BONCOURT-SUR-ME USE (763-1965)

Gustave BRIQ!!ELOT,. *, c. m Agrégé de l'Université Professeur honoraire Ancien Maire de Boncourt

BOMRT-SUR-ltUSE (763 -1965) .

COMMERCY IMPRIMERIE COMMERCIENNE

1969

En pieux hommage à la mémoire de mon père Aimé Briquelot, Maire de Boncourt 1912-1919 et à celle de ma chère épouse Mary, née Mary Peel et en toute cordialité aux habitants de notre Village, mes amis, ce livre est dédié.

AVANT-PROPOS

arrni les nombreux chants dont mes camarades et moi fai- , p sions retentir, aux heures de récréation, le couloir menant de ta salle de classe de notre vieuie.. ecoie1 a la cour, u en est un dont j'ai tout particulièrement ressenti le charme et que je me prends encore à fredonner : les quelques stances où Cha- teaubriand, exilé et voyageur mélancolique, exhalait sa nostal- gie. Combien j'ai douce souvenance /)'11 joli lieu de ma naissance ...... Mon pays sera mes amours Toujours. Ai-je besoin de le dire à mes lecteurs de Boncourt, la petite Mandres et Boncourt ont toujours occupé une large place dans mes pensées et mes affections. Rares, d'ailleurs, sont ceux, dont le souvenir de la maison paternelle, 'du clocher d'où a retenti le carillon de leur baptême et de leur première communion, de l'école où l'on a appris à lire, ne font pas battre le cœur plus vite qu'à l'accoutumée. Il m'est souvent arrivé, devant mes élèves et dans mes confé- rences en Angleterre de tenter de faire la description des lieux qui m'ont vu naître et qui me sont restés chers. L'antique maison maternelle à Mandres avec sa grande cheminée noire où séchaient les « bandes de lard » et où de fidèles hirondelles venaient nicher ; les vieilles maisons du hameau et leurs habi- tants ; l'ample vallon avec sa pente sud couronnée par la masse sombre du Jurieux et dont les cultures n'avaient pas encore été bouleversées et le silence troublé, par le chemin de fer, tandis qu'au Nord le flanc du coteau se garnissait encore de vignes, objets de la sollicitude obstinée et souvent médiocre- ment récompensée des vignerons et vigneronnes de Mandres et de Boncourt ; Au fond de la vallée, deviné plutôt que vu, parmi ses roseaux le Béquillon, où avec d'autres gamins de Mandres, «rme d'une baguette, d'un bout de fil et d'une épingle recour- bée, j'allais pêcher le vairon ; le « paquis » où parmi les touffes de joncs et les grands chardons aux fleurs pourpres, le trou- peau des deux villages cherchait sa pâture. Et j'évoquais la vue qui s'offrait à. mes yeux, lorsqu'au pas lent des chevaux dont les fers résonnaient sur les cailloux arron- dis de la vieille chalade, et rudement secoué sur les ridelles du chariot, on atteignait le plateau : d'un côté la vaste étendue em- brumée de la Woëvre entrecoupée des taches sombres des forêts, et au delà de laquelle. m'assurait mon père, qui avait la vue l'erçante, on pouvait, par temps clair, apercevoir les collines qui entourent Metz ; de l'autre au delà de la verte vallée, où se déroule sinueux le large ruban argenté de la , la ligne vallonnée et boisée de VArgonne et les carrières de Lérouville ; devant soi, le l'om bois et plus près le Boucher, lambeau de l'im- mense forêt d'autrefois échappé au défi-icheinent ; derrière soi, la tonsure de Filémont entre l'orée du Jurieux, celle des bois de et les broussailles de la Moussarde et le haut de Palapré où d'anciennes vignes se boisaient lentement. Mais tout cela vous le connaissez mieux que moi, et tt/t coup d'œil sur la belle carte en relief dressée par M. Aubry, permet- tra à nos enfants de s'en faire de bonne heure, une idée. De quelque point qu'on vienne à le contempler, le finage, le 'f ban » devrais-je dire, de Boncourt présente, dans sa variété un charme paisible et pénétrant. Mais le trait qui m'en a tou- jours le plus frappé, c'est la marque du labeur obstiné qu'ont dû y consacrer, au cours des siècles, les générations succes- sives de ses habitants. La côte de vignes surtout qu'on ne parcourt jamais aujour- d'hui qu'avec un serrement de cœur, avec ses énormes pier- riers, la multiplicité de ses petits murs, le souvenir des « hot- tées » de terre qu'il a fallu remonter pour lutter contre le ravinement et l'érosion. Au territoire de Boncourt, à ses habitants passés et pré- sents on peut appliquer ce passage de l'Essai sur le Caractère et le Génie Lorrain de Monseigneur Aimond (1) : Essentielle- ment paysan et travailleur du sol durant de longs siècles, le Lorrain sera l'exploitant de terrains d'âge secondaire, c'est-à- dire de ces sols moyens, ni très bon8, ni trop mauvais qui va- lent surtout grâce à un travail méthodique et obstiné ». r A quelle époque lointaine commença Vœuvre de défrichement ? Au milieu de quelles vicissitudes nos lointains prédécesseurs Vont-ils poursuivies ? Ces questions se posèrent souvent à moi, lorsque, plus rêveur sans doute, que travailleur, j'allais participer avec les miens aux travaux des champs. De bonne heure, je fus hanté par le désir de faire des recher- ches sur le passé de Mandres et de Boncourt. Mon éloignement de mon village natal et même de , des études orientées dans une direction bien différente, mes travaux professionnels, les événements même ne favorisèrent pas mes projets. Vers 1920, au cours d'une période de vacances, j'arrivai à ras- sembler quelques notes que je confiai à M. Henry, alors institu- teur à Boncourt. Il dût les incorporer dans un travail que j'ai perdu de vue. Ces dernières années, j'ai pu revenir à mon « dada » et essayer d'élargir ma documentation. Arrivé presque au terme de la tâche que j'avais conçue, après avoir douté de pouvoir y parvenir, je souhaite que les pages qui suivent, si imparfaites soienUélles, puissent donner à mes amis de Boncourt une idée de ce que furent dans le passé leur village et ses habitants, les vicissitudes et les dures expériences qu'ils eurent à connaître, et, en satisfaisant leur curiosité, leur faire partager l'intérêt et l'attachement que j'éprouve pour notre Boncourt. Paris, octobre 195ft

(1) Chapitre //, p. 95.

