GÉOPOLITIQUE

IEP 4e année

Préparation du contrôle écrit*

À l'aide des informations contenues dans le dossier ci-joint (et exclusivement celles-ci), vous préparerez et apprendrez des fiches en vue de traiter (si la matière est tirée au sort) le sujet suivant :

GÉOPOLITIQUE DU NIGÉRIA

- Vous lirez attentivement la documentation et vous étudierez les cartes pour recenser, conformément à la méthode d’analyse présentée et illustrée en cours, les facteurs permettant d’expliquer la situation au Nigéria.

- Vous prendrez garde de n'oublier aucun domaine important.

- Vous préparerez et apprendrez des fiches regroupant et commentant les informations retenues en vue de l’exercice de synthèse qui vous sera proposé ultérieurement si la matière est tirée au sort. ------* Les étudiants étrangers prépareront tous ce travail et ils seront interrogés à l’oral sur ce dossier NIGÉRIA :! QUELQUES CARTES POUR AIDER À COMPRENDRE! Atlas de l'Afrique, Paris, 2011, Éditions du Jaguar, p. 186 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/ Atlas du , Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 65 Atlas du Nigeria, Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 67 Atlas de l'Afrique, Paris, 2011, Éditions du Jaguar, p. 188! Atlas de l'Afrique, Paris, 2011, Éditions du Jaguar, p. 189 Atlas du Nigeria, Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 101 Atlas du Nigeria, Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 123 Atlas de l'Afrique, Paris, 2011, Éditions du Jaguar, p. 187

Alain Dubresson, Jean-Yves Marchal, Jean-Pierre Raison, Les Afriques au sud du Sahara, Géographie universelle, Paris 1994, Belin p. 96 Population & Avenir, n° 682 (mars-avril 2007) http://news.bbc.co.uk/media/images/ http://www.artheos.org/

http://www.cosmovisions.com/Nigeria-Carte- Ethnographie.htm Atlas du 21e siècle, Paris, 2009, Nathan p. 120 http://ddc.arte.tv/cartes/252 http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-16510922 http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-16510922 http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-16510922 Amaël Cattaruzza, Atlas des guerres et conflits : Un tour du monde géopolitique, Paris, 2014, Autrement, p. 63 Amaël Cattaruzza, Atlas des guerres et conflits : Un tour du monde géopolitique, Paris, 2014, Autrement p. 62 http://www.arcre.org/2014/05/06/boko-haram-veut-traiter-les-lyceennes- enlevees-en-esclaves/

Baga ! avant et après! l’attaque de ! ! Georges Duby (s. d.), Atlas historique mondial, Paris, 2011, Larousse, pp. 258-259 Georges Duby (s. d.), Atlas historique mondial, Paris, 2011, Larousse, p. 278 Georges Duby (s. d.), Atlas historique mondial, Paris, 2011, Larousse, p. 279 Atlas du Nigeria, Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 73 Atlas du Nigeria, Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 74 Nigel Dalziel, The Penguin Historical Atlas of the British Empire London, 2006, Penguin, p. 72 Nigel Dalziel, The Penguin Historical Atlas of the British Empire London, 2006, Penguin, p. 73 Atlas des esclavages p. 24 & p. 36 Nigel Dalziel, The Penguin Historical Atlas of the British Empire London, 2006, Penguin, p. 31 Atlas des guerres et des conflits p. 62 Atlas des guerres et des conflits p. 42 Atlas des esclavages pp. 82-83 G E O G RAP HI E T]I\IVE RS E LLE SOUS tA DIRECTION DE ROGER BRUNET

Les Afriques ru sud du S ahata

ALAII\ DT]BRESSON JEAN-YVES MARCHAL JEA]\-PIERRE RAISON

ATTENTION : LES CHIFFRES SONT ANCIENS ACTUALISEZ AVEC LE DOCUMENT SUIVANT

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PT]BLIÉ AVEC LE COI\COURS D U CEI{TRE 1\ATIOI\IAL DU LIVRE BELIl\ I RECLT]S I\igeia: l'Afrtque du nombre

Riche à lui seul d'un cinquième de la population totale de l'Afrique noire, le Nige4a est un géant ümograpbique. Espace tripolaire subtilemenT gouuerné, grâce à un systèmefédéral com,plexe, le pays a connu. dans les années 1970, la ricbesse par le pétrole, qui a donné I'illusion du deueloppement mais a surtout engmdré une crise finAnci,ère, alimentaire et urbaine dont les conséquences sont difficiles à géru,

«Ceux qui rendent impossible le changement pacifique Seul le pays yoruba, construit sur des cités-États, présente, sauf danq rendent inévitable le changement violent». l'Edo, une grande homogénéité ethnique. Côté nord, les Haoussa Wole Sovtnrn vivent à l'ombre de leurs conquérants fulani (peul) et ne sont majori- taires que dans moins de la moitié des États. Côté sud-est, les Igbo sont majoritaires dans quatre États (Abia, Anambra, Enugu et Imo) epuis sa création en l9l4,1e Nigeria connaît différentes tensions mais sont en butte à l'hostilité de leurs voisins, qui les gênent dans entre les enracinements multiples des groupes et la volonté de leur désir d'expansion. Mis à part le pays ibibio (État d'Akwa Ibom), construire une nation. Il oscille en permanence entre la culture des les périphéries moins denses sont devenues autant de zones de colo tenoirs et celle des cités, entre une vision rurale bornée par un horizon nisation pour les trois pôles, quand ceux-ci ont connu des phases local ou régional et une tradition marchande internationale. Construit d'expansion politique ou économique: une colonisation qui a suscite sur le modèle d'un fédéralisme en trompe-l'æil, le Nigeria malaxe sans résistances, replis sur soi, acculturation ou alliances défensives avec anêt son espace politique de peur de le figer dans un mouvement tantôt le pôle le plus éloigné contre le plus proche. girondin, tantôt jacobin, aidé en cela, depuis 1913, par l'argent du pétrole, quelque peu tari aujourd'hui. La fédération affiche une inso- Si l'espace nigérian est divisé par l'«Y>> Niger-Bénoué, grande voie lente capacité à construire petit à petit, par-delà les aléas d'une histoire fluviale navigable qui traverse le pays sur plus de 1 500 km, les berges récente chaotique, un tenitoire, base de son affirmation nationale. Si le des fleuves, quasi désertes, ne l'ont en aucune façon structuré. Il aélé passé n'avait été si prégnant dans la vie politique et culturelle façonné par les constructions politiques anciennes, qui se sont préoc- actuelle, on pourrait consid *w que la classique césure zonale cupées de tenir les routes marchandes tenestres, qu'il s'agisse des commandée par les précipitations détermine seule les subdivisions du États ayant affronté les conquérants britanniques (royaumes yoruba. tenitoire nigérian. Les constructions politiques précoloniales et la empires de Sokoto et du Bornou) ou de leurs anciens vassaux conune référence ethnique ne constitueraient pas des horizons en apparence les quat orzeÉtats haoussa, le royaume nupé ou encore celui du Bénin indépassables si les colons britanniques et leurs héritiers n'en avaient Rebutés par une côte basse à lagunes et à mangrove, pff une bane fait un usage inconsidéré pour consolider leurs visées hégémoniques délicate à franchir, les populations nigérianes et le colonisateur britan- plus que pour forger un tenitoire national. Ce qui divise, ce qui exclut nique n'ont pas donné, sur la côte orientale, un nouveau souffle aur ou ce qui unit est à rechercher dans ce passé revisité. cités fluvio-maritimes esclavagistes du delta du Niger, de la Cross River ou de l'empire aro, florissantes au xxe siècle, mais ont préféÉ créer, de toutes pièces, des villes nouvelles à f intérieur: Onitsha ['esp îce tripolaire Enugu, Aba, Oweni ou Port Harcourt. Peuplées par les anciens esclaves igbo, plus prolifiques et plus dynamiques sous la colonisation epuis fort longtemps, 1'espace nigérian est organisé par trois que d'autres peuples, celles-ci sont devenues dominantes au détriment pôles ayant chacun centre et périphérie: le Nord centré sur le de Calabar, capitale du protectorat nigérian à l'aube de la conquête pays haoussa, le Sud-Ouest sur le pays yoruba et le Sud-Est sur le britannique, qui n'a plus d'arrière-pays depuis qu'en 1961 la Came- pays igbo. Mal reliés entre eux, ces pôles sont loin d'être homogènes. roons Provinc e a été rattachée à la fédération camerounaise.

UA Nlgeria: l'Afrique du nambre Tr- NTGER Loc Tchad

I3.1 - Les trois pôles ethniques du Nigeria Entre les trors noyaux dense5 haoussa-peul, yoruba et igbo, héritiers d' organ sations pol fttq ues ayant su maîtnser le milieu et capitalser /es hommes, et chacune de leurs périphériet se forgent BENIN alliances et oppositions qui consoldent ou écartèlent le Nigeria.

CAME ROU N

Limite d'Etot - Limite de l'Étot fédérol pôles Villes les trois milliers d'hobitonts ethniquei Logos {en } Wcæur (,rooo O Yorubo Océon Atlantique () @ lsbo 5oo t/ @ Hoousso-Peul O 200 100 ffiPériphérie

Ainsi le Nigeria a-t-il tourné le dos à la mer pendant que la «chefferie C'est ainsi que les communautés païennes des savanes se sont réfu- traditionnelle» a réussi à peser sur la vie politique et à occuper des giées sur les plateaux, inselbergs ou montagnes qui émaillent le positions de pouvoir en vue dans l'appareil administratif et écono- Nigeria central, conservant leurs institutions, leurs rites et leur mode mique. Le califat de Sokoto ne fut-il pas l'un des plus puissants États de vie communautaire dans une grande frugalité, au prix de mille de l'ère précoloniale, avec un tenitoire de plus de 400 000 km2, innovations. À leur pied s'étendent des espaces vides où la végé- s'étendant de I'actuel Burkina-Faso au Cameroun central, diffusant tation est une niche écologique pour les glossines qui rendent la f islam par ses prédicateurs (mallams) et permettant le commerce à Middle Belt insalubre tant aux animaux qu'aux hommes sur de longue distance de la cola et des objets artisanaux produits dans les vastes étendues. De même, dans la forêt, les Igbo, cible favorite des villes passées sous son autorité? Comment construire le Nigeria intermédiaires de la traite, n'ont eu d'autre issue que de s'enfoncer contemporain sans donner leur part aux descendants des cavaliers loin des fleuves, d'où venaient les chasseurs d'esclaves, dans les d'Usman dan Fodio et à ceux de la civilisation d'Ife? formations végétales denses. Soumis à un prélèvement massif, ils utilisèrent pourtant leur fécondité pour submerger et dominer à leur La craiHte de la maladie du sommeil et les difficultés techniques tour leurs voisins, anciens oppresseurs, qui ont pris leur revanche d'aménagement des tenes fluviales et deltarques mises à part, les lors de la guene du Biafra. conditions écologiques générales noont guère pesé sur la répartition du peuplement. En revanche, fuir les raids esclavagistes venant de la côte ou des États constitués de f intérieur a été I'obsession des popu- Des minoritês gffafites de l'unitê nationale lations non organisées d'un pays qui a longtemps payé un lourd tribut à la traite transatlantique et à I'approvisionnement en esclaves de la 'N'existant pas «en soi>>, l'ethnie est d'abord qualification de plupart des États gueniers et marchands de la savane et de la forêt. Il f I l'extérieur et, en même temps, affirmation d'une différence en résulte des distorsions géographiques étonnantes dans Ia répafii- culturelle réelle ou supposée qui surgit quand des relations asymé- tion d'un peuplement guidé par la recherche de la sécurité d'abord, triques entre groupes sociaux prennent le pas sur le métissage, les puis de la subsistance, et enfin de la salubrité écologique. emprunts ou f intégration consensuelle. En fait, elle a servi d'abord à

171 quadriller le Nigeria grâce àl'indirect rule mise au point dès 1891 et I «gâteau national» en faveur de leur région. Le recours à l'ethnie sert théorisée ensuite par lord Lugard, le premier haut-commissaire du aussi les politiciens dans leurs intérêts de classe, par la qéation de Nigeria septentrional, devenu en 1914 gouverneur généralde la fédé- réseaux étendus de clients et de protégés. Les Haoussa d'Ibadan en ration nouvellement constituée à son initiative: au «gouvernement sont un bon exemple. Ils cherchent à garder le monopole du groupe ethnique» légitime ou créé de toutes pièces, comme celui des sur certaines filières commerciales (cola, bétail), en interdisant warrants chiefs du Sud-Est, d'assurer la régulation sociale locale; à la l'accès aux autres musulmans influents. Dans les groupes scindés par puissance colonisatrice le soin d'extraire les ressources et de réguler la frontière internationale (Yoruba, Haoussa, Ekoi) se crée une les conflits intertribaux. Diviser et régner. activité marchande d'autant plus dynamique qu'elle renforce la communauté culturelle. Tant et si bien que le multipartisme à la Aux origines des premières organisations de la vie politique actuelle, nigériane a bien du mal à promouvoir un gouvernement soucieux l'Action Group ou le National Council of Nigerian Citizens (NCNC), d'une gestion saine et rigoureuse des affaires de l'Etat, il faut rechercher le mouvement culturel pan-yoruba Egbe )mo )dunwa et les associations d'Igbo (Tribal Unions) établies dans les En raison du fractionnement ethnique et des rivalités, la classe politique villes et les régions d'immigration à des fins d'entraide. Devenus doit, pour assurer sa base régionale à l'intérieur d'un système décen- partis politiques d'obédience régionaliste, ces mouvements se sont tralisé, contracter alliance avec les groupes les plus éloignés de ses transformés d'abord en machines de guene contre le colonisateur, centres d'intérêt contre ses propres voisins: Ijo appuyés par les Haoussa puis en groupes de pression agissant pour un partage préférentiel du I contre les Igbo, par exemple. Ceci a été institutionnalisé en 1979:

172 pour être élu président, il faut en effet réunir au moins 25Vo des vorx I 30 en l99l), la réduction autoritaire du nombre de partis (deux selon exprimées dans les deux tiers des États, ce qui conduit à rechercher la constitution de 1989, le Social Democratic Party et la National des relais hors de la région où l'on est assuré du succès. Ce système Republican Convention) et le maintien du statut laiQue de la fédéra- d'alliances permet aux petits groupes d'avoir un rôle hors de propor- tion. L'annulation des résultats des élections présidentielles de 1993, tion avec leur poids démographique, tant que les trois grands sont qui avaient vu la victoire d'un Yoruba musulman, et le maintien de rivaux. Au point que l'existence même du Nigeria serait le fait des l'armée au pouvoir sonnent pour une durée indéterminée le glas de ethnies minoritaires, plus soucieuses que les autres des avantages que cette troisième république que les militaires voulaient contenir dans procure l'intégrité du pays. Investissant la fonction publique fédérale des limites constitutionnelles strictes. et l'armée, elles se sont donné les moyens de faire prévaloir leur point de vue quand la fédération s'adonne aux jeux dangereux des dissen- L'islam, ptr son statut de première religion du pays, par le nombre sions internes. En !954 pourtant,la constitution de Lyttleton donnait des fidèles et I'ancienneté de leur conversion, aurait pu déstabiliser la le pouvoir aux groupes dominants des trois grandes régions. Dans ce construction toujours fragile de l'État, La fédération nigériane n'est- schéma, , centre politique, ne disposait que d'une faible marge elle pas la nation de confession islamique la plus peuplée du de manæuvre. Il faudra les troubles de 1963 et la guene de sécession continent? On voit naître dans cette masse de fidèles différentes de 1967 -1970 pour offrir aux «sans grade» l'occasion de participer au façons de vivre leur religion: courant légitimiste du Nord qui partage. D'où leur lutte pour un pouvoir fédéral fort, la multiplication s'oppose à des courants insunectionnels au sein même de la région, des États fédérés (5 en 1963,12en 1967,19 en 1976,2l en1987, I islam singulièrement plus tolérant du pays yoruba... Refuser la loi

173 : [a gestion d'un désordre

I e Nigeria doit à lord Lugard la uéation de son entité tenitoriale à ^LJ partir de trois unités (ou régions) administrées indépendamment, le «protectorat direct» du Sud, la concession privée du Nord, la colonie de Lagos, et d'un mode de gestion indirecte favorisant les notables en place. Le drainage économique vers l'extérieur a précédé l'élaboration d'un cadre administratil et les points forts de ce réseau n'ont guère changé avec le temps. Tout l'effort a consisté ensuite à créer et à renforcer un système fédéral installé en 1954 et que les Britanniques avaient voulu faible. C'est la guene du Biafra, «gueffe de sécession» nigériane, qui permit au «quatrième quart» du Nigeria d'affirmer la prééminence du central sur le régional. Structurée autour du système urbain, du réseau de communications remodelé en fonction des progrès techniques (du fleuve au rail, puis à la route), I'organisation de l'espace a pris appui sur les pôles économiques constitués autour des cultures de rente (cacao, coton, arachide) entre 1950 et 1973, puis du pétrole et de f industrie: une organisation destinée à drainer des rossources vers l'extérieur.

Le rail a facilement vaincu la voie d'eau dans les années 1920-1930, puis la route a détrôné le rail à la fin des années 1950. Bien que Ie coût du transport des marchandises par route ait été quatre fois supérieur à celui du rail entre 196l et 1985, ce sont les routes qui ont bénéficié des 'y''CAMEROUN investissements publics; leur kilométr age aété multiplié pw 2,6 entre 1950 et 1980, et celui des voies goudronnées par 16. Cependant, entre- tenu par des autorités locales sans grands moyens propres, le réseau routier de desserte demeure en revanche en piteux état.

IJorganisation coloniale de l'espace a contribué à creuser les dispa- rités économiques et sociales entre régions: plus grande concentration l3.I - blam et ethnies du produit national à Lagos, retard du Nord ,partage inégal des dota- Pfernse religion du Nigeria, l'isbm est majoritaire au Nord et grisant au Sud-Ouest, où sa pratique esf toutefois plus tions en infrastructures et des revenus favorisant le Sud-Ouest. Le &Éante- Les nombreuses minorités ethniques militent pour calcul économique des avantages comparatifs entre régions, celui de un fËdBalisme prononcé, inégalement soucieuses d'une unité la dotation en ressources ne peuvent que privilégier les aires déjà rm-m,"rale que les particularismes haoussa-peul et igbo ut prfois menacée. favorisées, rendant tout effort de réaménagement du tenitoire dispen- dieux et inefficace dans une économie de marché. Pour compenser le retard économique du Nord conservateur, les Britanniques lui attri- buèrent la prééminence politique et constitutionnelle. inlamique pour l'ensemble du Nigeria, réprimer les courarits milléna- Le dynamisme des sociétés civiles ne pouvait que mettre à mal cet rises et fondamentalistes, faire entrer le Nord conservateur dans la ordre géographique favorable aux mieux situés par rapport à la côte sæiété du xxe siècle en s'appuyant sur les «sans importance» et et aux trois groupes dominants, en utilisant tous les instruments dÉnoncer la «mafia» de la ville de tout en passant des accords disponibles. Voici des collectivités locales qui se veulent au-dessus de tr'æ elle, telle aété la stratégie des fédéralistes dans les années 1980, la mêlée sous f influence de la «chefferie traditionnelle», des partis æll€s de tous les périls pour Ia fédération. En définitive, s'il appar- politiques à base régionale exacerbant le sentiment ethnique et les tient au pouvoir fédéral de désamorcer les conflits, d'apaiser les clivages subethniques dans la compétition pour le pouvoir, ou encore lemsions et d'endiguer le flot montant des tentations centrifuges, des Étah fédérés prenant des mesures discriminatoires contre les !"aptrd des minoritaires n'est pas de trop dans cette création continue, non-natifs. On ne trace pas impunément des frontières, on ne désigne qur s'est accomplie jusqu'ici avec un certain succès. Jusqu'à quand? et on ne crée pas des pôles et des axes privilégiés sans que des

174 NIGER

13.3 - Prépondérance du réseau routier Favorisé par la politique de grands travaux publics, le réseau routier bitumé esf /e plus dense d'Afrique occidentale. Appuyé sur l'armature urbaine, il draine les régions d'agriculture d' exportation, le Sud- BENIN Est pétrolier et rayonne à partir des noyaux industriels.

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conflits ouverts ou feutrés ne s'instaurent. Au Nigeria, ce jeu se fait à fédéralisme se construisant par scissiparités successives, encouragÉ deux contre un, avec des alliances changeantes, les minoritaires obser- par le mode de financement des États, selon le princip d'égalité vant le ring et sifflant les fins de round par militaires interposés. Au entre chacun, pondéré par la taille démographique pour 5t% dÊ la point que ces derniers incarnent, plus que les civils, la rigueur dans la dotation. On peut donc se demander si les mesures prises pour gercr gestion et l'intérêt national face aux intérêts locaux ou régionaux. le pluriculturalisme et les disparités ne vont pas conduire à une désir tégration par le bas en multipliant les frustrations. C'est pour æla f k Nigeria actuel commença à voir le jour après le regroupement du des processus de centralisation viennent s'opposer à ce démembre- Sud et du Nord, en 1914, puis fut redécoupé en trois régions en 1939: ment du pouvoir, en attribuant à l'échelon fédéral le soin de repdtir le Nord, l'Ouest et l'Est. Le processus de décolonisation ne fit que les fonds ou de prendre les décisions dans les secteurs stratégiques renforcer ce jeu tripolaire en concédant aux trois régions une forte autonomie, chacune utilisant les caisses florissantes des Marketing Boards (caisses de stabilisation des produits agricoles d'exportation) les lieux du pouvoir pour se doter d'équipements sociaux et constituer une clientèle autour du parti au pouvoir. Avec la création d'une quatrième région, p lus le nombre des États augmente, moins chacun dispose d'me le Midwest, en 1963, et pour faire face aux menaces de sécession des I viabilité économique suffisante. Les nouveaux Etats dépendcil trois premières régions qui se sont précisées en l966,le gouver- de l'État central, qui leur attribue un budget provenant essentielk- nement fédéral se résolut à accentuer le côté fédéraliste de Ia ment des ressources pétrolières et douanières, voire des emprms constitution pour passer un cap difficile. Ainsi, la pondération internationaux. Cette absence d'autonomie financière a conduit u géoethnique appliquée dans tous les domaines au nom du «caractère déficit des finances publiques, tout aussi redoutable que la deue emÉ- fédéral» du pays suscite de fortes tensions, dans la mesure où elle rieure. À chaque (ÿat devait correspondre une communauté pose en principe f inégalité d'accès aux emplois et aux études. Le relativement homogène. C'est loin d'être le cas, et I'on reFouve à durcissement des clivages majoritaires est renforcé par le processus cette échelle I'abus de position dominante, le problème des grulpes d'atomisation de l'espace politique qui se poursuit dans le cadre d'un divisés, celui de la représentation des minorités ou les conllits

175 : claniques. Ces nouveaux Etats opposent des banières efficaces à la mobilité des hommes, en raison de leurs pratiques discriminantes vis- à-vis de ressortissants d'autres Éhts.

Le transfert de la capitale fédérale à , dans la Middle Belt, à 480 km de Lagos, a été décidé en 1916 afin de séparer les pouvoirs politique et économique et d'éloigner le gouvernement du groupe de pression yoruba.La localisation, à 180 km au sud de Kaduna, a été discutée. On avaitprojeté d'y installer 1,6 million de personnes pour l'an 2000. Ce grand chantier coûteux, mis en sommeil en 1983, a été réactivé en 1991 par la décision du transfert officiel du pouvoir poli- tique. Fin 1993 toutefois, le nouveau pouvoir privilégiait encore Lagos. Abuja, ville morte avant que d'avoir existé? En 1987 ,le Parle- ment s'y installait et l'on y comptait 350 000 habitants en 1991, essuyant les plâtres d'une ville inachevée, construite sur 256 km2, en quart de cercle, avec ses gratte-ciel et ses grands hôtels centraux, ses quartiers résidentiels uniformes c-oupés en deux par une autoroute urbaine et un espace non constructible.

Par ce type de décision, le pouvoir féd*al tente d'imposer des mythes fondateurs nationaux et de reconstituer sa marge de manæuvre. Le passage de régimes civils (1960-1966 et 1979-1983) à des régimes militaires participe d'un double mouvement: se dégager des pesanteurs régionales pour être en mesure d'intervenir dans celles-ci, calmer un jeu nécessairement dangereux pour la fédé- ration. Car les régimes civils au Nigeria sont plus soumis aux groupes de pression les plus variés. Au reste, si régime civil signilie ici gouvernement de funambule, fédéralisme est loin de vouloir dire déconcentration. La multiplication des pouvoirs locaux nuit à l'exercice de la moindre parcelle de pouvoir. Le gouvernement fédÉlial a donc tenté, à partir de 1976, parallèlement à la multipli- cation des États, de mettre en æuvre un système uniformisé de collectivités locales comme troisième niveau de l'administration. I1 en existait plus de 500 en 1993. Et, puisque les responsables gouver- nementaux des États fédérés captaient, à leur niveau, les subventions destinées à l'ensemble du tenitoire dont ils avaient la charge, le gouvernement fédéral tente depuis lors d'attribuer une partie de ces crédits directement aux autorités locales, et de ne pas favoriser, si possible, des pôles d'activité existants en leur donnant la qualifi- cation de capitale d'Etat.Il espère ainsi, sur le plan financier, et en partageant avec un plus grand nombre une ressource identique, T décourager les demandes de créations d'États.

13.4- Fédéralisme et scissiparité Divisé par le colonisateur britannique en mailles administrées selon /'indirect rulg le Nigeria a évolué par scissiparité depuis l'indépendance. Pour gérer le pluriculturalisme, le nombre d'États a été multiplié ; mais le pouvoir fédéral, qui distribue les subsides, n'a cessé de se renforcer.

176 C'est que la culture politique nigériane oscille entre cinq points d'ancrage: le particularisme ethnique, f individualisme matérialiste (eat and give to your brother), un mimétisme occidental développé, un traditionalisme bien conserv é et un optimisme à toute épreuve. Cette culture est alimentée par une pluralité de f information qui émerge seulement en Afrique francophone avec les soubresauts de la transition démocratique: presse et médias audiovisuels très vivants ont une large audience.

La fonction fédérale de régulation n'est exercée véritablement qu'en cas d'urgence car le gouvernement central est d'abord source majeure de profits pour ceux qui le servent comme pour ceux qui le sollicitent, ce qui entraîne une instabilité chronique et une perte de contact avec les couches populaires qui n'ont, pour manifester leur mécontentement, d'autre ressource que la violence. Celle-ci remonte loin dans le passé: contre les impôts en 1895 à Lagos ou en 1929 chez les femmes d'Aba, pour s'opposer à «1'urbanisme du bull- dozer» à Lagos Island en 1956, pour obtenir un relèvement du prix du cacao dans l'Ouest en 1968-1969 0u contre l'augmentation du prix du carburant en 1989...

Après l'indépendance, on attendait la sécession du Nord et, suite aux troubles de 1963, celle de l'Ouest. Ce fut l'Est qui bascula dans l'aventure de la séparation le 30 mai 1967 ,les autres composantes se ressaisissant pour combattre le Biafra. Ce sont les pogroms lancés en septembre-octobre 1966 contre les Igbo installés dans les villes du Nord qui ont entraîné la sécession de l'Est. Occupant nombre de postes clés dans l'ensemble du pays en raison de leur aptitude à tirer parti de l'éducation, les lgbo, christianisés, étaient I'ethnie la plus à même de conduire les affaires de la fédération. La richesse pétrolière concentrée dans l'Est fut l'élément supplémen- taire mais non déterminant d'une sécession que rien ne laissait prévoir.

La guene civile s'est déroulée sur trois fronts favorables à Lagos: front diplomatique en raison des craintes de contagion du sépara- tisme, front ethnique avivé par le gouvernement fédéraljouant sur les oppositions anti-igbo des minorités de la région orientale, front pétrolier où les fédératx ont obtenu le soutien des principales compagnies, qui ont transféré leurs activités vers le Midwest (États d'Edo et du Delta) et l'Etat de Rivers. La «guene de sécession»> nigériane, soldée par un à deux millions de morts, marque la revanche des minoritaires face aux trois groupes dominants et la mise sur orbite de l'armée (250 000 hommes à son apogée, venus notamment de la Middle Belt) comme force politique face aux partis. Le renforcement du pouvoir fédéral résulte de cette période sanglante. La guene du Biafra a accouché d'un Nigeria plus cen- tralisé et maîtrisant mieux ses dissensions grâce à 1'euphorie financière qui suit le premier choc pétrolier, de 1973 à 1982. Les difficultés de la dernière décennie du régime militaire montrent toutefois la fragilité de la construction nationale.

177 vient de s'écouler modifie toutefois les perspectives, avec des migra- Une connivence ville-campagne tions de retour de néo-citadins des grandes villes vers les petites et le milieu rural, dont on ne sait si elles se confinneront. Villes et campagnes vivent souvent en symbiose au Nigeria. V Autour de ou de Sokoto, des aires agricoles périurbaines Le peuplement des villes peut également résulter des migrations entre tr'm[ pu se développer qu'avec l'aide et f incitation de la ville. Dans les cités. C'est une mobilité répétitive: demande d'éducation à lc Srd0uest, les agriculteurs sont eux-mêmes citadins, exploitant la 1'adolescence lors du premier déplacement, valorisation d'une campagne en pratiquant la double résidence. Sans tradition urbaine, carrière salariée ou libérale lors de déplacements ultérieurs, transfert ks lgbo ont investi les postes administratifs coloniaux et, s'ils n'ont d'un commerce en fonction de la conjoncture. Ces migrations de ville pas leur pueil pour édifier de petites activités marchandes dyna- à ville sont le révélateur de la constitution d'une société authen- mrtpes, ils n'en oublient pas pour autant leur tenoir, pour lequel ils tiquement urbaine, mais leur importance est très variable. Les mobilisent une énergie et des sommes considérables. I1 est vrai que migrations en provenance d'autres villes dominent à Ibadan, contrai- quelques rares villes ont été implantées en rase campagne, sans rement à Kano ou à Benin City. Dans les villes moyennes, de 100 000 liffi avec elle, près d'une mine, d'un complexe agro-industriel ou à 500 000 habitants (Ilorin, Oshogbo, Abeokouta, Ile-Ife, Calabar, d'un perimètre d'aménagement hydraulique comme Forcados Warri), le phénomène reste notable: 40 à 50lo des migrants sont issus (Deha), Bacita (Kwara), Numan (Adamawa), New Martre (Bornou), d'autres cités. vtÉre pour reloger les déguerpis du banage de Kainji comme New Bussa (Kwara). ntre citadin au Nigeria Coté campagne, dans le Nigeria occidental rural, on migre d'autant flus volontiers que l'on est éduqué, sans trop se faire d'illusion sur omplexe, le système urbain du Nigeria l'est à plus d'un titre: par les *lumières de la ville» dans un milieu rural qui connaît une urbani- l'origine diversifiée de ses villes, mais aussi par la propension du setim du style de vie. Ces départs, toutefois, diminuent les ressources citoyen nigérian à exister de et par la ville. Citadin de cæur, le Nigérian en maind'cuvre salariée.Le marché du travail urbain ne répond pas ne conçoit pourtant pas la ville comme antagoniste du monde rural, rrx attentes et l'education ne sert plus de passeport pour l'emploi.La mais complémentaire. Il n'empêche que, villes coloniales ou pré- croissance urbaine est plus impulsée par l'immigration que par coloniales, les organismes urbains, 0t notamment Lagos, sont I'uroissement naturel. Les Igbo et les populations provenant de congestionnés, insalubres, en crise dans tous les domaines. Le taux uurcs denses ou mal exploitées sont les plus grands fournisseurs de d'accroissement annuel moyen de la population urbaine, estimé à 4 ou mignnts. Mais les bassins migratoires restent régionaux, même pour 570 enfte I93l et 1953, a doublé entre 1953 et 1963 et atteint 770 entre h méropole de la Fédération, ne donnant pas aux villes nigérianes 1963 et 1985. S'il dépassait \0lo dans la banlieue de Lagos, à Wani et dte fonction de creuset qui ouvre la voie à une culture nouvelle Port Harcourt, villes du pétrole, ainsi qu'à Kaduna et Ilorin, cités hgement déconnectée des racines rurales. La décennie de crise qui corTrmerçantes et industrielles du Centre et du Nord, il se situait entre 7 et l07o pour nombre d'autres cités administratives et industrielles telles Jos, Lagos, Ogbomosho, Kano, Enugu, Onitsha ou Maiduguri, mais ne

dépassait pas 3%o àIfe et Ibadan, villes touchées par la crise du cacao.

Chaque région a une physionomie urbaine propre. En 1963, plus de la moitié de la population du Sud-Ouest yoruba résidait dans 84 villes de plus de 2A 000 habitants, alors que le taux d'urbanisation des autres régions se situait entre 10 et lT%o, à l'exception de la province d'Ilorin, peuplée de Yoruba (2910). À f inverse, dans le Nord du Nigeria, ofl n'observe pas de progression spectaculaire de l'urba- nisation en un siècle: 400 000 citadins dans seize villes de plus de 15 000habitants en 1850,600 000 repartis en37 villes en1963.Là, un maillage de marchés et d'étapes répartis en fonction des contraintes de transport et des besoins du commerce transsaharien avait permis la constitution d'un réseau urbain, où les capitales politiques, religieuses et économiques comme Sokoto ou Kano atteignaient déjà, à la fin du de la maison yoruba L duE xxe siècle, un haut degré de différenciation sociale et une organisation traûmce des vieilles cités; ceffe maison, quoique modeste, mtqrtait l'aisance par l'ampleur de son toit et la décoration hiérarchisée du travail: religieux, grands négociants en haut et corpo- &sa fade ; elle tombe lentement dans l'abandon. rations d'artisans en bas de l'échelle.

178 Au Sud-Ouest, points d'appui de la colonisation d'un espace occupé absence de collecte des ordures ménagères et manque d'eau potaHc par des populations techniquement moins avancées, les seize sont, tout autant que la congestion routière et la pollution, cnrel- premières villes yoruba ont créé la première trame du peuplement lement ressentis à lbadan comme à Lagos. Celle-ci est une ville qu'une deuxième génération, fruit de l'expansion démographique, est yoruba, mais en marge du pays dominé par Ibadan. lagos Islmd a venue conforter. Les dernières créations urbaines sont le résultat de servi de refuge aux Yoruba fuyant les conflits internes et aux esclaves dissensions et de conflits ayant abouti à la ruine des anciennes cités. libérés après l'abolition de la traite. Elle fut le point d'entrée de la Centres du pouvoir du chef politique et religieux,l')ba, toutes ces colonisation britannique et c'est le chemin de fer, édifié à paftir de villes ont été développées par le commerce des produits agricoles et 1895, qui draina les produits de f intérieur et les migrants vers ceüe par un artisanat florissant (bois, tissu, fer) qui a cédé la place à 1'agri- métropole. Sa population est passée de 6 000 habitants en l8m à culture, suite à la concuffence européeffie, à partir du xvtue siècle. 28 000 en 1871, 100 000 en 1921,345 000 en 1953, 1,1 M en 1963. C'est ainsi que les cités yoruba ont un taux élevé d'agriculteurs 2,5 M en1973, 5 à 6 M aujourd'hui. vivant dans leurs murs: près de 60Vo à Oyo. Les avantages portuaires, l'arrière-pays yoruba, une croissance Bien des villes anciennes ont décliné ou disparu en se trouvant hors économique rapide en ont fait une mégalopole engorgée et ingouver- du champ de la mise en valeur coloniale: Sokoto et Ile-Ife, les villes nable, où près de 300 000 migrants s'installent chaque annê. Une sacrées du Nord et du Sud-Ouest, Kukawa, ancienne capitale du réputation à la mesure de sa démesure: la ville la plus chère et la plus Bornou, une vingtaine de villes yoruba et les cités-Étam de la côte sale d'Afrique, capitale du crime, plaque tournante du rafic des (Nembe, Okrika, Old Calabar, Edem Kalabari), qui avaient fondé drogues dures, ur Calcutta afuicain avec ses taudis au pied des leur expansion sur le commerce des esclaves, puis, plus tatd, sur gratte-ciel. Les conditions d'h abitat sont très précaires: mauvais l'huile de palme. En attribuant le statut administratif et fiscal de drainage autour des parcelles dans 7 4Vo des cas, pas d'accès à I'eau township à un nombre limité de localités, à partir de I9l7 , les courante dans 4470 des logements et pas de fosses d'aisilnce pour Britanniques contribuèrent à l'expansion ou au déclin des villes. Ils 7270 d'entre eux. Les coupures d'électricité, d'eau, de téléphffi" consacrèrent ainsi le déclin des capitales culturelles du Nord et du f insécurité font partie du quotidien. Ni le fédéralisme, ni la Sud-Ouest, soutinrent des cités créées ex nihilo pour assurer leur construction d'Abuja, n'ont pu entraver la concentration du pouvdr domination comme Kaduna, Enugu ou Port Harcourt, mais n'obtin- économique, administratif et financier à Lagos; 80Vo des impm- rent que peu de résultats pour des villes mal situées comme Oron ou tations en poids passent par son système portuaire. Près de 4t)4b des Lokoja. C'est que la «mise en valeur» du tenitoire par la construc- emplois les mieux rémunérés y sont localisés et l'agglomération tion, entre 1895 et 1927, d'un réseau fené articulé autour de deux apporte plus de 57lo de la valeur ajoutée de la production induÿ pénétrantes (Port Harcourt-Kaura-Namoda et Lagos-Nguru) eut pour trielle nigériane. Abuja,la Brasilia nigériane, ne semble pas pres de effet de marginaliser les cités vivant de la voie d'eau. La répartition contrebalancer la métropole côtière. des équipements tertiaires vint par la suite conforter des positions qui n'ont été remises en question ni par f industrialisation récente, ni par les transports routiers. Si nombre de villes assument de plus en Le pêtrole entre parenthèses plus une fonction d'encadrement, une ville dirigeante, Lagos, surclasse les autres. I e ffiplement du prix du baril de pétrole brut en l973est anivé au L-bon moment pour le Nigeria, juste après Ia guene du Biafta Mais, plutôt que de s'investir dans la production et la mise en valeur Congestion et insalubritê: Lagos Metropolis des ressources, cette rente a plongé le pays dans l'euphorie affairiEe. Augmentations salariales, affaiblissement de la base agricole, ifu f t .rt permis d'espérer avoir de meilleures conditions d'existence trialisation mal conçue, grands projets et «saupoudrage» d'argenl sur 1., ville qu'à la campagne; la mort alitéinfantile y est deux fois plus le tenitoire ont ponctué cette période de fuite en avant. Shell d'Arsy faible, les ressources plus élevées en moyenne, l'usage des biens de obtint la première concession en 1938. Le premier puits productif fu consommation plus répandu. Le logement reste le problème majeur, découvert à Oloibiri, au cæur du delta du Niger, en 1956. C'est en en raison de l'absence de confort et de l'insuffisance des équipements 1958 que le pétrole nigérian commença d'être exporté par Port urbains . La qualité des adductions d'eau laisse à désirer. L'énergie Harcourt. La production dépassatt 20 Mt en 1966. La guene du nécessaire pour faire la cuisine pose problème: le bois reste largement Biafra coupa momentanément cet élan: la production chuta d'abord utilisé. Ajoutons à cela la congestion urbaine, qui se manifeste par les au tiers, puis excéda 50 Mt en 1970, quand le port de Wani vint embouteillages dans des villes mal prépaÉes à l'afflux de véhicules prendre la relève de Port Hafcourt, U apogée fut atteint en l97t m individuels, faute d'un réseau de transport collectif adapté. Les désa- se tint au-dessus des 100 Mt pendant 5 ans entre 1975 et 19t0. gréments de cette vie urbaine chaotique sont bien perçus, sans Depuis lors, la production annuelle varie entre 60 et 75 Mt, la induire, à eux seuls, le retour à la campagne. Inondations de quartiers, capacité d'extraction atteignant, en 1992, 1,9 M de barils par i,ur

179 Au rythme actuel, les réserves de pétrole seraient épuisées vers La NNPC possède les quatre raffineries qui approvisionnent le pays: 2020; celles de gaz, considérables, pounaient durer plus longtemps deux situées à Port Harcourt et deux autres à Waffi et Kaduna. Elle a et être traitées, dès 1995, à l'usine de liquéfaction de Bonny, si elle acquis une flotte pétrolière et racheté, en 1988, des raffineries dans les est construite. pays développés . La NNPC est obligée d'importer des produits raffinés pour approvisionner un marché pourtant étroit, qui ne Ce sont les opérateurs transnationaux qui ont mis en valeur Ia consomme que 16lo du pétrole nigérian. Le niveau des subventions richesse pétrolière, notamment les compagnies Shell et British (70%o pour certains produits) comme le différentiel de change favo- Petroleuffi, dont les gisements fournissaient les deux tiers du brut rable au naira jusqu'en janvier 1994, favorisent l'écoulement en nigérian en 1973. Le souci du Nigeria, dès la fin de la guene du contrebande d'un tiers du carburant vers les pays voisins de la zone Biafra, fut d'avoir la haute main sur cette richesse et de la valoriser CEA. Aussi le pays connaît-il des pénuries conduisant à des émeutes, en liaison avec les efforts de I'OPEP, auquel il adhéra en 1971. surtout quand le gouvernement fait mine d'établir la «vérité des prix». l-Etat créa sa compagnie, la Nigerian National Petroleum Corpora- tion (NNPC) qui fut chargée de diriger l'activité pétrolière aval et amont. Elle acquit 33 à 3570 du capital des principales sociétés en Un geantempêffe 1971, participation portée à 5570 en 197 4,60 en 1979. Grâce à cette politique de nationalisation rampante, la NNPC a pu ainsi disposer n urant la période d'euphorie (1972-1985), près de 150 milliards de 6Ilo de Ia production en 1980. Les contrats d'exploitation attri- l, de dollars ont été encaissés. Puis la récession dans les pays déve- buent aujourd'hui 6070 à la société d'État. I loppés entraîna, dès 1980, une chute de la consommation mondiale et

180 le Nigeria ne put maintenir sa production. Le pétrole assurait plus de I 9070 des exportations depuis 197 4, et la diversification (pétrole raffiné, gaz) n'est devenue un objectif qu'à partir de 1983. Les réserves de devises ont culminé à plus de dix milliards en 1980, pour revenir à moins d'un milliard dès 1983. L'afflux de devises a contri- bué à la surévaluation du taux de change réel, ce qui a favorisé les importations au détriment de la production nationale. La distribution de la rente a engendré une forte demande de services et de construc- tion en milieu urbain. Si la production industrielle a continué à croître sur un rythme de l'ordre de l37o l'an avant et après la parenthèse pétrolière, l'agriculture a décliné de 1 ,5lo en moyenne annuelle lors des années folles. De 1984 à 1992, elle a progressé, mais le pays est loin d'avoir restauré un appareil productif agro-alimentaire mis à mal par le «syndrome hollandais».

Grâce à la politique de nigérianisation (1912 et 1977) et à toutes les possibilités de spéculation (marchés parallèles de change, surfactura- tions, licences d'importation), nombre d'hommes d'affaires ont pu édifier facilement des fortunes. À des niveaux moindres, les classes moyennes urbaines ainsi que des petits businessmen ont reçu les miettes de la manne pétrolière en participant à l'affairisme ambiant. Signe des temps, le nombre des pèlerins nigérians à La Mecque a dépassé les 100 000 dès 1917. Les gagnants de cette période se trouvent aussi parmi les grandes firmes occidentales de travaux publics, comme Dumez (France) et Julius Berger (Allemagne), ou de montages de véhicules (Peugeot et Volkswagen), de même que les traditionnelles firmes de négoce (United Africa Company, A.G. Leventis, John Holt ou UTC), attirées par les grands contrats et Du pétrole dans la forêt l'explosion de la consommation. Enfin,l'Etat s'est lancé dans une Station de pompage et torchère à Warri, dans la forêt politique de grands projets: transfert de la capitale à Abuja, estimé à du delta du Niger; ou furent ouverts les premiers puits productifs. La pollution menace /es éléis, témoins 15 milliards de naira; construction de deux aciéries à Aladja et Ajao- d' anciens défrichements. kouta, et de complexes agro-industriels.

Le boom pétrolier a pu donner f illusion du développement: par la diffusion de biens de consommation comme l'automobile; par la géné- ralisation de l'éducation primaire gratuite depuis I976, portant le nombre d'élèves de 3,5 millions en 1970 à 13 en 1980; par la création Contrairement à ce qui s'est passé en Indonésie, le bond pemolier n'r d'une université dans chaqueEtat. Le salaire minimum aurait été pas induit de nouvelles orientations économiques et sociales: ont fté multiplié par 10 en valeur nominalo, pffi 2,3 fois en termes réels entre confirmés l'extraversion, le choix urbain, le renforcement de I'admi- 1970 et 1982. En revanche, l'agriculture aurait perdu, entre 1970 et nistration étatique de l'économie, la redistribution à grande échelle c lg82,27lo de ses travailleurs. Évalué à 40Vo du revenu citadin en l'accumulation hors du système productif. À la période d'euphuh 1962-1963,1e revenu moyen en milieu rural n'était plus qu'à l07o en succèdent des temps d'austénté, Le Nigeria réalise sa cue d'mei- 1975. La main-d'æuvre agricole s'est faite rarc et chère. Cette exclu- grissement à sa manière en évitant l'ajustement «en termes réels»: le sion du monde agricole est consacrée par l'Etat,qui ne lui a pas attribué commerce frontalier illégal a connu son apogée entre 1986 et 1993. plus de 570 des dépenses en capital pendant le bond pétrolier. Aussi La dette a doublé entre 1983 et1991, son service représente pres & n'est-on pas surpris de relever le grand déclin de la valeur des exporta- 4070 des exportations et quand, en janvier 1994,la zone CEÀ tions agricoles entre 1973 et 1982, tandis que la production vivrière par semblait sortir du «pacte colonial» avec la France par une dévalua tête stagnait. Les principaux perdants du syndrome du pétrole sont tion «compétitive» de 5070, Abuja réévaluait son naira, multipliam donc les paysffis, alors que les gagnants sont l'élite de la bureaucratie, par 4 sa valeur par rapport au franc CFA. Retour à la case départ m des affaires, de l'armée, les classes moyennes salariées et les notabilités poursuite de la chute? Le Nigeria cherche encore à retarder &s anciennes, qui se sont bien recyclées dans l'Étatmoderne. I échéances qui seront redoutables.

181 les trois centres du Nigena

Læ trois grandsfoyerc bistoùques de peuplement, yoruba au Sud-Ouest, igbo au Sud-Fst, peul-haoussa au Nord, dmteurent les pôlesforts de I'organkation de I'eEace national nigérian. Mais le Nige4a « du milieu», où est établie Abuja, nouuelle capüalefédérale, dwient l'un des grenierc alimentaires du pays, alon que les peripbériesfrontalières sont animées par d'intenses écbanges clandestins que les récentes manipulations monétaires sur lefranc CFA et le nairapourraienT calmer.

iger et Bénoué séparent plus qu'ils n'unissent les trois grandes r beaucoup moins prégnante au-delà d'Ogbomosho . La présence Égions, qui se tiennent à I'écartdes fleuves comme de la côte: le yoruba (19 millions de personnes) délimite précisément, à distance de Nürd" le Sud-Est et le Sud-Ouest. Trois foyers de peuplement tendent la côte et à cheval sur la limite forêt-savane, un cæur autour de la à organiser l'espace, laissant toutefois place, sur plus de la moitié du grande ville d'Ibadan et des périphéries, au sud, à l'est et au nord. territoire et au-delà des frontières, à des périphéries, des aires tampons ou même de quasi-vides. Espace mouvant, tantôt subor- Au nord, les savanes sèches du Kw ffià, du Kogi, avec des densités dmd à l'un des trois grands groupes, tantôt organisé par des pôles souvent inférieures à 50, moins peuplées par suite des raids fulani de secondaires, cette quatrième dimension du Nigeria lui donne ses Sokoto, sont devenues le grenier des villes et de la zone cacaoyère, mrges de jeu. produisent le tabac autour d'Ogbomosho et fournissent le Sud en migrants. À l'est, les Étah Edo et Benin (plus de 130 habitants par km2), les plus boisés, sont les héritiers directs de la civilisation du §ud-0uest alarecherche second souffle t d'un Bénin. Peuplés à 60Vo d'Edo, avec de nombreuses populations mino ritaires, dont des Igbo, leur économie est dominée par l'exploitation oté d'une forte personn aLité culturelle autour du peuple yoruba forestière, les plantations d'hévéas et l'extraction pétrolière. Riche en qui constitue les trois quarts de sa population, marqué par la essencei intéressantes et proche des cours d'eau, la région de Sapele Érnsite de I'arboriculture cacaoyère et une urbanisation précoloniale est devenue la capitale nigériane du bois alors que Wani, près des imposante, le Sud-Ouest subit depuis le milieu des années 1960 une gisements pétroliers maritimes et du delta, tente de concunencer Port crise multiforme: crise de son agriculture, de ses villes et, partant, de Harcourt. Répartie en petits vergers de un à quatre hectares appro son affirmation dans l'espace national. En effet, malgré la présence priés par des notables bini, l'hévéaculture semble trouver une de tagos, la région sud-occidentale ne cesse de perdre des points nouvelle jeunesse avec une conjoncture favorable au caoutchouc dans le jeu à quatre nigérian. L'alerte a été donnée en 1968 -T969, en naturel. Elle intéresse plus de 100 000 petits planteurs qui ont produit dépit du climat d'union sacrée contre le Biafra qui régnait, par la 140 000 t de latex en 1991, contre 70 000 cinq ans plus tôt. Sur la jæquerie paysann e Adegboya dirigée contre l'Etat,les bas prix du côte, l'extension de l'agglomération de Lagos, peuplée majoritai- cacao au producteur et le montant des impôts. rement de Yoruba, donne un coup de fouet à l'activité maraîchère, au transport, à la pêche et à la culture du manioc. Snr des tenes basses où 6070 de la surface ne dépassent pas 200 m d'altitude, le Sud-Ouest est partagé entre un Sud sur tenains sédi- mentaires, bordé de cordons littoraux ensenant des lagunes, et une Une économie de plutfiîtion en crise aire de socle parsemée d'inselbergs, au nord et au centre. Les précipi- tations diminuent d'est en ouest sur la côte (3 700 mm par an à I a zonedu cacao ou Cocoa Belt forme un demi-cercle, d'Abeo Forcados, 1 500 mm à Badagry) et du sud au nord (1 800 mm à Lagos lJkouta au sud-ouest, et d'Ogbomosho au nord, à Akure à l'est, au et I 200 mm à Oyo à f intérieur), ce qui rend la forêt guinéenne cen(re d'une région de 47 000 km2 où les densités dépassent 250;

182 300 000 planteurs y exploitent 600 000 ha de cacaoyères, dont on tire Lieux fortifiés, ces cités ont, du xte au xxe siècle, progressivement 200 000 t de cacao en moyenne, 94Vo de la production du pays. Le colonisé les campagnes environnantes, donnant naissance dans un cacao, source de la prospérité yoruba depuis plus d'un demi-siècle, contexte d'insécurité à un système agraire dominé par des exploitans qui a fait vivre près de la moitié de la population au temps de son dont la résidence et J'univers social étaient dans les villes. Cælles, couverte de tôle, établie au milieu d'tme des productions vivrières tournées vers les besoins régionaux. grande «concession» fermée. Le marché central fait face au palais. Au-delà, à l'intérieur d'un périmètre fortifié, desservies par des nm Avec 38lo des sols considérés comme pauvres, une pluviométrie sinueuses, slordonnent les maisons des artisans, des commerçants et moyenne annuelle de 1 100 à 1 500 ffiffi, le support physique de la des agriculteurs. Par sa densité et son animation, ceffe ville ancienne cacaoyère yoruba n'a rien d'exceptiorînel. L adoption du cacao a été est toujours le cæur de l'agglomération, mais reste largement inacces- spontanée et précoce. L'arboriculture était une chance au moment où sible à la circulation moderne. Un deuxième noyau urbain, groupant les Yoruba étaient obligés de se reconvertir, avec la pax britannica, de bâtiments publics, banques et commerces de gros comme à Ibadan, a chasseurs d'esclaves en agnculteurs et en marchands. Les premières prospéré autour de la gare fenoviaire et du centre des aftaires. exportations datent, comme au Ghana, de 1892. La production était passée à 250 000 t dans les années 1960, avant de décliner pour L'attachement à la cité de naissance est essentiel pour l'agriculteuq renaître, non sans aléas, à la fin des années 1980: la surproduction qui passe une partie de son temps dans son exploitation, ou pour le mondiale ne permet guère aujourd'hui la relance. La transformation migrant qui veille au bon équipement de sa ville par ses cotisatiolls. locale de ce produit mal payé sur le marché international permettra Fondements de la vie économique et sociale, les marchés prio- peut-être de maintenir la production. Malgré la persistance de l'asso- diques animés par des guildes de marchands, travaillant en réseaux ciation polyculture vivrière-cacaoyers, 4070 seulement des planteurs senés et étendus, redistribuent produits agricoles de la forêt et de la æsuraient plus de75lo de leurs besoins alimentaires. Monde inégali- savane et produits importés. En dépit de leurs contacts avec les taire, la Cocoa Belt voit les revenus de ses producteurs s'étager de 1 à Européens, de leur urbanisation avancée, de leurs élites et de la 6 pour le cacao, de 1 à 14 pour l'ensemble des ressources. Les exploi- présence de deux des plus grandes villes du Nigeria, les Yomba tations ne pouvaient être tenues par des planteurs en grande partie n'ont pas joué un rôle historique de premier plan. Leur relatif rectrl citadins sans une main-d'æuvre salariée et une adaptation du système économique, lié à l'effacement du cacao comme à leur éloignement foncier. Ce dernier a pu être ajusté avec la progression de la propriété du pouvoir féd&al, la crise urbaine, leurs perpétuelles dissensiom privative du sol et f instauration du fermage et du métayage, qui internes sont de lourds handicaps. touche 5ATo des tenes neuves d'Ondo. Le problème de la main- d'æuvre n'a trouvé de solution que grâce à de bas salaires et à des migrants saisonniers venant de Sokoto ou du Kw ata. Une bonne «[e Monde s'est souvent effondrê» maîtrise du transport et de la commercialisation par les Yoruba soute- (Chinua Achebe) nait cette construction fragile. Les déboires du cacao n'ont fait que renforcer la production vivrière pour les villes et les savanes ont pris avagé voici vingt ans par la guene du Biafra, qui a dresÉ contrE leur revanche sur l'aire forestière cacaoyère. les Igbo rnajoritaires (6210 de la population) les trois populuim minoritaires voisines (Ibibio, Ijo, Anang), le Sud-Est reste, avec plus de 300 hab./km},Iu région la plus densément peuplée du Nigeria- Citadins d'abord Dans un milieu tÈs humide (1 500 à 4 500 mm de pluies annuelles), largement défriché, la forêt guinéenne originelle a presque dispm; epuis longtemps, les villes yoruba forment la plus forte concen- sauf dans les États de Cross River et de Rivers, au profit de la palme- tration urbaine ouest-africaine. En 1856, 0n comptait trois raie d'éléis. Le charbon d'Enugu, exploité depuis 1914, et les pis villes de plus de 50 000 habitants, Ibadan, Abeokouta et llorin, qui pétroliers du delta du Niger et de la Cross auraient pu constituer ks dominaient un ensemble d'agglomérations de taille respectable. Un bases d'une industrialisation, ce que la guene civile et les choix ù siècle plus tard, on comptait 113 centres de plus de 5 000 habitants gouvernement féd&al n'ont pas permis. La population (19 milliuxs (dont 5 de plus de 100 000) où vivaient 58lo de la population. d'habitants), surtout rurale dans les cinq États les plus den#ment L'urbanisation précoloniale était la conséquence d'un système peuplés (Akwa lbom, Abia, Anambra, Imo, Enugu), qui ont une d'administration élaboré, reposant sur trois gén&ations de villes densité moyenne de 300 à 400, n'avait d'autre ressource que créées les unes par les autres. Ile-Ife, établie entre le vue et le d'émigrer vers des aires moins congestionnées ou vers les villes, nige- t' siècle, exerçait sur l'ensemble un magistère religieux. rianes ou étrangères. I1 a fallu rechercher des solutions à ces situations

183 I I&N Densitê Cultures )orgho^ liw Plontstions JUU"""r a ol gênêrole uYneres RizI poysqnnes en l9B0 selon les """r- dominonles Niêbé tlilrrillili.Ï collectivités locoles 1ll- Cocooyer (en hob./km2 trrtoiiffi r860-rqzo ) FII ,rrw Mocobo î tezl-1çsqHffi 50* .t.. lgnome I ,: I l.: :r,.r : . ,.:l ffi I .:: .::. t::. i::: rl Moniocffi] re6o-rez4W

rRéserve forestière lsohyète (en mm ) Hévéo 0 l00km t{t - te Sud-Ouest du Nigeria kf dæ Yoruba, densément peuplé, longtemps animé par le dynamisme de la «ceinture du cacao>> entre Abéokouta a @bmosho, /e Sud-Ouest est pourtant en recul dans la Fédération. Le déplacement de la capitale fédérale à Abuja consacre æ relatif effacement et ne facilite pas la relance économique.

critiques, renforcées depuis 1966 par le retour des migrants igbo et les savonneries britanniques dès le début du xtxe siècle, l'huile de les mesures restrictives prises à leur encontre au Cameroun, au palme des oil rivers a ouvert très tôt le Sud-Est sur l'extérieur Gabon et en Guinée équatoriale, terres de migration depuis les (14 000 t exportées dès 1830,45 000 en 1900), ce qui a permis mnées 1920, l'enrichissement d'intermédiaires sans scrupules, devenus warrant chiefs, chefs administratifs désignés par les Britanniques, Iæs lgbo, 14 millions en 1992, forment la quasi-totalité de la popu- et qui mirent la région en coupe réglée. Après la révolte des lation des États d'Imo, Anambîa et Enugu, entre Niger et Cross femmes d'Aba en 1929, les Igbo obtinrent une forme adaptée de River, et de la région d'Aboh et d'Asaba dans l'Etatdu Delta, sur la gouvernement indirect et purent trouver enfin, dans le cadre rive occidentale du Niger. Ils habitent un réduit de 30 000 km2, colonial, des chances d'acquérir une meilleure place dans la fffendu jusqu'à la dernière parcelle de tenitoire contre le reste du société nigériane en création. Nigeria ontre L967 et 197 0. Leur reddition confirma leur place rffuite dans la fédération, leur isolement dans le Sud-Est comme Volontiers frondeurs mais profondément religieux, les Igbo ont tenté leur éloignement des richesses pétrolières dont ils voulaient de s'adapter à chaque éIpuve ou situation délicate avec plus ou §'approprier les fruits. De tout temps, leur nombre les a mis en moins de bonheur. Contraints à l'émigration, ils ont su tirer parti de porte-à-faux face à leurs voisins de la côte, intermédiaires indispen- l'éducation dispens ée pu les écoles chrétiennes pour occuper des sables avec l'extérieur, qu'il s'agisse de la traite des esclaves ou du postes subalternes dans l'administration coloniale, les mines d'étain §oürmerce de l'huile de palme. Jusqu'en 1854, plusieurs centaines de Jos, les houillères d'Enugu 0u les plantations du mont Cameroun & milliers d'Igbo auraient été réduits en escl avage et déportés par et de Fernando Poo. À l'étroit sur des terres peu fertiles, ils ont læ middlemen ibibio d'Oron, efik de Calabaç ijo de Brass (mais cherché à coloniser les plaines, vallées et deltas voisins sous-peuplés. aussi igbo d'Arochukwu). Pour se protéger des raids, ils n'eurent Agriculteurs ayant un savoir-faire assez restreint, ils ont investi les d'auüe ressource que d'édifier leurs villages loin des cours d'eau, villes de leur région, qui sont assez peu nombreuses: Enugu, la ville smr des collines forestières éloignées des sources d'eau potable, et du charbon, Onitsha, port fluvial accessible toute l'année et Aba d'y cultiver f ignaffie, dont les rendements élevés (l à 8 t/ha en dépassent 350 000 habitants; Oweni, capitale de l'État d'Imo, atteint moyenne) pouvaient nounir une population dense. Recherchée par 100 000 habitants. Port Harcourt, le grand port, situé à 64 km de la

TB4 ffi Densitê génêrote ^.- I en l9B0 selon les collectiviiés locoles I -.-^-- (en hob./kmr,|hob./km2 ) "n- I ;: I collectivités locoles ( en hob /k^2, ;,u I I ;;; w rsoT

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'l' Monroc-rgnome ffi Mon roc-mocobo-plontor n ffi lgnome-monroc-mois ffi Port Monroc-rgnome-mocobo-plonto'n vers Horcourt ffi i Mon ioc-rgnome-mocobo-mois ffi | Monroc-rgnome-mocobo-moTs-pors d'Angolo ffi Forte concentrotion des houpeoux En soison humiee I En sorson sec-€ \! Migrotions F rurqle§ Zone tK-:, d,explortoTroiru Zone surchorgée I W Zoneioroeir'#ffi M/4' Tone explo,té. [--_-l {'§ Drrectron de lo mrgrotron + Grond p'c €r' Complexe ogro-rndustrrel A d'oménoge-er' Pérrmètre de colonrsotion encodrée O hydrou ic,e A

14.2 - Le Sud-Est du Nigeria 14.3 - Le Nord du Nigeria Le Sud-Esf est la réEon la plus densément peuplée, surtout Tradusant la pussance polttrque ef marchande des anciens dans l'Akwa lbom, l'lmo et l'Anambra, domtnés par les lgbo, émrrats et;ultanats, les atres de fort peuplement haoussa et entre Nger ef Cross Rtver La pressrcn sur la terre a provoqué peul, autour de Kano et de Zana, ont fournt arachide et coton de nombreuses mgraüons vers les arres pénphénques motns lusqu'au bond pétrolrcr, qutles a margtnalrsées. L'élevage y peuplées ef /es wlles, en partrculrcr Port Harcourt, capftale resfe une ressource maleure et l'évolufion des cultures vivrières pétrolÈre et grand port régrcnal permet d'alrmenter les marchés urbatns

mer, et capitale pétrolière de I'Est, dépasse le demi-million de Kumba. Bloqués dans leur expansion rurale par des instrumen§ personnes mais se trouve, comme Calabar, hors du tenitoire igbo. Ils légaux et par la xénophobie, ils n'ont pas d'autre issue que de derenir ont gagné les villes de la fédération et des pays limitrophes pour y citadins, mais la nouvelle donne économique risqrre de rendre certü exercer l'artisanat et le négoce, d'Onitsha à Kano et de Lagos à adaptation délicate.

