « desert oasis lifestyle » qui favorise l’habitat individuel, peu dense, entrecoupé des paysages verdoyants (pelouses, palmiers) et d’équipements fortement consommateurs d’eau (piscines, golfs) (Hirt P. et al., 2017) (Photographie 4).

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Photographie 4 : Le « desert oasis lifestyle » : Verrado Town Square dans la masterplanned community de Verrado, juillet 2019

Source : Anne-Lise Boyer

33 Dans le cadre du GMA, qui promeut la diversification et la sécurisation de l’approvisionnement en eau mais aussi une meilleure gestion de la demande, depuis 2009, la Ville de Buckeye met en place des politiques publiques qui poussent les usagers à contrôler leur consommation. Cependant, l’équipe en charge de proposer et de mettre en œuvre ces mesures n’est constituée pour le moment que de deux personnes.

34 Pour les usages résidentiels, la tarification se fait selon un système à cinq niveaux : les usagers paient un prix différent en fonction de la quantité dépensée, un prix plus élevé étant facturé pour une quantité plus importante. À Buckeye, 69,5 % de la population se situent dans la première tranche qui consomme entre 0 et 23 m3 d’eau par mois et tout de même 2,1 % de la population consomment plus de 113 m3 par mois (les ménages français utilisent 120 m3 d’eau par an en moyenne)18. Dans le contexte semi-aride de la région, entre 50 et 70 % de la consommation d’eau des ménages sont consacrés à des usages extérieurs (Gammage G. et al., 2011), notamment à l’arrosage nécessaire au maintien de la végétation. À Buckeye, cet usage représente un défi dans une ville en pleine croissance où s’installe une population venue d’ailleurs ainsi que le souligne la water conservation specialist de la Ville de Buckeye : « la plupart des gens ici viennent d’une autre région, du Canada notamment…Nous avons donc beaucoup de snowbirds19 qui achètent des résidences secondaires. Ils ont l’habitude d’utiliser l’eau de manière différente et ont des préférences paysagères différentes. Ils ne savent rien sur les plantes du désert, de quelle quantité d’eau elles ont besoin, etc.20 ». La consommation d’eau pour le maintien de la végétation est l’une des cibles principales des politiques d’économies en eau en Arizona. L’État mais aussi les municipalités promeuvent depuis les années 1980 le xéropaysagisme qui requiert peu ou pas d’irrigation grâce à des plantes adaptées aux conditions arides. Le service municipal des eaux à Buckeye

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travaille dans cette direction mais se heurte aux intérêts des promoteurs immobiliers dont les produits standardisés, avec pelouses et terrains de golf, font leurs preuves depuis les années 1960 en Arizona. Par exemple, le service municipal des eaux a proposé au conseil municipal un décret qui interdit la pose de pelouse devant la maison-modèle des lotissements ce qui a suscité un tollé de la part des promoteurs : « j’ai essayé de les convaincre de ne pas mettre de pelouse devant la maison-modèle. Je leur ai dit : ‘vous pourriez mettre une pelouse artificielle, comme ça ce serait bien vert quand même’. Mais ils n’ont pas voulu. Ensuite, je leur ai dit : ‘vous allez mettre de la pelouse devant toutes les maisons mais il est possible que les gens n’aiment pas les pelouses !’. Ils ont dit qu’ils étaient sûrs de vendre les maisons avec de la pelouse et qu’ils étaient totalement opposés à toute restriction sur les pelouses. Et ils ont plus de pouvoir que moi… »21. Les promoteurs immobiliers évaluent la quantité d’eau qui sera utilisée par les résidents, mais ces coûts sont ensuite à la charge des résidents, inclus dans leur taxe foncière (CAGRD, 2014). D’après des forums en ligne qui discutent de la qualité de vie dans certains lotissements (comme Niche ou Yelp), les résidents sont peu au courant du fonctionnement de ce système, bien souvent la ligne de contribution au CAGRD indiquée sur leur déclaration d’impôts soulève des interrogations et la consommation de l’eau dans les parties communes (consommation excessive liée à l’arrosage notamment) peut susciter débat lors des réunions de copropriétaires…

35 À Phoenix, 80 % des paysages urbains avaient de la pelouse dans les années 2000 alors que ce chiffre ne s’élève aujourd’hui qu’à 14 %, remplacés par des xériscapes (Robbins J., 2019). Un changement dans les attitudes à l’égard de l’environnement se met donc lentement en place dans les centres urbains d’Arizona, mais il s’opère dans le cadre d’une puissance publique locale forte, qui a mis des limites à la croissance à tout prix (souvent de fait, car l’espace n’est plus disponible). L’enjeu pour Buckeye réside donc surtout dans la faiblesse du pouvoir d’une structure municipale embryonnaire dans une ville qui se développe rapidement. La Ville se trouve donc confrontée à des problèmes de cohésion territoriale, alors qu’elle doit assurer non seulement le respect de la régulation environnementale en vigueur mais aussi la durabilité de son existence.

Conclusion

36 La trajectoire de Buckeye semble suivre le modèle de ces voisines d’Arizona centrale, Phoenix, Tempe, Mesa, Scottsdale : nées autour d’un canal d’irrigation construit à la fin du XIXe siècle, elles sont désormais des municipalités de respectivement 1 million, 200 000, 500 000 et 255 000 habitants dans la cinquième plus grande aire urbaine des États-Unis. Le développement de Buckeye, qui repose en grande majorité sur la mobilisation des ressources en eau souterraine dans un contexte où ces dernières sont censées être régulées et protégées par le Groundwater Management Act, nous permet de mettre au jour la complexité et les ambivalences de la gestion de l’eau en Arizona. Si la croissance urbaine permet de transférer des usages agricoles de l’eau vers des usages urbains, elle exerce cependant une forte pression sur les ressources souterraines et met surtout en jeu le Central Arizona Groundwater Replenishment District. Chargé de réguler le niveau des nappes phréatiques grâce à un jeu de compensation et un système de renflouement des nappes phréatiques, le CAGRD a fini par fonctionner comme un mécanisme permettant aux propriétaires fonciers de démontrer la durabilité de leur approvisionnement et d’assurer ainsi la construction de nouveaux lotissements. Ce

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dispositif se trouve de plus en plus dépassé du fait de l’étalement urbain qui gagne des territoires de moins en moins pourvus en ressources en eau et de la menace de pénurie qui pèse sur l’eau du Colorado. On aurait pu penser que les efforts de gestion durable de l’eau mis en place dans un espace soumis à des problèmes de rareté permettraient de limiter la croissance urbaine mais ce n’est pas le cas. La gestion de l’eau est en fait déconnectée de la gestion foncière, ce qui représente un obstacle majeur au contrôle de la croissance à travers le facteur « eau », pourtant déterminant. Si l’État d’Arizona se considère comme l’avant-garde de la gestion durable de l’eau aux États-Unis, encadrant des dispositifs à différentes échelles pour sécuriser et diversifier l’approvisionnement en eau, il est cependant peu regardant sur l’aspect gestion du territoire : de nombreux terrains sont encore disponibles – l’État est urbanisé à 25 % – et le développement immobilier est un pilier important et prospère de l’économie régionale. Ainsi, l’eau est gérée dans le cadre d’un système administré et contrôlé par l’État d’Arizona, mais le foncier est mis en valeur et géré par les propriétaires sans vraie régulation de la part du gouvernement de l’État, ou local. Le rôle principal des acteurs publics en matière d’aménagement du territoire est même d’encourager l’aménagement en fournissant les infrastructures et services nécessaires comme les routes, les écoles, et bien sûr l’adduction en eau potable (Travis W., 2003 ; Gober P. et al., 2013). Ce mode de fonctionnement, où ce n’est pas la quantité d’eau disponible qui influence les modes de mise en valeur du territoire mais plutôt l’occupation des sols qui oriente la mise en valeur des ressources en eau, interroge sur la durabilité d’un modèle urbain hérité des années 1950 qui favorise l’étalement urbain, l’usage de la voiture, les piscines et les cours de golf dans le contexte de changement climatique.

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NOTES

1. Entre 2017 et 2018, la ville de Buckeye a connu une croissance démographique de +8,5%. Voir “Fastest-Growing Cities primarily in the South and in the West”, 23 mai 2019 : https:// www.census.gov/newsroom/press-releases/2019/subcounty-population-estimates.html 2. Notamment le Homestead Act de 1862 dans le cadre duquel les colons obtiennent des droits de propriété sur les terres publiques pour encourager leur mise en valeur, et le Desert Land Act de 1877 qui autorise l’accès aux terres fédérales pour leur mise en exploitation grâce à l’irrigation dans le but d’encourager le développement économique des terres arides et semi-arides de l’Ouest. 3. Les aires incorporées aux États-Unis sont des territoires qui ont reçu une charte de l’Etat pour accéder au statut de “ville” et qui sont gérés dès lors par une équipe municipale. 4. Entretien avec Jackie Meck par Verlyne Meck, 18 Février 2011, Arizona State Library, Archives and Public Records. 5. Le Salt River Project, instauré au début du XXe siècle, est le principal fournisseur en eau du centre de l’Arizona. Il gère huit réservoirs à l’est de Phoenix sur la rivière Salée et sur la rivière Verde et une dizaine de canaux qui approvisionnent la ville de Phoenix en eau. 6. Entretien avec Bruce Heiden, par Jean Denman, 21 Juin 2011, Arizona State Library, Archives and Public Records 7. Voir site Web du projet : https://douglasranchaz.com/ 8. Organisation formée par les promoteurs immobiliers dans le but de gérer et commercialiser les maisons et les terrains d’un lotissement résidentiel. Toute personne achetant un logement dans un lotissement géré par une HOA doit en devenir membre, se conformer aux règlements en vigueur et en payer les charges. 9. Voir site Web de la Ville de Buckeye : https://www.buckeyeaz.gov/residents/water-resources 10. Selon le Plan America 2050 qui liste onze régions mégapolitaines. Voir : http:// www.america2050.org/arizona_sun_corridor.html 11. « These are the rational reasons that prospective residents, businesses and visitors should rank Buckeye high on their list of places to be. You can build here ; we’ve got the land. We’ve got water, Buckeye sits on an aquifer (…) », p.22 12. « this time the cash crop became people rather than cotton, alfalfa or dairies », p. 4

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13. Entretien, 5 juin 2019 : « When I came here, I thought that I would deal with people who don’t want to see any changes here, with people who don’t want anyone else to touch their lands…And no…We are in the exact opposite situation. Farmers want to make money…Today, kids don’t really want to run the farm, developers are interested, so they want to sell their lands. And some of them won’t say no to 30 million dollars you know… ». 14. Entretien avec un urbaniste de la Ville de Buckeye, 5 juin 2019 : « a nice rural environment » 15. Arizona Administrative Code, R12-15-724, Phoenix AMA Calculation of Groundwater Allowance and Extinguishment Credits 16. Entretien avec l’hydrologue de la Ville, 10 juillet 2018 17. Voir : « ASU Water Policy addresses new drought plan for state », Marshall Terrill, 27 août 2019 : http://morrisoninstitute.asu.edu/content/asu-water-policy-expert-addresses-new- drought-plan-state 18. D’après le Centre d’information sur l’eau : http://cieau.com/le-metier-de-leau/ressource-en- eau-eau-potable-eaux-usees/quels-sont-les-usages-domestiques-de-leau/ 19. Un snowbird est une personne qui migre des États du Nord des États-Unis et du Canada pour passer la saison d’hiver dans une résidence secondaire dans un État de la Sun Belt. 20. Entretien avec la water conservation specialist de la Ville de Buckeye, 10 juillet 2018 : « Most of the residents here are newcomers, they are from other areas, from Canada mostly…We have a lot of snowbirds out here, buying second homes. They're used to using water differently and have different landscaping you know. They don’t know anything about desert plants, how much water they need and other things ». 21. Entretien avec l’hydrologue de la Ville de Buckeye, 10 juillet 2018 : « And I tried to convince them that they could not put turf for the model-home. I said "you could put artificial turf there, that still looks green". But they didn't want to do that. But then I said ‘well, if you put in turf what if someone doesn't want it ?’ but then they said that they are 100% sure to sell them later with turf, that they are opposed to any restriction on turf… And they have more power than I do ».

RÉSUMÉS

La ville de Buckeye, en bordure de l’aire urbaine de Phoenix, la capitale de l’État d’Arizona, est d’après le recensement américain, la ville qui croit le plus vite des États-Unis. Située dans un environnement semi-aride, la ville est née au bord d’un canal d’irrigation dans le contexte de la Conquête de l’Ouest. De petite localité agricole, elle se transforme en banlieue (suburb) attractive de Phoenix, où se multiplient les masterplanned communities, enclaves et oasis résidentielles. Ce développement urbain repose en grande majorité sur l’exploitation des nappes phréatiques, contrôlée depuis les années 1980 par le Groundwater Management Act, une loi de l’État d’Arizona, considérée comme à l’avant-garde de la gestion durable de l’eau. A travers le cas de Buckeye, cet article explore les modalités de la gestion de l’eau à l’échelle municipale et en montre les contradictions. En effet, si un certain nombre de dispositifs et garde-fous ont été mis en place dans le but de réguler l’exploitation de la ressource, le laisser-faire des divers échelons de la puissance publique (État, municipalités) concernant le foncier n’aide pas à soulager la pression sur la ressource qui pourtant se raréfie dans le contexte du changement climatique.

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The city of Buckeye, on the west side of the Phoenix urban area (the state capital of Arizona) is the fastest growing city in the United States. Located in a semi-arid environment, the city was born at the edge of an irrigation canal in the context of the Conquest of the West. From a small farming community, Buckeye has transformed into an attractive suburb of Phoenix composed of multiple oasis-like masterplanned communities. However, this urban development is largely based on the exploitation of groundwater, regulated since the 1980s by the Groundwater Management Act, a law passed by the State of Arizona considered to be at the forefront of sustainable water management. This paper builds on how water is managed at the municipal level in Buckeye to explore the contradictions of water management in Arizona. Indeed, numbers of measures and safeguards were put in place in order to regulate the exploitation of the resource. The laissez- faire attitude of the various levels of government (State, municipalities) concerning land management is not helping to lower the pressure on the resource, which is becoming increasingly rare in the context of climate change.

La ciudad de Buckeye, que limita con el área urbana de Phoenix, la capital del estado de Arizona, es la ciudad con mayor crecimiento en los Estados Unidos. Ubicada en un clima semiárido, la ciudad nació al borde de un canal de riego durante la Conquista del Oeste. De una pequeña comunidad agrícola, se transformó en una periferia atractiva de Phoenix compuesta de múltiples comunidades planificadas como oasis. Sin embargo, este desarrollo urbano se basa en gran medida en la explotación de aguas subterráneas, controlada desde la década de 1980 por la Ley de Gestión de Aguas Subterráneas, una ley del Estado de Arizona, considerada a la vanguardia de la gestión sostenible del agua. A través del caso de Buckeye, este artículo explora las modalidades de gestión del agua a nivel municipal y muestra las contradicciones de la gestión del agua en Arizona. De hecho, si se estableciera un cierto número de dispositivos y salvaguardas para regular la explotación del recurso, la debilidad de los diversos niveles del poder público (Estado, municipios) con respecto a la tierra no hace nada para aliviar la presión sobre el recurso, que se está volviendo cada vez más raro en el contexto del cambio climático.

INDEX

Mots-clés : Gestion de l’eau, étalement urbain, nappe phréatique, environnement semi-aride, États-Unis Palabras claves : Gestión del agua, expansión urbana, aguas subterráneas, región semiárida, Estados Unidos Keywords : Water management, urban sprawl, groundwater, semi-arid land, United States

AUTEURS

ANNE-LISE BOYER

Anne-Lise Boyer est doctorante en géographie au laboratoire Environnement Ville Société. UMR 5600, ENS de Lyon. [email protected]

REBECCA F.A. BERNAT

Rebecca F.A. Bernat est doctorante à l’Université d’Arizona. Department of Environmental Science, College of Agriculture and Life Sciences [email protected]

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Entretiens

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Segurança hídrica e mudanças climáticas no Brasil: uma entrevista cruzada com Jerson Kelman e João Paulo Capobianco.

Livia Kalil e Guilherme B. Checco

Jerson Kelman

© Livia Kalil

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João Paulo Capobianco

© Luciana Capobianco

O conhecimento científico é categórico ao afirmar que um dos principais impactos das mudanças climáticas é no ciclo hidrológico (IPCC, 2014 e 2018). O Brasil é um país que desempenha um papel estratégico nesta questão. Além de estar entre os maiores emissores de gases de efeito estufa do mundo (mais precisamente o 7º), tendo a maior e mais biodiversa floresta tropical, é também o país com a maior reserva de água doce do mundo, respondendo por 12% do total. Entretanto, os impactos das mudanças climáticas e dos eventos hidrológicos extremos já fazem parte da realidade brasileira (Marengo, 2008). Somente em 2018, um milhão de brasileiros foram afetados pelas inundações e quase 43 milhões pela seca (ANA, 2019). Compreender tal desafio é uma tarefa que requer uma visão estratégica e multidisciplinar. Assim, decidimos entrevistar dois especialistas nesta área, com trajetórias dedicadas ao Brasil, em particular a esta questão. Jerson Kelman e João Paulo Capobianco já trabalharam juntos no Ministério do Meio Ambiente. No entanto, mantiveram as suas ideias e particularidades, bem como as suas áreas políticas específicas. Nesta entrevista cruzada, os especialistas fazem um diagnóstico profundo da situação atual e propõem caminhos para a gestão da água no Brasil frente às mudanças climáticas com uma complementaridade interessante. Kelman é engenheiro de formação, professor da Universidade Federal do Rio de Janeiro (UFRJ) e ex-diretor e presidente da Agência Nacional de Águas (ANA). E Capobianco, biólogo, ambientalista, responsável pela fundação de várias organizações sociais como a Fundação SOS Mata Atlântica e o Instituto Socioambiental (ISA) e ex-Secretário Executivo do Ministério do Meio Ambiente.

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Livia Kalil e Guilherme B. Checco (L.K., G.B.): Você poderia dar uma explicação geral sobre a governança das águas no Brasil? Jerson Kelman (J.K.): Quando se fala em água, é necessário fazer uma distinção de in ício. Uma coisa é a gestão de água doce em estado "bruto", água dos rios, dos reservat órios. E outra é o serviço de captação e tratamento de água, e coleta e tratamento de esgoto, ou seja, serviço de saneamento. Às vezes essas duas coisas são misturadas. Falando sobre o primeiro, sobre a gestão das águas enquanto recurso natural, no Brasil, segundo a Constituição Federal de 1988 as águas que fazem fronteira estaduais ou com outros países são de domínio da União. A CF é um pouco vaga sobre o que seriam as demais águas. Essa dubiedade foi preenchida com o prolongamento de um entendimento que havia desde Constituições anteriores, que os rios que desembocassem em um mesmo estado seriam de responsabilidade estadual. Ao meu ver, o Brasil infelizmente não adotou um sistema único de atribuição de responsabilidade governamental pela água. Semelhante ao que ocorre na França, em um Estado que não é uma federação. Então, na França, certamente é mais fácil administrar o recurso natural água, do que é no Brasil. O Brasil sofre de uma complicação a esse respeito, que afeta os países federados, como é o caso dos Estados Unidos e da Austrália. A dificuldade é que quando você tem a titularidade, ou seja, a responsabilidade pela gestão do recurso natural dividido na mesma bacia hidrográfica entre diferentes entidades, isso cria uma dificuldade técnica e administrativa. Sabemos que uma gota de água numa bacia hidrográfica não sabe onde caiu, e que, segundo a interpretação da Constituição, estará sob a administração do estado A em um momento, depois sob o controle do estado B em outro momento, e depois sob a responsabilidade do governo federal. Muitas autoridades são respons áveis pelo mesmo recurso. A unidade de gestão deve ser a da bacia hidrográfica, porque o equilíbrio entre a oferta e demanda, em termos de quantidade e qualidade, requer a consideração de todos os usos na bacia - uma decisão tomada num afluente que irá afetar a disponibilidade de água a jusante. Portanto, esta dupla dominialidade [entre a União e os diferentes Estados] é muito difícil de implementar. João Paulo Capobianco (JPC): Do ponto de vista teórico, a concepção da governança da água no Brasil, especialmente da política de saneamento básico, é bastante avan çada e em teoria deveria, se bem aplicada, ser bastante eficaz. Ela pressupõe uma exig ência de planejamento, com processos participativos, articulando os principais atores envolvidos na questão do uso da água, com um papel importante para os municípios que são os responsáveis constitucionais pela gestão da água. Ou seja, em tese é um instrumento que conteria os elementos fundamentais para uma gestão negociada e democrática e, portanto, com chances de gerar bons resultados. Tanto na manutenção do fundamental, que é a produção natural de água com a qualidade e quantidade necessárias, como no uso socialmente justo, equilibrado e ecologicamente responsável de um bem finito como é a água. Ou seja, os instrumentos são bastante avançados, mas o que se vê no entanto é que eles não geram esses resultados.

L.K., G.B.: Quais os principais desafios da gestão dos recursos hídricos no país? J.K. O primeiro desafio é comum ao que aconteceu em todos os países desenvolvidos que já resolveram este problema: a poluição. Ou seja, o desafio de fornecer infra- estrutura para a coleta e tratamento de águas residuais. A França enfrentou este problema na década de 1960 através da criação da taxa de poluição e das agências de

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bacia. Isto foi feito através da tributação dos cidadãos franceses, que começaram a pagar este imposto nas suas contas de água. Na minha visão distante do que aconteceu na França, isso significou que as agências da bacia desenvolveram um grande poder econômico porque foram capazes de levantar fundos significativos. Assim, foi o próprio cidadão francês que permitiu à França, com a taxa, pôr fim à poluição dos rios e riachos. O Brasil está passando por um período semelhante ao que a França passou. No Brasil não criamos esse sinal econômico para os consumidores e não criamos essa "massa" de recursos financeiros capazes de fazer todos os investimentos necessários possíveis. O segundo desafio é uma questão quantitativa, especialmente no Nordeste, mas não exclusivamente. Se compararmos a precipitação média no Nordeste do Brasil e na França, elas são semelhantes, cerca de 600 mm por ano. Então porque é que o regime hidrológico é diferente? Porque em geral, no Nordeste, os solos são rasos, de modo que a chuva, quando cai, rapidamente satura o solo e a água começa a drenar superficialmente, formando rios intermitentes. E esta água, se não for armazenada, flui para o mar. Grande parte do Nordeste é semi-árido. A única forma de resolver este problema é, portanto, a implementação de obras hidráulicas e boas práticas de conservação de água. Problema número 3: Não há razão para o Brasil não imitar o que está sendo feito nos Estados Unidos. Lá, a produção de grãos do Meio Oeste flui para o resto do mundo ao longo do rio Mississippi. E isso reduz os custos de transporte. No Brasil usamos a rodovia, que é muito cara. Assim, o uso dos rios Amazônicos para transportar a produção do centro do Brasil - hoje uma grande região produtora de grãos - e també m para gerar eletricidade são duas questões que não são bem consideradas. Há quase uma histeria coletiva quando se fala em desenvolver obras nos rios amazônicos, nacional e internacionalmente. Isto coloca muita ênfase nas consequências locais de obras em um rio amazônico, com quase sempre más opiniões. Há muito interesse nisso e pouco interesse nos efeitos mais globais. Tem de ser analisado caso a caso. Em alguns casos, parece-me lógico não demonizar o trabalho em rios amazônicos. Este é um grande desafio para o desenvolvimento do centro-oeste e da região amazônica. J.P.C.: Hoje, a gestão da água no Brasil é extremamente frágil, o acesso não é universalizado. Isto é inaceitável e obviamente revela uma lacuna entre o que a lei prevê e os instrumentos que ela define na realidade. O tratamento e o saneamento também não são resolvidos. Isto é uma contradição, porque estamos falando da contaminação dos recursos hídricos onde eles são mais necessários, o que requer cada vez mais sofisticação no tratamento, como investimentos para buscar água em lugares mais distantes onde ela tem uma qualidade mais adequada para o consumo. Estamos, portanto, assistindo a uma situação totalmente contraditória, porque temos um quadro jurídico muito avançado, mas uma realidade muito retrógrada. Estamos diante de uma perda crescente de área de superfície das fontes de água causada pela degradação do território ou pela contaminação resultante.

L.K., G.B.: Existe uma relação entre mudanças climáticas e gestão hídrica? Qual a relevância do impacto das mudanças climáticas na gestão das águas? As políticas

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públicas brasileiras relacionadas à gestão hídrica incorporam de maneira devida o componente climático? J.K.: Existem diversos elos entre as mudanças climáticas e a água. Em primeiro lugar, a temperatura está aumentando, a evapotranspiração está aumentando, e por isso, as práticas agrícolas exigirão mais água. O consumo humano de água também vai aumentar, porque em geral o consumo cresce junto com o aumento da temperatura. Também é preciso levar em conta que os regimes hidrológicos estão mudando. A segunda variável é a pluviosidade. Uma mudança significativa foi observada no caso do Brasil em relação aos regimes pluviométricos e fluviais. Dois exemplos: no caso do Rio São Francisco, 19 dos últimos 20 anos tiveram uma vazão média inferior à média de longo prazo. De um ponto de vista probabilístico, isto parece totalmente improvável. No entanto, algo está acontecendo. A chuva de fato diminuiu, então há de fato uma alteração da precipitação na bacia do rio, mas isso não explica completamente a mudança na vazão. Então parte é por conta na alteração de precipitação e parte por mudança do uso do solo, essencialmente o aumento da agricultura irrigada. Quando você aumenta a irrigação, você aumenta a transpiração, assim menos água chega ao rio. Então, neste exemplo, há nitidamente uma mudança de regime hidrológico que possivelmente possa ser relacionado de forma parcial com a diminuição da precipitação, que talvez esteja relacionado com mudança climática. No sul do Brasil, na bacia do Rio Paraná, a saída deste rio do Brasil, quando ele entra no território argentino, se dá na hidrelétrica de Itaipú. Na bacia de drenagem de Itaipú se observa nos últimos anos um aumento de vazão. E esse aumento é pobremente explicado por mudança de precipitação, e principalmente por mudança de uso do solo. Essencialmente a substituição de mata nativa (floresta) ou café, por pastagens. Quando se procura o elo entre hidrologia/água e mudanças climáticas, é preciso ter atenção para não atribuir às mudanças climáticas certos efeitos que, na realidade, são devidos a mudanças no uso do solo. Após discutir a temperatura e a precipitação, há necessidade de olhar mais amplamente para a modelagem da circulação atmosférica que prevê as mudanças climáticas. Eu acho que há um grande desafio científico nessa modelagem. De um ponto de vista hidrológico, é cientificamente mal definido. J.P.C.: As relações entre as mudanças climáticas e a questão hídrica são projeções, cenários. Todos os melhores estudos revelam essa conexão, principalmente nas projeções e verificação de impactos do que chamamos de "agravamento de eventos climáticos extremos", que são secas mais severas e prolongadas, chuvas mais intensas e concentradas. Estes dois elementos, secas prolongadas e chuvas mais intensas, são elementos extremamente complicadores da gestão hídrica. Porque, do ponto de vista da gestão, o que se espera e o ideal para criar uma ambiente mais amigável de maior facilidade na gestão, são períodos de estiagem menos intensos e bem distribuídos, mas principalmente chuvas mais bem distribuídas. Assim, por um lado, se a gestão dos recursos hídricos se torna cada vez mais complexa, os reservatórios são ameaçados com uma capacidade de armazenamento reduzida. Por outro lado, o excesso de água também tem complicado as condições de manutenção dos reservatórios. Além de todos os problemas de assoreamento

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causados por chuvas fortes devido ao desmatamento na região dos mananciais. Então, é um agravante. Uma situação que hoje já é dramática no Brasil é a boa gestão dos recursos hídricos. Já não há boa gestão num ambiente digamos "normal", e esta se tornará ainda mais desafiadora num contexto de agravamento das mudanças climáticas. E independentemente do grau de ocorrência ou não desses eventos extremos, o fato é que as políticas públicas não incorporam esses cenários. Na verdade, não apenas na gestão da água, as políticas públicas não integram o agravamento das mudanças climáticas em nenhuma área da gestão pública no Brasil. Todas as medidas de mitigação e adaptação estão extremamente atrasadas quando comparadas com países que já estão no processo de replanejamento dos seus sistemas de abastecimento de água para os próximos 20 ou 30 anos. A realidade é que nós não estamos preparados.

L.K., G.B.: Há poucos anos grandes centros urbanos como São Paulo e Brasília passaram por crises hídricas significativas. Quais foram as principais causas dessas crises? Quais os principais aprendizados? J.K.: Vou falar mais especificamente sobre o caso de São Paulo, porque vivi de perto aquela situação. Na verdade, assumi o meu posto na Sabesp [empresa de saneamento básico do Estado de São Paulo] quando o estoque de água nos reservatórios era suficiente para cerca de um mês, havia cerca de 3% de água reservada. Fui convidado a preparar a empresa para uma calamidade, que seria o colapso total do fornecimento para 20 milhões de habitantes. A preparação para este desastre significou realizar obras para garantir o abastecimento ininterrupto de água a grandes hospitais, grandes centros penitenciários e grandes centros de hemodiálise. O que causou aquela situação? Uma seca excepcional. Ao projetar o sistema de abastecimento de água, os hidrólogos usam séries históricas de fluxo ou previsões probabilísticas. Você usa a série de fluxo histórico quando é longo o suficiente, e São Paulo tinha um sistema projetado para lidar com a pior seca dos últimos 90 anos. Assim, o que aconteceu em 2014-2015 foi uma seca extraordinariamente rara, deixando a reserva com metade da taxa da pior seca dos últimos 90 anos e um quarto da vazão média afluente anual. Poucos sistemas de abastecimento de água no mundo estariam preparados para esta eventualidade. E São Paulo não estava, a Sabesp tampouco. O que foi necessário fazer foi uma série de obras extraordinárias e emergenciais para conectar os sistemas produtores de água, tanto na forma de água bruta, que eram canais para levar água bruta de uma fonte para outra, como na rede de água potável que interligava as redes de distribuição. Foi feito também um sistema de controle de pressão. O consumo da população diminuiu voluntariamente, também através de incentivos econômicos ao consumidor, com um desconto para quem poupou e uma penalização para quem consumiu mais. A combinação destas três medidas, os trabalhos de interligação, o controle da pressão sobre a rede e os incentivos econômicos para os usuários, nos permitiu superar a crise sem a ocorrência da tão temida calamidade. Qual foi a atitude da Sabesp em relação ao planejamento após este evento? A posição da empresa foi que se aconteceu uma vez, poderia acontecer novamente. No mínimo, temos de estar preparados para a repetição deste fenômeno, que parecia raro, mas que agora devemos considerar possível. Para isso, foi necessário realizar grandes

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obras de infra-estrutura. E como o problema da qualidade da água está ligado ao problema da quantidade, as fontes existentes na Região Metropolitana de São Paulo (RMSP) já estavam exauridas, seja porque onde ela pode ser usada, ela já está sendo, ou porque a qualidade da água é tão ruim, por conta da coleta e do tratamento de águas residuais, que ela não pode ser usada. Assim, a solução foi trazer a água de longe, de fontes de muito boa qualidade situadas a .80km da RMSP Hoje, São Paulo tem esse reforço e acho que o fornecimento está assegurado. J.P.C.: A crise da água em São Paulo de 2014 a 2016 é bem explicada pela meteorologia. Havia uma relação direta com a formação de uma barreira que impedia a chegada da chuva, devido ao fenômeno dos rios voadores. As chuvas, que vêm da região amazônica, colidem nos Andes e vão em direção à região sul/sudeste do Brasil, Argentina, Uruguai e Paraguai. Formou-se uma barreira que impediu a chegada destas nuvens carregadas de água e isso causou uma interrupção das chuvas nesta região, agravando o problema da seca em toda a região sudeste, mas especialmente em São Paulo, onde a crise foi muito intensa. Em relação às lições aprendidas, é importante destacar a fragilidade que uma megal ópole como São Paulo tem em relação aos fenômenos meteorológicos, que não estão sob nosso controle. O primeiro fator chave é a questão do uso da água. A população de São Paulo está preparada para este tipo de situação? Eles estão cientes desta situação? Acho que não estão. Não existe um sistema de informação que permita que a população tenha perspectiva e seja informada. Pelo contrário, o público, o cidadão, é tratado apenas como um consumidor. Se você não tem uma população envolvida, se a população não está mobilizada para buscar alternativas e colaborar para além de uma ação moment ânea de redução do consumo, para economizar, você não tem o parceiro principal que é a sociedade. Mas nós não tivemos isso durante a crise, pelo contrário. A população foi mobilizada. Este sistema, que começou em 2014/2015 e que deveria ter sido um ganho permanente para a gestão da água, foi inicialmente abandonado assim que as chuvas voltaram. Todas as políticas que estimularam a redução e fizeram as famílias investirem em sistemas alternativos de captação, utilizando os bônus que receberam na redução da conta, todos estes incentivos ao consumo consciente foram cancelados sem qualquer consulta. Por isso, foi algo bastante demobilizador. Hoje, o aumento do consumo é incentivado porque toda a geração de recursos para garantir o equilíbrio financeiro do prestador de serviços, neste caso a Sabesp, depende do volume de água vendida. Esta lição não foi, portanto, aprendida. Em segundo lugar, há a questão da necessidade de se assegurar que as fontes de água sejam devidamente protegidas A crise demonstrou a necessidade vital que temos de não poluir os mananciais mais próximas das regiões de consumo As autoridades públicas deveriam, portanto, ter reconhecido a importância de implementar políticas públicas mais intensivas para a conservação e proteção dos mananciais. Entretanto, isso não aconteceu. Pelo contrário, todos os investimentos foram e continuam a ser feitos para garantir a oferta. O cidadão paulistano não incorporou de forma permanentemente uma postura de uso mais racional e econômico da água. Foi sazonal. As fontes de água estão se

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degradando a um ritmo acelerado, e isso não mudou. Então, as lições não foram aprendidas.

L.K., G.B. : Quais são os principais gargalos para o uso sustentável da água na agricultura? J.K.: O principal mecanismo à disposição do governo para assegurar um uso mais eficiente da água é o sistema de outorga. A eficácia deste sistema envolve um equilíbrio entre a demanda e a disponibilidade de água. Portanto, significa ter uma rede de informações hidrológicas que lhe permita estimar com alguma precisão a vazão dos rios, as distribuições de probabilidade e a quantidade de água que pode alocar para o uso produtivo com uma certa confiabilidade. Isso é hidrologia, é conhecimento sobre a natureza e a Agência Nacional de Águas (ANA) tem-no muito bem. A Agência possui uma rede de informação hidrológica extensa e de boa qualidade. Portanto, acho que devíamos ter um sistema centralizado para gerir a outorga. Não é razoável cotinuar o que se faz hoje, ou seja, que em alguns rios da mesma bacia, entidades diferentes possam conceder outorgas sem avaliar globalmente o que já foi concedido, sem considerar a disponibilidade total da bacia. A implementação de um sistema unificado por bacia hidrográfica ainda não está concluída e, se eu estivesse na ANA, este seria o principal tópico em que eu estaria trabalhando. J.P.C.: Na verdade, é um misto disso. Outorga é central. O processo de outorga deveria levar em consideração não apenas o volume de água disponível, mas também a distribuição desse volume entre os diferentes atores que o utilizam. Basicamente, a atribuição é baseada no volume de água disponível e na procura e, portanto, uma distribuição desta procura tendo em conta as prioridades legais. Mas isto é um equívoco. Porque a outorga deveria também vincular essa questão do acesso à garantia de produção de água. Neste sentido, poderíamos dizer que a água está sendo usada no seu limite e assim, compromete as condições ambientais necessárias - não apenas para uso humano em várias frentes: agricultura, indústria, saneamento público, bem-estar animal, etc. - mas também para o meio ambiente. A água também é necessária para a manutenção das funções ecológicas, dos ecossistemas, que também são responsáveis pela qualidade da própria água. É um ciclo fechado. A questão do uso da água na agricultura é um grande problema porque pressupõe e se baseia em uma intensificação da produção agrícola. Esta última é desejável, porque se você aumenta a produtividade, você minimiza a necessidade de expansão de área. Quanto menos expansão de área for necessária, mais ambientes naturais podem ser preservados, embora esta equação não seja tão simples. O problema é que a intensificação leva à intensificação e à expansão intensificada da agricultura. Então basicamente o que estamos vendo é um crescimento extremamente acelerado na irrigação. Porque a intensificação está crescendo cada vez mais. E esta intensificação do uso da irrigação compromete a disponibilidade de água. O sistema mais racional e econômico com menos perda de água, que é a irrigação por gotejamento por exemplo, é um sistema menos utilizado porque é mais caro e mais complexo. Aí entra também o problema do pagamento. Essas outorgas e o valor pago pelo acesso a esta água é irrisório. É um custo secundário, não um custo efetivo. Se eu não tenho a responsabilidade de preservar as fontes das quais retiro água, e também pago uma quantia irrisória pela água que retiro, então claramente eu não tenho nenhum

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incentivo para racionar o consumo. E isto é o que acontece em grandes propriedades rurais. Não há nenhum custo para usar essa água.. Então, a agricultura, cada vez mais se torna, do ponto de vista dos recursos hídricos, um fator de degradação pelo excesso do uso da água. Fora a questão da contaminação por agrotóxicos, a questão do assoreamento devido más práticas agrícolas de controle de erosão.

L.K., G.B. : Qual seria a prioridade número um para promover a segurança da água no Brasil? J.K.: A implantação, na escala da bacia hidrográfica, de um sistema de outorga e cobrança pelo uso de recursos hídricos. J.P.C.: Esse é um sistema que interliga um conjunto enorme de ações e de frentes. Sob o ponto de vista da justiça social, o número um seria a universalização do abastecimento. Mas sob que condições e com que riscos? Universalização da oferta com tratamento efetivo? Não há solução para a questão hídrica que envolva uma única medida, uma bala de prata ou uma medida miraculosa. É necessário formular um plano de ação bem estruturado que possa identificar as diferentes frentes que requerem medidas concretas. Um plano de ação integrado, uma valorização do cidadão que deve deixar de ser consumidor. As pessoas precisam parar de achar que a água nasce na torneira e agir de forma mais responsável. Não há solução a curto prazo, não há solução milagrosa. A prioridade é a segurança hídrica. Precisamos estabelecer a "nova cultura da água", ou seja, uma nova cultura de proteção da água. A água é um bem finito, extremamente limitado, muito mais limitado do que as pessoas pensam. É necessário mudar a forma como pensamos sobre isso, a forma como olhamos para ele. Esta é a nossa maior luta contra o grupo que tem uma visão mais tecnocrática do uso da água, da questão da gestão da água.

BIBLIOGRAFIA

Talvez, se você insistir em uma única medida, seria uma obrigação para todos mudar sua percepção da gestão da água, integrando a sustentabilidade e o uso de sistemas naturais menos intensivos no tratamento e distribuição da água, chamada de "rede inteligente".

