POÉSIES COMPLÈTES Avec 41 Poèmes Inédits
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BLAISE CENDRARS «S? I "o, TOUT AUTOUR D'AUJOURD'HUI Nouvelle édition des œuvres de Biaise Cendrars dirigée par Claude Leroy professeur à l'université Paris X-Nanterre Cet ouvrage a été publié avec l'aide de PRO HELVETIA, Fondation suisse pour la culture. En application delà loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans l'autorisation de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie. Nouvelle édition revue et corrigée © 1947, 1963, 2001, 2005, Éditions Denoël © 1961, Miriam Cendrars 9, rue du Cherche-Midi 75006 Paris ISBN 2 207 25271.X B 25271.7 BIAISE CENDRARS POÉSIES COMPLÈTES avec 41 poèmes inédits Textes présentés et annotés par Claude Leroy DENOËL TOUT AUTOUR D'AUJOURD'HUI Les œuvres complètes de Biaise Cendrars ont été ras- semblées pour la première fois chez Denoël, entre 1960 et 1964. La parution de ces huit volumes sous couverture verte fut un événement. Quarante ans après, cette édition histo- rique mais dépourvue de tout appareil critique ne répond plus aux exigences des lecteurs modernes. Une nouvelle col- lection prend la relève sous un titre emprunté au poète : « Tout autour d'aujourd'hui » (TADA) ; elle présente des textes révisés, préfacés et annotés, accompagnés des illus- trations originales et d'une bibliographie propre à chaque volume. Enrichie d'un certain nombre d'inédits, cette collection constitue la première édition critique des œuvres complètes de Biaise Cendrars. PRÉFACE Je suis l'autre : c'est à la Bibliothèque impériale de Saint- Pétersbourg qu'un jeune apprenti bijoutier suisse a découvert la troublante formule que Gérard de Nerval, peu de temps avant sa mort, a inscrite au bas de son portrait par le graveur Gervais. Dans ce refus de sa propre image Freddy Sauser a- t-il entendu l'injonction qu'il attendait? L'autre pour lui, l'autre lui-même, ce sera donc le poète. Lorsqu'il se rend à New York, fin 1911, sa décision est déjà prise : il écrira. Par un de ces rites intimes dont il a le goût, il en prend acte devant soi en dessinant son autoportrait au bas duquel il recopie la formule de Nerval1. Pour se donner congé il le date avec soin du « 5 mai 12 » et il signe « FS », un paraphe qu'il va aban- donner définitivement en inventant le nom de l'autre : Biaise Cendrars. Pendant plus de quarante ans, de texte en texte, la formule ressurgira comme une devise, parfois aussi comme un rappel à l'ordre. Ne surtout jamais cesser d'être l'autre, dans sa vie comme dans ses livres. Rester l'insaisissable a peut-être été l'exigence la plus constante de Cendrars. Un écrivain qui se laisse définir est à ses yeux un écrivain mort. Un homme aussi. Rien ne le grise autant que d'imaginer ses vies parallèles, de rêver à ses méta- morphoses ou de glisser sans frein d'une identité à l'autre comme Protée, ce dieu de la mer qui échappait ainsi aux ques- tions des fâcheux. Ou comme Fantômas, son avatar moderne, 1. Miriam Cendrars a reproduit ce dessin dans Biaise Cendrars, Balland, rééd. 1993. le génie du crime que Cendrars a été le premier poète à célé- brer, dès 1914, dans un de ses poèmes élastiques et qui lui a inspiré les aventures d'un autre monstre, Moravagine, pour lesquelles il ne prévoyait d'abord pas moins de 18 volumes. Le rêve de toute-puissance qu'il prête à Dan Yack, le plus proche de ses personnages, est d'abord le sien : Disparaître. Ce que j'aurais voulu être dans tous les pays du monde. Henry Miller qu'on n'épate pas facilement en conviendra sans réserves : Il traverse des métamorphoses, sans livrer son identité. Ce désir de disparaître peut surprendre tant il paraît mal accordé avec la forte présence de Cendrars dans ses livres. A force d'occuper le devant de la scène, le personnage a jeté un peu d'ombre sur ses textes, ce qui a pu faire croire que chez lui l'écriture de l'aventure l'emportait, haut la main, sur l'aventure de l'écriture. Images, voyages et reportages com- posaient chez le bourlingueur une trilogie qui semblait l'écar- ter des exigences de la modernité poétique. N'écrivait-il pas comme on vide ses valises, à l'escale, sans grand souci de ce qui s'ensuit sur le plan littéraire? C'était incontestablement un homme de coups - un texte peut être un coup -, mais était-ce bien l'auteur d'une œuvre avec ce que cela suppose à la fois de hantise et de construction, d'expérimentation et de continuité ? Et comment disparaître quand on a tout fait pour ne pas se faire oublier? L'attitude de Cendrars est aux antipodes de celle d'un Pessoa ou d'un Cioran pour qui la vie d'un écrivain tient tout entière dans