Les traces de la révolution dans les campagnes numériques des partis politiques en Tunisie démocratique. Le cas des élections municipales de 2018

Thèse

Bader Ben Mansour

Doctorat en communication publique Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Bader Ben Mansour, 2021

Les traces de la révolution dans les campagnes numériques des partis politiques en Tunisie démocratique. Le cas des élections municipales de 2018

Thèse

Bader Ben Mansour

Sous la direction de :

Christian Desîlets, directeur de recherche Thierry Giasson, co-directeur de recherche

Résumé

Cette thèse porte sur les pratiques de communication numériques des partis politiques en Tunisie lors des premières élections municipales à l’ère démocratique qui ont eu lieu le 6 mai 2018. Un manque de travaux est relevé dans la littérature scientifique sur ces pratiques dans des contextes autres que des démocraties occidentales établies et sur des élections locales plutôt que nationales. De plus, malgré la succession des échéances électorales depuis le changement de régime en Tunisie et l’importance du numérique dans la vie politique depuis la révolution de 2011, très peu d’études se sont intéressées aux campagnes numériques des partis politiques dans le cadre des compétitions électorales. Notre thèse entend combler ces carences dans la littérature en nous appuyant sur des considérations sociales pour mieux cerner les logiques d’élaboration des stratégies numériques des partis politiques dans ce contexte inédit. Le phénomène révolutionnaire de 2011 constitue un point tournant dans la vie politique tunisienne dans lequel le numérique est fréquemment présenté comme ayant joué un rôle important. L’objectif de cette thèse est d’identifier et de comprendre si les traces de la révolution marquent sept ans plus tard les pratiques numériques de campagne des partis politiques. Nous mobilisons ainsi l’hypothèse générale de la sédimentation qui s’inscrit dans une perspective d’analyse processuelle empruntée à la géologie. Elle nous sert de guide pour établir un lien entre deux phénomènes temporellement distincts : la révolution de 2011 et les élections municipales de 2018. La question de l’appropriation du web par les partis politiques est appréhendée dans ce terrain de recherche à partir d’une approche par les acteurs. D’un point de vue théorique, la thèse met en lumière des dimensions sociologiques souvent négligées dans les travaux sur les campagnes numériques. En plaçant la focale sur le profil des concepteurs des stratégies, l’étude se démarque de la majorité des recherches sur le web politique qui se consacrent généralement aux analyses des objets techniques. La thèse met également en relation deux champs disciplinaires distincts. Elle montre comment l’approche théorique de l’ « action connective » (Bennett et Segerberg, 2012) développée dans le cadre des mouvements sociaux en ligne s’articule avec l’approche

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théorique du système médiatique hybride (Chadwick, 2013) dans un cadre de communication politique électorale. Dans une première étape, nous brossons un portrait des stratèges numériques au sein des partis politiques en étudiant comment ces derniers ont mobilisé le numérique lors de la révolution de 2011. Dans une deuxième étape, nous nous intéressons à leurs valeurs et à leurs perceptions du rôle du numérique dans le cadre du soulèvement de 2011 et dans celui de la démocratie. Dans une troisième étape, nous examinons les sources d’inspiration des stratèges en essayant de saisir si ces derniers reproduisent dans leurs stratégies électorales des pratiques numériques qui ont marqué la révolution. Enfin, nous analysons les objectifs qu’assignent les stratèges aux campagnes numériques pour les élections municipales. Un devis en méthodes mixtes est mis en place. Les données, – colligées à l’aide d’une série d’entretiens avec 27 stratèges en communication des six principaux partis politiques tunisiens – ont été analysées à travers des analyses de contenu qualitatives (par catégories et thématiques) et quantitatives semi-automatisées (à l’aide d’un dictionnaire). L’étude révèle que les formations qui semblent adopter des stratégies numériques citoyennes plus innovantes sont celles où se sont accumulés les sédiments de la révolution : Elles emploient des cyberactivistes de la révolution, cyber-optimistes qui mobilisent les pratiques numériques de la révolution dans la conception des stratégies électorales numériques. La thèse soutient qu’à travers un processus de sédimentation – qui se serait développé de la révolution aux élections – l’héritage du soulèvement de 2011 semble marquer le contexte démocratique tunisien. Cet héritage imprègne à divers degrés, les stratégies numériques préparées pour les élections municipales de 2018 en favorisant notamment les initiatives citoyennes et l’exploitation des potentialités démocratisantes des médias socionumériques. Sous les apparences des campagnes numériques, il existe des logiques sous-jacentes non observables qui relèvent non seulement de considérations sociohistoriques propres au contexte étudié, mais aussi de considérations liées au profil des acteurs chargés d’élaborer les stratégies électorales. Cette thèse identifie, met en évidence et croise ces facteurs en soulevant leur incidence sur l’orientation des stratégies préparées pour les élections municipales de 2018 en Tunisie post-révolution.

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Abstract

This thesis examines the digital communication practices of political parties in Tunisia during the first municipal elections of the country’s democratic era conducted on May 6, 2018. A gap in the scientific literature is noted on these practices in other contexts than established Western democracies and on local rather than national elections. Moreover, despite the succession of electoral events since the regime change in Tunisia and the importance of digital in political life since the 2011 revolution, very few studies have focused on the digital campaigns of political parties within the framework of electoral competitions. Our thesis intends to fill these gaps by drawing on social considerations to better understand the logic underscoring the development of the digital strategies of political parties in this unprecedented context. The revolutionary phenomenon of 2011 marks a turning point in Tunisian political life and constitutes a period in which digital technology is frequently presented as having played an important role. The thesis aims to identify and understand whether traces of the revolution mark the digital campaign practices of political parties seven years later. We thus mobilize the general hypothesis of sedimentation, which is part of a processual analysis perspective borrowed from geology. It serves as a guide to establish a link between two temporally distinct phenomena: the 2011 revolution and the 2018 municipal elections. The appropriation of the web by political parties is addressed in this research field from an actor-based approach. From a theoretical point of view, the thesis highlights sociological dimensions that are often neglected in works on digital campaigns. By focusing on the profile of strategy designers, the study differs from the majority of research on the political web, which is generally devoted to the analysis of technical objects. The thesis also brings together two distinct disciplinary fields. It shows how the theoretical approach of "connective action" (Bennett and Segerberg, 2012) developed in the context of online social movements connects to the theoretical approach of the hybrid media system (Chadwick, 2013) in the context of electoral political communication. We first paint a portrait of digital strategists within political parties by studying how they mobilized digital tools during the 2011 revolution. We secondly examine their values and perceptions of the role of digital in the 2011 uprising and in democracy. We thirdly examine

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the strategists’ sources of inspiration, thus trying to understand whether they reproduce digital practices that marked the revolution in their electoral strategies. Finally, we analyze the objectives that strategists assign to digital campaigns for municipal elections. Our research uses a mixed-methods approach. The data - collected through a series of interviews with 27 communication strategists from the six main Tunisian political parties - were analyzed through qualitative (by categories and themes) and semi-automated quantitative content analysis (using a dictionary). The study reveals that political parties that appear to adopt more innovative digital citizen strategies are those in which the sediments of the revolution had accumulated: they employ cyberactivists of the revolution, cyber-optimists and mobilize the digital practices characteristic of the revolution in the digital electoral strategies’ design. This thesis argues that through a process of sedimentation - which would have developed from the revolution to the elections - the legacy of the 2011 uprising seems to mark the Tunisian democratic context. This legacy permeates, to varying degrees, the digital strategies prepared for the 2018 municipal elections through the promotion of citizen initiatives and the exploitation of the democratizing potential of social media. Underneath the appearances of digital campaigns, there are unobservable, underlying logics that are not only related to sociohistorical elements specific to the context under study, but which also relate to the profile of the actors in charge of developing electoral strategies. This thesis identifies, highlights, and cross-references these factors by insisting on their impact on the strategies prepared for the 2018 municipal elections in post-revolution Tunisia.

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Table des matières

Résumé ...... ii Abstract ...... iv Liste des figures ...... ix Liste des tableaux ...... x Liste des graphiques ...... xi Remerciements ...... xiii Introduction. La transition politique tunisienne (2011-2018) ...... 1 Chapitre 1. Problématique et cadre théorique ...... 14 1.1 Web participatif et médias socionumériques ...... 16 1.1.1 Les potentialités des médias socionumériques ...... 17 1.2 Les mouvements sociaux à l’ère des médias socionumériques (cadre non conventionnel) ...... 21 1.2.1 La logique de l’« action connective » (connective action) ...... 22 1.2.2 Le numérique et la révolution tunisienne de 2011 ...... 24 1.3 Les médias socionumériques et les institutions politiques (cadre conventionnel) . 27 1.3.1 La dichotomie cyber-pessimistes/cyber-optimistes ...... 28 1.3.2 L’usage des médias socionumériques en politique municipale et locale ...... 30 1.4 L’hybridité du système médiatique ...... 31 1.4.1 Les campagnes hybrides ...... 32 1.4.2 L’hybridité organisationnelle ...... 33 1.5 Le volet interne des campagnes numériques électorales ...... 34 1.5.1 Objectifs stratégiques assignés aux campagnes numériques ...... 35 1.6 Les facteurs susceptibles d’orienter les campagnes numériques ...... 37 1.6.1 Des caractéristiques contextuelles au niveau macro ...... 38 1.6.2 Des caractéristiques propres aux partis politiques (niveau méso) ...... 39 1.7 Les stratèges numériques, acteurs-clés des campagnes électorales ...... 44 1.8 L’émergence de nouvelles configurations partisanes suite aux mouvements sociaux ...... 46 1.8.1 Les partis de mouvements contemporains et les connectives parties ...... 47 1.9 La relation mouvement sociaux/partis politiques à travers le prisme de la sédimentologie ...... 50 1.9.1 Le concept de sédimentation ...... 51 1.9.2 Le processus de sédimentation ...... 52 1.9.3 Le processus de sédimentation appliqué à l’étude des campagnes numériques en Tunisie ...... 54 1.10 Synthèse et questions de recherche ...... 55 Chapitre 2. Démarche méthodologique ...... 60 2.1 Étude de cas en méthodes mixtes ...... 62 2.2 Le cas de la Tunisie : contexte politique et technologique ...... 64 2.3 Un protocole de recherche mixte centré sur les stratèges des partis politiques ...... 67 2.4 La collecte des données ...... 68 2.4.1 L’entretien semi-dirigé ...... 68 2.4.2 Le guide d’entretien ...... 69

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2.4.3 Les partis politiques retenus pour l’étude ...... 71 2.4.4 Identification et recrutement des stratèges-répondants ...... 72 2.4.5 Le déroulement des entretiens ...... 75 2.5 L’analyse des données ...... 78 2.6 Interprétation des données ...... 89 Conclusion ...... 89 Chapitre 3. Analyse du profil des stratèges en communication numérique des partis politiques tunisiens ...... 94 3.1 Le volet numérique des formations politiques tunisiennes : structure, acteurs et organisation ...... 95 3.1.1 Structure organisationnelle du volet communicationnel ...... 96 3.1.2 Portrait sociodémographique des stratèges en communication politique ...... 98 3.2 Les archétypes de stratèges professionnels de la campagne numérique ...... 102 3.2.1 Les Apparatchiks ...... 104 3.2.2 Les Communicantes ...... 106 3.2.3 Les Technos ...... 108 3.3 Fracture générationnelle au sein des structures communicationnelles des formations politiques ...... 110 3.4 Stratèges numériques, quelle relation avec la révolution de 2011? ...... 112 3.4.1 Engagement partisan des stratèges avant 2011 ...... 112 3.4.2 Activité des stratèges sur les médias socionumériques lors de la révolution 114 Discussion ...... 121 Chapitre 4. Une révolution Facebook ? La conception des stratèges sur le rôle des médias socionumériques dans le déroulement de la révolution tunisienne ...... 124 4.1 Les fonctions politiques des médias socionumériques lors de la révolution ...... 126 4.1.1 La diffusion d’information, l’arme de la contestation ...... 126 4.1.2 L’interaction, la coordination et l’organisation de la contestation ...... 136 4.1.3 La mobilisation, le moteur de la révolution ...... 140 4.2 Médias socionumériques et révolution, un potentiel démocratisant ? ...... 143 4.2.1 Espaces de liberté d’expression ...... 145 4.2.2 L’information : pilier de la démocratie ...... 145 4.2.3 La participation politique ...... 146 4.3 Révolution Facebook ? Entre mythe et réalité ...... 149 Discussion ...... 151 Chapitre 5. Les pratiques de la révolution dans les stratégies numériques des formations politiques tunisiennes ...... 155 5.1 Du mythe à la réalité : de la révolution numérique à « la guerre » numérique ..... 155 5.1.1 Le déploiement des pages Facebook influentes par les formations politiques tunisiennes lors des campagnes électorales ...... 158 5.1.2 Les « armées numériques » ...... 161 5.2 Les résidus de la révolution dans l’espace numérique tunisien ...... 165 5.2.1 Facebook comme principal espace numérique de campagne ...... 165 5.2.2 Twitter, une plateforme marginalisée ...... 166 5.2.3 Le déploiement des pages Facebook influentes, un résidu de la révolution ? ...... 168 5.3 Les sources d’inspiration des stratèges dans l’élaboration des stratégies numériques...... 172

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5.3.1 Le répertoire d’actions numériques de la révolution (RANR) ...... 177 Discussion ...... 190 Chapitre 6. Élections municipales tunisiennes de 2018. Pourquoi faire campagne dans les médias socionumériques? ...... 196 6.1 L’hybridité des campagnes électorales au niveau local ...... 197 6.1.1 L’hybridité à droite ...... 197 6.1.2 L’hybridité à gauche et au centre ...... 199 6.2 Les objectifs orientant l’usage des médias socionumériques ...... 201 6.2.1 Les objectifs communs à toutes les formations politiques ...... 204 6.2.2 Ennahdha et Nidaa Tounes : des campagnes numériques sous contrôle ...... 209 6.2.3 Front Populaire : une campagne avec les moyens du bord ...... 213 6.2.4 Afek Tounes, MTV et Courant Démocrate : des stratégies numériques « citoyennes » ...... 216 Discussion ...... 223 Conclusion ...... 233 Limites de la recherche ...... 242 Les stratégies numériques des partis politiques, pistes pour des recherches futures ...... 245 Bibliographie ...... 250 Annexe A. Guide d’entrevue : ...... 280 Annexe B. Relevé de thèmes (analyse de thématique étapes 2 et 3) ...... 286 Annexe C. Mots-clés du dictionnaire créé sur Wordstat 7 ...... 288

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Liste des figures

Figure 1.1 Les étapes du processus de sédimentation ...... 52 Figure 2.1 Processus d’analyse des données ...... 79 Figure 5.1 Positionnement des formations politiques à l’égard de la révolution en 2018 . 176 Figure 5.2 Structure intra-organisationnelle hybride ...... 189 Figure 6.1 Les objectifs orientant l’usage des médias socionumériques ...... 203 Figure 6.2 Positionnement des formations politiques à l’égard de la révolution et type de stratégie numérique adopté ...... 228 Figure 6.3 Processus de sédimentation appliqué aux campagnes électorales numériques 230

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Liste des tableaux

Tableau 2.1 Nombre de personnes interviewées par fonction et rôle ...... 74 Tableau 2.2 Nombre de personnes interviewées par formation politique ...... 75 Tableau 2.3 Activités sur les médias socionumériques lors de la révolution (catégories et indicateurs) ...... 80 Tableau 3.1 Sexe et âge des stratèges ...... 98 Tableau 3.2 Niveau d’études des stratèges ...... 99 Tableau 3.3 Formation universitaire des stratèges ...... 100 Tableau 3.4 Milieu professionnel des stratèges ...... 101 Tableau 3.5 Engagement partisan des stratèges avant 2011 ...... 113 Tableau 3.6 Engagement partisan avant 2011 par type de professionnels ...... 113 Tableau 3.7 Niveau d’activité numérique des stratèges lors de la révolution de 2011 ...... 117 Tableau 4.1 Les fonctions politiques des médias socionumériques lors de la révolution tunisienne de 2011 ...... 126 Tableau 5.1 Profils, perceptions et sources d’inspiration des stratèges de la révolution aux élections ...... 175 Tableau 5.2 Classification des actions de la révolution par formations politiques ...... 178 Tableau 6.1 Nombre de mentions aux objectifs communicationnels par formations politiques ...... 205 Tableau 6.2 Nombre de mentions aux objectifs politiques par formations politiques ...... 206 Tableau 6.3 Nombre de mentions aux objectifs de marketing par formations politiques .. 207

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Liste des graphiques

Graphique 2.1 Popularité des médias socionumériques en Tunisie entre 2011 et 2018 ...... 66 Graphique 5.1 Perception du rôle du numérique de la révolution aux élections ...... 156 Graphique 5.2 Sources d’inspiration des stratèges ...... 172 Graphique 5.3 Nombre des stratèges inspirés de la révolution par formation politique .... 174 Graphique 6.1 Distribution des objectifs stratégiques par formations politiques ...... 204 Graphique 6.2 Distribution des catégories selon les répondants d’Ennahdha ...... 210 Graphique 6.3 Distribution des catégories selon les répondants de Nidaa Tounes ...... 210 Graphique 6.4 Distribution des catégories selon les répondants du Front Populaire ...... 214 Graphique 6.5 Distribution des catégories selon les répondants d’Afek Tounes ...... 217 Graphique 6.6 Distribution des catégories selon les répondants du Courant Démocrate .. 217 Graphique 6.7 Distribution des catégories selon les répondants du Mouvement Tunisie Volonté ...... 218

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Liste des abréviations, sigles, acronymes

ANC Assemblée nationale constituante ARP Assemblée des représentants du peuple HAICA Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle ISIE Instance supérieure indépendante pour les élections MTV Mouvement Tunisie Volonté POCT Parti communiste des ouvriers de Tunisie RANR Répertoire d’actions numériques de la révolution RCD Rassemblement Constitutionnel Démocratique TIC Technologies de l’information et de la communication UGTT Union générale tunisienne du travail

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Remerciements

Nous y voilà ! Après des années de travail acharné, de sacrifices, de stress, d’anxiété, de résilience et en même temps de joie et de bonheur, la thèse est enfin terminée et déposée. Ce long parcours a été une magnifique expérience pleine de défis, d’objectifs, de reconnaissance, de satisfaction et de fierté. Par ces quelques mots, je veux témoigner ma gratitude et ma reconnaissance envers celles et ceux qui m'ont accompagné durant ces années.

Je tiens d’abord à remercier mon directeur Christian Desîlets. Merci Christian d’avoir supervisé cette thèse. Merci pour ton encadrement et d’avoir été toujours présent. Merci pour ton écoute, tes précieux conseils, tes remarques et tes critiques constructives qui ont été très bénéfiques et qui m’ont orienté et aidé tout au long de ce parcours. Merci de m’avoir fait confiance, cru en moi et en ce projet.

Je veux remercier également mon mentor, mon directeur Thierry Giasson. Merci pour ta patience Thierry, pour ton ouverture, pour ta générosité, pour ta confiance, pour ta présence et pour ton soutien. Tu m’as accompagné durant les moments de joie et tu m’as épaulé et soutenu durant les moments les plus difficiles. Merci de m’avoir redonné confiance en moi dans les moments de doute et de m’avoir donné des ailes. Je t’en serai toujours reconnaissant. Motivateur, empathique, avec des qualités humaines incroyables, tu m’as toujours poussé de l’avant pour me surpasser avec tes mots chargés d’optimisme et d’encouragement. Ton expertise, tes conseils judicieux et ton encadrement rigoureux ont été d’un grand apport dans la concrétisation de ce travail. Merci !

En intégrant le Groupe de recherche en communication (GRCP), j’ai pu apprendre et évoluer dans un environnement exceptionnel et au sein d’une équipe formidable. J’ai eu la chance de côtoyer des personnes extraordinaires et de bénéficier de conseils pertinents, de commentaires constructifs et de recommandations de professeurs de renom et de collègues brillants.

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Je veux remercier les professeurs du GRCP, particulièrement Colette Brin, Mireille Lalancette, Stéphanie Yates, Yannick Dufresne, Vincent Raynauld, Simon Thibault et Frédérick Bastien. Je veux aussi remercier les professeurs du Département d’information et de communication, en particulier François Demers, Jean Charron, Véronique Nguyên-Duy, Guylaine Martel, Arnaud Anciaux, Julien Rueff et feu Gérard Leclerc ainsi que les professeurs du Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient (CIRAM) principalement, Francesco Cavatorta et Marie Brossier.

Un grand merci aussi à mes ami.e.s et collègues du Département d’information et de communication, du GRCP, du CIRAM, du CECD et du Département de science politique de l’Université Laval : Meryem Sairi, Hanène Kachouti, Jamal Afghane, Philippe Dubois, Virginie Hébert, Jean-Charles Del Duchetto, Olfa Riahi, Sabrina Sassi, Katryne Villeneuve- Siconnelly, Marie Neihouser, Camille Tremblay-Antoine, Justin Carrier, Adrien Cloutier, David Briand, Emmanuel Choquette, Marcos Gon, Nour Al-Houda Assafiri, Karen Bouchard, Audrey Brennan, Nidhal Mekki, Dyeynaba Ndiaye, Pietro Marzo et Alessandra Bonci et Benjamin Toubol. Je suis particulièrement reconnaissant à mon amie et voisine de bureau Fanny Martin pour ses encouragements, son soutien, son écoute et une mention spéciale pour Lily Gramaccia qui a été présente du début jusqu’à la fin de ce parcours.

J’adresse mes remerciements à Wala Kasmi, Kaouther Zantour, Miryam Ben Romdhane, Mouna Kraiem Dridi, Zied Saghari, Tasnim Gazbar, Ommezzine Khélifa, feu Lina Ben Mhenni, Zakia Bouhjila, Dhouha Boucetta, Kaouther Daassi, Nouri Lajmi, Kim Lien Do, Marius Franz, Ilya Arezki et aux professeur.e.s Caterina Carta, Azza Frikha, Hatem M’rad et Sadok Hammami. Je tiens à remercier aussi les 27 personnes qui ont accepté de participer à cette étude et que j’ai eu la chance d’interviewer.

Enfin, cette thèse n’aurait pas pu voir le jour sans le support et le soutien des membres de ma famille qui m’ont accompagné durant toutes ces années. Un grand merci à ma première

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lectrice et ma source de motivation : ma maman, mon pilier, la prunelle de mes yeux, l’amour de ma vie, ma raison d’être. À mon père, mon meilleur ami, qui a toujours cru en moi et qui m’a toujours soutenu et appuyé. Merci pour tes sacrifices papa. À ma sœur, ma moitié qui a toujours été présente à mes côtés où que je sois, en Tunisie, au Canada ou ailleurs. À Adly, mon beau-frère qui m’a toujours soutenu, ainsi qu’à mes deux neveux Ayan et Nayel. À ma mamie, qui nous a quitté le 12 mars 2021 pendant que j’écrivais les dernières lignes de cette thèse. Tu dois sûrement être fière de moi, là-haut ! Une part de chacun d’entre vous se trouve dans cette thèse. Vous avez tous contribué à l’aboutissement de ce projet. Je vous dois ce que je suis aujourd’hui et ce que je serai demain. Du fond du cœur, Merci !

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À la Tunisie et aux martyrs qui ont donné leur vie pour la liberté et la démocratie.

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Introduction1. La transition politique tunisienne (2011-2018)

« Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau » Alexis de Tocqueville (1835 : 9)

La Tunisie d’avant 2011 a toujours été perçue comme un pays stable sur le plan sécuritaire, économique et social. Son autoritarisme, son tourisme de masse et l’image de la société à la croisée des chemins entre l’Orient et l’Occident ont appuyé ce mythe de la stabilité véhiculé par le régime de Ben Ali depuis plus de deux décennies (Allal et Geisser, 2019 : 12, 23). « Experts », organismes internationaux et alliés occidentaux ont longtemps vu en la Tunisie un modèle pour sa performance économique, sa répression « modérée » légitimée par la montée de l’islam politique, faisant la sourde oreille face aux questions des droits de l’homme, des libertés individuelles, politiques et de presse (Allal et Geisser, 2019 : 23). Société sans bruit, immobile, la Tunisie n’était pas digne d’intérêt scientifique aux yeux des chercheurs en sciences sociales et n’inspirait point ceux qui s’intéressaient à la chose politique (Allal et Geisser, 2019 : 12).

Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un jeune marchand ambulant s’immole par le feu à Sidi Bouzid, une ville au centre du pays longtemps marginalisée par le régime en place. Ce fut l’étincelle qui alluma le braisier déclenchant le soulèvement populaire de 2011. Les protestations relayées par les médias socionumériques d’abord, et par les médias internationaux ensuite, gagnèrent toutes les régions de la Tunisie (Lim, 2013). Le 14 janvier 2011 à , et en face du ministère de l’Intérieur précisément, symbole de la peur, de la répression et de la dictature se déroula la grande et ultime manifestation qui poussa le Président Ben Ali à quitter le pays vers l’Arabie Saoudite. Comme le soulève Yadh Ben Achour (2016 : 74) : « contrairement à d’autres révolutions, la Révolution tunisienne ne démarra pas de Tunis, mais, en gagnant Tunis, elle assurait sa victoire définitive ». En l’espace de 29 jours, la « société sans bruit » devient « la société en mouvement » (Allal et Geisser, 2019 : 13) et l’État policier se transforme du jour au lendemain en un État de liberté.

1 Le masculin est employé dans le cadre de cette thèse en tant que genre neutre afin d’alléger le texte et faciliter ainsi sa lecture.

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Ce « séisme politique » sans précédent mettra fin à 23 ans de dictature et fera entrer la Tunisie dans une nouvelle ère démocratique.

Une transition démocratique relativement réussie

Des pays arabes ont suivi la voie de la Tunisie provoquant ainsi ce qui a été qualifié de « printemps arabe » par les médias occidentaux. Considéré comme modèle de transition démocratique pacifique, le cas tunisien a été présenté par les experts et observateurs internationaux comme pouvant inspirer d’autres pays sortants de l’autoritarisme (Allal et Geisser, 2019 : 22). Néanmoins, l’arrêt du processus de démocratisation et la restauration de régimes autoritaires en Égypte, en Jordanie, au Bahreïn et le tumulte engendré par les guerres civiles en Lybie, en Syrie et au Yémen a conforté la thèse de Safwen Masri (2017). L’universitaire américano-jordanien a soutenu dans son ouvrage Tunisia, an arab anomaly que le modèle tunisien n’est ni exportable ni imitable dans le monde arabe en raison de facteurs sociohistoriques qui lui sont propres (Allal et Geisser, 2019 : 23; Masri, 2017). En effet, parmi ces pays qui ont connu le « printemps arabe », seule la Tunisie a pu poursuivre le chemin de la transition politique gardant intacte l’hypothèse démocratique (Ben Hammouda, 2021; Haski, 2019, cité dans Nafti, 2019 : 7). Elle s’est distinguée par un processus de négociations nationales qui a mené à des acquis sur le plan politique et à une transition démocratique relativement réussie. Hmed (2016 : 147) relève que « l’exceptionnalité de la révolution tunisienne est célébrée dans le monde occidental et attestée par le pacifisme relatif de sa transition comme par les succès accumulés dans le champ politique ».

Le 26 janvier 2014, une nouvelle Constitution conforme aux normes énoncées par la doctrine démocratique et libérale des droits de l’homme universels (Gobe et Chouikha, 2015) a été adoptée à la majorité par l’Assemblée nationale constituante (ANC). Ces réformes constitutionnelles ont instauré un pluralisme politique en plus d’un système démocratique reposant sur des élections ouvertes (Ben Hammouda, 2021). Durant les dix dernières années, six élections libres et transparentes ont été réalisées, suivies à chaque fois d’une passation pacifique du pouvoir : une première dans le monde arabe où les chefs d’État finissent plutôt leur mandant en exil, en prison ou assassinés. À travers sa construction démocratique, la

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Tunisie a réussi à rompre définitivement avec le récit du despotisme oriental (Ben Hammouda, 2021). Ce processus démocratique pacifique a d’ailleurs été reconnu en 2015, lorsque les membres du Dialogue national, qui assurait la transition démocratique depuis 2011, se sont vus décerner le Prix Nobel de la paix.

L’intérêt scientifique suscité par le contexte tunisien post-révolution

La consolidation de la démocratie en Tunisie a accentué l’idéalisation de l’expérience tunisienne (Allal et Geisser, 2019 : 22; Ben Achour, 2016). En effet, ces nouveaux enjeux politico-institutionnels ont créé une nouvelle dynamique de recherche en sciences sociales (Allal et Geisser, 2019 : 13). Une dynamique qui a contribué à l’émergence d’une nouvelle génération de jeunes chercheurs tunisiens – dont je fais partie – qui se sont intéressés à ce processus de démocratisation, unique dans le monde arabe.

Dans un pays où la recherche académique en science politique fut longtemps muselée, surveillée et censurée, la révolution tunisienne a généré non seulement une émancipation de la parole publique, mais aussi et surtout de l’écriture scientifique (Allal et Geisser, 2019 : 12). Les sciences sociales en Tunisie, et celles traitant plus spécifiquement d’enjeux politiques ont connu durant ces deux dernières décennies un état de léthargie selon Allal et Geisser (2019 : 14) pour cause de censure et de rupture de la chaine de transmission académique. Il convient de souligner que cette thèse n’aurait pas pu être écrite avant la chute du régime Ben Ali. D’abord à cause de la censure et de la surveillance policière des écrits scientifiques et universitaires en Tunisie et ailleurs. Ensuite, car la vie politique en Tunisie avant 2011 n’avait aucun sens (Allal et Geisser, 2019 : 12). Ainsi, la presse et les médias d’information étaient contrôlés par le régime. Les partis d’opposition2 autorisés étaient caricaturaux pour la plupart. Et enfin, un unique parti traditionnel le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, le parti du président Ben Ali), gangrenait les institutions étatiques et dominait ainsi l’espace public. Quel intérêt à étudier des phénomènes politiques

2 Plusieurs partis politiques d’opposition autorisés sont qualifiés de « partis croupions » ou de « partis du système » (Geisser et Gobe, 2004). Il s’agit de partis qui présentent leurs propres candidats aux élections mais appellent à voter pour Ben Ali. Pour savoir davantage sur l’opposition au temps de Ben Ali, voir Gobe et Chouikha (2000).

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et électoraux lorsque les élections se gagnaient à 99,45 % des voix par le parti unique de Ben Ali?

Par cette thèse de doctorat, mon aspiration personnelle en tant que citoyen et en tant que chercheur tunisien est d’apporter non seulement ma contribution à cette révolution de la dignité3 qui a libéré la recherche en sciences sociales du contrôle de l’État, mais aussi de contribuer au développement de la recherche en communication politique sur le contexte tunisien, un objet d’étude encore peu analysé. Ayant vécu la révolution à Tunis en 2011 et suivi la transition démocratique à partir du Québec, le contexte tunisien s’est imposé comme objet d’étude en communication politique. Il s’agit d’un cas d’espèce inédit puisque la Tunisie a connu la seule révolution ayant mené à une démocratie à l’ère des médias socionumériques.

Il est vrai qu’une importante littérature a été consacrée au contexte politique tunisien depuis 2011. Néanmoins, force est d’admettre que certains intellectuels et chercheurs – pris par la vague révolutionnaire – ont parfois cédé à une vision romantique de ces mouvements (Allal et Geisser, 2019 : 15). Certains écrits, peu fondés sur des travaux empiriques rigoureux et systématiques, ont engendré une forme d’idéalisme révolutionnaire. Un idéalisme qui s’incarne à la fois par la disproportion qu’occupe l’« exceptionnalisme » de la transition démocratique tunisienne dans les conclusions de ces travaux, mais aussi par le cyberoptimisme démesuré des chercheurs qui se sont penchés sur le rôle du numérique dans la chute du régime de Ben Ali.

À l’opposé, d’autres analyses, dont celles de Hédi Daniel ou de Mezri Haddad, nient l’existence même d’une révolution en Tunisie en 2011 (Ben Achour, 2016 : 26). Daniel associe la révolution à un complot américano-sioniste alors que Haddad présente la révolution comme « un évènement programmé par des cyberdissidents confortablement installés derrière leurs claviers envoyant les jeunes et pauvres déshérités réduits à des moutons ou des idiots utiles, se faire tuer par la police » (Ben Achour, 2016 : 27). D’après

3 C’est par « révolution de la dignité » que la révolution de 2011 fut qualifiée par les jeunes tunisiens rejetant la qualification de « révolution du jasmin » accolée par certains médias occidentaux.

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la thèse4 de Haddad, fervent défenseur du régime de Ben Ali, ces cyberactivistes ont été manipulés par des centres de formation américains contrôlés par la CIA et par Al Jazeera (Ben Achour, 2016 : 27). Cette opinion est d’ailleurs partagée par la grande majorité des membres de l’ancien régime, dont certains ont été rencontrés dans la cadre de cette thèse.

Une fois la vague révolutionnaire passée, et avec suffisamment de recul, nous sommes en mesure aujourd’hui de nous positionner par rapport à cet événement et d’aller au-delà des événements de 2011 dans l’étude d’enjeux qui relèvent du web politique dans le contexte tunisien. En effet, il convient de préciser que cette thèse ne s’inscrit pas directement dans la continuité des travaux consacrés aux mobilisations contestataires du « printemps arabe ». La question du rôle du numérique dans la révolution tunisienne y est étudiée certes, mais ne constitue pas l’objet de la thèse. Notre travail prend en compte cette question – fondamentale dans le contexte tunisien – en s’inscrivant dans le champ du digital campaigning5, des campagnes numériques, à travers l’étude d’un terrain qui, au vu de ses propriétés sociopolitiques et historiques, parait différent de ceux étudiés précédemment.

Numérique et transition démocratique

Durant la période de transition démocratique qu’a connue la Tunisie, les médias socionumériques auraient continué à constituer des espaces permettant aux citoyens de non seulement participer au débat public, mais également de se mobiliser et d’exprimer plus librement leurs revendications sociales et politiques (Najar, 2013b ; Hammami, 2017; Breuer et Groshek, 2014; Ben Saad-Dussaut, 2015; Bougamra, 2015). Ainsi, lors de la campagne pour les élections de l’Assemblée nationale constituante du 23 octobre 2011 – les premières élections démocratiques de l’histoire de la Tunisie – l’activité politique sur les plateformes

4 Dans son livre « La face cachée de la révolution tunisienne : Islamisme et Occident, une alliance à haut risque » publié en 2011, Mezri Haddad soutient que la Révolution tunisienne a été un complot. Il écrit plus tard : « Vous croyez sincèrement qu'on peut faire une Révolution avec des téléphones portables, des ordinateurs et quelques leaders cyberactivistes qui transmettent en temps réel les événements à Al-Jazeera, dont la moitié du staff stratégique, technique et rédactionnel était composée par des Tunisiens islamistes ! Oui, c'est de cette manière qu'a commencé, dans notre pays, ce que vous appelez Révolution » (Haddad, 2013). 5 Selon Ehrhald et ses collègues (2019 : 99), dans la littérature de science politique et de communication politique, les recherches relatives au numérique dans le domaine électoral sont regroupées dans le champ du digital campaigning qui correspond à la numérisation des activités des campagnes électorales. On parlera alors en français de l’étude des campagnes numériques.

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numériques a connu une expansion importante, alors que les partis politiques et leurs sympathisants se sont mobilisés sur Facebook (Bougamra, 2015 : 73). Compte tenu des potentialités offertes par les médias socionumériques et le rôle qu’ils auraient joué dans la révolution de 2011, les politiciens ont compris la nécessité d’être présents sur ces espaces (Ben Abdallah, 2013b; Hammami, 2020). Trois ans plus tard, en 2014, la majorité de la communication électorale menée lors des campagnes législatives et présidentielles sera diffusée sur les médias socionumériques, puisque la nouvelle loi électorale issue de l’Assemblée nationale constituante interdit6 la publicité politique sous toutes ses formes dans les médias audiovisuels. Cette interdiction fera migrer la publicité politique vers Facebook, ce qui aurait favorisé davantage l’intégration du numérique dans les stratégies de communication des partis politiques. Bien qu’un côté plus sombre de la communication politique numérique ait été observé ces dernières années, incluant la montée des fakenews et des trolls (Hammami, 2020), le web est toujours valorisé en Tunisie en demeurant depuis la révolution de 2011, le premier outil d’information politique des citoyens (Bougamra, 2015 : 55; Hammami, 2020). Récemment Elswah Mona et Philip Howard ont souligné que : « after ousting Ben Ali, Tunisian activists continued to engage in online civic actions. Facebook is the most popular social media platform in Tunisia. There are more Tunisians on Facebook than there are registered voters in the country. About 66% of Tunisians have subscribed to Facebook, making Tunisia the top country in the Maghreb to use Facebook » (2020 : 2).

Malgré ces développements politiques et communicationnels majeurs en Tunisie, les chercheurs Tunisiens et internationaux se sont toutefois peu intéressés aux usages du numérique par les partis politiques dans le cadre des compétitions électorales. Ainsi, bien que les travaux portant sur le web politique en Tunisie gagnent en nombre, ils portent principalement sur le cyberactivisme contestataire lors du soulèvement de 2011 (Boullier, 2013; Lecompte, 2011; Najar, 2013a; Zayani, 2015; Poell et Darmoni, 2012). Leurs conclusions sont claires : le numérique aurait contribué à la protestation tunisienne contre le régime autoritaire en 2011 (Zayani 2019 : 120; Zarrad, 2013; Brueur et al., 2015; Howard et Hussain, 2013 : 32; Touati, 2012). Toutefois, qu’en est-il depuis 2011 ? Que reste-t-il de ces

6 Loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et au référendum (Constitution tunisienne). Consulté en ligne http://www.isie.tn/wp-content/uploads/2018/01/Loi-Organique-n°2014-16.pdf

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pratiques de communication numérique ? Comment le numérique est-il maintenant mobilisé par les partis politiques dans ce nouveau contexte démocratique ou de nouvelles institutions politiques s’animent ?

Malgré l’importance du numérique dans la vie politique tunisienne et la succession des échéances électorales depuis le changement de régime, son rôle dans le cadre des campagnes électorales demeure méconnu et constitue une « zone d’ombre » dans la recherche consacrée à la démocratie tunisienne émergente. Ce manque d’analyses sur la période contemporaine nous a interpellé et encouragé à étudier les pratiques de communication numériques lors des premières élections municipales à l’ère démocratique réalisées le 6 mai 2018.

Le cas tunisien comporte ses propres spécificités et il serait réducteur d’étudier les campagnes numériques des partis politiques dans ce nouvel environnement démocratisé sans prendre en compte l’héritage du phénomène révolutionnaire de 2011, notamment de sa dimension numérique. En ce sens, cette thèse entend identifier et comprendre comment les pratiques numériques initiées par le mouvement contestataire de 2011 se retrouvent, sept ans plus tard, intégrées dans les campagnes numériques des partis politiques tunisiens. Nous avons choisi les élections municipales de 2018 comme étude de cas. Nous proposons l’hypothèse générale de la sédimentation des pratiques numériques qui s’inscrit dans une perspective d’analyse processuelle empruntée à la géologie. Elle nous permet d’établir un lien entre deux phénomènes temporellement distincts, soit la révolution de 2011 et les élections municipales en 2018.

La révolution de 2011 est un évènement déterminant dans l’histoire de la Tunisie. Elle a changé radicalement la vie politique nationale et a marqué tous ses acteurs y compris ceux qui sont chargés aujourd’hui de concevoir les stratégies électorales. Dans ce terrain de recherche, encore peu exploré sous l’angle de la communication partisane, nous avons décidé d’appréhender la question de l’appropriation du web par les partis politiques à partir d’une approche par les acteurs. Il s’agit d’une approche innovante et originale, qui demeure peu mobilisée dans la littérature académique.

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L’étude du profil des stratèges est fondamentale pour saisir et comprendre la complexité de l’élaboration des stratégies numériques (Theviot, 2018). En Tunisie, cette classe d’acteurs aurait vécu la révolution de près et serait amenée aujourd’hui à préparer et à mettre en place des stratégies numériques dans un contexte démocratique. Plusieurs facteurs liés aux profils des stratèges comme leurs expériences de la révolution, leur vécu et leurs caractéristiques sociodémographiques peuvent les conduire à appréhender différemment la conception des stratégies numériques, notamment pour ces élections municipales.

Dans une première étape, nous cherchons à savoir qui sont les stratèges au sein des partis politiques, comment ils ont expérimenté la révolution et comment ils ont mobilisé le numérique lors de cet événement. Dans une deuxième étape, nous nous intéressons à leurs perceptions du rôle du numérique dans le cadre du soulèvement de 2011 et dans celui de la démocratie. Dans une troisième étape, nous examinons les sources d’inspiration des stratèges en essayant de saisir si ces derniers reproduisent dans leurs stratégies électorales des pratiques numériques qui ont marqué la révolution. Enfin, dans une quatrième étape, nous analysons les objectifs stratégiques qu’assignent les stratèges aux campagnes numériques pour les élections municipales.

Ce protocole de recherche en quatre séquences permet d’une part d’identifier les traces possibles de la révolution dans les pratiques numériques privilégiées par les stratèges tunisiens et, d’autre part, de comprendre leur incidence sur la conception des stratégies numériques des partis politiques pour les élections municipales de 2018. Le cas est étudié selon une méthode mixte, combinant à la fois des données qualitatives et quantitatives de même que la déduction et l’induction. Ce faisant nous répondons à nos questions de recherche spécifiques en apportant des contributions théoriques, méthodologiques et empiriques à la littérature scientifique consacrée à la communication politique numérique.

Structure de la thèse

Le premier chapitre expose la problématique et le cadre théorique mobilisé dans cette thèse. Nous présentons l’aspect technique des médias socionumériques à travers notamment leurs potentialités interactives et participatives (les affordances). Nous exposons par la suite un

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état des lieux des travaux portant sur l’articulation entre numérique et mouvements sociaux contemporains en mettant en avant l’approche théorique de l’« action connective » (connective action) avancée par Lance Bennett et Alexandra Segerberg (2012). L’attention est orientée sur le terrain tunisien et le volet numérique de la révolution de 2011. Dans la section suivante, nous présentons un état du savoir des travaux portant sur l’articulation entre numérique et institutions politiques dans un cadre conventionnel en mettant en avant l’approche théorique de l’hybridité médiatiques proposée par Andrew Chadwick (2013). Dans cette partie, le volet interne des campagnes numériques est mis en évidence, de même que les objectifs stratégiques qui leur sont assignés ainsi que les facteurs susceptibles de les orienter. Une autre section porte sur l’examen des travaux consacrés aux stratèges, concepteurs des campagnes numériques ainsi qu’à l’apparition de nouvelles configurations partisanes issues des mouvements sociaux contemporains. Nous présentons par la suite une nouvelle conception de l’articulation mouvement sociaux/partis politiques à l’ère numérique à travers le prisme de la sédimentologie. Formant la colonne vertébrale de cette thèse, le processus de sédimentation – à travers ses quatre étapes – est présenté et les concepts afférents expliqués. Finalement, à partir de l’état des connaissances présenté, les carences dans la littérature sont relevées et les questions de recherche et l’hypothèse principale exposées.

Le deuxième chapitre décrit la méthodologie mobilisée dans cette thèse. Notre devis mixte reposant sur une étude de cas est expliqué. Le protocole de recherche déployé, peu commun dans les études sur le web politique, se focalise en priorité sur le récit des stratèges numériques des partis politiques. Les données ont été colligées à travers des entretiens semi- dirigés auprès de 27 stratèges issus des six principaux partis politiques tunisiens. Le protocole de ces entretiens est présenté de même que les techniques d’analyses privilégiées : analyses de contenu qualitatives (par catégories et thématiques) et quantitatives semi- automatisées à l’aide d’un dictionnaire (QDA Miner 5 et WordStat 7). La compréhension du phénomène dans toute sa complexité a nécessité le rapprochement de données qualitatives et quantitatives dans l’interprétation des résultats. La thèse apporte ainsi une contribution méthodologique pour la recherche en communication politique en contexte numérique en adoptant ce devis mixte à prédominance qualitative, alors que le champ de recherche est

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principalement dominé par la recherche quantitative (Karpf, Kreiss, Nielsen et Powers, 2015).

Les quatre chapitres subséquents présentent les résultats de la thèse.

Dans le troisième chapitre, nous dressons le portrait du profil des acteurs chargés de la communication numérique des formations politiques en Tunisie. À travers une immersion dans le monde de ces stratèges numériques, nous distinguons trois types d’acteurs impliqués dans la campagne numérique pour les élections municipales de 2018 : les Apparatchiks, les Communicantes et les Technos. L’enquête sur l’expérience de ces derniers lors de la révolution de 2011 révèle qu’une grande partie des Technos étaient impliqués dans le mouvement révolutionnaire en tant que cyberactivistes. La présence de cyberactivistes de la révolution de 2011 au sein des équipes de campagne des partis politiques en 2018 représente une particularité du contexte tunisien et constitue le premier sédiment de la révolution dans ce nouvel espace démocratisé.

Dans le quatrième chapitre, nous examinons les perceptions des stratèges face au rôle du numérique lors de la révolution. Ces perceptions sont marquées par leurs expériences personnelles, que nous avons recensées afin de contribuer à la compréhension du rôle du numérique dans la révolution tunisienne de 2011. Une grande partie des stratèges interrogés dans le cadre de la thèse s’avèrent cyber-optimistes, et un nombre non négligeable d’entre- eux adhèrent à un certain déterminisme technologique. Facebook et Twitter sont décrits par ces répondants comme des « catalyseurs de la révolution ».

Dans le cinquième chapitre, nous relevons que le changement de contexte (de la révolution aux élections) semble avoir eu un impact sur la perception des stratèges face à la portée émancipatrice du numérique dans la communication politique menée en contexte démocratique. Sept ans après la révolution, la majorité des répondants sont devenus cyber- réalistes. Les explications avancées par ces stratèges pour expliquer ce changement de perception représentent une contribution innovante de la thèse, car elles mettent en évidence un côté plus sombre des campagnes numériques rarement divulgué et peu étudié dans la production scientifique. Toutefois, une catégorie particulière de stratèges est demeurée

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cyber-optimiste, il s’agit des Techno-activistes. Ce cyber-optimisme démesuré, qui s’incarne notamment dans la croyance en la « révolution numérique », représente le deuxième sédiment de la révolution qu’on retrouve aujourd’hui chez ces stratèges qui évoluent dans un contexte démocratique.

Nous nous intéressons par la suite aux sources d’inspiration de ces derniers dans l’élaboration des stratégies numériques. Notre analyse indique qu’une grande partie des répondants s’inspirent des pratiques numériques de la révolution. Ces pratiques, issues d’un contexte contestataire et mobilisées dans un contexte institutionnalisé, ont été recensées et regroupées dans un répertoire d’actions numériques de la révolution (RANR). Ce répertoire constitue également une contribution de la thèse et représente le troisième sédiment de la révolution dans ce contexte de compétition politique et d’exercice de la démocratie.

Enfin, le sixième chapitre est consacré à l’étude des objectifs stratégiques assignés aux campagnes numériques pour les élections municipales de 2018 à travers le discours des stratèges. Les données indiquent que les formations qui semblent adopter des stratégies numériques citoyennes plus engageantes et plus innovantes sont celles où se sont accumulés les sédiments de la révolution :

• Elles emploient d’anciens cyberactivistes révolutionnaires au sein de leurs équipes de campagne. • Leurs stratèges sont en majorité cyber-optimistes dans le contexte de la démocratisation. • Leurs stratèges s’inspirent des pratiques numériques de la révolution dans la conception des stratégies électorales numériques.

La thèse soutient qu’à travers un processus de sédimentation – qui se serait développé de la révolution aux élections – l’héritage du soulèvement de 2011 se retrouve sept ans plus tard dans les campagnes numériques de certains partis politiques (MTV, Courant Démocrate, Afek Tounes). Cet héritage semble marquer le contexte démocratique tunisien en imprégnant, à divers degrés, les stratégies numériques préparées pour les élections

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municipales de 2018 en favorisant notamment les initiatives citoyennes et l’exploitation des potentialités démocratisantes des médias socionumériques.

Compte tenu de la particularité et de la complexité du contexte étudié, l’étude des pratiques de communication électorales dans cette démocratie née à l’ère numérique a nécessité l’adoption d’une démarche différente des études réalisées dans la littérature sur le web politique. Cette thèse appréhende la recherche en contexte numérique à travers une approche ambitieuse et novatrice en donnant une densité sociologique à l’étude du web politique dans le contexte tunisien (Theviot, 2018; Rueff, 2017). Sous les apparences des campagnes numériques, il existe des logiques sous-jacentes non observables qui relèvent non seulement de considérations sociohistoriques propres au contexte étudié, mais aussi de considérations liées au profil des acteurs chargés d’élaborer les stratégies électorales. Cette thèse identifie, met en évidence et croise ces facteurs en soulevant leur incidence sur l’orientation des stratégies préparées pour les élections municipales de 2018 en Tunisie post-révolution.

Ces dix dernières années ont été cruciales pour cette démocratie tunisienne émergente et il est fondamental que la recherche scientifique suive cette évolution et se penche sur les enjeux politiques. Notre étude s’inscrit dans cette lignée qui permet de comprendre davantage les rouages de la politique partisane qui représente un des fondements de la démocratie. Les chercheurs ont un rôle majeur à jouer dans une société donnée et peuvent apporter leur propre contribution dans l’instauration de la démocratie en analysant, en éclairant et en facilitant la compréhension de certains phénomènes politiques. Le chemin vers la démocratie est long, fastidieux et est truffé d’embuches. En Tunisie, beaucoup a été fait sur le plan politique durant ces dix dernières années, néanmoins, l’aspect socio-économique a été amplement négligé. Après l’optimisme des premières années de la révolution, nous assistons aujourd’hui à un désenchantement sans précédent envers le processus démocratique ouvert après 2011. Pour preuve, les cyberactivistes qui étaient considérés comme des héros durant les premières années de la transition sont perçus aujourd’hui comme des cyber-utopistes coupés de la réalité, et qualifiés même par certains, de traitres de la nation.

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Bien que la Tunisie soit le seul pays arabe à avoir réalisé sa révolution et réussi relativement sa transition, nous assistons aujourd’hui à un discours aussi pessimiste que celui qui caractérise l’échec démocratique de « l’hiver arabe ». Ainsi, il ne suffit pas de faire tomber un régime autoritaire pour accomplir une révolution démocratique : il faut encore mettre en place des institutions capables d’instaurer une démocratie résistante.

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Chapitre 17. Problématique et cadre théorique

Au cours de ces dernières années, la production scientifique sur le web politique s’est considérablement enrichie suite au développement rapide du numérique et de son lien avec différents évènements qui ont marqué la scène politique internationale. De la campagne présidentielle de Barack Obama en 2008 jusqu’aux soulèvements du printemps arabe en 2011, ces évènements ont incité la communauté scientifique à se pencher sur le potentiel des médias socionumériques à transformer la participation politique des citoyens (Bimber, 2012; Boulianne, 2015, 2020; Enli et Moe, 2013; Vaccari, 2017; Raynauld et al., 2016). Les médias socionumériques ont ouvert dans le domaine de la recherche en communication politique la question de savoir s’ils auraient le pouvoir de créer un nouvel espace de participation et d’interaction entre les élites politiques et les citoyens (Graham et al., 2013a; Vergeer et Hermans, 2013; Lilleker et Malagón, 2010; Vaccari, 2017; Lilleker 2013; Roginsky et De Cock, 2015; Ben Mansour, 2017a).

Cette question a suscité l’intérêt de plusieurs chercheurs en communication et en science politique, qui ont surtout étudié jusqu’ici les volets web des campagnes électorales faites à l’échelon national dans les démocraties occidentales établies. Dans les pratiques observées, ces dispositifs n’ont pas vraiment permis de renforcer la participation et l’engagement politique des citoyens. Ils ont plutôt reproduit les formes de communication traditionnelle qui limitent la participation politique des citoyens et privilégient la diffusion de l’information partisane (Giasson et al., 2013; Koc-Michalska et al., 2014a; Schweitzer, 2008; 2011; Small, 2014; Ben Mansour, 2017a).

7 Certains éléments de ce chapitre ont fait l’objet de publications scientifiques : Ben Mansour, Bader. (2017a) « Le rôle des médias sociaux en politique : une revue de la littérature », Regards Politiques, 1.1, p. 3-17. Ben Mansour, Bader (2017b). « Le rôle des TIC dans les mouvements contestataires tunisiens et égyptiens : une revue de la littérature », Communication, technologie et développement, n°4, p. 153-166. Ben Mansour, Bader (2019b). « L’usage politique du Web 2.0 et l’émergence de nouvelles formes de participation politique », dans Liénard, Fabien et Sami Zlitni (dir.), Médias et communication électronique : enjeux de société, Éditions Lambert-Lucas, p.119-128.

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À l’opposé, les chercheurs qui se sont intéressés aux pratiques numériques qui ont accompagné les événements survenus en contexte de contestation et de soulèvement (printemps arabe, les mouvements des indignés en Espagne, en Italie, Occupy à New York) s’entendent sur le fait que le numérique, à travers son architecture de participation, aurait facilité l’organisation, la coordination et le développement de ces mouvements (Bennett et Segerberg, 2013; Proulx, 2013; Howard et Hussain, 2013; Castells, 2012; della Porta et al., 2017 ; Tufecki, 2019; Poell et van Dijck, 2018; Gerbaudo, 2012; Kavada et Poell, 2020).

Véritable déclencheur des évènements du « printemps arabe », le soulèvement tunisien a été fréquemment associé aux médias socionumériques. Plusieurs chercheurs avancent qu’ils auraient joué un rôle important dans l’aspect organisationnel du mouvement, présentant aux citoyens des espaces alternatifs pour se mobiliser (Howard et Hussain, 2013; Lim, 2013; Tufecki, 2019; Zayani, 2015; Breuer et al., 2015). Le potentiel mobilisateur et interactif des médias socionumériques, exploité judicieusement par les internautes, a fait que le mouvement révolutionnaire se répande rapidement suscitant la participation et le soutien d’un grand nombre de citoyens (Lim, 2013; Zayani, 2015). La nature participative et décentralisée des médias socionumériques mobilisés à des fins contestataires aurait permis aux cyberactivistes de créer du contenu et aux internautes de le partager à grande échelle. La plateforme Facebook, principalement, se serait imposée durant la contestation en Tunisie comme un espace d’engagement offrant une sphère plus libre et plus dynamique favorisant ainsi l’interaction sociale et l’implication politique des citoyens (Tudoroiu, 2014; Zayani, 2015; Hammami, 2017).

Les études sur les usages du web en communication politique dans les pays arabes, et en Tunisie particulièrement, se sont faites principalement dans le cadre de révoltes et ont été consacrées au cyberactivisme contestataire des citoyens (Boullier, 2013; Howard et al., 2011; Lecompte, 2011; Najar, 2013a; Lim, 2013; Zayani, 2015). Ces travaux traitent plus spécifiquement des formes de participation non conventionnelles au sens de Small, Giasson et Marland (2014). Aujourd’hui, et bien que la Tunisie ait connu six rendez-vous électoraux, nous en savons encore très peu sur les pratiques de communication numériques des partis politiques dans le contexte démocratique qui s’est institué suite à la révolution de 2011.

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Malgré l’importance du web dans la vie politique tunisienne depuis 2011 (M’rad, 2017; Hammami, 2020; Delmas, 2020), les stratégies et les pratiques de campagnes électorales numériques des partis politiques demeurent encore méconnues. Après qu’un consensus ait été formé quant au rôle des outils numériques lors du mouvement révolutionnaire de 2011, nous avons choisi sept ans plus tard d’examiner de près la manière dont les partis politiques se sont appropriés à leur tour la communication sur Internet.

La démocratie tunisienne est naissante et le caractère exceptionnel du phénomène justifie en soi que l’on s’y intéresse, notamment sous l’angle de la communication politique numérique. Elle représente un cas d’étude exceptionnel puisqu’elle constitue la première et la seule démocratie fonctionnelle née d’une révolution où les technologies numériques ont souvent été présentées comme ayant joué un rôle important. Comme le soutient Tudoroiu (2014 : 365) : « Fundamentally, the Arab Spring was the first revolutionary wave ever to reflect the change in power relations originating in the rise of new communication networks ».

En l’espace de sept ans, la Tunisie a connu une révolution marquée par des pratiques numériques, une transition démocratique relativement réussie et les premières élections municipales à l’ère démocratique et au temps des médias socionumériques. De la révolution aux élections, le numérique a accompagné toute la phase de transition démocratique et constitue aujourd’hui un outil de communication indispensable aussi bien pour les citoyens que pour les institutions politiques (Hammami, 2020; Ben Abdallah, 2013b; Bougamra, 2015 : 73).

Ce changement de système politique nous intéresse particulièrement du point de vue de la communication politique. Il offre une opportunité unique d’appréhender l’héritage de la révolution dans cet espace nouvellement démocratisé. Ce faisant, l’objectif de notre thèse est de relever si les pratiques numériques initiées par le mouvement contestataire de 2011 se retrouvent, sept ans plus tard, intégrées dans les campagnes numériques des partis politiques lors des premières élections municipales de l’ère démocratique.

1.1 Web participatif et médias socionumériques

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La deuxième génération du web qui a émergé à partir de 2004 a été qualifiée de « web 2.0 » par Tim O’Reilly (Millerand, Proulx et Rueff, 2010). Il s’agit de l’exploitation du web d’une manière « plus interactive et collaborative, favorisant l’interaction sociale et présentant de nouvelles opportunités de participation des utilisateurs » (Murugesam, 2007, cité dans Small, 2012 : 195). Le qualificatif « web 2.0 », bien qu’utilisé à ce jour par plusieurs chercheurs (dont Gibson, 2020; Stromer-Galley, 2014; Gerbaudo, 2019) est connoté d’un point de vue technique et de marketing. Dans le cadre de cette thèse nous parlerons plutôt de web participatif afin de mettre l’accent sur le rôle des usagers placés au centre du dispositif où ils sont appelés à jouer un rôle en ligne en produisant et en faisant circuler des contenus (user-generated content) (Proulx, 2012 : 11). Les médias socionumériques se fondent dans cette idéologie participative (Heaton, Millette et Proulx, 2012 : 3) et renvoient aux plateformes sociales développées sur le web comme les blogues, les sites de réseaux sociaux (Facebook), les microblogs (Twitter), les sites de vidéos en ligne (YouTube) et les wikis (Wikipédia) (Giasson, et al., 2013 : 136; Latzko-Toth et al., 2017; Enli et Moe, 2013). Les notions de « médias socionumériques », « médias sociaux » (termes employés plus souvent au Québec), « réseaux sociaux » ou « réseaux socionumériques » (plus communément employés en France) reposent sur une « architecture de participation » qui favorise la co- production de l’information, le réseautage social et offrirait des espaces d’interaction (Jackson et Lilleker, 2009; Jensen, 2017).

Nous mobiliserons dans cette thèse le terme de « médias socionumériques » afin de mettre l’accent sur les dimensions numériques et sociales de ces médias (Yates et Arbour, 2013). Dans le champ de la communication politique, les médias socionumériques ont longtemps été présentés comme des outils ayant des potentialités interactives et participatives (Kalsnes, 2016; Gerbaudo, 2019 : 14; Dahlgren, 2012; Jensen, 2017) considérées comme démocratisantes (Gibson, 2020 : 35; Loader et Dan Mercea, 2012; Gerbaudo, 2019 : 69) s’exprimant par le terme d’affordances, que l’on pourrait traduire par potentialités.

1.1.1 Les potentialités des médias socionumériques

Généralement compris comme des « possibilités d’actions » (Kalsnes, Larsson et Enli, 2017), les affordances représentent les potentialités ou les capacités d’agir qu’offrent les

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médias socionumériques à leurs usagers (Stromer-Galley, 2014 : 177, 185; Vaccari, 2013a : 34; van Dijck et Poell, 2013; Klinger et Svensson, 2015; Enli et Skogerbø, 2013; Koc- Michalska et al., 2020; Kreiss et al., 2018; Larsson, 2020).

Kreiss, Lawrence et McGregor (2018 : 16) définissent les affordances comme « what various platforms are actually capable of doing and perceptions of what they enable, along with the actual practices that emerge as people interact with platforms ». Les possibilités, les perceptions et les pratiques relatives à une plateforme dépendent nécessairement de son architecture numérique, laquelle, façonne les affordances et conséquemment le comportement des usagers (Bossetta, 2018).

Certains auteurs (dont Cardon, 2010; Castells, 2012) ont mis en évidence les affordances démocratiques du web participatif dans un contexte de mouvements sociaux rappelant comment les citoyens lors des évènements du printemps arabe se sont appropriés ingénieusement les médias numériques à des fins de contestation (Latzko-Toth et al., 2017; Bennett, Segerberg et Walker, 2014).

Dans un contexte de campagnes électorales, Koc-Michalska et ses collaborateurs (2020) définissent les affordances comme des opportunités de réaliser une action qui pourrait être profitable pour un acteur donné. Parmi les affordances clés de la plateforme Facebook exploitées par les partis politiques en campagne, les auteurs identifient la visibilité que procure cette plateforme, l’interaction (conversation) et la capacité à développer des communautés numériques (création d’un réseau de supporters) (Kreiss et al., 2018; Larsson, 2020).

Nous appréhendons donc les affordances des médias socionumériques comme des potentialités interactives et participatives que procurent ces outils pouvant être exploités aussi bien par les citoyens dans le cadre des mouvements sociaux que par les partis politiques et les citoyens dans le cadre des campagnes électorales. Les médias socionumériques, reposent sur une « architecture de participation » dans laquelle l’usager est appelé à jouer un

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rôle et où l’interaction représente la base sur laquelle reposent ces dispositifs (Stromer- Galley, 2014; Bossetta, 2018; Kalsnes, Larrson et Enli, 2017; Baldwin-Philippi, 2015 : 30).

a. L’interactivité

Kiousis (2002, cité dans Lilleker et Malagón, 2010 : 27) définit l’interactivité comme « un environnement créé par une technologie de communication dans lequel les participants peuvent communiquer (one-to-one, one-to-many, many-to-many) symétriquement et asymétriquement et peuvent participer à des échanges réciproques de messages ». Pour qu’un message soit interactif, il doit être transformé en un échange de communication, c’est- à-dire en conversation (Lilleker et Malagón, 2010). Cette approche est conforme à celle de Rafaelli (1988, cité dans Lilleker et Jackson, 2011 : 111) qui s’était focalisé sur l’interaction humaine et la conversation et avait soutenu que la communication en face à face présentait le plus haut niveau d’interaction. Il existe donc plusieurs degrés d’interactivité, du simple click pour suivre un lien à un niveau plus avancé d’engagement puis, ultimement, à une conversation (Lilleker et Jackson, 2011 : 34; Stromer-Galley, 2000). La connectivité est considérée comme une forme d’interaction basée sur la relation entre l’action humaine et la technologie (Kalsnes, Larsson et Enli, 2017). Selon van Dijck et Poell (2013), elle fait référence à la capacité sociotechnique des plateformes numériques de connecter le contenu aux activités des utilisateurs et des annonceurs. Il s’agit donc d’une combinaison de connectivité humaine (de connexions entre humains) et de connectivité automatisée (automatisation numérique et recommandations par les plateformes auprès des humains) (Kalsnes, Larsson et Enli, 2017). Facebook par exemple, oriente les utilisateurs vers des comportements spécifiques comme aimer, commenter ou partager du contenu. Simultanément, les utilisateurs peuvent influencer l'algorithme de Facebook en sélectionnant des contenus spécifiques à partager dans leurs réseaux (Kalsnes, Larsson et Enli, 2017). Ces fonctions, aimer, partager, commenter sur Facebook et Favorite, retweet, mention, @reply (message direct) sur Twitter, représentent des connective affordances (Kalsnes, Larsson et Enli, 2017). Bien que les types d'interaction soient clairement définis sur chaque plateforme, dans un contexte politique, aimer et partager auraient une connotation particulière. Ils seraient considérés comme des actes de participation politique en ligne (Kalsnes, Larsson et Enli, 2017; Greffet, Wojcik et Blanchard, 2014), car ils expriment une prise de position

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publique de la part de l’usager sur un enjeu circulant sur la plateforme.

b. La participation politique en ligne

Le potentiel que les médias socionumériques offrent pour accroitre la participation des usagers est une question qui captive la communauté scientifique en communication politique (Boulianne, 2015, 2017; Koc-Michalska et al., 2014a; Valeriani et Vaccari, 2016). La participation en ligne constitue une des affordances des médias numériques que les partis cherchent à exploiter pour mobiliser les partisans et obtenir ainsi du soutien (Lilleker et al., 2017).

Classiquement, la participation politique est définie comme l’ensemble des activités menées en vue d’influencer directement ou indirectement l’action gouvernementale (Almond et Verba, 1963, cité dans Wojcik, Gadras et Blanchard, 2013). Plus tard, la participation politique a été considérée de manière plus extensive comme toutes formes d’intéressement et d’investissement des citoyens au jeu politique (Alcaud, 2004). À l’ère des médias socionumériques, la question de la participation politique a reçu une attention particulière. Un consensus a émergé quant à l’élargissement de cette notion pour inclure les nouvelles actions en ligne (Schlozman, Verba et Brady, 2012, cités dans Gibson et Cantijoch, 2013; Greffet, Wojcik et Blanchard, 2014). Bastien et Wojcik (2018) identifient cinq grands types d’activités qui s’inscrivent désormais dans la notion de participation politique en ligne : « s’afficher », « dialoguer et contacter », « s’informer », « partager » et « commenter et produire du contenu inédit ».

Internet et les médias socionumériques ont été présentés comme des outils qui facilitent l'accès à l'information politique, qui favorisent la discussion politique tout en constituant un espace alternatif pour l'expression et l'engagement politique (Kalsnes, Larsson et Enli, 2017; Jensen, 2017; Kreiss, 2015 : 125). Le numérique offrirait des opportunités aux citoyens de s’organiser et de se mobiliser en formant notamment des communautés numériques aussi bien dans le cadre des campagnes électorales (Gibson, 2020 : 14; Lilleker et Vedel, 2013; Bennett et al., 2018; Theviot, 2018 : 113; Kreiss et al., 2018) que dans le cadre des mouvements sociaux (Bennett et Segerberg, 2012; Granjon, 2017a).

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1.2 Les mouvements sociaux à l’ère des médias socionumériques (cadre non conventionnel)

L’articulation entre Internet et politique a suscité une abondante littérature au sein de laquelle a souvent été soulevée la question du rôle du numérique et son impact sur l’organisation des mouvements sociaux (Rueff, 2017 : 173; Granjon, 2017a). Donatella della Porta et Mario Diani (2006) définissent les mouvements sociaux comme « des réseaux informels d’acteurs collectifs et individuels basés sur des croyances partagées et des pratiques de solidarité, qui se mobilisent sur des sujets conflictuels à partir de diverses formes de protestation » (della Porta et Mario Diani, 2006, cités dans Dufour et Traisnel, 2009 : 37). Trois dimensions caractérisent les mouvements sociaux selon Dufour et Traisnel (2009 : 38) : la construction d’une identité collective, la mobilisation de répertoires d’actions souvent innovants et l’organisation en réseaux.

Au cours de cette dernière décennie, le domaine de recherche sur les mouvements sociaux a connu une expansion remarquable non seulement avec le développement des outils numériques, mais surtout avec les évènements politiques survenus durant l’année 2011 (Ben Mansour, 2017b; Bennett et Segerberg, 2013). D’abord, les mouvements contestataires du printemps arabe caractérisés par une importante activité numérique au sein desquels les internautes ont participé à la production et à la dissémination rapide et généralisée de hashtags, de vidéos et d’images... (Poell et van Dijck, 2018; Tufecki et Wilson, 2012). Ensuite, les manifestations – inspirées des évènements du printemps arabe – qui ont eu lieu pendant l'été et l'automne 2011 en Espagne, aux États-Unis et en Italie marquées à leur tour par le déploiement du numérique à des fins de communication, de mobilisation et d’organisation (Castells, 2012; Gerbaudo, 2014; Poell et van Dijck, 2018; Bennett et Segerberg, 2012 : 754). Ces évènements ont offert un terrain d’études propice à l’analyse des fonctions de mobilisation, de coordination et de redéfinition des actions collectives grâce à de nouveaux outils de communication (Ben Mansour, 2017b). Le numérique aurait donc contribué à l'émergence d'une nouvelle forme d'engagement citoyen rendu possible grâce à « l'indignation des réseaux » (Touir et al., 2019 : 25). Les propriétés structurelles et fonctionnelles des médias socionumériques reposant sur la logique du user-generated content ont offert une opportunité aux utilisateurs de s’exprimer et d'agir en dehors des voies

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institutionnalisées et centralisées de l'engagement politique et civique (Raynaud et al., 2019 : 44). Comme l’indiquent Lalancette et ses collègues (2019 : 106) : « Digital media can facilitate online activism, offering possibilities to spread political messages and mobilize protesters almost instantly. They can be seen as a tool for helping social movements and individuals to expand and complement their repertoires of collective action ».

Un consensus a donc émergé au sein de la communauté de chercheurs quant au rôle du numérique dans les évènements contestataires qui ont eu lieu à partir de l’année 2011. Ces derniers s’accordent sur le fait que les médias socionumériques ont permis aux activistes, militants et citoyens la diffusion de l’information (sur des positions, des problèmes ou des évènements spécifiques), à générer et cultiver le soutien du public, à organiser et à coordonner des formes de mobilisations (Raynauld et al., 2016), permettant ainsi la propagation de la contestation dans une logique bottom-up (Poell et van Dijck, 2018; Castells, 2012; Margetts et al., 2015; Granjon, 2017a; Bennett et Segerberg, 2013; Howard et Hussain, 2013; Tufecki, 2019).

Cette utilisation intensive du numérique par les citoyens dans un contexte contestataire a transformé à bien des égards l’organisation et la communication des mouvements sociaux (Castells, 2012; Margaret et al., 2016; Bennett et Segerberg, 2013; Gerbaudo, 2012; Lim, 2018; Granjon, 2017a) et l’appareil conceptuel s’est considérablement enrichi depuis. Plusieurs travaux sur mouvements sociaux contemporains ont reposé sur le modèle théorique de Bennett et Segerberg (2012; 2013) qui distingue deux logiques sous-jacentes aux actions contestatrices numériques : la logique de l’action collective traditionnelle, à laquelle s’ajoute la logique de l’ « action connective » (Rueff, 2017 : 173).