Agência Nacional De Águas (ANA). Relatório Conjuntura dos Recursos Hídricos, 2019. http:// conjuntura.ana.gov.br, acesso efectuado em 6/03/2020

Civil society working group for the 2030 agenda (CSWG2030). Spotlight Report the 2030 Sustainable Development Agenda: Synthesis III Brazil. https://brasilnaagenda2030.files.wordpress.com/2019/09/ relatorio_luz_ingles_final_v2_download.pdf, acesso efectuado em 6/03/2020

Rajendra K., Pachauri, Meyer, Leo, et al., Intergovernmental Panel On Climate Change (IPCC). Climate Change 2014: Synthesis Report, Genebra, 2014. https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/ 2018/02/SYR_AR5_FINAL_full.pdf, acesso efectuado em 6/03/2020

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Intergovernmental Panel On Climate Change (IPCC). Global Warming of 1.5°C. An IPCC Special Report on the impacts of global warming of 1.5°C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty, 2018. https://www.ipcc.ch/sr15/, acesso efectuado em 6/03/2020

Marengo, José Antonio. « Água e mudanças climáticas ». Revista de Estudos Avançados, vol. 22, n°63, 2008. http://www.periodicos.usp.br/eav/article/view/10294, acesso efectuado em 6/03/2020

Un-Water. Water Security & the Global Water Agenda, 2013. https://www.unwater.org/publications/ water-security-global-water-agenda/, acesso efectuado em 6/03/2020

World economic forum (WEF). The Global Risks Report (15th Edition), 2020. http:// www3.weforum.org/docs/WEF_Global_Risks_Report_2019.pdf, acesso efectuado em 6/03/2020

AUTORES

LIVIA KALIL

Doutoranda contratual em Ciências Políticas, IHEAL (CREDA UMR 7227), Universidade Sorbonne Nouvelle - Paris 3 em cotutela no Programa de Pós-Graduação em Ciências Ambientais (PROCAM) da Universidade de São Paulo (USP). Coordenadora do Polo Brasil do Instituto das Américas. [email protected]

GUILHERME B. CHECCO

Doutorando em Mudança Social e Participação Política na Escola de Artes e Ciências da Universidade de São Paulo (EACH/USP) e Mestre em Ciência Ambiental pelo Instituto de Energia e Ambiente (IEE/USP). Pesquisador e Coordenador de projetos do Instituto Democracia e Sustentabilidade (IDS). [email protected]

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Sécurité de l'eau et changement climatique au Brésil : entretien croisé avec Jerson Kelman et João Paulo Capobianco

Livia Kalil et Guilherme B. Checco Traduction : Livia Kalil

Jerson Kelman

© Livia Kalil

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João Paulo Capobianco

© Luciana Capobianco

1 Les scientifiques sont catégoriques en affirmant que l’un des principaux impacts du changement climatique est sur le cycle hydrologique (IPCC, 2014 et 2018). Le Brésil est un pays qui joue un rôle stratégique dans cet enjeu. En plus d’être parmi les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre au monde (plus précisément le 7e), ayant la plus grande et plus biodiverse forêt tropicale, il est aussi le pays détenteur de la plus grande réserve d’eau douce au monde, arrivant à 12 % du total. Or, les impacts des changements climatiques et des évènements extrêmes hydrologiques font déjà partie de la réalité brésilienne (Marengo, 2008). Sur la seule année 2018, un million de Brésiliens ont été touchés par des inondations, tandis que près de 43 millions ont été touchés par des sécheresses (ANA, 2019). Comprendre un tel défi est une tâche qui exige un regard stratégique et multidisciplinaire.

2 Ainsi, nous avons décidé d’interviewer deux spécialistes dans ce domaine, qui ont consacré leurs travaux au Brésil, en particulier à cette problématique. Jerson Kelman et João Paulo Capobianco ont déjà travaillé ensemble au sein du ministère de l’Environnement. Ils ont tout de même gardé leurs idées, leurs particularités ainsi que leurs champs politiques spécifiques. Dans cet entretien croisé, les spécialistes dressent un diagnostic approfondi de la conjoncture et proposent des pistes pour la gestion de l’eau au Brésil face au changement climatique avec une intéressante complémentarité. Jerson Kelman est ingénieur de formation, professeur à l’Universidade Federal do Rio de Janeiro (UFRJ) et ex-Directeur président de l’Agence nationale de l’eau (ANA). João Paulo Capobianco est biologiste de formation, environnementaliste, responsable de la fondation de plusieurs organisations sociales comme la Fondation SOS Mata Atlântica

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et l’Instituto Socioambiental (ISA) et ex-secrétaire exécutif du ministère de l’Environnement. Livia Kalil et Guilherme B. Checco (L.K., G.B.) : Comment se passe la gouvernance de l'eau au Brésil ? Jerson Kelman (J.K.) : Lorsqu'on parle de l'eau, pour commencer, il faut faire une distinction : c’est une chose de gérer l'eau douce dans son état « brut », l'eau des rivières, des réservoirs ; cela en est une autre de gérer le service d'assainissement. Parfois, ces deux choses sont mélangées. En ce qui concerne la première, la gestion de l'eau en tant que ressource naturelle, au Brésil, selon la Constitution fédérale (1988), les eaux qui font frontière entre des États ou pays sont du ressort de l'Union. La Constitution est un peu vague sur ce que seraient les autres eaux. Ce doute a été comblé par l'extension d'une compréhension existante depuis les Constitutions précédentes, qui soutenaient que les rivières qui se déversent dans le même État seraient de la responsabilité de cet État. À mon avis, le Brésil n'a malheureusement pas adopté un système unique d'attribution de la responsabilité gouvernementale en matière des eaux. Comme c’est le cas de la France, par exemple, un État qui n'est pas une fédération. Ainsi, en France, il est certainement plus facile de gérer l’eau qu'au Brésil. Le Brésil souffre d’une complication à cet égard, qui touche les pays fédérés (comme c'est le cas des États-Unis, de l’Australie). La difficulté est que lorsque vous avez la responsabilité de la gestion de la ressource naturelle divisée dans un même bassin versant entre différentes entités, cela crée une difficulté technique et administrative. Nous savons qu'une goutte d'eau, dans un bassin versant, ne sait pas où elle est tombée, et qu'elle va, selon l'interprétation de la Constitution, être un moment sous l'administration de l'État A, puis, à un autre moment sous le contrôle de l'État B, et puis sous la responsabilité du gouvernement fédéral. De nombreuses autorités sont responsables de la même ressource. L'unité de gestion devrait être celle du bassin versant, parce que l'équilibre entre l'offre et la demande, en termes quantitatifs et qualitatifs, exige d'examiner toutes les utilisations du bassin, décisions prises dans un affluent, qu’affectera la disponibilité de l'eau en aval. Donc cette double domination [entre l'Union et les différents États] est très difficile à mettre en œuvre. João Paulo Capobianco (JPC) : D'un point de vue théorique, la conception de la gouvernance de l'eau au Brésil, et spécialement la politique d'assainissement de base, est assez avancée et, en thèse, elle devrait, si elle était bien appliquée, être assez efficace. Elle présuppose une exigence de planification, avec des processus participatifs, en articulant les principaux acteurs impliqués dans la question de l'usage de l'eau, avec un rôle important pour les municipalités qui sont celles qui ont la responsabilité de la gestion de l'eau. C'est-à-dire qu'il s'agit d'un instrument qui contiendrait les éléments fondamentaux pour une gestion négociée, démocratique et donc avec des chances d’engendrer de bons résultats. En d'autres termes, les instruments sont assez avancés, mais ce que nous pouvons constater, c'est qu'ils ne produisent pas les résultats souhaités [au Brésil la moitié de la population, environ 100 millions de personnes, n'a pas d'accès à la collecte et au traitement des eaux usées].

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L.K., G.B. : Quels sont les principaux défis de la gestion des ressources en eau du pays ? J.K. : Le premier défi est un événement commun à tous les pays développés qui aujourd’hui ont déjà résolu ce problème : la pollution. C'est-à-dire le défi de la mise en place d'une infrastructure de collecte et de traitement des eaux usées. La France a été confrontée à ce problème dans les années 1960 et l’a géré en créant la redevance de pollution et les agences de bassin. Cela a été fait en imposant les citoyens français, qui ont commencé à payer cette taxe sur leur facture d’eau. Dans mon lointain souvenir de ce qui s'est passé en France, cela a fait que les agences de bassin ont développé un grand pouvoir économique parce qu'elles ont pu lever des fonds importants. Donc, c’est le citoyen français lui-même qui a permis à la France, avec la redevance, d’en finir avec la pollution des fleuves et des rivières. Ainsi, le Brésil traverse aujourd'hui une période similaire à celle qu'a connue la France pendant cette période. Au Brésil, nous n'avons pas créé ce signal économique aux consommateurs et nous n'avons pas créé cette quantité de ressources financières capable de rendre possibles tous les investissements nécessaires. Le deuxième défi c’est la quantité d’eau, en particulier dans le nord-est, mais pas exclusivement. Si l'on compare les précipitations moyennes dans le nord-est brésilien et en France, elles sont similaires, soit environ 600 mm par an. Alors pourquoi le régime hydrologique est-il différent ? Parce qu'en général, dans le nord-est, les sols sont peu profonds, de sorte que la pluie, lorsqu'elle tombe, sature rapidement le sol et l’eau commence à être drainée superficiellement, formant des rivières intermittentes. Et cette eau, si elle n'est pas stockée, s'écoule. Une grande partie du nord-est est donc semi-aride. La seule façon de résoudre ce problème est de mettre en place des travaux hydrauliques et de bonnes pratiques de conservation de l'eau. Le problème numéro trois concerne les utilisations multiples de l’eau. Il n'y a pas de raison pour que le Brésil n'imite pas ce qui se fait aux États-Unis. Là-bas, la production céréalière du Midwest s'écoule vers le reste du monde au long du Mississippi. Et cela permet de réduire le coût du transport. Au Brésil, nous utilisons l'autoroute, ce qui coûte très cher. Ainsi, l'utilisation des fleuves amazoniens pour transporter la production du centre du Brésil (il s'agit aujourd'hui d'une région de grande production céréalière) et aussi pour produire de l’électricité, sont deux questions mal considérées. Il y a presque une hystérie collective quand on parle de développer des chantiers sur les fleuves amazoniens, nationale et internationale. Cela met beaucoup l'accent sur les conséquences locales de travaux sur un fleuve amazonien, avec des opinions presque toujours mauvaises. On s'intéresse beaucoup à cela et peu aux effets plus globaux. Il faut examiner au cas par cas. Dans certains cas, il me semble logique de ne pas diaboliser les chantiers sur les rivières amazoniennes. Cela est un grand défi pour le développement du centre-ouest et de la région amazonienne. J.P.C. : Aujourd'hui, la gestion de l'eau au Brésil est extrêmement fragile et l'accès aux services d’assainissement n'est pas encore universalisé. C'est quelque chose d'inacceptable et qui révèle évidemment un décalage entre ce que la loi prévoit et les instruments qu'elle définit dans la réalité, ainsi que le fait que l'assainissement ne soit pas résolu. Il y a donc une situation intenable. Là où la densité démographique est plus importante, le peu d'eau qui s'y trouve est fortement pollué. Le modèle de

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fonctionnement qui en résulte est celui de captation de l'eau dans des endroits de plus en plus éloignés, indépendamment des coûts et des impacts. Nous assistons donc à une situation totalement contradictoire, car nous avons un cadre juridique très avancé, mais une réalité très rétrograde. Nous sommes confrontés à une perte croissante de superficie des sources d'eau causée soit par la dégradation du territoire, soit par la contamination qui en résulte.

L.K., G.B. : Y a-t-il un lien entre le changement climatique et la gestion de l'eau ? Quelle est la pertinence de l'impact du changement climatique sur la gestion de l'eau ? Les politiques publiques brésiliennes intègrent-elles dûment la composante climatique ? J.K. : Il existe plusieurs liens entre le changement climatique et l'eau. Tout d'abord, la température augmente, l'évapotranspiration s'accroît, de sorte que les pratiques agricoles exigeront plus d'eau. La consommation d'eau par l'homme aussi, car en général la consommation augmente avec la hausse des températures. Il faut également tenir compte du fait que les régimes hydrologiques changent. La deuxième variable est la pluie. Un changement significatif a été observé dans le cas du Brésil en ce qui concerne les précipitations et le régime des rivières. Deux exemples intéressant sont le cas du fleuve São Francisco et Paraná. Dans le bassin du São Francisco, 19 des 20 dernières années ont eu un débit moyen inférieur à la moyenne à long terme. D'un point de vue probabiliste, cela semble totalement improbable. Cependant, il se passe quelque chose. Les précipitations ont en effet diminué, de sorte qu'il y a en fait un changement des précipitations dans le bassin du fleuve, mais cela n'explique pas entièrement le changement des débits. Une partie des changements proviennent d'un changement de l’usage des sols. Une partie est donc due au changement des précipitations et une autre au changement d'utilisation du sol, essentiellement l'augmentation de l'agriculture irriguée. Lorsque vous augmentez l'irrigation, vous augmentez la transpiration, ce qui fait que moins d'eau arrive à la rivière. Dans cet exemple, il y a donc clairement un changement de régime hydrologique qui pourrait être lié au changement climatique. Déjà, dans le sud du Brésil, dans le bassin du fleuve Paraná, il rentre sur le territoire argentin par la centrale hydroélectrique d'Itaipú. Dans le bassin versant d'Itaipú, le débit a augmenté ces dernières années. Et cette augmentation s'explique mal par une modification des précipitations, mais surtout par un changement de l’occupation des sols. Essentiellement la substitution de la forêt native ou du café, par les pâturages. Lorsque l'on recherche le lien entre l'hydrologie et le changement climatique, il faut veiller à ne pas attribuer au changement climatique certains effets qui, en réalité, trouvent leur origine dans le changement d'utilisation du sol. Après avoir parlé de température et de précipitation, il faut s'intéresser plus globalement à la modélisation de la circulation atmosphérique qui permet de prévoir le changement climatique. Je pense qu'il y a encore un grand défi scientifique dans cette modélisation. D'un point de vue hydrologique, c’est scientifiquement mal défini. J.P.C. : Toutes les meilleures études scientifiques révèlent le lien entre les changements climatiques et l'enjeu de l'eau principalement dans la vérification des impacts déjà vérifiés et dans les projections de ce que nous appelons « l'aggravation des événements climatiques extrêmes » qui sont des sécheresses plus sévères et prolongées et des pluies plus intenses et plus concentrées.

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Ces deux éléments, les sécheresses prolongées et les pluies plus intenses, sont des éléments extrêmement compliqués pour la gestion de l'eau. Car, ce qui est attendu et idéal, afin de créer un environnement plus convenable, plus facile à gérer, ce sont des périodes de sécheresse moins intenses, mais bien réparties. Donc, d'une part, si la gestion des ressources en eau devient de plus en plus complexe, les réservoirs sont menacés de voir leur capacité de stockage réduite. D'autre part, l'excès d'eau a également compliqué les conditions d'entretien des réservoirs. Outre tout le problème de l'envasement causé par les fortes pluies suite à la déforestation qui a eu lieu dans la région des sources. Il s'agit donc d'un facteur aggravant. Une situation qui est déjà dramatique au Brésil aujourd'hui est la bonne gestion des ressources hydriques. Il n'y a pas de bonne gestion dans un environnement dit « normal » du point de vue climatique, et elle deviendra encore plus difficile dans un contexte d'aggravation des changements climatiques. Toutes les mesures d'atténuation et d'adaptation sont extrêmement en retard si on les compare aux pays qui sont déjà en train de replanifier leur système d'approvisionnement, pour les 20 ou 30 prochaines années. La réalité est que nous ne sommes pas préparés.

L.K., G.B. : Il y a quelques années, de grands centres urbains comme São Paulo et Brasília ont connu d'importantes crises d'eau. Quelles ont été les principales causes de ces crises ? Quelles ont été les leçons à retenir ? J.K. : Je parlerai plus spécifiquement du cas de São Paulo, car j'ai vécu au plus près de cette situation. En fait, j’ai assumé mon poste à la Sabesp quand le stock d'eau dans les réservoirs était suffisant pour environ 1 mois, il y avait environ 3 % d'eau réservée. J'ai été invité à préparer l’entreprise à une calamité, qui serait l'effondrement total de l'approvisionnement pour 20 millions d'habitants. Se préparer à cette catastrophe signifiait faire des travaux pour garantir l'approvisionnement d'eau sans interruption des grands hôpitaux, des grands centres pénitenciers et des grands centres d'hémodialyse. Quelle était la cause de cette situation ? Une sécheresse exceptionnelle. Lors de la conception des systèmes d'approvisionnement en eau, les hydrologues utilisent les séries historiques de débits. Vous utilisez la série historique des flux lorsqu'elle est suffisamment longue et São Paulo avait un système conçu pour faire face à la pire sécheresse observée au cours des 90 dernières années. Donc, ce qui est arrivé en 2014-2015 a été une sécheresse extraordinairement rare, laissant le réservoir avec la moitié du taux correspondant à la pire sécheresse qui n'avait jamais eu lieu au cours des 90 dernières années, et ¼ du débit annuel moyen d'affluence. Peu de systèmes d'approvisionnement en eau au monde seraient préparés à cette éventualité. Et São Paulo ne l'était pas, la Sabesp ne l'était pas non plus. Ce qu'il a fallu faire, c'est une série de travaux extraordinaires et d'urgence pour relier les systèmes de production d'eau, tant sous la forme d'eau brute, tant dans le réseau d'eau potable interconnectant les réseaux de distribution. Un système de contrôle de la pression a été mis en place. La consommation de la population a diminué volontairement et aussi grâce à des incitations économiques, avec une remise pour ceux qui économisaient et une pénalité pour ceux qui consommaient plus.

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La combinaison de ces trois mesures, à savoir les travaux d'interconnexion, le contrôle de la pression sur le réseau et les incitations économiques pour les utilisateurs, a permis de surmonter la crise sans que la catastrophe tant redoutée se produise. Après cet événement, quelle a été l'attitude de la Sabesp en matière de planification ? Si cela s'est produit une fois [la sécheresse], cela peut se reproduire. Il faut tout au moins se préparer à la répétition de ce phénomène, qui semblait rare, mais que nous allons maintenant considérer comme possible. Pour ce faire, de grands travaux d'infrastructure ont dû être faits. Et comme le problème de la qualité de l'eau est lié au problème de la quantité d'eau, les sources existantes dans la RMSP étaient déjà épuisées, soit parce que là où elle peut être utilisée, elle l'est déjà et que là où elle peut être utilisée, la qualité de l'eau est si mauvaise, autour de la collecte et du traitement des eaux usées, qu'elle ne peut être utilisée. La solution a donc été d'apporter l'eau de loin, à 80 km de la RMSP, dans des sources d'eau de très bonne qualité. Aujourd'hui, São Paulo dispose de ce renfort et je pense que l'approvisionnement est assuré. J.P.C. : La crise d'eau à São Paulo survenue de 2014 à 2016 est bien expliquée par la météorologie. Il y a eu une relation directe entre la formation d'une barrière qui a empêché l'arrivée des pluies, due au phénomène des rivières volantes. Les pluies qui viennent de la région amazonienne, se heurtent dans les Andes et se dirigent vers la région sud / sud-est du Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay. Une barrière s'est formée, ce qui a empêché l'arrivée de ces nuages chargés d'eau et cela a provoqué une interruption des pluies dans cette région, aggravant le problème de la sécheresse dans toute la région sud-est, mais surtout à São Paulo où la crise a été très intense. En ce qui concerne les leçons, il est important de souligner la fragilité d'une mégalopole comme São Paulo face à des phénomènes météorologiques qui ne sont pas sous notre contrôle. Le premier facteur clé est la question de l'utilisation de l'eau. La population de São Paulo est-elle préparée à ce genre de situation ? Est-elle informée de cette situation ? Je crois qu'elle ne l'est pas. Il n'y a pas un système d'information permettant à la population d'avoir une perspective et d'être informée. Au contraire, la population, le citoyen, est traité uniquement comme un consommateur. Si vous n'avez pas une population impliquée, si la population n'est pas mobilisée pour chercher des alternatives et collaborer, pour une action momentanée de réduction de la consommation, pour économiser, vous n'avez pas le partenaire principal qui est la société. Mais nous n'avons pas eu cela pendant la crise, au contraire. La population a été mobilisée. Ce système, qui a débuté en 2014 / 2015 et qui aurait dû être un gain permanent pour la gestion de l'eau, a été abandonné dans un premier temps dès le retour des pluies. Toutes les politiques ont stimulé la réduction et ont fait que les familles investissent dans des systèmes alternatifs d'économie, en utilisant les bonus qu'ils recevaient dans la réduction de la facture. Toutes ces mesures d’encouragement à la consommation consciente ont été annulées sans aucune consultation. C'était donc assez démobilisant.

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Aujourd'hui, l'augmentation de la consommation est encouragée, car toute la génération de ressources pour assurer l'équilibre financier du prestataire de services, en l'occurrence Sabesp, dépend du volume d'eau vendu. Cette leçon n'a donc pas été retenue. Deuxièmement, il y a la question du besoin de veiller à ce que les sources d'eau, qui sont en fin de compte celles qui fournissent l’eau, soient conservées. Ils sont obligés de prendre de l'eau quelque part. Et, bien sûr, cette crise a montré l'importance des sources d'eau locales, celles qui sont les plus proches des régions de consommation. La crise a démontré le besoin vital que nous avons de disposer de ces sources et comment nous devons les protéger. Cette crise aurait donc dû inciter les autorités publiques à mettre en place des politiques publiques plus intensives de conservation et de protection des sources d'eau. Ce qui n'est pas arrivé. Au contraire, tous les investissements ont été et continuent d'être faits en matière de garantie de l'approvisionnement en cherchant l'eau dans d'autres bassins, sans tenir compte du coût. Donc, le citoyen de São Paulo n'a pas intégré de façon permanente une utilisation plus rationnelle et plus économique de l'eau. C'était momentané. Les sources d'eau se dégradent à un rythme accéléré, et cela n'a pas changé. Les leçons n'ont donc pas été tirées.

L. K., G. B. : Quels seraient les principaux goulets d'étranglement pour une utilisation plus durable de l'eau en agriculture ? J.K. : Le principal mécanisme dont dispose le gouvernement pour assurer un usage plus efficace de l’eau est un système de permis d'usage de l'eau, appelé octroi. L'efficacité de ce système suppose un équilibre entre la demande et la disponibilité de l'eau. Par conséquent, cela signifie disposer d'un réseau d'informations hydrologiques qui vous permet d'estimer avec une certaine précision le flux des fleuves, les distributions de probabilité et la quantité d'eau que vous pouvez allouer à un usage productif avec fiabilité. Et l'ANA est l'agence fédérale qui possède les capacités et les connaissances hydrologiques appropriées pour mener à bien une telle tâche. Toutefois, son action se limite aux ressources en eau de la zone de domination de l'Union. Il n'est pas raisonnable, comme c’est le cas aujourd’hui, que dans certains fleuves d'un même bassin, différentes entités puissent accorder des permis sans faire un bilan global de ce qui est déjà accordé, sans le comparer avec la disponibilité totale du bassin. La mise en place d’un système unifié par bassin fluvial n'est pas encore achevée et si j'étais à l'ANA, ce serait le thème principal auquel je me consacrerais. J.P.C. : En fait, c'est un mélange de solutions. Le processus d'octroi devrait prendre en considération non seulement le volume d'eau disponible, mais aussi la répartition de ce volume entre les différents acteurs qui l'utilisent. Fondamentalement, la répartition est basée sur le volume d'eau disponible et la demande, et donc une répartition de cette demande en tenant compte des priorités légales. Mais, c'est une erreur. Parce que l’octroi devrait également prendre en compte la question de la garantie de la production d'eau. En ce sens, on pourrait dire que l'eau est utilisée à sa limite. Cela signifie qu'en étant utilisée à sa limite, elle compromet les conditions environnementales nécessaires –

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non seulement pour l'usage humain sur différents fronts : agriculture, industrie, assainissement public, dévouement des animaux, etc. – L'eau est également nécessaire au maintien des fonctions écologiques, au maintien des écosystèmes qui sont aussi responsables de la qualité même de l'eau. Il s'agit donc d'un cycle fermé. La question de l'utilisation de l'eau pour l'agriculture est un problème majeur, car elle présuppose et repose sur une intensification de la production agricole. L'intensification de la production agricole est souhaitable, car si vous augmentez la productivité, vous minimisez la nécessité d'étendre les surfaces de terre. Moins il faut élargir la surface, plus il est possible de préserver les milieux naturels, bien que cette équation ne soit pas si simple. Or, le problème est que l'intensification conduit à une intensification et à une expansion intensifiée de l'agriculture. En gros, nous assistons donc à une croissance extrêmement accélérée de l'irrigation. Parce que l'intensification, elle, se développe de plus en plus. Et cette intensification de l'utilisation de l'irrigation compromet la disponibilité de l'eau. Le système le plus rationnel et le plus économique avec une perte d'eau moindre, qui est l'irrigation au goutte à goutte, par exemple, sont des systèmes moins utilisés parce qu'ils sont plus chers et plus complexes. Et il y a aussi le problème du paiement. Ces subventions et le montant payé pour avoir accès à cette eau sont dérisoires. C'est un coût secondaire, pas un coût majeur. Si je n'ai pas la responsabilité de préserver les sources d'où je tire l'eau, et que je paie également un montant dérisoire pour l'eau que je tire, il est clair que je n'ai aucune incitation à rationner la consommation. Et c'est ce qui se passe dans les grandes exploitations agricoles. L'utilisation de cette eau est gratuite. Ainsi, l'agriculture, du point de vue de la ressource en eau, devient de plus en plus un facteur de dégradation en raison de l'excès de consommation. Outre la question de la contamination par les pesticides, la question de l'envasement dû à de mauvaises pratiques agricoles de lutte contre l'érosion peut aussi être citée.

L. K., G. B. : Quelle serait la priorité pour promouvoir la sécurité de l’approvisionnement de l'eau au Brésil ? J. K. : La mise en place, à l'échelle du bassin fluvial, d'un système de permis d’utilisation pour les usagers et de tarification de l'usage des ressources en eau. J. P. C. : Il s'agit d'un système qui relie un vaste ensemble d'actions et de fronts. Du point de vue de la justice sociale, le numéro 1 serait l'universalisation de l'offre. Mais dans quelles conditions et avec quels risques l'approvisionnement serait-il universalisé ? L'universalisation de l'offre avec des traitements efficaces ? Il n'y a pas de solution à la question de l'eau qui passe par une mesure unique, une mesure miraculeuse. Il est nécessaire de formuler un plan d'action bien structuré qui puisse identifier les différents fronts qui nécessitent des mesures concrètes. Les gens doivent cesser de penser que l'eau vient du robinet et agir de manière plus responsable. La priorité est la sécurité de l'eau. Nous devons établir la « nouvelle culture de l'eau », c'est-à-dire une nouvelle culture de la protection de l'eau. L'eau est un bien fini, extrêmement limité, beaucoup plus limité que les gens ne le pensent. Il est nécessaire de changer de conception, de perspective. Cela est notre plus grand combat face au groupe qui a une vision plus technocratique de l'utilisation de l'eau, de la question de la gestion de l'eau.

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BIBLIOGRAPHIE

Peut-être, si vous insistez sur une mesure unique, serait-ce une obligation pour chacun de changer sa perception de la gestion de l'eau en intégrant la durabilité et l'utilisation de systèmes naturels moins intensifs dans le traitement et la distribution de l'eau.

Agência nacional de águas (ANA). Relatório Conjuntura dos Recursos Hídricos, 2019. http:// conjuntura.ana.gov.br, consulté le 6/03/2020

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Rajendra K., Pachauri, Meyer, Leo, et al., Intergovernmental panel on climate change (IPCC), Climate Change 2014: Synthesis Report, Genève, 2014 https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/ 2018/02/SYR_AR5_FINAL_full.pdf, consulté le 6/03/2020

Intergovernmental Panel On Climate Change (IPCC). Global Warming of 1.5°C. An IPCC Special Report on the impacts of global warming of 1.5°C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty, 2018. https://www.ipcc.ch/sr15/, consulté le 6/03/2020

Marengo, José Antonio. « Água e mudanças climáticas ». Revista de Estudos Avançados, volume 22, n° 63, 2008. http://www.periodicos.usp.br/eav/article/view/10294, consulté le 6/03/2020

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AUTEURS

LIVIA KALIL

Livia Kalil est doctorante contractuelle en Science Politique, IHEAL (CREDA UMR 7227), Sorbonne Nouvelle-Paris 3 en cotutelle au Programme de Sciences Environnementales (PROCAM) de l’Université de Sao Paulo (USP). Coordinatrice du Pôle Brésil de l’Institut des Amériques. [email protected]

GUILHERME B. CHECCO

Guilherme B. Checco est doctorant en Changement social et participation politique dans l'Escola de Artes, Ciências e Humanidades de l'Université de São Paulo (EACH/USP) et maître en Sciences environnementales de l'Instituto de Energia e Ambiente (IEE/USP). Chercheur et Coordinateur de projets au Instituto Democracia e Sustentabilidade (IDS). [email protected]

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Water crisis, policy making and the role of academia An Interview with Pr. Kirsten Engel. Charles E. Ares Professor of Law, University of Arizona College of Law And Representative, Arizona House of Representatives, Legislative District 10.

François-Michel Le Tourneau

François-Michel Le Tourneau (FMLT): Could you describe the situation of water in your state, Arizona? Kirsten Engel (KE): This region is a desert, a very fragile desert and so the amount of water that's here is not sufficient to support a lot of the demands that we have for water. An enormous demand comes from agriculture but also from new housing development. We have a state which is a desert that has some native riparian surface waters, but at this point it is a very managed system where we are bringing in water from the Colorado River to supplement the use of groundwater. We are moving around water at a great expense and through a very complex matrix of laws and regulations, and through incentive programs to try to distribute both the water that is here naturally as well as water that we bring in from the Colorado river so as to supply the growth that you're seeing in this state.

FMLT: So what is at stake now is this repartition and distribution of all this water? KE: Yes, I would say that. But we are also facing reductions in those sources of water. We're facing reductions in the amount of Colorado river water that will be available to Arizona. And so there have been changes to try to respond to those future reductions. We're also seeing reductions in groundwater, which is the other primary source of water in the state. Dropping water tables in many parts of the state are a result of groundwater pumping.

FMLT: What about the drivers of this water crisis? KE: Broadly speaking they are agriculture, housing, and the increase in the population. But they are not equal. The agricultural sector uses by far the greatest amount of the water in the state of Arizona, around 70%. It just dwarfs the use of water by anyone else. So even though you will hear from the agricultural sector that

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they try to conserve their water, it is a huge use of water and many of the crops that they are growing, such as alfalfa and cotton, use a lot of water.

FMLT: Does the contribution of this agricultural sector to Arizona’s economy match this consumption of water? KE: Well, there are different situations. For instance in the western part of the state you have Yuma. It is one of the most productive agricultural counties in the US, if not in the world, and there's no question that it is a big contributor to Arizona's economy. But they take their water directly from the Colorado river since they are located on it. But there are other counties, such as Pinal county, which uses both groundwater as well as water they receive from the central Arizona project canal, an artificial structure that's bringing the water into the middle of the state. And in this case, while there have been studies showing that it is a large economic driver I think you do have to ask at what cost and if we can really sustain it into the future.

FMLT: This especially because, as you said, the perspective is of a dwindling water supply, meaning that Arizona will probably have to choose between population growth and the development of its agriculture… KE: There has for a long time been the expectation that the footprint of the agricultural sector would shrink but that hasn't happened as rapidly as thought. And so we still have a large agricultural sector which does not want to yield water to others.

FMLT: The perspective of diminishing supply is due to climate change. Is there, here in Arizona, an awareness about that and is it consensual awareness or is it still a contentious question? KE: On a political level, it is extremely contentious. I would say that the general public of Arizona realizes that climate change is happening because they are experiencing it, and that they think that something needs to be done. But politically, at least at the state level, that is still not something that is recognized publicly by all politicians. I have not found any real action addressing it or any real admission of it by the majority party here, which are the Republicans. So that has been a great frustration. The consequence is that we are not planning for the future when the scientists predict that our region will see more droughts and higher temperatures.

FMLT: And what you are seeing from your Republican colleagues, is it a flat denial or something like ‘well, this is something we cannot do anything about’? KE: We just do not talk about that…

FMLT: But you are a member of the Arizona State House Water Committee. How can they not talk about that on your Committee? KE: They will just not use the term climate change or global warming or climate disruption or any of the other terms that you might have and they don't want to schedule or hear bills or propose legislation that would even plan for that. I have two bills in front of the legislature now. One is to have a statewide adaptation plan for climate change, and the second has both a plan for adaptation as well as a mitigation goal for the state of Arizona in greenhouse gas emissions. I have received no support on the Republican side nor do I have any indication that those bills will even be heard… This is where we are.

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FMLT: So they just don't talk about it? KE: My sense is that they know what’s happening, but politically they can't talk about it. They will be politically sidelined if they give voice to climate change. It's a larger political issue. It's the influence of the Trump politics which is reflected here. But I think if you were able to talk to many of them privately and there was no way that the conversation could become public, then they would show much more knowledge and preoccupation about climate change. Many of them are smart people, they know it's happening, they believe it’s happening.

FMLT: This means that it is something that comes from Washington or from national politics? I mean that the possible cost of discussing climate change is more within the Republican party at a national level and within their constituencies? Or are they supported by some people here in Arizona who as well would not like them to talk about it? KE: Well I don’t know enough about the internal politics of the Republican party. But you have constituencies that are important in their party such as you know, hunters, anglers, recreational people, park people… All these resources are very much impacted by climate change and I think it is very clear to them that this is coming from climate change and something needs to be done. Those are maybe the pressure points and I just don't know how successful they're being right now.

FMLT: So local politics do play as well? KE: Yes. Arizona is very much split these days. The Democratic party is increasing mostly because of demographics. So there could be right now even more of a hunkering down from the Republicans. You might think that the closeness of the two parties would make them more open-minded politically, but it’s actually having the opposite effect.

FMLT: You have a very unusual profile because you're a faculty here at the University of Arizona at the same time you are a state representative. Do you think that things complement one another or do you have to be schizophrenic? KE: There's been a feedback effect on both sides that I benefit from as a faculty here. I have resources at my disposal, I have people I can talk to and this has been invaluable in getting up to speed on water issues in the state or understanding climate change or defining what are the policies that we could adopt and what their impacts would be. There are people at the University that I can go to ask questions or whom I can ask to come to the legislature to testify on bills - if we can get the bills heard! Then on the other side, I am working to educate people, students and faculty about how the legislature works. A lot of the scientific research available is not necessarily impacting policy. So we can have the best research on climate change and yet unless we figure out how to make this accessible by policymakers and make it really fit into a political narrative, it will not actually be used to forward climate policy.

FMLT: What I understand then is that there should be a dialogue between scientists and politicians and this dialogue doesn't take place. Do you think that it is we as scientists who should do whatever it takes to make this dialogue happen? Or should policy makers look more our way? KE: I really think the latter really should be the most important thing. Policy makers should say ‘okay, we have a policy issue here, we know that we have drought that is affecting our state and our population in so many ways, let's go to the experts that we find in our universities and ask them why are we seeing this, how long has this been going on, how long is it going to last, what can we do about it, what is it going to

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cost?’ It really seems that would be the first thing but since that does not seem to be happening sufficiently, the scientists need to go to the policy makers.

FMLT: What is the vision of the policy makers about the academic world in general? KE: There is this vision from the political elites of the Republican party that the universities are full of well-paid liberals pushing their own agenda. So it is not the place where they will go for solutions.

FMLT: So is it an impossible dialogue? KE: Well, there are intermediaries. Part of the answer is finding the spaces in between, out of the political limelight, where there can be dialogues and exchanges of information.

FMLT: And where is the intermediate space? KE: NGOs, advocacy groups, foundations, groups like the Sonoran Institute here. There is not as much in Arizona but we could learn from what happens in other states.

FMLT: And shouldn’t universities try to inform policy makers the same way they develop their outreach activities towards high schools or the general public? KE: Yes. There have been efforts around ‘science translation’, but it’s more about how we talk about science and not about creating dialogue to address policy priorities. We could take example of the departments of Public Health because what they do is exactly at this interface between science and its application in policy.

FMLT: What is exactly your role in the State Assembly here in Arizona? KE: I'm an elected representative from a district. There are 30 districts in the State and each has two representatives and I am one of those, so I'm one of 60 members in the House. I do serve in the House committee that deals with water and environmental issues, which name is House committee on natural resources energy and water. I was the senior member before, but I am no longer. However I've been on that committee since I was elected so this is my fourth year on that committee. As a result of that, I'm often pulled into other areas. These might be more informal committees that my status as a representative gives me an invitation to join. For instance last summer there was this drought contingency plan stakeholder meetings for the Colorado River and although I was not an official member of the committee I was able to participate fully in that and, even taking part in votes and giving my opinion on the drought management issues. So that the amount of influence of my current position is not strictly limited to the House.

FMLT: Arizona is located at the border with Mexico and it shares water with this other country, for instance from the Colorado River… KE: It is a very large issue policy wise but I think the surprising thing is that it does not get very much attention here. The United States and Mexico recently signed an agreement known as “Minute 323” according to which the U.S. and state water agencies will invest millions of dollars in water conservation projects in Mexico and, in return, be entitled to a portion of the water conserved. Also under the agreement, Mexico will continue to store water in Lake Mead and will share in any shortages declared on the Colorado River.

FMLT: This way of framing the situation is very interesting because it reflects the general orientation about water in the US. In general, when people refer to water they mean the use

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of water for human use. But the ecosystem uses water as well and what is not ‘used’ by Mexico could serve to maintain the ecological function of the delta of the Colorado, isn’t it? KE: Yes, unfortunately the western approach to water law is all grounded on the ‘use it or lose it’ doctrine. If a senior appropriator of water rights does not use its allocation, then more junior users can claim this water and take it. It is an issue I have been very aware of and I am proposing a bill in this session which would consider that keeping the water in the ecosystem is a legitimate use of water and that it should count as much as irrigating fields. This would make it clear that a beneficial use of the water is just to leave the water in the ecosystem.

FMLT: And then it provides in turn ecological services that are beneficial for the population. KE: That’s exactly right. But there's been inattention to that. Arizona has a very cumbersome process of trying to reserve water that will then not go to an economic use but will be otherwise reserved in the ecosystem. That was the genesis of my bill, which tries to make it easier for that water to be left.

FMLT: Do you have any perspective on this issue of water worldwide? Do you think that there is a worldwide crisis of water? KE: It is certainly my understanding that this is happening all over the world and in so many other places in the United States. There was a drought in Georgia not very long ago, California had enormous droughts... But this is also a source for new cooperation. Arizona does have a relationship with Israel about water management and we are trying to foster other ones. There is a lot of interest by policymakers here in desalination techniques as a way of augmenting our water resources. My own view of that is that it is incredibly expensive and not necessarily feasible economically or maybe even politically or as a matter of engineering. And yet it seems that members of the Republican Party will focus a lot on that and try to bring in experts from other countries on desalinization. What I see is that we should be spending more time looking at water conservation or how we are using our water, what crops we are growing and if they are the right crops for a desert environment, rather than looking at just augmenting our water resources through desalinization.

