Sénégal 2000-2004, L'alternance Et Ses Contradictions
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Sénégal 2000-2004, l’alternance et ses contradictions Tarik Dahou, Vincent Foucher To cite this version: Tarik Dahou, Vincent Foucher. Sénégal 2000-2004, l’alternance et ses contradictions. Politique africaine, Karthala, 2004. halshs-01973965 HAL Id: halshs-01973965 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01973965 Submitted on 28 Jan 2019 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. 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Par la suite, à rebours des approches habituelles qui analysaient les confréries musulmanes en zone rurale comme des systèmes d’exploitation, D. Cruise O’Brien a expliqué comment l’échange politique clientéliste organisé par les marabouts entre la paysannerie et l’État était avant tout un mécanisme d’intégration politique 2. À la fin des années 1970, à l’ère des autocratismes triomphants, le retour précoce au multipartisme et le départ volontaire du président Léopold Sédar Senghor en 1980, remplacé par son jeune Premier ministre Abdou Diouf, ont consacré l’idée d’une success story sénégalaise. * « Changement », en wolof, et slogan d’Abdoulaye Wade pendant ses années d’opposition. 1. Lire G. W. Johnson, The Emergence of Black Politics in Senegal, Stanford, Stanford University Press, 1971. 2. D. Cruise O’Brien, Saints and Politicians. Essays in the Organisation of Senegalese Peasant Society, Londres, Cambridge University Press, 1975. 01. dossier 96dv 28/01/05 16:20 Page 6 LE DOSSIER 6 Sénégal 2000-2004, l’alternance et ses contradictions Rapidement, pourtant, cette première transition a déçu : la crise des années 1980, la poursuite de l’ajustement structurel, la dégradation des conditions de vie, le début du conflit en Casamance ont suscité une relecture critique de la vie politique du pays. Sous l’impulsion d’universitaires sénégalais, la recherche s’est écartée d’une conception linéaire du changement politique, en décrivant la crise du contrat social, les stratégies de survie du parti-État et la détotalisation de la société 3. Pour relativiser les transformations opérées sous A. Diouf, à la suite de J.-F. Bayart, R. Fatton 4 emprunte à A. Gramsci la notion de « révolution passive » : l’ouverture politique a été très contrôlée, la mise à l’écart des « barons » du Parti socialiste (PS), très relative, et les procédures de pouvoir, entre coercition et cooptation, n’ont pas évolué. L’élection présidentielle de février-mars 2000 est survenue à un moment où le régime de Diouf semblait à bout de souffle. À l’approche du scrutin, l’inquiétude était à son comble. Mais, le 30 mars, Abdoulaye Wade, leader du Parti démocratique sénégalais (PDS) et principal opposant de L. S. Senghor et A. Diouf, était élu au second tour de scrutin, et Diouf reconnut sa défaite. Cette alternance politique, survenue au moment où la Côte d’Ivoire subissait le premier coup d’État de son histoire, a revivifié une lecture idéaliste et linéaire de la vie politique du Sénégal, confirmant l’idée si souvent formulée d’une exceptionnalité sénégalaise 5. Quatre ans après l’alternance, d’abord chez les intellectuels sénégalais, puis chez les analystes étrangers, l’enthousiasme est à nouveau retombé ; le dépit est à la hauteur des espérances suscitées par l’alternance, et les observateurs expriment ouvertement leur crainte d’une dérive autocratique et patrimonialiste du régime. Emblématique de cette crise de légitimité, l’ouvrage du journaliste A. L. Coulibaly, Wade, un opposant au pouvoir. L’alternance piégée ?, paru en juillet 2003 6, décrit en termes impitoyables le caractère clientélaire et ultra- personnaliste du nouveau régime, tout en insistant sur son amateurisme. Cet ouvrage, que M.-C. Diop décrit comme « la plus importante production contre-hégémonique notée au Sénégal depuis mars 2000 7 », a déclenché une tempête politique – des menaces de mort anonymes contre son auteur et contre l’avocat de ce dernier, une prolifération d’interprétations et de virulentes polémiques. Les observateurs extérieurs, quant à eux, ne se montrent pas moins critiques, et M. Ottaway n’hésite pas à faire du Sénégal de Wade l’un des cas de son étude sur le semi-autoritarisme émergent 8. Comment sortir de cette historiographie ondulatoire, qui gomme la dia- chronie des processus de changement politique ? Plus prudents que bien des commentateurs, M.