Revue d’Alsace

140 | 2014 Villes au Moyen Age, Bibliothèques d'autrefois, Récits de voyages

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/alsace/1984 DOI : 10.4000/alsace.1984 ISSN : 2260-2941

Éditeur Fédération des Sociétés d'Histoire et d'Archéologie d'Alsace

Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2014 ISSN : 0181-0448

Référence électronique Revue d’Alsace, 140 | 2014, « Villes au Moyen Age, Bibliothèques d'autrefois, Récits de voyages » [En ligne], mis en ligne le 01 septembre 2017, consulté le 24 septembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/alsace/1984 ; DOI : https://doi.org/10.4000/alsace.1984

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SOMMAIRE

Notre Revue d’Alsace 2014 Élisabeth Clementz

Schwörtage sans Schwörbriefe ? Le serment collectif à Colmar (XIIIe siècle - époque moderne) Laurence Buchholzer-Remy

Zwischen Baden und Pfalz Die Bedeutung Straßburgs für den Ortenauer Niederadel im späten Mittelalter Michael Bühler

Le « Schwörbrief » de 1482 : L’origine et les conséquences de l’exclusion du Grand conseil pour les baigneurs de Strasbourg Kristin Zech

L’art d’être propriétaire sans l’être tout en l’étant Pratiques emphytéotiques dans la campagne alsacienne aux XVIIe et XVIIIe siècles Jean-Michel Boehler

Le « Cavalierstour » en Suisse, en Savoie, en Italie et en France de François Jacques Wurmser de Vendenheim et Sundhouse (1680-1682) Jean-Paul Haettel

La bibliothèque de Lucas Wetzel, érudit du XVIe siècle Monique Debus Kehr

Des mots du génie au génie des mots : décrire l’Alsace au XVIIIe siècle Claude Muller

Faire des « départemens du Rhin » un objet de savoir : les enjeux de la Société libre des sciences et des arts de Strasbourg Juin 1799 – septembre 1802 Isabelle Laboulais

La Bataille de Leipzig : son souvenir et sa commémoration en 1913 à travers le regard particulier de l’Alsace-Lorraine Jérôme Schweitzer

Relation d’un séjour à Strasbourg d’un jeune Irlandais en 1833-1834 Chantal Hombourger et Nicolas Chabrol

Armand Weiss : heurs et malheurs d’un bibliophile magistrat Gilles Banderier

Une dynastie de petits capitaines d’industrie face aux vicissitudes de l’histoire : les Latscha de Jungholtz (1834-1920) Bertrand Risacher

L’arrivée des sports en Alsace De l’éducation physique au culte de la compétition : un enjeu de société à la fin du XIXe siècle Pierre Perny

1940-1945 : L’exode des Alsaciens vers la Suisse Daniel Morgen

Pour l’unité et le renouveau : le MRP du Haut-Rhin (1945-1946) François Igersheim

Revue d’Alsace, 140 | 2014 2

La vie démocratique et l'opinion de l'Alsace

Les élections municipales et européennes du printemps 2014 en Alsace Richard Kleinschmager

Positions d'habilitation et de thèses

La ville négociée Pouvoir et commune dans l’urbanisation médiévale de la Haute-Alsace Gabriel Zeilinger

Patrimoine régional, administration nationale : la conservation des monuments historiques en Alsace de 1914 à 1964 Nicolas Lefort

Approche géohistorique de la gestion et de la prévention du risque d’inondation : le cas de la vallée de la Lauch (Haut-Rhin) de 1778 à nos jours Lauriane With

Comptes rendus

Sources et ouvrages de référence

RICHER DE SENONES, La chronique de Richer, moine de l’abbaye de Senones Traduction par Dominique Dantand, Le Festival des abbayes, Entreprise et Culture en Lorraine et Société Philomatique Vosgienne, 2013, 156 p. Gilles Banderier

ROTH HEEGE (Eva), Ofenkeramik und Kachelofen. Typologie, Terminologie und Rekonstruktion Schweizerischer Burgenverein, 2012, 380 p. Delphine Bauer

Les périodes de l'histoire

Préhistoire

BRÄUNING (Andrea), LÖHLEIN (Wolfgang) et PLOUIN (Suzanne), Die frühe Eisenzeit zwischen Schwarzwald und Vogesen – Le Premier Âge du Fer entre la Forêt-Noire et les Vosges Archäologische Informationen aus Baden-Württemberg, tome 66, 2013, 288 p. Bernadette Schnitzler

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Moyen Age

SAUVE (Jean-Sébastien), Notre-Dame de Strasbourg. Les façades gothiques Didymos-Verlag, Korb, 2012, 366 p. Jean-Paul Lingelser

XVIIe-XIXe siècles

ANDRIOT (Cédric), Les chanoines réguliers de Notre-Sauveur Riveneuve Éditions, 2012, 473 p. Gilles Muller

FLUCK (Pierre), Antoine-Grimoald Monnet. Voyages. Aventures minéralogiques au siècle des Lumières en Alsace, Lorraine et Franche Comté Éditions du Patrimoine Minier, 2013, 615 p. Claude Muller

BUCK (Janice), L’École centrale du Bas-Rhin (1796-1803). Contribution à l’histoire de l’instruction publique Société académique du Bas-Rhin pour le progrès des Sciences, des Lettres, des Arts et de la Vie économique, Bulletin t. CXXXI-CXXXII, 2011-2012, 182 p. Eric Ettwiller

BELOT (Robert) (dir.), 1870, de la guerre à la paix Editions Hermann, 2013, 314 p. Gabrielle Claerr Stamm

Vie politique entre 1871 et 1940

MULLER (Claude), Dieu, la Prusse et l’Alsace (1870-1914) Éditions du Signe, 2013, 374 p. Catherine Maurer

BAECHLER (Christian), Clergé catholique et politique en Alsace (1871‑1940) Presses Universitaires de Strasbourg 2013, 252 p. François Igersheim

WILMOUTH (Philippe), Images de propagande. L’Alsace-Lorraine de l’Annexion à la Grande Guerre, 1871-1919 Serge Domini éditeur, 2013, 173 p. Jean-Noël Grandhomme

WOEHRLING (Jean-Marie) (dir.), Centenaire de la Constitution de 1911 pour l’Alsace- Lorraine Institut du droit local alsacien-mosellan, Strasbourg, 2013, 393 p. François Uberfill

Revue d’Alsace, 140 | 2014 4

Première guerre mondiale

BRASSEUR-WILD (Laëtitia) et BRÜNING (Rainer) (dir.), Vivre en temps de guerre des deux côtés du Rhin / Menschen im Krieg 1914-1918 am Oberrhein Landesarchiv Baden-Württemberg / Archives départementales du Haut-Rhin, 2014, 315 p. Jean-Noël Grandhomme

DUBAIL (André et Emmanuel), La Grande Guerre dans le Sundgau. Un front secondaire… mais pas trop ! Société d’histoire du Sundgau / Les Amis du Kilomètre 0, 2014, 136 p. Jean-Noël Grandhomme

GRANDHOMME (Jean-Noël et Francis), Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre La Nuée Bleue, 2013, 511 p. Claude Muller

KAHN (André), Journal de guerre d’un juif patriote 1914-1918 Présenté par Jean-François Kahn et Axel Kahn, Tallandier, 2014, 335 p. Jean-Noël Grandhomme

MENGES (Jean-Paul), Marie-Claire Mengès. « Mon journal de la Guerre 1914-1918 sur le front d’Alsace » Éditions Place des Victoires, 2013, 288 p. Claude Muller

Seconde Guerre mondiale

KLEINHENTZ (Laurent), Kriegsmarine sang d’ancre Serpenoise, 2013, 573 p. Jean-Noël Grandhomme

MORGEN (Daniel), Mémoires retrouvées. Des enseignants alsaciens en Bade, des enseignants badois en Alsace : Umschulung 1940-1945 Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2014, 403 p. Eric Ettwiller

RICHARD (Christian), 1939-1945 / Raymond Ditchen, Malgré-nous, évadé, maquisard Geste éditions, 2013, 249 p. Jean-Noël Grandhomme

WILMOUTH (Philippe), Mémoires parallèles. Moselle-Alsace de 1940 à nos jours. L’annexion de 1940-45 / Les Malgré-Nous / Le procès de Bordeaux Serge Domini Éditeur, 2012, 192 p. Léon Strauss

Après 1945

STEIB (Antoine), Au Fil des agendas 1959-1962. Ma guerre d’Algérie. Récit-Témoignage Editions Publi’h (chez l’auteur), 2011, 126 p. Jean-Noël Grandhomme

SCHMITT (Thomas), Les séminaristes strasbourgeois en mai 1968 Ercal, 2012, 253 p. Claude Muller

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Les lieux et les hommes

Les villes et les campagnes

BOCQUILLON (Sophie) et PEREGO (Armand), Grandir à Strasbourg dans les années 1940 et 1950 Éditions Wartberg, 2012, 63 p. Benoît Wirrmann

BRAEUNER (Gabriel), Colmar en France. Chronique des années cinquante et soixante Éditions du Belvédère, 2014, 271 p. (48 p. d’ill. hors texte) Jean-Luc Eichenlaub

La Cave du Roi Dagobert. Chroniques d’une aventure collective, 1952‑2012 ID. L’édition, 2012, 96 p. François Uberfill

HOCHREITER (Walter), GSCHWIND (Eva), SALVISBERG (André), SIEBER (Dominik) et SIEBER-LEHMANN (Claudius), Drinnen, Draussen: Dabei. Die Geschichte der Stadt Rheinfelden Verlag regionalkultur, 2014, 336 p. Olivier Richard

Sanctuaires et fortifications

KOEHLER (Patrick) et ALEXANDRE (Daniel), Alsace, terre mariale. Sur les chemins de l’espérance… Histoire et tradition orale Éditions du Signe, 2013, 229 p. Jean-Noël Grandhomme

MULLER (Claude), LESER (Gérard) et SCHLUSSEL (Benoît) (dir.), L’abbaye bénédictine Saint- Grégoire de Munster. Pouvoir et Savoir Éditions du Signe, Institut d’Histoire d’Alsace, 2012, 305 p. Eric Ettwiller

SERAMOUR (Michaël), La Ligne Maginot. Ses casernes disparues Alan Sutton, 2013, 136 p. Jean-Noël Grandhomme

WAHL (Jean-Bernard), 200 km de béton et d’acier. La Ligne Maginot en Alsace Gérard Klopp éditeur, 2013, 359 p. Jean-Noël Grandhomme

Alsaciens célèbres

LÜGER (Heinz-Helmut), GIESSEN (Hans W.) et WEIGEL (Bernard) (dir.), Entre la France et l’Allemagne : Michel Bréal, un intellectuel engagé Lambert-Lucas, 2012, 168 p. Eric Ettwiller

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EMANE (Augustin), Docteur Schweitzer, une icône africaine Fayard, 2013, 284 p. Jean-Paul Sorg

BOUNDZANGA (Noël Bertrand) et NDOMBET (Wilson-André) (dir.), Le malentendu Schweitzer L’Harmattan, 2014, 218 p. Jean-Paul Sorg

CAGNAC (Bernard), Alfred Kastler, Prix Nobel de physique 1966. Portrait d’un physicien engagé Éditions rue d’Ulm, 2013, 75 p. François Uberfill

Arts et techniques

Architecture

ALBERTONI (Clémentine), HAEGEL (Olivier) et SCHEURER (Marie‑Philippe), L’ensemble paroissial de Villé Parcours du patrimoine, 2013, 64 p. Gabrielle Claerr-Stamm

CHATELET (Anne-Marie) et STORNE (Franck) (dir.), Des Beaux‑Arts à l’Université. Enseigner l’architecture à Strasbourg Éditions Recherches / École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, 2014 Hervé Doucet

Collectif, L’université impériale de Strasbourg. Le site de la porte des pêcheurs Réalisé par le service de l’inventaire du patrimoine de la Région Alsace, en partenariat avec le Jardin des Sciences de l’Université de Strasbourg, Lieux-dits, « Parcours du patrimoine », 2012, 72 p. Gabrielle Claerr Stamm

ECKLE (Gérard), Strasbourg, L’image des quais, pierre par pierre Éditions du Belvédère, 2013, 160 p. Nicolas Claerr

GRODWOHL (Marc), Dannemarie, à travers les âges. De la cave au grenier, 1474-1775 Éditions Ville de Dannemarie, 2014, 132 p. Gabrielle Claerr Stamm

MOSCA (Lucie), La faculté de droit de Strasbourg, réalisé par le service de l’inventaire du patrimoine de la Région Alsace En partenariat avec le Jardin des Sciences de l’Université de Strasbourg, Lieux-dits, « Parcours du patrimoine », 2012, 64 p. Gabrielle Claerr Stamm

Musique classique et arts populaires

SCHILDBERG (Gerhard), Jean-Jacques Werner. L’heureuse évolution d’une carrière artistique Éditions Delatour, 2011, 31 p. Paul-Philippe Meyer

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MOINARD (Françoise), Jean-Jacques Werner. Catalogue des œuvres Éditions Delatour, 2013, 66 p. Paul-Philippe Meyer

MEYER (Pierre), Les plaques émaillées publicitaires de l’Émaillerie alsacienne de A à Z Éditions Jérôme Do Bentzinger, 2012, 255 p. Christine Esch

SCHNEIDER (Malou) (dir.), Mémoires du judaïsme en Alsace, Les collections du Musée alsacien Éditions des Musées de Strasbourg, 2013, 160 p. Jean Daltroff

Glanes

BÜMLEIN (Klaus), FEIX (Marc), HENZE (Barbara) et LIENHARD (Marc) (dir.), Kirchengeschichte am Oberrhein, ökumenisch und grenzüberschreitend Verlag Regionalkultur, 648 p. Claude Muller

Les Actes du CRESAT no11 2014, 173 p. Frédéric Kurtz

LAPERCHE-FOURNEL (Marie-José), La représentation du massif vosgien (1670-1870) : entre réalité et imaginaire L’Harmattan, 2013, 249 p. Christine Esch

MAURER (Catherine) et STARCK-ADLER (Astrid) (dir.), L’espace rhénan, pôle de savoirs Presses Universitaires de Strasbourg, 2013, 446 p. Claude Muller

VOGLER (Bernard), Geschichte des Elsass Verlag Kohlhammer, 2012, 226 p. Claude Muller

Chez nos voisins d'Outre-Rhin

Le tome 162 – 2014 de la Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins Eric Ettwiller

Relations transfrontalières

2e colloque d’histoire transfrontalière à Strasbourg, Maison de la Région Alsace le 26 octobre 2013 Gabriel Braeuner 553-557 (éd.)

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Activités de la Fédération

Les premières notices du NetDBA mises en ligne en mai 2014

Publications de la Fédération

Le cahier F du Dictionnaire historique des Institutions de l’Alsace François Igersheim

Septième fascicule de la collection Alsace Histoire « L’art de la guerre – Comment aborder l’histoire militaire de l’Alsace du Moyen Âge à la guerre de 1870 » de Norbert Lombard Jean-Michel Boehler

Huitième fascicule de la collection Alsace Histoire Édifices, mobilier et objets dans l’espace juif alsacien, par Jean Daltroff Jean-Michel Boehler

Publications des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace

Publications des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace (année 2013) Gabrielle Claerr Stamm

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Notre Revue d’Alsace 2014

Élisabeth Clementz

1 L’habitude s’est prise de consacrer chaque volume de la Revue d’Alsace alternativement à un thème unique – en dernier lieu : les boissons en 2011 et la Grande Guerre en 2013 – et à des sujets variés – ce qui est notamment le cas du présent numéro 140, dont nous espérons que le lecteur appréciera la richesse. Richesse non seulement dans les sujets traités, mais aussi dans les périodes de l’histoire abordées. Le Moyen Âge est plutôt mieux représenté que la moyenne des années précédentes, avec trois articles, dont on notera toutefois que tous concernent la fin de la période. Deux d’entre eux ont été rédigés par des collaborateurs allemands. Cette participation transfrontalière mérite d’être relevée et encouragée dans les années à venir, d’autant plus qu’à l’heure actuelle, le nombre et la qualité des travaux consacrés en Alsace même à l’histoire médiévale et moderne de notre région sont en baisse. En cause, le recul de la connaissance de l’allemand, qui décourage beaucoup d’historiens et d’étudiants de se plonger dans les sources alsaciennes antérieures au XVIIIe siècle. Et pour la période du XVIIIe au XX e siècle, ceux qui s’y consacrent sont facilement tentés de se contenter des sources en français – qui existent en abondance, mais qui suffisent rarement à traiter tous les aspects d’un sujet. Faire abstraction des sources en allemand, par facilité ou par ignorance de la langue ou de la paléographie allemande, est réducteur et ne peut aboutir qu’à des conclusions partielles, voire partiales.

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2 La fécondité d’un « retour aux sources » aussi bien allemandes que françaises est illustrée par l’article que Jean-Michel Boehler consacre à « l’art d’être propriétaire sans l’être tout en l’étant ». L’auteur y montre « qu’à force de compulser les archives, aussi diverses qu’abondantes, l’historien est amené à côtoyer le droit tel qu’il se pratique sur le terrain, parfois fort éloigné de celui qui s’édicte dans les cabinets des spécialistes » et – ajouterai-je à la suite de Jean Vogt – loin de certaines simplifications abusives qu’une pratique assidue des archives aurait permis d’éviter. Un minutieux travail d’archives a également permis à Kristin Zech d’analyser les raisons économiques et sociales qui ont amené la corporation des baigneurs de Strasbourg à perdre son siège au Conseil de la ville en 1482. Michael Buehler, quant à lui, explique pourquoi, alors qu’en général la petite noblesse, à la fin du Moyen Âge, passe pour fort hostile aux villes, celle de l’Ortenau est attirée par Strasbourg : menacée dans son existence par les mutations de la société et notamment par le développement des principautés territoriales environnantes, la petite noblesse de l’Ortenau cherche à se garder ouvertes des alternatives au service des princes. Laurence Buchholzer, pour sa part, poursuit ses investigations sur les pratiques du Schwörtag (jour du serment collectif) en Allemagne en s’intéressant plus particulièrement au cas de la ville de Colmar, où il se déroule au cimetière Saint-Martin, lieu public et communautaire par excellence. L’auteur évoque les spécificités du Schwörtag colmarien, dans lequel, à la différence de ce qu’on connaît à Strasbourg, le Schwörbrief (charte [constitutionnelle] jurée) ne joue pas de rôle.

3 Sous la rubrique « voyages », le lecteur découvrira le Grand Tour de Franz Jakob Wurmser. Il s’agit d’un voyage entrepris traditionnellement par les jeunes aristocrates dans le but de parfaire leur éducation et leur formation militaire. Wurmser visite la France, la Suisse et l’Italie entre 1680 et 1682. Grâce aux lettres, conservées à Darmstadt, qu’il échange avec sa famille, nous pouvons découvrir les lieux visités lors de son périple et vivre en direct l’annexion de l’Alsace à la France le 30 septembre 1681. Chantal Hombourger et Nicolas Chabrol nous font découvrir la relation du séjour à Strasbourg d’un jeune Irlandais en 1834-1835, alors que Daniel Morgen évoque un voyage « forcé » : l’exode des Alsaciens vers la Suisse en 1940.

4 La Revue d’Alsace 2013 était consacrée à la Grande Guerre, dont nous commémorons le centenaire cette année. Le thème de la guerre est également présent dans cette nouvelle Revue avec une étude consacrée à trois enquêtes d’ingénieurs militaires français, qui ont parcouru notre province respectivement en 1702, 1732 et 1783. Les nombreuses informations contenues dans ces rapports – elles concernent le réseau hydrographique, les forêts, les routes, les clochers, les villages et villes d’Alsace – n’ont guère été exploitées jusqu’ici par l’historiographie régionale. Jérôme Schweitzer, quant à lui, évoque le souvenir de la bataille de Leipzig et sa commémoration en 1913 à travers le regard particulier de l’Alsace-Lorraine.

5 Les bibliothèques sont également à l’honneur dans ce numéro, grâce à l’étude très minutieuse de Monique Debus-Kehr sur les ouvrages laissés à sa mort par Lucas Wetzel, juriste colmarien de la seconde moitié du XVIe siècle, alors que Gilles Banderier évoque le destin de la bibliothèque d’Armand Weiss, un magistrat du XIXe siècle, qui a consacré le meilleur de sa vie à rassembler une admirable collection d’ouvrages anciens. Bertrand Risacher pour sa part évoque le destin des Latscha, une famille d’industriels du Haut-Rhin, entre 1834 et 1920, leur adaptation au marché allemand après l’annexion de 1870 et la débâcle de leurs entreprises du fait de la Grande Guerre. L’auteur nous fait

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découvrir une famille très représentative de ces petits capitaines d’industrie, francophiles certes, mais pétris d’une double culture.

6 La richesse de ce numéro ne permet pas de mentionner ici toutes les contributions qu’il contient, mais l’échantillonnage évoqué ci-dessus suffira peut-être à donner au lecteur une idée de sa variété et à faire naître en lui l’envie de le découvrir en entier.

AUTEUR

ÉLISABETH CLEMENTZ Maître de conférences d’Histoire de l’Alsace à l’Université de Strasbourg

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Schwörtage sans Schwörbriefe ? Le serment collectif à Colmar (XIIIe siècle - époque moderne) Oath days without oath taking writs? Popular oath in Colmar between the 13th century and modern times Schwörtage ohne Schwörbriefe? Der kollektive Schwur zu Colmar (XIII. Jh.- Beginn der époque moderne)

Laurence Buchholzer-Remy

1 Le recours au serment est attesté de façon croissante dans le monde occidental dès les IXe-Xe siècles. L’acte juratoire intervient dans le rituel féodo-vassalique comme dans les institutions de paix1. Il structure aussi des rapports d’autorité, de souveraineté / soumission, entre un puissant et ses sujets. De tels serments d’allégeance (Huldigungseid) existent dans les villes médiévales, entre seigneur(s) et dépendants. Cependant, dans ce même cadre urbain, depuis la fin du XVIIIe siècle, l’historiographie a surtout mis en exergue une émancipation fondée sur un serment entre égaux, le serment de « commune »2 vu comme un élément fondateur de l’assemblage politique et social urbain. La « commune urbaine compterait parmi les apports les plus importants du Moyen Âge à l’histoire sociale de l’Europe. C’est en effet dans la commune que le type social du citadin libre a vu le jour »3.

2 L’importance quantitative du mouvement communal a, depuis, été relativisée. Les communes furent rares, et étaient révocables ; elles virent le jour à la campagne comme à la ville4. La conjuration violente contre les pouvoirs établis ne fut qu’un épiphénomène, rarement « révolutionnaire ». Peut-être ne s’agirait-il même que d’un mythe, entretenu par l’historiographie romantique depuis le XIXe siècle…5

3 À l’horizon du bas Moyen Âge, le serment collectif, qui accapare tant les historiens des XIIe-XIIIe siècles, ne fait plus florès. En effet, on considère généralement qu’à l’époque, le temps des communes et de leur serment est révolu. Il se serait effacé au même titre que les assemblées générales6, pour ne plus intervenir ça et là qu’en cas de guerre, de troubles civils, d’innovations fiscales, bref pour satisfaire le besoin de légitimité d’autorités urbaines en danger. Au temps du serment communal succéderait celui de

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l’autorité quasi souveraine des Conseils urbains sur le reste de la bourgeoisie (Obrigkeit), ou encore celui de l’autorité princière et royale.

4 Du serment collectif des bourgeois ne subsisteraient plus que quelques vestiges dans des villes conservatoires, où le serment originel de commune se serait en quelque sorte fossilisé. Seule l’Allemagne du sud et l’espace helvétique offriraient en somme un certain continuum entre le serment initial fondateur de l’universitas et le tournant vers l’État des temps modernes. Preuves en seraient des textes inscrits sous forme de charte (chartes de serment, Schwörbriefe) utilisés lors de cérémonies annuelles pour une prestation jurée des bourgeois (jours du serment, Schwörtage). Strasbourg, Ulm, Lucerne ou encore Schwäbisch Hall passent pour des exemples typiques de ces villes pratiquant les jours du serment7. Au‑delà de ces quelques cas, le cercle est volontiers élargi à une vaste région « Haute-Allemagne », sans qu’il n’y ait eu jusqu’à présent de recherche systématique sur les pratiques du serment collectif dans cet espace.

5 Enquêtant sur la communication politique et les cérémonies de renouvellement annuel des conseils urbains, Dietrich W. Poeck8 a confirmé l’existence de rituels collectifs du serment civique dans l’espace alsacien des XVe-XVIe siècles. Il propose ainsi quelques pages sur Sélestat et Colmar, principalement fondées sur la lecture des Elsässischer Stadtrechte édités pour ces deux villes9.

6 Une exposition organisée aux Archives de la ville et de la communauté urbaine de Strasbourg (AVCUS) en 2008 autour des chartes de serment de Strasbourg a été l’occasion de relancer la réflexion10. Strasbourg s’affirme comme une ville aux chartes de serment précoces (à partir de 1334), nombreuses et d’une grande prestance. Ces beaux documents strasbourgeois furent-ils la manifestation isolée de l’orgueil constitutionnel d’une ville libre, ou un phénomène plus étendu, dupliqué quasiment à l’identique en plusieurs points du tissu urbain alsacien ?

7 En s’attachant au cas colmarien, le présent article entend initier une mise en perspective régionale, qu’il faudra assurément poursuivre à l’appui des archives d’autres villes11. Il s’agit par la même occasion de mettre à l’épreuve l’idée d’un continuum entre communes et chartes de serment. Quelles furent à Colmar les attestations du serment collectif jusqu’aux jours du serment de l’époque moderne mis en lumière par Dietrich W. Poeck?

8 À la lumière de l’exemple strasbourgeois12, on sait que les Schwörtage supposent un assemblage complexe. Ils mettent en œuvre des textes de référence, dotés parfois d’une forte dimension solennelle. Ces documents devaient faire date ; ils avaient peut-être aussi vocation à être montrés devant le parterre des citoyens. Par leur contenu, la plupart des textes jurés étaient de nature constitutionnelle : ils déterminaient le nombre de sièges au Conseil, les procédures d’élection… Mais ils pouvaient être complétés par des dispositions législatives, notamment les statuts qui régulaient le droit de bourgeoisie. Ces Schwörbriefe étaient intégrés à un rituel annuel, pourvu d’un lieu, d’un calendrier, et d’un déroulement codifié. Lequel faisait généralement suite aux procédures d’élection du Conseil.

9 Un lieu, une date, des chartes constitutionnelles… Ce sont autant d’éléments susceptibles de composer le Schwörtag. Voyons quelles en furent les combinaisons colmariennes.

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En amont des jours du serment : universitas et pratiques juratoires aux XIIe-XIIIe siècles

De la communitas à l’universitas

10 Colmar est de ces localités où l’unification des habitants en une même communauté n’était pas acquise a priori13. L’autorité seigneuriale sur les hommes y était en effet partagée entre plusieurs potentats aux Xe‑XIIe siècles. Le monastère clunisien de Payerne était l’un d’entre eux. À Colmar et environs, il tenait, entre autres, des droits et terres impériaux auparavant gérés par les ducs de Souabe. Disposant d’un siège administratif à Colmar, la « curia superior » (Oberhof, cour supérieure), à la tête d’un cortège d’officiers (avoués, ministériaux, milites)14, il côtoyait dans la ville le dominium du chapitre cathédral de Constance15. Lequel tenait une cour seigneuriale appelée Niederhof (cour inférieure)16.

11 Dès 1186, la présence de l’empereur Frédéric Ier Barberousse à Colmar révèle la volonté qu’a le souverain de réinvestir le terrain de l’ancien fisc impérial local17. Mais il faut attendre 1219 pour voir apparaître à Colmar un Schultheiss, officier chargé à la fois de la haute juridiction criminelle régalienne et de la gestion des droits impériaux18.

12 Des hommes soumis à ces seigneurs fonciers et banaux – auxquels il faudrait ajouter encore les dépendants de l’abbaye de Munster19 –, on ne sait jusque-là presque rien20. C’est en 1212 qu’apparaît la première mention d’une action collective parmi ces résidents. À l’époque, des hommes relevant de l’Oberhof, désignés comme des burgenses, présentent une requête commune à leur seigneur, qui accepte d’entendre la demande21. Dépendant d’un même seigneur, donc relevant de la même coutume, ces citadins paraissent aussi fédérés par des cadres religieux communs : la paroisse Saint-Martin, son église et son cimetière. Ils gèrent en outre des communaux et sollicitent le droit d’en vendre certains22 pour « construire une enceinte fortifiée autour du cimetière paroissial » (« ad clausuram cimeterii parrochialis ecclesiae construendam »)23. Deux ans plus tard (1214), une nouvelle vente de communaux au profit du monastère de Pairis permet de préciser le portrait de ces sujets seigneuriaux, qui agissent de concert24. Savoir, 18 « burgenses », qui comptent dans leurs rangs des chevaliers ou des officiers (tonloyers, forestiers)25. Parlant en leur nom propre, ils se font par ailleurs les interprètes (« per nos ») « d’autres » résidant dans la « communitate » de ceux de Colmar. Ils émettent eux‑mêmes l’acte à Colmar et le scellent par le « sigillo communitatis nostre »26.

13 La tradition historienne voit habituellement dans ce document l’émergence d’une commune, une collectivité qui transcende ses membres jurés et acquiert ainsi une personnalité juridique propre27. La comparaison qu’offrent aujourd’hui plusieurs monographies invite à plus de circonspection. Albert Rigaudière a montré, à partir d’actes du Massif Central, que la communitas n’y était encore qu’un groupe d’hommes agissant de concert. À Avignon, dans les années 1220, le terme « commune », très présent dans les actes, renvoie « aux biens divers et droits possédés et exercés en commun par les habitants ou pour leur compte, mais non susceptibles d’appropriation par ces derniers. La commune dispose d’un patrimoine important pour lequel elle peut agir par l’intermédiaire de représentants »28.

14 La communitas colmarienne renvoie probablement de la même façon à l’une de ces premières formes de solidarité nées de la gestion des communaux29. La constitution

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d’une entité juridique bourgeoise, d’une universitas, ne semble acquise en toute certitude qu’en 1230, et sous l’aile protectrice du souverain. C’est à cette date, dans un diplôme de Henri (VII), qu’apparaît à la fois la référence à l’universitas (universis civibus ; universitati vestrae duximus significandum quod…) et à un statut urbain de Colmar (civitas)30. Les sources narratives corroborent ce faisceau d’indices, puisque la chronique de Richer de Senones, rédigée vers 1255, situe en 1215-1237 la transformation de Colmar en une ville – ce qui suppose alors la construction d’une enceinte – sous l’impulsion de Woelfelin, Schultheiss de Haguenau31.

15 À aucun de ces stades et dans aucun des actes éclairant la genèse d’une communauté bourgeoise à Colmar, n’apparaît en définitive la mention d’un serment collectif impliquant tout ou partie des habitants. N’était la dimension juratoire que revêtait, d’ordinaire et en d’autres lieux, la notion d’universitas32, employée à Colmar à partir de 1230. La conjuration originelle que les Schwörtage auraient pu perpétuer et célébrer se fait donc fort discrète… On ignore au fond comment, à Colmar, les dépendants des trois seigneurs ecclésiastiques locaux ont fini par se fédérer, si ce n’est sous l’œil bienveillant de l’empereur, autour de communaux d’origine impériale dépendant de l’autorité éminente et partagée de plusieurs domini, et d’un lieu fortifié commun.

Des espaces du serment précoces

16 En effet, tout au plus sait-on que la communitas, puis l’universitas, dispose, à compter de 1212, d’un lieu de refuge et de réunion potentiel, au travers du cimetière bientôt fortifié, jouxtant l’église paroissiale Saint‑Martin. Le lieu a probablement un rôle symbolique et structurant pour la communauté urbaine. C’est l’un des biens communaux qu’un groupe de manants colmariens gérait en commun, sous l’autorité éminente de l’abbé de Payerne (Oberhof)33. La fortification, et les devoirs fiscaux ou militaires afférents, engendrèrent une collectivité de gestion, puis probablement une collectivité de défense. Le cimetière était déjà un lieu fédérateur dans le premier quart du XIIIe siècle. Il faut attendre quelques décennies pour constater qu’il est aussi devenu un espace de publication des informations et un lieu de serment. À en croire la Chronique de Colmar34, en 1293 durant l’interrègne ouvert par la mort de Rodolphe de Habsbourg, le Schultheiss de Colmar, favorable au parti d’Albert de Habsbourg, le fils de Rodolphe, aurait recouru au cimetière pour rassembler la population et en exiger le serment au profit d’Anselme de Ribeaupierre : 1293. Le 4 des ides de septembre [10 septembre], le schultheiss de Colmar, à l’insu des conseillers et des bourgeois, appela Anselme de Ribeaupierre et lui livra la ville. Il avait introduit dans les murs une foule de soldats de ce seigneur et les avait placés dans le cimetière. Alors que les bourgeois dormaient, réveillés au son des cloches, ils courent au cimetière, où ils trouvent les hommes d’armes de Ribeaupierre ; frappés de terreur, ils ne savent que faire. Pendant ce temps, un héraut convoque les bourgeois en disant partout : Notre ami le seigneur de Ribeaupierre est ici ; il vient pour nous aider de sa personne et de ses biens ; car il a appris que nos ennemis ont le dessein de nous attaquer ; il arrive donc pour recevoir nos serments de fidélité et nous donner les siens (venit igitur ut ipse nobis et nos ei fidelitatem juramento firmemus). Puis, le héraut dit : levez les mains et jurez ! Ce qu’ils firent. Le seigneur de Ribeaupierre s’apercevant que seuls quelques-uns avaient prêté serment de fidélité, prescrivit aux chefs des corporations (magistris Zunftarum) de réunir chacun de leurs membres dans leurs lieux respectifs d’assemblée, et il demanda à chacun de jurer fidélité. Beaucoup ne le prêtèrent qu’à contre-cœur ;

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ceux qui le refusèrent furent expulsés de la ville et parmi eux le chevalier de Rust, les seigneurs de Nortgassen et plusieurs citoyens riches et considérés35.

17 En septembre de la même année 1293, le cimetière apparaît à nouveau comme le lieu de rassemblement du commun. À lire le texte entre les lignes, il est peut-être aussi un cadre de conjuration pour des fractions de la population urbaine non représentées au Conseil : « L’évêque de Strasbourg, apprenant ce qui se passait, vint avec 200 hommes pour prêter main forte aux Colmariens. Pendant que les conseillers délibéraient à ce sujet, la communauté de la ville (communitas) vint en criant : Nous ne voulons pas recevoir davantage d’hommes en armes ! Et les humbles (pauperes) s’écrièrent : armes en mains, rassemblons-nous au cimetière et faisons ce qui aura été décrété. Ceci fait, ils dirent : prenons les clefs des portes et gardons-les soigneusement36.

18 Les chroniques des Dominicains de Colmar désignent ainsi deux lieux cruciaux des serments collectifs colmariens, en usage dès la fin du XIIIe siècle. Le cimetière Saint- Martin forme le cadre des allégeances jurées, est un lieu de réunion des hommes en armes et procure un espace de délibération collective37, voire de conjurations. Les maisons des corporations (Stuben), lieu de l’obéissance des artisans envers les maîtres du métier, mais aussi relais du politique, constituent des espaces subsidiaires pour le recueil du serment. Les réfractaires ou les retardataires du serment y sont assignés nommément38.

19 Ces lieux associés au serment de façon précoce, alors même qu’il n’y a pas de trace explicite de serments collectifs annuels de la bourgeoisie, restent ensuite indéfectiblement liés aux pratiques juratoires. Des textes du XVIe siècle soulignent par exemple que si le souverain désire recevoir l’allégeance, non de la part du seul Conseil, mais de toute la communauté, « cela se passe au cimetière. Et quand tout le Commun est rassemblé, on conduit sa majesté impériale ou royale en chaire, le Magistrat (die Meisterschafft39) doit aussi s’y rendre. Alors le secrétaire municipal lit le serment et le Hofmeister l’énonce… »40.

20 Afin de mieux s’adapter aux nécessités d’une ville en croissance, le cimetière fut agrandi en 1308 dans le cadre d’une convention avec le doyen du chapitre Saint- Martin41. Peut-être le Conseil y aménagea-t-il alors une place publique, toujours est-il que jusque dans la seconde moitié du XVIe siècle la population colmarienne avait rendez-vous annuellement « au cimetière » pour prêter serment, après s’être regroupée dans le cadre des corporations42.

L’émergence d’une pratique administrative du serment

21 À défaut de références explicites à une communauté jurée colmarienne aux XIIe-XIIIe siècles, en dehors de quelques conjurations temporaires et rarement unanimes43, les premiers serments collectifs récurrents furent des engagements jurés à l’intérieur des cercles dirigeants44. En 1278, dans le grand privilège octroyé à la ville par Rodolphe de Habsbourg, les « bourgeois de Colmar », qu’il faut entendre ici comme les conseillers qui les représentent, obtiennent le droit de faire statuts, littéralement, « d’établir des unions par / sur eux-mêmes »45. Les modalités pratiques de cette faculté législative n’apparaissent clairement qu’au travers du premier statut conservé, en date du 29 juillet 1286. Le serment y tient une place importante. Le Schultheiss, le Conseil et les bourgeois de la ville de Colmar établissent ce jour-là qu’en cas de conflit, aucune maison ni cour dans la ville ne doivent être soumises à destruction46. Le texte précise

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que la décision commune s’appuie sur un engagement antérieur : les décisionnaires avaient juré préalablement d’agir pour l’honneur et l’intérêt de la ville, et la nouvelle disposition devait se conformer à cette exigence. Il existait donc, dès la fin du XIIIe siècle, un serment prêté par les Conseillers, probablement lors de leur entrée en fonction47. Le statut en lui-même était, en outre, confirmé par un serment, probablement juré collectivement en Conseil. La parole donnée confortait l’unanimité (elle fondait l’Einung), elle rendait aussi la décision exécutoire. Tout nouveau impétrant au Conseil devait jurer à son tour d’observer le statut adopté par ses prédécesseurs : « Dis han wir gesworn unde wellen, wer har nach iemer des rates wirt, das der des selben swere, stete ze habende disen einung, den wir durch der stette ere willen ufgesezzet haben ».

22 Ainsi, aux premiers temps de la documentation urbaine colmarienne, le cas colmarien atteste de pratiques juratoires en Conseil bien plus que d’un serment collectif annuel de l’universitas. Lors de leur entrée en fonction, les Conseillers juraient individuellement et en commun d’œuvrer pour le bien de la ville. Ils renouvelaient cet acte juratoire pour établir des dispositions majeures. Une fois le droit législatif du Conseil bel et bien acquis, l’habitude de garantir certains statuts par serment ne disparut pas pour autant. Aux formules « le Conseil a reconnu » (der rat hat erkant) ou « le Conseil a décidé » (Der rate hat erteilt), s’ajoutent parfois encore dans « l’ancien livre du Conseil » (Rotbuch, 1362-1445) des références au serment fondateur de l’unanimité et du statut : « Der schutheiss, die meistere, der rat und die zunftmeistere hant einhelleclichen erteilt und erkant uff den eyt »48.

23 Deux éléments fondamentaux dans la constitution des jours du serment sont donc réunis à Colmar dès la fin du XIIIe siècle. Déjà, les conseillers engageaient leur parole et promettaient d’agir pour le bien commun lors de leur nomination ; déjà, certaines dispositions législatives appelaient une union jurée. Mais, pour qu’il y eût Schwörtage, ces promesses devaient sortir du cadre feutré du Conseil pour s’exprimer au vu et au su de la population urbaine. Ce qui supposait des mutations constitutionnelles et politiques d’envergure au profit du Commun et des gens de métiers.

À la recherche des Schwörbriefe colmariens

24 Tant à Ulm qu’à Strasbourg, le rythme de rédaction des chartes de serment renvoie aux principaux changements institutionnels. L’exemple de la ville libre invite donc à considérer de plus près les périodes de révoltes internes et changements politiques pour suivre la genèse des Schwörtage colmariens. Or, à partir de 1261, commence à Colmar une longue ère de troubles, qui finit par mener à des décisions majeures en matière de serments collectifs sous le règne de Charles IV. La concordance chronologique avec l’époque de rédaction des Schwörbriefe strasbourgeois 49 demande d’examiner de plus près la production d’éventuelles chartes de serments colmariennes, leur contexte d’apparition et leurs usages.

25 Hasard ou expression même des divisions utérines que connut alors Colmar, la documentation léguée par les archives est extrêmement ténue pour la fin du XIIIe siècle et le premier tiers du XIVe siècle. Si les chroniques et annales relatent à loisir les rivalités entre partis qui secouèrent Colmar et les agissements des Schultheissen locaux à compter de 126150, la documentation ne fait référence qu’incidemment à des serments collectifs. Tel est le cas d’un serment conjuratoire évoqué en filigrane de l’alliance passée entre Colmar et les bourgeois de Strasbourg en octobre 126151. Le Schultheiss Jean

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[que les chroniques identifient comme Jean Roesselmann] et l’universitas de Colmar scellent alors pour quatre ans un traité d’entente (conspirationis) et d’amitié solide avec les Strasbourgeois révoltés contre leur évêque. Selon la loi du genre, les alliés se donnent du « chers amis », et exaltent leur « universitas » respective. Toujours est-il que, au-delà de l’unanimisme apparent, seule une faction coalisée derrière le Schultheiss penchait pour le parti des bourgeois strasbourgeois rebelles et de Rodolphe de Habsbourg52. Le serment d’alliance est donc celui de deux groupes insurgés qui, tout en ayant gagné du terrain, n’avaient pas encore de positions fermes dans leurs villes respectives. Les modalités pratiques de leurs engagements juratoires restent néanmoins obscures.

26 De même, l’absence de documentation archivistique évoquant les serments oblige à parcourir d’une traite les soubresauts internes colmariens : 1261, 1273 (?), 1279-1281, 1284-1285, 1286, 1289-1290, 1291, 1293, 1315-1325 (guerre des Rouges et des Noirs), et ce jusqu’à ce que les commotions politiques (1330, 1356, 135853) soient à nouveau éclairées par des textes.

27 Les premiers changements constitutionnels connus surviennent en 1331. Il s’agit alors de mettre un terme au long antagonisme entre les Rouges et les Noirs, partisans respectifs de la maison d’Autriche et de la maison de Bavière (1315-1330). Un acte du 27 mai 1331, promulgué par « le schultheiss, le bourgmestre, les bourgeois et la communauté de Colmar », établit un directoire de 9 membres (4 nobles et 5 bourgeois), destiné à rétablir la paix et l’ordre pour 5 ans54. Cette paix, jurée55, mobilise des serments en cascade. La décision est entérinée par le serment des intéressés, comme toute mesure d’importance majeure (Einung). Le comité des 9 s’engage à gouverner « pour le mieux et l’intérêt de la ville », sur sa bonne foi et ses susdits serments jurés (bi gueten trewen, und bi den vorgenanten geswornen eiden). Le Conseil promet quant à lui l’obéissance et s’engage à n’intervenir qu’en cas de discorde au sein du Novemvirat : « Et ce que ces mêmes Neuf considéreront en conseil comme utile et bon, sur la base des serments susdits, nous devrons y être obéissants, également sur la base des serments susdits (Und was diselben nûne ze rate werdent rechtes dingen, das si nûtz und guet dunket, bi den vorgananten eiden des sullen wir in gehorsam sin auch bi dem vorgenanten eide…). Les membres des partis rivaux, enfin, s’engagent par serment à ne pas porter de livrée distinctive et à ne plus créer de troubles dans la ville.

28 Une définition des règles de renouvellement du Conseil accompagne ces engagements assermentés. Quand bien même le directoire reste en place pour 5 ans, tous les ans, à l’épiphanie, il faudra renouveler le Conseil, les maîtres de corporations qui y siègent, les 4 bourgmestres et les principaux officiers (baumeister, pfleger, gehalter). Les maîtres de corporation sortants et le novemvirat procéderont à cette désignation.

29 Tiendrait-on avec cet acte de 1331 le premier Schwörbrief colmarien, intégré à un cérémonial public ? Il faut vite déchanter, car dans sa matérialité le document ne présente aucun signe particulier d’ostention56. Le texte livre pour sa part quelques indices sur la gestuelle et la succession des serments. Ceux-ci furent passés devant les saints, doigts levés (selon le signe de la Trinité), en répétant les formules juratoires. Le directoire s’engagea le premier envers la communauté57. Puis suivit le serment « du Schultheiss, des Stettmestres, du Conseil, des bourgeois et de la communauté, dans son ensemble (gemeinlich), pauvres et riches de la susdite ville de Colmar », envers les 9 dans leur ensemble et envers chacun d’entre eux. Ils jurèrent « de les aider et de les

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conseiller sur leurs corps et biens, en vertu d’un serment devant les saints, doigts levés et formules prononcées ».

30 Il faut imaginer ici une cérémonie qui réunit simplement le directoire, le Conseil sortant, de même que quelques représentants des partis rivaux rouges et noirs. L’acte de réconciliation (Sühnebrief) entre les belligérants n’intervint que quelques mois plus tard58. C’est à ce moment là que l’on se préoccupa de faire jurer paix et obéissance dans des cercles plus larges, littéralement « dans la communauté, ou parmi les Rouges ou parmi les Noirs », au besoin par la contrainte.

31 En ce qui concerne la procédure d’élection annuelle, les documents se bornent à parler d’un changement de Conseil à l’épiphanie « avec la volonté de la communauté » (mit der gemainde willen)59. Simple figure de rhétorique désignant une élection ratifiée entre conseillers, au nom de la communauté, ou, expression d’une cérémonie publique requérant le serment de la population ? En soi, l’absence de toute autre indication pratique (lieu, date, modalités de rassemblement) permet de douter de l’effectivité d’un Schwörtag.

32 Le directoire mis en place par la nouvelle constitution de 1331 prit fin en 1341 sans que l’on enregistrât de modifications. Mais l’élection de Charles de Luxembourg par quelques électeurs le 11 juillet 1346 déclencha à Colmar une nouvelle phase de troubles internes, à l’image de ce que connurent de nombreuses autres villes60.

33 Une constitution destinée à calmer les émeutes et à préciser les rapports de la ville avec Charles IV fut entérinée le 15 novembre 1347 par Jean de Lichtenberg. On redéfinit alors la composition du Conseil pour 10 ans61. Dans la mesure où elle s’accompagnait d’un recul de la représentation nobiliaire, il fallut bientôt s’assurer de son respect par les principaux intéressés. En 1348, des membres des poêles « à la couronne » et « au Doyen » s’engagèrent par serment à ne rien entreprendre contre le Magistrat et la ville62. La révolte éclata malgré tout, au point qu’en 1354, entre autres mesures de rétorsions et d’arbitrage, Charles IV prononça l’éviction définitive des nobles du Conseil63. La mesure fut suivie par une clarification du fonctionnement constitutionnel en cas d’interrègne64.

34 La charte qui en résulte en 1356, pourtant a priori destinée à des temps de transition, est la première qui mentionne explicitement un serment collectif civique. Elle redéfinit d’abord les procédures générales d’élection et la composition du Conseil : 20 membres des corporations et deux nobles choisis parmi les plus pacifiques (sic !), présidés par un Obmann issu de la communauté. À l’élection succède un serment collectif :

35 « Et noble ou non noble, riche ou pauvre, qu’il soit bourgeois ou manant, de même que celui qui atteint sa majorité, doit jurer « derrière » (under) ces mêmes vingt-trois, sur les saints, de leur être obéissants et de les suivre eux et le Conseil de Colmar ». En cas d’interrègne, toute décision prise par les vingt-trois ou à la majorité d’entre eux doit être suivie et exécutée par la communauté. Inversement, les vingt-deux devront jurer de protéger toute personne résidant à Colmar devant la communauté de la ville jusqu’à la désignation incontestée d’un nouveau souverain.

36 Ces prescriptions établissant des serments d’obéissance au Conseil et aux statuts d’une part, de protection de la population d’autre part, ne restèrent pas lettre morte. Dès la rédaction de l’acte, Charles IV ordonna en effet la passation de serments. Les nobles résidant à Colmar durent jurer sur les saints de tenir perpétuellement cette alliance (buntnusz) et d’être obéissants aux vingt-trois. Ceux qui étaient détenteurs d’un sceau,

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devaient sceller la charte65. Quant aux futurs bourgeois et manants, ils auraient à jurer d’observer perpétuellement cette même alliance et requête royale, et d’être obéissants aux vingt-trois. Cela conditionnait l’établissement même à Colmar ; celui qui ne voulait pas s’y prêter ne devait être ni bourgeois ni manant de Colmar. Tout ressortissant, quelle que fut sa qualité, son statut ou ses richesses, se voyait interdire la ville et la justice locale s’il restait réfractaire au serment.

37 Comme la paix jurée de 1331, l’acte royal de 1356 articule donc plusieurs prestations de serments les unes aux autres : • la première intervient lors de la rédaction de l’acte. En donnant leur parole jurée, les nobles et le Magistrat (savoir, schultheiss, Meister, Rat und gemeinde der stat zu Colmar) entérinent la décision sur ordre du Landvogt. Les nobles absents ce jour-là doivent se plier à une séance de rattrapage66. • Une autre prestation juratoire, individuelle, doit avoir lieu à l’entrée en bourgeoisie ou en résidence à Colmar (nouveaux arrivants, nobles ou non, garçons ayant atteint leur majorité). • Une troisième, enfin, a vocation à être réitérée tous les ans : « Et lorsqu’on établit un nouveau Conseil à Colmar, le Conseil et la communauté doivent jurer d’observer perpétuellement chaque année cette alliance et cette charte sans faute ».

38 L’assemblage complexe qui préside à l’apparition de Schwörtage est ainsi posé dans ses principes en 1356. Il lie indéfectiblement les procédures d’élection au Conseil, les voies d’accès à la bourgeoisie67 et un document de référence, scellé par de nombreuses personnes. Une cérémonie de prestation de serments collective, engageant tour à tour le Magistrat et la population de Colmar devait donc avoir lieu annuellement à l’épiphanie. Les serments que l’on devait y échanger n’avaient rien de « communal » ; élaborés sous égide royale, ils empruntaient au schéma des serments d’allégeance : obéissance des uns contre protection des autres.

39 Sans doute ambitionnait-on de présenter la charte au cours de ces cérémonies68. Toujours est-il que les circonstances en décidèrent autrement. Un nouveau soulèvement nobiliaire, mené par Conrad de Wittenheim et Philippe de Beblenheim, conduit le Landvogt à modifier le fonctionnement constitutionnel dès le 29 janvier 135869. Le jour du serment collectif est déplacé au lundi de Pentecôte. Surtout, la cérémonie est dorénavant indéfectiblement liée à la présence du Landvogt, et à travers lui, de l’empereur. La population colmarienne devra en effet obéissance, aide et conseil au Landvogt, au Schultheiss, aux 4 Stettmestres, aux conseillers et aux officiers désignés par le Conseil. L’ordonnance du 29 janvier 1358, bientôt entérinée par le souverain, devient la charte de référence. Les nobles colmariens sont priés de s’y conformer et de la jurer70.

40 Dans son élaboration, la charte de 1358 n’est ni le produit de la seule volonté du conseil colmarien, ni le seul fait du Landvogt ou de l’empereur. Elle résulte d’une réflexion commune initiée par les arbitres de la Paix régionale (Landfrieden). Soit, le Landvogt, l’évêque de Strasbourg, l’abbé de Murbach et les représentants des villes impériales alsaciennes71, ce que rappellent en partie les sceaux appendus au parchemin.

41 Mais, à nouveau, la charte de 1358 ne put s’inscrire dans la durée.

42 En vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par l’empereur, le Landvogt Burckard de Magdebourg octroie en effet une nouvelle constitution à Colmar dès le 15 mars 1360. Le souverain la confirme le 15 août 1361. Elle fait suite à un acte de réconciliation (Sühnebrief) conclu entre le Conseil et le parti nobiliaire72. Dans cette conjoncture plus

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favorable, les nobles retrouvent une – modeste – représentation politique avec 10 sièges (8 nobles et 2 bourgeois affiliés aux nobles) contre 20 pour la bourgeoisie et les chefs de corporation, qui restent maîtres des plus hauts postes d’officiers (Stettmestres et Obristmestre). La constitution prescrit le calendrier des élections et du renouvellement des offices. Ils interviendront annuellement à la Pentecôte73 et seront suivis d’une prestation de serments : « et l’on doit aussi jurer annuellement à la Pentecôte partout dans la ville de Colmar en énonçant le serment (gestabten eiden) d’observer toutes les choses susdites », à ceci près que demeurent valables toutes les chartes que la ville a en sa possession74.

43 Cette Constitution appliquée jusqu’en 1521, demeure, on le voit, très évasive, sur la cérémonie du Schwörtag. Elle ne mentionne plus le serment au Landvogt. Elle ne prescrit pas de lieu (à moins que le « partout » ne soit un générique désignant les sièges des vingt corporations), elle n’évoque plus de serments réciproques entre la communauté et le Magistrat. Enfin, c’est à un contenu, plus qu’à un document dans sa matérialité, que les serments devront se référer75, ce qui paraît exclure toute présentation de l’acte lors de la cérémonie. Avait-on cependant vraiment fait table rase des procédures introduites en 135876… ?

44 Devenu roi, Wenceslas confirma en 1381 la constitution de 1360‑136177 et inscrivit par là dans la durée l’existence d’un Schwörtag. Une révolte fiscale survenue en 1424 permet de constater combien ce serment annuel fondait à l’époque le contrat civique. Confronté aux premières rumeurs d’émeute, le chef de l’exécutif et de la défense (Obristmeister) évoque le serment collectif afin de rappeler ses collègues, les maîtres de corporations et les compagnons de métiers à leurs devoirs : « Je ne suis pas sûr de tous ceux qui se trouvent parmi nous. C’est pourquoi je vous rappelle à tous le serment que vous avez prêté au roi notre sire, à M. le Landvogt, aux conseillers et à moi78. »

45 Parole sacrée prononcée au nom de la Trinité, le serment engage la personne de celui qui l’a prêté, qui se place ainsi sous le regard de Dieu et des hommes79. Tout rappel au serment renvoie à cette double responsabilité. Il remémore les formules comminatoires présentes dans toutes les chartes constitutionnelles colmariennes. De lourdes menaces pèsent sur celui qui brise ses engagements :

46 « Et si nous ne le faisions pas, que nous devenions parjures » (Swa wir das niht tetin, das wir meineide werdin)

47 « si nous devions y contrevenir que nous devenions parjures, déshonorés, sans foi ni loi devant tout homme » (so verjehen wir, das wir meineide weren, und êlos, erlos und rehtlos gegen in werin vor allermenglichen)80.

48 Au parjure et au déshonneur s’ajoutaient des peines civiles. Celui qui ne se conformait pas à son serment s’exposait à une saisie de ses biens et à l’absence de protection légale. Punissable de bannissement, il ne devait pouvoir trouver asile ni à Colmar, ni dans d’autres villes impériales voisines, ni dans les terres relevant de l’empereur.

49 Rien d’étonnant donc qu’en 1424 les magistrats mis en cause concluent leur plaidoyer en rappelant une fois de plus l’existence du serment annuel : « En cela et en beaucoup d’autres choses que l’on s’abstient de consigner dans ce mémoire, les rebelles ont gravement contrevenu au serment qu’ils prêtent annuellement et qui leur prescrit entre autres d’obéir au roi, au Landvogt, au Schultheiss, aux Stettmestres et aux conseillers, aux Zunftmestres et surtout à l’ Obristmestre pour tout ce que ces officiers leur commandent de légitime, comme aussi de préserver la ville de tout dommage. S’ils s’étaient souvenus de cet

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engagement, il y en a plusieurs, nobles et roturiers, qui auraient pu éviter ce qui eut lieu »81.

50 Si le pouvoir en place pouvait rappeler leur serment annuel aux Colmariens, disposer d’un monopole absolu sur les pratiques et les lieux juratoires lui était plus difficile. Lors des émeutes de 1424, le cimetière fut d’emblée investi par les partis en conflit : l’ obristmeister y rassembla autant que faire se pouvait les membres des corporations sous la bannière de la ville ; les contestataires s’y constituèrent en commune82. Ces derniers n’eurent ensuite de cesse de délivrer la population de son ancien serment pour y substituer un engagement juré vis-à-vis des communiers83.

51 Le règlement de l’affaire de 1424 par le Landvogt inaugure une série d’ultimes retouches apportées au Schwörtag au cours des XVe-XVIe siècles.

52 Si le serment annuel d’obéissance aux autorités était un formidable outil d’affirmation et de coercition pour le Conseil et les premiers magistrats, il impliquait une réciprocité – protection et respect du bien de la Ville –, que le Landvogt rappela fermement au Magistrat en 1424. Tout bénéficiaire du serment d’obéissance qu’il était, l’Obristmestre nouvellement élu devait jurer pour sa part, devant nobles, zunfmestres et communauté, de respecter les franchises et coutumes de la ville, et de ne contrevenir en rien aux libertés particulières des nobles.

53 Aux organisateurs du Schwörtag et récipiendaires des serments d’office, il fut par ailleurs rappelé qu’une pédagogie du serment s’imposait : aucun acte juratoire ne devait intervenir sans expliquer à la personne concernée son objet et son but. Enfin, on mit un terme à certaines imprécisions laissées par la Constitution de 1360, en définissant la nature des textes qui devaient servir de support au serment. C’était en l’occurrence le livre du Conseil qu’il fallait lire avant l’acte juratoire collectif, « pour que chacun sache comment se comporter »84.

54 Au XVe siècle, le Schwörtag colmarien avait donc rompu avec la commémoration d’un monument constitutionnel municipal que l’on avait ambitionné au milieu du XIVe siècle ; il était devenu un moment d’éducation des foules, rappelant les normes fixées aux bourgeois et manants. Les ultimes aménagements qu’y apportèrent les élites gouvernantes colmariennes portèrent sur le calendrier. Alors qu’on avait l’habitude jusque-là de renouveler le Conseil à la Pentecôte, en 1447, le Conseil juge soudain ce rituel inapproprié pour un jour saint. L’élection est donc avancée au dimanche précédant la pentecôte, ce qui prive les serments d’une double référence directe à la Trinité85. Une nouvelle modification de calendrier intervient en 1521 à l’occasion de la dernière grande réforme constitutionnelle de la ville. À la demande du Magistrat, le Landvogt entérine une réduction à 10 du nombre des corporations et à 24 des membres du Conseil (dont 4 nobles). Dans le même temps, sans plus de justifications, le jour de renouvellement du Conseil passe au dimanche après la Saint‑Laurent (10 août)86 : « Et l’on doit aussi jurer annuellement partout dans la ville de Colmar le dimanche qui suit le jour de la Saint‑Laurent, en énonçant le serment d’observer toutes les choses susdites, à la condition que tous les documents […] que la ville de Colmar tient dans ses mains, existent et demeurent toujours… »87.

55 Il aura donc fallu attendre les années 1360 pour que s’installe à Colmar un jour annuel du serment, une cérémonie qui devait à l’empereur et à son Landvogt au même titre qu’aux Colmariens eux-mêmes, ce dans des proportions respectives qu’il resterait à préciser88. L’absence de fidélité à une date, le glissement successif de l’épiphanie aux temps de Pentecôte, puis à la Saint‑Laurent, montre que la cérémonie ne commémorait

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en rien un ancien serment collectif « identitaire » ; elle resta en revanche fidèle à un lieu « originel » de polarisation sociale, le cimetière jouxtant l’église Saint‑Martin.

56 Les serments prêtés en Conseil par les nouveaux élus, ou encore les statuts jurés par les conseillers avant promulgation semblent avoir participé à la maturation des Schwörtage. Mais le passage à une cérémonie publique, au vu et au su de la population urbaine, et avec sa participation, attendit au fond l’établissement d’une constitution favorable aux corporations. Cela invite à ne pas considérer le Schwörtag, au moins dans ses principes initiaux, comme un simple outil de « disciplinarisation » du Commun, mais bien à tenir compte de la réciprocité des engagements entre gouvernants et gouvernés89.

57 Malgré l’existence de Schwörtage liés aux processus d’élection, Colmar n’a finalement pas connu au bas Moyen Âge de Schwörbriefe comparables à celles de Strasbourg. Il y eut certes des chartes majeures, induisant des changements constitutionnels, jurées par le Magistrat et la communauté. L’on se soucia cependant avant tout d’y faire souscrire les membres des sociétés nobiliaires. Et aucune charte ne fut brandie telle une relique comme l’objet du serment, au point que dès le XVe siècle le livre rouge du Conseil vint se substituer aux textes constitutionnels.

Approches protocolaires du serment civique collectif

58 L’histoire des Schwörtage colmariens, tardive à l’échelle des siècles médiévaux, se précise au XVe siècle. À compter de la fin du siècle, les prestations de serment collectif annuel font l’objet d’un enregistrement plus systématique. Elles sont évoquées, avec les serments prêtés par les officiers et employés de la ville, dans des livres de serments (Eidbücher)90. Peut-être peut-on voir dans ces livres remplis de serments ad status cette pédagogie du serment qui avait été demandée au Conseil quelques décennies plus tôt.

59 Le premier Eidbuch, probablement composé dans les années 1480, comporte parmi ses premières pages le « serment que les membres de la communauté de Colmar jurent annuellement lorsque l’on établit le nouveau Conseil » : « Tel est le serment que les membres de la communauté de Colmar jurent annuellement lorsque l’on établit le nouveau Conseil. Vous devez jurer d’être obéissants envers notre très gracieux sire le seigneur N., roi des Romains, notre seigneur le Landvogt, le Schultheiss, les quatre Stettmestres, le Conseil, vos maîtres de corporations et notamment envers le Obristmestre91, en toute chose bonne et légitime, et de préserver la ville de tout dommage si vous en aviez connaissance. Et si un feu ou une émeute éclatait, vous devez jurer d’aller chacun vers son maître de corporation, puis avec le maître de corporation d’aller vers le Stettmestre auprès duquel il doit aller comme on le lui précisera alors. Et le Stettmestre doit alors aller sans faute, avec les maîtres de corporation qui l’ont ainsi rejoint, auprès de l’Oberstenmeister afin de l’aider et de lui obéir. Vous devez jurer d’empêcher tout trouble de l’ordre public (Unfüge), d’observer tous les documents (briefe) que la ville a en sa possession, de protéger les curés et les juifs, d’être obéissants envers les maîtres (Meister) et envers le Conseil. Si notre seigneur le Roi des Romains décédait, que Dieu nous en préserve longtemps, ceux qui sont alors stettmestres, conseillers ou maîtres de corporations doivent rester au pouvoir jusqu’à ce que la ville ait prêté allégeance à un nouveau roi et vous devez aussi leur être obéissants sur la base des serments, comme cela nous a été jadis prescrit. Tout homme qui a plus de 14 ans doit prêter serment, sans quoi il n’aura pas de droit à Colmar et on ne doit pas lui porter aide. De plus sur la base de ce même serment, que personne ne serve dans aucune expédition armée (Reise) ni à cheval,

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ni à pied, sans avoir reçu le congé ou l’accord du maître et du Conseil de Colmar. Si l’un d’entre vous partait de la ville, que ce soit brièvement ou longtemps, et s’il avait quelque revendication ou réclamation envers les nôtres pour des affaires qui auraient eu lieu pendant qu’il était résident ou habitant ici, qu’il prenne et donne pour cela justice devant le Conseil ou les tribunaux ici à Colmar, à l’exclusion de tout autre lieu. Et si quelqu’un veut déménager, il doit résilier auparavant son droit de bourgeoisie ou le droit qu’il a ici, devant le Conseil en séance publique, oralement, en personne, et ceci avant qu’il ne s’engage ou contracte quelque part ailleurs, tout ceci sans dommage. »92

60 Hétérogène dans sa composition comme dans son style93, le texte emprunte aux actes constitutionnels du temps de Charles IV (attitude à tenir en cas d’interrègne, devoir d’obéissance…). Mais il intègre aussi des statuts relatifs au droit de bourgeoisie, à la lutte contre l’incendie, aux procédures judiciaires, issus quant à eux des livres du Conseil. Les termes du serment civique94 évoluent peu à partir de la fin du XVe siècle, puisque la même trame revient dans les Eidbücher suivants95, datés du XVIe et du XVIIe siècle96. Les rares modifications enregistrées témoignent d’évolutions historiques. Alors que la population jurait de protéger les clercs séculiers (pfaffen) et les juifs selon le texte du premier livre de serment, une autre version, sans doute du début du XVIe siècle, remplace « les juifs » par les « établissements religieux et les clercs séculiers qui sont obéissants envers les Stettmestres et le Conseil ». Dans l’intervalle, la communauté juive colmarienne a été expulsée sur ordre de l’empereur Maximilien (1507)97 et le Conseil a accru sa capacité de contrôle sur les établissements religieux de la ville. Le texte ainsi reformulé traverse la période de réforme. Il est inchangé dans l’Eidbuch no3.

61 Outre la teneur du texte prononcé par la population colmarienne lors des Schwörtage, les livres de serment offrent des perspectives inédites sur le déroulement du cérémonial. Des dispositions protocolaires sont en effet mentionnées dans les livres 2 et 3. Elles permettent de replacer le serment communautaire dans l’ensemble du rituel d’élection (entre 1447 et 1521 pour l’Eidbuch 2, après 1521 pour l’Eidbuch 3).

62 L’historiographie insiste généralement sur le rapport d’autorité qui se joue pendant le jour du serment entre les élites dirigeantes et la communauté. L’un des enjeux du rituel serait non seulement la légitimation des gouvernants, mais encore la « disciplinarisation » des bourgeois, réduits au rang de spectateurs obéissants pendant et après la cérémonie98. Colmar ne fait pas exception à cette pédagogie disciplinaire. Le serment annuel est une occasion de plus d’inculquer à la population le devoir d’obéissance. Un devoir qui commence lors du rassemblement même, puisqu’on intime à la foule d’écouter attentivement.

63 Au bas Moyen Âge, le Magistrat a affirmé sa présence aux abords du lieu de serment collectif qu’était l’ancien cimetière Saint-Martin. Le premier hôtel de ville fut construit aux environs au cours du XIVe siècle ; il comportait une tribune publique extérieure, qui surplombait la place / cimetière99. De là étaient proclamés les noms des parjures et des gens déshonorés, là se situait la scène principale du Schwörtag, sur laquelle prenaient place au début du XVIe siècle le Landvogt, l’Obristmestre, les trois autres Stettmestres, et le secrétaire du Conseil. Le jour du serment, le cœur du pouvoir exécutif municipal se plaçait donc juste sous le ciel, au-dessus de ses sujets colmariens, en bon gardien de la communauté des vivants et des morts.

64 Le Schwörtag colmarien ne se réduisait cependant pas aux relations symboliques entre autorités municipales et sujets urbains. Un troisième homme prenait place dans le jeu : le Landvogt, chargé de recueillir dans le même temps l’obéissance des Colmariens

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envers l’empereur. Or, il est manifeste qu’à Colmar, il n’y avait pas de Schwörtage sans Landvogt. Son rôle éminent dans la cérémonie nous ramène aux prescriptions de Charles IV en 1358, que les textes ultérieurs ne semblent donc pas avoir aboli malgré leur silence sur ce point.

65 Certes, aux temps troublés de la présence bourguignonne en Alsace (1469‑1477), le Conseil crut pouvoir se passer d’un renouvellement annuel de ses membres et de la visite systématique du Landvogt. Mais en 1478, Frédéric III entérine une procédure exceptionnelle de renouvellement des sièges au Conseil. Il en profite pour rappeler le lien indéfectible qui unit l’élection des conseillers et le serment de la ville envers le landvogt100. Le souverain lui-même n’était pas prêt à renoncer au Schwörtag101.

66 Certes l’apparition au cours du XIVe siècle d’un office d’Obristmestre102 traduisit une légère émancipation de Colmar à l’égard des instances impériales. Cette émancipation s’exprime dans le rituel électif : C’est par l’élection de l’Obristmestre, le vendredi qui précède le dimanche avant la Pentecôte, que s’enclenche le cérémonial103. L’Obristmestre est le premier à prononcer un serment, puis il joue un rôle majeur dans l’élection de l’ensemble du Conseil.

67 Tout cela se déroule néanmoins sous l’œil du Landvogt : l’identité de l’Obristmestre n’est révélée que le jour de l’arrivée du représentant impérial ; l’élection se produit en sa présence ; c’est lui qui intronise l’Obristmestre en chaire ; c’est lui qu’on honore comme il se doit par des repas, des offrandes, et autres défraiements. « Sans son aide », comme le précisent les textes, l’élection et le jour du serment ne sauraient avoir cours.

68 Il y eut sans doute des moments où Colmar chercha à se passer du Landvogt, comme en témoignent les rappels à l’ordre lancés par le souverain en 1478-1479. Cependant il ne faisait nul doute, pour l’empereur comme pour les Colmariens, que le Landvogt était et restait la clé de voûte de l’assemblage politique local, partant, des Schwörtage104. Le fait semble encore réaffirmé au XVIe siècle, après la réforme constitutionnelle de 1521, si l’on en juge par les lettres annuelles systématiquement adressées à la Landvogtei de Haguenau pour préparer le renouvellement du Conseil105. Loin d’exprimer la vitalité de la vie interne colmarienne ou la seule instauration d’une Obrigkeit locale, le Schwörtag se déroule à Colmar dans une dépendance systématique, vite routinière, à l’égard du représentant impérial. La réitération d’un même texte, la fixation du cérémonial et le courrier annuel au Landvogt en attestent, tout au long des XVI e-XVIIe siècles jusqu’au passage de Colmar à la France106.

69 Ce monopole du serment collectif entre les mains du Conseil et de son « aide » éminent connut tout juste quelques accrocs. En 1525, le foyer séditieux des « évangélistes » contraignit l’Obristmeister et les stettmeister à des mesures d’exception. Après la formation d’un comité de Salut Public, l’exécutif se risqua à convoquer la population hors du cadre habituel des Schwörtage pour restaurer l’unité civile perdue. Le 28 avril, un serment collectif solennel vint rappeler le seul cadre licite du serment collectif : « À l’avenir, les rassemblements, les séditions, les conjurations et les ligues, que ce soit dans les poêles de tribus, dans les maisons ou ailleurs, prendront fin et ne seront tolérés d’aucune façon, sous peine de privation de corps et de biens »107. Seul le serment annuel de la Saint-Laurent, au cimetière, avait lieu d’exister.

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71 Comme Strasbourg, Colmar eut donc bien ses jours du serment. Leur attestation, dans la seconde moitié du XIVe siècle, paraît fort tardive au regard des premières

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attestations d’une communauté bourgeoise (années 1230). Les Schwörtage colmariens procèdent davantage des pratiques juratoires qui accompagnaient les décisions législatives du Conseil et d’un encadrement renforcé du droit de bourgeoisie que d’un serment originel de commune. Instaurés sous la tutelle impériale et dans un contexte d’affirmation politique des corporations, les serments collectifs colmariens empruntent au modèle de l’alliance (Bündniss) et furent d’abord pensés comme des instruments de paix en période de troubles.

72 Ces serments collectifs civiques s’appuyèrent sur des écrits constitutionnels parfois si prompts à se succéder qu’ils n’eurent pas le temps d’acquérir une dimension publique et solennelle. D’une façon générale, le pouvoir colmarien sembla s’attacher davantage au contenu – des prescriptions fort brèves au regard des textes strasbourgeois – qu’à la forme, recourant au livre du Conseil, mais aussi à des copies du texte sur feuilles volantes pour les besoins de la cérémonie. Surtout le Magistrat n’eut jamais complètement la main mise sur le processus et la date des jours jurés. On garde en mémoire dans la ville que ces prestations de serments lui « ont été prescrites » (par le seigneur et roi) et que la cérémonie ne pouvait se faire sans l’aide du Landvogt. Preuve qu’en ville d’empire, la liberté ne fut pas toujours si grande que le chantèrent Machiavel ou Eneas Silvius. Les Colmariens avaient cependant pour eux la maîtrise du lieu. Ils restèrent d’une fidélité exemplaire à leur Schwörort, bien après l’abolition des jours du serment. Le 12 avril 1790, comme leurs ancêtres, c’est sur la place de la cathédrale, sur les décombres de l’ancien cimetière, que les Colmariens firent serment de fidélité à la nouvelle constitution108.

ANNEXES

Traduction française du serment collectif colmarien, 1650

Recto

« Formule du serment des bourgeois de Colmar, translaté de l’allemand en françois. Vous devez jurer d’estre obeissants au Prévost, aux bourguemestres, au Senat et aux preposez des Tribus, et principalement au premier Maistre, en toutes les choses justes et raisonables, et advertir la ville de tout dommage que vous sçaurez et dont vous vous en appercevrez, et en cas qu’un incendie arriveroit, et que l’on sonneroit le tocsain, que chacun se doit rendre au lieu qui luÿ est ordonné, et nommement les Bourgmestres avec les personnes, qui les sont venu joindre, aller trouver incessamment le premier Maistre, et courrir sur la place

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pour ÿ prester toute obeÿssance et aide, empecher les desordres, de garder les lettres de privileges, que la ville possede, proteger les monasteres et prestres qui sont obeissans au Magistrat et Senat, Et tous ceux qui ont passé quatorze ans, doivent prester ce serment, ou ils n’auront point de droit à Colmar, qui leur sera deniè, En outre il est prohibé en vertu dudit serment à chacun, de ne point s’engager en service de guerre, soit à cheval ou à pied, sans prescience et consentiment du Magistrat de Colmar, Et quand quelqu’un de vous voudra des âpresent ou â l’avenir se retirer de la ville et qu’il auroit aucunes plaintes et pretensions â faire contre les nostres, pour des choses contractees pendant le temps de son domicile et sejour qu’il â fait icÿ, il en doit prendre et donner droit devant le Senat et le Tribunal d’icÿ et point en autre lieu ; Et quand quelqu’un voudra transferer son domicile ailleurs, il doit

Verso resigner son droit de bourgeoisie et autres droits, qu’il pourroit avoir icÿ, publiquement devant le Senat avec son propre Corps et bouche, avant que de s’engager ou obliger ailleurs…. Tout cecÿ de bonne fois et sans fraude … »109

NOTES

1. Soit les paix de Dieu, puis les paix des princes et paix territoriales. On peut y ajouter pour une période plus tardive et dans le cadre des espaces germaniques le serment d’Urfehde, dérivé du serment de paix, puisqu’il consiste en une renonciation à la vengeance et en une promesse de paix. Sur le serment en général, voir en particulier, PRODI (Paolo), Das Sakrament der Herrschaft. Der politische Eid in der Verfassungsgeschichte des Okzidents, , 1997 (Schriften des italienisch- deutschen Historischen Instituts in Trient, Bd. 11) ; R. VERDIER (éd.), Le Serment, vol. 1 : Signes et fonctions, vol. 2 : Théories et devenir, Paris, éditions du CNRS, 1991 ; OEXLE (Otto-Gerhard), « Friede durch Verschwörung », dans FRIED (Johannes) (Hg.), Träger und Instrumentarien des Friedens im hohen und späten Mittelalter, Sigmaringen, Jan Thorbecke Verlag, 1996, p. 118-149 ; OFFENSTADT (Nicolas), Faire la paix au Moyen Âge, Paris, Odile Jacob, 2007, chapitre 11 : « Le serment », p. 256-285 ; Serment, promesse et engagement : rituels et modalités au Moyen Âge, F. LAURENT (éd.), Montpellier, Presses universitaires Méditerranée, 2008. 2. Voir pour la France, THIERRY (Augustin), Essai sur l’histoire de la formation et des progrès du Tiers État, Paris, Furne, 1853. PETIT-DUTAILLIS (Charles), Les communes françaises, Paris, Albin Michel, 1947. 3. PINOL (Jean-Luc) (dir.), Histoire de l’Europe urbaine, tome 1 par Patrick BOUCHERON et Denis MENJOT, 2003, p. 497. Voir aussi Philippe Dollinger qui distingue de la sorte communauté rurale et communauté urbaine : « En tant que conjuration révolutionnaire qui intervient depuis la fin du XIe siècle pour défendre d’anciennes libertés des marchands et conquérir de nouveaux privilèges en faveur de la bourgeoisie, la communauté urbaine est une institution nouvelle et originale ».

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Voir DOLLINGER (Philippe), « Villes allemandes au Moyen Âge. Les groupements sociaux », dans idem, Pages d’Histoire. France et Allemagne médiévales, Alsace, Paris, Ophrys, 1977, p. 44. 4. Voir FOSSIER (Robert), « Franchises rurales, franchises urbaines dans le nord de la France, dans Villes, bonnes villes, cités et capitales. Mélanges offerts à Bernard Chevalier, Tours, 1989, p. 179‑192 ; idem, « Les communes rurales au Moyen Âge », Journal des Savants, juillet‑décembre 1992, p. 235-276 ; Jean-Luc FRAY, « Ni communes, ni consulat. Les villes de la France centrale dans les derniers siècles du Moyen Âge. Analyse historienne et réflexions historiographiques », communication publiée en ligne dans sa version du 11/08/2009 : http:// www.historiaurbium.org/english/Conference%202009/Fray.pdf [vérifié le 25/10/2013]. 5. Voir LE GOFF (Jacques), L’Europe est-elle née au Moyen Âge ? Essai, Paris, 2003, p. 144 : « L’époque de l’égalité des citadins liés par un serment entre égaux, ce que devait être précisément le serment de commune, à supposer qu’il ait existé, n’eut qu’un temps. Des inégalités plus ou moins grandes marquèrent rapidement la société urbaine plus ou moins autonome ». Voir le pendant allemand de cette réflexion chez Gerhard DILCHER, « Bürgerrecht und Bürgereid als städtische Verfassungsstruktur », dans Rainer SCHWINGES (Hg.), Neubürger im späten Mittelalter : Migration und Austauch in der Städtelandschaft des alten Reiches (1250-1550), Berlin, Duncker & Humblot, 2002 (Zeitschrift für historische Forschung, Beiheft 30), p. 83‑97. On trouvera dans cet article un aperçu des débats historiographiques allemands sur la question, de même que des références bibliographiques complémentaires dont l’incontournable Wilhelm EBEL, Der Bürgereid als Geltungsgrund und Gestaltungsprinzip des deutschen mittelalterlichen Stadtrechts, Weimar, 1958. 6. Parmi les derniers travaux qui évoquent les assemblées générales urbaines dans un cadre monographique, voir GARNIER (Florent), Un consulat et ses finances, Millau, 1187-1461, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2006 ; LEROY (Nicolas), Une ville et son droit : Avignon du début du XIIe siècle à 1251, Paris, de Boccard, 2008 ; BRIAND (Julien), L’information à Reims aux XIVe et XVe siècles, thèse Université Paris 1, 2012, p. 685 et s. 7. RAINER ( Jooss), « Schwören und Schwörtage in süddeutschen Reichsstädten », dans MAUÉ (Hermann) (Hg.), Visualisierung städtischer Ordnung. Zeichen-Abzeichen-Hoheitszeichen, Nürnberg, 1993 (Anzeiger des Germanischen Nationalmuseums und Bereichte aus dem Forschungsinstitut für Realienkunde 1993), p. 153‑168 ; SPECKER (Hans Eugen) (Hg.), Die Ulmer Bürgerschaft auf dem Weg zur Demokratie, Ulm, 1997, (Forschungen zur Geschichte der Stadt Ulm; Reihe Dokumentation, Bd. 10), p. 119-248 ; PETERSHAGEN (Wolf-Henning), Swchwörpflicht und Volksvergnügen, Ulm, 1999, (Forschungen zur Geschichte der Stadt Ulm, Bd. 29) ; RAUSCHERT (Jeannette), Herrschaft und Schrift. Strategien der Inszenierung und Funktionalisierung von Texten in Luzern und Bern am Ende des Mittelalters, Berlin / New York, 2006 (Scrinium Friburgense, 19). Cologne fait figure d’exception septentrionale avec ses Verbundbriefe. Voir les catalogues d’expositions (Cologne 1996), Köln in guter Verfassung?, 1396-1996. 600 Jahre Kölner Verbundbrief, édité par Werner SCHÄFKE, Cologne, 1996 ; Stadtrat. Stadtrecht. Bürgerfreiheit. Ausstellung aus Anlass des 600. Jahrestages des Verbundbriefes vom 14. September 1396, édité par Klaus MILITZER, Cologne, 1996 ; KANNOWSKI (Bernd), Bürgerkämpfe und Friedebriefe. Rechtliche Streitbeilegung in spätmittelalterlichen Städten, Köln / Weimar / Wien, 2001 (Forschungen zur deutschen Rechtsgeschichte, Bd. 19). 8. POECK (Dietrich W.), Rituale der Ratswahl. Zeichen und Zeremoniell der Ratssetzung in Europa (12.-18. Jahrhundert), Cologne / Weimar, Vienne, 2003 (Städteforschung, Reihe A, Darstellungen; 60). Sur le même thème, voir PÉNEAU (Corinne) (dir.), Élections et pouvoirs politiques au Moyen Âge et à l’époque moderne (VIIe-XVIIIe siècle), Bordeaux, éditions Bière, 2008. 9. GÉNY ( Josef), Schlettstadter Stadtrechte, 2 vol., Heidelberg, 1902-1909 ; FINSTERWALDER ( Paul Wilhelm), Colmarer Stadtrechte, Heildeberg, 1938 (Elsässische Stadtrechte). 10. Voir Archives de la ville et de la communauté urbaine de Strasbourg, Des bourgeois aux citoyens : les lettres de serment de la ville de Strasbourg, Strasbourg, 2008 ; TOCK (Benoît‑Michel), RICHARD (Olivier), « Des chartes ornées urbaines : les Schwörbriefe de Strasbourg (XIV e-XVe

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siècles) », Bibliothèque de l’École des Chartes, 169/1, 2011. RICHARD (Olivier), article « Charte de serment - Schwörbrief », dans Dictionnaire historique des institutions de l’Alsace, du Moyen Âge à 1815, Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, Lettre C no3, Strasbourg, 2011, p. 329-330. 11. Outre Sélestat et Colmar, des jours du serment sont documentés au moins à Haguenau, à Obernai et Mulhouse. Voir VOGLER (Bernard) (dir.), La Décapole, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2009, en particulier les contributions de Jean-Paul GRASSER sur Haguenau, p. 543-68, ici p. 48-49 et de Christine MULLER sur Obernai, p. 145-176, ici p. 154. Les livres de Statuts et livres du Conseil de Ribeauvillé montrent en outre que le jour du serment était également pratiqué aux XVe et XVIe siècles dans cette ville seigneuriale. AM Ribeauvillé, FF5. 12. Voir Archives de la ville et de la communauté urbaine de Strasbourg, Des bourgeois aux citoyens : les lettres de serment de la ville de Strasbourg, op. cit. 13. Sur les origines de Colmar, voir MAIER (Wolfgang), Stadt und Reichsfreiheit. Entstehung unf Aufstieg der elsässischen Hohenstaufenstädte (mit besonderer Berücksichtigung des Wirkens Kaiser Friedrichs II.), Diss. Phil. Freiburg (in Üchtland), Zürich, 1972 ; METZ (Bernhard), « Essai sur la hiérarchie des villes médiévales d’Alsace (1200-1350) », Revue d’Alsace, 128, 2002, p. 47-100 ; 2e partie dans Revue d’Alsace 134, 2008, p. 129-167, sur Colmar, voir p. 68‑73 ; WILSDORF (Christian), « Comment Colmar devint ville (8e-13e siècle) », dans LIVET (Georges) (éd.), Histoire de Colmar, Toulouse, Privat, 1983, p. 29‑52 ; NOACK (Werner), « Die Stadtanlage von Kolmar », Alemannisches Jahrbuch, 1953, p. 184‑212 ; HUND ( Andreas), Colmar vor und während seiner Entwickelung zur Reichsstadt, Diss. Phil. Strassburg, 1899 ; SCHERLEN (Auguste), Dorf und Stadt. Vorgeschichte und Geschichte, nebst Anhang, Colmar, 1931. Pour la localisation des deux centres domaniaux, voir HIMLY (François), Atlas des villes médiévales d’Alsace, Nancy, 1970 ; de même que SCHERLEN (Auguste), Topographie du Vieux-Colmar, Colmar, AREHC, 1996, traduction de Topographie von Alt-Colmar, Colmar, 1922. Dernièrement, voir ZEILINGER ( Gabriel), « Urbane Entwicklung abseits der Kathedralstadt. Die Stadtwerdung Colmars und die Urbanisierung des Oberelsass vom 12. bis zum 14. Jahrhundert », dans EHRICH, Jörg OBERSTE ( Susanne) (Hg.), Städtische Räume im Mittelalter, Schnell & Steiner, , 2009, p. 123‑136. 14. Voir FINSTERWALDER, op. cit., no18. 15. Voir FINSTERWALDER, op. cit., no15, p. 16 : « quod duae curiae in villa Columbariensi sitae sunt. Harum itaque altera servit ex suo iure Constantiensi ecclesiae, altera vero non alterato iure sanctae mancipatur Paterniacensi ecclesiae. » On sait aussi que le monastère de Payerne dispose à la fin du XIIe siècle de la moitié de la justice de toute la villa. 16. Sur le Niederhof, voir SCHERLEN (Auguste), Topographie du vieux Colmar, op. cit., entre autres p. 285 et s. 17. L’empereur Frédéric Barberousse est présent à Colmar en 1186 pour arbitrer un litige entre l’église Saint-Pierre (dans l’Oberhof tenu par le monastère de Payerne) et Ulrich von Erstein. Voir HUND (Andreas), Colmar vor und…, op. cit., p. 62, voir aussi FEIN (Hella), Die staufischen Städtegründungen im Elsass, Frankfurt am Main, 1939, p. 22 et s.; Histoire de Colmar, sous la direction de Georges LIVET, Toulouse, Privat, 1983, p. 32‑33 ; WILSDORF (Christian), « À propos de la genèse de la ville de Colmar », Revue d’Alsace, no75, 1956. Frédéric Barberousse séjourne à Colmar au moins à quatre reprises : 1153, 1156, 1179, 1186. Il apparaît comme l’avoué de la cour seigneuriale de Constance. 18. La dimension impériale de Colmar progresse ensuite pendant l’Interrègne. En 1241-1242, Colmar figure parmi les villes royales soumises à l’impôt envers le roi. La ville, par le biais de son Schultheiss, intègre une ligue de paix provinciale en 1250, puis la ligue rhénane en 1254. En 1255, Guillaume de Hollande confirme, sans plus de précisions, les droits, libertés et privilèges conférés à Colmar par ses prédécesseurs.

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19. Le monastère Saint-Grégoire dans la vallée de Munster reçut du souverain carolingien divers biens (forêts, jardins, prés, champs…) dans le domaine (villa et marca) de Colmar. Voir FINSTERWALDER (Paul Wilhelm), Colmarer Stadtrechte, op. cit., no1 et no2. 20. BRUNEL (Pierre), « La formation urbaine de Colmar à l’épreuve de l’archéologie », Annuaire de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Colmar, 30, 1982, p. 17-27. 21. Voir FINSTERWALDER, op. cit., no18, p. 19-20. « quod karissimi amici nostri Columbarienses burgenses ad nostram praesentiam accedentes nos humiliter benigne rogaverunt… ». Plus loin, « nos… burgensium petitioni obtemperare volentes ». 22. Laissés en usufruit aux dépendants, ces communaux (terres de pâture et droits d’usage) ne pouvaient cependant être cédés sans l’autorisation du seigneur qui en avait la propriété éminente. Une situation similaire est constatée à Strasbourg à la même époque. 23. Ibidem. Sur le cimetière et sa part dans la structuration et la polarisation sociale, voir LAUWERS (Michel), Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2005. 24. Voir FINSTERWALDER, op. cit., no19, p. 21. Voir archives départementales du Haut-Rhin, fonds Pairis, série H, 11 H. 25. Dont des membres de la famille de Girsberg (Ludowicus, Andreas, Erenfrid). Un Andreas de Girsberg est qualifié de dominus en 1222. Il semble avoir construit un château sans le consentement des deux cours ecclésiastiques dans les zones forestières qu’il devait administrer. 26. Par une confirmation du roi Frédéric II fin novembre 1214, il apparaît que les communaux vendus relevaient de l’autorité éminente des deux seigneurs ecclésiastiques (ex consensu praepositorum Constanciensium et monasterii Paterniacensis). Ce qui suppose aussi une gestion des communaux partagée par leurs dépendants respectifs. 27. Voir Histoire de Colmar, sous la direction de Georges LIVET, Toulouse, Privat, 1983, p. 34 ; WILSDORF (Christian), « À propos de la genèse de la ville de Colmar », Revue d’Alsace, no75, 1956 ; MOSSMANN (Xavier), Recherches sur la constitution de la commune à Colmar, Colmar, 1878. Pour Mossmann, il s’agit bel et bien du premier acte de la « commune ». Le sceau de la communitate employé en 1214 n’a, semble-t-il, pas été conservé sur d’autres actes. Dès 1222, on relève l’existence d’une attestation par un « sigillo quoque communi Columbarie » portant l’aigle impérial. Voir FINSTERWALDER, op. cit., p. 27-28, no23. 28. Voir LEROY (Nicolas), Une ville…, op. cit., p. 126. Voir aussi MICHAUD QUANTIN (Pierre), Universitas. Expressions du mouvement communautaire dans le Moyen Âge latin, Paris, Vrin, 1970, p. 156. 29. En 1226, cette communitas établit un compromis avec le monastère de Payerne pour un litige qui semble tourner autour des communaux (usage des forêts). Le même texte utilise pour la première fois l’appellation « civitas Columbariensis ». L’acte est émis par 12 « consules », qui se disent aussi burgenses, aux côtés de « toute la communitas de Colmar ayant part aux usages des communaux ». Voir FINSTERWALDER, op. cit., p. 28‑30, no25. Voir archives départementales du Haut- Rhin série H fonds Saint Pierre, Cart. 1 ; vidimus de janvier 1302. 30. FINSTERWALDER, op. cit., no26, p. 30-31. 31. Voir Momumenta Germaniae Historica, Scriptores, t. 25, Hanovre, 1880, p. 302‑303. FINSTERWALDER, op cit. no22, p. 26. Si l’on ne considère que les textes (et non les données archéologiques), la construction effective d’une enceinte est amorcée dans les années 1230. C’est dans cette décennie que les litiges liés à des prélèvements fiscaux (taxes sur les marchandises, impôt indirect sur les biens : Ungelt) se multiplient entre les bourgeois de Colmar et les établissements ecclésiastiques implantés sur place. L’acte no28 dans FINSTERWALDER, op. cit. évoque une participation de « XL charrettes de pierres » pour fortifier les villes de Colmar et Kaysersberg. 32. Voir MICHAUD-QUENTIN (Pierre), Universitas…, op. cit. 33. Une ambiguïté subsiste sur la localisation de ce cimetière. L’église paroissiale de la cour supérieure était à l’origine (1ère attestation en 1186) l’église Saint-Pierre, dont l’église-mère était

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basée à Horbourg. Or, l’ancien cimetière fortifié est attesté quant à lui à proximité de l’église Saint-Martin, qui relève du Niederhof. 34. Voir la fiche constituée à ce sujet dans le répertoire des sources historiographiques allemandes du Moyen Âge, http://www.geschichtsquellen.de/repOpus_01038.html?mss=Colmar. [vérifié le 25/10/2013]. L’œuvre fut rédigée au début du XIVe siècle. 35. GÉRARD (Charles) et LIBLIN (Joseph), Les annales et la Chronique des Dominicains, Colmar, Decker, 1854, p. 315‑317 ; Chronicon Colmariense, éditée par Philippe JAFFÉ, Monumenta Germaniae Historica, Scriptores 17, édité par Georg Heinrich PERTZ, Hanovre, 1861, p. 240‑270, ici p. 258. 36. Ibidem, p. 323. En lien avec ces procédures de rassemblement, le Conseil détient les clefs d’accès aux cloches de Saint-Martin, juste à côté du cimetière, au moins depuis 1331. 37. Voir AMC, Rotbuch II, fol. 57. 38. Ces procédures de recueil du serment, d’abord collectives, puis nominatives pour les récalcitrants sont encore par exemple attestées au XVIe siècle à Montbéliard. Le comte Frédéric de Wurtemberg exige ainsi à 4 reprises le serment d’allégeance des bourgeois en 1587. Là, l’enregistrement des bourgeois jurés se fait nommément par rue, ce qui permet de resserrer progressivement l’étau autour des réfractaires. Voir BOUVARD (André), « Prestation de serment des bourgeois de Montbéliard au comte Frédéric de Wurtemberg (9, 10, 19 mai, 23 juin 1587) », Bulletin de la société d’émulation de Montbéliard, no131 - 2008, publié en 2009, p. 281‑300. 39. Le terme renvoie en particulier aux maîtres de corporations et aux hommes du métier que chacun commande. 40. Voir AMC, BB51b, fol. 10. Si le souverain est prêt à se contenter de l’allégeance du Conseil, le serment peut se faire où il le désire. Les procédures d’allégeance au souverain, lors de son intronisation, sont très peu documentées pour les périodes antérieures au XVIe siècle. Dans les quelques cas attestés, c’est le Schultheiss de Colmar qui exprime la promesse de fidélité de la ville. Pour la fin du XIIIe siècle, voir la Chronique de Colmar, [1292] « Les villes jurèrent fidélité aux gouverneurs du roi Adolphe. Le schultheiss de Colmar refusa de jurer fidélité, à moins que le landvogt Otton d’Ochstenstein ne s’engageât, au nom du roi, de lui conserver sa charge durant la vie du roi, de maintenir l’exil des bannis et de ne point entrer avec ses troupes dans la ville. Le landvogt prit cet engagement après avoir reçu le serment que la ville de Colmar ne serait point livrée à un autre qu’au roi Adolphe ». Voir LIBLIN (Joseph), Annales…, op. cit., p. 155‑157 ; Chronicon Colmariense, MGH, Scriptores 17, op. cit., p. 257. FINSTERWALDER, op. cit., no48, p. 53). En 1393, quand la ville de Colmar assiégée finit par prendre le parti d’Adolphe de Nassau, c’est à nouveau un représentant de la ville qui pratique l’allégeance au nom de la communauté : « les bourgeois députèrent au roi un bourgeois recommandable, nommé Rebmann, pour lui remettre les clefs de la ville et lui offrir sa soumission. Ce qui causa une grande joie dans la ville, au-dehors et dans l’armée du roi ». Voir LIBLIN (Joseph), Annales…, p. 323‑326. 41. Voir AMC Saint Martin, DX/9 ; SCHERLEN (Auguste), Topographie…, op. cit., p. 243 ; LIBLIN (Joseph), Chronique de Colmar, Mulhouse, 1867. Selon cet acte, le cimetière serait à l’occasion converti en place publique et les ossements déplacés. Document édité en annexe de PLAYOUST (Pierre-Yves), La vie municipale aux XIIIe et XIVe siècles, thèse de l’École des chartes, 1961. 42. Cf. AMC, BB 51 (livres de serments) no1, 2 et 3. Le livre de serment de la fin du XVIe siècle (BB51 no3) parle de « place », une désignation que l’on retrouve aussi sur des pièces d’archives isolées, évoquant le Schwörtag au XVIIe siècle. 43. Les soulèvements colmariens attestés pendant la guerre de Strasbourg et de son évêque (1261-1263), puis en 1293, impliquent différents partis locaux adverses. On ignore s’ils furent systématiquement soudés par l’usage du serment. 44. Un ensemble de conseillers apparaît nommément dans les actes en 1278. Le grand privilège de 1278 prévoit le passage de 12 à 22 conseillers (12 nobles et 10 bourgeois). Voir LICHTLÉ (Francis),

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« Colmar 1214-1815 », dans Dictionnaire historique des institutions de l’Alsace, Lettre C, no4, p. 387‑391, avec bibliographie complémentaire. 45. Grand privilège du 20 décembre 1278. « Über diz allez mugent die burger von Colmer uber sich selben einunge sezzen, alse sie dunket daz ez in selben und der stette nuzze si. » (Voir FINSTERWALDER, op. cit., no34, p. 36) : « En outre, les bourgeois de Colmar pourront se donner statuts, selon ce qu’ils estimeront être utile pour eux et la ville ». La disposition est reprise en 1293 dans le privilège octroyé par Adophe de Nassau : « Propterea, cives Columbarienses poterunt super se statuere emendas, prout ipsis et civitati videbitur expedire ». Les premières Einunge du conseil de Colmar restent encore soumises à une validation royale. Voir acte du 29 juillet 1286. 46. Voir FINSTERWALDER, op. cit., no43, p. 49. Le statut de 1286 fait suite à une révolte survenue dans la ville à Pâques contre le Schultheiss. Elle fut matée avec rigueur, les responsables furent bannis, leurs maisons détruites et leurs biens saisis. La décision de 1286 prend le contre-pied d’une disposition du grand privilège de 1278 qui prévoyait une démolition de la maison des criminels. En 1293, dans le privilège d’Adolphe de Nassau, l’homicide s’expose en cas de fuite à la saisie de sa maison et de ses biens. Il n’y a plus de mention explicite de la destruction. 47. « Wir der schulthesse, der rat und die burger von Colmer tùn kunt mit diseme briefe allen den, die in sehent oder horent lesen, das wir durch der stette nuez und ere, wande wir das gesworn han, sin ze rate worden mit gemeineme rate unde sin des och uber ein kumen… ». 48. Voir FINSTERWALDER, op. cit., par exemple p. 300, décision en date du 23 octobre 1378, ou encore p. 301, décision du 21 mars 1367. 49. À Strasbourg, 16 Schwörbriefe furent composées entre 1334 et 1482. Voir RICHARD (Olivier), « Chartes de serment », dans DHIA, op. cit. 50. Voir BUCHHOLZER ( Laurence), « Von der Herrschaft zur Gemeinde? Der Schultheiss, eine ambivalente Figur (Elsass, 12.-15. Jhdt) », dans GRUBER (Elisabeth), PILS (Susanne Claudine), RABELER (Sven), WEIGL (Herwig), ZEILINGER (Gabriel) (Hg.), Mittler zwischen Herrschaft und Gemeinde. Die Rolle von Funktions- und Führungsgruppen in der mittelalterlichen Urbanisierung Zentraleuropas, Innsbrück, 2013, p. 177‑200. 51. Voir FINSTERWALDER, op. cit., no32, p. 34. Strassb. UB, I, no478. Original aux archives municipales de Strasbourg. Pour 1293, voir plus haut, infra. Les Chroniques des Dominicains de Colmar relatent en outre la peine qu’encourut le schultheiss Walther Roesselmann pour parjure. Voir MGH Scriptores 17, p. 260. 52. Voir LIBLIN (Joseph), Les annales…, op. cit., p. 299‑301 ; Bellum Waltherianum, MGH Scriptores 17, p. 105‑114. 53. Voir LIVET (Georges) (dir.), Histoire de Colmar…, op. cit., p. 37‑39 pour 1261 ; p. 39‑43 pour les troubles civils jusqu’en 1293 ; p. 54‑58 pour la suite. 54. Voir FINSTERWALDER, op. cit., no68, p. 79 ; AMC, BB1, 1. Le changement constitutionnel et le règlement du conflit sont entérinés ensuite par le souverain (FINSTERWALDER, op. cit., no70 p. 83‑84, no 74, p. 89-90). Le directoire des 9 est renouvelé 5 ans jour pour jour après la première charte. Donc le 27 mai 1336, voir FINSTERWALDER, op. cit., no80, p. 94 ; AMC, BB2. Le texte reproduit pour l’essentiel la première version. Mais on y introduit une clause de silence sur les actes du Conseil et une obligation de respect des statuts (einunge, wette oder besserunge) existants ou établis dans les 5 ans suivants. 55. « Wir… sint ze rate worden mit enander einhelleklich und unbetzwungen als hie nach an disem gegenwirtigen briefe geschriben stat, und haben einhelleklich allesament mit enander das gesworn zen heiligen stete ze hande und enander mit uf gehebten henden und mit gestabten worten, ane alle geverde, dise nehsten funff jar, die nu koment nach enander nach dem tage als dirre brief gegebn wart ane alle widerrede ». 56. AMC, BB1, 1 (27 mai 1331). Parchemin de 35 cm de haut sur 52,8 cm de large. Grand sceau de la ville de Colmar.

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57. Ibidem, « Und wir, die vorgenanten nûne, verjehen unverscheidenliche aller der vorgeschribenen dingen und gelboen sie stete ze hande mit der gemeinde von Kolmer, armen und richen, und in ze ratende und ze helfende mit rêten und mit getêten des besten und des erbersten, so wir koennen und moegen, die vorgenanten funf jar bi gueten truewen und wider aller meniglichen bi den vorgenanten gesworenen eiden, die wir darumbe unverscheidenlich getan hant zen heiligen mit ufgehebten henden und mit gestabten worten, und verbinden uns des mit disem gegenwertigen briefe gegen die gemeinde von Kolmer, ane alle widerrede und ane alle geverde ». 58. Voir FINSTERWALDER, op. cit. n°72, p. 86 : 4 octobre 1331. L’acte de conciliation comporte un rappel de la nouvelle constitution et des mesures électives. Les partis s’engagent à respecter les mesures de règlement prévues par le gouvernement. Celui qui briserait les engagements, au nom de la communauté de Colmar ou de quelque autre grief, doit être déshonoré et parjure et ne doit plus recevoir droit à Colmar. Celui qui l’aiderait en parole et en gestes doit perdre la grâce de l’empereur et s’il persiste doit aussi la perdre dans les villes d’empire et ailleurs. Il sera poursuivi par le Conseil sur son corps et ses biens jusqu’à la renonciation à ses agissements. « Were och ieman von der gemeinde ze Kolmer oder vnder den Roten oder vnder den Swarzen, wie der genannt were, der in dirre suene niht wollte sin, zue wem der gehorte, die soellent swern zen heiligen, das si sin niht mit bette haben moegen, ze twingende ze der svene, vnd soellent dar zue bi dem selben eide mit libe vnd mit guete mit der stat von Kolmer berâten und beholfen sin wider den, der in der svene niht will sin, ane alle geuerde. 59. La formule est présente dans FINSTERWALDER, op. cit., no72, p. 87. 60. Par exemple à Strasbourg et Nuremberg. Voir entre autres HAVERKAMP ( Alfred), « Innerstädtische Auseinandersetzungen und überlokale Zusammenhänge in deutschen Städte während der ersten Hälfte des 14. Jahrdhunderts », dans ELZE (Reinhard), FASOLI (Gina) (Hg.), Stadtadel und Bürgertum in den italienischen und deutschen Städten des Spätmittelalters, Berlin, 1991, p. 89-126. Repris dans idem, Gemeinden, Gemeinschaften und Kommunikationsformen im hohen und späten Mitetlalter, hg. von Friedhelm BURGARD, Lukas CLEMENS, Michael MATHEUS, Trier, 2002, p. 147‑182. 61. FINSTERWALDER, op. cit., no91, p. 107 et s. : Privilège de Charles IV pour Colmar, Haguenau, 12 décembre 1347. Voir aussi ibidem, no94, p. 112‑113 : Ce Conseil est celui de la parité entre les représentants de la noblesse et ceux des corporations. Le texte prévoit 3 bourgmestres, un Conseil de 12 membres nobles issus des deux poêles, ainsi que 12 membres du commun. Les corporations élisent annuellement chacune un maître, et les maîtres de corporation ont accès au Conseil. 62. AMC, BB3, no3, 4. 63. AMC, BB3, no8 : 8 mai 1354. 64. FINSTERWALDER, op. cit. no111, p. 127 et s. AMC, BB4, 1 : 6 mars 1356. 65. De fait, les nobles résidents de Colmar en 1356 ont appendu à la charte leurs sceaux ; d’autres s’y ajoutèrent par lettre spéciale. AMC, BB4, 1 : 6 mars 1356. La charte est établie sur parchemin d’une hauteur de 40 cm et d’une largeur de 50 cm. 28 sceaux y sont appendus, de même que le sceau rond de Colmar. Une reconnaissance de serments émise par des écuyers est jointe à cette charte. Elle comporte cinq sceaux appendus. 66. « wel edel man nu ze male in der stat ze Colmer nút ist, die heran nút gevmet sint, die sullen die buntnusz sweren, und disen brief besigeln, alz bald sú gen Colmer komend, ouch bi den penen, alz da vor geschriben ist. Were aber, daz die edeln lûte ze Colmer disen biref nút alle besigelnd, so sol doch dirre brief, und alle die vorgeschribenen stuke in kraft blibe, alz ob sú in alle besigelt hettend, ane geverde », Cf. FINSTERWALDER, op. cit., p. 130. 67. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si, à la même période, le Conseil et l’empereur accordent une attention accrue aux procédures d’admission à la bourgeoisie. Les listes d’admission à la bourgeoisie sont dressées à Colmar à partir de 1361. Le premier livre du Conseil

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commence à la même époque et regorge de dispositions sur le droit de bourgeoisie. Charles IV statue aussi sur la question en 1358 (FINSTERWALDER, op. cit., no115, p. 140). 68. Notons qu’elle est désignée comme une « bundniss », un terme habituellement employé pour les traités d’alliance. Elle équivaut dès lors à une alliance de paix entre le conseil et la communauté. 69. Cette révolte, menée au moment du renouvellement du Conseil, est orchestrée par une nouvelle société noble, « Zum Tscheppelin ». Pour la constitution de janvier 1358, voir AMC, BB4, 2. Parchemin de 50 cm de haut sur 65 cm de large. Il porte 4 sceaux appendus, celui du Landvogt, de l’évêque de Strasbourg, du prince-abbé de Murbach et de la ville de Colmar. 70. Voir AMC, BB4, no3 à 6. 71. Les villes qui ont part au règlement militaire de la Fehde nobiliaire menée contre Colmar, de même qu’à l’arbitrage sont : Sélestat, Mulhouse, Kaysersberg, Obernai, Rosheim, Turckheim et Munster. Les modalités de leur intervention sont fixées par l’alliance des villes impériales scellée en 1354 (connue sous le nom de Décapole). Notons toutefois que les arbitres urbains n’ont pas scellé la charte destinée à Colmar. Leur faculté d’intervention dans des arbitrages intraurbains est à nouveau officialisée en 1360 : FINSTERWALDER, op. cit., no117, p. 144‑145. L’une des grandes craintes des villes est la propagation des troubles internes, assimilés à des pestes. Cf. BUCHHOLZER (Laurence), „Stadtregieren in Krisenzeiten: eine Sache unter sich? (13.-15. Jahrhundert)”, dans DAUM (Werner), HARTMANN (Kathrin S.), PALAORO (Simon), SUNDERBRINK (Bärbel) (hg.), Kommunikation und Konfliktaustragung. Verfassungskultur als Faktor politischer und gesellschaftlicher Machtverhältnisse vom Spätmittelalter bis in die Moderne, Berlin, Berliner Wissenschafts-Verlag, 2010, p. 265‑292. L’élaboration de cette charte de serment (1358) peut être mise en parallèle avec celle de 1334 à Strasbourg. Là aussi, suite à un conflit entre les membres du patriciat, la charte instaure un nouveau Conseil. Là aussi, le texte semble la résultante de négociations de paix arbitrées par un comité de Landfrieden, ce que laisse supposer la liste des sigillants extérieurs à la ville. 72. Voir PLAYOUST (Pierre-Yves), Aspects de la vie urbaine à Colmar aux XIIIe et XIVe siècles, thèse de l’École des chartes, 1961, p. 256-296. Charte de réconciliation du 5 septembre 1359, voir FINSTERWALDER, op. cit., no111. 73. Ces « changements » ou « renouvellements » annuels sont de pure forme, puisque le texte prévoit que « certains de l’ancien conseil restent, autant qu’ils en conviennent pour le besoin de la ville ». La seule exigence est qu’il y ait autant de conseillers inchangés parmi les nobles que parmi les représentants des bourgeois et de la communauté. 74. Ce qui est visé ici est un non respect par les nobles des engagements pris dans la lettre de réconciliation du duc d’Autriche. On devait abroger la constitution de 1360 pour revenir à la précédente qui leur était plus défavorable. 75. L’ordonnance du 11 mars 1360 fait 44,5 cm de large pour 28 cm de haut. Seule l’onciale est travaillée ; l’écriture est soignée. Le parchemin est pourvu des sceaux du Landvogt, des 8 nobles présents au Conseil et de la ville de Colmar. AMC, BB5, no1. 76. Le texte intègre ainsi un paragraphe qui revient sur la marche à suivre en cas d’interrègne (FINSTERWALDER, op. cit., p. 143). L’Obristmeister, les maîtres de corporations et le Conseil en place doivent rester aux affaires et garder les pleins pouvoirs jusqu’à ce que la ville de Colmar ne se reconnaisse un nouveau roi des romains pour seigneur et ne lui fasse allégeance et obéissance. 77. AMC, BB6, no2 ; FINSTERWALDER, op. cit., no143, p. 177. 78. MOSSMANN (Xavier), Mémoire présenté au grand bailli d’Alsace sur une insurrection survenue en 1424, Colmar, 1882, p. 16-17. 79. Voir La parole sacrée : formes, fonctions, sens, XIe-XVe siècle, Colloque de Fanjeaux (47, 2011) , Toulouse, Privat, 2013. 80. Extraits de la charte du 27 mai 1331. 81. MOSSMANN (Xavier), Mémoire…, op. cit., p. 25.

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82. Ibidem, p. 18-19. 83. Ibidem, p. 20-21. 84. MOSSMANN (Xavier), Recherches sur la constitution de la commune…, op. cit., p. 91 et s. 85. « Anno domini MCCCC quadragesimo septimo sabbatho ante festo corporis Christi. Als bisher gewonlich gewesen ist, jars die rete zu setzen uff den heyligen pfingstag und aber langt zit vil da von gerett und gemeint ist, daz sich söllich Rets setzen uff ein sentlich würdig hochgezijt und heyl tag nit gebure, dann andächt und gotzdienst dadurch gehindert und gestört werde, darumb Got dem heyligen geist, des hochgezijt es ist, und es die dritte persona in der heyligen dreivalticheit ist ze lobe und ze eren und uns furderunge gotzdienst, so habent meister, Rat und zunfftmeistere gesatzt, und uff den eyde bekannt, einhellecliche, daz man nu furmer ze alligen zijten jars rete setzen und machen sol uff den sonnentag Exaudi, daz ist nemlich der sonnentag vor dem heiligen pfingstag. Es were dann ob de irrunge dar in viele, ob der lantvogt oder sin bottschafft dorby uff die zijt nit komen mochte oder sust ehaftige not zu viele oder geschefde daz es sich uff die zijt nit schickte, so sol es doch darnach, so erst daz bekomenlich sin mag bestheen als daz es nit uff den pfingstag beshee, actum ut supra » (3 juin 1447). FINSTERWALDER, op. cit., p. 319. 86. AMC, BB9, n o1 à 3. Ici, no3. Le document prescrit en détail les modalités d’élection des différents membres du Magistrat. Il précise aussi les mesures de réunion d’urgence de la milice, sous l’égide suprême de l’Obristmeister, de même que la marche à suivre pendant les interrègnes. « Undt als man bisher gestulpet hat uff den sontag den heiligen pfingstag einen Rath und zunfftmeistere geordnende und gesegende, hab ich aus warhafftenn ursachen die selbig Ratssatzung und ordnung verandert, also: das soliche Ratssatzung nun furebasmer alle jar járlichenn allwegen uff sontag den nechsten nach sant Lorenzen des heiligen leviten tag furgenemen und beschehen solle… ». Cf. FINSTERWALDER, op. cit., no200, p. 253, 9 août 1521. La date prescrite pour les élections et le Schwörtag est à peu de choses près la date anniversaire de cette nouvelle Constitution. Ainsi placé, le serment collectif annuel, qui rappelle les bourgeois à leurs devoirs, vient précéder de quelques jours les opérations de répartition de la taille (de l’assomption à la fête de la nativité de la Vierge). 87. Ibidem, p. 256. 88. Ce qu’il paraît possible de faire en menant la comparaison avec d’autres villes impériales comme Sélestat et Haguenau. 89. Ce qu’indique le rappel à l’ordre vécu par les élites dirigeantes en 1424. 90. Voir BUCHHOLZER-REMY ( Laurence), RICHARD ( Olivier), « Die städtischen Eidbücher im spätmittelalterlichen Elsass. Erste Erschliessung der Quellen », dans BUCHHOLZER-REMY (Laurence), VON HEUSINGER (Sabine), HIRBODIAN (Sigrid), RICHARD (Olivier), ZOTZ (Thomas) (Hg.), Neue Forschungen zur elsässischen Geschichte im Mittelalter, Fribourg en Brisgau, Verlag Karl Alber, 2012, p. 177-196. 91. Cette insistance sur l’ Obristmestre semble prendre acte d’un mandement royal du 15 août 1361. Voir FINSTERWALDER, op. cit., no120, p. 147. 92. AMC, BB51, no1. 93. On remarquera par exemple que le texte commence par une adresse au public présent : « vous devez jurer », mais qu’il comporte aussi, surtout sur la fin, des tournures impersonnelles : « que personne ne serve… ». 94. Au moins, en ce qui concerne la norme écrite. 95. AMC, BB11, no1 à 6, qui correspondent à des formules de serments allant du tournant du XVIe siècle au XVIIe siècle. Le second livre du Conseil, AMC, BB44, comporte lui aussi de nombreuses copies de serments, dans les 100 premières pages. Cela est à mettre en lien avec son utilisation lors des Schwörtage. Il a probablement servi de document préparatoire (Vorschrift) à l’établissement du premier Eidbuch. 96. Voir en annexe une traduction en langue française de ce même serment, élaborée vers 1650.

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97. La présence de Juifs est attestée à Colmar depuis le XIII e siècle. Ils sont touchés par la persécution de 1349, puis à nouveau admis parmi les bourgeois en 1352. La communauté bénéficie d’une certaine protection par la suite, ce qu’indique l’obligation de sauvegarde faite à tout résident colmarien. Ceci jusqu’en 1507. 98. Cf. communication d’Olivier RICHARD « Le citoyen assermenté. Le serment comme instrument d’encadrement de la population urbaine, XVe-XVIe siècle (Bâle, Berne, Lucerne, Zurich) », colloque « Ordre social et discipline morale dans les villes de l’espace suisse (XIVe-XVIIIe siècle) », Université de Genève, janvier 2013. 99. Voir SCHERLEN (Auguste), Topographie…, op. cit., Ce premier hôtel de ville devint le Corps de Garde au XVIe siècle. Il jouxtait la chapelle d’un ossuaire dédiée à Saint-Jacques. À titre de comparaison, voir les réflexions de Antje DIENER-STAECKLING, Der Himmel über dem Rat. Zur Symbolik der Ratswahl in mitteldeutschen Städten, Halle an der Saale, 2007. 100. FINSTERWALDER, op. cit., no190, p. 236. Le 12 décembre 1479, il rappelle aussi la nécessité de prestation de serment au Landvogt, expression du devoir de fidélité et d’obéissance envers l’empereur. Ibidem, no191, p. 237. 101. Cela fait de Colmar un point d’appui stratégique pour le souverain. Il faudra voir si la même attention est portée par l’empereur au Schwörtag de Haguenau. 102. Voir LICHTLÉ (Francis), « Colmar », DHIA, op. cit., p. 388. 103. Propos fondés sur le 2e Eidbuch, qui dépeignent donc la situation existant entre 1447 et 1521. L’obristmeister et les 20 maîtres de corporations se rendent à la Waagkeller. Une fois qu’ils sont rassemblés, l’obristmeister avertit les 20 maîtres de corporation de l’ancienne coutume et de la raison pour laquelle ils se trouvent là. L’obristmeister les fait ensuite jurer un serment tous ensemble et chacun en particulier avec les doigts levés devant Dieu et les saints. Ils s’engagent à élire un Obristmeister vertueux, qui travaille à l’honneur et à l’intérêt de la ville. Ils ne doivent être guidés en cela ni par l’amitié, ni par l’inimitié, ni par la faveur, ni par la peur, ni par l’envie, ni par la haine, ni par des gages, ni par des dons, mais doivent choisir en conscience, du mieux qu’ils s’y entendent. 104. En cas de discorde lors de l’élection de l’Obristmeister, c’est le Landvogt qui a le pouvoir de nommer la personne idoine. 105. AMC, BB10, no1 à 45 (1523-1626). On peut constater que quelques cérémonies ont dû être décalées en raison d’un empêchement du Landvogt. 106. Le rassemblement de la population sur la place est aboli en 1673, ce qui met donc un terme au Schwörtag. Voir SCHERLEN (Auguste), Topographie…, op. cit. 107. Cité par Georges BISCHOFF, La guerre des Paysans. L’Alsace et la révolution du Bundschuh (1493-1525), p. 143‑144. 108. Voir SCHERLEN (Auguste), Topographie…, op. cit., p. 246‑248. 109. AMC, BB11, 4b (1650).

RÉSUMÉS

Colmar compte parmi les villes connues pour pratiquer, au tournant du XVIe siècle, un jour juratoire (Schwörtag) : la population assemblée et le Magistrat y échangent des serments, garants de l’ordre civique et du Bien de la Ville. Cet article se propose d’en explorer la genèse et le devenir. S’agissait-il de réitérer un ancien serment communal, qui aurait présidé aux origines

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mêmes de la communauté urbaine ? Voulait-on, comme à Strasbourg, entériner et faire respecter un document constitutionnel présenté solennellement aux yeux de tous ? À l’examen, le cas colmarien présente des traits particuliers tels l’attachement à un lieu du serment ou la part importante jouée par la représentation impériale dans l’apparition, puis l’itération du serment civique.

Colmar is known for organising oath days at the turn of the 16th century: the whole population and the magistrate would take an oath that would guarantee civic order and the general welfare of the city. This article intends to look into its origin and evolution. Was it meant to reassert a former city oath that would have been a founding document of the urban community? Or was it supposed – like in Strasbourg – to confirm and enforce a constitutional document formally submitted to the whole population? On second thought the example of Colmar offers characteristics such as the attachment to the place where the oath has been taken or the essential role played by the representation of the Emperor in the original and repeated civic oath.

Colmar ist eine der Städte, die bis zum Beginn des XVI. Jahrhunderts einen Schwörtag abhielten: Die versammelten Bürger und der Magistrat der Stadt schwuren sich gegenseitig, die öffentliche Ordnung und das Wohl der Stadt zu garantieren. Der Autor des vorliegenden Artikels versucht aufzuzeigen, wie es zu dem Schwörtag kam und wie er sich fortentwickelt hat. Hat man einen ehemaligen städtischen Schwur wiederbelebt, der schon von Anfang an in den Städten abgelegt worden ist? Wollte man wie in Strasbourg ein Dokument der Verfassung bestätigen, das feierlich der Öffentlichkeit präsentiert worden ist? Eine gründliche Untersuchung entdeckt eine Reihe von Besonderheiten, die es nur in Colmar gegeben hat. Einige Beispiele: Der Schwur fand immer am selben Ort statt. Die Vertreter des Kaisers spielten eine bedeutende Rolle und waren auffallend zahlreich. Und schließlich das wiederholte Zitieren des öffentlichen Schwurs.

AUTEUR

LAURENCE BUCHHOLZER-REMY Maître de conférences en histoire du Moyen Âge, Université de Strasbourg, EA 3400/ARCHE

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Zwischen Baden und Pfalz Die Bedeutung Straßburgs für den Ortenauer Niederadel im späten Mittelalter1 Entre le Pays de Bade et le Palatinat – L’importance de Strasbourg pour la basse noblesse à la fin du Moyen Âge Between the Palatinate and Baden - The importance of the city of Strasbourg for the Ortenau gentry in the late Middle Ages Zwischen Baden und Pfalz – Die Bedeutung Straßburgs für den Ortenauer Niederadel im späten Mittelalter

Michael Bühler

1 Die Ortenau und Straßburg haben eine lange eigenständige, aber auch gemeinsame Geschichte. Einen wichtigen Abschnitt in dieser Beziehung stellt die Zeit zwischen 1350 und 1550 dar. In dieser Phase kam es wieder zu vermehrten Kontakten von Akteuren aus der Ortenau und der Stadt Straßburg. Denn nachdem im Früh- und Hochmittelalter durch die rechtsrheinischen Besitzungen des Straßburger Bischofs die Voraussetzungen für eine dauerhafte Orientierung der Ortenauer auf die andere Seite des Rheins hin geschaffen worden waren, erlangte die Stadt Straßburg durch die Loslösung vom Bischof, nach der Schlacht von Hausbergen im Jahr 1262, einen selbständigen und mächtigen Status der die Situation am Oberrhein verändern sollte. Dadurch verschob sich im Spätmittelalter der Beziehungshorizont weg von der bischöflichen Sphäre hin zur Stadt selbst, deren Bürgern und Institutionen. Eine Bevölkerungsgruppe der Ortenau, für die Straßburg nun wieder verstärkt von Interesse geworden war, repräsentierte der Ortenauer Niederadel, der in der bedeutenden freien Reichsstadt einen wichtigen Akteur und Partner in vielerlei Beziehungen erkannt hatte, welche im Folgenden genauer untersucht werden sollen.

2 Beim Niederadel handelte es sich bekanntlich um die unterste Schicht des Adels, der vornehmlich aus der unfreien Ministerialität von Fürsten oder auch Bischöfen hervorging, dann seine Freiheit erlangte und sich letztlich aus sogenannten Edelknechten und Rittern zusammensetzte.2 Zu unterscheiden ist der Niederadel oder auch Ritteradel vom nichtfürstlichen bzw. fürstlichen Hochadel. Der Niederadel stand

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zumeist in Lehens- und Dienstverhältnissen von höherem Adel, Bistümern und Klöstern oder auch Städten. Er hatte aber ebenso Eigenbesitz und vergab teilweise selbst Lehen an gleichfalls Niederadelige oder an einfache Leute. Dennoch hatte der Niederadel eine Position inne, in der er sich ständig behaupten und auch seines Ranges selbst versichern musste.

3 Der Wandel in der spätmittelalterlichen Gesellschaft, welchen die jüngere Forschung entgegen der Krisenansicht älterer Generationen richtigerweise postuliert, machte ein Überleben meist nur möglich, wenn es gelang, sich Ämter und Dienste zu sichern, da gerade im ausgehenden Mittelalter die Erträge des Grundbesitzes nicht ausreichten, Rang und Status zu bewahren.3

4 Allerdings waren auch die zunehmenden Territorialisierungs-bestrebungen der umliegenden Fürstenhäuser und die dadurch drohende Landsässigkeit eine ernst zu nehmende Gefahr für die eigene Freiheit. Bekanntermaßen bildete sich deshalb eine sogenannte Mehrfachbindung des Niederadels heraus, was bedeutete, dass es nicht nur einen Lehens- bzw. Dienstherren gab, sondern dass die umliegenden Herren und Höfe vielfältige Optionen boten, von denen zumeist mehrere gleichzeitig genutzt wurden.4

5 Gerade im Südwesten des Reiches, welcher nach dem Zerfall des Stauferreiches machtpolitisch eine zersplitterte Vielfalt zu bieten hatte, wurden diese Mehrfachbindungen ein für den Niederadel unerlässliches Instrument, um das eigene Überleben zwischen den verschiedenen Interessen zu ermöglichen.

6 Auch die Ortenau war hierfür eine charakteristische Region. Es gab keinen direkt ansässigen regionalen Machthaber, dem es gelingen konnte, den Niederadel dieses Raumes an seinen Hof zu ziehen. Er konnte somit als „interdynastischer Adel“ zwischen den Höfen agieren und reagieren.5 Zu den wichtigen Herrschaftsträgern, welche über eine kürzere oder auch längere Distanz Einfluss auf die Ortenau ausüben wollten, gehörten auf weltlicher Seite die Kurfürsten von der Pfalzgrafschaft bei Rhein, die Markgrafen von Baden und durch die Habsburger letztlich auch das Reich selbst. Als geistlicher Fürst war der Bischof von Straßburg ansässig. Hinzu kamen noch die freien Reichsstädte der Ortenau, Offenburg, Gengenbach und Zell. Jedoch in unmittelbarer Nähe jenseits des Rheins und insgesamt weitaus bedeutender als die Städte der Ortenau war Straßburg gelegen.

7 Bei den untersuchten Ortenauer Familien handelt es sich vornehmlich um eine Gruppe von Adeligen, die im Jahr 1474 einer Einung mit dem Markgrafen von Baden beigetreten war.6 Die an diesem Schutz- und Friedensbündniss beteiligten Niederadeligen waren Vertreter der Familien, die im Spätmittelalter den Kern des Ortenauer Niederadels gebildet hatten und somit als eine Gruppe angesehen werden können. Hierzu zählten Ritter und Edelknechte der Familien von Bach, von Großweier, von Neuenstein, Röder von Rodeck, Röder von Diersburg, von Schauenburg, von Windeck sowie der verschiedenen Ganerbenfamilien von Staufenberg.7 Alle diese Familien hatten entweder durch einzelne Mitglieder oder durch die Gruppierung des Ortenauer Niederadels einen Bezug zur Stadt Straßburg.

8 Im weiteren Verlauf wird das Hauptaugenmerk auf der Stadt Straßburg und ihren Bürgern liegen. Der Straßburger Bischof spielte für die Ortenauer Adeligen unzweifelhaft eine bedeutende Rolle, sei es für das Aufsteigen und Hervorkommen aus seiner Ministerialität, oder aber als Lehens- und Dienstherr. Denn fast alle der untersuchten Familien hatten Lehen vom Bischof, standen zeitweise in seinen militärischen Diensten oder übten Ämter in den Besitzungen des Bistums aus.8 Nicht

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zuletzt nahm er als Inhaber der halben Pfandschaft der Reichslandvogtei Ortenau großen Einfluss.9 Dennoch erfordern meines Erachttens die Beziehungen zwischen Adel und Stadt Straßburg einen genaueren Blick, da hier eine Dynamik zu beobachten ist, die auch die Entwicklung der Stadt Straßburg unterstreicht.

9 Darstellungen der Stadt Straßburg im Mittelalter oder auch der Frühen Neuzeit zeigen als prominentestes Bauwerk das Straßburger Münster. Doch dieser optische Eindruck entspricht nicht den tatsächlichen Verhältnissen in der Stadt im späten Mittelalter. Das Münster als die Kirche des Bischofs und seines Hochstifts spiegelte eher den Glanz der vergangenen Jahrhunderte. Denn nach der Schlacht von Hausbergen im Jahr 1262, in welcher die Stadt den damaligen Straßburger Bischof, Walter von Geroldseck, besiegte und anschließend vertrieb, änderten sich die Machtverhältnisse in Straßburg zugunsten der Bürger. Das Hochstift des Bistums verblieb zwar noch in Straßburg, der Bischof selbst allerdings hatte in einiger Entfernung zu Straßburg verschiedene Residenzen, von denen aus er versuchte, sein Amt auszuüben und seine Interessen gegenüber der Stadt zu verwirklichen. Faktisch aber war die Macht des Bischofs in Straßburg selbst gebrochen und die einstige Bischofsstadt entwickelte sich nun zu einer freien Reichsstadt. Doch da sich das Oberhaupt des Reiches zumeist ebenfalls weit entfernt aufhielt, war auch dessen Einfluss nur vermindert wahrzunehmen und die Stadt konnte relativ eigenständig entscheiden und agieren.

10 Diese Gegebenheiten waren die Voraussetzung dafür, dass Straßburg bekanntermaßen einen überaus imposanten Ruf erlangte.10 Durch eine engagierte Bürgerschaft, vor allem durch den starken Einfluss der Zünfte und deren wirtschaftliche Anstrengungen, kam die Stadt zu Reichtum und Ansehen und erwarb sich gerade im Bereich der Bildung als eine Hochburg des Humanismus eine hervorragende Stellung. Auch als Zentrum des Buchdrucks konnte sich Straßburg im späten Mittelalter hervorheben und diese neue Technik ebnete der frühen Reformation einen Weg in der Stadt. Schon 1523 wurde die neue Lehre vom Rat eingeführt und viele bekannte Reformatoren hielten sich in Straßburg auf, so z.B. Martin Bucer und Johannes Calvin.

11 Straßburg war im späten Mittelalter also ein pulsierendes Zentrum bürgerlichen Lebens, eine „boomtown“ im Südwesten des Reiches. Durch die Unabhängigkeit vom Bischof war der Stadt der entscheidende Schritt für diese Entwicklung gelungen.

12 Zwei Thesen, welche die Dynamik der Beziehungen zwischen dem Ortenauer Niederadel und Straßburg erklären können, sollen im Folgenden vorgestellt werden. Sie begründen die zunehmende Öffnung der Ortenauer Niederadeligen hin zur Stadt Straßburg und auch zu den Geschlechtern der Stadt im Laufe des Spätmittelalters. Zum einen bestand für die Niederadeligen eine Notwendigkeit, alle Optionen für das eigene Überleben zu erkennen und auch zu nutzen. Bedroht durch Territorialisierungsbestrebungen der umliegenden Fürstenhäuser, aber auch durch den allgemeinen Wandel in der spätmittelalterlichen Gesellschaft, welcher den Rang und Status des Ritteradels immer mehr in Frage stellte, mussten wohlüberlegte Gegenmaßnahmen ergriffen werden. Dazu gehörte die Hinwendung zu den Städten und deren Strukturen.

13 Zum anderen kann die besondere Stellung der Stadt Straßburg angeführt werden. Hier war im Gegensatz zu zahlreichen Herren- oder Fürstenstädten eine freie und bedeutende Reichsstadt gewachsen, die den Bischof als ihren einstigen Stadtherren schon seit einiger Zeit entmachtet hatte und in deren Nachbarschaft, ebenso wie in der Ortenau, kein mächtiger Fürstenhof gelegen war. Damit war die Basis bereitet worden

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für ein aufstrebendes, engagiertes und damit auch starkes Bürgertum, welches der Stadt Reichtum, Bildung und Anerkennung garantierte und somit – nicht nur für die Ortenau – einen Anziehungspunkt für vielerlei Beziehungen darstellte.

14 Im weiteren Verlauf sollen einige Befunde aus den Quellen die Art und auch die Vielfalt der Kontakte aufzeigen.11

Wirtschaftliche Beziehungen zu Straßburg

15 Untersucht man die Überlieferung der einzelnen Familien, so finden sich einige Urkunden und Erwähnungen über Geschäfte mit Straßburger Bürgern. Hierbei reichen die Beziehungen von Kreditvergabe über Verkauf bis hin zu Belehnung. Die meisten der dokumentierten Geschäfte kommen bei der Familie von Windeck vor, was aber letztlich nicht verwundert, denn gerade im 14. Jahrhundert war der Einfluss dieses Geschlechts, welches aus der Ministerialität des Straßburger Bischofs stammte, über die Ortenau hinaus gewachsen.12 Allerdings verschlechterte sich im 16. Jahrhundert die finanzielle Lage der Familie, so dass viele Verkäufe getätigt wurden, u.a. auch mehrfach an Straßburger Geschlechter. Von Interesse ist auch ein Kreditgeschäft zwischen der Familie Röder von Diersburg und der Straßburger Familie Wurmser gegen Ende des 15. Jahrhunderts.13 Es ging hierbei zwar nur um eine Kreditsumme von 400 fl., dennoch zeigt diese Verbindung beispielhaft die Bedeutung des Finanzplatzes Straßburg, in dem eine zunehmend reicher werdende Bürgerschaft eine zusätzliche Option der Geldbeschaffung darstellte. Dass die Straßburger Familien im Gegenzug ihr Vermögen nutzten, um sich gleichfalls in der Ortenau Besitz zu erwerben zeigt ein Beispiel aus Oberkirch, wo 1474 der Niederadelige Obrecht von Neuenstein ein Haus an den Straßburger Adeligen Philipp Wetzel von Marsilien verkaufte.14

16 Insgesamt zeigen die Quellen leider weniger Geschäfte als erwartet auf. Doch es ist zu vermuten, dass die wirtschaftlichen Beziehungen des Ortenauer Niederadels zu Straßburg im Spätmittelalter deutlich intensiver waren, als es die Überlieferung zeigt, denn der Finanzplatz Straßburg wurde nicht nur für die Ortenauer Adeligen interessanter, sondern hatte über die Region hinaus an Wichtigkeit gewonnen.