FMLT: And what about all the policies that were developed in the Southwest of the US to make water a commodity and install a more rational use of it by raising its price? KE: Arizona is a place where we could do that more and the sad thing is, and it may be surprising, that we really don’t. Water is just very cheap in Arizona and too cheap, so that we are overusing it, we are not actually properly pricing it today. It's just a little bit too easy to go through the political process to get your water, so actually while there is some marketing of water, it is much less than you might expect. Something that might be actually an improvement in Arizona is to have more of that. But now there are also fairly controversial proposals about trying to transfer water from one watershed to another or from one aquifer to another area. That might be something that would be okay under a market system, as long as you pay for it, but I think there would be some political resistance to that.

FMLT: So we are back to the debate of increasing water supply vs better managing the water that is available? KE: Yes and one thing to that is interesting to note is that groundwater pumping is regulated in the more populated areas of Arizona. There's a cost to groundwater in those areas because people pay to store groundwater. They don't use the groundwater that they have access to and purchase Colorado River water instead. So

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there is something of a price on water here in the regulated areas, but outside of the regulated areas there's just this notion known as ‘reasonable use’ so if you were landowner you can pump as much as ‘reasonable’ which is basically unlimited use on your land. We've had entities coming in from outside Arizona and growing crops that they then ship back to their home countries such as in the Middle East because it's just so cheap to use our water because we're not putting a price on it, essentially it's just basically the price of the land.

AUTHOR

FRANÇOIS-MICHEL LE TOURNEAU

François-Michel Le Tourneau est directeur de recherche au CNRS et directeur-adhoint de l'UMI iGLOBES (CNRS-ENS-Université d'Arizona).

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Interview with Domingo Garcia, LULAC1 National President Dallas, Texas, 20 mai 2019.

Romain Gilibert

Romain Gilibert (R.G.): What is your perception of the Hispanic vote in Texas? Domingo Garcia (D.G.): There’s been a lack of investment by political parties, whether Democrat or Republican, and by non-profit groups in terms to get the vote out. So, Texas has one of the lowest voting turnouts in the entire country but, for example, in the state of Nevada, Senator Harry Reid just spent five million dollars to get the Hispanic vote out in Las Vegas, Nevada, alone. Nobody spends five million dollars in Texas to get out this vote. The last individual who even tried to do that was Beto O’Rourke2 and he was very successful in increasing Latino turnout in a non- presidential year, and he came really close to defeating the Republican Ted Cruz. So, we see that if you invest, you get a higher turnout, if you don’t invest then you get low turnout.

R.G.: How do you ‘invest’? What do you do when you ‘invest’? D.G.: You knock on doors. For Latinos to vote, normally you have to have, what I call, a five-touch policy. You got to knock on the door three times, and you got to call them twice, and now you got to text them. If you do that, then they’ll be bothered enough to go vote, about eighty percent of them will go vote. So, it’s just really how many times you can talk to the voters, and if you don’t, if you never knock on the door, if you never call them, if you never text them and you’re not on social media, then you’re just not there and they don’t respond.

R.G.: The Democrats told me, for instance, that a lot of Latinos are scared to vote because of intimidation or they’re scared that they’re going to get in trouble. D.G.: …what happens is we have in Texas a voter suppression campaign being launched by the Republican Party. For example, just two weeks ago, LULAC filed a lawsuit because the state of Texas was trying to remove 95, 000 naturalized citizens. These are mainly Mexican Americans who became U.S. citizens, registered to vote, and the state of Texas was trying to remove them from the rolls (Electoral rolls),

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under a guise that they had not proven their citizenship, and they were getting letters in the mail saying: “if you can’t prove you’re a citizen then we will take you from the rolls, and by the way, you might be committing a felony, and you might go to prison.” So, that was all part of a voter suppression to try to scare people into not voting. Especially new citizens. Then we’ve had all kinds of attempts in the history of Texas. For example, there used to be an all-white primary, the only people that could vote were white. Then you had a poll tax, you had to pay to vote. Then you had a voter ID bill3 and you had to show two or three kinds of ID to vote. So that means you would have to take your driver’s license, your passport, and your social security card or your birth certificate to vote, which is kind of a hassle. So, those laws were struck down by the courts, but we see attempt after attempt to rig the system to get only their voters to vote and to keep primarily Mexican American and African American voters from voting.

R.G.: What does LULAC do in terms of the Latino vote and Latino representation in Texas? D.G.: Okay, so, we’re the oldest Latino organization in Texas. We were founded in 1929 to fight voter suppression back in that time period, and we’ve been fighting until today, like I said, last week, we just won a victory over the state of Texas. They could not purge the 95, 000 voters and they had to pay attorneys’ fees of 450, 000 dollars, and they had to promise not to do it again. And if LULAC had not filed a lawsuit, […] we would have lost 95, 000 voters. We’re also a volunteer organization so we have councils all over the state of Texas and the country, and so we are registering people to vote. We go for naturalization. When immigrants are naturalized citizens, we register them to vote. When seniors turn eighteen in high schools, we register them to vote. And then third, we go out there and register regular people to vote and then we are the civic engagement trying to get them to vote. We’re volunteers so that means we’re limited in resources as opposed to a political party or a political organization that has millions of dollars or lots of staff. It’s hard to do it when you’re just a volunteer organization.

R.G.: Is there a particular focus on the Latino youth, to get them to vote? D.G.: I think the future is Latino millennials. I think Latino millennials, especially those between the ages of eighteen to thirty-five, have the greatest potential because they can be motivated by a Facebook or Instagram scroll. They can be motivated by a text to their phones so they’re very wired to their cellphones and to social media and so that, I think, is where we may be able to get them to turnout to vote and we have issues popping up such as climate change, and immigration, and education, I think, those are issues that, maybe, motivate them to come by to vote and so that’s an untapped generation of voters that could make a difference in a state like Texas or Florida.

R.G.: Do you feel like Latinos have been more politically involved in Texas since the 90’s? D.G.: In the 90’s, 80’s and 70’s we had the first Latino civil rights movement, college kind of movement, and there was a lot of activism. We had set up our own separate party […] but it was very nationalistic, very separatist but it got people involved to register. And then, that sort of died down, over the last fifteen years it has been sort of very low-key, but what we’re seeing is, over the last five to six years, there’s been a re-energizing of the Latino youth primarily to go out and vote and that’s been led, by a large extent, by DREAMers who are Latino immigrants who came here as little kids but they are active and they are trying to pass the DREAM Act4 and I was the author

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of the original DREAM Act in 2001. So, you have a lot of energy and you have young leaders like Alexandria Ocasio-Cortez5 in New York and the County judge of Houston, the largest county in Texas, Lina Hidalgo, 28 years old, and so, you’re seeing them move up and get elected. We’ve had young Latinas here in Dallas county who’ve been elected state representatives who are all in their twenties and thirties so, you’re seeing a change but it is still slow. It’s not where we need to be but it’s much faster than it’s been over the last two decades.

R.G.: Is it going to take a long time? D.G.: I think four to six years...

R.G.: …that sounds really optimistic, don’t you think? D.G.: When California [became a majority-minority state], there was a backlash […] and the white population in California passed an immigrant law called Proposition 1876. And so, Governor Wilson passed all this, and California was a solid Republican state. Ronald Reagan came from California. Most of the congressmen were Republicans. The governor was a Republican. After they did Prop. 187 there was a backlash and the Latino community mobilized, organized, and turned out to vote, and the effect has been that now Latinos have turned California into a blue state. All Democrats, fewer and fewer Republicans. Texas is sort of on that cusp. We’re right there, where California was, back about fifteen years ago, and once we switch then Texas will become blue and Latinos will be the dominant political force in Texas but we’re still four to six years away from that, although 2020 could happen if Donald Trump continues, you know, spewing his anti-Latino, anti-immigrant rhetoric which elected him the first time but which now, I think, might produce an upset victory by the Democrats in Texas. Like Beto came close, he only lost by three points so, if you have the right candidate on the Democratic side and if you have a bigoted racist campaign being run by Trump and the Republicans, you could have a higher than expected turnout that will defeat the Republicans in Texas.

R.G.: There’s a lot of voter suppression with the ID laws, there’s gerrymandering too. Doesn’t that hurt the Latino vote? D.G.: LULAC was involved in a case in Dodge City, Kansas. […] Dodge City is now 64% Latino, and what the Secretary of State in Kansas did was, he moved all the polling places outside of Dodge City, for the first time in history, twenty miles away. So, to vote in Dodge City, you had to drive twenty miles and that was a way to suppress the Latino vote. An eighteen-year-old young man named Alejandro Lopez filed a lawsuit for LULAC. LULAC vs. Kansas, and we won the lawsuit and now we have three polling places in Dodge City, but that type of voter suppression where they’re literally not allowing you to vote unless you drive or here, in Texas, where they try to take your name off the board of rolls (Election Board). It’s happening across the country as a repression from very conservative elements in the Republican Party that are still trying to fight the battle of ideals: “here this is our platform, vote for us” as opposed to the Democrats vote for them. They want to rig the system. They don’t want us to even be allowed to vote. They don’t want to even have an opportunity to make a difference because they’re afraid of our numbers, and demographics is destiny and the demographics is going against them. If they continue to have this type of anti- immigrant, anti-Latino rhetoric, they will sink.

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R.G.: Should we rely on the Latino youth? D.G.: Yes, because they are people who are not afraid, and they want to take on the establishment and the system. And I think that’s happening and the numbers are there. Like in Dallas county, every six months, every semester, about five thousand Latinos turn eighteen and we register them to vote, all of them. And so, our numbers are gradually increasing, and I think that’s what scares the Republican power structure.

R.G.: Registering them to vote doesn’t mean that they’re actually going to vote… D.G.: …you still have to go out there and get them to vote and young people are difficult to go vote. The most reliable voters are the seniors. And right now, a majority of seniors in Texas are white. The demographics are that a majority of the young people are Latino, but they still haven’t become eligible. The Republican Party is trying to do everything they can to postpone the day when they won’t have the votes to win fair and square.

R.G.: Why don’t they just change their strategy and try to appeal to the Latino vote? D.G.: When George W. Bush was running for president, he got 40% of the Latino vote. He spoke Spanish, he talked about conservative social issues like religion, prayer in schools, and abortion. I’m pro-choice, but a lot of Catholics are pro-life so there’s a percentage they could appeal to and you know the “pull yourself up by your boot straps,” “make it on your own,” appeals to a certain percentage of the Latino vote but they’re driving all that away through these politics that they’ve been doing over the last two years.

R.G.: So, instead, they use gerrymandering? D.G.: So, we also saw the rigging of the system which was called at-large systems7 so that everybody in the city of Houston, or Dallas or San Antonio had to vote. The white vote always dominated the African American or Latino vote, so we never had enough votes to win. So, we filed a lawsuit under the Voting Rights Act to say that it was a discrimination of the past that we should do single-member districts.8 The city of Dallas was divided into fourteen parts. Two parts were majority Latino, four parts were majority African American. This is 1991. I became the first Latino elected to Dallas city council from a single-member district, and then we’ve had to continuously file lawsuits to allow our people to choose a candidate of their choice because otherwise they rigged the system through gerrymandering to make sure that we are not allowed to elect the candidate of our choice and to put all the Latinos in one district so that they only get one vote out of the fourteen and that’s happening in Congress and it’s happening in the state, at local levels. So, again, we’ve had to fight those battles against gerrymandering, and I had to go to court all the time. Every ten years, I can guarantee you, in 2020 after the census, the state of Texas will be gerrymandering the districts […] like, for example, in 2010 […] but they created no Latino congressional districts. They did the “cracking” and the “packing”, but they created no new ones, and we had to file a lawsuit just to pick up two, when we were down to four. And now with the Supreme court being majority Republican, we don’t know if we can even win now in court, and that would, again, make it difficult and allow them to rig the system as long as they can control the levels of power in the Texas House, Texas Senate and governor’s office. Again, LULAC vs. State of Texas.

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R.G.: Do you receive support from the Democrats? D.G.: Our membership has Republicans and Democrats but a lot of the former Hispanic Republicans who supported the Republican Party because they were against abortion, religious issues, and they were conservative, are starting to leave the Republican Party because of their politics on immigration, and their politics on voter suppression, and their politics sort of just appealing to, you know, the white superiority, white ethnicity as a part of their main way to get votes. So, that’s driving a lot of Hispanic Republicans away. There are some Republicans that we work with like, for example, Senator John Cornyn from Texas has been very middle of the road Republican. George W. Bush supported immigration reform, supported the DREAMers but we’ve seen that the party of Ronald Reagan, George W. Bush is being pushed to the outside by the extremists and the Republican Party led by Trump, Steve Miller and others like Senator Tom Cotton from Arkansas who are pushing a far right-wing anti-immigration, anti-Latino agenda. That politics, it’s actually a worldwide phenomenon but especially in Europe where you see far right-wing anti-immigrant, anti-them politics…

R.G.: How would you account for this phenomenon in the United States? D.G.: …America has a history of denying the right to vote to women, to Native Americans, Latinos, to African Americans […] It’s always an ongoing battle for civil rights, and even now I can’t believe that here we are in 2019, and we’re struggling to keep people on the voter rolls. The other thing that’s happened is, the legislature has a bill right now in Texas, SB 9 (Senate Bill 99), that will make it a criminal offence to help three people to go to the polls. So, if you help three senior citizens to go to the polls, that will be a crime. It’s called SB 9. It may pass, it may not. Republicans are criminalizing voter registration, they’re criminalizing voting.

R.G.: Do you think they’re aiming at Latinos in particular? D.G.: Specifically, yes. They’re trying to make it impossible to vote by mail for senior citizens, primarily minorities, African Americans and Latinos who cannot get out of the house, to be able to vote by mail right now. They’re trying to make that extremely difficult or impossible to do and it’s going to make it impossible, it could be a crime for a grandson to help his grandmother fill out a ballot to vote. You can get offence. Here in Fort Worth, which is just twenty miles from Dallas, an African American female who was a convicted felon thought that if she was out of jail she could register to vote and vote. She voted, which is a crime in Texas, so she went to trial and they gave her ten years in prison for illegal voting. A Latina, who was a U.S. resident, legal, but got here when she was two and not a U.S. citizen, her husband who was a U.S. citizen, said: “oh, you can register if you are a U.S. resident.” She registers to vote, she votes, then the Attorney General of Texas prosecutes her, he gives her six years in prison for voting. And the message clearly is: “if you’re a Latina, you’re an African American and you forgot to dot an I or cross a T, you’re going to prison, and they always do the sentences right before the elections to have what’s called a “chilling effect” on people voting. And it works because people are afraid, especially senior citizens because they don’t want to get in trouble with the law, they don’t want to go to prison, they don’t want people asking them questions about: “why did you vote?”, “who filled out your ballot?” or “who took you to go vote?”. And if somebody with boots and badges and guns shows up, it just makes you not want to go

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vote. It’s intimidation. Voter intimidation, voter suppression, and attempt to rig the system.

R.G.: I’ve heard of ICE agents waiting for voters at voting stations to intimidate Latinos… D.G.: …yes, that happened in El Paso. We had to go and get a court order to remove the ICE agents from the polling place…

R.G.: What’s the point having ICE agents at polling places if the people who go and vote are U.S. citizens? D.G.: You might have a U.S. citizen married to an undocumented worker, an undocumented immigrant. So, he’s taking his wife and his children, she’s undocumented, he’s a citizen: “oh, oh, I better leave because my wife could be arrested or my husband or my grandfather.” They’re mixed families. We had to remove the ICE agents from a school in El Paso last year, no, two years ago. We had to file a lawsuit to remove them.

NOTES

1. LULAC, League of United Latin American Citizens, is the largest and oldest Hispanic organization in the United States. Created in 1929, it seeks to advance the economic condition, educational attainment, political influence, housing, health and civil rights of Hispanic Americans ( https://lulac.org/). 2. Beto O’Rourke ran for U.S. Senate for the Democratic Party against Ted Cruz during the mid- term elections of November 2018. He lost to his Republican opponent by less than 3 points. 3. See website: https://www.votetexas.gov/mobile/id-faqs.htm. 4. The DREAM Act (The Development, Relief, and Education for Alien Minors Act) was a bill in Congress whose legislative goal was to provide a means for undocumented immigrants who arrived in the U.S. as children to gain a pathway to permanent legal status. 5. Alexandria Ocasio-Cortez is a Congresswoman who serves as the U.S. Representative for the 14th district of New York (the Bronx and Queens). She was elected during the mid-term elections of November 2018. 6. Proposition 187 was a law proposed and voted by California voters to make immigrants residing in the state without legal permission ineligible for public benefits (medical care, public education). 7. A system where all voters in the city elect the mayor and city council members. 8. A system where the city is divided into election districts, and only the voters living in that district elect the council member from that district. Only the mayor is elected at large. 9. See website : https://capitol.texas.gov/tlodocs/86R/billtext/html/SB00009I.htm. SB 9 was finally adjourned sine die.

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AUTHOR

ROMAIN GILIBERT

Romain Gilibert est doctorant à Aix-Marseille Université, LERMA.

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Éclairage Dossier coordonné par Damien Larrouqué

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Éclairage

Le Chili s'est réveillé... et après ?

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Introduction. Le Chili s’est réveillé… et après ?

Damien Larrouqué

El neoliberalismo nos mata. Metro Bellas Artes. Noviembre 2019

© Damien Larrouqué

1 Le Chili a vécu dans la soirée du 18 octobre 2019 un épisode quasi-insurrectionnel qui a conduit le président conservateur Sebastián Piñera à déclarer l’état d’urgence pour la première fois depuis le retour à la démocratie (1990). Celui qui s’enorgueillissait une vingtaine de jours plus tôt que son pays était un « oasis de stabilité dans une Amérique latine prise de convulsion » s’est retrouvé confronté à une explosion sociale inédite. Ses

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premières déclarations polémiques1 ont attisé la révolte et révélé le fossé qui divise les élites dirigeantes chiliennes de la société dans son ensemble. Dépassé par l’ampleur des évènements, la magnitude de la mobilisation et la multiplicité des revendications, le gouvernement s’est résigné à ouvrir un nouvel agenda social et institutionnel, sans pour autant parvenir à circonscrire la contestation. Fin octobre, une foule compacte de plusieurs millions de personnes a envahi les rues du centre-ville de Santiago pour exprimer leur solidarité envers les premiers manifestants et leur ras-le-bol généralisé contre un modèle macroéconomique mortifère.

2 En quelques semaines, l’ensemble de la classe politique a brutalement pris la mesure d’un diagnostic aussi implacable que le mécontentement social est profond : le Chili est malade de son modèle de développement. Dans un pays que le président gouverne du haut de sa fortune personnelle estimée à 2,8 milliards de dollars (CNN Chile, 2019) et où un parlementaire gagne en moyenne trente fois le salaire minimum (La Tercera, 2019), les inégalités sociales sont devenues insupportables. Le système de santé fonctionne à deux vitesses ; une éducation primaire, secondaire et a fortiori universitaire de qualité n’est permise qu’à celles et ceux qui peuvent s’endetter pour se l’offrir et scolariser leurs enfants dans le privé ; les pensions par capitalisation des retraités sont misérables ; bref, le modèle économique violemment individualiste que la Concertation a hérité du pinochétisme est aujourd’hui à bout de souffle. N’en déplaise à ses plus acharnés thuriféraires dont le fanatisme idéologique frise l’aveuglement2, l’« hypercapitalisme » (Picketty T., 2019, 42) tel qu’il s’est épanoui au Chili n’apparaît plus viable sur le long terme. Et pour cause, sa légitimité sociale ne repose plus que sur une minorité de privilégiés. La majeure partie de la population ne veut plus du modèle néolibéral : « le néolibéralisme nait et meurt Chili » comme on a pu le lire sur les murs de Santiago, à côté d’autres graffitis assurant, non sans ironie, que « nous allons très bien :( » ; « le Chili est un oasis (pour les riches) ».

3 Dans le monde académique, cela faisait déjà plusieurs années que les universitaires dénonçaient de manière réitérée les illusions d’un « néolibéralisme à visage humain » censé en atténuer les aspérités (Fischer K., 2017, 147), annonçaient l’effondrement du modèle (Mayol A., 2012), proposaient de le remodeler (2007) ou d’en penser un nouveau (Atria F. et al., 2019). D’aucuns ont même pu suggérer que les obstacles institutionnels mis en place, au sortir de la dictature, pour empêcher toute réforme paradigmatique étaient si forts qu’ils avaient percolé jusque dans la culture politique, au point de la rendre profondément rétive au changement (Atria F. et al. 2017, 81-98). Tous, néanmoins, ont été pris de court par la soudaineté et l’intensité de la crise. Dans la préface accompagnant la réédition de leur ouvrage collectif initialement publié en 2013 et très commenté depuis, Fernando Atria et ses collègues ont ainsi eu l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que « le moment précis de l’explosion sociale comme la magnitude du phénomène nous ont surpris » (Atria F. et al., 2019, I).

4 Afin de porter le regard le plus complet sur cette crise multifactorielle et l’appréhender dans toute sa complexité, nous avons mobilisé une équipe pluridisciplinaire franco- chilienne, composée de politistes, sociologues, historiens et juristes. Collectivement, nous soutenons que cette révolte populaire3 marque une rupture majeure dans l’histoire contemporaine chilienne. De toute évidence, il y aura « un avant » et « un après » 18-O.

5 Notre dossier se divise en trois parties. Faisant office d’introduction contextuelle, la première réunit trois articles. Spécialiste des mutations macroéconomiques, Manuel

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Gárate nous éclaire sur le processus de néolibéralisation de l’économie chilienne par une mise en perspective historique. De son côté, la sociologue Emmanuelle Barozet présente les caractéristiques de la transition démocratique et revient sur les épisodes de contestation sociale antérieurs, en vue de démontrer que cette crise cristallise une exaspération de longue date. Quant à moi, qui travaille sur les transformations institutionnelles dans le Cône sud, je propose une réflexion sur les limites du fonctionnement technocratique chilien à la lumière de la responsabilité du comité d’experts dans le déclenchement de l’éruption sociale.

6 La seconde partie s’attache à comprendre ce moment, que personne n’a vu venir, où « le Chili s’est réveillé ». Politistes, Antoine Faure et Antoine Maillet rendent compte, par de-là la lecture conjoncturelle, de la densité sociale et politique de la crise du 18-O. Spécialiste des partis, Stéphanie Alenda révèle les ambivalences de la droite chilienne au prisme de la gestion chaotique des évènements par le gouvernement. Quant à Carolina Aguilera, experte de la question des droits de l’Homme, elle explique, sur la base de deux hypothèses, d’où vient la propension à la violence policière et pourquoi un tel niveau injustifiable de répression a été atteint. Camila Ponce, pour sa part, s’appuie sur ses travaux sur le mouvement féministe chilien pour en étayer la résurgence dans le cadre de cette révolte tout azimut. De leur côté, analysant la perception des citoyens vis-à-vis des inégalités territoriales, Rodrigo Marquez et José Viacava nous rappellent que cette crise n’est pas qu’un phénomène santiagois, mais a aussi touché, selon l’expression consacrée, tout le pays « d’Arica à Punta Arenas ».

7 Enfin, la troisième partie interroge l’après-crise. Constitutionnalistes, María Cristina Escudero et Jaime Gajardo Falcón reviennent sur les « enclaves autoritaires » de la Constitution en vigueur depuis 1980 et nous présentent les différents scénarios du processus constituant qui s’ouvrira en avril 2020. Quant à mes deux collègues administrativistes de l’Institut des affaires publiques (INAP), Rodrigo Egaña et Cristián Pliscoff, ils pointent les défaillances des institutions publiques chiliennes et proposent des réformes à entreprendre pour améliorer le fonctionnement de l’État et redorer son image. Pour finir, Kevin Parthenay, spécialiste des processus d’intégration régionale en Amérique latine, élargit la focale analytique au-delà de la Cordillère : il replace cette contestation dans un panorama mondial secoué d’autres spasmes et interroge, plus largement, l’impact international de la crise chilienne. I – Contexte La néolibéralisation de l’économie chilienne dans une perspective historique – Manuel Gárate De la transition à l’explosion du 18-O : malaise et rébellion populaire aux portes de la terre promise – Emmanuelle Barozet « Ok pour 30 pesos ? » Vertus et contradictions de la techno-démocratie chilienne – Damien Larrouqué II – Conjoncture Chile despertó. Mobilisations sociales et politisation au Chili – Antoine Faure et Antoine Maillet Les ambivalences de la droite chilienne dans la gestion de la crise – Stéphanie Alenda Violaciones a los Derechos Humanos en largo octubre chileno – Carolina Aguilera Du mouvement féministe étudiant au mouvement social #ChileDespertó – Camila Ponce Las desigualdades territoriales y el 18-O de Chile: algunos antecedentes – Rodrigo Marquez et José Viacava III – Projections

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Nueva Constitución y proceso constituyente – María Cristina Escudero Illanes et Jaime Gajardo Falcón La gestión pública chilena después del 18-Octubre: Ideas previas y reflexiones futuras – Rodrigo Egaña et Cristian Pliscoff L’impact international de la crise chilienne d’octobre 2019 – Kevin Parthenay

BIBLIOGRAPHIE

Amorós, Mario, Pinochet. Biografía militar y política, Santiago / Barcelone, B. Ediciones, 2019.

Atria, Fernando et al., Democracia y neutralización. Origen, desarrollo y solución de la crisis constitucional, Santiago, LOM, 2017.

Atria, Fernando et al., El otro modelo. Del orden neoliberal al régimen de lo público, Santiago, Debate, 2019.

Bustamente, Olga, « Entrevista a Sergio de Castro. Crisis social : “Con un modelo que no hubiera generado el desarrollo que este generó, sería peor” », La Tercera, 12 novembre 2019, https:// urlz.fr/bGDY, page consultée le 09/03/2020

CNN Chile, « Piñera posee la quinta mayor fortuna en Chile, según el ranking Forbes, con US$ 2.800 millones », CNN, 5 mars 2019, https://urlz.fr/bGE4, page consultée le 09/03/2020

Fischer, Karin, Clases dominantes y desarrollo desigual. Chile entre 1830 y 2010, Santiago, Ediciones Universidad Alberto Hurtado, 2017.

La Tercera, « ¿Cuánto le cuesta al Estado un parlamentario ? », La Tercera, 24 octobre 2019, https://urlz.fr/bGFd, page consultée le 09/03/2020

Martner, Gonzalo, Remodelar el modelo. Reflexiones para el Bicentenario, Santiago, LOM, 2007.

Mayol, Alberto, El derrumbe del modelo. La crisis de la economía de mercado en el Chile contemporáneo, Santiago, LOM, 2012.

Picketty, Thomas, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019.

NOTES

1. Prononcée lors de son allocution du 21 octobre, sa désormais célèbre allégation « nous sommes en guerre contre un ennemi puissant » a rappelé à beaucoup l’ignominie d’une époque pas si lointaine où un certain général Pinochet menait alors, d’après les mots de son biographe, « une guerre contre son propre peuple désarmé » (Amorós M., 2019, 259). 2. Dans un entretien à La Tercera, Sergio de Castro, l’artisan intellectuel du néolibéralisme autoritaire chilien, déclarait encore mi-novembre que le « système se défend lui-même » et qu’un « modèle sans développement économique aurait été bien pire encore » (Bustamente O., 2019). 3. La presse et les médias emploient communément le terme d’estallido social pour évoquer l’ explosion sociale de fin octobre. Or, il nous apparaît que cette notion euphémise la portée, la longueur et la complexité du phénomène. Cette précision fait écho à la note n° 2 de l’article de

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Faure et Maillet que je remercie, en tant que coordinateur, pour m’avoir permis d’en reprendre ici les éléments.

AUTEUR

DAMIEN LARROUQUÉ

Damien Larrouqué est affilié à INAP-Université du Chili [email protected]

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La néolibéralisation de l’économie chilienne dans une perspective historique

Manuel Gárate

1 Les événements qui ont eu lieu au Chili depuis le 18 octobre 2019 ont été définis, notamment par la presse chilienne et la classe politique, comme une « explosion sociale », faisant référence à un genre de protestation plutôt inattendue et spontanée. Cependant, l’ampleur des mobilisations, leur force et le fait qu’elles se soient produites sur l’ensemble du territoire, suggèrent plutôt une sorte de soulèvement populaire ou d’insurrection avec des caractéristiques beaucoup plus profondes et liées à d’autres mouvements sociaux similaires de l’histoire du XXe siècle chilienne (Milos P., 2007 : 19-20). Bien que les événements qui ont déclenché ce processus aient pour origine la hausse du prix du ticket de métro et la réaction des lycéens avec des évasions massives du transport public dans la capitale, une série d’autres revendications politiques et sociales a été mise en évidence au cours des semaines qui ont suivi le 18 octobre. Celles- ci sont liées au modèle de développement que le pays maintient depuis 45 ans au moins, et qui se cristallise également dans la demande d’une nouvelle constitution politique.

2 Le slogan répété “ce n’est pas contre 30 pesos mais contre 30 ans” traduit précisément le fait que pour une partie importante de la population chilienne, le retour à la démocratie politique, depuis 1990, n’a pas entraîné de changement substantiel de leurs conditions de vie, et ce malgré une baisse de l’extrême pauvreté et une augmentation significative du revenu des foyers. Le problème de la marginalité, des inégalités économiques et de l’accès aux services reste un sujet que l’élite politique et économique (tant du centre- gauche que de la droite) a minimisé pour privilégier la croissance économique et le ciblage des politiques sociales envers les plus pauvres. Le principe de subsidiarité de l’État et la prépondérance des politiques assistencialistes ont engendré une importante ségrégation économique dans la population, qui prend la forme, par exemple, d’énormes cercles de marginalité dans de grandes villes extrêmement étendues et laissées au libre jeu du marché immobilier et de la spéculation du sol. Mais ce n’est là qu’un des éléments de la ségrégation sociale et de la privatisation de la vie sociale qui

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se sont manifestés dans le cycle de protestations du 2019-2020. Pour tenter d’expliquer l’origine du phénomène, il est nécessaire de faire une brève histoire du modèle économique chilien et de sa consolidation ultérieure pendant la transition démocratique.

L’origine du modèle économique néolibéral

3 La transformation majeure du modèle de développement chilien a eu lieu au cours de la période 1975-1986, en abandonnant ce qui avait été jusque-là une expérience hétérodoxe de construction d’un État social et moteur de l’industrialisation. Ce dernier était sorti de la crise du modèle d’exportation des matières premières hérité du XIXe siècle, qui fut fortement affecté par la Première Guerre mondiale puis par la Grande Dépression de 1929-30 (Palma G., 1984 : 62). Bien que le modèle chilien d’industrialisation par substitution des importations ait montré ses limites vers le milieu des années 1950, il avait donné naissance à une nouvelle classe moyenne liée à l’État et à la massification de l’enseignement public. À cela s’ajoutait une classe ouvrière issue de l’industrie nationale, représentée par des syndicats et différents partis politiques dont un nouveau centre social-chrétien (Démocratie chrétienne), tout comme une gauche plus traditionnelle (Parti socialiste et Parti communiste, principalement). L’approfondissement de ce modèle développementaliste (bien que très dépendant de l’exportation du cuivre) et sa transformation en une économie socialiste, étaient au cœur de la promesse électorale de Salvador Allende (1970-1973).

4 Le coup d’État de septembre 1973 a signifié la fin tragique du projet socialiste chilien, mais pas entièrement de l’État développementaliste qui avait émergé depuis les années 1930. Ce n’est qu’en 1975 qu’un groupe de jeunes économistes et technocrates diplômés aux États-Unis, appelés les Chicago Boys, a repris complètement en charge l’économie chilienne. Cela a provoqué un tournant important dans la politique économique de la dictature militaire, car jusqu’à ce moment-là la vision nationaliste-développementaliste de plusieurs hauts officiers militaires consistait à consolider un État fort (protectionniste) et à négocier avec les syndicats à condition que ceux-ci restent loin des partis de gauche. Mais ce groupe d’officiers a été vaincu en interne par ceux qui ont réussi à imposer au sein de la Junte militaire l’idée d’un changement radical du modèle de développement économique (Valdivia V., 2003 : 151). Cela devait s’accompagner d’un système institutionnel qui consoliderait ces changements socio-économiques dans un futur retour à la démocratie. C’est ce qu’on a appelé la fusion « Chicago-grémialiste », qui combine le conservatisme politique, le libéralisme économique radical et une profonde méfiance envers la démocratie et la politique. Cette association de civils avec les militaires a favorisé le général Pinochet lui-même, qui a cherché à renforcer son pouvoir au sein de la Junte et à éliminer ainsi toute dissidence. Ce processus s’est consolidé au cours de la période 1975-1980, qui coïncide avec la promulgation de la nouvelle Constitution de 1980, en vigueur jusqu’à aujourd’hui malgré ses nombreuses réformes ultérieures.

5 La néolibéralisation de l’économie chilienne a commencé avec le grand ajustement du secteur public en 1975-1976 (thérapie de choc), lorsque la taille de l’État a été considérablement réduite, ce qui a généré un chômage élevé et de la précarité de l’emploi, dans un contexte de forte répression de l’État contre les principaux partis de gauche et les organisations syndicales (Gárate M., 2012 : 196). Par la suite, à partir de

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1979, les technocrates du régime se sont tournés vers ce qu’ils ont appelé les grandes modernisations ou transformations structurelles de l’économie chilienne. Il s’agit notamment de la privatisation partielle ou totale des principaux services sociaux : santé, éducation et retraites, laissant à l’État un rôle purement subsidiaire. Cela a aussi concerné les grandes entreprises publiques créées depuis 1940 et la réforme du travail qui a libéralisé les relations entre travailleurs et patronat, diminuant considérablement la capacité d’action des syndicats et des associations professionnelles. A cela, il faut ajouter une profonde réforme des échanges commerciaux, mise en œuvre par la baisse drastique des tarifs et l’ouverture sans restrictions aux importations ; tout cela a contribué à la libéralisation du marché financier et à un endettement extérieur élevé.

6 Ces politiques publiques ont généré une brève période de boom économique (1978-1981), fondé sur l’endettement extérieur et un prix du dollar artificiellement bas. Le pays a été envahi par des produits importés bon marché, tandis que l’industrie nationale agonisait et le chômage de masse apparaissait (Gárate M., 2013 : 286). La grave crise économique de 1983-1986 a provoqué la quasi-faillite du système bancaire chilien, qui n’a pu survivre que grâce à des subventions directes de l’État et au sauvetage de nombreuses entreprises privées. La crise a été le déclencheur d’un long cycle de protestations qui démontra la forte précarité de la vie des chiliens et l’action minimale de l’État en matière de protection sociale. Ce cycle de mobilisations a ouvert la voie à l’union de l’opposition contre la dictature militaire.

L’héritage économique de la dictature

7 Le régime autoritaire a réussi à résister à la pression sociale, mais Pinochet a dû quitter la tête de l’État chilien en 1990 après avoir perdu le référendum de 1988. C’est ainsi que la transition démocratique chilienne a commencé, dans un contexte où l’armée avait un énorme pouvoir de facto, également soutenue par les partis de droite et le grand patronat. Les forces démocratiques (la Concertación) ont été contraintes dès le premier jour de négocier leur projet de gouvernement et, surtout, d’accepter les conditions de la Constitution de 1980 (voir article d’Escudero et Gajardo dans ce dossier). Cette dernière assurait le maintien des piliers du modèle économique néolibéral et le pouvoir du veto des militaires par le biais de sénateurs désignés et de l’existence de quorums parlementaires ultra majoritaires (4/7 ou 2/3) pour empêcher toute réforme importante du modèle économique.

8 Bien que la Concertación ait réussi à donner un certaine orientation sociale aux politiques économiques, notamment sous le gouvernement de Patricio Aylwin (1990-1993), les fondements du modèle ont surtout été renforcés : la santé et les retraites sont restés entre les mains d’entreprises privées (ISAPRES et AFP1), la politique d’exportation des matières premières a été approfondie et les grandes privatisations des anciennes entreprises publiques consolidées, incorporant même par la suite les sociétés de distribution d’eau (Durán G., 2015 : 226). Alors même que les chiffres de la croissance sont impressionnants durant la première décennie de la nouvelle démocratie (moyenne de 5 à 7 % entre 1990 et 2000) et que les taux de pauvreté ont considérablement diminué, la population chilienne a dû faire face à un processus de privatisation de la vie sociale dans tous les domaines. L’incertitude et la peur de la précarité se sont installées comme le nouveau sens commun. Cependant, le système fonctionnait toujours car la promesse d’un avenir meilleur pour les nouvelles

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générations restait intacte. On nous disait que l’effort personnel était suffisant pour réussir, et à ces fins l’endettement et la consommation ont été ouverts à de nouveaux groupes de population qui n’avaient jamais eu accès aux biens de qualité. L’augmentation des exportations de cuivre, de cellulose et de produits agricoles a contribué à maintenir les chiffres du chômage relativement bas, tout en faisant entrer des devises étrangères dans le pays. En effet, le Chili s’est enrichi grâce à ces activités extractives, mais la concentration des richesses commençait à prendre des caractéristiques inquiétantes, alors que la plupart de la population a dû faire face à une augmentation croissante du coût de la vie, notamment sur des questions essentielles comme l’éducation, la santé, l’alimentation et le transport.

9 La coalition de centre-gauche au pouvoir a assumé les restrictions démocratiques de la constitution et le veto de la minorité de droite comme le prix à payer pour la stabilité du modèle. Des taux de croissance économique élevés semblaient corroborer l’efficacité du statu quo politique. Cela a généré au sein de la Concertación le débat de 1999 entre les « flagellants » et les « complaisants », ces derniers ayant pris la main et défendu tout ce qui avait été fait depuis 1990 et mis en doute la nécessité de réformes importantes du modèle de développement. C’est précisément au sein de ce groupe de centre-gauche que des liens clé se sont tissés avec les grandes entreprises au travers de postes au sein des conseils d’administration (AFP, ISAPRE, etc.), des contrats dans des sociétés réglementées par l’État, voire des sociétés de conseil en communication et image, entre autres. Ces relations ont consolidé une nouvelle élite qui a facilité une série de consensus et a rendu invisibles les besoins et les difficultés d’une grande partie de la population qui avait vu ses conditions de vie s’améliorer, mais n’avait aucune assurance de les maintenir ou de les projeter vers l’avenir.

10 L’endettement en tant que mode de vie et la ségrégation urbaine comme manifestation physique des différences sociales ont marqué le contexte de la vie quotidienne de la population chilienne dans les années 1990 et 2000 (González F., 2018 : 882). Bien que les chiffres macroéconomiques aient continué de montrer des signes positifs, un malaise croissant s’est peu à peu installé dans la société, dont la participation politique a considérablement diminué depuis 1997. De longues heures de transport pour se rendre au travail, des quartiers périphériques avec de mauvais services, l’endettement croissant des familles, les bas salaires, la criminalité et l’emploi précaire font désormais partie de la vie quotidienne du pays. À cela s’ajoutaient des conflits locaux provoqués par la pollution et la destruction de l’environnement en raison des activités extractives qui dominent l’économie chilienne jusqu’à aujourd’hui. Des régions importantes du pays ont commencé à être abandonnées par l’État, tout comme des services allant de l’éducation aux espaces verts, aux soins de santé primaires et à la protection contre la criminalité. L’économie nationale a continué de croître, mais les fruits de cette croissance ont été répartis de plus en plus inégalement, tandis que l’idée de l’ascenseur social a commencé à s’effondrer. Un nouveau danger se profilait à l’horizon proche : la première grande cohorte de travailleurs du système AFP de capitalisation individuelle prendrait sa retraite vers 2020, ce qui impliquait, selon divers auteurs (Huneeus C., 2018 : 2), une baisse significative d’au moins 50 % du revenu pour les nouveaux retraités qui pourrait même être inférieur au salaire minimum. Il n’est donc pas si étrange que le cycle de mobilisation d’octobre 2019 ait coïncidé avec la demande de meilleures pensions.

