LA TOURAINE

C.L.D. 42, av. des Platanes 37170 CHAMBRAY

JEAN-MARY COUDERC

LA TOURAINE

deuxième série

C.L.D

PREFACE

La Touraine est riche en matière d'insolite et le sujet n'est pas épuisé. Il en est pour une province comme pour la science : plus on pénètre ses secrets, plus elle paraît riche. Recherchez l'insolite et il prolifère. Nous donnons à nos articles un peu plus de corps qu'à ceux du premier volume, en laissant toujours au lecteur la possibilité de réaliser lectures ou enquêtes complémentaires. Notre plaisir est de le mettre sur la voie, le sien pourra être de nous dépasser, mais nous serons toujours heureux de connaître ses découvertes. Notre souci principal demeure la connaissance de notre patri- moine afin de le mieux protéger. Si l'éclairage de la science, quand il est possible, permet de ne pas se laisser submerger par les croyances les plus hétéroclites, il est par ailleurs plaisant de détecter les mythes et les fantasmes, héritage qui appartient à l'ethnographie. Jean Paulhan n'a-t-il pas écrit : « Les gens gagnent à être connus, ils y gagnent en mystère » ? Loin d'exclure la curiosité, l'incrédulité la conforte, loin d'éloigner le merveil- leux, l'étude de l'insolite est une façon de découvrir le monde. Ainsi l'étude des monstruosités permet-elle au biologiste d'appré- hender les mécanismes de l'évolution. Se préoccuper de l'insolite est aussi une façon de découvrir du sens là où beaucoup ne voient que des choses. L'insolite n'est ni le merveilleux, ni le fantastique, mais il participe parfois des deux. Il imprègne notre vie de tous les jours et tient une grande place dans nos souvenirs et nos émotions.

Bestiaire tourangeau

CROCODILES, TORTUES ET DUGONGS SUR NOS RIVAGES

Tous les Tourangeaux connaissent les « faluns de Touraine », ces dépôts marins récents (autour de 15 millions d'années) laissés, à l'Ere Tertiaire, par la dernière invasion de la mer dans le nord-ouest du département d'Indre-et-Loire (Cléré - Savigné - Channay [La Morfassière] - Saint-Michel-sur-Loire) ou dans le centre-sud (Louans - [Pauvrelay] - - Bossée). La plupart des enfants savent, même en ville, que, dans ces sables coquilliers non consolidés, utilisés pour les soubassements rou- tiers ou l'empierrage des allées, on peut trouver une multitude de fossiles marins, en particulier des coquillages dont certains ont encore leur coquille nacrée, des dents de poissons, surtout de squales, des tests d'oursins, etc. Les faluns sont pour les paléontologues un gisement fossilifère du plus haut intérêt, mais les extractions se multiplient et le gisement a une épaisseur faible (environ 7 m). La nature des restes montre qu'on avait affaire à une mer littorale ou peu profonde. Lors de son exploitation, la carrière dite du « Bois de Channay », désormais protégée, montrait à sa base des dalles calcaires du fond du bassin lacustre d'Anjou, perforées par des pholades. Ce sont des coquillages vivant dans des trous qu'ils creusent dans les rochers littoraux. Ils s'étaient installés lors de l'arrivée de la mer dans le bassin de Savigné-sur- Lathan. La zone comprise entre Channay et Courcelles se trouve en bordure de l'ancien rivage puisqu'on a découvert à Channay et Courcelles des « crassats » d'huîtres comme disent les ostréi- culteurs de la région de Marennes. L'espèce d'huître en question : Ostrea gryphoïdes, encore présente au sud-est des Etats-Unis, dans des eaux peu salées, devait vivre dans un estuaire ou sur la côte longée par des eaux douces, sur le flanc sud de l'anticlinal allant de Château-laVallière à Souvigné. Les huîtres, au début du retrait de la mer, se sont défendues contre un envasement lent en s'allongeant et en se fixant les unes sur les autres. Le maximum de profondeur de la mer nous est indiqué par les coquilles du grand pecten, l'ancêtre de la coquille Saint- Jacques, et par la présence de dents de squales vivant dans des eaux de 40 à 50 m de profondeur. Certaines dents dépassent 10 cm de long et appartenaient au requin Carcharodon megalodon mesurant plus de 10 m. Parmi les os et les dents, on rencontre ceux d'animaux terrestres qui vivaient non loin des côtes et dont les restes ont été portés à la mer par des fleuves. Ainsi trouve-t-on des coquilles d'escargots, des dents de mammifères, depuis celles des plus petits rongeurs, des ancêtres des lapins et des singes, jusqu'à celles des grands proboscidiens, le dino- thérium et le mastodonte, ancêtres du mammouth et de l'élé- phant. Vous pourrez avoir une idée de ce qu'était le dinothérium en allant à voir la reproduction qui est exposée dans le prolongement du jeu de boule couvert, près des tennis. Réalisé pour la bourse aux minéraux de 1987, qui se tient régulièrement dans la bourgade, « Dino » a été remisé après la bourse de 1988. La deuxième caractéristique de ces dépôts, c'est qu'ils livrent aux observateurs attentifs, les restes d'une faune dont les des- cendants actuels vivent dans des mers chaudes subtropicales, par exemple en Floride, au Mexique ou au Maroc du sud. Le fameux « dollar des sables » des côtes de Floride ou de Géorgie est le descendant actuel, très peu différent, des scutelles des faluns, oursins plats en forme de bouclier. Ainsi pouvez-vous trouver dans les faluns du Savignéen : à , Savigné, Channay ou Saint-Laurent-de-Lin, des écailles de grandes tortues marines, des plaques osseuses de la peau des crocodiles qui fréquentaient le littoral, des carapaces d'araignées de mer, etc. Les os et les dents de mammifères, lorsqu'on les retrouve, ont pris, avec le temps, une couleur caractéristique, noire ou brun foncé, et un aspect brillant. D'assez nombreux fragments de côtes proviennent d'un mammifère qui, de nos jours, a été décimé sur les rivages tropicaux... Il s'agit du dugong, un mam- Dents de squales mifère sirénien, herbivore tout à fait placide, atteignant 3 m de long et pesant jusqu'à 500 kg. Pour apprendre à connaître tous ces animaux, vous pouvez visiter le musée des faluns à Savigné-sur-Lathan ou la très belle collection paléontologique léguée par le géologue tourangeau Georges Lecointre au musée du Grand-Pressigny et ouverte au public en juillet 1970. Celle-ci, provenant surtout de la Touraine du sud, occupe une unique et grande salle voûtée. Le clou de la collection est un grand tronc de cyprès fossilisé qui a été perforé par un animal indéterminé. Au fond du trou, un arachnide (voire un insecte) a tissé une toile... et celle-ci, transformée en pierre, s'est conservée jusqu'à nos jours malgré les bouleversements géologiques ! Très vite, vous saurez reconnaître les fragments d'arbres silicifiés : en particulier, ceux du palmier qui possède des canaux caractéristiques. Le Palmoxylon ligerinum est le palmier qui poussait sur nos rivages. Vous en verrez un très bel échan- tillon sur la cheminée de la mairie de Cléré, patrie d'un grand paléontologue français, spécialiste de la flore : Edouard Bourreau. Un autre paléontologue du muséum national d'histoire naturelle, Philippe Janvier, spécialiste de la faune, est originaire de ; il a fait ses premières armes en collectionnant les fossiles de la carrière de falun de Saint-Michel-sur-Loire. Il existe une dizaine de Tourangeaux qui possèdent de fabuleuses collections de fos- siles de nos faluns et auprès de qui on peut beaucoup apprendre. Attention ! S'intéresser au bestiaire fossile de la Touraine peut vous entraîner très loin et vous occuper votre vie entière...

