Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine

99-2 | 2011 Nouveaux patrimoines : objets, acteurs et controverses New heritage: objects, actors and controversy

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rga/1408 DOI : 10.4000/rga.1408 ISSN : 1760-7426

Éditeur : Association pour la diffusion de la recherche alpine, UGA Éditions/Université Grenoble Alpes

Référence électronique Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine, 99-2 | 2011, « Nouveaux patrimoines : objets, acteurs et controverses » [En ligne], mis en ligne le 19 juillet 2011, consulté le 03 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rga/1408 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rga.1408

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Simultanément ressource économique, outil politique ou symbole identitaire, le patrimoine cristallise des enjeux croissants dans les régions de montagne comme ailleurs. Ces vingt dernières années, les objets susceptibles d’être patrimonialisés se sont considérablement élargis : le patrimoine géologique, le patrimoine immatériel, comme des langues vernaculaires ou des fêtes ou encore le patrimoine industriel se sont ajoutés au patrimoine architectural et aux monuments. Ce numéro interroge les modes de désignation de ces nouveaux objets. En abordant des objets très différents, il apporte un éclairage sur les acteurs à l’œuvre dans la patrimonialisation et les controverses que celle-ci ne manque pas de soulever. Ainsi, ce numéro tente de répondre à des questions telles que : quelle est la légitimité de certains acteurs à désigner du patrimoine ? Comment le patrimoine participe-t-il des identités locales et régionales ? Quel est le rôle du tourisme dans la patrimonialisation ? At one and the same time an economic resource, a political tool and an identity symbol, heritage is also a focal point for an increasing number of issues in mountain regions, as it is elsewhere. Over the past twenty years, the range of objects likely to be designated as heritage has grown considerably: geological heritage, intangible heritage, such as vernacular languages or feasts, and even industrial heritage have been added to architectural heritage and monuments. This special issue of the RGA examines the methods of designating these new objects. The articles examine very different objects and provide insights into the actors involved in heritage development and the controversy that is invariably created. Thus, the articles in this special issue attempt to provide answers to questions such as: What right do certain actors have to decide on what constitutes heritage? How does heritage contribute to local and regional identities? What is the role of tourism in heritage development?

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SOMMAIRE

Préface Mathieu Petite

Preface Mathieu Petite

Les hauts lieux géologiques et géomorphologiques alpins Vers une redécouverte patrimoniale ? Emmanuel Reynard, Fabien Hobléa, Nathalie Cayla et Christophe Gauchon

Iconic Sites for Alpine Geology and Geomorphology Rediscovering Heritage? Emmanuel Reynard, Fabien Hobléa, Nathalie Cayla et Christophe Gauchon

Réordonner l’espace et le temps : Analyse croisée de la mise en patrimoine de la grotte Chauvet et du viaduc de Millau Nicolas Senil

Reorganising space and time: A comparative analysis of the heritage development of the Chauvet cave and the Millau viaduct Nicolas Senil

Ritual Continuity and “Failed Rituals” in a Winter Masquerade in the Italian Alps Lia Zola

Continuité des rituels et “Rituels manqués” lors d'une Mascarade d'hiver dans les Alpes italiennes Lia Zola

Autochthonous Linguistic Minorities in the Italian Alps: New Legislation – New Identifications – New Demographic Processes Ernst Steinicke, Judith Walder, Roland Löffler et Michael Beismann

Minorités linguistiques autochtones des Alpes italiennes Nouvelle législation – Nouvelles identifications – Nouveaux processus démographiques Ernst Steinicke, Judith Walder, Roland Löffler et Michael Beismann

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Préface

Mathieu Petite

1 De nombreux auteurs, depuis une quinzaine d’années, n’ont cessé de diagnostiquer une inflation patrimoniale (Choay, 1996 ; Rautenberg, 2003 ; Heinich, 2009) qu’ils ont attribué à l’élargissement considérable tant des types d’objets susceptibles d’être patrimonialisés que du champ temporel que ceux-ci pouvaient représenter. Ce numéro spécial de la Revue de géographie alpine s’intéresse à cet élargissement typologique et chronologique du patrimoine. Plus précisément, les quatre contributions s’interrogent sur les processus, dans les Alpes pour trois d’entre eux et dans la moyenne montagne ardéchoise pour l’autre, qui conduisent à la désignation de nouveaux objets de patrimoine. Ces processus sont très souvent soumis à des controverses ou sont tout du moins le résultat, toujours incertain, de négociations (Smith, 2008). Car, loin de n’être qu’une ressource économique ou une vitrine touristique, le patrimoine reflète l’identité d’un groupe (Rautenberg, 2003 ; Micoud, 2005) : désigner un patrimoine, signifie qu’ « une société se saisisse en miroir d’elle-même, qu’elle prenne ses lieux, ses objets, ses monuments comme des reflets intelligibles de son histoire, de sa culture » (Jeudy, 2008, p. 14). Ce processus de sélection dépend beaucoup des représentations et des valeurs que véhicule une société (Graham & Howard, 2008). Or, les Alpes et la montagne ont été, au cours de l’histoire, souvent pensées, imaginées et décrites comme des espaces dotés de traditions culturelles fortes et d’une nature riche (Crettaz, 1993 ; Walter, 1998 ; Backhaus, Reichler & Stremlow, 2007 ; Berthoud, 2009 ; Petite, 2011). Par conséquent, à ces images volontiers associées à la montagne correspondent des types récurrents d’objets patrimonialisés : des espaces naturels de grande valeur, une architecture représentative de l’économie agricole traditionnelle, etc.

2 Les quatre contributions de ce numéro traitent de ces objets de patrimoine qui, d’un côté, sont conformes à ces images – des fêtes dites traditionnelles, des langues qui le seraient aussi, des objets qui raconteraient l’histoire géologique spécifique des Alpes - mais qui, d’un autre côté, s’en détachent - des savoir-faire immatériels plutôt que des simples objets matériels, des éléments abiotiques plutôt que biotiques, des objets fabriqués très récemment (comme des ouvrages de génie civil) plutôt que de simples représentants d’une « tradition ».

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3 Plus précisément encore, ce numéro cherche à étudier comment ces objets sont désignés, par quels acteurs et quelles sont les procédures qui mènent à leur patrimonialisation. On apprend en la matière que l’expertise scientifique figure en bonne place dans le processus de patrimonialisation (dans le cas des géotopes, par exemple). On découvre également que les institutions ont un pouvoir de désignation très puissant, notamment dans la reconnaissance des langues minoritaires. Le contexte touristique des régions concernées est aussi un facteur décisif dans la patrimonialisation, comme en témoignent les exemples du patrimoine géologique et du Viaduc de Millau. Plus encore, l’identification d’une large part de la société dans ce qui est désigné comme du patrimoine est indispensable à la réussite du processus, comme le montre l’exemple des carnavals.

4 En s’inscrivant dans cette problématique, les quatre articles s’appuient sur des cas d’étude très divers. Le texte de Reynard, Hobléa, Cayla et Gauchon s’intéresse à ces objets relativement nouveaux du champ patrimonial, les géotopes. Les auteurs précisent toutefois que les sites naturels et géologiques sont depuis longtemps valorisés et protégés dans les Alpes mais qu’ils le sont maintenant fondés par des valeurs différentes.

5 Le texte de Senil poursuit la réflexion sur ces « nouveaux » objets de patrimoine, en étudiant en parallèle un objet très récemment construit (le Viaduc de Millau) et un objet référant à la préhistoire (la grotte Chauvet). Il montre que la désignation patrimoniale n’est plus simplement l’œuvre de l’Etat mais le résultat d’un jeu entre plusieurs acteurs (des individus, des groupes, des collectivités publiques).

6 Le patrimoine que l’on qualifie d’immatériel est le sujet des deux autres textes. Celui de Zola analyse l’échec de la revitalisation d’un carnaval dans un village du Val de Suse et montre qu’il est imputable au déficit de symboles partagés au sein de la communauté. Celui de Steinicke, Walder, Löffler et Beismann traite de la préservation des langues dans les Alpes. Il démontre, lui aussi, les difficultés à patrimonialiser l’immatériel et à faire correspondre, avec l’aide de la législation, une langue à un territoire circonscrit.

BIBLIOGRAPHIE

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GRAHAM B., HOWARD P., 2008. – The Ashgate Research Companion to Heritage and Identity. Aldershot, Ashgate.

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PETITE M., 2011. – Identités en chantiers dans les Alpes. Des projets qui mobilisent objets, territoires et réseaux. Berne, Peter Lang.

RAUTENBERG M., 2003. – La rupture patrimoniale. Bernin, A la Croisée.

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AUTEUR

MATHIEU PETITE Département de géographie et environnement, Université de Genève, [email protected]

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Preface

Mathieu Petite

EDITOR'S NOTE

Translation: Brian Keogh

1 Over the past fifteen years, numerous authors have attempted to analyse the reasons behind the heritage boom (Choay, 1996; Rautenberg, 2003; Heinich, 2009), a phenomenon they attribute to the considerable increase in not only the types of objects with heritage potential but also the temporal scale that these can represent. This special issue of the Revue de Géographie Alpine focuses on this typological and chronological expansion of heritage objects. More specifically, the four contributions examine the processes that lead to the designation of new heritage objects, three of them in the Alps and one in the mid-altitude mountains of Ardèche. These processes are very often subject to controversy or, at the very least, are the result of negotiations (Smith 2008). Far from being just an economic resource or an opportunity for tourism, heritage reflects the identity of a group (Rautenberg, 2003; Micoud, 2005): designating heritage signifies that “a society has taken a look at itself and has taken its places, objects and monuments as intelligible reflections of its history and culture (translation)” (Jeudy, 2008, p. 14). This selection process depends a great deal on the representations and values transmitted by a society (Graham & Howard, 2008). Throughout history, the Alps and mountainous regions have often been perceived, imagined and described as areas endowed with strong cultural traditions and a rich natural environment (Crettaz, 1993; Walter, 1998; Backhaus, Reichler & Stremlow, 2007; Berthoud, 2009; Petite, 2011). Corresponding to these images readily associated with mountain areas there are therefore recurrent types of heritage objects: natural areas of great value, an architecture representative of a traditional agricultural economy, etc.

2 The four contributions in this issue deal with these heritage objects which, on the one hand, comply with these images – so-called traditional feasts, traditional languages, objects that help tell the specific geological – but which, on the other hand, are detached from them – intangible know-how rather than simple

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tangible objects, abiotic elements rather than biotic, objects produced very recently (such as civil engineering structures) rather than simple representations of a “tradition”.

3 Even more specifically, this issue seeks to investigate how these objects are designated, and by whom, and to examine the procedures that result in the objects becoming part of heritage. Scientific expertise is shown to play a prominent role in this process (in the case of geotopes, for example). Institutions are also found to have a very powerful designation role, particularly in the recognition of minority languages. The tourism context of the regions concerned is also a decisive factor in heritage development, as borne out by the examples of geological heritage and the Millau Viaduct. Finally, it is important that a large part of the society associated with what is designated as heritage is able to identify with it. Indeed, this is vital to the success of the process, as the example of carnivals demonstrates.

4 In examining these heritage issues, the four articles refer to very different case studies. The by Reynard, Hobléa, Cayla and Gauchon focuses on objects that are relatively new in the heritage domain, namely geotopes. The authors point out, however, that natural and geological sites have for a long time been promoted and protected in the Alps, but their interest is now based on different values.

5 The article by Senil also examines “new” heritage objects with a comparative study of a very recently constructed object (the Millau Viaduct) and one that dates back to prehistory (the Chauvet cave). He shows that designating heritage is no longer simply the task of the State but the result of interplay between several actors (individuals, groups, public authorities).

6 Heritage that may be qualified as intangible is the subject of the other two articles. Zola analyses the failed attempt to revive a village carnival in Val de Suse and shows how this failure can be due to a lack of shared symbols within the community. Finally, the article by Steinicke, Walder, Löffler and Beismann looks at the preservation of languages in the Alps. It too demonstrates the difficulties of obtaining heritage status for the intangible and of linking, with the help of legislation, a language to a defined territory.

BIBLIOGRAPHY

BACKHAUS N., REICHLER C. STREMLOW M., 2007. – Paysages des Alpes. De la représentation à l’action. Zurich, VDF.

BERTHOUD G., 2001. – “The «spirit of the Alps» and the making of political and economic modernity in Switzerland”. Social Anthropology n° 1, pp. 81-94.

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CRETTAZ B., 1993. – La beauté du reste. Confession d'un conservateur de musée sur la perfection et l'enfermement de la Suisse et des Alpes. Carouge, Zoé.

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JEUDY H.-P., 2008. – La Machine patrimoniale. Belval, Circé.

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PETITE M., 2011. – Identités en chantiers dans les Alpes. Des projets qui mobilisent objets, territoires et réseaux. Berne, Peter Lang.

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AUTHOR

MATHIEU PETITE Département de géographie et environnement, Université de Genève, [email protected]

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Les hauts lieux géologiques et géomorphologiques alpins Vers une redécouverte patrimoniale ?

Emmanuel Reynard, Fabien Hobléa, Nathalie Cayla et Christophe Gauchon

1 A la suite des premiers récits de voyageurs visitant les Alpes, la géologie de la chaîne a attiré l’attention de nombreux scientifiques qui, tout au long du XIXe siècle, se sont efforcés de démêler l’écheveau de la tectonique alpine. Parallèlement, les travaux sur l’extension des anciens glaciers ont montré l’importance de la chaîne alpine pour la compréhension de l’histoire climatique mondiale. Ce double intérêt pour l’orogenèse alpine et pour l’histoire des glaciers, associé à la renommée paysagère de certains lieux « pittoresques » prisés du tourisme aristocratique et confronté aux premiers grands travaux d’extraction, a conduit à une première vague de patrimonialisation de sites géologiques et géomorphologiques dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Cette attention pour la nature abiotique a par la suite faibli, laissant la place à une protection de la nature fortement focalisée sur ses composantes biologiques.

2 Depuis une vingtaine d’années, on assiste toutefois à une nouvelle vague de patrimonialisation de sites géologiques et géomorphologiques, marquée au niveau international par l’inscription de plusieurs sites géologiques sur la liste du Patrimoine mondial, par le développement du réseau des géoparcs européens ou encore par des actions de valorisation d’envergure telles que la Via GeoAlpina. Le niveau local n’est pas en reste, avec une prolifération d’actions de patrimonialisation associant un large éventail d’acteurs, tant institutionnels qu’issus de la société civile.

3 Nous étudierons dans un premier temps ce processus sous un angle diachronique, en analysant les trajectoires patrimoniales de certains sites, ce qui permettra de mettre en évidence quels sont les marqueurs privilégiés du processus de patrimonialisation. Dans un deuxième temps, nous effectuerons un gros plan sur le renouveau actuel en montrant que nous avons affaire non pas à l’émergence de patrimoines nouveaux mais plutôt à de nouvelles formes de patrimonialisation. Enfin, nous montrerons en quoi ils peuvent aujourd’hui constituer des ressources territoriales pour les vallées alpines.

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Des « sites pittoresques » aux « géopatrimoines » : trajectoires patrimoniales de quelques géosites emblématiques

4 Nous décrivons ici les « itinéraires de patrimonialisation » (Gauchon, 2002) ou les « trajectoires patrimoniales » (Portal, 2010) de quelques géosites emblématiques de la chaîne alpine. Il s’agit de repérer les principales étapes qui ont conduit à la patrimonialisation des sites – c’est-à-dire à la reconnaissance sociétale de la valeur patrimoniale des sites – voire parfois à leur « dépatrimonialisation » (Gauchon, 2002) et à leur repatrimonialisation. Nous nous concentrons sur trois cas : les blocs erratiques en Suisse, les grottes et canyons en France et deux sites paléontologiques en Italie et en France.

Les blocs erratiques en Suisse : une sacralisation salutaire

5 Dispersés par les grands glaciers quaternaires pratiquement sur tout le territoire suisse, les blocs erratiques ont suscité durant la première moitié du XIXe siècle une grande controverse scientifique concernant leur origine (Schaer, 2000). Et c’est, paradoxalement, lorsque leur origine glaciaire est établie, vers 1835, que ces blocs commencent à être exploités de manière systématique afin de répondre aux besoins liés à l’urbanisation croissante de la Suisse. Devant la disparition rapide de ce qui est considéré comme le principal indice de l’extension des anciens glaciers, la communauté des géologues s’organise afin de mettre sous protection certains blocs menacés (Reynard, 2004). Cette croisade est menée par les géologues Alphonse Favre et Bernhard Studer, qui publient en 1867 un Appel aux Suisses pour les engager à conserver les blocs erratiques. L’appel de Favre et Studer suscite un fort engouement dans tout le pays et diverses forces (sociétés scientifiques, autorités, écoles, etc.) sont mobilisées pour réaliser des inventaires des blocs, dresser des cartes et, finalement, mettre sous protection certains blocs, souvent achetés ou légués à des associations ou des musées (Reynard, 2004).

6 Cette première vague de patrimonialisation sera relancée en 1905-1908 par le sauvetage de la Pierre des Marmettes (Monthey) (fig. 1), le plus grand bloc erratique de Suisse, situé sur une propriété privée et destiné à l’exploitation par un carrier. C’est à nouveau l’engagement des géologues qui permet, grâce à l’appui de collectivités publiques et d’une souscription nationale, de racheter le bloc au carrier et de l’offrir à la Société helvétique des sciences naturelles pour le mettre sous protection (Reynard, 2004). Durant le XXe siècle, ces blocs protégés tombent dans l’oubli, avant d’être redécouverts dans le cadre de l’inventaire national des géosites (publié en 1996) ou d’initiatives telles que les journées « Géologie vivante », organisées à l’échelle nationale depuis 2007 afin de promouvoir les géosciences auprès d’un large public.

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Fig. 1. La Pierre des Marmettes (Monthey), le plus grand bloc erratique de Suisse. Le bloc a été « sauvé » de la destruction entre 1905 et 1908. Il est actuellement propriété de l’Académie suisse des sciences naturelles (SCNAT) et situé au centre du parking de l’hôpital de Monthey.

Cliché : E. Reynard.

La patrimonialisation des grottes et canyons en France : des motivations initiales économiques et culturelles

7 Les formes et phénomènes karstiques génèrent des paysages parmi les plus typés et insolites qui soient. Dans la lignée de la thèse de C. Gauchon (1997), les trajectoires patrimoniales de plusieurs cavités karstiques à fort intérêt patrimonial ont été étudiées, montrant les interactions fortes entre mise en tourisme et patrimonialisation des cavités naturelles (Aven d’Orgnac (Ardèche), Biot et al., 2007 ; grottes de Choranche (Vercors), Gauchon et al., 2006).

8 Nous nous attachons ici aux trajectoires patrimoniales moins connues des canyons préalpins et périalpins savoyards, à partir de l’exemple des gorges du Fier (près d’Annecy) (Fig. 2), des gorges du Pont du Diable (Chablais) et des gorges du Sierroz (près d’Aix-les-Bains). Leur encaissement et leur étroitesse alliés à l’accélération turbulente des flots qui s’y engouffrent en font des lieux à la fois spectaculaires et dangereux d’accès sans aménagements adaptés (passerelles). Contrairement aux blocs erratiques suisses, la patrimonialisation de ces sites ne doit rien à leur intérêt scientifique. Elle est essentiellement liée à leur caractère pittoresque signalé dans les récits de voyage, puis les premiers guides touristiques du XIXe siècle. La fréquentation touristique (dès 1800 pour le Sierroz, 1869 pour le Fier et 1893 pour le Pont du Diable) précède et prépare la patrimonialisation institutionnelle (1908 pour les gorges du pont du Diable (Site classé), 1910 pour les gorges du Sierroz (Site classé), 1943 pour les gorges du Fier (Site inscrit). Cette patrimonialisation consacre alors des sites lourdement

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aménagés, très fréquentés et très renommés, présentés comme des « monuments naturels ». Ce qui n’empêche nullement leur appropriation culturelle par le biais par exemple de « faits divers » comme aux gorges du Sierroz, à l’époque dépendance touristique de la cité thermale d’Aix-les-Bains, où le 10 juin 1813 se noie accidentellement sous les yeux de la reine Hortense sa jeune dame de compagnie, la baronne Adèle de Broc. Cette tragédie fait alors grand bruit et transforme rapidement le site en un must du tourisme romantique (Pomini, 2008). Ainsi commence à se bâtir cette dimension culturelle des géosites (Panizza et Piacente, 2003), aujourd’hui recherchée en tant que valeur additionnelle attachée aux sites inventoriés (Reynard, 2005). Le cas des gorges du Sierroz montre également que la patrimonialisation institutionnelle ne suffit pas toujours à garantir la pérennité des usages patrimoniaux des sites : l’obsolescence des infrastructures entraîne en effet la fermeture des gorges au public en 1980.

Fig. 2. Le site des gorges du Fier (Lovagny, Haute-Savoie). A gauche, vue du canyon équipé d’une passerelle pour la visite touristique. A droite, la « Clairière des curieux » est un espace d’interprétation géodidactique aménagé en 2009 à l’intérieur du site. Sa réalisation a impliqué, autour du gestionnaire privé, des étudiants et enseignants-chercheurs universitaires ainsi que des professionnels de la médiation et de la scénographie de plein air. Jouant du ressort géopatrimonial, il apporte au site une dimension géotouristique destinée à renouveler et enrichir la visite.

Cliché : F. Hobléa.

9 Ces exemples montrent qu’au départ les mesures protectrices et la plus-value culturelle se conjuguent pour développer la mise en tourisme des sites. L’interprétation scientifique naturaliste vient sur le tard, généralement à la marge, renforcer le produit préexistant (tabl. 1).

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Des sites paléontologiques protégés par leur mise en tourisme

10 Les gîtes fossilifères occupent, depuis longtemps, une place de premier plan au sein de la géologie. Les fossiles permettent en effet d’établir une chronologie relative des événements géologiques et sont à l’origine de la théorie de l’évolution. On constate actuellement une accélération des processus de patrimonialisation de certains sites. Nous présentons deux cas.

11 Le Monte Purga di Bolca, situé à 25 km au nord-est de Vérone, abrite un gisement fossilifère exceptionnel daté de 46 millions d’années. Léonard de Vinci (1452-1519) est l’un des premiers à décrire les poissons pétrifiés découverts dans ce gisement. Girolamo Fracastoro (1478-1553) attribue ces « pierres merveilleuses » à des restes d’anciens organismes marins (Gaudant, 1997). Parallèlement, une activité commerciale d’extraction d’échantillons voit le jour. En 1817, la famille Cerato obtient du marquis Antonio Maffei la location et le droit d’exploiter le site. Elle achète ensuite la carrière et « invente » le métier de carriers de fossiles. Cette activité commerciale a permis de limiter considérablement l’exploitation sauvage du gisement. Elle se poursuit d’ailleurs toujours, dans le souci d’une gestion durable de la ressource, un nouveau chantier de fouille ayant été récemment ouvert. Le site attire chaque année plus de 40 000 visiteurs et l’offre géotouristique est complétée par un centre d’interprétation géré par le parc naturel régional de Lessine. Dans ce cas, près de cinq siècles séparent la découverte du gisement et son investigation scientifique de sa patrimonialisation institutionnelle, suivie rapidement de sa mise en tourisme.

12 Le site grotte de la Balme à Collomb, dans le parc naturel régional de Chartreuse, est traversé par des milliers de touristes chaque année, car il se trouve sur le tracé de l’ascension du Mont Granier. En 1988 est découverte l’entrée d’une galerie comblée par un éboulement. Le passage alors dégagé donne accès à un gisement d’ours des cavernes qui s’étend sur une superficie de près de 3000 m2. Les fouilles ont permis l’extraction de près de 12 000 ossements qui indiquent que la grotte a été occupée de 45 000 à 24 000 BP. Les autorités locales conscientes du caractère exceptionnel de la découverte ont immédiatement œuvré à la protection du site et, dans la foulée, à sa mise en tourisme. C’est ainsi qu’un centre d’interprétation, le Musée de l’Ours des Cavernes en Chartreuse, est ouvert en 2002 dans un village au pied du Granier (fig. 3). Il accueille quelque 22 000 visiteurs par an, la grotte n’étant ouverte au public qu’à titre exceptionnel, afin d’assurer une protection maximale du site.

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Fig. 3. Squelette d’ours des cavernes reconstitué et exposé dans le Musée de l’Ours des Cavernes en Chartreuse.

Cliché : N. Cayla.

Tabl. 1 – Trajectoires patrimoniales de quelques géosites alpins (P/T : P = prémices ; T = mise en tourisme ; I : acte institutionnel de patrimonialisation : par classement (intensité maximale) ou inscription (intensité moyenne) ; V = valorisation géotouristique).

1800 1825 1850 1875 1900 1925 1950 1975 2000

Gorges du Sierroz (Aix-les-Bains, Savoie, France)

P/T Frichetouristique

I 1910

V

Gorges du Pont du Diable (Chablais, Haute-Savoie, France)

P/T 1893

I 1908

V 2008

Gorges du Fier (près d’Annecy, Haute-Savoie, France)

P/T 1869

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I 1943

V 2009

Pierre des Marmettes (bloc erratique de Monthey)

P/T 1867

I 1908

V 2010

Carrière de Monte Burga di Bolca

P/T 1817

I

V

Grotte de la Balme à Collomb

P/T 1988

I

V 2002

Emergence ou résurgence ?

13 L’analyse comparative des trajectoires patrimoniales de sites alpins emblématiques montre (tabl. 1) une patrimonialisation ancienne et un processus évolutif dans lequel s’inscrit la vague actuelle. En ce sens, on peut parler d’un renouveau patrimonial, voire d’une résurrection pour certains sites. Le cas des blocs erratiques de Suisse met en exergue une patrimonialisation institutionnelle précoce (fin du XIXe siècle), bien avant que la première législation de protection de la nature ne soit adoptée, en 1966. Il s’agit par ailleurs d’un processus guidé essentiellement par des objectifs de protection, la valorisation culturelle et patrimoniale peinant à émerger au cours de la dernière décennie. L’exemple des canyons savoyards montre quant à lui que des formes identiques peuvent suivre des trajectoires patrimoniales diamétralement opposées, découlant souvent de contingences extérieures (proximité d’un centre touristique ou urbain, dangers naturels, etc.). Ces sites sont emblématiques de la première vague de patrimonialisation (jusque dans la première moitié du XXe siècle), souvant guidée par des motifs touristiques et basée sur la valeur esthétique et pittoresque des sites (Gauchon, 2002 ; Portal, 2010). Finalement, le cas des sites paléontologiques met en évidence l’équilibre subtil existant, dans nombre de sites géologiques, entre la volonté de conservation et les objectifs de valorisation du patrimoine.

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14 La majeure partie des sites présentés ici, et nombre de sites géologiques et géomorphologiques alpins, ont bénéficié d’un intérêt patrimonial marqué au cours des dernières années, dans le cadre de l’émergence depuis une vingtaine d’années d’un nouveau type de patrimoine qui place officiellement les objets géologiques et géomorphologiques remarquables (géotopes, géosites, géopatrimoines), dans la catégorie des patrimoines dits naturels, aux côtés de la faune et de la flore. Cette reconnaissance collective témoigne d’une prise de conscience du rôle majeur des formes du relief et des formations géologiques tant dans l’écosystème, qui demeure une valeur centrale, que dans la réalité quotidienne et la relation à la nature des populations.

15 Tandis que les caractères spectaculaires et esthétiques (le « pittoresque » autrefois dominant dans les motifs de patrimonialisation des sites abiotiques) sont relégués au rang de « valeurs additionnelles » (encore largement utilisées comme accroche dans les actions de valorisation, touristique notamment), ce sont bien désormais les caractères intrinsèques des formes du relief et formations géologiques, révélateurs de l’histoire de la Terre, de l’évolution du climat et de la vie, regroupés au sein de valeurs dites « scientifiques », qui sont avant tout visés par la vague actuelle de patrimonialisation (Grandgirard, 1997 ; Reynard et al., 2009).