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Le début du mécontentement

11 Les bénéfices sociaux de la consommation et du crédit n’ont pas suffi à contenir ce mécontentement qui s’est manifesté entre mai et août 2006 chez les jeunes générations après l’augmentation du prix du transport scolaire. Ce fut l’un des premiers signes massifs du malaise social, bien qu’à l’origine limité aux élèves du secondaire. Les manifestations de 2011 ont marqué une nouvelle étape en raison de leur portée nationale et la durée du mouvement. Celles-ci se sont également déroulées dans le contexte du premier gouvernement de droite qui a remporté des élections démocratiques depuis 1990. Pour la première fois depuis le retour à la démocratie les manifestations ont été dirigées contre tous les acteurs politiques et économiques dans leur ensemble, sans différenciation entre gauche et droite. On a parlé d’une remise en cause générale du modèle économique et de la précarité et de l’endettement qu’il a engendrés pour la plupart des Chiliens. Le problème des inégalités et de la concentration excessive des richesses a pris d’assaut le débat public (Solimano A., 2012 : 25), désignant les principaux acteurs de la transition démocratique comme responsables de la consolidation du modèle et la perte d’intérêt et de légitimité de l’activité politique (Márquez R., 2015 : 86-87). Le sujet de la Constitution de 1980 a émergé dans le débat comme l’un des principaux obstacles aux changements sociaux exigés par la population. Il a également été fait référence à la Cour constitutionnelle (Tribunal Constitucional) en tant qu’organe qui agit par-dessus la légitimité du Parlement et qui fausse la volonté citoyenne. Ainsi, l’idée que la Constitution fonctionnait comme un frein aux revendications sociales et comme un bouclier protecteur du statu quo s’est installée.

12 Le deuxième gouvernement de Michelle Bachelet (2014-2017) était soutenu par une coalition (La nouvelle majorité) qui incorporait d’autres acteurs politiques que la Concertación, tels que le Parti communiste. Son programme de réformes visait à répondre aux demandes du mouvement social de 2011 : une éducation gratuite et de qualité ; un processus constituant ; et la réduction des inégalités sociales (Rodríguez J., 2018 : 10). On parlait à l’époque d’un changement de modèle « au sein du modèle » à travers des réformes émanant du pouvoir exécutif et confirmées par le Congrès national. Cependant, les divisions internes de la coalition au pouvoir, l’obstructionnisme de l’opposition de droite et une série de cas de corruption, de collusion et de financement illégal de la politique ont provoqué l’échec d’une grande partie des réformes proposées. L’idée qu’un changement profond du modèle économique était pratiquement impossible, même si l’on détenait le pouvoir exécutif et une majorité parlementaire, s’est installée dans une grande partie de la population. Le problème était alors structurel, car la Cour constitutionnelle, la puissance économique du patronat, la corruption des élites et des lobbies, pouvaient bloquer toute réforme.

13 L’un des principaux symptômes de ce mécontentement s’est manifesté par l’irruption du mouvement « NO + AFP », qui a rassemblé divers acteurs sociaux opposés au système de retraites créé par la dictature. La demande ne concernait pas seulement les jeunes et les étudiants, mais une masse importante de travailleurs et de personnes âgées qui reprochent à l’État et aux AFP de fournir des pensions atteignant (en moyenne) à peine un tiers des revenus de la vie active. Si l’on ajoute à cela les protestations contre les crises environnementales des soi-disant « zones de sacrifice », contre la privatisation de l’eau, les activités extractives, la mauvaise qualité des transports publics (Araujo K.,

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2019 : 23), et les différents mouvements pour l’accès à un logement décent, un panorama des troubles sociaux généralisés a été mis en place dans la société chilienne2. Ce processus peut être apprécié dans les statistiques de l’Observatoire des conflits sociaux du COES3, et confirme une hausse soutenue de la contestation sociale dans tout le pays4.

14 Paradoxalement, en 2017, la coalition de droite (dirigée à nouveau par Sebastián Piñera) a remporté les élections présidentielles avec une majorité importante, bien qu’avec un niveau d’abstention record dans l’histoire récente du pays, qui a dépassé 50 % de l’électorat. Une grande partie de ce résultat était due au désenchantement des électeurs de centre-gauche envers le gouvernement Bachelet, qui s’est manifesté par la dispersion des voix entre les différentes listes et le maigre résultat du candidat progressiste au deuxième tour. La lecture de ces résultats par la droite insistait sur la volonté de défaire les réformes promues par le gouvernement de la Nouvelle majorité, en pariant désormais sur le libre marché, la croissance, l’emploi et de nouvelles réformes libérales.

Conclusion

15 Après le cycle massif de protestations et de mobilisation sociale initié en octobre 2019, et selon la ligne de notre analyse qui montre un mécontentement croissant envers le modèle économique néolibéral, il est difficile d’imaginer un diagnostic pire que celui mené par la coalition conservatrice en 2017. Aujourd’hui le soutien au président Piñera a atteint un seuil historique proche de 10 %, contraignant ce dernier à engager un processus constitutionnel pour 2020 et à promouvoir un agenda de réformes sociales beaucoup plus approfondi que celui proposé par Bachelet en 2013. Cependant, le grand problème de la politique chilienne est précisément l’immense discrédit et la méfiance envers les institutions du pays (y compris la Police, l’Armée et l’Église catholique), qui se reflètent notamment dans le rejet de la classe politique dans son ensemble et des trois pouvoirs de l’État. L’extrême privatisation de la vie imposée au Chili, il y a près de 50 ans, a fini par saper cette confiance, au point de voir s’éroder, de manière inquiétante, l’ensemble du système démocratique.

BIBLIOGRAPHIE

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Gárate, Manuel, La revolución capitalista de Chile (1973-2003), Santiago, Ediciones Universidad Alberto Hurtado, 2012.

IdeAs, 15 | 2020 262

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Huneeus, Carlos, « La crisis del sistema privado de pensiones : un punto de inflexión de nuestra democracia », Ciper Chile, Santiago, 30 août 2018, https://urlz.fr/bBjL, page consultée le 09/03/2020

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Valdivia, Verónica, El golpe después del golpe : Leigh vs. Pinochet, Chile 1960-1980, Santiago, LOM ediciones, 2003.

NOTES

1. « Institutions de santé prévisionnelle » et « Associations des fonds de pensions » respectivement. 2. Le rapport du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) pour 2017, intitulé « Desiguales » (Inégaux), a clairement montré l'inégalité économique dans le pays malgré les bons indices macroéconomiques. Ce rapport a mis un accent particulier sur la question des abus en général, de la dignité des personnes et de la ségrégation économique. Voir : www.cl.undp.org 3. Centre d'études sur les conflits et la cohésion sociale. 4. Voir le site de l’Observatoire des conflits sociaux du COES: https://coes.cl/observatorio-de- conflicto/

AUTEUR

MANUEL GÁRATE

Manuel Gárate est affilié au COES / Université catholique du Chile [email protected]

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De la transition à l’explosion du 18- O : malaise et rébellion populaire aux portes de la terre promise

Emmanuelle Barozet

Je remercie le COES, CONICYT/FONDAP/15130009, les projet Fondecyt n° 1160984 et 1190436, ainsi que le réseau INCASI du programme European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme under the Marie Skłodowska-Curie GA No 691004 coordonné par le Dr. Pedro López- Roldán.

1 Nous réaliserons ici une analyse de moyen terme, dans le but de comprendre la violente crise qui secoue le Chili. Cette dernière montre un nouveau visage de ce territoire longiligne du Cône Sud : celui d’un petit pays de 17 millions d’habitants, très inégalitaire et qui, cependant, se percevait comme l’une des rares nations immunes à la violence structurelle du continent latino-américain. Partant des notions de cohésion1 et de contrat social2, nous reviendrons sur la mise en place de mécanismes de blocage institutionnel lors de la transition de la fin des années 1980. Ceux-ci ont empêché l’élargissement du processus décisionnel et limité la redistribution des fruits de la croissance. Malgré les succès macroéconomiques du Chili lors des trente dernières années, la distance grandissante entre les services des secteurs public et privé a renforcé la ségrégation sociale. Notre analyse vient compléter, dans ce même dossier, celle sur l’évolution de long terme de l’économie chilienne (voir article de Gárate) et anticipe celle consacrée à la conjoncture actuelle (voir article de Maillet et Faure), en nous concentrant sur la double dimension politique et sociale du processus historique récent.

Les enclaves autoritaires après la transition : une société dépolitisée ?

2 Le Chili a été présenté durant les années 1990 comme un exemple de transition démocratique. À la suite des dix-sept ans de régime militaire, Augusto Pinochet quitte

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le pouvoir à reculons, mais sans laisser un pays instable du point de vue institutionnel. Imposée par un référendum biaisé, la Constitution de 1980 favorise le maintien de l’ordre et installe un cadre rigide et peu légitime. Mais à l’époque, les conditions ne sont pas réunies pour un nouveau contrat social, dans un pays où aucun des processus constitutionnels antérieurs n’a inclus la population. Cependant, la société semble s’accommoder de cette transition incomplète et d’une gestion des affaires publiques « dans la mesure du possible ». Il convient de préciser qu’une partie de la classe politique et de l’opinion publique est alors durablement traumatisée non seulement par les années de dictature, mais aussi par les débordements populaires des années Allende (1970-1973).

3 Cependant, il existe de nombreuses critiques à cette transition élitiste (Garretón, M. 2006), que ce soit du point de vue des défenseurs des droits humains, des secteurs populaires, des peuples indigènes ou des représentants des droits des femmes et des minorités : le système sera verrouillé jusqu’en 1998, quand Augusto Pinochet est arrêté à Londres. Commence alors une prise de conscience des nombreuses anomalies de la transition et la fin d’une première étape en 2005, avec d’importants amendements à la constitution de 1980. La découverte après 2001 de la corruption de la famille Pinochet finit par sceller la sortie des militaires de la vie politique, mais la constitution de 1980, malgré ses amendements, reste illégitime pour une partie de la population.

4 En ce qui concerne la cohésion sociale, la question se concentre sur la moitié de la population en situation de pauvreté au moment de la transition. Les gouvernements de la Démocratie Chrétienne qui se succèdent au pouvoir (Patricio Aylwin de 1990 à 1994 et Eduardo Frei de 1994 à 2000) réalisent d’importants investissements dans l’éducation, la santé et l’emploi. Le système d’impôts n’étant ni solidaire, ni redistributif, les dépenses publiques sont alimentées par le super cycle de cuivre, qui voit son prix multiplié par deux par rapport à la tendance historique du XXe siècle, ce qui permet d’assurer une manne importante pour l’État entre 1990 et 2014. La pauvreté baisse effectivement de manière importante (de 45 % à moins de 20 % lors de cette décennie), ce qui permet de maintenir un certain degré de calme social, sinon de cohésion, alors que le revenu per capita augmente à 13.000 dollars en 2010. La possibilité d’accéder bientôt au club des pays riches ou mieux encore, des pays développés, se retrouve dans la rhétorique de tous les gouvernements, alors que s’installe un discours centré sur la méritocratie. La terre promise de la prospérité est en vue. En parallèle, la baisse progressive de la participation politique et en particulier de celle des jeunes semble ancrer l’idée que l’on entre dans une « démocratie de faible intensité ».

Les mobilisations des années 2000 : la question des inégalités

5 Cependant ces chiffres positifs masquent de profondes inégalités. Ces succès économiques sont incontestables, surtout lorsque l’on compare le Chili avec ses voisins. Ce petit pays ouvert aux exportations connaîtra trente ans de croissance économique, un record en Amérique latine, où les cycles expansifs ne durent en général pas plus de dix ans. Mais en toile de fond, les revendications historiques des peuples indigènes sont étouffées par une forte politique de répression, puis de militarisation, du fait que leurs demandes s’opposent à l’exploitation des ressources naturelles. Ce conflit sera toutefois amplifié par les mouvements de protection de l’environnement qui se développent

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dans les années 2000. En effet, le système économique « extractiviste » accroît l’exploitation des ressources naturelles, alors que l’expansion urbaine sans planification ne permet pas l’amélioration significative des conditions de vie d’amples secteurs populaires. Sous le gouvernement de Eduardo Frei (1994-2000), puis du socialiste Ricardo Lagos (2000-2006), la modernisation du système politique s’intensifie. Dans le même temps, la baisse de la pauvreté se stabilise autour de 20 %. Un nouveau récit social remplace alors celui de la réduction de la pauvreté : l’attention se porte sur les inégalités, phénomène visible au niveau international, mais qui s’exprime au Chili de manière très forte, du fait d’un système de protection sociale peu développé et d’une forte accumulation des richesses en haut de la société (Espinoza V. et E. Barozet, 2019a). La cohésion sociale jusqu’alors structurée autour de relations verticales plus qu’horizontales entre les membres de la société et l’État, montre clairement des trouées béantes dans la gestion du bien commun, alors que le manque de confiance interpersonnelle et interinstitutionnelle, commune en Amérique latine, érode le modèle social .

6 En 2001, les lycéens organisent les premières manifestations nationales, avec le soutien des syndicats d’enseignants. Cet épisode (le Mochilazo), ouvre une nouvelle étape de politisation de la population. En 2006, se structure un ample mouvement pour le droit à l’éducation, qui fédère les lycéens contre la privatisation du système scolaire. La révolution des Pingouins (en référence à l’uniforme scolaire) est l’une des mobilisations les plus intenses depuis le retour à la démocratie. Les négociations entamées par le gouvernement socialiste de Michelle Bachelet (2006-2010) désamorcent en partie le conflit grâce à la mise en place d’une commission technique, stratégie que les gouvernements postérieurs utiliseront aussi en cas de conflit social. Finalement, les lycéens n’obtiendront pas une réforme du système scolaire, mais la question de la qualité de l’enseignement et des inégalités est posée de manière durable, ainsi que celle de la fracture sociale croissante entre ceux qui accèdent à des services de qualité dans le privé, et les autres, la majorité.

7 D’autres mouvements sociaux pointent de nouvelles limites du modèle de développement. Sur la question territoriale par exemple, les revendications portent désormais sur une demande de plus forte autogestion et décentralisation. Les associations de défense des quartiers face aux investissements urbains de grande envergure ou encore les ONG de protection de l’environnement contre les grandes entreprises minières et du secteur de l’énergie, inaugurent un nouveau répertoire d’action. Il s’agit de mettre en jeu des compétences techniques et expertes dans une trame réglementaire et judicaire plus dense (Biskupovic, C., 2017). Le malaise, que certains avaient analysé jusqu’alors en termes culturels liés aux paradoxes de la modernisation économique (PNUD, 1998), se transforme en revendications pour un accès égalitaire à des services de qualité et de reconnaissance de droits. S’ouvre ainsi un nouvel horizon social et politique face à un présent qui ne remplit plus les aspirations de nouvelles générations sorties de la pauvreté et que l’on labellise comme des classes moyennes, sans leur donner toutefois la stabilité et les revenus qu’impliquent l’imaginaire de la moyennisation.

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Les entraves du système politique : des réponses incomplètes et tardives

8 Au-delà du problème des enclaves de la transition et du déficit de participation, s’ajoute un manque important de représentation des demandes sociales. En effet, le taux de syndicalisation ne dépasse pas les 20 %, tout en étant concentré dans les secteurs les plus productifs comme les mines ou la banque. Les conflits dans le monde du travail s’émancipent de plus en plus du cadre juridique, au point que les grèves illégales deviennent plus nombreuses que les grèves légales (Observatorio de Huelgas Laborales, 2019).

9 La déliquescence des institutions publiques s’accentue durant les années 2010 (sur la réforme administrative, voir article de Egaña et Pliscoff dans ce dossier). L’adoption du vote volontaire en 2012 avait déjà érodé la participation électorale, qui passe sous la barre des 40 % lors des élections municipales de 2016. Les scandales de pédophilie qui éclatent en 2010 au sein de l’Église sont un premier choc. Les affaires de corruption qui affectent ensuite en 2015 les partis de l’ensemble du spectre politique rendent brutalement obsolète l’idée que le Chili, du fait de sa culture légaliste, serait immune à l’affaiblissement de la morale publique. Finalement, la même année, un nouveau scandale de grande ampleur est mis au jour au sein des forces armées et des Carabiniers, qui ont soustrait, durant des années, des sommes très importantes, pour leur propre enrichissement. L’opinion publique devient alors très critique à l’égard de ses principales institutions, dans un contexte international de crise des formes classiques de la représentation politique (CEP, 2020).

10 Malgré l’arrivée au Parlement en 2013 puis en 2017 de jeunes issus du mouvement pour l’éducation, les pratiques traditionnelles comme le clientélisme redeviennent une manière importante de contrôle de la part des caudillos. Certains maires et parlementaires, du fait de l’absence d’interdiction du cumul des mandats, s’enkystent au pouvoir ; ce qui, dans certains cas, crée des zones de capture de l’État et de l’intérêt public (Espinoza V. et E. Barozet, 2019b). Finalement, une grande partie de la population se sent de moins en moins identifiée à l’État, les services publics comme l’éducation et la santé étant considérés comme de mauvaise qualité. Dès qu’elles le peuvent, les familles migrent vers le secteur privé, au prix d’un endettement toujours plus élevé. Sans pacte social renouvelé et face à un manque flagrant de cohésion sociale, la pression monte.

L’intensification des mobilisations dans les années 2010

11 L’absence de réforme profonde des aspects les plus discriminatoires du système économique, politique et social, malgré un calme apparent, finit par motiver un nouveau mouvement social de grande ampleur : celui des étudiants en 2011. En termes d’opportunités politiques, le premier gouvernement de droite qui arrive au pouvoir depuis la transition, celui de Sebastián Piñera (2010-2014), déclenche des critiques plus vives contre le modèle technocratique (voir article de Larrouqué dans ce dossier), le gouvernement des experts et de l’argent. 2010 ayant été marqué par un tremblement de terre, ça n’est que l’année suivante que les étudiants redescendent dans la rue. Il

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s’agit en partie de la génération de 2001 et 2006, qui a transité du secondaire à l’université et qui se trouve face à un endettement important. En effet, l’explosion du tertiaire, qui passe de 200 000 à 1 300 000 personnes entre 1990 et 2018 se fait en grande partie par le financement des familles. Le soutien ambigu d’une grande partie de la population n’ouvre toutefois pas la voie à une réforme profonde de l’éducation. Cependant, l’élargissement de l’accès à l’enseignement supérieur est permis grâce à un système de bourses. Au demeurant, l’insertion postérieure sur le marché du travail n’en est pas pour autant garantie. Le problème est à nouveau repoussé ; mais cette fois-ci, les commissions techniques ne sont plus suffisantes.

12 Un nouveau mouvement contre le système des retraites se constitue en 2013 (No+AFP), créant un double front de manifestants : aux jeunes, s’ajoutent les personnes âgées qui bravent des conditions misérables de passage à la retraite. Le deuxième gouvernement de Michelle Bachelet (2014-2018) décide d’entamer un large programme de réformes ayant pour objectif de prendre en charge les inégalités les plus criantes. Cependant, le scandale qui affecte la famille de la présidente en 2015, ainsi que l’ampleur des réformes traitées par le parlement, aboutissent à ce que les mesures phares soient abandonnées en cours de route (réforme à la Constitution, réforme des impôts et du système de santé). L’absence de renouvellement du personnel politique permet à nouveau l’alternance, lors du retour au pouvoir de Sebastián Piñera (2018-2022), avec un programme fondé, en grande partie, sur la promotion de la croissance économique. Mais la lune de miel est de très courte durée : en 2018, le mouvement féministe secoue à nouveau les bases du système économique et politique chilien (voir article de Ponce dans ce dossier). L’essoufflement du modèle d’exportation, la baisse de la croissance en Chine (et donc la moindre demande de cuivre), sur fond de guerre commerciale sino- américaine, finissent par enrayer durablement la machine économique, laquelle se grippe en 2019. Le discrédit de la classe politique, la mauvaise gestion des attentes de l’opinion publique, ainsi que le mépris visible des élites gouvernementales, déclenchent finalement le processus de furie sociale qui s’abat dans tout le pays à partir du 18 octobre. Déjà résiduelle, la cohésion sociale s’en trouve pulvérisée, alors qu’émerge une demande structurelle forte : une nouvelle constitution pour refonder les bases de la société (voir article de Escudero et Gajardo dans ce dossier).

Conclusion

13 Les crises sociales comme celle que connaît le Chili sont probables dans une certaine mesure, mais ni leur ampleur ni leur timing ne sont prévisibles, d’autant que l’hypothèse de l’apathie politique et de l’acceptation des inégalités avaient donné l’image d’un pays démobilisé. Selon The Economist (2019), les manifestations qui agitent le Chili depuis octobre 2019 sont un signe de démocratisation. Mais les difficultés de la classe politique pour surmonter cette crise se répètent : résistance au changement d’une part importante de l’élite, qui a recours à la répression pour endiguer sans succès le mouvement social (voir article d’Aguilera dans ce dossier), fragmentation de la gauche qui ne sait pas comment gérer le processus de concertation nationale qui doit aboutir à une nouvelle constitution), et finalement un ras-le-bol d’une partie des citoyens tentés par le mantra populiste « que se vayan todos ».

14 Contrat social et bases de la cohésion sont aujourd’hui l’objet d’un ample débat public. La rébellion populaire atteste d’une double crise : de la représentation d’une part et du

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modèle économique d’autre part. Malheureusement, dans un pays où les élites ne sont pas prêtes à reconnaître l’autonomie des citoyens dans l’expression de la souveraineté nationale, l’élaboration d’un pacte qui « défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé » (Rousseau, J.J., 1792) soulève encore de nombreux doutes. Une nouvelle terre promise est peut-être en vue.

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The Economist, Democracy Index 2019, Londres, The Economist, https://urlz.fr/bIq9, page consultée le 09/03/2020

NOTES

1. « La cohésion sociale fait référence à la fois aux relations verticales et horizontales entre les membres de la société et l'État. Elle est caractérisée par un ensemble d'attitudes et de normes qui incluent la confiance, une identité inclusive et la coopération pour le bien commun » (Burchi, F., von Schiller, A. et C. Strupart, 2020).

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2. Le contrat ou pacte social est « une forme d’association qui défend et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéit pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant » (Rousseau, J.J, 1792).

AUTEUR

EMMANUELLE BAROZET

Emmanuelle Barozet est affiliée au Département de Sociologie de l'Université du Chili / COES) [email protected]

IdeAs, 15 | 2020 270

« Ok pour 30 pesos ? » Vertus et contradictions de la techno- démocratie chilienne

Damien Larrouqué

Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet Fondecyt-CONICYT (#3190155). L’auteur remercie les commentaires apportés par Antoine Faure, Antoine Maillet et Olivier Dabène, à sa première version.

1 Annoncée le 4 octobre 2019, l’augmentation de 30 pesos (soit environ 4 centimes d’euros) du ticket de métro a été l’étincelle qui a provoqué la plus violente explosion sociale qu’a connue le Chili depuis le retour à la démocratie (1990). Cette décision a été prise par un panel constitué de trois experts triés sur le volet1. Selon les dispositions de la loi n° 20378 du 5 septembre 2009 portant création d’un subside aux transports publics, ces trois économistes sont tenus d’en ajuster les tarifs trimestriellement, à partir d’une méthodologie validée par le ministère des Transports et Télécommunications et le ministère de l’Économie. Les tarifs du métro sont pondérés en fonction de l’évolution de plusieurs variables dont le cours du pétrole, le taux de change peso-dollar, l’indice du coût de la main d’œuvre ou encore l’inflation. C’est ainsi sur la base d’un mécanisme de calcul non pas arbitraire mais peu transparent et résolument discrétionnaire que sont déterminés les prix des tickets du métro de Santiago. Dans la mesure où les tarifs préférentiels pour les lycéens et les étudiants doivent être fixés au multiple de 10 le plus proche de l’ajustement en pourcentage attribué au prix adulte, l’augmentation est susceptible de varier de 10 (comme en septembre 2014), de 20 (janvier 2019), de 30 (novembre 2011), de 40 (février 2009), voire de 50 pesos (comme en juin 2010). Notons que depuis la mise en place des tarifs subventionnés sous le gouvernement Bachelet I (2006-2010), le prix du ticket de métro n’a jamais enregistré de baisse (Garrido F., 2019).

2 Au-delà de ce constat qui corrobore la logique incrémentale des budgets publics identifiée par A. Wildavsky (1964), la mainmise confiée à un comité d’experts sur la gestion d’enjeux a priori purement techniques pose néanmoins des questions quant aux avantages et inconvénients associés à cette technocratisation du processus décisionnel.

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Concrètement, qu’en est-il de la responsabilité politique comme de la nécessaire reddition de compte qu’un tel fonctionnement institutionnel semble éluder ? Car, nous allons le voir dans cet article, cette foi dans l’expertise est consubstantielle au système politique chilien contemporain. Par rapport à l’augmentation du ticket de métro, cette décision ayant mis le feu aux poudres serait symptomatique de la crise d’un modèle démocratique « semi-souverain » (Huneeus C., 2018), dans lequel la figure tutélaire de l’expert l’emporterait sur celle du citoyen pourtant aux fondements de la légitimité du régime. En d’autres termes, ce cas emblématique pointerait les limites de ce que nous dénommons ici la « techno-démocratie » chilienne. Si l’origine de ce gouvernement scientifique remonte au premier tiers du XXe siècle (Silva P., 1994), sa concrétion institutionnelle s’est réalisée au cours de la dictature du général Pinochet (1973-1990), avant que les technopols de la Concertation n’en reprennent et confirment les principes au nom de la « raison d’État » (Joignant A., 2012).

Une sociogenèse du gouvernement scientifique

3 S’il ne fait aucun doute que parmi les cadres dirigeants de la dictature, « nombreux furent porteurs d’un militantisme à prétention scientifique qui conquit puis domina les sommets de l’État » (Ihl O., 2012, 67), il est en revanche excessif de voir dans la junte pinochétiste le « moment matriciel » du règne de « l’expertocratie » (ibid, 69-70). Outre le terreau intellectuel propice à une « politique scientifique » dont le positiviste Lastarria et son disciple Letelier se firent les chantres au tournant du XIXe siècle (Silva P., 2006, 182), on en trouve les prémices institutionnelles, dès les années 1920, dans la volonté des gouvernements d’Alessandri et surtout d’Ibáñez del Campo de mettre fin à la capture administrative (empleomania) qui gangrène alors les institutions publiques.

4 Jusque-là porté par une dynamique d’extraversion économique désormais déclinante, l’« État oligarchique » vit ses dernières heures. Avec la fin du boom du salpêtre et plus encore la crise de 1929, les gouvernements successifs cherchent à poser les bases d’un nouveau modèle de développement, dont la Corporation de promotion de la production (Corfo), fondée en 1939, constitue bientôt l’épine dorsale. A cette fin, la sélection méritocratique des agents publics est valorisée, au bénéfice notamment des étudiants formés au sein de la prestigieuse faculté d’ingénierie de l’Université du Chili (Silva, P., 1994). La Corfo va ainsi donner à l’État chilien ses premiers technocrates, lesquels s’inspireront des recommandations développementalistes de la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL) installée à Santiago.

5 En 1973, le coup d’État contre Allende sonne le renversement total du paradigme macro-économique en vigueur (voir l’article de Gárate dans ce dossier). Sous la houlette d’une nouvelle élite technocratique biberonnée aux préceptes monétaristes, se met en place un projet bureaucratico-autoritaire de démantèlement des institutions publiques. Disciples de Hayek et plus encore de Friedman – qui viendront toux deux et par deux fois apporter leur soutien intellectuel à la junte pinochétiste, les Chicago Boys administrent, au nom du laissez faire, la « dés-administration »2. Baptisée Odeplan, l’officine depuis laquelle ils exercent leur entreprise de démolition fut ainsi détournée de la fonction qui avait présidé à sa création sous le gouvernement de Frei Montalva (1964-1970) : définir les grandes stratégies du développement national. Comme l’écrit M. Gárate (2012, 215), l’un des plus grands paradoxes de la dictature militaire serait par

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là-même d’avoir « organisé la déplanification et la libéralisation de l’économie chilienne à partir d’un bureau central de planification ».

6 A partir de 1990, le gouvernement conduit par le président démocrate-chrétien Patricio Aylwin marque la transition d’une empreinte résolument technocratique. Au moins douze ministres ou sous-secrétaires du premier mandataire de la Concertation appartiennent à la catégorie dite des « technopols »3 (Joignant A., 2012, 93). D’après l’enquête prosopographique menée par Mireya Dávila (2011), les technocrates chiliens qui occupent environ 20 % des postes ministériels, et tout juste 5 % des postes de sous- secrétaires entre 2000 et 2010, cultivent des liens plus ou moins affirmés avec la politique (entendue au sens partisan du terme). Ce constat lui fait écrire que la démocratie chilienne ne saurait être assimilée à une technocratie pure. De fait, les partis politiques ont conservé le contrôle d’un nombre important d’instances décisionnelles. Il n’empêche, si on le compare à un autre pays du Cône sud comme l’Uruguay par exemple, le niveau de technocratisation au Chili n’en reste pas moins une caractéristique distinctive de son modèle démocratique (Garcé A.,2017). Et pour cause, cette composante « technopolitique » dépasse de loin le strict périmètre de l’État central. Elle est en réalité au cœur de tout un écosystème institutionnel composé d’agences, de cabinets d’experts et autres thinks tanks qui participent à la production de l’action publique (Gárate M., 2008 ; Moreno M., 2010 ; Carrasco S. et al., 2019).

Le savant sans le politique

7 Le technocrate s’assigne pour fonction d’apporter une réponse technique à un problème politique. Ce faisant, il présente son engagement comme « apolitique » et défend une conception rationnelle de l’action publique. La dépolitisation des mesures entreprises recoupe celle des acteurs institutionnels qui en sont à l’origine. En l’espèce, l’une des principales vertus associées à « l’expertocratie » est de professionnaliser la haute administration publique dans un sens indiscutablement méritocratique (Silva P., 2006 : 179). Par là-même, s’en trouve jugulé le traditionnel clientélisme politico- partisan qui nuit à l’efficacité de l’État et affecte l’image des pouvoirs publics aux yeux des citoyens. L’incidence de cette rationalisation en matière de corruption est également supposée bénéfique4.

8 Cependant, le crédit sans contrepartie accordé aux experts par le monde politique a aussi des incidences malheureuses. En premier lieu, cette « scientifisation gouvernementale » a pour effet d’élargir la brèche entre gouvernants et gouvernés aux yeux desquels les alternances ne marquent aucune alternative ; ce qui se traduit in fine par une baisse de la participation électorale (Huneeus C., 2018, 49). Plus grave encore, pour les technocrates, la reddition de compte est simplement horizontale – c’est-à-dire qu’elle se fait vis-à-vis des acteurs qui les ont nommés à leurs postes (pour ainsi dire leurs pairs) – et non pas verticale – eu égard à l’ensemble de la communauté nationale (Huneeus C., 2014, 220). Il en résulte un manque de sensibilité sociale quant aux conséquences des mesures qu’ils préconisent. Pire enfin, c’est tout l’échafaudage du système démocratique qui se trouve fragilisé par l’institutionnalisation d’une forme d’irresponsabilité organique. Car, pour s’assurer l’évitement du blâme (blame avoidance), les politiques se déchargent de la responsabilité des décisions sur les technocrates qu’ils ont nommés à cette fin ; lesquels, en retour, se blindent derrière le

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caractère purement administratif de leur mandat et déroulent leur fiche de poste et autre feuille de route pour se prémunir contre toute critique.

9 Qui plus est, si l’on en croit le travail précurseur de G. Benveniste (1972, 126), les experts ont tout intérêt, lorsque leur rôle est remis en cause, à faire front commun autour de leur esprit de corps, s’ils ne veulent pas perdre la confiance que la classe politique a placé en eux. En d’autres termes, il est peu probable que l’exercice d’autocritique ou de contrition soit dans l’ADN de la conception de leur fonction. En guise d’illustration et ainsi que l’a déclaré le président du panel d’experts le 17 octobre, la campagne de désobéissante civile lancée sur les réseaux sociaux était selon lui injustifiable, au motif – assez spécieux si on le replace d’ailleurs dans une perspective historique ou géographique (révolution française, émeutes de la faim des années 2000), que « personne ne proteste quand le prix des tomates ou du pain augmente » (Chechilnitzky A., 2019). Sans crainte d’attiser une nouvelle flambée de violence, ce même panel d’experts persistait et signait en annonçant, à la mi-janvier, une hausse de 10 pesos du ticket de métro, immédiatement annulée par le gouvernement (La Tercera, 2020).

Pour une réforme citoyenne et « contre- démocratique » de la haute administration

10 Plus que jamais, la question de la réforme de l’État chilien se pose (voir dans ce dossier l’article d’Egaña et Pliscoff). Cet enjeu fondamental ne pourra être mené à bien que si les citoyens assument leur rôle de garants de la « contre-démocratie » (Rosanvallon P., 2006).

11 Concrètement, il pourrait être décidé de faire siéger au sein de panels décisionnels élargis, composés d’experts et d’élus, des membres de la société civile tirés au sort. A défaut, il pourrait être confié aux citoyens, via les nouvelles technologies, un droit de regard sur les mesures discrétionnaires que les technocrates tendent à prescrire unilatéralement. Il y aurait là des moyens simples et peu coûteux de renouer les liens distendus entre le savant, le politique et le citoyen, et de rapprocher, du même coup, la haute administration de la société.

12 Il est trop tôt pour dire si la crise chilienne contemporaine a mis un terme à ce qu’Olivier Ihl (2012, 70) a nommé « l’académisation de la puissance ». Sans nul doute, l’explosion de violence inédite qu’a déclenchée la décision prise par trois universitaires d’augmenter le prix du ticket de métro a été l’expression cathartique d’une exaspération généralisée contre un système néolibéral injuste et profondément inégalitaire (voir l’article de Gárate dans ce dossier). Désormais, il est important que le mécontentement trouve des canaux d’expression plus institutionnels. Les citoyens doivent exiger des pouvoirs publics d’être intégrés au processus de réforme qui s’impose. Car, s’il arrivait – comble de l’ironie – que le débat à venir soit de nouveau accaparé par les experts, il est à craindre que les contradictions de la techno- démocratie chilienne en supplantent encore pour longtemps les vertus.

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BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Président et porte-parole du panel, Juan Enrique Coeymans est ingénieur civil, docteur de l’Université de Southampton et professeur à l’université catholique du Chili (PUC). Il a été désigné parmi trois candidats proposés par les doyens des facultés d’ingénierie, économie et administration des universités accrédités auprès du ministère de l’Education. Quant à ses deux collègues de la PUC, Claudio Agostini, docteur en économie de l’Université du Michigan et Juan Pablo Montero, ingénieur civil et docteur en économie industrielle du Massachusetts Institute of Technology (MIT), ils ont été sélectionnés via le système dit de la « haute fonction publique » (SADP pour son sigle en espagnol), mis en place en 2004. Leurs émoluments s’élèvent à 1 476 000 pesos, soit environ 1700 euros, pour une session par mois. Leur mandat dure six ans (La Tercera, 2019 ; Salinas M., 2019). 2. Pour faire écho à la conception de l’économie véhiculée par l’école de Chicago et parfois qualifiée de « naturaliste » (Gárate M., 2012, 110 et 166), le credo néolibéral se donnerait à voir, sous un angle anthropomorphique, comme une idéologie mortifère, suicidaire et a minima mutilante qui consiste à retourner le bras régalien de l’Etat contre son cœur social. Quant à la « thérapie de choc » que les praticiens du néolibéralisme préconisent, elle s’apparente, dans les faits, à une euthanasie institutionnelle. 3. Répandu en Amérique latine, ce néologisme désigne ces élites institutionnelles qui revendiquent à la fois un très haut niveau de compétences (attesté en particulier par leur formation dans des universités étrangères) et un engagement ou une affiliation politique bien spécifique : ils appartiennent souvent à la gauche social-démocrate ou à la droite modérée. 4. Quand bien même des scandales ont pu être dénoncés dans la presse ces dernières années – récemment encore on a pu rapporter des collusions entre chercheurs et entreprises (Herranz M., 2020), il apparaît dans le même temps que les gardes fous institutionnels fonctionnent correctement. En novembre 2019 par exemple, en pleine crise sociale, la Cour des comptes (Controlaría General de la Nación) a exigé la démission de la fraîchement nommée directrice de l’institut de Santé publique par crainte de conflit d’intérêts, eu égard à ses engagements professionnels passés avec l’industrie pharmaceutique (CNN Chile, 2019).

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AUTEUR

DAMIEN LARROUQUÉ

Damien Larrouqué est affilié à l'INAP-Université du Chili [email protected]

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Chile despertó. Mobilisations sociales et politisation au Chili

Antoine Faure et Antoine Maillet

1 Le 18 octobre 2019, l’incendie d’une vingtaine de stations de métro lors de manifestations virant à l’émeute a marqué les esprits comme ne l’avait fait aucun événement politique depuis le retour à la démocratie au Chili. Au sein d’une « Amérique latine prise de convulsions », « l’oasis chilien » que décrivait le Président Piñera quelques jours auparavant (Cooperativa.cl, 2019) est lui aussi entré dans un processus de contestation de grande ampleur. Cet événement a ouvert une période d’intense mobilisation sociale et politique, dépassant les précédents établis lors des manifestations étudiantes de 2011, contre les retraites par fonds de pension en 2016 ou féministes en 2018. Dans chaque cas, on avait déjà parlé de leur caractère inédit dans le Chili post-dictature.

2 Au vu de ces cycles répétés de mobilisation, il est temps de cesser de caractériser le Chili comme un pays dépolitisé, récit dominant les travaux sur la transition démocratique et sur les enclaves autoritaires héritées de la dictature1. Il s’agit plutôt de s’interroger sur la nature de cette politisation, même si on commence seulement à prendre un peu de distance vis-à-vis de ce processus complexe2. A ces fins, nous revenons ici sur les dynamiques de (dé)politisation entre octobre et décembre 2019. Nous commençons par rendre compte des mobilisations sociales, véritable moteur de la séquence. Puis nous analysons la réaction de l’exécutif et les efforts des acteurs politiques pour s’arrimer au processus.

3 Dans ces différents domaines, nous présentons les multiples acteurs qui s’y meuvent et les jeux de politisation et dépolitisation à l’œuvre. A rebours de ce que la sociologie des crises affirme quant à une plus grande fluidité lors de mobilisations multi-sectorielles, ces trois domaines (social, gouvernemental et partisan) sembleraient maintenir ici une importante autonomie. On assisterait ainsi à différentes séquences où fluidité et autonomie se reconfigurent. Aujourd’hui absents ou du moins fortement bouchés, les canaux de dialogue sont tributaires, à nos yeux, de ces logiques de reconfiguration. Il s’agit là d’un enjeu important pour le futur politique du Chili.