185 dans les autres États. Aire d'élevage malgré les fortes densités Des densitês asiatiques humaines, le Nord a subi les effets de l'effondrement de l'agriculture d'exportation (arachide, coton), dont l'expansion devait beaucoup à A lors que les deux Etats de Cross River (95 hab .lï,rf}) et Rivers la voie fenée. I1 cherche aujourd'hui les voies et moyens de sa recon- (140) sont, à l'échelle nigériane, peu peuplés, ceux d'Anambra, version dans les cultures vivrières, l'élevage et f industrie, tout en ^CI Im, Abia (Igbo) et d'Akwa Ibom (Ibibio) affichent des densités deux tirant le meilleur parti du commerce. à mois fois supérieures. Les trois quarts de la population habitent des localités de moins de 20 000 personnes. On estime que sur seulement Organisés très tôt en cités-Éhts (sept au début), islamisés dès le 6% de la superficie régionale se trouve le quart de la population. Sur xwe siècle, les Haoussa occupent les aplanissements granitiques pres de 19 000 Lrn2 en pays igbo et ibibio, or trouve des densités supé- centraux (Katsina, Kano, Zana), dont les sols seraient médiocres si rieures à 300. Les exploitations agricoles sont de plus en plus exiguës les vents du désert ne les avaient voilés de sables donnant des sols (0,10 ha en moyenne en 1981-1982) et la culture à longue jachère légers, acceptables. Le rapport démographique entre vainqueurs et n'est plus possible. Faute de fumure naturelle ou artificielle (10% des vaincus, de un à trois, a facilité l'assimilation culturelle réciproqrr teres recevaient des engrais en 1982),1es rendements de l'igname des deux populations, l'aristocratie peul continuant à détenir I'essen- baissent, et son remplacement par le manioc n'est pas une solution tiel du pouvoir. Pour s'attacher les gueniers peul, le sultan de Sokao satisfaisante. Des innovations ont été, cependant mises en æuvre pour leur attribua une partie des tenes des vaincus, gu'ils louèrent ou preserver la sécurité alimentaire: cultures en tenasses sur le plateau de donnèrent en métayage, ou qu'ils firent directement cultiver par les Nsukka, cultures associées et intervenant en rotation dans les jardins descendants des esclaves. Ainsi, Ia zone périphérique de Sokoto de case des aires de forte densité. L'habitat lui-même a été modifié par (ville de 100 000 habitants en 1850) fut mise en valeur par les la pression démographique: 1à où la densité dépasse 300, les villages- esclaves des Peul et leurs descendants pour nounir une populatim rues ou circulaires disparaissent au profit d'un habitat dispersé. Dans d'aristocrates, de guerriers, d'artisans, de commerçants, vivant bien des districts, la migration constitue une nécessité. Les liens avec auprès du sultan. Contrepartie de cette ponction sur les campagrt§ les villages d'origine sont maintenus et des réseaux de solidarité environnantes, l'aristocratie géraitles stocks de grains pour parer arr assurent assistance mutuelle et protection des personnes et des biens, soudures et aux pénuries plus graves, et laissait collecter déchets c permettant f intégration à la vie urbaine. Avec des densités très excréments des étables et latrines de la ville, amenés à dos d'âne m élev&s, une agriculture qui utilise peu ou pas d'intrants, la survie en de bæuf sur les champs pour les fumer. Ce système a perdure pays igbo et ibibio est problématique, d'autant qu'aucune industrie puisqu'en 1969 encore à Kano, à la fin de la saison sèche, or estimeit forte consommatrice de main-d'æuvre n'y a été créée. que plus d'un millier de charges quotidiennes de fumier, transputm à dos d'âne, sortaient des seize routes rayonnant autour de Bimi Iæ maintien des fortes densités s'explique par la part des revenus non Kano, la vieille ville. agricoles dans le revenu total, et par la place du palmier éléis, arbre à tout faire et qui rapporte. La survie du système agraire suppose la Si les aristocrates ont laissé aux autorités étatiques le soin d'assurer h conquête des bas-fonds par des cultures maraîchères ou des rizières, sécurité alimentaire de leurs anciens sujets, cette époque a marqrc la réhabilitation de la palmeraie (11 000 km1, l'amélioration de la une société divisée entre croyants et infidèles, privilégiés et roturierr culture intensive dans les jardins et des mesures d'enrichissement et L administration britannique s'est appuyée sur l'aristocratie peul en de protection des sols. Mais l'émigration est indispensable pour élargissant son pouvoir grâce à l'administration indirecte. Dans h réguler les équilibres: les Igbo ont sans doute plus que d'autres société des croyants on a ainsi, d'un côté les sarakuna, petitc besoin du maintien de la fédération, mais aussi de la création d'un minorité constituée des membres des dynasties royales, des courti- espace économique plus vaste. sans, chefs de village, juges et maîtres coraniques et, de l'autre, lc§ talakaw a, Le tiers étathaoussa (artisans, commerçants et cultivateurs L Modification d'importance, cependant, deryis f indépendance: l'élir [e foyer haoussa a ouvert ses rangs aux nouveaux riches, quelle que soit leur origir- Sur un teneau fertile, le monde local des affaires est monté en prir § i b Nigeria septentrional n'a pas fait sécession, c'est qu'il avait su sance grâce àl'Etat. Dès l'époque précoloniale, le commerce à U irnprimer, grâce à sa cohérence et au poids politique des Haoussa longue distance de la cola ou du bétail était aux mains de quelques et des Peul, sa marque conservatrice à la fédération. Dans les sept Eandes familles haoussa. Ces marchands s'établirent ensuite comm États du bloc nord-ouest (Kebbi, Sokoto, Katsina, Kano, Jigawâ, intermédiaires actifs des maisons de négoce, puis des Marketing Kaduna et Bauchi) où bat, dans des émirats puissants, le cæur de Boards, enfin comme importateurs officiels ou officieux. ApÈs les ætte grande région, les deux peuples constituent près de 9AVa d'une '"Cultures d'exportation, le commerce de biens de consommation, les population de 28 millions d'habitants (100 par km2). Si les Peul services et les participations acquises dans le capital des firmes éman- Futani qn anglais) dominent à Bauchi, les Haoussa sont majoritaires gères leur ont permis d'asseoir leur fortune.

186 Les cités haoussa et les points d'appui de l'empire de Sokoto devin- peul est devenu fragile au cæur même de son quadrilatère central, et iI rent le siège d'émirats puissants et l'ensemble des villages et petites est sapé en permanence par des forces centrifuges, celles des 10% de villes fortifié es (birni) durent leur faire allégeance. Aussi viron se paiens, des agriculteurs expropriés par une modernisation agricole développer autour de Kano, Sokoto , Zaia ou Katsina, des aires de favorable aux privilégiés, des mouvements de renovation de l'islam et fortes densités (300 à 500) et d'agriculture pérenne, dans un rayon des groupes portant les aspirations des «sans importance>). pouvant atteindre 30 à 50 km. Le réseau urbain s'est organisé autour de Kano (1,3 Mhab.), la vieille métropole marchande, ancienne capitale de l'aruchide, concunencée aujourd'hui par la ville nouvelle À ta périphêrie: des «roturiers» de Kaduna (700 000 hab.). Plus petite, Zaiademeure la capitale intel- lectuelle, avec l'université et le centre de recherche La distribution des populations découle très largement de cette agronomique de Samaru, tandis que Sokoto s'étiole dans une région histoire précoloniale; l5lo des superficies, portant des densités supé- pauvre. Expression la plus élaborée de la vie haoussa et des divisions rieures à 150, réuniss ent 4070 de la population, et 40lo du territoire de la société, la ville est caractérisée par un cloisonnement spatial, sont caructérisés par des densités inférieures à 50. La concentration reflet des exclusions et des distinctions sociales. À un birni doté d'un des troupeaux, est particulièrement forte (usqu'à 150 bovins au marché et où résident l'émir et son entourage, ont été accolfuà bonne km2) dans hs États de Katsina, du Kebbi et de Sokoto; dans ces deux distance la ville coloniale et, au-delà d'un espace-tampon inconstruc- derniers, les meilleures tenes, les fadama (bas-fonds inondables), tible, les quartiers des migrants locaux ou venus du Sud. Ce schéma deviennent pâturages d'été. Des seuils critiques sont atteints quand des années 1960 reste lisible, mais s'est quelque peu brouillé avec la la densité rurale dépasse 125 ou qu'un bovin dispose de moins de croissance de l'habitat spontané. Le système socioreligieux haoussa- 2ha sans intensification des techniques.

tB7 En raison de pluies insuffisantes et inégulières (500 à 1 300 mm avec une saison des pluies de 3 à 6 mois en période «normaler), le pays haoussa a connu des pénuries, voire des famines en 1904, 1907 ,1913- 1914,1921,1942 et 1972-1973, pour ne citer que les plus importantes. Enl973, le déficit céréahier a atteint, selon les secteurs, 60 à 90V0. Si la pluviosité commande, l'ampleur de la détérioration des sols et du couvert vé;gétal, le durcissement des clivages et des inégalités, rendent les villageois plus vulnérables et plus démunis face à une crise de .I subsistance qui prend aussi de court les pouvoirs publics. Les réponses l1l r locales à la crise alimentaire s'avèrent tragiquement insuffisantes: outre llr plantes habituellement (tubercules des le recours aux non consommées DensiÉ générole il n mares et fonio sauvage), on vend ou on hypothèque ses tenes, 0n abat en 1980 selon les collectivités locoles ,ïw 0 100 km (en hob./km2 du bétail au plus mauvais momerfl pour se procurer des liquidités, on ) L cherche des ressources dans les villes proches ou lointaines, 14.4 - Le Nigeria du milieu Ventre mou du pays, sans réseau urbain structuré, le Nigeria Combattie les variations interannuelles des pluies suppose la mise du milieu est hétérogène. Ses faibles densités ef ses handicaps (maladie justifient en place de mesures de prévention: àZaria, la pluviosité peut varier du sommeil) les efforts d'assainrssement ef d'intensification agricole. Ce << vase d'expansion >> des trois du simple au double et la saison végétative débuter entre fin avril et pôles est un objet d'enjeu et de conquêtes qui bénéficie de la fin juin, avec des conséquences graves pour le mil ou le sorgho. Pour construction fédérale et abrite la nouvelle capitale. limiter les effets de la sécheresse, les paysans ont joué à la fois sur les combinaisons de cultures dans le temps et leur association dans la parcelle avec un usage précis des micro-environnements et des légumes et tabac, les terres sèches sont destinées aux céréales et plantes à cycle court, comme le mil précoce gero. Enfin, l'associa- légumineuses de base, qui ne sont anosées que par les pluies, sauf si tion de l'arbre et des cultures a longtemps été systématique; 0n 1'agriculteur utilise le chadouf, pouvait encore recenser il y a peu douze arbres à l'hectare dans un rayon de 20 kilomètres autour de Kano. Si le cultivateur haoussa Aux mesures contre la sécheresse, l'agriculture haoussa a ajout é la dispose de quelques fadamahumides (LTlo de l'exploitation dans le fumure d'origine urbaine (mais pas l'association élevage-agriculture) meilleur des cas), où il fait pousser riz, canne à sucre, oignons, et les engrais, si bien que la jachère a pratiquement disparu. Mais

188 l'appropriation privée des tenes a aussi un revers, le morcellement internationale, comme les prix intérieurs, avaient eu raison de cette des exploitations lors des successions. S'il y à,de ce fait,de lamain- culture, qui reprend aujourd'hui grâce aux investissements d'entre- d'æuvre disponible au sein du groupe de micro-propriétaires, la prises textiles. Autre culture de rente, le tabac permet des bénéfices petitesse des exploitations entrave la nécessaire modernisation substantiels à Sokoto et àZaria, agricole. On comprend dès lors la place prise par les activités complémentaires, occupant 40lo du temps de travail des hommes Les périmètres agro-industriels inigués (Kano River, bassin Hadejia- adultes, et l'importance de la migration saisonnière. lama'are, Rima-Sokoto) ou les projets de développement rural intégré de Gusau (Sokoto), Gombe (Bauchi) et Funtua (Katsina) constituent- il des voies de reconversion? Ne concernant que des minorités L'aruchide et le coton aisées, ces opérations ne se sont pas révélées efficaces. À Bakalori (Rima-Sokoto), les expropriations ont rendu difficile l'adhésion des Tf près le temps des caravanes de dromadaires traversant le Sah ffi&, populations. Dans les projets intégrés, l'insuffisance des systèmes de fl'le pays haoussa a connu'la période des pyramides d'arachides et commercialisation et de distribution d'intrants aurait bloqué une de coton évacuées par chemin de fer vers Apapa, le port de Lagos, de production de sorgho, de coton et de maïs qui semblait prometteuse. l9l4 à 1970. Depuis, on cherche vainement la culture prometteuse ou Peut-on compter sur une industrie agro-alimentaire quand 1'agri- les activités diversifiées de substitution. La variation des prix interna- culture est aussi peu capable d'assurer une production régulière? tionaux et les aléas climatiques ont entraîné, faute de soutien des prix internes, l'effondrement de la culture de i'arachide pour l'exporta- Enfin, héritier de l'ancien empire du Bornou-Kaneffi, édifié voici un tion, après que le Nigeria a été le premier exportateur mondial en millier d'années par les Kanuri, premiers Nigérians convertis à 1965-1966. La production, qui culminait à 1,4 Mt au début des l'islam, tourné vers un lac Tchad aujourd'hui rétréci,le Bornou a années 1970, était réduite des deux tiers dix ans plus tard. Depuis résisté au xxe siècle à l'invasion peul et garde de cette époque une 1989, elle a atteint un rythme de 800 000 tonnes. Si Kano est au marche frontière peu peuplée avec l'émirat de Kano, jalonnée par des centre de la région arachidière, c'est Zaia qui dirige la zoîe coton- avant-postes comme les petits émirats de Potiskum ou de Fika. Avec nière. Favoris é par l'anivée du chemin de fer et la diffusion de la une superficie de 116 000 km2 et4,1 millions d'habitants, les États du variété Allen, le coton s'est étendu surdes sols riches à partir de Nord-Est (Bornou et Yobe) figurent parmi les régions les plus margi- l9l2; après avoir culminé à 450 000 ha en 1974-1976,1a superficie nales et les moins peuplées (35 hab./km2); ils abritent un cinquième cultivée n'atteignait en 1981-1982 que 46 000 ha et la récolte ne du troupeau nigérian. Si l'on excepte le plateau basaltique de Biu, où suffisait plus à la demande de l'industrie nationale.La concunence l'on produit du coton, la majeure partie du Nord-Est est faite de

1Bg Èines aux sols lourds et difficiles à travailler, coupées de cordons parmi les décideurs, qui n'ont pas hésité depuis les années 1950 à fuaires auprès du lac Tchad ou d'étendues sableuses. La saison des multiplier les banages (Kainji, Numan), les complexes agro-indus- ptuies æt de trois mois seulement. Le chemin de fer qui joint, depuis triels (Bacita, Numan,Lafiagi, Santi) ou les ranchs (Mokwa, Obudu, l9ÿ[, Jos à Maiduguri n'a pas eu un effet dynamisant sur l'agri- Manchok), à peupler les périmètres de colonisation de Shendam, culture d'exportation 0t, s'il a permis le développement de Mokwa, de la Niger ou de la Benue River Basin Authority. Si l'on Yerwa-Maiduguri (200 000 hab.) comme place de transit vers le ajoute qu'un tiers des tenes cultivables seulement a été mis en valeur Tchad et le Cameroun, il n'a amené aucun changement notable dans et que la région produit déjà les deux tiers de f igname nigériane, plus k secæur a$o-pastoral. L emploi du chadouf pour f inigation dans de la moitié du riz et du niébé, et qu'clle comble tant bien que mal les I'aire dunaire, et l'usage d'une variéténaine de mil dans les plaines, déficits alimentaires du Nord comme du Sud, on peut imaginer cantribuent à assurer la survie. Les points d'eau naturels ou aisément son devenir agricole. ffiagés et les nouveaux périmètres inigués (Alo, Baga, Kirenowâ, Marte) par la Chad Basin Development Authority composent les Hormis Abuja; la Middle Belt n'a pas de très grandes villes, mais quelques rares oasis de verdure du nord bornouan. C'est encore quelques cités de 100 à 300 000 habitants, vivant de l'exploitation de I'élevage, concentré dans le nord, l'ouest et le centre de la région, l'étain (Jos), d'activités industrielles diversifiées (Ilorin) et surtout de avec un $os bétail sélectionné par les Peul et les Arabes shoa, la fonction de capitale d'Ét* (Minna, Makurdi). Si l'agriculture oünme la sherwa à robe rouge ou la kuri, qui fournit l'essentiel des dispose de terres dans les plaines peu occupées, il manque des ressouces monétaires. hommes pour les cultiver, plus qu'ailleurs au Nigeria, et il s'avère difficile de recruter alentour des colons, comme les Britanniques en firent l'expérience amère au temps du «plan des fuachides» dans les Au centfe, les «nouvelles frontières» années 1950. Dans l'émirat de Gombe (Bauchi) par contre, les grandes familles traditionnelles ont adopté la culture attehée pour I e Nigeria ne se résume pas aux BiS Three. Au contraire, son travailler leurs exploitations (de 15 à 40 ha).Voilà qui aurait dû L)expansion et son équilibre dépendent étroitement des espaces inviter les technocrates à plus de modestie dans leurs projets $an- intérieurs insuffisamment mis en valeur et des échanges avec les pays dioses. Dans l'aire de la Niger River Basin Authority, où l'on a limirophes. À I'intérieur, c'est plus de la moitié du pays qui constitue aménagé 10 000 ha de périmètres inigués depuis 1977 à raison de un espace aménageable; à l'extérieur, entre trois et cinq millions de 15 000 FF par ha, on a dû soutenir chaque colon sous forme de pres- voisins vivent peu ou prou dans l'orbite économique nigériane, et tations de services et de fourniture d'intrants subventionnées à plus d'un demi-million de nationaux vivent dans des villes d'Afrique hauteur de 18 000 FF pour n'obtenir qu'une production totale de midentale et centrale. 3,5 tlha de iz inigué en double culture annuelle!

Le ærme de Ivliddle Belt désigne un espace économique et climatique Ni trait d'union entre régions différentes, ni lieu de focalisation des inærmediaire entre le Sud forestier humide et le Nord sahélien, une activités humaines, les fleuves Niger et Bénoué forment pourtant axrc «mitoyenne>> entre les grands pôles sociopolitiques méridionaux avec leurs affluents un réseau fluvial de premier ordre. La Bénoué et le pays haoussa-peul. Bien que central, ce «Nigeria du milieu» a est navigable jusqu'à Garoua au Cameroun, le Niger jusqu'à Yelwa été un lieu de pass r1a, une réserve de tenes disponibles, et devient le pendant la saison humide, mais ils ne sont presque plus utilisés au- grenier alimentaire d'un pays qui voudrait reconquérJrr son marché delà d'Onitsha. Leur confluence sert paradoxalement de ligne de intérieur. En cette aire subhumide, définie par les isohyètes 900 et démarcation entre les trois Nigeria que la Middle Belt n'a pas I 500 mm qui oscillent entre 7 et 12' N selon les moments, la saison encore réussi à ordonner autour d'elle. Leur large lit a constitué un végétative dure six à neuf mois, ce qui permet une très large gamme obstacle, et ils ne sont guère que des bancs d'essai pour aména- de cultures. geurs. Pour la construction du banage de Kainji (1967),2 000 L112 ont été ennoyés et 44 000 personnes déplacées afin de produire de Abritant plus de 16 millions d'habitants sur une superficie de l'électricité, accessoirement d'irriguer et de réguler le débit du 330 000 km2, h Middle Belt a 48 hab./km2, densité qui masque de fleuve. Même si l'on peut estimer que les déplaceryents humains profondes disparités entre les reliefs, plus salubres, plus faciles à ont été mieux gérés que sur le banage de la Yolt{on déplore des dfendre, et les plaines envahies par les glossines. Si les deux tiers du pertes de tenes inigables, des pâtures de saison sèche et la des- Nigeria central comptent moins de 50 hab. lkmz,77o des surfaces en truction du système agraire intensif mis au point par les Gungawa. supportent plus de 100, groupant un cinquième de la population Avec la sédentarisation progressive des éleveurs, dont lT%o seule- totale. I-e faible peuplement de vastes étendues autorise un élevage ment. restent nomades, alternent entre groupes des situations de exænsif, avec 30 à AVo du cheptel nigérian; mais les efforts récents conflit foneier^et de compromis, où les complémentarités sont d'éradication des glossines, portant sur plus de 200 000 km2, créent mises à profit: fumure des champs cultivés contre pâture et résidus les coqditions d'une extension de l'agriculture. Du moins, le croit-on de récolte.

190 grand voisin Ecomusées nupê et tiv restructurations politiques et macro-économiques du Quand le Nigeia a une monnaie sous-évaluée (1986-1993), il ved à ses voisins ce qu'il produit (produits industriels), ce qu'il subv* § i les savanes dégradées, brûlées régulièremenf, et les villages sans tionne (carburant, engrais) et ce qu'il réexporte pour acquérir des LJ caractère rendent la Middle Belt souvent monotone, les hauteurs espèces convertibles. Quand sa monnaie est surévaluée, les voisim granitiques ou volcaniques aménagées en tenasses (Jos, Mandara) ou l'approvisionnent, en denrées alimentaires essentiellement. @nd les massifs vallonnés (Sardauna, Mambila, Obudu) colonisés par il protège son marché intérieur, ces périphéries sont mobili#es pour l'herbe e(pàturés par les troupeaux rompent l'uniformité. Se distin- tourner les interdictions d'importation de produits alimentaires. I.e guent aussi les restes de certains royaumes brillants, comme le Nupé, commerce lié aux complémentarités écologiques n'est que peu dE ou les «écomusées>>, paysages agraires élaborés par des populations chose par rapport aux avantages conparatifs construits pour exfli- assiégées ayant miraculeusement résisté à la fièvre de modernisation quer f importance et le sens des flux sur plus de 3 500 km de du Nigeria. Enclave volcanique et îlot païen dominant I'univers frontière. musulman qui l'entoure, le plateau de Jos (plus de 100 hab .llrrr:P) s'est révélé être un piège à minéraux comme l'étainou la colombite. Bénéfi- Jouant un rôle majeur dans les échanges clandestins, les règlæ offi- ciant d'un climat plus tempéré et plus humide que celui des plaines, cielles et la manière dont elles sont appliquées constifuent des une agriculture intensive a pu y prospérer: courtes jachères sur les occasions de transactions et des sources de profit. Llarrêt des impor- champs clos installés sur des tenasses étagées, culture du foqio et de la tations céréalières depuis 1987 n'alimente-t-i1 pas les importatim pomme de tene. Ce bel ordonnancement est mis à mal par l'émigration béninoises et camerounaises de blé et de riz pour le grand voisin vers les plaines. La croissance de Jos, peuplé de migrants venus de (estimées à près de 500 000 t), et la chute du naira ne dop-ttlle p tout le Nigeria, plus particulièrement du Sud-Est, a suivi les hauts et les marchandises et le carburant nigérian vendus sur tous les marcÉ bas du prix de l'étain, exploité par une vingtaine de compagnies étran- frontaliers? Si Niger et Nigeria septentrional arrivent en partie à gères: 15 000 habitants en 1931, dix fois plus aujourd'hui. parer, par transferts discrets de mil et de sorgho, aux penuries conjoncturelles qui les affectent, les flux de produits plus régnlitts- Occupant une plaine de 18 000 km2 au nord du bassin moyen du tels ceux de la cola, du bétail et des peaux dessinent, grâce arx fleuve Nigea les Nupé héritèrent d'un royaume fondé au xve siècle sur réseaux Alhazai, de véritables courants Nord-Sud. Avec le Benin, le modèle du Bénin, mais ils ont été incorporés à la civilisation c'est toute la panoplie des produits importés, contingentés, interüi[s, haoussa au xvme siècle. Cette intégration a bouleversé le contrôle chers ou rares qui transite en échange du cacao. Les échanges foncier d'une région peu peuplée (40 hab .1km21,les féodaux fulani Cameroun-Nigeria évoluent tres vite en fonction du taux de c@e s'étant attribué la propiété des deux tiers des tenes dans les villages entre franc CEA et naira. De 1986 à 1993, le Nigeria aétépour- de la rive orientale de la rivière Kaduna, qu'ils louent aux villageois voyeur structurel de produits agro-pastoraux de toute nature e[ de contre redevances. Aux côtés de l'igname et du niébé, cultures de carburant dans les régions septentrionale et sud-occidentale, ahrs bæe, les tenes iniguées portent des cultures vivrières marchandes: riz, qu'il est déficitaire pour son propre approvisionnement. Il iMÊ came à sucre et oignons. À l'habitat groupé des Nupé, vivant dans le Cameroun de produits manufacturés réexportés, asphyxiant h une société hiérarchisée et peu mobile, s'opposent l'habitat,la société secteur industriel de son voisin. Quand le taux de change est fave et l'agriculture tiv: dispersion des concessions groupant une dizaine de rable au Cameroun, le flux de bétail s'inverse et le iz de la Semy cases rondes, déconcentration du pouvoir dans les lignages et les ou le coton camerounais trouvent preneur. familles, itinérance d'une agriculture reposant sur le droit social à cultiver pour chacun, pâs d'urbanisation. Installés à cheval sur la Ces activités fluctuent très rapidement et ne sont guère mesurables en Katsina Ala et la Bénoué, les Tiv occupent un tenitoire de23 000 L,12 raison de leur caractère illégal. Elles ont revivifié bien des burgadcs puplé de deux millions d'habitants, avec des densités inégales: plus frontalières qui s'étiolaient dans les années 1960. Les maniprlafum de 100 au sud-ouest, moins de 70 sur la rive droite de la Bénoué. Agri- monétaires opposées de janvier 1994 devraient logiquement dffi culteurs de bonne réputation, ils cultivent surtout ignames, céréales et un avantage comparatif à la zoîe CEA si elle parvient à conuôler manioc, largement vendus. Depuis deux générations, les Tiv f inflation, mais elle n'a que peu de produits primaires à exputer h s'avancent progressivement sur les tenes de leurs voisins d'Ogoja. devrait donc assister à une diminution des échanges illégaux, nm à leur disparition. Les implantations nigérianes hors du pays ne susci- tent pas de vague de xénophobie quand elles sont discÈtes. [a frontière qui dêmarque Importantes, comme la colonie des 150 000 Igbo du Cameroun ù Sud-Ouest ou celle des 100 000 Yoruba du Ghana, elles conduim h es I57o de Béninois, les 38% de Nigériens et les 25lo de Came- population autochtone à pratiquer ou à demander des mesures disi- rounais qui vivent dans l'orbite économique du Nigeria minatoires ou d'intimidation, comme à Kumba (Cameroun) ou à participent activement à des échanges frontaliers fluctuant selon les I Koumassi (Ghana).

191 Nige lJra: imprêvisible ffalectoire

La rente pétrolière et le « système naira» onf fauoNsé la dépendance alimentaire, alorc que I'agùculture nigéNane auaü éÉ I'une des plus dynamiques d'Afrique, sans pour autant suscitu une industrialisaTion fficace, La relance agricole et la restructuration industrielle sont des préalables à l'ffirmation inTernationab du NiBeNa, autour duquel pourrait être dynamisée la Communauté economxque des iitats de I'AfNque de I'Ouest.

vec des densités rurales qui dépassent parfois 300 habitants au «f indigénisation» des entreprises date de 1972 (quotas à l'emploi des pn2 et dans certains secteurs 1 000, le point de rupture est atteint personnels expatriés, entrée d'actionnaires nigérians dans les sociétés dans le cadre de l'agriculture à longue jachère. Pourtant, sans adopter étrangères) et qu'en 1977 l'accès au capital des entreprises fut limité un modèle agricole intensif fondé sur l'usage des engrais, une agri- à 5lo pour les étrangers, tandis que l'État s'appropriait banques et culture originale avait parfois été élaborée, ce qui n'a pas empêché le assurances. En 1989, des mesures plus libérales furent prises, permet- dépérissement et l'effondrement des productions vivrières et d'expor- tant des participations étrangères jusqu'à 40lo dans les secteurs tation, sans pour autant que les industries nées du boom pétrolier aient stratégiques et au-delà dans les autres; 55 entreprises parapubliques été capables d'absorber le trop-plein de main-d'æuvre. À I'abri d'une ont été vendues dans le cadre de la privatisation. économie artificielle fondée sur la rente pétrolière, le Nigeria s'est permis plusieurs dévaluations drastiques de sa monnaie (25 natra pour un dollar en 1993,mais 37 sur le marché parallèle, contre 1,8 en 1980) pour retrouver une compétitivité sur le marché international, plon- geant ses citadins dans la pauvrcté, et submergeant ses voisins de la zone Franc de ses produits manufacturés bon marché. N'ayant pas pour autant retrouvé son équilibre budgétaire, il aÉévalué sa monnaie de l00%o en janvier 1994, prenant tout le monde à contre-pied!

A partir de I973,le pétrole, remplaçant les produits agricoles comme source de devises, a été considéré comme le garant d'une politique de développement. Le Nigeria a opté pour un pilotage à vue, donnant la priorité à la consommation et à une politique d'investissements calquée sur les idées en vogue dans les années 1970: dans le domaine agricole, prendre l'Asie de la révolution verte comme modèle; dans le domaine industriel, substituer des productions nationales aux impor- tations et créer une industrie lourde; dans celui de l'aménagement du tenitoire, lancer de grands travaux routiers et urbanistiques; enfin, dans le domaine social, développer le secteur éducatif. Le plan de La chaîne humaine Lagos (1980) a fait momentanément du Nigeria le leader d'un À port Harcourt, déchargement de sacs de ciment, dont le Nigeria est un grand cohsommateur et dont les surfacturations, courant interafricain, tixant comme objectifs l' autosuffisance alimen- le détournemenf et /es'revenfes itlegates ont été à |origine de taire qt le développement «endogène et autocentré>>. Il est vrai que sca n d a I es po I iti co-fi n a n ci ers.

192 H La dependance alimentaire

I 'agriculture nigériane, parmi les plus dynamiques de l'Afrique I,Jen 1960 quand elle alimentait les caisses des régions et de l'Étü, est en piteux état trente ans plus tard. Avant la guene du Biafra, le Nigeria étaitle premier exportateur mondial d'arachides, le deuxième de cacao, et le premier producteur d'huile de palme et de palmistes. Aujourd'hui, il vend très pou, voire importe ce qu'il exportait aupara- CAMEROUN vant (huile de palme et coton), et surtout achète de gandes quantités ,' limits / seotenhionole. de céréales pour couvrir un déficit de 25 à3A%. Les quantités expor- tr-r' /' des cullures --- de fubercuks tées (palmistes, cacao, caoutchouc) sont passées de 1,5 Mt en 1960 à Àr{onirr 240 000 t en 1980, et n'apportaient plus alors que 2,570 des devises, m k"' cultures snonrer proportion qui est restée similaire en 1991. Elles ne couvraient alors +iuï, vivrières Mrîr I que 25lo de la valeur des importations agricoles. Si l'on peut mettre iluo,. dominonles sorsl'o I en cause la concunence asiatique, on doit aussi incriminer les très Pelitmilm les paysals. D'autres faibles prix à la production, qui ont découragé Pos de culture dominonts l éléments ont joué, tel le peu d'intérêt accordé aux infrastructures rurales qui n'ont reçu, dans le troisième plan (fin des années 1970), que 4lo des crédits d'équipement. Naguère, le rail avait étélacondi- tion de l'expansion des cultures d'exportation; un bon réseau de pistes secondaires pourrait jouer un rôle identique. Enfin, les Marketing puis Commodity Boards, qui visaient, produit par produit, à supprimer les intermédiaires, à constituer des stocks et une trésore- rie en vue de stabiliser les prix aux producteurs, ont surtout donné Abuioo aux politiciens locaux les moyens de s'enrichir. Les abus ont été tels qu'ils ont provoqué une vaine révolte paysanne en zofie cacaoyère (1968-1969), une des premières de ce type signalées sur le continent africain. Les six caisses de stabilisation, quoique réformées en 1977 , ont été emportées à leur tour, en 1988 , pàr la grande purge libérale, pour n'avoir pu prouver leur efficacité. u0§3', Polmier à hrle 'r Cultures I qfimenùires sêsore Wil Alors que l'agriculture nigériane perdait pied dans le commerce et de renüe cffin I dominontes A,rod'ide international, la population se tournait vers les aliments importés. m 200 km 0 Pos de culfure dominonh r Avant que leur pouvoir d'achat ne s'effondre, citadins et ruraux ont eu recours aux produits alimentaires étrangers, à hauteur de plus de la 15.1 - Cultures dominantes au Nigeria moitié de leurs dépenses pour les citadins et de près d'un tiers pour Du golfe de Guinée au lac Tchad, une riche gamme écologique les ruraux. C'est dans les villes que la consommation des produits permet aux paysanneries de jouer sur tout le clavier des plantes cultivées en Afrique de l'Ouest. Les cultures d'exportation, dérivés du blé est la plus élevée; le pain, luxe avant la guene civile, cacao, palmier à huile, coton et arachide, se sont établies en est devenu le moins cher des aliments urbains. Sa consommation a << ceintures » dont la cohésion a beaucoup tenu à l'organisation été multipliée par sept entre 1970 et 1980, pendant que celle du sucre du commerce et des transports. quadruplait et que celle duizdoublait. Occidentalisation des goûts et politique en faveur du pouvoir d'achat des citadins aidant, l'évolution de la consommation de farine de blé, à 95Vo améicaine, enclenchée ' par l'aide alimentaire durant la guene du Biafra, puis encouragée par facilitées par le «système nairo>, ont persisté: L50 000 t de ble en les facilités accordées aux filières d'importation jusqu'en 1987, a été 1990 contre 1,3 Mt en 1986, et250 000 t de riz, quantités doubl6m conditionnée, enfin, par le quasi-monopole des capitaux américains sans doute par les entrées clandestines. sur la meunerie industrielle, adaptée aux blés durs du nouveau conti- nent. Comme les périmètres hydro-agricoles, aménagés à la hâte à la Jusqu'en 1986 -Ig87,les choix économiques n'ont fait que Éaliffi fin des années 1970 pour produire blé, maïs, iz et sucre, n'ont pu l'agriculture. D'un côté, le naira surévalué et le faible niveau dE§ assurer une production suffisante et compétitive, les importations, taxes d'entrée ont permis des importations massives, dans un

rg3 oontexte de baisse des prix internationaux: le blé américain et Ie iz projets pilotes. Ce sont donc des périmètres de type agro-industriel, üailandais se vendaient à Lagos moitié moins cher que les céréales délicats à gérer, qui ont été privilégiés, ce qui explique quelques locales. De l'autre, avec f inflation, les prix d'achat réels aux produc- échecs retentissants. Cette modernisation agricole a entraîné d'abord teurs se sont détériorés. Pendant ce temps, les salaires ruraux une importation massive d'engrais (1,5 Mt en 1985), puis la mise sur connaissaient de brusques flambées, rendant inaccessible à beaucoup pied rapide d'une industrie des fertilisants dont on pense qu'elle de ctrefs d'exploitation l'emploi d'une main-d'æuvre salariée, devenue couvrira bientôt les besoins. Cette production, largement subven- pourtant d'autant plus nécessaire que l'exode des membres de leur tionnée , était écoulée pour un tiers dans la zone CFA jusqu'en avril famille étnt considérable. Des millions de petits exploitants ont ainsi 1993, où on a augmenté son prix. Le changement technologique sur le de laisÉs pour compte. Commencé avant le bond pétrolier, en raison modèle asiatique, dont le Nigeria constitue le banc d'essai, ne pouna de prélèvements excessifs à l'exportation, le déclin de l'agriculture devenir une véritable révolution verte que si les autorités donnent la d'exportation s'est transformé en faillite. priorité à l'exploitation familiale et assurent une continuité politique.

Après 1982, avec la baisse des ressources extérieures, une relance de Un quart du tenitoire, ayant une saison sèche de moins de cinq mois, I'agriculture fut organisée autour d'un programme d'autosuffisance est pratiquement à l'abri des aléas climatiques. Le reste n'enregistre alimentaire qui a surtout engendré l'aménagement de grands péri- que des précipitations inférieures à 1 500 mm annuels, de plus en plus mèEes. Parallèlement, de nouveaux prix d'achat ont été garantis aux inégulières à mesure que l'on s'avance vers le nord: du delta du peüts producteurs, l'engrais a été vendu au quart de son coût, un Niger au lac Tchad, la durée de la saison végétative passe de système de crédit agricole a été enfin mis en place ainsi que deux 360 jours par an à 80; 570 seulement des tenes cultivées sont ini- offices de commercialisation, l'un pour les tubercules et l'autre pour guées: c'est dire l'ampleur du défi à relever par une recherche l€s céréales, afin de réguler l'approvisionnement des villes et soutenir agronomique qui balbutie dans le domaine de l'agriculture pluviale et Ies cours. On encouragea aussi, avec un certain succès, les investisse- doit prendre en compte l'éventail complet des plantes cultivées en ments agricoles des grandes entreprises pétrolières. La consommation Afrique de l'Ouest; le sorgho et le mil sont présents dans 50% des d'engrais se serait alors amplifiée, mais moins que prévu, faute exploitations, f igname, le haricot et 1'arachide dans près d'un tiers, le d'ap'provisionnement suffisant. Les nouvelles mesures de 1986-1987 maïs et le manioc dans un quart.Lalocalisation des cultures d'expor- (p,nx plus incitatifs , crédit agricole plus accessible, suppression des tation est nettement commandée par le tracé des voies fenées et la &rnien Boards) ont sans doute permis des progrès, qui tiennent plus à proximité des ports. C'est l'héritage du commerce de traite, qui a I'extension des surfaces cultivées qu'à la hausse des rendements. Mais connu son apogée entre 1950 et 1970: Cocoa, Palm, Cotton et le redressement provoqué par la dévaluation et les interdictions Groundnut Belts. Pour le reste, il existe des rapports ambigus entre d'importation de céréales n'a pas eu l'ampleur espéÉe: suite à données naturelles et densités de population. Les fortes charges en I'accroissement de la production vivrière, le secteur agricole participe pays igbo se rencontrent sur des sols médiocres dont on ne peut pour 3070 au PNB contre 20Vo dix ans plus tôt, mais les importations espérer une légère amélioration qu'au prix de fortes doses de fumure. officielles ont retrouvé dès 1990 leur niveau de 1986! Dans le Sud-Ouest, 1'aire de production cacaoyère couvre 22 000km2, dont la productivité est moyenne. Enfin, au Nord, les densités élevées des États de Kano, Katsina et Kaduna conespondent Ir modèle indien à l'épreuve afuicaine à des sols pauvres, quelquefois cuirassés. Si l'on en croit les statis- tiques officielles, 1570 de l'espace cultivé supporteraient46,5lo de la À lors que la puissance britannique avait confié la production population du pays; I4lo seraient «surchargés» au Nord et à l'Ouest; /t agricole aux paysans, les investisseurs ne leur font pas 3370 au Sud-Est. confiance, sauf à les transformer en ouvriers agricoles dans les complexes agro-industriels, ou en paysans pilotes d'une «révolution Avec les systèmes à longue jachère, la reconstitution de la fertilité verte» qui se cherche. Du National Accelerated Food Production demanderait de 5 à 15 ans. I1 faudrait environ 60 ha en savane et Project, visant à offrir une panoplie d'intrants subventionnés, aux 40 ha en forêt pour subvenir aux besoins d'une exploitation rurale River Basin Development Authorities, projets concentrés sur des moyenne. Partant de cette hypothèse, plusieurs zones nettement défi- Érimètres hydrauliques inspirés de la Tennessee Valley Authority citaires avaient été identifiées: la région de Kano, l'aire cacaoyèrc,|a , américaine, en passant par les Agricultural Development Projects, région de Sokoto, l'Est (Nike, Cross Rivet Delta et Rivers), la zone orientés sur le développement régional intégré, la volonté gouverne- d'Okene en pays igbira, le Sud du pays tiv et le plateau de Jos. Dans mentale était alors claire: imposer aux paysans de nouvelles les deux premières, l'extension des cultures de rente, venue entraver techniques de production. Par sa conception (diffuser des plantes celle des cultures vivrières, était avancée comme explication. Dans améliorées en milieu contrôlé, avec une forte application celles de Sokoto et du Sud-Est, l'émigration aurait permis de réguler d'engrais), la relance agricole des années 1980 a soutenu les inter- le rapport entre population et tenitoire, dans les années 1950; par la ventions dans les régions à fortes potentialités sous la forme de suite, celui-ci se serait dégradé.La faible efficience des techniques

rg4 culturales expliquerait les déficits d'Okene et du pays tiv tandis que, maintenue durant toute la période coloniale, facilitant évictions et sur le plateau de Jos, l'érosion liée au surpâturage serait en cause. En ventes de parcelles. Au début des années 1960, seulement un tiers de pays igbo et ibibio, la densité critique pour la reconstitution de la la superficie cultivée relevait encore de l'ancienne formule de tenure fertilité sans apport de fumure était estimée à 200 ou 300 hab./km2; collective des teffes. Ailleurs, mais pour d'autres raisons, l'évolution or, en lgg0, dans les États d'Anambra, d'Enugu, d'Imo, d'Abia et a été, sensiblement la même; par exemple, dans les États d'Edo et du d'Akwa Ibom , 54lo de la superficie supportaient des densités Delta et en pays igbo, près de la moitié des tenes relève aujourd'hui moyennes de 250 avec, localement, des pointes de plus de 400. Dans du marché foncier libre. De telles proportions ne sont pas atteinæs le Nord, oil périphérie des vieilles villes haoussa, une culture perma- partout, mais il existe au Nigeria une dérégulation de I'ancien nente, fondée sur l'association céréales-légumineuses, continue système de tenure qui ne s'observe pas au même deEé dans les pays d'approvisionner régulièrement les marchés locaux sans que les voisins, sauf aux abords des villes. Ceci est considéré comme uË services agricoles aient à intervenir. bonne chose par les «développeurs», nationaux ou étrangers, qui y voient la possibilité d'investir dans la tene. Le Land Use Decree de 1978 n'afait que consacrer cette évolution en décidant que, sur tout Latene insaisissable le territoire, la terre serait bien national et que les collectivités locales n'en garantiraient que le droit d'usage. C'était la porte § eton les pédologues du Land Resource Survey, il app arûtque ouverte aux investisseurs de moyen et gros calibres qui ont ohenu \J les «bonnes tenes» occuperaient moins de 1\Vo de la superficie des certificates 0f lccupancy (baux emphytéotiques), notamnmt du pays, mais qu'une meilleure gestion de 1'espace, avec de dans les États du Nord. nouvelles techniques (dont f irrigation), hors de portée pour le moment de la plupart des exploitants, permettrait de quintupler cette proportion. C'est à partir d'un tel constat qu'a été envisagé Dragon ou relais ? I'aménagement, au moyen de l'inigation, de plus de ll 000 km2 classés hautement productifs sur les rives du lac Tchad et dans les e Nigeria a parfois été présenté comme le «dragon» de I'AfrllE vallées des Riffiâ, Sokoto, Hadejia, Gongola, Niger et Bénoué. au sud du Sahara, un pays pouvant posséder une bæe infuwie{le Peut-être eût-il été plus approprié d'envisager la bonification des Le capital étranger qui se désespère de ne rencontrer en Afrique qu'm vallées et des abords du lac Tchad au profit d'une colonisation de marché atomisé dispose ici d'une plate-forme à sa mesure; il es mi- peuplement, à partir des aires habitées proches. Ces quelques présent. Toutefois, après vingt ans d'efforts, le «dragon» panît exemples suffisent à montrer que le tableau agricole du Nigeria est souffrant: filières industrielles désarticulées, valorisation derisoire fu une marqueterie ignorée des technocrates, publics ou privés. Diffi- ressources nationales et recours continuel aux importations. cultés de survie ici, innovations aux résultats performants là, le maintien des systèmes agraires ou leur amélioration passe par une Alors que l'agriculture était négligée, l'activisme indusriel a €te dE forte disponibilité en main-d'æuvre et la diversification des règle: prise de contrôle des entreprises par les nationaux, mise en fm- activités, avec une fine adaptation aux situations locales. tionnement d'industries de substitution aux importations et créatim d'industries lourdes. Cependant, tout a été mené dans la precifitratin En l970,l0lo des exploitations agricoles disposaient de moins d'un dans une atmosphère de redistribution de la rente aux clientèles fu hectare, la taille moyenne s'établissant à 62 ares, avec des écarts de régimes successifs et sous f influence des multinationales. L'absme un à vingt, selon la pression foncière locale: entre 10 ares et20 ares de planification à long terme rend l'industrie fragile, peu sructuroe en dans le Sud-Est, de 35 à 60 dans le Sud-Ouest et les États du Nord, réseaux adaptés au marché national, dépendante de l'éranger pou au-dessus de la moyenne ailleurs. Les exploitations sont minuscules sa maintenance. Le nombre de salariés travaillant dans les eme- et continuent d'être fractionnées de génération en génération. Pour prises de plus de dix employés a quintuplé en moins de vingr mq; survivre, nombre de ruraux ont une double activité. Les grandes 60 000 en 1963, 150 000 en1972,450 000 en 1981, mais lespum exploitations,qui disposent de près de 100 ha et ont accès aux d'emplois ultérieures (125 000 entre 1981 et 1983) montreu le moyens modernes de production, sont rares: moins de 2 000 ont été vulnérabilité d'un secteur dépendant de la distribution des revm recensées. Cette situation s'explique au Nord par la conquête peul du aléatoires du pétrole ainsi que de politiques tarifaires et monffitr rxe siècle, au Sud par l'extension des cultures d'exportation, et changeantes. Tous comptes faits, le secteur manufacnrier emqisuÉ partout ailleurs par la croissance démographique récente et les ne représente que 5,570 du produit national en 1990 (57o en 1965 .yft migrations intenégionales. La gestion communautaire de la tene en 1985); il se place loin denière le secteur informel, I'agricultuc s'est complètement distendue. Au Nord, f invasion peul a engendré et les services. L'industrie n'est pas devenue le fer de lanæ de h non seulement le paiement d'un tribut par les villageois, mais encore croissance: si les importations de produits manufacturés ont dimime la transformation de leur statut: pour les conquérants, ils devenaient de moitié entre l9l0 et 1990 c'est en raison de la conmactim de h des «fermiers» révocables. La charia, du fait de l'indirect rule, f:ut demande, non de la croissance de la production.

195 Pour l'essentiel, le Nigeria a accédé à la technologie industrielle en cinq fois plus nombreux que les expatriés mais ces derniers dis- s'associant aux firmes étrangères. De nombreux investissements posaient toujours de l'essentiel du savoir-faire technologique et éttangers directs ou en contrats d'association (entreprises mixtes et gestionnaire, d'autant que nombre de grandes firmes, telles United assistance technique) ont été réalisés selon les lois de nigérianisation. Africa Company, sont des filiales de multinationales. Avant celles-ci, le capital industriel appartenait pour 5870 aux étran- gers, pour 970 ausecteur privé national et pour 33lo aux États (fédéral L importation de matières premières comme de machines constitue etfédérés). En 1988, le capital étranger possédait officiellement moins toujours le talon d'Achille du système. En 1983, 68To des matières de I6Vo de la branche textile; son retour a été encouragé lors des priva- premières utilisées dans le secteur manufacturier provenaient de tisations. Une élite appartenant à la fonction publique, au commerce et l'étranger, et sur 53 branches étudiées lors d'une enquête, 10 seulement aux professions libérales a pu accéder aux actions des sociétés cotées avaient recours exclusivement aux ressources nationales, certaines en bourse de Lagos. C'est ainsi qu'à Kano, six grands Alhazai, dont le depuis peu: cimenteries, traitement du caoutchouc, fabriques de marchand le plus célèbre du Nord, Aminu Dantata, ont reçu la moitié meubles, tanneries, brasseries, huileries. Surévaluation du naira et taux des actions de 54 sociétés touchées par les décrets d'«indigénisation>>. de protection élevés avaient permis la création d'industries de substitu- Le système de quotas entre personnel expatrié etpersonnel nigériafi a tion aux importations (montage de véhicules, électronique grand permis également aux cadres d'accéder à la gestion des entreprises. public. . .) qoi se sont effondrées à cause de la dévaluation de la Dans un cas comme dans l'autre, les bénéficiaires ne sont pas devenus monnaie, renchérissant de 2 40010 le coût de leurs importations entre pour autant des entrepreneurs. En 1983, les cadres nigérians étaient 1985 et 1991. Seules les branches à fort contenu de matières premières

196 locales ont subsisté, les petites entreprises, plus souples, s'adaptant manque pourtant pas de ressources, tant dans le domaine énergétique mieux à des circonstances difficiles (textile, agfo-alimentaire, industries (pétrole , gà2, charbon, hydroélectricité) que dans celui des minerais du bois, du cuir...). L inflation et les restrictions à l'octroi de devises ont (cassitérite, colombite, piene à chaux), mais toute la branche extrac- favorisé un tissu industriel national dont l'existence pounait être remise tive est aujourd'hui malade: les mines d'étain de Jos n'assuraient que en cause par le nouveau virage de la politique monétaire. 20 000 emplois en 1984 contre 50 000 en 1980. Si l'on doit imputer l'effondrement de la production d'étain à la chute des cours, c'est un équipement obsolète qui explique les difficultés des houillères les marchandages font l'espace d'Enugu (qui tentent pourtant d'exporter) et le ralentissement des activité,s du bâtiment ou de l'extraction de la piene à chaux. Les I 'Etatest d'abord intervenu en créant des zones industrielles à centrales hydroélectriques de Kainji (achevée en 1967), de Jebba Llproximité des villes pour orienter la localisation des firmes sur (1983) et de Shiroro (1991) fournissent un tiers de la production élec- l'ensemble du territoire; mais l'emploi industriel reste concentré à trique totale, alors que les centrales thermiques (Afam, Delta et plus de 9070 en une quinzaine de sites et à 70lo dans huit villes: Sapele) tournent au maximum. Lagos, Kaduna, Kano, Sapele, Port Harcourt, Wani, Onitsha et Aba. Le pouvoir féd&aln'a pu lever les considérations liées aux avantages La localisation des usines est toujours l'objet d'un vaste marchan- comparatifs et, après 1973, il a laissé se créer une gén&ation d'indus- dage politique. C'est au président Gowon (homme de la Middle Belt) tries liées aux ports et aux grandes dessertes routières. Le pays ne que l'on doit le compromis final permettant la création du complexe

197 I Oshogbo (Osun). Des cimenteries furent, de même, octroyées rno à presque tous les États . L'industrie textile, 63 000 emplois, ll3 établissements, dominée par le capital indien, ne dispose sur

place que de 1 570 ducoton qui lui est nécessaire, alors que la produc- tion locale couvrait plus de 50lo des besoins en 1918, Les industriels ont donc décidé de produire leur propre coton sur de grandes planta- BE tions et complètent leurs approvisionnements par l'importation. Si les industries de consommation finale sont localisées à proximité des principaux marchés urbains, les usines qui peuvent compter sur les I

I

I matières premières locales ont été généralement rapprochées de leurs I t sources d' approvisionnement.

La crise financière a déclenché un retournement de situation. Les

Océon priorités gouvernementales mettent aujourd'hui 1'accent sur l'achè- Atlantique Forte densité de populotion vement de programmes dits d'intérêt national: sidérurgie,

\--r Forte pression foncière = pétrochimie, tandis que les tarifs douaniers sont moins favorables Porf Horcourt W aux importations . L'Etat fait pression sur les entreprises pour 15.2 - La pression foncière qu'elles s'intéressent davantage que par le passé aux matières Manquant de moyens, les fortes populations agricoles n'évitent locales. Les ressources pétrolière et gazière se voient mieux valori- pas la dégradation des sols, surtout au Nord et dans le pays igbo. Le seuil de tolérance serait dépassé dans de nombreux sées: capacité de raffinage portée à 445 000 barils par jour avec les États, et la question de l'intensification est posée, la installations de Port Harcourt, IVani et Kaduna, meilleure utilisation consommation d' engrais demeurant très faible. du gazpar l'industrie, projet de liquéfaction du gazà Bonny, expan- sion de la pétrochimie, augmentation de la production d'engrais à Onne. Durant le bond pétrolier, la ftpartition spatiale et sociale de la richess e a aggravé les déséquilibres existants. Non seulement les disparités Nord-Sud et villes-campagnes restent fortes, mais s'y ajoutent celles entre centres et périphéries dans les trois ensembles délimités par l'«Y» du fleuve Niger et de la rivière Béno:ué,La cure d'austérité entamée en 1982, et qui risque de se prolonger, modifie en profondeur la structure des revenus issue de l'euphorie pétrolière. Elle ponctionne brutalement le pouvoir d'achat, diversement selon les milieux: meilleure rémunération des produits agricoles mais blocage des salaires dans un contexte de libération des prix et d'inflation non maîtrisée. Les inégalités sociales sont plus tranchées que par le passé; la pauvreté est visible dans les taudis urbains comme dans les campagnes.

Bénê ficiaires de l'intêrieur

15.3 - lndustries nigérianes e multipartisme et le fédéralisme ont amplifié la redistribution Dispersée en raison de la politique de respect des équilibres par différentes pratiques qui relèvent en fait de la conuption. régionaux par le pouvoir fédéral et de la distribution des centres Comme les ressources financières des Etats proviennent aux trois de consommation, l'industrie nigériane, qui valorise encore peu les matières premêres locales, manque de compétitivité. quarts du budget fédéralet que tout citoyen nigérian peut, de parla-' loi, accéder aux fonctions et ressources fédérales, cela encourage la gestion laxiste des fonds et la multiplication des emplois publics, voire l'augmentation du nombre des Émts. L'économie sidérurgique d'Ajaokouta (Kogi), à proximité de la mine de fer «mixte» a favorisé, par la relation croisée incessante entr e l'Etat et d'Itakpe (360 Mt de réserves). Pour parvenir à cette décision, il dut les intérêts privés, la mise en place de réseaux de captage de accorder des compensations, sous la forme d'une autre aciérie à profits, le processus favorisant en priorité ceux proches du pouvoir. Aladja (Edo) et de laminoirs à Jos (Plateau), Batagurawa (Kaduna) et Rien en cela de bien spécifique au Nigeria, si ce n'est la masse des

lg8. capitaux en jeu et f institutionnalisation de la «combire». Protec- tions données par la puissance publique et prêts bancaires accordés [e foisonnement des échanges à des taux avantageux ont fait en peu de temps de quelques milliers de Nigerians des hommes d'affaires: une bourgeoisie nationale est es besoins alimentaires des villes, l'existence de zones défici- en gestation. taires et le goût des Nigérians pour le commerce, expliquent qrrc la production agricole soit insérée dans 1'économie de marché. Dans la hiérarchie des bénéficiaires, mais bien en dessous, se place L échange intenégional et transnational est, ici, une réahté ancienne. l'armée des bureaucrates, sécrétée par une fonction publique en Il porte notamment sur un volume important d'ignames produiæs au expansion accél&ée, du permanent secretary (secrétaire général Sud et de mil cultivé au Nord, de fortes quantités de mars, de ria d'un ministère) au clerk (employé de bureau). Les fonctionnaires et d'huile de palme, de niébé et de viande bovine circulent aussi dîns assimilés se sont multipliés en une trentaine d'années; ils étaient tous les États de la Fédération. Sur les six grandes régions agru près de deux millions en 1983. Ils ont anaché des avantages sala- écologiques prises en compte par les services agricoles, trois, siméæ riaux et su utiliser leur position pour prélever une part croissante de en forêt (Est, Centre et Ouest), sont déficitaires comme aupamyant m la richesse nationale. Les 30 États que compte la Fédération dis- igname et manioc, huile de palme, maïs et cola. Cette situuion eE posent chacun d'un service public autonome réservé à ses ressortissants, dans lequel 1'éducation occupe une place de choix depuis la décision, prise en 1976, de scolariser tous les enfants. On imagine la masse d'enseignants nécessaire à l'encadrement scolaire de 15 millions d'enfants dans le primaire et 3 dans le secondaire. Comptons aussi les entreprises publiques: 500, dont 200 relevant directement du niveau féd&alet des communes (/oc al governments). Au début des années 1980, le secteur public mobilisait le tiers du produit national, contre lZ%o dix ans plus tôt. Les classes moyennes ont du mal à émerger, hormis à Lagos, et partout les classes popu- Équipement hospitolier laires urbaines comme rurales n'ont recueilli que les miettes des ( te82 l { re82 } redevances pétrolières. En 1981 ,l2lo de «riches» se partageaient le tiers du revenu national disponible; le capitalisme populaire n'est pas encore à l'ordre du jour. L'ajustement structurel a réduit le secteur rentier public et parupublic, suite à la vente de nombreuses entreprises. Il a supprimé des emplois et réduit les revenus de près de 5 millions de salariés.

La pauvreté se répand. La solidarité, tant de fois évoquée pour

( 1e80 ( expliquer la capacité des Africains à faire face aux difficultés, n'est ) te80l pas sans limite; au Nigeria, 0n tout cas, il n'y a plus de «famille- providence>> comme dans les économies moins monétarisées des pays voisins. I1 est impossible d'estimer le nombre de pauvres issus de l'économie pétrolière; en 1983 ,3070 des non-salariés etl4lo des salariés recensés en ville auraient disposé d'un revenu mensuel inférieur à 20 naira soit, au cours parallèle, moins de 72 francs. Aujourd'hui, la vie citadine s'avère plus difficile en raison de l'inflation, qui touche notamment les denrées alimentaires, alors ( leso ) ( re8o) que les salaires ont cessé d'être indexés sur les prix, et que le ffi Fovorisé chômage progresse depuis 1980. Cependant, de 1965 à 1985, la ffi Défovorisé Pos de donnée dégradation des termes de l'échange s'est faite au détriment des Proche de lo moyenne notionole 1 ô lo moyenne E I t /2écort ) campagnes, rendant incertaine la vie des exploitants, de ceux notamment qui ne disposaient que de petites ou superficies 15.4 - Les disparités régionales au Nigeria manquaient de main-d'æuvre familiale, de ceux qui ne dégageaient L'héritage colonial, le modèle agro-exportateur puis que de faibles surplus. Les fournisseurs de produits vivriers ont le modèle pétrolier ont favorisé /es arres méridionales du pays, en particulier le Sud-Ouesf cacaoyer et le Sud-Est que planteurs mieux profité les des réajustements successifs de prix pétrolier. Les écarts de revenus entre Nord et Sud mais, partis de plus bas, tout juste ont-ils ruttrapé le retard. n'ont cessé de se creuser.