1.2.1 La logique de l’« action connective » (connective action)

Les travaux qui se sont intéressés au rôle du numérique dans les mouvements sociaux du 21e siècle ont observé que les fonctions d'organisation réalisées généralement par les organisations formelles seraient assurées désormais par des réseaux horizontaux médiés par le numérique et composés de citoyens ordinaires (De Marco et al., 2019). En effet, la place importante du numérique dans les mobilisations collectives des mouvements sociaux de

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l’année 2011 (printemps arabes, les indignés espagnols et Occupy Wall Street) a fait émerger la notion de connective action, ou d’action connective (Bennett et Segerberg, 2012). Le numérique joue ici un rôle essentiel en tant que moyen d’organisation clé du mouvement (Touir et al., 2019 : 26; Bennett et Segerberg, 2012). Il permet à de grandes foules d’agir ensemble sans la présence de dirigeants ni d’organisation formelle qui exige habituellement que les individus partagent une identité collective ou une idéologie commune, à l’instar de l’action collective traditionnelle (Bennett et Segerberg, 2012 : 750; Poell et van Dijck, 2018). La logique de l’action connective est basée sur de nouvelles dynamiques organisationnelles caractérisées par des formes lâches de coordination, par l’appropriation individuelle des médias socionumériques et la diffusion en ligne de discours personnels (Rueff, 2017; Touir et al., 2019 : 26; Poell et van Dijck, 2018). Le partage en masse des « cadres d'action personnelle » (Personal Action Frame) permet d’étendre rapidement la mobilisation à grande échelle (Jenkins, 2020; De Marco et al., 2019; Pérez-Altable, 2016 : 50). Ce partage auto-motivé d'idées, de plans d’actions, d'images et de ressources se fait sur Facebook, Twitter et YouTube à travers, notamment, des commentaires, des re-tweets ou l’utilisation de hashtag (Bennett et Segerberg, 2012 : 753; Poell et van Dijck, 2018).

La logique de l’action connective qui contraste avec la logique de l’action collective traditionnelle médiée par de grandes structures organisationnelles (syndicats, organisations de mouvements sociaux...) (Pérez-Altable, 2016; Touir et al., 2019), comprend deux modèles sous-jacents (Bennett et Segerberg, 2013 : 13).

§ L’action connective « auto-organisée » (Self-organizing networks). L’action est organisée par des citoyens autonomes, sans la présence d'acteurs organisationnels centraux (Pérez-Altable, 2016 : 52; Bennett et Segerberg, 2013 : 46). Les cadres d'action personnelle deviennent les unités de transmission sur les médias socionumériques qui constituent ici le principal agent d’organisation (Bennett et Segerberg, 2013 : 46). Les mouvements du printemps arabe (tunisien et égyptien), 15M en Espagne et Occupy Wall Street aux États-Unis s’inscriraient dans cette logique.

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§ L’action connective activée par l’organisation (Organizationally-enabled networks) est une forme hybride entre l’action connective « auto-organisée » et l’action collective formelle traditionnelle (Bennett et Segerberg, 2012 : 754). Avec une faible coordination, elle implique que les acteurs de l’organisation formelle prennent une distance par rapport à l’identité collective ou la marque politique en permettant à des réseaux publics peu structurés de se former autour de thèmes et d’actions personnalisés (Pérez-Altable, 2016 : 52). Ainsi, les organisations formelles encouragent l’engagement personnel des publics en adoptant le mode de signature de cet engagement personnalisé (Pérez-Altable, 2016 : 52; Bennett et Segerberg, 2012 : 754). Il s’agit par exemple d’organisations impliquées dans des actions contestataires comme certaines ONG, les groupes de pression, des organisations de la société civile...

1.2.2 Le numérique et la révolution tunisienne de 2011

Les travaux portant sur le rapport entre médias numériques et printemps arabe ont souvent été teintés de déterminisme technique (Theviot, 2018 : 28). L’analyse à chaud de ces évènements et particulièrement du cas tunisien – souvent présenté comme le déclencheur du printemps arabe – a suscité une fascination à l’égard du web politique (Theviot, 2015). Ici se sont affrontées des visions optimistes et pessimistes. Certains ont estimé que le numérique est la cause principale du déclenchement et de la réussite du mouvement. D’autres, mettent en avant le rôle de facteurs sociaux comme les luttes sociales et ouvrières opérées par centrale syndicale (UGTT : Union générale tunisienne du travail), ainsi que les situations de chômage, de pauvreté et de marginalisation des régions intérieures (Ben Mansour, 2017b; Ayari, 2011). Bien que les discours médiatiques au lendemain de la révolution tunisienne aient parfois surestimé l’impact des médias socionumériques, les études réalisées ont révélé que les mouvements contestataires (principalement tunisien et égyptien) ont généré une quantité substantielle d’activités sur ces plateformes. Cette dynamique créée s’est traduite par l’émergence de formes innovantes de production de l’information (Bruns et al., 2013; Hermida et al., 2014). Bien entendu, l’euphorie de la « révolution numérique » doit être nuancée, sans toutefois nier la contribution des médias socionumériques dans le mouvement contestataire tunisien (Lecomte, 2013a : 178; Najar, 2013a : 16). Les études réalisées sur la

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révolution tunisienne de 2011 ont abouti à un consensus. Les médias socionumériques auraient joué un rôle important dans la circulation de l’information, dans la création d’une mobilisation horizontale bottom-up, dans la coordination et l’organisation des mobilisations, ainsi que leur médiatisation au niveau national et international (Bruns et al., 2013; Breuer et al., 2015; Touati, 2012; Poell et van Dijck, 2018; Bennett et Segerberg, 2013; Castells, 2012; Howard et Hussein, 2013; Zayani, 2015; Papacharissi, 2015; Granjon 2017a : 61; Lim, 2013; Lotan et al., 2011). Toutefois, porter le regard uniquement sur les médias numériques en tant qu’objet technique contribue selon nous à amplifier la fascination à l’égard du web générant ainsi une forme de déterminisme technologique. Nous estimons important d’aller au-delà de l’interface numérique pour comprendre le soulèvement de 2011, en portant une attention aux utilisateurs qui ont utilisé les plateformes à des fins de mobilisation contestataire. Et c’est à travers cet angle de vue que des acteurs de premier ordre se sont fait remarquer lors de ce mouvement tunisien : les cyberactivistes. Ces derniers n’ont pas joué un rôle de déclencheurs de la révolution, comme certains le prétendent, mais d’accompagnateurs et d’amplificateurs grâce à leur expérience et leur savoir-faire notamment en informatique (Touati, 2012). Pour les cyberactivistes, les médias socionumériques sont bel et bien des espaces de socialisation et de mobilisation qu’il faudrait exploiter à des fins politiques (Lecomte 2013a : 179; Bougamra, 2015). Toutefois, il est important de rappeler que le web contestataire en Tunisie n’est pas né avec le soulèvement de 2011. Il était déjà actif bien avant les premières manifestations. Romain Lecompte (2013b : 55) a identifié trois grandes périodes de l’espace de la critique tunisienne en ligne en fonction des dispositifs de communication existants et investis à des fins de mobilisation : « l’âge de la cyberdissidence », « l’âge des blogues citoyens » et l’âge des « réseaux sociaux » qui a vu le jour à partir de l’année 2008. Facebook est devenue la principale plateforme de dissidence, suivie plus tardivement, et dans une moindre mesure, par Twitter. De 2009 à 2010, le nombre d’usagers de Facebook a doublé pour atteindre 1 700 000 en 2010. En 2012, son activité était évaluée à trois-millions de comptes (Denieuil, 2013 : 113). Dans un environnement autoritaire où le web 1.0 était contrôlé et censuré (la Tunisie faisait partie de la liste noire des pays ennemis de la liberté de l’information et de l’Internet)8, l’adoption de la plateforme Facebook à partir de 2008 et

8 En novembre 2006 et 2009 Reporters sans frontières (RSF) a classé la Tunisie sur la liste des « 13 ennemis d’Internet » (Toauti, 2012).

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2009 par les Tunisiens a créé une nouvelle dynamique. Une dynamique qui a permis de concrétiser le passage de la cyberdissidence au militantisme de terrain (Touati, 2012; Lecompte, 2011). En effet, quelques mois avant le début de la contestation générale de janvier 2011, plusieurs actions opérées par des cyberactivistes ont été coordonnées sur Facebook pour dénoncer la censure sur Internet (Lecomte, 2011; Zayani, 2015). Ces derniers avaient organisé des regroupements dans la rue via la plateforme Facebook. Bien que fortement réprimés par les autorités, ces regroupements ont néanmoins marqué une étape importante. Pour une première fois, lors de l’opération baptisée « sale journée pour Ammar »9 tenue le 22 mai 2010, il y a eu passage de l’engagement en ligne à l’engagement hors ligne, dans la rue (voir Lecomte, 2011). Depuis, en tant qu’espace alternatif de communication, Facebook n’a cessé de favoriser l’articulation entre la rue et le cyberespace devenant une plateforme de cyberdissidence s’harmonisant avec les activités de contestation sur le terrain (Ben Abdallah, 2013a : 131; Lecompte, 2011).

Par la rigueur de la censure exercée dans les médias traditionnel et le web traditionnel, le régime autoritaire a involontairement poussé les citoyens à se tourner massivement vers les médias socionumériques, et principalement Facebook. La plateforme s’imposait ainsi comme une source d’information et une sphère d’interaction sociale plus libre et plus dynamique (Zayani, 2015). Selon Poell et van Dijck (2018), en janvier 2011 des milliers d’utilisateurs ont participé à la production et à la circulation rapide et généralisée de hashtags sur Twitter, de vidéos et de photos sur Facebook offrant ainsi un espace d’organisation, de manifestation, de coordination d’actions et de mobilisation (Zayani, 2015 : 10).

Mohammed Zayani (2015) s’est penché sur la l’hybridité de l’environnement communicationnel lors de la révolution tunisienne en soulignant la complémentarité et l’interpénétration observée entre les médias socionumériques, le journalisme citoyen et la télévision par satellite (Al-Jazeera et ). Dans un environnement autoritaire contrôlé, l’hybridité médiatique aurait permis une couverture plus importante des

9 « « Ammar » prénom donné au personnage inventé par les internautes tunisiens pour personnifier la censure du Net sous l’ère Ben Ali... Il s’agit d’une imagination d’un vieux fonctionnaire dégarni, binoclard, frustré, dépourvu de charisme et de vie sociale, souvent muni d’une paire de ciseaux » (Lecompte, 2013c : 281).

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évènements. Pour Zayani (2015), Lynch (2014), Lim (2013) et Najar (2013b), la révolution tunisienne de 2011 s’est déroulée au sein d’un « système médiatique hybride » caractérisé par la cohabitation entre des anciennes et de nouvelles pratiques de communication.

Ces nouvelles pratiques de communication ont reposé en grande partie sur la logique de l’action connective (Bennett et Segerberg, 2012; 2013). En effet, Lim (2013) a observé la constitution d'un réseau hybride sur les médias numériques. D’un côté, il y avait un réseau d’action collective composé d’individus appartenant à des organisations traditionnelles partageant des identités collectives (syndicats, partis d’opposition...), et, de l’autre côté, un réseau d’« action connective » composé d’individus qui recherchaient des voies plus personnalisées pour contribuer au mouvement (Bennett et Segerberg, 2012 : 752). Lim (2013) donne l’exemple des actions réalisées par les blogueurs, les utilisateurs de Facebook et de Twitter dans la diffusion et le partage d'informations sur la ville de Sidi Bouzid où les échanges dans cette action connective n’ont pas nécessité d'alignement identitaire ou idéologique. Les identités communes se sont exprimées plutôt sous la forme de mèmes ou d'objets culturels partagés. Les hashtags #SidiBouzid et #Tunisia se sont propagés rapidement sur Twitter, alors que sur Facebook, un poing levé était facilement identifiable comme symbole de soutien et de solidarité pour les manifestants (Lim, 2013). Plusieurs participants à cette action connective dans le soulèvement tunisien étaient à l’étranger (Lecompte, 2011). Ils ne se sont pas physiquement joints aux manifestations, mais à travers la diffusion de messages reposant sur des cadres d’action personnelle (Pérez-Altable, 2016 : 298), ils ont contribué à la médiatisation du mouvement en attirant l’attention de l’opinion internationale (Lim, 2013).

1.3 Les médias socionumériques et les institutions politiques (cadre conventionnel)

Avec l’émergence du web dans les démocraties occidentales dans le milieu des années 1990, la communication politique serait entrée dans une nouvelle ère qualifiée de « troisième âge de la communication » (Blumbler et Kavannah, 1999). Durant cette période, plusieurs chercheurs se sont interrogés sur l’impact que pourrait avoir Internet sur les campagnes électorales et sur la démocratie de manière générale (Norris, 2001). Bien que la communauté scientifique ait réfuté les revendications optimistes quant à ces questions, la montée en

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puissance des médias socionumériques à partir de l’année 2008 a suscité des revendications similaires. Les médias socionumériques qui s’appuient sur la participation et l’implication des usagers ont suscité de nouveaux espoirs quant au développement de la démocratie numérique (Larsson 2013a; 2013b; Loader et Mercea, 2011) et à la reconfiguration des campagnes postmodernes (Norris, 2003; Esser et Pfetch, 2020). Ce développement technologique aurait fait entrer la communication politique dans une quatrième ère caractérisée par une large influence des médias socionumériques associée aux mouvements sociaux, à la politique institutionnelle, aux médias d’information et aux relations sociales (Esser et Pfetsch, 2020).

1.3.1 La dichotomie cyber-pessimistes/cyber-optimistes

Le débat sur les conséquences politiques de l’usage d’Internet en général et des médias socionumériques en particulier a été construit en grande partie autour de la dichotomie « cyber-pessimistes » et « cyber-optimistes » (Enli et Skogerbø 2013; Larsson, 2016; Vergeer et Hermans, 2013). Des thèses opposées ont émergé de ces deux écoles de pensées et ont permis d’apporter des explications sur les usages du web : la thèse de l’innovation ou de l’égalisation, et la thèse de la normalisation ou du politics as usual (Margolis et Resnick, 2000). L’innovation suggère que les outils numériques permettent aux acteurs politiques institutionnels de communiquer directement avec les citoyens favorisant ainsi le dialogue à travers l’emploi de diverses fonctions interactives en ligne (Vergeer et Hermans, 2013). Elle suggère également une décentralisation du débat tout en permettant une ouverture des institutions politiques envers les contenus produit par les internautes ou le user-generated content (Larsson, 2013b; Schweitzer, 2011). En revanche, la thèse de la normalisation du politics as usual (Margolis et Resnick, 2000) suppose que les acteurs politiques résistent au changement et favorisent plutôt un usage unidirectionnel top-down des outils numériques. Elle suggère une négligence des options interactives par les acteurs politiques et un souci de contrôle total ou partiel de la communication politique et partisane (Schweitzer, 2011; Lilleker et Jackson, 2011). Au niveau du contenu en ligne, l’hypothèse de la normalisation prévoit une augmentation de la couverture de la campagne mettant l’accent sur les principaux candidats par le biais de la personnalisation et de l’auto-promotion (Schweitzer, 2011;

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Lilleker et Jackson, 2011) et, dans certains cas, par une prédominance de la campagne négative (Larsson, 2013b) (Ben Mansour, 2017a).

Bien que les médias socionumériques aient créé un environnement de campagne égalitaire permettant la présence des petites formations politiques (Gibson et McAllister, 2015; Koc- Michalska, Gibson et Vedel, 2014a), la thèse du politics as usual a continué de gagner le soutien de la communauté de chercheurs à l’ère du web participatif. La grande majorité des recherches empiriques sont arrivées à des conclusions solides quant à la normalisation du rôle des médias socionumériques dans les stratégies de communication politique. La communication proposée par les partis politiques prendrait ainsi une forme verticale à sens unique, contrôlée et professionnalisée (Giasson et al., 2013; Graham et al., 2013a; Koc- Michalska et al., 2014a; Lilleker et Jackson, 2011; Larsson et Moe, 2014; Small, 2010; 2011; Williams et Gulati, 2013; Magin et al., 2017), ce qui s’oppose bien entendu à la philosophie du web participatif et à la logique du réseau social (Ben Mansour, 2017a).

Certaines études ont toutefois montré que les développements sont mieux expliqués par la thèse ebb and flow qui reconnait qu’à certains moments, des partis sont plus innovants que d’autres dans leur campagne numérique (Koc-Michalska, Lilleker, Smith et Wesissman, 2016) et ce pour différentes raisons que nous aurons l’occasion de présenter plus loin. Néanmoins, l’utilisation abondante ces dernières années des pratiques du microciblage à travers l’exploitation de grands volumes de données personnelles sur les électeurs tirés du web (Römmele et Gibson, 2020; Theviot, 2019) aurait conduit à l’émergence d’un nouveau terrain de campagne encore plus déséquilibré en matière de communication – un environnement qualifié d’« hyper normalité » (Gibson, 2020 : 2). De plus, à partir de l’année 2016, un côté plus sombre des campagnes numériques a émergé qui se traduit par la montée en puissance des pratiques de désinformation, de démobilisation, des bots, des trolls (Chadwick, 2017; Theviot, 2019 : 71). Il s’agit d’une approche plus manipulatrice selon Römmele et Gibson (2020), qui va au-delà de l’application des simples principes du marketing politique (Bradshaw et Howard, 2017). Ces aspects, qui représentent vraisemblablement les nouvelles caractéristiques du quatrième âge dans lequel évolue la

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communication politique, justifient le cyber-pessimisme assumé (et revendiqué) par une grande partie de la communauté scientifique.

1.3.2 L’usage des médias socionumériques en politique municipale et locale

L’émergence des médias socionumériques et leur usage dans les pratiques de la communication politique ont suscité l’espoir qu’ils contribuent à stimuler la démocratie municipale (Wojcik, 2011). D’une part, l’échelon local apparaît relativement favorable à l’épanouissement d’une culture participative. D’autre part, les médias socionumériques procureraient à la communication des dimensions participatives et interactives qui permettraient de combler le fossé qui existe entre les politiciens et les citoyens (Coleman et Blumler, 2009; Wojcik, 2005; 2011). Ces deux aspects pourraient changer les formes de communication traditionnelles observées à l’échelon national, en proposant des formes centrées davantage sur l’interactivité au niveau municipal et local.

Les conclusions de certaines études (dont celles de Raynauld et Greenberg, 2014; Larsson et Skogerbø, 2018; Hagar, 2014) réalisées dans les démocraties occidentales établies soutiennent que les politiciens locaux auraient tendance à utiliser les médias socionumériques de manière interactive en adoptant une communication bidirectionnelle et en favorisant l’engagement politique des citoyens. L’usage auto-promotionnel est apparu moins important au niveau local. Ces résultats pourraient laisser poindre un changement dans les usages du web lors des élections locales (municipales, régionales). Toutefois, ces conclusions, tirées parfois des déclarations des politiciens qui pour paraître plus ouverts pourraient surestimer leurs usages interactifs, doivent être considérées avec prudence. D’autant plus qu’une étude empirique sur les usages des médias socionumériques dans un contexte similaire a abouti à des résultats contradictoires (Larsson, 2013b). Ces conclusions incertaines, tirées de devis qualitatifs, militent en faveur de devis mixtes, qui combinent entrevues et analyse de contenu, afin de relever un portrait plus global des usages effectifs et des stratégies qui les sous-tendent.

Si l’hypothèse de la normalisation a été maintes fois confirmée dans des études empiriques portant sur des campagnes électorales nationales, seules quelques très rares études réalisées

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sur des élections locales ont montré un usage courant des outils numériques, mais également un usage actif et innovant dans certains cas (Larsson et Skogerbø, 2018; Raynauld et Greenberg 2014), confirmant plutôt la thèse de l’innovation. Toutefois, étant donné que les travaux sur les pratiques en ligne à l’échelle locale sont limités et ont mené à des résultats parfois contradictoires, il serait prématuré de tirer des conclusions à ce stade.

1.4 L’hybridité du système médiatique

Le développement rapide des nouvelles technologies de communication au cours de cette dernière décennie a poussé certains chercheurs, dont Andrew Chadwick (2013 : 4), à repenser les relations de pouvoir au sein de l’environnement politique et communicationnel dans les démocraties occidentales. Il remarque qu’une grande partie des travaux sur l’articulation entre Internet et politique a souvent été dominée par des hypothèses qui renvoient soit à un changement révolutionnaire soit au cadre étroit du politics as usual. En négligeant les interrelations entre les logiques médiatiques anciennes et nouvelles, Chadwick estime que la recherche passe à côté de certains développements importants dans l'évolution de la communication politique (Chadwick, 2013 : 5). Il considère que les études dans le champ de la communication politique sont construites autour d’une dichotomie, qu’il juge rigide et peu féconde, entre médias traditionnels et médias numériques, entre mobilisation de terrain et mobilisation en ligne, entre presse écrite et blogues (Chadwick, 2013 : 18, cité dans Chacon, 2017 : 18).

Avec l’approche théorique de l’hybridité du système médiatique, Andrew Chadwick (2013) appréhende les processus de communication politique comme : « une hybridation entre des technologies, des genres, des pratiques et des normes anciennes et émergentes, qui cohabitent et interagissent au sein de systèmes médiatique et politique fluides et polycentriques » (Chadwick, 2013, cité dans Chacon, 2017 : 18). Cette approche permet de comprendre comment de nouvelles pratiques médiatiques en communication politique intègrent des logiques plus anciennes, et inversement, comment des pratiques médiatiques traditionnelles intègrent des pratiques émergentes (Chadwick, 2013 : 4).

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Dans son ouvrage The Hybrid Media System, Chadwick examine une série d’exemples de cette hybridité à travers l’analyse de différents contextes de communication politique allant de la rédaction de nouvelles dans ces formes « professionnelles » et « amateurs », aux partis politiques et aux campagnes électorales, jusqu’aux mouvements de mobilisation. Dans le cadre de l’évolution des campagnes électorales, il propose un nouveau type de campagne qui aurait vu le jour avec le développement technologique : les campagnes hybrides.

1.4.1 Les campagnes hybrides

Avec l’émergence des médias socionumériques et leur utilisation croissante par les citoyens, les partis politiques n’ont eu d’autre choix que de modifier leur façon de concevoir les stratégies de campagne. Le numérique occuperait désormais une place de plus en plus importante dans la préparation et la réalisation des campagnes électorales des partis politiques (Giasson, 2017). En réalité, il ne s’agit pas de remplacer les moyens de communication traditionnels par les nouvelles technologies, mais plutôt d’élaborer des stratégies de communication où la logique des « nouveaux médias » et les moyens de communication traditionnels cohabitent, se complètent et se renforcent mutuellement au sein de la campagne (Chadwick, 2013 : 113-158; Giasson et al., 2018; Chadwick, Dennis et Smith, 2016). Au-delà de l’intégration de canaux de communication en ligne et hors ligne, une cohabitation entre l’action de la base militante et le contrôle exercé par les élites dans la conception des stratégies électorales est observée (Giasson et al., 2018). Ces campagnes hybrides accordent une importance à la participation en ligne de militants et de sympathisants, tout en balisant cette participation militante en gardant le contrôle de la campagne (Vaccari, 2010; Giasson et al., 2018; Chadwick, 2013). Il s’agit d’une hybridité entre une logique bottom-up et top-down qui est proposée, qualifiée de controlled interactivity par Jennifer Stomer-Galley (2014).

L’hypothèse de l’hybridité a été étudiée empiriquement et confirmée dans plusieurs démocraties établies : aux États-Unis et au Royaume-Uni (Chadwick, 2013; Vaccari, 2010; Gibson, 2015), en France et au Québec (Giasson et al., 2018; Giasson et al., 2019), au Danemark (Blach-Ørsten, et al., 2017) en Italie (Marchetti, et Ceccobelli, 2016), en Suisse et en Autriche (Klinger et Russman, 2017), en Allemagne (Nuernbergk et Conrad, 2016) et

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en Norvège (Skogerbø et Karlsen, 2014). Toutefois, aucune étude n’a tenté de vérifier le niveau d’hybridité des campagnes électorales dans un contexte autre que celui des démocraties occidentales établies.

1.4.2 L’hybridité organisationnelle

Avec le développement d’Internet, certains chercheurs (dont Chadwick 2007, 2013; McAdam et Tarrow, 2010; della Porta et al., 2017) ont observé que les caractéristiques organisationnelles des partis politiques et des mouvements sociaux semblent converger progressivement. Chadwick (2007) présente le concept de l’« hybridité organisationnelle » qui stipule que les partis politiques expérimentent des processus d’hybridité basés sur l’adoption de répertoires de réseaux numériques considérés comme typiques des mouvements sociaux. Selon Chadwick (2007, 2013), Internet aurait favorisé un changement organisationnel au sein de certains partis politiques en utilisant des tactiques associées aux mouvements sociaux comme l’utilisation des technologies numériques pour créer des réseaux horizontaux et fournir ainsi des formes innovantes de mobilisation (Dennis, 2019). Il s’agit par exemple de formes d'actions citoyennes en ligne (discussions en ligne, organisation et coordination d’évènements, création de réseaux de partisans...), de formes collaboratives d'engagement avec les citoyens (délibérations en ligne, ouverture, instauration d’une confiance) et la fusion des discours culturels et politiques (vidéos satiriques virales, photos manipulées, mèmes humoristiques) (Chadwick, 2007; Dennis, 2019; Penney, 2017).

Le concept d’hybridité organisationnelle a été mobilisé dans plusieurs études dans différents contextes nationaux pour comprendre comment certaines organisations politiques recourent aux pratiques numériques des mouvements sociaux dans un cadre de compétitions électorales. Aux États-Unis, le candidat aux primaires démocrates Howard Dean (Chadwick, 2007), la campagne présidentielle de Barack Obama en 2008 (Chadwick, 2013 : 129) et celle de Bernie Sanders en 2016 (Penney, 2017; Muldoon et Rye, 2020) ont été étudiée. En Europe, des travaux ont été consacrés au mouvement Momentum, faction du Labour Party au Royaume-Uni (Dennis, 2019), au Norwegian Labor Party (Karlsen, 2013), au Mouvement 5 étoiles en Italie (Mosca, Valeriani et Vaccari, 2015) et à Podemos en Espagne (Casero-Ripollés et al., 2016; Bennett et al., 2018).

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1.5 Le volet interne des campagnes numériques électorales

Les campagnes numériques ont connu une évolution remarquable à travers le temps, marquée par une configuration distincte d'outils, d'objectifs, de ressources humaines et organisationnelles et d’une proximité avec l'une des deux extrémités de l’échiquier innovation-normalisation (Gibson, 2020 : 210). Paradoxalement à l’évolution des campagnes numériques, la recherche a mis l’accent essentiellement sur l’analyse de l’objet technique à savoir les plateformes numériques mobilisées par les partis politiques lors des campagnes électorales (Gibson, 2020 : 5; Theviot, 2015). Gibson relève que ce qui est observé sur le web ne représente qu’une composante de la campagne numérique. Bien que la « vitrine » extérieure publique (sites web, courrier électronique, pages Facebook, comptes Twitter...) soit une partie importante à comprendre et à analyser, elle ne constitue qu’une partie de l'écosystème binaire sous-jacent. Jungherr (2016 : 374) suggère en ce sens que, pour comprendre l'impact des outils numériques sur les campagnes aujourd’hui, il faudrait que les chercheurs aillent au-delà de la simple analyse de contenu des plateformes numériques pour se focaliser davantage sur l'intégration des outils numériques dans les structures organisationnelles.

Outre le front end, qui représente manifestement la partie visible de l’iceberg, se trouve un back end (Kreiss, 2015 : 121) non observable et constitué d’éléments aussi importants qui caractérisent une campagne numérique comme le personnel, les infrastructures (matériel et logiciel), les modes de communication, les structures organisationnelles, et un ensemble d’activités (Gibson, 2020 : 5; Kreiss, 2015). De même, des choix stratégiques qui peuvent concerner divers aspects allant des pratiques de ciblage, au développement de communautés, jusqu’aux relations informelles avec des structures de campagne non-officielles qui ne sont pas immédiatement accessibles dans l’étude des contenus partisans mis en ligne (voir Penney, 2017; Dommett et Temple, 2018).

Ainsi, derrière les usages des plateformes comme Facebook et Twitter par les partis politiques, des stratégies numériques sont pensées, élaborées et mises en œuvre en fonction de plusieurs considérations dont certaines sont liées aux perceptions des stratèges, au contexte, au timing et aux affordances des plateformes numériques (Kreiss et al., 2018).

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Par « campagne numérique » nous entendons donc un écosystème hybride composé d’un ensemble d’éléments qui interagissent les uns avec les autres. Cet écosystème englobe à la fois une composante externe, visible (contenus et informations diffusés sur les plateformes numériques, sites web...) et une composante interne, moins visible (personnel, structure intra-organisationnelle, objectifs stratégiques) qui doit néanmoins être étudiée (Gibson, 2020 : 6; Kreiss, 2015).

1.5.1 Objectifs stratégiques assignés aux campagnes numériques

Compte tenu du développement des outils numériques et leur utilisation croissante par les citoyens, les partis politiques n’ont eu d’autres choix que de s’adapter et de se conformer à ces développements en apportant des changements tant dans leurs structures intra- organisationnelles que dans l’élaboration de leurs stratégies numériques (Tenscher et al., 2016; Gibson, 2020 : 17; Lobera et Portos, 2020). Dans certains cas, ces changements stratégiques se sont traduits par une ouverture relative à l’engagement des militants et des bénévoles en leur offrant des occasions de dialogue ou facilitant leur implication dans la campagne électorale (Klinger et Russman, 2017; Kalsnes, 2016). Cet objectif stratégique adopté par certains partis politiques a conduit à l’émergence de la notion de citizens-initiated campaigning (Gibson, 2020; Koc-Michalska, Lilleker et Vedel, 2016) basée sur le développement des communautés, la génération des ressources et la mobilisation des activistes/membres. L’engagement passe ici d’un mode de consommation du contenu de la campagne à un mode de redistribution où les partisans deviennent des vecteurs de diffusion de contenu numérique des partis via leurs réseaux en ligne atteignant ainsi un public plus large (Gibson, 2020 : 17; Koc-Michalska et al., 2020). Cette logique qui repose essentiellement sur le rôle des militants et sympathisants d’un parti s’appuie sur le modèle du Two-step flow of communication, développé en 1955 par Katz et Lazarsfeld (Stromer- Galley, 2014 : 146; Penney, 2017a: 101). Néanmoins, l’autonomie en ligne est souvent guidée et orientée vers certaines actions par les organisations politiques, qui restent constamment frileuses face à la perte de contrôle de leur campagne. Elles imposent donc une coordination avec les militants en ligne et maintiennent généralement un contrôle centralisé sur l’ordre du jour des enjeux électoraux sur lesquels agir (Giasson et al., 2018; Chadwick, 2013). Alors que certains partis politiques acceptent de céder plus de liberté aux bénévoles

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sous certaines conditions (Giasson et Small, 2017), d’autres en revanche, refusent catégoriquement de s’aventurer dans cette direction et préfèrent rester en terrain connu (Giasson et al., 2013 : 136; Vaccari, 2013a : 49) en adoptant des stratégies numériques dominées par une logique hiérarchique top-down (Gibson et Ward, 2012; Koc-Michalska et al., 2020). Il s’agit d’une forme de communication plus prudente, ciblée et plus personnalisée qui se traduit généralement par l’accroissement de la visibilité personnelle des candidats (Giasson, 2017; Jackson et Lilleker, 2011; Gibson, 2020 : 41; Koc-Michalska et al., 2020; Enli et Skogerbø, 2013). Ce choix n’est pas dû seulement aux complications relatives à la gestion des militants et du volet numérique pour les organisations politiques, mais plutôt à des raisons tactiques. Les partis politiques sont allergiques aux controverses négatives et aux dérapages communicationnels qui peuvent devenir viraux sur les plateformes numériques (Theviot, 2018 : 149; Giasson et al., 2013).

De ce fait, si certains partis politiques se limitent encore à la diffusion de l’information avec un contenu normalisé et à une interactivité limitée et contrôlée, c’est que ces outils pourraient représenter pour ces derniers un espace secondaire de campagne. C’est pourquoi, le degré d’importance accordé aux médias socionumériques en campagne, tout comme l’exploitation de leur potentiel interactif et participatif, dépend fortement d’objectifs fixés lors de l’élaboration de la stratégie électorale (Koc-Michalska et al., 2016b; Kalsnes, 2016; Baldwin-Philippi, 2015 : 36).

Selon le contexte, le timing, le type de campagne ou d’autres facteurs que nous présenterons plus loin, les objectifs stratégiques sont fixés longtemps avant le lancement de la campagne et constituent la ligne directrice des usages que feront les partis politiques des plateformes numériques en campagne (Kalsnes, 2016; Bor, 2013; Klinger et Russmann, 2017; Kreiss et al., 2018). Cela étant, questionnés sur leurs motivations, les politiciens et les stratèges des partis politiques – toutes idéologies confondues – sont souvent « idéalistes » par rapport à l’usage effectif qu’ils font des plateformes numériques notamment en ce qui concerne les opportunités de dialogue avec les citoyens (Ross, Fountaine et Comrie, 2015; Kalsnes, 2016; Enli et Skogerbø, 2013). Comme le soulèvent Enli et Skogerbø, (2013 : 770) : « the politicians’ report higher and more idealistic motivations for democratic dialogue for their

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social media use than they actually manage to manoeuvre in practice ».

Bien que peu nombreuses, les recherches tirées d’entretiens avec des stratèges se sont focalisées sur la manière dont les candidats et les partis politiques ont intégré les plateformes numériques dans leurs stratégies de communication. Sans surprise, la majorité des études ont porté sur le cas états-unien (Chadwick, 2013; Bor, 2013; Stromer-Galley, 2014; Vaccari, 2010; Kreiss et al., 2018). D’autres ont été réalisées en Norvège (Enli et Skogrebø, 2013; Kalsnes, 2016; Karlsen, 2009; Karlsen et Skogerbø, 2015), en Allemagne (Jungherr, 2016), au Canada (Giasson et Small, 2017) et au Québec (Giasson et al., 2019). Des études comparatives ont été réalisées entre la France et le Québec (Giasson et al., 2018), l’Allemagne et l’Autriche (Magin et al., 2017) et entre la Suisse et l’Autriche (Klinger et Russman, 2017).

Issues des démocraties occidentales établies et analysant en grande majorité les stratégies numériques préparées pour des élections nationales, les conclusions de ces travaux se rejoignent à deux niveaux. Premièrement, les médias socionumériques sont déployés particulièrement pour atteindre des objectifs communicationnels comme la diffusion du message (Giasson et al., 2018; Giasson et al., 2019; Kalsnes, 2016; Karlsen et Skogerbø, 2015), pour maintenir une présence (Bor, 2013; Jungherr, 2016) avec une priorité accordée à la personnalisation (Kalsnes, 2016; Klinger et Russman, 2017; Enli et Skogrebø, 2013). Ce qui renforce toujours la thèse de la normalisation. Deuxièmement, les auteurs observent que le processus d’hybridation ainsi que l’orientation que prennent les campagnes numériques des partis politiques diffèrent en fonction de facteurs liés aussi bien aux contextes nationaux qu’à l’ancrage idéologique des formations politiques ou leur position par rapport au pouvoir (Greffet et Giasson, 2018).

1.6 Les facteurs susceptibles d’orienter les campagnes numériques

Des facteurs institutionnels liés à l’environnement socio-politique et culturel des pays (macro) et d’autres liés aux caractéristiques des partis politiques (méso) ont été présentés comme pouvant avoir une incidence sur le développement de campagnes numériques innovantes (Koc-Michalska; Gibson et Vedel, 2014; Gibson, 2020 : 210; Dufresne et al.,

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2019; Giasson et al., 2018; Strömbäck et Kiousis, 2014; Vaccari, 2013a : 53). Comme le souligne Flanagan (2010 : 156, cité dans Giasson et Small, 2017 : 3) « elections are waged within a specific context of rules, which have a major effect in determining which strategies will be viable ».

1.6.1 Des caractéristiques contextuelles au niveau macro

Le système électoral (majoritaire ou proportionnel) est considéré comme un indice pouvant expliquer le développement d’un style de campagne plus personnalisé et centré sur le candidat ou un style de campagne axé davantage sur la mobilisation des militants (Gibson, 2020 : 4; Greffet et Giasson, 2018 : 6; Anstead et Chadwick, 2009; Magin et al., 2017; Vaccari, 2013a : 211). En effet, dans un système électoral proportionnel, le numérique semble offrir davantage de possibilités pour les petits partis politiques de rivaliser avec les grands partis puisqu’ils ont la possibilité de gagner des sièges et d’influencer la formation des gouvernements et des politiques (Gibson, 2020 : 4; Vaccari, 2013a : 208, 211). En revanche, cet objectif est généralement hors de portée (Vaccari, 2013a : 211) dans les pays avec un système électoral majoritaire, où les styles de campagne sont davantage personnalisés et centrés sur les candidats (Gibson, 2020 : 4; Lilleker et al., 2015).

D’autres facteurs propres à chaque pays pourraient amener les formations politiques à concevoir les stratégies numériques différemment. Parmi ces facteurs, notons la culture politique des citoyens (niveau d’engagement politique, habitude de consommation de l’information, taux de connectivité) (Magin et al., 2017; Vaccari, 2013a : 51, 213), les règlementations en vigueur concernant les dépenses électorales (Giasson et al., 2018; William et Gulati, 2012) et la collecte d’informations sur les électeurs (Magin et al., 2017).

Par ailleurs, parmi les facteurs présentés dans la littérature, le niveau de démocratisation d’un pays nous paraît important de noter. Celui-ci a été considéré par Strandberg (2008) et Lilleker, Tenscher et Štětka (2015) comme susceptible d’expliquer le niveau d’appropriation du numérique par les partis politiques. Dans les démocraties émergentes, les médias socionumériques seraient en première ligne de la panoplie d’outils de communication déployés par les partis politiques en campagne

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(Lilleker et al., 2015). Les stratèges des partis politiques interrogés en République tchèque, en Hongrie et en Slovaquie affirment clairement que la plateforme Facebook constitue le principal outil de communication mobilisé (Lilleker et al., 2015). Ce choix stratégique entrepris par les partis politiques dans ces démocraties émergentes est justifié par la fragilité et la fragmentation du système de parti, par l’importance du cynisme des citoyens envers la politique, par l’adhésion partisane très faible et par la marginalité du système médiatique. Un système axé davantage sur le secteur privé que sur les services publics éprouvant des difficultés à jouer un rôle démocratique (Lilleker et al., 2015).

1.6.2 Des caractéristiques propres aux partis politiques (niveau méso)

Les partis politiques répondent différemment aux opportunités offertes par les outils numériques en campagne (Gibson, 2020; Vaccari, 2013a : 214; Lilleker et al., 2015; Giasson et al., 2018; Chen, 2010). Certaines organisations semblent plus à l’aise avec les technologies numériques et favorisent davantage la participation des bénévoles et militants dans la campagne, parfois même dans les processus de prise de décision (Vaccari, 2013a : 214). Les différences dans les priorités stratégiques des campagnes numériques sont expliquées par des caractéristiques propres aux formations politiques (Giasson et Small, 2017; Gibson : 2020 : 24; Giasson et al., 2018; Magin et al, 2017; Lilleker et al., 2015). Parmi les plus évoquées dans la littérature : le positionnement dans la compétition électorale, l’ancrage idéologique et la taille de la formation politique.

a. Positionnement des formations politiques dans la scène électorale

La position d’une formation politique par rapport au pouvoir représente un facteur permettant de comprendre certains choix stratégiques et notamment l’exploitation de la dimension interactive et participative des médias socionumériques (Giasson et al., 2018; Vaccari, 2013a : 214; Gibson, 2020 : 24, 211; Larsson, 2016; Lilleker et al., 2015). Les partis d’opposition en situation de challengers par exemple seraient plus susceptibles d’adopter des innovations numériques en permettant plus d’ouverture envers le dialogue avec les électeurs ou en mobilisant des communautés d’internautes (Giasson et al., 2018; Lilleker et al., 2015; Jungherr et al., 2019; Karpf, 2012). À contrario, les partis au pouvoir seraient moins soucieux d’adopter des innovations dans leurs initiatives et visent davantage des

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objectifs de diffusion de contenus leur permettant d’assurer un contrôle sur leur campagne (Giasson, 2017; Gerbaudo, 2019 : 13; Gibson et McAllister, 2015; Graham et al., 2013a; Koc-Michalska et al., 2016b; Klinger, 2013). Prudents et réticents à la prise de risque inutile, ces derniers sont constamment suivis de près par les médias et par leurs adversaires politiques. Le moindre faux pas pourrait avoir des répercussions négatives sur leur réélection (Giasson et al., 2018 : 37).

b. Taille des partis politiques

Un grand parti politique adoptera une stratégie sur les médias socionumériques bien différente de celle d’un tiers parti, tout comme un parti d’élites versus un parti de masse ou un nouveau parti versus un parti traditionnel (Dufresne et al., 2019 : 163; Vaccari, 2013a : 52, 54; Larsson, 2016; Gibson et MacAlister, 2015; Koc-Michalska et al., 2016b; Larsson et Moe, 2014; Lilleker et al., 2015; Gibson, 2020 : 24, 211; Klinger et Russman, 2017; Magin et al., 2017; Theviot, 2018 : 142).

Pour Magin et ses collègues (2017) et Lilleker, Tenscher et Štětka (2015) les tiers partis ainsi que ceux récemment fondés s’appuient davantage sur les plateformes numériques (Facebook particulièrement) en étant plus présents, plus actifs et en adoptant une stratégie ouverte sur l’interaction et sur la mobilisation citoyenne. Trois raisons expliquent ce phénomène. Premièrement, les partis récemment fondés ont des structures internes moins hiérarchiques, leurs membres sont habituellement plus jeunes et ouverts aux technologies numériques (Lilleker et al., 2015). Deuxièmement, au vu des faibles ressources humaines et financières dont ils disposent, les tiers partis n’auraient d’autre choix que de miser sur le numérique et sur l’engagement militant en ligne (Magin et al., 2017), à travers notamment le développement de communautés (Lilleker et al., 2015). Troisièmement, en raison de la faible couverture médiatique qui leur est généralement dédiée, le numérique leur offre l’occasion d'acquérir une plus grande attention du public et de gagner en visibilité et en notoriété (Giasson et al., 2018). Ces partis déploient parfois certaines tactiques sur Facebook et Twitter afin d’attirer l’attention des médias traditionnels en essayant d’agir sur l’agenda médiatique (Kalsnes, 2016). Délibérément provocateur ou axé sur le conflit, le contenu

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produit est parfois dédié spécialement aux journalistes pour attirer leur attention dans l’objectif de susciter une invitation à des débats télévisés ou radiophoniques (Kalsnes, 2016).

Quant à eux, les grands partis traditionnels accorderaient une plus grande importance aux formes de couverture médiatique de masse (Lilleker et al., 2015; Magin et al., 2017). Les médias classiques, et la télévision en particulier, semblent représenter pour ces derniers l’outil de communication le plus efficace et seraient pris davantage en considération dans la stratégie électorale (Gerbaudo, 2019 : 13).

c. L’ancrage idéologique des formations politiques

La position idéologique gauche/droite et le rapport progressif/conservateur sont aussi présentés dans la littérature comme des facteurs explicatifs de l’attitude des organisations politiques envers les médias socionumériques. Plusieurs études comparatives ont conclu que, globalement, les partis de gauche et de centre- gauche mobilisent davantage les médias numériques de manière interactive pour se connecter et échanger avec l'électorat (Lilleker et al., 2015; Vergeer, Hermans et Sams, 2011; Larsson, 2013b; Magin et al., 2017; Giasson et al., 2018; Gibson, 2020 : 211; Karpf, 2012; Chadwick et Stromer-Galley, 2016). Les partis verts, écologistes, socialistes, socio- démocrates seraient plus à l’aise avec des formes de communication bottom-up générant une activité numérique importante en montrant plus d’ouverture à l’engagement citoyen (Vaccari, 2013a : 104; Magin et al., 2017). Perçu comme un véritable avantage compétitif pour les progressistes, le numérique semble constituer pour les conservateurs un outil de communication parmi d’autres (Vaccari, 2013a : 103). Dans son étude comparative de pays européens, Cristian Vaccari explique comment les conservateurs restreignent des activités engageantes sur le web. Toute action qui repose sur le user-generated content doit impérativement être validée en amont par le personnel de campagne avant sa publication. Cette obsession de vouloir tout contrôler génère des communautés moins dynamiques et une organisation rigide, compliquée et centralisée à différents niveaux (Karpf, 2012, cité dans Vaccari, 2013a : 104).

Deux éléments permettent d’expliquer l’ouverture des partis de gauche ou progressistes

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envers l’engagement démocratique dans leur appropriation du numérique. D’une part, ces formations politiques (notamment les verts, les écologistes) seraient très populaires auprès des jeunes ayant une plus grande affinité avec les outils numériques (Magin et al., 2017; Vaccari, 2013a : 214; Lobera et Portos, 2020). D’autre part, la culture participative s’inscrit dans la génétique de ce genre de formations politiques qui se revendiquent d’une démarche citoyenne censée promouvoir la participation politique (Magin et al., 2017; Giasson et al., 2018). Comme le soutiennent Bennett et ses collègues (2018 : 1655) « Parties on the left currently face greater challenges engaging citizens due to the popular meta-ideology of diversity and inclusiveness and demands for direct or deliberative democracy ».

Bien que ces facteurs présentés dans la littérature semblent affecter la manière que mènent les partis politiques leurs campagnes numériques, des nuances doivent être apportées. Ainsi, les travaux récents de Jen Schradie (2019) soutiennent que le numérique semble favoriser les conservateurs plutôt que les progressistes et que l’activisme en ligne profiterait davantage à la droite qu’à la gauche. Le web aurait un potentiel antidémocratique selon l’auteure. De plus, avec l’émergence des discours populistes des dernières années, certains chercheurs observent que les acteurs et les partis populistes, parfois d’extrême-droite, seraient davantage actifs et plus visibles sur les médias socionumériques que les autres formations politiques (Krämer, 2017; Schroeder, 2017; Martini, 2018; Pajnik et Sauer, 2018). Les formations populistes ont en effet été décrites comme des partis internet-fuelled (Mosca et al., 2015), qui font du numérique un espace favori leur permettant de contourner les médias traditionnels afin de propager leur idéologie et d’établir des liens directs avec leurs sympathisants (Magin et al., 2017; Pajnik et Sauer, 2018; Schroeder, 2019). Ces évolutions observées ces dernières années sont donc la preuve que les conclusions que nous avons présentées par rapport aux facteurs susceptibles d’orienter les campagnes numériques des partis politiques ne constituent pas une règle, mais plutôt des tendances générales; des tendances qui faisaient l’objet d’un consensus, mais qui, au vu des développements numériques récents et de l’évolution des contextes politiques sont amenées à être revisitées.

Le numérique évolue à travers le temps et certaines fonctionnalités qui profitaient auparavant à certains acteurs peuvent profiter à d’autres quelques années plus tard. D’autre part, les

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plateformes numériques semblent changer également leur exigence face à la diffusion de certains discours politiques, ce qui a mené récemment à des vagues importantes de fermeture de comptes et d’exclusion des réseaux. En contestant sa défaite, la plateforme Twitter a jugé que le Président sortant Donald Trump a enfreint ses règles sur le respect des processus démocratiques (Mansour, 2021). Ce dernier a été banni définitivement de la plateforme.

Daniel Kreiss et ses collègues (2018 : 19) soulèvent en ce sens que les fonctionnalités des médias socionumériques sont en constante évolution : de nouveaux services et fonctionnalités apparaissent et les algorithmes qui sélectionnent le contenu et façonnent la distribution et l'attention changent continuellement. Pour les campagnes comme pour les chercheurs, l'utilisation et l'analyse des médias socionumériques sont souvent très spécifiques à la fois au contexte et au temps.

Ces facteurs relevés dans la littérature sont importants, mais non exhaustifs car force est d’admettre que la vaste majorité des travaux dont ils sont issus portent sur des démocraties occidentales établies. Étudier d’autres contextes politiques, sous un angle différent, pourrait faire émerger d’autres facteurs qui contribueraient à comprendre davantage l’appropriation du numérique par les formations politiques.

Lilleker et ses collègues (2015) rappellent en ce sens que ce sont les stratèges des partis politiques qui évaluent les outils de communication qu'ils jugent appropriés dans un contexte donné. Sans surprise, les membres du personnel politique ne perçoivent pas tous de la même manière comment les technologies doivent être mobilisées en campagne (Kreiss et al., 2018). Ainsi, les préférences personnelles, les préjugés des stratèges, leurs perceptions et croyances peuvent constituer des indicateurs significatifs pouvant expliquer les choix stratégiques adoptés par les partis politiques (Lilleker et al., 2015; Koc-Michalska et al., 2016b; Kreiss et al., 2018). Cette orientation vers le personnel de campagne est fondamentale. Elle répond aux appels de plusieurs chercheurs ces dernières années qui, au-delà de l’étude de contextes autres que le cas étatsunien et ceux des pays traditionnellement démocratiques, invitent à se focaliser davantage sur les acteurs chargés de concevoir les stratégies numériques (Theviot, 2018; Gibson, 2020 : 218).

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1.7 Les stratèges numériques, acteurs-clés des campagnes électorales

Suite à l’entrée des campagnes électorales dans une nouvelle ère numérique marquée par l’instantanéité, les développeurs web qui avaient auparavant des rôles secondaires liés à la création de sites web et à l’envoi de courriels, sont devenus des acteurs de premier plan dans l’élaboration des stratégies électorales (Giasson 2017 : 6). Une nouvelle élite a commencé à émerger ces dernières années au sein des organisations politiques formée de mathématiciens, d’analystes de données, d’ingénieurs en informatique et en logiciels (Gibson, 2020 : 2). Cette main-d’œuvre hautement qualifiée (Giasson, 2017) décrite comme une « nouvelle élite de la politique » (Theviot, 2018 : 48) est devenue de plus en plus recherchée par les partis politiques (Römmele et Gibson, 2020). Compte tenu de leurs expertises et de leurs compétences, ces acteurs assumeraient désormais des tâches plus stratégiques qu’exécutives, imposant une influence directe sur les processus de prise de décisions (Giasson, 2017; Karlsen, 2010; Gibson, 2020 : 211).

Malgré leur rôle fondamental dans la conception des stratégies électorales et les appels de plusieurs chercheurs à s’intéresser au profil de ces nouveaux stratèges numériques (Theviot, 2018; Gibson, 2020; Kreiss et al., 2018; Kreiss, 2012), nous avons recensé peu de travaux sur ces acteurs dans notre revue de la littérature. Peu de chercheurs (Blanchard, 2018; Howard, 2006; Karlsen, 2010; Theviot, 2018) se sont penchés sur le profil sociologique de ces professionnels de la communication politique, à leurs trajectoires, à leurs carrières et aux critères de leur recrutement alors que le profil des stratèges pourrait constituer un indicateur important de la façon dont les stratégies numériques sont pensées et mises en œuvre (Theviot, 2018 : 37).

En 2006, Philip Howard fut le premier à s’intéresser au profil des stratèges numériques et a relevé qu’un groupe de consultants en e-politics spécialisés dans la création d’outils technologiques à usage politique serait derrière l’émergence des campagnes hypermédias aux États-Unis. Des campagnes qui mobilisent les technologies numériques de manière judicieuse à des fins politiques (stratégies de campagne) et à des fins intra-organisationnelles en les intégrant dans leurs structures internes (relation entre le personnel, les leaders, les bénévoles, les citoyens...). Cette « communauté épistémique » au sens de Howard (2006),

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partage une croyance commune qui s’appuie sur la contribution des outils technologiques à l’instauration de la « démocratie numérique ». Ces consultants « cyber-optimistes » qui croient en la « révolution numérique » intègrent leurs valeurs politiques, leurs croyances et leurs visions au sein des organisations de campagne qui adoptent et partagent ces croyances en retour (Howard, 2006; Greffet et Giasson, 2018 : 7).

Comme l’ont soulevé Daniel Kreiss (2012) et Anaïs Theviot (2018 : 37), « les innovations technologiques ne peuvent être intégrées aux campagnes électorales que si elles sont portées par des acteurs stratégiques et sont intégrées dans l’infrastructure politique ». Pour Howard (2006 : 177), c’est bien cette communauté qui a fait évoluer l’organisation des campagnes aux États-Unis en intégrant des innovations technologiques au sein des principaux partis politiques, des ONG et des mouvements citoyens. Cette communauté est composée en majorité d’hommes, âgés de moins de 30 ans, diplômés en science politique qui ont grandi avec les ordinateurs et sont très à l’aise avec les nouvelles technologies. Plus récemment, Theviot (2018 : 50) observe également l’homogénéité sociodémographique de ce groupe en France : les stratèges numériques y sont jeunes, masculins, diplômés en science politique recrutés par cooptation (Greffet et Giasson, 2018 : 50). Dans le même contexte, Blanchard (2018) relève aussi un personnel jeune et majoritairement masculin avec un engagement partisan fort mais avec un profil socioprofessionnel hétérogène tant au niveau des statuts, des parcours de formation que des trajectoires politiques et professionnelles.

Par ailleurs, toujours dans l’optique de porter un regard sur le profil des stratèges numériques au sein des partis politiques, nous nous sommes tournés vers des contextes qui ont été marqués par les mouvements sociaux survenus en 2011. En Espagne, il s’avère que le personnel de campagne de Podemos (formation politique créée suite aux évènements de 2011)10 comprend des membres du mouvement des indignés 15-M (Casero-Ripollés et al., 2016 : 387). Il s’agit plus exactement d’experts en TIC, appelés « tech-activistes » par Romanos et Sádaba, (2016) qui auraient mis en place de nouveaux formats de participation en ligne et des dispositifs numériques délibératifs au sein du parti. Aux États-Unis, les

10 Pour en savoir davantage, voir l’article « Du mouvement des indignés à Podemos », publié le 17 décembre 2015 dans Le Taurillon par Olalla Pastor Del Valle. Disponible ici : [https://www.taurillon.org/du-mouvement- des-indignes-a-podemos].

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cyberactivistes du mouvement Occupy, ont été directement impliqués dans la campagne numérique de Bernie Sanders en 2016 à travers son volet non officiel (Penney, 2017).

Plusieurs chercheurs observent que les cyberactivistes des mouvements sociaux intègrent par la suite les équipes de campagne des partis politiques (Podémos en Espagne, le Mouvement 5 étoiles en Italie...) et semblent appliquer les pratiques organisationnelles et stratégiques des mouvements sociaux à la sphère partisane en période électorale (McAdam et Tarrow, 2010, cité dans Lobera et Portos, 2020; Romanos et Sábada, 2016; Penney, 2017; della Porta et al., 2017; Mosca et Quaranta, 2017; Casero-Ripollés et al., 2016).

Ces conclusions soulèvent deux points importants. D’une part, de plus en plus d’éléments laissent penser que le profil des stratèges pourrait être révélateur de la manière dont les campagnes numériques sont pensées et menées. D’autre part, ces acteurs semblent avoir favorisé l’émergence de nouvelles configurations politiques (Muldoon et Rye, 2020; della Porta et al., 2017 : 5; Kitschelt, 2006 : 280; Heavy et Rojas, 2015).

1.8 L’émergence de nouvelles configurations partisanes suite aux mouvements sociaux

Les travaux portant sur le lien entre mouvements sociaux et partis politiques sont plus rares, mais les mouvements protestataires survenus au cours de cette dernière décennie tels que les mouvements des indignés en Europe (Espagne, Grèce, Italie) ou le mouvement Occupy Wall Street aux États-Unis ont ramené cette question à l’avant-plan. En effet, certains de ces mouvements – largement animés par des pratiques numériques – ont généré quelques années plus tard de nouvelles configurations partisanes inspirées de ces mouvements sociaux (Mosca et Quaranta, 2017; della Porta et al., 2017; Dennis, 2019) à l’instar de Podemos en Espagne ou du Mouvement 5 étoiles en Italie. Ces nouvelles configurations politiques ont été qualifiées de « partis de mouvements » contemporains (parties movement) par della Porta et ses collègues (2017), ainsi que par Muldoon et Rye (2020) et qualifiées de « partis connectés » (connective parties) par Bennett et ses collègues, (2018). Il s’agit selon Rachel Gibson (2020 : 222) d’un nouveau genre d’organisations politiques dépendantes d’Internet et qui combinent les objectifs électoraux des partis politiques avec la fluidité structurelle et organisationnelle des mouvements sociaux.

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1.8.1 Les partis de mouvements contemporains et les connectives parties

Les partis de mouvements exploitent l’hybridité organisationnelle (Chadwick, 2007; 2013; Gibson, 2020 : 222) en évoluant dans l’arène politique institutionnelle de compétition électorale tout en adoptant des structures organisationnelles et un répertoire d’actions inspirés et/ou empruntés des mouvements sociaux (Mosca et Quaranta, 2017; della Porta et al., 2017 : 7). Ayant connu un succès électoral relatif et se positionnant généralement dans l’opposition, ils sont habituellement à gauche ou socio-démocrates (Muldoon et Rye, 2020; della Porta et al., 2017 : 1). Ils affichent des liens étroits avec des mouvements sociaux aussi bien sur le plan organisationnel qu’idéologique en appuyant, en participant ou en organisant des mouvements de contestation (della Porta et al., 2017 : 4, 7; Mosca et Quaranta, 2017; Muldoon et Rye, 2020). Ils évoluent dans l’arène électorale institutionnelle avec une mentalité protestataire de type Party as Movement mentality pour reprendre l’expression de Chadwick et Stromer-Galley (2016). Classiquement, les partis de mouvements sont définis comme : « coalition of political activists who emanate from social movement and try to apply the organization and strategic practice of social movement in the arena of party competition » (Kitchelt, 2006 : 280).

Le critère le plus important des partis de mouvements contemporains s’exprime par leur appropriation habile du numérique (della Porta et al., 2017; Dennis, 2019). Ils adoptent une vision participative au sein d’une structure en réseau en s'appuyant largement sur les outils numériques pour la mise en place d’une structure organisationnelle horizontale et décentralisée à travers notamment la création de communautés en ligne (della Porta et al., 2017 : 23; Muldoon et Rye, 2020). D’après Mosca et Quaranta (2017), les médias socionumériques constituent un outil fondamental pour ce type de partis politiques, et ceci pour deux raisons essentielles. D’une part, ils leur permettent de se positionner dans la sphère publique en bénéficiant des mêmes opportunités que les partis traditionnels (ce qui appuie l’hypothèse de l’égalisation) (Mosca et Quaranta, 2017). D’autre part, ils leur donnent l’opportunité de compenser leur faible présence médiatique tout en leur permettant de rejoindre facilement leur électorat (composé majoritairement de jeunes hyperactifs sur les médias scionumériques) (Mosca et Quaranta, 2017).

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Bennett, Segerberg et Knüpfer (2018) qualifient ce nouveau type de formations politiques de connective parties. Gerbaudo (2019) lui, les qualifie de Digital parties (le Mouvement 5 étoiles, Podemos et les partis pirates). Selon Bennett, Segerberg et Knüpfer (2018), les connectives parties vont plus loin que l’exploitation de l’hybridité organisationnelle avancée par Chadwick (2007, 2013). Ils les définissent comme : « organizations in which technology platforms and affordances are indistinguishable from, and replace, key components of brick and mortar organization and intra-party functions » (Bennett et al., 2018 : 1666).

Bien que de plus en plus de chercheurs s’intéressent aujourd’hui à ces nouvelles configurations partisanes (dont Bennett et al., 2018; Gerbaudo, 2019; Muldoon et Rye, 2020; Dennis, 2019), certaines conclusions issues de ces travaux appellent à la prudence. D’abord, les qualificatifs tels que connective parties, digital parties et platform parties portent un préjugé à forte connotation cyber-optimiste, ce qui nous semble sujet à controverse au vu du risque de surestimer l’incidence de la technologie dans l’explication des transformations politiques, au détriment d’autres facteurs. Ce parti pris s’apparente au déterminisme technologique dès lors qu’un nouveau phénomène en lien avec le numérique apparait. De plus, ces digital parties prétendent utiliser les médias numériques dans l’objectif de proposer une formule plus démocratique de faire de la politique en transférant le pouvoir à leurs membres (Gerbaudo, 2019; Hall, 2019). Sans surprise, c’est la rhétorique de la « révolution numérique » qui est véhiculée par des stratèges qui promettent une nouvelle politique soutenue par la technologie qui favoriserait une forme de « démocratie numérique » (Gerbaudo, 2019 : 9; 2014). Bien entendu, ces croyances relèvent davantage du mythe que de la réalité, d’autant que, comme le souligne Gerbaudo (2019 : 130), les délibérations et les consultations sur les plateformes pour faire participer les citoyens ne seraient pas aussi rigoureuses. Il s’agirait davantage d’un idéal que d’une réalité avérée. Finalement, les différences entre digital parties, connectives parties et mouvement parties ne sont pas clairement définies. Il s’agit globalement de formations, généralement issues de mouvements sociaux (comme Podemos ou le Mouvement 5 étoiles) qui mobiliseraient le numérique de manière horizontale et décentralisée en misant sur l’engagement de communautés en ligne. Le numérique est considéré davantage comme un moyen d’organisation que comme un outil de communication.

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Ces constats laissent entrevoir que ces formations ne seraient pas finalement très différentes de certaines formations d’opposition de gauche étudiées dans d’autres contextes nationaux. Des formations politiques qui mobilisent également le numérique à des fins d’organisation et de mobilisation citoyenne à travers, notamment, la mise en place de plateformes de participation.

Concernant les partis de mouvements, il convient toutefois de rappeler que ce phénomène n’a pas émergé dans les démocraties occidentales suite aux mouvements anti-austérités de 2008 et 2011. Ces évènements récents ont plutôt remis en surface cette question. Ce phénomène a vu le jour initialement à la suite de révolutions et de soulèvements populaires importants contre le néolibéralisme durant les années 1990 en Amérique latine (della Porta et al., 2017 : 162), donc près de 20 ans avant l’émergence des médias socionumériques. Des régimes autoritaires ont ainsi été renversés notamment à travers une lutte de guérilla (Nicaragua et Salvador) ou une tentative de coup d’État qui mena par la suite à des élections (Venezuela) (Houtart, 2015). De nouvelles formations politiques de gauche, issues des mouvements sociaux, ont alors émergé : le Parti du travail au Brésil (PT), le Mouvement vers le socialisme (MAS) en Bolivie, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) au Nicaragua ou Alianza País (AP) en Équateur (Houtart, 2015). Les puissantes mobilisations quasi insurrectionnelles contre les régimes politiques comme en Argentine, en Bolivie ou en Équateur (Ventura, 2018) ont contribué à la vague de victoires qui ont conduit l’Amérique latine à être gouvernée en majorité par la gauche durant plus d’une dizaine d’années (Ventura, 2018).

Force est de constater que le lien entre mouvements sociaux et partis politiques est plus susceptible de s’établir dans des environnements politiques instables où les problèmes socio- économiques deviennent visibles et politisés (Piccio, 2012 et Kitchelt, 1988, cités dans della Porta et al., 2017 : 6, 8). Et c’est vraisemblablement dans les démocraties émergentes qu’on aurait le plus de chance d’observer le déploiement d’une logique de politique contestataire au sein de l’arène électorale, institutionnelle.

En Afrique du Nord, la Tunisie qui a déclenché les évènements contestataires du « printemps

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arabe » en 2011 a connu la première révolution de l’histoire marquée par des pratiques numériques. En l’espace de sept ans, elle a connu une révolution, une transition démocratique et les premières élections municipales à l’ère démocratique et au temps des médias socionumériques. Ce contexte nous semble tout indiqué pour étudier l’articulation mouvements sociaux/partis politiques à l’ère numérique.

1.9 La relation mouvement sociaux/partis politiques à travers le prisme de la sédimentologie

Les partis politiques et les mouvements sociaux, inextricablement liés (Agrikoliansky et Dufour, 2009 : 8), opèrent traditionnellement sur des terrains de jeux disjoints (Dufour et Traisnel, 2009 : 39). Cette séparation a toujours existé dans le champ de la science politique entre les recherches portant sur la politique électorale et celles portant sur la politique contestataire (Dufour et Traisnel, 2009 : 41). Or, ces dernières années, avec l’émergence des médias socionumériques et l’exploitation de l’hybridité organisationnelle par certaines formations politiques, les frontières entre mouvements sociaux et partis politiques tendent à s’estomper. Comme souligné par McAdam et Tarrow (2010 : 538) « Movement and electoral scholars are close to pooling their resources to examine how the Internet may be erasing the boundary between movement activism and electoral politics ». Ainsi, il est important de rendre compte de cette évolution qui amène à réfléchir à une redéfinition des frontières. Des frontières qui ont été clairement délimitées dans le passé (Fillieule, 2009 : 15), mais qui semblent devenir fluctuantes à l’ère des médias socionumériques.

Nous proposons ici de penser cette relation mouvement sociaux/partis politiques à l’ère numérique à travers le prisme de la sédimentation. Rarement mobilisé en sciences sociales (Caravaca, 2017), le concept de sédimentation issu de la géologie et de la sédimentologie plus particulièrement, nous permettra d’établir un lien entre ces deux entités qui évoluent classiquement dans un cadre spatio-temporel distinct11. Il permettra de comprendre comment les pratiques communicationnelles d’un mouvement social peuvent se retrouver, quelques

11 L’un évolue dans l’arène électorale, voire institutionnelle, l’autre dans l’arène des conflits sociaux (Dufour et Traisnel, 2009 : 41).

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années plus tard, dans les campagnes numériques de certains partis politiques.

1.9.1 Le concept de sédimentation

La géologie sédimentaire, plus communément appelée sédimentologie, s’intéresse à l’identification au fil des ans des processus géologiques ayant laissé des traces interprétables à la surface de la terre (Biju-Duval, 1999 : 25). Considérée comme une branche spécialisée de la géologie, elle a pour objectif d’étudier des sédiments (Boulvain, 2010 : 10), d’analyser leurs dépôts dans un milieu donné (Chamley, 1987) et d’étudier la formation des roches sédimentaires composées de sédiments (Biju-Duval, 1999 : 155). Un sédiment est défini comme un ensemble de taille variable, constitué de minéraux et de particules d’origine organique qui se dépose dans un bassin de sédimentation (Biju-Duval, 1999 : 157). Le concept de sédimentation renvoie aux processus d’accumulation et de superposition de ces sédiments (Biju-Duval, 1999 : 16). Il s’agit d’un processus spontané dans lequel – en raison de certaines forces – des sédiments sont naturellement déposés et stratifiés (Caravaca, 2017). Les vecteurs de la sédimentation sont l’eau, l’air ou la glace et les moteurs sont l’énergie et la gravité (Cojan et Renard, 2013 : 1). Le climat joue un rôle crucial en sédimentologie aussi bien dans la fragmentation des roches mères et la génération de particules que dans leurs transports et la mise en place de celles-ci formant par la suite une roche sédimentaire (Cojan et Renard, 2013 : 1).

Charles Lyell (1797-1875), père fondateur de la sédimentologie a publié de 1830 à 1833 un ouvrage fondamental Principles of Geology dans lequel il montre l’importance des strates (structures sédimentaires) pour établir l’échelle géologique (Boulvain, 2010 : 3). Il a utilisé les milieux sédimentaires modernes comme référence pour comprendre les milieux anciens. En effet, l’un des concepts fondamentaux de la sédimentologie est le principe d'actualisme qui stipule que les phénomènes géologiques peuvent être interprétés comme le résultat de processus observables actuellement (le présent est la clé pour comprendre le passé) (Cojan et Renard, 2013; Biju-Duval, 1999; Chamley, 1987). Il renvoie au fait que les caractéristiques actuelles observées dans la surface terrestre ne sont pas apparues soudainement, mais seraient la résultante d’un changement lent et cumulé opéré par un processus naturel (Cojan et Renard, 2013 : 1).

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1.9.2 Le processus de sédimentation

La formation des roches sédimentaires passe par un processus de sédimentation qui s’inscrit dans le cycle géologique (Boulvain, 2010 : 11), il comprend quatre étapes : l'altération, le transport, le dépôt et la diagenèse (Boulvain, 2010; Cojan et Renard, 2013; Chamley, 1987; Biju-Duval, 1999 : 155).

Figure 1.1 Les étapes du processus de sédimentation

Altération

Transport

Dépôt Diagenèse

a. L’altération

À cause de nombreux paramètres liés souvent aux conditions climatiques (température, précipitations, glace...), les roches d’apparence solide se désagrègent et se décomposent avec le temps (Cojan et Renard, 2013 : 68; Biju-Duval, 1999 : 158). Il s’agit du point de départ du processus de sédimentation (Bourque, 2010). Cette transformation est l’altération qui constitue, selon Chamley (1987 : 1), l’ensemble des mécanismes qui libèrent les particules/fragments des roches. Une fois libérées, ces particules transportées par l’eau, l’air ou la glace laissent certaines formes d’érosion sur le massif rocheux soumis à l’altération (Boulvain, 2010 : 19).

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b. Le transport Les constituants des futures roches sédimentaires sont véhiculés sous forme de particules sédimentaires et sont transportées par les forces qui sont exercées sur elles par un fluide en déplacement (agents de transport : l’air, l’eau, glace...) (Biju-Duval, 1999 : 176). Le transport se fait le plus souvent dans des conditions turbulentes (Cojan et Renard, 2013 : 95) depuis les zones sources jusqu’aux zones de dépôts (Boulvain, 2010 : 36). Le transport des particules sédimentaires dépend selon Chamley (1987 : 70) de plusieurs aspects selon les pentes, l’énergie disponible (écoulement gravitaire), et le type de liaison existante avec le fluide porteur. On parlera souvent de force de gravité qui s’exprime en fonction du relief et des pentes (Cojan et Renard, 2013 : 457).

c. La sédimentation : dépôt des particules

Après les phases d’altération et de transport vient l’étape du dépôt des particules sédimentaires dans un bassin. On parle de sédimentation verticale avec l’intervention de la gravité (Biju-Duval, 1999 : 155). La sédimentation est l’étape où sont effectuées l’accumulation, la combinaison et la consolidation des sédiments dans un milieu donné (Cojan et Renard, 2013 : 115). Au moment de se déposer, les particules sédimentaires s’organisent sous l’influence des forces hydrodynamiques responsables du transport (Chamley, 1987 : 67). La mise en place des sédiments s’accompagne selon Cojan et Renard (2013 : 116) « de la formation de structures sédimentaires dites primaires car acquise au moment ou peu de temps après le dépôt, avant la consolidation des sédiments ».

