michel Débat animé par Yves Alion après la projection du film Péril en la demeure, à l’École Supérieure deville de Réalisation Audiovisuelle de le 17 janvier 2008

Michel Deville est un homme discret, qui a toujours préféré les allusions subtiles aux éclats de voix. C’est aussi un cinéaste discret, dont l’œuvre est pourtant l’une des plus brillantes qui soient. Contemporain de la Nouvelle Vague, il a suivi un parcours plus classique (en passant par la case de l’assistanat) que ses camarades issus des Cahiers . Ses films n’en sont pas moins résolument personnels. Il est dans un premier temps le roi de la comédie légère, exaltant le charme et la beauté des comédiennes qui virevoltent devant son objectif. Mais peu à peu le ton de ses films devient plus sombre, sans perdre le moins du monde en invention visuelle et narrative, marque d’un plaisir du cinéma qui jamais ne se dément. Observateur ironique et mutin du désordre amoureux (et des dérèglements de la société), notre homme n’en montre pas moins une certaine inquiétude quant à notre capacité au bonheur. Mais il le fait avec une grâce et une élégance qui fait passer bien des potions amères. Le soin qui est le sien lors du montage (il est le roi de l’ellipse), la façon dont il utilise la musique, le croisement constant de différents degrés narratifs ou temporels donnent le Péril en la demeure sentiment que nous avons affaire à un horloger. Un artisan soucieux de la qualité de son travail qui a su, du moins dans la seconde partie de sa carrière, être son propre maître, ses films étant produits ou coproduits par sa maison de production. Ainsi, quel que soit le genre cinématographique de ses films (s’il faut absolument coller des étiquettes), du polar à la comédie sentimentale, en passant par le pamphlet politique ( ) ou la peinture sociale, l’œuvre de possède une petite musique qui nous chatouille l’oreille et se révèle des plus addictives. I Michel Deville raconte la vie d’un petit médecin de campagne. Il n’y a pas de règle, il n’y a que des choix, des partis pris, selon les films.

Oui, mais dans ce film, il y a une telle écriture que cela reste de l’hor - logerie. Même si certains films sont plus réalistes que d’autres, vous êtes quand même loin de Ken Loach ! Cette élégance, ce maniérisme est l’identité de votre cinéma. M. D. : Ken Loach n’est pas un auteur de documentaire. Il travaille sa mise en scène pour donner une impression de réalisme, mais elle est en général très élégante et affirmée. Une manière de filmer inventive est tout à fait conciliable avec le réalisme, lequel n’est pas forcément associé à une mise en scène fonctionnelle, neutre, ou plate. J’aime essayer Entretien des choses, m’amuser en filmant, et j’espère que le spectateur le ressent, qu’il peut s’amuser à voir qu’il y a une jubilation “J’aime essayer des de la technique quand le sujet s’y prête. C’était le cas de Péril choses, m’amuser Péril en la demeure est adapté d’un livre de René Belletto, Sur la terre en la demeure dont l’histoire n’est pas très sérieuse. J’aime en filmant...” comme au ciel . Pourquoi avoir changé le titre ? bien les jeux : plus c’est compliqué à construire, plus c’est Michel Deville : Je trouvais que tous les films pouvaient s’appeler Sur la amusant. Dans la vie, j’aimerais avoir le temps de jouer au Terre comme au ciel. Péril en la demeure me semblait plus intéressant. bridge, aux échecs, alors je me contente de lire les rubriques dans les journaux, même si je ne comprends rien. Mais je n’aime pas la belote Vous souvenez-vous du déclic lorsque vous vous êtes lancé dans l’a - ou la bataille qui sont trop simples. Les échecs, il faut y jouer tous les venture ? Cette histoire a-t-elle beaucoup d’importance ou est-elle surtout jours, s’entraîner. un bon support pour porter votre cinéma ? M. D. : Quelques années auparavant, en 1978, j’avais réalisé Le Voyage Beaucoup de raccords se répondent, dans les gestes des personnages en douce , où j’essayais de traiter de l’érotisme. Le film fini, je me suis ou les dialogues, l’un finissant la phrase de l’autre, par exemple. Est-ce aperçu qu’il était peut-être sensuel mais pas vraiment éro - une volonté purement esthétique ou vouliez-vous montrer que tout est tique. Il avait évolué, avait son identité à lui, différente de lié au personnage principal ? mon envie de départ. J’avais cette petite nostalgie. Entre M. D. : Oui, cette histoire est un jeu, un jeu de rôles, on temps, j’ai réalisé d’autres films et puis j’ai lu ce livre. Je ne ne sait pas qui sait quoi, qui a fait quoi, qui chacun est vrai - l’ai pas choisi pour l’histoire mais parce que certaines situa - ment. Dans tous mes films, il y a un personnage pivot, tions, certains personnages me permettaient de revenir à l’é - qui n’est pas forcément celui qui mène le jeu, il peut être Péril en la demeure dans rotisme, le désir court entre tous les personnages, c’est un celui qui subit ou découvre. Dans , des moteurs de l’intrigue. Comme il s’agissait d’une histoire policière, c’est . Toutes les scènes sont vues, (1980). j’étais libre de m’amuser avec. À partir de cette intrigue policière un ressenties par lui. On est constamment avec lui. Les ellip -

peu tordue, j’ai pu mettre ce que je voulais, la musique, les acteurs qui ses bousculent le récit, donnent une impression de dés - et ne sont pas comme les personnages du livre. J’ai supprimé des person - équilibre, le sentiment que ce qui se passe va trop vite pour lui. Je voulais Christophe Malavoy nages, j’en ai ajouté d’autres. Je me suis amusé. C’était un livre pré - passer rapidement d’un moment à l’autre. Par exemple, il est dans son dans Péril en la demeure (1985). texte, un bon livre néanmoins. Je n’ai jamais adapté de grands livres, qui lit, il s’étire. Je ne voulais pas montrer : « Il se lève, il se brosse les dents, condamnent au respect. il prend son petit-déjeuner ». Il fallait trouver un moyen de lier les actions pour montrer qu’il ne s’est rien passé d’intéressant entre le moment où Les mouvements de caméra, de comédiens sont très travaillés et on sent il se réveille et celui où il fait son café. On gomme tout l’omniprésence de l’écriture. Cela renforce l’aspect fictif du film. Préférez- ce qui est intermédiaire. Autre exemple, il ferme la porte “Je ne voulais pas vous qu’un film ait un aspect fictif ou réaliste ? de son appartement et raccord avec son pied, il ferme montrer : « Il se lève, il M. D. : Là, je voulais en effet que l’écriture visuelle soit visible. En la porte de la voiture. Tout ce qui est entre les deux est se brosse les dents, il général, j’essaie qu’elle soit subtile, invisible. Cela m’amusait, de montrer prévisible, fonctionnel, on ne le raconte pas. Idem quand prend son petit- que l’histoire n’est pas réaliste, ni même vraisemblable, et que la manière son père lui dit : « Tu vas acheter une guitare ? C’est pour déjeuner ».” de filmer donc n’avait pas à l’être. Mais pour certains sujets, elle doit être toi ? ». On ne le voit pas sortir de chez lui, rencontrer plus discrète. C’est le cas de La Maladie de Sachs , par exemple, qui Nicole Garcia et sa fille, entrer dans une boutique. On enchaîne direc -

178 179 Michel Deville tement sur sa réponse au marchand de gui - vous reconnaître. On a l’impression que vous tares qui vient sans doute de lui poser la êtes un horloger, que vous vous amusez à même question. faire coïncider des rouages. M. D. : Je m’amuse à imaginer ces ellipses Tout le monde pratique des ellipses mais pas dès l’écriture. Sur le plateau, on n’a pas le toujours de cette façon. Il y a chez vous une temps de trouver ce genre de raccords, d’el - véritable gourmandise de l’ellipse. lipses. En plus, on ne tourne pas les scènes M. D. : Je suis un impatient ! Au cinéma, il dans l’ordre chronologique, pour des raisons y a toujours des ellipses mais elles sont dis - pratiques. Si ce n’est pas prévu avant, on ne crètes. Là, je ne voulais pas être discret. Ma peut pas l’inventer sur place et encore moins monteuse a d’ailleurs eu le César du au montage. Oui, il y a un plaisir à ajuster les montage. Or cela ne venait pas du montage divers éléments d’un film, à trouver une flui - mais de l’écriture. J’étais quand même dité, une évidence. Je m’amuse à faire du content pour elle, elle avait bien travaillé. cinéma. C’est un métier amusant, formidable. Il ne faut surtout pas le faire comme une On retrouve ce procédé dans La Maladie de contrainte, une épreuve. Il ne faut pas partir Sachs . Dans un certain nombre de scènes, le matin en traînant les pieds, mais se dire : on pose une question et la réponse est « Aujourd’hui, on va s’amuser, on se fait donnée dans une autre scène, avec éven - plaisir, rien ne doit peser ».