Lgg mm d'eou ffi^. Sohel Lolon -500 r-t'ï**tHI#rïl Sovone -] 000 Arochide Proirie [fl|] ffit;['iflo' 15.5 - Organisation de l'espace -r 000 W,Cocoo Sovone ffi,ïm Polmier à nigérian -1 500 ffi huile Trois ethnies majeures, trois foyers Forêt -2 000 -3 de peuplement inégaux sur un fond Mongrove 000 écotogique en bandes zonales et, Longues et ethnies Pluies et végétotion Zones ogricoles pour l'équilibre, un effort de promotion du centre près du confluent du Niger ef de la Bénoué. Le Sud est favorisé par le développement (adapté de ffi Fortes densités W urboines Chr. Maurin, Mappemonde, 1986, I Logos, lbodon, llorin n"4). 2 Abuio 3 Koduno 4 Kono 5 Port Horcourf, Onilsho

Comeroun, r 961

Limites et ruptures Vers un nouveou centre

liée autant à la concurrence exercée depuis longtemps par les Ces flux interrégionaux et internationaux portent sur des quanti- cultures d'exportation qu'au taux d'urbanisation de plus en plus tés importantes de vivres, impossibles à estimer mais sensibles au élevé et à la forte pression foncière. De plus, la région forestière change officiel ou parallèle. L'exportation ou la réexportation, cenffale, qui écoulait ses surplus d'ignames et de gari (semoule de comme la distribution intérieure, ne conespondent pas obligatoire- manioc) sur les marchés des deux régions voisines, a vu son dyna- ment aux situations de surplus ou de pénurie. C'est la recherche misme agricole entamépar la flambée pétrolière. Les autres régions, d'une marge bénéficiaire qui commande les flux, qu'ils soient savane sèche, savane intermédiaire et mosarQue forêt-savane servent internes ou en relation (officielle, clandestine ou tolérée) avec l'exté- donc de greniers, au point que l'on a pu noter une extension plus rieur. Le iz et le bétail camerounais, ainsi que le iz thaïlandais, septentrionale de la culture du manioc (mosarque forêt-savane) et, au entrent au Nigeria quand le naira est surévalué. Mais c'est au tour des Nord, en savane sèche, uû effacement relatif de l'arachide au profit céréales locales et des produits importés de franchir la frontière du niébé. camerounaise de temps à autre. Ce mouvement de balancier s'obserye aussi du côté du Bénin, le «poumon de la contrebande» des Aux flux intenégionaux enffe campagnes et villes, se superpose la produits importés dans tout le golfe de Guinée, par où ont transité, distribution par la ville des produits importés et transformés: farine entre 1986 et 1993, des centaines de milliers de tonnes de blé et de de blé, pain et biscuits, boissons, sucre et produits laitiers. Comme ce riz, ou du côté du Niger, l'«arrière-cuisine» du Nigeria par Haoussa sont majoritairement les petits producteurs qui font l'offre et que interposés, qui lui fournit régulièrement haricots, niébé et bétail celle-ci, indépendamment des conditions climatiques de l'année, contre des produits introduits soit parLagos, soit par le Bénin. reste largement insuffisante, l'élasticité des prix observée sur le marché intérieur ne dépend pas du milieu rural mais de l'hétéro- Les investissements étrangers dépendent des capacités d'appro- généité des filières commerçantes, toutes privées. Des cartels se sont visionnement, de 1'exploitation possible des ressources locales constitués, encadrant le marché de la viande et de la noix de cola. Ces (pétrole , étain, par exemple) et, bien entendu, du désir d'être présent filières mobilisent de très nombreux intermédiaires répartis en de sur un large marché de consommateurs . La politique tarifairé:' multiples réseaux: neuf sont connus pour le commerce de la cola, associée aux contingentements dans les importations (selon les ayant chacun de quatre à sept intermédiaires successifs, entre produc- époques), les investissements publics soutenus, la surévaluation du teurs du Sud et consommateurs du Nord qui, de plus, exportent naira ainsi que l'activité bancaire ont été de puissants facteurs souvent. Autre exemple: en pays haoussa, le commerce des grains d'incitation. Malgré tout, jusqu'à la période de récession, la produc- mobiliserait une dizaine de circuits commerciaux partant des bouti- tion industrielle nigériane n'a pas été compétitive en Afrique de quiers de village, aboutissant aux négociants des villes et contrôlés l'Ouest, a fortiori au plan international. La dévaluation et la baisse par des personnes bien placées qui savent manier l'argent. I drastique du pouvoir d'achat des citadins ont changéla situation de

200 1986 à 1993: la demande nigériane et l'exportation vers les pays de I L'atout du nombre la zone CFA se limitent de plus en plus aux produits indispensables (alimentation, textile, engrais). Les véhicules d'occasion se substi- tuent aux engins neufs montés sur place. Les firmes britanniques epuis l982,le Nigeria vit une crise, observée de l'extérieur avec restent dominantes, quoique grignotées par la concurrence améri- d'autant plus d'attention que l'expansion économique du pays caine, allemande et française, à laquelle s'ajoute la présence de avait été impressionnante au cours de la décennie précédente, jusqu'à l'Italie et du Japon. Les investissements étrangers se sont toujours créer l'illusion de la puissance et de la prospéité. Si crise signifie portés prioritairement sur le secteur extractif (pétrole et mines); prise de conscience du poids de la dette extérieure et de l'ampleur du venaient ensuite le secteur manufacturier, la construction, les travaux déficit interne, le terme prend tout son sens aux yeux des Nigérians publics, le commerce et les services, surtout après le premier choc du fait de la remise en cause du mode de développement suivi, et de pétrolier. En revanche, le contre-choc de 1982-83 s'est traduit par un la distribution au compte-goutte de la richesse nationale. Le change- ralentissement très net des prêts et investissements: stratégie d'attente ment de cap s'est fait sans implosion, comme si les Nigérians avaient des firmes à l'affût d'un réveil du marché. Depuis 1987,les mesures compris que les lampions de la fête étaient éteints. Doit-on parler favorables à f investissement étranger, l'anêt du processus de nigé- d'une bonne occasion pour l'État, obligé, enfin, de se conformer à rianisation, la purge libérale et la dévaluation ont redonné confiance une discipline économique et financière stricte, tout en limitant son aux investisseurs qui n'avaient pas cru bon de quitter le pays, mais rôle à la régulation de la construction nationale? L'après-pétrole n'ont pas refait du Nigeria le marché attractif qu'il fut: l'Afrique du pourrait se jouer sur la mise en valeur d'atouts insuffisamment Sud a pris le relais. I utilisés: les ressources du sous-sol, le rôle politique en Afrique, les

20r millions d'habitants. Le Nigeria d'aujourd'hui a Ia nostalgie des Un sous-continent mées 1980 (naira accroché au dollq politique interventionniste), à cmtre+ourant dans un monde néolibéral. Attitude hétérodoxe: pour mbien de temps? f) urr la Communauté économique des États de l'Afrique de L l'Ouest (CEDEAO), le poids démographique nigérian égale Avec une masse démographique officiellement recensée de celui de ses quinze associés réunis .Lapopulation de certains États de tEJ millions en 199I, sans doute sous-estimée, environ le cin- la Fédération, tels Kano ou Sokoto, surpasse même celle de pays guime de la population au sud du Sahara, le Nigeria se dirige vers comme le Togo, la Siena Leone, voire le Bénin pour Kano. Mais se les ll8 millions en l'an 2000 et 155 pour 2010 (avec un taux de poser en pôle d'impulsion économique dans une Afrique occidentale croissance de 2,6V0 par an). Les estimations couramment admises lui et centrale quelque peu éclatée obliger aît I'Etat nigérian à dépasser donnaient 20 millions d'habitants en 1930, 34 millions en 1950, les problèmes de gestion de son fédéralisme: vaste perspective pour 44 millions en 1960. S'il s'impose donc par la masse de sa popula- ce «pouvoir en puissance». Même s'il paraît être dans la logique de la tion, celle-ci ne peut constituer un facteur positif que si elle est grande transformation économique et sociale en cours, un tel scénario maîuisee dans sa croissance, régulée dans sa répartition et valorisée est encore loin d'être assuré. C'est que l'action de l'État sur la scène pu la formation, notamment celle des futurs cadres de la nation. Le sous-continentale manque singulièrement de fermeté et de continuité. marché que représente la population est déjà réel. Une société de Si les liens culturels et les réseaux marchands anciens ainsi que, plus ousommation avait fait son apparition avant l'ajustement, comme récemment, les migrations de travail, ont pu dessiner un espace le prouvent les deux millions de comptes bancaires, les lTlo de économique transfrontalier, encore faudrait-il que cette situation soit menages urbains possédant un téléviseur et les l0lo de propriétaires l'objet d'attention de la part des dirigeants. Or ceux-ci semblent plus d'un véhicule. Combien auront sauvé ce niveau de vie quand le pays préoccupés par les questions internes que par la nécessité de conso- sera sorti de la crise? lider les points d'appui extérieurs du réseau commercial, à moins de

penser QUe, par souci diplomatique, ils ne veuillent rien entreprendre Ia question qui se pose est plutôt celle de la diversité des emplois dans ce sens. Il apparûtpourtant que les pays frontaliers du Nigeria qui devraient être offerts à moyen terme à une jeunesse fortement doivent constituer, à court terme, la cour et l'anière-cour de son scolarisée. L'emploi dans le secteur formel ne concernait que activité économique et l'aire d'expansion d'une population en pleine 4,5 millions de personnes pour une population active de croissance démographique. 26 millions. En une quarantaine d'années, le Nigeria est parvenu à se dispenser de l'assistance extérieure dans les universités et le Si un corps de soldats nigérians a été envoyé au Tchad pour particrper secteur pétrolier: aboutissement d'un effort considérable en au rétablissement de l'ordre à Ndjamena (1979),le gouvernement ne muière de scolarisation et de sélection. Vingt universités existent sait, ou ne veut, pas s'opposer aux interventions étrangères en Afrique aujourd'hui, accueillant 120 000 étudiants; ils étaient 2 500 à subsaharienne alors qu'il affiche, dans les conférences interafricaines, I'indépndance. Si I'empire du nombre est peut-être la promesse une politique à la Monroe pour l'ensemble du continent. De même, de la puissance à l'extérieur, c'est aussi la certitude d'une mul- après avoir contribué à minimiser le rôle de la CEDEAO dont il avait ütude de charges à assumer sur le plan intérieur: scolariser plus de pourtant favorisé la mise en place, en 1975,afin de créer une zone de $ millions d'enfants et subvenir peu ou prou aux besoins de près libre-échange, le Nigeria n'entretient aujourd'hui d'accords de coope- de 16 millions de personnes âgées de plus de soixante ans (autant ration économique qu'avec le Bénin et le Niger. Avec le Cameroun, qu'en Allemagne) à la fin du siècle. «pays complémentaire>», l'ancien contentieux de 1960 sur le partage de la région camerounaise, placée jusque-là sous tutelle britannique, a Ces données indiquent l'ampleur des transferts sociaux à prévoir. été réactivé par les différends portant sur les limites des zones de pros- Car, pour l'ÉtaL une population nombreuse peut devenir rapide- pection pétrolière et de pêche dans le delta de la Cross. L importante ment un fardeau si les systèmes de gestion, d'encadrement et de contribution du Nigeria aux forces de rétablissement de l'ordre au régulation restent inopérants face aux problèmes collectifs: sur- Liberia montre son désir d'assumer un rôle de puissance régionale, charge démographique des campagnes, défaillance des services mais f inefficacité, de ces forces est symbolique. urbains et organisation des échanges commerciaux laissée au marché libre, au risque de déclencher des pénuries de ravitaillement Le Nigeria garde une politique attentiste vis-à-vis des pays de la zone en ville. Pour le moment, la limitation des naissances n'est pas la franc. I1 n'y pénètre que soutenainement, malgré les intérêts évidents piorité du gouvernement même si, depuis l964,les méthodes de que le pays peut y trouver, et cela pour trois raisons essentielles: planning familial sont tolérées et ont été bien acceptées dans les l'attachement du pré cané francophone à la monnaie CFA (garantie familles citadines du Sud, les mieux éduquées. Il faut donc par le Trésor français), le maintien dans la zone de banières doua- s'attendre à un alourdissement de la masse démographique pendant nières et les accords de défense qui lient les pays francophones au encore deux gén&ations au moins. «gendarme» français. Le Nigeria est obligé de composer. Après la

202 tentative de sécession biafraise soutenue par la France gaulliste et la C'est sur le taux de change que s'est organisé le changement de Côte-d'Ivoire, qui voyaient 1à l'occasion d'affaiblir le Nigeria, le politique économique, tant il est évident qu'une dévaluation profite marché nigérian s'est ouvert aux entreprises françaises. Le gouverne- aux exportations. Auparavant, la surévaluation du naira favorisait ment a également pris des positions voisines de celle de la France à les importations bon marché, qui démantelaient peu à peu des pans propos du Tchad. La dévaluation du franc CFA de janvier 1994, entiers du secteur productif national, mais elle permettait, mois après marquant le début du repli hexagonal français, peut laisser une place mois, de limiter f inflation sans toucher au pouvoir d'achat des vacante. Sera-t-elle occupée? citadins, aux profits des intermédiaires, aux dépenses publiques et au crédit. Les mesures prises ont eu pour effet, à l'extérieur, de rendre La réponse est d'autant moins évidente que l'ensemble nigérian reste compétitifs les produits nigérians et, à f intérieur, de multiplier pu 24 écartelé entre des champs socio-politiques contradictoires. Les diffé- le prix des produits importés; il en est résulté de nouvelles occasions rents corps sociaux, à commencer par les technocrates, l'armée et d'enrichissement illicite, par le trafic de contrebande. Mais pour l'intelligentsia, jouent chacun leur partition, rendant problématiques quiconque, dans toutes les catégories sociales, ne profite pas de celle- l'élaboration et la mise en æuvre d'un projet de construction natio- ci le contrecoup a été rude: suppressions des sociétés publiques, nale. A fortiori, doit-on s'intenoger sur la capacité de ces groupes à licenciements et renchérissement du coût de la vie. Cette conjoncture susciter une politique extérieure claire et cohérente. Les rivalités a entraîné le retour (provisoire?) de certains citadins au village ethniques et les divisions religieuses, périodiquement exacerbées, pendant que, dans le même temps, les agriculteurs, bénéficiant d'un restent les fondements du jeu politique, obligeant le pouvoir fédéral marché plus favorable, accroissaient leurs productions. à composer entre démembrement territorial et centralisation du pouvoir. Souvent encore, face à la permanence de ces problèmes qui La politique monétariste et libérale donne un coup de fouet. Il reste au( minent I'Etat, c'est le spectre du chaos qui légitime la prise de secteurs productifs à s'adapter. Mais l'industrie nigériane n'est pas à pouvoir des militaires, gardiens, jusqu'à présent, de 1'unité natio- même de conquffil, sans les avantages comparatifs artificiels produis nale. Le retour au régime civil n'a pas eu lieu comme prévu, laissant par la dévaluation du naira, les parts de marché qui pounaient lui pendantes bien des questions: reconstruction économique du pays revenir si bien QUe, à l'exception du textile et des produits alimentaires, sur des bases durables, renforcement de l'unité de la Fédération bruts ou transformés, ce sont les produits réexportés ou nigérians notamment. subventionnés qui passent les frontières. Le secteur privé national, même s'il est encouragé, est trop jeune et trop fragile pour tenir tête, sans risques, à la concunence internationale. C'est donc le capital L'imprêvisible multinational qui est sollicité pour prendre les devants sous pavillon nigérian. Il lui est aussi demandé de recomposer le tissu industriel, I a profondeur de la crise enregis trée à tous les niveaux tient voire de susciter le dynamisme agricole du pays, sous la forme d'inves- Usurtout à I'ampleur du déficit intérieu1 dû à l'importance des tissements dans la création de blocs agro-industriels. Dans les termes, dépenses publiques engagées alors que le système fiscal brillait par tout cela ne représente pas un grand changement par rapport au pæ# son inefficacité et que les bénéfices autrefois perçus sur les produc- récent. On sait aussi ce que de tels projets sont capables de produire. C,e tions agricole et industrielle étaient à la baisse. Le devenir du Nigeria sera inévitablement le coût social de la remise en question de pæserait donc par la révision complète de sa politique économique, l'économie nigériane qui fera le tri entre le «programmé» et le ce qui est plus facile à énoncer qu'à mettre en application. La crise, «possiblerr, dans l'effort d'assainissement et d'ajustement demandé. c'est d'abord Ia dégradation de la balance des paiements, à la suite de Peut-on encore, dans les villes, réduire un pouvoir d'achat déjà la baisse du prix du pétrole (1981), concomitante des engagements diminué de moitié? Peut-on continuer à di$ribuer des diplômes à des financiers exorbitants pris par 1'Etat. D'un tiers de la valeur des étudiants qui risquent de se retrouver sans emploi, alors qu'au début exportations en 1980, l'endettement total extérieur (près de des années 1980 un quart de ceux qui sortaient des universités rencon- 30 milliards de dollars) était passé en 1992 à37710 de celles-ci. Le traient déjà des difficultés pour se placer? De nouvelles formes de ),jigeria, dans l'incapacité d'assurer le service de sa dette, a dû solli- régulation de l'économie, de la société, de la démographie et de citer de nouveaux prêts, qui ne pouvaient lui être accordés qu'assortis l'espace national seraient à inventer pour parvenir à un développement de conditions draconiennes. Le Nigeria les refusa. C'est seulement acceptable. Le contexte socio-politique, toujours lié aux vapeurs peme sous la menace de la banqueroute qu'il se résigna à une dévaluation lières, est brouillé, et le chemin à parcourir est semé d'embûches, brutale pour obtenir, en 1988-1989, le rééchelonnement de sa dette, même si l'on est en droit d'avoir quelque confiance dans la formidable æsorti de prêts d'ajustement structurel. capacité des Nigérians à se tirer d'affaire.

203 Popu lotion Aires régionoles Poys

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Russle Ie retclur de puissance ? POPULATION . SOCIÊTÊ ÉcoromrE - ÊcHAilGEs Population totale zot3 hab. t73 615 3oo PIB zor3 Md $ 1286,+1 Superficie km' en zotz o pârt de I'agriculture dans le PIB % 94 768 o/o 33,1 Densité 2ot3 hab.km' 789 o part de I'industrie dans le PIB 4e.,6 Accroissement naturel annuel %o 2r8 o part des services dans le PIB % 26,3 Mortalité zor3 7o" 73 PIB/hab. 2ot3 US$ lr 6gzl Natatité zot3 %oo 42 Taux de chômage officiel zott %o lzl,gl o/oo Mortatité infantile zot3 97 Population active zotz hab. lSz 6t+z 3361 Espérance de vie 2ot3 f., h. ans e part du primaire f., h. % n.d. n.d. 52 57 o/o Féconditê zor3 enfants par femme 6 o pârt du secondaire f .,h. n.d. n.d. o Moins de r5 ans zot3 %o 44 part du tertiaire f., h. % n.d. n.d. Plus de 65 ans zot3 %o 3 Taux d'urbanisation zot3 %" 50 VIH fin 2otz estimation haute 3 8oo ooo lmportations Fab zotz M $ 53 640 estimation basse 3 1oo ooo Exportations Fab zop M $ 96 48 Dépenses publiques de santé zo72 % du PIB 6,7 en 2ot2 o import. alimentaires M $ ro 856 Dépenses publiques d'éducation % du PIB n.d. o export. alimentaires M $ rt 276 Population avec moins Oe z $/iour zoro %o 84,5 lnvest. Directs Étrangers 2ot2 (flux) M US$ 7 tot Femmes parlementaires (chambre basse) zot4% 6,7 Consommation d'énergie 2ott kepthab. 72t IDH zorz (rang) 0,477 (rSl") Dépenses militaires, part dans le PIB zotz %o o,9 Émigration nette zot3 o/oo o Dette extérieure totale zog M $ t5 73o Taux d'abonnés têléphonie mobile zop %o 67 [ ] : donnée estimée f., h. : femmes, hommes

PRIilCIPALES PRODUCTIONS o gsz naturel 36,r Mdmr (zor3), pétrole ur,3 Mt (zor3), pêche 856 614 t (zorr) .ananasl42oooot(zorz),agrumes3gooooot(zorz),arachides3oToooot(zorz),cacao383ooot(zorz), caoutchouc naturel 143,5oo t (zorz), ignames 38 ooo ooo t (zorz), légumes 6 zoo ooo t (zorz), mai's 9 4ro ooo t (zorz),manioc54oooooot(zorz),millet5oooooot(zorz),sorgho6gooooot(zotz),riz4833ooot(zorz), bovins r9 2oo ooo têtes (zorz), caprins 57 6oo ooo t (zorz), ovins 38 5oo ooo têtes (zorz) r grumes, sciages, placages 7 roo ooo m: (zorz) . exportations de produits de haute technologie 7z MS (zorz), mouvements de conteneurs u1 o3s EVP (zorz)

La bombe à retardement démographique et ses défis colossaux Fort de 173,6 millions d'habitants en2073,le Nigeria pourraitbien atteindre les 400 mil- lions d'ici à 2050. C'est dire les défis gigantesques (économiques, urbains, alimentaires, éducatifs, sociaux, environnementaux, énergétiques, etc) auxquels sera confronté ce pays dont 85 o/o delapopulation vit toujours avec moins de 2 dollars par jour. Pour l'heure, ce pays connaît depuis 2009 un taux de croissance d'environ 7 o par an (6,8 o/o en 2073) qui, s'i1 devait se poursuiwe, devrait lui permettre de dépasser celui de lâfrique du Sud et de devenir la première puissance économique du continent africain. Une diversification économique vers l'industrie est envisaseable à moyen terme. En effet, jusque-là pénali- sées par un sous-équipement énersétique et des problèmes récurrents d'accès, les entre- prises concernées ont applaudiles pouvoirs publics qui ont décidé de privatiser en20\3 le secteur électrique en proie à de profonds dysfonctionnements. Les industries lourdes (sidérurgie, raffrnage, extraction minièrg papeterie, etc.) et manufacturières (automobile et texüle notamment) dewaient en profiter en toute logique. Encore faut-il que les inves- tissements dans les infrastructures de transport se mettent au diapason. Mais, là aussi, des décisions importantes ont été prises, comme la réhabilitation de la ligne ferroviaire reliant la capitale pétrolière, Port Harcourt, et Makurdi (au centre du Nigeria), ainsi que 1a réouverture après 17 années d'intermption de la ligne reliant Lagos (15 millions d'ha- bitants) à Kano au Nord.

310 Les hydrocarbures, encore et toujours Liéconomie nigériane est dominée depuis les années 1960 par le secteur des hydrocar- bures (pétrole et gaz) dont 1e pays est quasi mono-exportateur (99 oto de la valeur de ses exportations,39 o duPIB, mais seulementl % des emplois en 2013). Avec2,9 % de la production mondiale (soit environ 2,4 millions de barils par jour), ce pays est par ail- leurs le septième producteur de l'Organisation cles pays exportateurs de pétrole (OPEP) et le premier en Afrique. Ses réserves sont considérables (36 milliards deb./j. environ, soit 3 7o des réserves prouvées mondiales), ce qui lui garantit durablement une attracti- vité forte auprès des investisseurs étranglers (États-Unis et Chine en premier lieu, sou- cieux de sécuriser leurs approvisionnements). Au total, 60 % cle la production est assurée par des compagnies étranSères. Pour autant, les hydrocarbures ne concourent qu'à hau- teur de 73,7 c/o au PIB national, qui reste dominé par l'agriculture (39,2 %, quLi emploie plus de la moitié de la population) et le commerce (20 '/"). Le gaznattrel fait de son côté l'objet de toutes les attentions (notamment de la part du russe Gazprom), d'autant que les réserves prouvées seraient plus importantes encore que celles du pétrole (5 250 milliards de mètres cube), alors qu'il a longtemps été peu valorisé. En 2011, le Nigeria est d'ailleurs devenu le troisième producteur de gaz du continent. Lusine de liquéfaction de Bonny - en voie d'achèvement - portera à terme la production à 27 millions de tonnes, ce qui fera d'elle l'une cles plus importantes au monde. Les cen- trales thermiques au gaz se multiplient et visent à fournir de l'électricité au pays. Or, celle-ci fait cruellement défaut. La suppression et janvier 2013 de la subvention portant sur le prix du carburant (qui a entraîné son doublement et cle très nombreuses §rèves) vise à transférer quelque 8 milliards de dollars au profit de la production et des infrastruc- tures électriques.

Insécurité chronique Dans la région du delta du fleuve Niger (États du Oelta, d'Edo, dâkwa Ibom, de Cross River et de Rivers et Bayelsa), de loiu la plus riche en pétrole, f insécurité yire au cauchemar depuis plusieurs années pour les compa§nies pétrolières, sous l'action notamment du Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND) qui multiplie enlèvements de cadres expatriés contre rançon, sabotagies des infrastructures et vols de plusieurs millions de tonnes de péhole. Le Niseria est aussi l'un des pays parmi les plus menacés par f implosion religieuse, ethnique (300 ethnies, 400 groupes linguistiques) et sociale. Larégron deJos (centre du pays) est particulièrement concernée par les flambées de violence qui voient s'affronter, depuis les années 1980, chrétiens (ma.jpritaires au Sud) et musulmans (majoritaires au Nord). Uintroduction par le passé de la charia dans une doozaine d'États de cette fédéra- tion (l'État de Zamfaraen a donné le signal dès 2000) a notamment exacerbé 1es tensions religieuses. Enfin, les attentats atrribués à la secte islamiste Boko Haram (née en 2002 et que l'on peut traduire par "l'éducation occidentale est tmpéclté ") font chaque année plusieurs centaines de morts, notamment dans 1a région de Kano (norcl du pays), principalement sous le feu de kamikazes en moto ou d'attentats contre des bâtiments publics. La secte s'est sinsularisée en 2014 par l'enlèvement de plus de 200 lycéennes dans la région du Chibok, qui ne sont toujours pas libérées. Fnnuçors Bosr

311 .

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DÉVELOPPEMENT Nigeria : l'eldorado... de demain Christophe LE BEC, Jeune Afrique, 16 octobre 2013

Tel est le Nigeria : des ressources pétrolières dont l'exploitation est gênée par l'insécurité. Un beau potentiel agricole, mais peu d'infrastructures pour transporter la production. Un vaste marché intérieur, divisé par de profondes inégalités. Richement doté, le pays met la patience des investisseurs à rude épreuve. Comme Lagos, dont la population croît de 3 % Économiseur d’énergie Safari par an, les grandes villes du Nigeria sont en "Celui qui n’est pas implanté au Nigeria Cliquer pour lancer le module Flash pleine expansion. © George Osodi /PANOS n’est pas implanté en Afrique!!" a affirmé PICTURES Ngozi Okonjo-Iweala, la ministre des Finances, pleine de conviction face aux investisseurs venus la rencontrer mi- septembre. Et son message a été reçu cinq sur cinq par Nicole Bricq, la ministre française du Commerce extérieur, en visite à Abuja et à Lagos. "Le Nigeria joue un rôle de locomotive régionale et nous voulons être l’un de ses partenaires stratégiques", annonçait celle-ci dès son arrivée dans la capitale fédérale. "On ne peut passer à côté de ce pays, en particulier dans les secteurs du BTP, de la production électrique, de l’agriculture et de l’environnement", a-t-elle répété aux chefs d’entreprise français, qu’elle souhaite emmener au-delà du "pré carré" francophone.

Pour les prétendants, la fiancée nigériane ne manque pas de charme!: ses quelque 170 millions d’habitants – autant de consommateurs en puissance –, sa production pétrolière – près de 95 milliards de dollars (plus de 73 milliards d’euros) de recettes d’exportation en 2011 –, et son potentiel agricole inégalé en Afrique de l’Ouest.

De nombreuses opportunités

Selon la banque d’affaires Renaissance Pour les prétendants, la fiancée Capital, le pays pourrait même devenir la première économie du continent d’ici à cinq nigériane ne manque pas de ans, devant l’Afrique du Sud. En 2012, son charme PIB atteignait 268,7 milliards de dollars (contre 384,3 milliards pour la nation Arc-en- Ciel), mais il pourrait augmenter de 40 % pour peu que le pays mette à jour sa base de calcul en intégrant des variations de prix et de production omises pendant ces vingt dernières années.

Un argument utilisé par les autorités pour renforcer l’image de leur pays auprès des investisseurs, même si sa réputation reste écornée par les problèmes sécuritaires, dans le Nord avec la présence de la secte islamiste Boko Haram (basée dans l’État de Borno), et dans le Sud-Est avec la subsistance des groupes armés dans le Delta du Niger. Économiseur d’énergie Safari "Ce n’est pas un pays facile, mais les occasions ne Cliquer pour lancer le module Flash manquent pas", assure Massimo De Luca, conseiller commercial de l’Union européenne (UE) à Abuja. "En plus de sa puissance démographique, le Nigeria bénéficie de ses bons fondamentaux macroéconomiques. Avec Ngozi Okonjo-Iweala aux Finances, l’inflation est contenue (autour de 10 %), l’endettement public aussi (à 19 % du PIB), et la croissance tourne autour de 7 % ", ajoute ce diplomate italien, en poste depuis quatre ans et qui voit les missions commerciales occidentales et asiatiques se succéder à Abuja. "Le pays peut aussi se prévaloir de sa stabilité politique, grâce à un subtil équilibre entre le niveau local et le niveau fédéral, et de son attitude ouverte vis-à-vis du secteur privé et des investisseurs étrangers. Ici, il n’y a pas de risque de nationalisations."

Plusieurs vitesses

Un pays attrayant, donc, mais de quel Nigeria parle-t-on!? Celui des milliardaires comme Aliko Dangote et Tony Elumelu, installés à Victoria Island, le quartier huppé de Lagos!? Ou celui des 70 % de la population qui vivent avec moins de 1 dollar par jour dans les campagnes et les bidonvilles!? Sur un territoire immense (plus de 923!000 km", soit près de trois fois la superficie de la Côte d’Ivoire) coexistent en effet des réalités très contrastées. Le gouverneur de chacun des 36 États fédérés dispose d’un budget conséquent et de larges compétences, couvrant tous les domaines, à l’exception des fonctions régaliennes (défense, justice et monnaie).

Résultat!: un paysage économique à plusieurs vitesses. "S’il y a une chose que je retiens de ma visite, notait ainsi Nicole Bricq à la fin de son séjour, c’est la différence majeure entre le nord et le sud du pays!; pas uniquement pour des raisons sécuritaires, mais surtout en termes de richesse et de perspectives économiques." Et la ministre de s’étonner!: "Dans les États du Nord, la croissance n’est que de 1 % par an… quand elle est de 14 % dans ceux du Sud!! L’État de Lagos à lui seul pèse 65 % du PIB non pétrolier du Nigeria, soit davantage que la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Sénégal réunis."

Les entreprises françaises de sa délégation affichaient d’ailleurs un intérêt plus marqué pour les grandes villes du Sud, en pleine expansion (la population croît de 3 % par an à Lagos). "Dans les technologies de l’information, la finance, la banque, la mode, les médias, l’éducation et les services portuaires, nous sommes incontournables", se félicite , le gouverneur de Lagos. L’élite du secteur privé, qui avait fui la ville lors du déplacement de la capitale fédérale à Abuja, y est revenue.

Dans le Nord, les perspectives sont moins brillantes, notamment en raison d’un niveau d’éducation plus faible et de l’absence d’industries. Mais là encore, la situation est loin d’être homogène. "L’État de Kano [9,4 millions d’habitants], qui abrite la capitale commerçante haoussa, est dirigé par le gouverneur Rabiu Musa Kwankwaso, qui a réussi à y faire progresser la production agricole [riz, arachide et sucre] et textile, notamment grâce à l’amélioration des infrastructures routières, indique Massimo De Luca. Il a été jusqu’à présent épargné par la menace islamiste, contrairement au nord-est du pays." Une menace que subit en revanche l’État voisin de Katsina (extrême Nord)!: "Là-bas, nous avons dû cesser nos opérations après une attaque islamiste et la prise en otage de l’un de nos salariés", indique Jérôme Douat, président de l’entreprise française Vergnet, qui y installait une centrale électrique.

Déficits

D’un secteur à l’autre, les situations sont également contrastées. "Contrairement à une idée reçue, la croissance nigériane n’est plus bâtie sur l’or noir, analyse Hervé Boyer, directeur commercial du groupe Standard Bank pour l’Afrique de l’Ouest. En 2013, l’immobilier devrait croître de 7 %, les télécoms de 6 %, l’agriculture de 5 %… et le secteur pétrolier décroître de 1 %." Pourvoyeur de 80 % des recettes fédérales, ce dernier n’est en effet plus à la fête. Les pertes dues à des fuites dans les oléoducs et à un trafic à grande échelle dans la zone du Delta du Niger, qui échappe en partie au contrôle des autorités, ont atteint un niveau considérable (quelque 400!000 barils par jour en avril), entraînant une baisse de la production de 17 %. Le manque à gagner pour les compagnies et l’État est d’environ 1 milliard de dollars par mois. "Cette baisse a toutefois un côté positif, relativise De Luca. Le gouvernement a moins d’argent à distribuer, ce qui diminue le poids du secteur public au profit du secteur privé et limite les risques de corruption." Reste que réussir au Nigeria – quel que soit le secteur ou la région – demande de pallier la défaillance chronique des infrastructures. Le pays tout entier ne dispose "Le plus dur est la gestion de la logistique et que de 4 500 mégawatts de l’approvisionnement en électricité", prévient le patron d’un important groupe industriel occidental, en poste depuis cinq ans. "La corruption gangrène et ralentit la plupart des grands projets", renchérit le conseiller commercial de l’UE.

En matière énergétique, le déficit est dramatique : "Le pays tout entier ne dispose que de 4 500 mégawatts, contre 40 000 MW pour la seule Afrique du Sud, trois fois moins peuplée", reconnaît Chinedu Nebo, le ministre de l’Électricité. Le programme de privatisation d’une partie de la production, qui doit augmenter la capacité de 6 000 MW, a connu un beau succès en 2012, attirant des investisseurs locaux sérieux comme Tony Elumelu (Transcorp) ou Femi Otedola (Zenon Petroleum & Gas). Mais leurs centrales n’atteindront pas leur pleine capacité avant… 2020. En attendant, les industriels s’adaptent. "Nous demandons sans succès depuis plusieurs années le raccordement à un pipeline gazier d’une centrale électrique que nous sommes prêts à construire dans l’État d’Ogun (au nord de Lagos) pour alimenter une de nos cimenteries", s’est plaint Jean-Christophe Barbant, directeur Nigeria de Lafarge lors d’une rencontre avec Chinedu Nebo.

Des partenariats complexes

En ce qui concerne les transports, le réseau routier a été amélioré, notamment dans le centre du pays, mais beaucoup reste à faire : "C’est indispensable pour que l’agriculture décolle réellement, grâce à un meilleur approvisionnement en intrants agricoles, et à une circulation plus aisée des productions de manioc ou de riz", note Massimo De Luca. Mené par des groupes chinois (dont China Civil Engineering Construction Corporation, CCECC), le chantier de rénovation des voies ferrées est, lui, encore au milieu du gué. La ligne Lagos-Kano a été rénovée, mais les autres grands projets, en particulier à partir de Port Harcourt, n’avancent qu’à petits pas.

Autre écueil, la gestion des partenariats – aussi bien avec les sociétés locales qu’avec les gouvernements – se révèle complexe, notamment en ce qui concerne les importations. "Les mesures censées encourager la production locale sont parfois appliquées “à la tête du client”, notamment dans les secteurs du pétrole, du ciment, des intrants et produits agricoles. Les groupes privés proches des autorités – locales ou fédérales – peuvent parfois bénéficier de passe-droits pour importer, voire transgresser les règles sans être inquiétés", confie un industriel.

Visé par ces critiques, Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique, justifie les politiques protectionnistes dans les secteurs du ciment et de l’agroalimentaire, où il intervient : "Le Nigeria n’a pas besoin d’entreprises qui veulent seulement exporter leurs produits, mais nous sommes prêts à accueillir ceux qui veulent être nos partenaires pour produire sur place." Le tycoon de Lagos a su cultiver ses relations avec les présidents puis pour passer du statut d’importateur à celui d’industriel, en bénéficiant d’un quasi- monopole sur ses produits à son démarrage, puis d’un appui dans son expansion.

Investir au Nigeria exige de faire preuve de patience, de jongler avec les différents échelons administratifs et les partenaires locaux. Mais le jeu en vaut la chandelle, en particulier dans le secteur des biens de consommation de base, comme en témoigne le succès des mastodontes de l’agroalimentaire Nestlé et Cadbury. Le géant nigérian ne s’est pas encore complètement éveillé, mais c’est maintenant qu’il faut s’en rapprocher.

Tentations autarciques

Sur le plan politique, on a vu le président Goodluck Jonathan très actif pour tenter de résoudre les crises ivoirienne et malienne, soucieux de contrebalancer l'influence de l'Afrique du Sud dans l'ouest du continent. Mais sur le plan économique, le Nigeria est encore loin d'être intégré à la sous-région ; les barrières fiscales à l'entrée restent élevées, en particulier sur les produits pétroliers et agricoles ainsi que sur les matériaux de construction.

"Il faudra du temps avant qu'existe une véritable convergence économique et une monnaie commune en Afrique de l'Ouest. Chacun de nos pays doit mettre de l'ordre dans sa maison", estime Ngozi Okonjo-Iweala, la puissante ministre des Finances, pourtant soucieuse de renforcer la coopération régionale, notamment avec la Côte d'Ivoire d'Alassane Ouattara.

En matière d'activisme panafricain, les entreprises montraient jusqu'à présent l'exemple en s'implantant dans plusieurs pays du continent, en particulier dans les domaines bancaire (notamment UBA et Access Bank), industriel (Dangote Group, Transcorp, etc.) et des télécoms (Globacom).

Mais elles semblent aujourd'hui se concentrer sur leur marché domestique. Pour Aliko Dangote, interrogé à Lagos mi-septembre, "il y a tellement d'opportunités au Nigeria qu'on a du mal à sortir du pays". "La construction de notre première grande raffinerie au Nigeria [d'un coût total de 6,6 milliards d'euros] va mobiliser une large partie de nos ressources financières. Avant, notre objectif était d'y réaliser 50 % de notre chiffre d'affaires et 50 % ailleurs en Afrique. Mais avec ce projet, la part du reste du continent ne devrait atteindre que 20 % à 25 % dans cinq ans. Néanmoins, quand nous aurons une trésorerie suffisante, nous réinvestirons en dehors du pays", assure le milliardaire.

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Newest | Oldest | Top Comments TERRORISME Nigeria : le pétrole, un espoir de développement étouffé par Boko Haram 28/09/2014 à 16:51 Par AFP

Le pétrole découvert dans le nord- est du Nigeria pourrait apporter à cette région défavorisée le développement dont elle a un besoin vital, mais la rébellion du groupe islamiste Boko Haram empêche son exploitation.

Tous les experts le disent, et le pouvoir nigérian le reconnaît, pour sortir de cet Vue arienne de la plateforme pétrolière de interminable conflit, la riposte militaire ne Total à Amenem, à 35 km de Port Harcourt, au Nigeria. © AFP suffit pas. Pour éviter que les jeunes se tournent vers l'islamisme radical et rejoignent les rangs de la rébellion, il faut leur offrir des perspectives.

Mais le conflit -- qui a fait plus de 10.000 morts et 700.000 déplacés en cinq ans -- empêche toute initiative de développement économique et social dans la région, et bloque en particulier l'exploitation des ressources pétrolières découvertes sous le bassin du lac Tchad. Les explorations menées dans l'Etat de Borno en 2012 laissent espérer des réserves atteignant jusqu'à trois milliards de barils de pétrole, de quoi transformer l'économie de la région.

A condition que ces ressources soient bien utilisées, contrairement à ce qui a été fait dans la région pétrolifère du Delta, au sud-est du Nigeria, qui n'a que très peu bénéficié des retombées financières de l'or noir. Selon l'ancien patron de la compagnie pétrolière nationale nigériane (NNPC), Andrew , les projets pour débuter la production de pétrole ont été gelés à cause du conflit.

Ces derniers mois, Boko Haram s'est emparé de nombreuses villes et de pans entiers de territoires dans l'Etat de Borno, qui borde le lac Tchad, multipliant massacres et exactions contre la population. Devant le danger, les géologues, les ingénieurs et tout le personnel technique ont quitté la région.

"Nous avons conseillé à nos membres d'éviter la région du Nord-Est parce que nous ne voulons pas qu'ils soient tués", a expliqué Babatunde Oke, un responsable du syndicat des employés du pétrole, le Pengassan. Un haut responsable de la NNPC a assuré à l'AFP que des actions étaient en cours pour sécuriser les sites pétroliers contre les attaques rebelles, mais il a reconnu que "pour le moment, le projet est au point mort à cause des violences de Boko Haram".

Pour l'ancien gouverneur de la banque centrale nigériane, Lamido Sanusi, un personnage respecté devenu un des plus hauts dignitaires musulmans du pays en tant qu'émir de Kano, il est pourtant crucial d'investir dans le nord du Nigeria pour stopper le mouvement de radicalisation.

"Une bénédiction, non une malédiction"

L'argent du pétrole pourrait servir à réduire la pauvreté, le chômage et les carences du système éducatif, autant de facteurs qui permettent aux islamistes radicaux de recruter largement parmi une jeunesse sans espoir, estime Mustapha Ibrahim, professeur de sciences politiques à l'Université d'Etat de Yobe.

"Nous devons nous occuper de ce malaise social pour résoudre le problème Boko Haram, et c'est possible si nous faisons bon usage de l'argent du pétrole du bassin du Tchad, quand la production commencera", insiste-t-il. "On pourra lancer des programmes économiques et sociaux qui seront efficaces sur le long terme pour lutter contre Boko Haram". Encore faudra-t-il -- à condition que le conflit prenne fin -- tirer les leçons des erreurs commises dans la région du Delta, d'où sortent près de deux millions de barils de pétrole par jour, faisant du Nigeria le premier producteur d'Afrique.

En raison de la mauvaise gestion et de la corruption généralisée autour de la manne pétrolière, les populations du Delta n'ont quasiment pas profité des retombées financières. Au contraire, la région a plongé dans des décennies de violences, avec des attaques répétées contre les installations pétrolières et les personnels des compagnies, mêlant banditisme et revendications politiques de groupes rebelles exigeant une meilleure redistribution des richesses.

La situation a été apaisée depuis quelques années, gouvernement et compagnies ayant finalement accordé de larges concessions. Le Delta a en outre été terriblement souillé par la pollution liée à la production de pétrole, par des majors internationales peu soucieuses du respect de l'environnement.

"Le pétrole doit être une bénédiction et non une malédiction", plaide Debo Adeniran, de l'ONG Coalition contre la corruption des leaders. "Il faut tout faire pour éviter ce fléau" du détournement des ressources. Seule la bonne gouvernance permettra de venir à bout de l'insurrection de Boko Haram, et c'est un important défi à relever pour le Nigeria, estime le professeur Ibrahim.

"Si on n'y arrive pas, le conflit avec Boko Haram ne se terminera jamais. Même si ce groupe est vaincu (militairement), une autre insurrection éclatera dans quelques années avec les mêmes causes", avertit le professeur.

(AFP)

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Superficie 924 000 km2 de 30 Ét"tt = -É,tatfédéral Population z 123 millions Composition ethnique : plus de 250 groupes ethniques dont Haoussa-Peul (32 %o), Yoruba (21,3 o/o), Ibo (l8o/o),Ibibio (5,60/o), Kanouri, Edo, Tïv, Ijaw, Katafi, Ogoni, etc. Religions : musulmans (50 o/o), chrétiens (40 o/o), cultes ancestraux (10 o/o)

e Ni§eria fait figure {s * Eléant de I'Afrique,. qui dépasse les 12O millions d'habitants, dont des Ce pays dispose de nombreux atouts pour prê élites de bon niveau, qui forment une société civile tendre exercer un leadership en Afrique occi- dynamique et avide de démocratie; dentale, voire dans toute I'Afrique subsaharienne: - d'importantes richesses énergétiques (pétrole, - une position géo§raphique trè favorable, au carre gaz, mais aussi li§nite, charbon et hydroélectricité), four de plusieurs axes stratégiques: axe saharien qui lui procurent des rentrées massives de pétro- reliant Ia Méditerranée à I'Afrique subsaharienne, dollars. axe sahélien, travercant le continent d'ouest en est, Pourtant, le Nigeria apparaît comme un « colosse du Cap\êrt à la mer Rouge, zxs « §uinés6 ,, lon§eant aux pleds d'argile », en raison des multiples li§nes l'Atlantique, de la Mauritanie au golfe de Guinée; de fractures internes qui le parcourent, de nature - une population, considérable à I'échelle africaine, ethnique, confessionnelle, régionale ou historique.

UNE ENTTTÉ COMPLEXE tout sécession biafraise à partir de tentative d'instrumentalisation des cli- ET VULNÉNIELE 1967. Ceconflit biafrais, qui a fait plus vages ethno-régionaux visant à remettre d'un million de victimes demei1967 en cause le fragile équilibre fédéral. I-"e La ftdération nigériane apparaît comme à janvier L970, a longtemps incarné pouvoir nigérian a su gérer de manière une entité artificielle. Fruit des aléas l'archétype du conflit interne, avec son exemplaire la sortie de ce conflit fratri- de la colonisation britannique, elle cortège de massacres et de famine, cide, en tournent intelligemment la regroupe des territoires fortement avant que de telles horreurs ne se page et en multipliant les efforts pour contrastés et des ethniCI culturellement banalisent en Afrique au cours des réintégrer les Ibo au sein de la commu- très diverses. Le pays souffre de ce fait années 90, comme en témoignent nauté nationale. Mais, plus de trente de puissantes contradicdons internes. les tragédies du Sud-Soudan, de la ans après la fin du drame biafrais, les Depuis son indépendance, il n'a cessé Somalie, du Liberia, du Rwanda et, cruelles leçons de l'histoire semblent de lutter contre des forces centrifuges : plus récemment, du Darfour. avoir été oubliées par certains apprentis révolte des Tiv de la Midd.le Beb en Ce sinistre épisode biafrais a durable- sorciers, qui n'ont eu de cesse, ces der- 1960 et 1964, insurrection des Ijaw ment marqué les esprits au Nigeria et nières années, de manipuler les clivages dans le delta du Niger en 1966 et sur- a longtemps servi de repoussoir à toute ethniques, religieux ou régionaux afin 1{igeria.145 de préserver leurs positions domi- fédération. Refusant l'hégémonie des taires dans le nord du pays chez les nentes, conserver leurs accès privilé- Big Three,les groupes minoritaires ont Haoussa et en voie d'extension parmi giés à la rente étatique et paralyser le su nouer des dliances complexes, leur les Yoruba du Sud-Ouest; les chré- fragile processus de transition vers la permettant de constituer des contre- tiens, majoritaires au sein des ethnies démocratie. pouvoirs efficaces. Ayant tout à perdre o sudistes », principalement chez les d'une éventuelle implosion de laîédé- Ibo et les petites ethnies du Centre Une mosairque ethnique difrlcile à ration, ces minorités se veulent les (Middle Beb) erdu Sud-Est, mais pré- appréhendêr. La structuration de garantes de l'unité fédérale, et l'ont sents sous forme de poches minori- l'espace politique nigérian est souvenr prouvé en prenant une parr prépondé- taires au Nord ; et enfin les adeptes des présentée comme reposant tantôt sur rante dans la résolution de la sécession « cultes ancestraux », encore vivaces un clivage binaire, de nature géo- biafraise à la fin des années 60. En parmi les populations du Sud, en parti- graphique et religieuse, opposanr un retour, elles ont été les grandes bénéfi- culier chez les Yoruba. Ces trois grands Nord musulman et politiquemenr ciaires du processus de fragmentation ensembles religieux ne coïncident pas dominant à un Sud christianisé et ani- administrative de l'espace politique exactement avec le système ternaire miste, économiquement plus prospère ; nigérian qui a fait passer le nombre ethnico-géographique (Nord haoussa, tantôt sur une articulation ternaire, d'Etats fédérés de 3 à 36 enue 1960 Ouest yoruba, Est ibo). il en résulte constituée autor,u des trois grandes eth- et 1996; des situations complexes. Ces dernières nies dominantes (les Big Tbree): les -les Big Three ne constituent pas, loin décennies, l'islam a fortement progressé Haoussa-Peul du Nord, de confession s'en faut, des ensembles homogènes. en pays yoruba, modifiant l'image musulmane (appelé Haussa Fulani en Chaque grande zone (nord, ouest, est) de I'islam nigérian, jusqu'alors prin- anglais), les Yoruba du Sud-Ouest, à est parsemée de groupes minoritaires, cipalement marqué par les Haoussa I'appartenance religieuse diversifiée, ethniquement et/ou religieusement. nordistes. Mais cela s'est traduit par et les Ibo du Sud-Est, en grande parrie Dans le Nord haoussa islamisé sont l'émergence d'un clivage à la fois christianisés. ainsi disséminées des poches christiani- géographique et ethnique au sein de Ces trois grands ensembles ethniques sées peuplées de groupes minoritaires. la ,. ç9s1111snauté des croyants ,, les regroupent chacun entre 15 et25 mil- Lensemble yoruba, le plus homogène Yoruba musulmans ayant tendance à lions de personnes. Ils se distinguenr ethniquement, est toujours percouru faire primer leur filiation ethnique sur fortement les uns des autres du fait par des rivalités régionales aux racines leur appartenance religieuse. Quant au de leur spécificité religieuse, de leur historiques (remontant aux rivalités de Nord, son caractère islamisé doit être identité linguistique et de leur enra- jadis qui ont déchiré l'empire d'Oyo). relativisé par l'existence de populations cinement territorial. Leur puissance Quant à la zone est, la prédominance n non haoussa », animistes ou christia- démographique, culturelle, politique démographique des Ibo y est vivement nisées. Cette zone est le théâtre de la et économique leur a permis de débor- contestée par une kyrielle de petites confrontation entre un prosélytisme der de leurs territoires historiques et de ethnies qui ont refusé, pour la plupart, panislamique, animé par des groupes satelliser certaines minorités voisines. de s'engager dans l'aventure sécession- radicaux financés par des pays moyen- Mais ces représentations d'un Nigeria niste en 1967, ce qui a laissé de pro- orientaux, et une vague de u nouvelle binaire ou ternaire, bien que repo- fondes traces, toujours perceptibles évangélisation » qui touche les ethnies sant sur un fond de vérité, apparaissent rujourd'hui. minoritaires non musulmanes et est somme toute beaucoup trop som- D'une manière plus générale, les rap- encouragée par des sectes protestantes, maires. Elles ne permerrent pas de sai- ports entre les diftrenres ethnies peu- principdement d'origine nord-améri- sir dans toute son ampleur le caractère plant la fedération sont toujours mar- caine. Il s'ensuit de régulières flambéCI segmenté et plural de la société nigé- qués de manière plus ou moins latente de violence qui perpétuent un climat riane. Une bonne appréhension de la par les ffaumatismes provoqués par le de tensions ethniques et confession- réalité nigériane nécessite une analyse passé esclavagiste de certaines d'entre nelles exacerbées dans les régions sep- plus fine, mettant en lumière deux fac- elles. Cette dichotomie fondamentale, tentrionales du pays. teurs trop souvenr négligés : tabou majeur de nombreuses sociétés - la population du Nigeria est compo- africaines, est rarement évoquée en UNE ACCUMUI.ATpN DE sée, outre les Big Tbree, de plus de tant que telle. Mais elle induit tou- DYSFONCTTONNEMENTS 250 communautés linguistiques (donr jours des rancæurs sous-jacentes et certaines ne comptent que quelques non dépassées, qui se cristallisent Sur ce fond ethnique, religieux, régio- dizaines de milliers d'individus). Ces ponctuellement sous l'effet de diverses naliste et historique complexe est « petites ethnies » forment fu facto un câuses, et expliquent bien des antago- venue se greffer une série de facteurs quatrième ensemble, certes hétérogène nismes d'aujourd'hui. politiques, économiques er sociaux, mais néanmoins influent car bien susceptibles de rompre le fragile équi- représenté au sein de l'armée et majori- Un tilptyque religieux en pleine libre institutionnel instauré au sein taire dans les États fédérés du Sud-Est, efreruescence. La carte religieuse du de la fedération. Les élites au pouvoii dont les gisements d'hydrocarbures Nigeria comprend trois grands blocs : apparaissent incapables de dépasser les constituent la richesse essentielle de la les musulmans, très largement majori- particularismes géo-ethniques.