Les géopatrimoines : un concept novateur, des réalités innovantes

16 Le terme « géopatrimoines », souvent employé au pluriel, fait actuellement référence aux composantes abiotiques de la planète sujettes à des actes de patrimonialisation (reconnaissance collective, protection, labellisation, valorisation). Dans son acception originelle anglaise (geoheritage), il désigne le patrimoine géologique à préserver pour ses valeurs scientifiques, culturelles et esthétiques et renvoie aux notions de géodiversité (Gray, 2004), de géoconservation (Bureck et Proser, 2008) et de géotourisme (Newsome et Dowling, 2006). En Europe, la communauté des géoscientifiques s’est organisée au cours des années 1990 pour mener un lobbying effectif, qui a débouché sur l’intégration de ces objectifs de géoconservation dans la législation. En parallèle, la promotion des géopatrimoines vers les différentes composantes de la société s’est traduite par de nombreuses actions et initiatives innovantes, marqueurs de cette nouvelle vague de patrimonialisation. Le plus souvent parties des géoscientifiques, elles sont largement relayées par les acteurs et décideurs territoriaux et déclinées de manière spécifique selon le contexte socio-culturel des différents pays de l’Arc alpin.

Les nouveaux marqueurs de la patrimonialisation, des initiatives locales aux labels internationaux

17 Il n’est pas possible de répertorier ici toutes les initiatives géopatrimoniales développées à l’échelle de l’Arc alpin (Cayla, 2009). Nous nous contenterons d’évoquer quelques tendances qui viennent corroborer l’idée d’un mouvement de fond, non cyclique, et couvrant l’ensemble de la chaîne, avec toutefois certaines différences. Au cours des dernières années, plusieurs sites géologiques ont été inscrits sur la liste du Patrimoine mondial pour leur valeur paléontologique (Monte San Giorgio), tectonique

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(Sardona) et géomorphologique (Jungfrau-Aletsch, Dolomites). Dans ce dernier cas, c’est la géomorphodiversité (Panizza, 2009) qui a été mise au centre de la candidature victorieuse, suite à une première tentative infructueuse, parce que trop centrée sur les valeurs biologiques. Par ailleurs, dans tous les grands pays de l’Arc alpin sont en cours des inventaires de géosites dont l’objectif est le repérage des sites les plus emblématiques du géopatrimoine (tabl. 2). Dans les pays fédéraux, des inventaires cantonaux (Suisse) ou régionaux (Länder allemands) sont également réalisés. Ils permettent d’une certaine manière de rattraper le retard pris par le patrimoine abiotique au regard des nombreux inventaires réalisés dans le domaine du patrimoine biologique. Dans plusieurs pays (France, Suisse, Italie notamment), des inventaires sont actuellement réalisés dans des parcs nationaux et régionaux existants ou en projet. On remarquera toutefois que souvent ces inventaires sont réalisés par la communauté scientifique directement, sans réelle base légale, ni financière. C’est le cas en Suisse, où, contrairement à nombre d’objets biologiques (sites marécageux, alluviaux, prairies sèches), le patrimoine abiotique n’a pas encore d’inscription territoriale par voie d’ordonnance. En France en revanche, l’inventaire national du patrimoine géologique a été institué par la loi dite de Proximité de février 2002 et le dispositif législatif et réglementaire en faveur de l’Environnement dit du Grenelle II prévoit pour 2011 la possibilité pour les Préfets de prendre des arrêtés de protection de géotopes.

18 A côté de ces initiatives visant le repérage et la conservation des sites, l’Arc alpin a vécu ces quinze dernières années une éclosion de multiples initiatives géotouristiques (Cayla, 2009), dont l’objectif est clairement de promouvoir la connaissance des géopatrimoines à travers la réalisation de « produits géotouristiques » tels que des sentiers, panneaux, brochures, musées, etc. Tous ces produits n’ont pas une qualité irréprochable et la communauté scientifique étudie actuellement les modalités d’une meilleure adéquation de l’offre à la demande touristique. Elle commence ainsi à mettre en œuvre des processus de certification de ces réalisations, comme cela est le cas dans le canton du Valais (Suisse). Au delà de toutes ces initiatives locales, il faut mentionner le projet de Via GeoAlpina (www.viageoalpina.org), dont l’objectif est de valoriser le patrimoine géologique, géomorphologique et hydrologique, le long de la Via Alpina, de Trieste à Monaco. Récemment, plusieurs projets de géoparcs ont été lancés dans différentes régions des Alpes, certains dans l’objectif d’intégrer le Réseau européen des géoparcs. Ils permettront sans nul doute de compléter la carte des géoparcs à l’échelle continentale, encore assez pauvre en parcs de montagne.

Tabl. 2. – Principaux textes légaux concernant les géopatrimoines et les inventaires de géosites dans les six principaux pays de l’Arc alpin (sites consultés le 18 mai 2011).

PAYS ALLEMAGNE AUTRICHE FRANCE ITALIE SLOVENIE SUISSE

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Principales 1907 – Législation fédérale 1913 – 1909 – Loi Rosadi 1921 – 1914 – lois Monuments de la par province Monuments 1919 – Loi Crocce Loi de Parc nature historiques 1939 – protection national 1935 – Espaces 1930 – Loi Bottai 1924 – 1966 – Loi protégés Monuments Parc alpin 1985 – protection 1992 – Inventaire de la nature. 1945 – Loi Galasso nature et du paysage de géotopes Espaces Patrimoine (LPN) protégés 2007 – Révision LPN 1976 – parcs Réserves naturelles

Etat de Officiel et achevé Officiel et achevé Officiel Officiel et achevé Officiel Non officiel l’inventaire En cours En cours En cours de révision des géosites

Principales 2002 – 1999 – Inventaire 2002 – Loi Forte implication de Inventaire mené réalisations par le service SRU qui l’ISTRA l’Académie suisse Journée de géologique lance sciences naturelles la Terre autrichien l’inventaire, 2000 – 100 confié aux Géotopes DREAL Bavière

Site http:// http:// http:// http:// http:// internet www.lfu.bayern.de www.geologie.ac.at/ inpn.mnhn.fr sgi2.isprambiente.it/ www.geosciences.scnat.ch geo_exkursionen/ geositi/ start.htm

Enjeux, moteurs et jeux d’acteurs : la nouvelle donne du développement durable

19 Les modalités et motivations actuelles des actions de patrimonialisation décrites ci- dessus sont largement redevables au paradigme du développement durable dans des territoires montagnards considérés comme prioritaires, pionniers et moteurs au regard de l’Agenda 21 de la Conférence de Rio (Messerli et Ives, 1997). Les géopatrimoines alpins se retrouvent ainsi très concrètement au cœur d’enjeux liés à la durabilité des activités motrices du développement des territoires de montagne. A l’heure d’une remise en question du tout ski, menacé notamment en moyenne montagne par un avenir commercial et climatique incertain, ils figurent aujourd’hui en bonne place dans la panoplie des supports de diversification et d’équilibrage saisonnier.

20 Le cas de la procédure de classement du site des grottes de Choranche et du plateau des Coulmes (Parc Naturel Régional du Vercors, France) initiée en 2005 par le Ministère de l’Environnement démontre les difficultés territoriales auxquelles la reconnaissance patrimoniale peut être confrontée (Hobléa et al., 2008). En raison d’une opposition forte d’une partie influente de la population locale, parmi laquelle figuraient des

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propriétaires fonciers affectés par le classement, l’Etat a finalement enterré la procédure au motif officiel qu’un passage en force serait contraire aux principes du développement durable impliquant un respect du positionnement et une libre adhésion des populations locales.

21 A l’inverse, l’argument (géo)patrimonial peut être brandi pour alimenter les mouvements contestataires face à certains aménagements et activités (carrières, infrastructures de transport transalpines…) désormais considérées négativement en référence au paradigme du développement durable. Ainsi au début des années 2000, sur la marge occidentale du PNR de Chartreuse, suite à une enquête publique largement défavorable et fortement argumentée par des opposants organisés s’appuyant sur des expertises géoscientifiques, un projet de carrière sur la commune de Saint Christophe la Grotte, a été refusé par le Préfet au motif qu’il menaçait la remise en valeur du site patrimonial et touristique de la Voie Sarde et des Grottes des Echelles, un géosite à haute valeur historique et culturelle situé à proximité de la zone d’extraction pressentie. Cet exemple est révélateur de la préférence manifestée pour une nouvelle approche des ressources géologiques, beaucoup plus respectueuse de son environnement physique et humain, tout en continuant de servir, mais d’une manière différente, le développement territorial.

Les géopatrimoines alpins au service des territoires : une stratégie gagnant-gagnant

22 L’exemple du conflit issu du projet de carrière de Saint Christophe la Grotte illustre le renversement des valeurs attribuées aux activités extractives. Comme les géosites, les activités d’extraction ont connu des trajectoires cycliques, faites de périodes d’essor et de prospérité, suivies de déclin et d’abandon. Si la plupart des sites miniers alpins sont aujourd’hui passés de la sphère des ressources à la sphère patrimoniale, il n’en est pas de même des carrières et gravières. Considérée comme une manne jusque dans les années 1990, l’installation de nouvelles unités d’extraction s’est vue assez soudainement rejetée par une majorité des populations et élus locaux soucieux de préserver leur qualité de vie et leur cadre paysager. D’une logique d’exploitation, on passe actuellement à une logique de valorisation préservant la ressource dans son environnement, l’idée étant d’établir une synergie gagnant-gagnant durable entre les volets économiques, environnementaux et sociaux.

23 Cette nouvelle approche fonde désormais de nouvelles stratégies de développement territorial, particulièrement adaptées aux territoires alpins dans un contexte de mutation plus ou moins forcée. Le concept de géoparc (Zouros, 2004) est emblématique de cette nouvelle approche. Ce label, fondé et géré depuis 2000 par un réseau d’espaces déjà protégés pour leur patrimoine géologique, est attribué, selon un cahier des charges exigeant, aux candidats faisant la preuve qu’ils sont engagés dans un véritable projet de territoire fondé sur la mobilisation massive de leurs géopatrimoines en tant que ressources territoriales. Les Alpes comptaient fin 2010 quatre géoparcs (Réserve géologique de Haute-Provence et Parc Naturel Régional du Lubéron en France, Parc naturel de l’Adamello-Brenta en Italie, Parc naturel de l’Eisenwurzen en Autriche) et le label y semble promis à un bel avenir si l’on considère les nombreux projets annoncés dans les différents pays alpins.

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24 Pour atteindre ses objectifs de développement socio-économique, le concept de géoparc mise sur le développement d’une nouvelle forme de tourisme, le géotourisme, défini dans ce contexte comme l’ensemble des pratiques et produits touristiques (et de loisirs) reposant sur la valorisation et la mobilisation des géopatrimoines locaux utilisés en tant que tels. Cela implique une forte synergie entre les scientifiques, producteurs des connaissances, méthodes et outils nécessaires à la conservation et à la valorisation de ces ressources, les gestionnaires et décideurs territoriaux, les aménageurs et les médiateurs culturels et scientifiques. Au sein même des acteurs scientifiques, la thématique géopatrimoniale nécessite une approche pluridisciplinaire, mobilisant non seulement tous les champs des géosciences (dans lesquels sont impliqués des géographes physiciens et géomorphologues), mais également ceux des sciences humaines, économiques et sociales (concernant notamment la géographie sociale et culturelle). La géographie se retrouve ainsi à la croisée de ces approches et l’on voit dans les universités alpines engagées dans cette thématique travailler de concert des géomorphologues conscients de la dimension culturelle des reliefs et des chercheurs issus des champs de la géographie culturelle, voire sociale ou des risques.

Conclusions

25 La « prolifération patrimoniale » (Choay, 2006) actuelle touche incontestablement les géosites alpins, dont certains étaient déjà partie prenante d’une première vague initiée au XIXe siècle. Cette nouvelle vague est marquée par une « scientifisation » du processus de patrimonialisation, avec une terminologie propre et des tentatives d’objectivation et de quantification du processus de sélection et d’évaluation des sites, reposant sur la mise en avant des valeurs scientifiques (Reynard et al., 2009). La géologie et la géomorphologie sont la cible première de la patrimonialisation, et non plus le paysage qu’elles sous-(en)tendent, et les valeurs esthétiques sont reléguées au rang des « valeurs additionnelles », parmi d’autres valeurs émergentes, notamment culturelles et pédagogiques (le lien et la référence au passé pour servir le présent et l’avenir). Mais déjà on assiste à un nouveau glissement des valeurs, le culturel étant présenté depuis quelques années comme nouveau levier majeur de la valorisation et de la médiation dans le domaine des géosciences (Panizza et Piacente, 2003). En ce sens, les sites géologiques et géomorphologiques, dans les Alpes comme partout ailleurs en Europe, participent de ce renouveau patrimonial qui, dans un monde globalisé, pousse à se rapprocher de ces patrimoines culturels, au sens large – incluant les valeurs naturelles –, qui font la spécificité des territoires.

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RÉSUMÉS

Depuis la fin des années 1990, on assiste dans les Alpes, comme partout en Europe, à un nouvel intérêt pour les géopatrimoines. A toutes les échelles – locale, nationale, internationale – ont émergé des projets d’inventaire, de protection et de valorisation (didactique, touristique) des géosites autour du concept de géodiversité. Cet article montre que ces tendances ne sont pas nouvelles mais constituent plutôt une étape dans des trajectoires patrimoniales diverses, initiées dès le XIXe siècle. La nouveauté est une patrimonialisation basée sur la valeur scientifique intrinsèque des sites, en tant que témoins de l’histoire de la Terre, et non plus seulement pour leur valeur esthétique ou pittoresque. Ce mouvement de patrimonialisation participe de la volonté de développer durablement les territoires alpins, notamment à travers la mise en place d’outils de développements territorial tels que les géoparcs.

In the Alps — as with the rest of Europe — renewed interest in geoheritage sites has grown since the late nineteen-nineties. Inventory, conservation and promotional (didactic, tourist) projects for geosites have blossomed at every scale — local, national and international – articulated around the central concept of geodiversity. The present article will demonstrate that far from being an entirely new tendency, this constitutes rather a specific stage in a number of different threads of the history of landscape heritage, on-going since the nineteenth century. What is new, however, is the movement that consists in basing the selection of heritage sites on their intrinsic scientific value with regard to their pertinence to the history of the Earth, rather than for any merely picturesque or aesthetic qualities. This tendency towards the implementation of geoheritage contributes to the general drive for the sustainable development of alpine territories, particularly by means of the establishment of territorial development tools such as Geoparks.

INDEX

Mots-clés : géoconservation, géodiversité, géoparcs, géopatrimoines, géosites, géotopes, géotourisme, trajectoires patrimoniales Keywords : geoconservation, geodiversity, geoheritage, geoparks, geosites, geotopes, geotourism, heritage trajectories

AUTEURS

EMMANUEL REYNARD Institut de géographie, Université de Lausanne, [email protected]

FABIEN HOBLÉA Laboratoire EDYTEM UMR CNRS-Université de Savoie, Pôle Montagne, fabien.hoblea@univ- savoie.fr

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Iconic Sites for Alpine Geology and Geomorphology Rediscovering Heritage?

Emmanuel Reynard, Fabien Hobléa, Nathalie Cayla and Christophe Gauchon

1 Throughout the nineteenth century, the geology of the Alps provided the focus for the numerous scientists active in the region in the wake of the accounts produced by the first modern travellers in the mountains. Such natural philosophers struggled to unravel the complex processes of Alpine tectonics; while, at the same time, research into the ancient extent of glaciation in the region demonstrated the importance of the Alpine massif to understanding global climate history. Associated with the popularity of certain “picturesque” Alpine sites among aristocratic tourists and with the earliest large-scale quarrying, this double preoccupation – for alpine orogeny and for the glacial history – gave rise to the first wave of established geological and geomorphological heritage sites during the second half of the nineteenth century. This interest in abiotic natural phenomena subsequently lessened, replaced by the movement for the protection of a nature predicated overwhelmingly on its biological components.

2 Over the last twenty-odd years, however, we have witnessed a renewed vigour in the establishing of geological and geomorphological heritage sites, a vigour underlined internationally by the inscription of numerous geological locations as Global Heritage Sites, by the development of a network of European Geoparks and by programmes of large-scale improvement and promotion, such as the Via GeoAlpina. Nor has action at the local scale been less energetic, marked by the proliferation of heritage initiatives involving a wide range of protagonists drawn from both institutions and civil society.

3 Let us to begin by examining these developments diachronically through an analysis of the historical development of the heritage status of certain specific sites. This will enable the demonstration of what constitute the significant signposts in the process of establishing the heritage status of sites. Then as a second step, we shall focus more closely on the contemporary renewal of the heritage process so as to show that rather than it constituting the emergence of new heritage sites, it consists in new forms of

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heritage creation. Finally we will show that geoheritage can produce new territorial resources for Alpine valleys.

From “picturesque” to “geoheritage”: the history of geoheritage in a few emblematic sites

4 What will be described here are the “heritage-creation itineraries” (“itinéraires de patrimonialisation” (Gauchon, 2002)) or the “heritage trajectories” (“trajectoires patrimoniales” (Portal, 2010)) of a small number of emblematic geosites in the Alps. The aim is to identify the chief stages of the process that led to those sites acquiring heritage status – i.e. to their being recognized as representing a heritage value to society – and even to their losing that heritage status (“dépatrimonialisation” (Gauchon, 2002)) and then regaining it. Our study will focus on three specific cases: erratic blocks in Switzerland, caves and canyons in France and two paleontological sites in Italy and France.

Erratic blocks in Switzerland: a conserving sacralization

5 Scattered over virtually all of Switzerland by the great glaciers of the Quaternary, erratic blocks gave rise during the first half of the nineteenth century to lively scientific controversy about their origins (Schaer, 2000). It was, paradoxically, only after those origins had been firmly established as being caused by glaciation, around 1835, that such blocks began to be exploited commercially for the needs of construction in Switzerland’s then expanding urban regions. In response to the rapid disappearance of what was at the time considered to be the principal indicator of ancient glaciation, the geological community mobilized so as to protect some of the threatened blocks (Reynard, 2004). The movement was led by the geologists Alphonse Favre and Bernhard Studer, who in 1867 published their Appel aux Suisses pour les engager à conserver les blocs erratiques (Call to the Swiss to Join in the Conservation of Erratic Blocks). Their appeal provoked considerable enthusiasm for the cause throughout the country and various forces (scientific societies, government authorities, schools, etc.) mobilized to carry out inventories, draw up maps and, eventually, to place some of the blocks under protection – often by purchasing them or bequeathing them to associations or museums (Reynard, 2004).

6 This first wave of heritage undertakings was to be renewed between 1905 and 1908 by the campaign to save the Pierre des Marmettes (Monthey) (fig. 1), the largest erratic block in Switzerland, which was situated on private property and was earmarked for quarrying. Again it was the commitment of the geological community – through the support of public bodies and the raising of a national subscription – that allowed the block’s purchase and then bequeathing to the Swiss Natural Sciences Society (Reynard, 2004). These blocks were forgotten during the twentieth century, only to be rediscovered during the course of the establishment of the National Inventory of Geosites (1996), or through initiatives such as the “Living Geology Days”, organized nationally since 2007 to promote geosciences among the general public. Fig. 1. The Pierre des Marmettes (Monthey), the largest erratic block in Switzerland. The block has been “saved” from destruction between 1905 and 1908. He is currently the property of the Swiss Academy of Sciences (SCNAT) and is situated in the parking of Monthey hospital.

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Photo: E. Reynard.

The heritage status of caves and canyons in France: initially driven by economic and cultural considerations

7 Karstic forms and phenomena produce some of the world’s most characteristic and unusual landscapes. Following the precepts established by C. Gauchon’s doctoral thesis (1997), the histories of several heritage-significant karstic cavities were researched. This demonstrated that strong interactions existed between tourism development at the sites and their heritage status (Aven d’Orgnac (Ardèche), Biot & al., 2007; Choranche Cave (Vercors), Gauchon & al., 2006).

8 For our part, we will examine the heritage histories of some less well-known canyons in the pre-alps and peri-alps of the Savoie, using as examples the Fier Gorge (near Annecy) (fig. 2), the Pont du Diable Gorge (Chablais) et the Sierroz Gorge (near Aix-les-Bains). Because of their steepness and narrowness and of the turbulent acceleration of the waters running through them, these constitute eminently spectacular sites and are dangerous to enter unless they are appropriately equipped (walkways). In contrast to the erratic blocks of Switzerland, their heritage status owes nothing to any intrinsic scientific value. It is due rather to their picturesque appeal, first mentioned in travel narratives and then taken up by nineteenth-century guidebooks. Tourist activity (from 1800 for Sierroz, 1869 for Fier and 1893 for Pont du Diable) preceded and prepared the way for institutional heritage status (1908 for the Pont du Diable Gorge (listed site), 1910 for Sierroz (listed site), 1943 for Fier (registered site). Thus, the heritage process applied to sites that were already extensively equipped, famous and popular and were presented in terms of being “national monuments”. Nor did the process hinder their cultural appropriation: as for example occurred in the Sierroz gorge – at the time a tourist attraction associated with neighbouring the baths of Aix-les-Bains – when on 10

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June 1813, Adèle Baroness de Broc, one of Queen Hortensia’s young ladies-in-waiting, accidentally drowned there as the queen looked on. The story of the tragedy, widely reported at the time, rapidly rendered the site an obligatory stop for Romantic tourists (Pomini, 2008). The cultural dimension of other geosites grew up through analogous events (Panizza & Piacente, 2003); and today constitutes, as it were, added value to listed sites (Reynard, 2005). The example of the Sierroz Gorge also shows how the achievement of institutional heritage status is not necessarily enough in itself to guarantee the perpetuation of the site’s use: in 1980, the obsolescence of its infrastructures caused it to be closed to the public. Fig. 2 The site of Fier Gorges (Lovagny, Haute-Savoie). Left, a view of the canyon equipped with a pathway for the tourist visit. Right, the “Clairière des curieux” is an interpretation area developed in 2009. Its preparation has involved the private operator, students and university professors, professionals of scientific interpretation, and specialists of open-air stage design and it opens the site to a new geotourist dimension.

Photos: F. Hobléa.

9 From these examples, it can be seen that initial protection measures and added cultural value combine to produce the tourism development of sites. Naturalist scientific interpretation follows only later, usually in a marginal way, to reinforce a pre-existent product (table 1).

Paleontological sites protected by their development for tourism

10 Fossil-rich sites have long owned a significant place within the culture of geology. Fossils enable the establishment of a relative chronology for geological events and lie at the basis of evolutionary theory. We are currently witnessing an acceleration of the process of according heritage status to certain such sites. Here are two case studies:

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11 Situated some twenty-five km to the north of Verona, the Monte Purga di Bolca presents an exceptional concentration of fossils dating back 46 million years. Leonard da Vinci (1452-1519) was one of the very first to describe petrified fish discovered here. Girolamo Fracastoro (1478-1553) surmised that these “marvellous stones” constituted the remains of ancient marine organisms (Gaudant, 1997). The commercial extraction of specimens began relatively early on. In 1817, the Cerato family obtained the right to exploit the site from the Antonio the Marquis Maffei, renting the site from him. Later, they purchased the site and went on to “invent” the profession of fossil quarrying. This institution as a commercial activity had the advantage of considerably limiting uncontrolled extraction, it continues moreover to this day – as a means of the sustainable development of the resource – and a new quarrying site was recently inaugurated. More than forty thousand visitors are drawn to the site every year and an information centre managed by the Lessine Regional Nature Park has been opened to increase its attractiveness to visitors. In this case then, more than five hundred years elapsed between the original discovery and scientific investigation of the fossil vein and the institutional process leading to its acquiring heritage status, followed rapidly by its development for tourism.

12 The Balme Cave at Collomb in the Chartreuse Regional Natural Park, is visited by thousands of tourists every year because it is located on the route that leads to the summit of Mont Granier. In 1998, a cave mouth, obstructed by a landslide, was discovered. Once the blockage removed, and the interior of the cave revealed, a deposit of cave bear remains, extending over some 3,000m2 was discovered. Subsequent excavation and extraction produced nearly 12,000 bones, indicating that the cave had been occupied over a period extending from 45,000 to 24,000 BP. Aware of the extraordinary significance of the find, local authorities immediately undertook the administrative protection of the site and, following that, organized its development as a tourist attraction. Thus the Chartreuse Cave Bear Museum, located in a village at the foot of the Granier Massif, opened to the public in 2002 (fig. 3). It hosts some 22,000 visitors a year, whereas the cave itself is only rarely open to the public in order to ensure its conservation.

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Fig. 3. Reconstituted cave bear skeleton, exposed at the Bear Cave Museum in Chartreuse.

Photo: N. Cayla.

Table 1 – Heritage history of some Alpine geosites (F/T: F = First Steps; T = Tourism Development; I: Institutional heritage status: by listing (maximum intensity) or registration (intermediate intensity); V = recent geotourism improvements and promotion).

1800 1825 1850 1875 1900 1925 1950 1975 2000

Sierroz Gorge (Aix-les-Bains, Savoie, France)

F/T Lost to tourism

I 1910

V

Pont du Diable Gorge (Chablais, Haute-Savoie, France)

F/T 1893

I 1908

V 2008

Fier Gorge (nr. Annecy, Haute-Savoie, France)

F/T 1869

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I 1943

V 2009

Pierre des Marmettes (erratic block, Monthey)

F/T 1867

I 1908

V 2010

Monte Burga di Bolca Quarry

F/T 1817

I

V

Balme Cave at Collomb

F/T 1988

I

V 2002

Emergence or resurgence?

13 Comparative analysis of the heritage trajectories of these exemplary Alpine sites (table 1) reveals a relatively old and evolving heritage process of which the current wave of activity is but a part. In this regard, one can speak of heritage renewal in the case of the Swiss erratic blocks, or even of heritage resurrection at some sites. The case constitutes a very early process of heritage institutionalization (end of the nineteenth century), despite the fact that the first legislative measures for natural protection date from only 1966. Indeed the story of the erratic blocks is essentially predicated on objectives concerning their protection, whereas their cultural and heritage enrichment have only gained importance during the last decade. The examples provided by the canyons of Savoie on the other hand show how identical forms can generate completely different heritage histories, as these are frequently predicated on outside contingencies (proximity to a tourist or urban centre, natural hazard, etc.). The Savoie sites are exemplary of first wave of heritage creation (up to the first half of the twentieth century). More often than not, these were driven by tourism-related factors based on considerations of the aesthetic and picturesque aspects of the sites in question (Gauchon, 2002; Portal, 2010). Finally, the case of the paleontological sites demonstrates the subtle balance between a commitment to conserve and a desire to optimize the exploitation that exists at many geological sites.

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14 Most of the sites presented here, along with many other alpine geological and geomorphological sites, have benefitted in recent years from significant interest in heritage issues. This is cognate with the development of a new type of heritage site over the last twenty-odd years: an official heritage category within that of the general class of natural heritage sites that recognizes the value of remarkable geological and geomorphological objects (geotopes, geosites, geoheritage sites). This collective recognition bears witness to a new awareness of the importance of the role played by landforms and geological structure, both in the ecosystem – which remains central – and in our daily experience of interaction with the natural world.

15 Thus, whereas the spectacular and aesthetic aspects of sites (the “picturesque” that for so long dominated in decisions concerning the heritage status of abiotic sites) have been relegated to the rank of “ancillary value” (even if these are the ones frequently emphasized when it comes to promoting the sites, especially for tourist purposes), it is now those intrinsic characteristics of landforms and geological structures illustrative of Earth history and climate and biological evolution, coordinated within a “scientific” perspective, that are put forward as the principal justification in the present wave of heritage undertakings (Grandgirard, 1997; Reynard & al., 2009).

Geoheritage sites: an innovative concept for innovative realities

16 The term “geoheritage” denotes those abiotic constituents of the planet that are subject to the administrative establishment of heritage status (collective recognition, protection, infrastructural improvement). The term designates those geological areas needful of preservation because of their scientific, cultural and aesthetic values and is relative to issues of geodiversity (Gray, 2004), geoconservation (Bureck & Proser, 2008) and of geotourism (Newsome & Dowling, 2006). The community of European geoscientists organized itself during the nineteen nineties to be able to lobby effectively. This resulted in the objectives of geoconservation being incorporated in relevant legislation. During the same period, the promotion of geoheritage among the various strands of society gave rise to numerous innovative actions and initiatives that stand as markers of this latest wave of heritage undertakings. Initiated more-often- than-not by geoscientists, such projects have been widely taken up by territorial protagonists and decision makers and adapted to the socio-cultural specificities of the various Alpine countries.

