CHRONIQUES HISTORIQUES SAVOYARDES du temps de la Révolution

Marcel GIANADA

CHRONIQUES HISTORIQUES SAVOYARDES du temps de la Révolution

Préface de Marcel FIVEL-DEMORET

Collection "Chroniques Savoyardes"

HORVATH "Tous Droits Réservés" pour les photos, dessins, documents dont nous ne pouvons pas identifier l'origine. Réalisation Danièle ROBERT © Editions HORVATH 27, bd. Charles de Gaulle 42120 LE COTEAU I.S.B.N. 2.7171.0657.X PRÉFACE

Rien de ce qui a trait à l'histoire de la Savoie n'a jamais laissé indifférent notre ami Marcel Gianada qui, depuis plus de trente ans, a collaboré à notre journal, à d'autres hebdoma- daires et à de nombreuses revues, ayant été chargé également, par le Rectorat d'Académie de , de longues années durant, d'évoquer comme chargé de conférences, pour les élèves-maîtres de l'Ecole normale de la Savoie à Albertville, la vie de la Savoie à tra- vers les siècles. De même fit-il, en maintes circonstances, au sein des diverses sociétés savantes savoyardes, dont il est membre soit titulaire, soit correspondant, la Société savoisienne d'histoire et d'archéologie, l'Académie florimontane, la Société d'histoire et d'archéologie de Maurienne, les associations des Amis du vieux Chambéry, les Amis de Montmélian et environs, des musées chambériens et de quelques autres. Il a fondé le groupe historique et archéologique "Connais- sance de La Ravoire et des environs " et il est membre de la Commis- sion municipale culturelle et scolaire de cette localité. Comment le bicentenaire de la Révolution française, et l'inci- dence des événements qui pendant tant d'années, allaient marquer la nation française et la nation savoyarde, aux destins intimement liés, ne nous eussent-ils pas imposé de l'évoquer dans les colonnes de sous la plume de Marcel Gianada ? Et c'est ainsi que depuis plusieurs mois, revivent, dans le style qui lui est particulier, et avec une grande probité intellectuelle, un cer- tain nombre de personnages savoyards de l'époque, connus ou ignorés, célèbres ou modestes, nobles ou roturiers, paysans, offi- ciers, fonctionnaires, qui ont forgé ou subi la Révolution française, à , à , en Savoie ou ailleurs... Marcel Gianada, à travers l'évocation de tous ces hommes et de toutes ces femmes, nous permet en outre, de comprendre ce que fut la vie savoyarde en ces temps pour le moins difficiles. Et je ne doute pas que cet ouvrage, qui rassemble, non seulement les "papiers" parus dans mais aussi d'autres iné- dits ou qui suivront, sera justement apprécié. Marcel FIVEL-DEMORET Directeur honoraire de à Annecy

AVANT-PROPOS

Cet ouvrage n'est pas une histoire de la Révolution en Savoie. Il s'agit principalement de biographies d'hommes et de femmes qui ont fait, ou vécu, ou même subi, la Révolution en Savoie, figures tirées des sources les plus sérieuses, notamment d'encyclopédies anciennes. La vie, le comportement et les actions de ces hommes et de ces femmes pendant cette période mouvementée et souvent tragique ont été complétés autant que possible, pour en augmenter l'inté- rêt, par l'évocation d'autres gens, d'événements et de faits parti- culiers s'y rattachant. Cette étude n'est pas exhaustive, d'autres personnages pour- ront, sans doute, être évoqués bientôt. Et si ce premier volume est consacré en majeure partie à la Savoie, il débute par les événe- ments préliminaires de Vizille en 1788 avec les principaux person- nages dauphinois qui y ont participé : Barnave, Mounier, Claude Perrier et aussi La Fayette. Et il y eut tant de liens entre le Dau- phiné et la Savoie, pays voisins. J'exprime ma sincère gratitude à tous ceux qui m'ont apporté de précieux renseignements ou d'intéressantes précisions pour l'un ou l'autre des chapitres de ce livre : MM. le Professeur agrégé André Palluel-Guillard, maître-assistant à l'Université de Savoie, et président de la Société Savoisienne d'Histoire et d'Archéologie ; le général René Deblache, secrétaire perpétuel de l'Académie de Savoie ; l'abbé Paul Charve, ancien curé de La Ravoire ; le commandant E.R. Paul Charve, des Amis de Mont- mélian ; Gilbert Pallatier à Barberaz, et André Leprovost, prési- dent des Amis du Vieux-Chambéry. Je remercie également avec émotion les auteurs des ouvrages auxquels je me suis référé et que j'ai indiqués dans les notes annexes. Enfin, je dédie cet ouvrage à mon épouse, à mes enfants et petits-enfants. M. G.

BARNAVE à Vizille en 1788

On connaît les principaux personnages de la Révolution fran- çaise : Danton, Robespierre, Desmoulins, Mirabeau, Tallien... Mais il y en eut beaucoup d'autres dont les noms sont aujourd'hui méconnus ou oubliés. Certains concernaient plus spé- cialement la Savoie, ou les régions proches, le Dauphiné, le Lyon- nais, ou Genève. C'est par Barnave que débute cette évocation d'hommes et de femmes de la Révolution, parce qu'il fut l'un des principaux acteurs et orateurs de l'Assemblée de Vizille en 1788, avec Claude Perrier et Mounier, auxquels sont consacrées les biographies de cet ouvrage. L'Assemblée des Etats de la province du Dauphiné, composée des délégués de la noblesse, du clergé et du tiers état, ces derniers étant essentiellement des bourgeois, n'avait pu se tenir à Gre- noble, où elle siégeait normalement, en raison des événements graves qui venaient de s'y dérouler. Il y avait eu des manifesta- tions et des émeutes du fait de la suppression par le roi et ses ministres, notamment Brienne, des prérogatives des Parlements de province, dont celui de Grenoble, décision notifiée par le duc de Clermont-Tonnerre, et que faisait appliquer le terrible maré- chal de Vaux. Il y avait eu surtout la sanglante journée des " Tuiles " du 7 juin, que le célèbre écrivain Stendhal, natif de Grenoble comme l'on sait, évoquera plus tard. Petit garçon Henri Beyle - Stendhal - qui n'avait que 5 ans, y avait assisté du balcon du logement de son grand-père, situé dans une maison voisine. Il l'a racontée dans son roman La vie d'Henri Brulard. Une autre anecdote doit être rap- pelée au sujet de cette triste journée des "Tuiles" : c'est que, parmi les civils et les militaires blessés, se trouvait un jeune ser- gent dont l'Histoire retiendra le nom, car il deviendra célèbre. C'est Bernadotte, futur maréchal d'Empire, qui sera ensuite roi de Suède. Le château de Vizille.