ses livres, au grand dépit des amateurs de biographies. Le paradoxe de Cendrars est qu'il échappe à la saisie en se surexposant. C'est ici l'œuvre qui tend à se confondre avec la vie de l'auteur, comme chez Nerval en qui il a lucidement reconnu son double. La pre- mière personne du singulier règne dans leurs livres avec une souveraineté parfois envahissante, et elle impose partout le nom de l'auteur que ce soit sous la forme de chroniques du temps, de relations de voyages, de récits d'apprentissage ou de confessions amoureuses. D'où vient pourtant que ces œuvres qui sollicitent sans cesse une lecture biographique s'y entendent si bien pour la saboter? Que l'exactitude des faits ne soit pas toujours le fort de Cendrars, on le sait depuis long- temps, mais, plutôt que de l'imputer aussitôt à son goût des beaux mensonges ou à sa mythomanie, c'est son projet d'écri- ture qu'il faut interroger, et cette façon si singulière et si natu- relle à la fois de mêler la fiction au témoignage. L'indécision de cet étrange espace autobiographique a favorisé très tôt l'apparition des légendes. Et quel florilège sous les meilleures plumes ! Pour Apollinaire, il est l'errant des bibliothèques; pour Cocteau, le pirate du lac Léman ; Dos Passos et Morand rendent hommage, l'un, à l'Homère et, l'autre, au Tolstoï du Transsibérien. Tirant la leçon de tant de métamorphoses, Calaferte s'incline logiquement devant « l'homme Dieu »2... Au-delà des anecdotes, le besoin de se créer une légende est précoce, constant et délibéré chez Cendrars. Il ne fait qu'un avec le choix d'un pseudonyme et avec le fait d écrire. Je suis tous les visages, annonce déjà le poète du Panama, tandis qu'à l'autre bout de l'œuvre, L'Homme foudroyérépond en écho : Je voudrais rester l'Anonyme. Anonyme non par défaut de noms, mais par excès. Comment baptiser celui qui a choisi de se déro- ber en se multipliant? Pour l'histoire littéraire l'affaire paraît entendue : Cendrars est un mauvais sujet - une tête brûlée - qui se laisse mal situer, classer, apparier. Un écrivain aussi irrégulier embarrasse la critique qui hésite devant la place à lui réserver dans ses rubriques, ici, parmi les cubistes litté- raires et autres précurseurs du surréalisme (avec Max Jacob, Salmon ou Reverdy), là, en compagnie des poètes voyageurs (près de Segalen, Levet ou Larbaud), ailleurs, au milieu des écrivains de la Grande Guerre (Genevoix, Dorgelès, Barbusse), des romanciers de l'aventure (comme Mac Orlan ou Kessel) ou, plus récemment, des autofictionnaires (Céline, Soupault, Calaferte). A chaque fois, l'image du précurseur ou du franc- tireur tend à l'emporter sur l'œuvre qui n'est considérée que par éclats - quelques poèmes, quelques romans -, mais à peu 1. Risques n°9-10, 1954, p. 16. près jamais décrite dans sa continuité - ou sa discontinuité - ni interrogée dans son projet. Comment devient-on Protée ? La question, bien entendu, n'admet pas de réponse. Du moins comprend-on mieux aujour- d'hui comment le poète s'est formé dans l'Europe d'avant la Grande Guerre, une Europe aux frontières poreuses. Une expé- rience précoce des voyages a révélé à Freddy Sauser un goût du dépaysement auquel Biaise Cendrars restera fidèle. C'est un Suisse pérégrin, comme dit si bien Nicolas Bouvier en connais- seur. Très jeune, il a séjourné plus de deux années dans la Russie d'avant 1917 et il a traversé l'Europe : l'Italie, l'Allemagne, la Belgique et la France, avant de découvrir New York, d'où il est revenu avec un poème qui va lui faire un nom à Paris, Les Pâques. La guerre redistribuera brutalement les cartes de cette éducation européenne mais l'engagement de Cendrars comme volontaire étranger dans l'armée française, en 1914, ne saurait faire oublier les années d'apprentissage d'un jeune poète bilingue qui, lorsqu'il s'installe en France, fonde une revue franco-allemande, Les Hommes nouveaux, et publie à ses débuts à Berlin aussi bien qu'à Paris, en dialoguant à la fois avec les cubistes, les expressionnistes et les futuristes. La découverte du Brésil, en 1924, lui fera prendre de nouvelles distances avec l'Europe aux anciens parapets. Tout l'y séduit : le métissage de la population comme la beauté cosmogonique des paysages, le patrimoine du baroque comme le gigantisme des plantations de café. Et plus que tout l'absence de traditions. Alors qu'un article de Marcel Arland engage, à la même époque, un débat sur le Nouveau Mal du siècle, le poète « du monde entier », quant à lui, est le témoin de ce qu'on aimerait appeler un Nouveau Mal du pays qui, à rebours de l'autre, fait de Tailleurs sa patrie et de la partance la forme de sa nostalgie.