New markers of the heritage process: from local initiatives to international recognition

17 It is impossible to list here all the geoheritage initiatives undertaken across the international scale of the entire Alpine range (Cayla, 2009). Suffice it to mention a few of the trends corroborative of the idea that an underlying, non-cyclical movement indeed exists across the whole Alpine territory – though one presenting variations. Over the last few years, a number of sites have been accorded World Heritage status on the basis of their paleontological (Monte San Giorgio), tectonic (Sardona) and geomorphological (Jungfrau-Aletsch, Dolomites) value. In the case of the last of these, it was the site’s geomorphological diversity (Panizza, 2009) that constituted the principal

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argument leading to the eventual success of its candidacy; this following an earlier attempt which failed because it was too centred on issues of biological values. All the major Alpine nations, moreover, are currently in the process of drawing up inventories of geosites, the goal of which is the identification of those sites most emblematic of geoheritage (table 2). In the region’s federally structured nations, cantonal (Switzerland) or regional (German Länder) inventories are also being established. All this activity has to a certain extent allowed the distance by which abiotic heritage has fallen behind its biological equivalent to be made up. In a number of countries (France, Switzerland and Italy, notably) inventories are currently being carried out in existing or planned regional and national parks. It should, however, be noted that these inventories are being produced by the scientific community alone without any official basis in law, nor any funding. This is the case in Switzerland, where, in contrast to many biological objects (marshy, alluvial or dry grassland sites), the abiotic heritage still has no statutory place. In France, on the other hand, a National Inventory of Geological Heritage has been instituted by means of the Proximity Law of February 2002. From 2011, moreover, the legislative and regulatory code for the environment entitled Grenelle II makes provision for prefects to issue geotope protection orders.

18 Alongside such initiatives aimed at the identification and conservation of sites, the Alpine region in its entirety has spawned a multitude of geotourism projects (Cayla, 2009), whose goal is explicitly the promotion of knowledge about geoheritage and geoheritage sites through the development of “geotourism products” such as thematic footpaths, signposting, brochures, museums, etc.. Not all of these products meet the highest standards, and the scientific community is currently investigating ways in which a better fit between geoheritage supply and tourist demand may be achieved. Thus the scientific community has begun to operate a certification process for such geoheritage initiatives – as has recently been the case in Canton Valais (Switzerland). Beyond the scope of all these local projects, mention should be made of the Via GeoAlpina project (www.viageoalpina.org), whose goal is the development and promotion of all the geological, geomorphological and hydrological heritage present along the route of the Via Alpina from Trieste to Monaco. And recently a number of Geopark projects have been launched in a variety of Alpine regions, some with the aim of joining the European Geopark Network. These will undoubtedly enable the map of Geoparks at the European scale to be properly completed, for it is presently poor as far as mountain parks are concerned.

Table 2 – Principal legislation concerning geoheritage and the inventory of geosites in Alpine nations (website viewed, 18 May 2011).

NATION GERMANY FRANCE ITALY SWITZERLAND

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Principal 1907 – Natural Federal Legislation, 1913 – 1909 – Rosadi Law 1921 – 1914 – laws monuments province by Historic 1919 – Crocce Law Protection National Park province monuments 1935 – Protected Law 1939 – 1966 – Law for zones 1930 – 1924 – protection of nature and Bottai Law Natural 1992 – Alpine landscape 1985 – Galasso Law Protected Park Inventory of (LPN) geotopes zones 1945 – 2007 – LPN revision: 1976 – Heritage parks Nature reserves

State of Official and Official and Official and Official and Official Unofficial, currently under geosites complete complete underway complete and revision inventories underway

Chief 2002 – 1999 – Austrian 2002 – SRU ISTRA heavily Inventory carried out implement- geological service law involved the Swiss Academy Earth Day ations inventory instigating Natural Sciences 2000 – 100 the Bavarian inventory to Geotopes be carried out by DREALs

Internet http:// http:// http:// http:// http:// sites www.lfu.bayern.de www.geologie.ac.at/ inpn.mnhn.fr sgi2.isprambiente.it/ www.geosciences.scnat.ch geo_exkursionen/ geositi/ start.htm

Issues, drivers and roles: the new dispensation aligned to sustainable development

19 The current modalities and drivers of heritage initiatives as described above are broadly in accordance with the imperatives of the sustainable-development paradigm applicable to mountain territories —considered to be of priority, pioneer and driving significance according to the Rio Conference’s Agenda 21 (Messerli & Ives, 1997). Alpine geoheritage sites are thus located at the heart of those issues pertinent to developmental activities within mountain territories. At an historical moment in which the skiing industry is under question, threatened as it is, particularly at mid-altitude, by commercial and climatic uncertainty, geoheritage sites occupy a privileged place within the range of available diversification and seasonal redistribution tools.

20 In this regard, the case of the listing process concerning the Choranche Caves and Coulmes Plateau (Vercors Regional Nature Park, France), initiated in 2005 by the French Environment Ministry, is a good indication of the kinds of territorial difficulties that may confront heritage initiatives (Hobléa & al., 2008). Because of stiff opposition from an influential sector of local opinion – among which numbered local landowners affected by the listing – the French state at length abandoned the project on the

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grounds that forcing the issue would be at odds with that governing principle of sustainable development which insists that the opinions and free assent of local populations should be respected.

21 With the boot on the other foot, (geo)heritage arguments can be deployed in support of movements opposing certain infrastructure developments and activities (quarrying, transalpine transport lines, etc.) now often viewed as being negative in the context of the sustainable-development paradigm. So it was that at the beginning of the twenty- first century, on the western edge of the Chartreuse PNR and following a highly unfavourable public enquiry informed by lobby groups leveraging geoscience expertise, a proposed quarry situated in the commune of Saint Christophe la Grotte was rejected by the Prefect on the grounds that it threatened the promotion of the Sarde Way and Echelles Cave heritage and tourist site, an important historic and cultural site adjacent to the proposed quarry. The example here demonstrates a clear preference for a new approach to geological resources, one that is far more respectful of the physical and human environment, while still aiming to promote territorial development, albeit in a different way.

Alpine geoheritage serving territories: a win-win strategy

22 The example afforded by the Saint Christophe la Grotte quarry project illustrates how the value accorded to quarrying has been inversed. Like geosites, the history of mineral extraction has followed a cyclical trajectory, in which periods of boom and prosperity have been followed by decline and abandonment. While it is the case that most alpine mining sites have today passed from the sphere of industrial resource to that of heritage, the same cannot be said of gravel pits and quarrying. Nevertheless, while this activity was considered only in terms of being a valuable resource until the nineteen- nineties, new installations since have met with the opposition of the majority of local populations and their elected representatives, more concerned with protecting their quality of life and their local landscape. Thus from a logic of exploitation, we seem currently to be passing to a logic predicated on sustainable development, by which the resource is maintained within an environment intact: The idea being to establish a win- win synergy between economic, environmental and social fields.

23 This new approach now forms the basis of innovative territorial development strategies that are particularly well adapted to the needs of alpine territories undergoing more-or-less forcible change. The Geoparks concept (Zouros, 2004) is typical of the new approach. The Geopark designation – founded and managed from 2000 on according to strict guidelines by a network of pre-existing areas protected for their geological heritage – is awarded to candidates able to demonstrate their commitment to a genuine territorial project articulated around their geoheritage as a territorial resource. By the end of 2010, four Geoparks were in existence (The Geological Reserve of Haute-Provence and the Lubéron Natural Regional Park in France, the Adamello-Brenta Natural Park in Italy and Eisenwurzen Natural Park in Austria). And the designation would appear to be headed for a successful future given the large number of declared projects emanating from all the countries of the Alpine region.

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24 In order to achieve its socio-economic development goals, the Geopark concept is betting on the development of a new kind of tourism – geotourism – defined as being an ensemble of tourism (and leisure) practices and products based on the promotion of local geoheritage elements used as such. This implies a strong synergy between scientists – the producers of the knowledge, methods and tools necessary for the conservation and promotion of these resources – territorial managers and decision makers, planners and cultural and scientific mediators. And even within the scientific community itself, geoheritage requires a multidisciplinary approach, involving not only the geosciences (including physical geographers and geomorphologists) but also the human, economic and social sciences (particularly social and cultural geography). Thus geography finds itself positioned at the crossroads of all these approaches; and we witness in Alpine university faculties, how culturally aware geomorphologists work together with researches issued from the fields of cultural and social geography, or even form that of the geography of risk.

Conclusion

25 Without any doubt, the current “heritage proliferation” (Choay, 2006) involves alpine geosites, some of which were initially involved in early heritage initiatives dating back to the nineteenth century. This new wave is characterized by the “scientifization” of heritage processes, and has developed its own terminology along with attempts to objectivize and quantify the selection and evaluation procedures for sites involved according scientific values (Reynard & al., 2009). Geology and geomorphology are now the principle criteria of heritage procedures, rather than the landscape which they underlie or its associated aesthetic value; these having been relegated to the role of “ancillary value” along with other emerging tropes such as cultural or pedagogic values (links with and references to the past in service of the present and the future). Yet we are already witnessing a new value slippage: for the cultural field has been presented over the last few years as constituting the major lever for promotion within the geoscience field (Panizza & Piacente, 2003). In this way, geological and geomorphological sites – as much in the Alps as everywhere else in Europe – play their role in that heritage renewal which, in a globalized world, tends towards that large understanding of cultural heritage – including natural values –, which constitutes the specific nature of different territories.

BIBLIOGRAPHY

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ABSTRACTS

In the Alps — as with the rest of Europe — renewed interest in geoheritage sites has grown since the late nineteen-nineties. Inventory, conservation and promotional (didactic, tourist) projects for geosites have blossomed at every scale — local, national and international – articulated around the central concept of geodiversity. The present article will demonstrate that far from being an entirely new tendency, this constitutes rather a specific stage in a number of different threads of the history of landscape heritage, on-going since the nineteenth century. What is new, however, is the movement that consists in basing the selection of heritage sites on their intrinsic scientific value with regard to their pertinence to the history of the Earth, rather than for any merely picturesque or aesthetic qualities. This tendency towards the implementation of geoheritage contributes to the general drive for the sustainable development of alpine territories, particularly by means of the establishment of territorial development tools such as Geoparks.

Depuis la fin des années 1990, on assiste dans les Alpes, comme partout en Europe, à un nouvel intérêt pour les géopatrimoines. A toutes les échelles – locale, nationale, internationale – ont émergé des projets d’inventaire, de protection et de valorisation (didactique, touristique) des géosites autour du concept de géodiversité. Cet article montre que ces tendances ne sont pas nouvelles mais constituent plutôt une étape dans des trajectoires patrimoniales diverses, initiées dès le XIXe siècle. La nouveauté est une patrimonialisation basée sur la valeur scientifique intrinsèque des sites, en tant que témoins de l’histoire de la Terre, et non plus seulement pour leur valeur esthétique ou pittoresque. Ce mouvement de patrimonialisation participe de la volonté de développer durablement les territoires alpins, notamment à travers la mise en place d’outils de développements territorial tels que les géoparcs.

AUTHORS

EMMANUEL REYNARD Institut de géographie, Université de Lausanne, [email protected]

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Réordonner l’espace et le temps : Analyse croisée de la mise en patrimoine de la grotte Chauvet et du viaduc de Millau

Nicolas Senil

1 La trajectoire des dynamiques de patrimonialisation a montré depuis quelques décennies un élargissement successif des objets, des acteurs et des projets engagés. Ces mouvements ancrés dans la fin du monopole étatique, rappelée récemment par la tentative de transfert de certains Monuments nationaux aux collectivités territoriales, ont donné lieu à une triple évolution. La première est spatiale, le patrimoine étant dorénavant engagé sur des aires élargies (Gravari-Barbas, 2002). La seconde est temporelle car l’ancienneté n’est plus totalement rédhibitoire. Enfin, la dernière est marchande et consacre la possible utilisation du patrimoine comme ressource pour les territoires (Landel, 2007). Ainsi, à la désignation experte, s’est rajoutée l’appropriation sociale engagée dorénavant par une pluralité d’acteurs aux logiques multiples.

2 Dans un même temps, d’importantes mutations touchent les territoires et leur destinée. Les certitudes de la modernité ont ainsi laissé place aux incertitudes de la contemporanéité exprimées, entre autres, par U. Beck (2001) par l’appellation de « société du risque ». Le cadre national et son temps historique, ancrés dans la promesse d’un futur meilleur, accessible par la croissance et le progrès, ont petit à petit laissé la place à une modification des rapports au temps et à l’espace, liée à l’émergence d’un espace contracté et d’une historicité niée.

3 L’hypothèse que nous faisons alors est que les deux mouvements rappelés sont liés et que les mobilisations actuelles du patrimoine et du territoire participent à reconstruire ce rapport problématique. En donnant à l’espace une référence temporelle et au temps une emprise spatiale, ce couple nouveau, à penser ensemble dans un espace/temps refondateur, permet aux sociétés de reconstruire leur être au monde. Le présent et le proche, ré-ancrés dans le passé et la localité, à nouveau identifiés et valorisés, apparaissent alors comme une forme de réaction ou d’adaptation à ce nouveau cadre imposé. Pour aborder ces questions, deux exemples sont mobilisés, la grotte Chauvet découverte en 1994 en Ardèche et le viaduc de Millau inauguré 10 ans plus tard.

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4 Proposer d’analyser un site accueillant les plus vieilles peintures de l’humanité et un ouvrage d’art contemporain peut paraître surprenant. Mais outre le fait que les deux objets partagent le fait d’avoir été patrimonialisés, l’intérêt de cette mise en perspective est double. D’une part, ces objets sont ancrés dans deux représentations contraires, la préhistoire et la modernité, cette dernière s’étant largement construite sur la négation de l’avant (Latour, 1991). La grotte Chauvet constitue une référence artistique préhistorique unique, puisqu’elle abrite les plus vieilles peintures de l’humanité connues à ce jour. Le viaduc de Millau donne à voir, quant à lui, les capacités de l’homme moderne affranchi de ses croyances et des contraintes naturelles. D’autre part, leur emprise spatiale est opposée. La Grotte Chauvet est invisible car sous-terraine et rendue inaccessible au public, pour en garantir sa protection. A l’inverse, le Viaduc de Millau impose sa présence dans tout le paysage des Grands Causses. Enfin, ayant tous deux fait l’objet d’une apparition récente (la découverte de l’une et la construction de l’autre), il est permis d’étudier les processus en cours et de suivre l’action au plus près.

Des objets symétriques

La grotte Chauvet en Ardèche

5 L’histoire de la grotte Chauvet a commencé le 18 décembre 1994. Au sommet d’une rampe naturelle, trois spéléologues amateurs découvrent une cavité naturelle après avoir désobstrué le boyau d’entrée. Celle-ci est située à proximité immédiate de l’arche naturelle du Pont d’Arc, dans le cirque d’Estre, ancien méandre de la rivière Ardèche. Très rapidement, la présence de points sur la roche leur suggère une présence humaine ancienne et bientôt de multiples peintures rupestres s’offrent à leurs yeux. La découverte est portée à connaissance quelques jours plus tard au Conservateur du Patrimoine de la DRAC. J. Clottes, conseiller scientifique du ministère de la Culture pour les grottes ornées, se rend immédiatement en Ardèche pour authentifier la grotte. S’appuyant sur son analyse des peintures, permise par la comparaison des autres grottes ornées connues, il avance la période du Solutréen (18 000 ans). La découverte est annoncée publiquement le 18 janvier 1995 au ministère de la Culture à Paris et la grotte sera classée au titre des Monuments historiques dès le 13 octobre 1995. Finalement, les analyses au Carbone 14, menées quelques mois après la découverte, révèlent que les peintures de la grotte datent de plus de 30 000 ans, ce qui en fait les plus vieilles peintures connues à ce jour. Cette déclaration révolutionne alors complètement notre connaissance de l’art pariétal et plus largement de l’évolution de l’art. Dans cette cavité aux volumes importants, 420 dessins ont finalement été recensés et représentent 16 espèces. L’estompe, la perspective sont ainsi utilisés pour rendre compte avec une grande précision de l’anatomie et du comportement des animaux représentés. Fermée par l’effondrement du porche naturel depuis 20 000 ans, il apparaît très vite aux différents protagonistes de l’utilité de barrer l’accès à la grotte et d’en interdire durablement l’entrée (Duval, 2007). Depuis, la grotte Chauvet se trouve être mieux protégée qu’un bon nombre de musées nationaux et son accès est strictement réglementé.

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Le viaduc de Millau en Aveyron

6 Même s’il fut pour les millavois une apparition, le viaduc de Millau n’a rien d’une découverte. Il est « né » d’un long processus de réflexion qui engagea de nombreux partenaires. Cette histoire mobilisa en premier lieu des acteurs politiques. Mais à eux, vinrent rapidement s’ajouter la France du vide, l’Aménagement du Territoire, le Massif Central, la Vallée du Rhône et bientôt les Causses et leur rivière, le Tarn. L’A75, qui emprunte maintenant l’ouvrage, s’inscrit avant tout dans les grands discours de l’Aménagement du Territoire. Lancé en 1975 par V. Giscard d’Estaing, le projet est le fruit d’une volonté de désenclaver le Massif Central en reliant Clermont-Ferrand à la Méditerranée (Montpellier et Béziers) et parallèlement de répondre à l’engorgement de la Vallée du Rhône. Localement, cette autoroute est sensée faire sauter « le bouchon millavois » qui se forme lors des grandes migrations touristiques. Il assure à la ville une présence médiatique majeure ainsi que des retombées économiques de « cueillette ».

7 En 1987, les premières ébauches du tracé au niveau des Grands Causses voient le jour. Plusieurs propositions sont ainsi avancées pour résoudre le problème du franchissement de la vallée du Tarn. Celui-ci apparaît dès le départ aux ingénieurs comme le principal obstacle du tracé. Mais sa validation définitive prend plusieurs années. Il est alors finalement retenue l’option de tracé qui passe à proximité immédiate de Millau et nécessite la création d’un ouvrage d’art imposant. En 1996, à l’issue d’un appel d’offres, la solution conçue par M. Virlogeux, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et dessinée par Sir N. Foster, architecte, est choisie. Cependant, face aux problèmes de financement de l’Etat, le gouvernement décide en 1998 la mise en concession de la construction et de l’exploitation du viaduc. A l’exception du maire de Millau (J. Godfrain, proche de J. Chirac), tous les élus locaux s’opposent au péage. Ils considèrent que son impact sera négatif pour le développement de l’activité et des entreprises locales. Ses promoteurs assurent par contre que seule une concession pourra permettre au viaduc de voir le jour. En octobre 2001, suite à un appel d’offre, une solution associant béton (pile) et acier (tablier) préconisée par le groupe Eiffage reçoit les faveurs de l’Etat. Cette société est chargée de la construction et de l’exploitation du viaduc pour une période de 75 ans. Le 14 décembre, l’aventure démarre avec la pose de la première pierre.

8 Face à ce projet étatique, de nombreux habitants se sont opposés. L’impact de ce tracé sur l’environnement (présence des principales nappes phréatiques sous le tracé), sur le paysage (disproportions de l’ouvrage et architecture d’estuaire) et sur l’économie du territoire furent largement débattues. Le comité de proposition pour l’A 75 agita la population locale, les élus et les décideurs et ira même jusqu’à proposer un tracé alternatif sensé répondre aux critiques faites au viaduc. Néanmoins, c’est surtout la mise en concession qui soulèvera le plus d’inquiétudes locales. Tous les élus aveyronnais s’insurgèrent contre cette décision qui allait à l’encontre du principe de gratuité initialement promis et qui leur faisait craindre que ce tronçon annihile à lui seul les bénéfices potentiels du désenclavement permis par l’autoroute. Finalement, la construction du viaduc de Millau s’achèvera en trois ans et son inauguration eut lieu le 14 décembre 2004. L’ouvrage a une longueur de 2460 mètres et culmine à 240 mètres au dessus du Tarn. L’ensemble pile-pylône culmine à 343 mètres ce qui fait du viaduc le pont à haubans le plus haut du monde.

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Un engagement patrimonial partagé

9 Initiée comme un processus unique, l’évolution sociopolitique de la dynamique patrimoniale renforce dorénavant la distinction opérée par M. Rautenberg (2004) qui définit deux types de patrimonialisation : la désignation et l’appropriation. La première est celle d’un locuteur unique, « véritable récit ordonné de la mise en place des institutions » (Micoud, 2004). Quant à la seconde, « elle est proprement impossible, elle qui obligerait à relater toutes celles, innombrables, qui ont de cesse de faire exister autant d’énonciateurs qu’il y a de nouveaux collectifs demandant à ce que leur existence soit reconnue » (Micoud, 2004). Mais derrière la segmentation initiale rappelant l’élargissement constaté, le processus de patrimonialisation fait malgré tout l’objet d’un cheminement unifié. Nous appuyant sur plusieurs auteurs ayant détaillé les différentes phases du processus (Laplante, 1992 , Guérin, 2004 , Landel, 2007 , Di Méo, 2007), une formalisation enrichie peut être proposée (François et al., 2006).

L’itération patrimoniale

10 Ce qui est appelé la patrimonialisation s’opère alors en plusieurs étapes qui ne se déroulent pas selon un processus linéaire mais itératif. Nous en distinguons quatre, l’invention, la justification, la conservation et l’exposition, auxquelles s’ajoute une étape optionnelle : la valorisation.

11 Tout d’abord un processus de construction s’exécute dès l’instant où les objets sont sélectionnés à la lumière des potentialités qu’ils recèlent. Comme le souligne P.-A. Landel (2007), cette mise en évidence peut être un moment de découverte, appelé « invention », comme lors de fouilles archéologiques. La justification permet par la suite de repositionner l’objet dans son contexte. Ainsi, lors du passage à l’étape suivante, l’objet se construit, évolue sous l’effet des échanges et de la confrontation des représentations, ce qui modifie ainsi son statut (Faure, 2000). En effet, « pour que ce dernier existe réellement à nos yeux, il faut que nous lui reconnaissions une valeur et que nous nous sentions des responsabilités à son égard, à commencer par celle de le conserver : un bien que l'on abandonne ou que l'on dilapide n'est plus un patrimoine » (Bourdin, 1992). Cette réflexion conduit à la conservation du bien qui permet de maintenir la valeur et le sens qui lui sont consacrés. Elle recouvre à la fois des opérations de préservation, de restauration et de réhabilitation.L’idée de transmission y est largement sous-jacente. Une opération telle que la réhabilitation permet alors de matérialiser un changement d’état. Puis la mise en exposition donne les moyens de présenter le bien au public et lui offre ainsi une reconnaissance sociale (Laplante, 1992). C’est à ce moment-là qu’une connexion est potentiellement faite avec des opérateurs tels le tourisme (François, 2007). Un spectacle, un sentier d’interprétation ou encore la mise en lumière d’un château peuvent être des outils au service de cette exposition. Le changement d’usage qui en découle apporte une valeur supplémentaire à l’objet qui sera supérieure à sa valeur initiale.

12 En parallèle, l’appropriation apparaît comme un enjeu fondamental du processus, quelle qu’en soit l’étape puisque la patrimonialisation suppose que l’on distingue ce qui fait sens pour les acteurs. Ceci est d’autant plus important que, a priori, la patrimonialisation est faite au profit des « héritiers » (population locale par exemple) et non des « étrangers » ou populations exogènes (les touristes).

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Le processus en action

13 L’objet Chauvet découvert en 1994 est devenu quasi instantanément un patrimoine évident et le processus s’est trouvé comprimé. L’invention de la grotte fut immédiatement suivie par la reconnaissance de son ampleur, étayée par l’expertise. Dès sa première authentification, réalisée le lendemain de la prise de connaissance par le ministère de la Culture de sa découverte, la grotte fut en effet considérée comme exceptionnelle et devant faire l’objet de mesures de protection. Celles-ci seront alors mises en place par l’Etat et le classement fut particulièrement rapide. Parallèlement à ces démarches, l’appropriation de la découverte par la population fut immédiate et la présence massive d’habitants aux quelques présentations publiques d’un film tourné par les inventeurs fut là pour en attester. Néanmoins, l’objet patrimonial fut rapidement débordé et chaque phase de la patrimonialisation déboucha sur un procès. Le statut d’inventeur fit l’objet d’une tentative de spoliation, les propriétaires des terrains sont encore en procès avec l’Etat et les inventeurs souhaitent toujours voir réévaluer leur droit à l’image. Ainsi, l’engouement local perdit progressivement de sa force et nombreux furent les habitants et les élus à se sentir mis à l’écart. Passionnés par la grotte, ils n’eurent à voir pendant de longues années qu’une épopée judiciaire.

14 Dans ce cas précis, la patrimonialisation a opéré deux actions contradictoires en rendant attrayant un site qu’elle a dans un même temps rendu inaccessible. Mais conscients du dilemme, les élus locaux se posèrent en garants de sa restitution. L’objectif est depuis de rendre visible la grotte et de répondre à la responsabilité patrimoniale de sa nécessaire transmission, un espace de restitution est pour cela en projet.

15 L’histoire de la patrimonialisation du viaduc de Millau est plus surprenante mais moins problématique. Conçu pour être un ouvrage autoroutier, d’usage strictement fonctionnel, le viaduc de Millau a aussi connu une patrimonialisation. Mais ce processus de construction sociale a dans le cas de cet objet connu une trajectoire particulière. En effet, à l’inverse du processus observé pour la grotte Chauvet, l’analyse révèle en premier lieu une mise en exposition de l’ouvrage. Le temps de construction de l’objet explique en partie cet état de fait. Durant cette période, les pratiques sociales de l’objet ont en effet été amenées à évoluer. Elles ont subi une construction par l’agglomération de comportements spontanés jusqu’à l’invention d’un nouveau rapport à l’objet. La présence croissante de visiteurs a incité les acteurs locaux à créer une offre de visite dont la réussite a dépassé toutes les ambitions initiales. Imaginé par tous comme préjudiciable à Millau, le viaduc devint en quelques mois un objectif de visite. Durant la période de chantier, ce sont ainsi près de 700 000 personnes qui se rendirent sur le site, montrant une véritable passion pour la construction. Ce constat n’était pourtant pas facilement prévisible. L’histoire de la décision du viaduc, rappelée plus haut, montre en effet que son appropriation par la population n’était pas évidente. Initialement rejeté, puis fortement craint, le viaduc a gagné, petit à petit, une reconnaissance partagée. Débutée par l’exposition, la patrimonialisation se réalisa par une stratégie conservatoire mise en place par ses concepteurs (Etat, Eiffage et architecte) et assurée à tour de rôle. Finalement, le discours d’inauguration du Président J. Chirac (14 décembre 2004), vint clore une construction symbolique parfaitement maitrisée. L’ouvrage fut alors présenté comme l’incarnation du « Génie français » et de la capacité d’entreprise nationale, jusqu’à devenir pour le Comité

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Département du Tourisme de l’Aveyron « un haut lieu du patrimoine industriel français ». La continuité avec d’autres grands ouvrages d’art fut mise en avant et le Pont du Gard, le Viaduc de Garabit ou encore la Tour Eiffel, dont le concepteur est l’aïeul direct du concessionnaire, servirent ce projet. Parallèlement, les techniques des différents corps de métiers furent aussi régulièrement réinscrites dans la longue tradition des savoir-faire artisanaux (chaudronnier, soudeur, topographe).

Une patrimonialisation similaire mais inversée

16 La comparaison des deux objets révèle des différences immédiates. La visibilité, l’accessibilité, l’ancienneté, la fonction initiale ou encore la première perception par le territoire semblent les opposer irrémédiablement. Pourtant malgré ces différences, des processus similaires sont observés autour des deux objets et leur engagement dans une patrimonialisation les situe ainsi au final dans un système de valeur identique. Les différentes étapes de la patrimonialisation présentée plus haut ont ainsi été vérifiées dans les deux cas. La sélection de l’objet comme patrimoine, les discours de justification, les procédures de conservation et les dynamiques de mise en exposition sont assurément partagés.

17 Néanmoins, l’analyse de la chronologie observée montre une inversion des phases. Alors que la patrimonialisation de la grotte Chauvet a fonctionné selon le schéma connu, celle du viaduc de Millau s’est démarquée par une exposition initiale (sans visée patrimoniale) et un enclenchement successif des autres phases, qui a abouti à la sélection finale de l’objet comme patrimoine.

