Centre d'Ethnologie Méditerranéenne

102, avenue J. et B. Fontenaille 13100 Aix-en-Provence

Ministère de la Culture

Mission du Patrimoine Ethnologique 65, rue de Richelieu 75002 Paris

ETHNOLOGIE PARALLELE ET SAUVEGARDE DU PATRIMOINE

ETHNOLOGIQUE EN HAUTE-PROVENCE

RAPPORT FINAL

iViarie Hélène Guyonnet

Mars 2000

Remerciements

Je remercie toutes les personnes rencontrées ou contactées au cours de cette recherche, en particulier les responsables d'associations patrimoniales et tous les passionnés de patrimoine qui m'ont accueillie et ont accepté de répondre à mes questions avec patience et bienveillance. Je me suis attachée à reproduire le plus fidèlement possible leurs propos ainsi que les informations qu'ils m'ont communiquées. J'espère qu'ils voudront bien excuser les erreurs éventuelles. Mes remerciements s'adressent aussi à Danielle Musset, dont la connaissance du terrain m'a fourni une aide précieuse, et à Annie- Hélène Dufour pour ses encouragements et son soutien.

Marie-Hélène Guyonnet

Sommaire

Introduction 1

DE LA. SOCIETE SAVANTE A L'ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DU PATRIMOINE

« Alpes de Lumière », précurseur du mouvement patrimonial en Haute-Provence 5

Physionomie actuelle du mouvement patrimonial 14

CHERCHEURS DE PATRIMOINE

Entre engagement et passion 22

Goût du savoir et aspirations culturelles 30

ASSOCIATIONS PATRIMONIALES ET STRATEGIES D'INTÉGRATION

Une région d'immigration 35 Sociabilité locale et intégration 37 Une sociabilité élective 42

UNE COLONISATION DOUCE ?

Imaginaire néorural et valorisation des traditions 46 Représentation du passé et captation de la mémoire 50 Les associations patrimoniales, un lieu de contre-pouvoir 53 AnnexConclusioe n 603 Bibliographie 63

Introduction

Cette recherche s'inscrit dans le prolongement d'une étude sur les structures de l'ethnologie dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur1, réalisée en 1995 à la demande de la Direction Régionales des Affaires Culturelles PACA et de la Mission du Patrimoine ethnologique (ministère de la Culture). Cette étude avait, en effet, mis en évidence le rôle prépondérant du mouvement associatif dans la multiplication, depuis les années soixante- dix, dans les zones rurales de Parrière-pays provençal. C'est ainsi qu'entre 1970 et 1995, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a vu la création de dix-huit structures muséographiques à caractère historique et ethnographique (musées, écomusées, conservatoires), dont quatorze pour la seule Haute-Provence. Sur ces dix-huit structures, quatorze ont été fondées à l'initiative d'une association locale de sauvegarde du patrimoine. Plus généralement, la Haute-Provence s'affirme comme une des terres d'élection de la passion patrimoniale : un recensement des associations « culturelles et de sauvegarde » réalisé, en 1989, dans le département des Alpes-de-Haute-Provence2 den tifie quatre-vingt- quatorze associations locales et cinq associations départementales (le département compte deux cents quarante-cinq communes). Depuis, de nouvelles associations à vocation patrimoniale ne cessent de se créer.

L'attrait pour la cause patrimoniale n'est pas propre à la Haute-Provence. Rappelons, à cet égard, que c'est vers le milieu des années soixante-dix que commence à se manifester en un vif intérêt pour les cultures traditionnelles et les particularismes locaux. Depuis un quart de siècle, cet engouement n'a cessé de se développer, jusqu'à constituer aujourd'hui un véritable phénomène social3. Au sein de cette évolution, l'année 1980 apparaît cruciale : elle marque la consécration, sur le plan institutionnel et politique, de l'inclusion des cultures et des traditions populaires dans la notion de patrimoine artistique et historique. À côté des œuvres reconnues comme les plus prestigieuses du «génie national », on accueille désormais le petit patrimoine local, c'est-à-dire « le lavoir de village, la petite église rurale, le parler local ou la chanson »\ La réalisation, au Grand-Palais, d'une exposition intitulée Hier pour demain. Arts, traditions et patrimoine, qui porte sur la découverte et la sauvegarde du patrimoine ethnographique français illustre cette vision élargie. Enfin, la création de la Mission du Patrimoine ethnologique au sein du ministère de la Culture concrétise la nouvelle acception de la notion de patrimoine et confère une forte légitimité aux travaux d'étude et de préservation des cultures populaires et traditionnelles. Sur le terrain, cette conjonction d'événements se traduit généralement par un foisonnement

1 Guyonnet M.-H., Les structures de l'ethnologie en Vrovence-Alpes-Côte d'Azur, Aix-en-Provence et Paris, Centre d'ethnologie méditerranéenne et Mission du Patrimoine ethnologique, 1995. 2 Le patrimoine religieux de la Haute-Provence, Bulletin de l'Association pour l'étude du patrimoine religieux de la Haute-Provence, Digne, n°8,1989. 3 Les programmes de radio et de télévision reflètent ce repli social sur un autrefois idéalisé. Le journal de 13 heures de TF1 consacre chaque jour un sujet aux traditions régionales : vieux métiers artisanaux, fêtes et coutumes locales, produits du terroir, etc. Le journal de France 2 présente lui aussi, quoique de façon discontinue, des reportages de la même veine. Citons encore, à cet égard, parmi les émissions périodiques, sur la Cinquième : « La France aux mille villages » et « Détours de France » (1998) ; sur France-Info, « La France des terroirs ». Enfin, à destination des jeunes, l'émission hebdomadaire de France 3, «Va savoir ». 4 Jean-Philippe Lecat, cité par Jean-Pierre Rioux, « L'émoi patrimonial », Le temps de la réflexion, t. VI (Le passé et son avenir. Essai sur ¿a tradition de l'enseignement), Paris, Gallimard, 1985, P. 39-48. d'initiatives locales dans le domaine patrimonial, et, corrélativement, par l'émergence d'un nombre encore jamais égalé de vocations d'ethnologues et d'historiens amateurs.

La région retenue comme cadre de cette recherche, communément appelée Haute- Provence, correspond géographiquement aux Préalpes méridionales, zone de transition entre les Alpes du Sud et les plaines de la basse Provence, où dominent les montagnes d'altitude moyenne (entre mille et deux mille mètres) et les hauts plateaux. Sur le plan morphologique, cette région est caractérisée par un relief hétérogène et morcelé où s'enchevêtrent plateaux calcaires (Albion, , etc.), bassins (, etc.), petites et grandes vallées (Jabron, Durance, Verdón, Var, etc.), canons (gorges du Verdón, d', etc.) et massifs montagneux (Luberon, Ventoux, Lure, massif des Monges, etc.). La région est traversée par trois grands fleuves : la Durance, affluent du Rhône, principale voie de pénétration vers le nord, et dont le cours dans sa partie basse - où la rivière coule d'est en ouest —, marque la frontière avec le bas-pays provençal ; le Verdón, principal affluent de la Durance qui prend sa source au nord-est du département des Alpes de Haute-Provence et rejoint la Durance au sud-ouest, aux environs de ; enfin, à l'est, le Var qui se jette dans la Méditerranée non loin de Nice. Le climat de la Haute- Provence, qui relève du régime méditerranéen, est marqué par l'irrégularité des pluies, qui se concentrent sur quelques jours au printemps et en automne, la sécheresse et un ensoleillement annuel d'une longueur exceptionnelle. Le haut-pays provençal est une région essentiellement rurale où l'économie traditionnelle est fondée sur l'élevage ovin, les céréales et les cultures vivrières qui assurent l'autosuffisance alimentaire. À quoi s'ajoutent, selon les endroits, la culture de l'olivier et des plantes aromatiques (lavande). À l'exception des riches terres de la basse vallée de la Durance et du bassin de Forcalquier, les sols sont naturellement peu fertiles. De façon générale, les terres cultivables sont, dans cette région vallonnée et montueuse, de faible superficie et de surcroît situées sur des déclivités, de sorte qu'elles ne peuvent être cultivées qu'avec des moyens rudimentaires. Les conditions de vie en Haute-Provence ont toujours été difficiles et souvent misérables, en particulier dans certaines vallées reculées et sur les hauts plateaux arides. Aussi, les débuts de l'industrialisation se traduisent-ils par une hémorragie de la population vers les régions industrielles et les grandes métropoles. Dans le département des Alpes de Haute-Provence on constate une diminution de la population de presque la moitié entre les années 1830 et les années 1940. Il faudra attendre la fin des années cinquante pour voir la tendance s'inverser durablement.

La Haute-Provence géographique et culturelle ne se réduit pas aux limites du département des Alpes-de-Haute-Provence mais s'étend en partie sur les départements provençaux limitrophes comme le Vaucluse (Luberon, Ventoux), le Var, les Alpes- Maritimes (préalpes de Grasse) ou encore la Drôme. Notons que ce travail est en partie centré sur le département des Alpes de Haute-Provence. A cela deux raisons principales : ce département, qui est au cœur de la région et recouvre l'essentiel de son territoire, présente une concentration inégalée d'associations à vocation patrimoniale ; le cadre départemental reste incontournable dans l'accès à certaines sources, comme pour l'obtention de données homogènes d'ordre historique, économique, statistique, etc.

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DE LA SOCIÉTÉ SAVANTE À L'ASSOCIATION DE

SAUVEGARDE DU PATRIMOINE

L'extraordinaire déploiement à partir des années quatre-vingt du mouvement associatif patrimonial dans le haut-pays provençal est d'autant plus remarquable que cette région n'avait pas connu jusqu'alors de tradition associative forte et durable dans les domaines de l'érudition et de la culture : la première société savante du département, la « Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes »5, ne voit le jour qu'en 1878 alors que les départements limitrophes des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse en accueillent une ou plusieurs dès le début du XIX* siècle. La création du Félibrige6, qui participa de façon décisive au renouveau de l'activité savante dans l'espace culturel provençal, ne suscitera en Haute-Provence qu'une mobilisation modérée, essentiellement illustrée par la création, à Forcalquier, de la « Soucieta dei felibre aupen » (« Société des félibres alpins »), en 1876, et de 1'« Escolo dis Aup » («École des Alpes»), en 1878. Il faut attendre les années 1930 et les initiatives de Marcel Provence, félibre qui a choisi la Haute-Provence comme terre de « mission », pour voir éclore et se multiplier les actions pour l'étude et la préservation des traditions locales7. Marcel Provence sera à l'origine de la création de plusieurs institutions savantes et folkloriques locales dont beaucoup sont encore en activité, telles par exemple 1'« Académie de Moustiers », spécialisée dans les études sur l'artisanat de la faience, le Musée historique de la faience de Moustiers, 1'« Escola de la Valéia » (« École de la Vallée ») à , ou encore le Musée archéologique de . Par ailleurs, s'inspirant des travaux de Van Gennep, Marcel Provence lance, en 1942, une enquête ethnographique sur « la vie de l'homme en Haute-Provence », par le biais des instituteurs et professeurs de l'enseignement public, enquête dont il publie quelques résultats sommaires dans le Bulletin de la Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes*. La fin de la guerre marque l'arrêt des actions et des travaux de ce militant régionaliste qui s'est compromis avec le régime de Vichy. Plus généralement, on assiste au reflux de l'émulation félibréenne en Haute-Provence. Des années plus tard, en 1970, un des collaborateurs éminents de la « Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes », le conservateur des Archives départementales, déplore ce long effacement du Félibrige en ces termes : « On mesure la décadence quand on songe à l'élan félibréen qui a marqué les années 1940- 1941,-il y a à peine trente ans: les bulletins d'alors de la «Société scientifique et littéraire » en témoignent amplement par leur florilège de textes provençaux venus d'un peu tous les coins du département et par le compte rendu des manifestations qui se sont

5 Les Basses-Alpes sont l'ancienne appellation du département des Alpes-de-Haute-Provence. 6 Ecole littéraire créée en 1854 par Frédéric Mistral pour la renaissance de la langue et de la littérature d'oc. 7 Dans un petit ouvrage intitulé Mission dans le Haut Pays (Gap, 1932), Marcel Provence, qui considère la Haute-Provence comme un conservatoire largement ignoré des traditions provençales, justifie son engagement en ces termes : « Réputé mal tenu, sans beautés naturelles, orné de peu de monuments, presque sans musées, le pays de Haute-Provence a revendiqué enfin sa place dans le collier des trésors provençaux ». Et un peu plus loin : « Nous revendiquons pour les commissaires des saisons d'art l'initiative d'avoir, forts de la confiance des sociétés savantes et félibréennes, appelé notre peuple à se retrouver, d'avoir crié au peuple d'alentour de venir chercher le secret même des beautés alpines, la chanson singulière d'une race qui gardait ses us, ses quadrilles et ses complaintes, ses coiffes et ses musiques dans des paysages d'une grandeur maintenant reconnue ». 8 Provence M., « Enquête sur la vie de l'homme en Haute-Provence », Bulletin de la société scientifique et littéraire des Basses-Alpes, Digne, n°182, juillet-décembre 1042.

3 déroulées malgré les difficultés de la guerre. Il serait impossible à l'heure actuelle de renouveler ces promesses »'.

En 1953, un groupe de personnalités réunissant des chercheurs amateurs et des acteurs de la vie locale, fondent à Simiane-la-Rotonde un mouvement culturel baptisée « Alpes de Lumière », qui se donne pour objet « la mise en valeur des ressources culturelles de la Haute-Provence»10. Au départ, l'idée est de favoriser le développement d'un tourisme tourné vers la découverte et la connaissance de la région. La toute première publication de l'association présente le projet en ces termes : « (il s'agit) de faire connaître la qualité du ciel et les curiosités du terroir, de grouper les personnes s'intéressant à la Région et travaillant efficacement à son essor, de susciter des vocations de chercheurs et d'animateurs dans la jeunesse, d'organiser des cours et conférences, expositions, congrès, excursions, recherches diverses, publications, campagnes de presse, etc., enfin de tendre à lancer peu à peu une entité régionale1 (dans le genre de "Côte d'Azur" ou de "Côte Vermeille" pour d'autres régions) Alpes de Lumière » se démarque des sociétés erudites traditionnelles à deux égards : d'une part, elle cherche à impliquer et à mobiliser, non seulement les élites locales mais aussi, et surtout, l'ensemble des populations rurales ; d'autre part, elle veut mettre les activités savantes et culturelles au service de la réanimation économique et sociale d'un monde rural alors en plein marasme. Cette dernière orientation s'impose jusqu'aux environs des années 1970. À partir de là, « Alpes de Lumière » entreprend un recentrage sur ses seules activités savantes et patrimoniales. Association d'initiative locale, « Alpes de Lumière » acquerra très tôt une aura nationale, et même internationale, grâce, notamment, à la personnalité et au charisme de son président-fondateur, Pierre Martel. Comme nous le verrons, cette association a joué, à différents égards, un rôle déterminant dans le développement et la physionomie du mouvement associatif patrimonial en Haute- Provence.

Le paysage associatif érudit en Haute-Provence évoluera peu jusque dans les années 1970. A partir de là on assiste à un renouveau du mouvement savant qui se traduit par la création de nouvelles associations. Certaines se veulent concurrentes d'« Alpes de Lumière » comme l'association « Les Amis des arts » à Reillane, qui crée, en 1972, un petit musée ethnographique ; d'autres, au contraire, en sont plutôt une émanation où s'en inspirent comme « Les Amis du vieux Riez », association fondée en 1975, ou encore « Les Amis des Mées » et « Les Amis de Villeneuve » qui toutes deux voient le jour en 1980. Les années 1980-1990 marque l'explosion du mouvement associatif lié à l'étude et à la protection des patrimoines locaux. Ainsi sur les dix-huit associations considérées dans le cadre de cette recherche13, quatorze ont été créées depuis 1980. Il arrive qu'une même commune accueille deux associations patrimoniales, comme à Riez avec la création, en 1995, de l'association « Regain » qui, à certains égards, vient empiéter sur le territoire des «Amis du vieux Riez». Notons encore la création récente (en 1996) de l'association « Patrimoine du pays de Forcalquier », ville située à quelques kilomètres à peine de la commune de Mane où se trouve le siège d'« Alpes de Lumière ». Aujourd'hui, la Haute- Provence est quadrillée par un réseau d'associations qui interviennent dans le cadre d'une

9 R. Collier, « Le Félibrige est-il mort en Haute-Provence ? », Bulletin de La sodété scientifique et littéraire des Basses- Alpes, Digne, n°260, avril-juin 1970. 10 Statuts du 30 mars 1954. 11 Souligné par l'auteur. 12 P. Martel, Les Alpes de Lumière ; ¡iiret-guide (brochure), 1953. 13 Voir la liste des associations en annexe.

4 micro-région, le plus souvent un village et son terroir (« Le patrimoine de Vachères », « Les Amis de Villeneuve », « Patrimoine de Montsalier », « Les Amis de Viens, » etc.) ou une petite ville (« Les Amis du vieux Riez », « Les Amis des Mées », etc.). Parfois l'aire de compétence s'étend à des entités territoriales plus larges, dont on suppose qu'elles constituent des aires culturellement homogènes, comme le « pays », au contour souvent flou, ou la vallée : « Foyer d'animation de la vallée du Jabron », « Sabençà de la Valeia » (« Connaissance de la Vallée »), « Mémoire de la Sasse », « Patrimoine du pays de Forcalquier », etc.

« Alpes de Lumière », précurseur du mouvement patrimonial en Haute-Provence

Réanimation rurale et éducation populaire

Lancé en 1954, le mouvement « Alpes de lumière » connaît très vite un large succès : trois ans après sa création il compte 700 adhérents « répartis dans tous les villages de la Haute-Provence, en particulier dans notre zone d'expérience (région Ventoux-Lure et Luberon), aussi bien qu'aux quatre coins de la France et de l'étranger»14. À la fin des années cinquante l'association rassemble 2000 membres et a créé à Paris une antenne forte . d'une centaine d'adhérents. Le fondateur et principal animateur d'« Alpes de Lumière », Pierre Martel, est né au sein d'une famille de petits agriculteurs du plateau d'Albion et, lors de la création du mouvement, il est le curé de Simiane-la-Rotonde. Enfant du pays, c'est un témoin privilégié des difficultés économiques et de la désertification des régions les plus déshéritées. Sous la double influence de l'action catholique rurale (Mouvement Familial Rural et Jeunesse Agricole catholique )u et des courants de pensée liés à l'éducation populaire, Pierre Martel va défendre avec vigueur l'idée que l'éducation des populations paysannes, et leur accès à la culture au sens le plus large, constituent la pierre angulaire de .. la modernisation et de la revitalisation de la société rurale. Sous son impulsion, l'association trouve rapidement de nombreux appuis, tant au sein des organismes d'éducation populaire et des mouvements de jeunesse qu'auprès d'hommes politiques et de décideurs œuvrant à la mise en place d'une politique d'aménagement du territoire. Plusieurs personnalités influentes appartenant à ces milieux et membres de la première heure de l'association, joueront un rôle décisif dans le développement et les orientations d'« Alpes de Lumière ». C'est le cas de Guy Madiot. Responsable de la « Fédération des Maisons de jeunes et de la culture », proche de « Peuple et Culture », Guy Madiot est aussi membre d'une constellation d'associations nationales et internationales liées à l'action sociale et culturelle auprès des jeunes, dont le « Conseil français des mouvements de jeunesse ». Il anime plusieurs années durant l'antenne parisienne d'« Alpes de Lumière » et est un relais actif auprès de différentes institutions et personnalités. Parmi les membres éminents de l'association, il convient de citer Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme de 1948 à 1953, et l'un des principaux initiateurs de la politique d'aménagement du territoire. Evoquons encore Jean-Marius Gatheron, économiste, spécialiste du monde rural - il a écrit, notamment, un ouvrage intitulé Vie rurale et aménagement du territoire —, à l'époque inspecteur général de l'Agriculture, et qui deviendra un des responsables du bureau parisien de l'association.

14 P. Martel, « Manifeste pour la troisième année », Alpes de Lumière, n° 6 juin 1956. 15 En 1960 P. Martel est nommé aumônier fédéral de la JAC et de la JACF.

5 L'engouement suscité dès sa création par le mouvement « Alpes de Lumière » auprès de certaines élites parisiennes trouve une de ses principales raisons dans le fait que ses projets étaient en étroite consonance avec une des préoccupations majeures de l'époque : les déséquilibres économiques, démographiques et culturels entre les différentes régions de l'espace français (grands centres urbains, régions industrielles, zones rurales pauvres, etc.). Dans cette perspective, il s'agissait de trouver des moyens pour enrayer la désertification des régions rurales restées à l'écart du mouvement de modernisation agricole. L'association va alors nouer des liens étroits avec les réseaux associatifs, les circuits administratifs et les groupes de réflexion touchant à ces questions. Outre les nombreuses associations liées à l'éducation populaires (« Peuple et culture », etc.), on peut citer 1'« Association nationale des parcs de France », présidée par Eugène Claudius-Petit, le « Centre Européen de la Culture », fondé par Denis de Rougemont, le mouvement « Économie et Humanisme » créé par le père dominicain Louis Lebret, ainsi que plusieurs associations locales dont la problématique est proche de celle d' « Alpes de Lumière », tels l'association « Font-Vive » et le « Comité de rénovation des Cévennes », à l'origine du Parc National des Cévennes, ou encore, dans l'orbite de ces dernières, les « Compagnons du Gerboul », association fondée par le docteur Pierre Richard, un proche de Louis Lebret.

Il convient de souligner que la plupart de ces organismes sont d'inspiration catholique ou s'inscrivent dans la mouvance d'un catholicisme social en plein renouvellement depuis la Libération, plus attentif à la dimension économique de la réalité sociale et plus ouvert aux idées de gauche. Rappelons à cet égard que Denis de Rougement participa à la fondation de la revue Esprit d'Emmanuel Mounier et en fut l'un des principaux animateurs ; Eugène Claudius-Petit fut un militant de la «Jeune République » de Marc Sangnier ; Jean-Marius Gameron, fut l'un des fondateurs et des animateurs d'Economie et Humanisme ; enfin, Guy Madiot, milita à l'Action Catholique de la Jeunesse Française (ACJF). Le mouvement « Alpes de Lumière » participe pleinement de ces courants d'idées marqués, notamment, par le rejet du libéralisme économique et de l'individualisme, par l'importance accordée dans l'organisation sociale et économique aux communautés naturelles de base (le village, le pays, la région, la profession, etc.), et, par ailleurs, attachés à la décentralisation. L'ancienne civilisation rurale y est en outre considérée comme un modèle d'organisation sociale et un conservatoire des valeurs humaines authentiques. « Alpes de Lumière » défend les valeurs de l'engagement, de l'altruisme, du désintéressement, et se réfère au « spiritualisme humaniste » ou encore au « personnalisme communautaire ». Dans ce contexte, l'association devient un laboratoire expérimentant des idées et des outils nouveaux, tant en matière de développement local que d'instruction des populations rurales, ou encore d'encadrement et d'éducation des jeunes. Ainsi, en 1956, l'association est-elle sélectionnée par le « Centre Européen de la Culture » pour conduire des expériences pilotes de revitalisation en milieu rural. Cette même année elle est agréée par le ministère de la Jeunesse et des Sports comme association d'éducation populaire. Dans ce cadre, l'association développe les chantiers pour jeunes (fouilles archéologiques, aménagement de sites, etc.). Par ailleurs elle organise des animations culturelles en direction, notamment, des ruraux et des villageois (conférences, expositions, débats). Dans le domaine savant, « Alpes de Lumière » met en place un centre de documentation et développe les études et les recherches dans différentes disciplines (archéologie, géologie, sociologie, histoire, etc.). Parallèlement, elle pose les bases d'un programme muséographique et entreprend des collectes d'objets et de documents à caractère archéologique, ethnographique, et historique. Sur le terrain du développement économique, l'association s'attache à la mise en valeur touristique (protection et

6 aménagement de sites remarquables, création de sentiers de grande randonnée, restauration de monuments, etc.). Pour attirer les résidents secondaires et favoriser le repeuplement de villages désertés, «Alpes de Lumière» ira jusqu'à lancer, en 1956, une opération « Villages à vendre ». Elle contribue aussi à la mise en place de nouveaux outils d'aménagement, tels les Comités d'étude et de mise en valeur régionaux (en l'espèce pour la région Lure et Durance). Afin de gérer cette profusion d'activités malgré des moyens limités (l'association joue surtout un rôle de sensibilisation et de mobilisation des acteurs locaux et ses actions sont essentiellement fondées sur l'engagement bénévole), et dans le souci d'impliquer la population locale, « la base », « Alpes de Lumière » suscite la création d'un réseau d'associations relais, sortes de filiales à caractère « technique » (diffusion de l'artisanat, accueil des jeunes, théâtre, etc.) ou ayant une compétence territoriale. Dans ce dernier cas les associations ont en charge une microrégion. Au début des années 1960 ces filiales sont au nombre de dix.

Dans le même temps, « Alpes de Lumière » se mobilise pour que soit créé, dans le triangle Ventoux-Lure-Luberon, un parc national. Dans les milieux de l'aménagement du territoire, l'idée de vouer certaines régions rurales au rôle d'espace de régénération (physique et spirituelle) pour les citadins et les habitants des zones industrielles s'était progressivement imposée. Il s'agissait, notamment, de créer un outil d'aménagement — zone protégée, parc national, etc. -, capable, simultanément, de protéger des milieux naturels remarquables et d'assurer le développement local par le biais de la promotion du tourisme et des activités de loisir. En novembre 1957 « Alpes de Lumière » participe à l'assemblée générale constitutive de 1'« Association nationale des parcs de France »,6 et présente une contribution intitulée : « Importance de l'éducation des adultes dans la réalisation des parcs nationaux et des zones pilotes »17. Le texte développe et formalise les principes en exergue de l'action d'« Alpes de Lumière ». Il met l'accent sur « la nécessité de faire reposer tous les projets d'aménagement sur un profond renouveau culturel »" et sur le rôle fondamental de l'éducation : « il faudra rendre la population complice des réformes nécessaires par une patiente œuvre d'éducation collective »w. Evoquant le cas de la Haute- Provence, l'auteur de la contribution souligne que les objectifs de développement économique et social ne doivent toutefois pas « dénaturer » « sa physionomie propre, son folklore, ses arts et traditions, sa langue (chacun parle ici le français et le provençal), son histoire, sa littérature, son âme enfin »20. À cet égard, l'éducation et la diffusion de la culture doit permettre « que chaque homme de ce pays soit préparé à se faire le protecteur et le défenseur de ces richesses »Zl. Après avoir exposé un certain nombre de principes en matière, notamment, d'éducation, l'auteur affirme en conclusion que leur application devrait permettre d'éviter que les parcs nationaux soit « autre chose qu'un rassemblement plus ou moins protégé d'insectes, de troupeaux et de paysans folkloriques ou fossiles »22. La loi sur les parcs nationaux, votée en 1960, privilégiera de fait l'aspect préservation des

16 La décision de créer cette association avait été prise en octobre 1957 lors d'une réunion à Lyon dans le cabinet du préfet du Rhône, à l'initiative du promoteur du parc de la Vanoise. Etaient présents Eugène Claudius-Petit et les promoteurs des projets de parcs méridionaux, ainsi que Gustave Thibon, un des signataires du manifeste d'« Economie et Humanisme », « philosophe paysan autodidacte », ardent défenseur des valeurs de la ruralité traditionnelle. 17 Les Alpes de Lumière, n° 11, janvier 1958. " Ibid. " Ibid. :0 Ibid. •" Ibid. " Ibid.

7 milieux naturels sauvages aux dépens de la réanimation rurale et du développement local. Le projet de « Parc culturel de Haute-Provence » cher à « Alpes de Lumière » ne verra pas le jour. Pourtant, selon Pierre Martel, ce projet aurait joué un rôle déterminant dans la création des parcs nationaux. Ainsi, dans un numéro de la revue de l'association présentant une rétrospective de ses activités, ce dernier note : « il (le projet de parc) avait eu pourtant une telle faveur qu'il avait été à l'origine de la création de l'Association nationale des parcs de France et cité en exemple par le conseil des ministres au moment du dépôt du projet de loi sur les parcs nationaux w23. « Alpes de Lumière » n'abandonne pas toutefois l'espoir de la création d'un parc sur son territoire d'élection, selon une formule plus souple que celle des parcs nationaux et surtout mieux à même de prendre en compte les besoins et les souhaits des populations concernées en matière de développement. En octobre 1966, l'association est invitée à un colloque national organisé à Lurs, petit village de Haute- Provence, par le « groupe de travail interministériel des parcs naturels régionaux », où se retrouvent des représentants des différents ministères et institutions concernés : ministère de l'Agriculture, ministère des Affaires Culturelles, ministère de la Jeunesse et des Sports, DATAR, Muséum d'Histoire naturelle, Musée des Arts et Traditions Populaires, association Font Vive, etc. Parmi les personnalités présentes, deux fidèles d'« Alpes de Lumière » : Eugène Claudius-Petit et Guy Madiot. C'est dans le cadre de ce colloque que seront définis les principes des parcs naturels régionaux. La loi relative à leur création sera votée dès 1967. Dix ans plus tard, en 1977, le premier parc naturel régional de Haute-Provence voit le jour dans le Luberon. Il ne concerne toutefois qu'une partie du territoire d'« Alpes de Lumière » : il est vrai que, entre-temps, l'armée avait pris possession du vaste plateau d'Albion 1 Bien qu'« Alpes de Lumière » n'ait pas pris part aux travaux de conception et d'élaboration de cette nouvelle forme de parc, son président, qui rend compte de ces journées pour l'hebdomadaire Semaine-Provence, tient à souligner le rôle précurseur de l'association à cet égard : «J'ai été personnellement très touché et très surpris de constater combien tout ce que nous avions dit et fait depuis vingt ans était connu et apprécié, et j'ai la conviction que cela n'aura pas été inutile pour faire avancer les principes fondamentaux des aménagements à prévoir dans les prochains "parcs naturels et culturels régionaux" »2\

Le tournant patrimonial des années soixante-dix

La fin des années 1960 et le début des années 1970 marque un tournant dans les orientations d'« Alpes de Lumière » : l'association va, en effet, progressivement privilégier la dimension patrimoniale, aux dépens des visées de « réanimation rurale » qui avaient prévalues jusque-là. Cet infléchissement est perceptible dans les nouveaux statuts de 1967 qui précisent l'objet de l'association en ces termes : « l'étude, la sauvegarde et la mise en valeur de la Haute-Provence, surtout en associant les habitants et les hôtes de cette région, et en particulier les jeunes, à des études et à des actions en faveur de son patrimoine naturel et culturel»2S. A partir de cette époque, « Alpes de Lumière », tout en continuant ses actions d'éducation auprès des jeunes (stages, chantiers, etc.), s'attache à organiser et à développer ses activités savantes et culturelles (recherches, documentation, publications, collectes,

23 P. Martel, Les Alpes de Lumière, n° 74-75, juillet 1982. 24 P. Martel, « LJ Provence et les parcs naturels régionaux », document ronéoté, archives « Alpes de Lumière », s.d. :s L'usage de l'expression «patrimoine naturel » a été consacré par son emploi dans la loi de 1967 sur les parcs naturels régionaux. Dans le domaine de la culture, l'emploi du terme de patrimoine remonterait à 1790 (dans l'expression « Patrimoine national »). Plus récemment, la notion de patrimoine apparaît dans la loi sur les archives du 3 janvier 1979.

