Degradation Des Ressources Vegetales Au Contact Des Activites Humaines Et Perspectives De Conservation Dans Le Massif De L'aïr (Sahara, Niger)
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VertigO – La revue en sciences de l'environnement, Vol7no2, septembre 2006 DEGRADATION DES RESSOURCES VEGETALES AU CONTACT DES ACTIVITES HUMAINES ET PERSPECTIVES DE CONSERVATION DANS LE MASSIF DE L'AÏR (SAHARA, NIGER) Fabien Anthelme1*, Maman Waziri Mato2, Dimitri de Boissieu1, Franck Giazzi3 1IRD, U.R. 136 Aires protégées, B.P. 11416, Niamey, Niger, 2Département de Géographie, Université Abdou Moumouni, Niamey, Niger, 3UMR 5194, Université J. Fourier, 14bis Avenue Marie Reynoard, 38100 Grenoble, France. *Auteur pour la correspondance : U.M.R. DIAPC, IRD, 911 avenue Agropolis, B.P. 64501, 34394 Montpellier cedex 5, France. Courriel: [email protected] Résumé : Le massif de l’Aïr est une enclave montagneuse à l’intérieur du Sahara nigérien. Il abrite environ 80 000 habitants dépendants pour l'essentiel des ressources végétales locales. Notre objectif était de mettre en relation les variations récentes des activités humaines avec le niveau des ressources végétales afin d’anticiper un déficit dans une région aride régulièrement menacée par les sécheresses. Les résultats obtenus à travers des enquêtes auprès des acteurs locaux et des observations empiriques montrent une dégradation rapide des ressources végétales. Cette dégradation est liée à deux types d’impact de l’Homme sur l’environnement. Le premier, interne, se traduit par une pression plus forte sur la végétation autour des villages, et par l’expansion des cultures irriguées qui menace la pérennité des ressources en eaux souterraines. Le second impact, externe, concerne la pression croissante exercée par les centres urbains périphériques, en particulier sur les ressources en bois. On observe par ailleurs un processus d'invasion, encore limité, par un arbre introduit, Prosopis juliflora. Dans un contexte de sécheresses ces changements pourraient déclencher une altération rapide de la biodiversité et des ressources vivantes dans le massif. Un processus de cogestion des ressources naturelles de la réserve et de sa périphérie doit permettre d’enrayer cette dégradation. Il serait utile qu'il soit accompagné de recherches visant à mieux comprendre les processus écologiques liés à la dynamique de la végétation. En particulier, les processus de facilitation entre plantes peuvent être des outils de restauration écologique performants. Mots-clés : Agriculture irriguée, aridité, biodiversité, facilitation, Prosopis juliflora, Réserve naturelle, surpâturage. Abstract : The Aïr mountain range is nested inside the Saharan part of Niger. It is populated with approximately 80000 inhabitants depending mostly on local vegetation resources. We aimed to study the relationships between the recent changes in human activities and the level of vegetation resource so as to anticipate a possible lack of resources in an arid region confronted to recurrent droughts. Investigations with local populations and empirical observations showed a rapid degradation of the vegetation related to human activities. Two types of effects are distinguished. First, local people increase pressure on vegetation around the villages, while the intensification of irrigated agriculture threatens the level of belowground water resources. Second, the peripheral urban zones have a growing negative impact on vegetation, especially on wood. In addition, an introduced species, Prosopis juliflora is expanding fast and should be regarded as an invasion process. These changes, if associated with severe droughts, could lead to a quick loss of biodiversity and vegetation resources in the massif. Co-management plans on natural resources including local inhabitants as managers should break this degradation cycle. It would also be consistent to make a better use of ecological knowledge as a restoration/conservation tool. Especially, facilitation between plants, and related nurse effects, can be taken as a relevant tool to restore degraded ecosystems in arid environments. Keywords : aridity, biodiversity, facilitation, irrigated, Nature Reserve, overgrazing, Prosopis juliflora. Introduction spectaculaires qui font de la faune et la flore sahariennes actuelles un enjeu de conservation biologique et de Suite à l'augmentation graduelle des contraintes climatiques au développement humain durable important, bien que le nombre cours de l'Holocène (Le Houérou, 1997), le Sahara est devenu un d’espèces soit relativement faible (Ozenda, 2004). pôle d'aridité à l'échelle planétaire (Ozenda, 2004). Ce changement s’est accompagné de flux d’espèces végétales et La dégradation des écosystèmes arides est liée classiquement à animales, mais aussi d’adaptations diverses et souvent deux facteurs : les changements climatiques et les activités