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Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 2008, 147, 145-180

LINNÉ À TRAVERS LA PHILATÉLIE (*)

Étienne JOUZIER (1), Jean-Pierre LABOUYRIE (1), Alain BADOC (2)

INTRODUCTION

L’année 2007 a marqué le tricentenaire de la naissance de Linné. Partout dans le monde, cet événement a été fêté par de nombreux ouvrages, conférences, articles sur le Web [16-17,etc.]. Nous allons à travers la philatélie, abordée de manière rapide par quelques auteurs [4,10-11], envisager la vie, l’œuvre de Linné et de ses disciples.

VIE DE LINNÉ

Carl Linnaeus est né le 23 mai 1707 à Räshult, un petit village du Smäland au sud de la Suède. Son père est alors vicaire et deviendra pasteur luthérien. Il avait trois sœurs et un frère qui succéda à son père à la tête de la paroisse de Stenbrohult. À cinq ans, Linné dispose d’un petit jardin et des conseils avisés de son père. Dès huit ans, il était surnommé le petit botaniste par ses camarades. À 18 ans, il rédige son premier manuscrit, le Livre des herbes et s’intéresse plus à la nature qu’à la théologie et aux études. Son professeur de physique, Johan Stensson Rothman (1684-1763) l’encouragea

(*) Conférences du 24 janvier et 27 mars 2008. (1) Laboratoire de Biochimie fondamentale et clinique, Faculté des Sciences pharmaceutiques, Université Victor Segalen Bordeaux 2, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux Cedex. [email protected] (2) Laboratoire de Sciences végétales, Mycologie et Biotechnologie, GESVAB – EA 3675, UFR Pharmacie, Université Victor Segalen Bordeaux 2, ISVV, 210, Chemin de Leysotte, CS 50008, 33882 Villenave-d’Ornon. [email protected] 146

à la botanique au lycée de Växjö et favorisa son entrée à l’Université de Lund en 1727. Pensionnaire chez le docteur Kilian Stobæus (1690-1742), ce dernier l’aide à réaliser son premier herbier et lui donne accès à sa bibliothèque et ses collections de coquillages et minéraux.

Bloc Suède à l’occasion du tricentenaire de sa naissance Sur les conseils de Johan Stensson Rothman, Linné intègre en 1728 la grande université d’Uppsala où il reste sept années. Linné vit alors dans une grande pauvreté et récupère les vieux souliers de ses camarades, qu'il raccommode avec du carton. Sa chambre d’étudiant est envahie de pierres, d’oiseaux, de coquillages, d’insectes, de poteries avec des plantes rares. Il se lit d’amitié avec (1705-1735), passionné d’ichtyologie, à qui il attribuera le genre Artedia, de la famille des Apiacées. Il est aidé par le Professeur Olaus (= Olof) Celsius (1670-1756), à qui il attribuera en reconnaissance le genre Celsia de la famille des Scrofulariacées. Ce dernier le présente au médecin naturaliste Olof Rudbeck le Jeune (1660-1740) un des premiers explorateurs de la Laponie qui lui fait faire des démonstrations au Jardin botanique et le prend comme précepteur. Linné lui dédiera le genre Rudbeckia de la famille des Astéracées. 147

Rudbeckia gloriosa

Rudbeckia purpurea Linné entreprend à 25 ans, subventionné par la Société de Sciences d’Uppsala, un voyage d’études de 5 mois en Laponie, qui était sous la couronne suédoise. À cette époque, la Laponie est une contrée difficile d’accès et le voyage n’est pas dénué de dangers, même pendant les mois les plus chauds de l’année. Linné ne parcourt pas moins de 5000 km, à pied, en barque, dans des conditions parfois difficiles et manque de peu de périr dans une rivière. Il ne se départ pas de son carnet de route sur lequel il note ses herborisations et réalise quelques croquis de piètre qualité, prémisses de sa publiée cinq années plus tard. Linné s’intéresse non seulement aux plantes, aux animaux, mais aussi à leurs usages par les Lapons et au mode de vie de ce peuple. En ce sens, on peut considérer que Linné a fondé les bases de l’ethnobotanique et de l’ethnobiologie [6].

Linné en costume lapon avec un chapeau de docteur hollandais et un tambour lappon

Jalousé par le Professeur Nils Rosen von Rosenstein (1706-1773), fondateur de la pédiatrie avec lequel il se réconciliera et qui le sauvera en 1764 d’une pleurésie, Linné repart étudier la minéralogie en Suède puis accepte un autre voyage en 1734 en Dalécarlie, au centre de la Suède, à la demande du baron Nils Esbjörnsson Reuterholm (1676-1756), gouverneur de la région. Avec sept autres étudiants d’Uppsala, il parcourt en 45 jours 850 km [3]. À son retour il se fixe à Fahlun chez le baron Reuterholm où il enseigne la minéralogie. 148