II SITUATION ET SOURCES DE L'HISTOIRE DU VILLAGE LOINTAINES ORIGINES

Quittant à Lérouville la ligne Paris-Strasbourg, les puis- sants express de la S.N.C.F. qui se dirigent vers Metz-Francfort, coupent la Vallée de la Meuse et ses vertes prairies et ga- gnent la plaine de la Woëvre par une large et profonde cou- pure des Côtes de Meuse dans laquelle ils pénètrent en saluant d'un coup de sifflet strident les toits rouges du village de Bon- court-sur-Meuse. Au fond de ce vallon d'une longueur d'environ 3 km, court, parmi les plantations de peupliers et d'anciens « paquis » un minuscule affluent de la Meuse, le Béquillon et une bonne route qui à son débouché sur la Woëvre aboutit à une bifur- cation dont la branche nord par Saint-Julien, Liouville, Apre- mont se dirige vers Vigneulles et en suivant le pied des côtes, et la branche sud par , Fréméréville, Gi- ron ville et Jouy vers . Au-dessus des parcs et champs cultivés, le flanc nord fut autrefois tapissé de vignes, orgueil des habitants, pour la plu- part vignerons. Aujourd'hui des broussailles épineuses ont pris la place des ceps, objets de tant de soins. Sur le flanc sud, les hautes futaies du Jurieux dominent des champs fertiles que coupent en deux les remblais, les py- lônes et les catenaires de la ligne Lérouville-Metz. Considéré comme une des voies d'accès les plus praticables vers la Vallée de la Meuse pour un envahisseur venant de l'Est, ce passage à travers les Hauts de Meuse, lors de l'éta- blissement de la ligne de défense Toul-Verdun, avait été mis sous la protection de deux forts, celui de Liouville au N.-E. et celui de Gironville au S.-E., reliés l'un à l'autre par deux chemins, dits stratégiques qui se rejoignent à Boncourt. Peu avant la guerre de 1914-1918, un chemin de fer à voie étroite allant de à Verdun, par Vigneulles emprunta ce vallon et après la guerre facilita grandement la reconstruc- tion des villages détruits sous les Côtes de Meuse et dans la Woëvre. L'exploitation, par la suite, s'en révéla peu rentable ; il fut abandonné et la petite gare de Boncourt resta déserte au milieu de ses rails rouillés. Dès le Haut-Moyen Age le fief de Boncourt, comportait, en dehors de l'agglomération principale, deux hameaux situés dans le vallon : la « petite Mandres » sur la pente nord et Forbeau- voisin sur la pente sud, au-dessous de Jurieux. De Mandres, ruiné par la guerre 1914-1918, une seule maison reste debout. Sur les éboulis des autres, frênes et peupliers, parmi les ronces et de vigoureuses touffes d'orties, dressent leurs fûts élancés. Forbeauvoisin, détruit durant la guerre de trente ans, n'a laissé d'autre souvenir que le nom d'un lieu-dit. Le finage, ou ban, de Boncourt assez étendu (1046 ha, 47 a 32 dont 586 ha de terre arable) est limité au Nord par les bois de Marbotte et une pointe du territoire de Mécrin ; a l'Ouest par le territoire de Pont-sur-Meuse ; au Sud, par la prairie de Lérouville, au Sud-Est par le finage et les bois de Vignot ; à l'Est par les bans de Girauvoisin et de Saint-Julien.

C'est donc l'histoire de ces trois villages du Val de Bon- court que nous voudrions tenter de retracer (1). A deux auteurs, principalement, nous devons ce que nous sa- vons sur les premiers âges de Boncourt et des deux hameaux qui en dépendaient : l'illustre Dom Calmet et qui, parmi les

(1) Cette première partie a été donnée en conférence aux habitants de Boncourt. Diverses circonstances m'ont empêché de poursuivre la série de confé- rences que j'avais projetée. 65 volumes qu'il a laissés, écrivit une « Notice sur la Lorraine » où il consacre un article à Boncourt, et le non-moins prolifique r.uteur de l'histoire de Saint-Mihiel, de l'histoire de Commercy et des « Ruines de la Meuse », Charles-Emmanuel Dumont, Vice- Président du tribunal de Saint-Mihiel, propriétaire à Boncourt (1). Grâce aux patientes recherches de ces deux éminents his- toriens, nous pouvons suivre les nombreuses tractations dont nos trois petits villages firent l'objet entre les différentes fa- milles seigneuriales dont ils dépendirent du moyen âge à la Révolution. A Monsieur Dumont nous devons, de plus, d'intéressants documents concernant Boncourt et quelques villages voisins qui jettent quelque lumière sur les conditions de vie faites à leurs habitants et un précieux dessin représentant notre an- cienne église et le château qui y était contigu. Charitablement, cet historien nous avertit qu'il a épuisé toutes les ressources des archives et qu'après lui on ne trou- verait plus rien à glaner. Cependant le dictionnaire topogra- phique de la France, édition de la Meuse, donne une précision qui avait échappé à ses diligentes recherches et qu'ont reprise les auteurs du Pouillé du diocèse de Verdun, en y ajoutant une liste presque complète des Curés de Boncourt depuis 1231. Dès 763, d'après ces derniers ouvrages, c'est-à-dire à une époque de 4 siècles et demi antérieure à celle à partir de la- quelle Dom Calmet et M. Dumont nous content l'histoire de notre village, il est fait mention d'un Bonone Curtis dans une donation de Pépin le Bref. Il existait donc, au milieu du VIlle siècle, à l'extrémité occi- dentale de notre vallon, un groupe de huttes habitées par quel-