8 expositions)26. En outre, à côté des domaines d'intérêt habituels de l'association — histoire, archéologie, géologie - un nouvel objet d'étude tend à s'imposer : les cultures rurales traditionnelles de la Haute-Provence. Il s'agit d'inventorier, de collecter et d'étudier les témoignages et les vestiges relatifs à l'ancienne société paysanne : les premières études à caractère ethnographique voient le jour. Pierre Martel, s'intéresse depuis longtemps aux « arts populaires » et publie dans le cadre de la revue de l'association différents travaux portant sur « l'art des paysans »27, les pigeonniers28, les ouvrages de vannerie29. Notons que cette montée de l'ethnologie comme domaine privilégié de recherche est corrélative, d'une part, de l'essor de cette discipline (et des disciplines connexes) au sein des institutions universitaires et de recherche, d'autre part, de son redéploiement sur des terrains français. « Alpes de Lumière », qui a toujours tenu à associer les chercheurs professionnels à ses travaux et à ses activités, collaborera très tôt avec des ethnologues et des dialectologues. Ainsi l'association organise-t-elle dès la fin des années soixante-dix des stages de sensibilisation et de formation à l'ethnologie pour ses animateurs et ses adhérents et fait- elle appel notamment à des enseignants et à des chercheurs des départements d'ethnologie et de dialectologie de l'Université d'Aix-en-Provence.

C'est à cette même époque que l'idée se fait jour de la création d'une « sorte d'institut régional de recherche où seraient rassemblés objets et documents en vue de leur conservation, de leur étude, de leur exploitation pédagogique, culturelle et économique »î0. « Alpes de Lumière », qui depuis sa création n'a cessé de collecter objets, témoignages et documents sur la Haute-Provence, se trouve, en effet, à la tête de fonds considérables,' notamment ethnographiques. Un conseil scientifique comprenant des chercheurs, des universitaires et des muséologues est alors mis en place. Les conditions sont particulièrement propices en raison de la prise en compte, notamment au plan politique, de l'intérêt croissant des Français pour les traditions et les cultures locales. Dans le cadre de la" célébration, en 1980, de 1'« Année du patrimoine», Pierre Martel et «Alpes de Lumière» conçoivent une exposition intitulée « Les travaux et les jours. Patrimoine rural de Haute- Provence et économie de la nature », qui se tient durant l'été 1980 à l'abbaye de Sénanque, à Gordes (Vaucluse), et qui est accompagnée d'une publication formant deux numéros de' la revue : « L'invention rurale. Patrimoine rural et société de non-gaspillage »3I. En 1981 le Conservatoire du patrimoine ethnologique de Haute-Provence voit officiellement le jour. Il s'installe dans l'ancien prieuré de Salagón, lequel est situé sur la commune de Mane. Le Conservatoire est une structure originale où sont représentés, outre « Alpes de Lumière », qui en assure la gestion, le ministère de la Culture, le Conseil régional Provence-Alpes-Côte d'azur, le Conseil général des Alpes-de-Haute-Provence et la commune de Mane. Il se voit assigné plusieurs missions. Musée contrôlé, il a en premier lieu en charge la gestion et l'exploitation muséographique des fonds (collectes, inventaires, expositions, animations,

-6 II convient de souligner ici le rôle de Guy Barruol dans cette orientation. Archéologue, directeur de recherche au CNRS, il est un adhérent de longue date d'« Alpes de Lumière ». Il fut d'ailleurs à plusieurs reprises président de l'association. Notons que Guy Barruol est le fils de Jean Barruol, historien amateur qui initia Pierre Martel à l'histoire locale, et qui fut l'un des membres fondateurs du mouvement. 21 P. Martel, « Val de Sault et Pays d'Albion, t. III, « L'art des paysans », Les Alpes de Lumière, n° 38,1966. -8 R. Laurans, P. Martel, « Les pigeonniers, I », Les Alpes de Lumière, n° 42,1967, et P. Martel, A. Roux, « Les pigeonniers, II », Les Alpes de Lumière, n° 43,1967. 20 P. Martel, « Le seigle et la ronce », Les Alpes de Lumière, n° 63, 1978. 30 P. Martel, « Projet du Conservatoire du patrimoine ethnologique de Haute-Provence » (février 1980), cité par D. Musset in Pays et Patrimoine des Alpes de Lumière, « Salagón raconte les hommes de Haute-Provence », n°l, mai 1997. 31 P. Martel, « L'invention rurale », Les Alpes de Lumière, n° 69-70, 1980.

9 etc.). Il est aussi un organisme de documentation et de recherche dans les domaines de l'histoire et de l'ethnologie. Enfin, il assure une mission de conseil et de formation en matière de muséologie et d'ethnographie auprès des chercheurs amateurs et des institutions qui travaillent ou interviennent dans le domaine du patrimoine : associations locales, musées associatifs, collectivités, etc. La création du Conservatoire a amené de profonds changements au sein d'« Alpes de Lumière ». L'association s'est étoffée et s'est professionnalisée (elle emploie actuellement une trentaine de salariés). Par ailleurs, et dans la mesure où les activités muséographiques et la recherche ethnologique sont dorénavant sous la responsabilité de professionnels (en l'espèce un conservateur et un ethnologue relevant du département), l'association s'est recentrée sur les chantiers de jeunes, l'animation culturelle, les actions en faveur de la découverte de la région et l'édition. Dans ce domaine elle édite, outre la revue périodique Alpes de Lumière destinée à un large public, une collection à caractère scientifique d'ethnologie régionale, Les cahiers de Salagón, ainsi qu'un un «journal associatif», Pays et patrimoine des Alpes de Lumière, bulletin de liaisons et d'informations, qui publie, sous forme d'articles, les travaux de recherche effectués par les membres de l'association. Aujourd'hui « Alpes de Lumière » compte plus d'un millier d'adhérents et demeure la plus importante association patrimoniale de Haute-Provence.

« Alpes de Lumière » apparaît à différents égards à l'avant-garde du mouvement associatif patrimonial en Haute-Provence. Historiquement, elle est la première association culturelle locale à se donner pour tâche l'inventaire systématique, la préservation et la mise en valeur de ce qu'elle appellera, dans un premier temps, « les ressources culturelles » de la région, et ce dans tous les domaines (« la géologie, l'archéologie gallo-romaine, la préhistoire, la spéléologie, les monuments, les sites, la phytologie, etc. »"). Il s'agit bien là d'une démarche à caractère patrimonial (désignation et sauvegarde des éléments culturels et naturels remarquables), même si la notion de patrimoine n'apparaît dans les écrits de l'association qu'à partir des années 1960. (La première occurrence que nous avons relevée date de 1963 dans l'expression «patrimoine historique».) Mais dès 1967 l'expression « patrimoine culturel et naturel » est employée dans les nouveaux statuts de l'association. Notons que cette expression sera par la suite couramment reprise par les associations locales pour définir leur mission, selon des formulations proches de celle d'« Alpes de Lumière » : « l'étude, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine naturel et culturel ». Par ailleurs, dans les années 1970-1980, qui voient la montée en force de l'intérêt pour les cultures et les traditions locales, « Alpes de Lumière » joue un rôle actif dans l'émergence du mouvement patrimonial, notamment en incitant à la création d'associations locales à son image. (Rappelons que l'article 2 des statuts de 1967, qui porte sur «les moyens d'action », stipule à cet égard que l'association « suscite la création de filiales, ou autres groupes locaux ou régionaux d'étude et d'action culturelle ».) C'est à cette époque que des proches du mouvement fondent plusieurs associations. Aujourd'hui, cependant, l'influence d'« Alpes de Lumière » est devenue marginale, même si certaines associations revendiquent de travailler dans son esprit et dans son sillage. La vague la plus récente du mouvement associatif en faveur de l'étude, la protection et la mise en valeur des cultures locales est, en effet, largement autonome et participe de l'engouement général pour le monde passé et la reviviscence des valeurs propres aux sociétés traditionnelles. Et si, pour certaines associations, « Alpes de Lumière » constitue un modèle, pour d'autres, qui dénoncent sa position hégémonique dans le champ de la culture et de la recherche régionale, elle est avant tout un concurrent.

'- « L'n inventaire de nos richesses ». Les Alpes de Lumière, n° 1, 1954.

10 Un pays magnifié

La partie sud-ouest du département de Haute-Provence, en particulier la région comprise entre les montagnes de Lure et du Luberon et la vallée de la Durance — il faudrait y ajouter la partie vauclusienne du Luberon — apparaît au cœur du mouvement associatif patrimonial : les associations y sont en effet particulièrement nombreuses (Vachères, Mane, Forcalquier, Viens, Reillane, Villeneuve, etc.) et y font preuve d'un grand dynamisme. En revanche, dans le nord et l'est du département, régions qui ont été touchées plus tardivement par l'engouement patrimonial, les associations sont plus rares et géographiquement dispersées (carte ci-contre). Une telle répartition, où une petite partie du territoire du département {a fortiori de l'ensemble de la Haute-Provence) apparaît comme le terreau du mouvement patrimonial régional, résulte largement de l'action et du rôle d'« Alpes de Lumière ». Dans ses statuts initiaux (1954), l'association se donne comme territoire de compétence la « Haute-Provence », vaste territoire qui, outre le département des Alpes de Haute-Provence, mord sur les départements limitrophes (Vaucluse, Drôme, Var, etc.). Mais dès les premiers numéros de la revue éponyme de l'association il ressort que celle-ci s'intéresse essentiellement à « la région comprise entre Lure-Luberon- Ventoux », région instituée « zone-témoin », et appelée, à ce titre, à devenir le terrain d'application privilégié, voire exclusif, de ses actions et de ses projets (carte ci-après). Sous la conduite de son président-fondateur et principal animateur, Pierre Martel, lequel, rappelons-le, est originaire d'un village du plateau d'Albion situé au centre de la « zone- témoin », « Alpes de Lumière » va entreprendre un véritable travail de transfiguration visant à changer radicalement l'image d'une région déshéritée à de nombreux égards, en celle d'un « haut lieu ». Dans la première brochure publiée par le mouvement et intitulée « Livret-Guide »3Î, Pierre Martel, dans un editorial intitulé « Pour l'essor du Haut Pays »,. expose les raisons qui, à ses yeux, qualifient cette région, notamment dans le domaine du tourisme. Les arguments avancés relèvent de différents registres d'ennoblissement. Ainsi évoque-t-il les poètes et les écrivains qui ont « chanté » la région (Pétrarque, Frédéric Mistral, etc.) et ceux qui en sont originaires (Jean Giono, Marie Mauron, Paul Arène, etc.).. Il rappelle la contribution de ce pays à l'histoire à travers les « quatre Reines en la personne des quatre filles d'un de ses Comtes », ainsi qu'à la science avec « son plus ancien et plus moderne Observatoire ». Il célèbre aussi la nature et les paysages et fait un rapide inventaire des lieux et sites remarquables, déjà connus ou à découvrir : « les vallons multicolores de Gignac ou de Roussillon », « les falaises sauvages d'Oppedette », le fort de Buoux, le Contadour, etc. Pierre Martel souligne enfin la dimension spirituelle des lieux. Sous sa plume, la pauvreté et l'aridité de la région sont exaltées en une austérité propice à l'élévation de l'homme « au contraire de certaines régions moins austères, où coulent davantage d'or et d'argent ». La découverte et l'appréciation de ce pays singulier, qui cache sous les dehors de la rudesse ses nombreuses richesses, sont réservés à « quelques âmes d'élite » portées à « interroger les vieilles pierres ou les vieux bergers », à « courir les papillons à Lure ou chercher des fossiles à Carniol », à aller « héroïquement passer huit jours au Contadour »...

Dans un autre de ses écrits intitulé « L'âme du haut-pays »3\ Pierre Martel développe un thème qui lui est cher, celui d'un pays où survivent encore « des hommes où des valeurs qu'on ne trouve plus ailleurs », d'un pays certes dur, mais resté pur et authentique, refuge

31 Les Alpes de Lumière, « Livret-Guide », 1953. 34 Les Alpes de Lumière, n°19,1961.

11 de la spiritualité et du sacré. Ainsi, face à « l'agitation moderne », il offre à ceux qui y aspirent - « randonneurs », « étudiants des villes », « ouvriers de Berre » - les conditions d'une véritable régénération : « Nous y viendrons d'abord en pèlerinage, le plus souvent possible, pour des semaines de repos et d'enrichissement, de retraite et de ressourcement. [...] Ici peindre, parler, écrire, écouter de la musique sont des choses qui ne coûtent plus aucun effort, parce qu'il y a le silence, l'air pur, l'odeur des arbres ou la poésie lointaine des sonnailles des moutons ». Et plus loin : «Je pense qu'il y a là une vocation essentielle de ce pays. Parce qu'il est resté pur, tonique, parce qu'il est resté lui-même, parce qu'il dévoile lentement ses richesses cachées à ceux qui savent encore le parcourir lentement, il faut l'utiliser sagement, en faire une réserve de silence, de santé, de vie, de force morale et physique pour ceux qui ont besoin de toutes ces réalités introuvables ailleurs ». Notons que cette thématique rejoint pour l'essentiel celle des promoteurs des parcs naturels (bienfait pour la santé physique et morale des citadins et des ouvriers de l'air des montagnes et des pratiques de loisir liés à la nature sauvage, etc.). Et si dans ce texte Pierre Martel défend avec vigueur la nécessité de l'innovation rurale et artisanale pour le développement et le repeuplement du pays, il n'a de cesse de rappeler que les pionniers auxquels il lance un appel devront avoir une âme d'élite : « Si la sévérité n'est jamais aimable par définition, il faudra trouver des âmes qui en aient besoin, qui fassent, elles, l'effort d'aimer. Ce pays ne leur dira qu'après ses secrets et il ne leur apportera qu'après leur récompense ».

Quelques années plus tard, les travaux à caractère ethnographique de Pierre Martel renouvelle cette démarche d'ennoblissement avec la célébration appuyée de l'ancienne culture paysanne. Dans le tome III de l'ouvrage intitulé Val de Sault et Pays d'Albion, et sous-titré l'art des paysans, Pierre Martel s'attache à souligner la part d'« imagination », de « savoir-faire », d'« astuce », de « sagesse » et de « science » mise en œuvre dans les objets domestiques et usuels réalisés par les paysans. Prenant pour exemple quelques-uns des objets étudiés (chatière, mangeoire, chenets, etc.), dont certains sont reproduits dans l'ouvrage, il interpelle l'homme d'aujourd'hui en ces termes : « Quel est celui d'entre nous qui est. capable d'en faire autant ? Et voilà ce que nos pères savaient faire et faisaient effectivement tous les jours ». Et il ajoute « Qu'on est loin des ustensiles impersonnels en plastique moulé ! ». Certains de ces objets sont aux yeux de Pierre Martel de véritables « œuvres d'art spontanées dix fois plus intéressantes que celles que M. Malraux a voulu faire exposer tout cet été sur la place des Vosges ». D'autres écrits poursuivent dans la voie de l'exaltation des valeurs et des vertus du mode de vie des sociétés rurales traditionnelles, exaltation accompagnée d'une critique toujours plus vive du monde moderne — concernant, notamment, les effets néfastes de l'industrialisation, de la centralisation et du mercantilisme, sur l'équilibre et le génie du monde paysan — et marquée par la nostalgie des époques révolues, he seigle et la ronce, qui a pour objet les ouvrages de paille tressée, illustre cette évolution. Ce travail est, en effet, l'occasion de décliner les qualités d'un artisanat rural tombé en désuétude et dont les produits sont caractérisés par la fonctionnalité, l'inventivité, la simplicité de moyens, la beauté des formes, etc. A leur sujet l'auteur établit le parallèle suivant, révélateur de son rejet de l'époque moderne : « C'étaient les besoins vitaux qui inspiraient le génie et non pas le futile ou le profit. On peut se demander si les inventions sophistiquées des hommes de notre génération, comme l'avion Concorde ou le robot électronique, répondent aux besoins réels de chaque homme chaque jour». Par ailleurs, Pierre Martel, qui envisage alors la création d'un « Musée du pailleur », défend avec force l'idée que ces objets du quotidien sont des œuvres d'art à part entière qui relèvent de

35 Pierre Martel, Les Alpes de Lumière, n°38, 1966

12 ce domaine des « arts premiers »" délaissé par la « culture officielle ». La raison de cette indifférence étant que la culture est entre les mains d'une élite, « sorte de travailleurs parasites qui étaient les chefs, les surveillants, les clercs, les intellectuels », et pour qui « c'eut été déchoir que d'accorder de l'importance au travail manuel ». Et l'auteur de fustiger la distinction entre « l'art et l'artisanat et la prolifération de l'inutile, du futile, du mercantile ». Enfin, évoquant le goût de l'époque pour les produits artisanaux et citant l'exemple des « Compagnons du Gerboul », « les premiers à ressusciter la confection d'ustensiles en paille de seigle », Pierre Martel plaide pour le renouveau local de ce type d'activité tout en dénonçant vivement les contrefaçons et la concurrence, notamment des pays de l'Est : « [Les ustensiles en paille de seigle] commencent à arriver par wagons entiers. Si quelques-uns ressemblent à des modèles traditionnels, d'autres sont inattendus, en tout cas non fonctionnels comme telle prétendue jarre à anse torsadée, à peine propre à servir de cache-pot, ou tels "sièges", piètres bérets en paille rude, sur des tabourets de bois aussi peu confortable que possible [...] Ces formes, réalisées en grande série, n'ont jamais la finesse des œuvres anciennes ; les liens — pour des raisons d'économie évidentes — sont très lâches ; les galbes pas très réguliers : nous n'avons vu aucun de ces ustensiles neufs qui ait la régularité et la beauté des fabrications d'autrefois. »"

Cette vision idéalisée d'un pays et de ses hommes, vision largement relayée et diffusée par les animateurs et les fidèles d'« Alpes de Lumière », transforme ce coin de la Haute-Provence en un lieu mythique. Au vrai cette métamorphose avait commencé bien avant la création du mouvement, notamment avec l'œuvre littéraire de Jean Giono, dont les premiers romans, Coltine, Un de Baumugnes, Regain (roman emblématique des amoureux de la Haute-Provence qui, si l'on en croit les témoignages, aurait conduit de nombreux néorésidents à s'installer dans cette région), célèbre la vie paysanne et la nature des hauts plateaux provençaux. À quoi il faut ajouter l'expérience communautaire conduite par l'écrivain entre 1935 et 1938 sur le plateau du Contadour, expérience qui avait sensibilisé nombre d'intellectuels proche de la gauche à tout une thématique du retour à la terre et de la grandeur du monde paysan. « Alpes de Lumière » s'inscrit dans cette veine et semble emprunter une partie de ses mêmes à la pensée et aux écrits de cette première période de l'œuvre de Jean Giono (la Haute-Provence austère et pure, la nécessité d'une « certaine qualité d'âme pour vivre au-dessus de mille mètres d'altitude»38, etc.). Ainsi glorifiée, la région Lure-Luberon-Ventoux va attirer, dès les années 1950, tout une élite (intellectuels, artistes, personnalités politiques, etc.) originaire pour l'essentiel des régions parisienne et marseillaise, qui cherche à acquérir des fermes ou d'anciennes habitations abandonnées. Dans les années 1970 le « haut pays » apparaît comme une des régions de prédilection des néoruraux venus s'établir dans le Sud-Est de la France.

Cette mise en perspective du mouvement savant en Haute-Provence éclaire certaines des caractéristiques de l'environnement local ayant favorisé l'émergence et le déploiement des associations à vocation patrimoniale : aujourd'hui, l'ensemble du haut pays provençal est l'objet d'un vaste processus de patrimonialisation. En regard de cette évolution, l'association « Alpes de Lumière » a joué un rôle majeur dans le registre de l'imaginaire et

36 Pierre Martel définit ainsi les « arts premiers » : « Premiers dans le temps, car remontant aux origines de l'humanité ; premiers aussi en importance, car inventés pour la satisfaction des besoins élémentaires de tout homme », « Le seigle et la ronce », Les Alpes de Lumière, n°63, 1978. 37 ¡bid 38 Jean Giono cité par Jacques Chabot, « Giono, Luberon et résidents », in Michel Marié, Jean-Louis Parisis, Jean Viard, Habitants et résidents «Lespays du Luberon», LEST/CNRS, Université d'Aix-Marseille II, Institut provençal, Paris, Copedith, 1976.

13 du symbolique : elle a, en effet, créé et imposé une image valorisée et ennoblie d'une région et de ses hommes — les « gavots »39 - à l'encontre de l'idée qui a longtemps prévalu, celle d'un pays déshérité et marqué par l'archaïsme des mentalités. Le triangle Lure- Luberon-Ventoux, emblème métonymique de la Haute-Provence, est ainsi devenu le haut lieu de l'ancienne civilisation rurale et le dernier conservatoire de ses valeurs et de ses modes de vie. D'autres aspects ont aussi facilité ce foisonnement associatif. En particulier, le faible développement, jusqu'aux années 1970, des activités erudites et culturelles conjugué au petit nombre de sociétés savantes véritablement actives, dont la « Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes» et, à partir de 1954, «Alpes de Lumière». Le champ était donc libre face à la poussée du mouvement patrimonial et à la multiplication des structures associatives. Par ailleurs, en raison de cette étroitesse du milieu érudit local, les travaux de recherche et la production savante, notamment historique et ethnographique, étaient restés sporadiques et les ouvrages d'ambition scientifique demeuraient exceptionnels40 — pour certains, le département était une « sorte de désert scientifique »41. De larges pans de l'histoire et de la vie des sociétés rurales de la Haute- Provence restaient donc à défricher.

Physionomie actuelle du mouvement patrimonial

Un mouvement associatif foisonnant et hétérogène

Le croisement de différentes sources d'information42 permet d'évaluer à plus d'une centaine le nombre d'associations, locales ou régionales, intervenant actuellement dans le champ de l'étude, de la sauvegarde et de la mise en valeur du patrimoine de la Haute- Provence. Ce mouvement apparaît toutefois assez fluctuant : alors que les associations ne cessent de se multiplier — sur les dix-huit associations constituant notre terrain, huit ont vu le jour depuis le décompte effectué en 1989 -, d'autres, après quelques réalisations, entrent en sommeil ou disparaissent. Par ailleurs, au-delà de leur mission générale commune, les associations présentent une grande diversité, selon, notamment, l'orientation de leurs activités ou encore l'importance et l'impact de leurs réalisations. Ainsi n'ont-elles pas toutes pour objet d'intervenir dans le domaine de la recherche ethnographique ou historique. Plusieurs ne s'intéressent qu'au patrimoine architectural, en particulier militaire et religieux. C'est le cas, par exemple, de 1'« Association pour la restauration de la vieille église de Saint-Vincent-sur-Jabron43 », église de l'ancien village, lequel est aujourd'hui

39 Les habitants de Haute-Provence étaient appelés « gavots », terme provençal qui désigne les populations des montagnes, et qui a une connotation péjorative. Aujourd'hui affaiblis, les stéréotypes associés aux gavots sont toutefois encore actifs. 40 R. Bertrand cite comme œuvre majeure pour le XIXe le Dictionnaire Provençal-Français ou dictionnaire de la langue d'oc ancienne et moderne (1848) de Simon-Jude Honnorat, qu'il qualifie d'« œuvre scientifique du siècle pour le département», et Histoire, géographie et statistiques des Basses-Alpes (1861) de l'abbé Féraud, «érudit départemental exemplaire » (« Erudits et historiens de Haute-Provence depuis le XVIIe siècle », Provence historique, t XXXVIII, juillet-août 1988). 41 R-Blanchard, Les Alpes occidentales, t. IV « Les préalpes françaises du Sud », Grenoble-Paris 1945, cité par R. Bertrand, op. cit. 42 Dont, outre le recensement cité précédemment, le Conservatoire du Patrimoine ethnologique de Haute- Provence et l'association « Alpes de Lumière ». 45 Le labron est un affluent de la Durance. Il coule d'ouest en est et se jette dans la Durance au sud de la ville de .

14 deserté et en grande partie en ruine. Fondée en 1979, cette association s'est depuis consacrée exclusivement à la recherche de dons et de subventions pour réaliser l'entière réhabilitation de l'église : bâtiments (toiture, nef, chœur, etc.) et mobiliers (retable, etc.). La richesse de la vallée du Jabron en édifices cultuels et religieux — églises, chapelles, oratoires, prieuré - a suscité la création de plusieurs associations de ce type (« Patrimoine de Noyers», «Les Amis de Châteauneuf-Miravail», « d'hier et d'aujourd'hui»). D'autres associations s'attachent à préserver le site et les vestiges des villages perchés qui ont été désertés, en général dans le courant du XIXe siècle, au profit de sites plus favorables. Ainsi, l'association «Patrimoine de Montsallier», fondée en 1996, a pour objet la protection du site et des ruines de l'ancien village, lequel était édifié sur un promontoire et a été abandonné dans les premières années de ce siècle pour être reconstruit dans la plaine. L'association voudrait en particulier préserver les « calades », chaussées de pierre dont la construction serait très ancienne et dont l'intégrité se voit aujourd'hui menacée par le flot croissant de visiteurs attirés par un site exceptionnel, d'accès facile et qui, depuis peu, est signalé par la plupart des guides touristiques. Dans l'ensemble du département on compte plus d'une vingtaine d'associations vouées à la sauvegarde et à la restauration du patrimoine architectural ancien, dont beaucoup ont été créées avec le soutien des municipalités, quand elles n'en sont pas une émanation directe comme, par exemple, « Valbelle d'hier et d'aujourd'hui ».

Certaines associations mettent l'accent sur l'animation culturelle et les activités de sensibilisation au patrimoine local et régional. L'association « Les Amis de Viens », petit village du Vaucluse inclus dans le Parc naturel régional du Luberon, est née de la mobilisation de certains villageois contre l'implantation d'une décharge. En 1987, alors que la menace est écartée, ces derniers décident en effet de fonder une association ayant, notamment pour but le « Maintien d'un équilibre harmonieux entre les ressources naturelles, culturelles, historiques et touristiques du pays »44. Lors de la première assemblée générale, l'association retient comme thème directeur de ses actions la « transmission culturelle liée au passé » et souligne « l'attente qu'ont les Viensois, les estivants et les. touristes de retrouver leurs racines ou de découvrir celles d'un pays qu'ils sont prêts à adopter»45. Dans cette perspective, l'association conçoit différentes manifestations et animations : expositions sur l'histoire ou la faune et la flore locales ; cycles de conférences et journées d'étude (sur Giono, sur la vie de la localité, etc.) ; stages (sur la toponymie du village, sur la réfection des meubles anciens) ; visites et randonnées ; concerts et spectacles (musiques classiques, pastorales, etc.). En 1988, « Les Amis de Viens » mettent en place des « rencontres culinaires » afin de « connaître le patrimoine viensois, de la Haute Provence ensuite, et de la Provence enfin »46, rencontres qui se traduisent par des dégustations et des repas (repas de chasse, repas préhistoriques, etc.). L'association cherche aussi à renouer avec la tradition des « veillées » autour d'un invité de prestige, conteur ou érudit. Enfin, elle organise des sorties de découverte avec les enfants du village sur différents thèmes, pigeonniers ou moulins. Quelques associations, dans la perspective d'un développement du tourisme culturel et de terroir, ambitionnent de concilier les actions de sauvegarde du patrimoine et le développement local. C'est le cas, par exemple, de « Regain », association fondée en 1994 à Riez-petite ville insérée dans le périmètre du Parc naturel régional du Verdón -, laquelle s'est donnée pour objet de « Créer ou favoriser la création de toutes activités susceptibles de dynamiser la ville de Riez et sa région ». Cette association qui, en

44 « Extraits des statuts », Les Amis de Viens de 1987 à 1994. Rapport d'aairité. Viens, 1995 ( ?). 45 Ibid «Ibid

15 matière de patrimoine, s'intéresse plus particulièrement au patrimoine architectural de la vieille ville47, a aménagé dans ses locaux, installés dans une demeure du XVIe siècle, un « Musée du centre ancien ». Elle a, par ailleurs, contribué, en relation avec la Direction régionale des affaires culturelles Provence-Alpes-Côte d'Azur, à l'aménagement touristique d'une ancienne carrière de plâtre, ce qui a permis la création de quelques emplois temporaires. Aujourd'hui, les activités de cette association semblent en déclin. L'association « L'amandier», créée en 1995, et dont le siège est à Jarjayes, village proche de Gap dans les Hautes-Alpes, a pour but, outre « de favoriser la sauvegarde de la mémoire collective de Jarjayes, les rencontres et les échanges », d'engager « une réflexion sur le développement économique, social et culturel du village ». Parmi les projets de l'association, la réhabilitation d'un château menacé de destruction pour en faire un lieu de convivialité — auberge, café, espace d'exposition, etc. - s'adressant à la fois aux villageois et aux touristes, et susceptible, d'une part, de contribuer à la revitalisation de la vie sociale du village, d'autre part, de créer de l'emploi. L'enquête sur le terrain montre que pour nombre de ces associations, la tendance est à l'extension de leur domaine d'intervention au champ de la recherche ethnologique et historique. Un des membres fondateurs de l'association « Les Amis de Châteauneuf-Miravail » a ainsi entrepris une monographie ethnohistorique sur ce petit village (il compte une cinquantaine d'habitants) perché sur un versant de la vallée du Jabron. Ce travail a donné lieu à la publication d'un ouvrage intitulé Châteauneuf- Miravail, pour une mémoire...w Pareillement, un des membres de l'association «Les Amis de Viens » a publié un ouvrage sur la cuisine provençale : Recettes en Provence.49.

