Repenser L'urbanisme
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La fraternité des arts Photo de couverture : xxxxxxxxxxxxxxxx © 2017, Infolio éditions, CH-1124 Gollion, www.infolio.ch ISBN 978-2-88474-xxx-x Maquette : Anne-Catherine Boehi El Khodary Mise en page : Pauline Chanel Photolithographie : Karim Sauterel Philippe Junod La fraternité des arts nouveaux contrepoints Sommaire 1. De l’œuvre d’art totale ou du Gesamtkunstwerk ............................................................11 2. De la fortune critique du wagnérisme et de quelques malentendus ........................................................................................................................ 43 3. Architecture et musique, un bilan ........................................................................................................75 Magister dixit ou l’histoire d’un malentendu......................................................................117 4. Sculpture et musique, une relation paradoxale ........................................................ 123 5. Pour une iconographie de l’auditeur. Un protagoniste oublié..........147 Une fiction d’Étienne Barilier.......................................................................................................................179 Du vandalisme officiel et de Jean Nouvel.................................................................................183 Introduction De la musique avant toute chose Ce vers célèbre de l’Art poétique de Verlaine (1882) nous rap- pelle que la musique, depuis le Romantisme, a joué un rôle d’art pilote, de même que l’architecture ou l’orfèvrerie au Moyen Âge, le jardin de la Renaissance au Baroque, ou les métiers déco- ratifs dans l’Art nouveau. Mais dès l’Antiquité, la musique est intimement liée à la poésie, et pour Wagner la « musique de l’avenir » se définira comme un retour à l’idéal du théâtre grec. Au Moyen Âge, l’héritage de Vitruve apparente à nouveau l’ar- chitecture à la musique. À la Renaissance, la querelle du para- gone (sur la comparaison des arts) élargit le débat.1 La musique y tient un rôle important, même si Léonard, pourtant musicien à ses heures, lui confère un rôle subalterne par rapport à la pein- ture. Au siècle des Lumières, le thème de la fraternité des arts [arti sorelle ou sister arts] contribue à son tour à la définition d’une esthétique moderne. La musique s’émancipe et conquiert 1 Leonardo da Vinci, Il paragone delle arti, éd. Claudio Scarpati, Milano : Vita e pensiero, 1993 ; Lauriane Fallay d’Este, Le paragone. Le parallèle des arts, Paris : Klincksieck, 1992 ; Claire J. Farago, Leonardo da Vinci’s Paragone. A Critical Interpretation with a New Edition of the Text in the Codex Urbinas, Leiden : Brill, 1992. 7 son autonomie dans le nouveau « système des beaux-arts ».2 Mais c’est à l’époque du Romantisme et du Symbolisme qu’elle montera sur un piédestal qui en fera la reine des moyens d’ex- pression. Ludwig Tieck, E.T.A. Hoffmann, Joseph von Eichendorff, Arthur Schopenhauer ou Walter Pater ont tour à tour affirmé la prééminence de la musique, suivis par les poètes russes Vyacheslav Ivanov, Andreï Biely ou Alexandre Blok, le tchèque Emil Frantisek Burian, et les hommes de théâtre Adolphe Appia, Constantin Stanislavski ou Vsevolod Meyerhold par exemple. En 1902, dans un article programmatique intitulé « La peinture musicienne et la fusion des arts », Camille Mauclair qualifiait la musique de « principe unificateur » et déclarait qu’elle a réveillé « le sentiment des correspondances secrètes » et qu’elle « enve- loppe les divers arts ». Ricciotto Canudo, auteur en 1911 d’un Essai sur la musique comme religion de l’avenir, parlait dix ans plus tard de « la convergence musicale de tous les arts », une idée qu’allait développer Henry Valensi en 1936 dans son mani- feste du Musicalisme, qui prône « la musicalisation des arts ». C’est à ce rôle fédérateur de la musique que sont consa- crés ces quelques essais, qui s’inscrivent dans la suite d’un premier recueil, centré plus spécialement sur la peinture. 3 Le triptyque s’étend ici à l’architecture et à la sculpture, et l’ensemble est placé sous l’égide du Gesamtkunstwerk ou 2 Paul O. Kristeller, « The Modern System of the Arts : a Study in the History of Aesthetics », Journal of the History of Ideas, XII, 1951, p. 496-527 et XIII, 1952, p. 17-46, trad. Le système moderne des arts : étude d’histoire de l’esthétique, Nîmes : Chambon, 1999 ; Marie-Pauline Martin / Chiara Savettieri (ed.), La musique face au système des arts, ou Les vicissitudes de l’imitation au siècle des Lumières, Paris : Vrin, 2013. 3 Philippe Junod, Contrepoints. Dialogues entre musique et peinture, Genève : Contrechamps, 2006. 