Toujours en 1734, Linné obtient du père de Sara Lisa Moraea de pouvoir l’épouser, mais il doit obtenir son doctorat en médecine. Or, l’Université d’Upsala ne permet pas de soutenir une thèse de doctorat, car les étudiants en médecine n’y sont pas assez nombreux. Pour se faire bien voir de son futur beau-père, Linné crée le genre Moraea, de la famille des Iridacées. À l’origine, ces magnifiques Iridacées avaient été nommées Morea par Phillip Miller pour faire honneur à Robert More (1703-1780), voyageur ami de Linné. Moraea thomsonii Linné part alors en Suède, au Danemark puis en Allemagne, où, après avoir découvert la supercherie d’un serpent à sept têtes, l’auteur démasqué de ce monstre artificiel oblige Linné à partir précipitamment en Hollande. Le 13 juin 1735, il y soutient une thèse sur une nouvelle hypothèse sur les fièvres intermittentes à l’Université de Harderwick et est reçu docteur en médecine. Loin de son pays natal, Linné met en place plusieurs ouvrages fondamentaux et est aidé financièrement par (1707-1780) dont le nom se retrouve dans la famille tropicale des Burmanniacées. La première édition de à Leyde en 1735 fait l’effet d’une bombe. Du jour au lendemain, Linné devient célèbre et est salué par les naturalistes du monde entier. A Leyde, Linné bénéficie de l'aide de (1668-1738), botaniste médecin et humaniste alors en retraite, qu’on retrouve dans le genre Boerhaavia, de la famille des Nyctaginacées. Il retrouve son ami Artedi mais celui-ci se noie accidentellement et Linné terminera son ouvrage Philosophica ichtyologica. Dans , Linné décrit 935 genres de plantes en 1737. L’aide financière du banquier hollandais George Clifford (1685-1760), qui lui demanda de s’occuper de son impressionnante collection de fleurs, une des plus belles de l’époque, et qui a été honoré par le genre Cliffortia, de la famille des Rosacées, permet à Linné d’effectuer vers 1738 un voyage en Angleterre puis un autre en France à Paris où Bernard de Jussieu lui présenta quelques herbiers comme celui de Tournefort. De retour en Suède en 1738, il se fiance à Sara Lisa Moraea et exerce comme médecin à Stockholm, sans pouvoir obtenir de poste de 149 professeur. Il dispense cependant des cours de minéralogie en hiver et de botanique en été au Collège des Mines. Il finit par se marier à 32 ans à Sara Lisa. Il en eut un fils Carl en 1741, trois filles Elizabeth-Christina en 1743, Sara Lenna en 1744 qui ne vivra que quelques jours, Louisa en 1749, Sara- Christina en 1751, un deuxième fils Johannes en 1754 qui mourut à 3 ans et une dernière fille Sophia en 1757. Suite à la guerre avec la Russie, Linné fera une courte exploration aux îles d’Öland et de Gotland en mer baltique en janvier 1741 avec six compagnons à la recherche d’une argile pour la fabrication de porcelaine [3]. Il est nommé professeur en octobre 1741 à la chaire de médecine à Uppsala et s’investit dans l’enseignement et le jardin botanique où sont cultivées plus de 1300 espèces. Linné entreprend en 1746 une expédition de 2500 km dans le Massif forestier de Kinnekulle dans le Vastergötland et un dernier voyage en 1749 dans la province de Scanie. Linné n’a plus l’âme d’un explorateur et est trop pris par le catalogage de nombreuses collections et le suivi de ses élèves pour quitter la Suède. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est l’observation du monde vivant, surtout végétal. Sa notoriété et son aura pédagogique lui permettent d’avoir de nombreux disciples qu’il appelle ses apôtres et qu’il envoie aux quatre coins du monde pour collecter de nouvelles espèces à sa place.

Premier jour des timbres du bloc de Suède 150

Collines de Brösarp en Scanie (1749)

Avocettes Recuvirosta avocetta dans le Öland (1741)

Fabrication de meules à aiguiser à Orsa dans le comté de Dalécarlie borealis (1734)

Linné en Roc de Rostenkleven costume à Kinnekulle dans le lapon Vastergötland (1746)

Recto du bloc de Suède 151

Verso du bloc de Suède

Sa production scientifique reste soutenue, aussi bien en botanique qu’en zoologie, en géologie, en médecine ou en philosophie. Il dirigera 186 thèses, écrira plus de 6000 lettres, et était en rapport avec tous les grands scientifiques de son temps. S’il était en désaccord avec certains d’entre-eux (Adanson, Buffon), il s’arrangeait néanmoins pour connaître leur production scientifique. En 1753, son fait 1200 pages et traite de 5900 espèces réparties en 1098 genres.

Timbres émis pour le 250e anniversaire de la naissance de Linné 152

Timbres émis pour le 200e anniversaire de l’Académie royale suédoise des Sciences de Suède Membre de la plupart des académies et sociétés savantes d’Europe, Linné connut de son vivant tous les honneurs. Des médailles sont frappées à son effigie dès 1746. En 1753, il est fait Chevalier de l’Ordre Royal de l’Étoile polaire. Sa découverte de l’élevage de moules perlières d’eau douce en 1755 [3] est une des principales raisons de son anoblissement en 1761. Il prend alors le nom de Carl von Linné. Il fut recteur de l’Académie d’Uppsala de 1759 à 1773.

Bloc du Tchad avec Carl von Linné et Jules Verne 153

En 1758, il s’installa avec sa famille à Hammarby, près d’Uppsala, dans une maison en bois entourée de plantes. Il y fait construire un musée particulier en 1769. Une première attaque vasculaire cérébrale affaiblit Linné en 1774, et une deuxième en 1777 lui fait perdre sa prodigieuse mémoire. Il n’a alors plus conscience d’être l’auteur de ses nombreux ouvrages. Après l’hiver rigoureux de 1776-1777, il meurt le 10 janvier 1778 à 70 ans, la même année que Voltaire et Rousseau et a droit à des funérailles nationales.

Maison de Linné à Hammarby Carl von Linné le Jeune, qui a succédé à son père à la chaire de médecine d’Uppsala en 1763, à peine âgé de 22 ans et sans thèse, ce qui lui a valu le ressentiment de ses collègues, préserve les collections de son père, mais meurt sans enfant en 1783. Sa mère, craignant de voir l'Etat suédois s'emparer des collections de son mari, vend alors discrètement les collections au jeune étudiant anglais Sir James Edward Smith (1759-1828) avec le concours de Joseph Banks (1743-1820) et le soutien financier de son père et d’amis : 14000 plantes, 2500 spécimens de minéraux, 800 fragments de corail, 3198 insectes, 1564 coquillages, 168 poissons, 1600 livres, 3000 lettres et documents. Une frégate du roi de Suède essaya en vain de prendre en chasse le vaisseau anglais chargé des collections. Les minéraux furent vendus en 1796 et ce qui n’avait pas été perdu ou dispersé fut vendu par la veuve Smith à la Société linnéenne de Londres [13]. 154

SYSTÈME SEXUEL DE LINNÉ

Linné a vécu dans une famille profondément croyante. Il est créationniste et croit que les espèces ont été créées par Dieu. Il est de plus fixiste et pense, comme la plupart des gens de son époque, que la création a eu lieu il y a environ 6000 ans. Linné est de plus convaincu que les espèces sont des réalités objectives avec des caractères morphologiques permettant de les distinguer et de les classer. Sa conception de l’univers est finaliste et l’homme est pour lui le sommet de la création, en accord avec les textes bibliques. Linné souhaitait en 1749 se procurer un spécimen d’Homo marinus des Anciens, aperçu au large du Jutland. Il faudra attendre la 3e édition du Systema naturae pour voir disparaître les sirènes des Anciens.