Straßburger Familien als Heiratspartner

17 Ein bedeutendes Thema für den Niederadel waren die Heiraten. Konnte durch sie doch ein gewisser Status und Rang einerseits belegt, andererseits verfestigt, ja sogar verbessert werden.

18 Dies scheint in Bezug auf den städtischen Adel zunächst ein Problem darzustellen, war doch das Bürger sein für einen Adeligen lange Zeit eher verrufen. Wie also lassen sich die Verbindungen zu Stadtadel oder gar Bürgertum in der Gruppe des Ortenauer Niederadels deuten? Zunächst einmal gilt es festzustellen, dass die Zahl der Heiraten zwischen Ortenauer Adeligen und Straßburger Familien prozentual gesehen nicht sehr hoch waren. In den Quellen lassen sich für den Zeitraum von 1300 bis 1550 ca. 240 Heiraten von Mitgliedern der oben angeführten Ortenauer Familien erfassen.15 Von diesen waren ca. 10 Prozent mit Straßburger Familien. Nun erscheint diese Zahl nicht gerade sehr hoch, allerdings gilt es eben zu bedenken, dass Heiraten mit städtischen Familien mitunter als standesmindernd angesehen wurden. Interessant ist aber

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wiederum die Tatsache, dass die Zahl der Heiraten zwischen Ortenauer und Straßburger Familien gegen Ende des 15. und auch in der ersten Hälfte des 16. Jahrhunderts deutlich zugenommen hatte, was wiederum nahelegt, dass die Ortenauer Niederadeligen zur Sicherung ihrer Existenzen gemäß den beiden angeführten Thesen handelten.

19 Somit wurde im Spätmittelalter nicht nur die Stadt als solche eine interessantere Option für den Niederadel, sondern auch Verbindungen mit den städtischen Familien hatten durch deren meist gesicherte Existenzen an Attraktivität hinzugewonnen.

Straßburg als Wohnort

20 Ein Blick in die Bürgerbücher der Stadt Straßburg fördert auch Namen Ortenauer Niederadeliger zutage. Allerdings gilt dies zumeist für das Ende des 15. Jahrhunderts und vor allem für das 16. Jahrhundert.16 Dies belegt aber ebenso die beiden Thesen, dass die Stadt an Anziehungskraft hinzugewonnen hatte und ein Leben in ihr nun eine wohl zu überlegende Alternative darstellen konnte. Zudem fällt auf, dass sich vermehrt Witwen des Ortenauer Niederadels nach Straßburg zurückzogen.17 Ob hier ein Neubeginn einfacher war, oder ob sie wegen schwierigen Situationen in den ehemaligen Wohnsitzen nun in die Stadt geflüchtet waren, lässt sich leider nicht immer erschließen. Des Weiteren bot die Stadt mit ihren zahlreichen Klöstern und Stiften einen fast schon beliebten Zufluchtsort für Söhne und Töchter Ortenauer Familien, die nicht den weltlichen Weg beschreiten wollten bzw. durften. Gerade aus der Familie Röder sind mehrere weibliche Mitglieder bekannt, die zu Beginn des 16. Jahrhunderts sogar als Äbtissin oder Pröpstin in Straßburger Klöstern lebten.18

21 Straßburg hatte also auch in diesem Bereich eine Bedeutungszunahme für den Ortenauer Niederadel erfahren. Das Leben in der Stadt konnte ein Mittel sein, den Herausforderungen des gesellschaftlichen Wandels zu begegnen. Eine Entwicklung, die sich im Laufe der Frühen Neuzeit aber auch noch einmal deutlich verstärken sollte.

Straßburg als Dienstherr

22 Hinsichtlich des wichtigen Themenbereichs Straßburg als Dienstherr erscheinen in den Quellen zunächst Ortenauer Söldner. Die ersten Aufzeichnungen reichen bis ins Jahr 1394 zurück und zeigen einige Schauenburger und Staufenberger, die im Solde Straßburgs standen.19 In der Folge wurden Ortenauer dann auch als Straßburger Hauptmänner aufgeführt, die hier in verschiedenen Konflikten eine vorübergehende Anstellung gefunden hatten.20 Wohl weitaus bedeutender und für die eigene Existenz mit am wichtigsten waren Ämter im Dienste der Stadt. Zumeist handelte es sich hierbei um die Stelle des Vogtes oder auch Amtmannes im Straßburger Landgebiet. Gerade die sich im Besitz der Stadt befindende Burg Fürsteneck bei Oberkirch in der Ortenau war immer wieder an Mitglieder der untersuchten Familien vergeben, die hier quasi vor der eigenen Haustür eine mit Einkommen und Ansehen verbundene Anstellung finden konnten. So gab es im 15. Jahrhundert u.a. mehrere Mitglieder der Familie von Neuenstein, die sich diese Position gesichert hatten.21 Aber auch der straßburgische Teil der Herrschaft Lahr hatte im 15. Jahrhundert mit Andreas Röder von Diersburg und Georg von Bach bekannte Vertreter des Ortenauer Niederadels als Amtmänner.22 Wie bereits angeführt hatten sich die Ortenauer Niederadeligen teilweise auch als

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Bürger in der Stadt Straßburg niedergelassen. Da sie sich aber auch hier ihres Ranges bewusst waren, nutzten sie mitunter die Möglichkeit, städtische Ämter zu besetzen. Als wohl bekanntesten muss man an dieser Stelle Egenolf Röder von Diersburg nennen, der vor allem als Stettmeister in Erscheinung trat. Er besetzte dieses Amt in der Zeit von 1518-1550 insgesamt 15-mal.23 In seinen Amtszeiten fanden auch die wichtigen Ereignisse der frühen Reformation statt. Egenolf Röder von Diersburg wurde vom Rat beauftragt, die neue Lehre in der Stadt durchzusetzen und dass dies ebenso für die Ortenau von Bedeutung war zeigt die Tatsache, dass er als Senior der Familie Röder von Diersburg auch in deren Ortenauer Patriatskirchen die Reformation einführte.24

23 Die Stadt Straßburg erlangte somit im Spätmittelalter als Dienstherr für die Ortenauer eine zunehmend wichtigere Rolle, wenngleich auch hier eine Veränderung zu erkennen ist. Denn der militärische Bereich verlor immer mehr an Bedeutung und die Ritteradeligen mussten sich diesem generellen gesellschaftlichen Wandel anpassen. In der Verbindung mit Straßburg war dies zumindest einigen gelungen, indem sie sich den Aufgaben eines Verwaltungsamtes gestellt hatten.

Straßburg als Gerichts- und Versammlungsort

24 Da Straßburg eine freie Reichsstadt war, hatte die innerstädtische Exekutive auch zahlreiche besondere Befugnisse. Der Stettmeister und der Rat der Stadt wurden als Instanzen angesehen, deren Entscheidungen rechtlich bindend waren.25 Viele Konflikte wurden so vor den Rat getragen, damit dieser eine unabhängige Empfehlung oder ein Urteil treffen konnte. Dieser Weg wurde auch zahlreich von den Ortenauer Adeligen begangen, sei es im Streit mit anderen Personen oder aber mit gleichfalls Adeligen der Ortenau.26 Der Straßburger Rat konnte als Organ einer freien Reichsstadt zudem auch Befugnisse des Königs übertragen bekommen. So fungierte der Rat im Jahr 1481 als Stellvertreter des Königs, indem er bestätigte und erneuerte der Ortenauer Familie von Windeck ihre Reichslehen zu Bühl.27 Hier hatte die Stadt demnach eine ganz hochoffizielle Funktion übernommen und konnte dadurch gleichzeitig ihren Status und ihre Bedeutung für die Region untermauern. Dass Straßburg als Versammlungsort auch für die Ortenauer Adeligen attraktiv war, belegen zwei Beispiele. Zunächst ist aus dem Jahr 1472 ein Burgfrieden von der Schauenburg überliefert, in welchem festgelegt wurde, dass sich die Ganerben nach einer Eroberung der Schauenburg in Straßburg, Offenburg oder Gengenbach versammeln sollten, um über die Rückeroberung zu beratschlagen.28 Die Tatsache, dass Straßburg in diesem Vertrag genannt wird belegt die Ansicht der Ortenauer, dass hier einerseits ein geschützter Rückzugsort zu finden war, andererseits aber auch eine Stadt, die jederzeit Optionen für Unterstützung und Hilfe verwirklichen konnte. Des Weiteren ist Straßburg eng mit der Gründung der Ortenauer Reichsritterschaft verbunden. War es doch hier, wo sich 1542 die Ortenauer Adeligen versammelten, um über den Zutritt zur freien Reichsritterschaft zu entscheiden.29 Hatten in den Jahrzehnten zuvor die verschiedenen Rittertage der Ortenauer Ritterschaft vornehmlich in Offenburg oder auch Oberkirch stattgefunden, so bleibt dieses wichtige Ereignis aus dem Jahr 1542 mit Straßburg verbunden.

25 Die Stadt Straßburg war insgesamt gesehen durch ihren Status als freie Reichsstadt und durch ihre bereits im 13. Jahrhundert erlangte relative Unabhängigkeit vom Bischof auch für die Familien des Ortenauer Niederadels ein wichtiges Zentrum für Rechtsgeschäfte und institutionelle Angelegenheiten geworden. Sie konnte sich somit

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als Option für die Austragung von Streitigkeiten neben den Gerichten und Räten der Fürstenhäuser etablieren.

Straßburg als Gegner

26 Die Verbindungen der Ortenauer Adeligen zu Straßburg im Spätmittelalter hatten aber nicht nur positiven Charakter. Dass die Stadt ein großer und gefährlicher Gegner sein konnte, belegen einige Konflikte mit Ortenauer Familien. Hervorzuheben sind hier die Streitigkeiten mit der Familie von Windeck in der 2. Hälfte des 14. Jahrhunderts, die im Zusammenhang mit der Entführung des Straßburger Domdechanten Johann von Ochsenstein standen, sowie die Belagerung der Schauenburg durch die Straßburger im Jahr 1432.30 Hier war die Stadt zwar nicht der ursprüngliche Konfliktgegner, doch griff sie dann entscheidend als Helfer gegen die Ortenauer Familie ein. Dass sich schließlich etliche Ortenauer im Laufe zahlreicher Konflikte als Feinde Straßburgs erklärten, lag sicherlich auch an den Bindungen der Adeligen zu ihren verschiedenen Herren. So brachte gerade die Zugehörigkeit zur badischen Lehensmannschaft die Verpflichtung mit sich, in den Streitigkeiten der Markgrafen mit Straßburg der Stadt abzusagen. Besonders in der ersten Hälfte des 15. Jahrhunderts unter Markgraf Bernhard I., der sich vielmals mit Straßburg uneins war, hatten Ortenauer Adelige regelmäßig Partei gegen die Stadt zu ergreifen. Es gab zwar auch vereinzelt Gegenbeispiele, doch in der Regel mussten die Ortenauer ihrem Lehensherren folgen.

27 Grundsätzlich war die mächtige Stadt Straßburg sicherlich auch ein möglicher existenzgefährdender Gegner für den Ortenauer Niederadel. Doch mit der zunehmenden Bedrohung der niederadeligen Familien und einem damit einhergehenden relativen Machtverlust ging die Zahl der Konflikte mit der Stadt im weiteren Verlauf des 15. Jahrhunderts deutlich zurück. Im 16. Jahrhundert wiederum waren militärische Auseinandersetzungen zwischen dem Niederadel und der Stadt fast gar nicht mehr existent, was einerseits die sich im Wandel befindende Situation des Adels belegt, andererseits dessen veränderte Wahrnehmung hinsichtlich Straßburgs bestätigt.

28 Um die beiden zentralen Thesen abschließend noch einmal zu unterstreichen, sollen nun zwei Beispiele genauer dargestellt werden

Burkhard Hummel von Staufenberg und der Konflikt von 1428

29 Im ersten Fall geht es um einen Konflikt aus dem Jahr 1428. Die Stadt hatte Streit mit dem Bischof von Straßburg, der als seinen Helfer auch Markgraf Bernhard I. von Baden gewinnen konnte. Die Gründe für die Auseinandersetzungen werden in den chronikalischen Quellen mehr oder weniger verschwiegen.31 Es ist aber zu vermuten, dass hier auch um die Rheinzölle gestritten wurde, da zumindest der Überfall auf eine Rheinbrücke bei Straßburg durch den Grafen Ludwig von Lichtenberg erwähnt wird. Die Rheinzölle stellten einen wichtigen Vermögenswert dar, der immer wieder Grund für Auseinandersetzungen war. Wie Heinz Krieg jüngst in einem Aufsatz gezeigt hat, waren diese Einnahmen gerade für den Markgrafen von Baden enorm wichtig, weshalb er sich mehrmals mit den anderen Rheinanliegern befehdet hatte.32

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30 Aus dem Jahr 1428 nun sind im Stadtarchiv Straßburg etliche Absagebriefe von Gefolgsleuten des Bischofs, aber auch des Markgrafen überliefert.33 Hierunter befinden sich zahlreiche Ortenauer Niederadelige aus den untersuchten Familien. Größtenteils waren sie Lehensmannen des Markgrafen, die ihrer Verpflichtung der Treue und Unterstützung nachzukommen hatten.

31 Gleichzeitig war aber auch auf Straßburger Seite ein Ortenauer vertreten, der zugleich badischer Lehensmann war. Und dies nicht nur als einfacher Gefolgsmann der Stadt, sondern in durchaus prominenter Position. Der Ritter Burkhard Hummel von Staufenberg befand sich im Amt Ettenheim im Dienste Straßburgs. Ob er hier als Vogt agierte bleibt unklar, kann aber durch die Aussagen der Quellen vermutet werden.34 Ettenheim war zwar zunächst im Besitz des Bischofs, wurde aber 1401 an die Stadt verpfändet und blieb bis 1528 in deren Besitz. In diversen Briefen berichtet Burkhard dem Rat der Stadt Straßburg von seinen Tätigkeiten in Ettenheim. U.a. empfing er dort den Junker Heinrich von Geroldseck, der die Stadt im Konflikt mit Bischof und Markgraf ebenfalls unterstützen wollte.35 Diese Verhandlungen fanden mit Burkhard Hummel von Staufenberg statt und die Beteiligten kamen überein, speziell den Markgrafen schädigen zu wollen. Burkhard versuchte auch noch drei weitere Ortenauer Niederadelige auf die Seite Straßburgs zu ziehen und verhandelte mit diesen die Bezahlung dafür.

32 Nachdem der Konflikt mehr oder weniger friedlich beendet worden war, betraf ein Punkt der Friedensbestimmungen von 1431 speziell den Burkhard Hummel von Staufenberg, der vom Markgrafen wieder in seine Lehen eingesetzt werden sollte.36

33 Was aber nun ist das Besondere an diesem Verhalten des Burkhard Hummel? Zunächst einmal muss konstatiert werden, dass er in einer Situation war, die den Niederadel im Spätmittelalter des Öfteren betroffen hatte, und zwar die Mehrfachbindungen an verschiedene Herren und die im Konfliktfall daraus entstehenden Zwickmühlen. Burkhard Hummel entschied sich 1428 gegen den Markgrafen und für die Stadt Straßburg. Die Gründe hierfür könnten in seinem Dienstverhältnis mit Straßburg zu sehen sein oder aber auch in der bewussten Hinwendung zu einer aufstrebenden und selbstsicheren Stadt.

34 Umso bemerkenswerter erscheint die Entscheidung des Burkhard Hummel aber in politischer Hinsicht. Denn 1428 befand sich Markgraf Bernhard in einer durchaus günstigen Situation. Er hatte die schlechten Zeiten unter dem Königtum des Pfälzer Rupprecht überwunden und konnte sich nun wiederum der Unterstützung König Sigismunds sicher sein.37 Diesen Rückhalt nutzte Bernhard dann auch, um sich zahlreiche Fehden zu liefern, wie es das Beispiel aus dem Jahr 1428 bestätigt. Sich nun angesichts dieser Konstellation offen gegen den Markgrafen zu positionieren war keine Selbstverständlichkeit und wäre der Konflikt letztlich mit einer Niederlage der Stadt zu Ende gegangen, so hätte dies möglicherweise auch das Ende von Burkhard Hummel von Staufenberg bedeuten können. So aber wurde er wieder in seine badischen Lehen eingesetzt und schließlich in den folgenden Jahren zum Rat am badischen Hof ernannt. 38

35 Das Verhalten des Burkhard Hummel von Staufenberg zeigt geradezu exemplarisch das alltägliche Jonglieren des Niederadels zwischen den umliegenden Mächten. Ein gerade im Konfliktfall riskantes Manövrieren, welches letztlich aber notwendig war, um zu überleben. Dass die Stadt Straßburg für die Ortenauer Niederadeligen aber schon in der

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ersten Hälfte des 15. Jahrhunderts eine ernsthafte Alternative im Konfliktfall darstellte, belegt die veränderte Wahrnehmung von Städten.

Arnold Pfau von Rüppur und sein Schreiben an die Stadt

36 Ein Vogt von Fürsteneck steht im Mittelpunkt des zweiten Beispiels. Arnold Pfau von Rüppur entstammte einer Familie, welche ihren Sitz ursprünglich im Karlsruher Raum hatte, zu Beginn des 15. Jahrhunderts aber über eine Heirat in die Ganerbschaft Staufenberg eintreten konnte und sich in der Folge in der Ortenau etablierte.

37 Arnold Pfau von Rüppur nun war im Jahr 1525 Straßburger Vogt in Fürsteneck. Interessant wird ein Brief an Straßburg, denn er wohl eher gegen Ende seines Wirkens verfasst hatte.39 In diesem sehr schön geschriebenen und mit Ornamenten verzierten Dokument bittet er die Stadt, sich auch seines namentlich nicht genannten Sohnes anzunehmen. Begründet wird diese Bitte einerseits mit den stets guten und treuen Diensten des Arnold Pfau von Rüppur, andererseits mit der Erwartung, dass auch sein Sohn diese Dienste für Straßburg leisten wird. Der niederadelige Vogt von Fürsteneck erscheint in diesem Schreiben als ein Bittsteller, der auf der verzweifelten Suche nach einem Auskommen und Sicherheit für seinen Sohn ist, recht wenig scheint von dem Stolz und der Achtung eines Niederadeligen zum Vorschein zu kommen. Die Ausgestaltung des Briefes und auch die Wortwahl des Arnold Pfau von Rüppur erscheinen nach Richtlinien der wissenschaftlichen Aktenkunde zumindest als standesmindernd, denn der niederadelige Vogt stellte sich hier auf die gleiche Ebene wie die Stadt, welche eigentlich einen geringeren Stand besaß.40 Zwar könnte dies auch mit dem bestehenden Dienstverhältnis erklärt werden, doch zeigt ein anderes Schreiben, welches Arnold Pfau von Rüppur in alltäglichen Geschäften an die Stadt geschickt hatte, deutliche Unterschiede in Schrift und Gestaltung auf.41

38 Natürlich dürfen die Umstände der Entstehungszeit nicht außer Acht gelassen werden. Es war das Jahr 1525, der Bauernkrieg zog sich auch durch die Ortenau und die Wirren der Reformation bahnten sich ihren Weg. Unter diesen Bedingungen konnte ein Dienstverhältnis mit der mächtigen Stadt Straßburg sicherlich eine zumindest etwas beruhigende Zukunftsaussicht sein, das Überleben allein durch Landbesitz und Abgaben war in der damaligen Situation mehr als bedroht.

39 Dennoch ist dieses Vorgehen ein sehr bemerkenswerter Befund in den Quellen, denn die Forschung ist sich relativ einig, dass die Fürsten und Städte eher um die Dienste der Niederadeligen warben, als es andersherum hier der Fall war.42 Dass ein Adeliger in dieser Art und Weise der Stadt eine persönliche Bitte vorbrachte, unterstreicht einerseits die existentielle Bedrohung dieser Zeiten, andererseits aber auch den Stellenwert der aufstrebenden Städte, die gerade in der Zeit der Reformation einiges mehr an Bedeutung hinzugewannen. Die Reformationsstadt Straßburg stellt hierfür geradezu ein Paradebeispiel dar, wie es das Werben des Arnold Pfau von Rüppur beweist.

40 Im Ergebnis haben die beiden Beispiele sowie die übrigen Befunde aus den Quellen gezeigt, dass der Stadt Straßburg im 15. und auch 16. Jahrhundert eine im Vergleich zu den anderen Städten der Region übergeordnete Bedeutung speziell für den Ortenauer Niederadel zukam. Für diese Konstellation waren vor allem zwei Entwicklungen

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ausschlaggebend: Die zunehmenden existentiellen Bedrohungen für den Niederadel erforderten die Nutzung aller umliegenden Optionen, zu denen nun auch die Hinwendung und Öffnung gegenüber den Städten gehörte, zudem hatte sich die Stadt, besonders nach der Loslösung vom Bischof im 13. Jahrhundert, deutlich eigenständiger und selbstbewusster als andere Reichsstädte entwickelt und stellte somit einen weitaus stärkeren Anziehungspunkt als die vergleichsweise unbedeutenden Reichsstädte der Ortenau dar.

41 Daher war Straßburg im Übergang vom Spätmittelalter zur Frühen Neuzeit eine mit den Fürstenhöfen zwar nicht unbedingt gleichrangige, aber doch mehr und mehr gleichwertige Alternative geworden.

NOTES

1. Dieser Artikel stellt eine überarbeitete schriftliche Fassung eines Vortrags dar, welcher auf dem „2e Colloque d’histoire transfrontalière. De part et d’autre du Rhin : quelle histoire ? Geschichte links und rechts des Rheins“ am 26.10.2013 in Straßburg gehalten wurde. Er gründet auf einem Promotionsvorhaben des Verfassers, welches an der Universität Freiburg im Breisgau unter dem Titel „Gruppenbildung im Spannungsfeld von Territorialisierung und Reformation. Der Ortenauer Niederadel im 15. und 16. Jahrhundert.“ bearbeitet wird. 2. Vgl. zum Niederadel (in Auswahl): Schneider, Joachim, Spätmittelalterlicher deutscher Niederadel. Ein landschaftlicher Vergleich (Monographien zur Geschichte des Mittelalters 52), Stuttgart 2003; Andermann, Kurt/Johanek, Peter (Hrsg.), Zwischen Nicht-Adel und Adel (Vorträge und Forschungen 53), Stuttgart 2001; Spiess, Karl-Heinz, Ständische Abgrenzung und soziale Differenzierung zwischen Hochadel und Ritteradel im Spätmittelalter, in: Rheinische Vierteljahresblätter 56 (1992), S. 181-205; Press, Volker, Führungsgruppen in der deutschen Gesellschaft im Übergang zur Neuzeit um 1500, in: Hofmann, Hanns Hubert/Franz, Günther (Hrsg.), Deutsche Führungsschichten in der Neuzeit. Eine Zwischenbilanz (Büdinger Vorträge 1978/Deutsche Führungsschichten in der Neuzeit 12), Boppard am Rhein 1980, S. 29-77. Zur Genese des Niederadels weiterhin grundlegend: Zotz, Thomas, Die Formierung der Ministerialität, in: Weinfurter, Stefan (Hg.), Die Salier und das Reich, Band 3: Gesellschaftlicher und ideengeschichtlicher Wandel im Reich der Salier, Sigmaringen 1991, S. 3‑50; Fleckenstein, Josef, Die Entstehung des niederen Adels und das Rittertum, in: Ders. (Hg.), Herrschaft und Stand. Untersuchungen zur Sozialgeschichte im 13. Jahrhundert (Veröffentlichungen des Max-Planck- Instituts für Geschichte 51), Göttingen 1977, S. 17-39. 3. Vgl. zu der Frage nach einer Krise des Adels im Spätmittelalter bzw. einem Wandel: Carl, Horst/Lorenz, Sönke (Hrsg.), Gelungene Anpassung? Adelige Antworten auf gesellschaftliche Wandlungsvorgänge vom 14. bis zum 16. Jahrhundert. 2. Symposion „Adel, Ritter, Reichsherrschaft vom Hochmittelalter bis zum modernen Verfassungsstaat“ (24./25. Mai 2001, Schloss Weitenburg) (Schriften zur südwestdeutschen Landeskunde 53), Ostfildern 2005; Morsel, Joseph, Adel in Armut - Armut im Adel? Beobachtungen zur Situation des Adels im Spätmittelalter, in: Oexle, Otto Gerhard (Hg.), Armut im Mittelalter (Vorträge und Forschungen 58), Ostfildern 2004, S. 127-164; Rösener, Werner, Befand sich der Adel im Spätmittelalter in einer Krise? Zur Lage des südwestdeutschen Adels im 14. und 15. Jahrhunderts, in: Zeitschrift für Württembergische Landesgeschichte 61 (2002) S. 91‑110.

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4. Vgl. zu diesem Themenkomplex: Hammes, Barbara, Ritterlicher Fürst und Ritterschaft. Konkurrierende Vergegenwärtigung ritterlich-höfischer Tradition im Umkreis südwestdeutscher Fürstenhöfe 1350‑1450 (Veröffentlichungen der Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg, Reihe B: Forschungen 185), Stuttgart 2011. Gleichfalls den süddeutschen Raum, teilweise auch die Ortenau betreffend, allerdings auf die Höfe der Habsburger und der Markgrafen von Baden bezogen: Krimm, Konrad, Baden und Habsburg um die Mitte des 15. Jahrhunderts. Fürstlicher Dienst und Reichsgewalt im späten Mittelalter (Veröffentlichungen der Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg, Reihe B: Forschungen 89), Stuttgart, 1976. 5. Krieg, Heinz, Die Markgrafen von Baden und ihr Hof zwischen fürstlicher und niederadeliger Außenwelt im 15. Jahrhundert, in: Zotz, Thomas (Hg.), Fürstenhöfe und ihre Außenwelt. Aspekte gesellschaftlicher und kultureller Identität im deutschen Spätmittelalter (Identitäten und Alteritäten 16), Würzburg 2004, S. 51-84, hier S. 60. 6. Ein sehr gut erhaltenes Original dieser Einungsurkunde ist im Generallandesarchiv Karlsruhe einzusehen: GLA Karlsruhe, 69 von Türckheim-3, Nr. 217 (28.7.1474). 7. Literatur zu diesen Familien ist teilweise vorhanden, jedoch nicht in einem Ausmaß, welches der Bedeutung der Ortenauer Familien gerecht werden würde. Somit sollen hier anstatt Einzelnachweisen drei Aufsätze genannt werden, die zumindest teilweise auf Entwicklungen und Beteiligte im Ortenauer Niederadel eingehen sowie weitere Literatur anführen: Krieg (wie Anm. 5); Andermann, Kurt, Adel in der nördlichen Ortenau – Streiflichter auf ein vernachlässigtes Thema, in: Die Ortenau 82 (2002), S. 29‑44; Hillenbrand, Eugen, Die Ortenauer Ritterschaft auf dem Weg zur Reichsritterschaft, in: ZGO 137 (1989), S. 241-257. 8. Neben der mit den Lehen verbundenen Gefolgstreue im Kriegsfall wurden Ortenauer auch als Söldner des Bischofs geführt, so z.B. Matthäus von Schauenburg, der 1393 vom Straßburger Bischof Friedrich II. von Blankenheim 50 Goldgulden für seine Dienste im Krieg gegen die Stadt Straßburg erhalten hatte, s. Archiv der Freiherren von Schauenburg Oberkirch: Urkundenregesten 1188-1803, bearb. von Magda Fischer (Inventare der nichtstaatlichen Archive in Baden-Württemberg 33), Urkunde Nr. 117 (21.5.1393). Hinsichtlich den Ämtern war vor allem die Stelle des bischöflichen Vogtes in Ortenberg, also dem Sitz der Landvogtei Ortenau, eine auch bei den Ortenauern Adeligen begehrte Position. 9. Die Reichslandvogtei Ortenau war seit 1351 an den Bischof von Straßburg verpfändet. Zunächst betraf dies noch die ganze Landvogtei. 1405 wurde aber eine Hälfte vom damaligen König, dem Pfälzer Rupprecht, eingelöst und an seinen Sohn Ludwig übertragen, so dass in der Folge der Bischof von Straßburg und die Pfalzgrafen bei Rhein je eine Hälfte der Reichslandvogtei pfandweise besaßen. Nach dem bayerisch-pfälzischen Erbfolgekrieg 1504 ging die pfälzische Hälfte an die Grafen von Fürstenberg über. Vgl. zum Phänomen der Ortenauer Reichslandvogtei: Krebs, Manfred, Der ungeteilte Pfandbesitz der Landvogtei Ortenau, in: Die Ortenau 24 (1937), S. 82-88. 10. Mit der Entwicklung der Stadt Straßburg im Mittelalter haben sich in jüngster Zeit auch aus dem deutschen Sprachraum diverse Geschichtswissenschaftler auseinandergesetzt, hier in Auswahl: Mossman, Stephen (Hg.), Schreiben und Lesen in der Stadt. Literaturbetrieb im spätmittelalterlichen Straßburg (Kulturtopographie des alemannischen Raums 4), Berlin, 2012; Heusinger, Sabine von, Die Zunft im Mittelalter. Zur Verflechtung von Politik, Wirtschaft und Gesellschaft in Straßburg (Vierteljahresschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, Beihefte 206), Stuttgart, 2009; Egawa, Yuko, Stadtherrschaft und Gemeinde in Straßburg vom Beginn des 13. Jahrhunderts bis zum Schwarzen Tod (1349) (Trierer historische Forschungen 62), Trier 2007. Grundlegend bleibt weiterhin aber auch die Arbeit von Martin Allioth, Gruppen an der Macht (Basler Beiträge zur Geschichtswissenschaft 156), 2 Bd., Basel, 1988. 11. Die Anzahl der Quellen in den beiden Straßburger Archiven spricht eigentlich für sich, denn hier findet sich eine Fülle an Urkunden und Akten, die Beziehungen zu den Ortenauer Adeligen

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dokumentieren. Neben dem Generallandesarchiv in Karlsruhe hat sich somit zumindest das Stadtarchiv Straßburg als unerlässlich für eine Untersuchung des Ortenauer Niederadels gezeigt. 12. Geschäfte der Familie von Windeck mit Straßburger Bürgern sind bereits für das Ende des 13. Jahrhunderts belegt. Im 14. Jahrhundert intensivierten sich diese Verbindungen noch einmal. Die einzelnen Regesten hierzu sind gesammelt in: Regesten der Herren von Windeck bei Bühl 1148/49 - 1500. Sammlung aus dem Nachlass von Karl Reinfried, bearb. von Suso Gartner, Bühl, 2011. 13. Archiv der Freiherren Roeder von Diersburg. Urkundenregesten 1310 - 1812, bearb. von Martin Burkhardt und Konrad Krimm (Inventare der nichtstaatlichen Archive in Baden- Württemberg 35), Stuttgart, 2007, Urkunde Nr. 91 (1.3.1485). 14. Regesten des Mortenauer Adels. 1: Die Neuenstein, 2: Die Schauenburg, bearb. von Philipp Ruppert, in: ZGO 38 (1885), S. 130-156, hier S. 146. 15. Diese Zahl ergibt sich aus einer vorläufigen Zusammenstellung des Verfassers, welche er im Rahmen seiner Untersuchung erstellt hat. Diese Zahl wird wohl aber nicht endgültig sein, wenngleich sich wohl nicht mehr viele Änderungen ergeben werden, weder hinsichtlich der Gesamtzahl noch des prozentualen Anteils der Straßburger Heiraten. 16. Einige Namen aus dem Le livre de bourgeoisie de la ville de Strasbourg, 1440 - 1530, bearbeitet von Charles Wittmer, 3 Bände, Straßburg 1948-1961, mit dem Jahr der Nennung in Klammern: Dietrich Hummel von Staufenberg (1512), Adam von Neuenstein (1474), Hans von Neuenstein (1529), Diebold Pfau von Rüppur (1490), Egenolf Röder von Diersburg (1507, 1520), Jörg von Schauenburg (1472), Jacob von Schauenburg (1525), Wolff Stoll von Staufenberg (1524), Peter von Windeck (1500). 17. So beispielsweise Veronika von Haslach, die Witwe des Fritzo von Schauenburg, s. Wittmer (wie Anm. 16), Band II, S. 290. 18. Magdalena Röder von Diersburg war Äbtissin von Sankt Stephan und wird als solche zum Jahr 1519 auch im Bürgerbuch der Stadt geführt, s. Wittmer (wie Anm. 16), Band II, S. 649; Anna Röder von Diersburg wird im Bürgerbuch zum Jahr 1526 als Pröpstin von Sankt Marx erwähnt, s. Wittmer (wie Anm. 16), Band II, S. 756. 19. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie III, 20,6. 20. Beispielsweise ein namentlich nicht genauer benannter von Windeck, der 1474 in den Heereszug Straßburgs aufgenommen worden war, s. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie IV, 68, 108. 21. Gerhard Wunder nennt in seiner Arbeit einen Obrecht von Neuenstein (1442), sowie einen Hans von Neuenstein (1481), s. Wunder, Gerhard, Das Straßburger Landgebiet. Territorialgeschichte der einzelnen Teile des städtischen Herrschaftsbereiches vom 13. bis zum 18. Jahrhundert (Studien zur Verfassungsgeschichte 5), Berlin 1967, S. 47; Ruppert (wie Anm. 14), S. 146, listet in seinen Regesten zur Familie von Neuenstein aber auch einen Streit aus dem Jahr 1475 zwischen Obrecht von Neuenstein, dem alten Vogt von Fürsteneck und Gebhart Rohart von Neuenstein, dem neuen Vogt, auf, womit also im 15. Jahrhundert schon mindestens vier Mitglieder der Familie von Neuenstein Vögte von Fürsteneck waren. 22. Wunder (wie Anm. 21), S. 129. 23. Hatt, Jacques, Liste des membres du Grand Sénat de Strasbourg, des Stettmeistres, des Ammeistres, des Conseils des 21, 13 et des 15 du 13e siècle à 1789, Straßburg, 1963. 24. Röder von Diersburg, Felix Freiherr, Geschichtliche Notizen über kirchliche Verhältnisse zu Diersburg seit 1471, in: Freiburger Diözesanarchiv 14 (1881), S. 225‑236, hier S. 228. 25. Davon zeugt auch ein Vertrag aus dem 14. Jahrhundert über die Öffnung von Burg Altwindeck. Der Markgraf von Baden und die Familie von Windeck bestimmten den Straßburger Stettmeister als eine der Vermittlungsinstanzen im Streitfall, s. Regesten der Markgrafen von Baden und Hachberg 1050-1515, Band 1, bearbeitet von Richard Fester, Innsbruck 1900, Nr. 1036.

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26. Einige Beispielefür Konflikte innerhalb des Ortenauer Adels: Wegen der Verletzung des Burgfriedens wurde im Jahr 1461 ein Streit innerhalb der Familie von Schauenburg vor den Rat der Stadt getragen, s. Archives de laVille et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie IV, 15, 70; weiterhin diente die Stadt als eine mögliche Schlichtungsinstanz in einem weiteren Streit innerhalb der Familie von Schauenburg, s. Fischer (wie Anm. 8), Urkunde Nr. 332 (10.5.1471); eine Vermittlung durch Straßburg zwischen Ortenauer Adeligen war auch im Falle des Streits der beiden von Neuenstein durchgeführt worden, s. oben Anm. 19; im Jahr 1475 erklärt Melchior von Schauenburg dem Rat der Stadt, dass seine Verwandten Rudolph und Wendelin von Schauenburg seinem Diener Hans Wiglin Gewalt angetan hatten, s. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie IV, 21,14; Beispiele von Streitigkeiten Ortenauer Adeliger mit anderen Adeligen: In den Jahren 1471-1481 findet ein Streit zwischen Graf Bernhard von Eberstein und Syfrid, Kaspar und Rudolf Pfau von Rüppur wegen Burg Bosenstein seine Vermittlung durch den Rat der Stadt, s. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie IV, 21, 89; 1478 treten Ulrich und Melchior von Schauenburg wegen einem Lehensstreit mit Gerhard von Hochfelden vor den Rat, s. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie IV, 21,111; Im Jahr 1499 hatten sich Claus und Hans von Schauenburg bereit erklärt, ihre Differenzen mit Albrecht Wolf von Renchen durch den Straßburger Rat schlichten zu lassen, s. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie IV, 29, 25. 27. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie AA 228. 28. Fischer (wie Anm. 8), Urkunde Nr. 341 (22.6.1472). 29. GLA Karlsruhe, 31/4 (7.7.1542). 30. Reichlich Korrespondenz der Stadt Straßburg bezüglich diesen beiden Konflikten findet sich im Stadtarchiv Straßburg. Zum Konflikt mit den Windeckern u.a.: Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie III, 22, 2 + 6; zum Krieg mit den Schauenburgern: Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie III, 280. 31. Regesten der Markgrafen von Baden und Hachberg 1050-1515, Band 1, bearbeitet von Richard Fester, Innsbruck 1900, Nr. 4107. 32. Krieg, Heinz, König Sigismund, die Markgrafen von Baden und die Kurpfalz, in: Hruza, Karel/ Kaar, Alexandra (Hrsg.), Kaiser Sigismund (1368-1437). Zur Herrschaftspraxis eines europäischen Monarchen, Wien u.a. 2012, S. 175-196, hier S. 190‑191. 33. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie AA 97: Wegen dem Markgrafen sagten ab: Hans Erhard, Friedrich und Wersich Bock von Staufenberg, Peter und Hans Reinbold von Windeck, Bernhard von Schauenburg, Syfrid Pfau von Rüppur d. Ältere, Hans von Rüppur, Dietrich d. Jüngere, Friedrich d. Jüngere, Wilhelm und Georg Röder; wegen dem Bischof: Heinrich Schultheiß von Oberkirch, Peter Wiedergrün von Staufenberg, Diebolt von Schauenburg, Syfrid Pfau von Rüppur d. Jüngere; wegen dem Grafen von Lichtenberg: Hans Wersich Bock von Staufenberg, Heinrich von Rüppur. 34. Wunder (wie Anm. 21) listet den Burkhard Hummel nicht als Vogt in Ettenheim auf. Für das 15. Jahrhundert kann er aber ohnehin nur einen einzigen Vogt namentlich identifizieren. Da aber Burkhard Hummel ausdrücklich von seinen Geschäften in Ettenheim schreibt und darin auch die Besuche anderer Adeliger bei ihm in Ettenheim erwähnt, kann man m.E. sagen, dass er zu dieser Zeit als Vogt in Ettenheim fungierte. Denn als eigentlichen Hauptsitz hatte er zugleich auch noch ein Viertel der Burg Diersburg in Besitz, welches er erst 1438 an den Markgrafen Jakob von Baden verkaufte. 35. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie AA 1471. 36. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie AA 94. 37. Krieg (wie Anm. 32), S. 188-196.

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38. Regesten der Markgrafen von Baden und Hachberg 1050-1515, Band 3, bearbeitet von Heinrich Witte, Innsbruck 1907, Nr. 5273. 39. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie III, 84,2. 40. Dieses Schreiben des Arnold Pfau von Rüppur an die Stadt Straßburg hat in einigen Merkmalen die Charakteristik einer Supplik, also einer Bittschrift, welches eine standestechnische Unterordnung des Niederadeligen bedeutet hätte. So ist das Schreiben beispielsweise undatiert und enthält im letzten Absatz auch eine typische Dienstversicherung. Die Unterschrift in der rechten unteren Ecke könnte ebenso als Devotion verstanden werden. Allerdings erscheint speziell die Anrede nicht typisch für eine Supplik, da sie weder abgesetzt noch ausführlicher als in vergleichbaren Schreiben ausgefallen war. Deshalb handelt es sich hier eher um eine Art Mittelweg, den Arnold Pfau von Rüppur gegangen war, denn einerseits hatte er die Intention von der Stadt etwas zu erhalten, andererseits wollte er sich aber dann doch nicht vollkommen unter den Rang der Stadt stellen. Vgl. zu diesen Richtlinien der Aktenkunde: Kloosterhuis, Jürgen, Amtliche Aktenkunde der Neuzeit. Ein hilfswissenschaftliches Kompendium, in: Archiv für Diplomatik 45 (1999), S. 465-563. 41. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Serie III, 84,2. 42. Zuletzt Hammes (wie Anm. 4), S. 164.

RÉSUMÉS

Die Stadt Straßburg hatte im Spätmittelalter durch die Loslösung vom Bischof eine starke bürgerliche Gemeinschaft und innerstädtische Struktur entwickelt. Dies verhalf ihr zu einem Entwicklungsvorsprung in zahlreichen Bereichen und die Stadt wurde zu einem Anziehungspunkt vielerlei Gruppen und Interessenten. Hierzu zählte auch der benachbarte Ortenauer Niederadel, welcher gerade im 15. und 16. Jahrhundert die Beziehungen nach Straßburg intensivierte. Dies lag aber auch an der Situation des Niederadels, welcher durch die Territorialisierungsbestrebungen der umliegenden Fürstenhäuser und dem allgemeinen Wandel in der spätmittelalterlichen Gesellschaft mehr und mehr in seiner Existenz bedroht war und deshalb alle Optionen für das eigene Überleben erkennen und nutzen musste. Zu diesen Optionen gehörte im Übergang von Spätmittelalter zu Früher Neuzeit auch die Hinwendung zu den aufstrebenden Städten, welche u.a. in den Bereichen Recht, Wirtschaft sowie Ämtern und Diensten zunehmend eine Alternative zu den Fürstenhöfen darstellten.

En s’émancipant de l’évêque à la fin du Moyen Âge, la ville de Strasbourg a permis l’émergence d’une communauté civile forte et d’une structure urbaine développée. Elle a ainsi pu acquérir une certaine avance dans de nombreux domaines et est devenue un centre d’attraction pour des groupes aux intérêts variés. Parmi ceux-ci se trouvait la petite noblesse de l’Ortenau voisin qui intensifie ses relations avec Strasbourg aux XVe et XVIe siècles. Ce phénomène s’explique par des raisons propres à cette dernière, laquelle voyait son existence de plus en plus menacée par les ambitions territoriales des maisons princières environnantes et par l’évolution générale à la fin de la société médiévale. La petite noblesse de l’Ortenau a donc dû rechercher et utiliser toutes les options pour assurer sa survie. La période de transition entre le Moyen Âge et la Renaissance leur a permis de se tourner vers les villes émergentes, qui représentaient notamment dans les domaines du droit et de l’économie, ainsi qu’en termes

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d’offres de fonctions administratives et autres emplois de service, une alternative croissante face aux cours princières.

By their detachment from the bishop the city of Strasbourg had developed a powerful community of citizens and urban structures during the Late Middle Ages. Because of this the city had advantages in terms of development in several realms and thus attracted people from various interest groups, which also applied to the Ortenau gentry. They intensified their relations to the city of Strasbourg during the 15th and 16th century as their independent status was threatened more and more because the noble men in the area intended to enlarge their territorial sovereignty. That is why the gentry was forced to make use of any possible option in order to survive. One of these definitely was turning towards the cities, which at the dawn of the Early Modern Age were increasing their influence and power. They offered a good alternative to the noble courts to cooperate with, especially in the fields of law, economy and administrative service.

AUTEUR

MICHAEL BÜHLER Doctorant en histoire, Universität Freiburg i. Breisgau

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Le « Schwörbrief » de 1482 : L’origine et les conséquences de l’exclusion du Grand conseil pour les baigneurs de Strasbourg The ‘Schwörbrief’ of 1482: Exclusion from the Great Council - Reasons and consequences for the Strasbourg Bathhouse-Guild Der Schwörbrief von 1482: Ursachen und Folgen des Ausschlusses aus dem Großen Rat für die Straßburger Bader

Kristin Zech

1 À Strasbourg à une date indéterminée entre 1470 et 14821, l’institution la plus importante de la ville – le grand conseil (Großer Rat) – se réunit pour un débat (Ratschlagen) ayant pour but de réduire le nombre des membres du conseil. À cette époque, il était composé de douze Constofler2, 24 maîtres des corporations de métier et de l’Ammeister, le véritable chef du gouvernement municipal.

2 Durant la période de 1462 à 1470 le conseil avait déjà connu une réduction de sièges (de quatre maîtres des corporations3 et deux Constofler) et cette nouvelle réunion avait pour but de discuter d’une nouvelle diminution du nombre des corporations représentées. En ce qui concerne la corporation politique regroupant baigneurs (Bader) et barbiers (Scherer), le compte-rendu de la réunion indique : « à propos des barbiers et des baigneurs, il fut dit que dans d’autres villes ils ne forment pas des métiers à part et qu’ils sont rarement envoyés dans les conseils. Aussi proposèrent‑ils qu’on les répartisse dans les autres métiers et qu’il n’y ait pas plus de quatre d’entre eux dans chaque métier. »4 Alors que les baigneurs passaient dans beaucoup de villes et villages au Saint-Empire romain germanique pour infâmes (unehrlich)5, à Strasbourg ils jouissaient du plein droit de citoyenneté. Cela leur permettait non seulement de porter des armes mais aussi de former une corporation et d’envoyer un représentant au conseil de la ville qui dirigeait les destinées de Strasbourg. Depuis 1332 – l’année dans laquelle les corporations des métiers ont eu pour la première fois le droit de participer au conseil6 – les baigneurs ou les barbiers

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envoyaient à tour de rôle un conseiller urbain (Ratsherr)7. Ils formaient donc une unique corporation politique.

3 Suite au Ratschlagen le conseil établit en 1482 un nouveau « Schwörbrief »8 : Quatre corporations furent exclues du conseil9 – dont celle des baigneurs et des barbiers. Malgré 150 années d’affiliation au conseil, la corporation politique des baigneurs et barbiers fut supprimée – ce qui signifiait la fin de leur autonomie politique10. Au regard des réflexions du conseil pendant le Ratschlagen, on constate que l’argumentation est basée sur la position sociale très basse des baigneurs et barbiers dans d’autres villes. Bien que leur statut à Strasbourg fût reconnu comme « honorable » (ehrlich), leur réputation était apparemment tout de même mauvaise.

4 Deux questions primordiales se trouvent à l’origine de cette étude. D’abord celle de savoir comment il a été possible que les baigneurs et les barbiers aient été exclus du conseil après y avoir été représentés pendant 150 ans. Dans quelle mesure leur renommée sociale a-t-elle réellement joué dans cette décision de 1482 ? Existait-il d’autres raisons – économiques ou politiques ? Ensuite la question des conséquences de la disparition de la corporation pour les baigneurs à Strasbourg. Ont-ils pu conserver une identité propre comparable à celle d’une corporation (Zunft) ? Le conseil a-t-il mis en place la proposition du Ratschlagen, de diviser les membres de la corporation de baigneurs et barbiers pour les répartir par groupes de quatre dans d’autres corporations ? Jusqu’à présent il manque une étude globale et approfondie des réductions de sièges au conseil et de la suppression de huit corporations qui se produisit parallèlement à cela à Strasbourg entre 1462 et 1482. Le métier des baigneurs à Strasbourg n’a pas non plus fait l’objet d’un travail de fond, si l’on excepte l’article de Charles Wittmer de 1961 qui se concentre avant tout sur les aspects professionnels du métier de baigneurs à Strasbourg et non pas sur les fonctions politiques, militaires, religieuses ou économiques de la corporation11. Pour répondre aux questions principales formulées plus haut, cette étude suit le schéma de Sabine von Heusinger qui divise une corporation médiévale en quatre domaines12. Il a donc fallu étudier la corporation des baigneurs comme association de métier, comme unité militaire, comme corporation politique ainsi que leurs tâches religieuses et d’assistance sociale illustrées par leur confrérie.

La corporation des baigneurs comme association de métier

5 Malheureusement l’association de métier13 n’est pas simple à analyser. Le métier de baigneurs et le personnel auxiliaire existaient certainement avant 1332. Il est fort probable qu’ils aient formé une communauté artisanale avant que leur statut politique ne soit reconnu14. Le fait que les barbiers et les baigneurs étaient regroupés en une corporation politique et une unité militaire à partir de 1332 ne veut pas automatiquement dire que leurs associations de métiers, leurs poêles, leurs confréries ou leurs règlements furent remaniés aussi. Les baigneurs et les barbiers restaient indépendants les uns des autres. C’est pour cela que le droit d’entrée dans le métier et dans le poêle devait être directement demandé et acheté auprès de l’association de métier.

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6 De tous les règlements intérieurs, il ne nous est parvenu qu’un seul qui date de 143015. Il est standardisé car les règlements des corporations strasbourgeoises devaient être lus et acceptés par le conseil de la ville. Il régule l’élection de la direction de l’association, lors de laquelle le nouveau maître de corporation était désigné. On lui associait l’ancien maître de corporation et quatre échevins pour composer le tribunal de la corporation. Il était surtout responsable de la bonne conduite des membres de la corporation lors des réunions à leur poêle. Des peines étaient prévues en cas de disputes, de bagarres ou pour les personnes ayant fait trop de bruit. De plus les échevins avaient comme tâche de gérer les finances de la corporation des baigneurs car ils gardaient les clés de la caisse. La cotisation des membres qu’il fallait payer de façon hebdomadaire, était collectée par un trésorier (Büchsenmeister). Alors que les maîtres payaient 1 Pfennig par semaine, les compagnons et le personnel auxiliaire ne cotisaient que 1 Helbling16. Cette cotisation collectée servait à la corporation comme financement pour ses multiples activités. De plus, l’entrée de chaque nouveau membre, par l’achat du droit de la corporation, bénéficiait à la trésorerie des baigneurs. Pour devenir membre de plein droit il fallait payer en 1430 2 livres (= 480 Pfennige)17. Habituellement c’étaient les maîtres qui avaient ce statut, ainsi que les compagnons qui étaient capables de diriger un bain, même sans en posséder un : ils pouvaient alors acheter le plein droit pour un prix réduit de 1 livre (= 240 Pfennige). En 1470 cela concernait trois compagnons18. De plus même pour une femme il était possible d’acheter le plein droit comme on peut voir dans le règlement de 1430, qui précise : « homme comme femme »19. D’ailleurs, lors du recensement de 1444 on comptait non seulement 17 membres de plein droit masculins mais aussi trois femmes. Nous connaissons le nom d’une d’entre elles : Ursel, la baigneuse au Clantzhof20. Elle est un des nombreux exemples montrant que les droits et devoirs de la femme dans les secteurs du commerce et de l’artisanat pouvaient être identiques à ceux des hommes. En outre, il était nécessaire pour acheter le plein droit de la corporation de jouir du droit de bourgeoisie et de disposer d’une cuirasse en cas de guerre. Les membres qui avaient des droits limités ne payaient que 15 Schilling (= 180 Pfennige). En 1470 cela concernait sept compagnons baigneurs qui ne demandaient que le Stubenrecht, donc le droit de poêle. L’association du métier était complétée par le personnel auxiliaire : les Hüterinnen21 et les Reiberinnen22 qui formaient avec 43 personnes en 1470 une grande partie du personnel dans les bains publics à Strasbourg. Comme les maîtres et les compagnons englobaient 45 personnes en 147023, on peut constater une grande participation de femmes dans cette branche professionnelle, ce qui est typique, selon Edith Ennen24, des couches sociales inférieures. De fait les activités dans les bains étaient simples d’accès et la rémunération du personnel était bien faible.

7 On peut distinguer quatre domaines importants pour étudier les raisons économiques et sociales de la perte de leur siège au conseil : la concurrence avec les barbiers, la réputation du métier, le niveau des salaires du métier et la régression des bains publics à la fin du Moyen Âge.

La situation de concurrence avec les barbiers

8 Barbiers et baigneurs de Strasbourg étaient en conflit malgré leur regroupement politique et militaire en une seule et même Zunft. L’objet de ce conflit portait toujours sur les limites des compétences de chaque métier. Cette concurrence est bien illustrée par des jugements de 1435, 1470 et 151325. À chaque fois, les mêmes reproches sont

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formulés : les baigneurs employaient apparemment des compagnons barbiers pour que la coupe et le bain soient accessibles simultanément pour les clients. Cela diminuait les revenus des barbiers. Mais à l’inverse les barbiers intervenaient au détriment des baigneurs en proposant en plus de la coupe des cheveux et de la barbe le Twagen – le lavage des cheveux avec une base lavante 26 – service qui était réservé aux baigneurs. Puisque ces métiers se fondaient sur la prestation de services rendus à un nombre de clients donné, il était quasiment impossible de s’y enrichir. En effet, le seul moyen d’augmenter le chiffre d’affaire était de diversifier les services au client, au mépris des règles d’exclusivité réservant chaque activité à un métier.

9 La défaveur des baigneurs est frappante dans tous les jugements du tribunal de la ville. Pendant que l’embauche de compagnons de barbiers était interdite aux baigneurs, les barbiers gardaient le droit de baigner et de saigner les malades. Ainsi ils pouvaient proposer le Twagen sans faire de publicité. Cela conduisit au déclin du métier des baigneurs, perdant de plus en plus de clients. Les dossiers en témoignent en 1513, lorsque les baigneurs attirent l’attention du tribunal sur leur situation économique précaire. Ils en rendent les barbiers responsables, ceux-ci pratiquant de plus en plus de saignées sur les habitants de Strasbourg avec l’ascension fulgurante des bains à domicile27. En général, on constate à Strasbourg une augmentation du nombre de barbiers tandis que celui des baigneurs baissait. Cette situation de concurrence entre baigneurs et barbiers ne favorisait évidemment pas une coopération efficace des deux métiers dans la même corporation politique. Des querelles comparables entre deux métiers ont joué un rôle capital pour d’autres corporations comme celle des drapiers (Tucher) et celle des tisserands (Weber) ainsi que pour celle des charpentiers (Zimmerleute) et celle des charrons (Wagner) quand il s’agissait de la perte de leur siège au conseil28.

La réputation des baigneurs à Strasbourg

10 Un deuxième aspect de l’association du métier qui joua un rôle dans l’exclusion du conseil en 1482 était la réputation des baigneurs à Strasbourg, même si elle n’en constitue pas l’unique raison, comme le Ratschlagen entre 1470 et 1482 mentionné pourrait nous le faire croire. Leur infamie, attestée pour de nombreuses villes et régions du Saint‑Empire29 se faisait remarquer de façon implicite aussi à Strasbourg. Malgré le fait qu’ils aient eu accès au conseil de la ville, leur port d’armes, leur droit de citoyenneté et leur corporation – multiples indices de leur statut officiel d’« honorables »30 – des indices montrent au contraire que leur métier était entaché d’une mauvaise réputation, à Strasbourg comme ailleurs. En effet, les bains étaient souvent considérés comme se rapprochant dangereusement de la prostitution, et l’assimilation entre bain et bordel apparait souvent31. À Strasbourg, dans chaque règlement de la confrérie des baigneurs, on trouve l’injonction d’exclure du métier toute femme de réputation douteuse : « Item on ne doit accepter comme masseuse ou gardienne aucune femme qui soit une prostituée publique ou ait vécu de façon déshonorante ou ait gagné son pain par le péché »32. Cela montre bien qu’à Strasbourg les bains publics pouvaient constituer un refuge pour des prostituées ainsi que pour des femmes qui s’étaient livrées à la prostitution par le passé. De plus à Strasbourg rien n’atteste qu’un baigneur et encore moins le personnel auxiliaire aient suivi une formation. C’est pourquoi l’accès au métier était simple même pour les personnes jugées de morale douteuse. Ainsi on lit dans un règlement du gardien de la tour de la cathédrale (Wächter

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auf dem Münsterturm) du XVe siècle qu’il lui est interdit de pratiquer le métier de baigneur33. Apparemment un tel métier n’était pas compatible avec un office urbain. Les baigneurs sont aussi évoqués d’une façon négative chez le prédicateur de Strasbourg Johannes Geiler de Kaysersberg qui disait que les baigneurs, les barbiers et les médecins sont au niveau de l’adultère des malfaiteurs de la pire espèce34. Il ne serait pas étonnant que cette idée circulât déjà dans la ville de Strasbourg avant que Geiler de Kaysersberg ne s’en fît l’écho dans ses sermons.

11 Selon d’autres villes et régions, on connait le reproche aux bains publics, assimilés à un lieu de débordements sexuels et d’immoralité. À Strasbourg on ne connait une telle réputation qu’à partir du début du XVIe siècle : une ordonnance du conseil de la ville décide que les bains doivent être séparés selon le sexe. En effet, avant les hommes et les femmes se baignaient ensemble dans les bains publics mais vraisemblablement de plus en plus de problèmes apparurent, à moins que des situations qui existaient avant mais ne dérangeaient personne ne fussent petit à petit considérées comme inacceptables : « [Jusqu’à présent] […] hommes et femmes se sont baignés les uns avec les autres, mais à des endroits distincts dans les bains ; cependant, l’exiguïté de la place réservée à chaque partie a fait que hommes et femmes ne peuvent se faire saigner, se baigner et nettoyer comme il faut / De plus il en résulte de nombreux scandales causés par des hommes comme des femmes / surtout par des inconnus et des valets de métier […]. [C’est pourquoi] il arrive souvent que des femmes et des filles honnêtes doivent quitter le bain ou même évitent d’y aller »35. Lorsqu’on s’intéresse de près à cette source il s’agit donc d’abord de protéger l’intimité des femmes utilisant les bains publics. Désormais il existait cinq bains pour les hommes et trois pour les femmes. Les hommes qui travaillaient dans un bain pour femmes étaient tenus de s’habiller convenablement : « avoir des sous-vêtements en lin qui les couvrent derrière comme devant » 36. Par la dégradation de la réputation du métier de baigneur du XIVe au XVIe siècle, on peut expliquer en partie l’exclusion des baigneurs du conseil urbain, mais cela ne peut être l’unique raison.

Le niveau des salaires du métier

12 À cause de l’absence de listes d’impôts concernant le Strasbourg médiéval une indication précise du niveau des salaires du métier de baigneur n’est pas possible. Cependant, une évaluation approximative est permise en se servant de listes venant d’Erfurt37 ainsi que des listes de chevaux de la ville de Strasbourg. À Erfurt au début du XVIe siècle, 50 % des baigneurs ne possédaient aucun bien. Tous les autres n’avaient que très peu de patrimoine. Seuls les métiers de crieur de vin, de gardien de tour et de producteur de glace se retrouvaient encore en dessous de la situation des baigneurs. Même les journaliers et les mendiants avaient un meilleur statut38. À Strasbourg, les baigneurs ne faisaient pas non plus partie des couches sociales prospères. Ainsi en examinant les liste de chevaux de la ville que les corporations devaient tenir à disposition de la ville en cas de guerre, on constate qu’en 1392, les barbiers et baigneurs fournissaient un cheval (0,4 % du contingent total), jusqu’en 1444 aucun cheval, en 1444 un demi cheval (mis à disposition par un barbier ; 0,2 % du contingent) et en 1448, deux chevaux (1,1 %)39. Cela montre bien l’insignifiance de la corporation des baigneurs et barbiers pour la ville sur le plan militaire, mais reflète également bien la situation financière des deux métiers, surtout de celui des baigneurs. De plus les bains publics à Strasbourg n’étaient pas la propriété des baigneurs eux-mêmes, mais des Constofler ou

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des établissements ecclésiastiques qui donnaient les bains à bail aux baigneurs40. Même l’inventaire (lits, oreillers, draps, tonneaux, seaux etc.) devait être emprunté contre intérêts41.

13 Une ville au Moyen Âge était définie par la richesse. L’importance du patrimoine était un des critères décisifs pour la valeur d’une personnalité dans la ville. Par conséquent, patrimoine et richesse étaient les clés du pouvoir politique42. Surtout pour les conseillers urbains, une situation financière solide était indispensable pour deux raisons : D’un côté cela garantissait l’indépendance de leurs décisions politiques car ils étaient moins faciles à corrompre. De l’autre côté la richesse leur permettait d’avoir du temps pour leurs tâches politiques43. En effet, la présence continue au conseil était difficile à assumer pour des artisans dépendant des revenus de leur travail44 comme les baigneurs. Quand en 1456 les mandats au conseil passèrent d’un à deux ans45 il est fort probable que cela augmenta la difficulté à trouver un baigneur assez riche pour être envoyé au conseil46.

La régression des bains publics à la fin du Moyen Âge

14 Le dernier aspect lié à l’activité professionnelle qui donne une explication de l’exclusion des baigneurs du conseil est celui de la régression des bains publics. La baisse du nombre de bains publics n’est pas un phénomène unique à Strasbourg – elle se retrouve à la même époque en beaucoup de lieux47. Une des explications est l’essor des voyages en cure dans des stations thermales, l’installation de bains à domicile mais aussi le manque d’hygiène dans les bains48 et le manque de bois49 – nécessaire pour le chauffage des bains et dont le renchérissement fut la cause d’une hausse des prix pour les clients. Susanna Stolz rend même un changement de la pudeur de l’homme à la fin du XVe siècle responsable de la régression des bains publics50. En tout cas la régression des bains publics à Strasbourg51 conduisit à une baisse du nombre des membres de l’association de métier et par ricochet du contingent militaire, du poêle et de la corporation politique. Ce fait aggrava le manque de candidats pour la fonction du conseiller urbain. La diminution des membres était accompagnée d’une dégradation de la situation financière des baigneurs. Cette réalité dut les affecter beaucoup plus que leur statut politique52. Leur poêle dans l’Oberstraße – lieu d’identité et repère social central des baigneurs53 – était perclus de dettes. Selon un document de 1470, l’année où le conseil inspecta la situation financière de plusieurs corporations54, le poêle payait une livre (= 240 Pfennige) d’intérêts à la paroisse de Saint-Pierre-le-Vieux pour la maison zu der Geisz. Il s’ajoutait à cela des paiements pour le bois de la cheminée du poêle et le cierge à la cathédrale en honneur de la Vierge55. Cette situation s’aggrava avec la perte de membres. La solution du conseil urbain était simple : entre 1470 et au plus tard 1482 il ferma le poêle des baigneurs et affecta les baigneurs au poêle des barbiers56. À partir de ce moment les baigneurs n’envoyèrent plus de conseiller urbain issu de leurs rangs mais furent remplacés par les barbiers jusqu’en 1482, qui marque la fin de leur corporation politique.

Les baigneurs comme unité militaire

15 Les corporations à Strasbourg étaient chargées du service militaire, du service de guet (Hut) contre les incendies, les troubles et les catastrophes naturelles ainsi que de la

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garde de nuit (Scharwacht)57. Pour assurer ses fonctions chaque membre de corporation possédait une cuirasse et se tenait prêt en cas d’alerte. Le maître de l’association de métier et du poêle était responsable du contrôle régulier de l’équipement58. Quand l’alerte était donnée, les baigneurs se réunissaient sous leur bannière – le signe de leur identité vers l’extérieur. Mais comme cela a déjà été mentionné plus haut, conformément à leur corporation politique les baigneurs formaient un contingent commun avec les barbiers au final. Par exemple, ils gardaient la même section de l’enceinte de la ville pendant un siège59. En ce qui concerne la suppression de la corporation des baigneurs et barbiers en 1482, on constate que les services militaires étaient perçus comme une charge trop lourde par les membres des corporations à partir de la deuxième moitié du XVe siècle60. De plus on assiste alors à une professionnalisation du domaine de la guerre et à une hausse du nombre des mercenaires au service de la ville61. La baisse des membres chez les baigneurs a joué aussi pour l’exercice de leurs tâches militaires. Il était de moins en moins rentable pour la ville d’envoyer les baigneurs et les barbiers comme unité propre. De plus ni les baigneurs ni les barbiers n’étaient en mesure de se payer des armes à feu portatives qui devenaient de plus en plus importantes. En 1475 encore, ils partaient en guerre avec des hallebardes, bien que dans d’autres corporations les armes à feu portatives fussent déjà d’un usage fréquent62. Au-delà, l’unité militaire est un indice du bas rang de la corporation : en 1444 elle est mentionnée au 22e rang sur 23, en 1449 au 17e rang sur 2263. La hiérarchie reflète alors la faiblesse militaire de la corporation et donne en même temps un indice de son importance générale.

La corporation politique

16 Les corporations politiques apparurent à Strasbourg en 1332 – la première année de leur participation au conseil urbain. On n’a pas d’écho quant à l’organisation de la corporation politique des barbiers et baigneurs, tel que le processus de l’élection du conseiller urbain ou l’organisation de leur unité militaire. Le conseiller urbain qui était envoyé par la corporation politique devait disposer d’un budget de temps suffisant lui permettant de participer régulièrement aux réunions du conseil. En moyenne trois réunions avaient lieu par semaine, sans compter les tribunaux. Les conseillers recevaient au début du XVe siècle 2 livres (= 480 Pfennige), plus tard 3 livres (= 720 Pfennige) et à la fin du XVe siècle 5 livres (= 1 200 Pfennige) Toutes ces sommes restaient selon Sabine von Heusinger des indemnisations symboliques64 qui ne pouvaient pas compenser la perte de revenu d’un baigneur. De plus depuis 1433 le conseil demande à ses conseillers non pas juste le droit de citoyenneté et un âge minimum de 30 ans, mais le passage du statut de compagnon au maître depuis au minimum dix ans et il interdit l’élection d’un conseiller né hors mariage65. Dans le règlement intérieur des baigneurs de 1430, on lit que l’achat du droit de corporation était possible aussi pour les personnes nées hors mariage66. Ce cas a donc certainement dû se produire et il a probablement aggravé la difficulté des baigneurs à trouver un candidat qualifié pour le conseil de la ville.

17 Les listes des conseillers urbains sont quasiment complètes pour toute la période d’existence de la corporation politique, donc de 1332 à 1482. On constate que certains membres siégèrent plusieurs fois dans le conseil urbain, ce qui implique qu’ils avaient les moyens financiers d’assumer cette position. À partir de 1350 une alternance entre

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les poêles et les métiers fut mise en place, avec l’élection un an d’un barbier, le suivant d’un baigneur. Cet ordre se rompt brusquement en 1470. À partir de cette année on ne voit que des barbiers élus comme conseillers urbains pour la corporation politique des baigneurs et barbiers. Le lien avec la perte du poêle des baigneurs dans les années 1470 est évident. Une alternance n’était plus possible puisque les baigneurs avaient perdu leur poêle et qu’ils avaient été accueillis dans celui des barbiers ; seul le conseiller des barbiers représentait les deux métiers. Le manque de temps et d’argent a probablement assez fréquemment empêché les baigneurs et les barbiers de participer aux réunions du conseil – cela représentait un problème majeur pour la stabilité de la politique urbaine. De plus en cas d’absence du conseiller, la corporation devait s’acquitter d’une amende67 – une charge de plus pour la corporation, déjà en difficulté financière. L’intérêt de l’artisanat n’était en général pas très prononcé, afin de garder leur statut de corporation politique. Ce statut leur demandait beaucoup mais était de moins en moins rentable, car au cours du XVe siècle la répartition du pouvoir avait changé en faveur de la coalition d’affaires (kommerzielle Koalition)68. On assiste alors à une nette professionnalisation de la politique urbaine, que certaines corporations, comme les huit qui durent quitter le conseil entre 1462 et 1482, ne pouvaient pas suivre.

La piété des baigneurs

18 La piété des baigneurs se manifestait dans la ville de deux façons, leur participation aux processions et par le biais de leur confrérie. Lors des processions, les corporations montraient leur piété, mais aussi bien la fierté de leur identité propre. Ils marchaient avec leurs bannières et leurs cierges. Les baigneurs n’entretenaient pas seulement un cierge à la cathédrale mais possédaient aussi des cierges pour les processions69. Le principe était : plus le cierge était grand, plus le prestige rejaillissait sur la corporation70. À l’instar de la hiérarchie militaire, les processions suivaient un ordre strict71. Celui-ci reflète assez précisément l’ordre social et politique idéal d’une ville et montre donc bien avant 1482 quelle réputation une corporation avait dans le cadre social de la ville72. Plus une corporation marchait devant (loin du Saint-Sacrement), moins elle était réputée. Les baigneurs se trouvaient en 1449 avec leur bannière et leur cierge au premier tiers du cortège et entre les sept autres corporations qui furent supprimées entre 1462 et 148273. La confrérie des baigneurs qui fut fondée au grand hôpital (Großes Spital)74 se présente comme une communauté qui intégrait les maîtres et leurs femmes, les compagnons, les masseuses de bains et les gardiennes. Ses tâches étaient religieuses – comme la commémoration des morts et les funérailles – ainsi que d’assistance sociale des membres en cas de maladie ou d’accouchement75. Comme une fondation avant 1487 est peu probable76, la confrérie ne fournit pas d’informations supplémentaires qui pourraient servir à une explication de la perte du siège de la corporation des baigneurs et des barbiers au conseil.

19 L’analyse d’une corporation selon le schéma de Sabine von Heusinger aide à étudier les baigneurs à Strasbourg sous tous les aspects. Il apparaît clairement que ce sont d’abord des raisons propres au métier des baigneurs qui influèrent le plus sur la décision du conseil de 1482 et non pas juste la raison mentionnée dans le Ratschlagen, c’est-à-dire leur mauvaise réputation. Bien sûr, il importe dans toutes ces réflexions de ne pas ignorer la volonté du conseil de réduire le nombre de ses membres pour une meilleure efficacité77.

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Conséquences de l’année 1482 pour les baigneurs

20 La deuxième question ayant un intérêt est celle des conséquences de l’année 1482 pour les baigneurs à Strasbourg. Le Ratschlagen entre 1470 et 1482 proposa la suppression pure et simple de barbiers et baigneurs et leur dispersion par groupes de quatre dans diverses corporations. Contre la conviction de la majorité des chercheurs qui croit que le Ratschlagen entre 1470 et 1482 fut appliqué de façon exacte, on peut prouver que les barbiers furent transférés en bloc dans la corporation des marchands de grains (Kornkäufer / Zur Luzern) et les baigneurs en bloc dans celle des forgerons (Schmiede)78.

21 La perte du siège au conseil n’a probablement pas eu un grand effet sur les baigneurs. Il n’est même pas impossible que la perte de la participation politique ait été accueillie avec un certain soulagement. En revanche, la perte des marques d’identité pour les baigneurs – poêle, bannière, sceau, cierge –, qu’ils possédaient seulement parce qu’ils formaient une corporation politique, a dû être déterminante. Cependant on peut déjà parler d’une perte d’identité à partir du moment de la suppression du poêle des baigneurs – moment à partir duquel toute indépendance79 de la corporation était terminée, déjà quelques années avant la perte de la participation politique et de la fin de la corporation commune avec les barbiers. Ils durent entrer dans le poêle des barbiers – en abandonnant leur poêle, leur sceau, leur bannière ou leur autonomie de décision au tribunal interne. L’année 1482 signifiait donc juste un pas supplémentaire – ils entrèrent dans la corporation des forgerons où ils formaient une association de métier, mais sans les privilèges qu’ils avaient avant. Il fallait néanmoins acheter le droit de corporation chez les forgerons, le contingent des baigneurs disparaît dans celui des forgerons et les baigneurs participaient aux processions sous la bannière des forgerons. Il faut sans doute constater pour les baigneurs ce que Martin Alioth avait déjà formulé pour les charpentiers (Zimmerleute) qui virent la fin de leur corporation politique également en 1482 : « Leur disparition politique les affecta moins que la perte, décrétée par les autorités, des signes publics de leur identité »80.

La confrérie des baigneurs comme substitut ?

22 Tout ce que l’on sait à propos de la confrérie des baigneurs se trouve dans ses règlements. On a pu retrouver aux archives cinq règlements de la confrérie des baigneurs encore inconnus : deux de 1487, un de 1514, un de 1537 et un sans date qui représente la demande de fondation de la confrérie auprès du conseil de la ville et doit logiquement dater de 1487 ou d’avant 148781.

23 Ma thèse est que la confrérie des baigneurs servit de substitut de la corporation autonome perdue. Ludwig Remling postulait dans son étude sur les confréries franconiennes que les métiers n’ayant pas le droit de se réunir en corporation s’organisaient en confrérie pour compenser ce manque82. Remling voit comme éléments constitutifs d’une telle confrérie la cotisation régulière des membres et une caisse, ainsi que des réunions, un comité directeur élu par les membres de la confrérie et un règlement intérieur. Tous ces éléments sont présents aussi dans le cas de la confrérie des baigneurs à Strasbourg. Ma thèse est par ailleurs corroborée par les arguments suivants : il était obligatoire pour chaque baigneur ou le personnel auxiliaire qui arrivait à Strasbourg de devenir membre de la confrérie ; les tâches religieuses comme

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le grand cierge à la cathédrale ou l’organisation des enterrements dont, auparavant, le poêle de l’association de métier se chargeait, étaient désormais assumées par la confrérie ; de plus dans les règlements de la confrérie se retrouvent des éléments concernant des aspect professionnels, par exemple les modalités du recrutement du personnel auxiliaire.

24 Le règlement de 1537 est intéressant : à une époque où Strasbourg était déjà de confession protestante, les baigneurs demandaient au conseil le changement de leur statut selon les règles de la nouvelle confession. Cela est assez étonnant, si l’on se souvient que Martin Luther critiquait les confréries médiévales83 et que la memoria (mémoire des morts), une des principales tâches d’une confrérie, était désapprouvée par les protestants. En principe, la memoria liturgique disparut après la Réforme84. Les baigneurs demandaient au conseil ce changement à cause du désarroi qui touchait la confrérie au point de causer l’émigration de quelques baigneurs de la ville de Strasbourg. Si des problèmes au sein de la confrérie affectaient tellement la cohérence des baigneurs et leur activité professionnelle, cela signifie que la confrérie devait jouer un rôle de grande importance – probablement même qu’elle servait de substitut à la corporation et donc compensait leur autonomie perdue avec le Schwörbrief de 1482.

NOTES

1. Le document (Ratschlagen) n’indique pas de date, mais il doit dater selon son contenu entre 1470 et 1482. EHEBERG (Karl Theodor), Verfassungs-, Verwaltungs- und Wirtschaftsgeschichte der Stadt Straßburg bis 1681, t. I : Urkunden und Akten, Strassburg, 1899, no207, p. 441. 2. Constofler est la désignation contemporaine du patriciat à Strasbourg. 3. Notamment la corporation des charpentiers de bateaux (Schiffszimmerleute) et les coltineurs de tonneaux (Fasszieher) en 1462 ainsi que en 1470 la corporation qui regroupait jaugeurs et crieurs de vin (Weinmesser / Weinrufer) et celle qui regroupait meuniers (Müller), huiliers (Ölleute) et tondeurs de drap (Tuchscherer). 4. Eheberg, no207, p. 442 : « sodann scherer und bader, do wurtt gerett, das sie in andern stetten deheyn sunder antwerck sient und selten in die rete gesetzet werdent; so beduhte sie, das dieselben under ander antwerck geteilt wurdent, und das ir doch nit me dann ye vier an eym antwerck werent, oder wie dann das geordnet wurde ». 5. Dans la société médiévale, être infâme signifiait une exclusion partielle de la vie sociale et politique. Ainsi les personnes honorables évitaient le contact avec certains groupes comme les fossoyeurs, les gens du voyage, les bourreaux ou les prostituées (cf. KROESCHELL (Karl), Art. « Unehrlichkeit, unehrliche Leute », LexMa VIII, München, 1997, c. 1216). Leur infamie leur interdisait surtout toute fonction judiciaire – même le témoignage. Le métier du baigneur – comme quelques autres métiers (p. ex. celui de tanneur) – avait mauvaise réputation dans certaines régions et villes en Europe (cf. BAUM (H.-P.), Art. « Bader », LexMa I. München, 1980, c. 1339-1340). Cela a à voir avec l’activité elle-même. Les baigneurs faisaient partie du personnel médical du Moyen Âge. En plus de leur tâche de chauffer les bains, laver les cheveux et masser leurs clients, ils faisaient des saignées, posaient des ventouses et parfois même traitaient des maladies de la peau ou arrachaient des dents (cf. KULUSSA (Birgit), TUCHEN (Birgit),

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« Von Chirurgen, Badern und Apothekern ‑ Handwerkliche Aspekte in medizinischen Berufen », dans Archäologie und mittelalterliches Handwerk - Eine Standortbestimmung, dir. Walter Melzer, Soest, 2008 (Soester Beiträge zur Archäologie, 9), p. 294). Ce contact avec le corps humain – vu comme porteur du péché – est aussi bien identifié comme raison pour l’infamie du métier que l’image des bains publics d’être des lieux d’immoralité sexuelle (cf. LE GOFF (Jacques), « Les Marginaux dans l’Occident médiéval », dans Les marginaux et les exclus dans l’histoire, Paris, 1979 (Cahiers Jussieus no 5. Université Paris 7) p. 23 ; DANCKERT (Werner), Unehrliche Leute. Die verfehmten Berufe, Bern, 1963, p. 66‑80). Comme preuve de l’infamie du métier de baigneur, Robert Jütte indique l’interdiction de porter des armes, l’exclusion des baigneurs de certaines confréries ou corporations et l’interdiction d’entrer au conseil municipal (cf. JÜTTE (Robert), « Bader, Barbiere und Hebammen. Heilkundige als Randgruppen? », dans Randgruppen der spätmittelalterlichen Gesellschaft, dir. Bernd-Ulrich Hergemöller, , ²1994, p. 91-93). Ces effets sont connus à Erfurt où en 1351 le port d’armes fut interdit aux baigneurs. Ainsi en 1252 la confrérie de la sainte croix de Riga refus l’accès aux baigneurs et au XVe siècle à Prague l’accès au conseil municipal leur était impossible (cf. MARTIN (Alfred), Deutsches Badewesen in vergangenen Tagen, Jena, 1906, p. 93). Cependant, dans certaines villes les baigneurs profitaient d’un statut « honorable » comme à Strasbourg, à Francfort, à Wurtzbourg, Lüneburg, Bâle, Zurich ou Hambourg (cf. WAGNER (Gertrud), Das Gewerbe der Bader und Barbiere im deutschen Mittelalter, Freiburg i. Br., 1917, p. 15; MARTIN (Alfred), p. 94). 6. Le Schwörbrief de 1334 qui manifeste les nouveaux droits des corporations est édité dans : Urkunden und Akten der Stadt Strassburg. I. Abteilung: Urkundenbuch der Stadt Straßburg t. V, 2, éd. Hans Witte et al., Strasbourg, 1896, no32. Une présentation des « chartes de serment » se trouve dans : RICHARD (Olivier), TOCK (Benoît-Michel), « Des chartes ornées urbaines : Les Schwörbriefe de Strasbourg (XIVe-XVe siècles) », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes 169 (2011), p. 109-128 ; Pour mieux comprendre l’évolution politique à Strasbourg aux XIVe et XV e siècle, cf. DOLLINGER (Philippe), « L’évolution politique des corporations strasbourgeoises à la fin du Moyen Âge », dans Artisans et ouvriers d’Alsace, dir. Hans Haug, Strasbourg, 1965, p. 127-136. 7. Les maîtres de la corporation des baigneurs et barbiers envoyés au conseil de 1332 à 1482 sont répertoriés presque complètement. Cf. HATT (Jacques), Liste des membres du grand sénat de Strasbourg, des Stettmeister, des Ammeister, des Conseils des XXI, XIII et XV ; du XIIIe siècle à 1789, Strasbourg, 1963. Selon ces listes on peut constater que depuis 1348/49 jusqu’en 1468/69 barbiers et baigneurs envoyaient un représentant à tour de rôle. 8. Le Schwörbrief de 1482 est édité dans : Die Chroniken der deutschen Städte: t. 9: Strassburg, éd. Carl Hegel, Leipzig, 1870, p. 946-950. 9. Pour préciser : Les tisserands ( Weber), les charpentiers (Zimmerleute) et la corporation regroupant regrattiers (Gremper), cordiers (Seiler) et fruitiers (Obser). 10. Cette « autonomie » était bien sûr limitée par l’influence du conseil de la ville sur les corporations de métier en général, surtout à partir du XVe siècle (les étapes de la prise d’influence sont décrites chez VON HEUSINGER (Sabine), Die Zunft im Mittelalter. Zur Verflechtung von Politik, Wirtschaft und Gesellschaft in Straßburg, Stuttgart, 2009 (VSWG-Beihefte, 206), p. 57-59 et ALIOTH (Martin), Gruppen an der Macht. Zünfte und Patriziat in Strassburg im 14. und 15. Jahrhundert. Untersuchungen zu Verfassung, Wirtschaftsgefüge und Sozialstruktur, Basel, 1988 (Baseler Beiträge zur Geschichtswissenschaft, 156), p. 404‑416). 11. WITTMER (Charles), « Bains et baigneurs à Strasbourg », CAAAH V (1961), p. 91-115. 12. VON HEUSINGER, Zunft. Cf. son résumé en français dans Revue d’Alsace no 133 (2007) p. 473‑483. 13. Les sources contemporaines distinguent bien entre la corporation politique qu’ils appellent Zunft et l’association de métier nommé Handwerk. Cf. VON HEUSINGER (Sabine), « Von antwerk bis zunft. Methodische Überlegungen zu den Zünften im Mittelalter », Zeitschrift für historische Forschung (ZHF) 37 (2010), p. 37-71 ; SCHULZ (Kurt), « Die politische Zunft. Eine die

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spätmittelalterliche Stadt prägende Institution? », dans Verwaltung und Politik in Städten Mitteleuropas. Beiträge zur Verfassungsnorm und Verfassungswirklichkeit in altständischer Zeit, dir. Wilfried Ehbrecht, Köln, 1994 (Städteforschung, Reihe A, Darstellungen, 34), p. 1‑20. 14. Le premier bain public connu est celui de Johann Kalp. Il est mentionné dans un document de 1225 qui certifie l’accord entre Hesso von Molsheim et Johannes Kalp à propos de la construction d’un canal entre leurs deux maisons (cf. HESSEL (Alfred), Elsässische Urkunden, vornehmlich des 13. Jahrhunderts, Straßburg 1915, p. 9 s). Au XIIe siècle c’étaient les tonneliers qui chauffaient les bains de l’évêque (cf. Urkundenbuch I, no 616, p. 475, § 113), donc à cette époque-là on ne peut pas encore supposer l’existence de bains publics et de l’activité de baigneur dans la ville de Strasbourg. 15. AMS MR 20, fol. 34-37 (document daté de 1430 d’après les noms de l’Ammeister et des Altammeister mentionnés, contrairement à la datation de 1400 de Martha Goldberg, Das Armen- und Krankenwesen des mittelalterlichen Strassburg, Strassburg, 1909, p. 100). 16. AMS III, 11, 4, fol. 3r (document daté de 1470 selon Alioth, p. 587). Helbling = ½ Pfennig. 17. Depuis 1437 un règlement du conseil décrétait que l’achat du plein droit d’une corporation devait coûter 1 livre et 5 Schilling (= 300 Pfennige) (cf. VON HEUSINGER, Zunft, p. 58 s). Les baigneurs demandaient donc sept ans avant encore bien plus que cela. 18. AMS III, 11, 4, fol. 3v. 19. AMS MR 20, fol. 35r <>. 20. AMS AA 195 I, fol. 25v (daté de 1444) ; WITTMER (Charles), MEYER (Charles J.), Le livre de bourgeoisie de la ville de Strasbourg 1440-1530, t. I, Strasbourg, 1948, no3092, p. 348. 21. Elles s’occupaient de garder les vêtements des clients, plus les dortoirs où les clients se reposaient après leur bain. Elles surveillaient également le feu servant à chauffer le bain. 22. Elles avaient pour fonction de frotter et masser les clients pour que le bain soit bénéfique (cf. MARTIN (Alfred), p. 75). 23. AMS III, 11, 4, fol. 3v. 24. ENNEN (Edith), « Die Frau in der mittelalterlichen Stadt », dans Mensch und Umwelt im Mittelalter, dir. Bernd Hermann, Wiesbaden, 1996, p. 41. 25. AMS III, 11, 19b. Selon no1 de 1435 il y eu des jugements à propos de ce conflit déjà avant. 26. Twagen: AMS III 11,19b, no1, 1435. Le lavage des cheveux avec une base lavante avait surtout pour but la protection ou la lutte contre les poux et les lentes (cf. MARTIN (Alfred), p. 75). 27. AMS III, 11, 19b, no3, 1513. « dar durch sie innen den badern auch merklichn schaden väre/ zü vor […] in kurtzen joren der hußbadestuben so vil erkennen das die offene badtstuben vast abgangen und […] arbeit kum bliben möhte. » 28. Voir ALIOTH, Gruppen, p. 370-372. Des querelles à cause d’une situation de concurrence entre drapiers et tisserands d’un côté et entre charpentiers et charrons de l’autre côté se produisent tout au long du XIVe et XVe siècle. Ces métiers étaient proches à propos de leurs tâches artisanales, comme pour les baigneurs et barbiers. Contrairement à eux, avant 1482 ils n’étaient pas regroupés dans la même corporation politique. Lors de la dernière réduction des sièges au conseil par contre, on supprima la corporation des charpentiers et celle des tisserands pour justement les regrouper avec leurs concurrents. Ces nouvelles corporations à partir de 1482 se distinguent bien de la corporation de baigneurs et barbiers – car les charpentiers et les tisserands s’intégraient totalement dans celle de leurs concurrents et n’étaient plus indépendants (pas d’achat de droit de corporation chez les charpentiers et les tisserands, pas de bannière, pas de sceaux ni de poêle). 29. Voir note 5. 30. Du côté du conseil les baigneurs ont toujours été considérés comme honorables : „die erban lüte bader antwercks“ (p. ex. AMS MR 20, fol. 34-37).

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31. Le débat à propos de cette assimilation n’est pas terminé. Alors que Peter Schuster doute fort de la « légende » selon laquelle des femmes travaillaient en tant que prostituées dans les bains publics, Alexander Reverchon et Guido Schneider ont montré pour la ville de Metz que les bains publics pouvaient être des lieux de prostitution, mais ne l’étaient pas automatiquement. Ils insistent sur le fait que dans toutes les grandes villes du nord de l’Europe il y a eu un rapprochement des bains et de la prostitution (cf. REVERCHON (Alexander), SCHNEIDER (Guido), « Die Metzer Rotlichtbezirke. Zur Geschichte der Prostitution im späten Mittelalter (13.- 15. Jahrhundert) » dans Liber Amicorum necnon et amicarum für Alfred Heit. Beiträge zur mittelalterlichen Geschichte und geschichtlichen Landeskunde, dir. Friedhlem Burgard et al., Trier, 1996, p. 203-231 ; SCHUSTER (Peter), Das Frauenhaus: Städtische Bordelle in Deutschland 1350-1600, , 1992, p. 129 s). 32. Par exemple : AMS III, 12, 21 (daté de 1514). « Item es soll auch kein rüberin und kein manhüterin oder frowenhüterin in die brůderschafft nit empfangen werden die ein offne dirn ist/oder in ein gemeinig leben gangen ist/und mit sündigen ir libs narung gewunnen hett […] ». 33. AMS MR 19, fol. 15 et AMS MR 13, fol. 294. 34. VOLTMER (Rita), Wie der Wächter auf dem Turm. Ein Prediger und seine Stadt. Johannes Geiler von Kaysersberg (1445-1510) und Straßburg, Trier, 2005 (Beiträge zur Landes- und Kulturgeschichte, 4), p. 292. 35. AMS MR 24, fol. 73r : « […] das man und frawgen by einander gebadett handt, doch woll underscheideliche ortt in den battstuben gehapt, aber doch der gestallt schmallen platz zu beiden theillen, das man und frawgen sich nit woll iedes siner notdurfft nach zum schrepffen baden und zum suffern/ auch ful ergernis von manen und frawgen erwassen/ besunders von fremden und handwerks knechte […] das dan fromen frawgen und dechter […] das bad offt rumen und myden myssen. ». 36. AMS MR 24, fol. 73v : « sollen myt leinen undercleider bedeckt sin hinden und fornen. ». 37. Des recherches exactes à propos des revenus et du patrimoine des baigneurs nous sont parvenues que d’Erfurt. GUTSCHE (Willibald), Geschichte der Bader und Barbiere in Erfurt. Teil I: Das Mittelalter, Erfurt, 1975 (Beiträge zur Geschichte der Stadt Erfurt, 4). 38. GUTSCHE, p. 118. Les barbiers par contre étaient en majorité à l’aise. 39. Sous forme de tableau chez : ALIOTH, Gruppen, p. 301 s. 40. Des exemples chez : WITTMER, p. 105-115 ou AMS K4, fol. 159r. 41. Urkundenbuch, VII, no 1582, p. 460. 42. Voir MASCHKE (Erich), « Die Unterschichten der mittelalterlichen Städte Deutschlands », dans Städte und Menschen. Beiträge zur Geschichte der Stadt, der Wirtschaft und Gesellschaft: 1959-1977, Wiesbaden, 1980 (VSGW 68), p. 310. 43. Ibid., p. 311. 44. Voir ALIOTH, (Martin) « Les groupes socio-économiques de Strasbourg à la poursuite de leurs intérêts (1332-1482) », Revue d’Alsace, no114 (1998), p. 237-250, surtout p. 238. 45. Eheberg, no56 et no196. 46. Cette raison est mentionnée dans le Ratschlagen où on discutait de la réduction des membres du conseil : « das es den antwerklüten swere sii den rat zu besitzen und besunder zwey iore darinnen zu sin. » (Eheberg, no207). 47. Voir SCHAUB (Richard), Das Badewesen im Mittelalter, Frankfurt a.M., 1949, p. 16 ; MARTIN (Alfred), p. 172 s. 48. L’eau des bains venait souvent du fleuve ou du cours d’eau de la ville qui servaient comme cloaques (Schaub, p. 26) et l’usage des instruments chirurgicaux pour les saignées transmettaient des maladies rapidement. En particulier l’apparition de la syphilis en 1495 rendit la réputation des bains mauvaise (SCHAUB, p 26 ; VOLTMER (Rita), « Praesidium et pater pauperum, pustulatorum praecipus salus. Johann Geiler von Kaysersberg und die Syphilis in Straßburg (1496-1509) », dans

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Liber Amicorum necnon et amicarum für Alfred Heit. Beiträge zur mittelalterlichen Geschichte und geschichtlichen Landeskunde, dir. Friedhlem Burgard et al., Trier, 1996, p. 413-444). 49. Le manque de bois devint visible à Strasbourg au XV e siècle : cf. BRUCKER (Jean-Charles), Strassburger Zunft- und Polizeiverordnungen des 14. und 15. Jahrhunderts, Strassburg, 1889, p. 146-148. 50. STOLZ (Susanna), Die Handwerke des Körpers: Bader, Barbiere, Perückenmacher, Friseur; Folge und Ausdruck historischen Körperverständnisses, Marburg, 1992, p. 15. Éventuellement cela a joué un rôle à Strasbourg comme on peut le voir avec la séparation des sexes dans les bains publics au début du XVIe siècle. 51. Comptait-on au XIVe siècle encore jusqu’à 23 bains publics (WITTMER, p. 105-115 ; IGERSHEIM (François), MULLER (Claude), Art. « Bain », Dictionnaire historique des institutions de l’Alsace du moyen âge à 1815. Lettre B no 2, p. 141-145), il n’y avait en 1444 probablement que 17 (selon le nombre de maîtres baigneurs au premier recensement voir DOLLINGER (Philippe), « Le premier recensement et le chiffre de population de Strasbourg en 1444 », Revue d’Alsace n o 94 (1955), p. 112-124), pendant que en 1470 ils restaient encore 14 bains (cf. AMS III, 11, 4, fol. 3). Lors de la séparation des sexes aux bains publics au début du XVIe siècle on parlait de huit bains au total (AMS MR 24, fol. 73r). En 1787 trois baigneurs exerçaient encore leur métier (AMS Almanachs XI 414 forgerons 1787, p. 8). Pour localiser les bains publics à Strasbourg, voir CRAMER (Johannes), « Zur Frage der Gewerbegassen in der Stadt am Ausgang des Mittelalters », Die alte Stadt. Zeitschrift für Stadtgeschichte, Stadtsoziologie und Denkmalpflege 11 (1984), p. 88. 52. Voir ALIOTH, Gruppen, p. 338. 53. À propos de l’importance des poêles pour des groupes sociaux dans la ville médiévale cf. SIMON-MUSCHEID (Katharina), « Zunft-Trinkstuben und Bruderschaften: « soziale Orte » und Beziehungsnetzte im spätmittelalterlichen Basel », dans Geschlechtergesellschaften, Zunft- Trinkstuben und Bruderschaften in spätmittelalterlichen und frühneuzeitlichen Städten, dir. Gerhard Fouquet, Ostfildern, 2003, p. 147‑162. 54. Voir ALIOTH, Gruppen, p. 338 s. 55. AMS III, 11, 4 fol. 4r. 56. AMS 1 MR 28, fol. 237. La date exacte de la fusion des deux poêles n’est pas connue, mais Martin Alioth trouve des attestations de l’existence du poêle des baigneurs jusqu’en 1470. La perte du poêle dès 1470/1471 est donc fort probable (ALIOTH, Gruppen, p. 586). La localisation du poêle des barbiers dans l’actuelle Oberstrasse 113 était faite par ALIOTH, Gruppen, p. 332. En 1479 le poêle des barbiers payait aussi 3 livres (= 720 Pfennige) d’intérêts par ans (AMS 1AH 10687) – il y avait des problèmes de financement du poêle dans de nombreuses corporations (cf. ALIOTH, Gruppen, p. 338s ; VON HEUSINGER, Zunft, p. 137 s). 57. Pour un regard approfondi sur les services de Hut et Schwarwacht voir VON HEUSINGER, Zunft, p. 160-163. À propos des luttes contre les incendies en Alsace cf. BARTH (Médard), Grossbrände und Feuerlöschwesen des Elsass vom 13.-20. Jahrhundert mit Blick in den europäischen Raum, Barr, 1974 (Société d’Histoire et d’Archéologie de Dambach-la-ville, Barr, Obernai. Annuaire Hors-Série). 58. Dans le cas des baigneurs : AMS MR 20, fol. 35 v. Un aperçu à propos de l’armement des corporations strasbourgeoises au XIVe siècle : MARTIN (Paul), « Wehr-, Waffen- und Harnischpflicht der Straßburger Zünfte im 14. Jahrhundert », Waffen- und Kostümkunde 1975, p. 102-108. 59. Urkundenbuch, VI, no506, p. 264. 60. Voir VON HEUSINGER, Zunft, p. 164. 61. Voir Ibid, p. 111. 62. AMS V 67, 3, fol. 48 (daté de 1475) ; VON HEUSINGER, Zunft, p. 109. 63. ALITOH, Gruppen, p. 329. 64. Voir VON HEUSINGER, Zunft, p. 145.

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65. Eheberg, no24, p. 89 s : « man sol nieman in den rote kiesen noch setzen oder zu rotherren machen, der uneeliche ist ». 66. AMS 1MR 20 fol. 36r. 67. Voir VON HEUSINGER, Zunft, p. 145. 68. Voir ALIOTH, « Les groupes socio-économiques », p. 237 s. Selon Alioth cette « coalition des affaires » se composait des piliers de l’économie urbaine apparentant à des groupes sociaux divers (Constofler et corporations de métiers des affaires). 69. AMS III, 11, 4, fol. 4r. 70. Cela est bien connu pour les boulangers de Colmar : cf. VON HEUSINGER (Sabine), « „Cruzgang“ und „umblauf“ – Symbolische Kommunikation im Stadtraum am Beispiel von Prozessionen », dans Kommunikation in mittelalterlichen Städten, dir. Jörg Oberste, Regensburg, 2007, p. 141 s. 71. Pour un aperçu des processions exceptionnelles à Strasbourg voir PFLEGER (Luzian), « Die Stadt- und Rats-Gottesdienste im Strassburger Münster », AelsKG 12 (1937), p. 1-56. Parmi les processions annuelles célébrées à Strasbourg au XIVe et XVe siècle, on peut citer la procession de la Fête-Dieu et celle de Saint Luc (18 octobre). 72. Voir RUBIN (Miri), « Symbolwert und Bedeutung von Fronleichnamsprozessionen », dans Laienfrömmigkeit im späten Mittelalter. Formen, Funktionen, politisch-soziale Zusammenhänge, dir. Klaus Schreiner, München, 1992, p. 309-318. En particulier pour Strasbourg : VON HEUSINGER, « „Cruzgang“ und „umblauf“ », p. 141-155 ou encore plus général pour le Rhin supérieur : DEBUS KEHR (Monique), Travailler, prier, se révolter. Les compagnons de métier dans la société urbaine et leur relation au pouvoir. Rhin supérieur au XVe siècle, Strasbourg, 2007 (Publications de la société savante d’Alsace : Collection « Recherches et Documents », t. 77), p. 213 s. 73. AMS AA 1498, fol. 28 et AMS 66 fol. 219r-229v. Il s’agit de l’ordre du cortège de la Fête-Dieu. Cette hiérarchie illustre donc déjà 33 ans avant la fin des réductions des sièges des corporations au conseil le rang social et politique des corporations concernées. L’ordre de la Fête-Dieu de 1449 le montre donc même mieux que la hiérarchie au conseil, où les baigneurs et barbiers se trouvaient jusqu’en 1470 au 20e rang des 28 corporations et entre 1470 et 1482 au 16e rang des 24 corporations (cf. ALIOTH, Gruppen, p. 319). 74. Voir VOLTMER, Prediger, p. 583-597. Il existait un bain pour les malades au grand hôpital (cf. AMS 1 AH 66 Buch der Siechenbruderschaft am Spital 1436, fol. 36). 75. AMS III, 12,21. 76. Voir la partie « La confrérie des baigneurs comme substitut ? ». 77. ALIOTH, Gruppen, p. 412. 78. Les protocoles des baigneurs de 1657-1790 se trouvent dans les archives des forgerons (AMS XI 160 et AMS XI 162) ainsi qu’un règlement des barbiers de 1659 se trouve dans les archives de la corporation Zur Luzern (AMS XI 225 et AMS XI 216). À partir de 1482 on peut voir de plus dans les livres de bourgeoisie que les baigneurs demandaient le droit de corporation chez les forgerons, les barbiers chez les marchands de grain (Wittmer / Meyer, Livre de bourgeoisie II). 79. Voir note 10. 80. ALIOTH, Gruppen, p. 369. « Die politische Kaltstellung traf sie weniger, als der obrigkeitlich verordnete Verlust ihrer öffentlich erkennbaren Identität. » 81. AMS III, 12,21 (plusieurs règlements datés de 1487, 1514 et 1537). 82. REMLING (Ludwig), Bruderschaften in Franken. Kirchen- und sozialgeschichtliche Untersuchungen zum spätmittelalterlichen und frühneuzeitlichen Bruderschaftswesen, Würzburg, 1986 (Quellen und Forschungen zur Geschichte des Bistums und Hochstifts Würzburg 35), p. 313. 83. LUTHER (Martin), Werke. Kritische Gesamtausgabe (WA), t. 51 [Schriften], Weimar, 1914, p. 515. 84. Il faut cependant considérer que des formes de memoria ont subsisté même en terre protestante, dans la mesure où elle constituait un puissant instrument de distinction sociale. Voir

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RÜTHER (Stefanie), Prestige und Herrschaft. Zur Repräsentation der Lübecker Ratsherren in Mittelalter und früher Neuzeit, Köln, 2003.

RÉSUMÉS

Cet article s’intéresse à l’année 1482, date centrale de l’évolution institutionnelle strasbourgeoise. La nouvelle charte de serment, qui resta en vigueur jusqu’à la Révolution française, établissait alors que le nombre de membres du Grand Conseil serait réduit de deux sièges des corporations et deux des Constofler. La problématique de l’article porte moins sur l’évolution des institutions strasbourgeoises en tant que telle, mais plutôt sur la question des groupes qui perdirent leur siège. Quelles raisons expliquèrent alors la perte de ce levier essentiel de la participation politique, et comment le groupe se structura-t-il après son exclusion du Conseil, qui signifiait également la fin de son existence comme corporation autonome ? Cette étude prend comme exemple le métier des baigneurs, qui, avec les barbiers-chirurgiens, désignait un conseiller depuis 1332. Il apparaît que dans le cas des baigneurs, un faisceau de facteurs peut expliquer la perte du siège au Conseil, tels que le déclin de l’activité des bains, la diminution du nombre de membres du métier qui en résulta ou encore les dettes du poêle du métier. Par ailleurs, une spécificité du métier était que les bains employaient beaucoup de personnel non qualifié et que comme lieu de rencontre de personnes peu vêtues des deux sexes, ils étaient de moins en moins bien vus au seuil de l’époque moderne. En 1482, lorsque leur corporation fut dissoute, les baigneurs furent placés dans celle des forgerons où leur rôle fut insignifiant. Leur identité propre, qui s’exprimait en ville par la bannière, le sceau, le poêle de la corporation et par leur participation au service du guet avec un contingent propre, était alors définitivement perdue. Après 1482, le groupe se définit et se structura principalement par sa confrérie, qui subsista au moins jusqu’à 1537, alors que Strasbourg était déjà devenue protestante.

The presented study concentrates on the year 1482 as a key date of the Strasbourg constitutional development. The new “Schwörbrief”, which remained in effect until the French Revolution, stated that the Great Council in Strasbourg should be reduced henceforth by four guilds’ and two patricians’seats. The study’s aim was not so much the constitutional development in Strasbourg, but the problem of the social groups, who lost their council seats. What were the reasons for the loss of political participation and how did the group organize itself after the expulsion from the Council, which meant the termination of the guild’s sovereignty at the same time? As an example, the bathhouse guild was analyzed during the investigation, which – together with the barbers – had been providing a councilor since 1332. It became clear that in the case of this guild a whole combination of factors was responsible for the loss of the council seat: In particular the fall of the bathing industry, the associated decline of its craftsmen in general and the debts of the guilds’ taproom. Bathhouses often employed unskilled staff and as places of nudity they often were criticized at the end of the Middle-Ages. In 1482 – after the dissolution of the guild – the bathhouse keepers were merged with the guild of the forgers. Their identity - which was expressed in the city by the guild banner, the guild seal, the taproom and its own guard force - was irretrievably lost. Therefore after 1482, the group primarily defined and organized itself in the context of their confraternity which lasted until at least 1537, when Strasbourg was already Protestant.

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Die vorgestellte Untersuchung greift das Jahr 1482 als zentrales Datum der Straßburger Verfassungsentwicklung auf. Der neue Schwörbrief, der bis zur Französischen Revolution in Kraft blieb, legte fest, dass der Große Rat in Straßburg von nun ab um vier Zunft- und zwei Constoflersitze reduziert sein sollte. Von Relevanz für die Fragestellung war weniger die Verfassungsentwicklung in Straßburg als solche, sondern die Frage nach den betroffenen Gruppen, die ihren Ratssitz verloren. Welche Gründe gab es für den Verlust der politischen Partizipation und wie organisierte sich die Gruppe nach dem Ausschluss aus dem Rat, der gleichzeitig eine Auflösung der eigenständigen Zunft bedeutete. Exemplarisch wurde in der Untersuchung das Handwerk der Bader in den Blick genommen, das gemeinsam mit den Scherern seit 1332 einen Ratsherrn stellte. Es wurde deutlich, dass im Falle der Bader ein ganzes Faktorenbündel für den Verlust des Ratssitzes verantwortlich zeichnete, insbesondere sind der Niedergang des Badewesens, der damit einhergehende Rückgang an Gewerbetreibenden und die Verschuldung der Trinkstube zu nennen. Eine Eigenheit lag bei den Badern darüber hinaus darin, dass die Badestuben als Betätigungsfelder vielfach ungelernten Personals und als Orte des leichtbekleideten Aufeinandertreffens beider Geschlechter gerade gegen Ende des Mittelalters im Übergang zur frühen Neuzeit in die Kritik gerieten. 1482 - nach der Auflösung der Zunft - wurden die Bader den Schmieden zugeschlagen und gingen in deren Zunft auf. Die eigene Identität, die in der Stadt durch das Zunftbanner, das Zunftsiegel, die Trinkstube und die eigene Wachmannschaft ihren Ausdruck fand, war unwiederbringlich verloren. Die Gruppe definierte und organisierte sich nach 1482 daher vorrangig im Rahmen ihrer Bruderschaft, die bis mindestens 1537, als Straßburg schon protestantisch war, Bestand hatte.

AUTEUR

KRISTIN ZECH Collaboratrice scientifique à la Technische Universität de Darmstadt

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L’art d’être propriétaire sans l’être tout en l’étant Pratiques emphytéotiques dans la campagne alsacienne aux XVIIe et XVIIIe siècles How to be a landowner without really being one. The status of long lease in rural Alsace in the 17th and 18th centuries Die Kunst, Eigentümer zu sein, ohne es wirklich zu sein, und zwar dadurch, dass man es ist. Das Erbpacht im Alltag der elsässischen Bauern. Im XVII. und XVIII. Jh.

Jean-Michel Boehler

1 L’historien ne saurait se substituer au juriste dont il ne prétend partager ni l’expérience, ni les compétences. Néanmoins, à force de compulser les archives, aussi diverses qu’abondantes, il est amené à côtoyer le droit tel qu’il se pratique sur le terrain, parfois fort éloigné de celui qui s’édicte dans les cabinets des spécialistes. La présente étude repose sur le croisement et la confrontation de sources juridiques (traités et thèses de droit soutenues à l’Université de Strasbourg au XVIIIe siècle essentiellement), foncières (terriers et cadastres), notariales (marché de la terre et successions), judiciaires enfin (contestations et procès). Compte tenu d’habitudes qui se situent parfois en marge de toute réglementation juridique et en l’absence d’un Enregistrement officiel avant la Révolution, la documentation existante privilégie une étude par le bas, au niveau des pratiques, des réactions et des sensibilités du monde paysan lui-même. Cette analyse est tributaire de trois variables : un contexte spatial et juridico-foncier particulier ; un renversement de la conjoncture avec passage d’une période de guerres au XVIIe à une période de paix au XVIIIe siècle ; enfin un contexte social s’inscrivant dans un rapport de forces permanent entre dominés et dominants.

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Le contexte juridico-foncier particulier de l’espace rhénan

2 L’Alsace fait partie de ces contrées septentrionales qui ont été marquées par le droit romain, nous expliquent les juristes, que ce droit soit originel ou qu’il soit remis en vigueur au cours de l’histoire. Cela n’empêche pas qu’il compose, comme l’ont montré les historiens en s’appuyant sur les archives notariales, avec les usages locaux qu’impose un droit coutumier fort ancien. Remis en vigueur lors de la renaissance carolingienne, tombé en désuétude entre le Xe et le XII e siècle, redécouvert au XIIIe siècle, par l’intermédiaire de l’Église et des juristes formés dans les universités italiennes, le droit romain connaît son heure de gloire à l’époque de la Renaissance1. Il aurait ainsi dépassé les frontières de l’Europe médiane, ce que d’aucuns appellent la « Médioromanie », pour remonter le long du sillon rhodano-rhénan et s’étendre dans une bonne partie du Saint Empire qui est censé prendre la relève de l’Empire romain. Quand les juristes invoquent le droit romano-germanique, ils vont un peu vite en besogne. À juste titre, les historiens du droit, plus nuancés2, démontrent qu’il y a eu passage, aux XVIIe et XVIII e siècles, entre l’emphytéose « romaine » et l’emphytéose « allemande », moyennant une forte territorialisation et une réelle germanisation3. Quelle que soit l’interprétation qu’on avance – adaptation ? assimilation ? autonomie ? –, cette transition rend compte de l’émergence de la deutsche Erbleihe, institution de droit germanique, et, en l’occurrence, du Erblehn ou Erblehen alsacien : ce dernier, à durée indéterminée, voire illimitée, peut être renouvelé par tacite reconduction d’une génération à l’autre, avec droit de succession nécessitant théoriquement l’accord du bailleur, ce qui va bien au-delà du terme sanctionné par un bail emphytéotique de longue durée (jusqu’à 99 ans) et ne s’éteint qu’en l’absence d’héritier. Quoi qu’il en soit, une telle juridiction présente l’avantage de conférer un réel sentiment de propriété et de sécurité dès lors qu’il joue en faveur des exploitants. Ainsi, partageant nombre de ses caractéristiques avec le pays de Bade, le Wurtemberg et le Palatinat, la plaine d’Alsace donne parfois l’impression à l’observateur français, peu familier des réalités rhénanes, de constituer un cas particulier.

3 Par ailleurs, la situation de l’Alsace entre France et Empire4, à la jonction de deux ensembles juridiques antinomiques, pourrait bien illustrer l’opposition simplificatrice entre la France du Nord et la France du Sud, en faisant de la province un modèle de ces « pays d’entre deux » qui se situent à l’intersection de deux principes essentiels : • Celui de « nulle terre sans seigneur » qui, en vertu du droit français, dans le contexte d’un maillage seigneurial assez contraignant, accorde une part importante à des réserves seigneuriales étendues, souvent placées, moyennant des « réunions de fermes » entre les mains de puissants fermiers généraux (on aura reconnu les pratiques qui ont cours en Île- de-France, décrites par Jean Jacquart et Jean-Marc Moriceau), avec, vu du côté des paysans, une place prédominante accordée à la « censive » au détriment de « l’alleu ». Or, en Alsace, cette grande propriété seigneuriale est quasiment absente, à quelques exceptions près ; il n’y existe guère la structure en « domaines » ou « censes » reposant sur l’exploitation directe5. • Le deuxième principe est celui de « nul seigneur sans titre » : il a cours en Alsace, comme dans l’ensemble de la vallée rhénane et dans une bonne partie de l’Allemagne de l’Ouest. Dans le cadre de la Grundherrschaft (seigneurie foncière), la paysannerie requiert la protection d’un seigneur foncier qui, lui-même, relève d’un seigneur territorial, le Landesherr. En Alsace, conformément aux « usages d’Allemagne », relevés au XVIIIe siècle par

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les intendants successifs et les avocats du Conseil souverain, cette situation, qui confère une certaine liberté à la paysannerie, se trouve renforcée par la dispersion de la propriété seigneuriale et son éclatement en une foule de petites tenures pouvant relever de plusieurs propriétaires différents. Le seigneur y apparaît donc davantage comme un propriétaire foncier de quelques dizaines d’hectares que comme un souverain territorial d’envergure.

4 Si nous nous permettons d’insister sur l’institution seigneuriale, c’est que l’emphytéose se loge dans les mailles de la propriété privilégiée, laïque ou ecclésiastique, et ne concerne que très peu, pour des raisons de rentabilité immédiate, la propriété citadine cédée en location, de préférence à court terme, aux exploitants paysans. Il convient cependant de renoncer à l’opposition simpliste entre propriété et exploitation en réhabilitant la notion de « possession » qui, bousculant la frontière entre « être » et « ne pas être » propriétaire, nous mène tout droit au concept même d’emphytéose. La possession serait assez proche du Volleigentum ou allodium, propriété pleine et entière dont on trouve trace dans les actes notariés (ledig und eigen, freies eigen). Dès le XIIIe mais surtout au XVIe siècle, les juristes, très romanisés et raisonnant par analogie, ont tendance à assimiler l’emphytéose germanique à l’emphytéose romaine et les propriétaires seigneuriaux, qui leur sont proches, sont enclins à adopter la même position. Mais, dans la mesure où le droit « savant » leur est difficilement accessible et parce qu’ils sont conscients de leurs intérêts, les exploitants tiennent au Erblehn qui leur est familier. Nous sommes donc en présence de deux cultures qui cohabitent sans forcément se comprendre.

5 Les esprits rationnels que nous sommes se contenteraient d’interroger les chiffres et d’établir des statistiques. Or les moyennes sont trompeuses : 30 à 60 % des superficies sont attribuées aux paysans tant en vieille France que dans l’espace germanique ; grosso modo une moitié du sol leur appartiendrait, la deuxième moitié revenant aux privilégiés de la naissance ou de la fortune, ce qui donne en Alsace6 les proportions suivantes : la noblesse 15 à 25 % ; la bourgeoisie citadine 5 à 10 % seulement et les institutions religieuses, particulièrement présentes, 25 à 35 % du sol. Où est l’originalité ? Il est vrai que l’Alsace se situe plus près des 60 % que des 30 %, ce qui la rapproche davantage de la Basse-Provence de Baehrel, imprégnée de droit romain (60 à 80 %) que du Nord (30 à 40 % selon Georges Lefebvre) ou de la Brie (20 % seulement). Mais, compte tenu des sources sollicitées, il est difficile de cerner l’étendue de l’emphytéose, difficilement mesurable ne serait-ce qu’en raison de l’incertitude du vocabulaire utilisé, tant sur le plan des surfaces que sur celui du nombre d’exploitants concernés. Ce qui est clair, c’est qu’on assiste au XVIIIe siècle à une progression de cette propriété paysanne en Alsace, liée au bon rapport de la terre et à la hausse des prix céréaliers, moyennant un « grignotage » qui n’a cependant aucune commune mesure avec l’important transfert qui s’opérera au moment de la mise en vente des biens nationaux.

6 Mais ce qui fait la différence, ce n’est pas la proportion de terres tenues en propriété « éminente » ou Obereigentum, au sens romain du terme, mais la part tenue en propriété « utile » (Nutzeigentum), notions très présentes dans le droit féodal, et c’est là qu’intervient le concept d’emphytéose. La frontière entre les deux est tellement ténue que la « possession », moyennant des modes de location très avantageux pour les tenanciers, a pratiquement valeur de « propriété », mais il s’agit d’une propriété déguisée qu’il faudrait ajouter aux 60 % de propriété entière et totale. C’est dire l’ambiguïté et la complexité de la notion de « propriété » qui ne se laisse enfermer ni dans le cadre d’une institution, ni dans celui d’une statistique. Si une part importante

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du sol (la moitié et plus) échappe à la paysannerie, cette dernière prend sa revanche sur le plan de la possession, véritable propriété « d’usage », qui n’est autre chose qu’une forme de tenure particulièrement avantageuse, assortie d’une présomption d’allodialité en faveur de l’exploitant, portant moins sur le fonds que sur l’occupation du sol. Dans ces conditions, l’appropriation paysanne, par le biais d’une pseudo-location, pourrait bien approcher, voire dépasser les trois quarts des superficies mises en culture7.

7 Juridiquement, il est vrai, la terre en question n’appartient pas à celui qui la cultive, mais à celui qui la « possède » en pleine propriété. Économiquement, elle revient cependant à celui qui la « tient ». L’idéal serait de pouvoir réunir sur la même tête propriété « éminente » et propriété « réelle » ou « utile », ce qui est parfois le cas en Alsace. Cette opposition a de quoi choquer nos mentalités cartésiennes et nos conceptions catégorielles, mais correspond parfaitement aux notions féodales de « dominium directum » et de « dominium utile ». Alors que le droit officiel répugne à l’imprécision, le paysan n’a aucun scrupule à disposer du bien d’autrui. Nous faisons grand cas du seigneur-propriétaire, mais qu’en est‑il de la bourgeoisie citadine, férue de droit, qui pourrait bien partager avec lui ce genre de concepts juridiques ? En réalité, l’élite administrative ou négociante, à plus forte raison le monde artisanal, manifestent une prédilection pour la collecte de rentes fractionnées reposant sur des baux à court terme, parce que ces Gülten sont plus rentables, plus facilement négociables et mieux adaptées à l’évolution de la conjoncture dans le cadre d’investissements productifs ou placements de fortune. L’emphytéose reste donc, en grande partie, l’affaire des seigneurs laïques et ecclésiastiques.

L’adaptation significative des modes de tenure à la conjoncture

8 On constate une réelle plasticité de l’Erblehn, qui n’est pas uniquement structurelle, mais conjoncturelle. De la période de la reconstruction au lendemain des guerres du XVIIe siècle à la relative prospérité du siècle suivant et aux opportunités offertes par la Révolution, une certaine paysannerie, minoritaire mais relativement solide, aux réflexes d’emphytéotes, a su tirer son épingle du jeu, en réussissant à s’imposer face à une multitude de petits seigneurs et en réclamant l’allodialité des biens qu’elle cultive. En dépit des tentatives de réaction seigneuriale répétées, elle se lance dans une politique de conquête de la terre.

9 À situation exceptionnelle, stratégie exceptionnelle. Au lendemain des guerres du XVIIe siècle, c’est l’époque où la terre, abondante, ne demande pas mieux que d’être cultivée, mais où l’homme, rare, se dérobe à cette mise en valeur : il faut donc attirer et fixer les exploitants potentiels. Au moment de la « reconstruction », entre 1680 et 1720, la situation est en effet catastrophique : dépréciation des biens-fonds ; terres en friches du fait de la double pénurie en main d’œuvre et en cheptel ; désordres induits par des défrichements sauvages ; extension des terres « caduques » ou « vacantes », anciens Gültgüter dont on ne connaît souvent ni le propriétaire, ni l’exploitant, non réclamés en tout cas, mais qui, en vertu du droit de déshérence, devraient logiquement retourner à la masse seigneuriale, occupés sans autre forme de procès ou aliénés sans l’autorisation de leurs propriétaires légitimes ; disponibilités limitées tant en défricheurs potentiels qu’en candidats à la location… Autant de contraintes qui obligent le propriétaire, exposé à un manque à gagner et qui n’impose plus ses volontés, à lâcher du lest8. Les

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baux à court terme – 3, 6, 9, 12, 18 ans – sont, du fait de libéralités ou de concessions forcées, remplacés par des baux à longue durée – « longi temporis » au-delà de 18 ans, d’après les juristes – et de préférence par des concessions viagères (Vitalleihe), voire tantôt héréditaires, tantôt à durée indéterminée (ständiges Gültgut), qui portent le nom d’Erblehn, ou d’Erbpacht, le préfixe « Erb » renvoyant à leur caractère héréditaire. Ce n’est autre chose qu’une aliénation, sorte de vente-bail qui renvoie aux conditions très libérales octroyées à l’époque par les édits de défrichement, du domaine utile à celui qui cultive la terre, le domaine éminent restant, en principe, dévolu à celui qui, juridiquement, en est le propriétaire légitime et qui, en fait, n’avait guère d’autre choix. Pouvait-il vendre ces terres ? Il se heurtait au manque d’amateurs potentiels. Les exploiter en faire-valoir direct ? Il pâtissait du manque de main d’œuvre. Il ne restait plus qu’à les mettre en location moyennant un prix d’accès modique et un cens symbolique. La période s’avère donc propice aux concessions de la part des propriétaires, qu’elles soient forcées ou intéressées, mais également aux manœuvres paysannes.

10 Mais, même si c’est la formule la mieux adaptée à la période de la reconstruction, il ne s’agit pas d’enfermer l’Erblehn dans les limites chronologiques de l’époque moderne, puisque l’emphytéose relève, depuis l’époque gallo-romaine et celle de la renaissance carolingienne, d’un contrat en bonne et due forme sous le nom de « jus hereditarium » ou « emphytenum perpetuum ». Voilà qui sanctionne une aliénation explicite, officielle et perpétuelle, reposant, en principe, sur un document officiel, la lettre d’emphytéose. C’est l’équivalent de ce qu’on trouve en France sous le nom de « locatairie perpétuelle » ou de « colonie perpétuelle ».

11 Les conditions d’affermage sont en effet extrêmement légères par rapport au simple bail à ferme : • droit d’entrée, laudème ou Ehrschatz, qui est une taxe, versée en dehors de tout contrat de fermage en signe de déférence (« pro honore », « Ehr », « laudatio ») ; il vaut, de la part du preneur, reconnaissance de la propriété d’autrui avant de devenir un droit d’entrée en jouissance ; • éventuellement droit de mutation (type lods et ventes), encore que le bien ne soit pas partageable ; • redevance modique et invariable, transmissible et éventuellement rachetable, appelée Erbzins, de l’ordre de 1 à 2 boisseaux par arpent, soit ½ à 1 hectolitre par hectare, trois à six fois moins que le bail à ferme ordinaire, faisant figure de cens recognitif : elle porte sur le fonds et non pas, comme un fermage modulable, sur le produit présumé de la terre et de son croît à raison de 10 à 15 % d’une récolte normale, soit de 3 boisseaux à 1 rézal (6 boisseaux) par arpent. On parlera, selon les cas, de « contrat de cens » et de « bail à rente ». Le problème, c’est que ce cens, parfois appelé par les juristes « cens de reconstruction » ou « de défrichement », peut se trouver dissimulé non seulement sous le terme de « Zins », ce qui est normal, mais aussi sous celui de « Gült », qui désigne également la rente annuelle au sens de fermage. Contrairement à la rente, qui est soumise à un renouvellement, le cens assure l’inféodation et l’aliénation perpétuelle du fonds en faveur du propriétaire éminent, même si progressivement il perd ses assises féodales. Le problème sous-jacent est donc de savoir si la Gült est un simple fermage ou un cens emphytéotique et les paysans, rusés comme des renards, jouent volontiers sur l’ambiguïté des termes.

12 Le propriétaire se réserve le droit de rentrer, quand bon lui semble, en possession de son bien lorsque le preneur ne remplit pas ses engagements, en vertu du droit de

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saisie, lequel n’est pas sans rappeler le droit féodal de « commise », ce qui confère théoriquement à l’emphytéose de droit une part de précarité, aussi minime soit-elle, tout dépendant, en définitive, de la puissance du propriétaire. C’est en tout cas reconnaître l’existence d’une propriété « éminente », ancienne, imprescriptible, irrachetable, théoriquement indivisible, en vertu d’une véritable « inféodation », sorte d’aliénation perpétuelle en faveur du propriétaire éminent qui est le plus souvent le seigneur foncier et qui est porté à faire de l’ordre dans ses affaires, alors même qu’il est obligé à des concessions en faveur des exploitants.

13 Or, si la situation se modifie au cours du XVIIIe siècle, c’est que les temps changent et que le paysan, loin de s’embarrasser de droit et de s’attacher à la valeur juridique des concepts, préfère les notions souples et fluides nées de situations concrètes et de solutions pragmatiques. Au XVIIIe siècle9, sous l’encouragement de la montée des prix et des profits, ce dernier exploite tantôt l’absentéisme du seigneur propriétaire, de plus en plus attiré par la ville, tantôt, de la part de ce dernier, le manque de conscience de ses propres intérêts ou encore l’incapacité de faire respecter ses droits dans le cadre d’une institution seigneuriale affaiblie. Il profite de ces faiblesses pour se rendre maître de terres qui ne lui appartiennent pas juridiquement et qui deviennent « Hoflehn » ou « bien censitique » non pas de droit, mais de fait, assimilées à la propriété paysanne. Contrairement à l’Erblehn, il ne s’agit plus d’aliénation, mais bel et bien de dénaturation de terres affermées à bail ordinaire et annexées, sous forme de corps de biens, au Hof, littéralement à la « cour », c’est-à-dire à l’exploitation paysanne et, pour tout dire, de propriété déguisée. Du préfixe « Erb » au préfixe « Hof », la possession paysanne se trouvera consolidée, en même temps que l’indivisibilité du bien se sera renforcée. Contrairement à l’Erblehn, l’exploitant en revendique la pleine propriété, en guettant les failles apparues dans le système et en flairant les pièges potentiels qu’il tente de déjouer : • Lorsque les titres primitifs ont été perdus et qu’il y a absence de contrat, ce qui vaut prescription, sa situation devient aléatoire pour le propriétaire. • Lorsqu’il y a absence de renouvellement dans le cadre d’un bail à temps limité, ce dernier s’accompagnant de canons variables, donc incompatibles avec le cens emphytéotique, d’offres de décharge ou de diminution, ne serait-ce qu’en cas de catastrophes climatiques ou de calamités agricoles (si plus du tiers de la récolte est anéantie en cas de guerre et de grêle, mais à l’exception des inondations ou des cas de sécheresse, pour lesquels les risques sont partageables) : autant de preuves d’un bail à ferme ordinaire concédé à un exploitant à la petite semaine. Le silence est d’or tandis qu’un renouvellement périodique sent le bail à rente ordinaire, contraire à l’esprit même de l’emphytéose ; l’absence de renouvellement ou la perception d’un fermage figé (stählerne Gült, rente en acier) renvoient au contraire à l’emphytéose, sinon de droit, du moins de fait. Branle-bas de combat suivi d’un procès qui fait jurisprudence autour des possessions de l’abbaye de Pairis à Andolsheim, dans la région de Colmar, et dont l’exploitant refuse de passer un nouveau bail de 9 ans en 1766 10 : les biens en question sont-ils soumis à un bail à simple ferme, comme le prouveraient les variations du montant de la rente (c’est l’argument de l’abbaye) ou relèvent-ils d’un Hoflehn (c’est l’argument des fermiers), comme l’attesteraient l’absence de bail et une reconduction tacite ? On ne connaît pas l’issue de l’affaire, mais ce que l’on sait, c’est qu’on n’hésite pas à remonter à 1577 (cela fait presque deux siècles !) pour étayer l’une ou l’autre des démonstrations contradictoires.

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• Enfin la continuité intergénérationnelle de la possession dans la même famille, dans le même Hof, va dans le même sens et conduit à la propriété avec prescription trentenaire pour les particuliers, quadragénaire pour les privilégiés.

14 Il y a donc dénaturation des baux courts et personnalisés transformés, à terme, en baux héréditaires ne reposant sur aucun contrat officiel, déconnectés des parcelles que la rente est censée grever au profit de véritables corps de biens relevant d’un même propriétaire et rattachés aux exploitations familiales paysannes. Par roublardise ou mauvaise foi, on aura mué la rente foncière en cens seigneurial. Tenir la terre : l’expression nous renvoie à une propriété dissociée, partagée entre le preneur et le bailleur et c’est cette dissociation, qui n’est pas forcément opposition entre les deux, qu’évoque l’économiste allemand Thaer quand il affirme que « la terre est l’épouse du propriétaire et la maîtresse du locataire » ! En tout cas, l’emphytéose, propriété imparfaite, distingue bien le sol, en tant qu’infrastructure, du produit du sol, qui fait partie des superstructures.

15 Cela équivaut, par détournement, à un transfert de propriété du bailleur au preneur : l’expression « eigen und erbe » est à cet égard révélatrice. La manœuvre est subtile, tout à l’avantage du preneur, semble-t-il, dans la mesure où un Erbzins est, par rapport au fermage qu’il devrait acquitter, un cens au rabais, non sujet à augmentation, donc invariable et héréditaire. Par ailleurs, le tenancier n’est pas soumis à éviction, comme dans le cas de l’emphytéose de droit, puisqu’il n’existe pas officiellement de droit de retrait reconnu par un quelconque contrat. Enfin, il s’arroge le droit de transmettre à ses héritiers, avec la ferme et par tacite reconduction, un corps de biens qui n’est ni partageable, ni divisible, la continuité de la possession étant assurée au profit d’une dynastie d’exploitants. Les terres attachées aux « cours » font en effet partie intégrante de l’exploitation et les actes notariés les mentionnent à part, car elles ne peuvent être ni partagées, ni sous-louées, ni vendues séparément, tout en étant susceptibles d’être aliénées avec la ferme.

16 La véritable originalité de l’Alsace réside, non pas dans l’emphytéose de droit, mais dans l’emphytéose de fait11, cette dernière propulsant les exploitants dans une situation de non-droit ou, comme diraient les juristes, de péremption acquisitive. Est-ce à dire que la formule ne présente que des inconvénients pour le bailleur acculé à des options quasi suicidaires ? En aucun cas, et cela au nom de plusieurs logiques enchevêtrées et parfois contradictoires : • Il faut savoir, en effet, que les baux courts génèrent un fractionnement des fermages, qui va de pair avec l’émiettement de la structure parcellaire et nécessite, au niveau de la collecte, l’instauration de la « porterie » (« Trägerei »), ce qui fait penser à l’antique colonge qui est une sorte d’emphytéose à grande échelle, les porteurs étant choisis parmi les exploitants d’une certaine envergure. L’emphytéose apporte au contraire, outre le statut de « colonie perpétuelle », une certaine garantie contre le morcellement et une réelle commodité de la perception, puisqu’elle évite les tracas inhérents aux locations à court terme : on n’aura pas à se battre avec des paysans agressifs ou retors, ni à s’exposer à de fréquents changements de fermiers. • La pratique de l’emphytéose répond également aux risques d’épuisement des sols, puisque la terre, si elle doit être restituée au terme d’une période de location courte, serait exposée à être, en fin de compte, mal cultivée et mal fumée, surtout en fin de bail : à quoi bon, en effet, fumer un champ qui pourrait vous échapper au moment de son rapport optimal ? On a beau proclamer qu’il importe de restituer la terre dans l’état où on l’a reçue, de la drainer et de la

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fumer convenablement : ces clauses de sauvegarde ne sont pas toujours respectées dans le cadre d’un bail à courte durée. À plus long terme, au contraire, l’amélioration est possible et vaut à elle seule, sous le nom de « mélioration » ou de « Schaufelrecht » (« droit de pelle » ou « de charrue »), possession et dévolution : en effet, au moment des transmissions (« Ackergang »), ce n’est pas tant la terre qu’on transmet que les « méliorations » effectuées sur le temps long, ce qui montre bien que l’exploitant cherche à ménager ce qu’il considère comme étant « sa » terre même si, juridiquement, elle ne lui appartient pas. • Enfin on constate que le cens emphytéotique est souvent acquitté par des laboureurs soigneusement choisis pour leur solvabilité et des hommes de confiance honorablement connus. Continuité et sécurité sont les garantes d’une rentrée régulière des « fermages », même si ces derniers ne sont plus de véritables fermages. Voici ce que déclarent, en 1776, Chauffour l’Ainé et Reichstetter, avocats au Conseil souverain d’Alsace : « Établissements solides et permanents, ces corps de biens… constituent depuis des siècles les plus belles cours […] Il est très intéressant d’avoir des chefs de famille aisés qui puissent par leur travail et leur oeconomie fonder de nouvelles générations et les multiplier […] Le propriétaire de la rente perçoit d’une seule main, d’une seule grange, d’un seul grenier, les denrées livrées sont de même qualité […] L’expérience peut faire juger de la différence énorme qu’il y a entre une rente livrée par un fermier et celle qui se collecte par parcelles sur un grand nombre de redevables » et d’ajouter : il s’agit avant tout « d’établir de bons laboureurs en état de supporter les charges seigneuriales »12. Au début du XIXe siècle, l’agronome Schwerz n’hésitera pas à mettre l’état florissant de l’agriculture alsacienne du siècle précédent au compte de la pratique emphytéotique, dans laquelle il voit le catalyseur des progrès agricoles et une réelle protection contre le morcellement foncier, en somme un élément important du perfectionnement agraire, en particulier en ce qui concerne, dit-il, l’introduction des plantes commerciales, ce qui est d’ailleurs discutable13. En réalité, force est de constater que les cultures spéculatives (chanvre, tabac, garance) ne se logent pas, pour une raison évidente de rentabilité immédiate, dans le système emphytéotique, mais dans celui des baux courts et réajustables. Il convient en effet de distinguer deux réalités bien différentes : celle du progrès à long terme et celle de la rentabilité immédiate qui génère le profit. L’emphytéose, tradition ou modernité ? Telle est la question essentielle.