-C. Diop et M. Diouf 9, échappant à la fièvre du sopi, ont émis l’hypothèse désenchantée que l’alternance allait aboutir à une nouvelle révolution passive. Mais, de même que la première révolution passive, celle 01. dossier 96dv 28/01/05 16:20 Page 7 Politique africaine n° 96 - décembre 2004 7 de Diouf, avait finalement conduit à l’alternance, il s’agira ici, par-delà le scepticisme politique et le succès actuel des critiques de Wade, d’essayer de percevoir les évolutions de fond de la société sénégalaise, travaillée par des processus contradictoires. La recomposition de l’économie politique du pays autour de la migration se poursuit. Si elle n’échappe pas totalement à l’État, elle conforte une détotalisation, une pluralisation de la société qui ont été les véritables moteurs de l’alternance. Certes, depuis mars 2000, le nouveau régime a pu, en jouant la carte de l’externalisation, obtenir des marges d’action inespérées, encore confortées par une situation économique favorable ; il s’est donc engagé dans un processus de construction hégémonique. Mais ses tentations autoritaires – et la résistance qu’elles suscitent – témoignent de ce que le pouvoir reste frustré dans sa volonté de contrôle. La tendance politique de fond semble bien être à la pérennisation d’une scène politique véritablement compétitive. En contredisant une fois encore les pronostics, cette formation de la démocratie sénégalaise s’appuie sur un islam transformé en espace de débat et sur un clientélisme pluraliste. Une économie politique recomposée Avant l’alternance, le sociologue sénégalais Malick Ndiaye 10 avait fait un éloge de l’informel, voyant dans la figure du moodu-moodu –le migrant illettré et pieux, circulant de par le monde avec ses ballots de marchandise – 3. Lire M.-C. Diop et M. Diouf, « Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, et après? », in D. Cruise O’Brien, M.-C. Diop et M. Diouf (dir.), La Construction de l’État au Sénégal, Paris, Karthala, 2002, p. 101-141 ; M. Diouf, « L’échec du modèle démocratique au Sénégal, 1981-1993», Afrika Spectrum, n° 1, 1994, p. 47-64. 4. R. Fatton, The Making of a Liberal Democracy : Senegal’s Passive Revolution 1975-1985, Boulder, Co., Lynne Rienner, 1987. 5. Voir, notamment, S. Gellar, « Pluralisme ou jacobinisme : quelle démocratie pour le Sénégal ? », in M.-C. Diop (dir.), Le Sénégal contemporain, Paris, Karthala, 2002, p. 507-528 ; B. J. Hesse, « The Peugeot and the baobab : Islam, structural adjustment and liberalism in Senegal », Journal of Contemporary African Studies, 22 (1), 2004, p. 3-12. Pour une lecture plus critique de cette exceptionnalité, lire C. Coulon, « La tradition démocratique au Sénégal : histoire d’un mythe », in C. Jaffrelot (dir.), Démocraties d’ailleurs. Démocraties et démocratisation hors d’Occident, Paris, Karthala, 2000, p. 67-91. 6. A. L. Coulibaly, Wade, un opposant au pouvoir. L’alternance piégée ?, Dakar, Les éditions Sentinelles, 2003. 7. M.-C. Diop, « Essai sur l’art de gouverner le Sénégal », in M.-C. Diop (dir.), Gouverner le Sénégal. Entre ajustement structurel et développement durable, Paris, Karthala, 2004, p. 34. 8. M. Ottaway, Democracy Challenged : The Rise of Semi-Authoritarianism, Washington, Carnegie Endowment for International Peace, 2003. 9. Lire M.-C. Diop et M. Diouf, « Léopold Sédar Senghor… », art. cit. 10. M. Ndiaye, L’Éthique ceddo et la société d’accaparement ou les conduites culturelles des Sénégalais d’aujourd’hui, Dakar, Presses universitaires de Dakar, 1998. 01. dossier 96dv 28/01/05 16:20 Page 8 LE DOSSIER 8 Sénégal 2000-2004, l’alternance et ses contradictions le symbole de la revanche de la société contre l’État hégémonique du ku jang ekool – le « scolarisé », l’« évolué ». Aujourd’hui, le triomphe du migrant, de plus en plus indiscutable, participe bien d’une remise en cause de la centralité de l’État sans pour autant lui échapper tout à fait. Bien plus, l’État sénégalais lui-même, historiquement formé par l’externalisation, y trouve une force renouvelée. Le triomphe du migrant La culture arachidière, au cœur de l’économie et de l’État sénégalais depuis la période coloniale, ne semble toujours pas se remettre de la crise qui avait entraîné les ajustements structurels des années 1980 et 1990 11. La production reste erratique, et les producteurs se tournent de plus en plus vers les cultures vivrières 12. Mais cette réorganisation ne doit rien à l’action de l’« État paysan », toujours incapable de stimuler la production agricole ; la culture du coton, quant à elle, peine à se développer.