Alors que le transport s’effectue de manière latérale, le dépôt des particules lui s’opère par chute verticale (Biju-Duval, 1999 : 181). Ce phénomène est ce qu’on appelle la décantation qui aboutit par la suite à la constitution de strates. Une strate, appelée aussi couche, constitue une unité de sédimentation (ou structure sédimentaire) qui s’est déposée sous des conditions physiques stables (Cojan et Renard, 2013 : 116; Biju-Duval, 1999 : 397). Les strates constituent un indicateur des conditions de transport et de dépôt des sédiments (Boulvain, 2021; Cojan et Renard, 2013 : 116) et permettent de définir les environnements spécifiques (Biju-Duval, 1999 : 188). Ainsi donc, chaque sédiment a sa propre histoire et reflète des actions hydrodynamiques propres au milieu d’où il provient (Chamley, 1987 : 63).

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d. La diagenèse : des sédiments aux roches sédimentaires

C’est l’ensemble des processus (modifications chimiques et physiques) qui affectent les sédiments nouvellement déposés (Cojan et Renard, 2013 : 263; Chamley, 1986 : 115). Le produit final (roche sédimentaire) possèdera une texture et une composition dépendantes de la provenance des sédiments, mais aussi de leurs évolutions post-dépôt (Cojan et Renard, 2013 : 263).

Les roches sédimentaires sont donc la résultante d’un processus de sédimentation comportant les différentes étapes que nous avons présentées. Selon Biju-Duval (1999 : 384), l’analyse d’une succession de couches géologiques (structures sédimentaires) indique une suite logique de dépôts. Cette superposition des couches (faciès) est analysable à différentes échelles et permet de retracer en quelque sorte l’histoire. Elle constitue des archives du passé et indique les variations temporelles, origine des sédiments... (Biju-Duval, 1999 : 387).

1.9.3 Le processus de sédimentation appliqué à l’étude des campagnes numériques en Tunisie

Le temps est à la base de la géologie, dont on a dit qu’un des objectifs est de reconstituer l’histoire de l’évolution temporelle du globe. Cette évolution se caractérise par une succession de rythme, de crises et d’évènements (Biju-Duval, 1999 : 73). Les évènements – parfois brutaux – sont d’une importance cruciale en géologie sédimentaire. L’éruption d’un volcan par exemple, un séisme ou un Tsunami peuvent se caractériser selon Biju-Duval (1999 : 67) par un signal clair dans la sédimentation du bassin. En sciences sociales, une révolution menant à un changement de régime politique est considérée comme un séisme politique (Bauquet, 2009 : 15) et constitue un évènement majeur qui bouleverse la vie politique d’une société donnée. Les évènements sont donc cruciaux tant en géologie sédimentaire qu’en sciences sociales. En géologie, ils génèrent des sédiments qui, à travers un processus de sédimentation, se déposent dans un milieu donné et permettent de former des roches sédimentaires. En sciences sociales, des évènements majeurs comme des révolutions démocratiques pourraient y laisser des traces quelques années plus tard. Ainsi, il semble logique d’identifier et d’étudier ces traces, notamment en communication politique, pour comprendre comment des phénomènes actuels peuvent être la résultante de

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l’accumulation d’éléments historiques, issus d’évènements passés. La notion d’héritage est donc fondamentale tant en sédimentologie (Biju-Duval, 1999 : 158) qu’en communication politique.

En sédimentologie, le principe de l’« actualisme » stipule que le présent est la clé pour comprendre le passé (Cojan et Renard, 2013 : 1). En communication politique, interroger la « nouveauté » des campagnes numériques électorales implique de prendre en compte le passé » (Theviot, 2015 : 478; Kreiss, 2012; Gibson, 2020). Étudier les pratiques de communication numériques des partis politiques en 2018 en Tunisie, implique la prise en compte de la révolution qui a secoué le pays en 2011. Une révolution qualifiée « à chaud » par les observateurs et les médias de « révolution Facebook », au vu du rôle joué par le numérique dans celle-ci. Bien que cet enthousiasme ait été tempéré par la recherche, le rôle des médias socionumériques dans ce mouvement a été abondamment présenté comme important dans le déroulement des événements qui ont mené à la chute du régime de Ben Ali (Zayani, 2015; Howard et Hussain, 2013; Poell et van Dijck, 2018; Brueur et al., 2015).

L’analogie de la sédimentation nous semble judicieuse afin de déterminer si les pratiques numériques qui ont animé la révolution ont percolé dans les stratégies des nouvelles formations politiques qui se sont opposés lors des élections municipales de 2018, sept ans après le soulèvement. Elle guide notre démarche afin de comprendre si la mobilisation et l’engagement qui se sont exprimés sur les médias socionumériques lors de la révolution marquent aujourd’hui les pratiques numériques de campagne des partis politiques tunisiens. Quels sont les sédiments, les traces de la révolution dans la communication numérique des organisations politiques en Tunisie?

1.10 Synthèse et questions de recherche

Les conclusions de la production scientifique antérieure permettent de dresser trois constats. Premièrement, on note que la majorité des travaux sur les campagnes numériques est consacrée à l’étude des démocraties occidentales. Rares sont les recherches portant sur des démocraties émergentes. Toutefois, afin de bien comprendre le rôle des médias socionumériques en politique, il semble essentiel d’analyser des contextes différents, en

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particulier non états-uniens. Comme l’indiquent plusieurs chercheurs, l’impact des médias socionumériques sur les campagnes électorales pourrait varier d’un pays à un autre, selon le contexte culturel, social et politique (Enli et Moe, 2013; Vaccari, 2013a; Gibson, 2020; Lilleker et al., 2015; Giasson et Small, 2017; Gibson, Römmele et Williamson, 2014; Strömbäck et Kiousis, 2014). Outre les études réalisées sur les démocraties établies – Amérique du Nord, Europe de l’Ouest et pays scandinaves – il devient nécessaire aujourd’hui d’étudier des cas « moins évidents » (Giasson et al., 2018; Giasson et Small, 2017; Larsson et Svensson, 2014). Si les médias socionumériques sont importants dans les démocraties occidentales, ils le sont tout autant dans les pays qui ne disposent pas d'une presse libre et indépendante selon Shelley Boulianne (2017, 2020). Dans les pays où les politiciens bénéficient d’un accès restreint aux médias traditionnels ou dans ceux où la publicité politique est interdite comme la Tunisie, le rôle des médias socionumériques pourrait s’avérer plus décisif. Chaque contexte dispose de spécificités pouvant avoir une incidence sur la façon dont les organisations partisanes établissent et mènent leurs campagnes numériques électorales. Par exemple, la révolution tunisienne de 2011, marquée par un usage important du numérique, constitue un évènement majeur qu’a connu le pays. Considéré comme un moment charnière de l’histoire de la Tunisie, il doit être pris en considération dans l’étude d’enjeux qui relèvent du web politique. La révolution a marqué toute la population tunisienne, y compris les acteurs chargés d’élaborer et de mettre en œuvre aujourd’hui les stratégies électorales au sein des partis politiques.

Deuxièmement, notre bilan des connaissances indique que l’essentiel du corpus sur l’activité politique en ligne des formations partisanes résulte d’analyses d’élections nationales plutôt que locales (municipales, provinciales et régionales). Gibson, Lusoli et Ward (2008), Larsson (2013a), Larsson et Moe (2014), Larsson et Svensson (2014), Larsson et Skogerbø (2018), Vaccari (2013b) et Small (2016) déplorent le peu d’études consacrées aux usages locaux et régionaux du numérique d’autant plus que l’engagement des citoyens en ligne serait plus soutenu dans la politique locale (Larsson et Skogerbø, 2018). Si les médias socionumériques créent un espace propice à la discussion, l’expression, le dialogue et le débat (Breidl et Francq, 2008), il est permis de penser que c’est dans un contexte local,

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comme celui des élections municipales, que de tels espaces ont le plus de chance de se réaliser en communication politique.

Troisièmement, nous constatons que la grande majorité des travaux portant sur les campagnes numériques des partis politiques se sont appuyés sur l’objet technique à travers notamment des analyses de contenu des plateformes Facebook et Twitter. Étudier le contenu des plateformes est important certes, mais se limiter à cet aspect nous semble problématique pour deux raisons essentielles. D’abord, cette méthode ne nous renseigne pas sur le profil des acteurs chargés d’élaborer les stratégies, alors que « le dispositif numérique n’existe pas sans l’implication des acteurs qui le conçoivent, le gèrent et l’utilisent » (Theviot, 2015 : 484). Cette méthode passe à côté d’un élément central sur lequel le voile doit être levé, à savoir qui sont ceux qui « tirent les ficelles en coulisse » ? Ensuite, l’analyse des plateformes ne permet pas de relever et de comprendre les motivations, les objectifs et les logiques stratégiques qui ancrent la communication électorale déployée sur les médias socionumériques. Cette méthode d’analyse nous oblige donc à interpréter uniquement ce qui est observable sur les plateformes, à savoir le front end pour reprendre le terme de Rachel Gibson (2020 : 6). Cette approche ne permet de saisir qu’une portion congrue de l’écosystème des campagnes numériques (Gibson, 2020 : 6). Lorsque la méthodologie détermine les résultats de l’analyse plutôt que d’en garantir la validité, elle doit être révisée.

L’objectif de cette thèse est donc de combler ces carences identifiées dans la littérature en nous appuyant sur des considérations sociales pour mieux cerner les logiques d’élaboration des stratégies numériques dans un contexte inédit : le cas tunisien. La révolution de 2011 est au cœur de notre étude de cas. Cet évènement nous a poussé à appréhender aujourd’hui les pratiques de communication numériques des partis politiques sous un angle différent de la majorité des études réalisées. Étant donné que le numérique est ancré dans des dynamiques sociales différentes d’un contexte à un autre, la révolution tunisienne pourrait avoir laissé des traces, sept ans plus tard, dans les campagnes numériques des partis politiques. Des traces, que nous tenterons de mettre en évidence dans cette thèse. Deux questions de recherche principales guident notre étude :

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§ Quelles sont les traces laissées par la révolution dans les campagnes numériques des partis politiques ? § Comment ces traces influencent-elles les stratégies préparées pour les élections municipales de 2018 ?

Pour appréhender ce phénomène de communication politique dans toute sa complexité, nous empruntons à la géologie le concept de sédimentation. Déployé pour une première fois dans le champ de la communication politique, il permettrait d’observer comment les sédiments de la révolution pourraient s’accumuler et marquer, sept ans plus tard, les pratiques de communication numériques des partis politiques lors des élections municipales de 2018. Les pratiques numériques de la révolution, qui ont largement contribué et donné forme à la configuration du mouvement en ligne en 2011, pourraient teinter les stratégies préparées pour les élections municipales en Tunisie post-révolution.

Dans la lignée des travaux d’Anaïs Theviot (2015 : 483; 2018) et de Philip Howard (2006), nous avons choisi d’appréhender la question de l’appropriation du web par les partis politiques à partir d’une analyse par les acteurs. En effet, la révolution qu’a connu le pays en 2011 a marqué toute la population tunisienne, y compris les stratèges numériques qui évoluent aujourd’hui au sein des partis politiques et qui sont chargés de penser, d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies numériques. L’analyse du profil et des caractéristiques personnelles de ces derniers s’est imposée à nous. Leurs profils sociodémographiques, leurs expériences dans la révolution, leurs perceptions du rôle du numérique et leurs sources d’inspiration peuvent les amener à appréhender différemment la conception des stratégies numériques. Quatre questions de recherches spécifiques structurent cette thèse :

• QR 1. Qui sont les stratèges en communication numérique des partis politiques tunisiens ? • QR 2. Quelle est leur perception du rôle des médias socionumériques lors de la révolution ? • QR 3. Les stratèges s’inspirent-ils des pratiques de la révolution dans l’élaboration des stratégies numériques pour les élections municipales de 2018 ?

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• QR 4. Quels sont les objectifs stratégiques assignés aux campagnes numériques pour les élections municipales de 2018 ?

Nous présentons une hypothèse générale de départ sous forme de réponse provisoire à nos questions de recherche principales. Elle servira à guider notre réflexion :

• H : Plus le personnel de campagne des partis politiques est composé de stratèges cyberactivistes, cyber-optimistes, qui ont participé à la révolution ou en tire de l’inspiration, plus les stratégies numériques développées dans ces partis épousent une forme citoyenne et participative de communication.

À travers ce travail, nous répondons à l’appel de plusieurs chercheurs qui, dans l’étude des campagnes numériques, invitent la communauté scientifique à :

• S’intéresser à des cas moins évidents (Enli et Moe, 2013; Giasson et al., 2018) et en l’occurrence, à des démocraties émergentes (Enli, 2017; Boulianne, 2020). • Porter une attention particulière aux facteurs contextuels nationaux susceptibles d’intervenir dans l’élaboration des stratégies numériques (Giasson et al., 2018) (la révolution dans le cas tunisien). • S’appuyer davantage sur l’étude du personnel de campagne, de ses valeurs, de ses expériences, de ses compétences, des critères de recrutement... (Kreiss, 2012; Theviot, 2015, 2018; Gibson, 2020 : 218).

L’ambition de cette thèse est d’aller au-delà de l’analyse de l’aspect technique qui a longtemps dominé la recherche sur le web politique à travers la dichotomie cyber- optimistes/cyber-pessimistes. En étudiant le profil du personnel de campagne et l’influence de la réalité socio-politique du contexte étudié, la thèse propose une approche originale et novatrice en donnant un caractère sociologique aux études sur les campagnes numériques (Theviot, 2018).

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Chapitre 2. Démarche méthodologique

Cette thèse entend analyser les pratiques de communication numériques des partis politiques tunisiens dans un environnement médiatique hybride, combinant des logiques médiatiques « anciennes » et « nouvelles », ainsi que des structures organisationnelles traditionnelles et émergentes (Chadwick, 2013; Penney, 2017). En nous inspirant du processus de sédimentation décrit dans le chapitre précédent, notre objectif est d’identifier les traces laissées par la révolution de 2011 dans les campagnes numériques des partis politiques lors des élections municipales de 2018.

La démarche adoptée dans cette thèse appréhende les campagnes numériques sous un angle différent de la majorité des études réalisées. Nous plaçons la focale sur le profil et les caractéristiques personnelles des acteurs chargés de la conception des stratégies numériques. Dans une première étape, nous cherchons à dresser un portrait de cette communauté de stratèges : Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Comment et pourquoi ont-ils été recrutés ? Quel a été leur rôle dans la révolution de 2011 et quelles ont été leurs activités sur les médias socionumériques lors de cet évènement ? Dans une deuxième étape, nous interrogeons leur croyance et leur perception du rôle du numérique lors de la révolution. Dans une troisième étape, nous tentons de voir si les stratèges s’inspirent des pratiques de communication numériques mobilisées lors de la révolution dans la conception des stratégies pour les élections municipales de 2018. Enfin dans une quatrième étape, et à travers l’analyse des objectifs qui ancrent les campagnes numériques pour l’élection municipale, nous étudions les choix stratégiques entrepris par les stratèges des formations politiques qui ont pris part à l’élection.

Ce protocole de recherche composé de quatre étapes permettrait d’identifier des sédiments de la révolution et de comprendre leur incidence sur la conception des stratégies numériques des partis politiques pour les élections municipales de 2018. Pour atteindre ces objectifs, un devis mixte reposant sur une étude de cas a été mis en place.

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Les données ont été colligées avec des outils qualitatifs et l’analyse s’est faite par des analyses qualitatives et quantitatives. Ce jumelage de données de nature différente, mais complémentaire, permet d’enrichir les résultats et de mieux comprendre le problème de recherche (Morse, 1991; Aldbert et Rouziès, 2011; Karsenti et Savoie-Zajc, 2000).

La démarche générale adoptée s’inscrit dans un raisonnement déductif. L’étude est ancrée dans un cadre théorique préexistant et a été inspirée de recherches antérieures sur la sociologie des professionnels de campagne (Howard, 2006; Blanchard, 2018; Theviot, 2015), sur les campagnes hybrides (Chadwick, 2013; Giasson et al., 2019; Gibson, 2015) et sur les travaux portant sur le rôle du numérique dans la révolution tunisienne (Breuer et al., 2015; Howard et Hussein, 2013; Lecompte, 2011; Lim, 2013; Zayani, 2015). De plus, des outils d’analyse prédéterminés (modèle, grille, dictionnaire...) issus de la littérature ont été mobilisés dans cette thèse. Au-delà d’être globalement déductive, la démarche est aussi inductive dans la mesure où la compréhension de certains phénomènes s’est faite de manière progressive et récursive (Imbert, 2010). La démarche s’inscrit dans une logique compréhensive, puisque nous tentons de comprendre toute la complexité du cas tunisien, qui n’a pas encore été étudié. L’objectif est de saisir le sens d’un phénomène complexe tel qu’il est perçu par les participants à travers une démarche discursive de reformulation, d’explicitation de témoignages, d’expériences et de pratiques (Mukamurera et al., 2006). Les analyses, l’argumentation et les conclusions ont bénéficié d’une réflexion itérative. Certains éléments dans l’analyse des données ont permis d’amender le modèle initial et de peaufiner la compréhension de certains postulats théoriques.

L’approche exploratoire mobilisée dans cette thèse s’inscrit dans une « nouvelle ère » qualitative de recherche en communication politique qui contribue selon Karpf, Kreiss, Nielsen et Powers (2015) à construire de nouvelles compréhensions théoriques en « période de changements rapides des structures médiatiques, politiques et sociales » (Penney, 2017 : 1902).

Nous commençons ce chapitre par la présentation de la méthode déployée, du cas étudié et de la technique de collecte des données. Nous exposons par la suite les questions relatives à

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l’échantillon de répondants à l’étude, au recrutement des interviewés et au déroulement des entretiens. Finalement, nous présentons les méthodes utilisées pour analyser les données. Nous concluons le chapitre en exposant les limites de la méthodologie déployée.

2.1 Étude de cas en méthodes mixtes

L’étude de cas a été privilégiée puisqu’elle permet une compréhension profonde d’un cas en particulier et en l’occurrence d’un phénomène de l’intérieur, dans son contexte naturel, tel qu’il est vécu et perçu par les sujets (Gagnon, 2012 : 2). Yin (1989, cité dans Bonneville et al., 2007 : 168) définit l’étude de cas comme : « une enquête empirique qui étudie un phénomène contemporain dans son contexte de vie réelle, où les limites entre le phénomène et le contexte ne sont pas nettement évidentes, et dans lequel des sources d’information multiples sont utilisées ».

Dans notre thèse, le phénomène étudié est en grande partie dépendant du contexte, de l’environnement local et de l’histoire. L’étude de cas tient compte de ces dimensions historiques, contextuelles et circonstancielles du phénomène observé (Giroux, 2003, cité dans Bonneville et al., 2007 : 169). Toutefois, bien que l’analyse repose sur l’étude d’un cas en particulier, les méthodes utilisées peuvent varier (Chacon, 2017 : 62). Afin d’atteindre les objectifs de notre étude et dans le but de répondre à nos questions de recherches, un devis mixte qui associe des éléments issus des méthodes qualitatives et quantitatives a été mis en place.

Une démarche méthodologique est qualifiée de mixte lorsque sont combinées des données/méthodes quantitatives et qualitatives dans une même étude (Johnson et Onwegbuzie, 2004; Creswell et Plano Clark, 2011). Le chercheur recueille, analyse et intègre des données autant quantitatives que qualitatives et combine une démarche à la fois déductive et inductive (Creswell, 2009). Certains chercheurs en méthodes mixtes parlent parfois de conversion de données ou de transformation (voir Pluye et al., 2018; Daigneault et al., 2017). C’est-à-dire la conversion des données qualitatives en données quantitatives. Mettre en synergie les forces de ces deux méthodes permet non seulement de répondre à l’ampleur et à la profondeur des besoins de compréhension de l’étude, mais aussi d’aboutir

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à de meilleurs résultats (Johnson et al., 2007 : 123; Guével et Pommier, 2012; Creswell et Plano Clark, 2011 : 5). Dans notre cas, les méthodes (quali/quanti) sont abordées non pas sous l’angle de leurs différences, mais sous celui des complémentarités qu’elles peuvent apporter à la recherche (Pinard et al., 2004 : 132). L’utilisation de ces méthodes conjointement, permet de compenser les limites de chacune d’elles et permettrait l’obtention de données plus riches (Aldebert et Rouzies, 2014; Bourgeault et al., 2010; Creswell et Plano Clark, 2011).

Les recherches par méthodes mixtes ont émergé au milieu des années 1980 et se sont positionnées progressivement comme une troisième voie méthodologique (Aldebert et Rouzies 2011; Creswell et Plano Clark, 2011). Néanmoins, un débat sur la cohérence épistémologique de la combinaison des méthodes qualitatives et quantitatives a émergé dans les années 1990. En effet, le mélange de paradigmes mutuellement exclusifs a été vu comme difficilement conciliable (Hammersley, 1992, cité dans Aldebert et Rouzies, 2011). Pour pallier ces critiques, un paradigme différent est apparu. Il s’agit du pragmatisme. Ce paradigme, dans lequel nous nous inscrivons dans cette thèse, indique que les choix méthodologiques devraient être déterminés non pas en fonction des hypothèses épistémologiques du paradigme dans lequel s’inscrit le chercheur, mais plutôt en fonction de la question de recherche et de la problématique de l’étude (Aldebert et Rouzies, 2014). La coexistence des paradigmes entre une épistémologie interprétativiste (démarche inductive et approche qualitative) et une épistémologie post-positiviste (démarche déductive, approche quantitative) est vue ici comme opportunité pour l’enrichissement de la connaissance (Aldebert et Rouzies, 2014). Ainsi, une méthode de recherche mixte, comme nous la concevons, concilie deux positions épistémologiques classiques : la recherche d’une explication ou d’une vérité universelle et la recherche de vérités multiples pour expliquer un même phénomène (Briand et Larivière, 2014 : 626). L’une renvoie au post-positivisme, l’autre à l’interprétativisme.

Le volet qualitatif mobilisé dans cette thèse permet d’explorer, de comprendre, d’approfondir un processus et un phénomène complexe pris dans son contexte (Bonneville et al., 2007 : 154). Les données analysées sont descriptives et reposent sur les paroles

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d’acteurs (compte rendu d’entretiens) (Deslauriers, 1991 : 6). L’objectif ici est la compréhension et l’interprétation des expériences et des pratiques, plutôt que la mesure de variables. De ce fait, l’analyse implique une démarche souple et itérative où le chercheur devra faire continuellement des allers-retours entre ses connaissances théoriques et les observations issues du terrain (Bonneville et al., 2007 : 161). D’un autre côté, le volet quantitatif mobilisé dans cette thèse (analyse quantitative des données qualitatives) contribue à décrire et à expliquer le phénomène à travers un constat chiffré de l’étude mettant en évidence d’éventuelles relations entre des variables (Aldbert et Rouzies, 2014).

Comprendre comment la révolution de 2011, à travers ses sédiments, pourrait influencer l’élaboration des stratégies numériques des partis politiques en prévision des élections municipales de 2018 est un phénomène complexe. Il nécessite le recours à des données de nature différentes (quali/quanti) pour l’identification de certains facteurs et pour comprendre les liens entre ces facteurs.

2.2 Le cas de la Tunisie : contexte politique et technologique

L’entrée de la Tunisie dans une nouvelle ère démocratique suite à la révolution de 2011 a abouti à la réalisation de six élections libres et transparentes et à l’adoption par l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) d’une nouvelle constitution libre et démocratique (Ben Achour, 2016). Promulguée le 26 janvier 2014, la nouvelle Constitution tunisienne prévoit un régime parlementaire mixte, semi-présidentiel, démocratique et multipartite. Le pouvoir législatif est confié à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). Les députés sont élus au scrutin proportionnel pour un mandat de cinq ans. Le Président de la République, élu au suffrage universel direct, désigne le candidat du parti arrivé en tête pour former le gouvernement. Ce dernier devra obtenir la confiance de l'Assemblée pour être nommé chef du gouvernement12. Au niveau local, les élections municipales permettent d’élire les membres des 350 conseils municipaux au suffrage universel. Le scrutin a lieu sur listes en un seul tour. Les sièges sont alloués au niveau des circonscriptions sur la base de la

12 Constitution tunisienne, consultée en ligne : [http://majles.marsad.tn/fr/constitution/5/chapitre/1]

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représentation proportionnelle aux plus forts restes. Les membres des conseils municipaux sont élus pour un mandat de cinq ans. Une fois élus, les conseillers procèdent à l’élection du maire (Article 117, loi électorale) 13.

Concernant la période de campagne électorale, l’article 50 de la loi électorale de 2014 stipule que « la campagne électorale ou celle en vue du référendum commence vingt-deux jours avant le scrutin. Elle est précédée par la phase pré-campagne électorale ou pré-campagne de référendum et s’étale sur deux mois » [traduction libre] (Chapitre 5, loi électorale, Constitution tunisienne)14. Cette même loi interdit dans son article 57 toutes formes de publicité politique dans les médias audiovisuels. La constitution tunisienne définit la publicité politique comme :

Toute action publicitaire ou propagande moyennant contrepartie matérielle ou gratuitement, usant des méthodes et techniques du marketing commercial, destinée au grand public et visant à faire la promotion d’une personne, d’une position, d’un programme ou d’un parti politique en vue d’attirer les électeurs ou influencer leur comportement et leur choix, via les médias audiovisuels, la presse écrite ou électronique ou à travers des supports publicitaires fixes ou mobiles, installés sur les lieux ou les moyens publics ou privés. Chapitre premier – Dispositions générales (loi électorale)15.

Du point de vue de l’accès aux technologies numériques, la Tunisie a été le premier pays arabe et africain à se connecter au réseau Internet en 1991 (Renaud et Mezouaghi, 2006). En 2010, 34% de la population était connectée à Internet avec un nombre de 3,2 millions d’internautes sur une population de 10,3 millions d’habitants (Zarrad, 2013 : 7). Aujourd’hui, sur une population de près de douze-millions d’habitants, 67% sont connectés à Internet, soit 7,8 millions16.

13 Loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et au référendum. Traduction (Chawki Gaddes et Mondher Bousnina (Février 2017) 14 Loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et au référendum. Consultée en ligne [https://legislation-securite.tn/fr/node/44286 ]. 15 Loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et au référendum. Traduction (Chawki Gaddes et Mondher Bousnina (Février 2017) 16 Pénétration Internet : l’Afrique, toujours loin de la moyenne mondiale. Consulté en ligne [https://thd.tn/penetration-internet-lafrique-toujours-loin-de-la-moyenne-mondiale/]

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Le rôle joué par la plateforme Facebook en Tunisie en tant que source d’information avant et pendant la révolution lui a valu selon Triki (2013 : 336) une certaine crédibilité auprès de la population tunisienne. La Tunisie comptait en 2011 environ 2,4 millions d'utilisateurs Facebook sur une population de 11 millions d’habitants (97,06% par rapport aux autres plateformes de médias sociaux) et environ 6,4 millions d'utilisateurs en 2018 (84,51%), comme le montre la figure avancée par Chouikh et ses collègues (2019) :

Graphique 2.1 Popularité des médias socionumériques en Tunisie entre 2011 et 2018

Source : Internet World Stats, 2011, 2017 et 2018, tiré de Chouikh et al., 2019

Depuis la révolution de 2011, Facebook constitue la plateforme privilégiée des Tunisiens compte tenu de son rôle dans la libération de la parole politique et publique (Ben Abdallah, 2013b). Facebook occupe une place importante dans la vie politique et sociale tunisienne au point où son usage est devenu une activité quotidienne des citoyens (Hammami, 2017 : 10 ,12). Après avoir pris conscience du pouvoir mobilisateur de cette plateforme lors de la révolution, les partis politiques s’y sont investis en masse déployant des pages officielles, des groupes et pour les plus riches d’entre eux, l’achat d’espaces publicitaires (Ben Abdallah, 2013b : 304). Facebook représente depuis l’interdiction de la publicité politique l’espace privilégié des partis politiques dans les campagnes électorales. Ces derniers s’y sont investis à des fins partisanes certes, mais aussi pour attaquer leurs adversaires politiques en recourant parfois à des bloggeurs ou à des pages Facebook dont la notoriété est avérée (Denieuil, 2013 :

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119). Le sondage sur la confiance dans les médias en Tunisie réalisé deux mois après les élections municipales de 2018 par l’association « Barr al Aman »17 a montré que Facebook a été la première source d’information des sondés durant la campagne avec un taux de 41% suivi par la télévision avec un taux de 19% (Hammami, 2020).

2.3 Un protocole de recherche mixte centré sur les stratèges des partis politiques

Les usages du numérique par les partis politiques reposent sur un ensemble de stratégies web développées en amont (Klinger et Rusmann, 2017; Enli et Skogerbø, 2013; Vaccari, 2010; Kalsnes, 2016), quelques mois avant le début de la campagne. Ces usages sont donc la conséquence de choix stratégiques adoptés par les stratèges concepteurs. Nous considérons que l’étude de ce groupe d’acteurs est indispensable aujourd’hui pour comprendre les stratégies numériques élaborées et leurs mises en œuvre sur les plateformes numériques. Nous avons donc orienté notre protocole de recherche vers ce petit groupe d’acteurs qui représente la pièce maitresse des campagnes numériques. L’approche adoptée ici rejoint la logique d’Anaïs Theviot (2014b) qui suggère d’aller au-delà des traces numériques pour analyser les stratégies partisanes en ligne. Daniel Kreiss lui, invite la communauté de chercheurs à ne pas focaliser sur la technique, mais davantage sur les acteurs stratégiques des équipes de campagne (Kreiss, 2012; Theviot, 2014a : 252). La majorité des recherches sur les campagnes numériques se sont penchées sur l’analyse des traces laissées sur Facebook-Twitter à travers des analyses de contenu. Bien que certaines études aient interrogé les stratégies numériques à travers des entretiens avec le personnel de campagne en Occident (Klinger et Russman, 2017; Giasson et al., 2018, 2019; Vaccari, 2010) aucune à notre connaissance n’a tenté d’articuler le profil et les caractéristiques personnelles des stratèges avec les objectifs qui ancrent les campagnes numériques. C’est ici à notre avis que se situe notre principale contribution méthodologique. Et parmi les facteurs propres au contexte tunisien et à la réalité des stratèges numériques des partis politiques de ce pays, on note leur rapport à la révolution de 2011. L’expérience de ces acteurs dans cet évènement pourrait les amener à concevoir des stratégies électorales différemment et notamment en ce

17 Sondage réalisé sur un échantillon de 1841 personnes représentatif de la population tunisienne du 23 au 31 août 2018 trois mois après les élections municipales. Consulté en ligne : [https://news.barralaman.tn/sondage- tunisiens-confiance-medias-fr/]

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qui relève de l’ouverture sur les caractéristiques démocratisantes des médias socionumériques. Ces acteurs qui proviennent de milieux divers, qui auraient vécu la révolution différemment, pourraient avoir une conception différente des campagnes numériques aujourd’hui, lesquelles pourraient être marquées par leurs expériences passées et leurs les valeurs.

2.4 La collecte des données

2.4.1 L’entretien semi-dirigé

Afin de donner un caractère sociologique aux études sur les campagnes numériques et sur le web politique de manière générale (Theviot, 2015), notre protocole de recherche se focalise en priorité sur les stratèges numériques des partis politiques. Nous cherchons à relever leurs expériences, leurs vécus, leurs perceptions et croyances, leurs sources d’inspiration et leurs motivations dans l’élaboration des stratégies numériques pour les élections municipales de 2018.

L’entretien semi-dirigé constitue la technique de collecte de données la plus appropriée pour répondre à nos questions de recherche et atteindre ainsi l’objectif de cette étude. Cet instrument repose sur un dispositif construit par le chercheur pour ses besoins de recherche. Il permet de savoir ce que la personne pense concernant des facteurs que le chercheur ne pourrait observer directement comme les sentiments, les croyances, les idées et les intentions (Deslauriers, 1991 : 34; Bonneville et al., 2007). De plus, comme le soulignent Quivy et Campenhoudt (2006 : 172) « Les entretiens permettent de connaître le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques et aux évènements auxquels ils sont confrontés : leurs représentations sociales, leurs systèmes de valeurs, leurs repères normatifs, leurs interprétations de situations conflictuelles ou non, leurs lectures de leurs propres expériences, etc ».

Généralement, le récit des stratèges est envisagé comme une activité de reconstruction des évènements et des routines plutôt que comme un compte rendu objectif (Chacon, 2017 : 80). C’est pourquoi il a été important tout au long du processus de garder un esprit à la fois ouvert

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et critique en relevant les nuances, les contradictions et en relativisant certains aspects faisant preuve d’objectivité (Bonneville et al., 2007 : 201).

L’entretien offre une bonne flexibilité tout en permettant de générer une compréhension riche de phénomènes complexes (Daigneault, Duval et Imbeau, 2017 : 267). Sa forme semi- dirigée a été privilégiée dans cette étude car elle permet d’aborder une série de thèmes prédéfinis tout en laissant au répondant la possibilité de soulever et d’aborder d’autres thèmes ou aspects du sujet (Bonneville et al., 2007 : 175). Dans cette perspective, le chercheur adopte une attitude de compréhension et ses relances sont guidées par un guide d’entretien.

2.4.2 Le guide d’entretien

L’entretien semi-dirigé est une forme de discussion structurée autour de questions spécifiques préalablement formulées dans un guide d’entretien (Bonneville et al., 2007 : 173). Ce guide permet de prévoir à l’avance les grandes orientations de l’entretien (Demers, 2003, cité dans Bonneville et al., 2007 : 175). Il contient des thèmes et des sous-thèmes sur lesquels on voudrait que les répondants s’expriment, car ils feront partie du protocole d’analyse de contenu avec lequel seront traités les comptes rendus (Romelaer, 2005).

Notre grille (disponible à l’Annexe A) est structurée par des questions principales permettant d’introduire les thèmes abordés suivis par des questions d’investigation ou de relance permettant de clarifier certains points et de chercher parfois des informations complémentaires (Bonneville et al, 2007 : 175). Dans l’élaboration de notre grille, nous avons suivi la suggestion de Patton (1980, cité dans Bonneville et al., 2007 : 176) en commençant par des questions factuelles, générales de type descriptif en amenant progressivement les répondants vers des questions faisant appel à leurs opinions, à leurs sentiments et à leur interprétation de l’évènement ou de la situation. Les questions ont été rédigées de sorte qu’elles soient claires, précises et pertinentes. Comme suggéré par Bonneville et ses collègues (2007 : 177), nous avons utilisé un vocabulaire familier et connu des répondants. La grille d’entretien est composée de quatre blocs :

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• Le premier bloc concerne le profil des stratèges

Les questions portent sur des données contextuelles et sociodémographiques, notamment les statuts et les fonctions des répondants au sein des partis. Elles portent aussi sur leurs parcours, leur recrutement, le poste occupé, la formation académique, leurs carrières et leurs parcours professionnels. Il s’agit de questions informatives permettant de dresser le portrait sociographique de cette catégorie d’acteurs et d’établir la relation de confiance avec les répondants.

• Le deuxième bloc concerne la période de la révolution

Dans ce deuxième bloc, les questions portent sur l’expérience personnelle des répondants de la révolution de 2011, notamment leur engagement dans le soulèvement et sur leurs usages des médias socionumériques au moment de cet évènement. Une autre vague de questions porte sur leurs perceptions des fonctions des médias socionumériques (diffusion de l’information, interaction, mobilisation), du potentiel démocratisant de ces médias et de leur rôle dans la réussite de la révolution.

• Le troisième bloc concerne les stratégies numériques dans le cadre des élections municipales de 2018

Cette partie est composée de 17 questions portant sur différents aspects associés à l’élaboration des stratégies numériques pour les élections municipales de 2018. Les questions couvrent cinq thématiques. Elles portent sur l’importance du numérique en campagne, sur l’éventuelle modification de l’organisation des stratégies électorales et sur son utilité dans un cadre municipal. Dans cette perspective, les questions portent sur l’objectif visé par l’utilisation des médias socionumériques en campagne locale, ainsi que la ou les plateformes privilégiées pour les élections municipales. Parmi les thématiques abordées dans cette partie : la publicité et la promotion, le ciblage et le public visé, l’interactivité et le dialogue, la participation et les pratiques de mobilisation. D’autres questions portent sur l’éventuel recours à des mandataires externes, des consultants dans la préparation de la stratégie numérique.

• Le quatrième bloc concerne le passage d’un contexte révolutionnaire à un contexte institutionnel d’élections municipales.

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Les questions de cette partie portent dans un premier temps sur l’impact du rôle des médias socionumériques lors de la révolution sur la conception de la stratégie numérique pour les élections municipales de 2018. En deuxième temps, les répondants sont interrogés sur les traces laissées par la révolution dans la communication politique en Tunisie aujourd’hui. Finalement, ils sont questionnés sur leur éventuelle inspiration des pratiques numériques de la révolution de 2011 dans l’élaboration des stratégies numériques de leurs partis pour les élections municipales de 2018.

Le questionnaire d’entretien initial en français a été traduit en arabe pour les répondants qui ont souhaité que l’entretien se déroule en arabe. Les deux questionnaires ont fait l’objet d’un pré-test avec deux membres du personnel de partis politiques qui n’ont pas fait partie de l’enquête puisque leur tâche n’était pas en lien direct avec l’élaboration de la stratégie numérique. Le pré-test a permis d’ajuster la construction de certaines questions notamment en arabe et de supprimer une question de relance qui nous a paru redondante. Ce pré-test nous a permis également de vérifier la fluidité et la clarté dans notre façon de poser les questions en fonction des réactions et des réponses des deux interviewés. L’objectif a été également de s’assurer du bon niveau de compréhension des questions par les interviewés dans les deux langues.

2.4.3 Les partis politiques retenus pour l’étude

Depuis la révolution de 2011, le nombre de partis politiques a augmenté de façon considérable en Tunisie. Au 5 juillet 2018, il y avait 21418 partis politiques enregistrés en Tunisie. Un grand nombre d’entre eux est totalement absent du paysage politique. Bien que certains partis existaient avant 2011, ils n’ont été légalisés et reconnus qu’après la révolution. Les partis politiques représentés à l’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple) durant le quinquennat 2014-2019 sont au nombre de 1419. Les six principaux partis politiques ont été retenus pour cette étude. Le choix s’est fait en fonction des données de plusieurs

18 Chiffre annoncé par le ministère des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l’Homme le 5 juillet 2018 : [Https://www.businessnews.com.tn/la-tunisie-compte-desormais-214- partis-politiques,520,81103,3]. 19 14 partis politiques et quatre listes indépendantes ont siégé à l’ARP durant le quinquennat 2014-2019 [https://majles.marsad.tn/2014/fr/assemblee?session_id=570fb79c12bdaa4a009c3339]

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sondages20 sur les intentions de vote pour les élections municipales en Tunisie qui classaient régulièrement ces six formations dans les premières positions. Il s’agit des deux partis au pouvoir : Nidaa Tounes (parti séculariste de droite) et du parti Ennahdha (islamo- conservateur) et des quatre partis d’opposition : Afek Tounes (centre-droit), le Mouvement Tunisie Volonté (centre-gauche), le Courant Démocrate (centre-gauche) et le Front Populaire (extrême gauche). Après avoir remporté les élections législatives et présidentielles de 2014, Nidaa Tounes s’est allié à son principal adversaire politique le parti Ennahdha, formant ainsi une coalition gouvernementale (Ayari et Brésillon, 2019 : 89; Nafti, 2019 : 67).

2.4.4 Identification et recrutement des stratèges-répondants

Il est important selon Ulrike Klinger et Uta Russmann (2017) d’identifier et d’interroger la bonne personne dans les études sur l’analyse des stratégies de communication politique. Comme nous menons une étude pionnière en Tunisie sur les stratégies des partis politiques, l’identification des informateurs n’a pas été une tâche facile puisque l’objectif est d’interroger des acteurs impliqués directement dans la conception et la mise en œuvre des stratégies numériques pour les élections municipales de 2018. Ils constituent une population peu visible et difficilement identifiable.

Comme cela a été mentionné par Kreiss (2012) et Blanchard (2018), les postes diffèrent d’une structure partisane à une autre. Par exemple, dans notre étude nous avons constaté que dans certains partis politiques, le « directeur de l’information et de la communication » est appelé le « responsable de la communication » dans certaines formations et « directeur de la commission de communication » dans d’autres. Bien que les appellations soient différentes, la tâche demeure la même : Il est responsable de tout le volet communicationnel. Idem concernant le « directeur de la communication digitale » qui, dans certains partis, est qualifié de « chargé du digital » ou de « responsable de la communication digitale » : Il est responsable du volet numérique du parti.

20 Sondage sur les intentions de vote pour les élections municipales (Sigma Conseil, janvier 2018) : [https://www.leconomistemaghrebin.com/2018/01/20/les-attentes-des-tunisiens-trouver-un-emploi/]

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Par ailleurs, au-delà du poste et de la fonction occupée par le stratège, nous avons cherché à savoir « qui s’occupait de quoi » (Blanchard, 2018) pour identifier les acteurs qui pourraient intervenir dans l’élaboration de la stratégie numérique.

Une investigation21 réalisée en amont au sein des partis politiques a permis de repérer les principaux acteurs à interviewer. Ces derniers ont été identifiés en se référant aux postes occupés, aux fonctions, aux tâches et à leur implication dans l’élaboration et/ou l’opérationnalisation de la stratégie numérique. La technique d’échantillonnage « boule de neige » nous a permis d’identifier certaines personnes, dont des cadres politiques impliqués dans le volet communicationnel des partis. Ces derniers participent à l’élaboration de la stratégie numérique et sont parfois chargés de son exécution sans occuper un poste en particulier.

Pour chaque formation politique, ont été interviewés les responsables de l’information et de la communication, les responsables de la communication numérique, les gestionnaires de communautés22 (community managers) et certains cadres politiques impliqués dans le volet communicationnel des partis intervenant directement dans l’élaboration de la stratégie numérique.

21 Nous avons parlé à des responsables politiques (député-es, chefs de partis, coordonnateurs) afin de connaître qui sont les personnes qui occupent des postes en lien avec le volet communicationnel ainsi que ceux impliqués directement dans l’élaboration des stratégies numériques. Dans certains cas, nous nous sommes rendus directement aux sièges des partis politiques afin de chercher l’information. 22 Les gestionnaires de communautés sont les personnes en charge des médias socionumériques et qui gèrent principalement les comptes officiels Facebook et Twitter des partis politiques. Dans certaines formations politiques, ces derniers participent à l’élaboration de la stratégie numérique.

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Tableau 2.1 Nombre de personnes interviewées par fonction et rôle Postes Rôles Effectif % (n=27) Directeur de l'information et de la Responsable de la stratégie de communication 2 7 communication Directeur de la commission de Responsable de la stratégie de communication 3 11 communication Directeur de la communication digitale Responsable de la stratégie numérique 1 4

Responsable de la communication Responsable de la stratégie de communication 2 7

Responsable/Chargé de la communication Responsable de la stratégie numérique 5 19 digitale Gestionnaire de communautés Exécution de la stratégie numérique 7 26

Députés, Porte-parole, Secrétaire général Participant à la réflexion stratégique 7 26

Il a été important d’avoir une représentation diversifiée des postes occupés. Comme le souligne Vaccari (2010 : 323, cité dans Giasson et al., 2018), interviewer des acteurs de statuts différents au sein des équipes de campagnes réduit le risque de surestimer l’effet des facteurs technologiques et de négliger l’influence d’autres facteurs organisationnels ou sociopolitiques.

Depuis la chute du régime de Ben Ali, Marzo (2020) souligne que de nombreux chercheurs internationaux ont mené des enquêtes qualitatives en Tunisie. Il remarque que les interactions entre chercheurs occidentaux et sujets interrogés dans le monde arabe sont généralement basées sur un faible niveau de confiance initiale (Tessler et Jamal, 2006). Certains répondants perçoivent le chercheur occidental comme invasif et « orientaliste » (Tessler, 2011, cité dans Marzo, 2020). Le fait que le chercheur soit tunisien, étudiant dans une université nord-américaine et travaillant sur le contexte tunisien, pourrait avoir tempéré les réticences des sujets tunisiens face à des chercheurs occidentaux. De plus, le fait de parler couramment arabe permettrait d’établir une certaine proximité avec ces derniers. Les répondants savaient dès le départ que les entretiens pouvaient se dérouler en arabe, en dialecte tunisien. Ces facteurs pourraient avoir facilité l’accessibilité à ces acteurs clés au sein de partis politiques en Tunisie et auraient contribué à instaurer un climat de confiance nécessaire dans les études impliquant des sujets humains.

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Par ailleurs, et à l’issue de notre investigation pour identifier nos informateurs, nous avons relevé que cette communauté est composée d’un nombre relativement restreint de personnes en Tunisie. Pour les six partis politiques de notre échantillon, qui constituent les principaux partis politiques du pays, un total de 30 stratèges a été identifié. Ces derniers ont été contactés par courriels. Certains, n’ayant pas donné suite à notre invitation, ont été recontactés par téléphone, d’autres par SMS, certains par Messenger et d’autres en personne. Dans certains cas, lorsque nous n’avons pas eu de retour, nous avons été dans l’obligation de recourir à un intermédiaire. Sur les 30 stratèges identifiés, 27 ont participé à cette étude avec une moyenne de quatre répondants par formation politique. Malgré le nombre relativement restreint de praticiens au sein de cette communauté en Tunisie et les difficultés à les identifier, nous avons été capables de rencontrer une proportion très significative de la population à l’étude. Nous considérons donc que notre échantillon est illustratif de cette population dans ce contexte tunisien. Nous nous sommes d’ailleurs limités à ce nombre puisqu’au-delà de quatre stratèges par formation politique, les données recueillies lors des entretiens devenaient répétitives et ne permettaient plus d’aboutir à de nouvelles informations. Cela indique également que nous avions atteint le seuil de saturation empirique.

Tableau 2.2 Nombre de personnes interviewées par formation politique

Partis politiques Effectif (n=27) %

ENNAHDHA 4 14,8 NIDAA TOUNES 5 18,5 AFEK TOUNES 6 22,2 MOUVEMENT TUNISIE VOLONTÉ 3 11,2 COURANT DEMOCRATE 5 18,5 FRONT POPULAIRE 4 14,8

2.4.5 Le déroulement des entretiens :

Les 27 entretiens semi-dirigés avec les stratèges en communication de six formations politiques tunisiennes ont été réalisés avant le début de la campagne électorale pour les élections municipales, et ce de la période allant du 4 juillet 2017 au 6 décembre 2017.

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Comme le suggère Bor (2013), avant le début des campagnes, les stratèges développent une compréhension plus complète de leurs stratégies sur les médias socionumériques. De plus, comme l’indique Deslauriers (1991 : 39), il est important que l’informateur soit encore engagé dans son milieu au moment de l’enquête.

Les entretiens ont duré entre 45 et 180 minutes et ont été réalisés en personne aux sièges des partis à Tunis et dans leurs locaux au sein de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). Ils ont été effectués en français et en arabe. Les entretiens ont été enregistrés pour faciliter l’organisation et la récupération des données tout en respectant l’anonymat des répondants.

Afin d’établir le climat de confiance avec les répondants, nous avons débuté les entretiens en expliquant les objectifs de la recherche en des termes généraux. Nous leur avons expliqué l’importance de leur participation et comment, à travers cette étude, ils contribueraient au développement de la recherche scientifique sur la communication politique en Tunisie. Un domaine d’étude encore peu connu dans ce pays.

Afin de faciliter les échanges avec les répondants, nous les avons informé que les données recueillies au cours de l’entretien étaient confidentielles et que l’anonymat était assuré. Cette précaution a été prise afin que les répondants puissent discuter librement et révéler en toute sécurité des informations personnelles, parfois même sensibles. Ces informations concernent notamment leur implication dans la révolution et les axes stratégiques de la campagne pour les élections municipales à venir.

Nous avons par ailleurs présenté aux répondants le formulaire de consentement expliquant toutes les étapes de l’entretien ainsi que le certificat d’éthique. De même, nous avons demandé à chacun l’autorisation d’enregistrer les échanges afin de pouvoir les retranscrire et analyser les données. Une fois le document lu et signé par ce dernier, l’entretien pouvait commencer.

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Durant les entretiens, nous avons cherché en premier lieu à collecter des données sociodémographiques sur les stratèges et à comprendre leur rôle dans la révolution de 2011 à travers leurs expériences vécues et leurs utilisations des médias socionumériques. En deuxième lieu, nous avons tenté de connaitre leurs perceptions quant au rôle du numérique dans la révolution et quant à ses potentialités démocratisantes. Dès les deux premiers entretiens, les répondants donnaient automatiquement leur opinion sur le rôle du numérique lors des élections (dans un contexte démocratique) et faisaient la comparaison entre les deux périodes (révolution et post-révolution). Nous avons donc décidé de continuer à investiguer cette question pour les autres répondants. Cet aspect, non prévu à l’avance dans l’étude s’est avéré pertinent à la compréhension du phénomène. En troisième lieu, nous avons interrogé leur éventuelle inspiration des pratiques numériques de la révolution dans l’élaboration des stratégies numériques. Cela nous a permis d’identifier non seulement les « pratiques numériques de la révolution » mais aussi de relever l’existence d’autres sources d’inspiration auxquelles les répondants se sont référés. En quatrième lieu, nous avons cherché à connaitre le niveau d’importance accordé au numérique dans la stratégie électorale ainsi que les motivations qui sous-tendent les usages des médias socionumériques dans le cadre de la campagne numérique pour les élections municipales de 2018.

En laissant l’interviewé répondre aux questions, dans les mots qu’il souhaite, notre esprit théorique est resté continuellement en éveil de sorte que notre intervention à travers les questions de relance amène à de nouveaux éléments d’analyse (Quivy et Campenhoudt, 2006 : 172). Nos relances ont permis non seulement de clarifier certaines idées importantes pour l’étude (Bonneville et al., 2007 : 178) mais aussi à générer d’autres informations qui n’étaient pas prévues et qui ont contribué à comprendre davantage certains phénomènes. Dans certains cas en revanche, nous avons été dans l’obligation, et ce de la manière la plus naturelle possible, de recentrer les propos des répondants quand ces derniers s’éloignaient de la thématique abordée et des objectifs de la recherche (Bonneville et al., 2007 : 178). À l’issue de l’entretien, les enquêtés ont été invités à préciser certaines caractéristiques sociodémographiques et ont été remerciés pour leur précieuse collaboration.

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2.5 L’analyse des données

Les réponses recueillies dans les 27 entretiens en format audio ont été retranscrites en intégralité. Ces documents représentent plus de 300 pages de verbatim. À la suite des retranscriptions, et la traduction en français de ceux réalisés en arabe, nous avons procédé à l’organisation du matériau afin de pouvoir l’analyser.

Nous nous sommes appropriés le matériau en procédant à plusieurs lectures et réalisé diverses formes de marquage (surlignage avec des couleurs) afin d’avoir une vue d’ensemble de la totalité des partis à analyser (Paillé et Mucchielli, 2016 : 245). Par la suite nous avons procédé au découpage et au regroupement des parties du corpus. Certaines parties ont fait l’objet d’analyse manuelle quasi-artisanale (tri, regroupement et croisement de tableaux), alors que d’autres ont été traitées avec le logiciel Qualitative Data Analysis Miner version 5 (QDA Miner). Une autre partie du corpus a fait l’objet d’une analyse semi-automatisée avec dictionnaire par les logiciels WordStat version 7 et QDA Miner 5. Notre grille d’entretien composée de quatre blocs (liés chacun à une question de recherche) constitue notre guide de cheminement dans le processus analytique. Les blocs ont été analysés avec des méthodes parfois différentes combinant l’analyse qualitative et quantitative. La Figure 2.1 présente les quatre étapes du processus analytique :

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Figure 2.1 Processus d’analyse des données

Entretiens semi-directifs

QR1 QR2 QR3 QR4 Étape 1 Étape 2 Étape 3 Étape 4

Analyse du Analyse des Analyse des Analyse des profil des perceptions sources objectifs stratèges des stratèges d’inspiration stratégiques

Caractéristiques Perception du rôle des Les résidus de la Niveau d’hybridité sociodémographiques médias révolution dans des stratèges socionumériques lors l’espace numérique de la révolution post-révolution

Activités des stratèges Perception du potentiel Analyse des pratiques Motivations qui sous- sur les médias démocratisant des numériques de la tendent l’usage du socionumériques lors de médias révolution numériques pour les la révolution socionumériques élections municipales de 2018

Analyse manuelle Analyse de contenu Analyse de contenu Analyse de contenu (Microsoft Word et thématique thématique qualitative et Excel) QDA Miner 5 QDA Miner 5 quantitative (semi- Analyse de contenu par automatisée) catégories WordStat 7 + QDA Miner 5 Raisonnement Raisonnement déductif déductif/inductif Raisonnement inductif Raisonnement déductif

Traitement de données mixtes (quali/quanti)

Étape 1 : Analyse du profil des stratèges

Les caractéristiques sociodémographiques des stratèges, leurs carrières et leurs statuts ont été analysés manuellement à travers l’outil de traitement de texte (Microsoft Word) qui permet, par la fonction de tri, de classer et de regrouper les données facilement (Mukamurera, et al., 2006). Grâce à l’utilisation parallèle de tableurs Excel pour croiser les données, nous avons pu identifier des tendances et dégager ainsi des profils archétypaux de stratèges en fonction de leurs caractéristiques sociodémographiques.

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Dans une deuxième étape et toujours dans le cadre de l’analyse du profil des répondants, nous avons analysé leurs activités sur les médias socionumériques lors de la révolution à travers une analyse de contenu avec des catégories prédéterminées. Adoptant une démarche déductive, et à l’aide d’une série d’indicateurs, nous avons classé les répondants en tant que « spectateurs », « porte-voix » et en tant que « cyberactivistes » en fonction de leurs actions sur les médias socionumériques lors de la révolution.

Tableau 2.3 Activités sur les médias socionumériques lors de la révolution (catégories et indicateurs)

Catégories Indicateurs Spectateurs Consommation d’informations Partager/relayer l’information Aimer des publications Activités sur les médias Porte-voix Commenter des publications socionumériques lors de la Discuter/dialoguer révolution Créer du contenu/de l’information Coordonner/organiser des actions Cyberactivistes Mobiliser les citoyens Administrer des pages Facebook d’influence

Étapes 2 et 3 : Analyse des perceptions des stratèges et leurs sources d’inspiration

L’analyse de contenu thématique a été privilégiée pour analyser séparément les transcriptions des réponses du deuxième et du quatrième bloc du guide d’entretien, soit la deuxième et la troisième étape du processus analytique. Ces étapes portent sur les perceptions des stratèges quant au rôle du numérique lors de la révolution et sur les sources d’inspiration de ces derniers dans l’élaboration des stratégies web pour les élections municipales.

L’analyse thématique met en évidence les représentations sociales ou les jugements des interviewés à partir d’un examen de certains éléments constitutifs du discours (Quivy et Campenhoudt, 2006 : 208) en procédant au repérage, au regroupement et à l’examen discursif des thèmes abordés dans le corpus (Paillé et Mucchielli, 2016 : 236). Un thème est un ensemble de mots, une affirmation sur un sujet, un résumé ou une phrase condensée

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permettant de cerner ce qui est abordé dans l’extrait du corpus correspondant (Paillé et Mucchielli, 2016 : 246). « Le thème est utilisé généralement comme unité d’enregistrement pour des études de motivations, d’opinions, d’attitudes, de valeurs, de croyances, de tendances, etc » (Bardin, 2013 : 137). On parle aussi de « sous-thèmes » pour se référer à la décomposition de certains thèmes (Paillé et Mucchielli, 2016 : 235).

La codification des données représente la première étape de l’analyse. Il s’agit d’une procédure de déconstruction de données où le chercheur prend un élément d'information, le découpe et l'isole et le classe avec d'autres du même genre (Deslauriers, 1991 : 70). Un codage en unité de sens a été réalisé manuellement sur QDA Miner 5. Chaque unité de sens représente une idée unique, un sujet, un thème qui peut se traduire en un mot, une phrase ou un paragraphe (Boucher-Gagnon et al., 2016; Bonneville et al., 2007 : 194). Deux démarches ont été adoptées dans le processus d’encodage des parties de nos entretiens faisant l’objet de l’analyse thématique.

• Un codage a priori à travers une démarche déductive où les codes (thèmes) ont été créés bien avant l’analyse des données (Bonneville et al., 2007 : 198). Les thèmes sont prédéterminés et sont issus de la théorie, à partir de recherches antérieures.

• Un codage a postériori, où les codes (thèmes) ont été générés par induction à partir des observations. Les thématiques sont identifiées dans le but de cerner ce qui est exprimé (Bonneville et al., 2007 : 198).

Nous avons suivi la démarche de Huberman et Miles (1991 : 120), de Chacon (2017 : 84), de Terriault et Harvey (2011) et de Romelaer (2005) en commençant dans une première étape à préparer une liste provisoire de thèmes à partir de notre guide d’entretien (thèmes prédéterminés) inspiré de la littérature, du cadre théorique et des objectifs de notre étude. Cette liste a été enrichie par d’autres thèmes identifiés lors d’une pré-analyse de deux entretiens jugés particulièrement riches (Huberman et Miles, 2014, cités dans Chacon, 2017 : 84). Cette liste de thèmes a servi ensuite à l’analyse de la totalité du corpus.

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Des thèmes émergents et des sous-thèmes se sont ajoutés à la liste au fur et à mesure de la lecture du matériel, d’autres ont toutefois été abandonnés.

La liste provisoire des thèmes pour l’étape 2 (perception du rôle des médias socionumériques lors de la révolution) comprend les catégories suivantes :

• Diffusion de l’information (hybridité Al-Jazeera-Facebook, informations chargées d'émotions, viralité de l'information) • Interaction (discussion/dialogue, coordination/organisation) • Mobilisation • Potentiel démocratisant (liberté d’expression, participation politique, émancipation)

La liste provisoire des thèmes pour l’étape 3 (source d’inspiration des stratèges) comporte les éléments suivants :

Résidus de la révolution • Utilisation de Facebook • Marginalisation de Twitter • Recours aux pages Facebook influentes

Sources d’inspiration • Pratiques de la révolution (contourner les médias traditionnels, création d'une dynamique horizontale, adoption de formes de mobilisation citoyennes, développement de campagnes non-officielles) • Modèles étrangers

Par la suite et afin d’assurer une certaine cohérence dans la démarche, les codes modifiés au cours de l’analyse ont été révisés dans chacun des entretiens qui ont été analysés précédemment (Chacon, 2017 : 85). Dans notre étude, l’analyse a été guidée par des questions précises composant le guide d’entretien. Lorsque les questions sont précises, l’analyse en est grandement facilitée (Paillé et Mucchielli, 2016 : 252).

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Le logiciel permet d’annoter progressivement toute opération, unité de sens, code ou thème. Cette activité permet de consigner les étapes de codification, les intentions, décisions prises, et donc d’objectiver l’analyse (Mukamurera, et al., 2006). Ces informations nous ont été utiles aussi bien lors de l’analyse que lors de la rédaction. L’organisation hiérarchique des thèmes générés par déduction et induction est présentée dans des tableaux en annexe B avec des exemples de verbatims. Selon Mukamurera et ses collègues (2006 : 125) : « en analyse qualitative, le chercheur est en mode de quête de sens. Et ce sens n’est pas directement donné, il émerge à travers l’examen des codes et des blocs de données codés, à travers un travail de mise en liens des éléments pour dévoiler les significations qui sont parfois implicites aux données ».

Le recours à un logiciel d’analyse qualitative (ici QDA Miner 5) facilite grandement le travail analytique. Il permet de mieux visualiser les données codées, de relever la récurrence significative de certains thèmes (en lien avec nos objectifs de recherche) de les classer, de visualiser les liens entre ces éléments, de faire des comparaisons et d’identifier les associations (Mukamurera et al., 2006; Paillé et Mucchielli, 2016). Les données minoritaires et contradictoires qui ont émergé dans notre analyse n’ont pas été écartées, mais plutôt intégrées dans l’interprétation des données (Gagnon, 2012 : 78). Elles nous ont permis d’affiner davantage l’analyse assurant ainsi la description du phénomène et sa compréhension.

De plus, grâce à QDA Miner 5, nous avons pu faire des relectures des thèmes codés avec les segments de texte plus facilement ce qui nous a permis de vérifier nos conclusions (Gallagher, 2000; Gagnon, 2012). Le recours à un logiciel de traitement de données qualitatives (ici QDA Miner 5) contribue à assurer une plus grande fiabilité des données en facilitant grandement la comparaison des segments de textes provenant des différentes sources (Gagnon, 2012 : 74).

En plus de la quête de sens de l’analyse thématique, nous avons eu recours durant ces deux étapes à la quantification des données qualitatives afin de comprendre les directions (positives ou négatives, favorables ou défavorables) codées parfois en variables binaires (qui

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prennent les valeurs 1 et 0 pour présence et absence respectivement). Ce protocole a été adopté afin de connaître le nombre et le pourcentage de stratèges cyber-optimistes et cyber- réalistes au sein de notre échantillon ainsi que le nombre de ceux qui disent s’inspirer des pratiques de la révolution. Comme l’indiquent Royer et ses collègues (2019), la quantification est utilisée aujourd'hui dans plusieurs démarches autrefois typiquement qualitatives telle que l'étude de cas. Ici elle permettrait de mieux comprendre le phénomène dans sa globalité.

Étape 4 : Analyse des objectifs stratégiques des campagnes numériques pour les élections municipales de 2018

Durant cette étape nous avons étudié le niveau d’hybridité des campagnes en examinant d’abord l’importance accordée au numérique par les répondants dans la stratégie électorale à travers une analyse qualitative de contenu. Par la suite, afin d’analyser les objectifs stratégiques des campagnes numériques pour les élections municipales de 2018, nous nous sommes appuyés sur le modèle de Giasson et ses collègues (2018; 2019). Les stratèges visent généralement trois types d’objectifs dans l’élaboration des stratégies numériques selon les auteurs : des objectifs communicationnels comme le fait de diffuser un message partisan, de recadrer les messages et d’attaquer l’adversaire. Des objectifs politiques comme générer des ressources, promouvoir un projet politique ou une idéologie, faire connaître le parti/accroître sa visibilité, mobiliser des soutiens et faire sortir le vote. Des objectifs de marketing comme recueillir des données sur les électeurs, développer une communauté d’internautes, étudier le marché électoral, faire du ciblage, obtenir de la rétroaction pour ajuster la stratégie, gérer des bases de données et protéger la marque et l’image du parti en ligne.

Constituée à partir d’un certain nombre de conclusions avancées dans l’analyse de cas issus de démocraties occidentales établies (Chadwick, 2013; Gibson, 2015; Vaccari 2010; Bor, 2013), cette typologie pourrait présenter des limites dans un contexte politique distinct comme celui de la Tunisie. Pour cette raison, nous l’avons ajustée en ajoutant des catégories propres au contexte tunisien et aux élections municipales (plus de détails dans le chapitre 6). L’analyse de contenu quantitative semi-automatisée à l’aide d’un dictionnaire a été déployée afin de déterminer dans le discours des stratèges à quelles fins les formations politiques

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recourent-elles aux médias socionumériques. Selon Berelson (1952, cité dans Bucy et Holbert, 2014 : 269) « l’analyse de contenu est une technique de recherche servant à la description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste des communications ». Suivant une approche déductive, les logiciels d’analyse de contenu QDA Miner 5 et WordStat 7 permettent une analyse quantitative des données qualitatives (Provalis Research). Plusieurs méthodes quantitatives peuvent être utiles pour analyser des données d’entretiens et compléter ainsi les méthodes qualitatives traditionnelles (Daigneault, Duval et Imbeau, 2017 : 267).

L'outil analytique recherche dans les récits des personnes interrogées des expressions spécifiques et des mots-clés (ou « codes » dans le jargon QDA Miner) répertoriés dans un dictionnaire prédéterminé qui représente les catégories analytiques. Le logiciel va localiser ces codes dans le corpus et calculer le nombre d'occurrences du dictionnaire auquel ils sont associés (Giasson et al., 2018). L’analyse repose sur le calcul et la comparaison des fréquences de certaines caractéristiques (codes) préalablement regroupée en catégories significatives. Cette approche se fonde sur l’hypothèse qu’une caractéristique est d’autant plus importante pour le locuteur qu’elle est fréquemment citée (Quivy et Campenhoudt, 2006).

Nous avons adopté un dictionnaire développé dans le cadre du projet enpolitique.com23. Le dictionnaire a été conçu pour mesurer l'importance accordée par les répondants (stratèges) aux différents aspects de la communication, aux objectifs politiques et aux objectifs de marketing (Giasson et al., 2018; Giasson et al., 2019). Toutefois, nous avons jugé nécessaire de modifier le dictionnaire afin qu’il puisse répondre plus adéquatement au contexte tunisien et au contexte d’élections municipales plus particulièrement.

23 « Enpolitique.com est projet de recherche international mené par une équipe de chercheurs universitaires québécois et français. Le projet est une étude comparative du web politique dans le cadre des élections présidentielle et législatives françaises de 2012 et des élections législatives québécoises ». Consulté en ligne le 22/05/2018 [http://www.enpolitique.com].

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En suivant l’approche de Giasson et ses collègues (2018), une première lecture et analyse des blocs portant sur les axes stratégiques de la campagne des 27 entretiens a permis d’identifier des mots-clés, des thèmes et des expressions qui ont permis de créer de nouvelles catégories qui ont été ajoutées au dictionnaire initial.

Un test du nouveau dictionnaire a été réalisé sur trois entretiens du corpus et a généré l’ajout de mots-clés supplémentaires rendant les catégories existantes et nouvelles plus inclusives. Inspirés du projet enpolitique.com, nous présentons les mentions auxquelles réfère chacune des catégories sur lesquelles le codage a reposé. Une mention de discours réfère à un extrait de phrase, une phrase ou un ensemble de phrases. Lorsqu'une mention peut relever de deux catégories, elle est codée dans les deux catégories simultanément.

Les catégories d’objectifs politiques que nous avons relevées sont :

• Se faire connaître/visibilité : l’utilisation des médias socionumériques pour gagner en notoriété, faire connaître les candidats municipaux, les listes électorales. • Promouvoir une idéologie : l’utilisation des médias socionumériques pour promouvoir une idéologie, des idées politiques, des valeurs, un projet. • Participation électorale : utilisation des médias socionumériques pour faire sortir le vote, pour faire des gains électoraux. • Recruter des bénévoles : l’utilisation des médias socionumériques pour recruter des internautes, des volontaires, des activistes ... • Mobilisation : l’utilisation des médias socionumériques pour rassembler des citoyens ou des militants autour d’actions partisanes. • En ligne : inciter les internautes à partager des contenus partisans, à créer du contenu, à s’engager dans la campagne en ligne, à administrer des pages Facebook. • Hors ligne : inciter les citoyens à se joindre à la campagne de terrain (dans les municipalités), à une campagne de porte à porte, à rejoindre un rassemblement.

Les catégories d’objectifs de communication relevés dans les entretiens sont :

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• Diffuser le message : utilisation des médias socionumériques pour diffuser ou partager le message du jour (ex : communiqué de presse, annonce, énoncé politique, lignes officielles du parti) ou la position du parti sur un enjeu donné. • Diffuser des contenus médiatiques : utilisation des médias socionumériques pour diffuser des contenus produits par des institutions médiatiques professionnelles (ex : intervention télé/radio, articles journalistiques, entrevues ou reportages). • Attaquer l'adversaire : utilisation des médias socionumériques pour attaquer un adversaire, le critiquer ou le discréditer. • Contrôler le message : utiliser les médias socionumériques pour maintenir la cohérence du message communiqué par le parti, le message de campagne soit en précisant ce message, en répliquant à une attaque ou en rectifiant des faits. Défendre l’intégrité de la campagne, et/ou de défendre le candidat et la ligne du parti. • Interaction : utiliser les médias socionumériques pour interagir, discuter et échanger avec les citoyens. • Publicité politique : utiliser les médias socionumériques pour faire de la publicité politique, diffuser des spots publicitaires faisant la promotion du parti ou de la liste électorale. • Personnalisation : utiliser les médias socionumériques pour mettre l’accent sur le candidat et ses caractéristiques personnelles plutôt que sur le parti ou les enjeux politiques. • Évènements : utilisation des médias socionumériques pour annoncer la tenue d’un évènement et pour faire sa promotion (déplacement du chef / déplacement des candidats aux municipalités...). • Coordination interne : utiliser les médias socionumériques pour les échanges internes entre le personnel de campagne et pour coordonner et organiser des actions partisanes (à travers des groupes Facebook)

Enfin, les objectifs de marketing relevés dans les entretiens sont :

• Ciblage : utiliser les médias socionumériques afin de rejoindre certains groupes- cibles homogènes qui seront atteints de manière différenciée, selon diverses plateformes (les femmes, les jeunes, les journalistes…), recourir aux fonctionnalités

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techniques de la plateforme Facebook pour le ciblage (ciblage géographique au palier municipal). • Ajuster la stratégie : réaligner ou ajuster la stratégie à la suite de rétroactions obtenue en ligne, entre autres pour ajuster l’image du parti, du candidat/liste électorale au cours de la campagne. • Collecte de données : utiliser les médias socionumériques pour recueillir systématiquement de l’information personnelle sur les électeurs (numéro de téléphone, municipalité, gouvernorat, préférences politiques...). • Développement de communautés : utiliser les médias socionumériques pour créer et entretenir une communauté, un réseau ou un regroupement d’internautes ou de militants pour la campagne en ligne. • Études de marché : utiliser les médias socionumériques pour mener des analyses de marché ou recourir à des études de marché pour concevoir la campagne en ligne (sondages, groupes de discussion). • Branding : utiliser le concept d’image de marque associant clairement un parti (ou un candidat) à certaines caractéristiques (souvent liées aux valeurs), afin de susciter un sentiment d’appartenance chez l’électeur.

Le dictionnaire utilisé comportant les mots-clés référant à chacune de ces catégories est disponible à l’Annexe C.