Très imbu de lui-même, il s’est donné comme mission de révéler derrière le désordre apparent des êtres, un ordre de la nature en rapport avec la sagesse infinie de Dieu. Ses classifications doivent refléter la structure de la création et ainsi faciliter l’apprentissage des sciences naturelles. Il va non seulement classifier les plantes, les champignons, les animaux, mais aussi les maladies jusqu’aux botanistes eux mêmes ( en 1736), car ce qui est ordonné est plus facilement compréhensible. Il applique même au départ l’universalité du sexe pour le monde minéral : la formation des minéraux viendrait d’une fertilisation de terres (sable, argile, calcaire, humus) par des sels [3]. 155

Timbre de la RDA de 1958 honorant Linné pour le 200e anniversaire de la publication de la 10e édition de Systema naturae

Linné devient célèbre du jour au lendemain en 1735 avec son Systema naturae, qui connaîtra douze éditions sans cesse augmentées de son vivant, passant de 14 pages à dix volumes [5]. Mais ce n’est pas pour sa classification du règne minéral [3] en trois classes (Pierres, Minerais, Fossiles) ou du règne animal [5] en six (Quadrupèdes, Oiseaux, Amphibies, Poissons, Insectes et Vers), chaque classe étant divisée en ordres (en fonction de la dentition pour les Quadrupèdes, de la forme du bec pour les Oiseaux, etc.), puis en genres, espèces et variétés, que Linné doit sa renommée planétaire. Il la doit à sa division du règne végétal en 24 classes sur la base du nombre d’étamines et de leur mode d’insertion par rapport au pistil, puis en ordres d’après les caractères du pistil. Ce système sexuel a choqué les personnes bien pensantes. Si la première classe respecte la pudeur des lecteurs puisqu’elle réunit les couples constitués d’un seul mari et d’une seule femme (Monandrie, fleurs avec une étamine et un pistil), la situation devient inconvenante dès la deuxième. Dans la 9e classe, on a 9 étamines pour une fleur femelle.

Ennéandrie dans Systema naturae 156

Système de Linné en 24 classes

Que dire de la 13e classe (Polyandrie) où de nombreux mâles se retrouvent dans la même chambre nuptiale avec une seule femme et de la 19e (Syngénésie) où les mâles sont réunis par leurs organes génitaux (anthères soudées en tube). Comment Dieu aurait-il pu tolérer pareille débauche lubrique ? 157

La 24e classe appelée Cryptogamie regroupe les plantes aux organes sexuels non apparents comme mousses, lichens et fougères. Linné n’envisage pas de familles. Le concept de genre revient au botaniste français Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) à qui Linné a dédié le genre Tournefortia, de la famille des Borraginacées (Héliotropioïdées). Le système sexuel de Linné a été adopté par un grand nombre de botanistes, mais dans la France des lumières, les avis sont très partagés [7-8]. D’un côté, Linné a de fervents défenseurs avec François Marie Arouet dit Voltaire (1694-1778) et Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) qui contribue à la vulgarisation de la botanique linnéenne auprès du public féminin, rendant la botanique à la mode et Linné avec elle. Le botaniste montpelliérain Antoine Gouan (Goüan) (1733-1821), qualifié par Linné de correspondant le plus chéri, adopte dès 1752 dans son catalogue des plantes du jardin botanique de Montpellier la nomenclature binominale de Linné, et en 1765 dans sa flore de Montpellier le système sexuel de Linné. Il vulgarise le système sexuel de Linné en français (Explication du système botanique du chevallier von Linné en 1787). De l’autre, des opposants sont acharnés comme Julien Offray de La Mettrie (1709-1751) ou Georges-Louis Leclerc comte de Buffon (1707- 1788), intendant du Jardin du roi à Paris et auteur d’une encyclopédie en 36 volumes. Ces derniers reprochent à Linné sa classification arbitraire conduisant à rapprocher des espèces très différentes, ses descriptions sèches, arides, savantes, voire obscures, sa tentative vaine de vouloir ranger un nombre d’espèces qui n’en finit pas d’augmenter, son manque d’intérêt pour le comportement des espèces, l’absence d’expérimentation dans ses descriptions. Par ailleurs, certains auteurs comme Buffon sont des continuistes, convaincus d’une échelle progressive des êtres les plus inférieurs vers l’homme, ce qui rend difficile une définition précise des espèces, qui passeraient souvent de l’une à l’autre par des nuances imperceptibles. Denis Diderot (1713-1784) considère que le talent doit être exercé au profit de l’homme et que passer du temps à étudier dans le détail des animaux microscopiques n’est pas sérieux : « Aux grands génies, les grands objets ; les petits objets, aux petits génies ». 158

La classification de Linné, qui repose sur plusieurs critères, est dite artificielle par opposition aux classifications naturelles, qui essaient de regrouper les espèces par le plus grand nombre possible de caractères de ressemblance et qui sont de deux types : avec subordination ou sans subordination des caractères. À l’époque de Linné, ces deux types de classification se sont développé à Paris, alors très en avance pour les sciences naturelles. Bernard de Jussieu (1699-1777) appliquait dès 1741 au jardin de Trianon à Versailles une méthode naturelle fortement inspirée du système sexuel de Linné puisqu’elle utilisait les caractères des étamines. Il s’agit d’une classification avec subordination des caractères, privilégiant le nombre de cotylédons, puis l’absence ou la présence de pétales, puis la disposition des étamines par rapport au pistil, puis la soudure ou non des pétales, en tentant de coller au maximum aux familles naturelles. Linné a attribué à Jussieu le genre Jussiaea de la famille des Onagracées.

