De Quelques Séries Médicales De La Télévision Américaine
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De quelques séries médicales de la télévision américaine par Martin Winckler Les textes qui suivent sont extraits de : - Les Miroirs de la vie (Le Passage, 2002) - Les Miroirs obscurs (Le Diable Vauvert, 2005) - Le Meilleur des séries (Hors Collection, 2007) - L’Année des Séries 2008 (Hors Collection, 2008) Ils sont rassemblés dans ce document PDF à titre strictement pédagogique et, à ce titre, ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une publication en dehors de ce cadre sans autorisation de leur(s) auteur(s). Dr House (House, M.D. ) Martin Winckler Greg House, chef du département de médecine interne d’un grand hôpital (imaginaire) de Princeton est, à première vue, l’inverse du médecin idéal. Toujours mal rasé, il refuse la blouse pour porter jeans usés et veste élimée. Misanthrope, il répugne à s’approcher des patients et préfère confier examens et explorations multiples à ses trois assistants. Direct et sans complaisance, son discours est aussi sarcastique et brutal. Quand un patient va mourir, il le lui annonce. S’il pense qu’il meurt faute d’avoir tout dit, il le traite d’imbécile. S’il est persuadé que la famille cache quelque chose, il la harcèle pour la faire avouer. Il semble dénué de tout respect - des humains comme de l’éthique. Et pourtant, il est fascinant. Doté d’une puissance de réflexion prodigieuse et d’un savoir médical encyclopédique, House est un diagnosticien hors pair. Sa spécialité, la médecine interne, consiste à étudier les problèmes médicaux les plus mystérieux, les plus difficiles. Les cas difficiles, il les résout en un clin d’œil - et avec ennui. Ce qui suscite son intérêt, c’est le cas impossible , le puzzle insoluble composé de symptômes que rien ne relie entre eux. Car House est le double contemporain d’un personnage célébrissime de la littérature anglo-saxonne : Sherlock Holmes. Cette transposition est un juste retour des choses : Holmes fut en effet inspiré à Conan Doyle par son mentor Joseph Bell, chirurgien écossais doté d’extraordinaires capacités diagnostiques. La ressemblance ne s’arrête pas à ces aptitudes ou au fait que le nom du héros (maison) évoque « Ho(l)me(s) » (domicile). Comme le détective, House vit au numéro 221B. Comme lui, il se déplace toujours avec une canne. Comme Holmes, il a un meilleur ami, médecin, nommé... Wilson. Comme lui, enfin, il est toxicomane et, lorsqu’il ne boulotte pas des antalgiques, il s’injecte de la morphine. Comme Holmes, enfin, son attitude parfois insupportable est une façade - et son entourage ne s’y trompe pas. Cuddy, sa médecin-chef, est constamment partagée entre l’admiration pour le bonhomme (c’est son meilleur élément) et l’irritation de le voir fuir ses responsabilités vis-à-vis de l’hôpital. Wilson, son meilleur ami, est à la fois son confident, son directeur de conscience et son souffre-douleur. Quant aux trois jeunes médecins qui l’assistent dans ses enquêtes 1, ils oscillent entre l’admiration circonspecte (Chase, l’Australien flegmatique), la détestation (Foreman, l’Afro-Américain vindicatif) et le désir (Cameron, la jeune beauté empathique). Ce n’est pas seulement l’aspect extérieur du personnage principal qui est rebutant, mais son comportement et sa philosophie tout entière. Pour House, « Tout le monde ment. » Dans sa bouche, ce n’est pas accusation, mais une constatation. Le mensonge fait partie de la vie, non parce que les humains ont goût à mentir, mais parce que, le plus souvent - il est le premier à le dire - ils ne peuvent pas faire autrement. Car le mensonge protège. Du regard des autres, de la mauvaise conscience. Quand il s’agit simplement d’avoir la paix (on commence souvent à mentir pour ça...), les mensonges n’ont pas grande portée. Quand il s’agit de protéger un secret ou une faute, cela peut être lourd de conséquences. Car un mensonge peut aussi empêcher d’identifier une maladie et de la traiter. Génialement incarné par le comédien britannique Hugh Laurie, House est le héros d’une série paradoxale. Car, plus encore que celle d’ Urgences, sa narration est truffée de termes et de raisonnements médicaux qui, en toute bonne logique, devraient rebuter le spectateur. Or, il n’en est rien ; depuis son lancement sur la Fox à l’automne 2004, malgré la complexité insondable des cas 1 Les amateurs de Sherlock Holmes ne manqueront pas de les comparer aux « Baker Street Irregulars », le gang d’adolescents qui sillonnent les rues de Londres pour filer un suspect ou recueillir des informations au profit du détective. Et ils souriront en apprenant que, dans le dernier épisode de la saison 2, un patient important se nomme... Jack Moriarty. abordés, la série remporte un succès public considérable. L’usage toujours approprié d’effets visuels saisissants à la CSI - montrant par exemple des bactéries envahissant le corps humain ou des