La Genèse de la Force Océanique Stratégique

Sommaire :

• Avant propos

• Le projet nucléaire français

• Développement du missile MSBS de première génération.

• La première charge MSBS

• La construction du Redoutable

• L’armement du Redoutable

Avant propos

Si tous les lecteurs de Plongée ont entendu exceptionnelle aventure politique, mili- parler des sous-marins stratégiques, et si taire et technique, mais aussi, et cela nombre d'entre eux y furent embarqués, peu transparaît à maintes reprises, humaine. connaissent l'odyssée de vingt années qui con- Afin d'éviter des redites entre des articles duisit à leur mise en service opérationnelle. ici regroupés, quelques rares passages L'ensemble de ce dossier est réalisé à partir ont été partiellement coupés. Les illustra- d'articles initialement parus dans tions proviennent pour partie des articles "La Baille" (revue des Anciens Elèves de l'Ecole originaux et pour partie de ma collection Navale), que l'AGASM remercie ici. Les rédac- particulière. teurs en sont les acteurs principaux de cette Jehan Marion

Plongée illustré 2003-2004

06/04/2020 © AGASM 2020 - MNJ Page 2 La Genèse LE PROJET NUCLEAIRE FRANCAIS

De l'impasse du Q 244 à la chaudière avancée prototype Par Christian Olleris( EN 45) (pour le Q 244) et Jacques Chevallier (X 40), à l'époque Directeur du Département de Propulsion Nucléaire (pour les réacteurs nucléaires).

LA DÉCISION INITIALE

Avant d'aborder le déroulement de l'aven- Le problème le plus difficile à résoudre est ture du Q 244, il est utile de se replacer naturellement celui de la matière fissile: dans le contexte de l'époque. Dès octobre nous ne disposons à l'époque ni d'uranium 1945, deux mois après le lancement des enrichi en U 235, ni de plutonium. Dans un bombes d'Hiroshima et de Nagasaki, le souci de logique formelle, quatre voies général de Gaulle crée le Commissariat à sont pourtant envisagées: l'énergie atomique (CEA). - l'uranium naturel modéré à l'eau lourde, Avec le concours d'atomiciens qui - l'uranium faiblement enrichi, s'étaient réfugiés outre-Atlantique pen- dant la guerre, le CEA commence par -l'uranium très enrichi, réaliser en 1948 une petite pile, baptisée - le plutonium. "Zoé", de puissance très faible (quelques kilowatts), donnant tout juste la diver- Si la première est immédiatement acces- gence critique de la réaction en chaîne sible, les trois autres ne peuvent être que avec un peu d'uranium et d'eau lourde. des ambitions! Après ce premier résultat, le CEA, placé à En juillet 1954, le comité de liaison sou- l'époque sous l'autorité technique du haut- met au gouvernement un programme com- commissaire Frédéric Joliot, oriente son portant la réalisation successive de deux activité exclusivement vers les appli- sous-marins : cations. -le premier avec un réacteur à uranium La situation évolue en 1951 avec la nomi- naturel, modéré à l'eau lourde, nation de Pierre Guillaumat comme admi- -le second avec un réacteur à uranium nistrateur général du CEA et représentant faiblement enrichi ou au plutonium. du gouvernement. Homme énergique s'il en fut, il le réorganise rapidement et ob- Ce projet, qui est approuvé par le secré- « Si je fais un sous-marin et tient, avec l'aide de quelques hommes taire d'Etat à la recherche scientifique, est si je ne fais pas appel à un politiques, la mise sur pied d'un véritable bloqué chez le président du Conseil Pierre plan nucléaire à long terme prévoyant la Mendès-France. Tout en n'accordant que amiral ou à un ingénieur de construction de deux réacteurs de puis- le tiers du budget demandé (16 milliards marine pour diriger le projet, sance. Il use de toute son influence pour d'anciens francs au lieu de 45), les ser- obtenir en même temps le lancement d'un vices de Matignon penchent pour l'applica- tous ces gens-là diront que je programme militaire. Dans le cadre de ce tion de la propulsion nucléaire à un bâti- programme, le CEA propose en février ment de surface non militaire: l'idée du suis un imbécile, que mon 1954 à la Marine de créer un «comité de prochain transatlantique qui s'appellera le sous-marin va couler, et liaison Marine-CEA» en vue de réaliser un France est déjà dans l'air. réacteur pour la propulsion d'un sous- j'aurai tout le monde contre marin. A ce stade, Pierre Guillaumat dont la téna- moi.» La Marine s'est intéressée à la propulsion cité en l'affaire fut décisive, réaffirme avec nucléaire dès 1947 : une note du Conseil force la nécessité d'appliquer d'abord la Supérieur de la Marine de l'époque envi- propulsion nucléaire à un sous-marin, et le sage d'utiliser ce mode de propulsion pour gouvernement, qui entre temps a changé, des sous-marins qui seraient d'un tonnage signe en juillet 1955 l'ordre de sa mise en beaucoup plus élevé que ceux qui étaient chantier. Ce sous-marin, qui sera évidem- en service (type Roland Morillot) et dont ment de la première version, recevra le l'unique armement serait des "engins". numéro de coque Q 244 et sera construit à Aussi la proposition du CEA de constituer Cherbourg avec le crédit de 16 milliards un comité de liaison rencontre auprès de d'anciens francs ouvert pour trois ans la Marine un accueil favorable. Ce comité (1955-56-57). se réunit dès le 6 avril. En font partie: les On ne peut qu'être frappé par la rapidité plus hautes autorités de la Marine (chef avec laquelle ce programme a été lancé, d'état-major, directeur des constructions malgré tous les aléas techniques et toutes navales) et du CEA (administrateur géné- les incertitudes de l'époque, et par l'ex- ral, haut-commissaire). Pierre Guillaumat, traordinaire confiance témoignée aux tech- tout à fait conscience que le projet doit niciens par les hommes politiques de notre être dirigé par un ingénieur de la marine, pays. Il est vrai que le précédent du Nauti- dit un jour: « Si je fais un sous-marin et si lus, qui a pris la mer en février 1955, sti- je ne fais pas appel à un amiral ou à un mule l'orgueil national et contribue à faire ingénieur de marine pour diriger le projet, disparaître les oppositions et les lourdeurs tous ces gens-là diront que je suis un im- administratives. De plus, le projet est pro- bécile, que mon sous-marin va couler, et tégé par un secret rigoureux, ce qui met à j'aurai tout le monde contre moi ». l'abri d'un débat d'opinion.

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L'ORGANISATION

Le programme sera cogéré par la Marine et le - du côté CEA, le professeur Yvon est CEA. Pour le sous-marin, y compris la chauf- moins favorisé, il doit faire appel aux ferie hors réacteur, le maître d'œuvre sera autres départements de Saclay pour l'ingénieur général du génie maritime Brard qui lesquels le projet ne revêt pas toujours dirige le groupe des bâtiments à propulsion un caractère prioritaire. atomique (BPA), nouvellement créé au sein des constructions navales. En ce qui concerne Dès le départ, il est entendu que le pro- le réacteur, le maître d'œuvre sera le profes- jet ne se justifie que si on le considère seur Yvon, directeur du département des comme une étape intermédiaire vers études de piles (DEP) à Saclay. une solution à uranium enrichi plus per- Les équipes se mettent rapidement au travail: formante. - du côté BPA, une équipe très motivée ren- forcée d'ingénieurs frais émoulus de l'école du génie maritime œuvre sous l'autorité in- discutée de l'IGM Brard ;

LE PROJET

Depuis la fin de l'année 1954, un travail de entre une solution avec turbo-réducteur défrichage des principaux problèmes a été et une solution turbo-électrique: cette entrepris de part et d'autre, et un avant-projet dernière, bien qu'un peu lourde, est ju- du sous-marin est communiqué au comité de gée préférable parce que plus silen- liaison au début de 1956. Ses caractéristiques cieuse, plus souple et plus facile à em- prin-cipales sont les suivantes. ménager. Un propulseur de secours - Longueur hors-tout: 109,5 mètres. diesel-électrique, avec batterie d'accu- - Diamètre de la coque épaisse: 8,5 mètres. mulateurs, est conservé par prudence. - Déplacement: en surface: 4400 tonnes, en Pour la construction du sous-marin, plongée: 5 400 tonnes. deux approches s'opposent: - Masse de la chaufferie: 1 200 tonnes - dans la première, le tronçon réac- (dont 600 pour la protection). teur doit être construit à part et, après - Puissance du réacteur: entre 60 et 72 des essais menés dans la forme du mégawatts thermiques. Homet, assemblé aux tronçons avant - Vitesse maximale: 23 nœuds. et arrière; - Immersion maximale: 250 mètres. - dans la seconde, un PAT (prototype - Autonomie espérée: 90 jours à la puis- à terre) est réalisé, puis reproduit sance nominale. dans le sous-marin. Le déplacement apparaît considérable, supé- C'est la première approche préconisée rieur à celui de tous les sous-marins antérieurs par l'IGM Brard qui prévaut, elle est et à celui du Nautilus (le Surcouf qui fut le plus moins coûteuse et plus rapide à réaliser. grand du monde en son temps déplaçait seu- Quant à la seconde, on la retrouvera « Une étape intermédiaire lement 3 300 tonnes). Pour le mode de propul- avec le PAT du Redoutable. vers une solution à sion, prévu sur deux lignes d'arbres, on hésite uranium enrichi plus LES DIFFICULTÉS performante. » Deux difficultés fondamentales pèsent dès tonnes pour le poids de la chaufferie et l'origine sur le projet du réacteur. de 200 tonnes pour celui du sous-marin. - Le problème de l'eau lourde: la divergence Devant les difficultés, qui vont croissant, serait « possible» au milieu de 1958, si l'on l'IGM Brard repose de façon pressante parvenait à réunir la quantité d'eau lourde la question de l'uranium enrichi. Le CEA nécessaire, environ 35 tonnes. Or les prévi- fait alors état d'une évolution de la poli- sions d'achat en Norvège et de production tique américaine dans le domaine: le en France conduisent au mieux à disposer président Eisenhower serait prêt à céder de 21 tonnes au premier janvier 1959. à des nations amies de l'uranium enrichi - Le problème de la réactivité qui, on le sait, pour des usages civils, mais tout cela offre très peu de marge, et il faut tout faire reste très flou. Il faut s'en tenir à l'ura- pour éviter de perdre quelques-uns des pré- nium naturel. cieux neutrons. La vitesse sera limitée à 20 nœuds tant Dès les premiers mois de 1956, le dépouille- qu'on ne disposera pas d'uranium enri- ment des renseignements obtenus lors de la chi. Un planning révisé obtient l'accord première conférence de Genève sur l'énergie de la Marine et du CEA : on divergera atomique contraint de revoir à la baisse la au début de 1959 avec le minimum marge de réactivité présumée, ce qui entraîne d'eau lourde (21 tonnes) et la montée en des décisions désagréables pour le réacteur. Il puissance se fera au fur et à mesure de faut choisir la plus grosse cuve possible (son la livraison de ce liquide. Si tout va bien, diamètre extérieur sera de 3,88 mètres), main- la puissance nominale sera atteinte à la tenir le modérateur froid et envisager un ré- fin de 1959 et le sous-marin devrait être flecteur en glucine (oxyde de béryllium) pour prêt à prendre la mer le 1er juin 1960. renvoyer des neutrons dans le cœur : Le ré- sultat se traduit par une augmentation de 100

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En octobre 1956, l'IGM Gempp qui dirige la pour la prochaine décennie. Ce plan section «sous-marins» et qui devait par la suppose un réacteur standard d'environ suite jouer un rôle prépondérant en tant 60 000 CV monté en un ou deux exem- qu'architecte naval du programme SNLE, plaires suivant la taille du bâtiment. Avec présente les plans d'emménagement du Q dix années de retard, la Marine nationale 244. Sans modifier le devis de masse, il emprunte la même voie que l' US Navy. montre qu'il sera possible d'installer un sys- A noter qu'il n'est pas encore question tème d'armes, ce qui n'était pas prévu au pour notre pays d'une force sous-marine départ. de dissuasion nucléaire. L'état-major La perspective de donner au sous-marin une indique aussi qu'il songe à créer une valeur militaire satisfait le chef d'état-major école des applications maritimes de de la Marine, l'amiral Nomy. Il annonce en l'énergie atomique. même temps un plan de développement de navires de surface à propulsion nucléaire LES DOUTES ET LES PROJETS VEZERE

Tous ces actes de foi dissimulent mal les aux travaux dans la nouvelle hypothèse. difficultés grandissantes qu'éprouve le CEA Deux mois plus tard, en mars 1958, le pour maîtriser les aléas de l'opération. Ainsi, virage est pris. Il est décidé de geler les pendant que les tôles commencent à études en cours sur l'uranium naturel et s'assembler à Cherbourg, on s'interroge à l'eau lourde et de suspendre les com- Saclay sur la fiabilité des cartouches de mandes à l'industrie. Des équipes combustible et sur la faisabilité du réflecteur mixtes du CEA et du BPA commencent à neutrons. C'est probablement pour cette l'étude d'un projet de réacteur à ura- raison que germe l'idée de construire un nium faiblement enrichi et eau légère PAT pour préparer le deuxième sous-marin sous pression baptisé VEZERE. ou les bâtiments de surface à propulsion nucléaire. En juillet, l'amendement à la loi Mac- L'année 1957 peut être qualifiée d'année Mahon est voté. S'il privilégie la seule noire: les crédits attendus ne sont pas au Grande-Bretagne dans le domaine des rendez-vous, le devis monte en raison de la armes, il ne semble pas interdire à la complication croissante du projet. Le surme- France de recevoir des informations nage a finalement raison de l'IGM Brard, qui classifiées, des équipements et du com- est hospitalisé en avril, et de l'ingénieur Oli- bustible. L'état-major de la Marine vou- vier chargé du projet au CEA, qui décède drait même obtenir le transfert d'un réac brutalement en juin. -teur complet, ce qui permettrait de mettre rapidement en service le Q 244. Cependant, Pierre Guillaumat assure que: « En même temps, on prendrait toutes Face aux critiques, il faut réaffirmer l'intérêt « L'état-major indique dispositions pour pouvoir réaliser la de l'œuvre commune », et la Marine reste suite du programme par des moyens aussi qu'il songe à créer soucieuse de ne pas casser l'erre acquise. nationaux. La même voie «maximaliste» Malgré un climat maussade, le ministre de la une école des applications est suivie par la Royal Navy: son pre- Défense décide en septembre 1957 de pour- mier sous-marin nucléaire, le Dread- maritimes de l'énergie suivre la construction du Q 244 ; c'est en fait nought, recevra un réacteur américain son arrêt de mort qu'il vient de signer. atomique. » du type S5W Uti-lisé sur les Skipjack. Alors que l'IGM Brard, qui a repris son ser- Pour les sous-marins suivants, elle vice, se bat pour maintenir un planning sus- construira d'abord un prototype à terre. ceptible de tenir en haleine exécutants et industriels et pour obtenir les crédits néces- En septembre, des informations reçues saires, le professeur Yvon commence sé- par le CEA indiquent que le combustible rieusement à envisager de jeter l'éponge. Il espéré sera fortement enrichi (90 %), ce affirme d'ailleurs que «le sous-marin à ura- qui est favorable à un faible encombre- nium naturel et eau lourde aura un aspect ment et à une grande souplesse de ma- peu sympathique mais non rédhibitoire ». nœuvre. On va pousser immédiatement C'est alors que l'on apprend en décembre les études dans cette voie (projet 1957 que les Etats-Unis envisagent de livrer VEZERE Il) et on définit les modi- à certaines nations alliées de l'uranium fications à apporter au compartiment moyennement enrichi pour la propulsion de réacteur-échangeurs. leurs navires de guerre. Cette information sera confirmée par le président Eisenhower venu à Paris pour une réunion plénière de l'Otan, mais pour que cette décision soit applicable, il faut que le Congrès américain vote un amendement à la loi Mac-Mahon. La confiance revient: beaucoup de choses seraient simplifiées par l'emploi de combus- tible enrichi avec l'eau ordinaire comme mo- dérateur. Presque aussitôt, le président du conseil, Félix Gaillard, donne des directives qui lui ont été soufflées par Pierre Guillaumat pour que l'on examine l'orientation à donner