“Parfois, on me dit que de trop préparer enlève de la vie. C’est ridicule.” tuellement d’autres personnages. Par Même visuellement, vous avez donc une exemple, lorsque le médecin demande à un idée précise de chaque plan. patient de s’asseoir, la caméra retourne sur le M. D. : Principalement visuellement, puisque médecin et quand elle revient sur le patient, je décide de chaque plan, du cadre, du mou - ce n’est plus le même. vement... C’est le reste qui m’échappe et me M. D. : Le sujet est grave et je le prenais très surprend, heureusement. Il y a la grande part au sérieux. Mais cela n’empêche pas qu’on d’imprévu qui arrive avec les comédiens, peut s’amuser et aller vite. Je ne pouvais pas avec ce qui se passe sur le plateau. C’est accumuler des scènes avec les patients ni comme une partition musicale. Les notes, raconter l’intégralité des consultations. C’est les silences sont écrits mais il y a les inter - réaliste ainsi, chaque patient est unique, prètes, le chef d’orchestre, qui amènent une mais les pathologies sont répétitives, le vie. Le même morceau peut être joué par schéma des consultations aussi. C’est l’or - quinze chefs, quinze orchestres, quinze solis - dinaire d’un médecin. Chacun de nous tes si c’est un concerto pour piano ou violon, connaît cette expérience d’une visite médi - cela ne sera jamais la même émotion, la cale. Il ne faut donc pas simplement la repro - même durée. Parfois, on me dit que de trop duire, mais la filmer d’une certaine façon, préparer enlève de la vie. C’est ridicule. Cela styliser la narration. n’empêche pas la vie. Au contraire, cela permet d’être plus proche, plus attentif à ce Michel Deville et les années 60 : Ce soir ou jamais (1961), Adorable Cela donne une légèreté, dans le très bon menteuse (1962), À cause à cause d’une femme et L’Appartement des qui se passe car on est débarrassé des pro - filles (1963), Les Petites Demoiselles et (1964), Martin soldat sens du terme, à tout ce que vous faites, blèmes techniques de construction, de (1966), On a volé la Joconde (1969), By bye Barbara (1969) et Benjamin (1968). même lorsque ce sont des sujets graves. Cette cadrage. Avec les comédiens, qui eux n’ont ou les mémoires d’un puceau science de l’ellipse, cette élégance, permet de pas à être importunés par les contraintes tech -

180 181 Michel Deville niques, qui ne se connaissent pas entre eux et se découvrent, il se passe Caisse d’Épargne, que mon grand-père nourrissait peu à peu. Cela m’a des étincelles de vie, dans les barrières précises du cadre. permis d’acheter une caméra 8 mm. J’ai fait mes premiers petits films avec. J’ai donc appris le cinéma tout seul et c’est la meilleure Je parlais d’horlogerie mais je dirais aussi maître de ballet. J’ai eu le pri - façon d’apprendre, de découvrir. Je n’ai pas trouvé toutes les vilège de passer une journée sur le tournage de Un fil à la patte . J’ai vu règles essentielles mais j’en ai trouvé quelques-unes. Je montais à quel point je retrouvais, en vous voyant tourner, les sensations que seul, je faisais tout tout seul. C’était une bonne école. j’avais en regardant vos films à l’écran. Votre travail J’ai ainsi su que je voulais devenir cinéaste et j’ai appris qu’il a véritablement un côté chorégraphique. Chaque y avait une école, l’IDHEC, l’actuelle FEMIS. J’ai préparé le mouvement de chaque personnage devait être en concours mais je n’ai pas eu de chance. La première année où rapport avec celui des autres pour que visuellement, j’ai voulu me présenter, le concours a été supprimé par manque quelque chose se passe. de crédit. Un peu désespéré, j’ai commencé une licence de M. D. : C’était un sujet particulier, une perpétuelle lettres pour ne pas perdre mon temps. J’ai fait propédeutique. poursuite, un film sur le mouvement. Je me suis représenté au concours de l’IDHEC l’année d’après Michel Deville et mais je l’avais moins bien préparé. J’ai été reçu à l’écrit, pas à Emmanuelle Béart sur le Oui, mais j’ai l’impression que l’on retrouve ce désir dans tous vos films, tournage de Un fil à la l’oral. On comprend pourquoi, je ne m’exprime pas toujours très patte (2005). peut-être de façon moins appuyée. bien ! J’étais très ennuyé. Par chance… Il faut beaucoup de M. D. : Il y a aussi la chorégraphie de la caméra. J’aime lui donner un chance pour faire du cinéma. J’ai eu l’idée d’écrire à un metteur rôle. C’est un personnage aussi important qu’un comédien sur un plateau. en scène qui s’appelait Henri Decoin. Mon père qui était fabri - Deux courts métrages Elle joue. Ce n’est pas un instrument qui enregistre bêtement, platement cant de pots de fleurs pour l’horticulture l’avait rencontré avant la guerre ; 8 mm de Michel Deville : Time is money ce qui se passe. Elle intervient. J’ai voulu le montrer dans ce film, au il avait une propriété à Saint-Cloud et était venu acheter des pots pour son et Trio . moment où Mathieu Demy passe devant la caméra et s’en excuse, jardin. Avec mes parents, nous avons décidé de lui écrire pour lui rap - comme s’il venait de passer devant quelqu’un, car cela ne se fait pas de peler cette anecdote. Ma mère a rédigé la lettre. Mon père l’a recopiée passer ainsi devant les gens. C’est un vaudeville, on pouvait s’amuser. car son écriture était plus lisible. Moi, je suis allé la porter. Je voulais montrer que la caméra participe à l’action, qu’elle a son point Miracle, la lettre a touché Decoin. Il m’a fait venir dans son “J’ai eu l’idée de vue, son opinion. bureau. Il préparait un film qui se ferait à Nice et il était prévu d’écrire à un de prendre les stagiaires sur place. Toutefois, si mes parents metteur en scène Comme dans Le Paltoquet , où c’est aussi une façon payaient le voyage et le défraiement à Nice, il était prêt à m’en - qui s’appelait de montrer qu’on est en train de faire un film. Vous gager. À l’époque, la vie était incroyablement bon marché à Henri Decoin.” ajoutez de façon très élégante un second degré car en Nice. Mes parents ont accepté, c’était comme si je continuais général, on essaie d’oublier la caméra. mes études. Encore une chance, c’était un grand film, La Vérité sur Bébé M. D. : Pas moi. J’ai commencé à faire du cinéma Donge , avec Danielle Darrieux et . Son film suivant se tour - amateur avec une petite caméra 8 mm. C’était un nait à Tolède et en studio à Madrid. Il m’a proposé la même chose et je Le Paltoquet (1986) avec entre autres autre moi-même. Tout à coup, on était deux, ma caméra et moi. l’ai fait. Il s’agissait des Amants de Tolède avec Pedro Armendariz, Alida Philippe Léotard, et Claude Piéplu. Valli, Françoise Arnoul. À la fin, il m’a dit qu’il fallait faire Comment vous est venue cette passion pour le cinéma et comment êtes- trois stages pour être second assistant mais que si je pouvais vous arrivé dans ce milieu ? me débrouiller avec le Centre du Cinéma, il me prendrait M. D. : Il faut remonter loin ! J’ai toujours eu la passion des images et comme second assistant pour son prochain tournage à du cinéma. J’aimais bien aller au cinéma quand j’étais petit. Je n’y allais Paris. J’ai obtenu cette dérogation, j’ai été second. Par pas souvent car c’était pendant la guerre. J’ai commencé à faire de la chance, son premier assistant, Fabien Collin, l’a quitté au photo avec un appareil très simple. J’aimais cadrer. La chance, le hasard moment précis où j’avais fait le nombre nécessaire de films

ont fait que j’étais en classe de seconde quand un copain a apporté comme deuxième assistant. J’ai donc pu devenir premier Henri Decoin. pour nous épater une caméra 16 mm appartenant à ses parents, qui assistant. Je suis resté tout le temps avec lui. Ma chance, encore une fois, étaient fortunés. J’ai aussitôt eu envie de la lui subtiliser et de dire qu’on était qu’il tournait beaucoup, deux films par an. En six ou sept ans, j’ai allait faire un film. Avec mon côté producteur, j’ai fait une petite quête fait treize films avec lui. Je n’avais pas besoin d’aller chercher ailleurs. Nous dans la classe pour acheter de la pellicule et j’ai filmé sans rien savoir, enchaînions les tournages. Plus on reste longtemps avec le même metteur avec simplement la pratique de la photo. Je l’ai monté avec les moyens en scène, plus le travail devient intéressant. Parce qu’il vous fait davan - du bord, sans visionneuse. J’ai loué un projecteur pour le projeter à mes tage confiance. J’assistais aux séances d’écriture, au montage, etc. C’était copains et là, j’ai su qu’il fallait que je continue. J’avais un petit livret de une formidable école.