(1) Charles-Enunanuel Dumont, possédait, au-dessous de Mandres, une im- portante propriété (le pré de Mandres), qui fut lotie à différents propriétaires, et à « Rousselrin », une maison (celle dont la construction est attribuée au comte de Ligniville), qu'il vendit à un jardinier nommé Philippe, ainsi qu'une pièce de terre où il s'était fait construire un chalet. Le chalet a depuis long- temps disparu et la maison est en ruines. ques-uns de ces « travailleurs ruraux » qui selon le savant toponymiste Dauzat, sont à l'origine de tous les villages (1). D'où avaient pu venir et qui avaient pu être les premiers travailleurs qui avaient commencé à débroussailler la terre de Boncourt et à en tirer une subsistance, sans doute, bien pré- caire. Entre la lointaine époque — il y a quelque dix mille ans — où quelques chasseurs nomades armés de silex taillés et de bois de rennes, cherchaient un refuge sous les roches de Saint- Mihiel, et l'aube des temps historiques, le territoire qui devait constituer notre Meuse, du fait de la prédominance des forêts, se peupla lentement, plus lentement que dans la partie orien- tale de la Lorraine future, plus découverte. Vinrent d'abord les hommes de la pierre polie, les Néolithi- ques, comme on les a appelés, défricheurs, cultivateurs, éle- veurs. Ce sont eux qui érigèrent les quelques dolmens et les quelques menhirs qui existent sur le territoire meusien (Menhir de la Dame Schone, près de St-Mihiel). Ils avaient établi des camps de refuge, qu'on a longtemps attribués aux Romains : tels ceux de Fains-les-Sources et de . Des traces d'au- tres ont été repérés près de St-Mihiel et au Montsec. Ils n'é- taient pas bien nombreux ces néolithiques : on a évalué leur nombre, vers 1200 avant J.C., à 500 ou 600 (2). Puis, venus du Sud, par petites tribus, apparurent des hommes pourvus d'armes et d'outils de bronze : les Ligures à qui on a attribué l'honneur d'avoir donné son nom à notre Meuse, ainsi qu'à plusieurs autres cours d'eau (Aire, Orne). Ils firent connaître l'usage du pain aux Néolithiques (3), et paraissent avoir imposé à ceux-ci une organisation guerrière, économique et religieuse, une sorte de féodalité (4). Quelque 800 ans avant l'ère chrétienne, commencèrent à s'in-

(1) Les noms de lieux, page 57, note 1. (2) Résumé historique : Barrois et Meuse dans une publication de la Préfecture de la Meuse. (3) Mgr Aimond, Histoire des Lorrains, page 25. (4) Résumé historique. filtrer dans le pays, des hommes de haute taille, dolichocephales blonds, aux yeux bleus, qui disposaient d'un métal nouveau : le fer. Avant-garde des envahisseurs qui devaient occuper toute la France, ces peuplades appartenaient à un rameau de la race celtique, alors répandue dans toute l'Europe Centrale : c'étaient les Gaulois. Grâce à la présence dans le sol de leur nouvel habitat, de minerai de fer facilement accessible, les Gaulois y créèrent une véritable industrie du fer à laquelle au cours des siècles la Lorraine resta fidèle et qui constitue aujourd'hui un de ses plus beaux fleurons. Bien plus tard, notre Boncourt y appor- tera sa modeste contribution. Les Gaulois, établis sur le territoire qui devait constituer la Lorraine, étaient divisés en deux groupes : au Nord, les Mé- diomatrices, avec Metz (appelé alors Divodurum) et Verdun (Verodurum) ; au Sud, les Leuques dont le domaine s'étendait des Vosges au Sud de l'Argonne. Toul (Tullum) en était le Centre et notre petit vallon en faisait partie. Chez ces peuplades déjà fortement hiérarchisées, les Vain- queurs, les Nobles, s'étaient créés des domaines ruraux d'im- portance variable où une population servile de vaincus et d'es- claves était vouée aux travaux des champs et à l'élevage, en particulier à celui du porc, dont les salaisons trouvaient des clients jusque dans le midi de la Gaule. Toujours sous la menace d'une invasion venue d'Outre-Rhin, Médiomatrices et Leuques accueillirent favorablement les Lé- gions Romaines qui firent leur apparition vers le milieu du 1er siècle avant J.C. D'après César, les Leuques approvisionnèrent son armée en blé. La présence des Romains sur le Rhin per- mit aux Médiomatrices et aux Leuques de jouir, jusqu'au V" siècle d'une longue période de tranquillité et d'atteindre un haut degré de civilisation dont Metz offrit un brillant exemple.

Qu'il y ait existé, en ces temps lointains, sur notre territoire un groupe de travailleurs ruraux, c'est ce dont des noms de lieux et de chemins paraissent témoigner. Notre Gravière et la Chalade de Mandres, rocailleuses à sou- hait, sont conformes à l'idée de pierre et de rocaille que les toponymistes décèlent dans la racine de ces mots ; toutes deux conduisent sur le plateau dont une partie porte toujours le nom de Barabois (Barabou en patois), sûrement dérivé du Bar gaulois : hauteur boisée et souvent fortifiée. Le grand bois, qui au Sud domine notre vallon est le Jurieux et tire son nom de Jur, qui chez les Gaulois désignait le bois, la forêt. Et, sans aucun doute, le Pal de Palapré, la partie Ouest du flanc du même coteau, a pour origine le latin Palus, marais, maré- cage et convient parfaitement à ce qui fut longtemps la na- ture de ces terrains, tout au moins dans leur partie basse. Une tradition vivace donne à un chemin, qui au Nord de Boncourt, traverse la côte d'Ouest en Est et conduit de Pont- sur-Meuse à St-Julien, commune voisine de Boncourt à l'est, le nom de Chemin des Romains, appellation que celle de Che- min Pontoise n'a pas entièrement suplantée. Il ne peut s'agir de la voie romaine reliant l'antique Nazium (Naix-aux-Forges) à Metz. Celle-ci après avoir franchi la Meuse à Pont, s'orientant vers Marbotte pour gagner Woinville par les Côtes. Or, dans une intéressante petite étude sur St-Julien et Liou- ville (1), l'abbé Vanesson, curé de St-Julien de 1858 à 1874, se fondant sur une tradition locale et sur certains vestiges décou- verts par lui, lors de la reconstruction de son église, croit pouvoir affirmer que celle-ci a été édifiée sur l'emplacement d'un temple romain. Temple de Jupiter, suggère-t-il, se basant sur le choix de St-Julien comme patron de la paroisse. L'existence d'un embranchement de la voie principale pas- sant au Nord de Boncourt et se dirigeant vers St-Julien et la Woëvre, se trouverait ainsi confirmée. Et, à propos de St-Julien, notons que ce petit village semble pouvoir prétendre à un autre titre de haute antiquité. Il est situé à l'entrée du ravin où se trouve la source du ruisseau qui arrose le val de Boncourt. Source connue sous le nom de l'Adeue ou de l'Edoye. Ecrits, ainsi que sans doute, il con-

