Comptes Rendus
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Comptes Rendus Rémi Brague, La Loi de Dieu, histoire philosophique d’une alliance, Paris, Gallimard, 2005. L'idée d’un code législatif d’origine divine, qui s’était imposée depuis un temps immémorial, est devenue étrangère à la mentalité moderne, sans toutefois avoir partout disparu. Dans son ouvrage intitulé La Loi de Dieu, le philosophe Rémi Brague, professeur à l’Université de Paris I, retrace, selon l’indication du sous-titre, « l’histoire philosophique d’une alliance », d’une relation entre la législation et la divinité dans les trois monothéismes révélés du monde méditerranéen et occidental : judaïsme, chris- tianisme, islam. Il en examine les textes fondamentaux, les croyances et les pratiques, leur longue genèse et leur évolution différenciée au cours de la période médiévale où les conceptualisations apparaissent si déterminantes à cet égard avant d’aboutir à la modernité. Il effectue, avec un grand souci d’objectivité, une recherche très fouillée sur la notion de loi divine, distincte dans ces trois traditions religieuses dont il a une égale connaissance remarquablement érudite, comme en témoignent les nombreuses citations insérées dans l’étude elle-même et complétées par soixante-dix pages de notes et de bibliographie. Si la pensée grecque antique avait identifié une loi divine avec l’ordre naturel, les religions provenant de la révélation d’un Dieu personnel, unique et transcendant, posaient un problème tout nouveau, qu’elles ont résolu différemment selon leurs principes de base et leur conditionnement historique. Le judaïsme a son fondement dans la loi de l’alliance divine du peuple élu par Dieu. La Loi, la Thora, est le signe de l’engagement réciproque, de l’alliance que, par la média- tion de Moïse, au Sinaï, Dieu a conclue avec son peuple, après l’avoir libéré de la servi- tude, afin de le former et de l’instruire, de lui donner des règles de vie qui correspondent en sa faveur au divin projet providentiel. Mais, dans le judaïsme de l’exil et de la diaspora, pour le peuple élu et pourtant privé désormais de sa terre d’élection, il n’est plus possible que cette Loi régisse pratiquement une société politique, qu’elle serve de cadre institutionnel à une organisation sociale. Loin d’être oubliée, elle s’en trouve alors exaltée, car elle acquiert en elle-même une valeur intrinsèque. Tout en laissant subsister l’espérance d’un idéal messianique, elle est explicitée, notamment au XIIe siècle chez Maïmonide, par une exégèse, d’abord jugée trop philosophique, puis largement reconnue. Surtout, elle est devenue le lien unique d’une communauté dispersée, elle rend sensible par elle-même la présence de Dieu auprès de son peuple, elle est l’objet d’une piété qui tend à la faire coincider avec la divinité. Arch. phil. droit 51 (2007) 432 CO MPT E S RE N D U S Le christianisme veut prolonger et dépasser la loi juive, considérée comme ayant eu une fonction de préparation pédagogique. Il ne repose pas sur la promulgation par un Dieu législateur d’un nouveau texte de loi (nomos), mais sur la révélation de la Parole (logos), du Verbe incarné de Dieu se manifestant dans la personne divine et humaine de Jésus-Christ. Selon l’enseignement évangélique, développé par saint Paul, puis par saint Augustin, il n’y a pas de loi sinon celle qui est le Christ lui-même, pas d’autre commandement que celui de l’amour exigeant et miséricordieux, pas de règle morale différente de la loi naturelle que la pensée chrétienne reprend et rehausse pour orienter la conduite humaine. Au XIIIe siècle, saint Thomas d’Aquin, tout en ordonnant la nature humaine à la grâce divine, utilise la philosophie aristotélicienne et montre l’autonomie de la sphère morale et sociale dans son domaine propre et spécifique. C’est le christia- nisme qui, se situant au-delà de la loi législative, introduit la séparation entre Dieu et César, entre la foi et la loi, entre la relation à Dieu et la législation humaine. Il respecte l’État romain, même persécuteur, mais en refusant de le sacraliser. Puis, après le tour- nant constantinien, à l’intérieur de la chrétienté médiévale, il fait apparaître les conflits ambigus du Sacerdoce et de l’Empire, préfigurant une dissociation de l’Église et de l’État. L’islam, né au VIIe siècle et répandu par de rapides conquêtes territoriales, prescrit une absolue soumission à la toute-puissance et à la volonté de Dieu. Il se réclame de Mahomet et de son enseignement prophétique contenu dans le livre du Coran qui, même progressivement formé, lui est personnellement attribué comme étant un texte reçu directement par une dictée céleste. Tout en empruntant des éléments aux révélations antérieures, il entend reconstituer une législation sacrée tenue pour seule authentique, reconstruire une organisation