Dictateurs En Sursis
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Janvier 2011 Anonymous Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:32 - page 1 Dictateurs en sursis Une voie de´ mocratique pour le monde arabe Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:32 - page 2 Tous droits re´ serve´ s ’ Les E´ ditions de l’Atelier/E´ ditions Ouvrie` res, Paris, 2009 Imprime´ en France Printed in France ISBN : 978-2-7082-4047-6 Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:32 - page 3 Moncef Marzouki Entretien avec Vincent Geisser DICTATEURS EN SURSIS Une voie de´ mocratique pour le monde arabe Pre´face de Noe¨l Mame`re Les Editions Ouvrie'res 51-55 rue Hoche 94200 Ivry-sur-Seine Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:32 - page 4 Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:32 - page 5 A` Azadeh et a` Hana, a` Djamel Kelfaoui. Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:32 - page 6 Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:32 - page 7 « Ce n’est pas par hasard que l’on se retrouve, quatre sie`cles plus tard, a` devoir encore subir l’oppression a` laquelle nous nous sommes habitue´setquiameˆme modele´ le caracte`re des individus. » Abderrahmane Kawakibi, penseur re´ formiste musulman (1855-1902). « Les dictatures fomentent l’oppression, la servilite´ et la cruaute´ ; mais le plus abominable est qu’elles fomentent l’idiotie. » Jorge Luis Borge` s, e´ crivain et poe` te argentin, 1978. « Les hommes de vertu et de courage ne se re´ve`lent que dans les circonstances critiques ; on les voit alors soudainement surgir, dans toutes les couches de la socie´te´, sans pouvoir deviner leur origine. » Hannah Arendt, Philosophe, 1969. Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:32 - page 8 Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:33 - page 25 Chapitre 1 Vivre sous la dictature : surveiller, re´ primer, humilier Un Homo arabicus dictator ? Commenc¸ons par la question de l’autoritarisme dans le monde arabe du point de vue du ve´cu des populations. Il y a deux manie`res de raisonner : conside´rer l’autoritarisme comme une simple variante de la de´mocratie, une de´mocratie davantage « se´curitaire » en quelque sorte, ou, au contraire, comme un re´gime foncie`rement diffe´rent qui laisserait des traces inde´le´biles sur les individus et les populations. Comment vous situez-vous par rapport a` ces conceptions ? Dans les pays arabes, nous vivons actuellement dans une situation d’e´tat d’urgence permanent. Nous sommes syste´ matiquement controˆle´ set surveille´ s par des arme´ es de policiers qui distillent la peur, le sentiment d’inse´ curite´ et d’humiliation. Il serait malhonneˆte de pre´ tendre que ces populations vivent heureuses, a` moins de conside´ rer qu’il existe un type d’Homo arabicus dictator. C’est une ve´ ritable ineptie. Ceux qui soutien- nent ce genre de the` ses sont de ve´ ritables imbe´ ciles. La dictature est un mode d’organisation pathologique et pathoge` ne. Elle produit des effets dans tous les secteurs de la socie´ te´ : le travail, l’administration, la vie quotidienne des citoyens, etc. marque´ s par la violence et le mal-eˆtre. Il existe une vraie souffrance dans les socie´ te´ s arabes. En tant que professeur de me´ decine, je suis bien place´ pour le savoir. La torture ne constitue pas un phe´ nome` ne isole´ et sans retentissement social grave. Par exemple, en Tunisie, entre 1991 et 2001, environ 30 000 personnes ont e´ te´ incarce´ re´ es 25 Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:33 - page 26 DICTATEURS EN SURSIS et ont e´ te´ torture´ es.Jeneparlemeˆme pas des prisonniers de droit commun, dont le sort syste´ matique ne fait pourtant pas l’objet des communique´ sd’Amnesty international et autres organisations nationales de de´ fense des droits de l’Homme. On estime a` quarante le nombre de morts sous la torture et le reste des victimes a garde´ de profondes se´ quelles physiques et psychiques. Sans parler des retombe´ es sur les familles qui vivent dans l’angoisse permanente. Il existe une forme d’anxie´ te´ diffuse dans les socie´ te´ s arabes. La dictature a cette capacite´ de mettre les gens a` nu et de les de´ valoriser en les obligeant a` acheter leur survie par l’abandon de toute dignite´ . Ainsi, la recherche de la dignite´ est aujourd’hui la princi- pale obsession de l’homme arabe, humilie´ a` l’inte´ rieur par sa dictature et a` l’exte´ rieur par les puissances dominantes, actuellement les USA et Israe¨ l, demain peut-eˆtre la Chine, l’Inde ou l’Iran. D’aucuns soutiennent l’ide´e d’une soumission volontaire des citoyens a` l’e´gard des re´gimes arabes1. Les dictatures arabes ne reposeraient pas exclusivement sur la