t{lgeria. L47 Un Etat en crise permanente. de l'exploitation pétrolière a beaucoup démographiquement prometteur. Sur- IJorganisation institutionnelle du pays diminué au profit du pouvoir fédéral. tout, les « parrains » nigérians ont infil- n'a cessé d'osciller entre une série De nombreuses communautés, comme tré les plus hauts sommets de l'État et d'alternatives : ftdération ou confédé- les Ogoni ou les Ijaw, s'estiment lésées parviennent à influencer la politique ration, régime civil ou militaire, régime par une péréquation inéquitable entre tant intérieure qu'extérieure du pays. démocratique ou autoritaire. Depuis États fédérés producteurs et pouvoir Ainsi, l'implication du Nigeria au 1960, le Nigeria a connu une alter- fédéral.Il s'ensuit depuis le début des Liberia à partir de 1990, outre l'affir- nance de régimes civils et militaires, années 90 une vive agitation anti- mation de son leadership régional, ponctuée par plus d'une douzaine gouvernementale dans le sud-est de peut s'interpréter comme la volonté de de coups d'É,tat ou de tentatives de la fédération, avec des répercussions contrôler la seule économie du conti- putschs militaires (le dernier en date au explosives. nent appartenant à la zone dollar, et printemps 2004), une série d'assas- faciliter ainsi le blanchiment d'argent sinats de responsables politiques (dont Un pays en léglession. Le Nigeria sale dans l'économie mondiale. deux généraux-présidents et un Pre- e connu au cours des années 70 un mier ministre fédéral) et une longue véritable n âge d'or ,, celui de l'argent Une amée omniprésente et omn[ suite de décès aussi brutaux que mys- facile et des grands projets, Mais le potente. Depuis son indépendance, le térieux, faisant parfois suspecter de retournement du marché pétrolier et Nigeria a essentiellement été dirigé par possibles empoisonnements, camouflés les grandes évolutions de l'économie des régimes militaires. Avant de revenir en « crimes parfaits ,. Cette culture de planétaire ont sévèrement mis à mal au pouvoir en 1999,les civils n'ont la violence politique se plaque para- n l'eldorado nigérian ,. Le revenu par exercé le pouvoir qu'à trois reprises : doxalement sur une culture démocra- habitant n'a cessé de décroître au cours -pendant la Première République tique à l'anglo-saxonne, très vivace, des années 80, passant de I 000 dollars (d'octobre 1960 à janvier 1966), qui illustrée par une société civile parti- par habitant en 1980 à,250 au début fut marquée par la radicalisation des culièrement active (comme le prouve des années 90. Dans le même temps, rivalités ethniques entre les Big Three le foisonnement d'associations de la dette extérieure n'a cessé de gon- et la montée des tensions sécession- défense des droits de l'homme), une fler. Ladoption d'une politique défla- nistes qui devaient aboutir à la guerre presse libre et variée et une justice rela- tionniste destinée à rétablir les grands du Biafra; tivement indépendante. En dépit de équilibres a engendré des consé- -la Deuxième République (d'octobre l'existence de tels atouts, preuves d'une quences sévères sur le plan social pour 1979 à décembre 1983), caractérisée certaine maturité démocratique, le les populations : inégalités croissantes, par la dégradation de la situation éco- pays a souffert d'une grande instabilité paupérisation et frustration des classes nomique, l'affairisme des hommes de son organisation constitutionnelle moyennes, défaillance des grands politiques et une accumulation d'irré-

et administrative. Il a connu six Consti- services publics (éducation et santé), gularités électorales ; tutions et autant de redécoupages développement de l'économie infor- - l'éphémère Toisième République (de administratifs, qui, sous prétexte de melle et des trafics illicites (essence, juin à novembre 1993), torpillée par satisfaire les revendications identitaires voitures volées, armes), essor de la cor- l'annulation de l'élection du milliar- des ethnies minoritaires, ont permis de ruption, montée de l'insécurité (Lagos daire Yoruba Moshood Abiola. préserver la domination des élites des figure parmi les villes les plus dange- Ces expériences se sont toutes termi- Big Three. La prolifération des É,tats reuses du monde). Dans le même nées par un coup d'État militaire (res- ftdérés et des collectivités locales au gré temps, l'économie s'est profondément pectivement le 15 janvier 1966, le des differents redécoupages politico- criminalisée, du fait de l'essor du 31 décembre 1983 etle 17 novembre administratifs a engendré le développe- trafic de drogue. Le Nigeria fait désor- 1993). ment d'un micro-nationalisme dans mais figure de n narcocratie r, Le pays Pour autant, la vie politique du Nigeria certains États fédérés, en particulier compte plusieurs cartels très puissants, ne peut se résumer à une simple alter- ceux abritant des richesses pétrolières. ayant su nouer des alliances avec leurs nance de régimes civils et militaires. Cela a favorisé l'émergence de véri- u homologues, latino-américains et Larmée a toujours gouverné avec des tables sentiments xénophobes, les asiatiques. Ils dirigent des réseaux civils, et inversement ; et les civils, à autorités locales privilégiant les autoch- transcontinentaux, faisant de l'Afrique l'exception de la Première République, tones (natiues) eu détriment des nou- la plaque tournente de nombreux tra- ont spécialement pris soin de ménager veaux arrivants (settler) attirés par la fics destinés à approvisionner l'Europe les militaires. Pendant la Deuxième manne pétrolière. Mais le dossier occidentale et l'Amérique du Nord en République, le président potentiellement le plus déstabilisateur différentes drogues (héroine, cocaine, a ainsi prêté une grande attention au pour I'avenir de la fédération concerne cannabis). Depuis une dizaine d'an- moral des troupes. Les dépenses récur- le contrôle et le partage de la rente nées, ils encouragent le développement rentes du budget de la Défense ont pétrolière. Depuis l'indépendance, la de la consommation de drogues dures considérablement augmenté en 1980 part des royabies redistribuéCI au* États ou de pqychotropes au sein des popula- et, après avoir un peu diminué de 1981 fédérés ou aux populations locales tions africaines, adaptant leurs prix à 1982,les investissements en capital

subissant les contrecoups écologiques au pouvoir d'achat de ce n marché, ont également été réévalués en 1983, cæ. 148 .Afrique qui ne devait d'ailleurs pas empêcher le exemple, s'est institutionnalisé et est l'indépendance, d'une pert, et d'endi- coup d'É,tat de la Saint-sylvestre cette devenu l'unique interlocuteur officiel guer la multiplication des revendica- année-là. De même pendant la Qua- du gouvernement pour les questions tions communautaires, voire sécession- trième République, le général à la liées à Ia condition féminine. É-anr- nistes, d'autre part. Ils ont prétendu retraite Olusegun Obasanjo, une fois tion de la bourgeoisie urbaine et de la refuser de souscrire à des logiques eth- élu à la présidence en 1999, a re-pro- classe dirigeante, il a publiquement niques en essayant de dessiner des États fessionnalisé l'armée en la dotant de pris position en faveur de l'austérité sur la base de critères géographiques ou nouveaux équipements. financière et de l'ajustement structurel. économiques, quitte à leur donner des Peu soucieux des masses paysannes noms délibérément neutres sur le plan Les liaisons dangeleuses entre et du prolétariat ouvrier, il a notam- culturel. En 1967, par exemple, il a été hiérarchle militaire et élites ment approuvé la destruction des un momenr quesrion que l'État des civlles. Les régimes militaires n'ont petits commerces de rue dont vivaient Rivers s'appelle Pabod, en réftrence aux jamais gouverné seuls. Larmée a litté- les femmes issues de milieux plus premières lettres des divisions adminis- ralement acheté le soutien de la société modestes. En fait d'opposition fémi- tratives de Port Harcourt, d'Ahoada, civile, à commencer par le vote des niste, le NC\7S a reproduit la domina- de Brass, d'Ogoni et de Degema. En notables et des chefs coutumiers lors tion masculine sur les cercles de pou- l975,larégion du Midwest, elle, deve- d'élections locales et d'assemblées voir, à l'instar du Better Life for Rural nait l'État du Bendel, amalgame de 'W'omen constituantes placées sous haute sur- Program lancé en 1987 par Benin et du Delta. En 1996, enfin, veillance. Malgré leur réelle auto- l'épouse du général Ibrahim Babangida naissait l'É,tat du Bayelsa, ecronyme nomie financière vis-à-vis de l'État, les et relaye localement par les femmes des composé à partir des local gouernments milieux d'affaires ont été séduits par gouverneurs militaires et de la Nige- de Brass, de Yenagoa et de Sagbama. la promesse de contrats alléchans, tan- rian fumy Officers'Wives fusociation. Mais, en fait d'esprit de corps, c'est seu- dis que le secteur associatif, beaucoup Des syndicats aux confréries musul- lement au cours de la guerre du Biafra plus démuni, s'est souvent laissé cor- manes en passant par les lobbies eth- qu'une véritable fraternité d'armes a vu rompre. Destinées à solliciter l'appui niques, nombre d'acteurs sociaux le jour, qui permit ensuite de réintégrer du secteur privé pour financer le ser- ont ainsi collaboré aux diverses juntes dans les forces nigérianes les mili- vice public, les fondations d'États qui se sont succédé à Lagos puis à taires rebelles, radiés à l'occasion de comme Kano et Katsina ont révélé Abuja, la nouvelle capitale fédérale. la mutinerie du lieutenant-colonel l'étroite imbrication des intérêts mar- Des hommes d'affaires comme futhur Odumegwu Ojukwu en 1967, tandis chands et militaires. Leurs relations Nzeribe, qui a soutenu l'annulation que l'argent facile du boom pétrolier avec l'armée ont toujours été ambiva- des élections de 1993 puis la candida- des années 70 facilitutla reconstruction lentes, sur la base d'un échange de ser- ture du général, à la prési- du pays. Pour le reste, l'armée n'a pas vices. Lors de son lancement en 1986, dentielle (avortée) de 1998, ont par plus échappé que les politiques aux la Foundation s'est engagée ailleurs servi de faire-valoir. Et la classe pressions ethniques et aux querelles per- à reverser le quart du revenu de ses dirigeante n'a pas non plus rechigné à sonnelles, voire aux controverses idéo- campagnes de souscription à un fonds se joindre à des gouvernements mili- logiques, comme en témoigne le popu- gouvernemental en faveur de l'éduca- taires. Des politiques issus de la lutte lisme des jeunes putschistes de janvier tion ; à charge de revanche, les autori- pour l'indépendance ont pu préconi- 1966 ou le libéralisme à tous crins du tés régionales lui ont donné gratuite- ser un « mariage de raison » evec une général lbrahim Babangida à partir ment un terrain où édifier son siège en armée symbolisant I'unité nationale et d'août 1985. La fréquence des coups 1989. Du fait de leur poids financier, le maintien de l'ordre depuis sa victoire d'État montre bien à quel point l'armée ces organisâtions de développement sur les sécessionnistes biafrais en 1970. nigériane est sujette à d'intenses luttes sont d'ailleurs assez vite devenues un Une telle dyarchie a particulièrement internes et à de graves conflits de per- enjeu importânt des rivalités locales. séduit les conservateurs opposés au sonnes, par exemple entre le leader Calqué sur le modèle de Kano, le pluralisme, synonyme, pour eux, de de la sécession biafraise, Odumegwu conseil d'administration de la Katsina tribalisme et de chaos. Ojukwu, et le chef des üoupes ftdérales State Foundation, un temps présidé Beaucoup croient en effet que l'armée à I'époque, , ou bien par le général Mohamed Buhari, a est la seule institution à avoir déve- entre Ibrahim Babangida et son prédé- ainsi été dissous en 1991 par le gouver- loppé un esprit de corps capable d'as- cesseur Mohammed Buhari, arrivé au neur militaire John Madaki, qui vou- surer I'unité du pays et la neutralité pouvoir par un coup d'État fin 1983. lait prendre le contrôle des fonds de nécessaire à une mission de service La supervision des civils par des mili- l'institution. public. Dans une optique jacobine, les taires ne rassure pas moins les scep- Les pratiques de patronage ont égale- militaires ont rompu avec l'héritage tiques du parlementarisme. Et, évi- ment permis à l'armée de canaliser les colonial et présidé à toutes les créations demment, les militaires ne sont pas velléités d'opposition des syndicats d'É,tats au Nigeria. En vue de diviser les derniers à défendre cette position. ou des mouvements sociaux. Fondé pour mieux régner, ils ont instauré une Après avoir rendu le pouvoir à des civils en 1959 à Ibadan, le National Coun- fédération afin de casser les contre- en 1979,le général Olusegun Obasanjo cil of'§ÿ'omen's Societies (NC\üIS), par pouvoirs des trois régions héritées de a ainsi proposé l'établissement d'un ru§g@r§e.149 Conseil d'É,tat composé de techno- rMe au pouvoir du général à la retraite velléités de réforme du Président avec crates où seul le président de la fédéra- Olusegun Obasanjo en 1999. Mais l'appui technique des Américains. Sous tion nigériane aurait été un politique il ne s'agissait plus, là, de justifier le lahoulette du juge Chulsvudifu Opua, élu. De son côté, la junte du général maintien d'une junte issue d'un coup une commission d'enquête sur les Ibrahim Babangida, au pouvoir de d'État, à la différence de Sani Abacha, violations des droits de l'homme a, 1985 à 1993, ne s'est pas privée d'ex- qui avait pour modèle l'Indonésie pour sa part, achevé de discréditer ploiter de tels arguments. Sous préto(IX'siècle. inquiété le pouvoir si les demandes aux gouverneurs I'occasion de réaliser en faveur d'une augmentation des des avatars de polices régionales, quoi Les soutlens réglonaux et tran- soldes n'avaient été relayées par les qu'il en soit, par ailleurs, de la couleur sethniques de la tv" République. obscures prétentions révolutionnaires politique des États concernés : AD Les affrontements de ce rype ne doi- d'un fumed Forces and Police Patrio- (Alliance for Democracy) pour I'OPC vent cependant pzs laisser l'impression tic Front of Nigeria. Lévénement à Lagos, PDP (Peoplet Democratic que le pays est au bord de la guerre ne paralt pas complètement anodin Party) et APP (All Peoplet Parry) pour civile. Malgré son impopularité gran- quand on sait que tous les coups les Bdhassi Boys del'Anambra et d'Abia dissante et une légitimité compromise d'Etats au Nigeria ont été le fait de resPectivement. par les nombreuses fraudes qui ont militaires, et non de policiers. Concrètement, les méthodCI employées entaché sa réélection en2003,le prési- La contestation au sein de l'armée pour museler les dissidences locales ont dent Olusegun Obasanjo continue pourait devenir particulièrement dan- pu aller jusqu'à l'assassinat politique. de bénéficier d'une indéniable assise gereuse si elle mettait en évidence des En avril2000, par exemple, les Bahasi sociale dont la complexité des réseaux clivages récurrents entre les hommes Boys ont commencé par exécuter un clientélistes donne un aperçu. En effet, de troupe et la hiérarchie militaire. président APP de la collectivité locale le pouvoir fédéral ne repose assuré- De pareilles dissensions, il faut le de Nnewi South, incitant, par contre- ment pas que sur un parti politique, le noter, ont motM le premier putsch du couP, un autre oPPosant du gouver- PDP (relativement bien implanté dans Nigeria, en 1966, et des tentatives de neur PDP de l'Anambra à se rappro- le Nord et le Sud-Est), face à l'opposi- coups d'Etat en 1976 puis 1990. Le cher de la police nationale pour tion parlementaire, essentiellement mécontentement de simples soldats a obtenir de celle-ci le détachement l'AD (issue des mouvements de lutte Nigeria.151 contre la dictature militaire en pays blique, ce dernier n'a pas caché les I'Arewa Consultative Forum a été yoruba) et I'APP (rebaptisé Abacha ambitions politiques d'un cercle de confiée à un chrétiendelaMiddle Belt, People's Parry parce qu'on y a retrouvé réflexion favorable à l'élection du pré- Yakubu Gowon, qui avait déjà dirigé un bon nombre de responsables du sident Moshood Abiola et opposé à le pays et représenté les intérêts des précédent régime). La présidence la dictature du général Sani Abacha. élites musulmanes du Nord pendant peut aussi compter sur le soutien des S'inspirant du modèle de la Fabian la guerre du Biafra. Sous la coupe de chefs traditionnels et des milieux Society et des travaillistes britanniques Mohammed Dikko Yusufu, un oppo- d'affaires qui profitent de ses pré- du XIX'siècle, Afenifere, qui signifie sant à la dictature du général Sani bendes. La structuration du champ « groupe d'action , en yoruba, a repris Abacha, l'association ne se bat pas politique au Nigeria fait ainsi appa- à son compte les idéaux progressistes pour une application intégrale du droit raître l'existence d'alliances régionales de l'AG (Action Group),le grand parti coranique, la charia, et se distingue de qui transcendent les clivages ethniques, politique d'Obafemi Awolowo dans la I'Arewa Peoplet Congress, banni par à l'instar des coalitions Afenifere dans région Ouest à l'indépendance. À l'ins- Olusegun Obæanjo et essentiellement le Sud-Ouest, Ohaneze dans le Sud- tar du n Rassemblement pour l'unité ,, composé de partisans d'un retour au Est et Arewa dans le Nord. Egbe Imole, qui avait marqué I'UPN pouvoir de l'armée, à commencer par En pays ibo, Ohaneze Ndi Igbo, la pendant la Deuxième République, le général Haliru Akilu, un ancien res- plus vieille des ffois, a en l'occurrence et du « Club pour la promotion des ponsable des services secrets militaires été fondée pendant la Deuxième Yoruba r, Egbe llosiwaju Yoruba, qui du régime Ibrahim Babangida entre République par des ministres et des avait infiltré le SDP (Social Democra- 1985 etl993. notables proches du NPN (National tic Parry) à travers un Council for Parry of Nigeria) du président Shehu Unity and Understanding d'apparence Les réseaux de pouvolr locaux. Shagari, qui, en 1981, s'était brouillé plus transethnique pendant la Tioi- Parallèlement aux trois principaux par- avec le NPP (Nigerian Peoplet Party) sième République, Æenifere a panicipé tis qui dominent la vie politique, ces de Nnamdi fuikiwe. Son objectif ini- de près à la formation de l'AD en 1999. coalitions régionalistes ont chacune tial était de damer le pion à Nnamdi Mais l'association n'a pas empêché la leurs entrées au pouvoir et mettent en Azikiwe avec, dans le rôle du o cheval discorde de régner au sein du camp évidence l'importance des associations de Thoie ,, l'ancien leader de la séces- yoruba. Certains l'ont accusée d'avoir de natifs qui continuent de facto it sion biafraise, Odumegwu Ojukwu, usurpé l'héritage et le nom de l'AG. mailler le pays profond en dépit du revenu d'exil et rallié au NPN. Fin D'autres lui ont reproché de ne pas traumatisme de la crise biafraise et de 1983, le retour des militaires au pou- avoir su prévenir la montée en puis- l'apparente condamnation du triba- voir a cependant donné à l'organisa- sance des milices de l'Oodua People's lisme par les élites politico-militaires. tion une autre tournure en l'affranchis- Congress, ainsi appelé à la fois pt ré1é- Dans le Sud, en particulier, les unions sant des querelles partisanes pour en rence au mythique ancêtre fondateur tribales s'avèrent plus proches du faire un véritable lobby pan-ibo. Après de la nation yoruba et à la n Société des lobby ethnique que du simple club de s'être séparée de l'ambitieux Ojuhvu, descendants d'Oduduwa », Egbe Omo notables. Assurant le lien entre la ville qui, se voyant conférer le titre tradi- Oduduwa, qui devait donner naissance et la campagne, elles promeuvent des tionnel dbzeigbo, avait eu des préten- à l'AG en 1951. solidarités lignagères à travers les flux tions à devenir le n patron , des Ibo, Lfuewa Consultative Forum,lui, est le migratoires des ruraux et les échanges la plate-forme régionale a milité en dernier venu sur la scène politique. Il a commerciaux d'agricultures vivrières faveur d'une confédéralisation du justement été créé en réaction à la qui, à défaut de se développer en Nigeria lors des négociations constitu- dérive xénophobe de |OPC, peu après cultures d'exportation, demeurent une tionnelles de 1995. La restauration des heurts entre Yoruba et Haoussa importante source d'approvisionne- d'un régime parlementaire en 1999lui dans la banlieue de Ketu, à Lagos, ment pour les centres urbains. En a alors permis de porter cette revendi- en novembrc 1999. À la différence agglomération, des organisations telles cation sur la place publique à travers la d'Afenifere ou d'Ohaneze, organisa- que la Ligue pour le progrès ou le voix des gouyerneurs des cinq Etats tions plus homogènes et moins trans- Mouvement pour la défense des droits ibo, qui ont cherché à obtenir le sou- ethniques, l'Arewa Consulative Forum et des libertés du peuple de Calabar tien de leurs homologues des régions fait figure de véritable lobby régional ont certes pu, en leur temps, transcen- côtières pour contester l'hégémonie du au sens géographique du terme. [æ mot der les affiliations tribales et défendre pouvoir centrd. dreu)a, le n nord » en haoussa, n'est des intérêts communaux. Mais la Regroupement essez hétéroclite de d'ailleurs pas sans rappeler l'appella- plupart ont, dès l'origine, affiché une chefs traditionnels, de politiciens, tion vernaculaire du NPC (Northern coloration ethnique prononcée, qu'il de hauts fonctionnaires et d'hommes People's Congress) d'Ahmadu Bello à s'agisse de l'Efik National League (fon- d'affaires, l'association pan-yoruba l'indépendance, le Jamiyyar Mutanem dée en 1920), de l'Ijesha Improvement Afenifere a, pour sa part, été créée px Arewa, qui avait voqrtion à réunir sous Society (1922), de I'Ibibio \ÿ'elfare le 18 janvie r 1993. Ancien sa coupe des Haoussa et des Peul aussi Union (1927),de l''s t .grr. gouverneur UPN (Unity Party of bien que des Kanouri et des Gwari. De (1941), de l'Oron Union (1942), de Nigeria) pendant la Deuxième Répu- façon significative, la présidence de la Qua Progressive Union (1943) ou Lô2.Afrique de l'Andoni Progresive Union (1949). ristes ditsTan dgaji (n les secouristes »). l'interdiction des associations eth- Iæ coup d'État militaire de 1966 ayant Plus traditionnelles, les confréries niques en 1966,les entreprises écono- officiellement interdit les unions tri- soufies - à savoir la et la miques des unions tribales ont pu per- bales, les associations de natifs ont Tijaniyya essentiellement - ont aussi durer sous la forme de coopératives ensuite perduré sous la forme de socié- joué un rôle caritatif avec des finance- qui ont vite dépassé le demi-million tés religieuses, sportives, féminines, ments qui provenaient surtout des d'adhérents et dont le nombre offi- éducatives et culturelles. La restau- donations de leurs membres, plutôt ciel est passé de 821 en 1951 à l0 591 ration de régimes parlementaires en que de lointains pays arabes. en 1976.À l" differ.nce de l'Afrique 1979, 1993 et 1999 leur a donné Les milieux marchands, très présents francophone, oùr les sociétés de pré- l'occasion de revenir officiellement sur dans les confréries, n'ont pas été en voyance avaient été légalisées sous le devant de la scène, quitte à moderni- reste et leurs efforts ont pris un espect le contrôle de l'É,tat et du Code de ser leur discours avec un vernis indigé- plus corporatiste et religieux que commerce en 1947 puis 1955, ces niste ou écologiste suscepdble d'em- dans le Sud, en proie à des rivalités coopératives ont bénéficié du statut porter l'adhésion des défenseurs des d'apparence ethnique. Placée sous d'association à but non lucratif en vemr droits de l'homme et des lobbies verts le signe du triangle daula g,ada, une d'une ordonnance coloniale de 1935. en Occident. La nouvelle génération pyramide d'arachides symbolisant la À ce titre, elles ont continué à fournir d'unions tribales n'en est pas moins prospérité agricole de la région, la Kano des prestations sociales qui ont pallié restée engoncée dans des logiques State Foundation a par exemple été les insuffisances du service public. de terroir. Lancé par l'écrivain Ken lancée par un riche homme d'afhires, En conribuant à affirmer des identités Saro-'§ÿiwa en 1990, le Mosop (Move- Aminu Dantata. Elle a commandité ethniques, les State Unions (les associa- ment for the Survival of Ogoni la construction d'écoles secondaires, tions de natifs) du sud du Nigeria ont People), par exemple, ne s'est battu posé les bases d'une banque islamique, aussi été, à leur manière, les précur- que pour la « survie du peuple ogoni », commercialisé la production agricole, seurs du fédéralisme car elles ont milité ce qui explique d'ailleurs son inca- secouru les victimes des catastrophes en faveur de leur propre entité admi- pacité à dépasser un cadre géogra- naturelles et soutenu l'actionnariat nistrative : d'abord des provinces, püs phique restreint et à rallier les autres populaire lors de la privatisation des des États fédérés. Leur changement de populations du delta à la lutte contre entreprises publiques. Après avoir fait nom au sortir de la Seconde Guerre les compagnies pétrolières ou les appel à des donateurs privés, la fonda- mondiale est significatif. En 1948, militaires. Quant à l'Ijaw National tion s'est rapidement financée grâce par exemple, l'Ibibio Union devenait Congress, l'article 7 de sa Constitu- aux revenus de ses investissements l'Ibibio State Union ; et l'Ibo Union, tion, qui date de 1993, a donné une et de ses prises de participations dans l'Ibo State Union. Inaugurée le 28 avril définition purement biologique de les entreprises locales : la culture de 1928 à Uyo, aujourd'hui capitale de l'appartenance ethnique. Au nom du céréales dans le bassin de la rivière l'Akwa Ibom, dans une région qui, droit du sang dans une société patri- Hadejia Jama'âre, une usine de chaus- à l'époque, recensait déjà plus d'une linéaire, seules les femmes mariées à sures sous les auspices des artisans centaine d'unions tribales autour de un Ijaw pouvaient être « naturalisées , de la Alheri Association, les Calabar, l'Ibibio Union constitue un (sic) eu sein du groupe. activités commerciales de la Kano prototype en la matière. C'est une des Aujourd'hui, les associations de natifs, Traders' Multi-purpose Co-operative plus vieilles associations du genre au dans toutes leurs limites et leurs fragili- Society, etc. Nigeria et son projet d'É,tat a mis près tés, révèlent une triple dimension poli- Dans le Sud à dominante chrétienne, de soixante ans pour aboutir, en 1987. tique : elles constituent des lobbies Églises et mouvements ethno-culturels Fondée en 1942 et dominée par les électoraux ; elles défendent des intérêts ont également mené des æuvres Ijaw, la Union, elle, a dû locaux ; elles fournissent des services sociales. Pour élargir sa base et venir au attendre vingt-cinq ans pour obtenir sociaux que l'É,tat est incapable d'assu- secours des victimes de la répression la création d'un Etat des Rivières à la mer. Si la répression des militaires a militaire, le Mosop s'est doté d'un veille de la guerre du Biafra, en 1967 . pu contrecarrer les efforts d'organisa- Ogoni Relief and Rehabilitation Fund. Vivier d'élites, ces unions tribales tis- tion de la société civile, la crise écono- Des unions tribales plus anciennes sent en quelque sorte la üame de fond mique a en effet obligé la population à n'ont pas non plus caché leurs ambi- des activités politiques qui, au niveau recourir à des structures informelles ou tions en matière de développement, à le plus local, déterminent les alliances caritatives qui ont permis aux élites l'image de l'Ibibio State Union, dont régionales et nationales. À partir de locales de consolider leurs clientèles. la devise était : n Amour, unité, coopé- l999,la Quatrième République voit Dans le Nord musulman, l'establish- ration, dévouement, indépendance » ! ainsi des personnalités de premier plan ffient de la Société pour la victoire de Les efforts se sont notamment portés se disputer le contrôle des organisa- l'Islam [NI) a ainsi fondé une associa- sur le plan éducatifet sanitaire, avec, tions ethno-culturelles, tels le président tion d'aide aux pèlerins nigérians à en l'occurrence, la construction de dis- du Sénat, Anyim Pius, et le gouverneur La Mecque, tandis que les fondamen- pensaires ruraux puis d'une clinique de l'Etat d'Ebonyi, , à pro- talistes Izala se dotaient d'une branche privée, l'Ibibio State Hospital, à Ikot pos de l'Ishiagu Community Develop- humanitaire sous la forme de secou- Okoro dans le district d'Abak. Après ment Union dans l'est du pays ibo. A{igêria.153 Pour leur part, des figures parmi les soient-ils, les divers marabouts, pro- des mascarades, lors des cérémonies plus en vue des unions tribales de la phètCI, cheikhs et prêues qui interagis- religieuses. Aujourd'hui, les masques Première République conservent toute sent avec les hommes de pouvoir obli- de ces parades sont fabriqués en série et leur influence en jouant un rôle d'émi- gent à étudier l'influence des forces de vendus aux touristes à Oshogbo, en nences grises auprès des gouvernants la magie, à en analyser les mécanismes pays yoruba, ou dans les petites cahutes du jour. Il existe par exemple une filia- sociaux et à en comprendre la portée en bordure de la route d'Ikot Ekpene, tion directe entre un bon nombre politique, en particulier au regard de en pays ibibio. Relativement affran- d'édiles de l'Akwa Ibom aujourd'hui la puissance de la rumeur. chis de la chefferie coutumière, des et le sénateur Udo Udoma, président De fait,le président Obasanjo en per- cultes initiatiques de type moderne de l'Ibibio Union de1947 à 1961, ou sonne n'a pas complètement renoncé et mafieux n'en ont pas moins pris le entre le chef de la Rivers State Union, à de telles croyances, lui qui a d'abord relais, notamment sur les campus uni- Harold Dappa Biny., et , suivi une éducation yoruba tradi- versitaires oùr les sociétés secrètes étu- premier gouverneur élu de l'É,tat des tionnelle avent de s'engager dans la diantes (les cubistù sont suspectées Rivers en 1979. Aux élections locales carrière militaire. En 1986, par d'avoir été lancées par les enfants de de décembre 1998, ce dernier forme exemple, il recommandait publique- l'élite militaire et civile au pouvoir, d'ailleurs un éphémère National Soli- ment à la presse l'utilisation des armes quitte à entretenir des liens avec des darity Movement qui se situe dans la de la magie juju en vue de vaincre le organisations plus anciennes comme la droite lignée du NDC (Niger Delta régime d'apartheid en Afrique du Fraternité Ogboni Réformée. Congress), la branche politique de la Sud ; les guérisseurs yoruba devaient La persistance de telles structures offi- Rivers State Union dans les années 50. d'ailleurs reprendre à leur compte sa cieuses ne menace sans doute pas la Le National Solidarity Movemenr, déclaration pour demander des sub- transition démocratique au Nigeria. qui remporte quelques collectivités ventions gouvernementales dans leur Mais elle témoigne d'une criminali- locales à cette occasion, a le soutien lutte contre les esprits du mal ! Candi- sation des pratiques politiques qui a explicite de l'Ijaw National Congress, dat malheureux aux élections prési- résisté à tous les changements de dont la charte constitutive interdit dentielles de 1999,le Yoruba Olu régime depuis le boom pétrolier des théoriquement à ses membres d'adhé- Falae a, pour sa part, accusé Olusegun années 70. Les sociétés secrètes avaient rer à une formation politique sans, Obasanjo d'appartenir à la société autrefois une fonction disciplinaire. d'abord, démissionner de I'organisa- secrète des Ogboni, qui intronisait et Aujourd'hui, elles apparaissent plutôt tion : une contradiction qui n'est pas enterrait les rois d'Oyo autrefois et qui comme des franc-maçonneries dévoyéCI sans rappeler les ambiguïtés des unions a pris les apparences d'une sorte de etdestinées à capter les prébendes de tribales vis-à-üs des partis nationalistes franc-maçonnerie chrétienne pendant l'Etat et à favoriser les carrières. De la à l'indépendence... la colonisation. même façon que les confréries soufies À dire vrai, le pays yoruba n'est pas le défendent les intérêts économiques les forces de !'invisible. læs réseaux seul à connaître de pareilles formes de l' estab lis hment mr$ulman du Nord, clientélistes du pouvoir politique d'organisations politiques souterraines. les sociétés secrètes du Sud partici- dévoilent ainsi en filigrane des struc- De la même façon que la Fraternité pent au grand découpage du n gâteau tures parallèles qui n'apparaissent pas Ogboni a été accusée d'avoir influencé national » nigérian. Plus ou moins dans l'organigramme officiel de fadmi- l'AG à l'indépendance, les adeptes du informelle, la redistribution par la nistration nigériane. Aux yeux d'une culte Owegbe ont été suspectés d'avoir corruption des ressources publiques, société imprégnée de sorcellerie, il infiltré le NCNC (National Council essendellement la manne pétrolière, ne fait nul doute qu'il existe aux côtés for Nigeria and the Cameroons) du confofte finalement les groupes de de l'appareil d'É,tat, ou directement président Nnamdi Azikiwe en pays pression qui n'hésitent pas à employer dedans, des cénacles invisibles otr se edo, autour de la ville de Benin. Plus ou à cautionner la violence pour per- régleraient les plus hautes affaires de la à l'est encore, on trouve aussi les venir à leurs fins. De ce point de vue, nation. Confréries religieuses dans le sociétés secrètes Okonko chez les lbo, l'Etat nigérian semble bièn avoir enté- Nord musulman et sociétés secrètes Ozo chez certains Ijaw d'Asaba, Ekpo riné, voire institutionnalisé, la préda- dans le Sud jouent en quelque sorte le Nyoho chez les Ibibio d'Uyo et Ekpe tion comme une forme « normale, de rôle que les services occidentaux ont chez les Efik de Cdabar. On peut bien lutte politique. Les pouvoirs publics voulu prêter atx cellules communistes sûr douter de leur poids politique. savent désormais gérer des niveaux de du temps de la guerre froide, avant que Autrefois, la peur qu'inspirait le secret violence élevés sans aller jusqu'à l'ex- les islamistes ne viennent remplacer la permettait le maintien de leur autorité, plosion sécessionniste. menace soviétique. Aussi irrationnels qui prenait tout son sens au moment

154.Afriqüe BLOG DÉFENSE Nigeria : retour sur quarante années de violences 05/09/2014 à 09:35 Par Laurent Touchard

Si les terroristes de Boko Haram sont aujourd'hui tristement au coeur de l'actualité, ils ne sont pourtant pas les premiers a déstabiliser le pays. Retour sur 40 années de violences au Nigeria.

* Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l'histoire militaire. Il a collaboré à Un combattant du groupe islamiste Boko plusieurs ouvrages et certains de ses Haram. © AFP travaux sont utilisés par l'université Johns-Hopkins, aux États-Unis.

Comme tous les émois internationaux, celui que provoque l'enlèvement des jeunes-filles de Chibok ne dure pas. Tout comme se sont évaporées les bonnes résolutions des autorités nigérianes. Intentions vite oubliées qui ont amené les civils du Borno à prendre en main la sécurisation de leur État, via la milice des jeunes du Borno, contre Boko Haram. Initiative que contrôle insuffisamment le pouvoir central et qui n'est donc pas exempte de dangers pour la stabilité de la zone. Mais finalement, rien de nouveau au Nigeria, en proie à des flambées de violences depuis une quarantaine d'années. Mieux "comprendre" Boko Haram, dont nous parlerons dans un futur billet, implique de survoler ces crises.

Aperçu des crises intérieures des années 1970 et 1980

Au Nigeria, les facteurs d'instabilité ne manquent pas. La guerre civile de 1967-1970 (Biafra) constitue la première crise d'ampleur que connaît le pays, alors indépendant depuis 1960. Quand s'achève le conflit, la paix n'est pas au rendez-vous. Tensions religieuses, ethniques, communautaires et sociales, croissent à la fin des années 1970. Boko Haram n'est donc pas la première secte d'inspiration islamiste que combat le gouvernement fédéral. Ainsi, en 1978, le mouvement sunnite Yan Izala, les "éradicateurs Izala", gagne en influence dans de nombreuses mosquées du Nord. Ses membres n'hésitent pas à recourir à la brutalité contre les soufis modérés.

En décembre 1980 à Kano, pendant onze jours, les forces de sécurité affrontent les Yan Tatsine (de courant mahdiste) qu'enflamment les prédications de Marwa (alias Mai Tatsine ; le "Maître de la Condamnation" en haoussa). D'origine camerounaise, l'homme rejette tout ce qui vient de l'Occident. Après avoir tenté de s'emparer de la mosquée de Kano, les combats dégénèrent avec la police. L'armée doit intervenir en urgence, avec chars, blindés et artillerie, faisant un usage disproportionné de la force. Au moins 6 000 personnes sont tuées du 19 au 29 décembre 1980 dans cette insurrection quasiment oubliée aujourd'hui.

À la même époque, les services de renseignement d'Abuja surveillent étroitement Au moins 6 000 personnes Ibrahim al-Zakzaky, responsable de la Société sont tuées du 19 au 29 des étudiants musulmans. Il refuse la décembre 1980 dans cette Constitution nigériane, vilipende les soufis qu'il insurrection quasiment oubliée accuse de collusion avec le pouvoir. aujourd'hui. Khomeiniste, il supporte la révolution islamique iranienne, rejette l'existence d'Israël... Par ailleurs, il milite en faveur de l'instauration de la charia dans l'ensemble du pays. Des années 1980 à aujourd'hui, il ne cache pas son admiration pour le Hezbollah. Des membres de son mouvement sont d'ailleurs soupçonnés d'être des soutiens potentiels d'opérations terroristes que pourrait conduire – si nécessaire - l'organisation chiite libanaise contre des intérêts américains et israéliens au Nigeria... Dans les années 1990, des liens sont rapportés entre lui et Mohammed Yusuf, futur fondateur de Boko Haram.

Quant aux Yan Tatsine, ils survivent à la disparition de Muhammad Marwa, qui décède dans la foulée des événements de 1980. L'"esprit" de Mai Tatsine s'enracine profondément dans le nord nigérian, notamment dans le secteur de Kaduna, avec la secte Kalakato. En août 1981, les fanatiques mahdistes sont à l'origine de violences à Maiduguri, puis tout au long des années 1980, en particulier en avril 1985, avec plusieurs centaines de morts à Gombe. S'ils font moins parler d'eux pendant les années 1990, ils font leur retour à la fin de la décennie, en septembre 1999, à Kaduna. Ils s'attaquent alors, non pas à des chrétiens, mais à ceux qu'ils accusent d'être de "mauvais musulmans" (notamment les soufis)... Ils se manifestent aussi à la fin des années 2000.

1999 : démocratie et explosions de violences

En 1998, des émeutes éclatent à Lagos : des musulmans brûlent des églises à Ilorin, dans l'État du Kwara. En octobre 1999, l'instauration de la charia dans l'État du Zamfara provoque des émeutes religieuses. Des chrétiens qui se sentent menacés par cette poussée islamiste en sont les auteurs. Le phénomène s'étend rapidement dans le nord du pays ; l'État du Cross Rivers se déclare État chrétien par réaction.

À ces antagonismes religieux se greffent des antagonismes ethniques : entre les Ifes et des Modakekes dans l'État d'Osun, entre les Haoussas et les Yorubas dans l'État du Shagamu et de Kano, etc... Dans ce contexte de troubles endémiques, l'attaque d'établissements scolaires n'attend pas les années 2010 et Boko Haram. Ainsi, le 10 juillet 1999, les membres d'une confrérie estudiantine vaguement teintée de religion, la Black Axe Confraternity, s'en prennent aux occupants des dortoirs de l'université d'Obafemi Awolowo. Vêtus de noir, masqués, ils massacrent huit personnes et en blessent onze à coups de haches et de fusils de chasse... Plus de dix ans après, en septembre 2013, Adigun Muda, le chef contemporain du groupe (qui existe donc toujours) est arrêté pour le meurtre d'une dizaine de jeunes entre 2010 et 2013...

Paradoxalement, l'élection d'Olusegun Obasanjo en 1999 et le retour à une démocratie durable depuis (à savoir, non entrecoupée de coups de force et de régimes militaires) a un effet déplorable sur les frictions entre entités rivales au Nigeria. Durant les régimes militaires, celles-ci étaient comme maintenues sous le couvercle d'une cocote minute chauffée au chalumeau. Lorsque s'estompe l'emprise politico-sociale des militaires, la violence se libère avec les rationalités et les revendications de tous ; les "réalités locales" dont parle Thierry Michalon (Quel État pour l'Afrique, L'Harmattan 1984). Souvent contradictoires, notamment avec ce que veut imposer Abuja, ces réalités locales se percutent brutalement.

Ce n'est pas tout : puisque le pouvoir appartient désormais à ceux qui gagnent les élections - ou De 1999 à 2002 environ 10 qui influencent leur issue – la force apparaît 000 personnes périssent de être un moyen comme un autre d'influer sur le mort non naturelle. résultat desdites élections. Des hommes politiques n'hésitent pas à l'utiliser, organisant leurs propres milices. Ils recrutent des laissés pour compte, des petites frappes. Évidemment, les armes distribuées ne sont jamais récupérées après les élections, contribuant à la prolifération galopante de ces outils meurtriers. En outre, ces sbires portent parfois des tenues similaires à celles des policiers, entretenant la confusion ; les exactions qu'ils commettent sont ainsi imputées aux forces de l'ordre ! La violence devient routinière, presque banale. Est estimé - en fourchette basse - que de 1999 à 2002 environ 10 000 personnes périssent de mort non naturelle... Contexte de débilité parfait qui favorise une pathologie comme Boko Haram.

Instauration de la charia au Nord Avec le précédent du Zamfara, d'autres États du Nigeria adoptent la charia. Pour faciliter son instauration, ils constituent des milices d'autodéfense, les hisbah. Celles-ci patrouillent pour assurer l'ordre public, elles veillent à la bonne application de la loi islamique et, accessoirement, s'attaquent aux chrétiens. Ces milices s'imposent ainsi en police religieuse qui concurrence la police laïque fédérale. La réaction du pouvoir est par trop timide : par exemple, la dissolution de la hisbah de Kano est demandée, sans aucun résultat.

Dans neuf des dix-neuf États du Nord, la charia est appliquée. Elle prévaut dans trois autres. Les chrétiens refusent d'y être soumis. De plus, non sans raison, ils s'estiment menacés. Sentiment qu'accentue l'apathie du pouvoir central. En toute logique, ils réagissent violemment. Cercle infernal dans lequel il devient vite impossible de déterminer qui est l'agresseur et qui est l'agressé. Le cycle des "agressions-vengeance" s'ancre fermement dans les villes et les villages, avec des prétextes qui ne manquent pas. Le nombre d'enlèvements, notamment de femmes, augmente quant à lui dans des proportions alarmantes.

Sabotage économique et possession des terres

Coeur et poumons économiques du Nigeria, le golfe de Guinée et du Delta du Niger sont d'une importance stratégique pour le pays. Le delta, en particulier, représente neuf États qui s'étendent sur 70 000 km2. Aire dans laquelle se sont concentrés 90 % des réserves pétrolières et gazières du pays... Richesses qui représentent aussi 80 % des revenus de l'État fédéral ! Par ailleurs, environ 1 % de la population travaille dans l'industrie pétrolière.

L'on comprend aisément l'enjeu du contrôle cette partie du Nigeria. Or, cette zone est à son tour contaminée par les troubles, à partir de 2003. En 2004, les groupes armés dans le delta sont estimés à une centaine rien que dans le Rivers State. Le MEND (Movement for the Emancipation of the Niger Delta) est un des plus connus. Ils enlèvent les techniciens des compagnies pétrolières, attaquent les forces fédérales, volent le pétrole qu'ils récupèrent en sabotant notamment les pipelines... Dans le reste du pays, la situation se dégrade elle aussi, toujours plus. En 2004, une explosion de violence entre communes fait plusieurs centaines de morts. L'assassinat politique n'est pas rare, à l'instar de celui de Dipo Dina en janvier 2010, dans l'État d'Ogun. Les affrontements physiques se multiplient également entre deux entités sociales et culturelles : les cultivateurs et les éleveurs. Le 7 mars 2010, dans le secteur de Jos (État du Plateau ; où les affrontements sont incessants depuis 1946 !), des éleveurs Fulani tuent plus de 400 villageois. Cette attaque est menée en rétorsion d'une autre attaque dont ont été victimes les Fulani, en janvier, par des Berom pour l'essentiel chrétiens. C'est dans ce contexte chaotique que Boko Haram revendique des attentats à la bombe, à Jos. L'usage des explosifs se "démocratise" alors tristement.

Frontières-passoires et professionnalisation des groupes armés

Dans le delta, une amnistie pour les rebelles apaise fragilement la situation. Toutefois, dans le golfe de Guinée, le nombre d'actes de pirateries commence à grimper en 2011. Le phénomène passe relativement inaperçu car le maraudage le long des côtes de Somalie attire alors tous les regards. S'ajoute, au Nord, la question de la porosité des frontières au bénéfice des bandits et des terroristes qui se regroupent plus ou moins sous la bannière de Boko Haram, puis de sa dissidence, Ansaru. Porosité qui profite à des groupes mobiles, à cheval sur les frontières, passant d'un pays à l'autre ; qui facilite les trafics les plus divers dont celui des otages.

Pour ne rien arranger, ces groupes se "professionnalisent". Ils alignent des combattants de mieux en mieux entraînés, de plus en plus efficaces dans la tactique des petites unités, dans la guérilla urbaine, dans les activités de renseignement "du pauvre" (souvent aussi ingénieuses et parfois aussi efficaces que le renseignement technologique). Au fil du temps et d'un apprentissage "sur le tas", ils excellent dans le terrorisme "intuitif". Efficacité qu'ils doivent notamment à l'expérience qu'ils gagnent face à des forces de sécurité défaillantes. Ils se "font la main" sur des cibles "molles" (écoles, lieux de culte...). Efficacité qu'ils doivent aussi à d'ex-membres des forces de sécurité qui intègrent leur rang. Efficacité accrue qu'ils doivent enfin à des armes automatiques, à des lance- roquettes antichars et à des explosifs qui foisonnent dans la région.

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Tous droits de reproduction et de représentation Delta du Niger : l'insoluble conflit ?

Aymeric Janier, Le Monde, 15 avril 2011

Des combattants du Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger, en septembre 2008. | AFP/PIUS UTOMI EKPEI

Goodluck Jonathan devrait, selon toute vraisemblance, remporter le scrutin présidentiel du 16 avril au Nigeria, ce qui serait une première pour un homme originaire du delta du Niger depuis l’indépendance, en 1960. Pour autant, cette région riche en pétrole, régulièrement en proie à des tensions, est loin d’être pacifiée. Parviendra-t-il, s’il est élu, à juguler la violence résiduelle des activistes du MEND et à préserver une amnistie bien fragile ? Éléments de réponse.

Marquée par une succession de coups d’Etat et de dictatures militaires, dont la dernière, celle du général Sani Abacha (1993-1998), a laissé un sinistre souvenir, l’histoire récente du Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec environ 158 millions d’habitants, s’est écrite à l’ombre des armes. Au sud, le delta du Niger, zone riche en matières premières, notamment en pétrole, n’a pas été épargné par la violence. Une violence qui perdure, en dépit des tentatives récurrentes du gouvernement fédéral d’inciter les rebelles du MEND (Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger) à déposer définitivement les armes.

Aux sources du conflit : la terre et l’or noir

Le conflit de basse intensité qui mine le delta du Niger trouve son origine dans les années 1980. Largement privées des fruits de la manne pétrolière, qui a crû dans des proportions considérables à la faveur du boom pétrolier dix ans plus tôt, les populations locales s’organisent en un vaste mouvement de protestation. Leur cible ? Les militaires, qui ont fait main basse sur l’or noir et revendiquent la propriété du sol. A l’époque, la lutte est pacifique. Mais déjà, les fondements du futur conflit affleurent. "Il y a deux versants très politiques dans cette rébellion : c’est à la fois une contestation du Land Use Act de 1978 [lequel dépossède les communautés locales de leurs droits fonciers au profit de l’Etat fédéral] et du mode de redistribution de l’argent du pétrole, qui fournit 96 % des recettes à l’exportation de l’Etat", analyse Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chargé de recherche à l’Institut de recherche pour le développement et spécialiste du Nigeria. "Le prix du baril tourne autour de 100 dollars. Or, produire du pétrole au Nigeria ne doit pas coûter plus de 30 dollars. Toute la question est donc de savoir comment répartir la valeur ajoutée ainsi dégagée entre l’Etat fédéral, les Etats fédérés et les communautés locales", précise Jean- Pierre Favennec, expert pétrolier. Sur le plan de la répartition des bénéfices pétroliers, en effet, deux écoles s’opposent. D’un côté celle de la péréquation (federal character), en vertu de laquelle les Etats riches paient pour les plus pauvres, principalement situés dans le Nord sahélien musulman non-producteur de pétrole ; de l’autre, celle de la dérivation (derivation principle), qui veut que les régions pétrolifères du Sud – l’Etat du delta, de Bayelsa et de Rivers – touchent l’essentiel de la rente, fût-ce au détriment du reste du pays. Nœud gordien de la politique intérieure nigériane, cette épineuse question est d’autant plus difficile à trancher que d’autres critères entrent en ligne de compte, comme les besoins en développement et en éducation.

De la lutte pacifique à l’insurrection armée

Au début des années 1990, l’écrivain et intellectuel Ken Saro-Wiwa est le premier à donner un vrai sens politique à la protestation des communautés locales. En invoquant la pollution qui menace le delta, thématique jusqu’alors largement mise sous le boisseau, il parvient à faire entendre sa voix aux côtés des grands lobbies environnementaux mondiaux. Il prend la défense des Ogonis, peuple indigène vivant dans l’Etat de Rivers, et fonde le Mosop (Mouvement pour la survie du peuple ogoni), qu’il dirigera jusqu’en 1995. Cette année-là, au terme d'un procès truqué, il est exécuté par pendaison à l’initiative du gouvernement de Sani Abacha. Cet événement marque un tournant crucial dans la contestation. "A partir de là, beaucoup ont réalisé que face aux militaires et à un pouvoir fédéral désespérément sourd à leurs revendications, la seule solution était la lutte armée. Les Ijaws [ethnie majoritaire du delta, sur les plus de 250 que compte le pays] ont donc pris les armes", explique M. Pérouse de Montclos. Depuis cette époque, le Mosop a cédé la place au MEND, dont les actions radicales ciblent prioritairement les intérêts pétroliers. Est-ce à dire que la violence est plus prégnante qu’auparavant ? Sur ce point, M. Pérouse de Montclos se veut nuancé : "Entre 1993 et 1995, pendant la période dure de la dictature Abacha, le delta du Niger et la zone entourant Port Harcourt étaient à feu et à sang. Les cadavres se comptaient par milliers", rappelle-t-il, précisant "qu’aujourd’hui, on se trouve dans une situation où l’on observe plutôt une décrue de la violence".

Le MEND, une nébuleuse fragmentée et acéphale

Le MEND a vu le jour fin 2005, en réaction à l’emprisonnement d’Asari Dokubo, fondateur fin 2003-début 2004 de la Niger Delta People’s Volunteer Force (NDPVF, "Force des volontaires du peuple du delta du Niger"). Cette arrestation, opérée de concert par la police et les services secrets nigérians un an après que le chef séparatiste eut été invité à négocier avec le président Olusegun Obasanjo à Abuja, la capitale fédérale, a poussé les divers groupes armés dans la clandestinité. Pour autant, le mouvement n’a jamais affiché de réelle unité. "Le MEND s’apparente plutôt à une nébuleuse, à une franchise, comme Al-Qaida, mais avec des objectifs très différents. Il n’y a pas de structure de commandement. Ce n'est pas une guérilla au sens propre du terme, avec une hiérarchie, un chef et des troupes qui obéissent", note M. Pérouse de Montclos. "Si le nom du fournisseur d’armes Henry Okah a souvent été cité [comme chef du MEND], ce n’est pas nécessairement lui qui commanditait les actions", ajoute-t-il. A l’heure actuelle, nul ne saurait dire avec exactitude combien de combattants garnissent les rangs du mouvement. Le seul à avoir accepté, puis finalement rejeté l'amnistie de juin 2009, John Togo, revendique 186 hommes dans l’ouest du delta, autour de Warri. Mais si l’on agrège l’ensemble des chefs de guerre locaux dans les villages, le nombre des rebelles est sans doute bien supérieur. Seule certitude, depuis sa création, le MEND a perfectionné sa technique de combat. Grâce aux armes fournies par Henry Okah et aux bénéfices de l’extraction sauvage de pétrole à partir des oléoducs – une pratique connue sous le nom de "bunkering" qui, d’après M. Favennec, représenterait des centaines de milliers de barils/jour, soit 10 % de la production quotidienne –, il a "franchi un saut qualitatif" lui permettant, par exemple, de s’attaquer à des plates-formes pétrolières à cent kilomètres des côtes.

Un antagonisme aux ressorts complexes

"Le conflit du delta du Niger est plus complexe qu’il n’y paraît", souligne M. Pérouse de Montclos, qui récuse le schéma binaire d’une opposition entre compagnies pétrolières et Etat fédéral ou entre compagnies pétrolières et communautés locales. "Le bloc même formé par les compagnies pétrolières est loin d’être homogène : il y a les Chinois, les Russes, les Indiens, sans oublier bien sûr les grandes multinationales occidentales [Shell, Chevron, Exxon Mobil, Total, AGIP], qui ne s’entendent pas nécessairement entre elles. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, depuis les années 1970, l'industrie pétrolière nigériane est nationalisée. Via la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation), l’Etat nigérian détient entre 55 % et 60 % de l’industrie. Il est donc le premier pollueur du pays !", insiste-t-il. A l’enjeu pétrolier s’ajoute également une dimension politique, dans la mesure où les rebelles qui sévissent dans le delta et qui, pour certains, alimentent les effectifs du MEND, ont souvent, à l’origine, été instrumentalisés par les gouverneurs locaux pour éliminer physiquement leurs opposants et, par-delà, toute forme de dissidence. Au sein même de la population, enfin, des lignes de faille existent aussi, comme entre le Mosop et les Ijaws, ou bien encore entre les pêcheurs de la côte et les agriculteurs de l’arrière-pays.

Une amnistie encore fragile

Depuis l’amnistie du 26 juin 2009, les groupes armés qui se revendiquaient du MEND ont officiellement déposé les armes. Dans les faits, la paix demeure fragile. Elle est surtout portée par l'espoir que suscite l'élection probable de Goodluck Jonathan à la présidence, un chrétien du delta (il est né en 1957 dans l’Etat de Bayelsa). Les groupes armés, semble-t-il, veulent lui laisser une chance. D’autant que Henry Okah, leur fournisseur d’armes, croupit toujours en prison en Afrique du Sud, où il a été incarcéré pour terrorisme après le double attentat à la voiture piégée perpétré à Abuja le 1er octobre 2010 (12 morts). Pour autant, une nouvelle flambée de violence n’est pas à exclure à plus ou moins court terme car le programme d’amnistie n’a rien résolu sur le plan politique. Certes, une loi est en gestation, qui prévoit une réforme de l’industrie pétrolière, mais elle ne touche pas aux principes de péréquation et de dérivation. "Dans ce contexte, je ne vois pas pourquoi les armes se tairaient", estime M. Pérouse de Montclos. Et de conclure, mi-réaliste, mi-fataliste : "Une fois élu, Goodluck Jonathan va devoir faire des compromis à l'échelle nationale. Il y a trois gros Etats producteurs de pétrole au Nigeria et 36 Etats fédérés au total. Il est impensable que les trente-trois autres disent : nous renonçons à l’argent du pétrole..."

Aymeric Janier PÉTROLE Pétrole : les mystérieux dollars manquants du Nigeria 09/02/2014, Agence France Presse

Au Nigeria, premier producteur d'or noir du continent africain, des voix s'élèvent pour réclamer des comptes sur les milliards de dollars manquants de la manne pétrolière.

C'est le gouverneur de la Banque centrale nigériane, , qui a mis le débat sur la table en septembre, en accusant publiquement la compagnie Une usine de pétrole Shell à Bonny Island au pétrolière nationale (NNPC) de devoir Nigeria le 18 mai 2005. © AFP près de 50 milliards de dollars de revenus pétroliers à l'Etat. M. Sanusi, qui doit quitter son poste dans les prochains mois, a ensuite revu ce chiffre à la baisse, annonçant qu'il ne manquait "que" 12 milliards de dollars, laissant planer des rumeurs de pressions politiques.

Cette semaine, à nouveau, M. Sanusi a annoncé que le NNPC devait à la Banque Centrale 20 milliards de dollars sur les 67 milliards de revenus du pétrole gagnés entre janvier 2012 et juillet 2013. "C'est maintenant au NNPC (...) de produire la preuve que les 20 milliards non remis n'appartiennent pas à l'Etat fédéral ou ont été dépensés de façon légale et constitutionnelle", a-t-il déclaré devant un comité parlementaire.

Le Nigeria extrait environ deux millions de barils de pétrole par jour. Selon les chiffres officiels, les recettes d'exportation sont tombées à 49 milliards de dollars en 2012, contre 54 milliards l'année précédente, sans réelle variation dans la production de brut. L'exportation de pétrole brut représente 80% des recettes de l'Etat au Nigeria.

En 2004, un compte, l'Excess Crude Account (ECA), avait été créé afin de protéger l'économie nigériane de la volatilité des cours du pétrole et d'investir dans les infrastructures dont le pays manque si cruellement. L'ECA est alimenté par le surplus de recettes pétrolières, qui correspond à la différence entre le prix de référence, approuvé par le parlement, et le prix réel du baril. L'année dernière, le prix de référence avait été fixé à 79 dollars le baril par le parlement, alors qu'il se vendait au-dessus de 100 dollars sur le marché international. Selon la Banque centrale, l'ECA était créditeur de 11,5 milliards de dollars fin 2012. Mais en janvier 2014, il ne restait plus que 2,5 milliards sur ce compte.

"Aucune amélioration" du niveau de vie

Au même moment, les réserves en devises ont chuté de 48 milliards en mai à 42,7 milliards aujourd'hui, d'après la Banque centrale. "Il est malheureux que le gouvernement se soit lancé dans une telle frénésie de dépenses sans qu'on ne puisse observer aucune amélioration significative du niveau de vie de la population", déplore l'économiste nigérian Abolaji Odumesi.

Le très influent Forum des gouverneurs nigérians a décidé de poursuivre le président Goodluck Jonathan en justice, pour avoir retiré 1 milliard de dollars de l'ECA pour créer un nouveau fond souverain. Le NNPC et le gouvernement ne cessent de répéter que l'argent est investi dans des projets légitimes et que la baisse des recettes est surtout due au vol de pétrole à grande échelle.

Tout le monde s'accorde à dire que le vol de pétrole, estimé à 150.000 barils/jour, est un problème majeur qui représente un manque à gagner d'environ six milliards de dollars par an pour le Nigeria. Mais pour les militants anti-corruption, l'argent manquant a pu être utilisé, au moins en partie, pour financer la campagne électorale à venir, alors que la présidentielle de 2015 s'annonce comme la plus serrée depuis la fin des dictatures militaires, en 1999.

"L'administration Jonathan se sert tout simplement dans le but de sa réélection", affirme Debo Adeniran, de la Coalition contre les dirigeants corrompus, une organisation apolitique à but non lucratif. "Il est absurde que nos réserves en devises et notre compte ECA baissent au moment où nous vendons notre pétrole 30 dollars au-dessus du prix de référence" dénonce-t-il.

Pour M. Adeniran, qui félicite le gouverneur de la Banque centrale d'avoir tiré la sonnette d'alarme sur cette "fraude monumentale", le NNPC a eu tort de dépenser de l'argent qui ne lui était pas dû, quel que soit le montant au final. "Le NNPC est un foyer de corruption et d'inefficacité (...) Ils n'ont pas le pouvoir de dépenser ainsi de l'argent qui ne leur a pas été attribué". Bonjour P. Gourdin

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Au Nigeria, report des LES PLUS RÉCENTS Nigeria : "le report des élections est élections sous tension un subterfuge du pouvoir"

Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional) CAN 2015 : heureuse, la Côte LE MONDE | Le 09.02.2015 à 10h56 • Mis à jour le 09.02.2015 à 12h10 d’Ivoire accueille ses héros

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1 Latifa Ibn Ziaten, au secours des i « copains » de Mohamed Merah, le tueur de son fils Pour les cerveaux de l’insurrection djihadiste du nord du Nigeria, cela doit apparaître comme une victoire majeure : à une semaine d’élections 2 Mort de l'écrivain sud-africain générales à risque, Boko Haram est devenu le joker électoral du parti au André Brink pouvoir nigérian et de son candidat, le président sortant, Goodluck Jonathan. 3 Crépues et fières de l’être

Grâce à Boko Haram, le People’s Democratic Party (PDP, Parti Suivez-nous démocratique du peuple) vient de gagner du temps : au terme de longues heures de tractations, Attahiru Jega, le président de la Commission électorale nationale indépendante (INEC), a consenti, samedi soir 7 février, au report de six semaines du scrutin présidentiel combiné aux législatives LES PARTENAIRES DU MONDE AFRIQUE (désormais fixé au 28 mars) ainsi que des élections de gouverneurs (le 11 avril).

La manœuvre n’a échappé à personne. Surtout pas à Comment l’All Progressives Congress (APC, Congrès de tous les croire qu’en progressistes) et à son candidat, le général six semaines . Né de la fusion des quatre partis l’armée principaux d’opposition du pays, parvenus à s’entendre nigériane sur un candidat unique, l’APC menace, pour la première pourrait fois, de faire perdre le parti au pouvoir. Muhammadu régler le Buhari joue sur son image d’homme à poigne pour problème promettre de faire le ménage au Nigeria. Car Boko d’une Haram n’est pas la seule menace. La chute des cours insurrection du pétrole a exposé les faiblesses de la première qui dure économie d’Afrique, à commencer par sa corruption depuis 2010 extravagante. Lamido Sanusi, le gouverneur de la Banque centrale, avait signalé, documents à l’appui, la LE JOURNAL DU 10 FÉVRIER disparition dans la nature de 20 milliards de dollars (17,6 milliards d’euros) de recettes pétrolières. Il a été limogé. En 2014, l’index de la Bourse de Lagos a perdu le tiers de sa valeur, plaçant la place financière nigériane parmi les dernières de la planète, derrière l’Ukraine en guerre.

Le Nigeria est en guerre, lui aussi. Ces six derniers mois, Boko Haram a établi son influence sur près de 70 % de l’Etat de Borno, au nord-est du pays, attaquant à plusieurs reprises sa capitale, Maiduguri, étendant son « califat » vers deux Etats voisins (Adamawa et Yodé) et organisant des + attentats jusqu’à Abuja, la capitale. Pendant ce temps, l’armée nigériane restait pétrifiée, abandonnant le terrain et beaucoup de matériel aux insurgés, et refusant, drapée dans son orgueil, toute aide étrangère conséquente.

Lire aussi : La riposte régionale contre Boko Haram s’organise

Or, l’élite nigériane, comme une bonne partie de l’opinion publique dans le Lire le Monde sur web, iPhone / iPad, Android : sud du pays, demeurait, encore récemment, indifférente à Boko Haram, Abonnez-vous à partir de 1 ! considéré comme un problème local, enraciné dans le Nord-Est. Deux facteurs sont venus bouleverser cette erreur d’analyse : la machine à perdre les élections du PDP et l’élargissement des activités de Boko Haram aux pays voisins. L’électrochoc du massacre de Baga par les hommes de Boko Haram, début janvier, a révélé aussi l’ampleur de la menace régionale djihadiste, entraînant une extension des opérations militaires des pays voisins, bientôt réunis dans une force régionale.

Pour le PDP, l’argument de la « sécurité » des élections était tout trouvé. Il a été mis en avant lors d’un « Conseil d’Etat », réuni vendredi à Aso Rock, la résidence présidentielle nigériane. Cet organe, dirigé par le chef de l’Etat, Goodluck Egbe Jonathan, dit GEJ, se réunit lorsqu’il est nécessaire d’élargir le débat sur de grandes questions nationales. Le Conseil réunissait autour de l’équipe du président, les gouverneurs (des deux camps), des responsables des services de sécurité, et d’anciens chefs d’Etat (dont le général Buhari).

Aucune décision n’a pu être prise lors de cette réunion houleuse. Les proches du président ont proposé un report de six mois pour permettre aux opérations militaires contre Boko Haram de s’achever, à la fois pour que le vote puisse être organisé dans le Nord-Est et que les militaires impliqués dans une opération en tenaille avec les pays de la région soient libérés pour veiller à la « sécurité » des élections.

Gagner du temps

Cette dernière question est cruciale. Le pouvoir central doit déployer 360 000 agents des services de sécurité, police et militaires, dans tout le pays, une force capable d’intervenir, au besoin de manière violente, contre les électeurs de l’opposition qui seraient tentés de manifester dans la rue.

Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a déclaré samedi soir que les Etats-Unis étaient « profondément déçus » par ce report, en insistant sur « l’importance » qu’il ne soit pas le premier d’une longue liste. Il est vraisemblable que le PDP tentera à nouveau, en mars, de repousser l’échéance électorale. A cette date, la force régionale anti-Boko Haram aura juste commencé à se déployer, même si les pays qui doivent la composer sont déjà impliqués dans des opérations militaires sur le terrain. i

L’opposition est convaincue que le parti au pouvoir cherche à gagner du temps, afin d’organiser une combinaison de fraude et de violences, en raison de sa crainte de voir Goodluck Jonathan battu. Alors que la secte islamiste s’est taillé un fief (son « califat ») en expansion régulière au cours de l’année passée, pourquoi a-t-il fallu attendre la veille des élections pour lancer une opération de reconquête, alors que des milliards de dollars ont été engloutis par les services de sécurité, en pure perte ? Comment croire qu’en six semaines, l’armée nigériane, certes appuyée par les pays voisins, pourrait régler le problème d’une insurrection qui dure depuis 2010, dans sa phase actuelle ?

De nouveaux stocks d’armes

Le report électoral risque de donner du temps pour parfaire l’organisation de la violence : assassinats ou intimidations de responsables locaux de l’opposition (il y en a déjà eu), préparatifs pour bourrer les urnes ou fomenter des incidents créant des microsituations de chaos permettant d’annoncer des résultats invérifiables. Et dans l’intervalle, le parti au pouvoir est déterminé à « épuiser financièrement » l’opposition, selon une source nigériane bien informée. Le PDP s’est constitué un trésor de guerre au cours des dernières années, et peut inonder d’argent les « leaders d’opinion » (responsables religieux divers, traditionnels, etc.), surpassant l’opposition, qui utilise les mêmes tactiques, mais n’a pas les mêmes moyens.

Plusieurs anciens chefs des groupes armés du delta du Niger, qui avaient abandonné la lutte armée ces dernières années, ont menacé de « se remettre en guerre » si Goodluck Jonathan, originaire d’un des Etats du delta, n’était pas réélu. Ils ont récemment acheté de nouveaux stocks d’armes. Or aucune des deux parties, selon des sources concordantes, ne compte accepter le verdict des urnes. A l’annonce des résultats, le risque est grand de voir des violences éclater. Anticipant sur un blocage explosif, qui en rappelle d’autres (Kenya, Côte d’Ivoire), l’Union africaine a déjà, discrètement, préparé une équipe de médiation pour tenter d’éviter le pire.

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Nigeria

Au Nigeria, une ville « complètement encerclée » par Boko Haram

Nigeria : 85 otages de Boko Haram libérés À lire sur Slate Afrique

Pourquoi il faut avoir peur de Boko Haram par Foreign Policy le 05/01/2012

Mise à jour du 28 octobre 2012: Une église de la ville de Kaduna au nord du Nigeria a été la cible d'une attaque à la voiture piégée pendant la messe. Selon la BBC, 7 personnes ont été tués et 12 blessés lors de l'explosion.

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Le jour de Noël, une bombe a explosé dans l’église catholique sainte Thérèse en bordure d’Abuja, la capitale nigériane, faisant au moins 35 morts. Deux autres ont explosé lors de célébrations de Noël ailleurs au Nigeria, tuant cinq personnes. Les attentats ont été revendiqués peu après par un porte-parole de Boko Haram, groupe islamique radical basé dans le nord du pays.

«Par la grâce de Dieu, nous sommes responsables de toutes les attaques» a confié un certain Abou Qaqa, qui se prétend porte-parole du groupe, à un journal nigérian. «Il n’y aura pas de paix tant que nos exigences ne seront pas satisfaites. Nous voulons que tous nos frères incarcérés soient libérés; nous voulons l’application totale de la charia et nous voulons la suspension de la démocratie et de la constitution.»