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Les mobilisations : la politisation de l’action collective

4 Le mouvement débute avec les actes de désobéissance civile de nombreux lycéens de Santiago qui sautent les tourniquets de certaines stations de métro. Ils manifestent le rejet de l’augmentation des tarifs du transport public de 30 pesos décrété début octobre par le panel d’experts en charge du sujet (voir article de Larrouqué, dans ce dossier). Cette hausse pouvait pourtant paraître minime et ne s’appliquait pas au tarif étudiant.

5 Cette « fraude » (evasión) a vite pris de l’ampleur. La tentative policière de la contrôler a conduit à des affrontements, qui ont culminé le 18 octobre avec d’importants dégâts matériels et une paralysie du système de transports pour plusieurs jours. Cette ambiguïté entre action directe et délit s’est aussi manifestée, pendant plusieurs semaines, par le pillage (saqueo) de nombreux grands magasins (malls), supermarchés et chaînes de pharmacie entre autres, auxquels auraient participé des bandes organisées liées pour certaines au trafic de drogue.

6 Cette trame violente ne résume pourtant pas le phénomène. Les mobilisations massives se sont généralisées à l’ensemble du pays. On a ainsi vu des manifestations de très grande ampleur dans des parcours peu communs, en direction des quartiers aisés et du secteur financier de Santiago par exemple, mais aussi entre Viña del Mar et Valparaíso ou encore de La Serena à Coquimbo. Concepción est aussi apparue particulièrement combative, avec plusieurs cortèges par jour et des barricades quotidiennes au centre- ville. Dans un pays centralisé où les régions cultivent un certain antagonisme envers la capitale, cette propagation est surprenante.

7 Il est fort probable que les consignes initiales contre les abus du système aient eu un écho transversal, et que les déclarations pleines de mépris de différents ministres face à la désobéissance civile aient braqué le Chili dans son entier. Tout ceci a contribué à la rupture de « l’économie morale » de la domination (Thompson E., 1972) et s’est cristallisé, une semaine exactement après les incendies du métro, en des manifestations historiques, avec notamment plusieurs millions de manifestants défilant dans les rues à Santiago le 25 octobre. La critique généralisée des abus du système – par rapport aux retraites, aux salaires, à l’éducation, aux transports et à la santé – s’est aussi enrichie d’une demande spécifiquement politique pour une nouvelle Constitution (voir l’article d’Escudero et Gajardo dans ce dossier). La légitimité de la Constitution en vigueur, édictée durant la dictature de Pinochet (1980), et déjà modifiée 24 fois entre 1990 et 2010, était faible, mais le sujet apparaissait jusqu’alors comme relativement élitiste, à l’instar du processus constituant engagé durant le second gouvernement Bachelet (2014-2018). A partir de fin octobre, le projet d’une nouvelle Magna Carta devient populaire. On en discute notamment dans des cabildos (assemblées publiques), organisés entre voisins ou par des acteurs sociaux. Le thème s’enracine si fortement dans le débat public, qu’après avoir formulé un « agenda social », le gouvernement se montre même enclin à ouvrir la discussion constitutionnelle (10 novembre). La majorité des parlementaires signent alors un accord pour une nouvelle constitution le 15 novembre. Unidad SocialMoneda Unidad Social

8 Entre les manifestations très souplement coordonnées et l’activité sociale et syndicale plus traditionnelle, de nombreux acteurs font aussi preuve de créativité et d’innovation dans les répertoires d’action. Les interventions visuelles (graffitis, murales, collages, etc.) transforment radicalement le paysage urbain des centre-villes. Certains emblèmes patrimoniaux sont objets d’intervention qui les resignifient. Ainsi à Temuco, capitale de

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l’Araucanie (terre d’origine des Mapuche), la statue de Pedro de Valdivia, « découvreur » du Chili, est décapitée, et sa tête remise entre les mains de la statue du martyr mapuche Caupolican. Par ce geste, la lutte n’est pas contre 30 pesos, ni contre 30 ans (comme le répétait un des slogans) mais contre 500 ans de colonisation. Par ailleurs, sous la pression des ultras et le relai de joueurs emblématiques, le championnat professionnel de football est conclu six journées avant la fin.

9 Les mobilisations ont même acquis un nouveau souffle avec les interventions du goupe Las Tesis (voir article de Ponce dans ce dossier). Leur chanson et chorégraphie « un violador en tu camino » (un violeur sur ton chemin) ont redonné un caractère massif et hautement contestataire aux manifestations. L’intervention est déclinée par de nombreux groupes sociaux (les Mapuche, les seniors, etc.) et obtient une importante visibilité internationale. On trouve ainsi en l’espace de deux mois un foisonnement d’initiatives, prises par une diversité d’individus, groupes et organisations plus ou moins formels, qui tous politisent les revendications de changements importants. Face à ce phénomène complexe et inattendu, comment l’exécutif a-t-il réagi et tenté de reprendre la main ?

Les rappels à l’ordre de l’exécutif

10 Le pouvoir exécutif a montré des faiblesses dans l’analyse et la capacité de réponse au- delà même de ce que pouvait imaginer ses plus féroces critiques. Le président Piñera a constamment privilégié une lecture à visée dépolitisante des mobilisations, uniquement présentées comme violentes et dont la responsabilité incomberait à des éléments non identifiés (encapuchados), exogènes et antisociaux. Son épouse, Cecilia Morel, a même été jusqu’à évoquer, sans humour, une « invasion étrangère, extraterrestre » dans un enregistrement WhatsApp. Une obscure manipulation médiatique a aussi tenté d’imputer les incendies à des agents cubains et vénézuéliens, allégations immédiatement démenties par le bureau du procureur. Sans parler de l’analyse des réseaux sociaux diffusée fin décembre et qui reprend cette thèse sur la base de tweets faits à l’étranger et attribuant en partie le désordre aux fans de… pop coréenne !

11 Rapidement, le président a décrété l’état d’urgence et déclaré « nous sommes en guerre », avant que le Général en charge de la Défense nationale ne le démente en affirmant « je ne suis en guerre avec personne » (CNN, 2019). Piñera a ensuite été tenté par une stratégie conciliante, en annulant la hausse du prix des transports, puis en proposant le 23 octobre un « agenda social » très éloigné des demandes de la population. Sur son compte Twitter, il célèbre les manifestations du 25 en ces termes : elles « ouvrent de grands chemins de futur et d’espoir » (Piñera, 2019).

12 Cependant, terni par les initiatives législatives du gouvernement qui criminalisent les mobilisations sociales, le bilan en matière de droits humains est désastreux (voir article d’Aguilera dans ce dossier). On a compté au moins vingt-sept morts et quelque 3600 blessés, en très grande partie imputables aux violences policières. Outre des cas avérés de violences sexuelles suite à des interpellations, environ 360 personnes ont subi des blessures oculaires parfois irrémédiables. Ces exactions ont probablement contribué à renforcer les manifestations. La multiplication des missions internationales d’observation de ces violations des droits de l’Homme, et la force critique de leurs rapports (CIDH, HRW, HCDH, Allemagne, Canada, entre autres3), placent d’ailleurs le

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pays et son gouvernement dans une position peu commode sur le plan international (voir article de Parthenay dans ce dossier).

13 Pour reprendre le contrôle de l’agenda politique, le Président s’est défait de son ministre de l’Intérieur Andrés Chadwick, son cousin et cible des manifestants (voir article d’Alenda dans ce dossier), pour le remplacer par le jeune Gonzalo Blumel, qui a notamment annoncé lui-même l’ouverture du gouvernement à un processus constitutionnel. Marginalisé par l’accord conclu par les parlementaires et des taux de popularité à un chiffre, le président Piñera a maladroitement tenté de récupérer le processus constituant lors de la cérémonie de promulgation de la loi qui en fixe les modalités.

14 On a ainsi vu un pouvoir exécutif à la dérive, engoncé dans des idées de classe que la crise a fait ressortir. La stratégie privilégiée en décembre a, par exemple, visé à installer le contre-récit d’un « pouvoir narco » en pleine expansion. Cependant, les tentatives de dépolitiser la mobilisation à travers sa criminalisation n’ont pu stopper la dynamique sociale initiée le 18 octobre. Comment les acteurs politiques ont-ils essayé, de leur côté, de la traduire en actes ?

Des acteurs politiques chahutés

15 Les acteurs parlementaires et les partis ont connu des difficultés similaires à l’exécutif pour gagner de l’emprise sur les mobilisations, mais y ont répondu de manière plus créative. Le personnel politique professionnel a initié un travail d’interprétation des phénomènes à l’œuvre, mais est resté inaudible pour la grande masse des manifestants. En conséquence, s’est creusée la distance entre partis politiques et acteurs sociaux déjà mise en évidence lors du mouvement étudiant de 2011 (Von Bülow M., et G. Bidegain, 2015).

16 Quelques rares acteurs ont toutefois su tirer leur épingle du jeu, notamment dans l’impulsion du processus constituant. Une fraction de la droite menée par et Manuel José Ossandón a ainsi pris ses distances avec Piñera et montré de l’empathie envers les demandes sociales. Les maires, regroupés en association, ont également voulu reprendre l’initiative en annonçant, dès le 7 novembre, la réalisation d’une consultation citoyenne en faveur d’une nouvelle Constitution. Cette proposition semi-formelle a certainement beaucoup pesé dans les dispositions constituantes de l’exécutif. Elle permet sans doute aussi d’expliquer la rapidité avec laquelle les parlementaires ont établi un accord signé par tous les partis représentés au Parlement, sauf le Parti Communiste et plusieurs factions du Frente Amplio (gauche). Indubitablement, les parlementaires ont fait preuve de capacité de réaction, mais n’ont pas totalement rompu avec les routines de la représentation politique, ce qui les a empêchés de traiter le problème de fond : le modèle de société et les inégalités. Les acteurs mobilisés critiquent d’ailleurs le fait que cet accord reprenne le système électoral actuel, lequel laisse peu de place aux candidatures indépendantes. Les partis de gauche et centre-gauche sont ensuite parvenus à des modifications marginales mais néanmoins symboliques, obtenant la parité de genre et des sièges réservés pour les communautés indigènes dans l’assemblée constituante. Un plébiscite aura lieu le 26 avril 2020 pour que les électeurs se prononcent sur la possibilité d’une nouvelle Constitution ainsi que sur la modalité du processus constituant (voir article d’Escudero et Gajardo dans ce dossier).

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17 Il convient de rester prudent quant aux possibles traductions électorales des mobilisations durant le cycle politique qui s’ouvre maintenant, avec les élections locales d’octobre 2020, et les élections nationales de novembre 2021. Le Frente Amplio, qui émane des mobilisations étudiantes du début de la décennie, pouvait sembler le mieux placé pour établir une relation directe avec les manifestants. Toutefois, il semble aujourd’hui dans une phase de profond éclatement, ses leaders se retrouvant même conspués pour avoir signé l’accord constituant du 15 novembre, et plus encore pour avoir voté pour un projet de loi qui contenait diverses dispositions criminalisant les mobilisations.

18 On observe donc une déconnexion entre les mobilisations sociales et les acteurs politiques traditionnels, même dans ses franges les plus récentes, et ainsi un certain mystère quant à cette politisation loin et même contre les partis. Le débat qui s’ouvre en vue du plébiscite puis de la probable élection des constituants créera de fait de nouvelles instances de discussion où la relation société-personnel politique sera mise à l’épreuve. Il reste à espérer que la volonté de peser dans l’élaboration de la Constitution amène à des innovations politiques qui pourraient rendre compte de cette nouvelle politisation chilienne. L’héritage de la dictature et le récit de la transition post- dictatoriale d’un côté, et les mouvements sociaux de la dernière décennie de l’autre, n’expliquent qu’en partie les mobilisations sociales et la politisation du conflit actuel. Il n’y a pas de fluidité totale entre les domaines, sans pour autant que chacun d’entre eux fonctionne de manière autonome. L’enjeu réside alors dans la reconfiguration du processus d’autonomisation du politique et des dynamiques de (dé)politisation dans un conflit social qui reste ouvert.

BIBLIOGRAPHIE

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IdeAs, 15 | 2020 282

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NOTES

1. Une exception importante est le rapport du PNUD (2015) intitulé Los tiempos de la politización. [https://urlz.fr/bGKO]. 2. Le terme le plus utilisé pour décrire la période présente au Chili est estallido, l’explosion. S’il peut certes s’appliquer pour le jour même du 18 octobre, il nous semble incorrect pour la période entière, du fait de sa longueur et complexité. 3. Pour une comparaison de ces différents rapports, voir Arrelano F. et al. (2019).

AUTEURS

ANTOINE FAURE

Antoine Faure : École de journalisme – Université de Santiago du Chili [email protected]

ANTOINE MAILLET

Antoine Millet est affilié à l'INAP – Université du Chili – COES [email protected]

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Les ambivalences de la droite chilienne dans la gestion de la crise

Stéphanie Alenda

1 En 2010, le Chili élisait démocratiquement son premier président de droite depuis 1958, réélu pour un second mandat en 2017. Les débuts de Sebastián Piñera ont été marqués par son identification avec l’idée d’une « nouvelle droite », moderne, « très éloignée des totalitarismes et des violations des droits de l’Homme » (El País, 2010), et s’illustrant quelques mois plus tard par l’augmentation des impôts pour financer la reconstruction du pays à la suite du tremblement de terre de février 2010. Lorsque le 19 octobre 2019, le président Piñera a décrété l’état d’urgence en recevant le soutien du leader de la droite radicale, José Antonio Kast1, la coalition de centre-droit a paru rebasculer vers son passé autoritaire. Mais quelques jours plus tard, l’invitation du président à différents observateurs des droits de l’Homme (notamment l’ONU et Human Rights Watch), renouait avec l’engagement de leur défense, aspect marquant une ligne de démarcation entre la « nouvelle droite2 » et la plus ancienne : l’UDI et certaines fractions de RN3.

2 Comment interpréter l’ambivalence de ces prises de position ? Pourrait-elle s’expliquer par l’existence de deux droites, une aile dure et l’autre modérée, souvent présentées sous les traits des « faucons » représentants des pouvoirs factuels [poderes de facto] et garants du noyau dur identitaire vs. les « colombes », défenseurs des institutions politiques et œuvrant à la consolidation au pouvoir du secteur (Macari M., 2010 ; Bellolio C., 2016) ? Pour certains, ces deux âmes seraient réapparues sous les traits de l’ancien ministre de l’Intérieur, Andrés Chadwick, dirigeant historique de l’UDI au passé pinochétiste, et Gonzalo Blumel, son successeur, membre d’Evópoli et d’une nouvelle génération de dirigeants (Batarce M.C., 2019). Pour d’autres, la gestion de Blumel ne le différencierait guère de l’aile dure, n’ayant eu aucun impact sur la réduction des violations des droits de l’Homme (Gaete, A. et al., 2019). Ces deux droites auraient-elles une incidence sur la façon dont la crise a été gérée par le gouvernement ?

3 Nous montrerons plutôt que la dynamique de la crise – en particulier le processus constitutionnel –, a révélé l’existence de différentes sensibilités au sein de la droite

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chilienne, cependant unie dans la défense de l’ordre, invitant à complexifier la dichotomie entre les « faucons » et les « colombes ».

Le retour aux fondamentaux : l’ordre et l’autorité

4 Il nous faut tout d’abord replacer cette réflexion dans un cadre général, celui de la sociologie des crises politiques (Dobry M., 1986), qui permet de rappeler que les conjonctures fluides sont particulièrement propices à la radicalisation politique, mais aussi que les ruptures les plus radicales peuvent avoir lieu graduellement, voire dans des configurations dominées à l’origine par des individus modérés4. C’est donc dans la dynamique des logiques de situation spécifique qui contraignent perceptions, calculs et tactiques des acteurs qu’il faut comprendre certaines décisions et leurs effets en prenant en compte la façon dont ceux-ci non seulement gèrent mais suscitent et réagissent à certains processus de mobilisation politique, à travers notamment un échange de « coups », c’est-à-dire « d’actes et de comportements individuels ou collectifs » qui affectent « soit les attentes des protagonistes d’un conflit concernant le comportement des autres acteurs, soit ce que Goffman appelle leur “situation existentielle” (…) » (Dobry, M., 1986 : 21). A grands traits, deux moments peuvent être distingués dans la gestion de l’explosion sociale : une phase réactive initiale, la plus critique, succédant à l’incendie simultané de neuf stations de métro qui a conduit le président Piñera à décréter l’état d’urgence, et un second temps où le gouvernement a cherché à avancer sur la voie de la « normalisation », sans effets notoires sur la décrue des mobilisations.

5 La crise a non seulement dévoilé les différentes positions existant au sein de la coalition de gouvernement (nous y reviendrons). Elle a de plus réveillé, par un effet de miroir, certains traumatismes, sans nul doute asymétriques mais non moins rééls, entre une droite qui a ranimé le spectre de l’ennemi interne et de la sécurité nationale à travers le « nous sommes en guerre »5 aux accents pinochétistes du président Piñera (20 octobre 2019), hypothéquant par là-même la possibilité d’une résolution politique du conflit ; et une gauche pour laquelle s’est rouverte la plaie des violations des droits de l’Homme en dictature6. L’extrême violence des événements interprétée par le gouvernement comme une volonté de « détruire » le Chili et ses valeurs de « liberté et démocratie » mais aussi comme un risque de faillite de l’État où l’auto-défense finirait par être la règle, plus que mettre en évidence l’influence d’une « aile dure » de la droite, a poussé à leur paroxysme les principes constitutifs de son identité : la défense de l’ordre et de l’autorité7 avec, en arrière-plan, celle d’un certain modèle de développement8. Dans une enquête appliquée en 2015-20169, nous avions pu mettre en évidence l’identification massive et transversale à l’ordre des cadres dirigeants de la coalition de gouvernement. A la question : « Les protestations sociales doivent être contrôlées afin de garantir le droit à la libre circulation des personnes », 84 % de l’UDI, 83 % de RN et 74 % d’Evópoli avaient répondu favorablement. L’enquête montrait aussi l’existence d’une droite se reconnaissant majoritairement (55,5 %) dans la maxime politique et sociale de subsidiarité, principe clef des politiques néolibérales de la fin des années 7010.

6 Provocant par une combinaison d’éléments critiques d’ordre décisionnel et institutionnel une sorte de « tempête parfaite », ces mesures visant à rétablir l’ordre se sont heurtées à la crise de l’échafaudage institutionnel du pays, en particulier celle de l’institution policière.

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Les entraves à la gestion : la crise des institutions

7 L’incapacité à rétablir l’ordre s’est vue aggravée par la violation massive des droits de l’Homme par les forces de police – 2009 personnes ont été blessées entre le 17 octobre et le 10 novembre, selon l’Institut National des Droits de l’Homme (INDH), dont un nombre important éborgné –, faisant du Chili le pays où l’État exerce la répression la plus forte en temps de conflits sociaux (voir article d’Aguilera dans ce dossier). Ce bilan doit beaucoup à la crise que traverse l’institution policière11, dont la réforme a été engagée. Encore considérée par l’opinion publique comme l’une des plus crédibles en 2017, elle figure aujourd’hui parmi les plus décriées, 64 % des Chiliens estimant que les forces de police ont violé les droits de l’Homme depuis octobre 2019 (CEP, 2019). Mais cette violence inusitée – le rapport de l’ONU fait état de 2500 policiers blessés entre le 18 octobre et le 6 décembre – peut être en partie lue comme une réponse à la répression et à la criminalisation de la protestation. Comme le montre la littérature internationale sur d’autres conflits sociaux, les protestataires qui perçoivent que la police a fait un usage indiscriminé de la force à leur encontre tendent davantage à justifier une riposte violente (Maguire, E., et al., 2018). De même, la violence résulte d’interactions se jouant dans des situations particulières où revêt un rôle central une action de la police fondée sur la communication, le respect de certains espaces territoriaux, la reconnaissance du rôle des émotions dans les explosions sociales ou encore le fait d’éviter certains signaux pouvant mener à la surenchère (Nassauer, A., 2014). Au contraire, la stratégie d’endiguement opérationnalisée par la police avec une autonomie beaucoup trop grande vis-à-vis de l’autorité civile n’a fait que creuser l’écart entre citoyens et forces de l’ordre assimilées au gouvernement.

8 Selon le dernier sondage du CEP (2019), les Chiliens condamnent massivement l’usage disproportionné de la force des carabiniers, au même titre qu’ils réprouvent majoritairement l’usage de la violence de la part de certains groupes de manifestants. Ce dernier point, en montrant l’inefficacité du gouvernement dans le rétablissement de l’ordre, a en outre produit une désaffection des bases électorales traditionnelles de la droite à l’égard du gouvernement, reflétée dans le taux d’approbation du président tombé à 6 % (CEP, 2019). En s’inscrivant dans le cadre d’un régime présidentiel exacerbé, ces perceptions constituent une entrave à la gouvernabilité (Cardenas, R., 2020). S’y ajoute le discrédit absolu du Congrès et des partis politiques contribuant à la faible valorisation des avancées en matière d’agenda social, éclipsées par l’omniprésence de l’« agenda sécuritaire ».

9 Autour de cet agenda, rien ne permet donc de conclure à l’existence de deux droites aux convictions contrastées. La droite (au gouvernement, au sein des partis et de l’électorat) semble plutôt se reconnaître dans une position faisant du rétablissement de l’ordre une priorité. Les différences entre les deux ministres de l’Intérieur ayant successivement conduit la gestion de la crise ne tiennent qu’à leurs âges, appartenances partisanes et compétences respectives en matière de gestion et de communication.

10 La dynamique de la crise et le processus constitutionnel ont cependant révélé l’existence de différentes sensibilités au sein de la droite invitant à complexifier la dichotomie entre les « faucons » et les « colombes ».

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Une coalition de centre-droit entre ouverture et repli identitaire

11 Comme nous l’avons vu, les conjonctures de crise politique et de radicalisation favorisent le retranchement sur un noyau dur identitaire. La phase de « normalisation » a également été marquée par la signature d’un accord transversal pour la paix sociale et la nouvelle Constitution, le 15 novembre 2019, qui a eu pour effet d’apaiser le conflit en répondant à l’aspiration citoyenne d’un nouveau contrat social. Elle a donc eu une répercussion positive – bien qu’indirecte, étant donné que le gouvernement est demeuré en marge des négociations – sur la gestion de la crise. Mais très vite, l’accord, arraché sous la contrainte de la rue12, s’est défait à la suite de la présentation par l’opposition, à l’initiative du Parti Communiste et du Frente Amplio13, d’une série d’accusations constitutionnelles visant à responsabiliser les plus hautes autorités de l’État pour les violations des droits de l’Homme. Ces signaux contraires à l’engagement initial pour le rétablissement de l’ordre, s’ajoutant aux violences de rue, ont fini par réveiller au sein de la droite le spectre de l’Unité Populaire et cristalliser l’opposition à une nouvelle Constitution. Pour le sénateur Allamand, l’un des représentants les plus influents de l’option du rejet, le processus constitutionnel s’est ainsi converti en une « opportunité de ranimer un centre-droit vacillant (…) en défendant sans complexe les idées de la droite face à la gauche radicale » (Valenzuela, P., 2020).

12 La crise a ainsi mis à nu l’existence de deux positions au sein de la droite, considérées l’une comme l’autre légitimes, c’est-à-dire sans effet polarisant autour du clivage autoritarisme/démocratie (Muñoz, A., 2020). La première, majoritaire, va dans le sens des réponses recueillies dans le cadre de notre enquête où 79 % de l’UDI et 65 % de RN se déclaraient contraires à l’établissement d’une nouvelle Constitution, tandis que seuls 39 % d’Evópoli exprimaient leur désaccord avec ce changement, confirmant au sein du conglomérat l’existence d’une « nouvelle droite » nettement dissociée de l’héritage pinochétiste (Alenda, S. et al., 2020b). La seconde, minoritaire, réunit un groupe important de cadres dirigeants mais également certaines figures clef de la coalition présentes même dans les formations politiques s’inclinant pour le Non14. Elle coincide avec l’opposition sur d’autres sujets tels que la défense d’une participation égalitaire des femmes et des hommes au sein de la convention constituante.

13 Plus que l’existence de « faucons » et de « colombes » que différencierait le rapport aux institutions démocratiques, le centre-droit actuel renferme des sensibilités différentes, parfois croisées, les unes davantage garantes du noyau dur identitaire (conservateur sur le plan des mœurs, subsidiaires quant au rôle attribué à l’État dans l’économie) que les autres (plus libéraux et solidaires). En fonction des « coups » auxquels se livreront les différents acteurs du conflit avant la tenue du plébiscite, il faudra s’attendre à un renforcement de la tendance à la réaction identitaire15, de même qu’à une augmentation croissante du rejet à une nouvelle Constitution ou encore à la victoire de la convention mixte (Retamal P., 2020). Dénouement éventuel bien éloigné de l’accord interpartisan du 15 novembre pour une nouvelle Constitution.

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BIBLIOGRAPHIE

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Retamal, Pablo, « Cadem : Baja respaldo al “Apruebo” en el plebiscito y hay “empate técnico” entre convención totalmente electa y fórmula mixta », La Tercera, 26 janvier 2020, https:// www.latercera.com/politica/noticia/cadem-baja-respaldo-al-apruebo-plebiscito-empate-tecnico- convencion-totalmente-electa-formula-mixta/987800/, page consultée le 23 janvier 2020.

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NOTES

1. José Antonio Kast s’est présenté comme candidat indépendant aux élections présidentielles de 2017, arrivant en quatrième position avec 7,9 % des suffrages exprimés, après une campagne visant à conquérir l’aile dure et conservatrice de la droite. 2. Par cette catégorie, nous nous référons non seulement à la « nouvelle droite » du premier mandat de Sebastián Piñera mais aussi à Evópoli, fondé en 2015 comme un projet de rénovation de la droite chilienne. Pour plus de détails sur ce parti, nous renvoyons à Alenda S. et al., 2020a. 3. L’Union Démocrate Indépendante est un parti politique issu du mouvement conservateur dit « grémial » fondé en 1987 ayant fourni de nombreux cadres à l’administration de la dictature militaire du général Augusto Pinochet (pour plus de détails, voir Alenda S., 2014). Rénovation Nationale est fondé à la même date comme un parti de centre-droit qui constitue à l’heure actuelle l’aile modéréé de la coalition de gouvernement Chile Vamos. 4. Nous renvoyons sur ce sujet à l’ouvrage collectif dirigé par Annie Collovald et Brigitte Gaïti, 2006. 5. Gonzalo Cordero, militant historique de l’UDI et directeur de communication de la seconde campagne de Sebastián Piñera considère cette phrase comme une grave erreur de communication car elle a contribué à la stigmatisation de la protestation sociale. Elle s’explique selon lui par un contexte où le Président venait d’être informé de tentatives de « sabotage du réseau de communication et de piratage du système financier du pays ». D’après Cordero, « le problème du contrôle de l’ordre public au stade où nous étions posait un problème de gouvernabilité, un problème de stabilité du gouvernement. Nous avons été sur le point de franchir un seuil après lequel le gouvernement n’existait simplement plus. Il y avait donc une nécessité tant symbolique que matérielle de récupérer l’ordre public, le contrôle du territoire au sens de l’espace public », entretien à Santiago le 16 janvier 2019. 6. Comment interpréter autrement la polémique, au début de l’état d’urgence, sur l’existence d’un centre de torture dans une station de métro de Santiago ou encore celle de personnes disparues. Bien que non avérées, ces rumeurs ont été relayées par les commentateurs de l’actualité chilienne. 7. Alenda S. et al., 2018, montrent cependant que l’obsession pour ces principes transcende au Chili la culture politique « de droite ».

IdeAs, 15 | 2020 289

8. Entretien avec Gonzalo Cordero, Santiago, 16 janvier 2019. 9. Pour plus de détails, voir Le Foulon C. et al., 2020. 10. Elle puise son origine dans la doctrine sociale de l’Église qui circonscrit l’intervention de l’État aux situations où les particuliers ou groupes intermédiaires sont démunis des compétences nécessaires pour se suffire à eux-mêmes dans leurs domaines respectifs. Voir Alenda S. et al., 2020b. 11. Les malversations de fonds et abus de pouvoir en tout genre ont précipité la débâcle au sein de l’institution, décimée d’une quarantaine d’officiers entre décembre 2017 et décembre 2018. 12. Selon Gonzalo Cordero, la droite s’est trouvée face à deux alternatives : la signature de cet accord ou la démission du président Piñera. La seconde comportant davantage de risques d’instabilité politique, c’est la première qui a été retenue. Entretien à Santiago le 16 janvier 2019. 13. Le Frente Amplio est une coalition composée de partis et de mouvements politiques de gauche et d’extrême-gauche. 14. Joaquín Lavín, le maire UDI de l’une des communes les plus riches du grand Santiago, Las Condes ; le sénateur Manuel José Ossandón de RN et le président de ce parti, Mario Desbordes. 15. Plusieurs épisodes récents ont eu cet effet, parmi lesquels l’ovation faite aux « héros » de la « première ligne » (manifestants légitimant l’usage de la violence) lors d’un récent Forum latinoaméricain sur les droits de l’Homme tenu le 24 janvier 2020 au sein de l’ex Congrès national et organisé par un groupe de sénateurs de l’opposition. Y ont participé les ex présidents Evo Morales et Rafael Correa, mais également le juge Baltasar Garzón qui avait joué un rôle clé dans la détention d’Augusto Pinochet.

AUTEUR

STÉPHANIE ALENDA

Stéphanie Alenda est affiliée à l'Université Andrés Bello - FECS [email protected]

IdeAs, 15 | 2020 290

Violaciones a los Derechos Humanos en largo octubre chileno

Carolina Aguilera

Este texto se ha alimentado de conversaciones con colegas con los que hemos compartido la angustia por la represión vivida en el país, en especial Daniela Jara, Loreto López, Lucía Dammert, Alejandra Luneke, Manuela Badillfa, Paulo Álvarez y Fabián Flores, entre otros. En especial fue muy enriquecedor el seminario organizado el 27 de noviembre “DDHH en el Chile postdictatorial: La deuda pendiente” en el Museo de la Memoria y los DDHH, el cual contó con el apoyo de COES. Este artículo contó con el apoyo del Centro de Estudios de Conflicto y Cohesión Social COES CONICYT/FONDAP/15130009.

1 Enero de 2020. Han pasado tres meses desde que comenzó un inédito proceso de movilización social en el país, el que se ha transformado en el movimiento de protesta más masivo desde el fin de la dictadura de 1973-1990. Junto con la fuerza del movimiento, uno de los aspectos más llamativos han sido las reiteradas violaciones a los derechos humanos, las que continúan hasta el día de hoy, aun cuando haya querellas por personas asesinadas y por el homicidio frustrado por parte agentes del Estado (INDH, 2019), y denuncias por los atropellos desde organismos locales e internacionales.

2 Dicho panorama podría resultar inverosímil a primera vista, en un país que supuestamente contó con una transición pacífica –admirada en el mundo – para terminar con una dictadura sangrienta. ¿Qué pasó? En particular, ¿qué pasó con las garantías de no repetición que debieran formar parte la justicia transicional (Roht- Arriaza N., 2019)? Quisiera proponer como hipótesis que ello obedece a la incompletitud del proceso de Justicia Transicional expresado en dos dimensiones: la existencia de enclaves autoritarios heredados de la dictadura y la perduración de un discurso social dominante que justifica el abuso policial y el uso excesivo de la fuerza contra un “otro” considerado amenaza del orden social.

IdeAs, 15 | 2020 291

Violaciones a los DDHH desde el 18 de octubre de 2019 en Chile

3 Los pactos internacionales en materia de DDHH, firmados y ratificados en el país consagran la obligación del Estado de resguardar el derecho a la vida y a no utilizar la tortura como procedimiento policial. Más aún, el propio protocolo de Carabineros declara el apego a esta normativa internacional para reglar el uso de la fuerza policial (Carabineros de Chile, 2019). Sin embargo, como han indicado los informes del Instituto de Derechos Humanos (INDH, órgano del Estado), la Comisión Interamericana de Derechos Humanos (CIDH), el Alto Comisionados de los DDHH de las Naciones Unidas, Human Rights Watch y Amnistía Internacional, no se han cumplido estos protocolos ni respetado los DDHH de los manifestantes (en su gran mayoría pacíficos).

4 En cifras, las que lamentablemente invisibilizan las dramáticas historias personales y familiares, al 30 de noviembre la justicia chilena (a través de la Fiscalía Nacional) tenía abiertas 23 investigaciones por muertes ocurridas durante el periodo de estado de emergencia, entre las que se encuentran 2 personas que murieron mientras estaban bajo el cuidado del Estado y 5 por acción de agentes del Estado (INDH, 2019). Esto, en un contexto en el cual a esa misma fecha más de 3000 personas han llegado a los hospitales y centros de salud con heridas, entre ellas 200 niños o adolescentes. En casi 2000 casos se trata de lesiones producidas por armas de fuego, y además se reporten lesionados por bombas lacrimógenas, entre otros. De las lesiones que más han impactado a la opinión pública chilena e internacional han sido la gran cantidad de lesiones oculares1. El INDH reportó al 30 de noviembre un total de “347 heridas oculares, entre las que se cuentan estallidos del globo ocular, pérdidas de visión por trauma ocular irreversible y traumas oculares” (INDH, 2019: 35). Incluso dos personas han quedado completamente ciegas. Como declaró este organismo frente a la Comisión Interamericana de DDHH, el 11 de noviembre, en Chile se ha violado también el derecho a la manifestación pacífica (INDH, 2019)

5 El impacto de esta situación ha sido enorme en el país. Las redes sociales como Facebook, Twitter e Instagram, están inundadas de testimonios que grafican estos hechos de violencia. Pero así también ha podido ser observado por las encuestas de opinión pública. Por ejemplo, el Termómetro Social2 publicado el 15 de diciembre, reportaba que 3 de cada 4 chilenos considera que se violan sistemáticamente los DDHH en el contexto de la movilización social del país. Más aún, casi el total de la población rechaza el uso de los instrumentos -balines y los gases lacrimógenos- que han provocado las mutilaciones oculares y heridas de todo tipo a los manifestantes, de marchas pacíficas (Termómetro Social, 2019: 64)

6 ¿Cómo explicar esta verdadera crisis humanitaria, a pesar del fuerte rechazo que genera el actuar policial en la población?

Enclaves autoritarios de la dictadura: violaciones a los DDHH y la autonomía de las policías

7 Entre las medidas que consideró el Estado al inicio de la pos-dictadura para hacer frente a las violaciones a los DDHH del pasado, fue una reforma profunda a Carabineros que diera garantías de no repetición3. Sin embargo, ello no ha ocurrido en la

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profundidad requerida, a decir por las recomendaciones periódicas que ha realizado el Comité Contra la Tortura de las Naciones Unidas4 entre 1995 y 2018, y las recomendaciones del INDH desde que emite el Informe sobre la Función Policial por primera vez en 2011 (Aguilera C., et al. 2019). Como han dado cuenta estos informes, Carabineros siguió incurriendo en prácticas de uso excesivo de la fuerza y torturas, tanto contra manifestantes de protestas pacíficas como contra comunidades indígenas (especialmente Mapuche). Además, recientemente se han conocido montajes policiales realizados por Carabineros para inculpar mediante pruebas falsas a integrantes de comunidades indígenas y para ocultar su responsabilidad en asesinatos de este mismo grupo de personas (operación “Huracán” y asesinato de Camilo Catrillanca). Los Informes del INDH, las denuncias y los casos ante la CIDH dan cuenta de que no son casos nuevos. La relativa autonomía de esta institución de la tutela política ha quedado además reflejada, en el millonario fraude al fisco recientemente descubierto, y aun en investigación, que se eleva a la cifra de 28 mil 300 millones de pesos, involucrando a más cien personas5.

8 Dos razones, una más estructural y otra más política, permiten comprender esta situación. En primer lugar, Carabineros (y también las FFAA), y las violaciones a los DDHH se constituyeron en un enclave autoritario de la transición que aún no han podido desarticularse. Como argumentó Manuel Garretón (2009) una de las dificultades del proceso de democratización pos dictaduras y conflictos armados de los años 1970s y 1980s en la región latinoamericana, refería a la existencia de “elementos constitutivos de estos [regímenes autoritarios], que son heredados por el régimen post-autoritario, perdurando en éste y alterando la vida democrática y la expresión de la soberanía popular… y que limitan el carácter plenamente democrático de éste.” (Garretón M. A., 2000: 124). Entre ellos están aquellos de tipo normativo-legal, como fueron el sistema binominal, los quorum calificados y las leyes orgánicas en Chile las que tienen rango constitucional (Garretón M. A., 2009)6. Una de estas leyes rige a Carabineros de Chile, lo que ha dificultado las reformas que se requerían hacer, y en particular le dan amplísimas atribuciones a la institución en la toma de decisiones y muy pocas posibilidades para que el poder político pueda interferir en ello (Dammert L., 2019b). Más aún, como argumenta Dammert (2019b) el Presidente de la República en la práctica no puede remover al General Director si no cuenta con el apoyo de éste.

9 Sin embargo, y en segundo lugar, como también ha argumentado la investigadora Dammert (2019a), ha habido falta de voluntad política para avanzar en reformas a las policías. Sintomático de ello fue la dificultad y demora en el traspaso de la dependencia institucional de Carabineros desde el Ministerio de Defensa al Ministerio del Interior, la que se logrará recién 20 años después de la recomendación del Informe Rettig (en 2011). Por el contrario, como muestran los estudios de la autora, las policías7 han logrado contar a lo largo de estos años (e independiente del signo político del gobierno) con un aumento sostenido de presupuesto y dotación de personal, sin que haya existido un mayor debate en torno a esta inversión, ni se tomen en cuenta estudios críticos a su labor (Dammert L., 2019a). La investigadora indica que ello obedecería al gran respaldo que ha tenido Carabineros en la opinión pública en el país, entre otros factores. Es de esperar que la deteriorada imagen actual de la institución permita finalmente avanzar en las reformas que se requieren.

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Discursos sociales dominantes que justifican el abuso policial para eliminar a otros considerados indeseables en la sociedad

10 Además de la existencia de enclaves autoritarios, a modo de hipótesis, quisiera proponer que las violaciones actuales a los DDHH de los manifestantes obedecen a la perdurabilidad de un discurso social dominante8 de larga duración, que justifica el abuso policial cuando se trata de personas identificadas como amenazas del orden social.

11 Este discurso se usó con fuerza como argumento justificatorio de las violaciones a los DDHH ocurridas en dictadura (Stern S., 2006; Lira E., 2009). Efectivamente, uno de los trabajos más detallados sobre la memoria colectiva sobre ese periodo mostró que hacia finales de los años 1990s aún pervivía de manera importante una narrativa sobre el pasado que defendía el Golpe Militar y los abusos de las Fuerzas Armadas y Carabineros como un costo social necesario para restituir el orden político y social que se habría quebrado durante el gobierno de la Unidad Popular (Stern S., 2006). El historiador lo llamó la memoria de la salvación. Si bien, estudios de opinión pública indicaban que este discurso se había ido tornado minoritario (Collins C., 2010), en el contexto actual hemos vuelto a escuchar que las policías requieren mayores atribuciones para poder controlar el orden público. De hecho en estos días [mediados de enero] está por aprobarse una ley que endurece las sanciones para quienes realicen barricadas o incurran en acciones disruptivas como forma de protesta.