Claude Perier, riche industriel de Grenoble, nouveau proprié- taire du château de Vizille, luxueux édifice que le connétable de Lesdiguières avait fait construire, proposa que les Etats de la pro- vince du Dauphiné, dont il faisait partie, se tiennent donc dans son château. Cette assemblée pré-révolutionnaire du 21 juillet 1788 a été ainsi le grand événement historique de Vizille. Elle se déroula .dans la salle du Jeu de Paume qui n'existe plus aujourd'hui, ayant été détruite par un incendie. Cette assemblée du Dauphiné com- prenait 540 membres dont 165 nobles, 50 ecclésiastiques et 325 représentants du tiers état. On discuta sans interruption de 8 heures du matin jusqu'à 3 heures de la nuit, réunion ponctuée de nombreuses et intermina- bles déclarations et d'altercations très vives. Les orateurs les plus écoutés furent deux jeunes avocats grenoblois, nommés Mounier et Barnave, qui allaient tenir une place importante et jouer un rôle déterminant pendant la Révolution française. Les doléances de l'assemblée de Vizille, si elles furent plus véhémentes encore que celles du Parlement de Grenoble, expri- maient sensiblement les mêmes protestations et revendications : maintien de leurs prérogatives, convocation des états généraux à Paris, auxquels il appartiendrait de fixer les impôts, car ils étaient très élevés. Mais l'assemblée réclamait surtout et avec insistance la liberté individuelle pour tous les Français. Barnave dans sa prison. (B.M. Grenoble)

Le rapport de synthèse, rédigé par Barnave, fit l'objet d'une résolution adressée au roi Louis XVI, motion qui souleva l'en- thousiasme général des délégués des Etats du Dauphiné, et qui allait être repris par le pays tout entier. Ces journées pre-révolu- tionnaires de Grenoble et de Vizille engendreraient très rapide- ment le tourbillon qui s'enflerait et s'accélèrerait au point de chan- ger la face du monde. Ainsi, le Dauphiné fut le berceau de la Révolution, et les Dauphinois en tirent avec raison une légitime fierté. Ils l'ont déjà prouvé, en commémorant, par de remar- quable évocations, les événements de Grenoble et de Vizille, qui viennent d'être rappelés. Après l'assemblée de Vizille, Antoine-Joseph Barnave (1761- 1793), et Jean-Joseph Mounier (1758-1806) ont été mêlés à des événements importants de la Révolution française. Tous deux, excellents orateurs, ont joué un rôle essentiel aux états généraux de 1789 à Versailles, puis à l'Assemblée Constituante, dont ils ont Arrestation de Louis XVI à Varennes.

assuré un temps la présidence. On a souvent comparé Barnave à Mirabeau, dont il fut d'ailleurs l'éloquent rival aux états géné- raux, lequel reconnaissait néanmoins ses talents. Barnave fut désigné pour aller au devant de Louis XVI, lors de sa fuite à Varennes, où il avait été arrêté. Il témoigna les plus grands égards au roi et à la reine qu'il ramena à Paris. Il s'efforça alors de rapprocher le Parti constitutionnel de la Monarchie, mais sans y parvenir. Plus modérés que beaucoup d'autres, Barnave et Mounier condamnaient les excès, réprouvaient la terreur et quit- tèrent le club des Jacobins, prévoyant des grands malheurs pour la . Barnave se retira à Grenoble, sa ville natale, dont il devint le maire, et profita de ce temps pour écrire un ouvrage qui fit grand bruit : « Introduction à la Révolution française ». Dénoncé, il fut emprisonné 10 mois à Grenoble comme révolutionnaire, puis transféré à Paris pour être traduit devant le tribunal révolution- naire. Il comparut dignement, se défendant avec une grande fer- meté et son habituelle éloquence, mais ne parvint pas à fléchir ses juges qui le condamnèrent à mort. Il fut guillotiné le 29 octobre 1793. Barnave avait des amis dans la Savoie toute proche de son Dau- phiné natal. Barnave, une belle et grande figure de la Révolution, dont le souvenir méritait d'être rappelé. CLAUDE PERIER et ses illustres descendants

C'est de Vizille que partit ce grand mouvement populaire de mécontentement et de rébellion contre la monarchie, prélude de la Révolution française. Et c'est à Claude Perier (1742-1801) que l'on doit la tenue, au château de Vizille, de cette assemblée protes- tataire des Etats du Dauphiné, le 21 juillet 1788, et même qu'elle ait pu avoir lieu, car elle avait été formellement interdite par le pouvoir. Lorsque le château de Vizille avait été acheté, en 1780, par l'in- dustriel grenoblois et financier avisé Claude Perier, pour y instal- ler des ateliers de fabrication d'indiennes (tissus de coton imprimé imitant les belles cotonnades de l'Inde, d'où ce nom d'indiennes), cette somptueuse demeure était passée de la noblesse à la bour- geoisie, et la chanson des métiers à tisser allait remplacer le clique- tis des armes.

Qui était ce Claude Perier ? Né à Grenoble en 1742, issu d'une famille bourgeoise, Claude avait 38 ans lorsqu'il acheta le château. Ce négociant et financier était député aux Etats du Dauphiné, dans la catégorie tiers état. La situation de Claude Perier ne cessa de s'améliorer. Il fonda une banque à Paris qui, rapidement, devint très importante. A la faveur de la Révolution, il acheta les houillères d'Anzin, près de Valenciennes, dans le Nord, et créa quelques usines de textiles dans cette région, mines et ateliers prospérant très vite. Ses revenus lui permirent de financer de coup d'Etat de Bona- parte le 18 brumaire (10 novembre 1799), s'attirant ainsi la bien- veillance de celui qui, bientôt, deviendrait l'empereur Napoléon. Et, surtout, cela lui assura un rôle prépondérant dans la création de la Banque de France qu'il avait envisagée et qu'il réalisa avec le fameux banquier Perrigaux. Claude Perier rédigea lui-même les statuts de la Banque de France, adoptés en 1801, alors qu'il en était le président du Con- seil d'administration. Il est très étonnant qu'un riche bourgeois comme Claude Perier put traverser toute la période révolutionnaire sans gros ennuis, et sans avoir été inquiété. Les raisons en sont principalement les sui- vantes : son comportement discret et prudent pendant cette diffi- cile période ; son ralliement aux idées et aux réformes prônées par les états généraux, la Convention et la Constituante ; sa constante modération et la fidélité qu'il ne cessa de témoigner à ses collègues et amis du Club des Jacobins, qu'il quitta au moment opportun, pour celui plus modéré des Feuillants. Mais Claude Perier ne profita guère de ses succès et de son immense richesse ; il mourut à Paris, en 1802, à l'âge de 59 ans. Sa succession était assurée car il avait eu de nombreux enfants, dont huit garçons, qui tous prirent exemple sur leur père. L'un de ses petits-fils, Jean-Paul-Pierre Casimir-Perier, né le 8 novembre 1847, après avoir été député très jeune, puis sénateur et président du Conseil des Ministres, fut élu Président de la Répu- blique le 27 juin 1894, à la mort de Sadi-Carnot. Casimir-Perier démissionna de la plus haute fonction de la République le 15 janvier 1895, et son épouse vendit alors le châ- teau de Vizille. Un peu plus tard, le bel édifice deviendra pro- priété de l'Etat pour les Présidents de la République. Dernier fait intéressant à signaler : une nièce de Claude Perier, Philippine Duchesne, dont la mère était une sœur de Claude, a été canonisée par le pape Jean-Paul II en juillet 1988 à Rome. D'ori- gine bourgeoise, et après avoir renoncé à ses biens, sainte Philip- pine Duchesne-Perier avait fondé l'ordre du Sacré-Cœur de Sain- te-Marie d'en Haut à Grenoble, destiné à recueillir les enfants pauvres et malheureux pendant la Révolution. JEAN-JOSEPH MOUNIER qui préconisa le serment du Jeu de Paume L'un des principaux orateurs de la journée pré-révolutionnaire de Vizille du 21 juillet 1788, avec Barnave et Claude Perier, déjà évoqués, fut le Grenoblois Jean-Joseph Mounier. D'une famille de négociants de Grenoble, né en 1758, il aura un rôle essentiel au début de la Révolution française. Doué pour les études, et même surdoué, il apprendra le Droit qui lui servira toute sa vie, et sera reçu avocat dès 1779, se révélant de suite un remarquable orateur. Il fut nommé juge royal dans sa ville natale en 1783, fonction qu'il effectua pendant six ans avec un discernement et une inté- grité exceptionnels. Au Parlement de Grenoble, puis à l'Assem- blée des Etats de la province du Dauphiné à Vizille, et, ensuite, le