Les attentats de Noël commis par ce groupe dont le nom se traduit par «L’éducation occidentale est un péché» sont les derniers en date d’une campagne qui dure depuis un an contre les Nigérians chrétiens et le gouvernement. Quelques jours avant Noël, plus de 80 personnes ont péri dans des affrontements entre Boko Haram et les forces de sécurité nigérianes. En novembre, dans une ville appelée Damaturu, des membres du groupe ont fait exploser une voiture piégée devant des baraquements militaires, incendié cinq églises et organisé des attaques de commissariats. Dans le même temps à Maiduguri, une ville de l’est du pays, des kamikazes de Boko Haram ont fait exploser une bombe devant le siège de l’unité militaire chargée de le combattre. Trois autres bombes ont explosé peu après. En août, le groupe a fait exploser une bombe dans le complexe des Nations Unies à Abuja, faisant 24 morts. Et à Noël de l’année dernière, Boko Haram avait posé des bombes dans cinq églises, tuant 32 personnes. Selon l’Associated Press, en 2011 ce groupe aura tué 504 personnes.

Malgré l’escalade des carnages, le président Goodluck Jonathan n’a eu de cesse de minimiser la menace de Boko Haram. «Nous affrontons des défis en tant que nation, ce matin encore, un incident vraiment terrible a eu lieu dans un église catholique» a-t-il déclaré après l’attentat de Noël. «Le problème des attentats est l’un des fardeaux avec lesquels nous devons vivre. Cela ne durera pas toujours; je crois que cela finira sûrement par cesser.»

Les troubles croissants du Nigeria

Malgré les assurances de Jonathan, les troubles croissants du Nigeria ont attiré l’attention de la communauté internationale. Le pape Benoît XVI a immédiatement condamné les attentats de Noël, imité par le président américain Barack Obama. Les États-Unis auraient commencé à former les soldats nigérians aux techniques de contre-terrorisme et à fournir aux forces nigérianes des armes et autres équipements. Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, a également proposé un soutien militaire et un partage de renseignements dans la lutte contre Boko Haram.

Bien entendu, ces mesures ne sont pas uniquement destinées à protéger la stabilité intérieure du Nigeria. Les gouvernements occidentaux ont été mis en alerte par des liens possibles entre Boko Haram et de plus grands réseaux terroristes internationaux. Abou Qaqa soutient que son groupe est lié à al Qaida, sans en fournir de preuves. Ses revendications ont été étayées par le ministre délégué aux Affaires étrangères algérien Abdelkader Messahel, qui a annoncé en novembre que l’Algérie avait découvert des liens entre Boko Haram et al Qaida au Maghreb islamique (AQMI), rejeton du réseau terroriste international, qui sévit dans toute l’Afrique du Nord. «Nous ne doutons pas qu’il existe une coordination entre Boko Haram et al Qaida» a-il déclaré. «Le mode de fonctionnement des deux groupes et les rapports des renseignements montrent qu’il y a une coopération entre les deux.»

L’histoire de Boko Haram débute dans les années 1970

Mais à part les proclamations du groupe lui-même, qui relie son idéologie à un islam radical plus vaste, et l’assertion du gouvernement algérien qui n’avance aucune preuve irréfutable, il n’existe que peu de preuves pour étayer la revendication que le mouvement Boko Haram est relié à des réseaux terroristes à plus grande échelle. Et un examen rapproché de l’islam radical au Nigeria montre que le ressentiment du groupe à l’encontre du gouvernement mijote depuis trente ans et qu’il n’a pas grand-chose à voir avec un programme islamiste de plus grande portée.

L’histoire de Boko Haram débute dans les années 1970, lorsqu’un jeune prédicateur camerounais appelé Marwa arriva à Kano, la plus grande ville du nord du Nigeria. Il ne tarda pas à se gagner bon nombre de disciples parmi les pauvres de la ville en prêchant contre le gouvernement laïque du Nigeria, contre la corruption politique institutionnelle et contre l’establishment religieux modéré. Son mouvement s’appelait .

Les relations entre les autorité nigérianes et Maitatsine se détériorèrent au fil des années 1970 quand le groupe devint violent. Marwa fut tué en 1980 lors d’affrontements avec la police et le groupe fut démantelé. Après sa mort, de petits groupes d’extrémistes se retirèrent dans des zones isolées du nord. Vingt ans plus tard, en 2000, ces factions fusionnèrent pour former un mouvement national appelé les talibans nigérians. Ce groupe prônait l’imposition de la charia dans le nord et militait contre ce qu’il considérait comme l’influence pernicieuse de la culture occidentale sur la société du pays. Il resta actif jusqu’en 2004, lorsqu’il se colleta avec la police dans l’État du nord-est de Borno, affrontement qui se solda par des dizaines de morts. Les talibans nigérians furent dissous peu après.

Reprendre en main la cause islamique radicale

Un prédicateur du nom de Mohammed Yusuf, qui enseignait à des jeunes chômeurs et mécontents de Borno, ne tarda pas à reprendre en main la cause islamique radicale. Il fonda une école islamiste fondamentaliste en 2002, attirant des étudiants de tout le nord du Nigeria. Parmi ces étudiants figuraient les premiers membres de Boko Haram. Comme les talibans nigérians, leur objectif était d’imposer la charia dans le nord du Nigeria.

Les membres du groupe sont connus pour leur stricte interprétation de la loi islamique ainsi que pour leur propension à la violence. Les premières années, ils opérèrent librement dans tout le nord, lançant des attaques contre des installations policières et militaires. En 2009, les forces de sécurité nigérianes, qui avaient auparavant ignoré ou écarté le problème Boko Haram, commencèrent à enquêter sur lui, ce qui déboucha sur l’arrestation de Yusuf qui mourut pendant sa garde à vue. La police déclara qu’il avait été abattu lors d’une tentative de fuite, mais des groupes de défense des droits humains prétendent qu’il a été exécuté. La nouvelle de sa mort provoqua des émeutes dans quatre villes du nord-est du Nigeria: 700 personnes y perdirent la vie.

Après la mort de Yusuf, les dirigeants de Boko Haram quittèrent le Nigeria pour s’installer dans le Niger voisin, au Cameroun et au Tchad. C’est pendant cette période que, selon certains, ils établirent des connexions avec des groupes militants étrangers, notamment AQMI et al-Shabbaab, en Somalie. Le groupe retourna au Nigeria en 2010 avec la plus vaste mission d’imposer la loi islamique, pas seulement dans le nord mais dans tout le pays. Il entama une campagne de violences, attaqua les installations de sécurité fédérales et étatiques, assassinant des hommes politiques et massacrant des chrétiens. Cette campagne attira l’attention internationale avec l’attentat, en août 2011, du bâtiment de l’Onu à Abuja.

Après l’attentat contre les Nations Unies

Après l’attentat contre les Nations Unies, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo entra en contact avec des membres de la famille de Yusuf, associés à la faction plus modérée de Boko Haram et qui souhaitaient la fin des violences. Le beau-père de Yusuf, Babakura Fugu, proposa une liste de demandes qui fit naître un espoir que la paix pourrait revenir à court terme. Mais un membre radical de Boko Haram le tua deux jours plus tard et les négociations s’interrompirent.

Selon Shehu Sani, président du Congrès des droits civils du Nigeria qui aida à faciliter les premiers échanges entre le gouvernement et Boko Haram, le groupe est aujourd’hui divisé en trois factions. L’une est disposée à négocier la paix avec le gouvernement. La deuxième demande un paiement d’amnistie, semblable à celui qui fut proposé en 2009 aux militants dans le Delta du Niger. La troisième faction, responsable de la poursuite des violences, veut continuer à faire la guerre au gouvernement et imposer la loi islamique dans tout le Nigeria. «Ils ont rejeté toute tentative de médiation» expose Sani. «Ils sont prêts à combattre le gouvernement jusqu’au bout.»

Le chef de la faction radicale est Abubakar Shekau, l’ancien bras droit de Yusuf. Les autorités nigérianes croyaient qu’il avait été tué en 2009, mais une série d'enregistrements audio récemment découverts réalisés par Shekau prouve qu’il est en vie. Il dirige le groupe depuis l’étranger, en se déplaçant entre le Tchad, le Cameroun et le Niger (bien que Boko Haram ne soit, d’un point de vue tactique, opérationnel qu’au Nigeria).

Le groupe utilise des tactiques de guérilla semblables à celles d’al Qaida. Contrairement aux militants du Delta du Niger, bien entraînés dans le domaine des tactiques militaires traditionnelles, Boko Haram privilégie les attentats suicides contre des organes chargés de faire respecter la loi, les assassinats, la violence aveugle contre les chrétiens et la destruction des églises chrétiennes.

Mais les liens entre les groupes ne sont au mieux fondés que sur des présomptions, à en croire Comfort Ero, directrice du programme africain de l’International Crisis Group, auteur de recherches très poussées sur le militantisme nigérian. «Les liens supposés avec al-Qaida ne cachent pas le fait que Boko Haram soit un problème très nigérian» rapporte-t-elle. «Il doit être appréhendé dans le cadre des problèmes endémiques du Nigeria.»

Dans le nord, la plupart des habitants ne disposent pas d’eau potable

Ces problèmes sont particulièrement graves dans le nord, historiquement ignoré au profit du sud. Quatre-vingt-quinze pour cent des revenus étrangers du Nigeria sont générés dans le Delta du Niger pétrolifère, région du sud du pays. Le gouvernement y a concentré ses efforts de développements pour tenter d’apaiser les militants locaux et pour empêcher que le pétrole ne sorte du pays.

La moitié nord du Nigeria est couverte de désert, ce qui rend l’agriculture quasi-impossible. La polio n’y est pas encore éradiquée. La plupart des habitants n’y disposent pas d’eau potable. Le réseau électrique n’est pas fiable. Les coupures de courant sont nombreuses chaque jour. La croissance économique y est inexistante. Selon la Banque mondiale, la moitié des Nigérians sont sans emploi. Soixante-et-onze pour cent des jeunes sont au chômage. En général, Boko Haram n’aborde pas spécifiquement ces problèmes, mais ces conditions sont le terreau idéal pour faire du Nigeria une terre d’extrémisme.

Le gouvernement de Jonathan a pour l’instant semblé plutôt lent à réagir à la menace de Boko Haram. Une commission d’enquête fédérale avait suggéré une amnistie après l’effondrement des négociations entre l’ancien président Obasanjo et la famille de Yusuf, proposition rejetée par Jonathan qui avait choisi à la place d’envoyer l’armée nigériane affronter le groupe. Il persiste à dire que la menace que représente Boko Haram est exagérée et ne tardera pas à être éradiquée. inefficacité de la campagne militaire

Les preuves de l’efficacité de la campagne militaire du gouvernement sont difficiles à trouver. Peu de journalistes occidentaux travaillent dans le nord du Nigeria. Les agences de presse nigérianes ont aussi réduit leur effectif de journalistes depuis que le groupe a revendiqué les meurtres commis en octobre d’un caméraman et d’un journaliste de la Nigerian Television Authority.

«La réponse du gouvernement a été réactive» explique Ero. «Il doit y avoir un bilan au sein du gouvernement sur la manière de gérer les problèmes plus larges concernant Boko Haram.»

Les combats se poursuivent

Alors que les combats se poursuivent, les groupes de défense des droits humains font part de leur inquiétude sur les abus que commettrait l’armée nigériane. Dans le passé, les forces de sécurité nigérianes ont eu la main lourde dans leur chasse aux terroristes, bombardant sans distinction des places fortes de Boko Haram et tuant d’innocents badauds au passage. Selon Human Rights Watch (HRW), les services de police et de sécurité nigérians ont également procédé à des exécutions extrajudiciaires dans le cadre de leur poursuite du groupe, ce qui comprend le meurtre de Yusuf en 2009.

En outre, selon Sani, des éléments musulmans du gouvernement et de l’armée nigériane soutiennent tacitement Boko Haram et veulent que les violences se poursuivent. Les politiciens du nord musulman du pays sont encore contrariés par la réélection de Jonathan, un chrétien du Delta du Niger, au printemps dernier. Traditionnellement, la présidence alterne entre le nord et le sud chrétien. La réélection de Jonathan a interrompu ce cycle.

Les services de sécurité nigérians ont déjà fait le lien entre des membres du gouvernement et le groupe terroriste. En novembre, le sénateur nigérian , originaire de Borno, a été arrêté pour avoir fait office de porte-parole. Et Boko Haram dit bénéficier du soutien d’autres personnes à l’intérieur du gouvernement.

Toute incursion dans le Delta provoquerait la guerre

Boko Haram menace continuellement de s’attaquer au sud du Nigeria. Et outre les attentats dirigés contre le gouvernement, le Nigeria pourrait bien être confronté bientôt à la violence entre groupes militants. Dans de récentes interviews, les dirigeants des groupes militants chrétiens du Delta du Niger ont déclaré que tout en éprouvant de la sympathie envers les griefs exprimés par Boko Haram et en soutenant sa lutte contre les injustices du gouvernement, toute incursion dans le Delta provoquerait la guerre.

«Ils ne devraient rien tenter contre la zone sud du Nigeria» m’a récemment confié un homme qui dit se nommer Eybele, général du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger. «Dans notre lutte, nous ne visons pas les individus. Nous n’avons rien contre eux tant qu’ils ne touchent à aucun de nos citoyens.»

«Si Boko Haram ne cesse pas ses actions illégales et inconstitutionnelles, nous les affronterons très bientôt» a ajouté un homme surnommé JB, général des Icelanders, groupe militant qui contrôle de vastes zones de bidonvilles en bord de mer à Port Harcourt, la plus grande ville du Delta du Niger.

La guerre civile pourra être évitée

Ero estime que la violence de Boko Haram peut être cantonnée au nord, et que la guerre civile pourra être évitée si Jonathan devient plus proactif dans sa gestion des groupes militants. Mais elle avertit que «toute incursion de Boko Haram au sud conduirait à une situation de violence grave et à des problèmes de sécurité pour le Nigeria.»

Une telle incursion semble désormais de plus en plus inévitable à mesure que les éléments islamiques radicaux de Boko Haram consolident leur contrôle du groupe. À chaque attentat réussi, le groupe prend un peu plus confiance. La pire de toutes les issues pourrait se réaliser très vite: des attaques contre les civils dans le sud, une réponse très violente de l’armée dans le nord, et une déclaration de guerre des militants du Delta qui monteraient dans le nord pour se battre contre Boko Haram.

La guerre civile n’est pas inconnue au Nigeria: on estime que celle de 1967 entre l’armée nigériane et le Biafra, un État séparatiste du sud, mena à la mort trois millions de personnes en trois ans. Le même genre de conflit entre Boko Haram et des militants du Delta—combat que le faible gouvernement central du Nigeria et son armée seraient impuissants à arrêter— pourrait avoir des conséquences tout aussi désastreuses. Ce serait une guerre sainte pour l’avenir du Nigeria.

David Francis (Foreign policy)

Traduit par Bérengère Viennot

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| 16.01.12 | 14h23 • Mis à jour le 16.01.12 | 16h22

La charia et ses implications politiques sont souvent mal comprises lorsqu'il s'agit du Nigeria, pays anglophone peu connu des Français en dépit de son gigantisme. Au milieu des années 2000, de grands quotidiens français avaient ainsi tenté d'expliquer la poussée de l'islam en arguant que la charia y était une nouveauté et que le président d'alors, Olusegun Obasanjo, était lui-même musulman. En réalité, celui-ci était un chrétien born again, dénomination qui renvoie aux courants les plus évangélistes et prosélytes du protestantisme. De plus, la charia n'avait pas été "introduite" par les Etats musulmans du Nord au sortir de la dictature militaire en 1999. Elle existait déjà sous une forme atténuée, réduite aux affaires civiles, et c'est son domaine d'application qui avait été étendu en matière pénale.

A l'époque, le développement d'une morale publique rigoriste a évidemment affecté la vie quotidienne des minorités chrétiennes du Nord, par exemple en interdisant la consommation d'alcool ou en imposant la séparation des sexes dans les transports en commun. Le droit coranique a cependant continué de côtoyer d'autres normes législatives, qui ont toujours le dessus. Ainsi, les peines de lapidation pour adultère sont restées rarissimes et aucune n'a été appliquée car les sentences ont été cassées au niveau des cours fédérales, qui s'inspirent du droit commun légué par le colonisateur britannique.

Dans le même ordre d'idées, les plaignants ou les accusés chrétiens du Nord ne sont pas juridiquement contraints de se soumettre à la loi coranique. Du fait de leur confession, leur affaire est portée devant des tribunaux de droit commun, à la différence du système en vigueur au Soudan. Si certains commerçants chrétiens du Nord décident de leur plein gré de recourir à la justice islamique, c'est que celle-ci a la réputation d'être moins onéreuse et plus rapide.

D'une manière générale, l'islam nigérian n'a rien du caractère totalitaire et intrusif du wahhabisme saoudien. En pratique, il s'avère beaucoup plus souple et syncrétique, notamment - mais pas seulement - en pays yorouba, dans le Sud-Ouest. De par leur doctrine et leurs croyances en la magie, les militants de Boko Haram, qui viennent surtout des régions nord-est, ne correspondent pas non plus au profil type du modèle wahhabite d'Al-Qaida.

Au-delà des cercles de recrutement de la secte, seule une minorité de musulmans salafistes et/ou républicains se retrouve dans la revendication d'une république islamique qui reviendrait de facto à scinder le pays en deux.

Il convient à cet égard de relativiser la portée révolutionnaire du développement du domaine d'application pénal de la charia. Depuis 1999, on assiste plutôt à une certaine forme de désenchantement. A leur manière, les islamistes de Boko Haram expriment ainsi les désillusions des masses quant à un projet qui, initialement, était porteur d'une forte demande de justice sociale.

>>> A lire aussi, le "Grand Débat" de Marc-Antoine Pérouse de Montclos : "Nigéria : pas de catastrophisme !"

Marc-Antoine Pérouse de Montclos est spécialiste des conflits armés en Afrique subsaharienne, il a vécu plusieurs années au Nigeria et accomplit des missions d'études en Afrique. Il est l'auteur, entre autres, de Le Nigeria (Karthala, 1994), Villes et violences en Afrique noire (Karthala, 2002).

Marc-Antoine Pérouse de Montclos, politologue, enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris et chargé de recherche à l'IRD

Article paru dans l'édition du 17.01.12 Questions de Recherche / Research Questions N°40 – Juin 2012

Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigeria : insurrection religieuse, contestation politique ou protestation sociale ?

Marc-Antoine Pérouse de Montclos

Centre d’études et de recherches internationales Sciences Po

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 1 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigeria : insurrection religieuse, contestation politique ou protestation sociale ?

Résumé

Au Nigeria, la dérive terroriste du mouvement islamiste Boko Haram interroge le rapport de la violence dite « religieuse » à l’État. Cette étude de terrain pose ainsi trois questions fondamentales qui tournent toutes autour de nos propres confusions sur les notions d’islamisation, de conversion, de radicalisation et de politisation du religieux, à savoir : – S’agit-il d’une insurrection plus religieuse que politique ? – En quoi exprime-t-elle une révolte sociale ? – En quoi signale-t-elle une radicalisation des formes de protestation des musulmans du Nord Nigeria ? À l’analyse, il s’avère en l’occurrence que le mouvement Boko Haram est un révélateur du politique : non parce qu’il est porteur d’un projet de société islamique, mais parce qu’il catalyse les angoisses d’une nation inachevée et dévoile les intrigues d’un pouvoir mal légitimé. Si l’on veut bien admettre que la radicalisation de l’Islam ne se limite pas à des attentats terroristes, il est en revanche difficile de savoir en quoi la secte serait plus extrémiste, plus fanatique et plus mortifère que d’autres révoltes comme le soulèvement Maitatsine à Kano en 1980. La capacité de Boko Haram à développer des ramifications internationales et à interférer dans les affaires gouvernementales n’est pas exceptionnelle en soi. Loin des clichés sur un prétendu choc des civilisations entre le Nord et le Sud, la singularité de la secte au Nigeria s’apprécie d’abord au regard de son recours à des attentats-suicides. Or la dérive terroriste de Boko Haram doit beaucoup à la brutalité de la répression des forces de l’ordre, et pas seulement à des contacts plus ou moins avérés et réguliers avec une mouvance jihadiste internationale.

Summary

In Nigeria, the Islamic terrorism of Boko Haram raises a lot of questions about the political relationship between so-called “religious” violence and the state. At least three of them expose our confusions about islamization, conversion, radicalization and the politicization of religion, namely: – Is it a religious uprising or a political contest for power? – How does it express a social revolt? – How indicative is it of a radicalization of the patterns of protest of the Muslims in Northern Nigeria? A fieldwork study shows that Boko Haram is not so much political because it wants to reform the society, but mainly because it reveals the intrigues of a weak government and the fears of a nation in the making. Otherwise, the radicalization of Islam cannot be limited to terrorism and it is difficult to know if the movement is more extremist, fanatic and murderous than previous uprising like the one of Maitatsine in Kano in 1980. The capacity of Boko Haram to develop international connections and to challenge the state is not exceptional as such. Far from the clichés on a clash of civilizations between the North and the South, the specificity of the sect in Nigeria has more to do with its suicide attacks. Yet the terrorist evolution of Boko Haram was first and foremost caused by the brutality of the state repression, more than alleged contacts with an international jihadist movement.

Marc-Antoine Pérouse de Montclos est docteur en science politique et chargé de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Il travaille sur les conflits armés, les déplacements forcés de population et l’évaluation de l’aide humanitaire en Afrique subsaharienne. Diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, il a vécu plusieurs années au Nigeria, en Afrique du Sud et au Kenya et accomplit régulièrement des missions d’études en Afrique. Il est l’auteur de nombreux articles et livres dont Le Nigeria (1994), Violence et sécurité urbaines (1997), L’Aide humanitaire, aide à la guerre ? (2001), Villes et violences en Afrique subsaharienne (2002), Diaspora et terrorisme (2003), Guerres d’aujourd’hui (2007) et États faibles et sécurité privée en Afrique noire (2008).

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 2 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm Sommaire

I. Boko Haram : un objet mal identifié ...... 5

II. Une révolte sociale et religieuse ...... 9

III. L’extension de la menace islamiste, du local à l’international ...... 13

IV. Les erreurs à répétition des forces de sécurité ...... 16

V. Le retour des théories du complot ...... 18

VI. Un révélateur du politique ...... 22

VII. Une radicalisation en guise d’islamisation ? ...... 24

VIII. De la différence entre violences « religieuse » et « interconfessionnelle » ...... 28

Conclusion ...... 31

Bibliographie ...... 32

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 3 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm Alternativement qualifié de groupe terroriste, de secte ou de mouvement islamiste, Boko Haram fait aujourd’hui la Une de l’actualité au Nigeria1. Le 26 août 2011, un attentat-suicide contre les bureaux des Nations Unies à Abuja a notamment révélé au grand jour la dimension internationale prise par une organisation dont l’agenda politique et religieux était initialement très local. L’attaque a provoqué la mort d’une vingtaine de personnes et depuis lors, les analystes se perdent en conjectures sur la nature des relations entre la secte et les Chabab en Somalie ou Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) au Mali. Sur la scène politique nigériane, le mouvement Boko Haram est quant à lui devenu un acteur incontournable, qui a conservé toute sa force de frappe. Basé à Maiduguri dans la région excentrée du Borno, à la frontière du Niger, du Tchad et du Cameroun, il a ainsi obligé les autorités à renforcer la sécurité d’Abuja et à célébrer en huis clos le 51e anniversaire de l’indépendance le 1er octobre 2011, ceci sous prétexte de réduire les dépenses de l’État, en réalité pour éviter les rassemblements susceptibles de donner lieu à des attentats spectaculaires. La menace terroriste a également transformé le paysage urbain en poussant le gouvernement à multiplier les checkpoints de l’armée et à interdire les motos taxis Okada, qui sont parfois utilisées par les militants de Boko Haram pour commettre des assassinats ciblés. Les embouteillages et les restrictions de circulation que provoquent ces dispositifs sécuritaires rappellent au quotidien que les autorités ne sont plus à l’abri d’une attaque, y compris dans la capitale fédérale du Nigeria, Abuja. Aux yeux des stratèges, le cas Boko Haram paraît d’autant plus inquiétant qu’il se développe dans un pays qui connaît déjà de fortes tensions « religieuses » et qui compte le plus grand nombre de musulmans en Afrique. De façon plus conjoncturelle, suite à la guerre en Libye, la prolifération d’armes au Sahel fait aussi craindre des attaques contre les alliés des États-Unis dans la région, notamment le gouvernement nigérian du président Goodluck Jonathan, qui est lui-même chrétien. A priori, rien ne prédestinait pourtant les partisans de Boko Haram à se rapprocher de la mouvance d’Al-Qaïda, qui professe une forme différente d’Islam. Lorsqu’elle s’enracine à Maiduguri au début des années 2000, la secte est d’abord et avant tout un mouvement de protestation sous l’égide d’un leader spirituel, Mohammed Yusuf. Après avoir fomenté leur première attaque contre des postes de police de l’État de Yobe fin 2003, ses éléments les plus radicaux disparaissent dans la nature et semblent se terrer en milieu rural. À l’époque, on les suspecte plutôt d’être passés au Niger, au Tchad ou dans les montagnes Mandara à la frontière du Cameroun. Mais le mouvement se nourrit des désillusions qu’alimente la corruption des gouverneurs du Nord Nigeria chargés d’appliquer la charia. Il réapparaît sur le devant de la scène à la suite d’un affrontement avec la police à Kano en 2007. Depuis lors, le mouvement n’a cessé d’élargir sa base sociale et géographique. Parallèlement, il a changé son mode opératoire en ayant recours à des attentats à la bombe. De ce point de vue, l’émergence d’un terrorisme islamiste au Nigeria interroge directement les sciences sociales, et pas seulement les diplomates et les décideurs politiques. Jusqu’à présent, Boko Haram a été relativement peu analysé par les chercheurs, une tendance qui reflète sans doute la difficulté à appréhender et comprendre un mouvement qui perdure depuis bientôt plus de dix ans2. Le basculement de la rébellion dans le terrorisme questionne pourtant le rapport des insurgés à la violence politique et à l’État. Les particularités nigérianes de Boko Haram invitent en outre à une comparaison avec d’autres pays qui ont déjà fait l’objet de nombreuses publications académiques sur le sujet, notamment dans le monde arabe et afghano-pakistanais. À mon sens, la secte de Mohammed Yusuf pose trois questions fondamentales qui tournent toutes autour de nos propres confusions surles notions d’islamisation, de conversion, de radicalisation et de politisation du religieux, à savoir :

1. J’utilise concomitamment les termes de secte et de mouvement pour désigner « Boko Haram », appellation populaire que j’ai retenue par facilité de langage, même si la « signature » du groupe renvoie à un autre nom (Jama’atu Ahlis- Lidda’awati Wal Jihad). 2. Parmi les rares articles sur ce sujet, on peut citer : Abimbola Adesoji, « The Boko Haram Uprising and Islamic Revivalism in Nigeria », Africa Spectrum, vol. 45, n°2, 2010, pp. 95-108 ; Freedom Onuoha, « The Islamist challenge: Nigeria’s Boko Haram crisis explained », African Security Review, vol. 19, n°2, 2010, pp. 54-67 ; Abimbola Adesoji, « Between Maitatsine and Boko Haram: Islamic Fundamentalism and the Response of the Nigerian State », Africa Today, vol. 57, n°4, 2011, pp. 99-119.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 4 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm – S’agit-il d’une insurrection plus religieuse que politique ? – En quoi exprime-t-elle une révolte sociale ? – En quoi signale-t-elle une radicalisation des formes de protestation des musulmans du Nord Nigeria ? À partir d’une étude de terrain, il convient à cet égard de revenir sur la genèse du phénomène Boko Haram, tant dans ses rapports à l’Islam que dans sa capacité à exprimer le rejet de la modernité occidentale et la frustration des exclus de la croissance3. Sur la base d’une organisation assez lâche et fragmentée depuis l’exécution de son leader spirituel Mohammed Yusuf en 2009, le groupe tient à la fois de la secte et du mouvement social. Dès ses débuts, il est sectaire de par son intransigeance religieuse, son culte du chef, ses techniques d’endoctrinement, son intolérance à l’égard des autres musulmans et son fonctionnement en vase clos, qui incite les fidèles à se marier exclusivement entre eux, notamment avec les veuves des « martyrs »4. À mesure qu’il gagne du terrain, Boko Haram prend ensuite l’ampleur d’un mouvement de protestation sociale. Au-delà de ses connexions avec une mouvance jihadiste internationale, il est en effet un révélateur du politique : non seulement parce qu’il dévoile les faiblesses d’un État qui paraît incapable de maintenir l’ordre et de gérer les conflits autrement que par la répression, mais aussi parce qu’il met en évidence les pratiques mafieuses du pouvoir et les craintes de la population quant à une guerre de religions susceptible de compromettre l’unité nationale et la pérennité d’une république de type parlementaire et « laïque »5.

I. Boko Haram : un objet mal identifié

Les protestations islamiques ne sont évidemment pas nouvelles au Nigeria6. Dans le Nord à dominante musulmane, on distingue historiquement quatre principales tendances réformatrices, voire révolutionnaires suivant les époques, que l’on peut classer par ordre décroissant d’importance au regard de leur audience : – les confréries soufies, essentiellement la Qadiriyya et la Tijaniyya, qui pratiquent la méditation, cherchent le salut dans l’extase et suivent les enseignements d’un cheikh charismatique et parfois mystique ; – les mouvements de type salafi, qui s’inspirent du wahhabisme saoudien et préconisent un retour à la religion originelle des ancêtres (salaf), notamment la « Société pour l’éradication des innovations maléfiques et le rétablissement de l’orthodoxie » (Jama‘at Izalat al-Bida wa Iqamat al-Sunna) de feu cheikhs Abubakar Mahmud Gumi et Ismaila Idriss ibn Zakariyya. Officiellement établie en 1978, cette dernière s’est scindée en deux factions, l’une basée à Kaduna sous l’égide de cheikh Yusuf Sambo Rigachikun, l’autre à Jos sous la direction des cheikhs Samaila Idriss puis Sani Yahaya Jingir, qui les a finalement réunifiées sous sa coupe à la fin de l’année 2011 ; – les mouvements mahdistes et messianiques, parfois millénaristes, qui croient à la venue d’un prophète et qui ont pu mener l’insurrection Maitatsine (« Celui qui maudit ») sous l’égide de Muhammad Marwa à Kano en 1980 ;

3. Les entretiens que j’ai conduits s’étalent en fait sur une vingtaine d’années, notamment avec des chefs religieux, des militants islamistes et des responsables de milices. Mes dernières missions dans le Nord du Nigeria datent d’octobre 2011 et mars 2012. J’ai systématiquement conservé l’anonymat de mes interlocuteurs. 4. Murray Last, « The Pattern of Dissent: Boko Haram in Nigeria 2009 », Annual Review of , vol. 10, 2009, pp. 7-11. 5. Par « laïcité », j’entends ici la neutralité de l’État nigérian telle qu’elle est proclamée dans l’article 10 de la Constitution de 1999, qui interdit d’adopter une religion officielle et d’établir une théocratie mais qui, contrairement au système français, n’institue pas de séparation formelle entre l’Église et l’État. Ainsi, le gouvernement finance des tribunaux islamiques et subventionne le pèlerinage à La Mecque. 6. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, , « Vertus et malheurs de l’islam politique au Nigeria depuis 1803 », in Muriel Gomez-Perez (dir.), L’Islam politique au Sud du Sahara : identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, pp. 529-555 ; « Le Nigeria », in Jean-Marc Balencie, Arnaud de La Grange (dir.), Mondes rebelles. Guerres civiles et violences politiques, Paris, Michalon, 2001, pp. 721-749.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 5 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm – les islamistes « modernes » et républicains sous influence égyptienne ou iranienne, à l’instar des Frères musulmans, des « chiites » (yan schi’a) d’Ibrahim el-Zakzaky et d’un groupe dissident fondé à Kano en 1994 par Abubakar Mujahid, le Mouvement pour le réveil de l’Islam (Ja’amutu Tadjidmul Islami). Lorsqu’il commence à revendiquer ouvertement une application plus stricte de la charia (loi islmamique) au sortir de la dictature militaire en 1999, le leader spirituel de Boko Haram, Mohammed Yusuf, s’inspire en l’occurrence des enseignements d’Ibrahim el-Zakzaky, d’Abubakar Mujahid et d’une faction salafiste des « Éradicateurs » (Izala), la « Communauté des traditionalistes » (Ahl as-Sunnah wa al- Jama’a)7. De par son sectarisme et l’évolution de sa confrontation avec l’État nigérian, son mouvement rappelle également l’insurrection de Maitatsine, qui avait entraîné une sanglante répression de l’armée, la destruction de quartiers entiers, la mort du prophète Muhammad Marwa, l’entrée en clandestinité de ses fidèles et l’extension des troubles en province dans les années qui suivirent. Il existe ainsi de forts parallèles entre les massacres de Kano en 1980 et de Maiduguri en 2009, où Mohammed Yusuf a également été tué par les forces de l’ordre. À l’époque, le mouvement Maitatsine avait resurgi dans des villes de moindre importance comme Yola, sous l’égide d’un certain Musa Makanika. De même, les militants de Boko Haram ont survécu à l’assassinat de leur leader en fuyant la répression de Maiduguri et en se dispersant dans d’autres régions du Nigeria. Mais la comparaison avec d’autres mouvements islamistes s’arrête là. Dès le tout début des années 2000, Mohammed Yusuf a en effet rompu avec les Izala en essayant de récupérer leurs réseaux pour gagner des fidèles dans les États voisins du Borno. À la différence des « chiites » d’Ibrahim el-Zakzaky, encore, il n’a cessé de vilipender les chiites duodécimains et jaafarites, bizarrement décriés comme des Mazdéens (les Zoroastres) et des « négateurs » Rafidha (parce qu’ils refusent la sunna et suivent la voie des 12 imams)8. Contrairement à Maitatsine, en outre, Mohamed Yusuf ne s’est pas autoproclamé prophète et n’a pas ou peu cherché à contester l’ordre islamique traditionnel en codifiant de nouvelles pratiques religieuses à propos de la façon de prier ou de faire ses ablutions. De ce point de vue, le mouvement Boko Haram, qui est parfois appelé Yusufiyya, n’est pas une simple confrérie de plus, avec sa propre « méthode » turuk (pl. tarika). Il se distingue également de la protestation des Izala contre les cheikhs soufis, d’une part, et des rituels millénaristes de Maitatsine, d’autre part. En pratique, il s’est surtout engagé dans une logique de désobéissance et de confrontation avec les représentants d’un État « laïque », bien plus qu’avec les tenants d’un Islam traditionnel. Contrairement à Maitatsine, encore, Boko Haram n’a pas complètement rejeté la modernité occidentale et n’a pas interdit à ses fidèles de porter des montres ou de se déplacer en bicyclette ou en moto. Mohamed Yusuf était un homme d’affaires avisé, qui utilisait des ordinateurs et avait investi dans le commerce de voitures. Au moment de son arrestation en 2009, il portait un jean, une montre de luxe et un téléphone portable, autant de signes de richesse et de modernité que rejetait un Muhammad Marwa. Deux de ses enfants auraient par ailleurs été scolarisés au collège Al-Kanemi de Maiduguri, un établissement public. Avec ses deux adjoints, enfin, Mohammed Yusuf a repris à son compte l’organigramme de l’administration territoriale pour organiser la secte en plaçant des « émirs » au niveau de chaque État fédéré et collectivité locale où il avait des partisans. Il n’a pas non plus hésité à frayer avec les autorités politiques du Borno : en 2000, il acceptait de participer à un comité gouvernemental sur la charia, puis faisait nommer en 2003 un fidèle au ministère régional des Affaires religieuses. À la confluence des mouvements salafistes et islamistes républicains, Boko Haram relève donc d’une espèce assez difficile à définir. Le groupe est sectaire quand il cherche à endoctriner les jeunes ; totalitaire quand il développe une vision holistique d’un gouvernement islamique régulant tous les aspects de la vie privée ; et intégriste quand il prohibe les vêtements serrés et veut interdire aux femmes

7. À en croire certains, Mohammed Yusuf aurait en fait repris en main le groupe des « Compagnons du Prophète » (Sahaba), créé en 1995 par un étudiant de l’Université de Médine, Abubakar Lawan. Ce dernier serait ensuite reparti en Arabie saoudite ou aurait été tué par les forces de sécurité au Nigeria. La « Communauté des traditionalistes » (Ahl as-Sunnah wa al-Jama’a) serait quant à elle apparue à Kano, au moment où des manifestations populaires célébraient les attentats d’Al-Qaïda contre les tours du World Trade Center à New York en 2001. 8. Mohammed Yusuf, This is our Faith and our Da’wa, Maiduguri, Al Farba, vers 2005 (livre à compte d’auteur, interdit à la vente).

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 6 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm de voyager seules ou de monter sur des motos taxis. Sa position religieuse n’en est pas moins ambiguë, voire syncrétique, et en tout cas éloignée du modèle wahhabite d’Al-Qaïda. Ainsi, Mohammed Yusuf condamnait dans un même élan le soufisme, le judaïsme, le parsisme, le christianisme, le polythéisme, l’athéisme et la démocratie. Mais il a épargné la confrérie Qadiriyya, peut-être parce qu’elle était plus orthodoxe, prêtait peu le flanc à des controverses dogmatiques et comptait moins d’adhérents que la Tijaniyya. Depuis 1803, la Qadiriyya incarne en effet l’esprit révolutionnaire de la guerre sainte (jihad) d’Ousman dan Fodio. Un de ses leaders, Cheikh Mohamed Al-Nasir Kabara, a d’ailleurs été le mentor d’Abubakar Gumi, le fondateur des Izala. En revanche, Mohamed Yusuf ne s’est pas privé de critiquer la Tijaniyya. Il a par exemple fait circuler une vidéo appelant les croyants à n’adorer que Dieu et vilipendant la prosternation des Tijani devant leur cheikh Dahiru Bauchi. La secte est également entrée en conflit avec Jafar Adam, un salafiste d’Ahl as-Sunnah wa al-Jama’a à Kano. Les désaccords ont notamment porté sur les mérites du modèle démocratique occidental et de la participation à un gouvernement « laïque »9. Mohammed Yusuf avait formellement interdit à ses fidèles de trouver un emploi dans la fonction publique, au prétexte que cela les aurait obligé à couper leurs barbes. En dépit de son rapprochement avec le gouverneur du Borno en 2003, il récusait complètement la Constitution nigériane, les forces de sécurité et toute forme d’autorité politique importée parle colonisateur et considéré comme une innovation (bida). Sachant que les Izala ne s’opposent pas à un État laïque, ne revendiquent pas l’établissement d’une république islamique et comptent de nombreux fonctionnaires dans leurs rangs, Cheikh Jafar Adam était moins intransigeant à cet égard. Ilavait publiquement dénoncé les déviances doctrinaires de la secte et chassé de sa mosquée des jihadistes qui furent ensuite arrêtés par la police. Accusé d’être un informateur, Jafar Adam a alors été assassiné à Kano en 2007, vraisemblablement par des fidèles de Mohamed Yusuf, qui était à l’époque en prison. L’affaire a d’ailleurs signé le retour à la violence de Boko Haram après la « traversée du désert » de 2005-2006. En fait de contestation de l’ordre religieux, les partisans de Mohamed Yusuf s’en sont ainsi pris aux chefs traditionnels suspectés de collaborer avec les forces de sécurité. Dans son fief de Maiduguri, Boko Haram avait par exemple passé un compromis avec le Shehu héritier de l’Empire kanouri du Kanem-Borno, Mustapha Ibn Umar Kyari Amin El-Kanemi, qui avait finalement autorisé la secte à choisir sa propre date pour organiser dans des lieux publics la prière marquant la rupture du jeûne du mois de ramadan (Aïd al-Fitr). Mais les problèmes n’ont pas tardé à surgir quand les autorités politiques s’en sont mêlées. Après sa mort en février 2009, Mustapha Ibn Umar Kyari AminEl- Kanemi a en effet été remplacé par un ministre et homme lige du gouverneur , Umar Garbai Abba Kyari. Peu respecté par la population, celui-ci n’a guère réussi à endiguer la crise de Maiduguri quelques mois plus tard. Du fait de son affiliation à un gouverneur corrompu et détesté, il a au contraire contribué à délégitimer l’autorité traditionnelle et religieuse du Shehu, et son frère a été tué par les militants de Boko Haram en mai 2011. Dans le même ordre d’idées, la secte a récusé le sultan de Sokoto, Muhammadu Saad Abubakar III, lorsqu’un comité formé à Abuja par le président Goodluck Jonathan et dirigé par l’ambassadeur Usman Galtimari a proposé sa médiation en septembre 2011. À la tête d’un califat qui gouverne essentiellement les Haoussa-Peuls du Nord-Ouest du Nigeria, Muhammadu Saad Abubakar III est en l’occurrence un ancien militaire de haut rang, contesté pour la tiédeur de son soutien à une extension du domaine pénal de la charia, d’une part, et en raison des conditions de sa nomination en novembre 2006, suite à la mort de son prédécesseur dans un accident d’avion aux circonstances mal éclaircies, d’autre part. Alternativement appelés Talibans, Yusufiyya, Mujahideen, Khawarji (« Renégats »), « Disciples du Prophète pour la propagation de l’Islam et la guerre sainte » (Jama’atu Ahlis-Sunnah Lidda’awati Wal

9. Dans son livre, Mohammed Yusuf s’opposait en l’occurrence au principe d’une séparation de la religion et de l’État. Pour lui, la démocratie platonicienne était une « doctrine de mécréants » parce qu’elle favorisait le polythéisme et déifiait les citoyens en proclamant le gouvernement du peuple par le peuple. À l’en croire, la justice était forcément d’essence divine et les hommes n’étaient pas en mesure d’arbitrer eux-mêmes leurs querelles. De plus, la liberté d’expression et d’association encourageait le blasphème et l’immoralité. Il convenait donc de condamner la règle de la majorité parce qu’elle pouvait entériner le règne « de l’erreur, de l’impiété et de la licence ». Cf. Mohammed Yusuf, op. cit., p. 63ss.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 7 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm Jihad) ou « Compagnons du Prophète et de la Communauté des musulmans » (Ahl as-Sunnah wa al- Jama’a ala Minhaj as-Salaf), les partisans de la secte, eux, réclament une application intégrale du droit coranique et rejettent la modernité du Sud du Nigeria, dont « l’éducation » dévoyée est considérée comme un « péché » (c’est la signification du nom Boko Haram). Ainsi, Mohammed Yusuf considère que l’école occidentale détruit la culture islamique et conquiert plus sûrement la communauté musulmane que les croisades. Il en condamne tout à la fois la mixité des sexes, le relâchement des mœurs, la corruption des valeurs traditionnelles, l’utilisation du calendrier grégorien… et la pratique du sport, qui distrait de la religion. En conséquence de quoi, il demande à ses fidèles de renoncer à fréquenter les établissements privés d’inspiration occidentale et les écoles publiques nigérianes héritées du système colonial britannique. Il interdit même aux musulmans de leur louer un terrain, l’objectif ultime étant purement et simplement d’obtenir leur fermeture. Le programme de Boko Haram est donc « politique » car il tend vers l’idéal d’une république islamique intégriste, bien plus que vers la conquête du pouvoir. Le rejet des valeurs occidentales ne porte cependant pas sur l’éducation moderne à proprement parler10. En effet, les sympathisants de la secte ne condamnent pas tous les livres importés, seulement les mauvais. En témoigne la polysémie du mot Boko, qui renvoie en l’occurrence à trois notions en haoussa : le « livre » (d’après book en anglais), le « sorcier » (boka) et le « mensonge » (boko). Les fidèles, eux, ne se reconnaissent pas dans l’appellation Boko Haram et préfèrent signer leurs communiqués du nom de Jama’atu Ahlis-Sunnah Lidda’awati Wal Jihad (« les disciples du Prophète pour la propagation de l’Islam et la guerre sainte »). Peu après l’exécution de Mohammed Yusuf en 2009, son successeur Sanni prend ainsi soin d’expliquer à la presse nigériane que le groupe ne s’oppose pas à l’éducation moderne mais à un processus d’occidentalisation perverti. Dans son livre, le fondateur de la secte admet lui-même les bienfaits d’innovations technologiques comme « les avions, les voitures, les téléphones, les ordinateurs, Internet et le fax », qu’il a largement eu l’occasion d’utiliser à titre personnel. Ce qu’il récuse, c’est la sanctification des savants qui consiste à mettre de telles inventions sur le compte de l’homme et non de Dieu, créateur de toutes choses11. La trajectoire personnelle de Mohammed Yusuf est significative à cet égard. Né en 1970 à Gidgid dans l’actuelle collectivité locale de Jakusku près de la frontière du Niger, celui-ci a en effet quitté l’école primaire au bout de trois ans, n’a jamais réussi à être admis à l’université de Maiduguri et a été chassé de la mosquée Izala où il prêchait parce qu’il n’avait pas les diplômes requis par le cursus coranique saoudien12. Mohammed Yusuf a eu beau répliquer que le prophète n’avait pas eu besoin de titres universitaires pour fonder l’Islam, il a gardé un souvenir cuisant de ses revers et a nourri une forte rancune à l’égard des « savants » en général, qu’ils soient musulmans ou chrétiens. En témoigne son discours contre l’hérésie du darwinisme en biologie, de la théorie du big bang en sciences naturelles, de la révolution copernicienne en géographie, de l’existentialisme en philosophie ou du complexe d’Œdipe dans la psychanalyse freudienne. Citant explicitement Lucien Lévy-Bruhl, Émile Durkheim et Karl Marx, Mohammed Yusuf a par exemple critiqué les professeurs de droit, de sociologie et de science politique parce qu’ils remettaient en cause la primauté de la loi religieuse et de lafamille

10. Il est d’ailleurs fort possible qu’à l’occasion, certaines déclarations de guerre contre les universités aient obéi à des considérations très prosaïques. En septembre 2011, des menaces d’attaques contre les campus, relayées par des textos, auraient par exemple été lancées par des étudiants qui rechignaient à reprendre le travail en pleine période d’examen ! De fait, il est parfois utile d’invoquer les questions religieuses pour régler des comptes. Lors d’une autre affaire qui avait défrayé la chronique en mars 2007, une enseignante chrétienne de Gandu (État de Gombe) avait ainsi été accusée d’avoir profané le Coran et tuée parce qu’elle avait surpris et renvoyé des étudiants musulmans en train de tricher aux examens. 11. Mohammed Yusuf, op. cit., pp. 41, 56. 12. Muhammad Sani Imam, Muhammad Kyari, Yusufuyya and the State: Whose Faulty?, University of Maiduguri, Department of History, polycop., 2009, p. 3. Voir aussi le compte rendu de la confrontation entre Mohammed Yusuf et les clercs musulmans du Bauchi, in Issoufou Yahaya, « Boko Haram au Nigeria : le fanatisme religieux comme projet politique », Sfera Politicii, vol. 19, n°164, 2011, p. 15. Selon une version contestée, Mohammed Yusuf aurait cependant suivi une formation coranique au Tchad et au Niger. Cf. Freedom Onuoha, « The audacity of the Boko Haram: Background, analysis and emerging trend », Security Journal, vol. 25, n°2, 2011, p. 3.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 8 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm traditionnelle. Il a également reproché aux géographes d’enseigner les planètes d’un système solaire qui ne correspondait pas aux sept paradis décrits dans le Coran. La condamnation des aspects pervers de l’éducation occidentale n’est cependant pas propre à Mohammed Yusuf. De nombreux salafistes s’opposent ainsi à la modernité d’un enseignement accusé d’inculquer des valeurs erronées : la débauche et l’homosexualité pour les beaux-arts ; l’usure, la spéculation, le profit et la création de pénuries artificielles pour les écoles de commerce ; l’emploi d’engrais, la dégradation de l’environnement et la maltraitance des animaux pour les lycées agricoles ; la ségrégation sociale pour les urbanistes ; les expérimentations chimiques et le mépris dessoins spirituels pour les facultés de médecine et de psychologie, etc. Musulmans ou non, beaucoup d’Africains critiquent par ailleurs le modèle éducatif hérité de la colonisation. Ils lui reprochent notamment d’être impérialiste, élitiste, urbain, agnostique, amoral, prescriptif, rigide, réservé aux jeunes, peu respectueux des coutumes locales et trop orienté sur la mesure de la performance des étudiants dans une logique de formatage et de préparation à l’insertion dans une économie marchande et capitaliste. À sa manière, la critique de Boko Haram contre le monde moderne se rattache donc à un courant de pensée anticolonial, et pas seulement islamiste et obscurantiste. En effet, l’échec dumodèle éducatif occidental est particulièrement flagrant dans le Borno. À l’échelle du Nigeria, le Nord-Est est l’une des régions les moins bien pourvues en la matière, avec des records nationaux d’analphabétisme et d’absentéisme : près de la moitié des enfants n’y sont jamais allés à l’école primaire et plus d’un tiers n’y suivent pas non plus d’enseignements coraniques. D’après les statistiques les plus récentes, le Borno était même l’État de la fédération qui, avec le Zamafara, comptait le plus faible taux de scolarisation primaire (21 %) en 132010 . Indéniablement, la détestation de l’éducation occidentale chez les militants de Boko Haram reflète aussi la composition sociale d’un mouvement qui recrute beaucoup d’analphabètes et de mendiants itinérants, les almajirai (sg. almajiri)14. Ces derniers sont des élèves coraniques plus faciles à endoctriner car ils n’ont pas suivi le cursus des écoles primaires publiques. Également appelés talibé (sans rapport avec les talibans d’Afghanistan, bien qu’il s’agisse étymologiquement du même mot), ils appartiennent aux strates les moins considérées de la population et leur position de subalterne n’est pas sans rappeler le profil des Kalakato, une autre secte islamiste qui répudie l’éducation occidentale et comprend essentiellement des illettrés n’ayant pas atteint le grade d’étudiant Gardi (pl. Gardawa) ou de marabout Mallam (pl. Mallamai)15. Le succès de Boko Haram témoigne ainsi de l’échec d’un modèle occidental qui n’a pas réussi à développer le Nord musulman du Nigeria. À meilleure preuve, le mouvement compte aussi des cadres au chômage qui n’ont jamais terminé leur cursus universitaire, à l’instar d’Aminu Tashen-Ilimi, un étudiant de Maiduguri qui a formé le groupe extrémiste des « talibans » avant d’être chassé de sa base rurale du Yobe en 2003. L’échec de leur projet professionnel s’est en l’occurrence conjugué à un ressentiment grandissant à l’égard des élites occidentalisées au moment où les élections frauduleuses de 2003 et 2007 mettaient clairement en évidence la corruption des pouvoirs en place, par comparaison aux dirigeants du Nigeria au moment de l’indépendance, qui étaient moins diplômés mais réputés plus intègres.

13. National Population Commission, Nigeria Demographic and Health Survey (DHS) EdData Profile 2010: Education Data for Decision-Making, Washington (DC), Research Triangle Institute International, 2011, p. 165. 14. Pour une thèse selon laquelle la frustration des almajirai témoignerait en fait d’une demande en faveur de l’école moderne, et non d’un rejet, voir Hannah Hoechner, « Striving for Knowledge and Dignity: How Qur’anic Students in Kano, Nigeria, Learn to Live with Rejection and Educational Disadvantage », European Journal of Development Research, vol. 23, n°5, 2011, pp. 712-728. 15. Les Kalakato sont les héritiers de Maitatsine. Ils sont considérés par les autres musulmans comme déviants, entre autres parce qu’ils ne préconisent que deux prières par jour, au lieu de cinq. Proches d’un courant de pensée appelé Quraniyyun, ils estiment en outre que le seul livre méritant d’être lu est le Coran. Leur nom renvoie à l’origine humaine et non divine des hadiths (paroles du Prophète). En haoussa, Kalakato signifierait : « un simple homme l’a dit », justification qui aurait permis à Muhammad Marwa de s’autoproclamer prophète.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 9 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm II. Une révolte sociale et religieuse

De par sa genèse et sa posture doctrinaire, le mouvement Boko Haram ne relève pas moins d’une insurrection qui est d’essence religieuse avant d’être politique. De ce point de vue, il se distingue fondamentalement des violences communautaires qui, dans l’État du Plateau, voient régulièrement s’affronter les musulmans et les chrétiens de la ville de Jos en compétition pour le pouvoir et l’accès à la terre. Ainsi, Boko Haram n’est pas un mouvement ethnique malgré son implantation concentrée dans le Borno kanouri plutôt que dans les régions les plus occidentales du califat haoussa-peul de Sokoto – notamment le Zamfara, premier État du Nigeria à réclamer une application intégrale de la charia au sortir de la dictature militaire en 1999. Certains observateurs font état d’une connexion peule qui expliquerait des liens tactiques avec le Front patriotique pour le rassemblement (FPR) d’Omar Abdul Kader « Babba Ladé », un mouvement de lutte armée actif en Centrafrique et au Tchad. Mais l’extension du mouvement repose essentiellement sur un effort de propagation religieuse en milieu musulman. Mohammed Yusuf lui-même n’était pas kanouri, pas plus d’ailleurs que Maitastine n’était haoussa. Son mouvement comptait beaucoup de Gwoza du sud du Borno et a pu recruter des Tiv de la Bénoué comme Aliyu Tishau. En outre, de nombreux militants ont dû fuir la répression de Maiduguri en 2009 en partant à l’étranger ou en allant s’installer dans des villes haoussa telles que Kano, qui a un moment fait figure de terre d’asile (Dar al-Hijra). Depuis lors, le mouvement a largement démontré qu’il était capable de monter des attaques en dehors de son fief kanouri du Borno. Ses partisans ont plusieurs fois frappé à Abuja, Bauchi, Yobe, Kaduna, Katsina, Kano et jusque dans l’Adamawa ; si le Jigawa et Gombe ont été épargnés dans un premier temps, c’est sans doute parce qu’ils ne présentaient pas d’intérêt stratégique majeur.

Nigeria : les 12 États appliquant la charia

TCHAD NIGER Lac Tchad SOKOTO Sokoto Niger KATSINA ℂ ℂ ℂ YOBE Katsina JIGAWA BORNO Birnin ℂ Gusau Kano Damaturu -Kebbi Dutse ZAMFARA ℂ Maiduguri KEBBI KANO ℂ ℂ ℂ N

KADUNA ℂ ℂ BAUCHI BÉNIN Gombe Kaduna Bauchi NIGER ℂ GOMBE Jos ADAMAWA ℂ Minna KWARA Niger PLATEAU Yola ABUJA Jalingo

Ilorin Lafia Bénoué NASSARAWA OYO EKITI TARABA Ibadan Oshogbo Lokoja Ado-Ekiti Makurdi OSUN KOGI CAMEROUN BENUE Abéokuta Akure OGUN EDO ONDO ENUGU ℂ État appliquant la charia Ikeja Abakaliki Benin City ANAMBRAEnugu LAGOS EBONYI Sokoto Capitale d'État Akwa Frontières internationales Asaba CROSS IMO ABIA RIVER Limites des États DELTA Owerri Océan Atlantique Uyo RIVERS Umuahia Calabar Territoire fédéral Yenagoa AKWA Port Harcourt IBOM 0 100 200 km BAYELSA Source : M.-A. de Montclos, IRD Source : Marc-Antoine Pérouse de Montclos, 2012.

