La Justice Et Le Droit
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Communio, n ° III, 2 - mars 1978 La justice et le droit juste répartition. Toutes modulent sur les claires propositions d'Aris - Claude BRUAIRE : tote : proportion entre les mérites et les revenus, le travail et les prix, égalité entre ces rapports rationnellement déterminés en chaque cas, c'est-à-dire la juste inégalité dans la vie, dans l'octroi des moyens de vivre. Ainsi, la raison commune contredite dans les faits doit être restau- rée. Et si la rationalité ne suscite pas l'enthousiasme, on puise la passion La justice et le droit à sa source la plus vive, au manichéisme capté par le marxisme dans son appel à la lutte des classes. Il faut certes, comme l'on dit, « lutter pour la justice » ; LA première nécessité, en abordant ce thème de la justice, était donc d'en mais ce n'est possible qu'en distinguant des ordres de avoir le cœur net : oui ou non, le christianisme proclame-t-il une justice : justice économique, justice politique, miséricorde justice d'un autre ordre, avec un sens neuf et irré ductible, puisé à divine enfin. A les confondre, on n'aboutit jamais qu'au la vérité de son Dieu ? Il fallait donc ouvrir la Bible, relire les textes majeurs, écouter la tradition vive de l'attestation chrétienne, totalitarisme. réapprendre ce que dit la révélation de la justice divine. Alors les mots de l'injonction évangélique recouvrent l'éclat des choses de Dieu : en sa vérité absolue, qui est surabondance de l'amour, la justice est TOUS les démagogues qui cherchent notre adhésion et quêtent miséricorde qui outrepasse la rationalité, réconciliation qui consume les notre suffrage brandissent l'étendard de la justice. Il est convenu que vengeances, voie de sainteté qui conforme l'action des hommes à la vie cette cause sacrée ne mérite ni précision ni discussion. Celui qui se divine. risquerait à demander : « Quelle justice promettez-vous ? », serait aussitôt Cependant, les chrétiens ne peuvent se replier sur eux-mêmes pour tenu pour un mauvais esprit, soupçonné de complicité avec l'injustice retenir des paroles sacrées que les hommes n'entendent pas, pour et de perversité intellectuelle. Qui ne serait sensible aux inégalités, aux contempler la signification précieuse et singulière, inédite dans le cours différences insupportables des niveaux de vie, aux écarts du monde, de la Justice selon le Christ. Là, comme ailleurs, chaque fois scandaleux des revenus, aux disparités des chances, à l'exploitation que la vérité est en cause, le christianisme ne saurait être ésotérique et inique des ressources de la terre par le petit nombre ? La justice est sourd, clos dans un privilège de la foi scellée pour l'incroyant. Simple- évidemment le contraire de ces maux, c'est l'équitable distribution des ment mais rigoureusement, le caractère épiphanique de la venue de Dieu, richesses. de sa Parole faite chair dans l'histoire, interdit de tenir la vérité captive. Les chrétiens ne sauraient être à distance d'une telle évidence et muets Celle-ci doit s'éprouver par les questions communes, s'éprouver à la devant l'injustice. Il leur faut donc clamer la même exigence, et le faire raison commune. C'est pourquoi nous sommes convoqués à l'écoute de la avec la voix pure et dure de l'authenticité évangélique. Mais sans rien justice des hommes, mis en demeure de partager les demandes univer- ajouter qui leur soit propre, qui viennent de leur foi, de leur Dieu... selles et d'y répondre. Dieu serait venu en vain si le dialogue de la foi et C'est pourquoi, en écoutant les chrétiens exhorter leurs frères au de la raison demeurait un dialogue de sourds. « combat pour la justice », les hommes d'aujourd'hui, massivement DE cette écoute, de cette épreuve, résulte la nécessité de mettre en ordre irréligieux, sont tentés de conclure au silence de Jésus-Christ sur le sens notre volonté de justice, pour qu'elle n'en ressorte pas divi sée, et l'exigence de justice. Les chrétiens ne demandent là ni plus ni moins contradictoire, infirme. C'est pourquoi il nous faut tenir que les autres, au point qu'ils ne semblent embrasser cette cause distincts et ensemble des ordres de justice, au sens que Pascal donnait à commune, plus vieille et plus jeune que leur religion, qu'afin de capter ce mot, c'est-à-dire des niveaux de sens dans l'existence, niveaux à la fois l'attention pour leur propre message. Mais la révélation divine qu'ils hiérarchisés et irréductibles. Ainsi, la surabondance de la miséricorde voudraient annoncer, la Bonne Nouvelle prétendue, serait muette sur la transcende efficacement, en puissance et en sens de Dieu, la rationalité justice, au point de