LE REDOUTABLE TERMITE

Lorsque je découvris la bête, j'habitais l'école de Périgourd à Saint-Cyr-sur-Loire. Pour travailler, j'avais coutume de me réfu- gier dans une ancienne salle de classe installée dans un vieux local. En dehors de la porte par laquelle j'entrais, une autre donnait sur une cuisine condamnée où, un jour de 1956, je pénétrai par curiosité... La serrure me resta dans la main avec la poignée ; un grand triangle inférieur de la porte s'effondra, libérant une importante quantité de sciure fine. L'intérieur du panneau se réduisait, dans sa partie basse, à l'épaisseur des deux couches de peinture, et, dans sa partie haute, à un squelette de bois rempli de canaux. Les insectes responsables n'étaient pas visibles ; je ne compris que plus tard que j'avais fait connaissance avec les termites. Ne croyez pas qu'il s'agissait de termites africains, arrivés, comme on le dit parfois, avec des bois tropicaux, dans les ports de l'Atlantique. Si on a identifié l'insecte au XVIII siècle dans la ville de Rochefort, on possède des textes du Moyen Age faisant état de maisons subitement effondrées aux alentours de Bordeaux et à La Rochelle (1). Cinq espèces de termites vivent en , liées aux régions chaudes : Provence, Languedoc, Catalogne, Aquitaine, dont l'habitat naturel est constitué par les vieilles souches des forêts et les arbres morts des haies ou des vergers. Quatre ont partiel- lement pris l'habitude de s'installer dans les bois non traités de nos demeures. Depuis la fin de la guerre surtout, on note leur expansion vers le nord. L'espèce que l'on rencontre en Touraine est le termite de Saintonge : Reticulotermes santonensis. Cet insecte de 4 à 8 mm de long, d'un blanc jaunâtre, est communément appelé « fourmi blanche ». Il vit en grandes colonies souterraines, mais pas dans de hautes termitières que seuls édifient les termites supérieurs africains. Sa nourriture est la cellulose du bois, du papier et de certains tissus. D'une colonie partent, en mars ou avril, des insectes « fonda- teurs » ailés, des rois et des reines qui forment des couples sexués ; ils perdent leurs quatre ailes et fondent une colonie. Après avoir pondu des œufs qui donnent naissance aux premières équipes d'ouvriers, la femelle acquiert une taille énorme et devient une usine à pondre. Les ouvriers ont l'air de larves blanches qui auraient grandi, tandis que les soldats (la troi-

(1) En 1442, Charles VII avait mandé à l'hôtel de ville de La Rochelle les notables locaux ; au milieu des débats, l'hôtel de deux étages s'est effondré, ce qui causa plusieurs morts. sième caste) ont une tête jaunâtre presque aussi longue que le corps avec d'énormes mandibules. Le termite est animal luci- fuge : il fuit la lumière qui dessèche sa cuticule, d'où son arrivée subreptice par des galeries creusées ou des tunnels maçonnés partant du sol et pénétrant dans la moindre fissure. On ne le voit donc pas, sauf quand on modifie quelque chose dans une demeure ou que la partie termitée s'effondre. Dans votre vieille demeure tourangelle, au bois non traité, à proximité d'une rivière ou d'un étang, ou près d'une zone d'humidité (nécessaire à leur développement), vous avez peut-être des milliers d'habitants sous le linoléum de la cuisine, dans le placard à chaussures ou la cloison de la salle de bains. Attention aux poutres des plafonds, aux colombages et aux vieilles bibliothèques car rien de plus bibliophiles ou dévoreurs de livres que nos bestioles. Traverser une cloison en ciment ou des câbles électriques est à leur portée. Dans leur migration vers le nord, ils ont franchi la Loire, sans doute à la faveur des périodes chaudes et en profitant de la généralisation du chauffage central. Notre animal est un gourmet : il adore les résineux tendres de plus en plus utilisés depuis une cinquantaine d'années parce que moins chers. Rien de plus savoureux qu'un bon morceau de pin sec, le chêne étant dur et le châtaignier désagréablement parfumé. A Paris même, on compte plusieurs centaines d'immeubles ou groupes de maisons traités par les spécialistes agréés, en particulier dans le cinquième arrondissement. Le record de France est de plus de 5 000 chantiers dans la seule Charente-Maritime. L'Indre-et-Loire et le Maine-et-Loire se placent dans une catégorie où il y a de 10 à 100 chantiers par an alors qu'il n'y en a que quelques-uns dans le Loiret. En Touraine, on avait déjà identifié l'animal dans les années cinquante ; on le trouve surtout dans l'ouest et la vallée de la Loire. On a évoqué sa présence à La Chapelle-sur-Loire (nous manquons d'éléments à ce sujet) ; il sévit, depuis 1987, à Chouzé, , Ligré, et même où on l'aurait décou- vert en détruisant de vieilles demeures au bord du Cher, à proximité de la caserne des pompiers. A Chouzé, on dit commu- nément que les termites seraient arrivés dans la commune, une trentaine d'années auparavant, avec des traverses de chemins de fer récupérées à Varennes, une bourgade d'Anjou limitrophe, très touchée par la termitose (2). Chouzé a eu quatre demeures atta- quées en 1988, au point qu'il s'y est créé un groupement de défense et que des travaux de lutte et de prévention ont été subventionnés par tiers par les propriétaires, le conseil muni- cipal et le conseil général. Dans les maisons envahies, on traite les huisseries intérieures et la charpente au xylophène et on injecte du Lorisol dans les sols à un mètre de profondeur ; pour les demeures menacées, on crée une barrière toxique sur toute la longueur des murs, par injection de Lorisol tous les 30 cm.

L'ILE AUX HOPLIAS

Si vous prenez le nouveau plan cadastral de , vous verrez qu'une île de la Loire, au sud du confluent de la Cisse et de l'Ile de Montcontour, porte ce nom. Rien à voir avec les militaires de la Grèce antique sinon la carapace brillante... Le nom a été donné assez récemment à l'île par l'Equipement, à la requête de notre ami Jean-Paul Katz, entomologiste disparu en 1984, apprécié dans les deux associations tourangelles de Pro- tection de la Nature et des Sciences Naturelles, pour son dévoue- ment et son prosélytisme. Lors d'un colloque sur les îles de la Loire qui eut lieu, à Tours, les 20 et 21 novembre 1971, l'après- midi du 21, les participants furent emmenés par les pompiers visiter l'île en question. J.-P. Katz y remarqua une importante colonie d'hoplies. Il ramena quelques échantillons de ce magni- fique insecte ; ils figurent dans la collection qu'il légua au Labora- toire de Biocénotique expérimentale de la Faculté des Sciences. Le terme Hoplia désigne un genre de coléoptères comprenant des espèces de petite taille dont beaucoup ont de belles couleurs. L'hoplie des Tourangeaux est Hoplia cærulea (« l'hoplie azuré »),

(2) A Thouars (Deux-Sèvres), on considère volontiers que les termites touchent surtout les demeures des employés de la S.N.C.F., à cause des bois non traités qu'ils récupèrent sur les chantiers. insecte particulièrement abondant dans les limons vaseux et sur les francs-bords de la Loire (à Montlouis par exemple), et beaucoup plus rare loin des grands cours d'eau. C'est un sca- rabée seulement long d'un centimètre, d'un merveilleux bleu nacré, qui a occupé une certaine place dans la vie des Touran- geaux sans qu'ils aillent jusqu'à un culte analogue à celui que les Egyptiens rendaient à leur grand scarabée des bords du Nil. Le thorax et les élytres du mâle sont recouverts de minuscules écailles bleues irisées. Elles lui donnent une couleur d'un bleu violacé moiré, très variable selon l'incidence de la lumière. Un autre insecte présente cette particularité : le mars changeant, un papillon des bois, devenu rarissime en Touraine ; de couleur brune, il apparaît soudain violet dans le soleil. La femelle de l'hoplie, toujours rare, est plus grisâtre. Par contre, le mâle est un bijou vivant. Il a été depuis longtemps apprécié pour sa beauté, au point qu'au début du siècle les plumassiers l'utili- saient pour la confection de parures. Non seulement les Touran- geaux lui prêtaient le même intérêt qu'au ver luisant dont ils ornaient, pour une soirée, le corsage ou la jupe des jeunes filles qui n'osaient y toucher elles-mêmes, mais ils considéraient l'hoplie comme un porte-bonheur. On le portait en sautoir pour se protéger des maux ou favoriser le destin. Jacques-Marie Rougé, qui l'appelle « la fée bleue des rives de la Loire », a noté que des jeunes gens le faisaient monter en bague ou en pendentif pour l'offrir à leur fiancée. C'était à la fois un bijou et une amulette. L'île aux Hoplias rappellera désormais la présence de l'insecte et, indirectement, l'usage qu'on en faisait jadis en Touraine.