À côté de ces associations tournées vers la restauration architecturale ou la découverte du patrimoine local, d'autres se sont données pour mission la production de connaissances dans les domaines de l'archéologie, de l'histoire ou encore de l'ethnologie. Certaines d'entre elles travaillent dans une perspective essentiellement muséographique. Ainsi, l'association « Les Amis des arts » a créé, dès 1972, à Reillane, village au pied du Luberon, un petit musée ethnographique réunissant une collection d'environ cinq cents objets relatifs aux activités rurales et artisanales de cet endroit. Toutefois, ces dernières annéesj les activités patrimoniales de l'association (expositions, publications) ont cessé en raison de la disparition de son fondateur et président lequel, passionné d'histoire et d'edinographie, en était le principal animateur. L'association « Petra Castellana », fondée en 1992, dont le siège est à , petite ville de la Haute-Provence orientale, s'est donnée d'emblée comme objectif la création d'un conservatoire d'arts et traditions populaires recueillant, « avant leur complète disparition, les vestiges de la civilisation agricole et pastorale de cette région »s . Aujourd'hui, l'association a réuni un fond de quelque cinq mille pièces (objets anciens, documents iconographiques, fonds d'archives, etc.) ayant trait aux activités rurales (travail de la terre, élevage, etc.) et à la vie quotidienne (objets domestiques, jouets, vêtements, etc.). Dans l'attente de la création d'un espace muséographique spécifique, les collections sont abritées dans des locaux prêtés par la municipalité. Parallèlement à la collecte d'objets, l'association conduit des enquêtes orales, afin de réunir des informations sur les objets (origine, fabrication, usages, modes de transmission, etc.). Chaque été elle organise à partir des collections une exposition

47 Riez, petite ville située au cœur du plateau de Valensole, possède un riche passé historique, dont témoignent de nombreux vestiges antiques ainsi qu'un patrimoine architectural exceptionnel, notamment dans le centre ancien, aujourd'hui menacé. 48 Faravel A., Châteauneuf-Miravail, pour une mémoire..., Le Chaffaut, Éditions de l'envol, 1993. A0 Moreau A., Recedes en Provence, Aix-en-Provence, Edisud, 1996. 50 Vie et tradition à Castellane et dans la vallée du Moyen Verdón, brochure, Castellane, Petra Castellana, s.d.

16 thématique : en 1997 elle porte sur l'enfance et s'intitule « Naître et grandir» ; en 1998 elle présente les métiers traditionnels et à pour titre « Des métiers et des hommes ».

D'autres associations donnent la priorité aux travaux de recherches historiques et ethnographiques. L'association « Patrimoine de Vachères », située dans un petit village du nord du Luberon, a été créée en 1989. Elle a pour objet officiel « d'étudier et mieux faire connaître le patrimoine de Vachères, de le défendre et de le valoriser sous tous ses aspects, naturels, culturels et humains ». La fondation de cette association a pour origine la volonté de quelques villageois de faire réaliser une copie (à défaut d'obtenir la restitution) du « guerrier de Vachères », statue de l'époque gallo-romaine en excellent état de conservation, et de belle facture, et qui, bien que découverte sur le territoire de la commune, est exposée au musée Calvet à Avignon. Le moulage du « guerrier de Vachères » est aujourd'hui présenté au musée municipal de Vachères. Par la suite, et sous l'impulsion de certains de ses membres, l'association s'est orientée vers les travaux de recherche sur le patrimoine et s'est consacrée à l'expression de la mémoire locale à partir de l'étude des archives et de la collecte de témoignages d'« anciens ». Une revue semestrielle présente le résultat des travaux effectués dans ce cadre par les adhérents de l'association. Les approches et les sujets traités sont divers. II peut s'agir de petites monographies, de chroniques de la vie locale tirées des archives, d'études thématiques (sur l'apiculture, les Vaudois, le pain, la cuisine, la flore, la noblesse locale, etc.) ou portant sur une période historique donnée, telle l'enquête conduite sur la vie à Vachères durant la dernière guerre mondiale. L'association organise occasionnellement de petites expositions à partir d'objets et de documents prêtés par les villageois. L'association « Le foyer d'animation de la vallée du Jabron », dont la création remonte à 1979, mais dont la section Arts, vie et traditions date de 1987, accorde la priorité à la production et à la diffusion de connaissances sur le patrimoine local. Trois ou quatre fois par an, l'association publie un bulletin, Lo Contaire dau Jabron (Le conteur du Jabron), qui est composé de courts articles sur les coutumes et la vie d'autrefois (veillées, anciennes foires, pèlerinages, etc.), la cuisine locale, les personnalités et les événements qui ont marqué l'histoire de la vallée, le patrimoine architectural. Certains numéros sont consacrés à de petites études edinohistoriques, sur les charbonniers ou la culture de la lavande, par exemple. Par ailleurs, l'association organise tous les deux ans des expositions thématiques. Celles qui ont été consacrées à la cuisine et à l'habitat se sont appuyées sur des enquêtes ethnographiques approfondies dont les résultats ont fait l'objet d'une publication. L'association « Les Amis du vieux Riez » affiche, elle aussi, des ambitions essentiellement savantes et vise à l'élargissement des connaissances de l'histoire et du patrimoine riézois. Fondée en 1974 sous l'impulsion d'un ami de Marcel Provence, elle a pour but initial d'enrichir le musée lapidaire créé par ce dernier en 1929. Animée par des férus d'histoire locale, elle entreprend, à partir de 1980, la publication d'un bulletin trimestriel composé d'articles élaborés essentiellement à partir de l'exploration des archives communales et départementales. Il s'agit de constituer une chronique de la vie et des coutumes de Riez et de sa région à l'horizon du XVIIe siècle — période au-delà de laquelle la lecture des documents nécessite des compétences en paléographie que les historiens amateurs de l'association ne possèdent pas. Le bulletin fait éventuellement appel à la collaboration de chercheurs professionnels, notamment pour ce qui concerne l'archéologie (la région est riche en vestiges remontant aux époques romaines, haut empire et antiquité tardive et fait régulièrement l'objet de campagnes de fouilles), ou encore la dialectologie. De nombreux articles portent sur le patrimoine architectural et ornemental (maisons renaissance, gypseries, remparts médiévaux, etc.). L'association s'est donnée aussi pour but de créer un centre de documentation réunissant l'ensemble des archives, des travaux (thèses, comptes rendus de recherches ou de fouilles, etc.) et des écrits (ouvrages

17 historiques, relations de voyage, etc.), anciens et contemporains, concernant Riez et qui se trouvent dispersés dans différentes bibliothèques ou institutions. Citons, enfin, l'association «Sabença de la Valeia» fondée en 1980, dont le siège est à Barcelonnette, petite ville de la vallée de l'Ubaye, au nord-est du département des Alpes de Haute- Provence. Cette vallée, qui est restée longtemps d'un accès difficile, est une zone frontière entre les Préalpes et les Alpes du Sud et est entourée de sommets élevés. « Sabença de la Valeia », après avoir été à l'initiative de la création, en 1988, du Musée de la Vallée , et tout en continuant à collaborer avec ce dernier, se consacre désormais au développement de la recherche et à l'édition, ou à la réédition, de travaux et écrits ayant trait à la vallée de l'Ubaye. Son catalogue comprend une trentaine de titres portant sur des sujets divers, notamment des ouvrages à caractère historique ou edinographique écrits par des membres de l'association. Parmi les thèmes traités, le milieu naturel (la géologie de la vallée), le patrimoine architectural religieux et militaire, les débuts du ski et de l'alpinisme, l'émigration des Ubayens vers le Mexique, l'histoire des voies de communication, etc. L'association publie aussi des témoignages concernant la vie et les métiers d'autrefois, le parler local, ou encore la seconde guerre mondiale. L'émigration des habitants de la vallée vers la Louisiane et le Mexique constitue un des pôles forts de recherche et d'enquête de « Sabença de la Valeia ». Outre les ouvrages qui lui sont consacrés, l'association a appuyé la réalisation de reportages photographiques et de deux filmes vidéos sur les descendants des émigrés de l'Ubaye. Un membre de l'association, passionné de généalogie, a entrepris de reconstituer les arbres généalogiques de toutes les familles de la vallée. Notons que ces différentes associations ont aussi des activités d'animation plus ou moins importantes, selon le cas. Ainsi organisent-elles des conférences, des sorties de découverte de la région, de petites expositions, et participent-elles à des manifestations (Journées du livre, Journées du patrimoine, Oralies, etc.).

Les associations que nous venons de présenter, comme d'ailleurs la quasi-totalité des associations patrimoniales de Haute-Provence, interviennent dans le cadre d'une microrégion (commune, pays, vallée). Quelques-unes, cependant, se sont données d'emblée une vocation régionale. C'est le cas de la « Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes », créée en 1878, dont la mission était initialement définie en ces termes : « favoriser le progrès des sciences, des belles lettres et des arts », et dont le programme d'activité inclut « tout ce qui intéresse ou touche le département, la région même dont il dépend au triple point de vue historique, scientifique et littéraire». En 1981, lors d'une modification de ses statuts, l'association propose une formulation de son objet plus en accord avec l'air du temps : « favoriser l'étude, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine naturel, architectural, artistique et culturel du département des Alpes-de-Haute- Provence et de la région dont il fait partie ». Depuis sa création, la principale activité de la « Société scientifique et littéraire de Haute-Provence » consiste dans la publication d'un bulletin périodique, aujourd'hui intitulé Annales de Haute-Provence, ou s'expriment les érudits locaux et les chercheurs, amateurs comme professionnels. L'association a participé également à l'organisation de colloques et de journées d'étude, en particulier sur des personnages illustres originaires de la région (Gassendi, Saint Mai'eul, etc.), et à la publication des actes. L'activité de cette institution, qui a toujours recruté ses membres au

51 Musée municipal contrôlé qui se trouve à Barcelonnette et qui est aujourd'hui sous la responsabilité d'un conservateur. Il s'agit d'une structure à vocation polyvalente qui réunit plusieurs collections dans les domaines des arts plastiques, de l'archéologie, de l'histoire, de l'ethnographie exotique (Amérique du Sud en particulier) et de l'ethnographie locale.

18 sein de l'élite sociale et culturelle régionale52, et qui est restée longtemps sans concurrence, semble connaître depuis plusieurs années un certain repli. En 1954 elle se verra concurrencée par une seconde association culturelle de dimension régionale, « Alpes de Lumière ». Signalons une troisième institution patrimoniale d'ampleur départementale : «L'association pour l'étude du patrimoine religieux de la Haute-Provence». Créé en 1978, son siège social est à Digne et elle est étroitement liée au diocèse. Parmi la multitude d'associations patrimoniales présentes aujourd'hui en Haute-Provence, une quinzaine environ conduisent des actions reconnues et perennes d'étude et de sauvegarde du patrimoine local ou régional (recherches, collectes, réalisations muséographiques, expositions, publications périodiques, etc.) Fortes d'une centaines de membres, adhérents directs ou abonnés aux publications, elles reposent pour leur fonctionnement et leurs activités presque exclusivement sur un noyau réduit de cinq ou six collaborateurs. C'est ce cercle restreint des membres actifs, où se recrutent les ethnologues et historiens amateurs passionnés de patrimoine, qui constitue ici le champ principal (mais non exclusif) d'observation et d'enquête.53

Un mouvement animé par des étrangers à la région

Les associations à vocation patrimoniales ont été créées et sont animées, dans leur grande majorité, par des personnes d'origine étrangère à la Haute-Provence ou, dans une. moindre mesure, dont les ascendants directs en sont originaires mais ont émigré. Ce sont,- soit des néorésidents permanents — retraités ou personnes actives -, soit des résidents secondaires venant de différentes régions de France (Picardie, Corrèze, Bretagne, Pas-de- Calais, etc.) ou encore de grandes métropoles (Paris, Marseille, Lyon). Ainsi, sur les dix- huit associations considérées dans le cadre de cette recherche, douze sont présidées par des néorésidents, dont huit sont totalement étrangers à la région. Parmi nos informateurs (53 personnes) 54, fondateurs, présidents ou simples membres d'une association, tous passionnés de patrimoine, 11 (20 %) sont natifs de la Haute-Provence et y ont toujours vécu, 37 (71 %) n'ont aucun lien avec la région, enfin, 5 (9 %) sont des descendants de familles du haut pays provençal. La composition des conseils d'administration des associations patrimoniales confirme ces premières données : ceux-ci sont, dans leur grande majorité, largement dominés par les néorésidents et les résidents secondaires non autochtones. Ainsi, sur les douze membres du conseil d'administration de « Sabença de la Valeia» pour l'année 1998, deux seulement sont originaires de la vallée de l'Ubaye, dont l'actuel président, membre fondateur et principal animateur de l'association. Au conseil d'administration de l'association « Patrimoine de Vachères » qui, en 1998, comprenait huit membres, on ne compte qu'un Vachérois. Tous les autres membres sont d'origine extérieure à la région. Le conseil d'administration de l'association « Patrimoine de Montsalier» comprend un seul autochtone, agriculteur à la retraite, vice-président de l'association et par ailleurs conseiller municipal. Un autre membre, pharmacien à la retraite, est d'une famille originaire de l'endroit mais n'y réside pas. Parmi les autres élus au conseil d'administration, on dénombre quatre Marseillais, deux Avignonnais et un Lyonnais. La présidente de l'association est d'origine parisienne et a vécu plusieurs «innées au Maroc

52 II est intéressant de signaler qu'en 1960 sur les 304 membres que compte la société, il y a seulement quatre agriculteurs (Liste des membres de la société scientifique et littéraire des Basses-Alpes, Annates de Haute-Provence, n° 223-224, juillet-septembre 1960, octobre-décembre 1960). 53 Liste des associations retenues dans le cadre de cette recherche page 65. 54 Précisons que ce groupe n'a aucune caractéristique de représentativité.

19 avant de s'installer à Montsalier. Sur les neufs membres du conseil d'administration de l'association « Petra Castellana », deux seulement ont des liens avec la région. L'un, pharmacien, réside et travaille à Castellane, dont il est aussi le maire. Son père, un proche d' « Alpes de Lumière », avait créé à Castellane une association d'éducation populaire et était un défenseur de la culture et de la langue locales. L'autre, instituteur, est un descendant d'une famille originaire de la commune. Les sept autres élus au conseil d'administration sont des « étrangers » venus du Nord ou de l'Est de la France. Parmi eux, un couple d'origine parisienne, qui a joué un rôle déterminant dans la création et le développement de l'association, et qui vit en Haute-Provence orientale depuis les années 1970. Leur fille, née à Castellane, est aussi membre du conseil d'administration. Sur les neufs élus au conseil d'administration de l'association « Les Amis de Viens » on ne trouve aucun Viensois ! Trois membres sont Marseillais, trois Parisiens. Deux sont des Provençaux mais ne vivent dans la région de Viens que depuis quelques années. Un autre membre, devenu résident permanent lors de sa retraite, est originaire du Nord (Dunkerque). Citons enfin « Les Amis du vieux Riez », où sur les seize membres du conseil d'administration treize sont « des Riézois d'adoption ». Beaucoup sont installés à Riez depuis de nombreuses années et y travaillent ou y ont travaillé. Pour certains, c'est leur conjoint qui est originaire du lieu ; tel est le cas de l'actuel président de l'association qui vit et travaille à Lyon.

L'association « Alpes de Lumière » qui, comme nous l'avons vu, a mis au premier rang de ses objectifs l'adhésion et la participation des populations locales à ses projets, recrute néanmoins, elle aussi, l'essentiel de ses animateurs et de ses adhérents à l'extérieur de la Haute-Provence. Sur les dix-huit membres que compte le conseil d'administration de l'association pour l'année 1998, trois seulement sont originaires de la région : l'un ne l'a quasiment jamais quitté ; un autre, fils d'un des membres fondateurs de l'association, en est originaire et y possède une résidence secondaire. Tous deux sont des adhérents de longue date d'« Alpes de Lumière ». Membres influents, ils en ont, à différentes époques, assuré la présidence. Le troisième est agriculteur. La majorité des membres du conseil d'administration est formée de néorésidents ou de résidents secondaires originaires d'autres régions (Lyon, Paris, Marseille, Toulon, etc.). Notons que l'actuel président de l'association, dialectologue, professeur à l'Université de Provence (Aix-en-Provence), ne réside pas en Haute-Provence. Cette primauté des personnes extérieures à la région vaut pour l'ensemble des membres de l'association. Un sondage réalisé en 1991 à l'initiative de cette dernière, et visant à cerner les attentes et les souhaits de ses adhérents, révèle qu'environ 35 % d'entre eux résident hors de la région Provence-Alpes-Côte d'azur. Et parmi les adhérents qui ont leur résidence permanente dans cette dernière région, seulement 28 % vivent dans le département des Alpes de Haute-Provence". La faible participation des villageois et paysans autochtones à une association dont ils devaient être à la fois les principaux bénéficiaires et des adhérents actifs, apparaît comme un problème récurrent. Le bulletin Actualités des Alpes de Lumière de février 1994, dans la rubrique du « Courrier des lecteurs », s'en fait l'écho en ces termes : « il faut aussi considérer que la non-adhésion de paysans et villageois est restée constante tout au long des années. Au cours d'une discussion informelle à ce sujet entre quelques permanents et adhérents, il y a de cela déjà une quinzaine d'années, on avait remarqué, en consultant le fichier, que les adhérents étaient citadins en forte majorité et les habitants des villages et campagnes des

55 « Analyse du sondage de juillet 1991 : "Dites nous ce que vous pensez d'Alpes de Lumière" », Actualités des Alpes de Lumière, Mane, n° 61, novembre 1993.

20 citadins retraités »". II est vrai que quelques rares associations accueillent au sein de leur conseil d'administration une majorité d'autochtones ou de personnes originaires de la région ayant gardé des liens étroits avec celle-ci. C'est le cas, par exemple, de l'association « Les Amis des Mées » où, sur les vingt-trois membres du Conseil d'administration, treize sont originaires de ce riche bourg agricole de la vallée de la Durance. De même, 1'« Association de sauvegarde du patrimoine d'Aubenas-les-Alpes », petit village au nord du Luberon, ne compte, sur les cinq membres de son conseil d'administration, qu'une seule personne d'origine étrangère à la région. Citons, enfin, l'association « Mémoire de la Sasse », du nom d'un affluent de la Durance, dont le siège social est à Baudinard, petit hameau du massif des Monges au nord-est de Sisteron. Sur les huit membres du conseil d'administration, quatre sont des néorésidents arrivés assez récemment dans la région et quatre autres sont natifs des Monges où d'une ville proche. De façon générale, comme dans le cas d'« Alpes de Lumière », la sous-représentation des autochtones parmi les militants les plus convaincus de la cause patrimoniale prévaut chez les simples adhérents. Ainsi, parmi les cent vingt-cinq abonnés au bulletin publié par l'association « Le foyer d'animation de la vallée du Jabron », Lo contain dau Jabron, vingt-neuf seulement sont originaires du pays et y ont toujours vécu ; cinquante autres abonnés sont des descendants de familles de la vallée.

54 Albouy M. et O., Beux I., « Réflexion sur la non-adhésion à l'association "Alpes de Lumière" des paysans et villageois de Haute-Provence », Actualités des Alpes de Lumière, Mane, n° 62, février 1994.

21 CHERCHEURS DE PATRIMOINE

Entre engagement et passion

Les travaux conduits au sein de « Petra Castellana » reposent essentiellement sur deux de ses membres, Marie et Mathieu. Marie est originaire de la région parisienne. Dans les années soixante-dix, alors qu'elle est étudiante en géologie dans une université parisienne, des problèmes de santé conjugués avec l'enthousiasme pour le néoruralisme la conduisent en Haute-Provence orientale. Elle y rencontre celui qui deviendra son mari, Louis, étudiant parisien en paléontologie, venu là avec quelques amis pour fonder une communauté. Ce projet n'aboutira pas. Le couple s'installe dans un hameau isolé de la commune de Castellane. Alors que Louis travaille dans un camping, Marie est sans profession. Jusqu'à la création de l'association, elle s'est consacrée exclusivement à l'éducation de leur deux enfants et, afin d'assurer la quasi-autosuffisance alimentaire de la famille, à la culture d'un jardin potager et à l'élevage d'un peu de volailles et de quelques chèvres. Mathieu, actuellement président de l'association, est instituteur à Draguignan (Haut-Var), ville où il est né. Il descend d'une famille « gavotte » du pays castellanais et il passe ses vacances d'été dans la maison familiale où vivait encore son grand-père. « Dans une démarche de militant régionaliste » il a choisi d'étudier le provençal au lycée, puis à l'université. Il est membre du Félibrige ainsi que de plusieurs associations savantes et provençalistes (« Association varoise pour l'enseignement du provençal », « Société d'études scientifiques et archéologiques de Draguignan et du Var»"). Parallèlement à la collecte d'objets et au travail d'inventaire (identification, classification, etc.), Marie et Mathieu, qui souhaitent accéder, à travers les souvenirs des autochtones, aux époques reculées « d'avant la mécanisation », ont choisi d'enquêter auprès des pensionnaires de la maison de retraite de Castellane où ils se rendent périodiquement. À différentes reprises ils y ont organisé des fêtes où des conteurs et des musiciens viennent jouer des chansons et des pièces tirés du répertoire provençal. Le travail sur la mémoire avec des personnes pour la plupart très âgées exige toutefois une grande patience : Mathieu mettra deux ans pour convaincre une des pensionnaires, conteuse réputée, de chanter et de conter ! Marie apporte aux pensionnaires les objets sur lesquels elle veut recueillir des informations : fuseau, panier en osier, chemise pour ramasser les pommes, etc., Mais elle se heurte souvent aux défaillances des souvenirs. D'autant que l'usage de certains de ces objets est tombé depuis longtemps en désuétude. À cet égard Mathieu observe : « Déjà les gens qui ont plus de quatre-vingts ans nous disent "c'est pas moi qui savait, ce sont mes parents". On a déjà perdu, on a loupé le coche, il nous manque une génération pour atteindre vraiment le savoir ». Marie apparaît comme la cheville ouvrière de l'association : elle en assure l'administration et elle est à l'initiative de nombre de ses projets et actions (colloque, etc.). L'été, période où le Conservatoire est ouvert quotidiennement au public avec, chaque année, la préparation d'une nouvelle exposition, Marie consacre l'essentiel de son temps à la conception et à la mise en place de l'exposition ainsi qu'à l'accueil des visiteurs.

Pierre, ancien cinéaste qui vivait à Paris, s'est établi à Vachères au tout début des années soixante. Sa femme, aujourd'hui décédée, a fait des études d'ethnologie et a été une élève d'André Leroi-Gourhan. Tous deux décident de devenir tisserands et créent un atelier de tissage. Pierre n'abandonne toutefois pas complètement le cinéma et la

Société savante créée en 1855, dont le siège est à Draguignan.

22 photographie et réalise des films ainsi que des reportages sur la Haute-Provence et ses habitants. Très critiques à l'endroit de la civilisation industrielle, fervents militants d'un développement rural fondé sur les activités artisanales et paysannes, Pierre et sa femme adhèrent très tôt à « Alpes de Lumière ». En 1991, alors qu'il est à la retraite, Pierre devient président de l'association locale « Patrimoine de Vachère ». Amateur d'histoire, il oriente de façon décisive les activités de l'association vers la recherche sur l'histoire et la mémoire locales. Dans l'éditorial du premier numéro de la revue éponyme publiée par l'association, Pierre propose : « Plutôt que de se lancer dans des projets certes spectaculaires (restauration de monuments, de sites, etc.), le nouveau conseil d'administration a pensé qu'il serait important, avant toute autre action, de faire le recensement du patrimoine de Vachères ». Plus loin il précise sa pensée et définit un certain nombre d'axes de recherche en ces termes : « Le patrimoine de Vachères est inscrit dans la culture de ses habitants et cette culture est aussi faite de traditions, d'histoire, l'histoire de ses familles [...] Et l'on peut se demander comment et pourquoi ces familles ont abouti à Vachères il y a deux ou trois cents ans. D'où venaient-elles ? Comment vivaient ces familles à cette époque ? De quoi vivaient-elles ? Que nous rapporte la tradition concernant ces familles ? Et sans remonter aussi loin car les documents sont peu nombreux pour étudier cette période de l'histoire, quelle était la vie du village, ne serait-ce que depuis la fin du siècle dernier ? »S8. Dans le cadre de ce programme, Pierre a écrit différents articles issus de ses propres travaux. Récemment, avec la collaboration d'Antoine, océanographe, directeur de recherche au CNRS à Marseille, mais qui a une résidence secondaire à Vachères, et qui est par ailleurs très engagé dans l'association, Pierre a conduit une vaste enquête orale sur la vie quotidienne et l'organisation de la résistance à Vachères durant la dernière guerre mondiale. Trois numéros de la revue ont été consacrés à la publication de cette recherche sous le titre général «Témoignages sur Vachères pendant la guerre 1939-1945 »59. Pierre apparaît comme le principal artisan de la revue : outre sa contribution à de nombreux articles, il en assure, avec l'aide ponctuelle d'autres membres de l'association, la réalisation (transcription des enregistrements, rédaction, saisie informatique, etc.). Par ailleurs, Pierre a joué un rôle primordial lors de la collaboration de l'association à la rénovation du petit musée municipal de Vachères « Mémoire de pierres, mémoire d'hommes »*°. Et il a, dans ce cadre, confié au musée des photographies et des diapositives qu'il avait réalisées sur la taille de la pierre et qui ont été intégrées dans l'exposition.

Jeanne, enseignante à la retraite, est native de Marseille. Sa famille paternelle est originaire de la vallée du Jabron : son grand-père a quitté son village natal de Saint-Vincent à l'âge de seize ans pour s'engager dans l'armée. Puis il a épousé une femme originaire d'un village proche de Marseille, et s'est établi dans la région. Toutefois les liens de la famille avec le pays d'origine sont restés étroits. Ainsi, depuis l'enfance, d'abord avec ses parents, puis avec son mari et ses enfants, Jeanne y séjourne tous les étés. II y a une quinzaine d'années, Jeanne et son mari — qui est Anglais et qui apprécie tout particulièrement le climat et les paysages verdoyants de la vallée - achètent un terrain et font construire une maison (ils ont quatre enfants). Récemment, alors qu'ils sont désormais tous deux à la retraite, ils ont décidé de quitter définitivement Marseille pour venir vivre à Saint-Vincent. Lorsque, en 1989, l'association « Le foyer d'animation de la vallée du Jabron », alors en

58 Le patrimoine de Vachère, bulletin de l'association, n° 1 décembre 1991 59 Le patrimoine de Vachère, bulletin de l'association, n° 8 juillet 1995, n° 9 décembre 1995, n°10 mars 1996. 60 Le petit musée municipal de Vachères a été créé en 1960. 11 a été récemment restauré. Ses collections, qui concernent essentiellement les domaines de la paléontologie, de la préhistoire et de l'archéologie, ont été élargies et ont fait l'objet d'une nouvelle présentation muséographique.

