N° 32 Delboeuf Et Bernheim Entre Hypnose Et Suggestion
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n° 32 Delboeuf et Bernheim Entre hypnose et suggestion PUBLIEE AVEC LE CONCOURS DU CNL ET DE L’UNIVERSITE DE PARIS X NANTERRE N° ISSN : 0296-8916 299 n° 32 Delbœuf et Bernheim : Entre hypnose et suggestion Textes réunis par Jacqueline CARROY et Pierre-Henri CASTEL TABLE DES MATIÈRES Pierre-Henri CASTEL, Jacqueline CARROY, François DUYCKAERTS Présentation générale ...................................................... 5 François DUYCKAERTS Delbœuf et l’énigme de l’hypnose : une évolution .............. 7 Serge NICOLAS Delbœuf et la psychologie comme science naturelle ........... 29 Sonu SHAMDASANI Hypnose, médecine et droit : la correspondance entre Joseph Delbœuf et George Croom Robertson............. 71 Jacqueline CARROY L’effet Delbœuf, ou les jeux et les mots de l’hypnotisme .... 89 Jean-Michel PETOT Créditivité, idéodynamisme et suggestion. Note sur l’actualité de la pensée d'Hyppolyte Bernheim..... 119 Mikkel BORCH-JACOBSEN L’effet Bernheim (fragments d’une théorie de l’artefact généralisé)............... 147 Pierre-Henri CASTEL L’esprit influençable : la suggestion comme problème moral en psychopathologie 175 CORPUS, N° 32, 1997. 1 CORPUS, revue de philosophie 2 Présentation générale PAR J. CARROY, F. DUYCKAERTS, P.-H CASTEL. Ce numéro de la Revue du Corpus suit, et, en toute hypothèse, constitue l'exposé des motifs qui nous ont conduit à la réédition de deux ouvrages majeurs de la fin du siècle dernier, dans la collection du Corpus des oeuvres de philosophie en langue française, chez Fayard ; celui de Joseph Delboeuf (Le Sommeil et les rêves et autres textes, original de 1885, réédition par J. Carroy et F. Duyckaerts en 1993), et celui d'Hippolyte Bernheim (Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, 2ème édition de 1903, réédition par P.-H. Castel en 1995). Ils s'inscrivent certainement dans l'air du temps, l'intérêt du public pour les problèmes de l'hypnose et de la suggestion s'étant montré toujours plus vif ces dernières années, avec l'aura de mystère et de sensationnel qui nimbe ces phénomènes et des pouvoirs qui s'y attachent. Or les nombreux essais sur la question aujourd'hui disponibles ont un enracinement intellectuel bien plus profond, que les contributions rassemblées ici voudraient faire sentir, et plus spécialement, dans les quatre domaines suivants : • L'hypnose et la suggestion attirent de plus en plus l'attention en psychologie, non seulement pour leurs applications psychothérapeutiques, fort anciennes, avec les difficultés et les espoirs qu'elles continuent à susciter, mais également à cause du statut paradigmatique du lien suggestif-hypnotique en psychologie sociale, et de son intérêt pour la théorie des groupes, des rôles, ou des relations interindividuelles. • L'histoire des idées, à la charnière du XIXème et du XXème siècle, est revenue presque constamment, ces dernières années, sur les débats concernant la nature de l'hypnose et de la suggestion, au moment où se constituèrent certains cadres fondamentaux de l'individualisme moderne, des sciences comme la psychologie elle-même, mais aussi la sociologie (avec Tarde et Durkheim), et quantité d'invariants anthropologiques, dont nos idées contemporaines du privé, du féminin, du pouvoir de l'imaginaire, etc., sont encore tout imprégnées. • Diverses attaques virulentes contre la psychanalyse, remettent une fois encore sur le tapis la question de savoir si CORPUS, N° 32, 1997. 5 CORPUS, revue de philosophie Freud a aussi bien surmonté qu'il le prétendait l'objection de la suggestion, et si les contenus psychiques qu'il a découverts ne sont pas au bout du compte ceux qu'il avait injectés (inconsciemment) dans les propos de ses patients, obtenant d'eux d'illusoires confirmations. Mais l'érudition historique et la finesse des arguments déployés dans ces polémiques a vraiment connu un saut qualitatif majeur, dont on aura ici quelques échos. Réévaluer Bernheim et Delboeuf dans le parcours de Freud paraît urgent. • Le problème de savoir si l'hypnose et la suggestion sont des "états mentaux" objectivables comme des phénomènes naturels, ou des constructions intentionnelles irréductiblement liées à des structures de discours, se trouve enfin au coeur des débats de la philosophie contemporaine de l'esprit avec le cognitivisme. Aussi ne sera-t-on pas étonné d'apprendre que Delboeuf, si violemment réfuté par Bergson dans son analyse des théories psychophysiques, n'était en rien un psychologue dilettante. De la loi de Weber-Fechner à la suggestion hypnotique, c'est probablement une seule et même question qui l'agite : existe-t-il des lois causales du psychisme, et du lien entre l'esprit et le corps ? Elaborés indépendamment, les articles de ce recueil paraissent adopter, malgré des écarts évidents et des approches très différentes, des positions communes. L'accord semble se faire sur l'idée qu'il est impossible d'objectiver totalement les faits de suggestion et d'hypnose, et même de mettre le doigt sur quelque chose de "réel", qui serait le "fait brut" de l'hypnose ou de la suggestion, indépendamment du discours, littéraire, scientifique, social, dans lequel il est tramé, défini, critiqué, voire "objectivé". Ce qu'on redécouvre donc aujourd'hui en psychologie, parfois douloureusement, semble avoir été, de ce point de vue, merveilleusement anticipé par des auteurs qu'on citait au mieux pour mémoire, en négligeant l'ingéniosité épistémologique et pratique dont ils avaient fait preuve, il y a un peu plus d'un siècle... Le lecteur trouvera donc ici, outre des bibliographies historiques, des chronologies et des lettres inédites, mille débats dont l'actualité, paradoxalement, n'est autre que celle même de Delboeuf et de Bernheim. 