Jeudis De L'esra
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michel Débat animé par Yves Alion après la projection du film Péril en la demeure, à l’École Supérieure deville de Réalisation Audiovisuelle de Paris le 17 janvier 2008 Michel Deville est un homme discret, qui a toujours préféré les allusions subtiles aux éclats de voix. C’est aussi un cinéaste discret, dont l’œuvre est pourtant l’une des plus brillantes qui soient. Contemporain de la Nouvelle Vague, il a suivi un parcours plus classique (en passant par la case de l’assistanat) que ses camarades issus des Cahiers . Ses films n’en sont pas moins résolument personnels. Il est dans un premier temps le roi de la comédie légère, exaltant le charme et la beauté des comédiennes qui virevoltent devant son objectif. Mais peu à peu le ton de ses films devient plus sombre, sans perdre le moins du monde en invention visuelle et narrative, marque d’un plaisir du cinéma qui jamais ne se dément. Observateur ironique et mutin du désordre amoureux (et des dérèglements de la société), notre homme n’en montre pas moins une certaine inquiétude quant à notre capacité au bonheur. Mais il le fait avec une grâce et une élégance qui fait passer bien des potions amères. Le soin qui est le sien lors du montage (il est le roi de l’ellipse), la façon dont il utilise la musique, le croisement constant de différents degrés narratifs ou temporels donnent le Péril en la demeure sentiment que nous avons affaire à un horloger. Un artisan soucieux de la qualité de son travail qui a su, du moins dans la seconde partie de sa carrière, être son propre maître, ses films étant produits ou coproduits par sa maison de production. Ainsi, quel que soit le genre cinématographique de ses films (s’il faut absolument coller des étiquettes), du polar à la comédie sentimentale, en passant par le pamphlet politique ( Dossier 51 ) ou la peinture sociale, l’œuvre de Michel Deville possède une petite musique qui nous chatouille l’oreille et se révèle des plus addictives. I Michel Deville raconte la vie d’un petit médecin de campagne. Il n’y a pas de règle, il n’y a que des choix, des partis pris, selon les films. Oui, mais dans ce film, il y a une telle écriture que cela reste de l’hor - logerie. Même si certains films sont plus réalistes que d’autres, vous êtes quand même loin de Ken Loach ! Cette élégance, ce maniérisme est l’identité de votre cinéma. M. D. : Ken Loach n’est pas un auteur de documentaire. Il travaille sa mise en scène pour donner une impression de réalisme, mais elle est en général très élégante et affirmée. Une manière de filmer inventive est tout à fait conciliable avec le réalisme, lequel n’est pas forcément associé à une mise en scène fonctionnelle, neutre, ou plate. J’aime essayer Entretien des choses, m’amuser en filmant, et j’espère que le spectateur le ressent, qu’il peut s’amuser à voir qu’il y a une jubilation “J’aime essayer des de la technique quand le sujet s’y prête. C’était le cas de Péril choses, m’amuser Péril en la demeure est adapté d’un livre de René Belletto, Sur la terre en la demeure dont l’histoire n’est pas très sérieuse. J’aime en filmant...” comme au ciel . Pourquoi avoir changé le titre ? bien les jeux : plus c’est compliqué à construire, plus c’est Michel Deville : Je trouvais que tous les films pouvaient s’appeler Sur la amusant. Dans la vie, j’aimerais avoir le temps de jouer au Terre comme au ciel. Péril en la demeure me semblait plus intéressant. bridge, aux échecs, alors je me contente de lire les rubriques dans les journaux, même si je ne comprends rien. Mais je n’aime pas la belote Vous souvenez-vous du déclic lorsque vous vous êtes lancé dans l’a - ou la bataille qui sont trop simples. Les échecs, il faut y jouer tous les venture ? Cette histoire a-t-elle beaucoup d’importance ou est-elle surtout jours, s’entraîner. un bon support pour porter votre cinéma ? M. D. : Quelques années auparavant, en 1978, j’avais réalisé Le Voyage Beaucoup de raccords se répondent, dans les gestes des personnages en douce , où j’essayais de traiter de l’érotisme. Le film fini, je me suis ou les dialogues, l’un finissant la phrase de l’autre, par exemple. Est-ce aperçu qu’il était peut-être sensuel mais pas vraiment éro - une volonté purement esthétique ou vouliez-vous montrer que tout est tique. Il avait évolué, avait son identité à lui, différente de lié au personnage principal ? mon envie de