Mounier. (B.M. Grenoble) - D'autre part, la princesse Marie-Adélaïde-Clotilde-Xavière, née en 1759, sœur du roi Louis XVI, était devenue princesse de Piémont, puis reine de Sardaigne par son mariage avec le prince, futur duc de Savoie Charles-Emmanuel IV, qui règnera de 1796 à 1802. C'est dire la parenté qui unissait les trônes de France et de Sar- daigne avant et pendant la Révolution française et l'importance que revêtait en conséquence les fonctions du marquis de Cordon, ambassadeur du royaume de Sardaigne à Paris. Il eut aussi à échanger une correspondance suivie avec le ministre des Affaires étrangères de Sardaigne à Turin, Savoyard lui aussi, le comte Per- ret d'Hauteville, toujours en retard d'un courrier et finalement très discret. Et le marquis de Cordon se chargeait enfin, de l'envoi à la cour de Sardaigne de journaux, dont l'Ami du roi, et de livres français que dévoraient les princesses. Le marquis de Cordon entretenait bien entendu des relations suivies avec les ministres du gouvernement royal de la France, sur- tout avec le comte de Montmorin jugé très faible et surtout oppor- tuniste, et avec les autres membres du corps diplomatique auprès de Louis XVI, ses collègues. Mais il avait finalement assez peu de liens personnels avec le roi et la reine Marie-Antoinette. Pendant longtemps les seuls problèmes diplomatiques auxquels il fut mêlé concernaient plus l'ambassade elle-même que la Révo- lution. Mais dès la fin de l'année 1789, les entraves mises à l'ache- minement du courrier puis à la libre circulation du personnel, vont considérablement augmenter sa tâche, aigrir les relations et déso- rienter tous les diplomates, en poste à Paris, et particulièrement celui du royaume de Sardaigne, le marquis de Cordon, qui nous intéresse plus spécialement. Il est curieux de voir comment il a réagi et de quelle façon il a rapporté la Révolution.

Comment le marquis de Cordon a perçu et raconté la Révolution L'ambassadeur Victor Sallier de La Tour, marquis de Cordon vit avec surprise, consternation et frayeur la montée des troubles en France depuis la fin 1788, parallèlement à la décomposition progressive des autorités civiles, judiciaires et militaires et à la paralysie du gouvernement royal. Il considérait que le roi Louis XVI était trop faible, que les ministres, généralement des courti- sans, étaient mal choisis, que les agitateurs et ambitieux en profi- taient pour s'emparer du pouvoir, au grand dam d'une majorité silencieuse complice d'abord, atterrée ensuite, et finalement réduite à néant. Certes l'affaiblissement de la France pouvait ser- vir les intérêts sardes, mais globalement on pouvait tout craindre en Europe de ce déclin. Pendant toute l'année 1789, l'ambassadeur de Sardaigne observa le rôle essentiel des difficultés d'approvisionnement des denrées, mais pour lui cela devint rapidement d'une importance relative. Par contre l'agitation populaire conjuguée à l'ambition du tiers état et la crise de la monarchie et de l'Ancien Régime lui apparaissaient comme un âge d'or trop vite perdu. Sallier de La Tour nota également que le virage décisif était celui de la faiblesse du roi en juin 1789, lorrsqu'il céda devant les exigences du tiers état et que, par la suite, tout ne put que dégénérer. Enfin, sa grande peur fut celle du 14 juillet 1789, alors que les journées sui- vantes ne furent que des incidents, la fête de la Fédération lui apparaissant comme celle de l'illusion sentimentale. Quant à l'As- semblée Constituante, il l'a définie comme un repaire de bavards et d'intrigants, l'année 1790 n'étant qu'une suite de troubles locaux, de fièvres et de destructions, même si la constitution civile du clergé ne lui semblait pas finalement aussi grave que l'Histoire ne l'a dit. La fuite de Varennes en juin 1791 plongea l'ambassadeur dans l'embarras, l'incertitude et la peur, mais curieusement l'accepta- tion de la Constitution fut sereinement présentée comme une fin éventuelle de la Révolution... La guerre de 1792 inquiétait mais elle se déroulait seulement sur les frontières du Nord et de l'Est ; l'ordre ayant été rétabli en juin 1792, on pensait qu'il en serait de même en août. Ce fut donc avec surprise et effroi que l'on apprit coup sur coup l'arrestation de Louis XVI, les massacres de sep- tembre (2) et l'entrée des Français en Savoie que l'on avait cessé

Le retour de Varennes. de craindre. C'est ainsi que le marquis de Cordon avait perçu et relaté les événements de la Révolution. De temps en temps la Savoie apparaissait dans sa correspon- dance diplomatique. C'était parfois de simples problèmes locaux, tels le droit des habitants de Seyssel de s'approvisionner en France, pays voisin ; les droits de la chartreuse de Saint-Hugon à conserver contre les lois antimonastiques. Puis très rapidement l'ambassadeur dut organiser le voyage et le passage en Savoie de la comtesse d'Artois qui voulait rejoindre son mari à Turin, puis celui des vieilles tantes de Louis XVI qui devaient rejoindre Rome. Il enquêta sur l'origine française des troubles qui commen- çaient à agiter le duché de Savoie. L'émeute de Montmélian en mai 1790, provoqua la colère de Sallier de La Tour, furieux de tant de désordre et qui prôna immé- diatement la vigilance et la sévérité. La crise s'aggrava en 1791 du fait de nouvelles émeutes à Chambéry, des pamphlets antiroyalis- tes s'étant répandus, tels «Le Premier Cri de la Savoie vers la liberté » et « L'Etat politique de la Maison de Savoie » (3), œuvres d'agitateurs savoyards réfugiés à Paris, de plus en plus actifs. La crise s'amplifia encore au début de 1792, avec l'attitude des émi- grés français installés à Chambéry (4) qui inquiétaient les autori- tés parisiennes, alors qu'en même temps, à Turin, on s'alarmait de l'agitation des sans-culottes en Dauphiné. On se posait des questions sur les troupes françaises envoyées en Savoie. Etaient-elles défensives ou offensives. Grenoblois et Provençaux demandaient des attaques préventives contre Nice et la Savoie ; le général de Montesquiou passait de l'Armée du Rhin à celle des Alpes, pendant qu'à Turin le ministère se heurtait à l'ambassadeur Sémonville (5) récusé et refusé, et qu'à Paris Savo- yards loyalistes et révolutionnaires multipliaient les pétitions et proclamations contradictoires. La tension fléchit au cours de l'été 1792 ce qui rendit encore plus bouleversante la nouvelle de l'atta- que française de septembre en Savoie sans déclaration de guerre. Lorsque Victor-Amédée Sallier de La Tour, marquis de Cor- don et comte de Chevron, cessa ses fonctions d'ambassadeur et quitta Paris, il était fatigué et déçu. Mais il avait aussi le souci de s'occuper de ses intérêts personnels, en l'occurrence les mines de Peisey-Nancroix en Tarentaise qui lui appartenaient (6).