182 183 Michel Deville Vous êtes totalement contemporain des cinéastes de la Nouvelle Vague. Vos cinémas ont d’ailleurs un certain nombre de points communs, le ton, la liberté, mais vous n’avez pas le même itinéraire. Ils n’avaient pas été assistants. Ils venaient du journalisme, des Cahiers du Cinéma . Aviez-vous l’impression d’être à part ? Cette question se posait-elle à l’époque ? M. D. : Pas du tout. Je préparais et tournais dans mon coin, je suis assez Michel solitaire, je ne pratique pas le groupe. Je ne connaissais pas Deville et les années personnellement les cinéastes dits de la Nouvelle Vague, j’ai “J’ai eu l’idée 70 : L’Ours commencé à voir leurs films après. Je n’avais aucun point d’écrire à un et la commun avec eux, sauf qu’à deux ans près, j’avais le même âge poupée metteur en scène (1970). que Chabrol, Truffaut, Demy… Leur grande idée était de qui s’appelait changer le cinéma français, de tourner autrement des histoires Henri Decoin.” nouvelles avec des acteurs nouveaux. J’avais travaillé avec Decoin, mais je voulais faire moi aussi des films très différents des siens, avec des comédiens nouveaux et jeunes, des tournages en décors natu - rels s’il le fallait. Je ne voulais pas imiter le cinéma traditionnel. Les cinéastes de la Nouvelle Vague et moi, nous nous sommes rejoints sur ce point. Ils ont aimé mes premiers films. Truffaut m’a même écrit. Plus Raphaël tard, mes rapports avec Les Cahiers du Cinéma se sont dégradés. Mais ou le mes trois premiers films y ont eu des critiques formidables. Ils me recon - débauché (1971) et naissaient, tout en sachant que je ne faisais absolument pas le même La Femme cinéma qu’eux.. en bleu (1973). Comment avez-vous eu envie de proposer de nouvelles choses ? Que reprochiez-vous au cinéma traditionnel ? M. D. : Mon premier film, Ce soir ou jamais, date de 1960. et moi avions décidé qu’il y aurait quatre garçons Le Mouton et quatre filles qui tourneraient un film ou feraient un spectacle. enragé (1974) et Ensuite, nous avons rapidement eu l’idée de dire que la veille de L’Apprenti leur premier jour de tournage ou de répétition du spectacle, ils salaud (1977). allaient se réunir, pour une sorte de veillée d’armes. Puis, nous avons eu envie de faire tout le film sur cette veillée d’armes, sans

montrer ce qu’ils font après. Simplement des amis qui se réunis - Nina Companeez. sent un soir dans un appartement et il ne se passe rien. Il y avait déjà eu des huis clos, Marie-Octobre , par exemple, où des gens sont enfermés dans un décor et se déchirent. C’est dramatique, il y a un mort à la fin. Là, nous avons décidé qu’il ne se passerait rien. C’est une réunion d’amis un dimanche soir, ils parlent, ils s’amusent, ils flirtent un peu. On ne sait pas exactement ce qu’ils sont les uns par rapport aux autres, même Le Dossier si on le devine. Ils n’ont pas à se le dire, ils le savent, ils se connais - 51 (1978). sent. Il y a un seul incident, leur vedette du lendemain a un accident, donc il faut immédiatement trouver une remplaçante. J’avais le désir de me différencier des metteurs en scène que j’appréciais, Julien Duvi - vier, Henri-Georges Clouzot, etc. J’aimais leur cinéma mais je le trou - vais trop dramatiquement théâtral. Pour tous les films que j’ai faits avec Decoin, le moindre coin de rue était reconstitué en studio pour des raisons pratiques. Ce ne sont pas les cinéastes de la Nouvelle Vague

184 185 Michel Deville qui ont inventé le tournage léger, en décor naturel. C’est parce qu’est M. D. : La Petite Bande était une histoire d’enfants anglais qui traversent arrivé à ce moment-là du matériel qui le permettait, des pellicules plus frauduleusement la Manche et arrivent en . Ils sont sept, n’ont sensibles, etc. Avant, on tournait en studio car il fallait beaucoup de pas d’argent, ne parlent pas français. Ils parlent anglais lumière, la pellicule n’était absolument pas sensible. Les tournages en mais je faisais un film pour des enfants français, qui ne extérieur étaient très compliqués. Avec le nouveau matériel, on a pu comprenaient pas l’anglais et qui n’avaient pas envie tourner avec de petits moyens. de lire des sous-titres. Si on doublait les enfants anglais, ils parlaient français et ce n’était pas l’histoire. Gilles Avez-vous l’impression d’avoir fait trente fois un premier film ? Perrault et moi avons trouvé l’idée de les faire se parler M. D. : Oui, parce qu’à chaque fois, j’essaie de faire des choses totale - sans qu’on les entende, parce qu’ils sont loin ou der - ment nouvelles. Ce sont toujours des expériences nouvelles, même si tous rière une vitre, etc. Il n’y a pas de dialogues. Il n’y a La Petite Bande (1983). les dix ans environ, je reviens à une comédie plus simplette ou à un que de l’action. Parmi les premiers spectateurs, qui ne le savaient pas, polar. Mais comme dix ans se sont écoulés, ce n’est jamais le même certains m’ont dit qu’ils ne s’en étaient aperçus qu’au bout d’une demi- film. heure. Ils sont constamment en cavale, poursuivis par les gendarmes. Ils n’ont pas le temps de se parler ou très rapidement à l’oreille. Ce procédé Dans Le Dossier 51 , vous filmiez beaucoup en plans subjectifs. était nécessaire. On ne l’a pas inventé gratuitement. C’était amusant de M. D. : C’est un choix qui s’est imposé au fur et à mesure que nous tra - trouver des scènes que l’on comprend malgré l’absence de dialogues. vaillions à l’adaptation. J’ai adapté ce livre avec Gilles Perrault, après avoir d’abord travaillé seul. Très vite, on J’ai été frappé par les dialogues de Péril en la demeure , entre autres par s’est aperçu que les espions posaient un gros problème. les petites phrases brèves, incisives qui s’entrechoquent. Les travaillez- Le livre est très particulier. C’est un vrai dossier, des fiches, vous seul ? Comment vous vient l’inspiration ? des rapports d’un grand service d’espionnage étranger. Les M. D. : J’attache beaucoup d’importance aux dialogues. La gens s’envoient des notes techniques, avec des codes. Il n’y première raison est qu’un bon dialogue aidera considérablement “Rosalinde Deville, a pas de noms de personnes, ce sont des numéros, d’où le un acteur. Un bon acteur ne peut pas l’être avec un mauvais qui est une titre. 51 est le personnage central. On ne voit jamais les dialogue. Par contre, un acteur moyen sera bien meilleur avec espions mais on a accès à leurs rapports. Si on les avait un excellent dialogue, qui va le porter, lui donner de l’esprit. extraordinaire montrés, cela serait devenu un film d’espionnage clas - Le travail du dialogue est très important. Quand on me demande dialoguiste...” sique, même sans aller jusqu’à James Bond où les espions si mes comédiens improvisent, je réponds par la négative, sont un peu voyants, pas très réalistes. Les vrais espions, on d’ailleurs ils ne le demandent pas. Je peux bien sûr chiper une tournure ne les voit pas, ce sont eux qui nous regardent. Il y en a spontanée, un mot drôle sur le plateau. Pour l’écriture des dialogues, je peut-être un parmi vous, d’ailleurs ! C’était amusant de n’ai pas de règle. Parfois, je les écris seul, c’est le cas de résoudre ce problème. Nous avons donc décidé de ne pas Péril en la demeure . J’ai eu beaucoup de chance dans les montrer. On n’a pas cherché à faire un film en caméra ma vie de cinéaste car j’ai rencontré de grands dialo - subjective arbitrairement, mais cette manière de filmer guistes. Tout d’abord, Nina Companeez pendant dix était la seule manière cohérente de raconter cette histoire. ans. Sa grande qualité était qu’elle pouvait faire parler Il y a des scènes où les gens parlent à la caméra puisque les gens avec esprit et drôlerie. Ensuite, il y a eu une la caméra est l’espion. C’était un problème pour les comé - période intermédiaire avec Christopher Frank qui m’a Le Dossier 51 Rosalinde Deville. Trois plans du diens. On leur dit toujours de ne surtout pas regarder la écrit deux très bons dialogues et Gilles Perrault pour . Dossier 51 , entièrement caméra et là, ils devaient faire l’inverse. Le partenaire était quand même Ensuite, et depuis vingt-cinq ans, Rosalinde Deville, qui est une extraor - tourné en caméra subjective. là pour donner la réplique mais à côté. Au début, leur regard était attiré dinaire dialoguiste, qui ne travaille pas avec moi parce qu’elle est ma par la personne qui parlait. C’était compliqué mais amusant aussi, même femme. Faire un film est trop conséquent pour simplement faire plaisir pour les comédiens qui ne l’avaient jamais fait. On ne peut pas renou - à sa femme. Elle a le don de faire parler les personnages avec esprit. Je veler souvent ce genre d’expérience mais quand le sujet le réclame, on m’en suis aperçu petit à petit quand elle m’a amélioré des répliques. y va et on s’amuse bien. Elle a vraiment commencé avec La Lectrice . Elle m’avait trouvé un peu paresseux et avait voulu réécrire une scène. Le résultat était formida - Comme vos films sont très différents les uns des autres, l’histoire implique- ble, beaucoup mieux que ce que j’avais fait. Elle a ensuite réécrit tout t-elle immédiatement une forme, une esthétique ? Hésitez-vous parfois le film. À partir de là, elle a travaillé sur tous mes dialogues. Je suis très avant de trouver la forme adéquate ? La Petite Bande est un film muet, lucide, je sais que je lui dois énormément. Même pour Feydeau, Rosa - par exemple. linde a réécrit tous ses dialogues. Ils sont beaucoup mieux car Feydeau