06/04/2020 © AGASM 2020 - MNJ L'ACCORD DE MAI 1959 ET L'ABANDON DU PROJET Q 244 Page 5

A l'issue de plusieurs mois de négociations Toulon où il servira pour des essais de laborieuses, les Américains acceptent de four- tenue aux explosions. nir de l'uranium très enrichi dont l'emploi sera Les tronçons avant et arrière sur lesquels limité au PAT. Aucune information et aucun on travaille jusqu'en mars 1960 restent sur équipement ne seront transférés, ni bien en- cale, jusqu'au jour où on leur associe, sur tendu aucun réacteur. L'accord de coopération proposition de l'IGM Gempp, une tranche signé le 5 mai 1959 prévoit la fourniture sur dix missiles intermédiaire pour constituer le ans de 440 kilos de cet uranium. Pour la petite Gymnote. histoire, on notera que l'Amiral Rickover, farou- Pour tirer la leçon du Q 244, il convient de chement opposé à cet accord, le favorisa bien citer Jean-Louis Andrieu : « l'aventure peut involontairement: lors des débats devant le être jugée avec sévérité. Elle a cependant Congrès, à la question "y a-t-il une chance que incontestablement favorisé le démarrage la France réussisse à mettre au point un réac- des programmes PAT et Cœlacanthe non teur de propulsion ?" Rickover répondit: "pas la seulement sur le plan organisationnel, moindre chance", et l'intervenant de conclure: mais aussi sous l'aspect technique. La "en ce cas, l'accord de cession d'uranium peut quasi-totalité des investissements réalisés être signé". seront récupérés pour les nouveaux pro- Pour prendre la relève dans la suite du pro- jets ». gramme, la chance voudra que l'usine de sé- A la question de savoir si la réalisation du paration isotopique de Pierrelatte soit prête moteur à uranium naturel et son embar- juste à temps pour permettre de réaliser les quement sur un sous-marin auraient per- "cœurs" des réacteurs de SNLE, mais cela ne mis d'avancer la mise en service du Re- concerne plus le Q 244 qui termine discrète- doutable, il répond par la négative, ajou- ment sa carrière de sous-marin nucléaire. Le tant que le risque d'obtenir l'effet inverse tronçon qui devait recevoir le réacteur ne sera n'aurait pas été nul. Enfin il rend hommage pas construit et le tronçon« factice» qui devait « à ceux qui ont eu le courage de lancer le être monté provisoirement à sa place sur le programme du Q 244 et à ceux qui ont eu sous-marin, sera lancé en mars 1959 avec un le courage de l'arrêter. C'est grâce à eux avant et un arrière qui lui permettent de flotter, tous finalement que la suite a été ce que l'ensemble baptisé « flotteur» sera remorqué à l'on sait, dans les délais. »

DE LA DEMANDE DE LA MARINE A LA MISE EN SERVICE DU PAT

Le 11 septembre 1959, les caractéristiques -14 août 1964 : première divergence du demandées par la Marine pour l'installation de PAT. propulsion nucléaire visaient des performances -19 août 1964 : prise d'autonomie élec- du niveau de la troisième génération de réac- trique. teurs américains. L'avant-projet était demandé - 24 août 1964 : puissance nominale. pour le 15 novembre 1959! Malgré les doutes Notons que le devis avait été respecté à émis par ceux qu'avait échaudés l'expérience la surprise générale. La règle admise à du Q 244, le défi fut relevé et l'avant-projet l'époque au CEA était une multiplication remis le 17 novembre. par un facteur 3 du devis à la réalisation Quant aux délais, on prévoyait que le PAT (ce sera 9 pour Pierrelatte). « 14 août 1964 : première serait mis en service à Cadarache au cours de - du 19 octobre au 18 décembre 1964 : l'été 1964. Ce délai de moins de cinq ans se tour du monde fictif, soit 10 000 lieues divergence du PAT.» comparait favorablement à celui observé pour sous les mers. les installations de propulsion conventionnelle. Il représentait à l'évidence un pari à la limite du raisonnable. De fait, l'ingénieur expérimenté que le CEA avait mis à ma disposition pour être chargé des infrastructures et du planning d'ensemble estima que la limite était largement dépassée et partit en claquant la porte de cette maison de fous. Le devis, lui, correspondait sensiblement au prix de trois chaufferies . L'avant-projet proposé fut approuvé pratique- ment sans observation par le comité de liaison Marine-CEA et la décision de lancement fut prise le 18 mars 1960. Il ne restait plus qu'à passer à la réalisation: belle course d'obstacles en perspective! Les années suivantes furent denses. On notera quelques étapes. - 9 avril 1962 : première divergence d'Azur, réacteur de faible puissance construit à Ca- darache, utilisé pour la définition neutronique du cœur et des essais de protection primaire. - Février 1963 : embarquement de la cuve du réacteur, construite par l'établissement d'Indret, comme les générateurs de vapeur, le pressuriseur et autres capacités sous pression.

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POINTS SAILLANTS DE LA MISE EN SERVICE DU PAT ET DES PERFORMANCES ATTEINTES.

Choix et prototypes. Pour mettre le maximum de chances de notre nismes différents. côté, j'avais lancé la commande de trois pro- A l'usage, nous ne pûmes que nous totypes de modèles différents pour les appa- féliciter de ces dispositions. En effet, l'un reils électromécaniques les plus délicats - des types de pompe donna lieu à des pompes primaires et mécanismes de croix de avaries systématiques au bout d'environ contrôle en particulier - avec l'espoir qu'au 10 000 heures de fonctionnement, ce moins un des trois pourrait être mis au point. qui conduisit à retenir l'autre type pour En fait, au moment du choix définitif, chacun les sous-marins. D'autre part, les deux des trois prototypes paraissait au point (non types de mécanismes installés en sans mal dans certains cas) et accumulait un "massif" de seize, chacun sur un cou- nombre rassurant d'heures de fonctionne- vercle, donnèrent lieu à des défaillances ment. Le choix n'était pas évident. Finale- qui n'étaient pas apparues lors des es- ment, on adopta une démarche en deux sais individuels: cela conduisit à retenir temps: élimination du modèle le moins pour les sous-marins un nouveau type "séduisant", équipement des deux boucles de mécanisme réalisant une synthèse avec deux modèles de pompes primaires des dispositions les plus favorables des (différentes mais interchangeables), et réali- deux types retenus initialement pour le sation de deux couvercles équipés de méca- PAT.

Performances et fiabilité en service. La puissance maximale a pu être poussée ment déraisonnable aux sous-mariniers jusqu'à deux fois la puissance nominale en les plus chevronnés. Il est clair que le novembre 1966. Cela donne une idée de soin apporté dans la conception, les l'efficacité des efforts consentis pour optimi- choix et les mises au point techno- ser les performances du cœur et des généra- logiques, ainsi que la politique d'essais teurs de vapeur. L'énergie fournie par le pre- systématiques des composants et des mier cœur a été près de deux fois supérieure sous-ensembles ont été payants. à la demande initiale, pourtant jugée ambi- Le fait de disposer d'un prototype à terre tieuse. ayant une avance de fonctionnement de Ultérieurement ont été mis au point des plusieurs années sur les sous-marins en cœurs dits "à longue durée de vie" (à base de service a joué à l'évidence un rôle déter- plaquettes d'oxyde d'uranium moyennement minant. Le PAT a permis une expéri- « La solution du réacteur enrichi) quatre à cinq fois plus énergétiques, mentation poussée avec des mesures permettant d'assurer la propulsion d'un sous- approfondies impossibles à bord, ainsi compact dérivé de la CAP marin pendant bien plus de la moitié de sa que des interventions pour modification a été retenue pour les vie. Pendant des années - du temps de la ou entretien non bridées par les con- «guerre froide» - trois SNLE ont été main- traintes opérationnelles. Son utilisation sous-marins nucléaires tenus en permanence à la mer, pour quatre pour la formation approfondie des équi- d'attaque (SNA), les sous- sous-marins dans le cycle opérationnel. Pour- pages a constitué également un apport tant, un tel objectif avait d'abord paru totale- irremplaçable. marins nucléaires lance- engins NG...» LA DEUXIÈME GÉNÉRATION DE RÉACTEURS EMBARQUÉS

Les réflexions à ce sujet ont commencé en - La masse d'ensemble de la chauf- 1966. Se demandant quelles étaient les prin- ferie est ramenée de 700 à 400 cipales améliorations souhaitables, on en a tonnes, à performances égales, ce retenu trois prioritaires : qui a permis de réaliser les SNA les - le silence, qui est une préoccupation de plus petits du monde. plus en plus dominante; - La durée de montage (chaufferie et - la réduction de la masse; sous-marin) est massivement ré- duite. - la rapidité du montage à bord. Une chaufferie avancée prototype (CAP) La solution retenue a été l'intégration du cir- conforme à ces principes a pu être lan- cuit primaire principal. cée en 1970, pour être mise en service Les avantages en sont spectaculaires. en 1975. La solution du réacteur com- pact dérivé de la CAP a été retenue - Le fonctionnement du circuit primaire a pour les sous-marins nucléaires d'at- lieu en circulation naturelle aux allures taque (SNA), les sous-marins nucléaires de croisière (silence pratiquement total). lance-engins de nouvelle génération Même à grande allure, la source d'exci- (SNLE NG) et le porte-avions nucléaire tation est nettement diminuée (pompes (PAN, deux réacteurs), ces deux der- de faible puissance) et le dispositif de niers types de bâtiments étant équipés support de cet ensemble au voisinage du même modèle de réacteur. de son centre de gravité favorise par ailleurs sa résistance aux chocs.

06/04/2020 © AGASM 2020 - MNJ Page 7 DÉVELOPPEMENT DU MISSILE MSBS DE PREMIERE GENERATION

Par Marcel Morer (X 45 - Génie maritime), à l'époque Directeur du programme "Missile" à la SEREB avec la collaboration de Bernard Lugan (EN 53), premier officier missilier du Gymnote.

Le développement du missile Mer-Sol- Je voudrais tout d'abord rappeler les don- Balistique-Stratégique (MSBS) de première nées du problème: génération s'est déroulé de juin 1963, date - 16 missiles à tirer dans un laps de temps de la décision du Conseil de Défense qui inférieur à 30 minutes, fixa les grandes lignes du programme, à - portée de 2500 km permettant de garder jan-vier 1970, date de la première mise au au sous-marin une assez grande zone de tube sur le Redoutable du premier missile tir tout en attaquant le potentiel de l'URSS d'exercice en configuration opérationnelle de façon significative, sans charge nucléaire. - tir par tous temps, immersion de 30m Le programme MSBS eut l'avantage d'être minimum, baptisé "second programme" (le «premier - charge militaire (hors ogive) de 750 kg. programme" était le système sol-sol balis- tique stratégique SSBS qui devait armer le plateau d'Albion), ce qui permit de faire des choix techniques rationnels en dehors des pressions politiques.

LE MISSILE ET LE SYSTÈME D'ARMES

Sur la première version du missile MSBS La propulsion (M 1) on trouvait de bas en haut: Elle était assurée par un propergol solide, - le premier étage et ses dix tonnes de car les ergols liquides, plus performants, propergol, posaient des problèmes de stockage de - la structure interétages qui contenait longue durée à bord des sous-marins. Ce notamment la centrale d'ordres pyrotech- propergol était un mélange de divers ingré- niques du premier étage et le dispositif dients dont les principaux étaient le perchlo- de séparation entre le premier et le deu- rate d'ammonium (comburant) et le polyuré- xième étage, thanne (carburant). Les pains de propergol - le deuxième étage, contenant quatre étaient percés sur toute leur longueur par un tonnes de propergol, cylindre dont le dessin permettait la combus- - au-dessus, la case à équipements, en- tion la plus complète de la poudre tout en combrée par les dispositifs d'arrêt de conservant la constance de la poussée. Les « Cette "torpille" de 18 poussée (DAP) du deuxième étage et deux étages étaient remplis d'azote sous logeant cependant la centrale inertielle, le une pression au moins égale à ce que serait tonnes, fragile et peu calculateur de guidage et le bloc de pilo- la pressurisation du tube au moment du lan- rigide, était calée par un tage ainsi que la centrale d'ordres pyro- cement. techniques du deuxième étage, La structure du premier étage était en acier tapis de glissement dans - enfin, la tête militaire constituée par la fluotourné, revêtu intérieurement d'une pro- un tube interne…. » charge nucléaire à l'intérieur du corps de tection thermique. Son pilotage était assuré rentrée, par quatre tuyères coudées à 45°. A sa par- Cette "torpille" de 18 tonnes, fragile et peu tie inférieure, cet étage était muni d'une ju- rigide, était calée par un tapis de glisse- pette reposant sur une couronne portée par ment dans un tube interne, lui-même sus- le tube interne, à laquelle elle pouvait être pendu de façon élastique à l'intérieur d'un verrouillée par un anneau articulé. La sécuri- tube externe. Ce dernier, qui faisait partie té de l'allumage était assurée par un contac- de la coque résistante à laquelle il était teur, fonctionnant seulement lorsque le mis- soudé en haut et en bas, était fermé à sa sile avait décollé, par un patin détectant la partie supérieure par une porte étanche. sortie du tube et par une logique ouvrant une Pour diverses raisons, nous avions jugé fenêtre qui ne permettait l'allumage qu'entre nécessaire que le missile au tube reste deux instants très précis. isolé de la mer, même après l'ouverture de Le deuxième étage était en fil de verre bobi- la porte supérieure. Une membrane en nécollé par une résine. Une seule tuyère fixe néoprène soutenue par une pression d'air assurait son contrôle d'attitude en tangage et dans le tube égale à la pression d'immer- lacet. Cette tuyère était pilotée par déviation sion, assurait cette séparation avant d'être du jet à l'aide de fréon qui était stocké dans déchirée par la chasse. Celle-ci était réali- un réservoir torique entourant la tuyère et qui sée par de l'air comprimé, stocké dans était injecté sous une pression de 220 bars. deux bouteilles placées dans les fonds et Le contrôle d'attitude en roulis était assuré libéré par une soupape à clapet, la sécurité par deux micro-propulseurs orientables. reposant sur deux robinets à boisseau sphérique.

