ZÉRO PAPA, ZÉRO MAMAN !

Couverture du no 1076 — , 2013 Étude réalisée par Claire Chaperon, Justine Dumotier, Thomas Meugnot et Hadil Salih

Source : pour Charlie Hebdo

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne — Master 1 Direction de projets ou établissements culturels ENTRETIEN CONCEPTION

1 — CHARB, UN DESSINATEUR ENGAGÉ

Le dessinateur et journaliste Charb, de son vrai nom Stéphane Charbonnier, dirige la publica- tion du journal satirique Charlie Hebdo depuis 2009. Il publie également certains de ces dessins aux traits reconnaissables entre tous dans d’autres journaux comme : L’Echo des Savanes, Té- lérama, Fluide Glacial ou encore L’Humanité… Il est également l’auteur de différentes bandes dessinées comme Maurice et Patapon (Maurice est un chien bisexuel, anarchiste, aimant les excréments, la sodomie et le sexe tandis que Patapon est un chat asexuel, fasciste et ultra-li- béral, aimant la mort et la souffrance des autres). Dans Charlie Hebdo, sa chronique se nomme Charb n’aime pas les gens.

Dessinateur caricaturiste, Charb estime que rien n’est « impubliable » et qu’il ne faut pas céder sur certains sujets (notamment celui de la religion ou de la politique). Soutien de longue date au PCF et au Front de Gauche, Charb garde néanmoins un œil acéré sur les évènements po- litiques, économiques et sociaux. Ses thèmes favoris restent tout de même : l’extrême droite catholique, les intégristes musulmans, et bien sûr les personnalités politiques de tout bord et de toutes nationalités. Pour lui, la caricature et la provocation sont des moyens pour faire réagir, avancer et réfléchir.

2 — LE MARIAGE POUR TOUS COMME CONTEXTE POLITIQUE

Pour l’étude de la production de cette image, il est essentiel de comprendre le contexte poli- tique autour du mariage homosexuel ou « mariage pour tous ».

En , la loi pour le PACS (pacte de civile de solidarité), voté en 1999, est ouvert aux couples hétérosexuels comme homosexuels. Cependant, le PACS n’est pas signé en mairie mais dans un tribunal d’instance ou une ambassade, de plus il est sans effet sur la filiation et les relations familiales.

Le mariage homosexuel devient un enjeu politique important lors des élections présidentielles de 2007 (Ségolène Royal prenant position pour) mais surtout lors des élections de 2012. Dès sa nomination, le gouvernement de François Hollande œuvre pour l’écriture de la loi. Le débat qui a duré plus de six mois a provoqué de nombreuses réactions du côté de l’opposition. La majorité des Français n’étant pas opposé à l’union de deux personnes, mais la divergence se trouve surtout dans la question de la filiation. L’adoption par les couples homosexuels, la grossesse pour autrui (GPA), la procréation médicalement assistée (PMA) sont des sujets récurrents dans les débats. Dans ce contexte, l’opposition s’engage contre « une destruction

Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Conception 2 de la famille », les enfants étant le centre des arguments. Les manifestations voient fleurir de nombreux slogans comme « Un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants », « Tous nés d’un homme et d’une femme »…

3 — UN DESSIN ANCRÉ DANS UN CONTEXTE

Publié le 30 janvier 2013, ce dessin fait écho à l’actualité qui l’entoure. En effet, la veille s’est ouvert le débat parlementaire, et une manifestation a eu lieu pendant le week-end. Charb nous explique que pour faire ses dessins, il choisit des thèmes de l’actualité, en fait une liste puis en choisit un ou deux (dans le cas d’un dessin mêlant deux thèmes). À priori, il ne se force sur aucun thème, sauf, bien sûr, quand la nouvelle fait l’actualité (ex : élection du nouveau pape, mariage pour tous…). Ici il représente un enfant, centre des attentions de ce débat, pour en détourner l’image et prendre le contrepied du discours habituel, en exprimant un ras-le-bol. Il reprend les slogans utilisés lors des manifestations pour le radicaliser et se demander finale- ment si le bonheur ne serait pas « zéro papa, zéro maman ».