Le marquis de Cordon et le baron de Bourdeau deux frères généraux dans les Armées du roi de Sardaigne Le marquis de Cordon se retrouva en 1792, commandant en second de l'armée sarde sous les ordres du général Lazary, com- mandant en chef, avec lequel il ne put s'entendre, ne pouvant lui imposer ses idées de défense à outrance, et prônant la résistance et la force à ce chef usé et pessimiste qui ne songeait qu'à fuir. En 1793, son frère, le général Joseph-Amédée Sallier de La Tour (1736-1820) baron de Bourdeau, dont le château surplombe le lac du Bourget, ex-major général, faisait partie lui aussi des armées piémontaises. Lieutenant-général, il commandait alors le corps d'armée de Tarentaise chargé de garder le Mont-Cenis. Il descendit dans le rude val de Tignes avec 600 hommes qui s'établi- rent successivement dans les localités de Bessans, Bonneval, Val- d'Isère et Tignes qui n'étaient pas occupées par les Français. Il resta une douzaine de jours dans ce secteur, excitant à la révolte les populations qui s'armèrent pour aider ses troupes. Le 12 août il attaqua le village d'Entre-Deux-Eaux en Maurienne dont la gar- nison française se retira sans combattre et dans la nuit du 14 au 15 août, il surprit une soixantaine de soldats qui occupaient le poste de Villaroger et les fit prisonniers. En Maurienne, le général Victor-Amédée Sallier de La Tour marquis de Cordon, descendit également le Mont-Cenis le 14 août avec 7 000 soldats. Il occupa Termignon, Bessans et Saint-André que le général français Ledoyen abandonna, non sans faire démo- lir dans sa retraite tous les ponts sur l'Arc. Les corps d'armée des deux frères Sallier de La Tour qui s'étaient retrouvés pour défendre le Piémont, opéraient en coordination avec les troupes du duc de Montferrat, prince de Savoie. Le 14 août, le duc avait réuni 7 000 hommes sur le Petit-Saint-Bernard qu'il mit en marche contre les Français. Ceux-ci ne purent résister, les troupes can- tonnées aux Chapieux s'enfuirent par Beaufort ; celles du Bourg de Saint-Maurice se retirant par Moûtiers. Le baron Sallier de La Tour les poursuivit jusqu'à La Roche-Cevins, mais n'osa pas aller plus loin, les laissa s'établir à Conflans. Le duc de Montferrat, resté à Moûtiers, envoya des détachements occuper Beaufort et le Cormet d'Arêches (7). Pour harceler l'ennemi dans sa retraite, le marquis de Cordon fit placer deux canons à Bramans et deux obusiers en amont d'Aussois, ce qui obligea les Français à se retirer précipitamment à Modane et à Saint-André. Le 31 août le marquis de Cordon reçut du duc de Montferrat un ordre l'invitant à pousser en avant et à déloger les Français du poste de Montsapey, lui promettant l'en- voi de 1 200 hommes pour participer à cette attaque. Il ordonna à son frère, le général Sallier de La Tour de se porter avec de l'artil- lerie sur le plateau de La Chapelle et de pousser ses avant-postes jusqu'à Epierre et sur les hauteurs des hameaux supérieurs d'Ar- gentine. Pour faciliter l'attaque de Montsapey, le marquis de Cor- don jugea prudent d'envoyer préalablement trois compagnies de chasseurs, deux de grenadiers, cinquante volontaires et cent mili- ciens occuper les hauteurs de Saint-Alban des Hurtières. Les suc- cès militaires du marquis de Cordon et de son frère le baron de Bourdeau s'arrêteront au verrou de Charbonnière à l'entrée d'Ai- guebelle. Moûtiers en 1700.

En effet, en septembre la situation se renversait et les troupes françaises reprenaient du terrain. Venu de Lyon, le général Kel- lermann prépara activement l'offensive qu'il déclancha le 15 sep- tembre. Gardant pour lui la direction des opérations en Taren- taise, il laissa le général Ledoyen en Maurienne et envoya le géné- ral Santerre en Faucigny. Les Français avancèrent rapidement et l'on entrevoyait le moment où l'armée de Victor-Amédée III devrait évacuer Moûtiers. Le 20 septembre après une défense acharnée, les Piémontais durent abandonner le col de la Made- leine et le 30 septembre le duc de Montferrat simula une attaque sur Conflans mais c'était pour masquer sa retraite et le premier octobre il reprenait le chemin du Piémont. En Maurienne, le marquis de Cordon menacé de toutes parts, par Valloire et par le col des Encombres notamment, fut obligé de reculer sur le Mont-Cenis qu'il atteignit au moment où le duc de Montferrat avait dépassé le Petit-Saint-Bernard en direction d'Aoste. La tentative d'invasion des armées piémontaises n'avait duré que deux mois. Avec elles, un grand nombre d'habitants de la Tarentaise s'enfuirent en Piémont. Certains historiens les ont éva- lués à près de 4 000. Avant de quitter le pays, les officiers savoyards incitèrent notamment les prêtres réfractaires à les suivre, leur faisant envisa- ger ce qui les attendait s'ils demeuraient à leur poste, leur préci- sant : « Les Français revenus, le culte sera supprimé et vous serez jetés en prison ! ». C'est ainsi, par exemple, que le curé de Beau- fort, révérend Charles Blanc fut invité à émigrer sur les instances de Xavier de Maistre qui, officier dans l'armée piémontaise avait fait partie de l'avant-garde stationnée à la Roche-Cevins. Au moment du recul des troupes, de Maistre était passé par le difficile col de la Bathie et parvint à Beaufort. Logé chez le curé, c'est là qu'il le persuada de suivre l'armée sarde, ce qui n'allait pas sans lui causer des ennuis à son retour en Savoie, un peu plus tard. Révé- rend Vincent Guméry, vicaire et régent de l'école de Cevins avait obéi aux mêmes considérations de Xavier de Maistre. L'état- major sarde qui avait occupé son presbytère, quand les troupes de Victor-Amédée III reculèrent, le curé Guméry se décida à les suivre « dans la crainte d'être fusillé par les Français comme ayant donné asile à l'ennemi » (8). Comme à plusieurs reprises au cours des siècles précédents, par François I Henri IV, Louis XIII puis Louis XIV, les Français devenaient à nouveau les maîtres de la Savoie et le resteraient alors pendant 23 ans jusqu'en 1815. Puis en 1860, la Savoie deviendra définitivement française, mais cette fois, librement.