Michel Adanson (1727-1806) a eu moins de succès avec sa classification sans subordination des caractères de 1763 dans son livre Famille de plantes qui l’amène à considérer 65 systèmes artificiels établis à partir de 22 critères pas uniquement tirés des fleurs, comme le suggérait le Montpelliérain Pierre Magnol (1638-1715) dès 1689, à l’origine du concept de familles et à qui Linné a dédié le genre Magnolia de la famille des Magnoliacées. Adanson envisage alors 58 familles naturelles. Trop en avance sur son temps, il est néanmoins reconnu comme fondateur de la malacologie en s’appuyant sur la structure anatomique de l’animal non sur sa coquille. En hommage à ses travaux sur la flore africaine, Linné lui a dédié en 1753 le genre Adansonia, placé actuellement dans la famille des Malvacées. 159

Premier jour du 2e Congrès international de botanique de Seattle : Linné Prince de la Botanique

Linné, très au courant des travaux de ses contemporains, était prêt à changer d’avis pour peu qu’on le convainque. Il est conscient des imperfections de son système sexuel dès 1734. Il propose 65 ordres naturels en 1738 en tenant compte de leur apparence, qu’il porte à 68 en 1751 dans Philosopha botanica. Il considère la méthode naturelle idéalement préférable, mais difficile d’application [7-8]. Il accepte même l’idée vers 1760 que les chats ou les chiens puissent provenir d’un ancêtre commun suite à des hybridations [5].

NOMENCLATURE

Les anciens auteurs utilisaient parfois pour désigner les espèces une combinaison binaire latine formée d’un nom de genre suivi d’un nom d’espèce. Cette nomenclature binominale [on dit souvent improprement binomiale, mais on a un binom et non un binôme] a été pour la première fois utilisée de manière systématique et codifiée par Linné chez les plantes dans Species plantarum de 1753 puis chez les animaux dans la dixième édition du Systema naturae de 1758. C’est dans cette édition qui décrit environ 6000 espèces végétales et 4000 espèces animales que Linné attribue à 160 l’espèce humaine le nom scientifique d’Homo sapiens et le place dans la classe Mammalia ou Mammifères au lieu des Quadrupèdes et dans l’ordre des Primates au lieu des Anthropomorphes, termes actuellement encore en vigueur. Dénominations latines de l’Épicéa et du Pin sylvestre ; ‘L.’ est une des abréviations autorisées de Linné

Cette nomenclature est rapidement adoptée en Europe, sauf par quelques opposants comme Adanson dans son livre Familles de plantes, ce qui lui vaudra le mépris de Linné. De même Buffon a des scrupules à débaptiser les noms retenus par les auteurs anciens. Antoine Laurent de Jussieu (1748-1836), neveu de Bernard de Jussieu, finira par utiliser la nomenclature linnéenne au Jardin du roi en 1774. Dès 1813, le botaniste suisse Augustin Pyrame de Candolle (1778- 1841) avait suggéré un principe de priorité dans sa Théorie élémentaire de la botanique. Le principe de priorité ou d’antériorité implique que le nom d’espèce soit suivi du nom des auteurs qui ont publié valablement les premiers la description de l’espèce. Comme la plupart des végétaux communs avaient reçu un nom par Linné, les difficultés de dénomination ont surtout concerné les espèces animales de plus en plus nombreuses et travaillées par des spécialistes différents multipliant les usages nomenclaturaux. C’est pourquoi la nomenclature zoologique a été codifiée la première [7-9]. Actuellement, on a des codes internationaux couvrant la zoologie, la botanique, les plantes cultivées, les bactéries, et les virus [12]. Les noms valides des animaux débutent à partir de la dixième édition du Systema naturae de Linné de 1758 et de l’Aranei Svecici de Clerck de 1758 et sont régi s par le CINZ (Code international de la Nomenclature zoologique) [5]. Les noms valides des végétaux non cultivés commencent à partir de la parution du Species plantarum de Linné en 1753 et de la 5e édition du Genera plantarum de 1754 et sont régis par le CINB (Code international de la Nomenclature botanique). Le point de départ de la nomenclature des bactéries a été porté au premier janvier 1980 [12]. 161

Vaccinium myrtillus L. Vaccinium vitis-idaea L. Ledum palustre L. Diverses Éricacées décrites valablement par Linné ; les noms latins devraient être en italiques contrairement au nom d’auteur

Sophora japonica Linné Clitoria ternatea Linneo

Punica granatum Linnaeus Taxus baccata Linn. Exemples d’écritures correctes du nom d’auteur Linné 162

Clitoria ternatea Sophora japonica Tabebuia pentaphylla LINN Lin. (L.) Exemples d’écritures incorrectes du nom d’auteur Linné

Les noms d’auteurs sont abrégés selon des règles strictes, avec quelques exceptions. Ainsi, Linné étant constitué de deux syllabes peut s’écrire en entier (Linné ou Linneo ou Linnaeus) ou s’abréger en Linn., mais on accepte L. par exception. Pour distinguer Carl von Linné le Jeune de son père, on le cite en tant que Linnaeus filius, abrégé en botanique L.f.

Si un auteur place une espèce dans un autre genre, il ajoute son nom à l’espèce, mais doit mettre entre parenthèses le nom de l’auteur qui a décrit le premier valablement l’espèce.

Opuntia ficus-indica (L.) Miller 163

DISCIPLES DE LINNÉ

Linné encouragea nombre de ses apôtres à aller explorer les contrées les plus lointaines. Il comptait de nombreux mécènes pour trouver des sources de financement dont le couple royal et la Compagnie suédoise des Indes orientales. Ces expéditions scientifiques étaient facilitées par le développement des navires et des innovations techniques (théodolite*, octant, chronomètre de précision, compas, télescope, etc.), mais plusieurs apôtres périrent jeunes pour leur maître ou y laissèrent la santé. Spécimens botaniques, zoologiques, descriptions et notes de voyage étaient envoyés en Suède. Les récits de voyage étaient publiés par Linné et se vendaient bien. Les graines étaient mises à germer au jardin botanique d’Uppsala. Carl Fredrik Adler (1720-1761) soutint sa thèse devant Linné sur la bioluminescence et participa comme médecin de bord à plusieurs voyages de la Compagnie suédoise des Indes orientales à partir de 1748 et 1761, notamment en Inde et en Chine, et mourut au large de Java. (1750-1837), Professeur à l’Université d’Uppsala, étudia la flore de Guinée. Le botaniste britannique James Edward Smith (1759- 1828) lui a attribué le genre Afzelia (Fabacées Césalpinioïdées).