(1) Deux villages meusiens, St-Julien et Liouville, sous la Révolution. j viendrait de le faire : la Deue ou la Doye, ces noms procède- raient d'une très ancienne expression celtique qui signifie la Divine et qui est à l'origine de plusieurs noms de rivières et de localités meusiennes : la Doua (aux environs de Dun), la Dieue, , Douaumont (1). De cette source, un court raidillon conduit à notre Bara- bois. La Deue, Barabois, ces deux termes sont, semble-t-il, une preuve suffisante de la présence sur le territoire de nos com- munes de défricheurs leuques.

Cependant le nom de Bonone Curtis donné au groupe d'ha- bitations faites de clayonnage et de branchages, ce n'est pas à aïeux gaulois qu'il le dut. Ce fut à la suite de l'arrivée des Francs vers la fin du V siècle ou au début du VI' qu'il se le vit conférer. Sous la poussée des Barbares et par suite des crises suc- cessives qui bouleversèrent le monde romain au cours du Ve siècle, les défenses de l'Empire sur le Rhin s'effondrèrent. Les incursions de bandes germaniques et surtout l'invasion des Huns provoquèrent un exode — déjà — parmi les populations Mosellanes et Mosanes. Après le reflux des hordes d'Attila, l'infiltration des Francs s'accentua et devint plus massive encore dans l'Argonne et les Hauts de Meuse à la suite de la prise de Verdun par Clovis dans les dernières années du Ve siècle. Des familles franques vinrent occuper les terres abandonnées ou s'adjoindre à ce qui restait du peuplement primitif. Et tandis que dans la Vallée de la Meuse, surtout dans sa partie supérieure, où les domaines ruraux restaient aux mains des Gallo-Romains, les noms de localités en y et en ey (2)

(1) Cf. le Breton : ma Doué. (2) Les terminaisons y et ey étaient dérivées du suffixe gaulois « acus » Qui a donné « ac » en Provence. « at » en Auvergne, ai et ay dans le Nord. se maintenaient, un nouveau type de toponymes, de noms de villages, apparaissaient et se multipliaient dans l'Argonne et les Hauts de Meuse. Ce type de noms est constitué par l'adjonc- tion à un nom de personne, généralement germanique de « Villa » ou de « Curtis ». Hannonville (Hanno), Hattonville (Hatto), Giron ville, Martinville, Lérouville, Béthincourt (Betto), Doncourt (Dodone), Gondrecourt (Gondonin), Grimaucourt (Grimoald). « Villa » c'est le nom que donnaient à leur domaine les riches propriétaires Gallo-Romains. La Villa avait souvent une superficie aussi grande que celle d'une de nos communes et nécessitait pour ceux qui y étaient employés, esclaves et hom- mes libres, astreints aux corvées, des habitations qui consti- tuaient de véritables agglomérations, des villages. « Curtis » est la forme qu'avait prise, en latin vulgaire, le mot « Cohors » : cour de ferme, basse-cour. Le sens s'étendit ensuite aux bâtiments qui entouraient la cour et, enfin, à la propriété toute entière. « Cour » dans ses nombreuses accepta- tions et notre vieux mot « Courtil », petit jardin entouré de haies, sont également venus de là (1). Il ne paraît pas que dans nos régions, aucune autre règle que le caprice du nouveau maître ait inspiré l'une ou l'autre formation. Ce serait donc de quelque guerrier ou simple immigrant de race franque venu se faire une place, de gré ou autrement, à l'entrée de notre vallon que huttes et clairières défrichées auraient reçu le nom de Bonone Curtis, consacré par la dona- tion de 763. Au moyen âge, Curtis devint Cort et Bonone Curtis. Buin- cort (prononcé Boun) sur les registres de l'Abbaye de Saint- Mihiel. En 1402, la finale est de nouveau latinisée, mais en altérant le sens : Boncuria ; curia compris sans doute dans le

(1) Cohors avait été également employé dans un sens militaire : 10" partie d'une légion romaine ; troupe de cavalerie. C'est l'origine de notre mot : cohorte. sens de résidence de cure, de paroisse. En 1717, supposant que la première syllabe est dérivée de l'adjectif latin bonus, féminin bona, on écrit : Bonacurtis. Pour en venir enfin au Boncoû de nos proches ancêtres. Les origines des deux petits hameaux du Val de Boncourt sont plus obscures encore que celles du village principal. D'après l'éminent toponymiste Dauziat, Mandres aurait signi- fié Etables. La nature forte du terrain au fond de la vallée inciterait à penser qu'il fut considéré comme mieux approprié au pâturage qu'à la culture. Nos agriculteurs d'aujourd'hui semblent être de cet avis. On peut donc supposer que de bonne heure les seigneurs de Boncourt édifièrent en cet endroit des bâtiments destinés à abriter le bétail et quelques cabanes pour les serfs chargés de leur garde. Plus tard, le développement de la culture de la vigne sur tout le flanc du coteau entraîna la construction de maisons pour les vignerons. Nous verrons que l'histoire de Mandres ne se confondit pas toujours avec celle de Boncourt. Le nom de Forbeauvoisin pose un problème bien difficile à résoudre. Il a été écrit de bien des manières. La première syllabe a été orthographiée « for », « fort », « four » ; la se- conde « be », « bel », et, enfin, « beau » ; la 3e « vesin », « visin », « voisin ». Cette dernière peut-être considérée comme dérivée de vicinus, voisin, pris comme diminutif de vicus (terre, pro- priété à la campagne, ferme, bourg), qui est à l'origine du nom de nombreuses localités. Un peu à l'Est du site où s'élevait notre Forbeauvoisin se trouve le village de Girauvoisin, écrit parfois Gérard-voisin, nom bien conforme au type nom d'homme + terminaison. Se pourrait-il que les deux premières syllabes de Forbeauvoisin déformées par des graphies fantaisistes corres- pondent à un nom de personne ? A noter à ce sujet une curieuse trouvaille faite par M. Aubry, alors instituteur et secrétaire de Mairie, à Boncourt. Sur les papiers d'un ouvrier italien, il a relevé comme lieu de naissance de ce dernier : Forbelvieino.