186 187 Michel Deville a cent ans. C’est du vieux théâtre, il y a de longues tirades. Dans le film, Vous avez aussi adapté de grands sujets, peut- rapport à l’action. Adaptation de pièce ou on ne se rend pas compte que ce n’est pas Feydeau mais c’est beau - être moins porteurs pour la dentelle qui est non, nous aurions écrit le film de cette façon. coup mieux, pour le cinéma en tout cas. En ce qui concerne les influen - votre marque de fabrique. C’est le cas de ces, comme pour les images, cela ne m’amuse pas du tout de faire une votre avant-dernier film, Un monde presque Revenons au Paltoquet , qui est peut-être votre chose si je sais qu’elle a été faite ou dite auparavant. J’ai peut-être des paisible , qui traite du retour des camps de film le plus antinaturaliste, un des plus fous sur influences inconscientes, évidemment, parce que j’ai lu des livres, j’ai la mort. Lorsque vous traitez un sujet lourd, le plan formel. On ignore si nous sommes vu des films, mais faire ma petite cuisine dans mon coin m’amuse beau - avez-vous une appréhension différente ? dans la réalité, si nous assistons à une répé - coup plus. Comme disait Cyrano : « Ne pas monter bien haut, peut- M. D. : Bien sûr. Mais il y avait quand même tition de comédiens ou si nous sommes dans être, mais tout seul. ». de l’humour et de la dérision. La manière de la tête d’un personnage qui invente tout. Lors - raconter de Robert Bober n’était absolument qu’on prépare un film aussi subjectif, se pose- Dans Péril en la demeure , il n’y a pas que ces petites phrases incisives. pas classique. Ce sont des moments, des sou - t-on la question de savoir ce qui sera Il y a aussi des exercices de style assez fabuleux. La tirade d’Anémone venirs épars, des fragments, une série de nou - compréhensible pour le spectateur et si avec l’air totalement ingénu, nous parlant de la différence entre les velles. Il a fallu trouver une construction chaque spectateur ne va pas se faire son blondes et les brunes, restera longtemps dans les mémoires. Elle figure narrative qui traduise la multiplicité des expé - propre film ? dans le livre ou vient de votre goût de l’érotisme ? riences et des souvenirs de ce groupe de per - M. D. : Non, pas du tout. C’est un film sur le M. D. : Quand j’écris moi-même mes adaptations, mes dialogues, je sonnages, en gardant cette légèreté dans jeu. Un personnage lit un roman policier, pioche dans des petits carnets. Je crois que tous les écri - l’approche, ce côté raccommodage, ce sont dont j’ai tiré le film, et il imagine les scènes, vains ont des petits carnets où ils notent des idées, des phrases. J’en ai pour la musique, les décors, etc. Je note aussi des petits bouts de scènes, de dialogues, sans savoir si “Trouver la forme est un plaisir, quel que soit le propos...” un jour je pourrais m’en servir dans un film. La tirade d’A - némone vient de là. Certaines notes dorment longtemps dans mes carnets. Certaines n’ont même jamais été utili - Anémone dans Péril en sées. On a deux mois pour écrire un scénario, j’aime aller vite, donc des gens qui se réparent. Trouver la forme est il imagine être le personnage principal, qui la demeure . je ne peux pas tout inventer à ce moment-là. Je dois me nourrir de un plaisir, quel que soit le propos, comme il n’existe d’ailleurs pas dans le livre. Il part de choses du passé, de rêves que j’ai notés, etc. À la fin du film, quand y a une jubilation pour un comédien à jouer l’intrigue et il invente. À la fin, on s’aperçoit elle raconte l’histoire de la putain sous un réverbère, je une scène déchirante. Je ne l’ai pas fait comme que tout est imaginé puisqu’on rentre dans la l’avais notée aussi. Je m’étais dit que quelqu’un la racon - un devoir, mais comme un film, un spectacle. réalité. Ce n’est pas fou, c’est imaginaire. “Dans la vie, on terait un jour dans un film. J’aime bien les digressions. Un fil à la patte est l’adaptation d’une pièce On est peu habitué à voir un personnage qui bifurque tout le temps. de théâtre. Dans un tel cas, on se demande claque des doigts pour faire démarrer la On ne raconte pas Elles nourrissent le mystère des personnages. toujours s’il faut ajouter des scènes cinéma - musique. Il y a un côté extrêmement ludique uniquement ce qu’il M. D. : Oui. Dans la vie, on bifurque tout le temps. On ne tographiques pour aérer la pièce ou si au mais en même temps, une mise en abyme faut.” raconte pas uniquement ce qu’il faut. contraire, comme le faisait Guitry, on reste au du créateur, vous, en train de montrer sa plus près des personnages. Vous êtes-vous création. Vous avez réalisé un certains nombres de films adaptés de livres et d’au - posé cette question ? M. D. : Oui, effectivement, ce n’est pas tres à partir de sujets originaux. Comment tombez-vous amoureux d’un M. D. : Il y a trois actes dans la pièce, trois réaliste. Puisque tout se passe dans un seul sujet ? Lisez-vous beaucoup ? Avez-vous une vision de l’adaptation dès parties dans le film. La première a lieu dans décor ou presque de café, il est évident que la lecture ? un appartement, autour d’un lit et d’un repas, ce décor serait très important. Mais ce café M. D. : Ce n’est pas si rapide. Parfois, c’est un coup de foudre immédiat. donc il n’y avait aucune raison de sortir dans n’existe pas puisqu’il est dans la tête d’un et dans Parfois, c’est un livre que j’ai lu vingt ans avant. Le Paltoquet , que j’ai la rue. Nous avons décidé que la deuxième personnage, le Paltoquet. Comme pour les Un monde presque fait juste après Péril en la demeure , est tiré d’un petit polar, lui-même étant partie, les fiançailles, se passerait dans une comédiens, j’ai fait un casting de décora - paisible (2002). déjà un exercice de style, que j’avais lu vingt-cinq ans propriété avec un jardin, avec des scènes en teurs. Quand je disais aux décorateurs qu’il auparavant. Je l’avais relu de temps en temps et le trou - extérieur. Ce n’était pas pour aérer mais sim - allait falloir inventer un décor qui n’existait vais pas mal. Finalement, la manière de le traiter est plement parce que c’était logique et plus agré - pas, sans rien, ni portes ni murs, ils me regar - venue. Il n’y a pas de règle, c’est le charme de ce métier. able que cet acte se déroule dans une maison daient bizarrement. Et j’ai rencontré Thierry Il est bien d’en avoir quelques-unes mais c’est à nous de et son jardin. Le troisième acte se déroule à Leproust qui a trouvé la solution. Je l’ai gardé les inventer. nouveau dans un appartement. On ne sort pour tous mes films suivants. Il y a quand pas, sauf à la fin, parce que c’est logique par même une porte qui ne s’ouvre quasiment

188 189 Michel Deville jamais, les personnages surgissent du mur, du fond du décor. Le décor change beaucoup en cours de route, certaines choses apparaissent au bout d’une heure. On peut tout se permettre, puisque c’est imaginaire. Vous est-il arrivé d’adjoindre un storyboardeur au décorateur ? M. D. : Non, je fais des petits croquis, des schémas, mais sous forme de plans, pas de storyboards. Je mets la place de la caméra, les axes et la place des comédiens sur chaque plan pour construire la dramaturgie. On ne peut pas tourner au hasard, juxtaposer un plan puis un autre au petit bonheur et se débrouiller au montage. Il faut tout coordonner, à plus forte raison dans un film qui n’est pas réaliste, où il faut être encore plus précis et rigoureux.