23 sommeil, cherche à mettre en place des activités sur le thème du patrimoine et de la culture locale, Jeanne, déjà sensibilisée à ces questions, propose immédiatement sa collaboration. Elle devient très vite la principale animatrice et la cheville ouvrière de la section Arts, lie et traditions du Jabron. Elle assure, notamment, la réalisation et la publication du bulletin périodique Lo Contaire dau jabron. Jeanne, qui connaît beaucoup de monde dans la vallée, fait appel aux bonnes volontés locales, en particulier à quelques passionnés de patrimoine. Parmi ceux-ci, Alain, ingénieur dans la région de Fos, lui aussi originaire de la vallée du Jabron et ami d'enfance de Jeanne. Tout jeune, Alain s'est intéressé, en amateur, à la spéléologie et à l'archéologie. Il a fait plusieurs chantiers de fouilles, dans le cadre d'« Alpes de Lumière » dont il est adhérent depuis bientôt trente ans. Puis il se tourne vers l'histoire et l'ethnographie locales — sa famille possède des archives dont certaines remontent au XVIIIe siècle —, réalise de petites enquêtes et collecte des témoignages. Il aide Jeanne à lancer La Contaire' dau Jabron (c'est lui qui trouve le nom de la revue) et y écrit plusieurs articles (sur les charbonniers, le pèlerinage de Notre-Dame-de-Lure, etc.). Il a aussi collaboré aux ouvrages sur la cuisine et l'architecture. Au départ il nourrissait le projet de réaliser une monographie de la vallée sur le modèle de celle publiée par un membre de l'association « Les Amis de Châteauneuf-Miravail ». Aujourd'hui, Alain s'est mis en retrait de l'association : pris par de nombreuses autres occupations, convaincu qu'il est désormais trop tard pour conduire un tel travail car beaucoup de témoins ont disparu, considérant en outre que l'association ne dispose pas des moyens et des compétences nécessaires, il s'est tourné vers d'autres occupations savantes, comme la numismatique. Quant à Jeanne, elle continue à assurer la coordination entre les collaborateurs du bulletin (auteurs, dessinateurs, photographes, secrétaires, etc.) tout en effectuant de nombreuses tâches : enquêtes auprès des autochtones, recherches documentaires et archivistiques, rédaction, etc. Actuellement elle travaille, avec quelques membres de l'association et en relation avec « Alpes de Lumière », sur un projet ambitieux, et, dans le contexte local, délicat, : une exposition accompagnée d'une publication sur le thème de l'eau dans la vallée du Jabron.

Robert est un des membres fondateurs de « Sabença de la Valeia ». Ingénieur de formation, après avoir travaillé plusieurs années à Grenoble il décide de s'installer dans la vallée de l'Ubaye dont sa famille est originaire. Robert s'est très tôt intéressé au patrimoine de la Vallée : bien avant la création de l'association, il était membre de la « Société scientifique et littéraire de Haute-Provence » ainsi que de l'association « Alpes de Lumière ». Précisons que son père, médecin, passionné d'histoire locale — il a réuni une importante documentation sur la vallée de l'Ubaye —, par ailleurs membre du Félibrige, a présidé un temps cette société savante. A la suite d'une journée organisée par la « Société scientifique et littéraire de Haute-Provence » à Barcelonnette, avec quelques amis qui « s'intéressait un peu comme (lui) au passé », l'idée de créer l'association se fait jour. Depuis, Robert apparaît comme le principal inspirateur et animateur de « Sabença de la Valeia ». Il a notamment joué un rôle décisif dans le projet et la mise en place du Musée de la Vallée (il était alors conseiller municipal). Il a aussi animé « Les journées du livre de Barcelonnette », qui se sont tenues chaque été durant neuf ans, autour de thèmes intéressant la Vallée. En août 1984, George Duby y prononça une conférence sur L'état de la vallée de Barcelonnette au Moyen-Age, conférence publiée par l'association". Cette manifestation, qui s'adressait en priorité aux touristes habitués de la vallée, et avait pour but de les intéresser au pays, a été récemment remplacée, dans le même esprit, par des cycles de conférences (chaque jeudi de juin à septembre). Robert a, par ailleurs, réalisé quelques

61 Georges Duby, L'état de Ut vallée de Barcelonnette au Moyen Age, conférence (Journées du livre de Barcelonnette), Barcelonnette, Sabença de la Valeia, 1985, 24 p.

24 recherches et a collaboré à différentes publications, comme Les débuts de l'alpinisme et du ski dans la vallée de l'Ubaye62 et Les Barcelonnettes au Mexique, récits et témoignages**. Dans ce dernier ouvrage, Robert rapporte l'aventure du frère de son grand-père, émigré à dix-sept ans au Mexique, à partir des lettres que celui-ci envoyait à sa famille. Actuellement, Robert souhaite créer un périodique trimestriel destiné à la fois aux habitants de l'Ubaye, aux gens qui en sont originaires et qui vivent à l'extérieur (en France, au Mexique, etc.), lesquels seraient très demandeurs d'informations sur la vie et l'histoire de la Vallée, ainsi qu'aux touristes. Ce projet est en bonne voie de réalisation : une personne a été récemment engagée par l'association pour en assurer la mise en place et le développement. Tout récemment, Robert a été porté à la présidence de la « Société scientifique et littéraire de Haute-Provence », en remplacement de l'ancien président, démissionnaire.

Parmi les membres de « Sabença de la Valeia » les plus engagés dans les activités de recherche sur l'histoire de la vallée, il convient de citer Christiane. Venue vivre à Barcelonnette au début des années soixante, à la faveur d'une mutation de son mari, militaire de carrière, elle n'adhère à l'association qu'en 1990, alors qu'elle se trouve soudainement au chômage. Elle propose de créer une section de généalogie. Bien que n'ayant aucun lien avec la région — elle est d'origine aveyronnaise et a passé son enfance à Marseille —, Christiane entreprend de faire la généalogie de toutes les familles de la Vallée. En huit années de travail elle a retranscrit manuellement 280 000 actes d'état civil (naissances, mariages, décès) ! L'association a fait créer un logiciel de sorte qu'aujourd'hui toutes les données peuvent être exploitées par moyens informatiques. Ce travail l'a conduit à s'intéresser à l'immigration des ubayens vers la Louisiane et le Mexique et à nouer des relations avec certains de leurs descendants. Depuis, des échanges ont eu lieu entre les descendants des immigrés restés dans la Vallée et ceux vivant en Louisiane et au Mexique. En particulier, l'association a organisé un voyage vers la Louisianne regroupant une quarantaine de personnes, et les familles du pays ont accueilli leurs lointains cousins américains. Christiane a pu poursuivre ses recherches de l'autre côté de l'Atlantique. Mais au delà- de la reconstitution des généalogies familiales, Christiane nourrit l'ambition de réaliser une vaste fresque historique sur les familles de la Vallée.

Au sein des membres actifs des associations patrimoniales, seuls quelques-uns peuvent être considérés comme de véritables passionnés et considèrent d'ailleurs leur engagement comme tel. C'est le cas de Mathieu. Provençalisant, il s'intéresse aux variations des parlers locaux et à la littérature orale : à ce jour il a engrangé quelque mille heures d'enregistrement ! Militant régionaliste, membre du Félibrige — il est Syndic de la Maintenance de Provence -, il consacre ses loisirs à l'étude des dialectes de l'aire provençale alpine, et, dans ce but, recherche les témoins encore vivants dont le provençal est la langue maternelle. Parce que ces derniers sont de plus en plus rares, l'enquête s'apparente à une véritable chasse au trésor : récemment Mathieu se réjouissait d'avoir appris que, dans un village de Parrière-pays niçois, vivait un vieil homme parlant encore le figon, vestige d'un dialecte ligure qui n'est plus parlé qu'à Vintimille. Mathieu participe aussi à des spectacles et à des animations folkloriques — il s'est depuis peu mis au chant et a créé le groupe de chants et musiques traditionnelles « Nosto Modo » -, et collabore à la conception d'un musée ethnographique sur l'industrie traditionnelle des produits d'argile - occasion pour lui d'enquêter sur les termes techniques et la langue de travail des vieux

02 Martin-Charpenel P., Dunand F., collection « Cahiers de la Vallée », Barcelonnette, Sabença de la Valeia, polycopiés, s.d. 63 Ouvrage collectif, Barcelonnette, Sabença de la Valeia, 1994.

25 ouvriers piémontais occitanophones qui travaillaient dans les anciennes usines, aujourd'hui fermées. Mathieu a su, en outre, mettre sa passion au service de son travail : instituteur, maître formateur auprès des élèves-professeurs des écoles de 1'IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres), il y anime des stages sur le patrimoine. Totalement dévoué à la cause de la culture provençale, œuvrant pour une rénovation en profondeur du mouvement félibréen, il ne cesse de courir après le temps : sa passion, il en convient, le dévore, au point de laisser peu de place à sa vie privée.

Christiane parle avec volubilité et enthousiasme de ses recherches généalogiques. Elle reconnaît que c'est pour elle une passion et qu'elle est passionnée de nature : « Pour mon travail, dit-elle, c'était pareil, j'ai travaillé pendant vingt ans dans la même branche, c'était travail-passion. Et quand je promets quelque chose je vais jusqu'au bout, je m'investis ». Christiane attribue son intérêt pour la généalogie à son père, qui était membre d'un cercle de généalogie et qui l'a initiée tout enfant à cette pratique. Son mari, qui ne partage pas son engouement pour la généalogie, confirme : « Ma femme c'est sa passion. Si je vous dit qu'il y a des armoires complètes de dossier, des piles abominables ! Elle aime ça, les vieux livres, les vieux papiers ». Christiane travaille parfois, notamment l'hiver, jusqu'à dix heures par jour. Elle a commencé à faire des relevés seule et sans trop en parler. Puis le musée lui a envoyé des personnes originaires de la Vallée qui faisaient des recherches sur leur famille. Parallèlement, Christiane engrange, à la faveur de ses recherches dans les archives, tous les éléments susceptibles d'éclairer au plus près l'histoire des familles — leur origine, les lieux et les filières d'émigration, les métiers que ses membres exerçaient, etc. Ainsi connaît-elle aujourd'hui les apparentements et les filiations entre certaines familles de la vallée, sans aller toutefois en deçà du début du XXe siècle, en raison de la prescription centenaire. En faisant des recherches sur les trois frères Arnaud, considérés comme les pionniers de l'émigration ubayenne vers le Mexique au début du XIXe siècle (1821 selon la plaque commemorative apposée sur la maison familiale), et à la faveur d'une rencontre avec une de leur descendante américaine, qui faisait des recherches sur sa famille paternelle, Christiane à découvert que, contrairement à ce qu'avait rapporté François Arnaud64, notaire et érudit local, le premier des frères était parti dès 1805 et s'était installé en Louisiane et non au Mexique. Une ville de Louisiane porte d'ailleurs le nom d'Arnaudville. Depuis, Christiane cherche à reconstituer le véritable périple des trois frères et voudrait découvrir les raisons qui ont amené François Arnaud a dissimuler l'épisode de la Louisiane. Elle a ainsi tissé des liens d'amitié avec des descendants américains des Arnaud - il y en aurait environ cinq mille répartis dans différents États — , et a fait plusieurs voyages en Louisiane. Elle a récemment envoyé à l'école d'Arnaudville quatre cartons de livres scolaires de français. Christiane souhaite terminer au plus tôt son « pensum » (la retranscription de l'état civil des douze communes de la Vallée), qui l'occupe depuis bientôt neuf ans, pour se consacrer à la reconstitution et à la restitution de l'histoire des familles ubayennes.

Depuis quelques années Nicole a organisé sa vie autour de sa passion pour l'ethnologie et l'histoire locales. Venue s'installer avec son mari et son fils en Haute Provence à la fin des années quatre-vingt, et alors sans emploi, elle monte, avec le soutien du SIVOM (syndicat intercommunal à vocations multiples), un circuit touristique incluant deux monuments situés dans la commune de son village d'adoption : les ruines d'une

64 (1834-1908) François Arnaud notaire et érudit a rédigé des recueils du vocabulaire valéian et des proverbes et expressions locales. Il a aussi réuni une collection d'objets archéologiques et paléontologique exposée au musée de la Vallée.

26 chapelle romane, et une pierre qui porte une formule mystérieuse évoquant une « ville des dieux » — haut lieu du tourisme local qui attire notamment spirites et médiums. Bientôt la curiosité de Nicole est aiguisée par les histoires et légendes qu'a suscitées, dès le XIXe siècle, cette pierre gravée. Elle entreprend donc une étude de ce phénomène et s'intéresse plus largement aux croyances dont les roches sont l'objet. C'est le début d'une passion qui ne la quittera plus. Elle adhère à l'association « Alpes de Lumière » et, n'ayant aucune connaissance dans le domaine de l'ethnologie et de l'histoire (elle est titulaire d'un DEUG d'anglais), décide d'étudier, en autodidacte, ces disciplines. Elle s'investit alors totalement dans ce qui est pour elle une aventure intellectuelle, et consacre ses journées — de six heures du matin à neuf heures du soir, précise-t-elle — à étudier méthodiquement les ouvrages et thèses dénichés dans différentes bibliothèques. Tentant de concilier travail et passion, Nicole rédige un prérapport qui lui permet d'obtenir une bourse pour continuer sa recherche : au moment où elle s'interroge sur ses capacités de chercheur, c'est pour elle une chance inespérée. Depuis, Nicole n'a cessé d'élargir ses thèmes d'investigation. Ainsi a- t-elle réalisé de petites études ethnographiques, notamment dans le domaine de la toponymie, pour le parc naturel régional du Verdón. Actuellement elle prépare la publication de sa recherche dans une des collections éditées par « Alpes de Lumière ». Elle continue à jongler avec le temps, partagé entre son travail rémunéré, sa vie privée, ses recherches et sa formation — elle s'est récemment inscrite à des cours d'histoire par télé­ enseignement.

Chez d'autres chercheurs de patrimoine, la passion se manifeste d'une façon moins exubérante mais apparaît tout aussi tenace. Marc est originaire des Mées où ses parents et ses frères sont cultivateurs. Lui-même habite dans une ville proche où il travaille comme laborantin. Il s'est intéressé très tôt au patrimoine à travers l'association « Alpes de Lumière» dont il est membre depuis trente ans. Lorsque, en 1980, il apprend qu'une association patrimoniale, « Les Amis des Mées », vient de se créer dans son village, il adhère aussitôt et, très vite, en devient l'un des principaux piliers. Marc mène de front son travail,.l'administration de l'association dont il est le secrétaire, et sa participation aux nombreuses activités de cette dernière - recherches, publications, expositions, chantiers de restauration, animation locale, etc. D'un naturel réservé, il s'attache à souligner le caractère collectif du travail accompli par l'association et reste très discret sur son propre rôle. Pourtant celui-ci est capital : il a collaboré à la plupart des travaux ethnographiques ou historiques ayant donné lieu à des publications (c'est lui qui, habituellement, fait les recherches en archives) et il est généralement chargé de la rédaction des ouvrages et articles édités par l'association (sur le ver à soie, le vin, les pigeonniers, etc.). Quand on demande à Marc d'où lui vient cette passion, il évoque les responsables d' « Alpes de Lumière », qui lui ont communiqué le désir « de trouver, de voir, de comprendre comment les gens avaient vécu ».

Anne-Marie est née et vit dans un petit village surplombant la vallée de l'Ubaye. Fille d'agriculteur, elle a grandit dans un milieu familial très attaché à la culture locale. Elle évoque ses activités et ses travaux avec une grande réserve, néanmoins elle reconnaît qu'elle est passionnée par tout ce qui touche au patrimoine de la vallée. Elle dit devoir cette passion à son père : la mort de celui-ci a été, avoue-t-elle, le « déclic » qui l'a incitée à travailler sur la mémoire ubayenne et à enquêter auprès des gens du pays. Son oncle, très proche de son père, était membre du Félibrige. Décédé récemment, il avait tout au long de sa vie recueilli des contes et composé des poèmes en dialecte local. Anne-Marie a collaboré à la retranscription des textes, de sorte qu'aujourd'hui elle sait écrire une langue qu'elle comprend depuis toujours - son père et son oncle la parlait couramment - mais qu'elle

27 même ne parle pas. Contes et poèmes ont été réunis dans un recueil publié par « Sabença de la Valeia»". Le travail d'Anne-Marie a suscité très tôt l'intérêt des chercheurs, notamment des dialectologues, qui s'intéressent à la vallée. Sa première enquête sur les pénitents a été intégré dans une publication en qualité d'ethnotexte. Et le Musée de la Vallée a fait appel à sa collaboration pour créer et gérer une sonothèque. Anne-Marie a ainsi été amenée à suivre différents stages sur les techniques de l'enquête orale. À ce sujet elle observe : «J'ai une grille de questions, j'ai été formée pour faire ça ; mais je m'aperçois maintenant que c'était inné ; j'ai repris les cassettes que j'avais faites au début et je posais les mêmes questions ! ». Elle a enregistré aujourd'hui quelque cinq cents cassettes, soit à titre personnel, soit à la demande du Musée ou de chercheurs. Actuellement, dans le cadre de la création de deux petits musées locaux, annexes du Musée de la Vallée, et dont un portera sur la chasse et la cueillette, Anne-Marie enquête sur les usages des plantes. Les activités patrimoniales d'Anne-Marie, qui est notamment membre de « Sabença de la Valeia », touchent à de nombreux autres domaines. Ainsi milite-t-elle pour la sauvegarde de la langue locale : dans ce but elle a contribué à la création d'une association qui organise des cours pour les jeunes et les adultes. Elle s'intéresse, par ailleurs, au patrimoine architectural de la vallée et elle est adhérente d'une association qui vient de se créer, et qui concerne le petit patrimoine (fours, moulins, etc.) et le patrimoine religieux. Il y a quelques années, elle a fondé, avec son oncle, une association dans le but de restaurer une église de son village, projet que son père n'avait pu mener à bien, et qui a aujourd'hui abouti (grâce en particulier à des dons fait par des « Mexicains »). Et elle a récemment entrepris des démarches pour sauvegarder une habitation qu'elle considère comme « assez typique » de l'endroit. Anne-Marie s'occupe, à l'occasion, de collectes d'objets, comme ce fut le cas lors de la création du petit musée ethnographique de Saint-Pons. Enfin elle est membre de l'association des « Guides de pays », association régionale qui propose aux touristes des circuits culturels guidés.

Les collaborateurs actifs participent à la vie de l'association de façon totalement bénévole. La chose semble aller de soi. Une de ces associations, très soucieuse de son indépendance vis-à-vis des pourvoyeurs locaux de financement (municipalité, conseil général, etc.), s'est refusée jusqu'à présent à toute demande de subvention. Les subventions accordées sont, au demeurant, modestes : ajoutées aux cotisations, elles suffisent à peine à couvrir les frais incompressibles liés aux publications. Aussi l'essentiel des dépenses induites (déplacements aux archives, achat de petit matériel, téléphone, achats de livre, etc.) reste-t-il à la charge des membres. Nicole, jeune femme qui vit actuellement de « petits boulots », reconnaît ainsi que ses travaux de recherche absorbent une grande partie de ses revenus, et qu'elle dépense sans compter, n'hésitant pas à photocopier entièrement les documents d'archives et les livres anciens ou rares empruntés à la bibliothèque, à acquérir les ouvrages qu'elle juge fondamentaux, à suivre des stages et des séminaires de formation organisés pour les chercheurs non professionnels. Odette, infirmière à la retraite, qui a créé tout récemment l'association « Patrimoine du pays de Forcalquier », précise que ce sont les membres fondateurs qui supportent tous les frais d'équipement et de fonctionnement (ordinateur, téléphone, etc.). « Ça fait un gros investissement financier, commente-t-elle, en tout cas pour moi. » Mais elle ajoute : « Bon ! Comme je tiens beaucoup à cette association!...». Cette image de bénévoles totalement désintéressés, que revendiquent hautement les militants de la cause patrimoniale, doit être cependant légèrement nuancée. Quelques associations sont soutenues par leur municipalité, et il n'est pas rare que certains

65 Abbès R-, Le temps de moissonner, Lou t'ems de mein, Contes et poèmes de Li VaUée de ¿Vbjye, Collection « Paroles et écrits », Barcelonnette, Sabença de la Valeia, 1997, Textes provençal et français.

28 de leurs membres soient par ailleurs élus au conseil municipal. L'une d'elles a pu bénéficier de l'aide d'un salarié dans le cadre d'un contrat emploi-solidarité. Les responsables d'une autre association se disent prêts à créer un emploi de ce type au profit d'un des leurs. Enfin, certains chercheurs amateurs, encore dans la vie active, et qui considèrent avoir acquis, au fil de leurs travaux, un ensemble pertinent de connaissances dans le domaine du patrimoine, manifestent l'espoir d'exploiter un jour leurs compétences dans un cadre professionnel où ils seront rémunérés. C'est le cas d'Anne-Marie qui travaille aujourd'hui pour le Musée de la Vallée.

Les chercheurs de patrimoine peuvent consacrer à leurs travaux et à la gestion de l'association une grande partie — et même la totalité — de leur temps libre. Pierre, qui assure la bonne marche et le développement de l'association « Patrimoine de Vachères », a un programme particulièrement chargé : outre ses propres travaux de recherches historiques et ethnographiques, il a entrepris de microfilmer les livres terriers ** de la commune (qui se trouvent aux archives départementales à Digne), et s'occupe aussi de leur transcription en français moderne. Par ailleurs, parallèlement à la revue de l'association, il assume la responsabilité du bulletin semestriel d'information et de liaison. À cela s'ajoute le travail lié à la collaboration de l'association à différents projets locaux et régionaux comme la rénovation du musée municipal, ou encore les manifestations sur le thème de la pierre prévues dans le cadre du Parc naturel régional du Luberon. Certes, tous les membres actifs n'ont pas le même degré d'engagement ni la même disponibilité : beaucoup travaillent ou sont pris par d'autres occupations. Néanmoins, la plupart sont toujours prêts à donner un coup de main si le besoin s'en fait sentir, notamment lors des temps forts que sont le montage d'une exposition, la composition et le tirage des revues et des bulletins, etc.

Hormis les cas où la passion est manifeste et reconnue, le degré d'engagement des différents membres actifs apparaît très variable, que l'on considère le temps consacré, le caractère exclusif de l'activité concernée, ou le point de vue de l'informateur sur la nature de son. engagement. Aucun des autres informateurs interrogés ne s'est considéré comme porté par la seule passion patrimoniale. Ainsi pour Jeanne, responsable et cheville ouvrière de la section Arts, vie et traditions du « Foyer d'animation du Jabron », le patrimoine est une passion parmi d'autres. « Moi, j'ai beaucoup de passions, avoue-t-elle, j'aime les langues, j'aime tout, j'aime broder, j'aime écouter de la musique, je n'ai que des passions, je crois que mes passions sont toutes égales, je n'ai pas de passion dominante. » Effectivement, Jeanne, dotée d'un grand dynamisme, est engagée localement dans de multiples activités créatrices ou altruistes : elle participe à la chorale, est responsable d'un bulletin d'information dans le cadre du PARM (Plan d'aide à la revitalisation du milieu), siège au conseil municipal et donne des cours de soutien scolaire. Quant à Pierre, dont nous avons vu le dévouement à la cause patrimoniale, il ne se considère pas comme un passionné et souhaiterait même bénéficier d'un peu plus d'aide en recrutant de nouveaux membres actifs, des jeunes si possible. Enfin, Robert, leader de «Sabença de la Valeia», reconnaît qu'il est pris par différentes activités — il a repris avec sa femme une petite entreprise - et qu'il ne fait plus de recherches depuis plusieurs années. Conscient de l'importance de son rôle au sein de l'association, Robert, qui envisage à terme d'en quitter la présidence (rappelons qu'il est depuis peu président de la « Société scientifique et littéraire de Haute- Provence »), souhaite trouver un successeur. À côté de ces militants les plus engagés, les autres membres actifs participent de façon plus ponctuelle en fonction de leurs centres d'intérêt, de leur disponibilité, de leurs compétences. Pour certains, les activités

Registres contenant le dénombrement des droits seigneuriaux. Ils étaient renouvelés tous les 20 ou 30 ans.

29 patrimoniales semblent même plutôt une sorte de passe-temps, une manière d'occuper les larges moments de loisir — dont disposent les retraités, les femmes au foyer, certains enseignants, etc. — et qui peut apporter un plaisir intellectuel tout en étant le support d'une nouvelle forme de sociabilité sur le plan local.

Quel que soit leur degré d'implication dans les activités patrimoniales, les férus de patrimoine semblent partager une même inclination pour l'engagement personnel. Ainsi beaucoup ont-ils un passé de militant, et certains militent encore, dans le domaine syndical ou associatif, social ou culturel. Jeanne et Odette ont été, durant leur vie professionnelle, des militantes syndicales très actives. Pierre s'est longtemps dévoué à la renaissance de l'artisanat rural, dans le cadre notamment d'une association satellite d'« Alpes de Lumière », « Les ateliers de Village ». Avant la création de « Petra Castellana », Louis s'occupait de la Maison des jeunes et de la culture de Castellane. Aujourd'hui, la plupart de nos informateurs, qu'ils soient retraités ou encore dans la vie active, adhèrent à plusieurs associations, culturelles — souvent ils sont membres de plusieurs associations patrimoniales — ou relevant d'autres domaines. Comme nous l'avons vu, Mathieu est très engagé dans le mouvement régionaliste félibréen et participe à plusieurs associations savantes et provençalistes. Marc est adhérent d'associations à vocation sociale et humanitaire. Anne-Marie, qui est aussi apicultrice, est membre de différentes institutions professionnelles ainsi que d'une association caritative. On pourrait multiplier les exemples en ce sens. En matière d'engagement dans les questions vives de la société, l'itinéraire d'André, originaire de Marseille et qui vit aujourd'hui à -les-Alpes, est particulièrement évocateur. Après une licence d'histoire, il intègre le grand séminaire où, pendant six, ans il fait des études de théologie. Devenu prêtre, il assurera ce ministère pendant dix ans. Les mouvements de mai soixante-huit conduisent André à remettre en question certains aspects de son engagement religieux. Après une douloureuse période de doute, il démissionne de l'Église. Il se marie peu après et est amené à exercer différents métiers, tout en militant dans le milieu associatif. Durant les dernières années qu'il passe à Marseille, il travaille comme permanent d'une association qui gère un centre social. Par « goût de la montagne et de la campagne, par une espèce de lassitude de la ville », André et sa femme décident de s'installer à Seyne-les-Alpes, village qu'ils connaissaient pour y être venus en vacances à plusieurs reprises avec leurs enfants. André affirme : «J'ai toujours été militant associatif [...] Dès le départ je n'ai pas conçu ma présence dans ce village sans être lié aux associations. La première à laquelle j'ai adhéré c'est donc une association culturelle qui s'appelle "Musique dans la Vallée" [...] Très vite je me suis inscrit dans l'association qui s'appelait à ce moment-là "L'association pour le patrimoine de Seyne", qui s'appelle maintenant "Fort et Patrimoine" [...] Je suis client de l'association "Culture et bibliothèque pour tous" [...] On a été content de tomber dans un village avec une telle activité associative, on a même été surpris, dans ce petit village de mille deux cents habitants ». Aujourd'hui André est, en outre, membre d'« Alpes de Lumière », de la « Société scientifique et littéraire de Haute-Provence », de l'association « Guides de Pays », enfin de 1'« Association pour la sauvegarde du patrimoine religieux de Haute-Provence ». (Il travaille actuellement au service de l'inventaire des archives départementales où il s'occupe du patrimoine religieux.)

Goût du savoir et aspirations culturelles

A quoi s'applique, en définitive, cet intérêt plus ou moins soutenu ? Au patrimoine ? Mais qu'entend-on au juste par patrimoine ? Comme nous l'avons signalé, selon une

30 formule souvent employée, les associations patrimoniales ont pour mission générale « l'étude, la préservation et la mise en valeur des patrimoines culturel et naturel ». Le concept de patrimoine est entendu dans un sens globalisant et inclut tout à la fois l'histoire du lieu, du passé proche jusqu'aux horizons les plus reculés (préhistoire, époque gallo- romaine), le patrimoine architectural « remarquable » (églises, oratoires, lavoirs, fours communaux, etc.), les sites ayant un intérêt historique ou esthétique (paysages, ruines), tout ce qui a trait à la vie matérielle et culturelle locale (pratiques culturales et d'élevage, vie domestique, fêtes, rites, contes, parlers locaux), enfin la faune et la flore locales. Quelques associations ont, dans des formulations proches, préférées à la notion de patrimoine les termes ou les expressions de mémoire, mémoire collective, histoire locale. Ainsi en est-il de « Mémoire de la Sasse » qui a pour but « l'étude, la sauvegarde et la mise en valeur de la mémoire et de l'histoire de la vallée de la Sasse ». De même, l'association « les Amis des Mées » a pour objet « de favoriser les recherches sur l'histoire locale de Mées et de ses environs, de diffuser par tous les moyens le résultat de ces recherches [...] ». Bien qu'il ne faille pas trop s'attacher aux formulations des buts des associations — elles s'inspirent souvent les unes des autres ou cherchent au contraire à se distinguer —, et même si ces formulations ne se réfèrent pas explicitement aux notions de « préservation » et de « patrimoine », les associations inscrivent leur action dans une perspective patrimoniale. Or, compte tenu de l'acception commune actuelle des notions de patrimoines culturel et naturel, cette perspective introduit des dimensions particulières. On y trouve en premier lieu l'idée d'un « bien hérité » (des anciens), qu'il convient de préserver afin de le « transmettre » (aux générations futures)67. L'association « Les Amis des Mées » définit le patrimoine en ces termes : « Le patrimoine c'est ce que les générations qui nous ont précédé nous lèguent gratuitement. Ce sont les valeurs humaines, les types d'agriculture, les moyens de communication, le paysage et les monuments [...] Sauvegarder un édifice chargé d'histoire locale, c'est perpétuer le souvenir des efforts de nos aïeux, c'est aider à comprendre ce qui arrive, c'est transmettre le témoin d'une génération à l'autre, c'est vivre »M. En second lieu, l'idée que ce « bien » est le propre d'un territoire particulier et de la communauté d'habitants qui l'occupe, lesquels son définis de façon plus ou moins arbitraire : le patrimoine de la Haute-Provence, de Vachères, du pays de Forcalquier, etc. Cette idée d'appartenance exclusive où une communauté particulière, à travers ceux qui se sont institués ses représentants, est détentrice et gardienne d'un patrimoine, est exprimée avec force par l'association « Patrimoine du pays de Forcalquier » qui définit son objet en ces termes : « [...] veiller et [...] aider à la conservation ainsi qu'à la restauration d'éléments de notre patrimoine tels que sites ou objets archéologiques, objets d'art, livres ou archives anciens, mobilier et menuiseries, monuments ou constructions [...] ». Au-delà de considérations sur lesquelles nous serons amenés à revenir, les thèmes et les domaines d'intérêt de nos informateurs apparaissent très divers.