12 Esta es una posición respaldada por amplios sectores de derecha en la opinión pública. En efecto, la encuesta de Termómetro Social da cuenta que para más de un 70 % de quienes se identifican con la derecha, la violencia ejercida por FF.EE. y Carabineros hoy se explica por la necesidad de restablecer el orden público, detener hechos delictuales y en la autodefensa. Se trata de una posición compartida por el gobierno, quien ha respaldado el actuar de Carabineros.

13 Este actuar se condice con la forma en que el Estado ha llevado adelante su política, también, contra territorios en los que la política no ha logrado resolver el conflicto social como ha sido en la Araucanía y en aquellas poblaciones asediadas por el narcotráfico, desde 2001. Esta estrategia de militarización, ha sido duramente cuestionada por organismos de DDHH, afectando a comunidades del sur del país y poblaciones de la capital como La Legua, Santa Adriana, La Victoria y Lo Hermida (Luneke A., 2019). Como describe Luneke, se trata de una “presencia de fuerzas especiales … constante por largos períodos, y [d]el cierre perimetral (forma militar de control territorial) … aplicado sin ningún control externo y sin evidencia de resultados en la reducción del tráfico de drogas” o del conflicto (Luneke A., 2019: 1).

14 En estos casos es posible observar, al menos como hipótesis, la existencia de un discurso similar al que justificó las violaciones a los DDHH en dictadura, es decir, como un costo social necesario para reestablecer el orden social, y que en última instancia considera a los “otros”, ya sea “terroristas” o “delincuentes”, antisociales contra quienes se justifica la represión.

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Reflexión final. Las deudas de las garantías de no repetición del proceso de Justicia Transicional chileno

15 Las violaciones a los DDHH ocurridas en Chile durante este nuevo y masivo ciclo de protestas no forman parte de una excepcionalidad del proceso político chileno. Ya habían sido implementadas como parte de la policía contra población Mapuche, en territorios con alta presencia de narcotráfico y contra manifestantes. A pesar de las recomendaciones realizadas por el Comité contra la Tortura de las Naciones Unidas, órgano que venía advirtiendo la necesidad de implementar reformas para evitar el abuso policial desde 1995 a la fecha, y los reportes del INDH en la misma dirección, no se han llevado adelante reformas en Carabineros que hubieran implicado evitar la masividad de la represión actual. Por el contrario, el actuar de la institución y su impermeabilidad al poder político, han persistido como un enclave autoritario, soportado entre otros por un discurso social dominante que justifica cierto nivel de abuso policial como un costo necesario para reestablecer el orden público. En ese sentido, si bien las políticas de Justicia Transicional se pusieron como objetivo el Nunca Más, fallaron en promover una cultura de respeto a los DDHH en todos los sectores de la sociedad y en asegurar garantías de no repetición mediante una reforma profunda a Carabineros.

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NOTAS

1. Ver por ejemplo el reportaje “It’s mutilation. The Police in Chile are Blinding Protesters” de Brent McDonald del New York Times [https://urlz.fr/bBlA]. 2. Encuesta realizada por , y aplicada entre los días 28 de noviembre y jueves 12 de diciembre, con 1.215 encuestas completadas a una población objetivo de 18 años y más, “residentes en zonas urbanas de las regiones de Biobío, Valparaíso y Metropolitana” (Termómetro Social, 2019). 3. Esta fue una de las recomendaciones de la Comisión de Verdad y Reconciliación (conocida como Informe Rettig) 4. Los informes pueden ser descargados via este link minimizado [https://urlz.fr/bBm6] 5. [https://urlz.fr/bBka] 6. Según se explica en el sitio web institucional de la Biblioteca del Congreso Nacional de Chile: “Leyes orgánicas constitucionales [son] normas complementarias de la Constitución relativas a ciertas materias expresamente previstas en el texto constitucional. Son objeto de un control preventivo de constitucionalidad por el Tribunal Constitucional y no pueden ser materia de delegación de facultades legislativas. Para ser aprobadas, modificadas o derogadas, se requiere de cuatro séptimas partes de los Senadores y Diputados en ejercicio” (BCN, s/f [https://urlz.fr/ bBk6]). 7. Además de Carabineros, Chile cuenta con una Policía de Investigaciones. 8. Utilizo este concepto de Alain Touraine según ha sido utlizado por Martuccelli (2019)

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AUTOR

CAROLINA AGUILERA

Carolina Aguilera : COES / IEUT-Universidad Católica de Chile [email protected]

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Du mouvement féministe étudiant au mouvement social #ChileDespertó

Camila Ponce

1 Le mouvement féministe étudiant a occupé le devant de la scène au cours de l’année 2018 en devenant le plus important mouvement étudiant depuis celui de 2011 pour une éducation publique gratuite et de qualité. Ces mobilisations ont contribué à la convergence de revendications historiques telles que celles liées aux droits en matière de sexualité et de procréation n’ayant encore jamais réussi à véritablement s’inscrire à l’agenda gouvernemental (Baeza C. et Ponce C., sous presse). À la différence des autres mouvements féministes latino-américains ou internationaux, celui de 2018 a, de plus, surgi du cœur des institutions universitaires (Follegatti L., 2018 ; Ponce C., 2020) à partir d’assemblées dites féministes et une précédente politisation des étudiants chiliens. L’élément déclencheur d’un tel mouvement a été une série de plaintes pour harcèlement sexuel au sein et en dehors des salles de classe ayant conduit les élèves à s’organiser et se mobiliser afin de mettre en place des protocoles et de dénoncer toute violence subie au quotidien.

2 Ce mouvement présente plusieurs caractéristiques spécifiques et notamment le fait qu’il se compose : d’activistes séparatistes (Miranda L. et B. Roque, 2019) prônant l’organisation d’assemblées et d’actions menées uniquement par des femmes ; d’activistes davantage soucieux de la rédaction de protocoles communs avec les différentes instances universitaires ; ou encore d’autres groupes militants favorables à plus d’intersectionnalité au sein du mouvement et à l’intégration d’autres dimensions, ethniques, migratoires, de socioéconomiques ou générationnelles. Ce mouvement a également été rejoint par d’autres organisations déjà présentes sur la scène sociale à l’image des groupes en faveur de la dépénalisation inconditionnelle de l’avortement ou contre le féminicide et les stéréotypes autour du corps de la femme.

3 Le mouvement ou « soulèvement » social chilien (estallido social) a ainsi vu le jour le 18 octobre 2019 lorsque les lycéens de Santiago ont décidé de ne pas payer le transport public pour protester contre la hausse de 30 pesos du prix du ticket de métro (voir

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article de Faure et Maillet dans ce dossier). Parti d’un appel lancé via un compte Instagram à ne pas payer leurs titres de transport pendant la semaine du 14 octobre, ce mouvement a su conglomérer l’ensemble des revendications présentes lors des précédentes manifestations.

Le mai féministe de 2018

4 Le mouvement féministe de 2019 présente des spécificités qui le distinguent tout en le rapprochant d’autres mouvements féministes. Nous nous proposons ici de développer trois de ces aspects centraux : son caractère global, son origine universitaire et son caractère performatif.

5 Il convient tout d’abord de souligner la dimension mondiale de ce mouvement. Contrairement à certaines investigations qui assimilent ce mouvement à une troisième vague féministe1 (Oyarzún K., 2018 ; Valdés T., 2018 ; Reyes-Housholder C. et B. Roque, 2019), il semble préférable de ne pas négliger d’autres vagues de revendications comme celle en faveur du droit à l’avortement distincte de la deuxième vague féministe au niveau mondial2 et apparue au Chili depuis la période post-dictatoriale et à diverses reprises au cours des années 1990 et 2000 (Baeza C. et Ponce C., sous presse). La troisième vague féministe représenterait, dès lors, pour certains auteurs (Biswas A., 2004) une nouvelle génération cherchant à célébrer et revendiquer la diversité culturelle, sociale, religieuse, ethnique et sexuelle.

6 Le mouvement féministe de 2018 relève donc plutôt d’une quatrième vague féministe mondiale en faveur de la justice sociale et contre le harcèlement sexuel et les violences faites aux femmes (Chamberlain P., 2017 ; Ponce C., 2020) et se caractérise par le recours aux nouvelles technologies (Cochrane K., 2013) et à de nouveaux modes de revendication tels que l’expression corporelle et la performance. C’est ainsi que le mai féministe se relie au mouvement #NiUnaMenos (PasUneDeMoins) apparu en Argentine en 2016 et ayant eu depuis des répercussions aux quatre coins du continent sud- américain (Pérou, Chili et Uruguay). Il fait écho également aux rassemblements de femmes contre Bolsonaro au Brésil (#EleNão) et aux grandes manifestations des « foulards verts » de 2018 en Argentine en faveur d’un droit à l’avortement sûr et gratuit déjà réclamé par les collectifs féministes en 2005 (Larrondo M. et C. Ponce, 2019).

7 Comme indiqué précédemment, et à la différence du célèbre #MeToo et de son équivalent français #BalanceTonPorc qui se sont propagés grâce aux réseaux sociaux, le mouvement chilien a d’abord vu le jour dans les universités. Le printemps féministe est un mouvement qui s’est développé et a gagné un large soutien populaire sur la base des accusations faites à l’encontre de professeurs d’universités chiliennes, et est donc étroitement lié à la violence de genre et au harcèlement sexuel. Les revendications qu’il incarne renvoient aux problèmes de violence patriarcale au sein des universités ainsi qu’aux enseignements sexistes et au langage utilisé par les professeurs et les élèves. Il s’agit donc d’un mouvement qui, d’une certaine façon, rassemble les revendications des précédentes mobilisations étudiantes jusqu’à remettre en question le système éducatif chilien dans son ensemble en l’accusant de discriminer les élèves en fonction de leur niveau socioéconomique et de ne pas leur fournir les outils nécessaires à un épanouissement équitable.

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8 Mais ce mouvement présente également d’autres caractéristiques, comme le fait de s’inscrire dans un courant historique plus large créé depuis plusieurs décennies par le féminisme chilien. Il s’articule avec d’autres mouvements ayant pour but de dénoncer et d’en finir avec le féminicide et d’autres formes d’oppression et de violences économiques, sexuelles, politiques et sociales qu’endurent tous les jours les femmes des classes ouvrières, migrantes ou mapuches.

9 La troisième caractéristique du mouvement féministe étudiant chilien repose sur le rôle donné au corps et à la sphère privée. Le corps devient ici un instrument supplémentaire de protestation capable de revendiquer son droit à ne pas être un simple objet de jouissance masculine ou de consommation et à lutter contre la société patriarcale et les violences faites aux femmes. La sphère privée devient, dès lors, elle aussi centrale à travers la désacralisation du corps féminin et la fin des tabous qui existent autour des vulves des femmes que l’on n’hésite plus à représenter grandes et colorées (Ponce C., 2020). Le fait de tout mettre au grand jour, d’exprimer ou de montrer tout ce qui dérange s’inscrit dans cette même démarche consistant à tout déballer, des abus commis par de grands universitaires respectés jusqu’aux petites culottes tachées de sang que l’on exhibe en signe de provocation.

10 Comme répertoire d’action, les étudiantes ont choisi d’avoir recours aux performances comme, par exemple, lorsqu’elles se sont moquées des concours Miss Reef3 en défilant avec des queues de cheval en référence à l’artiste emblématique Pedro Lemebel et aux Juments de l’Apocalypse4. D’autres types de performances cherchent également à rendre présentes, à l’aide de textes et d’images, des femmes victimes de féminicides ou ayant été assassinées pendant la dictature.

11 Ce mouvement, bien que massif au sein de l’espace public où il est capable de mobiliser des milliers de personnes – non seulement à travers des processions traditionnelles, mais également dans le cadre de performances ou de spectacles de rue – et même après être parvenu à occuper des dizaines d’institutions dans tout le pays au cours de l’année 20185, a en effet peiné à traduire ses revendications en un agenda concret et s’est progressivement affaibli au cours du second semestre 2018. Les revendications contre le patriarcat et les pratiques machistes ont fini par s’étioler au fil de protocoles sur l’égalité entre les genres et de procédures judiciaires contre des professeurs et des élèves.

12 Avant le soulèvement social de 2019, a eu lieu, le 8 mars 2019, une grève de femmes du monde entier ayant eu des répercussions dans tout le Chili et ayant donné lieu à la plus importante manifestation féministe de l’histoire chilienne avec plus de 800 000 personnes défilant dans les rues des principales villes du pays (El Mostrador, 2019).

Le soulèvement ou le grand mouvement social du #ChileDespertó

13 Ce mouvement est né du cri et du malaise des lycéens, lesquels ont toujours joué un rôle central dans les principales mobilisations de la période post-dictatoriale. Ils ont, en effet, constitué le principal moteur de changement du système éducatif chilien. Les mouvements lycéens trouvent, pour la plupart, leur origine dans des revendications à l’encontre du transport public. Lors de chacune de ces mobilisations étudiantes, les gouvernements en place sont parvenus à les déstabiliser en criminalisant la

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contestation sociale et en discréditant le maillon le plus faible et le plus violent de ces mouvements, à savoir l’émeutier cagoulé (el encapuchado). La société rejetant massivement la violence et condamnant tout acte de vandalisme, les encapuchados sont ainsi devenus le talon d’Achille des mouvements étudiants et au fur et à mesure des violences, des débordements et de l’œuvre d’agents infiltrés dans les protestations, l’espoir d’un changement possible s’est peu à peu évanoui.

14 Mais les choses semblent toutefois avoir désormais changé et la figure de l’encapuchado, bien qu’encore criminalisée par les médias et le gouvernement, est dorénavant revendiquée et mise en valeur par une grande partie des manifestants. L’encapuchado n’est plus uniquement perçu comme un sujet violent ou un exclu en marge de la société, mais constitue celui qui se place en première ligne dans la lutte en cours et permet au reste des manifestants de continuer de se faire entendre dans la rue. Les encapuchados incarnent ainsi, à présent, ceux qui, bien que camouflés derrières leurs cagoules, s’emploient à transformer la société chilienne.

15 Le mouvement actuel qui cherche à déconstruire le modèle néolibéral chilien n’est pas qu’étudiant et mobilise plusieurs secteurs de la société, transversalement en termes de tranche d’âge, de genre, de ville de résidence ou de niveau socioéconomique. Des mobilisations aussi massives et violentes sont nouvelles dans le Chili démocratique et le conflit ne semble pas devoir être résolu à court terme, les institutions en place ne semblant pas en mesure ou disposées à apporter de solution ni à interagir avec l’ensemble des acteurs de la société civile (Ponce C., 2019).

16 Les activistes présents dans les rues cherchent avant tout à en finir avec les enclaves autoritaires héritées de la dictature, ce qui se traduit essentiellement par des demandes telles que la rédaction d’une nouvelle constitution, la fin des fonds de pension (AFP) et le droit à des salaires dignes et un système de santé plus juste. Des revendications comme la fin des zones sacrifiées (zonas de sacrificio) et la nationalisation de l’eau sont également soulevées, bien qu’avec moins de véhémence et de consensus. Il en va de même en ce qui concerne certaines exigences de nature féministe, lesquelles, bien que présentes lors des manifestations à travers les groupes de femmes mobilisées (notamment les foulards verts portés par des centaines d’entre elles), n’étaient pas toujours visibles et pleinement représentées par les pancartes brandies par les manifestants.

17 C’est ainsi qu’au fil des semaines, le besoin s’est fait sentir d’incorporer la dimension féministe à cette vague de revendications sociales, notamment du fait que les viols et les abus de la part de la police et des militaires étaient devenus récurrents dans un tel contexte de répression (voir article d’Aguilera dans ce dossier). Dans le même temps, la propre ministre de la Femme et à l’Égalité entre les sexes, Isabel Plá, s’est révélée incapable d’assurer la fin des violences à caractère sexiste dans le cadre du mouvement social et préférait détourner l’attention en consacrant ses tweets sur les policières ayant été victimes de violences (El desconcierto, 2019). Un tel comportement explique pourquoi les manifestants ont rapidement exigé sa démission (La Tercera, 2019), comme en attestent les messages inscrits sur de nombreuses pancartes. À l’occasion de plusieurs performances, des femmes portant des foulards verts se sont également mobilisées devant son ministère afin de réclamer sa démission et ainsi que celle du président Piñera.

18 Le projet de transformation sociale d’influence féministe établi en 2018 (Follegati L., 2018) a, dès lors, refait surface à l’occasion de ce soulèvement social. Les performances

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féministes ont progressivement pris une place cruciale au sein du mouvement en organisant, en plus des journées classiques de manifestation spécialement consacrées à la dénonciation du patriarcat et des violences contre les femmes, différentes actions visant à dénoncer la torture et la mort de femmes sous la dictature comme pendant le mouvement en cours. C’est dans un tel contexte qu’est apparue la performance de Las Tesis dont le but était de remobiliser un mouvement social qui montrait ses premiers signes d’essoufflement.

19 Las Tesis est un collectif interdisciplinaire de femmes de Valparaiso qui s’emploie, à partir de performances et de techniques visuelles, à exposer dans la rue et dans l’espace public des théories féministes inspirées des idées de Silvia Federici et de Rita Segato (Las Tesis, 2019). Comme elles-mêmes l’expliquent, leur « intervention est le résultat d’un travail de recherche que le collectif mène depuis le début de l’année sur le viol. Cette chanson est devenue une performance à partir de l’appel lancé par différents artistes de Valparaiso de créer des interventions artistiques dans la rue » (Las Tesis, 2019). La performance permet, dès lors, de donner un nouveau visage au patriarcat. Ciblant jusqu’en 2018 des individus ayant un nom et un prénom –ce qui affaiblissait les revendications, il désigne désormais des institutions en général : le violeur – comme l’indique le manifeste – c’est la police ; c’est la justice ; bref, c’est l’État.

20 Le mouvement s’est ainsi reconfiguré autour de cette chanson et de cette chorégraphie contre la violence à caractère sexiste devenue du jour au lendemain un véritable manifeste féministe au niveau international. Un chant qui a permis aux activistes, hommes et femmes, de donner plus de visibilité à leurs mobilisations et à leurs revendications grâce notamment aux milliers de militantes en ayant spontanément reproduit la chorégraphie dans plus de 100 villes du monde. D’Istanbul à Mexico, ces représentations intersectionnelles ont aussi bien mobilisé des femmes jeunes ou du troisième âge, des ouvrières comme des professeures, des étudiantes et des cadres ou encore des femmes handicapées.

21 Cette performance a, finalement, contribué à faire comprendre que le projet d’un nouveau Chili passe par les femmes et les mouvements féministes, mais aussi que néolibéralisme et patriarcat vont de pair. La modalité de la performance scénographique est, par ailleurs, parvenue à attirer de nombreuses femmes fatiguées des violences sexistes et de la manière dont les manifestations étaient réprimées par l’État, en les invitant à danser dans les rues de toutes les villes chiliennes et du reste du monde. Beaucoup d’entre elles reconnaissent, en effet, que cette danse leur a permis de se libérer, de se fédérer et de ne plus avoir peur. Les femmes ont pris conscience qu’elles sont capables de se dépasser elles-mêmes et entendent jouer un rôle fondamental dans l’actuelle transformation de la société chilienne.

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BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Les deux premières étant les suffragettes du début du XXe siècle (1930-1950) dont la lutte se centrait sur le droit de vote des femmes, et les mouvements féministes rassemblés sous la devise « la démocratie dans le pays et à la maison » durant la dictature (Kirkwood, 1986) 2. La deuxième vague de féminisme serait celle cherchant à différencier les éléments biologisants liés au fait d’être une femme et le genre à l’image de la célèbre phrase de Simone de Beauvoir : « On ne nait pas femme : on le devient » (De Beauvoir S., 1987). 3. Concours organisés en été pour élire les plus belles fesses et au cours desquels les candidates ne montrent pas leur visage. 4. Voir article complémentaire : Ponce, Camila (2020). “El movimiento estudiantil feminista de 2018: Continuidades y rupturas entre feminismos y olas globales”. Revista Izquierdas, n°49, p. 1554-1570 5. Il s’agit ici d’institutions universitaires de type religieux, régional, entrepreneurial, public ou apostolique, ainsi que de lycées publics et privés.

AUTEUR

CAMILA PONCE

Camila Ponce est affiliée au CISJU – Université Catholique Silva Henríquez [email protected]

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Las desigualdades territoriales y el 18-O de Chile: algunos antecedentes

Rodrigo Marquez y José Viacava

1 Para algunos pudiera llamar la atención que un pequeño país de Sudamérica, con una población no superior a los 18 millones de habitantes, con un ingreso per cápita de U$ 26.317 (International Monetary Fund, 2019), exhibiendo un nivel de pobreza por ingresos del 8,6% (Ministerio de Desarrollo Social, 2018), con el más alto nivel de desarrollo humano de américa latina (PNUD 2019) y con un significativo acceso a bienes de consumo se transformara en escenario de expresión de un profundo y generalizado malestar social1. Para otros, sin embargo, lo que llama la atención es que dicho malestar haya tardado tanto en expresarse en protestas como las observadas recientemente dado que, por décadas, junto a esos logros, Chile exhibió las más altas cifras de desigualdad entre los países de la OCDE incluso superiores a las de varios países de América Latina2.

2 A otros les sorprende que este estallido social se haya manifestado no sólo en las grandes ciudades donde se concentra la población si no que se haya expandido muy rápidamente y expresado en casi todas las ciudades, pueblos, localidades, aldeas y caseríos del país sin importar su tamaño o su distancia respecto del centro demográfico y político, Santiago. No es menor recordar que el gatillante inmediato de las primeras acciones de protesta – el alza del precio del boleto del metro o tren subterráneo (ver artículo de Larrouqué en este dossier) es una cuestión de exclusivo interés de la capital – que concentra más de la mitad de la población total del país. Y sin embargo, junto con un cúmulo de otras situaciones de fondo, todo Chile se unió a las protestas.

3 Y es que la desigualdad de Chile tiene una importante dimensión territorial. El país es reconocido como uno de los miembros de la OCDE que, a pesar de sus avances en indicadores objetivos, muestra aún las mayores brechas territoriales en la distribución de los beneficios y los perjuicios del desarrollo (PNUD, 2018).

4 Evidentemente esta situación no ha sido casual o azarosa. Es producto de un modelo económico-productivo neoliberal (ver artículo de Gárate en este dossier), con un énfasis extractivo y primario donde el territorio y sus recursos son observados como un stock

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más que un medio finito como alternativa de bienestar social. Hay que precisar tambien que Chile ha optado por un modelo político altamente centralista desde el inicio de la República.

La desigualdad como “renuncia” del Estado

5 Durante décadas – particularmente agudizados en el último cuarto del siglo XX –, la planificación y programación pública en la conducción del desarrollo quedó relegada a un segundo plano, cediéndole al mercado las capacidades de explotación de los medios disponibles para ello. Esta “renuncia” del Estado a emplear sus capacidades para orientar estratégicamente el progreso armónico de los territorios, a favor de las fuerzas del mercado, quedó reflejada en un informe de la OCDE donde se estableció que, a pesar del crecimiento sostenido experimentado por la economía del país, los territorios no habían sido capaces de alcanzar grados de desarrollo homogéneos entre sí (OCDE, 2009). Tal es así, que en el informe realizado por la OCDE en el 2017, se indica que Chile se mantiene como el país más desigual de todos (0,46%) en comparación con el resto de los países de la organización, “manteniendo un sistema tributario que favorece a los más ricos, reduciendo las posibilidades de movilidad social”.

6 Esta desigualdad no sólo se constituyó en un factor que atentó contra su propio desarrollo: también afectó la relación entre la dimensión Economía-Sociedad Civil- Política provocando un abismo entre estas dos últimas, tal como se ha evidenciado desde octubre del 2019 hasta hoy.

7 Como se observará a continuación, los ciudadanos/as de los territorios alejados de las áreas urbanas y metropolitanas del país tienen la percepción que no accederán a las mismas oportunidades de incidencia ni participarán, incluso, de los mecanismos de representación de intereses ante sus autoridades que chilenos/as de otras regiones y comunas del país.

8 Una reciente encuesta efectuada a los habitantes de distintas regiones en Chile (Barómetro Regional, 2019), evidenció la necesidad que sus “autoridades tomen más en cuenta las opiniones de la gente” a nivel regional. Es curioso: cuando comparativamente la literatura nos indica que la cercanía de las autoridades y sus ciudadanos/as conviven mejor a niveles subnacionales, este resultado nos muestra la existencia de una brecha importante. De este modo, la “renuncia” del Estado a su rol como agente del desarrollo se ha sumado también a su rol articulador entre los ciudadanos y los mecanismos de representación y participación política en el territorio.

La desigualdad territorial vista desde las personas

9 Con todo, la experiencia de la desigualdad territorial que viven chilenos y chilenas no admite visiones simplistas: ésta tiene una complejidad que no parece saltar a primera vista, pero que es muy relevante atender si se quiere sintonizar con el verdadero reclamo ciudadano en relación con lo que ocurre en los territorios. Dicha complejidad se expresa, por un lado, en los aspectos objetivos del fenómeno y también, por otro lado, en la evaluación subjetiva que se tiene de dicha desigualdad territorial.

10 En el primer aspecto, los datos objetivos, apreciamos que junto con avances en materia de mayores oportunidades y capacidades en los diversos territorios del país (es decir la

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convergencia territorial en indicadores básicos del desarrollo), persisten bolsones de desigualdad en territorios específicos y se levantan nuevas expresiones de la misma al observarse cuestiones de nuevo tipo (por ejemplo el impacto del cambio climático) o tradicionales, pero que se complejizan (por ejemplo la demanda por atención médica especializada). Todas estas situaciones afectan la vida de las personas de manera relevante y diferenciada según el lugar donde habitan.

11 Por otro lado, desde la perspectiva de las percepciones, es decir, la manera en que las personas evalúan sus vidas y su trayectoria personal y familiar, se aprecia que, pese a los avances objetivos, la experiencia de desigualdad sigue presente y ampliamente constatada en estudios de opinión sobre desarrollo humano en Chile (por ejemplo ver PNUD 2018 o PNUD 2015). Esta crítica tiene sus particularidades. Por ejemplo, el diferencial de oportunidades en las diversas regiones de Chile versus la gran capital en Santiago es una opinión que surge de manera nítida. Al parecer las personas resienten que pese a los avances que pueden observarse, sigue aún existiendo la imagen de un “otro lugar” donde se concentrarían las mejores y más potentes oportunidades: Santiago. Este espacio en consecuencia condensa la crítica respecto de la injusticia de esa distribución de las mejores oportunidades, cuestión que cada día se hace menos tolerable en la opinión pública. Una crítica similar aparece ahora pensando “hacia dentro” del propio territorio como un reclamo al “centralismo intra regional” que se expresa en la menor atención que parece dársele a las localidades más alejadas de las capitales regionales. Se reproduciría el fenómeno de la desigualdad territorial, pero ahora desde la perspectiva del ejercicio del poder.

12 Veamos algunos datos que fundan las conclusiones anteriores: una encuesta sobre Desarrollo Humano y territorio del año 2016 indagó en el nivel de desigualdad de oportunidades entre las distintas regiones del país que perciben los chilenos y chilenas3. Tal como se aprecia en el siguiente gráfico, la amplia mayoría de los encuestados considera que las oportunidades entre las distintas regiones son bastante o muy desiguales (66,8%)4.

Gráfico 1. Si tuviera que evaluar la desigualdad entre las regiones de Chile, usted diría que las oportunidades que existen entre las regiones son: (porcentaje)

© Encuesta de Desarrollo Humano, PNUD, 2016.

13 La percepción de desigualdad es especialmente aguda cuando quienes residen en regiones comparan sus oportunidades con aquellas a las que es posible acceder en Santiago. Tal como se observa en la siguiente tabla, un 68% de quienes no residen en la Región Metropolitana (RG), considera que en el lugar donde vive hay menos oportunidades que en la capital (Tabla 1).

Tabla 1. Pregunta sobre oportunidades que presenta el lugar donde vive comparando regiones con Santiago.

Personas de regiones Personas de Santiago comparando

comparando con Santiago con otras regiones

Más oportunidades 12,9 32,0 donde vive

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Menos oportunidades 67,6 20,8 donde vive

Las mismas 16,9 43,4 oportunidades

NS/NR 2,6 3,7

© Encuesta de Desarrollo Humano, PNUD, 2016.

14 Al consultar acerca de la evolución en el tiempo de la desigualdad territorial, la encuesta sobre desarrollo humano y territorio muestra que un 43% de los encuestados considera que las desigualdades entre regiones han aumentado durante la última década. Un 28% cree que se han mantenido igual. Sólo un 24% piensa que han disminuido. Y respecto de los próximos diez años, un 39% de la opinión pública encuestada cree que la desigualdad de oportunidades entre regiones de Chile va a aumentar. Sólo un 26% piensa que disminuirá y un 28% piensa que se mantendrá igual.

15 En este punto se aprecia que la macrozona Norte (Arica a Coquimbo) existe una imagen más negativa de esta trayectoria: un 58% de los ahí encuestados piensa que las desigualdades entre regiones han venido aumentando y un 50% cree que seguirán aumentando en los próximos diez años. Por su parte, en la macro zona Sur (regiones desde Maule hasta Magallanes), se aprecia un aumento de porcentajes de respuesta que dan cuenta de aspectos positivos a esta trayectoria.

Tabla 2 Desigualdades de oportunidades

Y si piensa en 10 años atrás, usted diría que Y pensando en los próximos 10 años, usted la desigualdad de oportunidades entre las diría que la desigualdad de oportunidades regiones de Chile… entre las regiones de Chile…

Han aumentado 43% Va a aumentar 39%

Han disminuido 24% Va a disminuir 26%

No han aumentado ni No va a aumentar ni a 28% 28% disminuido disminuir

ns – nr 5% ns – nr 5%

Total 100% Total 100%

© Encuesta opinión pública DH Y territorio 2016

Tabla 3 la desigualdad de oportunidades entre regiones

LA DESIGUALDAD DE OPORTUNIDADES ENTRE REGIONES

Comparado con 10 años atrás Zona Norte Zona Centro Zona Sur Región Metropolitana

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Han venido aumentando 58% 49% 42% 36%

Han venido disminuyendo 12% 16% 28% 26%

Se han mantenido igual 24% 27% 26% 32%

Ns/nr 6% 8% 4% 5%

Total 100% 100% 100% 100%

En los próximos 10 años Zona Norte Zona Centro Zona Sur Región Metropolitana

Aumentarán 51% 49% 38% 31%

Disminuirán 18% 15% 30% 30%

Se mantendrán igual 24% 26% 25% 31%

Ns/nr 7% 10% 7% 8%

Total 100% 100% 100% 100%

© Encuesta opinión pública DH Y territorio 2016

Un importante contraste entre la opinión de las élites regionales versus la opinión pública regional

16 Un contraste muy significativo se aprecia al comparar las respuestas de las elites regionales5 (los que toman las decisiones y son influyentes en los territorios) con las respuestas de la población en general en cuanto a la percepción de la evolución de las desigualdades regionales. Mientras una parte no mayoritaria, pero importante de las elites regionales ven una mejoría en el nivel de desigualdad entre regiones, la opinión pública ve un importante nivel de incremento de la misma en los últimos diez años. De igual manera, en relación con el futuro de esta situación, mientras las elites regionales mayoritariamente piensan que la desigualdad entre Regiones va a disminuir en los próximos diez años, la opinión pública piensa, en una alta proporción, que va a aumentar (ver tabla 4).

17 Es sin duda difícil explicar qué puede estar detrás de estas opiniones tan diferentes (y no es este el lugar para hacerlo). Basta aquí mostrar estos datos para fundar otro rasgo que ha sido señalado como distintivo de las tensiones sociales de Chile de los últimos años y exacerbadas en los hechos de los últimos meses: la enorme distancia y desconexión entre las elites y la ciudadanía, tanto en sus percepciones como en sus ámbitos de acción y sus decisiones.

18 Esta distancia se traduce en los hechos en una mayor dificultad y legitimidad para conducir los procesos sociales aún a nivel de territorios específicos. Es una doble falla:

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las élites no logran identificar qué es lo importante para las personas y, segundo, no logran transmitir a la ciudadanía una imagen de futuro positiva que permita aquilatar los avances realizados. Si la tarea de toda elite es construir relatos para interpretar las trayectorias pasadas y futuras de una comunidad, habría aquí una importante tarea pendiente para las elites regionales de cara a hacer frente a la desigualdad territorial.

Tabla 4 Percepción de desigualdad de oportunidades

Y si piensa en 10 años atrás, usted diría que Y pensando en los próximos 10 años, usted la desigualdad de oportunidades entre las diría que la desigualdad de oportunidades regiones de Chile… entre las regiones de Chile…

Elite Opinión Elite Opinión

Regional pública Regional pública

Han aumentado 23% 43% Va a aumentar 19 39

Han disminuido 42% 24% Va a disminuir 54 26

No han aumentado No va a aumentar 34% 28% 22 28 ni disminuido ni a disminuir

ns - nr 1% 5% ns - nr 5% 7%

Total 100% 100% Total 100% 100%

© Encuesta de Elite Regional, PNUD 2016-2017. Encuesta opinión pública 2016

19 Como muestran estos datos, para los chilenos y chilenas, la desigualdad territorial es una de las dimensiones en que se expresa también su reclamo por una sociedad más justa e integrada. Esta demanda, ya conocida en el 2016 fue otra de las expresiones de la ciudadanía a la que parece no habérsele dado suficiente importancia. La evidencia estaba ahí. No se le tomó el peso suficiente.

20 Lo que sabemos hasta ahora es que detrás de esta demanda por un desarrollo más equitativo, con mayor igualdad territorial no hay sólo demandas de orden material o de cuestiones meramente redistributivas; hay también un propósito de ser reconocido como un legítimo partícipe de la comunidad política que es Chile. Ser reconocido, no mirado en menos, no dejado atrás y ser validado como un actor con plena capacidad para involucrarse en el debate de los asuntos públicos que interesan a cualquier sociedad en un Estado democrático de derecho.

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NOTAS

1. Agradecemos la colaboración de Francisca Díaz V. en la confección de algunos datos y referencias bibliográficas. 2. Ver por ejemplo entrevista a Joseph Stiglitz, en BBC, reproducido en CNN Chile (2020) recuperado el 30/01/2020 3. Encuesta de 2200 casos, cara a cara, hecha en hogares a mayores de 18 años, con representatividad nacional, urbano rural y por macrozonas. Diseñó probabilístico trietápico. Error +- 3%. 4. Este resultado en consistente con los hallazgos de la encuesta “Desiguales” (PNUD, 2016), donde un 64% de los encuestados en otras regiones y un 70% de los encuestados en la Región

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Metropolitana considera que Chile es muy desigual entre regiones. (Valores 8, 9 y 10 de la escala entre 1 y 10) 5. Encuesta cualitativa a una muestra estructural de actores de las elites regionales de Chile. 250 casos provenientes de los ámbitos del poder político, económico, social y cultural. Casos validados por jueces externos. Encuesta realizada por la “Red de investigadores en Desarrollo Humano” 2016.2017.

AUTORES

RODRIGO MARQUEZ

Rodrigo Marquez : FLACSO-Chile, Universidad de Valparaiso [email protected]

JOSÉ VIACAVA

José Viacava : INAP-Universidad de Chile [email protected]

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Nueva Constitución y proceso constituyente

María Cristina Escudero Illanes y Jaime Gajardo Falcón

1 Los procesos constituyentes en democracia son hitos que demoran en concretarse, principalmente porque deben ser fruto de un amplio consenso social y político. En el caso de Chile, el consenso social fue adquiriendo fuerza a partir de las primeras movilizaciones estudiantiles de 2006, hasta constituirse en una de las principales demandas en el 2019. Las encuestas han mostrado un apoyo consistente al reemplazo de la constitución de 1980 por parte de la opinión pública. Por ejemplo, en el 2016, un 56% de los encuestados se manifestó a favor de una nueva Constitución, mientras que en la encuesta CEP de enero de 2019, un 67% está de acuerdo con reemplazar la Constitución. El principal problema para iniciar el proceso constituyente no ha sido el acuerdo social, sino político. Han sido los partidos políticos con representación parlamentaria, los que no habían logrado un acuerdo ni en querer reemplazar la Constitución, ni menos en el mecanismo para hacerlo. Por ello, el acuerdo “por la Paz y una Nueva Constitución”, firmado el 15 de noviembre de 2019 entre 11 de las 14 fuerzas políticas presentes en el Congreso, constituye el primer paso para iniciar este camino.

2 El presente artículo revisará, en primer lugar, los principales aspectos que ha sistematizado la doctrina constitucional chilena para señalar el por qué se requiere de una nueva constitución. En segundo lugar, daremos cuenta de los puntos centrales del proceso constituyente que se ha aprobado en el Congreso Nacional. Finalmente, el trabajo tendrá algunas conclusiones sobre el proceso constituyente que Chile ha comenzado a transitar y sus principales desafíos.

¿Por qué es necesaria una nueva Constitución?

3 Las principales críticas que ha recibido la Constitución Política de 1980 se han sistematizado en tres ejes fundamentales, que se encuentran relacionados entre sí: 1) el origen autoritario de la Constitución y su imposibilidad para legitimarla; 2) el establecimiento de un sistema democráticamente deficitario1; 3) la opción ideológica

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neoliberal de la Constitución y, en consecuencia, la débil consagración de derechos económicos y sociales (Busch, T., 2012: 1-3).

4 Respecto a la primera crítica, la doctrina constitucional chilena comparte que el origen autoritario de la Constitución es un problema capital de la misma (con distintos matices). Las divergencias surgen con respecto a su imposibilidad de legitimarse en el tiempo. En este punto, Francisco Zúñiga señala que las reformas a la Constitución y, principalmente, las realizadas en el año 2005 han permitido una “cierta” legitimidad de la misma pero no total y que dicho camino se encuentra agotado (Zúñiga F., 2013: 515-516). Atria arriba a la misma conclusión que Zúñiga pero a través de una argumentación diferente. Para él, el “pecado de origen” de la Constitución no es el asunto principal, sino que es la imposibilidad que tiene el pueblo de ejercer su poder en el marco constitucional y, en consecuencia, de apropiarse de la misma o dicho en otros términos, de “legitimarla” (Atria, F., 2013, pp. 58-63). Por su parte, para Ruiz-Tagle las reformas realizadas a la Constitución en el año 2005 permitieron atenuar la filosofía del constitucionalismo autoritario y abrir espacios para el cambio constitucional (Ruiz- Tagle, P. 2006: 80-81).

5 Por su parte, el déficit democrático de la Constitución y sus recursos contra mayoritarios la vuelven “intocable” en sus aspectos sustanciales. Los principales mecanismos constitucionales contra-mayoritarios y que tienden a la neutralización del autogobierno colectivo son: 1) las leyes de “súper mayorías” (interpretativas de la Constitución, orgánicas constitucionales y de quórums calificados); 2) el control preventivo de Constitucionalidad que realiza el Tribunal Constitucional y su práctica jurisprudencial; 3) la rigidez y altos quórums para la reforma a la Constitución. Así los autores hablan de Constitución “celda” (Suarez, Ch., 2009: 248-271), de la Constitución “tramposa” (Atria, F., 2013: 44-56) y de democracia “protegida” (Cazor, K., 2007: 45-74).