18 Le statut initial de l’objet et l’appropriation de celui-ci constituent les causes principales de cette différence. Si l’ancienneté de la grotte l’a immédiatement érigé en patrimoine, le viaduc n’a pas été au départ projeté dans ce registre. Cette latence a permis une appropriation progressive et une construction sociale de l’objet en tant que patrimoine. Celle-ci a été facilitée par l’appropriation tolérée du viaduc alors qu’elle fut bloquée pour la grotte. Dans ce cas, l’impossibilité des visites, la communication très rapidement défaillante et la gestion politique exclusive du projet de valorisation éteignirent petit à petit l’intérêt local (même si une opération de reconquête est depuis peu engagée). Ainsi, l’inversion du processus n’apparaît pas uniquement dans l’évidence de la visibilité, mais bien dans les formes d’appropriation et leur trajectoire.

Perceptions et appropriation de la grotte Chauvet et du viaduc de Millau

grotte Chauvet viaduc de Millau

Perceptions initiales de l’objet Ascendante Descendante

Trajectoire d’appropriation Descendante Ascendante

(Senil, 2011)

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La recherche d’une réappropriation spatio-temporelle

19 La mise en patrimoine du viaduc de Millau procède d’une historicisation de l’ouvrage. Marqué par une dimension spatiale liée à la cause (le désenclavement) et à l’effet (la hauteur), le processus engagé a permis de le doter d’une dimension temporelle a priori absente. Formalisé par les acteurs locaux, mais impulsé par l’Etat et le concessionnaire, ce discours procède d’une recherche d’ancrage symétrique. Celle-ci articule alors l’espace et le temps en associant au patrimoine un concept géographique, le territoire.

Une parenté conceptuelle

20 L’articulation des notions de patrimoine et de territoire peut sembler de prime abord paradoxale (Micoud, 1999). En effet, le patrimoine se réfère a priori plus à la temporalité qu’à la spatialité. Pourtant, plusieurs travaux de géographes rappellent que la patrimonialisation s’impose comme une « grille de lecture essentielle pour analyser les processus actuels de valorisation, d’appropriation et de transformation des espaces » (Veschambre, 2007). La plupart des recherches s’inscrivent dans une étude politique et critique du phénomène propre à une certaine approche de la géographie sociale. Le patrimoine apparaît alors comme un outil d’exclusion, à l’exemple des centres urbains engagés dans des processus de gentrification. Mais cette étude est complétée à partir de 1995 par une réflexion plus globale impulsée par G. Di Méo (1995), qui se saisit le premier de l’articulation de ces notions. Cette année là vit aussi la publication d’un autre article écrit par J.-L. Piveteau (1995) intitulé « Le territoire est-il un lieu de mémoire ? ». Malgré les propositions différentes, la motivation est identique, il s’agit pour les deux auteurs d’enrichir la notion de territoire avec des réflexions menées sur les représentations présentes du temps passé. Le patrimoine n’est alors plus seulement étudié comme un objet ayant une dimension spatiale, mais intégré dans la dynamique géographique et placé au cœur de la construction de l’espace.

21 Outre cette parenté conceptuelle constatée, patrimoine et territoire partagent le fait de donner du sens et de la valeur à des objets (Gauchon, 2010). Ils participent à l’émergence d’un espace commun, dans lequel le groupe se reconnaît, dont il se revendique et autour duquel il se construit. Pour P. Melé (2009), la patrimonialisation s’inscrit dans un rapport spécifique au territoire. Le lien au passé n’est plus imposé mais révélé selon un processus présent soucieux de son apport à la construction du futur. La patrimonialisation procède d’une « territorialité réflexive » à laquelle adhère aussi B. Debarbieux (2009). La grotte Chauvet et le viaduc de Millau constitue en cela des objets d’étude exemplaires.

La co-construction observée

22 La patrimonialisation du viaduc de Millau a eu pour conséquence de le doter d’une épaisseur temporelle que sa contemporanéité lui interdisait. Resitué dans la chronologie des grands ouvrages, il fut patrimonialisé pour tenir et marquer durablement la réussite d’une entreprise française, la volonté aménagiste de l’Etat, concrétisée sans argent et l’attractivité économique et touristique d’une région.

23 La grotte Chauvet, que la patrimonialisation a rendu invisible, s’est ainsi vue par là nier toute existence spatiale. Mais conscients des enjeux, les acteurs locaux s’engagèrent dès

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sa fermeture, à recréer le lieu. Ils cherchèrent ainsi à doter la découverte d’une emprise spatiale propre à la territorialiser. Porté par le Conseil général de l’Ardèche, auquel s’est associé depuis 2005 le Conseil régional Rhône-Alpes, le projet d’Espace de Restitution de la Grotte Chauvet a déjà subi deux relocalisations successives. Les problèmes liés à l’implantation du site révèlent ainsi l’importance des enjeux et la difficulté de donner un espace à une telle ressource territoriale (Gumuchian et Pecqueur, 2007). Les rapports plus ou moins difficiles à l’ici (la commune de Vallon Pont d’Arc sur laquelle est localisée la grotte originale, le Département ou la Région) et à l’ailleurs (le Gard dont la limite jouxte, la Drôme voisine et concurrente ou encore le Sud-est et ses nombreux sites classés à l’Unesco) sont là pour en attester. En outre, le territoire de projet prévu par le volet territorial du Contrat de Projet Etat Région s’est ainsi toujours vu refuser une emprise spatiale définie. Il est ainsi demandé à la grotte de rayonner le plus loin possible.

24 La spatialisation possède enfin une troisième échelle relative à la volonté de voir la grotte être labellisée au titre du patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. L’objectif est alors de fournir un espace à la mesure du vertige temporel de la découverte et de la faire connaître et exister aux yeux de tous. Mais cette reconnaissance potentielle participe aussi à l’extraire de son environnement immédiat. La gestion du site, dorénavant dictée par des règles définies ailleurs génère quelques inquiétudes locales.

25 Ainsi, dans les deux cas, les acteurs procèdent d’un souci d’inscrire l’objet initial, marqué par une référence dimensionnelle propre, dans la dimension complémentaire, dans le temps et dans l’espace. Si le territoire trouve dans le patrimoine un double bénéfique, comme cela fut le cas pour le viaduc de Millau, le patrimoine est aussi ancré dans le territoire à l’image de la grotte Chauvet.

Donner une place au temps

26 Au regard des éléments observés à partir de cette approche comparée, patrimoine et territoire apparaissent procéder d’un fonctionnement commun. Ainsi, le patrimoine est au temps ce que le territoire est à l’espace. La territorialisation et la patrimonialisation, sont proposées comme des processus de réordination du temps et de l’espace procédant d’un fonctionnement dialectique. Ce mouvement s’ancre dans une remise en question partielle mais multiple de la modernité et de son devenir.

27 Ce processus de mise en valeur contrôlée participe tout d’abord à redéfinir un cadre spatio-temporel adapté capable d’échapper à la modernité et à sa négation du temps et de l’espace. Ensuite, il représente une réintégration de la tradition (Rautenberg, 2003). L’opposition à celle-ci, sur laquelle la modernité s’est construite, est aussi questionnée. Le viaduc de Millau, emblème de la modernité française et de sa capacité à se réaliser se patrimonialise et s’ancre dans la tradition des grands ouvrages. A l’inverse, la grotte Chauvet s’affirme par la métaphore et la comparaison aux grandes œuvres de la modernité. Dans les deux cas, le message exprime alors le fait que « nous avons toujours été modernes »1.

28 Tradition et modernité continuent ainsi d’être associées et hybridées malgré l’apparente purification (Latour, 1999) dont elles ont fait l’objet et le dépassement postmoderne que l’on prétend en cours. Dès lors, le rapport au temps et à l’espace de notre société ne peut plus être pensé comme unique et allant de soi. La notion de

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régime d’historicité proposée par F. Hartog (2003) mérite ainsi d’être intégrée et prolongée en géographie (la géographicité peut être pour cela mobilisée).

Quelques enseignements complémentaires

La marchandisation partagée

29 Conçu comme un statut permettant d’extraire certains objets du traitement ordinaire de la société, le patrimoine est depuis toujours perçu comme une notion décalée. En effet, malgré les différentes postures utilisées pour l’appréhender, il apparaît détaché de la simple banalité. Ainsi mis à l’écart, le patrimoine s’ancre dans une pureté indispensable à son fonctionnement, sensée imposer un mode de gestion spécifique, dont les objectifs inattaquables sont la transmission et la conservation. Pourtant, l’analyse menée sur des objets en train de se faire a révélé une co-construction éloignée de la dissociation supposée. Les dynamiques engagées autour de la grotte Chauvet et du viaduc de Millau combinent ainsi patrimonialisation et valorisation. Dans le cas de la grotte, la volonté de restitution représente un objectif combiné de transmission et de valorisation. Le site, confié à un délégataire privé représentera un équipement culturel à vocation touristique et servira de point de relais pour les autres activités du territoire. La responsabilité ressentie par les élus concerne alors tout autant la valeur patrimoniale de la grotte à faire connaître, que sa valeur économique à optimiser. Dans le cas du viaduc de Millau, la patrimonialisation sert clairement le projet local de valorisation. La patrimonialisation de l’ouvrage représente bien plus pour les locaux le moyen d’assurer la création et la continuation d’une activité touristique de substitution que la conservation de l’ouvrage, déjà assurée par les obligations de sa fonction autoroutière et par son gestionnaire.

30 Dès lors, l’analyse mérite d’être complétée par une notion capable de lier patrimoine et territoire et marchand/non marchand. La ressource territoriale est pour cela proposée (François et al., 2006) comme notion composite capable de rendre compte des hybridations constatées.

Vers la réinvention d’un patrimoine national ?

31 L’engagement important de l’Etat autour de ces deux objets pose, pour conclure, la question de la réminiscence possible d’un patrimoine national supposé par beaucoup comme délaissé. Ainsi, l’Etat s’est engagé via différents ministères dans des actions de premier plan. Dans le cas de la grotte Chauvet, le ministère de la Culture a pris en charge la conservation et l’étude de la grotte. Dans celui du viaduc de Millau, le ministère des Transports a pris la décision de la construction, s’est assuré tout au long de celle-ci de sa conservation, en refusant de nombreuses propositions pouvant nuire à la pureté formelle de l’ouvrage, et le Président de la République a cristallisé la symbolisation.

32 Mais malgré cet investissement partagé, des différences sont perceptibles et le traitement est différencié. La grotte Chauvet paye sa découverte tardive et se voit toujours préférer la grotte de Lascaux par les politiques et le grand public. Ainsi, les collectivités territoriales et notamment le Conseil général de l’Ardèche et la Région Rhône-Alpes restent les principaux acteurs du projet.

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33 Le viaduc de Millau représente quant à lui, un emblème unique de la réussite technologique française dans lequel tous les acteurs se reconnaissent et au sujet duquel nombreux sont les visiteurs qui affirment à cette occasion « être fier d’être français ». Néanmoins, l’approche patrimoniale du viaduc de Millau possède un investissement pluriel. En reprenant la proposition typologique d’A. Micoud (2005), caractérisant un patrimoine national qui a vécu, un patrimoine local qui vit encore et un patrimoine de l’humanité qu’il faut faire vivre, le viaduc possède une triple inscription. Il représente conjointement l’accomplissement de la technologie française, le site touristique local à visiter et la modernité occidentale à faire perdurer. En ce sens, cet ouvrage exprime une nouvelle forme patrimoniale qui renvoie plus au testament, chargé d’exprimer ce que l’on souhaite léguer, qu’à l’héritage, duquel on se trouve dépositaire. Ainsi, la réflexivité se trouve exprimée et renforcée par un nouveau cadre spatio-temporel produit de notre intentionnalité. L’analyse de ces deux objets, conjointement patrimonialisés et territorialisés, s’inscrit alors dans la réflexion plus large du rôle du temps et de l’espace dans la réappropriation de notre devenir.

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NOTES

1. Cette affirmation ne nous oppose pas à B. Latour qui suggère à l’inverse que « Nous n’avons jamais été modernes », ce sur quoi nous le suivons, nous nous en sommes déjà expliqués.

RÉSUMÉS

La multiplication des objets, des acteurs et des logiques de la patrimonialisation génère un brouillage de plus en plus important sur la force et le sens de nos rapports au passé. Dans ce contexte, cet article se propose de réfléchir aux processus d’émergence de nouveaux objets patrimoniaux et aux conséquences de ces mobilisations. Il s’appuie sur l’analyse comparée de deux objets symétriques et tous deux patrimonialisés : la grotte Chauvet et le viaduc de Millau. En montrant que chaque objet est projeté dans la dimension spatiale ou temporelle dont il se trouve a priori exclu lors de son invention, l’analyse rappelle la nécessité d’intégrer une approche patrimoniale à notre lecture des dynamiques territoriales. Elle propose alors l’idée que ces mouvements croisés représentent une reconstruction d’un espace-temps maitrisé, nécessaire pour répondre au problème renouvelé de notre société : sa durabilité.

The multiplication of objects, actors and underlying rationales of heritage development, or patrimonialisation, is increasingly blurring the strength and meaning of our relationship with the past. The aim of this article is to reflect on the processes involved in the emergence of new heritage objects and on the consequences of these developments. The article is based on a comparative analysis of two symmetric objects, both of which have been the subject of heritage development processes: the Chauvet cave and the Millau viaduct in Southern France. By showing that each object is projected in the spatial or temporal dimension from which it was a priori excluded at the time of its discovery, the analysis demonstrates the necessity of integrating a heritage approach to our understanding of territorial dynamics. The analysis suggests that the interplay of territorialisation and heritage development processes represents a reconstruction of a controlled time-space, a prerequisite for addressing a recurring problem in our society, that of its sustainability.

INDEX

Mots-clés : durabilité, espace-temps, patrimonialisation, territorialisation Keywords : heritage development, patrimonialisation, sustainability, territorialisation, time- space

AUTEUR

NICOLAS SENIL Pacte/Territoires – Cermosem, [email protected]

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Reorganising space and time: A comparative analysis of the heritage development of the Chauvet cave and the Millau viaduct

Nicolas Senil

1 The development of heritage creation processes over recent decades has revealed successive increases in the number of objects, actors and projects undertaken. This development, rooted in the final stages of state monopoly, reflected recently in an attempt to transfer certain national monuments to regional authorities, has given rise to three types of change. The first is spatial in that heritage construction processes are henceforth undertaken at larger scales (Gravari-Barbas, 2002). The second is temporal, given that age is no longer totally obligatory. Finally, a third change has been at the level of the market and sanctions the possible use of heritage as a resource at the regional or local level (Landel, 2007). Thus, instead of being restricted to the domain of experts, heritage has become socially appropriated by a plurality of actors with numerous rationales.

2 At the same time, significant changes have affected more local areas and their futures. The certainties of modernity have thus given way to the uncertainties of contemporaneity, described, by U. Beck (2001) among others, as the “society of risk”. The national framework and its time in history, anchored in the promise of a better future accessible via growth and progress, have gradually given way to a change in the relationships with time and space, linked to the emergence of a contracted space and a denied historicity.

3 Our hypothesis is thus that the two movements, territorialisation and patrimonialisation, are linked and that the current developments affecting heritage and territory are contributing to a reconstruction of this problematic relationship. By giving a temporal dimension to space and a spatial dimension to time, these two movements, to be considered together in a restructuring space-time, enable societies to reconstruct their presence in the world. The present and the nearby, re-anchored in the past and the locality, re-identified and revalued, then appear as a form of reaction or adaptation to this new imposed context. To address these questions, two examples

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are used, the Chauvet cave, discovered in 1994 in Ardèche, and the Millau viaduct opened ten years later.

4 The idea of analysing a site that boasts the oldest paintings known to humanity and a modern civil engineering structure may appear surprising. However, apart from the fact that the two objects have both acquired the status of heritage sites, the value in adopting this perspective is two-fold. On the one hand, these objects are rooted in two opposing representations, prehistory and modernity, the latter having been largely constructed on the basis of a negation of the former (Latour, 1991). The Chauvet cave constitutes a unique prehistoric artistic reference, since it houses the oldest paintings known to humanity at present. The Millau viaduct, on the other hand, demonstrates the capacities of modern man when freed of his beliefs and natural constraints. Their spatial imprints, however, could not be more different. The Chauvet cave is invisible since it is underground and has been closed to the public in order to guarantee its protection. In stark contrast, the Millau Viaduct has imposed its presence on the entire landscape of the Grands Causses high plateaux. Finally, since both objects have only appeared recently (one being discovered, the other constructed), they provide us with an interesting opportunity to study the processes now underway and to closely monitor actions as they unfold.

Symmetric objects

The Chauvet cave in Ardèche

5 The history of the Chauvet cave began on December 18, 1994. At the top of a natural slope, three amateur speleologists discovered the natural cavity in the rock after having unblocked a narrow entrance passage. The cave is situated close to the natural arch of the Pont d’Arc, in the Estre cirque, a former meander of the river Ardeche. Very quickly, the presence of marks on the rock suggested to the speleologists that the cave had been formerly inhabited, and soon their eyes met with numerous cave paintings. The discovery was announced a few days later to the Curator for Heritage of the DRAC (Regional Directorate of Cultural Affairs). J. Clottes, scientific adviser to the Minister of Culture for decorated caves, immediately travelled to Ardeche to authenticate the find. Based on his analysis of the paintings, involving a comparison with those of other known caves, he suggested the cave dated from the Solutreen period (18 000 years ago). The discovery was publicly announced on 18 January 1995 at the Ministry of Culture in Paris and the cave was listed as an historic monument on October 13, 1995. Finally, Carbon 14 analyses, conducted a few months after the discovery, revealed that the paintings in the cave were more than 30 000 years old, which makes them the oldest known paintings in the world to date. This declaration completely revolutionized our knowledge of parietal art and, more generally, of the evolution of art. In this voluminous cavern, 420 drawings were finally discovered, representing 16 different animal species. The use of perspective and smudging techniques enabled the painters to portray, with considerable precision, the anatomy and behaviour of the animals represented. Since the cave had been closed by the collapse of the natural porch some 20 000 years ago, the value of barring access to the cave and of prohibiting entry on a permanent basis quickly became apparent to the different protagonists (Duval, 2007).

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Since then, the Chauvet cave has been better protected than numerous national museums and its access has been strictly regulated.

The Millau Viaduct in Aveyron

6 Even if the Millau Viaduct has been somewhat of an apparition for local people, it has in no way been a discovery. It was “born” out of a long process of reflection involving numerous partners. First of all, its story mobilised political actors, but very quickly numerous other actors and considerations were brought to bear on the project: “empty” France, planning and development, the Massif Central, the Rhone valley and then the Causses plateaux and their river, the Tarn. The A75 motorway, which now crosses the structure, became part of the major rhetoric of planning and development authorities. Launched in 1975 by Valéry Giscard d’Estaing, the project is the fruit of the desire to open up the Massif Central by linking Clermont-Ferrand with the Mediterranean (Montpellier and Béziers) and at the same time to address the problem of traffic congestion in the Rhone Valley. Locally, this motorway was meant to help traffic avoid the “the Millau bottleneck” that built up whenever there was heavy tourist traffic, but it also brought major media attention to the town as well as economic spin- off effects.

7 In 1987, the first drafts of the route through the Grands Causses were prepared, and several proposals were put forward to resolve the problem of crossing the Tarn valley. For the engineers, the challenge appeared, from the very outset, as the major obstacle along the route, and it took several years before a final decision was reached. The option finally chosen was the route that crossed the region in the immediate vicinity of Millau and required the creation of an imposing engineering structure. In 1996, following calls for tender, the solution proposed by M. Virlogeux, chief engineer of the Ponts et Chaussées (French Highways and Bridges authority) and designed by the architect, Sir Norman Foster, was selected. However, faced with funding problems, the government decided in 1998 to grant concessions both for the construction and the operation of the viaduct. With the exception of the mayor of Millau (J. Godfrain, a close friend of J. Chirac), all the locally elected representatives were opposed to introducing a toll. They considered it would have a negative impact on the development of local business and activities. Its advocates, on the other hand, were convinced that a concession was the only way in which a viaduct would be built. In October 2001, following a call for tender, the government opted for a solution associating concrete (piers) and steel (deck) recommended by the construction group Eiffage. The company was made responsible for both the construction and the operation of the viaduct for a period of 75 years. The adventure began on December 14, 2001, with the laying of the first stone.

8 The government-backed project met with opposition, however, from numerous local inhabitants. The impact of the chosen route on the environment (presence of the main groundwater layers beneath the route), on the landscape (disproportionate size of the structure and the estuarine architecture) and on the local economy was the subject of extensive debate. The committee proposing the A75 solution canvassed the local population, elected officials, and decision-makers and went as far as to propose an alternative route designed to address the criticism levelled against the viaduct. Nevertheless, it was mainly the granting of a concession that raised most local

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concerns. All the elected officials of the Aveyron region were opposed to this decision since it went against the principle of there being no fees, as initially promised, and raised fears that this section of the route alone would cancel out the potential benefits of the opening up of the region by the motorway. In the end, the Millau viaduct was built in three years and was inaugurated on December14, 2004. The bridge is 2460 metres long and crosses the valley some 240 metres above the Tarn. The pier-pylon structure reaches its highest point at 343 metres, making the cable-stayed bridge the tallest in the world.

A shared heritage commitment

9 Patrimonialisation, or heritage creation, began as a unique process, but its socio- political evolution came to strengthen the distinction made by M. Rautenberg (2004) in defining two types of heritage creation: designation and appropriation. The first is the creation of a single actor, providing a “truly ordered account of the setting up of institutions (translation)” (Micoud, 2004). As for the second, “it is strictly speaking impossible, since it would require taking into account all those countless actors that have constantly given rise to as many voices as there are new collective groups demanding to be recognised” (Micoud, 2004). But behind the initial segmentation, reflecting the increase in the number of cases, the heritage creation process has nevertheless experienced unified development. Based on the work of several authors who have examined the different phases of the process (Laplante, 1992, Guérin, 2004, Landel, 2007, Di Méo, 2007), a detailed formalisation may be proposed (François et al., 2006).

Heritage iteration

10 The heritage development process involves several stages. These stages, however, do not take place in linear fashion but are more iterative. We distinguish four such stages: discovery, justification, conservation and exposition, to which may be added an optional stage, that of promotion.

11 Firstly, a process of construction takes place as soon as the objects have been selected on the basis of the potential they contain. As P.-A. Landel (2007) points out, this identification process may be a moment of discovery, called “invention”, as may occur in archaeological digs. Justification then makes it possible to reposition the object in its context. Thus, with the passage to the next stage, the object is constructed and evolves under the effect of exchanges and the confrontation of different representations, thus modifying its status (Faure, 2000). Indeed, “for the latter to really exist for us, we have to recognise that it has a value and to feel responsible for it, beginning with the need to conserve it: a good that we abandon and squander is no longer a heritage item (translation)” (Bourdin, 1992). This consideration leads to conservation of the good, which enables us to maintain the value and meaning attributed to it. This includes not only preservation operations, but also restoration and rehabilitation. The idea of transmission is mainly underlying. An operation such as rehabilitation thus makes it possible to bring about a change of state. Then the exposition stage provides the means to present the good to the public, thus affording it social recognition (Laplante, 1992). It is at this moment then that a link is potentially made with operators such as those in

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tourism (François, 2007). Shows, interpretative nature trails or the illumination of monuments are examples of such exposition. The change in use that results attributes additional value to the object, making this greater than the initial value.

12 At the same time, appropriation appears as a fundamental step in the process, whatever the stage, since the heritage creation process assumes that we identify what has meaning for the actors. This is all the more important given that, a priori, the heritage creation process is for the benefit of “descendants” (the local population, for example) and not “foreigners” or outside populations (tourists).

The process in action

13 The Chauvet cave, discovered en 1994, became almost instantaneously an obvious heritage item and the process was consequently shortened. The discovery or “invention” of the cave was immediately followed by the recognition of its importance, supported by the opinion of experts. From the first authentication, conducted the day after the Minister of Culture learned of its discovery, the cave was considered as exceptional and worthy of protective measures. These were then put in place by the State and the cave was rapidly listed as a heritage site. At the same time as these steps were being taken, there was a rapid appropriation of the discovery by the local population, reflected in the crowds of inhabitants who attended the public presentations of a film made by the discoverers of the cave. Nonetheless, the heritage object was quickly overshadowed by other concerns and each phase of heritage creation led to a lawsuit. The status of “discoverer” became the subject of an attempt at plundering, the landowners are still in a legal battle with the State, and the cave’s “discoverers” still hope to get their image reproduction rights re-evaluated. Thus, local enthusiasm gradually waned and many inhabitants and elected representatives felt that they were ignored. For a number of cave enthusiasts, the story of its development as a heritage site became nothing more than a legal saga lasting several years.

14 In the case of the Chauvet cave, the heritage creation process led to two contradictory actions On the one hand, it made the site attractive, but on the other it had made it inaccessible to the public. Conscious of the dilemma, however, local elected officials made themselves guarantors for the cave’s restitution elsewhere. Since then, the objective has been to make the cave visible and to meet heritage responsibilities with respect to its necessary transmission. For this reason, a project is underway to create a restitution site.

15 The story of the patrimonialisation of the Millau viaduct is more surprising, but less problematic. The viaduct was designed as a motorway bridge structure with a strictly functional purpose, but quickly became the subject of a heritage development process. However, the social construction process in the case of this object followed a rather special path. Thus, unlike the process observed for the Chauvet cave, the heritage development process associated with the bridge involved first of all an exposition phase. This is explained in part by the time it took to construct the bridge. During this period, the social practices of the object evolved, undergoing a construction through the agglomerative effect of individuals’ spontaneous behaviour resulting in the discovery of a new relationship with the object. The increasing presence of visitors encouraged local actors to create a tourism product in the form of a visit, the success of which surpassed all initial ambitions. Everyone had imagined that the Millau viaduct

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would be prejudicial to the town, but within a few months it had become a tourist attraction. During the period of construction work, the site thus attracted some 700,000 visitors, reflecting a veritable passion for the structure. Such a reaction, however, had not been easily foreseeable. As outlined earlier in the story behind the decision to build the bridge, its appropriation by the local population was not at all obvious. Indeed, it was initially rejected and then the subject of serious doubts. Little by little, however, the viaduct won people over and earned their recognition. Beginning with the exposition phase, the heritage creation process was then implemented through a conservative strategy put in place by its designers (State, Eiffage and the architect) and carried out by each in turn. Finally, the inauguration speech by President Jacques Chirac (14 December, 2004) marked the end of a perfectly managed symbolic construction project. The structure was then presented to observers as the incarnation of “French genius” and the nation’s capacity for enterprise, with the Aveyron Department of Tourism going as far as to call it “a high altar of France’s industrial heritage (translation)”. The continuity with other major civil engineering structures was underlined, such as the Pont du Gard, the Garabit Viaduc and even the Eiffel Tower, the designer of which was a direct ancestor of the franchise holder. At the same time, the techniques of the different building trades were also regularly identified as being part of a long tradition of crafts and skills (boilermaker, welder, topographer).

A similar but reversed heritage creation process

16 A comparison of the two heritage objects reveals immediate differences. The visibility, accessibility, age, initial function as well as the first perception by the local area seem to separate the two objects irretrievably. And yet despite these differences, similar processes are observed around these two objects and their involvement in a heritage development process ultimately places them in identical value systems. The different stages in the heritage creation process mentioned earlier were thus verified in both cases. The selection of the object as a heritage object, the rhetoric of justification, the conservation procedures and the dynamics of the exposition process are undoubtedly shared.

17 Nevertheless, analysis of the chronology observed reveals a reversal of phases. While heritage development procedures in the case of the Chauvet cave followed the usual path, those associated with the Millau viaduct were distinct in that they began with an initial exposition phase (without any heritage creation in mind) which was then followed by the other phases, resulting in the final selection of the object as a heritage item.

18 The initial status of the object and its appropriation constitute the main causes of this difference. Although the age of the cave immediately set it aside as a heritage object, the viaduct was not, in the beginning, designed with this idea in mind. A latent possibility existed, however, which enabled the bridge’s gradual appropriation and the social construction of the object as heritage item. This was facilitated by the fact that appropriation of the viaduct was allowed, while that of the cave was blocked. In the case of the latter, visits were impossible and communications very quickly failed, which together with the exclusive political management of the development project gradually stifled local interest (even if an attempt to win back local interest has recently been

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embarked upon). Thus the reversal of the process is not only apparent in the visibility, but also in the forms of appropriation and the path that these take.