Odette s'intéresse plus particulièrement à l'histoire de l'art et à l'archéologie - elle suit des cours dans cette discipline à l'université. Pierre se dit surtout curieux du monde paysan. Marie, cheville ouvrière de « Petra Castellana », travaille sur la mémoire proche et l'identité locale. Elle dit aimer tout particulièrement la conception et la présentation des expositions qui lui permettent d'exprimer sa sensibilité artistique. L'époux de Marie, Louis, s'intéresse aux outils et aux objets. Au sein de l'association, et en dehors de la gestion des

67 Notons que les domaines de la nature et de la culture sont ici mis sur le même plan : l'argumentaire vulgarisé par les mouvements écologistes à travers la notion de patrimoine naturel se voit appliqué au domaine de la culture. 68 « Le mot du président », Bulletin annuel. Les Amis des Mées, 1993.

31 activités courantes, il se consacre à la restauration et à la reconstitution des pièces détériorées. Mathieu a pour principal centre d'intérêt le provençal alpin et les traditions de la Haute-Provence orientale. Yves, éleveur, l'un des fondateurs de l'association « Mémoire de la Sasse », s'intéresse au patrimoine religieux ainsi qu'à la toponymie, sujet sur lequel il a déjà publié un petit ouvrage et auquel il pense se consacrer tant « qu'il n'en aura pas fait le tour». Paul, enseignant d'histoire qui n'a presque jamais quitté son village natal, prend plaisir à résoudre les énigmes de l'histoire locale : il recherche actuellement l'emplacement de l'ancienne église du village, détruite au XVIIIe siècle. Nicole dit aimer tout particulièrement le travail sur les archives, notamment parce que cela demande une grande patience. Quant à Marc, s'il aime lui aussi se pencher sur les archives, ou encore écrire, il apprécie tout autant le travail manuel sur les chantiers de restauration. Enfin, plusieurs chercheurs de patrimoine évoquent leur goût pour les objets anciens. Liliane, institutrice, est membre de deux associations patrimoniales, l'une en Corrèze, région dont son mari est originaire et où ils passent leurs vacances d'été, l'autre dans le Luberon où ils vivent et travaillent ; elle admet que ce qui lui plaît le plus, ce sont les fossiles, les plantes et les vieux objets - sa maison est d'ailleurs encombrée d'objets divers, au grand dam de son mari. Au- delà de cette diversité, c'est donc très généralement le passé des communautés locales qui apparaît comme objet de passion. Nombre d'informateurs expliquent leur engagement par leur intérêt de toujours pour l'histoire, ou « par amour des vieilles pierres », intérêt qu'ils associent souvent à des souvenirs d'enfance : une grand-mère qui aimait raconter les histoires de son village, les vacances passées en Haute-Provence chez un grand-père qui parlait provençal, la découverte de ruines antiques, etc. La cause patrimoniale leur est alors apparue comme une occasion de concrétiser ce qui était resté jusque là de l'ordre de l'intérêt diffus et dispersé.

Plusieurs chercheurs de patrimoine aiment à souligner la délectation que leur procure certains aspects de leurs recherches, comme l'exploration des archives, les enquêtes auprès des anciens et, plus généralement, la découverte d'un monde passé qui leur était jusqu'alors inconnu. Il semble en effet que l'attrait pour les activités erudites se fonde aussi sur un ressort de nature essentiellement ludique, celui du pur plaisir de l'enquête, en l'espèce de la recherche de tout ce qui est susceptibles d'éclairer un thème d'étude ou de résoudre les énigmes qui lui sont liées : vestiges divers, vieux objets, documents d'archives, ouvrages et articles savants, etc. Parlant de ses passions, Jeanne observe : «Je reconnais que cette passion-là, quand je vais aux archives et que l'on me met à côté une pile de documents, je suis très heureuse, ça me plaît, j'aime bien chercher, j'aime bien découvrir, j'aime bien trouver, je pense qu'il y a aussi l'attrait des choses que je ne vois pas tout les jours dans ma vie ». Paul, membre de « Mémoire de la Sasse », qui est originaire de et qui y vit, évoque ses centres d'intérêt en ces termes : «J'ai toujours été intéressé par le vieux village et ma recherche personnelle était de rechercher où se trouvait l'ancienne église de Clamensane, qui a été construite vers 1300 et qui a existé jusque vers 1700 [...]. Elle a été complètement rasée. J'ai retrouvé de vieux cadastres. Il y en a un qui était très intéressant. On sait où elle est, à côté de quelle maison, comment elle est orientée, au nord, on a toutes les parcelles attenantes à cette église, mais je ne peux toujours pas dire : " elle était là exactement" [.._.] D'autant qu'on a le plan, on a les descriptions par les inspections des évêques, on connaît le patrimoine intérieur». Et il conclut : «Je connais ses dimensions, je connais tout, mais je ne sais pas où elle est ». Agnès, adhérente d'« Alpes de Lumière », souligne que c'est la curiosité intellectuelle qui l'a amenée à s'intéresser au patrimoine. Alors qu'elle travaillait au Conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, à Digne, Agnès a demandé sa mutation à la mairie de Baríes, petit village au sud des Monges, d'où est originaire son mari et où elle vit. Elle raconte : «Je peux dire que je me suis un petit peu

32 ennuyée et je me suis dit : "je vais m'intéresser au patrimoine local". C'est vraiment un concours de circonstances, j'aurais pu m'intéresser à la géologie [...] Ce qui a été le déclencheur, c'est le registre d'état civil [...] Je me suis aperçue qu'il y avait là une immense banque de données qui dormait. [...] Je ne suis pas originaire d'un milieu rural, je ne suis pas originaire de cette région, je suis arrivée à l'âge de douze ans à Digne. Mon père était directeur d'une maison de jeunes. C'était un milieu plutôt intello. Et moi, les gens, ici, je les trouvais complètement exotiques. Donc je me suis dit : "je vais essayer de comprendre". Au départ c'est une espèce de curiosité intellectuelle, je ne me sentais pas vraiment concernée. Et puis je me suis prise au jeu, petit à petit je me suis aperçue qu'il y avait des choses intéressantes, j'avais envie de savoir. Chaque fois que je découvrais quelque chose il y avait autre chose derrière et il fallait aller plus loin pour comprendre, c'est sans fin bien entendu 1 ». Parfois l'enquête semble une finalité en soi comme pour Mathieu qui ne cesse d'engranger les témoignages sur les parlers locaux et leurs variations.

Il ne s'agit là, bien sûr, que de justifications a posteriori. La considération attentive des itinéraires de vie et des données biographiques livrées par nos chercheurs de patrimoine apporte des éclairages plus précis sur les ressorts profonds de leur engagement. Ainsi les témoignages des plus passionnés d'entre eux révèlent-ils des aspirations culturelles refoulées ou restées en partie inassouvies. Odette a effectué une carrière d'infirmière anesthésiste qui l'a conduite à des postes de responsabilité, notamment en tant qu'infirmière générale hospitalière, le plus haut grade dans la hiérarchie du métier. Tout en travaillant, elle reprend pourtant des études et suit pendant deux ans les cours de l'École du Louvre. Puis elle épouse un féru de navigation et, pendant plusieurs années, sillonne la Méditerranée. C'est l'occasion pour elle de s'initier à l'archéologie en visitant de nombreux sites antiques ; aussi, à la suite du décès brutal de son mari, et alors qu'elle a atteint l'âge de la retraite, Odette vient s'établir en Haute-Provence où vit sa famille, et elle cherche dans une pratique assidue de cette discipline un dérivatif au deuil qui vient de la frapper. Aujourd'hui Odette préside une association patrimoniale. Le parcours d'Yves offre une illustration particulièrement saisissante de ce désir d'accéder aux sphères les plus « nobles » de la culture. Venu s'installer en Haute-Provence dans les années 1985, Yves dit n'avoir pas fait d'études et avoir quitté l'école à seize ans après un passage par l'enseignement technique. Il s'intéresse depuis déjà plusieurs années à l'histoire et à l'ethnologie, le gardiennage des chèvres lui laissant tout loisir pour lire et étudier. Évoquant ses lectures, il cite Lucien Febvre, Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss, André Leroi-Gourhan. Parmi les références bibliographiques des articles qu'il publie dans le bulletin de l'association, on trouve d'autres grands noms de l'anthropologie (Mircea Eliade, Arnold Van Gennep, André-Georges Haudricourt). Bien avant la création de l'association, Yves s'était lancé dans l'aventure de la recherche et avait collaboré à des publications, notamment à un ouvrage sur le courrier des camps de concentration. Quand on l'interroge sur les raisons qui l'ont amené à s'intéresser à ce type d'activités, il répond simplement qu'il a « toujours eu des affinités avec la recherche ». Il apparaît ainsi comme un véritable autodidacte. Toutefois de nombreux indices laissent penser qu'il vient d'un milieu cultivé. Actuellement il préside et anime l'association d'étude et de sauvegarde « Mémoire de la Sasse ». D'une façon générale, les edinologues et historiens amateurs, chercheurs de patrimoine, appartiennent ainsi, par leur niveau d'étude et leur parcours professionnel, aux classes moyennes instruites. Ils sont instituteurs, infirmiers, professeurs du secondaire, ingénieurs, et même (dans deux cas) directeurs de recherche au CNRS. Ceux qui exercent un métier rural (élevage, apiculture) ou une activité non qualifiée sont des néoruraux qui, en rupture avec la société, sont venus s'installer en Haute-Provence à la recherche d'un mode de vie plus en accord avec leurs aspirations et leurs convictions. Presque tous sont passés par

33 l'université et ont effectué une ou plusieurs années d'études supérieures. Mais si les passionnés de patrimoine possèdent un bagage culturel qui fonde leur aspiration à la pratique de l'histoire et de l'ethnologie, ce bagage ne leur permet pas, toutefois, d'accéder aux institutions officielles de la recherche. Le seul champ où ils peuvent légitimement satisfaire leur soif de connaissances et de reconnaissance et, éventuellement, devenir des producteurs de savoirs, est celui de la recherche amateur et de l'érudition locale : les associations patrimoniales s'inscrivent, en effet, dans la tradition des sociétés savantes, dont le rôle a été déterminant, au XIXe siècle, dans le développement de l'histoire locale et de l'ethnographie69.

Un autre aspect de l'engagement patrimonial des néorésidents mérite d'être souligné. Ces derniers se trouvent, en effet, dans une situation de rupture liée, notamment, à leur établissement dans une région nouvelle, au sein d'une communauté qui leur est, à de nombreux égards, étrangère. Les itinéraires d'Odette, d'Yves ou encore d'André sont, sur ce point très éloquents : dans le premier cas la rupture est due en partie aux circonstances, dans les deux autres elle semble relever du souhait de reconstruire ailleurs une nouvelle vie. Un événement douloureux, un sentiment d'insatisfaction à l'endroit de sa vie personnelle ou professionnelle, la venue de l'âge de la retraite, le rejet des conditions de vie et de travail dans les grandes métropoles sont souvent à l'origine de l'émigration vers la Haute- Provence. L'intérêt pour la mémoire locale apparaît alors comme un moyen fondamental pour tenter de nouer, de façon symbolique, par un processus d'incorporation du passé, des liens avec la société d'accueil. De ce point de vue la passion patrimoniale participe d'une dynamique de reconstruction identitaire. L'exemple de Christiane en offre une illustration éclairante. Celle-ci évoque les raisons et les événements qui l'ont amené à adhérer à l'association « Sabença de la Valeia » et à faire la généalogie des familles ubayennes en ces termes : «Je ne suis pas membre fondateur de la Sabença, je ne suis pas originaire du pays, je n'ai personne de ma famille qui soit originaire de la vallée de l'Ubaye, j'ai seulement mon fils, qui a aujourd'hui trente ans, et qui est né ici. [...] Et quand il avait cinq ou six ans il y avait un groupe folklorique de la vallée de l'Ubaye, et il aurait voulu faire parti de ce groupe folklorique, et souvent il me disait : "Toi, tu es pas de la Vallée". Des petites réflexions d'enfant que l'on met dans un coin de sa pensée, on a une vie active... Et puis au bout de vingt ans de travail dans la même société j'ai fait partie d'un dégagement sulfureux, on m'a pris comme une boulette de papier et on m'a jeté à la poubelle [...] Je me suis dit : "Puisque je ne travaille plus et puisque mon fils me dit que je suis pas de la vallée de l'Ubaye, quand je ne serai plus à Barcelonnette, il faut que j'arrive à lui trouver une famille pour qu'il puisse prendre la suite, puisque c'est un pays qu'il aime" ».

69 Rappelons que la recherche amateur est complètement illégitimée par les institutions officielles. Le champs de la recherche amateur et celui de la recherche professionnelle n'ont pas les mêmes règles, ni les mêmes enjeux. Ainsi, les procédures de validation scientifique, qui sont permanentes dans la recherche officielle, n'existent pas dans le domaine amateur. En outre, les travaux et études des chercheurs amateurs ne procèdent pas de questions s'inscrivant dans une problématique contrôlée.

34 ASSOCIATIONS PATRIMONIALES ET

STRATÉGIES D'INTÉGRATION

Les éléments d'analyse réunis jusqu'ici ne peuvent toutefois rendre raison de l'ampleur et de la vitalité de l'engouement actuel pour le patrimoine en Haute-Provence et d'autres facteurs doivent être pris en compte. L'arrière-pays provençal, zone de moyenne montagne essentiellement rurale, où certaines vallées reculées étaient encore il y a peu en voie de désertification, connaît depuis les années 1980 une phase de profonde transformation. Restée longtemps à l'écart des grandes migrations estivales, cette région est considérée aujourd'hui comme un des derniers espaces naturels préservés du Midi méditerranéen : à ce titre elle attire un nombre croissant de résidents secondaires et de touristes adeptes des vacances vertes (randonnées, vol à voile, canoë, escalade, VTT, etc.)7D. Plus généralement, la recherche d'une nature supposée authentique et l'attrait pour un style de vie campagnard nourrit une nouvelle vague migratoire qui conduit au remplacement progressif — notamment dans les terres où les petites exploitations rurales traditionnelles disparaissent — des populations d'implantation ancienne par une nouvelle population d'origine extérieure à la région : résidents secondaires d'une part, néorésidents retraités ou actifs d'autre part7I. Or, on l'a vu, les militants du patrimoine se recrutent pour l'essentiel : au sein de ces nouvelles couches de population. Le mouvement associatif patrimonial est alors pour eux le lieu privilégié d'élaboration et de mise en œuvre de stratégies d'intégration dans la société d'accueil.

Une région d'immigration

Depuis les années 1950, la Haute-Provence a connu des apports continus de­ populations venues, pour l'essentiel, de l'immigration intérieure. De façon schématique, on peut considérer que cette immigration s'est faite selon trois vagues. La première remonte aux années 1950-1960 et concerne plus particulièrement la région du Luberon : artistes, intellectuels et bourgeoisie aisée, essentiellement d'origine parisienne ou marseillaise, achètent d'anciennes fermes ou des maisons de village pour les transformer en résidences secondaires. La seconde vague, dans les années 1970, est celles des néoruraux qui, dans la mouvance contestataire de mai 1968, ont choisi le « retour à la terre ». Les zones désertées de la Haute-Provence deviennent alors une de leurs destinations privilégiées. Cette vague migratoire est formée de personnes jeunes, en rupture avec la société, venues expérimenter en cet endroit de nouvelles façons de vivre. Si une partie de ces premiers immigrants a, depuis, progressivement quitté la région, notamment parmi les néoruraux, une autre y a conservé des résidences secondaires, et un noyau s'y est fixé définitivement. La consultation des données fournies par PlNSEE permet d'avoir des informations plus précises concernant la vague d'immigration actuelle à partir du cas du département des

70 La Haute-Provence abrite deux parcs naturels régionaux, le parc du Luberon, créé il y a vingt ans, et le parc du Verdón, fondé tout récemment. 71 Les statistiques établies par l'iNSEE montrent que l'augmentation de la population dans le département des-Alpes-de-Haute-Provence, qui est continue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, s'est brusquement accélérée dans les années 1980. Ainsi le taux de croissance de la population est-il proche de 10% entre les recensements de 1982 et 1990, et ceci en raison, essentiellement, d'un solde migratoire positif.

35 Alpes-de-Haute-Provence. L'immigration intérieure (autres départements et DOM-TOM), pour la période comprise entre les recensements de 1982 et 1990, représente 92,4 % des personnes nouvellement installées dans ce département. (Les personnes de nationalité étrangère ne comptent donc que pour 7,6 % des immigrés.) Parmi les départements d'origine, celui des Bouches-du-Rhône vient en tête : il fournit, pour cette même période, 25 % du flux migratoire. Si l'on considère la provenance des néorésidents selon les régions administratives, et hormis la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, on trouve au premier rang l'Ile-de-France (23 % ), suivie de la région Rhône-Alpes (16 %) et du Nord-Pas-de- Calais (7,6 %)72. Comme on le voit, ce sont les régions industrialisées et fortement urbanisées — elles incluent les grandes métropoles de Marseille, Paris, Lyon et Lille -, qui sont les principales pourvoyeuses d'émigrés vers le département des Alpes-de-Haute- Provence. En ce qui concerne les « immigrants de quinze ans et plus selon le type d'activité », il est intéressant de noter que non seulement les « retraités » arrivent au second rang (16,3 %), mais que leur proportion est en augmentation régulière depuis 1962 (où ils représentent 9,2 % de l'ensemble des immigrants). Les retraités sont suivis de très près par les «autres inactifs» (16%), puis par les «chômeurs» (12,2%). La proportion de l'ensemble des personnes inoccupées (44 ,5 %) est proche de celle des « actifs » (45,7 %)". Cette dernière vague d'immigration semble toucher assez largement les classes moyennes et populaires. Ainsi la population active arrivée entre 1982 et 1990 est-elle formée dans sa majorité (52,1 %) d'« employés » et de « professions intermédiaires ». Et, avec 15,6 % des immigrants actifs, les « cadres et professions intellectuelles supérieures » viennent au quatrième rang juste après les ouvriers (22,7 %)7\ Même si l'implantation des immigrants semble concentrée dans le sud-est de la Haute-Provence, à proximité des grandes villes et des grands axes routiers (autoroute Marseille-Sisteron), certaines zones reculées et en voie de désertification connaissent aujourd'hui un certain repeuplement (vallée du Jabron, massif des Monges, etc.). Ces données ne sont qu'indicatives et partielles. En particulier, les résidents secondaires ne sont pas pris en compte et nous n'avons pas d'informations sur les appartenances socioprofessionnelles des retraités. Mais, concernant ces derniers, et à partir des indices fournis par le travail de terrain, il semble que les couches moyennes et populaires y soient assez largement représentées. La population de la Haute-Provence apparaît ainsi assez hétérogène : aux autochtones, groupe numériquement le plus important, se sont ajoutées des populations diverses, tant du point de vue de leurs origines géographiques et socioprofessionnelles qu'en ce qui concerne les raisons qui les ont conduites à venir vivre en Haute-Provence.

La commune de Vachère offre une illustration saisissante de l'évolution du peuplement et du caractère composite des nouvelles populations. Une grande partie des maisons du vieux village et des fermes environnantes a été rachetée par des personnes extérieures à la région. Certaines habitations ont été transformées en résidences secondaires, d'autres sont devenues des résidences permanentes. Dans le même temps, la population autochtone n'a cessé de diminuer et les exploitations agricoles, comme les troupeaux d'ovins, encore nombreux dans les années soixante, sont en déclin. À cet égard Pierre témoigne : « Moi, j'ai connu ce village, il y avait dix-sept troupeaux ; maintenant il en reste un. Quand on est arrivé ici, il y a quarante ans, il y avait des tas d'agriculteurs qui avaient des chevaux. Des chevaux, il n'y en a plus, c'est fini ! Il y a peut-être trois ou quatre agriculteurs en tout, c'est tout ». La liste des membres de l'association « Patrimoine de

72 Source : « Les migrants dans les Alpes-de-Haute-Provence », INSliE Provence-Alpes-Côte d'Azur, 1993. 71 Ibid. 74 Ibid.

36 Vachères », qui recrute majoritairement ses adhérents auprès des résidents secondaires et des néorésidents, nous donne une image plus précise de la diversité de la population de la commune. A côté de Pierre, Antoine ou encore Liliane, que nous avons déjà évoqués, et qui sont respectivement artisan retraité, océanographe et institutrice, adhère à l'association un couple venu s'installer dans le village au début des années soixante, dont le mari est artiste peintre et dont la femme, qui s'est longtemps occupée bénévolement du musée municipal, est à l'origine de la création de l'association. De nombreux autres couples sont membres de l'association : parmi eux, on trouve un commandant de bord dont la femme est hôtesse de l'air, un fonctionnaire au sein d'un organisme international, etc. Parmi les personnes encore dans la vie active, un couple venu s'installer à Vachères dans la mouvance néorurale vit de l'élevage et de la fabrication de fromages. Un autre a acheté une ferme au début des années quatre-vingt-dix pour en faire un gîte d'étape. Le mari enseigne la cuisine. La femme est institutrice. Elle a été élue secrétaire de l'association. Parmi les résidents secondaires membres de « Patrimoine de Vachères » il y a un professeur d'histoire-géographie du secondaire qui a été un des membres fondateurs de l'association et son premier président. Il vit et travaille dans la région marseillaise et il est, par ailleurs, un militant regionalste, spécialiste de l'occitan. Un des membres du comité de lecture de la revue Patrimoine de Vachères est professeur d'anthropologie à l'université d'Aix-en-Provence. Un autre adhérent est un « théologien » retraité. Une des élues au conseil d'administration, membre de la première heure de l'association, est sans profession. Avec son mari, lui aussi adhérent, fonctionnaire municipal dans une petite ville du sud de la Provence et originaire d'un village voisin, ils ont acquis une résidence secondaire à Vachères dans les années I960." A côté de ces quelques exemples, il convient d'ajouter les membres de nationalité étrangère, dont un couple d'origine suisse — le mari est assureur —, qui est propriétaire d'un prieuré ; un Suédois qui est, selon notre informateur, « directeur de la bibliothèque Nobel » ; enfin un Belge, dessinateur de profession. L'énumération n'est pas exhaustive : l'association compte presque une centaine de membres, dont une vingtaine d'autochtones, et un volet important de personnes qui ne résident pas à Vachères mais dans les environs. Ces derniers sont soit des membres d'autres associations locales de patrimoine (« Patrimoine de Montsalier », « Les Amis de Villeneuve », « Patrimoine du pays de Forcalquier », etc.), soit des personnalités de la région (maire de Reillane, président du Conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, etc.). Parmi les adhérents de « Patrimoine de Vachères », une majorité ne participe que de façon très ponctuelle aux activités de l'association. En outre, tous les néorésidents n'adhèrent pas à l'association. C'est le cas d'un groupe de « Marseillais », surnommé par certains Vachérois « les doryphores », allusion au fait qu'ils n'ont pas pour habitude de faire travailler les artisans et les commerçants locaux, et dont plusieurs sont chasseurs. Nos informateurs reconnaissent avoir peu de relations avec « les gens des Moulins » (nom du lotissement où vivent les « Marseillais ») et la plupart manifestent la plus grande réserve à leur endroit. L'un d'entre eux, membre eminent de l'association, observe à ce propos : « ils sont peut-être un peu de trop ».

Sociabilité locale et intégration

Au-delà de son objet explicite, l'association « Patrimoine de Vachères » assure une fonction primordiale de sociabilité, en particulier dans le cadre du village. Autour d'une mission a priori largement fédératrice et possédant une forte légitimité culturelle, l'association institue un espace social où, en principe, peuvent se retrouver et interagir les différentes composantes de la population vachéroise : autochtones, étrangers, retraités,

37 actifs, villageois, habitants des campagnes, etc., ceci quels que soient les milieux sociaux et professionnels d'appartenance (artisans, artistes, scientifiques, enseignants, chercheurs, agriculteurs, éleveurs, cadres supérieurs, fonctionnaires, etc.). La création de l'association a permis, en effet, à un grand nombre de vachérois de se rencontrer, de se connaître et, éventuellement, de nouer des liens interpersonnels qui dépassent le cadre des activités de l'association. Anne, qui a une résidence secondaire dans le village, et qui est une des plus anciennes estivantes, témoigne en ces termes au sujet de Pierre : « C'est vrai que l'association l'a mis en contact avec les villageois, parce que avant, comme il habitait en campagne, même à nous, il nous semblait un peu distant... ». Élise, institutrice, secrétaire de l'association et nouvellement installée à Vachère, confirme : « C'est vrai qu'il y a une mise en relation des gens, même pour les membres. Pour quelqu'un qui vient d'arriver comme moi, ça a été un moyen de connaître des gens [...] C'est vrai que je ne me serais pas mise aux boules [allusion à l'association locale de joueurs de boules]... Ça coulait tellement de source. Et puis aussi une envie d'être utile quelque part, et puis le patrimoine c'est tellement essentiel ! ». Gérard, qui possède une résidence secondaire dans la campagne environnante, souligne : « Moi, tous ces gens-là [sans l'association] je ne les aurais jamais connus, en dehors de Pierre que je connaissais depuis mon arrivée ». Il convient de souligner que les enjeux liés à la création de nouvelles formes de sociabilité, dans un contexte marqué par la disparition des anciens cadres de sociabilité, diffèrent selon que l'on est résident secondaire, néorésident permanent, autochtone, ou encore retraité ou actif. Ainsi, pour les résidents secondaires, cette dimension peut apparaître accessoire, dans la mesure où ceux-ci disposent de leurs propres réseaux et structures de sociabilité dans le lieu où ils sont résidents permanents et où ils travaillent. En outre, la résidence secondaire est souvent pour eux un lieu de mise en retrait des contraintes liées à la vie sociale ordinaire et au travail. En revanche, pour les néorésidents permanents, en particulier pour les retraités, dont l'établissement définitif dans une région nouvelle est un facteur supplémentaire de rétraction de l'espace social (ne serait-ce qu'en raison de l'éloignement), la fonction de sociabilité et de (re)socialisation que joue l'association patrimoniale peut constituer un enjeu fondamental.

Vachères est un village perché d'environ deux cents habitants, dont le site, le climat et l'architecture (certains vestiges architecturaux remontent aux XIIIe et XIV* siècles et une partie du village est de style renaissance) ont attiré très tôt l'attention de l'élite intellectuelle et artistique - l'historien d'art Pierre Francastel avait acquis et restauré l'une des chapelles du village. Les habitations et les demeures campagnardes rachetées à partir des années soixante ont été rénovées dans le respect du style original. Vachères est devenu peu à peu un de ces villages « typiques » et préservés de la région du Luberon, prisés par les vacanciers, et où les néorésidents seront bientôt plus nombreux que les autochtones. C'est dans ce contexte qu'a été fondée et que fonctionne l'association « Patrimoine de Vachères ». La création de l'association « Mémoire de la Sasse » s'inscrit dans un contexte à de nombreux égards différents. Le territoire de l'association, qui couvre une région montagneuse au nord de la Haute-Provence incluant la partie amont du torrent de la Sasse, compte plusieurs petits villages et hameaux répartis le long de la vallée principale (Clamensane, , etc.) et de ses vallées adjacentes (Baudinard, Reynier, etc.), dont certains sont désertés l'hiver. Il s'agit d'une région au climat rude, restée sauvage, peu peuplée et marquée par l'émigration. Les monuments et les édifices ayant un intérêt architectural ou historique y sont rares. Malgré la richesse du milieu naturel sauvage (la région a été retenue dans le cadre du programme Natura 2000) et la présence de plusieurs sites remarquables propices aux ballades et aux randonnées, le tourisme reste confidentiel et l'endroit n'a été touché que récemment par la vague d'immigration intérieure comme

38 par le développement des résidences secondaires à l'initiative de personnes étrangères. (Cet endroit est toutefois depuis longtemps un lieu de vacances familiales pour les descendants de familles ayant émigré et qui ont transformé les maisons qu'ils possédaient en résidences secondaires.) C'est à partir du milieu des années quatre-vingt que des néorésidents commencent à s'établir dans la région, en relation notamment avec la réalisation de l'autoroute Marseille-Sisteron qui en rompt l'isolement. Yves, membre fondateur de « Mémoire de la Sasse », est venue s'installer dans les Monges comme éleveur de chèvres au début des années quatre-vingt. Quelques années après il acquiert une ferme dans un hameau isolé où il est l'unique résident permanent. Joël, jeune ingénieur, qui « cherchait par tous les moyens à quitter Paris », s'installe à Clamensane à la fin des années quatre vingt où il ouvre un petit bureau d'étude. Pareillement, Michel, lui aussi ingénieur, « séduit par le site, la vallée, le vide d'habitants » crée à Clamensane sa propre entreprise. Eric, qui depuis une trentaine d'années vient en vacances avec sa famille dans une résidence secondaire acquise avec des amis, s'y est installé définitivement depuis cinq ans. Jardinier-paysagiste, il travaille désormais dans la région. Danielle, qui est originaire d'un des hameaux retirés de la vallée où elle a vécu jusqu'à l'âge de huit ans, est revenue dans la région après quinze années passé à Paris où elle travaillait comme fonctionnaire. Bien que résidant dans une petite ville proche, elle retrouve, dès que possible, le hameau familial. Fanny, originaire de Sisteron, a épousé un agriculteur de l'endroit et seconde son mari sur l'exploitation. Citons enfin René, ingénieur informaticien, qui vit et travaille à Marseille, et qui a acheté, il y a environ une trentaine d'années, une résidence secondaire dans un endroit qu'il a choisi en raison de la qualité du milieu naturel et de la beauté des paysages. Toutes ces personnes sont aujourd'hui des membres actifs de l'association « Mémoire de la Sasse » (Ténumération n'est pas exhaustive). Bien que vivant à proximité et s'étant côtoyées à de nombreuses reprises (au village, sur les marchés, à l'occasion des fêtes patronales, etc.), la plupart de ces personnes n'ont réellement fait connaissance qu'à l'occasion de la création . de l'association. Lors la réunion constitutive de l'association, organisée par Yves, Danielle a fait connaissance « de vingt à trente personnes en même temps [...] Il y avait les parents de Paul, je les connaissais vaguement puisqu'il est originaire de là-haut [le hameau d'où elle- même est originaire]. Disons, quand je me suis présentée, tout le monde est venue me dire : "Bonjour, comment vont vos parents ?" ». Danielle reconnaît que sa participation à l'association lui a permis de nouer des liens avec ceux qui habitent aujourd'hui son village, « parce que quand je suis revenue je ne connaissais personne ». Et elle ajoute : « C'est le fait aussi qu'on s'entende bien [...] Même s'il y a des moments où c'est plus ou moins houleux dans les discussions, on est toujours content quand on vient aux réunions ». La principale activité de l'association consiste dans la réalisation d'un petit bulletin au contenu composite, où chacun collabore en fonction de ses centres d'intérêts et de ses compétences. C'est l'occasion de réunions, sorte de comité de lecture où les propositions d'articles des uns et des autres sont passées au crible. L'association s'est attachée, dès le départ, à ce que chaque membre puisse contribuer à la confection du bulletin, alors que la plupart n'avaient aucune expérience en matière de recherche et d'écriture. À cet égard, l'association a joué pour tous un rôle d'apprentissage dans un cadre collectif et a permis à ceux qui étaient les plus démunis en ces domaines de devenir des collaborateurs à part entière. C'est un aspect que Yves aime à souligner : « Les gens qui écrivent sont des gens qui ont jamais appris à écrire et qui ont souvent commencé par une petite recette, par un dicton... Et puis tout doucement ils ont essayé d'améliorer et leurs sources, et leur qualité d'écriture [...] Au début on était deux à écrire des trucs un peu écrits, on tentait en tout cas ; et puis les gens se sont investis ». Par ailleurs, l'association organise différentes animations (expositions, concerts), participe aux manifestations locales (fête de la randonnée, Oralies). A l'occasion, elle intervient sur des opérations à caractère patrimonial

39 (chantier de restauration, projet de la « route des contes »). A travers toutes ces activités tournées vers la découverte et la mise en valeur du patrimoine, Yves reconnaît que le véritable objectif de l'association « c'est d'essayer de redonner un peu de dynamique à la structure sociale, parce que ça part en quenouille, c'est dramatique. L'épicerie ferme, la boulangerie ferme... Tout part en quenouille. Je pense qu'il est important de redonner aux gens un peu de leur patrimoine, en tout cas qu'ils se retrouvent des racines ».