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Le pilotage et le guidage énorme pari sur l'avenir car nous n'eûmes Le pilotage du missile peut être assimilé à la réponse qu'en mai 68. En effet, nous l'action d'un homme de barre qui est chargé dûmes imaginer une centrale profondé- de conserver le cap d'un navire, alors que le ment modifiée, et un nouveau calculateur guidage ressemble davantage à l'action de de guidage. A tant faire, nous choisîmes l'officier de quart qui veille à ce que ce navire le calculateur numérique à circuits inté- reste sur la route ordonnée. Il est clair que grés de la société «Electronique Marcel pilotage et guidage ne pourront être assurés Dassault », qui devint ainsi le premier que pendant la phase propulsée. calculateur digital embarqué sur un mis- sile français, et même européen. La so- Le pilotage était assuré par un "bloc de pilo- ciété SAGEM, qui avait réalisé la cen- tage", sorte de pilote automatique, qui en- trale, la modifia en un temps record, mais voyait ses ordres aux tuyères. Celles-ci les accéléromètres eurent la funeste idée étaient actionnées par un système de vérins de "coincer une bulle" dans leur pendule. mus par un dispositif électrohydraulique ap- Après six mois de réflexion, nous rempla- pelé "bloc de puissance", qui tirait son éner- çâmes par de l'azote le gaz de remplis- gie d'une batterie amorçable placée dans la sage de la centrale, qui avait été jus- structure interétages. qu'alors de l'hélium. Le guidage était assuré par un calculateur Avec ce système, l'organisation de la qui, à partir des informations des accéléro- mise en œuvre de seize missiles parais- mètres de la centrale à inertie, ordonnait les sait évidente: un ordinateur chef d'or- corrections nécessaires pour exécuter la loi chestre à bord du sous-marin gérait les de guidage déterminée avant le lancement à seize missiles en fonction des informa- partir des coordonnées du lanceur et de la tions reçues en provenance des contrô- cible. En fin de propulsion, avant l'injection leurs, sur l'état de bon fonctionnement de l'ogive en phase balistique, un rapide des missiles et sur la mise à feu des bat- calcul permettait une ultime correction. teries amorçables, Les différentes phases de vol - en provenance des calculateurs des Pendant la chasse, les tuyères du premier missiles, sur l'alignement des cen- étage étaient bloquées à zéro. A la sortie de trales à inertie dans la direction de l'eau cet étage était mis à feu, et, après une l'objectif. phase plus ou moins acrobatique due en Au cours des dernières secondes précé- particulier à la traversée de la houle, le mis- dant le tir, cet ordinateur chargeait le pro- sile se stabilisait sur sa trajectoire program- gramme de guidage à la place du pro- mée. A la fin de sa combustion, la structure gramme d'alignement dans le calculateur vide se séparait et tombait à la mer. du missile, puis il ordonnait les lance- Le deuxième étage s'allumait à son tour et ments selon la loi «premier prêt - premier brûlait jusqu'à ce que le missile atteigne le tiré» qui devait permettre de lancer les « Mais ce fut plus point d'injection sur la trajectoire balistique seize engins dans le temps imparti. Nous prévue. A ce moment, le guidage mettait en arrivâmes à les tirer (en simulation !) en folklorique pour action les dispositifs d'arrêt de poussée du quinze minutes. l'implantation du port- deuxième étage, qui ouvraient sur l'avant de La logistique ce dernier des orifices dont la surface était base…..un appontement supérieure à celle du col de la tuyère, ce qui Dès 1964, nous avions défini une poli- arrêtait la propulsion. L'ogive se séparait tique de contrôle plus destinée à codifier en bois au cap de la donc, et poursuivait sa trajectoire balistique. l'activité de l'équipage qu'à la nécessité Chèvre. » technique de l'entretien des missiles qui Lors de l'arrivée sur l'objectif, un déclen- je rappelle, devaient être disponibles à cheur mettait à feu la charge nucléaire en chaque instant. On admit d'inspecter tenant compte du temps de vol lié à l'objectif chaque jour un des seize missiles et le et corrigé des données calculées en fin de 17eme jour l'installation de mise en œuvre. propulsion. Une fenêtre de sécurité permet- En 1970, cette politique était toujours tait de s'assurer que le déclenchement n'au- appliquée. rait pas lieu avant ou après le temps imparti. Mais ce fut plus folklorique pour l'implan- La conduite de tir à bord du sous-marin tation du port-base. En 1964, avec l'ami- L'installation de conduite de tir à bord du ral Rousselot (EN 22), ancien des FNFL, sous-marin avait trois objectifs: sous-marinier des lochs d'Ecosse, nous parcourions la pointe de Bretagne à la - contrôler l'engin avant le tir, recherche d'un site. Pour sa part, il voyait - recaler la centrale à inertie du missile un appontement en bois au cap de la sur celle du sous-marin, Chèvre. Cette sous-estimation montre à quel point nous étions ignorants des réali- - calculer les paramètres de tir. tés d'une force atomique. Nous prîmes la mesure du problème et l'Ile Longue fut Une première étude du système nous fit choisie. comprendre que le nombre d'armoires né- Pour pouvoir assembler les différents cessaires au tir des seize missiles était in- composants des missiles dans des sites compatible avec les 48 baies standard qui enterrés de hauteur limitée, nous fûmes nous étaient allouées. En février 1964, en obligés de concevoir des bancs horizon- comité secret et réduit, nous décidâmes que taux, alors que jusque là les assemblages l'alignement de la centrale du missile serait avaient toujours été réalisés à la verti- confié au calculateur de guidage. C'était un cale.

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Beaucoup de questions n'étaient pas réso- La détermination du volume des pièces déta- lues et nous ne savions toujours pas si ce chées fut tout aussi folklorique. On en mit missile se déciderait à voler. Notre cama- partout, entre les couples, dans les faux- rade Jaulent (EN 45), du Groupe Opéra- plafonds,... Je dois avouer que je ne sais pas tionnel Cœlacanthe, vint un jour me trouver si ces estimations se révélèrent exactes: j'ai pour connaître le nombre de missiliers né- abandonné le programme au début de 1970, cessaires à bord du sous-marin et la forma- juste avant les essais à la mer du Redou- tion qu'ils devaient recevoir. Après une esti- table. mation, il conclut: «Nous trouvons un équi- page de 135, les Américains en ont 130, ça doit être ça. »

LES ESSAIS

La sortie d'eau La deuxième campagne, avec les maquettes Pour mener à bien la réalisation de la sor- souples, nous permit de voir si les gouttières tie d'eau du missile, deux séries d'actions extérieures de passage des câbles du missile furent entreprises: tenaient, si les dispositifs de dépressurisation - les unes, à la «Société grenobloise d'ap- de la structure interétages et de la case à plications hydrauliques» (SOGREAH) sur équipements fonctionnaient correctement et des maquettes au 1/9 lancées dans un enfin de vérifier que la séquence de mise à bassin vertical devaient vérifier comment feu donnée par la centrale d'ordres du pre- se com-portait le missile à la sortie de mier étage était correcte. l'eau, dans différentes configurations de houle C'est là que nous découvrîmes qu'il Les essais de propulsion n'y avait pas de discontinuité au passage Les essais préliminaires de propulsion eu- du dioptre: dès sa sortie du tube, l'engin rent lieu dans la région de Saint-Médard-en- restait dans une bulle émulsionnée d'air et Jalles, en Aquitaine. C'est là que s'étaient d'eau. Pour la mise à feu du propulseur, installés les différents industriels participant nous avons donc dû renoncer à tout sys- à la réalisation des propulseurs autour de la tème détectant le changement de milieu: poudrerie de Saint-Médard. La structure du un système à accéléromètre et double premier étage, fabriquée par la SNECMA intégration fut choisi et donna toute satis- était enduite de sa protection thermique in- faction. terne puis remplie du propergol, que l'on - les autres passèrent par la réalisation faisait ensuite cuire pendant plusieurs jours d'un caisson sous-marin dont furent char- pour polymériser la résine. La «Société pour gées les «Constructions navales et indus- les études de propulsion » (SEPR) montait trielles de la Méditerranée » (CNIM), sous ensuite les tuyères et le propulseur était la maîtrise d'œuvre du groupe "Torpilles, acheminé vers le site d'essai. Cela se passa dragues et obstructions" du Service tech- mal au début, car, si la combustion était cor- nique des constructions et armes navales. recte, le couple nécessaire à l'activation des « Les améliorations Ce "bateau" bizarroïde était composé d'un tuyères était hors tolérances et le bloc de apportées aux tuyères par tube de lancement en vraie grandeur et puissance "calait". Mais ces essais infruc- de son dispositif de chasse, entourés de tueux ne retardèrent pas beaucoup le début la SEPR firent que 1968 ballasts pour le lestage. Une télé- du développement du MSBS qui ne deman- vit la fin de nos soucis. » commande permettait d'effectuer les ma- dait que dix à vingt secondes de fonctionne- nœuvres nécessaires: immersion, sé- ment correct pour assurer la qualification des quence de tir, émersion, etc... débuts de trajectoire. L'augmentation des Des maquettes de différents types avaient performances du bloc de puissance et les été conçues, les unes très solides améliorations apportées aux tuyères par (maquettes «rigides»), les autres avec une la SEPR firent que 1968 vit la fin de nos structure se rapprochant davantage de soucis. celle d'un vrai missile pour commencer la Le deuxième étage construit suivant un pro- qualification de ses divers composants cessus analogue (capacité bobinée par la (maquettes «souples»). société Sud-Aviation, remplissage par la Un grand hangar fut construit à Toulon, au Poudrerie, montage par la SEPR de la quai de la Pyrotechnie où les maquettes tuyère et des dispositifs de déflexion du jet) étaient stockées et préparées avant leur ne présenta pas de difficulté majeure. mise au tube au moyen d'une antique grue qui portait encore l'inscription "Chantiers Les essais en vol Navals de la Méditerranée" et qui fonction- Ces essais avec des missiles propulsés mi- nait à la vapeur et au charbon. Une pre- rent en œuvre deux types de missiles expéri- mière campagne fut organisée dans la mentaux: presqu'île du Cannier, près de Saint- - d'abord des engins où seul le premier Mandrier. Elle permit d'abord de valider les étage était actif, le deuxième étage étant conditions de stockage des missiles à bord chargé uniquement de polyuré-thanne du sous-marin. Les maquettes rigides per- inerte. Ces engins étaient indispensables mirent ensuite de qualifier la chasse, la en attendant la mise au point définitive du tenue du tapis de glissement et le délai de deuxième étage, et la mise en service du fermeture de la porte supérieure, pour" Centre d'Essais des Landes (CEL) à Bisca- piéger" la masse d'eau juste nécessaire à rosse pour des tirs à très longue portée, l'équilibre du sous-marin.

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- ensuite des engins complets dont l'ogive fut portée à six tonnes, la portée attei- permettrait de qualifier ultérieurement la gnant 2800 km. Ce fut le missile . mise à feu de la charge nucléaire. Mais ce M2 eut une vie éphémère car la Avec les engins mono-étage, dont le pro- DAM avait mis au point une bombe ther- pulseur fonctionnait plus ou moins bien, au monucléaire dont les caractéristiques moins pour les premiers essais, nous étaient très différentes de celles de la fîmes différents types de tirs: bombe "à fission exaltée" du Ml. La forme - quatre à Hammaguir où fut battu le record de l'ogive n'était plus conique, mais cylin- de portée minimale (50 mètres) le premier dro-conique. Par ailleurs, l'amélioration missile ayant eu le mauvais goût de partir des systèmes de défense adverses met- tuyères bloquées en tangage maximum tait dans l'obligation de diminuer la sur- pour décrire une sorte d'orbite très basse face équivalente radar, d'utiliser un maté- avant que la structure se casse par excès riau absorbant et de disperser des disposi de facteur de charge. Le second consentit -tifs de leurrage au moment de l'injec- à voler dix secondes, avant d'exploser par tion. L'ensemble «corps de rentrée-cap- suite de l'obstruction des tuyères par des sules anti-radar », assez fragile, dû être blocs de propergol. Heureusement, les mis à l'abri dans une coiffe largable après deux suivants eurent un profil de vol quasi la sortie d'eau et la traversée de l'atmos- nominal, phère: avec les premier et deuxième étages du M2, ce fut le missile . - quatre à partir du caisson au Centre d'Es- sais de la Méditerranée (CEM) à l'Ile du Puis, ce fut le M 4: le CEA ayant fait Levant: le premier missile refusa de sortir d'énormes progrès sur la miniaturisation du tube où il fut noyé, le deuxième fut lan- des charges, il fut possible d'envisager de cé mais refusa de s'allumer. Les deux sui- lancer des ogives multiples sur des objec- vants fonctionnèrent l'un quarante se- tifs indépendants, ce qui nous posait condes environ et l'autre presque normale- deux problèmes nouveaux, celui des cal- ment, culs de trajectoires et celui de la disper- sion des charges. On sait comment ils - quatre à partir du Gymnote, également au furent résolus, mais ceci est une autre CEM, commandé par Mennesson (EN 45) histoire. puis par Royer (EN 47). A son bord, nous commençâmes à voir le bout du tunnel, car les quatre essais furent réussis. Cela mit fin aux campagnes à l'Ile du Levant, nos missiles se trouvant décidément trop à l'étroit dans la Méditerranée.