Vos techniciens sont tous de qualité. Comment les choisissez-vous ? Aimez-vous en changer régulièrement pour redonner une fraîcheur à vos films ou au contraire conserver toujours les mêmes, pour être en réelle intimité ? Panachez-vous les deux ? Est-ce que cela dépend du thème du film et de la forme que vous voulez lui donner ? M. D. : Thierry Leproust a fait les décors de tous mes “... par respect pour films depuis Le Paltoquet parce que nous nous enten - [le souvenir de Claude dons bien, et qu’il a du talent. Il est capable de construire Lecomte], j’ai décidé un décor. Maintenant, comme on tourne beaucoup en de changer de décors naturels, beaucoup de décorateurs talentueux ne savent pas construire en studio, à l’ancienne. Lui le sait directeur de la photo parce qu’il a fait beaucoup de théâtre. Il continue, presque à chaque fois d’ailleurs, à travailler pour des ballets, des opéras. Il a afin de ne pas renouer du goût, il est peintre. Pour prendre l’exemple du chef de relation aussi opérateur, qui est un des personnages les plus importants intime...” sur un plateau, un collaborateur très proche du metteur en scène, pendant plus de vingt ans, j’ai travaillé avec Claude Lecomte, sur tous les films écrits avec Nina Companeez, et même ensuite. Nous avons débuté ensemble et par amitié, je me devais de continuer avec lui. Je n’avais aucune raison de passer à un autre. C’était un très bon technicien et il n’avait pas d’ego, ni de style. Son style était celui du film. À chaque fois, il a fait des images très différentes… Dans Le Dossier 51 , l’image était très froide. Pour le film suivant, le Voyage en douce , c’était très chaud, très sensuel. On ne peut pas voir que c’est le même opérateur. Un beau jour, nous nous sommes séparés et à partir de là, pour lui, par respect

Le Dossier 51 , dont la pour son souvenir, j’ai décidé de changer de directeur de photo est signée Claude la photo presque à chaque fois afin de ne pas renouer de relation aussi Lecomte. intime. Ce n’est pas le cas de tous les postes. Quand je trouve un bon ingénieur du son, avec qui je m’entends bien, j’aime le garder. Pour moi, le poste de premier assistant n’est pas important, curieusement.

J’ai été assistant pendant sept ou huit ans, il y a donc tout un travail que Michel Deville et les années 80 : Le Voyage en douce (1981), (1981), La Petite Bande (1983), Les je fais moi-même : le plan de travail, le dépouillement, les repérages. Capricieux (1984), Péril en la demeure (1985), Le Paltoquet (1986) et La Lectrice (1988). J’aime l’avoir effectué longtemps avant le tournage. Et engager un assis - tant très longtemps en amont coûterait trop . Mon premier assis -

190 191 Michel Deville tant m’aide uniquement sur le plateau. Il me dégage de l’intendance, il c’est là que les comédiens découvrent leurs partenaires puisqu’ils n’ont est en avance sur moi. Il sait ce qu’il y aura au plan suivant, il vérifie que pas répété ensemble. C’est pour cela que les premières prises sont les les comédiens sont là, etc. C’est plus un gestionnaire. meilleures, parce qu’il y a une fraîcheur. Ils ne savent pas comment Quelles qualités attendez-vous de lui ? l’autre va répondre donc ils doivent s’adapter aussitôt, comme dans la “J’aime tourner M. D. : La vivacité, l’amour du cinéma. Il peut me donner des vie. Le dialogue peut même se chevaucher. On perd cette spontanéité très vite, aussi idées, je l’écoute volontiers. Je demande aussi d’autres choses. dans les prises suivantes. vite que je J’aime tourner très vite, aussi vite que je parle ! Je n’aime pas du tout attendre donc il faut que tout soit prêt pour le plan suivant, pour Avez-vous été confronté à des équivalents français de Robert de Niro qui, parle !” le lendemain. Tout doit rouler rapidement, il ne faut pas oublier pour Les Incorruptibles , avait fait faire ses sous-vêtements par le tailleur un détail. Je fais le moins possible de prises, deux ou trois, pas historique d’Al Capone pour interpréter ce rôle alors que cela ne se voit plus. Quelques fois, la première est la bonne parce qu’elle est vivante, pas à l’image ? imprévue. Par principe, pour les assurances, on est obligé d’avoir deux M. D. : C’est très bien, cela le rassure sûrement, mais c’est aussi une prises bonnes, en cas d’accident sur une des deux. Si la deuxième est plaisanterie. meilleure, je tente une troisième pour voir si elle sera encore mieux, mais cela ne va jamais plus loin. Au-delà de cette caricature, certains comédiens ont besoin de connaî - tre toute la petite enfance du personnage, même si cela n’apparaît pas Aujourd’hui, on voit aussitôt au combo ce qu’on vient de tourner. On à l’écran. n’a pas besoin d’attendre que cela revienne du laboratoire, comme M. D. : Je n’en ai pas tellement rencontré. Ils sentent c’était le cas jadis. sans doute que ces introspections ne sont pas trop mon “On travaille parfois M. D. : Pour un plan compliqué, c’est très bien d’avoir le combo. Je ne genre, mais pourquoi pas s’ils en ont envie. Chacun s’ap - avec des comédiens qui le regarde que pour cela. Un plan vraiment compliqué se passe souvent proprie le film à sa manière. On travaille parfois avec donnent tout à la mieux à la première prise, quand tout le monde est encore incertain. des comédiens qui donnent tout à la première prise. Et première prise.” Quand cela se passe miraculeusement bien, je vérifie sur le combo parfois avec des comédiens qui ont l’impression de s’a - qu’aucun problème ne m’a échappé. Si c’est bien, on en refait une pour méliorer au fil des prises et ils ont raison, ils trouvent le principe mais sans y croire trop. En général, la première prise est dans des choses en plus. Mais c’est un souci lorsque dans une scène un comé - le film. Je regarde les comédiens en direct, jamais sur le combo pendant dien s’appauvrit quand l’autre s’améliore. On doit établir une juste la prise. balance, s’arrêter assez vite, être très diplomate, intuitif. Il faut savoir jusqu’où aller dans la répétition. Michel Simon, par contrat, demandait Comment travaillez-vous avec les comédiens ? Vous arrive-t-il de répéter à ce qu’il n’y ait qu’une seule prise. Il fallait bien s’adapter. Ce n’était Nicole Garcia et Michel lorsque les films sont beaucoup basés sur des dialogues ? Avez-vous pas très gentil pour le partenaire qui aurait aimé d’autres prises. Piccoli dans Péril en la une méthode commune pour tous ou vous adaptez-vous en fonction demeure . des comédiens ? Quels sont les comédiens qui vous ont le plus impressionné, pour des M. D. : J’ai le même principe depuis toujours, mais il varie. raisons diverses ? Une fois les comédiens choisis, je les rencontre seul à seul. Je M. D. : En trente films, on en rencontre beaucoup ! Pour chaque film, il ne répète jamais à l’avance avec tous les comédiens ensemble, y a au moins trois ou quatre personnages importants. Trente multiplié pour sauvegarder une fraîcheur au moment du tournage. Pour par quatre, cela fait beaucoup d’acteurs et d’actrices. J’ai eu beaucoup certains, comme Michel Piccoli, je dis juste une chose et cela de bonheur parce qu’on ne me les a jamais imposés, sauf à leur suffit, ils me donnent rendez-vous sur le plateau. D’autres une période où pendant trois ans, j’ai été obligé de faire des veulent qu’on lise méthodiquement toutes les scènes, certains même commandes pour rembourser mes dettes de producteur. J’ai avec l’intonation, alors je leur donne la réplique. Je me plie au désir de été quelques fois malheureux. Pour On a volé la Joconde , chacun. Nous passons plusieurs après-midi ensemble et par exemple. Ou pour L’Appartement des filles : sur ce film, “Je ne répète jamais à nous parlons de tout, des scènes, du film. Je leur fais je n’avais même pas choisi les décors, et il y avait des obli - écouter la musique qui, mieux que moi, peut leur per - gations de coproduction pour les choix des comédiens. Mais l’avance avec tous les dans À cause, à cause mettre de comprendre un climat. Je leur montre des c’est Mylène Demongeot avec qui je venais de faire L’Appartement des filles comédiens ensemble, d’une femme (1963). pour sauvegarder une photos des repérages, des partenaires s’ils ne les connais - , qui m’a choisi, elle a proposé mon nom. Et j’ai pu choisir sent pas. Nous parlons beaucoup : quand nous arrivons Sami Frey. Donc je ne renie pas L’Appartement des filles. J’ai toujours plu - fraîcheur au moment sur le plateau, nous nous sommes tout dit, il ne reste que sieurs choix possibles de comédiens. Quand je les rencontre, je sais déjà du tournage.” quelques petits aménagements techniques à faire. Mais qu’ils ont du talent mais je veux voir comment nous allons nous enten -