17 La reprise des Erblehn par les propriétaires dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, tout en plaidant pour la non-linéarité dans le temps des modes de tenure dominants, montre que cette formule n’est pas la panacée. Ces ripostes, parfois brutales, s’inscrivent dans le cadre des « réactions seigneuriales » successives qui se suivent à partir de 1750, au prix de menaces d’éviction ou de réels déguerpissements. La tactique est plus malaisée quand il s’agit d’emphytéoses de fait, difficilement identifiables, que d’emphytéoses de droit qui tombent sous le coup de l’anachronisme des conditions même qui les ont vues naître. Le contrat de louage (Lehnungsbrief) accorde à un exploitant nommément spécifié un bien (Lehnacker, Lehngut, Gültgut) pour une période limitée (retour aux baux traditionnels de 3, 6, 9, 12, 15, 18 ans maximum), d’où les termes de « Temporallehen » ou de « Stichlehn », qui expriment bien la double réalité de baux « temporaires » ou « en coups d’épingles », rançon d’affermages multiples.

18 C’est que les baux à terme sont à présent plus rentables que les contrats emphytéotiques. Avec la « faim de terres », avec la courbe ascendante des prix céréaliers (+ 100 à 150 % au XVIIIe siècle), donc avec la montée du profit et l’essor de la rente foncière, on assiste au développement du fermage spéculatif, se logeant aisément à l’intérieur de baux à court terme, de gré à gré, qui ont tendance à se généraliser et à

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se personnaliser. Ils vont parfois de pair avec un providentiel réajustement au niveau des prix céréaliers et aux conditions de l’offre et de la demande, moyennant le recours aux changements d’espèces, qui sont autant de hausses déguisées, et la pratique des lotissements ou de l’adjudication au plus offrant (il en va de même pour les adjudications de dîmes) avec l’espoir d’une bénéfique surenchère. En satisfaisant l’appât du gain des bailleurs, ces différentes techniques permettent de recueillir pleinement les fruits de la conjoncture. « Concéder en emphytéose, c’est aliéner » déclare à cette époque le seigneur de Landser14. Les exploitants deviendront donc des fermiers stricto sensu.

19 C’est la riposte des maîtres du sol, une contre-offensive par rapport aux pratiques emphytéotiques dont les plus illégales visent, sans qu’il y ait contrat, à transformer un simple bail à ferme en bail indéfiniment prolongé jusqu’à le rendre héréditaire et à le reconduire tacitement d’une génération à l’autre. Les emphytéoses de fait sont à présent considérées comme des usurpations suite à la dénaturation des baux existants. À l’inverse, le seigneur propriétaire cherche à récupérer des biens autrefois aliénés de droit, par méprise ou négligence, et trouve face à lui une paysannerie amnésique qui refuse l’identification des parcelles ou celle d’anciens fermiers qui exhibent des autorisations de défrichement (Stockbriefe) tout à fait périmées, mais présentées comme devant tenir lieu de titres de propriété15.

20 La Révolution française sonne-t-elle le glas de l’emphytéose ? Les décrets révolutionnaires de 1790, qui ne concernent que les emphytéoses ayant survécu et ayant échappé aux tentatives de reprise, suppriment officiellement l’emphytéose de droit en la déclarant rachetable, comme l’ensemble des rentes perpétuelles, au denier 20 ou 25, c’est-à-dire à 20 ou 25 fois le montant d’un cens emphytéotique modéré et figé, le prix du rachat étant, en effet, fixé en fonction du cens lui-même (soit en général moins de 4 à 5 % de la valeur de la terre). Le rachat devient alors intéressant pour l’ancien exploitant.

21 Si la perpétuité se trouve ainsi abolie, cela concerne en principe l’emphytéose de droit, mais pose également un réel problème pour l’emphytéose de fait. En effet, il n’en faut pas davantage pour que les paysans, portés à l’intrigue et à la roublardise, en vertu d’une vieille pratique et d’une mémoire longue, fassent passer de simples canons pour des cens emphytéotiques anciens. La mise en vente des biens nationaux réveille ainsi, par-delà plus d’un siècle, le vieux démon des « terres caduques »16 : ces dernières sont- elles des biens seigneuriaux aliénés à vil prix du fait des circonstances ou sont-elles des terres purement et simplement usurpées par les exploitants ?

22 La protestation atteint son paroxysme lorsque sont vendus, tout à fait légalement, des corps de biens entiers appartenant à des institutions religieuses, mais dont les paysans, sous prétexte que leurs ancêtres les ont cultivés à la sueur de leur front des générations durant, s’estiment être de fait les propriétaires légitimes – confusion flagrante entre « propriété » et « possession » – et dénoncent les décrets de 1790 comme spoliateurs et profondément injustes. À proximité de Strasbourg, Jean Lienhart, le prévôt de Wolfisheim, ne comprend pas qu’il faille « racheter », au moment de la mise en vente des biens nationaux, et cela au prix fort (7 350 livres tournois après enchère) les terres (12 arpents, soit 2 à 3 hectares) tenues à bail du couvent Sainte-Marguerite de Strasbourg et que ses ancêtres ont exploitées depuis plus de trente ans17. Alors que, dans ce cas précis, il ne s’agit que de terres tenues à bail ordinaire, on imagine a fortiori les réactions de la paysannerie quand ce sont des biens emphytéotiques qui sont en

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cause. En définitive, la Révolution conforte les droits du preneur au détriment de celui du bailleur.

23 Or, la survivance de l’emphytéose est assurée par le fait que les décisions révolutionnaires sont souvent, comme pour le Code civil, mal appliquées ou contournées. Si l’emphytéose disparaît officiellement, elle peut très bien se prolonger par des baux simples sans limitation de durée et quasiment héréditaires. Jusqu’au XXe siècle, les villages seront dominés par un ou deux laboureurs qui détiennent des blocs suffisamment consistants pour mériter le titre prestigieux de « Thomesbüre » (fermiers du Chapitre protestant Saint-Thomas de Strasbourg) ou celui de « Spitalbüre » (fermiers de l’Hôpital des bourgeois de Strasbourg).

Un rapport de forces inégal

24 Quels sont les bénéficiaires d’une telle situation ? Certes, rien ne s’oppose théoriquement à ce que l’Erblehn, qui se veut universel, bénéficie à l’ensemble des milieux sociaux. Mais, avec le développement du Hoflehn, le rapport de forces entre bailleurs et preneurs et, au sein de ces derniers entre gros et petits paysans, a tendance à se radicaliser. En effet, « le » paysan alsacien n’existe pas et l’on se trouve face à des cas de figure fort différents en fonction des acteurs en présence18. Si le rapport de forces entre détenteurs du sol et exploitants finit, avec le coup de pouce donné par la Révolution, par pencher en faveur des seconds, c’est une minorité de laboureurs cossus qui bénéficie de l’emphytéose parce qu’ils sont capables de fournir, contrairement à la petite paysannerie, les garanties requises pour une bonne gestion des terres ainsi données en location. L’emphytéose n’est donc pas étrangère au renforcement des inégalités sociales.

25 Le choix entre amodiation simple et amodiation emphytéotique est souvent imposé par la paysannerie elle-même, en raison d’une capacité de résistance plus ou moins forte face au propriétaire foncier, seigneur laïque ou seigneur ecclésiastique le plus souvent. Il existe donc des « bastions », comme le Kochersberg et la plaine d’Erstein, où l’offensive paysanne est particulièrement énergique : on s’arroge des droits en profitant des faiblesses de la seigneurie. Mais tous les paysans ne peuvent pas s’offrir le luxe de transformer les terres tenues à bail simple en emphytéoses, tout simplement parce qu’il s’agit le plus souvent de « corps de biens » dépendant d’un même propriétaire et rattachés à une ferme. Pas n’importe laquelle du reste : ces corps de biens sont réservés à une élite rurale, munie d’un train de labour conséquent (les Rossbüre, laboureurs à chevaux) et offrant des garanties suffisantes de solvabilité et de mise en gage éventuelle, la multitude des petits fermiers risquant d’être de mauvais payeurs. S’impose ici un rappel des structures foncières alsaciennes : autant la propriété se trouve émiettée, voire nanifiée comme l’affirment les historiens allemands, ce « morcellisme » allant de pair avec le « parcellisme » des terroirs, autant les locations esquissent, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, une tendance à la concentration, dans la mesure où c’est une minorité d’exploitants qui monopolise l’essentiel du patrimoine foncier19 : la surface moyenne d’une exploitation se situe entre 2 et 5 hectares, mais ce sont les grosses (entre 10 et 50 hectares) ou les très grosses (à l’échelle de l’Alsace) exploitations (plus de 50 hectares) qui, aux mains des laboureurs (ces derniers ne comptent que pour le quart ou le tiers des chefs de ménage), enregistrent des moyennes de 10 à 30 hectares et représentent 40 à 60, et

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jusqu’à 90 %, de la surface exploitée à bail, en particulier sous le régime du bail emphytéotique20. Ce sont les emphytéoses qui assurent la rentabilité de telles exploitations, par un habile compromis entre propriété et affermage, en permettant d’amortir l’équipement et l’attelage utilisés, et qui en sauvent d’autres de la ruine. Combien sont-ils à en bénéficier ? 5 %, 10 % de l’ensemble des chefs de ménage à raison d’un ou de deux exploitants par village ? L’emphytéose est, compte tenu de l’état de nos sources et du fait que les contrats ne révèlent qu’une partie de la réalité, un phénomène difficilement quantifiable, tant au niveau des bénéficiaires que sur le plan des superficies concernées.

26 En vertu d’une conception délibérément verticale et linéaire de la filiation, le Hof, tout comme la domus méditerranéenne, est l’instrument de transmission du bien ancestral qui englobe les biens emphytéotiques devant échoir non pas à un individu, mais à l’entité collective que constitue la famille : « la conservation des familles » est explicitement évoquée dans les domaines des Wurtemberg-Montbéliard dans les années 177021. Or, la famille est davantage fondée sur la « lignée », descendance d’un ancêtre commun, que sur le « lignage » reposant sur des relations de parenté à l’intérieur de la famille, le système aboutissant à la transmission à un héritier unique : voilà qui traduit un attachement viscéral à l’indivision et une idéologie franchement inégalitariste, déjà présente dans le modèle nobiliaire, avec la complicité entre le propriétaire soucieux de trouver de « bons laboureurs » et ces mêmes laboureurs qui se recrutent au sein de l’élite paysanne22. Certes, les coutumes de succession, propres aux grandes fermes, échappent à notre sujet, mais on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec l’ancienne institution du Stammgut devenue, à l’époque de l’occupation nazie, celle du Erbhof.

27 On n’ira pas jusqu’à affirmer pour autant que cette différenciation sociale entre laboureurs cossus et paysannerie parcellaire conduit à une opposition entre terres emphytéotiques qui seraient dévolues aux premiers et terres louées, à ferme et à temps, laissées aux seconds. Ces derniers ne sont en aucun cas exclus des possibilités d’affermage. La situation est moins tranchée qu’on ne pourrait le penser, car il arrive que les petites gens, dans leur recherche d’une protection en échange d’une location, ne serait-ce qu’au moment d’une donation ou d’un legs en faveur d’une institution religieuse, participent au système. Ils n’en recueillent néanmoins que les « miettes », alors que l’aliénation d’un corps de biens peut conduire à une véritable redistribution du patrimoine foncier en faveur d’une ancienne aristocratie paysanne et donc au renforcement des inégalités. À l’émiettement s’ajoute ainsi l’inégalité, résultat d’une certaine concentration au niveau des locations : tel est le prix à payer pour « l’appropriation emphytéotique ».

28 En conclusion, Erblehn et Hoflehn apparaissent bien, en dépit de leurs spécificités, comme une variante de l’emphytéose classique. Mais cette dernière ne relève pas uniquement d’un questionnement juridique ou technique ; elle a un contenu social et devient le révélateur de la patiente et sournoise lutte des paysans pour la possession du sol, couronnée, à défaut d’être initiée, par la Révolution. Elle s’inscrit donc dans un mécanisme de combat qui conduit ses acteurs, de part et d’autre, à transformer la nature même du contrat : de l’emphytéose au fermage et vice-versa. Il ne s’agit pas d’un simple usufruit, puisque la formule confère une certaine forme de propriété avec faculté de la transmettre et de l’aliéner, souvent sans le consentement du propriétaire, en réunissant sur la même tête propriété éminente et propriété réelle.

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29 La pratique nous introduit ainsi dans l’histoire des mentalités. Les réflexes emphytéotiques qui la sous-tendent reposent, non sur un jargon juridique savant ou des élucubrations plus ou moins ésotériques, mais sur des notions concrètes telles que la durée, la sécurité et la stabilité de la possession, la faculté de transmettre et d’aliéner en bloc, avec ou sans le consentement du propriétaire : d’où la nécessité de transcender les traités juridiques. Avec leur art consommé d’embrouiller les situations, les paysans sont, juridiquement ou non, propriétaires sans l’être tout en l’étant.

NOTES

1. THOMANN (Marcel), « Le droit rural à la Faculté de Droit de Strasbourg » in Histoire de l’Alsace rurale, dir. J-M. Boehler, D. Lerch, J. Vogt, Strasbourg, 1983, p. 271-277. Au nombre des principales sources juridiques : D’AGON DE LA CONTRIE, Ancien statutaire d’Alsace ou recueil des actes fournis en 1738-1739 par M. de Corberon… suivi d’une notice sur les Emphytéoses, les Colonges, les Locatairies perpétuelles, dites « Schauffelrecht », les Cens, Rentes et redevances foncières, Colmar, 1825 ; BRACKENHOFFER (J.-F.), Specimen juris georgici alsatici. De indole praediorum rusticorum, thèse Droit, Strasbourg, 1783 ; Procès verbal des séances de l’Assemblée provinciale d’Alsace (du 10 novembre au 10 décembre 1787), Strasbourg, 1788 ; Considérations sur les droits particuliers et le véritable intérêt de la province d’Alsace, Strasbourg, 1789 ; KOCH (Christophe Guillaume), Traité sur la nature des biens ruraux dans les deux départements du Rhin, Strasbourg, 1797. 2. DANNHORN (Wolfgang), Römische Emphyteuse und deutsche Erblehe. Ein Beitrag zur Entstehung der Wissenschaft vom deutschen Privatrecht, Forschungen zur deutschen Rechtsgeschichte, 21, Köln-Weimar- Wien, 2003, p. 1-4, 173-192 et 305-318. 3. Transition assurée, d’après Dannhorn, par SCHILTER, Praxis Juris Romani, 1698. 4. BOEHLER (Jean-Michel), « L’agriculture dans l’Europe médiane du XVI e au XVIII e siècle » in L’agriculture en Europe occidentale à l’époque moderne, dir. A. Antoine, J.‑M. Boehler, Fr. Brumont, Paris, 2000, p. 257‑409 (voir la bibliographie allemande, p. 415‑418). Plus récemment, notre communication (à paraître en anglais) au 23e Séminaire d’histoire économique et sociale, qui s’est tenu à Gérone du 16 au 18 juin 2011, ainsi qu’un certain nombre de notices parues dans le Dictionnaire historique des institutions d’Alsace entre 2010 et 2013 (bail rural, Erblehn) font le point sur la question. Se pose donc le problème de la relative originalité de l’Alsace : BOEHLER (Jean- Michel), « De la frontière au carrefour culturel : perception de l’identité de l’Alsace rurale aux XVIIe et XVIIIe siècles » in Identités, appartenances, revendications identitaires, colloque international du Centre d’histoire sociale et culturelle de l’Occident, Université de Paris X – Nanterre, Actes, Paris, 2005, p. 203-211. 5. Id., Une société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), Strasbourg, 1994, t. I, p. 524‑527. 6. Ibid., t. I, p. 508-522. 7. Ibid., t. I, p. 503‑559 et 597‑600. 8. Ibid., t. I, p. 167-340. 9. Ibid., t. I, p. 559-570. On trouvera de nombreux exemples dans HOFFMANN (Charles), L’Alsace au XVIIIe siècle au point de vue historique, juridique, administratif, économique, intellectuel, Colmar, 1899-1906, t. I, p. 199‑261.

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10. AHR 2 J 45 II/4. Voir la transcription in BOEHLER (Jean-Michel), op. cit., 1994, t. III, p. 2 266‑2 267 (annexe 17). 11. VOGT (Jean), « L’évolution du fermage au XVIII e siècle (Alsace d’Outre-Forêt et Plaine du Palatinat) », 80e Congrès national des Sociétés savantes, Lille, 1955, Actes, Paris, 1955, p. 199‑261. Id., « Notes agraires rhénanes : problèmes de tenure au cœur de la Basse-Alsace au milieu du XVIIIe siècle », Cahiers de l’Association interuniversitaire de l’Est, 5, 1963, p. 32‑41. Id.,.« Notes agraires rhénanes : emphytéose et fermage dans la région de Wissembourg à la fin du XVIIe siècle », Revue géographique de l’Est, 1966/1-2, p. 59-62. Id., « Les problèmes de tenure » in Histoire de l’Alsace rurale, dir. J-M. Boehler, D. Lerch, J. Vogt, Strasbourg, 1983, p. 245‑253. 12. AHR 18 J 716 (Colmar, le 8 juin 1789). 13. SCHWERZ (Jean Népomucène), Beschreibung der Landwirtschaft im Nieder-Elsass, Berlin, 1816, traduction française, Paris, 1839, p. 23. Voir également : THAER (Albert), Grundsätze der rationnellen Landwirtschaft, Berlin, 1809-1810, traduction française 1811-1815. 14. AHR 1 E 44/16 (1771-1777). 15. BOEHLER (Jean-Michel), « Les paysans de la plaine d’Alsace entre violence et ruse (XVIIe-XVIIIe siècle). Contribution à l’histoire des mentalités en milieu rural », Revue d’Alsace, 124, 1998, p. 55‑80. 16. MARX (Roland), La Révolution et les classes sociales en Basse-Alsace. Structures agraires et vente des biens nationaux, Paris, 1974, p. 80-108 et VOGT (Jean), « Propriété et tenure : les Biens nationaux à la lumière des pratiques antérieures et postérieures », Revue d’Alsace, 116, 1989/1990, p. 145‑171. 17. AHR 2 E 73/20 et AN Q2 135. 18. BOEHLER (Jean-Michel), « De la reconstruction agraire à la mise en vente des Biens nationaux : possession de la terre, conjoncture agraire et rapports sociaux dans la plaine d’Alsace (XVIIe et XVIIIe siècles), Histoire, économie et société, 1999, p. 43‑62. 19. BOEHLER (Jean-Michel), op. cit., 1994, t. I, p. 600‑614. 20. Ibid., t. I, p. 508-522. 21. Ibid., t. II, p. 1241-1244. 22. AHR E 130 (receveur Rosé, 22 décembre 1777).

RÉSUMÉS

La notion de « propriété » rurale ne se laisse enfermer ni dans des cadres juridiques rigides, ni dans d’incontestables statistiques dans la mesure où elle se trouve constamment nuancée, pour peu que l’on étudie les situations concrètes sur le terrain, par celle de « possession ». À l’origine de la confusion, parfois intentionnellement entretenue, les pratiques emphytéotiques, de droit ou de fait, conduisent l’exploitant à disposer du bien d’autrui comme d’une véritable propriété et autorisent la transmission d’une génération à l’autre (Erblehn) de corps de biens entiers, non partageables parce que rattachés à la ferme (Hoflehn). Sans être spécifique à la province, l’emphytéose est inséparable du contexte juridico-foncier de l’espace rhénan, de la conjoncture propre à l’Alsace entre le milieu du XVIIe et la fin du XVIIIe siècle et de structures sociales plus ou moins inégalitaires. Au-delà du formalisme juridique, elle nous invite à aborder l’histoire des mentalités.

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The notion of “landowning” cannot be defined, either in clearcut legal terms or by unquestionable statistics as it has to be constantly qualified (when it comes to concrete situations) as that of “property”. This -sometimes intentional- ambiguity is the result of long lease practices, whether de jure or de facto, encouraging the farmer to take hold of somebody else’s property as if it were his own and to make it inheritable by the following generations (Erblehn) as this land property, being part and parcel of the farm (Hoflehn), is indivisible. The long lease status is not only to be found in Alsace. It is actually inseparable from its legal context in the Rhine valley, from the general situation of Alsace between the mid 17th and the late 18th century and from more or less inequitable social conditions. As a consequence it is preferable to study it in terms of history of mentalities rather than in a strictly legal context.

“Eigentum” am Bauernland. Auf den ersten Blick ein eindeutiger Begriff. Aber so sehr sich die Juristen auch mühen, sie können nicht eindeutig sagen, ob ein Flurstück wirklich Eigentum des Bauern ist. Gleiches gilt für die Statistiker. Denn wägt man die tatsächliche Situation und den „Besitz“ des Feldes gegeneinander ab, so kommt man jedes Mal zu einem anderen Ergebnis. Die Verwirrung ist bisweilen sogar gewollt, und der Grund ist das Erbbaurecht, d.h. ob man es strikt juristisch auslegt, oder ob man davon ausgeht, wie es im Alltag gehandhabt wird. In aller Regel verfügt der Bauer über den Acker, das Eigentum eines Dritten, so, als ob es tatsächlich sein Eigentum wäre. Er hat sogar das Recht, es auf die nachfolgende Generation weiterzugeben (Erblehn), er darf es aber nicht aufteilen. Denn es ist Hoflehn. Das Erbpachtrecht gibt es auch anderswo. Aber nirgends dominiert es das Bodenrecht so stark wie in den Provinzen am Rhein. Doch damit nicht genug. Es beeinflußt hier in den Jahrzehnten zwischen der Mitte des XVII Jh. und dem Ende des XVIII Jh. auch die Konjunktur und die sozialen mehr oder weniger ungleichen Strukturen. Das Erbpachtrecht ist für uns eine Herausforderung. Es zwingt uns förmlich, die Geschichte der Mentalitäten zu erforschen.

AUTEUR

JEAN-MICHEL BOEHLER Professeur émérite d’Histoire moderne à l’Université de Strasbourg

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Le « Cavalierstour » en Suisse, en Savoie, en Italie et en France de François Jacques Wurmser de Vendenheim et Sundhouse (1680-1682)

Jean-Paul Haettel

1 Le Grand Tour ou Tour du Chevalier, appelé Junkerfarhrt ou Cavalierstour dans le Saint Empire romain germanique, était à l’origine un long voyage, effectué par les jeunes gens des plus hautes classes de la société européenne. Il avait pour but de parfaire les humanités et la formation militaire des jeunes aristocrates ; c’est surtout à partir du XVIIe siècle et à l’époque de Louis XIV, que ces voyages devinrent une pratique normale, voire nécessaire pour parfaire une bonne éducation, pendant ou après leurs études. Les jeunes nobles partaient vers des destinations telles que la France, les Pays- Bas, la Suisse et surtout l’Italie. Ces voyages duraient plus d’un an, souvent en compagnie d’un tuteur.

2 Avait-il été surpris – Frantz Jacob Wurmser von Vendenheim zu Soundhausen – ce jeune noble, sujet de l’Empire, parti de Strasbourg au cours du mois de mars 1680 pour entreprendre son ‘Grand Tour’, de se retrouver ‘Français’, lors de son retour au domicile familial, en juillet 1682 ? Il n’avait pas encore 18 ans lorsqu’il s’engagea dans cette aventure. Son père était âgé de 51 ans, sa mère, Françoise Éléonore, née de Mullenheim-Rechberg, de 46 ans.

3 La relation de son voyage, de ses études, de ses découvertes, de ses impressions… et son opinion, peuvent être ‘décryptée’ dans sa correspondance exceptionnelle avec ses parents. Au fil des feuillets de ses lettres – plus de quatre-vingt-cinq missives –, des lieux, des architectures, des faits quotidiens et ‘historiques’ sont décrits durant trois années : 1680, 1681 et 1682. Ces lettres sont classées dans un carton d’archives à

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Darmstadt1. Le chapitre ‘les années suivantes’ résume la vie de François Jacques après son retour à Strasbourg.

Lettre de François Jacques Wurmser de Vendenheim de Sundhouse

Lettre de François Jacques Wurmser de Vendenheim de Sundhouse à son père Dagobert, de Turin le 4 May 1680 (notez : l’utilisation de caractères italiques plus prononcés pour des mots d’origine étrangère, principalement française).

L’an 1680

4 François Jacques2 a quitté le domicile familial, du quai Saint-Nicolas à Strasbourg, avant le 1er mars. Ses pérégrinations débutèrent à Genève, ville où il réceptionna une lettre de son père, du 18 mars 1680. En retour, le fils informa ses proches du déroulement de son voyage ; il partage avec eux la souffrance causée à la famille par les pertes pécuniaires dues à la guerre3 ; il souhaite un ‘bon anniversaire’ à son père4. Cette lettre est la première écrite par François Jacques.

5 Le voilà donc parti ; il séjourne à Genève et suit des cours d’équitation. Son professeur, qui l’aime bien, le favorise en lui octroyant de bonnes montures, « die besten Pferd zu reuten ». Son courrier lui est transmis par le Hoffmeister, l’intendant qui lui a remis « 140 Italienischen Dublonen » (équivalant à 500 Thaler de Strasbourg)5 ; le départ vers Turin est imminent. Dans une lettre envoyée de Turin, vers la mi-avril (non datée), il relate son voyage à travers la Savoie.

6 Les archives possèdent également des carnets des comptes dressés par François Jacques ; nombreuses sont les informations données sur le déroulement de la vie courante de notre voyageur ! Telles sont, l’achat d’une paire de chaussettes pour son valet pour 70 Sols, ou un habit pour ce dernier, pour 4 Thaler 20 Sols ; les cours d’équitation et d’escrime coûtent respectivement 11 Thaler et 2 Thaler par mois6. Les personnes accompagnateurs de son ‘école’ – le gardien, le palefrenier, les domestiques, la cuisinière, la lingère, le trompette et le tambour… – perçoivent aussi des gages.

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7 Ces carnets permettent aussi de suivre ses déplacements ; ainsi le 14 avril, lui et son ‘école’ se sont arrêtés à Saint‑Julien (en Genevois), près de Genève ; le 15, ils passent par Rumilly, Aix (les-Bains) et Chambéry. Le 16 avril, il visite le château de Montmélian (coût 30 Sols)7. Cette visite est aussi décrite dans sa lettre envoyée de Turin, « ein schönes Schloß auf einem Berg liegend… » château que Louis XIV avait investi un an plus tôt. Arrivés à Lanslebourg, au pied du Mont Cenis, les ‘élèves’ se préparèrent au passage du col. À cette époque, la traversée d’une montagne relève encore de l’expédition : des porteurs d’hommes étaient nécessaires (François Jacques les gratifie d’un pourboire de 20 Sols). Auparavant, il avait déboursé « 10 Sols für des Billet de santé unterschreiben zu lassen », au préposé à la douane pour sa signature. Arrivé le 20 avril à Turin8, après les arrêts à Novalesa, Bussoleno et San Valeriano, François Jacques est logé à l’Académie, l’école ainsi dénommée dans les carnets de comptes du jeune Wurmser : … Les établissements qui portaient le nom d’académie n’avaient rien de littéraire ; on y enseignait, disait-on, « les nobles exercices pour la belle éducation, les arts qui convenaient à la noblesse » et l’on nous apprend que ces arts, c’étaient les mathématiques, les armes, l’équitation et la danse. L’art de monter à cheval y dominait tous les autres. C’était un écuyer émérite, Antoine de Pluvinel, qui avait le premier fondé à Paris, sous Henri IV, une académie de manège, à l’imitation de celles d’Italie, où il avait appris les secrets de son art.9

8 Dans les premières lettres qu’il envoie de Turin, le jeune Strasbourgeois veut faire partager son enthousiasme pour ses premières aventures de voyageur : « Anderthalben Tag vor Turin, haben Wier ein grausam hoher Berg bassiert, welchen man Mons Senis nennt und wird einer von den höchsten Bergen in Europa gehalten, auf einer Seid muß man mitt Mauleselen hinauf er reütten, auf der andern Seid aber, muß man sich auf Chaisen lassen hinunter tragen, den 13 dieses seind Wier in die Accademie eingetretten, allwo Wier leben wie die Münschen. »10, ainsi que les nouvelles qui circulent concernant le gotha local. Une cérémonie princière était en préparation : le 14 mai, Victor Amédée II de Savoie11 va avoir 14 ans et être déclaré majeur! Fils unique, il a succédé à son père, Charles Emmanuel II12, duc de Savoie et prince de Piémont (1634-1675), à l’âge de 9 ans sous la régence de sa mère Marie Jeanne Baptiste de Savoie13, Mademoiselle de Nemours (1644-1724).

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Marie Jeanne Baptiste de Savoie

Marie Jeanne Baptiste de Savoie (par Robert Nanteuil, 1678). La cour de Savoie, par respect, l’avait nommée ‘Madame Royale’. Ses arrière-petits-fils régnèrent : Louis XV sur la France et Louis Ier en Espagne.

9 Au lever du Herzog Victor Amédée, 200 coups de canons à la suite, ont été tirés. Après la messe, les défilés de Cavalliers venant de tout le pays, suivi par les Accadermierten (dont François Jacques faisait partie) avaient honoré le ‘couple ducal’. L’après-midi un Carousell devait avoir lieu, mais la pluie avait joué le trouble-fête. La Herzogin Marie Jeanne de Savoie autorisa les élèves à monter les chevaux de l’école et à suivre son cortège vers sa demeure, « ein Lusthaus », qui était située à une demi-heure de l’écurie. En soirée, un feu d’artifice fut tiré avant le grand bal qui clôtura la journée, vers minuit.

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Victor Amédée II de Savoie

Victor Amédée II de Savoie, bien que marié à une nièce de Louis XIV, prend part à la Ligue d’Augsbourg contre la France, il envahit le Dauphiné, mais sera battu ; il doit signer une paix séparée en 1696.

10 Le fameux Carousell a eu lieu, un mois plus tard, le 19 mai 1680 : quatre escadrons – vert-blanc, bleu-blanc, jaune-blanc et rouge-blanc, commandés, l’un par Dom Gabriel de Savoie, les autres par le Marquis Ironne, le Prince de Carignan et le Marquis d’Este – défilèrent sous les ordres du jeune Herzog. François Jacques se fait aussi commentateur des personnalités en vue, « Monsieur Don Gabriel14, des verstorbenen Herzogs Bruder, aber von der lincken Hand » ! et des mondanités, « Monsieur le Prince de Carignan, von dem Haus Sardoyen, ein sehr wohlgemachter Herr, welcher gantz Stum ist, iedoch aber hat Er sehr viel Verstand15 » et encore « alle Cavailliers vom Hoff, sampt den Academirten, haben der Madame Royal, die Hand gekist, worunter Ich auch einer gewesen, Ich gestehe das ein Lust ist der Madame die Hand zu kissen, weilen Sie so sehr schön weis Hud zart ist. (Madame Royale âgée de 36 ans, est très belle, sa peau blanche est très tendre !) » François Jacques semble avoir apprécié le faste d’une cour et avoir appris rapidement le baise-main. Une autre nouvelle avait été annoncée ce jour-là : la future union entre Victor Amédée et Isabelle Louise Josépha, Infante du Portugal. L’Abbé Destrade, ambassadeur de France, « des Pabst Nuncius und alle Envoyes », avaient complimenté le Herzog et la Herzogin ; l’acte avait été ratifié le 2 juin. Veuve dès 1675, Marie Jeanne Baptiste de Savoie chercha à marier son fils unique à sa nièce ; ‘l’Histoire’ montrera que ce mariage ne se fit pas.

11 Dans ses missives, François Jacob décrit, bien sûr, le déroulement de la vie à l’école et au dehors, à Turin et dans les environs. Ainsi, il nous apprend que beaucoup d’élèves de l’Academie sont Allemands, que les Exercicia sont mauvais, sauf l’équitation avec une écurie de 50 chevaux. L’enseignement de l’équitation est très supérieur, « 10 mahl beßer », à celui pratiqué à Genève ; les chevaux sont des « Spanier und Neapolitaner, und der Stallmeister » Monsieur Michael va se rendre à Ferrare et à Gènes pour en acheter 30

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à 40 supplémentaires. À Turin, on ne parle pas bien le français, mais la ‘Cour de Madame Royale’ est cependant sehr galant, les bals et des comédies s’y succèdent ; François Jacques ne s’en privera pas ! Les informations concernant les statuts de l’école de Turin, les noms des enseignants, les exercices enseignés, étaient imprimées dans un cahier de 20 pages ; ce document avait été envoyé au père Wurmser (non retrouvé). Le carnet de compte des sommes dépensées par le fils, témoigne du coût de l’entretien ordinaire d’un jeune étudiant, en 1680. Par exemple, la location des meubles pour sa chambre, « dem Juden wegen den Meubles, vor 3 Monat » : 6 Thaler 75 Sols ; les accessoires pour la chambre, « Kammer Geschirr, vor 35 Thaler ; in der Küche, vor 3 Monat Tellerwaschen » : 60 Sols ; « die Wäscherin, vor 1 Monat » : 70 Sols ainsi que la lavandière, la plongeuse et la bonne doivent être rétribuées. On peut noter la différence de rémunération mensuelle entre la lavandière et le Sprachmeister, le professeur de langues, qui variait de 70 Sols à 2 Thaler 41 Sols. Concernant les distractions, le repas au Wirtshaus (restaurant), revenait entre 40 à 60 Sols ; le porteur pour un déplacement en chaise, demandait 30 Sols. Il buvait de la Limonade et lisait des livres, qu’il achetait de temps à autres, comme le Geographie Buch (à 40 Sols). Dans les lettres, François Jacques, parle aussi d’autres monnaies, telle la Pistole de Savoie et à Turin, le Doublon et le Croisat16 ; quant à cette dernière monnaie, il dit qu’elle ne vaut rien en France !

12 L’enveloppe budgétaire consacrée à l’habillement et aux distractions, lèvera des ‘questions-réponses’ conflictuelles entre le père et le fils.

13 Le 5 juin, François Jacques écrit à sa mère17 (la première lettre ?) ; il est désolé, il s’excuse et promet d’être à l’avenir, « ins künfftig fleisiger zu sein mitt Schreiben » plus appliqué à l’écriture. Ensuite, il décrit sa chambre avec son mobilier loué, « Beth, Stiel, Disch, Tabeden, … Deller, Servieden, … alle Monat 4 Pistols, » ce qui reviendra cher à l’année. Il partage, avec le locataire de la chambre voisine, le Baron Schmitt, la charge d’un valet. Il détaille aussi le menu de ses repas, ce qui a priori intéresse une mère. Ainsi, au petit déjeuner on sert du pain et du vin ! (Spanischbrod, glas Wein) ; au déjeuner, un court- bouillon, suivi de bœuf braisé accompagné d’une sauce, et une assiette de cerises avant un bout de fromage (Sub mit ein stuck Rindfleisch gesotten, einen rinderen Braden …). À la suite de cette description d’un menu, il ajoute : « wan Wier allezeit nuhr Rindfleisch zu essen haben, so kans nicht fählen das Wier nicht endlich alle zu melkerent und Rinderen werden » (à force de manger du bœuf on deviendra vache !). Le vendredi, on lui sert une truite accompagnée de semoule ou de riz ; parfois, un plat de grenouilles, qu’il ne peut manger. Le pain est disponible à volonté ; son goût évoque celui des Bretstellen de Strasbourg.

14 François Jacques débute généralement ses lettres par un remerciement à Dieu pour avoir gardé ses parents en bonne santé, et les termine par une phrase type : « das ist alles waß Ich noch zur Zeit weis zu schrieben … Ich weis sonstens nichts neues zu berichten, als das Ich… ». Il dit qu’il n’a plus d’autres nouvelles à faire partager, mais il poursuit avec als… et dans cette dernière missive, il ajoute qu’il a besoin d’un nouvel habit d’été ; une telle demande passe, bien sûr, mieux en faisant passer le message à sa mère ! Et il n’est pas en reste pour détailler l’habit : « ein sommer Kleid, von Seiden und mit Band umb die Hosen, welche man Rheingrave heist18… weil es hier die Mode ist, und was ein wenig etwas Rechts ist … wann einer bey Hoff will sein, so muss Er ein wenig galant auff ziehen, dan der Hoff und alles was darzu gehert, ist sehr magnifique. Die Hertzogin ist eine sehr schöne Dame und von grosem Verstand, der Herzog ist auch ein überaus schöner und wohlgemachter Herr, welcher überraus wohl dantzt. » (un habit d’été, suivant la mode Rheingrave, Comte du

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Rhin, taillé dans la soie et avec des bandelettes et autres jarretières aux culottes ; il faut être habillé de cette façon, si l’on ne veut pas détonner lorsque l’on fréquente la ‘Cour de la Duchesse’, qui est une très belle dame, autant pour son fils qui est en plus un remarquable danseur. Ensuite il mentionne l’agréable vie à la Cour, son faste et ses distractions, lesquelles – bals et comédies – sont à discrétion pour les Academirten.

L’habit Rheingrave ou Comte du Rhin

L’habit Rheingrave ou Comte du Rhin, est une jupe-culotte qui faisait partie du costume masculin de l’époque ; cette culotte fut introduite à la Cour de Louis XIV par Karl Florentin, Rheingrave de Salm, en 1660.

15 Vingt jours plus tard, François Jacques envoie deux lettres, l’une à sa mère et l’autre à sa tante Sidonia19. En réponse à la lettre de sa mère, qui était datée du 23 mai, il reparle de la restauration à l’école : « Wer aber hier alle Zeit gesund will bleiben, der muß gewißlich ein zimlich guten Magen haben, weilen Wier wenig warme Speissen essen. Wan Wier aber iehmahlen etwas gutes essen wollen, so gehen Wier ins Wirtshaus und lassen Uns da zurichten, was Unß gefalt. »20. Sa mère lui avait aussi demandé, si, à Turin, il y avait de belles filles ; il lui avait répondu, qu’au plus il n’y a que « sechs schöne Damen im Hoff », les autres femmes sont de teint mat, et ne parlent pas le français et, de ce fait, les élèves ne peuvent pas faire leur connaissance, ce qui est fort dommage. La lettre de sa mère, lui avait été remise par le Hoffmeister, der Herren Graven von Fürstenberg, personnellement ; ce dernier avait demandé des nouvelles de ses parents. À sa tante, il relate sa dernière maladie : des plaques aux mains et aux pieds, et étant fiévreux, il a dû être purgé ; le Doctor lui avait conseillé de boire en grande quantité des boissons fraîches ; cela fait, il se rétablit rapidement. Il la charge de passer un bonjour à la Fräulein Clara Wurmserin im Bocks Hoff21.

16 La lettre suivante, envoyée le 27 juillet (1 mois plus tard22) et adressée à son père, montre l’intérêt du fils pour les affaires de la famille. François Jacques demande si les moissons ont été bonnes, si les Gülten, fermages des paysans avaient été livrés cette année, car il se rappelait que la récolte précédente avait été subtilisée par les Français ;

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et si les villages23 qui avaient subi des dommages de guerre, auraient-ils été reconstruits ?

17 Il parle aussi d’un nouveau camarade – un nommé Monsieur Bilau – arrivé sous peu, « ein sehr wackerer Cavaillier, auch ein wackerer Kerel »24, et qui connaît bien Paris (le déplacement suivant vers l’Academie de Paris, était-il déjà prévu ?). Il répond aux questions posées par son père : le coût annuel demandé par l’Académie, pour lui et son serviteur est de 110 Pistolen (les cours et le couvert) ; leur logis meublé, 3 Thaler par mois ; son serviteur est rémunéré, 12 Thaler par an, son habillement en sus. Par les sommes demandées pour les dépenses diverses pour la « Reitschule vor die Spiß gerden, vors Ringel rennen, vor Teller zu waschen… », François Jacques veut faire comprendre à son père que la vie est plus chère à Turin qu’à Strasbourg. Mais, il envoie aussi le message qu’il sait faire des économies en rachetant les armes – lance, pique, mousquet, (Pandollier und Fecht Dagen)25 – au Baron Bauengarten, un Allemand ; le tout pour 1 Pistole. Il termine son courrier en évoquant sa participation à une course de chevaux (Ringe zu rennen) organisée par la Duchesse, et primée d’un Castor (chapeau, toque ?) « worauff zwei Diamentrosen angehefft waren », estimé à 35 Pistolen ; la course a été gagnée par un Piemontcher. Le jeune Duc et le Grand Ecuyer prévoient d’organiser une course de chevaux tous les mois, avec un prix à la clef, afin que les Academirten se perfectionnent à la monte.

18 Mais voilà que les parents Wurmser ne reçoivent plus de lettre de leur fils ! Que se passe-t-il ? Est-il malade ? Enfin une nouvelle, c’est une lettre datée du 9 août. Elle est rédigée par l’intendant de l’école, Jean Henri de Müllern d’Errodes : « Gestern vor 8 Tage beklagte Er sich zum ersten mahl, vorauff Er des folgenden Tages keine Exercitia getrieben, … das sein Herr Sohn an einen täglichen Fieber nidergelegen, … » depuis huit jours, François Jacques est malade, avec une forte fièvre. L’intendant rassure la famille à Strasbourg, en signalant la surveillance par un bon Medicus, et le suivi des besoins par lui-même. Sa deuxième lettre, celle du 23 août, est moins rassurante : François Jacques doit être transporté dans un autre lieu que sa chambre à l’école, qui n’est plus adaptée pour le malade, et les frais occasionnés pour les soins ont grevé son budget ; il faudrait recevoir, rapidement, 300 à 400 Thaler. Les suivantes – du 8 et 14 septembre – sont du même acabit : la fièvre a repris François Jacques, aussi fortement que la première fois, mais ne vous faites pas de soucis, les soins sont appropriés et la patience est le meilleur remède26. Cela fait quand même près de deux mois que la maladie le cloue au lit !

19 Enfin des bonnes nouvelles qui arrivent à la mère et au père : des lettres de François Jacques écrites le 22 et 24 septembre. Il rassure ses parents : « … das Ich Gott dem Höchsten danck gesagt, mich widerumb sehr wohl befinden. Es ist auch nuhmehro zölff oder 13 Tag, das Ich gar nichts mehr von dem Fieber verspieret, iezund aber Ich einen solchen großen apedit zu eßen … das Ich verlohrener Kräfften noch nichts anders thun kann, als spazieren gehen … » (Je n’ai plus de fièvre depuis douze ou treize jours ; j’ai à nouveau un bon appétit, mais j’ai perdu beaucoup de forces ; je ne peux faire rien d’autre que de me promener). J’ai un nouveau serviteur très attentionné à ma personne, ein properer und ansehnlicher Kerl, qui, en plus, parle couramment le français. Il m’a été proposé par le Hoffmeister. Il a l’espoir que, lorsque je rentrerai à Strasbourg, je l’emmènerai avec moi, car il est le promis de la fille du Stadtschreiber zu Sultz im Oberen Elsaß. (greffier de la ville de Soulz) » Il décrit aussi les symptômes de sa maladie : « une vilaine fièvre m’a agressé, « Ich bin durch ein liederliches Fieber verhindert worden », fortes chaleurs le matin, frissons l’après-midi, un mal de tête récurrent toute la journée ; le médecin m’a prescrit du

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Kinellina, médicament qui avait fait son effet au bout de quinze jours. La maladie m’a pris beaucoup de vitalité, « Ich komme auff nichts gutes in der Academie » ; je n’arrive pas encore à reprendre les cours. » Et, comme ses cheveux sont tombés, François Jacques se fait confectionner eine Peruque. Dans la famille Wurmser, les histoires de perruque vont rebondir maintes fois par la suite. Le port de perruques – une mode française – se développera dès la fin de 1681 à Strasbourg. François Jacques était un avant-gardiste !

20 Dans sa lettre du 6 octobre, François Jacques rassure encore ses parents : « en lisant votre dernière lettre, je vois que je vous cause beaucoup de soucis, à vous rendre vous- même malades ». Il ajoute, avec son humeur taquine : « vous auriez dû vous souvenir de la maxime Unkraut verdirbt nicht27 ! mais je vous assure que je suis entièrement guéri, et il me tarde de rattraper le temps perdu. » Il signale que les gens qui l’avaient accueilli, durant sa maladie, étaient fort braves ; le mari, ancien commandant (Hauptmann der Quarnicon), venait de Breisach : « sehr wackere Leuth, so wohl der Man als auch sein Frau, Sie haben mier sehr wohl auffgewart, … als wan Ich das Kind im Hauß wäre gewäßen »28. Il informe, par la même, du déménagement de l’Academie dans un nouveau bâtiment, ein gantz vor Unß erbaute neue Academie gezogen, et de la venue de Monsieur Buch, son nouveau colocataire (d’une chambrée dans le nouvel immeuble)29. Il communique une dernière nouvelle : le Marquis Ironero, nommé ambassadeur extraordinaire, doit se rendre au Portugal pour les formalités du futur mariage de l’Infante avec le jeune Herzog von Savoyen.

21 À nouveau alerte et fringant, le jeune Wurmser va nous raconter ses excursions, ses visites et autres curiosités du pays30. En compagnie des frères Philippe René et Jean René, comtes de Hanau31, il visite la très réputée forteresse française de Pignerol ; elle est située à six heures de cheval de Turin ; deux jours plus tard, les voilà repartis à Verrue, à Verceille, à Casal et d’autres lieux. Il s’étonne d’avoir repris si vite ‘du poil de la bête’ et sa physionomie ne semble nullement marquée par la maladie. À la fin de sa missive, il annonce l’arrivée à la Cour, d’un faire-part de décès, celui du Churfürst von Sachen32.

22 Dans une courte lettre écrite le 10 novembre, le fils ne donne aucune nouvelle de son séjour à Turin, mais, par contre, il nous fait part des événements, liés à la famille : « je me réjouis que vous êtes tous rentrés en bonne santé après les fructueuses vendanges à Kolbsheim », et à l’Alsace : « je partage votre sentiment de tristesse à l’obligation d’allégeance de la Noblesse d’Alsace au Roi de France, mais j’avais imaginé, depuis quelque temps, que cela allait se produire ». Et le concernant directement : « Allein wundere Ich mich sehr, das zu Strasburg gesagt wird als ob Ich trunck in die Hitz gethan hette, welches alles nichts ist, den Gott sey danck gesagt … », « je m’étonne que l’on raconte à Strasbourg que je m’enivre à Turin, il n’en est rien, Dieu m’est témoin … » ; il n’y pas que de nos jours, que les rumeurs circulent et se propagent !

23 Plusieurs lettres seront écrites en décembre33. Dans l’une de ces missives, François Jacques, qui semble bien connaître les événements décrits dans les actualités d’alors – les Zeitungen34 circulaient de région en région – avait commenté ce fait à son père : « Was aber den newen Cometsternen anbetrifft, den Sie zu Strasburg sehen, betriebt er mier nicht wenig, weilen sie gemeiniglich nichts guts nach sich ziehen, als Krieg und Sterben … » Le passage d’une comète dans le ciel ne pouvait être qu’un mauvais présage, de guerres et de décès. François Jacques souhaite la bonne santé pour l’année à venir, souhait qu’il enverra à sa mère par sa lettre du 29 décembre.

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L’an 1681

24 La correspondance entre notre ‘académicien-voyageur’ résidant à Turin et ses parents habitant leur hôtel, quai Saint‑Nicolas à Strasbourg, débute avec la missive du 7 février 1681. Et, en ce début d’année, le problème récurrent à l’ordre du jour était celui des comptes. Bien que la famille noble Wurmser ne semblât pas être dans le besoin, le père resserrait les cordons de la bourse de son dépensier de fils. Pour l’année 1680 et selon l’ Abrechnung von Herr Kauen, le décompte du tireur des lettres de change se montait déjà à 3 000 Thaler alors que les prévisions de dépense trimestrielle devaient se situer à hauteur de 400 à 500 Thaler, ou 1 600 à 2 000 Thaler par an ; un contrôle devait intervenir ! Les carnets de compte de 1680, certifiés par de Müllern et signés par François Jacques, seront remis le 26 février 1681. À la lecture du cahier, on peut notamment constater, que les dépenses d’habillement pour François Jacques et pour son valet, sont conséquentes (trois costumes confectionnés pour le fils, des habits, chaussures et autres chapeaux pour les deux)35 ; on peut noter l’achat de deux montres à gousset en argent, des pistolets, de livres … ein Mathematichen Circkel oder Compas pour l’anecdote (2 Thaler 42 Sols). L’argent de poche demandé par François Jacques à Monsieur de Müllern allait crescendo, d’une fois par semaine au début de son séjour à Turin, à deux ou trois fois, ensuite36 ; la somme variait de 2 à 5 Thaler, somme à laquelle s’ajoutaient les déplacements en chaise à porteurs, les sorties au restaurant, les bals… et les pourboires37.

25 Parmi les lettres retrouvées dans les archives de Darmstadt, se trouve un document – un brouillon de lettre – à situer au cours de mars 1681, dans lequel le père Dagobert fustige son fils : « Je te fais parvenir une lettre de change avec 600 Thaler à tirer, mais à l’avenir tu devras être économe, car les années auparavant tu as été très dépensier, surtout l’année dernière où tu as fait confectionner des costumes sublimes (göttlich im Kleydung gehalten). … Je vais écrire à l’intendant pour qu’il prenne ton argent et qu’il te donne 10 Thaler par 10 Thaler, argent qui te sera délivré après avoir visé ton cahier de comptes, comptes que tu auras soigneusement tenus afin de faciliter la tâche de l’intendant, « damit Ihme die Mühe vom Halß kommt » ! … Ces feuillets me seront envoyés ensuite. » Il s’enquiert aussi de ses achats antérieurs : « Est-ce que tu as toujours tes pistolets, tes montres ? Tu les rapporteras à la maison. » Il lui dicte la manière de se conduire et lui rappelle ses devoirs : « Je souhaite que ta Companie reste en bonne santé, que tu nous fasse honneur lors de ton séjour en France, que tu sois raisonnable, sans festoyer et sans beuverie, « auch ohne bößen Geselschafft », que tu restes en bonne compagnie. » En rédigeant ainsi sa future lettre, Dagobert semble bien vouloir inférer sur le comportement de son fils. ‘Il n’y a pas de fumée sans feu’ comme on dit !

26 La lecture de ces anciennes lettres – source d’événements – permet aussi d’évoquer des faits historiques, nous l’avons noté précédemment. Nous sommes en 1681, et cette année a été riche en terme de bouleversements, particulièrement pour Strasbourg et pour ses habitants, nobles compris. L’une des nouvelles parvenue à François Jacques, concernait les privilèges des nobles alsaciens : « das ihro Königliche Maiestaet Uns bey den alten Privilegiis und Freÿheiten, so Wier unter dem Keÿser und reichbeseßen erhalten … » qui dataient du Saint Empire, et qui avaient été maintenus par Louis XIV. Par là-même, on entrevoit que François Jacques correspondait avec son oncle, Jean Georges de Zedlitz38. De Zedlitz faisait partie du Magistrat de Strasbourg depuis 1658 ; il avait épousé en 1669 Marie Esther de Müllenheim-Rechberg (1637-1701), sœur de la mère de François

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Jacques. C’était une personnalité. Conseiller du Magistrat, il s’était fait remarquer par Johann Frischmann, résident français à Strasbourg. Ce diplomate, envoyé par Louis XIV, informait le Roi de tout ce qui se disait, se passait dans et au dehors de la ville. Ainsi il signala à Louvois que le Sieur de Zedlitz était l’un des plus intelligents membres du Magistrat de Strasbourg et, de plus, un des mieux intentionnés pour la France. Frischmann fut l’un des principaux médiateurs, comme on dirait de nos jours, de l’annexion de la ‘République de Strasbourg’ au royaume de France, à la fin de l’an 1681. Le 30 septembre 1681, Jean Georges de Zedlitz signa en premier le texte de la capitulation de la Ville.

27 François Jacques avait demandé à son père, via son oncle, de lui faire parvenir un nouveau plan des fortifications de Strasbourg, avec les derniers ouvrages de défenses réalisées, « … die Gnad zu thun und mier die Straßburger Fortification zu uberschiecken, sampt den alten und neuen Schantzen, so letzlichen seind gemacht worden, … ». Pouvoir disposer de ces plans n’était pas à la portée de n’importe quel quidam !

28 Mais, revenons à son séjour à Turin. À la fin du mois de février39, François Jacques nous raconte les courses de chevaux, organisées par le duc de Savoie. Une douzaine des cavaliers de l’Academie était autorisée à concourir. Il souhaitait aussi y participer, mais il n’avait obtenu de cheval apte à cette course. Cette course-jeu – Quintan Rennen40, avec un mannequin, muni d’un bras armé d’un fouet et monté sur un pivot, qui, lorsqu’on le touche maladroitement avec une lance, donne un coup dans le dos du cavalier – permettait de juger de l’adresse des participants. Les Comtes de Hanau, le Comte de Zinzendorf, le Comte Sporck et Monsieur de Müllern avaient pu s’y confronter ; le plus jeune des Hanau avait brisé cinq lances en huit passages. Après la joyeuse période du Carnaval « als den Aschenmiwoch die Carneval frölich geendet, », les cours avaient repris dans une ambiance plus calme et plus studieuse. Il annonce que le jeune Duc, les Comtes de Hanau et le Hoffmeister attendent die Ordren de départ vers la France ; la suite montrera que le voyage n’était pas imminent.

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Vue de Casal en 1706

Site de Casale Montferrato, Italie

29 Il raconte ses chevauchées à travers le pays, avec le Baron Schmitt, au cours du mois de mars. Le voyage, en compagnie du Baron Schmitt et de Monsieur de Müllern, avait duré dix jours. Ils avaient visité Milan, Pavie, die große Cartaus41, et Gênes : « Wier haben überhaus schönen Kirchen, Heiligtümer und Antiquiteten zu Meyland gesehen … das Genna noch die schönste Statt ist, die Ich mein Lebtag gesehen » (de belles églises, des reliquaires et des antiquités à Milan ; des palais à Gênes, qui est la plus belle ville qu’il ait pu voir depuis sa naissance).

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Verceil, ville forte d’Italie

Van Loon, Herman, BNF

30 Ils avaient logé trois jours à Milan ; la visite de cette ville méritait ce long séjour : « die Haupt Kirchen42, welche von lauterem weisen Marmor, so wohl inwendig als auswendig gebauet ist, dans l’église élevée tout en marbre blanc de Carrare, il y a un reliquaire contenant le clou qui avait traversé la main droite de Jésus, lors de sa crucifixion43. On y trouve aussi le serpent qu’avait brandi Moïse devant les Israélites qui adoraient le Veau d’Or, ainsi que le cercueil en verre présentant le corps du Cardinal Caroli Boromei. Le ‘Trésor’ de l’église est considérable, tel le calice orné de diamants, qui est évalué à 14 000 Thaler, et d’autres objets cultuels élaborés en or pur. Nous sommes montés sur la tour du clocher afin de pouvoir contempler la ville, qui nous semblait trois fois plus grande que notre bonne ville de Strasbourg. » La ville fortifiée de Milan, avec sa citadelle et ses remparts bastionnés, était impressionnante ; elle passait alors pour la forteresse la plus grande, en Europe. Lors de leur visite, ils avaient assisté à une parade orchestrée par le Vice Roy, Monsieur le Comte de Melgar44, défilant devant son épouse et toute la Cour. Et, comme d’habitude, François Jacques mentionne le coût du séjour (23 Pistolen). Lors de cette expédition, en voulant examiner de loin la situation de Gênes, ils ont eu la chance de pouvoir observer l’accostage de huit galères royales, commandées par Monsieur de Mans. Sur le chemin du retour, ils chevauchèrent vers eine spanische Vestung, Nahmen Tortone, welche aber nicht sonderlich Veste ist, une forteresse construite par les Espagnols, qui n’avait pas ‘l’air solide’. On constate que dans leurs déplacements, l’observation des ouvrages militaires a été à l’ordre du jour.

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La Ville et Chasteau de Milan, en 1575

BNF

31 Entre les remontrances du père et l’affection sans bornes de la mère, « darauß Ihre große Mütterliche Affection, die Sie alle Zeit gegen mier getragen verspürt, ... », voilà ‘la phrase’ qui avait réconforté François Jacques le sentimental ! D’autant plus que c’est par la lettre, écrite par son père, que ce message affectueux transite. Le ressenti du fils éloigné se manifeste par sa joie de vivre et sa volonté de la faire partager en évoquant son bonheur de pouvoir participer au Cavalierstour. Il répond à ce courrier, le 12 avril et l’adresse à sa mère : « Votre souhait de bon voyage vers Paris arrive trop tôt ; notre départ ne pourra se faire qu’après le 16 ou le 17 mai, car le jeune Duc s’est imaginé et résolu de vouloir fêter son anniversaire, ici le 14, avec une commémoration grandiose. Hier, c’était l’anniversaire de sa mère, la Duchesse de Savoie. Une petite Ceremonie avait eu lieu avec, à partir d’un petit fort que le Duc avait fait construire, quelques coups de canons tirés pour l’occasion. Cette kleine Festung placée devant l’Academie, servira à l’instruction : le 1er mai nous donnerons l’assaut et investirons ce fort. »

32 En fait, la Companie séjourna encore à Turin tout le mois de mai. Enfin, le 1 er juin le déplacement de la ‘troupe’ démarre – la traversée des Alpes s’était faite sans trop de difficulté – et déjà, le 8 juin les voilà rendus à Lyon45. Et comme le monde est petit … François Jacques rencontre, dans l’auberge, un ami de Strasbourg, ‘le cornette Kempfer’ 46. Ce dernier avait pu transmettre des nouvelles de bonne santé des parents Wurmser, ainsi que l’encourageante reprise du dynamisme économique de Strasbourg. Ils visitèrent Lyon, sans donner toutefois des détails sur les monuments visités ; c’est une chose inhabituelle concernant François Jacques !

33 Peut-être avait-il été préoccupé de la santé, puis affligé par le décès d’un camarade. Son dernier colocataire Bouch, avait attrapé la variole47, peu avant le départ de l’école, et avait dû rester alité à Turin, le Baron Schmitt restant près de lui jusqu’à la fin de sa convalescence. La maladie, visible sur tout le corps, l’avait considérablement affaibli.

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Attentif et prévenant, François Jacques demande à son père de ne rien dévoiler à la mère de son camarade, car celle-ci vient de perdre son mari. Malheureusement, Monsieur Bouch est décédé le lendemain de leur départ, le 2 juin. Il semble également désolé et même meurtri lorsqu’il évoque l’enterrement de son ami : « weil Er nicht Catholisch gewesen, so hat man ihn nicht auff den Kirchhoff begraben wollen, sonderen man ihn begraben neben einem Nonnen closter… » N’étant pas catholique, il ne pouvait être enterré que près d’un couvent de nonnes.

34 Avant de conclure sa lettre du 14 juin avec les salutations d’usage, François Jacques dévoile à son père le programme du voyage à venir : chevauchée vers Roanne, puis en coche d’eau vers Orléans, pour arriver à Paris. Voyage qui avait dû se dérouler sans anicroche, puisque le 26 juin il loge à l’Hostel de Besancon, rüe Jacob, au Fauxbourg Saint Germain, « Wier haben allzu sammen 7 Cammeren und etliche Cabinets worvon Wier allen monat 100 Teusche Gülden zu lehnen müssen geben, … Es kost einen alle Tag vor 2 Mahlzeiten 50 Sols » ; avec plusieurs camarades ; ils ont loué sept chambres qui coûtent 100 Gulden et les deux repas journaliers, 50 Sols.

35 François Jacques écrit à sa mère le 16 juillet. Il est arrivé à Paris depuis quinze jours et déjà il a reçu des bonnes nouvelles, venant de Strasbourg par l’intermédiaire de Schwartze Hans Jacob, le postillon de la voiture‑poste48. Il s’est fait confectionner un habit d’été pour 40 Thaler, habit qui ne lui plaisait pas et, qui de plus était trop onéreux. D’ailleurs il ajoute à ce propos que : « Es ist hier alles nach proportion grausam teuer und zwar seider einer kurtzen Zeit her, weillen der König auff alles widerum newe Unkosten geschlagen … » Tout est énormément cher, depuis que peu de temps auparavant Louis XIV a augmenté les taxes. Aussi cite-t-il l’exemple du paysan, qui veut vendre des poules ou des pigeons au marché à Paris ; il sera imposé de 1 Sol par volaille. Nonobstant, François Jacques a réassorti sa garde-robe en chemises et autres foulards à la mode… parisienne ! Et si sa mère souhaite avoir des ‘choses introuvables en Allemagne’ il se fera un plaisir de rechercher ces belles nouveautés, qu’on ne peut dénicher qu’à Paris.

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La belle Strasbourgeoise

Cette coiffe, avait-elle eu un certain succès à la Cour de Versailles ? L’on ignore si le tableau peint par Nicolas de Largillière en 1703 représente une ‘Belle Strasbourgeoise’ assez fortunée pour se faire peindre par cet artiste parisien renommé, ou une dame de la Cour du Roi Louis XIV ‘déguisée en Strasbourgeoise’ par jeu ou pour être à la pointe de la mode. Musée des Beaux-Arts de Strasbourg

36 Mais, la bourse étant déjà vide, François Jacques écrit aussi à son père une lettre, dans laquelle il énumère les besoins incompressibles, nécessaires à sa vie d’étudiant, en insistant sur le fait que la vie est plus chère à Paris qu’à Strasbourg, « so muss Ich bekennen das mich Paris mehr wird kosten als Ich mier mein Lebtag hat einbilden können … ; les repas me coûtent 25 Französiche Sols, ceux de mon valet, 9 Sols, et la chambre n’est pas comptée dans le prix. La pension complète me revient à 20 Thaler et la rémunération de mon serviteur se monte à 8 Thaler, par mois49. Pour le moment je n’arrive pas à régler les cours, weilen Ich sonsten die Exercitia noch lange nicht könte anfangen zu treiben ». Au sujet d’économie, il informe son père, le 18 août, de son déménagement vers l’Hostel de Dantrague, à la rue de Tournon, avec à la clef, la pension diminuée de 5 Thaler. Il n’a pas encore repris toutes ses études, sauf les cours de langues et de danses ! Et, si Dieu le veut, il reprendra ceux d’équitation et autres Exercitia, le mois prochain. Cependant il avait eu l’opportunité d’accompagner les comtes de Hanau, pour la visite du château de Versailles – des Palast gesehen, welcher so schön und reich gebaut seiend, das etwas in der Welt kann sein – ses appartements et ses jardins avec ses merveilleuses eaux jaillissant de toutes parts ; mais le Roi n’y était pas car il réside momentanément à Fontainebleau, avec toute sa cour. Il conclut cette missive en signalant que Madame la Dauphine est encore fiévreuse et en transmettant les salutations du jeune Baron Dalberg, fils d’une relation familiale.

37 Le lendemain, François Jacques rédige une lettre, à l’adresse de sa mère, en réponse au courrier maternel du 21 juillet. Elle souhaitait recevoir des dentelles de soie, « Seiden

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Spitzen welche man hier Points de France nennt ». Malgré le prix élevé, « dan sie kosten mit sambt Agremens 6 Pistolen, aber sie seiend überhaus schön »50, la commission sera aussitôt exécutée par le fils et expédiée, ou plutôt confiée en de bonnes mains : des Ameister Diedrichs Sohn, au fils d’un membre du Magistrat qui rentre à Strasbourg. François Jacques était invité à la table des frères de Hanau, en présence de l’Ambassadeur de Suède. Il rassure aussi sa mère, quant à la rumeur d’empoisonnement des maris volages par leurs épouses délaissées ! Il approuve la vente de l’immeuble de la ‘place Saint‑Etienne’ au profit des Messieurs de Wangen, car « so lang Ich nicht verheurate werde sein, so ist mier unßer klein Haus am Staden groß genug … » (maison qui lui était échu, si un mariage se profilait dans un proche avenir ! François Jacques se maria en 1687, une première fois).

38 Le postillon, der Schwartz Hans était devenu, au fil du temps, un relais indispensable entre Madame Wurmser et son fils ; il transmet les lettres, les échantillons d’étoffes… et des sous ! Ainsi remet-il 10 Pistolen, « Sie gibt mier etlich Comission Ihr Sachen zu kauffen, welches mich sehr erfreÿt das Sie mich in ihren Diensten emploiert » pour des achats de tissus, de dentelles… et « ein Cornet Hauben wie Sie die Frau Mutter will haben, auff die aller neuste Moden ! » Une coiffe-cornette ? La coiffe des Strasbourgeoises à la mode, à Paris ? Les dames de haute société arboraient, en effet, un grand chapeau bicorne en feutre noir, dont l’envergure dépassait nettement celle des épaules, pourtant bien élargies par un ruban à chaque bras et des dentelles en éventail. Die Cornet Hauben coûtaient à peu près 3 Pistolen, un plastron, Brust Stickel, revenait à 1 Thaler et demi.

39 La capitulation de la Ville, avec la signature de l’acte, le 30 septembre – événement politique majeur – avait certainement fait bouger la société strasbourgeoise dans de nombreux domaines : alliance, économie, militaire et religieux. Le contexte historique qui marqua Strasbourg en cette fin de l’année 1681, avait, bien sûr, laissé des traces dans l’échange des courriers entre les Wurmser, père et fils. Et, en notant la date des lettres échangées, il semblerait que ‘l’annexion de Strasbourg’ par la France de Louis XIV n’avait pas créé la surprise, chez certains nobles strasbourgeois. Dagobert Wurmser avait envoyé deux lettres (datées du 18 et 22 septembre) dans lesquelles il avait parlé des transactions en cours (entre Louvois et le Magistrat ?). Ayant appris la ‘prise’ de Strasbourg, François Jacques demandait, dès le 7 octobre, les conditions et les accords obtenus, suite à la réunion de la Ville Libre au royaume de France « Ich bitte gar schön mier recht zu berichten wies zu gangen und was sie vor ein Accord erhalten und wie es mit Uns im übrichen Pflegs her zugehen ». Il faisait part de son sentiment personnel (seine Gedancke des Hertzens ; sous‑entendu : il désapprouvait l’action), sans pouvoir l’écrire ouvertement, car le courrier vers l’Allemagne était ouvert, et selon le contenu, pouvait mener l’auteur à la Bastille.

40 Le 19 octobre 1681, François Jacques Wurmser de Vendenheim de Sundhouse, âgé de 19 ans, étudiant à Paris, nous livre sa réflexion à propos de la soumission de Strasbourg, actée le 30 septembre précédent : « das die Herren Frantzosen sich der Statt Strasburg bemächtigt, welches mier eines theils sehr leit ist, anderen theils aber bin Ich schier froh das sie es wegnohmen, dan wan die Strasburger in ihrem freuen Stand wären verbliben, und es widerum ein neuen Krieg hätte geben zwischen dem Keiser und unserem König, so würden die Armées widerum in dem Elsas da sein als wie in dem lesteren Krieg. » (D’un côté la capitulation de ma ville me navre, mais d’autre part sans accord, une nouvelle guerre n’aurait pas pu être évitée). Il rajoute, concernant les biens et rentes familiaux : « Dergestalten das Wier nichts von Unseren Güteren würden ziehen und noch darzu all zu

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bettleren müssen werden, also ist es besser vor Uns das Wier unser stuck Brod mit Friden können genießen, als beständig im Krieg leben, wiewohl es zwar nichts mit so viel Freiheit geschicht als vor diesem, aber unter zweÿen schweren Sachen muss man das beste erwehlen. » (Les guerres apportent désolations et destructions, moins de rentes agraires… apprécier un morceau de pain en temps de paix vaut mieux que de vivre conflictuellement !)51. Par contre, il semblerait que son père n’ait pas voulu lui faire parvenir les termes des accords signés entre Louvois et le Magistrat ; il lui annonce que c’est Monsieur de Chamilly qui avait été nommé « Commandant zu Strasburg, welcher ein praver Mann soll sein », un brave homme. Le 23 octobre, Louis XIV et son somptueux cortège entrèrent dans Strasbourg, désormais ‘Ville libre et royale’, annexée à la France.

41 La correspondance entre François Jacques et ses parents avait été interrompue pendant près d’un mois, et ce n’est que par les missives de l’intendant de l’école52 que l’on apprend la maladie du jeune Wurmser : « Er hat sehr abgenommen in dieser Kranckheit, und wirdt ein paar Monathen zu thun haben, biß Er wieder zu völligen Kräfften gelangen wirdt. » Fiévreux, il a beaucoup maigri, il lui faudra quelques mois pour retrouver ses forces d’antan ; le Medicy l’a autorisé à manger une aile de poulet (eine flügel vom Hünlein oder dergleichen zu eßen), en espérant que ce ‘grignotage’ sera suffisant pour retrouver la forme ! Dans les lettres suivantes53, François Jacques ne s’étend pas sur sa maladie, si ce n’est qu’il est ‘faiblard’ (il ne peut que passer d’une chambre à l’autre !). Par contre, il relate celle du Hoffmeister, Monsieur Müllern, une jaunisse qui l’a mis au lit : « Er hat allzeit grausam Kopfweh gehabt, … Er noch biß anhero gantz Gelb ist… ». Néanmoins, il semble que l’intendant n’ait pas eu trop longtemps à subir sa maladie, car il était déjà sur pied le 26 novembre, date de la lettre de François Jacques qui, lui aussi, semble avoir repris ‘du poil de la bête’. Et il y avait urgence, car le dernier habit qu’il s’était fait tailler, ne lui convenait pas (gantz schlecht ist). Il lui en faut un nouveau. Il demande à son père l’autorisation de commander « ein Kleid von 60 Thaler machen zu lassen » (le dernier avait coûté 30 Thaler). Il précise aussi que, pour être admis dans la bonne Compagnie et chez les gens honnêtes, il faut bien présenter (das Kleid, ein wenig schön muß sein… sich darmit dörff sehen lassen).

42 Au cours du mois de novembre, la correspondance retrouvée avait permis d’établir un record, avec six lettres archivées ; le mois de décembre sera encore plus prolifique : 9 lettres ! Les échanges de courrier, plus nombreux, semblent surtout concerner la poursuite du séjour de François Jacques à Paris. En effet, Dagobert Wurmser avait donné « Order, das sein Sohn seine Reise von hier nach Strasburg beschleunige », (ordre à son fils de rentrer à Strasbourg, rapidement.) La raison de ce retour inopiné semble être que le comportement de François Jacques, n’ait pas été raisonnable ! (seines Herr Sohns gar raisonnable befunden).

43 La décision de suspendre les frais de séjour à Paris et d’activer le retour du fils à la maison paternelle date du 5 décembre ; c’est à cette lettre que répond rapidement Monsieur de Müllern, le 13 décembre. François Jacques devait avoir été averti déjà quelques jours auparavant, car « so läst Er doch vor dieses Mahl eine sonderbahre Traurigkeit an sich verspüren, in dem Ihm diese Order so gar plötzlig auff den Halß kommet » (il arborait une telle tristesse, c’était comme si le ‘ciel lui était tombé sur sa tête’). C’est ainsi que l’intendant de l’Academie entame sa missive, qu’il explique l’abandon des cours, à cause de la maladie et qu’il demande de ne pas précipiter le retour et d’accorder la permission de passer l’hiver à l’école, pour que son fils puisse se perfectionner.

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44 François Jacques avait aussi essayé de s’expliquer et de donner les raisons de vouloir poursuivre ses études : « Ihren ernstlichen Befehl und Willen ersen, welchem Ich billich ohn einiges widersprechen gehorchen solle. Weillen aber vierlerley raisonen mich obligieren noch länger hier zu bleiben, so habe Ich der Kienheit underfangen solche dem Herr Vatter zu remonstrieren das… » (malgré la volonté formelle et l’ordre express de son père, il a même eu ‘l’audace de démontrer son obligation’ de rester à Paris, en cinq points !). Car, selon lui, il avait déjà payé la location de sa chambre pour trois mois, ainsi que sa femme de ménage (18 Thaler). Il avait aussi payé l’Academie (10 Pistolen). En troisième lieu, il venait d’habiller son valet de neuf. Ensuite, il dit qu’il n’avait pas eu l’occasion de voir la Cour du Roi, car elle se tenait à Fontainebleau jusqu’alors, et si quelqu’un à Strasbourg lui avait posé une question à ce propos : « und mich iemand von Hoff etwas würden fragen und Ich nicht wiste, so würde er mich auslachen… » (il ne pourrait donner ses impressions, ces personnes se moqueraient de lui). « Zum fünfften so hat mich die grankeit an meinen Exerciis einen großen Stos geben » (et cinquièmement, sa maladie l’avait contraint à ne plus assister à ses cours). Ainsi, François Jacques souhaiterait pouvoir passer l’hiver à Paris et demande humblement à son père de ne pas garder de courroux à son égard et d’accéder, avec sa bienveillance paternelle, à sa demande54.

45 De Müllern et François Jacques ont gagné ; ils ont pu faire changer le père d’avis, rapidement, car, dès le 18 décembre, François Jacques remercie son père pour son accord. Dans cette lettre il souhaite même rester jusqu’au début avril et ainsi terminer son cursus. Et déjà il se tient à disposition pour acquérir les accessoires vestimentaires demandés par les parents. Le père avait envisagé d’opter pour le port de perruque, à la mode française : « die zwey blonde peruquen, die der Herr Vatter von mier begert hat, habe Ich nicht könen bekomen, von guten Meisteren, umb den Preis den der Herr Vatter mier in seinem Brieff marquiert hat vor das Stück. Ich hab auch kein Hüt gekaufft, weilen man nichts rechts vor 1 Pistol bekommen kann… » (mais le prix indicatif envisagé pour ces objets était largement sous-estimé par le père). Néanmoins le fils-commissionnaire avait acheté des gants, ein paar Handschuch mit gülden fransen ; un cordon de chapeau en or, ein Hudschnuhr von Gold hab ich gekaufft vor 1 et demi Thaler, un ceinturon, ein Seinturon mit güldener Schnurlein, welches auff die neuste Moden ist, du dernier cri (pour 8 Thaler)… et les achats allaient être le sujet essentiel des courriers à suivre !

46 Lors de ces derniers échanges de courrier, on apprend que le Duc de Beauvilliers, nommé Duc de Sainct Aignan55 avait logé au quai Saint-Nicolas dans l’immeuble des Wurmser, et qu’à la Cour du Roi, Madame la Dauphine attend un heureux événement. Une autre nouvelle strasbourgeoise était que Dagobert souhaitait acheter l’un des immeubles situés à côté du Wurmsershoff, soit le Bockshoff ou le Kauen Haus56 ; François Jacques donne son avis en prenant partie pour l’immeuble des Kau, plutôt que celui des Bock qui lui semblait bien délabré. Il ajoute à cela : « Ich habe mit Monsieur Mulleren und Spener darvon gered, welche mier gesagt das Sie dem Herr Vatter, jeden sein Geld im Beutel zu behalten wan ers nit höchstens von Nöthen hat, weilen man noch nicht wißen kann, wie es mit dem künfftigen Krieg wird ablauffen ». Il discute donc d’affaires de famille avec des personnes étrangères – l’achat d’immeubles à Strasbourg – et transmet leurs réflexions : « Il vaut mieux laisser ‘ses pièces d’argent dans leur bourse’, si l’urgence de l’affaire à réaliser n’est pas de nécessité absolue, vu que l’on ne connaît pas l’issue des guerres futures ». Le 31 décembre avait été l’occasion de présenter les vœux pour la nouvelle année.

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L’an 1682

47 La correspondance57 de l’année 1682 débute avec une lettre de François Jacques écrite le 10 janvier. Il remet, dès ce début d’année, son leitmotiv à l’ordre du jour : « so habe Ich gefunden das unter 300 Taller Ich nicht würde auskomen, weilen mich ein jeder Monath 65 Taller kost ohn einige Extra Ausgab »58 (il n’arrive pas à boucler ses fins de mois avec la somme d’argent octroyée et envoyée par son père). Il s’étonne que son père n’arrive pas à concevoir que la vie est chère à Paris, que l’argent ‘disparaît’ plus vite qu’à Strasbourg et que son fils « kein Débauche hier mache ». Non, François Jacques ne mène pas de vie dissolue, mais il aime être bien habillé, aller au bal et aux autres spectacles parisiens ; parader à la Cour du Roi exige un certain standing ! « Es ist heute ein großer Ball bey Hoff zu Sainct Germain, welchen Ich auch sehen will… », (aujourd’hui je me rends à Saint- Germain où Monsieur, le frère du Roi, va présider un grand bal).

Château de Saint-Germain en Laye

Château de Saint-Germain en Laye, ancienne résidence royale ; de 1661 à 1682, Louis XIV y réside.

48 Le grand bal à Saint-Germain avait été grandiose. Toutes les personnalités étaient présentes, ainsi que toute la ‘Famille Royale’, et tout ce beau monde avait dansé, sauf le Roi et la Reine. Fort adepte de ces ‘événements culturels’, François Jacques semble bien profiter des divertissements parisiens : « Ich hab hier zu Paris, auch schon etliche schöne Bals gesehen und da gedantzt, Ich werd heut (9 février) widerum auff ein schöne Bal gehen, oder nach Sainct Germain die Opera zu sehen ». Saint-Germain avait ouvert son ‘Théâtre de Foire’ depuis cinq jours et les spectacles se poursuivront encore durant cinq ou six semaines ; ces spectacles sont à l’origine du théâtre de boulevards. Tous les jours de nouvelles animations se déroulaient sur le champ de foire : funambules (Seildäntzer), prestidigitateurs, magiciens et jongleurs (Daschen Spieler), illusionnistes, bouffons, marionnettistes et autres ‘intermittents de spectacles’. François Jacques savoure autant les attractions que le spectacle du défilé des Dames et des Cavailliers de la Cour, couples qui se promènent et qui achètent, toutes sortes de Galanterien. Quant aux études et aux cours à l’Academie, plus un mot !

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49 L’actualité des lettres suivantes concerne principalement l’achat, l’échange de perruques blondes ou d’autres couleurs et de Schabraques (chabraque, couverture de cheval). N’oublions pas que la mode de porter la perruque à Strasbourg avait été ‘importée’ lorsque la ville était devenue française. D’ailleurs, François Jacques y avait succombé : « Ich hab allezeit ein Peruque von Nöthen, weillen Ich mier erst nach meiner Kranckheit die Har widerum hab müssen abschneiden lassen, weilen sie mier außfiellen. » (par nécessité, selon lui ; il perdait ses cheveux depuis sa maladie). Notons aussi quelques nouvelles qui nous renseignent sur la famille : un accouchement est imminent du côté des voisins Bock ; à la cour du Roi : le fils du Général Rosen59 qui s’est converti au catholicisme, est devenu Pache in der Grande Ecurie, page au service de la Reine (à la suite de cette conversion ?). Reinhold Charles de Rosen60 avait 16 ans (4 ans de moins que François Jacques) lorsqu’il accéda à la Cour, puis comme son père, entama comme Mestre de Camp d’un Régiment de Cavalerie de son nom, une longue carrière militaire. À Strasbourg, les Rosen et Wurmser étaient certainement déjà en relations d’affaires : Conrad de Rosen avait acheté l’Hôtel des Schilt (rue du Bouclier) en 1682, hôtel qui appartenait aux Wurmser depuis 167261.

Le Maréchal Conrad de Rosen

Le Maréchal Conrad de Rosen, Comte de Bollwiller (Hyacinthe Rigaud, peintre officiel de Louis XIV). « Les de Rosen sont originaires de Livonie (nord de l’Allemagne) … Conrad de Rosen, acquit des biens considérables en Alsace et mourut à Bollwiller en 1715. Il eut une carrière fort agitée ; un jour notamment, surpris en parti bleu, par le prévôt de l’armée, et celui-ci ayant fait tirer au sort ceux d’entre les maraudeurs qui seraient pendus, Conrad ne dut la vie qu’à sa bonne étoile. » [Parti bleu, c’est un parti qui marche sans commission du Général ; ceux qui sont surpris en Parti bleu sont perdus. Parti, en terme de guerre, est un corps de cavalerie ou d’infanterie qui va dans le pays ennemi à la découverte, et aux pillages. (Le petit dictionnaire du Tems, pour l’intelligence des nouvelles de la guerre, 1756)]. Adolph Seyboth, Strasbourg, historique et pittoresque …1898, p. 460

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50 Le retour du fils à Strasbourg commence à être évoqué dans les échanges de courrier (sous la pression du père). Dans sa lettre du 21 février, François Jacques avait répondu que le voyage avec le Postillion n’était pas possible à ce moment-là, car ses ‘affaires’ le retenaient à Paris, au moins jusqu’en avril. Aussi, comme le jeune Herzog Christian vient d’arriver à l’Academie, veut-il profiter de sa présence : « Er ist gantz lustig und befind sich sehr wohl, Ich habe auch schon etlich Mahlen das Glück gehabt ihm auff zuwarten. »62. De plus, selon ses dires, il semblerait qu’une autre idée lui trotte dans la tête : son voyage de retour pourrait se faire en compagnie du duc Christian ! Concernant le retour, aucun arrangement ne semble vouloir satisfaire François Jacques. Parmi les possibilités, il y a celle de voyager avec l’intendant du comte de Nassau Weilburg63 und noch einem sehr wackeren Cavaillier (un vaillant cavalier), ou celle de profiter de l’une des voitures qui emmène la mère64 des frères de Hanau à Strasbourg, ou encore d’accompagner le fils de l’Ammeister Wirzen65. Ce départ imminent ne convenait pas à François Jacques : il n’a pas encore finalisé la liste des achats pour sa mère, ni acheté le chapeau pour la fille de son oncle Zedlitz, ni les cadeaux pour sa tante Sidonia et pour Fraülein Clara, tout un programme ! De plus, la nouvelle Pariser Mode semble vivement l’intéresser. À force de détails, il informe la famille strasbourgeoise de nouveautés : « die Moden ist jezund das die Weiber Samderöck (robe de velours de toutes couleurs) von allerhand Farben … wie ein iede will, mit einem von demselben sameten Mandau oder einem schönen Procart oder schöner Moire66 von England. ». Ces habits ne se portent qu’au printemps et ne conviennent pas pour l’été ; pas de problèmes, die Frantzosen ont trouvé la solution : « un Habid enter les deux Saisons ».

51 Finalement il n’a pas voyagé avec le fils du Magistrat qui, avec la voiture de poste menée par le Postillion Monsieur le Roy était partie vers Strasbourg, fin mars. De son propre chef, François Jacques avait pris l’initiative de vouloir partir avec l’équipage du duc de Savoie dont la seule inconnue était la date de départ. Dans sa lettre du premier avril, il écrit à son père : « Der Hertzog hab mich wohl mehr als trey mahl von freien Stücken gefragt ob Ich mit Ihm wollte hinaus reisen, welche Ich Ihm nicht hab abschlagen dörffen… » comme quoi il était ‘obligé’ d’accepter la proposition ducale.

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Les immeubles des Wurmser

Les immeubles des Wurmser, quai Saint Nicolas à Strasbourg (à gauche, un immeuble reconstruit en 1759, était auparavant le Wurmser Hoff où logeaient Dagobert et son épouse ; l’immeuble suivant, ancien Bocks Hoff, reconstruit en 1686, abritait la famille de François Jacques ; le suivant, appartenait aux Wurmser, c’était le Kauische Hoff, une ruelle séparait ces deux dernières maisons : l’impasse du Bouc, notée sur un plan de 1880).

52 En fin de lettres, François Jacques informe la famille d’un fait ‘historique’ : « Actuellement, le propos de la cour du Roi se focalise sur les mesures prises – Louis XIV retire toutes ses troupes qui assiégeaient la ville de Luxembourg – afin d’envisager une paix future … »,67 et aussi sur des faits qu’il avait pu suivre personnellement, comme l’audience du départ de l’ambassadeur de Suède, cérémonie dans le faste du château de Versailles.

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François Jacques Wurmser de Vendenheim de Sundhouse

La belle allure de François Jacques Wurmser de Vendenheim de Sundhouse, Gravure de J-A Seupel. BNU Strasbourg.

53 Une dernière lettre de François Jacques – écrite à Chalon (sur Marne) – est datée du 24 juin 1682. L’équipage y était arrivé la veille, avec ‘armes et bagages’, sous la conduite de Monsieur Trouxes. Le duc de Savoie ne les avait pas accompagnés ; il devait régler des affaires à la Cour. Sa venue à Chalon dura plusieurs jours. En plus, le Herzog veut passer par Metz, ce qui retardera le retour à Strasbourg d’au moins quinze jours. Ce voyage n’a pas été de tout repos. François Jacques avait annoncé à son père une triste nouvelle : « der junge Amptman von Kircheim ist tods geschoßen worden ». Le jeune administrateur seigneurial de Kirchheim devait, sur ordre du Duc, rallier Metz pour affaires. Dans un passage étroit de la traversée de la forêt de Sainct Menou (Sainte Menehould ?) un tir avec trois balles l’avait atteint dans le dos, il est rapidement tombé de son cheval. Comme il n’était pas décédé immédiatement, les scélérats « so haben Ihm die Schelmen so viel Stöß mit der Fusil auff die Brust gestoßen, bis er folgens verschiden… » l’ont battu à mort. Le postillon qui l’avait guidé, avait réussi à s’enfuir et avait pu porter la nouvelle, die Zeitung nach Sainct Menou. De suite les autorités locales avaient envoyé une voiture à deux chevaux, mais l’équipage n’a pu que ramener le corps du malheureux, les meurtriers avaient disparu. Monsieur Trouxes s’étaient rendu de Chalon à Sainte Menehould afin d’avoir des explications ; il était revenu le lendemain avec les affaires personnelles du jeune homme, et il a confirmé cette malheureuse affaire.

54 Affaire douloureuse pour François Jacques, car Monsieur Kirschheim était son meilleur ami : sa tristesse et ses pensées vont vers sa bonne épouse et son vieux père, « welche solchs großes Kreutz schier nicht werden überwinden können… » (qui auront du mal à surmonter ce calvaire). Avec cette dernière note bien triste se termine le récit du voyage – le Cavalierstour de Frantz Jacob Wurmser von Vendenheim zu Soundhausen – qui a

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duré plus de deux ans68 ; deux ou trois années pour parfaire l’éducation nobiliaire d’un jeune strasbourgeois, mais aussi des longues années de séparation avec ses parents, sa famille et ses amis.

Les années suivantes

55 Qu’est-il advenu de notre jeune correspondant depuis son retour à Strasbourg en été 1682 ? Sans nouvelles de sa part, ce n’est qu’en 1687 qu’une première trace – un contrat de mariage – nous permet de reprendre contact avec lui : François Jacques épousait le 18 septembre de cette année-là, Catherine Elisabeth Wachholtz zum Altenhoff69. Ils avaient vingt-cinq ans ; ils habitèrent l’ancien Bocks Hoff au quai Saint‑Nicolas, immeuble qui avait été reconstruit en 1686. François Jacques se remarie en 1702. Son épouse, nommée Marie Catherine Christine (née Waldner de Freundstein70), était sa cadette de vingt ans.

Armes des Wurmser

Armes des Wurmser. (livre des Stettmeistres du Musée Historique) Armes : De sable à deux croissants d’argent, coupé d’or plein ; l’écu timbré d’un casque de tournoi, couronné d’or et orné de lambrequins d’or et de sable. Cimier : une femme de carnation, issant du casque, la tête ceinte d’une couronne d’or, les couleurs de la robe reproduisant les dispositions de l’écu, les bras remplacés par deux cornes de buffle d’or. Ernest Lehr.

56 À la vue de nombreuses minutes retrouvées dans les registres de notaires strasbourgeois, les couples Wurmser-Wachholtz et Wurmser-Waldner, avaient certainement réalisé des bonnes opérations financières – prêts, obligations, achats de rentes, de châteaux et héritages ! – entre 1692 et 1708. Le ‘métier de banquier’ ne devait pas être la seule fonction de François Jacques, car les archives le citent comme « Kapitän in der Deutsche Kavalerie des Regiments von Rothenbourg et Oberamtmann zu Lichtenau (bailli) »71 ; Ernest Lehr, lui attribue le poste de Directeur de la Noblesse de l’Ortenau. Il

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était âgé de 45 ans, dans la force de l’âge ! Et pourtant, dès 1706, il se sentait obligé de faire rédiger son testament !

NOTES

1. Hessisches Staatsarchiv Darmstadt, F 26 Nr. 7 : Briefe des Franz Jacob v. Wurmser an seinen Vater Dagobert v. Wurmser und seine Mutter. L’orthographe de François Jacques a été respectée, il utilise aussi des mots en français (caractères normaux) dans ses lettres. 2. François Jacques Wurmser de Vendenheim de Sundhouse naît le 20 mai 1662 et meurt en 1711, le 22 avril. 3. Guerre de Hollande (1673-1679) : en 1675 les troupes impériales passent et repassent le Rhin, les alliés et les ennemis de Strasbourg dévastent les alentours. 4. Dagobert Wurmser de Vendenheim de Sundhouse naît le 1 er mars 1629 et meurt en 1706 ; Directeur de la Noblesse de Basse Alsace. 5. Un Thaler valait environ un Florin et demi (Gulden) ou 15 Schilling ; 5 Schilling faisait vivre une famille pendant une semaine. 6. Les carnets de comptes Ordinari und Extraordinari Außgaben, débutent à la date du 7 avril 1680 ; pour exemple : une montre en argent valait 16 Thaler 41 Sols, un cadenas pour sa malle 12 Sols. (le Sol de Strasbourg valait environ deux Sols de France ; le salaire d’un manouvrier oscillait entre 8 et 12 Sols de France). 7. Du carnet de comptes : la soirée du 16, à Aiguebelle ; le 17 à La Chambre et à Saint Michel ; le 18 à Bramans et à Lanslebourg. 8. Turin était la capitale du Duché de Savoie dès 1562. 9. BABEAU (Albert), La vie militaire sous l’Ancien Régime, Paris, Librairie Firmin-Didot 1890. 10. Traduction « un jour et demi avant d’arriver à Turin, passage à 2 083 m du Mont Cenis, la plus haute montagne en Europe ! Montée avec des mulets, descente en chaise à porteurs, arrivée à l’ Academie où nous vivons comme des chevaux hongres ! » 11. Victor Amédée, naît à Turin le 14 Mai 1666 et meurt à Moncalieri le 30 octobre 1732. Il fut prince de Piémont et duc de Savoie en 1675, roi de Sicile en 1713, puis de Sardaigne en 1720 ; il fonda une monarchie absolue, avant d’abdiquer en 1730. 12. Charles Emmanuel de Savoie, fils de Victor Amédée Ier et de Christine de France. 13. Marie Jeanne Baptiste de Savoie, fut duchesse de Savoie et d’Aumale ; elle était une arrière- petite-fille d’Henri IV. 14. Général des armées de Savoie, sous la régence de Madame Royale, il serait l’un des six enfants naturels de Charles Emmanuel Ier de Savoie et de Marguerite de Rossillon du Châtelard, marquise de Rive. 15. « un homme sensé, intelligent, malgré sa totale privation de paroles ». 16. Le ‘Croisat’ frappé à Gênes, marqué d’une croix et de l’image de la Sainte Vierge, équivaut à 1½ Thaler ou 1½ Ecu en France ; la ‘Pistole de Savoie’ est échangée : 4 Pistoles pour 14 Thaler 24 Sols (ou Pistole d’Espagne ?). 17. Françoise Eléonore de Mullenheim-Rechberg (1634-1691) était l’une des filles de Blaise de M-R et de Rosine de M-Rossenberg.

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18. En fait, François Jacques avait déjà fait confectionner son habit par le tailleur, dès la fin du mois de mai. Le costume a été facturé à 38 Thaler 64 Sols, auxquels s’ajoutèrent 26 Thaler 42 Sols pour les Garniture Band (carnet de comptes). 19. Probablement, Sidonie Philippine de Müllenheim-Rechberg, née von Puchenau ; elle habitait l’immeuble à côté de celui des Wurmser. 20. « les élèves qui veulent rester en bonne santé, doivent avoir un bon estomac, car les repas chauds sont rares. Si on veut une bonne table, il faut se rendre au restaurant pour manger ce qui nous ferait plaisir. » 21. Probablement, Anna Clara Wurmser de Vendenheim (1667-1722). 22. Le père avait envoyé sa lettre le 28 juin ; plusieurs jours s’écoulaient ordinairement pour recevoir un courrier (par un Postreuter) à Strasbourg ou à Turin (de 14 à 21 jours à partir de Paris, par exemple). 23. En août 1678, le Maréchal Créqui avait incendié le village de Vendenheim, en représailles des hostilités des Strasbourgeois. 24. « un vaillant cavalier et courageux gaillard ». 25. « un baudrier et une épée d’escrime ». 26. Le père Wurmser avait écrit au moins quatre lettres (le 12 et 16 août ; le 1 et 12 septembre) pendant ce laps de temps ; cela prouve bien que la famille n’était pas rassurée quant à l’évolution de la maladie du fils. 27. « la mauvaise herbe ne meurt pas ! ». 28. « comme leur enfant dans la maison » « Lorsque la transpiration due à la fièvre était visible, ils m’essuyaient avec une serviette chaude, et lorsque la convalescence semblait longue, ils me racontaient leur séjour en Alsace et à Vieux Brisach. » 29. Ce déménagement avait aussi été précisé dans une lettre de l’intendant de Müllern (du 5 octobre) ; il confirme que François Jacques avait repris studieusement les cours de langues et les exercices, et en réponse aux questions du père : « la durée du séjour à Turin n’est pas encore définie, certainement jusqu’au printemps ; ensuite, vers où ira le groupe ? le lieu ne lui est pas communiqué. » 30. Dans une lettre adressée à sa mère, écrite à Turin, le 26 octobre 1680. 31. Philippe René (1664-1712) ; Jean René (1665-1736). Ils ont fait des études à Strasbourg. En 1678, ils ont commencé un Cavalierstour par la Suisse, en 1680 en Savoie et à Turin, en 1681-82 à Paris (en compagnie de François Jacques), en 1683 en Hollande et en Angleterre. 32. Probablement, Jean George II de Saxe (1613-1680). 33. Courrier du 12 décembre, adressé au père ; du 15 et 29 décembre, à la mère. De Müllern adresse les meilleurs vœux pour l’année 1681, le 21. (26 sera le nombre de lettres écrites de mars 1680 au 1er janvier 1681, sur 14 lettres en retour signalées dans les missives). 34. Les imprimeurs de Strasbourg se lancèrent tout naturellement dans la publication des nouvelles (Zeitungen) ; le premier journal ‘Relation’ date de 1605. 35. Les factures de tailleurs italiens sont jointes aux carnets de compte ; les carnets de compte ne couvrent que 3 trimestres de 1680. 36. Au mois de juillet, il avait demandé six fois de l’argent de poche (en tout 11 Thaler) ; en septembre, 7 fois (16 Thaler). 37. Le restaurant, entre 40 et 70 Sols (en mai, pour 12 jours il en avait pour 10 Thaler 70 Sols) ; la Chaise, 30 Sols. 38. J. G. de Zedlitz (1632-vers 1686), Stettmeister de Strasbourg de 1679 à 1686. ; coseigneur de Kolbsheim avec les Wurmser ; sa famille habitait le château haut. 39. Lettres du 22, 26 et 28 février, adressées à son père. 40. Course au faquin. 41. Grande Chartreuse située près de Pavie, fondée en 1396, achevée au XVIIIe siècle.

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42. La première pierre de la Cathédrale de la Nativité de la Sainte Vierge de Milan ou Duomo di Milana, a été posée en 1386 ; lors de sa visite, la façade principale n’était pas achevée. 43. Le ‘Saint Clou’ retrouvé par Sainte Hélène, avait été utilisé comme mors pour le cheval de Constantin Ier … selon la légende). 44. Juan Tomàs Enriquez de Cabrera, Comte de Melgar (1646-1705), Gouverneur du Milanais de 1678 à 1686, Vice-Roi de Catalogne. 45. Lettre écrite à Lyon le 14 juin. 46. Porte-étendard, sous-lieutenant de cavalerie. 47. « … ist kranck worden an den Barblen, weilen aber viel seind in der Accademie die diese Kranckeit noch nicht gehabt haben, derowegen Wier gezwungen gewesen ihn auß der Academie in der Statt in dem Haus wo Ich auch kranck gewesen legen ... » 48. Ce conducteur de la poste aux chevaux avait déjà conduit François Jacques à Genève, un an plus tôt ; il rendra encore beaucoup de services à la famille Wurmser lors de ses voyages entre Paris et Strasbourg. 49. Lettre du 26 juillet. Effectivement la pension ‘mange’ près d’un tiers de la somme allouée mensuellement, les frais des cours à l’Académie absorbent le reste. L’intendant, Monsieur de Müllern, envoie une lettre le même jour à M. Wurmser père en vue d’obtenir rapidement une lettre de change, les justificatifs seront comptabilisés ultérieurement ! 50. « Les dentelles munies d’agrémens (ou passements, bandes de tissus servant à l’ornement des robes des dames) sont coûteuses, mais exceptionnellement belles. » 51. Il demande aussi, si le père avait déjà reçu en retour, la somme d’argent que la famille avait prêtée à la Ville de Strasbourg pour parfaire ses fortifications ; François Jacques avait en vue l’achat d’habits d’hiver ! (AVCUS, VII 4, Remboursements des emprunts, 1658-1676). 52. Lettres du 3 et 8 novembre de Monsieur de Müllern : François Jacques est fiévreux. 53. Lettres du 12, 15 et 19 novembre ; dans la dernière, il informe que Louis XIV et sa Cour sont arrivés à Saint-Germain (au retour de la visite à Strasbourg ?). 54. « Ich den Herr Vatter gantz demudisted ersuche deßen wegen keinen Zorn auff mich zu laßen, sonderen mier die biß anhero vätterliche Gnaden noch fernen zu continuieren… » 55. Paul de Beauvilliers, Comte de Saint-Aignan (1648-1714), fut gouverneur des ducs de Bourgogne, d’Anjou et de Berry. Son père François fut l’un des protecteurs des gens de lettres sous Louis XIV (Académie Française). 56. L’hôtel des Kau a été acheté le 29 mai 1682 et celui des Bock le 20 mars 1691 ; l’hôtel des Wurmser avait été reconstruit en 1686 (ABR, 6 E 41/452 ; SEYBOTH (Adolph), Strasbourg historique et pittoresque, 1898, p. 598-599). 57. L’échange de lettres semble bien se poursuivre en 1682 : 20 lettres comptabilisées (rappel : 38, en 1681 ; 26, en 1680). 58. « les 300 Thaler (ou 100 Pistolen) accordés pour 3 mois ne sont pas suffisants, vu que les frais de séjour incompressibles se montent déjà à 65 Thaler par mois » sans Extra. 59. Conrad de Rosen, comte de Bollwiller (1628-1715), promu Maréchal de France en 1703 (la même année que Vauban) ; en 1681, il abjure sa foi luthérienne. 60. Reinhold Charles de Rosen, comte de Bollwiller (1666-1744), Lieutenant Général des Armées en 1718. 61. Hessisches Staatsarchiv Darmstadt, F 23 Nr. 141 : Straßburg den 12 März 1672, Dagobert Wurmser v V z S. … eine Behausung in der Schildgasse mit Zubehör für 4 300 Gulden kauft hat… 62. « il est gai, de bonne humeur, j’ai eu la chance de m’entretenir avec lui, de le servir. » 63. Jean Ernest, comte, puis Prince de Nassau Weilburg (1664-1719) ; entre 1681 et 1682, il séjourne à la Cour de Louis XIV (il avait 18 ans en 1682, 2 ans de moins que François Jacques). 64. Comtesse Palatine Anne Madeleine de Birckenfeld-Bischweiler (1640-1693). 65. Jean Frédéric Würtz ; son fils avait-il effectué le même cycle d’étude que François Jacques ?

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66. Brocart, étoffe brochée de soie, d’or ou d’argent ; Moire, étoffe à reflet changeant (de l’anglais, mohair). 67. Lettre du 25 mars : le 4 mars, François Jacques avait informé que « toute la maison du Roi était en ordre de marche, mais personne ne savait vers où ! ». 68. Toutes les lettres de François Jacques ne nous sont peut-être pas parvenues, mais soyons contents qu’une main prévenante avait su ranger dans une boite à lettres cette correspondance et les classer avec les documents dans l’armoire à registres de la ‘Famille Wurmser de Vendenheim de Sundhausen’. 69. ABR, E 1251, Contrat de mariage. Catherine Elisabeth (1662-1701), fille adoptive de Jacques et Cécile von Wachholtz (née von Manteüffel) ; de cette union naquirent huit enfants, cinq décédèrent prématurément. 70. ABR, 6 E 41/462, Contrat de mariage. Marie Catherine Christine (1682-1747), fille de Frédéric Louis et de Marie Cordule Waldner de Freundstein (née de Rothschütz) ; de cette union naquirent cinq enfants. 71. Landsarchiv Darmstadt, B 23 Nr. 23, Versailles, 30 Avril 1689, Louis XIV attribue un commandement au Capitaine de Wurmser.

AUTEUR

JEAN-PAUL HAETTEL Chargé d’études, ponts et chaussées

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La bibliothèque de Lucas Wetzel, érudit du XVIe siècle Library of Lucas Wetzel, sixteenth century scholar Die Bibliothek des Lucas Wetzel, Gelehrter im 16. Jahrhundert

Monique Debus Kehr

Les livres sont ce que nous avons de meilleur en cette vie, ils sont notre immortalité1.

1 Nulle autre phrase au monde ne saurait convenir plus justement à Lucas Wetzel, qui, par le hasard qu’offre parfois une recherche dans les fonds d’archives, a été tiré de l’anonymat et retrouve, pour un temps au moins, une sorte d’existence. Et, par-delà, c’est une chose bien étrange que d’aborder l’existence d’un homme disparu depuis plus de quatre siècles par le biais de la bibliothèque qui fut la sienne2. Cependant, si « toute bibliothèque est une autobiographie »3, elle est aussi le reflet du monde que son propriétaire a connu, ce XVIe siècle qui a vu l’imprimerie se déployer dans les villes de l’Occident, tendue vers la diffusion non seulement des idées de l’humanisme et des auteurs anciens remis au goût du jour, mais encore des thèses, doctrines et controverses d’une confession, le protestantisme, ainsi que des ouvrages d’un droit qui connaissait lui aussi la pénétration de l’humanisme. L’inventaire après décès établi dans le cadre d’une succession dresse, de façon peut-être incomplète, le catalogue des ouvrages que possédait L. Wetzel, mais l’essentiel est là et nous fait entrer dans la sphère intime d’un lettré, d’un juriste, d’un humaniste au sens que possédait ce terme au siècle où il vivait, à condition, – et c’est un topos de le dire – qu’il ait étudié ou lu ses livres.

2 Les inventaires après décès sont une source d’informations sur les biens mobiliers et immobiliers d’un défunt. Les biens meubles concernent l’équipement domestique, les biens immobiliers comprennent maison, vignes, champs, prés, ferme… Bien sûr, il s’agit là du patrimoine des plus aisés, comme celui de Matthias Wetzel dont il sera question plus loin4. Les inventaires sont dressés aux fins du partage entre les héritiers (époux survivant, enfants) selon le droit matrimonial alors en vigueur, les biens inventoriés étant évalués. Les inventaires relèvent aussi d’une obligation liée à la fiscalité, l’impôt

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étant calculé sur la fortune, d’après une déclaration volontaire des assujettis. Après leur décès, l’inventaire permettait de vérifier la véracité des déclarations et d’exiger éventuellement un « redressement ».

3 Aux archives municipales de Colmar, les recherches dans les registres mortuaires, les livres d’admission à la bourgeoisie et les listes des membres du Magistrat et des chefs de corporations n’ont pas donné de résultat dans l’identification de L. Wetzel dont la bibliothèque est inventoriée5. Aucune mention d’un mariage ni d’enfant ni de contrat passé avec des tiers. Pas de trace de L. Wetzel non plus dans les archives judiciaires ni dans les archives de familles6. Cependant, dans un article de C. Wolff sur la famille Wetzel, il est question, dans la branche établie à Munster, d’un Lucas Wetzel, Stubenwirt (aubergiste), mais il est peu probable qu’il s’agisse de « notre » Wetzel, un aubergiste ne détenant pas une bibliothèque savante7. Dans le contexte corporatif d’Ancien Régime, Stubenwirt signifie aussi responsable du poêle, institution corporative. Mais de quelle corporation ou métier pourrait-il s’agir, la profession de L. Wetzel nous étant inconnue ? De plus, tout membre (maître) d’une corporation devait être bourgeois de la ville dans laquelle il exerçait sa profession.

4 La place qu’occupe cet inventaire dans la liasse 30 du carton 27 est quelque peu étrange8. Elle concerne la succession de Matthias Wetzel et porte en marge la date de 1601. L’inventaire du riche patrimoine du défunt, rédigé en allemand, est long et détaillé, les enfants touchant des parts diverses des biens inventoriés par catégories et estimés. La dernière catégorie, à ce qu’il semble tout d’abord, Heidnischwerk (tapisserie) se résume au seul titre ; suivent deux pages vierges, puis débute le catalogue des livres du défunt Lucas Wetzel, sous la forme d’une liste de dix pages, précédé du titre : Der Kinder untheilbar und erstlich M[agister] Lucae Wetzels seeligen Bücher, soit : [biens] non partageables aux enfants et premièrement les livres du défunt Maître L. Wetzel. Il doit donc y avoir, selon tout logique, une partie theilbar.

5 L’inventaire des ouvrages s’achève par une note : M[agister] Christophorus Kirchnerus hat vermög beigelegtem zedels bücher, so ihme under dieser condition, von L. Wetzel in der frömbde [2 mots illisibles] vermacht worden. Ce qui signifie qu’en vertu du billet joint, des livres ont été légués à Christoff Kirchner par L. Wetzel à condition que… En marge se trouve une autre note concernant Christoff Kirchner : Sollen von ihme erhebt und alsdan in gemeinen auschlag zu verkaufen gebracht werden : « Qu’il vienne les chercher, de sorte qu’ils soient vendus après estimation habituelle. »

6 Christoff Kirchner est né en 1563 à Fambach (Thuringe) et est décédé en 1635 à Bâle. Il étudie la théologie, exerce au Gymnase protestant de Strasbourg, puis dirige comme rector le Gymnase de Colmar (1597‑1627). Contraint de s’exiler en raison de la Contre- Réforme qui s’établit à Colmar, il finit sa carrière à Bâle comme conrector du Gymnase. Il est l’auteur d’une chronique en latin et en allemand sur Colmar, dans laquelle il évoque sa fonction d’enseignant du latin9. Le livre des bourgeois de Colmar nous apprend qu’il a été reçu bourgeois de la ville en 1597 et qu’il était lateinischer Schulmeister10.

7 L. Wetzel a donc légué des livres à C. Kirchner selon une liste consignée sur ce zedel, petit morceau de papier de quelques centimètres de large et d’une vingtaine de long11. Recto et verso figurent en abrégé et en latin les titres de 42 ouvrages classés selon leur format (In Mediano, In Folio, In 4to, In 8tavo, In 16to). Ils sont précédés d’un titre : Index librorum, quos Domino M. Christophoro Kirchnero precarie concessi, soit : « Liste des livres que j’ai concédés à M[aître] Christophe Kirchner à titre précaire ». L’on y trouve des ouvrages de droit (Douaren, Mynsinger, Hotman…), de littérature (Petrarque, De rebus

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memorandis), de littérature grecque (Homère) et de philosophie (Opera sexti philosophi), de poésie (Opera poetica Hutteni), de rhétorique (Melanchthon, Methodij eloquentiae). À la fin de ce billet figure une mention : Si ap[ud] exteros moriar horum librorum M. Christophorus Kirchnerus heres esto, haes Spiram abiens consulto animo Lucas Wetzelius scripti propria manu, soit : « Si je meurs à l’étranger, que M.[aître] Christoph Kirchner soit l’héritier de ces livres-ci. Moi, Lucas Wetzel, j’ai écrit cela après mûre réflexion et de ma propre main au moment de partir pour Spire. » Voilà donc un prêt – et testament olographe – en bonne et due forme, hélas non daté. Une date nous aurait permis d’avancer un peu dans la biographie de L. Wetzel. Au moins savons-nous qu’il est parti à Spire, ville protestante. Allait-il y occuper, selon toute probabilité, eu égard à sa formation de juriste, une fonction au Reichskammergericht ?12 Cependant, le répertoire des membres du personnel de la Chambre impériale ne contient pas le nom de L. Wetzel13.

8 Après ces deux notes figurant à la fin du catalogue et l’insertion du billet dont nous parlions, l’inventaire après décès de Matthias Wetzel se poursuit par une nouvelle catégorie de biens à partager :An harnisch und wehren von den vier jüngsten kindern gefallen (armures et armes revenant aux quatre enfants les plus jeunes). Serait-ce la partie theilbar que nous évoquions ? Ce qui ne laisse pas d’étonner, ce sont les noms des enfants… qui sont les mêmes qu’au début de l’inventaire et qui bénéficient du partage de ses biens, soit Marx, Eguenolph, Anna… À l’évidence, il s’agit de la reprise du partage de Matthias. En conclusion, eu égard à ce qui précède (et aux ouvrages figurant dans le catalogue dont il sera question plus loin), les hypothèses suivantes peuvent être tentées :

9 Lucas est peut-être un des fils de Matthias, mort jeune, à l’étranger, probablement à Spire (d’où son absence dans les registres colmariens), et ses livres sont revenus à son père. Au décès de ce dernier, ces livres, non partageables, reviennent soit aux enfants (à l’exclusion de leur mère), soit à la veuve (à l’exclusion des enfants), selon le régime matrimonial des parents, à l’exception des livres prêtés puis légués à Christophe Kirchner. Ce dernier était-il le maître ou le compagnon d’études de Lucas ?

Description globale des ouvrages

Les formats

10 Avant d’analyser le contenu de cette bibliothèque, il paraît judicieux de décrire quelque peu sa matérialité. Les deux premiers mots du titre de l’inventaire, Der Kinder untheilbar est écrit en caractères gothiques agrandis, tel qu’il sied aux indications que l’on veut mettre en évidence, (Auszeichnungsschrift). La suite du titre de même que la plupart des titres des ouvrages sont écrits en caractères romains, mais mâtinés de caractères gothiques, en un savant mélange parfois difficilement déchiffrable, d’autant qu’abondent les abréviations.

11 Les titres des livres de la 1ère partie de l’inventaire, les ouvrages in-folio, sont suivis de données concernant leur couverture : • In leder gebunden : relié avec couverture cuir (2 titres) ; • Gebunden ohn copert : relié sans couverture (5) ; • In pergament : sur parchemin (2) ; • In prettern mit clausuren : relié sur ais de bois avec fermoirs (1) ;

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• In alt folio und brettern : vieux-folio sur ais de bois (1).

12 Les quatre premiers livres de format in-quarto à la suite des in-folio font l’objet d’une accolade en marge ; il est précisé que ces ouvrages sont en parchemin et de format grand in-quarto : in pergament großquart. Les dix derniers livres du catalogue ne sont pas reliés et figurent sous le tire ungebundene. En ces temps-là, l’acquéreur d’un ouvrage avait la possibilité de le faire relier lui-même chez un relieur et de choisir ainsi la reliure, sur ais de bois, en cuir, en parchemin, avec ou sans fermoirs, avec ou sans dorures… L’ouvrage de Daniel Martin sur « la vie de nos aïeux aux siècles passés » contient un chapitre consacré au relieur de livres14.

13 Entre les premiers livres, de format in-folio (11 titres) et les livres non reliés de la fin (10 titres), se trouvent successivement les ouvrages de format in-quarto (19 titres), in- octavo (70 titres) et in-sedecima (20 titres). Le graphique suivant fait apparaître que les livres de format in-octavo sont les plus nombreux, 70, ce qui représente un pourcentage de quelque 54 % de l’ensemble de la bibliothèque (130 ouvrages). Le nombre des formats in-quarto et in-sedecima sont à peu de chose près équivalents, comme le sont aussi les ouvrages in-folio et non reliés.

Figure 1 : Répartition du nombre d’ouvrages par format

14 Quelle est la raison du catalogage par format des livres de l’inventaire ? Est-ce le fait du scribe, qui l’a adopté par commodité, ou la bibliothèque se présentait-elle ainsi, par souci pratique, permettant un rangement plus facile des volumes ? Auraient-ils pu être répertoriés par domaines intellectuels ? Par ordre alphabétique ? Par date de publication ? Par date d’acquisition ? Par éditeur ? Les volumes non reliés étant mis à part, car de moindre valeur, leur propriétaire n’ayant pas eu le temps ou l’argent nécessaire à la reliure ? L’on peut se demander au demeurant si l’inventaire a répertorié tous les ouvrages, certains d’entre eux, de peu de valeur, ayant pu être écartés de l’inventaire. Toujours est-il qu’en général les héritiers faisaient appel à un courtier, Kaüfeler, intermédiaire entre vendeur et acheteur, spécialiste des objets d’occasion qui en indiquait la valeur. Ici, nulle indication de prix, de sorte que toute estimation financière de la bibliothèque est impossible. Peut-on en conclure que les ouvrages de L. Wetzel ne devaient pas être vendus, mais transmis aux héritiers, auxquels on demandait peut-être de ne pas les disperser ?

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15 Le nombre de livres, 130, ne correspond pas au nombre réel (physique) de volumes. Certains livres en comportent plusieurs. Par exemple, Corpus juris civilis glossarum (1) 15 comporte 5 volumes ; P. Ovidi Nasonis Amatoria (60), 3 volumes ; D. Andreae Tiraquelli, Opera omnia (4), 2 tomes, Dn. Udalrici Zasii, Opera Omnia (5), 2 tomes. Certains ouvrages, et c’est là source de confusion, sont composés de plusieurs livres (libri), sans qu’il soit possible de toujours savoir avec certitude s’ils constituent un seul ou plusieurs volumes… Ne nous étonnons pas non plus de la numérotation (elle est de notre fait, mais elle correspond à la liste dressée dans l’inventaire), qui s’arrête à 128 : quatre titres ont été réunis deux par deux par le scribe, liés par le mot et ; il s’agit de : Orationes latinae et carmina gratulatoria (18), et de Arii Pinelli ad tit: de rescind: vendit: et de bonis Maternis, du même auteur et dont le sujet est juridique (41).

Les titres

16 Les titres des livres sont indiqués de façon très elliptique : un ou deux mots, suivis ou précédés du nom de l’auteur, en latin, sauf exception. On concédera que la plupart des titres sont très longs, mais le procédé minimaliste du scribe a nécessité, pour les identifier, d’infinies recherches dans les catalogues des bibliothèques, en France et à l’étranger. Les bases de données comme Sudoc, Gallica, Worldcat, USTC16, KVK17, Google Books, et autres ont été d’un grand secours, comme aussi les catalogues des volumineuses bibliothèques privées vendues dans les siècles passés et mis en ligne aujourd’hui, qui ont permis, l’une ou l’autre fois, d’identifier des ouvrages introuvables. Ainsi, Horatius, ex editione et cum notis Henrici Stephani (123), ne figure que dans le Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. de Lamoignon18, ou Herodiani Historiarum lib. VIII (15), qui n’apparaît plus que dans le Catalogue de la bibliothèque d’un amateur 19. La difficulté que présentent ces deux derniers outils de recherche (Google Books et les catalogues imprimés des anciennes bibliothèques) réside dans le fait qu’ils n’indiquent pas de formats, indispensables pour repérer l’édition détenue par L. Wetzel. Il fallait aussi que l’année d’édition coïncide, les ouvrages postérieurs à 1601 n’entrant pas en ligne de compte, la date de l’inventaire constituant un terminus post quem. Format et date d’édition ont donc été les critères déterminants pour indiquer un ouvrage et admettre de façon quasi certaine que L. Wetzel possédait telle édition. Cependant, certains ouvrages ont été édités à plusieurs reprises au cours du XVIe siècle, en des lieux différents ou chez le même éditeur. Dès lors, lequel choisir ? Le format, là aussi, a été déterminant. À défaut, et à l’une ou l’autre reprise, les diverses éditions ont été indiquées, comme Loci argumentorum Nicolai Everhardi (34). Par ailleurs, certains ouvrages ont été de véritables best-sellers et ont connu une pléthore d’éditions, comme Copiosa Suppellex elegantissimarum, Germanicae et Latinae linguae, livre de philologie de Hermann Ulner20, édité à 26 reprises entre 1566 et 1620, ou l’ouvrage de rhétorique d’Érasme, De duplici verborum, édité 23 fois entre 1535 et 1636.

17 Le titre d’autres livres est si imprécis qu’il a été impossible de faire un choix parmi les ouvrages proposés par les bibliothèques publiques, le ou les mots le caractérisant se retrouvant dans plusieurs ouvrages différents. L’une ou l’autre fois ont été indiqués les différents titres possibles, mais un seul a été choisi (un peu arbitrairement) pour figurer dans le catalogue, l’autre figurant néanmoins dans une note de bas de page. Par exemple, le titre Praxis Rob[ert]i Marantae (26) peut être celui des deux ouvrages suivants : Avrea Praxis Dn. Roberti Marantae Venvsini, Ivreconsvltorvm Facile Principis: Vvlgo Specvlvm Avrevm Et Lvmen Advocatorvm Inscripta : additionibus claris […] Coloniae

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Agrippinae. Apud Theodorum Baumium, sub signo Arboris, Anno 1580, ou bien Roberti Marantae Venusini praxis aurea seu speculum aureum cum additionibus Petri Follorii, et decem disputationibus ejusdem Marantae, Lugd., 158421.

18 Quelques erreurs émaillent les intitulés des livres, comme libri au lieu de liber dans Herodiani historiarum libri VIII (15), ou Henrici Stephani poemata (116) : il s’agit des poèmes d’Horace, non de Henri Estienne, dont l’édition a été « enrichie de notes et de commentaires par H. Estienne. Avec une dissertation du même H. Estienne sur son édition, et diverses considérations à son sujet », comme l’indique le titre complet de l’ouvrage (116). Ailleurs, un auteur a perdu une partie de son nom : il est écrit Tabulae P. Molani…, alors qu’il fallait écrire Mosellani (117) soit Peter Mosellanus, nom latinisé de Peter Schade22.

19 Selon les habitudes éditoriales en vigueur au XVIe siècle, les titres sont, pour la plupart, très longs, véritables énoncés du contenu des ouvrages. Ils indiquent parfois l’origine des écrits présentés, les intentions du ou des auteurs et / ou des commentateurs, les ajouts, les traductions et ainsi de suite, de sorte que le lecteur sait ce que la lecture du livre lui réserve. En conséquence, ces titres sont souvent complexes. Par exemple, le titre intitulé dans l’inventaire : Henrici Stephani florilegium diversorum epigrammatum (13) s’énonce ainsi dans son entier : Anthologia diaphoron epigrammaton palaion, eis epta biblia dieiremenon. Florilegium diversorum epigrammatum veterum [a Maximo Planude collectorum] in septem libros divisum, magno epigrammatum numero & duobus indicibus auctum. Henr. Steph. de hac sua editione distichon, pristinus a mendis fuerat lepor ante fugatus : nunc ille profugae mendae, nunc lepor ille redit. [Ejusdem Explicatio notarum sibi peculiarum quibus in hujus libri et in Homeri aliorumque poetarum editione usus est. Ejusdem Annotationes in quosdam Anthologiae epigrammatum locos et potissimum eos qui secus quam in hac ejus editione aut scripti aut interpuncti inveniuntur], Geneva, Excudebat H. Stephanus typographus, Anno 1566.

20 Il appelle les explications suivantes : le titre latin (Florilegium … in septem libros divisum) est la traduction du titre grec (Anthologia … dieiremenon), sauf [ a Maximo Planude collectorum] qui est une addition de l’auteur de la notice catalogue, qui signifie que ce florilège a été compilé par Maxime Planude23. Ce livre n’a donc pas d’auteur à proprement parler : Planude a réuni des poèmes écrits par divers auteurs grecs anciens ; il est ce qu’on appelle aujourd’hui éditeur scientifique. Le titre en latin va jusqu’à divisum. La suite, magno epigrammatum … signifie : « augmenté d’un grand nombre d’épigrammes et de 2 index. H. Etienne [y a mis] un distique relatif à son édition : « pristinus […] ille redit », ce qui signifie « qu’autrefois le charme de ces textes était chassé par les fautes [de copie ou d’impression], mais qu’il est à présent de retour, car ces fautes ont été éliminées ». H. Estienne explique aussi les « notes » (caractères spéciaux ?) qu’il emploie dans ce livre et dans ses éditions d’Homère et d’autres poètes. Il joint des commentaires sur certains passages de l’anthologie, et principalement sur ceux qui, dans son édition, sont écrits ou ponctués « autrement qu’ailleurs ». Ces commentaires font de H. Estienne plus qu’un simple imprimeur (typographus), ses commentaires sont une activité d’éditeur scientifique24.

Les éditeurs, villes et années d’impression

21 Les titres indiquent toujours en latin le nom de l’éditeur et / ou de l’imprimeur, la ville et l’année d’édition. Le nom de l’imprimeur est précédé généralement de la mention

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excudebat (imprimé par) ou apud (chez), parfois per. L’une ou l’autre fois, il est précisé que l’imprimeur est un tel, mais qu’il a imprimé « aux frais de », comme dans apud Georgium Corvinum impensis Sigismundi Feyerabendi (4) 25. Dans le paragraphe précédent, nous avions mentionné qu’un imprimeur pouvait aussi être éditeur, voire éditeur scientifique. Un éditeur était, la plupart du temps, également libraire (les termes imprimeur, éditeur ou libraire étant souvent interchangeables). Les membres de la famille Estienne (latinisé en Stephanus), Henri (I), son fils Robert et ses frères François et Charles, puis Henri (II), ses frères, fils et petits-fils, se sont appliqués à donner à l’édition scientifique ses titres de noblesse. Ils occupent une place de premier rang dans l’édition parisienne puis genevoise, non seulement par le choix de leurs éditions et par leurs apports en matière de diffusion des textes de l’Antiquité grecque et latine, par leur prises de position éditoriale en faveur des auteurs de la Réforme, mais aussi par les qualités matérielles de leurs livres, en particulier la typographie. Henri (II) possédait une vaste culture humaniste, philologique et helléniste, acquise par l’étude du latin et du grec, la lecture des auteurs antiques et ses voyages à l’étranger, où il recherchait des manuscrits à publier26. D’autres éditeurs des ouvrages détenus par L. Wetzel, tout aussi connus, comme les frères Senneton à Lyon27, Froben à Bâle, Gymnicus à Cologne, Feyerabend et Wechel à Francfort-sur-le Main, Rihel et Schürrer à Strasbourg28, Jean Gryphe à Venise, et tant d’autres qu’on ne peut les citer tous, ont participé à ce vaste mouvement qui a permis que la connaissance et le savoir sous toutes leurs formes deviennent l’apanage de lettrés de plus en plus nombreux.

22 Les imprimeurs / éditeurs disposaient d’une marque, apposée sur la page de titre, enseigne qui permettait de les reconnaître, et qui véhiculait aussi un message par le biais d’une gravure et / ou d’une maxime, d’une parole biblique ou autre. Si les arabesques, les putti, les rinceaux, les lions adossés, les renommées sonnant de la trompette, les caprices architecturaux sont légion, les arbres tiennent une grande place dans ces représentations. Ainsi, l’emblème de l’imprimeur François Forest de Bâle est, comme il se doit, une forêt dans laquelle volètent des oiseaux et s’ébattent des lièvres, et dans laquelle un homme grimpé au sommet d’un arbre prélève oiseau englué ou fruit. La marque des Estienne est un olivier dont plusieurs branches sont détachées du tronc. Un homme se tient sous l’arbre pour la récolte. La légende, Noli altum sapere, avec l’ajout, parfois, de sed time, est tirée de l’Épître de Paul aux Romains et signifie : « Ne t’enorgueillis pas, crains plutôt. » (11, 20)29 Le message explicite de cette citation biblique se double d’un message implicite : l’attachement des Estienne au protestantisme. La théologie paulinienne est en effet centrale, la lecture de Luther de l’Épître aux Romains (4, 24-25 et 5, 1-11) est le fondement de la justification par la grâce au moyen de la foi caractéristique de cette confession. Sigismond Feyerabend, à Francfort, était à la fois libraire, dessinateur et graveur sur bois (ce que certains biographes contestent). Son emblème est un lion soutenant un globe d’où jaillissent des flammes30. La qualité des gravures est sans conteste un indice de la sensibilité des imprimeurs pour l’art pictural, vecteur, aussi, de la conception qu’ils avaient de leur métier : l’excellence. La recherche de la perfection typographique par la gravure de caractères d’imprimerie de plus en plus beaux, fins, divers, est le reflet de leur implication dans le courant humaniste qui a permis, entre autres, l’édition des textes grecs grâce à la création de caractères typographiques grecs.

23 Les villes dans lesquelles ont été édités les livres de L. Wetzel nous proposent un tour d’horizon de l’édition européenne. Il n’est guère possible d’étudier ici les spécialités des

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éditeurs à partir du faible échantillonnage d’ouvrages et ce d’autant moins que bien des domaines intellectuels sont absents de la bibliothèque. Ainsi, L. Wetzel ne semble pas s’être intéressé à la médecine, à la pharmacopée ou à la botanique (ou peut-être n’en a‑t‑il pas eu le temps, si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle il serait mort jeune et qu’il achevait des études de droit). L’édition dans le domaine de ces sciences était pléthorique au XVIe siècle. Dans la diffusion des idées de la Réforme, l’imprimerie joue un rôle primordial, mais le concept se manie aussi en sens inverse, l’imprimerie a connu son essor grâce à la Réforme, en tout cas celle qui s’est attachée à publier les écrits des Réformateurs. Certes, il s’agit là d’un topos demandant à être nuancé, et c’est le but de l’article de J.-F. Gilmont31. Les villes d’Anvers, de Strasbourg et de Bâle sont reconnues comme des centres de l’imprimerie protestante, Cologne, Francfort‑sur‑le‑Main et Lyon étaient spécialisées dans le droit, Venise dans l’édition des auteurs anciens et de la rhétorique, Paris dans la poésie, Neustadt était très marquée par le calvinisme32…

24 Le tableau suivant, impossible à rendre par un graphique, reprend l’ensemble de la bibliothèque de L. Wetzel (130 volumes). Il indique, par ville, le nom des imprimeurs / éditeurs, celui des auteurs, l’année d’édition et le domaine intellectuel (les titres figurent in extenso dans Catalogue des ouvrages à la fin de l’article).

Éditeurs / Imprimeurs

Bâle

Éditeur / Imprimeur Auteur Année Domaine

Johann Amerbach A. von Eyb 1495 Poésie

Terence 1548 Littérature latine Nicolaus Brylinger Érasme 1565 Rhétorique

M. Wesenbeck 1568 Droit Eusebius & Nicolas Episcopus M. Wesenbeck 1582/1593 Droit

François Forest De la Noue 1587 Belles-Lettres33

Hans Froben s. n. 1561 Thésaurus latin

Johannes Hervagius Ovide et alii 1550 Littérature latine

Ludovicus Lucius M. Flacius Illyricus 1557 Théologie

M. A. Lucanus 1551 Littérature latine

Henricus Petrus A. Calepinus 1558 Dict. polyglotte

Ovide 1560 Littérature latine

Jakob Wolff H. Torrentinus 1532 Pédagogie

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s. n. P. Melanchton 1546 Théologie

Cologne

Theodore Baum34 R. Maranta 1580/1584 Droit

Cicéron 1531 Littérature latine Eucharius Cervicornus Caton l’Ancien & Érasme 1533 Littérature latine

Geruinus, Calenius & Johannis Quentilius P. Costalius 1588 Droit

A. von Gail 1580/1589 Droit Joannes Gymnicus J. Menochius 1597 Droit

s. n. S. Schard 1600 Droit (lexique)

Francfort-sur-le-Main

A. Pinellus 1573 Droit

Nicolas Basseus A. Pinellus 1597 Droit

J. Case 1598 Philosophie grecque

A. Tiraqueau 1574 Droit G. Corvin, S. Feyrabend & C. Egenolph C. Egenolff & H. Estienne 1579 Littérature grecque

Cicéron 1565 Littérature latine

Johann Feyerabend G. P. Ferrari 1581 Droit

D. Covarruvias 1583 Droit canon & droit civil

Joan Eichhorn J. Willich 1550 Stylistique

Wendelius Hom H. Ulner 1594 Philologie

Marne & F. de la Noue 1592 Belles-Lettres

Jean Spies P. M. Friderus 1595-96 Droit

S. Lentulus & 1590 Grammaire A. F. Madius Ioannes Wechel

Virgile 1590 Littérature latine

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Paltheniana, sumtibus Ionas J. Sichard 1598 Droit Rhodius & Lazare Zetzner35

Genève

Jean Durand Ph. De Mornay 1576 Belles-Lettres

T. de Bèze 1565 Théologie

M. Planude & 1566 Littérature grecque H. Estienne

S. de Cyrène & G. Naziance 1568 Poésie grecque

Virgile, H. Estienne & 1570/75/77/83/99 Littérature latine (poésie) T. Donatius

Henri Estienne Horace 1574 Littérature latine (poésie)

Th. De Bèze 1576 Poésie

Denys le Périégète 1577 Littérature latine

H. Estienne 1580 Droit

H. Estienne & C. Mitalier 1582 Grammaire/Stylistique

Horace & H. Estienne 1588 Littérature latine

Eustache Vignon J. Cherpont 1581 Pédagogie/Rhétorique

Helmstedt

J. Mynsinger & H. Meibom 1585 Poésie Jacobus Lucius J. Mynsinger 1599 Droit

J. von Borchold 1596 Droit Ludolphus Brandes Idem 1596 Droit

Lyon

Étienne Dolet Cicéron & E. Dolet (trad.) 1542 Littérature latine

Sébastien Gryphe M. Cordier 1535/1541 Grammaire/Stylistique

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Plaute 1554 Littérature latine

M. G. Vida 1554 Littérature latine

Vincent de Portonarius A. Alciat 1538 Droit

Guillaume Rouillé F. Douaren 1554 Droit

U. Zasius 1548 Droit Jean, Jacques & Claude Senneton s.n. 1550 Droit (glossaire)

F. Hotman 1564 Droit Jean de Tournes Th. Antecessor 1580 Droit

Antoine Vincent D. Mugellanus 1558 Droit

Bartholomé Vincent F. Decius 1578 Droit

s.n. J. Godefroy 1589 Droit

Paris

Gabriel Buon M. Cordier 1576 Enseignement (latin)

Guillaume Cavellat R. G. Frisius 1559 Mathématiques

Réginald Chauldière J. Tixier de Ravisi 1524 Stylistique

Simon Colina Ovide 1529 Littérature latine

Robert Estienne J. Dubois 1531 Grammaire latin/français

Pierre Gauthier E. Eoban Hessus 1547 Poésie

Michel Sonnius s. n. 1582 Dictionnaire latin/français

M. Marullo 1529 Poésie

Christian Wechel J. Sturm 1546 Rhétorique

Cicéron 1547 Littérature latine

Strasbourg

A. von Gail & N. Reusner 1585 Droit Bernard Jobin

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J. Avenarius 1591 Théologie

Christian Müller J. Marbach 1566 Théologie

P. Dasypodius 1553/1554/1596/1599 Dictionnaire latin/allemand

Ph. De Commynes 1566 Histoire Josias Rihel Cicéron/Sturm/Bentz 1593 Rhétorique

Érasme 1596 Belles-Lettres

Th. Rihel J. Schneidewind 1580 Droit

T. Golius 1541 Enseignement (grec) Wendelin Rihel O. Mirandula 1549 Poésie

Matthias Schürrer Cicéron 1519 Littérature latine

Nicolas Wyriot A. Manuzio 1572 Rhétorique

Venise

Ioannes Tacuinus Ovide 1518 Littérature latine

Ad signum Leonis36 G. B. Evangelisti 1596 Rhétorique

Aldus & Andrea Asulanus Hérodien 1524 Histoire romaine

Ionnes Gryphius L. Valla 1563 Rhétorique/Stylistique

Wittenberg

Johann Krafft T. Blebelius 1595 Enseignement

Georgius Mullerus F. Taubmann 1594 Poésie

Matthäus Welack A. Hunnius 1593 Théologie

P. Melanchton & s. n. 1569 Grammaire latine J. Camerarius

Autres villes

Ville Éditeur/Imprimeur Auteur Année Domaine

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G. Maire & Christophorus Plantinus 1564 Rhétorique A. Mancinelli Anvers Rhétorique/ s. n. M. A. Muret 1597 Stylistique

P. Augsburg Philipp Ulhart 1516 Rhétorique Mosellanus

Ioannes Secerius (Jean D. Érasme 1528 Rhétorique Setzer) Haguenau

Brubach Démosthène 1535 Littérature grecque

A. Polanus 1593 Logique Herborn Christophorus Corvinius J.Goeddaeus 1599 Droit

Iéna Donatus Ritzenhayn J. Stigel 1566/69/72/77 Poésie

Ingoldstadt Adam Sartorius J. Pontanus 1589 Enseignement

Lauingen an der Emanuel Saltzer D. Mercurius 1563 Pédagogie Donau

Iohannes Steinman37 G. Fabricius 1571 Stylistique

Leipzig Henningus Grosius H. Decimator 1582 et 1595 Diction. polyglotte

s. n. s. n. 1587 Grammaire grecque

London Thomas Vautrollerius C. Sainliens 1580 Rhétorique

Magdeburg Wolffgang Kirchner D. Chytraeus 1570/1582 Théologie

Paulus Egenolphus H. Vultejus 1590 Droit Marburg idem idem 1597 Droit

Neustadt a. d. Mattheus Harnisch L. L. Helm 1585 Poésie Weinstraße

Oxford Iosephus Banesius J. Case 1588 Belles-Lettres

Ursel Nicolaus Henricus A. Hunnius 1585 Théologie

25 Ce tableau ne recense pas 15 ouvrages, dont l’intitulé est trop vague, ou dont les éditions sont trop nombreuses et pour lesquels aucun choix n’a été opéré pour l’une ou l’autre édition, ou pour lesquels un seul titre a été retenu (alors qu’un autre aurait pu l’être tout aussi bien), ou dont les ou l’édition(s) du XVIe siècle n’existe(nt) plus, ou dont la forme est (sans doute) manuscrite38 :

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; 26 Libri duo argumentorum manuscripti (16) Carmina gratulatoria In honorem (18) ; Corpus juris canonici (23) ; Dictionarium gallicum (24) ; Loci argumentorum Nicolai Everhardi (34) ; Biblia gallica (51) ; Arithmetica gallica (74) ; Institutio logica Galii (81) ; Horatii Poëmata (83) ; Ioannis Stvrmii In partitiones oratorias Ciceronis (90) ; Stammbuch (107) ; Institutiones Justiniani (114) ; Spicilegium gallicae latinae Lucae Wezelii (121) ; Theses theologicae, juridicae et aliae, variae (122) ; Straßburgische Stifftshandlungen (125).