Nous entamâmes la campagne des engins « Cela mit fin aux bi-étages au Centre d'essais des Landes à l'été 1968 où deux engins furent tirés du sol campagnes à l'Ile du avec succès. Nous passâmes ensuite sur le Levant, nos missiles se Gymnote, commandé alors par Salmon- Legagneur (EN 49) et nous n'eûmes prati- trouvant décidément trop quement que des succès jusqu'au tir des à l'étroit dans la engins pré-opérationnels. Puis ce fut Brest et le port-base où l'on faillit Méditerranée. » soulever le sous-marin avec le pont roulant de chargement des missiles ("on" avait ou- blié d'ouvrir l'anneau de verrouillage d'une maquette 1). Les ateliers d'assemblage à l'horizontale dans des sites enterrés se met- taient au point à l'Ile Longue; les contrôles industriels et les manœuvres d'embarque- ment entraient dans le quotidien. L'équipe se dispersait, l'aventure était termi- née.

Les successeurs Dès 1969, nous avions envisagé d'améliorer la portée du Ml, pour augmenter les zones de patrouille des sous-marins, l'objectif étant de pouvoir tirer dès la sortie du Port-base. Il fallait gagner sur les espaces encore libres, car il n'était pas question de changer les dimensions. Ceci devait se faire au profit du deuxième étage pour lequel les gains de propergol étaient les plus rentables en termes de portée. On imagina donc d'inté- grer la tuyère dans le propulseur, ce qui per- mit de gagner sur la masse de propergol qui

06/04/2020 © AGASM 2020 - MNJ Page 11 LA PREMIÈRE CHARGE NUCLEAIRE M.S.B.S.

Par Claude Ayçoberry (EN 45), à l'époque chef du département "Militarisation" de la DAM.

Lorsque le Redoutable appareilla le 1er L’ordre de grandeur de l'énergie visée pour février 1972 pour sa première patrouille cette charge MR 41 était la demi- opérationnelle, armé de 16 missiles Ml mégatonne. Pour ce faire, une grande porteurs de charges MR 41, 10 années masse de matière fissile était nécessaire, seulement s'étaient écoulées depuis la ainsi qu'une quantité importante de Tritium. décision de créer la Force Océanique Stra- Une telle masse de matière requérait pour tégique prise en Conseil de défense prési- l'imploser une masse également très impor- dé par le général de Gaulle le 5 mai 1962. tante d'explosif. Obtenir cette énergie en La décision du Conseil de défense fut tra- restant à l'intérieur du devis de poids et en duite en spécifications techniques par la respectant les autres contraintes de l'arme charte Cœlacanthe de mars 1963. Rétros- était un tour de force technologique. pectivement, celle-ci apparaît étran- A l'automne 1965, sur la base des premières gement muette en ce qui concerne les études, la DAM proposa donc au comité caractéristiques de la charge. On n'y directeur Cœlacanthe une charge dont trouve pas de fiche programme ni de spé- l'énergie serait de 500 kilotonnes, la masse cification autre que celle d'une masse et et le calibre étant au niveau maximum fixé LESd'un ESSAIS calibre maximal, ainsi que quelques par la charte. Le 10 février 1966 le comité données relatives à l'adaptation des opéra- prit la position suivante: «Le contrat de por- tions d'entretien à la durée des missions tée prime le contrat de puissance» et de- opérationnelles. L'objectif à atteindre pour manda un gain de plusieurs dizaines de kilos l'énergie de la charge n'y était pas fixé. .. sur le devis de masse de la charge et de Un tel silence ne s'explique que par les plusieurs centimètres sur le diamètre. C'est difficultés que rencontrait la DAM au début donc sur ces bases que fut lancé le projet de de la décennie 1960. la MR 41. Le succès du premier tir nucléaire à Reg- L'année 1968 allait être marquée par deux gan le 13 février 1960 avait certes été im- événements importants dans l'histoire de la médiatement exploité pour étudier et déve- MR 41: en juin fut expérimentée à Mururoa la lopper des engins au plutonium à fission «formule» de l'engin MR 41, avec l'uranium pure qui allaient équiper les bombardiers très enrichi produit à Pierrelatte. A cette Mirage IV dès 1964, mais on mit certaine- époque et dans le jargon de la DAM, on pou- ment du temps au début de cette décen- vait distinguer deux types d'expériences nu- nie, tant au sein de la DAM que des Ar- cléaires: mées, pour réaliser que le futur des armes - les tirs d'engins « formules» où l'on testait nucléaires passait nécessairement par et analysait des principes physiques, l'accès au thermonucléaire, tandis que sur -les tirs d'engins « militarisés» où l'on pre- ce sujet certains théoriciens de la DAM nait en compte tout ou partie de l'environ- « On n'y trouve pas de s'égaraient dans des voies sans issue. nement nécessaire à un engin opération- fiche programme ni de Il est maintenant de notoriété publique que nel. cette crise du thermonucléaire provoqua, Le résultat de l'essai fut satisfaisant: on avait spécification autre que outre les foudres du général de Gaulle, obtenu 500 kilotonnes avec ce premier engin celle d'une masse et d'un une tension de tous les instants au sein de «boosté» comportant de l'Uranium, mais la la DAM jusqu'à ce que en avril 1967 fus- question des «perturbations de militarisa- calibre maximal,.... » sent mis en évidence les principes phy- tion» nécessaires à une arme opérationnelle siques qui allaient conduire au succès des restait pendante. tirs thermonucléaires de la campagne Ce succès avait d'ailleurs un petit goût de 1968 dans le Pacifique. frustration car quelques semaines plus tard, En 1963, au moment du démarrage du au cours de la même campagne sur le programme, il ne pouvait donc être ques- champ de tir du Pacifique, les premiers tirs tion de lancer l'étude d'une charge thermo- de la toute nouvelle filière thermonucléaire, nucléaire et on se rabattit pour pouvoir parfaitement réussis, ouvraient de toutes viser une énergie très supérieure à celle autres perspectives. des engins à fission pure sur la technique L'autre événement important s'était passé des engins «boostés», dits encore à deux mois plus tôt, en avril. Au cours d'un «fission exaltée», où le rendement de la essai de vibration de longue durée d'une fission est très sensiblement augmenté par maquette d'engin MR 41 complet se produi- l'allumage au moment opportun d'un maté- sit une rupture par fatigue d'un composant riau léger à base de Tritium qui constitue mécanique. Un tel incident ne pouvait pas une source intense de neutrons. La DAM être considéré comme mineur car il pouvait avait commencé à expérimenter ce type avoir des implications au niveau de la sûreté d'engin dès 1962 à Inn Ecker, puis à partir pyrotechnique de la charge. Un réexamen de 1966 à Mururoa, et ces tirs avaient mis complet de la structure de la charge fut donc en évidence un fonctionnement faisant entrepris. appel à une physique complexe. Il s'agis- Les contraintes d'environnement à bord sait d'ailleurs là d'engins au Plutonium, n'étaient à l'évidence pas sévères, mais nos puisque l'usine de Pierrelatte était à interlocuteurs de la Marine, devant cet explo- l'époque en construction et que les pre- sif qu'ils ne connaissaient pas, appliquant le miers kilos d'uranium très enrichi n'en de- vieux principe «trop fort n'a jamais manqué», vaient sortir qu'en 1967. nous imposèrent un certain nombre d'essais

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d'une extrême sévérité. En particulier, il était que cet interface si je ne disais quelques demandé, puisqu'il y avait eu rupture en mots du BTMO (banc de test et de main- fatigue, qu'une charge complète subisse tenance opérationnel). Cette armoire successivement des essais en vibration de électronique avait deux fonctions: surveil- durée 48 heures suivant chacun des 3 axes ler en permanence un certain nombre de et de niveau extrêmement élevé, les exper- paramètres de la charge et permettre tises après essais ne devant mettre en évi- d'effectuer des tests de disponibilité de dence aucun défaut. cette charge. Cette deuxième fonction La barre était ainsi placée très haut pour une répondait en particulier à une demande structure composée essentiellement d'explo- de l'état-major de la Marine formulée en sif et d'uranium, qui ne sont pas les maté- avril 1966. riaux favoris des mécaniciens. Des modi- Vérifier pour ce faire le bon fonc- fications de détail, mais judicieuses, furent tionnement de la chaîne de mise de feu apportées à la structure de l'engin qui, sou- pose des problèmes de sûreté redou- mis à la torture des nouveaux essais d'envi- tables. Les électroniciens de la DAM ap- ronnement, passa brillamment l'examen. puyés sur l'industrie prirent en compte La confiance se rétablit et l'affaire était dé- ces spécifications, qu'ils avaient déjà dramatisée au moment de l'embarquement rencontrées lors des programmes Mirage sur le Gymnote des missiles expérimentaux IV et SSBS, sans complètement réaliser M 013C à partir de juin 1970. Les essais en qu'il ne serait plus aussi facile, voire pos- vol qui suivirent et au cours desquels on sible, de faire appel comme sur les bases vérifiait la séquence conduisant au fonction- de l'armée de l'Air à des spécialistes hy- nement des charges par le canal de la télé- per-qualifiés en cas de panne du banc de mesure de la SEREB furent un plein succès. maintenance. Cependant, le département de militarisation Le test de disponibilité des charges à avait à «chenaler » entre Charybde et Scylla: bord devint une nécessité absolue lors- les renforcements des structures de la que le MOP Cœlacanthe imposa fin 1970 charge, bien que faibles du point de vue des coupures manuelles supplémentaires métrologique, ne s'en traduisaient pas moins sur le circuit BTMO - chaîne de mise de du point de vue du fonctionnement nucléaire feu, ainsi d'ailleurs que sur les circuits par autant de nouvelles «perturbations de d'allumage des étages du vecteur. C'était militarisation». L'ampleur de ces perturba- l'application du principe «bouchon dans la tions et leur optimisation donnèrent lieu au poche» du commandant du SNLE, mais sein de la DAM à des discussions passion- après le remplacement du bouchon de nées entre théoriciens et praticiens des en- sécurité par le bouchon de vol, il n'y avait gins, ce qui conduisit à reporter l'essai nu- qu'une seule possibilité pour remettre en cléaire de la charge, initialement prévu lors configuration opérationnelle la chaîne de de la campagne 1970, jusqu'à la campagne mise de feu, c'était d'effectuer une sé- 1971. quence de contrôle complète. Mais le plus important est que ce qu'il convenait « ..moins d'électronique Le tir nucléaire de la MR 41 à Mururoa fut le juge de paix: l'énergie dégagée fut égale à de faire apparut rapidement à tous de contrôle, qui souvent celle de l'engin « formule» de 1968, à 5% comme relevant de l'ordre de l'évidence: près. dès la réunion de la commission supé- crée plus de soucis que le rieure d'armement du Redoutable, le pré- matériel à contrôler Avant d'en arriver là, bien d'autres pro- sident de la commission soutint la posi- blèmes avaient préoccupé les esprits, en tion des commandants du bâtiment qui (charge ou vecteur).» particulier celui de la tenue en pression du demandaient pour l'avenir une simplifica- sous-ensemble contenant le composé tritié. tion du matériel : « moins d'électronique J'ai dit que la quantité de Tritium demandée de contrôle, qui souvent crée plus de par les théoriciens pour assurer le boostage soucis que le matériel à contrôler (charge était importante. Cet isotope de période ra- ou vecteur) ». Renoncer au contrôle dioactive relativement courte - environ 12 d'une arme assemblée entraîne immédia- ans - se transforme en Hélium, gaz inerte, ce tement une conception simplifiée, une qui se traduit par une augmentation de la charge allégée et une sûreté accrue. Les pression interne. La spécification de base partenaires se mirent d'accord pour sup- conduisait à une durée de vie des charges primer à partir de l'Indomptable tout d'au moins deux ans et demi. Le maintien de moyen de test à bord. La documentation l'étanchéité du sous-ensemble étant bien technique remise aux Armées devenait entendu un impératif absolu malgré la mon- quasi nulle et l'on se dirigea dès lors vers tée de la pression interne, il fallait de l'acier le principe suivant: l'unité d'interchangea- pour assurer ce confinement ce qui consti- bilité serait la tête nucléaire, et il n'y aurait tuait une autre perturbation de militarisation. aucun contrôle des équipements après le Le centre DAM de Valduc mit en œuvre pour départ d'un centre DAM et avant que la résoudre ce problème un programme d'es- tête n'y retourne. sais de longue durée dont un chiffre donnera peut-être une idée de l'importance: à son Voilà donc à grands traits ce que fut la terme il avait été effectué sur les dispositifs MR 41, un engin de transition pour lequel d'essai 2,5 kilomètres de soudures par bom- il fallut remédier au manque de connais- bardement électronique. sances scientifiques au moment de sa conception par une grande quantité de Mon récit serait incomplet et apparaîtrait matière nucléaire et par des tours de biaisé aux yeux des anciens des trois pre- force technologiques. miers SNLE et en particulier des officiers missiliers qui ne virent jamais de la MR 41 Avant même son entrée en service, un

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événement très important avait de plus La durée de vie des missiles et M2 allait modifié la donne: à partir de 1967 l'Union donc être limitée et les dernières armes fu- Soviétique commença à mettre en service rent effectivement retirées du service dès un système de défenses anti-missiles com- 1979. Cette charge eut un grand mérite, portant des missiles Galosh dotés d'une celui d'exister et d'être prête au niveau de la tête nucléaire de 3 mégatonnes. Les série lors du premier appareillage en pa- études montrèrent rapidement que la trouille opérationnelle du Redoutable. Ce charge MR 41 était vulnérable à ces inter- jour-là, le nombre de missiles balistiques de ceptions extra-atmosphériques. Le durcis- la passait de 9 à 25 sement passait dès lors au premier plan tandis que l'ordre de grandeur de l'énergie des caractéristiques des charges, et le des engins emportés s'accroissait dans le Conseil de défense du 17 décembre 1970 rapport de 1 à 7. décida le lancement du programme d'un nouveau vecteur, le M 20, équipé d'une tête thermonucléaire - la MR 60 - et d'aides à la pénétration.