Afzelia africana

Afzelia quanzensis

* instrument permettant de mesurer des angles et d’évaluer des distances zénithales 164

Andreas Henricsson Berlin (1746-1773) défend en 1766 une thèse devant Linné sur l’utilisation des mousses. Au cours d’une expédition scientifique en Afrique, il meurt au bout de deux mois par noyade dans l'archipel des îles de Los en Guinée. Johann Peter Falck (1732-1774) fut le précepteur du fils de Linné. Il soutint sa thèse sur le genre sud-américain Alstroemeria en 1762. Il participa de 1768 à 1774 à une expédition en Sibérie et s’intéressa surtout à l’ethnographie et la linguistique. Déprimé et malade, il se suicida à Kazan. Thunberg lui a dédié en 1781 le genre Falckia de la famille des Convolvulacées. Pehr (Peter) Forsskål (1732-1763) fut banni de Suède pour avoir proné la liberté de la presse dans sa thèse de 1759. Avec l’appui de Linné, il fut embauché pour participer à une expédition danoise en Égypte puis au Yémen sous la conduite de Carsten Niebuhr (1733-1815), orientaliste et mathématicien où il succomba du paludisme avec les autres participants, à l’exception de Niebuhr qui ramena comme il put à Copenhague ses collections d’animaux et de plantes et se chargea de la publication de ses manuscrits très précis. Linné lui dédia le genre Forsskaolea de la famille des Urticacées.

Fredrik Hasselquist (1722-1752) avec l’appui de Linné et de la Faculté de théologie d’Uppsala, voyagea comme Consul de Suède avec la Compagnie suédoise du Levant. Arrivé à Smyrne (Izmir) fin 1749, il visita l’Asie mineure, l’Égypte, Chypre, la Syrie et la Palestine, mais mourut de tuberculose à Smyrne. Ses collections arrivèrent en bon état en Suède en 1755 et Linné publia en 1757 le compte rendu de son voyage. Linné lui a attribué le genre Hasselquistia de la famille des Apiaceae. Pehr (Pietari) Kalm (1716-1779), né en Suède de parents finlandais, suit à partir de 1740 les cours de Linné à l’Université d’Uppsala et devient professeur assistant d’histoire naturelle et d’économie en 1746 en Finlande. L’Académie royale des sciences de Suède le choisit pour faire un voyage en Amérique du Nord afin d’en rapporter des semences et des plantes nouvelles utiles pour l’agriculture et l’industrie, notamment des pieds de mûrier rouge (Morus rubra) afin de développer l’élevage du ver à soie en Suède. Il s’y 165 marie en 1750 et fut le premier à décrire scientifiquement les chutes du Niagara, rencontra Benjamin Franklin, découvrit 60 nouvelles espèces et alla jusqu’au nord du Québec. De retour en Suède en 1751, il devient professeur jusqu’à sa mort à Turku où il fonde un jardin botanique. Linné lui dédia le genre Kalmia de la famille des Éricacées. Le Laurier de montagne, Kalmia latifolia L., est un arbrisseau de 2-3 m formant des épais fourrés. Il est responsable de la toxicité des miels et entre dans des préparations homéopathiques. Ses diterpènes sont répulsifs pour les insectes et cardiotoniques.

Pehr (Peter, Per) Löfling (1729-1756) était l’apôtre préféré de Linné pour lequel il travailla comme secrétaire. Sur demande de Linné, il alla en Espagne en 1751. Il quitta l’Espagne en février 1754 pour une expédition en Amérique du sud au Vénézuéla et décéda de la malaria en Guyane vénézuélienne à 27 ans. Linné lui dédia le genre Loeflingia de la famille des Caryophyllacées. Anton Rolandsson Martin (1729-1786) est né en Estonie et fait ses études à l'Académie royale d'Åbo en Finlande puis à l'université d'Uppsala. Linné le choisit pour explorer pendant trois jours l’archipel des Spitzberg en 1758 à bord d’un baleinier puis la Norvège en 1759. Il s’y gela les jambes et vécut le reste de ses jours dans un triste état. (1723-1805) suit les cours de l’Université d’Uppsala en 1745 et est un élève de Linné. Ordonné chapelain de la Compagnie suédoise des Indes orientales, il voyagea en Asie de 1750 à 1752 notamment dans la région de Canton et visita l’Espagne, l’Afrique du sud et Java. Il rapporta 600 plantes à Linné et s’intéressa aux poissons. Il resta en Suède pour des raisons de santé, étudia la flore du Halland et devint pasteur et docteur en théologie. 166

Linné lui a dédié le genre Osbeckia de la famille des Mélastomatacées.

Daniel Rolander (1725-1793) fit ses études à l’Université d’Uppsala, et suivit les cours de Linné. Il fut choisi pour aller en Amérique du Sud au Surinam où un riche suédois correspondant de Linné offrait d’accueillir un naturaliste, mais n’y resta que sept mois et revint avec des signes de confusion mentale. Ses notes furent publiées en 1811 par Solander. Le genre Rolandra de la famille des Astéracées lui a été dédié par Christen Friis Rottbøll (1727-1797). Göran (Georg) Rothman (1739-1778), fils du professeur de Linné Johan Stensson Rothman, soutint une thèse devant Linné sur le rapport entre l’ergotisme et la présence de graines de Ravenelle, Raphanus raphanistrum, dans la farine. Ce médecin, botaniste et traducteur suédois, se rendit sur l’archipel des Îles Åland en 1765 et voyagea de 1773 à 1777 en Tunisie et en Lybie. Thunberg lui a attribué le genre Rothmannia de la famille des Rubiacées. Daniel Carl Solander (1733-1782) étudie la botanique auprès de Linné à l'Université d'Uppsala qui le traite comme son fils et l’envoya en Angleterre en 1760 pour promouvoir son Systema naturae. Il devient assistant-bibliothécaire au British Museum en 1763, puis responsable des imprimés au British Museum en 1764. En 1768, le naturaliste Joseph Banks (1743-1820) lui propose de participer à un voyage dans le Pacifique à bord de l'Endeavour dirigé par le Lieutenant James Cook (1728-1779). D’août 1768 à juillet 1771, le navire passa par Madère, le Brésil, la Patagonie, l'archipel des îles Tuamotu, les Îles de la Société, fait le tour de la Nouvelle- Zélande, visite la côte est de l’Australie (alors appelée la Nouvelle- Hollande), la Nouvelle-Guinée, l’Indonésie et l’Île Sainte-Hélène. Des dizaines de timbres célèbrent ce voyage et pourraient faire à eux seuls l’objet d’un article. Le genre Banksia, de la famille des Protéacées a été formulé par le fils de Linné. 167