VertigO, Vol7 No2 1 VertigO – La revue en sciences de l'environnement, Vol7no2, septembre 2006 humaines. Les premiers sont considérés comme inéluctables à dégradés, en particulier les processus de facilitation plantes- l'échelle du siècle. Cependant, la végétation des zones arides est plantes (Padilla et Pugnaire, 2006). adaptée à ce type de changements récurrents, et leurs effets sur la disparition d’espèces sont généralement limités (Darkoh, 2003). Méthodologie En revanche, l’impact des activités humaines (et notamment l'élevage) sur la végétation reste à définir sur le court terme. Il est Secteur d’étude susceptible d’être à l'origine de modifications majeures et peut- être irréversibles du couvert végétal, et donc des ressources Le massif de l’Aïr est une enclave granitique ponctuée de naturelles vivantes (Khresat et al., 1998 ; Darkoh, 2003). volcanisme ancien, située en zone sud-saharienne au Niger (Figure 1). Sa localisation lui confère une aridité particulièrement Par leur hétérogénéité structurelle, les massifs montagneux élevée qui se matérialise par des précipitations faibles et rassemblent sur des surfaces restreintes l'essentiel de la aléatoires (Newby, 1991), des températures moyennes très biodiversité saharienne. C’est dans une volonté de protéger les élevées et une humidité atmosphérique très basse (Ozenda, 2004, espèces végétales et animales remarquables que la Réserve Anthelme et al. 2007). Excepté le long des cours d’eau Naturelle Nationale de l’Aïr et du Ténéré a été créée en 1988. temporaires (koris) les sols sont soit absents, soit squelettiques, (RNNAT, Saibou, 1988). Elle regroupe la partie Est du massif de ils appartiennent aux groupes des régosols et des lithosols l’Aïr et une portion du désert du Ténéré. (Giazzi, 1996). Les priorités de la réserve, d'abord orientées vers la conservation L’Aïr peut être divisé en deux types d’écosystèmes. Les de la biodiversité, ont évolué vers le développement des montagnes (1000-2000 m) couvrent des surfaces fragmentées à populations locales, qui sont considérées comme des l’intérieur du massif de l’Aïr (Figure 1). Elles forment des gestionnaires et des utilisatrices des ressources naturelles. Ces sommets souvent tabulaires, très isolés les uns des autres. Les nouvelles priorités associées à l’instabilité politique qui a touché principales montagnes sont les Bagzane (Idoukal’n’taghes : 2022 la zone dans les années 90 ont été peu propices aux travaux m), le Tamgak, le Takolokouzet, le Greboun et le Taghmert. Ces concernant l’état de la biodiversité et des ressources naturelles. écosystèmes sont peu fréquentés – ou ponctuellement – par De ce fait, depuis la synthèse des connaissances dans la réserve l’Homme, dont l’activité se réduit à la présence sporadique de réalisée par l’UICN jusqu’à la période 1991 (Giazzi, 1996), les bergères et de leurs troupeaux de chèvres. Les Monts Bagzane données concernant la faune et la flore du massif de l’Aïr sont font toutefois office d’exception, ils abritent des plateaux rares et isolées (voir cependant Poilecot, 1999 ; Saadou et Lykke, argileux où les populations sont historiquement sédentarisées 2001 ; Aoutchiki, 2001 ; Ostrowski et al., 2001 ; Abdoulkader, sous la forme d'une dizaine de villages entre 1500 et 1800 m 2005 ; Anthelme et al., 2007). d’altitude (Adamou et Morel, 2005). Le retour à une situation politique calme depuis quelques années Les vallées et plateaux inter-montagneux abritent les a incité divers organismes nationaux et internationaux à relancer écosystèmes situés autour des montagnes proprement dites. des programmes de recherche/gestion/développement dans la Situés entre 600 et 1000 m, ils abritent une végétation zone. Dans le cadre de la première phase du programme relativement abondante du fait d’un bilan hydrique favorable COGERAT (cogestion des ressources de l’Aïr-Ténéré), un état généré par les écoulements en provenance des montagnes des lieux des conditions écologiques et socio-économiques de la (Saadou, 1990). C’est le siège des principales activités humaines, région a été réalisé (Anthelme et al., 2005 ; Giazzi et al. 2005). l’élevage et l’agriculture oasienne, qui peut être irriguée ou sous la forme de phoeniculture. En s'inspirant de ces travaux, l'objectif est ici d'identifier les relations qui existent actuellement entre des activités humaines L’Homme est présent dans tous les écosystèmes du massif. La en pleine mutation et les ressources végétales de l'Aïr. Il répond à population est estimée à 83000 habitants (Anthelme et al., 2005), un besoin urgent de suivi de la biodiversité en Afrique saharienne et la commune de Tabelot au sud-est du massif dépasse à elle et subsaharienne sous la menace de la pression grandissante des seule 30000 habitants (Adboulkass, comm. pers.). Les activités activités humaines (Darkoh, 2003). traditionnelles sont le pastoralisme nomade, l’agropastoralisme