En fait de mouvement ethnique, le recrutement de Boko Haram parmi les exclus de la croissance évoque davantage une révolte sociale basée sur une sorte de théologie de la libération en faveur de la justice (adalci en haoussa). La demande de la secte en faveur d’une stricte application de la charia, en particulier, reflète les aspirations réformistes d’une partie de la population. Elle se nourrit également des désillusions de la transition démocratique depuis la fin de la dictature militaire en 1999. Ainsi,

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 10 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm il n’est pas anodin qu’à la différence des États haoussa, le Borno et le Yobe n’aient prononcé aucun jugement au nom de la charia malgré l’extension du domaine pénal de celle-ci à partir de 200016. Un tel « laxisme » n’est évidemment pas le seul élément d’explication. Des États musulmans comme Gombe et le Niger n’ont pas non plus appliqué la charia qu’ils étaient censés mettre en œuvre17. Pour autant, ils ont été relativement peu touchés par la violence des protestations islamistes. Kaduna, en revanche, a connu des affrontements importants quand les autorités locales ont commencé à vouloir y étendre la juridiction pénale des tribunaux coraniques, avec des émeutes qui, selon Eyene Okpanachi, ont fait jusqu’à 3 000 morts en février et mai 2000 (1 295 officiellement). À la même époque, l’État de Kebbi, qui est plus homogène sur le plan ethnique, n’a pas connu de tels évènements alors que l’application de la charia y était encore plus stricte et qu’il abritait aussi d’importantes minorités chrétiennes et animistes – probablement jusqu’à 40 % de la population18. Au-delà de la frustration des fondamentalistes, il s’avère qu’une multitude de facteurs explique en réalité pourquoi, après 1999, les demandes d’extension du domaine pénal du droit coranique ont provoqué des troubles dans certaines régions du Nord musulman et pas dans d’autres. Dans le cas du Borno, la persistance des inégalités et des injustices sociales a en l’occurrence été mise sur le compte de la mauvaise application d’une charia dévoyée à l’avantage des riches et au détriment des pauvres, plutôt que par l’échec du projet politique des islamistes. L’opposition parlementaire n’a guère proposé d’alternative à cet égard. Un moment acoquiné avec le gouverneur du Zamafara et accusé d’être proche des islamistes du temps où il était le chef de file du All Nigeria Peoples Party (ANPP), au pouvoir dans des États appliquant la charia, Muhammadu Buhari a au contraire déçu les milieux salafistes. Principal candidat de l’opposition au moment des élections présidentielles de 2011, il a en effet entrepris de séduire les chrétiens du Sud en prenant pour coéquipier un pasteur pentecôtiste, ancien musulman converti à la chrétienté et donc susceptible de s’attirer les foudres des fondamentalistes condamnant l’apostasie par la peine de mort ! Par contraste, l’intransigeance de Boko Haram a pu donner l’illusion d’une moindre compromission avec des pouvoirs politiques « laïques ». Certains observateurs voient ainsi dans la secte un mouvement de protestation sociale comparable à des groupes armés comme l’Oodua Peoples Congress (OPC), le Movement for the Actualization of the Sovereign State of Biafra (MASSOB) et le Movement for the Emancipation of the Niger Delta (MEND) qui, dans le Sud du Nigeria à dominante chrétienne, ont également su capter les frustrations de la jeunesse et développer des connexions internationales pour amplifier leur rébellion contre les élites au pouvoir. La différence est que Boko Haram ne professe pas de discours ethnique et qu’il a mobilisé la population du Borno avec des arguments religieux plutôt qu’en invoquant un sentiment de classe assez diffus. En pays haoussa, au moment de l’indépendance, le clivage entre les masses talakawa et la noblesse sarakuna avait en l’occurrence pu donner naissance à un parti populiste et radical comme la Northern Elements Progressive Union (NEPU). En dépit de son recrutement parmi les exclus de la croissance, Boko Haram ne semble cependant pas avoir vraiment cherché à exploiter politiquement les stratifications sociales du Nord musulman. De ce point de vue, il diffère peu de la révolte Maitatsine qui, pendant la seconde république (1979-1983), avait été instrumentalisée par le parti gouvernemental de l’aristocratie, le National Party of Nigeria (NPN), contre l’héritier de la NEPU, le People’s Redemption Party (PRP), au pouvoir à Kano mais dans l’opposition au niveau national. Indubitablement, l’émergence de la secte de Mohamed Yusuf ne procède pas uniquement d’une révolte des pauvres et des almajiri. Au Nigeria, l’extrémisme islamiste n’a en effet pas eu besoin du

16. Gunnar Weimann, Islamic Criminal Law in Northern Nigeria: Politics, Religion, Judicial Practice, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2010. 17. Suite à un recours contre une condamnation prononcée dans l’État du Niger en 2004, la Cour suprême a par exemple rappelé que les tribunaux coraniques étaient régis par une loi religieuse et ne pouvaient donc pas invoquer le code pénal hérité des Britanniques. Autrement dit, ils n’étaient pas qualifiés pour juger d’affaires criminelles puisqu’il n’existait pas de code pénal islamique au niveau fédéral. Cf. Philip Ostien, A Survey of the Muslims of Nigeria’s North Central Geo-political Zone, Oxford, Nigeria Research Network Working Paper n°1, 2012, p. 36. 18. Eyene Okpanachi, Ethno-religious Identity and Conflict in Northern Nigeria: Understanding the Dynamics of Sharia in Kaduna and Kebbi States, Zaria, IFRA, polycop., 2009.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 11 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm terreau de l’analphabétisme pour se développer et, depuis l’indépendance, l’université a été un important foyer de radicalisation pour des mouvements comme les « chiites » et la Muslim Students Society (MSS). Dans le même ordre d’idées, les auteurs d’attentats-suicides sont généralement des jeunes issus des classes moyennes, et non des paysans sans terre et illettrés19. Au Nigeria, l’argument de la misère, de l’analphabétisme et de l’aliénation ne suffit sûrement pas à expliquer pourquoi le soulèvement de Boko Haram s’est produit à Maiduguri plutôt que dans d’autres villes du Nord qui sont bien aussi ravagées par la pauvreté, la corruption et la violence20. À l’évidence, l’exode rural, la sécheresse ou le déclassement social ne sont pas non plus les seuls éléments ayant contribué à cristalliser les tensions politiques et communautaires autour de confrontations d’apparence confessionnelle dans des agglomérations comme Jos, Kaduna ou Kano. Murray Last argue par exemple que Jos et Kaduna ont été très touchées par les violences parce qu’il s’agit de villes nouvelles21. Peuplées de migrants, ces agglomérations connaissent une forte compétition pour l’accès à la terre et leurs gisements d’emplois se sont taris avec la disparition des industries minières et textiles. Cependant, de vieilles cités comme Kano n’ont pas non plus échappé aux affrontements interconfessionnels ; de fait, l’urbanité et le contrôle social des autorités traditionnelles n’ont pas toujours permis d’y régler les conflits à l’amiable. De ce point de vue, Maiduguri ne comptait certainement pas parmi les villes les plus violentes du Nord musulman. Comme Jos autrefois, le chef-lieu administratif du Borno faisait figure de bourgade provinciale et paisible. Outre le banditisme de grand chemin à la campagne, la criminalité en milieu urbain relevait surtout du cambriolage ou de la délinquance juvénile, par exemple au moment des éclipses lunaires, qui étaient souvent l’occasion d’exprimer le mécontentement social des jeunes almajirai. Au début des années 1980, l’épicentre de l’agitation islamiste se situait plutôt à Kano, d’où la révolte de Maitatsine devait brièvement atteindre Maiduguri dans le quartier de Bulunkutu en 198222. Relativement épargné par la guerre civile du Tchad, le chef-lieu administratif du Borno avait sinon profité de la contrebande avec les pays riverains et les pratiques religieuses de ses habitants étaient conservatrices mais pas extrémistes, dans une région qui avait commencé à s’islamiser dès le xie siècle, plusieurs centaines d’années avant le pays haoussa. De façon tout aussi significative, l’agglomération n’avait pas non plus connu d’importantes violences communautaires à caractère confessionnel. En effet, les chrétiens de Maiduguri ne sont pas confinés dans un ghetto urbain et se répartissent à travers toute la ville. À la différence de Kano, ils sont d’autant moins stigmatisés que les minorités chrétiennes du Borno ne sont pas des immigrants du Sud du Nigeria, mais des autochtones, notamment des « tribus païennes » de Biu, Shani, Awul et Gwoza. Autrement dit, les différenciations religieuses de Maiduguri ne recoupent pas les clivages sociaux et spatiaux qui, à présent, déchirent des villes comme Jos. À partir de 2010, les attaques de Boko Haram contre des églises traduisent plutôt l’engagement de la secte dans un discours jihadiste international qui dénonce l’occupation des « Croisés » en terre d’Islam et appelle à venger les massacres de musulmans commis par des chrétiens du Plateau au Nigeria. Auparavant, le mouvement ne ciblait pas spécifiquement les infidèles, à l’exception de quelques pasteurs trop virulents et des tenanciers des bars clandestins qui violaient les prohibitions de la charia en matière d’alcool dans le Borno. Lorsqu’ils se sont retirés pour établir une cité céleste à Kanama en 2003, les premiers militants de Boko Haram

19. Scott Atran, « Genesis of Suicide Terrorism », Science, vol. 299, n°5612, 2003, pp. 1534-1539. 20. À en croire des statistiques officielles de 2010, Sokoto est en fait l’État le plus pauvre de la fédération. Cf. National Bureau of Statistics, Nigeria Poverty Profile 2010, Abuja, NBS, 2012, p. 23. 21. Murray Last, « Muslims and Christians in Nigeria: An economy of political panic », Round Table : The Commonwealth Journal of International Affairs, vol. 96, n°392, 2007, p. 613. 22. En 2004, un conflit a également opposé les Hausa d’une banlieue de Maiduguri, Zabarmari, aux Kanouri du quartier du palais du Shehu. Héritiers des Yantatsine, les premiers voulaient organiser en plein centre-ville la prière de l’Aïd al Kabir sans respecter les consignes du sultan de Sokoto. Les affrontements ont fait un mort. Fin 1998, des islamistes avaient par ailleurs brûlé des églises et tué une vingtaine de personnes quand le gouverneur militaire de l’époque avait voulu introduire des manuels scolaires chrétiens dans les écoles primaires de la ville. Cf. Muhammad Nur Alkali, Abubakar Kawu Monguno, Ballama Shettima Mustafa, An Overview of Islamic Actors in Northeastern Nigeria, Oxford, Nigeria Research Network Working Paper n°2, 2012, p. 15 ; Jan Harm Boer, Nigeria’s Decades of Blood 1980-2002, Belleville (Ont.), Essence, 2003, p. 95.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 12 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm – les « Talibans », également appelés les « Migrants » (Muhajirun) – faisaient d’ailleurs référence à l’hégire des fidèles du Prophète qui allèrent trouver refuge dans l’Abyssinie chrétienne en 615, bien autant qu’au repli tactique d’Ousman dan Fodio de Degel à Gudu pour lancer sa guerre sainteen 180423. Par la suite, les fidèles de Mohammed Yusuf ont conservé le même cœur de cible, à savoir les forces de sécurité24. Dans le même façon, la secte n’a pas non plus essayé de s’en prendre aux chrétiens du Plateau ; c’est après l’assassinat de son leader spirituel qu’elle a commencé à commettre des attentats dans la ville de Jos fin 2010. Dans les États de Kaduna et du Niger, des observateurs estiment pour leur part que certaines attaques contre des églises ont été attribuées à tort aux partisans de Mohammed Yusuf, plutôt qu’à des rivalités locales.

III. L’extension de la menace islamiste, du local à l’international

Finalement, la spécificité de Boko Haram par rapport à ses précurseurs islamistes tient essentiellement à sa dérive terroriste dans un pays qui, au cours des années 1980 et 1990, avait déjà connu quelques attentats à la bombe mais, jusqu’à présent, jamais d’attentats-suicides. Avant la répression de Maiduguri en 2009, les militants de Boko Haram opèrent uniquement dans le Nord sahélien et ne visent pas Jos ou Abuja, plus au sud. À l’époque, ils ne touchent ni aux minorités chrétiennes ni aux expatriés et s’en prennent seulement aux institutions gouvernementales, aux représentants de l’État nigérian et aux « mauvais musulmans ». C’est quand il sort des frontières du Borno que le conflit commence à avoir des répercussions au niveau national puis international. Parallèlement, les attentats se multiplient alors contre des casernes militaires, des prisons, des commissariats de police, des bâtiments officiels, des banques et des mosquées ou des églises, notamment au moment des fêtes religieuses musulmanes et chrétiennes. À défaut d’un véritable cycle, cependant, les attaques ne semblent pas toujours très coordonnées. De plus, certaines sont imputées sans preuve aux partisans de la secte, quitte à exacerber le climat de panique et à renforcer l’impression générale d’un désordre grandissant. Des militants de Boko Haram ont par ailleurs continué de faire exploser régulièrement des bombes à Maiduguri ou Damaturu pour demander le retrait de l’armée et démontrer qu’ils existaient toujours. L’attentat-suicide contre les bureaux de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à Abuja marque à cet égard une rupture qui signale la profonde évolution de la secte depuis la mort de son leader spirituel25. En effet, l’internationalisation des cibles du mouvement oblige à reconsidérer son modus operandi. Dans sa version locale, Boko Haram s’en prenait essentiellement à ses ennemis jurés, à savoir la police et l’ancien gouverneur du Borno, Ali Modu Sheriff, qui étaient largement responsables de l’exécution de Mohamed Yusuf en 2009. Dans sa version internationale, le mouvement pourrait toutefois poursuivre un agenda lié à la politique extérieure du Nigeria. Goodluck Jonathan, notamment,

23. Umar Danfulan, « Commentary », in Philip Ostien, Jamila Nasir, Franz Kogelmann (dir.), Comparative Perspectives on Shariʿah in Nigeria, Ibadan, Spectrum Books, 2005, p. 279. Il convient à cet égard de noter qu’au tout début du xxe siècle en pays haoussa, des islamistes de tendance mahdiste ont pu se regrouper sous la bannière du Christ pour protester contre l’arrivée du colonisateur britannique ! Encore aujourd’hui à Kano et Kaduna, un petit groupe de musulmans, les Isawa, continue de placer la figure de Jésus (Isa) au centre de la révélation d’Allah. 24. Du fait d’une politique délibérée de brassage national, nombre de policiers postés dans le Nord sont en l’occurrence des chrétiens du Sud. Mais ils ont été visés en tant que représentants d’un État impie. Des récits contradictoires laissent entendre que, dans le Yobe, les premiers « Talibans » s’en seraient peut-être pris aux rares habitants chrétiens de Kanama en janvier 2004. En l’état actuel de nos connaissances, rien ne permet cependant de le confirmer, pas plus qu’il ne paraît possible de vérifier les rumeurs sur l’implication de mercenaires recrutés dans les rangs de Boko Haram au moment des violences électorales de Jos en novembre 2008. Dans son livre, Mohammed Yusuf appelle surtout à désobéir et à se soulever contre les musulmans tyranniques et corrompus qui n’appliquent pas correctement la charia. Il n’est pas question de tuer les chrétiens ou les juifs. Une seule page invite explicitement les fidèles à les éviter afin de protéger la religion. Pour Mohammed Yusuf, il convient ainsi de ne s’associer avec les chrétiens ou les juifs « dans aucune de leurs méthodes comme la démocratie, la dictature, le communisme, le capitalisme ou les régimes parlementaires ». 25. En principe, l’Islam condamne le suicide et je n’ai trouvé aucun élément démontrant que Mohamed Yusuf aurait justifié cette pratique. À en croire les observateurs, certains attentats-suicides pourraient d’ailleurs être dus à des erreurs de manipulation des explosifs.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 13 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm paraît très proche des Américains. Il lui est reproché par exemple d’avoir été l’un des premiers chefs d’État africains à reconnaître le Conseil national de transition (CNT) en Libye, avant même la chute du régime de Mouammar Kadhafi, empressement qui contraste avec ses réticences à reconnaître la Palestine aux Nations Unies. L’internationalisation de Boko Haram signifie également que la secte va vraisemblablement chercher à étendre ses opérations en dehors du Nord musulman. On peut alors s’interroger sur sa capacité à s’extraire de son terroir régional. Les professionnels du terrorisme, en l’occurrence, n’ont pas besoin d’une grosse logistique et d’une base sociale pour agir dans le Sud à dominante chrétienne. En revanche, le « canal historique » et purement nigérian du mouvement ne paraît pas en mesure de frapper des villes comme Lagos ou Port Harcourt sans trouver des relais auprès des minorités musulmanes ou des groupes rebelles susceptibles de lui faciliter la tâche localement. Or les premières n’ont guère intérêt à se compromettre dans des actions qui entraîneraient de violentes représailles à leur encontre. Quant aux seconds, ils ne sont plus vraiment en situation insurrectionnelle. À Lagos, les éléments les plus radicaux de l’OPC, qui étaient souvent des Yorouba musulmans, sont aujourd’hui rentrés dans le rang et ne contestent plus l’autorité de l’État. À Port Harcourt, Asari Dokubo, un Ijaw converti à l’Islam et précurseur du MEND, a également abandonné la lutte armée. Dans un encart publié dans le journal This Day du 5 octobre 2011, il a d’ailleurs réaffirmé son soutien au gouvernement fédéral et fermement condamné Boko Haram, dont il estimait les demandes incompatibles avec la « liberté de conscience ». En attendant un éventuel attentat islamiste dans le Sud du Nigeria, force est de constater l’internationalisation des cibles, de la formation et, peut-être, du recrutement de la secte. L’affiliation de Boko Haram à Al-Qaïda reste cependant douteuse. Les attentats-suicides et l’élargissement des cibles aux Nations Unies ne suffisent pas à établir la preuve d’un lien organique. En Algérie, par exemple, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) a d’abord pris soin en janvier 2007 de changer son nom en AQMI avant de s’en prendre aux bureaux de l’ONU à Alger en décembre de la même année26. En Somalie, les Chabab ont en revanche commencé en septembre 2006 par commettre des attentats-suicides avant de proclamer leur affiliation à Al-Qaïda en septembre 200927. Autrement dit, la diversité des cas de figure empêche de généraliser abusivement. Concernant Boko Haram, l’attentat- suicide contre l’ONU à Abuja pourrait tout aussi bien témoigner d’une scission entre les partisans et les opposants d’une négociation avec le gouvernement nigérian, à l’instar du processus qui, dans la Corne de l’Afrique, a vu l’Union des tribunaux islamiques puis l’Alliance pour la libération de la Somalie imploser entre la faction djiboutienne de Cheikh Sharif Ahmed et les extrémistes « érythréens » de Hassan Dahir Aweys, à l’origine du groupe Hisbul Islam puis d’une partie des Chabab. Sur le plan tactique, on voit certes se dessiner des convergences d’intérêts en vue d’entraîner des artificiers ou de se procurer des armes. En février 2003, Oussama ben Laden avait lui-même mentionné le Nigeria comme une cible potentielle. Depuis lors, la mouvance jihadiste a sans doute été tentée d’instrumentaliser Boko Haram afin d’internationaliser le conflit du Borno et de pénétrer unpays qui avait coutume de « produire » ses propres extrémismes religieux et qui se mo ntrait plutôt rétif aux idéologies fondamentalistes importées de l’étranger. Mais il paraît peu probable que la secte de Maiduguri obéisse désormais aux injonctions d’Al-Qaïda en vue de coordonner ses actions dans le cadre d’une vaste stratégie visant à islamiser l’Afrique de l’Ouest jusqu’à la côte Atlantique. Sur le plan idéologique, Boko Haram ne répond sûrement pas aux « canons » du wahhabisme car ses militants croient aux forces de l’invisible et utilisent des amulettes pour se protéger des attaques de la police ou de l’armée. Quant au chef spirituel du mouvement, Mohammed Yusuf, il professait des idées syncrétiques et était réputé avoir recours à la sorcellerie pour envoûter ses fidèles en droguant leur thé28. On voit mal ses successeurs se fondre dans un vaste réseau destiné à entretenir et promouvoir

26. James Forest, « Al-Qaeda’s Influence in Sub-Saharan Africa: Myths, Realities and Possibilities », Perspectives on Terrorism, vol. 5, n°3-4, 2011, p. 65. 27. Brian Hesse (dir.), Somalia: State Collapse, Terrorism and Piracy, Londres, Routledge, 2011, p. 38. 28. La « doctrine » de Boko Haram est assez ambiguë à ce sujet. Dans son livre, Mohammed Yusuf condamne explicitement « la magie, la divination, la prestidigitation, la géomancie, […] les djinns, les idoles, les amulettes, le recours aux cordelettes », la

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 14 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm l’héritage politique d’Oussama ben Laden. S’ils ont revendiqué l’attentat contre l’ONU, c’est plutôt la preuve qu’ils veulent continuer de maîtriser l’agenda terroriste au Nigeria. Concrètement, l’internationalisation et la radicalisation de Boko Haram tiennent plutôt à d’autres raisons. À l’ère de la « globalisation », d’abord, la pratique des attentats-suicides témoigne du progrès des communications dans des régions reculées, autrefois injoignables par téléphone et moins directement en prise sur des modèles étrangers, afghans ou saoudiens. Migrations économiques, exils politiques et bourses d’études vers les pays arabes – et pas seulement sahéliens ou limitrophes – ont également favorisé les contacts avec la mouvance jihadiste internationale. Le pèlerinage à La Mecque semble en revanche avoir joué un rôle moins déterminant. Victimes de la crise économique, de moins en moins de Nigérians ont eu les moyens de se payer le voyage en Arabie saoudite. À la fin des années 1990, ils n’étaient plus qu’une vingtaine de milliers à se rendre à La Mecque, contre une centaine de milliers au moment du boom pétrolier des années 1970, même si leur nombre est depuis lors remonté à 88 000 selon la National Hajj Commission of Nigeria (NAHCON) en 201129. En fait d’internationalisation et de professionnalisation terroriste, c’est surtout la brutalité dela police et de l’armée nigérianes qui explique l’évolution du mode opératoire de Boko Haram pour inverser un rapport de force défavorable en recourant à des attentats. En effet, la stratégie insurrectionnelle de la secte à ses débuts n’était guère efficace. Contrairement au MEND, qui disposait d’un levier économique pour attaquer le gouvernement en sabotant la production pétrolière, Boko Haram ne pouvait pas menacer le « portefeuille » de l’État dans des régions pauvres et sans grandes ressources naturelles ; à l’exception de la répression de 2009, le mouvement a d’ailleurs fait l’objet d’une relative indifférence jusqu’à ce qu’il commette des attentats dans la capitale fédérale. De plus, la secte n’était guère en mesure de remporter des victoires « militaires » face à l’armée ou la police. Des 2 214 morts provoqués par des événements liés à Boko Haram entre le 17 avril 2007 et le 16 avril 2012 et recensés par la base de données Nigeria Watch, il s’avère que beaucoup ont en fait été tués par les forces de sécurité nigériannes30. Généralement peu soucieuses d’épargner les civils, la police et l’armée nigérianes sont en l’occurrence réputées pour leur culture de la violence, en toute impunité. En outre, il est possible que les troupes envoyées sur le terrain, qui provenaient d’autres régions du Nigeria, se soient montrées particulièrement irrespectueuses des populations locales, musulmanes et analphabètes. De façon délibérée, certains policiers ont également exécuté les suspects de crainte qu’ils ne soient traduits en justice et relâchés faute d’avoir pu prouver leur participation aux combats ou leur appartenance à un groupe terroriste. Dans les quartiers pauvres de Maiduguri, en particulier, le manque de discernement des forces de l’ordre a alimenté les rangs de la secte dans une logique de vendetta. Contraints de fuir la terrible répression de 2009, des membres de Boko Haram sont aussi partis en exil dans les pays sahéliens de la région, où ils ont visiblement été récupérés par des réseaux jihadistes31. Le recyclage des éléments les plus radicaux du mouvement s’est ainsi conjugué aux tentatives d’infiltration du mouvement par des Nigérians formés à l’étranger, à commencer par Abu Umar, un étudiant de l’Université de où il sorcellerie, les prétentions à la prophétie et le culte préislamique des ancêtres. Mais il approuve « l’exorcisme légal influencé par le trésor du message prophétique » et croit à « la mission […] du Seigneur des mondes à destination de tous les djinns et les hommes ». 29. Victor Chukwulozie, Muslim-Christian Dialogue in Nigeria, Ibadan, Daystar Press, 1986, p. 218 ; Robert Bianchi, Guests of God: Pilgrimage and Politics in the Islamic World, New York, Oxford University Press, 2004. 30. Dans un communiqué du 24 janvier 2012, Human Rights Watch (HRW) soutient que Boko Haram a tué 935 personnes depuis 2009, dont 253 dans les trois premières semaines de 2012. Comme les autres organisations de défense des droits de l’homme, l’ONG ne cite cependant pas ses sources et ne renvoie pas à une base de données qui permettrait de tester la validité de son calcul. En l’occurrence, les chiffres de Nigeria Watch et de HRW sont un peu différents, avec respectivement 679 et 550 morts en 2011. À en croire HRW, Boko Haram a tué 682 personnes en 2009-2011, moins de la moitié des 1 618 victimes répertoriées au total par Nigeria Watch pendant la même période. Voir HRW, « Nigeria : Boko Haram poursuit sa campagne de terreur », 24 janvier 2012, www.hrw.org/fr/news/2012/01/24/nigeria-boko-haram-poursuit-sa-campagne-de-terreur et http://www.nigeriawatch.org/. 31. Dès août 2009, un communiqué d’AQMI condamnait en l’occurrence l’exécution de Mohamed Yusuf. En février 2010, « l’émir » algérien du groupe, Abu Musab Abdul Wadud, promettait ensuite d’envoyer des combattants et de livrer des armes aux musulmans du Nigeria afin de les aider à se défendre contre les attaques des chrétiens du Plateau. Désormais, certains communiqués de Boko Haram sont également diffusés via le département de communication d’AQMI, Al-Andalous. Apparemment fondée vers 2011 par des Mauritaniens et des Maliens, une dissidence d’Al-Qaïda, le Mouvement unicité et jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), a par ailleurs vocation à accueillir des combattants étrangers, notamment nigérians.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 15 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm avait rencontré Oussama ben Laden au milieu des années 1990 avant de passer la main à Mohamed Ali, un disciple du fameux cheikh salafiste Jafar Adam, assassiné à Kano en 2007. Selon des sources bien informées, la mouvance se réclamant d’Al-Qaïda disposerait aujourd’hui de deux cellules dormantes au Nigeria : l’une à Kano sous l’égide d’un certain Abu Yasir ; l’autre à Jos sous la direction d’al-Bany (ou al-Amin) Aljasawi. Les services de sécurité d’Abuja prétendent de leur côté qu’un Algérien du GSPC, Barnawi Khalid, aurait commencé à financer Boko Haram dès 2006. On remarquera cependant que, pour l’instant, la mouvance d’Al-Qaïda ne semble guère avoir réussi à recruter des combattants directement au Nigeria. Les Nigérians impliqués dans des actes terroristes à l’étranger ont tous été endoctrinés en dehors du Nigeria, notamment au Pakistan et au Yémen (comme par exemple dans le cas d’Umar Farouk Abdulmutallab, auteur d’un attentat raté contre un avion américain fin 2009).

IV. Les erreurs à répétition des forces de sécurité

Un rapide retour sur la genèse de la secte Boko Haram montre ainsi que le mouvement de Mohammed Yusuf n’a pas, initialement, de visées terroristes et insurrectionnelles. Ce sont surtout la répression et les erreurs à répétition des forces de sécurité qui contribuent à le radicaliser. Au départ, quand il rompt avec le courant salafiste des « éradicateurs » Izala en 1999, Mohammed Yusuf n’est qu’un prêcheur virulent qui demande une extension du domaine d’application pénal de la loi coranique dans le Borno. Basé à Maiduguri, il a pignon sur rue à Damboa Road et officie depuis la mosquée Izala d’un riche homme d’affaires, Mohamed Indimi, qui a fait sa fortune dans le pétrole avec la compagnie Oriental Energy Resource Ltd. Habile orateur, Mohammed Yusuf élargit progressivement son audience et rallie à sa cause de nombreux fidèles. Dans l’État voisin de Yobe, d’où il est originaire, ses partisans les plus extrémistes, emmenés par Ismail Ladan et Mohammed Alli, s’en vont alors fonder vers 2002 une ferme collective dans la forêt de Jaijin Biri (Zagi-Biriri), près de Kanama dans la collectivité locale de Yusufari. Calquée sur le modèle de la fuite (hijra) du Prophète à Médine, leur démarche répond en l’occurrence à un besoin de retour à la terre pour échapper à la corruption des villes. D’une certaine manière, leur « cité céleste » évoque un peu les procédures de regroupement rural et de recueillement des évangélistes chrétiens ou de Dar al-Islam, une secte islamiste non violente dont les fidèles prêtent allégeance à une sorte de « gourou », Amrul Bashir Abdullah, et dont le camp de Mokwa sera détruit par la police dans l’État du Niger en août 2009, peu après la répression militaire du mouvement de Mohammed Yusuf dans le Borno et le Bauchi. Concernant l’embryon de Boko Haram à Jaijin Biri dans le Yobe, la situation se dégrade en l’occurrence assez rapidement. Surnommés « talibans » à cause des collines où ils se sont établis et qui évoqueraient des paysages afghans, les membres de la secte sont vite suspectés d’avoir monté un camp d’entraînement. Après s’être querellés avec les autochtones à propos de droits de pêche dans un étang à proximité, ils sont attaqués par des milices de chasseurs au service des autorités locales. Les forces de sécurité, elles, ne parviendront jamais à démontrer que les « talibans » avaient déjà des armes à feu lorsqu’ils ont été chassés manu militari de leur refuge32. En revanche, les militants de Boko Haram mettent effectivement la main sur des arsenaux quand, pour se venger, ils attaquent des commissariats de police et des écoles primaires de l’État de Yobe à Kanama, Damaturu, Geidam et Babban Gida (dans la collectivité locale de Tarmuwa) en décembre 2003. L’engrenage de la violence est alors enclenché. Expulsés de l’État de Yobe, certains « talibans » se regroupent ainsi à Maiduguri autour de Mohammed Yusuf, d’abord sur Damboa Road, puis à la mosquée de Daggash, et enfin sur des terres données au leader de la secte dans la banlieue dite de Markaz Ibn Taijmiyya, près de la gare33. Sous la direction d’Abubakar Aliyu Abubakar, d’autres militants s’établissent à Limankara dans le sud du Borno,

32. Muhammad Sani Imam, Muhammad Kyari, Yusufuyya and the State: Whose Faulty?, op. cit., p. 15. 33. Adeniyi, Olusegun, Power, Politics and Death: A front-Row Account of Nigeria under the Late President Yar’Adua, Lagos, Kachifo, 2012, p. 107.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 16 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm où ils affrontent les autorités à Bama et Gwoza en septembre et octobre 2004. La situation dégénère d’autant plus que les désaccords personnels entre Mohammed Yusuf et le gouverneur Ali Modu Sheriff exacerbent les tensions et politisent le ressentiment religieux contre l’ANPP, au pouvoir dans la région. À cela s’ajoute l’amplification du dispositif de répression en 2008 avec l’opération Flush, qui réunit l’armée, la police et la douane. Désormais, les autorités sont prêtes à intervenir à l’arme lourde dans les quartiers pauvres de Maiduguri. L’occasion s’en présente quand, en juin 2009, les fidèles de la secte se rassemblent pour enterrer quatre de leurs membres morts dans un accident de voiture sur une route de campagne34. Parce qu’ils sont plus de deux par moto et qu’ils refusent de porter des casques pour des raisons religieuses, certains sont arrêtés et la police tire dans la foule lors des échauffourées qui ne manquent pas de s’ensuivre. L’armée, quant à elle, interdit l’accès à l’hôpital où sont emmenés les blessés et refuse d’accepter les dons du sang des fidèles, qui jurent en conséquence de prendre leur revanche et commencent à attaquer des commissariats la nuit. Fin juillet 2009, les forces de l’ordre écrasent alors les rebelles et assassinent Mohammed Yusuf35. Aujourd’hui, le gouvernement fédéral admet lui-même à mots couverts que la brutalité de la répression s’est avérée contre-productive. Des notables du Borno, dont des généraux à la retraite, demandent le départ des troupes de l’opération Restore Order, qui a succédé à l’opération Flush. Le problème est qu’entre-temps, les rescapés de Boko Haram se sont évanouis dans la nature, bien décidés à mener une guerre asymétrique contre l’État nigérian. Légitimés par l’ampleur des massacres commis par les forces de l’ordre, les partisans de la violence terroriste ont désormais le vent en poupe. Incarnées par le beau-frère de Mohammed Yusuf, Baba Fuggu Mohamed, qui s’était de lui-même rendu aux autorités avant d’être froidement exécuté par la police en juillet 2009, les « colombes » ont perdu beaucoup de terrain. En septembre 2011, le fils de Baba Fuggu Mohamed, Babakura Fuggu, a ainsi été tué par les « faucons » du mouvement parce qu’il avait entamé des pourparlers de paix avec l’ancien président Olusegun Obasanjo et rompu un tabou en acceptant des compensations financières pour les familles des victimes de la répression. De ce point de vue, il importe de souligner combien l’exécution de Mohammed Yusuf a été une grave erreur stratégique. En créant un martyr, elle a en effet généré un courant de sympathie en faveur des victimes de la répression, tout au moins dans le Nord-Est. À défaut d’une véritable adhésion populaire à la doctrine extrémiste du mouvement, l’omerta en vigueur dans la région témoigne toujours de la crainte que suscite tout à la fois le fanatisme des fous de Dieu et la brutalité de militaires qui ont pu faire apparaître Boko Haram comme une force de résistance face à des troupes d’occupation. L’élimination de Mohammed Yusuf a par ailleurs légitimé les éléments les plus radicaux de la secte, favorables au basculement dans la violence terroriste. De plus, elle a conduit les partisans de Boko Haram à se disperser en province et à entrer dans la clandestinité la plus complète. À leurs débuts, les membres de la secte étaient reconnaissables à leur turban, leur longue barbe, leur bâton de pèlerin et le petit bâtonnet de bois qu’ils mastiquaient en permanence pour se laver les dents36. Ils portaient des pantalons courts, des foulards rouges ou noirs et d’amples boubous blancs, tandis que leurs femmes étaient entièrement voilées de la tête aux pieds. Mais aujourd’hui, les militants de Boko Haram sont invisibles et insaisissables. L’exécution de Mohammed Yusuf a fragmenté le mouvement et privé les négociateurs d’un interlocuteur capable de commander ses troupes. Les porte- parole se sont multipliés avec les mallamaï Abu Suleiman, Sanni Umaru, Aliyu Teshako puis Abu Qaqa. Quant à l’ancien adjoint du leader de la secte, Abu Muhammad Abubakar bin Muhammad « Shekau », il n’a pas vraiment réussi à s’imposer. Né à Shekau, un village du Yobe, et élevé à Mafoni, un quartier

34. La version officielle, rapportée par la presse chrétienne du Sud, est assez différente et prétend que les partisansde Mohammed Yusuf se seraient en fait rebellés à la suite du démantèlement par les forces de sécurité, le 26 juillet 2009, d’un repaire du Bauchi, Dusten Tenshin, où ils cachaient leurs armes et explosifs. Cf. Abimbola Adesoji, « Between Maitatsine and Boko Haram: Islamic Fundamentalism and the Response of the Nigerian State », Africa Today, vol. 57, n°4, 2011, p. 105. 35. Voir : http://www.aljazeera.com/news/africa/2010/02/2010298114949112.html (consulté le 24 mai 2012). 36. Leur accoutrement était d’ailleurs assez semblable à celui des fidèles de la Muhammadiyya, un groupe rural apparu dans le Borno en 1986 et replié dans le village de Wiringile-Bajoga. La Muhammadiyya n’a rien à voir avec son homonyme d’Indonésie et est essentiellement composée de paysans peuls venus de Gombe et parfois appelés Aljanna Tabbas (« la certitude du paradis »).

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 17 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm pauvre de Maiduguri, il n’a ni le charisme ni l’art oratoire ni l’éducation religieuse de son tuteur. Suspecté de fumer de la marijuana, il attire moins de fidèles et se voit contester par Maman Nur, un militant d’origine tchadienne, entraîné en Somalie et, d’après les services de sécurité nigérians, auteur de l’attentat contre les bureaux de l’ONU à Abuja. À court d’argent et de cotisations, « l’imam Shekau » (également surnommé « Darul Tauhid ») ne peut pas non plus compter sur les « subventions » d’AQMI, à qui il aurait refusé de rendre des comptes37. Il continue donc d’attaquer des postes de police pour se procurer des armes et doit désormais se financer en pillant des banques, au prétexte que l’Islam interdit la thésaurisation et l’usure. Une pareille évolution ne laisse pas d’inquiéter, même si les militants de Boko Haram se distinguent des milieux criminels de droit commun lorsqu’ils assassinent des personnalités politiques en pénétrant par effraction dans leurs maisons sans y voler d’argent. Enfin et surtout, l’exécution de Mohammed Yusuf a ranimé les théories du complot qui attisent les tensions entre les musulmans du Nord et les chrétiens du Sud. L’élimination du leader de la secte est probablement due à un coup de sang des unités anti-émeutes de la police, les Mopol, qui ont voulu venger leur chef égorgé peu auparavant par des militants de Boko Haram. Selon des témoins sur place, l’interrogatoire a en effet dégénéré et les assassins n’ont pas eu besoin d’instructions gouvernementales pour se défouler jusqu’à ce que mort s’ensuive. De fait, les Mopol comptent parmi les unités les plus indisciplinées, entre autres parce que leurs commandants ne sont pas entraînés avec les hommes du rang et ont le plus grand mal à se faire obéir. Relativement autonomes, ils vivent dans des casernes spéciales et échappent en partie au contrôle des commissaires de police. Leur surnom habituel – « ceux qui tuent et puis s’en vont » (kill and go) – en dit long sur la brutalité et la fréquence de leurs pratiques extrajudiciaires38. Soucieuse de se disculper et de se distinguer des Mopol, l’armée, qui avait capturé Mohammed Yusuf peu auparavant, a d’ailleurs laissé « fuiter » les images du leader de la secte afin de prouver qu’il était bien vivant avant d’être remis entre les mains de la police. Mais peu de gens considèrent qu’il s’agit là d’une simple bavure. D’après la version la plus populaire des événements, Mohammed Yusuf aurait été délibérément exécuté car il était un élément rebelle et un témoin gênant, susceptible de révéler les turpitudes des autorités locales. Depuis lors, le gouverneur ANPP de l’époque, Ali Modu Sheriff, n’aurait pas été inquiété car il se serait acheté une immunité en finançant la campagne présidentielle de Goodluck Jonathan, candidat du People’s Democratic Party (PDP). De même, il aurait réussi à faire relever de ses fonctions le chef des renseignements militaires, le général Babagana Monguno, au moment où celui-ci allait révéler les conclusions d’une enquête qui impliquait l’ancien gouverneur et son beau-frère Abba Lawan Dawud dans le meurtre, en avril 2011, du président de la collectivité locale de Jere, Mustafa Bale (ce dernier avait réussi à remporter les primaires de l’ANPP en vue de se faire élire député du Borno).

V. Le retour des théories du complot

Quoi qu’il en soit par ailleurs de ses connexions plus ou moins opérationnelles avec la mouvance jihadiste internationale, Boko Haram menace ainsi la stabilité du Nigeria car la crainte d’une guerre sainte excite toutes sortes de fantasmes susceptibles d’entraîner des représailles contre les minorités musulmanes du Sud ou chrétiennes du Nord. En demandant une stricte application de la charia, la secte exacerbe en outre l’impression d’un pays à deux vitesses, avec des lois différentes d’une région à l’autre. Le clivage paraît d’autant plus marqué qu’il dépasse le domaine pénal et s’étend au secteur financier dans le cadre des réformes que développe l’actuel gouverneur de la Banque centrale pour autoriser l’établissement de banques islamiques, avec leurs propres règles de fonctionnement. Sur le plan politique, enfin, les agissements terroristes de Boko Haram rallument le spectre de la guerre

37. Entretiens dans le Nord du Nigeria, octobre 2011. 38. Ainsi, avant même l’émergence de Boko Haram, plusieurs opérations de police, dites Damisa (« Le Léopard ») ou Zaki (« Le Lion »), avaient déjà été montées pour liquider les bandits armés du Borno sans autre forme de procès.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 18 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm civile et risquent d’attiser des discours religieux extrémistes qui sont peu propices à la production de consensus et à la formation de coalitions régionales. Les provocations verbales des Yorouba, des Ijaw ou des Ibo, qui se disent prêts à en découdre avec la secte, ne sont guère rassurantes à cet égard39. En juin 2011, l’attentat de Boko Haram contre le siège de la police à Abuja était en effet une réaction directe à une déclaration intempestive de l’inspecteur général Hafiz Ringim, selon qui le mouvement de Mohammed Yusuf avait définitivement été écrasé par les forces de l’ordre. À leur manière, les gesticulations des activistes yorouba de l’OPC, ijaw du MEND ou ibo du MASSOB pourraient donc inciter la secte à démontrer sa capacité de nuisance en frappant une cible symbolique dans le Sud. Elles pourraient également pousser les fidèles de Mohammed Yusuf à exacerber délibérément les tensions interconfessionnelles en focalisant davantage leurs attaques contre les minorités chrétiennes établies au Nord et originaires du Sud. À la différence de Jos, où le conflit voit surtout s’opposer des migrants musulmans à des autochtones chrétiens, une ville comme Kano abrite par exemple des Ibo qui, en cas de décès, rapatrient généralement les corps pour les enterrer « décemment » dans le village de leurs ancêtres. Or les violences suivent souvent le trajet des funérailles, entraînant alors des représailles contre les minorités musulmanes des régions méridionales40. D’une manière générale, la menace islamiste a réveillé les théories du complot qui, depuis longtemps, tendaient à opposer les musulmans du Nord aux chrétiens du Sud. Pendant les dictatures militaires, les Haoussa-Peuls ont en l’occurrence été accusés d’accaparer le pouvoir au sein d’une mystérieuse « mafia de Kaduna », un concept pour le moins ambigu, tant sur le plan de sa localisation géographique que de sa composition religieuse41. La guerre du Biafra (1967-1970), notamment, a été présentée par les sécessionnistes ibo comme un génocide commis par des musulmans soutenus par les pays arabes. En réalité, le chef d’État nigérian de l’époque, le général Yakubu Gowon, était chrétien, avec un père évangéliste, une femme Ibo et une éducation très religieuse42. Peu avant la chute de l’enclave sécessionniste, la propagande biafraise ne réussissait d’ailleurs plus à convaincre de l’existence d’un « génocide confessionnel » et s’est donc recentrée sur l’opposition irréductible entre des Haoussa « arriérés » et féodaux d’une part, et des Ibo « progressistes » et éduqués qui combattaient pour l’émancipation de la « race noire » et une « deuxième indépendance » définitivement affranchie de l’impérialisme britannique d’autre part43. En 1970, la victoire militaire de l’armée nigériane n’a alors pas mis fin au ressentiment des chrétiens du Sud. En effet, la junte du général Yakubu Gowon a entrepris de nationaliser les écoles des missionnaires, qui avaient été accusés de soutenir les rebelles. Dans le Nord, certains établissements ont en conséquence été rebaptisés avec des noms musulmans, ce qui a suscité des tensions44. Malgré son discours nationaliste, la junte a également semé le trouble

39. Apparemment composé de ressortissants de la Middle Belt, de Hausa convertis et d’anciens militants du MEND ou du MASSOB, un groupe chrétien extrémiste, Akhwat Akwop, a par exemple fait son apparition dans les grandes villes du Nord Nigeria en septembre 2011. Structuré en réponse aux attentats de Boko Haram, dont il a repris le nom dans une langue vernaculaire, il a distribué des tracts promettant d’étendre les actes de terrorisme aux pays accusés (sans preuve) de soutenir le mouvement de Mohammed Yusuf : , Syrie, Arabie saoudite, Mauritanie et Soudan. Il a également menacé de mettre le Nigeria à feu et à sang si un musulman du Nord était élu à la place d’un chrétien Ibo du Sud-Est en 2015. 40. La remarque vaut évidemment pour tous les groupes en présence. Craignant des représailles à la suite d’émeutes à Jos fin 2008, les autorités ont ainsi interdit aux Haoussa de la ville, les Jasawa, d’aller à Kano enterrer les corps de leurs parents tués par des chrétiens. Cf. Adam Higazi, The Jos Crisis: A Recurrent Nigerian Tragedy, Abuja, Friedrich-Ebert-Stiftung, Discussion Paper n°2, 2011, p. 21. Pour d’autres exemples où la vue des cadavres des victimes a été la cause immédiate de violences populaires et interconfessionnelles, en l’occurrence à Tafawa Balewa en 1991, Kaduna en 1992 et Kano et Onitsha en 2004, voir aussi Jan Harm Boer, Studies in Christian- Muslim Relations. Christian: Why this Muslim Violence?, Belleville (Ont.), Essence, pp. 196, 217 ; Fatima Oyine Ibrahim, « Dimensions of Ethno-Religious Crises : An Analysis of the 2004 Reprisal Attacks in Kano State », in Isaac Olawale Albert, Willie Aziegbe Eselebor, Nathaniel Danjibo (dir.), Peace, Security and Development in Nigeria, University of Ibadan, Peace and Conflict Studies Programme, 2012, p. 194 ; Hussaini Abdu, State, Society and Ethno-Religious Conflicts in Northern Nigeria, Kaduna, Devreach, 2010, p. 163. 41. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Guerres d’aujourd’hui : les vérités qui dérangent, Paris, Tchou, 2007, pp. 60-62. 42. Jonah Isawa Elaigwu, Gowon: The Biography of a Soldier-Statesman, Ibadan, West Books Publisher, 1986. 43. Anthony Douglas, « ‘Resourceful and Progressive Blackmen’: Modernity and Race in Biafra, 1967-70 », Journal of African History, vol. 51, n°1, pp. 41-61. 44. Lorsque l’Université de Sokoto a été nommée en l’honneur d’Ousman dan Fodio, héraut de la guerre sainte (jihad) de 1803, les chrétiens du Sud ont par exemple essayé de donner à l’Université de Lagos le nom de Samuel Ajayi Crowther, premier évêque anglican noir du Nigeria. Des querelles tout aussi symboliques ont touché l’Université d’Ibadan, à tel point qu’au milieu des années

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 19 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm en introduisant en 1973 une devise, le Naira, dont les billets étaient initialement ornés d’inscriptions en arabe. Après une première crise à propos de l’établissement d’une cour d’appel pour la charia en 1977, les militaires ont de nouveau inquiété les chrétiens quand ils ont négocié l’adhésion du Nigeria à l’Organisation de la coopération islamique (OCI) en 1986. Arrivée au pouvoir en 1993, la junte du général Sani Abacha, enfin, a été suspectée de vouloir réformer l’administration territoriale en 1996 afin de favoriser les musulmans, par exemple en créant un État de Nassarawa pour leur permettre d’échapper à la domination des chrétiens du Plateau. Les Nordistes n’ont cependant pas été en reste en matière de théories « conspirationnistes ». Ainsi, ils ont accusé des migrants et des médecins chrétiens de chercher à empoisonner ou stériliser les musulmans à l’occasion de campagnes de vaccination45. Au sortir de la dictature militaire en 1999, les protestations des Occidentaux contre l’extension du domaine pénal de la charia ont alors été comprises comme une tentative de laïciser le Nigeria et d’y étendre la guerre contre le terrorisme. Sous prétexte de sauver deux femmes dont les peines de mort par lapidation n’ont jamais été appliquées, le tapage médiatique des organisations de défense des droits de l’homme devait, selon la rumeur, servir à faire d’une pierre deux coups : justifier l’installation de bases militaires américaines, d’une part, et détourner l’attention des atrocités autrement plus massives commises par Israël en Palestine ou par les États- Unis en Irak et en Afghanistan. D’après Sanusi Lamido Sanusi, le résultat paradoxal de l’activisme des Occidentaux à propos de la charia a finalement été de conduire une partie des musulmans du Nord du Nigeria à se réfugier dans un Islam parfois radical46. Dans un tel contexte, la dérive terroriste de Boko Haram a également donné un nouvel élan aux théories de la conspiration. Dernier hebdomadaire de langue anglaise encore diffusé dans le Nord depuis la disparition du journal gouvernemental New Nigerian, en l’occurrence à Kaduna, le Desert Herald regorge ainsi d’histoires truculentes sur le grand complot américain contre les musulmans africains. À en croire une certaine coalition « verte-blanche » qui porte haut les couleurs du drapeau nigérian, Boko Haram serait en fait une couverture de la Central Intelligence Agency (CIA) en vue de démanteler le pays le plus peuplé du continent47 ! Prétendument annoncé dans les rapports de stratèges américains qui évoquent l’éventualité d’une implosion du Nigeria d’ici une dizaine d’années, l’objectif de Washington serait de provoquer des troubles en vue de justifier une intervention « humanitaire » et de négocier un mandat onusien pour envoyer des troupes occuper le territoire et obtenir in fine un accès illimité aux ressources naturelles de la région48. Bien entendu, ces théories de la conspiration n’épargnent pas non plus la classe politique locale. Pour les Sudistes, Boko Haram serait surtout un complot de l’opposition nordiste en vue de miner l’assise d’un gouvernement présidé par un chrétien. Dans un tel scénario, Al-Qaïda fait office de simple

1980, il a fallu ériger sur son campus une sorte de « mur de la honte » pour séparer la mosquée et l’église. Avec le retour à un régime civil en 1979, le parti d’opposition au pouvoir dans le Sud-Ouest yorouba a pour sa part été accusé de favoriser les chrétiens quand il a entrepris de restituer aux missionnaires les écoles confisquées du temps de la dictature militaire. Cf. Toyin Falola, Violence in Nigeria: The Crisis of Religious Politics and Secular Ideologies, New York, University of Rochester Press, 1998, pp. 175-177. 45. Maryam Yahya, « Polio Vaccines, ‘No Thank You !’ Barriers to Polio Eradication in Northern Nigeria », African Affairs, vol. 106, n°423, 2007, pp. 185-204 ; Judith Kaufmann, Harley Feldbaum, « Diplomacy And The Polio Immunization Boycott In Northern Nigeria », Health Affairs, vol. 28, n°4, 2009, pp. 1091-1101 ; Douglas Anthony, Poison and Medicine : Ethnicity, Power, and Violence in a Nigerian City, 1966 to 1986, Oxford, James Currey ; Elisha Renne, The Politics of Polio in Northern Nigeria, Bloomington, Indiana University Press, 2010. 46. Sanusi Lamido Sanusi, « The West and the Rest. Reflections on the Intercultural Dialogue about Shariah », in Philip Ostien, Jamila Nasir, Franz Kogelmann (dir.), Comparative perspectives on Shariʿah in Nigeria, op. cit, p. 261. 47. Green-White Coalition, « Boko Haram: A CIA covert operation », Desert Herald, février 2012, pp. 38-39. 48. Bizarrement, ces rapports américains ne font en fait pas référence à Boko Haram. Bien que publié en février 2011, le dernier en date table plutôt sur un affrontement entre le califat de Sokoto et le MEND à l’horizon 2030. Comme souvent dans ce genre d’études, les auteurs se nourrissent exclusivement d’une littérature anglo-saxonne qui fait la part belle aux théories de l’État failli et qui écarte les points de vue différents des auteurs venus d’autres horizons, y compris les Nigérians anglophones. Les arguments retenus ne sont pas contrebalancés et vont tous dans le sens d’une partition confessionnelle du Nigeria. À partir du constat économique d’une aggravation des écarts de développement entre le Nord et le Sud, les analystes militaires américains reprennent ainsi à leur compte la thèse du clash des civilisations. Cf. National Intelligence Council,Mapping Sub-Saharan Africa’s Future, Washington, NIC, 2005, p. 16 ; Christopher Kinnan et al., Failed State 2030 : Nigeria—A Case Study, Maxwell Air War College (Alabama), Center for Strategy and Technology, 2011.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 20 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm prestataire de services et d’artificiers. À défaut de promouvoir un projet de société islamique, l’attentat contre l’ONU, lui, prend tout son sens car il a réussi à démontrer que Goodluck Jonathan n’était pas capable de faire régner l’ordre. Autre élément de preuve, les partisans de la thèse du complot nordiste mettent en évidence les complicités locales dont a pu bénéficier Boko Haram. Ils évoquent notamment le cas de l’ancien gouverneur du Borno, Ali Modu Sheriff, dont un ministre des Affaires religieuses, Bugi Foi, a été tué aux côtés de Mohammed Yusuf lors de l’insurrection de 2009. Très controversé, ce pilier de la politique locale a en l’occurrence été suspecté de chercher à recruter des almajirai de Boko Haram pour liquider l’opposition régionale et imposer son poulain à l’approche du suffrage de 2011. En vain d’ailleurs, puisque le candidat d’Ali Modu Sheriff a précisément été tué par des membres de la secte, visiblement dans un esprit de revanche suite à la sanglante répression de 2009. L’idée que Boko Haram pouvait servir à déstabiliser le gouvernement de Goodluck Jonathan n’en a pas moins gagné du terrain au vu des suspicions qui ont pesé sur d’autres éminents Nordistes comme le général Ibrahim Babangida au moment de l’attentat d’Abuja pour les cérémonies du 50e anniversaire de l’indépendance en 2010. De façon significative, la théorie du complot est tout aussi prégnante dans le Nord. Vu de Kano, de Kaduna ou de Maiduguri, Boko Haram serait en réalité une machination destinée à discréditer l’Islam pour justifier une division de facto et, partant, la sécession des chrétiens du Sud… et des réserves pétrolières du delta. Une telle partition confessionnelle viserait notamment à se débarrasser de la charge financière des régions pauvres et sahéliennes du Nord49. À meilleure preuve, la secte de Mohammed Yusuf s’en prend essentiellement à des musulmans. De plus, elle dessert la cause du Nord car elle aggrave son retard en matière de développement en interdisant aux croyants de voter, d’aller à l’école et de postuler à des emplois dans la fonction publique. À en croire certains, le nom Boko Haram (« L’école est un péché ») serait même une fabrication de la presse et des chrétiens pour dénigrer le mouvement, qui préfère se faire appeler Jama’atu Ahlis-Sunnah Lidda’awati Wal Jihad. D’aucuns voient d’ailleurs dans les attentats de la secte la main des services secrets nigérians plus que de l’étranger. En effet, le mouvement était très infiltré par les State Security Services (SSS) : chargé d’espionner Mohamed Yusuf, Aliyu Tishau (ou Teshako, selon les orthographes) a ainsi défrayé la chronique parce qu’il s’est converti à l’Islam et a rejoint Boko Haram avant d’être arrêté par les autorités puis relâché dans des circonstances encore mal éclaircies en septembre 2011. Sur place, des observateurs remarquent également que la secte a parfois bénéficié de la complicité de la police et de l’armée, ce qui a permis à ses militants les plus aguerris de revêtir des uniformes militaires pour se livrer à des exactions et des viols en vue de discréditer les forces de l’ordre… à moins que ce ne soit le contraire, quand des soldats ont signé leurs méfaits en prétendant qu’il s’agissait de Boko Haram ! À dire vrai, il est difficile de savoir si les islamistes ont vraiment réussi à infiltrer l’appareil sécuritaire de l’État comme le prétend le président Goodluck Jonathan. La thèse d’une connivence avec les anciens escadrons de la mort de la dictature du général Sani Abacha, qui ont partiellement réintégré la police, paraît surtout répondre à la stratégie de communication de l’actuel gouvernement, qui se présente comme démocratique. Mais sur le terrain, les compromis passés avec les militants de Boko Haram témoignent plutôt de la faiblesse, de la corruption et des dysfonctionnements habituels de policiers mal équipés et démotivés, notamment en milieu rural. Mohammed Yusuf interdisait formellement à ses fidèles de travailler pour la police ou l’armée. On voit donc mal par quel tour de passe-passe doctrinaire les militants de Boko Haram auraient pu justifier une stratégie de pénétration et d’endoctrinement délibérés des forces de sécurité. Dans tous les cas, les Nordistes ne manquent pas de souligner que le mouvement de Mohammed Yusuf a aussi pu servir les intérêts d’Abuja afin de gêner un gouvernement régional aux mains de l’opposition dans le Borno. À en croire ses détracteurs, le président Olusegun Obasanjo aurait

49. Rappelons à cet égard qu’en 1990, des officiers chrétiens de la Middle Belt, financés par un homme d’affaires évangéliste du Delta, avaient mené une tentative de coup d’État qui réclamait l’expulsion de la fédération des États septentrionaux de Sokoto, Katsina, Borno, Kano et Bauchi.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 21 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm par exemple dépêché un émissaire spécial, Jerry Gana, pour payer la caution de Mohammed Yusuf et le faire libérer des geôles où l’avait enfermé le gouverneur Ali Modu Sheriff en 2008. À la même époque, le chef de l’État aurait également envoyé un avion pour ramener le leader de la secte à Abuja et négocier un compromis avec lui, un peu comme il l’avait fait avec Asari Dokubo dans le delta fin 200450. Lors des présidentielles de 2007 et 2011, les troubles du Borno ont ensuite servi de prétexte pour empêcher le principal candidat de l’opposition, Mohamed Buhari, de poursuivre sa campagne jusqu’à Maiduguri. Après l’élection de Goodluck Jonathan, encore, la menace islamiste du Nord a dissuadé les rebelles du delta pétrolifère de reprendre le combat en les ressoudant autour de « leur » président, qui était lui-même un Ijaw. Aujourd’hui, enfin, la possibilité d’une connexion avec Al-Qaïda et la présence de Tchadiens ou de Nigériens parmi les insurgés permettent aux politiciens d’Abuja de solliciter l’aide des Occidentaux, de trouver des boucs émissaires à l’étranger et d’occulter leurs propres responsabilités dans l’origine profonde de cette révolte sociale. C’est au nom de la lutte contre le terrorisme que le gouvernement a prévu d’allouer un quart du budget de l’année 2012 aux forces de sécurité : un record depuis la fin de la dictature militaire en 1999, et la promesse de fructueux contrats51.

VI. Un révélateur du politique

À sa manière, Boko Haram est donc un révélateur du politique : non parce qu’il serait porteur d’un nouveau projet de société, mais parce qu’il catalyse les angoisses d’une nation inachevée et dévoile les intrigues d’un pouvoir mal légitimé. La relation de la secte au gouvernement régional du Borno est particulièrement emblématique à cet égard. À travers un processus d’instrumentalisation (plutôt que d’assimilation) réciproque, elle témoigne en effet de pratiques politiques que les Nigérians désignent sous le nom de democrazy et de godfatherism, en référence aux « parrains » mafieux qui tirent les ficelles dans l’ombre52. Ainsi, les gouverneurs ont l’habitude de recruter des gangs pour éliminer leurs opposants locaux au moment des élections, que ce soit dans le Sud à dominante chrétienne ou dans les États musulmans du Nord. Dans les régions septentrionales, par exemple, ils ont utilisé des milices appelées Yan Daba à Kano, Kawaye à Kaduna, Yan Mage à Katsina, Kalare à Gombe, Tarafuka à Bauchi et Ecomog dans le Borno et Yobe. Munis de bâtons et d’épées, ces groupes n’ont généralement pas d’armes à feu. Mais ils peuvent être extrêmement violents et recrutent parfois dans les milieux les plus conservateurs des étudiants coraniques et des almajirai, à l’instar des Sara-suka (« ceux qui coupent et tranchent ») à Bauchi et Gombe. Malgré son rejet d’un État « laïque » et sa profession de foi en faveur de l’établissement d’une république islamique, Boko Haram a ainsi entretenu des relations pour le moins ambiguës avec les autorités du Borno. Après avoir accepté en 2000 de participer à un comité officiel en vue d’étendre le domaine d’application pénal de la charia dans la région, Mohammed Yusuf a notamment négocié un modus vivendi avec le gouverneur Ali Modu Sheriff à l’approche des élections de 2003. En échange du soutien de la secte, ce dernier a donné à un fidèle de Boko Haram, Bugi Foi, le portefeuille du ministère des Affaires religieuses, qui allait être restructuré en 2005. Mais l’accord n’a pas tenu longtemps. Soucieux de sa réputation, Mohammed Yusuf avait lui-même refusé d’entrer dans le gouvernement régional du Borno et il s’est rapidement querellé avec Ali Modu Sheriff à propos des modalités d’application de la charia. De fait, les autorités locales ont surtout cherché à utiliser l’Islam comme un

50. Accusé par la police d’avoir cherché à recruter des terroristes et reçu des financements d’Al-Qaïda au Pakistan, Mohammed Yusuf a en fait été arrêté à deux reprises, en 2007 et 2008, et à chaque fois acquitté par les juges d’Abuja, faute de preuves. 51. Rappelons à cet égard que la junte du général Sani Abacha avait également créé une agence de lutte contre le terrorisme afin de liquider ses opposants. 52. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Vers un nouveau régime politique en Afrique subsaharienne ? Des transitions démocratiques dans l’impasse, Paris, Études de l’IFRI, 2009.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 22 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm argument de campagne. Après le départ de Bugi Foi, Boko Haram a alors recyclé une partie des jeunes miliciens Ecomog, lâchés après le scrutin de 200353. De ce point de vue, les modalités d’insertion de la secte dans la politique politicienne du Nigeria ne diffèrent pas fondamentalement de la trajectoire d’autres mouvements insurrectionnels dans le Sud à dominante chrétienne, à l’instar de la Niger Delta People’s Volunteer Force (NDPVF) d’Asari Dokubo après les élections de 2003 et sa brouille avec le gouverneur du Rivers, . Dans le Nord, les élus qui ont voulu recruter des gangs et utiliser la charia pour se débarrasser des oppositions locales et promouvoir leur propre carrière ont en fait créé des monstres incontrôlables qui ne sont pas sans rappeler la dérive xénophobe des « milices » ethno-nationalistes du delta et du pays ibo ou yorouba. En effet, ils ont permis aux religieux d’interférer dans le champ politique et de contester au nom de Dieu les décisions prises par les gouverneurs des États appliquant le droit coranique. En outre, ils ont fourni des armes, au sens littéral comme figuré, à des groupes qui contestaient l’ordre établi tout en frayant avec une partie de l’élite, à l’instar du gouverneur de Yobe, Bukar Abba Ibrahim, dont le fils est mort au combat dans les rangs des « talibans » en 2004. Certes, le mouvement Boko Haram se distingue d’autres organisations rebelles comme l’OPC, le MASSOB et le MEND car il ne tient pas de discours ethniques, autonomistes ou sécessionnistes. Mais sa revendication en faveur d’une application intégrale de la charia au niveau national n’est absolument pas envisageable pour le Sud à dominante chrétienne. Elle revient donc à entériner de facto l’idée d’une séparation avec le Nord musulman. Le problème n’est d’ailleurs pas nouveau. Dès 1976, la demande de création d’une Cour d’appel de la charia avait ainsi répondu au besoin du Nord d’affirmer son identité culturelle par opposition à la domination économique du Sud54. Au sortir de la dictature militaire du général Sani Abacha, qui était d’origine kanouri, les musulmans ont ensuite eu le sentiment de perdre le pouvoir politique avec l’élection en 1999 d’un président chrétien et yorouba, Olusegun Obasanjo, qui s’est empressé de reprendre en main une armée autrefois dominée par les Haoussa et certains peuples de la ceinture centrale du pays, la Middle Belt. La demande d’extension du domaine pénal de la loi coranique a alors permis aux États du Nord de revendiquer leur autonomie en testant la solidité et la flexibilité du système fédéral, quitte à prendre en otage leurs minorités chrétiennes afin de négocier des concessions auprès du gouvernement à Abuja55. La milice islamiste Hisba, qui n’est pas rattachée à un courant islamiste en particulier, a par exemple été créée et soutenue par le gouverneur de Kano en vue de contester la mainmise du pouvoir central sur les affaires de police au niveau local56. De façon significative, les mouvements qui nourrissaient des velléités sécessionnistes dans le Sud ont eux-mêmes interprété l’agitation en faveur de la charia comme une revendication d’émancipation des musulmans du Nord57. Dans un contexte de cristallisation des tensions politiques autour des appartenances confessionnelles, la dérive terroriste de Boko Haram a également ravivé le spectre jihadiste d’une guerre sainte qui, dans l’imaginaire post-colonial du Nigeria, renvoie directement à l’histoire de la création du califat de Sokoto et de la conquête peule d’Ousman dan Fodio jusqu’aux marches de l’empire yorouba d’Oyo au xixe siècle.