192 193 Michel Deville dre, comment ils sont dans la vie. Je sais où je vais et sur le plateau, cela se passe toujours bien. À une ou deux exceptions près, je n’ai pas eu de mauvaise surprise, même avec des comédiens réputés difficiles. Un tour - nage est rapide, quelques semaines tous les ans ou tous les deux ans, ces moments doivent être des moments de bonheur partagé.

Au niveau de la production des films, au cours de votre carrière, les choses se sont sans doute passées de manière évolutive. Avez-vous tou - jours eu une très grande liberté ? Avez-vous trouvé des producteurs rela - tivement facilement ? À partir de quand êtes-vous devenu producteur ou coproducteur ? M. D. : Comme beaucoup de mes confrères, je n’ai pas trouvé de pro - ducteur pour mon premier film. Il faut dire que le scénario était infernal à lire ! Je me suis bombardé producteur, j’ai créé une maison de production qui existe toujours et qui a produit tous mes films depuis Péril , sous la direction de Rosalinde. J’ai eu la “J’ai eu la chance bonne idée de faire un premier film très bon marché, 400 000 de rencontrer Mag francs de l’époque. J’ai pu grappiller à droite, à gauche et j’ai Bodard, qui était eu la chance d’avoir l’Avance sur recettes. Pour le deuxième, une grande qui a mieux marché auprès du public, cela a fonctionné aussi. productrice...” Avec le troisième, j’ai eu des problèmes financiers par la faute d’un vendeur à l’étranger qui m’a trompé. J’ai contracté des dettes, ayant dû rembourser l’argent qu’il m’avait donné en à-valoir. Par chance, les films de commandes m’ont permis de rembourser mes dettes de société et leurs intérêts. C’était une mauvaise période. J’ai essayé de m’amuser quand même. À partir de sujets, d’acteurs imposés, j’ai essayé de faire des films présentables mais je n’étais pas heureux. Je n’ai pas produit Benjamin qui est venu ensuite. J’ai eu la chance de rencontrer Mag Bodard, qui était une grande produc - trice, qui a produit les films de Jacques Demy, Les Parapluies de Cherbourg , Les Demoiselles de Rochefort , etc. Mes quatre films sui - vants ont été produits par elle, jusqu’à Raphaël ou le débauché et ensuite, j’ai quitté Mag Bodard, qui a continué avec Nina Compa - neez seule. J’ai travaillé avec d’autres producteurs, puis Rosalinde La productrice a fait renaître ma société de production qui dormait. Elle est la produc - Mag Bodard. trice de tous mes films depuis Le Paltoquet , il y a vingt-cinq ans. Je ne m’en occupe plus du tout. Elle fait tout le travail de production, en plus de son travail de scénariste ou de dialoguiste. C’est une grande pro - ductrice qui sait se battre. Mes films ne sont jamais exactement comme on les attend, toujours un peu à la marge.

N’avez-vous pas manqué d’argent sur certains films ? M. D. : Non, c’est en cela que Rosalinde est une grande productrice, l’é - conomie du film va avec son propos. Elle me donne tout ce que je demande. Je ne fais pas de caprice. Demander trop ne m’amuse pas. Elle sait que tourner quinze semaines ne serait pas raisonnable et moi aussi. Mes films se font en sept ou huit semaines, pas plus, parce que c’est Michel Deville dans les années 90 et 2000 : Nuit d’été en ville (1990), Toutes peines confondues (1992), La Divine plus amusant lorsque le temps est limité. Je trouve que l’énergie et l’envie Poursuite (1997), La Maladie de Sachs (1999), Un monde presque paisible (2002) et Un fil à la patte (2005). 194 195 Michel Deville se diluent sur quinze semaines mais chacun a sa façon de travailler, il n’y a pas de règle. Il y a les photos dont on ne connaît pas l’auteur. Et l’importance de la musique dans vos films ? Dans L’Ours et la Poupée , M. D. : Le personnage d’Anémone prend des photos, elle par exemple, nous sommes enivrés de musique alors que se produit un “J’aime beaucoup les expose sur ses murs, elle les commente à Malavoy. Ce photographier, saisir choc entre Jean-Pierre Cassel qui est un musicien classique et les sont des photos personnelles, pas faites pour le film. J’aime musiques que peut écouter Brigitte Bardot. beaucoup photographier, saisir l’instant, sans prémédita - l’instant, sans M. D. : J’aime construire le film musicalement. J’ai toujours tion. J’ai décidé de faire les photos de plateau pendant le préméditation.” “J’aime construire le attaché beaucoup d’importance à la musique, à tel point tournage du Dossier 51 , pour des raisons d’économie, le film musicalement. que, au moins une fois sur deux, j’ai essayé de la justifier film était difficile à financer. Et j’ai continué pour le plaisir. J’ai toujours attaché par un élément du film. Comme à la caméra, je lui donne un J’aime aussi raconter une scène en photos. Cela accélère la narration, rôle. Elle n’arrive pas à la fin du tournage pour illustrer le film, on ne montre que l’indispensable. Et petit plaisir supplémentaire, c’est beaucoup pour donner du rythme à une scène de poursuite ou de l’é - moi qui prends les photos. d’importance à la motion à une scène sentimentale. Elle a un rôle dès le scé - musique...” nario. Par exemple, dans Péril en la demeure , Christophe Le voyeurisme n’est-il pas un principe de base quand on fait du cinéma ? Malavoy est guitariste. C’était dans le livre, je ne l’ai pas M. D. : Si, bien sûr. Il n’y a pas plus voyeur qu’une caméra ! La caméra inventé. La musique qu’on entend, en direct ou non, est celle qu’il joue n’est jamais neutre, elle peut simplement faire semblant de l’être. sur sa guitare, transposée de grands musiciens, Brahms, Schubert… Ce n’est pas la seule fois. La Femme en bleu était un scé - La perversité, les manipulations, sont-elles la façon dont nario original. Je voulais que la musique soit impor - vous voyez le monde ou des conditions nécessaires pour tante et j’ai décidé arbitrairement que Michel Piccoli raconter une histoire qui se tient ? serait musicologue. Il parle à la radio de musiques de M. D. : C’est le sujet même du Mouton enragé , avec Jean- Bartók et Schubert, qui étaient les musiques du film. Louis Trintignant et Jean-Pierre Cassel. Trintignant est d’un Dans Benjamin ou les Mémoires d’un puceau , on n’en - bout à l’autre du film manipulé comme une marionnette tend de la musique que pendant la fête où il y a un par Cassel. Mais Benjamin est aussi l’histoire d’une mani - petit orchestre qui joue. Dans Ce soir ou jamais , c’est pulation, à des fins de stratégie amoureuse. La prise de Michel Piccoli dans La un personnage qui met un disque. Dans La Maladie de Sachs , Albert pouvoir est un thème intéressant, dramatique, qui struc - Jean-Louis Trintignant et Femme en bleu . Dupontel a entendu à la radio une musique de Jean-Féry Rebel. Il l’a - ture le récit. Mais nous parlons de fiction. Jean-Pierre Cassel dans Le Mouton enragé . chète et à partir de ce moment-là, elle devient la musique du film. On l’entend en même temps que lui, quand il l’écoute dans sa voiture. Les femmes dans la vie ne sont pas toutes des femmes fatales, comme Nicole Garcia dans Péril en la demeure. Il y a aussi quelques musiques originales. M. D. : Mais dans mes films, toutes les femmes ne sont pas fatales. Et le M. D. : Dans mes premiers films, ce sont des musiques originales. J’ai personnage de Nicole Garcia parle avec beaucoup de dérision de cette commencé la musique classique avec Benjamin et j’ai trouvé que c’était fatalité . Dans ce film, il y a aussi le thème de l’initiation, par les femmes formidable de l’avoir avant le tournage, dès l’écriture du scénario, sur et par le désir, et ce thème est dans beaucoup de mes films. Au début le plateau si cela peut aider les comédiens, et au montage. Pour mes du film, Malavoy est très innocent, très naïf et il évolue vite. J’ai com - premiers films, le musicien me faisait entendre avant le tournage des mencé à traiter ce thème dans Benjamin , qui était puceau et ne l’est thèmes au piano chez lui, mais pour écrire la musique définitive, il plus à la fin du film. attendait de voir les images et les minutages. J’avais donc la musique très tard, presque à la fin du montage, je découvrais l’orchestration au Pour revenir à l’érotisme, il parcourt tout votre œuvre, même si certains Pierre Clémenti dans films sont plus sensuels que d’autres. Dans , Jean- moment des enregistrements. Je ne sentais mis devant le fait accompli. Nuit d’été en ville Benjamin ou les Hugues Anglade et Marie Trintignant sont nus pendant mémoires d’un puceau . Dans vos films, que cela soit dans les comédies ou les films plus noirs, une bonne partie du film. Benjamin ou les Mémoires d’un vous avez une prédilection à montrer la manipulation, les rapports trou - puceau traitait du problème du dépucelage. Dans vos bles, le voyeurisme. On est en plein cœur du sujet avec Péril en la tout premiers films, les personnages n’étaient pas nus demeure mais on peut rajouter Le Mouton enragé , Eaux profondes … mais il y avait un pétillement dans l’air, grâce à la légè - On sent que les personnages sont rarement totalement francs du collier. reté et la féminité de vos héroïnes. Il y a toujours un arrière-plan, des non-dits, des sous-entendus. M. D. : Nina Companeez et moi-même étions jeunes. Je M. D. : Comme dans tous les films, non ? n’avais pas trente ans et elle, à peine plus de vingt. On est