4 — UNE IMAGE SYMBOLIQUE

Dans ce dessin, la « patte » de Charb se reconnaît bien. En effet, la plupart de ses person- nages « ont tous à peu près la même gueule ». La différence entre un homme, une femme, une personne âgée, un bébé… va plus se ressentir dans la « dégaine » du personnage (cheveux, vêtements…). Le bébé est centré au milieu de la page, il tient une mitraillette, une arme aussi grosse que lui, à ses pieds on peut voir les pieds de ses parents (à gauche le père et à droite la mère). Le personnage central n’a pas vraiment d’expression, on pourrait croire à un sourire où sort une goutte de bave. L’arme qu’il tient est encore fumante, preuve que le crime vient d’être commis, pour le dessinateur, cette arme était « la forme radicale pour exprimer ce ras-le-bol [celui du débat du mariage pour tous] ». Les victimes de ce personnage se trouve à ses pieds, on peut reconnaitre le père de la mère grâce à leurs vêtements (pantalon pour le père, jupe pour la mère). Les couleurs utilisées sont très criardes, pour pouvoir se voir de loin, et « taper dans l’œil » du futur acheteur. La réalisation de ce dessin s’est fait de manière très rapide, il n’y a pas eu plusieurs ébauches avant d’arriver au dessin final, tout se fait en une seule fois. C’est le principe d’une « ligne sale », chère au dessinateur et privilégiant l’efficacité du moment. Charb dessine d’abord la scène en noir et blanc puis il fait lui-même ses couleurs : « je fais le dessin, puis je le colorise à l’ordinateur ». Cependant, pour lui, les couleurs utilisées n’ont pas de symbolique. En effet, on aurait pu croire que de colorier l’habit du bébé en bleu est un signe de la volonté de masculiniser ce personnage, mais pour le dessinateur « ça aurait pu être du rose, ou autre chose ».

L’utilisation des mots, sous forme de slogan, « le bonheur c’est zéro papa, zéro maman », est une volonté de reprendre les slogans entendus à tout va dans la presse et sur les chaînes de télévision, « une manière de dire stop à ce débat imbécile. Tranchons une bonne fois dans le vif ! ».

Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Conception 3 ENTRETIEN DIFFUSION

1 — UNE LIGNE ÉDITORIALE BASÉE SUR LA SATIRE

Cette image s’inscrit en tant qu’élément dominant d’une Une de l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Journal d’opinion, réputé pour son sens de la satire. Elle prend donc place dans un processus de diffusion de masse visible par le plus grand nombre, principalement dans les kiosques et maisons de la presse.

Charlie Hebdo naît en octobre 1960 sous le nom de Hara-Kiri mensuel, avant de devenir heb- domadaire en 1969, à l’initiative du dessinateur humoristique François Cavanna et de l’écri- vain Georget Bernier, plus connu sous le nom de . En 1970, à la suite d’un scandale médiatique suivant la mort du Président Charles De Gaulle, Hara-Kiri est censuré par le Ministre de l’Intérieur. L’équipe du journal fonde alors Charlie Hebdo le 23 novembre 1970, publié jusqu’en 1982 puis arrêté pour raisons financières.

En 1992, décide de renouveler le journal avec les auteurs et illustrateurs de la première génération. En 2009, Charb devient directeur de la publication à la suite du départ de M. Val.

Journal satirique, Charlie Hebdo est connu pour son esprit critique et son engagement poli- tique, moins radical qu’à son origine mais demeurant marqué en faveur d’une gauche écolo- giste, antiraciste et antifasciste. La place donnée à l’illustration est signé d’un certain militan- tisme où textes et caricatures deviennent les armes d’une « guerre », pour reprendre les mots de Philippe Val, pour la démocratie. Cette liberté d’expression, parfois arborée de manière pro- vocante, lui aura valu de nombreux procès de la part de personnalités politiques et religieuses dont la liste est affichée sur le site de l’hebdomadaire. En 2011, un incendie criminel ravage le siège de Charlie Hebdo, peu après la publication d’une édition spéciale, Charia Hebdo, procla- mant le prophète musulman Mahomet comme rédacteur en chef.