Premier jour de l’émission commune de 2001 entre la Suède et l’Australie ; derrière Solander, on peut voir la Barringtoniacée (Lécythidacée) Barringtonia calyptrata, et à gauche du navire Endeavour un rameau fleuri de la Cochlospermacée (Bixacée) Cochlospermum gillivraei

Le genre Captaincookia de la famille des Rubiacées a été attribué au Capitaine Cook par Nicolas Hallé en 1973.

En trois ans, Solander collecta 30300 spécimens animaux et végétaux correspondant à 3607 espèces dont 110 genres nouveaux et 1400 espèces nouvelles pour la science. Seuls 56 personnes sur les 94 hommes embarqués survécurent. La seule présence féminine était une chèvre ! De retour en Angleterre, il devient le secrétaire et le bibliothécaire de la maison de Banks à Soho Square, mondialement réputée pour ses herbiers et sa bibliothèque. Il participa à la deuxième expédition de Cook de 1772 à 1775 sur le Resolution à Hawaï puis en Islande, aux îles Féroé et les Orcades puis s’installa en Angleterre. Le fils de Linné assista à ses funérailles. Il a laissé son nom à des îles en Nouvelle Zélande et en Birmanie, au Cap Solander à 168

Botany Bay en Australie, et Linné lui a attribué le genre Solandra, de la famille des Solanacées. Solandra guttata D.Don et S. nitida Zuccagni, Fleurs trompette jaune, sont des plantes ornementales et toxiques par des alcaloïdes tropaniques. Le simple fait de sentir une fleur entraînerait des malaises, vertiges, nausées, dilatation des pupilles. Toutes les parties, sauf le fruit, contiennent de la Solandra guttata solandrine, dont les effets sont proches de l’atropine.

Solandra nitida Solandra grandiflora Sw., Liane-pomme, Liane- trompette, Liane-chasseur aux feuilles en rosette et aux baies toxiques, est ornementale et est utilisée comme hallucinogène au Mexique.

Solandra longiflora 169

Anders Sparrmann (1748-1820) alla à l’Université d’Uppsala dès 9 ans, fut l’un des élèves de Linné dès 12 ans et entama des études de médecine à 14 ans. Il partit en 1765 en Chine pour deux ans comme médecin de bord et observa animaux et plantes. Il accepta un poste de précepteur au Cap et y arriva après sept mois de mer en juillet 1772. En octobre de la même année, il consentit à participer au deuxième voyage de James Cook alors en escale en Afrique du Sud sur le Resolution. Revenu au Cap en juillet 1775, l’exercice de la médecine lui permet de gagner suffisamment d'argent pour financer un voyage à l'intérieur des terres. En 1776, il retourne en Suède où il devint conservateur puis professeur et expert. Il participa en 1787 à une expédition en Guinée, au Cap vert et au Sénégal et à l’Île de Gorée puis revint en Suède comme Professeur à Stockholm où il s’intéressa à l’ornithologie. Le fils de Linné lui a dédié le genre Sparrmannia, actuellement placé dans la famille des Malvacées.

Épreuve de luxe de 1986 avec Sparrmann et Solander 170

Enveloppe premier jour de 1986 avec Sparrmann et Solander

Christopher Tärnström (1703-1746) suivit des études de théologie à l’Université d’Uppsala en 1724 et fut un élève de Linné. Il est ordonné pasteur en 1739 et enseigne en Suède. En 1746, il embarque comme aumônier à bord du navire Calmar de la Compagnie suédoise des Indes orientales à destination de Canton. Il étudia les plantes de Java et de l’archipel Poulo-Condore, au sud du Viêt Nam, où le navire resta bloqué plusieurs mois à cause de la mousson. Il y tomba malade et mourut. Linné lui a dédié le genre Ternstroemia, actuellement placé dans les Pentaphylacacées de l’ordre des Éricales.

Carl Peter Thunberg (1743-1828) fut l’un des derniers élèves de Linné à l'Université d'Uppsala. Docteur en médecine et en histoire naturelle en 1767, il continue ses études à Paris puis en Hollande. En 1771, il a pour mission de collecter des spécimens pour les jardins botaniques hollandais et part comme médecin à bord d'un navire de la Compagnie hollandaise des Indes orientales. Il resta trois ans dans la colonie hollandaise du Cap, y étudia sa flore et se prépara à entrer au Japon, alors ouvert uniquement aux marchands protestants hollandais. Après deux mois à l’Île de Java en 1775, il arrive à la manufacture hollandaise de la Compagnie hollandaise des Indes orientales sur la minuscule île artificielle de Dejima dans la baie de Nagasaki. Il y travaille comme chirurgien et essaie de collecter des spécimens de plantes en négociant auprès de ses interprètes ses connaissances médicales. En 1776, il repart pour le Sri Lanka et retourne à 171

Amsterdam en 1778 et en Suède en 1779. Il obtiendra la chaire de botanique après le décès du fils de Linné en 1784 [14]. Auteur de 112 ouvrages, plus de 250 espèces végétales et animales lui ont été dédiées.

En son hommage, le naturaliste suédois Anders Jahan Retzius (1742- 1821) a créé le genre Thunbergia, de la famille des Acanthacées.

Thunbergia fragrans Roxbest une espèce asiatique médicinale et ornementale.