Missiles Nom de Type d'arme Puissance Mise en service SSBS- MR31 fission pure au Plutonium 150 Kt 1971 MSBS-Ml et MR41 fission exaltée à l'Uranium 500 Kt 1972/74 MSBS-M20 MR60 thermonucléaire durcie 1 Mt 1977/80 SSBS- MSBS-M20 MR61 thermonucléaire durcie 1 Mt 1980/83 SSBS-S3 et améliorée MSBS- MR70 charges multiples 150 Kt 1985 thermonucléaires

« Le Conseil de défense du 17 décembre 1970 décida le lancement du programme d'un nouveau vecteur, le M 20, …»

06/04/2020 © AGASM 2020 - MNJ Page 14 La Genèse LA CONSTRUCTION DU REDOUTABLE

Cet article, rédigé par l'IGA Touffait, chef de la section sous-marins du STCAN puis Maître d'œuvre Principal (MOP) du projet Coélacanthe, reprend certains passages d'une conférence prononcée par l'IGA Gempp, premier Maître d'œuvre Principal.

 29 mars 1967: Le général de Gaulle, au de construction, avec la petite angoisse premier rang de la tribune officielle qui, qui vous saisit lorsque la coque libérée dans la cale de construction n° 3 de la s'ébranle doucement et glisse de plus en Direction des Constructions et Armes Na- plus rapidement vers la mer aux accents vales de Cherbourg fait face à l'étrave du de la Marseillaise. J'avais eu la charge de Redoutable, appuie sur le bouton qui auto- superviser et de participer directement à rise le lancement du sous-marin. la conception des diverses installations du sous-marin dites de "sécurité plon-  2 juillet 1969: Le capitaine de frégate Lou- gée": la première plongée en route libre zeau, premier commandant du Redou- était la première occasion de constater table, donne l'ordre "Alerte" qui commande que "tout marchait". Enfin, le départ du la première plongée en route libre du sous- Redoutable pour sa première patrouille marin au large de Cherbourg. était l'événement vers lequel avaient ten- du toutes nos énergies, tous nos espoirs.  28 Janvier 1972: le Redoutable armé de ses seize missiles Ml prend la mer pour sa Les événements, l'enchaînement de déci- première patrouille opérationnelle. sions et d'exécutions que je vais rappeler

sont loin de couvrir l'ensemble de l'entre- prise puisque ma qualité de témoin et Ces trois dates marquent des étapes impor- d'acteur ne m'a permis de vivre qu'une tantes de l'aventure technique et opération- partie du programme. Mon témoignage nelle qui a commencé au début des années souffre aussi des nombreuses années qui 60 et qui visait à doter la France d'une flotte se sont écoulées depuis le jour où j'ai été sous-marine capable d'appuyer une poli- impliqué par l'auteur du projet dans la tique nationale de dissuasion. Elles ne sont conception du sous-marin, en réfléchis- certes pas les seules dates importantes de sant aux extrapolations à faire pour pas- cette vaste entreprise; d'autres pourraient ser des équipements de sous-marins de être mises en avant, marquant le développe- la classe des 1 500 tonnes à celle des ment du système d'armes, le développement «presque 10 000 tonnes». Je limiterai du système propulsif, la mise en place des aussi ce témoignage dans le temps à installations du support à terre, station VLF l'époque 1960, début 1972, celle que l'on (radio très basse fréquence) de Rosnay, pourrait appeler aujourd'hui «l'époque base et pyrotechnie de l'île Longue, centre des pionniers» où, partant souvent de «L'époque des pionniers» d'entraînement des Roches Douvres à Brest, zéro, des ingénieurs, des officiers ont etc... Le choix de ces trois dates est en fait où, partant souvent de construit le premier sous-marin de la plus personnel: témoin et acteur du déroule- force océanique stratégique (FOST). zéro, des ingénieurs, des ment du projet Cœlacanthe, elles émergent officiers ont construit le dans mes souvenirs pour des raisons particu -lières. Le lancement d'un navire reste un premier sous-marin de la événement quasi-mythique d'un programme force océanique LES DÉCISIONS INITIALES stratégique (FOST). » C'est en 1960 que s'est manifestée officielle- - les études de réalisation d'une sta- ment pour la première fois l'intention gouver- tion capable d'assurer la liaison radio nementale de construire un sous-marin lanceur avec les sous-marins opérationnels; d'engins. Les grandes lignes du programme -la mise en chantier d'un sous-marin d'action, qui a été respecté, étaient les sui- prototype lanceur d'engins suscep- vantes: tible d'effectuer ses essais à la mer - le développement à partir de 1961 de dans le deuxième semestre 1968. l'étude du lancement de missiles par un sous Il faut toutefois noter qu'à cette -marin; époque, aucune décision ferme n'avait - le développement à partir de 1961 des encore été prise par le gouvernement études relatives aux éléments périphériques de constituer une composante navale les plus importants du système d'armes: na- de dissuasion, et ces premières déci- vigation par inertie, recalage par visée as- sions ne constituaient donc que des trale; mesures d'orientation et de prépara- - l'orientation ferme, dès 1961, des études de tion. la SEREB (Société d'études et de réalisation Le Gymnote a été effectivement mis d'engins balistiques), qui venait d'être créée, en chantier à l'arsenal de Cherbourg le vers l'application MSBS, comportant cons- 1er mars 1962. Sous la pression de la truction d'une série de véhicules expérimen- marine et avec l'appui du CEA, le mi- taux mono, puis bi-étages, à tirer du sol, du nistre des armées devait prendre, en caisson sous-marin et enfin du Gymnote; 1962, la décision d'avancer d'un an la -le choix d'un champ de tir pour engins tirés mise en chantier du premier sous- du sol ou du sous-marin expérimental; marin : le 2 mars 1963 a donc été si- gnée la décision de mise en chantier à

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à Cherbourg du premier sous-marin lan- après le Mirage IV et le SSBS. L'état-major ceur d'engins, repéré provisoirement sous de la marine avait défini le programme mili- l'appellation Q 252, qui devait devenir le taire, c'est à dire les exigences opération- Redou-table. Sensiblement à la même nelles auxquelles devait satisfaire le navire époque, le gouvernement a définitivement et un projet avait été soumis à l'approbation confirmé sa décision de réaliser la compo- du Conseil supérieur de la marine en 1962. sante navale de la force nucléaire straté- gique qui en constituerait la 3e génération

LES DÉCISIONS INITIALES

Si nous examinons sommairement ce qui Si la mise au point du système d'armes Pola- s'est passé aux Etats-Unis, nous consta- ris, leur était possible d'emblée à bord du tons que les Américains, dans leur pro- George Washington après avoir «dé- gramme de construction de sous-marins douané» au préalable la propulsion nu- modernes, n'ont jamais mis à l'épreuve cléaire, les installations de pilotage à grande plusieurs innovations techniques majeures vitesse et les installations «sécurité- sur un même sous-marin. Il est vrai que plongée», on pouvait aussi espérer assurer grâce à la puissance inégalée de l'industrie d'emblée sur Le Redoutable les mises au américaine, les différentes étapes se sont point concernant ces trois catégories d'instal- succédées à cadence rapide, quelquefois lations, sous réserve de « dédouaner» par même en se recouvrant. Une première un moyen naval approprié les installations étape, celle de la propulsion nucléaire, a relatives au «système d'armes stratégique». été franchie par la construction du proto- Le Gymnote a effectué des tirs d'engins type à terre d'Idaho, puis une mise à inertes dès 1966, ensuite il a effectué pour le l'épreuve sur le Nautilus, à partir du début seul programme Ml plusieurs dizaines de tirs de 1955. Une deuxième étape impliquait d'engins inertes et une dizaine de tirs d'en- des études hydrodynamiques avancées gins actifs, monoétage ou biétages. Toutes sur les formes de coque, le pilotage à ces opérations étaient donc devenues assez grande vitesse, etc... Les résultats de ces routinières quand elles ont été faites pour la études ont été contrôlés par l'expérience première fois sur le Redoutable et je consi- dès le début de 1954 sur l'Albacore, sous- dère comme assez remarquable que les marin conventionnel, construit spéciale- installations «mécaniques» de lancement de ment pour mettre à l'épreuve les nouvelles celui-ci aient pu être recettées en totalité en formes de coque qui ont été adoptées sur deux semaines au cours de quelques sorties les sous-marins à propulsion nucléaire. De à la mer avec une vingtaine de tirs de ma- même, les études avancées concernant quettes inertes. La justesse de cette option l'organisation moderne de la « sécurité- s'est très largement trouvée confirmée en- plongée » ont reçu une première applica- suite; toutes les générations ultérieures de « ...Je considère comme tion sur les trois derniers sous-marins à missiles jusqu'au M4 ont été testées sur le propulsion classique construits aux Etats- Gymnote, en réduisant de manière significa- assez remarquable que Unis, du type Barbel. On peut dire que tive les délais de leur mise en service à bord les installations c'est la synthèse des conclusions tirées de des sous-marins opérationnels. ces trois expérimentations qui a donné mécaniques de lancement naissance aux sous-marins nucléaires d'attaque du type Skipjack (début 1959). de celui-ci aient pu être Les sous-marins lanceurs d'engins de la recettées en totalité en classe George Washington dérivent eux- mêmes des sous-marins du type Skipjack deux semaines .... » par une filiation directe puisque les cinq premiers SSBN de cette classe sont cons- titués d'une tranche centrale cylindrique contenant le compartiment des missiles, terminée aux extrémités par un avant et un arrière identiques à ceux des sous-marins du type Skipjack. On pourrait poursuivre l'étude de ces filiations en notant que les SSN postérieurs aux Skipjack, ceux de la classe Thresher ont précédé les SSBN de la classe La Fayette. Notre programme devait bien entendu emprunter de sérieux raccourcis. Il n'était pas question de fran- chir le même nombre d'étapes intermé- diaires, hormis celle du prototype à terre de propulsion nucléaire. Nous avons ce- pendant prévu une étape "qui ne figurait pas dans la filiation américaine, celle du sous-marin expérimental lanceur de mis- siles, le Gymnote, évoqué plus haut. Ce point mérite quelques explications: le souci d'économiser nos moyens et notre argent nous a conduits à une position symétrique de celle qui a été adoptée aux Etats-Unis.

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LES SAUTS TECHNOLOGIQUES

Concevoir et construire un sous-marin a vitesse continue supérieure à 25 nœuds propulsion nucléaire capable de lancer des (le Narval de 1 500 tonnes pouvait soute- missiles stratégiques, et d'assumer des pa- nir une vitesse de 18 nœuds pendant trouilles prolongées en autonomie et discré- quelques dizaines de minutes), qu'il com- tion complètes, posait en 1960 un nombre porte toutes les installations nécessaires de problèmes considérable. Les solutions à la vie en milieu clos de 135 membres techniques à imaginer, développer, réaliser, d'équipage pendant des patrouilles de expérimenter à terre puis à bord n'existaient trois mois. Il fallait mettre en place les pas «sur étagère» au début du programme. installations de transmissions à bord et à Il fallait entre autre, passer du lancement terre, les installations de soutien et d'en- horizontal de torpilles de 1500 kg au lance- traînement pour le navire et les équi- ment vertical de missiles de plus de 15 pages, les pyrotechnies... Il fallait... Il tonnes. Il fallait connaître en permanence la fallait... N'ayant ni la place, ni la compé- posi-tion du sous-marin avec une précision tence pour établir l'inventaire complet des passant de quelques nautiques à quelques problèmes à résoudre, je me limiterai à centaines de mètres. Il fallait installer une certains de ceux que posaient le lance- chaufferie nucléaire et une propulsion à va- ment des missiles, le comportement à la peur saturée. Il fallait que ce sous-marin de mer, l'emploi de l'énergie nucléaire, le 8 000 tonnes en surface soit piloté à une développement des télécommandes.

LE LANCEMENT DES MISSILES ET SES IMPLICATIONS

La première contrainte imposée au construc- En effet, les barres de plongée sont alors teur du missile résulte de l'installation de inopérantes et le sous-marin est soumis à celui-ci dans le sous-marin. Il y a au départ son instabilité naturelle en immersion, d'un projet de SNLE un choix à faire pour les aggravée par la succion qu'exercent sur paramètres géométriques: diamètre de la sa coque les trains de houle qui défilent. coque du sous-marin, position et dimension En outre, après éjection du missile, si des tubes, emplacement des portes inté- aucune précaution n'avait été prise, le rieures permettant l'accès aux différentes par sous-marin aurait été alourdi de la diffé- -ties du missile pour les opérations de main- rence qui existe entre le poids d'eau em- tenance. Une fois ces données figées, aucun barqué dans le tube et celui du missile, retour en arrière n'est possible, sauf à entraî- différence qui peut atteindre près d'une ner de profonds bouleversements. Cette dizaine de tonnes. Cette difficulté a été contrainte de volume pèse sur les perfor- contournée grâce à une «astuce» très mances du missile: elle interdit par exemple simple qui consiste, dès le départ du mis- de placer des empennages stabilisateurs à sile, à refermer promptement la porte « L'énergie mise en jeu l'arrière. supérieure avant que le tube ne soit com- est considérable et la Une deuxième contrainte résulte des condi- plètement rempli: cela peut paraître as- tions de lancement: il s'agissait d'éjecter sez risqué de réguler ainsi l'irruption de la mise en vitesse doit rester verticalement hors de la coque d'un sous- mer dans un tube béant dont le diamètre assez progressive ... » marin en plongée à faible vitesse, une dépasse 1,80m, mais l'expérience a mon- masse de 18 tonnes propulsée à une vitesse tré qu'avec une bonne temporisation de voisine de 100 km/h suffisante pour lui per- la fermeture de la porte, le résultat cher- mettre de traverser sans ralentissement ap- ché était atteint. préciable la tranche d'eau épaisse d'une Tous ces dispositifs que je viens d'évo- vingtaine de mètres qui sépare le pont du quer ont été essayés et mis au point sur sous-marin de la surface. L'énergie mise en le Gymnote de 1966 à 1968, ils ont par- jeu est considérable et la mise en vitesse faitement fonctionné aux essais sur le doit rester assez progressive pour que la Redoutable. La complexité de la tranche structure du missile, relativement fragile si missiles d'un SNLE a dépassé très large- on la compare à celle d'une torpille, résiste à ment ce que nous pouvions imaginer au l'opération. départ. Pour donner quelques chiffres, il y La nécessité de libérer une énorme quantité a 1 998 passages "résistants" (ouvertu- d'air en moins d'une seconde, demande évi- res diverses, orifices d'accès, passages demment des sections de passage considé- de câbles ou de tuyautages) qui traver- rables. Le missile accélère progressivement sent les parois des 16 tubes résistants du pour atteindre en un temps de l'ordre de la Redoutable. La coque épaisse elle - seconde la vitesse de 100 km/h, tout en glis- même dans tout son ensemble reste loin sant à l'intérieur du tube interne équipé d'une de ce record, avec ses 650 ouvertures garniture souple qui facilite ce glissement et diverses, auxquelles s'ajoutent 450 pas- le protège en position de stockage contre les sages à travers les cloisons résistantes vibrations. Dès que la tranche arrière du intérieures. missile a émergé, le premier étage s'allume Une troisième contrainte extrêmement automatiquement. importante résulte de la nécessité de tirer La nécessité de tirer à vitesse très faible, rapidement l'ensemble des missiles, car sinon nulle, nous avait conduits à imaginer si le sous-marin en plongée reste difficile d'importantes installations de stabilisation. à détecter, dès qu'il lance son premier