Sa ligne éditoriale reste aujourd’hui radicale. Le journal essuie de nombreux tollés dans de la presse car accusé de choisir des cibles faciles et d’entretenir l’amalgame entre critique et provocation sans réelle conviction sur le fond.

2 — MATÉRIALITÉ DU MÉDIA

Ce dessin peut se concevoir comme une affiche, annonçant au lectorat habituel du journal ce qu’il va pouvoir découvrir dans les pages qui suivent, mais aussi comme un élément plus auto- nome, visible par un public plus vaste : « On se dit qu’une Une, c’est pas seulement une Une,

Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Diffusion 4 c’est aussi un dessin qui va être vu par plein de gens et pas forcément les lecteurs de Charlie. […] Avec la Une on vise un public plus large que juste nos lecteurs ». La ligne éditoriale est donc ici moins déterminante dans le choix du dessin et les intentions se basent plus sur l’ap- parence que sur le contenu : l’envie de plaire à un large public, de communiquer de manière immédiate sur une information importante et d’entretenir l’identité visuelle de Charlie Hebdo grâce à la récurrence des mêmes caricaturistes. « On peut dire que c’est un choix artistique, et c’est surtout une manière de promouvoir le dessin car chez Charlie [Hebdo], on est aussi des militants du dessin ».

La matérialité du support peut également orienter la lecture du dessin : plié en deux sur les pré- sentoirs de presse, une attente est créée (« Le vrai bonheur, c’est… ») et il vaut voir l’intégralité de la Une pour connaître la chute (l’image des deux parents au sol, de la mitraillette et le slogan « Zéro papa zéro maman ! ».

3 — UN CHOIX BASÉ SUR LE CONSENSUS

La rédaction se réunit deux fois par semaine pour décider des contenus publiés, avec un total en ressources humaines de 30 personnes et 10 dessinateurs. « Tout le monde peut donner son avis ». En cas de débat trop important, le choix final revient au directeur de la rédaction, , et celui de la publication, Charb.

Ce dessin a rapidement été choisi en guise de Une. « Il y a eu une petite discussion mais ça n’a pas duré longtemps ». « Ce dessin parlait à tout le monde, il faisait rire ». « Ce n’était pas provocateur par rapport à notre lectorat […], trop polémique ou qui nous aurait fait des pro- blèmes ». Il y a d’ailleurs eu peu de retours sur ce dessin, de la part du lectorat ou d’autres professionnels. « C’est vraiment quand la Une est très commentée qu’on a les réactions ».

En annexe 4, on peut découvrir d’autres caricatures également proposées par leurs auteurs. La particularité de Charlie Hebdo est de faire de ce choix un contenu éditorial à part entière, en les présentant à la fin de chaque numéro dans la section « Les couvertures auxquelles vous avez échappé ».

Parmi les sujets ayant fait l’actualité la semaine précédente, comme la libération de Françoise Cassez suite à l’annulation de son jugement par la Cour Suprême du Mexique, l’ouverture des débats en séance le 29 janvier 2013 pour le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, apparaît clairement comme prédominant dans l’esprit des dessins proposés (4 sur 9 présentés en dernière page).

Toutefois, ce choix n’a pas été fait en fonction de l’intérêt du sujet mais de sa couverture média- tique ; Charlie Hebdo visant ainsi à commenter le traitement de l’actualité par les autres médias à travers sa publication, et non pas directement à informer sur le débat en question. « Pour nous, ce n’est pas un thème primordial, ce n’est pas le sujet le plus intéressant aujourd’hui en France mais tous les médias ont traité le sujet de façon massive ; donc nous, dans ces cas-là, on suit et on commente à notre façon. Sur ce thème, on essaye de dire ou de montrer ce que personne n’a réussi à dire ». À travers cette Une, la rédaction vise donc à exprimer le carac-

Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Diffusion 5 tère absurde du débat et surtout un certain ras-le-bol de son omniprésence dans la sphère médiatique. Par le choix de la caricature et de l’humour, elle prend le contrepied du traitement habituel du débat.