L'OUTARDE DANS LES STEPPES DE

L'outarde est un oiseau nichant à terre, fréquentant les steppes herbeuses et les grandes étendues cultivées. La Touraine possède l'outarde canepetière. Elle en connaissait une seconde Hoplies à robe moirée (Hoplia caerulea) photographiées sur une plante des rives de la Loire à Montlouis, à proximité de la Maison de la Loire (cliché F. Botté). Genette tuée sur une route du Lochois, en septembre 1977, et naturalisée par un taxi- dermiste de Chambourg-sur-Indre. Ce bel animal à robe tachetée est plus abondant qu'on ne le croit en Tour aine centrale, mais rarement visible (cliché J.-M. Couderc). espèce au Moyen Age : l'outarde barbue ou grande outarde, mesurant un mètre pour le mâle et 75 cm pour la femelle. Sa taille était plus grande que celle des outardes houbara et arabe d'Afrique du Nord, avec un corps de près de 20 kg pour le mâle, des pattes et un cou longs et épais. Rabelais différencie bien l'outarde de la canepetière ou petite outarde. Dans la première moitié du XIX siècle, le grand oiseau nidifiait encore en Cham- pagne berrichonne où on l'appelait parfois « l'autruche d'Europe » ; elle y fut signalée jusqu'en 1936 et, en 1961, nous avons vu un mâle empaillé à l'école de Neuvy-Saint-Sépulcre. Cet animal a maintenant disparu de la France entière. L'outarde canepetière n'est régulièrement répartie que des Charentes à la Champagne. Elle ne mesure que 43 cm, pèse environ un kilo pour une envergure de 80 à 90 cm ; c'est un excellent voilier, comparable en vol à une oie. En l'air, elle lance parfois un cri bref (« daag »). A terre, elle paraît fauve mais, en vol, elle donne l'impression d'avoir le plumage en grande partie blanc. L'émargination d'une plume du haut de l'aile (la 7e rémige primaire) est à l'origine d'un sifflement régulier produit par le vol du mâle. Ce sifflement joue le rôle d'avertisseur lors des vols nuptiaux. Lorsqu'une femelle ou un mâle traverse l'espace aérien de la colonie, un à un, les chanteurs poursuivent l'objet de leur convoitise ou de leur agressivité. Tous reviennent en faisant une grande boucle, ce qui permet à l'observateur de voir, sans se déplacer, le mâle revenir vers sa place de chant. Ce dernier a le ventre blanc et la face grise, la femelle a le dessous blanc jaunâtre et le dessus plus pâle, paraissant finement rayé. On peut, au mois de mai, en observant les champs de céréales avec attention, avoir la chance d'apercevoir le cou noir avec anneaux blancs du mâle en plumage nuptial, dépassant des blés. On entend son appel bref et sonore (prrett ! prritt !) que l'animal émet de une à cinq fois par minute, depuis sa place de chant, au cours de la parade. C'est le moment où, gonflant les plumes noires érectiles de son cou, l'animal rejette brusquement la tête en arrière et se démasque. Un piétinement, un volètement et un saut de plusieurs décimètres, constituent un signal visuel. L'oiseau, en piétinant rapidement le sol, tasse la terre de sa place de chant, au point que l'on peut se demander si son nom ne vient pas de là du fait qu'il piète, c'est-à-dire qu'il court avant de décoller. La canepetière arrive d'Espagne ou d'Afrique du Nord avec le beau temps d'avril, le mâle d'abord, la femelle 15 jours après. Elle fréquente les plus vastes de nos zones sèches et découvertes : Champeigne, plateau de Sainte-Maure, plateaux de la Claise et les rares zones sèches et découvertes de la Brenne. C'est en Champeigne, en mai, entre Cigogné et Sublaines, ou au nord de Sublaines, sur la route de Bléré, que vous aurez le plus de chances de la découvrir. Elle est cependant très farouche et s'aplatit rapidement. D'ailleurs, elle ne décolle ni n'atterrit jamais à proximité immédiate du nid. Sa chair est appréciée et, bien qu'elle soit protégée depuis 1973, ses effectifs diminuent lentement. On est passé, en Beauce, à 0,6 individu chanteur pour 1 000 ha contre 18 à la fin des années 50. Comme le râle des genêts, la canepetière est le survivant presque anachronique des paysages d'hier. C'est en préservant son habitat traditionnel : friches, steppes et prairies, que nous la sauverons.

LA DISCRETE GENETTE

Imaginez comme un long chat aux pattes courtes, au museau pointu et à la longue queue annelée. La nuit, certains ont aperçu ses yeux immenses à la lueur des phares de leur automobile en se demandant bien de quel animal il s'agissait... C'est la genette, un mammifère long de 0,90 m, aux griffes rétractiles comme celles du chat, au pelage gris-beige tacheté de noir. C'est le seul représentant, en Touraine et en France, de la famille des Viver- ridés, animaux qui possèdent des glandes à musc dont ils se servent pour marquer leur territoire, d'où leur odeur forte. Du fait de sa rareté et parce que son activité est exclusi- vement nocturne, beaucoup de Tourangeaux ignorent que la genette vit dans nos forêt. Elle séjourne de préférence dans des fourrés, des milieux fermés près des ruisseaux et des étangs dans lesquels elle pêche pour varier son régime largement composé de petits rongeurs et, en second lieu, de petits oiseaux. Le jour, elle se réfugie dans des « truisses » (arbres creux où d'ailleurs elle niche), des terriers abandonnés ou des cavités des versants calcaires. On peut, sans la voir, s'assurer de sa présence grâce à ses fèces grosses comme celles d'un chien, noirâtres et repliées sur elles-mêmes. Elle les dépose régulièrement aux mêmes endroits, des fourches d'arbres ou des blocs de pierre où l'on peut trouver plusieurs dizaines d'excréments sur un mètre carré. C'est un animal non agressif. Ce n'est que quand il se sent menacé, qu'il émet un cri aigu comme celui du putois et martèle le sol de sa queue. Fréquentant en Europe les zones plutôt chaudes, la genette habite la France du Midi à l'Aquitaine, ainsi se trouve-t-elle, en Touraine, sur sa limite nord-est. Très rarement aperçue au nord de la Loire (forêt d' ou de Gâtines), on la rencontre surtout dans les grandes forêts autour de (communes de Chanceaux, Mouzay et Loches), sur le plateau de Sainte-Maure (Sainte-Catherine-de-Fierbois, Dolus et Louans), dans la Gâtine de Montrésor (Montrésor et Céré-la-Ronde) et en Champeigne (commune d'Athée). Les genettes capturées l'ont surtout été aux portes des grands massifs forestiers, ainsi à Cheillé en 1986 et, secondairement, dans des régions peu habitées, occupées par des bois dispersés. Elle est protégée depuis 1972, mais elle est aisément capturée avec des pièges à mâchoires et ses grands déplacements nocturnes lui valent parfois de se faire écraser. Ainsi, celle que nous photo- graphiâmes, en septembre 1977, chez un taxidermiste de Cham- bourg, et qui avait été tuée, non loin de là, sur la route de Tours à Loches. Une autre fut écrasée près de Saint-Branchs en 1981. Au Moyen Age, la genette était un animal emblématique. On dit qu'elle aurait été introduite en France par les Arabes via l'Espagne. Après avoir gagné une bataille sur les Arabes en 726, Charles Martel, qui aurait trouvé des genettes vivantes et des peaux dans le butin récupéré, institua l'ordre de la genette pour récompenser la bravoure de seize de ses plus valeureux compa- gnons. Sur « La Vue », l'une des plus fameuses tapisseries du XV siècle, : la Dame à la licorne, on distingue la genette et le reconstruire l'église paroissiale plus près de et de la route Lignières-Langeais, se convertirent, en représailles ; mais on leur interdit de célébrer leur culte. Ils passèrent outre, mais surpris par les autorités, ils furent sommés de comparaître devant le tribunal de Chinon et punis de lourdes amendes. Le temple existe toujours en bordure de la grand-route mais, faute de fidèles, il a été, il y a quelques années, complètement trans- formé en maison d'habitation. Celui d' se trouve dans le village. Seuls, un certain nombre d'habitants de Chenusson qui, en 1842, avaient appelé le pasteur de Tours, n'avaient pu former une communauté protestante tellement les pressions de l'administration avaient été fortes. Un pasteur résidant à Tours était chargé de ces « protestants disséminés », parmi lesquels on compte de nos jours quelques couples d'immigrés hollandais se réunissant à Sainte-Catherine- de-Fierbois. Au Sentier, il venait de temps en temps pour faire des veillées avec des éclaireurs ou bien prêcher le catéchisme à la Grand'Maison, l'ancienne épicerie, actuelle demeure de Madame Laudy. Mutation accélérée de nos campagnes...