laisser une immense tache aveugle là où l'espoir des distributive, mais en laisse intacte la nécessité et en avive l'exigence. Elle. hommes est si vif et leur exigence si impatiente. donne une part inattendue à l'ouvrier de la dernière heure. Elle accom- Fastidieusement, même si le zèle confine ici à la violence, les clercs et plit l'incroyable en gardant l'héritage du fils prodigue. Pourtant, la misé- les laïcs qui occupent les tribunes relancent les formules antiques de la ricorde suppose que la justice des hommes soit honorée avec une dure 2 3 Communio, n ° III, 2 - mars 1978 La justice et le droit rigueur : point question d'ôter son dû à l'ouvrier de la première heure ni sa part au fils demeuré fidèle. André FEUILLET : Il manque encore un ordre de justice. Entre ce que Dieu nous apprend, qui ne peut s'enfermer dans nos lois sous peine de faire violence, et ce que demande la raison économique, la justice doit accomplir autre chose. Chaque homme, en effet, qui a droit à sa juste part, a droit, par grâce de Le Sermon sur la Montagne Dieu, à la miséricorde, à condition que le droit de son esprit soit honoré, que soit reconnue sa vocation à la liberté. Sinon, la juste répartition pour- rait s'appliquer à un troupeau d'esclaves, cependant que l'amour de Dieu Les deux aspects de la justice serait répudié de la terre. Il faut donc que droit soit garanti à la liberté de chacun, en dépit de tout, sans acception des différences de nos rôles, de nos forces. Tel est l'ordre et l'exigence de la justice politique. Les hommes le peuvent, à condition de n'oublier jamais que nul ne vit seule- ment de pain, dès lors que l'esprit habite sa chair. Les hommes, par leur justice, poursuivent la rectitude morale ; Jésus leur répond en annonçant une autre justice, qui vient comme un don du Père. L'une et l'autre se rejoi- ICI, le chrétien ne peut se contenter d'être témoin de l'esprit fragile. Il gnent et s'accomplissent dans la personne du Christ. l'est, certes, mais selon l'unique et universelle manière de l'Esprit impérissable de Dieu. C'est dire qu'il doit sans cesse vouloir, à temps et à contre-temps, que tout homme soit reconnu dans sa vocation à la liberté, protégé dans son droit à l'exercer, puisqu'il sait dans sa foi que tous sont appelés à la liberté des enfants de Dieu, que chacun a un prix DANS le Sermon sur la montagne tel que nous le rapporte saint infini. Comment oublierait-il la longue obstination de son Église à faire Matthieu, cinq passages qui sont sans parallèles dans le inscrire dans nos institutions politiques la reconnaissance effective de troisième évangile nous parlent de la justice : 5, 6, 10, 20 ; 6, 1, 33 l'esprit libre auquel tous les hommes sont promis ? L'oublier serait notre (1). Cette justice a un caractère paradoxal, car trois des textes que condamnation, au moment où cette égalité du droit, récente et frêle, est nous venons de mentionner (5, 10, 20 et 6, 1) la présentent clairement tant menacée par les puissances sans précédent de l'efficacité, de la comme un idéal moral que l'homme s'applique à atteindre par son effort performance, de l'eugénisme. Gardant le seuil de la nécessité du droit, personnel, tandis que les deux autres textes (5,6 et 6, 33) inclinent à voir nous rendons à César ce que Dieu lui demande de rendre aux hommes. bien plutôt dans la justice un don divin lié au salut que Jésus est venu La justice économique, d'ordre rationnel et naturel, requiert la justice apporter au monde. Comment rendre compte de ce paradoxe ? politique pour l'ordre de l'esprit humain, quand la justice de Dieu Volontairement schématiques, les indications qui suivent essaieront s'annonce miséricorde. Celle-ci est d'un autre ordre, surnaturel. d'éclairer cette énigme. Nous serons ainsi amenés à comparer la justice Ainsi, le chrétien demande la justice, mais toute la justice. Il devrait du Sermon sur la montagne à « l'accomplissement de toute justice » lors être le mieux armé, en conséquence, pour être ici actif, inventif, pour du baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain (Matthieu 3, 15), encore garder et promouvoir. A condition de refuser toute sécularisation une donnée propre au premier évangile. Dans une brève conclusion, nous absurde qui ruine l'espérance dans le Royaume. rapprocherons la justice dont parle saint Matthieu de celle dont nous entretiennent les épîtres pauliniennes. Claude BRUAIRE Fruit de longues recherches antérieures, ces quelques pages n'ont pas l'ambition de tout dire sur un sujet assurément vaste et très complexe. Elles ne sont destinées qu'à suggérer une intelligence meilleure du Claude Bruaire, né en 1932. Agrégé de philosophie, docteur ès-lettres.