III BONCOURT AUX XIII ET XIV SIÈCLES

Après l'apparition dans l'histoire de notre Bonone Curtis, ce n'est que 4 siècles 1/2 plus tard, en 1213, que nous re- trouvons son nom sous la forme Buincort sur les registres de l'Abbaye de St-Mihiel et, qu'en 1227, nous apprenons que son seigneur Geoffroy de Nonsard donnait son église, sa cure et ses grosses dîmes au couvent de St-Nicolas des Prés, à Verdun : don confirmé en 1229, puis en 1251, par l'évêque de Toul dont relevait la paroisse. La courte période de paix glorieuse que l'Austrasie, partie orientale de la Gaule franque dut à Charlemagne, fut suivie, sous les débiles successeurs du grand empereur, de la disloca- tion de l'Empire Carlovingien au traité de Verdun (843). Après une longue suite de convulsions politiques la Lotharingia, royaume de Lothaire II, ballottée entre la Germanie et la France, se trouva réduite à notre Lorraine. De Lotharingia, les Germains firent Lothringen, les Français Loherreigne, puis Lorraine. Tandis que se constituaient les 3 évêchés Metz, Toul et Verdun, et les grands domaines de nombreuses abbayes, sous des monarques faibles et instables, parmi une noblesse indo- cile et turbulente s'organisait le Régime féodal. Les Comtes et autres administrateurs royaux se rendaient indépendants du pouvoir central, s'arrogeant les droits régaliens, droits de ren- dre la justice, de percevoir les impôts, de lever des hommes pour s'en faire une armée, et ne reconnaissant au souverain qu'une suzeraineté, souvent mise en défaut. Cette suzeraineté, eux-mêmes l'imposaient aux châtelains de moindre importance, dont ils faisaient leurs vassaux ou hommes-liges, n'hésitant pas à recourir à la force en cas de résistance. Si, dans les villes, la population était en grande majorité, composée d'hommes libres, dans les seigneuries rurales, la terre, propriété du seigneur fut d'abord exploitée à son profit et presque exclusivement, par des serfs étroitement liés au sol par les droits de forfuyance, de formariage et soumis au droit de mainmorte qui faisait du seigneur l'héritier de tout ménage sans enfants. La coutume, cependant, se répandait de diviser le domaine en réserve seigneuriale, cultivée collectivement par tous les serfs soumis aux corvées et en une partie lottie entre certaines familles assujetties à une redevance appelée cens, payée en argent ou en nature. Nous verrons, par la suite, quel fut, sous ce régime, le sort réservé aux habitants de nos trois petits villages. Pour le moment, revenons à la déclaration de 1227. A cette date, donc, Boncourt avait un seigneur Geoffroy de Nonsard, dont nous parlerons tout à l'heure ; il avait un curé : le pre- mier mentionné sur la liste du pouillé de Verdun et nommé Etienne ; il s'y trouvait une église. L'église, c'était certainement celle dont, à une époque où le souvenir n'en était pas encore entièrement perdu, et où sub- sistaient encore des restes de l'ancien château, M. Dumont nous parle dans ses « Ruines de la Meuse 1869 », et dont il nous a laissé une esquisse. Voyons donc ce que nous en dit le savant historien : « L'église, qui était romane, servait de refuge aux habi- tants et par ses accessoires de forteresse favorisait la défense de l'ancien château. Elle a été démolie de nos jours (1), accu- sée faussement, comme celle de Pont-sur-Meuse, et récemment, dit-on, celle de Commercy de n'être pas assez solide. Elle avait un puits dans sa nef pour les besoins des réfugiés et on trouva sous ses voûtes une grande quantité de fientes de chèvres et de moutons, témoignages de longs séjours dans cette retraite ». « Ce point central du village, comprenant le château, l'église

(1) En 1830. et le cimetière, était, en effet, une sorte de forteresse avec esplanade de tous les côtés, entourée de fossés profonds cou ronnés d'une muraille inaccessible à hauteur d'appui permet tant de lancer des projectiles sur les assaillants ». « Les maisons bâties depuis dans les fossés ont singulière- ment détruit l'ancien aspect des lieux ». Regardons ( 1 ) maintenant la copie agrandie qu'a faite M. Aubry de la gravure des « Ruines de la Meuse ». Voici le mur : il est toujours là. C'est celui qui ferme la place au Sud. — surmonté malheureusement de la cloison en planches d'un hangar — et qui longe la ruelle de l'église. On l'a recouvert de dalles sur lesquelles bien des générations de gamins ont pris plaisir à grimper et à courir, sans trop s'effrayer de la petite cour sombre d'une maison qui seule, aujourd'hui, peut donner une idée de sa hauteur. De la ruelle étroite qui descend vers la rue Basse, à la rue des Malchaux, il sert d'appui à plusieurs bâtisses, autrefois maisons, aujourd'hui hangars et de fonda- tions à la haute maison moderne du coin. Il remontait, sans doute, ensuite vers la Chavée. Un peu en arrière du mur : l'église. Elle paraît étroite, la nef ne débordant que de peu la largeur de la tour. Le portail, tout simple, protégé, semble-t-il par une sorte d'auvent se ter- mine par une manière d'ogive rudimentaire, au lieu du plein cintre roman : peut-être s'agit-il là d'un remaniement postérieur à la construction de l'édifice. La tour, assez élevée et surmontée d'une croix, a un toit de tuiles à deux pans. Deux petites ouver- tures carrées s'aperçoivent au dessus du portail, une troisième plus haute est garnie d'abat-sons. Particularité à noter : le portail fait face au mur d'enceinte et indique que l'église était orientée du Nord au Sud. Elle ne devait pas être bien vieille encore, notre église, en ce premier quart du 13" siècle. Sans doute avait-elle dû d'exister à l'élan de ferveur reli-