DRAME AU BORD DE LA VIENNE

Nous sommes en 1880, au bord de la Vienne, dans la partie aval du Vieux-Ports (commune de Ports). La rivière lèche un ver- sant raide au sommet boisé, digne, par sa verticalité, d'une falaise maritime. L'été est chaud dans ce site superbe où l'érosion fait apparaître la craie marneuse blanchâtre. A toucher les premières maisons du hameau, les cheminées de deux usines fument en ce 11 août, car on vient d'allumer les fours pour la nuit. Intéressons-nous à la première usine, celle de Monsieur Gris, de Nantes. Elle se compose de six fours à chaux construits dans l'intérieur de la falaise. La pierre à chaux est extraite sur place dans six galeries pénétrant jusqu'à 100 m sous terre ; la centrale se prolonge même jusqu'à 160 m avec des déve- loppements sur 150 m de large. Il y a des galeries sur plu- sieurs niveaux, ce qui permet maintenant de charger une partie des fours avec de la pierre arrivant directement des galeries supérieures. Lorsqu'on a fait sauter quelques piliers de façade et fait reculer la paroi pour construire les nouvelles installations, cer- tains ouvriers ont dit que cela pourrait compromettre la solidité des galeries car il y avait trop de « recoupés », de boyaux trans- versaux. Mais ces remarques sont passées inaperçues dans cette période d'expansion. L'établissement est florissant, il produit 200 000 sacs de chaux hydraulique par an envoyés dans la France entière et appréciée au même titre que la chaux de l'usine de Paviers, propriété de Monsieur le marquis de Quinemont. Tous les jours, l'entreprise Gris livre à 6 à 7 wagons de chaux à la gare de Ports-de-Pile. Il y a parfois 50 ouvriers au travail, mais la moisson bat son plein et il n'y a eu, ce matin, que 26 ouvriers à l'appel. Il est 18 h 25 et de l'une des galeries nord sortent deux che- vaux tirant toute une file de wagonnets remplis de pierre. Quelle activité de part et d'autre du chemin ; d'un côté, les quais avec les tas de charbon arrivés par bateau et divers matériaux, de l'autre, sur 200 m, le magasin, la maison du directeur, Monsieur Tissier, qui vit là avec sa nombreuse famille, des bureaux, une écurie, des ateliers de part et d'autre des galeries. Au-dessus de ces installations basses, une terrasse récemment aménagée porte les cheminées, la machine à vapeur qui fait fonc- tionner le monte-charge pour remplir les fours de lits alternés de pierre à chaux et de charbon, la pompe pour élever l'eau et éteindre la chaux et, enfin, des meules et des broyeurs. Il est 18 h 30 ; trois charretiers pénètrent dans les galeries pour y prendre leur chargement de chaux. A ce moment précis, le contremaître Lagerbe, aimé de tous et placé près des fours, entend des craquements souterrains ; il s'empresse de donner l'alarme et crie aux ouvriers : « Sauvez-vous ! Nous sommes perdus ! » A peine a-t-il prononcé ces mots qu'il est broyé par des rochers... Sur 150 m de long, tout le haut du coteau s'affaisse et glisse sur les installations qui s'effondrent dans un bruit ter- rible, analogue à celui de la foudre, et tombent jusque dans la Vienne, au milieu d'un nuage de poussière et de fumée. On ressent la secousse jusque dans le village de Noyers, de l'autre côté de la Vienne, où habitent des ouvriers ; d'ailleurs, les pre- miers habitants qui arrivent au bord de la rivière pour voir ce qui se passe découvrent qu'il n'y a plus d'usine... Il y a 25 morts, mais on ne le sait pas encore. Nous avons puisé nos sources dans le Journal d'Indre-et-Loire qui, par deux fois, a envoyé sur place un journaliste qui signe « X. de B. » : le 15, avec parution le 16 et le 17, et le 19 août avec parution le 21 et le 22. Nous le citerons parfois. Avant de pour- suivre, faisons un peu de géologie. De haut en bas de la colline se succèdent les couches suivantes : — 1 m de terre ; — 2 m de « tuf » (calcaire pulvérulent) et de calcaire fragmenté ; — 20 à 21 m de rocs séparés par du « tuf » ; — 0,50 m d'une pierre tendre comme du savon, bleuâtre, et que les ouvriers appellent le banc bleu (1) ; — l'épais banc de pierre tendre exploité pour la fabrication de chaux hydraulique. Les trois couches du sommet (en particulier celle des blocs séparés appelés « blocs roulants »), soit toute la partie supé- rieure et moyenne du coteau, vient donc de glisser, poussant les bâtiments jusque dans la rivière. On découvre tout d'abord, dans un état horrible, le cadavre de Louis Chavenet qui travaillait près d'un four : « les côtes avaient été complètement dégarnies des chairs ; le reste du corps était carbonisé ». Le fourneau qui s'était fendu sous la pression l'avait recouvert de charbons enflammés et de calcaire brûlant. On retire le cadavre de Charles (7 ans), l'un des fils du directeur « écrasé, réduit en pâté ». A la nuit, arrivent de Châtellerault des militaires du 32 de ligne, mais ils manquent de lampes. Des ouvriers employés à la construction du chemin de fer de Port-de-Piles à Preuilly, les relevèrent le lendemain, 12 août, à 10 heures. « On répète encore