53. Parmi ces derniers se trouvait par exemple Ali Sanda Umar Konduga. Surnommé « Usman Al-Zahawari », celui-ci a finalement été arrêté et a avoué qu’il travaillait pour le compte d’un sénateur de la circonscription du Borno Sud, Ali Ndume, qui avait rejoint le PDP parce qu’il s’était disputé avec Ali Modu Sheriff et qu’il n’avait pas réussi à gagner les primaires de l’ANPP en vue d’être le candidat du parti aux élections régionales de 2011. 54. David Laitin, « The Sharia debate and the origins of Nigeria’s Second Republic », Journal of Modern African Studies, vol. 20, n°3, 1982, pp. 411-430. 55. Johannes Harnischfeger, Democratization and Islamic Law: The Sharia Conflict in Nigeria, Francfort, Campus Verlag, 2008, p. 127 ; Sanusi Lamido Sanusi, « Politique et Charia dans le Nord du Nigeria », in René Otayek, Benjamin Soares (dir.), Islam, État et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009, p. 287 ; Philip Ostien, « Ten Good Things about the Implementation of Shari‘a in Some States of Northern Nigeria », Swedish Missiological Themes, vol. 90, n°2, 2002, pp. 163-174. 56. Six autres États du Nord Nigeria se sont d’ailleurs dotés de pareilles milices, dont certaines ont un statut d’ONG. Cf. Rasheed Olaniyi, « Charia, groupes d’autodéfense et gouvernement local à Kano (Nigeria) », in Claire Bénit-Gbaffou, Seyi Fabiyi, Elisabeth Peyroux (dir.), Sécurisation des quartiers et gouvernance locale : enjeux et défis pour les villes africaines (Afrique du Sud, Kenya, Mozambique, Namibie, Nigeria), Paris, Karthala, 2010, pp. 303-322. 57. Voir par exemple la position d’un leader de l’OPC à ce sujet : Michael Ogbeidi (dir.), Leadership Challenge: Gani Adams and the Oodua People’s Congress, Lagos, Publishers Express, 2005, p. 168.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 23 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm En réalité, l’islamisation de la région a surtout suivi les chemins du négoce à partir du exi siècle, plus que des raids et de l’esclavage58. Dans la Middle Belt, elle a également pu recouper les logiques d’expansion de corporations professionnelles59. Relayées par le puissant lobby de la Christian Association of Nigeria (CAN), les craintes des chrétiens du Nigeria n’en ont pas moins réveillé le fantasme d’une islamisation forcée, notamment dans la région du Plateau60. De fait, les déclarations intempestives de certains groupes fondamentalistes ont alimenté la peur. Officiellement chargée de maintenir l’ordre moral et de veiller au respect de la charia, la milice Hisba s’est par exemple vantée d’avoir converti 565 personnes rien qu’à Kano entre 2004 et 200661. Dans le Sud, des extrémistes à la tête de mouvements de lutte armée ont par ailleurs puisé leurs références dans un Islam radical. À Port Harcourt, Asari Dokubo, un converti, s’est réclamé du modèle révolutionnaire iranien et a nommé son fils Oussama en hommage à qui l’on sait62. À Lagos, le leader de la faction la plus dure de l’OPC, Ganiyu Adams, a quant à lui été éduqué dans une école secondaire de la société Ansar Ud Deen et son hagiographe l’a comparé à l’ayatollah Rouhollah Khomeini parce que celui-ci n’avait pas non plus suivi d’études universitaires63 !

VII. Une radicalisation en guise d’islamisation ?

La poussée de l’Islam n’est pourtant pas évidente dans un pays dont les recensements évitent soigneusement de poser des questions sur les appartenances confessionnelles. Les musulmans du Nord reprochent en l’occurrence au colonisateur d’avoir bloqué l’expansion de l’Islam sahélien vers la mer, pendant que les chrétiens du Sud accusent les Britanniques d’avoir délibérément favorisé l’aristocratie haoussa-peule du califat de Sokoto64. Réalisés juste avant et après l’indépendance, les deux derniers recensements comprenant des données confessionnelles livrent en fait des résultats surprenants puisqu’ils montrent une légère diminution de la proportion de musulmans à l’échelle du Nigeria– de 47,4 % de la population en 1953 à 47,2 % en 1963. Entre-temps, le pourcentage de chrétiens a sensiblement progressé – de 21,1 % à 34,3 % – essentiellement au détriment des religions traditionnelles. À l’époque, la région Ouest était en fait la seule où le nombre de musulmans avait proportionnellement augmenté, mais à un rythme bien moindre que chez les chrétiens. Même le Nord avait vu sa proportion de musulmans diminuer face à l’arrivée massive de migrants du Sud65. La baisse est d’autant plus significative que le recensement de 1963 est réputé avoir été manipulé en gonflant les chiffres de la population du Nord66. Depuis lors, les hypothèses en la matière ont essentiellement relevé de l’extrapolation ou dela spéculation, avec des proportions de musulmans oscillant entre 47 % en 1978, 48 % en 1997 et 50 % en 200767. Bien entendu, les religieux s’en sont mêlés en manipulant les chiffres dans un sens comme dans

58. Alhadji Bouba Nouhou, Islam et politique au Nigeria : genèse et évolution de la chari’a, Paris, Karthala, 2005. 59. Elizabeth Isichei (dir.), Studies in the History of , Nigeria, Londres, Macmillan, 1982. 60. Sachant que le diable se cache dans les détails, des évangélistes s’inquiètent par exemple des couleurs blanche et verte du drapeau nigérian. Conçu en 1959, celui-ci est censé évoquer la paix et l’abondance des ressources forestières du pays. Mais les fondamentalistes chrétiens y voient désormais une menace cachée à travers la couleur verte de l’Islam. Pour dénoncer les « plans secrets » des musulmans, ils recourent par ailleurs à des sortes de Protocoles des sages de Sion et invoquent souvent une littérature américaine engagée, notamment un livre que je n’ai pas pu consulter : Edwin et Jody Mitchell, The Two Headed Dragon of Africa, Santa Fe, Josiah Pub., 1991. 61. Rasheed Olaniyi, Hisba and the Sharia Law Enforcement in Metropolitan Kano, Zaria, IFRA, polycop., 2009, p. 15. 62. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Conversion to Islam and Modernity in Nigeria: A View from the Underworld », Africa Today, vol. 54, n°4, 2008, pp. 71-87. 63. Olugbenga Onasanya, « Who is Gani Adams? A Biographical Sketch », in Michael Ogbeidi (dir.), Leadership Challenge: Gani Adams and the Oodua People’s Congress, Lagos, Publishers Express, 2005, pp. 72-74. 64. Isidore Nwanaju, Christian-Muslim Relations in Nigeria, Lagos, Free Enterprise, 2005, p. 4. 65. Philip Ostien, Percentages By Religion of the 1952 and 1963 Populations of Nigeria’s Present 36 States, Oxford, Nigeria Research Network Background Paper n°1, 2012. 66. Ita Inyang Ekanem, The 1963 Nigerian Census: A Critical Appraisal, Benin City, Ethiope Publishing Corporation, 1972. 67. Alford Welch, « Islam », in John Hinnells (dir.), A Handbook of Living Religions, Harmondsworth, Peguin, 1991, pp. 164-165 ; John Owhonda, Nigeria: A Nation of Many Peoples, Parsippany (N.J.), Dillon Press, 1998, pp. 6-7 ; John Paden, Faith and Politics in Nigeria: Nigeria as a Pivotal State in the Muslim World, Washington D.C., United States Institute of Peace Press, 2008.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 24 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm l’autre. Dans un de ses pamphlets, la CAN affirmait par exemple que 60 % de la population était chrétienne et que le recul de l’Islam avait précisément conduit les musulmans à engager une « guerre sainte » pour contre-attaquer68. Lors d’un séminaire tenu en 1977, des représentants de l’Islam prétendaient quant à eux que 75 % des Nigérians étaient musulmans, alors même que leurs élus allaient s’avérer minoritaires dans les assemblées constituantes de 1979 et 198969. À défaut d’un véritable recensement confessionnel, les chercheurs n’ont guère été plus convaincants en la matière. Dans un même article, le professeur François-Georges Dreyfus soutenait ainsi que les musulmans du Nigeria étaient devenus majoritaires et qu’ils représentaient désormais 40 % de la population, sans craindre la contradiction et sans préciser son mode de calcul70. Tablant sur une « instauration » de la charia en 1999, plutôt que sur une extension de son domaine d’application pénal, il en tenait pour preuve la multiplication des confréries. D’autres se sont pour leur part inquiétés de la multiplication des mosquées et des ONG islamiques71. Mais dans ce dernier cas, l’augmentation du nombre d’associations ne permet pas de conclure à une poussée du fondamentalisme et montre surtout que les musulmans ont investi un créneau autrefois dominé par les chrétiens. Le constat est assez rassurant car les ONG symbolisent la « société civile » telle que définie par la modernité occidentale et sont devenues des outils assez conventionnels de lobbying sur la scène politique intérieure et internationale72. Quant à la multiplication des mosquées et des confréries, elle témoigne tout aussi bien d’une fragmentation et d’un affaiblissement de l’Islam, de la même manière que le foisonnement des églises évangéliques participe d’un éclatement de la chrétienté73. Dans tous les cas, il convient assurément de pondérer la « poussée » de l’Islam nigérian par les avancées d’un christianisme qui est lui aussi en pleine expansion, notamment grâce au succès des Églises pentecôtistes. Aujourd’hui, les phénomènes de conversion d’une religion à l’autre restent en fait limités et très rarement contraints, au Sud comme au Nord. Les tentatives de prosélytisme des musulmans, en l’occurrence, ne sont pas l’apanage des islamistes « modernes ». Les confréries soufies traditionnelles ne sont pas en reste et les jeunes Tijani de Fityan al-Islam (« Héros de l’Islam ») se sont par exemple vantés d’avoir converti une dizaine de milliers d’habitants du Plateau au cours des dernières années74. À l’indépendance, le gouvernement de la région Nord a pour sa part entrepris une campagne officielle de da’wa (conversion), brutalement interrompue par le coup d’État militaire de 1966. Dans le Sud, les conversions à l’Islam ont en revanche résulté d’initiatives personnelles75. Au sortir de la guerre du Biafra, quelques Ibo ont décidé de devenir musulmans pour négocier leur insertion dans le camp victorieux et se placer sous la protection des soldats haoussa restés en poste dans l’ancienne région Est76. Selon le chercheur pakistanais Abdur Rahman Doi, ils étaient moins de 4 000 au début des années 198077. Dans le Nord, des migrants chrétiens ibo ont également choisi de devenir musulmans pour accéder aux marchés et aux réseaux commerçants de la communauté haoussa78. À certains égards, leur démarche

68. Jan Harm Boer, Studies in Christian-Muslim Relations. Christian: Why this Muslim Violence?, op. cit., pp. 22, 248. 69. Joseph Kenny, « Sharia and Christianity in Nigeria: Islam and a ‘Secular’ State », Journal of Religion in Africa, vol. 26, n°4, 1996, p. 360. 70. François-Georges Dreyfus, « Religion et politique en Afrique subsaharienne », Géostratégiques, n°25, octobre 2009, pp. 57-68. 71. Mohamed Mohamed Salih, « Islamic NGOs in Africa », in Alex de Waal (dir.), Islamism and its Enemies in the Horn of Africa, Londres, Hurst, 2004, p. 157. 72. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Les ONG humanitaires islamiques en Afrique : une menace ou un bienfait ? », Sécurité globale, n°16, pp. 9-19. Dans le cas du Nigeria, voir aussi John Lucas, « The State, Civil Society and Regional Elites: A Study of Three Associations in Kano, Nigeria », African Affairs, vol. 93, n°370, 1994, pp. 21-38. 73. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « L’islamisation de l’Afrique noire : un jugement à nuancer », Débats (Courrier d’Afrique de l’Ouest), n°46-47, juillet 2007, pp. 57-60. 74. Philip Ostien, A Survey of the Muslims of Nigeria’s North Central Geo-political Zone, op. cit., p. 17. 75. Sur la conversion soudaine du village d’Anohia dans la région d’Afikpo en 1958, après le retour d’un migrant ibo devenu riche et musulman en voyageant à l’étranger, voir Simon Ottenberg, « A Moslem Igbo Village », Cahiers d’études africaines, vol. 11, n°42, 1971, pp. 231-260. 76. Umar Birai, « Islamic Tajdid and the Political process in Nigeria », in Martin Marty, Scott Appleby (dir.), Fundamentalisms and the State: Remaking Polities, Economies, and Militance, Chicago, University of Chicago Press, 1993, p. 185 ; Egodi Uchendu, « Being Igbo and Muslim: The Igbo of South-Eastern Nigeria and the Conversions to Islam, 1930 to Recent Times », The Journal of African History, vol. 51, n°1, 2010, pp. 63-87. 77. Abdur Rahman Doi, , Zaria, Gaskiya Corporation, 1984, p. 182. 78. Douglas Anthony, « Islam does not belong to them: Ethnic and Religious Identities among male Igbo converts in Hausaland »,

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 25 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle des Ibo qui revendiquent une origine juive afin d’obtenir des visas pour Israël79. Mais le déterminant de ces conversions est souvent économique, quoi qu’il en soit des convictions personnelles et des formes d’interactions religieuses80. Parfois, il apparaît même que les efforts de prosélytisme sont syncrétiques. Pour répondre à la concurrence des « born again » et des Églises du Réveil, les Yorouba musulmans du Sud ont ainsi adopté les méthodes des évangélistes : ils invoquent une théologie de la prospérité, prônent la réussite individuelle, établissent des cités célestes, organisent des camps de prière, tiennent des veillées de nuit et célèbrent le jour du seigneur le dimanche plutôt que le vendredi. Les emprunts, en l’occurrence, sont réciproques et datent en réalité du début du xxe siècle, quand les mosquées s’inspirent de l’architecture des églises pendant que les autels de la secte chrétienne des Aladura sont peints en blanc en imitant le modèle des lieux de culte musulmans81. Sur le long terme, l’islamisation du Nigeria est davantage susceptible de provenir d’une « bombe à retardement » démographique, et non d’un prosélytisme agressif. Selon les données du recensement de 2006, le taux de croissance de la population des États du Nord est à peu près équivalent à celui du Sud. À en croire certains observateurs, il est en outre possible que le nombre d’habitants des zones sahéliennes ait été gonflé car il conditionne en partie le calcul du montant du budget fédéral qui est redistribué aux régions. Mais les enquêtes de santé publique montrent que le taux de fécondité des États du Nord-Est et du Nord-Ouest, qui tourne autour de sept enfants par femme en âge de procréer, est bien supérieur à celui du Sud, qui est inférieur à cinq82. À terme, il se pourrait donc que le Nigeria devienne avec l’Indonésie le premier pays musulman du monde si l’on suit les projections de l’Institut national d’études démographiques (INED) au-delà de 2050. Certes, il n’y a pas lieu ici de spéculer sur l’évolution des répartitions confessionnelles à l’intérieur même des frontières nationales. Notons simplement que ce différentiel de fécondité est sans doute dû à l’amorce d’une révolution démographique qui commence à toucher les grandes villes du Sud mais pas encore les campagnes du Nord. Si les Nigérians ne sont pas les derniers à questionner l’influence de la polygamie et de la religion sur les comportements sexuels, il convient surtout de ne pas confondre l’éventualité d’une islamisation « douce » avec un processus de radicalisation de l’Islam. En effet, une certaine littérature engagée a beaucoup glosé sur ce qui était présenté comme une « introduction » de la charia en 1999, alors qu’il s’agissait d’une extension du domaine d’application pénal de la loi coranique83. Rappelons à cet égard qu’auparavant, les 19 États de l’ancienne région Nord avaient chacun maintenu une cour d’appel pour les affaires civiles relevant de la charia84. Depuis 1999, la nouveauté a surtout consisté à établir des tribunaux pénaux coraniques de première instance dans 12 États sahéliens. Aujourd’hui, il est de bon ton de souligner que l’application de la charia était plus « humaine » et « civilisée » du temps de la colonisation britannique, qui en avait banni les peines les plus cruelles, comme les mutilations, les crucifixions et les lapidations. Dans le Nord Nigeria, la loi islamique n’en a pas moins été une des plus strictes de l’empire, avec Aden85. Jusqu’à la fin des années 1940, en outre, les tribunaux coraniques de l’époque traitaient aussi d’affaires criminelles, à tel point

Africa, vol. 70, n°3, pp. 422-441. 79. Les mythes à ce sujet sont en l’occurrence alimentés par les historiens du cru. Voir par exemple Onwukwe Alaezi, Ibos: Hebrew Exiles from Israel. Amazing Facts and Revelations, Aba, Onzy Publications, 1999 ; Ik Ogbukagu, The Igbo and the Riddles of their Jewish Origins, Enugu, Chobikate, 2001. 80. Murray Last, « Some Economic Aspects of Conversion in Hausaland (Nigeria) », in Nehemia Levtzion (dir.), Conversion to Islam, New York, Holmes & Meier, 1979, pp. 236-246. 81. John David Yeadon Peel, « Un siècle d’interactions entre Islam et christianisme dans l’espace yorouba », Politique africaine, n°123, octobre 2011, pp. 27-50 ; Humphrey Fisher, « Independency and Islam: The Nigerian Aladuras and Some Muslim Comparisons », The Journal of African History, vol. 11, n°2, 1970, pp. 269-277. 82. National Population Commission, Nigeria Demographic and Health Survey 2008, Abuja, Federal Republic of Nigeria, 2008, p. 54. 83. Pour une analyse de cette confusion, voir Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Le Nigeria à l’épreuve de la ‘sharia’ », Études vol. 394, n°2, 2001, pp. 153-164. 84. Les États de la Benue et du Plateau se partageaient en l’occurrence une même cour d’appel coranique. Cf. Philip Ostien, Albert Dekker, « Sharia and National Law in Nigeria », in Jan Michiel Otto (dir.), Sharia Incorporated: A Comparative Overview of the Legal Systems of Twelve Muslim Countries in Past and Present, Leiden, Leiden University Press, 2010, p. 578. 85. James Norman Dalrymple Anderson, Islamic Law in Africa, Londres, Her Majesty Stationery Office, 1954, p. 11.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 26 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm qu’ils avaient trouvé le moyen de condamner à mort un non musulman86. À présent, les aspects pénaux de la charia n’ont force de loi que pour les musulmans et, concrètement, sont peu appliqués si l’on en juge par le nombre de sentences rendues et exécutées. À partir de 1999, l’extension du droit coranique aux règles de conduite dans la vie publique a certes eu des conséquences pour les chrétiens du Nord, par exemple en ce qui concerne la prohibition de l’alcool, la façon de s’habiller ou la séparation des sexes dans les transports. Auparavant, les minorités de la région se plaignaient déjà de discriminations quand les tribunaux islamiques rejetaient leurs demandes de permis de construire et tranchaient systématiquement les conflits fonciers en faveur des musulmans. Depuis lors, elles ont aussi le sentiment que la charia a ravivé la stigmatisation des « mécréants » (arne ou kafiri). Mais si les chrétiens du Nord se plaignent d’être considérés comme des citoyens de seconde classe, c’est surtout à cause des lois de discrimination positive qui privilégient l’emploi des autochtones, notamment dans la fonction publique. En l’occurrence, ce n’est pas tant la charia que le système fédéral qui instaure effectivement un traitement différencié des habitants suivant leur lieu de naissance. Il n’est d’ailleurs pas anodin que, parmi de nombreuses recommandations, le comité dirigé par l’ambassadeur Usman Galtimari pour résoudre la crise de Boko Haram ait proposé fin 2011 de suivre le modèle du gouverneur de Sokoto, qui a supprimé les dispositions favorisant les autochtones et pénalisant les citoyens originaires d’autres États du Nigeria87. Sous prétexte de permettre aux régions les plus pauvres de rattraper leur retard de développement, de telles discriminations privent la fonction publique territoriale de personnels compétents et exacerbent les tensions sociales88. En fait d’islamisation du champ judiciaire et politique du Nord Nigeria depuis 1999, on a ainsi assisté à une politisation des questions religieuses. Telle qu’elle a été mise en œuvre, la charia n’avait aucune chance de déboucher sur un modèle saoudien d’État totalitaire complètement régi par l’Islam. Depuis 1999, aucune peine de mort ou de lapidation n’a jamais été appliquée au nom de la loi coranique89. En fonction de leurs intérêts du moment, les politiciens locaux ne se sont d’ailleurs pas privésde contourner la charia, notamment sur la question des condamnations pour apostasie. Le cas du colistier de Muhammadu Buhari au moment des élections présidentielles de 2011 a déjà été mentionné. Mais on pourrait aussi évoquer , le gouverneur de l’Edo depuis 2008 et un ancien syndicaliste né musulman, converti à la chrétienté et jamais inquiété par les fondamentalistes du temps où il vivait à Kaduna. D’une manière générale, il convient de ne pas exagérer la portée révolutionnaire de l’extension du domaine pénal de la charia au sortir de la dictature militaire en 1999. Tant les milieux paysans que les élites urbaines ont exprimé de fortes réticences à l’encontre d’une radicalisation des pratiques islamiques traditionnelles90. Quant à l’aristocratie haoussa-peule, elle s’est toujours montrée hostile à l’application d’une charia susceptible de remettre en cause des principes de succession héréditaire et un système féodal d’exploitation des masses91. Les débats des intellectuels musulmans ont été significatifs à cet égard. Effarés par le sous-développement structurel de leur région, beaucoup ont en effet souligné la nécessité de moderniser la loi coranique plutôt que de la durcir. L’actuel gouverneur

86. La sentence rendue en 1947 ne fut jamais exécutée, pas plus que ne furent appliquées les deux peines de lapidation qui mobilisèrent tant les ONG internationales en 2002-2003. Le conflit de droit de 1947 obligea finalement les Britanniques à restreindre en 1956 l’application pénale de la charia aux seuls musulmans. Cf. Alhadji Bouba Nouhou, « Islam et politique au Nigeria : du malikisme au wahhabisme », Afrique contemporaine, n°201, 2002, p. 74. 87. Le gouvernement est censé publier ce rapport. 88. Le problème vaut bien entendu pour les régions où les chrétiens sont majoritaires. Du temps des dictatures militaires, par exemple, le Plateau avait été administré par des militaires qui étaient accusés de favoriser les musulmans. Après le retour au pouvoir des civils en 1999, les autochtones chrétiens de la région ont donc voté pour des gouverneurs clairement engagés dans un discours offensif à l’égard de l’Islam, à l’instar de Jonah Jang, un Birom élu en 2007. Dans le même ordre d’idées, ils ont pris le contrôle du conseil municipal des banlieues nord de Jos, où se concentrent les musulmans de la ville. Le système fédéral de discrimination positive leur a alors permis d’accaparer les meilleurs postes et d’en exclure les « étrangers » qui n’étaient pas chrétiens. Le procédé n’est pas pour rien dans les violences interconfessionnelles qui ont régulièrement ensanglanté la région à partir de 2001. 89. Philip Ostien (dir.), Sharia Implementation in Northern Nigeria 1999-2006: A Sourcebook, Ibadan, Spectrum Books, 5 vol., 2007. 90. Murray Last, « La charia dans le Nord-Nigeria », Politique africaine, n°79, 2000, pp. 141-152. 91. Mallam Lawan Danbazau, Politics and Religion in Nigeria, Kaduna, Vanguard, 1991, p. 58.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 27 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm de la Banque centrale, Sanusi Lamido Sanusi, a notamment critiqué la vision fondamentaliste d’une charia qui excluait les femmes et aggravait les inégalités sociales en introduisant des peines plus sévères à l’encontre des crimes avec violence commis par des pauvres92. De façon assez étonnante, des personnalités aussi opposées qu’Ibrahim el-Zakzaky et Ahmed An-Na‘im ont finalement pu arriver à des conclusions similaires quant à l’impossibilité d’établir une théocratie au Nigeria. Partisan du modèle révolutionnaire iranien, le premier a dû admettre les limites d’un projet politique religieux dans un cadre fédéral. Proche des Frères républicains soudanais de Mahmoud Mohammed Taha, qui avait été condamné pour apostasie et pendu par la junte de Khartoum en 1985, Abdullahi Ahmed An- Na‘im a quant à lui rappelé qu’historiquement, la codification de la jurisprudence coranique s’était faite indépendamment de l’État et n’avait pas eu besoin du relais des pouvoirs publics pour se développer pendant les trois premiers siècles de l’Islam93. Selon lui, la charia aurait donc gagné à être diffusée sur une base volontaire et consensuelle (ijma‘), plutôt qu’en étant imposée officiellement par les gouverneurs du Nord Nigeria. Au sortir de la dictature militaire en 1999, l’adhésion populaire à un modèle islamique intégriste a ainsi été moins massive qu’il n’y paraissait au premier abord du fait de la pression sociale et de la crainte de l’anathème. De plus, la mise en œuvre pénale de la loi coranique a vite déçu les pauvres qui y voyaient un moyen d’endiguer la corruption, de limiter les abus des riches et de redistribuer les ressources plus équitablement. Au terme de leur mandat, les gouverneurs , Sani Yerima et Saminu Turaki, qui s’étaient respectivement chargés d’appliquer la charia dans les États de Sokoto, Zamfara et Jigawa, ont par exemple été poursuivis devant les tribunaux pour détournements de fonds et diverses malversations. En matière de justice sociale, le désenchantement à l’égard de la loi coranique n’a finalement rien eu à envier aux désillusions qui ont suivi le retour des civils au pouvoir dans un cadre prétendument démocratique. Un tel contexte invite plutôt à reconsidérer la perspective d’une islamisation à travers une secte, Boko Haram, dont certains vont jusqu’à nierle caractère musulman.

VIII. De la différence entre violences « religieuse » et « interconfessionnelle »

Il convient ainsi de s’interroger sur l’hypothèse d’une radicalisation de l’Islam au Nigeria. Au-delà de sa dérive terroriste et du caractère inédit de ses attentats-suicides, Boko Haram n’a sûrement pas été aussi mortifère que la révolte Maitatsine, qui avait fait plus de 4 000 morts rien qu’à Kano en 198094. À bien des égards, la radicalisation des revendications islamiques de la secte s’apprécie plutôt en termes de contenu et non d’intensité de la violence. Il importe cependant d’en relativiser la portée politique. Si le retour à un régime parlementaire a dévoilé la politisation du religieux, la demande de charia était déjà très virulente du temps des dictatures militaires95. De plus, l’instrumentalisation politique de l’Islam par la classe dirigeante du Nord Nigeria n’a rien de nouveau en tant que telle96. Historiquement, il convient en outre de souligner qu’au Nigeria, les mouvements islamistes ont tous fini par rentrer dans le rang.

92. Sanusi Lamido Sanusi, « The West and the Rest. Reflections on the Intercultural Dialogue about Shariah », op. cit., pp. 251-274. 93. Abdullahi Ahmed An-Na‘im, « The Future of Shariah and the Debate in Northern Nigeria », in Philip Ostien, Jamila Nasir, Franz Kogelmann (dir.), Comparative Perspectives on Shariʿah in Nigeria, op. cit, p. 333. 94. Pour un récapitulatif des violences communautaires et sectaires du Nord Nigeria entre 1980 et 2002, voir Enoch Oyedele, « A Historical Survey of the Causes, Nature, Patterns, Contexts, and the Consequences of Violent Communal Conflicts in Nigeria in the 20th Century », in Joel Dada (dir.), Issues in History and International Studies: Essays in Honour of Professor David Sarah Momoh Koroma, Makurdi, Aboki Publishers, 2007, pp. 133-138. 95. Pour une mise en résonance des deux dernières décennies, voir Adigun Agbaje, « Travails of the secular state: Religion, politics and the outlook on Nigeria’s third republic », The Journal of Commonwealth & Comparative Politics, vol. 28, n°3, 1990, pp. 288-308 ; Rotimi Suberu, « The Sharia Challenge: Revisiting the Travails of the SecularState », in Wale Adebanwi, Ebenezer Obadare, (dir.), Encountering The Nigerian State, Basingstoke, Palgrave, 2010, pp. 217-241. 96. Jonathan Reynolds, The Time of Politics. Zamanin Siyasa: Islam and the Politics of Legitimacy in Northern Nigeria, 1950-1966, San Francisco, International Scholars Publ., 1998.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 28 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm Ainsi, il faut se rappeler que même une confrérie aussi bien établie que la Qadiriyya avait, à l’origine, une vocation révolutionnaire au moment dujihad d’Ousman dan Fodio. C’est la colonisation britannique qui a achevé de l’institutionnaliser après le départ des derniers irréductibles du califat de Sokoto, partis en exil au Soudan sans combattre, en se référant à la fuite du Prophète à Médine97. Les mouvements islamistes apparus depuis l’indépendance ont également connu des processus d’assimilation qui ont atténué la portée de leurs revendications réformistes. Sous la coupe de Cheikh Abdullahi Bala Lau, les Izala sont aujourd’hui bien représentés dans les instances gouvernementales du Nord. Quant à Ibrahim el-Zakzaky, maintes fois emprisonné et un moment très isolé du fait de ses positions extrémistes, il a dû se rallier à l’idée d’appliquer la charia dans un État fédéral séculaire, sous peine de perdre ses derniers fidèles en allant contre le sens de l’histoire au sortir de la dictature militaire en 199998. De ce point de vue, il se pourrait que le « canal historique » de Boko Haram finisse aussi par trouver un jour sa place sur l’échiquier politique et religieux du Nigeria. Si l’on veut bien admettre que la radicalisation de l’Islam ne se limite pas à des attentats terroristes, il est en revanche difficile de savoir en quoi la secte serait plus extrémiste et fanatique que ses prédécesseurs. Sa capacité à développer des ramifications internationales et à interférer dans les affaires gouvernementales n’est pas exceptionnelle en soi. A priori, Boko Haram semble plutôt affaiblir et diviser les forces politiques et religieuses des musulmans du Nord. Cependant, la secte est également en train de susciter une certaine unanimité contre elle. Dans les années 1970, l’émergence des Izala avait en l’occurrence obligé les confréries soufies à taire leurs rivalités. Au cours de la décennie suivante, l’insurrection Maitatsine a ensuite poussé les clercs musulmans à se regrouper sous l’égide d’un Conseil des Oulémas créé en 1986. Aujourd’hui enfin, la réunification des deux factions Izala n’est pas anodine. La mort du leader de la faction « Saddam » de Kaduna, cheikh Musa Maigandu, n’y est sans doute pas pour rien99. Mais le défi que représente la secte de Mohammed Yusuf a certainement poussé les Izala à se réconcilier sous la houlette de la faction « Bush » de Jos. De fait, la situation a contraint les différents courants de l’Islam nigérian à formuler ensemble des réponses cohérentes à la double menace de Boko Haram et de la lutte contre le terrorisme. L’objectif était en l’occurrence de contenir la déviance doctrinale de la secte et les velléités d’interférence du gouvernement, qui souhaite à présent réguler et encadrer plus strictement les prêches à la mosquée et les enseignements dispensés dans les écoles coraniques. Réunis en « conclave », des clercs musulmans de diverses tendances ont ainsi commencé par rappeler que l’Islam condamnait le suicide et approuvait l’emploi de la force en cas d’autodéfense100. À ce titre, estimaient-ils, les soldats et les policiers musulmans tués par Boko Haram pouvaient être considérés comme des martyrs parce qu’ils cherchaient à protéger la communauté des croyants. Partant, les représentants des principales écoles de pensée de l’Islam nigérian ont donc légitimé les forces de l’ordre d’un État séculaire. Autre effet paradoxal et rassembleur, Boko Haram a aussi obligé les clercs musulmans à se retrouver autour de valeurs qui transcendaient leurs divergences théologiques101. On a alors assisté à de curieux rapprochements, par exemple entre les Tijani et les « chiites » pour célébrer en commun la fête (maulud) de l’anniversaire de la naissance du Prophète102.

97. Muhammad Sani Umar, Islam and Colonialism: Intellectual Responses of Muslims of Northern Nigeria to British Colonial Rule, Leiden, Brill, 2006. 98. Notons qu’Ibrahim el-Zakzaky était lui-même contesté de l’intérieur par un dissident de la mouvance « chiite », Cheikh Muhammad Nura Dass, qui est parti en 1992 pour établir sa propre fondation, Rasulul Aazam. Plus modéré, celui-ci ne conteste pas la nature séculaire de l’État nigérian. 99. En 1991, celui-ci avait en l’occurrence condamné l’intervention de l’armée américaine et de George Bush en Irak. Il s’était alors opposé à la faction « Bush » de Jos, qui avait refusé de soutenir Saddam Hussein, un mauvais musulman et un dictateur accusé d’avoir envahi un autre pays musulman, à savoir le Koweït. 100. Da’wah Coordination Council of Nigeria, The “Boko Haram” Tragedy: Responses to 26 of the most commonly asked questions regarding the “Boko Haram” crisis and tragedy, Minna, DCCN, 2009. 101. Seules les tensions entre les Izala et les confréries traditionnelles restent particulièrement vives. En effet, les premiers continuent de vilipender les soufis comme des infidèles du fait de leur culte des saints. Encore récemment, au moment des élections de 2011, le cheikh des Tijani, Dahiru Bauchi, affirmait pour sa part qu’il préférerait voter pour un chrétien plutôt que pour un Izala. 102. Muhammad Nur Alkali, Abubakar Kawu Monguno, Ballama Shettima Mustafa, An Overview Of Islamic Actors In Northeastern

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 29 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm En tant qu’insurrection islamiste née d’une grande frustration sociale, Boko Haram est ainsi susceptible de modifier les relations des différentes composantes de la scène politique et religieuse. En revanche, il paraît difficile d’apprécier précisément ses effets à plus ou moins long terme. Il serait notamment délicat de voir dans sa dérive terroriste un échec de l’islam politique103. À notre connaissance, la secte n’a jamais sérieusement ambitionné de conquérir le pouvoir et s’est contentée de développer la vision holistique d’une société où l’État et la religion se confondraient. En outre, ses idées radicales restent complètement étrangères à l’immense majorité des musulmans du Nord. Enfin, un projet politique religieux paraît de toute façon peu plausible dans un pays qui ne compte pas de démocratie chrétienne ou de parti islamiste, y compris dans les minorités qui, précisément, auraient pu être tentées de se mobiliser autour d’identités confessionnelles afin de défendre leurs spécificités culturelles. Les chrétiens de la Middle Belt, par exemple, n’ont guère réussi à se retrouver sur une plateforme politique commune. De même, les musulmans yorouba ne sont pas parvenus à constituer un lobby pour gérer ce que John Peel appelle leur « double complexe d’infériorité » vis-à- vis des Yorouba chrétiens, généralement mieux éduqués, et des Haoussa, qui prétendent pratiquer un Islam plus « pur »104. Aussi convient-il de recentrer le débat sur la question de la violence et de son rapport à l’État, loin des clichés sur un prétendu choc des civilisations entre le Nord et le Sud. Au Nigeria, la singularité de Boko Haram s’apprécie d’abord au regard de son recours à des attentats-suicides. À sa manière, la trajectoire de la secte interroge donc la notion assez ambiguë de « violence religieuse ». Sachant que les confrontations interconfessionnelles ne sont pas toutes d’essence religieuse, il importe en effet de préciser les choses. Conjuguée à l’attrait des médias pour les guerres de religions et la menace terroriste islamiste, la focalisation des décideurs et de certains analystes sur les affrontements entre chrétiens et musulmans est en l’occurrence assez trompeuse. En premier lieu, elle tend à ignorer les religions traditionnelles et à occulter les tensions à l’intérieur de chaque communauté. De plus, elle revient souvent à amalgamer toutes sortes de violences sociales à partir du moment où leurs protagonistes sont de confessions différentes, au risque d’exagérer l’ampleur du problème. Au cours des trois dernières décennies, Abiodun Alao soutient par exemple que, nonobstant le Soudan, le Nigeria serait le pays d’Afrique où les violences dites religieuses auraient provoqué le plus grand nombre de déplacés (cinq millions) et de morts (jusqu’à 50 000 entre 1980 et 2008)105. À l’en croire, ces conflits auraient ainsi tué 1 781 personnes par an en moyenne, soit un résultat supérieur aux estimations des lobbies chrétiens américains sur la période 1999-2009 (1 090), sans parler de la base de données Nigeria Watch de 2006 à 2011 (410)106. À l’inverse, d’autres théories nient quant à elles la possibilité même de « violences religieuses », puisque toutes les confrontations d’ordre confessionnel seraient en fait instrumentalisées par la classe dominante, et donc de nature politique. Au Nigeria, le musulman marxiste Yusufu Bala Usman incarnait parfaitement ce courant de pensée lorsqu’il mettait systématiquement les affrontements entre chrétiens et musulmans sur le compte du pouvoir en vue de diviser pour mieux régner, de manipuler les masses et de les « endormir » avec l’opium du peuple107. Dans un registre moins excessif, d’autres auteurs ont pour leur part argué que l’identification confessionnelle des cibles ou des protagonistes ne signifiait pas forcément que les violences avaient une cause religieuse. Pour les émeutiers, par exemple, les mosquées et les églises sont aussi des objectifs stratégiques car elles constituent des centres d’information et des

Nigeria, Oxford, Nigeria Research Network Working Paper n°2, 2012, p. 31. 103. Olivier Roy, L’Échec de l’islam politique, Paris, Seuil, 1992. 104. John Peel, « The Dilemma of Yoruba Islam », Paris, conférence du Centre d’études africaines à l’EHESS, 14 mai 2008. 105. Rien que dans le Bauchi, l’auteur évoque un total de 10 000 victimes au cours d’une dizaine d’émeutes religieuses entre avril 1991 et février 2009. Cf. Abiodun Alao, Islamic Radicalisation and Violence in Nigeria, Londres, King’s College, Conflict Security and Development Group, 2009, pp. 5, 35, 61. 106. Felice Gaer et al., Annual Report, Washington DC, United States Commission on International Religious Freedom, 2009, p. 57 ; Abiodun Alao, Islamic Radicalisation and Violence in Nigeria, op. cit., 2010, p. 80 ; Nigeria Watch, Nigeria: Third Report on Violence (2006-2011), Paris, Nigeria Watch, 2011. Voir http://www.nigeriawatch.org/index.php?html=7 (consulté le 24 mai 2012). 107. Yusufu Bala Usman, The Manipulation of Religion in Nigeria, 1977-1987, Kaduna, Vanguard Printers and Publishers, 1987.

Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 30 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm abris pour les parties en lice. Selon l’anthropologue Murray Last, elles sont d’abord attaquées parce qu’il s’agit de bâtiments particulièrement visibles dans le paysage urbain, et parce qu’elles symbolisent des points de rencontre communautaires, bien plus que religieux108. À Jos, les fameuses émeutes de septembre 2001 sont ainsi parties des mosquées au moment de la grande prière du vendredi. Mais elles étaient clairement animées par des motivations ethniques et non religieuses109.

Conclusion

Une analyse plus fine de l’enchaînement des événements qui conduisent à des violences interconfessionnelles oblige ainsi à prendre en compte toute une multitude de facteurs. Parmi eux, la religion apparaît alors comme un élément plus ou moins important qu’il convient d’apprécier à sa juste mesure, sans le grossir démesurément et sans l’évacuer complètement. De par sa dimension symbolique, la religion joue souvent un rôle dans le processus de mobilisation des protagonistes, surtout lorsque les appartenances confessionnelles recoupent les allégeances ethniques. Point de rencontre des aires d’influence chrétienne du Sud et musulmane du Nord, la ville de Jos est significative à cet égard. Centre de prosélytisme pour les évangélistes comme pour les islamistes, qui y ont fondé les Izala en 1978, elle oppose en effet dessettlers (colons) et des natives (autochtones) qui se disputent l’accès à la terre et aux prébendes de l’État. Or les revendications foncières des uns et des autres ont vite pris un tour religieux en voulant s’approprier la paternité du nom de la ville. Selon les Haoussa musulmans, Jos renverrait en l’occurrence au mot « païen » (majus) ; selon les Birom chrétiens, à l’acronyme des premières missions de la région (Jesus our Saviour)110. Dans tous les cas, la récurrence des affrontements intercommunautaires a fini par « injecter » de la religion dans un conflit de nature politique et économique. À mesure que les violences prenaient de l’ampleur, les habitants de Jos se sont bientôt regroupés dans des ghettos confessionnels où ils ont constitué des milices d’autodéfense en se plaçant sous la protection d’Allah ou de Jésus111. En d’autres termes, les causes politiques et économiques d’un conflit ne préjugent en rien de son éventuelle « confessionnalisation ». Pour l’analyste, la difficulté réside dans le fait que les confrontations interconfessionnelles ne sont pas systématiquement de nature religieuse, et que les violences religieuses ne sont pas toutes interconfessionnelles. À Zango Kataf et à Kaduna dans les années 1980 et 1990, ou à Jos depuis le début des années 2000, les affrontements entre musulmans et chrétiens ont ainsi mis en évidence l’âpreté de la compétition économique entre lessettlers et les natives à propos de l’accès à la terre et aux prébendes de l’État. La religion y a surtout été un mode de mobilisation qui a exacerbé les tensions sociales en permettant aux parties en lice de s’organiser autour d’identités confessionnelles. Mais fondamentalement, les belligérants ne se sont pas battus pour des enjeux qui auraient eu trait à leurs croyances, à leurs pratiques religieuses ou à leurs tentatives de prosélytisme. De ce point de vue, l’insurrection de Boko Haram relève d’un tout autre agenda idéologique car sa rébellion est d’abord motivée par des revendications islamistes, quoi qu’il en soit de ses compromissions avec l’affairisme des politiciens nigérians. Largement structurée par la répression des forces de sécurité, la violence de la secte doit finalement peu aux appartenances confessionnelles des protagonistes, le conflit opposant surtout des musulmans à d’autres musulmans. Si la dérive terroriste du mouvement Boko Haram est intrinsèquement religieuse, c’est plutôt dans son rapport politique à l’État qu’il convient de l’analyser.

108. Murray Last, « Muslims and Christians in Nigeria: An economy of political panic », op. cit., p. 614. 109. Umar Habila Dadem Danfulani, Sati Fwatshak, « Briefing: The September 2001 events in Jos, Nigeria », African Affairs, vol. 101, n°403, 2002, p. 250. Pour un point de vue contraire, selon lequel la religion est bien le déterminant des violences émeutières, voir Joseph Kenny, op. cit., p. 360. 110. Umar Habila Dadem Danfulani, Sati Fwatshak, op. cit., p. 246. 111. Un tel processus de partition est tout aussi flagrant à Kaduna, où les communautés en lice se sont retrouvées de part et d’autre de la rivière Kaduna dans des quartiers rebaptisés de noms évocateurs (La Mecque, Kandahar, Jalalabad, New Jerusalem), avec les « moujahidines » au nord et les « combattants de l’armée de Jésus » au sud.

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Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012 33 http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm NIGERIA Boko Haram : la sale guerre du Nigeria 04/12/2013 à 18:26 Par Joan Tilouine

Parce que tous les moyens sont bons, l'armée a donné la chasse aux islamistes armés, dans le Nord, et à tous ceux qui sont soupçonnés de leur être liés. Et ce sont les civils qui en paient le prix.

Devant le cimetière de Maiduguri, des militaires montent la garde. Chaque jour, à la nuit tombée, selon plusieurs L’assaut donné à Baga, en avril, illustre la témoignages recueillis par des ONG, des violence des méthodes gouvernementales. © AFP camions-bennes y déversent des corps d'hommes mutilés, torturés ou froidement assassinés par l'armée nigériane.

Les informations en provenance du nord-est du Nigeria sont rares depuis que l'état d'urgence y a été décrété, en mai. Dans la région de Maiduguri, les télécommunications sont coupées et les observateurs sont tenus à l'écart par l'armée. Capitale en déréliction de l'État de Borno, cette ville de 2 millions d'habitants est l'un des épicentres des âpres combats qui opposent la force spéciale mixte associant police et militaires (Joint Task Force, JTF) aux membres de la secte islamiste Boko Haram, qui y a été fondée en 2002. Entre la répression aveugle et massive de l'armée nigériane et les attaques sanglantes de Boko Haram, les populations subissent, impuissantes, l'escalade incontrôlée de la violence. La boussole de la terreur renvoie vers les deux camps et, selon l'ONU, plus de 37 000 personnes ont trouvé refuge de l'autre côté de la frontière, au Niger. À en croire un informateur au sein de l'armée, cité dans un rapport d'Amnesty International, plus de 950 personnes soupçonnées d'être des membres ou des partisans de Boko Haram ont trouvé la mort au cours des six premiers mois de 2013, alors qu'ils étaient détenus dans des centres de détention militaire. L'une de ces prisons d'exception est établie dans la caserne de Giwa, à Maiduguri. Les corps de ces membres ou partisans présumés de Boko Haram ont-ils fini par s'amonceler dans le cimetière municipal ?

L'armée de l'air mobilisée

"J'ai reçu des témoignages crédibles concernant des membres de grandes familles du Nord tués par les services de sécurité", confirme l'ancien ambassadeur américain au Nigeria, John Campbell. Lui y voit des similitudes avec les tortures commises par des militaires américains dans la prison d'Abou Ghraib, en Irak, dont les photos avaient été publiées dans la presse du monde entier. Cette fois, ce sont d'abord des images satellite rendues publiques par Human Rights Watch qui ont illustré la violence d'un assaut mené par l'armée en avril à Baga. Plus de 2 000 maisons de ce village de pêcheurs lové au bord du lac Tchad, à 165 km au nord de Maiduguri, ont été incendiées.

Pour la première fois depuis la sanglante guerre du Biafra, en 1970, l'armée de l'air est mobilisée pour appuyer les opérations au sol. Selon Elizabeth Donnely, du think tank britannique Chatham House, la question des droits de l'homme n'est clairement pas la priorité de la JTF, qui arme et entraîne des jeunes civils de la région. Ceux-ci sont parfois rémunérés par des gouverneurs locaux. Depuis Abuja, le conseiller du président, Doyin Okupe, balaie ces accusations et nie formellement les turpitudes des soldats nigérians dans ce Nord musulman, pauvre et négligé par l'État. La culture de la violence qui irrigue l'administration sécuritaire y trouve un terrain d'expression. "Ce ne sont pas des bavures, mais un système qui repose sur l'usage extrême de la force", précise un diplomate occidental. Les gardes mobiles de la police nigériane y sont d'ailleurs surnommés les Kill and Go...

Un rapprochement avec les frères ennemis d'Ansaru

Pour l'instant, les sénateurs nigérians font bloc derrière Goodluck Jonathan. Ils ont toutefois réclamé des rapports détaillés sur les accusations de violations massives des droits de l'homme commises au cours de ces opérations militaires qualifiées de "succès" par les autorités, qui s'enorgueillissent d'avoir délogé Boko Haram de son fief de Maiduguri et d'infliger des pertes quotidiennes dans les rangs islamistes. Un enthousiasme à relativiser, selon Marc-Antoine Pérouse de Montclos, spécialiste du Nigeria : "Plus on a tapé sur Boko Haram, plus la bête est devenue hideuse." Et d'ajouter : "Parmi les effets pervers de cette offensive, il y a les débordements de Boko Haram vers les pays voisins et un possible rapprochement avec les frères ennemis d'Ansaru, qui s'inscrivent dans une mouvance terroriste beaucoup plus mobile et globale, avec des connexions plus évidentes avec Al-Qaïda."

Délogés de leur fief et scindés en plusieurs factions, les combattants de Boko Haram fourbissent leurs armes depuis les provinces alentour et la zone frontalière avec le Niger. Malgré les quelques patrouilles mixtes composées de soldats nigérians et nigériens, qui évoluent le long des 1 500 km de frontière entre les deux pays, les insurgés naviguent sans mal dans la zone. De quoi faire peser une menace à l'échelle régionale. Pour Goodluck Jonathan, la sale guerre en cours vise à empêcher la "bête" de s'internationaliser et de frapper au Sud, au coeur de ce Nigeria "utile" et à domination chrétienne. Au risque de se couper de sa base électorale parmi les musulmans du Nord-Est pris en étau entre Boko Haram et la JTF.

Comment les lobbys chrétiens ont influencé Washington

Le 12 novembre, sur demande du président Goodluck Jonathan, l'état d'urgence a été prolongé de six mois dans les États de Borno, Yobe et Adamawa. L'armée y agit en toute impunité, renforcée par la décision de l'allié américain, qui vient d'inscrire Boko Haram et l'organisation Ansaru (qui retenait en otage le Français Francis Collomp) sur sa liste des organisations terroristes. Une décision controversée, car fermant la porte à toute négociation, mais perçue à Abuja comme un soutien diplomatique de Washington, où des lobbys chrétiens proches du pouvoir nigérian sont à l'oeuvre. Toutefois, au département d'État comme à l'ambassade américaine d'Abuja, des diplomates pointent du doigt les abus de l'armée nigériane et défendent une approche plus "modérée", quitte à établir des canaux de dialogue. Le secrétaire d'État, John Kerry, lui, a condamné les deux camps : "les atrocités commises par certains ne doivent pas excuser celles commises par d'autres". Comment l'armée nigériane tente de faire face à Boko Haram Laurent Touchard, Jeune Afrique, 20 mai 2014

À cause des options stratégiques des quinze dernières années, et de la multiplication des foyers de menaces intérieures, les forces armées nigérianes sont démunies face à Boko Haram. Mais leur récente réorganisation devrait bientôt porter ses fruits face à la secte islamiste. Décryptage de Laurent Touchard*.

Capture d'écran d'une vidéo de Boko Haram * Laurent Touchard travaille depuis de mettant en scène son chef, Abubakar Shekau. © HO / AFP nombreuses années sur le terrorisme et l'histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l'université Johns-Hopkins, aux États- Unis.

8 mars 2012, banlieue de Birnin Kebbi, État de Kebbi (nord-ouest du Nigeria) : les terroristes sont sur le point de changer le lieu de détention de leurs otages, Chris McManus et Franco Lamolinara. Avec l'aide des Britanniques, les services de renseignement d'Abuja sont parvenus à les localiser. Si les kidnappeurs déménagent, le risque qu'ils disparaissent dans la nature est important. Le temps presse. Est donc décidé de lancer l'assaut contre la "safe house", en plein jour.

Pour ce faire, des membres des forces spéciales britanniques, appartenant au Special Boat Service (SBS), assistent directement les Nigérians, sous leur commandement. Malgré leur présence et leur savoir-faire, c'est un échec cuisant. Les terroristes affiliés à Boko Haram exécutent leurs prisonniers. Par la suite, des SBS imputeront la responsabilité de ce tragique raté aux commandos nigérians qui conduisent l'attaque. Selon eux, l'approche a été menée sans la moindre discrétion. Dès lors, les "bad guys" repèrent l'unité avant même que celle-ci soit positionnée... Ébahis, les Anglais voient alors leurs "hôtes" charger furieusement, dans le désordre, dans un fracas de cris et de rafales d'armes automatiques, en contradiction avec toutes les règles tactiques. La fusillade qui éclate durera une dizaine d'heures, jusqu'à épuisement des munitions de la cellule terroriste. Le 31 mai 2012, c'est au tour d'Edgar Fritz Raupach, un autre otage de la secte islamiste, de périr lors d'une tentative de libération...

Deux opérations conduites par la "crème" des forces de sécurité d'Abuja, deux échecs impitoyables... Ce triste bilan à quelques semaines d'intervalle résume à lui seul la situation qui prévaut aujourd'hui au Nigeria face à Boko Haram ou à d'autres groupes armés, d'autres gangs. Une partie des responsables politiques et militaires ne sont pas aussi apathiques qu'il est répété à l'envi, les membres des forces de sécurité ne manquent pas de bonne volonté, policiers et militaires nationaux ne sont pas des lâches en dépit de toutes les carences de leur institution.

Cependant, ils sont victimes d'un manque de savoir faire devant les méthodes qu'imposent terroristes et insurgés divers. Défaillance qui doit beaucoup aux divisions d'un pays gangrené de divisions et lourd d'un passé complexe. Contexte historique, religieux, ethnique, social et économique difficile dans lequel l'évolution des forces de sécurité depuis 1999 – date de l'avènement d'une démocratie durable au Nigeria, après 15 ans de régimes militaires – s'est accomplie lentement, tout au long d'un cheminement d'erreurs et de décisions hasardeuses.

L'organisation des forces

L'Armée de Terre se compose de grandes unités (GU), à savoir, une division blindée (la 3ème), trois divisions d'infanterie mécanisée (1ère, 2ème et 81ème) et une division d'infanterie composite à dominante amphibie (la 82ème). S'ajoute la Brigade de la Garde dont les bataillons accomplissent eux aussi des missions de sécurité intérieure.

En août 2013 est mise sur pied la 7ème Division d'Infanterie, avec 8 000 hommes prélevés sur les unités existantes à Yola, Mongono, Sokoto et Yobe, avec les hommes de retour du Mali, ou provenant de recrutements. Elle est chargée de protéger la zone nord-est, ainsi que les frontières avec le Niger, le Tchad et le Cameroun. Zone qui auparavant cela était à la fois sous la responsabilité de la 1re Division d'Infanterie à Kaduna et de la 3ème Division Blindée à Jos. Cette création rend donc le dispositif plus cohérent. La Joint Task Force (JTF, ou Joint Military Task Force ; voir plus loin), qui aligne des unités relativement mieux formées au contre-terrorisme (notamment avec les unités d'intervention du DSS) et à la contre-insurrection lui est rattachée. Malgré tout, la tâche à accomplir est énorme : la superficie de la zone représente environ 155 000 km2 !

Chaque division se compose de trois ou quatre brigades : blindées, mécanisées, infanterie, amphibie, génie, artillerie, ainsi qu'un bataillon de reconnaissance blindé, des unités de commandement, de transmissions, de soutien... Dans les années 1980, la 82ème Division est à dominante aéroportée/aéromobile, avec la 2ème Brigade Aéromobile et la 31ème Brigade Aéroportée. Elles sont composées de bataillons susceptibles d'être rapidement déployés par aéronefs, et entraînés à opérer de concert avec les hélicoptères. L'instabilité dans la zone économiquement stratégique du delta du Niger dans les années 1980 amène à la transformation de la grande unitié en une entité à dominante amphibie, habituée à opérer sur le terrain spécifique du delta et de son littoral. Elle ne conserve qu'un bataillon para-commando (le 72ème).

Ce choix non clairvoyant est aujourd'hui lourd de conséquences. En effet, il prive le Nigeria de Le Nigeria s'est privé de groupements aéromobiles très manouvrants, groupements aéromobiles très capables de traquer en souplesse et depuis les manouvrants, capables de airs des insurgés. Si de telles unités existaient traquer en souplesse et depuis encore, elles contesteraient fortement la liberté les airs des insurgés. d'action de Boko Haram ; elles se rendraient avec célérité dans les localités attaquées, s'affranchissant des déplacements par la route avec le risque inhérent d'embuscades. D'autant plus que la secte n'a qu'un armement air-sol modeste (mitrailleuses et mitrailleuses lourdes montées pour l'essentiel sur des pickups, accessoirement des lance-roquettes antichars RPG-7 contre les hélicoptères à très basse altitude et faible vitesse).

L'engagement dans les missions de sécurité

Les nombreuses attaques de Boko Haram focalisent l'attention sur l'engagement de ces forces contre la secte, dans la partie septentrionale du pays. Situation qui amène à oublier que d'autres graves problèmes de sécurité intérieure existent également. Illustration de cela : le 7 mai 2013, à Alakyo (État de Nasawara, au centre du Nigeria), 46 policiers et 10 SWAT du DSS sont tués (jusqu'à une centaine de membres des forces de sécurité abattus selon d'autres sources) par la secte Ombats (pratiquant un culte ancestral teinté d'islamisme)... En dépit de l'amnistie de 2009 (dont il sera question dans un prochain billet, sur les stratégies anti-insurrectionnelles du gouvernement fédéral), la situation est loin d'être excellente dans le delta du Niger.

Toutes ces crises, les foyers de crises potentiels, impliquent l'engagement de la police qui, du fait de ses insuffisances doit être appuyée par l'armée. Elles impliquent autant de zones dans lesquelles il est nécessaire de maintenir des forces importantes, avec un entraînement spécifique dans le cas du delta. Autant de zones dans lesquelles doivent être dispersées des unités, des ressources... Cependant, les meilleures unités, les mieux entraînées à ce genre de guerre non conventionnelle ne peuvent être partout à la fois... Avec les pertes, les échecs et la nature psychologiquement (et physiquement) éreintante de ce type de guerre, avec les critiques nationales et internationales (en partie justifiées), avec l'entraînement insuffisant et l'équipement inadapté, le moral des militaires et policiers en permanence sur la brèche, chute. La nervosité favorise l'usage excessif de la force contre les suspects qui ne sont pas tous des terroristes, la confiance vis-à-vis des chefs s'écroule. Le problème sécuritaire du Nigeria n'est pas "juste" Boko Haram ; c'est une kyrielle de sectes susceptibles d'être dangereuses, de groupes armées avec des revendications diverses qui basculent dans le banditisme crapuleux... C'est la fragmentation et la diversité de ceux que doit combattre le gouvernement fédéral.

Concernant la traque pour retrouver les jeunes-filles kidnappées, est mentionné le déploiement de "deux divisions", puis de "quatre divisions". Annonces largement relayées alors qu'elles s'avèrent douteuses. Deux divisions, en comptant la totalité des 8 000 hommes de la 7ème, ce sont de 16 000 à 18 000 hommes... Volume qui demanderait un effort logistique bien au-delà des capacités de l'armée nigériane. Ne parlons pas de "quatre divisions" : il s'agirait alors de la quasi totalité de l'Armée de Terre ! En réalité, il est question d'éléments détachés de deux, puis de quatre divisions, dont, semble-t-il, le 72ème Bataillon Spécial, qui renforcent donc la 7ème Division. Cette recherche des otages est effectuée conjointement avec des unités nigériennes, tchadiennes et camerounaises. Dans le même temps, l'aviation effectue plus de 250 sorties au-dessus de la forêt de Sambisa.

JTF, commandos et SWAT

La Joint Military Task Force (JTF) est parfois décrite comme une unité (ou des unités) de "forces spéciales ". Il n'en est rien. Créée à la mi-2011 dans les États du Borno et de Yobe, elle amalgame des éléments des armées de Terre, de l'Air, de la Marine, de la Police Mobile et des forces d'intervention du Department of State Service (DSS ou State Security Service - SSS). Une "JTF" est une structure temporaire destinée à faciliter la coordination entre les différentes composantes qui lui sont rattachées. Concept enseigné dans les manuels d'instruction de l'armée nigériane. Concept appliqué avant cela, par exemple dans le delta du Niger en mai 2009 avec la création d'une autre JTF dans le cadre de l'opération Harmony, ou encore en 1996, dans la péninsule de Bakassi. Une Special Task Force (STF) opère quant à elle dans l'État du Plateau. Insistons bien : la JTF de Maiduguri n'est pas une unité de forces spéciales.

En dépit d'assertions erronées, le Nigeria ne dispose d'ailleurs que d'un très petit nombre de militaires réellement qualifiés "forces spéciales ". En 2000, quatre bataillons d'infanterie (5 000 hommes) sont entraînés par 225 Bérets Verts américains du 3rd Special Force Group (Fort Bragg). Ce stage survient juste avant le déploiement des Nigérians en Sierra Leone, afin de mieux les préparer à leur (difficile) mission. Si le professionnalisme est amélioré, les hommes ainsi formés ne gagnent pas pour autant le "label " de "forces spéciales ".

Toujours au sein de l'armée, une unité antiterroriste est signalée à Jaji, le Quick Response Group (QRG). Mais il semble ne s'agir que d'une structure ad hoc, de type commando ou SWAT (force d'intervention/antigang de police, en théorie capable d'entrer en action lors de prises d'otages, pour maîtriser des forcenés, accomplir des missions qui exigent davantage de doigté ou une puissance de feu supérieure aux forces de police classiques). L'existence d'une autre unité similaire est rapportée en 2012, au sein de la 82ème Division, à Enugu. À noter enfin que la police aligne une unité antiterroriste, officiellement désignée Counter Terrorist Unit (CTU). Là aussi, c'est un SWAT et non d'un élément de forces spéciales.

Est annoncée en avril 2010 la création d'un bataillon de ce type. Toutefois, il apparaît finalement qu'il s'agit d'une re-désignation du 72ème Bataillon Parachutiste en 72ème Bataillon Spécial, implanté à Makurdi. Seule unité aéroportée depuis la transformation de la brigade parachutiste et de la brigade aéromobile de la 82ème Division, elle est de type para-commando, intégrant quelques éléments de forces spéciales. De son côté, la Marine aligne une unité très spécialisée, le SBS. D'après des documents nigérians, le sigle signifie "Special Board Service " et non "Special Boat Service". Créée en 2008, ses membres sont des experts du combat nautique (intervention à bord des navires aux mains de pirates, sur les plate-formes pétrolières, dans les installations navales...). Quant au Nigerian Air Force Regiment de l'Armée de l'Air, il peut s'apparenter à une unité commando chargée de la protection des bases aériennes.

Le CTCOIN Des formations de base au Face à la menace croissante des sectes et contre terrorisme et à la contre groupes armés dont les capacités s'améliorent, insurrection se tiennent donc, l'armée crée le 10 juin 2009 un centre de contre de plus en plus fréquemment au terrorisme et de contre-insurrection (Counter CTCOIN à Jaji ainsi qu'à Kachia Terrorism and Counter Insurgency Centre ; et à Kontagora. CTCOIN) à Jaji, dans l'État de Kaduna. À cette occasion fusionnent la Special Ops Wing et la Counter Terrorism Wing. Le CTCOIN devient emblématique des efforts fédéraux pour aguerrir les troupes. Malgré tout, l'armée nigériane n'est pas encore prête à affronter le terrorisme, cette méthode de guerre bien particulière qui neutralise la plupart des méthodes conventionnelles. Elle n'est pas formée à faire face aux engins explosifs improvisés (EEI). Elle n'est pas formée aux tactiques de guérillas, aux kidnappings, souvent de femmes. Elle manque d'unités aéromobiles dignes de ce nom.