27 La figure suivante récapitule le nombre d’ouvrages publiés par ville. Il est visible que Bâle, Francfort, Genève, Lyon, Paris et Strasbourg ont, à peu de choses près, une production équivalente.

Figure 2 :Répartition des ouvrages selon la ville d’édition

Autres villes39

28 Tous les ouvrages datent du XVIe siècle, sauf un incunable datant de 1495 : Margarita Poetica, recueil de poésie de Albrecht von Eyb, édité à Bâle par Johann Amerbach, dans un format vieux-folio sur ais de bois (10)40. Vingt-huit ouvrages datent de la 1ère moitié du siècle et, hormis trois ouvrages de droit (dont un glossaire) et deux ouvrages de théologie, ils relèvent des lettres (poésie, littérature latine et grecque, stylistique,

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grammaire, rhétorique…). Il n’est guère possible de connaître la raison pour laquelle L. Wetzel détenait ce fonds plus ancien, alors que la majorité des ouvrages de sa bibliothèque datent de la seconde moitié du siècle, ce qui revient à dire qu’il s’est constitué sa bibliothèque entre 1550 et 1600. On observe une nette représentation des livres publiés entre 1551 et 1575, puis un pic entre 1576 et 1600, alors qu’il meurt au plus tard tout début 16014142.

Figure 3 : Répartition chronologique des éditions

29 Ces chiffres pourraient être maniés dans tous les sens à loisir afin d’établir, par exemple, des statistiques croisées sur le domaine intellectuel et les années d’édition. Là n’est pas tant le but recherché. Il est plus intéressant de s’attacher aux connaissances linguistiques de L. Wetzel.

Les langues

30 Que L. Wetzel ait appris et pratiqué le latin ressort sans ambiguïté des ouvrages qu’il possédait : les titres de sa bibliothèque, en effet, sont tous en latin, sauf Stammbuch (no107), Bericht von der Einsatzung des h. abendmals, Johann Marbach (20), Discours Mr de la Noue, von politischen und kriegssachen (21), Von Pfandungen, Nic. Reussneri (111) et Straßburgische Stifftshandlungen (125).

31 Les autres titres sont donc en latin, même si le contenu de l’ouvrage lui‑même est en allemand ou en français, est bilingue ou polyglotte (latin / grec, allemand / latin, français / latin et grec / latin / français / allemand). Ces quelques livres (16 au total) révèlent la connaissance des langues de L. Wetzel. Il habitait (ou du moins sa famille d’origine habitait) à Colmar, ville qui faisait partie du Saint Empire romain germanique. L’allemand, par conséquent, était sa langue maternelle. Sa bibliothèque ne contient pourtant que cinq ouvrages en allemand : un ouvrage théologique de Jean Marbach sur la cène (Christlicher vnd warhafftiger Vnderricht, 20), une œuvre de Cicéron traduite en allemand (De Officiis : von den Tugentlichen Amptern und gebürlichen Werken, 64)43, la traduction d’une œuvre de Philippe de Commynes (Historia Philippi Cominaei, 103), un Stammbuch (107), livre vierge dans lequel le propriétaire consignait les événements familiaux ou autres (bien sûr, il n’est pas certain que ce livre ait été écrit en allemand, mais cela est probable, s’agissant d’un livre de famille) et un traité de droit (initialement en latin) sur les jugements rendus par la Chambre impériale (Tractatus von Pfändungssachen, 111).

32 La bibliothèque comprend par ailleurs sept ouvrages en français, langue étrangère, dont un dictionnaire (24), une bible (51), un ouvrage d’arithmétique (74), deux ouvrages

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de Cicéron (Les Troys livres de M. Tulle Cicéron, 101, et Les épitres familières de Cicéron, 102), un ouvrage de stylistique / rhétorique (Epitheta poëtica gallice, 110) et une œuvre de Philippe de Mornay, théologien protestant (Excellent discours de la vie et de la mort, 115). Ouvrages utiles, pour les uns, « en pays étranger », soit la France, où il aurait pu suivre ses études ?

33 Le nombre des ouvrages où apparaît le grec est réduit : une anthologie de poésie grecque traduite en latin dans laquelle figure le texte grec (Anthologia diaphoron epigrammaton palaion, 13), un livre d’histoire également en latin et grec (Herodiani Historiarum lib. VIII. græce pariter, & latine, 15), un Nouveau Testament (Novum testamentum latino-graecum, 72) et un ouvrage de rhétorique quadrilingue (grec, latin, français et allemand) (Libelli Aliquot Formandis, 104). Les indices en faveur d’une connaissance du grec par L. Wetzel sont donc minces. En revanche, sa bibliothèque comprend de la littérature grecque traduite en latin.

Figure 4 : Répartition des ouvrages par langue. Nombre total des ouvrages : 130

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Figure 5 : Les ouvrages plurilingues. Nombre total des ouvrages : 6

34 Le pourcentage des livres dans une langue autre que le latin est donc faible, il atteint 14 %, les ouvrages en latin représentant le reste, soit 86 %. Ce phénomène n’a rien d’exceptionnel, la langue des études et de la plupart des publications étant le latin.

Les auteurs

35 On ne saurait étudier une bibliothèque sans approcher quelque peu les auteurs. Hormis De La Noue, ils sont désignés par leur nom latinisé, composé d’un prénom (leur nom de baptême), d’un nom, parfois d’un toponyme indiquant leur origine géographique ou d’un autre élément appelé à les définir plus précisément. Cette habitude, qui s’était diffusée avec l’humanisme et la République des Lettres, était une sorte de manie destinée à démontrer les qualités savantes des auteurs – qui échangeaient avec leurs confrères libelles et écrits dans la langue internationale qu’était le latin – et à évoquer une Antiquité portée aux cimaises. Les noms latinisés et complexes participaient ainsi à la réputation des auteurs tout en étant des ensembles leur permettant de se définir. Par exemple, Jaques Godefroy devient Jacobus Gothofredus, Philipp Melanchthon s’appelait en réalité Schwarzerdt (« terre noire », en grec et en allemand), T. de Bèze avait grécisé son prénom Dieudonné en Théodore et son nom latin était devenu Theodorus Beza Veselius (de Vézelay). Didier Érasme avait ajouté à son nom « de Rotterdam ». Calvin s’appelait en réalité Jean Chauvin, signait ses écrits Johannes Calvinus et avait ajouté « Noviodunensis » (de Noyon, où il résidait) pour signer L’institution de la religion chrétienne. Le jurisconsulte et avocat au Parlement de Paris Pierre Coustau signait ses livres aux sujets juridiques du nom de Petrus Costalius et ceux aux sujets religieux de Petrus Costus. Le poète allemand Elias Eoban, de son nom latin Eobanus Hessus, était originaire de Hesse (100). Le poète Lambert Helm, dont le nom de plume latinisé est Ludolfus Lambertus Helm, avait ajouté à ce dernier « Pithopoeus de Deventer » : le mot

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grec pithopoeios signifie fabricant de jarres (pithoi) et cet ajout était dû au fait que son grand-père était tonnelier44… Dans L’auteur et son nom de plume, R. Bodenmann expose ses hypothèses au sujet du recours à un groupe d’appellation par les auteurs, et affirme qu’il « pouvait être l’instrument commode et efficace d’une mise en scène de leur personne »45.

L’analyse de la bibliothèque

36 Après cette description globale des ouvrages, nous nous attacherons à étudier par le menu les livres qui composent la bibliothèque selon une classification par thème.

37 Le sujet de cinq livres n’a pu être déterminé avec précision. Hormis le Stammbuch dont nous avons parlé apparaît le titre Libri duo argumentorum manuscripti (16), soit deux livres manuscrits d’arguments (d’argumentations ?) ; il est impossible de savoir à quel domaine appartiennent ces arguments. À celui du droit ? De la rhétorique ? Les Spicilegium gallicae latinae Lucae Wezelii (121) sont (littéralement) des glanes, en français et en latin, recueillis par L. Wetzel. Notes de lecture ? Les Theses theologicae, juridicae et aliae, variae (122) sont probablement un ensemble varié de thèses théologiques, juridiques et autres, sorte de dossier composé par L. Wetzel. Les Straßburgische Stifftshandlungen (125) concernent les tractations relatives à la querelle dénommée Kapitelstreit, qui opposa la moitié protestante à la moitié catholique des chanoines du Grand Chapitre de Strasbourg entre 1583 et 159246.

38 Les 125 autres livres peuvent se diviser en quatre catégories : les Lettres (71 livres), le droit (35), la théologie (9) et des ouvrages divers regroupés dans un corpus de dix livres.

Figure 6 : Répartition thématique des ouvrages de la bibliothèque

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Lettres

39 Les ouvrages du corpus « Lettres » sont les plus nombreux et constituent plus de la moitié de la bibliothèque de L. Wetzel. Ils forment un ensemble dédié à la connaissance parfaite des langues et de leur usage par le biais d’ouvrages de rhétorique, stylistique, grammaire, philologie et logique et de dictionnaires. Ils procèdent d’une immersion dans la littérature française, latine et grecque.

Figure 7 : Répartition des 71 ouvrages de Lettres

Belles-Lettres

40 La rubrique des Belles-Lettres comprend sept livres. Le Discours politiques et militaires du Seigneur de la Nouë… (21 & 99) figure à deux reprises dans la bibliothèque, en français et dans une traduction en allemand. François de La Noue47 est un militaire huguenot des guerres de Religion, dans lesquelles il excella. Son livre, adressé Au roy de Navarre, présente un art et une stratégie de la guerre qui eurent une forte influence non seulement sur les engagements de son temps, mais encore sur les armées à venir. L. Wetzel s’intéressait probablement à la relation de ces guerres de religion eu égard à la confession de son auteur, qui est la même que la sienne, mais démontre aussi par cette lecture l’intérêt qu’il pouvait porter aux événements majeurs de son temps. Le second ouvrage, Sphaera civitatis (22), est un écrit de John Case qui y commente La Politique d’Aristote 48. Les Adages d’Érasme (en latin, 4)49, au nombre de 4 151 dans l’édition de 1436, sont qualifiées de « creuset de l’humanisme européen ». Ce sont des notes de lecture d’Érasme, tirées de l’ensemble de la littérature antique et assorties de commentaires50. Il s’y ajoute un ouvrage de Philippe de Mornay, Excellent discours de la vie et de la mort (71)51, dédié par l’auteur à sa sœur et introduit par une ode, livre des réflexions sur le parcours de l’être humain. Ces pensées sont complétées par des

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conseils, de sorte que cette œuvre pourrait se ranger dans une catégorie d’ouvrages de morale. Vient ensuite l’Institutio logica (70) de Claude Galien. Un dernier ouvrage n’a pu être identifié, Carmina gratulatoria In honorem (18), la personne destinataire de ces « congratulations » n’étant pas indiquée52. L’ensemble de ces ouvrages pourrait refléter le désir de L. Wetzel de comprendre l’être humain et de trouver, peut-être, réponse à des interrogations.

Littérature grecque

41 Des ouvrages de la littérature grecque, traduits en latin, ont été réunis en un petit corpus éponyme. Le premier, Anthologia Gnomica (84) rassemble des « sentences célèbres d’anciens auteurs de comédies grecs » (ou poésie gnomique), traduites en latin par Henri Estienne. Les « images » (armoiries, horoscopes ?), relatives au jour ou à l’heure de la naissance, ont été réunies par Christian Egenolff. Ce livre aurait pu figurer aussi dans la catégorie « Enseignement / pédagogie », puisqu’il est spécifié être destiné aux étudiants. Le deuxième ouvrage, Anthologia diaphoron epigrammaton palaion (13), bilingue (grec ancien et latin), est la réunion, par le moine byzantin Planude, de poèmes anciens, que Henri Estienne a assortis de commentaires. L’ouvrage de John Case, Svmma vetervm… (56) est un « recueil des anciens commentateurs de toute la dialectique d’Aristote, que Pierre de la Ramée invoque à tort ou à raison contre Aristote53. [Cet ouvrage est] utile et nécessaire surtout à tous ceux qui étudient la philosophie de Socrate et d’Aristote ; édition revue et corrigée, avec un index des noms et des matières très riche ». Le corpus comprend aussi les discours de Démosthène appelés Philippique et Olynthienne (la seconde), liés aux conflits entre la cité d’Olynthe et Philippe II de Macédoine (IVe siècle avant J.-C.), dans lesquels Athènes était partie prenante (75). Le dernier ouvrage est l’œuvre de deux auteurs, Synesios de Cyrène54 (hymnes) et Grégoire de Nazianze55 (odes), et d’un troisième, Franciscus Portus56, qui y a joint une traduction latine (117).

42 Selon ce corpus réduit de littérature grecque, l’intérêt de L. Wetzel se porte sur la poésie, les hymnes, les odes, la philosophie d’Aristote et la politique des cités grecques, relayée dans les discours de Démosthène. Les textes originaux sont assortis de commentaires. Ces ouvrages consolident le portrait humaniste de son propriétaire, la redécouverte des textes grecs anciens, qui trouve son origine en Italie au XIVe siècle, étant l’une des caractéristiques de l’humanisme.

Littérature latine

43 La littérature latine antique constitue un corpus de dix-neuf ouvrages, dont la plupart sont en vers. Il correspond à 14,5 % de la totalité de la bibliothèque. Cinq œuvres de Cicéron (47, 64,79, 101 et 102) (Épitres familières, Offices, en latin, en français et en allemand) côtoient quatre œuvres d’Ovide (53, 60, 61 et 109), dont les Métamorphoses et L’art d’aimer. Une description de la terre de Denys le Périégète57 (14), écrite en collaboration avec des géographes reconnus (Solin, Mela et Ister,) et agrémentée de commentaires sur les poèmes de Denys par Eustache de Thessalonique, de notes des éditeurs scientifiques Henri Estienne et Martin Antonio Delrio, et de commentaires annexes (Josias Simler et Pedro Juan Oliver), voisine avec des comédies de Plaute (12). Les Distiques (ou apophtègmes, proverbes, sentences de sages grecs, à caractère moral, écrits en hexamètres, 76) sont attribués à Caton l’Ancien. Le titre mérite quelques

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explications en raison de sa complexité, le volume étant une réunion de plusieurs ouvrages : les Distiques en est le premier, le deuxième en est la traduction en grec par Maxime Planude (XIIIe siècle), le troisième contient les maximes de sages grecs traduites, d’une part par Érasme, d’autre part, par Ausone (IVe siècle) ; apparaît ensuite le nom de Mimus Publianus58 ; puis figure un texte d’Érasme sur des règles de vie du chrétien, et enfin une exhortation d’Isocrate (IVe siècle avant J.-C.) à Demonikos, collationnée sur les manuscrits grecs par Érasme. Voilà de quoi satisfaire les appétits littéraires grecs et latins et humanistes des lecteurs de cet ouvrage59. Les Comédies de Térence (89) figurent aussi dans ce corpus. Horace est présent avec trois œuvres (dont deux de poésie, 83, 116 et 123), commentées et amendées par Henri Estienne. La poésie latine est également représentée par deux œuvres de Virgile (80 et 124), dont la seconde est accompagnée de notes de H. Estienne. Un dernier ouvrage (106), de Marcus Lucanus (Lucain), Pharsale60, en vers, seule œuvre conservée de ce poète romain, complète ce corpus.

44 Que plusieurs de ces ouvrages ne contiennent pas seulement le texte original, mais soient complétés de gloses ou de commentaires, de reprises et de traductions, laisse à penser qu’il s’agit peut-être d’ouvrages scolaires conservés par L. Wetzel. Ils auraient éventuellement pu prendre place dans la rubrique « Enseignement / Pédagogie ». Passons sous silence les interventions – gloses, commentaires, traductions – d’Érasme, dont la qualité d’humaniste est connue. La place occupée par H. Estienne dans l’écriture de ces ouvrages atteste la maîtrise de ce dernier des œuvres latines et son influence dans le domaine éditorial. Les « grands » noms de la littérature latine sont ainsi présents dans la bibliothèque de L. Wetzel et illustrent son intérêt pour les belles- lettres et la poésie de ce temps. Nous l’avons dit, cet intérêt est le reflet des préoccupations humanistes, que L. Wetzel semble avoir faites siennes.

Poésie

45 Dix ouvrages de poésie ont été regroupés en une rubrique réservée à ce genre littéraire. Celle-ci comporte les œuvres de cinq poètes allemands, Albrecht von Eyb (10), Joachm Mynsinger von Frundeck (19), Johannes Stigel (48), Friedrich Taubmann (62) et Elias Eoban (100), de trois poètes italiens, Michele Marullo – bien que né à Constantinople – (58), Marco Girolamo Vida (112) et Octavianus Mirandula (70)61, d’un poète français (qui ne fut poète qu’au début de sa vie), Théodore de Bèze (63) et d’un autre, néerlandais mais ayant vécu en Allemagne, Lambert Ludolf Helm (83).

46 Quatre d’entre eux sont nés au XVe siècle (M. Marulle, A. von Eyb, E. Eoban et M. Vida), les autres sont nés et ont vécu dans le siècle, hormis F. Taubmann et T. de Bèze morts au début du XVIIe siècle. O. Mirandula reste un inconnu. Certains associent à la poésie d’autres compétences en étant juristes, comme A. von Eyb et J. Mynsinger, traducteur (A. von Eyb), chancelier (J. Mynsinger), homme de guerre (M. Marulle), théologien et pasteur (T. de Bèze) ou évêque (M. Vida), ou compilateur d’œuvres plus anciennes62 (J. Mynsinger, O. Mirandula). Ils ont poursuivi des études dans des universités de renom européennes, dans des disciplines liées aux lettres, comme la poésie, les langues anciennes, la philologie, la rhétorique, la philosophie. Ils sont Magister, doyens et professeurs, car nombreux sont ceux qui occupent des chaires dans les gymnases ou les universités où les ont appelés les grands de ce monde : J. Stigel, rhétorique et philosophie à Iéna ; F. Taubmann, poésie à Wittenberg ; L. Helm, grec, philologie, poésie, dialectique, rhétorique et éloquence à Heidelberg ; E. Eoban, éloquence à Erfurt,

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puis rhétorique et poésie à Nuremberg. Deux d’entre eux, J. Stigel et F. Taubmann, ont été couronnés poètes de la main de l’Empereur. Certains entretiennent des liens avec des théologiens en vue, comme J. Stigel avec Melanchthon (qu’il accompagne au Reichstag d’Augsbourg) ou L. Helm qui suit les enseignements du même à Wittenberg, ou encore E. Eoban, proche, lui aussi de Melanchthon. Ils sont luthériens, engagés dans la même confession que L. Wetzel, sans doute. Ils sont les représentants d’un humanisme précoce (A. von Eyb, M. Vida) ou s’inscrivent dans le plein humanisme du XVIe siècle. Ils créent et font éditer des recueils de morceaux choisis de la poésie antique et de la Renaissance, proposent une nouvelle lecture des Psaumes, écrivent des hymnes, des épigrammes, des poèmes ou composent des livres en vers. Les biographes de ces auteurs les qualifient tous d’éminents, sinon de « plus grands » poètes de leur temps et de leur pays d’origine63. Même à supposer que ces poètes aient fait partie des « lectures obligatoires » de L. Wetzel au cours de ses études, et qui auraient, en quelque sorte, constitué des livres scolaires, il ne fait guère de doute qu’il a dû s’imprégner de leur art, goûter à la saveur, à la finesse, à l’élégance de leurs écrits et qu’il s’est enrichi des enseignements de leurs vers. Il n’est guère possible de savoir si le propriétaire de la bibliothèque était attaché à cette forme de création littéraire qu’est la poésie, s’il avait pour elle une réelle inclination ou si elle n’était qu’une part des disciplines qu’il devait acquérir.

Dictionnaires

47 Cinq dictionnaires et un thésaurus s’inscrivent dans la catégorie « Lettres ». Le dictionnaire de Calepino est un dictionnaire de latin (9)64, celui de Dasypodius de latin- allemand et allemand-latin (71)65. L. Wetzel possède également un dictionnaire de latin- français qui est aussi un dictionnaire de français incluant des données relatives aux villes, aux rivières de France et des pays « circonvoisins » (39) ; il possède en outre un dictionnaire de français (24) ; un dictionnaire universel en deux parties de Heinrich Decimator (50)66, dont la seconde67 contient les noms des dieux et des déesses, des hommes et femmes célèbres, des villes, régions, îles, forêts et fleuves… ; et enfin un thésaurus en trois volumes de la langue latine, recueil de textes d’auteurs faisant autorité (29). L. Wetzel était donc bien pourvu en outils lui permettant de passer d’une langue à l’autre, d’accroître sa connaissance des langues et de parfaire tant la compréhension des textes qu’il lisait que les travaux qu’il rédigeait. Au XVIe siècle, les dictionnaires fleurissent en même temps que l’édition des textes latins et grecs68.

Rhétorique, stylistique, grammaire, philologie et logique

48 Si le nombre des premiers ouvrages de ce corpus a permis une présentation détaillée, le nombre élevé des livres classés dans la rubrique « Rhétorique / Stylistique / Grammaire / Philologie / Logique » (24 ouvrages) ne permet guère d’entrer dans le détail. La figure suivante permet d’appréhender le détail de ce corpus, dont certains ouvrages pourraient être qualifiés de « mixtes », leur contenu relevant de deux thématiques à la fois.

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Figure 8 : Répartition des 24 ouvrages de rhétorique, stylistique, grammaire, philologie et logique

49 La part de ces ouvrages d’approfondissement des langues, tant orales qu’écrites est donc importante : elle représente quelque 33 % de la catégorie « Lettres » et 18 % de l’ensemble de la bibliothèque. Si la rhétorique est destinée à parfaire l’éloquence, le savoir du bien parler69, l’argumentation, l’art de convaincre, afin d’amener son interlocuteur à exprimer ses opinions et à susciter de sa part des réponses qui pourront être rejetées comme injustes ou incomplètes par celui qui mène le débat, l’étude de la stylistique et de la grammaire ont pour objectif la parfaite maîtrise de la langue écrite et, du point de vue des humanistes, de la langue qui se rapproche le plus possible de celle des auteurs anciens, dont l’écriture est l’idéal à atteindre. La frontière entre ces différentes matières est ténue, elles ont le même but, l’excellence du discours. Un ouvrage de philologie (86), autre discipline d’étude des textes anciens, vient compléter cette série, de même qu’un ouvrage de logique d’Amandus Polanus von Polansdorf (46). Nombre de ces ouvrages auraient pu figurer dans la rubrique « Enseignement / Pédagogie », mais il a semblé préférable de les regrouper ainsi. Il ne fait nul doute que L. Wetzel avait mené à un degré élevé sa connaissance des langues et qu’il devait, par là, se préparer à sa future profession dans le domaine du droit. Si des personnages connus et réputés, comme Érasme, J. Sturm, P. Melanchthon ou H. Estienne (qui est à la fois auteur, éditeur et imprimeur) figurent parmi les auteurs, nombreux sont ceux qui tiennent aussi une place éminente en la matière. Issus de la plupart des pays européens, ils sont des lettrés, diplômés d’universités réputées, professeurs d’université ou d’académie, humanistes, spécialistes des langues ou polémistes. Ainsi, G. Evangelisti, J. Bentz, A. Manuce (également imprimeur)70, L. Valla, P. Mosellanus, C. de Sainliens, J. Cherpont, G. Maire, A. Mancinelli, M. Muret, J. Tixier de Ravisi, G. Fabricius, J. Willich, M. Cordier, S. Lentulus, A. Madius, J. Dubois et le philologue H. Ulner, auteurs des ouvrages de rhétorique, de stylistique ou de grammaire possédés par L. Wetzel ont participé à la diffusion de l’humanisme par leurs connaissances linguistiques71.

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50 Il convient, pour clore ce paragraphe, de noter l’interconnexion entre la rhétorique, la grammaire et la théologie chez Melanchthon, pour qui les écrits religieux ne sont donc pas une exclusive. En ce sens, cet auteur atteste la relation entre luthéranisme et humanisme, ou, en tout cas, l’intérêt non figé d’un auteur dans une seule discipline.

Théologie

51 Le nombre d’ouvrages de théologie détenus par L. Wetzel est assez modeste. Les neuf livres, y compris une bible en français, relèvent du luthéranisme. Les auteurs sont en effet connus comme les représentants de l’orthodoxie luthérienne (de la deuxième génération), à l’exception de T. de Bèze, calviniste (qui tentera de rapprocher Réformés et luthériens). Cependant, il convient de préciser que l’ouvrage de ce dernier n’est pas un écrit propre, mais une traduction du Nouveau Testament enrichi de commentaires. Dans la bibliothèque se trouvent ainsi : • Loci Communes theologici (11), de Philipp Melanchthon72, ce sont les lieux communs de la foi qui opposaient catholiques et protestants. Cet ouvrage est un essai de systématisation de la foi protestante et relève de la dogmatique ; • Christlicher vnd warhafftiger Vnderricht (20), de Jean Marbach73. La Réforme avait introduit le catéchisme. L’œuvre de Marbach est dans cette veine, puisque son contenu est écrit dans une perspective catéchistique (questions / réponses) en vue de l’affirmation de la doctrine protestante et de la foi74. Les catéchismes exposant les différences entre foi protestante et catholique, le livre de Marbach est un œuvre de dogmatique, mais pourrait aussi prendre place dans les catéchismes ; • Iesu Christi D. N. Novum Testamentum (72), de T. de Bèze 75, est une traduction du Nouveau Testament, complétée par des commentaires. Il devient ainsi un ouvrage d’édification et un ouvrage relevant de la dogmatique ; • Varia doctorum… (73), de Flacius Illyricus (Mathias Flach)76, choix de poèmes antérieurs à « notre époque », avec des critiques portant sur l’Église, est une controverse sous forme de poésie. Ce livre pourrait prendre place dans une catégorie croisée, entre théologie et poésie ; • Catechesis (96), de David Chytraeus77, catéchisme destiné à l’édification personnelle, comme celui de Marbach ; • Precationes sacrae (118), de J. Avenarius (Habermann) 78, livre de prières sacrées relevant de l’orthodoxie luthérienne, destiné, comme les catéchismes, à l’édification personnelle ; • Articulus de persona Christi (35) et Calvinus iudaizans (78), deux ouvrages de H. l’Aîné 79. Le premier est une controverse sur l’ubiquité du Christ, à la fois Dieu et homme ici et là-bas. Contrairement aux luthériens, les calvinistes affirment la présence réelle spirituelle du Christ dans la Cène. Le second livre est une controverse par rapport à Calvin, à qui l’auteur reproche de « judaïser ».

52 L’inventaire indique également, une Bible en français (51)80. La bibliothèque comprend ainsi 3 ouvrages de dogmatique (dont l’un peut être considéré comme catéchistique), 4 ouvrages de controverse (dont l’un relève aussi de la poésie), 1 catéchisme, 1 livre de prières et 1 Bible. De ces 9 ouvrages, 4 sont à considérer comme des livres d’édification.

53 La conclusion s’impose d’elle-même, L. Wetzel était sans doute possible de confession luthérienne, sa bibliothèque ne contenant aucun livre strictement calviniste ni d’obédience zwinglienne. Des chercheurs ont étudié les liens entre la Réforme et l’humanisme, qui, au XVIe siècle, est une mouvance dans laquelle évoluent des érudits passionnés par un retour aux sources, soit la redécouverte, la traduction, les

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commentaires et l’interprétation des manuscrits de l’Antiquité, œuvres humaines. L’humanisme, qui place l’homme au centre de ses préoccupations, en ce sens qu’il l’engage à s’interroger sur lui-même, son dessein et son pouvoir par la connaissance et le recours aux textes philosophiques, relativise la portée des lettres divines. Il est érudition pure, n’a pas de prise directe sur les agissements humains. Le protestantisme aussi donne à l’homme une place centrale, mais exige de lui qu’il soit responsable de ses actes, dont il doit rendre compte. Cette proximité avec l’humanisme n’empêche pas les querelles entre les deux « courants », comme les controverses entre Érasme et Luther. Le recours aux textes d’origine (en grec, en hébreu) constitue un autre point de rapprochement.

Divers

54 Dix livres de la bibliothèque ont été classés dans une rubrique « Divers », ensemble hétérogène incluant des ouvrages d’apprentissage des langues (plus typiques que ceux de la rubrique Rhétorique…), d’histoire et de mathématiques / arithmétique.

55 Les livres d’apprentissage à l’usage des enfants et des adolescents, de grec (Educatio puerilis linguae graecae, 65), de latin (Jacobi Pontani de societate Jesu Progymnasmatum latinitatis et Colloquiorum scholasticorum libri quatuor. Ad pueros…, 67 et 91), d’astronomie (De sphaera et primis astronomiae rvdimentis libellvs ad vsum scholarum triuialium, 82), de grammaire latino-allemande (Donatus Mercurii Latinogermanicus…, institutionis puerelis rudimentorum grammatices, 113) et de « culture générale » comprenant les noms des fleuves, villes, montagnes et ainsi de suite (Elucidarius poeticus continens historias poeticas, fabulas, insulas, regiones, urbes, fluuios, montesque insigniores, atque huiusmodi alia, omnibus adolescentibus, 94), sont manifestement des manuels scolaires conservés par son utilisateur devenu adulte. Qu’il les ait gardés renvoie à l’environnement économique de son propriétaire, peu soucieux de gagner quelque argent en les revendant. Ils sont des témoins d’une formation scolaire conforme aux arts libéraux incluant le latin, le grec et l’allemand. Bien que luthérien, L. Wetzel détenait un ouvrage écrit par le jésuite J. Pontanus, ce qui ne laisse pas d’étonner, mais s’explique par la célébrité de cet écrit81.

56 Deux livres d’histoire prennent également place dans cette rubrique. L’un est de l’auteur latin Hérodien (175-249). Le livre VIII, écrit moitié en grec et moitié en latin, relate les faits de Maximin, Maxime et Gordien, Hérodien ayant écrit les événements liés à la vie des empereurs romains, de Marc Aurèle à Gordien III (Herodiani Historiarum lib. VIII. Græce pariter, & latine, 15). L’autre livre est de P. de Commynes sur l’histoire de France, traduite en allemand (103)8283. Sauf à dire que ces deux ouvrages d’histoire concernent des puissants de ce monde, on ne saurait tirer de conclusions de leur présence dans la bibliothèque de L. Wetzel. Intérêt pour l’histoire indiquant une ouverture d’esprit ?

57 Cette rubrique contient aussi deux ouvrages de mathématiques / arithmétique, Arithmeticae practicae methodus facilis (54), et un autre livre en français, impossible à identifier dans la pléthore de livres sur ce sujet. L’auteur du premier, G. Frisius (Jemme Reinersz), est à l’origine de la triangulation et a publié des écrits sur la camera obscura84. Ce livre, par son côté scientifique, est le seul qui déroge à l’esprit de cette bibliothèque, consacrée au droit, aux lettres et à la théologie. Est-ce la part du rêve chez L. Wetzel, ou

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une curiosité pour les innovations techniques et mathématiques qui se révèlent dans la possession de cet ouvrage ?

Figure 9 : Répartition des ouvrages de la rubrique « Divers »

Droit

58 Les trente-cinq ouvrages de droit constituent le cœur de la bibliothèque de L. Wetzel : ils représentent 27 % de l’ensemble et ne laissent aucun doute sur l’orientation professionnelle de son détenteur, bien qu’il soit difficile de faire la part des livres qui ont servi aux études de droit et ceux qui sont des outils nécessaires à l’exercice du métier de juriste, avocat ou procureur. Ces livres attestent en tout cas que L. Wetzel a poursuivi des études de droit dans une université (laquelle ?85), puisque c’est le droit romain y qui était enseigné, comme à Toulouse, Orléans, Bâle, Genève, Bologne, Padoue, Cologne, Marburg, Heidelberg… Ces universités dispensaient une culture juridique commune fondée sur le droit romain, applicable dans les sphères élevées de la justice, comme, partiellement, le Reichskammergericht de Spire86.

59 Bien des ouvrages contiennent dans leur titre les qualités – souvent exprimées d’une manière grandiloquente – de leurs auteurs, qui s’attribuent les lauriers de l’excellence. De nombreux livres ne présentent pas seulement leur texte intrinsèque, mais sont complétés par des opuscules, des index, des exégèses, des traités, des méthodes de disputatio, des traductions, des thèses, des additions diverses, des sommaires, des extraits ou encore des notes analytiques, si ce ne sont des commentaires. Il est précisé dans le titre de plusieurs ouvrages que leur contenu a été expurgé des fautes qui y « fourmillaient » auparavant, de sorte que la nouvelle édition ainsi améliorée « paraît pratiquement neuve ». Quelques ouvrages sont l’œuvre de plusieurs auteurs, comme celui du jurisconsulte A. Pinellus (41a) portant sur des « commentaires très élaborés et parfaits au sujet des ventes annulées », auquel sont associés les Espagnols E. Soarez a Ribeira, également « célèbre jurisconsulte » et D. Covarruvias, autre jurisconsulte spécialiste de droit canon, dont la bibliothèque de L. Wetzel contient du reste un ouvrage (3). Quelques livres sont en plusieurs tomes. La difficulté d’analyser ce fonds,

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hormis celle de la compréhension des titres qui manquent parfois de clarté, sont incomplets ou ne sont guère parlants aujourd’hui, provient du fait que les sujets abordés ne correspondent pas à l’organisation du droit actuel, et que certains droits anciens n’existent plus ; le droit des fiefs, par exemple, a été supprimé à la Révolution.

60 La place que tient le Corpus juris civilis dans la bibliothèque est centrale : les ouvrages qui le concernent sont au nombre de 14, soit 40 % des ouvrages de droit87. Ce Corpus, réalisé à la demande de l’Empereur romain Justinien88, à la fois compilation et codification, est composé de quatre éléments : le Code de Justinien (recueil des compilations des codes précédents), le Digeste ou Pandectes (recueil des citations des jurisconsultes romain), les Institutes (manuel d’apprentissage du droit romain pour étudiants) et les Novelles (recueil des nouvelles constitutions de Justinien)89.

61 Les livres s’insérant dans ce Corpus traitent du Corpus juris civilis en général (F. Douaren, 2 ; J. Godefroy, 30), du Code de Justinien (J. Sichard, 8 ; H. Vultejus, 36, jurisprudence ; M. Wesenbeck, 33, jurisprudence et organisation ; I. Borcholten, 119, Titre II sur les compensations), des Institutions (I. Schneidewinius, 7 ; T. Antecessor, 69 ; un ouvrage général s. n., 114), du Digeste ou Pandectes (M. Wesenbeck, 12 ; P. Cousteau , 28 ; I. Borcholten, 44 ; A. Alciatus, 45 ; M. Wesenbeck, 3390) et des Novelles (A. Pinellus 41b).

Figure 10 : Répartition thématique des ouvrages de droit

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Figure 11 : Répartition des ouvrages traitant du Corpus juris civilis

62 Quatre ouvrages relèvent du droit canon91, trois concernent la Chambre impériale de Spire92 et six sont clairement des ouvrages d’apprentissage du droit (règles, procédure, argumentation, lexiques)93. Huit ouvrages ont été regroupés dans une rubrique « Divers » : un ouvrage de droit civil ou coutumier traitant de la noblesse et du droit des aînés d’A. Tiraqueau (4), un glossaire du Corpus (1) et un lexique juridique (31), un livre de commentaires sur les présomptions, conjectures, signes et indices, de I. Menochius (droit commun, 6), un ouvrage sur le droit des fiefs, de H. Vultejus (40), deux livres sur le droit romain avant l’ère justinienne, de H. Estienne (38) et de F. Hotman (120), et un livre d’œuvres complètes (droits divers, dont celui de la ville de Fribourg-en-Brisgau), de U. Zasius (5).

63 Tous ces juristes portent des noms prestigieux. Deux d’entre eux, J. Mynsinger von Frundeck (1514-1588) et A. von Gail (1526-1587), sont juges au Reichskammergericht, le premier étant compétent pour l’Oberrhein94. Ils sont de surcroit les fondateurs de la justice du Reichskammergericht. Les auteurs des livres de droit sont jurisconsultes, professeurs d’université, chanceliers ou hommes de confiance de princes ou de rois95. Plusieurs juristes représentent ce nouveau courant du droit qu’est le droit humaniste, comme J. Mynsinger von Frundeck, A. Alciat96, D. de Covarrubias97, U. Zasius98 et F. Hotman99. Ils créent une conception d’un droit étudié selon les méthodes de l’humanisme100.

64 Il existait un lien entre ces multiples auteurs : la confession protestante, luthérienne pour la plupart, calvinistes pour quelques-uns. Il en est ainsi des théologiens et prédicateurs P. Melanchthon, T. de Bèze, J. Bentz, D. Chytraeus, J. Haberman, A. Hunnius et J. Marbach ; des poètes J. Stigel, L. Helm, E. Eoban et H. Decimator ; des écrivains, hommes politiques ou de guerre comme P. Duplessis-Mornay et F. de la Noue, et des juristes comme F. Hotman ou M. Flach. Les relations entre certains de ces

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hommes et d’autres créent une sorte de réseau international du protestantisme, de l’humanisme et du droit101. Tous étaient animés de profondes convictions, engagés dans la cause du protestantisme, de l’humanisme ou du droit, par la pensée, l’écrit, le pastorat ou la lutte armée. L. Wetzel avait-il retenu leurs livres eu égard à la dimension confessionnelle, luthéranisme ou calvinisme, de leurs auteurs? Ces choix indiquent en tout cas son intérêt pour un spectre large des représentants de l’identité protestante et pour l’investissement de ses acteurs dans des domaines multiples, dont le courant humaniste.

Conclusion

65 Au terme de la « cartographie » de cette bibliothèque, les conclusions suivantes peuvent être proposées quant à son propriétaire. L. Wetzel était issu d’une famille aisée en mesure de financer des études complètes, allant peut-être jusqu’au doctorat, à l’un de ses membres, comme en témoigne l’inventaire après décès des biens de Matthias, qui fut sans doute son père. Lucas a dû mourir jeune à l’étranger (peut-être à Spire, ville qu’il avait rejointe probablement pour y exercer son métier de juriste), en tout cas au loin, et où il a dû être enterré. Il a suivi une scolarité conforme aux arts libéraux (trivium et quadrivium), qui l’a conduit à une connaissance approfondie des langues et des auteurs tant anciens que contemporains. Il a poursuivi ensuite des études de droit comme l’atteste la pléthore d’ouvrages relevant des matières juridiques enseignées dans les universités, il était Magister, sans doute sur la voie du doctorat. L. Wetzel est ainsi le représentant d’une génération d’humanistes formés dans les écoles libérées du joug de la scolastique, un juriste ouvert aux nouvelles tendances du droit, pénétré d’humanisme. La bibliothèque, bien que constituée d’une grande part d’ouvrages scolaires – qui donnent aussi une image du contenu de l’enseignement de ce siècle –, en contient d’autres qui indiquent l’intérêt de leur propriétaire pour le monde qui l’entoure et son goût de la création littéraire, de la poésie et des essais politiques ou historiques. Cette bibliothèque a été dispersée ; parmi les ouvrages du Catalogue qui figurent dans les fonds du XVIe siècle de la Bibliothèque des Dominicains de Colmar, aucun exemplaire ne porte la mention manuscrite « Appartient à Lucas Wetzel »…102 Les membres actuels de la famille Wetzel n’en possèdent non plus.

66 Si l’on y ajoute les quarante-deux ouvrages légués à Christophe Kirchner, la bibliothèque de L. Wetzel s’apparente par le nombre à celle de maître Jean de Chambouz (1543-1587), notaire et audiencier au Conseil de Genevois, étudiée par L. Perrillat103. Cette dernière comprenait 205 livres et offre quelques similitudes avec celle de L. Wetzel. Une autre bibliothèque, celle du juriste Josué Hofer (1721-1798), auditeur au Conseil Souverain et syndic de la ville de Mulhouse, étudiée par R. Oberlé et par N. Schreck104105 comprenait 1 392 ouvrages ; le catalogue en avait été imprimé pour les besoins de sa vente au décès de son propriétaire. Elle était donc considérablement plus fournie, plus éclectique aussi, que celle de L. Wetzel. Cependant, la bibliothèque des seigneurs de Ribeaupierre, dont le catalogue a été dressé en 1569 par Eguenolphe, comportait 125 livres. En 1571, le nouveau catalogue indique 265 titres106. Une étude des bibliothèques des officiers royaux et conseillers au Parlement de Paris entre 1530 et 1540, indique des chiffres de 150 à 250 livres107. Comparée à ces bibliothèques-là, celle de L. Wetzel tient une place des plus estimables. Elle ne saurait être comparée aux immenses bibliothèques détenues par certains princes, dont le goût pour les livres

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relevait davantage de la collection bibliophile108, mais elle offre le caractère d’un ensemble cohérent, bibliothèque surtout scolaire mais aussi miroir d’érudition, d’ouverture d’esprit, de curiosité et d’inscription dans le savoir humaniste. En cela, elle ne revêt pas le caractère de ruines laissées par un siècle révolu depuis longtemps, mais donne l’image d’un socle dont les éléments ont permis la construction de pensées, l’émergence de philosophies, le déploiement de créations littéraires et des évolutions juridiques et théologiques.

Catalogue des ouvrages

67 Les lignes numérotées sont la reproduction des titres tels qu’ils figurent sur l’inventaire après décès. Entre crochets figure la traduction – pour les ouvrages in-folio – des indications sur la reliure. Le titre de l’ouvrage en italique est celui qui figure dans les fonds de diverses bibliothèques ; il est suivi du nom de l’éditeur et / ou de l’imprimeur : ex officina, excudebat…, de la ville et de l’année d’édition. Sont indiqués ensuite, en petites majuscules, le nom de l’auteur et la matière. Sans mention particulière, le format de l’ouvrage correspond à celui détenu par L. Wetzel.

In-folio

68 1. Corpus glossarum in folio und leder gebunden, fünfftheil [in-folio, reliure cuir, en 5 volumes] Corpus juris civilis glossarum. Lugduni, apud Sennetonios fratres, 1550, 5 vol. DROIT

69 2. Opera Duareni uno tomo, gebunden ohn copert [1 tome relié sans couverture] Franc. Duareni, Opera omnia tam recentia quam prius edita, in jure civili, cum quibusdam aliis opusculis, apud Gulielmum Rouillium , Lugduni, 1554 DOUAREN (FRANÇOIS) – DROIT

70 3. Opera Didaci Covarruvias uno tomo, gebunden ohn copert [1 tome relié sans couverture] Didaci Covarrvvias a Leyva Toletani episcopi […] opera omnia : iam vero multo, quam privs, emendatiora, ac multis in locis auctiora, Francoforti ad Moenum, J. Feyerabendij, 1583*109 COVARRUVIAS (DIEGO DE) – DROIT

71 4. Opera Tiraquelli duobus tomis distincta, gebunden ohn copert [2 tomes reliés sans couverture] D. Andreae Tiraquelli, Opera omnia quae hactenus extant septem tomis distincta quorum hic primus continet libros De nobilitate et iure primigeniorum […] iam denuo recusa & a plurimis mendis quibus antescatebant repurgata, Francofurti ad Moenum apud Georgium Corvinum impensis Sigismundi Feyerabendi, 1574* TIRAQUEAU (ANDRÉ) – DROIT

72 5. Opera Zasii duobus tomis gebunden ohn copert [2 tomes reliés sans couverture] Dn. Udalrici Zasii, Opera Omnia - imp. Jacobi ac Joannis Sennetoniorum fratrum – Lugduni, 1548110* ZASIUS (ULRICH) – DROIT

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73 6. Opera Jacobi Menochii partes quinque, gebunden, ohn copert [5 parties reliées sans couverture] Iacobi Menochii Ivrisc. Papiensis, Regii Dvcalisqve Senatoris, Ac redituum extraordinariorum Regiae Maiestatis Catholicae, Praesidis Mediolanensis, Divini Atqve Hvmani Ivris Scientia Peritissimi, De Praesumptionibus, Coniecturis, Signis, et Indicijs, Commentaria: In Sex Distincta Libros; Et Recens In Lvcem Edita : […]. Adiecta sunt Summaria, Index[que] […] Coloniae Agrippinae, Gymnich, 1597* MENOCHIUS (JACOBUS) – DROIT

74 7. Schneidenwenii commentaria in leder gebunden [relié cuir] Commentarii in quatuor Institutionum Justiniami libros, ex recognitione Wesenbecij, Th. Rihel, Strassburg, 1580* SCHNEIDEWINIUS (IOANNES) – DROIT

75 8. Sichardus in codicem in pergament [sur parchemin] Sichardus rediuiuus, Clarissimi viri Ioannis Sichardi, celeberrimi iurisconsvlti germani, et in alma tvbigensi academia quondam Ordinarii Iuris Ciuilis, Dictata & Praelectiones in Codicem Iustinianeum. Ex collatione operosa manvscriptorvm codicvm, restitutis primo quam plurimis haud parui momenti defectibus. Deinde negatiuis desideratis additis: et abundantibus demtis. Tertio amplius quingentis Iurium allegationibus redintegratis, Quarto sublatis plusquam mille aliis erratis, hactenus non animaduersis. Nvnc demvm post podianam recognitionem et anni LXXXVI. editionem Francofurtensem, a Samsone Hertzog, Badense, Comite Palat. Caesar. ad Praeceptoris fidelissimi existimationem vindicandam, auctiores, & emendatiores editae. […] Tomus Primus. (Secundus.) Cum Praefatione amplissimi Collegij Facultatis iuridicae in praedicta Academia: necnon Summariis & Indice locupletissimo. – 1598 – E nobilis Francofurti Officina Paltheniana, Sumtibus Ionae Rhodij & Lazari Zetzneri, Bibliopolarum* **111 SICHARD (JOHANN) – DROIT

76 9. Dictionarium Calepini, in prettern mit clausuren [sur ais de bois, muni de fermoirs] Dictionarium Ambrosii Calepini, iterum nunc supra omnes hactenus euulgates accessiones, magno omnis generis uocom auctario locupletatum et recognitum, Ambrosius Calepinus. cum Conr. Gesneri Onomastico, 1558, Petrus, Basileae* CALEPINO (AMBROSIO) & GESNER (CONRAD) – DICTIONNAIRE POLYGLOTTE

77 10. Margarita Poetica, in alt folio und brettern [vieux-folio et ais de bois] Margarita poetica, Johann Amerbach, Basileae, 1495** EYB (ALBRECHT VON) – POÉSIE

78 11. Loci communes, geschriben in pergament [écrit sur parchemin] Loci Communes theologici, iam postremo recogniti et aucti, Per Philippum Melanchthonem, Basileae, 1546 MELANCHTHON (PHILIPP) – THÉOLOGIE

In quarta forma

79 12. Matth. Wesenbecii commentarii in institutiones Matthaei Wesenbecii In Pandectas juris civilis et Codicis Iustinianei lib. IIX Commentarii […] Basileae, per Eusebium Episcopum, 1582 WESENBECK (MATTHIEU) – DROIT

80 13. Henrici Stephani florilegium diversorum epigrammatum Anthologia diaphoron epigrammaton palaion, eis epta biblia dieiremenon. Florilegium

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diversorum epigrammatum veterum [a Maximo Planude collectorum] in septem libros divisum, magno epigrammatum numero & duobus indicibus auctum. Henr. Steph. de hac sua editione distichon, pristinus a mendis fuerat lepor ante fugatus : nunc ille profugae mendae, nunc lepor ille redit. [Ejusdem Explicatio notarum sibi peculiarum quibus in hujus libri et in Homeri aliorumque poetarum editione usus est. Ejusdem Annotationes in quosdam Anthologiae epigrammatum locos et potissimum eos qui secus quam in hac ejus editione aut scripti aut interpuncti inveniuntur], Genevea, Excudebat H. Stephanus typographus, Anno 1566*112 PLANUDE (MAXIME), ESTIENNE (HENRI) – LITTÉRATURE GRECQUE

81 14. Dionysii Alex(andr)i et Pomp(on)ii Melae situs orbis descriptio Dionysii Alex. et Pomp. Melæ Situs orbis descriptio. Æthici Cosmographia. C. I. Solini Polyistor. In Dionysii poematium Commentarii Eustathii : interpretatio ejusdem poematii ad verbum, ab Henr. Stephano scripta : necnon annotationes ejus in idem, & quorundam aliorum. In Melam Annotationes Joannis Olivarii : in Æthicum Scholia Josiæ Simleri : in Solinum Emendationes Martini Antonii Delrio, Genevea, 1577* ** DENYS LE PÉRIÉGÈTE, MELA POMPONIUS113, AETHICUS ISTER114, CAIUS JULIUS SOLINUS115, EUSTATHIUS116 LITTÉRATURE LATINE117

82 15. Herodiani historiarum libri VIII Herodiani Historiarum lib. VIII. Græce pariter, & latine – Venetis, in aedibus Aldi ; Andreae Asvlani soceri, 1524118 HÉRODIEN – HISTOIRE ROMAINE (Le manuscrit mentionne à cet endroit que ces quatre premiers ouvrages sont : in pergament großquart, soit sur parchemin, grand in-4°.)

83 16. Libri duo argumentorum manuscripti Ce titre est trop vague pour qu’un ouvrage lui correspondant ait pu être trouvé, d’autant plus qu’il s’agit de deux livres manuscrits, apparemment d’argumentation, mais dans quel domaine ? INDÉTERMINÉ

84 17. Epitheta Ravisii Joannis Ravisii Textoris, Epitheta, studiosis omnibus poeticae artis maxime utilia, ab authore suo recognita ac in novam formam redacta, 1524. Apud Reginaldum Chalderini, Parrhisiis119

85 TIXIER DE RAVISI (JEAN) – STYLISTIQUE

86 18. Orationes latinae et carmina gratulatoria 2 titres : Jo. Baptistae Evangelistae, Orationes XLIIII, latinae locutionis mirificam [...]. argumentorum varietatem accurate et docte dispositam continentes [...] 1596, ad. signum Leonis Venetiis EVANGELISTI (GIOVANNI BATTISTA) – RHÉTORIQUE Carmina gratulatoria In honorem… Il existe une pléthore de titres au XVIe siècle contenant ces termes. Il s’agit de louanges. Le nom du lauréat n’étant pas indiqué, il est impossible de définir l’ouvrage indiqué. BELLES-LETTRES

87 19. Poemata Joachimi Mynsingen a Frundeck Poemata Joachimi Mynsingeri a Frundeck […] emendatius aedita opera […] M. Henrici Meibomii […] Accessit ejusdem Meibomii Panegyricus de Mynsingero, 1585, Helmaestadii, excudebat J. Lucius MYNSINGER VON FRUNDECK (JOACHIM), MEIBOM (HEINRICH) – POÉSIE

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88 20. Bericht von der Einsatzung des h. abendmals, Johann Marbach Christlicher vnd warhafftiger Vnderricht/ von den Worten der Einsatzung des heyligen Abendtmals Jhesu Christi/ unsers heylands sampt gründtlicher widerlegung der Sacramentierer hieuon jrrigen Lehr/ vnd meynung. Gestellet durch Johan Marbach/ der h. Schrifft Doctorn/ vnd der Kirchen zů Straszburg Superintendenten/ Mit etlichen zu anfang und ende des Buchs nutzlichen Registern. Getruckt zu Straßburg bey Christian Müller Im Jar 1566** MARBACH (JOHANNES) – THÉOLOGIE

89 21. Discours Mr de la Noue, von politischen und kriegssachen Discours oder Beschreibung und ußführliches räthliches Bedenken von allerhandt sowohl politischen als Kriegssachen. Marne &, Franckfort am Maÿn, 1592 DE LA NOUE (FRANÇOIS) – BELLES-LETTRES120

90 22. Sphaera civitatis Joh : Casi Sphaera civitatis, Authore Magistro Iohanne Caso Oxoniensi, olim Collegii divi Iohannis Praecursoris Socio. Oxoniae, Excudebat Iosephus Banesius, 1588 CASE (JOHN) – BELLES-LETTRES (PHILOSOPHIE)

91 23. Corpus juris canonici Corpus juris canonici. Corpus de droit canonique. Ce titre a fait l’objet de multiples éditions au XVIe siècle (1514, 1559, 1570, 1587…). DROIT

92 24. Dictionarium gallicum Dictionnaire de langue française. Il existe de multiples dictionnaires de français ; aussi n’est-il pas possible de déterminer lequel était en possession de L. Wetzel121. DICTIONNAIRE

93 25. Observationes Gaylii Practicarum observationum, tam ad processum judiciarium quam causarum decisiones pertinentium libri duo: item de pace publica et proscriptis sive bannitis imperii libri II, de pignorationibus liber I. Coloniae Agrippinae, J. Gymnicus, 1580122* GAIL (ANDREAS VON) – DROIT

94 26. Praxis Rob(ert)i Marantae Avrea Praxis Dn. Roberti Marantae Venvsini, Ivreconsvltorvm Facile Principis: Vvlgo Specvlvm Avrevm Et Lvmen Advocatorvm Inscripta : additionibus claris … Coloniae Agrippinae. Apud Theodorum Baumium, sub signo Arboris, Anno 1580123 MARANTA (ROBERTO) – DROIT

95 27. Observationes camerae imp(erial)is Mynsingeri Dn. Ioachimi Mynsingeri à Frundeck, Singularium Observationum Imperialis camerae centur. VI, Helmstadii, Brandes, 1599** MYNSINGER VON FRUNDECK (JOACHIM) – DROIT124

96 28. P. Costalii commentaria Petri Costalii Iurisconsulti celeberrimi, ad XXV. libros priores pandectarum Iustiniani Imperatoris, adversaria. Opus omnibus tam Iurs studiosis, quàm practicis & in foro versantibus vtilissimum & maximè necessarium. Nunc postremò, mendis, quæ irrepserant, sublatis, & quàm plurimis locis restitutis, diligentiùs quàm vnquàm antehac excusa. Cum indice gemino, rerum & verborum altero, altero Titulorum Ivris singulari, Coloniæ, Apud Geruinum Calenium, & hæredes

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Iohannis Quentelii, 1588* COUSTEAU (PIERRE) – DROIT125

97 29. Thesaurus latinus Thesaurus linguae latinae, sive Forum romanum in quo autorum quorum autoritate Latinus sermo constat, omnium, tum verba tum loquendi modi omnes pulcherrime explicantur : omnia per Caelium Secundum Curionem hac nova editione concinnata cum eiusdem praefatione, Basileae, Froben, 1561 - 3 vol. THESAURUS126

In-octavo

98 30. Corpus juris civilis Gothofredi duobus tomis [deux tomes] Corpus juris civilis ex recognitione Dionysii Gothofredi, Lugduni, 1589. 2 vol.127 GODEFROY (JACQUES) – DROIT

99 31. Lexicon iuridicum variorum Lexicon iuridicum cum additionibus Variorum, vol. I, Coloniae Agrippinae, 1600 SCHARD (SIMON) – DROIT

100 32. Praxis Ferrariensis Practica eximia atqve omnivm aliarvm praestantissima: in qva omnia ad praxin pertinentia tam perspicve tradvntvr, ut brevissimo temporis spatio vberrimam hinc iuris cognitionem haurire liceat, 1581, Francoforti ad Moenum, Feyerabenius128* FERRARI (GIOVANNI PIETRO) – DROIT

101 33. Paratitla Matth. Wesenbecii Matthaei Wesenbecii, Paratitla in Pandectas juris civilis, ab auctore recognita & aucta. Accesserunt […] Prolegomena studiorum jurisprudentiae […] &, in calce, Oeconomia codicis Justinianei […] 1568, Basileae, per Nicolaum Episcopium WESENBECK (MATTHIEU) – DROIT

102 34. Loci argumentorum Nicolai Everhardi a) Loci argumentorum legales, Basileae, 1516 b) Loci argumentorum legales, Lugduni, apud Gabrielem Cotier, 1556 c) Loci argvmentorvm legales, Lugduni, Jacques Giunta, 1568 d) Loci argumentorum legales, Francofurti, Nicolai Bassei, 1581 et 1591 EVERHARDUS (NICOLAUS) – DROIT129

103 35. De persona Christi Aegidii Hunnii Articulus de persona Christi, Ursellis, Excudebat Nicolaus Henricus Anno 1585 HUNNIUS L’AÎNÉ (AEGIDIUS ) – THÉOLOGIE

104 36. Jurisprudentia Hermanni Vulteii Jurisprudenciae romanae a Justiniano compositae, Marpurgi, P. Egenolphi, 1590 VULTEJUS (HERMANN) – DROIT

105 37. Georgii Fabricii de re poëtica Georgii Fabricii Chemnicensis, De re poetica libri VII. Lipsiae, Imprimebat Iohannes Steinman, typis Voegelianis, Anno 1571** FABRICIUS (GEORG) – STYLISTIQUE

106 38. Fontes juris civilis Henricii Stephani Juris civilis Fontes et rivi jurisconsultorum veterum loci quidam ex integris eorum voluminibus

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ante Justiniani aetatem excerpti Henricus Stephanus, 1580* ESTIENNE (HENRI) – DROIT

107 39. Dictionariolum latinogallicum Dictionariolum latino gallicum. Iam recens post omnium editiones excussum (…) Avec les mots français selon l’ordre des lettres, ainsi qu’il les faut écrire, tournez en latin. Item ciceroniana epitheta, antitheta et adverbia verbis adiuncta (…) Plus un brief recueil d’aucuns vocables modernes & plus communs de plusieurs régions, villes & rivières du Royaume de France, & autres pays circonvoisins, qui se trouvent en la Géographie, adioustez de nouveau. A Paris, chez Michel Sonnius, rüe S. Jacques à l’Escu de Basle. 1582 DICTIONNAIRE LATIN-FRANÇAIS

108 40. De feudis Herm : Vultei Hermanni Vulteji, De feudis eorundemque jure, libri duo, quibus accessit ejusdem authoris Exegesis feudalis nunc ab ipso authore innumeris in locis aucta, illustrata et emendata, ita ut editio plane nova videri possit, cum indice locupletissimo. Apud Paulum Egenolphum, Marpurgi, 1597* VULTEJUS (HERMANN) – DROIT

109 41. Arii Pinelli ad tit: de rescind: vendit: et de bonis Maternis 2 livres : a) Arii Pineli lusitani viri amplissimi, et iuris utriusque consultiss. Ad rub. et L. II. C. de Rescindenda venditione elaboratiss. & absolutissimi commentarij. Cum annotationibus doctissimis Emanuelis Soarez a Ribeira, Iurisconsulti celeberrimi. Accessit eiusdem argumenti Cap. III. et IIII. Lib. 2. Resolutionum Didaci Covarruvias, viri clariss. Cum Indice duplici, quorum prior legum in utroq. explicatarum, alter materiatum est. Francoforti, Ex officina typographia Nicolai Bassaei, 1597 PINELLUS (ARIUS) – DROIT

110 b) Ad constitutiones cod. de bonis maternis, doctissimi amplissimique commentarii, Arii Pinili lusitani Iureconsulti : quibus maternae successionis iura feliciter explicantur. Adiectus est rerum omnium ditissimus Index. Nunc denuo impressus, recognitus, & à mendis, quibus innumeris scatebat, repurgatus. Francofurti, per Nicoleum Bassaeum, & Ioannem Bullerum, 1573 PINELLUS (ARIUS) – DROIT

111 42. Hypomneses de gallica lingua Hypomneses de gallica lingua, peregrinis eam discentibus necessariae: quaedam vero ipsis etiam Gallis multum profuturae. Inspersa sunt nonnulla, partim ad graecam, partim ad latinam linguam pertinentia, minime vulgaria. Autore Henr. Stephano : qui et gallicam patris sui grammaticen adjunxit. Claudii Mitalerii Epistola de vocabulis quae Judaei in galliam introduxerunt, Genevae, 1582 ESTIENNE (HENRI), MITALIER (CLAUDE) – GRAMMAIRE/STYLISTIQUE

112 43. Mindanus de Processib. Extrahendis Petri Frideri Mindani de Processibus, mandatis et monitoriis in imperiali camera extrahendis, et de supplicationibus, quae pro iis fiunt, recte formandis […] Liber I-II, Francoforti ad Moenum, J. Spies, 1595-1596, 2 vol.* FRIDERUS (PETRUS MINDANUS) – DROIT130

113 44. De pactis, Borcholden Iohannis Borcholten […] in illustrem II. Titulum de pactis commentaria. Helmstadii : excudebat Jacobus Lucius, impensis heredum Ludolphi Brandes, 1596 BORCHOLT (JOHANNIS) – DROIT

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114 45. Alciatus ad tit. de verb: obligationibus Subtilissimi Andrea Alciati Mediolanensis, Lectura super secunda parte Digesti novi in titulo. De verborum obligationibus, Lugduni, Vincent de Portonariis, 1538 ALCIATIUS (ANDREAS) – DROIT

115 46. Logica Amandi Polani Amandi Polani à Polansdorf, Logicae libri duo, juxta naturalis methodi leges conformati In Quibus Exempla Declarationis & demonstrationis ad monstrandum duplicem argumentorum usum sunt distincta […] Accessit brevis admonitio de Usu Logicae, et de vera facilí[que] imitatione autorum. Editio secunda priore accuratior & auctior : cui […] accessit tractatus de disputatione, Herbornae Nassoviorum : typis Christophori Corvini, 1593 POLANUS VON POLANSDORF (AMANDUS) – RHÉTORIQUE (LOGIQUE)

116 47. Epistolae ad familiares Ciceronis M. Tullii Ciceronis epistolae familiares, 1519, Matthias Schurrerus, Argentorati CICÉRON – LITTÉRATURE LATINE131

117 48. Poëmata Jo. Stigelii Poematum Ioannis Stigelii Liber I-II continens sacra, Ienae,1566, Ritzenhayn & Rebart* Poematum Joannis Stigelii […] [Liber IV-IX] - Excudebat Donatus Ritzenhayn, Anno 1569-1572* Poematum Io. Stigelii Gothani Ex recensione Adami Siberi 1577, Richtzenhan* STIGEL (JOHANN) – POÉSIE132

118 49. Erasmi Roterdami de copia verborum et rerum D. Erasmi Roterdami, de copia Verborum ac Rerum Commentarij duo, postrema authoria cura recogni locupletiq, cum Scholijs marginalibus Christophori Hegendorphini, Iohan. Secerius excudebat, Haganoae, 1528 ÉRASME – RHÉTORIQUE

119 50. Sylva vocabulorum Henrico Decimatore autore, 1 et 2 pars a) Sylva vocabularum & phrasium cum solutae tum ligatae orationis ex optimis et probatis Latinae, Graecae & Hebraicae linguae autoribus, pars prima (…), Auctore Henrico Decimatore. Giffhornensi. Henningi Grosii, Bibliopolae Lipsensis, 1582 b) Secunda pars Sylva vocabularum & phrasium, continens nomina propria Deorum Dearumq ; gentilum, virorum et mulierum, urbium, regionum, insularum, pronunciarum, sylvarum & fluviorum, atq; id genus alia, quae primae adhuc parti defuêre (…), Auctore Henrico Decimatore, 1595133 DECIMATOR (HEINRICH) – DICTIONNAIRE POLYGLOTTE

120 51. Biblia gallica Bible en français. Elle pouvait être catholique ou protestante. Compte tenu des autres ouvrages de théologie détenus par L. Wetzel, il est probable qu’il ait possédé une bible protestante. THÉOLOGIE

121 52. Epitome partitionum oratoriarum Sturmii per Joh: Bentium Epitome partitionum oratoriarum M. T. Ciceronis et Ioannis Sturmii recognita et perspicuis exemplis illustrata a M. Ioanne Bentzio, 1593, per Iosiam Rihelium, Argentorati* BENTZ (JOHANN) – RHÉTORIQUE

122 53. Opera Ovidii P. Ovidii Nasonis Opera, Henrici Petri, 1560, Basileae* OVIDE – LITTÉRATURE LATINE

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123 54. Arithmeticae Gemmae Frisii Arithmeticae practicae methodus facilis per Gemmam Frisium medicum ac mathematicum, iam rece[n]s, ab ipso authore eme[n]data, et multis in locis insigniter aucta, Parisiis, Apud Gulielmum Cauellat, 1559 FRISIUS (RAINER GEMMA) – MATHÉMATIQUES

124 55. Aldi Manutii phrases Aldi Manutii Phrases latinae, elegantes et copiosae latinae linguae phrases Germanicæ & Gallicæ factæ […] Nunc denuo emend. & auctae, excud. Nicolaus Wyriot, Strasbourg, 1572 MANUCE (ALDO MANUZIO) – RHÉTORIQUE

125 56. Jo : Casa in dialecticam Svmma vetervm interpretvm in vniversam dialecticam Aristotelis, qvam vere falsove Ramus in Aristotelem inuehatur, ostendens : omnibus Socraticae Peripateticaeque philosophiae studiosis imprimis vtilis ac necessaria. Recognita & emendata. Cum indice rerum & verborum locupletissimo, Ex Officina Typographica Bassaeus, Francoforti, 1598*134 CASE (JOHN) – LITTÉRATURE GRECQUE

126 57. Grammatica Ph: Melanthonis Grammatica latina Philippi Melanthonis recognita et locupletata ; Accessit tractatus de orthographia recens [auctore Joachim Camerario] Vitebergae, 1569* MELANCHTHON (PHILIPP), CAMERARIUS (JOACHIM) – GRAMMAIRE LATINE

127 58. Poemata Mich : Tarchaniotae epigrammata Michaelis Tarchaniotae Marulli […] epigrammata et hymni [cum praefatione Beati Rhenani], Parisiis, apud C. Weckel, 1529 MARULLO (MICHELE) – POÉSIE135

128 59. Joan: Sturmiis partitiones oratoriae 1 et 2 pars Ioannis Stvrmii In partitiones oratorias Ciceronis, dialogi quatuor Priores duos habes ab autore emendatos: posteriores verò recens excusos, excudebat C. Wechelus, Parisiis, 1546* [1ère et 2e partie] STURM (JOHANNES) – RHÉTORIQUE136

129 60. Ovidii Amatoria P. Ovidi Nasonis Amatoria. Heroidum epistolæ. Auli Sabini, ut creditur, epistolæ tres. Elegarium libri tres. De arte amandi, libri tres. De remedio amoris, libri tres. In ibin. Ad Liviam, de morte Drusi. De nuce. De medicamine faciei. Recens accessere Fragmenta quædam ex epigrammatis Nausonis. Carmen ad Pisonem incerti authoris, elegantia tamn & eruditione juxta nobile - Apud Simonem Colinæum, Parisiis, 1529 [3 volumes] OVIDE – LITTÉRATURE LATINE

130 61. Ovidii libri tristium, fastorum P. Ovidii Nasonis […] Fastorum libri VI, Tristium V, De Ponto IIII, In Ibin. Cum commentariis […] Antonii Constantii Fanensis, Pauli Marsi, Bartholomaei Merulae, Domitii Calderini, Zarotti, multo […] emendatius excusis. His accesserunt Enarrationes Viti Amerpachii, Jacobi Micylli & Philippi Melanchthonis Annotationes […] 1550, per Joannem Hervagium, Basileae137 OVIDE & ALII – LITTÉRATURE LATINE

131 62. Columbae poeticae Friderici Taubmani F. Taubmani Columbae Poeticae, sive carminum variorum liber – Wittenbergae, Georgius Mullerus, 1594 TAUBMANN (FRIEDRICH) – POÉSIE

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132 63. Poemata Theodori Bezae Theod. Bezae poemata. Psalmi Davidici XXX. Sylvae. Elegiae. Epigrammata, cùm alia varii argumenti, tum epitaphia, & quae peculiari nomine iconas inscripsit. Omnia, in hac tertia editione, partim recognita, partim locupletata. Ex Buchanano aliisque insignibus poetis excerpta carmina (quae secundae illorum poematum editioni subjuncta erant) seorsum excudentur, cum magna non solùm ex iisdem sed ex aliis etiam poetis accessione, H. Stephani, Genevae, 1576* BÈZE (THÉODORE DE) – POÉSIE138

133 64. Cicero de officiis M. T. Cicero de Officiis : von den Tugentlichen Amptern vnd gebürlichen Wercken eines wol lebenden menschen, drey vnterschiedliche Bücher, Feyerabend & Hüter, Frankfurt am Mayn, 1565* CICÉRON – LITTÉRATURE LATINE139

134 65. Educatio puerilis Educatio puerilis linguae graecae : Fabellae quaedam Aesopi graecae ad puerilem educationem gymnasio Argentoratensi electae, W. Rihelius, Agentorati, 1541* GOLIUS, THEOPHILUS – ENSEIGNEMENT (DU GREC)

135 66. Adagia Erasmi Adagia [Desyderii Erasmi] : sive sententiae proverbiales : Graecae, Latinae, Germanicae, ex praecipuis autoribus collectae : ac brevibus Notis illustratae : inque Locos communes redactae. Per Josephum Langium Caesaremontanum. Una cum Indice. Excudebat Josias Rihelius, Argentorati, 1596* ÉRASME ET ALII – BELLES-LETTRES (ADAGES)140

136 67. Jacobi Pontani progymnasmata latinitatis Jacobi Pontani de societate Jesu Progymnasmatum latinitatis, sive dialogorum, volumen primum, cum annotationibus, De rebus literariis., Ingolstadii, ex Officina Typographica, Davidis Sartorii, 1589* ** PONTANUS (JACOBUS) – ENSEIGNEMENT (DU LATIN)

137 68. Elegantiae Laurentii Vallae Lavrentii Vallae viri doctissimi Elegantiarum latinæ linguae libri sex : Eiusdem De sui & suus, reciprocatione libellus Annotationes autem doctorum hominum, quæ præter rem antea resecatæ fuerant, iterum suum in locum studiosorum omnium utilitatem restituimus : Index rerum, & uerborum: Anno 1563, Apud Ioan. Gryphium, Venetiis* VALLA (LORENZO) – RHÉTORIQUE/STYLISTIQUE

138 69. Institutiones juris Theophili Institutiones juris civilis [Justiniani], per Theophilum Antecessorem in graecam linguam traductae ac fusius explicatae, cura ac studio Viglii Zuichemi primum in lucem editae, nunc vero a Ludovico Miraeo emendatiores redditae, addita latina interpretatione Jac. Curtii […] Praeter typum graduum cognationum a Francisco Roaldo […] restitutum, subjunximus et alios ab eodem J. C. delineatos […] Lugduni, apud J. Tornaesium, 1580 ANTECESSOR (THEOPHILIUS) – DROIT

139 70. lllustrium poetarum flores Illustrium poetarum Flores per Ocatvianum Mirandulam collecti & a studioso quodam in Locos communes digesti locupletati, ac summa diligentia castigati. Cum Indice. Argentorati in Aedibus Wendelini Rihelii, 1549141** MIRANDULA (OCTAVIANUS) – POÉSIE

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140 71. Dictionarium Dasypodii Dictionarium latinogermanicum, et vice versa Germanicolatinum, ex optimis Latinae linguae scriptoribus concinnatum … Theodosium Rihelium, Argentorati, 1553/1554* ** DASYPODIUS (PETER) – DICTIONNAIRE142

141 72. Novum testamentum latino-graecum Iesu Christi D. N. Novum Testamentum, sive foedus, Graecè & Latine, Theodoro Beza interprete. Additae sunt, eodem authore, summae breves doctrinae unoquoque Evangelistarum & Act. Apostolicarum loco comprehensae. Item, Methodi Apostolicarum Epistolarum brevis explicatio. Eiusdem ad illustriss. Principem Ludovicum Borbonium Principem Condensem, & Gallicam nobilitatem verum Dei Evangelium amplexam, praefatio, in qua de Verbi scripti authoritate & vera eius interpretatione differitur. Genevae, Excudebat Henricus Stephanus, illustris viri Huldrichi Fuggeri typographus, 1565 BÈZE (THÉODORE DE) (TRADUCTEUR) – THÉOLOGIE

142 73. Poemata de corrupto eccl(esi)ae statu variorum Varia doctorum priorumque virorum de corrupto Ecclesiae statu poemata, Ante nostram aetatem conscripta : ex quibus multa historica quoque utiliter, ac summa cum uoluptate cognosci possunt. Cum praefatione Mathias Flacii Illyrici , per L. Lucium, Basileae, 1557143 FLACIUS ILLYRICUS (MATHIAS) – THÉOLOGIE

143 74. Arithmetica gallica Ouvrage d’arithmétique en français. Il existe d’innombrables titres contenant le mot arithmétique, il est donc impossible de déterminer duquel il s’agit. ARITHMÉTIQUE

144 75. Orationes Demosthenis Demosthenis Orationes Philippicae quatuor latinae factae : accessit et secunda Olynthiaca et singulae orationes diligenter illustratae sunt argumentis et oeconomia dispositionis, graeca ipsa ad calcem subiecta sunt et qui uolet graece loquentem audiat et iltelligat, Brubach, Haganoae, 1535*144 DÉMOSTHÈNE – LITTÉRATURE GRECQUE (PHILIPPIQUE ET SECONDE OLYNTHIENNE)

145 76. Catonis Moralia Catonis Disticha moralia cum scholiis Erasmi Roterodami. Eadem græce, à Max. Planude è latino versa. Apophthegmata Græciæ sapientu[m], interp. Eras. Eadem per Ausonium cum scholiis Erasmi. Mimi Pub. cum ejusde[m] scholiis auctis, recogniti. Institutum hominis Chr[ist]iani carmine per eunde[m]. Isocratis parænesis ad Demonicum, denuo cum Græcis collata per Erasmum. Excudebat Eucharius Cervicornus, Coloniae, anno 1533 CATON L’ANCIEN, ÉRASME – LITTÉRATURE LATINE145

146 77. Tabulae P. Molani in rhetoricam Ph. Melanthonis Tabulae de schematibus et tropis Petri Mosellani. In rhetorica Philippi Melanchthonis. In Erasmi Roterodami libellum De duplici copia. Édité chez Philipp Ulhart, Augsburg, 1516146 PETER MOSELLANUS (PETER SCHADE) – RHÉTORIQUE

147 78. Calvinus iudaizans Calvinus iudaizans : hoc est iudaicae glossae et corruptele, quibus Johannes Calvinus illustrissima scripturae sacrae loca & testimonia, de gloriosa trinitate, deitate Christi & Spiritus Sancti, cum primisantem vaticinia Prophetarum de Adventu Messiae, nativitate eius, passione, resurrectione, ascensione in coelos et sessione ad dextram Dei, detestandum in modum corrumpere non exhorruit ; addita est corruptelarum confutatio, per Aegidium Hunnium, Sacrae Theologiae Doctorem & Professorem in Academia Witebergensi, Witenbergae, ex typographia

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Matthaei Wellaci, 1593 HUNNIUS (AEGIDIUS) – THÉOLOGIE

148 79. Epistolarum Cic(eroni) libri XVI Marci Tulli Ciceronis epistularum ad familiares : libri XVI** CICÉRON – LITTÉRATURE LATINE

149 80. Poëmata Vergilii Virgilii Maronis poemata cum annotationibus ex variis interpretibus collectis, studio et opera Christiani Egenolphi. Francforti, apud I. Wechelium, impensis Petri Kircheri, 1590** VIRGILE – LITTÉRATURE LATINE (POÉSIE)

150 81. Institutio logica Galii Institutio logica147 GALEN (CLAUDE) – BELLES-LETTRES (PHILOSOPHIE)

151 82. De sphaera Thomae Blebelii De sphaera et primis astronomiae rvdimentis libellvs ad vsum scholarum triuialium, vt vocant, maximè accommodatus, & in gratiam studiosae iuuentutis curianae, exartisicum libris accurata methodo & breuitate conscriptus Witeberge ex officinal Cratoniana, Johann Krafft, 1595 BLEBELIUS (THOMAS) – ENSEIGNEMENT (DE L’ASTRONOMIE)

152 83. Horatii Poëmata148 a. Q. Horatii poëmata, illustrata argumentis & castigationibus Georgii Fabricii, Chemnicensis; cum indice adagiorum. Lipsiae, Joh. Steinman, 1571 b. Q. Horatii poëmata, accuratissime castigata: editio haec argumentis singulorum poëmatum certis, cum annotationibus copiosis instructa est à Guil. Xylandro, Augustano. Heidelbergae, Joan. Maier, 1575 et Neostadii, Matth. Harnisch, 1590 c. Q. Horatii poëmata; quibus respondet index Th. Treteri nuper excusus. Antwerpiae, Chr. Plantinus, 1576 d. Q. Horatii poëmata, novis scholiis & argumentis ab H. Stephano illustrata; ejusdem diatribe de hac sua editione Horatii & variis in eum observationibus. Typis H. Stephani, 1588 e. Q. Horatii poëmata, ad castigatissimi cujusque exemplaris sidem quàm accuratissime restituta: additi sunt indices locupletissimi duo; unus docti cujusdam virí per Henricum Stephanum recognitus; alter Th. Treteri ad exemplar Lugdunense accommodatus. Francofurti, Cl. Marnius, 1600 HORACE – LITTÉRATURE LATINE (POÉSIE)

153 84. Anthologia gnomica Christiani Egenolphi Anthologia Gnomica. Illustres veterum Graecorum Comoediae scriptorum Sententiae, prius ab Henrico Stephano, qui et singulas latine convertit, editae, nunc duplici insuper interpretatione metrica singulae aucta, inque gratiam studiosorum quibus et variae scutorum natalitiorum imagines libello passim insertae usui erunt collectae a Christ. Egenolpho, Francoforti, Sigismund Feyerabend & Georgius Corvenius, 1579 EGENHOLFF (CHRISTIAN), ESTIENNE (HENRI) – LITTÉRATURE GRECQUE (POÉSIE GNOMIQUE)

154 85. Poëmata Lamberti Ludolphi Poematvm Lamberti Lvdolfi Pithopoei, Dauentriensis, Libri IV: Ad Gvstavvm Ab Osten Pomeranvm. Neapoli Nemetum : excudebat Matthaeus Harnisch, 1585149* HELM (LAMBERT LUDOLF) – POÉSIE

155 86. Phrases Vlneri Copiosa Suppellex elegantissimarum, Germanicae et Latinae linguae, phrasium: Initio quidem ex optimis ac probatissimis utriusque sermonis scriptoribus, Francoforti ad Moenum, Wendelinus

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Hom, 1594150* ULNER (HERMANN) – PHILOLOGIE

156 87. De duplici verborum copia Erasmi D. Erasmi Roterodami De dvplici copia verborvm ac rerum Commentarij duo: multa acceßione, novisque formulis locupletati. Addita sunt doctißima commentaria M. Veltkirchij [...] Cum nouo indice, Basileae, Brylinger, 1565151 ÉRASME – RHÉTORIQUE

157 88. Jodoci Willichii experimenta in Vergilium Experimenta P. Virgilii Maronis. Accessit et Commentariolus de Verborum copia, praesertim ex Aristotele et Cicerone conscriptus, Francofordi, ad Viadrum Joan Eichorn excudebat, 1550 WILLICH (JOSSE) – STYLISTIQUE

158 89. Comoediae Terentii Comoediae sex elegantissimae, cvm Donati commentariis, ex optimorum, præsertim ueterum exemplariorum collatione emendatæ, atque scholijs exactissimis, à multis doctis uiris illustratæ, & nunc denuo ab omnibus mendis repurgatæ. Autorum nomina, qui scholia adiecerunt, aut loca restituerunt, sequens pagella declarabit. Basileae, apud Nicol. Brylingerum, 1548** TÉRENCE – LITTÉRATURE LATINE

159 90. Io: Sturmii partitiones oratoriae manuscriptae 1 et 2 pars, Ioannis Stvrmii In partitiones oratorias Ciceronis 152 STURM (JOHANNES) – RHÉTORIQUE

160 91. Colloquiorum scholasticorum libri quatuor Colloquiorum scholasticorum libri quatuor. Ad pueros in sermone latino paulatim exercendos. Nuper recogniti, & multo quam antea politiores, & ornatiores. Auctore Mathurino Corderio. 1576, Parisiis, ex officina Gabrielis Buon, 1576 CORDIER (MATHURIN) – ENSEIGNEMENT (DU LATIN AUX ENFANTS)

161 92. Grammatica italica et gallica Grammatica italica et gallica in Germanorum, Gallorum et Italorum gratiam latine accuratissime conscripta A Scipione Lentulo Neapolitano – Auctore Antonio Francisco Madio F. Patavino. Francofurdi apud Ioannem Wechelum, 1590 LENTULUS (SCIPIO), MADIUS (ANTONIUS FRANCISCUS) – GRAMMAIRE (ITALIENNE ET FRANÇAISE)

162 93. De pronunciatione Claudii A. S. Vinculo Claudii A Sancto Vinculo De Pronuntiatione linguae gallicae, Londoni Excudebat Thomas Vautrollerius Typographus, 1580153 SAINLIENS (CLAUDE DE) – RHÉTORIQUE

163 94. Elucidarius poeticus Hermanni Torrentini Elucidarius poeticus continens historias poeticas, fabulas, insulas, regiones, urbes, fluuios, montesque insigniores, atque huiusmodi alia, omnibus adolescentibus in poesi uersantibus oppido quam necessarius, collectore Hermanno Torrentino, Wolff, Basileae, 1532 TORRENTINUS (HERMANNUS) – PÉDAGOGIE

164 95. Grammatica latinogallica Jacobi Sylvii Ambiani in linguam gallicam isagōge, unà cum ejusdem grammatica latino-gallica, ex hebræis, græcis, & latinis authoribus. Parisiis, Ex officina Roberti Stephani, 1531 DUBOIS (JACQUES) – GRAMMAIRE (LATIN/FRANÇAIS)

165 96. Catechesis Chytraei Deux ouvrages possibles :

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a) Catechesis Davidis Chytraei recens recognita, et multis Definitionibus aucta, Magdeburgae, Officina Typographia Wolffgangi Kirchneri 1570* b) Catechesis Davidis Chytraei. Postremo recognita, Witebergae, excudebat Zacharias Lehman, 1582154 CHYTRAEUS (DAVID) – THÉOLOGIE

166 97. Maturini Corderii de corrupti sermonis latini emendatione Maturini Corderii de corrupti sermonis emendatione, & Latinè loquendi ratione liber unus. Index Gallicarum dictionum Latinè in hoc libello redditarum. Ad minus candidum lectorem. Cur ducis vultus, & non legis ista libenter. Non tibi, sed parvis, parva legenda dedi. Lugduni Apud Seb. Gryphium 1541155 CORDIER (MATHURIN) – GRAMMAIRE/STYLISTIQUE

167 98. Quaestiones Grammaticae Quaestiones Graecae Grammaticae : Primo Accomodatae Ad usum Ludi literarij Lipsiensis, 1587* GRAMMAIRE GRECQUE

In sedecima forma

168 99. Discursus D. de la Noue gallico Discours politiques et militaires du Seigneur de la Nouë. Nouvellement recueillis et mis en lumière. A Basle, de l’imprimerie de François Forest, 1587 LA NOUË (FRANÇOIS DE) – BELLES-LETTRES156

169 100. Psalterium Davidis Psalterium Davidis carmine redditum per Eobanum Hessum, cum Annotationibus Viti Theodori Noribergensis […] Cui accessit Ecclesiastes Salomonis, eodem genere carminis redditus. Parisiis. Apud Galeotum à Prato, Imprimebat Petrus Galterus Parisiis, mense februario 1547 EOBAN (ELIAS) – POÉSIE

170 101. Officia Ciceronis gallice De officiis = Les Troys livres de M. Tulle Cicéron touchant les devoirs de bien vivre, A Paris, ches Chretien Wechel, 1547157 CICÉRON – LITTÉRATURE LATINE

171 102. Epistolae familiares Ciceronis gallice M. Tulii Ciceronis Epistolae ad familiares = Les épitres familières de Cicéron, traduction en français par Estienne Dolet, Lyon, E. Dolet, impimeur, 1542158** CICÉRON, DOLET (ESTIENNE) – LITTÉRATURE LATINE (EN FRANÇAIS)

172 103. Historia Philippi Cominaei Historia das ist, gründliche Beschreibung allerley wichtiger namhafften Sachen unnd Händel, so sich bey Regierung der Grossmaechtigsten und Durchläuchtigsten Fürsten und Herren, […] Ludwigen des Eylfften, Koenigs von Franckreich, Herren Carles Hertzogen zu Burgund und volgends Herren Carles des achten, auch Königs von Franckreich, vom 1464 biss auff das 1497 Jare […] in Franckreich, Engellande, in den Burgundischen oder Nider Teutschen Landen, und desgleichen in Italia von wegen des Koenigreichs Sicilia zu Neapolis, haben verlauffen und zugetragen. Strassburg, J. Rihel, 1566159* COMMYNES (PHILIPPE DE) ET ALII – HISTOIRE (EN ALLEMAND)

173 104. De formandis moribus graeco latino germanice Libelli Aliquot Formandis tum iuventutis moribus, tum linguae Graecae, Latinae, Gallicae et Germanicae utilissimi : Qvorvm Catalogus sequenti pagina continetur / opera & studio Iohannis

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Cherpontii. Genève, chez Vignon, 1581160* CHERPONT (JEAN) – PÉDAGOGIE/RHÉTORIQUE

174 105. Sententiae poetarum per Georgium Maiorem collectae Sententiae Veterum poetarum per locos communes digestae, Georgio Majore collectore : multo quam antehac auctiores, ac locupletiores. Sententiae singulis versibus contentae, ex diversis poetis, pietatis studiosae juventuti accommodae. De Poetica virtute libellus plane aureus, Antonio Mancinello auctore, ex officina Christophori Plantini, Antwerpiae, 1564 MAIRE (GEORGES), MANCINELLI (ANTONIO) – RHÉTORIQUE

175 106. M. Annaei Lucani de bello civili libri 10 M. Annaei Lucani Pharsalia : sive De bello civili, libri X. Scholiis per margines illustrati […] Basileae, per Henricum Petri, 1551161** LUCANUS (MARCUS ANNAEUS) – LITTÉRATURE LATINE (POÉSIE)

176 107. Stammbuch Sorte d’album blanc, rempli par l’auteur avec des données généalogiques ou des événements familiaux, par exemple. Il s’agit d’un manuscrit, qui se dit en allemand geschriebenes Buch – livre « écrit » (à la main). Les bibliothèques publiques en livrent quelque 75, mais celui de L. Wetzel est absent. Il est sans doute rédigé en allemand INDÉTERMINÉ

177 108. Comoediae Plauti M. Actii Plauti Comoediae viginti. [Précédé de : Plauti vita ex Petro Crinito de Poetis latinis], Lugduni, apud Seb. Gryphium, 1554 PLAUTE – LITTÉRATURE LATINE

178 109. Ovidii Metamorphosis P. Ovidii Metamorphosis cu[m] luculentissimis Raphaelis Regii enarratio[n]ibus, quibus cu[m] alia qu[ae]da[m] ascripta sunt q[uae] i[n] exemplaribus a[n]tea impressis non inveniuntur, tum eo[rum] apologia quae fuerant a quibusdam repraehensa. Cum gratia [et] privilegio. Impressum Venetiis per Ioannem Tacuinum de Tridino, 1518162 OVIDE – LITTÉRATURE LATINE

179 110. Epitheta poëtica gallice Phrases, elegantiae poeticae, epitheta latine, gallice, teutonice ex classicis auctoribus diligenti studio selecta. Antwerpen, 1597163 MURET (MARC-ANTOINE ) – RHÉTORIQUE/STYLISTIQUE

180 111. Von Pfandungen Nic. Reussneri Tractatus von Pfändungssachen, wie es mit denselben an dem Keyserlichen Cammergericht, vermög der Ordnung, und des Gerichts Practick, gehalten, und geurtheylt werde: alles mit gutem grund des Rechtens aussführlich bewisen, und in Latein anfänglich, durch Herrn Andream Gayl … ; nachmals aber ins Teutsch gebracht […] erkläret und gemehret durch H. Nicolaum Reusnerum. Strasbourg, B. Jobin, 1585164* GAIL (ANDREAS VON), REUSNER (NICOLAUS) (TRADUCTEUR) – DROIT

181 112. Opera Cremonensis Marci Hieronymi Vidae Cremonensis, Albae Episcopi, Opera. Lugduni, Apud Seb. Gryphium, 1554 VIDA (MARCO GIROLAMO) – LITTÉRATURE LATINE

182 113. Donatus Mercurii latino-germanicus Donatus Mercurii Latinogermanicus, ante sexennium sub titulo, institutionis puerelis

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rudimentorum grammatices, &c. Francofurti excusus, & nunc iterum ab autore recognitus, in usum novae Scholae Laugingensis. Laugingae, Emanuel Saltzer, 1563165 MERCURIUS (JOHANNES) – PÉDAGOGIE

183 114. Institutiones Justiniani Il existe de multiples éditions des Institutions de Justinien, qui s’échelonnent du XVe au XIXe siècle. Le titre indiqué étant incomplet, il n’a pas été possible de sélectionner une édition, d’autant plus que le format, in-16°, n’apparaît pas dans les ouvrages figurant actuellement dans les bibliothèques. DROIT

184 115. De vita et morte discursus Philippi Mornaei Excellent discours de la vie et de la mort. Pour mourir bien-heureux, à vivre faut apprendre. Pour vivre bien-heureux, à mourir faut entendre. Par Philippe de Mornay, Jean Durand, Genève, 1576166 MORNAY (PHILIPPE DE) – BELLES-LETTRES

185 116. Henrici Stephani poemata Quinti Horatii Flacci Poemata, novis scholiis et argumentis ab Henrico Stephano illustrata. Ejusdem Henrici Stephani Diatribae de hac sua editione Horatii, et variis in eum observationibus. Genevae, per Henricum Stephanum, 1574167 HORACE – LITTÉRATURE LATINE (POÉSIE)

186 117. Synesii hymni Synesii Cyrenaei Hymni vario lyricorum versuum genere Gregorii Nazianzeni Odae aliquot Utrisque nunc primum in luce prodeuntibus lat. interpretationem adjunxit Fr. Portus […]. Genevae, excudebat Henricus Stephanus, 1568168 SYNÉSIOS DE CYRÈNE, NAZIANZE (GRÉGOIRE) – POÉSIE GRECQUE (TRADUITE EN LATIN)

187 118. Precationes Avenarii Johannis Avenarii Precationes sacrae in singulos septimanae dies distibutatae. Argentorati, Bernhardus Iobinus, 1591169* AVENARIUS (JOHANN) – THÉOLOGIE

Ungebundene170

188 119. De compensationibus Joh : Borcholt : Johannis Borcholten Commentaria in insignem & utilissimum II. titulum De compensationibus. Helmstadii, Ludolphi Brandes, 1596171* BORCHOLT (JOHANNES) – DROIT

189 120. De legibus P. R. Fr. Hotomani Grodianus De Legibus XII. tabularum tripartita Franc. Hotomani […]. commentatio. Lugduni, apud J. Tornaesium, 1564172** HOTMAN (FRANÇOIS) – DROIT (ROMAIN)

190 121. Spicilegium gallicae latinae Lucae Wezelii Glanes (étymologie spica, l’épi), en français et en latin, recueillies par Luca(s) Wetzel. Il s’agit sans doute d’un manuscrit (disparu) INDÉTERMINÉ

191 122. Theses theologicae, juridicae et aliae, variae Il s’agit sans doute d’un ensemble varié d’écrits relevant de la théologie, du droit et

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d’autres matières qu’il est impossible de définir. INDÉTERMINÉ

192 123. Horatius cum notis Henrici Stephani Horatius, ex editione et cum notis Henrici Stephani, Typis ejusdem Stephani, 1588173 HORACE – ESTIENNE (HENRI) – LITTÉRATURE LATINE

193 124. Poemata Virgilii cum notis eiusd Publii Virgilii Maronis Poemata, novis scholiis illustrata, quae Henr. Stephanus partim dominata, partim e virorum doctiss. libris excerpta dedit. Ejusdem Henr. Stephani Schediasma de delectu in diversis apud Virgilium lectionibus adhibendo […] [P. Virgilii Maronis vita autore Tiberio Donato]. Genevea, Henricus Stephanus excud., 1570174 VIRGILE, ESTIENNE (HENRI) ET DONATIUS (TIBERIUS CLAUDIUS) – LITTÉRATURE LATINE (POÉSIE)

194 125. Straßburgische Stifftshandlungen Ensemble d’écrits, peut-être des libelles, relatifs à la querelle appelée Kapitelstreit, qui opposa les chanoines du Grand Chapitre de Strasbourg, la moitié étant protestante, l’autre catholique175 INDÉTERMINÉ

195 126. Joh: Goddaei de sequestrationibus De sequestratione possessionum et fructuum […] Repetitio cui accesserunt quaedam de eadem re theses […] Herbonae Nassoviorum, Excudebat Christophorus Corvinus, 1599 JOHANNES GOEDDAEUS (JOHANNES) – DROIT

196 127. Dyni Muxellani in regulas juris Dyni Muxellani Commentaria in regulas juris pontificii. Cum solitis additionibus D. Nicolai Boerii […] Primum ante triennium recognita, & […]. repurgata […] studio & industria Caroli Molinaei,[…] Ac denuo novissime ab eodem recognita & purgata. Et tertio ab eodem […] annotationibus analyticis illustrata […], Lugduni, apud Antonium Vincentium, 1558176 MUGELLANUS (DINUS) – DROIT

197 128. Ph. Decius in R. I. DN. Philippus Decius in Tit. FF de Regulis Iuris, cum additionibus D. Hyeronymi Cuchalon Hispani, unàque recens analyticis adnotationibus D. Gabrielis Saraynae Iuriscon. Veronensis, […] Lugduni, Apud Bartholomaeum Vincentium, 1578177** DECIUS (FILIPPUS) – DROIT

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Sphaera civitatis

Sphaera civitatis, Authore Magistro Iohanne Caso Oxoniensi, olim Collegii divi Iohannis Praecursoris Socio. Oxoniae, Excudebat Iosephus Banesius, 1588 (Gravure de la page de titre)

NOTES

1. CHALAMOV (Varlam), Mes bibliothèques, traduit du russe par Sophie Benech, 1992, p. 53‑54. 2. Je remercie M. G. Bischoff de m’avoir remis cette source transcrite. 3. MANGUEL (Alberto), La bibliothèque, la nuit. Essai traduit de l’anglais par Christine Le Bœuf, Paris, 2006, p. 200. 4. Wetzel est un hypochoristique du prénom Werner (en français Garnier). 5. WERTZ (Roland), Le livre des bourgeois de Colmar, 1512-1609, Publications des Archives de la Ville de Colmar, 2, Colmar, 1961. SITTLER (Lucien), Membres du Magistrat, Conseillers et Maîtres des corporations de Colmar, listes de 1408 à 1600, Colmar, 1964. 6. AMC, JJ Familles, 268-269. Deux liasses portent sur des personnes du nom de Wetzel sans mentionner Lucas. 7. WOLFF (Christian), « La famille Wetzel », Annuaire de la Société d’histoire du Val et de la ville de Munster, XV, 1960, p. 15‑28. 8. AMC JJ AP 27/30, folios 93-98. 9. WOLFF (Christian), NDBA, vol. 21, p. 1967. 10. WERTZ (Roland), op. cit., p. 187, no1767. 11. AMC, JJ AP 27/30 folios 97 et 97v.

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12. Reichskammergericht : créé en 1495 par l’empereur Maximilien dans le but de veiller à « la paix intérieure perpétuelle ». Il a siégé dans diverses villes avant de s’établir à Spire en 1527. Il avait compétence pour juger les conflits territoriaux entre les Stände et les dénis de justice dont les sujets pouvaient souffrir de la part de leurs gouvernants. ROVAN (Joseph), Histoire de l’Allemagne des origines à nos jours, Paris, 1998, p. 244-245. 13. GROH (Günther), Das Personal des Reichskammergerichts in Speyer (Besitzverhältnisse): mit Nachträgen zu den Familienverhältnissen, Ludwigshafen am Rhein, 1971. 14. NERLINGER (Charles), Daniel Martin ou la vie à Strasbourg au commencement du XVIIe siècle, Strasbourg, 1900, p. 163‑167. 15. Entre parenthèses, le numéro sous lequel figure l’ouvrage dans le Catalogue des ouvrages. Cette indication vaut pour la suite. 16. Universal short title catalogue. 17. Karlsruher Virtueller Katalog. 18. Suite du titre : Garde des Sceaux de France, Paris, 1791, volume 1, p. 265. 19. Suite du titre : avec notes bibliographiques, critiques et littéraires. Tome quatrième, Histoire. A Paris chez Antoine-Augustin Renouard, 1819, p. 106‑107. 20. Hermann Ulner ( ?-1566), philologue et juriste allemand. Enseigne la grammaire à Marburg, puis est juge à la cour aulique de Hesse. Ses écrits portent tant sur la philologie que sur le droit. ADB, 39, p. 210-211. 21. Ce volume figure dans l’Inventaire de la Bibliothèque des Longueil, Château de Maison, no907 (Internet). 22. Il existe un théologien allemand du nom de Gerhard Wolter Molanus, mais il est du XVII e siècle (1633-1722). 23. Maximus Planudes, moine philologue byzantin de la 2e moitié du XIIIe siècle. 24. Je remercie M. Bernhard Metz, historien, de son aide. 25. Dans ce cas, S. Feyerabend avance les fonds et se paie sur les bénéfices. 26. RENOUARD (Antoine Augustin), Annales de l’imprimerie des Estienne, ou histoire de la famille Estienne et de ses éditions (1837-1838), Genève, 1971. KESCKEMETI (Judit), CAZES (Hélène) et BOUDOU (Bénédicte), La France des humanistes : Henri II Estienne, éditeur et écrivain, Turnhout, 2003. 27. TAMET (Marie-Dominique), Les Senneton, marchands-libraires à Lyon au XVIe siècle, Lyon, 2011. 28. Les éditeurs strasbourgeois du XVIe siècle ont été étudiés dans : USHER CHRISTMAN (Myriam), Bibliography of Strasbourg imprints, 1480-1599, Yale university press, 1982 ; « L’édition protestante à Strasbourg (1519-1560) », GILMONT (Jean-François), La Réforme et le livre. L’Europe de l’imprimé (1517-v. 1570), Paris, 1990, p. 217‑239. 29. La suite de l’épître permet de comprendre le motif de l’arbre aux branches sectionnées : « 21 Car, si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles, il ne t’épargnera pas non plus. 22 Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu : sévérité envers ceux qui sont tombés, bonté envers toi, pourvu que tu demeures en cette bonté ; autrement tu seras toi aussi retranché. » La Bible, traduction œcuménique TOB, 1995, p. 2 726. 30. MICHAUD (Joseph Fr.) et MICHAUD (Louis Gabriel), Biographie universelle, ancienne et moderne, Paris, 1815, vol. 14, p. 475. 31. GILMONT (Jean-François), op. cit., p. 9-18. 32. MACLEAN (Ian), Learning and the Market Place : Essays in the History of the Early Moderne Book, Leyde, Brill, 2009 (chapitre sur André Wechel à Frankfurt (1572-1581) p. 63 et 163. 33. Ce livre est présent deux fois dans l’inventaire, format in-4° puis in-16°. 34. Apud Theodorum Baumium, sub signo Arboris : à l’enseigne de l’arbre. 35. L’imprimeur est l’atelier de Paltheniana travaillant aux frais de Jonas Rhodia et de Lazare Zetzner, éditeurs, qui avancent les fonds et prélèvent leur bénéfice. 36. À l’enseigne du lion ; éditeur : Pietro Cresci.

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37. Typis : Voegelianis. 38. Ils figurent dans le Catalogue des ouvrages. 39. Anvers, Augsburg, Haguenau, Herborn, Iéna, Ingoldstadt, Lauingen an der Donau, Leipzig, London, Magdeburg, Marburg, Neustadt an der Weinstraße, Oxford, Ursel. 40. Albrecht von Eyb (1420-1475), juriste, écrivain et traducteur allemand faisant partie des premiers humanistes. À partir de 1472 paraît sous le titre Margarita poetica une sélection d’écrits antiques et de la Renaissance, ainsi qu’un livret, Ehebüchlein : Ob einem manne sey zunemen ein eelichs weyb oder nicht (Petit livre : un homme doit-il ou non se marier avec une honnête femme), qui conduisit à des controverses sur la misogamie. ADB, 6, p. 447‑449. 41. L’inventaire après décès de M. Wetzel, dans lequel est inventorié la bibliothèque, est daté d’avril 1601. 42. Ces calculs recèlent une part d’incertitude, puisque la prise en considération de certains ouvrages relève d’un choix pour l’une ou l’autre année d’édition. 43. Lucas Wetzel possédait un autre exemplaire de De Officiis, en français (101). 44. Allgemeine Deutsche Biographie (ADB), 11, 1880, p. 700. 45. BODENMANN (Rheinhard), L’auteur et son nom de plume. Autopsie d’un choix : le cas des pays francophones et germanophones du XVIe siècle, Bruxelles, 2006, p. 13. 46. MEISTER (Aloys), Der Strassburger Kapitelstreit, 1583-1592, ein Beitrag zur Geschichte der Gegenreformation, Strasbourg, 1899. 47. F. de La Noue, dit Bras de fer (1531-1591), converti à la Réforme vers 1558. Il devient maréchal général de l’infanterie au cours des guerres de Religion (huit guerres entre 1562 et 1598) dans le camp protestant (il sera amputé d’un bras). Il s’exile ensuite à Genève (1586), où il rencontre Théodore de Bèze. De retour à la guerre dans les troupes de Henri III contre les Guise, il est blessé à mort au siège de Lamballe. Il sera un messager droit et courageux entre protestants et catholiques. Il s’oppose aux atrocités de la guerre qu’il considérait comme « la résurgence du mal en sa pureté diabolique ». Par ses Discours, il porte témoignage des guerres de religion, mais se prononce aussi sur les principes communs aux calvinistes et à leurs adversaires. KRIEGEL (Blandine), La République et le Prince moderne, Paris, 2011, p. 208‑213. 48. John Case (vers 1540-166), professeur de logique et de philosophie à Oxford. Dialecticien, il écrit des ouvrages à l’usage de ses étudiants. Il exerce aussi la médecine. 49. Coauteurs de cette édition : Paulus Vindingus, Justus Meier, Johannes Hoffmannus Husanus, Joseph Lange (éditeur scientifique, préfacier), Johannes Sturm, Stanislas Volovitch, Mikhael Volovitch. 50. SALADIN (Jean-Christophe), Érasme (1469-1536), les Adages. Traduction (latin et grec) et édition dirigée par J.-C. Saladin, 5 vol., Paris, 2011. 51. Philippe Duplessis-Mornay (1549-1623), théologien calviniste, écrivain et homme politique français, allié de Henri IV, puis en disgrâce, l’un des hommes les plus éminents du parti protestant à la fin du XVIe siècle. Il s’engage auprès des Princes protestants aux Pays-Bas puis s’investit dans l’établissement de la paix politique de religion. KRIEGEL (Blandine), op. cit., p. 185‑198. 52. Il existe quantité de discours de louanges portant ce titre. 53. Pierre de la Ramée (1515-1572), philosophe anti-aristotélicien. 54. Synésios de Cyrène (v. 370-v. 414), épistolier, philosophe néoplatonicien de l’école néoplatonicienne d’Alexandrie, évêque de Ptolémaïs (Cyrénaïque, actuelle Libye). 55. Grégoire de Nazianze ou Grégoire le Théologien (Cappadoce, 329-390 Arianze), théologien, docteur de l’Église, évêque de Constantinople. 56. Franciscus Portus, Grec émigré à Genève au XVI e siècle. Enseigne le grec, fonde une imprimerie et imprime des grammaires et des œuvres de philosophie et d’histoire. Il est calviniste. The three dimension character of early printed Greek, p. 2 (philonoeses.org/3).

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57. Coauteurs : Mela Pomponius, Aethicus Ister et Caius Julius Solinus, géographes, et Eustathius, commentateur des poèmes de Denys le Périégète. 58. Il s’agit sans doute de Publilius Syrius, né vers 85 avant J.-C. en Syrie, esclave affranchi à Rome, l’un des principaux représentants de l’art mimique. Il a écrit des Mimes et des Sentences. 59. Les lecteurs de cet article comprendront aisément l’impossibilité d’entrer ainsi dans le détail de tous les titres, dont beaucoup affichent la même complexité. 60. Épopée en dix chants (inachevée) relatifs à la guerre civile qui a opposé César à Pompée (I er siècle avant J.-C.). 61. Sans certitude absolue pour O. Mirandula (Ottavio Fioravanti dit Mirandula), ce poète n’étant cité que dans un ouvrage bibliographique sans mention d’origine et étant absent de tout ouvrage biographique, fût-ce italien. 62. En particulier d’œuvres néolatines (à partir de F. Pétrarque, 1304-1374). 63. Les recherches biographiques concernant ces auteurs ont été menées dans ADB, 4, p. 543‑545 (Eoban) ; 6, 447-449 (von Eyb) ; 11, 700 (Helm) ; 23, 22‑25 (Mysinger) ; 36, 228‑230 (Stigel) ; 37, 433‑440 (Taubmann). BERTHOUD (Jean-Marc), « Théodore de Bèze, Pasteur et défenseur de la foi (1519-1605) », La Revue réformée, no40, p. 1‑20. Dizionario Biografico degli Italiani, 1960, (Vida et Marullo). 64. A. Calepino, moine augustin italien (né en 1435 ? à Calepio, décédé en 1511 ?). Son premier dictionnaire monolingue (latin) paraît en 1502 ; puis ajout du grec, de l’hébreu, de l’italien. Nombreuses éditions post-mortem, complétées pour arriver à 10 langues. LABARRE (A.), Bibliographie du Dictionarium d’Ambrogio Calepino (1502-1579), Baden-Baden, 1975, 18, Verzeichnis der im deutschen Sprachbereich erschienenen Drucke des XVI. Jahrhunderts, Stuttgart, 1984. 65. Le dictionnaire a été édité aussi en 1596 et 1599 (même éditeur, même format). Quelle édition possédait L. Wetzel ? 66. Heinrich Decimator (vers 1544-vers 1615), théologien luthérien, astronome et linguiste allemand. ADB, 4, p. 791. 67. Le volume III paraît en 1606. 68. Dictionnaires des 16e et 17 e siècles (Corpus des dictionnaires français des XVIe et XVIIe siècles), Champion électronique, Paris, 2007. 69. Dictionnaire FrancoisLatin de Robert Estienne, 1549, p. 568. 70. Aldo Manuce (1449-1515), imprimeur, libraire et relieur œuvrant à Venise, fait partie du cercle des humanistes. Il joue un rôle prépondérant dans la diffusion de l’humaniste en Italie, en privilégiant la littérature grecque, par l’usage de caractères typographiques grecs et en tirant parti de la présence de philosophes byzantins. Il est le premier à employer les caractères italiques. RIVES (Bruno), Passions et secrets d’un Vénitien de génie, Librii, 2008. 71. Les ouvrages de ces auteurs figurent dans le Catalogue des ouvrages. 72. Philipp Melanchthon (P. Schwarzerdt), humaniste et réformateur allemand (1497-1560), disciple de Luther, surtout connu pour sa Confession d’Augsbourg (1530). PETERS (Christian), notice Melanchthon Philipp, Encyclopédie du protestantisme, sous la direction de Pierre Gisel et Lucie Kaennel, Genève, 1995, p. 879‑880. 73. Marbach, né à Lindau en 1521, disciple le plus fidèle de Luther ; il tente d’imposer l’orthodoxie luthérienne à Strasbourg. Il y décède en 1581. Il essaie d’être conciliant avec les Réformés. VOGLER (Bernard), notice Marbach, Jean, Encyclopédie…, op. cit., p. 966. 74. Cet ouvrage, qui n’est pas un livre de dévotion, s’apparente au catéchisme de Heidelberg, au Petit Catéchisme et au Grand Catéchisme de Luther. 75. Th. de Bèze (1519-1605), réformateur et humaniste né à Vézelay, un des chefs de file de l’orthodoxie calvinienne. Excellent poète (en latin), il écrira les Poemata, œuvre de jeunesse et d’amour. Après la mort de Calvin, il poursuit son œuvre. NICOLLIER (Béatrice), notice Bèze, Théodore de, Encyclopédie…, op. cit., p. 113.

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76. Originaire de l’Istrie, éduqué à Venise, Flacius Illyricus (1520-1575) étudie à Bâle, Tübingen et Wittenberg où il enseigne l’hébreu. Disciple de Luther, il découvre la doctrine de la justification par la foi seule. Polémiste, il s’oppose à Melanchthon et aux représentants d’autres courants au sein du luthéranisme. BIRMELÉ (André), notice Flacius Illuricus, Mathias, Encyclopédie…, op. cit., p. 512. 77. David Chytraeus (Kochhafe) (1530-1600), réformateur luthérien, historien et professeur allemand. Études à Tübingen, puis à Wittenberg où il est le disciple de Luther puis de Melanchthon. 78. Johann Avenarius, ou Haberman, théologien protestant né en Bohême (1516-1590). Prédicateur à partir de 1542 en Saxe, professeur de théologie à Iéna en 1573 et présent à Wittenberg en 1575. Publie en 1570 une grammaire hébraïque. Son Gebetbuch, le « Habermann », est très répandu et publié à de nombreuses reprises (1ère édition en 1567 à Wittenberg), notamment à Strasbourg en 1595, 1605, 1628 et 1631. Il est traduit en plusieurs langues. ADB, 1, p. 699. 79. Aegidius Hunnius (1550-1603), théologien allemand. Enseigne à Marburg où il restaure l’orthodoxie luthérienne. Articulus Persona Christi et Calvinus Iudaïzans sont ses œuvres les plus représentatives. 80. Au XVI e siècle, la Bible est traduite en français par des théologiens catholiques : Lefèvre d’Étaples, en 1524 – traduction condamnée par l’Église – qui traduit ensuite le Nouveau Testament. La traduction du Nouveau Testament par Érasme de Rotterdam connaît cinq éditions successives. Les Bibles protestantes sont celles d’Olivétan (Neuchâtel, 1535), de Robert Estienne (dite de l’Épée, 1540, Genève), de Corneille Bonaventure Bertram (dite de Genève, 1588) et celle de Castillon (1545, Bâle). 81. Jacobus Pontanus (Bohême, 1542, Augsbourg, 1626). Études chez les jésuites de Prague ; recteur à Augsbourg, enseigne la philologie, la rhétorique, le grec et le latin. Son œuvre la plus célèbre, Progymnasmatum latinitatis, en 3 volumes, entrait en concurrence avec le Colloquia familiaria d’Érasme, interdit dans les écoles jésuites. ADB, 20, p. 615. 82. Seul le titre de cet ouvrage de Commynes, traduit en allemand par J. Sleidanus et C. Hedio, comprend le mot historia (hormis un ouvrage en italien de 1559), raison pour laquelle il a été retenu. 83. P. de Commynes, diplomate au service de Louis XI, Charles VIII et Louis XII en est aussi le chroniqueur. Ses Mémoires sont en huit livres. Le livre dont il est question inclut les faits et gestes de ces rois et de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, et concerne les affaires françaises, anglaises, bourguignonnes et italiennes (royaume de Sicile et Naples). 84. Gemma Frisius (1508-1555), médecin, astronome, mathématicien, cartographe et constructeur d’instruments néerlandais. ADB, Bd. 8, p. 555. 85. L’inventaire des enseignants et étudiants de Bâle ne contient pas le nom de L. Wetzel. WACKERNAGEL (Hans Georg), Die Matrikel der Universität Basel, II, 1532/33-1600/01, Bâle, 1946. Il en est de même à Fribourg-en-Brisgau. MAYER (Hermann), Die Matrikel der Universität Freiburg i. B. von 1460-1656, 2, Tabellen, Personen- und Ortsregister, Fribourg-en-Brisgau, 1910. Il n’y a pas de trace non plus de Lucas à l’université d’Orléans, qui accueillait un grand nombre d’étudiants allemands. RIDDRRIKHOFF (Cornelia), DE RIDDER SYMOENS (Hilde), Deuxième Livre des procurateurs de la nation germanique de l’ancienne Université d’Orléans 1546-1567, Leyde, 1988. Ibid., Troisième Livre des procurateurs de la nation germanique de l’ancienne Université d’Orléans 1567-1587, Leyde, 2013. Un « Elias Wetzell Colmariensis » figure dans ce dernier ouvrage ; il fait partie des nouveaux inscrits le 12 avril 1583. Est-ce le greffier en justice, stettmeister, schultheiss et obristmeister, bourgeois en 1587 et 1592 identifié par C. Wolff ? WOLFF (Christian), op. cit., tableau IX. 86. Voir note infra. Le droit applicable dans des espaces de juridiction plus modestes (seigneurie, ville…) était un droit local divers, territorial ou coutumier.

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87. Dans le Catalogue des ouvrages, ces livres sont les suivants : 2. Douaren, 7. Schneidewinius, 8. Sichard, 12. Wesenbeck, 28. Cousteau, 30. Godefroy, 33. Wesenbeck, 36. Vultejus, 41b. Pinellus, 44. Borcholten, 45. Alciat, 69. Antecessor, 114. Institutions de Justinien (s.n.) et 119. Borcholten. 88. Première version en 529, seconde en 534. 89. Histoire des Institutions, 1-2 : L’Antiquité, coll. « Thémis », Paris, 1992. 90. Cet ouvrage traite aussi du Code de Justinien et de son organisation et contient un traité de jurisprudence. 91. Dans le Catalogue des ouvrages, ces livres sont les suivants : 3. Covarruvias, 23. Corpus de droit canonique (s.n.), 126. Goddaeus et 127. Mugellanus. 92. Idem : 27. Münsinger von Frundeck, 43. Mindanus et 111. Gail. 93. Idem : 25. Gail, 26. Maranta, 32. Ferrari, 34. Everhardus, 41a. Pinellus et 128. Decius. 94. De 1548-1556 pour le premier, à partir de 1558 pour le second. 95. Par exemple, Vultejus est nommé conseiller de la cour de Ferdinand II en 1630, Mynsinger von Frundeck est chancelier de la principauté de Braunschweig-Wolfenbüttel. 96. Alciatius, Andreas (Alciat) (1492-1550). Jurisconsulte et écrivain italien de langue latine, émule d’Ulrich Zasius (Zase) et de Guillaume Budé, il est l’un des premiers représentants du courant dit de l’humanisme juridique. Alciato, Andrea, Dizionario Biografico degli Italiani, Diritto, 2012. 97. Covarrubias, Diego de (1512-1577), homme d’Église espagnol. Professeur de droit canon à l’université de Salamanque ; évêque de Saint-Domingue (Nouveau monde) ; participe au concile de Trente et à l’élaboration du décret de réformation. De retour en Espagne, évêque de Ségovie. Au moment de sa mort, il présidait le conseil de Castille et venait d’être nommé à la tête du diocèse de Cuenca. 98. Zasius, Ulrich (1461-1536), juriste allemand, représentant du droit humaniste. Il est accusé d’hérésie et ses livres sont mis à l’index. ADB, Zasius, Ulrich, 44, p. 708‑715. 99. François Hotman (1524-1594), issu du milieu de la Robe au contact de la Réforme et de l’humanisme. Études de droit à Orléans où il se lie avec T. de Bèze ; enseigne le droit romain à Paris. Rencontre Calvin à Genève, puis retrouve T. de Bèze à Lausanne. Réside à Strasbourg de 1555 à 1588, où il est accueilli par Sturm. Enseigne le droit, puis les Belles-Lettres à Lausanne et ailleurs. À cause des querelles de religion, plusieurs fuites à Genève (1570-1580), où il retrouve Duplessis-Mornay, et à Bâle. KRIEGEL (Blandine), op. cit., p. 198‑208. 100. Rétablir l’authenticité des textes originaux du droit romain en les débarrassant des gloses et erreurs, en les soumettant à la critique historique et en les adaptant aux contingences contemporaines du droit. 101. Ainsi, F. Hotman était l’ami de T. de Bèze, rencontré à l’université d’Orléans, et l’assistant de Calvin (KRIEGEL (Blandine), op. cit., p. 199, 201), M. Flacius Illyricus (M. Flach) avait étudié la théologie protestante avec M. Luther et P. Melanchthon, Mynsinger von Frundeck, juriste, était un élève et admirateur d’U. Zasius, adepte de la Réformation, juriste. Celui-ci entretenait des relations personnelles et épistolaires avec D. Érasme et formait une communauté de pensée avec les juristes italien Alciat et espagnol Covarrubias. 102. Je remercie M. R. Casin, conservateur, et Mme F. Chagrot, bibliothécaire, d’avoir mis ces livres à ma disposition. 103. PERRILLAT (Laurent), « La bibliothèque de maître Jean de Chambouz (1543-1587), Revue savoisienne, 40, 2000, p. 113‑163 (article revu, corrigé et augmenté en 2002, disponible sur internet). 104. OBERLÉ (Raymond), « A propos de la bibliothèque d’un juriste du XVIII e siècle », Revue d’Alsace, 119, Strasbourg, 1993, p. 271-284. 105. SCHRECK (Nicolas), La République de Mulhouse et l’Europe des Lumières, Collection « Recherches et documents », tome 51, 1993 : « La bibliothèque du greffier-syndic Josué Hofer », p. 129-136.

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106. JORDAN (Benoît), La noblesse d’Alsace entre la gloire et la vertu. Les sires de Ribeaupierre. 1451-1585, Strasbourg, 1991, p. 194-195. 107. DOUCET (Roger), Les bibliothèques parisiennes au XVIe siècle, Paris, 1956, cité par L. Perrillat, op. cit., p. 18. 108. Par exemple : Bibliotheca Duboisiana ou catalogue de la bibliothèque du cardinal du Bois, 1725 ; Bibliotheca Hohendorfiana ou catalogue de la bibliothèque de feu Monsieur George Guillaume Baron de Hohendorf (…) A La Haye, chez Abraham de Hondt, MDCCXX (plus de 7 000 ouvrages). 109. L’astérisque après un ouvrage indique qu’il figure dans les collections de la Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg (BNUS) dans le format indiqué par la source et dans une édition antérieure à 1600. 110. Les œuvres complètes de Zasius ont connu trois éditions : celle indiquée (1548) ; 1550/1551 chez Sébastien Gryphe à Lyon ; 1590/1595 à Francfort. ADB, 44, p. 708-715 (ici, p. 713). 111. L’astérisque double indique que cet ouvrage se trouve à la Bibliothèque des Dominicains de Colmar. Ont été utilisés : Catalogue ou Répertoire alphabétique des livres composant la Bibliothèque de la ville de Colmar. Ce catalogue, dressé par Mr Thomas, a été commencé le 3 février 1858 et terminé le 13 mai 1863, 8 vol. ; BOLCHERT (Paul), Catalogue de la Bibliothèque du Consistoire de l’Église de la Confession d’Augsbourg à Colmar. Première et deuxième partie : manuscrits et incunables, Strasbourg, s.d. Troisième partie : Livres du XVIe siècle, Colmar, 1960. 112. Ouvrage en grec ancien et latin. 113. Géographe ayant décrit le monde connu des Gréco-Romains. 114. Auteur d’une Cosmographia. 115. Solin, auteur du Polyhistor ( celui qui en sait beaucoup), recueil de curiosités issues de nombreux pays. Il s’est inspiré de l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien (23-79). 116. Eustache de Thessalonique, qui a écrit les commentaires des poèmes de Denys le Périégète. 117. En plus des auteurs sont cités H. Estienne et M. A. Delrio (éditeurs scientifiques), J. Simler et P. J. Oliver (commentaires). 118. Le format de cette édition est in-8 o (non in-4 o, comme celui détenu par L. Wetzel. Apparemment, il n’en existe plus de ce format). Selon le Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, avec notes bibliographiques, critiques et littéraires. Tome quatrième, Histoire. A Paris chez Antoine- Augustin Renouard, 1819, p. 106-107, cet ouvrage a connu 8 éditions. La langue utilisée est le latin et le grec ancien. 119. Seuls les formats in-folio et in-8o ont pu être trouvés pour cet ouvrage (et non in-4o). 120. Cet ouvrage figure deux fois dans l’inventaire : ici format in-4o, traduction allemande, puis en in-16o en français (no 99). 121. Pour approfondir la recherche : Dictionnaires des 16e et 17 e siècles (Corpus des dictionnaires français des XVIe et XVIIe siècles), Champion électronique, Paris, 2007. 122. Trois éditions successives, 1578**, 1580 et 1589, ont paru chez le même éditeur. Leur format, in-folio, est différent de l’édition détenue par Wetzel. 123. Un autre ouvrage, au titre similaire, peut entrer en ligne de compte : Roberti Marantae Venusini praxis aurea seu speculum aureum cum additionibus Petri Follorii, et decem disputationibus ejusdem Marantae, Lugd., 1584. Ce volume figure dans l’Inventaire de la Bibliothèque des Longueil, Château de Maison, no907. 124. Autre ouvrage du même auteur : no 16 (voir ci-dessus). 125. Ouvrage au format in-8o. 126. Format in-folio au lieu de in-4o. 127. Cet ouvrage figure dans l’Inventaire de la Bibliothèque des Longueil, Château de Maison, no950. 128. Cette édition est de format in-folio. 129. Les diverses éditions citées étant de format in-8o, il est impossible de définir l’ouvrage que détenait L. Wetzel.

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130. Ouvrage mis à l’index selon le Catalogue des ouvrages mis à l’index contenant le nom de tous les livres condamnés par la Cour de Rome, avec les dates des décrets de leur condamnation (Décret des 7 août 1603, 8 mars 1662 et 20 nov. 1663 pour les livres I, II et III), Paris, 1828, p. 148. 131. Cet ouvrage figure aussi en français dans la bibliothèque (voir ci-dessous, no102). 132. Les trois ouvrages correspondent au format ; le titre indiquant Poemata, il est possible qu’il se soit agi de plusieurs ouvrages, à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur de la part du scribe ayant dressé l’acte. 133. Le volume III paraît en 1606. 134. L’ouvrage est en latin. 135. L’ouvrage contient une préface de Beatus Rhenanus. 136. Entretien didactique entre Cicéron et son fils Marcus au sujet de la rhétorique, en trois parties, sous forme d’un enseignement catéchistique (capacités de l’orateur, ses devoirs, questionnement…). NICKEL (Rainer), Lexikon der antiken Literatur, Düsseldorf, 2006, p. 619. Cet ouvrage a été noté deux fois : ici et plus loin (no90). L. Wetzel en possédait-il deux exemplaires ou est-ce une erreur du rédacteur de l’inventaire ? 137. Ouvrage de format in-folio, celui de L. Wetzel est de format in-octavo. 138. Ouvrage édité à de multiples reprises et dans d’autres formats au XVI e siècle : Paris, C. Badius, 1548 ; Genève, H. Estienne, 1597 ; Hanau, G. Antonius, 1598*… 139. Il pourrait aussi s’agir de : M. T. Ciceronis De officiis. Lib. III. Cato maior, siue de Senectute, Laelius, sive de Amicitia: Somnium Scipionis : Paradoxa : Sylloge libri de Repub. = Theōdōrou Peri gērōs hermēneia : Kai oneiros Skipiōnos / Cicero ; post postremam Navgerianam, & Victorianam, correctionem Emendata a Ioanne Stvrmio ; … additae etiam sunt Erasmi Roterodami, & Philippi Melanchthonis, & Bartholomaei Latomi annotationes […] 1553, Rihelium, Argentorati (ouvrage en latin et grec ancien). 140. Coauteurs : Paulus Vindingus, Justus Meier, Johannes Hoffmannus Husanus, Joseph Lange (éditeur scientifique, préfacier), Johannes Sturm, Stanislas Volovitch, Mikhael Volovitch. 141. Ouvrage publié à d’innombrables reprises au XVIe siècle. 142. Le dictionnaire a été édité aussi en 1596 et 1599 (même éditeur, même format). 143. Il s’agit d’un choix de poèmes antérieurs à « notre époque », avec des critiques portant sur l’Église. Cet ouvrage prendrait place dans une catégorie croisée, entre théologie et poésie. 144. Ouvrage traduit en latin par Christoph Hegendorf. 145. Cet ouvrage, dont le sujet sont des apoghtegmes (distiques à caractère moral), attribués à Caton, commenté par Érasme (textes réunis et traduits par Planude), est édité à de multiples reprises avec quelques variantes dans l’énoncé du titre : R. Estienne (Genève 1561 ; Paris 1576), Michael Hillesius (Anvers 1532), Ivon Schoeffer (Mayence 1551). Il connut un grand succès dès le Moyen Âge. L’imprimeur, Eucharius Cervicornus, doit s’appeler de son vrai nom Hirschhorn ou Hirtzhorn. 146. Une autre édition, en 1516, a paru chez Streckebach, à Francfort. Entre 1516 et la fin du siècle, une cinquantaine d’éditions ont vu le jour. Par exemple : Fribourg-en-Brisgau, Eucharius Rodion, 1528 ; Argentorati, Christianus Aegenolphus, 1529 ; Basileae, Thomas Wolff, 1529 ; Antverpiae, Martinum Caesarem, 1533 ; Parisiis, Mauricii a porta, 1553. GREEN (Lawrence D.) et MURPHY (James Jerome), Renaissance Rhetoric Short Title Catalogue, Fourteen Hundred and Sixty to Seventeen Hundred, Ashgate Publishing, Ltd, 2006, p. 390-392. Seule l’édition indiquée ci-dessus (au format indéterminé) a été inscrit dans le tableau des villes d’édition. 147. Aucun ouvrage du XVIe siècle n’a pu être trouvé. 148. Cinq ouvrages édités dans le siècle et présentant le format de l’exemplaire (in-8°) possédé par L. Wetzel entrent en ligne de compte. Il est impossible de définir celui qu’il détenait. 149. Il s’agit de 4 livres de poèmes, en 1 volume, dédiés au Poméranien Gustav von Osten, publiés à Neustadt (aujourd’hui Neustadt a. d. Weinstraße). Les 5e, 6e, 7e et 8e livres de poèmes ont été publiés : liber Quintus, en 1588 ; Sextus et Septimus, 3 éditions entre 1588 et 1591, Octavus, en 1594. 150. Ouvrage édité 26 fois entre 1566 et 1620.

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151. Ouvrage édité 23 fois entre 1535 et 1636. 152. Cet ouvrage figure aussi dans l’inventaire au n° 59. Il s’agit apparemment d’un manuscrit. 153. Format indéterminé. 154. Ce second livre n’a pas été noté dans le tableau des villes d’édition. 155. Format indéterminé. 156. Cet ouvrage figure deux fois dans l’inventaire : sous le format in-4° (no21) en allemand, ici, en in-16° en français. 157. Traduction en français de Louis Meigret. Format in-8°. 158. Format in-8°. L. Wetzel possédait également la version en latin (voir no47). 159. Ouvrage de format in-2° (au lieu de in-16°). Traduction allemande de Johannes Sleidanus et Caspar Hedio. Ce livre a été retenu parce qu’aucun autre titre relevé dans les catalogues des bibliothèques publiques ne contient le mot Historia, hormis un ouvrage en italien de 1559. 160. Ouvrage de format in-8° (au lieu de in-16°), multilingue (latin, grec moderne – XV e siècle – français et allemand). 161. Ouvrage de format in-8°. 162. Ovidii Metamorphosis entre aussi dans le titre de cette œuvre qui a été traduite en allemand : P. Ovidii Metamorphosis, Oder: Wunderbarliche vnnd seltzame Beschreibung von der Menschen, Thiern vnnd anderer Creaturen Veränderung auch von dem Wandeln, Leben vnd Thaten der Götter, Marti, Veneris, Mercurij, etc. Allen Poeten, Malern, Goldschmiden, Bildthauwern vnnd Liebhabern der edlen Poesi vnd fürnembsten Künsten, Nützlich vnd lustig zu lesen; bedruckt zu Franckfurt am Mayn bey Johann Feyerabendt, in verlegung Sigmund Feyerabendts 1581. Il figure à la BNUS. L’ouvrage en latin est de format in-folio au lieu de in-16°. 163. Livre introuvable dans les bibliothèques. Il figure dans : GOUWS ( Rufus), HEID ( Ulrich), SCHWEICKARD (Wolfgang), WIEGAND (Herbert Ernst), Wörterbücher / Dictionaries / Dictionnaires, 1. Teilband, p. 1015 (sans mention du format). Selon le titre de l’inventaire, il devrait être en français. 164. Ouvrage de format in-8° (au lieu de in-16°) en allemand. 165. Format indéterminé. Ouvrage bilingue, allemand/latin. 166. Ouvrage de format in-8° (au lieu de in-16°), en français. 167. Ouvrage de format in-8° (au lieu de in-16°). Le titre inscrit sur l’inventaire est erroné : il ne s’agit pas des poèmes de H. Estienne, mais de ceux d’Horace. 168. Ouvrage de format in-32° (au lieu de in-16°). 169. Livre d’édification. Ouvrage de format in-8° (au lieu de in-16°). 170. Ouvrages non reliés. 171. Ouvrage de format in-8°. 172. Idem. 173. Livre introuvable dans les bibliothèques. Il figure dans Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. de Lamoignon, Garde des Sceaux de France, Paris, 1791, volume 1, p. 265. 174. Ouvrage de format in-8°, édité aussi en 1575,1577, 1583 et 1599. 175. MEISTER (Aloys), Der Strassburger Kapitelstreit, 1583-1592, ein Beitrag zur Geschichte der Gegenreformation, Strasbourg, 1899. 176. Ouvrage de format in-8°. 177. Livre édité une dizaine de fois entre 1525 et 1578, toujours à Lyon, dans différents formats.