8 introduction « œuvre d’art totale », un concept qui a fait couler beaucoup d’encre et généré bien des malentendus4. Il en va de même de l’influence de Richard Wagner, qui sera soumise ici à un regard critique et parfois ironique que l’on voudra bien nous pardonner, dans la mesure où n’est pas remise en question l’im- portance ni la qualité de l’œuvre du géant de Bayreuth. Martial Leiter, Moussorgsky composant ses « Tableaux d'une exposition », 2004, © l'artiste. 4 Marcella Lista, L’œuvre d’art totale à la naissance des avant-gardes, 1908-1914, Paris : CTHS-Institut national d’Histoire de l’Art, 2006. 9 1. De l’œuvre d’art totale ou du Gesamtkunstwerk Galvaudée, voire dévoyée par le compositeur Karlheinz Stockhausen, qui qualifiait les attentats du 11 septembre 2001 de « Gesamtkunstwerk » grandeur nature, la notion connaît une inflation suspecte, l’imprécision n’étant pas étrangère à son succès.1 L’examen de la bibliographie est révélateur à cet égard. L’expression d’« œuvre d’art totale » est en effet employée dans les contextes les plus hétérogènes. C’est ainsi que l’on a pu invoquer à son propos le théâtre antique, modèle idéal du Gesamtkunstwerk wagnérien, les Mystères médiévaux, les « fabriques » (Bauhütten) gothiques (la cathédrale2 servira sou- vent d’emblème, de Karl Friedrich Schinkel à Lyonel Feininger), le monastère médiéval, les grands jardins de la Renaissance, les Schatz- ou Wunderkammer, le « bel composto » du Bernin, l’opéra baroque, l’art pyrotechnique, les fêtes, pompes, entrées 1 Bernd Euler-Rolle, « Kritisches zum Begriff des « Gesamtkunstwerks » in Theorie und Praxis », in Kunsthistorisches Jahrbuch Graz, 1993, vol. 25, p. 365- 374 ; Claudine Amiard-Chevrel et al., L’œuvre d’art totale, Paris, CNRS, 2002 ; Roger Fornoff, Die Sehnsucht nach dem Gesamtkunstwerk. Studien zu einer ästhetischen Konzeption der Moderne, Hildesheim, Olms, 2004. 2 Sylvain Amic / Ségolène Le Men (dir.), Cathédrales 1789-1914, un mythe moderne, Paris, Somogy, 2014. 11 chapitre i solennelles, la féerie ou le mélodrame romantiques, le ballet, les processions, cortèges historiques et autres mascarades, les expositions universelles, l’urbanisme, le Ring et la Stadtbahn à Vienne, et jusqu’à Disneyland ! Cet inventaire à la Prévert tient plus de l’encyclopédie chinoise inventée par Jorge Luis Borges que d’une quelconque rationalité scientifique. Force est de constater que l’œuvre d’art totale fait aujourd’hui figure de tarte à la crème et sert souvent de cache-misère aux déficiences méthodologiques. Cette vogue du terme Gesamtkunstwerk est relative- ment récente, et l’on rappellera à ce propos que la notice qui lui est consacrée par l’encyclopédie MGG (Musik in Geschichte und Gegenwart) n’apparaît que dans l’édition de 1995.3 Employé pour la première fois en 1827 dans le traité d’esthétique de Karl Friedrich Eusebius Trahndorff, le concept fut relancé par l’ex- position d’Harald Szeemann à Zurich en 1983. 4 Après avoir été longtemps occultée par la doxa du « moderne classique », fruit d’une perspective isolationniste, formaliste et puriste (de G.E. Lessing à Clement Greenberg, Theodor Adorno ou Michael Fried), l’esthétique de la synthèse des arts a trouvé une nou- velle actualité à l’heure de la critique des avant-gardes ou de la révision des hiérarchies de valeurs et des critères de jugement. Favorisé par la multiplication des expériences multimédia, l’art contemporain se caractérise souvent par la transgression des frontières, le brouillage des catégories et le mélange des genres. 3 Dieter Borchmeyer, « Gesamtkunstwerk », in : Musik in Geschichte und Gegenwart. Allgemeine Enzyklopädie der Musik, éd. Friedrich Blume et al., 9 vols., Kassel/Bâle 1994-1999, vol. 3 (1995), col. 1282-1289. 4 Der Hang zum Gesamtkunstwerk. Europäische Utopien seit 1800, éd. Harald Szeemann, cat. expo., Zürich, Kunsthaus, 1983. 12 de l’œuvre d’art totale ou du gesamtkunstwerk Or la collaboration des arts ne date pas d’hier et trouve dans le passé de nombreux antécédents, qui sont souvent revendi- qués par les théoriciens de l’œuvre d’art totale. Il n’est donc pas interdit de penser que l’application rétrospective du concept de Gesamtkunstwerk est le produit d’un effet rétroactif. Devant la multiplication des acceptions qui ont cours, et dont les interférences ne font qu’aggraver la confusion, il convient donc de faire le ménage et de tenter de mettre un peu d’ordre dans le chaos terminologique. Le terme Gesamt- kunstwerk appartient en effet à la catégorie de ces concepts que les Anglais qualifient de « portemanteau », chacun pou- vant y accrocher sa propre définition. On peut classer celles-ci, variables d’un pays à l’autre, en diverses rubriques, qui se recoupent partiellement et peuvent relever de perspectives esthétiques, philosophiques, psychologiques, anthropologiques, sociales ou politiques.5 Leur dénominateur commun est une volonté de réunion, que ce soit celle des disciplines ou tech-