Néanmoins, les responsables politiques militaires les plus avisés ne baissent pas les bras. Des formations de base au contre terrorisme et à la contre insurrection se tiennent donc, de plus en plus fréquemment au CTCOIN à Jaji ainsi qu'à Kachia et à Kontagora. Mais les unités qui en bénéficient ne peuvent – là encore - être qualifiées de "forces spéciales ". Pas davantage de "commandos ". Tout au plus s'agit-il de séjour de quatre à six semaines pour une instruction de base durant laquelle les hommes s'entraînent au tir, suent le long de parcours d'obstacles, apprennent ou réapprennent des fondamentaux pour l'entrée et la progression en milieu clos, en zone habitée, s'initient aux dangers des EEI (engins explosifs improvisés), suivent quelques cours théoriques sur l'importance du renseignement (une des lacunes de l'armée alors que ce principe est pourtant en bonne place dans les manuels d'instruction), de ripostes proportionnées aux attaques...

Manque de forces spéciales

On l'aura compris : pour impressionnants qu'ils soient, des hommes "baraqués" en tenues noires, caparaçonnés dans des gilets d'assaut et pare-balles, lourdement armés, cagoulés ne sont pas, dans la plupart des cas, des forces spéciales. Même s'il s'agit de membres d'unités commandos ou SWAT, relativement bien entraînés, capables d'accomplir certaines missions spécialisées, ils n'ont pas le niveau de compétence, les particularités des forces spéciales. Jusqu'en janvier 2014, ce manque dans l'armée nigériane (qui fait écho au manque d'unités aéromobiles) nuit à la lutte contre Boko Haram en particulier et contre l'ensemble des groupes insurgés en général. Là où les fantassins des bataillons d'infanterie motorisée et mécanisée, sont patauds, avec seulement des connaissances très basiques (dans le meilleur des cas) en lutte antiterroriste et anti-insurrectionnelle, où les commandos sont limités par leur entraînement, leur matériel, leur cadre d'emploi, eh bien les forces spéciales peuvent opérer de manière indépendante en zones hostiles, durant de longues périodes, pour des missions stratégiques (élimination d'un chef ennemi, observation et collecte de renseignements...).

La révolution du NASOC

Pour pallier cette déficience, est créé début janvier 2014 le Nigerian Army Special Operations Command (NASOC ; commandement des opérations spéciales) avec l'aide de l'US Africom. Cette structure constitue une révolution pour le Nigeria. À terme, elle regroupera l'ensemble des futures unités de forces spéciales. Elle permettra en outre d'effectuer des entraînements communs à ces unités, de définir des procédures communes, de faciliter l'acquisition d'équipements spécifiques aux missions spéciales, leur mutualisation, leur entretien...

Début mai est évoqué l'entraînement d'un nouveau bataillon de rangers, de 650 à 850 Ces commandos seront hommes, par les États-Unis. Sitôt qu'ils seront formés à la tactique des petites prêts, ils pourraient rapidement représenter un unités, aux patrouilles, aux danger mortel pour Boko Haram dans la réserve opérations nocturnes. de Sambisa ou aux frontières... Ces commandos seront formés à la tactique des petites unités, aux patrouilles, aux opérations nocturnes. Dans le même temps, les Américains enseigneront le "métier" d'instructeurs à des militaires nigérians qui, à leur tour, devraient préparer 7 000 hommes à la contre-insurrection.

Bien entraîné, bien commandé, le soldat nigérian peut se révéler être un combattant exceptionnel. L'histoire l'a souvent prouvé. Avec les orientations prises depuis l'été 2013, avec des mesures judicieuses à l'instar de la création du NASOC ou encore avec des plans de modernisation et d'acquisitions cohérents et enfin, avec la volonté politique (et militaire) résolue de coopération régionale et internationale (renseignement et formation), le Nigeria met de son côté toutes les chances de retrouver et de libérer les écolières de Chibok ainsi que tous les autres otages. Malgré tout, il convient de ne pas oublier la folie meurtrière de ceux qui les détiennent... C'est donc un très difficile combat qui se déroule actuellement. Combat qui ne résume pas juste au nombre de soldats, aux nombre de divisions, à la puissance de feu. Dans cette lutte, quelles que soient les lacunes de l'armée nigériane, les "bad guys" sont ceux à qui elle fait face.

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Tous droits de reproduction et de représentation BLOG DÉFENSE Nigeria : de l'impéritie de la police à la brutalité de l'armée

Laurent Touchard, Jeune Afrique, 18 juin 2014 Après avoir rendu compte de la réorganisation en cours des forces de sécurité du Nigeria, confrontées à de nombreux enjeux sécuritaires, Laurent Touchard* se penche sur leur état d'esprit. Et sur leurs relations avec une population qu'elles sont censées protéger.

* Laurent Touchard travaille depuis de Des soldats nigérians dans les rues de Baga, nombreuses années sur le terrorisme et dans l'Etat de Borno, en avril 2013. © Pius Utomi Ekpei/AFP l'histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l'université Johns-Hopkins, aux États-Unis.

Une réforme du secteur de la sécurité (RSS) nécessaire mais bancale

Lancée à partir de 2000, la réforme du secteur de la sécurité (RSS) vaut aussi – et même davantage – pour la police que pour l'armée. Comme pour cette dernière, le projet de transformation démarre sur les chapeaux de roues, avec une volonté manifeste de rebâtir une institution démocratique au service des Nigérians. Toutefois, alors que la RSS marque le pas pour le militaire, elle se se transforme en vaste catastrophe dans le cas de la police.

Dans un premier temps, les salaires sont rehaussés, mais surtout, entre 2000 et 2004, 40 000 policiers sont recrutés chaque année. D'environ 140 000 en 1999, leurs effectifs grimpent ainsi à 330 000 cinq ans plus tard ! Une recommandation de l'ONU stipule qu'un rapport minimum d'un policier pour 400 habitants est souhaitable ; avec 330 000 hommes, le Nigeria s'en rapproche. Sauf qu'il ne s'agit que de chiffres, non de la réalité du terrain. Dans les faits, en raison de la répartition des effectifs, des spécificités géographiques et démographiques des États, le rapport se situe souvent à un pour 600 habitants. Parfois, il n'est que d'un pour 900 !

Négligée jusqu'en 1999, l'institution ne manque pas seulement d'effectifs compétents, mais Pour répondre aux quotas aussi d'équipements : les armes, les véhicules, de recrutement fixés, des les moyens de communications font défaut. Le individus peu scrupuleux ou niveau des fonctionnaires est déplorable. Si physiquement inaptes ont été enrôlés en quantité ! l'embauche massive de 2000 à 2004 règle - en apparence - le problème des effectifs, il en crée un autre... Les capacités de formation déjà limitées, ne sont plus du tout à la hauteur pour absorber cet afflux de personnels. Pas assez d'instructeurs, des infrastructures insuffisantes... Pis, pour répondre aux quotas de recrutement fixés, des individus peu scrupuleux ou physiquement inaptes ont été enrôlés en quantité !

Au bilan, cette masse de 330 000 hommes se transforme en un fardeau écrasant. En 2007, environ 11 000 sont remerciés, dont un grand nombre ayant été recrutés entre 2000 et 2004. Mesure davantage symbolique que réellement efficace. Cette situation reste figée jusqu'en 2012-2013, aucune solution valable n'étant véritablement apportée (ni même cherchée) aux carences humaines et matérielles.

Salaires insuffisants, corruptions et méfiance des Nigérians

Si les salaires augmentent après les élections de 1999, leurs niveaux restent néanmoins modestes. Trop modestes. Un inspecteur honnête peut alors espérer gagner environ 1 000 dollars par an (environ 1 143 en dollars constants 2014), un policier de base, 442 dollars (505 en dollars constants 2014) ! Moins d'une cinquantaine de dollars par an, pour un travail ingrat, souvent dangereux... Les fonctionnaires prennent donc d'eux-mêmes les mesures qui s'imposent : racket, corruption...

Sous-payés et corrompus, insuffisamment entraînés, mal équipés en dehors de quelques unités spécialisées, ils sont en général incapables de combattre le crime et la subversion. Les civils ne leur font aucunement confiance, en conséquence de quoi, ils ne leur "parlent" pas. Défiance qui induit un dramatique déficit en renseignement humain, pourtant essentiel aux activités policières en général, à la lutte anti-insurrectionnelle en particulier.

Employés par une institution mal aimée (pour ne pas dire détestée), la plupart du temps sans la fierté de l'uniforme qu'ils portent, impuissants à accomplir les missions qui devraient leur incomber, les policiers n'hésitent donc pas à abuser de leurs prérogatives, profitant d'un de leur rare privilège : l'impunité. Peu scrupuleux, ils commettent de nombreuses exactions, des exécutions extrajudiciaires, à l'instar de l'élimination du chef historique de Boko Haram. Capturé en 2009 par l'armée, Mohammed Yusuf est remis à la police, qui l'abat au cours de ce qui est présenté comme une tentative d'évasion. Explication qui laisse perplexes nombre d'observateurs.

Corruption, laxisme, démission au quotidien des plus motivés qui jalousent les moyens de Corruption, laxisme, l'armée résument donc ce qu'est la police démission au quotidien des plus nigériane. Deux chiffres sont parlants : Interpol motivés qui jalousent les mentionne des effectifs actuels de 350 000 moyens de l'armée résument hommes. Dans le même temps, le budget 2014 donc ce qu'est la police n'est approximativement que d'un milliard de nigériane. dollars. C'est à dire environ 2 857 dollars par policier pour les salaires, l'équipement, le coût des enquêtes, des formations... Une misère. Lorsqu'ils doivent gérer un conflit, les soldats se montrent fréquemment partiaux. © Pius Utomi Ekpei/AFP

L'armée à défaut de police capable

Cette conjoncture explique beaucoup le développement de Boko Haram. Outre tous les facteurs endogènes (fractures religieuses, sociales...) et exogènes (guerre contre le terrorisme, Aqmi...), la secte (ainsi que d'autres groupes subversifs qui pullulent dans le pays) bénéficie de l'impéritie de la police. Faute d'être éliminés "dans l'oeuf", ses membres disposent de l'espace minimum de "gestation". Ils gagnent en confiance, ils s'imposent dans les zones géographiques et morales où ils s'implantent. Dès lors, la police n'est plus en mesure de juguler le danger.

Conformément à ce qu'autorise la Constitution de 1999, le président n'a alors d'autre choix que de faire intervenir l'armée contre la subversion et en appui des autorités civiles pour restaurer l'ordre. Ce qui pose un autre problème : même si la thématique des opérations au profit de la sécurité intérieure est abordée dans les manuels d'instruction de l'armée nigériane, les militaires manquent autant d'entraînement en la matière que de mesure dans leurs réactions aux problèmes de violences. À leur décharge, ceux-ci sont confrontés à une menace qui relève, au départ, des compétences de la police, de ses unités d'intervention et spéciales...

Brutalité militaire et faiblesses des compétences dans la lutte anti-insurrectionnelle

Les civils n'apprécient pas plus les soldats que les policiers. En dépit de leur implication dans des missions de maintien de la paix comme au Liberia, en Sierra Leone, au Darfour, ou encore au Mali, beaucoup de Nigérians conservent une image négative de l'armée "politique" d'avant 1999. Sentiment que renforce la brutalité "légendaire" des militaires lors des précédentes crises intérieures. Quant aux missions de maintien de la paix, en dépit de la bonne réputation qu'elles confèrent au pays, elles sont entachées de pléthore de vols, d'agressions sexuelles, d'actes d'indiscipline... Par ailleurs, si le problème de la drogue est tabou, il existe bel et bien...Quant à l'entraînement, s'il est meilleur que dans la police, il n'est pas non plus exceptionnel. Nuançons toutefois : d'importants efforts sont accomplis depuis plusieurs mois. Le dernier en date - début juin 2014 - consistant à réactiver des centres de formation à l'échelle divisionnaire.

Lorsqu'ils doivent gérer un conflit, les soldats se montrent fréquemment partiaux, favorisant le Face aux attaques de Boko "camp" communautairement ou religieusement Haram qui se multiplient, la le plus proche d'eux. Cette attitude est réponse qu'apporte l'armée particulièrement prégnante lors des émeutes pourrait être caricaturée par qui éclatent après les élections de 2011. Dans cette formule lapidaire "Tirer un pays socialement, religieusement, dans le tas !" économiquement fragmenté, les conséquences de ces partis pris peuvent être terribles.

Autre fléau : l'impunité dont bénéficient les militaires, plus encore que les policiers. Quels que soient leurs actes, ils ne risquent pas de passer devant la justice. À tel point qu'un comité de notables de Maiduguri sollicite de Jonathan Goodluck qu'il retire la Joint Task Force (JTF) censés les protéger ! Face aux attaques de Boko Haram qui se multiplient, la réponse qu'apporte l'armée pourrait être caricaturée par cette formule lapidaire "Tirer dans le tas !". Phénomène qui accentue l'attrait pour l'autodéfense et l'organisation locale, officieuse, de groupes idoines, avec tous les dangers inhérents en terme d'instabilité.

Capacités d'anticipation anémiques et Chibok À l'incurie dans le recueil, l'exploitation et la diffusion du renseignement, répond l'apathie intellectuelle de l'armée, incapable d'anticiper, de faire preuve de "créativité militaire". Les objectifs potentiels de Boko Haram sont mal ou pas protégés. Quelques mois avant Chibok, début juin 2013, des militaires malmènent des étudiants dans une école coranique. Facteur déclencheur d'une infernale spirale de violences contre les étudiants et écoliers, qui deviennent la cible de Boko Haram à partir du 16 juin. Leur folie meurtrière culmine le 6 juillet 2013. Dans l'école de Mamudo (Etat de Yobe), ils massacrent alors 42 enfants et surveillants. Shekau dément que son groupe soit responsable. Mais sa responsabilité ne fait guère de doute. De fait, les établissement scolaires apparaissent clairement comme des cibles privilégiées de la secte. Pourtant, en dépit de cette menace avérée, ses membres vont réussir un kidnapping de masse, à l'école de Chibok, le 14 avril 2014.

À Chibok, donc, selon de nombreux témoignages, l'armée savait deux heures avant l'opération des terroristes. Plus précisément, des responsables locaux auraient averti les militaires de Dambua et de Maiduguri dans la soirée du 14. Le commandant de la petite section de la localité aurait lui aussi été informé. Il aurait à son tour rendu compte, sans délai, demandant des renforts en urgence. Requête restée sans réponse. Or, pour faire face au raid, il ne dispose en tout et pour tout que de 17 hommes... Faute de mieux, un dispositif se met en place, dans la hâte. Dispositif trop léger et dispersé ; quand arrivent les combattants de Boko Haram vers 23 heures 45, il vole en éclat. Les soldats battent en retraite, suivis de villageois apeurés de Chibok. La secte peut alors kidnapper les filles, les faire monter dans les camions. Au bilan, 234 écolières prises en otage ; certaines réussisent à s'évader. Aujourd'hui, 190 sont retenues par Boko Haram.

Clairement, l'opération terroriste n'est pas très bien montée (les islamistes ne connaissent pas Une inefficacité que paient le nombre exact de pensionnaires et manquent cher les Nigérians au quotidien : de camions, plusieurs dizaines parviennent à plus de 3 600 tués de 2009 à s'enfuir...). Remarque qui souligne encore plus 2013, 1 500 pour les premiers l'inefficacité de l'armée. Si la chaîne de mois de 2014... commandement avait correctement fonctionné, avec une unité d'intervention rapide disponible en permanence, bénéficiant éventuellement d'un appui aérien léger (hélicoptères), les terroristes auraient pu être interceptés avant d'avoir atteint l'école... Inefficacité que paient cher les Nigérians au quotidien : plus de 3 600 tués de 2009 à 2013, 1 500 pour les premiers mois de 2014...

Constat terrible que jalonnent les sempiternels actes d'indiscipline et les mutineries, expression de bien plus qu'un malaise. La plus récente de ces "péripéties" survient le 14 mai 2014, à Maiduguri. Des militaires de la 7e Division d'Infanterie accusent leur chef, le général Ahmadu Mohammed, d'oeuvrer en faveur de Boko Haram, de les avoir envoyés dans un traquenard. En conséquence de quoi, ils ouvrent le feu sur le général qui réussit à s'échapper de justesse... Troisième commandant nommé de la 7e Division alors que celle-ci n'existe qu'à peine depuis un an, le général vivait sa deuxième mutinerie... Autre illustration du climat délétère : l'action de l'armée pour saisir des journaux, les 6 et 7 juin 2014, après le colportage de rumeurs (une arme de Boko Haram tout aussi efficace que les bombes) concernant des informations que des généraux auraient fourni à Boko Haram (faisant écho à la mutinerie du 14 mai)... Autant d'incidents graves qui laminent l'efficacité de la lutte contre Boko Haram. Face à Boko Haram, la France plaide pour un comité de liaison militaire Le Monde.fr avec Reuters | 16.12.2014 à 02h50 • Mis à jour le 16.12.2014 à 09h33

Le ministre français de la défense, Jean-Yves Le Drian, a appelé lundi 15 décembre Abuja et ses voisins à la création d'un comité de liaison militaire pour mieux coordonner leur réponse à la menace de Boko Haram pour les pays de la région. Lors d'un forum sur la sécurité à Dakar, la capitale sénégalaise, M. Le Drian a précisé que Paris était prêt à détacher plusieurs personnes pour contribuer à cette initiative.

Les attaques de villages et les enlèvements d'enfants attribués à la secte islamiste s'exercent désormais au-delà des frontières du Nigeria, vers le Niger au nord et le Cameroun à l'est, tandis que le Tchad, au nord-est, craint d'être entraîné dans le conflit.

MANQUE DE COHÉSION

En mai dernier à Paris, les dirigeants des quatre pays avaient décidé de travailler en plus étroite collaboration, mais ces promesses ne se sont pas vraiment concrétisées. De même, les quatre pays, dont les frontières se rejoignent au lac Tchad, secteur devenu un fief de Boko Haram, s'étaient engagés au mois de juillet à mobiliser une force commune de 2 800 soldats pour lutter contre la secte

Cette force n'a pas encore été créée et, si certaines opérations en commun ont eu lieu, les observateurs critiquent un manque de cohésion dans les tentatives de lutte contre les insurgés islamistes. « L'action devrait être proportionnée à l'ampleur de ce qui est en jeu », a déclaré à Reuters l'envoyée spéciale des Nations unies pour le Sahel, Hiroute Guebre Sellassie. « Il y a des efforts, mais rien qui me dise que l'ampleur [du problème] se réduit. Au contraire. » Bonjour P. Gourdin

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3 Marie-Thérèse à la poursuite des Le 17 janvier, répondant à l’appel du président camerounais Paul Biya, des troupes tchadiennes franchissent la frontière camerounaise pour combattre millions disparus d’Houphouët- le groupe djihadiste nigérian Boko Haram. Puis le 3 février, l’armée Boigny tchadienne a pénétré en territoire nigérian pour prendre le contrôle de la ville de Gamboru, rapidement reprise à la secte islamiste. Suivez-nous

! Aux origines de l’engagement tchadien LES PARTENAIRES DU MONDE AFRIQUE Depuis plusieurs mois déjà, le président tchadien alertait la communauté internationale sur les risques très sérieux de déstabilisation régionale provoqués par l’extension des violences commises par les djihadistes de Boko Haram dans le nord du Nigeria. Une menace dont l’ampleur semblait alors sous-évaluée, diluée dans l’émoi provoqué par l’enlèvement de plusieurs centaines de jeunes filles, le 14 avril à Chibock, et les vidéos outrancières du chef de la secte, Aboubakar Shekau. Dès 2014, le Tchad avait donc renforcé sa présence militaire aux frontières avec le Cameroun et le Nigeria alors que Boko Haram multipliait les offensives dans le nord-est du Nigeria et dans le nord du Cameroun.

Mais le facteur déclencheur de l’engagement tchadien correspond à la prise de la ville nigériane de Baga par les djihadistes au début du mois de janvier. Boko Haram met alors en déroute les soldats nigérians stationnés sur place. Symboliquement, les islamistes s’emparent de la base qui devait accueillir la Multinational joint task force (MNJTF) créée en 2014 par le Tchad, le Niger et le Nigeria et destinée à lutter contre Boko Haram. Dorénavant, la secte est physiquement présente à la frontière tchadienne, certes sur l’autre rive LE JOURNAL DU 7 FÉVRIER du lac Tchad. A une centaine de kilomètres plus au sud, les incursions répétées des djihadistes dans le nord du Cameroun menacent directement la capitale tchadienne N’Djamena, distante de quelques kilomètres seulement.

! Les raisons économiques de l’intervention

Au-delà de l’aspect purement sécuritaire, les actions de Boko Haram ont un impact très lourd sur l’économie tchadienne, déjà sévèrement touchée par l’effondrement du prix des cours du pétrole et le chaos chez ses voisins + centrafricains et libyens. L’un des objectifs centraux de l’intervention tchadienne consiste donc à dégager les passages frontaliers et les axes de circulation vitaux pour le Tchad.

L’insécurité dans le nord-est du Nigeria a en effet quasiment stoppé, depuis un an et demi, le commerce (exportation de bétail sur pied, importations de biens de consommation) à destination de ce pays. Ces échanges qui passaient par le lac Tchad à bord de grandes pirogues doivent dorénavant emprunter une longue route de contournement par le Niger. L’augmentation Lire le Monde sur web, iPhone / iPad, Android : des coûts de transport se répercute sur les prix à la consommation. Abonnez-vous à partir de 1 ! Simultanément, la chute du commerce prive l’Etat d’importantes recettes douanières.

Plus au sud, la propagation de la zone d’influence islamiste dans le nord du Cameroun menaçait donc le Tchad d’étouffement. Peu avant de passer à l’offensive, N’Djamena redoutait en effet une attaque sur Maroua, la grande ville de l’extrême nord camerounais. Un tel scénario aurait signifié la fermeture de la route transnationale N’Djamena-Kousseri-Maroua, qui relie la capitale tchadienne au port camerounais de Douala, son principal débouché maritime par où transite la majeure partie des approvisionnements destinés au sud du pays.

! Quelle est la taille du contingent tchadien

Le 17 janvier, des soldats tchadiens, commandés par le général Ahmat Darry Bazine, franchissent la frontière camerounaise à l’appel du président camerounais Paul Biya. N’Djamena ne fournit pas de détails sur la nature de ce déploiement. Mais selon plusieurs sources, il comporterait trois régiments de 800 hommes chacun, appuyés par des hélicoptères de combat MI-24 et 400 véhicules, dont des blindés.

Dans le même temps, plus au nord, le Tchad a massé des troupes (commandées par Mahamat Idriss Déby Itno, le propre fils du président) à la frontière entre le Niger et le Nigeria, à proximité immédiate de bastions de Boko Haram. Selon l’AFP, un contingent d’environ 400 véhicules et des chars est positionné de Mamori à Bosso, deux bourgades de l’est nigérien, qui ne sont séparées du Nigeria que par une rivière, la Komadougou Yobé. Leur mouvement vers le sud permettrait de prendre les islamistes en tenaille

! Pourquoi le Nigeria a fini par accepter l’intervention du Tchad ?

Après avoir longtemps rejeté toute ingérence étrangère, les autorités nigérianes, qui n’arrivent pas à enrayer seules l’expansion militaire de Boko Haram, estiment dorénavant que la présence de troupes tchadiennes sur son sol ne remet pas en cause « l’intégrité territoriale du Nigeria ». Contrairement au Cameroun, dont les forces protégeant Fotokol depuis des mois sont restées sur leurs positions, le Tchad, étant membre avec le Nigeria et le Niger de la MNJTF, bénéficie d’un « accord de poursuite » de Boko Haram en territoire nigérian. Le président tchadien, Idriss Déby Itno, a clairement dit que l’objectif est la « libération » de la ville nigériane de Baga, tombée début janvier. A N’Djamena, des sources sécuritaires n’excluent pas de pousser jusqu’aux faubourgs de Maiduguri, l’ancien fief de Boko Haram, cible aujourd’hui d’attaques répétées par les islamistes.

! La lutte contre Boko Haram se régionalise A l’issue du sommet d’Addis Abeba des 30 et 31 janvier, l’Union africaine a adopté le principe du déploiement d’une force africaine de 7 500 hommes destinée à combattre le groupe djihadiste. Ce contingent devrait regrouper des soldats du Cameroun, du Tchad, du Niger, du Nigeria et du Bénin. Si le principe de ce déploiement a été retenu, il reste encore à finaliser la stratégie de combat contre Boko Haram, la chaîne de commandement ainsi que le calendrier.

Sans précision sur la date, l’Union africaine a par ailleurs annoncé qu’elle saisira ensuite le Conseil de sécurité de l’ONU afin de « conférer à la force la légalité et la légitimité internationales, ainsi que les ressources nécessaires à soutenir ses opérations sur le terrain ». En clair : des financements internationaux.

Sans attendre, le Niger devrait envoyer prochainement des troupes au Nigeria. Pour ce faire, le Parlement doit se réunir, lundi 9 février, pour autoriser l’envoi de troupes dans ce pays voisin. Aucun détail n’a été fourni sur le nombre de soldats mobilisés ni sur la date de leur déploiement.

! La France aux premières loges

L’armée française est géographiquement aux premières loges dans cette crise. C’est en effet à N’Djamena que Paris a installé, en août 2014, le quartier général de son opération Barkhane. Pourtant, le ministère de la défense rappelle qu’il n’est pas question d’envoyer des soldats au Nigeria. Barkhane, avec ses 3 500 hommes, est destinée à lutter contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne, pas contre le djihadisme nigérian, rappelle-t-on au ministère de la défense.

Paris soutient cependant l’action tchadienne avec des missions de reconnaissance au-dessus du Tchad et du Cameroun. Une cellule de coordination et de liaison du renseignement a d’ailleurs été créée à N’Djamena. Elle doit permettre aux états-majors du Niger, du Tchad et de la France de partager du renseignement. Par ailleurs, la France participe à la Cellule régionale de fusion du renseignement, mise en place à Abuja le 11 octobre. L’objectif était alors la libération des jeunes otages de Chibok.

Christophe Châtelot Suivre

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3 Le Rafale remporte « son

premier contrat à l'export », se félicite François Hollande Quand et comment ont commencé les attaques de Boko Haram sur la région ? Suivez-nous Les combattants de Boko Haram étaient stationnés depuis plusieurs mois juste de l’autre côté de la rivière Komadougou, frontière naturelle entre le Niger et le Nigeria. On pense à Malam Fatori par exemple, cette ville du LES PARTENAIRES DU MONDE AFRIQUE nord-est nigérian conquise, perdue puis conquise de nouveau par les islamistes. Les militaires nigériens stationnés à Bosso, près du lac Tchad, pouvaient par exemple régulièrement apercevoir les combattants de la secte lors de leurs patrouilles. S’ils se sont longtemps regardés en chiens de faïence, l’arrivée d’environ 2 500 Tchadiens début février dans la zone a probablement semé le trouble dans les rangs de Boko Haram. Lire aussi : Le Tchad mobilise ses troupes contre Boko Haram

Quelques jours plus tôt, l’armée tchadienne était déjà intervenue côté camerounais pour déloger les combattants de la secte de plusieurs villages, causant de lourdes pertes aux islamistes. Juste après l’arrivée de ces renforts tchadiens, le gouvernement nigérien a annoncé qu’il réunirait ses députés le 9 février en session extraordinaire pour leur demander l’autorisation d’intervenir militairement au Nigeria. Deux jours à peine après cette annonce, les premiers obus tombaient sur Bosso et Diffa, distantes d’une centaine de kilomètres de long de la rivière.

À Bosso, les combattants ont cherché à endommager les symboles de l’Etat comme la Préfecture, avant d’être repoussés assez facilement par les soldats nigériens et tchadiens. Le lendemain, un obus tombait sur le marché de Diffa, créant la panique au sein de la population qui avait déjà commencé à fuir la ville. Deux jours plus tard, une femme se faisait exploser non loin de là, confirmant la stratégie de terreur de Boko Haram : trop faible en nombre et en équipement pour affronter des troupes, l’organisation extrémiste multiplie les fronts et mène des actions très violentes pour créer la psychose au sein de la population.

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Pourquoi l’état d’urgence a-t-il été décrété ?

Les autorités nigériennes soupçonnaient l’existence de cellules dormantes de Boko Haram sur son territoire, et l’attentat mené sur le marché de Diffa les a probablement confortés dans cette idée. En décrétant l’état d’urgence, le gouvernement autorise l’armée à mener des perquisitions à toute heure. Une mesure qui leur a permis de débusquer plusieurs caches d’armes et d’arrêter de nombreuses personnes, comme un commerçant très connu de Diffa, présenté comme un lieutenant de Boko Haram au Niger. Le crieur de la ville arpente les rues depuis quelques jours, encourageant les habitants à dénoncer ceux qui ont collaboré avec la secte, les menaçant de la « loi du Coran » s’ils ne collaborent pas.

Certains chercheurs, mais aussi des députés et des organisations internationales, s’inquiétaient depuis déjà plusieurs mois de l’existence de ces cellules dormantes. Les jeunes de Diffa sont pour la plupart au chômage, beaucoup fréquentent des écoles coraniques. Boko Haram leur propose des sommes d’argent, des habitants parlent de 300 000 Fcfa (460 euros), pour qu’ils deviennent leurs agents de renseignement ou même des combattants, qu’ils vont former au Nigeria. Leurs familles sont menacées pour les dissuader de parler, certains parents ont même été exécutés ces derniers mois.

Les islamistes se seraient aussi infiltrés parmi les quelque 150 000 personnes qui ont fui les violences du nord du Nigeria pour se réfugier de l’autre côté de la frontière. Grâce à l’état d’urgence, le calme est aujourd’hui revenu à Diffa, hormis quelques tirs lointains, et les habitants commencent progressivement à rentrer chez eux. Les islamistes ont été repoussés loin derrière la frontière côté nigérian, mais les combattants qui s’étaient infiltrés au Niger se seraient dirigés vers l’ouest, en tentant de se mêler à la population qui fuyait les violences : dimanche le gouverneur de Zinder annonçait avoir arrêté plusieurs dizaines d’islamistes présumés. À Diffa, d’après une autorité locale, près de 200 personnes ont été arrêtées car elles n’avaient pas de papiers d’identité : 87 Nigérians, une centaine de Tchadiens et quelques Nigériens. Les Tchadiens ont été remis aux services d’immigration, les autres doivent être interrogés par la cellule antiterroriste à Niamey.

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L’armée nigérienne a-t-elle déjà commencé à intervenir au Nigeria ?

Jusqu’à présent, les militaires nigériens n’ont effectué que quelques incursions en territoire nigérian : pour repousser les combattants de Boko Haram après les assauts sur Bosso et Diffa, ou pour détruire leur armement lourd après des vols de reconnaissance. Le 9 février dernier, les députés nigériens ont donné à l’unanimité l’autorisation à leur armée d’intervenir au Nigeria, mais il est prévu que cette intervention se fasse sous l’égide d’une opération réunissant les armées des pays de la sous-région touchés par Boko Haram. i

Les contours de cette force mixte multinationale (FMM) ont d’abord été esquissés lors de la réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine fin janvier, avec comme objectif la participation de 7 500 militaires. Un chiffre revu à la hausse lors d’une autre réunion, à Yaoundé, entre le 5 au 7 février.

Les experts ont relancé le principe d’une force qui existait à l’état embryonnaire depuis plusieurs années sous l’égide de la commission du bassin du lac Tchad, mais en y ajoutant le Bénin. Elle sera composée de 8 700 militaires : 3 250 Nigérians, 3 000 Tchadiens, 950 Camerounais, 750 Nigériens et béninois. La force sera basée à N’Djamena, mais la première année le commandement sera confié aux Nigérians. Impossible pour l’instant de savoir comment ce dispositif sera financé ni quand il entrera en action : les pays attendent peut-être d’obtenir l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU pour rendre publiques les autres conclusions de la réunion de Yaoundé.

Quelle est la situation humanitaire dans la région ?région ?

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Il est très difficile pour les organisations humanitaires d’avoir accès aux populations qui se sont déplacées ces derniers jours. La situation est très complexe : quelque 150 000 personnes se sont réfugiées au Niger depuis le mois d’avril 2014, des Nigérians et des Nigériens exilés, fuyant les violences de Boko Haram. Certaines sont allées dans des camps aménagés par le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR), mais elles sont minoritaires : pour des raisons de sécurité, ces camps sont construits à une cinquantaine de kilomètres de la frontière avec le Nigeria, or c’est là qu’ont lieu les échanges économiques qui permettent à ces populations démunies de survivre.

Ainsi, la majorité s’est installée dans des familles d’accueil nigériennes : 600 000 personnes vivent dans la zone. Mais la région est très pauvre, en déficit alimentaire chronique, les habitants ont donc dû supporter un poids très lourd avec l’arrivée de ces réfugiés et retournés : des villages de 3 000 âmes se sont retrouvés avec 14 000 habitants en quelques mois.

Avec les violences de ces derniers jours, les mouvements de population ont été très importants, mais difficiles à quantifier. Seul le gouverneur de Zinder a pu donner un chiffre ce week-end : 4 000 personnes ont trouvé refuge dans sa ville. Le HCR espère reprendre bientôt ses activités dans la région de Diffa, mais craint pour la sécurité de ses travailleurs lorsqu’ils doivent se déplacer entre les villages.

Les Nigériens sont-ils favorables à cette intervention militaire ?

S’il est vrai qu’une bonne partie de la population du sud du pays partage la même ethnie, la même langue et la même culture que les habitants du nord Nigeria, les Nigériens dans leur ensemble qualifient les combattants de Boko Haram de terroristes, et sont très choqués par leurs attaques, notamment celles qui ont visé des musulmans et des mosquées au Nigeria. Malgré les profondes divisions entre le président Issoufou et les partis de l’opposition, les députés ont autorisé à l’unanimité l’intervention de leur armée au Nigeria, comme ils l’avaient fait pour le Mali en 2013.

Mais ce consensus national ne durera peut-être pas : l’ARDR, l’alliance des partis de l’opposition, a annoncé qu’elle ne participerait pas à la grande manifestation organisée ce mardi 17 février à l’initiative du gouvernement, en soutien aux populations attaquées par Boko Haram et à ses forces armées.

Lire aussi : A Yaoundé, la riposte régionale contre Boko Haram s’organise

Maureen Grisot Suivre Aller Abidjan, correspondance sur la page de Réagir Classer Partager Email ce FacebookTwitterGmailLinkedinPinterest journaliste

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A l’issue de cette réunion, les Etats de la région se sont Les Etats engagés à débloquer une aide d’urgence de 50 milliards d’Afrique de francs CFA (76 millions d’euros) et à apporter un centrale se soutien « multiforme » au Cameroun et au Tchad. « Ils sont peuvent nous fournir de l’armement, des avions de engagés à transport de troupes, des hôpitaux de campagne, du débloquer carburant », avance un proche de la présidence une aide camerounaise, précisant que « cela servira pour le court d’urgence de terme avant que la communauté internationale vole à 76 millions notre secours ». d’euros et à apporter un Le 7 février, les quatre pays (Nigeria, Cameroun, Tchad soutien « et Niger) affectés par les attaques de Boko Haram, ainsi multiforme que le Bénin, s’étaient accordés pour former une force » au multinationale mixte (FMM) de 8 700 hommes mais, Cameroun et selon une source française, « le financement est loin au Tchad d’être gagné et les Etats de la région n’ont pas des capacités infinies avec la baisse des cours du pétrole ». Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, est attendu cette semaine pour signifier le soutien de la France à cette FMM alors que Paris fait tout pour ne pas être aspiré militairement dans ce conflit. « Ce n’est plus dans l’air du temps. Avec plus de 10 000 hommes mobilisés après les attentats, les effectifs manquent », estime une source officielle.

Au Cameroun, cette posture a souvent du mal à être entendue. « On ressent cette froideur entre notre président et François Hollande. Nous ne demandons pas forcément une intervention directe, mais un encadrement, des conseils. Après le sommet de Paris [le 17 mai 2014], nous espérions plus d’engagement », soupire un député du parti au pouvoir, précisant que cette guerre a déjà coûté à son pays 640 milliards de francs CFA (975 millions d’euros) en 2014.

Cellules dormantes

Le Cameroun est aujourd’hui plongé dans une guerre qu’il a tout fait pour éviter. La région de l’extrême nord était devenue depuis plusieurs années un vivier de recrutement et une zone de ravitaillement des insurgés nigérians, mais Paul Biya se refusait à ouvrir les hostilités contre l’ennemi de ce voisin avec lequel les relations, faites de conflits frontaliers, sont loin d’être apaisées. Lorsque les djihadistes ont commencé à déborder sur son territoire voilà deux ans, il a opté pour de discrètes négociations menées par des notables de la région afin d’obtenir la libération des otages français, la famille Moulin-Fournier le 19 avril 2013 puis celle du père Vandenbeusch, le 31 décembre de la même année. Des rançons ont été payées et des islamistes ont été libérés des prisons. i

« Lorsqu’il a déclaré la guerre à Boko Haram depuis Paris, la surprise était totale », reconnaît un proche de la présidence. Depuis, la hiérarchie militaire dans la région septentrionale a été remplacée. Des hélicoptères de combat, des blindés, des systèmes de renseignement ne devraient pas tarder à venir renforcer les lignes qui tiennent la frontière. « Nous sommes en période de montée en puissance. Dans trois mois, nous aurons beaucoup plus de moyens », assure le colonel Joseph Nouma, le commandant du BIR dans l’extrême nord. Trois mille de ces soldats d’élite, conseillés par des instructeurs israéliens et américains, sont en cours de formation.

Si la guerre est encore circonscrite au nord, la crainte d’attentats à Yaoundé ou à Douala est réelle. Des sources diplomatiques et sécuritaires évoquent la probabilité de cellules dormantes dans les deux plus grandes villes du pays. Dans ce contexte, les autorités ont promulgué, fin décembre 2014, une loi antiterroriste particulièrement restrictive pour les libertés publiques. Toute personne reconnue coupable de « terrorisme » est désormais punissable de la peine de mort et le champ d’application de cette loi va bien au-delà des actions djihadistes.

En effet, est défini comme « terrorisme » le fait de « contraindre le gouvernement ou une organisation internationale (!) et de perturber le fonctionnement des services publics (!) ou de créer une situation de crise au sein des populations ». Des opposants, des défenseurs des droits de l’homme mais aussi des proches du pouvoir considèrent qu’au prétexte de la guerre, un régime d’exception vient d’être instauré afin d’empêcher toute contestation politique ou sociale.

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La violence de Boko Haram expliquée en cartesVisuel interactif Clearly, the LCBC-led MNJTF, in its current configuration, is needed to contain the regional expansion of Boko Haram; but it makes sense only if Nigeria fully plays its role in fighting the insurgency on its territory. In that regard, regional and international pressure appears to have triggered a long-awaited national response. As Nigeria and its neighbours prepare to undertake major military operations, it is worth mentioning that any long-term solution will require an approach that goes beyond security and military responses. Such an approach should also include development and policy responses that will make it more di"cult for groups such as Boko Haram to tap into legitimate grievances of people in marginalised regions. Lori-Anne Théroux-Bénoni, O"ce Head, Conflict Prevention and Risk Analysis Division, ISS Dakar

The publication of this article was made possible through the support from the International Development Research Center.

______La lutte contre Boko Haram entre enjeux nigérians et politique régionale L’armée nigériane s’apprêterait à lancer une opération militaire de grande envergure contre Boko Haram. L'appareil sécuritaire a toutefois reconnu qu'il n’aura pas la capacité de mener simultanément une opération contre le groupe insurrectionnel islamiste et de sécuriser e"cacement le processus électoral en cours. Dans ce contexte, la commission électorale a annoncé, le 7 février, que la série d’élections qui devait initialement commencer le 14 février, débutera finalement le 28 mars. Les partis d'opposition ont dénoncé cette décision, la considérant comme un calcul politique émanant du parti au pouvoir alors qu’il se trouve en di"culté à l’approche des élections. L’annonce d’une o!ensive imminente - aussi opportuniste puisse-t-elle être sur le plan politique - découle probablement aussi de la pression régionale et internationale face à la menace croissante posée par Boko Haram. «Il n'y aura pas de troupes étrangères au Nigeria pour lutter contre Boko Haram.» Pendant des mois, telle a été la réponse invariable des autorités nigérianes quand un appui militaire extérieur leur était proposé. Pourtant, la semaine dernière, les troupes tchadiennes sont entrées au Nigeria par le Cameroun et ont engagé d'intenses combats avec le groupe armé islamiste dans la ville de Gamburu. Ces combats se sont déroulés quelques jours après que le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine a autorisé une version revue de la Force Multinationale Mixte (FMM) contre Boko Haram, lors de sa réunion du 29 janvier, en prélude au sommet de l'UA tenu à Addis Abéba les 30 et 31 janvier. Si ces développements ont largement été interprétés comme un changement dans la politique étrangère et sécuritaire du Nigeria, une lecture attentive indique cependant que la position d’Abuja n'a pas fondamentalement évolué. En e!et, le pays demeure réticent quant à une intervention étrangère sur son territoire. Il compte bien conserver le contrôle et exercer son leadership dans toute tentative de combattre le groupe terroriste. Les troupes tchadiennes sont certes entrées au Nigeria, mais c’était dans le cadre d'un accord militaire bilatéral, et pas dans le cadre d'une force multinationale. Quant à la FMM autorisée par l’UA, elle ne sera pas déployée sur le territoire nigérian mais dans les zones frontalières des pays voisins avec, pour objectif, de contenir l'expansion régionale du groupe terroriste. Pour ceux qui continuent de se soucier des écolières de Chibok qui ont été enlevées et des victimes des autres actes terroristes perpétrés par Boko Haram, les modalités annoncées du déploiement de la FMM constitutent forcément une déception. La FMM apparaît largement en décalage avec le type de force qui aurait été nécessaire sur le terrain, au Nigeria, pour éliminer la menace posée par Boko Haram. Une force robuste à l’image de la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM), qui combat les islamistes d'Al-Shabaab depuis 2007, aurait semblé plus adéquate. La configuration de l'Initiative de coopération régionale de l’UA pour l'élimination de l’Armée de résistance du seigneur, qui a été créé en 2011, aurait aussi pu être envisagée. Un autre modèle encore aurait pu être trouvé dans le format initial de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), dans laquelle l'armée nationale devait jouer le premier rôle dans les opérations, soutenue par la force africaine, afin de reprendre le territoire alors contrôlé par des groupes armés sécessionnistes ou djihadistes dans le septentrion malien. Au lieu de cela, s’appuyant sur des «contingents déployés sur leur territoire national», la FMM sera mandatée pour conduire des «opérations visant à prévenir l'expansion de Boko Haram, ainsi que d'autres groupes terroristes et d'éliminer leur présence». Elle facilitera également «la conduite de patrouilles conjointes/simultanées/coordonnées et d'autres types d'opérations aux frontières des pays touchés ». L'autorisation par l'UA de la Force multinationale mixte a été demandée par les États membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) - le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigeria - ainsi que par un État non membre, le Bénin, à la suite d’une réunion ministérielle qui s’est tenue le 20 janvier dernier à Niamey au Niger. La conférence de planification visant à développer le concept d’opérations de cette force multinationale a eu lieu à Yaoundé, au Cameroun, du 5 au 7 février dernier. Il a été convenu que la force de 8 700 hommes basée à N'Djamena, au Tchad, serait autorisée à exercer un «droit de poursuite» sur le sol nigérian. La finalisation d’un concept d'opérations est considérée comme une étape cruciale dans la légitimation de la force - et peut-être dans la mobilisation de son financement - par l'Organisation des Nations Unies (ONU), à travers une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. Il faut donc s’attendre, dans un avenir proche, à voir le Nigeria tenter de s’attaquer à l'insurrection sur son territoire national tandis que les partenaires régionaux et internationaux, qu’ils agissent ou non dans le cadre de la FMM, sécuriseraient les zones frontalières pour empêcher Boko Haram de se répandre davantage dans les pays voisins. Jusqu'à récemment, le Nigeria envisageait le problème Boko Haram comme une question strictement nigériane. Le statut du pays, puissance régionale, voire continentale, sur les plans politique, militaire, économique et démographique, a rendu di"cile la remise en cause de cette conception par les partenaires africains et internationaux du Nigeria malgré les revers militaires graves que ses forces fédérales ont essuyés. Toutefois de larges pans du territoire nigérian ont commencé à tomber sous le contrôle de Boko Haram, un nombre croissant de réfugiés ont a#ué vers le Niger et le groupe a commencé à commettre des attaques dans le nord du Cameroun tout en menaçant les routes commerciales vers le Tchad. Il est dès lors devenu flagrant que la situation était hors de contrôle, et que la réponse du gouvernement nigérian était insu"sante. Devant l’apparente incapacité d’Abuja à réprimer l'insurrection, et son refus d’une assistance militaire sous la forme d'une intervention multinationale étrangère sur son territoire, seule une solution intermédiaire était envisageable. Une force multilatérale dont l’objectif serait de contenir la menace était la seule forme acceptable d'intervention étrangère qu’Abuja pouvait tolérer. Sans l’assentiment du Nigeria, aucune solution durable au problème posé par Boko Haram n’est envisageable. Le contexte politique incertain, avec des élections générales qui se profilent à l’horizon, complique encore davantage la réaction nationale. La réticence du Nigeria quant à une intervention régionale sur son territoire peut également être liée à la suspicion qui caractérise les relations entre certains des pays du bassin du lac Tchad. C’est précisément pour régler les di!érends et rapprocher ses pays membres sur les questions de développement, de sécurité et d'intégration que la CBLT a été fondée en 1964. C’est aussi dans cet esprit que le prédécesseur de la force multinationale mixte, appelée la Force multinationale conjointe de sécurité, a été créée dans les années 1990 pour traiter des questions de sécurité transfrontalière dans la région du lac Tchad. À son 14ème sommet des chefs d'État et de gouvernement, tenu au Tchad, en avril 2012, la CBLT a décidé de réactiver cette force et d'étendre son mandat pour y inclure la mission de contenir la menace Boko Haram. Le siège de la force, situé dans la ville de Baga, dans l'État de Borno au Nigeria, est tombé entre les mains de Boko Haram début janvier 2015. Depuis le début des discussions visant à mettre en place la FMM, Abuja a soit diplomatiquement boycotté l'initiative, soit usé de manœuvres pour s’assurer qu'il garderait le leadership sur toute entreprise militaire. En plus de la di"culté de traiter un tel défi multidimensionnel, les explications de ce comportement sont à trouver dans les questions de souveraineté, de fierté nationale et d'image politique. Les partenaires du Nigeria devraient garder ces facteurs à l'esprit lorsqu’ils cherchent à aborder la question de Boko Haram avec le principal pays concerné. De toute évidence, la force multinationale de la CBLT, dans sa configuration actuelle, est nécessaire pour contenir l'expansion régionale de Boko Haram; mais cette force n’a de sens que si le Nigeria joue pleinement son rôle dans la lutte contre l'insurrection sur son territoire. À cet égard, la pression régionale et internationale semble avoir déclenché une réponse nationale longtemps attendue. Alors que le Nigeria et ses voisins se préparent à entreprendre des opérations militaires majeures, il convient de mentionner que toute solution à long terme nécessitera une approche qui va au-delà des nécessaires réponses sécuritaire et militaire. Une telle approche devrait également inclure des réponses politiques, économiques et sociales, qui rendront la tâche plus di"cile pour des groupes tels que Boko Haram d’exploiter les griefs légitimes des populations dans les régions marginalisées. Lori-Anne Théroux-Bénoni, Directrice du bureau, Division Prévention des conflits et analyse des risques, L’ISS Dakar Institute for Security Studies, 15 février 2015

Ce travail a été mené grâce à un appui du Centre de recherche en développementinternational du Canada. BOKO HARAM Boko Haram : la sale guerre a commencé 24/02/2015 à 13:00 Par François Soudan

Composée des troupes du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad, la force régionale s'est lancée dans la bataille pour enrayer l'avancée de la secte jihadiste Boko Haram. Une course contre la montre est engagée pour détruire un ennemi insaisissable et multiforme.

Lorsqu'il a fait ouvrir le feu sur les hordes La ville nigériane de Gambaru, réduite en cendres par les islamistes en mai 2014. © Jossy de combattants qui se ruaient vers la Ola/AP photo prison de Diffa, le 9 février à l'aube, le commandant nigérien de la garnison a d'abord cru qu'il s'agissait de diables : "Ils paraissaient ne jamais mourir et mes hommes m'ont dit que leurs grigris étaient très puissants." Avant de s'apercevoir que ceux que lui-même et ses collègues tchadiens et camerounais appellent les "BH" (Boko Haram) avançaient par vagues suicides identiques, sans jamais chercher à se protéger. L'assaut a été facilement repoussé ce matin-là, mais le Niger était, pour de bon, entré en guerre.

La décision de mettre sur pied une force régionale de 8 700 hommes issus de quatre pays frontaliers du Nigeria plus ce dernier, avec état-major opérationnel à N'Djamena, et destinée à traquer ce qui est sans doute le groupe armé le plus violent au monde, a été scellée en marge du dernier sommet de l'Union africaine, fin janvier à Addis-Abeba. Il a fallu pour cela tordre le bras au Nigeria, où la secte d'Abubakar Shekau contrôle un territoire de 20 000 km! qui s'étend entre les États de Borno et de Bauchi, et le menacer de déclencher des droits de poursuite sans son autorisation, pour que cette plateforme mutualisée puisse voir le jour.

Des pressions directes soutenues par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, facilitées par l'entente qui, désormais, est de mise entre les trois présidents francophones de la ligne de front : le Camerounais Paul Biya, le Nigérien Mahamadou Issoufou et le Tchadien Idriss Déby. Parrain transfrontalier dont l'armée est déjà engagée au Mali, mais aussi aux confins de la Libye, du Soudan et de la Centrafrique, ce dernier fait figure de chef de file. Tant par leur puissance de feu que par la qualité de leur encadrement, les hommes de l'ANT (Armée nationale tchadienne) seront le fer de lance de l'offensive générale qui s'annonce. Mais si les plans d'attaque, avec pour objectif majeur la ville de Maiduguri, métropole du Nord-Est nigérian encerclée par Boko Haram, sont prêts, la question du financement reste encore en suspens.

Américains, Français, Britanniques et Canadiens n'offriront guère plus que du renseignement, des survols de drones, un minimum d'aide logistique et technique, du conseil pour la planification L'essentiel du coût de des opérations et quelques dizaines d'éléments cette nouvelle guerre devra être de leurs forces spéciales. L'essentiel du coût de supporté par l'Union africaine, cette nouvelle guerre devra être supporté par l'ONU, l'Union européenne peut- l'Union africaine, l'ONU, l'Union européenne être, et les pays concernés eux- peut-être, et les pays concernés eux-mêmes. mêmes. Pour l'instant, c'est sur fonds propres et grâce aux 50 000 litres de carburant que leur livre chaque semaine le Cameroun que les détachements de l'ANT ont entrepris les premiers ratissages. En attendant le jour J, prévu pour le 1er avril.

L'armée nigériane humiliée

Que se passera-t-il ensuite ? C'est un peu l'inconnu. L'attitude de l'armée nigériane, passablement humiliée depuis cinq ans par son incapacité à réduire la rébellion jihadiste et minée par la corruption, demeure une énigme. Ses officiers, dont la majorité est originaire du Sud chrétien (l'état-major répugnant à laisser le commandement des troupes à des militaires nordistes, par crainte des défections), et qui ne connaît ni les habitants ni la langue locale, coopéreront-ils aisément avec des troupes étrangères, pour l'essentiel musulmanes, habituées à ce type de terrain et aux règles d'engagement différentes ?

Les Tchadiens, dont l'armée est disciplinée, ont ainsi privilégié au sein de leur corps expéditionnaire des officiers parlant le kanouri, langue d'une communauté transfrontalière de 8 à 10 millions d'âmes présente au Nigeria, au Niger, au Tchad et dans l'Extrême-Nord du Cameroun et vivier de recrutement quasi exclusif de Boko Haram. Pas sûr que les chefs des Nigerian Armed Forces considèrent avec bienveillance ce choix tactique, à leurs yeux extrêmement risqué.

Encore creusé par l'affrontement préélectoral entre Goodluck Jonathan et Muhammadu Buhari, le fossé Sud-Nord n'a il est vrai jamais autant divisé le Nigeria : "L'opinion partagée dans le Nord est que Goodluck entretient, voire finance l'insurrection de Boko Haram pour mieux diviser les musulmans, commentait il y a peu un chef d'État de la région, alors que dans le Sud, il n'est pas rare d'entendre que plus les musulmans se tuent entre eux, mieux c'est. Vous voyez où ils en sont !" L'armée nigérienne, ici à Dosso en décembre, a rejoint la coalition régionale le 9 février. © Vincent Fournier / J.A.

Distributions de nourriture et prières de masse

L'autre point d'interrogation est la capacité de résistance des 6 000 à 12 000 hommes de la secte, que la force régionale ambitionne de prendre en étau après avoir bouclé les frontières. On sait peu de chose de la façon dont Shekau et son fantomatique Conseil de la Choura de trente membres administrent leur "califat". Entre deux séries d'exécutions de "traîtres" (souvent des membres des milices locales d'autodéfense), qui dégénèrent en tueries aveugles où les vieillards et les enfants ne sont pas épargnés, les jihadistes nigérians, infiniment plus cruels que leurs homologues maliens, somaliens ou même syro-irakiens, tentent parfois de gagner les coeurs et les esprits de leurs sujets.

Distributions de nourriture et séances de prières de masse rythment ainsi la vie de Bama, localité Les chefs de Boko Haram de l'État de Borno conquise par la secte en ont pour habitude de droguer septembre 2014, où l'émir local de Boko Haram leurs combattants afin qu'ils s'est installé dans le palais du Shehu, entouré soient indifférents à la mort. de jeunes filles épousées de force. Cet ancien poissonnier peut il est vrai se permettre un peu de répit : il a, dès son arrivée, fait massacrer tous les hommes de la localité qui refusaient de lui prêter allégeance. Face à un ennemi multiforme et insaisissable, adepte des attentats kamikazes, qui a largement infiltré les camps de réfugiés et enrôle de plus en plus de jeunes au Niger, au Tchad et au Cameroun, l'offensive qui se prépare vise la tête du serpent afin de la couper de ses métastases.

Les chefs de Boko Haram ayant pour habitude de droguer leurs combattants afin qu'ils soient indifférents à la mort, cette guerre à huis clos sera sans doute longue - bien au-delà des six semaines fanfaronnées par le conseiller à la sécurité du président nigérian - et très certainement sanglante. Nul doute pourtant qu'il s'agisse là d'une guerre aussi juste et nécessaire que le fut, il y a deux ans déjà, celle du Mali.

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Aux Nations unies, la France peine à mobiliser contre Boko Haram

http://www.lefigaro.fr/international/2015/02/23/01003-20150223ARTFIG00326-aux-nations-unies-la-france-peine-a- mobiliser-contre-boko-haram.php

À la frontière entre le Nigeria et le Cameroun, la semaine dernière, des soldats tchadiens en lutte contre Boko Haram s'entretiennent avec leurs alliés camerounais. Crédits photo : Edwin Kindzeka Moki/AP

La diplomatie française tente d'imposer l'idée d'une force africaine multinationale contre la secte islamiste.

Seuls en première ligne face à Boko Haram, le Niger, le Tchad, le Cameroun comptent sur les doigts de la main leurs soutiens internationaux. La France, un des rares pays préoccupés1 par les gains territoriaux des milices islamistes en Afrique de l'Ouest, joue elle- même en ce sens une partition délicate au Conseil de sécurité des Nations unies. «Seule», selon une source proche de l'ONU, à favoriser l'émergence rapide d'une force multinationale africaine anti-Boko Haram2, elle se heurte à l'indifférence polie de ses partenaires et au silence assourdissant, voire au scepticisme, des quatre autres États membres permanents du Conseil. La Grande-Bretagne feint de s'impliquer. La Russie pourrait suivre mais ne prendra aucune part active dans la mise en place. Idem pour la Chine, qui surveille ses propres extrémistes comme le lait sur le feu. Les États-Unis, conscients de la débandade nigériane face aux illuminés de Boko Haram, «regardent de loin», selon un diplomate occidental.

Officiellement, la position de Paris consiste donc à laisser le Tchad et le Nigeria, les deux États membres non permanents du Conseil concernés au premier chef, «aller de l'avant» et proposer une ébauche de résolution, en se contentant de la soutenir vigoureusement sans toutefois s'associer à sa rédaction. Selon le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, cité par RFI, cette ébauche de résolution devrait «d'abord recevoir l'onction de l'Union africaine (UA)», puis «passer au vote, fin mars ou début avril».

« Nous allons essayer de convaincre l'ensemble des membres du Conseil de sécurité qu'il faut absolument le faire, non seulement sur le plan purement sécuritaire, mais il va falloir aussi accompagner cela d'une aide humanitaire, parce que dans certaines zones la famine menace, et d'une aide au développement » Laurent Fabius, souhaitant une résolution légitimant l'action des soldats nigériens, tchadiens et camerounais contre Boko Haram Mais, à New York, la pusillanimité des délégations africaines laisse entrevoir un scénario légèrement différent, que certains diplomates évoquent du bout des lèvres: celui où la France, comme pour la Libye en 2011 ou le Mali en 2013, serait une nouvelle fois appelée à prendre ses responsabilités dans son ancien pré carré et «porter l'affaire devant les Nations unies» si nécessaire, faute de bonne volonté de la part de ses partenaires habituels.

Cette implication française, comprise depuis le début des opérations militaires africaines contre Boko Haram comme un soutien logistique, technologique et matériel, ne pourrait être formalisée que si ces trois États conjuguaient leurs forces de manière à présenter une structure de commandement unifiée et un concept opérationnel harmonisé, visant à rassurer les parrains potentiels, mais frileux, d'une telle aventure militaire aux confins de l'Afrique.

À New York, pourtant, ce sont bien les diplomates français qui tirent la sonnette d'alarme: si Boko Haram venait à étendre son influence sur l'Afrique de l'Ouest francophone, le spectre d'une jonction avec les groupes islamistes libyens ayant fait allégeance à l'État islamique en Syrie deviendrait réalité, plongeant le continent africain dans une effrayante dérive obscurantiste.

Cette menace peut-elle être encore contenue, voire repoussée et neutralisée, malgré la démission militaire du Nigeria? Une résolution légitimant l'action des soldats nigériens, tchadiens et camerounais, en pointe face à Boko Haram mais esseulés, semble requise sans délai. «Nous allons essayer de convaincre l'ensemble des membres du Conseil de sécurité qu'il faut absolument le faire, a ajouté Laurent Fabius, non seulement sur le plan purement sécuritaire, mais il va falloir aussi accompagner cela d'une aide humanitaire, parce que dans certaines zones la famine menace, et d'une aide au développement.»

Maurin Picard

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Maurin Picard

Liens:

1 http://www.lefigaro.fr/international/2015/02/04/01003-20150204ARTFIG00428-la-france-effectue-des-vols-de-reconnaissance-a-proximite- du-nigeria.php

2 http://www.lefigaro.fr/international/2015/02/08/01003-20150208ARTFIG00172-la-force-africaine-contre-boko-haram-se-dessine.php

3 http://www.lefigaro.fr/international/2015/02/22/01003-20150222ARTFIG00130--minawao-parmi-les-victimes-de-boko-haram.php

4 http://www.lefigaro.fr/international/2015/02/13/01003-20150213ARTFIG00405-en-guerre-contre-boko-haram.php

5 http://www.lefigaro.fr/international/2015/02/10/01003-20150210ARTFIG00383-le-niger-entre-en-guerre-contre-boko-haram.php

6 http://www.lefigaro.fr/international/2015/02/05/01003-20150205ARTFIG00459-francois-hollande-reaffirme-la-priorite-de-la-guerre-au- terrorisme-international.php

7 http://www.lefigaro.fr/international/2015/02/04/01003-20150204ARTFIG00422-la-guerre-du-tchad-contre-boko-haram.php

8 http://www.lefigaro.fr/international/2015/01/28/01003-20150128ARTFIG00419-l-afrique-del-ouest-veut-s-unir-contre-boko-haram.php