départ. J’avais cette petite nostalgie. Entre M. D. : Oui, cette histoire est un jeu, un jeu de rôles, on temps, j’ai réalisé d’autres films et puis j’ai lu ce livre. Je ne ne sait pas qui sait quoi, qui a fait quoi, qui chacun est vrai - l’ai pas choisi pour l’histoire mais parce que certaines situa - ment. Dans tous mes films, il y a un personnage pivot, tions, certains personnages me permettaient de revenir à l’é - qui n’est pas forcément celui qui mène le jeu, il peut être Péril en la demeure Geraldine Chaplin dans rotisme, le désir court entre tous les personnages, c’est un celui qui subit ou découvre. Dans , Le Voyage en douce des moteurs de l’intrigue. Comme il s’agissait d’une histoire policière, c’est Christophe Malavoy. Toutes les scènes sont vues, (1980). j’étais libre de m’amuser avec. À partir de cette intrigue policière un ressenties par lui. On est constamment avec lui. Les ellip - peu tordue, j’ai pu mettre ce que je voulais, la musique, les acteurs qui ses bousculent le récit, donnent une impression de dés - Nicole Garcia et ne sont pas comme les personnages du livre. J’ai supprimé des person - équilibre, le sentiment que ce qui se passe va trop vite pour lui. Je voulais Christophe Malavoy nages, j’en ai ajouté d’autres. Je me suis amusé. C’était un livre pré - passer rapidement d’un moment à l’autre. Par exemple, il est dans son dans Péril en la demeure (1985). texte, un bon livre néanmoins. Je n’ai jamais adapté de grands livres, qui lit, il s’étire. Je ne voulais pas montrer : « Il se lève, il se brosse les dents, condamnent au respect. il prend son petit-déjeuner ». Il fallait trouver un moyen de lier les actions pour montrer qu’il ne s’est rien passé d’intéressant entre le moment où Les mouvements de caméra, de comédiens sont très travaillés et on sent il se réveille et celui où il fait son café. On gomme tout l’omniprésence de l’écriture. Cela renforce l’aspect fictif du film. Préférez- ce qui est intermédiaire. Autre exemple, il ferme la porte “Je ne voulais pas vous qu’un film ait un aspect fictif ou réaliste ? de son appartement et raccord avec son pied, il ferme montrer : « Il se lève, il M. D. : Là, je voulais en effet que l’écriture visuelle soit visible. En la porte de la voiture. Tout ce qui est entre les deux est se brosse les dents, il général, j’essaie qu’elle soit subtile, invisible. Cela m’amusait, de montrer prévisible, fonctionnel, on ne le raconte pas. Idem quand prend son petit- que l’histoire n’est pas réaliste, ni même vraisemblable, et que la manière son père lui dit : « Tu vas acheter une guitare ? C’est pour déjeuner ».” de filmer donc n’avait pas à l’être. Mais pour certains sujets, elle doit être toi ? ». On ne le voit pas sortir de chez lui, rencontrer plus discrète. C’est le cas de La Maladie de Sachs , par exemple, qui Nicole Garcia et sa fille, entrer dans une boutique. On enchaîne direc - 178 179 Michel Deville tement sur sa réponse au marchand de gui - vous reconnaître. On a l’impression que vous tares qui vient sans doute de lui poser la êtes un horloger, que vous vous amusez à même question. faire coïncider des rouages. M. D. : Je m’amuse à imaginer ces ellipses Tout le monde pratique des ellipses mais pas dès l’écriture. Sur le plateau, on n’a pas le toujours de cette façon. Il y a chez vous une temps de trouver ce genre de raccords, d’el - véritable gourmandise de l’ellipse. lipses. En plus, on ne tourne pas les scènes M. D. : Je suis un impatient ! Au cinéma, il dans l’ordre chronologique, pour des raisons y a toujours des ellipses mais elles sont dis - pratiques. Si ce n’est pas prévu avant, on ne crètes. Là, je ne voulais pas être discret. Ma peut pas l’inventer sur place et encore moins monteuse a d’ailleurs eu le César du au montage. Oui, il y a un plaisir à ajuster les montage. Or cela ne venait pas du montage divers éléments d’un film, à trouver une flui - mais de l’écriture. J’étais quand même dité, une évidence. Je m’amuse à faire du content pour elle, elle avait bien travaillé. cinéma. C’est un métier amusant, formidable. Il ne faut surtout pas le faire comme une On retrouve ce procédé dans La Maladie de contrainte, une épreuve. Il ne faut pas partir Sachs . Dans un certain nombre de scènes, le matin en traînant les pieds, mais se dire : on pose une question et la réponse est « Aujourd’hui, on va s’amuser, on se fait donnée dans une autre scène, avec éven - plaisir, rien ne doit peser ».