De façon générale, le foisonnement associatif patrimonial en Haute-Provence — qui, rappelons-le, n'a pas d'équivalent dans le reste de la Provence (Provence littorale et basse Provence intérieure) — trouve une de ses raisons dans le fait que les associations patrimoniales locales, non seulement jouent un rôle de sociabilité, mais sont un des instruments privilégiés d'intégration des néorésidents au sein de la société locale. Alors que le nombre de ces derniers ne cesse d'augmenter, la population autochtone est, en certains endroits, en constante diminution. Aussi coexistent bien souvent sur un même territoire deux catégories de population : d'une part celle des nouveaux habitants, hétérogène à de nombreux égards mais homogène par le capital économique et culturel et son origine urbaine ; d'autre part la communauté des ruraux autochtones, formée d'une population vieillissante, au faible revenu, qui manifeste une certaine défiance à l'endroit des néorésidents. Certains témoignages se révèlent à cet égard très éclairants, par exemple celui de Marie et de Louis. Après que leur projet de créer une communauté eut échoué, ils s'installent dans un hameau isolé où ils ont acheté une maison et où ne demeure plus qu'un couple d'agriculteurs déjà âgés, leurs voisins immédiats. Très vite Louis abandonne l'idée de devenir agriculteur ou éleveur et cherche du travail à l'extérieur. Afin d'assurer la quasi- autosuffisance alimentaire de la famille — le couple a deux enfants —, Marie prend alors la relève de Louis, cultive un potager et élève quelques chèvres pour le lait et le fromage, ainsi que des volailles. Ignorante en matière de jardinage et d'élevage, Marie raconte qu'elle n'a jamais pu demander conseil à ses voisins car ceux-ci refusaient de lui adresser la parole. Ce mutisme durera dix ans. Très prise par ses différentes activités domestiques et par l'éducation de ses enfants, quelque peu échaudée par l'accueil des gens du pays, Marie est restée presque vingt ans sans aller à la ville la plus proche, sauf en des occasions exceptionnelles. Elle est aujourd'hui la principale animatrice de l'association locale 7S.

L'itinéraire de Jean est à bien des égards très différent, mais il illustre aussi les pièges et les ambiguïtés des stratégies d'insertion dans la société locale. Originaire de la région marseillaise, professeur en collège, il choisit dans les années 1970 d'aller vivre dans une vallée isolée du nord de la Haute-Provence. Avec quelques amis néorésidents ou néoruraux, il crée le « Foyer d'animation de la vallée du Jabron », association qui avait alors deux objectifs principaux : réactiver les liens sociaux dans une région touchée par la désertification (en y faisant renaître certaines fêtes comme la Saint-Jean ou le Carnaval.), et développer des formes de tourisme respectant le milieu naturel, susceptibles de créer quelques emplois (découverte de la vallée à partir de randonnées pédestres ou à ski, création de gîtes ruraux). Mais très vite les projets de l'association se heurtent à l'opposition des élus et des propriétaires. Parmi les raisons évoquées par Jean, la question

75 Lors d'un colloque organisé par l'association, à l'initiative de Marie, autour du thème de l'identité et du devenir de ce pays, le discours d'ouverture du conseiller municipal commence en ces termes : « Quand nous nous sommes rencontrés dernièrement avec Madame L. [Marie], j'ai retenu tout particulièrement une de ses réflexions qui m'a provoqué un pincement au cœur. Approximativement, voici ce qu'elle m'a déclaré : "Nombreux parmi ceux qui sont venus s'installer dans nos hameaux ou anciennes communes rattachées se sentent mal accueillis ou mal acceptés par les gens du pays" » {Lepays de Castellane, identité et devenir, actes du colloque, 12-13 octobre 1996, Castellane, Petra Castellana, 1997).

40 de la chasse : les autochtones, pour la plupart chasseurs, s'opposent à l'aménagement de sentiers et de chemins au prétexte que ces aménagements pourraient amener des touristes sur leurs lieux de chasse. Après plusieurs échecs et face aux réticences des gens du pays, l'association est restée un temps en sommeil. Mais en 1989 Jean a l'idée de lancer une section "Patrimoine" et fait appel aux bonnes volontés locales...

Le cas d'Armand et de sa femme Claire est un autre exemple d'échec en matière d'intégration, alors que, en l'espèce, les conditions apparaissaient a priori très favorables. Claire descend d'une famille originaire d'un petit village proche de Forcalquier. Armand, aujourd'hui à la retraite, exerçait la médecine dans la région marseillaise, où le couple habitait. Il y a une quarantaine d'années, Claire et Armand ont commencé à séjourner régulièrement au village, où Claire possède une maison et où elle a gardé des liens avec les membres de sa famille. Longtemps ils sont venus avec leurs enfants en période de vacances scolaires. Dans les années soixante-dix, le couple décide de s'installer définitivement dans la région après la retraite d'Armand et fait construire une maison non loin du village. Tout deux s'inscrivent sur les listes électorales. Entre-temps, Armand et Claire avaient adhéré à « Alpes de Lumières » mais, souligne Armand, comme simple « consommateurs » : ils étaient alors essentiellement intéressés par la revue qui leur permettait de découvrir le pays et d'organiser des ballades et des randonnées avec leurs enfants. À l'occasion d'une rencontre avec Pierre Martel, ils acceptent de devenir correspondants de l'association pour le village. C'est le début d'une participation à: l'association d'autant plus active que, malgré les liens familiaux de Claire, le couple n'a jamais eu le sentiment d'être adopté par les villageois. À la suite d'une randonnée de plusieurs jours organisée par « Alpes de Lumière », dans ce « haut lieu » — comme le note Armand — qu'est la montagne de Lure, Armand et Claire nouent des relations avec les . participants. En relatant cet épisode, moment fondateur pour le couple en ce qu'il a radicalement transformé son rapport à la région et l'a introduit dans l'univers d'« Alpes de Lumière », Armand souligne : « On a alors vraiment connu le pays, le Contadour, les Fraches, l'Ortiguière... On a connu des gens, on a connu les quarante [participants], et sur,» les quarante, il y en a une bonne moitié qu'on a continué de voir après. C'est important parce que ça nous a permis de mieux nous intégrer quand on est venus habiter ici. On avait quelques cousins, mais bon ! ». Concernant sa femme il enchérit : « C'est par eux [« Alpes de Lumière »] que ma femme s'est intégrée, à travers la chorale. La chorale, c'est Claude Martel pa femme de Pierre Martel] qui l'avait créée, ce n'était pas « Alpes de Lumière », mais enfin c'était la même mouvance. C'est absolument par l'association qu'on a pu s'intégrer au pays ». Et plus loin, au sujet des difficultés d'insertion des néorésidents, il observe : « S'ils se sont incorporés si vite, en quelques dizaines d'années, c'est grâce à la connaissance du pays diffusée par "Alpes de Lumière". Parce que les gens du pays, ils vous adoptent pas comme ça, si vous n'avez pas trois générations enterrées ! ». Armand et Claire sont aujourd'hui membres de deux autres associations patrimoniales : « Les Amis des Mées », et « Patrimoine du pays de Forcalquier ». On pourrait multiplier les exemples illustrant la défiance des autochtones à l'endroit des néorésidents. A ce sujet, Louis observe : « Il y a une certaine incommunicabilité, je pourrais dire, entre nous et les gens du pays, ou qui se considèrent du pays, parce que, des fois, ils ne sont pas du pays depuis très longtemps, mais ils font partie des clans, et nous, nous sommes un peu en dehors, nous sommes des recampadis1''. Les recampadis, c'est un terme péjoratif, un peu péjoratif parce qu'il y a de bons recampadis et des mauvais ».

76 Terme provençal qui signifie, avec une connotation péjorative, « Celui qui est nouvellement arrivé ou établi dans le pays » (F. Mistral, Lou trésor dou Feübrige, 1886).

41 Une sociabilité élective

Les associations à vocation patrimoniale apparaissent comme une tentative des néorésidents — qui en sont les principaux animateurs — pour se concilier les populations autochtones. En effet, étant donné ces tensions, le champ de l'étude et de la sauvegarde du patrimoine local offre plusieurs avantages. Tout d'abord, les domaines de la culture et du savoir historique et ethnographique sont des domaines a priori peu conflictuels. Ensuite, les activités patrimoniales peuvent être un moyen privilégié, pour les néorésidents, de tisser de multiples liens avec la population autochtone — à l'occasion, par exemple, de la collecte de témoignages oraux, de la réalisation d'expositions, etc. —, ce qui facilite la connaissance mutuelle. Enfin, la sauvegarde du patrimoine est vécue par ses acteurs comme désintéressée et ayant des visées altruistes louables, puisqu'il s'agit de témoigner et de redonner une certaine dignité à des cultures et à des populations longtemps tenues dans le mépris. Ainsi Antoine insiste-t-il sur le caractère « désintéressé » et « sans visée politique » de son engagement. Il précise que lui et sa femme ont même refusé de s'inscrire sur les listes électorales, inscription à laquelle ils pouvaient prétendre en tant que propriétaires d'une résidence secondaire. Jeanne, quant à elle, souligne l'importance qu'elle accorde au devoir de mémoire : « Moi j'ai connu cette vallée... J'y ai vu travailler les gens. La vie était difficile et, si vous voulez, c'est par une sorte d'hommage à tout ce que ces gens ont fait que j'essaye de faire en sorte que ça ne se perde pas... Je sais qu'ils ont eu la vie dure. Je ne sais pas ce qu'ils étaient, que ce soit des membres de ma famille ou d'autres. Mais enfin ils ont eu la vie dure ! Aussi j'essaye de garder le témoignage de cela ». Pour nombre de nos informateurs, l'adhésion et la contribution des gens du pays aux associations locales de sauvegarde du patrimoine devraient aller de soi. À cet égard Anne observe : « L'idée de l'association, c'était de conserver le patrimoine, c'était le patrimoine de leur village. C'est pas nous qui allions l'inventer le patrimoine ! C'est pour ça qu'il faut les faire participer ». De même, Yves souligne que l'objectif du bulletin de l'association, qui est distribué gratuitement aux habitants des différentes communes de la vallée, « c'est plutôt d'impliquer les gens dans leur patrimoine [...] De faire comprendre aux gens qu'en fait ils ont un patrimoine et qu'ils doivent le découvrir par eux-mêmes ». À l'origine, le bulletin a été conçu pour associer les lecteurs autochtones aux travaux de l'association, notamment en suscitant des témoignages, et des réponses aux demandes d'information formulées dans le bulletin (questions sur l'usage de tel ou tel outil, sur les ruches dans les maisons, etc.).77 Sur cet aspect, un des membres de l'association constate, désabusé : « On a essayé au démarrage d'inciter les gens à écrire, à collaborer... Il y a eu deux réponses ! ». La plupart des informateurs, qui déplorent l'absence des gens du pays dans leurs associations, s'accordent aussi à penser que ceux-ci n'ont pas conscience de l'importance du patrimoine en général et du leur en particulier. « Les gens d'ici, ils ne connaissent pas leur patrimoine, affirme ainsi un informateur, ils ne savent pas ce qu'ils ont... On fait le travail qu'il faut, mais effectivement ils ne s'en préoccupent pas, c'est vrai. Maintenant ils commencent un peu à s'intéresser à leur histoire. » Et d'ajouter : « Les gens qui habitent dans les villages, ils ne connaissent pas la valeur des choses, ils vivent dedans, ils vivent avec. Ils ne voient pas comme nous. Quand on voit un outil, nous on voit la beauté des choses ». Pour illustrer le

77 On peut lire dans le premier numéro du bulletin : « Nous cherchons tous les éléments permettant d'éviter que les pratiques d'autrefois ne tombent dans l'oubli. Qu'il s'agisse d'objets, de lieux, d'histoires ou de traditions... Tout nous intéresse. N'hésitez pas à prendre contact avec nous. Les sujets les plus significatifs pourront faire l'objet d'une publication reprenant la synthèse des informations recueillies .» Mémoire de Li Sjsse,n° 1, juin 1993.

42 désintérêt des autochtones à l'égard de la vie passée, Mathieu rapporte avec amusement que les gens du pays le surnomment lo pichón dei ravans1% ou encore Mathieu des vieilleries...

Pour sensibiliser les gens du pays à la question patrimoniale et tenter de les recruter en plus grand nombre, certaines associations mettent en place des manifestations et des animations qui leur sont plus particulièrement destinées. L'association « Patrimoine de Vachères » organise depuis quelques années, chaque été, au mois d'août, un grand banquet champêtre où, autour d'un plat principal préparé par un des membres, les villageois sont invités à apporter un mets complémentaire de leur choix (entrée, dessert, fromages, etc.). Le premier de ces repas a réuni une trentaine de personnes ; très vite le nombre des convives a atteint la centaine. Concernant la participation des autochtones aux associations patrimoniales, l'association « Les Amis des Mées » offre un exemple intéressant. On a vu qu'elle constituait une exception dans la mesure où elle réunissait parmi ses membres actifs une majorité de personnes originaires du lieu. Or, le village des Mées, situé en bordure des riches terres de la vallée de la Durance, est une agglomération importante79, où l'activité économique, en particulier dans le secteur agricole, est très dynamique. Le phénomène des néorésidents et des résidences secondaires y est peu développé et touche essentiellement des descendants de familles originaires de la région. Par ailleurs, à côté des travaux savants autour du patrimoine et de la mémoire, l'association a, dès le départ, joué un rôle important dans l'animation festive et culturelle de la localité, rôle qui est d'ailleurs spécifié dans ses statuts". En outre, afin de maintenir les liens entre ses membres, elle s'attache à développer les activités de convivialité. Ainsi, les tâches et les activités collectives (sorties de découverte, chantiers de restauration, etc.) et les multiples réunions (assemblée générale, conseil d'administration, réunions à caractère technique où scientifique, etc.) constituent- elles des occasions privilégiées d'agapes où chacun participe en apportant un plat de sa confection. De même, les anniversaires des membres sont célébrés par un repas collectif. À l'égard de cette dimension festive et conviviale, Marc souligne : « Quand on fait les chantiers, on s'amuse bien, on mange bien aussi, on travaille bien ensemble [...] Si on était pas bien les gens ne viendraient pas ». Au plan de la vie locale, outre la réalisation de petites expositions périodiques, l'association a relancé la fête de carnaval, tombée en désuétude dans les années 1930. À l'occasion de la restauration du four communal d'un hameau voisin, elle a institué une fête du pain avec des dégustations et des spectacles folkloriques, fête désormais renouvelée chaque année, dont l'organisation a été reprise par une association du lieu. De même, en 1995, en relation avec la coopérative oléicole et la municipalité, l'association « Les Amis des Mées » a créé la fête de l'olivier. Elle organise, par ailleurs, différentes manifestations et événements comme, par exemple, une opération de vente de plants de fleurs (pour inciter la municipalité et les villageois à fleurir le village), ou encore, chaque dernier dimanche de novembre, un « salon des antiquaires ». L'importance prise par ce type d'activités fait dire à Marc : « Parfois on a plus l'impression de faire le travail d'un comité des fêtes qu'un travail de recherche ou de mémoire [...] Si on a envie de le faire et qu'on trouve des gens qui sont motivés, on fait n'importe quoi ! ». Malgré les efforts de certaines associations, et hormis de rares exceptions, force est de constater l'extrême réticence des autochtones vis-à-vis du mouvement patrimonial. Parmi ceux qui adhèrent aux associations, seul un petit nombre y participe activement. Au sein de

78 Le petit des vieilleries. 79 II comptait 2601 habitants en 1990 (source INSEE). 80 L'objet complet de l'association est défini en ces termes :«[...] de favoriser les recherches sur l'histoire locale des Mées et de ses environs, de diffuser par tous les moyens le résultat de ces recherches parmi les habitants et toutes les personnes intéressées, et d'une maniere plus générale, de participerà l'animation du village ».

43 notre groupe d'informateurs, on compte deux personnes autochtones présidant une association patrimoniale ; l'une, agricultrice, a longtemps milité (et travaillé) au sein d'« Alpes de Lumière » avant de créer sa propre association ; l'autre est institutrice. Cinq autochtones sont devenus des chercheurs amateurs et contribuent aux productions savantes de leur association. Deux sont enseignants. Deux autres travaillent dans l'agriculture et l'élevage. Un autre enfin est technicien de laboratoire.

Un des aspects les plus flagrants de la faible participation des gens du pays aux associations patrimoniales est lié aux activités qui relèvent du domaine du savoir, et plus particulièrement de la diffusion et de la production de connaissances (historiques, ethnologiques, naturalistes, etc.). Ainsi, la participation active à ces associations nécessité-t­ elle un certain bagage culturel ainsi que des compétences en matière de recherche et d'écriture (travail sur les archives, lecture de documents historiques, rédaction d'articles ou d'ouvrages, etc.). Nous avons vu à cet égard que l'association «Mémoire de la Sasse» fonctionne comme un atelier d'écriture. Cela vaut pour la plupart des associations où, si besoin est, on fait appel aux compétences des uns et des autres pour, selon le cas, élaborer, rédiger et corriger textes et écrits. Concernant l'élaboration des articles et des ouvrages publiés par l'association « Les Amis des Mées », Marc explique : « Moi, ça ne me pose pas de problème pour le faire [rédiger], après j'ai recours à d'autres, par exemple à Josiane pour les corrections, à Jean-Pierre... Après on se passe le texte, on rectifie, on améliore, on corrige. Moi je fais le débroussaillage ». Aussi les associations savantes à vocation patrimoniale se montrent particulièrement discriminantes à l'endroit de tous ceux qui, du fait de leur origine sociale, ou de leur itinéraire scolaire et professionnel, sont exclus du champ de la culture cultivée et des pratiques savantes. Ce phénomène concerne plus particulièrement les populations rurales autochtones, généralement peu familiarisées avec le monde de la culture savante. En outre, probablement par une réaction obsidionale, certains autochtones manifestent un vif rejet de toute activité relevant des sphères intellectuelles et culturelles, et donc des associations patrimoniales. Cette discrimination touche, également les résidents secondaires et les néorésidents non autochtones de milieux populaires, dont beaucoup sont des descendants de familles gavottes ayant émigré vers les grandes métropoles voisines comme Marseille, et dont les loisirs s'organisent autour de la chasse, de la cueillette des champignons, des jeux de boules...

Malgré les intentions affichées par leurs animateurs, les associations patrimoniales constituent le lieu d'une sociabilité éminemment élective où se retrouve, au-delà des appartenances politiques ou confessionnelles81, l'élite locale sensible à la problématique de la préservation du patrimoine. Cet aspect a été déterminant dans l'adhésion de certains de nos informateurs à l'association locale. C'est ce que laisse entendre Élise lorsque, évoquant son intérêt pour l'association « Patrimoine de Vachères », elle souligne «Je ne me serais pas mise aux boules ! ». Plusieurs autres associations existent en effet à Vachères : la Société des boulistes, le Foyer rural, le Comité des fêtes, la Société de chasse, l'Association des parents d'élèves, etc. Mais ces associations, que l'on retrouve dans la plupart des communes rurales, et dont certaines ont des objets très spécifiques, répondent aux besoins des autochtones et sont généralement administrées par ces derniers. La situation est analogue à Viens où l'association « Les Amis de Viens » rassemble les résidents secondaires

81 L'association « Patrimoine du pays de Forcalquier » mentionne dans son bulletin : « L'association est fondée par des personnalités d'origine professionnelle diverse mais complémentaires, toutes profondément attachées à notre région soit par naissance, soit par adoption. Elle observe une stricte neutralité politique ou religieuse », Patrimoine du pays de Yorcaquier, n° 1, s.d.

44 et les néorésidents — ces derniers étant en majorité des cadres « jeunes retraités ». Les autres associations locales, en particulier le Comité des fêtes, la Maison des jeunes et le Club du troisième âge, recrutent essentiellement leurs membres parmi les gens du pays. Claire, présidente de l'association « Les Amis de Viens », originaire de Marseille et qui possède une résidence secondaire à Viens, par ailleurs responsable d'une Maison des Jeunes et de la Culture, observe à ce sujet : « [au Comité des fêtes] il n'y a que des locaux et différentes tranches d'âges — il y a un ou deux jeunes qui ont la trentaine. Ils font des repas qui sont très prisés où les gens viennent de tous les villages aux alentours [...] Et puis il y a le Club du troisième âge. Ça c'est une institution ! Nous on a les jeunes retraités ; eux ils ont les vieux retraités. Nous on a les retraités cadres ; eux ils ont les retraités prolos et locaux, ils ont les Viensois de souche et tous les Viensois d'adoption qui sont de milieux populaires. Il y en a quelques-uns qui participent aux deux ».

45 UNE COLONISATION DOUCE ?

Au-delà d'un objectif d'intégration dans la société locale, l'engouement pour le patrimoine participe d'une tentative apparemment obligée d'appropriation de l'espace social et culturel, dont les enjeux sont à la fois humains, économiques et idéologiques. Les amateurs de patrimoine, résidents secondaires ou néorésidents permanents, ont choisi la Haute-Provence pour son milieu naturel et ses villages préservés, pour l'authenticité présumée de ses hommes et de leur culture, pour des conditions de vie et de travail plus harmonieuses, plus naturelles, plus paisibles. En contrepoint, tous dénoncent la dureté et la dégradation constante des conditions de vie en milieu urbain : pollution, stress, augmentation de l'insécurité, anonymat, etc. Or, actuellement, la question de la reconversion économique de certaines parties de la Haute-Provence se pose avec acuité. Pour nombre d'entre elles, le tourisme apparaît comme une voie privilégiée du développement local. Mais quelle sorte de tourisme et au profit de qui ? Un tourisme de masse créateur d'emplois — et qui de ce fait aurait l'adhésion des autochtones — serait susceptible de troubler la tranquillité des néorésidents et risquerait, selon l'un d'entre eux, de « polluer la nature ». Les rares projets industriels rencontrent, pour les mêmes raisons, une farouche opposition des néorésidents et des résidents secondaires. Un clivage se dessine donc entre des autochtones qui voudraient bénéficier le plus possible des mannes éventuelles d'un développement économique fondé en particulier sur l'industrie touristique, et les néorésidents soucieux de préserver leurs verts paradis. Plus généralement, ces derniers cherchent à faire prévaloir leurs conceptions, tant dans le domaine des rapports à la nature que dans celui des modes de vie. Le mouvement patrimonial apparaît alors comme un instrument privilégié de redéfinition de la légitimité culturelle où les relations entre néorésidents et communautés autochtones occupent une place centrale.

Imaginaire néorural et valorisation des traditions

La curiosité des passionnés de patrimoine pour les modes de vie anciens relève en partie d'un imaginaire quelque peu fantasmatique. Ainsi ont-ils tendance à idéaliser des époques où, à leurs yeux, la vie était certes plus dure, au plan matériel notamment, mais aussi « plus authentique », « plus naturelle » et où « les gens avaient encore une certaine sagesse ». Leurs travaux sur le passé répond à leur désir de « rechercher la vie traditionnelle », de « vivre au plus près de la nature et des ressources locales ». Les choix de Marie et de Louis illustrent à certains égards une telle vision : ils ont restauré leur maison en en respectant la facture originale et ils l'ont aménagée et équipée avec de la vaisselle et des meubles anciens récupérés dans les décharges. Marie a appris à filer la laine de ses chèvres et à tanner le cuir ; elle lave son linge au lavoir et recherche, à travers l'élevage et le jardinage, l'autosuffisance alimentaire. S'ils se sont refusés jusqu'à présent à posséder la télévision, comme tout équipement électroménager moderne (ils n'ont pas de congélateur et leur réfrigérateur est réservé à la seule conservation des fromages de Marie), Marie et Louis n'en sont pas pour autant opposés totalement au progrès technique et aux améliorations qu'il peut éventuellement leur apporter. Ainsi ont-ils mis une clôture électrique autour du jardin afin de le protéger des incursions des sangliers. Et ils utilisent l'informatique pour la gestion du conservatoire. Il est intéressant de noter que Marie et

46 Louis, qui se sont attachés à perpétuer une agriculture de type traditionnel, expriment une certaine réserve à l'égard de leurs nouveaux voisins, un couple de jeunes éleveurs qui a choisi l'élevage des chèvres en raison des possibilités de subventions, et qui utilise des méthodes d'élevage nouvelles. Ainsi, ces bergers des temps modernes parquent leur troupeau, au lieu de laisser vagabonder les chèvres, et dans ce but ils ont édifiés des enclos tout en détruisant, au grand dam de Marie, les vestiges d'anciennes terrasses. Par ailleurs, ce couple nouveau venu ne s'intéresse nullement aux travaux historiques et ethnographiques de l'association.

Yves et sa femme Lucile s'inscrivent également dans ce mouvement de recherche d'une vie audientique et proche de la nature. Ils vivent essentiellement des produits d'un élevage extensif de chèvres rustiques : fromages qu'ils écoulent sur les marchés de la région et chevreaux pour la boucherie. Toutefois cette activité ne permet pas toujours d'assurer le quotidien. Aussi Yves et Lucile cherchent-ils à développer des activités annexes liées au tourisme vert (gîte d'étape, etc.). En outre, Yves participe, avec différents acteurs locaux, à la mise en place d'une politique de développement de produits de terroirs labellisés dans le cadre, notamment, de l'association « Producteurs fermiers du massif des Monges ». La rubrique du bulletin Mémoire de la Sasse consacrée à la création de cette association précise : « Les produits fermiers sont une identité forte de notre pays [...] Le producteur fermier produit en un lieu donné avec son savoir-faire et ses techniques traditionnelles »82. Le couple vit depuis une dizaine d'années dans un hameau reculé, relié au premier village par un étroit chemin communal creusé à flanc de montagne. L'hiver, lors des périodes de mauvais temps ou de neige, le hameau peut rester isolé plusieurs jours.

Les aspirations d'Antoine participent de ces idéologies qui préconisent le retour à la terre et un mode de vie et de production respectant les « rythmes de la nature ». Spécialiste de la faune marine de l'Adantique, il est venu vivre à Marseille pour se spécialiser en océanographie, mais il ne s'est jamais totalement accoutumé à cette ville ; sa résidence secondaire de Vachères, où il pense s'installer à la retraite, lui permet d'échapper à une vie citadine « artificielle » faites d'obligations et de mondanités, pour mener une vie retirée — conforme à son « caractère janséniste » —, proche des modes de vie anciens, et en étroite intimité avec la nature. Il souhaiterait que l'association intervienne plus qu'elle ne le fait sur la protection du patrimoine, tant en matière d'habitat traditionnel (pour éviter, par exemple, la réalisation de baies vitrées et de grandes ouvertures qui n'appartiennent pas à la tradition architecturale locale et qui sont contraire au confort thermique83), que dans le domaine du milieu naturel et de la flore.