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RÉSUMÉS

L’inventaire après décès du (supposé) père de Lucas Wetzel, Colmarien, établi en 1601, recense quelque 130 ouvrages ayant appartenu à ce dernier, ainsi qu’une quarantaine d’ouvrages supplémentaires que Lucas avait prévu de léguer à un (supposé) compagnon d’étude en cas de décès. Et il semble bien qu’il soit décédé prématurément, après son départ pour Spire, sans laisser de trace de son existence, hormis sa conséquente bibliothèque. Les ouvrages qui la composent, inventoriés selon leur format, sont essentiellement en latin. Ils relèvent des lettres (rhétorique, stylistique, grammaire, philologie, logique, littérature latine, littérature grecque, poésie, belles-lettres et dictionnaires), de la théologie et surtout du droit. Si les ouvrages d’apprentissage remontant à la formation – notamment juridique – de Lucas sont nombreux – et renseignent ainsi sur le contenu des études du XVIe siècle –, d’autres révèlent un intérêt pour les questions du temps. Ils témoignent de l’inscription de L. Wetzel dans le courant de l’humanisme qui imprègne les différents domaines de l’érudition, et donnent un aperçu de l’édition humaniste européenne.

The inventory drawn up in 1601 after the death of the (presumed) father of Lucas Wetzel, who was from Colmar, lists some 130 works that belonged to the latter, as well as about forty additional works that Lucas had intended to bequeath to a (presumed) fellow scholar in the event of his death. And it does seem that he died prematurely, after his departure for Spire, leaving no trace of his existence apart from his substantial library. The works that it contains, inventoried according to their format, are mainly in Latin. They include letters (rhetoric, style, grammar, philology, logic, Latin literature, Greek literature, poetry, fine arts and dictionaries), theology and, above all, law. While the textbooks going back to Lucas’s training – particularly in law – are numerous, and inform us about the content of sixteenth century study, others reveal his interest in the issues of the times. They reflect the influence that L. Wetzel had on the development of humanism, which permeates the different fields of study and provides an overview of the European humanist movement.

Das Nachlassinventar des (mutmasslichen) Vaters des Lucas Wetzel, wohnhaft in Colmar, im Jahre 1601 erstellt, umfasst etwa 130 Werke, die Letzterem gehört hatten, sowie etwa 40 weitere Werke, die Lucas im Falle seines Todes einem (mutmasslichen) Studienkollegen vermachen wollte. Und offenbar ist er tatsächlich, nach seiner Abreise nach Speyer, sehr früh verstorben, ohne jedoch Spuren seines Daseins zu hinterlassen – von seiner umfangreichen Bibliothek abgesehen. Die dazugehörigen Werke, die nach Format verzeichnet wurden, sind im Wesentlichen auf Lateinisch verfasst. Es handelt sich dabei um Bücher aus dem Bereich Sprach- und Literaturwissenschaft (Rhetorik, Stilistik, Grammatik, Philologie, Logik, lateinische und griechische Literatur, Poesie, „belles-lettres“ und Wörterbücher), theologische Schriften und vor allem rechtswissenschaftliche Werke. Zahlreiche Lehrbücher aus der Ausbildungszeit von Lucas – insbesondere aus der Zeit seines Studiums der Rechtswissenschaften – liefern einen Hinweis auf die Studieninhalte des 16. Jahrhunderts; andere wiederum belegen, dass er sich für die Themen seiner Epoche interessierte. Sie zeigen, dass L. Wetzel ein Vertreter des Humanismus war, der die verschiedenen Bereiche der Gelehrsamkeit beeinflusste; sie liefern einen Einblick in die humanistischen Veröffentlichungen im Europa der damaligen Zeit.

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AUTEUR

MONIQUE DEBUS KEHR Docteur en histoire

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Des mots du génie au génie des mots : décrire l’Alsace au XVIIIe siècle Engineering words in 18th century Alsace Vom Wortschatz der Militärs (frz. génie = Militär) zur Genialität des Wortschatzes. Das Elsaß wird im XVIII. beschrieben

Claude Muller

1 Entrée tardivement dans le giron de la monarchie française par les traités de Westphalie en 1648, l’Alsace constitue, aux XVIIe et XVIIIe siècles une terre à prendre pour des gens de « vieille France »1. En effet, dans cette sorte de nouvelle Amérique, les postes de responsabilité ne sont pas occupés par des locaux. La dynastie parisienne des Rohan occupe durant un siècle sans discontinuer le trône épiscopal de Strasbourg2. Le premier président du Conseil souverain d’Alsace, établi à Colmar, le Parisien Nicolas de Corberon, parle du « sacrifice que fait un homme, né dans le cœur du royaume, de venir servir le roi en Allemagne et de se priver aussi longtemps de vivre avec ses compatriotes et ses proches. »3

2 Terre-frontière, l’Alsace constitue, pour bon nombre d’agents royaux, une énigme, en partie à cause du dialecte germanique utilisé par ses habitants. Pour mieux la connaître ou bien l’apprivoiser de nombreux mémoires sont rédigés. Ceux des intendants, en particulier celui de Jacques de La Grange, ou des services de l’intendance sont connus4. Les carnets de route ou relations de voyageurs ne manquent pas5.

3 Surtout, une autre source de documentation mérite d’être signalée. Il s’agit de rapports des ingénieurs militaires, peu connus des historiens, quoique déjà parcourus par des militaires professionnels6. Nous voudrions présenter l’intérêt de cette documentation à partir des enquêtes de 1702 et de 1732 et de la série d’enquêtes de 1782-1784.

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Préparer la Guerre de Succession d’Espagne : le rapport de Guillin de 1702

4 La Guerre de Succession d’Espagne vient à peine de débuter lorsque l’ingénieur militaire Guillin7, dont la biographie reste à écrire, termine, en toute hâte, un important mémoire8. Il décrit grosso modo l’Alsace septentrionale, de Strasbourg à Saverne, curieusement la zone où vont se concentrer, pendant une dizaine d’années, les opérations militaires dans cette région. Ce mémoire, prémonitoire s’il en est, constitue un document de première importance.

L’importance de l’eau, de la forêt, des routes

5 Dans son introduction, Guillin souligne en premier l’omniprésence du Rhin, plus frontière, à ses yeux, que voie commerciale. Il insiste sur la grande quantité d’îles inondables dans son lit, même « si le fleuve est fort rapide et très profond. » La difficulté de la navigation est réelle : « On ne peut établir un chemin le long des bords pour tirer les bateaux en remontant avec des chevaux à cause des bras qui forment des îles. » Il conclut que le Rhin n’apporte point de profit à la province d’Alsace. « S’il a quelque bonne qualité, c’est de lui servir en temps de guerre contre les invasions des ennemis, qui ne peuvent le passer qu’avec de très grandes difficultés. »

6 Après s’être étendu sur le Rhin, Guillin évoque la Moder, de toute évidence importante sur le plan stratégique derrière les lignes de la Lauter, ce qui se vérifiera d’ailleurs à l’usage. L’ingénieur en détaille le cours depuis sa source jusqu’à sa confluence avec le Rhin. Ainsi, « entre Ingwiller et Obermodern, le fond est bon. Sa largeur est de douze pieds sur trois de profondeur. Les prairies qu’elle traverse sont assez fermes. On la passe sur un pont au moulin d’Ingwiller et aussi à gué. » Tout est résumé ici : comment traverser l’eau devenue obstacle et où faire paître les chevaux, observations élémentaires pour aider une armée. Suit cette suggestion, lorsque la Moder se jette dans le Rhin : « Drusenheim est un endroit très propre à fortifier et en cas qu’on eut envie de faire un poste sur le Rhin entre Strasbourg et le Fort-Louis on n’en trouverait point de meilleur que celui-là à cause qu’en cet endroit on pouvait se rendre le maître des rivières de la Moder et de la Zorn, en faisant de bonnes écluses. »

7 Le réseau hydrographique laisse ensuite sa place aux bois. Guillin les décrit ainsi : « Le long du bord du Rhin, il y a des bois de hautes futaies de chêne dont il y a peu de propres pour bâtir, à cause que les arbres ne sont pas droits et qu’ils sont remplis de nœuds. » Surgit le paradoxe : ce n’est pas la forêt qui manque, c’est le bois qui fait défaut dans cette zone marécageuse.

8 Comme il importe pour l’armée de se déplacer, Guillin décrit évidemment les routes, en tout neuf, qui partent de Strasbourg. Il s’intéresse en particulier à celle qui va de la métropole alsacienne au Fort‑Louis, en passant par La Wantzenau et Drusenheim : « Elle est large et assez bonne. » La route de Strasbourg à Haguenau par Brumath pose quant à elle problème : « Lorsque les eaux sont grandes, on est obligés de passer les prairies devant les villages de Brumath et Weyersheim à la nage. »

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Un clocher ou un bastion ?

9 Après les aspects physiques, l’ingénieur énumère deux cent quarante‑deux localités de Basse Alsace. Il s’intéresse aux murailles, aux cimetières, aux églises. Sur ces dernières, l’ingénieur se borne à noter si elles sont voûtées ou non, sans faire de distinction entre édifice protestant ou catholique, particularité alsacienne. De même, le cimetière ne l’intéresse que s’il est entouré d’un mur de pierre. Par exemple, Offendorf est « un lieu situé sur le bord d’un bras du Rhin assez considérable en habitants. Son église n’est point voûtée. Il n’y a qu’un haut clocher de planches ; sans aucune fermeture à son cimetière. »

10 Pour les villes plus importantes – une vingtaine – Guillin quitte son style sec et concis pour une description plus étoffée. Neuwiller-lès-Saverne, « qui se trouve au pied d’une grosse montagne », possède « un circuit revêtu d’un mur de dix-huit à vingt pieds de hauteur avec une vieille fausse braye autour presque entièrement ruinée. » Les détails ne manquent pas : Un fossé comblé en partie de sept à huit toises de largeur était autrefois revêtu […]. Le dessus du dit circuit est percé de créneaux pour le service desquels il se trouve un chemin de ronde derrière pratiqué sur l’épaisseur de la retraite faite sur le grand mur qui a quatre pieds d’épaisseur partout et le parapet où sont les dits créneaux n’en a qu’un et demi. Il faut remarquer pourtant que ce chemin des rondes ne communique pas autour de la ville car il se trouve des brèches qui l’interrompent.

11 Ces observations, somme toute prévisibles, laissent pourtant la place à d’autres observations. Dans le paragraphe consacré à Neuwiller, Guillin ajoute : « Le pays du côté de l’Alsace est assez plat et assez fertile, mais du côté de la Lorraine, ce sont des montagnes fort élevées ne rapportant que du bois. » Après la description de l’enceinte de Pfaffenhoffen, il conclut : « Le pays est assez ouvert et entrecoupé par des montées et descentes où il se trouve d’ordinaire quelques sources. » La fin du texte sur Wasselonne reste dans cette veine : « Les environs de Wasselonne sont des coteaux, [en] partie terres labourables, partie bois et partie vignes. La rivière de la Mossig passe au pied de la ville. Ce petit lieu est recommandable par rapport à un marché qui s’y tient toutes les semaines une fois. »

La base arrière du Kochersberg

12 Pour le seul Kochersberg, Guillin recense 87 sites. Quel aperçu d’ensemble s’en dégage‑t‑il ? 27 localités sont qualifiées de « petits lieux », 7 de « gros lieux ». Le rapport précise toujours la situation du village. Ainsi, le « lieu » est situé sur « une hauteur » (Dossenheim), « sur une hauteur forte élevée » (Waltenheim), « sur une hauteur assez élevée » (Hohfrankenheim), « sur la pente d’une hauteur assez considérable » (Durningen), « sur un bord de coteau » (Wiwersheim), « sur la croupe d’une montagne » (Lupstein). Scharrachbergheim est placé « entre deux montagnes fort élevées », Oberhausbergen « dans la plaine », la plupart des villages « dans un fond », autrement dit un vallon.

13 L’examen des cloches s’avère particulièrement intéressant. En effet, en 1702, les tours et les églises du Moyen Âge existent pratiquement encore dans toutes les localités, les démolitions et reconstructions intervenant en grand nombre aux XVIIIe et XIXe siècles. Les clochers assurent deux fonctions : ils servent de tour de guet pour surveiller les

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alentours et permettent à la population d’y trouver un dernier refuge en cas d’attaque. Pour être efficace en matière de protection, la tour possède des meurtrières encore visibles ici ou là (Offenheim, Saessolsheim) et un plafond voûté au niveau du rez-de- chaussée pour interdire aux assaillants l’accès aux étages supérieurs.

14 Selon le rapport de 1702, et pour les villages visités, 77 tours sur 87 présentent encore la voûte médiévale, généralement sur croisée d’ogives, ou plus rarement, en berceau, comme à Gimbrett et à Pfulgriesheim. La voûte a disparu dans dix clochers. Toutefois des erreurs semblent exister dans le texte guillinesque. En effet, l’enquêteur note que l’église de Pfulgriesheim possède « un petit clocher sans voûte » alors que de nos jours on peut y admirer une belle voûte en berceau avec des fresques du XVIe siècle. Par contre, Gimbrett jouit d’un « méchant clocher », ce qui explique la construction d’une nouvelle église en 1726.

15 Bâtiment fondamental du village, l’église est bien localisée par l’enquêteur. Elle se situe à « l’entrée du village » (Avenheim, Hurtigheim, Hohfrankenheim, Rohr, Schnersheim), à « la sortie du lieu » (Reitwiller), « derrière le lieu » (Zehnacker) ou « dans les prés » (Holtzheim). Comme déjà signalé, Guillin ne relève pas l’affectation des églises visitées. Sont‑elles utilisées pour les offices catholiques ou les cultes protestants, ou encore soumises au régime du simultaneum introduit par le pouvoir royal vers 1685 ? L’ingénieur reste indifférent sur cette particularité alsacienne.

16 Selon une tradition ancienne, le cimetière se trouve près de l’église Seules les dépouilles de prêtres ou de membres de familles nobles peuvent être inhumées à l’intérieur de l’édifice religieux, comme en témoignent de beaux monuments funéraires à Breuschwickersheim, Pfettisheim et Pfulgriesheim. Premier rempart de défense, le cimetière est « renfermé » (entouré) d’une « muraille ». Les créneaux encore visibles en 1702, notamment à Rumersheim et à Wingersheim, montrent bien le caractère défensif du Kirchhof. L’état d’entretien de ces murailles est noté avec précision : de « bonnes murailles » à Balbronn, de « vieilles murailles plus ou moins ébréchées » à Gougenheim et Wolfisheim. Dans treize villages, le cimetière est simplement entouré d’une palissade ou de simples planches en sapin. Dans douze autres localités, toute clôture disparaît. Seules des broussailles assurent une séparation, sans doute pour empêcher les animaux de basse-cours d’y troubler le silence.

17 Pour clore cette énumération, mentionnons neuf châteaux. Le château le plus célèbre de la région est celui du Kochersberg, ruiné depuis la fin du XVIe siècle. C’est ce triste spectacle que Guillin trouve lors de son passage en 1702 : « Un château autrefois fortifié, mais à présent entièrement ruiné sans être aucunement habité », une ruine qui sert de carrière de pierres. En revanche, à Romanswiller, le regard de l’ingénieur est attiré par « un fort beau château sur le bord de la rivière, lequel a deux enceintes de maçonnerie, un bon fossé […]. Le tout est garni de créneaux et le haut de croisées fort bien entretenues par un gentilhomme qui y habite. »

La grande enquête de 1732

18 Trente ans après la rédaction du rapport de Guillin, une autre enquête, conservée dans un gros manuscrit de trois cents folios, décrit tout ce que Guillin avait omis9. Elle apparaît curieusement juste avant le début de la Guerre de Succession de Pologne. Son auteur, malheureusement anonyme, met six ans à parcourir l’Alsace depuis les frontières de Porrentruy avec le Sundgau jusqu’aux portes de Strasbourg. Cet autre

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ingénieur parcourt chaque localité et note le même type de renseignements que son prédécesseur : l’eau, le mur, l’herbe.

19 Pourquoi ces trois thèmes ? L’eau n’est pas seulement nécessaire pour désaltérer soldats et chevaux. Elle constitue un obstacle qu’il faut contourner le cas échéant ou traverser s’il se présente un gué ou un pont, ainsi qu’une arme redoutable quand elle inonde un pays, procédé à la mode à l’époque. L’église ne présente pas d’intérêt comme maison de Dieu, mais comme observatoire ou refuge. D’où la mention de la hauteur de son clocher et de l’architecture – voûtée ou non – de son chœur. L’herbe, enfin, s’avère particulièrement importante pour les chevaux. Il faut penser à tout, y compris au ravitaillement.

Encore le Rhin et le réseau hydrographique

20 Pour ce nouvel interlocuteur, il n’y a guère de doute : « Le Rhin est une des bonnes barrières que l’on puisse avoir. Il n’y a sur tout son cours aucun gué praticable. On peut le passer sur des ponts à Bâle et à Strasbourg. » Renseignement nouveau par rapport à 1702, une réflexion quant à la Guerre de Succession d’Espagne : « Dans les dernières guerres, nous avons eu des ponts sur ce fleuve à Huningue et à Neuf-Brisach, mais nous avons été obligés de les démolir à la paix. Les ennemis en avaient aussi fait un de bateaux à Neuenburg pour passer le Rhin lors de l’affaire de Rumersheim, mais il fut détruit encore avec plus de précipitation qu’il n’avait été fait. » Faut-il lire dans cette phrase une critique du comte du Bourg qui, par sa victoire à Rumershein en 1709, a sauvé l’Alsace de l’invasion ?

21 L’ingénieur, qui ne manque pas d’esprit critique, poursuit en énumérant vingt-trois redoutes « que le Rhin n’a pas emportées » et quinze à reconstruire, « lorsque l’on aura quelque soupçon de guerre. » Prévoyant, il ajoute : « Il sera bon de s’y prendre de bonne heure pour faire ces redoutes parce qu’il faut faire quantité de ponts pour y pouvoir communiquer, les anciens étant tous détruits. » Il termine en affirmant qu’il n’y a point de fleuve, ni de rivières en Europe dont le cours soit plus changeant que celui du Rhin.

22 Si l’ingénieur s’appesantit sur le fleuve-frontière, il n’omet pas de détailler le réseau hydrographique alsacien. Intéressons-nous aux seules remarques concernant le Sundgau, où coulent l’Ill, la Lucelle et la Largue. L’Ill, qui prend sa source à Winkel, constitue la colonne vertébrale de l’Alsace. Dans le Sundgau où elle naît, elle n’est pas navigable, n’a que « trois à quatre pieds de largeur sur deux à trois pieds de profondeur ». Surtout « l’Ill déborde souvent, mais ses inondations ne font guère de tort à moins qu’elles n’arrivent juste dans des temps que les prairies et les blés sont déjà hauts. » La Lucelle « nous sert pour ainsi dire de frontière entre l’Alsace et la Suisse. » Le cours de la Largue est minutieusement décrit. Elle passe par Seppois-le-Bas, Uberstrass, Friesen, Hindlingen, Saint-Ulrich, Altenach, Manspach, Wolfersdorf, Buethwiller, Hagenbach, Eglingen, Brinighoffen et Heidwiller.

La route des troupes et… des vins

23 Comme Guillin en 1702, l’auteur s’attarde minutieusement sur les routes qui permettent le déplacement des troupes. Il signale aussi les relais de poste et le commerce qui s’y fait en temps de paix. Il commence son état par le sud du pays, autrement dit le Sundgau, où existent quatre grands axes. Ainsi la route de Huningue à

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Strasbourg possède plusieurs relais, où l’on change de chevaux à Kembs, Ottmarsheim, Fessenheim et Biesheim. La grande route de Huningue à Belfort passe par Hésingue, Tagsdorf, Altkirch, Ballersdorf, Dannemarie, Rantzwiller, Chavannes‑sur‑l’Etang. On change de chevaux aux Trois Maisons avant Tagsdorf, à Altkirch et à Foussemagne. Elle sert aux troupes « qu’arrivent de France10 » par Belfort pour venir à Huningue. « Elle est fort pratiquée par les voitures qui mènent des marchandises de France en Suisse et de Suisse en France. »

24 Les autres routes sont aussi munies de commentaires économiques. La route de Huningue à Colmar est « d’une grande utilité pour le commerce et nous procure une grosse somme en Alsace pour le débit de nos vins qu’elle facilite avec la Suisse. » La route de Belfort à Strasbourg facilite le commerce qui « consiste principalement en tabac que l’on mène en France et en vin de Bourgogne dont l’on voiture une grande quantité en Allemagne11. » D’autres chemins du vin sont encore cités : la route de Sélestat à Saverne, celles de Colmar au Bonhomme et de Ribeauvillé à Sainte-Marie-aux Mines.

25 Terminons par le val Saint Grégoire qui fait l’objet d’un commentaire conséquent, différent de ce que l’on trouve dans le rapport de Guillin : Le grand chemin de Colmar à Munster passe par Turckheim et au bas de Wihr il sert aux communautés de la vallée de Munster pour venir débiter dans la plaine leurs denrées. Il sert aussi pour conduire à Soultzbach où il y a des sources d’eau minérale qui ont assez de réputation parmi les Allemands. Ce chemin est praticable à moins que ce ne soit dans la rigueur de l’hiver, mais il est toujours rude, étant rempli de cailloux. On peut aller en suivant ce chemin en Lorraine par Gérardmer, mais derrière Munster il n’est plus praticable qu’à cheval.

Le clocher, le muret et le vignoble

26 En dépit de cette innovation, l’ingénieur militaire anonyme reste fidèle au canevas utilisé par Guillin quand il énumère les diverses (plus de cinq cents) localités qui lui sont attribuées. Citons en exemple ces trois communes : Wintzenheim est un petit bourg composé de 129 feux situé au bord de la plaine au pied des montagnes à l’entrée de la vallée de Munster. La tour de l’église est voûtée et le cimetière est entouré de bâtiments. Turckheim était une ville impériale. Elle est composée de 155 feux. Elle est entourée d’un bon mur et d’un fossé au pied et située le long de la Fecht. Elle ferme en partie la vallée de Munster. Katzenthal est un village composé de 69 feux situé dans le vignoble au pied des montagnes à l’entrée d’une petite colline. Il y a une église avec un petit clocher et une chape avec une mauvaise flèche.

27 Comme Guillin, le rédacteur évoque l’église si elle existe et le cimetière pour son muret qui l’entoure, susceptible de s’abriter ou de cacher l’ennemi. Deux nouveautés apparaissent cependant. Tout d’abord, le nombre de feux, à la fois pour donner une idée de l’importance de la localité et, sans doute, organiser un couchage chez l’habitant, en l’absence de casernes. Ensuite, l’apparition du vignoble surtout dans les collines sous-vosgiennes. Attirons d’emblée l’attention sur une première remarque : plus que l’intérêt de l’ivresse générée par son précieux nectar, le vignoble constitue un redoutable obstacle pour la cavalerie, dans la mesure où les échalas s’élèvent très hauts dans le pays, ce qui surprend toujours les voyageurs. Remarque seconde : il y a autant de ceps à Wintzenheim, Turckheim et Katzenthal, mais l’ingénieur n’en mentionne qu’à Katzenthal. Pourquoi les omissions à Wintzenheim et Turckheim ?

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Une vague d’enquêtes à la fin de l’Ancien Régime

28 De 1732 à 1782, une multitude de rapports épars et limités existent évoquant l’Alsace. Mais il est possible de déceler deux orientations diverses suivies par les rapports. L’une d’entre elles consiste dans une nouveauté. Ainsi, le chevalier de Bonneval doit tirer, après 1744, les leçons de l’invasion de 1744 par les Pandours. À la suite d’un rapport des plus classiques, Bonneval ajoute d’autres observations : « En permettant aux juifs de s’établir à Huningue, ils auraient bientôt bâti le quartier qui leur aurait été assignés [sic]. » Loin de l’histoire-fiction, François de Vault, vers 1755, évoque des aspects plus militaires.

Un nouveau style d’enquêtes

29 Plus que les deux mémoires de 1702 et de 1732, une trentaine de rapports rédigés entre 1782 et 1784 par les ingénieurs militaires François Joseph Maire de Bouligney (1749‑1846)12, Antoine Siméon de Saint‑Larry (1756‑1790)13, Frédéric Gramont de Villemontés (1760‑1794)14, Coudray15 et Jean Xavier Bureaux de Puzy16, sous la houlette de leur supérieur Eleonor le Michaud d’Arçon (1733‑1800)17, montrent une évolution remarquable18.

30 Ces yeux militaires, qui doivent être une source de renseignements pour un état-major en campagne, mentionnent certes des détails stratégiques, mais aussi et surtout des éléments de géographie physique et de géographie humaine. Loin de leurs compétences en arithmétique, architecture militaire, hydraulique, mécanique, dessin et cartographique, ces jeunes gens composent des dissertations, où l’on retrouve dans la marge des appréciations de leur supérieur, du type : « Passage mal rédigé ».

31 Loin du style sec et précis de leurs prédécesseurs de 1702 et 1732, les cinq jeunes gens rivalisent à la fois quant à la forme et au fond de leurs textes. La forme met en exergue un style riche, littéraire, dans la plus pure tradition des ouvrages des philosophes. Le fond s’apparente aux multiples observations qui enrichissent le Dictionnaire encyclopédique de d’Alembert. Tout ce qui retient l’attention des enquêteurs est scrupuleusement noté et commenté.

Une autre manière de décrire les localités

32 À titre d’exemple, citons ce qu’écrit Gramont de Villemontés, vers 1783, pour le secteur de Thann à Guebwiller. Il s’agit tout d’abord de la localité d’Uffholtz : « Les environs du village d’Uffholtz, ainsi que le contrefort de la butte Saint-Antoine, sont généralement garnis de vignes. Il y a cependant à la gauche du village un espace assez considérable cultivé en blé et pommes de terre. On trouve quelques chemins qui servent à l’exploitation de ces cultures et aux communications avec les villages voisins. Les vignes d’Uffholtz, ainsi que celles de Steinbach produisent un vin blanc d’une médiocre qualité.

33 Le village d’Uffholtz qui est de la dépendance de la principauté de Murbach est d’une forme allongée dans le sens du nord-ouest au sud-est. Il occupe la droite du ruisseau et la grande route de Cernay à Soultz lui sert de limite du côté de l’orient. La population consiste en 852 personnes parmi lesquelles il y a 70 hommes en état de porter les

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armes. Dans cet état, nous n’avons pas compris 184 juifs qui habitent ce village et dont la plupart sont fort riches. Les maisons y sont solides et la plupart bâties en pierres. L’église qui n’est pas éloignée de la grande route est spacieuse et entourée d’un cimetière muré. Le ruisseau, qui se joint à celui de la gorge de l’Hermitage au commencement du village, fait mouvoir un moulin à farine placé sur la grande route. On recueille annuellement dans cette « communauté environ 1050 quintaux de paille. Des appartenances que les habitants ont dans la grande prairie située au-dessous du village leur rendent environ 10 000 quintaux. »

34 Le village d’Issenheim, à proximité d’Uffholtz, plus important, a droit à un commentaire plus étoffé : La rivière de la Lauch, après avoir quitté la vallée de Lautenbach serpente dans une prairie considérable et va traverser le village d’Issenheim situé sur la grande route de Belfort à Strasbourg. Ce village qui est considérable appartenait à l’archiduc Léopold d’Autriche avant le changement de domination de la province. Il fut donné à cette époque à la maison de Mazarin qui l’a porté dans celle de Valentinois. Le château qui occupe l’angle sud-est du village est un très ancien monument aujourd’hui presqu’inhabitable. Il était entouré de doubles fossés dont le premier existe encore. Les maisons du village sont spacieuses et généralement bâties en pierre. La population consiste en 453 chrétiens dont 48 sont en état de porter les armes. On y compte 74 juifs. Il se trouve dans ce village 49 chevaux y compris 26 de la poste, 12 voitures, 20 bœufs de corvée et 45 vaches. Les trois quarts de l’étendue de cette communauté sont occupés par des terres labourables qui sont un peu sablonneuses et le reste en prairie avec 99 arpents de bois. Le canal de dérivation de la Lauch qui traverse le village fait mouvoir cinq usines, dont deux moulins à farine, deux huileries et un foulon. L’ordre de Saint-Antoine de Viennois possédait depuis bien des siècles un établissement de douze religieux dans ce village. Ils faisaient originairement profession d’hospitaliers. Ils ont été réunis en 1777 à l’ordre de Malte ainsi que le reste de leur ordre. La garnison de Neuf‑Brisach envoie tous les ans une partie de ses chevaux dans ce village pour leur faire prendre le vert. Le seul commerce dans ce village consiste dans le bois de chauffage que les habitants de la vallée de Lautenbach y conduisent en grande quantité en reflottant sur la Lauch depuis le lac de la Belken.

35 Interrompons ici l’énumération. Par rapport aux textes de 1702 et de 1732, nous voici en présence d’un enrichissement certain, d’une multitude d’informations a priori jetées en vrac ou à la volée sur le papier, mais en suivant tout de même un semblant de canevas préétabli. Parmi les données nouvelles, des informations historiques, naturalistes, économiques. On notera la mention des juifs et celle des catholiques devenus chrétiens.

Des précis de géographie humaine

Tout est travaillé. On ne voit ni haies, ni friches dans les champs. À leur place sont quantité de noyers ou autres arbres fruitiers. On le remarque surtout dans les parties élevées. Serait-ce pour y entretenir la fraîcheur ? Afin que le terrain sablonneux de sa nature ne perde point trop promptement l’humidité que les pluies procurent et pour l’empêcher, durant les chaleurs, de brûler les fruits de la terre ? Ou bien cela n’a-t-il d’autre objet que d’augmenter le produit du fond ? Quoiqu’il en soit les vignes en sont garnies comme les champs et cela doit faire un objet de commerce.

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36 Ces remarques de 1783 qui concernent encore le Sundgau n’émanent pas d’un physiocrate, mais de François Joseph Maire de Bouligney, lequel observe encore pour la partie qu’il visite : La majeure partie des maisons est faite avec des cloisons de bois d’équarrissage, les uns debout, les autres recroisés en plusieurs sens et dont les intervalles sont remplis en cailloux, maçonnés avec de la terre et du mortier. Peintes de différentes couleurs, les fenêtres très petites, ouvertes pour l’ordinaire dans les pignons qui assez généralement font face aux rues, [ces maisons] forment un ensemble assez bizarre, je l’avoue.

37 Après avoir donné une description des célèbres maisons à colombages alsaciennes, Bouligney donne aussi un aperçu de l’aisance des habitants de la province : « Les maisons bien closes et solidement construites, les petits jardins qui sont au-devant remplis de légumes et de fleurs, les vergers bien emplantés qu’on aperçoit derrière, des fontaines publiques sans magnificence, mais abondantes et multipliées, tout cela annonce la richesse, du moins l’aisance des habitants. » Nous sommes là bien loin de données susceptibles d’aider une stratégie militaire.

38 ***

39 Au terme de cette présentation se dégage l’intérêt des rapports des ingénieurs militaires pour l’historien généraliste. Les descriptions, précises, concises de la première moitié du XVIIIe siècle, les magnifiques rapports de géographie physique et humaine de la seconde moitié du siècle, constituent des matériaux essentiels pour appréhender une région. La remarque ne concerne pas seulement l’Alsace, présentée dans cette notice, mais elle vaut évidemment pour toutes les provinces parcourues par ces hommes de guerre, en fait véritables hommes de plume.

40 Au-delà de ces remarques concernant le sujet, faut-il aussi insister sur la remarquable organisation de l’état-major, Guillin définissant et délimitant de façon prémonitoire le théâtre de la Guerre de Succession d’Espagne en Alsace ?

NOTES

1. LIVET (Georges), L’intendance sous Louis XIV (1648-1715), Paris, 1956, 1084 p. et BOEHLER (Jean- Michel), Une société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), Strasbourg, 1994, 3 vol., 992, 1056, 480 p. 2. MULLER (Claude), Le siècle des Rohan, Éditions La Nuée Bleue, Strasbourg, 2006, 446 p. 3. HATT (Jean-Jacques), « Le loyalisme des Alsaciens depuis le traité de Ryswick jusqu’à la Révolution », Revue Historique, no165, 1930, p. 90. 4. PFISTER (Christian), « Extraits d’un mémoire (Péloux) sur l’Alsace de l’année 1735 : état ecclésiastique de la province », Revue Historique, septembre-octobre 1916, p. 58‑88 ; OBERLÉ (Roland), L’Alsace en 1700. Mémoire sur la province d’Alsace de l’intendant Jacques de La Grange, Éditions Alsatia, Colmar, 1975, 267 p. Ce mémoire compile plusieurs textes, dont l’un est conservé à la B.M. Poitiers, ms 333. Voir MULLER (Claude), « Le mémoire sur la Haute Alsace de François Dietremann (1694) », Annuaire de la société d’histoire de Colmar, t. 44, 1999-2000, p. 45-64.

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5. STOEBER (Auguste), Curiosités de voyages en Alsace, Colmar, 1874, 377 p. ; REUSS (Rodolphe), « Le marquis de Pezay, un touriste parisien en Alsace au XVIIIe siècle », Revue d’Alsace, 1846, p. 28-61 et 179-195 ; HEITZ (François Joseph), L’Alsace en 1782, Colmar, 1934, 92 p. ; NIDERST (Alain), « Un document sur les catholiques et les luthériens de Strasbourg au début du XVIIIe siècle. Le miscellanea de Goulley de Boisrobert », Archives de l’Église d’Alsace, t. 41, 1982, p. 291‑300. 6. WENGER (Colonel), « Les ingénieurs géographes des camps et armées », Bulletin de la société philomatique vosgienne, t. 61, 1957, p. 26‑57. 7. La biographie de Guillin souffre, à ce jour, de lacunes. Il apparaît comme ingénieur ordinaire au département de la marine en 1688. Inspecteur des fortifications de Lourdes en 1691, le voici à Bordeaux en 1698, à Neuf-Brisach en 1702. Par la suite, il participe aux campagnes d’Allemagne, défend Landau en 1704 (B.M. Colmar, ms 96). Retiré avant 1713, il décède vers 1725, touchant sa pension jusqu’en 1724, voir BLANCHARD (Anne), Dictionnaire des ingénieurs militaires (1691-1791), Montpellier, 1981, p. 355. Aux Archives départementales du Bas-Rhin, 6 E 41/20 est conservé un acte du 5 mai 1717 évoquant Claude Charles Guillin entrepreneur pour moitié de la fourniture des aliments et médicaments aux soldats et cavaliers de Landau. Il n’est pas décédé à Strasbourg. 8. Conservé aux Archives du Ministère des Affaires Etrangères à Paris, section Mémoires et Documents, fonds Alsace, tome 13, fs 91 à 183. Nous l’avons édité en sept parties dans Annuaire de la société d’histoire des Quatre Cantons, t. 27, 2009, p. 33-37 ; Annuaire de la société d’histoire du Ried Nord, 2005, p. 159-167 ; Études Haguenoviennes, t. 32, 2006, p. 153-156 ; Kocherschbarri, no53, 2006, p. 17‑22 ; Pays d’Alsace, no216, 2006, p. 13‑20 et no218, 2007, p. 17‑22 ; Annuaire de la société d’histoire de la Hardt et du Ried, t. 21, 2009, p. 53-56. 9. Conservé aux Archives du Service Historique de la Défense à Vincennes, section Mémoires, 1 M 974. Nous l’avons publié, découpé, en dix parties dans Annuaire de la société d’histoire des Quatre Cantons, t. 26, 2008, p. 41‑48 ; Annuaire de la société d’histoire de la Hardt et du Ried, t. 17, 2004, p. 71-80 ; Annuaire de la société d’histoire du Sundgau, 2010, p. 155‑186 ; Patrimoine Doller, no16, 2006, p. 22‑24, Au pied des trois châteaux, t. 4, 2007, p. 67‑72 ; Annuaire de la société d’histoire du Val et de la ville de Munster, t. 60, 2006, p. 63‑70 ; Bulletin de la société d’histoire du canton de Lapoutroie-Val d’Orbey, no25, 2006, p. 16‑18 ; Annuaire de la société d’histoire Dambach-la-Ville, Barr, Obernai, t. 41, 2007, p. 55‑58 ; L’Essor, no217, 2008, p. 10‑12 ; Annuaire de la société d’histoire de Molsheim, 2010, p. 71‑72. 10. Dans le langage de l’époque, l’administration évoque l’Allemagne pour signifier l’Alsace et la France pour désigner la « vieille France ». 11. Même remarque que 10. 12. François Joseph Maire de Bouligney, né à Besançon le 6 septembre 1749, fils d’un conseiller au Parlement de Besançon, épouse Anne Claire Aluiset, fille du président du Parlement de Besançon, un frère conseiller au même Parlement, un neveu vicaire général du diocèse de Besançon. Élève sous-lieutenant à l’école de Mézières en 1767-1768, ingénieur ordinaire et lieutenant réformé à vingt ans le 1er janvier 1769, affecté à Besançon, à Landau en 1773, capitaine à Besançon en 1783, parcourt alors l’Alsace, à Landau en 1788, émigré faisant les campagnes à l’armée de Condé de 1792 à 1795, essaye vainement de se faire livrer Landau en août 1792 par des camarades qui s’y trouvaient, passe au service de la Prusse après 1795, major de l’armée prussienne en 1807, rentré en France en 1815, voir BLANCHARD (Anne), Dictionnaire des ingénieurs militaires, p. 507. 13. Pierre Antoine Siméon, sieur de Saint-Larry, né à Aix-en-Provence le 18 janvier 1756, fils d’un professeur de droit à l’Université d’Aix, épouse Marie Bressier, fille d’un procureur au siège, célibataire, ingénieur ordinaire à vingt ans en 1776, affecté à Gex, est à Besançon en 1783, capitaine du génie en 1788, mort à Avignon en 1790, voir BLANCHARD (Anne), op. cit., p. 696. 14. Frédéric Maurice de Gramont, seigneur de Villemontés, né à Nérac, le 26 février 1760, fils d’un capitaine de dragons, neveu d’un ingénieur, épouse à Bordeaux Elisabeth de Baurie, élève sous- lieutenant à l’école de Mézières en 1780-1781, ingénieur ordinaire en 1782 affecté à Besançon, capitaine en 1791, tué à la bataille du Boulou en 1794, voir BLANCHARD (Anne), op. cit., p. 345‑346.

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15. Nous n’avons pas pu l’identifier avec certitude, sans doute à cause d’une mauvaise lecture de son nom. Est-ce Jean André du Coudreau, né à Saint-Soule, près de La Rochelle en 1733 ? Fils d’un ingénieur, ingénieur ordinaire et lieutenant réformé à 23 ans en 1756, fait les campagnes d’Allemagne en 1758 et 1761, ingénieur en chef en 1781, retiré le 20 janvier 1782, décédé après 1789, habitant alors Tours. Du Coudreau aurait-il aidé ses jeunes collègues, alors qu’il était à la retraite ? Voir BLANCHARD (Anne), op. cit., p. 183. 16. Jean Xavier Bureaux de Puzy né à Port-sur-Saône le 7 janvier 1750, fils d’un chirurgien major, épouse Marie Thérèse Choullat, fille d’un conseiller en la principauté de Porrentruy, ingénieur ordinaire de 1774, affecté à Ajaccio, à Toulon en 1783, à Besançon en 1784, capitaine en 1785, émigre en 1792, passe aux États-Unis en 1797, préfet de l’Allier en 1802, mort à Gênes en Italie, voir BLANCHARD (Anne), op. cit., p. 115-116. 17. Jean Claude Éleonor Le Michaud, seigneur d’Arçon, né à Pontarlier en 1733, fils d’un conseiller maître à la chambre des comptes, épouse Marie Madeleine Joly, ingénieur ordinaire et lieutenant réformé en 1755, affecté à Besançon ; à Dunkerque en 1759. Campagnes en Westphalie et sur le Rhin en 1760 et 1762. Ingénieur en chef en 1776. Colonel à Besançon en 1782, chef de brigade à Landau en 1785, inspecteur général des fortifications en 1793, retiré en 1794, sénateur en 1799, mort à Auteuil en 1800, voir BLANCHARD (Anne), op. cit., p. 464. Le Michaud, qui signe d’Arçon, met des remarques dans la marge des rapports, ce qui laisse à penser qu’il est le coordinateur de cette mission. 18. Conservés aux Archives du Service Historique de la Défense, section Mémoires, 1 M 1070. Nous les avons publiés dans diverses revues d’histoire locale : Annuaire de la société d’histoire du Sundgau, 2006-2007, p. 141‑154 et 2012, p. 257‑280 ; Les Cahiers d’histoire du pays de Ferrette, no1, 2009, p. 20‑25 ; Patrimoine Doller, no16, 2006, p. 25‑26 ; Cahier de la société d’histoire du Val de Lièpvre, t. 28, 2006, p. 21‑25 ; Annuaire de la société d’histoire du Val et de la Ville de Munster, t. 63, 2009, p. 143‑147 ; Annuaire de la société d’histoire de Molsheim, 2006, p. 117‑119 ; L’Essor, no208, 2005, p. 2‑5 ; L’Outre-Forêt, no142, 2008, p. 29‑34 ; Annuaire de la société d’histoire de la Hardt et du Ried, t. 23, 2010‑2011, p. 44‑49.

RÉSUMÉS

Tout au long du XVIIIe siècle, les ingénieurs militaires français parcourent l’Alsace, une terre frontière qu’il importe de conserver dans le giron de la monarchie française. Ce champ de bataille probable est continuellement arpenté et ausculté dans les moindres détails par les hommes du génie qui notent toutes sortes de détails à des fins militaires. Cette accumulation d’observations n’a été, jusqu’à présent, que peu utilisée par l’historiographie alsacienne. Cet article présente les trois enquêtes de 1702, 1732 et 1783, pour en souligner les potentialités descriptives.

Throughout the 18th century French military engineers travelled all over Alsace, a borderland which had by all means to be retained as a French monarchy property. They were constantly surveying and scrutinizing this likely battlefield, down to the smallest detail, for military purposes. This huge amount of notes has so far been rarely used by Alsatian historiographers.

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This contribution introduces to the 1702, 1732 and 1783 investigations, underscoring their reliability.

Das Elsaß ist Grenzland, die französische Monarchie darf es auf keinen Fall verlieren. In der Zukunft könnte es Schlachtfeld sein. Spezialisten des französischen Militärs durchstreifen es deshalb das ganze XVIII. Jahrhundert hindurch, vermessen es immer wieder und halten alle erdenklichen Einzelheiten, die für die Militärs von Interesse sein könnten, schriftlich fest. So reich dieser Schatz an Aufzeichnungen auch ist, bis jetzt hat ihn die elsässische Geschichtsschreibung kaum ausgebeutet. Der vorliegende Artikel schildert die drei Erkundigungen aus den Jahren 1702, 1732 und 1783. Zweck ist betonen, was man alles daraus machen könnte.

AUTEUR

CLAUDE MULLER Professeur des Universités, directeur de l’Institut d’histoire d’Alsace

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Faire des « départemens du Rhin » un objet de savoir : les enjeux de la Société libre des sciences et des arts de Strasbourg Juin 1799 – septembre 1802 The départements du Rhin as an object of study; the issues of the Société libre des science et des arts of Strasbourg (a society for the promotion of art and science) betweeen June 1799 and September 1802 Den Ausdruck „Elsässische Départements“ zum Sinnbild für Gelehrsamkeit machen: Die Rolle der Freien Straßburger Gesellschaft der Wissenschaften und der Künste (Juni 1799 - September 1802)

Isabelle Laboulais

1 Connue comme la première société savante strasbourgeoise, la Société libre des sciences et des arts eut une existence brève. Créée le 29 prairial an VII (17 juin 1799) et dotée d’un règlement le 1er thermidor an VII (19 juillet 1799), elle disparut trois ans plus tard (le IVe jour complémentaire de l’an X, 21 septembre 1802), au moment de sa fusion avec la Société libre d’agriculture et d’économie intérieure1 et la Société de médecine2. De cette fusion, est née la Société des Sciences, Agriculture et Arts du Bas- Rhin.

2 Présentée comme l’ancêtre de l’actuelle Société académique, la Société libre des sciences et des arts a déjà donné lieu à de nombreux travaux d’histoire locale3. Cependant, l’histoire des savoirs offre des questionnements neufs qui permettent aujourd’hui de reprendre à nouveaux frais l’examen des quelques archives qui témoignent encore de ses trois années de fonctionnement autonome. Certes, les procès- verbaux des séances n’ont pas été conservés mais le règlement subsiste, de même que quelques listes de membres et quelques uns des travaux qu’ils ont collectivement produits, suffisamment donc pour faire de la Société libre des sciences et des arts un

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terrain propice à l’observation des conditions sociales et intellectuelles de production des savoirs, ainsi qu’à l’étude de leurs enjeux culturels, politiques et économiques4.

3 Au cours de la période révolutionnaire, le statut des sociétés savantes change. Avec la loi Daunou sur l’instruction publique (3 brumaire an IV - 25 octobre 1795), ces lieux de sociabilité se trouvent intégrés au dispositif mis en place par les Thermidoriens pour contribuer à la diffusion du savoir au sein de la « République des meilleurs »5. Sous le Directoire, les groupements de savants se multiplient suite à la perte du monopole des académies et sont dotés de noms variés : Lycée républicain, Société d’histoire naturelle, Société philotechnique, Société des Arts, etc. À l’époque consulaire, les sociétés savantes sont devenues des espaces particulièrement stratégiques au sein desquels se sont construites et renforcées des carrières et des trajectoires sociales. Elles constituent des espaces de médiation où la légitimité scientifique et la compétence administrative se croisent.

4 Le cas de la Société libre des sciences et des arts permet d’observer les dynamiques de socialisation de la science à l’œuvre à Strasbourg, il permet aussi de s’interroger sur la constellation locale qui a permis la création de cette société et sur l’ancrage des savoirs qu’elle a produits.

Les conditions de production des savoirs au sein d’une société libre

5 Les sociétés libres apparaissent avec la loi du 21 août 1790 qui reconnaît aux citoyens « le droit de s’assembler paisiblement et de former entre eux des sociétés libres à la charge d’observer les lois qui régissent tous les citoyens ». Le 8 août 1793, dans le décret qu’il soumet à la Convention, le Comité d’instruction publique prévoit dans son article 4 que « Les citoyens ont droit de se réunir en sociétés libres, pour contribuer aux progrès des connaissances humaines ». Cependant, cet article fait partie de ceux qui ne sont pas votés par l’assemblée. Seule la suppression des académies est approuvée à cette date et la mise en place de nouvelles structures savantes est repoussée au vote d’une loi sur l’organisation de l’instruction publique. C’est chose faite avec la loi Daunou qui insère les sociétés savantes dans un édifice pyramidal de manière à structurer l’instruction publique : elles sont présentées comme les correspondantes privilégiées de l’Institut national.

6 Le premier acte d’une société savante consiste à rédiger son règlement. Ce texte constitue une étape décisive car il lui donne une sorte de visibilité, il fait connaître son programme et rend publique sa composition. C’est le 1er thermidor an VII (19 juillet 1799) que la Société libre des sciences et des arts de Strasbourg publie son règlement6. Ce texte a donné lieu à l’impression d’un petit opuscule qui associe le règlement et la liste des membres résidants et non résidants7. La Société y apparaît comme une instance vouée aux progrès des connaissances humaines, sans qu’aucune borne disciplinaire ne soit posée à ce programme de travail qui, de facto, fait d’elle une instance encyclopédique. Soucieuse d’agronomie, comme de belles lettres, d’industrie comme de sciences naturelles ou d’archéologie, la Société libre des sciences et des arts de Strasbourg se présente comme un instrument de progrès. Elle entend s’insérer dans un réseau de sociétés savantes européennes, avec un tropisme marqué vers les

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« départemens du Rhin » – c’est-à-dire l’Alsace – et les pays limitrophes. Les précisions que donne le règlement sur ce point ne sont pas anodines.

7 Composée de 60 membres résidants, la Société reçoit le concours d’un nombre indéfini de non-résidants et de correspondants. Les nouveaux membres, résidants comme non résidants, doivent être présentés par au moins deux résidants ; leur désignation intervient seulement après qu’une commission de cinq membres chargée de faire un rapport sur les connaissances et les qualités du candidat a rendu son avis sur les connaissances et les qualités du candidat8. La cooptation reste dans une large mesure le principe qui prévaut. La cotisation annuelle s’élève à 20 francs.

8 La Société est animée par un président et un vice-président qui sont élus pour un an et ne sont rééligibles qu’après une année sans mandat, par un secrétaire et des adjoints élus également pour un an mais rééligibles sans interruption. L’archiviste et le trésorier sont élus au même moment que le président et restent constamment éligibles. Le président doit veiller au respect du règlement, au respect de l’ordre du jour des séances, il signe les procès-verbaux des séances établis par le secrétaire. S’il est absent, le vice-président assume ces responsabilités. Le secrétaire, aidé de ses deux adjoints, doit dresser l’ordre du jour des séances et tenir un registre des travaux, il se charge également de toutes les correspondances. L’archiviste est présenté comme le « dépositaire de toutes les pièces de la correspondance, de tous les ouvrages manuscrits ou imprimés qui deviennent la propriété de la société ». Il dispose d’un double des pièces rédigées ou reçues par le secrétaire. La présence d’un archiviste au sein de cette société savante est assez significative, elle témoigne de l’impact suscité par la création, le 12 septembre 1790, des Archives nationales, chargées de rassembler les archives de l’assemblée constituante. Par la suite, la loi du 7 messidor an II (25 juin 1794) a instauré un « dépôt central des archives nationales » et celle du 5 brumaire an V (26 octobre 1796) a complété ce dispositif en créant un service d’archives dans chaque chef-lieu de département. Les archives de la Société libre des sciences et des arts n’ont bien sûr aucun rôle dans le dispositif d’ensemble qui visait à centraliser les archives de la nation. Toutefois, leur existence témoigne de l’importance prise pendant la Révolution par la constitution de dépôts supposés conserver la trace d’une activité et rassembler des documents potentiellement utiles. Ce sont les mêmes raisons qui expliquent que les ministères aient, eux aussi, à la même période, été dotés services d’archives. L’utilité que les savants strasbourgeois confèrent à leur Société transparaît dans le choix de nommer un archiviste.

9 Le règlement précise que les séances ont pour « but de conférer plutôt que de délibérer », comme pour souligner la défiance qui règne à l’égard des usages développés pendant les premières années de la Révolution au sein des clubs politiques. La manière dont le déroulement des séances est présenté dans le règlement ne laisse d’ailleurs aucune place au débat. De manière classique, chaque séance s’ouvre par la présentation de l’ordre du jour, l’approbation du procès-verbal de la séance précédente, la lecture de la correspondance, puis la lecture des rapports demandés par la société et la présentation des travaux des membres. D’après l’histoire de la Société libre des sciences et des arts que propose Alphonse Koch en 18939, les mémoires présentés entre 1799 et 1802 concernaient les sciences, l’histoire et les recherches archéologiques, l’économie politique, la littérature, la médecine, les récits de voyage et la statistique. Il relève toutefois que les « communications scientifiques, archéologiques ou médicales prenaient la plus grande partie des séances »10. Lorsque les travaux de la

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Société libre des sciences et des arts sont évoqués dans le premier volume des Mémoires publié en 1811, ils apparaissent comme des témoignages d’une science aimable où le récit d’une excursion dans les environs de Landau est composé en vers par Montbrison – un ancien officier du génie qui fait partie des membres non-résidants – avec la conviction que l’attrait des vers pourra « inspirer le goût de la botanique »11.

10 Le règlement de l’an VII laisse apparaître une société savante qui reprend les usages à l’œuvre dans les académies de province sous l’Ancien Régime. Celles-ci diffusaient une vision laïque, scientiste, utilitaire, politisée du monde tout en vulgarisant le discours des savants, des philosophes et des physiocrates12. Sans renier cet héritage, le règlement du 1er prairial an X (21 mai 1802) transforme en profondeur le fonctionnement de cette société. La loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) sur l’instruction marque un renforcement du contrôle de l’État sur les sociétés savantes. Ce contrôle accru s’exprime notamment dans le lien de plus en plus étroit noué entre le programme administratif de l’État consulaire et l’influence prise par des structures administratives comme le Conseil des Arts, Agriculture et commerce du Ministère de l’Intérieur. Cette loi est vraisemblablement à l’origine de la rédaction d’un nouveau règlement publié quelques mois seulement avant que la Société libre des sciences et des arts ne fusionne avec ses deux consœurs13. Outre que ce texte augmente de 20 le nombre de résidants, il indique que chaque candidat doit être présenté par deux membres censés exposer « les titres littéraires de la personne proposée ». Au cours de la séance qui suit la présentation, les membres résidants décident par vote individuel et secret de s’adjoindre ou non un nouveau membre. Pour être élu, les deux tiers des suffrages sont nécessaires. Les conditions d’admission deviennent donc plus strictes ; tous les membres résidants sont désormais consultés alors qu’auparavant seul comptait l’avis des cinq membres de la commission ad hoc.

11 Le nouveau règlement tend aussi à préciser l’organisation de la Société : le bureau est désormais renouvelé tous les ans à partir du 1er frimaire à la majorité absolue et au scrutin individuel. Le déroulement des séances est plus contraint : l’ordre du jour est désormais défini préalablement. Il comprend la correspondance, l’indication des envois faits à la société, la lecture de la liste des candidats proposés, les élections, les rapports demandés par la société, les travaux des membres de la société suivant l’ordre prescrit par le procès-verbal. Le calendrier des séances est lui aussi plus rigide : une séance ordinaire est organisée le premier de chaque mois et une séance publique doit être organisée chaque année. Ces réunions à l’organisation très formalisée et laissant peu de place à la spontanéité des échanges sont complétées deux fois par décade par des réunions qui se tiennent entre 17 heures et 20 heures dans le salon de lecture de la bibliothèque centrale – l’actuel lycée Fustel de Coulanges, où se trouvait alors l’École centrale du Bas‑Rhin14 – où les membres de la Société trouvent « les feuilles littéraires françaises et étrangères ». Ce cadre de rencontre plus régulier restaure les usages des sociétés de lecture où débattre de ce qui a été lu constitue le cœur de l’activité. Il n’est certes pas question d’en revenir aux pratiques de délibération à l’œuvre dans les clubs à partir de 1789 mais les membres résidants se dotent néanmoins d’un cadre propice à des échanges plus libres.

12 Plusieurs éléments du règlement du 1er prairial an X (21 mai 1802) marquent une volonté de pérenniser l’institution : l’archiviste se voit assigner un local par la Société afin d’y conserver la correspondance, ainsi que les manuscrits et les imprimés qui lui appartiennent. Autre manière de conserver une trace des travaux de cette instance : la

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décision d’imprimer un recueil des mémoires lus à la Société après approbation par ses membres. La Société libre des sciences et des arts n’a pas le temps de mettre en œuvre les nouveautés introduites par ce règlement. Néanmoins, ce texte suggère plusieurs évolutions notables dans le fonctionnement de cette société savante, des évolutions dont on trouve des échos dans les listes des membres de la Société libre des sciences et des arts.

Les membres de la Société libre des sciences et des arts : de la communauté des savants strasbourgeois à la constitution d’une société d’experts

13 Dans le rapport que lit Oberlin à l’occasion de la séance publique que tient la Société d’Agriculture, Sciences et Arts, le 22 frimaire an XII (14 décembre 1803), rapport dans lequel il évoque l’histoire des trois premières sociétés savantes strasbourgeoises, il présente la Société libre des sciences et des arts comme une assemblée des « professeurs de l’école spéciale de médecine, réunis à ceux de l’École centrale », auxquels se sont joints « plusieurs autres littérateurs zélés de la commune »15. L’analogie entre la communauté des professeurs et les membres fondateurs de la Société libre des sciences et des arts est souvent rappelée. Il faut dire que dans la liste des 60 membres résidants en fonction en l’an VII, 18 apparaissent comme professeur dans l’un de ces deux établissements (Arbogast, Berrot, Brisorgueil, Caillot, Coze, Ehrmann, Escher, Flamant, Gourreau, Hermann, Hullin, Lauth, Massenet, Mazuyer, Mesnier, Noël, Oberlin et Schweighaueser). Certains sont aussi correspondants de l’Institut (Arbogast, Brunck, Hermann, Oberlin, Koch, Lombard, Schweighaueser). C’est parmi eux d’ailleurs que sont choisis le président et le vice-président de la nouvelle société, respectivement Brunck et Koch. Cette circonstance conduit Camus, lui même membre de l’Institut, à noter dans le récit qu’il donne de son passage à Strasbourg : « On croiroit que l’Institut a envoyé une colonie à Strasbourg ; cependant l’idée ne seroit pas exacte : ce ne sont pas des savans que l’Institut ait envoyés à Strasbourg ; ils y existoient, ils s’y étoient formés, et l’Institut a eu le bon esprit de les inviter à devenir ses membres »16.

14 Sans appartenir à une institution savante prestigieuse, les deux autres tiers des membres résidants ne sont pas étrangers au monde du savoir. Quelques uns apparaissent comme des hommes de lettres (Blessig, Carondelet, Haffner, Michel Laquiante, Schweighaeuser fils, Ulrich), d’autres comme d’anciens professeurs de l’université de Strasbourg (Reissseissen, Spielmann). Parmi les membres résidants à la notoriété moindre, on trouve quelques personnages qui exercent des fonctions subalternes au sein l’École de santé (Bailli, Marchal, Roussille), un médecin militaire (Lorentz), des juristes ou des magistrats (Albert, Barbier, Bauer, Brackenhoffer, Braun, Ehrmann, Frantz, Kern l’aîné et le cadet, Laquiante, Lauth, Meyer, Spielmann), ainsi que des savants (Hecht père et fils, respectivement apothicaire et chimiste, Herrenschneider) et même quelques administrateurs (Botton qui est secrétaire général du département, Burger qui est présenté comme administrateur du département, Grandmougin qui est membre du jury d’instruction publique), ou encore des hommes de la pratique, (Dartein, commissaire des fontes, Dietrich, maître de forges, Hoffmann, négociant, Merlin, mécanicien, Paquay, négociant, Turckheim, lui aussi négociant). Levrault, père et fils, y siègent également ; ces libraires-imprimeurs ont un statut

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d’intermédiaire entre les savants et les hommes de la pratique. Ils jouent évidemment un rôle important puisqu’ils publient les travaux de nombreux membres de la Société17. Toutes les catégories sont représentées au sein du bureau : Frédéric de Dietrich, le maître de forges, est secrétaire ; Gourreau, un des professeurs de l’École centrale, et Haffner, l’homme de lettres, sont ses adjoints ; Noël, le directeur de l’École de santé, est archiviste ; Hoffmann, le négociant, est trésorier.

15 La première séance de la Société libre des sciences et des arts s’ouvre par la lecture d’un mémoire de Christophe-Guillaume Koch sur la société littéraire créée à Strasbourg au XVIe siècle. Ce choix suffit à évoquer la filiation que les hommes de la toute jeune société savante revendiquent : celle de l’humanisme et du savoir. Ce texte, que Koch présente quelques semaines plus tard à la troisième classe de l’Institut18, établit une analogie entre l’obscurantisme prêté au Moyen Âge et les « outrages du vandalisme » associés depuis le 9 thermidor an II à la Terreur. Comme les humanistes de la Renaissance, les savants du Directoire se présentent comme des « restaurateurs des lettres » qui se donnent pour mission « d’effacer les vestiges de la barbarie ».

16 On peut pourtant se demander si ce n’est pas là une manière un peu outrée d’afficher l’unité d’une communauté ou du moins de taire ses dissensions. La disparition d’une grande partie des archives de la Société empêche de trancher la question. Toutefois, les recherches entreprises par Dorothée Rusque dans le cadre de sa thèse consacrée aux collections de Jean Hermann mettent en lumière des clivages assez marqués à l’origine de vives tensions entre les professeurs de l’École de santé19, tout particulièrement entre les professeurs de l’ancienne faculté luthérienne représentés par Thomas Lauth et Jean Hermann et les nouveaux professeurs dépourvus d’ancrage local – Noël, nommé directeur de l’École de santé, et Flamant, professeur au sein de l’établissement –. Ces deux derniers dénonçaient le luthéranisme et l’usage de l’allemand de la part de leurs confrères alsaciens. La correspondance de Jean Hermann montre qu’ils ont été tenus à l’écart des dîners organisés au domicile des savants strasbourgeois.

17 Lorsque le règlement est révisé le 1er prairial an X (21 mai 1802), la liste des membres résidants laisse apparaître plusieurs transformations significatives dans la composition de la Société qui ne se résument pas à l’entrée de vingt nouveaux membres résidants. La plupart des hommes de la pratique ne sont plus membres de la société (Dartein, Hoffmann, Merlin, Pasquay) ou bien ils en sont devenus correspondants (Dietrich, Levrault le jeune) ; quelques magistrats ont également quitté les rangs des savants strasbourgeois (dont Frantz et Meyer). Parmi les 29 nouveaux membres résidants identifiables dans la liste publiée en l’an X, on retrouve quelques nouveaux enseignants (Brunner, Gerboin, Guérin, Hammer, Rochart, Tourdes), quelques officiers de santé (Kimmich, Kratz, Lefèvre, Lobstein, Martin, Sultzer) plusieurs officiers (Dedon, Fourcy, Fririon, Morlet), un ecclésiastique (Petersen), un inventeur (Reinhard), le secrétaire de la société d’agriculture de Strasbourg (Saltzmann) quelques administrateurs (Démichel, Magnier-Grandprez, Marbach, Ragonneau, Reibel, Thomassin et Wangen) un élu (Férat), ainsi que le maire de Strasbourg Hermann et le préfet Laumond. Les savants qui enseignent à Strasbourg occupent toujours une place significative au sein de la société mais les administrateurs y sont de plus en plus nombreux et y jouent vraisemblablement un rôle de plus en plus significatif. Cette évolution se traduit géographiquement dès les premières années de fonctionnement de la Société des sciences, agriculture et arts : les séances de la nouvelle Société, instaurée par le préfet, ne se tiennent plus dans un lieu de savoir mais dans la grande salle de l’ancienne

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maison commune20. Quelques années plus tard, un « local spatieux, dans l’édifice de l’hôtel de ville » est même cédé à la Société pour y placer « sa bibliothèque, ses archives et son muséum »21.

18 Le 1er prairial an X (21 mai 1802), Laumond qui a été nommé préfet du Bas-Rhin le 6 floréal VIII (26 avril 1800), devient le président de la Société libre des sciences et des arts. Il est assisté d’Oberlin qui assume les fonctions de vice-président. Lauth est le secrétaire, lui-même assisté d’Haffner et de Gerboin, Noël reste archiviste, Laquiante est élu trésorier. Dans l’introduction du premier volume des Mémoires publiés en 1811 par la Société des sciences, agriculture et arts de Strasbourg, Laumond est évoqué comme un « magistrat (qui) venait chercher dans le sein de la société un délassement nécessaire aux travaux de l’administration. On peut remarquer alors quelle est l’heureuse influence de l’exemple, quand il est donné par l’autorité. Le zèle d’un seul fut long-temps l’empressement et l’assiduité de tous. M. de Laumond fut ici le bienfaiteur des lettres. »22.

19 En l’an X, la Société libre des sciences et des arts est devenue un espace où se croisent la légitimité scientifique et la compétence administrative. Elle ne ressemble plus tant aux académies de province de la France d’Ancien Régime qu’au nouveau modèle des sociétés savantes qui émanent assez directement de l’État et qui contribuent à faire émerger une société d’experts dont les compétences ne sont plus seulement fondées sur la légitimité intellectuelle mais sur la conformité à des modèles sociaux. Les membres du personnel administratif constituent le noyau dur des sociétés savantes créées en province sous le Consulat. Dès le début de l’an XI, les séances de la nouvelle Société instaurée par le préfet se tiennent dans la grande salle de l’ancienne maison commune23. Sous l’Empire, un « local spatieux, dans l’édifice de l’hôtel de ville » a été cédé à la Société pour y placer « sa bibliothèque, ses archives et son muséum »24. Les transformations que connaît au tout début du XIXe siècle l’organisation des sociétés savantes illustrent, tant dans le contenu des travaux que dans leur organisation, le rapprochement opéré entre les élites savantes et les élites administratives. Les hommes nouveaux qui intègrent la Société libre des sciences et des arts étaient regardés comme ayant une compétence dans le domaine de la statistique. Certes, le projet encyclopédique n’a pas totalement disparu mais il s’est trouvé marginalisé, ou plutôt reformulé et mis au service de la statistique descriptive.

L’identité de la Société libre des sciences et des arts : faire des « départements du Rhin » un objet d’investigation savante

20 Dès l’an VIII, l’Annuaire politique, économique du département du Bas-Rhin annonce la publication du Plan d’une description générale des départemens du Rhin et présente la préparation de cet opuscule comme l’activité la plus significative de la Société25. Deux ans plus tard, dans sa Statistique du département du Bas-Rhin, Laumond note à son sujet : « Ce cadre immense, lorsqu’il sera rempli, offrira l’ouvrage le plus complet de statistique qui ait été fait » ; puis il nuance son éloge en ajoutant « mais ce n’est encore qu’un plan, auquel on ne peut refuser le mérite de la plus belle ordonnance et de la plus ingénieuse distribution »26. Ces années sont celles de ce que Jean-Claude Perrot a nommé « l’âge d’or de la statistique régionale »27. En dépit de la diversité des plans adoptés, ces statistiques forment un tout qui peut être saisi à la confluence de plusieurs

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branches de la connaissance : l’économie, la médecine, la géographie, l’histoire et les sciences de la nature. Elles témoignent du souci de connaissance des territoires, souvent relié au besoin de dresser le bilan du passé, une sorte d’état des lieux après des changements introduits depuis 1789.

21 L’intérêt de la Société libre des sciences et des arts pour le genre descriptif ne se cantonne pas à la connaissance des « départemens du Rhin ». Lorsque ses travaux sont évoqués dans le premier volume des Mémoires publiés en 1811 par la Société des sciences, agriculture et arts de Strasbourg, plusieurs contributions à la statistique descriptive sont évoquées. Beaucoup portent sur les localités alsaciennes – le ban de la Roche, Sélestat, Molsheim, Eckendorf – mais d’autres territoires sont également l’objet de description ; leur point commun est qu’elles sont toujours issues d’observations de terrain, c’est le cas lorsque Bottin rend compte de ce qu’il a vu aux salines de Reichenau en Bavière, ou lorsque Laumond décrit l’île de Scio, c’est‑à‑dire l’île de Chios dans la mer Égée. Le voyage permet de dresser le tableau encyclopédique du pays traversé. De plus, le voyageur doit faire preuve d’esprit philosophique, c’est-à-dire d’esprit de méthode par le recours à la critique objective, à la comparaison, à la généralisation. À la fin du XVIIIe siècle, ces techniques sont bien connues et largement maîtrisées.

22 Le choix de faire des « départemens du Rhin » un objet d’investigation savante apporte une autre dimension aux travaux de la Société, il s’agit d’une évidente source de légitimité pour une instance dont l’existence est garantie par la production et la promotion d’un savoir utile. Que le Plan d’une description générale des départemens du Rhin soit le seul imprimé publié par la Société n’est pas non plus anodin. Pour une société savante, publier contribue à la fois à renforcer sa position. Le Plan d’une description générale des départemens du Rhin permet à la Société libre des sciences et des arts de se doter d’une identité propre et d’afficher son rôle fédérateur.

23 L’avertissement de l’opuscule précise : « La Société libre des sciences et des arts de Strasbourg, occupée indistinctement de tout ce qui tient au progrès des lettres et des lumières, a cru devoir porter spécialement son attention sur des objets relatifs à la connaissance historique, physique, politique et économique de la ci-devant Alsace »28. Cet imprimé de 14 pages ne propose pas seulement un plan à suivre pour produire une description générale des « départemens du Rhin », c’est-à-dire de l’Alsace, il considère ce cadre comme un recueil de sujets dans lequel les auteurs de mémoires pourront puiser des idées. Il constitue en quelque sorte un programme de travail.

24 Le plan est subdivisé en quatre parties. La première est consacrée à l’histoire ; elle ordonne chronologiquement des périodes associées chacune à des civilisations (la période celtique, la période romaine, la période des francs, la période germanique et la période française) ; chaque période est subdivisée en période qui s’efforce d’identifier des configurations particulière du territoire et de son gouvernement. La deuxième partie associe géographie et physique ; elle est consacrée à la description du territoire. Celle-ci est déclinée de plusieurs manières. La situation et l’étendue précèdent un état des représentations cartographiques. La morphologie des départements du Rhin est ensuite évoquée (limites, exposition, divisions), puis l’état du ciel qui propose des pistes d’observation (mesures barométriques et thermométriques, quantité de pluie, observation des vents, etc.). C’est ensuite la nature et la qualité du territoire qui doit retenir l’attention, en distinguant les montagnes, les eaux et les sols. Cette dernière entrée ne s’attache pas à la nature des sols mais aux ressources naturelles qu’il recèle. Celles-ci sont exposées en fonction des trois règnes de la nature, c’est-à-dire aussi en

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fonction des attendus spécifiques de chaque discipline (minéralogie, zoologie et botanique). Sur ce plan, les convergences s’avèrent évidentes avec les travaux de la Société d’agriculture et d’économie intérieure qui se préoccupait essentiellement de valoriser les ressources du département. Les observations sur les habitants entrent aussi dans la « partie géographique et physique ». Ils sont pourtant abordés, selon les usages de l’époque, au physique et au moral. L’influence néo-hippocratique est évidente. Cependant, une approche quantifiée de la population est aussi évoquée. La troisième partie est consacrée à la politique et à l’économie ; elle propose d’examiner la « Constitution », le gouvernement c’est-à-dire l’état des lois, sous l’Empire et sous la France en opérant une distinction entre l’avant et l’après Révolution. La « police des villes » est abordée sous l’angle de la sûreté, de la salubrité et de l’abondance. L’état militaire est rapidement examiné, juste avant que de nombreuses entrées soient proposées pour produire l’état économique de l’Alsace (monnaies, finances, économie rurale, métiers, fabriques, manufactures et usines, commerce). La dernière partie est qualifiée de « littéraire », elle est supposée présenter un état des lettres et des arts de façon chronologique : les cinq « civilisations » identifiées dans la première rubrique servent ici de cadre à chaque entrée. C’est à l’évidence « sous les Allemands », et plus encore à l’époque de la « Renaissance des belles lettres et beaux-arts » et de la « Réformation du seizième siècle » que l’identité des départements du Rhin semble la plus marquée.

25 Ce Plan d’une description générale des départemens du Rhin s’inscrit dans une tradition bien établie depuis les années 1750 : l’usage de questionnaires censés guider les voyageurs dans leurs observations. En 1758, Quesnay a publié ses « Questions intéressantes sur la population, l’agriculture, et le commerce proposées aux académies ». Il s’agissait du cadre d’une enquête qui s’attachait au climat et à la qualité des sols, mais aussi aux méthodes culturales, à la population, aux productions agricoles, aux échanges, enfin au mode de fonctionnement de l’économie. Ce modèle fut repris en France en 1799 avec la statistique des départements promue par François de Neufchâteau. Les grilles d’observation proposées donnaient un enracinement local et même une inscription spatiale aux enquêtes et rompaient avec la tradition forgée par les monographies les plus connues comme celles de Piganiol de la Force ou d’Expilly, désormais jugées trop générales. Le ministre de l’Intérieur proposait de s’attacher aux productions naturelles et industrielles, aux mouvements du commerce, à l’état technique des arts et manufactures, aux améliorations de l’économie et aux projets d’utilité publique, aux mœurs et aux usages des habitants, mais aussi de se consacrer à un tableau des vestiges romains. Cet engouement se poursuit au début du Consulat à l’initiative de Lucien Bonaparte puis de Chaptal qui, en 1801, adresse une circulaire aux préfets et leur laisse 6 mois pour répondre29. Les tableaux statistiques attendus doivent s’organiser ainsi • un chapitre de géographie descriptive et chiffrée consacré aux rivières, au relief, à l’altitude, à la végétation, au climat, aux constitutions médicales ; • un chapitre consacré à la population contenant une analyse de la natalité, des probabilités de la vie aux divers âges ; • un chapitre consacré à l’état des citoyens, à leurs ressources, à l’assistance, à la mendicité, aux prisons ; • un chapitre consacré l’agriculture, à la nature des produits, aux prix et aux coûts ; • un chapitre consacré à l’industrie, aux matières premières, aux techniques de fabrication, et aux produits.

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26 Le Plan d’une description générale des départemens du Rhin s’inspire à plusieurs égards de cette circulaire mais il s’en démarque cependant en bâtissant chacune des quatre parties sur des domaines de savoir bien identifiés – l’histoire, la géographie, le droit et l’économie, les lettres – et non pas sur des secteurs de la vie publique ou de la société. De plus, l’objectif sous-jacent tient non pas à la connaissance d’un territoire et de ses ressources afin de l’administrer au mieux, mais à la construction de l’identité locale. La totalisation des savoirs que propose cet opuscule permet certes de produire une description du territoire mais elle introduit aussi l’idée que l’Alsace – qui se dissimule derrière les « départemens du Rhin » – est un objet monumental qu’il s’agit de célébrer30.

27 L’ancrage local des savoirs produits par la Société libre des sciences et des arts, des savoirs encyclopédiques qui se trouvent fédérés par le cadre de la statistique descriptive perdure au sein de la Société des sciences, agriculture et arts de Strasbourg. Au cours de sa première séance, le préfet-président annonce la création de prix qui tous concernent l’administration du Bas‑Rhin, le premier s’attache aux moyens de « propager l’usage de la langue française dans les départements où la langue vulgaire est l’allemande », l’autre s’intéresse à la proportion la plus avantageuse à retenir pour le Bas-Rhin entre les champs qui produisent du fourrage et ceux qui produisent d’autres cultures. Cette Société signale également qu’elle accordera des primes à ceux qui introduiraient dans le département une plante utile ou encore un métier qui n’aurait pas été pratiqué. Les humanités et les sciences continuent de nourrir les travaux de certains membres de la Société mais très souvent le département, l’Alsace, voire le Rhin servent de cadre géographique : c’est le cas des travaux de Graffenauer sur la minéralogie des départements du Rhin, sur les épidémies de variole qui ont touché Strasbourg en l’an X et en l’an XI, sur les moyens d’introduire les moutons mérinos dans le Bas-Rhin, etc. L’année suivante le prix proposé vise à « faire connaître par une description détaillée, l’état actuel de l’agriculture et de l’économie rurale dans l’un des arrondissemens de sous-préfecture du département du Bas-Rhin ».

28 La fusion des trois sociétés ne vise pas seulement à calquer l’organisation des sociétés savantes strasbourgeoises sur celle de l’Institut – un seul établissement subdivisé en trois classes – elle constitue aussi une reprise en main des activités de cette institution. La contribution de ses membres à la confection de la Statistique du département a retardé la parution du premier volume des mémoires. On peut en lire dans l’introduction de celui-ci : « Tous les matériaux relatifs à la statistique du département du Bas-Rhin, si on en excepte quelques parties dont la connaissance était propre à l’administration ont été rassemblés et fournis par la société des sciences, agriculture et arts »31. Les archives de cette société recèlent encore aujourd’hui de nombreux mémoires statistiques sur le Bas-Rhin essentiellement produits en 180732.

29 La place conférée à la connaissance des « départemens du Rhin » dans les travaux de la Société libre des sciences et des arts est révélatrice des stratégies déployées par les membres des sociétés savantes du premier XIXe siècle. Ses membres l’expriment de manière collective avec beaucoup d’éloquence en 1811 : « Pour satisfaire aux sentiments naturels d’affection envers la terre qu’ils habitent, ils ont fait entrer dans ce recueil plusieurs mémoires qui offrent le sceau d’un intérêt local, en présumant, d’ailleurs, que ces écrits justifieraient leur destination par leur objet et surtout par leur choix »33.

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30 Depuis une vingtaine d’années, les sociétés savantes ne sont plus regardées comme des espaces secondaires, mais comme des espaces où des stratégies sociales se développent ; elles apparaissent comme des lieux de médiation du savoir au sein desquels des stratégies sociales se déploient. La Société libre des sciences et des arts qui a animé la vie strasbourgeoise entre 1799 et 1802 laisse entrevoir les enjeux d’une société savante dans le processus de construction de la légitimité sociale d’une certaine élite au sein de l’espace public. À ce titre, elle mériterait la mise en œuvre d’une vaste enquête prosopographique, assortie d’outils adaptés, pour montrer l’impact d’une société sur les carrières savantes et administratives de ses membres. Si la vie savante de cette Société est difficile à reconstituer, les itinéraires biographiques sont plutôt bien documentés et pourraient éclairer la part prise par la mobilisation identitaire dans les activités de cette société savante comme de celle qui lui a succédé.

NOTES

1. Elle avait été fondée le 10 messidor an VIII (29 juin 1800). 2. Elle avait été créée le 15 thermidor an VII (2 août 1799). 3. BOEHLER (Jean-Michel), 1799 : Société académique du Bas-Rhin, Revue d’Alsace, no135, 2009, p. 11-14 ; LIVET (Georges), Deux siècles d’histoire d’une société savante : la Société académique du Bas- Rhin (1799-1999), Bulletin, t. CXXI-CXXII, 2001-2002, Strasbourg, 2001. 4. CHARLE (Christophe), ROCHE (Daniel) (dir.), Capitales culturelles, capitales symboliques : Paris et les expériences européennes, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002. 5. CHAPPEY (Jean-Luc), Les sociétés savantes à l’époque consulaire, Annales historiques de la Révolution française, 1997, no 209, p. 451‑472. 6. Nous le citons ici d’après l’édition qu’en a donné Georges Livet, op. cit., p. 26-28. 7. Koch mentionne un « opuscule daté du 1er thermidor an VII » conservé à la bibliothèque de l’université. KOCH (Alphonse), La société libre des sciences et des arts de Strasbourg du 29 prairial an VII au 4e jour complémentaire an X (17 juin 1799 - 21 septembre 1802), Historique de la société des sciences, agriculture et arts de Basse-Alsace, 1893, p. 33-79. Ce texte cite plusieurs lettres que l’auteur présente comme des pièces conservées dans les archives de la Société. Elles ont manifestement disparu aujourd’hui. Alphonse Koch est aussi l’auteur de La société libre d’agriculture et d’économie intérieure du département du Bas-Rhin du 15 floréal an VIII, au 4me jour complémentaire an X. Esquisse historique lue à la séance publique annuelle de la société des sciences, agriculture et arts de la Basse-Alsace, le 15 décembre 1889. 8. BLEICHER (M.), Une page de l’histoire scientifique et littéraire de l’Alsace. Les sociétés scientifiques et littéraires avant et après l’annexion, Nancy, Berger-Levrault, 1894, p. 17. 9. KOCH (Alphonse), La société libre des sciences et des arts de Strasbourg, op. cit. 10. Ibid., p. 59. 11. Mémoires de la Société des sciences, agriculture et arts de Strasbourg, Partie des sciences, tome I, Strasbourg, Levrault, 1811, p. 11. 12. ROCHE (Daniel), Le Siècle des Lumières en province : académies et académiciens provinciaux, 1689-1789, Paris-La Haye, Mouton, 1978, 2 vol.

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13. Règlement de la Société libre des sciences et des arts établie à Strasbourg le 29 prairial an VII, Strasbourg, Levrault, an X (BNU : M.13.451). 14. BUCK (Janice), L’École centrale du Bas-Rhin (1796-1803). Contribution à l’histoire de l’instruction publique, Société académique du Bas-Rhin pour le progrès des Sciences, des Lettres, des Arts et de la Vie économique, Bulletin t. CXXXI-CXXXII, 2011-2012. 15. Annuaire politique, économique du département du Bas-Rhin, par le citoyen Bottin, Strasbourg, Levrault, an XIII, p. 123. 16. CAMUS (Armand Gaston), Voyage fait dans les départemens nouvellement réunis, et dans les départemens du Bas-Rhin, du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme à la fin de l’an X, tome I, Paris, Baudouin, 1803, p. 9‑10. 17. Une première enquête prosopographique sur les membres de la Société libre des sciences et des arts a été menée en 2012-2013 dans le cadre de mon séminaire de master. Je tiens à remercier pour la qualité de leur contribution : Romain Bedague, Cédric Charbon, Camille Dagot, Marie- Pierre Dieudonné, Gauthier Feuga, Hélène Garsot, Julie Glasser, Edern Hirstein, Magali Jacquinez, Laura Le Gac, David Merkling, Mylène Mistre-Schaal, Benjamin Proth, Laetitia Schruoffeneger, Victor Tougard, Thomas Tricot, Hugues Weber, ainsi que Dorothée Rusque, doctorante. Je souhaite que ce travail puisse donner lieu à la construction d’une base de données prosopographique qui permettra de mieux identifier la composition de cette communauté et les réseaux qu’elle recouvre. 18. Mémoires de la Société des sciences, agriculture et arts de Strasbourg, Partie des sciences, op. cit., p. 9-10. 19. RUSQUE (Dorothée), La fabrique et le commerce du savoir au XVIIIe siècle : le cas des pratiques et des réseaux savants du naturaliste Jean Hermann (1738-1800), thèse préparée à l’université de Strasbourg, sous la direction d’Isabelle Laboulais, depuis septembre 2012. Les éléments que j’évoque dans cet article sont tirés d’un exposé intitulé « La communauté savante strasbourgeoise et la Société libre des sciences et des arts : quels clivages ? », et présenté par Dorothée Rusque dans le cadre de mon séminaire consacré à la Société libre des sciences et des arts entre septembre et décembre 2012. Sa démonstration s’appuie essentiellement sur l’analyse des lettres de Jean Hermann conservées à la BNUS sous la cote Ms 1887. 20. Mémoires de la Société des sciences, agriculture et arts de Strasbourg, Partie des sciences, op. cit., p. 56. 21. Ibid., p. 170. 22. Ibid., p. 19-21. 23. Ibid., p. 56. 24. Ibid., p. 170. 25. Annuaire politique, économique du département du Bas-Rhin, par le citoyen Bottin, Strasbourg, Levrault, an IX, p. 105. 26. Statistique du département du Bas-Rhin par le cioyen Laumond, préfet, publiée par ordre du ministère de l’Intérieur, Paris, Le Clere, Henrichs, Treuttel et Wurtz, an X, p. 256. 27. PERROT (Jean-Claude), L’âge d’or de la statistique régionale française (an IV - 1804), Paris, Société des études robespierristes, 1977. 28. Plan d’une description générale des départemens du Rhin, Strasbourg, Levrault, 1802, p. 2. 29. BOURGUET (Marie-Noëlle), Déchiffrer la France. La statistique départementale à l’époque napoléonienne, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2007, réédition. p. 68‑69. 30. VAN DAMME (Stéphane), La grandeur d’Édimbourg. Savoir et mobilisation identitaire au XVIIIe siècle, Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2008, no 55, p. 155-181. Sur ce point précis, on se reportera plus particulièrement à la page 176. 31. Mémoires de la Société des sciences, agriculture et arts de Strasbourg, Partie des sciences, op. cit., p. 126.

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32. ADBR, 63 J, carton 23. Les procès-verbaux de la Société d’agriculture, sciences et arts du département du Bas-Rhin confirment que l’année 1807 a été essentiellement consacrée à la production de mémoires statistiques, rédigés pour beaucoup d’entrées suite à des enquêtes de terrain. Cf. 63 J, carton 29, registre no1. 33. Mémoires de la Société des sciences, agriculture et arts de Strasbourg, Partie des sciences, op. cit., p. 89-90.

RÉSUMÉS

Connue comme la première société savante strasbourgeoise, la Société libre des sciences et des arts eut une existence brève. Créée le 29 prairial an VII (17 juin 1799) et dotée d’un règlement le 1er thermidor an VII (19 juillet 1799), elle disparut trois ans plus tard (le IVe jour complémentaire de l’an X, 21 septembre 1802), au moment de sa fusion avec la Société libre d’agriculture et d’économie intérieure et la Société de médecine. Au cours de ces quelques années d’existence, elle accorda une place essentielle à la connaissance des « départemens du Rhin ». En nous arrêtant sur ces choix, nous montrerons les dynamiques de socialisation de la science à l’œuvre à Strasbourg au début du XIXe siècle.

It was known as the first learned society and only had a short period of existence. It was created on 29th prairial VII, -revolutionary calendar- (17 June 1799), adopted its rules of procedures on 1st thermidor VII (19 July 1799) and came to an end only three years later, on 4th complementary day X (21 September 1802), merging with the Société libre d’agriculture et d’économie intérieure (for the promotion of agricuture and economy) and the Society of medicine. During its brief existence its main issue was the study of the Rhine départements. This is why we chose to underscore the dynamics of the socialisation of science to be found in Strasbourg in the early 19th century.

Jedermann weiß es. Die Freie Gesellschaft der Wissenschaften und der Künste war die erste wissenschaftliche Gesellschaft Straßburgs, und existiert hat sie nur kurze Zeit. Gegründet wurde sie am 29. Prairial des Jahres VII (19.Juli 1799), ein Statut erhielt sie am 1. Thermidor des Jahres VII (19. Juli 1799), und drei Jahre später (am IV. komplementären Tag des Jahres X, d. h. am 21. September 1802) wurde sie schon wieder gelöscht, und zwar an dem Tag, an dem sie mit der Freien Gesellschaft der Landwirtschaft und der inländischen Wirtschaft sowie mit der Gesellschaft der Medizin zusammen - geschlossen wurde. Womit sie sich in diesen wenigen Jahren vor allem befaßte, das war die rheinischen Départements genau kennen zu lernen. Mit dieser Analyse können wir zeigen, wie dynamisch die Wissenschaft bei ihrer Arbeit in Straßburg am Beginn des XIX. Jahrhunderts bei der Sozialisierung zu Werke gegangen ist.

AUTEUR

ISABELLE LABOULAIS Université de Strasbourg – EA 3400 / ARCHE

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La Bataille de Leipzig : son souvenir et sa commémoration en 1913 à travers le regard particulier de l’Alsace-Lorraine

Jérôme Schweitzer

1 Moins connue en France que Waterloo qui mît un terme définitif à l’épopée napoléonienne, la bataille de Leipzig ne constitue pas moins un événement majeur qui entraîna l’effondrement de l’ordre européen établi par Napoléon à partir de 1805. La bataille de Leipzig ou Völkerschlacht en Allemagne fut la plus importante confrontation qui eut lieu en Europe avant les combats de la Première guerre mondiale. Elle eut un retentissement considérable sur l’histoire du continent et notamment en Allemagne où sa mémoire fut disputée tout au long du 19e siècle. En 1913, l’Allemagne est unifiée sous l’égide d’un empereur depuis 1871 date de l’achèvement d’un cycle linéaire qui aurait débuté par les Guerres de libération / Befreiungskriege dont la bataille Leipzig furent le point d’orgue. De fait, les commémorations du centenaire de cette grande victoire revendiquée par les Allemands revêtent une importance majeure pour le pouvoir de Guillaume II. Il s’agit d’affirmer la puissance impérial à un moment où les tensions diplomatiques sont vives en Europe. Par rapport à cet anniversaire, la position de l’Alsace-Lorraine intégrée à l’Allemagne depuis un peu moins de cinquante ans, est pleine d’ambiguïté. Comment célébrer une victoire remportée sur la France dans des provinces qui, cent ans plus tôt, étaient françaises ? Cette position périlleuse fut encore soulignée quelques semaines après les festivités de Leipzig et le début de l’Affaire de Saverne. Après avoir rappelé les enjeux liés à la bataille et à son souvenir, c’est sur ce regard particulier de l’Alsace au sein d’un empire allemand dominé par la Prusse soucieuse de rappeler sa victoire sur Napoléon qu’il s’agira de s’interroger.

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Leipzig, de la défaite honorable au désastre1

2 En 1813, après son échec en Russie, Napoléon a été contraint d’affronter une nouvelle coalition. Le tsar, le roi de Prusse et le prince royal de Suède décidèrent de s’unir contre l’hégémonie française. Napoléon a rapidement levé de nouvelles troupes notamment grâce aux contingents des États de la Confédération du Rhin. Malgré les victoires de Lützen et Bautzen (respectivement le 2 mai et les 20 et 21 mai 1813) qui marquèrent le début de la campagne de 1813, la Grande Armée, affaiblie par un manque de cavalerie, n’est pas parvenue pas à emporter de victoire décisive. Napoléon accepta un armistice en juin2 et un congrès s’ouvrit à Prague3. L’empereur avait alors l’espoir de parvenir à un accord acceptable et comptait sur une médiation autrichienne. Mais en raison des exigences des souverains européens, des ambitions de Metternich et de l’attitude de Napoléon, aucun accord ne put être conclu4. Par la suite, il s’avéra que cette trêve était une erreur et le congrès, un piège5 tendu par Metternich. En effet, à la fin de l’armistice, l’Autriche décida de se joindre aux forces coalisées. En août, la Grande Armée l’emporta devant la ville de Dresde. En revanche, le mois de septembre fut marqué par une série de revers subis par les maréchaux de Napoléon. Cette situation périlleuse fut aggravée par l’état d’épuisement des soldats qui n’avaient cessé d’effectuer des marches et contre-marches à la poursuite d’un adversaire qui refusait toute confrontation directe avec Napoléon. En octobre, la cohésion de la Confédération du Rhin fut remise en cause lorsque la Bavière, après s’être déclarée neutre, décida de changer de camp et se joindre aux forces coalisées. Napoléon comprit qu’il devait désormais forcer le cours des choses pour ne pas risquer de perdre l’ensemble de ses alliés allemands. Il décida de jouer le tout pour le tout et ordonna à ses troupes de se concentrer autour de Leipzig afin d’y attirer les armées de la Coalition et de les vaincre les unes après les autres. Les premières escarmouches débutèrent le 14 octobre aux environs de la cité saxonne. Napoléon dut agir avec célérité, en effet, Blücher avançait rapidement vers lui et menaçait les 20 000 hommes qu’il avait laissés sous les ordres de Marmont pour stopper Bernadotte. L’Empereur savait qu’il devait d’abord l’emporter sur Schwarzenberg au Sud de Leipzig pour pouvoir ensuite se retourner contre les deux autres généraux de la Coalition. L’échec de ce plan le forcerait à affronter une armée trop importante que ses propres troupes n’étaient pas en mesure d’affronter. Le 15 octobre, Napoléon prit des dispositions pour combattre dès le lendemain.

3 Au matin du 16, lorsque les combats commencèrent, Napoléon disposait d’environ 135 000 hommes contre 230 000 coalisés. Il se trouvait près de Wachau au Sud de Leipzig et envisageait de repousser l’armée de Schwartzenberg. Au Nord, Marmont prit position avec ses troupes pour faire face aux 60 000 hommes de Blücher qui marchaient contre lui. Au Sud, chaque armée tint ses positions. Dans un premier temps, les combats furent marqués par un usage massif de l’artillerie. Vers midi, les Français prirent l’avantage : les Autrichiens et les Russes reculaient. Mais c’était sans compter sur l’intervention de la Garde impériale russe qui permit aux armées coalisées de conserver leurs positions. De fait, ce premier épisode des combats fut considéré comme une victoire par Napoléon qui était resté maître du champ de bataille. Il n’avait néanmoins pas réussi à emporter la décision. En effet, Blücher était arrivé plus tôt que prévu au Nord de Leipzig, un événement imprévu qui avait mobilisé des troupes qui auraient pu l’emporter contre Schwartzenberg. Au soir du 16 octobre 1813, il n’y avait ni vainqueur, ni vaincu. Mais Napoléon se trouvait dans une situation fort critique d’autant plus qu’il

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était quasiment encerclé et ne disposait que d’un étroit corridor lui assurant une éventuelle retraite par l’Ouest de Leipzig.

4 Le lendemain ne fut marqué par aucun combat d’importance car Napoléon hésitait. Il songeait à battre en retraite et tenta de négocier avec l’empereur d’Autriche, son beau- père, par l’intermédiaire de Merveldt6, un général autrichien fait prisonnier la veille. Finalement décision fut prise d’opérer un repli stratégique : les lignes de combat françaises se concentrèrent autour de Leipzig afin de mieux faire face à un ennemi qui s’était renforcé par l’arrivée de renforts durant le 17 octobre. Cette nouvelle disposition des troupes ouvrait également la possibilité à une retraite qui était ardemment souhaitée par l’état-major de l’empereur qui s’inquiétait de l’état d’épuisement des soldats. Conscient que ses chances de l’emporter s’amenuisaient au fil des heures, Napoléon dut se résoudre à combattre. Il savait que si l’issue des combats lui était favorable, ses chances de consolider son pouvoir se renforceraient mais qu’en revanche s’il était défait, son pouvoir s’écroulerait.

5 Le 18 octobre, les forces rassemblées par la Coalition sont considérables. Désormais ce sont 300 000 hommes qui font face aux 150 000 soldats de la Grande Armée. Les combats de cette journée sont terribles. Les tirs d’artillerie décimèrent les rangs de part et d’autre. La bataille se singularisa par le soudain changement de camp opéré par une partie des troupes saxonnes et wurtembergeoises qui passèrent dans les rangs coalisés. À la nuit tombée, aucun des camps ne parvint à l’emporter de manière indiscutable. En raison d’un manque de munitions et de l’épuisement physique de ses soldats, Napoléon se résolut à ordonner la retraite le soir même. À ce moment, il se trouvait contraint d’accepter la défaite. Celle‑ci demeurait honorable car son armée avait su faire preuve d’une grande détermination qui lui avait permis de tenir face à un ennemi plus de deux fois supérieur en nombre.

6 Le 19 octobre, la défaite se transforma en véritable désastre. Très vite, les forces combinées de Bernadotte, Blücher, Schwarzenberg et Bennigsen firent route sur la ville de Leipzig dans laquelle se trouvaient toujours plusieurs milliers d’hommes sous les ordres de Poniatowski et de Macdonald. Napoléon fit ses adieux au roi de Saxe resté fidèle7 jusqu’au bout. L’empereur des Français parvint ensuite à se frayer un chemin afin de traverser la rivière Elster. Dans les rues de Leipzig, les soldats se battaient maison par maison. La confusion était à son comble, lorsque l’unique chance de salut pour les Français : le pont sur l’Elster, explosa. Cet incident condamna les 20 000 soldats encore dans Leipzig. Ces derniers sombrèrent dans le désespoir le plus total et beaucoup se noyèrent en tentant de fuir l’avancée ennemie. D’autres décidèrent de se battre jusqu’à la mort en tenant leurs positions jusqu’au bout. Le maréchal Poniatowski, trouva la mort, écrasé sous le poids de son cheval en tentant de traverser le cours d’eau. Le maréchal Macdonald, plus heureux, parvint à nager jusqu’à l’autre rive. Au soir du 19 octobre, le bilan était très lourd. La Grande Armée avait perdu de 60 000 à 70 000 hommes (morts ou prisonniers), sans compter les 15 000 à 20 000 Allemands qui avaient changé de camp durant les combats. Dans les derniers jours d’octobre 1813, les restes de l’armée française avancèrent en ordre dispersé à travers l’Allemagne pour prendre position sur la rive gauche du Rhin.

7 Après Leipzig, le système continental de Napoléon était condamné. La Confédération du Rhin s’effondra. L’ensemble des princes allemands quittèrent leur alliance avec la France. Pour la première fois depuis vingt ans les frontières de la France étaient directement menacées.

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Un retentissement considérable

8 Dès les jours qui suivirent la défaite de Napoléon en Saxe, la nouvelle se répandit dans toute l’Europe. C’était en effet, la première fois que l’empereur en personne était vaincu alors qu’il se trouvait à la tête ses troupes. Après plus de vingt ans de luttes incessantes, les monarques tenaient enfin leur revanche sur celui qui n’avait jamais cessé de menacer leur pouvoir et qui durant toutes ces années les avaient obligé à accepter d’humiliants traités de paix. Leipzig signa la fin définitive de l’hégémonie française sur l’Europe.

9 Les journaux allemands s’en donnèrent à cœur joie, cette victoire marquait l’éveil de l’esprit national allemand et le début de la « libération » de l’Allemagne. En effet, s’opposant à la volonté de leurs propres souverains qui étaient restés fidèles à Napoléon, les plaines de Leipzig n’avaient-elles pas vu les Saxons et les Wurtembergeois rejoindre les rangs des Prussiens ou des Bavarois pour lutter ensemble contre l’envahisseur français ? Des nationalistes allemands comme Ludwig Jahn ou Ernst Moritz Arndt s’emparent de l’événement afin de galvaniser les Allemands et de réclamer leur réunion au sein d’un même État8.

10 Les souverains qui l’avaient remporté sur Napoléon se montrèrent plus prudents, soucieux de préserver leur pouvoir, ils firent publier différents bulletins qui décrivirent le déroulement des journées d’octobre 1813 à Leipzig9. Ces publications insistaient sur les aspects militaires de la bataille et sur ses conséquences stratégiques pour les armées coalisées. Dans le rapport de l’armée publié dans les Deusche Blätter, Blücher employa le premier le terme de Völkerschlacht, il souligna dans son récit que pour lui cette bataille avait décidé du « sort du monde10 ».

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Dur’s Elsass, no217

« Le « Corse : et dire que sans moi, ils ne sauraient même pas qu’ils sont des Allemands…/ Der Corse : ohne mich, wüssten sie nicht einmal, dass sie Deutsche sind… », in Dur’s Elsass, no217, 30 août 1913. Coll. Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.

11 En France, Napoléon rentré rapidement à Paris chercha à limiter l’ampleur de sa défaite, sans toutefois pouvoir la nier. Dès le 30 octobre 1813, le Moniteur universel publie des extraits des Nouvelles officielles de la Grande Armée, dans ce récit officiel de la bataille, on prend soin de souligner que l’armée française n’a pas été vaincue mais qu’elle fut contrainte de battre en retraite en raison de multiples facteurs qui ont fait passer l’avantage à l’ennemi. Le ton employé cherche à rassurer. Le rapport des événements insiste notamment sur la trahison des Saxons et la destruction prématurée du pont sur la rivière Pleisse qui sont considérés comme les éléments déterminants du cours de la bataille11. Même si Napoléon tente d’éveiller la ferveur des Français, la population se montre plutôt attentiste, dans l’ensemble après plus de vingt ans de guerres quasiment ininterrompus, elle aspire surtout à une paix durable. De fait, ce sentiment général est également partagé en Alsace. Après la défaite de Leipzig, le reflux des troupes s’est rapidement fait sentir. Des centaines d’hommes arrivent chaque jour dans les villes alsaciennes12. Il faut ensuite organiser rapidement la défense, les rapports des officiers envoyés par Napoléon sont alarmants, l’état des fortifications est inquiétant, les troupes sont fatiguées et le plus souvent mal équipées. Au début de l’année 1814, les troupes de la coalition lancent leur offensive : c’est le début de la Campagne de France et l’Alsace ne résiste pas longtemps à l’assaut de la Coalition. Après quelques mois de confrontation, le pouvoir impérial s’écroule, Napoléon est contraint d’abdiquer et embarque pour son exil sur l’île d’Elbe. Passé l’épisode des Cent Jours, le souvenir de la bataille de Leipzig est rapidement exploité par les détracteurs de l’empereur déchu.

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Les célébrations de 1913 à Leipzig

12 Cent ans après la bataille de Leipzig, Guillaume II a souhaité célébrer cette victoire avec faste afin de souligner l’unité du peuple allemand et de rappeler que la Prusse, qui avait achevé l’unification allemande cinquante ans plus tôt, avait joué un rôle déterminant au cours de cet événement. En effet, tout au long du dix-neuvième siècle, des historiens, des militaires, des témoins de la bataille ont publié des mémoires ou des récits mettant en avant la Prusse au détriment des autres puissances comme l’Autriche, la Russie ou la Suède sans lesquelles la victoire remportée à Leipzig n’aurait pas été possible13. De fait, après 1870 l’historiographie allemande mit en parallèle les Befreiungskriegen de 1813-1815 avec les conflits qui marquèrent l’unification allemande des années 1860. Leipzig était ainsi considéré comme le lieu de sa propre prise de conscience pour la nation allemande. Guillaume II décida de soutenir l’édification d’un important monument commémoratif sur le site de la bataille à Leipzig : le Völkerschlachtdenkmal. Son inauguration en 1913 devant être mettre un point final à l’histoire de l’unification allemande qui aurait débuté au même endroit cent ans plus tôt. Il fallut pas moins de 15 ans pour bâtir ce vaste ensemble commémoratif dont le point d’orgue est un colossal édifice pyramidal de 91 mètres de haut surmonté de douze statues de guerriers14. L’ensemble fut inauguré en grande pompe par Guillaume II le 18 octobre 1913. Des délégués de tout l’empire furent invités à se rendre aux festivités afin d’incarner l’unité allemande autour de l’empereur. Bien entendu une délégation alsacienne fut également invité à se joindre aux célébrations.

Octobre 1913 en Alsace, une position ambiguë

13 En ce mois d’octobre 1913, l’Alsace est en effervescence, la nouvelle constitution accordée par l’empereur deux ans plus tôt laisse entrevoir une normalisation de la situation du Reichsland au sein de l’empire allemand. La presse se fait l’écho des grandes célébrations voulues par le pouvoir impérial à l’occasion du centenaire de la bataille de Leipzig et de l’inauguration de l’impressionnant Völkerschlachtdenkmal. Dans son édition du 19 octobre 1913, le Strassburger Post consacre la première page à la relation de ces festivités15. Outre l’empereur, Guillaume II, des princes issus des monarchies qui étaient alliées à la Prusse en 1813 sont présents à Leipzig mais aussi les souverains et les plus hautes autorités des différents États de l’empire allemand. Le Reichsland d’Alsace- Lorraine est représenté par son Statthalter, Karl von Wedel. La même édition relate des festivités organisées dans des grandes villes allemandes comme Munich, Francfort, Karlsruhe ou même Metz, mais aucune mention n’est faite sur une quelconque participation de Strasbourg aux célébrations. Dans leur édition du 18 octobre 1913, les Strassburger Neueste Nachrichten rappellent que Leipzig fit chuter « le tragique orgueil de la tyrannie ». Le journal demande au peuple de se rendre au travail rassemblé mais sans donner de signe d’allégresse particulier mais simplement avec la ferme volonté de reconnaître l’importance de ce fait historique [la victoire remportée à Leipzig sur Napoléon]16. Enfin l’article insiste sur l’importance de la bataille de Leipzig pour « l’éveil politique de la nation [allemande] ». Autre élément souligné par l’auteur de cette tribune : les célébrations de Leipzig doivent être l’occasion de se souvenir des immenses sacrifices consentis cent ans plus tôt pour ensuite se tourner vers l’avenir.

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Comme le Strassburger Post, les Strassburger Neueste Nachrichten évoquent les festivités qui se sont déroulées partout en Allemagne mais à nouveau sans donner de détails spécifiques sur Strasbourg. Ces deux exemples tirés de la presse alsacienne plutôt favorable au pouvoir impérial, laissent entendre que l’Alsace-Lorraine n’avaient pas de raison de se sentir exclus de la commémoration du centenaire de Leipzig. Néanmoins, la position du Reichsland face à la célébration d’une défaite de Napoléon est délicate. D’autant plus que l’Alsace conserva durant longtemps une certain sympathie pour son empereur17. Dès 1814, Kellermann alors gouverneur de la province n’était parvenu qu’avec de grandes difficultés à empêcher les troupes rassemblées à Strasbourg de crier « vive l’empereur ! ». Cette sympathie pour les idées bonapartistes fut encore confirmée par le choix de Louis-Napoléon Bonaparte de tenter un coup d’état depuis Strasbourg en octobre 1836. Mais surtout, les Alsaciens et les Lorrains étaient du côté des troupes françaises à Leipzig et durant toutes les guerres de la Révolution et de l’Empire. Il s’agit d’ailleurs d’une période clé constitutive du sentiment d’appartenance à la nation française à laquelle l’Alsace prit toute sa part. Dès lors lorsqu’en 1913, l’Empire allemand souhaita associer les Alsaciens et Lorrains aux célébrations du centenaire de Leipzig, l’accueil réservé à cette nouvelle fut mitigé.

Dur’s Elsass, no223

« Das Werden eines Denkmals. / La genèse d’un monument ou la hantise du casque. « Ils ne sortiront plus jamais de là » in Dur’s Elsass, no223, 11 octobre 1913 Coll. Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.

14 Les Cahiers alsaciens parus en 1913 dénoncent cette position défendue par les autorités allemandes18. Dans l’article « le Culte du passé », l’auteur estime que les Alsaciens- Lorrains ne devraient pas refuser de s’intégrer à l’Empire allemand mais les associer à la commémoration de Leipzig serait un choix inopportun. La revue estime que l’Allemagne pourrait proposer un avenir différent du symbole militariste offert par le

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monument de Leipzig19. Ce point de vue modéré souligne l’ambiguïté de demander à l’Alsace-Lorraine de s’associer aux célébrations mais suggère aux autorités d’offrir d’autres perspectives à la région permettant son intégration. D’autres comme Zislin dans Dur’s Elsass se montrent plus vindicatifs et expriment clairement leur refus d’associer l’Alsace-Lorraine aux festivités de Leipzig. Plusieurs caricatures mettent en avant le rejet du militarisme en mettant en parallèle un casque à pointe avec le Völkerschlachtdenkmal20. Derrière cette caricature se cache également le visage de Bismarck, Zislin souhaite ainsi remettre en cause le discours politique guerrier et militariste lié à l’inauguration de ce monument commémoratif. Zislin use également de la satire pour rappeler le rôle involontaire joué par Napoléon dans l’éveil national allemand dans une caricature où l’empereur des Français observant les célébrations du centenaire de Leipzig se laisse aller à la réflexion : « et dire que sans moi ils ne sauraient même pas qu’ils sont des Allemands.21 »

Dur’s Elsass, no218

« Au centenaire. Ceux qu’on oublie / Jahrhundertfeier. Die Vergessenen », in Dur’s Elsass, no218, 6 septembre 1913 Coll. Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.

15 Les rédacteurs de Dur’s Elsass s’appuient aussi sur les non-dits qui entourent les célébrations et la relecture historique des événements proposée par les autorités allemandes. Plusieurs caricatures rappellent, non sans ironie, les « oubliés » des festivités : les Russes représentés par un cosaque, l’argent anglais et les milliers de victimes de ces guerres22. De fait, même si des personnalités comme l’archiduc Franz- Ferdinand, des princes Russe et Suédois représentent ces États qui ont appartenu à la coalition contre Napoléon, l’impression générale laissée par les commémorations de 1913 est que l’Allemagne à elle seule l’emporta sur l’empire français. Une Allemagne réunie derrière la Prusse, mise en avant comme le royaume qui sut mettre un terme à la discorde entre les Allemands et ouvrir la voie vers l’unité. Or en réalité en 1813, la Saxe ou le Bade faisaient toujours partis des alliés de la France napoléonienne même après la bataille de Leipzig. Quant aux États comme la Bavière, dont le roi Louis Ier avait lui aussi

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tenté d’instrumentaliser la bataille des nations à son avantage : leur changement d’alliance s’est effectué à peine quelques semaines avant les journées d’octobre 181323. Un poème paru dans la même publication rend hommage à la bravoure des Français vaincus par « la trahison et un ennemi innombrable24 ». Le texte se conclut par « Ils n’ont qu’à la célébrer // Cette bataille d’il y a cent ans // Taire ce qui leur plaira // La vérité restera25. » Reprenant à son compte une citation tirée du Conscrit de 1813 d’Erckmann-Chatrian : « Quant on a combattu seul contre tous les peuples de l’Europe, - toujours un contre deux et quelques fois trois et qu’on fini par succomber, non sous le courage des autres, ni sous leur génie, mais sous la trahison et le nombre, on aurait tort de rougir d’une pareille défaite, et les vainqueurs auraient encore plus tort d’en être fiers26. », Dur’s Elsass détourne le monument de la bataille de Leipzig en y plaçant Napoléon au sommet entouré de ses grognards27. Les rédacteurs de Dur’s Elsass exploitent ainsi les arguments qui se sont peu à peu imposées au sein de l’historiographie française au sujet de la campagne de 1813 et de la défaite de Leipzig28. La légende qui accompagne cette illustration « Ceux qui n’y figurent pas mais que chacun aperçoit » dénote de cette volonté de dénoncer ce que les commémorations officielles ont cherché à omettre.

16 Finalement la couverture de Dur’s Elsass qui résume le mieux l’attitude des rédacteurs de la publication est sans doute celle datée du 30 octobre 191329, sous-titrée « la voix de l’Alsace en 1813 » qui montre un soldat crier « Vive l’empereur ! » au moment de rendre l’âme sur le champ de bataille. Pour eux, l’Alsace n’aurait donc aucun lien avec une quelconque célébration de Leipzig puisqu’elle a été et restera du côté des braves qui ont combattu dans les rangs français aux côtés de Napoléon.

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Dur’s Elsass, no225

« Au monument de Leipzig. Ceux qui n’y figurent pas mais que chacun aperçoit / Die Schlacht von Leipzig. Was nicht zu sehen ist und doch ein jeder sieht », in Dur’s Elsass, no225, 25 octobre 1913. Coll. Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.

17 Cette attitude hostile aux célébrations du centenaire des guerres de libération est cependant à nuancer. En effet, en 1913 l’Alsace-Lorraine fait pleinement partie de l’Allemagne. Ceux qui aspirent à la paix ne voient en tout cas pas d’autre avenir pour la région. C’est l’opinion défendue par Emil von Nadelhoffer dans un article paru dans la revue Elsass-Lothringische Kulturfragen en novembre 191330. Dans son analyse, cet auteur cherche à démontrer les raisons pour lesquelles, paradoxalement les Alsaciens-Lorrains sont au moins autant concernés par les célébrations des guerres de libération que les autres Allemands. Il rappelle tout d’abord que comme un grand nombre d’Allemands, les Alsaciens et les Lorrains ont partagé la gloire des victoires de l’Empire et ont connu les défaites qui entraînèrent Napoléon dans sa chute31. Enfin après un développement dans lequel il rappelle l’histoire de la région depuis 1871, Nadelhoffer estime que sous la « domination française » l’Alsace-Lorraine n’aurait jamais pu connaître une telle « vitalité culturelle32 ». Il considère que déjà à « Leipzig et à Waterloo [les héros allemands] combattirent pour l’avenir [des Alsaciens-Lorrains] » car les soldats de 1813 ont éveillé le sentiment national allemand qui devait aboutir à l’unification allemande et au « retour » des Alsaciens et des Lorrains de langue allemande dans le giron de la « grande famille allemande33 ». En conclusion, Nadelhoffer estime que ses contemporains n’ont pas à être « les esclaves de leurs aînés » et que même s’il éprouve un profond respect pour les douleurs vécues par ses aïeuls, exprimer ce type de considération dans les célébrations de 1913 serait pour lui une aberration. Par conséquent selon lui, il serait légitime que chaque Alsacien et que chaque Lorrain s’estime libre de partager la joie de ces festivités34.

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18 Ces réactions divergentes face aux grandes fêtes organisées par les autorités impériales pour célébrer le début de la marche vers l’unification politique de la nation allemande reflètent les différents courants d’opinion de l’Alsace-Lorraine du début du vingtième siècle. Partagé entre un passé marqué par le souffle de la Nation française des guerres de la Révolution et de l’Empire et un avenir dans lequel la région devenait une entité allemande à part entière, l’Alsace-Lorraine se cherche et hésite. L’Affaire de Saverne qui éclata à partir de la fin octobre 1913 raviva des douleurs jusque-là enfouies. Surtout elle marqua le début d’une réelle rupture entre la région et le reste de l’Empire allemand en raison d’un manque de confiance mutuelle qui fut brutalement mis en lumière par cette crise.

NOTES

1. Sur la bataille de Leipzig, voir Bruyère-Ostells, Walter, Leipzig, 16-19 octobre 1813, la revanche de l’Europe des souverains sur Napoléon, Paris, Tallandier, 2013, 206 p. 2. Un armistice est signé le 4 juin 1813 à Pleiwitz, il suspendait les hostilités jusqu’au 20 juillet. L’armistice fut ensuite prolongé jusqu’au 10 août. 3. Le congrès s’ouvre le 29 juillet sous médiation autrichienne. 4. Les coalisés jouent un double jeu dans la mesure où en juillet 1813, ils conclurent le plan de Trachemberg qui prévoyait que toutes les forces alliées devaient avancer sur Dresde à l’expiration de l’armistice. De plus, l’Autriche, sous l’impulsion de Metternich, était bien décidée à entrer en guerre afin de mettre à bas le système continental. Enfin, Napoléon refuse d’aller trop loin dans les concessions, alors que malgré Lützen et Bautzen, la France n’aborde pas le congrès en position de force. 5. LENTZ, Thierry, Nouvelle histoire du Premier Empire, L’Effondrement du système napoléonien, 1810-1814, Paris : Fayard, 2004, p. 415. 6. Maximilien von Merveldt est né en 1764. Ce général autrichien appartenait à une ancienne famille noble originaire de Westphalie. Il joua un rôle déterminant lors des préliminaires de paix de Léoben et fit partie des signataires du traité de Campo-Formio (1797). Il participa à la bataille de Leipzig et fut ensuite nommé ambassadeur à Londres où il mourut en 1815. 7. Les souverains entrèrent en vainqueurs dans la ville ce même jour. Ils décidèrent de considérer la Saxe comme une conquête. De fait, ils nommèrent un gouverneur militaire pour la ville et éloignèrent le roi de Saxe et sa famille. Ce ne fut qu’en juin 1815, que Frédéric-Auguste put faire son retour à Dresde. Il reprit alors la tête d’un royaume amputé de la moitié de son territoire au profit de la Prusse lors du congrès de Vienne. 8. SCHWEITZER, Jérôme, Leipzig. Mythes, lectures et relectures d’une bataille napoléonienne en France et en Allemagne, 1813-1871, [Thèse pour l’obtention du diplôme d’archiviste paléographe], 2010, p. 237‑241. 9. Ibid., p. 218-224. 10. Ibid., p. 221. 11. Ibid., p. 79-82. 12. MULLER, Claude, Vive l’empereur ! L’Alsace napoléonienne 1800-1815, I.D. Édition, Strasbourg, p. 167-168. 13. SCHWEITZER, Jérôme, Leipzig. Mythes,... op. cit.

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14. « Das Völkerschlacht-denkmal zu Leizpig », in Die Kunst für alle, Heft 5, 1er décembre 1913, p. 116‑120. 15. « Die Feier der Völkerschlacht bei Leipzig » in Strassburger Post, 19 octobre 1913, no1 181. 16. Strassburger Neuest Nachrichten, 18 octobre 1913, no244. 17. Voir à ce sujet : MULLER, Claude, « Vive l’empereur ! » l’Alsace napoléonienne, 1800-1815, Strasbourg : ID l’édition, 2012, 299 p. 18. « Le Culte du passé » in Cahiers alsaciens, no12, 1913, p. 305-308. 19. Ibid., p. 308. 20. « Das Werden eines Denkmals. / La genèse d’un monument ou la hantise du casque. Ils ne sortiront jamais de là », in Dur’s Elsass, no223, 11 octobre 1913. 21. « Le « Corse » / Der « Corse », in Dur’s Elsass, no217, 30 août 1913. 22. « Au centenaire : ceux qu’on oublie / Jahrhundertfeier : die Vergessenen », in Dur’s Elsass, no218, 6 septembre 1913. 23. Aucun soldat bavarois ne prit part aux combats à Leipzig en 1813. 24. E.R., « 1813 Leipzig 1913 », in Dur’s Elsass, no225, 25 octobre 1913, p. 1817. 25. Ibid., « So mögen sie denn feiern // Die Schlacht vor hundert Jahr, // Verschweigen was sie wollen // Die Wahrheit bleibt doch wahr. » 26. Émile Erckmann et Alexandre Chatrian, Le conscrit de 1813, éd. André Wurmser, Paris, 1990, p. 290. 27. « Au monument de Leipzig. Ceux qui n’y figurent pas mais que chacun aperçoit // Am Leipziger Völkerschlachtdenkmal. Was nicht zu sehen ist unddoch ein jeder sieht », in Dur’s Elsass, no225, 25 octobre 1913, p. 1817. 28. Voir sur ce point, SCHWEITZER, Jérôme, Leipzig. Mythes,... op. cit. 29. « la Voix de l’Alsace en 1813 // Der Stimme des Elsass 1813 », in Dur’s Elsass, no225, 25 octobre 1913. 30. Nadelhoffer, Emil von, « Elsass-Lothringen und die deutschen Feiern zur Erinnerung an die Freiheitskriege » in Elsass-Lothringische Kulturfragen, Jg 3, Heft 8‑9, octobre-novembre 1913, p. 355‑363. 31. Ibib., p. 355-356. 32. Ibid., p. 357. 33. Ibid., p. 358. 34. Ibid., p. 359.

AUTEUR

JÉRÔME SCHWEITZER Responsable du pôle d’excellence alsatique à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

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Relation d’un séjour à Strasbourg d’un jeune Irlandais en 1833-1834 Narrative of a young Irishman’s stay in Strasbourg in 1833 and 1834 Ein junger Mann aus Irland erzählt seinen Aufenthalt in Strasbourg in den Jahren 1833-1834

Chantal Hombourger et Nicolas Chabrol

1 En mai 2012, un couple d’éleveurs néo-zélandais s’adresse à la Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace car ils envisagent un voyage en France pour retrouver les traces du passage à Strasbourg de leur ancêtre, Marcus Wyndham Paterson (1817-1898), ce dernier ayant vécu six mois dans la capitale alsacienne, de novembre 1833 à mai 1834. Durant ce séjour, Marcus, alors âgé de 16 ans, avait tenu un journal.

2 En juin 2012, le couple néo-zélandais, Marcus Lancelot Paterson et son épouse Mary- Jean, apportent deux exemplaires de ce journal – l’original et sa copie – et sont accompagnés par les auteurs du présent article à la découverte des lieux strasbourgeois évoqués par l’arrière-grand-père.

3 Des recherches aux Archives départementales du Bas-Rhin et à celles de la Ville de Strasbourg ont permis d’apporter quelques précisions sur le séjour strasbourgeois de Marcus Wyndahm Paterson.

« Journal, while in France. From Nov 3rd 1833, to … »

4 L’original de ce diary se présente sous la forme d’un cahier d’une cinquantaine de pages, écrit à la main, en anglais. Il a été trouvé dans les archives photographiques de la famille Paterson, en Nouvelle-Zélande. Il n’est pas signé mais l’identité de son auteur ne fait pas de doute. Ce journal relate uniquement le voyage et le séjour à Strasbourg du jeune Marcus Wyndham Paterson. C’est avec sa mère et son beau-père, nommés dans le diary, « Mamma » et « Mr B. », que le jeune Marcus quitte l’Irlande pour l’Alsace. Sont aussi du voyage un couple de chiens, Kate et Chance, mais pas sa sœur « Nan ». Rien

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n’indique, d’ailleurs, qui s’est occupé de l’éducation de cette dernière pendant cette longue période de séparation.

Revers de la couverture du journal de M. W. Paterson

Photo : Pascal Désveaux.

5 Sur le revers de la couverture figure l’inscription manuscrite « Journal, while in France. From Nov 3rd 1833, to ». Les dernières notes de ce journal sont datées du 15 mai 1834.

6 La première page intérieure est ornée d’un dessin figurant un jeune homme, un bourgeois ou un paysan endimanché, vêtu d’un costume français de l’époque. L’hypothèse d’un autoportrait a été avancée par la famille. Puis suit une page de relevés météorologiques quotidiens qui s’arrêtent au bout de cinquante jours. En vis à vis de cette page de relevés commence le texte du journal dans lequel les événements sont décrits presque quotidiennement sur les seules pages de droite, la gauche servant aux annotations ou aux rajouts. À la fin du carnet, en page 53, on relève une liste qui comprend des oiseaux et quelques mammifères, à chaque animal correspond un prix : 2 black headed gulls, 30 sous (mouettes rieuses ?) - black woodpeeker female, 10 sous (pic-noir femelle) - blue breasted robin, 30 sous (gorge-bleue) - gadwall (canard chipeau) … On notera qu’un cock and hen de Bruyere (coq et poule de bruyère) coûtent la somme élevée de 20 francs. La page 55 est destinée aux Use’s Dict. of Chemistry, mais il n’y a qu’une seule mention : agarious 118. Sur les deux derniers feuillets, se trouve une table de conversion des monnaies et des listes de comptes qui nous permettent de mieux comprendre comment l’auteur utilise son argent de poche, 4 francs par semaine. Il achète une pipe, des cigares, une cravache, des lapins, des pigeons, des gants, des hameçons, des lignes de pêches, des enveloppes, des crayons, des chaussettes…

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Dessin exécuté par Marcus ornant la page intérieure du début du journal

Photo : Pascal Désveaux.

7 Une copie numérisée de l’original, accompagnée d’une version retranscrite par Mary- Jean et Marcus Lancelot Paterson, a été éditée et un exemplaire transmis à chacun des descendants de Marcus Wyndham Paterson. Pour des facilités de lecture, nous précisent-ils, la disposition du texte a été modifiée au profit d’un format plus ordonné. L’orthographe de la plupart des mots a été reproduite telle qu’elle était écrite dans le journal pour conserver le langage de l’époque. Par exemple, le mot stopt a été laissé comme il avait été écrit, bien que parfois il ait été écrit stopped. Dans le document original, la calligraphie est parfois difficile à lire, de plus le jeune Marcus écrit phonétiquement certains mots qu’il entend mais ne connait pas, et en fait une interprétation personnelle, telle la Robertsau / Rupertsau devenue « la rue Berseau ».

Qui était Marcus Wyndham Paterson ?

8 Né 1817 à Bunratty, village proche de la ville de Limerick sur la côte ouest de l’Irlande, Marcus Wyndham Paterson est l’unique fils du capitaine Marcus Paterson (1785-1822), de Shepperton House, Newmarket-on-Fergus, et de Caroline, née Studdert, native de Bunratty. Le couple aura ensuite, en 1818, une fille, Ann, surnommée « Nan ». Le père de Marcus, le capitaine Paterson, est décédé en 1822, laissant sa femme Caroline seule avec deux enfants de moins de six ans. Celle-ci s’est remariée1 avec Edward William Burton (1799-1860), dont il est beaucoup question dans le journal de Marcus.

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« Capt. Marcus Paterson believed to be printed by E. W. Burton ». Ce portrait du père de Marcus est supposé avoir été peint par E. W. Burton (non daté)

Photo : Pascal Désveaux.

9 On sait par ailleurs que le jeune Marcus a effectué ses études au Trinity College de Dublin, l’un des plus renommés d’Irlande. Il choisira ensuite la carrière des armes, sera affecté au 94th Clare Militia et élevé au rang de Lieutenant Colonel. Marcus est décédé le 8 janvier 1898, âgé de 81 ans. Il est enterré dans le caveau familial dans la Old Franciscan Abbey à Ennis, en Irlande.

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Maria Juliet (née Studdert) Paterson, épouse de Marcus W. Paterson (non daté)

Photo : Pascal Désveaux.

Portrait de Marcus W. Paterson (non daté)

Photo : Pascal Désveaux.

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10 Il s’est marié en 1870 avec Maria Juliet Studdert (Studdert est aussi le nom de jeune fille de sa mère), ils auront sept enfants, mais un seul fils, Pop Marcus Wyndham (1877-1960), atteint l’âge adulte. Ce dernier émigre en Nouvelle-Zélande en 1927, avec son épouse et leurs trois garçons, dont Joseph Marcus Vandeleur (1905-1985) qui est le père de Marcus Lancelot Carlyon Paterson, né en 1941, reçu à la FSHAA en juin 2012. La tradition de nommer Marcus, l’aîné de chaque génération des Paterson se maintient, même si elle ne facilite pas le travail des généalogistes, le dernier est né en 1964.

… et qui était Mr B. ?

11 Nous connaissons très peu de choses sur Edward William Burton. La famille Burton est célèbre pour ses artistes, le plus connu fut Sir Frederick W. Burton (1816-1900), qui fut directeur de la National Gallery 2. Frederick est le troisième fils de Samuel Burton et Hannah Mullett et il est né à Clifden 3 (Irlande). La famille Paterson a émis l’hypothèse qu’Edward William est le frère aîné de cet artiste mais aussi celui du révérend Robert Burton, qui mourut jeune. Frederick, le directeur de la National Gallery qui ne s’est jamais marié, a adopté la famille orpheline de Robert. Pourraient-ils être Mary, Robert et Tom, auxquels Marcus fait référence dans son journal ?

De l’Irlande à l’Alsace : le voyage en Europe jusqu’à Strasbourg

12 Le journal de Marcus s’ouvre le dimanche 3 novembre 1833. À cette date, les voyageurs quittent Londres, après un séjour chez des proches, pour rejoindre la ville portuaire de Southampton. Ils comptent bien prendre un vapeur pour Le Havre, mais à Southampton, ils ne trouvent pour faire la traversée qu’un bateau à voiles dénommé Marquis of Anglesa. Le vent est très fort, le voilier est petit et sale, aussi la famille renonce à s’embarquer, retourne à Londres, à Colebrooke Row, résidence anglaise de la lignée Burton.

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Premières pages du journal de M. W. Paterson, dimanche 3 novembre 1833

Photo : Pascal Désveaux.

13 C’est de Londres qu’ils prennent un vapeur qui les emmène à Anvers. Voyager sur un vapeur est une nouveauté, les premières lignes viennent juste de se créer. L’arrivée à Anvers ne se fait pas sans péripéties : « Le vapeur Royal George sur lequel nous avions embarqué a percuté un petit bateau hollandais et l’a mis en pièces ». Comme il le fera pour la suite du voyage, Marcus décrit les hôtels, la nourriture et livre ses impressions sur la propreté des villes, qu’il juge le plus souvent comme particulièrement sales : « Anvers est une ville vraiment très sale et particulièrement laide », Strasbourg aura droit à la même remarque.

14 Partie en diligence d’Anvers, la famille passe par Bruxelles, où Marcus assiste à une revue militaire en présence du roi et de la reine. Puis le voyage se poursuit par Luxembourg. Dans cette ville, les voyageurs sont reçus par Monsieur Robange, « un personnage très singulier, une curiosité à lui tout seul » qui possède une collection zoologique considérable, où, à côté de spécimens rares figure « une boîte de poux à moitié pleine (une boîte de taille modeste) ».

15 L’étape suivante sera Metz. En cours de route, ils sont inspectés par la douane, dont les agents sont « particulièrement civils et obligeants ». À Metz, ils logent à « l’Hôtel du Commerce, très sale ». Le problème de l’ouverture des commerces le dimanche semble être réglé contrairement à aujourd’hui, puisque Marcus remarque, que bien que l’on soit dimanche, les commerces sont ouverts comme pour les jours de la semaine. Il monte avec sa parenté dans la flèche de la cathédrale. Dans son journal, il relate la légende du dragon tué par les paroissiens messins à l’époque du premier évêque de la cité. Il résume ainsi à sa façon la célèbre légende du Graoully4 – nom probablement issu de l’allemand « gräulich », atroce, abominable – monstre emblématique de Metz,

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personnification d’un dieu païen par les premiers chrétiens qui portèrent l’Évangile en Lorraine : Nous avons visité la cathédrale, où l’on nous a montré l’image d’un dragon, qui, selon l’histoire que nous a raconté un homme, avait l’habitude d’attaquer hommes et bêtes, avant que Metz ne soit fortifiée. Mais un jour, il entra dans la ville, tout le monde alors s’arma de pierres et d’armes pour protéger les maisons et finalement il fut tué. Après cela, lors de son prêche, l’évêque demanda à ses ouailles de montrer leur reconnaissance pour cette délivrance, aussi ils prirent l’habitude, au cours d’une procession annuelle, de porter (promener à travers la ville) le dragon, jusqu’à ce que la Révolution française interdise ce rituel. Puis nous sommes montés jusqu’au sommet de la cathédrale par une tour immensément haute. Mais pour atteindre le sommet, nous avons dû grimper une volée de marches particulièrement étroites qui me donnèrent le vertige.

16 À l’Hôtel du Commerce, la chair est maigre, seulement trois plats, mais le vin de Moselle remplace l’eau qui était servie aux précédentes étapes.

17 Les avis du jeune homme sur les Messins sont particulièrement tranchés, « les femmes sont très laides », il note toutefois que « les hommes ont une meilleure apparence que les femmes ».

Extrait du registre des voyageurs séjournant dans la ville de Strasbourg en 1833

Archives départementales du Bas-Rhin

L’installation à Strasbourg

18 La famille arrive le 18 novembre 1833 à Strasbourg, après un voyage « terriblement lent » – 25 heures depuis Metz – et s’installe à l’Hôtel de l’Esprit, 7 quai Saint Thomas. Cet établissement, connu pour avoir abrité certains des plus célèbres visiteurs de Strasbourg, Thomas Jefferson5, Jean-Jacques Rousseau, Franz Liszt, ou encore Goethe, a été démoli lors des travaux de la Grande Percée6.

19 Le choix de Strasbourg comme but de ce voyage ne fait pas de doute, car dès son arrivée, le beau-père de Marcus va chercher à louer une habitation pour sa famille et il va s’engager pour un bail de six mois. Toutefois une énigme subsiste : pourquoi Edward Burton décide-t-il de faire un voyage long et compliqué pour venir s’installer avec sa famille six mois à Strasbourg ? Dans son journal, Marcus n’évoque jamais les raisons de ce séjour. Par contre, il nous informe sur les deux centres d’intérêts de Mr B. : la taxidermie et les chevaux. On a de la peine à imaginer que ces deux domaines puissent justifier une installation temporaire en Alsace. Toutefois, un indice trouvé aux Archives départementales du Bas‑Rhin nous apporte un début de réponse. En effet, le 30 novembre 1833, Edward Burton, se fait enregistrer auprès des autorités sur le registre destiné à l’inscription des voyageurs séjournant dans la ville de Strasbourg7.

20 On apprend qu’Edward Burton, est rentier. Il est fort jeune, 34 ans. Marcus en a 16. On ne connaît pas l’âge de la mère de Marcus. Burton serait né en Angleterre, alors que l’on sait que son épouse et Marcus sont Irlandais. À part cette mention de l’officier

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d’état-civil, aucun autre document ne vient corroborer la nationalité anglaise de Burton.

21 Où la famille s’installe-t-elle à Strasbourg ? Le registre cité plus haut mentionne « Hors la porte Dauphine, no27 ». Cette porte de Strasbourg a successivement été appelée « porte des Bouchers », puis « porte Dauphine », ou « porte d’Austerlitz ». Cette porte sera détruite à la suite des combats de 1870. Elle se trouvait à l’emplacement de l’actuelle place d’Austerlitz.