(1) Toute cette partie ainsi que les chapitres précédents ont fait l'objet d'une conférence faite aux habitants de Boncourt. gieuse qui se manifesta en Lorraine au 12e siècle sous l'impul- sion de Saint Bernard et d'un afflux de moines cisterciens venus de France. De nombreuses abbayes cisterciennes s'élevèrent dans des vallons déserts que les moines entreprirent de défri- cher (1). En 1150, Hardwicke d'Apremont installait des moines de Rieval à Rangéval. Et celles des églises de la région qui ont gardé quelques vestiges de leur état primitif datent de cette époque. Ainsi de celles de Fréméréville (tour du 12e siècle), de Jouy-sous-les- Côtes (chapelle latérale, chœur de l'ancienne église), de Malau- mont, d'Ailly, de Han ; l'ancienne église d' était de 1159. De la même époque, vraisemblablement, était l'église forteresse de Saint-Agnant, perchée sur le coteau qui domine le village et aujourd'hui disparue. Nous ne risquons donc pas d'errer grandement en suppo- sant que la construction de notre vieil édifice roman ne pré- céda pas de beaucoup le don qu'en fit Geoffroy de Nonsard à Saint Nicolas des Près. Quant au « modeste » château que nous montre notre gravure : façade allongée et basse, percée de 4 fenêtres et d'une porte toute simple et flanquée du côté de l'église d'un pavil- lon carré coiffé d'un toit à 4 pans, nullement fait pour résis- ter à une attaque, ce n'est sûrement pas là, la « maison » de Geoffroy de Nonsard, mais un bâtiment beaucoup plus moderne. Tout cela fut rasé lorsque fut construite la maison d'un M. Brion, avocat à Saint-Mihiel, acquise en 1845 par l'institu- teur Caussin et incendiée en 1944. Nous n'avons, donc, aucune idée de l'importance de cette « Maison du Seigneur » dont il est question dans un document de 1231. A cette date, le Curé Etienne, le premier curé de Bon- court mentionné sur la liste du Pouillé de Verdun, fait don aux chanoines de l'abbaye de Saint Nicolas des Près, à charge d'un anniversaire pour lui et ses parents, « d'une maison, d'une

(1) Cf. Schneider, histoire de Lorraine (Que sais-je), page 39. vigne et d'un jardin situés devant l'église, sous la maison du seigneur ». En 1275, le curé Warnier, 4c de la liste donnée par le Pouillé de Verdun, prenait cette maison à bail, sous réserve que cel- lier et grenier seraient communs entre l'abbaye et lui. L'ab- baye avait, évidemment, besoin de place pour engranger le pro- duit des dîmes que Geoffroy de Nonsard lui avait concédées. Où donc se trouvaient cette maison, ce jardin, cette vigne ? Le document dit : devant l'église. Il ne saurait être question de les situer entre le portail de l'église et le mur d'enceinte, ni de l'autre côté du fossé. Par devant, il faut entendre devant le chevet de l'église, c'est-à-dire du côté de la place où s'élève aujourd'hui le monument aux morts et où, à cette époque, un espace assez vaste en direction de la côte devait être libre. C'était là d'ailleurs qu'était l'ancien presbytère démoli après la construction de la nouvelle église. Cette bâtisse était très an- cienne et si délabrée qu'après la mort de son dernier occupant, l'abbé Demange, le successeur de celui-ci se vit interdire par l'évêque de Verdun de s'y installer, ce qui contraignit le conseil municipal à se rendre acquéreur du presbytère actuel. Elle de- vait être assez vaste car l'abbé Demange ne dédaignait pas de se livrer à l'élevage de quelque bétail. S'agissait-il encore de l'antique « maison » du curé Etienne ? Il devait, sans doute, en rester quelque chose. Un jardin, entouré de haies était tou- jours attenant au presbytère au temps du curé Demange, reste du jardin du 13" siècle après agrandissement du cimetière qui à l'origine ne devait occuper que le côté oriental de l'église. Quant à la vigne, elle se trouvait vraisemblablement entre le chevet de l'église et la « maison » d'une part, et le mur sei- gneurial d'autre part. Faut-il voir une corrélation entre le choix de Saint Etienne comme patron de la paroisse et le nom du curé (1). Ce dernier

(1) A noter que non loin de Boncourt, la paroisse de Frémeréville, dont l'église semble contemporaine de la nôtre est aussi placée sous l'invocation de St-Eitenne qui parait avoir joui d'une certaine popularité dans la région. Mais Boncourt fête l'invention de St-Etienne le 4 août, et Frémeréville, St-Etienne le 26 décembre. aurait-il joué un rôle dans la fondation de l'église ? Et les deux donations faites à Saint Nicolas des Près, alors que la paroisse dépendait du diocèse de Toul, indiquent-elles que seigneur et curé avaient bénéficié de l'aide de l'Abbaye ? Le fait que la do- nation dut être confirmée en 1251 par l'évêque de Toul, ten- drait à montrer qu'elle fut disputée et que l'Abbaye eut de bonnes raisons pour la justifier.