06/04/2020 © AGASM 2020 - MNJ Page 17 missile, il commet une indiscrétion ma- lal'objectif navigation au moment par inertie du tir.de C'estdéfi-nir le rôleà chaque de la jeure. instantnavigation ces par références inertie de verticaledéfinir à et chaque d'azi- Une quatrième contrainte résulte de la mutinstant et corréla-tivement ces références de d'entretenir verticale laet longi- d'azi- mobilité de la plate-forme de lancement. tudemut et et corrélativement la latitude du tireur. d'entretenir Je ne la peux longi- ici Dans le cas d'un engin balistique tiré du quetude mentionner et la latitude les du problèmes tireur. Je extraordinai- ne peux ici sol, on connaît parfaitement sa position sur rementque mentionner difficiles que les posent problèmes la navigation extraordinai- par son socle de lancement au fond du silo. inertierement et difficiles les divers que procédés posent la quinavigation en permet- par Dans le cas du sous-marin, essen- tentinertie le et recalage. les divers Disons procédés seulement qui en permet- que le tiellement mobile, la difficulté est double. Gymnotetent le recalage. a été équipé Disons de seulementla première quegéné- le D'une part, le point de départ des missiles rationGymnote de a CIN été (centrale équipé de inertielle la première de naviga- géné- évolue et les tra-jectoirestrajectoires qu'ilsqu'ils vont suivre tion)ration et de d'un CIN dispositif (centrale de inertielle recalage de astral naviga- par pour aller sur leurs objectifs doivent être viséetion) et périscopique d'un dispositif en de plongée, recalage leastral Redou- par défi-niesdéfinies en en conséquence.conséquence. D'autre D'autre part, le tablevisée ayant périscopique été provisoirement en plongée, équipé le Redou-lors de sous-marin en plongée subit de petits sestable derniers ayant été essais provisoirement de la deuxième équipé lors géné- de mouvements de cap, d'assiette ou de rou- rationses derniers de ces essais CIN, avant de la d'être deuxième équipé géné- en- lis, dus principalement à l'action de la suiteration d'une de ces troisième CIN, avantgéné-ration. d'être équipé en- houle, qui nécessitent de connaître avec suite d'une troisième génération. précision la ver-ticaleverticale dudu lieulieu et l'azimut de l'objec-tif au moment du tir. C'est le rôle de LE COMPORTEMENT À LA MER L'extraordinaire accroissement de vitesse dispositions absolument capitales: et surtout d'autonomie que permet la pro- - limitation dans le sens à descendre par pulsion nucléaire posait en termes nou- des butées mécaniques téléréglables des veaux les problèmes de corrélation angles de barre de plongée arrière, les «puissance-vitesse» et d'aptitude des ins- seuils correspondants variant avec la vi- tallations de pilotage à maintenir le sous- tesse; marin sur la route imposée. Dans le cas du - adoption de dispositifs de «chasse rapide» Redoutable, on s'est contenté des mé- aux ballasts avant qui permettent de libérer thodes usuelles en usage au bassin des en quelques secondes une quantité d'air carènes, qui se sont révélées suffisam- importante en augmentant la flottabilité de ment bonnes. Le Redoutable possède de l'avant. bonnes qualités évolutives qui rendent son Ces deux dispositions ont pour but d'une pilotage à vitesse élevée aussi aisé que part de limiter l'angle d'assiette maximum celui d'un sous-marin de taille et de perfor- pris en cas d'incident, et d'autre part de per- mances plus modestes. mettre un rétablissement rapide de la situa- Il faut cependant considérer avec pru- tion à toute immersion. dence les évolutions d'un bâtiment de 9 Les essais précités ont aussi permis de con- 000 tonnes car les distances d'arrêt, condi- firmer que la parade la plus immédiatement tionnées par l'inertie du navire et les possi- efficace à une avarie de barre de plongée bilités de la propulsion sont importantes. arrière consistait à orienter la barre de direc- En ligne droite, au voisinage de la vitesse tion toute d'un bord. L'effet bien connu des maximale, il faut environ 1 000 mètres sous-mariniers est particulièrement béné- pour stopper, d'où le risque, en cas d'ava- fique sur le Redoutable, même à vitesse très « Il faut environ 1 000 rie intéressant l'appareil à gouverner en élevée, car il ne s'accompagne fort heureu- mètres pour stopper, plongée, d'excursions en immersion dan- sement d'aucun roulis intempestif notable, gereuses. Les études effectuées sur le comme le cas a été mentionné pour certains d'où le risque… » modèle libre de Saint-Tropez ont conduit sous-marins étrangers. de ce point de vue à définir et adopter des L'EMPLOI DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE La physionomie générale du sous-marin, -vée que possible et une très grande sou- les conditions d'existence à bord en sont plesse d'emploi; elle nécessite une discipline profondément modifiées: ce n'est plus en très stricte en matière de sécurité en raison dizaines, mais en milliers de kW que se de la gravité exceptionnelle que pourraient présente le bilan de puissance en plongée revêtir certains accidents, et aussi de l'im- de l'usine électrique. La chaufferie nu- possibilité pratique d'intervention à bord sur cléaire doit avoir une disponibilité aussi éle le circuit primaire.

LES TÉLÉCOMMANDES Les principales actions ont porté sur le duite et leur attention plus aisément éveillée. poste de commande de la propulsion, ce Voilà quelques exemples concrets qui mon- qui était normal, et aussi, ce qui était alors trent l'étendue de la tâche qui attendait les nouveau, dans le domaine des ma- ingénieurs lorsque la décision de créer la nœuvres liées au contrôle de la pesée, aux FOST a été prise. Chacun dans son do- chasses, à la ventilation, dont les com- maine était conscient de l'effort à accomplir mandes à distance ont été incorporées dans un cadre strictement national, à de dans un tableau central de sécurité- minimes exceptions près. En effet, nous plongée placé au poste central navigation- n'avions pas pu, comme nos collègues de opéra-tions. Les voyants de contrôle qui Grande-Bretagne, bénéficier d'un appui s'y trouvent étant normalement éteints et américain pour la propulsion et les missiles, ne s'allumant que lorsqu'il y a «anomalie», mais, pour être honnête, je dois reconnaître la fatigue des opérateurs s'en trouve ré- que nous avons reçu en fait une aide impli-

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cite très importante des Etats-Unis: toutes les fois que nous faisions face à un pro- blème, nous savions qu'il existait outre- Atlantique une solution qui naviguait. A nous de la trouver, et pourquoi pas une qui lui soit supérieure !

UNE RAISON DU SUCCES: L'ORGANISATION CŒLACANTHE

Plus de trente ans plus tard il est permis de des armées et le chef d'état-major de la rechercher les raisons du succès de l'opéra- marine, le chargé de mission «atome» de tion ambitieuse de construction du Redou- la DMA, les directeurs des constructions table armé de ses seize missiles à tête nu- navales et des engins de la DMA, et le cléaire Ml. On doit souligner le rôle moteur MOP, assure le contrôle d'ensemble du puissant de la volonté politique exprimée et programme. Sa mission est de traduire soutenue jusqu'au niveau le plus élevé, celui en décisions d'exécution les directives du du général de Gaulle, volonté ressentie par Conseil de défense. les participants comme étant capable de En outre, deux groupes de travail, un à faire tomber beaucoup d'obstacles. Cepen- vocation opérationnelle présidé par dant, ma participation de longue durée à «l'amiral Cœlacanthe» (officier général l'étude et à la construction du Redoutable qui représente le chef de l'état-major de m'amène à souligner la qualité et l'efficacité la marine au Comité), l'autre à vocation de l'organisation mise en place en 1962 sous technique présidé par le MOP, sont char- le nom d'Organisation Cadacanthe gés d'étudier sous leurs différents as- Cette organisation repose sur l'action de pects les problèmes rencontrés et de plusieurs acteurs principaux, ou « maîtres proposer les décisions nécessaires au d'œuvre » : comité Cœlacanthe. - le maître d'œuvre du programme naval, Deux caractéristiques particulières de de la direction centrale des constructions et cette organisation méritent d'être signa- armes navales, chargé des SNLE et de lées: l'environnement spécifique à terre; - elle est basée davantage sur des rela- - le maître d'œuvre propulsion nucléaire ; tions entre individus que sur les rela- - le maître d'œuvre missiles tions entre services, avec l'éta- blissement d'un climat de confiance - le maître d'œuvre tête nucléaire de la réciproque, ce qui lui permet de conti- direction des applications militaires du nuer à fonctionner sans subir le contre- CEA. coup de l'évolution de l'organisation Le maître d'œuvre du programme naval est des services et des changements de « ….pour que des en outre «maître d'œuvre principal du projet structures; Cœlacanthe» et, à ce titre, chargé de la - toutes les autorités concernées sont décisions puissent être coordination d'ensemble du programme. représentées au comité directeur à des prises sans risque d'une Le comité directeur ou « Comité Cœla- niveaux de responsabilité suffisamment canthe », présidé par le Délégué Ministériel élevés pour que des décisions puissent remise en question pour l'Armement, comprend le directeur des être prises sans risque d'une remise en ultérieure. » applications militaires du CEA, deux officiers question ultérieure. généraux représentant le chef d'état-major

06/04/2020 © AGASM 2020 - MNJ Page 19 L'ARMEMENT DU REDOUTABLE Il appartenait à l'amiral Louzeau, premier commandant du Redoutable et ancien chef d'état- major de la Marine, de clore cette série d'articles sur la genèse et la mise au point de notre force océanique stratégique. Celui-ci est la transcription partielle d'une communication faite le 16 février 1993 au Comité de documentation historique de la Marine.

Souvenirs Personnels Pourquoi ce titre: Souvenirs personnels? vis avec la deuxième promotion, en 1959, Parce que je n'ai pas l'intention de présen- les cours de l'École atomique. Pendant ces ter une conférence magistrale mais plutôt années studieuses, les grandes décisions de vous faire part de ce que j'ai vécu, des concernant les forces nucléaires furent problèmes tels qu'ils se sont posés à mon prises et une visite de l'amiral Rosset nous niveau, de mes réactions, de mes joies et apprit la signature de l'accord avec les Etats- de mes irritations. J'ai eu la chance de Unis pour la fourniture d'uranium 235 néces- vivre cet événement de bout en bout, ce saire à la construction d'un prototype à terre. qui est rare. J'ai pu appliquer et voir fonc- En 1960, la décision fut prise d'entreprendre tionner des idées que j'avais eues ce dernier avant même la mise en chantier quelques années auparavant. La Marine a d'un sous-marin nucléaire lanceur d'engins, eu la sagesse de laisser la première et l'équipe du DPN put se mettre au travail. équipe en place et l'expérience fut pas- Pourquoi les Américains ont-ils consenti à sionnante. Je parlerai souvent à la pre- cet accord? II semble qu'il y ait eu de la part mière personne, il faudra m'en excuser. du président Eisenhower une volonté de Rappelons d'abord quelques dates clés de faire plaisir au général de Gaulle, et aussi la cet armement: 1963, dépêche de mise en présomption de l'amiral Rickover estimant chantier du sous-marin désigné sous le que ces pauvres Français étaient bien inca- repère Q 252 ; mars 1967, lancement à pables de réussir. (1) Cherbourg; juillet - novembre 1969, pre- La décision fut donc prise de construire di- miers essais suivis des démontages; dé- rectement un SNLE, sans suivre l'exemple part pour Brest en septembre 1970 ; deu- américain en passant d'abord par le stade xième période d'essais portant sur le sys- d'un sous-marin d'attaque. Pour les missiles, tème d'armes, suivie de la traversée de on allait les essayer en utilisant les tronçons longue durée et de la clôture d'armement. avant et arrière du Q 244, en plaçant au mi- Départ pour la première patrouille le 28 lieu un élément de coque contenant quatre janvier 1972. On a beaucoup épilogué sur tubes lance-missiles et des moteurs diesel. la longueur de cet armement et certains Après d'âpres discussions, la décision de ont même ricané, jusqu'au commissaire construire le Gymnote fut prise en 1962. San Antonio qui y fait allusion dans un de Après dix-huit mois de cours et l'obtention du ses romans ! En fait, la durée n'en fut pas diplôme d'ingénieur en génie atomique … je plus longue que pour d'autres bâtiments n'avais qu'un désir, celui de repartir com- « J'ai eu la chance de vivre bien moins complexes. mander à la mer en attendant mieux. Je ré- cet événement de bout en Ma première implication avec le Redou- sistai aussi aux sirènes du DPN qui souhai- table date de décembre 1964. Convoqué tait m'intégrer dans son équipe et, en mai bout, ce qui est rare. » chez le directeur du personnel militaire, je 1962, je pris le commandement du Dauphin. fus pressenti pour suivre l'armement du Q Revenons à cette convocation chez l'amiral 252 et je ralliai la rue Royale dès janvier Bailleux, directeur du personnel militaire pour constituer le premier noyau d'équi- (DPM). Elle faisait suite à la création d'un page. Nous y reviendrons. Comité du personnel des sous-marins, char- Pourquoi le choix s'est-il porté sur moi? gé de définir les grandes lignes de la poli- Sans doute parce qu'aux yeux de la direc- tique à suivre en matière de personnel. On tion du personnel militaire, je remplissais avait pris conscience de l'importance du pro- les conditions d'âge et de qualification, ce blème des hommes et il était temps de s'y qui m'amène à dire ce que j'avais fait avant mettre, car à l'époque, la présentation aux cette époque. En 1956, officier en second essais du Q252 était prévue pour le début de sur le Narval, je n'ignorais pas le premier 1968. Ce Comité était présidé par le DPM et projet du Q 244 qui venait d'être mis en comprenait quelques officiers généraux et le route et assez vite interrompu. Cet échec commandant de l'EAMEA. Nommé secré- fut salutaire car il permit de repartir sur de taire de ce comité, je ralliai la rue Royale dès meilleures bases, et ce fut la création du janvier 1965 avec pour mission de me con- département de la propulsion nucléaire sacrer sans plus attendre à la tâche de trou- (DPN) au Commissariat à l'énergie ato- ver et de former un équipage. mique où se retrouva une bonne partie de l'équipe du Q244. Vint ensuite la création (1) NDLR: Inversement, quelques années plus tard alors de l'École d'application militaire de l'éner- que le projet Coelacanthe semblait en bonne voie, les gie atomique (EAMEA) à Cherbourg et la Etats-Unis, soucieux de garder la maîtrise d'un allié par naissance de l'organisation Cœlacanthe trop indépendant, ont fait des approches pour proposer chargée de l'ensemble des projets condui- à la France une coopération similaire à celle accordée à sant à la mise sur pied de la composante la Grande-Bretagne. Informé de cette proposition, le sous-marine. Passionné depuis 1955 par Général de Gaulle dit seulement:" Ah? Je vois…un l'énergie nucléaire, après avoir commandé sous-marin franco-américain…le cuisinier sera fran- çais!". mon premier sous-marin, le Laubie, je sui-

