Gothic Rock Une Anthologie En 100 Albums 1980-2000 Victor Provis Gothic Rock Gothic
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VICTOR PROVIS GOTHIC ROCK UNE ANTHOLOGIE EN 100 ALBUMS 1980-2000 VICTOR PROVIS GOTHIC ROCK GOTHIC M — LE MOT ET LE RESTE R couv_ROCK_GOTH.indd 3 06/07/2021 17:47 VICTOR PROVIS GOTHIC ROCK UNE ANTHOLOGIE EN 100 ALBUMS 1980-2000 le mot et le reste 2021 Mes pensées vont d’abord à Mattéo à qui je dois beaucoup. Le premier à m’avoir encouragé. Après King, Lovecraft, il aurait savouré que je retourne aux univers de notre adolescence. PRÉFACE Le rôle de tout artiste est d’observer le monde et de le réfléchir au travers sa propre interprétation. C’est une grande responsabi- lité que doit l’artiste à cette vérité plus large qui ressort de cette observation et qui lie toutes choses à sa vie. Le post-punk a d’abord été décrit comme un mouvement défini par un son. Ce n’est qu’un petit détail d’un tableau plus grand. Je dirai qu’il a surtout été défini par une attitude, du moins à l’époque. Une attitude qui a donné le la pour le développement musical des années à venir. Il a récupéré le désir de révolution culturelle qu’avait amorcée le punk. C’était un mouvement fier, bruyant et visionnaire, et l’attitude en prenait toute la part. Il s’agissait surtout d’une liberté d’expression, qui ne devait pas se limiter à un son ou un genre. La Grande-Bretagne à la fin des années soixante-dix enflait sous cette ferveur populaire et au cœur de ce phénomène, il y avait Londres. Une ville qui a su m’attirer dans ses bras, comme tant d’autres. J’ai vu beaucoup de grands groupes qui ont su m’inspirer. Mais j’ai aussi vu de la soupe et ça m’a poussé à me rebeller contre le système et les grosses maisons qui en font la promotion. La musique, en tant que forme d’art, est bien plus efficace que n’importe quelle arme. Je crois en son originalité et non aux étiquettes utilisées par commodité. Dans les premiers temps le terme Goth n’était pas utilisé de manière générique pour décrire ce qu’il se passait, c’est venu plus tard. La plupart des groupes aimaient les mêmes choses dans la vie, l’avant-gardisme et sortir des sentiers battus. Chaque chose se prenait comme un livre ouvert à lire avec délectation. Le principe était de prendre les créations comme elles venaient sans chercher à utiliser divers concepts marketing. Ce credo est devenu la feuille de route d’une expression personnelle et sans retenue, ainsi qu’une chance de faire exploser les carcans. Ce fut une opportunité pour pousser la musique à son extrême limite en adoptant un son et un style qui ne connaissent pas les frontières. Et ainsi définir une philosophie tout entière sans compromission. Cela devait être vécu 7 GOTHIC ROCK comme la capture instantanée d’une époque qui finirait ensuite par s’ancrer fermement dans la mémoire collective. Nous sommes alors devenus véritablement VIVANTS et ceux qui voulaient nous maintenir à l’écart ont eu des raisons d’avoir peur. Andi McElligott Artiste, activiste, chanteur-compositeur et fondateur du label multi- média Liberation London, membre de Sex Gang Chidren, Dada Degas, Godman. 8 INTRODUCTION Le gothique ou le théâtre décadent Le rock gothique est fascinant. Au sens propre. Le mouvement marque les esprits tant musicalement que visuellement si l’on se fie aux images de tenues noires et de maquillages qui coulent sous les yeux. Au-delà des apparences, le son, secoué et acéré, se distingue de ce qu’on est en droit d’attendre d’une musique à guitares. À ceux qui rétorquent que le rock est léger et futile, le gothique prend un malin plaisir à y injecter de la noirceur. La démarche n’est pas anodine. Elle traduit une volonté artis- tique poussée, intellectualisée, sous couvert de spontanéité et de rébellion. Elle invite à passer de l’autre côté du décor afin de comprendre cet univers décalé, hors norme et aux perspectives sans cesse étendues. UNE MUSIQUE QUI SOUFFLE LE CHAUD ET LE FROID L’esthétique gothique est inextricablement mêlée au simple plaisir d’écrire des chansons. Un univers entier, inquiétant, bour- souflé parfois, romantique bien souvent, s’y dessine et déploie avec force une mythologie obscure. Ces fantasmes prennent forme avant tout par le son. Le rock gothique se distingue dès lors qu’on appuie sur le bouton « play » du lecteur. Les groupes respectent le canevas de base : un chant masculin ou féminin, une ou plusieurs guitares, une basse et une batterie voire une boîte à rythmes, parfois un clavier. Par contre, la hiérarchie des instruments change. Ici la basse accède au rang d’instru- ment primordial. Elle est mise en avant, elle maintient la ligne mélodique, elle joue des notes plus aiguës et de