Thunbergia laurifolia Thunbergia alata Bojer ex Sims, la Suzanne aux yeux noirs, est une plante volubile ornementale aux fleurs jaunes ou oranges originaire d’Afrique de l’Est. 172

173

La Liane de Chine, Thunbergia grandiflora Roxb., est une plante asiatique médicinale et ornementale.

Olof Torén (1718-1753) étudia à l’Université d’Uppsala à partir de 1737, devint pasteur en 1747 et participa comme aumônier de marine à deux expéditions de la Compagnie suédoise des Indes orientales, à destination de Java en 1748-1749 à bord du Hoppet, et à destination de l’Inde et de la Chine en 1750-1752 à bord du Götha Lejon. Linné lui a dédié le genre Torenia placé depuis 2005 dans la famille des Linderniacées, dans l’ordre des Lamiales. 174

CULTE LINNÉEN

À partir de 1876, dans la région bordelaise, François de Paule- Latapie (1739-1823), professeur de botanique et ami de Montesquieu, décide de réunir ses élèves chaque 4 novembre, jour de la Saint-Charles, en hommage à Linné, jusqu’à la Révolution. Après une herborisation autour de Bordeaux, la journée est terminée par un banquet champêtre à la fin duquel on fait l’éloge de botanistes. La toute première Société linnéenne fut fondée à Paris le 28 décembre 1787, deux mois avant celle de Londres, par cinq naturalistes dont André Thouin (1747-1824), jardinier en chef du Jardin du roi et une nouvelle génération de naturalistes, comme le zoologiste Pierre Marie Auguste Broussonet (1761-1807). Elle organisa une fête linnéenne le 24 mai 1788, jour anniversaire de la naissance de Linné, aux environs de Paris.

Enveloppe premier jour pour le bicentenaire de la Société linnéenne de Londres, fondée en 1788 par James Edward Smith et qui continue à participer au rayonnement international de l’œuvre de Linné [13] ; on distinguera la Morille, Morchella esculenta, le Cygne, Cygnus columbianus, le Nénufar jaune, Nuphar lutea et le Chaboisseau à épines courtes, Myoxocephalus scorpius 175

Carnet de dix timbres avec coupon permettant de recevoir en 1988 contre trois timbres une des huit cartes postales d’histoire naturelle produite par le Service des postes royal de la Société linnéenne de Londres Pour la fête linnéenne, Linné est représenté avec ses attributs que sont le Systema naturae et la Linnée boréale, Linnaea borealis L., décrite par Linné. Le genre aurait été attribué par Jan Frederik Gronovius (1686- 1762) qui, impressionné par le manuscrit de Systema naturae, l’avait édité. Il était de bon ton de porter, en signe de ralliement, un brin de cette Caprifoliacée Linnaéoïdée. Au-dessus du fauteuil du président, on plaçait le portrait de Linné ceint d’une couronne emblématique de 24 fleurs illustrant chacune des classes du système sexuel. Des vers, lectures, poésies étaient déclamées, surtout en rapport avec la botanique. Des toasts étaient portés à Henri IV, protecteur de l’agriculture et fondateur du jardin des plantes de Paris et de celui de Montpellier, à Louis XVII et à sa famille, et si la fête avait lieu la Saint-Charles, on plaçait des bustes de Louis XVIII et Charles X à côté de ceux des naturalistes, ce qui n’empêchait pas les membres d’être plutôt favorables à la Révolution [7-8].

Linnée boréale, Linnaea borealis 176

Recto de l’enveloppe premier jour de Finlande de 2004

Verso de l’enveloppe premier jour de Finlande de 2004 177

La Révolution française ne met pas un terme à l’intérêt du XVIIIe siècle pour la botanique. La France révolutionnaire est botaniste par son calendrier républicain divisé en 12 mois de 30 jours avec 5-6 jours restants appelés les sanculottides. Les noms des mois rappellent ceux figurant dans une thèse présidée par Linné en 1756, intitulée Calendarium florae (Germinationis donne Germinal, Florescentiae donne Floréal, Messis donne Messidor, Brumalis donne Brumaire). Les noms de saints sont remplacés par des noms de plantes, d’animaux utiles et d’outils aratoires ou de jardinage. Les descriptions linnéennes, jugées trop sèches par l’ancien régime s’accommodent bien du langage nouveau des révolutionnaires qui se doit d’être simple, concis, avec des idées nouvelles, un esprit utilitariste, méthodique et rationaliste. Il est remarquable que le jardin du roi est une des rares institutions de l’Ancien régime à avoir été épargnée par la Révolution. Les écoles centrales créées en l’an IV en remplacement des collèges de l’Ancien régime seront favorables à la taxinomie linnéenne. L’influence de la taxinomie linnéenne s’étend jusqu’à la cristallographie, la géométrie des surfaces, la classification des types de délits [7-8]. La Société linnéenne de Paris, dissoute fin 1788, renait en 1790 sous le nom de Société d’histoire naturelle de Paris, et inaugure le soir du 23 août 1790 un buste de Linné sous le Cèdre de Bernard de Jussieu au jardin du roi à la lueur de flambeaux au grand dam des partisans de Buffon. La publication en 1789 du Genera plantarum secundum ordines naturales disposita d’Antoine Laurent de Jussieu aurait pu marquer la victoire scientifique des méthodes naturelles sur les artificielles, mais il n’en est rien. Les partisans de Linné ont du mal à assimiler l’importance de certains caractères comme le nombre de cotylédons, et se désespèrent de la politique du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris qui accorde plus d’importance à l’anatomie, la physiologie, la cytologie qu’à la description des espèces [9]. La célébration du centenaire de la naissance de Linné en Suède, en 1807, lance le début de la canonisation de Linné. Linné devient l’incarnation romantique du génie botanique et suscite l’enthousiasme de Schiller et Goethe. Il est comparé à Luther ou à Voltaire. La remise en cause de ses travaux devient blasphématoire. La méfiance à l’égard du développement de l’anatomie végétale et des classifications naturelles, les échanges de publications entre les premières Sociétés linnéennes et l’ouverture de ces Sociétés aux femmes favorisent le développement de la pensée linnéenne. Cependant, les lycées napoléoniens qui remplacent les écoles centrales en 1802 ne s’intéressent guère aux sciences naturelles. 178