4 — UNE RÉCEPTION NON ANTICIPÉE

Charlie Hebdo espère avoir établi une forme de connivence avec son lectorat, qui, selon eux, comprend ce dessin. « La plupart des réactions violentes qu’on a pu avoir sont des réactions de non-lecteurs ». Mais aucune enquête n’a encore été menée sur le public habituel de l’hebdo- madaire, pour éviter toute orientation à visée commerciale du contenu rédactionnel. La repré- sentation faite du lectorat par le comité rédactionnel est donc surtout basée sur un fantasme : « on l’imagine comme nous, athée ». Les intentions de discours du journal sont donc relative- ment indépendantes de l’accueil effectif. « Si ça nous fait marrer, nous, nos lecteurs devraient suivre ». Quant aux autres publics, il ne s’agit pas de les séduire ou de se rendre plus acces- sible. Interrogé sur d’éventuels jeunes lecteurs, le directeur de publication nous répond : « Le public spécifique des ados ne sont pas nos acheteurs premiers, et nos acheteurs premiers, eux, vont comprendre. Enfin, on s’en fout un peu ».

Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Diffusion 6 ENTRETIEN RÉCEPTION

1 — UNE « UNE » COMPLEXE

Aux premiers abords, le dessin laisse à voir aux adolescentes un enfant, « ressemblant à un poussin », qui a tué ses parents. L’idée immédiate est qu’il ait fait une telle action pour ne « plus avoir de problème ». Elles distinguent très rapidement les deux parents morts, l’enfant tueur au centre et le slogan « Le vrai bonheur c’est Zéro papa, Zéro maman ».

La description du dessin est juste et complète : elles relèvent les couleurs flashy, les particu- larités du personnage principal qui est l’enfant, le slogan dans son ensemble, l’idée global du dessin avec la mort des parents, la présence pesante de l’arme, etc. Elles identifient rapide- ment que c’est la Une d’un journal, et comparent ce type de dessin à une bande dessinée, un dessin assez plaisant, « original ». Nous voyons par ailleurs que les motivations de la concep- tion d’une telle image sont plus difficiles à comprendre par les collégiennes. Les significations qu’elles reçoivent après avoir visionné l’image un court temps sont assez éloignées des inten- tions initiales du dessinateur. Elles imaginent qu’il souhaite témoigner de la volonté des enfants d’être indépendants de plus en plus tôt et de ne plus avoir besoin de parents.

L’événement du « Mariage pour tous » est évoqué seulement une fois la date précisée. Ce dessin ne peut être compris que dans son contexte bien précis, les adolescentes connaissaient cette actualité, mais il avait suffit de deux mois pour ne plus réussir à faire le lien de manière évidente. Ce n’est pas un dessin à usage universel et intemporel, et les adolescentes l’on alors identifié à ce qui leur été plus familier : la relation complexe que peut avoir un enfant avec ses parents.

2 — UN DESSIN ÉQUIVOQUE

Le dessin restitué dans son contexte a laissé place à une discussion sur le sens donné par le dessinateur. Bien au courant du débat, suivi via les informations et les manifestations, les adolescentes avaient pu en prendre part dans leur famille ou à l’école, « il y a des gens contre, même à notre âge, on n’est pas toujours d’accord ». Les avis divergent, et laissent part à des sens opposés : « il a tué ses parents donc il va être adopté, ça pourrait être par des parents gays », « il vaut mieux être tout seul qu’avec des parents gays », « non justement, qu’importe que les parents soient gays ou pas, l’important est juste d’avoir des parents », etc.