manière plus agressive. Peter Hook, le bassiste de Joy Division, révolutionne la pratique en passant outre son ampli de faible qualité, avant de conserver le même procédé avec du matériel neuf. De fait, la guitare s’efface au profit d’un son pulpeux. Cette tonalité se distingue d’une base punk volcanique, tout en pénétrant 9 GOTHIC ROCK davantage par ses fréquences. Par ailleurs la guitare basse accordée une octave plus grave oblige à tempérer le rythme pour se faire entendre. Il en ressort des mélodies plombées, d’autant plus marquantes qu’elles sont jouées avec sang-froid. Des pédales ou des amplificateurs donnent l’illusion par effet chorus d’obtenir plusieurs basses qui jouent en même temps la même note. Les claviers rééquilibrent l’ensemble en compensant par une touche éthérée. Quant aux guitares, elles ne servent qu’à inter- rompre, à faucher les attentes, à briser le rythme. Elles sont souvent crispantes. Autrement elles sont recyclées pour tisser une ambiance, en fond sonore, avec soin et application. Il n’y a plus de solos mais plutôt des arpèges. Le rythme est répétitif, minimaliste, en occultant les cymbales pour se focaliser sur des frappes brèves sur les caisses claires, là aussi renforcées par des effets, pour prendre de l’ampleur. La régularité et l’espace entre chaque coup confèrent un sentiment de détachement, plus tard renforcé par l’usage de la boîte à rythmes ou les acoquinements avec le style indus ou electro. D’autres groupes préfèrent des jeux plus déconstructivistes, voire tribaux, pour se rapprocher de la transe. En lieu et place d’une structure habituelle couplet-refrain- couplet-refrain-pont-refrain qui sert le texte, ce sera l’inverse, les paroles accompagnent une atmosphère. Il faut que le morceau ressemble à une agression ou à une lamentation. Les harmo- nies se restreignent au mode mineur, surtout au mode éolien, c’est-à-dire que la gamme s’articule autour de la fondamentale la1, faisant aussitôt descendre toute l’étendue des notes un cran de plus vers les graves. Ce mode contribue automatiquement à une ambiance sinistre. Pour l’accentuer, on utilise des accords diminués2, c’est-à-dire une triplette dissonante. D’autres vont user du manche à vibrato, des distorsions ou vont contrôler 1. On a donc l’enchaînement la si do ré mi fa sol la. Mais on peut aussi altérer en insérant des dièses ou bémol. 2. Une note fondamentale associée à deux autres notes au-dessus (+3 demi- tons et +3 tons). Donc pour le la fondamental, le do et le ré#. 10 UNE ANTHOLOGIE EN 100 ALBUMS 1980-2000 les feedbacks pour ressembler à un orchestre de films d’hor- reurs. Siouxsie Sioux fait écouter à son guitariste John McKay la BO de Psycho et La Malédiction pour qu’il fasse sonner sa guitare de manière excitante et effrayante en même temps, un peu comme un violon. On est loin des structures alambiquées, on reste proche du punk, c’est plus un travail sur la dyna- mique, souvent lente au début, avec des irruptions effrénées qui peuvent surprendre. Le chant joue un rôle crucial : d’une part le registre morbide des paroles est fondamentale, d’autre part la voix est le support des émotions que le gothique veut faire partager. On use de trémolos, de souffles et de râles, de complaintes lugubres. Beaucoup exagèrent leur approche de manière lyrique. Certains, comme Ian Curtis ou Andrew Eldritch, peuvent descendre profondé- ment dans les notes graves en usant d’un ton monotone et spec- taculairement déclamatoire. En parallèle, les femmes accèdent aux devants de la scène, plus qu’avant encore, démontant la réputation machiste du milieu. Avec dynamisme et nuance – vibratos, glissandos, hoquet, etc. –, elles participent à cette expression sensible à égalité avec les hommes. Bien plus qu’un mouvement tolérant, le gothique renverse l’idée d’une société dans laquelle les femmes seraient considérées comme des objets à idéaliser sur scène. On devine une volonté politique de briser les stéréotypes. Les thèmes de prédilections abordés par ces femmes restent iconoclastes : la peur, le dégoût de soi, le fréné- tisme, etc. Les fans les réceptionnent en tant que gage d’honnê- teté, rétablissant ainsi une égalité de sexe. À partir de ce canevas de base, il est possible de broder tout autour. Travailler sur les ruptures en hachant les accords ou au contraire lisser les instruments pour finir par napper les morceaux. Forcer le chant dans le grotesque, quitte à imiter des bêtes démoniaques ou l’adoucir en un mince entrefilet elfique. Faire danser les foules sur une base electro ou harceler avec un rythme indus. Fracasser avec des guitares distordues ou enjoliver le pathos avec des arpèges d’orfèvres. On obtient une myriade de sous-genres.