à la fois religieuse et sociale. L’indistinction de l’autorité religieuse et du pouvoir politique tend à s’effacer avec le déclin du califat et laisse place à un décrochage pratique, historiquement circonstanciel. Entre les audaces philosophiques d’Averroès et le juridisme des docteurs coraniques, Ghazali intériorise la loi et fait figure de maître spirituel. Subsiste la conception théorique d’une loi totalisante bien que refermée sur elle-même, entretenant l’idéal d’un règne de la loi révélée, de la nomocratie divine. Dans la dernière partie de son étude, l’auteur, abordant la modernité hostile à l’idée de loi divine, montre que la rupture du divin et du normatif dérive d’un principe chrétien : elle provient de la séparation propre au christianisme et bien antérieure aux temps modernes, mais dès lors se détache de sa racine et exclut de la société toute référence divine. La foi dans un divin à la limite sans loi finit par déboucher sur l’indépendance souveraine d’une loi sans divin. La question est posée de savoir si l’autonomie est l’auto-suffisance. Jacques DAGORY Arch. phil. droit 51 (2008) CO MPT E S RE N D U S 433 Raymond Birn, La Censure royale des livres dans la France des Lumières, Préface de Daniel Roche, Paris, Odile Jacob, 2007. Dans la France du XVIIIe siècle, la censure fut moins l’ennemie que l’alliée des Lumières, écrit Raymond Birn (professeur à l’Université d’Eugene (Oregon, États- Unis)), dans La Censure royale des livres dans la France des Lumières, préfacée par Daniel Roche, professeur au Collège de France. La liberté d’expression, figure centrale de cet ouvrage qui regroupe quatre conférences présentées au Collège de France, fut l’ob- jet de tensions qui n’ont cessé de croître jusqu’à ce qu’éclate la Révolution française de 1789. Mais ce sont les chemins qui ont conduit l’appareil de l’État monarchique à pro- mouvoir la tolérance auxquels s’intéresse l’auteur. Les affaires de l’Encyclopédie, d’- Helvétius, de Jean-Jacques Rousseau et d’autres qui ont alors traversé l’histoire révèlent que les censeurs royaux (qui étaient des savants, des hommes de lettres, des ecclésiastiques ou des commis de l’État) ont paradoxalement protégé la liberté d’expres- sion des foudres du Parlement et de l’Église. L’ouvrage, même s’il est à ranger parmi les excellents livres d’histoire, est aussi de droit, il est un ouvrage dont le juriste ne peut se priver de la lecture. Le droit qui y est rappelé, expliqué, commenté, témoigne du contenu décisif de celui-ci sur l’arsenal juridique qui va suivre, les droits qui vont nourrir les XIXe et XXe siècle avant que ne s’installe une européanisation à tout vent. Du moins rappelle- t-il que la liberté d’expression et les contraintes qui l’entourent sont vieilles comme le monde, et que ce que l’on peut dire ou écrire a toujours occupé, et même profondément préoccupé le droit français au point pour lui et pour certains de s’engager dans des com- bats courageux, mais aussi dangereux. Plusieurs lectures peuvent être aussi faites de ce volume. Une première lecture a trait à une chronologie de la censure étatique du livre. Une période qui s’étale de 1699 à 1715, la censure sous Louis XV qui marqua une crise de l’autorité, les censeurs à l’œuvre de 1750 à 1763 et la question de savoir si la France a connu un bureau de répression ou un arbitre culturel sont quatre étapes de la censure qui ont été l’occasion de quatre conférences. Une deuxième lecture porte sur les rapports (souvent compliqués, pour ne pas dire toujours conflictuels) entre le pouvoir (politique) de ceux qui gouver- nent et l’autorité (intellectuelle) de ceux qui écrivent. Dans sa préface sur la censure, l’o- pinion et l’autorité avant la crise de l’ancien régime, Daniel Roche écrit : « L’affaire De l’Esprit, reprise ici, montre bien les interférences possibles entre les autorités et la capa- cité de brouillage qui autorisent un jeu, des stratégies d’ensemble ou des tactiques de cir- constance, qui opposent les divers acteurs du contrôle et de l’édition. La crise de 1758 et la réaction du Parlement face à l’audace d’Helvétius révèlent la fragilité de la direction de la Librairie devant les juges, l’Église, l’opinion curiale dévote et les adversaires de la po- litique secrète de Louis XV dont l’agent était le censeur Tercier qui, par sa hâte à donner une réponse à Helvétius et aux libraires, fournit l’occasion de faire éclater le conflit. Celui-ci révélait le caractère fuyant et ambigu du travail des censeurs, dans le cas de De l’Esprit comme plus avant dans celui de l’Encyclopédie. Il opposait à la répression l’idée d’un arbitrage administratif conforme à une doctrine de l’État éclairé tel que l’incarnent ses grands représentants, comme Malesherbes ; il montrait aussi qu’une monarchie forte pouvait profiter de la liberté d’expression » (p.