Les dernières années du marquis de Cordon et de son frère le baron de Bourdeau Le général baron Joseph-Amédée Sallier de La Tour fut chargé par Victor-Amédée III d'une importante et délicate mission, celle de signer l'acte officiel de l'armistice de Cherasco, tandis qu'au même moment son frère Victor-Amédée, marquis de Cordon rédigeait un traité, d'ailleurs demeuré manuscrit, sur «la guerre révolutionnaire menée par les Jacobins ». En 1794, le marquis devenait Grand-Maître de la Maison du roi à Turin, mais bientôt le découragement se conjuguant à la vieil- lesse et à la maladie, il assistait tristement à la défaite de Victor- Amédée III puis à son abdication. Il voyait aussi avec crainte la Savoie se républicaniser et il eut des craintes au sujet de la révolte des barbets (9) en Piémont et surtout de la contre-offensive russo- autrichienne. Devant tant de douloureux événements et de cataclysmes, Victor-Amédée Sallier de La Tour, comte de Che- vron et marquis de Cordon, général savoyard, mourait de tris- tesse en l'année 1800 à l'âge de 73 ans, après une vie bougrement remplie. Il avait été marié deux fois, veuf il avait pris pour épouse une jeune noble belge qu'il avait connue grace à son frère, le baron, alors établi à Bruxelles, mais le marquis n'eut aucun descendant. Quant à son frère, Joseph-Amédée, il siégea au Conseil éphémère de régence établi à Turin en 1799, dans l'attente, mais en vain, du retour du roi. Revenu aux honneurs en 1814, le baron Sallier de La Tour finira sa brillante carrière comme maréchal de Savoie et nommé par Victor-Emmanuel I gouverneur de la place militaire d'Alessandria, la magnifique ville d'Alexandrie, chef-lieu de cette province du Piémont. Victor--Amédée Sallier de La Tour, fils du dit baron, neveu et filleul du marquis de Cordon, fut le dernier du nom et du titre. Il était gouverneur général de Novarre (10) en récompense de la campagne de 1815 où il amena l'armée sarde à Grenoble. En 1825, le duc Charles-Félix le nomma ministre des Affaires étrangères du royaume, un des prédécesseurs du célèbre Benso Camille Cavour (1810-1861), un de ceux à qui l'on doit l'Annexion de la Savoie à la France en 1860. Victor-Amédée Sallier de La Tour (junior) marquis de Cordon a été le dernier maréchal de Savoie.

NOTES

(1) Enfant, j'ai bien connu à la Roche-sur-Foron. au château de l'Echelle, près duquel ma famille habitait dans la propriété toute proche de M. Léon-Auguste Forestier, ingénieur-architecte, au Plain-Château, les nobles demoiselles de Chissé de Pollinges, dernières descendantes d'une des branches de cette très ancienne famille de Savoie. Tout jeune, j'avais le droit d'aller jouer dans le magni- fique parc du château, édifié sur un plus ancien château médiéval, en échange de quoi, j'effectuais quelques commissions, le pain et le lait, pour les comtesses qui ne manquaient pas de me glisser une menue pièce de cuivre, à l'effigie du roi de Sardaigne Victor-Emmanuel II. En effet, pendant de nombreuses années en Savoie, après l'Annexion de 1860, les pièces de 10 centimes du temps sarde, d'ail- leurs à peu près identiques aux pièces françaises de même valeur, continuaient à être utilisées en Savoie. A la mort de la dernière demoiselle de Chissé de Pollinges, le château de l'Echelle fut acquis par un riche américain. Un été, un prince y résida, en raison de la proximité de Genève ; c'est l'archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine, préten- dant au trône d'Autriche, actuellement membre du Conseil de l'Europe, fils de l'empereur Charles I et de l'impératrice Zita de Bourbon-Parme. Le château de l'Echelle des de Chissé de Pollinges avec son parc et ses terrains de 4 hectares a été acquis par la ville de La Roche, par la municipalité de M. Albert Clavel, maire, il y a quelques années, et affecté à des réalisations culturelles et à d'autres envisagées, sans doute un musée d'art et d'histoire. (2) Massacres du 2 au 5 septembre 1792. Les détenus considérés comme traîtres à la nation, dont de nombreux nobles et prêtres furent massacrés dans les prisons et dans les couvents mais aussi des prisonniers de droit commun, en tout près de 1 200 victimes.(3) C'est notamment le Chambérien François-Amédée Doppet qui écrivit et publia ces pamphlets. Voir dans cet ouvrage : « Doppet, l'écrivain et le journaliste ». (4) Voir dans cet ouvrage «Le comportement des nobles français émigrés », dans le chapitre relatif au comportement des Savoyards au début de la révolution. (5) Charles-Louis Huguet, marquis de Sémonville (1759-1839), diplomate, a été remarqué par sa sagacité et ne fut pas étranger à la défection de Mirabeau. Il fut ambassadeur à Gênes en 1791, puis à Turin en avril 1792, où on refusa de le recevoir. Sémonville fut arrêté par les Autrichiens en Suisse, dans les Grisons en 1793 ; fait prisonnier, il fut échangé avec la fille de Louis XVI, Marie-Thérèse Charlotte, dite Madame Royale (née à Versailles en 1778, mariée en 1799 à son cousin Louis de Bourbon, duc d'Angoulême qui était le fils du comte d'Artois, morte à Frohsdorf le 19 octobre 1851). Après le 18 brumaire, Sémonville fut chargé de négocier l'alliance de la France avec la République Batave (Pays-Bas de 1795 à 1806, avant leur érection en royaume par Napoléon I Il fut sénateur en 1805, mais adhéra à la déchéance de l'empereur le 3 avril 1814, puis chargé de pré- parer la charte du régime de " la Restauration " pour Louis-Philippe qui le nomma Grand Référendaire à la Chambre des Pairs. Sémonville avait une très grande souplesse de caractère, se montrant toujours fort obligeant, mais versatile, put ainsi se faire accepter par tous les régimes. (6) La famille noble Sallier de la Tour était riche et elle posséda plusieurs fiefs avec les titres qu'ils comportaient. Celui de Cordon, proche de Sallanches, qui appartint tout d'abord aux Faucigny-Lucinges (lointains ancêtres maternels de Madame Valéry Giscard d'Estaing dont le grand-père est le prince de Faucigny- Lucinges) passa tout d'abord au fameux comte de Savoie, Amédée VI le Comte- Vert, lors de la réunion du Faucigny à la Savoie en 1355. Il passa ensuite au bâtard de Savoie, Pierre de Genève, puis en 1426 à Pierre de Menthon, de la branche de Montrottier et de Bourbonges, nom que prit le château de Cordon en 1457. C'est en 1700 que Philibert de Sallier comte de La Tour, grand-père de Victor- Amédée, reçut l'inféodation de Cordon et aussi de Combloux avec la création d'un marquisat. Sallier de La Tour était aussi comte de Chevron (sur la commune de Mercury-Gémilly, près d'Albertville). C'est Guillaume de Chamosset, descen- dant du baron de Gilly par sa mère, qui en 1755, vendit le château de la célèbre famille de Chevron-Villette à François-Joseph Sallier de La Tour, marquis de Cor- don, ambassadeur en Espagne, gouverneur du duché de Savoie, fonctions qui ne lui permettaient guère de résider à Chevron-Mercury, mais dont il portait le titre. en 1792, du fait de la Révolution, le château et son patrimoine furent déclarés «biens nationaux ».