violence pure et dure, mais sur une forme de violence accepte´e, consentie... Il y aurait une forme d’accoutumance a` la dictature qui expliquerait que les gens composent avec elle. Comment vous posi- tionnez-vous par rapport a` ce type de the`ses ? Imaginez que l’on explique aux Franc¸ ais que le re´ gime de Vichy re´ pondait a` un besoin naturel du peuple, a` un amour pour l’autorite´ et le culte du chef ! Les citoyens franc¸ ais trouveraient une telle affirmation scandaleuse et auraient raison. Nous, Arabes, devrions-nous baisser la teˆte devant de telles inepties ? J’appelle ineptie toute assertion profe´ re´ e sur la base d’une solide ignorance et d’une arrogance encore plus grande. Des inepties sur les Arabes et leur rapport a` la de´ mocratie, j’en ai entendu. Mais si on parlait pour essayer de se comprendre et de faire appel au bon sens : que dirait-on ? Oui, des besoins de se´ curite´ et de protection existent mais ils sont universels. Les Occidentaux oublient trop vite la vitesse a` laquelle les Franc¸ ais, les Allemands, les Italiens, les Portugais et autres Grecs et Espagnols se sont accoutume´ sa` leurs dictatures d’un temps. Tous les re´ gimes totalitaires et autoritaires passe´ s ou pre´ sents jouent sur ces re´ flexes-la` , sur ces besoins humains de protection, de discipline et d’unanimisme social, meˆme factice. Dans le cas spe´ cifique du monde arabe, sont-ils plus forts et plus pre´ gnants qu’ailleurs ? Cela m’e´ tonnerait. En tout cas, une chose est suˆre : la dictature est rejete´ e par des popula- tions qui e´ prouvent un ve´ ritable mal-eˆtre a` l’e´ gard de celle-ci2. Il est trop 26 Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:33 - page 27 VIVRE SOUS LA DICTATURE re´ ducteur de parler d’acceptation passive ou de servitude volontaire a` la manie` re d’Etienne de La Boe´ tie3. Il est vrai que certains s’accommodent de ce contexte se´ curitaire et re´ pressif par inte´ reˆt personnel, mais la majorite´ , je peux vous l’assurer, n’aime pas plus la dictature que la moyenne des Franc¸ ais. En somme, si je suis votre raisonnement, les citoyens du monde arabe vivraient la dictature et l’autoritarisme comme une ve´ritable « anomalie » sociale et politique. Il ne se manifesterait pas d’effet d’accoutumance. En Tunisie, l’opposition a` Bourguiba a de´ bute´ de` s les premiers jours de l’inde´ pendance et n’a jamais cesse´ de s’e´ tendre. On a observe´ un phe´ nome` ne identique dans la plupart des pays nouvellement inde´ pen- dants. Au Maroc, l’affaire Ben Barka, qui a e´ clate´ en 1965 avec la dispa- rition et l’assassinat a` Paris de ce leader charismatique d’envergure internationale, n’e´ tait que la partie visible d’une opposition qui ne s’est jamais de´ mentie face a` la dictature d’Hassan II. En E´ gypte, Nasser dut employer les me´ thodes les plus expe´ ditives pour maˆter a` la fois la contes- tation des Fre` res musulmans et celle des communistes. En Alge´ rie, la se´ dition du dirigeant historique du FLN, Hocine Aı¨ t Ahmed, a eu lieu quasiment au moment de l’inde´ pendance. Je pourrais multiplier les exemples, tous montrant que les dictateurs n’ont jamais eu la vie facile. Rien de plus normal par ailleurs. La mise en place d’un re´ gime politique signifie chez nous, dans le monde arabe, l’appropriation du pouvoir ad vitam aeternam par un seul homme, la re´ gion, la famille ou la tribu du zaı¨m (chef, guide), sous couvert d’unanimisme ide´ ologique et de patrio- tisme. Ipso facto tous les autres hommes – y compris au sein du re´ gime –, toutes les autres re´ gions, toutes les ide´ ologies sont e´ carte´ s et doivent filer doux. Or, ni les personnalite´ s ambitieuses, ni les re´ gions de´ laisse´ es, ni les ide´ ologies perdantes n’ont baisse´ les bras ; d’ou` le de´ marrage d’une « guerre civile froide » qui va connaıˆtre des soubresauts et des de´ rives aggravant la re´ pression et, par effet de feed-back, l’intensification de la re´ sistance jusqu’a` l’affrontement sanglant. Cela signifie que, de` slede´ part, en de´ pit de l’enthousiasme suscite´ par la « libe´ ration », une socie´ te´ arabe par le truchement d’un certain nombre de ses repre´ sentants et porte-parole a refuse´ de se soumettre, alors que d’autres ont accepte´ leur sort sans pour autant adhe´ rer foncie` rement au re´ gime. Par exemple, lorsque Bourguiba a e´ te´ destitue´ par Ben Ali, personne au sein de la population ne s’est leve´ pour le prote´ ger et le 27 Dictateurs_90149 - 31.8.2009 - 09:05:33 - page 28 DICTATEURS EN SURSIS de´ fendre. Cela a e´ te´ la meˆme chose pour Saddam Hussein et ce sera la meˆme re´ action pour les dictateurs actuels : personne ne se le` vera pour de´ fendre les Assad, Kadhafi, Moubarak ou Ibn Saoud.