Perceptions and appropriation of the Chauvet cave and the Millau viaduct

Chauvet cave Millau viaduct

Initial perceptions of object Ascending Descending

Appropriation path Descending Ascending

(Senil, 2011)

The search for a re-appropriation in space and time

19 The development of the Millau viaduct as a heritage object is a product of the historicization of the structure. The viaduct’s spatial dimension was related to its cause (the opening up of the region) and effect (the height), but historicization provided it with a temporal dimension that was a priori absent. Formalised by local actors, but given impetus by the State and the concessionary authority, the rhetoric is based on a search for symmetric anchorage. This then links space and time by associating heritage with a geographical concept, that of territory.

A conceptual relationship

20 The linking of the notions of heritage and territory may at first seem paradoxical (Micoud, 1999). Indeed, heritage refers a priori more to temporality than to spatiality. However, several geographical studies point out that heritage creation involves using an “essential interpretative framework to analyse the ongoing processes in the development, appropriation and transformation of spaces (translation)” (Veschambre, 2007). Most research has been conducted as part of a critical and political study of the phenomenon peculiar to a certain approach in social geography. Heritage creation then appears as a tool to exclude, as in the case of urban centres undergoing gentrification. But this type of study was completed after 1995 by a more global reflection encouraged by G. Di Méo (1995), who was the first to use an association of these notions. The same year also witnessed the publication of another article written by J.-L. Piveteau (1995), entitled “Le territoire est-il un lieu de mémoire? Despite the different proposals, the motivation was the same. For both authors, the aim was to enrich the notion of territory with thinking on the representations present from the past. Heritage is thus no longer only studied as an object with a spatial dimension, but is integrated in a geographic process and placed at the heart of spatial construction.

21 Apart from this observed conceptual relationship, heritage and territory share the fact that they give meaning and value to objects (Gauchon, 2010). They participate in the emergence of a common space, with which the group identifies itself, to which it lays claim, and around which it develops. For P. Melé (2009), heritage development processes involve a specific relationship with territory. The link with the past is no longer imposed but revealed through a process that is present and concerned about its

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contribution to building the future. Heritage creation is based on “reflective territoriality”, an idea that B. Debarbieux (2009) also adheres to. In this respect, both the Chauvet cave and the Millau viaduct constitute exemplary case studies.

Co-constructing the heritage object

22 The heritage development process based on the Millau viaduct led to the structure receiving a temporal dimension that a priori was prohibited by the structure’s contemporaneity. However, repositioned within the chronology of other major structures, it became a heritage object to acknowledge and mark, in a lasting manner, the success of a French company, the will of the French State to promote development projects - realised without government funding - and the economic and touristic attraction of a region.

23 The Chauvet cave was rendered “invisible” by the heritage creation process and thereby denied any spatial dimension. However, local actors were aware of what was at stake and, as soon as the cave was closed, undertook to recreate the site elsewhere. They thus sought to provide the discovery with a spatial dimension and thereby a territorial expression. Financed by the Conseil Général de l’Ardèche and, since 2005, by the Conseil Régional Rhône-Alpes (Rhone Alps General Council), the project entitled “Espace de Restitution de la Grotte Chauvet” has already been relocated twice. The problems of establishing a new site thus reveal the important issues at stake and the difficulty of allotting a space to such a territorial resource. (Gumuchian and Pecqueur, 2007). The somewhat difficult relations with the “here” (the commune of Vallon Pont d’Arc where the original cave is located, the French département in which it is located, or the region in general) and the “elsewhere” (the adjacent Gard département, the neighbouring Drôme département, or the South-East of France with its numerous listed UNESCO sites) bear witness to this situation. Furthermore, the project territory recommended in the contract drawn up between the region and the State (Contrat de Projet Etat Région) has always been refused any well- defined spatial expression. It is hoped that the cave will thus spread its influence as far as possible.

24 Spatialisation also has a third aspect relating to the desire to see the cave listed as a world heritage site by UNESCO. Thus the objective is to provide a space in keeping with the vertiginous temporal scale of the discovery, to promote it, and bring it to the attention of the general public. But this potential recognition also contributes to its extraction from its immediate environment. Management of the site, henceforth governed by rules defined elsewhere, arouses a certain number of local concerns.

25 Thus, in both cases, the actors involved begin with a concern to register the initial object, which is characterised by one particular dimensional reference, in the complementary dimension of time or space. While territory (the local area) is able to benefit from heritage development, as was the case for the Millau viaduct, heritage is also rooted in territory, as observed with the Chauvet cave.

Giving time a place

26 Based on our observations from this comparative approach, heritage and territory (local area) appear to be the product of a common system. Thus heritage is to time, as territory is to space. It is suggested that territorialisation and heritage creation are

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processes that re-order or reorganise time and space based on a dialectical procedure. This movement is rooted in a partial calling into question of modernity and its future in numerous ways.

27 This process of controlled development helps, first of all, to redefine an adapted spatio- temporal framework capable of escaping modernity and its negation of time and space. Next, it represents a re-integration of tradition (Rautenberg, 2003). The opposition to this, on which modernity was constructed, is also called into question. The Millau viaduct, an emblem of French modernity and its capacity to become reality, is becoming a heritage object, rooted in the tradition of major engineering structures. The Chauvet cave on the other hand has established itself through metaphor and comparison with the great structures of modernity. In both cases, the message thus expresses the fact that “we have always been modern.”1.

28 Tradition and modernity therefore continue to be associated and hybridized despite the apparent purification (Latour, 1999) they have been subjected to and the alleged post-modern development now underway. Consequently, the relationship of our society with time and space can no longer be considered unique and self-evident. The notion of historicity regime proposed by F. Hartog (2003) also deserves to be integrated and extended in geography (“geographicity” may be mobilised for this purpose).

A few additional observations

Shared commodification

29 Conceived as a status enabling certain objects to be extracted from ordinary treatment by society, heritage has always been perceived as a notion that is a little unconventional. Indeed, despite the different standpoints taken to comprehend it, it appears detached from simple banality. Thus set to one side, heritage is rooted in a purity that is indispensable to the way it functions, which is supposed to impose a specific type of management, the irrefutable objectives of which are transmission and conservation. And yet, analysis conducted on objects that are in the process of becoming heritage has revealed a construction involving both time and space that is far removed from the assumed dissociation of these elements. The processes underway around the Chauvet cave and Millau viaduct are thus combining heritage creation and development. In the case of the cave, the desire to recreate it represents a combined objective of transmission and promotion. The site, entrusted to a private authority, will represent a cultural facility with a tourist vocation and will act as a relay point for other activities in the local area. The responsibility felt by the elected representatives thus concerns just as much the heritage value of the cave to be promoted as its economic value to be optimised. In the case of the Millau viaduct, the heritage creation process clearly serves the local development project. The heritage development of the structure represents, for the locals, much more the means of ensuring the creation and continuation of a tourist substitution activity than the conservation of the structure, already ensured by the obligations of its motorway function and by its management authority.

30 Consequently, the analysis warrants being completed by a notion capable of linking heritage and territory and market/non-market considerations. For this reason, the

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territorial resource is proposed (François et al., 2006) as a composite notion capable of taking into account the hybridisation forms observed.

Towards a re-invention of national heritage?

31 The important undertaking of the State with regard to the two objects discussed in this article raises a final question relating to the possible renaissance of a national heritage, thought by many to have been abandoned. For this reason, the State became involved, via different ministries, in prominent action programmes. In the case of the Chauvet cave, the Ministry of Culture took responsibility for the conservation and study of the cave. For the Millau viaduct, the Transport Ministry decided on the construction programme and ensured its conservation throughout the building period, refusing numerous proposals that might have affected the formal purity of the structure, whilst the President of the Republic crystallized the structure’s symbolisation.

32 Yet despite this investment in both projects, differences are perceptible and the treatment is not the same. The Chauvet cave is paying the price for its late discovery and appears to be in the shadow of the Lascaux cave, generally preferred by both political actors and the general public. Thus, local and regional authorities, in particular the General Council of Ardeche and the Rhône-Alpes Region, remain the main actors in the project.

33 As for the Millau viaduct, it stands as a unique emblem of French technological success, a success in which all the actors involved are acknowledged and which has encouraged numerous visitors to declare they are “proud to be French”. Nevertheless, the approach to heritage development adopted by the Millau viaduct involves multiple investments. With respect to the typology proposed by A. Micoud (2005), distinguishing national heritage that has lived, local heritage that is still living, and heritage for humanity that has to be given life, the viaduct scores on all three registers. It represents, at one and the same time, the accomplishment of French technology, the local tourist site to visit, and an example of western modernity to be perpetuated. In this sense, the structure expresses a new patrimonial form that relates more to a form of testament, responsible for expressing what we would like to pass on to future generations, than to heritage for which we find ourselves guardians. Thus, reflexivity finds itself expressed and reinforced by a new spatio-temporal framework produced from our intentionality. The analysis of these two objects, both undergoing heritage development and territoriality processes at the same time, is thus part of a more general reflection on the role of time and space in the re-appropriation of our future.

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NOTES

1. This assertion does not place us in opposition to B. Latour who suggests “We have never been modern”, with which we agree as we have already explained.

ABSTRACTS

The multiplication of objects, actors and underlying rationales of heritage development, or patrimonialisation, is increasingly blurring the strength and meaning of our relationship with the past. The aim of this article is to reflect on the processes involved in the emergence of new heritage objects and on the consequences of these developments. The article is based on a comparative analysis of two symmetric objects, both of which have been the subject of heritage development processes: the Chauvet cave and the Millau viaduct in Southern France. By showing that each object is projected in the spatial or temporal dimension from which it was a priori excluded at the time of its discovery, the analysis demonstrates the necessity of integrating a heritage approach to our understanding of territorial dynamics. The analysis suggests that the interplay of territorialisation and heritage development processes represents a reconstruction of a controlled time-space, a prerequisite for addressing a recurring problem in our society, that of its sustainability.

La multiplication des objets, des acteurs et des logiques de la patrimonialisation génère un brouillage de plus en plus important sur la force et le sens de nos rapports au passé. Dans ce contexte, cet article se propose de réfléchir aux processus d’émergence de nouveaux objets patrimoniaux et aux conséquences de ces mobilisations. Il s’appuie sur l’analyse comparée de deux objets symétriques et tous deux patrimonialisés : la grotte Chauvet et le viaduc de Millau. En montrant que chaque objet est projeté dans la dimension spatiale ou temporelle dont il se trouve a priori exclu lors de son invention, l’analyse rappelle la nécessité d’intégrer une approche

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patrimoniale à notre lecture des dynamiques territoriales. Elle propose alors l’idée que ces mouvements croisés représentent une reconstruction d’un espace-temps maitrisé, nécessaire pour répondre au problème renouvelé de notre société : sa durabilité.

INDEX

Keywords: heritage development, patrimonialisation, sustainability, territorialisation, time- space Mots-clés: durabilité, espace-temps, patrimonialisation, territorialisation

AUTHOR

NICOLAS SENIL Pacte/Territoires – Cermosem, [email protected]

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Ritual Continuity and “Failed Rituals” in a Winter Masquerade in the Italian Alps

Lia Zola

1 It is a matter of fact that rituals pervade our social interactions and religious practices. Few of us could identify all of our daily and festal ritual behaviours, much less explain them to an outsider. Similarly, because of the variety of activities that qualify as rituals and of the many mutually contradictory – yet in a way all equally legitimate – interpretations they are open to, rituals would seem to elude any systematic historical and comparative scrutiny.

2 Given the complexity of providing any single definition, anthropology has broadly examined the issue of ritual from different and sometimes contrasting perspectives. Anthropologists like Malinowski, for instance, have underlined the psychological functions of rituals (Malinowski, 1931). Others, like Robertson-Smith, Durkheim, and later Geertz, have claimed that ritual provides a legitimation of collective values. Ritual, in this respect, strengthens and regulates the social ties among individuals (Durkheim, 1912; Robertson-Smith, 1889; Geertz, 1973). Some anthropologists have focused on the efficacy of rituals as a means of solving social conflicts (Gluckman, 1962; Isambert, 1979). Other authors, have instead investigated the linguistic, semantic and symbolic aspects of rituals (Turner, 1967; Leach, 1966; Tambiah, 1979).

3 If the definition and the function of rituals are still open to debate, most authors agree that ritual is a flexible process subject to change, which tends to lose certain features and gain others. Rituals are unique because they are situated in particular times and places. As Stanley Tambiah states, «they are never pure replications of previous performances or anticipations of future ones» (Tambiah, 1979, p. 115).

4 My paper aims to explore issues of ritual continuity and ritual failure through a specific case-study, that of the carnival masquerade in Salbertrand, an alpine settlement of 485 inhabitants in the upper part of the Val di Susa, in the Italian western alpine chain. In doing so, I will adopt a symbolic approach: as Mary Douglas suggests, rituals may be

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seen as symbols, as «by their means, symbolic patterns are worked out and publicly displayed. Within these patterns disparate elements are related and disparate experience is given meaning» (Douglas, 1966, p. 3). In this perspective, also followed by Martine Segalen and François André Isambert, ritual is inevitably linked to a specific social context and deals with particular symbols which are collectively identified; ritual is also to be conceived in its collective essence: it makes sense for those who take part in it (Segalen, 1998; Isambert, 1979).

5 My paper also wishes to explore the issue of collective symbols: how they are shaped, how they are used and which controversies emerge in a local arena like Salbertrand: in doing so I will start by introducing the main features of Alpine carnival masquerades, I will then illustrate how carnival celebrations were in Salbertrand, how they went on and, eventually, I will take into account the issue of ritual failure.

Carnival masquerades in an Alpine context

6 Alpine winter masquerades, also known as carnival masquerades, may be regarded as one of the most complex phenomena within the field of study of cultural anthropology and folklore.

7 The etymology and social significance of carnivals are long debated issues. Most scholars agree, however, that more than any other traditional celebration, carnivals represent an open structure which, from time to time, includes new elements and expresses new meanings.1

8 Up to the 1940s, in Italian alpine society, as well as all across Europe, the celebration of carnivals was connected to a particular period of time between the winter solstice (21st December) and the Epiphany (6th January). In this respect, carnival was conceived as a natural marker between winter and spring, indicating the return of light after darkness and the re-awakening of nature.

9 In a European context, carnival celebrations may be linked to a period of time often referred to as “the twelve nights”: in Italian rural society, these twelve nights – extending from Christmas day to January 6th – were believed to be symbolic dates marking the passage from one agrarian cycle to another (Sordi, 1982).

10 Specific times of passage were thus considered to be endowed with deep cosmic symbolism, in accordance with a cyclical understanding of time as constantly wavering between death and the regeneration of nature and human beings. This worldview found expression in specific symbolic representations. In Italian rural society it was commonly believed that in given time frames – such as the carnival period – marking a seasonal passage, the souls of the dead would visit the earth carrying wealth from the underworld with them.

11 Most of the beliefs associated with the dead share common features: on the one hand, the deceased were considered to have a huge power, enabling them to cause death, illness, and famine. On the other, if the living showed awe and respect, then the dead could foster the fertility of the fields and of the kin. As a consequence of this ambivalent attitude towards the dead, the living used to wear masks: masks represented the powers of the underworld, and wearing them was a way of protecting people, cattle and houses from those ill-omened creatures.

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12 The very etymology of the words for mask reveals this particular function it served: Greek deikèlon (ghost, spirit, phantom, mask), Latin larva (referred to larvae demonum: evil spirit of the dead, mask), and Longobard masca – a synonym of the word striga (a spirit fond of gutting human beings) – all recall the realm of the dead and broaden our understanding of the ambivalent aspect of carnivals: just like death and the dead, carnivals tantalize the living (Sanga, 1982).

“We’ve always done things this way...” the Carnival in Salbertrand through the villagers’ narratives

13 “We’ve always done things this way” was what I was usually told when, during my fieldwork, I made questions on how Carnival was before World War II. What follows is an account illustrating several common features resulting from a number of interviews made to aged inhabitants of Salbertrand.2

14 Most of the villagers I spoke to during my fieldwork recalled that in Salbertrand, starting from the day of the Epiphany, groups of young unmarried men in disguise used to visit neighbouring houses and stables. They were followed by three or four musicians, or personally played various musical instruments or used other tools – such as whips, cowbells, and rattles – to make noises. Once inside a house, they would try to conceal their voices or wouldn't speak at all, communicating only by gestures. The men would usually improvise comical sketches; they would touch and stroke the household inhabitants and attempting to dance with the women. As a countergift for their performance, the landlords would often give the masked groups eggs or other food. Their visits were above all a pretext to get in touch with the women, from whom they normally led almost separate lives.

15 On the Wednesday before Shrove Tuesday (Mardi Gras), Salbertrand came alive as a bunch of male villagers visited houses and stables to collect food. Pancake Wednesday (Mercr du turtiòu), as it was called, was the day on which pancakes made of eggs and milk were cooked on an makeshift wooden stove set up on a cart. The cart carrying the stove and the pancake-makers would move slowly across the village, stopping at every house for the distribution of pancakes. Once they had received a pancake, the landlords would give back a few eggs or some milk, wine, or even money: all the countergifts would then be cooked and eaten by the villagers once carnival celebrations were over. This communal eating was also an occasion for the poor to enjoy a decent warm meal in a cold season like winter.

16 During the food collection two leading masks would bustle around the cart: lu-z-arlekìn and lu siřingäři. The former were Harlequins who – in keeping with their original devilish character – would sneak into houses and try to steal some wood with which to feed the stove on the cart. The latter, lu siřingäři, were equipped with a big syringe (of the kind normally used to administer enemas to livestock) with which they sprinkled ice-cold water under the women’s skirts.

17 The carnival celebrations went on with another performance, the Plough masquerade, which took place on Fat Thursday3 and was acted out, once again, by a group of men. The plough was drawn by two young men disguised as a couple of oxen and driven by a ploughman who mimed the act of ploughing and harrowing the snow. According to my informants, the scene was rather comical, as the oxen would try as hard as they could

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to set free from their master and to find their way to the nearest tavern. The group was followed by a man dressed in female clothes and sowing ashes.

18 The carnival celebrations ended on Shrove Tuesday with a big fire and the burning of the personification of Carnival itself: a puppet made of straw, cloth or other materials sewn together by village youths. First, however, the puppet – called Pagliaccio (clown) – was put on trial and sentenced to death. The Pagliaccio ended its brief life after a public reading of its will. Here satirical accounts and denunciations were made of all that had happened over the past year in Salbertrand. At this point, Lent – a dowdy woman in rags – would arrive to smother the fire. Walking around it and performing one last dance, Lent would announce the beginning of a period of fasting and the return of the village to ordinary life.

Carnival conversions, carnival diversions

19 The most relevant and visible changes in carnival celebrations in Salbertrand occurred just after World War II. As is sometimes the case with ritual contexts, certain parts of the celebrations continued, such as the distribution of food and the making and putting to death of the carnival puppet. Other features inevitably died out.

20 Carnival celebrations and their partial decline mirror a common situation in Italy, represented not only by forms of ritual decline, but also by significant and deeper socio-economic changes. The 1950s and 1960s witnessed the birth and development of large-scale industrial parks, such as those in Milan and Turin. As a consequence, younger generations abandoned Salbertrand in order to move to either Turin or the lower valley. This meant the decline of the local agropastoral economy, combined with seasonal migration of the male population. Most importantly, it also brought an end to all other sources of economic income for the village, such as its timber and mining industries, quarries, and the cod-processing factory.4

21 For the younger generations, who had always lived and worked as farmers or cattle- breeders, moving to Turin offered a new life perspective: wage labour, comforts, paid holidays – in others words, modernity. This represented a new opportunity for them, a form of social compensation enabling them to escape their destitute living conditions.

22 As one of my informants recalled: «After the 1957 flood, the cod-processing factory closed and within ten years Salbertrand lost half of its inhabitants. Some moved to the lower valley and started working for Magnadyne,5 while others went to Turin as factory workers for FIAT».

23 Salbertrand had already witnessed forms of permanent emigration, mainly to France and Argentina, at the turn of the XX century. But the emigration flow in the 1950s and 60s affected the social system of the village in an unprecedented manner. This is also confirmed by the fact that the people who settled in Turin tended to view those who stayed behind as old-fashioned; similarly, rural life was looked down upon as primitive and inadequate to meet modernity (Boissevain, 1992).

24 This situation persisted until the end of the 60s and began to reverse at the beginning of the 70s, with an unprecedented interest towards tradition.

25 As Jeremy Boissevain points out, however, «the reappraisal of the “traditional community”-centred rural way of life which was abandoned for the quest for modernization, began to be rediscovered and idealized» (Boissevain, 1992, p. 10).

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Interest towards tradition did not lead to a return to the previous agropastoral life, but rather took the form of a nostalgic feeling for unspoilt nature and a simple and “genuine” way of life.

26 Most surprisingly, those who revived tradition were, in many cases, people who had previously moved to Turin, or individuals who regularly travelled from Salbertrand to Turin for work. These included an urbanized elite and some local intellectuals.

27 The carnival in Salbertrand, while never interrupted, was revamped in the 1970s thanks to the interest of a new group of villagers – many of them members of the younger generations – who organised the performances. One of my informants recalls: «When we started celebrating our carnival “as it was”, there were very few people who could remember it, so we started to show the kids how to act: everything changed, of course! We replaced the cart with a truck, we put loud music on during the parade, we introduced modern masks such as the cook and so on... those kids are now grown-up men and women who can teach their children how to do it».

28 The way this celebration has evolved is suggested by the fact that over time there have been more losses than additions: the villagers who started celebrating it in the 1970s are no more in charge of the event, which nowadays is organized by the younger members of the village band. The celebrations take place on Sunday and on Shrove Tuesday and for the most part feature young masked people walking through the village. A few girls and boys on a big truck cook pancakes (turtiòu) which they distribute to the audience. The truck is preceded by members of the band playing some tunes; it is followed by another tractor from which more loud music is sounded, and which carries a good number of children in disguise. The carnival puppet (Pagliaccio), meanwhile, passes from hand to hand. When the procession reaches the square by the railway station, the carnival puppet is sentenced to death and burnt.

29 Over the past twenty years, Italian rural celebrations – including the carnival in Salbertrand – have stirred the interest of cultural anthropologists, theatre performers, and various intellectuals. In most cases, as we shall see, these forms of cultural renewal – which Claude Lévi Strauss would probably describe as examples of cultural bricolages – have witnessed forms of the so-called invention of traditions, as we will see.

Doing things “the old way”: carnival revives

30 In 2006, the carnival in Salbertrand was re-enacted by a local theatre association as it used to be performed before World War II. In order to stage the carnival “the old way”, the performers consulted some elders of the village who still remembered the former carnival customs. One elderly gentleman, in particular, who is regarded as “the living memory of Salbertrand”, had a crucial role in this process; so much so, in fact, that in the revival he played himself as a symbol of the living memory of the past.

31 In their theatrical performance, the actors chose to emphasize two particular moments that emerged from the elders’ accounts: the male practice of visiting private houses and the Plough masquerade.

32 Some characters were brought to life again. This was the case, for instance, with the siřingäři and the arlekìn. The Plough scene was acted out by two young men disguised as a couple of yoked oxen and by a ploughman. A few new characters were introduced, such as the village mayor, his wife, a doctor, two lawyers, a priest and a person

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embodying Carnival itself. Since there are no pictures showing how carnivals were celebrated before 1950, the theatre association created the costumes and wrote the script. Its actors learnt the lines by heart, as most of the performance was in Provençal, which was simultaneously translated into Italian by two characters.

33 The carnival cortège moved through the village streets, wreaking havoc upon the public. As the director of the theatre group reports: «the doctors offered their medicines, the harlequins played tricks on the audience, upper-class characters put on airs, Carnival danced with the people in the street, making fun of them, the oxen tried to run away, and so on...».

34 The masked group reached the main square of the village, where the Plough masquerade was acted out. The performance came to a close in the square by the railway station. Here Carnival was put on trial, sentenced to death and finally replaced by the carnival puppet, which was burned at the stake. As actors and audience gathered around the fire, Lent made its appearance: a masked figure in chains and dressed in white, who announced the death of Carnival both as a character and a celebration, and the beginning of spring.

Problems in ritual failure

35 The carnival of Guéini – this is how the villagers are known in the Valle di Susa6– reflects a pattern common to other European ritual celebrations: after a period of decline following a heavy emigration flow and a process of “modernization”, the carnival in Salbertrand was revitalized.

36 This renewed festive impulse has its plus and minuses. On the one hand, the effort of bringing the carnival to new life was particularly praised and appreciated by the mayor and the village administration. On the other, it raised doubts and caused dissatisfaction among the villagers for at least two reasons.

37 The first reason concerns the active participation of the elders. As previously mentioned, before staging the revitalized carnival, the theatre association consulted elderly members of the community in order to faithfully reconstruct the performance. One aged man in particular helped the actors by sharing his personal memories and views on what the carnival was like when he was a child. Most of the elders who watched the performance, however, argued that they did not recognize the performance – they probably had different memories about it. The revitalized performance struck them as something artificial, something stripped of its naturalness.

38 The second reason for villagers' discontent was chiefly a matter of bad timing: the theatre performance took place exactly during the “ordinary” carnival parade organized by the youths of Salbertrand, who had not been previously informed. These young members of the community failed to recognize the performance as a part of their history, as they had never witnessed what the “old” carnival looked like. They also felt that their annual duty of organizing the carnival had been usurped: they took the revived performance as a sort of “pitch invasion”. The audience, on the other hand, was quite astonished at the whole show: they had gone to Salbertrand to watch one carnival but had ended up with two, without really understanding what was going on.

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39 The problems caused by the desire to restore the old carnival celebrations discouraged their repetition the following year, so that the 2006 edition was the first and only which attempted to revitalize the carnival in Salbertrand.

40 The case of Salbertrand is thus an example of revitalization which turned out to be unsuccessful and became a ritual failure. But what is it that makes a ritual a failed ritual?

41 In order to broaden our understanding of failed rituals and their implications, I will return to the beginning of this paper and sum up the main points of my theoretical perspective on rituals.

42 According to Mary Douglas, François André Isambert and Martine Segalen, rituals deal with particular symbols which are collectively identified (Douglas, 1966; Isambert, 1979; Segalen, 1998). It seems, however, that that the attempt to revitalize the carnival brought out contradictions between different historical experiences, whereby the performance created a context in which different understandings of tradition among villagers and the lack of an all-encompassing symbolic content became apparent.

43 On one side, if anthropological critique has proved that tradition is an artifact of the anthropological process itself, and, as such, it is always invented and liable of being endowed with different meanings according to specific social and historical contexts, on the other tradition still entails both claims about identity and renderings of history.

44 As Fienup-Riordan recalls, the phenomenon of invented traditions «may be in part attributed to the contrast between the costant innovation of the modern world and an attempt to find some part of it invariant» (Fienup-Riordan, 1988, p. 452).

45 The clash between the authentic and the fake recalls the long debated issue of folklorism. In Hans Moser’s perspective, one of the three forms of folklorism he identified, refers to a set of folk materials (costumes, festive performances, music and art) which are extracted from their initial context and put to new uses for a different and larger audience (Moser, 1962).

46 In a 1964 paper he went on, focusing on the concept of Rucklauf, or “feedback” whereby scientific or pseudo-scientific insights are incorporated into the tradition bearer’s conscious knowledge. In other words, folklore is returned to the folk (Newall, 1987; Moser, 1964).

47 Hermann Bausinger drew a response to Moser’s work, stating «that which is genuine is not just the postulate of the observer, it is also a proclamation by the actors» (Bausinger, 1986, p. 27).

48 Moser and Bausinger’s approaches prove to be very fuitful for the understanding of how, in our case-study, the issue of authenticity was acted out by the theatre group and supported by the local administration on the basis on one elder’s memory. This was taken as a mirror image of the memory of the tradition bearer himself, thereby validating his creation as authentic and historically accurate.

49 Still, the authenticity claimed by the other elders, the villagers and the audience didn’t really “return to the folk” and was not even perceived as such.

50 In this respect, the history of the carnival in Salbertrand reveals that ritual meaning was forged in an arena infused with discontinuous layers of collective symbols, which, ultimately, were not collective at all. These symbols reflected divergences and the stratification of different perceptions, selected memories and fragments of the past

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crystallized in an idea of naturalness which inevitably contrasted with the processual essence attributed to rituals.