Daigneault et ses collègues (2017 : 286) soutiennent que « les méthodes automatisées d’analyse de contenu ne devraient jamais être utilisées de manière « bête et aveugle » ». En effet, le traitement automatique ne tient pas compte du sens de la phrase, mais uniquement du vocabulaire utilisé (Roy et Garon, 2013). Nous avons donc jugé nécessaire de procéder dans une troisième étape à un codage manuel sur QDAMiner 5 en plus du codage automatisé effectué à l’aide de WordStat 7. Cette étape permet de vérifier si les codes ont bien été assignés et s’ils répondaient fidèlement au sens voulu par les répondants. D’après notre expérience, nous estimons que dans ce genre d’exercice, l’intervention du chercheur est fondamentale afin d’ajuster le codage en prenant en considération le sens de la phrase. Ce

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protocole permet de s’assurer de la validité du codage automatique et de l’ajustement de la mention à l’objectif auquel il a été assigné (Giasson et al., 2018).

2.6 Interprétation des données

La juxtaposition des données qualitatives et quantitatives dans l’interprétation des résultats globaux permet d’atteindre les objectifs de cette étude en apportant des éléments de réponses à des questions de recherche qui nécessitent des données de nature différente. En effet, le rapprochement des données qualitatives et quantitatives a fourni une analyse à la fois pointue et complète d’un phénomène jamais étudié auparavant.

Des tableaux, des figures, des graphiques et des témoignages des stratèges (extraits d’entrevues) ont été insérés tout au long des chapitres de résultats afin d’appuyer et de justifier nos arguments et nos conclusions. Les cas négatifs, les données minoritaires parfois contradictoires et ceux qui pourraient aller à l’encontre de nos conclusions partielles (Comeau, 1994) ont été intégrés dans l’interprétation des données. De plus, comme le suggère Gagnon (2012 : 90), nous avons toujours tenté de comparer nos propositions explicatives à ce que l’on retrouve dans la littérature afin de pousser plus loin la réflexion. Le fait de comparer nos résultats et conclusions aux propositions théoriques issues de la littérature renforce la validité interne (Yin 1990, cité dans Drucker-Godard et al., 2003 : 274).

Un panorama comportant les profils archétypaux de stratèges, les typologies et les différents partis politiques couvrant les deux contextes (révolution et élections) a été généré (tableau 5.1, page 177). Au sein de ce panorama, les grandes tendances se sont matérialisées et des similitudes ont été soulignées et mises en évidence de manière à faire apparaître les logiques sociales implicites (Quivy et Campenhoudt, 2006 : 201; Paillé et Mucchielli, 2016 : 236).

Conclusion

Cette thèse apporte une contribution méthodologique originale en adoptant un devis mixte à prédominance qualitative dans un champ de recherche dominé par la recherche quantitative

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(Karpf, Kreiss, Nielsen et Powers, 2015). Toutefois, certaines limites liées à la méthode doivent être soulignées.

L’entretien qualitatif avec les stratèges est le seul instrument de collecte de données déployé dans cette étude. Il a été privilégié puisqu’il permet de saisir le point de vue des individus sur une expérience particulière, leur vision du monde en vue de les rendre explicites et de les comprendre en profondeur (Baribeau et Royer, 2012 : 26). L’entretien permet d’atteindre les objectifs de cette étude en investiguant d’une part les expériences des répondants, leurs perceptions et croyances durant la révolution de 2011 et d’autre part, leurs sources d’inspiration, leurs motivations et leurs intentions dans l’usage du numérique lors d’élections municipales. Force est de constater que l’entretien représente l’unique instrument qui permet de collecter des données issues de deux contextes distincts dans lesquels ont évolué nos répondants : de la révolution aux élections.

Toutefois, des limites liées à cet instrument doivent être prises en considération comme par exemple les biais de désirabilité sociale. En effet, des réponses stéréotypées ou en conformité avec les attentes du chercheur (Bonneville et al., 2007 : 178), ou du poste occupé post- révolution par les répondants au moment de l’entretien pourraient orienter les réponses des répondants craignant d’être mal jugés. Rappelons que certains stratèges évoluaient dans un contexte révolutionnaire avant de rejoindre les structures décisionnelles des partis politiques dans un contexte institutionnel. Ils pourraient adopter une position plus sérieuse et plus réservée qui s’adapte avec la fonction et le poste occupé aujourd’hui. Pour tempérer cette limite, il a fallu miser davantage sur l’instauration d’un climat de confiance avec ces derniers en insistant sur l’anonymat et la confidentialité des données collectées.

L’entretien permet de comprendre le sens d’un phénomène tel qu’il est perçu par les répondants (Bonneville et al., 2007 : 178), parfois témoins des évènements ou acteurs principaux en offrant notamment un accès direct à leur expérience. Étant donné que nous analysons ici les perceptions des stratèges à travers leurs déclarations et non des comportements observés, ces derniers pourraient surestimer leurs actions et leur engagement notamment dans la révolution. Ayant vécu la révolution sur le terrain et étant observateur de

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la transition démocratique en Tunisie, nous avons une certaine connaissance du contexte qui nous a permis de recadrer parfois certains propos des répondants jugés trop enthousiastes ou très subjectifs. La spécificité du caractère semi-dirigé des entretiens permet, à travers des relances, de recentrer la discussion. D’ailleurs, notre proximité avec l’objet étudié pourrait susciter des interrogations. Le fait d’être Tunisien et faisant partie de la génération de ceux qui ont vécu et participé à la révolution pourrait être perçu comme favorisant d’une certaine subjectivité. Il faut admettre que le bouleversement du contexte sociopolitique tunisien dû à la révolution de 2011 a touché toute la population tunisienne. Il est donc légitime de reconnaître que le chercheur se présente aujourd’hui en tant que citoyen tunisien avec certains aprioris par rapport à la portée de cet enjeu, et notamment sur la transformation démocratique en Tunisie. Cette subjectivité existe certes, mais c’est en amont qu’elle survient pour ma part, et plus particulièrement dans le choix de l’objet de la thèse. La situation politique que j’ai observée et vécu personnellement, a cultivé chez moi l’intérêt de travailler sur des enjeux liés aux campagnes numériques en essayant de comprendre l’incidence possible de la révolution sur la manière de faire campagne aujourd’hui lors d’élections démocratiques en Tunisie. Bien que des chercheurs (Deslauriers, 1991 : 20) accolent aux études qualitatives une part de subjectivité estimant que la perception et la compréhension du chercheur y exercent un rôle majeur, nous avons veillé, pour notre part, à ce que la fidélité, l’objectivité et la neutralité priment durant toute la démarche empirique déployée dans cette thèse, allant de la collecte, à l’analyse jusqu’à l’interprétation des données.

Il convient également de faire part de biais associés à la traduction des transcriptions de l’arabe vers le français. Pour y remédier, nous n’avons pas transcrit directement en français les entretiens réalisés en arabe. Nous les avons d’abord transcrits en arabe pour les traduire ensuite en français afin d’assurer une plus grande fidélité. De plus, il est important de souligner les limites liées à l’analyse quantitative semi-automatisée réalisée dans la quatrième étape du processus analytique. Force est de constater que certains répondants sont davantage ouverts à la démarche en sciences sociales. Certains entretiens ont duré plus longtemps que d’autres et certaines formations politiques disposent d’un nombre plus important de stratèges. Par conséquent, il y a des risques d'avoir beaucoup d'occurrences

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pour un parti donné vu la longueur des entretiens d’un côté et le nombre plus élevé d’interviewés de l’autre. Cela déséquilibre automatiquement le corpus du point de vue de l'analyse QDA Miner. Cette limite a pu être tempérée en réalisant des analyses par pourcentage au niveau des priorités accordées aux différentes catégories et aux objectifs stratégiques pour chaque parti politique.

Les conclusions de cette étude ne peuvent être généralisées certes, puisqu’il s’agit ici d’une étude sur les stratégies numériques des partis politiques en prévision des premières élections municipales dans une démocratie émergente. Par contre, la démarche analytique mise en place pourrait inspirer d’autres chercheurs à l’adopter à leur tour dans d’autres contextes. Articuler le profil des stratèges, leurs perceptions, leurs sources d’inspiration avec les objectifs stratégiques des campagnes numériques constitue une assise innovante qui permet de comprendre le processus d’élaboration des stratégies numériques et leurs orientations dans n’importe quel contexte.

Afin que les résultats et les conclusions de cette étude puissent s’étendre à d’autres contextes que celui étudié (Mukamurera et al., 2006) nous avons pris certaines mesures.

Premièrement, la transparence dans les étapes d’analyse et la clarté dans la démarche analytique. Certaines techniques permettent selon Mukamurera et ses collègues (2006) d’atteindre un degré satisfaisant de validité comme par exemple, les opérations de définition opérationnelle des codes ou des catégories (Huberman et Miles, 1991). Deuxièmement, et comme suggéré par Mukamurera et ses collègues (2006) et Drucker-Godard et ses collègues (2003 : 281), nous avons décrit de manière détaillée le site étudié (du contexte et de l’échantillon) qui représente une condition essentielle pour la transférabilité. Selon ces derniers, lorsque la démarche est bien explicitée, que le contexte de l’étude est bien décrit, la transférabilité se trouve plus facilitée. Cela implique la possibilité pour un autre chercheur de reprendre l’exercice selon les degrés d’explications des règles méthodologiques (Comeau, 1994). Troisièmement, nous avons veillé à ce que l’échantillon de recherche réponde au critère de pertinence théorique par rapport à la situation d’étude (Pourtois et Desmet, 1997 : 120, cités dans Mukamurera et al., 2006). Il a fallu aussi qu’il soit assez diversifié, incluant

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des cas typiques et atypiques (Miles et Huberman, 1991 : 434; Mukamurera et al., 2006). Quatrièmement, nous avons veillé à atteindre le principe de saturation empirique dans la mesure où la collecte de données a été poursuivie jusqu’à ce que les données recueillies n’apportent plus de nouvelles informations (Drucker-Godard et al., 2003 : 274). La saturation empirique est considérée comme la référence pour estimer la fin de la collecte de données et la taille de l’échantillon (Mukamurera et al., 2006).

Toutes ces mesures prises permettent non seulement de mieux comprendre les résultats et les conclusions de la recherche, mais aussi d’assurer une certaine transférabilité. Sans oublier qu’à défaut d’être généralisables, nos conclusions pourraient servir à dégager des hypothèses à vérifier dans d’autres contextes.

Malgré ses limites, la méthodologie déployée a permis d’apporter des éléments de réponses à nos questions de recherche et de comprendre ainsi un phénomène dans toute sa complexité. La présentation des données dans les prochains chapitres suivra l’ordre chronologique des différentes étapes analytiques apportant ainsi des éléments de réponse à chacune de nos questions spécifiques de recherche.

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Chapitre 3. Analyse du profil des stratèges en communication numérique des partis politiques tunisiens24

Nous sommes aujourd’hui confrontés dans la littérature sur la communication politique à une croissance importante du nombre d’études portant sur l’articulation entre numérique et campagnes électorales. Une grande partie de ces études s’est penchée sur l’analyse des usages politiques des médias socionumériques. À partir de 2008 et au lendemain de la campagne innovante de Barack Obama, des chercheurs (Chadwick, 2013; Kreiss, 2012; 2016; Stromer-Galley, 2014) ont commencé à s’intéresser à l’analyse des stratégies numériques dans plusieurs contextes. Malgré l’accroissement des recherches sur les usages effectifs d’un côté et sur l’élaboration des stratégies numériques de l’autre, peu se sont intéressées à l’architecture des campagnes numériques, à leur fonctionnement interne (Kreiss, 2012) et aux profils des concepteurs ou des « architectes » de ces dernières (Blanchard, 2018).

Pour comprendre plus en profondeur et de manière globale la configuration des campagnes numériques, il ne suffit pas d’analyser des stratégies élaborées en amont et leurs mises en œuvre en aval, mais il faut également se pencher sur le profil de ceux qui conçoivent et élaborent les stratégies numériques. Cette partie qui repose essentiellement sur la personne du stratège constitue une pièce manquante dans la littérature sur les campagnes numériques et leur fonctionnement. Bien que, certains chercheurs aient investigué le profil des bloggeurs (Giasson, Darisse et Raynauld, 2013; Neihouser, 2016) et des militants politiques (Theviot, 2013), très peu se sont intéressés au profil de ce nouveau type de professionnels de la communication politique (Blanchard, 2018; Howard, 2006; Karlsen, 2010; Kreiss, 2016) apparu suite à l’entrée des campagnes électorales dans une nouvelle ère marquée par les nouvelles technologies.

24 Les données et des éléments de ce chapitre ont fait l’objet d’une publication scientifique : Ben Mansour, Bader (2020). « Les acteurs de l’ombre. L’étude du profil des chargés de la communication numérique des partis politiques tunisiens », Les Enjeux de l'information et de la communication 1, p. 67-79.

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Peu visibles, discrets et difficilement repérables au sein des partis politiques (Riutort, 2007), ils sont souvent décrits dans le monde politique comme les acteurs de l’ombre ou des coulisses (Riutort, 2007). L’examen du profil de cette population largement méconnue dans le champ politique, permet d’explorer un angle mort dans la recherche sur les campagnes numériques.

Malgré les six campagnes électorales qui se sont déroulées depuis la révolution de 2011 en Tunisie, rares sont les recherches qui se sont penchées sur les campagnes numériques tunisiennes. Par conséquent, nous doutons fort que l’étude du profil des stratèges en communication politique ait été réalisée dans ce contexte. Notre revue de littérature ne nous a pas permis d’en repérer.

Dans ce chapitre, nous proposons de présenter et de décrire les acteurs chargés de la communication numérique des formations politiques en Tunisie en nous intéressant plus particulièrement aux personnes qui contribuent de près ou de loin à l’élaboration de la stratégie numérique pour les élections municipales de 2018. Dans une deuxième partie, et toujours dans l’optique d’analyser le profil de ces acteurs, nous avons cherché à comprendre leur relation avec la révolution de 2011. Cet évènement a constitué un tournant historique dans la vie politique tunisienne et a marqué une rupture avec un système autoritaire et le début de l’ère démocratique. Nous avons cherché à savoir comment les stratèges ont eu recours aux médias socionumériques lors de cet évènement.

3.1 Le volet numérique des formations politiques tunisiennes : structure, acteurs et organisation

Cette première section met en lumière la structure organisationnelle au sein des formations politiques tunisiennes qui font partie de notre étude. Cet exercice permet de comprendre la nature de l’environnement partisan dans lequel évoluent les stratèges. Nous brossons ensuite le profil sociodémographique des stratèges faisant partie de cette communauté de professionnels impliqués dans l’élaboration des stratégies web des élections municipales de 2018.

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3.1.1 Structure organisationnelle du volet communicationnel

Au moment de notre investigation pour identifier les personnes à interviewer, nous avons constaté que l’organisation interne était différente d’une formation politique à une autre, selon la taille de la formation et de ses ressources humaines et financières. Comme l’a bien soulevé Karlsen (2010), le degré de professionnalisation des campagnes diffère d’un parti à un autre selon la taille, le nombre du personnel (Farell et Webb, 2000) et le recours aux consultants.

Le parti traditionnel islamo-conservateur au pouvoir Ennahdha dispose d’un département distinct appelé le « bureau des élections » constitué d’une équipe spécifique focalisée essentiellement sur la campagne électorale des élections municipales. Le parti Nidaa Tounes également parti au pouvoir, dispose d’une commission spéciale en charge du volet des élections municipales. Cette logique de séparation du volet électoral propre aux grands partis renvoie en quelque sorte à la logique de war room (Chadwick, 2013; Scammel, 1998; Stömback, 2008), où le pouvoir est généralement concentré et où les décisions se prennent plus rapidement (Elsheikh, 2018; Kreiss, 2012; Lisi, 2013). En parallèle, ces partis disposent d’un département d’information et de communication assez structuré avec à la tête un directeur de l’information et de la communication. Au moment de chercher « qui s’occupait de quoi » (Blanchard, 2018) parmi les stratèges, nous avons relevé l’existence d’une hiérarchie au sein des départements de communication quant à l’organisation et à la répartition des tâches principalement en ce qui concerne le volet numérique. Ce qui confirme les propos de Kreiss (2012 : 127) « les membres du personnel spécialisés travaillent au sein d’une hiérarchie organisationnelle claire ». Une structure interne cohérente au sein des partis politiques permet d’améliorer l’efficacité opérationnelle en définissant les rôles et les responsabilités de chacun (Elsheikh, 2018 : 166; Howard, 2006 : 46; Gibson et Römmele, 2001). Un des cadres d’Ennahdha soutient :

[l]e parti est structuré au niveau communicationnel et surtout la partie digitale [sic]. Les jeunes s’occupent du niveau municipal, du niveau national et ont pour tâche de gérer la page officielle du parti et la page du chef du parti. Il y a une organisation et une structuration au niveau du département. Chaque personne parmi les jeunes travaillant dans le digital sait qu’elle a une tâche spécifique à faire (Répondant 2).

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En revanche, le volet communicationnel des formations politiques alternatives est géré par des commissions de communication sans hiérarchie organisationnelle claire composées d’un nombre plus restreint de personnes (entre 6 et 10 personnes) qui partagent diverses tâches convergentes. Ainsi, le directeur de la commission peut intervenir en tant que gestionnaire de communauté et le gestionnaire de communauté peut intervenir dans la communication générale du parti. Ce mode de fonctionnement horizontal bottom-up – qui permettrait une synergie dans la prise de décision – est souvent opéré par les formations alternatives où les membres assument simultanément de multiples tâches (Elsheikh, 2018 : 167). Il existe donc un chevauchement et une interpénétration de positions où la logique de hiérarchie n’est pas respectée. Un cadre politique d’une formation alternative témoigne ainsi de cette expérience :

[o]n forme une équipe de huit personnes pour le numérique, on discute beaucoup entre nous. Il y a ceux qui s’occupent des vidéos, montage, production, ceux qui s’occupent du site, de la page officielle Facebook, du journal électronique et des pages Facebook des bureaux régionaux et locaux ainsi que les pages de certains dirigeants du parti…la commission de com est constituée de personnes compétentes dans le domaine, on forme un réseau très unifié, ensemble on met des stratégies sur pied et ensemble on prend les décisions, tout le monde a son mot à dire (Répondant 23).

Dans certaines formations, comme le Front populaire et le Mouvement Tunisie Volonté, la commission de communication est composée d’un nombre plus restreint de personnes (4 à 5 personnes) sans organisation hiérarchique structurée.

Concernant la structure interne au sein des partis politiques, nous constatons que contrairement à ce qui est observé dans d’autres contextes (Howard, 2006; Kreiss, 2012 : 127), le volet numérique de la communication des formations politiques tunisiennes – aussi bien les formations alternatives que les grands partis traditionnels – ne dispose pas d’un département spécifique. Au sein des formation alternatives par exemple, les commissions de communication se focalisent quasi-uniquement sur le volet numérique comme en témoigne ce stratège : « chez nous quand on parle de stratégie de communication ça veut dire automatiquement stratégie de communication digitale [sic] » (Répondant 12). En revanche,

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pour les partis au pouvoir le volet numérique ne constitue qu’un aspect de la communication politique parmi tant d’autres.

3.1.2 Portrait sociodémographique des stratèges en communication politique

Nous avons dressé le profil de cette communauté de stratèges au sein des partis politiques en Tunisie à travers la collecte d’informations sur les variables d’âge, de sexe, du niveau d’études, et de milieux universitaires et professionnels. Nous nous sommes également intéressés à leurs expériences professionnelles et politiques d’une part et à leurs expériences en communication politique d’autre part.

Tableau 3.1 Sexe et âge des stratèges

Sexe Effectif (N=27) % Homme 20 74 Femme 7 26 Âge Effectif (N=27) % 20 à 25 ans 1 4 26 à 30 ans 4 15 31 à 35 ans 7 26 36 à 40 ans 4 15 41 à 45 ans 3 11 46 à 50 ans 0 0 51 ans et plus 8 30

Le profil sociodémographique de nos répondants indique que la population de stratèges de notre échantillon est caractérisée par une forte représentation masculine (tableau 3.1). Sur les 27 personnes interrogées, vingt sont des hommes et seulement sept sont des femmes. À l’instar d’autres contextes (Blanchard, 2018; Howard, 2006; Hubé, 2009; Theviot, 2018 : 50) nous relevons une domination masculine du volet communicationnel au sein des formations politiques tunisiennes étudiées.

L’âge de cette population de stratèges au sein des partis politiques de notre échantillon varie de 20 à 66 ans. Une différence d’âge est relevée en lien avec les postes occupés. L’âge des

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responsables du volet numérique et des gestionnaires de communautés (community managers) varie de 20 à 41 ans avec une moyenne d’âge de 32 ans, tandis que les responsables de l’information et de la communication sont plus âgées (âge moyen de 50 ans). Les données confirment un écart générationnel entre les responsables du volet numérique et les responsables du volet information et communication. Ce fossé générationnel a créé une certaine tension dans d’autres contextes (Howard, 2006; Kreiss, 2012). Nous y reviendrons.

Les stratèges en communication politique de notre échantillon sont fortement diplômés : 56% possèdent un niveau de cinq années d’études universitaires et plus et 41% ont fait entre trois et quatre ans d’études universitaires (tableau 3.2). Seule une personne sur les 27 interrogées était étudiante au moment de la réalisation des entretiens. Dans d’autres contextes, Howard (2006) et Webb et Fisher (2003) ont bien souligné que les professionnels de la communication politique disposent d’un niveau d’éducation relativement élevé.

Tableau 3.2 Niveau d’études des stratèges

Niveau d'études Effectif (N=27) % Bac +5 et plus 15 56 Bac+3 à bac +4 11 41 Niveau bac à bac +2 1 4

En lien avec le niveau de diplomation, nous avons cherché à connaître le cheminement universitaire suivi par les répondants. Étant donné qu’une personne peut s’orienter vers plusieurs spécialisations au cours de son cursus, nous nous sommes référés au milieu universitaire initial dont sont issus ces derniers, c’est à dire la première formation suivie et par conséquent, la spécialisation du premier diplôme universitaire obtenu (tableau 3.3).

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Tableau 3.3 Formation universitaire des stratèges

Formation universitaire Effectif (n=27) % Informatique 6 22 Communication Marketing 4 15 Histoire 3 11 Communication publique et sociale 2 7 Droit 2 7 Médecine 2 7 Science de l'éducation 2 7 Commerce 1 4 Journalisme 1 4 Mathématiques 1 4 Pharmacie 1 4 Finance 1 4 Sociologie 1 4

Globalement, nous constatons une diversité dans les parcours académiques poursuivis par les répondants qui concernent l’informatique, la sociologie, la médecine, le droit, le marketing, l’histoire et la communication publique et sociale. Néanmoins, il convient de souligner que six de nos 27 répondants ont suivi une formation universitaire initiale en informatique; ce qui représente la proportion la plus élevée. En deuxième position, vient le domaine de la communication et du marketing (4 répondants sur 27). Nous relevons donc que l’informatique et la communication constituent les formations académiques privilégiées dominantes des stratèges, soit 12 sur 27 répondants (informatique, communication marketing et communication publique et sociale).

Les milieux professionnels dont sont issus les stratèges correspondent globalement à leurs formations universitaires (tableau 3.4). En effet, sur les 26 stratèges interrogés cinq sont aujourd’hui informaticiens de profession et sept travaillent dans le domaine de la communication : quatre dans le milieu de la communication-marketing, deux dans la réalisation et la production audiovisuelle et un dans le conseil en communication publique.

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Tableau 3.4 Milieu professionnel des stratèges

Milieu professionnel Effectif (n=26) % Informaticien(ne) 5 19 Communication marketing 4 15 Professeur(e) universitaire 4 15 Production/réalisation audiovisuelle 2 8 Entrepreneur(e) 2 8 Avocat(e) 2 8 Journaliste 2 8 Médecin 2 8 Cadre administratif 1 4 Consulting en communication 1 4 Pharmacien(ne) 1 4

Ainsi, 12 sur 26 stratèges sont issus de l’articulation entre les domaines de l’informatique/numérique et de la communication. Ici aussi, le croisement entre ces deux domaines professionnels (informatique et communication) est à souligner et à prendre en compte. Par ailleurs, nous relevons que les milieux professionnels dont sont issus le reste des stratèges (14 sur 26) sont relativement hétérogènes : avocats, journalistes, médecins, professeurs universitaires, cadres administratifs, entrepreneurs dans les domaines de la distribution et de l’environnement.

Ces profils socioprofessionnels hétérogènes semblent rejoindre les résultats de quelques recherches réalisées dans d’autres contextes nationaux qui montrent l’hétérogénéité du milieu professionnel dont sont issus les stratèges en communication numérique (Blanchard, 2018; Karlsen, 2010; Farell et Webb, 2003). Toutefois, nous relevons dans ce contexte tunisien une forte présence du milieu de l’informatique associé au milieu de la communication commerciale et publique aussi bien dans les formations universitaires suivies que dans les milieux professionnels dans lesquels évoluent les stratèges.

En conclusion, il semble que le stratège-type en communication politique en Tunisie est un homme (75%) relativement jeune (moyenne d’âge 41 ans), diplômé (cinq années universitaires) et qui évolue dans le domaine de l’informatique ou de la communication.

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3.2 Les archétypes de stratèges professionnels de la campagne numérique

Selon Karlsen (2010), le progrès technologique et son lien avec les campagnes électorales a conduit à une plus grande implication des professionnels dans l’organisation des campagnes. En effet, n’ayant pas la capacité d’assumer à l’interne tous les services technologiques avancés qu’exigent les campagnes numériques et postmodernes (Karlsen, 2010; Norris, 2000), les partis politiques font appel à des mandataires ou des consultants en communication externes. Ainsi, le développement technologique a été identifié comme le moteur de la professionnalisation des campagnes électorales (Karlsen, 2010; Norris, 2000), permettant ainsi l’apparition d’une nouvelle génération de professionnels de campagne.

La notion de professionnalisation demeure néanmoins relativement floue dans la production scientifique. D’un côté, elle est présentée pour décrire un processus de changement et une forme de modernisation des campagnes électorales (Norris, 2000), et de l’autre pour mettre en valeur l’expertise, la compétence et la spécialisation du travail de praticiens (Negrine et Lilleker, 2002). La notion de professionnalisation a été appréhendée dans la littérature à partir de différents angles. La grande majorité des études ont analysé le degré de professionnalisation des campagnes électorales via des analyses quantitatives (Gibson et Römmele, 2009; Strömbäck, 2009; Tenscher et al., 2012; Tenscher, 2013) alors qu’un nombre plus restreint s’est plutôt penché sur le savoir-faire et l’expertise du personnel de campagne (Blanchard, 2018; Beauvallet et Michon, 2017; Kreiss, 2016; Webb et Fisher, 2003) (Ben Mansour, 2020).

Le professionnel de campagne a été défini par Farell et ses collaborateurs (2001) comme un individu qui tire au moins une partie de son revenu en fournissant des services à la campagne électorale. Karlsen (2010) lui, estime que la définition du professionnel doit nécessairement inclure l’expertise. Il définit donc le professionnel de campagne comme une personne qui tire une partie de ses revenus des campagnes électorales et qui possède des compétences spécialisées, qu’elles soient acquises par la formation ou par l’expérience (Karlsen, 2010) (Ben Mansour, 2020).

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Cette définition rejoint celle de Webb et Ficher (2003) qui posent que la professionnalisation se traduit par un nombre de caractéristiques professionnelles dont dispose un stratège comme l’expertise et la compétence grâce à la formation et l’expérience acquise (Webb et Fisher, 2003). Ainsi, l’expertise dans des domaines particuliers a permis l’intégration de ces professionnels au sein du personnel des partis politiques (Karlsen, 2010). Qu’ils soient salariés ou bénévoles, ils sont intégrés dans l’équipe d’une part en tant que professionnels pour leur expertise dans leur domaine et, d’autre part, pour leur lien et leur engagement envers le parti politique. Comme nous l’avons mentionné plus haut, le sens de l’engagement professionnel et de la loyauté envers le parti constitue une caractéristique propre aux professionnels de campagne (Karlsen, 2010). Nous considérons le professionnel de campagne comme un individu qui a une expertise spécialisée avec des qualifications académiques et professionnelles, de l’expérience acquise et un engagement envers le parti politique.

Nous proposons dans cette partie d’appréhender la professionnalisation à partir de l’analyse du profil des acteurs qui participent à la conception de la campagne numérique en Tunisie. Les études qui ont examiné les profils des « concepteurs des campagnes numériques » en France (Blanchard, 2018), en Norvège (Karlsen, 2010) et au Royaume-Uni (Webb et Fisher, 2003) sont arrivées à dégager une typologie de professionnels ayant des profils relativement hétérogènes.

L’analyse du cas tunisien nous a permis de dégager trois profils archétypaux de professionnels impliqués dans l’élaboration de la stratégie numérique au sein des formations politiques : les professionnels de la politique, politiciens traditionnels que nous qualifions d’Apparatchiks vu leur âge relativement avancé et leur importante expérience politique. Le deuxième archétype regroupe des professionnels de la communication que nous qualifions de Communicantes étant donné la forte présence de jeunes expertes en communication au sein de cette catégorie. Enfin, le troisième archétype est constitué de professionnels de l’informatique que nous qualifions de Technos vu leur jeune âge, leur expertise en informatique et leurs connaissances avancées en technologies numériques.

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3.2.1 Les Apparatchiks

Le premier archétype de stratèges impliqués dans les campagnes numériques tunisiennes étudiées regroupe des cadres dirigeants des partis politiques. Ces professionnels de la politique représentent la grande majorité des stratèges qui interviennent dans le volet numérique, soit 14 sur 27.

Les Apparatchiks cumulent une moyenne de 16 ans de politique active. Ils travaillent comme stratèges depuis en moyenne quatre ans et sont en majorité à leur troisième campagne électorale après celles des élections législatives et présidentielles de 2014. Quatre d’entre eux occupent les fonctions de directeurs de l’information et de la communication et de directeurs de la commission de communication. Dix participent à la réflexion stratégique, quatre occupent le poste de députés au sein du parlement, trois sont porte-paroles officiels de leur parti et trois assument les fonctions de secrétaires généraux de leur formation.

Le nombre important de professionnels de la politique impliqués dans le volet communicationnel des formations politiques est clair dans le cas tunisien. Ce phénomène observé dans d’autres contextes s’explique par le fait que les hautes sphères des partis veulent toujours garder le contrôle de la campagne de communication (Riutort, 2007; Karlsen, 2010). Comme le soulève Daniel Kreiss (2012 : 195) « Over the last decade, a body of scholarship has with great alarm documented the increasing rise of political professionals in new media campaigns ».

L’âge de cette catégorie d’acteurs varie de 31 à 66 ans, avec une moyenne de 47 ans. Seulement deux des 14 Apparatchiks sont des femmes. Nicolas Hubé (2009) souligne en ce sens que la première caractéristique distinctive des professionnels de la politique est qu’ils sont majoritairement de sexe masculin. La deuxième caractéristique est qu’ils sont majoritairement composés de personnes d’âge mûr occupant des postes politiques. Hubé (2009) met l’accent également sur leur niveau d’éducation relativement élevé, leurs positions sociales supérieures et leur cumul de postes électifs. Nous relevons dans notre cas, que les Apparatchiks n’ont pas de formation en communication, académique ou professionnelle. Ils sont plutôt médecins, pharmaciens, avocats, journalistes ou professeurs d’université.

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Je me suis formé sur le tas. Moi personnellement depuis mars 2011 je m’occupe de la communication politique alors que je n’ai pas eu un cursus en communication. J’ai appris grâce à la pratique quotidienne de la communication au sein du parti (Répondant 19).

Comme en témoigne ce répondant, ces Apparatchiks développent leurs compétences en communication politique directement par la pratique au sein de leur parti. Ils étaient directeurs de campagne, conseiller politique du chef du gouvernement, responsable de la communication d’un candidat à la présidence de la République, directeur de cabinet de la Présidence de la République et porte-parole de la Présidence.

Je suis aujourd’hui Président de la plus haute institution du parti, l’instance politique. J’ai été élu entre deux congrès. J’ai été le secrétaire général du parti dès sa création. J’ai été Ministre directeur du Cabinet Présidentiel de […]. Porte- parole de la Présidence […] et Conseiller principal du Président de la République entre [...] (Répondant 16).

L’expérience en communication acquise directement sur le terrain par ces professionnels de la politique a permis à une partie d’entre eux d’être élue ou nommée dans les congrès de leurs partis aux postes de directeurs de l’information et de la communication ainsi qu’aux postes de directeurs de la communication numérique, et a permis à d’autres professionnels, qui occupaient déjà des responsabilités (secrétaire généraux, porte-parole, députés…), d’être désignés pour participer à l’élaboration des stratégies de campagnes lors des élections.

Membre du bureau exécutif du parti, je suis devenu directeur de l’information et de la communication depuis juillet 2016 […]. Membre du parti depuis 40 ans, j’ai occupé plusieurs fonctions. Je suis devenu membre du bureau exécutif en 1985. J’ai été vice-président du conseil consultatif du parti. J’ai été chef du parti […] dans des circonstances particulières. J’ai quitté le pays pour […] comme réfugié politique et je suis revenu en Tunisie après la Révolution. J’ai été nommé comme conseiller politique du chef du gouvernement […] et lors du changement du gouvernement, j’ai été nommé comme conseiller politique du nouveau chef du gouvernement […] (Répondant 1).

Force est de constater que les cadres politiques occupant le poste de directeur de l’information et de la communication sont élus pour occuper ce genre de poste sans avoir

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une formation en communication. L’accent est mis davantage sur leurs expériences politiques (conseiller politique, directeur de campagne…) que sur leurs formations (universitaires ou professionnelles) ou leurs compétences en termes de communication.

3.2.2 Les Communicantes

Les impacts sociétaux liés aux changements technologiques ont forcé les partis politiques à réagir et à faire appel à de nouveaux savoir-faire et à de nouvelles compétences spécialisées dans le domaine de la communication. Selon Negrine et Lilleker (2002), il y a eu une prise de conscience quant à la nécessité de professionnaliser la communication politique suite au développement technologique, ce qui a conduit à l’intégration de professionnels de la communication au sein des partis qui leur ont permis de maximiser leur utilisation des nouveaux outils de communication dans les campagnes électorales qualifiées maintenant de postmodernes (Norris, 2000). Ces professionnels disposent de savoirs et de savoir-faires qui sont déployés au sein des partis politiques lors des campagnes électorales. À l’instar de Fisher et Web (2003), de Negrine et Lilleker (2002), nous classons comme Communicantes les stratèges qui ont été nommés à des postes de responsabilités en communication pour leurs compétences, leur savoir-faire et leur expertise en communication de manière générale, et en communication numérique plus particulièrement.

Dans notre échantillon, cette catégorie de professionnels se compose de sept individus. Les Communicantes occupent les postes de « responsable du numérique », de « chargée de la communication digitale », et de « responsable de la communication ». Comme nous l’avons vu, les appellations diffèrent d’une formation politique à une autre mais la fonction reste souvent liée à la responsabilité du volet numérique du parti.

Ces Communicantes sont plus jeunes que les Apparatchiks (moyenne d’âge 32 ans). La personne âgée de 51 ans et qui fait partie des Communicantes est un cadre politique. Spécialiste de la communication politique, nous l’avons classée parmi les professionnels de la communication et non parmi les Apparatchiks vu son expertise en communication publique et sa profession dans le domaine du conseil en communication. En effet, en plus d’être cadre politique et membre fondatrice de son parti, elle apporte son savoir-faire au volet

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stratégique de la communication numérique. N’ayant pas de poste permanant au département de communication, elle fait partie des cadres qui participent à la réflexion stratégique de la communication numérique.

Je suis titulaire d’un master en communication politique et sociale à la Sorbonne à Paris ... Je participe au volet communicationnel du parti, en particulier la partie stratégie numérique. Moi, je suis plus dans la réflexion stratégique. Lors des élections législatives de 2014, j’ai été chargée d’élaborer la stratégie de campagne digitale [sic] du parti […]. Plus tard, j’ai même enseigné le modèle de communication qu’on a adopté… (Répondant 15).

Ce groupe de stratèges est aussi plus féminin. Six des sept répondants appartenant à cette catégorie sont des femmes. Ces Communicantes cumulent une moyenne de sept années de politique active. La majorité d’entre elles se sont impliquées en politique après la révolution de 2011. Ces dernières ont commencé à travailler au sein de leur parti comme stratèges depuis en moyenne quatre ans et en sont à leur deuxième campagne électorale. Le parcours académique des Communicantes est lié aux sciences sociales : communication, marketing, communication politique et publique, sociologie. Mis à part leur fonction au sein des partis, les stratèges de cette communauté travaillent dans le domaine de la communication et du marketing. En effet, certaines travaillent comme cheffe de projet dans des agences internationales de communication et de publicité, dans l’évènementiel, dans des cabinets de conseil internationaux, dans les médias. Ces stratèges cumulent de nombreuses années d’expérience professionnelle dans le monde de la communication, de la publicité et du marketing en général. Elles en ont fait leur profession : « Aujourd’hui je suis membre du bureau politique du parti et en même temps je représente un cabinet français de conseil en communication publique en Tunisie » (Répondant 15).

En même temps que je travaillais dans la communication dans les médias, dans les chaines télés privées […] j’étais chargé de la communication digitale [sic] du ministre […] et responsable en même temps de la communication digitale [sic] du parti [...] (Répondant 6).

Comme nous l’avons mentionné plus haut et comme cela a été évoqué par Howard (2006), Blanchard (2018), Negrine et Lilleker (2002), Karlsen (2010) et Kreiss (2012), ces stratèges

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ont souvent été désignés ou nommés pour certaines tâches en fonction de leur expertise et de leur savoir-faire en termes de communication.

Dès que j’ai adhéré au parti en 2013, j’ai été engagé à temps plein en tant que responsable de la communication vu mon background en com [sic] et mon expérience dans le domaine. Je m’occupais de tout ce qui est exécutif et opérationnel au début. Quelques mois avant le début de la campagne des élections législatives en 2014, on m’a chargé de m’occuper du volet digital [sic] (Répondant 13).

J’ai fait beaucoup de formations en communication digitale [sic] en 2010 car j’étais chargé du volet digital [sic] au parti RCD. Suite à la création du parti […] en 2012 on m’a chargé de la communication digitale [sic]. J’ai fait plusieurs formations en communication politique avec la fondation Konrad Adenauer Stiftung en Allemagne et en Tunisie. J’ai été formé chez eux (Répondant 6).

3.2.3 Les Technos

Selon Daniel Kreiss (2016 : 121) les organisations politiques ont compris que le succès d’une campagne électorale est lié à un certain nombre de facteurs dont principalement un personnel doté d’expertises, de compétences et de connaissances dans des domaines particuliers comme l’informatique, la technologie, le numérique et les données.

L’analyse du cas tunisien nous a permis de relever que mis à part l’apport en expérience politique des Apparatchiks et l’expertise en termes de communication commerciale, de publicité et de marketing des Communicantes, un nouveau type de professionnel s’impose dans les partis politiques : le Techno, professionnel de l’informatique et spécialiste du numérique.

Dans notre échantillon, cette catégorie est composée de six jeunes hommes âgés de 30 à 41 ans (moyenne d’âge 36 ans). Tous ont suivi quatre ans d’études universitaires et plus. Leur point commun : l’informatique et le numérique. En effet, ils ont tous poursuivi une formation en informatique et exercent la profession d’informaticien. Leur cursus a été combiné à d’autres domaines dont l’audiovisuel, la télécommunication, les systèmes d’information, l’informatique appliquée à la gestion, le développement web, le design graphique et la

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sécurité informatique. Leur expertise en informatique, leur aisance avec les logiciels et leurs connaissances de l’écosystème numérique leur ont permis d’être désignés dans des postes liés directement au volet numérique au sein des partis politiques.

J’étais au début simple adhérant au parti. Vu mes compétences et mes connaissances informatiques et particulièrement la maitrise des médias sociaux qui constituaient au début une faiblesse pour tous les partis politiques, j’ai intégré l’équipe de communication ... En 2014, j’ai été responsable du ciblage sur Facebook. Aujourd’hui, je suis membre de la commission de communication chargé de Facebook. Je gère plusieurs pages du parti dont la page officielle mais aussi certaines pages parallèles non-officielles (Répondant 22).

Tous sont des militants de leurs partis. Deux d’entre eux sont salariés et se consacrent à temps plein à leurs tâches. Les quatre autres sont bénévoles et collaborent aux campagnes numériques des partis à temps partiel. Quatre des six Technos sont gestionnaires de communautés. Bien que l’appellation du poste diffère d’un parti à un autre (« chargé de la communication numérique », « chargé du digital », « chargé de la communication sur Facebook »), ils sont globalement tous en charge des médias socionumériques et principalement de la plateforme Facebook.

Les Technos cumulent une moyenne de six années de politique active. La majorité de ces derniers se sont impliqués dans la vie partisane après la révolution de 2011. Leur travail en tant que stratèges chargés du numérique au sein des partis a commencé depuis en moyenne quatre ans et demi. Ils en sont en majorité à leur troisième campagne électorale.

Je suis auditeur de sécurité informatique, je me suis spécialisé plus tard en télécommunication, création de centre d’appel et centre de contact… Avant 2011, j’étais bloggeur et cyberactiviste. Plus tard, quand le parti […] a été créé, je l’ai rejoint et j’ai été chargé du numérique. En même temps, je suis devenu membre de la commission nationale de communication en 2014 jusqu’à aujourd’hui, je m’occupe principalement de Facebook (Répondant 7).

J’étais membre du cabinet de […] chargé de la communication digitale [sic] et j’ai aussi été chargé de sa campagne numérique en 2014. Aujourd’hui je suis membre de l’équipe de communication du parti chargé du digital [sic], je suis fonctionnaire de l’État. Je suis analyste en informatique chez le haut comité du contrôle administratif et financier et je fais actuellement un Master en communication politique à l’IPSI, à temps partiel (Répondant 18).

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Howard (2006) soulève que cette communauté de professionnels est composée généralement de jeunes hommes qui ont grandi avec la technologie et qui sont ouverts et à l’aise avec l’innovation (Howard, 2006; Kreiss, 2016).

Je suis informaticien de formation. J’ai travaillé dans le développement des applications web, des plateformes informatiques, programmation JAVA, C ++, ADA…et 5 ou 6 autres types de programmation. Je suis toujours à jour dans le langage informatique et dans tout ce qui est technologie. Je suis également développeur de sites web et d’applications mobiles ... En ce moment, je suis en train de travailler sur le développement d’une nouvelle plateforme Web propre au parti (Répondant 22).

Dotés de savoirs faires (Howard, 2006 : 160; Kreiss, 2016 : 16), les Technos intègreraient rapidement les équipes de communication numérique des partis politiques et seraient impliqués dans l’élaboration stratégique. En ce sens, l’expérience tunisienne ne semble pas être différente des récits tirés d’autres contextes nationaux. Comme le souligne judicieusement Howard (2006 : 164), l’ingéniosité technique des stratèges est une source cruciale d’innovation. Elle résulte de la combinaison de connaissances et de compétences dans des domaines extérieurs à la politique : l’informatique, la communication, la publicité, le design, l’audiovisuel, la télécommunication, les systèmes d’information.

Ainsi, pour la campagne électorale des élections municipales, les partis politiques tunisiens semblent exploiter l’expérience politique des Apparatchiks, les connaissances et le savoir- faire des Communicantes et l’expertise des Technos. Comme le mentionne Daniel Kreiss (2016 : 117), les campagnes électorales seraient aujourd’hui le produit de nouveaux avantages techniques, d’une structure et d’une culture organisationnelle qui valorise le numérique, les données et surtout le recrutement d’un personnel issu du secteur de la technologie, de l’informatique et du commerce combinés à celles du personnel de campagne issu du domaine politique (Kreiss, 2016 : 117).

3.3 Fracture générationnelle au sein des structures communicationnelles des formations politiques

L’étude d’Howard (2006 : 41, 48) sur les campagnes américaines a révélé qu’un conflit générationnel avait créé une certaine distance sociale au sein du personnel de campagne,

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entre d’un côté la e-politics community, composée de jeunes qui ont été socialisés à l’information et aux technologies et, de l’autre côté, de professionnels de la politique traditionnelle qui sont plus âgés, plus conservateurs, résistants à l’innovation technologique et craignant les conséquences d’une grande ouverture au web. Ce conflit semble perdurer puisque, quelques années plus tard, Daniel Kreiss (2012: 125) a observé la même division au sein du personnel de campagne entre les professionnels âgés qui ont une expertise politique et les membres du personnel des médias numériques plus jeunes, innovants et dont les habitudes de travail ne diffèrent pas de celles des informaticiens de la Silicon Valley.

L’étude du profil des stratèges en Tunisie révèle aussi un écart générationnel important au sein des équipes de communication. Une différence d’âge remarquable entre les stratèges qui sont en charge du numérique Communicantes et Technos (militants, moyenne d’âge 32 ans) et ceux qui dirigent le volet communicationnel général et qui participent à l’élaboration de la stratégie numérique : les Apparatchiks (cadres politiques, moyenne d’âge 50 ans). De plus, notre analyse indique que ce fossé générationnel se traduit également dans l’importance accordée au numérique dans la stratégie de campagne. Un Apparatchik, directeur de l’information et de la communication affirme ainsi que : « pour moi le plus important, je te le dis sincèrement, c’est le porte-à-porte, le contact direct, c’est ce qui fait gagner les élections, tout ce qui est réseaux sociaux [sic] et Internet sont complémentaires » (Répondant 5). À l’inverse les propos de ce jeune Techno confirment ce fossé générationnel dans les perceptions liées à l’usage du numérique en campagne :

[l]a politique de communication du parti est très innovante puisque deux jeunes de 35 ans et 30 ans sont à sa tête. On utilise beaucoup la technologie dans notre vie quotidienne. On est très différents des dirigeants du parti qui représentent l’ancienne génération qui a fait la politique avant le 14 janvier 2011. Ils n’ont pas évolué du point de vue communicationnel et du point de vue technologique : ils ont même des difficultés à manipuler leur propres comptes Facebook, et même à consulter leurs mails. C’est une réalité ! (Répondant 18).

La différence d’âge, de parcours académique et professionnel, mais aussi de vécu politique pour certains et d’expérience en communication pour d’autres font que ces deux catégories de stratèges n’ont ni les mêmes principes ni les mêmes intérêts et n’accordent pas le même degré d’importance au numérique dans les campagnes électorales. Dans un contexte

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national, cela a été expliqué par le fait que la communauté de jeunes informaticiens, largement cyberoptimiste, croit au potentiel du numérique et de la technologie pour améliorer la vie politique et sociale, comme le souligne la recherche antérieure (Howard, 2006 : 150).

Dans le contexte tunisien par contre, la révolution de 2011 qui a constitué un événement majeur dans la vie politique tunisienne et qui a largement été nourrie par des pratiques numériques pourrait apporter des explications. En effet, des facteurs comme l’expérience vécue des stratèges lors de cette révolution, leur degré d’engagement et les actions déployées sur les médias socionumériques lors de ce mouvement permettraient d’expliquer les opinions et les positions divergentes au sein d’une même communauté de stratèges notamment en ce qui concerne l’importance accordée au numérique dans la vie politique. De ce fait, il est crucial dans le cas particulier de la Tunisie de revenir sur la période de la révolution afin de comprendre comment les Apparatchiks, les Communicantes et les Technos ont mobilisé le numérique lors de cet événement.

3.4 Stratèges numériques, quelle relation avec la révolution de 2011?

Nous poursuivons dans cette partie l’analyse du profil de la communauté de stratèges en communication politique en Tunisie mais cette fois-ci sous un autre angle. Nous nous intéressons ici plus particulièrement à la relation entre ceux qui sont considérés aujourd’hui comme des professionnels de campagne et la révolution de 2011 en Tunisie. Nous examinons comment les stratèges en communication ont utilisé les médias socionumériques lors de ce mouvement. En premier lieu, nous verrons s’ils avaient un engagement partisan avant la révolution et en deuxième lieu, nous examinons – s’il y a lieu – le rôle qu’ils ont tenu lors de cet évènement et l’usage qu’ils ont pu faire des médias socionumériques dans ce contexte.

3.4.1 Engagement partisan des stratèges avant 2011

L’analyse de nos 27 entretiens indique que onze stratèges avaient une appartenance partisane avant la révolution de 2011 alors que 16 sur 27 n’avaient pas d’engagement partisan. Leur engagement au sein des partis politiques ayant débuté après la révolution (tableau 3.5).

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Tableau 3.5 Engagement partisan des stratèges avant 2011 Engagement partisan avant Effectif (n=27) % 2011 Stratèges engagés 11 40%

Stratèges non engagés 16 60%

Parmi ces onze stratèges, sept font partie de la catégorie des Apparatchiks (tableau 3.6). Trois appartiennent au parti Ennahdha : deux d’entre eux étaient réfugiés politiques à l’étranger et un était prisonnier politique en Tunisie. Deux sont des cadres politiques du Front Populaire et militaient dans la clandestinité avec le Parti des Ouvriers Communistes de Tunisie (POCT). Un est un cadre politique du parti Mouvement Tunisie Volonté engagé avec le parti Congrès pour la République avant 2011 et un autre était cadre du parti de Ben Ali, le RCD. Dans notre échantillon, ce sont donc les Apparatchick relativement âgés (moyenne d’âge 53 ans) qui étaient politiquement engagés avant la révolution, ceux que l’un des jeunes stratèges qualifie de « l’ancienne génération » (Répondant 19).

Tableau 3.6 Engagement partisan avant 2011 par type de professionnels

Engagement partisan avant 2011 Effectif (n=11) %

Apparatchiks 7 60%

Communicantes 3 30%

Technos 1 10%

En revanche, les Communicantes et les Technos n’avaient globalement pas d’engagement partisan important avant 2011. Seuls trois des sept Communicantes avaient un engagement partisan à l’époque : un stratège du Front Populaire qui militait au sein du POCT et deux du parti Nidaa Tounes, qui étaient également impliquées dans le parti RCD, l’un en tant que chargée de la communication numérique, l’autre en tant que militant. Un des Technos était sympathisant du parti Ennahdha avant la révolution.

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3.4.2 Activité des stratèges sur les médias socionumériques lors de la révolution

Le récit de nos répondants suggère que la majorité des stratèges de notre échantillon n’avaient pas d’appartenance partisane et n’étaient pas globalement engagés dans la vie politique avant la révolution de 2011. Cela ne veut pas dire qu’ils n’adhéraient pas à une autre forme d’engagement comme le militantisme contestataire. Plusieurs chercheurs ont estimé que la jeunesse tunisienne a été le moteur de la révolution (Ben Abdallah, 2013a : 20) en investissant le cyberespace pour faire face à la répression, rejetant les formes d’organisation centralisées des partis politiques et des associations. En effet, selon Ben Salem (2013 : 142) les pratiques des cyberactivistes relèvent du champ militant plutôt que partisan. Cette cybercontestation tunisienne a été opérée par une communauté non hiérarchisée, sans élites et constituée majoritairement de jeunes (Denieuil, 2013).

Certaines recherches indiquent que lors de la révolution, les internautes tunisiens ont utilisé les médias socionumériques et principalement la plateforme Facebook pour s'exprimer et diffuser l'information d’une part (Granjon, 2011; Lecomte, 2011) et pour faciliter l'organisation et la mobilisation d’autre part (Ayari, 2011; Bougamra, 2015; Howard et Hussain, 2013; Lecomte, 2011). Parmi les caractéristiques de ce nouveau militantisme en ligne via Facebook, il y a eu l’apparition de regroupements assez hétérogènes et inexistants dans le militantisme classique (Touati, 2013) : les cyberactivistes. L'usage du web par les cyberactivistes a pris différentes formes durant la révolution tunisienne : diffusion de l'information, participation aux discussions, coordination, organisation de mouvements de contestation et mobilisation des citoyens (Ben Salem, 2013; Bougamra, 2015; Najar, 2013a; Zarrad 2013; Ben Mansour, 2017b). Le cyberactivisme est décrit par Najar (2013a : 265) comme un ensemble de pratiques sur Internet qui visent à informer, à mobiliser et à agir en vue de provoquer des prises de décision collectives. En ce sens, Kübler (2011, cité dans Zarrad, 2013 : 16) a présenté la révolution tunisienne comme une « cyberguerre » entre d’un côté le gouvernement occupé à traquer les cyberactivistes, à censurer leurs pages et à les arrêter pour les empêcher d'agir, et de l'autre côté, des cyberactivistes occupés à pirater les sites gouvernementaux, à partager des vidéos sur les manifestations, et à organiser la contestation » (Zarrad, 2013 : 16). Acteurs de premier ordre, les cyberactivistes qualifiés de connective leaders par Della Ratta et Valeriani (2014) et par Poell et ses collègues (2016) et

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de soft leaders par Gerbaudo (2012 : 5) étaient administrateurs de pages Facebook de soutien et ont facilité la participation des internautes en Tunisie (Ben Mansour, 2020). Leur objectif était de connecter les citoyens avec l’information. Opérant au préalable à une sélection de l’information, leur rôle a consisté à repérer, centraliser contextualiser (date, lieu…), rassembler des informations éparpillées et dispersées, vérifier et sélectionner les contenus sur Facebook et accroître autant que possible leur visibilité (Lecomte, 2013a : 167) (Ben Mansour, 2020).

Il convient néanmoins de distinguer ce qui relève ou pas du cyberactivisme. Selon Ben Salem (2013 : 254) l'usage de Facebook par les citoyens ordinaires ne relève pas du cyberactivisme, mais plutôt de la participation à la vie publique. En effet, une nouvelle forme d’engagement sur les médias socionumériques a vu le jour lors de la révolution tunisienne. Il s’agit de l’internaute « contributeur passif », non seulement réceptif à l’information mais également disposé à la partager (Zayani, 2015 : 174). D’ailleurs comme l’ont souligné les chercheurs (Proulx, 2013 : 38; Najar, 2013a; Lecomte, 2013a : 167; Zayani, 2015 : 178), la majorité des internautes impliqués dans le mouvement contestataire tunisien étaient des relayeurs d’informations, des « porte-voix » qui consommaient l’information pour suivre les nouvelles, émettaient des « j’aime », écrivaient des commentaires de dénonciation et partageaient les images et les vidéos. Ce simple « partage » d’informations sur Facebook a permis progressivement de briser le blocus officiel de l’information (Denieuil, 2013 : 113). Cependant, cette forme de participation ne peut être assimilée au cyberactivisme dans la mesure où ces individus isolés s’engagent pour une cause, mais cet engagement reste sporadique (Ben Salem, 2013 : 254). Par conséquent, la distinction entre le cyberactivisme et l'usage de Facebook par les citoyens ordinaires réside dans le degré de motivation d'une part et le degré de durabilité de l'engagement de l'autre (Ben Salem, 2013 : 257).

Nous nous proposons dans cette section de comprendre comment les personnes qui sont aujourd’hui stratèges en communication au sein des partis politiques ont utilisé les médias socionumériques lors de la révolution en 2011. L’analyse de nos entretiens nous permet de distinguer parmi cette population trois types d’utilisateurs des médias socionumériques lors de la révolution.

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• Les « spectateurs », consommateurs d’informations sans aucun autre engagement (9 sur 27 répondants) • Les « porte-voix », relayeurs d’informations faisant partie de la catégorie des « contributeurs passifs » (9 sur 27 répondants). Ces derniers ont contribué à la circulation de l’information, ils ont commenté, partagé et « aimé » des informations leur donnant une visibilité plus large. Cette participation « légère » permet de propager l’information en ligne (Lecomte 2013a : 166). • Les « cyberactivistes », utilisateurs actifs (blogueurs et/ou administrateurs de pages Facebook de soutien). Au sein de la communauté de stratèges, certains se définissent eux-mêmes comme étant des cyberactivistes de la révolution (7 sur 27 répondants).

Deux des 27 stratèges n’avaient aucune activité sur les médias socionumériques au moment de la révolution, l’un étant prisonnier politique et l’autre n’ayant encore développé aucun intérêt pour le numérique. Nous constatons donc que la majorité des stratèges étaient impliqués dans le mouvement contestataire (total de 16 sur 27), soit en étant actifs, en relayant et en partageant les informations « porte-voix », soit en étant cyberactivistes, en mobilisant les citoyens et en organisant des mouvements contestataires avec un niveau d’implication et d’engagement plus avancé. Par ailleurs, parmi cette communauté de cyberactivistes, plus de la moitié (4 sur 7) résidaient à l’étranger au moment de la révolution; ils avaient donc plus de facilité à militer et craignaient moins les représailles du régime. Comme l’a bien souligné Najar (2013a : 151) concernant le cas tunisien : « la plateforme numérique constitue un espace public alternatif investi par les cyberdissidents et des internautes engagés dont la majorité réside à l’étranger ». L’un de ces cyberactivistes déclare :

[o]n reprenait les vidéos de manifestations et on les partageait sur nos pages Facebook pour montrer l’endroit, l’emplacement … L’objectif était d’informer les gens et surtout de les mobiliser … D’autres étaient beaucoup plus axés sur Twitter et ont créé des hashtags comme #SidiBouzid et #Kasserine pour collecter toutes les infos … Rassembler les informations sur Internet n’est pas une tâche facile. Pour gagner la confiance des citoyens on se devait de vérifier l’information avant de la partager. Cette période était très sensible et dangereuse et il ne fallait surtout pas induire les gens en erreur, la crédibilité de nos pages Facebook étaient en jeu ... On avait une grande responsabilité (Répondant 7).

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Il convient de retenir la présence relativement importante de cyberactivistes lors de la révolution au sein de notre population de stratèges (7 sur 27). Nous relevons que cette caractéristique est propre au contexte politique tunisien qui, en l’espace de sept ans a connu une révolution et une transition démocratique qui a débouché sur six élections. Ce processus nous a permis de relever le passage des cyberactivistes d’un cadre révolutionnaire non conventionnel à un cadre politique institutionnel lors de leur intégration aux structures décisionnelles des partis politiques.

Bougamra (2015) a étudié la situation des cyberactivistes après la révolution et a révélé que « les cyberactivistes se sont reconvertis dans d'autres professions après la révolution. Certains se sont lancés dans le journalisme et sont devenus chroniqueurs, d'autres sont à la tête d'associations. Plusieurs se sont investis dans des partis politiques » (Bougamra, 2015 : 70). Le parcours de l’un des stratèges de notre échantillon confirme cette lecture.

En 2011 j’étais cybermilitant et après la révolution je n’ai plus eu de rôle. En 2014 je suis devenu membre d’un parti politique. Aujourd’hui, la donne a changé et on ne peut plus agir seul sur Internet, on doit avoir un projet et défendre une cause. Seul, tu n’as pas de poids (Répondant 22).

Le tableau suivant présente le niveau d’activité des trois types de stratèges (Apparatchiks, Communicantes et Technos) sur les médias socionumériques lors de la révolution de 2011.

Tableau 3.7 Niveau d’activité numérique des stratèges lors de la révolution de 2011

Apparatchiks Communicantes Technos Activités sur les (N=14) (N=7) (N=6) médias socionumériques Effectif % Effectif % Effectif % Les spectateurs 6 43% 3 43% 0 0

Les porte-voix 4 29% 4 57% 1 17%

Les cyberactivistes 2 14% 0 0 5 83%

Aucune action 2 14% 0 0 0 0

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a. Les Apparatchiks : spectateurs, consommateurs passifs d’informations

La majorité des Apparatchiks (6 sur 14) étaient des consommateurs passifs d’information lors du mouvement révolutionnaire (spectateurs) (tableau 3.7).

Au cours de cette période-là mes enfants utilisaient les médias sociaux. Nous, les opposants, avions encore peur. Mes enfants par contre ont utilisé les médias sociaux pour diffuser et propager l’information. Moi je me suis limité à suivre les évènements, les manifestations, le soulèvement populaire dans les différentes régions du pays sur Facebook (Répondant 23).

Par ailleurs, nous constatons que parmi ces 14 Apparatchiks, quatre étaient actifs en relayant l’information, et deux étaient des cyberactivistes résidant à l’étranger au moment de la révolution.

Lorsque je faisais mon PhD aux États-Unis en 2008, j’ai créé le blogue […]. J’écrivais sur la politique avec un pseudo où je parlais de la situation intérieure du pays. Plus tard, j’ai commencé à écrire sur la politique avec mon vrai nom. Les discussions politiques se sont imposées petit à petit dans la blogosphère tunisienne, notamment sur la situation intérieure de la Tunisie, sur la liberté d’expression et la censure sur Internet … Mon blogue [...] a été censuré en février 2010, j’ai donc migré vers Facebook mais ma page Facebook a été censuré quelques mois plus tard... Entre le 17 décembre et le 14 janvier 2011, […] et moi, on avait pour rôle de partager l’information avec d’autres internautes mais aussi avec les médias traditionnels internationaux principalement la chaine Al- Jazeera (Répondant 17).

Le récit d’un autre stratège numérique montre comment l’expertise en informatique d’un cyberactiviste en 2011, aujourd’hui cadre politique, lui a permis de contribuer à ce mouvement en développant des applications pour contourner la censure. Le cadre en question était informaticien de formation :

[j]’étais en France à ce moment-là et j’étais très actif sur les réseaux sociaux [sic]. J’ai beaucoup aidé ceux qui étaient en Tunisie en fournissant des proxys et des logiciels qui permettaient de contourner la surveillance policière et la censure. Lors des évènements, […] m’envoyaient les vidéos et moi je les publiais directement sur la page Facebook puisque j’étais en France. On s’est organisé en groupe et on a coordonné des actions. On se faisait passer les infos, les vidéos à partager. On essayait de rassembler le plus de monde autour de nous. On a organisé des manifestations en France et en Tunisie à travers Facebook … J’ai

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fait une vidéo qui a fait un tabac le 13 janvier, la veille du départ de Ben Ali. Une vidéo anti-régime dans laquelle j’attaquais le système et le régime en place, et où j’ai dénoncé la violence policière sur les manifestants, et dans laquelle j’ai incité les gens à participer à la manifestation du lendemain (Répondant 14).

b. Les Communicantes : porte-voix, relayeuses d’informations

Quatre sur les sept stratèges Communicantes étaient actives sur Facebook au cours des événements de 2011 en relayant des informations (porte-voix) (tableau 3.7).

Lors de la révolution en 2011, quand les gens étaient dans la rue moi j’étais à la maison. J’ai suivi la révolution à travers les médias sociaux ... Tout mon engagement était sur Facebook ... Je partageais beaucoup les vidéos des manifestations, les évènements, sans donner mon point de vue. Je dialoguais et interagissais avec les gens par messages privés (Répondant 12).

Trois Communicantes sur sept étaient passives. Ces dernières ont simplement consommé l’information pour suivre ce qui se passait, sans aucun engagement de leur part, comme en témoigne ce stratège : « j’ai utilisé Facebook à ce moment-là surtout pour suivre les évènements. Je ne prétends pas être activiste, je regardais ce qui se passait de loin, c’est tout. Comme il y avait un couvre-feu, tout le monde suivait devant son ordinateur... » (Répondant 6).

c. Les Techno-activistes

Nous relevons que parmi la catégorie des Technos, cinq des six étaient des cyberactivistes au moment de la révolution (tableau 3.7) :

J’ai commencé avec un site web […] avant la révolution qui a été censuré parce que j’ai repris les vidéos du soulèvement du bassin minier en 2008 et je les ai diffusées sur des blogues et des sites web puisque YouTube et Dailymotion étaient bloqués en Tunisie. Quand la révolution a commencé en Tunisie, fin 2010, j’avais déjà la page Facebook que je gérais. Je n’avais pas peur car j’étais au Canada, où on était couvert par l’anonymat. Ils ne pouvaient pas nous identifier ... À Montréal à ce moment-là, j’ai dû prendre un congé pour suivre les évènements; je me suis consacré à temps plein à l’activisme en ligne... Les informations nous parvenaient puisqu’on était administrateurs de pages Facebook : les gens nous envoyaient des informations, des vidéos personnelles, et nous on avait pour rôle de trier et de propager sur les grandes pages populaires qu’on gérait pour mobiliser les gens à sortir dans les rues (Répondant 22).

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Poell et ses collaborateurs (2016), Poell et Borra (2012) ont affirmé que Twitter et Facebook sont devenus des canaux de communication alternatifs et ont permis à ces cyberactivistes connective leaders de communiquer directement avec un public plus large en créant des pages Facebook d’information afin de contourner les médias de masse. En ce sens, l’un des Technos déclare :

[j]’étais blogueur et je faisais partie d’une équipe qui a créé des pages Facebook. On prenait les vidéos et on les diffusait sur Facebook. On avait nos propres méthodes de téléchargement rapide ... Les pages qu’on a créés ont pris beaucoup d’ampleur plus tard et sont devenues des pages très influentes... Puisque tout était surveillé, on a développé des plateformes internes et des espaces membres dans des sites web pour échanger les informations entre nous. On essayait de rendre nos pages Facebook plus populaires. Certains d’entre nous ont utilisé leurs vrais noms et d’autres ont préféré garder l’anonymat et ont décidé de continuer de travailler au sein d’un groupe en communauté, dont moi-même car j’étais en Tunisie. Nous étions 18 en tout. Depuis 2008, on a créé le mouvement Sayeb Sala7 pour protester contre la censure sur Internet, et en 2010 on s’est tous retrouvés sur Facebook (Répondant 7).

Les Technos sont plus jeunes, de sexe masculin, plus éduqués, formés en informatique et possèdent des connaissances avancées de l’écosystème numérique. En majorité cyberactivistes lors de la révolution de 2011 (83%, tableau 3.7), ils géraient des pages Facebook influentes et avaient pour rôle de propager l’information et de mobiliser les citoyens. Aujourd’hui, cinq des six Technos sont gestionnaires de communautés en ligne au sein des partis politiques qui font partie de notre étude.

L’analyse des récits des stratèges indique les partis politiques de notre échantillon semblent avoir intégré ces acteurs dans des postes clés en lien avec le numérique en fonction de leurs compétences et de leurs expertises mais aussi en fonction de l’expérience en mobilisation numérique acquise lors de la révolution. Ces résultats semblent rejoindre ce qu’a soulevé Daniel Kreiss (2012 : 200) dans son analyse sur les campagnes américaines de 2004 et de 2008 où il a relevé que les campagnes électorales s’imprégnaient des pratiques de mouvements comme MoveOn. En effet, selon lui, il y a un lien entre les campagnes électorales des partis, les organisations des mouvements sociaux et la circulation des acteurs entre les organisations en tant que source potentielle d’innovation dans la politique électorale. Ce même phénomène a été observé en Espagne où le personnel de campagne de

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Podemos comprenait des membres du mouvement 15-M qui auraient mobilisé les médias socionumériques pour l’organisation d’événements, la circulation des informations et la mobilisation au cours de la campagne électorale (Casero-Ripollés et al., 2016; Romanos et Sádaba, 2016). En ce sens, l’analyse du profil des stratèges dans le cas tunisien relève que des cyberactivistes au moment de la révolution en 2011 font partie aujourd’hui en 2018 des stratèges numériques au sein des partis politiques.

Discussion

Nous avons analysé dans ce chapitre le profil sociodémographique des stratèges numériques des partis politiques de notre échantillon dans ce contexte particulier d’une démocratie émergente. Nos données indiquent que, globalement, le stratège numérique tunisien type est un homme, relativement jeune, diplômé, ayant suivi des formations académiques et professionnelles en informatique et en communication et ayant acquis une expérience en communication politique numérique au cours de la révolution tunisienne de 2011. De plus, l’analyse nous a permis d’identifier trois types d’acteurs impliqués dans l’élaboration de la stratégie numérique pour les élections municipales : les Apparatchiks, majoritaires au sein de notre échantillon de stratèges (14 sur 27), sont des hommes à 86%, relativement âgés (moyenne d’âge 47 ans), cadres politiques occupant des fonctions hiérarchiques centrales au sein des instances de leurs partis. Les Communicantes (7 su 27), sont majoritairement des jeunes femmes (6 sur 7) âgées en moyenne de 32 ans, militantes, expertes en communication et ayant une expérience professionnelle dans le monde de la communication, de la publicité et du marketing. Enfin, les Technos (6 sur 27), de jeunes hommes âgés en moyenne de 36 ans, militants, informaticiens de formation : leur expertise en informatique et leurs connaissances de l’écosystème numérique leur ont permis d’être désignés à des postes liés directement au volet numérique. L’intégration des Technos au sein des équipes de communication indique que les partis politiques tunisiens se seraient adaptés à la logique des campagnes post-modernes. Ce portrait semble correspondre à ceux qu’ont tracé quelques chercheurs comme Kriess (2012; 2016), Gibson (2020 : 2) et Römmele et Gibson (2020) qui estiment que les partis politiques ont beaucoup investi ces dernières années dans les campagnes électorales, tirant pleinement

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parti des nouvelles technologies en adaptant leurs organisations et en employant un personnel qualifié dans les domaines de la technologie et de l’informatique.

Dans la deuxième section de ce chapitre, nous présentons les usages que ces stratèges numériques tunisiens ont fait des médias socionumériques lors de la révolution en 2011. L’enquête révèle qu’une proportion substantielle de notre échantillon de répondants ont été cyberactivistes au moment de la révolution, soit 26% de l’ensemble de la communauté de stratèges au sein des partis politique (sept répondant sur 27). Plus encore, cinq des six Technos, étaient des cyberactivistes au moment de la révolution.

Ainsi, il apparaît que pour ces élections municipales de 2018, les partis de notre échantillon semblent faire appel à l’expérience politique des Apparatchicks, à l’expertise et au savoir- faire des Communicantes et à l’expertise en informatique et en numérique des Technos. L’enquête révèle également que, mis à part leurs compétences, les Technos ont en commun une expérience en cyberactivisme contestataire acquise lors de la révolution de 2011. De ce fait, au-delà de l’appartenance partisane, de l’expertise en informatique, en technologie et en communication qui caractérisent le profil type des stratèges (Kreiss, 2016), l’expérience en cyberactivisme contestataire semble constituer une caractéristique propre au profil de certains stratèges tunisiens. Il s’agit du premier sédiment de la révolution identifié dans ce nouvel espace démocratisé.

Dans le prochain chapitre, nous nous intéresserons à la perception des stratèges du rôle joué par le numérique dans la révolution. Nous essayerons de connaître leur opinion sur les potentialités et les vertus démocratiques des médias socionumériques et si, selon eux, la révolution aurait pu réussir sans leur existence. L’expérience vécue des stratèges et leur rapport avec le numérique lors de la révolution nous aidera à cerner s’ils appartiennent au groupe des cyber-optimistes ou des cyber-réalistes. Comme l’a souligné Howard (2006, cité dans Greffet et Giasson, 2018 : 7) : les stratèges diffusent leur vision du monde et leurs croyances au sein des organisations politiques qui adoptent ces croyances en retour. Par conséquent, l’expérience des stratèges, leur degré d’implication et leur vision du rôle du

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numérique lors de la révolution devraient avoir des incidences sur l’élaboration et la réalisation de leurs stratégies numériques dans un cadre électoral

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Chapitre 4. Une révolution Facebook ? La conception des stratèges sur le rôle des médias socionumériques dans le déroulement de la révolution tunisienne.