22 Un indice nous est fourni par le même registre, mais quelques lignes plus haut. En effet, deux jours auparavant un autre anglais, M. Bu(a) rton Johnstone avait également été enregistré8, et son adresse est précisée : « Manufacture de toiles à voiles, no27 ». Cette adresse correspond à celle du Lazaret9, dont Frédéric Piton donne la description suivante : En quittant l’ancienne Plaine-des-Bouchers pour nous rendre à celle que nous connaissons aujourd’hui sous ce nom, nous passons devant un groupe de maisons à gauche de la grande route de Colmar et en deçà du pont sur le Rhin tordu où stationnaient en 1814 les vedettes russes et badoises. C’était anciennement une bergerie appartenant à Jean Kornmann, négociant à Strasbourg, que la ville acheta en 1674, pour y établir un lazaret où l’on déposait les militaires affectés de maladies contagieuses tous les hôpitaux dans l’intérieur de la ville étant remplis de blessés et de malades par suite de la bataille d’Entzheim et de l’accumulation de nombreuses armées dans les environs. Ces bâtiments, après avoir servi par la suite à divers usages, furent achetés au siècle dernier par un sieur Gau qui y établit une manufacture de toiles à voiles. Il y a déjà nombre d’années que cette manufacture a cessé de fonctionner ; cependant c’est sous ce nom et sous son ancien nom de lazaret que l’on désigne encore de nos jours ce bâtiment dont on ignore généralement la destination passée.

23 Cette fabrique de toiles à voiles pour les vaisseaux de guerre est l’une des trois existantes en France10. La maison faisait-elle partie de l’enceinte de cette manufacture ou était-elle située à proximité immédiate ? Nous ne le savons pas, même si dans ses écrits, Marcus parle souvent de cette vaste propriété : « Un canal court dans le jardin, ainsi qu’un petit cours d’eau, plein de poissons […] Mamma ne pouvait plus voir la flèche de la cathédrale qui n’est qu’à 20 minutes à pied, tout droit en face de chez nous », phrase écrite un jour de brouillard ; « J’ai mesuré la galerie, elle fait 4511 de long ». On apprend incidemment que la maison possède une cave (qui sera inondée), plusieurs dépendances, dont des écuries, une vaste grange ou encore une porte cochère. Si l’on étudie le Cadastre de 1839, on y voit l’implantation de la manufacture de toiles à voiles12, anciennement Lazaret, qui forme une vaste enceinte, le secteur est alors très peu bâti, à l’exception toutefois d’une propriété qui jouxte la manufacture et qui a la caractéristique d’être bordée par le Rhin Tortu ou Krimmeri et par un petit canal.

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Manufacture de toiles à voiles, anciennement Lazaret, sur le cadastre de 1839

24 Mais c’est Frédéric Piton qui nous donne la clé, avec le nom du propriétaire de cette manufacture, le sieur Gau13. Sur le registre des populations des faubourgs de Strasbourg, en 1833, la propriété sise au n°27 lui est attribuée, le sieur Gau était né en 1756 et mort en 1830. Un certain M. Waghette14, que Marcus orthographie dans son journal Mr Wayghett et qu’il critique pour sa pingrerie, est désigné comme le propriétaire. Page 50 du registre sont bien enregistrés « Edward William Burton, son épouse et son fils ». L’année de naissance de Burton nous est révélée : 1799. La profession est la même que sur le registre cité plus avant. L’entête de la page comprend l’inscription manuscrite suivante : « Rue hors la porte d’Austerlitz. No27 Cidevant manufacture de toiles à voiles / Sieur Waghette ». Entre 1815, où la « manufacture Gau chôme complètement et […] ne semble pas survivre au Premier Empire15 », et 1839, date de l’installation d’une distillerie d’eau de vie / vinaigrerie (du sieur Maire) et une fabrique d’acétate dans ses locaux, tout ou partie des bâtiments eurent une autre destination. Il apparaît qu’ils ont servi notamment de lieu d’habitation. Dans l’ouvrage de Georges Schwenk16 sur les faubourgs de Neudorf, figure une photographie de la Manufacture datée de 1981, prise avant sa destruction.

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Le registre des populations des faubourgs de Strasbourg, en 1833

25 Durant le séjour à Strasbourg, Mr B. ira à Bade, l’actuelle Baden-Baden, appelée Baden jusqu’en 1931, et envisagera un temps, sur les conseils de son régisseur, de s’y installer en famille, avant d’y renoncer.

Les centres d’intérêt de la famille

26 Comme cela est précisé dans le paragraphe précédent, Monsieur Burton s’occupe de taxidermie et de chevaux. Durant son séjour, il ira régulièrement acheter, aux halles et sur différents marchés, des animaux qu’il va lui-même empailler, beaucoup d’oiseaux, coqs et poules de bruyère, des canards, un cormoran, des perdrix, des gélinottes, des casse-noix… mais aussi des chevreuils, des chamois. Il achètera une peau de sanglier ainsi que deux très jeunes loutres vivantes mais qui mourront rapidement. Pour ses travaux de taxidermiste, il commande des fournitures, dont de l’arsenic, pour lequel il lui faut une autorisation officielle. Marcus note : Il (Mr B.) est allé chez des apothicaires pour obtenir de l’arsenic pour faire une préparation pour ses oiseaux, mais on lui a dit qu’on ne pouvait lui en vendre sans une autorisation du Commissaire de Police.

27 Lors des achats d’animaux ou pour la taxidermie, Marcus accompagne parfois son beau- père et c’est ensemble qu’ils iront visiter le musée de Strasbourg, dès leur arrivée, avant même d’aller admirer la cathédrale : « Mr B. et moi sommes sortis pour une promenade, avons visité le Musée et vu une très belle collection d’oiseaux, très joliment présentée suivant les espèces ». La description du musée fait référence au cabinet d’histoire naturelle de Jean Hermann (1738-1800), naturaliste et médecin strasbourgeois, acquis par la ville de Strasbourg et confié à l’Université, cabinet qui était alors « une véritable référence, un lieu incontournable de visites et de rencontres pour les savants venus de l’Europe toute entière »17.

28 Concernant les chevaux, Edward Burton, qui semble un cavalier émérite, se déplace souvent de l’autre côté du Rhin, notamment à Kehl, pour voir et acheter des nouvelles montures. Marcus partage cette passion pour les chevaux, il est aussi un cavalier expérimenté qui s’entraîne à monter à cru. Son beau-père lui offre un poney et semble

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veiller à ce que son beau-fils ne prenne pas trop de risques en montant toutes sortes de chevaux dont le caractère est incertain.

29 Si les activités de son beau-père posent quelques questions, celles de Marcus sont mieux connues à travers son journal. Il a notamment une passion pour les animaux, chevaux, chiens, oiseaux, poissons, etc. Il donne libre cours à cette inclination à travers la chasse, même si lui-même ne semble chasser que des pigeons et des taupes dans l’enceinte de la propriété. Il pratique plus activement la pêche dans la petite rivière qui traverse le parc familial, ainsi que dans le canal qui la borde. Il utilise à cet effet des cannes, mais aussi un filet, dont il apprend à se servir. La pêche semble fructueuse, gardons ou brochets sont ramenés parfois par dizaines. Une fois, Marcus attrape un petit « jack », un saumon mâle. Son couple de chiens l’occupe grandement, il les promène mais dresse aussi le mâle à rapporter. Une fois, ses chiens feront une fugue et il partira à leur recherche. Sa recherche sera vaine mais à son retour, l’intendant de la maison, Monsieur Covain l’informera : […] qu’il y avait un homme qui était venu de la ville et avait rapporté les chiens. Il avait passé une corde autour de leur cou et les avait mis dans une cage. S’ils n’avaient pas été des chiens de valeur, il les aurait tués immédiatement, mais lorsque les chiens ont de la valeur, il les garde 3 ou 4 jours.

30 Toutefois, encore plus que les chiens, ce sont les chevaux qui l’occupent le plus. Il les étudie, les fait tourner à la longe dans le jardin, les monte, surtout après avoir reçu son propre poney. Il semble déjà être un connaisseur, ainsi, il écrit : Dans la matinée, Mr B et moi, sommes allés près de Kehl, mais en chemin nous avons rencontré les 60 chevaux que nous devions voir. Ils venaient du Mecklembourg. Ils étaient tous immensément grands, exceptés 6 de taille raisonnable, et tous plutôt horribles. Tous avaient les pattes immensément écartées […] ».

31 C’est sur la place d’Armes, actuelle place Kléber, qu’il assiste avec intérêt à la vente des chevaux de réforme de l’armée. Il note plusieurs réflexions sur les militaires qu’il croise, notamment les fameux dragons. Devenu adulte, Marcus choisira la voie des armes et deviendra officier.

Les conditions météorologiques

32 Autre sujet d’intérêt, les aléas climatiques : Marcus fait, par exemple, des commentaires au jour le jour sur l’évolution des niveaux d’eau de la crue dont il est le témoin au début de décembre 1833. Il écrit à ce sujet le 12 décembre : « J’ai marché le long du canal qui a débordé en de nombreux endroits, détruisant complètement les digues ». Durant les jours suivants les choses ne s’arrangent pas, puisqu’il note le 14 décembre : Je suis sorti en ville, pour aller à la Halle et à la Poste. J’ai reçu une lettre de Nan, dans laquelle elle dit nous avoir écrit à Anvers. Je suis allé au Musée et ensuite chez le professeur. J’y suis resté une heure. Suis ensuite rentré à la maison, il a neigé pratiquement tout le temps où nous étions en ville. Le niveau de l’eau a encore augmenté, tellement, qu’un endroit, situé à environ 1 mile en face de chez nous, hors d’eau hier soir lorsque nous sommes allés nous coucher, est maintenant complètement inondé. Les gens peuvent naviguer dessus, et tout l’après-midi il est encore tombé des pluies torrentielles et de la neige. L’eau a complètement inondé le jardin. Elle est aussi entrée dans la cave jusqu’à environ 3 ou 4 pieds de hauteur. Nous avons été obligés de sortir nos tonneaux de vin, sinon ils auraient été

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endommagés. L’eau a tellement monté depuis le déjeuner que les gens ne peuvent plus, ici, ni entrer, ni sortir, par la grande porte.

33 Le 21 décembre, il note encore : « Dans l’après-midi il y a eu une terrible tempête de vent et de pluie. Une autre inondation a commencé aujourd’hui. Le jour le plus court ». Après cette crue de décembre 1833, Marcus évoquera aussi les fortes chutes de neige de février 1834.

34 Les terrains de la Plaine des bouchers qui jouxtaient la manufacture de toiles à voile étaient naturellement fort humides, puisque l’on trouve aux Archives municipales un relevé intitulé : « Plan d’un marais servant à rouir le chanvre situé hors de la Porte des Bouchers près de la Manufacture de toile à voile »18. Des travaux de correction du Rhin débuteront en 1840 pour s’achever en 1876.

Les études et les activités du jeune Marcus, la découverte de Strasbourg

35 Alors même qu’ils ne sont pas encore installés dans leur logement, les parents de Marcus vont se préoccuper des études du jeune homme. La famille est protestante : « Sommes revenus à l’hôtel et avons accompagné Mamma à l’église protestante. Après l’office, nous sommes retournés voir le logement, ensuite rentrés à la ville en marchant deux heures durant. » Aussi, il n’est pas étonnant que Marcus écrive, deux jours plus tard, le 26 octobre 1833 : « Je ne suis pas sorti de nouveau aujourd’hui, mais Mamma et Mr B. sont allés au bureau de poste. Puis ensuite, ce dernier est allé à l’école protestante19 se renseigner pour un maître pour moi ». Le 12 novembre, il note « Le Professeur est venu à la maison aujourd’hui. J’irai chez lui les mardis et samedis, et le jeudi il viendra ici. ». Dans son journal, Marcus est très peu disert sur ses études. « J’ai lu du français avec Mamma et préparé mon latin tout seul » est une des rares remarques sur le sujet. On apprend toutefois au détour d’une phrase, que lors des cours d’allemand donnés par le « maître », la mère rejoint son fils pour suivre les cours avec lui.

36 Marcus préfère relater ses visites en ville. Ainsi le 23 novembre, alors qu’il déambule avec son pantalon écossais, il note que tout le monde le regarde avec curiosité. Il évoque souvent ses ballades à pied ou à cheval dans les environs de Strasbourg, sur la route de «Kelh», ou à «Graffenstal» : Ni Mr B., ni Mamma n’ont voulu aller chevaucher aujourd’hui, aussi j’y suis allé seul. J’ai chevauché jusque de l’autre côté de Graffenstaden. La campagne autour est très belle ; de l’autre côté du village, il y a une charmante rivière qui serpente joliment ».

37 Parfois ses sorties le mènent à la « rue Berseau » (Robertsau), ou même au Polygone, où les soldats essayent des explosifs20 et où Kate, la chienne, attrape de temps en temps un lapin. Une fois, le but de sa cavalcade « de 6 miles environ » est d’aller voir un nid de cigogne, vraisemblablement vide, nous sommes en hiver : « C’est une très grande construction faite sur le toit d’une cheminée ».

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Mention d’un nid de cigogne dans le journal de Marcus

Photo : Pascal Désveaux.

38 Lorsqu’il vague à pieds, ses pas l’amènent régulièrement au marché. Il note le 22 novembre 1833 : Ai reçu 4 nouveaux bonnets de nuit, aujourd’hui. Nuit et matinée pluvieuses, aussi les rues sont très humides et sales. Sommes allés au marché aux poissons et au marché principal. J’ai vu une énorme quantité de brochets et d’autres poissons, tous vivants. Ils les conservent dans des baquets pour être sûr de les garder frais. J’ai vu environ 32 chevreuils, et, à côté des peaux d’au moins une vingtaine d’autres. J’ai vu environ 250 lièvres. Et aussi des bâtonnets sur lesquels étaient embrochées des grenouilles.

39 Au marché, il fait parfois de menues acquisitions, une pipe en écume, des chaussettes. Une de ses sorties préférées, le vendredi, est d’aller au game market. Que signifie cette désignation « marché au jeu ? ». Notre proposition est que le jeune Marcus a transposé Gimpelmarkt en game market. Le Gimpelmarkt21 ou « marché aux guenilles », sorte de marché aux puces, se tenait le vendredi, rue du Vieux-Marché-aux-Vins et alentours. En 1855, « 250 fripiers et marchands de bric-à-brac […] attirant une foule innombrable de clients le matin et de badauds l’après-midi » est recensée. La débauche d’objets hétéroclites lui a valu ironiquement le nom de « Foire de Frankfort »22.

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Mention du marché de Noël dans le journal de Marcus

Photo : Pascal Désveaux.

40 Marcus va aussi porter très régulièrement le courrier de sa mère à la poste23 en centre- ville. La famille écrit beaucoup et reçoit du courrier en retour, souvent des nouvelles en provenance de sa sœur Nan, mais aussi de leurs proches de Colebrooke Row, à Londres. Autres lieux qui voient le passage régulier de Marcus, la bibliothèque, la banque (certainement avec son beau-père) et le musée.

41 Parfois, ses sorties ont un caractère plus exceptionnel. Il visite l’entreprise d’un moutardier : « Le moutardier24 ( Mustard man) nous a montré son établissement aujourd’hui. Il a une grande quantité de moutarde et elles sont toutes joliment présentées ». Il visite aussi la halle aux blés : « Sommes allés à la banque et après cela à la Halle aux blés. Elle ne ressemble pas à celles d’Angleterre. Chacun apporte ses sacs dans le marché, ce qui fait que vous pouvez acheter le blé et l’emporter chez vous ». Il passe à la Grande Boucherie le 3 février et écrit : « Mamma est souffrante. Sommes allés en ville, avons retiré un peu d’argent à la banque. Beaucoup de garçons patinaient sur la glace. En ville et avons assisté à l’abattage de bétail à la boucherie ». Une autre fois, il s’arrête au poids public. « À 1 heure, ai rencontré Monsieur Covain aux Arcades, avec lui nous sommes allés voir des chevaux dans un cirque installé ici. Puis sommes allés chez un homme qui a promis de nous apprendre un prochain jour à tirer et après cela nous sommes allés à la Balance où l’on pèse le foin et la paille. »

42 Marcus note, sans y donner d’importance, les huit jours de festivités publiques précédant Noël (le Marché Noël), il mentionne aussi la fête du roi Louis Philippe, le 1er mai : Après être resté à la maison toute la journée, je suis allé en ville. Arrêt un moment au marché, je suis retourné chercher Mamma qui voulait venir en ville avec nous. Je lui ai montré le marché aux poissons, et sommes passés voir la foire Place d’Armes.

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Il y a toujours une foire ici pendant 8 jours avant Noël. Ensuite nous sommes allés au Musée et de là sommes rentrés dans une Hackney Coach (voiture tirée par des chevaux). Mamma était vraiment très fatiguée.

43 Marcus n’a pas de problèmes de santé importants, il est une ou deux fois victime de refroidissements. Par contre, il se fera arracher une dent, « une grosse », par un dentiste de la place d’Armes (actuelle place Kléber) le 30 décembre, puis de nouveau, deux autres, juste avant son départ.

44 Un jour, une jument récemment acquise lui donne un coup de sabot, juste au-dessus du genou, alors qu’il essayait de lui mettre une selle. Cette jument semble très récalcitrante puisque Marcus écrit le surlendemain : « le garçon d’écurie a fait une chute en essayant de monter le cheval et s’est gravement endommagé le poignet ».

45 Cinq jours après cette chute, il écrit : « Mamma a mis 9 sangsues sur son menton aujourd’hui et notre garçon d’écurie (qui est maintenant à l’hôpital) en avait 130 posées sur son bras ». La mère de Marcus semble de nature fragile, son fils note qu’elle est souvent très fatiguée ; parfois elle revient en voiture du centre-ville.

La vie de la maisonnée

46 Marcus passe l’essentiel de son temps dans la maison et dans le parc de la propriété, aussi il n’est pas étonnant qu’il s’intéresse aux petits évènements du quotidien. Il fait souvent mention des marchandises qu’Edward Burton fait livrer : des stères de bois, du foin, de la paille, une charrette de betteraves, un petit cochon qui sera tué et dépecé par son beau-père, du vin. Il écrit le 9 décembre 1833 : « Je suis resté à la maison toute la journée. Nous avons vu des hommes qui préparaient des tonneaux pour conserver le vin. Les tonneaux étaient entièrement neufs. Ils les ont remplis d’abord d’eau chaude pour les préparer ».

47 Parfois les marchandises sont beaucoup plus sophistiquées, comme des selles, dont l’une pour la monte en amazone pour sa mère. Il y a aussi des livres en provenance de Paris, une boîte à musique, six bouteilles de Madère également pour sa mère.

48 La vie de Marcus est centrée sur le cercle familial. Il est particulièrement attentionné à l’égard de sa mère. Il s’intéresse à ses tenues, ses achats, ses sorties et prend plaisir à chevaucher à ses côtés. Sa mère est vraisemblablement une personne érudite, puisqu’elle fait réviser le français et le latin à son fils, et apprend l’allemand avec lui, comme nous l’avons vu. Dans ses écrits, Marcus ne fait pas l’étalage de ses sentiments, ce n’est en rien un journal intime. On apprend peu de chose sur sa personnalité, hormis sa proximité avec sa mère, qui semble évidente. Un jour, elle casse ses lunettes en jouant avec lui.

49 Concernant le train de la maison, il compte un intendant, des servantes, des garçons d’écurie, etc. Marcus apprécie la personnalité de l’intendant qui vient avec son fils chanter la sérénade à la famille anglo-saxonne, au matin du 1er janvier. Pourtant cet intendant n’a pas l’air d’un tendre, puisqu’au détour d’une phrase, Marcus nous apprend que ce Monsieur Covain frappe sa femme au point de lui « mettre un œil au beurre noir ».

50 Le jeune homme commente avec détails les problèmes de domesticité. C’est d’abord une bonne, qui, dans un premier temps, s’absente une journée entière pour, soi-disant,

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visiter son père malade et qui, en réalité, rejoint un sergent d’artillerie « qui lui faisait le joli cœur » : Mamma a donné à notre servante Louise la permission d’aller à l’église aujourd’hui, avait-elle dit. En fait, elle est partie d’ici à 9 heures et n’est pas revenue avant 5 heures de l’après-midi. Lorsqu’elle est rentrée, elle a dit qu’elle était allée rendre visite à son père malade. Seulement, auparavant, elle nous avait dit que son père ne lui avait pas parlé depuis 3 ans, et qu’aujourd’hui ait été le premier jour où il lui ait reparlé après 3 années, n’est pas du tout probable. Nous avons entendu dire par Madame Covain qu’un soldat lui faisait le joli cœur, un sergent d’artillerie, et que c’était avec lui qu’elle était partie.

51 Cette même personne fait des dettes chez les commerçants et empoche les avances faites par ses employeurs pour payer lesdits commerçants. L’affaire fera l’objet d’une intervention du « Commissaire de Police » puis du « Juge de Pays » qui condamnera la domestique à 10 francs d’amende. Elle est allée chez Monsieur Wayghett, notre grincheux propriétaire, et s’est procuré 5 francs de sa part au nom de Mr B. Elle est allée aussi chez le boulanger pour (obtenir) encore 5 francs, c’est ce que Mr B a appris aujourd’hui lorsqu’il est allé en ville. […] C’est de plus en plus drôle avec Louise. Lorsque Mr B est rentré de la ville aujourd’hui, il nous a raconté que le boulanger lui avait dit que Louise était venue chez lui et avait obtenu 5 francs en notre nom. Bien sûr, tout cela était entièrement faux, puisque Mamma lui avait donné 15 francs sur ses gages. Aussi nous avons envoyé chercher le Commissaire de Police qui est venu et l’a interrogé, et nous a expliqué ce que nous devions faire.

52 Une autre affaire impliquera un garçon d’écurie qui a détourné à son profit une grande quantité du fourrage acheté par Monsieur Burton. Selon les informations de Marcus, cette escroquerie pourrait valoir à son auteur deux ans de prison ou même les galères, aussi la femme du coupable va longuement intercéder auprès de la mère de Marcus. Mais nous ne connaîtrons pas l’issue de cette de cette affaire puisque la famille irlandaise repart avant son dénouement.

Le départ de Strasbourg, les dernières pages du journal

53 Le retour de la famille avait été anticipé. Le 14 mai, Marcus écrivait : « Suis allé en ville. Suis allé me renseigner sur la compagnie Steam Packet25. Mes mesures ont été prises pour plusieurs vêtements ». Sur le registre destiné à l’inscription des voyageurs séjournant dans la ville de Strasbourg, cité en note 7 du présent article, il est écrit sous la rubrique Observations : « parti le 20 mai 1834 pour Carlsruhe ». Il est probable que la famille soit repartie par le Rhin, en bateau à vapeur. La première compagnie à mettre en place un service de bateau à vapeur est prussienne et a commencé ses activités en 1827 entre Cologne et Mayence.

54 Une douzaine d’années plus tard ce mode de transport s’est largement développé puisque Victor Hugo écrit suite à son passage en Alsace en 1839 : À l’instant où nous sommes, vingt-cinq bateaux à vapeur montent et descendent le Rhin chaque jour. Les dix-neuf bateaux de la compagnie de Cologne, reconnaissables à leur cheminée blanche et noire, vont de Strasbourg à Düsseldorf ; les six bateaux de la compagnie de Düsseldorf, qui ont la cheminée tricolore, vont de Mayence à Rotterdam. Cette immense navigation se rattache à la Suisse par le

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Dampfschiff de Strasbourg à Bâle, et à l’Angleterre par les steamboats de Rotterdam à Londres26.

55 Le 15 mai 1834, Marcus écrit une dernière fois dans son journal : Suis resté à la maison toute la matinée. Le maître est venu pour la dernière fois. J’ai attrapé environ 3 douzaines de poissons et un petit brochet dans la rivière. J’ai tellement souffert de mes dents que j’ai été obligé d’en faire arracher 2. Kate a eu 2 chiots de plus cette nuit. Nous en avons donné 6 d’entre eux aujourd’hui et lui en avons laissé 3.

56 On ne connaît pas de suite à ce journal qui fut conservé par la famille de Marcus. Son fils l’emportera avec lui lorsqu’il émigrera en 1927, à l’âge de cinquante ans, en Nouvelle-Zélande. Les descendants, Mary-Jean et Marcus Lancelot Paterson souhaitent qu’une copie du diary puisse être conservée aux Archives municipales de Strasbourg.

57 On peut s’interroger sur la motivation de Marcus à rédiger son journal, s’agit-il d’une démarche personnelle, d’une envie de s’essayer à la forme littéraire du récit de voyage ou simplement d’un exercice scolaire imposé par sa famille ou ses professeurs ? Quoiqu’il en soit, il laisse à ses descendants un témoignage précieux et aux chercheurs une source d’informations que l’on peut croiser avec des données conservées dans les archives municipales et départementales.

NOTES

1. Les descendants néo-zélandais n’ont jamais pu trouver d’acte de remariage. Toutefois un document écrit quatre jours avant le décès d’Edward William Burton indiquant sa volonté de léguer ses biens à son épouse, et à son décès, à son beau-fils « rent issues and profits of said lands to my wife Caroline Burton and on her decease to my stepson Marcus Paterson », permet de supposer qu’ils étaient mariés. 2. www.libraryireland.com/irishartists/sir-frederic-william-burton.php. 3. WEIR (Huge W.L.), Houses of Clare, Whitegate, Co. Clare, Ireland : Ballinakella Press, 1986. 4. http://www.culture-routes.lu. Site de l’Institut européen des itinéraires culturels. L’effigie du Graoully est aujourd’hui toujours visible dans la crypte de la cathédrale, mais également dans la chambre lorraine du château du Haut-Koenigsbourg en Alsace. 5. HUGEL (André), « La saga du vin de paille », in Revue d’Alsace, no137, 2011. p. 34‑35. 6. Travaux urbains de modernisation du centre historique de Strasbourg entre 1910 et 1960. 7. Archives départementales du Bas-Rhin (ADBR). III M 1062, registres destinés à l’inscription des voyageurs séjournant dans la ville de Strasbourg. Années 1833 et 1834. 8. La ligne est rayée avec la mention « enregistré par erreur ». Nous retrouverons cette même mention rayée dans le registre des populations des Archives municipales de Strasbourg. 9. PITON (Frédéric), Strasbourg illustré ou panorama pittoresque, historique et statistique de Strasbourg et de ses environs, Strasbourg, tome 2, 1855, p. 52. Voir aussi PERRY (Laurence), « Lazaret et cimetière militaire », in Neudorf. Nouveau village, nouvelle ville. Archives de la Ville et de la CUS, 2007, p. 33. 10. Ibid, p. 53. « Avant la Révolution, il y avait en France trois grandes manufactures de voiles qui étaient établies à Agen, à Angers et à Strasbourg. Cette dernière fournissait toute la voilerie pour

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Toulon. Pendant la guerre d’Amérique elle occupait deux cent métiers et plus de six mille fileuses, et fournissait de deux à trois cent mille aunes de toile. » 11. L’unité de mesure n’est pas précisée par Marcus. Néanmoins il s’agit vraisemblablement de pieds, ce qui équivaut à 150 mètres environ. 12. Archives municipales de Strasbourg (AMS), 1197W32, Strasbourg section G et H, section G dite Nebensfeld, 5e et dernière feuille, 1837. 13. « Gau des Voves (Charles Henri), ancien capitaine d’infanterie, propriétaire et administrateur de la manufacture de toile à voiles de Strasbourg », In Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, fascicule 12, Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace, Strasbourg, 1988, p. 1123. 14. Consulté le site http://www.geneanet.org, WAGHETTE François-Martin, ancien employé de la Préfecture, sous-chef de division. Délibération du Conseil Général du Bas-Rhin, 1855. 15. PERRY (Laurence), « L’artisanat et l’industrie au Neudorf », in Neudorf. Nouveau village, nouvelle ville. Archives de la Ville et de la CUS, 2007, p. 155 et 156. 16. SCHWENK (Georges), Le Neudorf, collection «Aspects des Faubourgs», Editions Oberlin, 1982-1984. 17. DASZKIEWICZ (Piotr), « Les visiteurs lituaniens et polonais du célèbre cabinet d’histoire naturelle de Jean Hermann au XVIIIe siècle », in Cahiers Lituaniens no 11, 2011, p. 31. 18. Archives municipales de Strasbourg (A.M.S.), 313MW240, 7 Prairial An VII de la République (26 mai 1799). 19. Gymnase protestant Jean Sturm. 20. Le Polygone fut utilisé comme terrain militaire entre 1720 et 1920 par un régiment d’artillerie pour faire entre autres des exercices de tir. 21. SCHNITZLER (Bernadette), Le marché aux puces de Strasbourg : la longue et pittoresque histoire du Gimpelmärik. In Annuaire de la société des amis du vieux Strasbourg, 2003, p. 129‑141. 22. PITON (Frédéric), Strasbourg illustré ou panarama pittoresque, historique et statistique de Strasbourg et de ses environs, Strasbourg, tome 1, 1855, p. 249. 23. La poste centrale était installée à l’Hôtel de la Prévôté, rue de la Nuée Bleue, à Strasbourg, de 1827 à 1848. 24. PERRY (Laurence), « L’artisanat et l’industrie au Neudorf», art. cit. 25. http:/www.steampacketferry.com. La compagnie maritime Steam Packet, fondée en 1830, existe toujours et assure des liaisons entre l’île de Man, l’Irlande et le Royaume Uni. 26. HUGO (Victor), Le Rhin, J. Hetzel, 1842, tome 2, p. 151‑176.

RÉSUMÉS

Ce diary d’un jeune irlandais de seize ans relate son voyage en famille jusqu’en Alsace et sa vie quotidienne à Strasbourg pendant six mois, entre 1833 et 1834. Issu d’un milieu social relativement aisé, Marcus Wyndham Paterson décrit les péripéties du trajet Londres-Strasbourg, ses impressions sur les villes traversées, Anvers, Luxembourg et Metz, sur leurs habitants et autres curiosités observées. Après l’installation à Strasbourg, nous découvrons le mode de vie de Marcus, ses relations intrafamiliales, ses centres d’intérêts, la taxidermie et le monde animal, l’équitation, et son regard sur la société strasbourgeoise qu’il analyse lors de ses fréquentes sorties sur les marchés de la ville. Il est peu prolixe sur ses études et peu porté à l’expression de

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ses sentiments, à cela il préfère le fait anecdotique, des considérations sur le train de vie de la maisonnée et sur les problèmes de domesticité. Ce journal se termine brusquement par l’annonce du départ, aussi inexpliqué que l’objectif de ce séjour en Alsace.

This diary of a 16-year-old Irishman tells about a journey with his family to Alsace and his daily life in Strasbourg during his six-month stay between 1833 and 1834. Born into a relatively wealthy family, Marcus Wyndham Paterson describes all the details of his journey from London to Strasbourg, his impressions about the towns he has travelled through, Antwerp, Luxemburg and Metz, about the inhabitants and curiosities he has come across. After settling in Strasbourg he describes his own way of life, his relationships with his family, his areas of interest, taxidermy and the animal world at large, horse riding and his own views on social life in Strasbourg as it appears on the many city markets which he visits frequently. He is very quiet, both about his studies and his sentimental life, rather insisting on factual events, on the family’s lifestyle and diificulties with the domestic staff. This diary comes to a sudden end with their departure which remains just as unexplained as the purpose of their stay.

Dieser diary eines sechzehnjährigen Irländers erzählt seine Reise ins Elsaß im Kreise der Familie und wie das tägliche Leben in Strasbourg in den sechs Monaten, die er dort von 1833- 1834 verbracht hat, abgelaufen ist. Marcus Wyndham Paterson kommt aus einem relativ wohlhabenden Milieu. Er beschreibt, was sich auf der Reise von London nach Strasbourg so alles ereignet hat und die Eindrücke, die die Städte Antwerpen, Luxemburg und Metz, die er durchquert hat, auf ihn gemacht haben. Die dort lebenden Menschen vergißt er genau so wenig wie die Kuriositäten dieser Orte. Nachdem er sich eingerichtet hat, läßt uns Marcus wissen, wie er lebte, welche Kontakte er zu anderen Familien hatte, was ihn besonders interessierte, was er über das Ausstopfen von Tieren und die Welt der Tiere erfahren hat und was er beim Reiten erlebte. Bei seinen häufigen Besuchen der Märkte der Stadt macht er sich Gedanken über die Gesellschaft von Strasbourg. Was er studiert, schweift er nur kurz. Gleiches gilt für sein Gefühlsleben. Großen Platz widmet er dagegen der Wiedergabe von Anekdoten sowie seinen Gedanken über den Ablauf des Lebens der Hausgemeinschaft und über die Probleme der Dienerschaft. Auffallend ist, wie abrupt er sein Tagebuch mit einer kurzen Ankündigung seiner Abreise abbricht. Die Gründe erklärt er genau so wenig wie den Zweck seines Aufenthalts in Strasbourg.

AUTEURS

CHANTAL HOMBOURGER École des Hautes Etudes en Santé Publique, Rennes

NICOLAS CHABROL Docteur en Histoire de l’Art, Paris IV-Sorbonne

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Armand Weiss : heurs et malheurs d’un bibliophile magistrat1 The fortunes and misfortunes of a book loving magistrate Armand Weiss: Freud und Leid eines bibliophilen Hohen Beamten

Gilles Banderier

« Peu nombreuse sera toujours la famille d’esprits pour laquelle une bibliothèque peut être une légende, et celui qui l’a composée, un héros de l’esprit. Groslier, De Thou, Fourcy, Spoelberch de Lovenjoul, Doucet, Guérin… Il faut avoir l’oreille fine et une mémoire exercée pour reconnaître les noms de ces abeilles bibliophiles qui ont réuni, depuis l’invention de l’imprimerie, un miel si abondant et savoureux que, même lorsque le gâteau en a été dispersé, il embellit et embaume, avec son ex-libris, les bibliothèques nouvelles qui ont réussi à en héberger les parties et à s’enorgueillir d’en avoir fait un autre tout. Pour chérir et honorer ces noms, il faut les tenir de la tradition orale interne à leur dynastie quasi clandestine ». Marc Fumaroli2

1 Armand Weiss (1827-1892) naquit et mourut à Mulhouse3. On peut néanmoins arpenter sa ville natale des heures durant, sans rien voir qui rappelle son nom, fût-ce une placette ou une ruelle. Il est vrai que ses publications4 (deux thèses de droit, deux articles et une recension parus dans la Revue alsacienne) forment un bagage bien léger pour prétendre à l’incertaine immortalité de la toponymie urbaine. Afin de rencontrer Armand Weiss, il fallait aimer les livres anciens et, jusqu’en 2007, se rendre à la Société Industrielle de Mulhouse5, qui conservait (en partie) le grand‑œuvre de Weiss : sa bibliothèque.

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2 Le titre du présent article appelle deux remarques. D’une part, qualifier Armand Weiss de « bibliophile » est à la fois commode et quelque peu inexact, comme on le verra plus loin. D’autre part l’association « bibliophile magistrat » peut surprendre, car l’on s’attendrait à voir ces deux substantifs réunis dans l’ordre inverse. Toutefois, si l’on se souvient encore d’Armand Weiss, ce n’est point dans la mesure où il fut un magistrat parmi des centaines d’autres, tous voués à l’oubli, mais bien parce qu’il constitua une bibliothèque.

3 Cela posé, une troisième observation s’impose. Juge de profession, Armand Weiss n’a pas collectionné les ouvrages anciens de droit (parfois de fort beaux in-folios, quoique d’une lecture peu divertissante), afin d’éclairer l’histoire de la corporation à laquelle il appartenait ou pour en nourrir sa pratique judiciaire. Chez lui, les deux activités de magistrat et de bibliophile s’excluaient l’une l’autre. Entre son métier et sa passion, Armand Weiss avait élevé une cloison étanche… mais pas invisible, en particulier aux yeux de son supérieur hiérarchique, le premier président de la cour impériale de Colmar : « M. Weiss est licencié ès lettres et je crois qu’il a continué de s’adonner, avec assiduité, aux études littéraires en même temps qu’il cultive la peinture6. Je tiens en grand honneur ces heureuses prédispositions de l’esprit ; mais j’exige, pour le magistrat, qu’elles soient alliées à l’étude, à la pratique des affaires judiciaires qui constituent, pour nous, le vrai labeur, le travail sacré ; et, d’accord avec les renseignements les plus impartiaux, les constatations les plus suivies, et mes propres observations, je suis obligé d’affirmer que M. Weiss n’a pas voulu contracter l’alliance de l’art et des affaires »7. Afin que sa pensée fût parfaitement comprise, le premier président Bigorie de Laschamps8 se montra plus net encore dans la suite de son épître : « Tous les juges qui, interpellés par moi, ont dû m’ouvrir leur pensée impartiale sur M. Weiss, substitut, ont été unanimes, dans leur regret de constater son apathique et chronique indifférence, son inexactitude à se rendre aux audiences ou son oubli de l’heure qui témoigne d’aussi peu de soucis de ses devoirs que de peu de déférence envers ses collègues. En matière correctionnelle, ces magistrats ont été contraints de m’avouer qu’à l’audience même, M. le substitut Weiss semblait lire, pour la première fois, le procès verbal et le dossier, qu’en un mot, son concours n’était pas tel qu’on devait l’attendre d’un officier du ministère public »9. L’attitude d’Armand Weiss était celle d’un homme dont l’esprit est occupé à autre chose ; en l’occurrence à ses livres.

4 Weiss avait en effet consacré le meilleur de sa vie à rassembler une admirable collection d’ouvrages anciens, où entrait une belle proportion d’alsatiques10. Dans son esprit, cette collection formait un Vorarbeit à une histoire complète de la province, qu’il ne put jamais rédiger. La partie « générale » de sa bibliothèque fut dispersée à Strasbourg trente ans après sa mort11, tandis que la plupart des alsatiques (quatre mille deux cents pièces) avaient été légués à la Société Industrielle de Mulhouse12.

5 Armand Weiss a donc pris place dans cette lignée de grands bibliophiles alsaciens – les Charles Gérard13, Ignace Chauffour14, Henry Wilhelm, Jules Degermann, Ferdinand Reiber15… – qui, même un demi-siècle après l’événement, surent profiter de la situation créée par la Révolution, laquelle avait – sans que cela fût son but – inondé le marché avec les livres conservés depuis des siècles dans les maisons religieuses et les familles patriciennes de France16. Une fois que la folie révolutionnaire et la furie napoléoniennes furent passées, lorsque la civilisation revint, ceux qui avaient survécu, qui n’étaient pas ruinés et qui s’intéressaient aux livres connurent un véritable âge d’or17.

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6 Il est bien connu que l’on peut en apprendre plus sur une personnalité en examinant sa bibliothèque qu’en scrutant son visage. La physionomie d’Armand Weiss n’est pas inconnue18. Quant à sa bibliothèque, nous disposons de deux catalogues bien faits19. Relativement à la partie alsatique20, la pièce maîtresse est le magnifique évangéliaire, calligraphié à Saint-Gall et ayant appartenu à Erkanbold21, évêque de Strasbourg de 965 à 991, lequel évangéliaire constitue le livre le plus ancien conservé dans le département du Haut-Rhin22. On relève par ailleurs, en parcourant le catalogue de 1909, deux manuscrits de livres d’heures flamand et français, des urbaires de Rixheim, une édition bâloise du dictionnaire en onze langues d’Ambrosius Calepinus (dont le patronyme donna notre mot calepin), des volumes d’Érasme, de Jean Geiler, de Wimpheling, ainsi que le curieux Commentarius de abusu tabaci americanorum veteris et herbae thee asiaticorum in Europa novae (Strasbourg, 1681) du médecin danois Simon Paulii (1603-1680). Bien que cet ensemble n’ait jamais été étudié au point de vue de la rareté des pièces qui le composent, on compte sans doute peu d’unica. Toutefois, réunir une collection de cette ampleur et de cette qualité au XXIe siècle serait une tout autre affaire. La partie générale (dispersée en 1932) contenait également plusieurs alsatiques, mais se signale notamment par un intérêt porté à ceux que l’on n’appelait pas encore des poètes baroques. En 1844 déjà, Théophile Gautier avait signalé certains de ces auteurs oubliés à l’attention des lettrés. Leurs œuvres ne devaient pas se vendre cher (comme de nos jours la poésie du XVIIIe siècle, par exemple les volumes d’un Jacques Delille ou d’un Louis Racine), mais peu de collectionneurs, dans la seconde moitié du XIXe siècle, auraient estimé intéressant de débourser quelque argent pour acquérir les épopées de Saint-Amant (que Boileau avait tourné en ridicule), Chapelain 23, Louis Le Laboureur, Desmarets de Saint-Sorlin, Pierre Le Moyne S.J., ou afin d’acheter les œuvres d’Adam Billaut, le menuisier de Nevers24.

7 Avant d’aborder la seconde partie de cette étude, il reste à dire pourquoi Armand Weiss ne peut être considéré comme un bibliophile, au sens que ce terme revêt traditionnellement, et quelle que fût la minutie avec laquelle le magistrat a rassemblé sa collection. En ceci digne héritière des bibliothèques monastiques, la « librairie » d’Armand Weiss fut un instrument de travail, de documentation. En feuilletant les catalogues de 1909 et 1922, nous n’apercevons pas une de ces spécialisations si fréquentes (soit manuscrits, soit incunables, soit éditions sorties des presses d’un imprimeur précis). Même l’Alsace, province dont la taille est inversement proportionnelle au nombre de livres qu’on lui a consacré et qu’on lui consacre encore, n’a pas occupé son esprit de manière exclusive. Armand Weiss n’a pas recherché les plus somptueuses reliures25, ni habillé ses ouvrages d’un vêtement uniforme, ni frappé les plats avec ses armes26. Il les a conservés « dans leur jus » et ne les a pas achetés pour eux-mêmes (ce qui n’implique pas qu’il fut insensible au charme spécial qui émane des livres anciens), mais il concevait la bibliophilie – qui est l’amour du livre pour le livre – comme une science auxiliaire de l’histoire, au même titre que la numismatique ou la sigillographie27.

8 * « […] l’Alsacien aime son Alsace, parce qu’elle souffre… » Renan28 « Dans un cercle infernal de meurtres et d’incendies Retrouverai-je, un jour, mon doux pays d’Alsace Où sur les vignes, au printemps, Fleurit le cerisier

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Quand les cigognes, au printemps, Volent vers la patrie ? » Claude Vigée

9 À la fin d’une vie, dit-on, on conserve les livres de comptes et on brûle les lettres d’amour. C’est à peu de choses près ce qui s’est produit pour Armand Weiss. Il ne reste apparemment rien de la vaste correspondance qu’il dut entretenir avec d’innombrables libraires. Demeure, outre les notices nécrologiques (qui sont, ainsi qu’on le sait, d’une fiabilité relative29), son dossier professionnel, conservé aux Archives Nationales, source à laquelle on a déjà puisé dans ce travail. Cette carrière fut informée par au moins quatre éléments : la faillite du père d’Armand Weiss, la question religieuse, la passion des livres et, enfin, le destin de l’Alsace.

10 Armand Weiss souffrit, durant tout son temps dans la magistrature, du souvenir attaché à la banqueroute de son père, Mathias Weiss‑Schlumberger30, qui avait été l’associé de Charles Naegely31. Mathias Weiss-Schlumberger parvint à rétablir sa situation financière, voire à s’enrichir davantage, et devint adjoint au maire de Mulhouse. Mais cette affaire revenait comme un leitmotiv chaque fois qu’une possibilité d’avancement se présentait pour Armand Weiss32. Dans son rapport sur la candidature de Weiss au poste de substitut à Wissembourg (9 janvier 1855), le procureur général Blanc écrivait : Il a fallu cette réunion d’excellentes qualités pour que je me décidasse à admettre la candidature de M. Weiss ; son père a laissé, en effet, dans le commerce de ce pays des souvenirs peu honorables ; il a suspendu ses paiements et n’a remis à ses créanciers que le 50 %. Depuis, rentré dans les affaires il a prospéré, et est aujourd’hui à la tête d’une fortune considérable ; mais il n’a rien payé à ses créanciers en dehors des engagements de son concordat. Cette manière d’agir est très répandue dans les habitudes du commerce de Mulhouse ; aussi M. Weiss est-il adjoint au maire de cette ville et l’un des administrateurs de la succursale de la banque de France ; mais elle ne me parait pas pour cela plus morale, et j’ai eu de la peine, je l’avoue, à accepter de tels précédents de famille dans un membre de la magistrature : mais j’ai trouvé M. Weiss suppléant, et il rachète d’ailleurs les torts de sa famille par tant d’avantages personnels que je n’hésite pas à le proposer au choix de son Excellence33.

11 Ses amis pouvaient bien consacrer de longues lettres à expliquer que Mathias Weiss- Schlumberger avait fait ce qu’il devait faire, après sa faillite, pour rembourser ses créanciers, et qu’il était aussi honnête qu’un homme d’affaires peut l’être, cela ne changeait rien. Onze ans plus tard, la candidature d’Armand Weiss à un poste de juge à Strasbourg donna lieu à une passe d’armes administrative entre le procureur général Levieil de la Marsonnière et le premier président Bigorie de Laschamps, dont les désaccords sur tous les sujets étaient notoires et prirent des proportions inquiétantes, avant que l’invasion prussienne ne vienne faire taire leurs différends34. Levieil de la Marsonnière composa une note de onze pages pour appuyer la candidature d’Armand Weiss, tandis que Bigorie de Laschamps ne consacrait pas moins de dix-huit pages – d’une écriture de petit module – à la démolir méthodiquement. Levieil de la Marsonnière estimait que la faillite de Mathias Weiss-Schlumberger appartenait au passé : Il y a dans le dossier de ce magistrat, une trace douloureuse. C’est celle laissée contre son père par un jugement du tribunal de commerce de Mulhouse du 4 août 1845. M. Weiss père était, en 1828, concurremment avec M. Naegely, chef d’une maison industrielle fondée à Mulhouse. L’industrie alsacienne fut atteinte

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alors par une crise qui, entre autres victimes, frappa la maison Naegely-Weiss. Cette maison fut obligée d’atermoyer avec ses créanciers. […] Lorsque je pris connaissance du dossier de M. Weiss, je fus frappé de cette situation, et un jour que M. Weiss fils se trouvait dans mon cabinet je lui fis, avec toute la réserve possible, mais cependant de manière à éveiller sa préoccupation, une allusion à certains souvenirs de famille qui, sans nuire absolument à son avenir judiciaire, pouvaient cependant, dans certaines circonstances données, peser péniblement sur sa situation de magistrat. Quinze jours après, M. Weiss revint porteur des quittances de 1832 établissant la libération de son père. Je lui fis connaitre alors que cette libération était imparfaite et, quelque pénible que fût l’accomplissement de ce devoir, je lui communiquai le jugement du 14 août 1845. Il ignorait ce jugement, il fut atterré, il me promit aussitôt de retourner à Mulhouse près de son père, et d’user de tout son ascendant sur lui pour qu’il fît les sacrifices nécessaires à la restauration de sa situation morale. Un mois après, M. Weiss fils venait m’annoncer que son père avait cédé à ses instances, et que la libération de celui-ci était absolue. M. Weiss fils a donc une conscience honnête et droite, et, à ce titre encore, il présente pour les fonctions de juge toutes les garanties désirables. […] la situation de M. Weiss fils serait-elle bien entière, comme magistrat, dans la ville de Mulhouse ? M. Weiss père a sans doute tout réparé ; mais il y a vingt ans qu’il est millionnaire et il est permis de penser que la réparation a été tardive. D’un autre côté, le jugement du tribunal de commerce de Strasbourg est toujours au nombre des minutes du greffe, et il est naturel de croire que cette circonstance peut entrer pour quelque chose dans la répugnance de M. Weiss fils à occuper à Mulhouse une fonction de magistrature35.

12 Ce n’était pas l’opinion du premier président Bigorie de Laschamps et ses commentaires éclairent d’une lumière crue les pratiques de l’industrie mulhousienne : Au sentiment de M. le Procureur général, M. Weiss n’est impossible qu’à Mulhouse, 1° parce que son père y a fait faillite en 1828, solidairement avec M. Naegely, beau- père décédé du président Loew ; 2° parce que l’élément protestant et industriel prendrait, au tribunal, une trop large place. J’ai répondu à mon collègue « qu’il fallait simplement perdre de vue la constitution de Mulhouse pour faire fond d’un tel raisonnement ; que Mulhouse est le seul centre de notre ressort où, malheureusement, le passé commercial ne pèse jamais sur le bilan moral des enrichis ; où l’opinion publique soit plus américaine ; qu’à Mulhouse, un homme considéré ou un homme riche ne font qu’un, quelle que soit la source de l’or ; qu’on y méprise seulement et y bafoue les gens ruinés ; que M. Weiss père, archi-millionnaire, avait, depuis sa faillite, été longtemps élu membre du conseil municipal, souvent adjoint au maire, et qu’il le serait encore s’il n’eût donné sa démission afin de se consacrer, m’affirme‑t‑on, à l’entretien de ses serres princières, à son goût pour les arts, et à ses affaires privées »36.

13 On fera néanmoins la part de cette morgue caractéristique de la gent judiciaire à l’égard de ce qui ne touche pas à son activité propre.

14 Au fil de ce passage apparaît la question religieuse37. Armand Weiss était protestant et ne s’en cachait pas, pas plus qu’il ne dissimulait ses liens familiaux avec Théodore Braun (1805-1887)38, président du Consistoire supérieur et du Directoire de la Confession d’Augsbourg, qui intervint en sa faveur avec la régularité et la constance d’un métronome39. Cela revenait à introduire une variable supplémentaire dans le délicat mécanisme de sa carrière, pouvant la hâter (« M. Weiss est protestant et sa nomination sera accueillie avec faveur par ses coreligionnaires qui tiennent à voir quelques-uns des leurs dans les rangs de la magistrature du pays, satisfaction qu’il est juste de leur accorder »40) ou la ralentir :

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La seule objection que j’ai entendu faire à la candidature de M. Weiss est, qu’il est protestant et que le tribunal de Strasbourg compte déjà dans ses rangs un autre magistrat appartenant au culte réformé, M. Schneegans, l’un des deux juges d’instruction. On fait remarquer que la minorité protestante à Strasbourg est riche, puissante, exigeante et qu’il serait dangereux peut-être de lui donner dans le tribunal un point d’appui trop considérable. Cette objection me touche peu. Je crois au contraire que, du moment où la fraction protestante de la population de Strasbourg constitue une minorité imposante, il est juste qu’elle soit représentée au tribunal, par un nombre proportionnel de magistrats »41. M. Weiss est protestant ; sans être plus religieux qu’un autre, il apporte, m’assure-t- on, aux questions de culte ou de co-religion, l’aigreur notoire de son tempérament. M. Weiss […] est le neveu de M. Braun qui m’est personnellement très sympathique et je lui en ai donné des preuves, mais qui, il ne faut pas le nier, en sa qualité de président du consistoire protestant, pourrait, dans tel ou tel cas donné, agir ou paraître agir, même sans le vouloir, sur l’esprit de son neveu, protestant et magistrat inamovible. […] Ces réflexions et constatations, résultat de cinq années d’expérience pratique, répondent suffisamment, pour Strasbourg, à l’allégation d’usage en pareil cas et dont se sert mon honorable collègue : à savoir que M. Weiss serait noyé au sein du tribunal. Il ne serait pas noyé, le moins du monde, et surnagerait beaucoup trop pour l’ordre et l’harmonie du siège42.

15 Les considérations liées à son appartenance confessionnelle et à la banqueroute de son père ne doivent pas dissimuler l’essentiel : Armand Weiss fut un magistrat diversement estimé de ses supérieurs. La lecture de son dossier professionnel montre des appréciations hiérarchiques oscillant entre la bienveillance aimable43 et l’agacement non dissimulé44. Tout se passe comme si Armand Weiss, dont l’esprit était accaparé par l’histoire, les lectures afférentes et par la constitution de sa bibliothèque, avait considéré ses fonctions de magistrat comme une activité secondaire (d’où une carrière à la progression bien lente45). Cela ne créa pas trop de difficultés aussi longtemps qu’il occupa des fonctions subalternes46. Mais, à partir du moment où il prétendit s’élever, l’opposition de ses supérieurs se fit de plus en plus sensible, jusqu’au moment où Armand Weiss sollicita un poste de juge à Strasbourg. Dans sa philippique, le premier président Bigorie de Laschamps mit, comme l’on dit familièrement, les choses au point : Ce candidat a été trop récemment l’objet d’une dissidence absolue entre M. le Procureur général et moi, pour qu’il soit besoin de développer mes appréciations ; la question me parait suffisamment éclairée. Mes griefs radicaux pour Strasbourg, seraient, si on se montrait sévère, essentiels pour toutes les résidences. Mais comme j’ai foi, d’après sa promesse, que par son travail, que par son acceptation des devoirs pratiques et réguliers de la vie judiciaire, M. Weiss effacera le souvenir de son apathique et ancienne négligence ; comme d’ailleurs, en matière d’administration, il faut une solution à toute chose, et que la situation de M. Weiss à Strasbourg est reconnue impossible, je lui assigne le premier rang pour la place de juge à Mulhouse47.

16 Bigorie de Laschamps contraignit Armand Weiss à rédiger une lettre par laquelle le bibliophile magistrat demandait expressément sa nomination à Mulhouse (lettre du 21 novembre 1866). L’administration ne présenta donc pas d’autre candidat, même si l’on entend encore distinctement la plume du premier président grincer sur le papier : Candidat unique pour les fonctions de juge d’instruction au tribunal de Mulhouse, vacantes par la nomination de M. Rencker en qualité de juge à Strasbourg J’ai l’honneur de proposer M. Weiss. Certes si je devais me décider absolument et sans co-relation, par la stricte justice ou pour mieux dire, par la stricte supériorité d’aptitudes, j’aurais donné la préférence à l’excellent et dévoué M. Marzloff qui

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sollicite cette fonction ; mais, je le répète, il y a ici le côté administratif ou de co- relation. M. Weiss profite auprès de moi, comme cela arrive, dans les choses humaines, de l’énergie même de mon opposition ; il a senti, d’instinct, qu’il me trouverait d’autant plus bienveillant pour améliorer sa position dans une destination convenable, qu’il m’avait trouvé plus légitimement intraitable lorsqu’il voulait, sans aucun droit, s’emparer d’un siège à Strasbourg. M. Weiss ne s’est pas trompé48.

17 Armand Weiss obtint naturellement le poste et se fixa à Mulhouse49, pour peu de temps, car l’Histoire, à laquelle il avait consacré tant de veilles et d’énergie, ne tarda pas à le rattraper.

18 Qui s’intéresse à l’histoire alsacienne doit préparer son esprit à absorber une quantité considérable d’horreurs. Cependant, dans ce domaine comme dans d’autres, il existe des limites. Les tragédies du XXe siècle sont présentes aux esprits, pour le moment encore, tandis que le Temps a transformé en de pâles abstractions les atrocités de la guerre de Trente Ans et les souffrances consécutives à l’invasion prussienne de 1870. Armand Weiss eut sa part de tracas. Il se vit dans un premier temps contraint d’héberger à son domicile des soldats français50. On ignore comment ceux-ci se conduisirent, mais on peut supposer que ce ne fut pas Le Silence de la mer. L’irruption de la soldatesque dans une existence paisible d’érudit et de magistrat constitue en soi un bouleversement. Puis, une fois l’Alsace conquise, Armand Weiss fut inquiété par les autorités prussiennes51 et finalement expulsé. Les motivations de cet acte demeurent incertaines52. Quoi qu’il en ait été, Armand Weiss et sa famille ne prient pas, comme tant d’autres, le chemin de Belfort ou de Saint-Dié. Ils s’établirent à Bâle, d’où Weiss entreprit des démarches administratives afin d’obtenir un nouveau siège de magistrat, point trop éloigné de l’Alsace53. Son propre père intervint54. Le ministère de la justice lui offrit… Brest. Il est possible qu’une affectation aussi lointaine et absurde ait été une sanction ou une manière de pousser Armand Weiss à la démission. Comme on pouvait s’y attendre, Weiss refusa de s’exiler en Bretagne et fit valoir ses droits à la retraite55. Installé à Bâle, disposant désormais de temps et des ressources presque illimitées de la bibliothèque de l’université, il donna ses premiers articles savants. Sans être un génie de la littérature (ce qu’il n’a jamais voulu, ni même prétendu être), Weiss était un écrivain de bonne race56. Il revint en France après 1873, n’étant plus mobilisable. Mais il ne tarda pas à tomber malade, victime d’une sorte d’hébétude lui interdisant le travail intellectuel. Sa bibliothèque, bâtie au prix de tant de peines, lui était devenue inutile.

19 Le destin d’Armand Weiss a donc épousé celui de sa province, au milieu des convulsions de l’Histoire. L’annexion de 1870 n’affecta pas que les individus : dans la nuit du 24 au 25 août 1870, un bombardement allemand anéantit la bibliothèque de la ville de Strasbourg, une des plus anciennes de France (elle fut créée en 1765). Les flammes firent disparaître trois cent soixante-dix mille volumes imprimés, dix mille incunables et deux mille cinq cents manuscrits, dont le fameux Hortus deliciarum. Quelque énergiques (et par ailleurs vains) qu’aient été ensuite les efforts de l’Allemagne afin de réparer les dégâts irréversibles pratiqués par ses propres obus et reconstituer les collections, les érudits et les amoureux du passé avaient subi une perte que rien ne pouvait compenser.

20 Dans de telles conditions, le recours à la collection privée, au sens où Ernst Jünger parlait du « recours aux forêts »57, s’impose sans discussion. Lorsque les vicissitudes du temps font que les grandes collections nationales ou municipales ne sont plus accessibles – provisoirement ou, dans le cas de Strasbourg, définitivement – il n’existe

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pas de meilleure solution que de rassembler chez soi les textes auxquels on tient ou dont on a besoin. Sous ce rapport, Armand Weiss est un bon représentant de la bourgeoisie lettrée et érudite du XIXe siècle, qui substitue l’initiative privée, la constitution d’une bibliothèque personnelle, à l’inexistence, la médiocrité ou la disparition des fonds publics. Le choix de la Société Industrielle de Mulhouse comme dépositaire des trésors accumulés s’inscrit en droite ligne dans cette logique.

21 Il faut également prendre en considération le fait que les conditions de l’exercice, de l’assouvissement, de la passion bibliophilique, n’avaient alors rien de commun avec ce que nous connaissons aujourd’hui. La Révolution avait jeté sur le marché des dizaines de milliers de volumes provenant des couvents, des monastères, des séminaires, des demeures nobles… Les bibliophiles français avaient la possibilité unique de rassembler des collections considérables, que nous serions bien en peine d’égaler, même si beaucoup de livres prirent le chemin de l’étranger, où ils se trouvent encore. Les bibliophiles eux-mêmes avaient changé : ce n’étaient plus des nobles, de hauts dignitaires de l’Église ou de l’État, mais des capitaines d’industrie, des banquiers, des rentiers : toute une noblesse d’argent aux fortunes fraîchement acquises. Parallèlement se mettaient tant bien que mal en place les grands dépôts publics que nous connaissons, non sans ratés, dont le plus retentissant fut l’affaire Libri.

22 Armand Weiss incarne un esprit qui tend à disparaître, et cette disparition n’est peut- être pas moins préjudiciable que celle de telle ou telle espèce animale ou végétale : l’esprit du magistrat, du médecin, de l’officier… qui s’occupe de littérature ou d’histoire avec amour et ferveur, mais sans en faire sa profession. La prolifération des livres, revues, sites Internet d’une valeur fort inégale… font qu’il est de plus en plus difficile, pour un spécialiste qui ne s’occupe que de son domaine, de se tenir informé des progrès accomplis. Combien plus difficile, voire impossible, est-ce pour une personne qui souhaite mener des recherches érudites à côté d’une autre activité ! Cette situation n’est pas sans conséquences, car elle crée un clivage chaque jour plus net entre une poignée de professionnels, spécialisés jusqu’à l’absurde, enfermés chacun dans son petit domaine, et un grand public cultivé, mais indifférent. On observera encore que meurt une certaine conception « de la République des Lettres dont les citoyens sont aussi des magistrats, des ambassadeurs, de hauts fonctionnaires pour lesquels les Anciens et les Pères de l’Église sont des sources de réflexion en vue de l’action politique et administrative »58.

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Albert Anker, portrait d’Armand Weiss

Dessin au crayon sur papier calque. Musée Théodore Deck et des Pays du Florival.

ANNEXES

Annexe 1

Bio-bibliographie d’Armand Weiss

10 avril 1827 naissance à Mulhouse 20 juillet 1848 licencié en droit (Sorbonne) 15 novembre 1848 avocat à la Cour d’appel de Colmar 13 août 1853 docteur en droit (Strasbourg)59 9 novembre 1853 juge suppléant au tribunal de première instance de Sélestat 2 mai 1857 substitut au tribunal de première instance de Belfort 20 juin 1861 substitut au tribunal de première instance de Strasbourg 5 décembre 1866 juge d’instruction à Mulhouse 30 mars 1872 juge au tribunal de Brest60, affectation qu’il refuse 7 mai 1872 admis à faire valoir ses droits à la retraite

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1873 retour en France 28 février 1892 mort d’Armand Weiss.

Publications d’Armand Weiss

Jus romanum. De pignoribus et hypothecis. Droit français. Comment se conservent les privilèges, thèse pour la licence, Faculté de droit de Paris (soutenue le 3 mai 1848), Paris, Vinchon, 1848, 19 pages. Des droits de superficie en droit français et en droit romain, thèse pour le doctorat soutenue le 13 août 1853 à la Faculté de droit de Strasbourg, Colmar, imprimerie Hoffmann, 1853, 96 pages [il en existe un autre tirage de 72 pages]. « L’Alsace pendant la Régence », Revue alsacienne, IV, 1880-1881, p. 52-60. « Le 30 septembre 1681. Étude sur la réunion de Strasbourg à la France », Revue alsacienne, IV, 1880-1881, p. 438-456 et 483-508. Existe également en version corrigée sous forme de tiré à part (Paris, Berger-Levrault, 1881, 46 pages) 61. « Une touriste anglaise en Alsace », Revue Alsacienne, 1884 (à propos du livre de Katharine Lee, In the Alsatian Mountains, Londres, 1883).

Nécrologies et articles

Paul-François Mathieu, « Armand Weiss », discours prononcé au temple protestant, Mulhouse, imprimerie de la veuve Bader, 1892, 8 pages. Ernest Zuber, « Armand Weiss », discours prononcé au cimetière, Mulhouse, imprimerie de la veuve Bader, 1892, 8 pages. Mathieu Mieg-Kroh, « Armand Weiss », Bulletin de Musée Historique de Mulhouse, XVI, 1891, p. 65-71. « Armand Weiss », Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace par le frère Édouard Sitzmann, 1910, t. II, p. 960b-961a (recopie la nécrologie de Mathieu Mieg- Kroh, sans en corriger les erreurs). Illustrateurs d’Alsace. Estampes et recueils des collections Charles Gérard et Armand Weiss, catalogue d’exposition (20 septembre - 22 octobre 1994), Mulhouse, 1994. « Armand Weiss (1827-1892), magistrat et bibliophile alsacien », Voyages de bibliothèques, actes du colloque de Roanne (25-26 avril 1998), p. p. Marie Viallon ; Saint-Étienne, Publications de l’Université, 1999, p. 35-44. « Armand Weiss », Nouveau Dictionnaire de Biographie Alascienne, no39, 2002, p. 4149-4150.

Annexe 2

Armand Weiss et Albert Anker

Nous avons évoqué Armand Weiss en tant que magistrat et bibliophile. Un autre aspect de son existence mérite d’être connu : son goût pour les arts et, particulièrement, la peinture. Nous lisons en tête du catalogue de 1909 les lignes suivantes : « Désireux de conserver à sa ville natale cette précieuse bibliothèque, et de la rendre accessible aux

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chercheurs et aux curieux, il [Armand Weiss] s’était encore, dans les dernières années de sa vie, efforcé de trouver une institution à laquelle il pût la léguer, et dans ce but il avait pensé à la Société Industrielle qui lui offrait un local approprié. Il avait même pris les premières dispositions pour l’installation de ses livres, et avait commandé au peintre Anker des plats avec les portraits de quelques savants alsaciens, destinés à décorer la salle de la bibliothèque » (p. VIII-IX). Seuls deux ou trois de ces plats furent effectivement réalisés et la mort d’Armand Weiss mit fin au projet. Le Musée Théodore- Deck conserve une assiette de faïence fabriquée par l’artiste guebwillerois, sur laquelle Albert Anker peignit un portrait de Sébastien Brant. Bien qu’inabouti, ce projet met en évidence l’amitié qui existait entre Armand Weiss et le grand peintre suisse62. Celui-ci avait tracé un rapide croquis de son ami alsacien63. Il réalisa également deux portraits de la fille unique de Weiss, Émilie (1867-1951), le premier alors que la fillette avait un an, le second alors qu’elle était âgée de sept ans64. Albert Anker peignit encore les enfants de Bary, petits-neveux d’Armand Weiss.

NOTES

1. Cette étude reprend et développe deux publications antérieures : une communication prononcée à Roanne le 25 avril 1998 (imprimée dans l’ouvrage collectif Voyages de bibliothèques, Saint-Étienne, Publications de l’Université, 1999, p. 35-44) et l’article consacré à Armand Weiss dans le Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne. J’ai plaisir à remercier le Pr. Claude Muller, qui m’a offert l’occasion de rouvrir un dossier déjà bien ancien, ainsi que le Dr. Therese Bhattacharya-Stettler (Musée des Beaux-Arts de Berne), M. Matthias Brefin (Fondation Maison Albert-Anker, Anet) et Mme Marion Bossart (attachée de conservation du patrimoine au Musée Théodore Deck et des Pays du Florival), qui m’ont fourni des documents relatifs à Albert Anker. 2. Préface à Poètes, princes et collectionneurs. Mélanges offerts à Jean Paul Barbier-Mueller, Genève, Droz, 2011, p. 7. 3. Pierre Mathias Armand Weiss, pour l’état-civil (Archives Municipales de Mulhouse, B.167.W). 4. Voir la bibliographie en annexe 1. 5. Rapport du secrétaire de la Société Industrielle, M. Walther-Meunier, 31 janvier 1894 : « La bibliothèque de feu Armand Weiss, mise en ordre par les soins de M. Alfred Boeringer, a été l’objet d’une visite de la part du comité » (Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse, janvier 1894, p. 13-14). La correspondance relative au classement de la bibliothèque A. Weiss, par A. Waltz, est conservée dans les archives de la Société Industrielle de Mulhouse, cote 62.A.3246. 6. Ce détail explique l’amitié qui unit Armand Weiss et Albert Anker (voir ci-après, annexe 2). 7. Lettre de François Bigorie de Laschamps au ministre de la justice, Colmar, 4 novembre 1866 [Archives Nationales, dossier BB/6 (II)/433]. Toutes les pièces administratives citées par la suite proviennent de ce dossier. Leur orthographe a été modernisée. 8. Fr. Bigorie de Laschamps (1815-1885), fut à partir de 1861 procureur général à la Cour impériale de Colmar, avant d’en devenir président le 21 février 1865. 9. Lettre de Fr. Bigorie de Laschamps au ministre de la justice, Colmar, 4 novembre 1866. 10. On peut – et on doit – s’étonner de ce que le terme alsatique n’apparaisse pas dans les dictionnaires rédigés ou inspirés par Paul Robert (Grand Robert de la langue française, Dictionnaire culturel en langue française, Petit Robert 2014). 11. Cette vente fut signalée par un entrefilet du Journal d’Alsace et de Lorraine du 28 mars 1922 : « La bibliothèque Armand Weiss, dont la vente aux enchères va avoir lieu à la Maison d’Art Alsacienne (rue Brûlée n° 6) le 30 et 31 de ce mois a son histoire. Pour la faire connaître, nous avons recueilli quelques notices d’un avant-propos que M. Mathieu Mieg a publié en 1909 en tête

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du catalogue des livres et estampes alsatiques que M. Armand Weiss a légués à la Société industrielle de Mulhouse. Nous apprenons dans cet avant-propos, que M. Armand Weiss, né à Mulhouse le 10 avril 1827 et mort dans la même ville le 28 février 1892 avait un goût prononcé pour les Lettres, vers lesquelles ses premières études l’attiraient. L’attrait des Belles-Lettres ne l’abandonna pas lorsque, se conformant aux désirs de ses parents, il fut ses études de droit et entra dans la magistrature. La jurisprudence devint son champ d’activité publique, la littérature resta sa passion privée et, pour satisfaire cette dernière, il s’entoura des chefs-d’œuvre de l’esprit humain et, en premier lieu, de l’esprit français. En effet, la bibliothèque ne contient qu’une minime section d’ouvrages juridiques, tandis que les lettres, l’histoire littéraire et la littérature en forment la grande masse. Le goût littéraire, doublé de la sagacité du bibliophile, a guidé le savant magistrat dans le choix des livres qui devaient former son vrai délassement après avoir rempli les devoirs journaliers de sa charge, et surtout après l’annexion, lorsqu’il s’était retiré de son poste et de la vie publique. Comme la plupart des bibliothèques privées d’hommes de Lettres, celle qui va être vendue aux enchères a été constituée par des achats progressifs. Elle présentera aux amateurs de livres rares, aux bibliophiles et aux lettrés un vif intérêt ». 12. Sur cette institution, lire KOTT (Sandrine), « Enjeux et significations d’une politique sociale : la Société Industrielle de Mulhouse (1827-1870) », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, IV, 1988, p. 640-659 ; CHOURREU (Pierre), « Une bibliothèque au service du patrimoine industriel : la Bibliothèque de l’Université et de la Société Industrielle de Mulhouse », Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse, no 825, 1992, p. 137‑138 ; PASCAL (Françoise), « La Bibliothèque de la Société Industrielle de Mulhouse : son fonctionnement de 1826 à nos jours », Bulletin de la Faculté des Lettres de Mulhouse, XVIII, 1991, p. 9‑16 ; PASCAL (Françoise), VITOUX (Marie-Claire), « Lecteurs et lectures à la Société Industrielle de Mulhouse au XIXe siècle. La bibliothèque littéraire », Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse, no831, 1993-1994, p. 29‑40. En contradiction, semble-t-il, avec les dernières volontés d’Armand Weiss, cette partie de sa bibliothèque se trouve désormais à la Bibliothèque Municipale de Mulhouse. 13. Né en 1814, il quitta également l’Alsace lors de l’annexion et mourut à Nancy en 1877. 14. Marie Antoine Ignace Chauffour (1808-1879) fut, comme Armand Weiss, avocat. Il légua à la Bibliothèque Municipale de Colmar un ensemble de 25 000 volumes et d’une centaine de manuscrits. Une rue de Colmar porte son nom. 15. Ou, au XXe siècle, Fernand Heitz (1891‑1963), magistrat. 16. On imagine quelle serait la frénésie sur le marché du livre ancien (qui, grâce à Internet, est désormais un marché mondial) si, du jour au lendemain, les bibliothèques municipales françaises étaient fermées et vidées de leurs fonds patrimoniaux (lesquels proviennent souvent, à l’instar des archives départementales, des « confiscations révolutionnaires », comme on l’écrit pudiquement, donc du vol). Le caractère inaliénable des collections publiques étant depuis quelques années régulièrement mis en cause (Françoise Cachin, Jean Clair, Roland Recht, « Les musées ne sont pas à vendre », Le Monde, 13 décembre 2006 ; Didier Rykner, « Pandore au musée », Valeurs actuelles, 12 janvier 2007, p. 26), cette hypothèse n’est pas à exclure. 17. « C’est ici pourtant [i. e. sur les quais de la Seine] que mon illustre ami Barbier avait colligé tant de trésors qu’il était parvenu à en composer une bibliographie spéciale de quelques milliers d’articles. C’est ici que prolongeaient, pendant des heures entières, leurs doctes et fructueuses promenades, le sage Monmerqué en allant au Palais, et le sage Labouderie en sortant de la Métropole. C’est ici que le vénérable Boulard enlevait tous les jours un mètre de raretés, toisé à sa canne de mesure, pour lequel ses six maisons pléthoriques de volumes n’avaient pas de place en réserve » (Charles Nodier, Le Bibliomane, 1831).

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18. Le catalogue de 1909 s’orne d’un portrait frontispice. Nous possédons également un dessin au crayon sur papier calque, dû au grand peintre suisse Albert Anker (1831-1910). Voir ci‑après, l’annexe 2. 19. Catalogue de la bibliothèque de livres et d’estampes de feu M. Armand Weiss, donnée, sur sa demande, par la famille à la Société Industrielle de Mulhouse, Mulhouse, Société Industrielle de Mulhouse, 1909 (avec une préface de Mathieu Mieg, p. VI-XII) ; Catalogue de la bibliothèque de feu M. Armand Weiss, de Mulhouse, Strasbourg, Maison d’Art Alsacienne, 1922. 20. Entendu au sens large, cet adjectif inclut également la ville de Bâle comme lieu d’impression. Rappelons que la cité d’Érasme disposa d’une université avant Strasbourg. 21. Ou Erchenbald, ou Archambauld. 22. SCHMIDT (Charles), « Notice sur un manuscrit du X e siècle qui jadis a fait partie de la bibliothèque de la cathédrale de Strasbourg », Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace, 1886, p. 34‑42 [la photographie d’une page de l’évangéliaire figure parmi les papiers de Charles Schmidt, Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg, manuscrit 3876, f. 43] ; DARTEIN (dom G. de), « L’évangéliaire d’Erkanbold », Revue d’Alsace, LVI, 1905, p. 530‑537, 1906, p. 82‑92, 224 (errata), 268‑280, 418‑430, 541‑554 ; CAMES (G.), article « Évangéliaire-lectionnaire » de l’Encyclopédie de l’Alsace, s.v. 23. L’auteur du catalogue de 1922 range La Pucelle (qu’il n’a jamais lue et sans doute pas même feuilletée) dans la catégorie de la « Littérature galante et facétieuse ». 24. Catalogue de la bibliothèque de feu M. Armand Weiss, de Mulhouse, 1922, no 119, 340, 344, 345, 346, 454, 483. 25. On pourra se faire une idée du degré d’habileté auquel étaient parvenus les relieurs du XVIIIe siècle en lisant le catalogue établi par BARBER (Giles), The James A. de Rothschild Bequest at Waddesdon Manor, volume I, Printed Books and Bookbindings, Aylesbury, The Rothschild Foundation, 2013. 26. La famille Weiss est citée dès 1350 dans la liste des bourgeois de Mulhouse. Le nom s’écrivait à l’origine Wislin, de Wiesel (hermine) ; leurs armoiries étaient « d’azur à la bordure de gueules et à la croix d’argent » (Paul René Zuber, Cahiers Zuber, no XXIII : Histoire des Zuber, tome III/A, Mulhouse, 1977, p. 23). 27. Cette attitude était alors assez répandue : DUFOUR (Alain), « Deux bibliophiles genevois du XIXe siècle : Jean-Jacques Chaponnière et Henri-Léonard Bordier », Cinq siècles d’imprimerie genevoise, actes du colloque international sur l’histoire de l’imprimerie et du livre à Genève (27-30 avril 1978), éd. Jean-Daniel Candaux et Berard Lescaze, Genève, Société d’histoire et d’archéologie, 1981, t. II, p. 265 et 272. 28. « Discours prononcé à la fête des Félibres à Sceaux, le 21 juin 1891 », Œuvres complètes, éd. H. Psichari, Paris, Calmann-Lévy, 1948, t. II, p. 1 014. 29. Mathieu Mieg-Kroh qualifie ainsi Armand Weiss d’ « helléniste distingué » (Bulletin de Musée Historique de Mulhouse, XVI, 1891, p. 65). Or il semble que notre collectionneur n’ait possédé aucun livre grec (que des traductions). 30. Né en 1792, mort le 30 octobre 1880 (nécrologie dans l’Express du 4 novembre 1880), Mathias Weiss-Schlumberger fut adjoint au maire de Mulhouse en 1852, puis 1860 : OBERLÉ (Raymond), Maires, adjoints et conseillers de la ville de Mulhouse (1798-1971), p. 141. Il exerça également les fonctions d’administrateur de l’hospice, fut membre de la chambre de commerce et de la commission théâtrale (Bibliothèque de la Société Industrielle de Mulhouse, Br. 899) et créa la société d’horticulture. Sur la famille Schlumberger en général, consulter le Bulletin de la Société Académique du Bas-Rhin, t. CIX-CX, 1989-1990. 31. Charles Jacques Naegely (1799-1866) créa à Mulhouse, en 1825, une filature de coton. 32. Voir la note de Charles-Sylvestre Rieff (1804-1874), premier président de la Cour d’appel de Colmar (9 mai 1855) et la dépêche du procureur général Blanc (11 avril 1857).

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33. Rapport du procureur général Blanc sur la candidature d’Armand Weiss aux fonctions de substitut à Wissembourg (Colmar, 5 janvier 1855). 34. RICHARD (Michel), CARASSO (Marie-Françoise), « La Cour d’appel de Colmar sous le Second Empire », Revue d’Alsace, CVIII, 1982, p. 137. 35. Lettre du procureur général Levieil de la Marsonnière au Garde des Sceaux, Colmar, 29 octobre 1866. Voir également sa lettre au même (Colmar, 6 novembre 1866) : « Depuis mon retour à Colmar, M. le premier président m’a, de nouveau, entretenu de M. Weiss, de l’infériorité de ses titres relativement à ceux de ses concurrents, de l’impossibilité de l’asseoir à Strasbourg, et de la nécessité de lui donner un siège à Mulhouse. J’ai répondu […] que la coexistence au tribunal de Mulhouse, en la personne de MM. Loew et Weiss, du fils et du gendre de MM. Naegely et Weiss les anciens associés de 1828, me paraissait une chose moralement impossible. J’ai ajouté que, d’ailleurs, M. Weiss refusait la candidature pour Mulhouse ». 36. Lettre de Fr. Bigorie de Laschamps au Garde des sceaux, Colmar, 4 novembre 1866. 37. RICHARD (Michel), CARASSO (Marie-Françoise), art. cit., p. 146. 38. Bulletin du Musée Historique de Mulhouse, XII, 1887, p. 5-24 et le NDBA. 39. Auprès du baron de Sibert de Cornillon, secrétaire général du ministère de la justice (lettre du 27 décembre 1856), de Baroche, ministre de la justice (lettres du 26 janvier, 29 octobre, 21 décembre 1865, 3 avril, 7 juillet – accompagnée d’une note de dix pages, datée de la veille et où Braun donne d’abondants détails sur la faillite de Weiss père, 9 octobre et 22 octobre 1866). Il reste à savoir si ces interventions répétées n’ont pas fini par produire l’effet inverse de celui escompté, quant à l’avancement de M. « Vaïsse », comme on écrivait dans les bureaux parisiens. 40. Lettre du premier président Rieff au Garde des sceaux, 26 octobre 1853. 41. Rapport du procureur général Levieil de la Marsonnière au Garde des Sceaux, Colmar, 11 janvier 1866. 42. Lettre de Fr. Bigorie de Laschamps au Garde des sceaux, Colmar, 4 novembre 1866. 43. « Malheureusement ce magistrat n’est entré dans l’ordre judiciaire que pour répondre au vœu de sa famille, il n’aime pas son état, ou plutôt il n’en aime que le côté brillant, et voudrait en négliger les détails » (rapport du procureur général Blanc sur la candidature de Weiss aux fonctions de substitut à Colmar, 20 décembre 1858) ; « c’est un homme grave et réfléchi, qui se complaît dans l’étude et n’a de relations qu’avec ses livres » (rapport du procureur général Blanc sur la candidature de Weiss au poste de substitut à Sélestat, 4 mai 1861) ; « […] nous avons pensé ne devoir lui donner que le second rang, parce qu’il est un peu plus jeune que M. de Ring, qu’il est encore célibataire et que ses habitudes un peu sauvages le rendent moins propre que ses concurrents à acquérir la juste influence qu’un procureur impérial doit chercher à obtenir dans son arrondissement » (rapport du premier président Rieff sur la candidature de Weiss au poste de procureur impérial à Saverne, 21 juillet 1863). 44. « Mon objection irréfutable c’est que M. Weiss n’a jamais été magistrat ; que son état lui est antipathique, et qu’il ne l’a jamais pratiqué qu’avec défaillance et ennui ; c’est-à-dire, d’une manière incomplète et stérile. Quelques réquisitoires animés en cour d’assises dans les jours rares où M. Weiss était bien disposé, ne sauraient modifier mon jugement sur l’ensemble de cette magistrature nominale » (lettre de Fr. Bigorie de Laschamps au Garde des sceaux, Colmar, 4 novembre 1866). 45. « […] les fonctions de juge suppléant lui pèsent. Le noviciat commence à lui paraître un peu long » (note du procureur général Blanc, Colmar, 7 décembre 1856). 46. Les premiers reproches apparurent dans un document du 18 décembre 1858, alors qu’Armand Weiss était troisième candidat à la place de substitut du procureur à Strasbourg. Par ailleurs, Weiss semble avoir commis une faute assez grave, dont les détails nous échappent, mais qui est remontée jusqu’au ministre : « […] malheureusement il est un peu artiste et comme tel les détails de l’administration lui échappent parfois, il paraît qu’il vient de faire à cet égard une faute assez grave dont M. le Procureur général a été obligé de rendre compte à votre Excellence » (rapport

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du premier président Rieff sur la candidature de Weiss au poste de substitut à Colmar, 18 décembre 1858). 47. Rapport du premier président Bigorie de Laschamps , Colmar, 29 novembre 1866. 48. Colmar, 29 novembre 1866. 49. Il habitait 24, rue d’Altkirch. 50. La Société Industrielle de Mulhouse conservait plusieurs billets de logement militaire provenant d’Armand Weiss. On lit sur ces ordres de réquisition remis aux soldats français, qui sonnaient alors chez le particulier pour prendre garnison dans sa salle à manger ou sa bibliothèque, qu’aux termes des lois des 7 avril 1790, 10 juillet 1791 et 23 mai 1792, « outre le lit, l’habitant doit aux militaires les ustensiles nécessaires pour le service de la cuisine et de la table, et place au feu et à la chandelle ». 51. Une (re)lecture de certaines nouvelles de Maupassant sera utile, pour mesurer de quoi l’occupant germanique était capable, dès 1870. Sans que cela surprenne, les textes d’Armand Weiss trahissent des tendances germanophobes. 52. Au fil de son oraison funèbre, Ernest Zuber indique que Weiss a « refusé de trahir ses devoirs de magistrat français », ce qui n’est guère précis (mais, à la mort de Weiss, l’Alsace était encore allemande et tout ne pouvait sans doute pas être dit). Dans les cahiers ronéotés qu’il publia, Paul René Zuber (1898-1992), petit-neveu d’Armand Weiss, se montrait plus précis : « Mon grand-oncle Armand Weiss était un érudit. Il avait vu sa carrière brisée par la guerre de 1870/71. Pour avoir refusé un renseignement à l’occupant avant l’annexion, il fut expulsé par les Allemands. On obtint que sa femme puisse rester à Mulhouse. Ensuite, il opta pour la France et s’acheta une maison à Bâle, dans la Missionsstrasse où il demeura avec sa famille. Il légua sa belle collection d’ alsatiques à la Société Industrielle de Mulhouse pour sa bibliothèque » (Cahiers Zuber, no XIII, p. 24). 53. « Je ne suis pas dans les conditions voulues pour avoir droit à la retraite. Je désire en conséquence être appelé dans la magistrature française à une position équivalente à celle que les événements me font perdre. […] Je suis disposé à accepter des fonctions analogues à celles que je remplissais, ou des fonctions équivalentes dans la magistrature assise, dans l’un des ressorts limitrophes de l’Alsace. Ma famille et tous mes intérêts se trouvant en Alsace, je désirerais vivement ne pas être séparé par une trop grande distance de ce pays » (lettre d’Armand Weiss au Garde des Sceaux, Bâle, 10 avril 1871). 54. « Mon fils Armand, qui était lors de l’arrivée des Prussiens juge d’instruction au tribunal de Mulhouse s’est vu expulsé par ces Messieurs parce qu’il n’a pas voulu se prêter à leurs exigences et manquer à ses devoirs envers le gouvernement français ; il s’est réfugié en Suisse d’où il a adressé au Garde des Sceaux une demande pour être replacé en France ; il y a de cela près de huit mois, mais il parait qu’on l’oublie car il n’a reçu ni nomination ni réponse » (lettre de Mathias Weiss-Schlumberger à Gustave Steinheil, député des Vosges, Mulhouse, 15 janvier 1872). 55. Journal des débats, 9 mai 1872 : décret du 7 mai 1872 : « Par décret de même date sont nommés : […] Juge au tribunal de Brest, M. Protin, président du siège de Villefranche, en remplacement de M. Weiss, non acceptant, et admis à faire valoir ses droits à la retraite (loi du 21 mars 1872, article 7) ». 56. Comme le montre cette page : « Tout le monde sait que le touriste anglais, bipède des deux sexes, a beaucoup de points communs avec la chèvre du bon La Fontaine : Rien ne peut arrêter cet animal grimpant, /(…) /— S’il est quelque lieu sans route et sans chemins, / Un rocher, quelque mont pendant en précipices, / C’est où ces Messieurs vont promener leurs caprices. De cette disposition naturelle il résulte que ce sont précisément les pays les plus éloignés, les plus difficiles et, disons le mot, les plus chers, pays par lui parcourus de préférence, qu’il décrit dans les innombrables récits et impressions de voyages qui, chaque année, tombent plus nombreux que les feuilles d’automne des officines des éditeurs en vogue. Dans ce genre de littérature rien de plus commun que l’extraordinaire, la nouveauté serait le facile, l’accessible, le terre-à-terre et le bon marché.

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Voilà ce qu’a fort ingénieusement compris une dame anglaise, Mistress Lee. Elle s’est dit : À quoi bon aller au bout du monde ? Il y a ici, tout à côté, un pays où l’on ne voyage jamais, dont on a beaucoup parlé il y a quelques années, mais que personne ne connaît. Dans ce pays se trouvent, dit-on, des montagnes, les Vosges, et dans ces montagnes on doit pouvoir faire un “tour” à bon compte. Allons-y, le livre qu’on en rapporterait ferait nouveauté et aurait droit au succès. Le succès est-il venu, comme nous le désirons pour l’aimable auteur du volume ? Nous n’en savons rien, mais à coup sûr la nouveauté y est. Mrs Lee a constaté elle-même que le British Museum, dans sa section consacrée à la topographie et aux voyages, ne contenait pas un seul ouvrage sur les Vosges. Nous disons bien : pas un seul ! D’un autre côté, parmi les amis auxquels, avant leur départ, Mrs Lee et son mari annonçaient leur voyage, les uns n’avaient jamais ouï prononcer le nom de ces montagnes fabuleuses, les autres en avaient bien entendu parler, mais pensaient qu’elles étaient situées dans le Midi de la France ou en Suisse, enfin il y en avait un — le plus savant sans doute — qui était convaincu qu’elles se trouvaient en Autriche. Le sujet était donc nouveau, vraiment nouveau, et, pour le dire en passant, les Français dont on s’est tant moqué, ne sont pas les seuls, comme on peut le voir, à pouvoir concourir pour un premier prix de géographie » (« Une touriste anglaise en Alsace », Revue Alsacienne, 1884, à propos du livre de Katharine Lee, In the Alsatian Mountains, Londres, 1883). 57. Traité du rebelle (1951), XXII, trad. Henri Plard, Monaco, Éditions du Rocher, 1957, p. 7. 58. FUMAROLI (Marc), Héros et Orateurs. Rhétorique et dramaturgie cornéliennes, Genève, Droz, collection « Titre courant », 1996², p. 31. 59. Licencié ès Lettres la même année, semble-t-il. 60. Un tel éloignement relevait-il de la sanction ? 61. L’exemplaire de la Bibliothèque publique de l’Université de Bâle (cote E.f.VIII.29) porte la mention : « Geschenck des Verfassers. 1881 ». 62. Sur qui on consultera les ouvrages de ZBINDEN (Hans), Albert Anker. Leben, Persönlichkeit, Werk (Berne, Paul Haupt, 1943), Albert Anker in neuer Sicht (même éditeur, 1961), MEISTER (Robert), La vie d’Albert Anker au fil de sa correspondance, Bienne, W. Gassmann, 2000 ; ainsi que le bel article du conseiller fédéral (et collectionneur d’art) Christoph Blocher (« Tröstlich anzusehen », Die Weltwoche, 17, 27 avril 2006). 63. Ce dessin au crayon sur papier calque, publié ici pour la première fois, constituait également un premier jet pour une assiette. Nous savons qu’Albert Anker réalisa ce travail, mais nous ignorons où il se trouve à présent. 64. Ces tableaux furent vendus par la maison Sotheby’s en juin 1984 ; puis par Beurret et Bailly (Bâle), juin 2012 et juin 2013.

RÉSUMÉS

Magistrat de profession, Armand Weiss (1827-1892) est aujourd’hui oublié, ce qui est le destin ordinaire des magistrats. Il mérite pourtant qu’on se souvienne de lui en tant que bibliophile. Sa collection de livres anciens devait lui fournir les matériaux pour composer une histoire de l’Alsace, qu’il ne mena jamais à son terme, en raison de problèmes de santé et de l’invasion prussienne.

The magistrate Armand Weiss (1827-1892) is entirely forgotten today. This is of course the common fate of magistrates. Though, Weiss deserves to be remembered as book-collector and

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book-lover. His private library was collected over the years, in order to write an extensive history of Alsace, which he never completed, due to health troubles and the 1870 German invasion.

Armand Weiss (1827-1892). Kaum einer der heutigen Elsässer dürfte jemals von ihm gehört haben. Wenn es ihm damit auch genau so geht wie all den anderen Hohen Beamten seiner Zeit, so tut man ihm doch Unrecht. Der Grund sind nicht außerordentliche berufliche Leistungen des Hohen Beamten Weiss. Es ist sein unstillbarer Eifer, Bücher und Schriften aus vergangen Tagen zusammenzutragen. In ihnen hoffte er, den Stoff für eine Geschichte seiner Heimatregion, dem Elsaß, zu finden. Das so lang wie gründlich vorbereitete Werk konnte der allerdings nicht zu Ende führen. Seine schwindende Gesundheit und die Invasion der Preußen haben es verhindert.

AUTEUR

GILLES BANDERIER Docteur ès lettres, Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Alsace

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Une dynastie de petits capitaines d’industrie face aux vicissitudes de l’histoire : les Latscha de Jungholtz (1834-1920) A dynasty of minor industrial leaders confronted with the vicissitudes of history: the Latscha de Jungholtz family (1834-1920) Wahre Dynastien von Kapitänen kleiner Industriebetriebe kämpfen gegen die Wechselfälle der Geschichte. Die Latscha aus Junghotz (1834–1920)

Bertrand Risacher

1 L’Alsace est la région française qui a produit le plus grand nombre de dynasties industrielles. Nulle part ailleurs elles n’ont traversé les siècles avec autant de constance et de succès. Pour Michel Hau et Nicolas Stoskopf, dont les travaux sur l’industrialisation et le patronat alsacien font autorité, « L’Alsace a été, pendant deux siècles, une terre exceptionnellement féconde en dynasties industrielles. Les noms de Dollfus, Koechlin, Mieg, Schlumberger, de Dietrich, etc. sont restés célèbres. Ils sont ceux d’entreprises prestigieuses et de familles alsaciennes engagées dans la production manufacturières sur des durées séculaires : les générations se succédaient les unes aux autres, mais l’entreprise se maintenait à travers les bouleversements politiques, économiques et sociaux.1» Ces deux historiens se sont attachés à expliquer cette spécificité régionale : en reconstituant le cheminement de ces dynasties jusqu’à nos jours, ils ont démontré que leur succès pouvait « se lire comme le résultat de la combinaison du développement du capitalisme avec des traditions comportementales et culturelles anciennes »2.

2 Ces familles, qui ne « partaient pas de rien » mais qui appartenaient « pour la plupart à des dynasties de notables municipaux », dont l’irruption « dans l’histoire industrielle ne relève pas du miracle ni de la génération spontanée3», ont contribué à l’industrialisation précoce de la province. Cependant, parmi les nombreuses dynasties entrepreneuriales qu’a produit l’Alsace, certaines ont été créées par un patronat de

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« seconde zone ». En effet, l’industrialisation a pris dès l’origine des chemins extrêmement divers. Ainsi, au dynamisme des conquérants de la « Manchester française » répondaient les petits établissements exploités par des entrepreneurs issus de la frange supérieure du monde ouvrier dans les vallées vosgiennes. Dans le vallon du Rimbach, à Jungholtz, la société Latscha & Cie – spécialisée dans la fabrication de pièces détachées pour machines textiles – a été fondée par d’authentiques self-made-men, d’origine modeste et étrangers au monde des affaires, sans passé, sans réseau mais dopés par l’exemple mulhousien.

3 Cette étude permet d’avoir une meilleure connaissance des petits entrepreneurs qui par leur audace et leur initiative permirent l’entrée des vallées vosgiennes dans la révolution industrielle. Elle met ainsi en valeur la notion de « petits capitaines d’industrie » souvent catholiques, qui fondent et dirigent des PME modestes et surtout périphériques par rapport à la grande industrie mulhousienne : l’archétype en est la dynastie Latscha, véritable symbole de la réussite manufacturière. Les Latscha sont représentatifs de ces patrons catholiques qui n’ont rien à envier à l’esprit d’initiative des protestants. Nous sommes en présence d’industriels catholiques, qui « n’ont nullement été à la remorque de leurs confrères protestants […] » mais dont l’entreprise est « le produit d’une sorte de petit exploit réalisé par une forte personnalité capable de saisir les opportunités au moment où elles se présentent4».

4 La famille Latscha donna naissance à une dynastie qui resta dans les affaires jusqu’en 1920. Elle ne dépassa cependant pas la quatrième génération, la Première Guerre mondiale tournant, dès 1915, au désastre pour l’entreprise5. Son cycle de vie fut finalement très court, l’histoire se terminant par la reprise de la raison sociale par la SACM de Mulhouse en 1920. Dès lors une question se pose : la trajectoire de cette petite entreprise familiale ne repose-t-elle pas sur la succession d’épreuves infligées par deux guerres franco-allemandes et les problèmes de frontière de par leurs déplacements en 1871 et 1918 ?

Latscha & Cie : une « réponse aux besoins de l’industrie textile régionale6 »

5 La création en un temps très court d’une puissante industrie textile a offert un marché de tout premier ordre pour les industries d’équipement. La croissance de ce marché accompagne celle du textile avec une forte poussée sous la Restauration. Il faut ainsi des machines à filer, des machines de préparation, des transmissions, des moteurs qui ne peuvent plus être importés en raison de la prohibition britannique. Au départ, les filateurs alsaciens se lancèrent dans la construction de machines puis il y eut une division des tâches. Jusqu’en 1840, on assiste à une vague de création de firmes spécialisées exclusivement dans la construction mécanique. En 1840, date qui marque l’arrêt du grand mouvement de création d’entreprises spécialisées dans les matériels textiles, l’Alsace représente 20 % du marché français7.

Les Latscha, des chefs d’entreprise d’origine modeste

6 Mathias Latscha, fondateur de la lignée des industriels de Jungholtz, était né en 1782 à Inzlingen, dans le grand duché de Bade8. Lors de son mariage le 11 février 1807 à Guebwiller, il habitait la ville depuis dix-huit mois et exerçait le métier de passementier

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« à la manufacture de rubanerie » de Bary & Bischoff. Son épouse, Marie Élisabeth Biechler était, quant à elle, originaire de Guebwiller et fille d’un chirurgien. Les déclarations faites devant l’officier de l’état civil entre 1807 et 1819, à l’occasion de la naissance de ses enfants, témoignent d’une activité précaire, plus ou moins éphémère et qui, en tout cas, ne garantit pas forcément un avenir et une « bonne place » dans la société : il déclara ainsi successivement les métiers de passementier, d’ouvrier de fabrique, d’apprêteur de rubans, de tisserand et d’ouvrier de soie. Mathias Latscha faisait donc partie du prolétariat manufacturier, sachant que la manufacture de rubans de Guebwiller offrait des salaires journaliers de 1,20 F en moyenne à la fin du règne de Napoléon Ier9 et de 1,50 à 2,50 F sous la Monarchie de Juillet10. Or, ces sommes sont dérisoires et ne suffisent pas à vêtir, nourrir, élever et loger décemment une famille. Dans le premier XIXe siècle, ces ouvriers étaient employés dans des « conditions épouvantables, génératrices de misère physique et de déchéance morale11 ». Ainsi, dans son rapport de 1825, le médecin cantonal de Guebwiller tient, sans équivoque, les manufactures pour responsables de la misère des habitants de son canton : « […] sans vêtements convenables […] et de nourriture trop peu substantielle pour l’entretien des fonctions de la vie, que la plupart des hommes de travail pénible, et ceux travaillant en grand nombre dans les fabriques, présentant un air croupissant, enfermé, méphitique et hautement azoté ne gagnent leur vie, que pour traîner celle de langueur, insuffisante pour pouvoir résister aux influences des causes délétères permanentes, des variations des saisons, et aux effets multipliés des privations de toutes espèces, joint à ces causes sans cesse renaissantes le travail de la nuit. Cette vérité est d’autant mieux sentie, que la très grande majorité de ces hommes, qui en sont atteints, sont de la moindre classe du peuple […]12 ». L’état de santé des ouvriers de manufacture dans la première moitié du XIXe siècle était déplorable et la situation ne s’améliora que très lentement13. Par ailleurs, la misère de la condition ouvrière était telle que, bien souvent, il était nécessaire, pour subvenir à leurs besoins, que les familles ouvrières fassent travailler leurs enfants à l’usine. Ainsi, en 1823, les fils de Mathias Latscha, François Antoine, 14 ans, et Charles I, 11 ans, étaient employés chez Nicolas Schlumberger & Cie dans la filature de coton14. Dans les filatures, ces enfants servaient d’aides, indispensables auprès des métiers. Ces derniers étaient généralement rattacheurs de fils brisés ou chargés de ramasser le coton de déchet ou de nettoyer les bobines. On les nommait bobineurs ou balayeurs15. En 1826, le Dr Beltz, médecin cantonal de Soultz, dénonçait déjà le travail des enfants dans les fabriques : « C’est au sortir de l’enfance à l’âge de 10 ans et moins, dans un âge où son corps devrait prendre de la vigueur et de l’accroissement, que l’ouvrier de fabrique d’aujourd’hui est emprisonné pendant 15 heures par jour, dans des ateliers où il respire un air enfermé et vicié, pour se livrer à l’excès au travail. À cet âge surtout, l’excès de travail, la vie sédentaire, l’air enfermé, une nourriture quelquefois malsaine, et souvent la débauche, pâlissent le teint, épuisent le corps et arrêtent son développement. Aussi des maladies de dépérissement, la phtisie pulmonaire, les crachements de sang, le carreau, les pâles couleurs chez les filles, par défaut de menstruation, et d’autres maladies cachectiques, sont‑elles de nos jours beaucoup plus fréquentes qu’autrefois parmi la classe des pauvres du canton16 ».

7 Mathias Latscha est donc représentatif de cette main d’œuvre déracinée issue des zones rurales les plus défavorisées. Au début du XIXe siècle, les manufactures de Guebwiller virent affluer « d’anciens journaliers, de petits agriculteurs, vignerons ou éleveurs de la vallée [de la Lauch] ou de la plaine proche et même du Pays de Bade, et qui ne peuvent pratiquement plus vivre de leurs activités rurales traditionnelles. »17 En misant sur ses

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compétences techniques, Mathias Latscha parvint néanmoins à gravir la hiérarchie ouvrière. À partir de 1822, il changea de statut professionnel et exerçait la fonction de contremaître de fabrique, poste de travail mieux rémunéré, qu’il déclara encore lors du mariage de son fils aîné, François Antoine en 1832 et de son second fils Charles en 1834. Enfin, en 1836, lors du décès de son fils aîné, et en 1839, au moment du mariage de son benjamin, les mentions « propriétaire » puis « fabricant de broches » témoignent de son changement de statut social.

8 Contrairement aux notables de l’industrie alsacienne, les Latscha n’occupaient donc pas de position sociale avantageuse. Nous sommes donc en présence d’authentiques self- made-men comme le fut Antoine Herzog, fils d’ouvrier, fondateur d’un des fleurons du textile au Logelbach18. Ces self-made-men d’origine modeste ont su saisir leur chance au moment où elle se présentait et prendre leur destin en main.

Les Latscha, fondateurs de deux usines

9 Les Latscha surent profiter du processus d’industrialisation remontante, – comprenant le cycle complet de la transformation du coton mais aussi la chimie, les constructions mécaniques, etc. – qui se déclencha à Mulhouse mais aussi en Haute-Alsace et particulièrement à Guebwiller, la « Mulhouse des Vosges19 ». Détenteurs d’un savoir- faire technique, maîtrisant parfaitement les procédés, ils furent capables de répondre à la demande du marché.

10 Le véritable pionnier dans la famille Latscha était François Antoine, tourneur sur fer. C’était un jeune entrepreneur dynamique et audacieux (26 ans) qui prit l’initiative de se lancer dans la fabrication de pièces détachées pour machines textiles. Il est représentatif de ces dirigeants créatifs, réceptifs aux signaux émis par le marché et capable d’orienter leurs activités vers de nouveaux secteurs.

11 Le fils aîné de Mathias fonda, en septembre 1834, une société en nom collectif avec Jean Goebelé, graveur sur rouleaux de Guebwiller, pour fabriquer et affiler des broches propres à la filature. La société Jean Goebelé & Cie transforma un ancien foulon à Rimbach-Zell20 en atelier mécanique mû par l’eau qui devait fournir cent broches affilées par jour à la filature (vraisemblablement pour les filatures de Guebwiller). Les deux hommes étaient intéressés pour moitié dans la société, et, c’était dans cette proportion, qu’ils partageaient les bénéfices ou supportaient les pertes. En outre, Jean Goebelé devait s’occuper des livres, de la correspondance et de toutes les écritures, activité pour laquelle il était rémunéré à hauteur de 100 F par an sur les fonds de la société alors que François Antoine Latscha était plus particulièrement chargé de la fabrication et de la direction des ouvriers, tâche pour laquelle il touchait 2,75 F par jour. En fait, François Antoine Latscha était rémunéré uniquement pour son savoir- faire puisque non seulement le fonds capital de la société avait été versé par Goebelé seul mais c’était à lui également qu’appartenaient l’usine, les machines et les ustensiles servant à son exploitation et pour lesquels il percevait annuellement un intérêt de 5 % d’un capital fixe de 12 500 F. C’est l’exemple type d’une micro-entreprise dont le fonds capital était fixé à 6 000 F auquel il fallait ajouter le capital fixe (l’usine, les machines, les agrès et les ustensiles servant à son exploitation) d’une valeur de 12 500 F21. La mise de fonds initiale était donc modeste, ne nécessitant pas la réunion d’un grand nombre de bailleurs.

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12 L’année suivante, en février 1835, François Antoine Latscha, son père Mathias, contremaître de filature à Guebwiller, et Jacques Redler, blanchisseur de toiles à Soultz, achetèrent à Pierre Schwary son « moulin à deux tournants pour moudre le grain avec ses vannes et chaussées » situé à Jungholtz au lieu dit Jungholtzermülhe pour la somme de 7 000 F22. Il est précisé dans l’acte notarié que « l’immeuble sera converti en établissement industriel et ne pourra plus, dans l’espace de 25 ans, être transformé en moulin et huilerie ». Les trois acquéreurs transformèrent alors le moulin en atelier de construction spécialisé dans la fabrication de broches à filer et dans ce but fondèrent une société en nom collectif sous la raison sociale Redler & Latscha. Chaque associé y était intéressé pour un tiers et misa 3 500 F soit un fonds social de 10 500 F23. Il s’agit là, d’une société de personnes, comme la majorité des sociétés fondées au début du XIXe siècle. Pour rassembler la mise de fonds initiale et acquérir le moulin Mathias et François Antoine Latscha durent emprunter 8 000 F auprès de Léonard et Martin Bourcard, négociants banquiers à Bâle24. Il est intéressant de souligner ici l’origine des capitaux. En effet, en l’absence d’une armature bancaire digne de ce nom en Alsace, les entrepreneurs, même modestes comme les Latscha, firent appel aux financiers bâlois. On retrouve donc les financiers bâlois même dans les vallées reculées alors qu’à partir du Consulat ils développèrent surtout de manière considérable leur concours financier aux industriels mulhousiens, espérant des profits intéressants. Comme l’atelier de Rimbach-Zell, la petite fabrique de Jungholtz était très modeste à ses débuts à en juger par les mises de fonds de départ. L’inventaire après le décès de l’un des associés – François Antoine Latscha – en 183625, permet de reconstituer le capital fixe de l’entreprise un an après sa création. L’ensemble du matériel et des marchandises utilisé dans l’usine pour fabriquer les broches (tours, tourets, meule, machine à arrondir, étaux, machine à polir, enclumes, marteaux, un grand soufflet, tenailles, acier, noix à broches26) s’élève à 7 575,50 F auquel il faut ajouter les 7 000 F pour le bâtiment ce qui représente un capital fixe de 15 575,50 F27.

13 Ces deux ateliers de broches créés par la famille Latscha sont une bonne illustration des premières entreprises financées par l’association de petits groupes de bailleurs de fonds autour d’un homme de savoir-faire. Il révèle la capacité du milieu traditionnel à rassembler des ressources financières sur la base de réseaux très complexes créés à partir de relations d’affaires et d’alliances matrimoniales sans banques. À l’image de François Antoine et Mathias Latscha, « n’importe qui pouvait s’improviser entrepreneur. Il suffisait de disposer d’un peu d’argent, de trouver un terrain propice pour y installer une petite fabrique, de recruter quelques ouvriers et d’avoir un peu d’imagination28 ». Il n’était donc pas nécessaire de disposer d’une grande fortune pour se lancer dans l’industrie, la matière grise constituant bien souvent la seule richesse. En revanche, leur taux de profit c’est-à-dire le ratio qui mesure la rentabilité des fonds investis, pouvait être important.

14 La mort d’un des associés, François Antoine Latscha, en 1836 n’interrompit pas la lignée industrielle, son épouse et son fils le remplaçant au sein de la société en nom collectif. En janvier 1840 cependant, à la mort d’Élisabeth Biechler, épouse de Mathias Latscha, qui possédait un tiers de la fabrique de broches en raison de la communauté de biens entre les deux époux, les sept héritiers requirent la vente aux enchères du bien indivis. En août 1840, l’immeuble étant reconnu impartageable et les sept héritiers n’ayant pas réussi à s’entendre, il fut procédé à une vente aux enchères sur licitation de la fabrique de broches. En effet, elle appartenait alors pour 1/6 à la veuve de François Antoine

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Latscha, pour 5/24 au fils de François Antoine, pour 1/6 à Mathias Latscha comme ayant été commun en biens avec feue sa femme, pour 1/3 à Jacques Redler, pour 1/24 à Charles Latscha comme héritier de feue sa mère, pour 1/24 à Élisabeth Jehlen‑Latscha comme héritière de sa mère et pour 1/24 à Joseph Latscha comme héritier de sa mère. L’immeuble, estimé à 14 500 francs comprenait entre autre « un bâtiment principal contenant maison d’habitation et deux ateliers de fabrication de broches mus par un courant d’eau présentant une chute de quatre mètres, trente trois centimètres ; d’un petit bâtiment adossé au précédent et servant d’aiguiserie ; d’un autre bâtiment contenant petite forge, remise, grange, écurie et logement […] et enfin du mobilier industriel garnissant les dits bâtiments et servant à la fabrication des broches29 ». Lors de l’adjudication définitive, le 18 octobre 1840, Mathias Latscha acheta l’ensemble pour la somme de 14 500 francs. Le lendemain, il fit une déclaration de command devant notaire où il annonça « avoir enchéri le dit immeuble dans la proportion de deux tiers pour son propre compte et dans la proportion d’un tiers pour Charles Latscha tourneur sur métaux demeurant à Jungholtz…30 ». Les deux nouveaux associés empruntèrent en 1844 la somme de 8 000 francs à Émile Weber, ingénieur mécanicien de Guebwiller31, en hypothéquant leur établissement servant à la fabrication de broches32.

15 À la mort de Mathias Latscha en 1857, son fils, Charles I, se trouva seul chef. En effet, dans son testament olographe de 1852, Mathias Latscha léguait les 2/3 d’un bâtiment renfermant un atelier de tourneur sur fer avec une forge dont il était propriétaire à son fils Charles seul. Mathias Latscha y précisait également que « dans le cas où l’un ou l’autre de mes enfants devait contre mon attente, et pour quelque motif que ce puisse être, s’opposer à leur exécution, je veux et ordonne expressément que ma succession, que j’en constitue formellement débitrice, ait à payer à mon fils Charles Latscha, qui, par son travail, son zèle et son activité, a si puissamment contribué à la prospérité de mes affaires, une somme suffisante, pour – pendant ces dix dernières années et pendant tout le temps qu’il sera encore en association avec moi, lui fournir, à mon fils Charles Latscha, – en sus de son salaire déjà reçu, un supplément journalier qui procure cinq francs par chaque jour de travail, et ceci à titre de rémunération des services qu’il m’a rendus, car c’est grâce à ses soins et à son assiduité que j’ai pu me dispenser de prendre un employé étranger33 ».

16 La petite fabrique continua ses activités malgré la mort prématurée d’un des fondateurs et les démêlés liés aux partages successifs mais également en dépit du contexte difficile pour les produits sidérurgiques. En effet, la monarchie censitaire maintint les prohibitions sur certaines pièces métalliques comme le fer et la fonte ce qui entraîna une baisse des importations et surtout une augmentation des prix des produits sidérurgiques. Ainsi, entre 1815 et 1850, la France payait plus cher ses matières premières et ses demi-produits par rapport aux concurrents badois et suisses. Le prix du fer, par exemple, augmenta en France de 50 % entre 1788 et 1820 alors qu’ailleurs il baissa. Les prix des produits n’étaient donc pas concurrentiels et les industries étaient réduites au marché national voire local comme c’était le cas pour l’entreprise Latscha34.

17 Les Latscha réussirent à se maintenir au-delà du « take off » et résistèrent aux crises économiques qui furent souvent fatales à un très grand nombre d’entreprises. En effet, les débuts de l’industrialisation furent sévèrement sélectifs, car la réussite exigeait « un effort soutenu, un dynamisme de tous les instants, une gestion précise, de solides relations dans le milieu des négociants et de la chance aussi35 ». Ils se maintinrent donc et allaient pouvoir affermir leur empire.

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Le décollage

18 Charles I Latscha donna une nouvelle impulsion à l’entreprise familiale. Les années où il se trouva à la tête de l’entreprise familiale correspondaient à l’âge d’or du Second Empire. Il bénéficia d’un rythme de croissance très soutenu. En effet, les « biens d’équipement bénéficièrent de marchés en forte expansion liés aux investissements d’un nombre croissant de centres industriels dans le monde et ne mettant en concurrence qu’un nombre limité de fournisseurs36 ». Parallèlement, le régime évolua vers le libre échange : en 1860 furent levées les entraves sur l’importation des matières premières, en 1861 de nouveaux tarifs douaniers furent votés et de 1861 à 1866 des traités de commerce avec la Belgique, la Suisse, l’Italie, l’Autriche-Hongrie et le Zollverein furent signés. Si ces mesures libre-échangistes exposaient désormais l’industrie alsacienne à la concurrence extérieure, la petite entreprise de Jungholtz, dont l’horizon commercial se limitait à Mulhouse et Belfort ne fut pas freinée dans son expansion. En juillet 1855, Charles I Latscha fut autorisé à construire un moulin à émoudre les pièces mécaniques sur une dérivation du Rimbach. Il explique dans une lettre adressée au préfet que cette « aiguiserie » de broches (la Schliff) située en amont de Jungholtz « lui sera de la plus grande utilité et complétera son établissement qu’il possède à Jungholtz ». Le maire de Rimbach vint appuyer son projet « vu que l’établissement ne lèse personne et que, au contraire, il est très utile, attendu qu’il fournit de l’ouvrage aux pauvres habitants du vallon37 ».

Fig. 1 : La Schliff avant 1914

Col. B. Risacher.

19 La famille Latscha ne se contenta pas de créer des usines, elle modernisa et perfectionna également celles existantes. Dès 1856, pour s’affranchir de l’eau, la roue hydraulique fut complétée par une machine à vapeur et une chaudière dans leur atelier

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de constructions mécaniques pour servir de moteur au ventilateur et aux machines outils38. Jusqu’à cette date, la petite fabrique utilisait un canal dérivé du Rimbach destiné primitivement à pourvoir en eau le moulin. La roue à aubes en-dessous du vieux moulin avait été transformée en roues à augets en-dessus. Cependant, l’utilisation de cette énergie peu coûteuse avait des inconvénients : son caractère saisonnier, la concurrence avec d’autres utilisateurs et son insuffisance par rapport à la puissance croissante des machines que Latscha avait installées. D’autre part, Latscha avait eu quelques soucis avec son « moteur » hydraulique. En effet, en 1852 il fit la demande au préfet pour prolonger jusqu’à dix heures du soir et pendant trois semaines la durée du travail dans son atelier et cela pendant trois jours par semaine en raison du chômage occasionné par une réparation assez longue au moteur de son atelier39. Le préfet refusa ce qui incita vraisemblablement Latscha à faire l’acquisition d’une machine à vapeur. À partir de 1856, la fabrique Latscha utilisait donc un moteur mixte qui devait lui permettre de pallier aux inconvénients cités plus haut. En revanche, cela n’entraîna pas une baisse des coûts. En effet, Michel Hau en supposant qu’une filature utilise l’eau 8 mois et la vapeur 4 mois, estime que le coût moyen était de 2,26 F par an et par broche contre 1 F à l’énergie hydraulique seule et 3,04 F pour la vapeur seule. Cependant, l’écart de 0,78 F en faveur des moteurs mixtes était annulé si l’établissement – et c’était le cas de l’usine de Jungholtz – ne disposait pas d’embranchement vers le réseau ferré40. En 1858, l’atelier de constructions Latscha père & fils à Jungholtz employait 90 ouvriers qui produisaient six tonnes de pièces de machines à destination des environs, de Mulhouse et de Belfort. Les six tonnes de métaux pour fabriquer les pièces provenaient de Belfort par chemin de fer et par routes, alors que la houille (42 tonnes annuellement) pour alimenter la machine à vapeur arrivait par route depuis Saint- Étienne41.

20 Le petit atelier de constructions mécaniques connut donc un essor important à la fin des années 1850 puisque en 1852 il n’employait que 40 ouvriers, la plupart tourneurs en fer, maréchaux ou planeurs42. Nous ignorons cependant la durée hebdomadaire de travail chez Latscha. À Guebwiller, chez Nicolas Schlumberger, les ouvriers travaillaient 13 heures 30 mais la durée de travail effectif était de 12 heures. Il est probable que les autres ateliers de constructions mécaniques, comme celui de Jungholtz, s’alignèrent sur ces horaires. D’autre part, aucune statistique ne nous permet de savoir le niveau des salaires. Tout au plus pouvons‑nous supposer que ces salaires étaient plus élevés que ceux versés dans le textile en raison de la spécialisation du travail. Les ouvriers devaient détenir une qualification (forgerons, lamineurs, mécaniciens, fondeurs, mouleurs, modeleurs). Michel Hau affirme que leurs salaires étaient 4 à 6 fois supérieurs à ceux des adultes les moins qualifiés43.

L’entreprise Latscha & Cie, médaillée de bronze à l’Exposition universelle de 1867

21 L’Exposition universelle de Paris en 1867 est la quatrième du genre après les expositions de Londres de 1851 et 1862 et celle de Paris en 1855. Napoléon III confia son organisation à une commission impériale, composée des principaux acteurs de la vie économique et politique du Second Empire et dirigée par deux hommes d’expérience : le prince Napoléon, ministre des Colonies depuis 1858, et Frédéric Le Play, ingénieur des mines. Il s’agissait de mettre en pleine lumière les progrès réalisés par l’industrie française, lui gagner des clients étrangers et encourager les initiatives. L’exposition

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devait attester que l’industrie française, longtemps distancée par l’industrie anglaise, était devenue pour un temps son égale. L’Empire et le libéralisme étaient alors triomphants.

22 Des comités d’admission et des syndicats d’exposants, chargés de prendre les décisions en matière de choix des exposants et d’installation des produits, furent créés par la commission impériale dans chaque département français. Le comité départemental du Haut-Rhin était présidé par Amédée Rieder, papetier de l’Île Napoléon44. Ce dernier recommanda « chaudement » Charles Latscha au commissaire général à Paris, qui n’était autre que le prince Napoléon. En effet, en novembre 1865, Charles Latscha fit parvenir sa demande d’admission à la commission impériale dans le groupe 6, classe 55 où il souhaitait exposer « des pièces détachées de machines à filer et à tisser, des ailettes, des broches, etc. …45 ». Dans la marge du formulaire, Amédée Rieder ajouta la mention manuscrite suivante : « Particulièrement recommandé à l’admission pour completter [sic] l’exposition des métiers à filer du Haut-Rhin ». Le même Rieder joignit un courrier adressé au commissaire général à Paris, dans lequel, une nouvelle fois, il vantait les mérites de l’entreprise Latscha : « Je viens recommander pour l’admission à l’exposition la demande ci-jointe du Sieur Latscha auquel j’ai demandé l’exposition d’une bien intéressante fabrication de pièces détachées pour filature et tissage. Cela complettera [sic] l’exposition des machines faites par nos grands constructeurs du Département ». À l’époque l’entreprise Latscha fabriquait des cylindres cannelés et de pression, des plates bandes, des broches et ailettes de bancs à broches, de continus, de self acting, des templets mécaniques et beaucoup d’autres pièces encore46. Selon Charles Prost, « ces opérations sont faites par des constructeurs spéciaux, et Monsieur Latscha est du nombre. Non, seulement, il travaille pour les usines en général, mais encore pour les grands constructeurs comme Messieurs Stehelin et Schlumberger qui reportent principalement leur attention sur les bâtis et transmissions47 ». L’entreprise Latscha & Cie fut sélectionnée dans la classe 55/56 – matériel et procédés du filage et de la corderie ; matériel et procédés du tissage – par Michel Alcan, professeur au Conservatoire des arts et métiers et Edouard Simon, ingénieur du syndicat des classes 55/5648. Charles Latscha s’en alla donc à Paris en 1867 où il exposa dans « le Palais sur plancher » dans un stand d’une « largeur de façade de 1,50 mètre, d’une hauteur de 1 mètre et d’une profondeur de 0,80 mètre49 ».

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Fig. 2 : En-tête de courrier de l’entreprise Latscha & Cie

Col. F. Windenberger.

23 Charles Latscha s’en revint avec une médaille de bronze pour la fabrication spéciale d’ailettes creuses et de broches pour bancs à broches. Quelle consécration pour ce petit entrepreneur de Jungholtz !

Une famille de notables locaux

24 Pour le patronat qu’il s’agisse des industriels mulhousiens ou des petits capitaines d’industrie, « l’accès aux responsabilités politiques est comme ailleurs la sanction normale de la réussite sociale et la marque de l’accès à la notabilité50 ». Les Latscha s’illustrèrent donc au sein des institutions de Jungholtz et de la vallée de Rimbach. À partir de 1840, Charles I Latscha (1812-1883) fut conseiller municipal de Rimbach alors que Jungholtz en était une dépendance (les usines Latscha & Cie se trouvaient sur le ban de Rimbach). Il fut continuellement réélu jusqu’en juillet 1871. En juillet 1857, après la démission du maire en place, Antoine Risacher, il fut pressenti pour lui succéder. L’administration impériale cherchait alors un « homme ferme, calme, paisible qui ait l’esprit conciliant et qui ne fraye avec aucun parti et surtout qui ne se laisse pas influencer51 ». Le commissaire de police de Guebwiller proposa alors plusieurs habitants au préfet, « des notables qui réunissent les qualités nécessaires pour les fonctions de maire52 ». Parmi eux, Charles I Latscha, « fabricant, mais n’habitant pas l’intérieur de la commune ». Finalement, on lui préféra un garde de coupes, Jean Kam. Dix ans plus tard, la démission d’Antoine Fallecker, obligea le préfet à lui chercher un successeur. Aimé‑Philipe Gros, député au Corps législatif, appuya la candidature de Charles Latscha à la fonction de maire en ces termes : « Monsieur Latscha est membre du conseil municipal de Rimbach depuis très longtemps, c’est un homme aimé et estimé dans

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toute la contrée et par sa position et fortune il est dans des conditions excellentes pour rendre comme Maire des services à une commune qui, par la construction de son église, se trouvera pendant quelques années encore dans une position financière difficile. Je verrais également dans cette nomination un avantage c’est à soustraire l’administration de cette commune à l’influence d’un curé, qui, si je suis bien informé, cherche à remplir les doubles fonctions de chef religieux et de chef administratif de sa commune. Monsieur Latscha est le seul homme qui puisse contrebalancer cette influence que je crois nuisible aux intérêts de la commune de Rimbach53 ». Henry Schlumberger, maire de Guebwiller et conseiller général du Haut-Rhin, vint également apporter son soutien à Charles I Latscha, qui « réunit les sympathies du Conseil municipal et de la population54 ». Finalement, le choix du préfet se porta sur Charles I Latscha qui « pourrait réunir les sympathies de la généralité des habitants ». Le 10 décembre 1867, Charles I Latscha fut nommé maire de Rimbach et jura obéissance à la Constitution et fidélité à l’Empereur. Dans une lettre qu’il adressa au préfet le 17 décembre, il affirma : «Je trouve une occasion pour travailler au bien-être de mes administrés […]55 ». Il resta maire jusqu’en juillet 1871.

25 Comme de nombreux industriels alsaciens du XIXe siècle, les Latscha ont été beaucoup plus que des chefs d’entreprises. Grâce au développement de leurs affaires, à leur fortune accumulée, la famille ajouta à sa puissance financière, la puissance politique. L’histoire de Jungholtz est indissociable de celle de cette famille. La création de la petite fabrique de broches en 1835 marqua l’entrée du village et de la haute vallée dans l’ère industrielle avec ses conséquences économiques et sociales, voire culturelles et politiques.

26 Grâce au choix d’un produit au marché porteur et à la spécialisation dans un savoir- faire spécifique, les Latscha donnèrent donc naissance à une entreprise florissante. Comme d’autres industriels catholiques qui partageaient ce comportement d’origine calviniste, le développement de l’entreprise a été pour les Latscha « l’objectif ultime vers lequel tendaient toutes les énergies familiales et tous ses capitaux56 ». Celui-ci a été la condition favorable à la naissance et la pérennité de cette dynastie industrielle.

L’Annexion (1870-1914) : une adaptation réussie au marché allemand ?

27 L’année 1870 apparait comme un tournant important dans l’histoire économique de l’Alsace après une période d’âge d’or du patronat. Il est vrai que par bien des aspects l’Annexion est une période charnière57 : beaucoup de chefs d’entreprises optèrent pour la France, de nombreux établissements furent dédoublés ou purement et simplement implantés en France, certains autres, pour les soustraire aux capitaux allemands, furent transformés en sociétés anonymes, créant cependant une brèche dans le contrôle familial du capital, enfin, le transfert de la protection sociale à l’État par les lois de Bismarck enleva aux patrons toute initiative dans ce domaine. Cependant, si Jean Schlumberger avait pu écrire que « l’annexion était venue couper tous les liens spirituels de l’Alsace, l’avait repliée sur elle-même58 » il parlait surtout des grands patrons, des notables de l’industrie alsacienne. Qu’en est-il par contre des petits capitaines d’industries, des industriels des petites vallées vosgiennes, comme les Latscha dont les intérêts étaient nettement plus locaux ?

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Les Latscha face au Reich : des notables résignés ?

28 Au terme du traité de Francfort signé le 10 mai 1871, l’Alsace fut annexée au Reich et ses habitants devinrent, sans avoir été consultés, des ressortissants de l’Empire nouvellement créé. Les Alsaciens ne pouvaient opter pour le maintien dans la citoyenneté française qu’à la condition de quitter l’Alsace. Vouloir rester français signifiait pour les optants l’exil sans espoir de retour, car les autorités allemandes ne les autorisaient ensuite à revenir qu’avec un passeport visé par elles-mêmes et pour des séjours très brefs59. En définitive, « peu d’industriels se sentirent suffisamment menacés dans leur activité pour quitter l’Alsace ». Ainsi, les membres de la famille Latscha décidèrent de ne pas opter pour la France et restèrent en Alsace car « quelles que fussent les répulsions politiques et les difficultés économiques prévisibles, nécessité fit loi60 ». Les Latscha choisirent de rester à Jungholtz même si les membres de la famille étaient « profondément hostiles au Reich allemand » comme l’était massivement la bourgeoisie industrielle alsacienne. Les Latscha partageaient également les idéaux de cette bourgeoisie qui « accordait une valeur quasi sacrée à la nation française. On n’imagine pas aujourd’hui l’intensité de l’attachement à la France de cette bourgeoisie qui s’exprimait aussi bien en allemand qu’en français et qui avait des relations d’affaires et de mariage dans tout le milieu rhénan. Le souvenir des événements de 1870 hantait les familles alsaciennes61». Pendant la guerre franco- allemande, Henri I Latscha et son frère Edouard II firent partie de la Garde mobile du Rhône qui participa à la défense de la forteresse de Neuf-Brisach où ils furent faits prisonniers avec trois autres Soultziens et conduit à Leipzig. Dans cette famille aussi, le souvenir de la patrie blessée et humiliée restait une plaie impossible à cicatriser.

Fig.3 : Groupe de la Garde Mobile du Rhône affecté à la défense de Neuf-Brisach pendant la guerre franco-allemande de 1870/1871

Au second rang : 1er à gauche Edouard II Latscha et en 4e Henri I Latscha. Col. Amis de Soultz.

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29 Mais il y avait les considérations matérielles (abandonner l’entreprise signifiait hypothéquer l’avenir ; liquider ses biens cela équivalait à l’anéantissement du capital) et il y avait les autres motivations : pour ceux qui étaient implantés en milieu rural comme les Latscha « c’était renier l’œuvre entreprise par les générations successives et ce patient travail sur le territoire et sur les hommes, les solidarités nouées avec les populations, les liens d’homme à homme, entre patrons et ouvriers. Tout ce capital informel aurait été irrémédiablement perdu du jour au lendemain. Ils ne pouvaient pas abandonner ces ouvriers du jour au lendemain au nom de convictions personnelles. Enfin, ils étaient attachés à la terre de leurs ancêtres, à la petite patrie »62. Les Latscha, comme beaucoup de leurs compatriotes, étaient donc déchirés entre deux fidélités contradictoires.

30 Par l’Annexion, l’Alsace devint donc une terre d’Empire. La loi du 24 janvier 1873 créa des corps élus en Alsace. Les représentations départementales (anciens conseils généraux) portaient désormais le nom de Bezirktag, celle des arrondissements de Kreistag. Le gouvernement imposa aux élus le serment de fidélité imposé aux conseillers généraux sous Louis‑Philippe et adressé désormais à l’Empereur. Les notables de l’Empire déchu, adoptèrent, dès l’Annexion, et en particulier les catholiques, « une attitude négative envers l’empire allemand, les plus déterminés affichant nettement leurs sentiments francophiles, les plus prudents se cantonnant dans l’abstention et la non participation63 ». Quelle a été l’attitude de la famille Latscha face au Reich ?

31 Les premières élections municipales de l’Annexion eurent lieu les 29 et 30 juillet 1871. Dans le Haut-Rhin l’abstention fut élevée et à Sausheim, par exemple, le conseil municipal ne fut élu que par 7 à 13 % des électeurs. À Rimbach-Jungholtz, Charles I Latscha décida de ne pas se présenter aux élections, en signe de protestation comme d’autres élus issus des milieux intellectuels, industriels et bourgeois.

32 Dix ans après l’Annexion, la nouvelle génération, celle des fils de Charles I, était résignée à vivre avec les Allemands même si elle souhaitait ardemment le retour rapide à la France. Leur francophilie restait indiscutable mais ils étaient, comme beaucoup d’autres industriels, déçus par l’attitude de la France et ne comptaient plus sur elle. Henri I et Edouard II n’hésitèrent plus à participer à la vie publique. Ainsi, l’érection de Jungholtz en commune indépendante, séparée de celle de Soultz et Rimbach, le 2 juin 1880, était due à la volonté farouche d’Henri I Latscha qui obtint, après une audience auprès de l’Empereur Guillaume Ier à Bad Ems, l’élévation de Jungholtz-Thierenbach au rang de commune et paroisse. Lors des premières élections municipales de Jungholtz le 22 août 1880, c’est tout naturellement Henri I Latscha qui devint le premier maire de la jeune municipalité. Les maires étaient alors désignés par le président du district (Bezirkspräsident) sur proposition du chef d’arrondissement (Kreisdirektor) de Guebwiller. Le chef d’arrondissement décrit les élus comme « des personnes qui ne cachent pas leurs sympathies françaises, mais qui cependant tiennent compte de la situation actuelle » et il ajoute pour Henri I Latscha qu’« il a des principes libéraux » et qu’en outre c’est « une personnalité tout à fait digne d’estime »64. Il resta maire jusqu’en 188965. Henri I Latscha accéda également à des responsabilités politiques à l’échelle de l’arrondissement, « sanction normale de la réussite sociale et la marque de l’accès à la notabilité ». Henri I Latscha fut membre du conseil d’arrondissement (Kreistag) de 1891 à sa mort en 189766. Lors des élections des conseillers d’arrondissement de 1891, un électeur anonyme appela à voter pour Henri Latscha dans

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le journal local « Gebweiler Kreisblatt »67, – organe du parti du centre, le « Zentrum » –, en ces termes : « Aux électeurs du canton de Soultz ! Notre conseiller d’arrondissement, Monsieur Durrwell de Soultz ne souhaite plus se représenter en raison de son âge. Notre devoir est de trouver un homme comme Monsieur Durrwell, qui va défendre les intérêts de nos communes. Cet homme, nous l’avons sous la main, ce n’est pas un inconnu, il s’agit d’une personnalité connue de la majorité des électeurs. Cet homme c’est Henri Latscha, fabricant à Jungholtz. Tous les électeurs gardent encore en mémoire son père, Charles Latscha, qui a été pendant des années, membre du conseil d’arrondissement, qui ne perdait pas de vue l’intérêt de nos communes. Le fils va marcher dans les pas de son père. Pour ceux qui ont d’ailleurs déjà eu l’opportunité de rencontrer personnellement Monsieur Latscha, ils ont pu se rendre compte de son affabilité et de son esprit de justice et se sont donc rangés à mon opinion que Monsieur Latscha était la seule personnalité capable de défendre les intérêts de nos communes. Si nous voulons, nous électeurs du canton de Soultz, que nos intérêts soient à nouveau défendus avec énergie, alors le jour des élections votons pour Monsieur Krafft de Raedersheim et Monsieur Henri Latscha de Jungholtz ».