6 A los argumentos señalados, se han ido planteado tres nuevos cuestionamientos, los que han sido formulados (o reformulados) de forma más reciente y son aspectos atribuibles a una tendencia general del constitucionalismo chileno, aunque han sido acentuados en la Constitución vigente. Estos aspectos son: 1) la visión mono cultural y nacional de la Constitución, en la cual no se reconoce el carácter multicultural de la sociedad chilena y, en particular, a los pueblos indígenas que habitan en el territorio; 2) el excesivo centralismo territorial que imprime la actual Constitución al diseño institucional; 3) el diseño híper presidencialista y el fenómeno de concentración del poder.

7 Sobre los cuestionamientos expuestos, consideramos relevante realizar tres anotaciones. La primera, tiene relación con su transversalidad debido a la estructura de la Constitución, es decir, estas objeciones abarcan todas las partes de esta (dogmática y orgánica). En segundo lugar, las críticas operan en múltiples planos, tanto en sus aspectos políticos (por ejemplo, legitimidad de origen), económicos (la consagración del neoliberalismo), sociales (el déficit democrático o híper presidencialismo), culturales (falta de reconocimiento de la diversidad cultural) y territoriales (el exceso de centralismo). Como tercer aspecto, todas las críticas reseñadas se pueden constatar, con diferencias de grado, desde la vigencia de la Constitución Política hasta la actualidad, a pesar de las múltiples reformas que ésta ha experimentado.

8 A pesar de lo anterior, los gobiernos de la ex Concertación y de la Nueva Mayoría, buscaron a través de reformas legales ir dando respuestas a las demandas de la ciudadanía por un país más igualitario. El Tribunal Constitucional se ha vuelto una

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barrera casi infranqueable para los proyectos de ley que buscan hacer realidad los anhelados cambios sociales de Chile. Así, entre otros el Tribunal Constitucional declaró la inconstitucionalidad de la titularidad sindical en la “reforma laboral”, la circulación de la “píldora del día después” y la glosa de gratuidad en la educación. El Tribunal Constitucional fue ideado como un guardián del diseño institucional e ideológico impuesto en la dictadura que en la práctica se ha erigido como una “tercera cámara”, una especie de legislador negativo destinado a bloquear el autogobierno colectivo. El Tribunal Constitucional se ha atrincherado en una interpretación originalista de una Constitución ilegítima, resguardando el principio de subsidiariedad en lo económico y las concepciones conservadoras en lo valórico. Todo ello ha permitido sumar ingredientes al descontento social y a la crisis constitucional.

Principales hitos del proceso constituyente

9 El proceso constituyente se institucionalizó a través de una reforma constitucional que introdujo un párrafo “Del Procedimiento para elaborar una Nueva Constitución Política de la República” al capítulo XV, con 14 nuevos artículos. Se trata de un proceso en tres actos: un plebiscito de entrada, un periodo de deliberación a través de una Convención y un plebiscito ratificatorio final. Los hitos del proceso se pueden leer bajo tres principios que explican las características básicas del proceso: a) participación e integración, b) certezas y c) limitaciones y autonomía.

Participación e integración de ambas convenciones

10 Pese a que el proceso constituyente es un acuerdo político, este se definirá a través de un excepcional mecanismo de participación ciudadana directa. En efecto, el 26 de abril habrá un plebiscito en el cual se harán dos preguntas. La primera de ellas es para definir si se aprueba o rechaza una nueva constitución. En una papeleta aparte se le consultará a la ciudadanía por el mecanismo que prefiere: una convención mixta (CM) o una convención constitucional (CC). Este plebiscito refleja el desacuerdo de las elites políticas. En primer lugar, el frágil convencimiento de los partidos de derecha de remplazar la constitución y, en segundo lugar, la opción de este mismo sector de tener una convención integrada por 50% de parlamentarios y 50% de ciudadanos electos (CM), mientras la centro izquierda propone una convención 100% elegida por la ciudadanía (CC).

11 El acuerdo del 15 de noviembre de 2019 estableció que la elección a los convencionales constituyentes se haría por las mismas reglas que se eligen a los diputados. Esto implicó que en principio serán 155 integrantes de la Convención (al igual que la Cámara Baja). Sin embargo, para salvaguardar el principio de proporcionalidad electoral en el caso de la Convención mixta, se debieron ajustar los distritos para que en cada uno de ellos se eligieran a lo menos 2 personas. Esta es la razón por la cual la CM tendría 172 integrantes, donde 86 serían elegidos por el Congreso y los otros 86 por la ciudadanía.

12 Por otra parte, la edad para ser convencional se rebajó de 21 para ser diputados a 18 y se permitió que los dirigentes sindicales pudiesen ser candidatos, cosa vedada para las candidaturas parlamentarias. Se establecieron también algunas incompatibilidades para altos cargos de la administración pública, como ministros, intendentes, alcaldes, entre otros y se estableció la suspensión del cargo para funcionarios de menor grado.

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Asimismo, se estableció una remuneración de 50 UTM mensuales ($2.5 millones) para quienes integren la convención, a excepción de los parlamentarios en la comisión mixta, quienes conservarán su remuneración parlamentaria.

13 Finalmente, la participación también se manifestará en el plebiscito de ratificación, una vez que la convención redacte su propuesta. Esta es la única instancia de voto obligatorio durante todo el proceso, ya que la centro-derecha fue escéptica a incorporarlo en el acuerdo para las demás elecciones del proceso. El plebiscito ratificatorio deberá realizarse 60 días después de terminado el trabajo de la convención para dar tiempo de la aprehensión por parte de la ciudadanía, y no debe coincidir con los meses de enero y febrero (meses de vacaciones)

Certezas del proceso

14 Uno de los grandes enemigos de todo proceso constituyente es el grado de incerteza que se produce respecto a aquellos procedimientos regulares para la toma de decisiones. Esto se debe a que generalmente el contexto introduce nuevos actores con incentivos diversos a los habituales y reglas de toma de decisiones diferentes que no han generado patrones de comportamiento predecibles en quienes participan de la deliberación constitucional. En el caso de Chile, existen sectores importantes en las estructuras de poder que aun valoran el status quo por sobre el cambio constitucional y por ello, la incerteza aumenta, para ellos, los costos de la futura convención.

15 Esta es la razón por la que el acuerdo político necesitó introducir elementos de procedimiento que otorgaran ciertas garantías, especialmente a aquellos sectores más conservadores por un lado, pero también para construir un nuevo pacto social y con ello ir reconstruyendo la paz social. En este contexto se establecieron algunos criterios que le dan contención a la convención. El primero de ellos es el plazo de 9 meses para llevar a cabo su tarea, renovable por tres meses adicionales. Como la finalidad es llegar a un acuerdo de texto, no se establecieron requisitos especiales para lograr dicha prórroga además de la solicitud por el presidente de la convención o un tercio de sus miembros.

16 Adicionalmente, en el acuerdo político se estableció que las normas debían ser aprobadas por dos tercios de los miembros de la convención, quienes deben trabajar sobre una hoja en blanco. Esta parte del acuerdo ha generado amplio debate sobre su conveniencia. Se la ha justificado señalando, que los dos tercios generan la necesidad de un acuerdo amplio cuyo efecto inmediato es la moderación de las decisiones, puesto que el tercio en cada extremo del espectro político difícilmente podrán imponer sus visiones. Sin embargo, también es cierto que pueden generar lentitud y estancamiento para lo cual se requieren mecanismos de solución de controversias al interior de la convención que quedaron entregadas al reglamento (el cual también debe ser aprobado por 2/3). La hoja en blanco significa que el texto sobre el cual se trabaja no es la Constitución de 1980 y, por lo tanto, su texto no queda vigente en caso que no haya acuerdo en la materia que se discute. Esto impide el bloqueo de quienes no quieren cambiar la actual normativa. En suma, que no haya acuerdo significa que no hay norma sobre ese punto y que puede ser materia de decisión legislativa posterior u otra solución que la Convención decida a través de su reglamento.

17 Por último, continuará rigiendo la constitución de 1980 en tres situaciones. Que en el plebiscito de entrada gane la opción rechazo. Que la Convención al cabo de un año no

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logre consensuar un texto y si en el plebiscito de ratificatorio ganare la opción “no apruebo la nueva constitución”. Para que se discuta la posibilidad de un nuevo proceso constituyente, tendría que existir un nuevo pacto constitucional que habilite el procedimiento que ahora sí estará en la Constitución.

Limitaciones y autonomía

18 En democracia los procesos constituyentes no ocurren en el vacío. Por el contrario, coexisten con él el arreglo institucional que respeta el pluralismo y ordenamiento vigente (incluyendo la constitución que se quiere reemplazar). Es por ello, que en el procedimiento se enfatiza el respeto por las autoridades electas e instituciones en funcionamiento que la Convención no podría intervenir, aludiendo a su poder originario. En suma, lo único que se le permite a la Convención es la redacción de un texto constitucional para ser sometido a plebiscito ratificatorio.

19 Relacionado con lo anterior se establecen ciertos márgenes para la acción de la Convención. Así, el texto de nueva constitución no puede vulnerar los principios de la democracia y la organización de república, y debe respetar tanto las sentencias firmes y ejecutoriadas como los tratados internacionales vigentes y ratificados por Chile. La razón que se tuvo a la vista para esta disposición fue garantizar un no retroceso en términos de orden político y derechos, así como la utilización de los canales institucionales constituidos y reconocidos por el derecho internacional para afectar las sentencias y los tratados. Sin embargo, se han levantado críticas a esta limitación por cuanto establecería límites sustantivos confusos e interpretables al mandato de la convención que pudiesen ser utilizados para mantener algunas consecuencias de la aplicación de la Constitución del 1980.

20 Por último, así como la Convención no puede vulnerar la competencia de otras instituciones, otras instituciones no pueden restar autonomía a la Convención. En este sentido, se habilitó la competencia de un solo organismo externo para conocer de asuntos de la convención. Se trata de una reclamación para asuntos solamente procedimentales y que será conocido por cinco integrantes de la Corte Suprema sorteados para cada caso. Esta instancia solo puede anular el acto que ha faltado a los procedimientos, pero no puede pronunciarse sobre su contenido. De esta manera en lo sustancial la Convención también salva su autonomía para hacer la deliberación correspondiente.

Conclusiones

21 Las razones por las cuales se ha esgrimido que se necesita una nueva Constitución son de diverso orden y no se limitan a su ilegitimidad de origen, por el contrario, hay problemas en su aceptación posterior por la forma deficitaria de concebir la democracia (especialmente por el diseño híper presidencialista contra-mayoritario), la visión ideológica que establece, afectando la forma en cómo se consagran y protegen los derechos económicos y sociales y su visión cultural y territorialmente excluyente.

22 Por otro lado, el proceso hasta ahora acordado ha generado márgenes de certezas y limitaciones a los actores políticos menos inclinados a eliminar el status quo y de autonomía y participación para los sectores políticos que han empujado el reemplazo constitucional por más tiempo. Sin perjuicio de ello, aún quedan algunos aspectos de

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legitimación importantes que resolver para responder a la demanda de la ciudadanía. En primer lugar, aun no hay acuerdo político por la inclusión de independientes, cuotas de pueblos indígenas y equilibrio de género (paridad). Aunque es probable que haya un acuerdo en este sentido en el Congreso, ya hay varios partidos de independientes en formación para presentar candidatos a la convención que no ha esperado a que esto suceda para abrirse un espacio. En segundo lugar, aún faltan procedimientos para vincular a la ciudadanía a través de audiencias o cabildos, con la convención. Si bien parte de esto puede considerarse en el reglamento, si se quiere sistematizar la participación para que sea incidente en la toma de decisiones, se requiere de planificación metodológica y tiempo de implementación.

BIBLIOGRAFÍA

Atria, Fernando, La Constitución tramposa, Santiago, Lom Ediciones, 2013.

Busch, Tania, « El Concepto de Constitución y la Incomodidad Constitucional en Chile », Global Jurist, vol. 12, 2012, p. 1-38.

Cazor, Kamel, « Constitucionalismo y umbral democrático en Chile: Hacia una nueva teoría constitucional », Ius et Praxis, n° 13, 2007, p. 45-74.

Ruiz Tagle, Pablo, « Simposio: Reformas del año 2005 a la Constitución de la República de Chile », Anuario de Derechos Humanos, n° 2, 2006, p. 73-106.

Suarez, Christian, « La Constitución celda o “straight jacket constitution” y la dogmática constitucional », Universium, n° 24, 2009, p. 248-271.

Zúñiga, Francisco, « Nueva Constitución y Operación Constituyente. Algunas notas de acerca de la reforma constitucional y la Asamblea Constituyente », Estudios Constitucionales, n° 1, 2013, p. 511-540.

NOTAS

1. Las críticas en este punto constituyen el núcleo principal del dilema constitucional chileno. Cf. Ver más abajo.

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AUTORES

MARÍA CRISTINA ESCUDERO ILLANES

María Cristina Escuerdo Illanes: INAP-Universidad de Chile [email protected]

JAIME GAJARDO FALCÓN

Jaime Gajardo Falcón: Universidad Diego Portales [email protected]

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La gestión pública chilena después del 18-Octubre: Ideas previas y reflexiones futuras

Rodrigo Egaña y Cristian Pliscoff

1 El 18 de octubre de 2019 quedará marcado en la historia de Chile como un momento de quiebre donde muchas de las prácticas y formas de funcionamiento de nuestra sociedad fueron puestas en tela de juicio. La reacción ciudadana surge por una mezcla de abusos, injusticias y fallas del sistema, señalando a la clase política y empresarial como las y los principales culpables del estado de situación. Es indudable que este estallido es de índole multicausal y multidimensional, pero su complejidad a veces lleva a invisibilizar ciertos actores o espacios de la sociedad, que también pudiesen haber cooperado, o por lo menos no haber cumplido su rol a cabalidad, influyendo de esta manera en el resultado que se evidenció en la última parte de 2019. El presente artículo trata de analizar uno de los componentes que parece haber contribuido a este malestar, pero que no es visto con la importancia que otros actores tienen, la administración pública.

2 Si bien Chile se ubica en varios ránkings temáticos en ubicaciones de privilegio tanto en eficacia gubernamental (Banco Mundial) como en índice de percepción de la corrupción (Transparencia Internacional), no es menos cierto que existen varios elementos para sustentar la noción que desde la administración pública se instalaron o permitieron prácticas que aportaron, de alguna manera, a no transformar a la administración pública en un instrumento crucial para eliminar las desigualdades sociales. Esto por cierto no oculta el amplio número de funcionarios y funcionarias públicas que día a día trabajan para mejorar las condiciones de vida de las y los chilenos. Quizás, lo que ha ocurrido es que esos esfuerzos, podrían haber sido mucho más efectivos en disminuir las desigualdades, con condiciones de funcionamiento más óptimas. En las siguientes líneas entregamos algunas reflexiones sobre lo que se hizo, o no, en el ámbito de la administración pública, y proponemos algunas acciones que pudiesen aportar, desde este ámbito, a canalizar los esfuerzos en pos de una solución a los problemas evidentes de desempeño institucional que se han hecho evidentes.

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La situación desde las instituciones públicas

3 El descontento manifestado en los días previos al estallido social del 18 de octubre y en las semanas posteriores, parcialmente se basa en un juicio muy crítico y negativo sobre la forma como funciona el Estado, como está organizado para cumplir sus funciones básicas y como ha implementado diversas políticas públicas. La desconfianza hacia las instituciones públicas ha ido creciendo en el tiempo; siendo un fenómeno amplio en América Latina (Izquierdo A., et al., 2018). La situación en Chile se caracteriza por haberse ido perdiendo la confianza que se logró reconstruir con la vuelta a la democracia. Esta desconfianza se ha acrecentado por un actuar centralista del Estado, que no da espacio suficiente a las particularidades regionales (ver artículo de Marquez y Viacava en este dossier) ; con una sistemática falta de participación ciudadana en la gestión pública, que pudiera haber complementado la decreciente participación expresada en la democracia representativa ; por la existencia de procedimientos en los trámites públicos que son poco claros y frente a los cuales prácticamente no existe posibilidad de reclamar ; por la falta de regulación adecuada de los servicios públicos que son provistos por entes privados en función de concesiones otorgadas por el Estado ; por la débil fiscalización que realizan entes públicos en sus áreas de competencia; por la deficiente educación pública, las bajas pensiones, las prestaciones de salud no óptimas ; en síntesis, por la sensación de abuso permanente que experimentan la mayoría de las personas y frente a los cuales se sientes desvalidos y no apoyados por las entidades públicas.

4 El tipo de modernización de la gestión pública que ha vivido el país en los últimos 30 años, ha estado marcado por un sesgo técnico (ver artículo de Larrouqué en este dossier), más que participativo, donde profesionales y miembros de la clase política implementaron una agenda de reformas, que estuvieron muy marcadas, en los 90’s por un agenda propia de la llamada Nueva Gestión Pública (Olavarría Gambi M., et al., 2011). Durante la última década del Siglo XX, la matriz de cambios y reformas a la administración pública estuvo marcada por una preminencia de la eficiencia como valor esencial del actuar público. Esto en gran medida se explicó por las condiciones sociopolíticas de la transición a la democracia, que exigía un uso racional de los recursos, en contextos de una amplia variedad de demandas sociales. La implementación de ciertas doctrinas dominantes en nuestra administración pública ha tenido efectos deseados y no deseados (Pliscoff C., 2017), cuyas consecuencias se han arrastrado bien entrado el siglo XXI. Este modelo teórico de reformas se modifica, principalmente a propósito de varias crisis políticas que vivió el gobierno, ligadas particularmente a casos de corrupción o de maladministración. Se destacan dos situaciones, la vivida en 2003 en varios casos ligados al manejo del Ministerio de Obras Públicas del sistema de concesiones de carreteras, que gatilló un proceso de ajustes en varios ámbitos, siendo uno de ellos el de selección de los Altos Directivos Públicos. El segundo caso es el de la crisis de corrupción por malos manejos en la entidad a cargo de implementar programas de deportes, que tuvo como consecuencia la implementación de una agenda pro transparencia en la gestión pública.

5 El alto nivel de politización que, a pesar de las reformas implementadas desde los 90s en adelante, ha generado una sensación de poca importancia del mérito en la gestión pública, transformando al aparato público en un instrumento al servicio de un grupo y en desmedro de la sociedad en su conjunto. Este tema fue abordado parcialmente con la

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reforma de 2003 que creó el Sistema de Alta Dirección Pública, mecanismo que permitió un nuevo modo de contratación de las cúpulas directivas de los servicios públicos (Longo Martinez, F., 2013). Esta reforma claramente marca un quiebre en la injerencia de la clase política en la administración pública (Ramos C. y F. Scrollini, 2013), pero deja espacio para que ésta siga influyendo en esta esfera, toda vez que se concibió un modelo que combinaba confianza con mérito. La percepción es que más allá de las reformas, la política seguía teniendo un rol importante en la administración pública. De alguna forma, existía una percepción que se abusaba de la administración pública, al permitir que se contrataran directivos públicos por poco tiempo, y en algunos casos sin cumplir el estándar óptimo (Pliscoff C., 2016).

6 Pero quizás, el ámbito donde más se ha evidenciado la administración pública como problema, es en la salud pública. Más allá de un incremento sustantivo de los recursos en el sector, las cifras de listas de espera, se han tomado la opinión pública, evidenciando un mal trato permanente y regular a aquellos usuarios que más lo necesitan. Esperar tres o cuatro años por una operación urgente, debido a falta de recursos, mala información, problemas de gestión hospitalaria, entre otros miles de factores, ha generado entre los usuarios de la salud pública, la noción que, si no tengo los recursos para pagar un prestador privado, o convivo con la enfermedad, o simplemente me muero. Más allá de las significativas reformas efectuadas en varios gobiernos, destacando la implementación del AUGE durante el gobierno del Presidente Ricardo Lagos, la salud pública ha seguido siendo una de las prioridades que la ciudadanía regularmente define como prioritarias en las encuestas de opinión.

De las soluciones

7 Poder enfrentar la crisis que se manifiesta en el estallido social habido en el país, requiere asumir que el modelo socioeconómico que se ha estado implementando, ha logrado hacer que la economía crezca en forma significativa y que la pobreza se reduzca en forma notable, pero no ha logrado reducir las desigualdades que caracterizan a la sociedad chilena (PNUD, 2017).

8 Lo anterior obliga a replantearse las bases sobre las cuales se construyó este modelo y eso nos lleva tener que repensar los principios orientadores del modelo de desarrollo que se ha estado implementando en el país (ver artículo de Gárate en este dossier). Entre estos principios podemos destacar la preeminencia de la propiedad privada por sobre la estatal o colectiva, el rol subsidiario del Estado en materias económicas y sociales, el predominio del mercado como principal orientador de las decisiones económicas, el ordenamiento jurídico que asegura el resto de los principios, el valor del individualismo como base del esfuerzo por el desarrollo, la existencia de regulaciones mínimas que no interfieran en el funcionamiento de los mercados, y la mínima intervención posible del Estado.

9 Frente a esto aparece necesario proponer otros principios orientadores sobre el rol y la acción del Estado que pudieran ser considerados como constitutivos de la base de un nuevo pacto social. Entre estos podríamos destacar el necesario equilibrio entre la propiedad privada y la estatal; el rol orientador del Estado en materias de desarrollo, recuperando la capacidad para intervenir en los procesos de inversión; la participación ciudadana en la gestión pública; la transparencia y el control ciudadano sobre los actores públicos y privados; normas jurídicas que castiguen el abuso y las faltas a la

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competencia en todo tipo de ámbitos; la ética como principio orientador del actuar público; la descentralización como ordenador de la vinculación del Estado con el territorio; la equidad de género y la igualdad de trato; la eficiencia, eficacia, relevancia y economicidad en el uso de recursos públicos; la planificación indicativa como orientador del desarrollo del país; la colaboración público privada en la oferta de bienes públicos y semipúblicos, bajo estrictas regulaciones; la meritocracia en el servicio público (Egaña R., 2018).

10 Estos principios deberían llevarse a la práctica por medio de la confección de una agenda de reforma y modernización del Estado que cubriera diversos ámbitos, entre los cuales se podrían destacar: • A nivel de institucionalidad será necesario completar la separación entre las instancias que definen políticas de las que las implementan. • Instaurar una real y efectiva descentralización del nivel nacional a los niveles subnacionales, más allá de las normas actualmente existentes. • Instalar un servicio civil profesional, inmune a la partidización, lo que obligará a revisar el estatuto administrativo. Junto a ello, avanzar en la plena aplicación de las 11 normas sobre gestión de personas del Servicio Civil. • Alta Dirección Pública: ir a mayor autonomía del gobierno de turno; presidente del Consejo nombrado con acuerdo del Senado y por 6 años; Director Servicio Civil nombrado por el Consejo. Revisar causales de despido de altos directivos, excluyendo la mera desconfianza política del gobierno de turno. • Revisar estructura y niveles de remuneraciones en el sector estatal, buscando alcanzar mayor equidad. • Modernizar procedimientos administrativos, crear Tribunales Contencioso Administrativo; hacer obligatoria aplicación de dicha ley con sanciones graves a infracciones. • Modernizar la Contraloría General de la República, con nueva ley orgánica, repensando su rol en un estado regulador mas que productor directo de bienes y servicios. • Profundizar participación ciudadana, haciendo obligatoria la participación consultiva y definir asuntos en que sea resolutiva. • Aumentar drásticamente sanciones por corrupción y faltas a la probidad. • Crear sistema nacional de planificación indicativa, como orientador del desarrollo nacional. • Revisar normas de ley de concesiones para que se establezca nivel máximo de rentabilidad en provisión de bienes públicos y repensar el sistema de alianzas público – privadas para la provisión de dichos bienes. • Avanzar en el gobierno digital aplicado a todos los ámbitos de la gestión pública, buscando llegar a una gestión ambientalmente sustentable. • Avanzar en el rediseño de políticas públicas basadas en un enfoque de derechos, con especial énfasis en la superación de inequidades y desigualdades, lo que deberá expresarse a niveles de programas y proyectos de interés públicos. Junto a lo anterior, establecer una instancia autónoma en el estado, destinada a realizar la evaluación de las políticas públicas.

A modo de cierre

11 El tema de reforma y modernización del estado ha sido parte de las agendas de todos los gobiernos desde 1990. También el actual gobierno propuso en Julio del 2019 una Agenda de Modernización del Estado (Gobierno de Chile, 2019) y ha creado un Consejo Asesor permanente en la materia. Ciertamente las prioridades fijadas en dicha agenda

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deberían ser drásticamente modificadas en línea con ideas como las propuestas en este artículo, a propósito del nuevo contexto político y social que enfrenta el país. La definición de una nueva agenda debería necesariamente ser una política de Estado, consensuada con actores políticos, académicos, sindicales y sociedad civil, que reflejara las urgencias identificadas y las demandas planteadas.

BIBLIOGRAFÍA

Egaña, Rodrigo, « Reforma del estado 3.0: desafíos para el tiempo presente », Estado, Gobierno y Gestión Pública, n°31, 2018, p.5-41.

Gobierno de Chile, Agenda de Modernización del Estado. Julio 2019, Presidencia, Ministerio de Hacienda y Ministerio Secretaría General de la Presidencia, Santiago, 2019, https://cdn.digital.gob.cl/ filer_public/d3/e3/d3e3bb10-4ad2-4df8-adfa-b4ff69a658b6/agenda-de-modernizacion-del- estado.pdf, consultado el 11/03/2020

Izquierdo, Alejandro, Pessino, Carola, & Vuletin, Guillermo, Mejor gasto para mejores vidas: cómo América Latina y el Caribe puede hacer más con menos (Vol. 10), Washington DC, Inter-American Development Bank, 2018.

Longo Martínez, Francisco, « Diez años de alta dirección pública en Chile », in XVIII Congreso Internacional del CLAD sobre la Reforma del Estado y de la Administración Pública, 2013.

Olavarría Gambi, Mauricio, Navarrete Yáñez, Bernardo, & Figueroa Huencho, Verónica « ¿Cómo se formulan las políticas públicas en Chile?: Evidencia desde un estudio de caso », Política y Gobierno, vol.18, n°1, 2011, p.109-154.

Pliscoff, Cristián, « Alta Dirección Pública: Elementos teóricos y reflexiones a partir del caso chileno », in I. Cienfuegos y F. Penaglia (eds.), Manual de Administración Pública, Santiago, RIL Editores, 2016, p. 383-401.

Pliscoff, Cristián, « Implementando la nueva gestión pública: Problemas y desafíos a la ética pública. El caso chileno », Convergencia, vol.24, n°73, 2017, p.141-164.

PNUD, Desiguales: Orígenes, cambios y desafíos de la brecha social en Chile, Santiago, Programa de las Naciones Unidas para el Desarrollo (PNUD), 2017.

Ramos, Conrado, Scrollini, Fabrizio, « Los nuevos acuerdos entre políticos y servidores públicos en la alta dirección pública en Chile y Uruguay ». Revista Uruguaya de Ciencia Política, vol.22, n°1, 2013, p.11-36.

AUTORES

RODRIGO EGAÑA

Rodrigo Egaña: INAP-Universidad de Chile [email protected]

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CRISTIAN PLISCOFF

Cristian Pliscoff: INAP-Universidad de Chile [email protected]

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L’impact international de la crise chilienne d’octobre 2019

Kevin Parthenay

1 Depuis la transition à la démocratie des années 1990, le Chili a incarné un modèle de réussite en Amérique latine. Une réussite qui s’est doublée d’un succès économique atteignant des niveaux inégalés de développement au sein du continent. Devenant le parangon de la stabilité politique et le bon élève en matière d’économie de marché, le Chili a longtemps joué de sa singularité pour intégrer le club des nations développées et globalisées. Premier État d’Amérique du Sud à devenir membre de l’OCDE, le 10 janvier 2011, il est alors fait mention du « miracle chilien » ou de « méthode chilienne » (OCDE, 2011). L’exemplarité du Chili est alors incontestable. Rétrospectivement, ces invocations pourraient prêter à sourire si la situation n’avait pris une tournure tragique à compter du 18 octobre 2019. Pour autant, il est essentiel de bien replacer la crise chilienne dans cette « trajectoire dorée » pour bien comprendre l’ampleur des échos internationaux qu’elle a pu susciter. C’est parce que le Chili a été érigé (en y ayant largement contribué) en modèle que la crise d’octobre 2019 a provoqué des effets retentissant au-delà de ses frontières. Voilà comment comprendre l’inscription « le Chili sera la tombe du néolibéralisme » sur un kiosque à journaux parisien à l’occasion de manifestations contre les retraites de décembre 2019. A l’international, le Chili avait fini par incarner un modèle dont il était progressivement devenu le meilleur élève.

2 Le soulèvement du peuple chilien a subitement fait changer le pays de statut international au grand dam de ses dirigeants. De modèle, le Chili rejoignait aussitôt les rangs des nations latino-américaines en proie à la multiplication de crises multidimensionnelles. Ce changement brusque en matière de reconnaissance internationale a pour le moins eu des implications au-delà des frontières chiliennes qu’il s’agit d’observer dans cette conjoncture incertaine.

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« 18/O » : l’onde de choc internationale de la crise chilienne

3 L’ampleur de l’onde de choc qu’a générée la crise chilienne s’explique par l’existence d’une audience élargie et du contrecoup de son exemplarité continentale.

Le Chili dans une contestation globalisée

4 La crise chilienne s’inscrit dans un double faisceau de crises : international et continental latino-américain. International, car de Santiago à Alger, en passant par Hong Kong et Paris, des mouvements de contestation sont apparus à l’échelle globale pour dénoncer les effets du néolibéralisme. Répondant chacune à des réalités spécifiques, ces crises marquent le souhait convergent d’une transformation profonde des sociétés face à l’épuisement d’un modèle économique et politique qui a généré inégalités sociales, corruption et dégradation démocratique. S’inscrivant dans cette vague globale de contestations, le Chili devient aussitôt l’incarnation paradoxale de la remise en question d’un modèle qui a forgé la réussite du pays.

5 Sur le plan continental, l’automne 2019 restera celui des soulèvements populaires. Entre octobre et novembre 2019, des crises surviennent en Équateur (contre l’élévation des prix de l’essence), en Colombie (contre les réformes du gouvernement d’Ivan Duque) et en Bolivie (en écho à la dénonciation d’irrégularités électorales), en complément de crises politico-institutionnelles survenues plus tôt au Honduras (2017), au Pérou (2018), au Guatemala (2015) ou au Brésil (2016). Ce très rapide panorama souligne en revanche que la crise chilienne se déploie dans une conjoncture fluide à l’échelle régionale qui contribue à braquer l’attention internationale, notamment médiatique, sur l’instabilité continentale.

6 Dans ce contexte, l’État chilien a joué d’une conjoncture diplomatique défavorable au moment où éclatent les manifestations. En effet, le Chili se trouve alors engagé dans des activités multilatérales de haut niveau qui eurent un effet démultiplicateur. Deux évènements sont à mentionner : la tenue du Sommet des dirigeants de l’APEC – le forum de Coopération économique Asie-Pacifique – et la tenue de la COP 25 (Conférence des parties de la Convention des Nations unies pour le changement climatique). Si pendant un temps les autorités du pays ont cherché à maintenir les deux sommets, devant l’intensité de la contestation sociale et l’écho des violences policières, le président Piñera décida finalement le 30 octobre 2019 d’annuler la tenue de ces deux événements multilatéraux. En prenant cette décision, le Chili essuie un important camouflet diplomatique et doit faire face à une situation internationale inédite car, sans en être hôte, le pays continue d’assurer la présidence des deux évènements. Si la COP 25 fut rapatriée d’urgence à Madrid, le Chili dut cependant assumer la responsabilité d’avoir privé l’APEC de son Sommet annuel pour 2019, laissant la Malaisie face à une situation complexe pour 2020.

La malédiction de l’exemplarité chilienne

7 Étant érigé en modèle, le Chili a été victime de son exemplarité affichée sur le plan international. Alors que le président Piñera vantait l’oasis chilienne face aux turbulences continentales, deux titres de Bloomberg News symbolisent la rupture :

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« How Chile Went From an Economic Star to an Angry Mess » (Boyd S., 2019), « Chile’s Violence Has a Worrisome Message for the World » (Authers J., 2019). Lorsque la crise éclate et, avec elle, l’expression d’un mécontentement social grandissant, les observateurs sont perplexes car le pays possède les meilleurs indicateurs économiques de la région. Le Chili apparaît ainsi parmi les États les plus stables du continent ce qui est reconnu et confirmé par les agences de notation (S&P « AA- », Moody’s « Aa3 », Fitch « A »). Cependant, avec la crise, cette image du « miracle chilien » s’effondre d’autant plus vite. Ces mêmes agences de notations sont aujourd’hui dans l’attente des résultats de référendum constitutionnel pour mesurer la capacité du gouvernement à faire face aux revendications et garantir la stabilité du pays. L’impact international est d’autant plus fort que les racines du modèle qui a forgé la réussite du pays sont remises en question. Le modèle néolibéral hérité de la dictature de Pinochet et des Chicago Boys, qui a essaimé dans la région, vacille là même où il a rencontré le plus grand succès.

8 Cette contestation est d’autant plus lourde de sens qu’elle s’inscrit dans un cycle politique qui faisait du retour conservateur une option à nouveau crédible après un cycle progressiste. Dans ce contexte, le Chili entendait affirmer son leadership en réactivant la coopération régionale à travers la création d’un Forum pour le progrès de l’Amérique du Sud (PROSUR)1. Lancé en grande pompe au siège de la Mission du Chili aux Nations Unies, et largement soutenu par la Banque interaméricaine de développement (BID), le Chili ambitionnait alors se positionner en promoteur régional d’un nouveau cycle politico-économique conservateur et libéral.

9 Enfin, l’exemplarité chilienne a été durablement affectée par les violences policières (voir l’article d’Aguilera dans ce dossier). Les épisodes du « 18/O » ont fait l’objet de quatre rapports internationaux qui convergent pour souligner l’existence de graves violations des droits de l’Homme commises par les forces de sécurité chiliennes (Arrellano F., et al., 2019). Ces violations ont rappelé l’appartenance du Chili à un continent en proie à la multiplication des violences politiques comme en témoignent les cas vénézuélien, nicaraguayen et bolivien, entre autres. S’il ne s’agit bien entendu pas d’essentialiser la violence, on remarquera que ce pays qui a longtemps voulu se démarquer des autres Etats de la région, par sa stabilité, par son développement, et par l’image d’une société pacifiée, se trouve dès lors brutalement associé aux enjeux communs de la région.

Tableau 1 : Les rapports internationaux sur les violations des droits de l’Homme au Chili.

Violation Date Morts Blessés Arrestations DH

Amnesty International 21/11/2019 5 2300 nd. 23

Human Rights Watch 26/11/2019 26 110 15 000

Commission Interaméricaine des 06/12/2019 26 2808 20 645 2670 Droits de l’Homme (CIDH)

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Haut-Commissariat des Nations Unies 13/12/2019 26 4903 28 210 2141 pour les Droits de l’Homme (HCNUDH)

Source : Amnistia Internacional (2019), HRW (2019), CIDH (2019), HCNUDH (2019)

Diplomatie latino-américaine et politique étrangère chilienne : conséquences et défis de la crise d’octobre.

10 Comme l’a souligné l’ex-ministre des Relations extérieures chilien, Heraldo Muñoz, la crise chilienne a constitué « un coup dur à l’image et à la politique extérieure du Chili » (Barría C., 2019). Quels sont les effets de ce changement ? Alors que le Chili cherchait sous l’administration Piñera à endosser un leadership régional sur divers tableaux, autant sur le plan économique que politique (APEC, PROSUR) ou environnemental (COP25, gouvernance globale des océans), l’une des conséquences immédiates de la crise est d’avoir mis un frein à cet activisme diplomatique. La priorisation du rétablissement de l’ordre public national a relégué au second plan l’investissement multilatéral chilien, ouvrant ainsi la voie à l’affirmation d’autre(s) leader(s) potentiel(s) et à une reconfiguration du scénario géopolitique latino-américain. En ce début d’année 2020, le Mexique a affiché explicitement son intention d’endosser ce rôle et statut de leader régional (réactivation de la Communauté des États Latino-Américains et de la Caraïbe, exil offert à Evo Morales, « Plan Intégral de développement » pour l’Amérique centrale).

11 Par ailleurs, dans un contexte de consolidation des forces conservatrices, le cas chilien est une piqûre de rappel et une source d’inquiétude pour les États qui se sont engagés dans la voie des réformes néolibérales. Le Brésil de Jair Bolsonaro en constitue l’exemple le plus emblématique. En réaction à la crise chilienne, le président brésilien a décidé de freiner l’application de ses réformes économiques, notamment l’introduction au Parlement de propositions de réformes fiscales et de la fonction publique (Gallaraga Cortazar N., 2019). Le ministre Paulo Guedes a en effet déclaré au journal Estadaõ que face aux vagues de protestations en cours, les réformes ont été freinées pour ne pas donner un prétexte supplémentaire à l’essor de la contestation. Au Brésil, l’inquiétude est d’autant plus présente que les réformes libérales de Guedes sont très largement inspirées du modèle chilien. Le ministre de l’Économie de Bolsonaro a d’ailleurs été lui- même formé à l’École de Chicago et a toujours affirmé vouloir en appliquer les principes.

12 Depuis la crise d’octobre, le Chili a entrepris un travail de reconquête diplomatique. Le ministre Teodoro Ribera a multiplié les rencontres et déplacements internationaux. Les prises de paroles dans les sommets multilatéraux, la convocation de rencontres parallèles (voir tableau 2), et l’extension des déplacements à l’étranger pour rencontrer les principaux partenaires (notamment la Chine lors du sommet du G20 au Japon) ont été les principaux outils de cette reconquête. Par ailleurs, chaque activité diplomatique a fait l’objet d’une communication systématique à l’attention des médias internationaux pour témoigner de l’engagement gouvernemental face à la crise. Enfin, le ministre Ribera donna instruction aux ambassadeurs chiliens de s’adresser régulièrement aux médias et d’endosser une attitude proactive pour contrebalancer les rapports internationaux qui sont publiés sur les violations des droits de l’homme ayant

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cours au Chili (Artaza F., 2019). Cette stratégie passe enfin par la normalisation de la crise chilienne, car comme l’a rappelé le ministre Ribera lors du Sommet des ministres du G20, ce qu’a vécu le Chili n’est pas « un phénomène qui affecte uniquement notre pays » (MRE).

Tableau 2 : Rencontres diplomatiques du ministre Teodoro Ribera post-18/10/2019

XVI Réunion du Groupe de Lima Rencontre avec les ministres des Relations 8/11/2019 (Brasilia, Brésil) - Ambassade du extérieures du Groupe de Lima Chili à Brasilia.

Rencontre avec les ministres du G20 (+ rencontres Sommet des ministres du G20 23/11/2019 bilatérales : Allemagne, Inde, Indonésie, France, (Nagoya, Japon) Australie, Royaume-Uni, Turquie et Japon)

Session extraordinaire du Conseil Rencontre avec les représentants des États 26/11/2019 Permanent de l’OEA (Washington membres de l’OEA DC, États Unis).