Le seigneur de Boncourt, avons-nous dit se nommait Geof- froy de Nonsard. Par suite de quelle transaction un sire de Nonsard, dans la Woëvre s'était-il trouvé investi du fief de Boncourt ? Héritage, mariage, ou peut-être libéralité de la puissante maison d'Apre- mont. En tous cas, en 1247, d'après Dom Calmet, en 1246, sui- vant Dumont, Geoffroy de Nonsard déclare « qu'après le Comte de Bar, il est homme-lige devant tous du Seigneur d'Apremont ; qu'il doit un an de garde à Apremont pour le Val de Boncourt et qu'il tient de lui Boncourt, Mandres, Forbelvesin, Marbotte et tout ce qu'il a à Liouville, Girauvesin et Fréméréville ». Cette déclaration sera renouvelée en 1282 par un autre Geoffroy, fils de Wary de Nonsard et ratifié par Simonette de Sorcy, sa femme. Vers 1350, un Warin, seigneur de Boncourt eut une contes- tation avec Jean III de Commercy au sujet d'un moulin sur la Meuse appelé Harry Moulin. La moitié du moulin fut fina- lement rachetée par Jean III qui en paya 70 florins. Le mou- lin a depuis longtemps disparu, mais le souvenir en est resté dans le nom d'un lieu-dit : « Harmoulin ». Ce Warin mourut peu après sans laisser d'enfant. En 1363, sa sœur Agnès vendit à Geoffroy, Sire d'Apremont, tout ce qu'elle possédait à Boncourt, Forbelvoisin, Pont et Marbotte, ainsi qu'une maison, dite de Boncourt, située dans l'enceinte du Château d'Apremont, pour la somme de 200 florins, bon or, et « à charge pour ledit Sire d'Apremont de soigner hon- nêtement son vivre, ainsi comme une de ses demoiselles, sa vie durante ». Un nommé Husson était, en ce temps-là, Mayeur de Bon- court. En 1403 fut jugée à Apremont une contestation entre Pont et les villages de Boncourt, Mandres et Forbelvisin au sujet de la pâture sur le sommet de la Côte. A cette occasion un Colin, de Forbelvisin, représentait les « hoirs » (héritiers) de Warin de Boncourt. Il semblerait donc que malgré la vente faite par Agnès, des membres de la famille de Boncourt - Non- sard avaient conservé certains droits sur la Seigneurie. On peut, néanmoins, considérer qu'à partir de la fin du 14" siècle, le fief de Boncourt relevait directement des Sires d'Apremont.

IV APREMONT

Il n'est peut-être pas inutile d'esquisser rapidement l'his- toire de cette puissante maison d'Apremont qui pendant plu- sieurs siècles exerça sur les villages du Val de Boncourt son autorité tantôt suzeraine, tantôt directe. Les vicissitudes d'une localité si proche de la nôtre, ne sauraient, en tous cas, man- quer de nous intéresser. On a discuté sur l'origine du nom. Certains influencés par le voisinage de (Mont du Loup), ont voulu le faire dériver de Apris-Mons (Mont du Sanglier), d'autres avec plus de vraisemblance, et se basant sur l'orthographe ancienne Aspre-mont, donnent comme étymologie le latin Asper-mons (la montagne ardue, rocailleuse). C'est, en effet, au sommet du promontoire à pente rapide, situé entre la route de Saint- Mihiel et celle de Varnéville et qui fait face à l'Ouest, ce pro- montoire dont en 1914-1918 les allemands firent une si redou- table forteresse, que se dressait, au moyen âge, la lourde masse d'un château féodal avec ses épaisses murailles et ses quatre tours. La découverte que fit Dumont chez un descendant de Claude Mauljean, dernier prévôt d'Apremont, d'un tableau re- présentant la maison forte de Mandres - aux - quatre - tours et comportant dans une perspective lointaine une esquisse du Château d'Apremont, a permis à l'historien de faire graver l'image qu'il en donne dans les Ruines de la Meuse. A l'intérieur de cette formidable enceinte, outre le donjon, s'élevaient un certain nombre de maisons attribués aux écuyers, aux serviteurs des seigneurs et aussi à quelques fiefs. Il s'y trouvait entre autres une maison de Boncourt : celle vendue en 1363 par Agnès de Nonsard à Geoffroy d'Apremont. Ces bâ- timents constituaient le village d'Apremont proprement dit. En 1479, la population était de 54 personnes. Au pied de la Côte se groupait un autre village, nommé Tigeville, peuplé de serfs et qui à la même époque abritait 123 ménages. C'est ce Tigeville qui, par la suite, devint Apremont- la-Forêt. C'est au VII" siècle qu'il est fait pour la première fois men- tion du Castel d'Apremont. Du milieu de ce siècle à la fin du XI", douze seigneurs se succédèrent dont on ne connaît guère que le nom. Alors apparut une nouvelle lignée où les aînés recevaient alternativement les noms de Gobert et de Geoffroy et sous laquelle la seigneurie commença à prendre de l'impor- tance. Le premier des Gobert (1) en 1096, sous l'inspiration du supérieur du Couvent de Gorze, fonda dans le Val d'Apremont le prieuré de Notre-Dame du Val auquel entre autres donations, il fit don de l'Alleu de Brasseitte avec ses moulins, ses hommes, ses femmes, ses terres, ses prés, ses eaux, et plus tard la terre de Trondes. En 1150, Hadwicke d'Apremont incita le moine Herbert de Rieval à fonder l'abbaye de Rangéval à laquelle fut attribué le moulin d'Aulnois. Dans le château même, une chapelle fut bâtie en 1319 et placée sous l'invocation de Saint Nicolas : 1 doyen et 11 cha- noines la desservirent. Les seigneurs d'Apremont étaient aussi seigneurs de Dun, où ils possédaient un château très important et de riches dé- pendances. Certains portèrent aussi le titre de Comte de Sar- rebrück. Deux d'entre eux allèrent aux Croisades. En 1354, selon Dom Calmet, l'Empereur Charles IV érigea la seigneurie en fief masculin et baronnie souveraine, relevant immédiatement de l'Empire, et reconnut aux seigneurs le droit de battre monnaie, d'anoblir et de légitimer les bâtards.