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Commença alors pour moi une période de l'EAMEA et ensuite un stage pratique sur deux ans d'études, de réflexion et de travail le prototype à terre. Pour les officiers, une personnel. Je pris connaissance du pro- première équipe fut envoyée à l'EAMEA. gramme militaire et des premières spécifica- Une liberté très grande me fut laissée tions. Ce qui saute aux yeux au premier pour le choix des personnes et j'obtins abord est que la construction d'un SNLE carte blanche pour consulter les fichiers constitue une brusque mutation. Par rapport de la direction du personnel militaire. aux sous-marins classiques, on change Personnellement, j'avais aussi à m'ins- d'univers. D'abord la taille: 8 000 tonnes, 130 truire. Après avoir travaillé sur docu- m de long, 10,6 m de diamètre: on est loin ments, j'allai passer à Cadarache de sep- des 1 500 tonnes d'un Narval. Mais la taille tembre à décembre 1965 quatre mois n'est rien. Ce qui me frappe le plus à pendant lesquels, avec deux officiers, l'époque, c'est le fait que les installations nous effectuâmes un tour du monde fictif. essentielles sont entièrement nouvelles dans Il convenait de définir les qualifications leur conception, mais aussi que pour cer- pour chaque poste de quart et les pro- taines d'entre elles, l'expérimentation com- grammes d'instruction pour les stages à mence à peine. Passons-les en revue: venir. Pour les premiers équipages cons- Propulsion. A tout seigneur, tout honneur, titués, nous avions forcé la dose sur le commençons par la propulsion nucléaire. degré de qualification car nous n'avions C'est elle qui a provoqué la révolution dans aucun droit à l'erreur. Pour certains le monde des sous-marins et qui a per-mis postes, on se posait des questions, par de concevoir l'existence même des sous- exemple pour le chimiste. J'ai tenté d'ob- marins stratégiques. Le prototype à terre a tenir quelques renseignements auprès de divergé en août 1964 et marche bien, mais l'école de New-London de l'US Navy par l'installation d'une machine à vapeur sur un l'intermédiaire d'un camarade, ancien sous-marin n'ira pas sans poser quelques stagiaire de l'École de guerre navale, problèmes techniques. mais la réponse fut négative. C'est à Sécurité plongée. La plupart des installa- cette époque que fut choisi le site du futur tions sont entièrement nouvelles : la régéné- Centre marine de Jouques-Cadarache. ration de l'atmosphère, l'installation de tenue En 1966, j'embarquai pour deux mois sur automatique de la plongée pour le lance- le Gymnote qui commençait les premiers ment des missiles, le poste de pilotage essais des installations des tubes lance-- adapté aux grandes vitesses, le développe- missiles et des centrales inertielles de ment extraordinaire des télécommandes. Je navigation (CIN). Un problème à long ne doute pas de la fiabilité de tous ces maté- terme se posait: le Comité du personnel riels, mais comment se fera l'adaptation du des sous-mariniers avait à définir la poli- personnel face à ces nouveautés? tique de recrutement et de formation des équipages. A quel niveau et à quelle date Les missiles. C'est un domaine entièrement convenait-il de recruter ? Il fallait consti- « Je ne doute pas de la nouveau où tout est à découvrir. En 1965, tuer le deuxième équipage du Redoutable l'expérimentation commence à peine et le tir et prévoir ceux du Terrible et du Fou- fiabilité de tous ces d'un premier étage de MSBS (M 110) n'aura droyant dont la construction s'annonçait. lieu qu'en 1966 à Hammaguir. L'organisation Le travail commença sur un cahier d'éco- matériels, mais comment du système d'armes n'est encore qu'à l'état lier, avec en premier lieu la définition d'un se fera l'adaptation du d'ébauche et les plans d'emménagements plan d'armement correct. On partit d'un de la tranche missiles sont encore muets: effectif de 140 avec 15 officiers, comme personnel face à ces seize cercles représentant les tubes lance- l'US Navy, et ce plan s'affina au cours nouveautés ? » missiles, c'est tout. des années 1965-1966. On entreprit une Enfin, pour clore ce chapitre des nouveau- étude de chaque poste de quart pour les tés, il faut mentionner le développement qualifications, et de nombreuses réunions incroyable des équipements électroniques avec le Service Technique des Construc- avec un "pool" d'ordinateurs chargé de rem- tions Navales permirent de préciser les plir de multiples fonctions telles que le lance- fonctions. A chaque nouvelle spécification ment et la maintenance des missiles, l'élabo- de matériel ou d'installation se posait la ration de la situation tactique, etc. question: par qui sera faite la mise en œuvre d'un tel matériel ? Quelle compé- Un problème immédiat se posait qu'il fallait tence doit-il avoir ? Il fallut lutter en per- résoudre d'urgence: trouver un premier manence contre la tendance à l'inflation noyau d'état-major et d'officiers mariniers et et la limite supérieure était fixée à 137 par le former. Le plus urgent commençait par le le nombre des couchettes. On arriva à personnel mécanicien et électricien. Les 135. mécaniciens bons sous-mariniers étaient excellents en diesel mais nullement vapo- Le problème de l'organisation du bord me ristes ; quant aux électriciens, ils avaient préoccupa dès le début. Le décret sur le l'habitude du courant continu alors que les service à bord ne parlait bien entendu ni SNLE utilisaient l'alternatif. Aucun d'eux de chaufferie nucléaire, ni de missiles, ni n'avait de connaissances dans le domaine d'ordinateurs. C'est le matériel qui dicta nucléaire. Il fallut donc envoyer des sous- l'organisation. Le bord resta toujours divi- mariniers en stage sur les bâtiments de sur- sé en services, certains furent supprimés, face pendant quelques mois et prendre aussi d'autres créés. Deux groupements s'im- quelques surfaciers en stage sur sous- posaient: "Opérations", avec service tra- marins. ditionnels de conduite du navire, missiles, etc.... plus calcul à cause du centre de Un cours pour officiers mariniers fut créé à traitement des données qui travaille pour

06/04/2020 © AGASM 2020 - MNJ Page 21 plusieurs services, sous l'autorité d'un seul très serré. CGO; "Énergie-Propulsion" avec trois ser- Nous avions une hantise: la sécurité. Depuis vices de propulsion, énergie, sécurité plon- l'armement pour essais, le bord en était res- gée sous l'autorité du CGE. II n'existait ponsable et les risques d'incendie étaient plus de service électricité car la séparation importants en raison des travaux de sou- classique des services Machines- dure, et 350 ouvriers travaillaient en perma- Electricité ne convenait plus. La méca- nence. L'équipage, formé de gens de haute nique et l'électricité se trouvaient désor- qualification ne pouvait se consacrer à cette mais complètement imbriquées en raison tâche, et heureusement la direction du per- des télécommandes et des automatismes, sonnel militaire mit à notre disposition trente et chaque service devait avoir du person- marins du contingent qui suivirent un court nel mécanicien et électricien. Le service stage de pompier et remplirent ensuite leur Énergie avait sous sa responsabilité le tâche avec abnégation et efficacité. réacteur et la distribution primaire d'électri- Pendant toute cette phase de l'armement, on cité auxquels s'ajoutait tout ce qui con- mit au point et rédigea les consignes géné- cerne la sécurité du réacteur. Le service rales de service, les dispositions des circuits Sécurité-Plongée n'existait pas sur les et la conduite progressive de l'entraînement, sous-marins diesel alors que, vu la taille du travail ingrat pour lequel je rends hommage SNLE, il devenait le service le plus impor- à l'ancien chef d'état-major de la Marine, tant en effectif. Cette nouvelle organisation l'amiral Coatanéa, mon second à l'époque, du groupement énergie n'allait pas de soi qui fut la cheville ouvrière de ce travail. et je dus batailler avec l'état-major de la La première période des essais à la mer se Marine, et surtout le Service technique des situa du 18 mai au 8 novembre 1969 avec machines qui, moribond, se désintéressait un arrêt de deux semaines au moment du 15 du nucléaire. août. Les essais au point fixe, amarré à la Je ralliai Cherbourg pour le lancement jetée du Homet, donnèrent lieu à un incident après avoir été désigné en janvier 1967 qui aurait pu se terminer en catastrophe, comme "commandant chargé de suivre les évitée grâce à la réaction excellente de l'in- travaux d'achèvement". On s'étonna, à génieur de quart (C.C. Ramonet). La pre- l'Elysée, de voir confier une telle tâche à mière plongée statique eut lieu dans l'anse un capitaine de corvette ! Le lancement eut du Becquet au moment de l'étale, puis vin- lieu le 29 mars 1967 et ce fut une belle rent les premiers essais préliminaires en journée en présence du général de Gaulle, route libre en baie de Seine avec l'ingénieur du ministre des Armées Pierre Messmer et général Gempp à bord, au cours desquels de l'amiral Cabanier, chef d'état-major de on détermina la vitesse maximale en sur- la Marine. Après la cérémonie, en compa- face, ce qui permit de constater un effort gnie des ingénieurs, je fis au général une hydrodynamique très important sur l'avant. présentation de ce qu'allait être le SNLE Le 2 juillet eut lieu la première plongée en devant les maquettes car tout avait été route libre sur la fosse d'Aurigny en pré- maquetté par tranches. Ce fut un premier sence de toute l'organisation Caelacanthe. contact avec les médias : télévision, jour- On y alla doucement, en se pesant léger au nalistes, et l'apprentissage de l'art de tenir départ, puis on fit une incursion à 50 mètres « Ce fut un premier sa langue. avant de revenir en surface. contact avec les médias : Lors du lancement, la coque du Redou- On passa ensuite à la présentation aux es- table était encore presque vide et des tra- sais officiels qui devaient avoir lieu en Atlan- télévision, journalistes, et vaux se poursuivirent dans la forme du tique car il n'y a pas assez de fond en l'apprentissage de l'art de Homet devenue zone réservée. La pre- Manche, mais auparavant, il convenait de mière date importante fut le 26 avril 1968 faire des essais officiels en surface et quatre tenir sa langue.» marquée par la prise d'armement pour jours de plongée fictive (2) du 10 au 14 juillet essais. L'équipage d'armement rallia et on pour vérifier le bon fonctionnement des ins- pu commencer les premiers essais de tallations de régénération et de conditionne- l'usine électrique en utilisant une chaudière ment d'air. J'avais pris auparavant la déci- à vapeur saturée de l'ancienne Jeanne sion d'interdire de fumer à bord, à la décep- d'Arc, essai indispensable pour passer à tion de la Commission d'étude pratique des l'étape suivante comprenant les essais à sous-marins! froid puis à chaud sur le réacteur. Le 18 juillet, ce fut le départ vers l'Atlantique En janvier 1969, on procéda au charge- où commença une campagne d'essais inté- ment du cœur et la divergence eut lieu le ressant la plate-forme sous-marine propre- 26 février, pendant la nuit pour être au ment dite, car le système d'armes n'était pas calme. Ce fut un grand moment et l'on but encore installé. Tout fut mené sur un rythme le champagne. Huit jours plus tard, l'auto- soutenu à la mer avec transfert de person- nomie nucléaire fut prise, ce qui se tradui- nel d'essais sous Groix ou en grande rade sit par un grand changement à bord car il y de Brest. L'équipe d'essais, très nombreuse, eut désormais en permanence du person- était logée dans la tranche avant ou dans la nel de quart au réacteur. En effet dès le tranche missiles. Une solide discipline fut début, ce fut le bord qui conduisit l'installa- obtenue grâce un chef d'équipe remar- tion sous la responsabilité du CEA, bien quable, sorte de capitaine d'armes de ces que la recette fût loin d'être prononcée. Ce équipe d'essais. fut le résultat de la formation dis-pensée à l'EAMEA et à Cadarache qui comportait la (2) délivrance des qualifications par une com- NDLR: la plongée fictive consiste à vérifier, le sous- mission mixte Marine-CEA. Les essais des marin étant à quai, en autonomie et tous panneaux fermés, le bon fonctionnement général de toutes les diverses installations du bord se poursuivi- installations, mises en œuvre par les équipes de quart rent sans relâche suivant un programme qui se relèvent comme à la mer