Session extraordinaire du Conseil Réunion avec les ministres des Relations 05/12/2019 Permanent de l’OEA (Washington extérieures du MERCOSUR DC, États Unis).

Source : élaboration propre.

BIBLIOGRAPHIE

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Artaza, Francisco, « Canciller refuerza agenda para explicar crisis », La Tercera, 11 novembre 2019, https://urlz.fr/bBqx, page consultée le 10/03/2020

Authers, John, « Chile's Violence Has a Worrisome Message for the World », Bloomberg Opinion, 22 octobre 2019, https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2019-10-22/chile-s-violent- protests-have-a-worrisome-message-for-the-world, page consultée le 10/03/2020

Barría, Cecilia, « Protestas en Chile: las consecuencias económicas y de imagen de la cancelación de 2 grandes cumbres internacionales por el estallido social », BBC News Mundo, 31 octobre 2019, https://urlz.fr/bBqq, page consultée le 10/03/2020

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Boyd, Sebastian, « How Chile Went From an Economic Star to an Angry Mess », Bloomberg, 23 novembre 2019, https://urlz.fr/bBqn, page consultée le 10/03/2020

CIDH (OEA), « CIDH condena el uso excesivo de la fuerza en el contexto de las protestas sociales en Chile, expresa su grave preocupación por el elevado número de denuncias y rechaza toda forma de violencia », 6 décembre 2019, https://urlz.fr/bBql, page consultée le 10/03/2020

Gallaraga Cortazar, Naiara, « Bolsonaro frena sus reformas económicas por miedo al contagio de las protestas », El País, 26 novembre 2019, https://urlz.fr/bBfg, page consultée le 10/03/2020

HCNUDH, « Informe ONU sobre la crisis en Chile describe múltiples violaciones de derechos humanos y hace un llamado a reformas », 13 décembre 2019, https://urlz.fr/bBq7, page consultée le 10/03/2020

Human Rights Watch (HRW), « Chile: Llamado urgente a una reforma policial tras las protestas », 26 novembre 2019, https://urlz.fr/bBq6, page consultée le 10/03/2020

Ministerio de Relaciones Exteriores (MRE), « Canciller Ribera aborda situación de Chile en su intervención en G20 », 23 novembre 2019b, https://urlz.fr/bBpX, page consultée le 10/03/2020

OCDE, « Le Chili devient le premier membre de l’OCDE en Amérique du Sud », 11 janvier 2011, https://urlz.fr/bBpN, page consultée le 10/03/2020

NOTES

1. Dont les États membres sont l’Argentine, le Brésil, la Colombie, le Paraguay, le Pérou, l’Équateur et le Guyana.

AUTEUR

KEVIN PARTHENAY

Kevin Parthenay est affilié à l'Université de Tours – OPALC/Sciences Po [email protected]

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Comptes rendus

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Charlotte de Castelnau-L’Estoile. Páscoa et ses deux maris : une esclave entre Angola, Brésil et Portugal au XVIIe siècle Paris, Presses Universitaires de France, 2019, 303 pages

Silvia Capanema

RÉFÉRENCE

Charlotte de Castelnau-L’Estoile. Páscoa et ses deux maris : une esclave entre Angola, Brésil et Portugal au XVIIe siècle, Paris, PUF, 303 pages, 2019

1 Faire émerger une vie et la parole d’une femme esclave entre l’Afrique, le Brésil et le Portugal au XVIIe siècle, telle est la précieuse contribution de Charlotte de Castelnau- L’Estoile. Il s’agit de l’histoire exceptionnelle de Páscoa Vieira, jeune femme née esclave en Angola en 1659 et embarquée pour Salvador de Bahia en 1686 sur un bateau négrier. Entre 1693 et 1703, accusée de bigamie, elle est l’objet d’une enquête de l’Inquisition. Selon l’historienne, c’est aussi un récit de vie exemplaire de la condition des femmes esclaves et de la société esclavagiste dans l’espace atlantique du XVIIe siècle. En effet, au moins 300 000 âmes arrivent d’Afrique au Brésil entre 1676 et 1700 et pas moins de 175 000 entre 1701 et 1725, selon les données du Transatlantic Slave Trade database1. Ainsi, entre 1550 et 1856, environ 4,8 millions d’esclaves arrivent au Brésil, ils viennent principalement de deux grandes régions : de la baie du Bénin ou du golfe de Biafra (environ 999 600 personnes), et du centre-ouest africain, surtout d'Angola (3,6 millions). Ils arrivent par les ports de Pernambuco, Salvador et Rio de Janeiro, et représentent 45% du total des Africains déportés vers les Amériques2.

2 Comme c’est le cas de Páscoa, qui avait 27 ans lors de son arrivée au Brésil, nombre de ces Africains deviennent esclaves dans les champs de canne à sucre. À la même époque,

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l’Angleterre importe un nombre équivalent de personnes pour la production du sucre dans ses îles. La particularité de Páscoa est que son histoire est documentée dans les archives de l’Inquisition portugaise, puisque cette femme esclave a été poursuivie pour bigamie, accusée d’avoir épousé Pedro, un esclave au Brésil, alors qu’elle était toujours mariée selon les rites de l’Église catholique en Angola à Aleixo, lui-aussi esclave. Ce procès est exceptionnel par sa durée (10 ans) et sa longueur (114 folios). Un procès long signifie une enquête difficile, des allers-retours et de multiples témoignages et interrogatoires, donc de « la matière » à étudier pour l’historien.

3 Comment Páscoa s’est-elle retrouvée accusée ? Quelle fut sa défense et quelles ont été ses stratégies ? Quels ont été le verdict prononcé et sa destinée ? Le lecteur se pose ces questions dès les premières pages, poussé par la curiosité que suscite la vie de cette jeune femme et donc la vie privée des esclaves, leurs mariages, leurs luttes, leurs histoires et les marges de liberté dans les sociétés où ils vivaient. L’ouvrage se place aussi dans la suite de la perspective de l’agency (l’agencement) qui a orienté les approches historiographiques sur l’esclavage dans les dernières décennies, d’autant plus qu’il s’agit de la parole et de l’action d’une femme.

4 L’histoire de la vie de Páscoa est un récit qui peut intéresser les historiens, mais aussi un large public. Il s'agit d'un panorama de la société du XVIIe, de l’Empire portugais notamment, de Massangano, en Angola, à Salvador de Bahia, au Brésil, en passant par Lisbonne et Castro Marim. C’est l’histoire de l’esclavage et de la traite négrière, mais aussi celle de la circulation de personnes et d’informations dans cet espace Atlantique, celle de la force et de la puissance d’un monde catholique dans lequel l’Inquisition et le mariage représentent deux institutions majeures.

5 Fait exceptionnel, c’est le maître brésilien de Páscoa, le notaire Francisco Álvares Távora né au Portugal, qui la dénonce à l’Inquisition. La seule raison donnée par celui- ci était sa « crainte de l’Inquisition », ce qui est révélateur du pouvoir de cette institution Outre-Mer, et de celui de l’Église dans la culture et les relations entre maîtres et esclaves. L’élément déclencheur de cette dénonciation était la crainte de l’arrivée à Salvador d’un commissaire de l’Inquisition, venu du Portugal pour recevoir les dénonciations. L’auteure suggère d’autres hypothèses : le maître Francisco Álvares Távora venait d’entreprendre des démarches pour prolonger son droit à conserver son office notarial et il ne voulait pas avoir de problèmes avec l’Inquisition. Peut-être appartenait-il à une famille de nouveaux chrétiens et voulait éviter toute suspicion possible de la part des inquisiteurs ? Malgré l’augmentation des prix des esclaves pendant cette période, il préférait « sacrifier » une esclave plutôt que d’avoir des problèmes avec l’Inquisition. Quand son cousin venu d’Afrique lui rapporte que le premier mari de Páscoa était encore vivant et qu’elle serait donc bigame, il décide de la dénoncer et de vendre le mari, Pedro, à un autre propriétaire pour séparer le couple.

6 Páscoa et ses deux maris révèlent les logiques de l’Inquisition. La bigamie était la deuxième cause des procès inquisitoriaux, après le judaïsme (sept cents procès, la grande majorité – 81% – concernant des hommes).

7 Si les relations commerciales atlantiques sont, comme l’historiographie l’a démontré, directes entre le Brésil et l’Afrique et pas toujours triangulaires pour ce qui est de l’Atlantique sud, une autre forme de triangulation existe concernant le flux d’informations. Le procès de Páscoa révèle en effet que l’enquête était menée aussi bien au Brésil qu’en Angola, en passant par les décisions du Tribunal de l’Inquisition de Lisbonne.

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8 Le récit de la vie de Páscoa, à partir de son procès, suit une perspective chronologique, tout en l’inscrivant dans une problématique plus large en rapport avec le contexte et les dynamiques sociales. En Angola, des relations directes entre le Brésil et l’Afrique étaient mises en place autour du grand marché que représentait la traite d’esclaves, au point que nous pouvons parler d’une « Angola Brasilique » ou d’une Angola qui « se brésilianise » en termes de pratiques culturelles et d’institutions (la production du manioc, base de l’alimentation des esclaves, par exemple). L’esclavage commençait sur le sol africain. Ainsi, Páscoa appartenait à un maître possédant de nombreux esclaves dans une société complexe, où les statuts des captifs allait des domestiques (mukamas) à des esclaves destinés à la vente (peças), en passant par des travailleurs plus ou moins « libres » (qui ne pouvaient pas être vendus). Páscoa était née esclave et mariée une première fois à Aleixo, lui-même esclave. Toutefois, comme les documents le montrent, Páscoa est vendue et obligée de vivre loin de Massangano parce qu’elle « vivait mal avec son mari » (p.60), le « Nègre Aleixo », selon le témoignage de Miguel da Costa Coito, prêtre à Massangano.

9 Tout permet de penser qu’une fois arrivée au Brésil, Páscoa essaye de créer des liens et ne pas rester isolée, malgré les conditions et le peu de moyens dont elle dispose. Elle se marie avec Pedro, un noir originaire de la côte de Mina, actuel Benin, une année après son arrivée. Plusieurs témoins, des esclaves d’autres propriétaires étaient présents à leur mariage, ce qui permet de croire que le couple possédait des relations et des connaissances. Les esclaves pouvaient se marier sans l’autorisation des maîtres, même si, dans la pratique, ce consentement était important. Dans le cas de Pedro et Páscoa, tous deux acquirent les noms de leur maître ou maîtresse – Álvares pour Pedro et Vieira pour Páscoa. Loin de représenter la liberté, le mariage était toutefois un temps de changement du statut civil des esclaves.

10 Suite à la contre-enquête organisée par Pedro et Páscoa, ils essayent de réagir à leur séparation : face à sa vente, Pedro supplie l’archevêque de Bahia d’intervenir pour que le propriétaire de Páscoa l’autorise à maintenir une vie maritale avec son épouse. Le couple produit des lettres de témoins d’Angola attestant que Páscoa n’est pas mariée en Afrique. Cette correspondance montre que des échanges entre les familles restées en Afrique et les esclaves vendus au Brésil pouvaient exister, ainsi que des actions des esclaves pour changer leur destin et pouvoir vivre en famille. D’autres témoins sont entendus à Salvador et la contre-enquête de Páscoa et son mari produit les effets désirés : le maître admet le retour de Pedro et la reprise de la vie maritale du couple.

11 Toutefois, l’Inquisition n’a pas dit son dernier mot. L’enquête se poursuit, dans le plus grand secret et, à la différence du tribunal ecclésiastique de Bahia, l’Inquisition de Lisbonne est convaincue de la bigamie de Páscoa. Le 12 février 1700, le Tribunal de l’Inquisition ordonne l’arrestation de Páscoa. Le voyage à Lisbonne devait se faire à ses frais, mais comme elle était « pauvre et sans biens », il est couvert par le capitaine du navire qui espère être remboursé au Portugal. À Lisbonne, dans le cadre de sa défense, elle raconte qu’elle « fut mariée » en Angola avec Aleixo dans un rituel de passage d’anneaux, sans échange de parole et donc, même si elle avait eu une vie maritale avec cet homme et deux enfants, elle n’était pas mariée selon la Sainte Église. Nous apprenons aussi qu’au Brésil elle a eu encore trois enfants avec Pedro dont un avant le mariage, et qu’une fois devenue esclave de Francisco Álvares Távora, elle a eu une relation illicite avec le fils de son maître, Luiz Álvares Távora. Páscoa demande de la miséricorde puisqu’elle « ne savait pas prier le Notre Père ni l’Ave Maria quand elle est

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venue à Bahia » (p. 176). Cette dernière phrase résume l’essence des arguments de défense de Páscoa : elle n’était pas chrétienne avant, et son mariage en Afrique ne fut pas valide pour l'Église. Elle n’est devenue réellement chrétienne que plus tard, et son deuxième mariage fut un vrai mariage. Les juges l’estiment cependant coupable de bigamie, mais sa sentence est atténuée car elle était nouvellement convertie. Elle est condamnée à trois années d’exil dans la forteresse de Castro Martins alors qu’elle a 40 ans.

12 Après deux ans d’exil, Páscoa tente de réduire sa peine en entreprenant des démarches auprès des inquisiteurs. Dans une lettre du 13 mars 1703, elle atteste de sa souffrance dans une terre étrangère, de sa santé faible, et qu’elle souhaite revenir à Bahia pour retrouver la protection et les soins de son maître. Quelques jours plus tard, les inquisiteurs lui accordent la liberté mettant fin à son exil. Après cette dernière pièce du procès, nous perdons la trace de Páscoa. Est-elle retournée au Brésil ? Connaissant la persévérance et la résilience de Páscoa, sa capacité à agir, sa connaissance des procédures et des bons arguments (se montrer une bonne chrétienne et parler de son maître dans sa lettre de demande de remise de peine au lieu de parler de son mari), cela reste de l’ordre du possible.

13 La belle recherche de Castelnau-L’Estoile permet de comprendre la complexité des relations entre les acteurs historiques, l’action des esclaves dans les marges de leur condition, tout comme le pouvoir de l’Inquisition portugaise qui était un tribunal très bien structuré, mais qui permettait des nuances. Une fois de plus, on comprend la constante mise à jour des formes de domination des maîtres d’esclaves et de leurs réseaux à travers les trois rives de l’Atlantique.

NOTES

1. https://www.slavevoyages.org/voyage/database 2. ALENCASTRO, Luiz Felipe de, « África, números do tráfico atlântico », In : GOMES, F. ; SCHWARCZ, L. M., Dicionário da escravidão e liberdade, São Paulo : Cia das Letras, 2018.

AUTEURS

SILVIA CAPANEMA

Silvia Capanema, Docteure en Histoire par l’EHESS, Paris. Maîtresse de Conférences à l’Université Paris 13- Sorbonne Paris Nord, chercheuse à Pléiade, Campus Condorcet.

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José Del Pozo Artigas. Diccionario histórico de la dictadura cívico-militar en Chile. Período 1973-1990 y sus prolongaciones hasta hoy Santiago de Chile, LOM ed., 2018, 508 pages

Alvar De La Llosa

RÉFÉRENCE

José Del Pozo Artigas, Diccionario histórico de la dictadura cívico-militar en Chile. Período 1973-1990 y sus prolongaciones hasta hoy, Santiago de Chile, LOM ed., 2018

1 Professeur associé au département d'histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), où il réside depuis son exil en mars 1974, del Pozo a lu beaucoup de dictionnaires avant de construire le sien, avec l’aide efficace de seize collaborateurs occasionnels, bien que la majorité des entrées ont été rédigées par l’auteur. Si, de nos jours, il existe au Chili une centaine de lieux de mémoire, il manquait un ouvrage qui, au-delà des travaux historiographiques, tentât de réunir les personnages et les lieux qui ont participé à la construction de l’histoire du Chili de 1973 à nos jours. L’ouvrage est d’autant plus novateur qu’il rompt avec une historiographie antérieure, et dévoile les mécanismes de la dictature au travers de personnalités, de lieux, de dates, de partis et d’institutions.

2 Le livre se distingue donc, puisqu’il se centre sur ce que fut le régime de répression qui domina le pays et les prolongements qui en découlent ; les protestations qui ont éclaté depuis le 18 octobre 2019 en sont la conséquence. En caractérisant la dictature de « civico-militaire », l’auteur s’attache à dévoiler sa nature réelle et explique sa prolongation renouvelée.

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3 L’organisation du dictionnaire mérite d’être expliquée car, au premier abord, elle peut déconcerter. En effet, les 662 entrées sont réparties en neuf sections qui sont autant d’axes thématiques (le pouvoir, les transformations de l’économie, le contrôle de la société et de la culture, les lieux et les mécanismes de la répression, l’appareil répressif, opposants 1 (ceux qui sont morts sous la dictature) et opposants 2 (ceux qui ont réussi à survivre), la dictature et les relations internationales, l’après-dictature). Si, au premier abord, cette présentation peut paraître déroutante, il faut reconnaître qu’elle permet aussi de concentrer l’information dans des cadres thématiques, de la mettre en relation ; autrement dit, d’établir des connexions entre les faits, les lieux, les personnages et les institutions.

4 Sans doute cette compartimentation répond-elle au désir de construire un dictionnaire qui réunit dans un tout, tortionnaires, agents de la dictature, partisans et artisans de celle-ci, opposants ou militants assassinés, mais sans les confondre, ni les placer sur le même plan. On ne peut qu’apprécier cette sage démarche.

5 Chaque partie, qui comporte une courte introduction rédigée par l’auteur, est divisée en sous-parties. L’ensemble bénéficie d’une excellente introduction de vingt-sept pages de Luis Corvalán Márquez qui, en se basant sur les dernières avancées de la recherche, offre un essai innovant d’interprétation de la dictature dans divers aspects, qui font ensuite l’objet des chapitres.

6 Que le lecteur se rassure, face à cette présentation particulière, l’ouvrage possède un index par chapitres qui permet de retrouver aisément individus, institutions, lieux ou moments historiques. Il comporte aussi une importante bibliographie de plus de vingt pages.

7 On est en présence d’un dictionnaire méticuleux, puisqu’il renseigne chaque personnage sur son niveau d’appartenance politique et d’engagement social, et sur les « réseaux » qu’a pu constituer (et donc, dont a pu disposer) le protagoniste. L’auteur prend soin d’indiquer les lieux où chaque individu a réalisé ses études. En Amérique latine, mais tout particulièrement au Chili, l’institution éducative dont on peut se prévaloir constitue un marqueur social de la plus haute importance et dévoile des réseaux d’appartenance. On apprécie aussi que l’ouvrage indique la situation juridique, l’état des condamnations (ou leur absence) des personnes déclarées coupables de tortures, d’exécutions ou de disparition.

8 Outre les entrées attendues sur certaines personnes ou certains lieux (Villa Grimaldi, Londres 38, la Vendasexy, Pisagua, Mulchén, la caravane de la mort, le plan Cóndor et autres lieux et institutions de la répression), le dictionnaire aborde (sauve de l’oubli, faudrait-il peut-être dire) des personnes secondaires, victimes innocentes de la dictature, dans le sens où, même sans rejoindre le groupe des opposants, elles n’en furent pas moins victimes de la répression. Mais aussi, fait plus inattendu, il évoque des groupes sociaux (tels que des israélites, pinochétistes d’affaires ou opposants, qui payèrent de leur vie leur engagement, comme une prolongation du combat de leurs ancêtres en Europe) ou des médecins qui se déshonorèrent en mettant leur science au service de la répression et de la mort. Le dictionnaire fait aussi la part belle à toutes celles et ceux qui contredirent de façon plus ou moins collective la dictature, en relevant la tête et en organisant les premiers actes de résistance (grèves, grèves de la faim, organisations collectives, etc.). L’ouvrage évoque également des réalités aussi diverses que l’enrichissement illégal de Pinochet et de sa famille, la résistance

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culturelle, les organisations de l’exil, l’accès très difficile aux archives des corps répressifs de l’État, etc.

9 Le dictionnaire, qui cite ses sources pour chaque entrée, pose aussi le problème de l’emploi de certains mots. Victime peut-il être employé pour celles et ceux qui tombent dans le cadre de leur engagement, ou seulement pour celles et ceux qui sont les victimes collatérales d’une dictature qui, dans son processus répressif, n’a de respect pour personne, ou a recours à l’élimination de tierces personnes pour en terroriser d’autres.

10 Le premier tirage de l’ouvrage à mille exemplaires a été présenté à la Foire du Livre de la vieille gare ferroviaire Mapocho. On est en droit d’espérer que le second tirage bénéficiera d’un index général.

11 Unique en son genre, l’ouvrage, qui se veut le plus exhaustif possible, fera date puisqu’il complète un créneau vacant. Somme désormais incontournable contre l’oubli, il s’adresse à un public de spécialistes, universitaires exigeants, chercheurs et étudiants, ainsi qu’à un public plus général, à la recherche d’une information sérieuse, nuancée et complète.

AUTEURS

ALVAR DE LA LLOSA

Université Lyon 2, LCE, EA 1853

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Mark Rice. Making Machu Picchu. The politics of tourism in Twentieth-century Peru Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2018, 233 pages

Irène Favier

RÉFÉRENCE

Mark Rice, Making Machu Picchu. The politics of tourism in Twentieth-century Peru, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2018

1 Comment se fabriquent les totems touristiques tels que Taj Mahal, Pain de Sucre et Colisée ? Quelle fabrication, entendue au sens de processus historique, sous-tend la qualification de ces sites comme « incontournables » ? Telles sont quelques-unes des interrogations qui guident l’ouvrage de Mark Rice, qui porte sur le Pérou et une de ses évidences touristiques : le Machu Picchu. Celui-ci constitue toutefois un cas à part tant il en est venu à résumer à lui seul le pays – un peu comme si, suggère l’auteur, l’offre de voyage en Angleterre se limitait à la visite de Stonehenge…

2 Le livre propose de lire, à rebours des discours promotionnels, la fabrication de cette citadelle inca en lieu commun d’itinéraires vacanciers mondialisés comme un processus de nature politique. Il invite également à appréhender les phénomènes touristiques comme des clés de compréhension de la construction des nationalismes qui, loin de se cantonner à la sphère nationale, convoque des acteurs à de plus diverses échelles. Il suggère enfin d’historiciser ce processus et montre que la marchandisation de ce site archéologique ne date pas du tournant néolibéral inauguré, dans les politiques publiques, par la « décennie perdue » des années 1980. Elle a bien plutôt eu lieu au fil d’un siècle de mise en tourisme, débuté avec la « découverte » en 1911 de ce lieu supposément « oublié » de la civilisation inca par l’étatsunien Hiram Bingham, auquel Mark Rice évite habilement de conférer une trop grande centralité.

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3 L’ouvrage débute dans les années 1900, lorsqu'une élite régionale s’emploie à conjurer la mauvaise réputation qui accompagne Cuzco, présentée depuis Lima comme inapte à la modernité – un des leitmotive guidant, malgré son caractère flou, le personnel politique depuis les débuts de l’ère républicaine. L’élite cuzqueña rend possible un premier tourisme en entamant la construction d’infrastructures. L’enjeu est alors moins de gagner de l’argent que de redorer un blason régional culturel communément disqualifié, au nom d’un indigénisme élitaire et régional – une déclinaison de ce phénomène pluriel.

4 À partir des années 1930, un autre élément joue un rôle clé dans la mise en tourisme du site : la diplomatie culturelle portée par les États-Unis dans le cadre de leur « politique de bon voisinage », destinée à renforcer les solidarités internationales à une échelle hémisphérique. À la faveur de cette parenthèse géopolitique, la figure de Bingham bénéficie d’un mouvement de réconciliation, qui tranche avec l’opprobre que lui avaient conféré des accusations de vol et de malversations. Des institutions agissant à différentes échelles s’emploient à favoriser ce rapprochement, rendu urgent par la conjoncture internationale ; en retour, l’État péruvien est poussé à développer le transport aérien et à prendre le tournant de l’industrie touristique.

5 La parenthèse diplomatique se révèle brève : les États-Unis passant à une philosophie de guerre froide, ils soutiennent le régime dictatorial du général Odría, peu enclin à l’intervention étatique. Le tourisme à Cuzco survit cependant à cette séquence de crise (au coup d’État s’ajoute un tremblement de terre en 1950), en forgeant de nouvelles alliances transnationales, en mobilisant les ressources dégagées pour pallier les séquelles du séisme, et en tirant parti d’un nouveau récit alarmiste autour de la préservation du site – autrement dit, en élaborant une stratégie relevant d’une « économie du désastre » (Mark Carey).

6 Le tourisme étant incapable d’offrir à lui seul une solution aux problèmes économiques et sociaux de la région, la région est confrontée dans les années 1960 aux soulèvements agraires, qui inaugurent une séquence sociopolitique centrée sur l’horizon d’une réforme agraire et marquée, en 1968 par le régime militaire atypique du général Velasco. En dépit de la rhétorique nationaliste de ce dernier, son action en matière de tourisme l’amène à nouer des relations transnationales. Autre paradoxe mis en lumière par Mark Rice : cette junte militaire, dont la phraséologie ambivalente emprunte à la grammaire marxiste, conçoit pour Cuzco un projet de tourisme à destination d’une « jet set » mondialisée et cultivée. Nouveau paradoxe : les conditions sociales précaires de la région dans les années 1960 échaudant l’élite nord-américaine, le Machu Picchu doit le maintien de son activité touristique aux hippies occidentaux dont le « backpacking » constitue une déclinaison des pratiques contre culturelles. Mal perçus par certains cuzqueños, qui les présentent comme des introducteurs de vices, ils sont mieux accueillis par les plus jeunes, comme le montre Rice à travers un extrait d’entretien si intéressant qu’on l’aurait souhaité plus long.

7 Ces mêmes hippies permettent la survie puis l’expansion de l’activité économique durant le conflit interne des années 1980 et 1990, coûteuses en vies humaines et peu propices aux excursions touristiques. La signification conférée au Machu Picchu s’en trouve transformée : autrefois promu au nom de la modernité, le site est désormais mis en avant pour l’aura mystique censée l’entourer intrinsèquement. Il suscite également des entrées de devises de plus en plus importantes, que n’explique pas seulement l’adaptation à la crise via des mécanismes de libre concurrence mais également l’action

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de l’État en faveur de ce même marché libre de régulation. L’histoire du Machu Picchu contribue ainsi à éclairer celle du néolibéralisme, comme un régime économique rendu possible par l’intervention de ce même État dont il prétend restreindre le champ d’action. Le boom touristique qui s’ensuit s’avère plus profitable à des intérêts étrangers à la région cuzqueña, ce qui met en lumière un des fils conducteurs de l’ouvrage : les mutations du rôle de l’État dans l’économie péruvienne.

8 Ce livre constitue un contrepoint majeur aux guides touristiques (dont Mark Rice rappelle avec humour dans une interview l’autorité maintenue dont ils jouissent auprès des touristes : lors d’une virée en famille dans la Vallée sacrée, son propre entourage leur accordait plus de crédit qu’à ses commentaires historiens...). Il est également une contribution à l’analyse de la construction nationale au Pérou, dans ses diverses échelles. Enfin, il offre une perspective subtile sur l’évolution des significations attachées à un lieu, dont il ne perd jamais de vue le caractère non consensuel : de Pablo Neruda au Che Guevara, le Machu Picchu constitue une référence non univoque de l’imaginaire péruvien et, au-delà, latino-américain.

AUTEURS

IRÈNE FAVIER

Université de Grenoble / LARHRA

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Susana Draper. Mexico 1968. Constellations of Freedom and Democracy Durham and London, Duke University Press, XVI, 251 pages

Camille Gapenne

RÉFÉRENCE

Susana Draper, Mexico 1968. Constellations of Freedom and Democracy, Durham and London, Duke University Press, XVI, 251 pages, 2018

Prenant comme point de départ des mouvements sociaux récents — tels que 15-M ou Occupy Wall Street — et le cinquantième anniversaire de 1968, Susana Draper cherche, dans cet ouvrage naviguant entre philosophie politique et histoire, à questionner les héritages, la mémoire et les discours dominants sur le mouvement étudiant de 1968 au Mexique. En déplaçant le regard à la marge de l’événement, et au-delà de ses limites chronologiques communément admises, elle met en lumière certaines expériences politiques, des récits dissonants, une histoire occultée de 1968 qui se fraie un chemin jusqu’à l’actualité. Comme son titre l’indique, cet ouvrage donne à voir une constellation d’acteurs et de moments, réunis autour du concept de rencontre, qui gravitent autour d’un événement écrasé par le massacre de Tlatelolco, à la fois dominé par la mémoire de la répression et dépolitisé, rapidement monumentalisé et monopolisé par quelques voix considérées comme légitimes. À la manière de Kristin Ross — largement citée — avec le Mai 68 français, Susana Draper retrace quelques-unes des « vies ultérieures » du 68 mexicain. Au final, l’étude offre au lecteur une réflexion sur la liberté, une liberté qui se pratique dans le politique, et sur la rencontre avec l’autre, qui prend la forme d’une émancipation collective. Mexico 1968 se divise en quatre grandes parties. La première est chronologiquement contemporaine du mouvement étudiant et de sa répression par le gouvernement de Díaz Ordaz. Susana Draper s’intéresse à l’œuvre philosophique et narrative de José

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Revueltas - philosophe marxiste hétérodoxe – élaborée au contact des étudiants dans la UNAM occupée, puis dans la prison de Lecumberri. Cette première partie, la plus longue et la plus dense, constitue le cœur de l’ouvrage. L’auteure y délimite plusieurs concepts clés qui le jalonnent et l’organisent. Face à l’intensité des événements dont il est à la fois observateur et acteur, José Revueltas cherche à les historiciser en les intégrant dans une temporalité plus large qui permet de penser une autre histoire, souterraine, de surgissements dont le sens déborde leur intense brièveté, et où s’exerce la liberté. Celle-ci, selon le philosophe, ne doit pas être une conquête, un développement téléologique, mais un processus incertain de réinvention permanente, d’ouverture à la critique et à la dissidence, de remise en question des monopoles sur le temps et la parole. Cette « démocratie cognitive » se réalise selon lui dans l’autogestion. L’expérience de l’emprisonnement déplace et approfondit sa réflexion sur la liberté, qu’il défend à travers l’écriture et le langage, en conceptualisant par exemple l’idée d’ apando, cellule qui permet également au prisonnier de s’enfermer et de n’être dérangé par personne. Dans une deuxième partie, la question de la rencontre et des temporalités de 1968 est appliquée à la production et circulation de l’audiovisuel. Susana Draper analyse deux projets cinématographiques qui, facilités par l’apparition du Super 8, ne cherchent pas à diffuser un message militant, mais constituent dans leur conception même une expérience politique et esthétique. La Cooperativa de Cine Marginal, active entre 1971 et 1975, fondée par des étudiants amateurs, avait vocation à réaliser des films (clandestins) dans les usines occupées par les travailleurs. Ceux-ci participaient eux- mêmes à la réalisation, faisant de l’usine un théâtre, et du film une expérience collective et d’autogestion. Les projections étaient accompagnées d’un débat et de la distribution de tracts, avec le double objectif de provoquer une prise de conscience et de connecter des luttes dispersées dans le vaste territoire mexicain. Historia de un documento (1971) d’Óscar Menéndez, est une production à l’histoire rocambolesque, qui impliqua l’introduction clandestine de caméras dans la prison de Lecumberri, afin que les prisonniers politiques réalisent eux-mêmes des prises de vue. Ici aussi, le projet cinématographique devient lieu de rencontre, expérimentation politique collective, surgissement de la liberté, et il constitue ainsi un prolongement de l’expérience de 68, réprimée et tue. Les deux derniers chapitres sont dédiés à la voix marginalisée des femmes, malgré leur irruption dans la pratique quotidienne du politique, dans un esprit de radicale égalité et non cantonnée à la cuisine pour les prisonniers (selon une représentation amplement diffusée). Il ne s’agit pas ici de rétablir une sorte de vérité historique quant au rôle des femmes en 1968, mais plutôt d’observer la spécificité de leur regard sur un événement dont la mémoire est presque exclusivement masculine, et d’analyser l’actualité du mouvement de 68 au moyen de textes écrits par des femmes. Susana Draper se penche d’abord sur l’œuvre de la philosophe Fernanda Navarro, en la replaçant dans le contexte de son étroit contact avec le structuraliste Louis Althusser, et plus généralement de la philosophie post-68. Elle développe l’idée de la rencontre comme événement aléatoire, inconfortable et éventuellement conflictuel, et non idéalisé comme harmonie et union. La dernière partie de l’ouvrage, la plus proche de l’actualité, se centre sur deux témoignages qui, dans un même mouvement, montrent l’hétérogénéité du regard féminin, influencé par d’autres facteurs que le genre, et reviennent tous deux à la

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question de l’expérience de l’emprisonnement, de la rencontre et de la liberté. Roberta Avendaño, membre du Consejo Nacional de Huelga, expose dans De la libertad y el encierro sa méfiance et la difficulté de la cohabitation avec les prisonnières de droit commun venant des classes populaires. À l’inverse, Gladys López Hernández était étudiante du Preparatorio Popular, qui visait à l’intégration dans le Supérieur de jeunes issus des milieux les plus modestes. Malgré les difficultés de l’emprisonnement, elle y trouve un espace où poursuivre les pratiques de solidarité et d’autogestion découvertes pendant le Preparatorio. La rédaction tardive (2013) de son témoignage est justifiée par l’actualité de la demande urgente de démocratie formulée en 1968, toujours lancinante. L’ouvrage de Susana Draper, particulièrement généreux et dense — qui met en récit de multiples acteurs, moments, approches, concepts et problématiques — constitue finalement une réponse à la préoccupation de José Revueltas quant à la temporalité et à l’historicisation de l’événement : il met en lumière ses résurgences postérieures bien au-delà de ses limites chronologiques, et l’intègre dans une longue histoire de surgissements soudains d’exigence de liberté et de démocratie.

AUTEURS

CAMILLE GAPENNE

Universidad de la República (Uruguay) - Université Lyon 2 Lumière (France)

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Carrie Teresa, Looking at the Stars: Black Celebrity Journalism in Jim Crow America Lincoln, Nebraska: University of Nebraska Press, 2019, 249 pages

Claire Parfait

RÉFÉRENCE

Carrie Teresa, Looking at the Stars: Black Celebrity Journalism in Jim Crow America, Lincoln, Nebraska: University of Nebraska Press, 2019

1 In her introduction to “The Black Press in the United States,” Jane Rhodes notes that “ The black press is a critical—but often ignored—aspect of African American history and culture.”1 Looking at the Stars: Black Celebrity Journalism in Jim Crow America contributes to addressing this neglect by exploring the ways the black press covered black celebrities over a 40-year period, from 1900 to 1940. In eight chapters, followed by a bibliography and a useful index, Carrie Teresa looks at a diverse set of celebrities, ranging from boxers and athletes to performers, musicians and actors, among others. As Teresa convincingly demonstrates, scholars have so far focused on those black celebrities who crossed the color line and have neglected others who were well-known in their times but did not make it into the mainstream and fell into oblivion. Along the way, Teresa’s panorama of black stars therefore resurrects some forgotten figures, like boxer Harry Wills, whose story provides “a lesson in collective amnesia” (p. 194).

2 As Teresa reminds us, at a time of Jim Crow segregation and racial violence, public performance by African Americans was in itself an act of defiance, “challenging the American racial ideology that determined who could rise and who could not” (p. 25). Moreover, the black press was one of the few sites where blacks controlled their representation, and “could obtain and share news about themselves, debate local and national issues, and organize” (p. 23). African Americans were systematically stereotyped in popular culture, and the black press challenged these demeaning

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representations and reported on black celebrities, sometimes holding them up as models to follow, sometimes criticizing their private lives as was often the case with boxer Jack Johnson. Whatever the period, the black press expected black stars to act as race representatives and take a stand for the civil rights of African Americans. This explains why the same celebrity could be praised for his/her success and blamed for failing to speak for the community. In spite of these commonalities, the black press did not speak with a single voice, and celebrity reporting unsurprisingly evolved with passing decades. The book traces that evolution and shows how entertainment news reflected the shift from accommodationism to respectability and then militancy.

3 Chapter 1 explores the growing interest in black celebrities on the part of the African American press, especially after World War I. Chapter 2 pairs heavyweight champion Jack Johnson and blackface comedian Bert Williams to examine their very different backgrounds and trajectories to fame. Teresa shows that however they may have felt about it, the two men were transformed into “exemplary figures carrying on their shoulders the burden of collective representation” (p. 34). Both were praised as exemplars of uplift, of the upward economic mobility encouraged by Booker T. Washington among others, but Johnson’s sexual indiscretions and flamboyant persona were condemned.

4 Chapter 3 looks at highbrow culture through the cases of tenor Roland Hayes, British composer Samuel Coleridge-Taylor, and stage actor Charles Gilpin. These international artists provided fitting illustrations of the Talented Tenth that W.E.B. Du Bois envisaged as community leaders. Yet at a time when the “New Negro” emerged, neither Hayes (who was both admired for his international success and blamed for accepting to sing to segregated audiences) nor Gilpin (who allowed himself to be Jim Crowed) fit into the “New Negro” ethos.

5 In chapter 4, Teresa explores the coverage of major performers of the Harlem Renaissance, including actors and jazz musicians such as Cab Calloway, Louis Armstrong, and Duke Ellington. By the Depression years, journalists had abandoned explicit uplift rhetoric, and paid more attention both to gossip and the activism of black stars. Thus Bill Bojangles Robinson was systematically praised for his efforts on behalf of African Americans while Robeson attracted mixed reviews when he failed to get the n-word removed from the script of Eugene O’Neill’s Emperor Jones.

6 Chapter 5 focuses on black female celebrities, whose coverage reflected both misogyny and racism. Journalists, who were predominantly male, paid great attention to women’s bodies, subscribing to white notions of beauty, and criticized women like Josephine Baker for violating norms of respectability.

7 The heroes of chapter 6 are sportsmen who both crossed the color line and became national heroes. In the context of the rise of Nazi Germany, track athlete Jesse Owens’ medals at the 1936 Olympic Games in Berlin and boxer Joe Louis’ victory over German Max Schmeling in 1938 transformed the two men into American rather than African American heroes.

8 Chapter 7 looks at the construction of a “usable past” by commemorations of dead celebrities in the black press. Chapter 8 summarizes the main findings of the book while emphasizing the role of journalists in putting pressure on black celebrities to act as race representatives.

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9 Teresa tells a good story at a brisk pace. As befits a work on celebrities, the book is full of anecdotes and makes for lively, entertaining reading. It is abundantly documented, drawing upon the major black papers and magazines of the time, such as the Pittsburgh Courier, the Baltimore Afro-American, the Philadelphia Tribune, the Chicago Defender, among others. Strangely enough, Marcus Garvey’s paper, Negro World, is absent from the study. One could perhaps regret that the author did not provide more information about the individual journalists who appeared in the pages of the various papers. Another regret is the absence (save on a few rare occasions) of readers’ reactions to the various articles. Yet the book is well worth reading and will be of interest to the general public, to historians of the media and of the African American press, and students of African American history.

NOTES

1. Oxford Bibliographies online, 2016, https://www.oxfordbibliographies.com/view/document/ obo-9780190280024/obo-9780190280024-0046.xml

AUTEURS

CLAIRE PARFAIT

Claire Parfait est affiliée à la Pléiade, Université Sorbonne Paris Nord

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