« Révolution virtuelle », « révolution Facebook », « révolution web 2.0 » sont autant de qualificatifs utilisés par de nombreux observateurs et des médias occidentaux pour décrire le mouvement contestataire qu’a connu la Tunisie en 2011. Des analyses euphoriques et « à chaud » ont fait que la question du rôle du numérique dans la révolution soit traitée de manière superficielle et caricaturale.

Ces croyances en une « révolution numérique » a poussé certains analystes et journalistes – confrontés au souffle révolutionnaire – à indiquer que l’usage des technologies numériques à des fins de mobilisations a provoqué des changements sociaux et politiques. Suscitant des controverses au sein de la communauté scientifique, ces affirmations, qui ne reposent pas sur des mesures empiriques du phénomène, ont fait émerger un débat qui a départagé cyber- optimistes et cyber-réalistes quant au rôle joué par le numérique dans la révolution tunisienne.

Les chercheurs optimistes (par exemple Faris 2012; Howard et Hussain 2013; Lecomte, 2011; Tudoroiu, 2014; Tufecki, 2019; Zayani, 2015) voient les nouvelles technologies comme ayant contribué aux changements politiques en Tunisie et certains vont jusqu’à les qualifier de catalyseurs de la démocratie (Jin et Kim, 2019). De l’autre côté, des chercheurs plus sceptiques et réalistes estiment que réduire un mouvement social à un phénomène médiatique relève plutôt du déterminisme technologique et d’un cyber-utopisme (Ayari, 2011; Ben Mansour, 2017b). Les arguments avancés en ce sens par Gladwell (2011) et Morozov (2011) stipulent que les médias socionumériques ne peuvent mener à des mobilisations de masse en raison de la faiblesse et de la volatilité des liens créés. Partager une nouvelle ou une information (comme l’ont fait en 2011 les porte-voix que nous présentions dans le chapitre précédent) ne relèverait pas de l’engagement militant, mais plutôt d’une forme d’activisme passif qu’ils qualifient de « slactivisme » ou de « clicktivisme » (Gerbaudo, 2012 : 7; Zayani, 2015).

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Après avoir analysé dans le chapitre précédent le profil sociodémographique des stratèges numériques et avoir distingué au sein de cette population des spectateurs (consommateurs d’informations), des porte-voix (relayeurs d’informations) et des cyberactivistes de la révolution, nous présentons dans le présent chapitre – sept ans après les événements – la perception que se font les stratèges interrogés du rôle du numérique dans la révolution de 2011. Étant aujourd’hui en lien direct avec le numérique dans la vie partisane, notre objectif est de connaître leur vision des fonctionnalités politiques des médias socionumériques, leur potentiel démocratique, et si, selon eux, la révolution pouvait réussir sans leur existence.

L’opinion des stratèges construite en fonction de leurs expériences vécues, de leur position et de leur rapport avec le numérique lors de la révolution, constitue une assise qui nous permettra de cerner s’ils appartiennent au groupe cyber-optimistes ou des cyber-réalistes. L’un des objectifs de ce chapitre est de contribuer à la compréhension du rôle joué par le numérique dans la révolution tunisienne à travers la perception de ses acteurs.

Jusqu’à présent, très peu sont les études qui se sont penchées sur les valeurs et les croyances du personnel de campagne quant aux potentialités démocratiques des médias socionumériques et, en ce qui concerne le cas de la Tunisie, sur le rôle de ces derniers dans la révolution de 2011.

La réponse à ces interrogations permet de mieux comprendre les modes d’appropriation du numérique et son déploiement par les formations politiques dans le cadre des campagnes électorales étant donné que la vision du personnel de campagne vis-à-vis du numérique appuyée par son vécu, sa carrière et son expérience aurait une influence sur sa manière de concevoir le dispositif (Theviot, 2018 : 37). En ce sens, les trajectoires de ces acteurs et leurs croyances les amènent selon Theviot (2018 : 37) à appréhender et à s’approprier différemment le numérique. Comme Howard (2006 : 144, 170) l’a bien souligné auparavant, les stratèges intègrent leurs valeurs, leurs idéologies et leurs croyances dans la conception des outils et leur déploiement dans les campagnes électorales.

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4.1 Les fonctions politiques des médias socionumériques lors de la révolution

Dans le chapitre précédent, nous avons distingué trois types d’usagers des médias socionumériques lors de la révolution : les cyberactivistes, les porte-voix et les spectateurs. Sur la base de leurs expériences lors de la révolution de 2011, nous établissons les trois fonctions politiques des médias socionumériques lors de la révolution : la diffusion de l’information, l’interaction et la mobilisation.

Tableau 4.1 Les fonctions politiques des médias socionumériques lors de la révolution tunisienne de 2011 Fonctions politiques des médias socionumériques Usages sous-jacents

• Contourner les médias nationaux sous l’emprise du régime Diffusion de l’information • Viralité et circulation rapide de l’information • Hybridité « Al-Jazeera – Facebook » • Diffusion d’informations chargées d’émotions

Interaction • Espace de dialogue • Organisation et coordination de la contestation

Mobilisation • Incitation à rejoindre le mouvement

4.1.1 La diffusion d’information, l’arme de la contestation

L’analyse des entretiens indique que 26 des 27 stratèges interrogés soulignent un rôle crucial des médias socionumériques dans la diffusion accrue de l’information lors des évènements contestataires. Ainsi, selon la quasi-totalité de l’échantillon (96%), la diffusion d’informations et de nouvelles a été la principale fonction des médias socionumériques au moment de la révolution. Dans leur récit, ces derniers soulèvent plusieurs aspects propres à cette fonction comme le contournement des médias traditionnels nationaux, la viralité et la circulation rapide de l’information, parfois à forte charge émotionnelle, et la médiatisation de la contestation dans une logique d’hybridité.

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a. Contourner les médias nationaux sous l’emprise du régime

Nos entretiens révèlent que pour la majorité des stratèges, les médias socionumériques ont constitué la seule source d’information disponible durant les mouvements de contestation. Ils estiment que le partage de l’information grâce aux caractéristiques techniques de ces médias a permis aux Tunisiens de se libérer de l’embargo médiatique imposé par le régime.

Les médias sociaux étaient à ce moment-là la seule source d’information sur les manifestations et sur le soulèvement populaire de manière générale dans les différentes régions du pays puisque les médias traditionnels étaient contrôlés, surveillés et étaient entre les mains du pouvoir, ils n’ont pas couvert les évènements… (Répondant 23).

En effet, le contrôle des médias traditionnels par le régime, qualifié de « Blackout » médiatique par plusieurs chercheurs (Lecomte, 2011; Papacharissi, 2015 : 33; Papacharissi et Oliveira, 2012; Zayani, 2015 : 177), combiné à la difficulté des journalistes étrangers à accéder au terrain pour couvrir les évènements, ont fait que les citoyens se sont tournés progressivement vers les médias socionumériques, et Facebook particulièrement, pour obtenir de l’information sur les événement. Le réseau socionumérique serait alors devenu la principale source d’information des citoyens sur le soulèvement (Howard et Hussain, 2013; Lynch, 2014; Papacharissi et Oliveira, 2012; Zayani, 2015 : 177).

Diffusant des dessins animés et d’autres émissions de divertissement au moment des contestations, les médias traditionnels nationaux – principalement la chaine nationale officielle tunisienne – n’ont pas couvert les évènements. La plateforme Facebook, a été qualifiée par les stratèges d’arme ayant servi à briser le contrôle de l’information. L’un d’eux témoigne : « au moment où les jeunes tombaient sous les balles du régime et que le pays brulait, notre télévision nationale diffusait un documentaire animalier sur l’accouplement des fourmis en forêt amazonienne » (Répondant 14).

Certains de nos répondants évoquent même l’archétype d’une révolution communicationnelle et informationnelle parfaite, portée par une nouvelle génération de jeunes outillés de technologies numériques. En effet, à l’aide de leurs téléphones mobiles, les citoyens filmaient les manifestations, les émeutes et surtout la brutalité et la violence

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policière. L’architecture technique de la plateforme Facebook, dont sa fonction de partage de vidéos, aurait simplifié techniquement la publication et la propagation de ces contenus générés par les usagers (Howard et Hussain, 2013; Zayani, 2015).

L’information dans un contexte révolutionnaire constitue une arme redoutable … Vu le blocus des médias classiques à ce moment-là, les gens avaient besoin de relais pour remplacer le manque d’informations. Il fallait absolument combler ce déficit, communiquer et diffuser l’information. Les médias sociaux et Facebook principalement a joué ce rôle essentiel dans la révolution tunisienne, le rôle de producteur de l’information et son relais (Répondant 16).

« Arme redoutable », « guerre informationnelle », des qualificatifs employés à maintes reprises par les répondants afin de justifier l’importance de l’information que les médias socionumériques ont réussi à relayer dans ce contexte autoritaire verrouillé et contrôlé.

Par ailleurs, la diffusion de l’information via Facebook a visé un autre objectif soulevé par les répondants, soit celui de véhiculer une réalité alternative à celle communiquée par le régime via ses canaux de communication officiels dont principalement le journal de 20h de la chaine nationale. En effet, la désinformation constamment pratiquée par la machine propagandiste de l’État lors des évènements a été contrecarrée et contredite par l’information qui provenait des médias socionumériques. L’un des stratèges explique :

[i]l y avait la version officielle du régime qui disait que tout était sous contrôle et que les manifestants étaient des voyous, casseurs, extrémistes, islamistes et la version réelle sur les réseaux sociaux [sic] qui disait que c’était des jeunes, diplômés chômeurs qui manifestaient pacifiquement ... Avant l’apparition des réseaux sociaux [sic], l’opinion internationale n’avait accès qu’à une seule version des faits : la version officielle communiquée par le régime (Répondant 14).

Ainsi, le déficit d’informations créé intentionnellement a fait émerger une nouvelle dynamique de diffusion d’informations au sein du cyberespace qui s’est traduite par des pratiques de communication émanant de participants extérieurs aux institutions médiatiques traditionnelles (Lecomte, 2011; Papacharissi, 2015 : 33; Zayani, 2015 : 178). En effet, une nouvelle catégorie d’acteurs cyberactivistes (dont sept font partie de notre échantillon) se

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sont convertis en journalistes citoyens, produisant des vidéos et les diffusant sur Facebook afin de combler le manque d’informations. Un des cyberactivistes témoigne :

[d]ans ce processus révolutionnaire tout se passait sur Facebook, c’était le média de la révolution et son seul canal de communication ... Facebook a remplacé les médias traditionnels à ce moment-là puisque ceux-ci n’ont pas joué leur rôle. En tant que qu’activistes nous avons joué le rôle de journalistes sur ce nouveau support de communication. Nous avons couvert les évènements en partageant des vidéos avec de l’image et du son et les gens avaient confiance en nous et en les informations qu’on diffusait… (Répondant 22).

Acteurs de premier ordre dans la politique de l’information notamment dans la diffusion des informations relatives aux manifestations et dans la traduction des statuts et tweets (Della Ratta et Valeriani, 2014; Poell et van Dijck, 2018; Poell et al, 2016; Tufekci, 2013; Zayani, 2015), ces connective leaders ont déployé des tactiques soigneusement planifiées qui comprenaient la promotion d’hashtags, de pages Facebook, de collecte de vidéos et d’informations sur le terrain et en ligne.

b. Viralité et circulation rapide de l’information

Les stratèges interviewés insistent sur le phénomène de viralité, caractéristique principale des médias socionumériques largement étudiée dans la littérature. Des chercheurs (dont Cardon, 2010; Poell et van Dijck, 2018; Papacharissi, 2015; Zayani, 2015 : 178, 184) ont mis l’accent sur l’architecture technique sur laquelle reposent les médias socionumériques. Facebook et Twitter favorisent la viralité grâce aux fonctions « aimer », « partager » et « retweeter » qui permettent de propager rapidement et facilement du contenu à grande échelle en très peu de temps. Lors des soulèvements arabes, Facebook a permis de produire/couvrir en temps réel les manifestations et de partager ces images/vidéos massivement par les autres utilisateurs suivant une dynamique de propagation virale (Lecomte, 2011; Poell et Borra, 2012; Papacharissi et Oliveira, 2012). Le recours aux mot- clics (hashtag) ou les « sujets tendance » (trends) sur Twitter ont ajouté un caractère d’actualité aux événements relayés sur la plateforme et ont incité les utilisateurs à partager et à rechercher des nouvelles sur des sujets et des évènements spécifiques (Poell et van Dijck, 2018). En ce sens, le mot-clic #SidiBouzid apparu le 27 décembre 2010 a été le plus utilisé par les activistes en Tunisie au moment de la révolution et a été twitté plus de 200 000 fois

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au cours des premières semaines de manifestations (Tudoroiu, 2014). D’ailleurs, la grande majorité des études qui ont porté sur l’articulation entre Twitter et la révolution tunisienne ont analysé les flux d’informations issus de ce mot-clic.

Ainsi, une grande partie des stratèges interviewés estiment que ces outils – grâce à leurs propriétés techniques – ont fait que les évènements ne soient pas restés circonscrits à des villes comme Sidi Bouzid, Kasserine ou Gafsa (régions de l’intérieur du pays où les protestations ont commencé), mais qu’ils se sont propagés sur tout le territoire tunisien grâce à la circulation rapide de l’information. Selon eux, ce phénomène de viralité représente l’atout des médias socionumériques :

[s]’il n’y avait pas Facebook, il n’aurait pas été possible pour les citoyens de Kasserine de voir que la contestation s’est propagée dans d’autres villes et que le régime l’avait réprimée de la même manière ... Pour suivre les évènements qui se déroulaient dans les régions de l’intérieur du pays, Sidi Bouzid, Thala et Regueb il fallait se connecter à Facebook. La viralité que permettent les réseaux sociaux [sic] a constitué un phénomène important lors des évènements. Chose qu’on ne pouvait ni voir ni constater dans les médias classiques (Répondant 17).

Nous avons par ailleurs observé que nos répondants mettent l’accent davantage sur l’importance du rôle de la plateforme Facebook dans le mouvement que sur Twitter. Cherchant des explications à ce phénomène nous avons relevé que la majorité des répondants utilisaient principalement Facebook durant cette période. Notons que Facebook fut le média socionumérique le plus utilisé par les Tunisiens lors de la révolution (Lecomte, 2011). Selon Ben Abdallah (2013a : 126), ce réseau socionumérique aurait été la plateforme privilégiée et la plus utilisée en Tunisie durant la révolution avec près de 2 579 920 utilisateurs entre décembre 2010 et juin 2011.

Parmi les répondants, seuls ceux qui étaient cyberactivistes lors de la révolution, et les plus actifs des porte-voix, ont eu recours à Twitter dans leurs actions. En ce sens, un des cyberactivistes rapporte que Twitter a été mobilisé pour un objectif bien spécifique : s’adresser directement aux médias étrangers : « Twitter a été utilisé surtout pour s’adresser aux journalistes internationaux, c’était l’objectif ! J’étais suivi par plusieurs journalistes de

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France 24, BBC, Al Arabia, Al-Jazeera. J’étais en quelque sorte leur source principale d’information sur les évènements » (Répondant 17).

Ces constats confirment ceux de Lecompte (2013a : 169), qui soutient que Twitter a été mobilisé comme plateforme de contact entre cyberactivistes et journalistes étrangers. Ces derniers étaient suivis par les journalistes de grandes chaines d’information et des médias étrangers et ont constitué une source d’information privilégiée pour les journalistes qui n’avaient pas accès au terrain (Lecompte 2013a: 169). De plus, investi principalement par les cyberactivistes, Twitter a été mobilisé lors de la révolution de manière stratégique en utilisant différentes langues comme l’arabe, l’anglais et le français pour s’adresser à des publics différents, dont les médias internationaux (Granjon, 2017a : 56; Lotan et al, 2011; Papacharissi, 2015; Poell et van Dijck, 2018; Zayani, 2015).

c. L’hybridité « Al-Jazeera – Facebook » dans la diffusion de l’information

Le contrôle de l’information par le régime, la censure et l’absence de liberté d’expression ont poussé les Tunisiens – principalement les plus jeunes – à se tourner progressivement vers des sources d’information autres que les médias traditionnels (Howard et Hussain 2013; Touati, 2012). Environ 58 % des jeunes entre 18 et 29 ans ont utilisé Internet pour s’informer selon un sondage publié en avril 2011 (Touati, 2012). Questionnés sur les supports d’informations les plus utilisés avant la révolution, les Tunisiens citent à hauteur de 36,9 % les plateformes numériques (Touati, 2012). Une grande partie des jeunes tunisiens se sont orientés vers le numérique certes, mais la télévision est restée malgré tout le média le plus consommé par l’ensemble de la population (Zayani, 2015 : 184). Ces chiffres viennent contredire certains propos des répondants qui ont tendance à surévaluer la place des médias socionumériques parmi les sources d’information lors de la révolution.

Au début des évènements, deux chaines internationales d’information se sont intéressées au cas tunisien et ont essayé dans la mesure du possible de couvrir le soulèvement. Il s’agit de la chaine qatarie Al Jazeera et la chaine française France 24. Présentes en Tunisie via le satellite, ces médias ont permis l’accès à une information différente de celle produite par la propagande étatique (Howard et Hussain, 2013 : 91; Touati, 2012; Zayani, 2015 : 189).

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L’analyse des récits des répondants indique que ces chaines d’information, et principalement Al-Jazeera, ont effectivement joué un rôle dans le contournement de la censure médiatique et dans la médiatisation de la révolution tunisienne à l’international. En effet, 22 des 27 stratèges soulignent la complémentarité entre la chaine satellitaire Al-Jazeera et la plateforme Facebook dans la diffusion de l’information lors du processus révolutionnaire. Ces derniers rapportent que la dynamique qui s’est créée dès le début de la contestation a permis une couverture informationnelle plus large et plus globale.

Les médias sociaux ont permis la couverture des évènements grâce à l’information diffusée. En même temps, les médias internationaux ont permis d’élargir le mouvement et ont fait qu’il y ait plus d’impact médiatique. C’est ce qui lui a donné plus de poids et plus de chance de réussir ... Les chaines d’information étrangères comme France 24 et Al Jazeera ont contribué avec les médias sociaux à créer un lien entre les tunisiens qui vivaient à l’étranger et les révolutionnaires Tunisiens qui vivaient au pays. Cette synergie entre les deux médias a offert une plus grande couverture à la révolution (Répondant 1).

D’autre part, les stratèges rapportent que ces médias traditionnels (Al Jazeera et France 24) ont diffusé des vidéos et des images des manifestations réprimées, recueillies directement de la plateforme Facebook. Ainsi, les reportages sur la révolution tunisienne diffusés par Al- Jazeera étaient approvisionnés de séquences vidéo filmées par certains activistes. La chaine d’information continue a bénéficié également d’informations exclusives sur le déroulement des évènements en partie grâce à une étroite collaboration avec certains cyberactivistes : « les médias d’information étrangers ont pris l’information de Facebook, surtout les séquences vidéo amateurs des mouvements contestataires pour les diffuser sur leurs chaines de télévision… la répression violente de la police a pu faire le tour du monde » (Répondant 16).

Interdite d’accès aux zones de conflit lors du soulèvement, Al Jazeera s’est appuyée presqu’exclusivement sur des sources issues de la plateforme Facebook et particulièrement des contenus diffusés par les internautes tunisiens (Lecomte, 2013a; Zayani, 2015). Ainsi, l’appropriation du contenu de Facebook (images et vidéos amateurs partagés) par cette chaine d’information internationale a renforcé l’intérêt des médias socionumériques, a accru leur pertinence et a promu l’activisme en ligne de manière générale selon Zayani (2015 :

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179) et Lecomte (2011). Par conséquent, la cohabitation et la complémentarité entre les médias traditionnels d’un côté et Facebook de l’autre ont permis au contenu généré par les utilisateurs d’être repris par ces chaines satellitaires et intégré dans un récit puissant et convainquant touchant une population plus large dont les moins connectées à Internet (Chouikha et Gobe, 2011 : 222, cités dans Lecomte, 2011; Zayani, 2015 : 189).

Nous relevons également dans le récit de certains cyberactivistes que ces derniers entretenaient des relations privilégiées avec des journalistes étrangers. Un des stratèges interrogés et qui était cyberactiviste au moment de la révolution, nous a confirmé sa collaboration avec les chaines France 24 et Al-Jazeera au moment des évènements. Il entretenait une collaboration étroite avec les journalistes de la chaine Al Jazeera :

[o]n avait pour rôle de partager l’information avec d’autres internautes mais aussi avec les médias traditionnels internationaux, principalement la chaine Al Jazeera. On avait un contact direct avec cette chaine d’information pour lui communiquer tout ce qui se déroulait sur Internet à ce moment-là : les vidéos de la contestation, de la répression, les images … On avait des amis qui travaillaient chez Al Jazeera et qui s’occupaient du bureau du Maghreb. Cette équipe de travail s’est constituée de manière spontanée et a joué un rôle extrêmement important dans la diffusion, le relais et la propagation de l’information (Répondant 17).

Comme l’a révélé Zayani (2015 : 179), certains cyberactivistes ont été contactés par les chaines d’informations satellitaires comme Al Jazeera et France 24 non seulement pour avoir des segments de vidéos et des récits de témoins oculaires, mais également pour intervenir à des heures de grande écoute. En somme, nous relevons dans le récit de la grande majorité des stratèges que dans ce contexte où l’information était surveillée, contrôlée et censurée, l’hybridité médiatique était très présente. Ce phénomène a été confirmé par Howard et Hussain (2013 : 99), Najar (2013b : 17), Lynch (2014 : 93) et Zayani (2015 : 190) qui ont soutenu que le soulèvement tunisien s’est développé au sein d’un environnement hybride caractérisé par la combinaison entre des pratiques communicationnelles traditionnelles et nouvelles. Les unes n’ont pas remplacé les autres, mais elles se sont plutôt combinées et complétées pour former « un système médiatique hybride » (Chadwick 2013). Un phénomène décrit notamment par Marc Lynch (2014 : 93) « Social media such as

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Facebook and Twitter interacted with traditional broadcast media such as satellite television and, in some cases, the press to create an exceptionally integrated and influential shared media space ». Cette logique d’hybridité a été avancée par un cyberactiviste comme étant la dynamique qui a permis d’affaiblir significativement le régime de Ben Ali.

En Tunisie, la télévision par satellite a joué un rôle important. Les Tunisiens se sont ouverts sur les chaines internationales dont France 24 et Al-Jazeera depuis 2007. C’est le premier facteur qui a affaibli le régime en place. Le deuxième facteur, c’est l’apparition des réseaux sociaux [sic] en 2009. En 2011, les chaines internationales (France 24 et Al Jazeera) d’un côté et les réseaux sociaux [sic] de l’autre ont fait que le contrôle de l’information devenait quasi-impossible … le régime avait perdu tout contrôle (Répondant 17).

d. Facebook : diffuseur d’informations chargées d’émotions

L’analyse des entretiens nous a permis de dégager un troisième élément avancé par les répondants et qui s’inscrit dans la fonction de diffusion de l’information. Il s’agit de circulation d’informations à forte charge émotionnelle sur la plateforme Facebook lors de la révolution. En effet, selon ces derniers, Facebook a permis la propagation d’images et de vidéos particulièrement touchantes, voire même choquantes, illustrant la violente répression policière.

Le caractère affectif de ces nouvelles pendant les soulèvements arabes, que Papacharissi qualifie d’« affectives news » (2015 : 31), et leur diffusion virale ont produit et renforcé les sentiments de communauté et de solidarité au sein de la population tunisienne. Selon les répondants qui endossent cette logique, les images de la violence et de la brutalité policière largement relayées sur les médias socionumériques ont amplifié le sentiment de colère des citoyens et ont contribué à accroître la contestation. Une prise de conscience collective est alors née, déclenchant un processus de contagion émotionnelle (Zayani, 2015 : 182) qui a incité les citoyens à réagir et à passer à l’action :

Facebook a fait que la révolution soit plus globale, plus forte en émotion et qu’elle se répande très vite géographiquement. Les gens ont participé à ce mouvement sans s’en rendre compte avec beaucoup d’émotions et d’impulsions … Quand on a vu les martyrs et les morts et qu’on a vu le sang et les slogans scandés à Sidi Bouzid et à Kasserine on a été marqués et choqués. Les photos du

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sang et de la manifestation, les cris et les enterrements des martyrs à Sidi Bouzid et à Kasserine ont touché les citoyens ... Il y a eu beaucoup de compassion envers les victimes et c’est ce qui a poussé les gens à se révolter et à rejoindre la rue (Répondant 23).

L’importance des émotions dans les mobilisations collectives a été soulevée dans la littérature sur les mouvements sociaux. Papacharissi et Oliveira (2012) par exemple, ont révélé que la dimension affective et émotionnelle de l’information circulant sur les médias socionumériques dans les soulèvements arabes a nourri le sentiment de collectivité et de solidarité et a favorisé la mobilisation. Dans cette perspective Gerbaudo (2016 : 254, cité dans Zayani, 2015 : 177) a présenté les médias socionumériques comme « an emotional space within which collective action can unfold » (Gerbaudo, 2016 : 254). À cet égard, l’expérience de l’un de nos stratèges, qui est aussi médecin et était actif sur les médias socionumériques en tant que « porte-voix » lors de la révolution, est éclairante. Il témoigne que :

[i]l y a eu par exemple un réseau de médecins dont j’ai fait partie qui s’est constitué spontanément sur Facebook. Pour diffuser une information fiable, chaque médecin dans son service donnait son témoignage dans un groupe Facebook pour informer du nombre de victimes et de blessés. Exemple : « aujourd’hui on a perdu un gamin de 19 ans, mort d’une balle dans le cœur ... On a fait tout notre possible pour le sauver mais on l’a perdu » ... Sincèrement nous étions tous sous le choc, nous avions exprimé notre colère et on a condamné fermement. Tout cela évidemment se passait sur Facebook ... Aux services d’urgences on n’est pas habitué à traiter des cas de blessés par balles. C’était une scène de guerre à l’hôpital de Kasserine le 9 janvier. Tout le monde était choqué ... On n’aurait jamais pensé voir ça un jour en Tunisie. Toutes ces scènes choquantes étaient filmées par le personnel paramédical et infirmier des hôpitaux et retransmis directement sur Facebook; ça a créé beaucoup d’indignation et de colère et c’est ce qui a amplifié à mon avis le sentiment de révolte (Répondant 10).

Pour Romain Lecomte (2011), les images sanglantes du 8 et du 9 janvier 2011 mises en ligne par les jeunes cyberactivistes et relayés par les internautes les plus mobilisés ont renforcé l’indignation et le sentiment de révolte. Ce genre de nouvelles et d’informations choquantes propagées via Facebook ont permis, selon une proportion importante de nos répondants, de renforcer la solidarité des citoyens dans différentes régions du pays et les ont encouragés à rejoindre les manifestations.

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En somme, nous constatons à travers l’analyse des entretiens que la quasi-totalité de nos stratèges estiment que les médias socionumériques, et particulièrement Facebook, ont joué un rôle crucial dans la diffusion de l’information dans ce contexte révolutionnaire. Bien que la grande majorité des stratèges paraissent fortement enthousiastes quant à cette fonction de diffusion de l’information, deux cyberactivistes de premier rang énoncent néanmoins une mise en garde. Sans que cela ne réduise son rôle dans la révolution tunisienne, Facebook aurait servi, dans certains cas, de plateforme de diffusion de fausses informations, de rumeurs, d’intox et de violence. L’un d’eux déclare :

[e]n reprenant les vidéos et en les partageant sur les pages Facebook qui couvraient les évènements, j’avoue que j’ai parfois été induit en erreur. Des vidéos de manifestations qui nous arrivaient de soi-disant Sidi Bouzid alors que c’était des vidéos enregistrées dans un autre endroit trois jours auparavant. Il nous est arrivé de diffuser une vidéo de manifestation réprimée par la violence, gaz lacrimo [sic] et réellement il n’y avait rien de tout cela. Les gens du quartier nous ont assuré qu’il n’y avait absolument rien ... C’est pour ça que je dis souvent que les médias sociaux ont eu un rôle important c’est vrai, mais parfois ils ont diffusé de fausses informations et c’est normal je pense vu le contexte. Avec du recul, tu te dis : j’ai quand même fait beaucoup d’erreurs étant dans un cycle rapide où il y avait beaucoup d’évènements et beaucoup d’informations en même temps ( Répondant 7).

4.1.2 L’interaction, la coordination et l’organisation de la contestation

L’analyse des entretiens avec les stratèges indique que 85 % d’entre-eux estiment que les médias socionumériques ont facilité l’interaction entre les participants lors du mouvement contestataire. La plateforme Facebook aurait permis l’interaction entre les citoyens eux- mêmes et aurait aidé les acteurs impliqués à coordonner leurs actions tout au long du processus révolutionnaire. Qu’ils aient été de simples citoyens non engagés politiquement, des cyberactivistes, des militants ou des opposants politiques avant la révolution, ces derniers soulignent que les médias socionumériques ont constitué des espaces d’échanges d’informations et de discussions, mais aussi des espaces d’organisation et de coordination de la contestation à travers les groupes Facebook fermés.

a. Facebook : espace de dialogue

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L’analyse des entretiens avec les stratèges indique que ces derniers mettent l’accent sur l’importance du côté interactif de ces médias lors de la révolution, ce qui aurait permis de constituer un espace de discussions entre les citoyens sur les évènements. Ces échanges – toujours sur la plateforme Facebook – ont créé un sentiment de solidarité entre les Tunisiens. L’un des stratèges déclare :

[c]’était le seul support qui permettait une certaine interaction. Ils ont permis la propagation et l’échange d’informations et de nouvelles sur ce qui se passait dans le pays et c’est ce qui a fait qu’en Tunisie le mouvement se propage du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. L’interaction sur les médias sociaux a permis aussi d’élargir l’espace de la contestation. Les médias sociaux ont constitué un moyen d’échange entre les Tunisiens de l’intérieur du pays et les Tunisiens de l’étranger (Répondant 1).

Par ailleurs, les entretiens suggèrent qu’une catégorie de stratèges engagés politiquement avant la révolution ont profité des médias socionumériques pour interagir fréquemment avec les dirigeants de l’opposition de l’époque, ainsi qu’avec les militants. La plateforme Facebook aurait été mobilisée par ces derniers pour des échanges internes, puisqu’elle représentait le seul support de communication non contrôlé par le régime. L’un de ces stratèges rapporte que les médias socionumériques leur ont permis d’échanger afin de parvenir à des positions claires et cohérentes tout au long du processus révolutionnaire :

[n]os téléphones étaient mis sur écoute, Facebook était notre seul moyen de communication à cette époque. On s’échangeait l’information avec les militants qui se trouvaient sur le terrain dans leurs régions grâce à un groupe Facebook secret [sic]. Il y a eu également des discussions continues entre les dirigeants des partis politiques clandestins de gauche ... Lors du dernier discours « Je vous ai compris » de Ben Ali le 13 janvier, il y a eu une confusion au sein de l’opposition, certains y ont cru et ont eu même de la sympathie pour lui estimant que ce discours était courageux. Nous par contre, nous avons estimé que le régime était fini ... Les échanges qu’on a eus nous ont permis de développer un point de vue en fonction de ce qui se passait et de ce qui se disait à l’international ... Notre communiqué a été construit suite à des discussions dans le groupe Facebook entre les dirigeants du parti au moment même où Ben Ali prononçait son discours à la télévision nationale le 13 janvier. L’interaction rapide et l’instantanéité de Facebook a fait qu’on se soit tous mis d’accord rapidement sur un point de vue commun pour pouvoir diffuser notre position quant au discours via un communiqué officiel (Répondant 24).

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b. L’organisation et la coordination de la contestation

La nature des informations circulant sur les médias socionumériques a bien évolué au cours du processus révolutionnaire tunisien selon Touati (2012), qui estime que les témoignages des rassemblements des premiers jours ont laissé place progressivement aux échanges sur l’organisation des manifestations et les circuits à suivre. Dans ce contexte, certains chercheurs (Lotan et al., 2011; Zayani 2015 : 184) ont avancé que Twitter a servi à coordonner les actions et à réagir rapidement aux changements de situations vu ses spécificités techniques (absence de fonctionnalités visuelles, message limité à 140 caractères) favorisant ainsi l’instantanéité et la viralité d’une information brève. L’analyse des entretiens indique que la majorité de nos répondants – principalement ceux qui étaient impliqués dans le mouvement – pensent que Facebook et Twitter ont servi de moyens de coordination et d’organisation du mouvement contestataire. Ces derniers mettent l’accent sur l’organisation des deux grandes manifestations qu’a connu la Tunisie, l’une à Sfax le 12 janvier et l’autre à Tunis le 14 janvier 2011. Selon, la grande majorité des répondants ces deux grandes manifestations décisives ont été planifiées, organisées et coordonnées via Twitter et à travers les groupes Facebook. L’un d’eux, aujourd’hui cadre politique témoigne :

[i]l y a eu les informations sur l’organisation de la dernière manifestation du 14 janvier qui a poussé Ben Ali à s’enfuir. On ne pouvait pas savoir qu’il y aurait une manifestation organisée le 14 janvier devant le ministère de l’Intérieur sans l’existence de Facebook et de Twitter. C’était un moyen de coordination entre les citoyens … On essayait de s’encourager ... Juste après le discours de Ben Ali, des échanges sur Facebook en Inbox [sic] ont eu lieu pour le rendez-vous et le lieu de la manifestation du lendemain le 14 janvier (Répondant 10).

Les conclusions de Poell et van Dijck (2018) appuient ces propos. Leur recherche indique que plusieurs manifestants ont utilisé les médias socionumériques comme outil de coordination de leurs activités. L’étude de terrain de Howard et Hussain (2013) s’inscrit également dans cette perspective car elle révèle que les échanges sur les médias socionumériques à des fins d’organisation ont souvent précédé les évènements majeurs sur le terrain. L’opinion des stratèges, qui étaient cyberactivistes lors de la révolution, est de plus pertinente. Ayant mobilisé les médias socionumériques pour organiser les manifestations et pour coordonner des actions, ces derniers insistent sur l’importance de la coordination via Twitter et Facebook :

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[o]ù va-t-il y avoir un rassemblement de citoyens ? Comment peut-on bouger [sic] aujourd’hui ? On se faisait passer les infos sur les pages et les groupes Facebook créés pour organiser et couvrir les manifestations. On essayait d’informer les gens et de les mobiliser ... Clairement, sans Facebook, personne n’aurait été dans les rues ! (Répondant 14).

Sur cette question, Boullier (2013 : 44) a estimé que les médias socionumériques ont été des amplificateurs de la conversation. Ils ont eu le pouvoir de transformer la circulation accélérée de l’information en coordination pour l’action. Lorsque les manifestations étaient interdites, les rendez-vous, les lieux de rassemblements ainsi que le déplacement des foules étaient communiqués via Facebook et Twitter. Facebook et encore plus Twitter – même s’il a été utilisé de manière plus restreinte – ont permis de toucher rapidement un grand nombre de citoyens par la contagion, et la propagation, et ont facilité parfois la révision des consignes en tenant compte des circonstances du terrain (Boullier, 2013 : 45). Les propos de nos répondants confirment ce rôle particulier qu’ont eu les médias socionumériques durant la révolution tunisienne :

[o]n discutait de la situation dans certaines régions et dans certains quartiers au sein des groupes Facebook. Je discutais particulièrement avec les personnes qui habitaient le quartier où il y a eu de la contestation afin de vérifier l’information directement. Il fallait vérifier si le mouvement prenait de l’importance et de l’ampleur ou pas … Il y avait des échanges concernant l’organisation des manifestations sur les pages comme […] (Répondant 4).

Par ailleurs, les répondants cyberactivistes de notre échantillon rapportent qu’ils avaient créé de nouvelles pages Facebook pour mieux s’organiser et mieux partager l’information : « des groupes et des pages fans [sic] ont été créés très rapidement pour exploiter l’information, pour la traiter et pour s’organiser. Facebook a joué un rôle extrêmement important dans l’organisation des mouvements. C’est un espace qui nous a facilité la tâche » (Répondant 17).

Les médias socionumériques ont permis aux cyberactivistes mobilisés en Tunisie et à l’étranger de discuter entre-deux, d’échanger, de demander confirmation de certaines informations et de faire part des difficultés posées par la cyberpolice (Lecomte, 2011). Comme l’a affirmé Ben Abdallah (2013a : 130, 131), sur Facebook ce sont surtout les

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groupes et les pages « fans » qui ont permis aux internautes de se regrouper et de s’organiser. Chacune de ces pages diffuse selon sa spécificité des contenus vidéos, des images et du texte qui avaient pour objectif de coordonner les actions militantes. Ces pages influentes gérées par des administrateurs cyberactivistes (dont certains font partie de nos répondants) avaient des milliers d’abonnés, développaient leur propre stratégie de communication et se préoccupaient activement de leur image. Parmi ces pages figuraient « Union des pages de la Révolution », « La voix du peuple », « Ma Tunisie » ou « Tunisie News ».

Force est de constater que la grande majorité des stratèges sont assez enthousiastes vis-à-vis du rôle des médias socionumériques dans l’interaction, la coordination et l’organisation des mouvements de contestations principalement à travers des pages « fans » et des groupes Facebook spécialement créés. En revanche, il est important de prendre en compte l’opinion des quatre répondants qui n’adhèrent pas totalement au côté positif de la fonction interactive des médias socionumériques. En majorité Apparatchiks, ils estiment que les médias socionumériques ont été utilisés pour propager des rumeurs dans l’objectif de semer la peur et la panique au sein de la population. Pour eux, les seules discussions existantes sur ces médias à ce moment-là étaient des insultes gratuites et le dénigrement des personnalités publiques.

4.1.3 La mobilisation, le moteur de la révolution

Le caractère novateur des révolutions arabes et tunisienne principalement s’inscrit dans une logique où les mobilisations en ligne ont fait partie d’un mouvement de masse qui a touché à tous les secteurs de la société dans un contexte caractérisé par la faiblesse des médiateurs politiques traditionnels (associations, partis politiques…) due à la répression pratiquée par le régime de Ben Ali (Granjon, 2017a : 57). La diffusion de l’information et de nouvelles à travers des vidéos et des photos sur Facebook a acquis une dimension mobilisatrice (Zayani, 2015 : 183) que Granjon (2013 : 245) qualifie de mobilisations informationnelles.

En tant que structure d’information et de communication, Facebook aurait permis d’une part à la construction de l’indignation et d’autre part à la constitution d’un potentiel positif de mobilisation (Granjon, 2017a : 56 ) suivant un processus cohérent : les informations

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collectées sur le terrain, diffusées en ligne par les cyberactivistes et partagées par d’autres internautes sur Facebook (les porte-voix) ont contribué à renforcer un mécontentement préexistant et ont pu suffire à mobiliser hors ligne les tunisiens dans tout le pays (Lecompte, 2013a : 162, 167; Lecomte, 2011).

a. L’incitation à rejoindre le mouvement

Dans nos entretiens avec les stratèges, la grande majorité (85 % de l’échantillon, soit 23 sur 27) souligne clairement le rôle mobilisateur joué par les médias socionumériques lors de la révolution tunisienne. Cependant, l’accent est mis davantage sur le pouvoir mobilisateur de la plateforme Facebook, et rares sont les occasions où Twitter est évoquée comme outil de mobilisation. Ainsi, le premier aspect relevé dans le récit des répondants est le rôle déterminant de Facebook sur l’incitation de citoyens non engagés dans la vie politique et publique à rejoindre les manifestations et à s’impliquer davantage dans le mouvement contestataire.

Les réseaux sociaux [sic] ont réellement permis de passer d’une manifestation de militants politiques qui étaient prêts à assumer leur opposition au régime de Ben Ali à une catégorie beaucoup plus large qui rassemblait une élite économique, des étudiants, des jeunes, des syndicalistes et des opprimés … Ça c’était vraiment l’effet de Facebook … Tout a été organisé et planifié sur Facebook, qui a eu un rôle de mobilisation important et qui a touché même les personnes qui n’avaient rien à voir avec la politique (Répondant 10).

Un des cyberactivistes, qui a lui-même utilisé Facebook à des fins de mobilisation témoigne comment cette opération numérique aurait encouragé les citoyens à rejoindre les manifestations de rue :

[g]râce aux réseaux sociaux [sic] on a pu encourager et inciter les gens à réagir, à surpasser la peur et à descendre dans la rue et l’occuper. Facebook était le seul moyen de mobilisation et a joué un rôle extrêmement important. Les gens avaient peur, c’est vrai ! mais quand ils voyaient sur les réseaux sociaux [sic] que leurs amis et des jeunes de partout sont descendus dans les rues, ça a encouragé tout le monde à rejoindre les manifestations. Même les personnes plus âgées ont eu le courage de surpasser leur peur et de se joindre au mouvement. La manifestation du 14 janvier était la consécration et la preuve du rôle mobilisateur de Facebook. Quelques heures après cet immense rassemblement devant le

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ministère de l’Intérieur, Ben Ali a pris la fuite. Cette manifestation a été planifiée, organisée et médiatisée grâce à Facebook (Répondant 14).

Analysant le rôle du numérique dans la révolution tunisienne, Manuel Castells (2012) avance que les mouvements sociaux en ligne reposent aujourd’hui essentiellement sur « la culture du partage » et la construction de réseaux horizontaux rendues possible grâce aux médias socionumériques. Cette dynamique articulée par une coopération et une solidarité sans « leadership » permet d’accroître le mouvement (Zayani, 2015 : 232).

En somme, l’analyse de nos entretiens indique que la grande majorité des stratèges sont largement enthousiastes quant au rôle mobilisateur des médias socionumériques lors de la révolution. Cependant, il est important de souligner que 11 % (trois stratèges sur 27) sont réticents. L’un d’eux met plutôt en avant ce qu’il considère comme la portée manipulatrice des plateformes numériques :

[b]eaucoup de groupes Facebook et des pages se sont créés et réclamaient tous la même chose : la chute du régime. Ils ont beaucoup joué sur les émotions des gens pour qu’ils se sentent obligés de rejoindre la rue. Je pense que c’était largement calculé et planifié pour manipuler le peuple. Il y avait des vidéos qui n’étaient pas réelles. Les médias sociaux à ce moment-là ont beaucoup servi pour la victimisation et la manipulation (Répondant 6).

Par ailleurs, bien que les cyberactivistes soulignent à différentes reprises le rôle mobilisateur des médias socionumériques, certains d’entre eux avouent néanmoins avoir été parfois induits en erreur. Sans que cela ne réduise le rôle mobilisateur des médias socionumériques, ils soulignent que Facebook a joué un rôle négatif dans certains cas, notamment en termes de mobilisation. L’un d’eux affirme :

[i]l est vrai que les réseaux sociaux [sic] ont permis de mobiliser les gens, mais parfois quand ces manifestations se transforment en émeutes, là on a une grande responsabilité. En tant que cyberactivistes, on a incité beaucoup de gens à descendre dans les rues, des manifestations qu’on croyait pacifiques se sont terminées par des incendies dans les postes de police et ont causé des dommages et laissé même des victimes. Après coup, on réalise qu’on a quand même une certaine responsabilité dans ce qui s’est passé ... C’est pour ça que je pense que la mobilisation sur les réseaux sociaux [sic] peut dans certains cas ne pas être

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positive. Je dirais qu’elle pourrait être dangereuse si elle est exploitée à des fins de manipulation (Répondant 22).

Ainsi, la grande majorité de nos répondants stratèges soulignent le caractère positif des fonctions politiques des médias socionumériques, à savoir la diffusion de l’information, l’interaction, la coordination et la mobilisation lors de la révolution tunisienne. Qu’ils aient été cyberactivistes, porte-voix ou même spectateurs, ces derniers sont globalement enthousiastes face au rôle joué par le numérique dans la révolution tunisienne, d’autant plus que cet optimisme a été encouragé par leurs propres expériences telles qu’ils les ont relatées.

Toutefois, il est important de prendre une distance vis-à-vis de ces propos et de ne pas considérer la vision des répondants comme une réalité en soi, car ces affirmations, effectuées ex post, proviennent largement d’acteurs de premier plan de la révolution (des cyberactivistes militants). Face à un soulèvement ayant mené à la chute du régime autoritaire en place, ils pourraient surestimer leur apport au mouvement contestataire ou présenter une conception enthousiaste du rôle du numérique lors de la révolution. De plus, ces stratèges sont aujourd’hui des professionnels des campagnes numériques de parti politique et, afin de légitimer leur rôle et leurs positions actuelles au sein des partis, ils pourraient surestimer également le potentiel de mobilisation du web tant dans le cadre de la révolution que dans celui des élections. La fiabilité de leur propos doit être tempérée par la possibilité qu’ils fassent de l’évangélisation pour leur domaine d’action. Rappelons que le rôle des médias socionumériques dans la révolution tunisienne est appréhendé ici uniquement du point de vue d’une certaine catégorie d’acteurs : les stratèges en communication numérique. De ce fait, les conclusions de notre étude ne peuvent être généralisée aux perceptions de tous les acteurs de la révolution face à la contribution du numérique dans le soulèvement tunisien.

4.2 Médias socionumériques et révolution, un potentiel démocratisant ?

Le débat sur l’articulation entre numérique et démocratie a fait couler beaucoup d’encre, donnant lieu à une abondante littérature, que ce soit au sein des démocraties post- industrielles ou dans des régimes en transition. Dans le premier cas, les travaux ont été consacrés au pouvoir du web à revitaliser la démocratie au moment où elle connaît des difficultés. Dans le second, la recherche s’intéresse à la contribution du numérique à

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l’émergence ou à l’instauration de la démocratie (Guaaybes, 2017). Ce lien dialectique entre numérique et démocratie a une fois de plus alimenté le clivage entre cyber-optimistes et cyber-réalistes quant à la question de l’apport effectif des médias socionumériques à la démocratie.

Le début de l’année 2011 a vu la première rencontre entre révolution et communication numérique (Hastings, 2016 : 305). En effet, la révolution tunisienne a été largement alimentée par des pratiques numériques. En ce sens, des chercheurs (dont Najar, 2013b : 20; Howard et Hussain, 2013; Tufecki, 2019; Zayani, 2015) ont estimé que les vertus démocratiques et politiques des médias socionumériques ont contribué amplement à donner forme à la configuration de mouvements sociaux en ligne, favorisant ainsi la production et la circulation de l’information et offrant une panoplie d’espaces propices à l’exercice de la citoyenneté (discussions, échanges, participation, visibilité …). L’un des potentiels démocratisant des médias socionumériques selon Papacharissi (2010, citée dans Millette, 2014 : 92) réside dans la possibilité d’organiser et de valoriser les efforts de résistance et de la mise en relation des personnes exclues de l’espace public. Les médias socionumériques pourraient dans cette perspective faciliter l’engagement citoyen (Dahlgren, 2009) et contribuer conséquemment à l’élargissement de l’espace public (Millette, 2014 : 92). Cependant, le potentiel démocratisant des médias socionumériques a été fortement relativisé et les attentes ont été tempérées par des constats plus nuancés (Loveluck, 2017; Vedel, 2003; Wojcik, 2011).

Notre intention n’est pas de relever une fois de plus les contributions et les débats portant sur l’impact du web sur la démocratie, mais plutôt de tenter de connaître l’opinion de stratèges numériques face aux potentialités démocratiques des médias socionumériques au moment de la révolution tunisienne, un mouvement auquel plusieurs d’entre eux d’ailleurs ont pris part. L’analyse des entretiens indique que 74% des répondants (20 sur 27) estiment que les médias socionumériques disposaient de potentialités démocratiques lors de la révolution. Ces derniers soulignent ainsi la liberté d’expression accrue au sein des espaces numériques, la possibilité de produire et de diffuser de l’information nouvelle ainsi que la

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mobilisation à la participation politique comme autant de mécanismes démocratisant ayant contribué à la révolution de 2011.

4.2.1 Espaces de liberté d’expression

Une première dimension démocratisante soulevée par ces stratèges enthousiastes envers le potentiel démocratique des médias socionumériques est la liberté d’expression. Selon eux, Facebook a constitué un nouvel espace de dialogue, de discussions et de débats au moment où les médias traditionnels étaient sous le contrôle du régime. Cette caractéristique constitue l’un des piliers sur lesquels repose la démocratie d’après ce stratège :

[à] cette époque, les médias sociaux constituaient un espace de liberté non contrôlé par le régime en place. Dans cet espace, il y avait des échanges d’informations, des analyses et des débats, mais surtout une liberté d’expression qui constitue un pilier de la démocratie. Je pense qu’ils ont en grande partie des caractéristiques démocratiques et peuvent contribuer à l’instauration de la démocratie (Répondant 1).

Grâce à leurs caractéristiques techniques, les médias socionumériques – difficilement contrôlables par les régimes autoritaires – constitueraient selon Gingras (2009 : 261) un espace de liberté d’expression permettant aux citoyens de s’exprimer sans entraves, de créer des liens et de stimuler des échanges entre eux.

4.2.2 L’information : pilier de la démocratie

La deuxième dimension démocratisante énoncée par nos répondant porte sur la production et la diffusion de contenus informationnels novateurs et exclusifs. En effet, ces derniers expliquent que le potentiel démocratique de ces médias repose essentiellement sur la dynamique de diffusion et de circulation de l’information qui aurait un impact direct sur la vie démocratique.

Avant toute chose, les médias sociaux ont permis la circulation de l’information et ça, c’est déjà un élément essentiel dans la démocratie. Tu arrivais à savoir ce qui se passait dans le pays via un simple défilement du timeline [sic]. Tu prends en considération qu’il y a certaines fausses informations, ou des exagérations, mais malgré tout tu arrives à te former une opinion ... Ça, c’est le plus important et c’est fondamental pour la démocratie (Répondant 16).

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Dans les régimes autoritaires, les usages politiques des médias socionumériques pourraient libérer la production de l’information et favoriser sa plus large diffusion. Les médias socionumériques sont imaginés comme un puissant outil d’information au service de la démocratie (Dahlberg, 2012; Gingras, 2009; Loveluck, 2014; 2017; Vedel, 2003). Comme l’a bien soulevé Loveluk (2014), une meilleure circulation de l’information permettrait de fédérer des forces critiques et d’engager des actions collectives aussi bien dans un contexte démocratique que dans un contexte plus autoritaire. Kaid, McKinney et Tedesco (2007) ont avancé le concept de Political Information Efficacy (PEI) qui met l’accent sur l'importance de l'information en tant que déterminant crucial de la participation électorale et démocratique. C’est ainsi que la majorité des stratèges voient aujourd’hui le rôle de l’information diffusée sur la plateforme Facebook au moment de la révolution de 2011.

4.2.3 La participation politique

L’incitation à la participation politique a été le troisième argument avancé par les stratèges enthousiastes quant aux potentialités démocratiques des médias socionumériques. Selon eux, Facebook a été considéré comme un espace au sein duquel les citoyens se sont encouragés mutuellement pour agir et passer à l’action notamment en participant aux mouvements contestataires. Cette forme d’engagement constituerait une forme pure d’exercice de la démocratie selon ces derniers. Ce stratège pose que :

[j]’estime que les réseaux sociaux [sic] constituent un avantage pour la démocratie. Ces médias-là touchent la masse en Tunisie car la jeunesse tunisienne est une jeunesse fortement connectée … Du point de vue politique, l’essence même de la démocratie c’est la participation des citoyens dans la vie publique et je pense que les réseaux sociaux [sic] ont permis d’accroître leur participation … C’est sûr que les moyens et les outils peuvent être différents d’un pays à un autre mais ces plateformes ont offert en Tunisie un espace propice pour s’exprimer librement et pour pousser les jeunes à s’impliquer et à s’engager. C’est des plateformes où tout est permis, je parle de cette époque, maintenant ça a changé. Même au niveau des élections de 2011 elles ont eu un impact très important. Les réseaux sociaux [sic] ont permis la mobilisation des citoyens dans un contexte révolutionnaire et électoral (Répondant 18).

Les travaux de Dalhberg (2012) révèlent les potentialités qu’offre le numérique pour élargir et approfondir l’engagement démocratique, en l’occurrence le large éventail des formes de

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participation politique. Internet a longtemps été présenté comme un outil au service de l’individu et de la société civile selon Loveluck (2014), leur redonnant des capacités d’action (empowerment) (Proulx, 2013) contre les pouvoirs économiques et politiques institutionnels. Ainsi, l’un des aspects centraux de la vie démocratique évoquée par les stratèges est bien la participation politique et la capacité des citoyens à se mobiliser et à s’impliquer dans la vie publique. Selon cette vision optimiste, le numérique offrirait ainsi de nouvelles formes de mobilisation politiques grâce à des formes de mobilisation plus décentralisées, de type bottom-up (Loveluck, 2017; Howard et Hussein, 2013; Zayani, 2015).

Toutefois, bien que la majorité des stratèges interrogés soient enthousiastes face aux possibilités démocratiques qu’offrent les médias socionumériques, 30 % d’entre eux expriment aussi des appréhensions envers le web. Dans cette perspective, un des stratèges explique comment la liberté d’expression n’était pas du tout respectée sur ces médias lors de la révolution.

Je pense qu’on ne peut pas parler de démocratie, car moi, personnellement, j’étais contre ce qui se passait, je soutenais le régime en place et je ne pouvais même pas m’exprimer. À chaque fois que je voulais dire quelque chose j’avais une avalanche d’insultes. Il y avait des profils qui ne m’ont pas lâché. Dès que je disais quelque chose, j’étais bombardé d’insultes et de signalisation jusqu’à ce que mon compte soit bloqué par Facebook alors que je voulais seulement donner un avis. De quelle démocratie et de quel potentiel démocratique vous parlez ? Ces plateformes c’est des entreprises qui travaillent pour le compte d’agendas occidentaux … (Répondant 6).

L’analyse du récit de ces stratèges réticents, qui étaient membres en 2011 du régime de Ben Ali et qui conçoivent davantage la révolution comme un putsch politique, révèle leur scepticisme face au caractère émancipateur du numérique. Trois d’entre eux – extrêmement sceptiques – vont même jusqu’à prétendre que ces outils sont dangereux pour la vie politique et sociale :

[q]uand les réseaux sociaux [sic] sont orientés comme on l’a vu lors du coup d’État de 2011, on ne peut pas parler de démocratie. Ils n’ont rien à voir avec la démocratie, ni de près ni de loin. Ils ont été mobilisés pour un objectif bien déterminé. Ces réseaux pourraient mener plus à des guerres civiles qu’à la démocratie (Répondant 5).

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Ces répondants cyber-pessimistes étaient des membres actifs du Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) du président déchu. Ils refusent d’ailleurs d’employer le terme de « révolution » pour décrire le soulèvement social et politique qu’a connu la Tunisie en 2011. Ils envisagent ces événements comme un coup d’État politique de l’Occident contre le Président Ben Ali plutôt qu’une révolte populaire spontanée. Ils associent d’ailleurs les entreprises de médias socionumériques aux forces responsables de ce putsch.

Parmi ces stratèges très réticents figure un chargé de la communication numérique du RCD en fonction jusqu’au 14 janvier 2011 (jour de la chute du régime de Ben Ali). Son témoignage représente une contribution notable de cette thèse au développement des connaissances puisqu’aucune autre étude n’a présenté jusqu’à présent le récit d’acteurs issus de l’ancien régime afin de comprendre comment ces derniers perçoivent le rôle du numérique dans le déroulement des événements. Ce propos révèle comment l’administration Ben Ali percevait, de l’intérieur, le soulèvement populaire :

[l]orsque j’étais chargé du digital [sic] au parti avant le début des évènements, je leur ai dit qu’il y avait des choses anormales [sic] qui sont en train de se passer sur Facebook. J’étais très actif à ce moment-là sur cette plateforme et via mon blogue […] qui soutenait le régime. En décembre 2010, après l’immolation de Bouazizi, des pages Facebook ont commencé à émerger très rapidement et en grand nombre. Elles commençaient à avoir de plus en plus de fans [sic]. À cette époque il n’y avait pas de sponsoring (publicité) mais on voyait ces pages partout. Je ne sais pas comment ils ont procédé. Moi je voyais quelque chose que je ne comprenais pas. Je voyais des pages qui se créaient aujourd’hui et le lendemain elles avaient déjà des milliers d’abonnés. Je trouvais ça bizarre. À chaque fois que j’allais sur Facebook via mon compte personnel on me suggérait de m’abonner à ces pages […] J’étais bombardé de vidéos de contestations, de manifestations et des vidéos de la chaine Al Jazeera aussi, la chaine des frères musulmans du Qatar… (Répondant 6).

Je me rappelle que lors d’une réunion le 12 janvier au siège du parti j’avais averti le […] du RCD à ce moment-là et je lui ai rapporté qu’il y avait quelque chose qui se préparait sur Facebook. Ce n’était pas normal […] J’avais proposé de constituer une équipe de veille sur Facebook pour comprendre ce qui se passait. Le […] du parti m’avait répondu texto : « Froukh Facebook, ma3andhom win youslou » (des enfants qui s’amusent, ils n’iront pas très loin) … Je savais au fond de moi-même que ce n’était pas quelque chose à prendre à la légère,

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quelque chose était en train de se préparer ... Plus tard on a su que les blogueurs et les soi-disant cyberactivistes ont été formés aux USA [sic] chez […] et autres ONG américaines comme […] et que ce n’était pas du tout un mouvement spontané, mais plutôt un complot. Donc je pense réellement que Facebook a joué un rôle important dans ce complot contre la Tunisie (Répondant 6).

L’analyse des entretiens révèle tout d’abord que les stratèges qui soutenaient le régime de Ben Ali avant la révolution ont un point de vue totalement opposé aux autres membres de notre échantillon. Progressivement, au fil des entretiens, nous avons perçu que leur forte réticence face à la révolution était idéologique puisqu’ils considèrent qu’un complot contre la Tunisie s’est concrétisé. Cette conception teinte leur vision du rôle des médias socionumériques qui, dans ce contexte, auraient été déployés dans l’objectif de manipuler l’opinion publique. L’un des répondants explique ainsi cette logique :

[c]omme je l’ai dit, ce qui s’est passé en Tunisie était planifié et bien organisé et Facebook a été le moyen efficace pour manipuler les gens, pour jouer sur leurs émotions et pour propager des rumeurs. Ce qui s’est passé n’était pas du tout spontané... Tu trouvais par exemple la même vidéo qui était diffusée simultanément sur cinq ou six pages Facebook différentes avec le même titre orienté et qui jouait sur les émotions des gens. Par exemple, je voyais sur Facebook une vidéo qui montre que dans mon quartier à […] il y avait une grande manifestation suite à la mort d’un enfant tombé sous les balles des forces de l’ordre. Alors que réellement il n’y avait rien de tout ça. Tout était inventé de toutes pièces, les titres des vidéos étaient trompeurs ... beaucoup de rumeurs, beaucoup d’intox, de fausses informations et de manipulation qui ont même été reprises par les médias qui ont eux aussi contribué à ce complot comme la chaine des frères musulmans Al-Jazeera (Répondant 6).

Ainsi, selon ces stratèges cyber-pessimistes, les médias socionumériques ont été les outils tactiques d’un complot étranger. Toutefois, malgré le négationnisme de certains répondants, la grande majorité des stratèges de notre échantillon (20 sur 27) croient que les médias socionumériques disposaient effectivement de potentialités démocratiques. Ces potentialités auraient largement contribué à donner forme à la configuration du mouvement contestataire et auraient favorisé sa réussite amenant une grande partie d’entre eux à qualifier cet évènement de « révolution Facebook ».

4.3 Révolution Facebook ? Entre mythe et réalité

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Analysant ainsi le potentiel révolutionnaire des médias socionumériques largement mobilisés dans le mouvement tunisien, Hastings (2016 : 21) a relevé trois séries d'effets propres à l’idée de la révolution numérique : des effets de mobilisation et de coordination, des effets d’accélération et des effets de sentimentalisation et de spectacularisation. Cinq facteurs auraient contribué à pousser observateurs, médias et commentateurs à associer le soulèvement tunisien à une « révolution numérique ».

Premièrement, notons l’usage abondant du numérique dans cet évènement qui a permis de diffuser l’information, de coordonner les actions et de mobiliser les citoyens. Deuxièmement, l’accent mis sur le rôle joué par une nouvelle génération composée de blogueurs, de cyberdissidents et d’administrateurs de pages Facebook dans la mise en œuvre du processus révolutionnaire. Troisièmement, l’arrestation de plusieurs cyberactivistes le 6 janvier 2011 illustrant l’anxiété du régime vis-à-vis d’un espace numérique devenu incontrôlable (Lecompte 2013a : 172). Quatrièmement, le rapport privilégié entre les cyberactivistes et les journalistes étrangers (Lecompte 2013a : 172 ; Zayani, 2015 : 184). Finalement, l’intervention de plusieurs cyberactivistes dans les médias étrangers pour illustrer l’importance révolutionnaire de l’Internet en Tunisie (Lecomte, 2013a : 173). Tous ces facteurs que nous avons également relevés dans les propos des stratèges actifs lors de la révolution ont contribué à donner naissance au mythe d’une « révolution numérique » en Tunisie. Ces « aspirations romantiques » (Desrumaux, 2016 : 18) avancées artificiellement par le monde médiatique ont été remises en question par plusieurs chercheurs dont Ayari qui a estimé que « les discours qui réduisent la révolution tunisienne à une « révolution Facebook » demeurent à bien des égards mus par les fantasmes technophiles et néo-libéraux de la « démocratie 2.0» » (2011 : 56).

Toujours dans l’objectif d’étudier les croyances et les valeurs des stratèges vis-à-vis du rôle du numérique dans la révolution tunisienne, nous avons tenté de savoir si selon eux la révolution aurait pu réussir sans l’existence des médias socionumériques. En d’autres termes, il s’agit de vérifier si cette communauté de stratèges adhère à un certain déterminisme technologique qui aurait tendance à assimiler le rôle des médias socionumériques à un

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vecteur de la révolution de 2011. Deux des interviewés n’ont pas souhaité répondre à cette question.

L’analyse du récit des répondants indique que plus de la moitié des stratèges interviewés (15 sur les 25 répondants) dont la majorité est constituée de porte-voix et de cyberactivistes, considèrent que les médias socionumériques, et principalement Facebook, sont la cause de la réussite de la révolution. Ces derniers affichent clairement leurs convictions quant au fait que la révolution politique en Tunisie a été stimulée grâce à une campagne numérique forte

Ils ont permis d’internationaliser le mouvement et de montrer au monde qu’en Tunisie il y a eu une révolution. Les médias français ont parlé de ça [sic], même la chaine américaine CNN en a parlé. Sans les réseaux sociaux [sic] personne n’aurait su qu’il se passait quelque chose en Tunisie ... Je ne pense pas réellement que la révolution aurait réussi sans les réseaux sociaux [sic] (Répondant 12).

Cinq autres rapportent que les médias socionumériques ont contribué à la réussite de la révolution, alors que les cinq derniers indiquent que la révolution pouvait très bien réussir sans leur existence et insistent plutôt sur la contestation physique ainsi que sur les conditions sociopolitiques qui ont poussé les citoyens à descendre dans les rues comme étant les facteurs déterminants de la chute du régime Ben Ali.

Discussion

Nous avons tenté dans ce chapitre de déterminer l’appartenance des stratèges au groupe des cyber-optimistes ou des cyber-réalistes en fonction de leurs perceptions du rôle des médias socionumériques lors de la révolution. Cette conception du rôle de la communication numérique est alimentée par leurs expériences passées, leur degré d’implication et leur position par rapport à la révolution. Le récit des répondants – nourri de leurs propres expériences en 2011 – nous a permis de faire un constat qui se résume en deux points essentiels.

Premièrement, les propos des stratèges qui ont pris part à la révolution – principalement les cyberactivistes et à un degré moindre les porte-voix – semblent confirmer globalement les données empiriques issues des travaux antérieurs sur le rôle du numérique lors de la

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révolution tunisienne (Zayani, 2015; Howard et Hussain, 2013; Breuer et al, 2015; Poell et Darmoni, 2012; Zarrad, 2013; Lecompte, 2011, 2013a; Lotan et al., 2011).

Selon nos répondants, le numérique a été mobilisé dans le soulèvement tunisien pour contourner les médias traditionnels nationaux sous l’emprise du régime et pour contrecarrer la propagande étatique et la désinformation pratiquée par celui-ci. Outre son rôle dans l’affaiblissement du régime médiatiquement, les répondants mettent l’accent sur le phénomène de viralité et de circulation rapide de l’information – parfois à forte charge émotionnelle – largement opéré lors du mouvement. La plateforme Facebook aurait été mobilisé à travers une logique d’hybridité (Chadwick, 2013) assurant ainsi la propagation du mouvement révolutionnaire et son développement au niveau national et international en s’associant à la chaine Al-Jazeera. Les stratèges indiquent que Facebook a constitué un espace d’échange d’informations permettant l’organisation des mouvements de contestation et leur coordination par les cyberactivistes grâce à des pages d’influence et des groupes tout au long du processus révolutionnaire. Les discussions et les échanges effectués sur Facebook auraient contribué à nourrir l’indignation des citoyens en les incitant à rejoindre les manifestations. Dans cette perspective, c’est surtout la plateforme Facebook, à travers les pages populaires, qui est avancée par la majorité des répondants comme un moyen de résistance et de lutte grâce à laquelle les cyberactivistes ont pu sensibiliser et inciter les citoyens à rejoindre les manifestations.

Deuxièmement, nous relevons sans surprise qu’une grande partie des répondants sont des cyber-optimistes. 20 sur les 27 stratèges estiment que les médias numériques disposaient de potentialités démocratiques lors de la révolution. Plus encore, 15 sur 25 adhèrent à un argument déterministe d’un point de vue technologique qui suggère que le numérique serait la cause principale de la réussite de la révolution de 2011. Chez ces stratèges, Facebook et Twitter sont décrits comme les « moteurs de la révolution » et la révolution tunisienne est qualifiée de « révolution Facebook ». Ceci étant dit, la plupart des répondants ont tendance à surévaluer la place des médias socionumériques dans la révolution tunisienne. En effet, nous observons une tendance claire à exagérer parfois l’impact de ces espaces. Cette tendance paraît être caractéristique de la

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plupart des stratèges numériques dans le monde, qui ont tendance à surestimer l’attractivité des médias socionumériques et à sous-estimer l’usage effectif des médias traditionnels par exemple.

Malgré cet enthousiasme, certains stratèges sceptiques, dont certains militaient au sein de l’ancien régime, ne partagent pas ce point de vue. Bien que représentant une minorité au sein de l’échantillon (3 sur 27), ces cyber-pessimistes évoquent plutôt un côté obscur des médias numériques qui s’articule autour de la manipulation de l’opinion publique et de la diffusion de fausses informations. Ces stratèges perçoivent les médias socionumériques plutôt comme des outils déployés pour induire en erreur les Tunisiens dans le cadre d’un projet de complot régional qui aurait débuté en Tunisie. Les teneurs de cette thèse complotiste font aujourd’hui tous partie de la formation politique au pouvoir Nidaa Tounes.

Ainsi, il apparaît dans le cas tunisien que la position des stratèges sur le continuum pessimiste-optimiste semble déterminée par deux points principaux :

1- La position politique au moment de la révolution (proche ou éloigné du pouvoir).

Les stratèges les plus pessimistes étaient des membres de l’ancien régime, alors que ceux plus optimistes penchent davantage vers la révolution et appartiennent aujourd’hui en majorité à des formations politiques pro révolution comme le Courant Démocrate, le Mouvement Tunisie Volonté et le Front Populaire. Ces constatations laissent penser que la perception des stratèges est davantage idéologique et est liée au positionnement de ces acteurs par rapport aux événements de la révolution.

2- Le degré d’implication des répondants dans le mouvement.

L’étude révèle que la majorité des stratèges optimistes ont été actifs lors de la révolution en tant que cyberactivistes (sept sur 20) et en tant que « porte-voix » (huit sur 20). En revanche, la majorité des stratèges critiques envers le potentiel démocratisant des médias socionumériques (sept sur 27) n’avaient aucun engagement dans le mouvement (quatre étaient spectateurs des évènements et deux n’avaient aucune action).

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Ainsi, nous relevons que plus les répondants ont été impliqués dans le mouvement révolutionnaire et plus ils sont optimistes envers le rôle du numérique.

Pour ce qui est de leurs profils archétypaux, sans surprise, les cyber-réalistes et les cyber- pessimistes sont des Apparatchiks (4 sur 7) et des Communicantes (3 sur 7), tandis que les Technos sont tous des cyber-optimistes.

Ainsi, l’optimisme de la grande majorité des stratèges de notre échantillon semble rejoindre les conclusions de Howard (2006 : 51) qui, dans un contexte différent, a révélé l’enthousiasme remarquable des équipes de campagne vis-à-vis du numérique et son rôle démocratisant. Un enthousiasme qui renvoie à une forte croyance en la révolution numérique et en la révolution technologique de manière générale fortement ancrée parmi cette communauté (Howard, 2006 : 51; Greffet et Giasson 2018 : 7). Néanmoins, cette perception positive du rôle du numérique dans ce cas tunisien se maintient-elle sept ans après, dans un cadre institutionnel de compétition électorale et d’exercice de la démocratie ?

Le prochain chapitre marque ainsi le passage d’un cadre révolutionnaire à un cadre électoral. Nous verrons si le changement de contexte modifie la perception des stratèges à l’égard du numérique. Nous tenterons de savoir si les stratèges s’imprègnent des pratiques de la révolution dans l’élaboration de la stratégie numérique de leurs partis politiques pour les élections municipales de 2018. Le cas de la Tunisie, qui a connu la transition « révolution- élections » réussie au temps des médias socionumériques, permettra d’identifier si les pratiques qui ont marqué la révolution de 2011 influencent les stratégies numériques des formations politiques en 2018. Quelles sont les traces laissées par la révolution dans la vie démocratique tunisienne ?

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Chapitre 5. Les pratiques de la révolution dans les stratégies numériques des formations politiques tunisiennes

« Le souffle révolutionnaire est toujours présent aujourd’hui dans notre utilisation de Facebook » (Répondant 26).