Conclusion

51 In order to draw to a conclusion, how can this case-study contribute to the analysis of ritual failures?Emily Chao argues that anthropological analysis has privileged rituals that are routinely performed and dramatize shared meanings and visions of reality. Failed rituals – rituals associated with either the successful reassertion or transformation of social order – are often not taken into sufficient account. Chao then goes on to suggest that «examining failed ritual redirects our analytic gaze to local processes of legitimation and authentication, while it simultaneously avoids accepting merely temporary arrangements of power as a timeless cultural essence. Understanding the failure of ritual draws us into the complex arena of conflict and contingency, where social dynamics enable new identities or create marginal ones» (Chao, 1999, p. 505).

52 The issue of failed rituals, as we have seen, is still an open debate which deserves attention. Therefore, a theory of ritual must allow for the inclusion of rituals regardless of whether they are successful, as all rituals are man-made and inevitably time-bound.

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NOTES

1. As this is not an essay on carnivals but on the implications of failed rituals in an Alpine carnival, I will just mention some of the main works on carnival, illustrating the various interpretations given of the phenomenon. Thus Bachtin (1984) and Baroja (1965) describe carnival as a site of cultural subversion. Burke (1978) interprets it as a time of waste opposed to everyday life, a time of savings. Italian scholarship on carnivals may be roughly divided into

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works which focus on interpreting the origins and etymology of carnivals (see, for example, Toschi, 1957 and the review La Ricerca Folklorica, n. 6, 1982) and works which compare aspects shared by different carnivals in a wider European, Alpine area. This is the case of the collective work Carnevali della Montagna, edited by the Bureau Régional pourl’Ethnologie et la Linguistique (2003), and of the project Carnival King of Europe, promoted by the Museo degli Usi e Costumi della Gente Trentina (www.carnivalkingofeurope.it). A good number of empirical data, specifically referring to carnivals in Piedmont, may be found in Piercarlo Grimaldi’s works (1997, 2003, 2007). 2. Still, it is relevant to state that their narratives reveal contrasting views on how Carnival was celebrated, probably due to different backgrounds, social conditions and so on. As the focus of my paper is to analyze the issue of collective symbols in ritual continuity, I chose not to report all the contrasting elements emerging from my informants’ accounts. However their divergencies show that probably collective symbols were not collectively identified even then. 3. In Italy Fat Thursday is a feast marking the last thursday before Lent. 4. In Salbertrand, one of the sources of economic income was represented by the processing of frozen cod. The fish came from the northern ports of France and was mainly directed to the Italian market. 5. The Magnadyne-Radiomarelli factory produced televisions and radio equipment. 6. Guéini probably derives from the Provençal verb ařguéinā, which refers to cows’ euphoria when they leave the stables at springtime. Guéini, in a more general sense, stands for the well- known custom of Salbertrand villagers to live it up.

ABSTRACTS

Alpine winter masquerades, also known as carnival masquerades, may be regarded as one of the most complex phenomena within the field of study of cultural anthropology and folklore. In the Italian alpine chain some of them have been brought to a new life two decades ago after a long period of decline; since then, alpine winter masquerades have been the focus of a great interest by cultural anthropologists, theatre performers and other intellectuals. In some cases bringing a winter masquerade to new life has proved to be successful; in others, after a first, “reborn” performance, some celebrations abruptly stopped. My paper aims to explore issues of ritual continuity and ritual failure through a specific case-study, that of the carnival masquerade in Salbertrand, an alpine settlement of 485 inhabitants in the upper part of the Val di Susa, in the Italian western alpine chain.

Les mascarades alpines d'hiver, aussi connues comme mascarades de carnaval, peuvent être considérées comme l’un des phénomènes les plus complexes dans le champ d'étude d'anthropologie culturelle et du folklore. Dans la chaîne alpine italienne, certains d'entre eux ont été amenés à une nouvelle vie il y a deux décennies, après une longue période de déclin. Dès lors, les mascarades alpines d'hiver ont été sujet d'intérêt majeur pour les anthropologues culturels, les acteurs de théâtre et d'autres intellectuels. Dans certains cas, réactiver une mascarade d'hiver s'est soldé par une réussite ; dans d'autres, après une première manifestation "renaissante" quelques célébrations se sont brusquement arrêtées. Mon article aspire à explorer les phénomènes de continuité et d'échec rituel à travres une étude de cas spécifique, celui de la mascarade de carnaval de Salbertrand, une localité alpine de 485 habitants dans la partie supérieure de Val De Suse, dans les Alpes occidentales italiennes.

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INDEX

Keywords: carnivals, ritual failure, ritual revitalization, ritual theory Mots-clés: carnavals, echec du rituel, régénération du rituel, théorie du rituel

AUTHOR

LIA ZOLA University of Padua, [email protected]

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Continuité des rituels et “Rituels manqués” lors d'une Mascarade d'hiver dans les Alpes italiennes

Lia Zola

NOTE DE L’ÉDITEUR

Traduction : Accent Mondial

1 Il est évident que les rituels infusent nos interactions sociales et pratiques religieuses. Peu d'entre nous seraient capables d'identifier tous nos comportements rituels quotidiens et des jours de fête, encore moins de les expliquer à un étranger. De la même manière, du fait de la diversité des activités qui relèvent des rituels et des nombreuses interprétations mutuellement contradictoires – cependant toutes également légitimes – auxquelles ils se prêtent, les rituels semblent échapper à tout examen systématique, historique et comparatif.

2 Comme il est difficile de donner une définition unique, l'anthropologie a examiné, de manière large, la question du rituel sous différents points de vue, parfois opposés. Des anthropologues comme Malinowski, par exemple, ont souligné les fonctions psychologiques des rituels (Malinowski, 1931). D'autres, comme Robertson-Smith, Durkheim et, plus tard, Geertz, ont avancé que le rituel apporte une légitimation aux valeurs collectives. Le rituel, dans cette perspective, renforce et régule les liens sociaux entre les individus (Durkheim, 1912 ; Robertson-Smith, 1889 ; Geertz, 1973). Certains anthropologues se sont concentrés sur l'efficacité des rituels comme moyens de résoudre les conflits sociaux (Gluckman, 1962 ; Isambert, 1979). D'autres auteurs ont, plutôt, étudié les aspects linguistiques, sémantiques et symboliques des rituels (Turner, 1967 ; Leach, 1966 ; Tambiah, 1979).

3 Si la définition et les fonctions des rituels font encore l'objet de débats, la plupart des auteurs s'accordent pour dire que le rituel est un processus souple, sujet au changement, qui tend à perdre certaines caractéristiques et à en gagner d'autres. Les

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rituels sont uniques parce qu'ils sont situés dans des lieux et à des moments particuliers. Comme Stanley Tambiah l'indique, « ce ne sont jamais de pures répliques de manifestations précédentes, ni des anticipations de manifestations futures » (Tambiah, 1979, p. 115).

4 Mon article vise à explorer les questions de continuité et d'échec des rituels à travers une étude de cas spécifique, celui de la mascarade du carnaval de Salbertrand, bourgade alpine de 485 habitants dans la partie haute du Val di Susa, dans la chaîne des Alpes occidentales italiennes. Pour cela, j'adopterai une approche symbolique : comme Mary Douglas le suggère, les rituels peuvent être vus comme des symboles, car « par leur truchement, des schémas symboliques sont élaborés et répandus dans le public. Dans ces schémas, des éléments disparates sont mis en relation entre eux et un sens est donné à une expérience disparate » (Douglas, 1966, p. 3). Dans cette perspective, qui est celle aussi de Martine Segalen et François André Isambert, le rituel est lié inévitablement à un contexte social spécifique et manipule des symboles particuliers collectivement identifiés ; le rituel doit aussi être perçu dans son essence collective : il fait sens pour ceux qui y participent (Segalen, 1998 ; Isambert, 1979).

5 Mon article souhaite également explorer la question des symboles collectifs : comment ils sont formés, comment ils sont utilisés et quelles controverses naissent dans une arène locale telle que Salbertrand : pour cela, je commencerai par présenter les principales caractéristiques des mascarades des carnavals alpins, j'illustrerai alors ce qu'étaient les célébrations du carnaval à Salbertrand, comment elles se sont poursuivies et, enfin, je m'intéresserai à la question de l'échec des rituels.

Les mascarades du carnaval dans le contexte alpin

6 Les mascarades d'hivers, dans les Alpes, connues aussi sous le nom de mascarades carnavalesques, peuvent être considérées comme un des phénomènes les plus complexes dans le domaine d'étude de l'anthropologie culturelle et du folklore.

7 L'étymologie et la signification sociale des carnavals sont des questions débattues depuis longtemps. La plupart des universitaires s'accordent, cependant, sur le point que plus que toute autre célébration traditionnelle, les carnavals sont une structure ouverte qui, de temps à autre, accueille de nouveaux éléments et expriment de nouvelles idées.1

8 Jusque dans les années 1940, dans la société alpine italienne, ainsi que partout en Europe, la célébration des carnavals était liée à une période particulière de l'année entre le solstice d'hiver (21décembre) et l'Epiphanie (6janvier). Le carnaval était, ainsi, perçu comme un marqueur naturel entre l'hiver et le printemps, annonçant le retour de la lumière après l'obscurité et le réveil de la nature.

9 Dans le contexte européen, les célébrations du carnaval peuvent être liées à une période de l'année appelée souvent “les douze nuits”: la société rurale italienne pensait que ces douze nuits – qui vont du jour de Noël au 6 janvier – étaient des dates symboliques marquant le passage d'un cycle agraire à un autre (Sordi, 1982).

10 Des moments spécifiques de passage étaient ainsi considérés comme investis d'un symbolisme cosmique profond, en accord avec une appréhension cyclique du temps vacillant en permanence entre la mort et la régénération de la nature et des êtres humains. Cette vision du monde trouvait son expression dans des représentations

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symboliques spécifiques. Dans la société rurale italienne, on croyait que, durant certaines périodes bien définies – telle que la période du carnaval – marquant un passage entre des saisons, les âmes des morts visitaient la terre et apportaient avec elles la richesse du monde souterrain.

11 La plupart des croyances associées à la mort partagent des caractéristiques communes : d'une part, les défunts étaient considérés comme disposant d'un immense pouvoir qui leur permet d'apporter la mort, la maladie et la famine. D'autre part, si les vivants montraient déférence et respect, alors les morts pouvaient dispenser la fertilité aux champs et à leurs parents. Les vivants, en conséquence de cette attitude ambivalente des morts, avaient l'habitude de porter des masques : les masques représentaient les pouvoirs du monde souterrain et les porter était un moyen de protéger les gens, le bétail et les maisons de ces créatures malveillantes.

12 La véritable étymologie des mots pour masque révèle cette fonction particulière : le grec deikèlon (spectre, esprit, fantôme, masque), le latin larva (en rapport avec larvae demonum : esprit malin de la mort, masque) et le lombard masca – un synonyme du mot striga (un esprit aimant étriper les êtres humains) – rappellent tous le royaume des morts et élargissent notre compréhension de l'aspect ambivalent des carnavals : comme la mort et les morts, les carnavals mettent les vivants au supplice (Sanga, 1982).

« Nous avons toujours fait comme ça... » le Carnaval de Salbertrand raconté par les villageois

13 « Nous avons toujours fait comme ça » voilà la réponse que j'ai reçue constamment quand, pendant mon travail sur le terrain, je demandais comment était le Carnaval avant la Seconde Guerre Mondiale. Le récit qui suit illustre plusieurs caractéristiques communes découlant d'un certain nombre d'enquêtes réalisées auprès d'habitants âgés de Salbertrand.2

14 La plupart des villageois auxquels j'ai parlé pendant mon travail sur le terrain se souvenaient qu'à Salbertrand, à partir du jour de l'Epiphanie, des groupes de jeunes hommes célibataires déguisés avaient l'habitude de visiter les maisons voisines et les étables. Ils étaient suivis de trois ou quatre musiciens ou jouaient, eux-mêmes, de divers instruments de musique ou utilisaient d'autres outils – des fouets, des cloches pour les vaches et des crécelles – pour faire du bruit. Une fois dans la maison, ils essayaient de contrefaire leur voix ou de ne pas parler du tout, en ne communiquant que par des gestes. Les hommes improvisaient habituellement des sketchs comiques ; ils touchaient et frappaient les habitants de la maisonnée et essayaient de danser avec les femmes. En contrepartie à leur prestation, les propriétaires offraient souvent à ces groupes masqués des œufs et d'autres aliments. Leurs visites étaient avant tout un prétexte pour entrer en contact avec les femmes, d'avec lesquelles ils vivaient normalement presque séparés.

15 Le mercredi précédant le Mardi Gras, Salbertrand s'animait quand un groupe d'hommes du village entrait dans les maisons et les étables pour recueillir de la nourriture. Le Mercredi des Crêpes (Mercr du turtiòu), comme on l'appelait, était le jour où on faisait des crêpes avec des œufs et du lait sur des poêles à bois improvisés montés sur une charrette. La charrette portant le poêle et les faiseurs de crêpes se déplaçaient lentement à travers le village, s'arrêtant devant chaque maison pour distribuer des

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crêpes. Dès qu'ils avaient reçu une crêpe, les propriétaires donnaient en contrepartie quelques œufs et du lait, du vin ou même de l'argent : tous ces dons en contrepartie étaient alors cuisinés et mangés par les villageois une fois les célébrations du carnaval terminées. Cette dégustation communale était aussi une occasion pour les pauvres d'avoir un repas chaud décent dans une saison froide comme l'hiver.

16 Pendant la collecte des aliments, deux masques meneurs s'activaient autour de la charrette : lu-z-arlekìn et lu siřingäři. Les premiers étaient des Arlequins qui – dans la ligne de leur caractère démoniaque originel – s'infiltraient dans les maisons et essayaient de dérober du bois pour alimenter le poêle sur la charrette. Les autres, lu siřingäři, étaient équipés d'une grosse seringue (du genre normalement utilisé pour administrer des lavements au bétail) et aspergeaient de l'eau glacée sous les jupes des femmes.

17 Les célébrations du carnaval se poursuivaient par la mascarade de la Charrue, qui se déroulait le Jeudi Gras3 et était, encore une fois, l'affaire d'un groupe d'hommes. La charrue était tirée par deux jeunes hommes déguisés en une paire de bœufs et menés par un laboureur qui mimait l'acte de labourer et de herser la neige. Selon mes informateurs la scène était plutôt comique, car les bœufs essayaient aussi fort qu'ils le pouvaient de s'affranchir de leur maître et de se diriger vers la taverne la plus proche. Le groupe était suivi par un homme habillé en femme et semant des cendres.

18 Les célébrations du carnaval se terminaient le jour du Mardi Gras par un grand feu et en brûlant Carnaval en personne : une poupée faite de paille, de tissu ou d'autres matériaux cousus ensemble par les jeunes du village. Mais avant, la poupée – appelée Pagliaccio (clown) – était jugée et condamnée à mort. Le Pagliaccio finissait sa brève existence après une lecture publique de son testament. C'était l'occasion de récits satiriques et de dénonciations de tous les événements de l'année passée à Salbertrand. A ce moment-là, Carême – une femme négligée en guenilles - arrivait pour étouffer le feu. Carême, en marchant autour du feu et en effectuant une dernière danse, annonçait le début de la période de jeûne et le retour du village à la vie ordinaire.

Transformations du carnaval, détournements du carnaval

19 Les changements les plus significatifs et visibles apportés aux célébrations du carnaval à Salbertrand se sont produits juste après la Seconde Guerre Mondiale. Comme c'est parfois le cas dans les contextes rituels, certaines parties des célébrations ont persisté, comme la distribution de nourriture, la fabrication et la mise à mort de la poupée de carnaval. D'autres aspects ont inéluctablement disparu.

20 Les célébrations du carnaval et leur déclin partiel sont le miroir d'une situation commune en Italie, caractérisée non seulement par des formes de déclin des rituels, mais aussi par des changements plus profonds socio-économiques. Les années 1950 et 1960 ont connu la naissance et le développement de parcs industriels à grande échelle comme ceux de Milan et de Turin. En conséquence, les jeunes générations ont abandonné Salbertrand pour Turin ou la basse vallée. Ceci a causé le déclin de l'économie agropastorale locale, combiné à une migration saisonnière de la population masculine. Plus important, ceci a aussi été la fin de toutes les autres sources de revenus

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économiques du village, comme le bois de charpente et les industries minières, les carrières et l'usine de transformation de la morue.4

21 Pour les jeunes générations, qui avaient toujours vécu et travaillé dans les fermes ou élevé du bétail, déménager à Turin ouvrait une nouvelle perspective d'existence : un emploi salarié, le confort, des congés payés – en d'autres termes, la modernité. Ceci leur offrait une nouvelle opportunité, une forme de compensation sociale leur permettant d'échapper à leurs conditions de vie indigentes.

22 Comme l'un de mes informateurs le rappelait : « Après les inondations de 1957, l'usine de conditionnement de la morue a fermé et, en dix ans, Salbertrand a perdu la moitié de ses habitants. Certains sont partis vers la basse vallée et ont commencé à travailler pour Magnadyne,5 alors que d'autres allaient à Turin comme ouvriers chez FIAT ».

23 Salbertrand avait déjà connu des formes d'émigration permanente, principalement vers la France et l'Argentine, au début du XXème siècle. Mais le flux d'émigration, dans les années 1950 et 1960, a affecté le système social du village d'une manière sans précédent. Ceci est aussi confirmé par le fait que les gens qui s'installaient à Turin avaient tendance à considérer ceux qui étaient restés comme vieux-jeu ; de la même manière, la vie rurale était considérée comme primitive et inapte à la modernité (Boissevain, 1992).

24 Cette situation a continué jusqu'à la fin des années 1960 et a commencé à s'inverser au début des années 70, avec un intérêt inconnu auparavant porté vers la tradition.

25 Comme Jeremy Boissevain relève, cependant, « la nouvelle appréciation d'un mode de vie rural centré sur la « communauté traditionnelle », abandonné dans une quête de modernisation, redécouvert et idéalisé » (Boissevain, 1992, p. 10). L'intérêt porté à la tradition n'a pas amené de retour de la vie agropastorale, mais a plutôt pris la forme d'un sentiment nostalgique pour une nature non abimée et une vie simple et « vraie ».

26 Plus surprenant, ceux qui ont repris la tradition ont été, dans de nombreux cas, ceux qui avaient déménagé à Turin ou des individus qui faisaient régulièrement la navette entre Salbertrand et Turin pour travailler. Ces personnes comprenaient une élite urbanisée et quelques intellectuels locaux.

27 Le carnaval de Salbertrand, bien que jamais interrompu, a été remis sur pied dans les années 1979 grâce à l'intérêt d'un groupe nouveau de villageois – pour beaucoup appartenant aux jeunes générations – qui ont organisé les manifestations. Un de mes informateurs se souvient : « Quand nous avons commencé à fêter notre carnaval « comme dans le temps », il y avait encore quelques rares personnes à s'en souvenir, donc nous avons commencé à montrer aux enfants comment faire : tout avait changé, bien sûr ! Nous avons remplacé la charrette par un camion, nous avons accompagné le défilé d'une musique forte, nous avons introduit des masques modernes comme le cuisinier, et ainsi de suite... ces enfants sont maintenant des hommes et des femmes adultes qui peuvent enseigner à leurs enfants comment s'y prendre ».

28 La manière dont cette célébration a évolué est définie par le fait qu'avec le temps il y a eu plus de pertes, que d'ajouts : les villageois qui ont commencé dans les années 1970 ne sont plus en charge de l'événement, qui aujourd'hui est organisé par les plus jeunes de l'orchestre du village. Les célébrations se déroulent le dimanche et le jour de Mardi Gras et, pour la plupart, mettent en scène des jeunes gens masqués qui déambulent à travers le village. Quelques filles et garçons, sur un gros camion, confectionnent des crêpes (turtiòu) qu'ils distribuent aux spectateurs. Le camion est précédé des membres

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de l'orchestre qui jouent des airs de musique ; il est suivi d'un tracteur qui émet une musique plus forte et qui transporte de nombreux enfants déguisés. La poupée de carnaval (Pagliaccio), pendant ce temps, passe de main en main. Quand la procession atteint la place, près de la gare, la poupée de carnaval est condamnée à mort et brûlée.

29 Ces vingt dernières années, les fenêtres rurales italiennes – y compris le carnaval de Salbertrand – ont stimulé l'intérêt des anthropologues culturels, des acteurs de théâtre et de divers intellectuels. Dans la plupart des cas, comme nous allons le voir, ces formes de renouveau culturel – que Claude Lévi Strauss aurait probablement qualifié d'exemples de bricolages culturels – sont des témoins de ce qu'on appelle l'invention de traditions.

Faire les choses « comme dans le temps » : le carnaval revit

30 En 2006, le carnaval de Salbertrand a été rejoué par une association théâtrale locale comme il était avant la Seconde Guerre Mondiale. Afin de mettre en scène le carnaval « comme dans le temps », les acteurs ont consulté des anciens du village qui se rappelaient encore les anciennes coutumes. Un monsieur âgé, en particulier, considéré comme la « mémoire vivante de Salbertrand », a joué un rôle crucial dans ce processus ; à un tel point, d'ailleurs, que lors de la fête il a joué lui-même le rôle de symbole de la mémoire vivante du passé.

31 Pour la représentation théâtrale, les acteurs ont choisi de mettre l'accent sur deux moments particuliers qui émergeaient des récits des anciens : la pratique masculine de la visite des maisons privées et la mascarade de la Charrue.

32 Certains personnages sont revenus à la vie. Il s'agit, par exemple, des siřingäři et des arlekìn. La scène de la Charrue a été jouée par deux jeunes hommes déguisés en une paire de bœufs sous le joug et par un laboureur. Quelques nouveaux personnages ont été introduits, comme le maire du village, sa femme, un médecin, deux avocats, un prêtre et un individu personnifiant Carnaval. Comme il n'existe aucune photo de la manière dont les carnavals se déroulaient avant 1950, l'association théâtrale a créé les costumes et écrit le script. Les acteurs ont appris le texte par cœur et comme la plus grande partie de la représentation était en provençal, le texte a été traduit simultanément en italien par deux personnages.

33 Le cortège du carnaval a traversé les rues du village, créant la confusion dans le public. Comme le rapporte le directeur du groupe théâtral : « les médecins offraient des médicaments, les arlequins jouaient des tours aux spectateurs, les personnages des classes plus élevées prenaient des grands airs, Carnaval dansait avec les gens dans la rue, en se moquant d'eux, les bœufs essayaient de s'échapper, etc… ».

34 Le groupe masqué a atteint la place principale du village, où se jouait la mascarade de la Charrue. La fête s'est terminée sur la place proche de la gare. Carnaval a été jugé, condamné à mort et finalement remplacé par la poupée de carnaval, brûlée sur le bûcher. Comme les acteurs et les spectateurs se regroupaient autour du feu, Carême est apparu : un personnage masqué, enchaîné et habillé de blanc, qui a annoncé la mort de Carnaval, le personnage et la fête elle-même, ainsi que le début du printemps.

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Problèmes d'échec des rituels

35 Le carnaval des Guéini – c'est ainsi que les villageois sont connus dans le Valle di Susa6– est le reflet d'un schéma commun aux autres célébrations rituelles en Europe: après une période de déclin suivant une forte émigration et un processus de « modernisation », le carnaval de Salbertrand a été revitalisé.

36 Cette impulsion festive renouvelée a ses avantages et ses inconvénients. D'une part, l'effort pour faire revivre le carnaval a été particulièrement apprécié et loué par le maire et l'administration du village. D'autre part, il a créé des doutes et causé des déplaisirs parmi les villageois pour au moins deux raisons.

37 La première raison concerne la participation active des anciens. Comme cela a été mentionné, avant de jouer le carnaval revitalisé, l'association théâtrale a consulté des personnes âgées de la communauté pour reconstruire fidèlement la manifestation. Un homme âgé, en particulier, a aidé les acteurs en partageant ses propres souvenirs et ses idées sur ce à quoi ressemblait le carnaval dans sa jeunesse. La plupart des anciens qui ont assisté à la représentation, cependant, ont indiqué qu'ils ne s'y reconnaissaient pas – ils en avaient probablement un autre souvenir. La représentation leur a paru artificielle, dénuée de naturel.

38 La deuxième raison du mécontentement des villageois a été le mauvais choix de la date : la représentation théâtrale a eu lieu exactement pendant le défilé « ordinaire » du carnaval organisé par les jeunes de Salbertrand, qui n'en avaient pas été informés au préalable. Ces jeunes membres de la communauté n'ont pas reconnu la représentation comme faisant partie de leur histoire, car ils n'avaient jamais assisté à ce qu'était le « vieux » carnaval. Ils ont eu aussi le sentiment que leur tâche annuelle d'organisation du carnaval leur était contestée : ils ont pris la représentation remise en vie comme une sortie d' « invasion de leur terrain de jeu ». Les spectateurs, d'autre part, ont été tout à fait étonnés de l'ensemble du spectacle : ils étaient venus à Salbertrand pour assister à un carnaval, mais en ont eu deux, sans réellement comprendre ce qui se passait.

39 Les problèmes causés par le désir de restaurer les anciennes célébrations du carnaval ont dissuadé de leur reprise l'année suivante, de manière que l'édition 2006 a été la seule et unique tentative de faire revivre le carnaval de Salbertrand.

40 Le cas de Salbertrand est, donc, un exemple d'un retour à la vie qui n'a pas réussi et s'est transformé en un échec de rituel. Mais qu'est-ce qui fait qu'un rituel est un rituel manqué ?

41 Pour mieux comprendre les rituels manqués et leurs implications, je reviendrai au début de cet article pour récapituler les points principaux de ma perception théorique des rituels.

42 Selon Mary Douglas, François André Isambert et Martine Segalen, les rituels manipulent des symboles particuliers collectivement identifiés (Douglas, 1966 ; Isambert, 1979 ; Segalen, 1998). Il semble, cependant, que l'essai de faire revivre le carnaval a mis au jour des contradictions entre différentes expériences historiques, la représentation créant un contexte dans lequel différentes manières de comprendre la tradition parmi les villageois et le manque de contenu symbolique rassemblant tout le monde sont apparus.

43 D'un côté, si la critique anthropologique a prouvé que la tradition est un artefact du processus anthropologique lui-même et, en tant que tel, est toujours en train d'être

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inventée et susceptible d'être investie de significations différentes en fonction des contextes spécifiques sociaux et historiques, d'autre part la tradition continue à susciter des revendications d'identité et de restitutions historiques.

44 Comme le rappelle Fienup-Riordan, le phénomène des traditions inventées « peut être en partie attribué au contraste entre l'innovation constante du monde moderne et une tentative de trouver qu'une partie de celui-ci ne varie pas » (Fienup-Riordan, 1988, p. 452).

45 Le clash entre l'authentique et le faux rappelle le sujet longuement débattu du folklorisme. Du point de vue de Hans Moser, l'une des trois formes de folklorisme identifiées par lui se réfère à un ensemble de matériaux populaires (costumes, festivités, musique et art) sortis de leur contexte initial et réutilisés devant une audience différente et plus grande (Moser, 1962).

46 Dans un article de 1964, il est allé plus loin en se concentrant sur le concept de Rucklauf, ou « rétroaction » selon lequel des aperçus scientifiques ou pseudo-scientifiques sont intégrés à la connaissance consciente du porteur de tradition. En d'autres mots, le folklore est ramené au peuple (Newall, 1987 ; Moser, 1964).

47 Hermann Bausinger a répondu à l'ouvrage de Moser en déclarant « ce qui est vrai n'est pas juste le postulat de l'observateur, c'est aussi une proclamation par les acteurs » (Bausinger, 1986, p. 27).

48 Les travaux de Moser et Bausinger s'avèrent très utiles pour comprendre comment, dans notre étude de cas, l'authenticité a été jouée par le groupe théâtral et soutenue par l'administration locale en se basant sur la mémoire d'un ancien. Elle a été considérée comme une image miroir de la mémoire du porteur de tradition lui-même, validant ainsi sa création comme authentique et historiquement juste.

49 Mais, l'authenticité revendiquée par les autres anciens, les villageois et les spectateurs n'était pas « ramenée au peuple » et n'a même pas été perçue comme telle.

50 De ce fait, l'histoire du carnaval de Salbertrand révèle que le sens des rituels a été forgé dans une arène infusée par des couches discontinues de symboles collectifs qui, en fin de compte, n'étaient pas collectifs du tout. Ces symboles ont reflété des divergences et la stratification des différentes perceptions, ont sélectionné des mémoires et des fragments d'un passé cristallisé en une idée de naturel qui est inévitablement en contraste avec l'essence processuelle attribuée aux rituels.