À l’issue d’une fête linnéenne, les Professeurs de botanique bordelais Jean-François Laterrade (1784-1858), auteur d’une Flore bordelaise et Raymond Dargelas (1762-1842), Directeur du Jardin des plantes de Bordeaux, fondent le 26 juin 1818 une Société afin de célébrer et défendre les principes linnéens contre les faiseurs d’espèces et les nomenclateurs [2]. Appelée Société linnéenne d’Émulation le 16 juillet, elle reprend la séance publique d’hiver tous les 4 novembre en l’honneur de Linné [15]. Elle présente plusieurs sections en France et à l’étranger et deviendra la Société linnéenne de Bordeaux. Les dissidents de la section de Paris seront à l’origine de la deuxième et dernière Société linnéenne de Paris, de 1821 à 1827, dont la colonie de Lyon donnera la Société linnéenne de Lyon en 1822. Les Sociétés linnéennes essaiment, tout comme Linné envoyait ses apôtres de par le monde. Les Sociétés linnéennes, d’abord orientées vers la botanique et l’agriculture deviennent plus pluridisciplinaires et s’ouvrent à la zoologie et à la minéralogie. À partir de 1820, elles sont concurrencées par des sociétés spécialisées dans une matière. Ces Sociétés ont pour autant survécu jusqu’à nos jours. En France, la Société linnéenne de Lyon est la plus importante avec plus de 800 adhérents. Elle est suivie de la Société linnéenne de Bordeaux avec environ 300 membres, puis de la Société linnéenne de Provence fondée en 1909, basée à Marseille, et de la Société linnéenne Nord-Picardie fondée en 1838 avec 200 adhérents. Suivent la Société linnéenne de Normandie avec une centaine de membres et la Société linnéenne de Seine-Maritime avec une trentaine d’adhérents. Les Sociétés linnéennes sont présentes à l’étranger : Australie, Belgique, Canada, États- Unis, Grande-Bretagne et Suède. Le tricentenaire de la naissance de Linné a été l’occasion de nombreuses expositions en 2007 en France, comme à Bordeaux ou dans le Limousin où une fête linnéenne avec un buffet champêtre a réuni 120 personnes en août dans la vallée du Chavanon en Corrèze. À Bordeaux, on a une fête linnéenne puridisciplinaire chaque année. Celle de 2008 a eu lieu le 29 juin à Cazaux et a été la 190e. 179

CONCLUSION

Linné est une figure marquante du XVIIIe siècle en Suède comme dans l’ensemble du monde occidental. Il est actuellement un botaniste de réputation mondiale. La nomenclature latine et binominale des espèces vivantes est toujours en vigueur, mis à part celle des virus, orchestrée par un Comité international de Taxonomie des Virus qui utilise des lettres et des chiffres. On peut considérer la nomenclature binominale comme l’alphabet des sciences naturelles, au même titre que la classification périodique pour la chimie.

Timbre de Macédoine de 2007

RÉFÉRENCES

1 - Broberg (G.) - Carl von Linné. Stockholm : Institut suédois, 2006, nouv. ed., traduit par Rousseau (L.), 43 p. 2 - Cahuzac (B.), Séronie-Vivien (M.) - Les débuts de la Société Linnéenne de Bordeaux à travers les périodiques présentant ses travaux. - Bull. Soc. Linn. Bordeaux, Nouv. Sér., 2008, 143, 36(2), 125-154. 3 - Cahuzac (B.) - Linné et la géologie. - Bull. Soc. Linn. Bordeaux, Nouv. Sér., 2008, 143, 36(4), 349-374. 180

4 - Chudley (A.E.) - History of genetics through philately. — (Carl von Linné). - Clin. Genet., 2001, 60(2), 104-106. 5 - Dauphin (P.) - Linné et la nomenclature zoologique. - Bull. Soc. Linn. Bordeaux, Nouv. Sér., 2008, 143, 36(4), 375-384. 6 - Dupain (M.) - « Le voyage en Laponie » de Carl von Linné. - Bull. Soc. Linn. Bordeaux, Nouv. Sér., 2008, 143, 36(4), 335-340. 7 - Duris (P.) - Dossier Linné. - Génies Sci., février 2006, (26), 32-118. 8 - Duris (P.) - Linné et la France (1780-1850). Genève : Droz, « Histoire des idées et critique littéraire », vol. 318, 1993, 283 p. 9 - Duris (P.) - Linné et la France. - Biosystema, 2008, (25 Linnaeus Systématique et biodiversité), 15-22. 10 - Haas (L.F.) - Neurological stamp. Carolus Linnaeus (Carl Linné) 1707-78. - J. Neurol., Neurosurgery Psychiatry, 1993, 56(3), 233. http://www.pubmedcentral.nih.gov/articlerender.fcgi?artid=1014852 11 - Kyle (R.A.), Shampo (M.A.) - Carolus Linnaeus. - JAMA : J. Am. Med. Assoc., 1975, 233(3), 279. 12 - Malécot (V.) – Les règles de nomenclature. Histoire et fonctionnement. - Biosystema, 2008, (25 Linnaeus Systématique et biodiversité), 41-76. 13 - Monferrand (C.) - La Société Linnéenne de Londres. - Bull. Soc. Linn. Bordeaux, Nouv. Sér., 2008, 143, 36(4), 413-416. 14 - Paris (J.P.) - Les apôtres de LINNÉ. - Bull. Soc. Linn. Bordeaux, Nouv. Sér., 2008, 143, 36(4), 407-412. 15 - Séronie-Vivien (M.) - Fondation de la Société Linnéenne de Bordeaux. - Bull. Soc. Linn. Bordeaux, Nouv. Sér., 2008, 143, 36(4), 417-422. 16 - SLNP (Société Linnéenne Nord Picardie) - Dossier Linné : Biographie simplifiée de Carl von Linné. 2007, 14 p. http://www.linneenne- amiens.org/linne-2-2-page-1.html 17 - Wikipedia - Catégorie: Linné 2007. - 2006. http://fr.wikipedia.org/ wiki/Cat%C3%A9gorie:Linn%C3%A9_2007

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