Après avoir analysé le profil sociodémographique des stratèges numériques de notre échantillon et ayant relevé leur optimisme à l’égard du rôle politique du web, nous proposons dans le présent chapitre de déterminer, dans un premier temps, si l’optimisme des stratèges s’est maintenu sept ans après dans un contexte démocratique de compétition électorale. Dans un deuxième temps, nous tentons d’identifier les résidus de la révolution dans l’espace numérique tunisien. Enfin, dans un troisième temps, nous cherchons à comprendre dans quelle mesure les stratèges s’imprègnent des pratiques de la révolution de 2011 dans l’élaboration des stratégies numériques de leurs formations politiques lors des élections municipales de 2018.

5.1 Du mythe à la réalité : de la révolution numérique à « la guerre » numérique

Dans le chapitre précédent nous avons relevé que 74% des répondants (20 sur 27) estiment que les médias socionumériques disposaient de potentialités démocratiques lors de la révolution. Cependant, cet optimisme l’égard du numérique semble ne pas se maintenir dans un contexte de compétition électorale et d’exercice de la démocratie. L’analyse des entretiens indique que près de la moitié des stratèges cyber-optimistes (neuf sur 20) estiment que ces outils représentent désormais un danger pour la jeune démocratie tunisienne.

Sept ans après la révolution, ces stratèges, qui appartiennent majoritairement à la catégorie des Apparatchiks et des Communicantes, abordent désormais le numérique avec plus de prudence et de retenue. Au total, 16 répondants sur 27 considèrent que tout compte fait, les médias socionumériques n’ont pas en soi un potentiel démocratique dans ce nouveau contexte. Cette proportion est composée de 13 cyber-réalistes et de 3 cyber-pessimistes. Les cyber-réalistes constituent désormais la majorité. À l’opposé, 11 répondants sur 27

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demeurent cyber-optimistes face aux conséquences démocratisantes de la révolution dans l’organisation des élections municipales (graphique 5.1).

Graphique 5.1 Perception du rôle du numérique de la révolution aux élections

Les stratèges désormais cyber-réalistes émettent des réserves profondes et soulèvent des dérives sérieuses dans les usages des outils numériques en Tunisie post-révolution. D’une source d’information fiable, d’un espace de dialogue et de mobilisation menant à une « révolution numérique », ces outils seraient devenus des « armes » aux mains de différents courants politiques qui mèneraient une « guerre » numérique. Pour eux, les campagnes de désinformation et de dénigrement administrées par les « armées de trolls » et les pages Facebook influentes ciblant les adversaires politiques s’inscrivent dans ce contexte. En passant de la révolution aux élections, le changement de la perception du potentiel démocratisant du numérique et de son rôle politique est manifeste dans leur discours :

Les réseaux sociaux [sic] ont joué un rôle positif pendant la révolution, mais ont joué un rôle très négatif après celle-ci. Facebook est passé d’un espace de communication, de dialogue, d’interaction, de diffusion d’idées et d’articles à une source de rumeurs, de violence et de diffamation. Les trucages Photoshop et les montages vidéo sont utilisés pour manipuler les citoyens. Sans oublier les

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faux comptes, l’usurpation d’identité et le piratage. On a vu un côté très négatif de Facebook et comment il pouvait devenir dangereux d’une période à une autre (Répondant 8).

Ce scepticisme à l’égard du numérique dans la réalité politique tunisienne actuelle n’est pas l’apanage des seuls stratèges, mais a été soulevé également dans les travaux de plusieurs chercheurs (voir Ben Abdallah, 2013a; Ben Jedira, 2013 : 108; Ghosn et Lahouij, 2013; Hammami, 2017; Lynch, 2015; Triki, 2013). Des travaux qui soutiennent que la plateforme Facebook en Tunisie s’est transformée après la révolution en une sorte d’arène « d’une cyberguerre politique de l’ombre » (Hached, 2016 : 163) où différents courants politiques s’affrontent en vue d’influencer l’opinion publique. Ce basculement dans les usages est dû d’après Ben Abdallah (2013b : 304) et Ben Saad-Dussaut (2015) aux anciennes rivalités idéologiques qui ont refait surface quelques semaines après la révolution et qui perdurent jusqu’à ce jour entre la gauche, les libéraux et les sécularistes d’un côté et les islamistes pro- Ennahdha de l’autre. Les prémices de cette fracture au sein du cyberespace tunisien et la question du rapport entre politique et religion s’accentuent à l’approche des échéances électorales (Ben Abdallah, 2013b : 304; Ben Saad-Dussaut, 2015), engendrant des accusations et des attaques virulentes entre ces différents courants politiques. Dans une société où certains discours mêlent le politique et le religieux, les médias socionumériques investis par des cyberactivistes – appartenant à des groupes idéologiques partant de la gauche la plus radicale aux groupes salafistes et d’extrême droite – auraient eu un effet amplificateur et relativement dangereux selon Hached (2016 : 165). Les propos de Marc Lynch (2015) sont catégoriques à cet effet : les médias socionumériques après la révolution ont alimenté les divisions idéologiques, les rivalités entre les mouvements politiques et ont favorisé les conflits et les profonds désaccords sur l’identité nationale en Tunisie.

La vaste majorité des stratèges cyber-réalistes pointent du doigt les pages Facebook anonymes mobilisées par les courants politiques et les considèrent comme la cause principale de la dégradation de l’environnement politique en Tunisie post-révolution. L’un des stratèges déclare :

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[m]alheureusement Facebook est devenu aujourd’hui un moyen pour orienter l’opinion publique. Certains courants politiques font des campagnes de dénigrement contre des personnalités politiques en particulier […] Ceci est une réalité! On a vu apparaître des pages Facebook spécialisées dans la diffusion de fakenews et de rumeurs. Après 2011, Facebook n’a plus cette noble tâche qu’il avait auparavant comme encourager la liberté d’expression, le dialogue constructif et le respect de l’autre. Tout cela a disparu après 2011 (Répondant 26).

Ce phénomène des pages Facebook nous a poussé à creuser la question pour deux raisons : compte-tenu de l’insistance des stratèges sur l’importance de cette situation en Tunisie d’une part, et le peu d’explications accordées à ce phénomène dans les travaux scientifiques d’autre part.

5.1.1 Le déploiement des pages Facebook influentes par les formations politiques tunisiennes lors des campagnes électorales

Depuis la révolution de 2011, une multitude de pages Facebook ont vu le jour en Tunisie. Devenues très populaires, elles offrent aux internautes des contenus de toutes sortes. Certaines se limitent au divertissement alors que d’autres sont plutôt spécialisées dans les affaires publiques et politiques (Hammami, 2017 : 19). Elles jouent un rôle déterminant dans la médiatisation des différents mouvements politiques et civiques dans le cyberespace tunisien selon Ben Abdallah (2013 : 306) et Ghosn et Lahouij (2013 : 349).

Certaines de ces pages publiques25 – créées à l’origine pour informer les citoyens lors de la révolution – ont dévié de leur objectif initial dans ce contexte démocratique pour basculer peu à peu vers la diffusion de propagande partisane entraînant une polarisation idéologique (El Bour, 2013; Ghosn et Lahouij, 2013 : 350). Ces pages se sont spécialisées selon Ben Abdallah (2013 : 307) et Ben Jedira (2013b : 96, 110) dans des pratiques de désinformation

25 D’après Ben Saad Dussault (2015), certaines pages sont difficiles à identifier puisqu’elles font de la propagande de certains courants politiques sous des appellations qui paraissent neutres (pages qui traitent de l’actualité, du sport...). Ce serait principalement à travers ce genre de pages non identifiables que s’exercerait la fabrication de rumeurs et la manipulation de l’information d’après l’auteure.

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influencées souvent par des intérêts politico-idéologiques dans l’objectif de discréditer l’adversaire auprès de la population.

Les propos de la grande majorité de nos répondants devenus sceptiques rejoignent les conclusions des chercheurs (Ben Jedira, 2013 : 96; El Bour, 2013; Ghosn et Lahouij, 2013 : 350). Ils considèrent que le recours à ces pages par certains partis politiques et les pratiques qui en découlent seraient à l’origine de la fracture informationnelle qu’a connu le cyberespace tunisien post-révolution.

Les pages Facebook qui ont joué un rôle important lors de la révolution et qui étaient une source d’information fiable pour monsieur et madame tout le monde ont été récupérées par les islamistes juste après la révolution. Ils ont compris qu’en Tunisie, la politique ne pouvait se faire sans dominer les réseaux sociaux [sic]. Ils ont pu acheter des pages qui disposent d’une grande notoriété et c’est là qu’a commencé la désinformation sur Facebook (Répondant 14).

Le recours à des pages non-officielles est apparu comme une réalité chez certaines formations politiques principalement lors des campagnes électorales. Les propos d’un autre stratège semblent confirmer cela :

Le choix de la diffusion d’une information sur la page officielle du parti ou sur une page parallèle « amie », revient au chargé de la com digitale [sic] en fonction des circonstances. Parfois, certaines de nos publications sont diffusées sur des réseaux parallèles. Exemple : quand il s’agit d’informations non-officielles ou d’informations pas sures à 100% ou pour attaquer un candidat adverse. On ne peut se permettre de diffuser ça sur la page officielle du parti. Par contre, sur les pages parallèles c’est permis... (Répondant 16).

Les déclarations de ce répondant confirment que ces pages servent à diffuser de l’information parfois non fondée et à attaquer les adversaires politiques indirectement. Skander Ben Hamda, cyberactiviste qui a travaillé auparavant pour des partis politiques confirme que « les insultes et les rumeurs sont généralement relayées par des pages satellites qui appartiennent aux partis politiques. Elles prennent de l’ampleur du moment où on finance les publications » (Lafrance, 2018).

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D’autre part, l’analyse des entretiens indique que ces pages, qualifiées également de pages « amies » ou de pages « satellites » auraient un autre objectif qui consiste à appuyer certaines formations politiques lors des campagnes électorales. L’un des Technos-optimistes soutient que tous les partis politiques, y compris le sien, empruntent ce genre de pages pour donner une sorte de « coup de main » à la campagne officielle :

[i]l existe toute une campagne officieuse. Il y a des pages anonymes qui travaillent pour des partis ou des tendances politiques en particulier sans l’annoncer. C’est une très grande bataille de l’ombre qui se déroule sur le cyberespace et qui constitue un sujet tabou dont on ne veut pas trop parler. Tous les partis politiques recourent à ces moyens pour essayer de dominer Facebook. D’ailleurs on s’aperçoit très vite que telle page travaille pour le compte de tel parti ou de telle tendance politique selon l’orientation des publications et la cible de ses attaques (Répondant 18).

Des campagnes officieuses (non-officielles) semblent se tenir parallèlement aux campagnes officielles par le biais de ces pages dotées d’un nombre important d’abonnés selon les stratèges. Récemment, le chercheur Sadok Hammami (2019) est revenu sur les dernières élections de 2014 déclarant que « certains partis politiques et candidats ont eu recours à des pages Facebook d’actualité ou de divertissement pour faire leur promotion via du contenu sponsorisé ». Toutefois, bien que les stratèges sceptiques dénoncent ces pratiques et les dérives qui en découlent, certains d’entre eux semblent faire la sourde oreille lorsque ce genre de pages se déploient en faveur de leur parti politique. Sous prétexte d’être souvent attaqués, un Apparatchik admet profiter de l’activité de ces pages qui, selon lui, seraient gérées par des sympathisants qui agissent de leur propre gré. Il insiste sur le fait qu’il n’existe ni coordination avec sa formation politique ni stratégie déployée dans ce sens. Son parti n’aurait rien à voir avec ces pratiques.

Il est vrai qu’on profite de certaines pages et de certains groupes proches de nous supposés neutres et objectifs. Ils jouent un rôle important dans la diffusion de l’information mais en même temps on souffre des pages qui diffusent des rumeurs et de fausses informations et qui essayent de dénigrer l’image et la réputation de notre parti. On nous attaque beaucoup sur le Net avec des campagnes organisées pour discréditer les décisions du parti, ses politiques et ses points de vue. On se retrouve donc dans l’obligation de chercher ces pages, de les identifier et de riposter… (Répondant 2).

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Ainsi, plusieurs stratèges interrogés reconnaissent recourir à cette pratique en se positionnant toujours en tant que victimes. Ils se résigneraient donc à le faire puisque leurs adversaires le font et qu’ils seraient victimes de cette propagande sur Facebook. Ainsi, ils accusent leurs adversaires de recourir à la désinformation et au dénigrement par le biais de ces pages influentes, mais légitiment en revanche leur déploiement lorsqu’il s’agit de promouvoir le parti, de défendre ses positions et de riposter dans cet environnement qualifié de « guerre » numérique. Dans certains cas, ils rejettent la responsabilité sur les sympathisants sur lesquels ils n’auraient finalement aucun contrôle.

Par conséquent, une question demeure : ces pages sont-elles mobilisées dans le but de promouvoir les partis politiques à travers des campagnes parallèles, sorte de « coup de main » à la campagne officielle comme le soutiennent la majorité des Technos cyber- optimistes de notre échantillon de répondants, ou sont-elles plutôt mobilisées pour dénigrer les adversaires politiques comme le présument les cyber-réalistes ? Comment et à quel moment une campagne promotionnelle à travers ces pages peut-elle glisser vers une campagne de dénigrement et de désinformation organisée contre des adversaires politiques?

Il convient néanmoins de souligner que les pratiques de désinformation ne sont pas apparues dans un contexte de compétition politique et d’exercice de la démocratie comme l’affirment la majorité des stratèges. Ces pratiques semblent avoir existé même au temps de la révolution comme le soulève ce répondant :

Il ne faut pas non plus oublier qu’à cette époque il y a eu des usages de Facebook pour décrédibiliser la révolution par des rumeurs insensées servant à faire peur aux citoyens. Des campagnes de désinformation organisées. Le régime a eu recours à Facebook pour instaurer un climat de peur et de méfiance, afin que les gens restent chez eux. Tout cela pour discréditer la révolution afin que l’armée et la police s’emparent de la rue (Répondant 23).

Ces propos permettent de tempérer la vision très idéaliste de l’usage du numérique lors de la révolution soutenue par la majorité des stratèges.

5.1.2 Les « armées numériques »

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Selon la grande majorité de nos répondants cyber-réalistes, un conflit numérique existerait sur Facebook depuis la révolution de 2011. Au-delà de la mobilisation que génèrent les pages parallèles et anonymes, les formations politiques auraient constitué des « armées » d’internautes déployées pour attaquer et dénigrer leurs adversaires politiques.

L’anarchie totale s’est installée après la révolution. Certains partis politiques mobilisent des Facebookeurs [sic]. Leur rôle est de dénigrer, d’insulter les adversaires et de déformer la réalité...Notre page officielle est constamment exposée aux attaques organisées. Sur les 500 commentaires qu’on reçoit sur une publication c’est toujours les mêmes 10 faux profils qui insultent. Après avoir enquêté, nous avons découvert que c’était des campagnes structurées et bien organisées qui utilisaient le même message de dénigrement. Ce phénomène a été constaté quand ils ont fait campagne contre le leader [...], en dénigrant sa fille et son épouse, à travers des attaques personnelles qui touchent à la vie privée de [...] Cela a contribué à créer un environnement politique très malsain... Nous avons porté plainte contre certains comptes et pages Facebook (Répondant 25).

Selon ces stratèges, le recours aux armées de trolls est devenu très courant en Tunisie après la révolution et surtout à l’approche des élections. Combinée à la portée des pages anonymes, l’hyperactivité de ces trolls amènent nos répondants à adhérer à une perception négative du numérique et de son potentiel démocratisant. Cependant, bien que la majorité des stratèges dénoncent ce genre d’utilisation de Facebook en posant que leurs partis sont victimes de ces pratiques non éthiques, certains pensent qu’il est devenu nécessaire pour les partis de constituer des regroupements de militants en ligne. Deux raisons auraient encouragé les formations politiques à constituer ces regroupements de militants toujours mobilisés. Premièrement, ils permettent de mener une veille numérique efficace afin de défendre le message du parti en ligne ou de riposter à des attaques. Deuxièmement, ils aident à faire la promotion du parti, de ses listes électorales et de ses candidats. L’un de ces stratèges Technos déclare :

[l]orsqu’il y a une attaque contre nous, les jeunes du parti ripostent par les vidéos, les photos et les commentaires … On a une armée d’internautes qui travaillent avec nous pour promouvoir le parti et ses idées mais aussi pour contre-attaquer ... Je leur montre la page qui nous a attaqués et je les oriente sur la façon de faire (Répondant 20).

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Un autre Techno affirme : « Nous avons un groupe de personnes à l’interne prêts à liker [sic] et à commenter. On fait un bombardement [sic] de commentaires dans certains cas positifs et, dans d’autres, négatifs » (Répondant 22).

Dans ce contexte politico-numérique marqué par l’instantanéité, il n’est pas étonnant de voir que les stratèges s’accusent mutuellement de créer ce qu’ils qualifient d’« armées numériques ». L’un des stratèges d’une formation de l’opposition déclare :

[a]ujourd’hui, Ennahdha domine l’espace numérique en Tunisie. Ses militants sont mobilisés 24 sur 24 [sic]. Ils disposent de locaux spécialisés dans lesquels des salariés sont en veille permanente sur Facebook. Les campagnes qu’ils font pour dénigrer ou attaquer un parti ou une personnalité politique sont bien organisées ... La médiocrité des pratiques d’Ennahdha est sans limites (Répondant 23).

« Armée numérique des islamistes », « armée virtuelle », « cellules Internet », « armada d’administrateurs de pages Facebook », « milice du Net », ces expressions sont employées par des stratèges des formations d’opposition, des journalistes (Epelboin, 2011) et des chercheurs (Ben Saad-Dussaut, 2015; Hached, 2016; Triki, 2013 : 338) qui accusent Ennahdha d’avoir constitué une « armée » de trolls ayant pour objectif de dénigrer ses adversaires politiques. Néanmoins, nos entretiens soulèvent deux facteurs qui invitent à la prudence concernant ces déclarations. Tout d’abord, ces accusations proviennent d’adversaires politiques d’Ennahdha, qui sont eux-mêmes accusés en retour par les stratèges d’Ennahdha d’adopter ces pratiques. Deuxièmement, aucune étude empirique n’a montré que les formations politiques tunisiennes constituent bel et bien ces « armées » d’internautes. Cependant, notre analyse révèle que certains stratèges affirment constituer ce qu’ils appellent des « armées » de militants, des communautés en ligne ayant pour objectif de promouvoir leur parti et de « faire campagne ». Cela s’apparente d’ailleurs à ce que la recherche décrit sur les campagnes électorales numérique menées dans des démocraties occidentales établies. Ils accusent en revanche leurs adversaires politiques de constituer des « armées » de trolls pour dénigrer, insulter et diffamer. S’agit-il donc d’« armées » de trolls ou de communautés en ligne ? Les militants des uns deviennent-ils alors les trolls des autres ?

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En somme, les Technos-activistes admettent recourir aux pages anonymes influentes pour la campagne parallèle et développent des communautés en ligne pour la promotion de leurs activités. Cependant une question demeure : ces pratiques promotionnelles ne risquent-elles pas de basculer en pratiques diffamatoires ?

Au premier abord, un protocole méthodologique se limitant à des entretiens avec des stratèges ne permet pas d’apporter de réponses catégoriques à cette interrogation. Bien que l’anonymat des répondants soit assuré, il est peu probable que des stratèges admettent constituer des regroupements de militants devant dénigrer leurs adversaires politiques. Cependant, le cadre adopté dans notre étude reposant sur l’analyse des croyances des stratèges et leur perception du numérique dans les campagnes électorales permet de lever le voile sur certaines pratiques plus obscures des campagnes numériques. Cela permet d’apporter des éclaircissements sur des pratiques que les stratèges divulguent rarement. En justifiant leur scepticisme à l’égard du numérique dans le cadre de campagnes électorales et en exposant le côté sombre de leurs campagnes numériques, ils révèlent l’existence de certaines pratiques douteuses. Dans certains cas, des stratèges Technos admettent ouvertement prendre part à des « affrontements » entre militants à travers le déploiement de pages Facebook anonymes ou la constitution de ce qu’ils appellent « armées » numériques. Néanmoins, ces pratiques sont reconnues, justifiées et légitimées par les stratèges alors qu’ils se victimisent face aux attaques des partis adverses.

En définitive, il apparaît que le changement de contexte de la révolution aux élections semble avoir eu un impact sur la perception d’une grande partie des stratèges à l’égard du numérique. Alors que la majorité des répondants ont exprimé un optimisme envers le rôle des médias socionumériques lors de la révolution tunisienne, ce « romantisme numérique » est remis en question dans le contexte institutionnel de compétition politique puisque la majorité des stratèges sont devenu cyber-réalistes (16 sur 27).

Toutefois, il convient de retenir que la majorité des 11 répondants qui sont restés cyber- optimistes dans le contexte de démocratisation appartiennent en majorité à la catégorie des Technos (6 sur 11) dont la plupart étaient cyberactivistes lors de la révolution de 2011. Cet

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optimisme disproportionné à l’égard du web qui s’exprime par la croyance en la « révolution numérique » semble s’être maintenu dans les convictions de cette catégorie de stratèges qui évolue aujourd’hui au sein des partis politiques.

Par ailleurs, au-delà de l’impact qu’aurait eu le changement de contexte politique sur la perception d’une majorité de stratèges, la révolution tunisienne de 2011 animée par des pratiques numériques pourrait avoir laissé des résidus dans l’espace politico-numérique tunisien actuel.

5.2 Les résidus de la révolution dans l’espace numérique tunisien

Plusieurs points soulevés par les stratèges de notre échantillon laissent penser que des résidus de la révolution de 2011 seraient présents dans l’espace numérique tunisien actuel. Premier constat, la plateforme Facebook, espace central de mobilisation du soulèvement de 2011, représente aujourd’hui le principal support numérique mobilisé par les formations politiques pour faire campagne, voire le seul pour certains d’entre eux. Par ailleurs, le déploiement des pages Facebook influentes – qui se sont avérées être un produit de la révolution – a été identifié parmi l’un des résidus les plus évidents de la révolution.

5.2.1 Facebook comme principal espace numérique de campagne

D’après les stratèges rencontrés, Facebook serait la principale plateforme mobilisée aussi bien lors des campagnes électorales qu’entre les élections. Les éléments de réponse recensés dans le récit de l’ensemble des stratèges afin d’expliquer ce parti pris semblent être en lien avec la révolution. Les stratèges avancent que c’est en fonction des habitudes numériques des citoyens que se définit le choix du recours à une plateforme plus qu’une autre. Étant donné que la grande majorité des internautes Tunisiens sont présents sur Facebook depuis la révolution de 2011, les formations politiques n’ont eu d’autre choix que de s’adapter à cette réalité pour s’adresser au grand public : « les habitudes du Tunisien nous imposent de recourir à Facebook. On utilise d’autres réseaux sociaux [sic] comme Twitter, Instagram mais on les considère secondaires. Depuis la révolution, Facebook est restée la plateforme numéro 1. Qui dit réseaux sociaux [sic] dit Facebook en Tunisie » (Répondant 10).

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Ayant été la seule source d’informations non contrôlée par l’État au moment des évènements de 2011, Facebook aurait gagné la confiance d’une proportion importante de la population. De la révolution jusqu’à ce jour, Facebook représente « le » dispositif de la vie politique tunisienne (Ghosn et Lahouij, 2013 : 346; Hammami, 2017 : 9; M’rad 2015 : 117). L’un des stratèges déclare :

[l]a culture des réseaux sociaux [sic] en Tunisie est née avec la révolution et a connu un accroissement incroyable lors des premières élections de 2011. Même si les gens ne sont plus intéressés par la politique, ils sont restés fidèles à l’utilisation de Facebook. Depuis la révolution, Facebook est resté la première source d’information du Tunisien, bien avant la télé, la radio et la presse écrite ou électronique et ça c’est l’effet de la révolution (Répondant 18).

Ces affirmations doivent évidemment être tempérées puisque comme le soutient Zayani (2015 : 184), la télévision demeure le média le plus consommé par l’ensemble de la population en Tunisie.

Hammami (2016 : 46; 2017 : 11, 12) qui a réalisé une périodisation des usages de Facebook dans le contexte tunisien a distingué trois âges caractéristiques où chaque période renvoie à un type particulier d’usage dominant de Facebook. Il identifie en premier l’âge social avant la révolution, qui est dominé par des usages typiquement sociaux : interactions entre amis, parents, usages divertissants dans un contexte politique autoritaire. Deuxièmement, il cible l’âge révolutionnaire, qui débute au moment des évènements de 2011 et qui est dominé par la manifestation des internautes tunisiens comme sujets politiques concernés par les évènements contestataires. Finalement, le chercheur identifie un âge politique, toujours en cours et qui serait inspiré de l’âge révolutionnaire caractérisé par des usages de Facebook reposant sur la mobilisation citoyenne et la participation politique (Hammami, 2016 : 56; 2017 : 12).

5.2.2 Twitter, une plateforme marginalisée

Comparativement à Facebook, la plateforme de microblogage Twitter a été peu utilisée par les citoyens Tunisiens au moment de la révolution. C’est ce qui explique aujourd’hui, selon les stratèges, la faible présence et le peu d’activité de leurs formations politiques sur cette

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plateforme. Le chercheur Romain Lecomte (2011 : 19) souligne également cet aspect : « vu sa faible pénétration en Tunisie, Twitter n’a pas constitué comme Facebook un outil de propagation de l’information et du mécontentement à large échelle, au sein même du pays ». Lors de la révolution, l’utilisation de Twitter semble avoir été restreinte aux cyberactivistes, dotés de compétences numériques avancées. Ces derniers l’auraient mobilisé de manière stratégique pour s’adresser directement aux journalistes et aux médias internationaux (Lecomte, 2011; Poell et Darmoni, 2012).

Afin de justifier le peu d’intérêt accordé à cette plateforme, les stratèges avancent qu’en Tunisie, et ce depuis la révolution, l’image et la vidéo constituent des supports primordiaux pour s’adresser et communiquer avec les Tunisiens. Ils estiment que la configuration technique de Twitter qui se limitait à l’époque à 140 caractères était peu propice au partage de vidéos, d’images et d’articles. L’un de ces stratèges déclare : « lors des évènements de la révolution on avait besoin de voir des images et des vidéos, chose que Twitter ne permettait pas en 2011. Comme en 2011, Twitter est utilisé aujourd’hui par une élite et non par la population contrairement à Facebook ... » (Répondant 14). La plateforme ne serait pas adaptée, selon l’un des stratèges, à la politique de communication de son parti, qui reposerait essentiellement sur l’image et la vidéo.

Twitter ne s’adapte pas à la communication complexe d’un parti d’opposition de centre gauche qui nécessite beaucoup d’images, de vidéos, d’explications, beaucoup de réactions, de commentaires, d’arguments, de contre arguments et de discussions ... Quand on publie un communiqué, on doit suivre les réactions par la suite ... (Répondant 19).

Par ailleurs, la faible présence des journalistes et des leaders d’opinion Tunisiens sur Twitter expliquerait également l’usage moins fréquent de la plateforme par les partis politiques. Présenté dans la recherche occidentale sur les campagnes numériques comme l’un des atouts centraux de cette plateforme (voir entre autres Chacon et al., 2016; Jungherr, 2014; Theviot, 2018 : 142; Giasson et al., 2013; Alonso-Muñoz et al., 2017; Klinger et Russman, 2017), l’indifférence relative des journalistes envers Twitter semble plutôt la norme en Tunisie (El Bour, 2013 : 95, 100, 104). Cette réalité qui serait propre au contexte tunisien, aurait sans doute encouragé la marginalisation de la plateforme Twitter par les formations politiques.

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Les Tunisiens n’ont pas la culture Twitter puisque même les journalistes pour avoir une information concernant les partis; communiqué officiel, position sur une question se rendent sur les pages Facebook officielles des partis ... Contrairement à ce qu’on voit dans le monde, les journalistes en Tunisie sont plus présents sur Facebook que sur Twitter (Répondant 12).

En Tunisie, Twitter n’a pas les caractéristiques qu’il a dans d’autres pays. En France par exemple ou dans d’autres pays, la nouvelle émerge de Twitter et est relayée sur Facebook par la suite. Les leaders d’opinion sont sur Twitter ... En Tunisie, c’est l’inverse, les leaders d’opinion ont émergé sur Facebook depuis la révolution et y sont restés après celle-ci (Répondant 19).

Cependant, bien que cette particularité semble être une conséquence de la révolution et l’un de ses résidus dans la réalité politique tunisienne actuelle, il est important de nuancer les propos des stratèges concernant le faible intérêt accordé à la plateforme Twitter. Contrairement aux autres formations politiques, et bien que ses stratèges ne le déclarent pas ouvertement, le parti Ennahdha semble accorder de l’importance à cette plateforme. En plus de son compte officiel Twitter en langue arabe, Ennahdha détient un compte officiel en langue française et un autre en langue anglaise qui lui permettent de s’adresser directement aux journalistes et médias internationaux.

Ainsi, nous pensons que certains stratèges sous-estiment l’importance de Twitter non pas par choix stratégique comme ils le prétendent mais plutôt par nécessité, puisqu’ils ne disposent pas des ressources humaines ou financières nécessaires à son déploiement. Ils produisent peu de contenu original sur Twitter, privilégiant plutôt la liaison de leurs comptes Twitter à leurs pages Facebook afin que leurs publications Facebook apparaissent simultanément sur leurs comptes Twitter officiels. L’un d’eux explique : « on ne produit pas d’informations sur Twitter, notre compte Facebook est lié au compte Twitter car depuis la révolution, la majorité de la population est sur Facebook, et nous on cherche à s’adresser à la masse » (Répondant 16).

5.2.3 Le déploiement des pages Facebook influentes, un résidu de la révolution ?

Comme nos entretiens l’indiquent, des pages influentes, cruciales selon certains stratèges, seraient mobilisées aujourd’hui par la plupart des formations politiques en contexte électoral.

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Néanmoins, deux questions s’imposent face au contexte tunisien. Quelle est l’origine de l’émergence de ces pages tant sollicitées par les formations politiques et pourquoi ce phénomène demeure-t-il méconnu de la littérature académique ?

Le phénomène des pages Facebook a émergé selon Ben Abdallah (2013a : 128) depuis le début des évènements contestataires et particulièrement à partir du 17 décembre 2010. Ces pages ont été créées afin de contourner la censure médiatique imposée par le régime. Leur rôle consistait à couvrir les évènements de contestation en diffusant l’information à un large public (Ben Abdallah, 2013a; Ghosn et Lahouij, 2013 : 349). Brisant le blocus médiatique imposé par l’État, ces pages ont gagné la confiance des internautes en attirant un nombre important de visiteurs. Ainsi, la page « Ma Tunisie » comptait 913 457 abonnés et la page Tunisie », 889 997 abonnés (Ben Abdallah, 2013a; Ghosn et Lahouij, 2013 - ﺲﻧﻮﺗ - Tunisia » : 349; Hammami, 2016 : 49) alors que la Tunisie ne recensait que 2 579 920 comptes Facebook (Ben Abdallah, 2013a : 126). Jouant un rôle crucial dans la couverture des évènements de la révolution, ces pages sont devenues très populaires. Elles ont permis à leurs administrateurs sous couvert d’anonymat – cyberactivistes (connective leaders) – de s’imposer tantôt comme journalistes citoyens, tantôt comme organisateurs de manifestation, de sit-in et de toutes sortes de mobilisations collectives dont les appels à la grève générale du 14 janvier 2011 (Ben Abdallah, 2013a : 128; Ghosn et Lahouij, 2013 : 349). Des stratèges Techno-activistes interrogés pour cette thèse étaient eux-mêmes administrateurs de certaines de ces pages lors des évènements de 2011. Ils ont probablement redéployé ces pratiques de mobilisation dans un environnement politique conventionnel et institutionnel. La recherche confirme d’ailleurs, que les acteurs issus des mouvements sociaux tentent souvent d’adapter leurs pratiques numériques de mobilisation lorsqu’ils intègrent des formations politiques (Heavy et Rojas, 2015; Kitshelt, 2006 : 280; McAdam et Tarrow, 2010). En effet, quelques temps après la révolution, cette logique de création de pages Facebook a continué à émerger et les pages se sont multipliées dans le cyberespace tunisien. Certaines se sont même Union des pages de la) « دﺎﺤﺗإ تﺎﺤﻔﺻ ةرﻮﺜﻟا » proclamées protectrices de la révolution comme révolution) ou sa dérivée « Gardiens de la Révolution Tunisienne », considérées comme des pages pro-révolution (Ben Abdallah, 2013a : 128; Ben Jedira, 2013 : 96). L’importante audience de ce genre de pages (grâce à leur nombre d’abonnés) dépasse largement les pages

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officielles des formations politiques pour deux raisons. D’une part, à partir de 2011, les formations politiques indépendantes se sont créées et, d’autre part, elles jouissent de peu de crédibilité auprès des citoyens (Ghosn et Lahouij, 2013 : 349). Ainsi, plusieurs pages créées pendant la révolution qui ont permis aux internautes de se regrouper, de s’informer, de se mobiliser ont subséquemment été récupérées par les partis politiques compte tenu de leur succès auprès des citoyens (Ben Jedira, 2013 : 96; Ben Hamadi, 2011; Ben Abdallah, 2013a). Par exemple, « Kooora Tunisie26 », qui était initialement une page consacrée au football Les vérités cachées) sont devenues proches) ,« ﻖﺋﺎﻘﺤﻟا ﺔﯿﻔﺨﻟا » avant la révolution, et la page d’Ennahdha après le 14 janvier 2011 (Blaise, 2011; Ben Saad-Dussault, 2015; Foroudi, 2019).

Récupérées par les partis politiques depuis la révolution, ces pages devenues un important outil de communication parallèle permettent de toucher des citoyens non politisés. Elles paraissent neutres la plupart du temps, comme des pages d’actualités mais une stratégie communicationnelle semble être déployée pour atteindre des objectifs partisans. L’un des stratèges interrogés affirme que : « parmi les pages très influentes dont nous disposons, certaines ont été supprimées par Facebook, je parle de pages à 800 000 abonnés créées au moment de la révolution. On a aujourd’hui en tout 6 ou 7 pages proches du parti mais avec un nombre d’abonnés moins important » (Répondant 22).

De plus, les cyberactivistes de la révolution, connus initialement pour les lignes éditoriales contestataires de leur pages Facebook et qui sont devenus aujourd’hui les stratèges des formations politiques, continuent de gérer ces pages en parallèle des pages officielles de leurs formations politiques dans une logique que l’on pourrait qualifier d’hybride

26 La page Facebook « Kooora Tunisie » créée avant la révolution, avait comme objectif de diffuser des informations sur le football. Elle continue jusqu’à ce jour de jouer un rôle politique. La page a fait la promotion du candidat Kais Said, lors des dernières élections présidentielles de 2019. Pour en savoir davantage voir Foroudi, Layli (2019) « Tunisia’s newpresident : how memes and viral videos led to a “Robocop” revolution”.18 octobre, 2019. The Economist. Disponible en ligne : [https://www.1843magazine.com/1843/tunisias-new-president-how-memes-and-viral-videos-led-to-a- robocop-revolution?fbclid=IwAR0be61I0NhUJ9aZjdhQHv_hizo4d- 8TV7Mk_pm5Q7axDcKJ0XgMpqZHgtk]

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(Chadwick, 2013). Ce constat démontre que ces pages ne sont pas neutres idéologiquement, elles semblent plutôt suivre une ligne politique précise. L’un d’eux explique :

[i]l y a des gens en Tunisie qui ne me connaissent pas personnellement mais ils suivent les pages que je gère depuis la révolution, car ma ligne éditoriale révolutionnaire est bien connue et n’a pas changé. D’ailleurs, plusieurs autres grandes pages m’ont sollicité pour rejoindre leurs équipes d’administrateurs. À la fin je me suis retrouvé à gérer plusieurs pages en même temps dont les pages officielles de mon parti (Répondant 22).

Cette logique qui s’articule autour du recours à des pages de soutien aurait vu le jour avec la révolution en Tunisie et serait devenue désormais une réalité à part entière dans l’espace numérique tunisien. Certaines formations politiques disposeraient d’une panoplie de pages qui auraient pour objectif de les appuyer et de les soutenir lors des échéances électorales. Pour plus de détails sur cet aspect, voir le rapport27 de « monitoring des campagnes électorales sur les médias sociaux » lors des élections législatives de 2019 réalisé par l’Association tunisienne pour l’intégrité et la démocratie des élections (ATIDE) et l’ONG Democracy Reporting International (DRI).

Cette approche qui semble être intégrée dans la stratégie numérique de certaines formations représente un résidu de communication politique important de la révolution de 2011. C’est ce qui expliquerait pourquoi ce phénomène est relativement méconnu de la littérature académique. Toutefois, étant donné que l’administration de ce genre de pages Facebook demande une organisation particulière et un personnel à part, certaines formations politiques laisseraient une autonomie et une liberté aux militants et aux sympathisants pour leur gestion. Nous y reviendrons.

27Le rapport soutient que lors des élections législatives de 2019, un nombre important de pages Facebook (environ 290) ayant une audience importante (entre 40 mille et un million) ont été actives et engagées dans la vie politique. 40% d’entre elles n’affichaient aucune affiliation politique. Les analyses de monitoring ont montré que ces pages Facebook ont généré à elles seules les 2/3 de tous les contenus politiques avec des similitudes dans les contenus publiés par plusieurs de ces pages, preuve qu’une coordination existe entre les administrateurs (Hammami, 2020 : 152). Une fois la campagne terminée, une grande partie de ces pages sont désactivées momentanément le temps de supprimer tout le contenu politique et reprennent quelque temps après leurs activités habituelles : le divertissement, l’actualité et même le fact checking (Hammami, 2020 : 152; Sghaier, 2019; Ben Hamadi, 2019). Rapport disponible en ligne : [https://democracy-reporting.org/wp- content/uploads/2020/02/DRI-SMM-Report-EN-Web.pdf]

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En somme, nos entretiens indiquent que des résidus de la révolution de 2011 marquent l’espace numérique politique tunisien. Il serait intéressant de s’interroger sur l’éventuelle influence de la révolution – à travers ses pratiques numériques – sur les stratégies des formations politiques pour les élections municipales de 2018. Les Technos, ces cyberactivistes de la révolution, dotés d’expérience en mobilisation collective, ont-ils intégré les pratiques numériques de la révolution dans l’élaboration des stratégies électorales de leurs formations respectives?

5.3 Les sources d’inspiration des stratèges dans l’élaboration des stratégies numériques

Dans l’objectif de déterminer l’éventuelle influence de la révolution sur les stratégies numériques des formations politiques de notre échantillon, nous avons cherché à savoir dans quelle mesure les stratèges s’inspirent de ses pratiques dans l’élaboration de la stratégie numérique pour les élections municipales. Le graphique suivant illustre les différentes sources d’inspiration recensées dans le récit des stratèges :

Graphique 5.2 Sources d’inspiration des stratèges

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Le récit des répondants indique que 14 stratèges sur 27 ne s’inspirent pas des pratiques numériques de la révolution. Huit sont issus des partis au pouvoir (Ennahdha et Nidaa Tounes) et huit appartiennent à la catégorie des Apparatchiks. Comme le déclare l’un de ces Apparatchiks que nous avons rencontrés : « la révolution c’est une page tournée et ça fait partie du passé » (Répondant 5). Ces derniers mettent en avant le nouveau contexte politique démocratique : « aujourd’hui le contexte est autre. On ne s’inspire pas du tout de ce qui s’est passé lors de la révolution puisque l’environnement est totalement différent, les objectifs recherchés sont différents » (Répondant 3).

Trois sur les cinq stratèges du parti Nidaa Tounes disent s’inspirer des pratiques du RCD, parti de l’ancien régime de Ben Ali dissout après la révolution. Ces pratiques s’articulent autour de l’importance consacrée au rôle des coordonnateurs régionaux et locaux implantés dans toutes les circonscriptions, les municipalités et les districts du territoire tunisien. Au- delà de la collecte d’informations sur les citoyens et la constitution de base de données artisanale, les coordonnateurs assurent un contact direct, personnalisé et constant avec les habitants des municipalités dans lesquels Nidaa Tounes est présent.

Une grande partie des stratèges d’Ennahdha (3 sur 4) semblent s’imprégner de campagnes numériques réalisées à l’international. En effet, les stratèges des partis (Ennahdha et Nidaa Tounes) et une partie des stratèges du parti Afek Tounes considèrent ce qui vient de l’« étranger » et de l’Occident comme une source de modernité et d’innovation. Ces conclusions rejoignent d’ailleurs les propos d’Anaïs Theviot (2019 : 87) qui estime que l’étranger paraît souvent comme gage de réussite et d’innovation pour les stratèges numériques au sein des partis politiques qui considèrent l’expertise américaine comme la référence à suivre. En Tunisie, pour ces formations politiques, la référence en termes de campagne numérique serait les modèles français, allemand et canadien.

D’un autre côté, 13 sur les 27 répondants (48%) disent s’inspirer de pratiques numériques de la révolution dans leurs usages électoraux des plateformes en ligne (graphique 5.2). Parmi ces 13 stratèges, huit sont cyber-optimistes (de la révolution aux élections) et 12 appartiennent aux formations alternatives de l’opposition de gauche et du centre (Front

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Populaire, Courant Démocrate, Mouvement Tunisie Volonté et Afek Tounes) (graphique 5.3).

Graphique 5.3 Nombre des stratèges inspirés de la révolution par formation politique

Des trois profils archétypaux présentés au chapitre 3, ce sont les Technos (quatre sur six) ainsi que les cyberactivistes (cinq sur sept) et les porte-voix (six sur neuf) qui seraient les plus influencés par les pratiques révolutionnaires (rappelons que cinq sur les six stratèges Technos, ont été cyberactivistes lors de la révolution, nous les avons qualifié de Techno- activistes).

Le tableau 5.1 suivant présente une vue d’ensemble sur les différentes positions et perceptions des stratèges par formation politique (dans un contexte révolutionnaire et dans un contexte démocratique) ainsi que leurs différentes sources d’inspiration dans l’élaboration des stratégies numériques pour les élections municipales.

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Tableau 5.1 Profils, perceptions et sources d’inspiration des stratèges de la révolution aux élections Contexte révolutionnaire Contexte démocratique post-révolution Partis Rôle dans la Perception du Profil Perception du politiques révolution rôle du archétypal rôle du Source d’inspiration numérique numérique Ennahdha Porte-voix Cyber-optimiste Apparatchick Cyber-réaliste Modèles étrangers

Spectateur Cyber-optimiste Apparatchick Cyber-réaliste Recherche scientifique Aucune action Cyber-réaliste Apparatchick Cyber-réaliste Modèles étrangers Porte-voix Cyber-optimiste Techno Cyber-optimiste Modèles étrangers

Nida Aucune action Cyber-pessimiste Apparatchick Cyber-pessimiste Ancien régime Tounes Spectateur Cyber-pessimiste Communicante Cyber-pessimiste Ancien régime

Cyberactiviste Cyber-optimiste Techno Cyber-optimiste Révolution Partis au pouvoir au Partis Spectateur Cyber-pessimiste Communicante Cyber-pessimiste Ancien régime Spectateur Cyber-réaliste Apparatchick Cyber-réaliste Modèles étrangers Porte-voix Cyber-optimiste Apparatchick Cyber-réaliste Révolution Afek Spectateur Cyber-optimiste Apparatchick Cyber-optimiste Modèles étrangers Tounes Porte-voix Cyber-optimiste Communicante Cyber-réaliste Révolution Porte-voix Cyber-optimiste Communicante Cyber-optimiste Révolution Cyberactiviste Cyber-optimiste Apparatchick Cyber-optimiste Révolution Spectateur Cyber-optimiste Communicante Cyber-réaliste Modèles étrangers MTV Porte-voix Cyber-optimiste Apparatchick Cyber-optimiste Révolution Cyberactiviste Cyber-optimiste Apparatchick Cyber-réaliste - Cyberactiviste Cyber-optimiste Techno Cyber-optimiste Révolution

Spectateur Cyber-optimiste Apparatchick Cyber-optimiste Révolution Courant Cyberactiviste Cyber-optimiste Techno Cyber-optimiste - démocrate Cyberactiviste Cyber-optimiste Techno Cyber-optimiste Révolution

Formations d'opposition Formations Cyberactiviste Cyber-optimiste Techno Cyber-optimiste Révolution

Spectateur Cyber-optimiste Apparatchick Cyber-réaliste - Front Porte-voix Cyber-optimiste Apparatchick Cyber-réaliste Révolution Populaire Porte-voix Cyber-réaliste Communicante Cyber-réaliste Modèles étrangers Porte-voix Cyber-optimiste Communicante Cyber-réaliste Révolution

Spectateur Cyber-réaliste Apparatchick Cyber-réaliste Révolution

Le Front Populaire, le MTV et le Courant Démocrate sont les formations politiques qui revendiquent ouvertement une identité révolutionnaire et prônent la réalisation des objectifs de la révolution de 2011 dans leurs programmes électoraux et dans leur discours politique officiel (Allal et Geisser, 2019 : 35; Boileau, 2018; Nafti, 2019 : 213). Au-delà de cette identité révolutionnaire assumée, le récit de la majorité de leurs stratèges indique que la stratégie numérique de leur formation serait inspirée de pratiques numériques déployées pendant le soulèvement. En ce sens, ils soutiennent que le processus révolutionnaire a de l’impact sur la communication partisane numérique adoptée aujourd’hui dans le cadre de campagnes électorales : « la vague révolutionnaire qui s’est développée le 14 janvier 2011 demeure le moteur des utilisations des réseaux sociaux [sic] pour nous » répond un stratège appartenant à l’une de ces formations de gauche (Répondant 27).

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Bien que le parti Afek Tounes (centre-droit) ne revendique pas une identité révolutionnaire, il soutient néanmoins la révolution et l’atteinte de ses objectifs (Boileau, 2018). Quatre de ces six stratèges ont d’ailleurs indiqué s’inspirer des pratiques révolutionnaires dans l’élaboration de la stratégie numérique du parti (tableau 5.1).

La figure 5.1 illustre le positionnement des partis politiques à l’égard de la révolution. Les formations politiques pro-révolution (Front Populaire, MTV et Courant Démocrate) et soutenant la révolution (Afek Tounes) sont respectivement des formations de gauche, de centre-gauche (sociales-démocrates) et de centre-droit. Tandis que les partis qui adoptent un positionnement critique à l’égard de la révolution (l’alliance Nidaa Tounes et Ennandha) sont de droite.

Figure 5.1 Positionnement des formations politiques à l’égard de la révolution en 2018

Toutefois, bien que les stratèges Technos-activistes des formations de tendance gauche considèrent ces pratiques numériques comme des pratiques « innovantes », il n’en demeure pas moins que des stratèges Apparatchiks et Communicantes appartenant à ces mêmes formations s’imprègnent aussi de campagnes numériques de partis de gauche à

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l’international. Exemple, la campagne de Jean Luc Mélenchon en France ou la campagne de Podemos en Espagne.

On s’inspire de la campagne de Jean-Luc Mélenchon qui utilise beaucoup les médias sociaux. Sa relation assez tendue avec les médias traditionnels ressemble à la nôtre. On est diabolisés par les médias. Mélenchon a réussi à faire une révolution dans son utilisation des médias sociaux (Répondant 25).

Quatre des stratèges du parti Afek Tounes qui ont participé à la révolution disent s’inspirer de ses pratiques numériques, alors que leurs collègues qui ont plutôt été « spectateurs » des événements s’inspirent davantage d’expériences internationales en termes d’organisation de campagnes électorales (tableau 5.1).

Ces divergences observées parfois au sein des mêmes équipes de campagne invitent à relativiser l’influence des pratiques de la révolution sur l’élaboration des stratégies numériques. Elles suscitent d’ailleurs des interrogations sur la cohérence de la mise en œuvre de ces stratégies. Ainsi, il est difficile de trouver un consensus entre les stratèges d’une même formation politique. Seul le parti islamo-conservateur Ennahdha semble faire exception. Le récit de tous ses stratèges est cohérent. Aucun d’entre eux n’indique être inspiré des pratiques numériques de la révolution. Ce constat démontre le contrôle et la rigidité de l’organisation hiérarchique de cette formation politique traditionnelle conservatrice qui reste, de loin, la plus disciplinée en Tunisie. Une qualité que ses adversaires lui reconnaissent d’ailleurs (Ayari et Brésillon, 2019 : 102).

5.3.1 Le répertoire d’actions numériques de la révolution (RANR)

Nous avons tenté dans nos entretiens avec les stratèges qui disent s’inspirer des pratiques de la révolution d’investiguer ces pratiques qui seraient mobilisés dans l’élaboration des stratégies numériques pour les élections municipales. Ces pratiques numériques identifiées dans le récit des stratèges sont envisagées comme des tactiques déployées dans l’usage du numérique dans un cadre électoral. Nous les avons regroupés dans un répertoire appelé le répertoire « d’actions numériques de la révolution » (RANR). Ces actions héritées de la révolution s’articulent autour du déploiement de la plateforme Facebook pour :

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1) S’adresser directement aux citoyens en contournant les médias traditionnels. 2) Créer une dynamique horizontale envisagée à travers la coordination, la co-production du contenu et le développement de communautés en ligne. 3) Adopter des formes de mobilisation citoyennes reposant sur le rôle central des militants/sympathisants. 4) Développer des campagnes parallèles non-officielles à l’aide de pages Facebook de soutien.

Le tableau 5.2 illustre comment l’exploitation des éléments du répertoire d’actions numériques de la révolution varie d’une formation politique à une autre.

Tableau 5.2 Classification des actions de la révolution par formations politiques

Front Courant MTV Afek Populaire Démocrate Tounes Actions numériques de la révolution

1. Contourner les médias traditionnels

2. Créer une dynamique de coordination horizontale

3. Adopter des formes de mobilisation citoyennes

4. Développement de campagnes parallèles non-officielles

a. S’adresser directement aux citoyens en contournant les médias traditionnels

Un point spécifique soulevé dans le récit des stratèges appartenant aux oppositions d’extrême et de centre gauche (Front Populaire, Courant Démocrate et MTV) renvoie au déploiement de Facebook comme alternative à la faible représentation médiatique de leurs formations politiques. À l’instar de la période de la révolution où les médias traditionnels étaient sous le contrôle du régime, les stratèges estiment que leurs partis sont aujourd’hui stigmatisés par les médias traditionnels privés et publics. Ils seraient selon eux contrôlés par la coalition au pouvoir constituée des partis Ennahdha et Nidaa Tounes. Dans ce contexte,

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les médias socionumériques seraient mobilisés par les partis comme moyen de communication alternatif permettant de s’adresser directement aux citoyens en contournant les médias traditionnels :

[e]n tant que parti d’opposition dans ce paysage médiatique déséquilibré, médias privés et publics sous la main des partis Ennahdha et Nidaa Tounes, on est obligés de chercher un média alternatif ... Notre seule voie c’est les réseaux sociaux [sic], exactement comme au temps de la révolution. Sincèrement, s’il n’y avait pas Facebook je te le dis honnêtement, on serait totalement exclus du paysage politique ... Il y a eu un passage d’une phase de répression avant 2011 à une phase d’exclusion médiatique dans le contexte actuel. On vit avec une façade de démocratie mais toujours avec des pratiques despotiques (Répondant 23).

Les partis déploient une tactique complémentaire qui proviendrait également des pratiques de la révolution de 2011, en attaquant publiquement les médias traditionnels indirectement. Deux stratèges appartenant à des formations politiques différentes (MTV et Courant Démocrate) donnent l’exemple d’une campagne organisée en 2012 sur les médias socionumériques contre la télévision publique tunisienne qui selon eux, ne respectait pas l’équité entre les points de vue et la neutralité journalistique. Cette campagne, menée sur Facebook, a mené à un sit-in de plusieurs jours devant le siège de l’institution publique dénonçant ce qu’ils considéraient comme une « injustice » médiatique. Notons qu’à cette époque, les deux formations politiques le Courant Démocrate et le Mouvement Tunisie Volonté ne sont pas encore fondées et leurs cadres politiques appartiennent à la même formation politique pro-révolutionnaire, le Congrès pour la République. L’un de leurs stratèges explique :

[q]uand on veut faire une campagne contre quelque chose, on procède exactement comme au temps de la révolution : exemple, la campagne contre la télévision tunisienne. On a appelé à un sit-in devant le siège de la Télévision nationale qui a été organisé et coordonné sur Facebook où on a incité et mobilisé les gens à occuper les lieux. On s’est mis d’accord au sein du groupe d’administrateurs de pages Facebook anonymes et on a travaillé en bloc (Répondant 22).

Nous observons dans les propos de ce stratège comment les actions des formations politiques sont planifiées et organisées en mobilisant parfois des pages anonymes. De cette manière,

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l’identité de la formation politique n’est pas divulguée et le mouvement généré paraît spontané et issu d’une initiative citoyenne. Cette technique, largement documentée, est l’astroturfing (Boulay, 2015; Karpf, 2012 : 137; Gibson, 2020 : 221).

Toutefois, les propos de ces stratèges de formations d’opposition doivent être envisagés avec précautions. La Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle en Tunisie (HAICA) créée après la révolution veille à ce que les médias audiovisuels garantissent une équité et une couverture impartiale et équilibrée entre toutes les formations politiques28. De plus, il faut souligner que le fait d’attirer l’attention des médias traditionnels n’est pas une tactique issue uniquement de la révolution de 2011 comme l’énoncent fréquemment cette catégorie de stratèges. Cette tactique est également déployée dans les démocraties établies par certains partis afin de palier à la faible couverture médiatique qui leur est consacrée (Gibson et MacAlister, 2015; Kalsnes, 2016; Koc-Michalska, et al., 2014b).

Ainsi, le premier élément du répertoire d’actions numériques de la révolution qui repose sur le recours au numérique comme moyen de communication alternatif serait une pratique qui aurait émergé initialement dans le cadre des mouvements sociaux (Granjon, 2001 : 81, cité dans Zarrad, 2013 : 31). En effet, généralement exclus des canaux traditionnels et des médias grand public, les mouvements sociaux se servent d’Internet comme plateforme d’échanges (Chadwick, 2007; Granjon, 2017b) et pour attirer l’attention des médias et des journalistes afin de faire communiquer leur message vers les publics visés.

b. Créer une dynamique horizontale envisagée à travers la coordination, la co- production du contenu et le développement de communautés en ligne

Ce deuxième élément du répertoire d’actions numériques a été identifié dans le récit de la grande majorité des stratèges des trois partis du centre : Courant Démocrate, du MTV et de Afek Tounes (tableau 5.2). En effet, ces derniers déclarent adopter aujourd’hui une stratégie numérique ouverte sur les militants, sur les sympathisants et sur les citoyens de manière générale. Ce choix stratégique reviendrait selon eux à l’influence de la révolution durant

28HAICA : Recommandation aux médias. Tiré du site officiel de la HAICA : [ https://haica.tn/elections- 2014/projet-de-recommandations/ ]

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laquelle le côté interactif des médias socionumériques a été largement exploité par les cyberactivistes et par les internautes. Les médias socionumériques ont permis dans ce contexte la co-production de l’information ainsi que l’organisation et la coordination des actions contestataires dans une logique bottom-up. L’un des stratèges affirme :

[a]ujourd’hui dans un contexte de compétition politique on s’inspire beaucoup de ce qui s’est passé lors de la révolution … On adopte une approche très ouverte sur les citoyens : notre logo de la [...] par exemple, a été développé sur Facebook grâce à une approche très interactive qui a permis aux internautes de participer à sa création. Tout le parti s’est développé sur Facebook avec une approche horizontale très ouverte sur les citoyens et on continue toujours à le faire (Répondant 19).

Les déclarations de ces stratèges quant à l’ouverture sur les citoyens dans ce contexte rejoignent les conclusions de Penney (2017 : 1) qui estime que dans le cadre électoral le rôle participatif des citoyens est de plus en plus mis en valeur grâce aux médias socionumériques. Ils reçoivent des messages de campagne via Facebook et Twitter, les co-créent (co- production) et les diffusent ce qui contribue à la visibilité numérique des partis et candidats qu’ils soutiennent (Kreiss, 2012; Gibson, 2015).

Selon ces stratèges, la coordination se ferait aujourd’hui via des groupes Facebook, privés ou publics, au sein desquels s’organisent les actions militantes dans un cadre de campagne électorale :

[a]u niveau interne, tous les échanges se font via Facebook. Au niveau des régions, tous les militants communiquent et s’organisent à travers les groupes Facebook. Ils ont accès à Facebook sur les appareilles mobiles ce qui créer une certaine instantanéité et immédiateté. Ça [sic] je pense que c’est les habitudes de la révolution (Répondant 10).

D’autres répondants attribuent le développement de communauté en ligne à l’héritage de la révolution où les cyberactivistes ont développé des groupes Facebook leur permettant de coordonner des actions et d’organiser des manifestations :

[l]a coordination et l’organisation des actions ne se font aujourd’hui qu’à travers des groupes Facebook comme lors de la révolution. J’ai constitué un groupe

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Facebook et depuis pratiquement 2 ans, chaque jour, 5 ou 6 personnes s’y ajoutent. Il est composé d’environ 1000 membres... les militants discutent, coordonnent entre eux et organisent des actions de mobilisation qui commencent en ligne et qui se terminent sur le terrain comme les rassemblements partisans, les actions contestataires... (Répondant 21).

Ces pratiques qui semblent être exploitées par les Technos-activistes du Courant Démocrate, du Mouvement Tunisie Volonté et de Afek Tounes renvoient à la logique de l’action connective avancée par Bennett et Segerberg (2012; 2013) basée sur de nouvelles dynamiques organisationnelles décentralisées. La logique de l’« action connective » repose sur des liens étroits de communauté en ligne, sur une capacité à l’auto-organisation, sur une absence de hiérarchie, ainsi que sur le rôle subtil de leadership exercé à différents niveaux d’intermédiation (Loveluck, 2014; 2017; Rueff, 2017; Granjon, 2017b).

Développée initialement dans le cadre de mouvements sociaux en ligne, la logique de l’« action connective » est aujourd’hui de plus en plus mobilisée dans l’étude des dynamiques organisationnelles des campagnes numériques de certaines formations politiques qui misent sur le rôle des militants/sympathisants (Bennett et al., 2018; Penney, 2017b; Lobera et Portos, 2020). Comme l’avance Chadwick (2007), les mouvements sociaux utilisent l’Internet pour diffuser l’information certes mais surtout pour créer des réseaux actifs de supporters… Il soutient que les pratiques et les tactiques des mouvements sociaux en ligne se sont répandus au fil du temps dans la communication électorale des partis politiques et ont conduit à la création de nouvelles formes d’organisations hybrides (Chadwick, 2007, cité dans Penney, 2017; Dennis, 2019).

c. Adopter des formes de mobilisation citoyennes reposant sur le rôle central des militants/sympathisants

La mobilisation, en ligne et hors ligne, est considérée par les stratèges comme l’une des principales fonctions démocratisantes des médias socionumériques. Largement déployée dans un cadre contestataire lors de la révolution de 2011, la mobilisation par Facebook continue à être exploitée dans un cadre de campagne électorale. Sa forme citoyenne de type grassroots soulevée par les stratèges, représente le troisième élément du répertoire d’actions numérique de la révolution. Selon une grande partie des répondants appartenant aux

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formations alternatives d’opposition du centre (Courant Démocrate, du MTV et de Afek Tounes, tableau 5.2), les stratégies numériques élaborées aujourd’hui seraient inspirées en grande partie des pratiques de mobilisation par Facebook apparues en Tunisie avec la révolution de 2011.

Il reste ce que j’appelle les flashs mobs virtuels. Par exemple le mouvement organisé sur Facebook « je ne pardonne pas » contre loi de la réconciliation nationale proposée par l’alliance contre révolutionnaire Ennahdha et Nidaa Tounes ... Quand 1000 personnes qui se réunissent à l’avenue en 2 heures de temps, ça démontre que c’est une campagne de mobilisation qui a réussi. Elle a été relayée par les militants, a été adoptée par une large frange de personnes sur Facebook qui l’ont fait tourner avec un hashtag ... On se retrouve réunis pour protester et pour faire la fête en même temps. Ce sont les pratiques inspirées de la révolution. C’est cette logique de mobilisation virale qui est toujours présente chez nous, qu’on essaye de reproduire et qu’on est en train de développer de plus en plus avec les militants ... (Répondant 21).

Howard (2006 : 63) considère la coordination de ce genre d’actions de mobilisation compartimentées et rapide appelées flashs mobs comme « an exciting new form of protest ». Qualifiés de « foules éclair » par Zarrad (2013 : 32), les flashs mobs sont des rassemblements dans des lieux publics organisés en ligne. Cette nouvelle forme de mobilisation numérique apparue dans un environnement contestataire en Tunisie serait déployée aujourd’hui par le Courant Démocrate, MTV et Afek Tounes dans ce contexte électoral pour rassembler les militants/sympathisants. L’objectif serait de remplir deux fonctions simultanées : faire pression sur le gouvernement et faire la promotion de leurs partis.

L’adoption de cette approche pourrait avoir un lien avec le profil de certains Technos- activistes car, comme le soutiennent Heaney et Rojas (2015 cités dans Vaccari et Valeriani, 2016), Lobera et Portos (2020) et Romanos et Sádaba (2016), les acteurs des mouvements contestataires qui s’engagent plus tard dans un parti politique poursuivent une stratégie inside-outside. Cette stratégie combine un style de mobilisation électorale partisane avec un style protestataire qui pourrait faire gagner ces formations en visibilité et en notoriété.

D’autre part, l’analyse indique qu’une grande partie de ces stratèges (du Courant Démocrate, de MTV et de Afek Tounes) semblent accorder une importance au rôle participatif des

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sympathisants/militants qu’ils considèrent comme le cœur de la campagne numérique. L’un d’eux estime que « les militants sont les acteurs majeurs de la campagne, c’est la base de la campagne digitale [sic] » (Répondant 22). Pour ces derniers, inciter les militants/sympathisants à partager massivement des images couvrant les rassemblements attirerait davantage de personnes à se joindre au mouvement grâce à la dynamique de propagation virale de Facebook. Cette logique permettrait selon eux de faire la promotion du parti, du candidat(e) ou de la liste électorale.

Cette dynamique qui s’articule autour du couple « mobilisation-promotion », qui aurait fait ses preuves lors de la révolution de 2011 en attirant davantage de manifestants (Lecomte, 2011; Poell et Borra, 2012; Papacharissi et Oliveira, 2012), serait recherchée aujourd’hui dans un contexte électoral selon ce stratège :

[l]e fait de filmer les manifestations grâce au live Facebook et faire la promotion d’une manifestation, d’un regroupement, c’est l’effet révolution ... On prend également des selfies [sic] au milieu d’un rassemblement pour le promouvoir et pour qu’il fasse le tour de la toile afin que les gens rejoignent le rassemblement ... Ce sont des comportements sur Facebook qui ont vu le jour avec la révolution… Chaque militant aujourd’hui joue un rôle crucial et contribue à la communication digitale [sic] du parti selon sa position (Répondant 12).

Les mouvements qui se constituent grâce aux changements de photos de profil sur Facebook s’inscrivent dans cette perspective. Deux des stratèges rappellent le caractère pionnier de la campagne initiée par les citoyens lors de la révolution où une grande partie des internautes ont changé leurs photos de profil Facebook par le drapeau tunisien et des photos portant le slogan de la révolution « Ben ALI dégage ». Cette campagne aurait marqué le premier mouvement de solidarité en ligne permettant aux internautes de revendiquer leur appartenance au mouvement révolutionnaire (Hammami, 2017 : 12; Hached, 2016 : 165). Dans un cadre électoral, cet objectif serait toujours recherché afin de revendiquer l’appartenance partisane et l’appui aux partis politiques et aux candidats qui soutiennent la révolution.

Le changement des photos de profil, les badges au moment de la révolution par exemple était une action des citoyens afin d’afficher leurs opinions … C’est une mobilisation qui a eu un impact très fort lors de la révolution, très symbolique.

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On essaye de reproduire des comportements similaires après la révolution mais pour des objectifs différents, soit pour appuyer le parti ou pour inciter les citoyens à s’inscrire et à aller voter (Répondant 12).

Toutefois, dans le récit des stratèges Technos-activistes du Courant Démocrate et du MTV particulièrement, nous relevons l’importance d’offrir plus de liberté aux militants et aux sympathisants dans l’organisation d’actions de mobilisation et de promotion. L’objectif derrière cette « liberté » laissée à ces derniers dans le processus de mobilisation numérique serait de tenter de reproduire une dynamique de mobilisation citoyenne, similaire à la dynamique de la révolution de 2011 :

[l]’information doit être diffusée par un maximum de personnes. Nos militants participent beaucoup aux mouvements contestataires et ont eu de l’expérience dans la mobilisation sur Facebook depuis la révolution. Ils produisent du contenu et partagent en masse à travers leurs réseaux. On essaye de reproduire la même dynamique aujourd’hui (Répondant 21).

Le niveau de participation des militants est ici de plus en plus façonné par des actions individuelles de partage de contenu et d’implication personnelle (Penney, 2017 : 2; Lobera et Portos, 2020; Gibson, 2020 : 35). Cette forme de mobilisation numérique dans le processus électoral, différente des logiques organisationnelles traditionnelles, est qualifiée par Penney (2017 : 1) de grassroots empowerment.

En s’appuyant sur le rôle des militants et en exploitant en même temps la « culture du partage » (Castells, 2012 : 232) et les logiques de diffusion virale des plateformes numériques (Stromer-Galley, 2014 : 146), l’objectif serait d’aller au-delà des cercles militants convenus (Granjon, 2017b). Autrement dit, l’objectif est de favoriser la construction de réseaux horizontaux par les militants/sympathisants articulés autour d’une coopération sans « leadership » (Zayani, 2015 : 232) qui prendrait forme simultanément dans les rues et sur les médias socionumériques dans une logique d’hybridité (Chadwick, 2013). L'architecture de communication des médias socionumériques fait en sorte que la visibilité dépend en grande partie des contributions des utilisateurs et du partage des contenus (Gerbaudo, 2019 : 176). Ce stratège résume ainsi ces principes :

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[l]e rôle joué par les réseaux sociaux [sic] au moment de la révolution est le grand point de départ pour nous. La logique boule de neige [sic] qui s’est développée dans les réseaux sociaux [sic] est la logique recherchée aujourd’hui dans les campagnes électorales ... On veut développer ce genre de mouvements qui proviennent des internautes (Répondant 11).

Dans ce contexte, encourager les militants/sympathisants à créer eux-mêmes et à partager des photos manipulées, des mèmes ou des contenus visuels à forte charge émotionnelle susceptibles de devenir viraux semble s’inscrire dans les tactiques de mobilisation en ligne inspirées des pratiques de la révolution. Ces observations rejoignent les conclusions de Chadwick (2007) qui considère que les campagnes virales qui se développent grâce à la rapidité de la propagation des photos/vidéos (parfois manipulées et satiriques) feraient partie intégrante de l’expression politique des citoyens dans le cadre de mouvements sociaux en ligne qui ont migré vers les campagnes des partis politiques.

L’autonomie laissée aux sympathisants et aux militants constitue le cœur de cette dynamique de type grassroots. Une dynamique organisationnelle qui se caractérise par l’appropriation individuelle des médias socionumériques par les militants/sympathisants qui affichent des caractéristiques individuelles dans la production des messages de campagne en ligne. Cette dynamique qui ouvre des espaces pour que les citoyens deviennent des participants actifs dans la formation d'une communication politique persuasive renvoie au modèle de l’« action connective » (connective action) (Bennett et Segerberg, 2012; 2013). Cependant, malgré la « liberté » laissée aux militants, le fait que les stratèges coordonnent avec ces derniers laisse penser qu’ils donneraient en amont les consignes de l’orientation que doit suivre la campagne officielle.

Chaque militant utilise Facebook à sa manière selon sa vision et ses orientations en toute liberté ... Il y a des militants qui se mobilisent bénévolement lors des campagnes électorales. Ils travaillent sans aucune contrepartie. Ces militants-là sont les acteurs principaux de la campagne. Il est donc important qu’ils aient une vision claire de la position du parti, des objectifs de la campagne et de son orientation car ce sont eux qui font le plus gros travail de partage et de persuasion (Répondant 22).

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Ainsi, ces militants diffuseraient un contenu promotionnel amateur, personnalisé mais qui semble s’inscrire toutefois dans les limites d’un cadre organisationnel puisque les stratèges transmettent aux militants des consignes à suivre. Étant donné que les actions des militants sont politiquement orientées et donc partiellement autonomes, l’approche adoptée ici semble s’inscrire plus particulièrement dans le registre de l’« action connective activée par l'organisation » (Organizationally-enabled connective action) du modèle de Bennett et Segerberg (2012; 2013).

d. Joindre le formel à l’informel : le développement de campagnes parallèles non- officielles

Le déploiement des pages Facebook anonymes dans un cadre électoral a donné naissance à ce que les stratèges appellent les « campagnes parallèles non-officielles ». Ce processus, qui serait hérité de la révolution de 2011, fait l’objet du quatrième élément du répertoire d’actions numériques de la révolution intégré à la démocratie électorale.

J’estime que la contribution des pages Facebook a été très grande avant le 14 janvier 2011. Elles ont permis d’organiser le mouvement et de diffuser l’information à grande échelle. Après le 14 janvier 2011, certaines pages Facebook ont continué d’avoir un impact important. Elles sont devenues très populaires en raison de leur rôle dans la révolution. Les pages Facebook continuent aujourd’hui de jouer un rôle dans la diffusion de l’information et dans la mobilisation des citoyens mais dans un contexte électoral (Répondant 17).

Notre analyse indique que les Technos-activistes du Courant démocrate et du MTV semblent très familiers avec la mobilisation de ces espaces en campagne électorale estimant que ce phénomène tire son fondement de la période révolutionnaire. Trois d’entre eux ont été d’ailleurs administrateurs de ce genre de pages lors de la révolution de 2011. Pour qu’un parti puisse réussir sa campagne numérique, hormis ses pages officielles, il doit bénéficier selon ce répondant d’un appui supplémentaire comme ces comptes non-officiels. Il déclare :

[s]ur les médias sociaux, il existe souvent une campagne parallèle à la campagne officielle. Je donne l’exemple du candidat [...], il y avait toute une équipe qui travaillait sur la campagne officielle sur le web dont je faisais partie ... Une autre campagne parallèle nous a beaucoup aidé grâce à des pages « amies » comme la

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page [...]. Ils avaient leurs propres stratégies et n’avaient aucun lien avec la campagne officielle de [...] (Répondant 18).

