SUPPLÉMENT CULTURE & SOCIÉTÉ SAMEDI 11 NOVEMBRE 2017 N° 1015

(IN)CULTURE

Damon Albarn, génie protéiforme

◗ Mai 1993. A Lausanne, escalade le balcon du MAD, se suspend aux rideaux pour redescendre, sous l’œil de 200 spectateurs per- plexes et de quelques agents de sécurité fébriles, car sentant l’accident venir. L’Anglais est venu présenter le tout récent deuxième album de Blur, celui d’avant le tube «Girls & Boys», et on pense déjà assister au déclin d’un phénomène britpop destiné à faire long feu. Novembre 2017. A Genève, Damon Albarn parvient à durablement faire monter la tempé- rature de la froide Arena. Il promène pour la première fois en terre romande son cirque , pour un concert d’une ahurissante densité. Autour de lui, six musiciens, six cho- ristes, et un défilé d’invités venant formidable- ment l’épauler – le trio new-yorkais De La Soul pour l’extatique «Feel Good Inc.», Peven Evere , Jamie Principle et la jeune rappeuse Li le Simz, qui avait un peu plus tôt assuré la première partie de la soirée, flow d’enfer et présence scé- nique démente pour une artiste à la frêle sil- houe e que l’on espère revoir vite. Damon Albarn apparaissait il y a un quart de siècle comme un gentil blondinet middle class, là où le rock préfère souvent les teigneux de mau- vaise fréquentation. C’était sans compter une culture musicale alors insoupçonnée. Alors qu’on devinait dès la fin des années 1990 son intérêt pour les musiques métissées (soul, dub, funk, hip-hop, musiques africaines, etc.), il multipliera dès les années 2000 les projets parallèles – Mali Music et DRC Music sur le continent noir, The Good the Bad and the Queen avec Paul Simonon des Clash et le ba eur Tony Allen, ancien com- plice du dieu de l’afrobeat Fela Kuti, ou encore Rocket and the Juice, avec le même Allen, et Flea des Red Hot Chili Peppers. Mais c’est bien avec Gorillaz qu’il connaîtra son plus net succès, dès 2001 et un premier album porté par un tube qui en live fait encore son effet, «Clint Eastwood». D’abord concept, groupe vir- tuel dont les quatre membres sont des person- MARC nages de cartoon créés par le dessinateur Jamie Hewlett, Gorillaz est devenu une formidable machine à groove. Sorti en mai dernier, le qua- trième album du groupe, Humanz, est un disque AYMON, manifeste synthétisant en soixante-neuf minutes le génie d’un chanteur, pianiste, compositeur et producteur protéiforme. Jeudi soir, sur la scène de l’Arena, Damon Albarn PARTIR ICI a eu le triomphe modeste. Pas d’a itude de rock star, pas d’adresses emphatiques au public. Qu’il joue devant un public clairsemé (son concert au MUSIQUE Après avoir enregis- Montreux Jazz en 2014) ou devant plusieurs mil- liers de personnes, il reste le même, ce charmeur tré à Nashville et chanté les mots nonchalant que l’on remarquerait à peine si on le du Breton Alexandre Varlet, voyait accoudé au pub du coin. Or il est parvenu comme peu d’artistes à embrasser différents cou- l’intenable Valaisan a choisi rants musicaux et à réconcilier plusieurs publics et générations. Gorillaz, c’est bien de se pencher sur ses racines. plus qu’un groupe. C’est une arche ●●● PAGE 25 multiculturelle qui, en 2017, véhi- cule un message politique. ■

PAR STÉPHANE GOBBO t @StephGobbo (LEA KLOOS)

CES PIÈCES LE LOGEMENT, UNE JOURNÉE AVEC UNE VIE DANS TOUS QUI ÉVOLUENT ABRI OU MIROIR? MICHAEL CIMINO LES DÉTAILS Comment savoir quand un spectacle Autrefois, un appartement révélait Avec «Tiens ferme ta couronne», Karl Ove Knausgaard enthousiasme (ou est vraiment mûr? Faut-il se précipiter souvent les goûts et inclinations de primé par le Médicis, Yannick Haenel agace) les lecteurs du monde entier avec à la première, éviter à tout prix ses occupants. La nouvelle génération signe une divagation magistrale «Mon combat», la saga où il relate, par le la deuxième ou plutôt viser regarde ailleurs et ne s’investit plus sur l’état du monde et la li érature menu, son enfance et toute son existence la cinquantième? Enquête. ● PAGE 26 autant dans son intérieur. ● PAGE 28 comme antidote. ● PAGE 37 jusqu’à la quarantaine. ● PAGE 32

