Partis Nationaux Ou Partis Kabyles ?
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Ouali Ilikoud* FFS et RCD : partis nationaux ou partis kabyles ? Abstract. SFF and RCD : National Party or Kabylia regional party ? After October 1988 and the establishment of a “new political formula” sanctioning a multi-party system, the Berber identity became a major issue for the partisan strategies of two Algerian parties: the Socialist Forces Front and the Rally for Culture and Democracy. The former is older and played a role in the emergence of the Berber cultural movement of the 1980’s. The latter is an offspring of the SFF movement and institutionalised with the introduction of the multi-party system in 1989. The article examines the identification strategies deployed by these two rival groups. They compete with public authorities and position themselves in the national political arena all the while appealing to community and ethnic roots and employing indigenous arguments. Completed in the late 1990’s, the study ultimately questions the diverse attitudes of Berber political actors who face increasing risks of regional and ethnic isolation: How can such parties rise above the regional context to represent a viable democratic alternative for Algeria? Résumé. Après octobre 1988 et la mise en place d’une « nouvelle formule politique » qui consacre le pluripartisme, l’identité berbère devient en Algérie, un enjeu majeur des stratégies partisanes de deux partis : le Front des forces socialistes et le Rassemblement pour la culture et la démocratie. Le premier est ancien et a participé à l’émergence dans les années 1980 du Mouvement culturel berbère. Le second est issu de ce mouvement et s’institutionnalise en parti à la faveur de l’instauration du multipartisme en 1989. L’analyse porte donc sur les stra- tégies identitaires déployées par ces deux formations rivales. Concurrentes auprès des autorités publiques et en termes d’ancrage territorial, elles déploient un discours culturaliste et localiste bien qu’elles se situent dans le champ politique national. Réalisée à la fin des années 1990, elle questionne en dernier ressort les diverses attitudes adoptées par ces entrepreneurs politiques berbéristes aux buttes aux pièges de l’enfermement régional et ethnique : dans quelle mesure peuvent-elles dépasser ce cadre régional et constituer une alternative démocratique viable en Algérie ? * Docteur en sciences politiques. Université de Paris 8. REMMM 111-112, 163-182 164 / Ouali Ilikoud Après octobre 1988 et la mise en place d’une nouvelle “formule politique” (Leca, 1988) qui consacre le multipartisme, l’identité berbère devient un enjeu majeur dans les stratégies partisanes du FFS et du RCD1. L’instrumentalisation de l’identité, ou ce qu’il est convenu d’appeler l’ethnicité, constitue une ressource politique pour ces entreprises politiques concurrentes en lutte pour imposer la “problématique légitime”. En effet, les élites politiques de ces partis mettent en œuvre des stratégies identitaires dans le champ politique tout en se livrant une guerre partisane. Comment et pourquoi ces deux partis rivalisent-ils alors qu’ils sont ancrés essentiellement en Kabylie ? Dans quelle mesure ces partis pourraient-ils dépasser le cadre régional et constituer une alternative démocratique viable en Algérie ? Aux origines du Front des forces socialistes et du Rassemblement pour la culture et la démocratie Le FFS est né, en 1963 d’une opposition armée dirigée par Hocine Aït Ahmed contre le pouvoir de Ben Bella. Si le mouvement avait au départ un caractère national, il devient durant le conflit frontalier avec le Maroc un parti kabyle autour de H. Aït Ahmed et de son aile culturaliste. L’échec de l’insurrection, en 1965, a radicalisé le courant culturaliste du parti qui joue un rôle important dans l’émergence du Mouvement culturel berbère (MCB) au début des années 80. Après l’instauration du multipartisme en 1989, le MCB se transforme en parti politique, le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) que dirige le Dr Saïd Sadi. Le Front des Forces Socialistes (1963-1999) Le FFS est né d’une insurrection armée déclenchée par des entrepreneurs poli- tiques en vue de changer les “règles du jeu politique” (Bailey, 1971) et renverser les rapports de force dans le champ politique en formation. Il est le produit à la fois de l’autoritarisme du pouvoir de Ben Bella et des prolongements de la crise de Pété en 1962. Certes, la crise était latente, puisque les acteurs étaient en compétition pour s’assurer le contrôle (voire le monopole) des appareils (ALN/ FLN) durant la guerre, mais elle a pris une tournure grave après l’indépendance autour d’un enjeu majeur : le contrôle de l’État, lieu du pouvoir, technologie de gouvernement et distributeur des biens matériels et