Il est difficile de fixer les intentions du dessinateur, et nous pouvons souligner qu’un tel dessin demande un esprit critique et une éducation à l’image particulière, pas toujours acquise par des jeunes. Le langage adopté, la caricature et l’ironie, sont des outils complexes, qui peuvent

Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Réception 7 amener à des contresens importants aux premiers abords si l’on ne dispose des moyens de décodages, ce qui est alors le cas avec un public de collégiens.

2 — L’IRONIE, UN « BON MOYEN »

Après avoir introduit les notions de caricatures, de provocation, d’ironie et les bases du jour- nal Charlie Hebdo, il est intéressant de voir comment est jugé ce moyen pour des jeunes. Sur sa manière de procéder, la représentation est juste : il dessine en un seul jet, sur le moment, « sans réfléchir ». « C’est mieux qu’une photographie », il semble que le dessin séduit et que s’il n’est pas admis comme un moyen meilleur qu’un autre pour transmettre des idées, c’est un moyen original et qui a toute sa place dans la presse. « Enfin, peut être pas à la Une du Monde, ce serait bizarre », donc finalement dans une presse bien spécifique. Bien conscientes que ce genre de dessins peut « choquer les gens pas d’accord », les adolescentes estiment que tout le monde a des avis différents et alors que ce n’est pas un problème d’utiliser ces dessins pour tous les sujets.

Par ailleurs, ce genre de dessin ne ferait pas changer l’avis des gens, alors que c’est surement ce que le dessinateur souhaite. Selon elles, Charb veut faire réagir, mais il ne fait réagir finale- ment que les gens préalablement d’accord. Utiliser la violence, la mort est une manière qu’elles analysent comme une volonté d’interpeller, elles pensent qu’il souhaite les faire réfléchir avec ce genre de dessin, et ce genre de journal.

4 — UNE CIBLE SPÉCIFIQUE

Charlie Hebdo n’est pas un journal que les adolescents connaissent, ou « seulement de nom ». Il donne l’image d’un journal « pour les gens de gauche », « les jeunes, plutôt étudiants », « les gens qui veulent réfléchir ». Charb dessine principalement pour eux, il semble connaître son lectorat et ne pas essayer de dessiner pour les autres. Un dessin comme celui-ci choquerait sûrement plus ailleurs, « en grand dans le métro par exemple », les adolescentes soulignent l’absence de volonté de vouloir toucher un large public, en tant que collégiennes, elles sentent bien que ce n’est pas particulièrement à elles que le dessinateur souhaite s’exprimer.

Ces impressions sont justes, et elles ne les empêchent pas pour autant de reconnaître au genre du dessin de pouvoir séduire un large public, « mais plus par la façon de dessiner, le genre, que par ce qu’il veut dire ». Les couleurs, l’originalité de cette Une peuvent donner envie d’acheter le journal, mais le propos reste un point fort qui lui trie spécifiquement le lectorat.

Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Réception 8 ANALYSE ET SYNTHÈSE DES MÉDIATEURS

1 — NOTRE RÉCEPTION DE L’IMAGE

Nous avons tout d’abord analysé séparément : l’image, puis le mise en commun de nos diffé- rentes interprétations. Par rapport à ce que nous avions interprété, il n’y eu pas de découverte fondamentale lors de l’entretien, nous avions globalement compris l’image, ayant pu la situer dans son contexte de publication.

Pour autant, nous avons eu tendance à surinterpréter l’image par rapport à ce qu’avait voulu dire le producteur. En tant qu’étudiants en Master dans le champ culturel, habitués à l’analyse d’images, nous nous attendions à une symbolique dans le choix des couleurs ou le trait brut, ce qu’a démenti Charb : « Il n’y a pas vraiment de symbolique, ce sont des couleurs qui allaient bien, de même pour le vêtement de l’enfant, ça aurait pu être du rose, ou autre chose ». Nous avions également imaginé dans l’image une référence à la violence des jeunes, ou encore au sujet des enfants soldats, ce qui n’a pas été mentionné par le dessinateur. En effet, une Une de journal est faite pour être vue très rapidement, faire rire et délivrer un message le plus effica- cement possible. Nous constituions finalement une communauté interprétative spécifique, de la même manière que le fut le groupe d’adolescentes ou encore l’équipe de Charlie Hebdo. Le signe qu’est l’image a muté par le biais de nos interprétations, et l’image mutera à l’infini, tant qu’elle sera regardée.