Les pages non-officielles seraient gérées la plupart du temps par les militants. Toutefois dans certains cas, le gestionnaire de communauté d’une campagne peut coordonner toute une équipe de militants-administrateurs ou serait parfois lui-même administrateur de plusieurs de ces pages non-officielles :

[o]n se met d’accord au sein du groupe d’administrateurs des pages, (généralement 4 à 5 administrateurs) sur les points sur lesquels on va travailler. On fixe la façon de procéder, la ligne on va adopter, puis on diffuse sur toutes les pages le même message et la même photo pour qu’on soit tous cohérents ... Ces pages-là sont plus suivies que les pages des partis politiques et sont plus influentes. Certaines détiennent 800 000 fans, d’autres 400 000, 320 000 … Beaucoup de pages avec 100 000 et 200 000 ... Nous disposons aussi de petites pages de 50 000 ... (Répondant 22).

Néanmoins, malgré l’existence parfois d’une certaine coordination réalisée en amont, les militants semblent disposer ici d’une liberté totale dans l’usage de ces espaces non-officiels :

[c]es pages Facebook sont utilisées par les militants. Elles servent pour contester, pour dénoncer, pour inciter les gens à occuper les rues quand c’est nécessaire : comme cela s’est passé lors de la loi sur la « réconciliation nationale » ... Les militants utilisent ces pages pour faire pression sur les décisions du gouvernement et de la majorité parlementaire qui prennent des décisions qui vont à l’encontre des acquis de la révolution et des intérêts du peuple (Répondant 21).

Ainsi, les contributions des espaces numériques non officiels en utilisant le crowd sourcing (Penney, 2017 : 15) de communautés d’internautes, semblent s’inscrire dans le registre des « réseaux auto-organisés » (Self-organizing connective action) du modèle de l’« action connective » que proposent Bennett et Segerberg (2012; 2013). Selon les chercheurs, les structures organisationnelles de ces réseaux d’action connective autonomes sont plus souples et tirent parti des pratiques informelles/non officielles et personnalisées de l’expression politique en ligne (Penney, 2017 : 13; Bennett et Segerberg, 2012).

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Le chercheur américain Joel Penney (2017 : 14) estime que ces actions, qui reposent sur l’expression politique personnalisée et la diffusion de contenus non-officiels, sont calquées sur l’organisation des mouvements sociaux en ligne. Elles s’articulent autour d’une dynamique politique plus large de protestation et de contestation qui pourrait faire gagner aux partis et aux candidats une notoriété sans pour autant être inclue dans la campagne officielle.

Cet écosystème complexe de structure communautaire en ligne hybride montre comment le modèle de l’« action connective » des mouvements sociaux en ligne (Bennett et Segerberg, 2012) et la culture participative des communautés d’internautes convergent dans les stratégies numériques des partis politiques tunisiens (MTV et Courant Démocrate) (Penney, 2017). La figure 5.2 illustre cette structure intra-organisationnelle hybride (officielle/non- officielle) :

Figure 5.2 Structure intra-organisationnelle hybride

Inspiré du modèle de l’action connective (connective action) (Bennett et Segerberg, 2012)

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Les formations politiques qui opteraient pour cette approche citoyenne reposant sur la logique de l’« action connective » autonome (dans un cadre officieux) peuvent ainsi stimuler leur notoriété et la mobilisation électorale (Penney, 2017 : 14; Lobera et Portos, 2020). Ces espaces non-officiels permettraient aux jeunes dont le cynisme envers la politique est important en Tunisie (Sigma Conseil et Emrhod Consulting)29 de participer activement à la vie politique en diffusant du contenu plus informel et personnalisé en toute liberté. Selon Penney (2017 : 16), cette dynamique pourrait rendre la politique plus accessible aux jeunes qui expriment un malaise envers l’activité politique institutionnelle ou qui sont désengagés du processus démocratique.

Cependant, cette logique pourrait engendrer des risques majeurs puisque les structures de la campagne deviennent ici non circonscrites, non hiérarchiques et difficiles à contrôler (Penney, 2017 : 17). Évoluant dans un contexte électoral offensif, cette approche pourrait générer des campagnes de dénigrement et d’attaques agressives envers des adversaires politiques à travers, entre autres, ces pages Facebook anonymes gérées de manière autonome par les militants et les sympathisants.

Discussion

Ce passage d’une révolution à un contexte de stabilité démocratique semble avoir fait émerger en Tunisie une nouvelle dichotomie sur le caractère mobilisateur des médias socionumériques en période électorale. Elle oppose ainsi ceux qui estiment qu’ils jouent un rôle positif et émancipateur à ceux qui leur accolent plutôt une responsabilité dans la montée de la polarisation politique au pays (Lynch, 2015).

Suite à l’enthousiasme de la « révolution Facebook » de 2011, la Tunisie semble connaître un renversement dans les perceptions du rôle du numérique et de son potentiel démocratisant au sein de la communauté de stratèges politiques. Après avoir été en majorité cyber- optimistes lors de la révolution, ils seraient devenus cyber-réalistes dans le contexte

29Baromètre politique réalisé par Sigma Conseil (Avril 2017). Tiré du site web Sigma.tn [http://www.sigma.tn/upload/1502706736.pdf ]. Sondage d’Emrohd Consulting publié le 28/12/2018, tiré du site du média Tuniscope [https://www.tuniscope.com/article/166449/actualites/politique/sondage-bce-353517]

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démocratique actuel. Toutefois, nous relevons que seule une catégorie de stratèges est demeurée cyber-optimiste sept ans après le soulèvement : il s’agit des Technos-activistes. Leur croyance en la « révolution numérique » qui s’est développée lors des évènements de 2011 semble perdurer dans un contexte démocratique. Cet optimisme démesuré et persistant à l’égard du web constitue le deuxième sédiment de la révolution relevé dans les croyances de ces stratèges évoluant désormais dans ce nouveau contexte démocratisé.

D’un autre côté, afin de justifier leur scepticisme à l’égard du numérique, les stratèges cyber- réalistes évoquent l’environnement numérique négatif dans lequel évolue la vie politique tunisienne depuis le début de la phase de transition démocratique. Le cyberespace se serait divisé en deux groupes : les sécularistes/progressistes d’un côté, les islamo-conservateurs de l’autre. Le durcissement de ce clivage entre les militants et les sympathisants des deux camps aurait déclenché une tension qui aurait générée des campagnes de dénigrement et de désinformation violentes sur les médias socionumériques. Toutefois, il est possible de nuancer cette dichotomie avancée par les stratèges cyber- réalistes et certains chercheurs (dont Ben Saad-Dussaut, 2015; Ben Abdallah, 2013a; Triki, 2013; Hached, 2016). Tout d’abord, les stratèges tunisiens ont tendance à réduire le cyberespace à la plateforme Facebook et estiment qu’il est dominé par des usages politiques. Or, Facebook et la dimension politique de l’environnement numérique ne constituent qu’une composante du cyberespace et qu’un type d’usages. De plus, cette dichotomie progressistes/islamistes paraît relativement réductrice dans la mesure où les internautes Tunisiens, bien qu’ils affichent leur attachement à la religion, revendiquent l’ouverture, la modernité et la laïcité (Ben Saad-Dussaut, 2015). Par contre, une rivalité peu évoquée dans la littérature académique s’est démarquée dans notre cas d’étude et mérite une attention particulière. Il s’agit d’une opposition entre les révolutionnaires et les contre- révolutionnaires, généralement héritiers de l’ancien régime. Ainsi, Boileau (2018) indique que « les "anciens" adoptant une attitude critique plus ou moins forte à l’égard du processus ouvert après 2011, et les "Modernes", soutenant la transition et rejetant la possibilité d’un retour en arrière » forment cette nouvelle classe politiques polarisées, au sein de laquelle la perception du rôle transformateur des événements de 2011 pour la société tunisienne est radicalement opposée.

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Cette polarisation a été observée principalement entre les stratèges des formations politiques pro-révolution (Le Front Populaire, le Courant Démocrate, le Mouvement Tunisie Volonté) et ceux des partis formant l’alliance gouvernementale Ennahdha-Nidaa Tounes30 considérés, dans le contexte actuel, comme des forces contre-révolutionnaires (Heurtaux, 2019 : 174; Perez, 2019 : 106; Nafti, 2019 : 37, 45, 69; Kerrou, 2018 : 130).

Cet évènement de la « Révolution » n’est pas neutre. Les Tunisiens se l’approprient différemment selon leurs orientations politiques, leurs trajectoires biographiques et leurs expériences vécues (Allal et Geisser, 2019 : 18; Ben Achour, 2016). L’analyse des entretiens réalisés avec les stratèges permet de constater que leur positionnement respectif par rapport à cet événement de la « Révolution » serait explicatif de :

Ø Leur perception positive ou négative quant au rôle démocratisant des médias socionumériques. Ø Leur inspiration des pratiques de la révolution dans l’élaboration des stratégies numériques.

En effet, il apparaît que les stratèges cyber-optimistes (de la révolution aux élections) appartenant aux formations pro-révolution s’inspirent davantage des pratiques numériques de la révolution en mobilisant, – à des degrés différents – les éléments du répertoire d’actions numériques de la révolution (RANR).

Ces pratiques que nous avons recensés héritées de la révolution et mobilisées aujourd’hui dans les stratégies numériques de certains partis politiques, constituent le troisième sédiment de la révolution que l’on retrouve désormais dans ce contexte de compétition politique et d’exercice de la démocratie.

30 Alliance des deux grands courants politiques du pays islamistes et néo-destourien (voir Allal et Geisser 2019 : 24). Nidaa Tounes : formation politique fondée autour d’un noyau de professionnels de la politique issus de l’ancien régime, des membres du parti de Ben Ali (le RCD) a noué une alliance avec le parti Ennahdha qui serait entré dans une stratégie de "survie" politique (Boileau, 2018) (voir entre autres Heurtaux, 2019 : 174 et Perez, 2019 : 106).

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Par ailleurs, 3

• En premier lieu, l’exploitation de l’hybridité organisationnelle

Les stratèges des formations MTV et Courant Démocrate mobiliseraient les quatre éléments du répertoire d’actions numériques de la révolution dans le but de susciter un mouvement citoyen similaire au mouvement révolutionnaire de 2011. Exploitées dans un environnement électoral, ces pratiques numériques de la révolution favoriseraient une dynamique organisationnelle citoyenne de type grassroots.

Ces formations alternatives sociales-démocrates semblent vouloir s’adapter à la nouvelle réalité des réseaux de militants et tentent de fonctionner selon le modèle du party as movement (Chadwick et Stromer-Galley, 2016; Dennis, 2019) ou ce que Lance Bennett et ses collègues (2018) qualifient de connective parties (voir Gibson, 2020 : 222). Cette logique repose sur une dynamique organisationnelle décentralisée, non hiérarchique, avec une augmentation de l’influence citoyenne alimentée par les médias socionumériques. Ces conclusions rejoignent ce que révèlent des travaux sur les partis politiques qui expérimentent l’hybridité organisationnelle (Chadwick, 2007) basée sur l’adoption de répertoires de réseaux numériques associés aux mouvements sociaux (Chadwick, 2013; Dennis, 2019; Penney, 2017; Gibson, 2020 : 222; Bennett et al., 2018).

• En deuxième lieu, le développement d’une structure intra-organisationnelle hybride

L’analyse révèle que les stratèges de ces mêmes formations politiques pro-révolution (Courant Démocrate et MTV) encouragent le développement de campagnes numériques non-officielles. La structure intra-organisationnelle de leurs stratégies numériques, nourries de l’influence de la révolution de 2011, semble reposer sur un écosystème qui englobe une combinaison complexe et complémentaire d’un volet partisan officiel et d’une composante citoyenne officieuse de la campagne, où chacun emprunte des éléments à l’autre.

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Nous sommes donc ici en présence d’une nouvelle forme d’hybridité (illustrée dans la figure 5.2) qui articule des actions militantes partiellement contrôlées s’inscrivant dans le cadre officiel de la campagne avec des actions militantes totalement autonomes qui elles s’inscrivent dans un cadre plus officieux.

Ainsi, pour comprendre et évaluer l'influence potentielle d’une campagne, il est nécessaire selon Penney (2017 : 18) d'examiner ses différentes composantes en tant qu'écosystème numérique complexe englobant à la fois les systèmes « officiels » et « non officiels ». Le volet non officiel des campagnes se serait développé dans l'activisme des mouvements sociaux avant de migrer vers le champ de la politique électorale (Chadwick, 2007; Penney, 2017; Lobera et Portos, 2020).

Il convient néanmoins de préciser qu’une grande partie des stratèges cyber-optimistes ont tendance à surestimer les pratiques numériques de la révolution. Ces pratiques, regroupées dans le « répertoire d’actions numériques de la révolution » (RANR), sont considérées par les ces derniers comme des pratiques « innovantes » provenant stricto sensu de la révolution tunisienne. Le « romantisme numérique » de cette catégorie de stratèges doit toutefois être remis en contexte puisque ces pratiques ne sont pas l’apanage de la révolution ni d’ailleurs du seul contexte tunisien. En effet, des tactiques similaires sont aussi déployées par des formations politiques au sein de démocraties occidentales. Des études récentes ont même souligné la complémentarité et le chevauchement d’actions politiques parallèles inspirées des mouvements sociaux avec des campagnes numériques partisanes officielles (Penney, 2017; Chadwick et Stromer-Galley, 2016; Dommett et Temple, 2018). La campagne de Bernie Sanders en 2016, inspirée du mouvement social de 2011 Occupy Wall Street en est un exemple (voir Penney, 2017). Ainsi, ces pratiques numériques n’ont pas émergé uniquement de la révolution tunisienne, comme le revendiquent certains stratèges. Elles ont certainement contribué de manière déterminante aux évènements contestataires de 2011, mais elles n’en sont pas le fruit.

De plus, le développement des campagnes non-officielles est considéré par les stratèges cyber-optimistes comme une tactique « innovante ». Bien que cette approche héritée de la

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révolution semble favoriser l’engagement des militants/sympathisants, ce serait selon les stratèges cyber-réalistes la cause de la dégradation de l’environnement politico-numérique en Tunisie. En effet, puisque les formations politiques ne disposent plus d’aucun pouvoir de contrôle sur les militants, des campagnes de désinformation et de dénigrement se seraient organisées. Les pages Facebook anonymes appuieraient des partis politiques mais en dénigreraient d’autres. Est-il donc juste de considérer que toutes les actions qui proviennent d’initiatives citoyennes sont des pratiques « innovantes » et démocratisantes?

Favoriser l’engagement des citoyens est une pratique démocratisante certes, mais à travers des moyens officieux comme le recours à des pages Facebook anonymes mobilisant l’astroturfing (Boulay, 2015), cela pourrait plus nuire à la transition démocratique tunisienne que contribuer à son instauration. Il devient donc important d’étudier le profil des acteurs des campagnes non-officielles en Tunisie. Si les stratèges numériques au sein des formations politiques sont considérés aujourd’hui comme des acteurs de l’ombre, qu’en est-il alors des militants ou des sympathisants qui gèrent ce genre de pages non-officielles anonymement ?

Après avoir étudié le profil sociodémographique des répondants et analysé leurs perceptions et leurs expériences vécues, nous avons examiné dans le présent chapitre leurs sources d’inspiration dans l’élaboration des stratégies numériques. Le prochain chapitre analyse les objectifs stratégiques poursuivis par les formations politiques dans leur utilisation des médias socionumériques lors des élections municipales de 2018.

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Chapitre 6. Élections municipales tunisiennes de 2018. Pourquoi faire campagne dans les médias socionumériques?

Au cours des dernières années, une grande partie des recherches sur le web politique s’est penchée sur l’analyse des usages effectifs des partis politiques sur les plateformes numériques. Peu d’études se sont intéressées à l’analyse de leurs stratégies numériques à travers des entretiens avec des stratèges. Certains travaux ont toutefois porté sur le cas étasunien (Chadwick, 2013; Stromer-Galley, 2014; Kreiss, 2012, 2016; Kreiss et al., 2018; Vaccari, 2010), canadien (Giasson et Small, 2017), québécois (Giasson et al., 2019), allemand (Jungherr, 2016), norvégien (Karlsen, 2009), suisse et autrichien (Klinger et Russmann, 2017).

Après avoir étudié le profil des stratèges, leurs expériences vécues, analysé leurs croyances et perception ainsi que leurs sources d’inspiration, ce chapitre s’intéresse aux motivations qui sous-tendent leurs usages des médias socionumériques. Il s’agit d’analyser – à travers le discours des stratèges – les objectifs qui ancrent les campagnes numériques des formations politiques de notre échantillon pour les élections municipales de 2018.

Nous déterminons, dans un premier temps, dans quelle mesure les formations politiques ont intégré les médias socionumériques dans leurs stratégies de campagne. Dans un deuxième temps, et à travers une analyse semi-automatisée dans les réponses des stratèges, nous analysons les objectifs assignés aux médias socionumériques par les partis politiques pour ces élections municipales.

Les entretiens avec les stratèges en communication ont été menés avant les élections municipales durant la période allant du 04/07/2017 au 06/12/2017. Réalisés en personne, ils ont duré en moyenne 113 minutes. L’objectif a été de cerner les intentions stratégiques qui ancrent les campagnes numériques pour ces élections municipales. Une analyse de contenu manuelle et semi-automatisée des réponses aux questions portant sur l’usage des médias socionumériques a été réalisée afin d’identifier les objectifs des campagnes numériques.

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6.1 L’hybridité des campagnes électorales au niveau local

La littérature indique que les médias socionumériques ont contribué à modifier la façon dont les stratégies électorales sont conçues et mises en œuvre (Chadwick et al., 2016; Giasson et al., 2018; Vaccari, 2013a; 2010). Nos entretiens de recherche révèlent que les six formations politiques de notre échantillon ont intégré les médias socionumériques dans leurs stratégies de campagne pour les élections municipales de 2018. Ces derniers rapportent la cohabitation et la complémentarité existante entre des outils numériques et des moyens de communication plus traditionnels. Une interaction est relevée entre la plateforme Facebook et les actions de terrain dans le processus d’élaboration de la stratégie de communication. Des pratiques innovantes et classiques semblent donc se côtoyer et seraient exécutées simultanément sur les médias socionumériques et sur des outils de communication conventionnels (Giasson, 2017 : 8). Toutefois, des différences caractérisant cette hybridité ont été observées et s’articulent autour de la place que prendrait le numérique dans la stratégie électorale.

6.1.1 L’hybridité à droite

La grande majorité des stratèges des grands partis au pouvoir Nidaa Tounes et Ennahdha, considèrent les médias socionumériques complémentaires aux moyens de communication plus traditionnels. Ils seraient mobilisés en ce sens pour appuyer certaines actions de terrain comme la couverture des meetings, les rencontres avec les citoyens dans les municipalités ou l’annonce des campagnes de porte-à-porte. Selon les répondants, le moyen de communication le plus important au niveau local demeure le contact direct avec les citoyens. Un des stratèges d’Ennahdha pose les choses ainsi :

[l]es campagnes électorales se développent à travers une stratégie globale. Parmi les outils utilisés dans la campagne figurent les médias sociaux mais ce ne sont certainement pas les seuls. Dans le contexte tunisien en particulier, et dans le cadre d’élections municipales, le contact direct avec les citoyens reste le plus important moyen de communication (Répondant 3).

L’importance accordée au contact direct avec les habitants des municipalités aurait poussé le parti Nidaa Tounes – selon l’un de ses Apparatchiks – à déployer les anciennes pratiques du RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique). Comme soulevé plus haut, ces pratiques reposent en partie sur la collecte d’informations sur les citoyens des municipalités

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grâce au rôle central des coordonnateurs locaux du parti (ex RCD) déployés sur tout le territoire tunisien. L’objectif du parti pour ces élections municipales serait, selon ce stratège, de relancer la machine électorale du RCD. Il témoigne :

[l]’ancienne machine électorale du RCD doit redémarrer. On doit connaître tous les habitants des municipalités, avoir toutes les informations les concernant pour pouvoir les contacter par la suite ... On accorde beaucoup d’importance aux coordonnateurs régionaux et locaux tout en leur faisant confiance. Ils connaissent tous les habitants des localités ... Lors des réunions de quartier par exemple, si une personne s’absente, le coordonnateur le note. Elle sera contactée par la suite pour faire connaître les raisons de son absence. Tout est classé dans une base de données où il y a les informations sur les citoyens de chaque municipalité. C’est la meilleure stratégie qu’on le veuille ou non. On se focalise prioritairement sur le contact direct avec les habitants ... Les réseaux sociaux [sic] complètent cette approche. Il faut qu’on soit présents sur le terrain d’abord et sur les réseaux sociaux [sic] ensuite (Répondant 5).

Les propos de ce répondant laissent penser que les pratiques de l’ancien régime seraient intégrées dans la stratégie de campagne du parti Nidaa Tounes dans un contexte démocratique. Rappelons que plusieurs cadres du régime Ben Ali, dont de nombreux membres du RCD, ont rejoint les rangs de Nidaa Tounes lors de sa création (Nafti, 2019; Perez, 2019 : 106, 115).

Ces conclusions rejoignent celle de Perez (2019 :115) qui estime que le parti Nidaa Tounes a intégré l’héritage de l’ancien régime à travers ses acteurs politiques qui tentent de reproduire les méthodes de mobilisation électorales du RCD. Pour Ayari et Brésillon (2019 :103), « Nidaa Tounes tente de reconstruire sur les restes du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti de Ben Ali ». Rappelons que cette alliance Ennahdha-Nidaa Tounes s’est formée autour de l’aile conservatrice du parti Nidaa Tounes, soutenue par des hommes d’affaires et des responsables et des militants du RCD (Ben Achour, 2016 : 228).

Ennahdha et Nidaa Tounes, les deux principaux partis politiques du pays (jadis rivaux, aujourd’hui alliés) sont présents dans les 350 municipalités couvrant tout le territoire tunisien (Nafti, 2019 : 67, 85). Ces derniers mettent en place des politiques économiques et

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financières inspirées du modèle capitaliste néolibéral (Ben Achour, 2016 : 152). Les médias socionumériques viendraient selon leurs stratèges, compléter le fastidieux travail de terrain des coordinateurs régionaux et locaux.

6.1.2 L’hybridité à gauche et au centre

Pour les stratèges du Front populaire (formation d’opposition d’extrême gauche), le contact direct avec les citoyens semble également être la priorité. Toutefois, faute de ressources humaines et financières suffisantes, le parti aurait misé davantage sur la présence et l’implantation des militants dans certaines régions et localités ciblées. Parmi les régions favorisées selon l’un des stratèges figurent celles du Nord-Ouest du pays et le grand Tunis où le Front Populaire a obtenu le plus de sièges lors des élections législatives de 2014. Ici aussi, les médias socionumériques ont été déployés entre autres pour compléter et appuyer les actions de terrain. Un stratège rappelle : « étant des élections de proximité, le plus gros travail sera un travail de contact direct avec les citoyens et du porte-à-porte essentiellement. Les réseaux sociaux [sic] auront un rôle complémentaire » (Répondant 24). En revanche, pour les stratèges des trois formations alternatives d’opposition du centre (Afek Tounes, Courant Démocrate et MTV), le numérique semble constituer le cœur de la campagne électorale et le principal outil de communication mobilisé. Ne disposant pas d’une présence dans certaines localités à l’image des partis au pouvoir (Ennahdha et Nidaa Tounes), ces formations politiques miseraient davantage sur les médias socionumériques qui prendraient la place la plus importante dans la stratégie électorale.

Pour les stratèges d’Afek Tounes par exemple, le numérique serait en synergie totale avec les moyens de communication classiques. Le parti aurait adopté une nouvelle structure organisationnelle destinée à ce volet.

Pour réussir une stratégie de communication digitale [sic], il faut que ce soit dans le cadre d’une stratégie globale. Le digital [sic] ne doit pas être dissocié de la stratégie de communication. Il faut qu’il y ait une cohérence entre le digital et le non digital [sic] et entre le hors ligne et le en ligne ... Le digital [sic] représente le plus gros morceau de la communication politique à Afek Tounes (Répondant 15).

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Le Courant Démocrate se présente comme un « parti web ». Ne disposant pas de ressources suffisantes pour mener une grande campagne de terrain, le web constitue sa seule alternative de communication électorale. L’un de ses stratèges décrit cette situation :

[i]l faut beaucoup de moyens humains et financiers pour qu’un parti puisse exister dans le paysage politique. En Tunisie, l’État ne finance pas les partis politiques ce qui ouvre la porte aux financement étrangers bien qu’ils soient interdits par la loi. Mis à part les hommes d’affaires corrompus de l’ancien régime qui financent les partis au pouvoir, on a aujourd’hui des pays étrangers qui s’ingèrent dans les affaires internes du pays. Les Émirats Arabes Unis financent Nidaa Tounes et le Qatar finance Ennahdha. Les partis d’oppositions continuent d’exister grâce aux aides financières du personnel et des adhérents. Les cadres du parti versent 2 % de leur salaire mensuel pour payer les loyers des locaux … ce sont des conditions très difficiles (Répondant 23).

Les stratèges du Courant Démocrate considèrent le numérique comme le moyen de communication le plus important au point où 70% des moyens humains et financiers du parti seraient consacrés à ce volet :

[o]n accorde aux réseaux sociaux [sic] la place la plus importante dans la stratégie de communication. C’est notre priorité et notre plus important moyen de communication ... Il y a une continuité et une complémentarité entre le virtuel et le réel. En politique, si tu es performant sur les réseaux sociaux [sic] tu le seras nécessairement sur le terrain (Répondant 19).

Sans ressources financières et base militante couvrant toutes les municipalités, le Courant Démocrate, le Mouvement Tunisie Volonté et Afek Tounes semblent s’appuyer davantage sur le militantisme en ligne. Ils tentent de mobiliser des militants dans certaines localités pour qu’ils fassent eux-mêmes campagne sur Facebook auprès des usagers de la plateforme :

[d]ans certaines localités nous sommes présents uniquement sur Facebook à travers des pages propres aux municipalités. On n’a pas beaucoup de militants sur le terrain ... Le plus gros travail se fera à travers la mobilisation sur les réseaux sociaux [sic] avec une complémentarité entre Facebook et des actions de terrain (Répondant 22).

Cette approche mobilisée par les stratèges de ces partis politiques renvoie au principe même des « supermilitants » largement utilisés ailleurs (Gibson, 2015; Giasson, 2017; Theviot,

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2018; Vaccari, 2010). Il s’agit de la sous-contractance du crowdsourcing de la communication officielle vers des alliés.

Ainsi, en intégrant le numérique dans leurs stratégies électorales, ces partis miseraient d’une part sur une complémentarité entre nouveaux outils numériques et moyens de communication plus traditionnels, et d’autre part sur le rôle des « supermilitants » dans la mobilisation partisane. Cette logique reflète le contexte d’hybridité avancé par Andrew Chadwick (2013). Les formations politiques de notre échantillon semblent donc adopter des campagnes hybrides au niveau local.

6.2 Les objectifs orientant l’usage des médias socionumériques

À partir de travaux récents sur l’analyse des campagnes numériques des partis politiques (Bor, 2013; Chadwick, 2013; Kreiss, 2012; Vaccari, 2010), Giasson et ses collègues (2018; 2019) sont arrivés à dégager trois types d’objectifs que visent généralement les stratèges dans l’élaboration des stratégies numériques. Des objectifs communicationnels comme le fait de diffuser un message partisan, de diffuser de l’information sur les activités du parti et du chef, de recadrer les messages et d’attaquer l’adversaire. Des objectifs politiques comme générer des ressources, promouvoir un projet politique ou une idéologie, faire connaître le parti/accroître sa visibilité, mobiliser des soutiens en ligne et hors ligne, et faire sortir le vote. Des objectifs de marketing comme recueillir des données sur les électeurs, développer une communauté d’internautes, étudier le marché électoral, faire du ciblage, obtenir de la rétroaction pour ajuster la stratégie, gérer des bases de données et protéger la marque et l’image du parti en ligne.

Cette classification des objectifs a permis d’analyser les stratégies numériques des partis politiques canadiens (Giasson et Small, 2017) et québécois (Giasson et al., 2019) et a permis également de faire une comparaison entre les objectifs des partis politiques français et québécois (Giasson et al., 2018). Toutefois, cette typologie a été constituée à partir de conclusions avancées dans l’analyse de cas issus de démocraties occidentales établies. Mobilisée dans le contexte politique distinct de la Tunisie, elle pourrait présenter des limites.

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Afin d’y remédier, trois catégories que nous considérons importantes dans le contexte tunisien ont été ajoutées et une catégorie a été remplacée :

Au vu de l’interdiction de la publicité politique dans les médias traditionnels, les médias socionumériques constituent pour les partis politiques un moyen de contourner cette limite législative. La catégorie « publicité politique » a donc été ajoutée parmi les objectifs communicationnels. D’autre part, l’interaction et le dialogue sont au cœur du fonctionnement des médias socionumériques (Lilleker et Jackson, 2011; Lilleker et Malagón, 2010) et les stratèges des partis politiques prétendent souvent l’exploiter pour se rapprocher des citoyens (voir Klinger et Russmann, 2017; Howard, 2006 : 5). Particulièrement pour des élections de proximité comme les élections municipales, cette fonction d’interaction pourrait être privilégiée. Nous l’avons ajouté aussi parmi les objectifs communicationnels.

D’autres objectifs repérés dans le chapitre précédent ont également été ajoutées au modèle initial comme la coordination interne à travers des groupes Facebook. La catégorie « générer des ressources » a été remplacé par « recrutement de bénévoles », puisque dans ce contexte tunisien, les seules ressources générées grâce au numérique sont les ressources humaines et en l’occurrence, les bénévoles.

Les modifications apportées permettent d’inclure des dimensions absentes jusqu’ici dans le modèle de Giasson et ses collaboratrices (2018; 2019), que les propos des répondants ont néanmoins mis en lumière. Par ailleurs, nous sommes conscients que certaines catégories pourraient s’inscrire dans plusieurs objectifs à la fois. À titre d’exemple, « se faire connaître / visibilité » est classée parmi les objectifs politiques. Elle pourrait tout à fait être considérée comme un objectif communicationnel. D’après Giasson et ses collègues (2018), ces objectifs ne sont pas exclusifs les uns des autres et les formations politiques cherchent à les atteindre simultanément. Nous considérons donc que ces trois types d’objectifs s’inscrivent globalement dans une approche communicationnelle puisque les campagnes électorales sont d’abord et avant tout des campagnes de communication (Giasson et al., 2018).

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Il convient ici de rappeler que ce modèle a été mobilisé dans cette étude portant sur le contexte tunisien pour deux raisons essentielles. D’abord, il permet d’identifier les objectifs communs privilégiés par toutes les formations politiques dans l’utilisation des médias socionumériques. Ensuite, il aide à illustrer les différences entre les formations politiques quant à l’importance accordée à certains objectifs plus que d’autres. Il s’agit de mettre en évidence leur ordre de priorité dans l’élaboration de la stratégie numérique en portant une attention particulière aux catégories participatives qui renvoient à une approche plus « citoyenne ».

La figure 6.1 présente la classification que nous avons adopté pour l’étude du cas tunisien afin d’analyser les objectifs poursuivis par les formations politiques dans l’usage des médias socionumériques pour les élections municipales de 2018.

Figure 6.1 Les objectifs orientant l’usage des médias socionumériques

•Se faire connaître/visibilité •Diffuser le message •Ciblage •Promouvoir une idéologie •Diffuser des contenus •Ajuster la stratégie •Participation électorale médiatiques •Collecte de données •Recruter des bénévoles •Attaquer l'adversaire •Développement de communautés •Mobilisation en ligne •Contrôler le message •Études de marché •Mobilisation hors ligne •Interaction •Branding •Publicité politique Objectifs marketing marketing Objectifs Objectifs politiques politiques Objectifs •Personnalisation •Évènements •Coordination interne Objectifs communicationnels communicationnels Objectifs

Inspiré de Giasson et al., (2018)

L’analyse effectuée grâce aux logiciels d’analyse de contenu QDA Miner 5 et WordStat 7 permet de déterminer plus spécifiquement dans le discours des stratèges à quelles fins les formations politiques recourent aux médias socionumériques.

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Les différences entre les formations politiques quant aux motivations d’usage des médias socionumériques seraient une conséquence de choix stratégiques adoptés (Enli et Skogerbø, 2013; Koc-Michalska et al., 2016b; Lilleker et Jackson, 2013). Ces choix dépendent selon la littérature académique de facteurs institutionnels ou propres aux formations politiques comme l’ancrage idéologique ou la position sur l’échiquier politique. Au-delà de ces facteurs institutionnels, des facteurs propres au contexte tunisien comme le positionnement des partis politiques par rapport à la révolution, ou l’historique des stratèges pourraient avoir une incidence sur les choix stratégiques adoptés par les formations politiques.

6.2.1 Les objectifs communs à toutes les formations politiques

L’analyse semi-automatisée des entretiens indique que les objectifs communicationnels semblent dominer l’orientation des usages des médias socionumériques des six formations politiques de notre échantillon. Les objectifs politiques arrivent en deuxième position et les objectifs de marketing en troisième (graphique 6.1).

Graphique 6.1 Distribution des objectifs stratégiques par formations politiques

Formations d’opposition Partis au pouvoir

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Giasson et ses collègues (2018; 2019) justifient ce phénomène par le fait que dans un cadre de campagne électorale l’accent est mis davantage sur l’aspect communicationnel. Nos données confirment cela. En prévision des élections municipales de 2018, les réponses des stratèges analysées montrent aussi l’importance portée aux objectifs communicationnels. Le grand intérêt exprimé à la « diffusion du message partisan » semble constituer la priorité pour toutes les formations politiques dans l’utilisation des médias socionumériques au niveau municipal (tableau 6.1).

Tableau 6.1 Nombre de mentions aux objectifs communicationnels par formations politiques Objectifs Front MTV Courant Afek Nidaa Ennahdha communicationnels Populaire Démocrate Tounes Tounes Diffuser le message 39 29 59 38 32 32 Diffuser des contenus 8 6 14 16 3 2 médiatiques Attaquer l’adversaire 9 9 14 1 1 1 Contrôler le message 3 5 2 3 29 27 Interaction 27 20 49 23 25 28 Publicité politique 10 14 19 18 28 24 Personnalisation 10 16 4 12 8 1 Évènements 15 3 6 5 16 9 Coordination interne 4 13 14 20 2 -

Nous relevons également l’intérêt accordé par tous les stratèges à l’interaction avec les citoyens via Facebook. En effet, ces derniers rapportent que les échanges, les discussions et le dialogue avec les citoyens demeurent essentiels et cruciaux lors d’élections de proximité comme les élections municipales. Cela a été souligné par Klinger et Russmann (2017) et confirmé par Larsson et Skogerbø (2018) qui ont soutenu que l’usage auto-promotionnel des candidats est moins présent au niveau local. D’après eux les politiciens locaux utilisent les médias socionumériques de manière interactive en adoptant une communication essentiellement bidirectionnelle.

Toutefois, dans le cas des municipales tunisiennes, la publicité politique semble bénéficier d’une grande importance pour les stratèges des formations tunisiennes dans leur usage du

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numérique (tableau 6.1). Ceci s’explique probablement par l’interdiction par la loi électorale de la publicité politique dans les médias audiovisuels. La personnalisation constitue également une priorité pour certaines formations politiques et en l’occurrence, le Mouvement Tunisie Volonté qui disait vouloir mettre de l’avant son chef , l’ex-opposant de Ben Ali.

Nos données indiquent que les stratèges des partis cherchent à atteindre des objectifs politiques notamment pour faire connaître et donner plus de visibilité aux candidats au niveau des municipalités (tableau 6.2). Cet objectif recherché serait l’une des raisons qui justifierait la création par toutes les formations politiques de nouvelles pages Facebook propres à chaque municipalité, afin de marquer leur présence et de couvrir leurs activités locales.

Tableau 6.2 Nombre de mentions aux objectifs politiques par formations politiques

Objectifs politiques Front MTV Courant Afek Nidaa Ennahdha Populaire Démocrate Tounes Tounes Se faire connaître/visibilité 22 21 39 20 18 24 Promouvoir une idéologie 22 1 3 2 - 17 Participation électorale 13 10 15 28 10 14 Recruter des bénévoles 8 9 10 16 6 - Mobilisation en ligne 6 28 52 30 7 6 Mobilisation hors ligne 34 16 24 14 28 15

Il apparaît également que les partis politiques mobilisent les médias socionumériques pour sensibiliser les citoyens quant à l’importance des premières élections municipales à l’ère démocratique encourageant ainsi leur engagement à travers la mobilisation et leur participation électorale (tableau 6.2). Ces deux formes d’usage des outils numériques, qui favorisent l’interaction avec les citoyens d’un côté et leur engagement politique de l’autre, ont été qualifiées d’usages citoyens par les chercheurs (Giasson et al., 2013; Graham et al., 2013b; Theviot, 2018 : 146).

À première vue, les propos de nos stratèges révèlent un changement dans les usages du numérique au niveau local. Cependant, ces déclarations qui proviennent du personnel de

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campagne doivent être appréhendées avec prudence. En effet, par désirabilité sociale, ils pourraient avoir exprimé dans leur réponse une préoccupation marquée envers l’approche citoyenne, mais qui ne se traduirait pas réellement dans les usages numériques en campagne. C’est pourquoi, il est important de mener des devis mixtes qui combinent entrevues et analyses de contenu des pratiques effectives menées en campagne afin d’apporter encore plus de validité et de fiabilité aux analyses.

À notre connaissance, ces types d’usage ont rarement été vérifiés par les analyses de contenu de la communication électorale menées sur les plateformes numériques. Les recherches antérieures révèlent plutôt que l’interactivité est limitée, contrôlée par les organisations politiques et que leur communication est verticale et hiérarchique (Graham et al., 2013b; Koc-Michalska et al., 2014a; Small, 2011).

Au niveau des objectifs de marketing, les données du tableau 6.3 montrent que le ciblage à travers la plateforme Facebook s’avère être une priorité pour tous les stratèges des formations politiques de notre échantillon.

Tableau 6.3 Nombre de mentions aux objectifs de marketing par formations politiques Objectifs marketing Front MTV Courant Afek Nidaa Ennahdha Populaire Démocrate Tounes Tounes

Ciblage 25 26 50 41 21 25 Ajuster la stratégie 10 9 18 6 2 1 Collecte de données 1 3 7 8 8 3 Développement de 7 25 33 26 3 3 communautés Études de marché - 3 5 16 6 10 Branding - 4 11 4 1 1

En créant des pages officielles propre à chaque municipalité, le ciblage géographique semble privilégié afin de toucher spécifiquement les habitants de ces municipalités. Outre le caractère géographique, les caractéristiques du ciblage tournent autour du genre et de l’âge d’après les répondants. Deux d’entre eux déclarent :

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[o]n recourt au ciblage par région et par localité. On cible principalement les habitants des zones urbaines. Lorsqu’il y a un évènement dans une région donnée comme une réunion à Sfax par exemple, toutes les publications à des fins de mobilisation, de publicité, et d’information sont orientées vers les habitants de la ville de Sfax... Le ciblage se fait aussi en fonction de l’âge du sexe et du centre d’intérêt... (Répondant 22).

Nous ciblons également à travers le discours. On utilise beaucoup le dialecte tunisien et le langage familier afin de toucher les jeunes... Mais la recherche d’informations sur les électeurs au sens du big data non. On n’est pas encore arrivés là (Répondant 20).

Ainsi, bien que tous les partis politiques semblent recourir au ciblage via Facebook lors de ces élections municipales, ces derniers n’ont pas montré un intérêt majeur à la collecte de données numériques personnelles sur les électeurs. Seul le parti Afek Tounes serait intéressé par les systèmes d’information et a exprimé son intention de recourir à des entreprises de collecte et de gestion des données personnelles sur les citoyens afin d’affiner les pratiques de ciblage.

Deux des stratèges confirment qu’ils sont en négociation avec certaines entreprises spécialisées dans la gestion des données personnelles comme Nation Builder ou la start-up française Liegey Muller Pons (LMP) pour acquérir un système d’information. Ils expliquent qu’ils ont trouvé des difficultés dues à certaines contraintes légales prévues dans la législation tunisienne. Selon eux, les entreprises qui ont fait leur preuve dans la gestion des données personnelles à des fins électorales sont basées à l’international. La loi de la protection des données personnelles en Tunisie interdit le stockage des données des citoyens tunisiens à l’étranger. Au moment de la réalisation des entretiens, le parti Afek Tounes avait des discussions avancées avec Nation Builder pour affiner davantage ses pratiques de ciblage selon des critères dont les habitudes de connexion des citoyens. Le stratège responsable des négociations affirme que:

[c]e serait bénéfique pour nous d’identifier nos sympathisants, la position géographique des électeurs, leur participation aux évènements, leurs préférences et leurs habitudes d’utilisation de Facebook … On n’arrive pas à adopter un ciblage spécifique à cause de cette limite légale qui concerne la gestion des données personnelles en Tunisie. Il y a vraiment un blocage. On est en discussions avancées avec Nation Builder via leur représentant à Tunis. Si une

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solution à ce blocage est trouvée on fera appel aux services de cette boite pour les municipales sinon ce sera reporté certainement pour les élections législatives de 2019 (Répondant 15).

Ainsi, les partis politiques tunisiens n’ont pas encore intégré les pratiques de segmentation, de microciblage et de recours aux analyses de type big data dans leurs stratégies numériques. Ils semblent se limiter uniquement à la fonction technique du ciblage que permettent les pages Facebook basée sur des informations volontairement divulguées par les internautes au réseau social comme leur lieu de résidence, leur âge ou leur sexe. Ce retard relatif dans l’adoption de certains principes de marketing électoral pourrait en fait s’avérer bénéfique pour une démocratie naissante comme la Tunisie car, comme le soulève Giasson (2017 : 13), des pratiques numériques d'organisation électorale semblent compromettre la qualité de la vie démocratique et la pratique de la citoyenneté en éliminant progressivement les notions de bien commun et de débat public.

6.2.2 Ennahdha et Nidaa Tounes : des campagnes numériques sous contrôle

L’analyse du discours des stratèges des deux grands partis au pouvoir (Ennahdha et Nidaa Tounes) indique l’existence de plusieurs points communs quant à l’importance accordée aux différentes fonctions des médias socionumériques. Les graphiques 6.2 et 6.3 illustrent les objectifs prioritaires pour ces deux partis politiques.

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Graphique 6.2 Distribution des catégories selon les répondants d’Ennahdha (au-delà de 5% des mentions)

Graphique 6.3 Distribution des catégories selon les répondants de Nidaa Tounes (au- delà de 5% des mentions)

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Les objectifs communicationnels d’Ennahdha et de Nidaa Tounes totalisent respectivement 51 % et 56,7 % des mentions (graphique 6.1). Les stratèges insistent sur l’importance de s’adresser aux citoyens via les médias socionumériques en diffusant un message partisan cohérant, structuré, et qui atteint son public cible. Les stratèges d’Ennahdha affirment recourir à Facebook essentiellement pour contrôler leur message de campagne et maintenir ainsi sa cohérence (11% de mentions, graphique 6.2).

Il y a beaucoup de dénigrement à l’égard de notre parti, de nos points de vue, de nos politiques et de nos orientations aussi bien de la part de certains chroniqueurs que d’adversaires politiques. On recourt aux médias sociaux pour réagir, rappeler et expliquer nos points de vue, nos décisions et pour faire face aux tentatives de désinformations et aux attaques à notre égard (Répondant 4).

De même pour les stratèges de Nidaa Tounes (11,4% des mentions, graphique 6.3), le message de campagne doit être contrôlé comme le déclare ce stratège :

Notre utilisation de Facebook se fait de manière très réfléchie. Il ne faut pas trop s’ouvrir sur les réseaux sociaux [sic]. N’importe quelle « erreur » pourrait créer un scandale. Les adversaires politiques jouent beaucoup sur ces petites erreurs pour les exploiter politiquement plus tard… Nos adversaires politiques déforment parfois nos messages et essayent de décrédibiliser le parti. Nous sommes présents sur Facebook pour y remédier et justifier nos positions (Répondant 7).

Cette caractéristique propre aux partis au pouvoir a été observée dans plusieurs études qui ont révélé que ces partis sont obsédés par le contrôle de leur message de campagne d’où la qualification demeurer on message (Bor, 2013; Giasson et al., 2013; Chadwick et Stromer- Galley, 2016). Même si certains stratèges de Nidaa Tounes mettent l’accent sur l’interaction avec les citoyens dans ce contexte d’élections locales afin de se rapprocher, d’échanger et discuter avec eux, l’interactivité proposée paraît assez contrôlée.

On interagit beaucoup avec les gens. On doit leur répondre pour paraître accessibles. C’est pour cette raison qu’on fait beaucoup de live chat… mais en répondant aux messages, il faut être vigilant et cohérent en respectant les orientations et la ligne politique du parti (Répondant 9).

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Concernant les objectifs politiques visés par ces formations qui représentent 31,3% pour Ennahdha et 27,2% pour Nidaa Tounes, nous relevons l’intérêt accordé à la catégorie « se faire connaître/visibilité » pour les stratèges d’Ennahdha (10 % des mentions) et pour ceux de Nidaa Tounes (7,1 % des mentions). La plateforme Facebook serait déployée prioritairement pour faire connaître les listes électorales et les candidats qui vont se présenter dans les municipalités en essayant d’améliorer l’image de leurs partis.

Ainsi, l’alliance des deux partis au pouvoir Nidaa Tounes et Ennahdha semble poursuivre principalement des objectifs communicationnels et politiques dans leurs usages des médias socionumériques. Au-delà du ciblage des messages, les objectifs de marketing, qui ne représentent que 17,7 % des mentions pour Ennahdha et 16,1 % pour Nidaa Tounes, ne semblent pas constituer une priorité. En ce sens, sur Facebook, Ennahdha chercherait à cibler d’abord les femmes d’après trois de ses stratèges. L’un d’eux indique que :

Un million de femmes ont voté pour le Président Béji Caid Essebssi en 2014. Elles constituent le socle de la société tunisienne et la base électorale la plus importante. Les femmes tunisiennes sont très actives dans la société et il est fondamental de les atteindre au maximum via Facebook. En Tunisie, on ne peut gagner des élections sans leur soutien (Répondant 1).

Les stratèges d’Ennahadha, parti islamo-conservateur, disaient qu’ils chercheraient à atteindre et à séduire davantage les femmes afin de se démarquer de l’image négative de parti opposé aux droits des femmes que ses adversaires politiques lui accolent. En ce sens, la formation a été la seule à respecter la parité horizontale et verticale dans toutes les listes électorales présentées dans les 350 municipalités (Nafti, 2019 : 85). À la municipalité de Tunis, une femme a été présentée comme tête de liste et a été élue maire, une première dans l’histoire de la Tunisie31. Cette stratégie d’Ennahdha a été clairement exprimée par ses stratèges et aurait été transposée dans le volet numérique de sa campagne aux municipales.

31 Le monde.fr, publié le 03-07-2018 « Souad Abderrahim, première femme à accéder au poste de maire de Tunis ». Article tiré du journal Le Monde.fr. Consulté en ligne : [https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/07/03/souad-abderrahim-premiere-femme-a-acceder-au-poste- de-maire-de-tunis_5325193_3212.html].

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Par ailleurs, l’analyse du discours des stratèges indique que ni ceux d’Ennahdha ni ceux de Nidaa Tounes ne semblent se soucier de l’ajustement de leurs stratégies suite à des rétroactions sur Facebook ni d’ailleurs de la diffusion de contenus coproduits par les usagers. Les deux partis ne semblent pas accorder d’importance au développement de communauté en ligne et ne seraient pas favorables à laisser une certaine liberté à leurs militants/sympathisants. Ces catégories représentent moins de 5% de l’ensemble des mentions. La marginalisation de l’ouverture à la participation citoyenne dans les réponses des répondants révèle la prudence et le contrôle qui ancrent la communication numérique d’Ennahdha et de Nidaa Tounes lors des municipales.

Ces conclusions confirment les propos de plusieurs chercheurs qui estiment que les partis politiques au pouvoir demeurent frileux quant à une ouverture démesurée sur les médias socionumériques (Giasson, 2017 : 8; Chadwick, 2013; Giasson et al., 2013). D’ailleurs, comme le souligne Bor (2013), les médias socionumériques sont intégrés dans les stratégies de campagne de tous les partis politiques, mais ils permettent principalement aux partis au pouvoir de contrôler leur message de campagne.

6.2.3 Front Populaire : une campagne avec les moyens du bord

Le Front Populaire ne dispose pas de grands moyens humains et financiers et il a l’avantage d’être un parti de militants vu son ancrage idéologique d’extrême gauche (Hmed, 2019 : 123). Les stratèges du parti interrogés dans le cadre de cette thèse reconnaissent les faiblesses de leur formation sur le plan communicationnel en général et sur le plan numérique plus particulièrement. Considérant les médias socionumériques comme une alternative à leur absence dans les médias traditionnels, Facebook leur permettrait de s’adresser directement aux citoyens :

[o]n est tellement lésés pas les médias traditionnels que les réseaux sociaux [sic] représentent aujourd’hui notre seule alternative. Ils nous permettent de nous adresser directement aux citoyens et de diffuser nos messages. C’est ce qui nous importe le plus pour le moment (Répondant 24).

D’après les répondants, l’usage des médias socionumériques repose essentiellement sur la diffusion des communiqués politiques, des points de vue et des quelques interventions

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médiatiques. La catégorie « diffuser le message » vient en première position des objectifs communicationnels, lesquels regroupent 45,8 % des mentions d’objectifs du Front Populaire. Le graphique 6.4 illustre l’importance accordée à chacune des catégories par les stratèges du Front Populaire que nous avons interrogé.

Graphique 6.4 Distribution des catégories selon les répondants du Front Populaire (au-delà de 5% des mentions)

Deux raisons sont avancées par les répondants pour expliquer cet usage « banalisé » des outils numériques : le manque de ressources financières d’une part et la faible importance accordée au volet numérique par les dirigeants du parti d’autre part. L’un des stratèges résume ainsi la situation :

[a]ujourd’hui au Front Populaire on admet avoir un problème et des faiblesses au niveau de notre politique de communication. On est encore au stade de l’utilisation basique de Facebook qui consiste à la diffusion de l’information. Nous n’avons pas de techniques développées ni de spécialistes en réseaux sociaux [sic] qui travaillent avec nous malgré l’importance de la communication digitale [sic]. On sait qu’il y a un manque en communication et principalement sur les réseaux sociaux [sic], mais nous essayons d’y remédier en faisant des efforts pour développer ce volet avec les moyens du bord. Nous accordons de l’importance aux réseaux sociaux [sic] uniquement lors des campagnes

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électorales. Or, il faut être constant dans l’utilisation de ces outils... (Répondant 26).

Malgré les difficultés sur le plan communicationnel et intra-organisationnel, les Communicantes du Front Populaire prétendent avoir élaboré une stratégie numérique de proximité pour les élections municipales. Facebook serait mobilisé non seulement pour s’adresser directement aux citoyens mais aussi pour interagir avec eux sur des sujets qui concernent spécifiquement leurs municipalités (10% des mentions, graphique 6.4). De nouvelles pages Facebook devaient être créées pour les municipalités où le Front Populaire se présentera et doivent servir, d’une part, de plateformes d’échange avec les citoyens et, d’autre part, de moyen pour identifier leurs préoccupations, leurs besoins et leurs priorités.

Les objectifs politiques représentent 38,5% des mentions. La mobilisation semble être une priorité pour le Front Populaire. Toutefois, la mobilisation hors ligne serait préférée à la mobilisation en ligne (respectivement 12,5% et 2,2% des mentions, graphique 6.4) à l’instar des deux partis au pouvoir Ennahdha et Nidaa Tounes. Cela pourrait s’expliquer par le fait que le Front Populaire est un rassemblement de partis traditionnels de gauche ayant une base militante relativement importante. Il miserait davantage sur le travail de terrain, ce qui a été souligné par les stratèges à plusieurs reprises.

L’analyse révèle l’existence d’autres points communs avec les deux partis de droite, comme la publicisation d’évènements et activités tels des rassemblements partisans (5,5% des mentions) ainsi que la promotion de l’idéologie du parti (7% des mentions pour Ennahdha et 8,1 % pour le Front Populaire). Cela s’explique car ses deux formations sont des partis programmatiques aux ancrages idéologiques marqués : le premier est un parti islamiste et le second est marxiste-léniniste.

Les objectifs de marketing représentent 15,8% de l’orientation des usages des médias socionumériques du Front Populaire. Le ciblage via Facebook arrive en première position de ces objectifs.

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Malgré la faible organisation interne dénoncées par les stratèges lors des entretiens, ces derniers semblent vouloir s’ouvrir, bien que de manière relativement faible, sur la participation citoyenne à travers notamment l’ajustement de la stratégie selon les rétroactions sur Facebook (3,7 % des mentions), le développement de communautés en ligne (2,6 % des mentions) ainsi que le recrutement de bénévoles (2,9 % des mentions).

Enfin, l’analyse des objectifs stratégiques poursuivis par les stratèges du Front Populaire pour ces élections municipales confirme l’exploitation du premier élément du répertoire d’actions numériques de la révolution. Il s’agit de l’utilisation adéquate de la plateforme Facebook pour s’adresser directement aux citoyens et contourner les médias traditionnels.

6.2.4 Afek Tounes, MTV et Courant Démocrate : des stratégies numériques « citoyennes »

Sans grande surprise, les objectifs communicationnels semblent orienter l’usage des médias socionumériques des partis Afek Tounes, MTV et Courant Démocrate. Toutefois, les stratèges interrogés expriment un intérêt envers les objectifs de marketing: 29,1 % pour Afek Tounes, 27,7% pour le Courant Démocrate et 25,9 % pour MTV.

Plusieurs points communs sont recensés dans le discours des stratèges de ces trois partis politiques du centre. Ces similitudes se traduisent dans l’ordre des priorités accordées aux différentes catégories. Elles sont illustrées dans les trois graphiques suivants (6.5, 6.6 et 6.7).

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Graphique 6.5 Distribution des catégories selon les répondants d’Afek Tounes (au- delà de 5% des mentions)

Graphique 6.6 Distribution des catégories selon les répondants du Courant Démocrate (au-delà de 5% des mentions)

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Graphique 6.7 Distribution des catégories selon les répondants du Mouvement Tunisie Volonté (au-delà de 5% des mentions)

En prévision des élections municipales, les répondants ont indiqué que la plateforme Facebook permettrait de communiquer un message construit autour d’enjeux locaux. Les pages Facebook créées pour chaque municipalité auraient pour objectif de diffuser le message (11% des mentions pour Afek Tounes, 13,2% pour le Courant Démocrate et 10,7% pour MTV) et de faire connaître leurs partis au niveau municipal (mentionnés respectivement 5,8%, 8,7% et 7,8% des mentions).

Dans cette perspective, les stratèges du Courant Démocrate et de MTV particulièrement, expliquent que les médias socionumériques constituent une alternative à leur absence dans les médias traditionnels.

Aujourd’hui en Tunisie, les médias privés dominent le paysage médiatique ... On se retrouve avec des chaines télés, radios et des journaux contrôlés par des lobbys financiers et publicitaires qui ont une influence directe sur la ligne éditoriale de ces médias. Ces lobbys sont liés aux partis au pouvoir, le parti Nida Tounes et à un degré moindre le parti Ennahdha. En tant que parti d’opposition on est exclus des médias privés. Notre alternative c’est les réseaux sociaux [sic] qui

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constituent le seul outil de communication qui permet de nous adresser directement aux citoyens. On a développé toute une stratégie en ce sens (Répondant 23).

Afin de compenser leur faible présence dans les médias traditionnels, ces derniers se tournent vers les médias qu’ils qualifient d’alternatifs (essentiellement Facebook) pour s’adresser directement aux citoyens. La mobilisation de ce genre de pratiques par les tiers partis d’opposition a été confirmée par plusieurs chercheurs dans différents contextes (Gibson et MacAlister, 2015; Koc-Michalska et al., 2016b; Larsson, 2016; Klinger et Russmann, 2017). Néanmoins, dans le contexte tunisien, cette tactique serait héritée des pratiques de la révolution de 2011 d’après les stratèges et serait mobilisée aujourd’hui dans un cadre électoral. Elle représente le premier élément du répertoire d’actions numériques de la révolution (RANR).

Lors de la révolution, lorsque les médias traditionnels étaient contrôlés par le régime de Ben Ali, Facebook a constitué un moyen efficace pour les contourner. Il a permis de faire aux différents acteurs de faire entendre leurs voix, leurs points de vue et leurs opinions. Aujourd’hui, dans un contexte soi-disant « démocratique », c’est toujours la même chose : pour faire connaître sa vision, son programme aux électeurs et aux citoyens en général, Facebook représente toujours la seule alternative pour un parti d’opposition absent des médias traditionnels (Répondant 23).

Les objectifs politiques représentent 31,7 % des mentions pour Afek Tounes, 31,9 % pour le Courant Démocrate et 31,5 % pour MTV de l’ensemble des objectifs stratégiques poursuivis par ces partis politiques. Nous relevons que les stratèges de ces mêmes formations mobilisent les médias socionumériques parfois pour attirer l’attention des médias. L’objectif étant de gagner davantage en visibilité. Un des stratèges du MTV déclare : « quand ils sont utilisés de manière intelligente, les médias sociaux peuvent donner accès aux médias traditionnels. Il nous arrive de provoquer une invitation via Facebook grâce à un statut provocant, parfois en attaquant de manière virulente les partis au pouvoir » (Répondant 16). Dans la même veine, l’un des stratèges du Courant Démocrate affirme :

[a]ujourd’hui, on provoque les médias classiques via les médias sociaux … Nous sommes obligés d’opérer de cette manière pour faire entendre notre voix. De nos jours, si un parti politique n’est pas présent dans les médias traditionnels, il

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risque de disparaître des projecteurs ... Nous essayons d’être toujours présents dans le paysage médiatique malgré les tentatives d’exclusions (Répondant 23).

En effet, en essayant d’attirer l’attention des médias traditionnels via Facebook, la plateforme devient pour ces formations politiques un moyen d’accès à l’espace public et aux électeurs qui consomment les grands médias nationaux. Cette logique s’inscrit dans l’hybridité du système médiatique avancé par Andrew Chadwick (2013).

Bien que la mobilisation de manière générale semble être abondamment exploitée par toutes les formations politiques, la mobilisation en ligne elle, semble représenter une priorité pour les stratèges de Afek Tounes (8,6%, graphique 6.5), du Courant Démocrate (11,6%, graphique 6.6) et de MTV (10,4%, graphique 6.7) comme le déclare ce stratège : « l’un de nos objectifs sur les médias sociaux est de s’ouvrir au public. Il est essentiel d’avoir un public qui fait lui-même campagne et relaye les messages politiques sur Facebook » (Répondant 15). Particulièrement pour les stratèges du Courant Démocrate, les militants doivent être constamment mobilisés pour qu’ils fassent eux-mêmes campagne sur Facebook en partageant des vidéos, des photos, en relayant des informations, des messages politiques et des hashtags :

[o]n compte beaucoup sur le phénomène de viralité et la logique du partage sur Facebook. Le contenu doit être partagé massivement par les militants. Ces milliers de militants jouent un rôle crucial dans la communication digitale [sic] en diffusant à grande échelle l’information et en faisant la promotion du parti ... Ils doivent être constamment mobilisés sur Facebook (Répondant 22).

Les stratèges estiment que cette pratique est héritée de la dynamique organisationnelle de la révolution de 2011. Elle renvoie au troisième élément du répertoire d’actions numériques de la révolution qui consiste à adopter des formes de mobilisation citoyenne reposant sur le rôle central des militants/sympathisants/bénévoles.

Les médias sociaux ont eu un rôle mobilisateur important au moment de la révolution à travers des pages comme « Union des pages de la révolution ». Le niveau d’activité sur ces pages, l’engagement des citoyens en termes de partage et de commentaires était très important. Aujourd’hui, on essaye de travailler de

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la même manière dans la communication digitale [sic] ... Les militants doivent s’investir et créer une dynamique de mobilisation (Répondant 21).

Cette approche qui repose sur une liberté relative laissée aux militants et aux sympathisants est déployée dans d’autres contextes nationaux grâce à des plateformes de mobilisation qui permettent à l’élite d’exercer un certain contrôle sur l’action militante (Chadwick, 2013; Gibson, 2020; Vaccari, 2010; Giasson et al., 2019). Contrairement à ce qu’on observe dans les démocraties occidentales, les partis politiques tunisiens eux ne détiennent pas ce genre de plateformes leur permettant de baliser l’action militante. L’organisation des militants se ferait dans ce contexte uniquement sur Facebook via des groupes privés. Par conséquent, bien que les stratèges semblent soucieux de l’orientation de la campagne en donnant les consignes en amont, il demeure difficile de contrôler les actions des militants sur Facebook surtout lorsque les campagnes officielles se chevauchent avec des campagnes non- officielles.

Concernant les objectifs de marketing, nous relevons l’intérêt accordé au développement de communauté en ligne de la part des stratèges de Afek Tounes (7,5% des mentions), du Courant Démocrate (7,4% des mentions) et de MTV (9,3% des mentions). Selon eux, il est important de créer des groupes de militants pour organiser et coordonner des actions et pour faire campagne :

[o]n utilise les médias sociaux et principalement Facebook pour échanger avec la communauté de militants à travers des groupes fermés. Les informations importantes se relayent au sein de ces groupes … Les militants discutent, débattent entre eux et s’organisent. C’est le cas du groupe Facebook nommé [...] composé de 450 personnes qui coordonnent et organisent leurs prochaines actions en lien avec la campagne municipale à Tunis… (Répondant 20).

Grâce aux groupes Facebook privés, les partis politiques peuvent garder leurs équipes et leurs militants mobilisés pour relayer les messages et faire campagne. Un des stratèges déclare :

[l]es adhérents sont actifs dans des groupes Facebook internes créés par des présidents de section. Chaque président de bureau local créé son groupe et anime sa communauté dans un groupe Facebook dans lequel les militants interagissent

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constamment afin d’organiser et de coordonner des actions en ligne et sur le terrain (80, 100, 200 adhérents selon la localité/délégation, 10 000 au niveau national) (Répondant 10).

Cette approche adoptée serait également héritée des pratiques numériques de la révolution selon certains stratèges. Elle renvoie dans ce contexte au deuxième élément du répertoire d’actions numériques de la révolution à savoir : « créer une dynamique horizontale envisagée à travers la coordination, la co-production du contenu et le développement de communautés en ligne ».

Il convient de rappeler toutefois que la majorité des stratèges de ces partis politiques sont demeurés cyber-optimistes lors du passage de la phase révolutionnaire à l’instauration du régime démocratique et ils idéalisent souvent le rôle du numérique aussi bien lors de la révolution que dans les campagnes électorales. Ils estiment que la référence dans les usages politiques du numérique demeure la révolution de 2011. Mettant en avant son caractère pionnier, la révolution constitue pour eux un modèle en termes d’organisation et de mobilisation numérique.

Par ailleurs, bien que tous les stratèges des formations politiques considèrent que les échanges avec les citoyens sur des enjeux locaux sont indispensables, ceux du Courant Démocrate seraient plus ouverts à l’ajustement de la stratégie suite aux interactions avec les citoyens sur Facebook (4% des mentions). L’un d’eux affirme :

[o]n est très présents et ouverts sur Facebook au point où on a même pris des positions politiques et changé parfois de cap suite aux réactions des citoyens ... Plusieurs points nous ont permis d’adapter notre communication sans changer de position mais en adaptant plutôt notre stratégie. Je pense que le point fort de Facebook c’est les feedbacks qu’il génère et que nous prenons au sérieux (Répondant 19).

D’un autre côté, nous constatons l’intérêt accordé aux études de marché et aux sondages par le parti Afek Tounes (4,6% des mentions). En effet, le parti collabore avec des firmes nationales et internationales selon ses stratèges et réalise des études à l’aide de groupes de discussion pour la planification et pour déterminer des thématiques globales à aborder au

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niveau des régions et des localités. Ainsi, une question s’impose : Pourquoi est-ce la seule formation dont les stratèges expriment ouvertement leurs pratiques de ciblage, de collectes de données et d’études de marché ? Nous pensons que cela pourrait s’expliquer par les sources d’inspiration d’une partie de son personnel de campagne, pour qui, les modèles étrangers, français en particulier, constitue la référence en termes de marketing politique et de campagnes numériques. Inspirés de pratiques de marketing usuelles dans d’autres contextes nationaux, ils semblent les importer au sein de leur propre formation.

Ainsi, il apparaît que ces trois formations alternatives d’opposition du centre accordent de l’intérêt au développement de communautés en ligne, au recrutement de bénévoles et de nouveaux cybermilitants afin de coordonner et d’organiser des actions en ligne et hors ligne. Dans le même ordre d’idées, la mobilisation en ligne semble constituer une priorité pour ces partis politiques afin de susciter l’action des militants sur Facebook.

Discussion

Menés afin de mieux comprendre comment les formations politiques allaient déployer leurs campagnes numériques dans le cadre des élections municipales de 2018, nos entretiens de recherche avec les stratèges révèlent que les partis politiques accordent une place importante aux médias socionumériques dans leurs stratégies électorales. Ils se sont vus contraints de les intégrer dans leurs stratégies pour deux raisons : d’une part à cause de leur influence sur la scène politique tunisienne depuis la révolution de 2011 et, d’autre part, en réaction à l’interdiction de la publicité politique sur les médias audiovisuels en période électorale. Comme l’a souligné Bruce Bimber (2014), l’environnement communicationnel évolue avec les transformations technologiques. Cet environnement, qualifié d’hybride par Andrew Chadwick (2013), intègre davantage le numérique dans l’élaboration et la mise en œuvre des campagnes électorales (Giasson, 2017; Lilleker et al., 2015; Lilleker et al., 2017).

Nos entretiens révèlent que les stratégies électorales pour les municipales auraient été élaborées en combinant des outils numériques avec des pratiques hors ligne plus traditionnelles. Cette hybridité permet aux grands partis au pouvoir de bénéficier d’une couverture médiatique plus large de leurs activités de campagne. Elle permet aux formations

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alternatives d’opposition de contrecarrer leur faible présence médiatique et, dans certains cas, d’attirer l’attention des médias traditionnels, dont ils ont besoin pour rejoindre les électeurs qui les consomment encore majoritairement pour obtenir de l’information politique. La logique d’hybridité est également révélée par la diffusion sur les plateformes numériques de passages tirés des médias traditionnels et, inversement, lorsque les stratèges espèrent que des publications Facebook soient relayées par le biais de médias traditionnels afin de toucher un auditoire plus large. L’hybridité s’exprime aussi à travers le déploiement de groupes Facebook privés et publics pour l’organisation d’actions de mobilisation ayant pour but de se concrétiser en actions de terrain, comme des rassemblements partisans dans les municipalités ou des campagnes de porte à porte.

Intégrés dans la stratégie de campagne officielle des formations politiques, les médias socionumériques seraient mobilisés pour des fonctions externes (diffuser le message, se faire connaître, contrôler le message) et des fonctions internes (développement de communautés, coordination interne, recrutement de bénévoles, ajustement de la stratégie).

Au niveau intra-organisationnel, la logique de l’hybridité est observée davantage dans les stratégies des formations Afek Tounes, MTV et le Courant Démocrate, dont les stratèges semblaient être plus favorables à ce que Gibson qualifie de citizens-initiated campaigning (Gibson, 2015, 2020 ; Koc-Michalska et al., 2016a), soient des actions numériques basées sur le développement de communautés, la mobilisation en ligne et la diffusion de contenus produits ou coproduits par les usagers (Giasson et al., 2018; Lilleker et al., 2017).

L’ouverture à la participation des militants et des sympathisants exige toutefois de garder un certain contrôle sur leurs actions, un phénomène qualifié de managed interactivity par Daniel Kreiss (2012). La portée de ce contrôle demeure incertaine dans le contexte tunisien puisque les formations politiques ne détiennent pas de plateformes permettant de gérer et de baliser l’action militante. De plus, l’hybridité entre campagnes officielles et officieuses et leur enchevêtrement relevé dans le chapitre précédent rendent ce contrôle du parti sur sa campagne plus complexe.

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En recourant à ces pratiques plus engageantes et plus innovantes dans l’élaboration des stratégies numériques, les formations alternatives d’opposition adopteraient une nouvelle approche de campagne numérique au niveau municipal qui s’inspire de la conception délibérative de la communication politique (Theviot, 2018 : 146). En revanche, les partis au pouvoir (Ennhahdha et Nidaa Tounes) miseraient davantage sur des campagnes numériques hiérarchiques et contrôlées.

Ces conclusions rejoignent l’hypothèse de David Karpf (2012) qui stipule que les partis d’opposition sont généralement plus susceptibles que les formations traditionnelles d'adopter des innovations technologiques et de prendre des risques dans leurs communication électorale numérique (Giasson et Small, 2017; Karpf, 2012; Larsson, 2013b; Vaccari, 2013a).

Certains chercheurs (dont Verville, 2012 : 20; Small, 2008 : 66; Koc-Michalska et al., 2016b; Vergeer et Hermans, 2013) ont apporté des explications à ce phénomène. Les petites formations ayant peu de chances de former le gouvernement peuvent se permettre d’adopter ce genre de stratégies numériques bottom-up, ouvertes et plus participatives. En outre, l’indifférence que leur réservent les médias traditionnels dans leur couverture électorale expliquerait aussi leur présence active sur le web qui vise à attirer l’attention médiatique et leur permettre d’obtenir plus de visibilité (Giasson et al., 2013 : 142; Theviot, 2018 : 142; Klinger et Russmann, 2017; Gibson et MacAlister, 2015).

À l’inverse, les campagnes numériques des partis au pouvoir sont constamment suivies et analysées de près par la presse, par les médias et par leurs adversaires. Des couacs numériques pourraient engendrer des répercussions négatives sur la campagne et éventuellement sur leur réélection (Giasson et al., 2018). Cela amènerait les stratèges des partis au pouvoir à envisager des campagnes numériques plus prudentes et donc peu participatives et plus contrôlées.