Conclusion

51 En conclusion, comment cette étude de cas peut-elle contribuer à l'analyse des rituels manqués ?Emily Chao défend l'idée que l'analyse anthropologique a privilégié les rituels suivis de manière systématique et a trop insisté sur les sens partagés et les visions de la réalité. Les rituels manqués – des rituels associés à une réaffirmation réussie ou à une transformation de l'ordre social – ne sont souvent pas assez pris en considération. Chao poursuit en suggérant que « l'examen des rituels manqués redirige notre regard analytique vers des processus locaux de légitimation et d'authentification, tout en évitant en même temps d'accepter des agencements de pouvoirs purement temporaires comme d'essence culturelle sans âge. La compréhension de l'échec d'un rituel nous amène au domaine complexe du conflit et de l'imprévu, où la dynamique sociale autorise de nouvelles identités ou en crée des marginales » (Chao, 1999, p. 505).

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52 La question des rituels manqués, comme nous l'avons vu, reste ouverte et mérite notre attention. Par conséquent, une théorie du rituel doit admettre l'inclusion des rituels qu'ils soient réussis ou non, car ils sont tous fabriqués par l'homme et inévitablement liés au temps.

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NOTES

1. Ceci n'est pas un essai sur les carnavals, mais sur les implications des rituels manqués dans un carnaval alpin, je ne ferai donc que mentionner les principaux ouvrages sur le carnaval, illustrant les diverses interprétations de ce phénomène. Ainsi, Bachtin (1984) et Baroja (1965) décrivent le carnaval comme un lieu de subversion culturelle. Burke (1978) l'interprète comme un temps perdu en opposition à la vie quotidienne, un temps épargné. Les ouvrages universitaires italiens sur les carnavals se divisent grossièrement en ouvrages qui se concentrent sur l'interprétation et l'étymologie des carnavals (cf., par exemple, Toschi, 1957 et la revue La Ricerca Folklorica, n. 6, 1982) et en ouvrages qui comparent les aspects communs aux différents carnavals dans une zone alpine, européenne plus vaste. C'est le cas de l'ouvrage collectif Carnevali della Montagna, édité par le Bureau Régional pourl’Ethnologie et la Linguistique (2003), et du projet Carnaval King of Europe, porté par le Museo degli Usi e Costumi della Gente Trentina (www.carnavalkingofeurope.it). Un bon nombre de données empiriques, se rapportant spécifiquement aux carnavals dans le Piémont, se trouve dans les ouvrages de Piercarlo Grimaldi (1997, 2003, 2007). 2. Il convient, pourtant, de relever que leurs récits révèlent des visions contrastées sur la manière dont le Carnaval était célébré, probablement du fait des arrière-plans différents, des conditions sociales etc. Comme le sujet de mon article est d'analyser la question des symboles collectifs dans la continuité des rituels, j'au choisi de ne pas rapporter tous les éléments opposés contenus dans les récits de mes informateurs. Cependant, ces divergences montrent que probablement, même alors, les symboles collectifs n'étaient pas collectivement identifiés. 3. En Italie, le Jeudi Gras est une fête marquant le dernier jeudi avant le Carême.

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4. A Salbertrand, l'une des sources de revenus économiques était la transformation de la morue congelée. Le poisson venait des ports du nord de la France et était destiné surtout au marché italien. 5. L'usine Magnadyne-Radiomarelli fabriquait des téléviseurs et des équipements radio. 6. Guéini dérive probablement du verbe provençal ařguéinā, qui se réfère à l'euphorie des vaches qui quittent les étables au printemps. Guéini, dans une acception plus générale, signifie la coutume bien connue des habitants de Salbertrand de faire la fête.

RÉSUMÉS

Les mascarades alpines d'hiver, aussi connues comme mascarades de carnaval, peuvent être considérées comme l’un des phénomènes les plus complexes dans le champ d'étude d'anthropologie culturelle et du folklore. Dans la chaîne alpine italienne, certains d'entre eux ont été amenés à une nouvelle vie il y a deux décennies, après une longue période de déclin. Dès lors, les mascarades alpines d'hiver ont été sujet d'intérêt majeur pour les anthropologues culturels, les acteurs de théâtre et d'autres intellectuels. Dans certains cas, réactiver une mascarade d'hiver s'est soldé par une réussite ; dans d'autres, après une première manifestation "renaissante" quelques célébrations se sont brusquement arrêtées. Mon article aspire à explorer les phénomènes de continuité et d'échec rituel à travres une étude de cas spécifique, celui de la mascarade de carnaval de Salbertrand, une localité alpine de 485 habitants dans la partie supérieure de Val De Suse, dans les Alpes occidentales italiennes.

Alpine winter masquerades, also known as carnival masquerades, may be regarded as one of the most complex phenomena within the field of study of cultural anthropology and folklore. In the Italian alpine chain some of them have been brought to a new life two decades ago after a long period of decline; since then, alpine winter masquerades have been the focus of a great interest by cultural anthropologists, theatre performers and other intellectuals. In some cases bringing a winter masquerade to new life has proved to be successful; in others, after a first, “reborn” performance, some celebrations abruptly stopped. My paper aims to explore issues of ritual continuity and ritual failure through a specific case-study, that of the carnival masquerade in Salbertrand, an alpine settlement of 485 inhabitants in the upper part of the Val di Susa, in the Italian western alpine chain.

INDEX

Mots-clés : carnavals, echec du rituel, régénération du rituel, théorie du rituel Keywords : carnivals, ritual failure, ritual revitalization, ritual theory

AUTEUR

LIA ZOLA Université de Padoue, [email protected]

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Autochthonous Linguistic Minorities in the Italian Alps: New Legislation – New Identifications – New Demographic Processes

Ernst Steinicke, Judith Walder, Roland Löffler and Michael Beismann

Problem definition, objective, and theses

1 Besides religion, language constitutes the most important form of expression of a culture. In many parts of the world this objective factor is used to distinguish autochthonous ethnicities from each other. In this sense a language distribution map reflects the ethnic – or more precisely: the ethno-linguistic – structure in a certain area.

2 It is impossible to find generally accepted definitions of the political term “ethno- linguistic minority” and of the cultural term “ethnic group.” They may differ from country to country: in some parts of Europe ethnic or ethno-linguistic minorities are described as special groups within a state that differ from the majority population in terms of objective (cultural) and subjective (in the sense of group-awareness) factors. This definition includes a common determination to maintain the particular, historical status of an autochthonous linguistic community that is recognized in most European countries when a group has existed for about three generations in a given area (Veiter, 1984). In contrast, immigrants do form ethno-linguistic groups, but they are not counted as “ethno-linguistic minorities” in the Alpine region (therefore also in Italy) – as opposed to countries like the Netherlands, the U.S.A., Great Britain and Canada. For the Italian concept of linguistic minorities and the relationship between language and regional variety, as well as between dialect and minority, details are provided by Toso (2008).

3 More than any other area in Western Europe, the Italian Alps are home to great ethno- cultural diversity: there, apart from the Roma and Sinti and from the Jewish, no less than seven autochthonous linguistic minorities coexist side by side with the official majority – sometimes in close vicinity and mixed in an overlapping pattern: the

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Friulians, , Germans, Ladins, French, Franco-Provençals, and Occitans. Therefore, this Alpine region presents a good model to analyze ethno-linguistic identifications and multicultural problems (for instance through migration processes).

4 Given its cultural as well as socio-political relevance, in present-day Europe the preservation of ethno-linguistic minorities is no longer seriously in question. Even France, whose constitution does not allow the existence of such special groups within its territory, discovered in recent decades several legal and constitutional open options in order to maintain the so-called regional languages within Metropolitan France (Sanguin, 1993). Any ethno-linguistic development closely depends on the legal instruments available for the protection of a minority and – correspondingly – on the respective group organization. The spectrum of protective options in the Italian Alps ranges from cultural concessions, to democratic participation, up to economic and cultural autonomy.

5 With the Implementation Act No. 482 (Gazzetta Ufficiale n. 297, 20.12.1999) Italy now protects all its twelve autochthonous linguistic minorities (minoranze linguistiche storiche). Thus, it fulfills the provisions expressed in Articles 3 and 6 of the Italian Constitution (Salvi, 1975: p. 9), albeit with a 50-year delay. Orioles (2003: pp. 20-28) provides a deeper, critical insight into this new regulation.

6 In the context of the referenced law, municipal measures are being promoted that serve the preservation of the ethno-linguistic diversity. However, for decades special minority ordinances within the scope of international agreements, or from autonomy statutes, have existed for the German- and Ladin-speaking population of South Tyrol , the Slovenian speaking of the provinces Trieste and Gorizia and the French (Franco- provençal) speaking of the Aosta Valley.

7 The problems arising from the linguistic diversity in the Italian Alps have already been the subject of numerous scientific investigations. Therefore it could be presumed that the autochthonous ethno-linguistic minorities in the Italian Alps have been captured for some time in cartographic representations as detailed as the municipal level. Even though various scientific branches, specifically linguistics, have supplied numerous contributions to individual minority groups and their settlement areas, a comprehensive overview over their actual distribution is still outstanding. Such a mapping activity does not solely serve academic interests; it is indispensable for protective measures in the preservation of the linguistic mosaic. A major objective of the present project research is therefore to close this gap. Beyond that, the study seeks to highlight “diffuse ethnicity” as well as examine the current demographic reversals in the region of the Italian Alps in relation to their ethno-geographical dimension.

8 The contribution presented here builds on own research results as well as on two theses forming the core focus of a current research project at University of Innsbruck’s Department of Geography:1 Thesis 1: In the Italian Alps, ambiguity still exists over the exact distribution of the autochthonous linguistic minorities. This extends even to the point where the ethno- linguistic self-assessment of individual communities agrees no longer with the objective (linguistic) findings. Regulations for the protection of minorities could thereby be taken to the point of absurdity, specifically if no one speaks the minority language any longer. Thesis 2: The preservation of the linguistic minorities in the Italian Alps has been complicated by “diffuse ethnicity” and by decades of depopulation of mountainous

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areas. Furthermore, the present demographic shift also threatens the ethnic diversity. New immigration in form of amenity(-led) migration now adds to the minorization of the smaller linguistic groups (cf. UNESCO, 2009) in their own territories.

9 This study follows the concept of relativized constructivism (Heller, 2004), i.e. it argues that ethnic framing cannot be seen solely in terms of constructivism but also from a primordial or objective point of view. Thus, language affiliation plays a decisive role. The contribution is based on the one hand on analysis of the current state of the art, specifically on results to this issue presented by University of Innsbruck geographers in the last decade (e.g. Steinicke, 2007), as well as on own analysis of official statistical data. It is on the other hand derived from own surveys in the course of investigative visits among all ethno-linguistic minorities of the Italian Alpine arch (2009/10). In the minority areas, experts were questioned about the ethnic boundaries with the neighboring room. Generally these experts were persons in responsible positions in the communities, as well as representatives of different cultural associations. In addition, written surveys were conducted with different communities and villages. The chapters below aim to provide first results.

Spatial distribution, minority affiliation, and size

10 The current state of research on status and ethno-politics of the autochthonous linguistic minorities in Italy is discussed in Walder, Löffler and Steinicke (2010). Attempts at relevant cartographic implementations can be found among others in Salvi (1975), Pellegrini (1977), Telmon (1992), Orioles (2003), as well as in Toso (2008). However, due to the selected level of scale – the Alpine region and/or Italy and adjacent areas – they are usually limited to a schematic representation. Small language groups and islands are sometimes characterized only symbolically and are thereby spatially difficult to assign, in part due to cartographic generalization. Further complications in accurate distinction of the various ethnic groups arise from overlapping linguistic structures, as in the Ladin-Venetian-Italian or in the Provençal- Piedmontese- contact zones. Moreover, subjective ethno-linguistic allocations are present in these areas that deviate from the objective linguistic findings. Finally, minority areas are further defined by official ordinances, which largely ignore objective and subjective criteria for ethnicity.

11 This study offers a current map of the distribution of the language minorities in the Italian Alps on a municipal basis (fig. 1). It appeared reasonable to first and foremost work with a foundation of objective characteristics, i.e. actual linguistic usage.

12 As already addressed, in Italy a demarcation can also be made on the basis of juridical conditions, which is to be viewed in the context of State Law No. 482/99 and the associated financial incentives. For this reason it was necessary to create a second map (fig. 2) in which the minority areas were to be defined according to legal criteria, i.e. municipal self-assessment.

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Fig. 1: “Minoranze linguistiche storiche” in the Italian Alps (according to the objective characteristic: use of language in everyday life)

Source: Walder, Löffler and Steinicke (2010; modified by the authors)

Fig. 2: “Minoranze linguistiche storiche” in the Italian Alps (according to municipal self-assessment 2007 in the context of State Law No. 482/99)

Source: Walder, Löffler and Steinicke (2010; modified by the authors)

13 Thus far the municipalities have actively taken advantage of this opportunity2 – an expression of the desire for protection of ethno-linguistic identity or an ethnically

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privileged position. Our research showed, however, that many Italian municipalities regard the new legal situation from a purely political-pragmatic perspective. For example, a certain ethno-linguistic self-assessment can be beneficial in gaining federal financial allowances. An examination of the eligibility for funding is often barely possible due to missing or unclear demarcations of minority areas.

14 It appears therefore reasonable to contrast the map of the various language groups by objective criteria with that of all the communities that declare themselves, according to Law No. 482/99, minority communities (cf. fig. 1 and 2). Thus, the spatial differences between local self-attribution and actual usage of minority languages become clear. For these reasons it is not surprising that the minority areas are to be represented more spaciously in fig. 2 – even though public financial support for minoranze linguistiche storiche based on Law No. 482 was significantly reduced some years ago.

15 Next to the large minority territories – in the Western Alps, in or South Tyrol – the minorities live scattered in small linguistic islands. In the “territorial expansions” highlighted in fig. 2, especially the German group stands out. Thus, in areas of former, long disappeared pockets these ethnic origins are now remembered, specifically in the so-called “Zimbern area” (north of Verona and Vicenza). In the Alpago (at the border to Friuli) municipalities suddenly declare themselves German- speaking because Bavarian colonists had also been in this region in the high Middle Ages. In the Walser areas of the Western Alps we can find parallel structures: even though in some of them the local population does not speak the German dialect anymore, the municipalities’ assessment argues that they are still linguistic minorities.

16 It is further understandable that the communities in the Agordino and Cadore, where the towards the south gradually merges into the Venetian dialect (cf. Pellegrini, 1977), also want to benefit from the advantages of the new law and declare themselves accordingly a Ladin minority area. Therefore, in fig. 2 “Ladinia” is no longer restricted to the Dolomite territory of the “old Tyrol” and the Comelico area.

17 In the Piedmont region, in the fringe area of the Alps, there are many “gray areas” in which minority languages mix with Italian and where the Piedmontese dialect tends to supersede the Occitan. Although better preserved in the posterior and higher locations of the valleys, where the influence of Italian and Piedmontese is not as strong, in the larger settlements and centers of the various valleys the minority languages are comparatively little used, or no longer at all (Allasino et al., 2007).

18 In the regions of the Aosta Valley and South Tyrol-Trentino, the linguistic minorities enjoy generous protection as a result of the autonomy statutes, while all the outlying language groups, especially the smaller ones, progressively lose native speakers. Table 1 indicates the linguistic proportion, although exact figures are available only for South Tyrol, where the number of speakers of each language is determined by census. The other figures are based on well-founded estimations.

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Table 1: Numerical size of the individual linguistic minorities in the Italian Alps 2009

Source: Walder, Löffler and Steinicke (2010: p. 183)

Problems of ethno-linguistic identification

19 The close symbiosis between the various linguistic groups in the Alps (fig. 1) has enhanced ethnic self-estrangement. Furthermore, the condition of “diffuse ethnicity” presents a significant obstacle to the preservation of linguistic minorities. Some examples may illustrate this phenomenon.

20 Because of distinct, subjective factors of ethnicity, the population of the various German language pockets in the Alps (fig. 1 and 2) may only conditionally be regarded as national minorities, even though the core area of their language lies in another country. The examples Gressoney in the Aosta Valley and Timau in Northern Friuli appropriately demonstrate their general situation in the Western Alps as well as in the Eastern Alps (Steinicke and Piok, 2003). The major task of the respective cultural organization in both communities is to prevent factors which impact unfavorably on the maintenance of these minorities. While the stakeholders of the Walser Association of Gressoney support contacts with other German-speaking areas (cf. Petite, 2009) and the teaching of standard German, those of the Cultural Circle of Timau focus on their own village and only promote the local German dialect, which is considered a proper language. Both organizations have been able to strengthen the ethno-linguistic identity among the local population. Nevertheless, there are fundamental differences between Timau and Gressoney: similar to the situation in other language pockets of the Eastern Alps, the people of Timau, while being conscious about their historical and linguistic origins, do not accept being considered a part of the German civilization. In Gressoney, however, local people as well as newcomers claim to be members of the Walser

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community, irrespective of whether or not they speak the dialect. It is true that these “diffuse ethnicities” may not be very helpful for the preservation of the German dialects, but we are witnessing the emergence of a new awareness, whereby standard language and language competency no longer constitute the most important elements for identifying ethnic groups. Instead, ethnic identity is increasingly expressed through subjective factors (ethnic self-assessment), as well as in the relationship to the respective village.

21 In terms of linguistic diversity, the quadrilingual Valcanale (Slovene, German, Friulian, and Italian) and the trilingual Val Resia (Slovene, Friulian, Italian) in the extreme northeastern part of Italy represent the core area of the Alps.

22 Like South Tyrol, the Valcanale/Kanalska dolina/Valcjanâl/Kanaltal is the region Italy claimed from Austria in 1919 (Vavti and Steinicke, 2005). At present, approximately 20 percent of the total population of about 6,000 in the Valcanale are Slovenes and Germans. Both ethnic groups gradually decline in numbers. The reasons for this are assimilation (intermarriage and problems of ethno-linguistic identification) and to a certain extent also out-migration and birth deficits. Research results show that elderly people in the Valcanale choose local and regional identifications to avoid conflicts with the majority population, the so-called “others.” Nevertheless, they still use their autochthonous languages in every day communication, whereas the younger generations more or less only speak Italian. A school system where the did not exist for decades is one of the reasons for the lack of knowledge of Slovene. Education and schooling outside of the Valcanale, e.g. in Tolmezzo, Udine, Gorizia, Trieste, or in , in and Klagenfurt, push young people from their homes. Later many of them find work in these areas.

23 As a consequence, ethno-linguistic segregation in the Valcanale has largely disappeared; young people do not have problems with the so-called “others” anymore. Thus, one can observe multilingualism (mixed or multiple identities) or simply an Italian national identity. Within the younger generation the Slovene and German languages will likely be lost within the next twenty years. Most of the autochthonous inhabitants have chosen the way of assimilation because they do not want to come into conflict with the Italian or Friulian majority population. Nevertheless, among parts of the younger generation a kind of “symbolic ethnicity” can be seen: they still like and cultivate heritage and the old local customs (Christmas and wedding rituals or architectural styles), but as mentioned, they often are no longer able to speak the autochthonous languages. Consequently, in everyday communication Italian is the predominant language.

24 Unlike the Valcanale, in the past centuries the Resia Valley was cut off from linguistic developments (Steinicke, 1991). It has thus kept outdated linguistic and cultural features that have been preserved until today. Already in the 18th and 19th century, Polish, Russian and Ukrainian academics came to this valley to study its archaic Slavic dialect and to compose dictionaries. All agreed that the Resian dialect was not based on the Slovene language. Although antiquated, this assessment – still supported by local actors in a Resian cultural association – has largely influenced the ethnic identity of the local people. These stakeholders even developed a proper codification for their idiom. Consequently a good portion of the autochthonous Slovene Resians does not want to be counted as Slovenes and does not identify the archaic village dialects as part of the Slovene language. They tend to express local identification through their relationship

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to their respective villages rather than through any self-perception that ties them to the Slovene culture. Furthermore, in his expert interviews Steinicke (1991) discovered that some of the Resian residents – in terms of ethnicity – even feel as Russians! There is no doubt that this distinct self-perception is not in the least helpful to preserve this small minority in times of globalization.

Demographic transformation

25 After WWII in the Italian Alps, except in South Tyrol, adverse natural and socio- agrarian factors as well as a lack of non-agricultural job opportunities led to a massive depopulation that lasted well into the 1970s. Fig. 3 illustrates this out-migration period. Depopulation in the Italian Alps has undoubtedly decreased since the 1980s, and from 1990 onwards the majority of the Alpine communities has been growing (fig. 4).

Fig. 3: Italian Alps: Population Development 1951 - 1980

Source: http://www.comuni-italiani.it (calculations and cartography by the authors)

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Fig. 4: Italian Alps: Population Development 2002 - 2010

Source: ISTAT - http://www.demo.istat.it (calculations and cartography by the authors)

26 While immigration until a few years ago concentrated mainly around central Alpine areas with strong economic, tourism and transportation connections, our analyses show that peripherally located Italian Alpine communities progressively accomplish a positive migration balance (fig. 5). Regardless of the population development since the early 1990s, there are still areas evident with some significant population losses. Even today the effects of unfavorable bio-demographic factors resulting from the migration period can be observed in many Italian Alpine communities. Fig. 5: Italian Alps: Migration Balance 2002 - 2010

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Source: ISTAT - http://www.demo.istat.it (calculations and cartography by the authors)

27 With this study we could identify for the first time that more and more municipalities in the Italian Alpine region that were characterized by population losses in the last decades now show in part remarkable influx and thereby population gains. Overall, the newcomers originate mainly from Italian-speaking areas or from abroad. The results of our interviews, however, indicated a distinction between the foothills and the interior of the Alps. The population gains in the foothills can be explained through interaction with the Padanian cities and constitute therefore a process of suburbanization or exurbanization (with daily commuting). On the other hand, the newcomers in the interior of the Alps are: • remigrants who want to retire in their villages (and homes) of origin; • migrants mostly from eastern and southeastern Europe and Turkey; • amenity-led migrants (urban refugees).

28 In the context of the indicated current demographic trend reversal in the Italian Alps, amenity(-led) migration plays a significant role. This phenomenon represents a shift in preference of residential location from the urban space to remote, but attractive rural (mountainous) regions. It is the driving force behind the present settlement expansion and the current population growth in numerous Italian Alpine communities. Weekend and leisure homes become increasingly additional or retirement residences, which means that the time spent in the target area expands significantly. As more and more people are no longer confined to their places of work, the motivation to also transfer work-related aspects to the “new” residence is high. These characteristics – greater length and frequency of stay and paid occupation at the destination – are the key differences between amenity migrants and tourists.

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Synthesis

29 In our project we emphasize that problems of the distinct ethno-linguistic identification as well as processes of depopulation and re-settlement of peripheral regions carry potential for considerable ethno-cultural changes.

30 From 1990 onwards the re-settling of peripheral high mountain regions can be seen as a completely new process. Amenity migration leads urban refugees to the various Alpine valleys, where they influence the ethno-linguistic structure. This process affects smaller autochthonous linguistic minorities, which may gradually disappear altogether.

31 Figures 1 and 2 offer not only a community-specific overview of the ethno-linguistic situation in the Italian Alps, but demonstrate at the same time that a current minority area, as defined through the use of the minority language in everyday life, is not always consistent with the ethnic self-assessment of the municipalities. This reflects the political dilemma of establishing appropriate strategies for effective protection of minorities and confirms the supposition that measures for their protection can fall short of the actual objective. Although nothing can be argued against a wide promotion of linguistic revitalization outside the minority areas that are still intact, too little financial support is available for their preservation. The best example provides the "neo Ladinisme" in the region of Veneto.

32 Not only future policies, but also “diffuse ethnicity” and demographic developments will have an impact on the survival of the autochthonous linguistic minorities, as articulated in Thesis 2. In this respect, this study seeks to make aware of the current demographic trend in the Italian high mountains: from approximately 1990 on, ever more municipalities with former population deficits accomplish a positive migratory balance. Earlier, when mainly the economically induced migration or the birth deficit contributed to the depletion of linguistic minorities, assimilation progressed only insignificantly in peripheral areas. In contrast, the minority members are presently subjected to a greater assimilation process, which first becomes apparent in the disappearance of minority languages from daily life. This also confirms the second thesis – that, brought on by the new influx in form of amenity migration, the linguistic minorities are becoming minor constituents in their inherent territories.

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NOTES

1. Austrian Science Fund/FWF Project (P20954-G03) “The Impact of Current Demographic Transformation on Ethno-Linguistic Minorities in the Italian Alps.” 2. Of course these activities of the municipalities represent a correspondingset of individual actions of various stakeholders in the communities. Regarding the moot question whether groups, besides individuals, can also in fact act, the connection of “complexity and contingency”

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discussed by Luhmann (1984) should be pointed out. According to this, it is entirely possible to speak of acting groups as well as of collective actions. The emergence of actions of a municipality is indeed so complex that contingency simply remains acceptable.

ABSTRACTS

More than any other area in Western Europe, the Alps, especially the Italian Alps, are home to great ethno-cultural diversity: there, no less than seven autochthonous linguistic minorities coexist side by side with the respective official majority. Now being considered an important cultural heritage by the state as well as by the regions, new legislation offers protection to all ‘linguistic-historic minorities’ in Italy. Our study shows, however, that it is quite difficult to maintain such groups, since it is largely unknown where exactly the minority areas are situated. Based on that, local actor groups in various communities take advantage of this lack of knowledge and declare themselves minority territories although they show no linguistic varieties. An important objective of this project is therefore to present a cartographic representation of this linguistic diversity. Subsequently, the contribution discusses case studies of distinct ethno-linguistic self-awareness. Even though with Law No. 482 a first important step was taken to preserve the linguistic minorities, their progressive decline by territorial and numerical criteria cannot be denied. Today, besides unfavorable bio-demographic factors and “diffuse ethnicity,” other causes are current demographic processes. In this framework the amenity migrants, those new immigrants who have discovered the mountains as a new, desirable settlement space, play a decisive role by reinforcing the assimilation process.

Les Alpes, plus précisément les Alpes italiennes, plus que toute autre région d'Europe Occidentale, sont un lieu de grande diversité ethnoculturelle : pas moins de sept minorités linguistiques autochtones y coexistent, côte à côte avec la majorité officielle correspondante. Maintenant considérées comme un héritage culturel important par les états ainsi que par les régions, une nouvelle législation offre une protection à toutes les « minorités linguistiques historiques » en Italie. Notre étude montre, cependant, qu'il est très difficile de maintenir de tels groupes, car on ne sait pas vraiment où se situent exactement les zones de ces minorités. Partant de là, des groupes d'acteurs locaux, dans de nombreuses communautés, tirent partie de ce manque de connaissance et se déclarent territoires de minorité bien qu'ils ne présentent aucune variante linguistique. Un des objectifs importants de ce projet est, donc, d'établir une représentation cartographique de cette diversité linguistique. Ce document, par conséquent, traite d'études de cas de conscience ethnolinguistique distincte. Même si la Loi n° 482 a été un premier pas important pour la préservation des minorités linguistiques, leur déclin progressif, selon les critères territoriaux et numériques, ne peut pas être nié. Aujourd'hui, outre des facteurs biodémographiques défavorables et une « ethnicité diffuse », les processus démographiques en cours constituent d'autres causes. Dans ce cadre, les migrants d'agrément, ces nouveaux immigrants qui ont découvert les montagnes comme un nouvel espace d'installation recherché, jouent un rôle décisif en renforçant le processus d'assimilation.

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INDEX

Mots-clés: Alpes italiennes, changement démographique, identité ethnique, migration d'agrément, minorités Keywords: amenity migration, demographic change, ethnic identity, Italian Alps, minorities

AUTHORS

ERNST STEINICKE Institute of Geography, University of Innsbruck, [email protected], [email protected]

JUDITH WALDER Institute of Geography, University of Innsbruck

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Minorités linguistiques autochtones des Alpes italiennes Nouvelle législation – Nouvelles identifications – Nouveaux processus démographiques

Ernst Steinicke, Judith Walder, Roland Löffler and Michael Beismann

EDITOR'S NOTE

Traduction : Accent Mondial

Définition du problème, objectif et thèses

1 Outre la religion, la langue constitue la forme la plus importante d'expression d'une culture. Dans de nombreuses parties du monde, ce facteur objectif est utilisé pour distinguer les ethnicités autochtones les unes des autres. Dans ce sens, une carte de répartition des langues reflète la structure ethnique – ou plus précisément : ethnolinguistique – dans une certaine zone.