Tous les amateurs de patrimoine sont loin d'adhérer aux conceptions radicales de Marie et de Louis, de Yves et de Lucile ou encore d'Antoine, mais tous manifestent, peu ou prou, une même sensibilité en ce qui concerne les bienfaits d'un mode de vie plus naturel, la nécessité de préserver la nature sauvage comme les paysages façonnés par une culture millénaire, le maintien et, éventuellement, la réintroduction de pratiques traditionnelles dès lors qu'elles apparaissent mieux adaptées au contexte local ou plus respectueuses des équilibres fondamentaux du milieu naturel. Rappelons à cet égard, que la

82 Rubrique « Naissance », Mémoire de la Sasse, Baudinard, n° 7, juillet 1995. 81 Concernant l'habitat rural traditionnel en Haute-Provence, beaucoup croient que l'étroitesse des ouvertures et des fenêtres marque l'adaptation à des conditions climatiques caractérisées par un fort ensoleillement, et assure un confort thermique optimal. De fait, cette conception architecturale résulte des contraintes imposées par les matériaux ainsi que les techniques de construction, à l'époque rudimentaire.

47 plupart des associations patrimoniales incluent dans leur objet le patrimoine naturel et que la création de plusieurs d'entre elles a eu pour origine la mobilisation des habitants contre des projets industriels jugés menaçants pour l'environnement. C'est le cas de l'association « Les Amis de Viens », née de l'opposition à l'implantation d'une décharge de déchets ultimes sur le site d'une ancienne carrière d'argile de la commune. L'association reste aujourd'hui très vigilante en matière de protection de l'environnement : Claire, sa présidente, est une militante écologiste très engagée qui, bien avant de participer activement à l'association « Les Amis de Viens », militait au sein de « Luberon Nature ». La fondation, en 1980, de l'association «Les Amis de Villeneuve», a été suscitée par la volonté de villageois néorésidents de protéger un site menacé par l'exploitation d'une carrière, site qui, de surcroît, abritait les ruines d'une chapelle et quelques vestiges archéologiques. Toutefois, en matière de préservation du patrimoine naturel, la plupart des associations limitent leurs actions à la connaissance de la faune et de la flore locales (par le moyen d'observations, d'articles et de conférences de spécialistes, d'expositions) ; elles n'interviennent que de façon exceptionnelle sur des questions polémiques relatives à la préservation du milieu naturel. Les associations de protection de la nature sont en effet nombreuses dans la région, qu'ils s'agissent d'associations d'initiatives locales ou d'antennes d'associations nationales ; les amateurs de patrimoine peuvent en être membres à titre individuel. C'est le cas de Jeanne qui est depuis peu adhérente — « personnellement », tient- elle à souligner— d'une association qui a pour objet la défense du Jabron et de son environnement, association créée à l'initiative d'un agriculteur néorural partisan de l'agriculture biologique, qui souhaite par ailleurs mettre fin aux abus d'un des plus importants agriculteurs de l'endroit. Celui-ci est accusé en particulier d'avoir « défoncé » le lit du Jabron au moyen d'un bulldozer pour y installer d'énormes pompes à eau nécessaires à l'arrosage de ses champs de maïs, limitant ainsi l'accès à l'eau pour les autres usagers, en particulier l'été. De plus, il déboise systématiquement ses terres, ainsi que toutes celles qu'il rachète, pour les planter en mais. Jeanne considère que, non seulement la culture à grande échelle du maïs est inadaptée dans une région d'altitude où l'eau est rare, mais que les initiatives de cet agriculteur menacent les équilibres naturels (destruction de la faune et de la flore du Jabron ainsi que de la couverture boisée) et transforment le paysage, ce qui est dommageables à une région dont le principal atout réside en son milieu naturel préservé, et dont l'avenir économique dépend en grande partie, selon Jeanne, du développement du tourisme. La discrétion de principe des associations patrimoniales sur tout ce qui touche aux questions des usages légitimes de la nature semble avoir pour principal motif le souci d'éviter tout conflit avec la population autochtone, en particulier sur des sujets aussi brûlants que celui de la chasse 84. À cet égard, certains défenseurs du patrimoine, tout en réprouvant les « excès » liés à cette pratique, n'en considèrent pas moins qu'on ne peut la condamner dans la mesure où elle relève de la tradition.

Pierre constate, non sans nostalgie, la quasi-disparition de l'agriculture et de l'élevage à Vachères. Dans les premières années de son installation dans la région, il a tourné un film sur les paysans, alors encore nombreux, et a réalisé plusieurs reportages photographiques sur les métiers ruraux traditionnels. En matière de construction et d'habitat il souligne la pertinence de certains usages locaux et cite l'exemple des enduits extérieurs à base de chaux : remplacés, à partir de la fin du XIX' siècle, par des enduits à base de ciment, qui offraient plusieurs avantages mais rendaient l'intérieur des maisons humides, ils sont

84 L'association « Regain » était membre de « France Nature Environnement ». Afin de ne pas se couper de certains acteurs locaux, elle a dû mettre fin à une adhésion qui lui donnait une image d'association écologiste.

48 aujourd'hui réhabilités en raison de leur perméabilité85. Pierre fait également l'éloge de la technique, ancienne, des calades (chaussées de pierre) qui, contrairement aux chaussées goudronnées actuelles, permet à l'eau de pluie de s'infiltrer, limitant ainsi les écoulements torrentiels. Les amateurs de patrimoine sont particulièrement sensibles à la préservation et, éventuellement, à la redécouverte des traditions architecturales comme au respect du style local. Ainsi Marie manifeste sa réprobation vis-à-vis de la restauration de la grande place de Castellane faites sur le modèle « d'une place de ville contemporaine complètement atypique » et qui, en outre, ne tient pas compte des besoins spécifiques des villageois, comme ceux liés au marché hebdomadaire, tout en faisant la part belle aux cafés et aux restaurants saisonniers (vastes terrasses, etc.). Marie s'élève contre les constructions ou les réhabilitations qui, selon elle, rompent avec le style local, voire « défigurent » la ville. Évoquant un lotissement de pavillons réalisé récemment, dont les toits sont à quatre pentes, elle observe : « Ici, il n'y a pas de maisons à quatre pentes, on a des maisons à une pente. Ça, c'est une image de la Provence qui est fausse ». Et elle ajoute : « Ça paraît une évidence de respecter l'identité environnementale du pays, du village ! ». Toujours au nom de la tradition locale, Marie exprime la plus grande réserve à l'endroit de la mode actuelle de « colorisation » dans les tons ocres ou rouges des enduits extérieurs des habitations, associée à l'encadrement des fenêtres par de larges bandeaux de couleur blanche. Elle souhaiterait que l'on retrouve, et que l'on utilise, les anciens enduits à la chaux de couleur verte. Aussi nombre d'associations patrimoniales se donnent pour mission de sensibiliser les municipalités et les habitants au respect de l'architecture locale et de l'urbanisme villageois. Dans ce but, la section Arts, lie et traditions de l'association « Le foyer d'animation" de la vallée du Jabron» a organisé, en 1994, une exposition sur l'habitat dans la vallée. Dans l'article du bulletin de l'association qui rend compte de cette exposition on peut lire : « [...] l'équipe du Contaire dau Jabron a réalisé cette exposition : d'abord pour fixer sur la pellicule les formes, les couleur, les masses qui toutes veulent dire quelque chose et ensuite pour sensibiliser la population au fait que dans une région où existe de tels témoignages de la vie des hommes, on ne peut faire n'importe quoi. Imaginez un chalet savoyard, ici, à côté d'une ferme XVIIe! Pourtant, quel gâchis parfois... Restaurer ou construire, ce n'est pas "mal imiter" mais c'est savoir assurer une continuité entre ce qui était et notre mode de' vie actuel ; c'est asseoir la création moderne dans son environnement historique, c'est doser l'alliance entre l'ancien et le moderne w86. Généralement les associations patrimoniales cherchent à intervenir auprès des municipalités soit pour les inciter à réhabiliter certains édifices ou éléments du paysage villageois, soit, à l'inverse, pour s'opposer à des aménagements ou à des réalisations qu'elles jugent contraires à l'harmonie architecturale locale. L'association « Les Amis de Viens », outre ses actions dans le domaine de la sauvegarde du petit patrimoine et du patrimoine religieux, est intervenue afin d'empêcher la construction de logements sociaux en surélévation de l'ancien four communal, bâtiment que l'association avait contribué à sauvegarder. Elle objecte alors « les incertitudes entourant une telle opération qui modifierait le dégagement nécessaire des abords d'une demeure chargée d'histoire »87. Les membres de cette association sont particulièrement soucieux de l'esthétique urbaine. Ainsi ont-ils peint les portes métalliques

85 Notons que, il y a quelques années encore, la mode en matière de restauration des habitations rurales était celle de la pierre apparente, mode lancée dans les années 1960 par les premiers résidents secondaires (bourgeoisie et élite intellectuelle), et qui s'est, depuis, largement popularisée. Aujourd'hui l'enduit à la chaux tend à s'imposer selon des considérations techniques et de redécouverte des traditions, devenant ainsi le nouveau critère de « distinction ». Notons qu'« Alpes de Lumière » préconise l'usage de l'enduit à la chaux. 86 Lo contain diu Jabron, n° 21, novembre 1994. 87 «Conservation du patrimoine, actions et interventions diverses », Le cahier des Amis de Viens de 1987 à 1994, Viens, 1995 (?).

49 des cinq transformateurs électriques de la commune « dont l'éclat agressif écorchait le regard »8S.

Dans le même esprit, la fondatrice d'une association patrimoniale, lors d'une visite de la ville de Forcalquier réunissant un petit groupe de néorésidents retraités, vitupère le désintérêt de la municipalité vis-à-vis de la dégradation de certains bâtiments et éléments d'architecture (portes, gypseries, etc.) de la vieille ville présentant, selon elle, un intérêt historique. Elle déplore tout particulièrement l'indifférence des propriétaires, gens du pays, à toute considération d'ordre esthétique lorsqu'ils effectuent des travaux sur leurs habitations, même lorsque celles-ci sont classées au titre des Bâtiments de France. Certains des promeneurs présents en ont conclu que ces gens-là « n'avaient pas de goût et étaient incultes ». Ainsi, au nom du « bon goût », de la « culture » et du respect de « l'identité locale », il s'agit en quelque sorte d'imposer un ordre esthétique qui valorise certaines des caractéristiques (architecturales, techniques, décoratives, etc.) de l'habitat « traditionnel », et qui stigmatise les aménagements et les constructions récentes qui s'en écartent trop 89. Notons que les intérieurs des maisons des amateurs de patrimoine reflètent leur attrait pour le « traditionnel » et « l'authentique » : le bois et les matières naturelles dominent (meubles rustiques ou néorustiques, tables de ferme, chaises en bois et paille, poutres apparentes, vaisselles de terre cuite ou de faïences rustiques anciennes, etc.), la pièce principale est équipée d'une cheminée ou d'un poêle à bois ; d'anciens objets de la vie quotidienne paysanne (vanneries, outils, objets domestiques, etc.) sont exposés çà et là.

Représentation du passé et captation de la mémoire

Les chercheurs de patrimoine se défendent avec vigueur d'être des « passéistes » ; pour eux, le travail sur la mémoire, la connaissance et la compréhension du passé sont indispensables à la construction de l'avenir. Cet argument en forme de postulat est au centre de tous les discours justifiant les actions à caractère patrimonial, sans qu'il soit toutefois véritablement explicité ni étayé. Dans un long editorial du bulletin Lo contain dau Jabron, Jean, fondateur et président de l'association « Le foyer d'animation de la vallée du Jabron », répond à ses détracteurs en ces termes : « L'étude et la conservation du patrimoine sont considérées par certains comme des activités passéistes soumises à l'esprit de clocher, refuge de "gens qui sont nés quelque part et considèrent qu'ailleurs il n'y a pas mieux". Ces critiques peuvent être justifiées lorsque l'activité de recherche reste limitée, anecdotique et parcellaire. [...] Notre souci constant reste qu'à la lumière du passé s'éclaircisse l'avenir90 (la climatologie ne permettrait-elle pas de prévoir les cultures possibles pour demain ?). Les pratiques, connaissances, savoir-faire, transmis de génération en génération, ne doivent pas tomber dans l'oubli (qui se souviendra des règles du jeu de boules provençal pratiqué dans la vallée : 2 pour pointer, 4 pour tirer ?). A l'ère de la communication à tout

88 Ibid. 89 Un article du journal Le PrvvençaL, daté du 3 février 1997, loue en ces termes le rôle de ces associations : « Il faut savoir gré à ces petites associations locales [...], dont les adhérents sont pour la plupart issus d'autres régions, voire "étrangers", d'oeuvrer à la restauration de notre patrimoine [...]. C'est aussi en partie grâce Aux amis de Lurs que le village a aujourd'hui l'image d'une jolie cité de caractère, car sans les amoureux des belles pierres [...], il aurait pu devenir un de ces villages qui ne vaut pas le détour malgré son site exceptionnel et son riche passé historique ». 1,0 Souligné par nous.

50 crin, de la photo, de l'ordinateur et de la vidéo, nous avons les moyens et le devoir de tout conserver ». Plus loin il ajoute : « La technique des magnans, les chants, les anciennes recettes et les fleurs de la vallée, font partie du patrimoine universel tout autant qu'une nouvelle étoile, un vaccin, un oiseau exotique ou un enfant cambodgien (sic) »n. Notons que l'auteur fait intervenir dans son argumentation une notion nouvelle, le « patrimoine universel », qui d'une part se veut une parade aux accusations de localisme et d'autre part joue sur un effet d'ennoblissement en conférant à la cause patrimoniale locale une portée universelle. De même, le président de l'association « Les amis des Mées », qui nourrit le projet de créer un musée local d'histoire et d'ethnographie, projet qui suscite de vives critiques d'une partie des villageois, est amené à répondre aux opposants du musée. Il choisit le ton de l'ironie : « [le musée] serait la structure d'accueil des objets et vestiges du temps passé qui, sans cela, aboutiront inévitablement à la décharge publique. Je vois de là quelques personnes ricaner [...] tout en disant que c'est dans celle-ci que doivent aboutir les vieilleries. Cette structure de conservation les mettrait en valeur (non pas les ricaneurs mais les soi-disant vieilleries) et permettrait aux générations actuelles et futures de se forger quelques idées personnelles sur l'évolution des techniques, des idées, de la vie. La connaissance d'où l'on vient participe à l'épanouissement de l'individu »9Î. On retrouve là une des idées clés de la vulgate patrimoniale sur le rôle bénéfique de la connaissance des « racines » dans la construction de 1'« identité » individuelle. Mais ces polémiques sont un des aspects de l'antagonisme qui oppose les amateurs de patrimoine94, favorables au développement de musées locaux — la plupart des associations ambitionnent de créer un musée —, aux autochtones qui considèrent que les. objets et les vestiges du passé sont des « vieilleries » et qui, en outre, se montrent réticents à ce que les municipalités engagent des fonds publics dans des réalisations coûteuses, qui ne leurs sont pas destinées, et susceptibles de grever pour longtemps les budgets communaux.

Cette divergence de vues sur l'évaluation du passé apparaît aussi comme l'expression d'un conflit de légitimité autour d'une question aujourd'hui fondamentale : quel groupe social est légitime pour dire la mémoire ? D'un côté, les historiens amateurs cherchent la plupart du temps à mettre leurs travaux de recherche en cohérence avec la vision quelque peu idéalisée qu'ils ont de la société rurale et de son passé. Travaillant sur la thématique d'une société « authentique », plus « solidaire », où les gens étaient plus « sages », ils tendent à occulter les aspects négatifs pour ne retenir que ce qu'ils valorisent, comme certains savoirs traditionnels en matière de construction et d'urbanisme villageois, ou dans les domaines de la culture et de l'élevage (réhabilitation de pratiques ou de produits mieux adaptés au milieu, telle la culture de l'épeautre95, la fabrication de fromages fermiers comme

»» Id. 92 « Edito », Lo contaire daujabron, n° 14, juin 1992. 93 « Le mot du président », Les Amis des Mées. Bulletin annuel, 1997. 94 Le fondateur et président de l'association est originaire des Mées mais il vit et travaille dans une ville du sud de la Provence. 95 Ce qu'on appelle épeautre (en provençal, espeuto) en Haute-Provence est en fait le blé archaïque. L'ethnobotaniste Jacques Barrau précise à son sujet : « L'intéressant est que, dans son cas, il nous parvient tel qu'encore cultivé aujourd'hui çà et là en Provence des Hauts et en Dauphiné, inchangé depuis la "révolution néolidiique", accompagné de sa bouillie qui témoigne aussi d'un des plus anciens modes de préparation des céréales cuites au pot. » (« Soupes, bouillies et potages », Pot au jeu, Paris, Editions Autrement, n° 187, septembre 1999, p. 67-77). Des membres du «Foyer d'animation de la vallée du Jabron », ont collaboré à la réalisation d'une brochure publicitaire sur la vallée. L'épeautre, que l'on cultive à nouveau, y est présentée comme une des productions représentatives de l'agriculture locale et y est évoqué, sous forme de strophe poétique, en ces termes : «C'est l'ancêtre du blé/Le blé des armées romaines/L'engrain du Moyen-Age/La nourriture des gavots/Oublié puis retrouvé/vous le mijoterez

51 le banon, ou encore l'usage médicinal ou culinaire de certaines plantes sauvages). D'un autre côté, la plupart des autochtones ont tourné la page. Pour eux, le passé renvoie à l'archaïsme, à la misère, à l'exode (qui a laissé un véritable traumatisme, aussi bien pour ceux qui sont partis que pour ceux qui ont vu les leurs s'en aller), à des conditions de travail particulièrement rudes, à des habitations exiguës et sans confort, à une vie marquée par les privations et l'austérité. De manière un peu schématique, il y a donc de nouveaux arrivants qui cherchent à se légitimer pour dire cette mémoire dans la mesure où elle leur sert aussi à justifier, et parfois imposer, les nouvelles valeurs dont ils sont porteurs. Ainsi soulignent-ils, par exemple, la beauté des habitations anciennes, leur harmonie avec le paysage, leur adaptation au climat, pour mieux condamner les constructions contemporaines à leurs yeux dépourvues de charme et dont l'architecture détonne (il s'agit ici aussi bien des lotissements récents de style néorural que des grandes maisons individuelles construites en plaine dans les années 1950 par de riches agriculteurs). D'autres exemples illustrent les quiproquos entre néorésidents et autochtones sur les qualités supposées de la vie d'autrefois. Ainsi, La contaire daujabron évoque dans plusieurs numéros les veillées, moment de sociabilité considéré, notamment par les néorésidents, comme emblématique de la convivialité paysanne d'antan96. Les articles s'appuient sur les souvenirs d'anciens de la vallée et soulignent les aspects festifs des veillées où se mêlaient toutes les générations autour du triage des noix et des amendes, d'un repas de fricassée de cochon, ou encore de beignets et de crêpes le soir de la Chandeleur. Les mémoires retiennent l'atmosphère chaleureuse, les plaisanteries, les jeux, les bavardages, le tout accompagné de friandises et de boissons préparées par l'hôtesse du jour (« merveilles », café, tisane, vin chaud, piquette, etc.). Mais un informateur, auteur d'un des articles du bulletin, tient à corriger le tableau quelque peu idyllique esquissé à partir des souvenirs d'enfance de personnes aujourd'hui âgées. Enfant d'une famille pauvre du pays, où il a passé sa jeunesse, il s'est engagé dans l'armée à l'âge adulte, conscient que les terres de sa famille ne pourraient le faire vivre et qu'il avait peu de chance de trouver une femme. Selon son témoignage, les rapports entre les gens étaient empreints de rudesse et de méfiance : « Les Bas-Alpins ne parlent pas, observe-t-il, c'est le milieu paysan : on ne parle pas de ce qu'on gagne, de ce qu'on fait, des histoires familiales. En famille, à table on ne parlait que du travail et du temps 1 ». Et, à l'en croire, l'atmosphère des veillées n'avait pas toujours ce côté convivial et bienveillant qu'on leur prête : les moqueries, les blagues stupides ou grossières, la médisance y tenaient une large place. Plus généralement, la valorisation des temps anciens, à travers notamment la création de musées, est une position insoutenable pour des autochtones qui sont entrés dans la modernité, qui s'en réclament, et pour qui le retour au passé n'est en quelque sorte qu'une régression. Par ailleurs, le devoir de mémoire, qui est un des arguments forts de la cause patrimoniale, suppose la volonté de transmettre. Or, cette démarche renvoie au registre de la culture écrite qui, comme nous l'avons souligné, nécessite un capital culturel spécifique. En outre, pour les autochtones, par contraste, la transmission de la mémoire relève encore essentiellement du registre de la culture orale.

comme le riz/et le laisserez légèrement craquant/dans la tradition de la vallée./c'est la base d'une soupe traditionnelle ». Suit une recette de soupe d'épeautre. Rappelons que l'équipe de l'association a effectué une enquête ethnographique sur la cuisine traditionnelle de la vallée et a réuni le résultat de ses recherches dans un document dactylographié : La cuisine de la vallée du Jabrvn, par Miette Watt, Jean-Pierre Joly et les habitants de la Vallée, juillet 1992. % Paul Moullet, Marie-Christine Blanc, Miette Watt, « Les veillées, tous les regrettent », Lo contaire dau]abron, n° 12, novembre 1991 ; René Esseyric, « Veillée d'hiver à Jansiac », Lo contaire daujabron, n° 13, mars 1992.

52 Le recours à des intermédiaires culturels participe d'une stratégie de captation de la mémoire au service de l'implantation en un territoire. Non sans difficulté, les associations s'attachent en effet à recruter des membres actifs appartenant à la communauté des autochtones ou, à défaut, qui soient des personnes originaires du lieu comme dans le cas du précédent informateur. Ceux-ci jouent alors le rôle d'intermédiaires et de messagers entre gens du pays et « étrangers ». Anne raconte que, bien que n'étant ni une autochtone ni une descendante d'une famille originaire du village, elle a été recrutée lors de la création de l'association parce qu'il n'y avait aucun candidat villageois et qu'elle-même, ancienne estivante, avait toujours entretenu des liens cordiaux avec les gens du pays. Pourtant, même autochtones ou apparentés, les passionnés du patrimoine n'appartiennent plus à l'univers paysan. Plusieurs ont fait des études supérieures. Quant à ceux qui ont gardé des liens du fait de leur origine familiale, non seulement ils appartiennent eux aussi à la classe des gens « cultivés » (instituteurs, ingénieurs, infirmières, fonctionnaires, etc.), mais de plus ils ont ou ont eu des itinéraires personnels et des parcours professionnels qui en font à de nombreux égards des étrangers au « pays ». Derrière les signes de la passion se découvre ainsi un conflit en demi-teintes, dont l'enjeu est un territoire, et une certaine manière d'y vivre.

Les associations patrimoniales, un lieu de contre-pouvoir

Les néorésidents, étrangers à la région, se voient généralement exclus du jeu politique local, en particulier dans les petites communes rurales où la légitimité politique est très largement fondée sur l'autochtonie. Dans ce contexte, les associations patrimoniales, en raison de la plasticité de la notion de patrimoine et de la forte légitimité conférée aux actions en ce domaine, constituent pour les néorésidents un lieu privilégié où s'élaborent des stratégies d'appropriation du « pays » d'accueil. Ces stratégies se déploient dans le champ'idéologique et symbolique avec, en particulier, la captation de la mémoire et dé l'histoire, mais aussi dans le champ politique. À cet égard les associations patrimoniales apparaissent comme un lieu alternatif d'initiatives dans le domaine des affaires locales, voire un lieu de contre-pouvoir face au conseil municipal élu qui représente, en général, les autochtones.

Les mésaventures d'Anna illustrent les déconvenues auxquelles s'expose un allogène qui se mêle de politique locale. Anna, célibataire, comptable de métier et qui durant sa vie professionnelle habitait Aix-en-Provence, est venue s'installer définitivement lors de sa retraite, en 1985, dans la résidence secondaire qu'elle avait acquise à Revest-du-Bion à la fin des années 1960. Anna, qui est membre d'« Alpes de Lumière » et a participé à nombre de ses travaux, a l'idée de créer un bulletin local — qu'elle intitule Les potins du Portissol— mêlant actualité et chroniques villageoises tirées du passée. Elle s'entoure d'une équipe qui lui apporte une aide essentiellement technique, réalisant elle-même la plupart des recherches et des articles. À l'occasion, Anna n'hésite pas à donner son avis sur les affaires du village, voire à dénoncer, sur le mode de l'humour et de façon allusive ou métaphorique, les errements de certains habitants, les défaillances du conseil municipal, etc. Bien que la liberté de ton et l'humour parfois mordant d'Anna lui attirent des inimitiés, le bulletin connaît un très large succès, auprès des néorésidents et des vacanciers, mais aussi chez la plupart des villageois qui, lorsqu'ils ne sont pas abonnés, se le procurent en cachette. Les élections municipales de 1995 marquent toutefois le début du retournement

53 de l'attitude, jusqu'alors bienveillante, des villageois vis-à-vis du bulletin et de sa principale rédactrice. Lors de ces élections, Anna se présente sur une liste conduite par un villageois autochtone, dont la légitimité, en tant que candidat, est liée au fait qu'il appartient à une famille parmi les plus anciennes du village et dont un des membres a, par le passé, assuré à plusieurs reprises des responsabilités électives au sein du conseil municipal. La liste est composée à parts égales d'autochtones et de néorésidents, plusieurs candidats étant par ailleurs des collaborateurs du bulletin. Selon Anna, cette liste a été constituée avec le souci de réunir des gens compétents et novateurs en matière de gestion municipale. La liste d'opposition est composée majoritairement d'autochtones. Au premier tour la liste où candidate Anna obtient six élus et la liste opposée un seul ; au second tour, la première liste n'a aucun élu et la seconde en gagne huit ! Un tel revirement entre les deux tours laisse supposer une mobilisation de grande ampleur dont un des principaux enjeux semble bien avoir été de faire barrage à la prise du pouvoir municipal par des « étrangers » et leurs alliés autochtones. Notons que le maire qui sera élu par le nouveau conseil municipal est étranger au village et a effectué sa carrière professionnelle hors de la région. Toutefois il est marié avec une des descendantes d'une ancienne et prestigieuse famille du village. Anna considère aujourd'hui que sa présence sur la liste a conduit celle-ci à l'échec. L'épisode des élections, et les événements qui ont suivi — une cabale montée contre le bulletin a poussé les villageois à suspendre leur abonnement -, ont fait perdre à Anna toutes ses illusions sur le village et ses habitants. Elle a réalisé que les élections municipales se jouaient ici selon des règles complexes, qui n'avaient que peu à voir avec les compétences ou les apparentements politiques des candidats, et que la capacité à rallier des voix faisaient intervenir les alliances et les inimitiés familiales, parfois anciennes, la capacité à répandre des rumeurs, ou à faire des promesses improbables... En outre, dans le temps du village, les élections sont un moment fort de la vie locale où de nouvelles alliances sont susceptibles de se nouer, mais où des antagonismes et des conflits aux origines immémoriales peuvent resurgir : les élections sont aussi une occasion de régler de très vieux comptes. Ainsi, lors de ces élections, un clivage entre les deux principales familles du village semble avoir été ravivé pour assurer la victoire du parti des autochtones. Jusque-là, Anna se croyait intégrée au village : elle y séjourne depuis trente ans et y vit en permanence depuis plus de dix ans. Alors qu'elle fréquentait la plupart des familles, elle se retrouve aujourd'hui au ban de la communauté villageoise. À la suite de ces événements, et de la dénonciation par Anna, dans un article intitulé « Cuisine ? Une recette du "Médaillon à la revestoise 95" »97, des manœuvres électorales ayant permis la victoire de la liste opposée, l'initiatrice du bulletin est devenue persona non grata non seulement à Revest-du-Bion, mais aussi dans les communes avoisinantes. Ainsi, Anna a été contactée par la présidente de l'association « Patrimoine de Montsalier », commune proche de Revest-du-Bion, pour collaborer à la mise en place et aux travaux de la toute nouvelle association. Elle est alors invitée à une réception destinée à présenter l'association aux villageois. Toutefois la présence d'Anna se voit contestée par le maire de Montsalier. Sommé par Anna de s'expliquer, ce dernier lui dit : « Vous êtes venue l'autre jour, vous avez dit qu'à la municipalité de Revest-du-Bion il y avait huit vauriens. Les gens de la municipalité ce sont mes amis, on est allé à l'école ensemble. Ce sont des travailleurs, ce sont de bons chefs d'entreprise et ça ne me plaît pas du tout que vous veniez à Montsalier dire du mal de ces

97 Dans cet article, Anna dénonce le comportement des revestois à travers la métaphore d'une recette. Dans la partie « matériel » elle énumère : « un fabricant de mensonges, un monteur de procès d'intention, un inventeur de calomnies, une manœvre d'intimidation, un retourneur de vestes, un manipulateur de liste ». Les potins du Portissol, n°6, septembre 1995.

54 gens-là ». Anna, qui par ailleurs souffre de problèmes de santé, arrête la publication des Potins du Portissoltn accord avec l'équipe : le dernier numéro paraît en septembre 1997.