symboliques. L’éclatement du FLN, en juillet 1962, en plusieurs pôles de décision a provoqué une compétition effrénée pour la prise du pouvoir. La rivalité entre les différentes 1. Le FFS (Le Front des forces socialistes) a été crée par H. Aït Ahmed en 1963 pour s’opposer au pouvoir de Ben Bella. Arrêté et condamné à mort en 1965, celui-ci s’évade de la prison (Maison Carrée), en avril 1966. Il rentre en Algérie en septembre 1989 après 23 ans d’exil. Le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) a été crée en 1989 par les animateurs du Mouvement culturel berbère d’avril 1980. Il est dirigé par S. Sadi. FFS et RCD. Partis nationaux ou partis kabyles ? / 165 factions du FLN se transforme rapidement en véritables affrontements armés en raison de l’absence de « mécanisme effectif de solution des crises » (Leca, Vatin, 1975 : 331). Le recours à la violence pour résoudre les conflits ne pouvait que favoriser le groupe qui possédait la force militaire, ou ce qui va devenir par la suite “l’appareil de la violence légitime”. Ainsi, le groupe militaro-bureaucratique en formation, va s’imposer et imposer sa force dans le champ politique algérien. En réalité, le groupe de Tlemcen, sous la direction Ben Bella, a su efficacement prendre le pouvoir en opérant un rapprochement tactique avec des personnalités politiques charismatiques comme Ferhat Abbas afin de régler le problème de la légitimité. Mais ce regroupement hétéroclite a trouvé face à lui une résistance, non pas de la part du GPRA (Gouvernement Provisoire de la Révolution Algérienne) contesté par l’ensemble des forces politiques, mais celle de personnalités fortes tel- les que Mohamed Boudiaf et Krim Belkacem qui ont créé une alliance le 26 juillet 1962 à Tizi-Ouzou, le CLDR (Comité de liaison pour la défense de la révolution). Malgré cette opposition, le groupe de Tlemcen se lance dans l’épreuve de force. Après quelques accrochages avec les troupes de la Wilaya IV (algérois), l’armée des frontières fait son entrée à Alger le 9 septembre 1962 et met Ben Bella à la tête de l’État. Ce processus peu démocratique de solution des conflits est générateur de crises2. Car, si l’accession de Ben Bella à la haute magistrature de l’État règle le problème de la légitimité, elle ouvre, cependant, le problème du pouvoir. Dans ce contexte, proche du GPRA au début de la crise, H. Aït Ahmed va très vite sortir de ce jeu politique où s’affrontent différentes factions. Le 27 juillet 1962, il annonce sa démission de tous les organismes directeurs de la révolution. Il garde ainsi sa neutralité face au conflit qui oppose la coalition de Tlemcen et l’alliance Krim-Boudiaf. Mais lorsque Boudiaf lance le 20 septembre, le premier parti d’opposition algérien, le parti de la révolution socialiste (PRS), Aït Ahmed semble quant à lui rentrer dans les rangs en acceptant de siéger à la première assemblée nationale constituante composée de candidats désignés arbitrairement par le bureau politique3. C’est au sein de cette assemblée constituante4, que M. Aït Ahmed va tenter de susciter un débat démocratique sur les vrais pro- blèmes de l’Algérie. Il cristallise ainsi autour de lui un groupe de députés qui se veut à la fois force de proposition et de critique. Mais, il se défend de constituer une opposition tout en admettant l’existence de points de divergence dans un discours à l’Assemblée nationale le 1er octobre 1962 : « Il serait certes maladroit voire dangereux, de parler d’opposition au sein de cette Assemblée, lorsqu’il y a divergences de vue ; lorsqu’il y a différences d’opinions. L’Assemblée nationale constituante, je l’ai dit, est composée de militants qui veu- lent servir la cause nationale à son deuxième stade, celui de l’édification et de la 2. Sur la crise de l’été 1962, voir Douence, 1964. 3. Il ne doit lui-même sa place qu’à M. Khider, un des vainqueurs de la crise et beau-frère de Aït Ahmed qui déclarait à ce propos : « J’ai accepté d’être député pour dire ce que je pensais de la crise, de l’avenir de l’Algérie, pour essayer de susciter des débats, sortir le pays de la crise de guerre larvée dans lequel il était ». Cf. H. Aït Ahmed, Interview, FFS informations, novembre 1989, n° 1. 4. Présidée par le libéral Ferhat Abbas qui démissionnera en 1964. REMMM 111-112, 163-182 166 / Ouali Ilikoud construction. Il est donc normal comme dans toutes les Assemblées de patriotes, qu’il y ait des points de vue divergents, ne serait ce que dans la méthode ; cela est normal. Mais parler d’opposition pourrait contribuer à faire naître celle-ci. Si j’avais le sentiment que mon action au sein de l’Assemblée pourrait cristalliser, en dehors d’elle-même, une opposition quelconque, je cesserais d’en faire partie » (Aït Ahmed, 1964 : 117-118). En réalité, Aït Ahmed trouve des points de convergence avec Ahmed Ben Bella.