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du comment ni à la finitude des Salzmann, Marc Aymon a gravé choses. Il y allait, et advienne que un disque d’une indicible grâce, pourra. Le Valaisan se laisse por- le côté daté de certains textes – ter par les rencontres, son empa- même s’il n’a gardé que des chan- thie naturelle faisant le reste. sons intemporelles dans ce qu’elles disent du rapport à la MÉLODIES AÉRIENNES nature et des amours difficiles – ET TERRIENNES étant formidablement transcendé Ce˜e fois, c’est sa rencontre avec par des arrangements convoquant une chanson d’une autre époque des instruments aussi divers puis un vieux carnet de chants qui qu’un pedal steel, un orgue Ham- l’a guidé. Il y a quelques années, il mond, un vibraphone, un avait incorporé à ses concerts La hackbre˜, un phonofiddle ou une délaissée, tragique ballade amou- mandoline. «Les souvenirs d’en- reuse composée en 1890. Un jour, fance», «Chèvres blanches»: ne un couple vient le voir et lui offre vous fiez pas à ces titres, il y a dans un recueil d’airs populaires. Il le l’esprit de ces douces ballades parcourt émerveillé, se met les quelque chose qui renvoie à direc- mots en bouche en grattant sa tement à Woody Guthrie. guitare, comme il dit joliment, et pense tout de suite qu’il y a là CHEMINS DE TRAVERSE matière à faire un disque. Deux Marc Aymon a parcouru le ans plus tard, voici donc Ô bel été! monde. Il a joué à Téhéran, dans Chansons éternelles. Au moment un pénitencier roumain, à New d’écouter ce CD encarté dans un York dans le jardin d’une collabo- livre, cette incertitude: a-t-on ratrice de l’ambassade suisse, vraiment envie d’écouter des mor- dans une église de La Nouvelle-Or- ceaux potentiellement désuets? léans, dans de nombreuses écoles Quelques minutes après, cette ici et ailleurs. Il aime parler PAR STÉPHANE GOBBO révélation: oui, trois fois oui, tant d’éloge de l’émerveillement pour t @StephGobbo Marc Aymon a admirablement su qualifier son amour des chemins se les approprier et les habiller de traverses. Pour la première Le chanteur valaisan, grand d’arrangements classieux d’une fois, voilà qu’il est resté chez lui, voyageur devant l’Eternel, belle profondeur. Le son est sur ses terres, comme si pour a décidé de se confronter au ample, les mélodies à la fois mieux repartir il devait prendre patrimoine romand. Un pari audacieux, pour un résultat aériennes et terriennes, entre le temps d’affronter ses origines lumineux envolées élégiaques et country- – un moyen aussi de «dire aux folk poussiéreuse. gens que j’aime que je les aime». ◗ Il a du courage, Marc Aymon. Ce Pour mener à bien ce projet, il Cet album, qui est à la fois un même courage qu’ont les «Fau- lui fallait de bons copilotes. Marc disque et un livre élégant, illustré cheurs» qu’il célèbre sur le pre- Aymon a fait appel à deux réalisa- par Cosey et proposant textes et mier morceau de son cinquième teurs et producteurs français avec partitions de même qu’un repor- album, Ô bel été! Chansons éter- lesquels il avait déjà travaillé: tage sur l’enregistrement au Bella nelles. Un courage mêlé d’in - Yann Arnaud et Frédéric Jaillard. Tola, est dédié à sa mère, qui a conscience, aussi, car le voici, Le premier est connu pour ses juste eu le temps d’écouter après avoir enregistré à Nasvhille collaborations avec Phoenix, Air quelques premières esquisses ou collaboré avec le songwriter ou Syd Matters, le second est avant de s’en aller. Dès l’année breton Alexandre Varlet, qui s’at- proche de Thomas Dutronc. For- prochaine, ce projet voyagera taque à des chansons patrimo- cément, ces deux-là avaient des dans toute la Francophonie. Ques- niales, des textes écrits entre la connaissances proches du néant tionnez Marc Aymon sur fin du XIXe siècle et les années du folklore helvétique. Le Valaisan aujourd’hui, il vous parlera irré- 1920. les a convaincus de l’épauler en médiablement de demain. ■ Il lui fallait oser l’inconscience, (LEA KLOOS) leur parlant d’un son qu’il voulait lui qui vénère le folk américain et proche de l’americana, tout en En concert les 15, 16 et 17 novembre parle de Johnny Cash comme d’un faisant appel à des chorales au Théâtre du Baladin, Savièse. dieu, pour oser affronter de locales – un chœur d’enfants, un manière si frontale ses racines et chœur mixte et un chœur interpréter «Les jeunes files de d’hommes – et à un brass band. Val-d'Illiez», «Sentiers valaisans» MARC AYMON, Après en avoir posé les premières et autre «Vieux chalet», ce tube bases mélodiques à La Fre˜e, une que l’on doit au vénérable abbé maison de maître du XIXe siècle Bovet, «la» star – s’il en fallait une reconvertie, près de Paris, en stu- – du folklore romand. Mais Marc dio, le trio a finalisé l’enregistre- Aymon est un fonceur, un aven- PRENDRE LE ment d’Ô bel été! dans un vaste turier. Un voyageur, surtout. Ce salon du Bella Tola, un hôtel his- Marc Aymon, n’est son genre que de se poser torique niché au cœur du val d’An- «Ô bel été! Chansons éternelles» trop de questions. Lorsqu’il déci- niviers, à 1655 mètres d’altitude. (L’Astronaute Productions) dait de traverser les Etats-Unis Entouré du violoniste Xavier Livre-CD avec des illustrations de Cosey TEMPS DE RESTER et des photos d’Olivier Lovey. Disponible d’est en ouest avec un sac et sa Moillen, du ba˜eur Raphaël Chas- en librairies. A partir de la n de l’année, guitare, à la hobo, le natif d’Icogne sin, du bassiste Fabien Marcoz et série de rencontres-dédicaces dans ne réfléchissant pas au pourquoi du multi-instrumentiste Ephraim les enseignes Payot.

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