La notion de patrimoine local dans son acception courante inclut objets matériels (constructions et monuments, outils et objets de la vie quotidienne, paysages, milieu naturel sauvage, etc.) et objets immatériels (histoire du lieu, mémoire des habitants, traditions, identité, etc.). Ainsi, au nom de la sauvegarde du patrimoine, les associations peuvent faire entendre leur voix en des domaines qui relèvent habituellement de la compétence des municipalités ou d'autres collectivités territoriales : aménagements et équipements urbains, restauration architecturale, aménagements et équipements touristiques, installations industrielles, etc. On a dit à cet égard le rôle joué par « Les Amis de Viens » ou encore « Les Amis de Villeneuve ». Il est vrai qu'à l'opposé certaines associations apparaissent comme une émanation des municipalités ou cherchent à travailler en étroite collaboration avec celles-ci, comme, par exemple, l'associations « Les Amis du vieux Riez », dont l'ancien président a été élu maire de Riez aux dernières élections municipales, et dont la secrétaire actuelle est la femme de ce dernier. De même pour « Sabença de la Valeia », dont le président fut longtemps élu au conseil municipal et qui a toujours travaillé en étroite concertation avec la municipalité de Barcelonnette. Citons encore « Petra Castellana », dont la création a été soutenue par l'actuel maire, ou encore « Patrimoine de Vachères » qui a, notamment, joué un rôle important dans la rénovation du musée municipal. Néanmoins, les relations entre associations patrimoniales locales et municipalités sont empreintes de la plus grande ambiguïté. D'une part, les associations patrimoniales sont soutenues et utilisées par les municipalités dont elles relèvent car elles sont un élément important de l'animation locale et qu'elles contribuent, par leurs actions et leurs manifestations, à faire connaître et à mettre en valeur l'image des régions où elles sont implantées. D'autre part, elles font l'objet de défiance car elles représentent les intérêts des néorésidents et sont peu ou prou soupçonnées d'être un tremplin aux ambitions politiques de certains de leurs membres, ce qui pourrait avoir pour conséquence l'accession au pouvoir municipal d'une liste où dominent les allogènes.

Ainsi, à Vachères, la multiplication des résidents secondaires et des néorésidents pose aujourd'hui la question de la représentation de cette nouvelle population au sein du conseil municipal où dominent les autochtones. Il y a quelques années, un conseiller municipal qui s'apprêtait à démissionner avait suggéré au maire comme successeur un résident secondaire, membre de l'association « Patrimoine de Vachères ». Le maire s'est opposé à cette candidature au motif qu'il fallait un agriculteur, ce qui, bien sûr, excluait toute personne étrangère à la communauté. Les rares néorésidents membres du conseil municipal sont des personnes établies dans le village depuis de nombreuses années et qui, ne nourrissant aucune ambition politique personnelle, sont peu susceptibles de remettre en cause le pouvoir local, comme son mode de dévolution (en général il n'y a qu'une liste dont les candidats sont choisis par cooptation). Depuis la présidence de Pierre, l'association « Patrimoine de Vachères » s'est toujours attachée à entretenir des relations cordiales avec la municipalité et à proposer sa coopération dans les projets municipaux à caractère patrimonial, comme cela a été le cas pour la réhabilitation du musée municipal, ou encore pour l'archivage sur microfilm des livres terriers. Toutefois cette collaboration suscite des interrogations chez certains membres de l'association qui ont le sentiment que la municipalité de Vachères, après avoir utilisé largement leurs compétences, tend à s'attribuer le rôle principal et en retire seule tout le prestige. Une telle attitude est source de frustrations pour ceux qui, soucieux de reconnaissance locale, ne peuvent bénéficier des fruits de leur engagement et de leur dévouement. Il est vrai que la municipalité, tout en

55 soutenant les activités de l'association, notamment au plan de l'animation culturelle, reste particulièrement vigilante à ce que celle-ci ne devienne pas un lieu de contre-pouvoir.

Les néorésidents qui s'opposent au conseil municipal sont obligés d'intégrer dans leurs stratégies les données du pouvoir local. L'exemple de l'association « L'amandier » offre une illustration éclairante de la constitution d'un contre-pouvoir à travers la création d'une associations à vocation patrimoniale, dans un contexte marqué par le surgissement d'une population d'étrangers. Lors des élections municipales de juin 1995, un groupe de néorésidents constitue, face au conseil municipal sortant qui se représentait, une liste d'opposition en raison de « l'absence de projets de ce dernier ». Aucun des membres de cette liste n'est élu, mais l'équipe à l'origine de cette initiative décide de continuer sa collaboration et, dès juillet 1995, crée une association à vocation patrimoniale afin, notamment, de s'opposer à un projet de lotissement au pied du château du village et à la destruction de ce dernier. Quelques années après, un protagoniste de ce mouvement, membre fondateur de l'association, encore étonné de l'échec retentissant de leur liste, raconte : « On a ramassé une veste extraordinaire ! On s'est présenté, on s'est pris une belle gamelle ! Ça a obligé le groupe à se former, à présenter un certain nombre de propositions et puis on a continué et on s'est dit : "puisque on a élaboré un projet autant essayer d'aller un peu plus loin". Et on a fondé l'association ». Au sein du conseil municipal, les élus « jarjayais de souche » sont farouchement opposés au projet central de l'association : la restauration du château en vue de la création d'un espace culturel et social, lequel jouerait le rôle de « petit moteur économique » pour le village.

Les formes de développement économique de la région sont un point sensible des divergences entre néorésidents et autochtones, ainsi que le révèle l'exemple de l'association « Patrimoine de Montsalier »98. Celle-ci a été créée à la suite de deux stages organisés par «Alpes de Lumière», en 1994 et 1995, sur le site de l'ancien village perché, aujourd'hui abandonné et en ruine. Ces stages qui, autour de professionnels de l'archéologie et de l'ethnologie, réunissaient plusieurs chercheurs amateurs membres ou proches d'« Alpes de Lumière », ont été l'occasion de mettre au jour l'intérêt archéologique et historique de certains vestiges. Par ailleurs, le nombre croissant de visiteurs est à l'origine de problèmes liés à la circulation et au stationnement des cars, ainsi qu'à la sécurité des promeneurs dans des ruines où les endroits dangereux sont nombreux (citernes à l'air libre, falaises, murs proches de l'éboulement, etc.). Enfin, le piétinement des visiteurs menace désormais l'intégrité de certains vestiges d'intérêt historique (espaces caladés notamment). Mais le développement du tourisme apparaît aujourd'hui comme un enjeu important pour une majorité de Montsalierins car le village, qui vit essentiellement de l'agriculture (lavande, plantes aromatiques, miel), n'offre aucun autre débouché et voit la plupart de ses jeunes quitter la région. L'association « Patrimoine de Montsalier » a été créée dans le but de préserver le site et de contrôler l'évolution du tourisme, en particulier en initiant, avec le concours de la municipalité et d'autres organismes (Direction régionale à l'architecture, « Alpes de Lumière », etc.), des projets conciliant les différents intérêts en jeu. Or, au sein même de l'association, les points de vue diffèrent, tant en ce qui concerne la réalité de l'intérêt économique pour le village du développement du tourisme, que sur les formes de tourisme qu'il convient de privilégier (tourisme populaire de masse, tourisme vert, tourisme élitiste, etc.). Ainsi, un des adhérents de l'association, qui vit à Marseille et qui a une

'• Cette association a pour objet « La connaissance, la sauvegarde, la mise en valeur du patrimoine communal sous tous ses aspects, archéologiques, historiques, naturels et culturels, en particulier du vieux village et de son environnement ».

56 résidence secondaire près de la route qui mène au vieux village, érudit local — il est membre du « Comité du vieux Marseille » et a réalisé des travaux sur l'histoire de certains quartiers de cette ville ainsi qu'une monographie de Montsalier -, par ailleurs fervent admirateur de Pierre Martel, soutient que le tourisme n'aura aucune retombée économique pour les gens du pays : « C'est pas les gens du pays qui vont gagner, ce sont des gens qui viendront pour exploiter le pays. Ça s'est toujours fait comme ça. Ce sont toujours des étrangers qui sont venus ». Plus loin il illustre son point de vue : « Vous avez des gens à Banon qui conduisent les touristes en quatre-quatre au pied de Montsalier, ce sont pas des gens du pays. Vous avez des gens qui font faire des stages au Contadour pour expliquer où est venu Giono, ça rapporte des sous, mais pas aux gens du pays ! [...] Je crois qu'il faut qu'on double le flux de touristes, qu'on fasse ce qu'il faut pour qu'il y en ait un peu, mais pas beaucoup, qu'on soit pas débordé ». Cet informateur était opposé à la création de l'association, et s'il s'est décidé finalement à y adhérer, c'est en position d'observateur. Ainsi, il s'est jusqu'à présent refusé à faire éditer ses travaux sur Montsalier, se contentant d'en déposer un exemplaire dactylographié à la mairie. Il justifie son attitude en ces termes : « les médias, d'une part, le mouvement pour le tourisme, d'autre part, font que je crains que nous fassions l'objet d'apports massifs de touristes, à n'en plus finir. Les touristes c'est bien gentil, mais on veut faire connaître et en même temps on veut garder des secrets, c'est inconciliable ! Sur Montsalier il y a des sites géologiques précis, des sites archéologiques intéressants. Si on le fait savoir, comme ça a été le cas dans une revue de vulgarisation... Les gens fouillaient partout pensant qu'ils allaient trouver un trésor ! [...] Je me suis dit : "Montsalier il faut le sauvegarder, il faut le protéger, le gardienner. Quant à la promotion, elle viendra toute seule, ce n'est pas besoin de faire de la promotion". C'est pour ça que je me suis abstenu de le publier ». D'autres membres de l'association partagent en partie ces vues, soulignant que pour conserver la « magie du lieu » il conviendrait de le laisser quasiment en l'état tout en empêchant 1'« invasion du site ». Face à ces arguments, le vice-président de l'association, un agriculteur autochtone, conseiller municipal, qui, lorsqu'il était enfant, a été initié par Pierre Martel à la géologie et à l'archéologie, et qui a toujours gardé des liens avec ce dernier, exprime un point de vue différent. Ainsi, concernant la question de 1'« invasion » par les'touristes, il souligne qu'il vaut mieux qu'il y en ait « trop que pas assez». Pour la réalisation de projets de nature touristique, il suggère de créer une société d'économie mixte qui pourrait être une source de revenus pour la commune. Et s'il convient que la sauvegarde et la restauration du vieux village doit se faire dans la respect du site, il soutient en revanche le projet de construction d'une route goudronnée pour y conduire les visiteurs, ceci contre la position de la présidente et de la plupart des membres. Lors d'un entretien, un dialogue courtois entre la présidente et le vice-président de l'association laisse affleurer ces divergences :

La présidente — Nous, à terme, pour le faire vivre Pe vieux village] — il faut qu'il y ait de la vie là-haut —, il faudrait qu'on arrive à monter un relais de randonnée, un gîte. Il y a différents projets pour développer le tourisme. Mais enfin, on ne veut pas non plus être envahis. On ne veut pas une route jusqu'en haut. On veut que ça reste un endroit qui garde son attrait. Le vice-président - La route, on sera obligée de la faire. La présidente — Oui mais si on met une grande route... Il faut le mériter, il faut y arriver [au vieux village]. Le vice-président - Il faut la faire derrière, dans la combe. La présidente — Mais partout les gens doivent faire une centaine de mètres pour arriver à la plupart des sites ! Le vice-président — Oui, mais on est quand même au vingtième siècle !

57 La présence au sein de l'association d'un autochtone conseiller municipal, qui détient en outre une certaine autorité, a permis de faire le lien avec un maire qui, au départ, ne souhaitait pas que la municipalité intervienne dans l'aménagement du vieux village. Aujourd'hui la mairie est le maître d'oeuvre d'une étude en deux volets. Le premier volet consiste en un « diagnostic de l'ensemble du site du vieux village » (analyse paysagère, approche historique et analyse du patrimoine). Le second porte sur la « mise au point des options du devenir de ce site». L'étude est subventionnée par le Conseil général, des crédits de la communauté européenne (programme Leader) et la municipalité. Toutefois, le compte rendu de l'assemblée générale portant sur ce point précise que « La commune ne dépensera que 10 000 F pour cette étude subventionnée à 80%»". Il s'agit probablement de rassurer les montsaliérins sur les dépenses au titre du budget municipal.

Le clivage qui sépare autochtones et néorésidents apparaît ici avec netteté. D'une part, les autochtones et leurs représentants souhaitent privilégier des projets créateurs d'emplois et de richesses au plan local (tourisme de masse ou tourisme d'élite pour riches vacanciers). D'autre part, les néorésidents et résidents secondaires, obligés de prendre en considération la question de l'avenir de ces communes rurales, défendent des formes de tourisme respectueuses de la nature et peu susceptibles de troubler la tranquillité de l'endroit (tourisme vert et de découverte, tourisme culturel, etc.). Notons à cet égard que si la plupart des amateurs de patrimoine se sont installés dans la région après leur retraite, d'autres sont encore dans la vie active et ont des enfants qui sont nés et ont vécu dans la région et pour qui va bientôt se poser la question de l'avenir professionnel. C'est notamment le cas de la présidente de l'association « Patrimoine de Montsalier », qui a deux fils, ou encore de Marie et de Louis qui ont un fils et une fille.

Toutefois, la position des autochtones vis-à-vis du développement du tourisme est loin d'être toujours aussi tranchée. Beaucoup craignent les comportements de personnes qui ne.connaissent pas les usages locaux et pensent que la nature «appartient à tout le monde », ce qui est la source de nombreux conflits, comme ceux qui se multiplient chaque automne au sujet de la cueillette des champignons. Le maire de , par ailleurs président de la commission économique du SIVOM et de l'Office intercommunal de tourisme de la Motte-, souligne que, jusqu'à tout récemment, l'agriculture étant prospère dans la région (monoculture fruitière), les gens ne ressentaient pas le besoin de développer le tourisme : « On voyait bien les nuisances des touristes, on n'en voyait pas les avantages ». Il précise même : « Pour les agriculteurs, qui dominent au SIVOM, le tourisme c'est un peu l'ennemi ». Aujourd'hui la situation a évolué (difficultés de ce type d'agriculture) et l'Office de tourisme mène une politique active pour favoriser les équipements touristiques et l'accueil des vacanciers. Il s'agit de développer un tourisme vert et culturel, qui ait néanmoins des retombées économiques sur la région, tout en étant strictement « contrôlé ». Sur ce point, notre informateur s'exprime en ces termes : « Surtout pas un tourisme de masse ! Un tourisme totalement contrôlé ; si on fait venir un car on le contrôle de son arrivée à son départ [...] Nous, ce que nous pensons, c'est que le tourisme de masse, le tourisme de beauf, qui n'est pas contrôlé, où les gens font n'importe quoi, ça peut être contre-productif! On en a un exemple. On a repéré un site de cañonning, on l'a fait équiper, on a fait un petit article dans le journal... Une semaine après on a eu une réaction terrible de la commune de Vallavoire, parce que l'adjoint au maire est propriétaire de prairies pas très loin. Et bien entendu, les sportifs de Sisteron se sont

Compte rendu de l'Assemblée générale du 18 avril 1998, Association « Patrimoine de Montsalier».

58 précipités et ont piétiné ses prairies, etc. Ça a fait un "clash" entre l'Office du tourisme qui venait de se créer et la commune de Vallavoire. Il a fallu des mois pour les récupérer [au sein de l'Office]. Et le prix à payer, ça a été la fermeture du site »10°. Ainsi, sur la question du tourisme, dans certains cas, autochtones et étrangers peuvent être des alliés. Yves et sa femme Lucile participent à un projet de l'Office du tourisme de la Motte-Turriers qui a mis en place dans le cadre d'un tourisme de randonnée et de découverte une formation destinée aux rares restaurateurs et aubergistes de la région, et dont l'idée est de définir une cuisine de qualité, ayant l'image d'une cuisine de terroir, à partir de « plats types ». En revanche, l'association que préside Yves, « Mémoire de la Sasse », est opposée à la mise en exploitation d'une importante carrière de plâtre sur la commune de Clamensane (cette région de la Haute-Provence est particulièrement riche en gypse), projet qui est soutenu par la plupart des élus municipaux et que l'association a été une des premières à dénoncer. Les négociations entre la commune et l'important groupe industriel concerné semblent aujourd'hui se poursuivre dans l'ombre. Ainsi, concernant le développement économique de la région, et d'une façon un peu schématique, on peut considérer qu'il y a, d'une part, les néorésidents et les résidents secondaires qui soutiennent un développement économique fondé sur des formes de tourisme tournées vers la découverte de la nature et du patrimoine, ou sur une agriculture non agressive, de type « traditionnel » ou biologique, d'autre part, les autochtones qui souhaitent en premier lieu créer des activités perennes, susceptibles d'offrir des emplois, notamment pour leurs enfants, et ceci quels que soient les domaines : agriculture, industrie, tourisme, etc. Dans ce contexte, un des enjeux primordiaux des associations patrimoniales consiste, tout à la fois, à « produire » du patrimoine et de l'identité, et à convaincre les autochtones de la vocation de la région à développer des formes douces de tourisme.

100 On nous a rapporté plusieurs cas de linges entre autochtones propriétaires de biens d'intérêt patrimonial (anciens moulins à plâtre, moulins à huile, etc.) et amateurs de patrimoine. Ces derniers, au nom de l'accession de ces témoignages de la culture locale au rang de patrimoine collectif, prennent des initiatives pour les valoriser, voire les exploiter (par exemple en les incluant dans des circuits de visite ou en les restaurant), oubliant leur caractère de biens privés.

59 CONCLUSION

À l'issue de cette analyse, il apparaît que le succès exceptionnel que connaît le mouvement patrimonial en Haute-Provence depuis les années 1980 est étroitement lié à l'accroissement d'une population allogène venue pour l'essentiel des grandes métropoles. À l'avant-garde de cette vague migratoire, on trouve des jeunes retraités néorésidents et des résidents secondaires, appartenant aux classes moyennes instruites, attirés par les qualités du milieu naturel sauvage et le mythe d'une société rurale authentique dont cette région constituerait un des derniers échantillons. Cette vague de nouveaux habitants est venue gonfler les rangs des étrangers déjà établis dans la région lors de précédents mouvements de retour à la ruralité et à la nature, lesquels ne constituaient jusque-là qu'une population marginale (notamment numériquement) et ne disposaient pas des relais institutionnels nécessaires pour faire valoir leurs conceptions en matière de modes de vie et de préservation de la nature. Entre-temps, la diffusion de la sensibilité écologique et patrimoniale au sein de la société, associée aux modifications du paysage institutionnel, a créé un milieu favorable au déploiement de stratégies d'appropriation du territoire de la Haute-Provence par cette population allogène. Parmi les éléments ayant participé au façonnement de ce nouvel environnement il convient d'évoquer, au niveau international, le rôle de l'UNESCO dans l'émergence et la divulgation de la notion de patrimoine culturel universel. C'est, en effet, au nom du « patrimoine de l'humanité » ou du « patrimoine mondial » que cette institution distingue et cherche à sauvegarder des sites historiques comme les pyramides d'Egypte, la cité lacustre de Venise, la médina de Fès ou le canal du Midi. Le Sommet de Rio a consacré, en 1992, le caractère universel du patrimoine naturel101. En France, dans un contexte de crise à la fois socio-économique et axiologique, on observe un retour en force du local, de la recherche des « racines » et des « identités ». Comme nous l'avons souligné, l'engouement pour le petit patrimoine qui en résulte se voit culturellement légitimé par les instances nationales avec, en particulier, la mise en place de la Mission du Patrimoine ethnologique et la création, au sein des Directions régionales aux affaires culturelles, d'un département d'ethnologie. À cela s'ajoute le rôle de la communauté européenne qui intervient directement dans des domaines transversaux, comme la préservation des milieux naturels sauvages dans l'espace européen, ou indirectement, par le biais de programmes de développement régional et d'aménagement du territoire. Ainsi, le projet Natura 2000, initiative européenne (directive Habitat) qui a pour objectif de délimiter un réseau de milieux naturels sauvages remarquables protégés de toute intervention humaine, a retenu plusieurs sites en Haute-Provence. De façon plus souterraine, des subventions spécifiques dans le cadre des programmes Leader (Liaison entre les actions de développement de l'économie rurale) et Interreg (coopération transnationale) visent à favoriser l'émergence de grands espaces régionaux culturels et économiques. En Haute-Provence, nombre de collectivités locales ont fait appel à ces crédits pour des projets à caractère patrimonial, comme, par exemple, dans les cas de l'étude sur le vieux village de Montsalier, à l'initiative de l'association patrimoniale locale, ou de la réalisation, par l'Office de tourisme de la Motte-Turriers, et avec l'aide de férus d'histoire locale, de la Route des contes. C'est grâce à cet environnement et à la légitimation appuyée de l'approche patrimoniale que les associations locales se réclamant

101 Ce sommet a été l'occasion de déclarer que « La conservation de la diversité biologique est une préoccupation commune à l'humanité », Dominique Audrerie, LJ notion et U protection du patrimoine, PUF (collection Que sais-je ?), 1997.

60 de cette démarche ont pu devenir pour les néorésidents de la Haute-Provence un instrument privilégié d'intégration et d'appropriation de leur région d'élection. Ainsi, la passion pour les cultures locales qui achèvent de disparaître sous nos yeux va de pair avec la repopulation de certains lieux réputés audientiques — Haute-Provence, mais aussi Cévennes ou Lot par exemple — selon un mouvement qui, modestement en bien des cas, mais avec cohérence et ténacité, s'efforce de produire, au-delà d'un certain rapport au passé, une nouvelle sociabilité, sinon tout à fait encore une nouvelle société.

Dans le même temps, le paysage savant s'est transformé : on assiste au passage d'une forme de société savante locale fondée essentiellement sur une sociabilité érudite dans un contexte d'interconnaissance, et dont l'objet est la production de savoirs — forme encore incarnée par l'association « Les Amis du vieux Riez » — , à une forme nouvelle où les activités erudites sont mises au service d'enjeux de nature idéologique, politique ou sociale. L'évolution de la dénomination des associations reflète d'une certaine façon un tel changement : jusqu'aux années 1980-1985 prévalait dans les appellations le qualificatif« Les Amis de...», comme c'est le cas pour les associations patrimoniales de Viens, de Villeneuve, de Riez ou encore de Reillane (association « Les Amis des arts »). Aujourd'hui, la référence au patrimoine s'impose et les associations se dénomment : « Patrimoine du pays de Forcalquier », « Patrimoine de Vachère », « Patrimoine de Montsalier »...

Tout au long de ce travail, les rencontres entre le mouvement patrimonial et le mouvement écologiste — lesquels recrutent au sein des mêmes couches sociales — nous ont paru frappantes. En particulier, l'un et l'autre sont fondés sur l'idée du devoir de transmettre, dans son intégrité et sa diversité, le patrimoine légué par les précédentes générations. Ces mouvements justifient leur existence et leur action par la nécessité de préserver des patrimoines menacés. Le travail de terrain montre qu'en pratique il s'agit pour les nouveaux habitants de ces territoires convoités, militants de la nature ou du patrimoine, d'imposer aux premiers occupants leurs conceptions en matière de rapport légitime à la nature (eradication de la chasse, réintroduction d'espèces disparues de la faune, sauvage tels le vautour ou le loup, etc.) et de style de vie (retour aux identités locales, réhabilitation des traditions, etc.).

Au-delà d'enjeux liés à l'implantation en un territoire, il convient de souligner les aspects ambigus du mouvement patrimonial dès lors qu'il célèbre les valeurs et les traditions des anciennes sociétés rurales et qu'il prône un retour aux identités et aux particularismes locaux (de communauté villageoise, de pays, de terroir, de région, etc.). L'exaltation des cultures traditionnelles supposées plus authentiques et plus solidaires même si elle est le symptôme d'un malaise d'une société française en pleine mutation, apparaît comme un terrain favorable au développement d'idéologies du repli et de l'exclusion culturelle. Ainsi, en 1997, une exposition sur l'enfance présentait-elle un document, daté de 1940 (sans précision du mois), extrait du Bulletin de l'enseignement primaire, portant sur l'enseignement de l'histoire et de la géographie locales. Le texte rappelle les instructions du Ministre sur l'utilité pour les maîtres d'étudier le dialecte local afin de « faire mieux comprendre à leurs élèves les noms des lieux, les proverbes locaux, le caractère propre de la région » ainsi que l'intérêt « d'intégrer les leçons d'histoire locale dans les leçons du programme général ». Le document précise : « Il va sans dire que la visite de monuments, de lieux historiques, de curiosités naturelles, l'étude succincte des grandes œuvres de Langue d'Oc, de Mistral en particulier, constitueront des éléments importants de cet enseignement ». On retrouve la problématique de l'apprentissage de la « petite patrie » comme préalable à l'appréhension de la « grande patrie », qui s'est développée sous

61 la troisième république102. Le texte exposé conclut d'ailleurs en ces termes : « L'attachement à la petite patrie est la première forme du patriotisme. Celui qui aime son village aime d'autant mieux la France »I03. Mais l'on sait aussi que l'idéologie pétainiste a réutilisé à son compte la thématique régionaliste de ce programme pédagogique. Il convient alors de s'interroger sur le sens à accorder à l'exhumation et à la mise en exposition de ce document, présenté, en l'occurrence, sans commentaires critiques ni mise en perspective. De même l'hommage appuyé rendu, en 1993, par les musées du Vieil Aix (Aix-en-Provence), de la Vallée (Barcelonnette), de Moustiers (musée de la faience) à leur fondateur Marcel Provence — à travers la réalisation d'une exposition itinérante intitulée : « Marcel Provence : un fou de patrimoine » —, semble marquer la fin de la période de vigilance envers les militants des cultures régionales ayant collaboré avec Vichy104. Ce fait nous paraît particulièrement révélateur des dangers de réapparition et de légitimation, à travers la célébration de l'œuvre de certains militants regionalstes, d'une thématique de la pureté des origines et de la « race » (au sens mistralien). Car si Marcel Provence s'est engagé avec ferveur pour la renaissance de la culture, de la langue et du Folklore de la Provence bas-alpine, il s'est par ailleurs élevé contre la venue de certaines populations immigrées originaire de pays lointains, défendant une repopulation du Haut Pays à partir d'immigrés de pays voisins et culturellement proches. Dans son ouvrage Mission dans le Haut Pays, il évoque ce sujet en ces termes : «Je repassai le pont, montai plus avant, parcourus les vallées. Quelle désolation ! 90 000 habitants demeuraient dans un département qui avait connu les plus fortes naissances de la province. Terres abandonnées, lavande gagnant sur le blé, moutons gagnant sur les champs de culture. L'industrie nous relèvera, disait-on. Mais aux nouveaux centres industriels, des Kabyles, Turcomans, mouzabis (sic) de tous crins. Dieu merci, l'Italien est venu avec l'Espagnol et le Catalan, pour se glisser, s'asseoir, se fondre. Dans tant d'émigration le pays ne perdra-t-il pas son âme particulière ? ». Plus loin, dans un dialogue imaginaire avec un ubayen, émigré au Mexique et de retour au village natal, à qui il expose ses thèses, le même auteur dont la mémoire est honorée par les fous du patrimoine lancera : « Préférez-vous en place de ces hôtes vite assimilés, des polaks, une pouillerie de ghettos, une Sibérie grouillante, une Arménie puante qui ne se fondent jamais ou lentement ou mal ? »10S.

102 Voir sur ce sujet les travaux d'Anne-Marie Thiesse (1997). 103 « Instruction de l'Inspecteur d'Académie. L'enseignement de l'histoire et de la géographie locales », Bullttin de l'enseignement primaire, 1940, in exposition Naître et grandir, Petra Castellana, 1997. 104 II fut nommé en 1942 responsable du département Folklore de la Radiodiffusion nationale. 105 Marcel Provence (1932).

62 ANNEXE

Liste des associations formant le terrain de cette recherche et année de création

- (1953) Alpes de Lumière (Mane /Forcalqier) - (1994 ?) Association pour la sauvegarde du patrimoine d'Aubenas-les-Alpes - (1979) Association pour la restauration de la vieille église de Saint-Vincent (vallée du Jabron) - (1979) Foyer d'animation de la vallée du Jabron - (1995) L'amandier (Jarjayes) - (1980) Les Amis de Châteauneuf-Miravail (vallée du Jabron) - (1975) Les Amis du vieux Riez - (1987) Les Amis de Viens - (1980) Les Amis des Mées - (1993) Mémoire de la Sasse (vallée de la Sasse) - (1996) Patrimoine du pays de Forcalquier - (1989) Patrimoine de Vachères - (1996) Patrimoine de Montsalier - (1992) Petra Castellana (Castellane) - (1994 ?) Regain (Riez) - (1980) Sabença de la Valeia (Barcelonnette) - ( ?) Valbelle d'hier et d'aujourd'hui (vallée du Jabron)

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Revues, périodiques et bulletins

Bulletin de la Société scientifique et attéraire des Basses-Alpes devenu à partir de 1983 Annales de Haute-Provence, Digne, Société scientifique et littéraire des Alpes-de-Haute-Provence (1878- 1997). Les Alpes de Lumières, revue de l'association Alpes de Lumière, Mane (1953-1990). Actualités des Alpes de Lumière, Mane, bulletin de l'association Alpes de Lumière (1975-1995). Pays et Patrimoine des Alpes de Lumière, Mane, bulletin de l'association Alpes de Lumière, n°' 0 à 5 (1997-1998). Le Patrimoine de Vachères, Vachères, revue de l'association Patrimoine de Vachères, n°' 1 à 11 (1991-1996). Lespotins du PortissoL, Revest-du-Bion, périodiques (1989-1997). Lo Contaire dau Jabron, Valbelle, bulletin de la section Arts vie et traditions de l'association le Foyer d'animation de la vallée du Jabron (1988-1996). Mémoire de la Sasse, Baudinard, bulletin de l'association Mémoire de la Sasse (1995-1997).

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