33 Henri Latscha fut élu avec 1252 voix dans le canton soit 85 % des votants et obtint 103 voix à Jungholtz sur 105 exprimés68. Lorsqu’Henri I Latscha mourut subitement le 1er mai 1897, le rédacteur du Gebweiler Kreisblatt en fit part à ses lecteurs par ces mots : « C’est avec émotion que nous avons appris samedi dernier dans notre ville, la mort subite de Henri Latscha à la suite d’une attaque. Monsieur Latscha était maire de Jungholtz, qu’il contribua à ériger en commune indépendante. Il était membre du conseil d’arrondissement et chevalier de l’ordre de la Couronne de 4e classe. Sa famille perd un mari et père aimant, ses ouvriers un patron d’une grande bonté, la commune un concitoyen de valeur et méritant dont la mémoire ne s’effacera pas. Hier matin à 10 h a eu lieu l’enterrement de cet homme âgé d’à peine 53 ans. Les habitants de Jungholtz, de Soultz et de Guebwiller suivirent le cortège funèbre. La musique de Jungholtz, dont il était un mécène, ainsi que la musique municipale de Guebwiller, participèrent au cortège69 ».

34 Son frère, Edouard II, qui disposait d’« une forte personnalité pour rétablir à nouveau à Jungholtz la paix et l’ordre »70, fut nommé maire sans discontinuité de 1891 à sa mort en janvier 1905. Lors des élections de 1896, le chef d’arrondissement le propose car « il est prêt pour l’emploi » et en 1902 il précise qu’« il appartenait à la garde mobile en 1870, qu’il est chevalier de l’ordre de la couronne et membre du conseil d’arrondissement [Kreistag] ». En effet, il succéda à son frère comme conseiller d’arrondissement de 1897 à sa mort en 190571. Aux élections pour renouveler le conseil d’arrondissement du 1er août 1897, il arriva en tête devant Victor Krafft, conseiller sortant, avec 1 510 voix soit 91 % des votants et à Jungholtz 122 électeurs sur 124 lui apportèrent leur suffrage. La victoire d’Édouard II Latscha et Victor Krafft fut saluée par le Gebweiler Kreisblatt en des termes élogieux : « Les cantons de Guebwiller et Soultz seront donc aussi représentés, dans les années à venir, au conseil d’arrondissement et au conseil général, par des hommes d’expérience et de bon sens72 ». Il fut réélu brillamment en septembre 1903 devant Rémi Pfulb, maire de Feldkirch, et 117 de ses concitoyens sur 130 votèrent pour lui à Jungholtz. Lorsqu’Édouard II Latscha mourut le chef d’arrondissement se plaignit auprès du préfet de « cette perte immense d’autant que ses neveux et ses fils sont trop jeunes pour lui succéder».

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35 L’attitude des Latscha face au Reich fut dictée par les circonstances comme pour bien d’autres industriels alsaciens. Fondamentalement hostile au Reich allemand et viscéralement francophile, Charles I Latscha refusa tout mandat électoral à partir de l’Annexion. Ses fils et petit‑fils, finalement, se résignèrent à l’Annexion et acceptèrent de participer à la vie politique en exerçant des mandats de maire et de conseiller d’arrondissement. En fait, comme l’écrivit le Kreisdirektor en 1880, les Latscha ne cachaient pas « leurs sympathies françaises », mais tenaient « compte de la situation actuelle ». Ainsi, lorsque le fils d’Henri I Latscha, Paul I, fut nommé maire en juillet 1914, le chef d’arrondissement justifia son choix parce que « Paul était le plus capable pour ce poste. Il est chef d’entreprise et son père Henri a été le premier maire de Jungholtz qu’il a érigé en commune indépendante. Il est énergique, versé dans les affaires et possède une bonne connaissance de l’administration financière. Il a servi dans l’armée allemande et c’est un homme de consensus avec les autorités allemandes. Enfin, trois conseillers travaillent dans son entreprise et le boulanger et deux aubergistes dépendent indirectement de lui […]73 ». Nécessité faisait loi. Il s’agissait de maintenir les acquis des générations précédentes et de s’adapter pour préserver leur puissance. Cependant, les patrons de Jungholtz restaient nostalgiques de la patrie perdue.

Une adaptation réussie « aux modifications des structures de la demande »

36 Les industriels alsaciens avaient tout à craindre de leur intégration dans l’espace allemand. D’une part, l’Annexion interrompit les échanges avec les régions transvosgiennes et sépara des régions devenues concurrentes. Ainsi, en 1869, 83 % de la production haut-rhinoise de machines s’écoulait hors d’Alsace et notamment sur le marché français. Désormais les dirigeants devaient réorienter leur flux vers les marchés de consommation de l’Allemagne centrale et septentrionale, où se concentraient l’activité économique et la richesse. Cependant les industriels alsaciens étaient très désavantagés par rapport aux concurrents de Rhénanie‑Westphalie, de Saxe ou même de Bavière et du Wurtemberg en raison des prix de revient élevés pour les produits textiles et métallurgiques74 et de leur éloignement géographique alors que les compagnies ferroviaires pratiquaient des discriminations tarifaires. D’autre part, il fallut s’adapter au marché allemand. Si le marché français privilégiait la qualité des produits plus que les coûts de production, en revanche, la clientèle allemande recherchait moins la qualité que le bon marché. Pour répondre à la croissance rapide de la consommation des classes populaires, les industriels alsaciens devaient « se battre sur le terrain des prix et les conditions de vente75 ». Enfin, en entrant dans l’espace économique allemand, les entreprises alsaciennes durent faire face à l’intensification de la concurrence étrangère, les matières premières entrant en franchise et les produits industriels devaient s’acquitter de droits peu élevés. Ainsi, les produits métallurgiques et la construction mécanique, domaine dans lequel la firme Latscha s’était spécialisée, étaient beaucoup moins protégés.

37 Parallèlement, aux débuts des années 1870, une crise profonde et de longue durée frappa les pays industrialisés dans leur ensemble. Cette crise qui toucha l’Allemagne à partir de 1873, communément appelée « la Grande Dépression » (1873-1896) eut un effet sur la courbe des différentes productions et sur les comptes d’exploitation mais la

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vague de liquidations ne fut pas plus élevée entre 1870 et 1876 que lors des crises précédentes selon Michel Hau. En fait, cette crise marqua plus par sa durée que par son intensité. La conséquence pour les entreprises fut un affaiblissement durable de leur santé financière. Elles ne parvenaient plus à faire de grands investissements ni à rémunérer le capital social au taux de l’intérêt statutaire. Cette crise avait pour origine la fin de la vague d’industrialisation apportée par le textile, l’invasion des tissus britanniques et la naissance de nouveaux foyers industriels dans le reste du monde et par conséquent une concurrence accrue. Cependant l’Alsace pouvait également profiter de son rattachement à l’économie la plus dynamique d’Europe. L’intégration au marché allemand pouvait donc aussi apparaître comme une chance « à condition de résister à la concurrence d’industries en plein essor et de savoir s’adapter aux goûts et aux besoins de la clientèle populaire76 ».

38 L’entreprise Latscha & Cie s’adapta avec succès au marché allemand et ne semble pas avoir été affectée par la crise des années 1870. En revanche, elle dut s’adapter aux modifications des structures de la demande mais aussi « au passage de l’industrie cotonnière à une croissance de type récessif ». En effet, entre 1871 et 1908, le nombre de filatures passa de 71 à 53 ce qui ne signifiait pas pour autant la baisse du nombre de broches puisque cette baisse correspondait aussi à un processus de concentration. L’entreprise Latscha pouvait donc espérer garder ses clients et même en conquérir d’autres puisque l’industrie lainière poursuivait son essor et compensait les pertes des autres branches de l’industrie textile. Ce qui permit à la petite entreprise de Jungholtz de s’adapter sans difficultés au nouveau marché c’était sa spécialisation dans la fabrication des pièces détachées pour machines de filature – à savoir des cylindres cannelés et de pression, des plates bandes, des broches à ailettes de bancs à broches, de continus et de selfacting et des templets mécaniques77 – « articles qui ne sont faits que par des maisons anglaises et une seule maison française78 ». En 1880, l’entreprise lança la construction de la broche Rabbeth79 qui fit sa fortune. En 1895, pour répondre aux commandes, les Latscha firent la demande de construire une fonderie de fer pour la fabrication des pièces pour machines qui nécessitait donc une fonderie en propre. En 1904, cette fonderie fut agrandie et il y fut installé un cubilot pour la préparation de fonte de seconde fusion devant produire 2 000 kg par heure80. Ils firent également installer des machines à vapeur plus puissantes dans leurs trois usines81. Au tournant du siècle, la petite entreprise familiale connaissait donc la prospérité : elle employait entre 450 et 500 ouvriers.

39 Symbole de la réussite de cette entreprise, ses membres, pourtant catholiques, firent leur entrée à la Société Industrielle de Mulhouse « signe de notoriété et de valeur sociale et intellectuelle », rejoignant de grandes figures du patronat industriel protestant « uni grâce à des alliances familiales et à la forte imbrication des responsabilités politiques, civiles et économiques ». Henri I Latscha, parrainé par Albert Rohr, – directeur de l’École théorique et pratique de filature et de tissage mécanique de Mulhouse –, y fit son entrée en 1884. À sa mort en 1897, il fut remplacé par son frère, Edouard II, parrainé par Alfred Wenning et Léon Dardel, tous deux administrateurs- directeurs de la SACM. Enfin, en 1911, les fils d’Henri I, Henri III et Paul I, furent cooptés grâce à l’appui de Fernand Stehelin qui avait acquis la Schliff à Jungholtz en 1906.

40 Autre signe de la vitalité de la petite entreprise familiale le premier prix et la médaille d’or qu’elle obtint à Fribourg en 1887 et le premier prix et le diplôme d’honneur obtenu

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à l’Exposition industrielle de Strasbourg (Industrie & Gewerbe-Ausstellung Strassburg) en 1895. Enfin, une autre preuve de sa bonne santé, fut l’acquisition, en juin 1897 de la filature de soie en rez-de-chaussée au bas du village avec la maison de direction, l’atelier de réparation, le magasin, la maison du portier, la cour, le bureau, les canaux et la chute d’eau appartenant à Alexandre Lang82. Les nouveaux propriétaires liquidèrent alors la filature de schappe et la transformèrent en usine de constructions mécaniques.

41 L’adaptation de l’entreprise Latscha aux modifications de la demande fut aussi facilitée en raison du caractère régional de ses débouchés. En effet, sources de matières premières et clientèles se trouvaient dans leur majorité en Alsace comme le montre la carte ci-dessous.

Localisation des fournisseurs et clients de la Maison Latscha avant la Première Guerre

42 Pour ses approvisionnements en charbon, Latscha se tourna vers les houillères de Petite-Rosselle ou la société « La Houve » de Strasbourg alors que jusqu’à l’Annexion la houille provenait de Saint‑Étienne. La fonte provenait de l’entreprise « Les fils d’Edouard Latscha » à Soultz et le fer de chez Moss & Gamble à Sheffield.

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Fig. 4 : Carte postale publicitaire représentant les trois usines de la société « Latscha & Cie » à Jungholtz avant 1906

Col. B. Risacher.

43 Parmi les dix-huit clients de l’entreprise, sept étaient situés en Alsace. Il s’agit de Schermesser Horn à Jungholtz – un atelier de constructions mécaniques –, de Baumann Ainé à Soultz, de la société industrielle pour la Schappe à Soultzmatt, de Zeller frères à Oberbruck, de la filature de laine d’Erstein, des « Filature et tissage de Villé », et de Scheidecker de Regel & Cie à Lutzelhouse. Quatre autres étaient situés en dehors du Reichsland, quatre en France et deux dans l’Empire russe, à Lodz et Czestochowa83. Dans ce dernier cas, Latscha bénéficia de la politique libre échangiste du Reich qui conclut des accords commerciaux avantageux, avec souvent la clause de la nation la plus favorisée.

44 Au tournant du XXe siècle, les Latscha dirigeaient trois établissements qui donnaient du travail et faisaient vivre la population du vallon puisqu’elle occupait alors « un contingent de 450 à 500 ouvriers recrutés dans les communes de Jungholtz, Soultz, Wünheim [sic], Rimbach-Zell et Rimbach84 ».

Un effort d’éducation

45 Avec la troisième génération de Latscha, les études supérieures se généralisèrent. Pour le patriarche, Charles I Latscha, il était primordial pour pérenniser le patrimoine et le pouvoir économique de ne pas relâcher l’effort d’éducation des enfants. Les héritiers quittaient ainsi très tôt leur domicile familial pour rejoindre un internat. Son fils, Edouard II, rejoignit l’entreprise familiale en 1866 après avoir fait ses études à l’école professionnelle de Mulhouse. Ce dernier, comme bien d’autres fils d’industriels catholiques et ardents francophiles, envoya ses fils de l’autre côté de la frontière au collège libre de Lachapelle‑sous‑Rougemont. Comme des dizaines de familles catholiques alsaciennes, les Latscha firent le choix d’envoyer leurs garçons de l’autre côté de la frontière pour y suivre un enseignement de qualité leur permettant de se présenter avec les meilleures chances aux examens et concours français mais aussi un

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enseignement obligatoire de la langue allemande afin de faciliter l’insertion professionnelle après leur retour dans le Reichsland85. Pour ces futurs industriels, la famille privilégiait les formations scientifiques et techniques. Ainsi, l’un des petits-fils d’Edouard II, Edouard IV se spécialisa dans la filature et fut inscrit à l’École nationale supérieure des industries textiles de Mulhouse (ENSITM) en 1922 / 192386.

46 À l’image des grandes familles bourgeoises alsaciennes, Latscha & Cie était également une entreprise éducative87.

Une stratégie matrimoniale88

47 Le mariage devint, avec la 4e génération, un autre moment décisif dans la préparation de l’avenir de l’entreprise. Si les fils de Mathias Latscha avaient tous épousés des femmes issues du monde ouvrier ou artisanal (François Antoine épousa la fille d’un vigneron, Charles I, la fille d’un tisserand et Joseph celle d’un serrurier), il semblerait qu’à la troisième et surtout à la quatrième génération, le choix de l’épouse n’était plus laissé au hasard. Dans son étude qu’il consacra aux patrons du Second Empire, Nicolas Stoskopf explique que « la famille est le lieu où se prépare l’avenir. Avant d’être patron, l’industriel est un père qui pense à assurer la continuité dynastique89 ». Ainsi, Charles I Latscha qui dirigea seul l’entreprise à partir de 1857, eut neuf enfants, dont trois garçons ayant atteint l’âge adulte lui permettant « d’assurer l’avenir et choisir les meilleurs collaborateurs parmi les fils ou les gendres90 ». Ainsi, le fils aîné, Charles III épousa Marie Caroline Doniat, fille et sœur de fondeur de Soultz et marraine de Joseph Vogt, le second Henri I, convola avec Anne Vogelweith dont le père était boucher et propriétaire et le benjamin, Edouard II, s’allia à la fille d’un boulanger, Justine Meichler. L’une des filles, Barbe épousa un receveur municipal, une autre Élise Thérèse un dessinateur, Jacques Rieger. Mais c’est la quatrième génération qui noua les plus belles alliances. Parmi les enfants de Charles III, Marie Henriette épousa François Xavier Kreyer, ingénieur et architecte alors qu’Anne Pauline, s’allia avec un fabricant bâlois, Richard Rächer. Les deux fils de Henri I, Henri III et Paul I épousèrent, le premier la fille d’un notaire Marie Agathe Marguerite During, le second Anne Henriette Rieder, fille d’Emanuel Rieder de Bâle, directeur technique de la « Filature de coton de Mulhouse SA, ci-devant Naegely Frères » qu’il reprit en main et modernisa à partir de 1894, alors que leur sœur, Joséphine Anne Marie Barbara épousa son cousin Jules Rieger, industriel à Lure. Enfin, leur cousin, Edouard III, épousa Marie Anne Wittmer, fille d’un négociant. Cela permit à la famille d’avoir de nouveaux associés et de créer un réseau de solidarité sur des bases professionnelles. Donc, à partir de la quatrième génération, les conjoints étaient recherchés dans le milieu social proche (homogamie). Pour les Latscha, à l’image des notables de l’industrie alsacienne, le mariage « était l’élément décisif de la poursuite de l’édification de la dynastie et il resta longtemps soumis à un contrôle direct ou indirect des parents91 », la clé de l’avenir de l’entreprise.

48 Charles I Latscha s’associa donc ses trois fils dans une société en nom collectif et ses gendres intégrèrent l’usine l’un comme comptable et l’autre comme dessinateur. Cette politique matrimoniale permit également de s’associer avec un fondeur, dont l’entreprise avait besoin pour la fabrication des pièces détachées pour machines textiles. À l’image des grandes familles mulhousiennes, la société Latscha fonctionnait comme une famille élargie sous l’autorité d’un patriarche, Charles I Latscha, qui avait d’ailleurs été surnommé le « matador ».

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Une famille de philanthropes

49 Très tôt les Latscha ont tenté d’améliorer le sort de leurs ouvriers et d’augmenter leur bien-être moral et matériel. À l’instar du patronat protestant de Soultz ou Guebwiller, les Latscha développèrent une politique d’assistance et de prévoyance.

50 Le village de Jungholtz, qui comptait 450 habitants en 1851, vit doubler sa population en soixante ans pour atteindre 989 habitants en juillet 1914 à cause de l’afflux d’ouvriers venant de la vallée de Rimbach et des communes avoisinantes. Pour retenir cette population sur place et loger la main d’œuvre au plus près de son lieu de travail plutôt que de parcourir de longs trajets à pied, les Latscha entreprirent la construction de logements collectifs. Les Latscha entendaient ainsi stabiliser la main d’œuvre car, si les ouvriers paysans et les artisans abondaient, peu étaient enclins à abandonner leur relative indépendance pour la discipline de l’usine. Les patrons avaient beaucoup de mal à l’époque à maintenir un effectif stable de main d’œuvre à plein temps. Ils favorisèrent donc l’accès à la propriété, meilleur moyen de stabiliser le personnel. Il s’agissait donc de retenir la population sur place en consolidant le régime de l’ouvrier paysan. Chaque logement avait ainsi son jardinet pour y cultiver fruits et légumes et y élever quelques animaux de basse-cour, qui leur permettait de pourvoir à une grande partie de leur alimentation. Pour mener à bien cette entreprise ou pour permettre à leurs ouvriers de construire des logements salubres et à bon marché ou leur maison individuelle, ils fondèrent une société de construction : « die Baugesellschaft – les employés Latscha – ». Les ouvriers aspiraient aussi à devenir propriétaire de leur maison qu’ils pouvaient hypothéquer en cas de coup dur.

Fig. 5 : La Fanfare à la fin du XIXe siècle

Col. P. Schwamm.

51 Parallèlement à leur œuvre industrielle, ce sont les réalisations sociales qui retiennent l’attention par leur diversité. Ils créèrent ainsi en novembre 1884 une caisse de secours mutuel : la Krankenkasse für die Fabrik der Firma Ch. Latscha. En fait, ils introduisirent la législation sociale allemande qui rendait obligatoire, par la loi du 15 juin 1883, la

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création de caisses maladie où il était obligatoire de cotiser 92. Il faut noter que l’introduction de la législation sociale allemande connut une vive opposition des industriels attachés au libéralisme intégral. Les industriels se considéraient comme les maîtres absolus dans leur entreprise aussi bien que dans leurs relations avec leurs ouvriers. Ils revendiquaient ainsi la liberté totale vis-à-vis du marché du travail, tant pour le salaire que pour l’embauche ou le renvoi, quitte à pratiquer des œuvres de charité comme le faisaient les Latscha. À partir de 1883, l’ouvrier alsacien bénéficia d’un important système de protection sociale garanti par l’État et réglementé par la Reichs Gewerbe-Ordnung, assimilable à un code du travail d’Empire promulguée le 1er juillet 1883 : assurance accident du travail (1884), droit de coalition (1889), tribunaux d’arbitrage pour les conflits du travail (1890) et assurance vieillesse (1891). L’introduction des lois sociales allemandes signifiait aussi que désormais le patronat alsacien était soumis aux inspections du travail. Or, il est assez curieux de constater que les usines Latscha ne furent jamais contrôlées entre 1890 et 1916 et qu’aucune infraction à la législation du travail ne fut signalée de 1904 à 191693. Lacune des sources ou signe que les règlements de travail étaient appliqués et que les conditions de travail étaient dignes ?

Fig. 6 : La villa Latscha, « s’Schlessla »

Face à la mairie et au centre du village, Henri I Latscha demanda à son neveu, François Xavier Kreyer, de lui ériger sa résidence, symbole de son éclatante réussite. Copie des grandes villas d’industriels de Guebwiller, elle comporte une véranda et des dépendances. Le parc a été planté d’espèces exotiques.

52 Les Latscha prirent également des mesures d’incitation à l’épargne. Le village se dota aussi d’une Caisse agricole de dépôts et de prêts, die Darlehnskasseverein. L’endettement restait un mal chronique qui pouvait mener une famille ouvrière de la pauvreté à la misère dès le moindre accroc. La pauvreté, l’incertitude du lendemain poussaient à consommer de suite.

53 Sous l’impulsion de la famille Latscha, un corps de pompiers volontaires fut créé en 1879 présidé à partir de 1903 par Henri II Latscha. Charles I Latscha, grand mélomane et amateur de musique, mit sur pied la Fanfare Latscha dès 1838. Cette valeureuse

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phalange de soixante musiciens fut dirigée et présidée par Paul I Latscha jusqu’en 1914. À l’époque tous les instrumentistes de talent de la proche région étaient recrutés et trouvaient automatiquement du travail à l’usine94. En 1897, la chorale « Concordia » fut constituée et présidée par Charles IV Maurice Latscha. Enfin, les Latscha parrainèrent également la création d’une société de gymnastique «der Turnverein Jungholz» en 1903. Charles IV Maurice la présida et l’entreprise mis à la disposition des gymnastes un hangar en bois pour les entraînements.

54 La famille Latscha, comme les promoteurs de la grande industrie de l’Alsace a voulu « ébaucher des solutions aux problèmes posés par l’avènement de la civilisation industrielle95 ». L’impact social produit par les Latscha est donc très perceptible à Jungholtz.

Fig. 7 : En-tête de courrier de l’entreprise Latscha & Cie en date du 2 septembre 1920

Source, ADHR PURG 030849.

55 En définitive, l’entreprise Latscha s’adapta sans trop de difficultés au marché allemand grâce à la spécialisation de sa production. Elle parvint, grâce à son avance technique, à affronter la concurrence allemande tout en profitant de l’expansion du nouveau marché qui s’ouvrait à elle. Les Latscha réussirent à relever avec succès plusieurs défis : digérer l’Annexion, développer deux, puis, à partir de 1897, trois usines, et assurer la pénétration du marché allemand. Pour cette famille d’origine modeste, l’Annexion fut donc une période d’apogée puisque l’entreprise en tira une nouvelle vitalité. Elle continua à s’illustrer au sein des institutions de Jungholtz mais également, désormais, elle accédait à des responsabilités politiques à l’échelle de l’arrondissement, « sanction normale de la réussite sociale et la marque de l’accès à la notabilité ». Entrepreneurs méritants, bien que d’origine modeste, ils réussirent à s’agréger aux familles industrielles suisses et protestante, en nouant des alliances matrimoniales. Enfin, symbole de la réussite de cette entreprise, ses membres, pourtant catholique, firent leur entrée à la Société Industrielle de Mulhouse rejoignant de grandes figures du patronat industriel protestant.

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Une dynastie brisée par la guerre

56 La guerre 1914-1918 fut un désastre économique pour l’industrie textile alsacienne. En effet, elle subit les conséquences du blocus – qui désorganisa les marchés de produits manufacturés – et des opérations menées sur mer – qui entraînèrent des difficultés d’approvisionnement. La mobilisation massive des hommes, début août 1914 aggrava encore la désorganisation de l’industrie en provoquant la pénurie en moyens humains96. Enfin, la prolongation du conflit imposa la mobilisation de l’économie au service de la guerre. Pour la première fois, l’État intervenait pour orienter les productions, reconvertir les industries, répartir les matières premières, l’énergie et la main d’œuvre. Désormais, l’industrie textile du Reichsland était mobilisée dans le cadre de l’économie de guerre pour répondre aux besoins de l’armée.

Une entreprise sinistrée

57 Les établissements Latscha de Jungholtz furent bombardés dès mai 1915 et en décembre de la même année, ces bombardements devinrent si violents que les usines ont dû cesser leur activité. Toute la vallée du Rimbach fut évacuée le 16 janvier 1916 et l’entreprise Latscha, au prix de dépenses élevées, put sauver une partie de son matériel et le transférer à Mulhouse où Paul I Latscha mit en route une installation intérimaire avec 120 ouvriers. Les frais de transfert d’une partie du matériel de Jungholtz à Mulhouse et la mise en route de la nouvelle installation coûtèrent 125 000 F. Cependant l’enlèvement du matériel des fabriques ne put s’effectuer qu’en février 1916 par l’intermédiaire des militaires allemands et seulement dans une faible proportion. Une autre partie, ainsi que des matières premières, des marchandises et des matières en cours de fabrication (cylindres cannelés, broches, comprimeurs…), ont été sauvées en 1917 mais elles étaient déjà abîmées par les bombardements. Après l’évacuation de la commune, les troupes allemandes du Bergegutaufnahmebogen ont réquisitionné, du 28 février 1916 au 28 août 1918, matériaux et marchandises : 1 790 kg de cuivre, 4 661 kg de laiton, 40 kg de zinc, 122 kg de plomb, 80 kg de bronze, 12 kg d’antimoine, 132 kg de vitriol de cuivre, 13 kg de caoutchouc, 44,5 kg d’argentan, 560 kg de fuseau en fer, 62 kg de déchets de coton et 52 215 kg de fonte97. En outre les Allemands enlevèrent également machines, outils, voitures et ustensiles agricoles. Le reste du matériel resté sur place a été détruit soit par les bombardements soit démoli par les militaires allemands et utilisé comme vieille ferraille (52 690 kg) et comme fonte (74 760 kg).

58 À Mulhouse, Paul I Latscha, qui était par ailleurs maire de la commune évacuée de Jungholtz, reprit l’activité avec un effectif réduit mais il se plaignit auprès du Kreisdirektor de Guebwiller du manque de qualification de ses ouvriers. En effet, en septembre 1917, il fit la demande pour remplacer certains de ces ouvriers par ses anciens employés de Jungholtz qui avaient été évacués en Allemagne. Il justifia sa demande par le fait que la plupart des ouvriers employés à Mulhouse, sauf exception, n’avaient aucune compétence dans cette branche de l’industrie et que par conséquence la précision du travail et la rapidité de livraison en pâtissaient. Enfin, il ajouta que cela permettrait à l’État de faire des économies puisqu’il n’aurait plus à payer d’allocation mensuelle aux réfugiés. Finalement, le Ministère de la guerre refusa cet échange de main-d’œuvre car les réfugiés étaient employés aux bâtiments militaires98.

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59 Le Premier conflit mondial a donc sérieusement ébranlé l’activité des usines Latscha de Jungholtz. En outre, le matériel, les matières premières et l’outillage avaient été réquisitionnés ou détruit et les bâtiments avaient été endommagés Dès octobre 1917, Paul I Latscha fit une demande, par l’entremise du Kreisdirektor de Guebwiller, d’avances de fonds à valoir sur les dommages de guerre. La remise en route s’annonçait difficile.

Le démantèlement de «l’empire» Latscha et son rachat par la SACM

60 En 1919, il fallait remettre en marche les usines, les réorganiser et reconstituer progressivement le capital fixe (bâtiments, machines) et le capital circulant (matières premières). La petite entreprise familiale Latscha & Cie de Jungholtz fut cependant incapable de faire face à la conjoncture difficile héritée de la Première Guerre mondiale.

61 Pour la petite entreprise familiale Latscha & Cie, la Première Guerre mondiale fut le coup de grâce. L’usine était endommagée, les machines se trouvaient en mauvais état, les équipements étaient usés et vieillis et, la paix retrouvée, elle se trouvait, de plus, confrontée au problème d’approvisionnements en matières premières et à la perte du marché allemand. À plusieurs reprises Paul I Latscha demanda une avance de fonds à valoir sur les dommages de guerre afin de réparer les usines au plus vite et être « à même d’occuper un grand nombre de chômeurs » car journellement un grand nombre d’anciens ouvriers venaient demander de l’occupation. Il justifia sa demande en expliquant, d’une part, que les bâtiments des deux usines étaient réparables – quoique fortement endommagés – et que les travaux de remise en état ne nécessitaient que quelques mois, de sorte que pour l’été 1919 le travail pourrait reprendre et l’entreprise pourrait embaucher « 300 ouvriers qui attendent avec impatience la réouverture de nos usines, qui depuis de longues années leur assuraient une vie prospère ». D’autre part, le gérant de l’entreprise souhaitait réparer les usines dans les plus brefs délais car, en raison de l’interdiction de tout commerce avec l’ennemi, la situation avait empiré et par conséquence la société ne parvenait plus à payer les artisans et fournisseurs qui demandaient des prix très élevés et exigeaient les paiements au comptant, et parfois même dès la commande. Enfin, dernier argument avancé par Latscha, les commandes étaient assurées pour l’entreprise en raison de la reconstruction de l’industrie textile dans le nord de la France qui faisait appel « à la plus grande intensité productive imaginable ». Pour étayer sa demande d’avance, il exposa au Haut Commissaire d’Alsace et de Lorraine, la situation pécuniaire de la société : celle-ci avait dépensé 125 000 F pour le transfert d’une partie du matériel de Jungholtz à Mulhouse et la mise en route de l’installation intérimaire alors que les machines, outils et matières premières récupérés par les Allemands, pour un montant de 300 000 F, n’avaient pas été payés et que des marchandises commandées sur modèles spéciaux par les Allemands étaient stockées parce qu’elles étaient invendables en France. Paul I Latscha chiffra les charges financières à 535 000 F. Les crédits étaient donc épuisés alors que les capitaux étaient nécessaires de toute urgence. C’est pour cette raison que dès le 30 octobre 1917 il fit une demande d’avance de fonds de 129 894 Mk au gouvernement allemand qui était sur le point d’aboutir mais qui échoua en raison de l’armistice. En décembre 1918, il s’adressa donc à l’adjoint à l’intendance de la Sous-préfecture de Guebwiller en insistant sur la nécessité urgente d’obtenir les premiers fonds d’environ 160 000 F afin de commander les matériaux indispensables à la réparation des usines et de procurer

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du travail aux ouvriers qui sont sur le point de rentrer et « refaire de cette façon la prospérité de notre contrée, qui a malheureusement trop souffert pendant les 4 dernières années99 ». En janvier 1919, Paul I Latscha écrivit au Haut Commissaire d’Alsace et de Lorraine pour revendiquer une avance de 150 000 F, guidé « par le besoin impérieux de reprendre sa place au milieu des industriels de son pays et par le sentiment plus que compréhensible de procurer l’occasion du travail aux nombreux infortunés de sa région ». Il prévient le Haut commissaire qu’en cas de refus, il se verrait « dans l’obligation d’arrêter même sa modeste exploitation actuelle, de congédier les ouvriers et d’attendre que les indemnités à toucher lui permettent la reprise du travail. Les conséquences de cette mesure seraient tout aussi néfastes qu’elles sont inévitables100 ». Finalement, les Latscha n’obtinrent aucune avance. L’entreprise n’était plus de taille à lutter face à cette conjoncture difficile. La famille dut se résigner à vendre ses deux entreprises101. Elle les céda à la SACM de Mulhouse, qui, bénéficiant de la reconstruction des régions sinistrées, connut une reprise vigoureuse de sa production dès 1919. Pour répondre à la demande, les administrateurs décidèrent une augmentation de capital avec l’arrivée de nouveaux actionnaires mais surtout l’augmentation des moyens de production. Ainsi, dès le 20 décembre 1918, la SACM racheta la fonderie Vogt à Masevaux pour 1 750 000 F qui comprenait aussi la fonderie de Soultz qui produisait 65 tonnes par mois et faisait travailler 80 ouvriers. La fonderie de Masevaux était un investissement intéressant à plus d’un titre : d’une part, elle devait produire des moulages destinés aux bâtis des machines de l’industrie textile et d’autre part elle se trouvait à proximité de Belfort où la SACM102 avait implantée une usine de locomotives en 1879. De même, le 7 mai 1920, la SACM fit l’acquisition des usines Latscha de Jungholtz afin de fabriquer des pièces de machines de tissage et de filature de coton, laine, soie naturelle et artificielle, chanvre, lin et ramie. La vente du fleuron de « l’empire » des Latscha – les deux usines de construction mécanique situées dans le village même – se fit pour 1 890 270 F dont 425 620 F pour les immeubles, 701 689,15 F pour le mobilier industriel et 44 656 F pour le terrain industriel. La transaction stipulait aussi que la SACM pourrait récupérer 2 025 000 F au titre des dommages de guerre devant être payés à la société Latscha & Cie103. Une clause prévoyait que l’usine de Jungholtz serait dirigée par Paul I Latscha qui en fut nommé directeur et qui le resta jusqu’à sa mort en 1928. Les usines de Jungholtz devenaient ainsi des sous-traitants de spécialisation, fournissant les composants nécessaires aux machines textiles construites à la SACM de Mulhouse.

62 Désormais, les usines de Jungholtz, devenues arrière-cour de la SACM, allaient suivre les développements et les difficultés de la maison-mère jusqu’en 1978104. Ainsi prenait fin une saga familiale exceptionnelle débutée en 1834 par François Antoine et Mathias Latscha, des chefs d’entreprise d’origine ouvrière.

63 ***

64 Dans le sillage tracé par les grandes dynasties, les Latscha profitèrent des opportunités d’activité dans le contexte de l’industrialisation et saisirent leur chance. La révolution industrielle leur donna brusquement le moyen de construire, en dépit des aléas économiques du XIXe siècle, un lignage, de transmettre de générations en générations une puissance économique et une position sociale. La dynastie Latscha est l’archétype de ces petits capitaines qui poursuivirent tous le même itinéraire qui les conduisit à la tête d’une entreprise. Cette remarquable réussite s’explique par un effort soutenu, un dynamisme de tous les instants, une gestion précise, de solides relations dans le milieu

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des négociants et de la chance aussi. Le point de départ est donc le même et on retrouve par la suite dans leurs comportements des similitudes : le niveau de formation, la politique matrimoniale, la philanthropie, la participation active à la vie civique sont quelques-unes des lignes de force qui les rattachent aux notables de l’industrie alsacienne au-delà des conditions de fortune et des clivages confessionnels ou culturels.

65 Cependant, « alors que la période prospère de croissance et d’industrialisation dans la paix jusqu’en 1870 a permis l’ascension et la consolidation105 » de la dynastie Latscha, alors que l’Annexion, loin d’apparaître comme une rupture dans son ascension économique, correspond à sa période d’apogée, la Grande Guerre lui fut fatale et les héritiers ne parvinrent pas à préserver les acquis des générations précédentes. La Première Guerre mondiale a affaibli la vitalité de la dynastie Latscha et réduit sa puissance financière, l’empêchant de se pérenniser au-delà de la quatrième génération.

66 La famille Latscha, qui ne s’illustra finalement dans les affaires que sur quatre générations, apparait ainsi comme un cas d’école particulièrement intéressant de dynastie brisée par l’impact de la Première Guerre mondiale. L’extinction de cette dynastie de petits capitaines d’industrie, met en lumière cette rupture majeure et irréversible dans l’évolution de l’économie alsacienne après l’apogée de la Belle Epoque106.

ANNEXES

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Annexe : Les alliances de la famille Latscha

Les descendants de Durs Latscha

Les descendants de Charles I Latscha

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Les descendants de Charles III Latscha

Les descendants d’Henri I Latscha

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Les descendants d’Edouard II Latscha

NOTES

1. HAU (Michel), STOSKOPF (Nicolas), « Le temps des pionniers », in Les grandes dynasties industrielles, Les Saisons d’Alsace, no56, mai 2013, p. 32. 2. DAUMAS (Jean-Claude), compte-rendu de l’ouvrage de HAU (Michel) et STOSKOPF (Nicolas), Les dynasties alsaciennes, Revue d’Alsace, t. 131, 2005, p. 544‑547. 3. HAU (Michel), STOSKOPF (Nicolas), « Mulhouse, terre de conquérants », in Les grandes dynasties industrielles, Les Saisons d’Alsace, no56, mai 2013, p. 59. 4. HAU (Michel), STOSKOPF (Nicolas), Les dynasties alsaciennes, Paris, Perrin, 2005, p. 63‑65. 5. La lignée Latscha peut être considérée comme une dynastie industrielle puisqu’elle fut « capable de se maintenir à la tête de ses affaires sur au moins quatre générations ». Cf. CROUZET (François), « Rôle et géographie des dynasties d’affaires », Entreprises et Histoire, no9, septembre 1995, p. 7. 6. Expression empruntée à Michel HAU in L’industrialisation de l’Alsace (1803-1939), Strasbourg, 1987, p. 98. 7. HAU (Michel), L’industrialisation de l’Alsace…, op. cit., p. 100‑101. 8. Le prénom de son père, Durs, nous permet de supposer que le berceau de la famille était situé en Suisse et qu’elle n’a fait qu’un détour par l’Allemagne. En effet, les familles Latscha sont toutes originaires du Jura Bernois et plus précisément de La Scheulte (Schelten) lorsque l’on descend de Delémont vers Moutier. La graphie Latscha se retrouve dans le canton de Soleure mais également dans le Jura Suisse où ils sont plus connus sous la forme Lachat et Loichat. Voir Généalogie en annexes « Les alliances de la famille Latscha ».

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9. Les tisserands étaient payés de 75 c à 1,50 F, les faiseurs de bas de 1,50 à 2,25 F et les apprêteurs et maîtres ouvriers de 2 à 4 F. Archives Départementales du Haut-Rhin (ADHR), 9 M 6. Enquête sur la situation économique et les établissements industriels en 1811, 1812 et 1813. 10. ADHR, 9 M 13. Enquête sur les établissements industriels (1839-1841). 11. Cf. TYL (Yves), « Les ouvriers de Guebwiller d’après les témoins du XIXe siècle », Annuaire de la Société d’Histoire des Régions de Thann-Guebwiller, t. IX (1970-1972), p. 61‑85. 12. ADHR, 3 X 39. Rapports annuels des médecins cantonaux au préfet. 13. Les listes de tirage de la conscription (cf. ADHR, série 1 R) viennent corroborer les rapports des médecins cantonaux. Les listes de tirage sont une source d’une inestimable qualité statistique anthropométrique et anthropologique. Y figurent non seulement les renseignements d’ordre général sur la personne du conscrit (le nom, les prénoms, la date et le lieu de naissance, le domicile, la profession ; le nom, les prénoms et le domicile des parents), la taille, les motifs des demandes de dispense ou d’exemption présentés par les jeunes gens, le degré d’instruction (à partir de 1846) mais surtout l’avis motivé du conseil de révision. Cela permet d’avoir une approche historique de l’état de santé des jeunes puisque lors de l’examen annuel des futures recrues, le médecin militaire peut prononcer des réformes pour des pathologies ou des malformations rendant inaptes au service. Les motifs de réforme peuvent être liés à la vue ou à une atrophie physique mais aussi à des pathologies qui révèlent des carences alimentaires (faiblesse de constitution, défaut de taille, goitre, hernie, rachitisme, taie sur l’œil, mauvaises dents et scorbut). La somme de ces huit motifs de réforme permet d’obtenir un taux de malnutrition. Certains motifs de réforme trahissent ainsi chez les conscrits potentiels une enfance ou une adolescence malnutrie. Les ouvriers des manufactures souffraient non seulement de malnutrition chronique mais également de très graves signes de sous-alimentation. Le rachitisme, qui révèle une avitaminose D, est ainsi le symptôme d’une misère terrible. La faible complexion et le défaut de taille étaient des signes de très grande précarité. La faible complexion ou faiblesse de constitution résulte d’une malnutrition aiguë, les individus ayant un poids évalué en dessous de la moyenne ; le défaut de taille caractérise une malnutrition chronique, les carences nutritionnelles provoquant des ralentissements, voire des troubles de la croissance. Autre pathologie qui révèle des carences alimentaires, le scorbut était un indicateur de carences graves en vitamines C ; le goitre était une hypertrophie diffuse ou localisée dans la glande thyroïde se manifestant suite à une carence en iode et qui apparaissait souvent dans les parties les plus isolées des Vosges en fond de vallée, dans des culs de sac ; la hernie pouvait être d’origine congénitale ou attribuée à un déficit en protéines animales ; les caries, principales manifestations des mauvaises dents se préviennent par une hygiène alimentaire, comprenant des denrées fermes comme la viande (protéines animales). Cf. SELIG (Jean-Michel), Malnutrition et développement économique dans l’Alsace du XIXe siècle, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1996 et HEYBERGER (Laurent), La Révolution des corps. Décroissance et croissance staturale des habitants des villes et des campagnes en France, 1780-1940, Strasbourg, PUS, Belfort, UTBM, 2005. 14. ADHR, 9 M 23. État nominatif des ouvriers employés dans les manufactures du Haut-Rhin en 1823. 15. TYL (Yves), « Les ouvriers de Guebwiller… », op. cit., p. 63. 16. ADHR, 3 X 39. Rapports annuels des médecins cantonaux au préfet. 17. SCHMITT (Jean-Marie), « De la capitale seigneuriale à la Mulhouse des Vosges : origine et début de l’industrialisation à Guebwiller », BSIM, 4-1982, p. 94. 18. Antoine Herzog (1786-1861), natif de Dornach, était fils d’un simple ouvrier des manufactures mulhousiennes. Entré très jeune comme ouvrier dans la manufacture mulhousienne Dollfus père, fils & Cie, il fut remarqué par l’industriel Jean Henri Dollfus qui l’envoya étudier à Paris, au conservatoire national des Arts et Métiers. Il se perfectionna ensuite dans des centres textiles comme Bièvres et Saint-Quentin avant de revenir en Alsace pour prendre en 1806, la direction technique des filatures et tissages Lischy & Zurcher à Bollwiller, établissement fondé deux ans

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auparavant par un fils de Pierre Dollfus. Il fut recruté par Nicolas Schlumberger qui lui confia le montage de sa filature de Guebwiller, dont Herzog devint, en 1810, le premier directeur. En 1818, il s’associa à Schlumberger pour installer et diriger une nouvelle filature de coton au Logelbach près de Colmar sous la raison sociale Schlumberger & Herzog. Devenu seul propriétaire de cette manufacture, il la doubla d’une seconde filature en 1822, puis fit bâtir un énorme bâtiment de cinq étages en 1836. Cf. SCHMITT (Jean-Marie), « De la capitale seigneuriale… », op. cit., p. 87 et « Herzog, Antoine », Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne (NDBA) no16, He-Hi, p. 1565. 19. Expression forgée par Jean-Marie SCHMITT, « De la capitale seigneuriale … », op. cit. 20. ADHR, 6 E 29-53, étude de Me Gast. Acte no 6563 du 1er mars 1834. Marguerite Joly, veuve de Jean-Baptiste Haegelen vendit à Jean Goebelé, graveur sur rouleaux à Guebwiller, un moulin à un tournant, autrefois foulon, située à Rimbach-Zell, ban de Rimbach, avec cour, hangar et dépendances, étable à porcs, deux jardins pour 2 900 F. 21. Tous les renseignements dans ADHR, 6 E 29-55, étude de M e Gast. Acte no7068 du 10 septembre 1834. 22. ADHR, 6 E 29-56, étude de Me Gast. Acte no 7416 du 2 février 1835. 23. ADHR, 6 E 29-59, étude de Me Gast. Acte no 8858 du 13 mai 1836. 24. ADHR, 6 E 29-56, étude de Me Gast. Acte no 7457 du 16 février 1835. 25. ADHR, 6 E 29-59, étude de Me Gast. Acte no 8858 du 13 mai 1836. 26. Noix à broches : axe de la broche. 27. Cet inventaire permet de déduire d’autres informations intéressantes. D’une part, la présence dans la liste du matériel de deux grands marteaux et de quatre fers pour porter les broches sous les marteaux permet de penser que le moulin a été transformé en martinet c’est‑à‑dire que la roue hydraulique entraîne une lourde masse de 60 à 500 kg emmanché à l’extrémité d’une poutre frettée, mue par un arbre à came qui la relève puis qui la laisse tomber sur l’enclume pour travailler la pièce de fer à la sortie du fourneau. D’autre part, nous pouvons également déduire le prix d’une broche : 0,30 centimes pièce environ (il est mentionné 8 091 broches pour un total de 2 548,60 F). 28. BERGIER (Jean-François), Naissance et croissance et croissance de la Suisse industrielle, Berne, 1974, p. 87. 29. ADHR, 6 E 28-92, étude de Me Deck. Acte no 1641 du 14 août 1840. 30. ADHR, 6 E 28-92, étude de Me Deck. Acte no 1722 du 18 octobre 1840. 31. Émile Weber succéda à Joseph Grün en 1832 comme directeur de l’atelier de construction Schlumberger. En 1852, il quitta son employeur pour créer une filature de bourre de soie comportant 2 000 broches, bientôt convertie dans le coton avant de prendre, à la fin du XIXe siècle, la dénomination de filature Freyhof. 32. ADHR, 6 E 29-82, étude de Me Gast. Acte no 17182 du 28 avril 1844. 33. ADHR, 6 E 28-121, étude de Me Pépin. Acte no 5410 du 27 mars 1857. Le testament original a été rédigé en allemand par Mathias Latscha et traduit par Me Pépin. 34. HAU (Michel), L’industrialisation de l’Alsace…, op. cit., p. 221. 35. BERGIER (Jean-François), Naissance et croissance, op. cit., p. 87. 36. HAU (Michel), L’industrialisation de l’Alsace…, op. cit., p. 97. 37. ADHR, 7 S 396. Bassin de la Lauch : moulins, usines, canaux usiniers (1800-1870). 38. ADHR, 5 M 104. Industries métallurgiques. Établissements industriels dangereux et insalubres à Rimbach et Soultz. 39. ADHR 10 M 3. Durée du travail dans les manufactures (1852‑1870). 40. Un projet de construction d’une ligne Soultz-Rimbach-Zell fut élaboré en 1907 mais ne se concrétisa jamais. Cf. RISACHER (Bertrand), « La tentative avortée de la ligne de chemin de fer de Soultz à Rimbach-Zell », Revue des Amis de Soultz, no90, 2013, p. 18-26.

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41. ADHR, 9 M 14. Enquête de 1858 sur les établissements et la situation industrielle et commerciale. 42. ADHR 10 M 3. Durée du travail dans les manufactures (1852-1870). 43. HAU (Michel), L’industrialisation de l’Alsace..., op. cit., p. 311. 44. Amédée Rieder (1807-1880), Jean Zuber (1799-1853) et Frédéric Zuber (1803-1891) prirent la succession de Jean Zuber père en 1835, fondant la société Zuber fils & Cie, afin d’exploiter la manufacture de papiers peints à Rixheim et la papeterie de Roppentzwiller. Amédée Rieder, ami d’enfance de Fritz Zuber et fiancé à Julie Zuber, fille de Jean, fut embauché par Jean Zuber en 1828 pour prendre en main la papeterie de Roppentzwiller. Il y mena une brillante carrière d’ingénieur, mettant au point, entre autres, un procédé de séchage continu qui permettait d’éviter le collage des feuilles et de fabriquer des rouleaux de papier d’une seule pièce ce qui lui valut d’être récompensé, en 1832, par une médaille d’or de la Société d’encouragement de l’industrie. En 1851, la papeterie de l’Île Napoléon fut séparée de la maison mère et continua son activité sous la raison sociale Zuber & Rieder tandis que la maison Jean Zuber & Cie de Rixheim n’exploitait plus que les papiers peints, les outremers et quelques autres couleurs. La société Zuber & Rieder associait Frédéric et Jean Zuber et Amédée Rieder qui était installé depuis 1849 à l’Île Napoléon. 45. Centre Historique des Archives Nationales (CHAN), cote F/12/3060. Exposition universelle de 1867 à Paris. Demande d’admission de l’entreprise Latscha & Cie. 46. Histoire documentaire de l’industrie de Mulhouse et de ses environs (enquête centennale au XIXe siècle), Mulhouse, 1902, p. 695. 47. PROST (Charles), L’Alsace appréciée à l’Exposition Universelle de 1867, Strasbourg, 1869. 48. Exposition universelle de 1867, Rapports du jury international publiés sous la direction de M. CHEVALIER, 13 vol, Paris, 1868. 49. CHAN, cote F/12/3060. Exposition universelle de 1867 à Paris. Demande d’admission de l’entreprise Latscha & Cie. 50. STOSKOPF (Nicolas), Les patrons du Second empire : 4-Alsace, Paris, Le Mans, 1991, p. 40. 51. ADHR, 2 M 74. Dossiers individuels des maires, adjoints, conseillers municipaux et secrétaires de mairie de Rimbach. Lettre du 29 juillet 1857 du préfet du Haut-Rhin au commissaire de police de Guebwiller Philippe Schnoebelen. 52. ADHR, 2 M 74. Dossiers individuels des maires, adjoints, conseillers municipaux et secrétaires de mairie de Rimbach. Lettre du 31 juillet 1857 de Philippe Schnoebelen, commissaire de police de Guebwiller au préfet du Haut-Rhin. 53. ADHR, 2 M 74. Dossiers individuels des maires, adjoints, conseillers municipaux et secrétaires de mairie de Rimbach. Lettre du 24 septembre 1867 d’Aimé-Philippe Gros au préfet. 54. ADHR, 2 M 74. Dossiers individuels des maires, adjoints, conseillers municipaux et secrétaires de mairie de Rimbach. Lettre du préfet à Aimé-Philippe Gros en date du 26 septembre 1867. 55. ADHR 2 M 74. Dossiers individuels des maires, adjoints, conseillers municipaux et secrétaires de mairie de Rimbach. 56. HAU (Michel), STOSKOPF (Nicolas), Les dynasties…, op. cit., p. 68. 57. STOSKOPF (Nicolas), Les Patrons…, op. cit., p. 14. 58. SCHLUMBERGER (Jean), Eveils, Paris, 1950, p. 11. 59. HAU (Michel), STOSKOPF (Nicolas), Les dynasties…, op. cit., p. 235. 60. Idem p. 239 et 242. 61. HAU (Michel), « Le patronat alsacien dans la première guerre mondiale » in Boches ou tricolores. Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre (sd Jean Noël Grandhomme), septembre 2008, p. 45 à 55. 62. HAU (Michel) et STOSKOPF (Nicolas), Les dynasties…, op. cit., p. 238‑340. 63. OBERLÉ (Roland), L’Alsace au temps du Reichsland, 1871-1914, ADM Éditeur, Mulhouse, p. 30. 64. ADHR, 8 AL 1/4981. Élections municipales à Jungholtz (1881-1914).

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65. Au cours de son mandat, Henri I Latscha élabora le projet de construction d’une mairie-école. Mais il n’a pu aboutir qu’en 1892, alors qu’Henri I Latscha n’était plus maire parce que le conseil municipal rejeta, en raison des coûts élevés, le premier projet datant de 1887 de l’architecte Winkler désigné par le conseiller du gouvernement. Une liste de souscription a été lancée pour financer la construction. Henri I Latscha offrit 1 000 marks, son frère Edouard II et son fils Henri III, 400 marks chacun. 66. ADHR, 8 AL 1/467. Renouvellement périodique des conseillers généraux et des conseillers d’arrondissement. 67. Archives Municipales (AM) de Guebwiller. Gebweiler Kreisblatt, 24 septembre 1891. 68. ADHR, 8 AL l/467. Renouvellement périodique des conseillers généraux et des conseillers d’arrondissement. 69. AM de Guebwiller. Gebweiler Kreisblatt und Organ des Landwirthschaftlichen Kreisvereins Gebweiler, 6 mai 1897. 70. Idem. 71. ADHR, 8 AL 1/469 et 471. Renouvellement périodique des conseillers généraux et des conseillers d’arrondissement. 72. AM de Guebwiller. Gebweiler Kreisblatt und Organ des Landwirthschaftlichen Kreisvereins Gebweiler, 31 juillet 1897. 73. AM de Guebwiller. Gebweiler Kreisblatt und Organ des Landwirthschaftlichen Kreisvereins Gebweiler, 31 juillet 1897. 74. L’Allemagne du Sud était une région de bas salaires et de bas revenus. Les marchés de consommation d’Allemagne centrale et septentrionale représentaient donc un débouché vital pour son développement. Cf. HAU (Michel), L’industrialisation…, op. cit., p. 174‑175. 75. HAU (Michel), L’industrialisation…, op. cit., p. 241. 76. HAU (Michel), L’industrialisation…, op. cit., p. 242. 77. Les templets ou temples sont en général des petits cylindres garnis d’aiguilles qui ont pour fonction de maintenir le tissu à sa largeur. Selfacting équivaut au mot français renvideur. Il existe deux méthodes de filature : à la continue sur le continu à filer ; en 2 étapes : d’abord l’étirage et la torsion du fil puis le renvidage du fil réalisé. Ces opérations se font sur le renvideur ou selfacting : la sortie du chariot = étirage + torsion ; la rentrée du chariot = renvidage. Merci à Julien Schweizer pour ces renseignements. 78. ADHR, PURG 030849. Dommages de guerre de la SACM. Lettre de Paul Latscha au Haut Commissaire d’Alsace et de Lorraine, le 29 janvier 1919. 79. Il s’agit d’une broche de filature avec système de graissage continu. Un premier système de graissage pour broches avait été expérimenté par Piconne, Neaumet et Penneteau. Le système mis au point par Francis J. Rabbeth permettait de maintenir la broche constamment lubrifiée grâce à un réservoir fixé sur la traverse qui porte les broches. L’huile était constamment fournie au moyen de ce réservoir et évitait à l’ouvrier de faire le travail de graissage plusieurs fois dans la journée. Francis J. Rabbeth est né dans le Connecticut en 1839. Après avoir été employé par « Remington Armory » pendant huit ans il a acquis une excellente connaissance des armes à feu et de la mécanique. Ses compétences en tant que mécanicien ont abouti à la broche qui porte son nom. F.J RABBETH et J.E ATWOOD « Broche de filature, avec système de graissage continu », in Le Génie industriel. Revue des inventions françaises et étrangères, annales des progrès de l’industrie agricole et manufacturière, vol. 35, no208, avril 1868, Paris, Armengaud Frères, 1868, p. 192. 80. ADHR, 8 AL 1 /8423. Fonderie de fer Latscha à Jungholtz (1895-1904). 81. ADHR 8 AL 1 / 8573. Recensement des appareils à vapeur en service. En 1868, Latscha père et fils possédait deux machines, l’une de 15 ch et l’autre de 4 ch. En 1872, Latscha possédait deux machines de 20 ch et Lang (acheté par Latscha en 1897) une machine de 25 ch. 82. ADHR 6 E 73-205, étude de Me von Sensburg. Acte no 3517 du 22 juin 1897.

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83. Carte confectionnée à partir des données tirées des AM de Mulhouse, fonds SACM (CERARE), 93 B 558, Comptabilité, Grand livre no1 – Jungholtz –, (1er mai 1920 - 30 septembre 1923) par Philippe Droux que je remercie vivement. 84. ADHR, PURG 030849. Dommages de guerre de la SACM. Lettre de Paul Latscha au Haut Commissaire d’Alsace et de Lorraine, le 29 janvier 1919. 85. SIGWARTH (François) et KIRBIHLER (François), Le collège Saint André de Colmar, 150 ans au service des jeunes (1852-2002), 2002, p. 31-34. 86. Archives de l’Université de Haute Alsace, 13 AD 1/55. Vie universitaire et examens (1919-1939). 87. HAU (Michel) et STOSKOPF (Nicolas), Les dynasties…, op. cit., p. 150. 88. Voir Généalogie en annexes « Les alliances de la famille Latscha ». 89. STOSKOPF (Nicolas), Les patrons…, op. cit., p. 25. 90. STOSKOPF (Nicolas), Les patrons…, op. cit., p. 26. 91. HAU (Michel) et STOSKOPF (Nicolas), « Le temps des pionniers »…, art. cit., p. 36. 92. Statut der Kranken-Kasse für die Fabrik Ch.Latscha in Jungholz, Guebwiller, 1884, 18 p. Ces statuts rendaient l’adhésion obligatoire à tous les employés au jour de leur entrée dans l’entreprise. La cotisation s’élevait à 2 % du salaire. Elle était versée 8 jours après la paye. Les statuts prévoyaient en cas de maladie, au bout du troisième jour, une indemnité journalière de la moitié du salaire journalier jusqu’à concurrence de 4 Mk. L’arrêt maladie devait être constaté par le médecin de la caisse qui devait faire une attestation. En cas de décès, la veuve de l’employé ou ses héritiers obtenaient, dans les vingt-quatre heures, un vingtuple de son salaire journalier. En cas de chômage, l’employé gardait sa couverture maladie pendant trois semaines. Les patrons nommaient un caissier et le payait. Le comité de la caisse était composé de neuf adhérents. Un tiers était nommé par les patrons et deux tiers étaient élus lors de l’assemblée générale pour 6 ans. 93. ADHR 8 AL 1/8283, (contrôle des usines par les autorités de police et par l’inspection des établissements industriels), et 8 AL 1/8284, (condamnations judiciaires pour contraventions à la législation du travail). 94. La « fanfare Latscha » était un ensemble prestigieux avant la Première Guerre mondiale. Elle se distingua particulièrement à de nombreux festivals et concours. Au Festival de musique de Belfort en 1876, aux concours de musique à Mulhouse en 1891 et 1907, au concours de musique de Bâle en 1905, au concours de musique de Strasbourg en 1910 et enfin au concours de musique à Luxeuil en 1912. De nombreuses tournées en Suisse consolidèrent encore la renommée de la société. 95. HAU (Michel) et STOSKOPF (Nicolas), « Mulhouse, terre … », art. cit., p. 67. 96. ADHR 8 AL 1/8820, cité par WINNLEN (Jean-Charles), Kullmann & Cie, des hommes, des usines, une empreinte sociale, Mulhouse, JM Editions, 2008, p. 130. « Selon le rapport du 14 mai 1915, le coton employait 12 286 salariés et faisait vivre 29 438 personnes ; entre la mobilisation de début août et les départs du Landsturm, l’industrie du coton avait perdu 22 à 25 % de ses effectifs ». 97. ADHR, PURG 030848. Dommages de guerre de la SACM. Déclaration de dommages de guerre de la société Paul Latscha & Cie, concernant du matériel enlevé par les militaires allemands. 98. ADHR, 8 AL 1/8267. Repli d’usines outre-Rhin pendant la Première Guerre mondiale. 99. ADHR, PURG 030849. Dommages de guerre de la SACM. Lettre de Paul Latscha à l’adjoint à l’intendance de la Sous-préfecture de Guebwiller, le 27 décembre 1918. 100. ADHR, PURG 030849. Dommages de guerre de la SACM Lettre de Paul Latscha au Haut Commissaire d’Alsace et de Lorraine, le 29 janvier 1919. 101. La Schliff, comprenant l’atelier d’aiguisage de broches, un magasin, une maison d’habitation, un atelier de tournage, une tournerie à bois fut vendue dès avril 1906 par Henri III Latscha , au nom de la société en nom collectif « Latscha & Cie », à Fernand Stehelin représentant la société « Stehelin-Scheurer & Cie » de Cernay. La transaction se fit pour 80 000 Mk. Le nouveau

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propriétaire transforma alors la Schliff en tissage de coton. Cf. Notariat de Guebwiller, étude de Me Heng. Acte no17334 du 21 avril 1906 aimablement communiqué par Me Litzenburger, notaire à Guebwiller. Nous ignorons la raison pour laquelle les associés Latscha se défirent de la Schliff. On ne peut faire que des suppositions. La société avait-elle à cette époque là des problèmes de trésorerie ? Les Latscha n’ont-ils pas su ou pu tirer profit de leur potentiel technique pour répondre aux besoins de nouveaux marchés à forte croissance (matériel pour la sidérurgie, chaudières, turbines) et se reconvertir partiellement ? En effet, pour assurer la pérennité de l’entreprise, ils auraient pu tirer parti du capital d’expérience et de compétence accumulé dans la construction de matériel pour le textile et le réutiliser sur des marchés totalement différents, à forte perspective d’expansion. Il aurait fallu reconvertir le potentiel économique et technique constitué au moment de l’essor des commandes textiles. Comme l’a écrit Michel Hau, « le meilleur moyen d’assurer un fonctionnement régulier est la polyvalence du potentiel productif ». Cf. HAU (Michel), L’industrialisation…, op. cit., p. 107. 102. AM de Mulhouse, fonds SACM (CERARE), 97 A 147 : délibérations des conseils d’administration de 1913 à 1918. CERARE, 93 B 558. Comptabilité. Grand livre no1 - usine de Jungholtz (1er mai 1920 - 30 septembre 1923). Finalement, la SACM, qui succéda aux Latscha, obtint par décision de la commission d’évaluation des dommages de guerre de Colmar du 25 mai 1928 pour la réquisition de matériaux et de marchandises pendant la guerre 45 720,80 F cf. AM de Mulhouse, fonds SACM (CERARE), 93 B 192. Comptabilité. Grand livre no2 – usine de Jungholtz (1er octobre 1923 - 30 septembre 1936). 103. AM de Mulhouse, fonds SACM (CERARE), 93 B 558. Comptabilité. Grand livre no 1 - usine de Jungholtz (1er mai 1920 - 30 septembre 1923) et AM de Mulhouse, fonds SACM (CERARE), 97 A 437. 104. RISACHER (Bertrand), « Jungholtz, une filiale méconnue de la SACM de Mulhouse (1920-1978) », Annuaire Historique de Mulhouse, t. 22, 2011, p. 37 à 50. 105. HAU (Michel) et STOSKOPF (Nicolas), Les dynasties…, op. cit., p. 10. 106. RISACHER (Bertrand) et STOSKOPF (Nicolas), « L’industrie alsacienne dans la Grande Guerre : un désastre économique ? », Revue d’Alsace, no139, 2013, p 77‑104.

RÉSUMÉS

L’Alsace est la région française qui a produit le plus grand nombre de dynasties industrielles. Les noms de Dollfus, Koechlin, Mieg, Schlumberger, de Dietrich, etc. sont restés célèbres. Ils sont ceux d’entreprises prestigieuses et de familles alsaciennes engagées dans la production manufacturière sur des durées séculaires… Cependant, parmi les nombreuses dynasties entrepreneuriales qu’a produit l’Alsace, certaines ont été créées par un patronat de « seconde zone » issu de la frange supérieure du monde ouvrier. Dans le vallon du Rimbach, à Jungholtz, la société Latscha & Cie, – spécialisée dans la fabrication de pièces détachées pour machines textile –, a été fondée par d’authentiques self-made-men. Dans le sillage tracé par les grandes dynasties, les Latscha profitèrent des opportunités d’activité dans le contexte de l’industrialisation et saisirent leur chance. Cette étude permet d’avoir une meilleure connaissance des petits entrepreneurs qui par leur audace et leur initiative permirent l’entrée des vallées vosgiennes dans la révolution industrielle. Elle met ainsi en valeur la notion de « petits capitaines d’industrie » souvent catholiques, qui fondent et dirigent des PME modestes et surtout périphériques par rapport à la grande industrie

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mulhousienne : l’archétype en est la dynastie Latscha, véritable symbole de la réussite manufacturière. Cependant, la Grande Guerre lui fut fatale et les héritiers ne parvinrent pas à préserver les acquis des générations précédentes. La famille Latscha, qui ne s’illustra finalement dans les affaires que sur quatre générations, apparait ainsi comme un cas d’école particulièrement intéressant de dynastie brisée par l’impact de la Première Guerre mondiale. L’extinction de cette dynastie de petits capitaines d’industrie, met en lumière cette rupture majeure et irréversible dans l’évolution de l’économie alsacienne après l’apogée de la Belle Epoque.

Alsace is the French region with most industrial dynasties. Family dynasties such as Dollfus, Koechlin, Mieg, Schlumberger, de Dietrich etc are still famous today. Those Alsatian families with their prestigious firms were involved in manufacturing products over the centuries. However, some of the many industrial dynasties were initiated by «second-class» owners, originally members of the upper working class. In the Rimbach valley, in Jungholtz, the Latscha & Co firm manufacturing spare parts for textile producing machines was founded by authentic self-made men. Walking in the footsteps of great industrial dynasties the Latschas took successfully advantage of the era of industrialisation. This contribution provides more insight into the role played by these «little» industrialists whose sense of bold initiative made it possible for the Vosges valleys to join the movement of industrial revolution. It also underlines the notion of «second-class» industrialists, often Roman catholics, who were the founders and leaders of small firms, generally located on the outskirts of industrial capitals like Mulhouse : the archetype is the Latscha dynasty, a true symbol of industrial success. However, World War I had disastrous consequences : the heirs failed to preserve the properties acquired by their predecessors. Only four generations of the Latscha family did business, thus offering a particularly interesting case study of a dynasty affected by the consequences of World War I. The extinction of this dynasty of industrial leaders highlights the irreversible failure of Alsatian economy after its climax in the pre-war «good old days».

Keine zweite Region Frankreichs ist Stammland so vieler großer Industriekapitäne. Die ganze Welt kennt sie, die Dollfus, die Koechlin, die Mieg, die Schlumberger, die de Dietrich etc….Alle waren oder sind Elsässer. Und es sind die Namen der weltbekannten Elsässer Familien, die über Jahrhunderte Herren großer Fabriken waren… So stolz das Elsaß auch auf diese Familien sein darf, so wenig sollte es vergessen, eine ganze Reihe von Firmen wurde von Angehörigen einer „zweiten gesellschaftlichen Schicht“ gegründet. Gemeint ist die Schicht der Arbeiter, die anspruchsvollere Arbeit geleistet hat. Ein gutes Beispiel ist die Firma Latscha & Cie. aus Jungholtz, einem kleinen Ort aus dem Tal des Rimbachs. Die Gründer der Firma waren im wahrsten Sinne des Wortes das, was wir heute self-made-men nennen. Sie haben verstanden, im Schatten der großen Industriebetriebe gibt es für Handwerker gute Gelegenheiten. Und diese nutzten sie mit der Fertigung von Ersatzteilen für Textilmaschinen. Was die Inhaber dieser kleinen Betriebe auszeichnete, waren ihr Mut und ihr Unternehmungs- geist. Und damit erschlossen sie die abgelegenen kleinen Täler der Vogesen der industriellen Revolution. Zweck der vorliegenden Studie ist es, diese kleinen Unternehmer näher kennen zu lernen. Dabei will sie dem Begriff „Kleine Industriekapitäne“ die Bedeutung geben, die ihm zukommt. Es sind Handwerker, sie sind häufig katholisch, sie gründen und leiten relativ bescheidene PME (geläufiger französischer Begriff für petites et moyennes entreprises = kleine und mittlere Unternehmen), und sie existieren im Umkreis der Großindustrie aus Mulhouse: Urbild ist die Familie Latscha, sie ist geradezu das Symbol für den Erfolg, den sich Handwerker erarbeiten können. Diese Familie ist aber auch ein Schulbeispiel für das jähe Ende eines solchen kleinen Familieunternehmens. Auslöser des fatalen Schlags war der Erste Weltkrieg. Die Folgen waren für die damalige Generation einfach zu schwer. Sie konnte sie nicht überwinden. Sie konnte nicht

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zusammenhalten, was vier Generationen vor ihnen erworben und aufgebaut hatten. Das Verschwinden dieses Geschlechts von kleinen Industriekapitänen wirft grelles Licht auf das Ausmaß der Folgen des Ersten Weltkrieges für die elsässische Wirtschaft. Der Absturz aus dem Zenit der Belle Epoque war endgültig. Die Epoche war zu Ende. Umkehren und Wiederholen waren unmöglich.

AUTEUR

BERTRAND RISACHER Docteur en histoire (CRESAT, Université de Haute-Alsace)

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L’arrivée des sports en Alsace De l’éducation physique au culte de la compétition : un enjeu de société à la fin du XIXe siècle The introduction of sport in Alsace: from physical education to a cult of competivity. A social challenge in the late 19th century Die Elsässer entdecken den Sport. Von der Leibeserziehung zum Wettkampfkult: Ende des XIX. Jahrhunderts eine Frage der Bedeutung der Region

Pierre Perny

Introduction

1 Juillet 1886 : L’Association des professeurs de gymnastique – Deutsche Turn-Lehrerschaft – est à Strasbourg pour son dixième congrès annuel. C’est le haut-fonctionnaire Richter, directeur de la vie scolaire au ministère d’Alsace-Lorraine, qui accueille les participants venus de toute l’Allemagne.

2 En raison des sports – et sur lesquels lorgne de plus en plus la jeunesse allemande – la gymnastique est en perte de vitesse, voire chahutée. Plus globalement, l’École est pleinement dans les travaux de réflexion sur les rythmes et les programmes scolaires, en particulier sur la part à donner à l’éducation physique. Certains enseignants souhaiteraient même l’introduction de ces sports anglais dans le système éducatif allemand. N’ont-ils pas l’avantage d’être pratiqués en plein air (in freier Natur) et d’être animés de l’esprit de compétition (Wette), tout le contraire du Turnen, cette gymnastique allemande, sévère et autoritaire et, de plus, pratiquée en salle ? Bref, sous fond de sport ou d’éducation physique, un choc allemand / anglais.

3 C’est dans ce contexte que, le 17 juillet 1886, le Prof. Dr. Carl Euler – une sommité de la gymnastique allemande puisqu’il dirige l’Institut de Formation des professeurs de gymnastique de Berlin – a été invité pour traiter du thème Turnen und Sport. « Mon exposé n’est pas sans difficulté », avoue-t-il d’entrée. « Je vous présenterai la relation pouvant exister entre la gymnastique et les sports et nous verrons dans quelle mesure l’un ne ferait pas partie de l’autre et réciproquement ». Décrivant les sports –

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équitation, aviron, les jeux de balle (football, rugby, tennis) – comme étant ceux de l’Angleterre, « d’une nation exceptionnellement énergique et dure à l’effort », ceux aussi « des classes dominantes alors que le Turnen ne convient qu’aux classes inférieures » – niedere Volk – le professeur berlinois se fait interrompre, l’une ou l’autre fois, par des bruits d’approbation ou de désapprobation, preuve que le débat est vif.

4 En 1886, le terme « sport » est encore peu connu sur le Continent, a fortiori ce qu’il représente vraiment. Euler préfère démarrer son intervention par une explication étymologique : « sport, dit-il, vient du latin sporta, sportula et du vieux français desport c’est-à-dire distractions, passe-temps », laissant comprendre que l’état des sports en Allemagne n’a pas dépassé ce stade.

5 L’intervention du professeur Euler est effectivement ardue. Pour plusieurs raisons : parce que la gymnastique est une force profonde de l’Allemagne, parce que aussi les autorités ont donné, depuis peu, leur aval pour lui insuffler une dose de liberté en lui adjoignant les Bewegungsspiele, ces jeux athlétiques pour lesquels la jeunesse allemande a de plus en plus d’attirance et qui sont, en fait, les sports pratiqués par les Anglais.

Quand seule la gymnastique comptait

6 En montant à la tribune, Euler a vraisemblablement en tête ces rimes du poète bavarois Franz von Pocci : Sänger, Turner, Schützen, sind des Reiches Stützen. Or, le Reich n’a que quinze ans en 1886 et les sociétés de chant, de gymnastique et de tir sont, en effet, les trois grands soutiens du monde associatif du Reich1 : « avant l’unification du pays, celui qui était catholique était avant tout catholique et celui qui était bavarois était avant tout bavarois. Mais l’aspiration de faire partie du même ensemble devint une priorité de toutes les couches sociales. « Wer nur turnt, nur schiesst, nur singt, armselig ist, wer das vollbringt ». Pocci, un italien immigré, avait identifié les trois piliers de la vie associative allemande. Il est incontestable que ce trio était animé d’un profond nationalisme, permettant de dépasser tout clivage confessionnel. Ainsi la chanson patriotique de Ernst Arndt demandant six strophes durant : « Où est la patrie des Allemands ? ». Tout au long des cinq premières, il énumère des provinces possibles : la Prusse, la Bavière, la Rhénanie, ou peut-être là où « le vent balaie les dunes ». « Non, non, non ! Leur patrie doit être plus vaste. Elle doit aller aussi loin que l’on parle allemand », dit chaque fois le refrain.

7 Le mouvement avait un potentiel énorme : 250 000 Turner, Sänger, Schützen au milieu du XIXe siècle, sans compter des milliers et des milliers de sympathisants non recensés dans les chiffres officiels, tous en phase avec les pratiquants. Partout, ils organisaient des fêtes gigantesques, des « fêtes nationales » et préparaient, de la sorte, mentalement l’unification du Reich. Les Turner le faisaient les premiers à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. La racine turn est allemande pensait Friedrich Ludwig Jahn, ardent nationaliste et père de la gymnastique (Turnvater). Elle signifiait se tourner, se mouvoir dans tous les sens et avec ferveur (drehen, kehren, wenden, lenken, schwenken, grosses Regen und Bewegen). Mais Jahn se trompait car le mot vient du latin.

8 Du temps de Jahn, le Turnen ne se limitait pas à la gymnastique. En laissant une place à la natation, l’équitation, les courses, l’escrime, le Turnen était déjà un sport. Jahn avait inventé le slogan de la Turnerei : « frisch, frei, fröhlich und fromm ». « Fromm n’a rien à voir avec Frommigkeit » (la piété), dira-t-il plus tard mais signifiait force des traditions séculaires allemandes, être à l’avant-garde, sortir de l’étroitesse et pourquoi pas de la

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« Petite Allemagne » (aus der Kleinstaaterei). Sa représentation idéale du Turnen voulait une discipline mâle (nicht unmännlich), qui ne gaspille pas les forces de la jeunesse par des déportements comme la paresse ou la débauche. Au contraire, la gymnastique doit préserver « la noblesse du corps et de l’esprit », rendre vertueux, travailleur, pudique, courageux, combatif ». Le « Père de la Gymnastique » haïssait les Français. On était au moment des victoires napoléoniennes. Une grande partie du pays voyait dans la France son principal danger. On comprendra que la gymnastique de Jahn était pratiquée aussi à des fins militaires. Elle constituait une Préparation Militaire avant la lettre, un engagement patriotique.

9 Les tentatives de Jahn eurent un succès mitigé. Pire, ce qui avait quelque peu prospéré fut annihilé d’un coup. Replaçons-nous dans le contexte de l’époque. Au congrès de Vienne, en février 1815, les États vainqueurs de Napoléon se partagent l’Europe. En Allemagne, l’idée d’une unification politique du pays n’est pas encore concevable, chaque province étant sous la souveraineté d’une monarchie dont aucune n’est disposée à renoncer au profit d’un souverain unique. Ce sentiment ne prévaut pas dans toute la population et principalement pas dans celle qui est instruite. « Octobre 1817 représente un premier coup de semonce pour le pouvoir en Prusse, l’État le plus important. En effet, lors de la fête de la Wartbourg, célébrée à l’occasion du tricentenaire de la Réforme, la Burschenschaft – une association d’étudiants des pays germaniques voulant l’unification allemande et plus de libertés – ainsi que des professeurs – tous en grande partie des gymnastes engagés – propagent des écrits contre les autorités, piétinent des signes distinctifs du pouvoir et donnent une nouvelle image au Wartburgerfest, celle de la liberté, symbolisée par un drapeau aux couleurs noir-rouge-or. Des poursuites sont engagées contre « un tas de professeurs réactionnaires et des étudiants éconduits », le roi Frédéric-Guillaume III voyant dans ces « actions sans limites une perversion hautement condamnable ». Toute la Turnbewegung est dans le collimateur du pouvoir pour qui elle n’avait pas la culture du corps pour but mais uniquement celui d’agir négativement sur la jeunesse. En cela, elle devenait un ennemi de l’État.

10 Elle reçut un second coup, quand, en mars 1819, l’écrivain Auguste von Kotzebue est assassiné par un étudiant Burschenschaftler. Pour le pouvoir le dramaturge apparaissait comme un adversaire de l’unité allemande. Turnvereine et Burschenschaften, dans le cadre des décisions de Karlsbad (Karlsbader Beschlüsse), sont interdits. Jahn est emprisonné pour « intrigues ». Il croupira six ans durant dans les geôles du pouvoir prussien et son idée du Turnen semblait morte à jamais. Cependant, l’interdiction prononcée contre la gymnastique fut contournée et les Turnanstalten firent leur mutation en Gymnastischen Anstalten, des sociétés de gymnastique politiquement correctes. Si une minorité de patriotes continua ses actions contre le pouvoir dans le cadre de sociétés secrètes, le mouvement gymnique dans son ensemble se plaçait derrière les autorités, convaincues, à partir des années 1840, que le temps d’une paix retrouvée était venu2.

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Vers la reconnaissance des sports

Der neue deutsche Mensch

11 L’idée du nouvel homme allemand, comme celle du neue deutsche Volk, aboutissement du processus historique ayant mené au Reich de 1871, était en marche. « Un nouvel homme qui saurait jouer des coudes et qui aurait force et allure ». Pour le réaliser, une « nouvelle éducation » serait nécessaire. « Une éducation fortement teintée d’influences américaines et anglaises. Celles-ci déferlèrent sur l’Allemagne, telle une avalanche (wie eine Lawine). Et la jeunesse allemande prit ce qui s’offrait à elle : les jeux anglais. Si la grande masse des professeurs s’était liguée contre ce phénomène, c’eut été en vain. Un jeu comme le football, qui comporte l’instinct de puissance, trouva de suite sa place dans cette éducation nouvelle »3. Les initiatives, pour réviser le système en place basé sur l’ancien Turnen, vont se multiplier.

Des Jeux de plein air au lycée de Braunschweig

12 Une première expérience, pour revenir à une pratique froh und frei (gaie et libre) est menée au lycée de Braunschweig : À partir de 1872, nous avons adjoint au Turnen des jeux pratiqués en extérieur en été et en hiver. Nous n’étions pas les seuls pour regretter la faible activité gymnique à l’école allemande. En 1874, alors que nous mettions pour la première fois le football anglais à la disposition de nos lycéens, le 7e congrès des professeurs de gymnastique demandait une troisième heure d’éducation physique par semaine. Elle était prévue pour favoriser les jeux. Le 8e congrès, en 1876, insistait pour que les jeux deviennent un complément assidu du Turnen. En 1878, notre collègue, le professeur Konrad Koch, fit paraître son ouvrage : De la valeur éducative des jeux scolaires et, la même année encore, ils furent déclarés obligatoires. Deux après- midis, durant l’été, leurs furent consacrés. L’intérêt pour les jeux devint grandissant. Le pouvoir politique s’intéressa à la question et décida de se pencher sur les sujets relatifs à l’enseignement de l’éducation physique à l’école et au surmenage scolaire. L’ouvrage de Hartwich « Ce dont nous souffrons » – Woran wir leiden – nous fût d’une aide précieuse4.

L’action des hygiénistes

13 En effet, Emile Hartwich publie en 1881 « un petit mémorandum » qui aura de grands effets. Dans « Woran wir leiden », il pointe les réformes à faire dans le système scolaire et éducatif « pour une nouvelle manière d’envisager l’existence ». Début 1882, ses conceptions, jusqu’à présent livresques, prennent un tour concret par la création du « Zentralverein für Körperpflege in Volk und Schule » – (Association nationale pour la culture physique dans et hors de l’école), rapidement suivie d’un journal de liaison : Körper und Geist – Corps et Esprit. Si la gymnastique reste un élément du dispositif Hartwich, le patinage, la natation, l’aviron, les jeux de plein air – les mêmes en somme qu’à Braunschweig – font leur apparition. La nouvelle association ne manque pas de faire de l’activisme. Elle interpelle le Parlement sur le surmenage scolaire, la répartition nouvelle entre matières intellectuelles, les programmes d’éducation physique et plus particulièrement l’instauration de jeux qui ne soient plus imposés (freie Spiele).

14 Ces appels pour une réforme scolaire sont une suite logique au mouvement hygiéniste qui s’est mis en place au milieu du XIXe siècle par la création d’associations de

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dimension nationale. En réaction aux mauvaises conditions de vie de la classe ouvrière, s’étaient créées des organisations à but sanitaire, social, culturel comme le Zentralverein für das Wohl der arbeitenden Klassen (1847), la Gesellschaft für Verbreitung und Volksbildung (1871), le Deutscher Verein für Armenpflege und Wohltätigkeit (1881) ou le Deutscher Verein gegen den Missbrauch geistiger Getränke (lutte contre l’alcoolisme) en 1883. Le monde politique n’est pas resté en-dehors du débat et en premier lieu, le parti « National- Libéral » en la personne du député Emile Schenckendorff. Celui-ci était un soutien indéfectible du directeur et du professeur de gymnastique du lycée de Görlitz – MM. Eitner et Jordan – qui avaient institué en 1882 dans leur établissement les mêmes jeux que ceux qui se pratiquaient depuis une décennie à Braunschweig. Quant à la sphère médicale, ses recommandations de plus en plus nombreuses sont évidemment d’une importance capitale pour les pouvoirs publics. Ainsi, les Congrès médicaux de Düsseldorf (1876) et Nuremberg (1877) très axés sur la question des rythmes scolaires, les travaux du psychiatre Hasse, ceux menés dans le « Reichsland Elsass / Lothringen » par une Commission médicale voulue par le Statthalter von Manteuffel, ont-ils de plus en plus de poids sur le pouvoir politique.

Initiatives strasbourgeoises

15 En Alsace-Moselle, Edwin von Manteuffel, Reichsstatthalter depuis 1879, met en place une stratégie de séduction de la population alsacienne. Celle-ci s’incarne notamment dans l’attention portée à la santé des enfants. En 1882 démarre une campagne qui a pour but de faire des propositions sur le fonctionnement de l’école en Alsace / Moselle. Elle aura des répercussions au-delà du Reichsland.

16 Si la prise en compte du sujet de la réforme scolaire par Manteufell se révélera capitale – avec certes d’autres initiatives encore – pour aboutir à une réforme du système scolaire, il faut rendre justice à son prédécesseur, le Statthalter von Möller. Ce dernier s’était attelé à la question mais sans connaître le succès qu’aura la « Commission Manteuffel ». La « Strassburger Post » – journal proche du pouvoir – dans son tout premier numéro qui paraît le 1er avril 1882 ne manque pas de relever « qu’à aucun moment et dans aucun pays, le souci du développement corporel chez les jeunes n’a été aussi fort qu’en ce moment en Allemagne. Nous ne voulons pas rechercher si partout à l’école la bonne politique a été menée. Non pas que l’école ne fasse pas assez ; le reproche généralisé est qu’elle en fait de trop. Le mot de surmenage est devenu un slogan. Et de relever l’exhortation du Zentralverein für Körperpflege, qui vient d’être créé à Düsseldorf et qui a déjà trouvé un écho favorable dans une grande partie du pays. Dans les sociétés alsaciennes de gymnastique, de tir et de chant, la population autochtone s’est unie sur ces sujets avec la population immigrée. Il est à souhaiter maintenant que les préoccupations « d’un esprit sain dans un corps sain » dépassent tous les clivages politiques.

17 Le 27 avril, le même journal indique les chances de succès que le Statthalter s’est donné en « constituant une commission composée des plus grands noms de la Faculté de Médecine » et l’orientation qui serait souhaitable « pour des jeux pratiqués, comme en Angleterre, sur les prés et sur des terrains de jeux. Ceux-ci pourraient être réalisés dans la Neustadt5. Ils permettraient à nos jeunes de se livrer joyeusement à des jeux sains, tantôt seuls, tantôt sous la surveillance de parents, d’enseignants ou de personnes en contact avec la jeunesse ». Parmi les chances de succès, il convient de citer également la réorganisation complète du département « Vie scolaire » au ministère d’Alsace-

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Lorraine – et sans que les choses ne soient dites expressément : le remplacement de Baumeister, en poste depuis les premiers jours de l’Annexion, par Richter au poste déterminant de Ministerialrat6.

18 La Commission Manteuffel, forte de neuf membres, rend en septembre 1882 un rapport portant sur trois thèmes principaux : l’analyse de la charge de travail du lycéen alsacien-mosellan, un jugement et des recommandations sur l’enseignement de l’éducation physique, de même que pour le confort des salles de classes7. Passons rapidement sur ce dernier point qui porte sur la qualité du mobilier scolaire, le chauffage, la ventilation et l’éclairage des salles de cours (myopie et mauvaise vue, conséquences d’un mauvais éclairage sont les grands sujets du moment). Passons aussi sur le surmenage stricto sensu. La commission le considère « avéré » avec 23 à 26 heures de cours en septième (les 9 ans), 32 à 35 heures en troisième (les 13/14 ans), 34 à 36 heures en seconde et première (les 15/18 ans), en cela non compris l’importante charge des devoirs à faire à la maison (hohe Mass der häusliche Arbeit). Deux heures en plus sont consacrées au Turnen. Souvent les salles de classes sont surchargées, faisant que les cours sont dispensés dans des locaux où l’air est fortement vicié.

19 D’où les recommandations de la Commission en matière d’hygiène et d’allègement de l’enseignement classique au profit des Körperübungen – exercices corporels ou éducation physique. Elle n’est pas tendre avec le passé et l’on comprend, à présent, que les hommes en place à Strasbourg aient été changés. La pratique, du moins dans les collèges et lycées publics, est allée à l’encontre des positions des pédagogues qui avaient tous fait état des bienfaits de l’exercice corporel. La majorité des établissements se contente de dispenser un cours de gymnastique et laisse au foyer familial la part dévolue aux soins du corps dans l’éducation des jeunes. Mais pas dans tout foyer, y compris parmi les gens instruits, l’éducation physique n’a droit à l’importance que lui porte le corps médical, et plus que ce dernier, le pays tout entier. L’indifférence, ou même un jugement défavorable, règne dans beaucoup de familles. La volonté d’en finir le plus tôt possible avec l’école afin de pouvoir entrer vite dans la vie active fait que l’on donne la préférence aux matières intellectuelles et que l’on néglige les aspects physiques dans l’éducation. Pour une autre part, le confort personnel que les parents se réservent, et une trop grande protection de leur enfant, font le reste.

20 D’où l’importance de l’école, la mieux placée pour mettre en place une nouvelle éducation physique. Elle prendra ses distances de celle de Jahn « qui, pratiquée trop jeune et trop intensément peut se révéler dangereuse », et de celle de Spiess, un contemporain de Jahn, « car elle est une sorte de dressage (eine Dressur) qui fatigue et ne fortifie pas spécialement le corps ». En conséquence, le jugement sur l’enseignement passé est sans complaisance : « ce qui est enseigné durant les neuf années de lycée à raison de deux heures par semaine permet de répondre aux exigences d’une gymnastique méthodique mais ne suffit pas pour assurer une véritable éducation corporelle de l’enfant ».

21 Devant ce constat d’échec, la Commission « considère souhaitable qu’en plus des heures de gymnastique obligatoires soient instituées six heures d’exercices corporels. Selon la ville et ses infrastructures, ils pourront être de différente nature. Les exercices à l’air frais, les bains et les douches froides, sollicitent d’une manière optimum l’activité musculaire ». La Commission recommande prioritairement la natation, ensuite les jeux de plein air. Les jeux de plein air – Spiele im Freien – sont à recommander d’urgence. Ils peuvent être pratiqués en toutes saisons, tant que la pluie, la neige, les bourrasques, ne sont

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pas trop gênants. Il faudra des terrains de jeux – de sable ou engazonnés, protégés du soleil par des grands arbres – à proximité des bâtiments scolaires. Il ne serait pas inadéquat d’introduire chez nous certains jeux pratiqués en Angleterre, tout en laissant la priorité aux jeux allemands. Si ces jeux de plein air sollicitent à un degré moindre les muscles que la gymnastique, ils ont par contre un effet positif pour se remettre d’une fatigue intellectuelle. Des jeux comme la course, les sauts, la lutte, ou simplement grimper ou faire des randonnées en montagne, donnent de l’endurance. En dernier lieu, il ne faudrait pas oublier le patinage, un exercice vivifiant – erfrischendes Schlittschuhlaufen – comme jeu d’hiver. Tous ces exercices de plein air sont à pratiquer en fin d’après‑midi ; le dimanche et un après-midi de la semaine resteront réservés aux parents qui pourront les employer pour les jeux de leur choix.

22 Quand le rapport de la Commission Manteuffel est publié, à Strasbourg une incontestable révolution a déjà eu lieu. Le 19 mai 1882, la Strassburger Post signale que « mercredi dernier ont démarré les Jeux et Exercices de plein air. Deux cents lycéens du Gymnase protestant et du Lycée y ont participé, place Le Nôtre, sous la surveillance de leurs professeurs ».

1882-1900 : vers la reconnaissance des sports anglais dans le système éducatif allemand

23 Le mémoire de Manteuffel a un effet déterminant sur le pouvoir politique à Berlin. Certes, Lorinser, un médecin, avait évoqué en 1836 déjà la question du surmenage à l’école, et, plus tard, différents intervenants dans le domaine de l’hygiène, mais personne n’avait la force de l’administrateur du Reichsland. Publié en septembre 1882, le mémoire de la Commission Manteuffel est, en effet, suivi d’une réponse immédiate du Gouvernement à Berlin : le Spielerlass von Gossler, c’est-à-dire le décret du 27 octobre 1882 du ministre prussien Gossler instituant les Jeux Scolaires dans les höhere Schulen de toute l’Allemagne. Avant la fondation du Reich de 1871, le Gouvernement de Prusse avait fait un premier pas dans ce sens, donnant une timide reconnaissance aux jeux. En 1860, en faisant le lien entre jeux et exercices gymniques pour créer les Turnspiele, il permettait à la gymnastique « d’évoluer à l’air libre et en plein air ». Puis, en donnant en 1862 dans ses écoles primaires (Volksschulen) « une part croissante aux jeux dans le système éducatif. Mais ces premières mesures n’avaient pas l’effet du décret d’octobre 1882 du ministre des Cultes et de l’Instruction Publique de Prusse »8.

24 Une ère effectivement nouvelle et un mot nouveau : Bewegungsspiele ou Jeux Athlétiques – qui semblent donner un début de coup de grâce aux Turnspiele. Le décret Gossler signifie que le message, sur la réforme scolaire, lancé par de nombreuses composantes de la société allemande a été pris en compte par les autorités, en même temps « qu’il apportait une forte impulsion au triple concept de gymnastique / exercices corporels / jeux athlétiques »9. En 1882 encore, le Duché de Hessen-Darmstadt, et en 1883 celui de Bade, suivent les initiatives de la Prusse. Tout ceci ne fait pas taire le monde associatif qui ne désarme pas pour aller plus loin et lancer des pétitions en masse. Le mouvement Schorer (1886), la Deutsche Akademische Vereinigung (1887), le Geschäfts-Ausschuss für deutsche Schulreform (1888) et enfin le Verein für Schulreform (1889) seront les fers de lance de cette revendication. Celle-ci débouche sur la Conférence scolaire – Schulkonferenz – de décembre 1890 suivie de près par Guillaume II et au cours de laquelle émerge la personnalité du député Emile von Schenckendorff. Ce

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dernier propose la création d’une organisation de portée nationale en charge des questions se rapportant à la culture corporelle – Körperpflege. Dans la foulée, le 21 mai 1891, naît à Berlin le Zentral-Ausschuss zur Förderung der Jugend- und Volksspiele in Deutschland (JVS). Ce « comité national pour la promotion des jeux scolaires et des jeux populaires allemands », pour ménager « anciens et modernes », sports anglais et gymnastique allemande, nomme deux co-présidents : Emile Schenckendorff et le médecin Ferdinand-Auguste Schmidt, membre du comité directeur de la Gymnastique allemande. Il confie, ainsi, les Jeux de la Jeunesse aux autorités scolaires et les Jeux Populaires à la Fédération allemande de gymnastique.

Les débuts des sports en Alsace

Sports et activités de plein air avant l’apparition des sports athlétiques

25 Au moment de la création de la Fédération des JVS, gymnastique, cyclisme, aviron, escrime, patinage et tir sont les disciplines pratiquées à Strasbourg. Elles sont représentées par deux associations de gymnastes (celle de « Strasbourg » et « l’Alsatia »), deux associations de cyclistes (le club des Vélocipédistes et la « Germania »), l’Association de gymnastique et d’escrime « Union », la Société de Tir, la Société d’Aviron et le Club des Patineurs. En tout, huit associations sportives dans une ville qui compte 150 000 habitants.

26 On peut ajouter la Société hippique et le Club vosgien qui s’inscrivent, plus ou moins, dans la même mouvance. Les distractions nautiques existent par les « Bains du Rhin » et ceux du « Jardin Dollé », ces derniers situés au début de la Plaine des Bouchers et alimentés par le « Krimmeri ». Les deux complexes sont de plein air et ont été conçus dans un esprit de nage sportive. Ils complètent deux établissements de « bains couverts » construits sous le Second Empire. Ils sont alimentés par l’Ill et sont situés, l’un dans le quartier du Finkwiller, l’autre rue du Marché aux Vins.

27 Avec quatre clubs à Strasbourg et deux autres à Schiltigheim et Haguenau, le cyclisme est le sport qui monte. Les SNN brossent un tableau de la situation strasbourgeoise, le 25 mars 1890 : « De tous les sports, aucun n’a eu un développement aussi rapide et aussi large que le cyclisme. Il est devenu un sport, il y a moins de vingt ans. Aujourd’hui, partout dans le monde, on s’adonne à la passion du vélo ». La Fédération Allemande de Cyclisme compte 12 000 membres. À Strasbourg, existent trois clubs : le Club des Vélocipédistes fondé en 1881, le Germania créé en 1887, et le Celeritas, l’association la plus récente.

28 Le Club des Vélocipédistes est l’association phare. En 1890, elle dispose déjà d’une piste (en bois) construite près de la Porte de Pierre10. Ses résultats sont de premier plan : « aux courses de la 7e Assemblée générale de la Fédération Allemande de Cyclisme, qui viennent de se dérouler à Munich, les Vélocipédistes de Strasbourg sont sortis vainqueurs des 32 clubs en lice » rapportent les SNN, le 11 août 1890. Le plus grand événement, depuis la création du club, est vraisemblablement la participation aux courses de Strasbourg du dimanche 2 août 1891 (qui sont aussi celles du 10e anniversaire du club) du champion d’Europe Auguste Lehr. Durant plusieurs jours, la presse régionale parle de la venue de « Monsieur Auguste Lehr » et insiste sur le rôle promoteur du club strasbourgeois pour le cyclisme dans toute l’Allemagne11. Une réelle

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amitié lie les coureurs strasbourgeois. Ils se réuniront en 1891 dans « l’Association des Cyclistes de Strasbourg » qui aura une finalité autant récréative que sportive12. L’organisation de très grands meetings nécessite de sortir du cadre régional et de se placer sur toute l’Allemagne du Sud. Témoin les courses de Strasbourg de la Pentecôte 1892 auxquelles participent, outre Jeannin de Mulhouse et Pusin de Metz, des coureurs renommés de Cologne, Francfort, Mannheim, Hombourg, Wiesbaden, Spire13.

29 On se demande à ce moment si le cyclisme ne détrônera pas bientôt la gymnastique. Paul Ruinart est une des grandes vedettes à la fin des années 1890 du cyclisme parisien. La discipline étant déjà très internationale puisque les coureurs américains viennent se mesurer à leurs rivaux européens, son témoignage vaut aussi pour l’Alsace14 : Je suis né en 1876. À l’époque de mon impétueuse adolescence – c’était vers 1890 ou 1891 – il n’existait qu’un seul grand sport : le cyclisme ou plutôt la vélocipédie comme on disait alors. Le football ne vivait qu’à l’état embryonnaire, l’automobile n’existait pas, l’avion non plus ; la natation, la raquette15 n’étaient que des distractions, la boxe était considérée, un peu, comme un exercice de foire, au même titre que la lutte. Bref, il n’existait qu’un vrai sport, le cyclisme et c’est tout naturellement vers lui que je me suis tourné.

30 En Alsace, la capitale du cyclisme est Mulhouse. La ville dispose d’un vélodrome, construit à proximité de la place de la Doller, de deux clubs (le Vélo Club et le Cyclophile) et d’une belle brochette de champions, le plus connu étant Henri Jeannin. Les meetings attirent régulièrement plusieurs milliers de spectateurs. Comme la Journée des Grandes Courses Internationales16 de 1894 : « À 14 heures, la longue colonne de coureurs s’ébranle en direction du Vélodrome. Des milliers de curieux assistent à leur passage dans l’avenue de Colmar. À leur entrée dans le Vélodrome, ils sont acclamés par des milliers de personnes ».

31 C’est le Haut-Rhin qui compte le plus grand nombre de clubs en activité vers 1895. Outre Mulhouse, Colmar a deux clubs également – le Vélo Club et le Celeritas – et il existe un Vélo Club à Guebwiller, Thann, Saint-Louis, Dornach, Altkirch, Riedisheim et Neuf-Brisach. Le Bas-Rhin compte un club à Wissembourg, Haguenau, Bischwiller (avec ses vedettes Paul Lix et Eugène Dirheimer), Schiltigheim, Sélestat et Strasbourg, désormais avec trois clubs (le Celeritas, l’Union des Cyclistes et le Vélo Club). Colmar et Strasbourg disposent d’une piste et Mulhouse d’un Vélodrome. Belfort et Montbéliard – dont il faut tenir compte à Mulhouse – envisagent les mêmes équipements : Montbéliard « dans la plaine de Sochaux » et Belfort « oui, oui, Belfort, tout comme Paris et Mulhouse, va avoir son vélodrome avec virages relevés, tribunes, cabines et tout le… tremblement. Je crois même avoir entendu parler d’un masseur », ironise le journaliste de Vélo-Sport d’Alsace-Lorraine17.

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L’Annuaire 1896 des Volks-und Jugendspiele

Dessin paru dans l’Annuaire 1896 des Volks-und Jugendspiele. Il montre que les Jeux de Plein Air ou Bewegungsspiele ou encore Jeux athlétiques sont avant tout des jeux scolaires.

32 En même temps que les sports, se développe un mouvement de masse, dans une population qui, faut-il le rappeler, travaille au moins dix heures par jour, en faveur de pratiques davantage de loisirs que de compétition. Elles ont pour but de faire découvrir la nature et de s’affranchir, ne serait-ce que l’espace d’un dimanche, des usines ou des bureaux. Le « Jardin Dollé », près du restaurant « À l’Ancre » au début de la rue du Doubs et le « Jardin Hemmerlé », route de Colmar, sont les lieux de prédilection des Strasbourgeois18. Canotage et baignade en été sur le Rhin Tortu (le Krimmeri), patinage et glissades en hiver, les deux endroits accueillent aussi des bals champêtres et sont les destinations de sorties dominicales pour des familles entières venues profiter d’une nature préservée, à quelques pas du centre-ville. Et les annonces publicitaires que la famille Hipp, exploitant du « Jardin Dollé » passe dans la presse pour vanter ses täglich frische Rheinbäder, sa piste de quilles, sa patinoire qualifiée de gefahrlos durch neue Wasserleitung bestens eingerichtet und jeden Morgen wieder spiegelglatt hergestellt, ses concerts et flonflons, la possibilité de prendre un repas tiré du sac, font venir le citadin du centre-ville ou les presque ruraux de la Montagne-Verte ou de l’Elsau. Pour les gens de Neudorf, le « Jardin Hemmerlé » joue le même rôle permettant d’être en plein air, au grand air, « in freier Natur ».

La révolution alsacienne des années 1891 / 1893

33 L’antenne strasbourgeoise des JVS est créée dans la foulée du mouvement amorcé à Berlin. « Nous venons de fonder l’association strasbourgeoise des « JVS im Freien », à l’instar de ce qui s’opère dans de nombreuses villes en Allemagne », écrit le comité constitué de responsables de la gymnastique (Euting et Godduhn), d’un professeur, d’un député, du directeur du Gymnase protestant, de représentants de la haute administration et plus curieusement du vice-consul des États-Unis19.

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Eté 1891 : le tennis, premier sport athlétique

34 Certains n’ont pas attendu l’officialisation des JVS pour démarrer leur sport favori. Ainsi le Strassburger Athleten-Club qui se constitue début janvier 1891 : « le but de l’association est la culture physique par la pratique de la lutte et des poids et haltères », précisent les dirigeants. « Maintenant que l’athlétisme s’est fait une place dans de nombreuses villes d’Allemagne, nous pensons que notre sport trouvera également à Strasbourg des partisans enthousiastes »20.

35 Plus pressés encore sont les joueurs de « Lawn-Tennis ». Le 9 juin 1891, les SNN indiquent que ce jeu, « qui a pris la première place de tous les jeux athlétiques, s’est implanté à Strasbourg. C’est un sport pour adultes, à la fois pour les hommes et pour les femmes. À Strasbourg, c’est sur les pelouses de l’Orangerie qu’il est pratiqué. Les joueurs portent des costumes spéciaux, des habits en flanelle très légers permettant de se mouvoir facilement ». Se mouvoir, le mouvement, le déplacement par la course ou le saut, telle est la caractéristique principale des jeux athlétiques. Dans cet esprit, la lutte et les poids et haltères ne sont pas des sports athlétiques mais des sports tout court. Bientôt, la distinction se fera par deux appellations différentes : Athleten et Leichtathleten, les athlètes des sports de combats et ceux du stade ou de la piste. Le tennis, qui demande vitesse de déplacement, est par conséquent le sport athlétique ou sport anglais pratiqué en premier à Strasbourg et en Alsace.

36 En 1892, la Corsetterie Hintz à Strasbourg a déjà à l’inventaire de ses produits des Lawn Tennis Blousen, signe que cette toute nouvelle discipline, réclamant des costumes particuliers est pratiquée. Sinon, rien de très notable en 1892, sauf que les JVS sont qualifiés, à présent, de « sports ». Et déjà, malgré qu’il faille payer une cotisation, les terrains de jeux sur « la promenade Lenôtre » ne sont plus suffisants pour accueillir tout le monde. « Es war ganz schwarz von Menschen », les terrains Lenôtre, Allée de la Robertsau, en face de l’Orangerie « étaient noirs de monde. Il a fallu se replier sur les prés, en direction de Cronenbourg, qui font office de patinoire en hiver ». Le phénomène est tel pour les jeux de plein air que, dès le printemps 1892, on construit à proximité du Kronenburger Ring une halle pour servir de repli aux sportifs en cas de pluie21.

37 Si les esprits ont légèrement évolué, on est cependant toujours dans ce mouvement politico-hygiéniste des JVS, résultat d’un compromis entre partisans de la gymnastique et partisans des sports pratiqués en Angleterre, entre « Anciens » et « Modernes » en quelque sorte, sauf que ces « Modernes », tous issus du monde de l’enseignement et de la politique et par conséquent, d’une manière ou d’une autre, sous la tutelle de l’État, ne sont pas assez modernes pour les plus fervents adeptes des sports. Ces derniers ont 25 ans environ et sont des pratiquants, alors que les hommes des JVS sont des dirigeants et pourraient être leurs parents.

38 Tandis que la Fédération des « JVS » en est toujours – pour l’année 1893 – à distinguer « Jugendspiele » (pour les écoliers jusqu’à 14/15 ans) et « Volksspiele » (Spiele für das ganze Volk) – des Jeux pour les adolescents et les adultes – et évoquer certains comme « Katze und Maus, Schwarzer Mann, Fuchs aus dem Loch, Jakob wo bist du?, Drei Mann hoch », etc., les nouveaux venus ne sont plus sur le thème des comptines enfantines mais sur celui des réalités anglaises. Et pour se faire entendre, leur moyen est le journal, « Spiel und Sport » : « Spiel » comme pour ménager quelque peu le mouvement des « JVS » et « Sport » pour mettre clairement le doigt sur les sports athlétiques que les publications du

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Zentral-Ausschuss ont entièrement occultés jusqu’à présent en ce qui concerne l’importance qu’ils ont pris dans la jeunesse allemande, leur degré de diffusion et de pratique.

La réalité anglaise vue d’Alsace

39 Le premier numéro de Spiel und Sport est daté du 7 janvier 1893. Le journal, édité à Berlin, a pour but « l’encouragement des sports athlétiques ». Outre la fonction de diffuseur d’informations sportives, il est aussi l’organe officiel des « Ligues d’Allemagne de Football et de Cricket ». Le lecteur alsacien, qui ne connaît que les « Jeux Scolaires » de la place Lenôtre, apprend au cours des premières semaines de l’année 1893, qu’il existe un championnat de football à Berlin, que le Pays de Galles et l’Angleterre viennent de disputer leur 11e rencontre internationale de « Football-Rugby », qu’à Paris, les footballeurs du « Club Français » ont rencontré les « White Rovers » de Londres, que des « meetings » d’athlétisme se disputent à Berlin et que la finale du championnat d’Angleterre de « Football-Association » vient de se dérouler à Londres devant 52 000 spectateurs !

40 Publicités pour les équipements nécessaires à la pratique des sports athlétiques, informations techniques – comme, par exemple, la disposition des joueurs d’une équipe de football sur le terrain – complètent les pages du journal qui se termine toujours avec les nouvelles venues du Royaume‑Uni contenues dans La Feuille Anglaise. Bref, l’Allemagne découvre un monde nouveau – des sports et des termes techniques inconnus ou presque jusqu’à présent !

41 Sur les bords du Rhin, la réaction ne traîne pas en cette formidable année 1893 : le 22 avril, on apprend la création d’un club de football à Baden-Baden, et, le 10 juin, que le « Lawn Tennis Club de Strasbourg » a retenu Spiel und Sport comme son organe officiel. Les tennismen strasbourgeois, basés à l’Orangerie, sont les premiers sur toute l’Allemagne à faire cette démarche. Ils rejoignent les footballeurs et cricketeurs de Berlin, dans une fédération avant la lettre, en tout cas une sorte d’association ou de groupement national des sports athlétiques.

Printemps 1893 : les débuts du football

42 Si à ce moment le tennis existe officiellement à Strasbourg, il n’en reste pas moins que c’est un sport individuel et qu’il est difficile d’en mesurer l’importance. Pour le football, sport d’équipe, c’est différent.

43 Pour le football rhénan, et en particulier alsacien, l’édition de Spiel und Sport du 1 er juillet 1893 est un formidable document. Pour le lecteur de 1893, il officialisait les débuts du football à Strasbourg. À nous aujourd’hui, il confère une date certaine aux débuts du football strasbourgeois. Elle infirme la position que le club doyen alsacien a été fondé en 1890, une affirmation qui ne repose sur rien et qui démontre plus un plagiat d’erreurs que des recherches véritables.

44 Revenons aux tout premiers footballeurs strasbourgeois qui sont ceux du printemps 1893. Dans la presse alsacienne, les mots Fussball – Fussballspiel – sont cités pour la première fois en mai 1893. Le 30 mai paraît dans les SNN un article intitulé : « Comment enraciner davantage le football chez nous ». Le journal strasbourgeois fait la synthèse d’une information donnée par la Neue Badische Landeszeitung. Celle-ci rapporte « qu’il est envisagé la création d’une Ligue de Football pour le Sud‑Ouest de l’Allemagne, que

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son rôle est de soutenir, même financièrement s’il le fallait, les clubs adhérents car le football est un sport sain ». L’article annonce aussi que « le 3 et le 4 juin prochain, aura lieu à Karlsruhe sa première assemblée générale. Y sont invités les présidents et les capitaines de différents clubs de football de Bade, d’Alsace, du Wurtemberg, de Darmstadt et de Francfort, ainsi que toutes les bonnes volontés souhaitant aider la nouvelle Fédération ».

45 Donc, des clubs de football existent. Qui sont-ils ? Ni la presse strasbourgeoise, ni les journaux badois ne donnent l’information. Par contre, on apprend que « le samedi 3 juin aura lieu à Karlsruhe, sur le terrain dit « des Anglais » – Engländerplatz – un match de football opposant le Football Club de Karlsruhe à une sélection de joueurs issus de clubs du Pays de Bade, de Strasbourg, de Mannheim et de la Realschule de Karlsruhe ». Les choses commencent à se préciser… Il existe donc, au printemps 1893, un club de football à Strasbourg. Si le club a été présent et représenté à la réunion de Karlsruhe, si des joueurs du club strasbourgeois sont retenus pour ce match de sélection, c’est la preuve formelle qu’il existe un club de football à Strasbourg à ce moment-là.

46 Le vendredi 14 juillet tombent des informations encore plus précieuses. Les SNN annoncent, en effet, que « demain, samedi 15 juillet, aura lieu « Place Lenôtre », un match de football opposant le Fussball Club Strassburg au Fussball Club Baden-Baden. Les Strasbourgeois étant invaincus, nous sommes impatients d’en connaître le résultat. Cette rencontre sera la dernière de l’actuelle saison ». Trois informations en une puisque maintenant nous connaissons le nom du premier club de football strasbourgeois, le lieu d’implantation du premier terrain de football à Strasbourg et savons qu’une compétition entre clubs de part et d’autre du Rhin est en cours. Plusieurs témoignages de footballeurs de 1893 confirment cette datation.

47 D’abord, les précieux « Carnets souvenirs » de Hans Rusek22, footballeur de la toute première heure, figure historique du Fussball Verein Karlsruhe. Que nous dit-il ce pionnier du football rhénan ? : « Le FVK a été fondé en 1891 mais ce n’est que lors de la saison 1891 / 1892 que nous avons disputé une rencontre officielle. C’était d’ailleurs la seule. Elle nous a opposés à l’autre club de Karlsruhe, le « Football Club International », premier club fondé dans notre région. La première rencontre à domicile, nous l’avons disputée la saison suivante, en 1892 / 1893, contre le FC Baden-Baden. C’était le 14 septembre 1892. Nous avons gagné par 7‑0. Après le match retour à Baden-Baden, nous avons accueilli la forte équipe du Strassburger Fussball Verein contre qui nous avons fait match nul 1‑1 ».

48 Ensuite, le « secret » de Gustave Jeffke. Membre fondateur de ce FC Strasbourg dont nous parlons, il s’est confié au journaliste Francis Braesch23 : « le football a été introduit en Alsace par Walter Bensemann, un Allemand que j’ai bien connu en 1892. J’avais quinze ans lorsque je devins membre fondateur du premier club de football alsacien, c’est-à-dire le Strassburger Football Club. « Mais l’ASS24 affirme être née en 1890 » demande Francis Braesch. « Promettez-moi de ne pas le dévoiler, pas avant quelques années après ma mort. J’étais alors à l’ASS. On a un peu truqué la date d’anniversaire lors du 10e anniversaire. À cette époque on ne faisait pas tellement attention à la vérité. C’était le 8e anniversaire et on a dit que c’était le 10e. C’est en 1892 que l’ASS est née », confie Gustave Jeffke.

49 Enfin, l’affirmation de Philippe Heineken, pionnier du football à Stuttgart, selon laquelle « en 1893, en Allemagne du Sud, ont été créés des clubs de football à Strasbourg, Karlsruhe, Baden-Baden, Fribourg et Stuttgart. La majorité d’entre eux ont

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adhéré le 7 octobre 1893 à la Süddeutsche Fussball Union. Une sélection de la Ligue d’Allemagne du Sud, nouvellement créée, rencontrait et battait, le même jour, l’équipe de « La Villa » de Lausanne »25.

50 Le recoupement des informations qui précèdent permettent de dater les débuts du football en Alsace avec une assez grande précision. « Spiel und Spiel », en donnant l’information dans La Feuille Anglaise du 25 novembre 1893 que « les statuts du Football Club de Strasbourg sont désormais imprimés et disponibles, une chose importante pour le bon fonctionnement d’un club », apporte une précision capitale : « le club a été fondé le 17 mai 1893 », apprenons-nous.

La propagation des sports athlétiques

51 À Strasbourg, tennis et football ont donc ouvert la voie aux sports athlétiques. Baden- Baden est plus en avance : à l’automne 1893, le cricket rejoint le football et le tennis. Le tennis reste pourtant la discipline majeure dans la cité thermale. Fin août, s’y déroule le Grand Tournoi d’Été et l’édition 1893 semble ne pas être la toute première. « Les installations du Lawn-Tennis de Baden-Baden ont pour cadre le plus beau décor naturel du monde. Autour des courts, on peut voir des dames aux toilettes particulièrement élégantes. Un seul joueur allemand participe aux différentes épreuves – Simple Messieurs, Simple Dames et Double Mixte – c’est dire le nombre de participants étrangers qui sont Italiens, Anglais, Grecs, Autrichiens. Au Double Mixte, c’est la paire formée de la comtesse Orsics (Autriche) et du Major Graham (Angleterre) qui s’est fait remarquer le plus. Le Tournoi était placé sous la présidence du « Prinz Herrmann zu Sachsen-Weimar »26.

52 Qu’en est-il des sports athlétiques sur le plan national ? Prenons divers avis. Commençons par Viktor Woikowsky, haut-fonctionnaire de Prusse. Ce qu’il dit est évidemment le message de l’instance politique27 : « En 1893, une nouvelle partie de la population s’est laissée gagner par les idées que nous défendons : abandon du mauvais air de la maison et de la ville pour reprendre, par des jeux de plein air, les forces nécessaires à l’effort physique et intellectuel auquel est confronté l’homme du XIXe siècle. C’est particulièrement vrai dans les écoles – pour les garçons et les filles – où une heure de jeux a été instaurée, en sus des deux heures obligatoires de gymnastique. Mais il reste beaucoup de choses à solutionner. La progression des jeux est encore trop lente, surtout dans les couches de population qui auraient le plus besoin de passer du temps au plein air. La classe ouvrière préfère toujours la poussière des salles de bals à l’air frais et aux jeux. Nos autorités ne font pas assez pour entretenir la santé physique et la fraîcheur spirituelle du peuple. Le nombre de villes véritablement actives reste trop faible. Il mérite d’être corrigé par toutes celles où ce sont les étrangers – les Anglais surtout – qui remplissent le rôle moteur. L’instauration de prix et de récompenses en argent – que l’on croyait néfaste – a un résultat bénéfique. C’est vraisemblablement la solution pour développer les jeux ». Parmi les plus répandus, Woikowsky cite le tennis et le football, devancés toutefois par le Dritteabschlagen et le Schleuderball28 !!

53 Pour Konrad Koch, membre du Bureau des « JVS » et instigateur du football à Braunschweig, il est « difficile de connaître le nombre précis des pratiquants en Allemagne mais ce qui est sûr c’est qu’ils sont des milliers et des milliers qui, par le

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football, agissent pour leur santé et pour leur fraîcheur physique et intellectuelle »29. Le message, comme celui de Woikowsky, reste très hygiéniste.

54 Le message de Philippe Heineken est celui d’un compétiteur. Après avoir séjourné en Angleterre où il a appris à jouer au football, il devient, en 1894, joueur du Fussball-Verein Stuttgart. Son témoignage a donc du poids. Voici ce qu’il dit dans son livre Das Fussballspiel : « Dans la région de Stuttgart, tout a démarré à Cannstatt, ville thermale où séjournait une importante colonie anglaise. Au printemps 1890, les élèves des classes supérieures de Latin et ceux de la Realschuhle se groupèrent pour fonder le Cannstatter Fussballklub. Ils pratiquèrent un mélange de Football-Rugby, de Football-Association et de règles du Collège de Harrow. Francfort est aussi un ancien fief du football-rugby. En septembre 1880 fut créé le FC Francfort par la fusion du Germania et du Frankonia. Il arrêtera bientôt toute activité et ne sera relancé qu’en mars 1891 par sa figure de proue, Heinrich Stasny. Heidelberg est un autre foyer de football-rugby avec les collèges de la ville et celui de Neuenheim. À Stuttgart, le Fussballverein a été fondé en septembre 1893. Plus loin, à Fribourg, Munich mais aussi à Hombourg, Wiesbaden et autres villes thermales où les colonies anglaises sont importantes, on pratique le Football-Rugby et bien sûr dans le Nord de l’Allemagne à Hannovre, Bremen, Göttingen, Jena et Braunschweig qui doit beaucoup au Professeur Koch.

Le football, mais quel football ?

55 Au démarrage du football sur le Continent, on joue soit au « Football-Association », soit au « Football-Rugby », selon l’humeur du jour ou presque. Tandis qu’en Angleterre la distinction entre Football-Association et Football-Rugby est faite depuis une trentaine d’années, sur les bords du Rhin et plus loin, les choses ne sont toujours pas tranchées. Ainsi, s’interroge-t-on toujours à Bischwiller fin 1899 si la rencontre de la toute jeune Association de Football de Bischwiller contre l’équipe réserve du Strassburger Fussball Verein se déroulera selon les règles de l’Association ou celles du Rugby. « Finalement, c’est au Football-Rugby que l’on a joué à la Niedermatt de Bischwiller, ce 12 novembre 1899 », précise la presse locale30. Dans l’implantation de telle ou telle variante, il y a souvent l’importance d’une personne donnée.

56 Si à Stuttgart, on joue au Football-Rugby, c’est parce que la colonie anglaise sur place pratique plutôt le gemischte Spiel que l’einfache Spiel. Gemischt parce qu’on peut mélanger pieds et mains pour le pratiquer, einfach parce que seul les pieds sont tolérés. À Stuttgart, outre les Britanniques sur place, une influence dans ce choix revient à Philippe Heineken. Il a séjourné en Angleterre où « il a fait une longue carrière de footballeur »31. De footballeur selon les règles de Rugby, faut-il évidemment comprendre.

57 À Francfort, les personnalités déterminantes sont les frères Ludwig et Hermann Stasny. Né en 1863 à Trieste où son père était chef d’orchestre dans un régiment autrichien, puis de la « Palmengarten Capelle » de Francfort, Hermann part en 1882 à Nottingham pour des études commerciales. Il joue, deux saisons durant, au « Rugby Football Club » de la ville. De retour chez lui, c’est évidemment ce type de football qu’il implante à Francfort, avant de faire de même à Prague où il est nommé directeur de la filiale de Bohême des Établissements Stasny32. Capitaine du club de Francfort, il tire surtout son autorité du capitanat de la sélection d’Allemagne du Sud (Süddeutsche Fussball-Union).

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58 Strasbourg et Karlsruhe sont marqués de l’empreinte de Walter Bensemann, adepte lui de « Football-Association ». Né en 1873 dans une famille juive de Berlin (son père y exerce le métier de banquier), il entre vers 1885 au collège anglais de Montreux. La Suisse était le premier pays sur le Continent ayant adopté le football ; c’est l’importante présence anglaise qui explique cette particularité. Ainsi, les célèbres Grasshoppers de Zürich sont-ils créés dès 1886 par Tom Griffith, un étudiant anglais. Au collège de Montreux, Bensemann est immergé dans le monde britannique presque comme s’il était outre-Manche. Sur les bords du lac Léman (Lausanne, Montreux), les Anglais pratiquent plutôt le jeu de « l’Association » et Bensemann fait tout naturellement partie des fondateurs du FC Montreux. La raison de sa venue à Karlsruhe n’est pas connue. Toujours est-il qu’il fréquente, à partir de septembre 1889, le lycée de la capitale badoise. Il y implante le « Football-Association » en 1890, puis à Strasbourg en 1893. Dans la grande ville alsacienne, le soutien de la famille Schricker : le père est haut-fonctionnaire et ses deux fils, Erwin et Ivo, des footballeurs convaincus. On comprend, dès lors, la visite des Grasshoppers de Zürich au Strassburger Fussball Club, le 26 novembre 1893. Erwin Schricker jouait arrière-gauche, Ivo demi-centre et le capitaine Walther Bensemann, avant-centre. Faisant des aller / retour permanents entre Strasbourg et Karlsruhe, Bensemann fonde un second club à Karlsruhe : les Karlsruher Kickers33.

Footballeurs, rugbymen, athlètes, tennismen : contestataires de la société traditionnelle

59 Dans la famille des sports athlétiques, une concurrence s’est déjà installée. Certes pas avec l’athlétisme et le tennis qui sont des sports d’été et auxquels le football et rugby laissent la place libre durant la période estivale, mais entre footballeurs. « Tout au long des années 1890, le football-Rugby eut à mener une bataille existentielle contre le football-Association. Le rugby souffrait d’un manque d’éducateurs et de préjugés qu’on lui objectait », fait remarquer Philippe Heineken34.

Des adversaires montrés du doigt

60 Les attaques de toutes sortes sont nombreuses. D’où une alliance entre « sportsmen » dans la défense de la discipline de chacun. Une action en défense pour laquelle le secours, qui est apporté aux pratiquants par des dirigeants particulièrement armés sur le terrain de l’anglophobie ambiante, ne sera pas de trop.

61 Le thème de la dangerosité, de la brutalité, des accidents causés par le football est un thème si récurrent « qu’il est devenu proverbial mais aucun proverbe n’est autant contraire à la vérité que celui-là », écrit Heineken pour compte commun de football et du rugby. Et de continuer : « cette prétendue brutalité est démentie par les faits. Si l’on en croit le 4e annuaire des «JVS », dans 68 écoles il existait un club de football. Ce chiffre a vraisemblablement doublé depuis. Dans de nombreux établissements, on joue au football durant l’heure de gymnastique. Ces enseignants ne seraient-ils pas capables de mesurer les dangers invoqués ? Iraient-ils jusqu’à mener les écoliers à leur perte ? ».

62 Pour Philippe Heineken, l’argument de la dangerosité a deux origines. Les journaux d’abord. Ceux « qui n’y connaissent rien. Certains n’ont aucun scrupule de faire des

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articles donnant la chair de poule. Prenons celui qui indique le nombre de morts, de cassures du cou, de fractures des os. Il donne l’image d’un champ de bataille avec des morts et des blessés ». Il s’agit d’exagérations de « journaux creux, animés par une clique anglophobe qui ne rêve que de jeux allemands et pour qui tous les moyens sont bons pour maudire le football et détourner de lui les enfants ». Ensuite, il y a les « vieux » gymnastes, ceux qui en sont restés aux anciennes conceptions de la gymnastique allemande : « ils haïssent les jeux venant de l’étranger ». Heineken pointe plus particulièrement « ces professeurs de gymnastique pour qui rien ne doit évoluer, qui en sont restés au canotage et aux joutes nautiques et qui considèrent que les sports sont anti-allemands (undeutsch), qui en sont restés à Jahn alors que le « Turnvater » aurait fait preuve de moins de conservatisme ».

63 Certains professeurs de gymnastique seraient prêts à accepter les sports à la condition qu’on leur donne une touche allemande (verdeutschen). « Une chose plus facile à dire qu’à faire car un jeu comme le football est l’aboutissement du travail de toute une génération et de millions de joueurs. Une germanisation est, par conséquent, impossible à faire en modifiant simplement les règles du jeu autour d’un tapis vert ».

64 Mais pour Heineken toute la Gymnastique n’est pas ainsi. « La grande masse des gymnastes et le Bureau des JVS viennent d’accepter les règles anglaises. Désormais, dans tout le monde civilisé, à l’exception de l’Australie et de l’Amérique où les conditions climatiques nécessitent des spécificités, on joue selon des règles uniformes ». Si donc une partie des gymnastes a changé d’attitude, c’est que l’argument de la dangerosité a eu en fin de compte assez peu de résultats.

65 Pour Ludwig Stasny, dans les journaux allemands « il n’est question que d’accidents qui se sont produits en Angleterre et en Amérique. On dirait que c’est la seule information intéressante à donner. Personne ne parle des milliers de compétitions et des millions de pratiquants sur une année pleine. Il faut absolument en terminer avec ces chimères (Märchen) et ces fausses excuses (Popanzereien) et faire place à la modernité »35.

66 « Der Spiess umgedreht », tel est le titre de la première page de Spiel und Sport du 25 août 1894. Le rédacteur stigmatise les arguments qui finalement se sont « retournés » contre la gymnastique : 768 accidents – de commotions cérébrales à des débuts de crampes ! – durant la fête annuelle de la Gymnastique allemande qui s’est déroulée à Breslau. « La tactique de certaines fractions de la Gymnastique allemande, consistant à freiner le développement du football en Allemagne, a échoué. La raison a pris le dessus. Il n’est pas question pour nous d’attaquer la Gymnastique ou de diminuer ses mérites. Nous savons ce qu’elle a fait pour le peuple et le pays (Volk und Land). Nous souhaitons simplement que la haine qui est témoignée, par certains, aux footballeurs, tennismen, joueurs de cricket, cyclistes, athlètes, nageurs et autres Sportsmenschen groupés sous notre bannière, s’arrête enfin ».

67 Si Walter Bensemann partage le point de vue de Heineken et de Stasny, ses griefs vont plus loin encore. Pour l’étudiant strasbourgeois, l’école aussi a mis les bâtons dans les roues du football. « Certes, là où les enseignants – à Braunschweig et Hannovre – ont été à la hauteur de la tâche, le football connaît des succès. À Strasbourg, Baden-Baden, Mannheim, par contre, créer un club a été difficile et ingrat. On a prétexté le coût de l’équipement. Mais il suffit de regarder la consommation de bière de nos lycéens pour conclure que l’argent ne leur manque pas. C’est un malheur national de devoir constater que l’argent est toujours dépensé au bistrot et qu’il n’y a pas un sou pour le sport ». Autre grief que Bensemann impute aux enseignants : une organisation ne

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permettant de jouer au football que le samedi et le dimanche, le manque de terrains et de conclure sévèrement : « l’école a fait trop peu pour le football, surtout en Allemagne du Sud. Son attitude passive a eu une influence négative sur les parents. Ceux-ci seront les dindons de la farce s’ils ne réagissent pas. Pour que le football puisse prospérer, il faut le sortir des mains des pédants. Nous n’avons pas suivi l’exemple de l’Angleterre où l’école a un rôle moteur. Il nous faudra dix à quinze ans encore, le temps pour que les étudiants devenus commerçants, techniciens, industriels, prennent les choses à leur compte et créent des clubs en-dehors de toute influence des autorités scolaires »36.

68 Ajoutons sur le sujet de l’anglophobie du début des années 1890, la question de la langue, des termes techniques et des règles à utiliser dans le domaine des sports. Faut-il s’affranchir de la langue anglaise ? Ne faut‑il pas créer des règles allemandes ? Les débats sont acharnés sur ces sujets plus politiques que sportifs.

69 Ils le sont plus dans le tennis que dans le football. Le « Strasbourgeois » Robert Freiherr (baron) von Fichard n’y est pas étranger. Né en 1864 à Graz dans une vieille famille noble autrichienne, il fréquente le lycée de Baden-Baden, fait son service militaire dans un régiment badois et gravit à Strasbourg les échelons de l’administration du Reichsland, avant de terminer à Metz une carrière de haut-fonctionnaire. Potache, il fait partie à 16 ans des fondateurs du Baden-Baden Lawn-Tennis-Club. En 1887, il publie Le Manuel du Jeu du Lawn-Tennis, un ouvrage qui fait de lui un des pionniers du tennis allemand. De 1894 à 1909, il est le rédacteur des Jahrbücher de la Fédération Allemande de Tennis. Qui sait aujourd’hui que c’est à von Fichard que l’on doit les mots de Aufschlag, Einstand, etc., des termes techniques qu’il a traduits des expressions anglaises server, deuce, etc. Protagoniste dès la première heure pour l’introduction des sports athlétiques, Fichard souhaite néanmoins qu’on joue selon une nomenclature et des règles allemandes et malgré une mère anglaise et des études faites partiellement en Angleterre37 !

70 « Nous partons du principe qu’un jeu importé ne peut prospérer que si on le libère de son vernis étranger », écrit von Fichard dans Spiel und Sport du 23 juillet 1893. Une traduction ne suffit pas ; il faut un transfert dans la langue allemande, prenant en compte l’histoire du jeu – nicht übersetzt, sondern übertragen. Si des mots comme Netz, Pfosten, Bälle, peuvent être pris sans difficulté aucune du vocabulaire allemand, qu’en est-il, par contre, de la remise en jeu de la balle ? Différents termes allemands peuvent convenir : aufschlagen, einschenken, anwerfen, heben. Je pencherais pour aufschlagen » dit- il. Plus fondamental, « das Zählen » ou faut-il compter les points gagnants comme en Angleterre ? Faut-il parler de « set et de match ? ». « À set, nous préférons « Partie », précise Fichard ; ce mot, qui n’est pas entièrement allemand, fait penser à victoire. Quant à « match », faut-il vraiment traduire ce mot ? Je crains qu’il soit déjà trop internationalisé et que toute traduction serait mal venue, à l’instar de centaines d’autres termes du domaine des sports comme Handicap, Yacht, Tandem, par exemple ».

71 À ce principe de bon sens, d’aucuns répondent par plus d’audace pour l’Angleterre. « Prendre à un jeu étranger sa marque nationale est une absurdité, répond ce contradicteur du Freiherr Fichard38. Un jeu qui est international doit exprimer son caractère international par la langue qui est la sienne. Ne prenons pas toujours des références ancestrales ; par exemple pour le tennis actuel qui n’est plus qu’un tout petit rejeton du Jeu de Paume d’antan. Par contre, je suis d’accord avec Fichard pour adopter des dimensions de jeu – longueur et largeur du court, hauteur du filet, etc. – et de les

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unifier sur tout le Continent tant qu’il est encore possible et d’abandonner les inextricables (verzwickt) unités de mesure anglaises ».

72 Totalement à l’opposé, d’autres encore considèrent que « pour le football et le cricket, ce n’est qu’une question de temps pour que les expressions anglaises fassent définitivement place aux termes allemands. Plutôt ils seront remplacés, mieux les sports s’intégreront dans notre peuple (in unser Volk eindringen)39.

73 Dans le football, après quelques tergiversations également, la question des règles de jeu a été vite résolue. « Le monde entier, à l’exception de l’Amérique et de l’Australie, joue selon les mêmes règles », affirme Philippe Heineken. Quant au vocabulaire footballistique, Heineken se veut également pragmatique. « Ce jeu a beaucoup de qualités mais il faut l’adapter au caractère allemand ; voilà ce qu’on entend parfois, mais tout cela ce ne sont que des phrases creuses. On veut induire en erreur le profane. Cette référence à un particularisme allemand n’est rien d’autre qu’une volonté de dénigrer puisque en dix ans de nombreuses expressions ont déjà été germanisées (verdeutscht) ».

74 L’argumentation de Heineken va très loin : « Je voudrais que les mots « Passen », « Droppen » et « Dribbeln » soient admis dans notre trésor linguistique, les deux derniers surtout étant des termes véritablement allemands. En effet, ne dit-on pas « Tropfen » et « Tripplen » ? Quant à « Passen », dans le sens de « transmettre », c’est un mot tellement employé dans notre parler qu’il est impossible de l’en ressortir ». Mais là, s’arrêtent ses concessions. Son mot final à l’encontre des nationalistes est terrible : « Pour adoucir la pilule de ceux qui se prennent pour des sauveurs de la patrie (Vaterlandretter), et les aider à accepter un jeu étranger, on a tenté de trouver une origine allemande au football ».

Coalition anglo-anglaise pour la propagation des sports sur les bords du Rhin

75 Dans ces débats, Bensemann, Stasny, Heineken, tous presque encore étudiants, n’ont de trop de l’appui de « sportsmen » convaincus. Ils ont la chance de pouvoir compter sur une importante colonie anglaise de part et d’autre du Rhin, d’où émergent Robert von Fichard et son pendant du football, F. W. Moorman, ancien capitaine de l’University College of Wales et, à présent, du Club de l’Université de Strasbourg, auteur lui aussi d’un manuel technique, en l’occurrence de « Football-Association ».

76 Derrière ces jeunes, la figure dominante est Thomas Archibald Starnes White, président à la fois du FC Baden-Baden et de la Sud-Deutsche-Fussball-Union (SDFU). Né en 1843 à Wateringbury dans le comté de Kent, Archibald White est membre fondateur du « Kentish Star Cricket-Club ». Il fréquente la « St. Paul’s School » de Londres et joue dans son équipe fanion de cricket. Prédicateur de 1868 à 1871 à West-End à Londres, il est nommé révérend pour la colonie anglicane de Baden-Baden. Dès 1872, il tente de créer une équipe de football dans « l’English School » de la cité thermale. Un essai qui n’ira pas bien loin. Mais vingt ans plus tard, ses efforts sont récompensés par la création du « Lawn-Tennis-Club de Baden-Baden » dont il assurera la présidence. Puis, suit la création du « Football Club de Baden-Baden ». Dans ces différentes structures, le père White est entouré de « sportsmen » : au LTC de Baden-Baden, le jeune Robert von Fichard remplit la fonction de trésorier avant de partir pour Strasbourg et à la SDFU, le

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turbulent Walter Bensemann assure un court temps la fonction de vice-président et Hermann Stasny celle de capitaine40.