Au sujet de la famille de Chevron-Villette, il faut rappeler qu'elle compta de nombreux personnages célèbres : Marguerite épousa le prince Humbert de Savoie au XIV siècle ; plusieurs participèrent aux croisades. Outre le pape Nicolas II (1059-1061) (né Gárard de Bourgogne) qui décida que le pape serait élu par les seuls cardinaux, ce qui est toujours en vigueur, cette famille donna à l'Eglise un évêque d'Aoste, quatre archevêques de Tarentaise, quatre abbés de Tamié et quatre abbasses dans divers monastères. Et la mère de saint François de Sales, Françoise de Sionnas qui deviendra l'épouse de François, seigneur de « Sales de Boysi, Balleyson et du Villaroget », est née en ces lieux. Et la famille de Chevron-Villette compta aussi maints géné- raux, gouverneurs, grands chambellans et ambassadeurs. Les Sallier de La Tour portaient également le titre de baron de Bourdeau, dont le château qui se dresse au pied du Mont-du-Chat surplombe de 80 mètres le lac du Bourget. Provenant de la noble famille de Seyssel, ce château fut vendu en 1688 par le collège des jésuites de Chambéry qui en avait reçu donation en 1671, à Phili- bert Sallier de La Tour, marquis de Cordon, ambassadeur puis ministre d'Etat auprès du duc de Savoie Charles-Emmanuel II (1637-1675). Le dernier possesseur du fief de Bourdeau a été Victor-Amédée Sallier de La Tour, marquis de Cordon qui émigra, comme il a été dit, en 1793. Le château subit des mutilations pendant la Révolution. Les renseignements de cette note sur les fiefs des Sallier de La Tour, provien- nent en majeure partie, de l'excellent et magnifique ouvrage Châteaux et maisons fortes savoyards de Mesdames Michèle Brocard et Elisabeth Sirot, aux Editions Horvath, Le Coteau (Loire). Il existait autrefois un château de Cordon à Billième près de Saint-Jean-de- Chevelu, dans le mandement de Yenne, mais qui ne concerne pas le marquis de Cordon. Ce château de Cordon devait faire partie du fief de Bregnier-Cordon, proche de Belley. (7) En Savoie, Cormet est une déformation de Colmet signifiant un petit col de montagne. D'après l'étymologiste A. Gros, Cormet est un dérivé roman du mot latin culmen ou plutôt du bas latin culmus : le sommet d'une montagne. Le Colmet ou cormet suppose donc une forme bas-latine : culmetum. Outre le Cormet d'Arê- ches, dans cette région, il y a également le Cormet de Roselend qui relit Bourg- Saint-Maurice à Beaufort par le verdoyant vallon de Roselend. Dans la Valpeline italienne, on trouve aussi le Cormet du Berrio et le Cormet du Val Charvaz. (8) D'après un document des Archives départementales de la Savoie, série L. et d'un « rapport du ministère de la Police de la Révolution au Directoire exécutif », un document des Archives Nationales, les deux étant cités par le chan. Joseph Garin dans Histoire religieuse de la Révolution en Tarentaise, tome I, librai- rie Bertrand-Papet, Albertville, 1935. Le récit de la campagne et de l'occupation de la Savoie par les troupes républi- caines françaises et celui des armées piémontaises et sardes ont été inspirés égale- ment de l'Histoire de la Maurienne (tome IV) « La Maurienne pendant la Révolu- tion », par les chanoines A. et L. Gros, Impr. Réunies à Chambéry, 1947. (9) Barbets : c'était le nom donné aux protestants vaudois, du nom du fonda- teur, Pierre Valdo, riche marchand de Lyon, qui abandonna ses biens et prêcha la pauvrete, n'admettant que la Bible, végétarien, rejetant en particulier la confes- sion verbale, le purgatoire, le service militaire et la peine de mort. Souvent persé- cutés, des Vaudois s'étaient installés en Piémont. (10) Novarre est la province d'origine de mes ancêtres, bien avant l'Annexion de 1860. Le hameau de Gianadda, transformé ensuite en Gianada est situé sur la commune de Curino-San-Martino, dans le mandement de Gattinara. C'était autrefois une carrière d'argile et une briquetterie familiale, puis municipale, et depuis longtemps inexploitée. C'est de ce village que proviennent également les familles installées en Suisse, notamment à Sion et à Martigny en Valais. Dans cette dernière ville, existe un remarquable musée d'art, d'histoire et de traditions popu- laires, de la fondation Pierre Gianadda, maintenant très connu.

ALEXIS BOUVARD (1767-1843) un savant qui ne se soucia guère de la Révolution

Alexis Bouvard fut l'un des plus remarquables astronomes français. Ce savant savoyard, uniquement voué à ses recherches et à la science, a vécu toute la Révolution sans y participer, ne s'en mêlant d'aucune façon, et ce qui a été rare, sans jamais avoir été inquiété. Il vivait caché la plupart du temps, dans sa modeste chambre ou dans son observatoire, pour pouvoir étudier et tra- vailler avec efficacité, dans la tranquillité et la sécurité. Le grand astronome Alexis Bouvard présente, de ce fait, un évident et exceptionnel intérêt. En effet, les hommes d'une telle valeur scientifique, comme l'était notre compatriote, qui ont tra- versé toute la période révolutionnaire, sans en subir les turbulen- ces, les méfaits, sans adhérer aux organisations qui s'étaient cons- tituées contre le régime monarchique, et même, sans prendre part aux manifestations de protestations, de violences et parfois de massacres que les partisans de la Révolution décidaient ou que le peuple provoquait, ont été rares. La vie d'Alexis Bouvard, homme de science exceptionnel, notamment pendant la grande tourmente, mérite d'être contée.

Le petit berger des Houches qui scrutait le ciel Alexis Bouvard naquit le 27 juin 1767, aux Houches, qui était alors un hameau de la commune des Contamines-Saint-Gervais, dans une famille de modestes paysans, qui eurent cinq enfants : une fille et quatre garçons, dont l'aîné s'était déjà expatrié pour alléger les charges paternelles alors très difficiles, comme dans presque toutes les familles rurales des montagnes savoyardes de l'époque. Très jeune, Alexis fut donc berger des quelques chèvres que possédaient ses parents, mais déjà il essayait de lire dans les alma- nachs qu'il trouvait. Et dès sa plus tendre enfance, il fréquenta l'école de son village, puis celle du chef-lieu de sa commune, où il se rendait pieds nus, ses sabots à la main, se révélant rapidement un élève studieux et intelligent, aimant lire, écrire et surtout calcu- ler. Et devant le chalet de montagne de ses parents, souvent, le soir et même une grande partie de la nuit, il contemplait le ciel, admirant le firmament, ce qui fut sans doute à l'origine de sa voca- tion d'astronome. Et déjà son regard anxieux scrutait la voûte céleste, essayant de comprendre les astres, étudiant leurs positions par rapport à cel- les de la nuit précédente.