(1) Le même banc en dessous duquel ont été forés toutes les galeries de l'usine de Paviers, soit 19 km au total jusqu'en 1989. que plusieurs malheureux ensevelis sous le coteau pourraient être retirés vivants. C'est l'opinion de ceux qui ont échappé au désastre, mais elle n'est pas partagée, nous dit-on, par les per- sonnes qui se sont rendues (sic) compte de l'état des lieux. » Ce numéro du 13 août montre déjà, et cette impression sera plu- sieurs fois confirmée, la confiance totale que le journal met dans l'ordre établi. A priori, ce que disent les ouvriers est moins crédible que ce qu'affirme la direction de l'usine... Le 12 août donc, on retire de la Vienne, dans la matinée, le corps d'un ouvrier. A 12 heures, on a récupéré 11 cadavres ; il en manque encore 13, écrit-on. A 16 heures, ce même jour, à Mauvières, près de Loches, trois hommes occupés à extraire de la pierre (dans les actuelles champi- gnonnières) sont victimes d'un bloc qui s'est détaché de la voûte... deux seront écrasés. Ceci, pour montrer la fréquence de ce type d'accident. Dans cette craie tendre et souvent humide du Vieux-Ports (bien des galeries de l'époque sont noyées de nos jours), on avait aménagé des accès trop larges (11 m). Il y aura d'ailleurs un autre effondrement, sans victimes celui-là, en 1886, dans une galerie de La Dulanderie. Maurice Vincent, le champignonniste de Ports, qui a repris, après la dernière guerre, une partie des carrières de la zone accidentée a été dissuadé de continuer. Il découvrit que 30 m de galerie s'étaient effondrés pendant un week-end, qu'il avait perdu tout le matériel qui s'y trouvait et qu'il aurait pu perdre ses ouvriers. Il a préféré creuser de nouvelles galeries plus étroites et mieux profilées, qui n'ont jamais bougé. Revenons au drame. Le 15 août, on annonce une souscription en faveur des vic- times. On n'a pas encore pu déblayer jusqu'aux fours ; la pro- gression est dangereuse. On découvre un corps près de celui d'un cheval attelé, puis « le corps de Bruneau, âgé de 15 ans, originaire du Petit-Pressigny ». On travaille jeune dans les car- rières. La foule est si considérable qu'un factionnaire l'empêche d'approcher. « Plusieurs artistes envoyés par les journaux illustrés de Paris dessinent le lieu de l'écroulement. » Le journaliste constate dans le bois, au sommet du coteau, des fissures et des infiltrations et un affaissement récent en demi-cercle de 15 à 20 cm sur 150 m de long ! Quand on y jette des pierres, elles mettent fort longtemps à tomber. Le 16 août, quinze des meilleurs ouvriers de l'usine de Paviers sont envoyés par le directeur Guillemain pour essayer de percer une galerie, à l'ouest des anciens magasins, par laquelle on veut arriver là où l'on pense que cinq ouvriers ont pu survivre ; des mineurs des houillères de Chalonnes (au sud-ouest d'Angers) les relaient dans cette opération. La liste des victimes est publiée le 17 ; la famille du directeur est terriblement éprouvée. Seuls un garçon de 13 ans et une petite fille sont saufs ; le directeur est blessé au visage ainsi qu'un fils de 18 ans, légèrement atteint ; sont décédés : Camille, 3 ans, Berthe, 5 ans, Charles, 7 ans, Aglantine la mère, qu'Eugénie Trouillet, 19 ans, tient encore par la taille ; elle voulait sans doute la faire sortir d'urgence. Le meuble où le directeur avait ses économies a probablement été projeté dans la Vienne. On repêche à Nouâtre, à 4 km du lieu de l'accident, les grandes portes du magasin. On retire deux personnes ; stupeur, on découvre une victime imprévue (blessée assez grièvement) : Louis Rabusseau, qui passait sur la route au moment de l'écroulement. Le journal dresse un état des familles sans ressources et des entraides en cours. Le lendemain 17 août, on retire deux autres corps. Ils étaient dans la partie de l'usine appelée « les chambres d'immersion », mais les cadavres sont en état de décomposition avancée. Le 18, on publie la première liste des souscripteurs, le 19 : rien dans le journal, le 20 : la-deuxième liste. Le journaliste avait écrit, à la date du 19 août (paru le 21) : « La nuit dernière, alors que les travaux étaient suspendus, un éboulement partiel a eu lieu près des fours. Un énorme rocher est venu tomber au milieu de la route », « ... à 10 heures et demie, un mouchoir apparaît, ce pourrait être celui de Louis Couturier : la dernière victime à découvrir ; cet homme se trouvait alors à l'entrée des fours ». Le journaliste a remarqué, le long du coteau, nombre d'infil- trations (elles existent toujours marquées par la présence de Deux des bombes allemandes photographiées en 1980 dans les landes de Cravant au moment des défrichements et des labours. Celle de gauche est une bombe métallique de 50 kg avec fusée latérale bien visible ; celle de droite est une bombe fumigène en béton, de 250 kg, avec empennage métallique, deux logements pour capsules fumigènes et l'emplacement circulaire de la fusée qui a été démontée (cliché J.-M. Couderc). Le général Leclerc à Rouziers, le 29 juin 1947, à la sortie de l'office. Accompagné de son aide de camp, le colonel de Valence, il revient aux Grandes Maisons chercher sa voiture (cliché G. Terrien).

Le même jour, au moment de son départ, le général Leclerc et son Auto-Union blindée prise à Hitler au Berghof ; à droite, derrière la haie, le colonel Lannusse, la colonelle et le colonel de Valence (cliché G. Terrien). touffes de choin noircissant dans la paroi), provenant soit de sources, soit d'eaux pluviales. Un ouvrier interrogé affirme : « que ces infiltrations sont permanentes et que, selon lui, elles peuvent provenir des pluies. Il ajouta qu'après l'hiver dernier, pendant lequel le coteau avait été couvert de neige sur deux mètres de hauteur, les carrières, selon son expression, étaient suantes. L'eau qui coulait le long des murs était parfois fort gênante pour les travaux d'extraction de la pierre ». Le 22 août, le journal aborde le problème des responsabilités : « On dit sur place que des symptômes auraient pu permettre de prévenir »... « une lourde responsabilité incomberait à certaines personnes »... On parle de galeries trop larges et de piliers trop étroits. « Ceux qui bordaient les magasins et la maison d'habi- tation auraient été amoindris pour construire l'établissement et n'étaient plus en état de soutenir la masse du coteau. On conclut alors à l'imprudence du propriétaire et du directeur, qui, ne tenant pas compte de cette situation et des dangers qu'elle pré- sentait, auraient, avec une légèreté impardonnable, compromis la vie de nombreux ouvriers. » Le journaliste a-t-il peur d'en avoir trop dit ou avance-t-il maintenant ce qu'il croit ? X. de B. écrit : « En alléguant ces prétendues constatations sur le peu de solidité des piliers et sur la trop grande portée des arceaux, on semble ignorer que l'on mettrait ainsi en doute, jusqu'à un cer- tain point, la vigilance de l'autorité. » Il semble qu'en 1880 le travail des journalistes ne soit pas aussi aisé que de nos jours. On peut, en effet, douter qu'il croie à ce qu'il écrit ensuite : « L'exploitation... se trouve placée sous la surveillance d'une administration dont la haute compétence et la sollicitude éclairée sont bien connues. » Il évoque ici les ingénieurs des mines et conclut : « Il est sage d'attendre les résultats de l'enquête. » Le 23 et le 24 août, le journal annonce que le corps de Cou- turier, le dernier disparu, n'a toujours pas été découvert et publie une nouvelle liste de souscripteurs. Il ne publiera plus rien par la suite. Y a-t-il des traces visibles de cette catastrophe ? Pratiquement aucune : quelques pans de murs à l'emplacement de l'avant- dernière maison du hameau située près de deux fourneaux anté- rieur, et des éboulis. En janvier 1986, le dégel et les glissements de terrain ont dégagé, pour une brève période, la base en briques d'une des cheminées d'un four effondré, à une quarantaine de mètres de la dernière demeure. Ce qui est beaucoup plus curieux, c'est que l'événement ne survit pas dans la mémoire des habitants. La propriétaire de la dernière maison, construite, il y a 25 ans, à l'emplacement de la zone de l'accident, a appris l'existence de ce dernier de notre bouche. Pourtant, un peu plus en amont, un homme de 76 ans, dont la grand-mère tenait un café à cet endroit, était au courant, mais n'en avait jamais parlé à ses voisins. Nous n'avons pas trouvé la moindre tombe des victimes dans les cimetières de Ports et de Noyers qui, d'ailleurs, n'ont pratiquement plus de tombes, au moins identifiables, de cette date. Enfin, il n'y a nulle part de plaque commémorative...

