Zéro Papa, Zéro Maman !
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
ZÉRO PAPA, ZÉRO MAMAN ! Couverture du no 1076 — Charlie Hebdo, 2013 Étude réalisée par Claire Chaperon, Justine Dumotier, Thomas Meugnot et Hadil Salih Source : Charb pour Charlie Hebdo Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne — Master 1 Direction de projets ou établissements culturels ENTRETIEN CONCEPTION 1 — CHARB, UN DESSINATEUR ENGAGÉ Le dessinateur et journaliste Charb, de son vrai nom Stéphane Charbonnier, dirige la publica- tion du journal satirique Charlie Hebdo depuis 2009. Il publie également certains de ces dessins aux traits reconnaissables entre tous dans d’autres journaux comme : L’Echo des Savanes, Té- lérama, Fluide Glacial ou encore L’Humanité… Il est également l’auteur de différentes bandes dessinées comme Maurice et Patapon (Maurice est un chien bisexuel, anarchiste, aimant les excréments, la sodomie et le sexe tandis que Patapon est un chat asexuel, fasciste et ultra-li- béral, aimant la mort et la souffrance des autres). Dans Charlie Hebdo, sa chronique se nomme Charb n’aime pas les gens. Dessinateur caricaturiste, Charb estime que rien n’est « impubliable » et qu’il ne faut pas céder sur certains sujets (notamment celui de la religion ou de la politique). Soutien de longue date au PCF et au Front de Gauche, Charb garde néanmoins un œil acéré sur les évènements po- litiques, économiques et sociaux. Ses thèmes favoris restent tout de même : l’extrême droite catholique, les intégristes musulmans, et bien sûr les personnalités politiques de tout bord et de toutes nationalités. Pour lui, la caricature et la provocation sont des moyens pour faire réagir, avancer et réfléchir. 2 — LE MARIAGE POUR TOUS COMME CONTEXTE POLITIQUE Pour l’étude de la production de cette image, il est essentiel de comprendre le contexte poli- tique autour du mariage homosexuel ou « mariage pour tous ». En France, la loi pour le PACS (pacte de civile de solidarité), voté en 1999, est ouvert aux couples hétérosexuels comme homosexuels. Cependant, le PACS n’est pas signé en mairie mais dans un tribunal d’instance ou une ambassade, de plus il est sans effet sur la filiation et les relations familiales. Le mariage homosexuel devient un enjeu politique important lors des élections présidentielles de 2007 (Ségolène Royal prenant position pour) mais surtout lors des élections de 2012. Dès sa nomination, le gouvernement de François Hollande œuvre pour l’écriture de la loi. Le débat qui a duré plus de six mois a provoqué de nombreuses réactions du côté de l’opposition. La majorité des Français n’étant pas opposé à l’union de deux personnes, mais la divergence se trouve surtout dans la question de la filiation. L’adoption par les couples homosexuels, la grossesse pour autrui (GPA), la procréation médicalement assistée (PMA) sont des sujets récurrents dans les débats. Dans ce contexte, l’opposition s’engage contre « une destruction Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Conception 2 de la famille », les enfants étant le centre des arguments. Les manifestations voient fleurir de nombreux slogans comme « Un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants », « Tous nés d’un homme et d’une femme »… 3 — UN DESSIN ANCRÉ DANS UN CONTEXTE Publié le 30 janvier 2013, ce dessin fait écho à l’actualité qui l’entoure. En effet, la veille s’est ouvert le débat parlementaire, et une manifestation a eu lieu pendant le week-end. Charb nous explique que pour faire ses dessins, il choisit des thèmes de l’actualité, en fait une liste puis en choisit un ou deux (dans le cas d’un dessin mêlant deux thèmes). À priori, il ne se force sur aucun thème, sauf, bien sûr, quand la nouvelle fait l’actualité (ex : élection du nouveau pape, mariage pour tous…). Ici il représente un enfant, centre des attentions de ce débat, pour en détourner l’image et prendre le contrepied du discours habituel, en exprimant un ras-le-bol. Il reprend les slogans utilisés lors des manifestations pour le radicaliser et se demander finale- ment si le bonheur ne serait pas « zéro papa, zéro maman ». 4 — UNE IMAGE SYMBOLIQUE Dans ce dessin, la « patte » de Charb se reconnaît bien. En effet, la plupart de ses person- nages « ont tous à peu près la même gueule ». La différence entre un homme, une femme, une personne âgée, un bébé… va plus se ressentir dans la « dégaine » du personnage (cheveux, vêtements…). Le bébé est centré au milieu de la page, il tient une mitraillette, une arme aussi grosse que lui, à ses pieds on peut voir les pieds de ses parents (à gauche le père et à droite la mère). Le personnage central n’a pas vraiment d’expression, on pourrait croire à un sourire où sort une goutte de bave. L’arme qu’il tient est encore fumante, preuve que le crime vient d’être commis, pour le dessinateur, cette arme était « la forme radicale pour exprimer ce ras-le-bol [celui du débat du mariage pour tous] ». Les victimes de ce personnage se trouve à ses pieds, on peut reconnaitre le père de la mère grâce à leurs vêtements (pantalon pour le père, jupe pour la mère). Les couleurs utilisées sont très criardes, pour pouvoir se voir de loin, et « taper dans l’œil » du futur acheteur. La réalisation de ce dessin s’est fait de manière très rapide, il n’y a pas eu plusieurs ébauches avant d’arriver au dessin final, tout se fait en une seule fois. C’est le principe d’une « ligne sale », chère au dessinateur et privilégiant l’efficacité du moment. Charb dessine d’abord la scène en noir et blanc puis il fait lui-même ses couleurs : « je fais le dessin, puis je le colorise à l’ordinateur ». Cependant, pour lui, les couleurs utilisées n’ont pas de symbolique. En effet, on aurait pu croire que de colorier l’habit du bébé en bleu est un signe de la volonté de masculiniser ce personnage, mais pour le dessinateur « ça aurait pu être du rose, ou autre chose ». L’utilisation des mots, sous forme de slogan, « le bonheur c’est zéro papa, zéro maman », est une volonté de reprendre les slogans entendus à tout va dans la presse et sur les chaînes de télévision, « une manière de dire stop à ce débat imbécile. Tranchons une bonne fois dans le vif ! ». Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Conception 3 ENTRETIEN DIFFUSION 1 — UNE LIGNE ÉDITORIALE BASÉE SUR LA SATIRE Cette image s’inscrit en tant qu’élément dominant d’une Une de l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Journal d’opinion, réputé pour son sens de la satire. Elle prend donc place dans un processus de diffusion de masse visible par le plus grand nombre, principalement dans les kiosques et maisons de la presse. Charlie Hebdo naît en octobre 1960 sous le nom de Hara-Kiri mensuel, avant de devenir heb- domadaire en 1969, à l’initiative du dessinateur humoristique François Cavanna et de l’écri- vain Georget Bernier, plus connu sous le nom de Professeur Choron. En 1970, à la suite d’un scandale médiatique suivant la mort du Président Charles De Gaulle, Hara-Kiri est censuré par le Ministre de l’Intérieur. L’équipe du journal fonde alors Charlie Hebdo le 23 novembre 1970, publié jusqu’en 1982 puis arrêté pour raisons financières. En 1992, Philippe Val décide de renouveler le journal avec les auteurs et illustrateurs de la première génération. En 2009, Charb devient directeur de la publication à la suite du départ de M. Val. Journal satirique, Charlie Hebdo est connu pour son esprit critique et son engagement poli- tique, moins radical qu’à son origine mais demeurant marqué en faveur d’une gauche écolo- giste, antiraciste et antifasciste. La place donnée à l’illustration est signé d’un certain militan- tisme où textes et caricatures deviennent les armes d’une « guerre », pour reprendre les mots de Philippe Val, pour la démocratie. Cette liberté d’expression, parfois arborée de manière pro- vocante, lui aura valu de nombreux procès de la part de personnalités politiques et religieuses dont la liste est affichée sur le site de l’hebdomadaire. En 2011, un incendie criminel ravage le siège de Charlie Hebdo, peu après la publication d’une édition spéciale, Charia Hebdo, procla- mant le prophète musulman Mahomet comme rédacteur en chef. Sa ligne éditoriale reste aujourd’hui radicale. Le journal essuie de nombreux tollés dans le monde de la presse car accusé de choisir des cibles faciles et d’entretenir l’amalgame entre critique et provocation sans réelle conviction sur le fond. 2 — MATÉRIALITÉ DU MÉDIA Ce dessin peut se concevoir comme une affiche, annonçant au lectorat habituel du journal ce qu’il va pouvoir découvrir dans les pages qui suivent, mais aussi comme un élément plus auto- nome, visible par un public plus vaste : « On se dit qu’une Une, c’est pas seulement une Une, Zéro papa, zéro maman ! — 2013 — Diffusion 4 c’est aussi un dessin qui va être vu par plein de gens et pas forcément les lecteurs de Charlie. […] Avec la Une on vise un public plus large que juste nos lecteurs ». La ligne éditoriale est donc ici moins déterminante dans le choix du dessin et les intentions se basent plus sur l’ap- parence que sur le contenu : l’envie de plaire à un large public, de communiquer de manière immédiate sur une information importante et d’entretenir l’identité visuelle de Charlie Hebdo grâce à la récurrence des mêmes caricaturistes. « On peut dire que c’est un choix artistique, et c’est surtout une manière de promouvoir le dessin car chez Charlie [Hebdo], on est aussi des militants du dessin ». La matérialité du support peut également orienter la lecture du dessin : plié en deux sur les pré- sentoirs de presse, une attente est créée (« Le vrai bonheur, c’est… ») et il vaut voir l’intégralité de la Une pour connaître la chute (l’image des deux parents au sol, de la mitraillette et le slogan « Zéro papa zéro maman ! ».