En route pour Paris A l'âge de 16 ans, n'ayant plus rien à apprendre au pays, il vou- lut partir pour Paris, où vivait son frère aîné, mais ses parents s'y opposèrent, prétextant les dangers qu'il risquait d'y encourir. Deux ans plus tard, en 1785, sa ténacité finit par trouver raison de l'empêchement de ses parents, et un beau matin, il partit à pied, nanti seulement de son balluchon et de quelques pièces d'argent que lui remit son père, alors que sa mère l'embrassait en pleurant. A Paris, Alexis fut tout d'abord commissionnaire dans une mai- son de commerce, et avec ses premiers gains, il acheta des livres pour étudier le soir, et bon fils, il envoya de suite, le reste à ses parents. Puis ayant fait quelques économies, il habita rive gauche de la Seine et se rendait chaque soir au Collège de France, dans le célèbre Quartier Latin, où il se mêlait aux étudiants, pour y suivre les cours ou y écouter les conférences qu'y donnaient les éminents professeurs d'Astronomie Cousin et Mauduit. Mais le cumul de ce travail dur et des études, altérèrent très vite sa santé, et il suppor- tait mal le climat de Paris. Aussi en raison de son état, sur les con- seils de son frère, il fut placé comme domestique chez une vieille comtesse qui habitait rue d'Enfer, dans le quartier Raspail-Mont- parnasse. La journée il effectuait les travaux d'intérieur, nettoyage et cui- sine, mais la nuit bien sûr, il s'adonnait à ses tâches intellectuelles, à des études scientifiques et mathématiques et surtout à l'explora- tion du ciel, sa petite chambre étant pleine de télescopes, de glo- bes célestes, de cartes, et d'instruments divers. Les autres domes- tiques l'épiaient et un soir le virent sur le rebord du toit, parlant et gesticulant, ses lunettes braquées sur la lune et les étoiles. La com- tesse épouvantée le congédia, craignant qu'il ne fut atteint d'une espèce de folie ou de magie diabolique. C'est grâce à un tragédien italien qu'il trouva une solution pour ne pas être à la rue. En effet, Bouvard eut la bonne surprise de trouver aussitôt un emploi de valet de chambre chez un gentil- homme italien habitant Paris, Victor Alfieri, grand poète de tra- gédies, qui très rapidement comprit les talents et les mérites d'Alexis, l'encouragea et l'aida dans ses recherches et ses études pendant deux années, dont l'astronome garda le meilleur souvenir.

Et ce fut la Révolution... avec son ami le savant Bailly Sous la Révolution, Bouvard vécut très discrètement, conti- nuant à travailler et à s'instruire, notamment à l'aide de la fameuse Histoire de l'Astronomie de Bailly, ce savant qui fut aussi un homme épris des idées nouvelles, s'engageant très rapidement dans les mouvements révolutionnaires qui se créaient. Il est invraisemblable de constater que malgré l'entente et l'amitié qui unissaient Bailly et Bouvard, malgré les études et les recherches qu'ils effectuaient ensemble, Bouvard ne fut jamais pris à partie par les agents de la Révolution, alors que son ami Bailly, appelé à des fonctions en vue connaîtra, de ce fait, les pires ennuis. En effet, Jean-Sylvain Bailly, né à Paris en 1736, était non seu- lement un scientifique remarqué, mais également un homme de lettres apprécié. A 16 ans déjà, il avait composé deux tragédies, l'une Clotaire dans laquelle figurait un maire de Paris, égorgé par le peuple, une œuvre prémonitoire en quelque sorte, son auteur devant être nommé plus tard à ce poste et allant connaître des vicissitudes consécutives à cette fonction ; l'autre intitulée Iphigé- nie en Tauride, connaîtrait un certain succès après la Révolution (1). En 1763, il avait 27 ans, Bailly entrait à l'Académie des Scien- ces, et en 1789 il était élu député de Paris aux états généraux et nommé par ses collègues doyen du tiers état, une marque de con- fiance à laquelle il fut sensible. Le 3 juin, il était porté à la prési- dence de l'Assemblée Constituante où il fit preuve de modéra- tion, mais aussi parfois, lorsque cela était nécessaire de fermeté, étant apprécié pour son sens de la justice et de l'équité et par sa grande amabilité. C'est lui qui présida la fameuse séance du Ser- ment du Jeu de Paume et fut chargé, de par sa fonction, à accueillir à Paris, Louis XVI, les 17 juillet et 6 octobre 1789. La première fois, c'était pour reconnaître la souveraineté du peuple et l'adop- tion de la cocarde tricolore ; la seconde résulta de la marche du peuple parisien sur Versailles, le roi fut donc ramené à Paris où il se trouva sous le contrôle populaire. De Versailles, l'Assemblée Constituante fut alors transférée à Paris. C'est Bailly également qui dut accueillir Louis XVI après sa fuite à Varennes en juin 1791. Dans ses diverses fonctions, Bailly allait connaître bien des vicissitudes et des revers. Il n'hésita pas à faire appliquer la loi martiale contre les rassemblements du Champ de Mars du 17 juillet 1791. C'est sous son autorité que l'Assemblée décida de réprimer cette agitation populaire qui se termina par la fusillade. La Garde nationale, en effet, tira sur le citoyens venus porter une pétition républicaine, et Bailly perdit ce jour la popularité dont il jouissait jusqu'alors. Cité comme témoin au procès de la reine Marie-Antoinette, il eut le courage de déposer en sa faveur, ce qui allait lui porter défi- nitivement préjudice. Dès le 16 juillet 1789, il avait été désigné comme maire de la ville de Paris, fonction qu'il conserva un peu plus de deux ans, étant dans l'obligation de démissionner le 18 novembre 1791 et cédant la place à Pétion de Villeneuve, qui pour lui aussi, serait une triste aventure. Ce Jacobin qui demanda la déchéance du roi, fut le 20 septembre 1792, le deuxième président de la Convention, mais le premier qui fut élu ; il devint membre du premier Comité de salut public, mais proscrit avec les Girondins, il se suicida à Saint-Emilion en 1793, pour ne pas être guillotiné, comme ses collègues exécutés du 24 au 31 octobre. Pour échapper à ses adversaires, Bailly se cacha tout d'abord à Nantes, puis à Melun, pour être plus près de la capitale et de son ami, le savant Laplace et bien sûr, de son autre ami Alexis Bou- vard. C'est à Melun que Bailly fut arrêté et traduit devant le tribu- nal révolutionnaire de Paris qui le condamna à mort comme traitre à la Révolution. Sa conduite irréprochable et son comportement toujours exemplaire lui valurent la vengeance de ses anciens collè- gues et il eut le sort qui attend, en temps de Révolutions, les hom- mes honnêtes et modérés comme lui. Bailly montra un courage stoïque en gravissant les escaliers de l'échafaud : «Tu trembles », lui dit l'un de ses bourreaux, en le voyant frissonner sous une pluie glaciale, en ce 22 brumaire de l'an II (11 novembre 1793) ; « Oui, mon ami, mais c'est de froid » lui répondit-il, avec fierté et cet humour dont il ne s'était jamais départi ! Ce qui peut surprendre aussi chez Bailly, dans la relative courte vie : 57 ans seulement, et malgré les hautes charges qu'il assura pleinement et qui l'occupaient donc énormément soit poli- tiques, soit scientifiques, c'est qu'il trouva encore le temps d'écrire et de publier de très nombreux ouvrages qui ont fait auto- rité. C'est, par exemple L'origine des sciences et L'Atlantide de Platon (2) et plusieurs volumes de ses discours et de ses mémoires. Mais il écrivit aussi des livres politiques tels les Mémoires d'un témoin oculaire de la Révolution, en trois volumes. Alexis Bouvard fut très affecté, comme on peut l'imaginer par la mort tragique de son ami Jean-Sylvain Bailly, qu'il admirait profondément. Mais lui pendant ce temps de la Terreur, en fait de révolution, il n'observait que celle des astres et comme sa situa- tion était plutôt précaire, il donnait des leçons de mathématiques à de jeunes élèves fortunés, dont certains devinrent généraux ou ambassadeurs, qui lui en surent gré et reconnaissants. C'est en 1793, à 25 ans, qu'Alexis Bouvard eut la joie d'entrer comme élève attitré à l'Observatoire National de Paris (3). Lauréat de l'Institut, il est félicité par Bonaparte Un mémoire d'Alexis Bouvard sur la comparaison des observa- tions des tables pour déterminer la longitude de l'époque lui valut d'obtenir en 1800, le prix de l'Institut de France, qui lui fut remis par le Premier Consul Bonaparte lui-même. Et en 1803, venant de publier la première édition de ses Tables de Jupiter et de Saturne il fut nommé membre de l'Institut. L'année suivante l'ancien petit berger des Houches et des Contamines était nommé astronome titulaire, chef du Bureau des Longitudes à l'Observatoire de Paris. Au cours des années 1805 et 1806, c'est avec le célèbre François Arago qu'il collabora, le directeur de l'Observatoire de Paris, qui allait également faire de la politique, en devenant député d'extrê- me-gauche, puis membre du Gouvernement populaire de 1848 et ministre de la Marine et de la Guerre, faisant alors voter l'aboli- tion de l'esclavage dans les colonies françaises.