UN NAVIRE ALLIE, UN AERODROME FRANCAIS, DES BOMBES ALLEMANDES ET UN VILLAGE RUSSE DANS LES LANDES DE CRAVANT

Quelle densité et quelle richesse de vécu dans les landes de Cravant, désormais inhabitées, pour qui sait les faire parler. Nous avons eu la chance de commencer à démêler l'écheveau de leur passé. Nous renvoyons le lecteur aux découvertes dont nous avons fait part dans le premier tome de la Tour aine Insolite : alignements protohistoriques, anciens champs protohistoriques ou antiques, établissements de charbonniers et de métallurgistes romains, fermes modernes en ruine. Lorsque nous y avons commencé nos recherches, nous avons été très vite confrontés à la présence d'innombrables matériels de guerre de toutes époques. En effet, dans le vaste ensemble de 4 000 ha des landes du Ruchard, la moitié fut louée, en 1873, par les militaires pour s'entraîner. Cette partie garde seule ce nom et l'autre prit le nom de landes de Cravant. Lorsque nous examinâmes le site de la villa gallo-romaine proche de la ferme de Saint-Hubert à , qui venait d'être défriché, nous trouvâmes un obus de marine français perforant (calibre 77 mm), modèle 1882, à double chemise de plomb, ainsi qu'un fragment d'un obus explosif de 83 mm, modèle 1870 et, par contre, un obus de 20 mm d'aviation flambant neuf. C'est qu'autour du camp du Ruchard proprement dit, il y a, lors des tirs, une zone de sécurité signalée par des panneaux et des chif- fons rouges qui déborde largement sur les landes de Cravant et de Panzoult et englobe plusieurs fermes. Le fermier de Saint- Hubert avait jeté une tomberée d'obus dans une mardelle, près de chez lui, et y avait mis le feu ! Heureusement, ils brûlèrent sans exploser ! Travaillant sur les sites archéologiques en compagnie d'un correspondant des services de déminage, je me familiarisai donc avec les engins. Je découvris, au nord de la Fosse Sèche, des fragments d'obus de 105 mm de la Première et de la Seconde Guerres mondiales. En effet, les Allemands s'étaient livrés, de mai 1940 à septembre 1940, à des exercices de tirs d'artillerie ; leurs canons étaient au Vieux Bourg, et ils tiraient sur Fosse Sèche et Branche Torse. Après la guerre, il y eut des tirs anglais et français, où l'on utilisa du matériel allemand, et des tirs réels d'aviation avec des calibres de 20 à 37 mm. Lorsque les défrichements gagnèrent le cœur des landes, du Chêne de la Mariée vers la Fosse Sèche, la Fosse Robert, puis le Carroi des Jarries, les labours mirent à jour énormément de bombes allemandes, métalliques ou en béton de 50 à 250 kg. Je me rappellerai toujours mon compagnon démineur à cheval sur une bombe métallique de 50 kg (avec une fusée métallique n° 15 qui aurait pu être piégée anti-retrait), essayant en vain de dévisser l'accès (central) au mécanisme. De mon côté, je faisais de la prospection archéologique en suivant un sillon qui m'emme- nait dans la direction opposée... Les bombes en béton de type « corps de pompe » étaient de loin les plus nombreuses, les unes fréquemment cassées par la moitié, les autres intactes. Je sus que c'étaient des bombes d'exercice allemandes dont la fusée portait l'abréviation EL AZ (détonateur électrique à percussion), pourvues d'un empennage métallique et de trois cavités rectan- gulaires allongées, dont certaines portaient encore, à l'intérieur, des ampoules d'oxyde de titane, un liquide de couleur jaune ! Au centre était l'emplacement d'une modeste charge destinée à casser la bombe en deux pour briser les ampoules, ce qui provoquait une fumée permettant de marquer l'objectif. Les Allemands s'entraînèrent ici à des bombardements pendant toute la durée de la guerre. Lors des travaux de labours pour les reboi- sements du périmètre du groupement forestier des landes de Cravant, de 1978 à 1980, il arrivait que les conducteurs d'engins trouvent des ampoules intactes, sorties des bombes. Il me souvient d'une fin de journée où deux conducteurs se battirent fictivement et à distance, les ampoules remplaçant les grenades à manche... ce qui représentait quand même des risques, l'oxyde de titane étant toxique ! Très décoratives, les bombes en béton non éclatées servent désormais, à l'entrée des propriétés du sec- teur, de piliers pour porter des chaînes, ainsi à Nueil (Cravant) et à la sortie est de L'Ile-Bouchard. On en voit aussi dans les parages du camp d'aviation de Parçay-Meslay où l'on pratiquait des exercices comparables. A Cravant, nous en avons trouvé une étonnante densité en deux endroits : sur la parcelle de La Branche Torse, près du Chêne de la Mariée et jusqu'autour de La Fosse Sèche, et par ailleurs, à proximité des Jarries. Dans le premier cas, nous pûmes arriver après les bulldozers qui défrichaient, et avant les tracteurs qui labouraient. Comme nous faisions fréquemment des photographies aériennes, nous pûmes voir, d'abord grâce à la densité des trous de bombes de un mètre de diamètre en général, puis, en raison d'une légère surélévation du terrain, que se des- sinait par la négative une forme oblongue, pointue à l'avant et ronde à l'arrière... celle d'un navire dessiné par une plateforme de terre tenue par un gabarit en planches. Lors d'exercices, les bombes avaient été larguées sur un... cuirassé allié grandeur nature. A proximité du Carroi des Jarries, nous ne retrouvâmes rien d'autre que de nombreuses bombes en béton, à toucher le petit bois de la Sablonnière, laissé intact. En travaillant sur des photo- graphies aériennes anciennes du bois, lorsque les pins commen- çaient à pousser, je découvris trois séries de fossés concentriques s'apparentant à des fortifications en terre. Je l'insérai parmi un ensemble de découvertes archéologiques faites dans la lande, destinées à la publication. Bien m'en prit d'en parler auparavant à Léonce Augelliaume, l'ancien maire, souvent consulté au sujet de l'histoire des landes. Il me dit qu'à la place de l'ancien bois se trouvait une cible en terre réalisée pour les avions ; elle n'avait donc rien à voir avec une triple enceinte, et je comprenais pourquoi le secteur était truffé de bombes d'exercice. De la même façon, je pus reconstituer les travaux militaires de la période française, de 1933 à 1940, au nord de la Taille aux Pères. L'armée installa un terrain d'aviation de secours entre La Basse Tranche et le Vau d'Eau, à l'est de la route menant à La Taille aux Pères. Il servit une fois, le 15 juin 1940. Deux Dewoitine 520, chasseurs flambant neuf, s'y posèrent à court d'essence. Ils venaient de Toulouse et s'étaient perdus en gagnant Avord ; le Ruchard leur fournit du kérosène. Le sous-lieutenant Bevillard et le sergent Gouzi décollèrent le 16 mai, mais l'avance allemande était telle que le soir ils étaient à Perpignan après être passés à Avord, et le lendemain à Alger. Je découvris aussi une très longue plate-forme de terre de 0,80 m de haut qui fut aplanie par les bulldozers, et quand je tombai sur un blockaus, je compris qu'il s'agissait d'une ban- quette de tir. Connu des habitants et toujours visible, ce blockaus, construit par l'armée française, est situé en bordure nord-est du pare-feu de La Taille aux Pères, à environ 500 m au nord de l'ancienne ferme de la Boissée Goron. Il a servi à la fin de la guerre de lieu de rendez-vous pour les hommes du village pré- parant la libération. J'eus l'occasion de commencer à fouiller un cercle de blocs dressés, pré ou protohistorique, à environ 300 m plus à l'est ; au pied du bloc de pierre central, je recueillis six douilles, 5 du fusil mitrailleur français en service entre les deux guerre et une d'une mitrailleuse anglaise Vickers. J'appris que quelques régiments français en avaient été dotés à partir de 1993-1934 et, grâce aux dates des douilles, je devinai que les tirs avaient été effectués en 1937-1938. On avait simplement choisi cette structure archéologique parce qu'elle était sur un point dominant de toutes parts et que les rochers constituaient un excellent poste de tir. Comme quoi quelques douilles peuvent contribuer à éclairer l'archéologie d'un paysage. En 1942 ou 1943, les Allemands construisirent plus à l'ouest, du côté de la Maison Rouge et plus précisément en bordure de l'allée de l'Eguéltin, un village russe avec des panneaux de décor. Le propos était le suivant : tourner une scène d'attaque d'un vil- lage censé se trouver quelque part en Ukraine ou sur la Volga, et réaliser ainsi, sans grands frais, un message de propa- gande. J'avais lu une très courte allusion à ces faits dans un ouvrage, dont je n'ai pu me remémorer le titre, où il était dit qu'une personne de la région avait d'autant mieux reconnu le site dans une bande allemande d'actualités que l'on voyait, le temps d'un flash, une route avec une borne bien française et la mention « Chinon 8 km ». Si je ne pense pas cette dernière mention vraisemblable, le reste est parfaitement authentique. A ma demande, P. Doireau, ancien maire, a retrouvé un témoin qui possédait une pièce de lande, non loin, et qui assista à une partie du tournage. Les Allemands avaient installé un réseau de fils de fer bar- belés devant les maisons ; ils étaient allé chercher quatre ou cinq clochards sur le coteau de Sainte-Radegonde, à Chinon, les avaient vêtus de guenilles et fait tourner selon leurs instructions. A travers les fumigènes, les Allemands progressaient, coupaient les barbelés, faisaient sortir les faux habitants russes (haves et miséreux) qui levaient les mains en l'air et acclamaient leurs libérateurs. Des carrés de papier blanc étaient même disposés sur les buissons pour donner l'illusion de la neige. Un autre jour, notre témoin voulut pénétrer dans une casemate désertée... C'était sans doute celle qui, dominée par un pylone et maintenant détruite, servait aux Allemands à régler leurs tirs d'artillerie et qui se trouvait tout à fait à l'extrémité ouest du chemin du Petit-Eplin (avant le carrefour avec le chemin allant de la Bellas- serie au Jeu de Boules). Il eut la surprise de tomber sur deux soldats allemands... des mannequins heureusement, qui avaient dû figurer sur le film en question. Je verse ces faits comme une modeste contribution à l'histoire de l'occupation allemande en Touraine. LE GENERAL LECLERC ET LE GENERAL DE GAULLE A ROUZIERS