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Ces derniers se poursuivaient nuit et jour A la fin de cette période et au début de selon un programme fait pour utiliser le 1971, le deuxième équipage rallia peu à temps au maximum Le vice-amiral d'escadre peu, ce qui m'amène à parler du pro- Salmon, président de la Commission perma- blème des deux équipages. Dès la con- nent des essais, venait très souvent à bord ception, l'utilisation du SNLE fut prévue et nous étions toujours accompagnés par au avec deux équipages pour obtenir un moins un escorteur, le Maillé-Brézé le plus rendement maximum. On avait conçu un souvent. Lorsqu'on venait à quai, c'était à cycle de 100 jours sur la base 72-28. Brest car l'Ile Longue n'était pas encore Comme commandant chargé de l'arme- prête à nous recevoir. ment, j'avais la responsabilité de livrer le Les essais de propulsion et de pilotage se sous-marin au service actif avec deux poursuivaient pas à pas, en vérifiant que les équipages formés. Les essais de 1969 réactions étaient conformes aux prévisions. furent effectués avec un volume de per- On effectua ensuite trois plongées à P sonnel équivalant à quatre tiers, ce qui (immersion maximale autorisée) car il y avait permettait d'assurer les essais dans de près de 300 points de mesure avec une cen- bonnes conditions et d'avoir ensuite pour trale qui ne pouvait en relever que 100 à la chacun des deux équipages un noyau de fois. On procéda au lancement de maquettes deux tiers connaissant bien le bâtiment. de torpilles et surtout de maquettes Dauphin Un problème délicat se posa dès les es- pour vérifier le bon fonctionnement de sais de 1971 car les sorties n'avaient rien chaque tube lance missile et l'on fit les es- à voir avec le cycle opérationnel. Il était sais de stabilisation et des mesures de bruits nécessaire de faire participer tout le rayonnés. La période d'essais se termina par monde d'une manière aussi équilibrée une plongée ininterrompue de dix jours. On que possible. Seul responsable, je devais resta dans les secteurs nationaux du golfe particulièrement veiller à ce que, malgré de Gascogne et ce fut l'occasion de faire un ces changements continuels de per- peu d'entraînement tactique avec un escor- sonnes, le matériel et les essais soient teur, les avions de patrouille maritime et le bien suivis. A chaque appareillage, on Duquesne qui terminait ses essais. voyait de nouvelles têtes. Il fallut s'y habi- Cette première campagne se déroula de tuer. Le problème de la relève était entiè- manière très satisfaisante mais cela ne veut rement nouveau et voici la solution qui fut pas dire qu'elle fut exempte de quelques choisie: l'équipage rentrant de patrouille soucis. Sur les GCP (groupes convertisseurs devait être libéré le plus vite possible, principaux), on constata une usure anormale donc la passation de suite ne dépasserait des balais entraînant une chute d'isolement pas trois ou quatre jours, l'équipage par- et le problème fut long à résoudre. Un inci- tant en patrouille prenant en charge le dent grave survint avec la rupture d'un bateau pendant la remise en condition. flexible de vapeur d'alimentation d'un TA Comme les périodes de recoupement sont brèves, les suites doivent être pas- « Quelle impression (turbo-alternateur). Il y eut trois brûlés lé- gers, mais la réaction du personnel de quart sées correctement avec un échange magnifique de naviguer à fut excellente. La pantoire de remorque dé- maximum d'informations et cela entraîne une passation écrite à tous les niveaux bonne vitesse sans qu'on capelait dès qu'on augmentait de vitesse, problème irritant. Une fois coincée dans la avec états du matériel, documentation, vienne vous prévenir que barre avant, il fallait faire surface pour la etc….. la batterie est déchargée dégager en la coupant avec une scie à mé- Cette méthode conduisit très tôt à mettre taux ! au point avec la Direction des Construc- et qu'il est temps de De ces premiers jours de plongée je con- tions Navales une nouvelle gestion du mettre au schnorchel ! » serve un merveilleux souvenir Quelle im- matériel dite "gestion intégrée". En raison pression magnifique de naviguer à bonne du nombre élevé et de la complexité des vitesse sans qu'on vienne vous prévenir que installations, des longs séjour en mer la batterie est déchargée et qu'il est temps sans assistance logistique, des courts de mettre au schnorchel ! On vit vraiment la séjours à la base, de la faiblesse numé- révolution de la propulsion nucléaire. Nous rique des équipages, des changements rentrâmes ensuite à Cherbourg, tous les tous les cent jours, il fallait entièrement essais prévus étant effectués sauf un, celui innover car la gestion traditionnelle se de la ligne de mouillage qui devait être dé- révélait totalement inadaptée. De cette barquée. nécessité découla la démarche suivante: en premier lieu, repérage soigné de tout La période des démontages s'étendit de le matériel, 144 installations furent identi- novembre 1969 à septembre 1970. Après fiées par un bigramme de deux lettres. l'euphorie des premiers essais, ce fut une Chaque appareil fit l'objet d'un repérage période austère. Outre les démontages clas- fonctionnel effectué par le bord en fonc- siques prévus lors d'un armement, on procé- tion de son utilisation. En second lieu, da à un certain nombre de modifications repérage de classement pour faciliter la rendues nécessaires après les premières gestion. Il fallait réunir une documenta- navigations: réduction d'un peu de plomb du tion technique complète et tout cela re- côté du CRE (compartiment réacteur- présentait un gigantesque inventaire. échangeur), allégement des tubes lance- missiles dans les hauts à cause d'un coeffi- La définition du lot des rechanges était cient de stabilité un peu faible, installation une affaire longue et délicate. Grâce à d'une chasse rapide dans les ballasts avant, l'informatique, cet inventaire fut établi de mais surtout installation du système d'armes manière à fournir les allocations de re- missiles. changes et l'on pu éditer de nombreux documents, dont les feuilles d'armement.

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Le travail à bord s'en trouva simplifié et d'acceptation des missiles, et bien que la pour faciliter les passations de suite, les partition entre les deux équipages n'eût pas charges furent réparties entre un nombre encore été faite, elle était déjà réelle pour les suffisant de gradés (38) à raison d'un mil- équipes chargées des missiles. lier d'articles par gradé. A chaque départ Le premier tir eut lieu le 29 mai 1971 et il de patrouille, les feuilles d'armement fallut trois jours pour y arriver. Le premier étaient éditées avec une partie détachable jour, un incident sur les circuits du boîtier de constituant un compte rendu de gestion. sécurité gouvernementale nous interdit de La liste des pièces consommées, trans- commencer la séquence. Le deuxième jour, mise aux services de l'escadrille, servait arrêt à la dernière seconde à cause d'un au réapprovisionnement. Cela représentait parasite sur le champ de tir et l'officier dé- un travail de bénédictin qui fut accompli en clencha le "rouge", mais le missile ayant liaison étroite entre le bord et les services amorcé ses piles internes, iI fallut les chan- de la DCAN. ger pour pouvoir recommencer. Une nou- La seconde partie des essais à la mer se velle tentative, mais de nouveau arrêt sur déroula de septembre 1970 à juillet 1971. avarie d'un capteur. Le troisième jour, same- Après cette période de démontages, di de la Pentecôte, à 11 heures, le missile quelques essais en surface et une nou- partit et la trajectoire fut nominale. Le deu- velle plongée statique, le Redoutable quitta xième tir eut lieu le 26 juin avec l'équipage définitivement Cherbourg le 25 septembre Rouge et tout se passa comme à la parade. 1970 car l'Ile Longue était maintenant On procéda alors à la partition en deux équi- prête à nous recevoir, mais il n'y arriva que pages et chacun allait immédiatement avoir trois semaines après car on reprit les es- une existence bien à lui. Je pris le "Bleu" et sais sur un rythme soutenu avec change- Bisson le "Rouge". ment des équipes toutes les semaines à La traversée de longue durée, sorte de pré- l'occasion d'un retour en grande rade. patrouille, fut effectuée avec l'équipage Bleu. Cette période fut consacrée aux essais du Quatre missiles étaient opérationnels sans système d'armes et de divers équipements matière nucléaire, mais avec chaînes pyro- opérationnels dont la bouée VLF qui nous techniques actives. L'appareillage eut lieu le donna beaucoup de soucis car sa mise au 7 juillet. Après une phase d'entraînement point fut longue et délicate. Beaucoup tactique dans les secteurs nationaux, ce fut d'heures d'essais furent passées au profit le transit vers la mer de Norvège. On allait de la "Société Nationale de l'Industrie Aéro reconnaître les lieux. Au début de ce transit, -nautique et Spatiale", en général de nuit, nous éprouvâmes un sentiment de libération: car on était plus tranquille. Cette société pour la première fois, le Redoutable navi- avait aux Mureaux une installation simulant guait seul. Nous effectuâmes sur place une l'alignement des 16 missiles, mais on eut petite patrouille de dix jours avec mise au des surprises à la mer : l'installation refu- point des procédures de "non-pistage", utili- sait les changements de cap passant par sation du système de navigation Transit, le nord! lancements fictifs, tests des transmissions. Nous effectuâmes plusieurs recon- Je conserve le souvenir du magnifique spec- naissances au Centre d'essais des Landes tacle offert par l'île Jan Mayen au périscope. « Je conserve le souvenir et on passa de longues heures à faire des Nous revînmes dans les secteurs nationaux visées sur la terre pour tester les dérives le 8 août pour une nouvelle phase d'essais du magnifique spectacle des CIN (centrales inertielles de naviga- et d'entraînement et le 17 août, nous arri- tion), travail particulièrement fastidieux et vâmes à Brest après 43 jours de navigation. offert par l'île Jan Mayen inconfortable. Nous faisions plusieurs pré- Les missiles s'étaient bien comportés et au périscope. » sentations en plongée pour un tir fictif et il après cette traversée de longue durée, fallait tester les liaisons et les procédures. j'avais une grande confiance dans le bateau. Ce fut pour moi une période très fatigante: Ce fut ensuite la première relève d'équipage. 135 jours de mer sur 270, avec un rythme Le Rouge prit la suite et effectua une sortie haché, des personnes différentes à de 30 jours. C'est une impression curieuse chaque sortie. Il fallait suivre tous les es- de voir son bateau partir avec un autre alors sais, assurer la sécurité, former les équi- qu'on sait qu'on va bientôt repartir avec lui. pages. Le capitaine de frégate Bisson, qui Au retour de cette sortie, mentionnons la devait commander le deuxième équipage, visite à bord du président Pompidou, venu à embarquait souvent mais je restais seul Brest pour le départ de la Jeanne d'Arc. responsable. Après le retour de l'équipage Rouge eut lieu Evoquons quelques souvenirs. Le 21 dé- une nouvelle relève et ce fut le début du cembre, nous effectuâmes une plongée premier cycle opérationnel. Admis au service avec M. Debré, ministre des Armées, et actif le 1er décembre 1971, le Redoutable fit nous eûmes une liaison à l'immersion pé- l'objet d'un léger différend avec la Commis- riscopique avec France-Inter pour que le sion Permanente des Essais qui trouvait que ministre puisse parler à la nation. II y eut tout n'était pas au point et que le pro- aussi une journée avec les journalistes gramme militaire n'était pas entièrement pendant laquelle je m'occupai de J. Isnard. atteint. Je signai sans aucun état d'âme la Le 1er février, un incident pénible survint lettre que tout commandant rédige en fin avec le chalutier Pen ar Pont, qui nous d'armement et déclarai que le Redoutable aborda à la sortie de Brest près de la Par- était apte à remplir sa mission. II était temps quette et coula en quelques minutes. Les maintenant d' y aller. six hommes d'équipage furent recueillis On procéda de nuit à l'embarquement des par le Casabianca, notre escorteur d'ac- 16 missiles, ce qui entraîna un nouveau compagnement. changement d'état d'esprit. Je réunis l'équi- Cette période se termina par les deux tirs page pour lui faire comprendre que nous

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avions désormais à bord 16 missiles de 500 Severomorsk le 4 avril. Ce drame avait kilotonnes, soit l'équivalent de 400 Hiroshi- coûté la vie à trente personnes, dont vingt ma, et que notre véritable mission commen- -huit pendant l'incendie. çait. Un mot sur les mesures de sécurité Nous rentrâmes à Brest le 21 mars après nucléaire: elles sont établies par une com- une patrouille de 54 jours. L'amiral Joire- mission mixte Armées-CEA, ce qui entraîne Noulens nous attendait sur le quai ainsi une procédure lourde et compliquée, mar- que l'équipage Rouge, la relève se fit et chant pas à pas. Les autorisations d'embar- le Redoutable se prépara pour sa deu- quement de missiles et d'appareillage sont xième patrouille. données par le Président de la République. Une petite surprise: la commission n'autorise Pour moi, l'aventure était terminée. Je pas le maintien sous pression du réservoir passai le commandement de l'équipage torique du deuxième étage des missiles. En Bleu au capitaine de frégate Lavolé. moins d'un mois, on procéda à l'installation Quant au Redoutable, il continua sa vie de bouteilles d'azote et à la validation des active jusqu'en 1991 et effectua soixante procédures pour remplir les réservoirs au patrouilles de soixante à soixante-dix dernier moment, c'est-à-dire au stade maxi- jours. mum d'alerte. Enfin ce fut le départ pour la première pa- trouille avec beaucoup d'agitation dans les dernières heures. Les ordres et instructions arrivaient en masse. Pour moi, je sais que j'aurais le temps de digérer tout cela lorsque le panneau serait refermé. Le départ fut fixé au 28 janvier 1972. Une heure avant l'appareillage nous reçûmes la visite du général Maurin, chef d'état-major des Armées, et de l'amiral Storelli, chef d'état-major de la Marine ainsi qu'un mes- sage de M. Debré. Pendant quelques jours, nous eûmes à bord l'amiral Joire-Noulens qui venait d'être nommé ALFOST. Après les tests, tout va bien sauf l'antenne Transit, à la masse après une plongée à P. La décision fut prise de revenir à Brest, où nous res- tâmes une douzaine d'heures pour rempla- cer le câble défectueux, ce qui provoqua une grande agitation dans la presse qui se posait « Les ordres et des questions. Le 31 janvier au soir, le Re- doutable ressortit de Brest et nous commen- instructions arrivaient en cions le transit vers la zone de patrouille. masse. Pour moi, je sais Sur cette première patrouille opérationnelle, que j'aurais le temps de il n'y a pas grand chose à dire car elle se passa fort bien. De temps à autre, des lance- digérer tout cela lorsque ments fictifs furent ordonnés par ALFOST. Le matériel se comporta bien, l'équipage le panneau serait aussi et la vie à bord s'organisa, ponctuée refermé. » par les quarts, les loisirs. Deux événements un peu particuliers mar- quèrent cette première patrouille: une opéra- tion de l'appendicite, et surtout le suivi de l'opération de sauvetage d'un sous-marin soviétique en perdition. Je fus tenu au cou- rant en permanence de la position de toute l'armada venue à son secours, le tout sur- veillé par de nombreux avions américains. Je fus obligé de manœuvrer au retour pour ne pas me trouver au milieu de ce carrousel. Vingt ans plus tard, je lus avec intérêt le récit de cet accident dans La Dramatique Histoire des sous-marins nucléaires soviétiques écrite par trois anciens commandants de ces unités. II s'agissait du sous-marin K19 à bord duquel un incendie éclata le 24 février 1972. Il fit surface dans une tempête effroyable et les Soviétiques envoyèrent sur place une flotte importante comprenant le porte- hélicoptères Leningrad, trente navires au total. Douze hommes étaient coincés dans le compartiment arrière et il fallut 24 jours pour les en sortir! Le remorquage ne commença que le 18 mars et le sous-marin arriva à

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