196 197 Michel Deville

Baisers, danses et caresses chez Michel Deville...

198 199 Michel Deville beaucoup plus pudique quand on est jeune, voilà pourquoi les films le Cela pose-t-il des problèmes particuliers avec certains acteurs pendant sont aussi – et que les personnages ne sont pas nus. le tournage, même si c’est fait avec beaucoup de délicatesse ? Et le cinéma à certaines époques permet moins de choses qu’à d’autres. M. D. : Non, ils ont lu le scénario, nous en avons parlé. Et si dévoiler leur M. D. : C’est vrai aussi. nudité leur était insupportable, ils n’auraient pas accepté le projet. Le corps est aussi un instrument de jeu. Dans les années 60, la nudité de Nicole Garcia et Christophe Malavoy aurait été à la une de tous les journaux alors que là, il n’y a eu aucun Christophe Malavoy, par exemple, n’est pas quelqu’un d’extraverti. Ce problème. n’était peut-être pas une évidence. M. D. : Benjamin ou les Mémoires d’un puceau date de 1967 M. D. : Il ne faut pas sous-estimer l’exhibitionnisme et le narcissisme L’une des nombreuses et a été interdit aux moins de 18 ans à l’époque. Certains jour - inhérents à la vocation de comédien ! Christophe Malavoy était très à l’aise scènes de nu entre naux avaient refusé de passer des publicités à cause du mot avec son corps, alors que Nicole Garcia était très craintive, aussi bien à Nicole Garcia et « puceau ». Dans Le Figaro figurait le titre Benjamin tout court. cause de la nudité physique que de la noirceur du personnage. Elle a Christophe Malavoy dans Péril en la Mais à l’époque de Péril …, il y a eu beaucoup de difficultés à même renoncé au film, à un moment. Elle était terrorisée à l’idée de se demeure . imposer l’affiche de Benjamin Baltimore aux annonceurs, le dossier est remonté jusqu’au ministre. Et les Abribus étaient tagués par des personnes choquées par cette image du couple en train de faire l’amour, pourtant très stylisée. Et pour La Lectrice , à l’ex - ception de Libération, toute la presse a refusé la reproduction de l’affiche. En affichage de rues, nous avions été prévenus qu’à la première réclamation, l’affiche disparaîtrait, sans indemnisa -

L’affiche de La Lectrice . tion, bien sûr. Et il a fallu beaucoup de pédagogie pour la faire accepter par les directeurs de salles. C’est en cela aussi que je peux dire que Rosalinde est une bonne productrice qui sait prendre des risques. Elle était sûre du bon choix du visuel, elle l’a imposé avec une autorité tranquille qui a convaincu.

Truffaut disait que les films permettaient de faire faire de jolies choses aux jolies femmes. Vous partagez visiblement cette opinion. M. D. : Oui. J’aime bien les jolies femmes, les comédiennes le sont évi - demment mais toutes les femmes sont potentiellement jolies. Je préfère la compagnie des femmes à celle des hommes ! C’est banal à dire mais un des plaisirs du cinéma est d’avoir de jolies comédiennes à filmer, à montrer quasiment nue pendant une scène ou deux. J’ai rencontré d’au - sublimer même si l’on peut. tres comédiennes, en vain. Je retournais sans cesse à ma première idée. Finalement, elle a accepté, flattée que je revienne à elle, mais Doit-on se demander ce qu’il faut montrer et ce qu’il faut cacher ou ne sa terreur était toujours présente. Christophe Malavoy a dédra - “Christophe faut-il rien s’interdire ? matisé la situation, restant nu même entre les plans pour enlever M. D. : Non, l’idée de l’image vient naturellement, il n’y a pas à de l’importance à tout cela. À la fin du film, Nicole était contente Malavoy était très à provoquer ou à interdire. Je cherche à montrer le désir ou le de s’être fait violence à elle-même, tout s’était bien passé, elle l’aise avec son “La nudité peut plaisir entre les personnages, et à le faire ressentir en même temps était désirable, elle a assumé son potentiel érotique. Jean-Hugues corps...” être très chez le spectateur. Pendant le premier tiers de Nuit d’été en ville , Anglade et Marie Trintignant ont eu la même aisance. Entre les innocente.” Jean-Hugues Anglade et Marie Trintignant sont intégralement prises, les habilleuses leur proposaient des peignoirs, sans succès. Ils ne nus. Ce n’était pas une décision arbitraire. C’est un couple, une voyaient pas de raison de se rhabiller, ils n’avaient pas froid ! nuit d’été, ils viennent de se rencontrer, ils font l’amour et n’ont Dans ces cas-là, les techniciens sont formidables. Chacun fait son travail, aucune raison d’être habillés, même à moitié. La nudité peut être très il n’y a aucun voyeurisme mais de la tendresse et le souci de protéger. innocente. Ensuite, il y a un strip-tease à l’envers, ils se recouvrent petit Les comédiens le sentent. Cela se passe toujours sereinement. à petit. Le film partait d’une nuit pour évoquer toute la vie qui pouvait se présenter devant eux. Je ne pense pas que c’était choquant. Êtes-vous resté très cinéphile ? Voyez-vous beaucoup de films ? M. D. : Oui, si on fait du cinéma, c’est qu’on aime y aller !