La principale place de la commune a été nommée « Place Général-Leclerc ». Si vous visitez la salle du conseil municipal, vous verrez l'un des vingt exemplaires du document « Le ser- ment de Koufra est tenu », signé à Strasbourg, le 24 novembre 1944 (1), lors de la libération de la ville par le général Leclerc. On voit, à côté, la photographie du grand soldat prise alors que, dans son engin blindé, il faisait son entrée dans la cité. Pourquoi cette présence du libérateur de Paris à Rouziers ? C'est que le général Leclerc est venu là rendre visite à l'un des colonels de sa deuxième Division Blindée : le colonel de cavalerie Lannusse, originaire d'une vieille famille française émigrée en Argentine, comme le rappelle son nom complet : Paul-Pierre-Manuel de los Sagrados Corazones de Jesus y Maria Lannusse. Il avait épousé une Américaine et acquis le château des Grandes Maisons, à proximité du bourg, le 26 décembre 1946, demeure qu'il céda le 25 janvier 1966. Chose curieuse, le capitaine Leclerc avait d'abord été sous ses ordres avant que le destin ne mette le colonel Lannusse sous son commandement. Vers le 15 juin 1947, le colonel prévenait la municipalité que le général viendrait au château, le 28 juin, pour présider un bal de bienfaisance donné au profit des œuvres sociales de la 2 D.B. et tout spécialement des orphelins. Guy Terrien, le secrétaire de mairie, fut chargé de l'organisation et du bon déroulement de la réception. Avis de la venue du général fut donné à la population du bourg et des communes voisines, et l'on demanda à E.D.F. d'installer des projecteurs dans la rue « de la Gare » par où les voitures officielles devaient arriver, ainsi que rue de Tours, depuis la place de l'Eglise jusqu'au château. Le 28 juin, vers 22 heures, par une belle soirée d'été et devant un détachement de spahis, le général Leclerc, accompagné de son aide de camp, le colonel de Valence, fut accueilli sur la place

(1) Jour où il écrivit à son compagnon du Tchad : « Mon vieux Dio, maintenant on peut crever. » principale par le maire et le premier adjoint. Il descendit de son Auto-union blindée, une des célèbres voitures de Hitler prises au Berghof (2). Portant au bras sa canne légendaire, il se dirigea vers la mairie. Devant les arcades tricolores et les illuminations du bâtiment, il dit très simplement, en levant les bras : « Mais c'est le 14 juillet avec un peu d'avance ! » C'est là que Guy Terrien lui demandera de bien vouloir faire don d'une photo dédicacée à la commune ; Leclerc appela le colonel de Valence pour qu'il note cette requête. C'est la photographie que l'on peut voir dans la salle du conseil, au verso de laquelle le général a écrit : « A la commune de Rouziers, en souvenir de son émouvant accueil, signé Leclerc, le 2 juillet 1947. » Le général gagna ensuite le château pour la réception et le bal où chaque invité devait faire don de 100 francs, somme alors importante. Kaléidoscope de robes longues, de costumes mili- taires, d'habits et de parures, ce fut une brillante réception qui se termina à l'aube. Lorsque les voitures du préfet et du général commandant la place de Tours démarrèrent, on entendit un grand tintamarre... le personnel du château avait accroché des bidons vides sous les deux voitures. Chaque chauffeur dut descendre, dans l'hilarité générale, au début de la route de Tours, pour décrocher ces objets insolites. De telles facéties seraient-elles encore possibles à notre époque compassée ? Le 29 juin, à 10 h 30, eut lieu l'office religieux. Des Grandes Maisons à l'église, le général passa devant une haie d'honneur. Le secrétaire de mairie-organiste joua une marche militaire à l'harmonium, et on chanta un Te Deum à la fin de l'office. Aussitôt après, Leclerc regagna l'aérodrome de Parçay-Meslay pour Paris. Il avait émis l'intention de revenir pour le prochain arbre de Noël, mais un accident d'avion, au mois de novembre, lui coûta la vie près de Colomb-Béchar. On parla d'un vent de

(2) Le colonel Lannusse possédait, de son côte, d' autres prises de guerre, en particulier un sabre ayant appartenu au maréchal Goering. Il remit à Guy Terrien les deux tomes d'un ouvrage issu des collections personnelles du même maréchal (authentifiés au Berghof, le 4-05-1945, par un tampon de la 2 D.B.) : « Théodore Chasseriau. Sa vie, son œuvre », par Léonce Bénédite. Manuscrit inédit, publié par André Dezarrois (Editions Braun, Paris). sable et même d'un attentat... Fait insolite et inexpliqué, on trouva un cadavre de trop dans les débris de l'appareil. Le général de Gaulle est venu à Rouziers, le 29 octobre 1949, mais sa visite est passée beaucoup plus inaperçue parce que non officielle. Il a présidé, chez le colonel Lannusse, une réunion d'environ 300 amis politiques du Rassemblement du Peuple Fran- çais. Celle-ci dura deux heures, puis, vers 18 heures, il repartit avec sa Delahaye, comme il était venu, discrètement, par la porte du fond de la propriété donnant sur la route de . Quand il vint à Tours, en juin 1951, pour la campagne électorale, le jour où, dépliant ses grands membres, il lança au stade-vélodrome son célèbre : « Vous êtes tous là, vous que voilà ! », il ne prit pas le temps de repasser par Rouziers. Il en fut de même quand il revint comme Président de la République, en 1959.