anticorps s’attaquant au cerveau - est bien sûr un atout, mais ce n’est pas le seul. La construction des épisodes alterne avec intelligence et élégance une histoire centrale dramatique et complexe et des scènes comiques (mais médicalement justes) où le personnage, de mauvaise grâce, reçoit en consultation des patients ordinaires. Et surtout, ce n’est pas le savoir ou les géniales intuitions de House qui fascinent le spectateur, mais sa relation très personnelle à l’éthique du soin. S’il soumet souvent ses patients à des explorations dangereuses, ce n’est pas par sadisme, mais par désespoir. House n’est pas un bourreau, c’est un écorché vif. Sa misanthropie est bien réelle, mais d’abord tournée vers lui-même. Victime - quelle ironie du sort - d’une erreur de diagnostic, il en a gardé des séquelles et une profonde méfiance envers les médecins bornés. En retour, s’il refuse de toucher les patients - ou d’être touché par eux - c’est pour ne laisser aucune émotion parasiter sa pensée. Mais son exigence éthique n’en est pas moins réelle. Dans chaque cas difficile, il dénonce le piège qui menace toute relation de soin : un patient qui se cache, un médecin qui le juge. Au cours de la première saison, la construction des épisodes semble répétitive. Et cependant, House, M.D. n’est pas qu’un formula-show ; c’est aussi le portrait d’un personnage insaisissable qui nous est, à des moments choisis, brusquement dévoilé par des épisodes paroxystiques. L’humanité exacerbée du bonhomme crève alors les yeux. Ainsi dans l’admirable Three Stories (1.21), qui valut en 2005 à David Shore l’ Emmy Award du meilleur scénario : pendant un cours de diagnostic, House retrace l’itinéraire de trois patients hospitalisés pour une douleur à la jambe. L’un de ces patients ment et manquera d’en mourir. Un autre dit la vérité mais son médecin en tire des conclusions erronées. Le troisième, lui aussi, dit la vérité, mais parce qu’il a menti auparavant, le médecin ne le croit pas. Extraordinaire leçon d’écriture filmique, de narration, de mise en scène, d’humour mais aussi de diagnostic et d’éthique, ces quarante-trois minutes constituent - je pèse mes mots - la plus belle fiction télévisée que j’aie jamais vue. Tout le monde ment, c’est vrai. Et c’est en racontant des mensonges que les grands narrateurs nous disent la vérité. Etats-Unis (FOX, depuis 2004). Diff. France : TF6, TF1. Créée par David Shore. Producteurs exécutifs : Bryan Singer, Paul Attanasio. Avec : Hugh Laurie, Lisa Edelstein, Robert Sean Leonard, Jennifer Morrison, Omar Epps, Jesse Spencer. Scénaristes : David Shore, Lawrence Kaplow, David Foster... Réalisateurs : Bryan Singer, Deran Sarafian, Peter Medak. Thème du générique : Massive Attack. Editions DVD : Zone 1, Saisons 1 et 2. … Et mon tout est médecin (2008) Depuis que House, M.D. a commencé sa diffusion, on m’a demandé à plusieurs reprises comment je pouvais aimer ce personnage à l’éthique discutable, en apparence si éloigné de ce que je défends dans des livres comme La Maladie de Sachs ou Les Trois Médecins. Longtemps, je n’ai su quoi répondre, tant le plaisir que la série me procure - par son intelligence, son caractère iconoclaste, ses scénarios et ses dialogues brillantissimes et ses acteurs épatants - est intense. Le parallèle entre Sherlock Holmes, souligné par Martine Bourguignon dans ce même livre, n’est évidemment pas étranger à ce plaisir. Le vieux lecteur de Conan Doyle que je suis se délecte de voir Holmes et Watson s’incarner en House et Wilson, la discrète Mrs Hudson en une Cuddy pleine de personnalité et les « Baker Street Irregulars »2 en Cameron, Chase et Foreman. Mais il me semble que cette répartition des rôles en cache une autre, qui permet de mieux comprendre non seulement l’économie de la série, mais aussi la raison pour laquelle elle fascine sans devenir insupportable. Au fil des épisodes, il m’est en effet apparu que House, M.D. est le portrait d’un médecin métaphorique, dont le personnage principal ne constitue qu’une partie. House représente l’esprit médical scientifique, inquisiteur, obsessionnel, étranger aux émotions. Cameron symbolise le cœur et les sentiments. Cuddy, le respect de la loi et des règles. Wilson, la culpabilité et le sens moral. Foreman, la révolte et l’obstination. Chase, la peur et le courage qui permet de lui faire face… Et mon tout est un médecin – ou plutôt ce que chaque médecin recèle en lui de compétence, d’arrogance, de valeurs, de désirs, de conflits. Si on regarde ses personnages comme les parties d’un tout, la série de David Shore n’est plus simplement la description d’un médecin psychopathe, mais celle d’un corps humain (le corps médical), ensemble d’organes (d’individus) multiples, riches de contradictions et de créativité et qui, dans sa recherche de la vérité (du diagnostic) et sa quête contre le mal (la maladie), lutte constamment – et parfois vainement - contre ses propres pulsions intérieures.