Ce Savoyard découvrit la planète Uranus Enfin en 1821, Bouvard publiait ses fameuses tables " d'Ura- nus ", qui présentaient un intérêt scientifique important. En effet Uranus n'avait été découverte qu'en 1781, donc que 40 ans plus tôt ; et après seulement 8 ans d'observations, notre éminent com- patriote déterminait avec une précision remarquable les perturba- tions éprouvées dans sa marche et son évolution par cette planète. Les découvertes astronomiques de Bouvard ont fait par la suite l'objet de vérifications et de communications par des astronomes non seulement de France, mais d'Allemagne, de Suisse et d'autres pays qui reconnurent l'exactitude de ses recherches. A l'Institut de France, il lui fut remis la rosette d'officier de la Légion d'Honneur, qu'il reçut avec la simplicité qui caractérisa toute sa vie de savant. Et à la fin de sa vie, sa situation pécuniaire s'étant quelque peu améliorée, des Savoyards de Paris témoignè- rent qu'il aidait volontiers ses compatriotes moins fortunés, ou dans la gêne, et il fut l'un des fondateurs de la Société Philanthro- pique de Paris, de Secours Mutuels. Comme quoi la science n'ex- clut pas la bonté, la générosité et l'amitié. Il resta d'ailleurs, tou- jours par la pensée, fidèle à la Savoie, et à sa région natale de la vallée de l'Arve.

Sa dernière nuit à l'Observatoire de Paris Il mourut en 1843, à l'âge de 76 ans. Alors qu'il était par une froide nuit d'hiver, sur la plate-forme de l'Observatoire de Paris, à chercher des comètes, il s'endormit. La neige tombait abondam- ment, il se réveilla gelé et presque paralysé, et n'eut que la force de se traîner jusqu'à la chambre proche. Une pneumonie et une ophtalmie graves allaient bientôt emporter cet homme qui lutta pourtant jusqu'à la fin. Gravement malade, il demandait avec insistance qu'on lui donnât sa table de logarithmes pour travailler et calculer encore... C'est ainsi que rendit le dernier soupir de grand savant qui fit honneur à la Savoie et à la France.

NOTES

(1) En mythologie, Ephigénie est la fille d'Agamemnon et de Clytemnestre, sacrifiée par son père pour obtenir le vent favorable à la flotte des Grecs partant pour Troie ; selon certains auteurs, fut sauvée par Artémis qui fit d'elle sa prê- tresse en Tauride, ancienne province de la Russie méridionale, aujourd'hui la Cri- mée. Plusieurs grands auteurs traitèrent de ce sujet, dont Euripide, poète grec (480- 406 av. J.-C.), « Iphigénie à Aulis », tragedie posthume ; et Iphigénie en Tauride (du même auteur) ; Iphigénie en Aulide (petit pays de l'ancienne Grèce) de Racine en 1674 et tragédie-opéra de Gluck en 1774; « en Tauride » : tragédie- opéra de Gluck en 1779 ; tragédie également de Goethe en 1780 à 1786. La version de Bailly, fut interprêtée au théâtre français, bien après sa mort. (2) Cet ouvrage de Bailly est une dissertation sur l'œuvre de Platon, philosophe grec disciple de Socrate intitulée « Critias ou de l'Atlantide », grande île située par les anciens Egyptiens et par les Grecs au-delà des colonnes d'Hercule (détroit de Gibraltar) dans l'océan Atlantique. Cette île aurait été engloutie en deux temps, vers 9000 av. J.-C. L'existence même de l'Atlantide a été contestée, mais certains indices la rendent probable, notamment une muraille sous-marine découverte en 1969, près de l'île de Nord-Bimini, dans les Bahamas. L'Atlantide a fait l'objet de plusieurs ouvrages littéraires dont celui de Pierre Benoît, romancier (1886-1962) en 1919, qui s'est inspiré de Bailly. (3) Cette évocation de l'astronome Alexis Bouvard, s'inspire de la remar- quable étude qu'avait faite M. Jules Forni, avocat à la Cour d'Appel de Paris, pré- sident de la Société de Secours Mutuels fondée pour les émigrés savoyards dans la capitale « La Société Philanthropique Savoisienne ». Cette étude de Maître Forni constituait le discours qu'il prononça à l'ouverture de l'assemblée générale du 12 décembre 1886 de cette société, et publiée par l'Imprimerie Nouvelle, place Monge à Chambéry, alors propriété du journal Le Patriote Savoisien, Chambéry, 1888. Cette publication intitulée «L'astronome Bouvard» était dédiée à Louis Pirasset, secrétaire de la Société Philanthropique Savoisienne, et l'exemplaire que j'ai eu sous la main, dédicacé de la main de Maître Forni au comte Joseph de Manuel de Locatel de Conflans.