6 Delbœuf et l'énigme de l'hypnose : une évolution Delbœuf s'intéressait autant aux faits de langage qu'aux faits de perception. Ce double intérêt le conduisit naturellement à l'étude d'un état dans lequel des perceptions sont des effets de parole : l'hypnose. Phénomène à la mode sur les scènes de théâtre et dans des salles de démonstration clinique, objet de vifs débats entre des grands maîtres de la médecine, Delbœuf y appliqua son esprit expérimental. Le parcours de sa pensée sur ce sujet mérite considération. Parti de l'idée - implicite il est vrai - que l'hypnose était un état qui offrait à la psychologie scientifique un véritable «objet» d'expérimentation, sans interférence de la conscience, Delbœuf ne cessa d'être en pleine évolution, reconnaissant d'abord la sensibilité du sujet hypnotisé aux attentes de l'hypnotiseur, ensuite l'influence de l'hypnotisé lui-même sur l'hypnotiseur, bref la dialectique inconsciente les liant l'un à l'autre. Il y vit finalement une modalité de la relation intersubjective1. 1. Delbœuf était troublé par les expériences de Charcot et et de ses élèves, à la Salpêtrière. Dans le train qui le conduisait à Paris (décembre 1885), il imaginait un certain nombre de procédures expérimentales qui pussent mettre à l'épreuve les surprenants phénomènes dont faisait état le célèbre laboratoire. En particulier, il doutait de la valeur des expériences sur lesquelles, dans l'entourage de Charcot, certains se fondaient pour croire à la capacité des aimants à transférer tel effet hypnotique d'un côté du corps à l'autre, voire d'une personne à l'autre. Sur place, il constata qu'on ne prenait même pas la 1. Chertok L. et Stengers I., L'hypnose, blessure narcissique, Laboratoires Delagrange/Synthélabo, Coll. «Les empêcheurs de penser en rond», 1990, p. 57. CORPUS, N° 32, 1997. 7 CORPUS, revue de philosophie précaution de mettre hors jeu tout risque de suggestion : on annonçait tout haut, en présence des sujets hypnotisés eux- mêmes, ce qui allait se produire quand on allait déplacer l'aimant, au lieu de s'en servir à l'insu du sujet et même de l'expérimentateur. Tout pénétré de l'esprit expérimental qui avait présidé à ses recherches en psychologie de la perception et en psycho-physiologie, il estimait que les expérimentateurs doivent laisser les sujets dans l'ignorance de ce qu'ils en attendent, de manière à ce que les phénomènes qui se produiront ne relèvent que de la spontanéité des sujets. 2. Dans Le sommeil et les rêves (1885), livre lu, annoté et abondamment cité par Freud, Delbœuf avait exposé ses idées sur la mémoire et la réminiscence. A la Salpêtrière, il voulut vérifier un phénomène qui contredisait une des thèses centrales de son ouvrage mais qui était unanimement accepté par les spécialistes d'alors en hypnose, à savoir la prétendue inéluctabilité de l'oubli qui frappait habituellement, chez ceux qui se réveillaient de leur sommeil hypnotique, les rêves, les hallucinations ou les actes que l'hypnotiseur leur avait inspirés durant celui-ci. Il demanda à Charles Féré de refaire devant lui l'expérience qui confirmait aux yeux de celui-ci et de toute la Salpêtrière ce phénomène de l'oubli total et définitif. Bien que l'oubli se produisit, l'expérience ne convainquit pas Delbœuf. Il invita Féré à refaire l'expérience mais en changeant le protocole : provoquer le réveil du sujet non plus après l'achèvement du scénario somnambulique, mais à un moment de son déroulement. Victoire pour Delbœuf, le sujet eut le sentiment d'avoir fait un rêve et se souvint avec précision de tout le scénario qu'elle venait de jouer. L'oubli n'était donc pas inéluctable. 3. Quand Delbœuf se mit à hypnotiser lui-même, il chercha à assurer l'objectivité de ses recherches en prenant des notes précises, détaillées, sur ses sujets d'expérience, sur leurs antécédents, sur ce qu'il leur faisait et leur disait pour et avant de les hypnotiser, sur ce que ces sujets faisaient pendant les transes, sur ce qu'ils se rappelaient après coup. Il changeait les conditions de l'expérience pour être aussi expérimental que possible. On peut juger de sa méticulosité clinique dans ses 8 Delbœuf et lʼénigme de lʼhypnose articles publiés dans la Revue de philosophie (1886, 21, 22, 23) et la Revue de l'hypnotisme (décembre 1886, mai 1887, avril et juillet 1888) 4.