2 Il est impossible de trouver des définitions, acceptées par tous, du terme politique « minorité ethnolinguistique » et du terme culturel « groupe ethnique ». Elles peuvent varier avec le pays : dans certaines parties d'Europe, les minorités ethniques ou ethnolinguistiques sont décrites comme des groupes spéciaux, à l'intérieur d'un état, différents de la population majoritaire en termes de facteurs objectifs (culturels) et subjectifs (au sens de conscience de groupe). Cette définition inclut une détermination commune à maintenir l'état particulier, historique d'une communauté linguistique autochtone qui est reconnue dans la plupart des pays européens, quand un groupe existe depuis environ trois générations dans une zone donnée (Veiter, 1984). Par contraste, les immigrants forment vraiment des groupes ethnolinguistiques, mais ne sont pas comptés comme des « minorités ethnolinguistiques » dans la région des Alpes (donc, aussi en Italie) – par opposition à des pays comme les Pays-Bas, les USA, la

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Grande-Bretagne et le Canada. Toso (2008) donne des détails sur le concept italien de minorités linguistiques et sur la relation entre langue et diversité régionale, ainsi qu'entre dialecte et minorité.

3 Plus que toute autre région d'Europe Occidentale, les Alpes italiennes abritent une grande diversité ethnoculturelle : en plus des Roms et des Sintis, ainsi que des Juifs, pas moins de sept minorités linguistiques autochtones coexistent, côte à côte avec la majorité officielle – parfois en voisinage étroit et mélangées en un schéma de chevauchement : Friouliens, Slovènes, Allemands, Ladins, Français, Franco-provençaux et Occitans. Cette région alpine, par conséquent, est un bon modèle pour l'analyse des identifications ethnolinguistiques et des problèmes multiculturels (dus par exemple aux processus migratoires).

4 Etant donné sa pertinence culturelle aussi bien que sociopolitique, la préservation, dans l'Europe d'aujourd'hui, des minorités ethnolinguistiques n'est plus sérieusement mise en question. Même la France, dont la constitution n'autorise pas l'existence de tels groupes spéciaux sur son territoire, a découvert, ces dernières décennies, plusieurs options légales et constitutionnelles permettant de maintenir les langues dites régionales en France métropolitaine (Sanguin, 1993). Tout le développement ethnolinguistique dépend étroitement des instruments légaux existants de protection d'une minorité et – en même temps – de l'organisation des groupes concernés. L'éventail des options de protection, dans les Alpes italiennes, va des concessions culturelles à la participation démocratique et jusqu'à l'autonomie économique et culturelle.

5 Par le Décret d'application N°. 482 (Gazzetta Ufficiale n. 297, 20.12.1999), l'Italie protège maintenant ses douze minorités linguistiques (minoranze linguistiche storiche). Elle satisfait, ainsi, aux dispositions des Articles 3 et 6 de la Constitution italienne (Salvi, 1975: p. 9), bien qu'avec 50 ans de retard. Orioles (2003: pp. 20-28) donne une vue critique, plus approfondie de cette nouvelle réglementation.

6 Dans le contexte de la loi indiquée, les municipalités appliquent des mesures de préservation de la diversité ethnolinguistique. Cependant, depuis des décennies, il existe des décrets spéciaux concernant les minorités, dans le cadre d'accords internationaux, ou à partir de statuts d'autonomie, concernant les populations de langues allemande et ladine du Sud-Tyrol ainsi que les populations parlant le slovène des provinces de Trieste et de Gorizia et le français (franco-provençal) de la Vallée d'Aoste.

7 Les problèmes causés par la diversité linguistique dans les Alpes italiennes ont déjà fait l'objet de nombreuses recherches scientifiques. On peut, donc, supposer que les minorités autochtones ethnolinguistiques, dans les Alpes italiennes, ont été depuis un certain temps cartographiées au niveau même municipal. Même si diverses disciplines scientifiques, spécialement linguistiques, ont fourni de nombreuses contributions concernant des groupes minoritaires individuels et leurs zones de peuplement, une vue d'ensemble de leur véritable répartition reste à établir. Ce travail de cartographie ne sert pas seulement des intérêts universitaires : il est indispensable pour des mesures de protection visant à la préservation de la mosaïque linguistique. Combler ce fossé est objectif majeur de la présente recherche. L'étude cherche, en outre, à mettre en lumière l'« ethnicité diffuse » ainsi qu'à examiner les renversements démographiques actuels dans la région des Alpes italiennes du point de vue de leur dimension ethno- géographique.

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8 Le présent document s'appuie sur les résultats de ses propres recherches ainsi que sur deux thèses formant le cœur du projet de recherche en cours au Département Géographie:1 de l'Université d'Innsbruck. Thèse 1: Dans les Alpes italiennes persiste une ambiguïté sur la répartition exacte des minorités autochtones linguistiques. Ceci va jusqu'à un point où l'évaluation ethnolinguistique par les communautés individuelles elles-mêmes ne s'accorde plus avec les résultats objectifs (linguistiques). Les réglementations applicables à la protection des minorités pourraient donc confiner à l'absurdité, en particulier si personne ne parle plus la langue de la minorité. Thèse 2: La préservation des minorités linguistiques dans les Alpes italiennes est rendue plus compliquée du fait de l' « ethnicité diffuse » et de décennies de dépopulation des zones montagneuses. De plus, la dérive démographique actuelle menace aussi la diversité ethnique. A la nouvelle immigration, sous forme de migration d'agrément s'ajoute maintenant la minorisation des groupes linguistiques (cf. UNESCO, 2009) sur leurs propres territoires.

9 Cette étude applique le concept de constructivisme relativisé (Heller, 2004), c'est-à-dire qu'elle pense que le cadre ethnique ne peut pas être considéré seulement en termes de constructivisme, mais aussi d'un point de vue primordial ou objectif. Ainsi, les attaches linguistiques jouent un rôle décisif. L'étude se base, d'une part, sur l'analyse de l'état actuel de l'art, en particulier sur les résultats à ce sujet présentés par les géographes de l'Université d'Innsbruck cette dernière décennie (par ex. Steinicke, 2007), ainsi que sur sa propre analyse des données statistiques officielles. Elle dérive, d'autre part, de ses propres relevés effectués lors de visites de recherche parmi toutes les minorités ethnolinguistiques de l'Arc alpin italien (2009/10). Des experts, dans les zones des minorités, ont été interrogés sur les limites ethniques avec l'espace voisin. De manière générale, ces experts sont des personnes occupant des postes à responsabilités dans les communautés, ainsi que des représentants des différentes associations culturelles. De plus, des études écrites ont été menées auprès de différentes communautés et dans différents villages. Les chapitres qui suivent en présentent les premiers résultats.

Répartition spatiale, affiliation à une minorité et dimension

10 L'état actuel de la recherche sur l'état et sur l'ethno-politique des minorités autochtones linguistiques en Italie est présenté par Walder, Löffler et Steinicke (2010). Des essais d'applications cartographiques se trouvent, entre autres, chez Salvi (1975), Pellegrini (1977), Telmon (1992), Orioles (2003), ainsi que Toso (2008). Cependant, du fait de l'échelle sélectionnée – la région alpine et/ou l'Italie et des zones adjacentes – ceci se limite habituellement à une représentation schématique. De petits groupes et ilots de langue sont parfois caractérisés seulement de manière symbolique et sont difficiles à mettre en relation avec un espace, en partie à cause du caractère général de la cartographie. D'autres complications de la distinction précise des divers groupes ethniques naissent du chevauchement de structures linguistiques, comme dans les zones de contact ladin-vénitien-italien ou provençal-piémontais-italien. Il existe, de plus, des affectations ethnolinguistiques subjectives dans ces zones qui dévient par rapport aux résultats linguistiques objectifs. Enfin, les zones des minorités sont aussi

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définies par des décrets officiels qui ignorent largement les critères objectifs et subjectifs d'ethnicité.

11 Cette étude propose une carte actuelle de répartition des minorités linguistiques dans les Alpes italiennes sur une base municipale (fig. 1). Il a paru judicieux de travailler, en priorité et surtout, sur la mise en place de caractéristiques objectives, c'est-à-dire sur l'usage linguistique actuel.

12 Comme cela a déjà été dit, il existe aussi en Italie une démarcation en fonction des conditions juridiques qui apparaît dans le contexte de la loi d'Etat n°482/99 et dans les incitations financières associées. Il a fallu, pour cette raison, créer une deuxième carte (fig. 2) sur laquelle les zones de minorités sont définies par des critères légaux, c'est-à- dire une autodéfinition municipale.

Fig. 1 : “Minoranze linguistiche storiche" dans les Alpes italiennes (selon la caractéristique objective : utilisation de la langue dans la vie quotidienne)

Source : Walder, Löffler et Steinicke (2010 ; modifié par les auteurs)

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Fig. 2 : “Minoranze linguistiche storiche" dans les Alpes italiennes (selon l'auto-définition municipale 2007 dans le contexte de la loi d'Etat n°482/99)

Source : Walder, Löffler et Steinicke (2010 ; modifié par les auteurs)

13 A ce jour, les municipalités ont tiré activement avantage de cette possibilité1 – une expression du désir de protection de l'identité ethnolinguistique ou d'une position privilégiée sur le plan ethnique. Notre recherche a montré, cependant, que beaucoup de municipalités italiennes considèrent la nouvelle situation légale d'un point de vue purement pragmatique et politique. Par exemple, une certaine autodéfinition ethnolinguistique peut être avantageuse pour obtenir des allocations financières fédérales. L'examen de l'éligibilité à un financement n'est souvent presque pas possible du fait d'une démarcation inexistante ou peu claire des zones de minorités.

14 Il semble, par conséquent, raisonnable de mettre en contraste la carte des divers groupes linguistiques par critères objectifs avec toutes les communautés qui se déclarent, selon la Loi n°482/99, communautés minoritaires (cf. fig. 1 et 2). Les différences spatiales entre l'auto-attribution locale et l'usage réel de langues minoritaires apparaissent alors. Pour ces raisons, il n'est pas surprenant que les zones de minorités doivent être représentées de manière plus large sur la fig. 2 – même si le soutien financier public des minoranze linguistiche storiche, selon la Loi n°482, a été significativement réduit il y a quelques années.

15 En dehors des grands territoires de minorités – dans les Alpes de l'Ouest, le Frioul ou au Sud-Tyrol – les minorités sont éparpillées en petits ilots linguistiques. Le groupe allemand se distingue en particulier, dans les « expansions territoriales » mises en évidence par la fig. 2. Ainsi, dans des zones de poches germanophones anciennes, disparues depuis longtemps, ces origines ethniques sont encore dans les mémoires, surtout dans ce qu'on appelle la « zone de Zimbern » (au nord de Vérone et de Vicence). Dans l'Alpago (à la frontière du Frioul), des municipalités se déclarent soudain germanophones parce que des colons bavarois ont vécu aussi dans cette région au Haut Moyen-âge. Dans les zones de Walser, dans les Alpes Occidentales, on peut trouver des

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structures parallèles ; même si, dans certaines d'entre elles, la population locale ne parle plus de dialecte allemand, les municipalités prétendent qu'elles restent des minorités linguistiques.

16 Il est compréhensible que les communautés de l'Agordino et du Cadore, où le ladin se confond graduellement vers le sud avec le dialecte vénitien (cf. Pellegrini, 1977), souhaitent aussi bénéficier des avantages de la nouvelle loi et se déclarent, en conséquence, zone minoritaire ladine. Donc, sur la fig. 2 « Ladinia » ne se limite plus au territoire des Dolomites du « vieux Tyrol » et de la zone de Comelico.

17 Dans la région du Piémont, en bordure des Alpes, il existe plusieurs « zones grises » dans lesquelles les langues minoritaires se mélangent à l'italien et où le dialecte piémontais tend à remplacer l'occitan. Bien que mieux préservé dans les endroits plus reculés ou élevés des vallées, où l'italien et le piémontais n'ont pas une grande influence, dans les endroits plus ouverts et aux centres des diverses vallées, les langues minoritaires sont comparativement peu usitées ou même ne sont plus utilisées du tout (Allasino et al., 2007).

18 Dans les régions de la Vallée d'Aoste et du Sud-Tyrol-Trentin, les minorités linguistiques jouissent d'une généreuse protection du fait de leurs statuts d'autonomie, alors que tous les groupes linguistiques extérieurs, en particulier les plus petits, perdent progressivement leurs locuteurs. Le Tableau 1 indique la proportion linguistique, bien qu'on ne dispose de chiffres exacts que pour le Sud-Tyrol où le nombre de locuteurs de chaque langue est déterminé par un recensement. Les autres chiffres se basent sur des estimations propres.

Tableau 1 : Taille chiffrée des minorités linguistiques individuelles dans les Alpes italiennes 2009.

Source: Walder, Löffler et Steinicke (2010: p. 183)

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Problèmes d'identification ethnolinguistique

19 La symbiose étroite entre les divers groupes linguistiques dans les Alpes (fig. 1) a accru l'auto-aliénation ethnique. De plus, l'état d' « ethnicité diffuse » est un obstacle significatif à la préservation des minorités linguistiques. Certains exemples illustrent ce phénomène.

20 A cause de facteurs distincts, subjectifs d'ethnicité, la population des diverses poches germanophones dans les Alpes (fig. 1 et 2) ne peut être considérée qu'avec réserve comme des minorités nationales, même si le foyer de leur langue se trouve dans un autre pays. Les exemples de Gressoney dans la Vallée d'Aoste et de Timau au Nord- Frioul illustrent la situation générale dans les Alpes Occidentales aussi bien qu'Orientales (Steinicke et Piok, 2003). La tâche majeure de l'organisation culturelle concernée, dans les deux communautés, est d'éviter les facteurs ayant un impact défavorable sur la persistance de ces minorités. Si les membres de l'Association Walser de Gressoney entretiennent le contact avec d'autres zones germanophones (cf. Petite, 2009) et enseignent l'allemand standard, ceux du Cercle culturel de Timau se concentrent sur leur propre village et ne font la promotion que du dialecte allemand local, qui est considéré comme une langue proprement dite. Les deux organisations ont été capables de renforcer leur identité ethnolinguistique parmi la population locale. Néanmoins, il existe des différences fondamentales entre Timau et Gressoney : bien que dans une situation similaire à celle d'autres poches linguistiques des Alpes Orientales, les habitants de Timau, tout en étant conscients de leurs origines historiques et linguistiques, n'acceptent pas d'être considérés comme faisant partie de la civilisation allemande. A Gressoney, cependant, les locaux ainsi que les nouveaux arrivants clament leur appartenance à la communauté Walser, qu'ils parlent ou non le dialecte allemand Walser. Il est vrai que ces « ethnicités diffuses » ne sont pas très utiles à la préservation des dialectes allemands, mais nous assistons à l'émergence d'une prise de conscience nouvelle que la langue standard et la compétence linguistique ne constituent plus les éléments les plus importants d'identification des groupes ethniques. Au lieu de cela, l'identité ethnique s'exprime de plus en plus par des facteurs subjectifs (autodéfinition ethnique), ainsi que par la relation à un village particulier.

21 Du point de vue de la diversité linguistique, le Valcanale quadrilingue (slovène, allemand, frioulien et italien) et le Val Resia trilingue (slovène, frioulien, italien) dans la partie nord-est extrême de l'Italie sont vraiment le cœur des Alpes.

22 Comme le Sud-Tyrol, le Valcanale/Kanalska dolina/Valcjanâl/Kanaltal est une région d'Italie récupérée sur l'Autriche en 1919 (Vavti et Steinicke, 2005). Actuellement ; environ 20 pour cent de la population totale d'environ 6000 personnes dans le Valcanale sont des Slovènes et des Allemands. Le nombre de ces groupes ethniques décline graduellement. Les raisons en sont l'assimilation (mariage mixte et problèmes d'identification ethnolinguistique) et, dans une certaine mesure, aussi l'émigration et le déficit des naissances. Les résultats de la recherche montrent que les personnes âgées du Valcanale choisissent des indentifications locales et régionales pour éviter les conflits avec la population majoritaire, ceux appelés les « autres ». Néanmoins, elles continuent à utiliser leurs langues autochtones dans leurs communications journalières, alors que les générations plus jeunes ne parlent plus ou moins que l'italien. Un système scolaire dans lequel le slovène a été inexistant pendant des décennies est une des raisons du manque de connaissance de cette langue. L'éducation

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et la scolarisation, en dehors du Valcanale, par ex. à Tolmezzo, Udine, Gorizia, Trieste ou en Carinthie, à Villach et Klagenfurt, font partir les jeunes de chez eux. Plus tard, beaucoup d'entre eux trouvent du travail dans ces zones.

23 En conséquence, la ségrégation ethnolinguistique dans le Valcanale a largement disparu ; les jeunes gens n'ont plus de problèmes avec ces « autres ». On peut donc constater un multilinguisme (identités mixtes ou multiples) ou simplement une identité nationale italienne. La génération la plus jeune ne connaîtra sans doute plus le slovène ou l'allemand dans les vingt prochaines années. La plupart des autochtones ont choisi la voie de l'assimilation parce qu'ils ne veulent pas entrer en conflit avec la population majoritaire frioulienne ou italienne. Malgré tout, on a pu observer une sorte d' « ethnicité symbolique » dans certaines parties des jeunes générations : elles aiment encore et cultivent leur héritage et les anciennes coutumes locales (Noël, les rituels de mariage ou le style architectural), mais comme cela a été dit, elles ne savent plus parler les langues autochtones. L'italien est, donc, la langue prédominante dans la communication de tous les jours.

24 Contrairement au Valcanale, dans les siècles passés, la Vallée de Resia est resté à l'écart des développements linguistiques (Steinicke, 1991). Elle a donc conservé des caractéristiques linguistiques et culturelles anciennes jusqu'à aujourd'hui. Dès le XVIIIe et le XIXe siècle, des universitaires polonais, russes et ukrainiens sont venus dans cette vallée pour étudier son dialecte slave archaïque et rédiger des dictionnaires. Tous ont admis que le dialecte de Resia n'était pas basé sur la langue slovène. Bien qu'ancienne, cette assertion – encore soutenue par des acteurs locaux d'une association culturelle de Resia – a grandement influencé l'identité ethnique de la population locale. Ces personnes ont même mis au point une codification propre de leur idiome. Par conséquent, une bonne partie des habitants slovènes autochtones de Resia ne veut pas être comptabilisée avec les Slovènes et n'identifie pas les dialectes villageois archaïques comme apparentés à la langue slovène. Les habitants tendent à exprimer leur identification locale par leur relation à leurs villages respectifs plutôt que par une perception d'eux-mêmes qui les lie à la culture slovène. En outre, dans ses enquêtes auprès d'experts, Steinicke (1991) a découvert que certains résidents de Resia – en termes d'ethnicité – se sentent même russes ! Il ne fait pas de doute que cette perception de soi-même n'apporte aucune aide à la préservation de cette petite minorité à l'époque de la mondialisation.

Transformation démographique

25 Après la Seconde Guerre Mondiale, les Alpes italiennes, sauf le Sud-Tyrol, ont été soumises à des facteurs naturelles et socio-agricoles contraires et n'ont pas offert de possibilités d'emplois non agricoles ce qui a entraîné une dépopulation massive qui s'est poursuive jusque dans les années 1970. La Fig. 3 illustre cette période d'émigration. La dépopulation, dans les Alpes italiennes, diminue depuis les années 1980 et, depuis 1990, la majorité des communautés alpines connaît une croissance (fig. 4).

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Fig. 3 : Alpes italiennes : Evolution de la dépopulation 1951 - 1980

Source : http://www.comuni-italiani.it (calculs et cartographie des auteurs)

Fig. 4 : Alpes italiennes : Evolution de la population 2002 - 2010

Source : ISTAT - http://www.demo.istat.it (calculs et cartographie des auteurs)

26 Si l'immigration, jusqu'il y a quelques années, s'est concentrée principalement dans les zones alpines centrales qui ont des forts potentiels économiques, touristiques et de transport, nos analyses montrent que les communautés alpines italiennes, situées à leur périphérie, connaissent un bilan migratoire positif (fig. 5). Sans tenir compte de l'évolution de la population depuis le début des années 1990, il existe encore des zones

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montrant des pertes significatives de population. Encore aujourd'hui, les effets de facteurs biodémographiques défavorables résultant de la période de migration peuvent être observés dans de nombreuses communautés alpines italiennes.

Fig. 5 : Alpes italiennes : Bilan migratoire 2002 - 2010

Source : ISTAT - http://www.demo.istat.it (calculs et cartographie des auteurs)

27 Cette étude a permis d'identifier pour la première fois que de plus en plus de municipalités de la région alpine italienne, caractérisées par des pertes de population au cours des dernières décennies, montrent maintenant des influx de population pour une part remarquables et, donc, gagnent des habitants. D'une manière générale, les nouveaux venus sont originaires principalement de régions italophones ou de l'étranger. Les résultats de nos enquêtes, cependant, montrent une différence entre les piémonts et l'intérieur des Alpes. La population augmente dans les piémonts ce que s'explique par l'interaction avec les cités du Pô et ce qui entraîne un processus de suburbanisation ou d'exurbanisation (avec des va-et-vient journaliers). D'autre part. les nouveaux arrivants à l'intérieur des Alpes sont des : • remigrants en retraite dans leurs villages (et dans leurs maisons) d'origine ; • migrants , pour la plupart venant d'Europe de l'Est et du Sud-est et de Turquie ; • migrants d'agrément (réfugiés urbains).

28 Dans ce contexte d'inversion de tendance démographique dans les Alpes italiennes, les migrants d'agrément jouent un rôle significatif. Ce phénomène correspond au glissement du choix du lieu de résidence d'un espace urbain à des régions rurales éloignées, mais attrayantes (de montagne). Il s'agit de la force motrice de l'expansion actuelle de l'installation et de la croissance de la population dans de nombreuses communautés alpines italiennes. Les maisons de week-end et de vacances se transforment de plus en plus en résidences supplémentaires ou de retraite, ce qui signifie que le temps passé dans la zone ciblée est de plus en plus long. Comme de plus en plus de gens ne sont plus obligés de rester confinés sur leur lieu de travail, la

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motivation d'un transfert des aspects liés au travail vers la « nouvelle » résidence est grande. Ces caractéristiques –séjours plus longs et plus fréquents et emploi sur place – sont ce qui différencie principalement les migrants d'agrément des touristes.

Synthèse

29 Notre projet a mis l'accent sur le fait que des problèmes d'identification ethnolinguistique distincte ainsi que les processus de dépopulation et de repopulation des régions périphériques véhiculent un potentiel de changements ethnoculturels considérables.

30 La repopulation, depuis 1990, des régions montagneuses élevées périphériques est un processus complètement nouveau. La migration d'agrément amène des réfugiés urbains vers les diverses vallées alpines où ils ont une influence sur la structure ethnolinguistique. Ce processus affecte les plus petites minorités autochtones linguistiques, qui sont susceptibles de disparaître tout à fait graduellement.

31 Les Figures 1 et 2 donnent non seulement une vue d'ensemble par communauté de la situation ethnolinguistique dans les Alpes italiennes, mais démontrent dans le même temps qu'une zone minoritaire actuelle, définie par l'utilisation de la langue minoritaire dans la vie quotidienne, n'est pas toujours cohérente avec l'autodéfinition ethnique des municipalités. Ceci reflète le dilemme politique que constitue la mise au point de stratégies appropriées pour la protection efficace des minorités et confirme la supposition que les mesures pour leur protection peuvent manquer leur objectif réel. Bien qu'on ne puisse rien opposer à une vaste promotion de revitalisation linguistique en dehors des zones de minorités encore intactes, trop peu de soutiens financiers sont disponibles pour leur préservation. Le « néo-ladinisme » de la région de Veneto en est le meilleur exemple.

32 Non seulement les politiques à venir, mais aussi l' « ethnicité diffuse » et les évolutions démographiques auront un impact sur la survie des minorités autochtones linguistiques, comme le formule la Thèse 2. Cette étude, de ce point de vue, cherche à faire prendre conscience de la tendance démographique actuelle dans les hautes montagnes italiennes depuis 1990 environ et que de plus en plus de municipalités qui perdaient de la population connaissent un bilan migratoire positif. Auparavant, si la migration pour raisons économiques ou la diminution des naissances contribuaient à l'épuisement des minorités linguistiques, l'assimilation ne progressait que de manière insignifiante dans des zones périphériques. Au contraire, les membres des minorités sont présentement confrontés à un processus plus fort d'assimilation qui s'est d'abord manifesté par la disparition des langues minoritaires de la vie quotidienne. Ceci confirme, aussi, la seconde thèse – que, du fait de l'influx nouveau sous forme de migration d'agrément, les minorités linguistiques deviennent des composants mineurs sur leurs territoires inhérents.

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NOTES

1. Bien sûr, ces activités des municipalités représentent un ensemble correspondant d'actions individuelles des diverses parties prenantes dans les communautés. Concernant la question discutable de savoir si des groupes, en dehors des individus, peuvent aussi avoir une action, il faut se reporter à Luhmann (1984) pour le rapport entre « complexité et imprévu ». On peut, donc, parler de groupes agissants, ainsi que d'actions correctives. L'émergence d'actions d'une municipalité est en fait si complexe que l'imprévu reste tout simplement acceptable.

ABSTRACTS

More than any other area in Western Europe, the Alps, especially the Italian Alps, are home to great ethno-cultural diversity: there, no less than seven autochthonous linguistic minorities coexist side by side with the respective official majority. Now being considered an important cultural heritage by the state as well as by the regions, new legislation offers protection to all ‘linguistic-historic minorities’ in Italy. Our study shows, however, that it is quite difficult to maintain such groups, since it is largely unknown where exactly the minority areas are situated. Based on that, local actor groups in various communities take advantage of this lack of knowledge and declare themselves minority territories although they show no linguistic varieties. An important objective of this project is therefore to present a cartographic representation of this linguistic diversity. Subsequently, the contribution discusses case studies of distinct ethno-linguistic self-awareness. Even though with Law No. 482 a first important step was taken to preserve the linguistic minorities, their progressive decline by territorial and numerical criteria cannot be denied. Today, besides unfavorable bio-demographic factors and “diffuse ethnicity,” other causes are current demographic processes. In this framework the amenity migrants, those new immigrants who have discovered the mountains as a new, desirable settlement space, play a decisive role by reinforcing the assimilation process.

Les Alpes, plus précisément les Alpes italiennes, plus que toute autre région d'Europe Occidentale, sont un lieu de grande diversité ethnoculturelle : pas moins de sept minorités linguistiques autochtones y coexistent, côte à côte avec la majorité officielle correspondante. Maintenant considérées comme un héritage culturel important par les états ainsi que par les régions, une nouvelle législation offre une protection à toutes les « minorités linguistiques historiques » en Italie. Notre étude montre, cependant, qu'il est très difficile de maintenir de tels groupes, car on ne sait pas vraiment où se situent exactement les zones de ces minorités. Partant de là, des groupes d'acteurs locaux, dans de nombreuses communautés, tirent partie de ce manque de connaissance et se déclarent territoires de minorité bien qu'ils ne présentent aucune variante linguistique. Un des objectifs importants de ce projet est, donc, d'établir une représentation cartographique de cette diversité linguistique. Ce document, par conséquent, traite d'études de cas de conscience ethnolinguistique distincte. Même si la Loi n° 482 a été un

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premier pas important pour la préservation des minorités linguistiques, leur déclin progressif, selon les critères territoriaux et numériques, ne peut pas être nié. Aujourd'hui, outre des facteurs biodémographiques défavorables et une « ethnicité diffuse », les processus démographiques en cours constituent d'autres causes. Dans ce cadre, les migrants d'agrément, ces nouveaux immigrants qui ont découvert les montagnes comme un nouvel espace d'installation recherché, jouent un rôle décisif en renforçant le processus d'assimilation.

INDEX

Keywords: amenity migration, demographic change, ethnic identity, Italian Alps, minorities Mots-clés: Alpes italiennes, changement démographique, identité ethnique, migration d'agrément, minorités

AUTHORS

ERNST STEINICKE Institute of Geography, University of Innsbruck, [email protected], [email protected]

JUDITH WALDER Institute of Geography, University of Innsbruck

ROLAND LÖFFLER Institute of Geography, University of Innsbruck

MICHAEL BEISMANN Institute of Geography, University of Innsbruck

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