La Touraine cocasse

LE MARQUIS DE BIENCOURT ET LES PRUSSIENS

Après la défaite de 1870, les Prussiens occupèrent une partie de la Touraine. Le château d'Azay-le-Rideau, qui appartenait à la famille des Biencourt depuis 1791, fut occupé par douze officiers faisant ripaille aux frais du propriétaire. Ils invitaient leurs camarades de Tours, se faisaient servir trois grands repas par jour et commettaient de nombreuses déprédations. De surcroît, le 19 février, le prince Frédéric-Charles de Prusse arriva de Tours accompagné du Kronprinz Frédéric-Guillaume et de son état-major. Ils y festoyèrent aux frais de la commune et de la ville de Tours qui aurait payé de 8 à 900 francs par jour. Le Journal de Chinon (hebdomadaire paraissant le dimanche) publia, le 12 mars 1871, après le départ des Prussiens, un article faisant le bilan de l'occupation du château par 900 hommes et 600 che- vaux pour la période du 19 janvier au 1 mars. Les Teutons auraient consommé 88 682 kg de viande, 125 462 kg de pain, 6 776 kg de riz, 12 382 kg de pommes de terre, 6 658 kg de café tor- réfié, 3 883 kg de sel, 6 491 kg de haricots, bu 91 955 litres de vin et brûlé 795 kg de chandelles. Un gouffre pour une période d'un mois et demi ! Seule la présence d'invités peut expliquer que chaque homme ait bu en moyenne 2,9 litres de vin par jour, à moins que ces chiffres, par trop détaillés, et que ce bilan impres- sionnant n'aient été gonflés par la municipalité... dans l'espoir d'une quelconque indemnité ? En effet, l'occupation, n'ayant commencé que le 9 février et s'étant terminée le 9 mars, n'aurait duré que 35 jours. Quand Charles-Marie-Christian, quatrième mar- quis de Biencourt, avait pu accourir de Paris, où il avait combattu pendant le siège, il trouva son château occupé de la cave au grenier et il put mesurer l'ampleur des dégâts. Vaissier, maire d'Azay, qui refusait de payer une contribution de guerre, dut s'exécuter sous la menace de l'emprisonnement du marquis. L'article du Journal de Chinon avait pour but d'introduire une lettre ouverte du marquis au prince Frédéric Charles, datée du 21 février et déjà parue dans un journal d'Angers le 28 février. Le prince l'a-t-il vraiment reçue ? Il n'en est pas ques- tion dans ses mémoires. La fin de l'occupation, le 9 mars, peut expliquer la date de parution. « Châlet d'Azay-le-Rideau, le 21 février 1871 (le marquis était relégué dans les communs). « Monseigneur, Il a plus à votre Altesse Royale de venir visiter le château d'Azay. En d'autres temps, j'eusse été très honoré de cette visite. Aujourd'hui, je suis forcé de dire à votre Altesse Royale combien je trouve ses façons étranges et grossières. N'oubliez pas, Monseigneur, que vous n'êtes pas au soir d'une bataille ; vous occupez le département d'Indre-et-Loire en vertu des conditions d'un armistice et rien ne vous donne le droit de venir chez moi, de vous y faire servir malgré moi, de manger mon pain et boire mon vin. Les gentilshommes de votre état-major, les officiers de votre armée et vous, ne savez rien des égards que les gens bien élevés observent entre eux ; vous ignorez le respect que, chez les nations civilisées, le vainqueur doit au vaincu. En vous asseyant à ma table, en vous faisant héberger à mes frais, en exigeant du vin de champagne que je n'avais point, vous me donnez le droit, dont je suis profondément triste, de vous parler comme je le fais. En voyant les façons de leur prince, je ne m'étonne plus des procédés parfaitement grossiers des officiers de votre armée qui souillent ma demeure et se font nourrir chez moi, à mes frais depuis le 4 février. Veuillez agréer, Monseigneur, l'expression des sentiments d'indignation que j'ai dans le cœur. J'ai l'honneur d'être, Monseigneur, avec le plus profond respect, de votre Altesse Royale, le plus humble ennemi. Marquis de Biencourt. P.S. On me dit que j'ai eu également l'honneur bien invo- lontaire de traiter à ma table son Altesse Royale le prince héritier. » Le 19 février, le jour de l'arrivée des princes, le lustre de la salle à manger, ébranlé par le martèlement des bottes, s'était écroulé sur la table au moment du dîner, et Frédéric-Charles avait cru à un attentat, d'autant que sa cavalerie, fréquemment attaquée dans la forêt de , allait, au total, perdre 17 hommes. Il avait menacé de prendre le marquis en otage et d'incendier la ville. On sait que cette dernière avait déjà brûlé en 1418 parce que la garnison bourguignonne avait insulté le dauphin, le futur Charles VII, et que les 350 hommes et leur capitaine avaient été passés au fil de l'épée. Quelques jours après la mort du marquis, dans le « Journal d'Indre-et-Loire du samedi 12 septembre 1914, un journaliste donne des précisions rocambolesques sur cette période ; mais le début de la grande guerre autorise toutes les exagérations : « La marquise de Biencourt (alors âgée de soixante-huit ans) n'était pas moins admirable que son fils. Au moment de quitter le château... que les Allemands avaient souillé d'ignoble façon, les officiers crurent devoir aller présenter leurs adieux à la marquise. Ils furent reçus de belle façon ! - " Adieu, Messieurs, leur dit-elle, j'espère ne jamais vous revoir. La France avait vu les Goths, les Ostrogoths et les Wisigoths ; il ne lui restait plus qu'à voir les Saligauds ! " » Le journaliste ajoutait même une scène difficile à croire, à savoir que pendant cette visite, quand le prince et son état- major se réunirent dans la cour peu avant leur départ, le marquis aurait fait avancer sa voiture, qui avait été, comme le reste, réquisitionnée par le prince, et y aurait fait mettre le feu, disant assez haut pour être entendu : « Maintenant, elle est purifiée. »

LE DEPUTE N'IRA PAS A POIL ! Ce matin-là, le député d'Indre-et-Loire, René Besnard, ancien ministre, commence à dépouiller son courrier. Une lettre retient son attention. Sous l'en-tête officiel « Comité d'Initiative du Centenaire d'Hégésippe Simon » figure une superbe maxime : Les ténèbres s'évanouissent Quand le soleil se lève ! Hégésippe Simon. Intrigué, le député lit : Monsieur le Député, « Le Comité me charge de rappeler à votre bienveillante attention la lettre que nous avons eu l'honneur de vous adresser sollicitant votre inscription au Comité du Centenaire d'Hégésippe Simon. Nous pensons que ce retard est dû aux trop nombreuses occupations que réclame l'accomplissement de votre mandat, mais votre présence à notre Comité est trop importante pour les intérêts que vous représentez... Nous nous permettons de vous rappeler que beaucoup de vos éminents collègues nous ont déjà répondu, dont MM. Paul Meunier, Dalbiez, Félix Chautemps... » Suivaient les habituelles formules de politesse. « Pour le Comité, Paul Birault. » Il ne se souvient pas avoir reçu de lettre à ce sujet, mais, en effet, cet Hégésippe Simon lui a été « recommandé » par son collègue Paul Meunier, député de l'Aube. Pourquoi, il est vrai, ne pas prendre part à la célébration d'un personnage historique ? Il sort son papier à lettre officiel à l'en-tête de la Chambre des Députés et écrit : « Paris, le 28 octobre 1913, Monsieur le Secrétaire, Je m'inscris bien volontiers comme membre d'honneur du Comité du Centenaire d'Hégésippe Simon, heureux de m'associer ainsi à l'hommage rendu à cette gloire de notre démocratie. Agréez, Monsieur le Secrétaire, l'assurance de ma considération la plus distinguée. » ... Notre parlementaire venait de donner tête baissée dans le panneau ! Comme lui, d'autres gros poissons mordirent sponta- nément à l'hameçon. Paul Meunier avait été le premier à donner son accord ! Félix Chautemps, le neveu de notre sénateur et René Besnard furent de ceux-là !