2 — CONCLUSION

Ainsi, la construction du signe et de sa signification ne s’effectue que dans l’expérience. La Une de Charlie Hebdo n’est pas universelle, elle se comprend dans un contexte bien précis après indication de la date de publication de journal aux adolescentes. Dans un contexte différent, le dessin prendra ainsi une toute autre signification telle que l’envie d’un enfant de se débarrasser de ses parents. L’antiphrase ironique, qui consiste à dire l’inverse de ce que l’on pense, porte les adolescents à confusion. L’expression « Le vrai bonheur c’est zéro papa zéro maman » est ainsi prise au pied de la lettre. Les adolescents ont digéré le signe sous une autre forme à l’étape de sa réception. Le voilà différent. De plus, les producteurs-diffuseurs ne se soucient pas de ce que pensent le public adolescent, et imaginent un public à leur image. Le public adolescent n’est pas celui visé par le journal, et si Charb dit ne pas vouloir choquer ceux qui ne constituent pas son lectorat habituel, il ne cherche pas pour autant à s’en faire comprendre, de peur de publier du contenu en fonction d’un public. Or, n’appartenant pas à la même commu- nauté interprétative, nos repères et nos habitudes de voir, en tant qu’étudiants en Métiers des Arts et de la Culture, sont différents de ceux des adolescents, différents également de ceux des producteurs-diffuseurs de Charlie Hebdo.

Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Médiation 9 SYNTHÈSE ET TABLEAU COMPARATIF

L’ITEM ET SON CONTEXTE

Publié le 30 janvier 2013, ce dessin fait écho à l’actualité qui l’entoure. Le dessinateur et jour- naliste Charb, de son vrai nom Stéphane Charbonnier, dirige la publication du journal satirique Charlie Hebdo depuis 2009.

Cette image s’inscrit en tant qu’élément dominant d’une Une de l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Journal d’opinion, réputé pour son sens de la satyre, elle s’inscrit dans un processus de diffu- sion de masse visible par le plus grand nombre, principalement dans les kiosques et maisons de la presse.

QUELS ENJEUX POUR LA UNE ?

Après un spécial Charia Hebdo en novembre 2011, Charlie Hebdo publie à nouveau en sep- tembre 2012 des caricatures sur le prophète Mahomet. Charb à cette occasion affirmera : « Je n’appelle pas les musulmans rigoristes à lire Charlie Hebdo, comme je n’irais pas dans une mosquée pour écouter des discours qui contreviennent à ce que je crois » ; « Si on reçoit des insultes, c’est parce que Charlie Hebdo est sorti du contexte « kiosque » et qu’il a été montré sur internet et qu’il touche un public plus large que d’habitude ».

Charlie Hebdo est en effet est un journal de gauche hebdomadaire, traditionnellement sati- rique. Destiné à faire réagir le lecteur, par le rire et par la provocation, la satire est un mode intéressant en ce qu’elle suppose une réaction du destinataire, par rapport à un sujet d’actua- lité. Pour autant, on peut l’observer dans cette citation, les Unes à l’image de Charlie Hebdo ne sont pas destinées à tout le monde. Dans notre cas, nous avons choisi un sujet d’actualité, une caricature mais moins provocatrice que celles effectuées sur l’Islam. Ce thème de l’adop- tion par les couples homosexuels touche notamment les adolescents. Nombre d’entre eux vivent en effet déjà au sein de familles homosexuelles. Pour autant, de la même manière que dans le cas des caricatures de Mahomet, si les adolescents sont concernés par ces images, ils n’en sont pas les destinataires. Charlie Hebdo ne fait pas d’étude de public et imagine son lectorat à l’image de son personnel. Or un dessin faisant la Une de Charlie Hebdo est amené à être vu par ce public, peu habitué à lire ce journal, dans les kiosques, sur internet, ou encore au sein de leurs foyers. Quelles peuvent être leurs réactions face à cette Une du 30 Janvier 2013 ? Sont-elles celles anticipées par Charlie Hebdo, Charb et son équipe de diffusion ? Les adolescents comprennent-ils, saisissent-ils le sens du message ? Et qu’imaginent t-ils que les producteurs-diffuseurs ont voulu leur transmettre ?

Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Synthèse et tableau comparatif 10 Les Unes font partie de notre culture visuelle, elles doivent attirer le lecteur, refléter le journal, et celles de Charlie Hebdo font l’objet d’un intérêt et d’une médiatisation toute particulière. Les adolescents restent souvent en périphérie d’un débat qui les concerne en tant que futurs citoyens. Il semble donc particulièrement important pour eux de prendre connaissance des arguments, et de développer un regard critique sur les images médiatiques diffusées pendant ce débat.

Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Synthèse et tableau comparatif 11 couleur, médias. compris. Équivoque. Prédominance compréhension. Les stéréotypes Items signifiants en ont consciences. de l’esthétisme sur la Figure de provocation symbolique véhiculée. vêtements…) sont bien pas toujours bien reçue. d’un sujet par les autres La satyre comme moyen spécifique à une période, médiés par le médiateur n’est pas du tout le public la date est essentielle à sa habituelle aux medias mais Le thème du dessin est très de commenter le traitement des personnages ( Le public visé par le journal adolescent. Les adolescents ). atypiques. de réception Items signifiants Diffcile à interpréter. avec lui », vu comme c’est », personnages avec « le vrai bonheur (date de Janvier 2013 Thème compris une fois La caricature, un moyen L’enfant ressemble à un poussin, son expression « pour les gens d’accord « original », agréable ». Ne se sentent pas toucher. « des jeunes, de gauche ». Symbole de l’arme dans les déclarés lors de l’entretien (peur, triste) fait résonnance Couleurs « fashy », un dessin « intéressant », qui change » le dessin restitué dans temps Le dessinateur semble dessiner pour faire passer des messages. mains d’un enfant choquant, fort. le relancer. sur le sujet. de diffusion d’un ras-le-bol. Items signifiants de Charlie Hebdo. de Charlie Hebdo. Expression radicale attirante, retenir l’oeil. C’est l’identité visuelle à faire rire les lecteurs Thème très abordé dans parler mais de manière à Expression d’un ras le bol la presse, il fallait donc en stopper le débat plutôt qu’à Capacité globale du dessin déclarés lors de l’entretien La Une d’un journal doit être Le lectorat de Charlie Hebdo. ! » ! » sur internet). ( jupe, pantalon ). Dessin caricatural. L’enfant, sa mèche générale (présence Aussi grande que le du document visuel personnage principal. Portée du dessin assez de cheveux, les affaires Les couleurs du dessin. « Le vrai bonheur c’est… Zéro papa zéro maman des personnages allongés Composantes interprétées « Le vrai bonheur c’est… Zéro papa zéro maman : « ce sont des inévitable. de l’actualité » de production d’un ras-le-bol. Vecteur d’ironie. Un sujet d’actualité Items signifiants Aucune signication c’est « une parodie Expression radicale comité de publication. » « La réaction du lectorat « signature » de Charb sera la même que celui du Lectorat de Charlie Hebdo. particulière couleurs qui allaient bien. » déclarés lors de l’entretien « Faire marrer les lecteurs », LES L’ARME LA CIBLE LA LE THÈME LE DESSIN LE SLOGAN LES COULEURS PERSONNAGES

Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Synthèse et tableau comparatif 12