(1) Une note de M. le Chanoine Souplet, de , me signale que cette dynastie des Gobert d'Apremont a donné à Verdun plusieurs évêques et un Saint moine, Gobert c'*Apremont. A la fin du XIVe siècle, cependant, à la suite d'une dette impayée de 96.000 florins, le Sire de Luxembourg prononça la déchéance du dernier des Gobert, qui se retira dans un cou- vent. La seigneurie fut adjugée à Wenceslas de Bohême, fils de l'Empereur Charles IV et roi des Romains. Wenceslas s'em- pressa d'en investir Hue d'Autel, maréchal héréditaire de Luxembourg. Hue d'Autel fiança son fils Jean, âgé de 5 ans, avec Jeanne d'Apremont, âgée de 3 ans. Le mariage eut lieu et la dynastie devait durer jusqu'en 1463 lorsque le deuxième Hue d'Autel, n'ayant qu'une fille Anne, se démit en faveur de son gendre Emich de Lynanges, originaire d'Allemagne. Si, comme on le verra, Boncourt dut à un d'Autel l'aboli- tion de la mainmorte et quelque adoucissement au servage, le règne de ces deux familles fut souvent marqué par des exac- tions et des actes de cruauté. Au cours de la longue lutte qui opposa François I" à Charles Quint, celui-ci, en 1544, s'avança à travers la Lorraine pour assiéger Saint-Dizier. Philippe de Lynanges fit appel au duc de Bar pour l'aider à défendre Apremont. Il ne put acquit- ter l'indemnité réclamée par le Duc et dut lui céder le Neuf Etang, au Sud de Saint-Julien et de Liouville. La présence des Impériaux dans la seigneurie devait avoir des conséquences plus graves encore. Elle fit surgir un préten- dant à la possession d'Apremont en la personne d'un descen- dant de la ligne mâle : Jean d'Apremont, Sire de Luynes, qui, servant dans l'armée de l'empereur, vint loger à Bouconville. L'empereur fit droit aux prétentions du Sire de Luynes ; il en résulta une procédure devant l'évêque de Liège, et plus tard, un ordre de Charles Quint donné au gouverneur de Luxembourg de s'emparer de l'objet du litige. Pris d'assaut, le château fut livré aux flammes et en grande partie détruit. Les de Lynanges parvinrent cependant à recouvrer la moi- tié de leur domaine. L'autre moitié était tombée entre les mains du duc de Lorraine qui, en 1608, en fit don à son neveu Louis de Guise, baron d'Ancerville. D'autres malheurs fondirent sur Apremont au cours de la guerre de Trente ans, et en achevèrent la ruine. Les maisons à peine relevées par le prévôt Claude Mauljean furent pillées et incendiées par l'armée française, puis par les Suédois qui ne laissèrent derrière eux que la peste et la famine. En 1662, tandis que se poursuivait encore la guerre judi- ciaire entamée en 1544, Charles d'Apremont de Sorcy qui occu- pait ce qui restait du château, s'en fut à Nancy plaider sa cause auprès du duc Charles IV. Il était accompagné de sa fille Marie-Louise, âgée de 13 ans. Le Duc s'éprit de l'enfant et l'épousa en 1664. Cette union dura 10 ans. Toujours en con- flit avec Louis XIV, Charles IV finit ses jours à l'étranger en 1675. Réintégré dans ses états par le traité de Ryswick, en 1697, après le long exil volontaire de Charles IV et de Charles V, et la longue occupation des duchés par les troupes françaises, le jeune duc Léopold acquit la seconde moitié de la Seigneurie d'Apremont et en prit possession en 1704. Le dernier des d'Apremont, Louis Jean Baptiste, capitaine en 1" de la garde des Ducs, se retira à l'abbaye d'Orval. Ses quatre sœurs avaient pris le voile. Claude Mauljean, écuyer, seigneur de Bricourt, devint ca- pitaine gruyer et chef de la police. Ainsi fut absorbée dans le duché de Lorraine cette vaste et illustre seigneurie de 25 lieues de longueur sur 8 de lar- geur, qui d'après Dom Calmet comptait 284 villes, châteaux et paroisses et dont, en 1662, M. de Marcet, archevêque de Tou- louse et conseiller du Roi, pressait celui-ci de faire l'acquisition. Ce qui restait de la forteresse démantelée fut acquis au début du XIXe siècle par un M. Larzillère, de Saint-Mihiel, et entièrement démoli.

CRUAUTE DES SEIGNEURS D'APREMONT Quelque dures qu'aient pu être les exigences seigneuriales il qu'ils aient eu à subir, il ne semble pas que les habitants de j i11 nos trois petits villages aient été l'objet de cruels sévices de la part des d'Autel et des de Lynanges, aucun document, du moins, n'en fait état. Il n'en fut pas de même des gens de Girauvoisin, d'Aulnois et à un moindre degré de Saint-Julien. M. Dumont (1) publie, à ce sujet une longue et pathétique supplique adressée, en 1458, par les habitants de Girauvoisin à René d'Anjou, roi de Sicile, duc de Bar, suzerain des sires d'Apremont, pour lui demander justice. Le duc étant seigneur foncier et souverain de Girauvoisin et de Saint-Julien, le seigneur d'Apremont n'y avait de droits que sur ses propres hommes et ceux-ci n'étaient astreints qu'à payer les assises anciennes et certaines menues redevances ainsi qu'à quelques « crouées » (corvées) en sa grande vigne de Boncourt. « Néanmoins, disaient les exposants, ledit seigneur d'Apre- mont, jour après jour, les fait contraindre, molester, payer les mêmes tailles et aides, et exige d'eux les mêmes services que de ceux de sa terre qui sont lige et sujets à lui. « Et quand ils sont refusants de faire les choses dessus dites, les envoie quérir et prenre par ses gens et servans, les fait mettre en prison et les retient prisonniers à leurs frais jusqu'à ce que les dits exposants lui ont octroyé tout ce qu'il leur demande ». Et description nous est faite de scènes de sauvagerie ré- voltante. « Depuis deux ans de ça, jour des Bures, premier diman- che de Carème, envoya ledit seigneur, sergens et servans de ses terres et Châtel, audit Girauvoisin, de nuit, environ 60 ou 80 hommes abatonnés (munis de bâtons) comme d'arbalestres et autres armes.... fit rompre, découper, tailler en pièces les huis (portes), domiciles et maisons desdits exposants, prendre leurs corps, les lier de cordes comme on fait les larrons et

(1) E. Dumont, Ruines de la Meuse. Pages XIX. — La vie au village à la fin du XIXe siècle 229 XX. — Le Patois 249 XXI. — La guerre de 1914 à Boncourt 253 XXII. — 1919 - 1939 265 XXIII. — La 21 guerre mondiale 1940-1945. — L'exode. — Boncourt sous l'occupation. — La tragique libération 277 XXIV. — 1947 - 1965 301

ANNEXES I. — Curés de Boncourt de 1231 à 1965 321 II. — Maires de Boncourt 323 III. — Régents d'école et Instituteurs. — Sœurs d'école et. Institutrices 325 IV. — Evolution de la population au cours du XIXe siè- cle. — Population de 1837 à 1962 ...... 327

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