200 201 Michel Deville Vous avez face à vous des étudiants en cinéma son téléphone, ce qui était impossible quand qui rêvent tous d’en faire et qui en feront à j’ai débuté. Mais heureusement que c’est dif - Filmographie différents postes. Avez-vous des conseils par - ficile ! La contrainte fait qu’on se fortifie. Cela ticuliers à leur donner ? stimule, donne de l’énergie. Il ne faut jamais Michel Deville est né le 13 avril 1931 à Boulogne/Seine (Hauts-de-Seine). M. D. : Il faut être très bagarreur, opiniâtre, capituler. Il ne faut pas se fermer complète - obstiné, têtu, ne jamais se décourager. Ce ment. On peut écouter les avis mais tout le n’est pas facile d’entrer dans le milieu du monde vous dira des choses et quand un film cinéma, de faire un film, d’en faire un part dans toutes les directions, il n’y a plus deuxième. Il faut lutter continuellement, ne rien. Si on n’a pas d’argent, il faut trouver des jamais abandonner. On a commencé à me moyens pour le faire quand même. Je n’avais décourager quand j’avais quatorze ans et que pas de producteur, pas d’argent personnel mais j’ai dit que je voulais faire du cinéma : j’en ai trouvé. Il faut se donner du mal, être « Surtout pas. Tu es timide, tu rougis quand très disponible, ne faire que cela. Si on a d’au - on te parle. Tu ne peux pas faire de cinéma. ». tres envies, si on sort le soir en boîte, c’est Puis on m’a dit que mon premier film n’était fichu. J’ai eu une vie très agréable, mais je ne 1961. CE SOIR OU JAMAIS . Avec , , Jacqueline Danno, pas tournable. Il ne faut pas se laisser influen - me suis marié qu’à quarante-cinq ans. Un de cer. On peut écouter des avis mais il faut mes assistants devait aller chercher sa fille à Guy Bedos, Georges Descrières, Michel de Ré, Anne Tonietti, Françoise Dorléac. savoir prendre et rejeter. Il faut y croire. l’école à 18h pendant un tournage. Ce n’est 1962. LES PETITES DEMOISELLES (CM, TV). Avec Françoise Dorléac, Macha Méril, pas sérieux, il ne continuera pas. Il ne faut pas Anne Tonietti, Michel Lonsdale, Philippe de Broca. ADORABLE MENTEUSE . Avec Y a-t-il eu de très grandes modifications dans avoir une vie de moine mais se dire quand les rapports entre les gens, la façon de même que le cinéma exige beaucoup. Mes Marina Vlady, Macha Méril, Michel Vitold, Jean-Marc Bory, Claude Nicot, Jean- tourner, au cours des cinquante années de lectures sont des sujets éventuels de films. Je François Calvé. 1963. À CAUSE, À CAUSE D’UNE FEMME . Avec Jacques Charrier, votre carrière ? vais au théâtre, même si je n’aime pas trop Mylène Demongeot, Marie Laforêt, , Juliette Mayniel, Roland M. D. : On dit que c’est plus difficile mainte - cela, pour voir les comédiens. Je voyage pour 1963. L’APPARTEMENT DES FILLES nant mais cela a toujours été difficile et le voir des paysages qui peuvent me servir. Si on Dubillard, Louis Velle, Maurice Garrel. . Avec restera, même si les raisons varient. Un avan - le fait en dilettante, il s’agit de cinéma amateur, Sami Frey, Mylène Demongeot, Silva Koscina, Renate Ewert, Daniel Ceccaldi, Jean- tage, c’est que maintenant, on peut faire un ce qui est bien aussi. Mais si l’on veut être pro - François Calvé. 1964. LES PETITES DEMOISELLES (TV) . Avec Philippe de Broca, film avec moins d’argent, tout seul. On peut bri - fessionnel, tout doit ramener au cinéma. Cela 1964. LUCKY JO coler grâce au numérique, faire un film avec en vaut la peine. I Georges Chatelain, Françoise Dorléac. . Avec , Françoise Arnoul, Pierre Brasseur, Christiane Minazzoli, , Georges Wilson, Jean-Pierre Darras. 1966. ON A VOLÉ LA JOCONDE . Avec Marina Vlady, George Chakiris, Jean Lefebvre, Paul Frankeur, Henri Virlojeux . 1966. MARTIN SOLDAT . Avec Robert Hirsch, Véronique Vendell, Louis Velle, P.E. Deiber, Georges Chamarat, Marlène Jobert. 1967. TENDRES REQUINS (ZARTLICHE HAIE ). Avec Anna Karina, Gérard Barray, Scilla Gabel, . 1968. BENJAMIN OU LES MÉMOIRES D’UN PUCEAU . Avec Pierre Clémenti, Michèle Morgan,

Michel Deville à l’ESRA avec Yves Alion.

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Catherine Deneuve, Michel Piccoli, Catherine Rouvel, Odile Versois, Francine Robin Renucci. 1984. LES CAPRICIEUX (TV). Avec Nicole Garcia, Jean-Pierre Bergé, Anna Gaël, . 1969. BYE BYE, BARBARA . Avec Philippe Marielle, Brigitte Roüan, Christian Benedetti, Jean-Louis Grindfeld, Rosette, Thierry Avron, Ewa Swann, Bruno Crémer, Alexandra Stewart, Michel Duchaussoy. 1970. Frémont, Richard Fontana. 1985. PÉRIL EN LA DEMEURE . Avec Nicole Garcia, L’OURS ET LA POUPÉE . Avec Brigitte Bardot, Jean-Pierre Cassel, Daniel Ceccaldi, Christophe Malavoy, Anémone, Michel Piccoli, , Anaïs Jeanneret, Xavier Gélin, Sabine Haudepin. 1971. RAPHAËL OU LE DÉBAUCHÉ . Avec Jean-Claude Jay. 1986. LE PALTOQUET . Avec Fanny Ardant, Daniel Auteuil, , Françoise Fabian, Jean Vilar, Brigitte Fossey, Anne Wiazemsky, Richard Bohringer, Philippe Léotard, , Michel Piccoli, Claude Piéplu, Isabelle de Funès, Jean-François Poron, Yves Lefebvre. 1973. LA FEMME EN BLEU . , An Luu. 1988. LA LECTRICE . Avec Miou Miou, Maria Casarès, Patrick Avec Michel Piccoli, Léa Massari, , Simone Simon, Amarande, Chesnais, , Jean-Luc Boutté, Simon Eine, , Christian Geneviève Fontanel . 1974. LE MOUTON ENRAGÉ . Avec Jean-Louis Trintignant, Ruché, Michel Raskine, Christian Blanc. 1990. NUIT D’ÉTÉ EN VILLE . Avec Jean- , Jean-Pierre Cassel, Jane Birkin, Georges Wilson, Florinda Bolkan, Hugues Anglade, Marie Trintignant. 1992. TOUTES PEINES CONFONDUES . Avec Henri Garcin, Michel Vitold, Marie Marquet, Jean-François Balmer, Estella Blain, , Patrick Bruel, , Sophie Broustal, Vernon Dobtcheff, Dominique Constanza. 1977. L’APPRENTI SALAUD . Avec Robert Lamoureux, Bruce Myers, Joël Barbouth, Jean Dautremay. 1994. AUX PETITS BONHEURS . Avec Christine Dejoux, Claude Piéplu, Georges Wilson, Jean-Pierre Kalfon . 1978. LE Anémone, Xavier Beauvois, André Dussollier, Nicole Garcia, Sylvie Laporte, DOSSIER 51 . Avec François Marthouret, Roger Planchon, Françoise Lugagne, Anna Michèle Laroque, François Marthouret, et . 1997. Prucnal, Didier Sauvegrain, Patrick Chesnais, Christophe Malavoy, Daniel LA DIVINE POURSUITE . Avec Antoine de Caunes, , Elodie Mesguich, Jean Dautremay, Jacques Zabor, . 1980. LE VOYAGE EN Bouchez, Denis Polydadès. 1999. LA MALADIE DE SACHS . Avec , DOUCE . Avec , Geraldine Chaplin, Jacques Zabor. 1981. EAUX Valérie Dréville, Dominique Reymond. 2002. UN MONDE PRESQUE PAISIBLE . PROFONDES . Avec , Jean-Louis Trintignant, Robin Renucci, Avec Simon Abkarian, Lubna Azabal, , Clotilde Courau, Vincent Bertrand Bonvoisin, Jean-Michel Dupuis, Jean-Luc Moreau, Evelyne Didi, Bruce Elbaz, Julie Gayet, Stanislas Merhar, Denis Podalydès, . 2005. UN FIL À Myers, Bernard Freyd, Sylvie Orcier, Philippe Clévenot, Pierre Vial, Christian LA PATTE . Avec Emmanuelle Béart, , , Jacques Benedetti. 1983. LA PETITE BANDE . Avec sept enfants et quarante acteurs, dont Bonnaffé, Mathieu Demy, , Stanislas Mehrar, Tom Novembre, François Marthouret, Françoise Lugagne, Roland Amstutz, Jean Bois, Daniel Martin, Clément Sibony et Patrick Timsit. I

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