Chadwick et Stromer-Galley (2016) ainsi que Bennett et ses collègues (2018) qui se sont intéressés à l’ancrage idéologique soutiennent que les partis de gauche sont les plus

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favorables à l’engagement démocratique et à la décentralisation. Ces partis qui se revendiquent d’une démarche « citoyenne », d’après Giasson et ses collègues (2013 : 143), sont censés promouvoir la participation populaire à la démocratie et seraient donc plus favorables au dialogue et à l’échange avec les citoyens. Néanmoins, dans le contexte tunisien, nos données indiquent que ce serait plutôt les formations de centre-gauche, sociales-démocrates (MTV et Courant Démocrate) et de centre-droit (Afek Tounes) qui seraient les plus favorables à la participation citoyenne dans l’élaboration des stratégies numériques.

Le Front populaire, une formation d’extrême gauche, ne semble pas adopter l’innovation dans sa stratégie numérique. Nos conclusions rejoignent plutôt celles de Lilleker, Tenscher et Stêtka (2015 : 749) et de Vaccari (2013a : 119) qui soutiennent que les partis centristes sont les plus actifs en ligne et les plus ouverts à la participation citoyenne, particulièrement ceux de centre-gauche modérés socialistes et écologistes selon Vaccari. Ainsi, notre analyse propose trois facteurs qui permettent de comprendre les choix stratégiques adoptés par les formations politiques tunisiennes en prévision de leurs campagnes numériques pour les élections municipales :

1. La culture organisationnelle du parti politique

Les partis Ennahdha, Nidaa Tounes et à un degré moindre le Front Populaire, sont des partis de masse, de militants tandis que les formations alternatives MTV, Courant Démocrate et Afek Tounes, sont considérées plutôt comme des partis d’élites. Ces partis s’appuieraient davantage sur le militantisme en ligne afin de compenser leur nombre restreint de militants et leur faiblesses relatives sur le terrain. C’est ce qui expliquerait le degré de liberté d’action accru offerts par ces partis à leurs cybermilitants et sympathisants dans l’usage du numérique. Leurs militants seraient constamment mobilisés pour faire campagne sur Facebook en partageant des contenus vidéos, des photos et en relayant des informations, des messages politiques et des hashtags produits et par le parti et par les sympathisants. Ces derniers font appel à des communautés en ligne, qualifiés par Theviot (2018 : 113) comme des groupes « d’intérêts communs » regroupant des internautes partageants les mêmes croyances et préoccupations. Dans ce contexte, il s’agit d’un intérêt commun pour la

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Révolution et la réalisation de ses objectifs. Ce système d’organisation est privilégié par les formations pro-révolution qui accordent de l’importance aux réseaux de bloggeurs, cyberactivistes en les intégrant comme des membres actifs de la campagne (Theviot, 2018 : 117). La notion de communauté est quasi-inexistante chez les partis Ennahdha et Nidaa Tounes.

2. Le positionnement du parti politique par rapport à la révolution de 2011

Nos entretiens de recherche indiquent que les formations politiques qui semblent adopter une stratégie numérique citoyenne reposant sur une mobilisation horizontale et participative sont aussi celles qui se revendiquent d’une identité révolutionnaire (MTV et Courant Démocrate) et qui soutiennent la révolution (Afek Tounes). À l’opposé, les partis politiques qui optent pour des stratégies numériques prudentes et contrôlées sont plus critiques envers le processus révolutionnaire (Nidaa Tounes) ou estiment que la révolution est un chapitre clos de l’histoire tunisienne (Ennahdha). Une grande partie de leurs stratèges réfèrent également à des modèles étrangers de campagnes numériques. La figure 6.2 illustre cette nouvelle nomenclature partisane en fonction du type de stratégie numérique adopté.

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Figure 6.2 Positionnement des formations politiques à l’égard de la révolution et type de stratégie numérique adopté

Positionnement de soutien à l’égard de la Révolution

Courant démocrate Mouvement Tunisie Volonté Front Populaire

Afek Tounes

Stratégies numériques Stratégies numériques citoyennes contrôlées

Ennahdha

Positionnement critique à l’égard de la Révolution

Bien que le Front Populaire se revendique d’une identité révolutionnaire et que la majorité de ses stratèges disent s’inspirer des pratiques de la révolution, l’analyse des objectifs assignés à la campagne indique plutôt que la stratégie numérique prévue pour les municipales est peu innovante et participative. Trois facteurs peuvent expliquer ce constat :

A. Le Front Populaire ne dispose d’aucun cyberactiviste de la révolution au sein de son équipe de campagne. B. Tous ses stratèges sont devenus cyber-réalistes dans ce contexte démocratique. C. Seul le premier élément du répertoire d’actions numériques de la révolution est exploité par ces derniers, à savoir : « s’adresser directement aux citoyens en contournant les médias traditionnels ».

En revanche, six des sept cyberactivistes de la révolution de notre échantillon appartiennent aux équipes de campagne des trois formations politiques qui adopteraient des stratégies numériques citoyennes (Afek Tounes, MTV et Courant Démocrate). De plus, leurs stratèges, toujours cyber-optimistes dans le contexte de la démocratisation (neuf sur 14), sont inspirés

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par les pratiques numériques de la révolution (neuf sur 14).

Il apparaît donc que plus le personnel de campagne des partis politiques se compose de cyberactivistes de la révolution et de stratèges cyber-optimistes, plus les éléments du répertoire d’actions numériques de la révolution (RANR) sont exploités dans le cadre électoral. Ainsi, plus les éléments du répertoire sont exploités par les stratèges et plus les stratégies numériques de leur parti semblent épouser une forme horizontale et participative.

Ces trois facteurs inter-reliés verticalement, à savoir la présence au sein de l’équipe stratégique de cyberactivistes révolutionnaires, de cyber-optimistes et d’une ouverture aux pratiques de la révolution, constituent des sédiments de la révolution de 2011. L’accumulation et le regroupement de ces sédiments au sein de ces formations politiques semblent favoriser la mise en place de stratégies électorales plus citoyennes et mobilisantes pour les élections municipales de 2018.

La révolution de 2011 aurait généré des particules sédimentaires qui se seraient transportées durant ces sept dernières années d’un contexte non conventionnel révolutionnaire à un contexte institutionnel démocratique pour se déposer et s’accumuler au sein de certaines formations politiques (Afek Tounes, du MTV et du Courant Démocrate). La figure 6.3 illustre ce processus de sédimentation appliqué aux campagnes numériques de Afek Tounes, du MTV et du Courant Démocrate.

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Figure 6.3 Processus de sédimentation appliqué aux campagnes électorales numériques

Contexte révolutionnaire (2011)

Révolution

Altération

Pratiques de la Cyber-optimistes révolution

Cyberactivistes

Transport

Dépôt Contexte démocratique (2018)

Pratiques de la révolution

Stratégies Cyber-optmistes numériques citoyennes Cyberactivistes

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Ainsi, sept ans après le soulèvement, et dans un contexte de transition démocratique relativement réussie, les sédiments de la révolution de 2011 semblent avoir une incidence sur l’orientation des lignes directrices des stratégies électorales de certaines formations politiques en 2018.

Toutefois, bien que le processus de sédimentation permette de comprendre ce phénomène, il ne constitue pas une règle. En effet, parmi les stratèges du parti Nidaa Tounes par exemple figure un cyberactiviste de la révolution, cyber-optimiste et inspiré des pratiques numériques de la révolution. Pourtant et malgré la présence de ce dernier au sein de l’équipe de campagne de Nidaa Tounes, le parti ne semble pas adopter une stratégie numérique citoyenne. Deux points pourraient expliquer ce phénomène :

Ø Les Technos, gestionnaires de communautés au sein des partis traditionnels auraient un rôle d’exécutants. En effet, comme constaté dans le chapitre 3, l’organisation interne au sein de ces partis (Ennahdha et Nidaa Tounes) serait verticale et hiérarchique et notamment en ce qui concerne la répartition des tâches dans le volet numérique. À l’inverse, l’organisation interne des formations alternatives serait plus horizontale et la logique de hiérarchie n’est pas respectée. Les Technos exerceraient un rôle davantage stratégique et décisionnel qu’exécutif.

Ø En intégrant les partis politiques, il se pourrait que les stratèges s’adaptent à la culture dominante au sein du parti. Dans le cas de Nidaa Tounes par exemple, il est probable que ce soit la culture partisane (qui renvoie ici à celle de l’ancien régime) qui serait dominante et qui orienterait conséquemment la conception des stratégies numériques.

3. Les valeurs des stratèges responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre des stratégies numériques.

L’analyse indique que les stratèges cyber-pessimistes qui étaient au cœur de l’ancien régime et qui ont intégré le parti Nidaa Tounes après la révolution tentent d’appliquer les pratiques traditionnelles du RCD aux stratégies électorales de Nidaa Tounes dans le contexte

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démocratique. D’autres en revanche, cyber-optimistes et acteurs de la révolution, auraient été imprégnés par l’expérience révolutionnaire à travers ses pratiques numériques contestataires et organisationnelles et les auraient intégrées dans les stratégies numériques de leurs partis.

Les stratèges semblent donc être inspirés par leurs parcours politiques personnels, leurs expériences, leurs valeurs et leurs perceptions dans l’élaboration des stratégies électorales. D’un côté des pratiques révolutionnaires, de l’autre des pratiques plus autoritaires issues de l’ancien régime. Notons ici que la rivalité révolutionnaire/contre-révolutionnaire, identifiée dans la perception des stratèges, semble se transposer dans la manière de penser et de concevoir les stratégies électorales.

Ces conclusions confirment d’une part que les acteurs des mouvements contestataires qui s’engagent plus tard dans un parti politique tentent d’adapter leurs pratiques de mobilisation en privilégiant une approche citoyenne inspirée de ces mouvements (Heaney et Rojas, 2015, cités dans Vaccari et Valeriani, 2016; Kitschelt, 2006 : 28; Dennis, 2019; Romanos et Sádaba, 2016). D’autre part, ces conclusions confirment plus globalement celle de Philip Howard (2006) qui soutient que les stratèges numériques intègrent les valeurs qui dominent dans leurs communautés dans la conception des outils et leur déploiement dans les campagnes électorales. Cette logique tire son fondement de ses travaux sur les campagnes « hypermédias » aux États-Unis réalisés en 2006.

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Conclusion

Depuis la révolution de 2011, les médias socionumériques constituent en Tunisie le nerf des campagnes électorales. En effet, dans ce pays où sept des onze millions d’habitants sont connectés à Facebook (M’rad, 2020; Hammami, 2020) et où la publicité politique est interdite dans les médias traditionnels, il n’est pas surprenant de voir qu’une grande partie des campagnes électorales se déroule désormais sur les médias socionumériques, et sur Facebook en particulier. Ces médias occupent depuis la révolution de 2011 une place importante dans la vie politique et sociale (M’rad, 2017; Hammami, 2020; Delmas, 2020). Pourtant, malgré les six rendez-vous électoraux qu’a connus le pays depuis la révolution de 2011, les stratégies numériques des organisations politiques demeurent encore méconnues puisqu’aucune étude ne s’était encore penchée sur ce sujet. Il existe néanmoins un décalage entre le développement rapide des campagnes numériques dans le monde et le peu d’études consacrées à ce sujet en Tunisie où le champ de recherche reste largement inexploré sur le plan théorique et empirique.

Notre thèse entend combler cette carence dans la littérature académique. Il existe un manque de travaux sur des contextes autres que des démocraties occidentales établies et sur des élections locales plutôt que nationales. De plus, l’étude de cas issus de contextes différents permettrait de mieux comprendre les enjeux liés à l’élaboration des stratégies, aux modes d’appropriation et aux usages du numérique, qui dépendraient de considérations sociales et politiques différentes d’un pays à un autre (Enli, 2017; Vaccari, 2013a). Pour appréhender le cas de la démocratie émergente tunisienne par exemple, il est important de prendre en considération la révolution de 2011 qui constitue un point tournant dans la vie politique nationale et dans lequel le numérique est fréquemment présenté comme ayant joué un rôle important.

Le point de départ de notre réflexion a consisté à analyser les stratégies numériques des partis politiques à partir de l’étude du profil de leurs concepteurs, de leurs perceptions, de leurs sources d’inspiration ainsi que des objectifs qui ancrent leurs campagnes numériques. En nous inspirant du processus de sédimentation, nous avons tenté de voir quelles ont été les

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traces laissées par la communication et l’action militante déployées lors de la révolution dans les campagnes numériques des partis politiques lors des élections municipales de 2018. Quatre questions de recherche ont structuré cette thèse :

• QR 1. Qui sont les stratèges en communication numérique des partis politiques tunisiens ? • QR 2. Quelle est leur perception du rôle des médias socionumériques lors de la révolution ? • QR 3. Les stratèges s’inspirent-ils des pratiques de la révolution dans l’élaboration des stratégies numériques pour les élections municipales de 2018 ? • QR 4. Quels sont les objectifs stratégiques assignés aux campagnes numériques pour les élections municipales de 2018 ?

En apportant des éléments de réponses à ces interrogations, la thèse propose une contribution nouvelle aux travaux consacrés à l’étude du web politique.

D’un point de vue théorique, elle met en lumière des dimensions sociologiques souvent négligées dans les travaux sur les campagnes numériques. En plaçant la focale sur les concepteurs des stratégies numériques et leurs caractéristiques personnelles, l’étude se démarque de la majorité des recherches sur le web politique qui se consacrent généralement aux analyses des objets techniques. L’une des ambitions de cette thèse est de donner un caractère sociologique aux études sur les campagnes numériques (Theviot, 2018; Rueff, 2017).

La thèse met aussi en relation deux champs disciplinaires distincts. Elle montre comment l’approche théorique de l’« action connective » (Bennett et Segerberg, 2012) développée initialement dans le cadre des mouvements sociaux en ligne s’articule avec l’approche théorique du système médiatique hybride (Chadwick, 2013) dans un cadre de communication politique électorale. Cette contribution théorique ouvre le débat sur une éventuelle redéfinition des frontières entre ces deux champs disciplinaires qui s’avèrent, au vu de l’émergence de ces pratiques numériques, on ne peut plus poreuses.

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D’un point de vue méthodologique, la thèse mobilise un devis mixte qui combine des techniques de collecte et d’analyse de données qualitatives et quantitatives. La composante qualitative est centrée sur les concepteurs des stratégies numériques. Ce protocole de recherche, peu commun dans les études sur le web politique, permet une réelle immersion dans le monde de cette catégorie d’acteurs. Au-delà des dimensions liées au profil des stratèges, la méthodologie déployée interroge leurs perceptions, leurs sources d’inspiration ainsi que les objectifs qui orientent la conception des stratégies numériques de leurs partis politiques. Comme le soulève Theviot (2018 : 38) :

Les entretiens permettent d’appréhender la personne dans plusieurs de ses dimensions et non uniquement dans sa dimension « numérique ». Retracer la globalité de son vécu, analyser comment le numérique s’est inséré dans le parcours de vie de l’enquêté, se révèle central dans l’analyse des pratiques d’engagement.

Sur le plan empirique, la thèse présente des données sur le profil des stratèges numériques en Tunisie, sur leur vécu, sur leurs expériences, sur leur rôle dans la révolution et sur leurs perceptions du numérique aussi bien lors de la révolution que lors des compétitions électorales. L’étude revient sur une période charnière de l’histoire de la Tunisie en présentant de nouvelles données sur le rôle des cyberactivistes et leur utilisation du numérique durant la révolution.

D’autre part, la thèse présente des données exclusives sur les stratégies numériques des partis politiques tunisiens en prévision des élections municipales de 2018. Ces données ont porté sur les sources d’inspiration des enquêtés ainsi que sur les objectifs de leurs campagnes numériques. La comparaison des objectifs stratégiques des partis politiques de notre échantillon (à travers le discours des stratèges) a permis de comprendre comment au-delà de facteurs contextuels et institutionnels, l’accumulation de sédiments issus de la révolution semblent mener certains stratèges à privilégier la conception des stratégies numériques différentes au sein des partis politiques pro révolution.

À la recherche des cyberactivistes de la révolution

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Cette thèse vient apporter une contribution à la sociologie des professionnels de la communication politique à travers un éclairage neuf sur le monde des stratèges en Tunisie. L’étude du profil de ces acteurs, leurs expériences vécues et leur rôle dans la révolution s’avère pertinente pour comprendre comment s’élaborent des stratégies numériques en Tunisie. En effet, comme l’ont souligné certains chercheurs (Kreiss, 2012; Theviot, 2018 : 38), l’analyse des carrières individuelles des stratèges constitue un support essentiel pour mieux comprendre la montée en puissance du numérique dans les campagnes électorales.

Le portrait dressé des stratèges en Tunisie a permis de distinguer trois types d’acteurs impliqués dans la campagne numérique pour les élections municipales de 2018 : les Apparatchiks, les Communicantes et les Technos. Les Technos représentent un groupe de stratèges particulier au sein des partis politiques tunisiens du fait de leurs points communs : jeunes, de sexe masculin, éduqués, formés en informatique, possédant des connaissances avancées de l’écosystème numérique, mais surtout en majorité cyberactivistes lors de la révolution de 2011. Ces derniers géraient des pages Facebook influentes et avaient pour rôle de propager l’information et de mobiliser les citoyens.

Les partis politiques auraient intégré ces cyberactivistes dans des postes-clés en lien avec le numérique (gestionnaires de communautés en ligne) du fait de leurs compétences et de leurs expertises, mais aussi de leur expérience en « mobilisation numérique » acquise pendant la révolution tunisienne. Comme le soulignent Kitchelt, (2006 : 280) et della Porta et ses collaborateurs (2017 : 7), les activistes de mouvements sociaux qui intègrent plus tard les partis politiques appliquent les pratiques stratégiques des mouvements sociaux dans l’arène de la compétition électorale. Cette catégorie d’acteurs, intégrée aujourd’hui dans les structures décisionnelles des partis politiques, représente le premier sédiment de la révolution dans la vie démocratique.

Cyber-optimistes de la révolution aux élections

La thèse apporte un éclairage additionnel sur la perception des stratèges face au rôle du numérique en politique. Rares sont les études qui se sont penchées sur les croyances, les valeurs et les perceptions des acteurs chargés d’élaborer les stratégies web, alors que ces

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facteurs permettent une meilleure compréhension des pratiques numériques (Proulx et Breton, 2016 : 267). Les choix stratégiques adoptés par les stratèges sont souvent liés à leur conception du web et à leurs perceptions des outils numériques (Theviot, 2018 : 139). Sans oublier que la vision du personnel de campagne vis-à-vis du numérique est appuyée par son vécu, sa carrière et son expérience et aurait une influence sur sa manière de concevoir le dispositif (Theviot, 2018 : 37). Ainsi, afin de comprendre l’élaboration des stratégies numériques des partis politiques en Tunisie, il est important d’étudier la perception que se font les stratèges du rôle du numérique, aussi bien lors de la révolution que lors des élections. L’approche adoptée ici apporte une contribution originale à la littérature académique à trois niveaux.

En premier lieu, l’analyse des perceptions des stratèges permet d’en savoir davantage sur les évènements de la révolution de 2011 et, notamment, sur les tactiques déployées par les cyberactivistes lors de cet évènement. Nos données indiquent que grâce aux médias socionumériques, les cyberactivistes de la révolution seraient arrivés à contourner les médias traditionnels nationaux sous l’emprise du régime. Ils auraient réussi à médiatiser la contestation à travers une logique d’hybridité « Al-Jazeera – Facebook » et auraient également coordonné, organisé la contestation et mobilisé les citoyens grâce à des pages Facebook « influentes ». L’analyse a permis en ce sens de mettre en évidence le rôle de ces pages Facebook « populaires et influentes » ayant vu le jour durant les évènements contestataires et qui auraient permis aux internautes de se regrouper et de s’organiser lors de la révolution. Ces pages qui étaient gérées par les cyberactivistes (dont certains font partie de notre échantillon) et suivies par des milliers d’abonnés, seraient mobilisées aujourd’hui dans un cadre électoral.

Deuxièmement, l’étude des perceptions révèle le passage d’acteurs de l’ancien régime (du parti RCD dissout) vers le parti Nidaa Tounes. Pour la première fois, des stratèges de l’ancien régime présentent leur version des faits face aux évènements de 2011. Il s’agit d’une contribution importante de la thèse puisqu’aucune étude n’a montré jusqu’à présent comment l’administration Ben Ali a perçu le rôle du numérique dans le soulèvement populaire. La perception des stratèges est idéologique et liée principalement au

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positionnement de ces acteurs par rapport aux événements de la révolution. Alors que l’adhésion à la notion de « révolution numérique » semble fortement ancrée dans l’esprit de la majorité des stratèges de notre échantillon (20 sur 27), ceux de l’ancien régime perçoivent le numérique plutôt comme un outil déployé pour manipuler les citoyens et pour les induire en erreur dans un projet de complot orchestré par l’Occident et les États-Unis en particulier.

Troisièmement, nos travaux montrent que le changement de contexte d’un cadre révolutionnaire à un contexte démocratique (de la révolution aux élections) semble avoir eu un impact sur les perceptions et les croyances de la majorité des stratèges. En effet, 16 répondants sur 27 considèrent que le numérique ne porte plus un potentiel démocratique dans le nouveau contexte de compétition électorale. Les justifications avancées par ces stratèges plus réalistes constituent une contribution notable à la littérature académique puisqu’elles soulignent un côté obscur des campagnes numériques dans un contexte démocratique rarement divulgué par les membres des équipes de campagne. L’étude des perceptions nous a permis de comprendre et de mettre en évidence le déploiement de pages Facebook « anonymes », de connaître leur provenance, leur mode de fonctionnement, leur marchandage et leur changement de vocation et d’objectifs d’une période à une autre.

Nos données indiquent finalement que malgré ces supposées « dérives » numériques dans un contexte démocratique, un groupe de stratèges (11 sur 27) légitime ces pratiques et est demeuré optimiste de la révolution aux élections : il s’agit principalement des Techno- activistes. Cet optimisme constant face au numérique est associé chez ces stratèges à forte croyance en l’idée d’une « révolution Facebook ». Ce cyber-optimisme se transforme parfois chez certains en un déterminisme technologique. Néanmoins, il représente le second sédiment de la révolution dans ce contexte démocratique.

La révolution de 2011 comme source d’inspiration

Cette thèse apporte un nouvel éclairage sur les sources d’inspiration des concepteurs des stratégies numériques dans le contexte tunisien. Cet aspect, peu étudié dans la littérature, contribue à comprendre davantage les décisions qui ancrent l’élaboration des stratégies de campagne (Theviot, 2019 : 87; Chadwick, 2013 : 129; Kreiss, 2012). Nous avons cherché à

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savoir si les stratèges s’inspirent des pratiques de la révolution dans l’élaboration de la stratégie numérique de leur parti politique pour les élections municipales de 2018.

Il s’avère que la majorité des stratèges d’Ennahdha (3 sur 4) s’inspirent de modèles occidentaux en termes de campagnes numériques alors que ceux de Nidaa Tounes (3 sur 5) s’inspirent des pratiques de l’ancien régime de Ben Ali (RCD). En revanche, une grande partie des stratèges des partis d’opposition (12 sur 18) s’inspirent de principes et de pratiques numériques issus de la révolution de 2011. Ces pratiques numériques ont fait l’objet d’une investigation plus poussée. Une fois identifiées dans le récit des stratèges, nous les avons regroupées et classées dans le répertoire d’actions numériques de la révolution (RANR). Les éléments qui composent ce répertoire seraient exploités à des niveaux différents dans un cadre électoral par les stratèges des partis politiques Front Populaire, MTV, Courant Démocrate et Afek Tounes.

L’analyse de ces éléments permet de mettre en lumière des structures intra- organisationnelles hybrides sur lesquelles reposent les stratégies numériques des formations pro-révolution (MTV et Courant Démocrate) où s’articulant un volet officieux, parallèle à la campagne officielle des partis. Cette configuration s’appuie sur la logique de l’« action connective » issue des mouvements sociaux en ligne (Bennett et Segerberg, 2012) où les militants autonomes et semi-autonomes développent des cadres d’actions personnels dans l’utilisation des médias socionumériques. Cette logique d’« action connective » a créé une assise de mobilisation dans la révolution tunisienne (voir Lim, 2013; Pérez-Altable, 2016) et elle semble constituer aujourd’hui une base sur laquelle repose l’engagement partisan dans un contexte de campagne électorale. La mise en lumière de cette dynamique intra- organisationnelle hybride constitue l’une des contributions de la thèse puisqu’elle indique comment des partis politiques tunisiens (MTV et Courant Démocrate) adhèrent au principe de party as movement (Chadwick et Stromer-Galley, 2016; Dennis, 2019). Ici, le numérique n’est plus envisagé seulement comme un outil de communication, mais bien comme un moyen d’organisation de l’activité militante (Theviot, 2018 : 44; Bennett et al., 2018; Gibson, 2020 : 222).

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L’inspiration des stratèges par les pratiques de la révolution – ici regroupées dans un répertoire d’actions numériques (RANR) – constitue le troisième sédiment de la révolution dans ce contexte de compétition politique et d’exercice de la démocratie.

À travers l’identification de ces trois sédiments, nous relevons les traces de la révolution dans les campagnes numériques des partis politiques dans ce contexte démocratisé. Nous répondons ainsi à notre première question de recherche principale.

Les sédiments de la révolution, le cœur des stratégies numériques « citoyennes »

Enfin, nous avons analysé les objectifs qui ancrent les campagnes numériques pour les élections municipales de 2018 à travers l’analyse du discours des stratèges. La logique de l’hybridité a été observée tout au long du processus d’élaboration des stratégies électorales municipales, particulièrement pour Afek Tounes, MTV et le Courant Démocrate.

Nos données indiquent que contrairement aux partis au pouvoir (Ennahdha et Nidaa Tounes) qui miseraient davantage sur des campagnes numériques hiérarchiques et contrôlées, les formations MTV, Courant Démocrate et Afek Tounes adopteraient des stratégies numériques citoyennes plus engageantes et plus innovantes. Ces formations sont celles qui emploient des cyberactivistes révolutionnaires au sein de leurs équipes stratégiques (six sur sept), et où leurs stratèges, en majorité cyber-optimistes dans le contexte de la démocratisation (neuf sur 14), se sont inspirés des pratiques numériques de la révolution (neuf sur 14).

Les stratégies numériques de ces formations politiques semblent donc refléter le profil, les perceptions et les sources d’inspiration de leurs concepteurs, qui dans ce contexte tunisien, seraient façonnés par les sédiments de la révolution de 2011. Ces sédiments de la révolution – intégrés dans les stratégies des formations politiques par les stratèges médiateurs – semblent générer des stratégies numériques citoyennes. En montrant comment les traces de la révolution influencent les stratégies préparées pour les élections municipales de 2018, nous répondons ainsi à notre deuxième question de recherche principale.

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Bien entendu, il ne s’agit pas ici d’une relation de cause à effet entre sédiments de la révolution et stratégies citoyennes. D’autres facteurs peuvent contribuer à l’élaboration de stratégies numériques horizontales et ouvertes sur la participation citoyenne comme les facteurs institutionnels propres aux partis politiques ou des facteurs liés au contexte tunisien lui-même. Néanmoins, le processus de sédimentation développé dans cette thèse montre que des facteurs propres à l’expérience personnelles de stratèges peuvent expliquer, dans une certaine mesure, le niveau d’appropriation du numérique par les partis politiques ainsi que les choix stratégiques adoptés en prévision des élections municipales de 2018.

Nos conclusions concordent avec celles de Howard qui soutenait déjà en 2006 que les stratèges numériques membres de la communauté e-politics des États-Unis intégraient leurs normes et valeurs personnelles et professionnelles dans la conception d’outils et de technologies numériques développés pour des campagnes politiques en ligne. Par outils numériques, Howard faisait référence à cette époque aux logiciels et aux sites web. Quatorze ans plus tard, notre thèse vient confirmer et actualiser cette logique dans le cadre d’élaboration de stratégies web municipales menées sur les médias socionumériques dans une démocratie en émergence. Bien que le contexte étudié soit différent, la logique avancée par Howard (2006) semble perdurer.

Notre thèse présente ainsi une nouvelle perspective qui s’appuie sur des considérations sociales afin de mieux cerner les logiques d’élaboration des stratégies numériques. En effet, les chercheurs semblent avoir négligé depuis longtemps le fait que les stratégies numériques sont pensées par des humains qui portent en eux et ont été marqués par leurs expériences passées, leur personnalité, leurs valeurs, leur identité partisane et leur vision du monde. Notre recherche montre comment des caractéristiques personnelles propres aux stratèges contribuent à comprendre le processus d’élaboration des stratégies numériques et à déterminer leurs orientations.

Le cas tunisien comporte ses propres spécificités et il serait impensable d’étudier les campagnes numériques des partis politiques dans ce nouvel environnement démocratique sans prendre en considération la période de la révolution. C’est une période charnière dans

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la vie de la nation qui a marqué tous les acteurs chargés de concevoir aujourd’hui les stratégies électorales. En intégrant leurs expériences, leurs vécus, leurs perceptions et leurs inspirations dans ce processus, l’héritage de la révolution de 2011 imprègne à divers degrés les stratégies numériques des formations politiques. Sept ans plus tard, les traces de la révolution marquent le contexte démocratique tunisien à travers un processus de sédimentation qui se serait développé de la révolution aux élections. Ces traces semblent influencer davantage l’élaboration des stratégies numériques de certains partis politiques (MTV, Courant Démocrate et Afek Tounes) en prévision des élections municipales de 2018, ce qui favorise les initiatives citoyennes et l’exploitation des potentialités démocratisantes des médias socionumériques.

Limites de la recherche

Bien que notre thèse apporte des contributions théoriques, méthodologiques et empiriques à la littérature académique sur le web politique, certaines faiblesses et limites de notre travail doivent être soulignées.

Premièrement, l’étude a cherché à identifier les sédiments de la révolution dans les campagnes numériques des partis politiques à travers les caractéristiques personnelles des stratèges. Des traces de la révolution peuvent toutefois se trouver ailleurs et pourraient également avoir un impact sur les pratiques de communication électorale numériques. Le processus de sédimentation que nous illustrons pourrait devoir être complété, étoffé. D’autres analyses sur les traces de la révolution dans l’environnement politique tunisien sont nécessaires afin de comprendre comment l’héritage de cet évènement contribue au développement de la jeune démocratie tunisienne.

Deuxièmement, le Parti Destourien Libre (PDL), nouvellement représenté au parlement et meneur des sondages récents32, très critique envers le processus démocratique post-2011,

32 « Législatives-Sondages : le PDL en tête loin devant Ennahdha », publié le 14 aout 2020 dans : Espace manager.com. Consulté en ligne : [https://www.espacemanager.com/legislatives-sondage-le-pdl-en-tete-loin- devant-ennahdha.html?fbclid=IwAR3IIxVYpNb5aFQ66uFeUp_6Bg74RqkTNPzwP7UaLDn278qj- 5m1bCNQ0Qc].

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n’est pas étudié dans la thèse puisqu’il n’apparaissait pas encore dans les sondages sur les intentions de vote. Dirigé par l’ex-secrétaire générale adjointe du parti de l’ex-président Ben Ali (RCD), le Parti Destourien Libre se veut une force politique antirévolutionnaire (Hammami, 2020). L’héritage du régime de Ben Ali semble aujourd’hui représenter l’image de marque du PDL dans le cadre de sa campagne permanente. Si la révolution a laissé des traces dans cet espace démocratique tunisien, il n’en demeure pas moins que l’ancien régime pourrait lui aussi avoir laissé ses propres traces. Notre étude s’est focalisée principalement sur les pratiques numériques de la révolution et s’est peu attardée sur l’héritage de l’ancien régime et de ses pratiques. Ces nouvelles considérations devraient faire l’objet d’analyses futures pour comprendre comment un parti politique peut aujourd’hui instrumentaliser et promouvoir un héritage autoritaire dans un cadre démocratique.

Troisièmement, le contexte tunisien représente un cas d’étude très particulier voire inédit. Il s’agit d’une démocratie émergente qui a connu en 2011 une révolution animée par des pratiques numériques et qui, en 2018, a vu la réalisation des premières élections municipales à l’ère démocratique. C’est le seul État réunissant ces caractéristiques. Bien que ces facteurs fondent l’intérêt du cas étudié, ils rendent les conclusions de la thèse difficilement généralisables. De plus, cette thèse analyse des stratégies numériques durant une période donnée. Les stratégies s’élaborent et les tactiques se déploient au rythme des fonctionnalités des plateformes numériques et de leur architecture technique d’un côté et en fonction du contexte sociopolitique de l’autre (Kreiss, 2015 : 129; Karpf, 2012). Étant donné la continuelle évolution du web et le changement des considérations sociales et politiques d’une période à une autre dans un contexte donné, les conclusions de cette étude ne peuvent être reçues que comme provisoires. Elles doivent d’ailleurs être envisagées avec précaution puisqu’en contexte d’instabilité politique des partis peuvent apparaitre, gagner des élections ou disparaitre du paysage suite à une défaite électorale (par exemple : Nidaa Tounes, MTV ou le Front Populaire).

Quatrièmement, notre recherche a analysé les stratégies numériques des partis politiques à travers des entretiens avec les stratèges. Cette technique repose sur la validité des déclarations des répondants. Dans leurs récits, ces derniers pourraient toutefois surestimer

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certains usages notamment en termes d’innovation et d’ouverture sur la participation citoyenne. Il serait donc judicieux d’analyser les pratiques effectives sur les plateformes numériques lors de la campagne électorale à travers des analyses de contenu, afin de vérifier si les stratégies citoyennes mises en œuvre par les partis pro-révolution se concrétisent réellement sur les médias socionumériques. Nous avons réalisé cette analyse qui a fait l’objet d’un article qui sera publié dans le prochain numéro de la revue tunisienne de science politique. Toutefois, la thèse ne comprend pas ce volet de l’analyse.

Cinquièmement, il est possible que le timing des réalisations des entretiens avant la tenue des élections ait pu influencer la qualité des réponses des interviewés. En effet, certaines réticences à dévoiler leurs stratégies web et leurs motivations ont été relevées chez les stratèges d’Ennahdha et certains répondants de Nidaa Tounes. Ces derniers étaient parfois plus réservés lorsqu’il s’agissait de divulguer des aspects stratégiques de leur campagne numérique. À l’inverse, les stratèges des formations d’opposition étaient ouverts aux questions relatives à l’élaboration des stratégies numériques et très enthousiastes à l’idée de partager leurs expériences. Voulant se montrer innovants et compétents dans la manipulation des pages Facebook, certains Technos-activistes sont même allés jusqu’à nous montrer comment se créent les campagnes non-officielles, comment se développent les communautés numériques et comment se planifie et s’organise une action de mobilisation citoyenne.

La réserve abondante de certains et l’ouverture excessive des autres sont deux caractéristiques qui peuvent biaiser l’analyse des objectifs stratégiques poursuivis. Selon Chacon (2017 : 195), étudier des comportements rapportés plutôt qu’observer des comportements réels est assujetti à des biais de désirabilité sociale et aux limites de la mémoire humaine. Cet aspect a été pris en considération aussi bien lors du déroulement des entretiens que dans l’interprétation des données. Nous avons essayé de cadrer, de tempérer et de relativiser des affirmations parfois très enthousiastes concernant les pratiques de la révolution et les expériences vécues des stratèges lors de cet événement.

Enfin, sixièmement, il est important d’ajouter qu’étudier des contextes instables politiquement expose parfois les chercheurs à des situations imprévues qui pourraient

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compromettre potentiellement le protocole de recherche établi. Par exemple, dans le contexte tunisien, nous avons été confrontés à un évènement inattendu : le report des élections33. Bien que ces dernières aient eu lieu quatre mois plus tard, les stratèges pourraient avoir amendé leurs stratégies au vu d’éventuelles nouvelles considérations apparues entre temps. Afin de remédier à cette limite, un suivi a été réalisé auprès des responsables des stratégies numériques des partis politiques étudiés à un mois de la nouvelle date du 6 mai 2018.

Mis à part le parti Afek Tounes qui a composé une coalition avec dix autres tiers partis appelée Union Civile (UC), et où un template34 de la stratégie numérique a été réalisé pour tous les membres, il n’y a pas eu de changements majeurs à signaler. Les objectifs des campagnes numériques pour les élections municipales semblent être demeurés les mêmes pour tous les partis politiques de notre échantillon.

Les stratégies numériques des partis politiques, pistes pour des recherches futures

L’analyse du profil des stratèges dans ce contexte tunisien a révélé que les stratèges Technos au sein des partis politiques sont en majeure partie informaticiens de formation. Bien que les stratèges des élections municipales de 2018 ne semblent pas avoir intégré dans leurs pratiques l’analyse des données massives, la présence d’autant d’informaticiens laisse penser que les partis se préparent à intégrer les pratiques du microciblage lors des prochaines échéances électorales. Il nous paraît judicieux pour les chercheurs qui étudieront les stratégies numériques dans ce contexte de se pencher sur le traitement des données massives par les partis. Cet aspect constitue la suite logique de l’évolution technologique des campagnes électorales et de leur professionnalisation (Kreiss, 2012; Theviot, 2019 : 7, 11; Gibson, 2020).

33Les élections municipales qui étaient prévues le 17 décembre 2017 ont été reportées au 6 mai 2018 par l’Isie. Voir Ben Zineb, Myriam (2017). « Les élections municipales, ce boulet que traine la Tunisie ». Article publié le 20 aout 2017 dans Buisinessnews. Disponible ici : [https://www.businessnews.com.tn/les-elections- municipales-ce-boulet-que-traine-la-tunisie,519,74956,3]. 34 Verbatim du responsable de la stratégie numérique de Afek Tounes : « On a fait un template du programme et de la stratégie de com [sic] de Afek pour l’Union Civile. C’est notre équipe qui s’est chargée de tout le volet com [sic], y compris sur les médias sociaux. Je veille personnellement à ce que la stratégie de Afek soit mise en place pour l’Union Civile » (Répondant 15).

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Par ailleurs, il apparait que la polarisation que nous avons relevée dans notre étude par rapport à la révolution s’est accrue considérablement lors des élections présidentielles de 2019, qui se sont tenues un an après les élections municipales. Kais Saïed, élu Président de la République avec 72,71% des voix au second tour, est un néophyte de la politique, hors- système et sans attache partisane (M’rad, 2020). En reprenant à son compte le slogan révolutionnaire « le peuple veut » (Camau 2020), Saïed a été élu principalement par des jeunes pour un objectif déterminé : assurer la reconquête de la Révolution (M’rad, 2020). Cet outsider n’a disposé d’aucune assise (média, parti, association) (Chouikha, 2020). D’après M’rad (2020 : 46) « Kais Saïed et ses partisans ont substitué la gouvernance interne à la campagne électorale, du moins dans son sens traditionnel du terme. Sa campagne a été plutôt d’ordre virtuel et numérique, organisée pour lui, mais sans lui, sur Facebook, le premier réseau social en Tunisie ». Sa campagne a été organisée en grande partie sur le numérique par des militants pro-révolution à travers des pages Facebook et des groupes fermés et ouverts (Foroudi, 2019; Ben Mansour, 2019a).

Il semble que se revendiquer de l’héritage de la révolution serait devenue une idéologie en Tunisie, que cherche à adopter certains acteurs et organisations politiques. Avec le retour en force de l’ancien régime sous les couleurs d’une nouvelle formation politique (PDL), la polarisation entre forces révolutionnaires et anti-révolutionnaires se serait accentuée dans la sphère politique. Néanmoins, le positionnement ambivalent d’Ennahdha quant à cette question paraît intéressant. Le parti Ennahdha semble balancer entre un soutien à la révolution et à l’ancien régime en fonction du contexte dans lequel il évolue35. Après avoir formé une coalition hostile à la révolution avec Nidaa Tounes durant le quinquennat 2014- 2019 (Nafti, 2019 : 69; Ayari et Brésillon, 2019 : 104), Ennahdha se repositionne aujourd’hui en tant que parti soutenant la révolution (M’rad, 2020).

Au vu des résultats des élections de 2019, se proclamer pro-révolution est-il devenu un positionnement stratégique qui génère des gains électoraux ? Les organisations politiques

35 Pour en savoir davantage voir M’rad, Hatem (2012). « Ennahdha doit choisir entre la révolution et la contre- révolution », publié dans la Presse de Tunisie le 03-09-2012. Disponible ici : [Https://www.turess.com/fr/lapresse/54755].

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cherchent-elles l’appui des supermilitants du numérique pro-révolution non partisans hyperactifs et invisibles ? Une étude sur ces acteurs tant recherchés par les partis politiques permettrait de comprendre ce qui les distinguerait des militants traditionnels des partis politiques.

Au-delà de la compréhension des stratégies numériques des partis politiques, le protocole de recherche déployé dans cette thèse a mis en évidence un côté sombre des campagnes numériques que les stratèges divulguent rarement. En interrogeant leurs perceptions du rôle du numérique en campagne électorale, certains stratèges admettent parfois recourir à des pratiques peu éthiques dont le recours aux pages Facebook « anonymes ». Il serait intéressant de mobiliser cette technique d’investigation (analyse des perceptions) dans d’autres contextes, notamment dans les démocraties établies. Cette méthodologie pourrait apporter un nouvel éclairage sur ces pratiques qui ont cours ailleurs dans le monde et qui commencent à être de plus en plus documentées (Woolley et Howard, 2019). En Tunisie, le recours et l’incidence de ces pages Facebook influentes dans les compétitions électorales demeurent méconnus. Bien que notre thèse soulève un peu le voile là-dessus, d’autres analyses doivent y être consacrées.

L’interdiction de la publicité politique par la loi électorale de 2014 semble avoir contribué à favoriser ce type d’usage. Comme le numérique représente le seul espace permettant aux partis politiques d’engager des campagnes promotionnelles, l’interdiction aurait ouvert la porte à l’émergence de campagnes parallèles. Des campagnes de désinformation et de dénigrement seraient organisées à travers des pages anonymes qui, comme nous l’avons expliqué, seraient parfois gérées par des militants partisans autonomes sur lesquels les formations politiques n’auraient aucun contrôle.

Bien entendu, ces manœuvres compliquent la tâche à l’Instance Supérieure et Indépendante des Élections (ISIE) responsable d’assurer l’application de la législation électorale par les organisations politiques lors des campagnes électorales (Hammami, 2020). Par conséquent, une question s’impose : est-il toujours approprié d’interdire la publicité politique et électorale dans les médias traditionnels ? Les autorités de surveillance électorales

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comprennent-elles les conséquences que génèrent cette contrainte légale sur l’environnement politique en Tunisie ?

Le 5 juin 2020, Facebook annonçait via un communiqué officiel36 la suppression de 446 pages, 182 comptes et 96 groupes tunisiens administrés sur le réseau social. « Des groupes ont créé une audience de façon « trompeuse » en abordant des sujets attrayants, [...] avant de changer de ton et de se lancer dans la propagande politique. Selon le communiqué de Facebook ces pages et groupes, qui touchaient quasiment 4 millions d’internautes au total, ont violé sa charte contre les interférences étrangères. »37 (Le Monde, 2020). Facebook révèle que l’objectif de cette action baptisée « Opération Carthage », a été d’influencer les élections à l’aide de fausses informations. Le principal bénéficiaire de cette campagne en Tunisie serait l’homme d’affaires Nabil Karoui, propriétaire de la chaine de télé Nessma TV et candidat battu au deuxième tour des présidentielles de 2019 (voir Mekki, 2020).

Rappelons qu’une année auparavant, le 16 mai 2019, Facebook avait également annoncé38 la suppression de 250 pages, comptes, groupes et évènements dont le comportement « coordonné » et « trompeur » visait à manipuler l’opinion publique dans 13 pays africains dont, principalement, la Tunisie (Ben Hamadi, 2019; Sghaier, 2019). Une société israélienne nommée Archimedgroup39 était à l’origine de cette opération (Sghaier, 2019).

Ainsi, le numérique constitue aujourd’hui un outil indispensable dans les campagnes électorales, mais semble aussi favoriser l’interférence étrangère à travers l’influence sur les

36 Communiqué officiel de Facebook diffusé le 5 juin 2020. Disponible ici [https://about.fb.com/news/2020/06/may-cib-report/ ]. 37 « « Fake news » : Facebook ferme des centaines de pages visant à peser sur des élections en Afrique » Article paru dans le site lemonde.fr le 9 juin 2020. Disponible en ligne : [https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/09/fake-news-facebook-ferme-des-centaines-de-pages- visant-a-peser-sur-des-elections-en-afrique_6042222_3212.html?fbclid=IwAR1NqKT- cAq6l3w3voKtI_nEvWcsJymM4rWCI47Ral3iaRlBEPKzXzzgUVY]. 38 Communiqué officiel de Facebook diffusé le 19 mai 2019. Disponible ici : [https://about.fb.com/news/2019/05/removing-coordinated-inauthentic-behavior-from-israel/]. 39« Qui est le Groupe Archimedes, la société israélienne interdite par Facebook ? » The Times of Israël, publié le 21 mai 2019. Disponible ici : [https://fr.timesofisrael.com/qui-est-le-groupe-archimedes-la-societe- israelienne-interdite-par-facebook/].

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élections via des campagnes de désinformation. L’ingérence russe dans les élections présidentielles de 2016 aux États-Unis en est un exemple (voir Jamieson, 2020; Noisette, 2020). Il serait important de se pencher sur cet aspect en Tunisie et d’essayer de comprendre comment au-delà de considérations internes, des facteurs externes peuvent éventuellement influencer les élections. La réussite de la transition démocratique en Tunisie représente une menace pour les dictateurs arabes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, incluant les monarchies du Golfe. La Libye, avec qui la Tunisie partage 459 km de frontières terrestres, constitue aujourd’hui un centre de tensions et de conflits géopolitiques entre deux pôles40; les Émirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite d’un côté, la Turquie et le Qatar de l’autre. Au vu de cette proximité avec la Libye, il n’est pas surprenant que la Tunisie soit également la cible de calculs géopolitiques.

Quoi qu’il en soit, l’interférence étrangère dans les élections à travers les médias socionumériques relève de la cybersécurité des États (Jamieson, 2020). Elle doit être étudiée rigoureusement car elle pourrait constituer un moyen de déstabilisation des États et, en l’occurrence, de jeunes et fragiles démocraties comme la Tunisie. Cet enjeu de cybersécurité fait partie de nos intérêts de recherche futurs.

À la lumière des récents évènements politiques survenus en Tunisie, sans doute la première démocratie du monde arabe, notre thèse propose une contribution novatrice aux connaissances sur les campagnes numériques dans le monde. Au-delà de ses faiblesses et de ses limites, elle constitue une première contribution permettant de comprendre les stratégies numériques des partis politiques et leur élaboration dans un contexte totalement différent de la majorité des études réalisées – un cas unique qui reflète un passage d’un cadre de révolution à un cadre de premières élections municipales à l’ère démocratique et à l’ère des médias socionumériques.

40 Malbrunot, Geoges (2020). « Libye : le champ clos de l’affrontement entre le Qatar et les Émirats arabes unis », publié le 25 juin 2020 dans Lefigaro.fr. Disponible ici [https://www.lefigaro.fr/international/libye-le- champ-clos-de-l-affrontement-entre-le-qatar-et-les-emirats-arabes-unis-20200625]

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279

Annexe A. Guide d’entrevue :

Durée totale de l’entretien : environ 60 minutes.

Introduction : Présentation de l’enquêteur.

Je vous remercie de me recevoir et de m’accorder votre temps pour cette recherche universitaire sur la communication politique numérique, dans le cadre de ma thèse de doctorat à l’Université Laval.

Dans le cadre de cette recherche, j’ai souhaité rencontrer les différentes personnes qui vont prendre part à l’élaboration de la communication web de la prochaine campagne électorale pour les élections municipales tunisiennes de six partis politiques : « Nida Tounes », « Ennahda », « Le Front Populaire », « Afek Tounes », le « Mouvement Tunisie Volonté » et le « Courant Démocrate ».

Je voudrais connaître votre opinion sur le rôle des médias sociaux (Facebook-Twitter) lors du mouvement révolutionnaire de 2011 ainsi que les axes stratégiques que vous allez adopter durant la prochaine campagne pour les élections municipales tunisiennes. Ce sont donc principalement sur ces deux aspects que j’aimerais recueillir votre témoignage. À l’issue de l’entretien, un court questionnaire sociodémographique vous sera également soumis.

Si vous ressentez un inconfort ou vous sentez qu’une question pourrait vous mettre mal à l’aise vous n’êtes pas tenu de répondre à cette question. Pareillement, s’il y a des questions sur lesquelles vous ne souhaitez pas statuer vous n’êtes nullement tenus de le faire. Vous pouvez aussi mettre fin à votre participation à n’importe quel moment sans conséquence négative ou préjudice et sans avoir à justifier votre décision.

Avant de commencer, je souhaiterais savoir si vous me permettez d’enregistrer notre entretien, de façon à ce que je sois plus disponible pour la discussion. L’enregistrement audio servira pour l’analyse des résultats et sera ensuite conservé dans un classeur barré, dans un local sous clé. L’utilisation de vos propos ne se fera que sous forme générale et anonyme, selon les règles déontologiques en vigueur dans la recherche universitaire.

[soumission du formulaire de consentement pour signature ; si acceptation, installation du matériel d’enregistrement]

Comme je vous en avais fait part lors de notre prise de rendez-vous, notre entretien devrait durer environ une heure. Pouvons-nous commencer ?

(Les relances éventuelles sont prévues au cas où l’enquêté-e n’aborde pas cet élément spontanément).

280

1er Bloc : Présentation de l’interviewé(e)

Question 1 : Pour commencer, j’aimerais que vous vous présentiez… Relance : • Quel est votre statut et votre fonction au sein du parti ?

Question 2 : Est-ce que vous pouvez me raconter un peu quel a été votre parcours ? Relances : • Comment avez-vous été recruté(e) à cette fonction ? • Depuis combien de temps occupez-vous ce poste ? • Quelle est votre formation/quel est votre parcours professionnel ? • Aviez-vous déjà travaillé sur la campagne en ligne d’un parti auparavant ?

Question 3 : Plus précisément, quelles étaient les responsabilités et les tâches dont vous aviez la charge pendant la dernière campagne pour le parti (spécifiez le nom du parti)? Relance: • Les tâches dont vous aviez la charge étaient-elles uniquement dévolues à la communication web ?

2ème Bloc : Les médias sociaux dans le contexte de révolution

Question 1: Avez-vous participé à la révolution de 2011 ? Relance : • Quelle forme a pris votre engagement ?

Question 2 : Selon vous, quel rôle ont joué les médias sociaux lors de la révolution ? Relances : • Avez-vous observé vous-mêmes l’utilisation de ces plateformes par des participants ? • Avez-vous vous-même utilisé les médias sociaux dans le cadre de vos actions politiques dans ce contexte ?

2-1 Médias sociaux et diffusion de l’information

Question 1 : Pensez-vous que les médias sociaux ont permis une diffusion accrue de l’information lors du mouvement contestataire de 2011 ?

Question 2 : Avez-vous utilisé vous-même les médias sociaux pour vous informer ? Si oui, quel type d’information ? Sur quelle plateforme ?

Question 3 : Avez-vous vous-même utilisé les médias sociaux pour diffuser de l’information ?

281

Si oui, quel type d’information ? Sur quelle plateforme ?

2-2 Médias sociaux et interactivité

Question 1 : Pensez-vous que les médias sociaux ont permis une certaine coordination, une interactivité et un dialogue entre les différents acteurs lors du mouvement contestataire ?

Question 2 : Avez-vous discuté, dialogué ou interagi avec des acteurs sur les médias sociaux au moment de ces événements ? Relances :

• Si oui, quels étaient les principaux sujets de discussion ? • Quelle a été la fréquence de ces discussions ?

2-3 Médias sociaux et mobilisation/engagement politique

Question 1 : Selon-vous, les médias sociaux ont-ils permis d’accroître la participation et l’engagement politique des citoyens lors du mouvement révolutionnaire ? • Si oui, quelle forme a pris votre engagement ?

Question 2 : À votre avis, les médias sociaux ont-ils eu un rôle mobilisateur ?

2-4 Vertus démocratiques des médias sociaux

Question 1 : Que pensez-vous de tout ce qui se dit sur les potentialités des médias sociaux et plus particulièrement leurs vertus démocratiques (interactivité/dialogue/débat, mobilisation, participation et engagement politique) ?

Question 2 : Selon vous et d’après votre expérience, les médias sociaux ont-ils un potentiel émancipateur ?

Question 3 : Pensez-vous que la révolution aurait quand-même réussi sans les médias sociaux ?

3ème Bloc : Les stratégies web dans le cadre des élections municipales

Question 1 : Aujourd’hui en tant que stratège web dans un parti politique, quelle importance accordez-vous aux médias sociaux ?

Question 2 : Selon vos observations, les médias sociaux modifient-ils l’organisation des stratégies électorales aujourd’hui ?

282

Question 3 : Dans le cadre d’une campagne locale, quelle est leur utilité ?

Question 4 : Quels objectifs visez-vous par l'utilisation des médias sociaux pour la campagne à venir ? Relances : o Est-ce que ces objectifs sont différents de ceux que vous avez visé pour l'élection législative ? o Et pour l'élection présidentielle ?

Question 5 : Quelle plateforme allez-vous privilégier le plus dans votre stratégie web pour l'élection municipale à venir ? Relances : o Pourquoi ? o Quels objectifs tenterez-vous d’atteindre grâce à cette plateforme ?

Question 6 : Est-ce que votre formation politique a eu recours à des mandataires externes, des consultants numériques ou en communication afin de préparer votre stratégie web en prévision de la campagne municipale ? o Le cas échéant, qui étaient-ils ? o Pour quelles tâches précises avez-vous eu recours à ces professionnels ? o Pour quelles raisons avez-vous eu recours à leurs services ?

3.1 Importance accordée à la publicité et à la promotion

Question 1 : Songez-vous à utiliser les médias sociaux à des fins publicitaires ou promotionnelles ? Relance : • Pourquoi ?

Question 2 : Quelle plateforme allez-vous privilégier pour la publicité et la promotion ?

3.2 Ciblage et public visé

Question 1 : Pensez-vous utiliser les médias sociaux pour effectuer du ciblage d’électeurs ?

Relance : • Cherchiez-vous à rejoindre des publics différents par le biais des médias sociaux ? • Vos posts /tweets seront-ils destinés à un public en particulier ? • Quel-s public-s cherchez-vous à mobiliser prioritairement avec les médias sociaux ?

Question 2 : Pensez-vous utiliser les médias sociaux pour recueillir de l’information sur les électeurs ? • Si oui, quel type d’information vous intéresse le plus ? pour quel but ?

283

3.3 Importance accordée à l’interactivité

Question 1 : Communiquez-vous directement avec les citoyens via les médias sociaux, par exemple par le biais de messages privés, en réponse à des commentaires sur votre mur Facebook ou en répondant à des tweets qui vous sont adressés ? Relance : • Si oui, pourquoi engager cette communication directe ?

Question 2 : Comment pensez-vous réagir aux messages des citoyens lors de la prochaine campagne électorale locale ? Êtes-vous prêt à engager une conversation avec eux ?

Question 3 : Allez-vous accorder de l’importance au contenu affiché par les utilisateurs ? Relance : • Comment les traces, commentaires et posts laissés par les internautes sur les médias sociaux seront-ils traités ?

Question 4 : Croyez-vous que les contenus affichés par ces utilisateurs pourraient avoir un impact sur votre stratégie de communication web ?

3.4 Importance accordée à la participation/mobilisation Question 1 : Durant ces élections municipales, croyez-vous que les médias sociaux auront un rôle mobilisateur ?

Question 2 : Tenteriez-vous de mobiliser, d'engager les électeurs grâce aux médias sociaux ? Relances : • Si oui, de quelle manière ? • Quelle plateforme allez-vous privilégier pour la mobilisation des électeurs ?

4ème Bloc : Le passage de la révolution à l’élection municipale

Question 1 : Selon vous, le rôle des médias sociaux lors de la révolution a-t-il un impact aujourd’hui sur la conception de votre stratégie numérique pour les élections municipales ?

Question 2 : Que reste-t-il des usages des médias sociaux pendant la révolution dans le contexte politique post-révolutionnaire actuel ? Quelles seraient les traces/la marque laissées par la révolution dans la communication politique en Tunisie aujourd’hui ? Relance :

• Et dans le cadre des élections municipales, est-ce que la communication politique numérique que vous prévoyez mener s’inspire des pratiques des révolutionnaires de 2011 ?

284

Conclusion et remerciements

A l’issue de l’entretien, l’enquêté sera invité à remplir un court questionnaire qui servira à dresser son profil sociodémographique.

Nous arrivons au terme de cet entretien. Je vous remercie pour votre disponibilité pour cette recherche. Avant de vous libérer, si vous êtes d’accord, j’aimerais vous remettre un court questionnaire à remplir.

285

Annexe B. Relevé de thèmes (analyse de thématique étapes 2 et 3)

Étape 2 :

Rubriques Thèmes Sous thèmes Verbatims (exemple) « Vu la censure médiatique et l’absence des canaux Contourner les médias aussi bien TV que radio pour diffuser l’information traditionnels (...), les réseaux sociaux ont constitué une alternative pour que les tunisiens comprennent ce qui se passait » (R27) « Entre décembre 2010 et janvier 2011, Viralité de l'information l’information s'est propagée de façon incroyable Diffusion de sur tout le territoire tunisien grâce à Facebook » (R1) l'information « Les médias d’information étrangers comme Al-

Hybridité Al-Jazeera-Facebook jazeera prennent l’information de Facebook, principalement des vidéos des mouvements contestataires pour les rediffuser » (R16) « Je me rappelle d’un statut qui m’a donné Informations chargées beaucoup de courage c’était le statut de SBA : d'émotions « maintenant la peur a changé de camp ». Ça m’avait vraiment marqué. Et c’était vraiment ça, à la fin on s’en foutait » (R10) « Il y avait des discussions entre des citoyens pour Discussion/dialogue rapporter les faits, savoir ce qui s’est passé dans tel endroit au moment de la révolution » (R11) Perception du Interaction « La manifestation du 14 janvier a été organisée rôle des médias Coordination/organisation essentiellement sur les réseaux sociaux » (R17) socionumériques lors de la « Les réseaux sociaux [sic] ont permis révolution Incitation à rejoindre le d'encourager et d’inciter les gens à réagir et à Mobilisation mouvement dépasser la peur et passer à l’action : descendre dans les rues et les occuper » (R14) « Ça a été aussi un moyen pour l’insulte, le Dénigrement dénigrement et le manque de respect envers les autres » (R6) Perception négative « Il ne faut pas oublier qu’il y a eu la diffusion de Désinformation beaucoup de rumeurs, et de fausses informations qui ont eu un impact négatif même sur la révolution en elle-même » (R23) « Les médias sociaux constituent un espace de Liberté d'expression liberté où les gens peuvent s’exprimer librement » (R2) « Ces outils favorisent la communication et les Potentiel Circulation de l'information échanges d'informations qui sont une base sur démocratisant laquelle repose la démocratie » (R7) « Certainement, les médias sociaux sont importants Participation politique dans l’évolution de la vie démocratique à travers le fait de faire participer les citoyens dans la vie politique » (R18)

Rubriques Thèmes Sous thèmes Verbatims (exemple)

« On n’est plus du tout dans les débats d’idées, la Perception du Désinformation concurrence dans les projets politiques, on est rôle des médias aujourd’hui dans la propagande, les fakenews… les socionumériques Perception négative effets négatifs quoi des médias sociaux qu’on a dans un contexte découvert après la révolution » (R10) démocratique « C’est à travers les pages Facebook que sont Dénigrement organisés aujourd'hui les campagnes de dénigrement envers les acteurs politiques » (R2)

286

Étape 3 :

Rubriques Thèmes Verbatims (exemple) « Cette idée que Facebook a fait la révolution est resté gravée dans les Utilisation de Facebook esprits. Depuis, toute la communication politique en Tunisie se fait sur Facebook, c’est une réalité » (R7) Les résidus de « Twitter n’est pas dans les habitudes des tunisiens comme Facebook. la révolution C’est pour cette raison que nous concentrons nos efforts uniquement sur dans l'espace Marginalisation de Twitter Facebook aujourd’hui » (R25) numérique « Depuis la révolution, en Tunisie, le cyberespace est dominé par les Recours aux pages Facebook pages Facebook populaires, les partis ont compris leur rôle » (R22) influentes

Rubriques Thèmes Sous thèmes Verbatims (exemple) Définitions « J'ai connu le parti Libéral et le parti Modèle étrangers conservateur du Canada et on s'inspire beaucoup de leurs stratégies de communication » (R1)

Ancien régime « L’ancienne machine électorale du RCD doit redémarrer » (R5)

« Pour nous c’est le moyen alternatif Utiliser Facebook pour Contournement des comme parti d’opposition non présent s'adresser aux citoyens médias traditionnels sur les médias traditionnels privés et contournant ainsi les Sources publics » (R23) médias traditionnels d'inspiration « La coordination entre les militants et Recourir aux groupes des stratèges le regroupement des internautes dans Facebook pour le

Création d'une des groupes Facebook sont des outils développement de

dynamique horizontale d'organisation issus à la base de la communautés, la révolution » (R18) coordination et la co- Pratiques de la production de contenu révolution « La révolution a réussi grâce à la Favoriser des formes de mobilisation des citoyens sur mobilisation initiées par Adoption de formes de Facebook. Donc forcément les internautes mobilisation citoyennes aujourd’hui, dans la conception de la (militants/sympathisants) stratégie on s’inspire de cette logique surtout dans la mobilisation des militants » (R10) « On parle aujourd’hui de guerre entre Mobiliser des pages Développement de les pages influentes administrées par Facebook d'influence à campagnes non- des bloggeurs et activistes de la des fins partisanes officielles révolution. On est toujours dans cette perspective révolutionnaire aujourd’hui » (R22)

287

Annexe C. Mots-clés du dictionnaire créé sur Wordstat 7

Inspiré du dictionnaire construit pour le projet enpolitique.com (Giasson et al.,2018)

OBJECTIFS COMMUNICATIONNELS

DIFFUSER LE MESSAGE AFFICHE*, ANNONCE*, AVIS, AVISER, CIRCULATION, COMMUNIQU*, CONTENU*, CONTOURNE*, DIFFUS*, DISCOURS, ENVOYER, ENVOI*, EXPRIMER, FAIRE_PASSER, IDÉE*, INFORM*, LIGNE*, OPINION*, VISION*, PARTAGE*, POSITION*, POST*, PROGRAMME*, PROJET*, PROMESSE*, PROPAG*, POINT_DE _VUE, PROPOS*, PRÉSENTER, PUBLI*, RENSEIGNE*, SOLUTION*, SURPASSER

DIFFUSER DES CONTENUS MÉDIATIQUES PASSAGE*, RADIO, LIVE, INTERVENTION*, TÉLÉ*, TV, PRESSE, ÉMISSION*, STREAM*, APPARRITION*, EXTRAIRE, COUVERTURE_MÉDIATIQUE, ARTICLE*, REPORTAGE*, CONTENU*_MÉDIATIQUE*, PASSAGE*_MÉDIA*, EXTRAIT*, INTERVIEUW*

ATTAQUER L’ADVERSAIRE CRITIQUE*, GUERRE, ATTAQUE*, BATAILLE, DISCRÉDIT*, TROLL*, DÉSTABILIS*, RIPOST*, OFFICIEUX, CAMPAGNE*_CONTRE, ADVERSAIRE*

CONTOLER LE MESSAGE CLARIFI*, COHÉREN*, CONTRER, CONTRE_ATTAQUE*, CONTROL*, CORRIGER, RECTIFI*, RIPOSTE*, RÉAGIR, PRÉCIS*, ÉVITER, REMÉDIER, RÉACTION*, RÉPLIQUE*, RÉFLÉCHI* DÉFEND*, FAIRE_ATTENTION, PRUDEN*, RÉPONDRE_AUX_ATTAQUES, VIGILAN*, ÉCLAIRER, SUPPRIMER, ERREUR*, RESPECT*, CONTRECARRER

INTERACTION INTERACT*, INTERAGI*, RÉACT*, COMMENT*, ÉCHANGE*, CONTACT*, CONVERS*, DISCUTER, DISCUSSION*, RÉPON*, DIALOGUE*, DÉBAT*, ÉCOUTE*, FEEDBACK*, INBOX, INSTANTAN*, QUESTION*, PROXIMITÉ, RAPPROCHE*, RECEVOIR, RÉCEPTION, CHAT*, RÉTROACTION*

PUBLICITÉ POLITIQUE SPOT*, PROMO*, PUB*, TEASING, PERSUADER, PERSUASION, ÉMOTION*

PERSONNALISATION AUTO_PROMOTION, CANDIDAT*, PERSONNALITÉ*, PERSONNALIS*, PROFIL*, PARCOURS, VIE_PRIVÉE, HUMAIN, ENFANT*, FAMILLE, SYMPA*, IMAGE_DU_LEADER, POLITICIEN*, SELFIE*

288

ÉVÉNEMENTS ÉVÉNEMENT*, FETE*, MANIFESTATION*, MEETING*, RENCONTRE*, RASSEMBLEMENT*, RÉUNION*, TOURNÉE*, MARCHE*, ACTION*_DE_TERRAIN

COORDINATION INTERNE COMMUNICATION_INTERNE, COORDINAT*, COORDON*, GROUPE*, À_L’INTERNE, INTRANET, S’ORGANISE*, ORGANISATION*, ORGANISER, ÉCHANGES_INTERNES

OBJECTIFS POLITIQUES

SE FAIRE CONNAITRE/VISIBILITÉ VISIBILITÉ*, FAIRE_CONNAITRE, NOTORIÉTÉ*, ETRE_VU*, ETRE_PRÉSENT*, FAIRE_PARLER_DE_NOUS, MONTRER, FAIRE_ENTENDRE, ATTIRER_L’ATTENTION, BUZZ, PROVOQUE*, PRÉSENCE, VISIBLE*, VITRINE

PROMOUVOIR UNE IDÉOLOGIE IDÉOLOGIE*, IDÉE*, IDENTITÉ*, VALEURS, PROJET*, FAMILLE_POLITIQUE, VISION*, RÉVOLUTION, ORIENTATION*, APPARTENANCE*, PENSÉE*, CENTRE, CENTRISTE*, GAUCHE, DROITE, CONSERVATEUR*, CONSERVATRICE, CONSERVATISME, LIBÉRAL, LIBÉRAUX, SOCIAL_DÉMOCRATIE, SOCIAUX_DÉMOCRATES, SOCIAL-DÉMOCRATE, ISLAM_DÉMOCRATE, DOCTRINE, ISLAM_POLITIQUE

PARTICIPATION ÉLECTORALE VOTE*, PARTICIP*, INSCRITPTION, S’INSCRIRE, SOLLICITER, GAINS- _ÉLECTORAUX, GANGNE*, LISTE*, SOLLICITE*, ÉLIRE, CONVAINCRE

RECRUTER DES BÉNÉVOLES RECRUT*, BÉNÉVOLE*, SUPPORTER*, ADHÉRANT*, REJOINDRE, REJOIGNE*, ATTEINDRE

MOBILISATION EN LIGNE RELAI*, RELAY*, MOBILIS*, ACTION*, GROUPE*_FACEBOOK, CYBER_MILITANT*, CYBERACTIVISTE*, PRODUIRE, PARTAGE*, INCITER_LES_MILITANTS, DEMANDER_DE, APPUI*, APPUYER, DYNAMIQUE, FAIRE_CAMPAGNE, FAIRE_TOURNER, HASHTAG*, S’IMPLIQUER, ROLE_DES_MILITANTS

MOBILISATION HORS LIGNE TERRAIN, PORTE_À_PORTE, AFFICHE*, AFFICHAGE, BÉNÉVOLAT, RASSEMBLE*, MUNICIPALITÉ*, CIRCONSCRIPTION*, COMMUNE*, ACTIVITÉ*, RÉGION*, MOBILIS*, MOUVEMENT*, QUARTIER*, MANIFESTATION*, MANIFESTER, CONTEST*, DÉSCENDRE, RUE*, MEETING*, SE-JOINDRE,

289

REJOINDRE, SE_RENDRE, INCIT*, DISTRIBU*, FAIRE_PRESSION, ENCOURAGE*, OCCUPE*

OBJECTIFS DE MARKETING

CIBLAGE CIBLE*, CIBLAGE, SEGMENT*, PUBLIC*, SPONSORI*, ATTEINDRE*, S’ADRESSER*, TOUCHER, AFFINER, VISE*, CATÉGORIE*, GÉOGRAPHIQUE, PAR_MUNICIPALITÉ, PAR_RÉGION, BOUJOISIE, CHOMEUR*, FEMME*, CLASSE_MOYENNE, INTELLECTUELS, JOUNALISTES, LEADERS_D’OPINION, ÉLITE, LES_JEUNES, MACRO, PAR_AGE, PAR_GENRE, PAR_SEXE, POPULATION

AJUSTER LA STRATÉGIE AJUST*, ADAPT*, STRATÉGIE, RÉTROACTION*, RÉACTION*, RÉALIGNE*, FEEDBACK*, RÉTABLIR, AMÉLIOR*, LACUNE*, REMARQUE*, MODIFI*, CHANGE*, SUGGESTION*

COLLECTE DE DONNÉES DONNÉES, DATA, INFORMATIONS_PERSONNELLES, COLLECTE*, RECUEIL* RÉCOLTE*, SYSTÈME_D’INFORMATIONS, RAPPORT*

DÉVELOPPEMENT DE COMMUNAUTÉ COMMUNAUTÉ*, RELAI*, RELAY*, ANIME*, ANIMATION, REGROUPE*, GROUPE*, NOS_MILITANTS, NOS_INTERNAUTES, ENTRETENIR, ÉTABLIR_UNE_RELATION, ARMÉE*, ADMINISTRATEUR*, BLOGGEUR*, FOLLOWERS, FACEBOOKER*, NOS_MEMBRES, ABONNÉ*

ÉTUDES DE MARCHÉ MARCHÉ*, RECHERCHE*, SONDAGE*, SONDER, ANALYSE*, GROUPE*_DE_DISCUSSION, FOCUS_GROUP, ÉTUDE*, BESOIN*, ATTENTE*, POLL*, CHIFFRE*, CONSULT*, MESURE*, OPINION*, STAT*, PRÉOCCUPATION*, CONSOMMATEUR*, CONNAITRE_LES_TENDANCES, CAMEMBERT*, GRAPHIQUE*, BENCHMARK*, BRAINSTORM*, MESURE, SELLING, VEILLE

BRANDING IMAGE*, MARQUE, VALEUR*, PRODUIT*, BRAND*, LOGO

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