77 Dans quelle mesure fallait-il encore une forte coalition anglo-anglaise vers 1895 ? La gymnastique avait perdu de son éclat. En Alsace, où elle a été victime de dissolutions et de recréations après le changement de nationalité en 1871, encore plus. L’effectif de la Ligue d’Alsace-Lorraine est chiffré à 5 000 gymnastes en 1900, alors qu’il est de 45 000 pour le Palatinat et le Pays de Bade. « La cause principale des lents progrès des Sociétés de gymnastique, celles d’Alsace-Lorraine en particulier, réside dans le fait que les cercles dirigeants de nombreuses sociétés ont trop peu de forces intelligentes à leur disposition. L’art de la gymnastique, se voyant traité avec dédain par la haute volée, n’a pas craint de faire des concessions à la galerie et, de ce fait, a pris maintes habitudes plébéiennes ». Ce jugement de H. Abt, président de la Ligue d’Alsace-Lorraine et de la principale société de gymnastique d’Alsace (la « Milhusina » de Mulhouse) ne vaut bien sûr que pour les petites sociétés. Mais elles sont les plus nombreuses et ont le tort « de ne cultiver qu’un esprit de vaine apparence, d’organiser des réunions des gymnastes que si elles ne sont suivies de danses, de banquets, de ribotages et de bals »41.

78 Le véritable coup de grâce est porté à la gymnastique par l’arrivée dans les comités des clubs de sports athlétiques de haut-fonctionnaires et de représentants des maisons régnantes. Ainsi, le « Lawn-Tennis Club Platz Lenôtre » à Strasbourg a-t-il à sa tête le président de la Police (Feichter) et parmi les membres du Bureau de direction, le Prince Alexander zu Hohenlohe, les Comtes von Wartensleben et von Zeppelin-Aschhausen, ainsi que les Barons von Kapherr et von Fichard.

79 Dans l’Annuaire 1895 des « JVS » est publié le résultat de cette lame de fond qui touche, à présent, toute l’Allemagne : la photo de trois enfants de l’Empereur Guillaume II, habillés en tennismen ! Elle est intitulée « Unsere Hohenzollern als Lawn-Tennis-Spieler » et en dit plus que tout l’article de Hermann Raydt qui l’accompagne. Raydt donne les progrès faits par la « Spielbewegung » en 1894 : « il faut louer la famille impériale d’avoir reconnu de suite ces importantes mutations qui viennent de toucher la vie des Allemands et de les avoir promus très officiellement. Après des difficultés de démarrage, le mouvement pour les Jeux de plein air est animé d’un souffle nouveau et ce sur tout le territoire de notre Patrie. L’exemple, donné par la famille Hohenzollern, confirme l’engagement pris par l’Empereur lors de la Conférence scolaire de Berlin quand il disait : « Nous voulons une génération forte, une génération qui saura assurer le salut de la Patrie »42.

80 Hermann Raydt, directeur du Lycée de Hanovre, a un cursus très ressemblant à celui de Heineken, Bensemann ou Stasny. Comme eux, il a séjourné en Angleterre et vu les sports anglais de près43. « Freiherr von Fichard, le principal pionnier du tennis (Hauptvorkämfer) en Allemagne, m’écrit que le tennis s’est propagé à tout notre territoire national. Le football aussi qui est un puissant jeu pour l’hiver. De nombreux clubs ont été fondés en 1894. 500 ballons de football ont été vendus en Allemagne en 1893 et 2 000 en 1894. Le cricket, par contre, ne semble pas avoir connu la même progression. Parmi les tout nouveaux sports, citons le golf anglais et le base-ball américain. La course à pied, la natation et les baignades se portent bien. L’aviron, par contre, souffre davantage par le coût financier qu’il nécessite. L’école s’est beaucoup impliquée pour les jeux de plein air. À Strasbourg vient d’être fondé un club de football à l’Université sous l’impulsion du baron von Fichard », écrit Raydt.

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81 La création d’un club de football universitaire est, selon Fichard, « un événement qui devrait entraîner de profonds changements chez les étudiants allemands. Leur vie reste marquée par une éducation corporelle insuffisante, un phénomène qui a été transmis à la société civile. Ce qui vient de se produire à Strasbourg est le signe heureux de l’affirmation définitive de conceptions modernes en matière de santé, telles qu’elles ont été voulues par des hommes qui ont pour seul but le bien-être physique du peuple allemand ». Si l’initiative émane d’une vingtaine d’étudiants, il faut noter qu’elle est officiellement soutenue par « le recteur de l’université et plusieurs enseignants parmi lesquels les professeurs principaux de gymnastique (Euting) et d’anglais (Miller) et du directeur du Musée des Arts Décoratifs, Auguste Schricker, un ami du Chancelier Chlodwig zu Hohenlohe »44.

Des valeurs que l’on envie à l’Angleterre

82 Pour les « modernes », les sports athlétiques, en plus du caractère ludique d’être pratiqués en plein air, comportent des vertus qui ont « fait progresser notablement la race anglaise »45, et en cela aussi, ils méritent d’être développés en Allemagne. En premier lieu, des données purement physiologiques – taille, poids, corpulence – sont à mettre au crédit des Jeux de plein air »46. Mais il y a plus important et ce sont les vertus morales des sports dont profite toute l’Angleterre.

83 L’esprit de compétition, d’abord. Stasny parle plus d’esprit de combat que de concurrence ou de compétition : « das Hauptprincip ist der Kampfmoment, und damit ist der hohe ethische Wert dieser Sports für den einzelnen, wie für das ganze Volk, gegeben »47. Cette rage de vaincre – ou du moins volonté de gagner – est suscitée par une particularité anglaise : les « Wettspiele », les épreuves de compétition ou championnats. Pour Walter Bensemann, « la joie des débuts consistant à évoluer en toute liberté sous un ciel azur et en plein soleil a vite laissé la place à plus important : le goût de l’effort, la volonté de vaincre ; dans le domaine du football, par exemple, l’ambition de gagner, une ambition noble en ce sens qu’elle n’est pas guidée par l’argent et que le football reconnaît la défaite. J’ai vu des enfants pleurer sur un terrain de football après avoir perdu. C’est que ce sport demande une grande force mentale », écrit le pionnier du football strasbourgeois48. Pour le professeur Konrad Koch, le développement des Jeux athlétiques est impossible sans les « Wettspiele ». Ils présentent l’avantage de pouvoir acquérir plus facilement toutes les subtilités techniques par la confrontation aux meilleurs »49.

84 Cet esprit de compétition, c’est ce qui différencie les sports de la gymnastique. « Cette dernière, selon Stasny, a uniquement pour but l’éducation corporelle (adresse et force) par une pratique toute amicale (in friedlicher Natur). Certes, la volonté de gagner à aussi son importance dans la gymnastique mais elle ne s’exerce pas frontalement comme dans les sports. Elle ne se manifeste pas « l’un contre l’autre » mais « l’un à la suite de l’autre », ce qui n’est pas pareil. De plus, en gymnastique trop de place revient à la subjectivité de l’arbitre. Dans les sports athlétiques, par contre, il faut vaincre à un moment précis, selon des règles connues, et sans se soucier du qui et du comment. La volonté de vaincre et l’esprit de décision ont une importance capitale et la victoire est souvent due autant à l’intelligence qu’à la force ou à l’adresse ».

85 Pour Stasny, il y a aussi une énorme différence (gewaltiger Unterschied) entre un gymnaste et un « athletic-sportman » dans le « travail » de préparation. Pour le sportif,

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un « Wettkampf » suppose des années d’entraînement, une vie de privations (tabac, alcool, sorties nocturnes), tandis que le gymnaste n’est forcé de se restreindre d’aucun de ces plaisirs. Une vie quasi-monastique pour l’athlète, par conséquent, et une pratique des sports par tous les temps : que ce soit en pleine chaleur ou par grand froid, sous la pluie ou dans le vent, « le sportsman tient sa place ». Braver les éléments est une caractéristique supplémentaire des sports athlétiques comparés à la gymnastique qui, par mauvais temps, redevient une confortable discipline d’intérieur.

86 Cette notion de combat (Kampf) transparaît de ce compte-rendu de match, Aston Villa contre Sunderland, « disputé sous la pluie, dans le vent et la boue, ce qui n’empêcha pas les deux équipes de produire un combat d’une intensité qui fît que les trois éléments – l’air, l’eau, le feu – furent pleinement réunis »50. Konrad Koch, l’enseignant de Braunschweig, est bien dans cette même idée quand il considère que c’est sur les terrains de sports que la jeunesse anglaise a acquis le courage et la trempe nécessaires pour gagner la bataille de Waterloo et, aujourd’hui, pour défendre et gagner de lointains territoires coloniaux »51.

87 Si Koch voit des signes de discorde à l’intérieur de la société anglaise, « des clivages de nature à pouvoir mettre en cause, à terme, sa position de très grande puissance mondiale » (gewaltige Weltmacht), les sports pourraient jouer dans ce cadre un rôle salutaire. En effet, dans un pays comme l’Angleterre où « le luxe côtoie la misère, les sports eux rassemblent les gens de toutes conditions sociales. Les jeux sont les mêmes pour les riches et les pauvres ; ils sont pratiqués ensemble par les riches et les moins riches ; de par cette union entre toutes les couches de la société, ils contribuent à atténuer les différences sociales et à créer l’unité nationale ».

88 Des jeux, comme le cricket ou le football, sont aussi des écoles de discipline. « Les jeunes anglais se gèrent eux-mêmes et respectent l’autorité » continue Konrad Koch. Auguste Schricker, lors de la création du Club de Football de l’Université de Strasbourg, ne dit pas autre chose : « le football porte de hautes valeurs morales. Pour gagner, il faut que les onze joueurs soient pleinement unis, il faut qu’existe une harmonie totale entre eux. Chacun a une place et un rôle à tenir ; ceci vaut aussi dans la vie en général. L’individualisme n’a pas de place dans une équipe de football. Chaque joueur doit être le maillon d’une chaîne. Chacun doit tout faire pour atteindre le but commun. Le refus du désordre, la condamnation de l’égoïsme, la solidarité dans l’action, sont aussi des principes de vie. (…). En créant ce club, ce n’est pas une nouvelle vie en société que nous recherchons mais l’union pour pratiquer un même jeu. Il ne s’agit pas de créer une association supplémentaire entre étudiants mais une organisation spécifique qui n’aura que le football pour motif. Ses règles et sa technicité nécessiteront un habillement identique (einheitliche Tracht). Ce point a suscité de longues discussions, de sorte que nous avons consigné les conclusions dans le dernier article de nos statuts : nous porterons une chemise bleue frappée de l’écusson aux couleurs – rouge, blanc, rouge – de la Ville de Strasbourg. Nous avons aussi constitué un comité formé autour d’un président, d’un secrétaire, d’un trésorier, d’un responsable du matériel et d’un capitaine titulaire et remplaçant »52. Bref, un club c’est une entité et à l’intérieur d’elle règne l’entente.

89 Avec les valeurs qu’on lui prête, le football est vite arrivé au rang de sport-roi. Au départ, discipline des écoliers et des collégiens (Primaner), il conquiert l’Université. Puis suivent les classes d’âge les plus jeunes du monde du travail avec l’Église catholique et son organisation des « Jünglings-Vereine » et les Syndicats ouvriers dans le cadre des «

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Arbeiter-Vereine » et leur section « Sport Ouvrier ». Cette image de la propagation du football est celle figée par Konrad Koch à la date de fin 1894. L’enseignant le plus propagandiste pour les sports voit d’autre part une relation entre Industrie et Sports. « Ce n’est pas l’objet de cet article d’analyser pourquoi les nouvelles conditions de vie ont rendu nécessaires, aux enfants, aux adolescents et aux jeunes hommes, ces puissants exercices de plein air. Ils peuvent faire éviter de graves dégâts corporels et spirituels (schlimme Schaden an Leib und Seele). La meilleure preuve est le constat que les pays d’Europe occidentale, ceux qui sont fortement touchés par la Grande industrie et le Commerce mondial, développent ces disciplines de plein air ». Parmi celles-ci, au premier rang, Koch cite le football53.

90 En relativement peu de temps, les sports ont pris conscience d’un extraordinaire réseau de possibilités et ce partout en Europe occidentale. En septembre 1903, dix ans après la création du premier club de football de Strasbourg, voici ce qu’écrit La Vie au Grand Air, le magazine des sports en France : « Les questions sportives ont cessé d’intéresser seulement un public spécial. Les épreuves sportives ne sont plus seulement l’apanage de quelques sociétés particulières. Faire du sport, ce n’est plus comme jadis, l’originalité pour quelques uns. Le mouvement sportif est devenu universel, le sport est en train de devenir la chose de tous ».

91 En Alsace, à la fin des années 1890, existent sept clubs de football : trois à Strasbourg, un à Mulhouse, Bischwiller, Haguenau et Reichshoffen. Ces lieux – tous des endroits d’implantation d’importantes industries naissantes – donnent une réelle véracité à la thèse du professeur Koch. En tout cas, en 1900, l’époque où le football était considéré comme « une maladie anglaise » est bel et bien révolue.

Conclusion

92 Ce débat « Turnen / Sports » a donné lieu a un affrontement à l’intérieur de la société allemande.

93 En premier lieu à l’intérieur de la bourgeoisie, le corps social le plus représenté dans les sports. Christiane Eisenberg54 n’hésite par à parler de « Kulturkampf entre Modernes et Traditionalistes », les premiers – financiers, managers, ingénieurs, journalistes – adeptes des sports, les seconds, en quelque sorte, « gardiens du temple », les plus fidèles de cette gymnastique, force profonde de l’Allemagne du XIXe siècle. Plusieurs concepts – la performance, l’esthétique, l’internationalisme – distinguent ces deux branches d’une même famille.

94 « Il serait faux de prétendre que la critique des milieux de la gymnastique à l’encontre des nouvelles conceptions du sport était simplement l’expression d’un anti-capitalisme ou d’un entêtement. Car, à l’inverse de l’Angleterre, les sportifs allemands ne se déterminèrent pas en fonction du modèle de pensée du « doux commerce »55 mais en ayant en tête la concurrence nuisible de la grande industrie. En cela, ils étaient plus proches des « Turner » allemands que de leurs homologues britanniques. Toutefois, les « Turner » avaient leur base de recrutement dans les couches moyennes (artisans, ouvriers) et une politique sportive visant le plus grand nombre de pratiquants, « la bonne moyenne », alors que dans les sports, l’élitisme et les notions de concurrence, de performance, de record, de victoire, devenaient essentiels ». Le président de la « deutsche Turnerschaft » Ferdinand Goetz et l’hygiéniste Ferdinand Hueppe, futur président de la Fédération allemande de football (DFB) faillirent presque en venir aux

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mains quand ce dernier déclara que « sur le plan des records du monde, les gymnastes allemands décrocheraient davantage la palme en matière de consommation de bière que dans le domaine purement gymnique » ! Politique de masse d’un côté, élitisme de l’autre côté, vie conviviale en société (Vereinsleben) chez les gymnastes et plutôt individualisme chez les sportifs, la gymnastique et les sports n’avaient ni philosophie, ni fonctionnement qui se ressemblaient. Les gymnastes se rendirent vite compte que leurs anciennes positions fortes commençaient à leur échapper. C’était vrai surtout dans les grandes villes et chez les plus jeunes. Ils ne tardèrent pas à réagir en permettant la création d’une « section de sports » au sein même des clubs de gymnastique, entraînant assez vite la dénomination de « Turn und Sportvereine » (TuS).

95 Autre différence d’appréciation entre gymnastes et sportifs : la nouvelle esthétique corporelle. « Celle-ci ne privilégiait plus seulement la force mais aussi l’élasticité, pas seulement la musculature mais aussi les proportions harmonieuses ; le « nouvel homme allemand » (der neue deutsche Mann) ne devait pas seulement être grand et fort, il fallait aussi qu’il soit beau ». D’où l’apparition d’une philosophie proche du body-building moderne, plus proche des sports que de la gymnastique. De stature plutôt moyenne, conséquence d’une nutrition – voire de soins médicaux – souvent insuffisants, les critères physiques du jeune gymnaste – majoritairement ouvrier et artisan – correspondaient moins à ces nouvelles normes. Ajoutons que les sportifs évoluaient davantage dans les milieux intellectuels et les gymnastes dans ceux « du travail » et on aura les principaux éléments – moraux, philosophiques, éducatifs – qui faisaient le fossé les séparant.

96 Une autre différence, celle-ci de nature politique : l’internationalisme des sportifs, le nationalisme des gymnastes, « leur chauvinisme ou patriotisme outrancier, « Hurrahpatriotism » selon les termes de leurs adversaires les plus acharnés. Prenons des faits précis avec le débat qui s’installe vers 1894 autour du rétablissement des Jeux Olympiques de l’antiquité et la participation ou non de l’Allemagne à ces Jeux prévus à Athènes pour 1896.

97 Du 16 au 24 juin 1894, « sur la décision prise par l’Union Française des Sports Athlétiques et sur la proposition de son secrétaire, Pierre de Coubertin, se réunit à Paris un congrès international chargé d’étudier la question de l’amateurisme et du professionnalisme, de jeter les bases d’une législation internationale et de préparer le rétablissement des jeux olympiques »56. Les adhésions ont été nombreuses, précise la presse française : la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, la Suède, l’Espagne, l’Australie, l’Irlande, la Grande-Bretagne, la Belgique, les États-Unis d’Amérique, la Russie, sont présentes et représentées soit par leurs fédérations de gymnastique, soit celles des sports athlétiques. Ainsi, à l’exception de l’Allemagne, les pays qui comptent sont présents. Tous ont fait l’union entre les disciplines susceptibles de figurer à ces premiers Jeux Olympiques des temps modernes. Spiel und Sport du 8 septembre 1894, qui ajoute à la liste des participants donnée par Le Temps, la Hongrie, l’Argentine, l’Uruguay, la Nouvelle-Zélande et la Bohême, se montre outré par l’absence de l’Allemagne et le fait « que les invités allemands, tous d’une position sociale élevée, aient laissé sans réponse les invitations de Pierre de Coubertin (seine Briefe ignoriert). « Si le baron de Coubertin avait écrit à la bonne adresse », aux représentants des fédérations de tennis, football, cricket ou d’athlétisme, par exemple – l’Allemagne aurait été représentée ». Bref, les dirigeants des sports athlétiques allemands montrent du doigt leurs concitoyens de la gymnastique.

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98 Pour le footballeur Bensemann, « la balle ronde est désormais partie prenante de la culture. Le cosmopolitisme de la réunion de Paris et le fait que des chauvinistes avérés se soient transformés en quelque sorte en citoyens du monde, l’attestent »57. A contrario, le refus des invités allemands d’assister au congrès de Paris signifie pour Bensemann « un manque d’ouverture sur le monde, une gymnastique allemande restée chauviniste ». Il faut dire que le pionnier du football rhénan s’était démené pour organiser des matchs de football entre clubs français (le Racing Club de Paris et le Stade Français de Paris) et de la Ligue d’Allemagne du Sud et que son projet n’a échoué que parce que, écrit-il début 1894, l’Union Française des Sports Athlétiques considère qu’avec le lieu retenu par Benseman, à savoir Strasbourg, « il faudrait être sûr de la victoire ». Fin 1894, il revient sur son idée d’une rencontre entre footballeurs français et allemands, indiquant que « depuis un an, (il) s’évertue d’organiser un « Wettspiel » contre un club français et (qu’il) est fatigué par les nombreuses propositions qu’il a faites aux Français »58.

99 Pour les gymnastes allemands, il n’y avait aucune volonté pour rencontrer leurs homologues français dans le cadre du congrès de Paris. C’est d’ailleurs parce que le projet de rétablissement des Jeux de l’Antiquité émanait d’un français, l’ennemi héréditaire, que l’invitation de Coubertin ne fît pas long feu chez eux. L’autre motif résidait dans l’ultra nationalisme développé, une nouvelle fois et au même moment, par la gymnastique dans le cadre d’un projet de jeux olympiques purement allemands. En effet, le « Sedantag », institué après 1871 pour commémorer la bataille décisive de Sedan et qui avait quasiment pris rang de fête nationale, commençait à devenir anachronique. En 1895, les autorités eurent l’idée de le remplacer par un « Deutsches Nationalfest », une fête nationale en tant que telle. Finalement, cette initiative émanant principalement du parti « National / Liberal » échoua pitoyablement pour avoir voulu trouver une voie médiane entre la gymnastique et les sports et ne heurter personne.

100 En 1895, l’Allemagne fait tout de même, de timides pas en direction du mouvement olympique. D’abord avec le tandem Willibald Gebhardt, professeur de sciences naturelles – Carl Peters, connu pour ses activités colonialistes en Afrique orientale. Les conceptions des deux hommes se révéleront rapidement trop opposées pour un projet internationaliste comme celui des jeux olympiques. Peters étant membre du très nationaliste « Alldeutscher Verein », Gebhardt se sépare de lui. Les travaux de ce dernier sur les bienfaits de la luminothérapie le rapproche, par contre, de Coubertin, lui aussi fervent partisan de l’hygiène sportive. Il crée un « Comité pour la participation de l’Allemagne aux Jeux Olympiques d’Athènes de 1896 », fortement composé d’aristocrates, une situation identique à celle mise sur pied en France par Coubertin. Le 7 janvier 1896, Gebhardt obtient une audience auprès du Prince Chlodwig zu Hohenlohe-Schillingsfürst, le tout récent Chancelier d’Allemagne et Ministre-Président de Prusse qui l’assure de son soutien. De plus, les familles impériales de Grèce et d’Allemagne sont en parenté, une raison supplémentaire pour l’Allemagne de participer aux premiers jeux des temps modernes. Ainsi, la gymnastique allemande sera elle finalement présente à Athènes malgré l’interdiction initiale de la « deutsche Turnerschaft ». Les dernières réticences de la bourgeoisie traditionaliste étaient brisées par le pouvoir politique.

101 Les sports ont été aussi un enjeu pour toute la société allemande. Dans le domaine des pratiquants, les sports sont des jeux. Selon la formule consacrée, « on joue » au football ou au tennis. Les Allemands sont d’ailleurs très explicites dans leur formulation parlant

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davantage de « Fussballspiel » que de « Fussball ». « Chaque jeu a des règles et des conventions. Ce sont elles qui font son caractère propre. Celui-ci échappe à la société en général. Les relations entre joueurs, arbitres et spectateurs sont, en effet, différentes de celles de « la vraie vie ». Les modalités du départ d’une course – rien que la position des coureurs sur la ligne de départ – sont réglementées, codifiées dans les moindres détails. Une certaine nudité de l’athlète ne choque pas dans cet espace de vie particulier, pas plus que la manifestation bruyante ou gesticulée des émotions » écrit très justement Christiane Eisenberg.

102 Malgré ses caractères propres, le sport est aussi un élément plein et entier de la société en général. Celle-ci le façonne et il ne manque pas d’avoir sur elle une action similaire en retour. Et comme il adopte les principes de vie en société, il influence les structures sociales (classes, niveaux, couches, minorités, sexes, âges). Ceci fonctionne d’autant plus facilement que chaque sport permet des assimilations ou des exclusions. Ainsi, l’hippisme ou le golf ont-ils un caractère aristocratique et les sports de combat une note plus prolétaire. De plus, par ses relations avec l’économie, les systèmes de formation ou de santé, avec les domaines militaire et politique, le sport accédera à la dimension de système social en tant que tel. Voyons cela plus concrètement.

103 Si en Angleterre existent déjà des amateurs et des professionnels – ce point figurait à l’ordre du jour de la réunion de Paris de juin 1894 – sur le Continent les sports deviennent aussi « une marchandise ». Pour chaque discipline, il faut un habillement et un matériel spécifique : culottes, maillots, chaussures, ballons, raquettes, robes et chapeaux de tennis pour les femmes, etc. D’où l’apparition d’un type de commerce insoupçonné quelques années auparavant : les magasins d’articles de sport. De même, arrive une presse spécialisée dans les sports. Elle donne non seulement les programmes et les comptes-rendus des rencontres athlétiques mais, comme tout produit de consommation courante dans la presse généraliste, fait la propagande pour tel ou tel article nécessaire aux sportifs. À côté de l’information, apparaît donc la publicité, une publicité payante bien-sûr. Ainsi, à Strasbourg, les tenniswomen peuvent-elles acheter leurs « Lawn-Tennis Blousen » chez Hintz et les footballeurs acquérir chez « Puppenfee, Spezialhaus für Spiel-und Sport » les mêmes « Fussball-Stiefel » que ceux portés par les professionnels d’Aston-Villa, Bolton Wanderers, Tottenham-Hotspur, Sunderland ou Woolwich Arsenal.

104 Ages et sexes, disions-nous plus haut. En effet, rapidement les sports ne sont plus que l’affaire des potaches, des collégiens, des « Primaner ». « Ne pourrait-on pas imaginer une catégorie « Vétérans » chez les footballeurs ? » s’interroge Spiel und Sport le 3 mars 1894, tout en poursuivant : « On pourrait fixer la limite d’âge à 25 ans. Evidemment, les vétérans n’ont plus le talent d’autrefois mais ils conservent un grand intérêt pour le jeu dont il ne faudrait pas se priver. Les générations actuelles étant de plus en plus démoralisées et efféminées, on pourrait même porter le seuil à 35 ans car les sports sont sources de bien-être physique et moral (Reinlichkeit, Gesundheit, strenge Moralität) ».

105 La femme est aussi pleinement concernée par les sports. C’est même « une nécessité » affirme Spiel und Sport en ce même mois de mars 1894. « Alors que les garçons se débattent en plein air, les filles sont occupées par des travaux ménagers, certains pouvant être néfastes pour la santé. En outre, les parents et les éducateurs considèrent toujours que des sports athlétiques – Lawn-tennis, aviron, golf, cyclisme – sont

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inadaptés pour elles, car trop masculins et émancipant de trop. Il faut tourner la page de l’époque où la femme ne faisait que tricoter et cuisiner »59.

106 La plus importante révolution est, qu’à présent, les corps sociaux – Religions, Partis politiques, l’État dans ses politiques nationales (de Santé et de Défense) – se servent des sports. « Le sport est devenu la chose de tous » écrivait La Vie au Grand Air, on l’a vu précédemment. De tous, quel que soit le pays d’Europe occidentale et quelles que soient les grandes forces de la société. Ainsi les milieux politiques et religieux font des sports une « courroie de transmission » complémentaire à celle des syndicats – ouvriers et chrétiens – qu’ils viennent de créer. « Arbeiter-Vereine » avec une section « Turn und Sport », côté socialiste (1893), « Elsässischer Turner-Bund », issu en 1898 des « Männer und Junglingsvereine », côté catholique, si les deux organisations se démarquent sur le plan idéologique – la première prônant la lutte des classes et la seconde la fraternité entre tous les hommes – le but de l’action qu’elles mènent est bien le même : garder les effectifs à travers des activités sociales, qu’elles soient culturelles, éducatives ou sportives. L’État aussi dans ses politiques de santé et d’hygiène – lutte contre le tabac et l’alcoolisme – pour faire « une jeunesse saine » mais aussi dans sa politique de défense du pays. Ainsi, les sports vont-ils pénétrer l’Armée par l’instauration de « Jugendwehren », le prélude à la « Préparation Militaire ». Au départ de simples jeux, les sports vont progressivement également devenir des enjeux sociétaux. C’est au XXe siècle que ceux- ci s’exprimeront entièrement.

Bibliographie

107 BEYER (Bernd), Walther Bensemann, der Mann der den Fussball nach Deutschland brachte. Das Leben des Walther Bensemann. Die Werkstatt, Göttingen 2005.

108 CHALMEL (Loïc), Réseaux philanthropinistes et pédagogie au XVIIIe siècle, Berne, 2004.

109 COUBERTIN (Pierre de), L’éducation en Angleterre, Paris, 1888.

110 EISENBERG (Christiane), English Sports und deutsche Bürger, Paderborn, 1999.

111 HAMER (Eerke U.), Die Anfänge der Spielbewegung in Deutschland, London, 1989.

112 HEINEKEN (Philipp), Das Fussballspiel: Association und Rugby, Stuttgart, 1898.

113 KOCH (Konrad), Die Geschichte des Fussballs, Berlin, 1895.

114 KARLSRUHER FUSSBALLVEREIN, Livre du 90ème anniversaire du Club.

115 KLOSS (Moritz), Das Turnen im Spiel, Dresden, 1861.

116 KLUMPP (F. W.), Guthsmuths Gymnastik für die Jugend, Stuttgart, 1847.

117 GUTHS MUTHS (Johann Chrisoph Friedrich), KLUMPP (Friedrich Wilhelm), Gutsmuths Gymnastik für die Jugend : neu bearbeitet und nach dem jetzigen Standpunkte der Turnkunst fortgeführt, Stuttgart, 1847.

118 MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE, Manuel d’exercices Gymnastiques et de Jeux scolaires, Paris, 1892.

119 PERNY (Pierre), Le football en Alsace - 1890/1950 : une histoire sportive et politique, thèse de doctorat 2009, Universités de Strasbourg et Fribourg-en-Brisgau.

120 SPIEGEL (DER), Special Geschichte no1, 2007.

121 TUNMER (N.g.), FRAYSSE (Eugène), Football Association, Paris, 1908.

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122 TURMANN (Max), Le développement du Catholicisme Social, Paris, 1909.

123 ZETTLER (Moritz), Die Bewegungsspiele, Leipzig, 1893.

NOTES

1. BÖNISCH (Georg), « Des Reiches Stützen » Der Spiegel, série spéciale « Geschichte », no1, Die Erfindung der Deutschen: wie wir wurden, was wir sind, 2007. 2. Idem note 1. 3. NEUENDORFF (Edmund), Die deutsche Turnerschaft von 1860 bis 1936, Berlin, 1936. 4. Annuaire 1892 des JVS – Zur Geschichte der Jugend und Volksspiele. 5. C’est-à-dire l’extension de Strasbourg après 1871. 6. Strassburger Post du 24 avril 1882. 7. Il est publié dans la Strassburger Post des 18, 19 et 20 septembre 1882. 8. Annuaire 1894 des, Das Bewegungsspiel in den Lehrerbildungsanstalten – par Carl Euler, Schulrat à Berlin. 9. HAMER (Eerke U.), Die Anfänge der « Spielbewegung » in Deutschland, Londres, 1989. 10. « eine Rennbahn vor dem Steintor », SNN du 25 avril 1890. 11. En particulier les SNN du 1er août 1891. 12. SNN du 5 janvier 1892. 13. SNN du 9 juin 1892. 14. Le Miroir des Sports no920, décembre 1936. 15. C’est-à-dire le tennis. 16. Journal « Vélo-Sport d’Alsace-Lorraine », Bnus : microfilm no325. 17. Journal « Velo-Sport d’Alsace-Lorraine », 1894, Bnus : microfilm 325. 18. Le Jardin Hemmerlé sera le site du futur Stade de la Meinau, quant au Jardin Dollé, il n’a disparu que dans les années 1960 dans le cadre de l’extension de l’urbanisation de la Plaine des Bouchers. 19. BNU, M. 14404. 20. SNN du 15 janvier 1891, rubrique des annonces légales. 21. SNN des 25 et 27 mars et 12 avril 1892. 22. Cité dans : FREY (Joseph), 90 Jahre Karlsruher Fußballverein. Ein Kapitel Karlsruher + Deutscher Fußballgeschichte, Karlsruhe, 1981. 23. BRAESCH (Francis), Parlez-moi du football alsacien, Ligue d’Alsace de Football (Lafa), Strasbourg 1969 et BRAESCH (Francis), Grande et petites Histoires du football alsacien, Ligue d’Alsace de Football (Lafa), Strasbourg, 1989. 24. Le SFC deviendra « Association Sportive de Strasbourg » (ASS) après 1918. 25. HEINEKEN (Philipp), Das Fussballspiel: Association und Rugby, Stuttgart, 1898. 26. Spiel und Sport du 2 septembre 1893. 27. Annuaire 1893 des JVS. 28. Schleuderball ou lancer de balle – Dritteabschlagen (Fänger und Laüfer), un jeu de courses. 29. KOCH (Konrad), Geschichte des Fussballs, Berlin, 1895. 30. Les Affiches de Bischwiller des 11 et 18 novembre 1899. 31. Idem note 24.

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32. Biographie de Hermann Stasny dans Spiel und Sport du 18 août 1894. 33. BEYER (Bernd-M.), Der Mann, der den Fußball nach Deutschland brachte. Das Leben des Walther Bensemann, Göttingen, 2003. 34. Pour tout ce paragraphe, voir son ouvrage « Das Fussballspiel », voir note 25. 35. STASNY (Ludwig), « Ziele und Zwecke aller athletischer Sports », dans Spiel und Sport du 17 février 1894. 36. Deux articles de Walter Bensemann dans Spiel und Sport : 24 et 31 mars 1894, « Die deutsche Schule und das Fussballspiel » ; 3 et 10 novembre 1894 : « Die Fussballbewegung in Deutschland und ihre Gegner ». 37. Tennis in Deutschland – le livre du Centenaire de la Fédération Allemande de Tennis (2002) consacre un long article à ses « pères fondateurs » et parmi aux à Robert Freiherr von Fichard. 38. Spiel und Sport du 22 juillet 1893, Nochmals Spielausdrücke. 39. Spiel und Sport du 29 juillet 1893, Spielausdrücke. 40. Spiel und Sport du 10 juin et 4 novembre 1893 et du 14 juillet 1894 pour une présentation détaillée d’Archibald White. 41. Deux mémoires de 1901 et 1902 du président Abt sur la gymnastique alsacienne – BNU M. 102.798 et M. 106.992. 42. RAYDT (Hermann), « Les progrès du mouvement sportif allemand en 1894 », Annuaire des JVS, 1895. 43. Hermann Raydt : professeur en 1878 au Lycée de Ratzeburg – s’engage en 1886 dans le Parti National-Libéral – obtient à ce moment une bourse pour un voyage d’études en Angleterre et en Ecosse – à son retour, devient propagandiste pour les sports anglais – fait partie des membres fondateurs des JVS. 44. Spiel und Sport du 24 novembre 1894, article de Robert von Fichard qui fait partie des fondateurs du Club. 45. Spiel und Sport du 17 février 1894, article de Ludwig Stasny « Ziele und Zwecke aller athletischen Sports ». 46. Spiel und Sport du 21 octobre 1893, commentaire d’un article du « Berliner Tagblatt » : « Athletische Sports in ihrer Wirkung auf die Verbesserung der physischen Eigenschaften in der englischen Mittelklasse ». 47. Idem note 45. 48. BENSEMANN (Walther), « Die deutsche Schule und das Fussballspiel », Spiel und Sport, 31 mars 1894. 49. Annuaire 1894 des JVS ou Spiel und Sport du 24 novembre 1894, Die Nutzen der Wettspiele. 50. Spiel und Sport du 24 février 1894. 51. KOCH (Prof. Konrad), « Der gegenwärtige Stand des englischen Spielwesens », Annuaire des JVS, 1895. 52. Spiel und Sport du 24 novembre 1894. 53. Spiel und Sport du 29 décembre 1894. 54. EISENBERG (Christiane), English Sports und Deutsche Bürger, Paderborn, 1999. Les citations qui suivent, si elles ne sont pas référencées spécifiquement, sont extraites de ce même ouvrage. 55. Position de Montesquieu (l’Esprit des lois) selon laquelle le commerce unit les pays. 56. Le Temps du 13 et du 17 juin 1894. 57. BENSEMANN (Walther), « Die Fussballbewegung in Deutschland », Spiel und Sport, 3 novembre 1894. 58. Spiel und Sport du 3 février et du 15 décembre 1894. 59. Spiel und Sport du 31 mars 1894 – Ein Bedürfnis der Zeit.

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RÉSUMÉS

L’Angleterre est le berceau du tennis, du football, du rugby et de l’athlétisme. Les « sports anglais » arrivèrent en Allemagne vers 1890 à un moment où ce pays ne connaissait que la gymnastique. Ils eurent immédiatement un énorme succès et des conséquences importantes. L’auteur décrit ici l’arrivée et le développement des sports modernes en Allemagne, un pays dont la culture et la société étaient très différentes de celles du monde britannique. Le lecteur verra que les sports devinrent vite une composante et le reflet de la société allemande, de ses conceptions politiques aussi. Cette histoire de l’arrivée des sports en Alsace, comme événement culturel et sociétal, est un sujet qui n’a jamais été abordé dans l’histoire d’ensemble du Reichsland Elsass-Lothringen.

Tennis, football, rugby, and athletics has its origin in England. The so called “English sports”, which arrived in in 1890 who, at that time, only knew gymnastics, had a big success and consequences. You find here a description of both – the arrival of a modern sport in Germany and its development, in a country where culture and society are differed in many aspects from its origin country. The reader will notice how the sport became part and mirror of the German society and its politics. The sports history – as a cultural and social event – is a novelty in the whole history of the Reichsland Elsass/Lothringen.

Tennis, Fussball, Rugby, und Leichtathletik stammen ursprünglich aus England. Als “English Sports” wurden sie um 1890 in Deutschland, dem Vaterland des Turnens, erstmals praktiziert und das mit Erfolg und grossen Folgen. Beides – die Ankunft eines modernen Sports in Deutschland und die Entwicklung, die dieses Ereignis mit sich brachte, in einer Kultur und Gesellschaft, die sich in vielem von seinem Ursprungs-Land unterscheidet – ist hier beschrieben. Der Leser wird bemerken wie sehr der Sport ein Bestandteil und ein Spiegel der deutschen Gesellschaft und ihrer Politik wurde. Diese Sportgeschichte – als Kultur-und Gessellschaftgeschichte – ist eine Neuheit für die Gesamtgeschichte des Reichslands Elsass/ Lothringen.

AUTEUR

PIERRE PERNY Docteur en histoire, Cadre bancaire (e. r.)

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1940-1945 : L’exode des Alsaciens vers la Suisse 1940-1945 : Alsatians fleeing to Switzerland Exodus der elsässischen Flüchtlinge in die Schweiz (1940-1945)

Daniel Morgen

1 En juillet 1941, Ernest Juillerat, rédacteur du journal Le Jura de Porrentruy, s’indigne auprès de la Préfecture cantonale de l’absence […] de moyens appropriés pour l’hospitalisation des nombreux réfugiés d’Alsace qui arrivent continuellement à Porrentruy et s’étonne que l’on ne tienne pas compte des conditions de ces malheureux qui, tous, sont brutalement placés dans les prisons de ce siège. […] Il semble que l’on devrait consentir quelques sacrifices de façon que tout ce monde puisse être placé, sous surveillance, par exemple dans une pension de la place1.

2 Dans ses archives fédérales et cantonales, la Suisse a conservé les traces de ces arrivées, confirmées ailleurs par des témoignages de contemporains. L’ouverture de ces archives – pour la plupart des dossiers, pour lesquels le délai de blocage est limité à 50 ans après leur clôture – constitue une chance exceptionnelle pour reconstituer les circonstances et conditions de ces sorties d’Alsace.

3 J’ai choisi d’aborder l’exode des Alsaciens vers la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale en focalisant la narration sur les modes de transport et de passage en Suisse, avant de poser le problème de l’évaluation du nombre de personnes concernées. La place manque pour traiter de leur vie quotidienne, de leur travail en Suisse et des retours ultérieurs en Alsace.

Quelques témoignages2

4 Le 27 juin 1943, âgé de 19 ans, Alphonse Bihry quitte l’Alsace par la filière du rail entre Saint-Louis et Bâle. Il se présente à la police cantonale qui l’incarcère à la célèbre prison du Lohnhof, aujourd’hui désaffectée. Le Département fédéral de police et de justice (DFJP) le fait admettre dans un premier temps au camp d’accueil et de transit de

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Büsserach (SO)3, puis à celui de Tramelan (BE)4. Autorisé à poursuivre des études universitaires, il séjourne au camp universitaire de Cossonay (VD)5 de novembre 1943 à l’été 1944 et enfin au camp de Zweidlen (ZH)6. Engagé volontaire dans le Groupe Mobile Alsace, il quitte la Suisse le 1er octobre 1944 par le col des Roches (NE)7&8.

5 Domiciliés à Strasbourg, Emma (1878) et Jules (1865) Guthmann se réfugient en 1940 à Thonon, de même que leur fille Margot, épouse Caleb (1907). Les troupes d’occupation italiennes ayant quitté la Haute‑Savoie, les troupes allemandes les remplacent. La Gestapo et la Milice sont à la recherche des Juifs français cachés. Margot, ses filles et leur grand-mère traversent le lac Léman dans une barque de pêcheurs, abordent à Rolle le 30 octobre, puis prennent le train jusqu’à Porrentruy où elles ont de la famille9. Son mari Marcel Caleb entre en Suisse par Jussy en avril 1944 pour mettre son père et sa mère à l’abri de la Milice.

6 À cette époque-là, les adultes ne sont pas les seuls à entrer en Suisse. Des enfants en bas-âge traversent aussi la frontière. Âgée d’à peine 4 mois et demi, Marie-France accompagne ses parents, Joseph Karm (1910) et sa femme Louise (1918), dans leur fuite en Suisse. J. Karm a déjà suivi la Umschulung à Freiburg d’octobre à décembre 1940 et a eu un avant-goût de la terreur nazie. La famille quitte Bisel le mardi 15 avril, après Pâques, et atteint Porrentruy le jeudi 17, vers le soir, après des péripéties éprouvantes. Les registres d’écrou de la prison de Porrentruy, où Joseph Karm est interrogé par la Gendarmerie d’armée, signalent son incarcération les 17, 18 et 19 avril, puis son transfert à Genève, avec la mention « transit Genève via Neuchâtel », ce qui implique le passage en France non occupée avec sa famille10. Ils sont nombreux à tenter, comme eux, le passage au moment où l’on commence à savoir que la famille proche des réfractaires est déportée.

7 Enfin, à partir de janvier 1943, avec l’augmentation des mobilisations d’Alsaciens dans l’armée allemande, on assiste à des déplacements collectifs signalés tant au Largin (cette avancée du territoire suisse en France près de Pfetterhouse) que plus à l’est sur la frontière, à Burg-im-Leimenthal. Le 12 février, celui du « groupe des 18 de Ballersdorf », composé de jeunes gens du village et de localités voisines, se solde par un échec. Le groupe se heurte à des gardes-frontières entre Bisel et Seppois-le-Bas. Au cours de l’accrochage, un policier allemand est tué, trois Alsaciens sont exécutés sur place. Quatorze autres sont condamnés à mort. Un seul, René Grienenberger (1917), réussira à trouver refuge en Suisse. À son interrogatoire d’admission en Suisse, le 8 mai 1943, il ne dira rien de la fusillade de Ballersdorf ni de son parcours entre février et juillet 194311.

Les passages en Suisse

8 Plusieurs idées-forces émergent de ces récits biographiques qui donnent un premier aperçu des déplacements individuels ou collectifs vers la Suisse : asile et refuge, motivations, trajets et moyens de transport, séjour, logement, activité, retour.

Origine et causes des entrées

9 Le gendarme Jeannottat, du poste de Bonfol, indique que les personnes interrogées « ont quitté l’Alsace parce qu’elles ne pouvaient s’adapter au régime actuel ». Pour d’autres gendarmes, qui relèvent systématiquement les services militaires effectués, le fait d’avoir combattu en 1939‑1940 contre l’armée allemande et d’avoir été fait

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prisonnier leur semble justifier à lui seul la demande d’accueil. Tout se passe comme si les fugitifs se montraient prudents et évitaient, comme R. Grienenberger, d’en dire trop.

10 Mais, dès 1941, les jeunes gens interceptés déclarent vouloir éviter le service de travail (Reichsarbeitsdienst, RAD), obligatoire depuis le 8 mai 1941. L’un d’entre eux, entrant en Suisse deux mois après, a apporté avec lui les extraits du journal annonçant les convocations, coupures que le gendarme Buchs, de Charmoille, joint à son rapport12. En 1942 et en 1943, avec la promulgation de l’ordonnance sur l’incorporation des Alsaciens, les motivations s’expriment avec plus de netteté, allant de la nationalité française revendiquée, de la fidélité à la France à la crainte d’avoir à combattre sous un drapeau ennemi. Les hommes veulent échapper au conseil de révision et à la mobilisation. D’autres entrants originaires du département du Doubs, tentent de se réfugier en Ajoie pour échapper au Service du travail obligatoire (STO).

11 Les motivations varient bien entendu aussi en fonction du sexe. Les jeunes filles disent quitter l’Alsace pour échapper au STO, au RAD et plus tard au service auxiliaire dans l’armée (Kriegshilfsdienst). Des femmes mariées veulent rejoindre leur mari en zone non occupée, comme, le 22 novembre 1941, cette employée des PTT, « attachée au service administratif de Strasbourg », dont le mari est à Limoges13.

12 On retrouve chez les femmes l’hostilité à l’égard du régime. Mais elles pensent surtout à mettre la famille à l’abri, quittant l’Alsace avec leur époux afin que la famille n’en soit pas expulsée14. En août 1941 déjà, Marguerite Gutzwiller, de Courtavon, fuit la menace de la déportation, parce que son fils unique Alphonse, âgé de 18 ans, s’est évadé d’Alsace au mois d’avril précédent et a été conduit à la frontière genevoise. En juillet 1943, les épicières de Pfetterhouse, mère et grand-mère, indiquent le même motif et en novembre, c’est à nouveau une famille complète de Courtavon qui passe la frontière à Bonfol.

13 Dans certains cas, les passages s’effectuent dans les deux sens. Malgré la gravité du contexte militaire et politique, des frontaliers ne changent rien à leurs habitudes. Le tabac est moins cher en Suisse, le papier à cigarettes, en France. De France, on importe ainsi de la nourriture, du jambon, de Suisse, du tabac et des cigarettes provenant de l’entreprise Burrus15.

14 Dans les 130 rapports de police étudiés sur les 950 conservés aux Archives cantonales jurassiennes, on mentionne dix acheteurs occasionnels de tabac, comme ces quatre braves citoyens de Courtavon, dont l’un s’appelle de surcroît Nicot, « venus à la ferme du Largin pour y acheter chacun un paquet de tabac ». Il y a des contrebandiers semi- professionnels qui jouent aussi le rôle de passeurs et accompagnent de riches Belges ou Néerlandais en transit.

Le passage de la frontière

15 Les contrôles s’effectuent rarement à la frontière. Pourtant, depuis le début de la guerre, celle-ci est bien gardée : l’armée suisse en a pris le contrôle et effectue des rondes lors desquelles elle arrête des arrivants en situation d’illégalité, parce qu’ils n’ont pas le visa requis.

16 Il arrive fréquemment que les fugitifs passent la frontière et se présentent d’eux- mêmes à la gendarmerie cantonale ou qu’ils soient interceptés à quelques kilomètres de

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la frontière, par exemple entre Le Largin et le poste de Bonfol ou « près du cimetière » de la localité.

Lieux de passage

17 Sur la petite centaine de kilomètres de frontière entre l’Alsace et la Suisse, en gros entre Lörrach (D) et Delle (F), les passages les plus accessibles et les plus nombreux sont des passages terrestres, aux confins des cantons suisses de Bâle, de Soleure et du Jura (ex-Jura bernois). À l’ouest, les passages possibles augmentent la distance à parcourir, par Montbéliard ou Pontarlier ; à l’est, la traversée du Rhin ne peut se faire que sur les ponts existants, qui sont bien gardés, ou à la nage et est donc dangereuse dans les deux cas.

18 Dans ces conditions, la frontière se traverse surtout entre Bâle et Delle, mais rarement au point de passage officiel. Les lieux d’entrée principaux des Alsaciens sont situés entre Bâle et Boncourt, près de Delle. Mais entre ces deux points frontières, il n’est pas un village alsacien à l’ouest de Bâle qui n’ait son pendant suisse. Les points de passage les plus souvent cités dans les rapports de la police jurassienne sont Lucelle ou le lieu- dit Schollis, la ferme du Morimont, Miécourt ou le Largin, enfin l’entrée par Boncourt et Déridez du côté de Delle. Accessibles par le pays de Montbéliard, les entrées par Fahy et par Damvant sont plus utilisées par d’autres nationalités ou par les Francs-Comtois.

19 Ces lieux de passages sont très fréquentés. Au premier trimestre de 1943, de grands groupes d’Alsaciens empruntent le passage du Largin. D’après les rapports de ce poste, 1 064 Alsaciens, hommes, femmes et enfants, y ont franchi la frontière durant la guerre16.

20 Genève et ses environs, la rive nord du lac Léman, sont aussi des lieux d’entrée pour des Alsaciens restés en zone sud en juin 1940, qui se réfugient en Suisse par les environs d’Annemasse ou en traversant le lac Léman.

Les moyens de transport

21 Les moyens de transport prédominants sont le train, l’autocar, le vélo et la marche à pied. Les possesseurs de voiture personnelle sont encore rares et de toute manière, durant la guerre, les carburants sont rationnés. Pour rejoindre la Suisse et traverser la frontière, les fugitifs utilisent l’un de ces moyens et souvent en combinent plusieurs.

22 D’altitude moyenne (entre 400 et 800 m), le Jura alsacien, entre Bâle et Delle, est assez facile à traverser. La marche est le seul moyen pour traverser les forêts sur la frontière, à des lieux réputés peu connus. Mais on la combine avec l’un des autres : train, autocar, vélo.

23 Justin Litzler, Jean Weigel et Berthe Fuchs passent la frontière par le Morimont. Ils déclarent avoir pris la voiture, puis, pris en chasse par la police et après un accident, être passés de Levoncourt et la Roche de Corbeaux à pied jusqu’au stand de tir de Charmoille où ils ont été interceptés, le 30 avril 1941.

24 Entre l’Alsace et le Pays de Bade, il est possible de traverser le Rhin à l’actuel pont de Palmrain et de tenter de passer en Suisse par la colline au-dessus de Riehen ou par la route, non loin de l’actuelle Fondation Beyeler. Avec sa femme et son fils, Marcel Brengard tente et réussit, non sans difficultés, ce passage au printemps 194217.

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25 Mais, entre Saint-Louis et Bâle, le chemin de fer est le moyen de transport privilégié, y compris pour les fugitifs originaires de Mulhouse ou d’une localité au nord de Mulhouse.

26 Elisabeth Huber (1908), de Strasbourg, entre en Suisse au poste de Charmoille, le 22 novembre 1941. Elle déclare les moyens de transport suivants : le train et la marche à pied. Elle a emprunté le train de la vallée de l’Ill par Waldighoffen, dont le trafic voyageurs fonctionne jusqu’en 1951, et termine son périple à pied, d’Oberlarg à Charmoille par la ferme des Ébourbettes. Son intention est de rejoindre son mari, à Limoges. On ne sait rien de la suite de son périple.

27 Le 25 avril 1941, René Hérold, François Barbin et François Schaeck de Strasbourg prennent le train de Strasbourg à Mulhouse, puis l’autocar jusqu’à Ferrette, atteignent ensuite la petite localité de Lucelle et continuent à pied jusqu’au poste de Charmoille.

28 Deux déserteurs alsaciens dont l’unité est stationnée à Karlsruhe, Bernard Louis Haehn et Albert Rosé, entrent le 25 mars 1943 en Suisse par Damvant. Ils ont pris le train d’Ettlingen à Herrlisheim, près de Colmar, puis ont effectué le reste du trajet à pied par le Lac Blanc et le versant ouest des Vosges (Plombières, Luxeuil).

29 Auteur et metteur en scène dialectal célèbre, Tony Troxler (1918) a pris le train jusqu’à Saint‑Louis, le 7 mai 1943. Avec René Grienenberger, il se cache dans un train de marchandises transportant du charbon qui a passé la frontière le 8 vers 5 h 00. Ils vont au Consulat français à Bâle qui les remet à la police suisse18.

30 Les fugitifs originaires de Huningue ou de Village-Neuf se rendent à Saint-Louis à pied. Le 28 juillet 1943, Lucien Striby, sa femme Louise et leur fils René (8 ans) montent dans un train de marchandises partant pour la Suisse et parviennent ainsi à Muttenz, où ils se présentent au personnel de la gare19.

31 Une fois arrivés en Suisse dans le pays d’Ajoie, les fugitifs sont acheminés par la gendarmerie à Porrentruy, à pied ou plus souvent par le train. Mentionnés sur le rapport des gendarmes, les frais de transport leur sont imputés.

32 Résumé en quelques lignes, tout cela semble faussement simple. À Saint‑Louis, les fugitifs bénéficient souvent d’une filière de passeurs dont les coordonnées et mots de passe leur ont été communiqués auparavant. Pour Alphonse Bihry, la filière commence à Mulhouse à l’église Saint‑Joseph. Un cheminot le prend en charge à la gare de Saint‑Louis, l’héberge momentanément dans un caveau du cimetière, l’habille en cheminot pour rejoindre la gare de marchandises, avant de le faire monter dans un train de marchandises vers 3 h 00 du matin. Parfois, la prise en charge par un passeur commence dès la gare du nord de Mulhouse20. Les cheminots se relaient.

33 Le vélo est utilisé pour les trajets de proximité : le 24 avril 1941, Alphonse Contesse (1916), Maurice Hubler (1916) et Léon Mouillet (1916), tous trois étudiants en théologie, partent d’Altkirch à bicyclette en direction de Levoncourt. Ils y abandonnent les vélos et continuent à pied vers Charmoille par les Esserts Bourquin.

34 Souvent, on n’hésite pas à utiliser le vélo pour un long trajet : Joseph Husson-Hucher, (1919) de Strasbourg, se rend en vélo de Strasbourg à Pfetterhouse, puis continue sa route à pied. Il franchit la frontière suisse entre Pfetterhouse et Réchésy et aboutit, le 3 juillet 1941, à la commune suisse de Beurnevésin.

35 Un moyen de locomotion moins banal est l’attelage de bœufs : le 7 octobre 1943, Charles et Marie-Léa Ricklin, cultivateurs à Pfetterhouse, franchissent, avec leurs deux fils, la

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frontière au nord-ouest de Beurnevésin sur une charrette attelée. La famille de 4 personnes est accueillie en Suisse, mais les bêtes font les frais de l’opération. Selon le rapport du gendarme Méry, les vaches sont expédiées à l’abattoir de Bâle. Le char à fumier et le harnachement sont remis à Ricklin Joseph, oncle et cultivateur à Beurnevésin. Le 24 novembre de la même année, un autre couple de cultivateurs, Eugène et Christine Waldt, de Courtavon, avec leur fils, utilisent un attelage de deux bœufs pour se rendre à Bonfol. Les bœufs subissent le même sort que les vaches de Pfetterhouse. Mais leurs propriétaires sont admis en Suisse.

36 Enfin, le 9 mai 1942, Emile Henri Meyer, de Durlinsdorf, traverse la frontière entre Courtavon et Miécourt avec son cheval. Il déclare vouloir se rendre chez son cousin germain Joseph Ruef, à Boncourt. Le cheval muni de son harnachement complet a été mis en fourrière chez Ruef. Meyer exprime le vœu de rester chez son cousin comme ouvrier agricole.

37 Tous les trois sont cultivateurs et ont le réflexe de mettre leurs bêtes à l’abri chez un parent proche ou lointain en Suisse chez qui ils espèrent trouver refuge.

38 Enfin, traverser le Rhin à la nage est une aventure exceptionnelle que peu d’évadés ont tentée : elle exige de solides capacités physiques pour un effort soutenu, qu’il est impossible d’interrompre, et expose aux tirs allemands. Les tentatives de ce type se sont souvent soldées par des noyades.

39 Originaire de Toulouse, Albert Amoros (1919) est prisonnier dans un Stalag à Rheinfelden. Il travaille dans une usine d’aluminium. Avec un autre prisonnier, il traverse le Rhin à la nage en amont du barrage de Rheinfelden, le 2 septembre 1943, vers 13 h 00. Son compagnon d’évasion qui transporte les habits et les papiers d’identité dans un sac à dos est touché par un tir des gardes-frontières allemands et coule. Albert aborde seul la rive suisse21. On ne sait pas ce qu’il advient de lui après.

40 Un autre déserteur alsacien, E. Sibold, réussit à traverser le Rhin, un peu au sud du Canal de Huningue et du Dreiländereck. Il traverse le Rhin à deux heures du matin. Son passionnant récit figure dans la brochure du GMA déjà citée22.

Les passeurs

41 Dans la filière du rail déjà citée, les cheminots mulhousiens ou ludoviciens aident les fugitifs à rejoindre le point d’embarquement – la gare de marchandises et de triage – et à monter dans la bonne rame, dans le bon wagon du train en formation. Le cas échéant, ils leur indiquent le ballast où passera le train à vitesse réduite et d’où ils devront sauter sur la guérite du wagon. Certains trains, leur disent-ils, ne s’arrêteront qu’à Muttenz, au bout de 30 minutes de trajet, qui est effectivement le point d’arrivée, avec Olten, de plusieurs fugitifs. Ces cheminots sont tous des bénévoles.

42 Les fugitifs bénéficient aussi d’aides au passage à d’autres endroits. Des anciens, qui connaissent bien la frontière, guident les groupes sundgauviens de février 1943. Au passage par les Ébourbettes, les fugitifs bénéficient de l’aide du curé Stamm, de Liebsdorf, qui les héberge, et de Henri Kupfer, garde-forestier et passeur. Au Largin, le fermier suisse Jules Thalmann héberge les arrivants. Dans le rapport rédigé sur l’entrée illégale de cinq ressortissants français d’Alsace, le gendarme Jeannottat impute à Thalmann une infraction pour absence de déclaration d’arrivée des étrangers ! Cela n’empêche pas celui-ci de récidiver : le 11 juin 1942, cinq réfugiés alsaciens dont

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Alphonse Mattler et Lucien Feldtrauer passent une nuit dans la grange de sa ferme- auberge. D’autres Jurassiens se mobilisent pour accueillir, réconforter et guider bénévolement les fugitifs23.

43 Tous ne bénéficient pas d’aides bénévoles au passage. J. Karm, qui a déclaré 13 650 FF au passage de la frontière en a promis 1 500 à son guide alsacien : « une somme énorme, presque la totalité de ce dont nous disposons24 ». Les Belges passant par l’Ajoie et Porrentruy paient leurs passeurs en argent ou en pierres précieuses25. À l’entrée sud de la Suisse, certains se font proprement escroquer, comme Daniel Kahn, de Strasbourg, qui a remis environ 100 000 FF à ses passeurs pour traverser le lac Léman avec sa famille ! Les Kahn semblent avoir été les victimes de réseaux mafieux. Médecin à l’hôpital civil de Strasbourg, réfugiée à l’hôpital de Clairvivre (Dordogne) depuis l’évacuation, Alice Ullmo (1902) déclare avoir payé 3 000 F, mais elle a franchi la frontière genevoise à pied26.

Synthèse

Fugitifs ou réfugiés?

44 Arrêtons-nous d’abord aux termes qui désignent la sortie du territoire alsacien. Les historiens suisses – André Lasserre27, Claude Hauser28 – privilégient celui de refuge. La Suisse accueille des fugitifs, auxquels elle accorde refuge. Terme passif, réfugié exprime le point de vue de l’accueillant ; fugitif, celui du demandeur d’asile qui quitte son pays. C’est pourquoi il serait plus juste pour l’Alsace de parler de ses fugitifs et pour la Suisse de ses réfugiés, qui proviennent de tous les pays d’Europe occupés ou annexés. Un constat s’impose cependant : les Alsaciens qui ont choisi la fuite active emploient volontiers le terme d’évasion, plus significatif encore de leur état d’esprit.

45 L’accueil en Suisse – exprimé officiellement par le terme « internement » – est la demande majoritaire à partir de novembre 194329. Il ne faut pas se méprendre sur le sens de ce mot, qui signifie simplement le placement dans un camp ou dans un home. Entre l’été 1940 et fin 1944, les conditions du passage en Suisse changent et se concrétisent sous trois formes.

Rejoindre la France non occupée

46 En 1940 et 1941, la majeure partie des fugitifs exprime, à l’entrée en Suisse, le désir d’être autorisés à transiter par le territoire suisse et se rendre dans la zone sud. Jean Franck obéit à l’ordre officiel de repli donné, le 14 juin 1940, aux hommes mobilisables de 17 à 55 ans ; le 15 juin 1940, il fuit vers le sud sur son vélo vers Lyon pour échapper aux troupes allemandes, mais l’offensive des blindés de Guderian lui coupe la route le 19 juin à Pontarlier. Après l’Armistice du 22 juin, on le conduit au poste frontière d’Annemasse, d’où il rejoint Lyon30. La même demande figure, de manière récurrente, dans les procès-verbaux d’interrogatoire conservés aux Archives de Porrentruy : « Les susnommés ont passé clandestinement la frontière franco-suisse […] et veulent transiter [par] la Suisse pour se rendre en France non occupée, en zone libre »31. Dans les registres d’écrou de la prison de district de Porrentruy, la libération du fugitif incarcéré le temps de l’interrogatoire porte la mention « transit Genève via Neuchâtel ». La gendarmerie d’armée encadre le déplacement des groupes de

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personnes concernées par le train de Porrentruy à Genève via Neuchâtel où ils sont interrogés par le commandement de l’armée territoriale 2.

Demander l’asile en Suisse

47 Après l’occupation de la zone sud le 11 novembre 1942, les fugitifs ne peuvent plus s’y aventurer, parce qu’ils courraient les mêmes risques qu’en Alsace. La demande exprimée à l’accueil est maintenant une demande d’asile : les futurs réfugiés demandent à obtenir l’autorisation de résider et de travailler en Suisse. « Je sollicite de la part des autorités suisses l’autorisation de résider en Suisse et [… d’y] exercer mon métier », déclare Marcel Libis (1910), lors de son interrogatoire du 20 février 1943 au camp de transit de Büren-an-der-Aare (BE). « Mon vœu est d’être interné en Suisse avec ma femme et mes deux petites filles », déclare l’horticulteur Joseph Stehle (1914), de Village-Neuf, le 30 juillet 194332.

Refuge temporaire

48 À côté de ces Français qui traversent la Suisse pour rejoindre la zone sud, l’Algérie ou l’Angleterre, et ceux qui, ensuite, n’ont comme seule solution que d’y demander l’accueil, il y a aussi beaucoup de candidats à l’accueil temporaire. En juin 1940, ce sont surtout des Francs-Comtois, mais en novembre 1944, de nombreux Alsaciens fuient les combats de libération que mènent les Alliés le long de la frontière suisse33.

Les fugitifs, évadés et demandeurs d’asile

49 Les fugitifs et évadés traversent la Suisse vers la France non occupée ou demandent l’asile en la Suisse. Qui sont-ils et combien sont-ils ?

Évadés en transit

50 Léon Strauss34 évalue à 15 ou 20 000 le nombre d’évasions, quelles que soient les filières de passage (Vosges, canal de la Marne au Rhin, vallée du Rhône, frontière suisse etc.) et les régions de repli (France non occupée, Suisse). Le même auteur évalue à 12 000 le nombre de jeunes effectivement arrivés en zone sud. C’est un ordre de grandeur qu’il faudrait à présent tenter d’affiner pour l’ensemble de la région est.

51 Les données rassemblées par Carl Ludwig en 1954 permettent d’être plus précis. Reconnu comme objectif par la Commission Bergier, qui en a repris récemment les données, ce rapport consacre un paragraphe spécifique aux Alsaciens « qui s’étaient soustraits au pouvoir de la puissance occupante pour se rendre en France non occupée en traversant la Suisse » et signale que « les autorités françaises de police à Annemasse acceptèrent ces réfugiés sans difficultés ». Ludwig chiffre le nombre d’Alsaciens en transit à plus de 1 000 au cours de l’année 1941 et à 551 dans les sept premiers mois de 194235. Sur cette base, on pourrait donc évaluer le nombre de fugitifs entre 1940 et juillet 1942 à plus de 1 600. Mais, uniquement pour l’année 1941, une consultation en cours aux Archives d’État de Bâle-Ville me donne un total de 1028 Français fugitifs entrés illégalement dans le canton de Bâle‑Ville36.

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Demandeurs d’asile

52 Durant la guerre, la Suisse a hébergé, pour un temps plus ou moins long, 295 381 étrangers en quête d’asile, dont 55 018 réfugiés civils et 59 785 enfants pris en charge par la Croix Rouge. Sur l’ensemble des réfugiés civils et des migrants, 28 242 étaient Juifs et ont bénéficié de l’accueil en Suisse37.

53 Sur les 55 018 civils répertoriés dans les dossiers conservés aux Archives fédérales, on compte 11 524 Français, qui ne sont, bien entendu, pas tous des Alsaciens. Le DFJP n’a ouvert de dossier que pour les réfugiés ayant fait l’objet d’une décision d’internement.

54 Parmi les 59 785 enfants étrangers accueillis temporairement en Suisse se trouvent 13 688 enfants de Belfort et de Montbéliard accueillis à l’automne 1944 et 10 000 enfants de Mulhouse par la Croix-Rouge suisse, secours aux enfants, et placés dans des familles d’accueil ou des homes.

55 Dans les documents d’archives étudiés n’apparaît aucune mesure de refoulement à l’encontre des Alsaciens, sauf pour Bernard Schmidt, refoulé le 11 juillet 1941 parce qu’il ne peut présenter aucun papier d’identité, mais accepté lors d’une seconde tentative, le 5 octobre. En revanche, les autorités suisses prennent des mesures de refoulement contre des Français convoqués au STO. Les demandes d’asile des déserteurs allemands, et des prisonniers de guerre français, franco-algériens ou franco- marocains évadés sont acceptées, conformément aux Conventions de La Haye, datant de 1907. Échapper au RAD, à l’incorporation dans l’armée allemande, au STALAG est reconnu comme un motif justifiant l’asile. Ce n’est pas le cas pour le STO.

Pour approfondir le sujet

56 Comme on vient de le voir, nous ne connaissons pas avec précision le nombre d’Alsaciens, de Français qui ont demandé asile en Suisse et y ont séjourné. De plus, le nombre d’évadés en transit fourni par Ludwig mériterait, lui aussi, d’être vérifié.

57 La recherche ne fait que commencer. Le livre de Léon Strauss sur les réfugiés, expulsés et évadés38 n’aborde qu’incidemment notre sujet. Dans la Grande Encyclopédie des années de guerre, figurent deux récits de réfugiés, dont celui de R. Grienenberger39. La plaquette du Groupe mobile Alsace, déjà citée, est la plus complète.

58 C’est l’historiographie suisse qui a le plus publié sur le sujet. Les ouvrages de Claude Hauser (Les Réfugiés aux frontières jurassiennes (1940-1945), d’André Lasserre (Frontières et camps. Le refuge en Suisse de 1933 à 1945), de Henry Spira (La frontière jurassienne au quotidien. 1939-1945) et de Renata Broggini (La frontiera della Speranza : gli ebrei dall’Italia verso la Svizzera 1943-194540) constituent un bon point de départ pour aborder le sujet.

59 Des recherches sont en cours. Ruth Fivaz-Silbermann a étudié les refoulements à la frontière franco-suisse et publiera en 2014 le travail issu de sa recherche doctorale. Fabrizio Panzera fait une recherche sur le même sujet, mais à la frontière du Tessin.

60 Dans ce contexte, une recherche analogue, sur les demandes d’asile en Suisse et les éventuels refoulements à la frontière nord de la Suisse, serait d’actualité. On pense bien entendu à une collecte de nouveaux témoignages auprès de témoins de cette époque. La consultation des archives pourrait compenser la relative absence de témoignages, sans toutefois la pallier.

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61 Les archives fédérales suisses à Berne mettent à notre disposition les dossiers constitués, à partir de 1941 et surtout de 1942, par le Département fédéral de Justice et de Police, responsable des accueils et des internements. Un moteur de recherche permet de consulter la base de données. En 2012, j’ai déposé aux Archives départementales du Haut-Rhin des copies de listes nominatives des dossiers constitués sur les réfugiés français, dont la consultation pourrait permettre de cibler, par canton et donc, indirectement, par localité d’entrée, l’examen des dossiers41. Ces listes permettent aussi aux familles de retrouver le parcours d’un proche. La consultation des archives fédérales de Berne est prioritaire pour retrouver les réfugiés accueillis et internés en Suisse durant la guerre.

62 Par contre, les renseignements sur les personnes en transit ne se trouvent éventuellement que dans les Archives cantonales. Les archives cantonales jurassiennes sont les seules, avec celles de Genève, Vaud et Neuchâtel, à avoir conservé les registres d’écrou et rapports de police des prisons ayant accueilli des fugitifs. Henry Spira a répertorié et collationné les registres d’écrou de ces trois derniers cantons. Il faudrait donc collationner les registres et les listes disponibles et les compléter par les noms figurant sur les rapports de police. Ces registres et les rapports de police sont, rappelons-le, les seuls documents à donner les noms des fugitifs qui demandent à traverser la Suisse pour rejoindre la France non occupée.

63 Les archives cantonales (ou Staatsarchiv) de la Suisse du Nord-Ouest, en particulier celles de Bâle-Ville et de Bâle Campagne et de Soleure, voire de Saint-Gall et d’Argovie, répertorient des dossiers de la Police des étrangers ou de la Basler Hilfstelle für Flüchtlinge, qui pourraient permettre de constituer une liste des Alsaciens. Enfin, les Archives d’État de Genève tiennent à disposition des chercheurs une liste nominative de tous les civils ayant franchi la frontière franco-genevoise entre 1942 et 1945, mais sans mention du sens de franchissement de la frontière42.

NOTES

1. Archives cantonales jurassiennes (ACJ). Archives de la Préfecture. Rapports de police 1940‑1945 (sans cote). 2. Les témoignages analysés dans le présent article proviennent principalement des Archives fédérales suisses (Berne), des Archives cantonales jurassiennes (Archives de la Préfecture. Rapports de police 1940-1945). Archives fédérales suisses (AFS) dossiers N 11 488, N 22 477, N 21 968, N 10 491 et ACJ. 3. SO : Soleure. 4. BE : Berne. 5. VD : Vaud. 6. ZH : Zurich. 7. NE : Neuchâtel. 8. Entretien avec M. Bihry le 8.01.2014. 9. Communication de M. Henry Spira, Plan-les Ouates (CH 1228).- Archives d’État de Genève. Personnes enregistrées à la frontière genevoise durant la Deuxième Guerre mondiale. État au 30.7.2009.

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10. SPIRA (Henry),La frontière jurassienne au quotidien, Genève, Slatkine, 2010, p. 452 et ACJ registres d’écrou de la prison de Porrentruy. 11. GMA Groupe Mobile Alsace, Histoire du Groupe Mobile d’Alsace, préface de Jean-Pierre Spenlé, Riedisheim, 1994, p. 68-71 et AFS : N 10 491. 12. ACJ. Rapports de police. 13. Cf. note 2. 14. AFS E 4264 ≠ 1985 ≠ 196 (N 15 974). 15. SPIRA, 2010, op. cit., p. 214. 16. HAUSER (Claude), Les réfugiés aux frontières jurassiennes (1940-1945) Accueil et refoulement. Internement, co-édité par le Cercle d’études historiques de la Société jurassienne d’Émulation et le Groupe historique du régiment d’infanterie 9, Édition Walter von Känel, CH-3610 Saint‑Imier, 1999, p. 51. 17. GMA, op. cit., p. 39 à 42. 18. AFS, E 4264 ≠ 1985 ≠ 196, N 10 491 - ACJ (Cf. note 2). 19. Archives fédérales suisses (AFS) : E 4264 ≠ 1985 ≠ 196, N 12 018. 20. GMA, op.cit., p. 33, p. 50 et entretien. 21. AFS, E 4264 ≠ 1985 ≠ 196. N 13 592. 22. GMA, op. cit., p. 42‑47. 23. SPIRA (Henry), op. cit., p. 254. 24. KARM (Joseph),« Récit de l’évasion », document dactylographie,s.d. [2000] et ACJ. 25. Cf. les rapports de police analysés par Henry Spira, op. cit., p. 541 à 556. 26. AFS - N 22477, 21948 (E4264#1985/196#). 27. LASSERRE (André), Frontières et camps. Le refuge en Suisse de 1933 à 1945, Éditions Payot, Lausanne, 1995. 28. HAUSER (Claude), Les Réfugiés aux frontières jurassiennes (1940-1945). Accueil et refoulement. Internement, co-édité par le Cercle d’études historiques de la Société jurassienne d’Émulation et le Groupe historique du régiment d’infanterie 9. Édition Walter von Känel, CH-3610 Saint‑Imier, 1999. 29. AFS série E 4264 ≠ 1985 ≠ 196 (en particulier N 13 592, N 08 975, N 12010, N 12018). 30. Entretien du 10 juin 2010. 31. ACJ Préfecture de Porrentruy 1940-1945. 32. AFS : E 4264 ≠ 1985 ≠ 196. N 12010. 33. Staatsarchiv Basel-Stadt (St.ABS) : BSL 1013 1-25 -1, 1-24 Flüchtlinge (photos de presse Hans Bertolf). 34. STRAUSS (Léon), Réfugiés, expulsés, évadés d’Alsace et de Moselle 1940-1945, Colmar, Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2010, p. 61 et 67. 35. LUDWIG (Carl), La politique pratiquée par la Suisse à l’égard des réfugiés, au cours des années 1933 à nos jours. Annexe au rapport du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale sur la politique pratiquée par la Suisse à l’égard de réfugiés au cours des années 1933 à nos jours, Berne, 1957, p. 182. 36. StABS M 8 111-Journal 1941. 37. LUDWIG (Carl), op. cit., Tableau du nombre de réfugiés pendant la guerre, p. 303. 38. STRAUSS (Léon), Réfugiés, expulsés, évadés d’Alsace et de Moselle 1940-1945, Colmar, Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2010, p. 61 et 67. 39. REMAUX (Bernard) et WAHL (Alfred), La Grande Encyclopédie des années de guerre, Strasbourg, Saisons d’Alsace, La Nuée Bleue, 2009. 40. BROGGINI (Renata), La frontera della Speranza : gli ebrei dall’Italia verso la Svizzera 1943‑1945, Milan, Mondadori, 1998. (« La frontière de l’espérance :[la fuite] des Juifs italiens vers la Suisse, 1943-1945 »). 41. A.D. 68 : 21 NUM.

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42. http://etat.geneve.ch/dt/archives/a_votre_service- refugies_civils_frontiere_genevoise_listes_nominatives-1700.html

RÉSUMÉS

Entre l’automne 1940 et le printemps 1945, de nombreux Français, dont de nombreux habitants de l’Alsace annexée, ont fui en Suisse pour échapper aux contraintes de l’administration civile en Alsace et à l’oppression nazie en général. Le présent article décrit la fuite de ces Alsaciens, qui en parlent comme d’une évasion. L’auteur a collecté et analysé ici des données trouvées aux Archives fédérales de Berne et aux Archives cantonales jurassiennes. L’auteur a centré sa narration sur les composantes de cette migration forcée, en l’occurrence sur les motivations, les moyens de transport, les aides au passage de la frontière et à l’accueil en Suisse. Aussi longtemps qu’une recherche systématique en vue de la quantification du nombre de fugitifs n’aura pas pu être menée dans les archives cantonales et fédérales suisses, la recherche ne pourra formuler qu’un ordre de grandeur des évasions et un appel aux chercheurs.

Between 1940 and 1945 many French people, among whom numerous Alsatians, i.e. residents of an annexed province, fled to Switzerland to escape the hardships of civilian German administration in Alsace and, more generally, Nazi oppression. This contribution aims at documenting their flight, which the Alsatians describe as an “evasion”. The author has collected and analysed documents found in the Federal archives of Bern and in those of the Jura region. The points highlighted are the various aspects of this forced migration, e.g. people’s motivations, the means of transportation and the assistance they could find as they were crossing the border and arriving in Switzerland. As long as no systematic research into the regional (cantons) and federal archives has been carried out, only approximate assumptions about the number of refugees can be made, necessitating further interventions of researchers.

Zwischen Herbst 1940 und 1945, sind viele Franzosen, darunter auch annektierte Elsässer, in die Schweiz geflüchtet, um dort dem Zwang und der Unterdrückung, die die nationalsozialistische Zivilverwaltung im Elsass auf sie ausgeübt hatte, zu entgehen. Der folgende Text schildert die Flucht dieser Elsässer, die sie Evasion nannten. Aus den jetzt zugänglichen schweizerischen Archivalien in Bern und den Grenzkantonen hat der Verfasser die Angaben über die damalige Flucht herausgenommen und sie hier zusammengestellt. Dieser Artikel stellt die Komponenten der erzwungenen Auswanderung, der Flucht – nämlich die Motivationen, die Grenzübertritte, die Fluchtmittel, die Fluchthelfer – in den Mittelpunkt seiner Darstellung. Solange keine systematische Forschung an den Staats- und Kantonalen Archiven der Schweiz zum Thema Evasion stattgefunden hat, können Flüchtlingszahlen nur pauschal genannt werden.

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AUTEUR

DANIEL MORGEN IA-IPR, ancien directeur du Centre IUFM de formation aux enseignements bilingues et directeur- adjoint de l’IUFM d’Alsace (actuel ESPE), Colmar

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Pour l’unité et le renouveau : le MRP du Haut-Rhin (1945-1946) Unity and Renovation: the Haut-Rhin MRP in 1945-1946 Einheit und Erneuerung: Die MRP des Unteren Elsaß (1945-1946)

François Igersheim

Introduction

1 Dans les premiers mois de la Libération, qui s’étend de novembre 1944 à février 1945, il s’agit assurer le retour la République en Alsace et en Lorraine. Le problème de sa législation et de sa réglementation a été réglé par l’ordonnance du 9 août 1944, valable pour toute la France, prescrivant le retour à la légalité républicaine au 16 juin 1940. Apparemment, étaient ainsi conservés les statuts particuliers, sur le plan social, cultuel et scolaire des trois départements recouvrés en 1918. Mais le mot d’ordre qui s’impose est celui de l’unité de législation. Et le rétablissement des libertés républicaines dans toute la France comprend une priorité, la remise en place d’une vie publique fondée sur des partis politiques qui structurent le débat et le suffrage. Que la vie politique des deux départements ait toujours été fort différente parait assez évident, même dans les provinces que réunissent de fortes originalités dues à l’histoire. Mais procéder à l’étude politique de l’Alsace à partir du département du Haut-Rhin permet de saisir l’intensité du débat interne qui a opposé les reconstructeurs de la vie politique alsacienne. Cet aspect-là n’avait été qu’évoqué rapidement dans l’historiographie contemporaine de l’Alsace. Sur les cinq députés MRP du Bas-Rhin de 1945, trois ont été des députés ou sénateurs de la IIIe république, ayant voté les pleins pouvoirs à Vichy marqués par la pratique des rapports entre une vie politique nationale lointaine et une vie politique locale, qui a sa propre langue et ses propres références. Ils seront accusés de n’avoir « rien oublié ni rien appris »1. Dans le Haut-Rhin, les députés MRP sont des hommes nouveaux. Mais ils sont tous membres du même parti politique national, qui s’est étendu à l’Alsace, le Mouvement républicain populaire. Et les termes du débat national,

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ceux du renouveau et de l’unification, tels qu’ils vont se nouer dans les débats de la nouvelle constitution, s’imposent à l’Alsace. C’est ce que nous proposons d’analyser.

Le retour en Alsace

Le gouvernement de l’Alsace à Paris

2 Avec l’installation du gouvernement provisoire à Paris se mettent en place les services du gouvernement. Pourtant près de deux mois vont s’écouler avant l’installation de l’administration française en Alsace.

Le général de Gaulle, président du gouvernement provisoire

3 Le général de Gaulle, président du gouvernement provisoire, suit de près les affaires d’Alsace et de Lorraine, provinces à qui il accorde une attention proportionnée à la place qu’elles occupent dans l’imaginaire patriotique, sa géographie politique… et à l’expérience qu’il a des affaires publiques françaises d’avant la guerre et de la guerre. Il a approuvé les nominations faites par Jacquier (Debré) et Parodi de membres du Parti Démocrate Populaire pour les postes de commissaires de la République et de préfets en Alsace en Moselle. Il continuera de suivre directement, par les membres de son cabinet Palewski et Brouillet2, les affaires d’Alsace et de Lorraine dont ils sont tenus informés directement par le courrier reçu ou transmis par son ancien directeur du cabinet adjoint Geoffroy de Courcel3, nommé par Tixier commissaire de la République extraordinaire chargé de la coordination des affaires d’Alsace et de Lorraine.

Le ministre de l’Intérieur et le Service d’Alsace et de Lorraine

4 Adrien Tixier nommé ministre de l’Intérieur du gouvernement provisoire en septembre 1944 hérite des ordonnances et règlements préparés par ses prédécesseurs. Les fonctionnaires du service d’Alsace et de Lorraine venus d’Alger s’installent rue Monceau, sous la direction de Courcel. Le ministre de l’Éducation nationale René Capitant a nommé son ancien collègue Marcel Prélot recteur de Strasbourg. Commissaires et préfets constituent leurs équipes en attendant que les armées alliées arrêtées en Lorraine depuis le milieu de septembre reprennent leur offensive, déclenchée en novembre seulement4.

5 Tixier a semblé vouloir remettre sur le métier la politique alsacienne et lorraine élaborée par le gouvernement. Trois préoccupations semblent le guider : appliquer le plus possible aux départements d’Alsace et de Moselle les dispositions communes à tous les départements, trouver des interlocuteurs représentatifs de l’opinion alsacienne pour éviter de provoquer un nouveau « malaise », réintégrer les forces politiques alsaciennes dans le jeu politique national. Tixier a hérité aussi des équipes chargés de réintroduire l’administration française en Alsace et Lorraine. Maître des requêtes au Conseil d’État, Charles Blondel a été nommé en août Commissaire à Strasbourg par Parodi, membre du Comité général d’Études et délégué général en France, nommé en septembre au ministère du Travail. Tixier opère pourtant une permutation : le préfet de Strasbourg, nommé depuis novembre 1943, sur la base de son rapport au CGE, Fonlupt‑Espéraber, est jugé impossible à Strasbourg, et se voit proposer la préfecture de Metz ou de Colmar. Il choisit Colmar.

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La politique alsacienne du Comité général d’Études

6 Avocat du barreau de Strasbourg, réfugié à Pau, Fonlupt-Espéraber avait fait partie des premiers administrateurs de l’Alsace recouvrée de 1918 à 1923 ; il en connaissait la plupart des dirigeants politiques5, puis avait exercé à Strasbourg jusqu’en 1939 et connaissait bien « le droit local ». Il avait été mêlé comme PDP aux remous de la vie politique nationale et locale, où il avait fait plusieurs tentatives malheureuses. C’est à ce titre qu’il est chargé du rapport sur l’Alsace, exposé devant le CGE à la fin de l’été 1943 et remis par écrit au cours de l’hiver 19436. Il va avoir une certaine importance aussi pour l’évolution politique du département qu’administre le nouveau préfet7. Fonlupt a établi de ce rapport un résumé en septembre 1944 et l’a remis à Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères et à Tixier8.

7 C’est de son expérience qu’il tire les analyses et propositions développées. Il y expose les objectifs à assigner à la politique française à son retour en Alsace. La priorité : l’unification Un point doit être dès la première heure, placé hors de tout contexte : en Alsace comme en Lorraine, comme partout et toujours, la mission de la France est de créer de l’unité 9. Il est parfaitement possible de convaincre la population des trois départements de la nécessité historique et spirituelle de cette unité française. À deux conditions cependant, et voici la première. Il faut bannir définitivement de notre lexique politique une expression maladroite qui a contribué à cabrer une grande partie de la population : il ne faut plus parler d’« assimilation »10. Prêts à recevoir ce qui est bon, ils désirent aussi apporter à la Patrie retrouvée, ce qui chez eux était indiscutablement meilleur. L’unification nécessaire du pays doit se faire par des apports inégaux, certes mais réciproques. Mais par étapes Et voici la seule condition d’un accord sans lequel la fusion de l’Alsace et de la Lorraine dans l’unité serait sans doute pour longtemps irréalisable. Il faut que la population soit assurée que la France comprend et respecte son tempérament propre et les originalités qu’elle tient d’un passé. Disons par contre, qu’à prétendre introduire dès à présent ou même seulement à bref délai, la législation française des cultes et de l’école, on s’exposerait sans aucun doute, à d’insurmontables difficultés, et peut-être même à des désordres graves qui retarderaient pour de longues années non seulement l’unification de la législation aisément réalisable sur la plupart des points mais la fusion des cœurs et des esprits, si nécessaire à l’unité et à la vie de la France. Aborder la législation scolaire et cultuelle en dernier, aboutir à un nouveau concordat La situation actuelle ne pourrait se modifier rapidement que si à l’occasion de négociations avec le Vatican sur d’autres questions, un accord venait à s’établir avec le Saint-Siège et le gouvernement français. À défaut d’un tel accord, il faudra s’en tenir au statut d’avant la guerre, qui ne saurait être modifié aussi longtemps que la population ne prendra pas elle-même l’initiative d’en réclamer le changement.

L’Assemblée consultative provisoire et la Commission d’Alsace et de Lorraine

8 En attendant l’élection du Parlement, le gouvernement prend l’avis d’une Assemblée consultative. Créée à Alger, elle est renouvelée à Paris le 11 octobre, installée le 7 novembre. Elle recrée le 10 novembre, comme dans le Parlement de la IIIe, une

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commission d’Alsace et de Lorraine avec pour président Gaston Tessier (CNR, CFTC, futur MRP) et pour vice‑président Marcel-Edmond Naegelen (SFIO). D’entrée de jeu, on s’y situe dans la perspective de « l’unification ».

Un impératif : l’unification

9 L’objet de la commission déclare Naegelen est de : réaliser l’unité de la législation en introduisant en Alsace et en Lorraine les libertés républicaines et en étendant à tout le territoire les dispositions des lois sociales en vigueur dans les départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin, et Moselle. Mais la complexité des problèmes à résoudre en vue d’une assimilation totale est telle qu’elle impose la création d’une commission spéciale dans l’esprit même qui a présidé à celle des Commissariats de la République à Strasbourg et à Metz11.

10 Et le 27 novembre, Naegelen, qui exprime la position de la SFIO publie dans Le Populaire un article titré « une France, une législation », où il rappelle que l’ordonnance du 29 septembre donne pour mission aux Commissaires de la République : de préparer et proposer au gouvernement toutes les mesures législatives susceptibles de réaliser l’unité de législation entre les départements du Bas‑Rhin, du Haut‑Rhin et de la Moselle et les autres départements. Nous espérons que cette disposition sera suivie d’actes et que les commissaires travailleront dans le sens qui leur est ainsi indiqué, que la Commission d’Alsace et de Lorraine instituée par l’AC les aidera à préparer les textes législatifs menant à l’unité de législation que le gouvernement fera de nos malheureux départements du Rhin et de la Moselle des départements jouissant des mêmes droits et partageant les mêmes devoirs que les autres départements français. Cela peut se faire très rapidement et sans brutalité. La France elle-même est en plaine reconstruction. Sa législation politique, administrative, sociale va être refondue. L’Alsace et la Lorraine pourront être englobées dans ce travail. C’est ainsi qu’une transformation de notre système d’assurance sociales qui aujourd’hui est à peu près inopérant en cas de maladie grave et longue permettra de l’appliquer aux travailleurs d’Alsace et de Lorraine qui jusqu’à présent voulaient garder la loi en vigueur dans ces provinces parce qu’elle leur était plus favorable12.

11 Cet article sera reproduit dans La Presse libre (bas-rhinoise) du 6 février 1945.

12 À vrai dire, Tixier aurait voulu associer la SFIO à l’administration de l’Alsace-Lorraine et avait pensé à faire de Naegelen un préfet du Bas-Rhin ce qui avait provoqué les hauts cris des services d’Alsace et de Lorraine13 Naegelen a vu Tixier et lui a communiqué un rapport sur l’école14. Il comprend un passage qui a été attentivement lu. Il sera possible d’admettre 1° que l’allemand ne sera plus enseigné à l’école élémentaire, écrivait Naegelen, commentant la proposition du Service d’Alsace et de Lorraine, et … 2° que l’enseignement religieux sera donné à l’école. Il ne parait pas impossible de faire admettre que cet enseignement ne peut être confié qu’à un personnel indiscutablement qualifié et préparé : aux ministres des cultes, spécialement rétribués à cet effet.

13 Mais Naegelen n’a pas abordé du tout la question du personnel congréganiste, dont il sait pourtant qu’il a été exclu des écoles primaires par les Nazis et qu’il fera l’objet des demandes de retour de la part des municipalités.

14 Courcel à qui Tixier a communiqué la lettre de Naegelen pour avis et qui la retransmet à René Capitant estime : L’enseignement religieux était déjà avant 1940 donné dans les écoles par les ministres des cultes lorsque l’instituteur ne pouvait l’assurer lui-même. Ce cas sera étendu par suite de l’absence d’instituteurs qualifiés pour enseigner la religion.

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Mais il serait dangereux d’en proclamer le principe comme le propose M. Naegelen, si l’on ne veut pas provoquer une nouvelle opposition confessionnelle sur ce sujet, à moins que cette réforme ne fasse partie d’un accord d’ensemble avec les autorités religieuses. J’ai déjà subi une violente réaction de M. Meck sur ce chapitre.

15 Et comme Naegelen demandait en outre l’extension à tous les enseignants d’Alsace et de Lorraine du régime (et des rémunérations) du cadre local, il relève : Il y a là un exemple frappant des difficultés auxquelles on se heure à chaque fois que l’on parle d’assimilation. Chacun est partisan de cette assimilation pour les autres, mais désire toujours conserver les avantages qu’il a lui-même obtenus par la législation locale : l’ouvrier pour les assurance sociales, le curé pour l’enseignement, l’instituteur pour le statut local etc…15.

Un parti nouveau : le Mouvement républicain populaire

16 Le rapport de Fonlupt inspirera également la politique alsacienne du MRP national. Car pendant la période d’octobre et de novembre 1944 où les futures équipes administratives des départements d’Alsace rongent leurs freins, Fontlupt a pris part à la fondation du MRP national, le 22 novembre 194416, ce qui est également le cas de Charles Blondel, le commissaire régional, dont les positions sont fort proches de celles du rapport du CGE. Ainsi le président national du MRP, Maurice Schumann, fait partie de la délégation de la Commission d’Alsace et de Lorraine en Alsace au début de décembre et fait un compte-rendu sur sa visite en particulier à Mulhouse où il a rencontré Fonlupt. Il rapporte : La conclusion de mon voyage, c’est qu’il existe en Alsace un grand désir d’assimilation aux lois françaises de l’intérieur, mais une certaine crainte d’assimilation aux lois parues entre 1918 et 1939 pour la question scolaire, celle des assurances sociales et du statut municipal. On estime que le statut alsacien est supérieur pour ces réglementations. Le désir de tous les partis alsaciens (UPR, démocrates, socialistes…) est de faire adopter en France ce qu’il y a de bien dans le statut alsacien et d’unifier ainsi notre législation. Une tendance alsacienne est également de se méfier des personnes imposées de l’extérieur qui ne sont pas restées pour faire de la résistance en Alsace. J’ai été témoin d’incidents à ce sujet […] En ce qui concerne le problème scolaire, je pense que l’enseignement religieux donnés par des prêtres, dans les écoles laïques, suivant le procédé employés dans l’enseignement secondaire, donnerait satisfaction à tous les Alsaciens17.

Le président de la Commission d’Alsace et de Lorraine

17 Le président de la Commission Gaston Tessier fait également partie du Comité directeur du MRP (mais aussi de l’UDSR). Mais c’est la présidence de la CFTC qui lui assure son influence en Alsace. C’est un interlocuteur privilégié du député sortant de Molsheim, Henri Meck, qui s’intitule dernier président de l’UPR18 multiplie démarches et correspondances. Courcel en a conçu quelqu’agacement, qu’il exprimera plus nettement en 1945. À Paris depuis le début d’octobre, Meck voit Tessier et Courcel, et est reçu chez le général de Gaulle par Palewski, qui lui délivrera son ordre de mission pour l’Est le 17 novembre 194419.

Le gouvernement : priorité à « la vie nationale »

18 Au mois de janvier 1945 Tixier observe dans une note adressée à Courcel :

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Les catholiques alsaciens forment déjà et continueront de former un parti politique qui trouvera difficilement une liaison directe avec un parti catholique français et qui aura de la peine à exister d’une manière générale sur l’ensemble du territoire français, même sous forme d’un parti démocrate chrétien. L’orientation du parti catholique alsacien est donc notre problème politique le plus délicat et le plus redoutable, car les risques de retour à l’autonomisme sur la base d’une législation scolaire demeurent sérieux. Nos représentants doivent suivre ce parti avec beaucoup d’attention mais doivent éviter d’apparaître en faire l’axe de leur politique. À cet égard je ne suis pas sûr que le Commissaire de la République n’ait pas déjà commis certaines erreurs qui auront des conséquences20.

19 C’était reconnaître l’importance du problème de l’autonomie de fait de la vie politique alsacienne et lorraine (intimement liée aussi à la langue de communication politique et démocratique). Il y a sans doute plus que des nuances entre le ministre et le président du gouvernement. Pourtant le rattachement du « parti catholique » à un parti national constitue une préoccupation commune. Dans une note du 14 mars, Tixier demandera à Courcel de transmettre au cabinet du général de Gaulle une copie intégrale du rapport de Blondel du 10 mars 1945 sur la constitution du PRP, mais ne peut s’empêcher d’ajouter : en passant, je vous signale que je ne comprends pas très bien comment un parti unique alsacien constitué uniquement sur la base confessionnelle pourra coopérer, organiquement, avec de multiples partis français qui ne sont pas eux-mêmes constitués sur une base confessionnelle21.

La libération du Haut-Rhin et les cadres de la vie politique

Le préfet de Colmar

20 Dès le 27 novembre, le préfet Fonlupt rejoint Montbéliard et Mulhouse. Il a un premier accrochage fort sérieux avec les FFI d’Alsace et le CDL de Mulhouse (Commandant Daniel – Paul Winter –, capitaine Justin – Joseph Wasmer) qui refusent de reconnaitre son autorité. Comme à Strasbourg, l’autorité militaire (de Lattre) impose la prééminence des autorités civiles (sans toujours les respecter d’ailleurs). Pendant les mois qui suivent, une partie du Haut-Rhin est encore occupé ou est zone de guerre, et il faut compter sur l’Équipe spéciale d’Alsace pour étendre les cadres de l’administration au territoire. Aux épreuves de la guerre, et aux difficultés de la vie matérielle, s’ajoutent les querelles de l’épuration et l’espoir dans le retour des incorporés dont on est sans nouvelles.

21 Avec la remise en marche de l’administration civile, le préfet doit assurer la reconstruction des cadres de la vie politique.

Les cadres de la vie politique - la presse

22 La presse haut-rhinoise avait disparu pendant la guerre. Deux titres nazis seulement avaient desservi Mulhouse (Mulhauser Tagblatt) et Colmar (Kolmarer Kurier). Le quotidien L’Alsace avait été préparé dès avril 1944 par une équipe FFI astucieuse et prévoyante qui avait organisé la reprise de la vie publique dès le départ des Allemands. Se saisissant de l’imprimerie du Mulhauser Tagblatt, lui-même installé dans les murs et s’imprimant avec les machines de La France de l’Est d’avant la guerre, L’Alsace avait paru dès le

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23 novembre et s’intitulait « Organe officiel des FFIA ». Il avait été autorisé par le commandement militaire. Fonlupt le trouva à son arrivée, il l’autorisa derechef. Fonlupt aura toujours des relations amicales avec le patron de L’Alsace, René Waechter. Il autorise également la parution du Républicain dirigé par le socialiste Jean Wagner, qui ayant été sabordé en 1940 avait le droit de reparaître, ce qu’il fait à partir du 28 novembre 1944.

23 La presse catholique avait été entièrement dominée par Rossé et son groupe d’édition Alsatia. Dans les premiers jours, Fonlupt refuse la publication d’un journal catholique, demandée (à Paris déjà) par le fondé de pouvoir français de la société Alsatia, Mappus, puis à Mulhouse par le sénateur Brom22, enfin par « un groupe d’ecclésiastiques de Mulhouse vis-à-vis desquels une certaine réserve me paraissait justifiée » ; il aurait « repris la tradition cléricale de l’ancien Mulhauser Volksblatt » (organe de la société Alsatia, dont Rossé était avant 1939, le Directeur général, et dont il était devenu, pendant la guerre, le président du Conseil d’Administration).

24 C’est qu’avant la libération de Colmar, on ne sait pas où est Rossé ni quelle est la situation juridique de la société Alsatia. Et surtout, les commanditaires « n’étaient pas en mesure de proposer un rédacteur responsable donnant toutes garanties, notamment sur le plan national »23. Dès la libération de Colmar, on réclame de Fonlupt, la reparution des Dernières Nouvelles de Colmar du groupe Quillet, rédigée avant la guerre par Felsenstein, (alors capitaine Favereau de l’Équipe Spéciale d’Alsace). Ce dernier demandait à reprendre son ancien journal. Les Dernières Nouvelles de Strasbourg ayant été autorisées, Fonlupt s’inclina donc. Mais du coup, il doit réexaminer la demande des personnalités catholiques et de l’Alsatia-Mappus de faire paraître un quotidien catholique. À ce moment-là Rossé est en prison, mais il peut encore agiter l’opinion. Quant au sort de l’Alsatia, dont le conseil d’administration est encore composé de nombre de personnalités autonomistes d’avant-guerre il n’était pas encore décidé, et les recompositions de son actionnariat non encore accomplies, Fonlupt autorise donc le 15 février 1945 la parution des Dernières Nouvelles de Colmar et du Nouveau Rhin Français. Ils ne paraîtront que le 24 février, faute d’électricité24. L’autorisation a été donnée à titre personnel au rédacteur, Marcel Jacob « sur le nom duquel s’étaient accordés les représentants des diverses tendances catholiques25 », par une lettre où Fonlupt assure : J’ai la ferme conviction que vous entreprendrez votre nouvelle activité dans un esprit de dévouement total aux intérêts inséparables de la France et de l’Alsace, et que vous favoriserez de tout votre pouvoir, l’œuvre si nécessaire de la reconstituions nationale26.

25 Marcel Jacob avait été avant la guerre le rédacteur du journal UPR Mulhauser Tagblatt, et pendant la guerre salarié du groupe Alsatia de Rossé, au poste moins exposé il est vrai de responsable des fournitures scolaires. Ce brillant journaliste s’illustrera par ses positions indépendantes. Mais il aura toujours de bons rapports avec Fonlupt- Espéraber.

26 Restait le quotidien de Mulhouse, où « la population catholique » supportait avec impatience de ne pas avoir de quotidien. Il fallait résoudre, relate Fonlupt : La difficulté de trouver un rédacteur à la fois compétent, absolument sûr au point de vue national, et qui ne reprendrait pas le ton de l’ancienne politique d’avant guerre, mais s’inspirerait dans la mesure du possible de la mentalité plus apaisée de certains catholiques d’outre-Vosges27.

27 Meck avait tenté de faire désigner un ecclésiastique de Mulhouse. Pour Fonlupt, cela n’était pas acceptable : « le journal se serait trouvé « sous l’influence et peut-être même

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sous la dépendance directe de l’Évêque de Strasbourg, dont l’action ne paraît pas précisément s’orienter vers l’apaisement des querelles anciennes »28.

28 Après avoir conféré avec Blondel et avec son directeur de cabinet, Alfred Coste-Floret, Fonlupt accepte la candidature d’Antoine Fischer29, qui prend la direction de la Tribune de Mulhouse. Né et élevé en Alsace, frère de l’archiprêtre de la cathédrale, Antoine Fischer a achevé ses études universitaires de l’autre coté des Vosges. Il en rapporté une formation et une mentalité qui sans le rendre étranger aux aspirations locales et aux doctrines reçues dans les milieux catholiques alsaciens, l’amènent à envisager plus nettement les questions sous l’aspect national et l’apparente aux catholiques d’esprit libéral d’outre Vosges30.

29 La Tribune paraît début mars. Le Directeur régional de l’Information, Billmann, un ancien du Service d’Alsace et de Lorraine d’Alger, n’avait été informé qu’après coup de « ces autorisations, données par le préfet pour assurer dans les milieux catholiques du Haut-Rhin un organe indépendant du PRP ». Billmann avait protesté devant le choix de Jacob31.

30 En avril 1945, cette presse tirait sur deux pages. Elle ne passera à 4 pages que pendant les campagnes électorales nationales de l’automne 1945 puis à partir de 1947.

Tirages de la presse quotidienne haut-rhinoise – Reconstitution

Alsace allmd Alsace Franç DN Colmar NRF Tribune de Mulhouse Republicain*

01/07/45 75000 30 000 30000 15000 25000

01/10/45 24500

01/01/46 63250 25650 21299 19600

01/01/47 63400 25200 25000 28500 15000 15600

01/01/48 59550 26700 28000 16660

01/01/49 59200 26400 14500

AHR. 784 W 2 et Lorentz Philippe, La presse alsacienne, Strasbourg 1997.

Les cadres de la vie politique : les partis

Dans le Bas-Rhin : des « sortants » réinvestis

31 La vie politique ultérieure des deux départements sera bien différente. Dans le Bas- Rhin, la majorité des parlementaires qui avaient voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain le 10 juillet 1940 et étaient revenus en Alsace avaient été expulsés par les Allemands. Certains avaient accepté des fonctions du régime de Vichy. La plupart d’entre eux avait protesté contre l’incorporation de force en 1942 en signant des protestations, largement confidentielles, mais qui vaudront présomption de résistance. Souvent maires de leurs communes, ils étaient revenus dans leurs mairies, avec l’accord tacite ou explicite des autorités.

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32 Une bonne partie d’entre eux sera relevée de leur indignité nationale par le préfet Haelling (et le ministre de l’Intérieur Tixier)32 : Meck et Walter le 2 décembre, de Leusse le 14 décembre, Dahlet, Elsässer, Oberkirch et Seltz le 11 janvier. Le Conseil départemental de la Libération refuse de se prononcer sur la validité du relèvement en juin 1945 et laissera ce soin au jury d’honneur, qui ne revient pas sur ces arrêtés.

Dans le Haut-Rhin : des élus disqualifiés

33 Rien de tel dans le Haut-Rhin, au contraire. La vie politique de l’avant-guerre avait été dominé par l’UPR et la puissante personnalité de Joseph Rossé ainsi que de son adjoint Marcel Stürmel, tous deux inculpés pour intelligence avec l’ennemi en 1939, incarcérés puis libérés par les Allemands en 1940. Ils avaient participé aux campagnes de la « Grosse Wende » de 1940, qui célébraient le « retour de l’Alsace dans le Reich ». Rossé s’était livré aux autorités au début de février et avait été incarcéré, à Colmar, puis à Pithiviers et à Nancy. Le gouvernement qui souhaite éviter « qu’un procès trop hâtif n’entraîne une condamnation trop faible33 » hésite sur la procédure à suivre et s’interroge sur ses retombées politiques, alors que Rossé et ses amis agitent l’opinion par une interview dans France-Soir le 11 février, qui provoque la mort politique du sénateur Brogly qui s’était fait son avocat34. Le député de Guebwiller, Gullung était resté en Alsace et avait été nommé Bürgermeister d’Ensisheim de 1940 à 1942 35. Les autres députés du Haut-Rhin avaient été expulsés et s’étaient réfugiés en France de l’Intérieur : les deux députés Alliance démocratique Jourdain et Fega, à Paris et Vichy, l’UPR Hartmann à Barbazan (Hautes-Pyrénées), l’indépendant Burrus à Vaison-la- Romaine. Quant à Émile Fuchs (UPR) il était rentré en Alsace en 1940, mais avait été arrêté, déporté et assigné à résidence, en Pays de Bade en 1943.

34 Fonlupt n’envisage nullement d’imiter Haelling, dont il estime les arrêtés illégaux36. Pour lui, il convient de rejeter les élus qui ont favorisé les entreprises de l’ennemi. Cela vaut aussi pour les conseillers généraux : Sur les 24 conseillers généraux du Haut-Rhin, un le Sénateur Brom est décédé (le 14 janvier 1945). Trois, les députés Burrus, Gullung et Fega, ont voté les pleins pouvoirs. Un seul, M. Fega me semble susceptible d’être relevé de son indignité. Enfin 8 à 9 conseillers généraux devront sans doute être révoqués pour avoir favorisé les entreprises de l’ennemi. C’est donc la moitié des membres de l’Assemblée départementale qu’il faudra remplacer37.

35 Il ne s’agit pas seulement d’épuration ; Fonlupt prépare l’avenir. Car il ajoute, à l’intention des sous-préfets qui doivent lui soumettre leurs propositions de personnalités : « bien qu’étant de la même origine politique, il importe qu’ils soient nettement attachés à la France et susceptibles de s’agréger à un groupe politique d’outre-Vosges38 ».

36 Voilà qui constitue le principe directeur de l’activité du préfet et qui constituera aussi celui du futur président du MRP haut-rhinois.

37 Mais il faut attendre que Colmar soit libérée au début de février pour que l’administration départementale s’étende à tout le département.

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Le PRP un parti régional ? Paris et le MRP

PRP et MRP

Le PRP dans le Bas-Rhin : une restauration ?

38 Avec la libération de Colmar et le retour de ses personnalités dirigeantes, Mappus de Paris, Hincky d’Alger, les réseaux catholiques se reconstituent. Mgr Hincky, Xavier Mappus, le fondé de pouvoir des Editions Alsatia et le secrétaire de la CFTC Léon Adolf, de Colmar, participent à la réunion du 28 février 1945, tenue à Strasbourg, dans les locaux du Nouvel Alsacien, avec les parlementaires sortants et conseillers généraux bas- rhinois UPR et APNA, les sénateurs Sigrist (UPR) et de Leusse (APNA), les députés UPR Meck, Walter, Seltz, et APNA Oberkirch, et des dirigeants de l’UPR ou de la CFTC. Il est décidé de créer un Parti Républicain Populaire (PRP). Un comité provisoire se constitue et des commissions chargés de la rédaction d’un programme (qui sera dû en fait à Michel Walter). Il est également décidé d’adhérer à un parti national, mais on laissera aux adhérents le soin de décider39. En attendant, le PRP exigera des futurs candidats une adhésion à un parti politique français (de leur choix). On ne saurait mieux exprimer son refus de choisir et ses réserves à l’égard du nouveau MRP.

Le PRP à Colmar : les promesses de Joffre

39 Le 8 mars, Mgr Hincky, Adolf et Mappus créent au Luxhof de Colmar la section haut- rhinoise du PRP. Parmi les présents : Hartmann, député de Thann (non encore réhabilité), le rédacteur en chef du Nouveau Rhin Français, Marcel Jacob, les curés Kuentz (Guebwiller), Guth (Soultz-HR), Neth (Dornach), Feuerstoss vicaire à Colmar. La motion finale réaffirme la volonté du PRP de s’affilier à un « grand mouvement national ». L’on insiste sur la nécessité du démembrement du « Reich allemand crée par Bismarck »40 et sur le « respect du statut religieux et scolaire qui nous est garanti par la parole de la France »41.

40 Le 9 mars, Léon Adolf fait part de la création du PRP haut-rhinois au préfet Fonlupt- Esperaber. Mais dès le 21, le comité était remanié et l’ancien sénateur Pfleger y faisait son entrée. En attendant le clergé se mobilise. À Guebwiller, on signale que les curés vont de maison en maison voir les anciens membres de l’UPR pour la constitution d’un parti de droite « sous un autre nom ». Et le 21 mars, le préfet a été prévenu que le comité haut-rhinois avait décidé pour le 13 avril une réunion des deux comités départementaux pour créer en Alsace un parti unique de tous les démocrates-chrétiens, car leur fractionnement assurerait la victoire des socialistes42.

La mission MRP en Alsace

41 La nouvelle de la constitution du PRP alsacien provoque au mois de mars une réaction au cabinet du général de Gaulle

42 Est-ce à Geoffroy de Courcel qu’il faut attribuer l’initiative de la mission MRP de Bichet et Colin ou plus simplement à René Brouillet43 ? À la même époque, au cabinet du général de Gaulle, écrit Robert Bichet, on s’inquiète d’une éventuelle reconstitution de l’UPR… que l’on souhaite éviter… Aussi André Colin et moi, recevons nous chacun du cabinet du général de Gaulle un ordre de mission barré de tricolore et signé de René Brouillet, directeur adjoint du

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Cabinet. « Le président du gouvernement provisoire de la République ordonne à M. Bichet Robert de se rendre en mission à Strasbourg, Colmar, Mulhouse »44.

43 Mais Bichet et Colin ont sans doute omis la démarche des jeunes MRP haut-rhinois. Car Tessier a fait des démarches auprès de Meck, tout en protestant de ses réticences à se mêler de politique alsacienne. Je dois vous dire que j’ai rencontré il y a quelques jours trois personnalités du Haut- Rhin : Me Moser avocat, MM. les abbés Bockel et Kammerer. Leur opinion est qu’il convient d’introduire immédiatement en Alsace le Mouvement républicain populaire. Cette solution leur parait nécessaire pour le Haut-Rhin. Ils m’ont demandé d’intervenir auprès de vous pour vous inciter à envisager la situation sous le memo aspect pour ce qui concerne le Bas-Rhin45.

44 À Mulhouse, l’on procède à la fondation d’une section du MRP et des « Amis de l’aube »46, une association d’avant guerre relancée à toutes fins utiles, et dont l’avocat Me Moser prend la direction pour quelques jours47. À Strasbourg, Bichet et Colin rencontrent le petit groupe de fondateurs d’un MRP strasbourgeois (l’avocat Paul Schmitt, l’industriel Kuhlmann, peut‑être le Frère Médard48. À Molsheim, ils rencontrent Henri Meck mais leurs « arguments n’entament pas sa décision de créer un parti local ». Et ils « rentrent à Paris, un peu déçus », en concluant : « il faudra du temps, l’appui des jeunes et de nos amis de Mulhouse, l’action de Jacques Fonlupt pour implanter le MRP »49.

45 Pourtant, dès le Conseil national du 8 avril 1945, les représentants d’une Fédération régionale du MRP participent aux travaux et Bichet peut les faire applaudir50.

46 Nouvelle initiative, au courant du mois de mars, de Pierre‑Henri Teitgen, secrétaire d’État à l’information et Geoffroy de Courcel avec une tournée en Alsace. Teitgen fait halte à Colmar51. Teitgen présente à Mgr Ruch un projet de décret particulier aux trois départements de l’Est qui institue l’enseignement religieux par les ministres du culte dans un enseignement public – aux écoles devenues nécessairement interconfessionnelles sinon neutres52 –. Mgr Ruch estime que ce projet ne serait acceptable qu’à condition que la réforme Capitant soit étendue à la France entière. Mgr Hincky est très réservé. En fait, le vote du budget de l’Éducation nationale par l’Assemblée consultative le 28 mars, où sont supprimées les subventions versées à l’École libre par Vichy, souligne la fragilité de la proposition et renforce la position des jusqu’au-boutistes alsaciens53. La visite de René Capitant à Colmar le 24 avril n’apporte pas de nouveau54.

La situation politique alsacienne à la fin de la guerre

47 Geoffroy de Courcel, à la veille de quitter ses fonctions, fait alors le point sur l’évolution politique : Les anciens partis catholiques UPR et APNA se sont récemment fusionnés sous le nom de PRP. Dans l’ensemble l’apparition de cette nouvelle formation n’est pas favorablement commentée dans l’opinion, qui est désireuse dans sa grande majorité de ne pas voir renaître l’ancienne politique. Les autres partis lui reprochent vivement de se constituer sur une base régionale et de se réclamer ouvertement de l’ancienne UPR. Beaucoup de catholiques lui adressent le même reproche et critiquent les anciens dirigeants des partis catholiques d’avoir pris l’initiative de ce groupement. L’initiative principale est attribuée à M. Henri Meck, et a peut-être été encouragée par l’évêché, désireux de regrouper les catholiques. De nombreux

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éléments et notamment des jeunes sont décidés à s’affilier directement au MRP en restant en dehors du PRP.

48 Pour lui, le PRP pose des conditions inacceptables pour son adhésion au MRP et il faut douter de sa sincérité. Dans le département du Haut-Rhin, l’ancienne UPR est très discréditée par suite de l’action de ses anciens dirigeants, Rossé et Sturmel. Le PRP a tenu ses premières réunions autour de personnalités ayant appartenu autrefois à l’APNA, comme MM. Pfleger et Mgr Hincky, qui ne sont pas restés sur place pendant l’occupation et n’ont pas rencontré jusqu’à présent un grand succès dans leur action. Mgr Hincky m’a bien affirmé son désir que le PRP s’affilie en bloc au MRP, mais en y posant des conditions et en demandant que le MRP précise au préalable sa constitution et son programme notamment en matière scolaire et religieuse. En résumé, le PRP joue actuellement un rôle assez important dans le Bas-Rhin, sous l’influence de M. Meck, et sous la forme d’une coalition essentiellement électorale. Il ne parait jouer encore aucun rôle dans le HR.

49 Et Courcel d’insister sur le danger tout à fait actuel que présentent encore Rossé et ses partisans de l’ancienne UPR55.

Fonlupt : se placer sur le terrain politique

50 Le report de toute décision sur l’adhésion du PRP à un parti politique national suscite la méfiance de Fonlupt. Il aborde la question dans son rapport d’avril sur la situation dans le département au cours du mois de mars : Ma connaissance des hommes et des choses de l’Alsace m’amène à penser que puisque la création du nouveau parti s’est faite sans entente préalable avec les groupements politiques d’outre-Vosges et en cherchant comme par le passé à réunir les électeurs catholiques sur le seul terrain où il était possible de les faire se rencontrer, c’est‑à‑dire sur le terrain religieux, et non sur le terrain politique, la fusion du PRP avec un parti ou un mouvement politique d’outre Vosges ne se fera pas. Il n’en pourrait être autrement que si le PRP se transformait, ou plus exactement se fractionnait, sous certaines influences extérieures ; à ce moment, la plus grande partie de ses membres, socialement orientés à gauche, rejoindrait sans doute le MRP, tandis que la majorité plus conservatrice, plus cléricale et d’un républicanisme fort tiède, adhérerait à un groupe de droite et vraisemblablement à la Fédération républicaine56.

51 Mais en mai, c’est au tour de Maurice Schumann de se rendre à Strasbourg pour examiner la question de l’affiliation à un parti national et au MRP. Le compte-rendu qui filtre des entretiens fait état d’une évolution de « Meck, qui jusqu’à présent repoussait cette solution » et qui « se serait laissé convaincre par le capitaine Schumann ». L’obstacle principal, soit la question « de l’introduction de la législation française et le maintien du Concordat en Alsace », serait écarté. Dans ces conditions la réunion commune des deux comités aurait lieu sans tarder, assure-t-on57. Elle aura lieu en juin.

52 En attendant, le MRP national enregistre les adhésions des jeunes MRP qui se regroupent en sections MRP ou d’Amis de l’aube, et les reçoit dans ses comités58.

La section MRP de Mulhouse

53 Le petit groupe MRP de Mulhouse fait part de sa fondation dans le Tribune le 17 avril 1945.

54 Le MRP mulhousien demandait :

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l’intégration complète de l’Alsace dans la patrie française par une unification législative, progressive et éclairée, précédée dès à présent d’un alignement politique tel qu’il ne doit plus exister en Alsace de partis s’inspirant de formules étrangères aux conceptions françaises et de ce fait dangereuses pour l’unité nationale.

55 C’était s’en prendre au nouveau “Centrum” qu’ils accusaient Hincky et Meck de vouloir reconstituer : un parti sur une base confessionnelle.

56 Au courant de mai, est rendu public un appel commun aux amis et à la population de Mulhouse invitant à adhérer au MRP émanant des « représentants du comité local de Mulhouse du MRP et d’une délégation des anciens partis modérés et démocrates », (membres de l’organisation résistante la Ligue nationale d’Alsace pour la plupart)59 : Après avoir étudié minutieusement le programme social et politique du MRP et dans le but de collaborer efficacement à la reconstruction morale, matérielle et sociale de notre patrie, […] et dans le but d’éliminer la multiplicité des partis politiques […] qui ont entraîné l’instabilité gouvernementale.

57 Au courant de juin, cette section s’est doté d’un bureau, avec pour président le Dr Geschwind (ancien de l’Alliance démocratique), et deux vice-présidents, l’ancien député Edouard Fuchs60 et Joseph Wasmer (secrétaire général du CDL) et pour secrétaire Fahrer et trésorier Balestreri61.

58 Fonlupt commente dans son dernier rapport du 5 mai 1945 : Le seul évènement notable est la constitution à Mulhouse d’une section du MRP. Cette création doit orienter nettement la politique alsacienne sur le plan national, de faire table rase de toute tendance autonomiste et de faire bloc contre la gauche62.

MRP ou PRP, la section de Colmar?

59 On signale aussi la création en juin d’une section locale MRP à Colmar, mais elle doit être identique à la section PRP déjà constituée, à ceci près qu’elle accueille elle aussi « des hommes nouveaux », témoin la constitution de son bureau, avec pour présidents Xavier Weber et vice‑président Joseph Rey, et les assesseurs, où l’on retrouve les fondateurs du PRP : Metzger Adolphe, vétérinaire, Hincky, Laurent Charles, Jacob Marcel, Denni Armand, Feuerstein Albert, Engelberger Guy, Abbé Feuerstoss, Adolf Léon63.

Le départ des commissaires et préfets de la Libération

60 Les premiers administrateurs de l’Alsace sont remplacés progressivement dès le mois de mai. Gaston Haelling avait réclamé son départ depuis le mois de décembre 1944 : il part le premier au début de mai. Puis, c’est Blondel qui est remplacé. Le départ de Fonlupt est prévu aussi.

61 Blondel a encore le temps de rédiger la notice du préfet du Haut-Rhin. Elle est somme toute fort amicale. M. Fonlupt possède les plus grandes qualités de cœur et d’intelligence. Il connaît admirablement les choses de l’Alsace et a une vaste culture juridique. Mais il supporte difficilement d’être subordonné et a le goût du pouvoir personnel, ce qui ne lui facilite pas ses tâches propres, ni celles de ses supérieurs64.

62 Les propos de Tixier sont chaleureux Au moment où M. Paira est appelé à vous succéder, je tiens à vous adresser, au nom du général de Gaulle et des membres du gouvernement, mes remerciements les plus

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vifs pour le magnifique travail que vous savez accompli dans ce département, au cours d’une période particulièrement difficile. Les populations de Colmar, de Mulhouse et de toute la Haute‑Alsace n’oublieront pas celui qui le premier leur a apporté à la libération le salut de la France, elles n’oublieront pas non plus l’administrateur qui dans les mois qui ont suivi a mis inlassablement à leur service le prestige de sa haute intelligence et sa passion du bien public65.

63 Courcel avait suggéré de les remplacer par des administrateurs moins engagés. À Strasbourg Blondel est remplacé par Bollaert et Haelling par Cornut-Gentille. À Colmar, Fonlupt est remplacé par René Paira, à peine revenu de captivité. Nommé par décret du 4 juin, Paira prend ses fonctions le 13 juin 1945. Fonlupt est déjà parti le 11 au soir66. Il regagne sa maison familiale de Sauveterre-de-Béarn, mais est de retour en Alsace et à Strasbourg, dès le mois de juillet, où il rencontre Me Henri Teitgen, membre de l’ACP, en visite en Alsace67.

Le programme du futur candidat

64 Fonlupt a fait paraître « Alsace et Lorraine, hier, aujourd’hui et demain », au début de juin 194568. Publié chez Bloud et Gay, la maison d’édition résistante de son ami Francisque Gay, où s’étaient tenues tant de réunions du Comité général d’études, l’ouvrage était préfacé par Alexandre Parodi, président du CGE et ancien délégué du général de Gaulle en France, à présent ministre du Travail. Il prépare le régime nouveau de la Sécurité sociale qui intéresse l’Alsace au premier chef, et sera un exemple éclatant « d’unification ».

65 Après avoir été un rapport du CGE pour le retour en Alsace, voilà que Fonlupt- Esperaber en faisait le programme de la candidature à la candidature pour la campagne électorale à venir. Avec un livre en français, ce qui en limite l’audience, qui sera assurée que par les compte-rendus brefs assurés par les quotidiens MRP du Haut-Rhin.

66 Nous en avons mis en relief les thèses politiques exprimées dès 1943. Mais sont importantes aussi pour ses lecteurs les analyses historiques, en particulier celles qui soulignent les différences de mentalités entre Alsaciens et « Français de l’Intérieur ». Voilà qui fera encore l’objet d’un certain nombre d’essais d’Alsaciens réfugiés (et revenus) à paraître encore dans les mois qui vont suivre, comme le « Situation de l’Alsace » d’Emile Baas publié 6 mois plus tard, à Noël 1945.

67 Fonlupt a décrit l’évolution intervenue depuis 1870 : « l’Alsace a cessé d’être une province pour devenir une patrie » (p. 130) et les Alsaciens ont vu dans « l’Église [catholique] ce qu’elle comporte d’organisation matérielle » […] « tendance devenue étrangère à la plupart des autres Français catholiques (p. 166) qui acceptent la neutralité scolaire de l’école laïque ». Mais « l’Alsace et la Lorraine » attendent de nous que soient respectées « leurs traditions, leurs moeurs et leurs croyances dont elles estiment inséparables le statut des cultes et le statut de l’école […] Cette volonté s’explique par une vue peut- être courte et simpliste des intérêts spirituels ». (p. 181).

68 Avec ces critiques de la confusion entre spirituel et temporel, conceptions acquises dans son passé silloniste, et pour avoir admis que le statut particulier de l’Alsace était appelé, comme le reste, à évoluer et qu’il ne devait être conservé provisoirement que pour des raisons d’opportunité politique, Fonlupt pouvait difficilement passer pour l’un des leurs par les hommes de la « Christliche Volkspartei » de Strasbourg ou de Colmar.

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69 Après un compte-rendu de l’ouvrage de Fonlupt le 4 juin, Le Nouveau Rhin Français publie le 7 juin une recension très favorable due à Louis Marin (Fédération Républicaine) de celui d’Alfred Oberkirch « le problème politique allemand » où est réclamé le démembrement de l’Allemagne69. Décidément, le PRP ne veut pas aller au MRP trop briandiste de Bidault.

Été 1945 : Le PRP d’Alsace adhère au MRP

70 Le 15 juin, à Strasbourg le comité provisoire du PRP réunit une quarantaine de personnes (les députés Oberkirch, Walter et Meck, ainsi que le syndicaliste cheminot Schmitt (CFTC) membre du CDL du Bas-Rhin, mais aussi Mgr Hincky et les curés Fischer et Speich, et décide d’entrer en rapport avec le Comité directeur du MRP national, pour discuter avec les dirigeants de ce mouvement d’une affiliation. La délégation devrait compter Meck, Hincky et l’avocat Paul Schmitt, animateur du noyau MRP de Strasbourg. Il se réjouit de la décision du comité, mais exige l’exclusion de Walter, qualifié de moralement et politiquement discrédité »70. C’est aussi la position de Hincky et en général des anciens de l’APNA71. Elle provoque du côté des anciens de l’UPR un réflexe de solidarité, sans doute tout aussi âpre72. Il suffit de voir combien de personnalités catholiques ont bravé l’opprobre et l’impopularité pour témoigner au procès Rossé, deux plus tard, pour comprendre à la fois et les capacités de mobilisation des anciens chefs de l’UPR dans la population alsacienne et les craintes qu’éprouvent alors gouvernement et autorités locales.

71 Walter sera cependant l’homme du meeting du 24 juin à l’Aubette, où il expose le programme du PRP. Il y récuse les nationalisations, défend la liberté de l’enseignement, refuse la rupture unilatérale du Concordat, demande que l’évolution du statut scolaire local se fasse dans le cadre d’une réforme globale de l’enseignement en France, qui devrait autoriser l’enseignement religieux pour les enfants des parents qui en exprimerait le désir. En ce qui concerne « l’assimilation », il a cette formule : Sur le plan de notre politique régionale et d’une façon générale, la réalisation d’une unification de la législation sur tout le territoire national ne doit et ne peut se faire que par une assimilation réciproque, et non pas par une assimilation unilatérale.

72 C’est ce programme que Gaston Tessier va accepter pour base de discussion à la fin du mois de juillet.

La mission de Gaston Tessier

73 Les négociations entre Paris et l’Alsace sont préparées à Paris par des préliminaires conduits par Meck et Schmitt avec Colin au début de juillet et des entretiens avec Kuhlmann responsable strasbourgeois du MRP. Mais les négociations proprement dites ont lieu à Strasbourg à la fin de juillet. C’est Gaston Tessier qui va les mener pour la direction nationale. Un point difficile est réglé le 24 juillet au soir chez Fonlupt73 : le MRP renonce à demander l’éviction de Michel Walter. Le 26 juillet, au Foyer d’Alsace, place du Temple Neuf, a lieu la rencontre décisive entre Tessier, des délégués PRP (Walter, Schmitt Albert, Schmitt Paul, Meck, Pfleger et Hincky) et ceux du MRP strasbourgeois (Kuhlmann et Jecko) et mulhousien et colmarien. Tessier s’y montre fort habile. Il évacue la querelle allemande, qui divise le PRP en assurant que la position de Bidault sur l’unité allemande est tout à fait personnelle et n’engage nullement le MRP.

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Puis il rappelle que la législation applicable en Alsace et en Lorraine est celle en vigueur au 15 juin 1939, et admet la formule de « l’assimilation dans les deux sens », l’Alsace adoptant la législation française et la France reprenant les aspects positifs de la législation locale. Enfin, l’on se met d’accord pour faire « inscrire toutes ces questions comme toutes celles qui intéressent notre région dans un additif au programme du MRP national74 ». Malgré les objections de Meck et Walter qui auraient souhaité conserver l’appellation « PRP affilié au MRP », l’on décide de s’appeler Fédération régionale du MRP.

L’Alsace chrétienne et le front uni de la démocratie chrétienne de toute la France : l’adhésion au MRP75

74 Le soir du 26 juillet, Tessier a une rencontre avec les syndicalistes de la CFTC. Et le lendemain 27 juillet 1945, le résultat des entretiens est soumis au Comité directeur provisoire du PRP ainsi qu’aux représentants des sections du MRP. L’adhésion est votée à l’unanimité, après quelques observations d’Oberkirch et de Leusse qui auraient souhaité que soit maintenue comme avant-guerre la possibilité de la double appartenance pour l’Alsace. La Fédération régionale se dote d’un nouveau comité provisoire, présidé par Pfleger, où l’on retrouve tous les anciens députés et conseillers généraux76.

L’Alsace au Congrès national du MRP

75 Le Congrès national du MRP se tient à Paris les samedi et dimanche 25 et 26 août 1945. L’Alsace est représentée par Pfleger et Fahrer de Mulhouse. Le 25 août, au cours de la séance de nuit, Maurice Schumann annonce l’adhésion du PRP au MRP, saluée par des applaudissements. Le 26, le Congrès vote une motion pour « hâter le retour des prisonniers de guerre alsaciens-lorrains » incorporés de force. Mais c’est le conseil directeur du 28 août qui ratifie l’accord passé avec le PRP alsacien. En un texte fort sobre. Ceux qui avaient cru que l’on pourrait encore négocier les termes de l’accord de Strasbourg du 27 juillet en sont pour leurs frais. Accord passé avec le Comité directeur du MRP et les fédérations concernées I. Les Fédérations MRP du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle se déclarent entièrement d’accord avec le programme national du MRP tel qu’il a été adopté par le Conseil national les 25 et 26 août. II. Le comité directeur du MRP reconnait la nécessité de maintenir en vigueur, dans les départements, du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la législation républicaine en vigueur en 1939, jusqu’au moment où pourra se réaliser l’unification totale dans le respect de la liberté77.

76 Le texte de cet accord ne sera pas popularisé par la presse MRP ou proche du MRP. La Tribune de Mulhouse consacre deux articles au congrès du MRP les 28 et 29 août, mais se contente de reproduire le communiqué national du Congrès, tout comme Le Nouvel Alsacien. Le petit compte-rendu des délégués se déclare enchanté et se promet de « diffuser largement les principes du MRP dans nos villages des Vosges, du Sundgau et des bords du Rhin », mais se gardent de diffuser le message principal, tant il est ambigu.

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La première campagne électorale de l’après‑guerre‑des hommes neufs pour le MRP du Haut-Rhin

77 Au début d’août, Le Républicain du Haut-Rhin avait déjà souligné le contraste entre les orientations du MRP alsacien telles qu’elles ressortaient des conclusions du Comité directeur du 27 juillet et celles affichées par le MRP mulhousien et conclu que le MRP était décidemment une reconstitution de l’UPR ancien, celui de Rossé et Stürmel78. Ce sera le thème principal des attaques des partis de gauche, qui n’ignoraient pas que le MRP risquait bien, de redevenir le premier parti du Haut-Rhin et d’Alsace. D’autant plus que le vote des femmes était considéré comme leur étant acquis.

78 Au début d’août, la Fédération Régionale MRP a laissé la place à deux Fédérations départementales. Pfleger assume la présidence de la Fédération du Haut-Rhin. Des initiatives locales se prennent. À Saint-Louis, les anciens députés et permanents de l’UPR, Fuchs et Fahrer fondent une section MRP avec l’ancien maire UPR de Saint-Louis Hurst. Ils font l’éloge de Schumann, Bidault et… Gaston Tessier79.

79 La section MRP de Mulhouse organise sa première réunion publique le 9 août avec la participation de l’ancien député (non encore réhabilité) Joseph Fega (Alliance démocratique). Geschwind insiste sur l’unification de la législation française, avec le maintien des dispositions favorables en matière sociale, l’introduction de la laïcité à la suite d’un nouveau accord avec le Saint-Siège, la laïcité à l’école mais avec régime de l’aumônerie (possibilité de l’enseignement religieux dans l’école par les ministres du culte, pour les parents qui le souhaitent). Mais Edouard Fuchs, ancien député UPR, estime qu’il faut attendre la position de l’évêque, qui ne s’est pas encore prononcé80.

Le premier congrès départemental du MRP haut-rhinois

80 Le congrès départemental du MRP haut-rhinois se tient le 20 août 1945 à Mulhouse et réunit une centaine de délégués81. On y adopte les statuts de la Fédération départementale. Ils prévoient des sections cantonales, que doivent constituer les délégués cantonaux nommés par le congrès, et qui sont également les candidats aux premières élections cantonales.

L’héritage de la droite nationale ou la rénovation démocratique

81 Les premiers candidatures à l’Assemblée nationale se font connaître. Parmi eux, Pfleger, Hincky, Fuchs, Fega et… Fonlupt, ancien préfet que tout le monde pense inéligible, mais aussi des nouveaux venus à la politique : Wasmer et Geschwind de la section de Mulhouse, Haedrich de Guebwiller, Gebel de Masevaux, Rieder de Kaysersberg, qui figurent aussi parmi les candidats aux cantonales82.

82 Dans ses rapports particuliers, Paira évoque deux stratégies opposées, défendues par Pfleger et Fonlupt. Pfleger veut établir une liste s’ouvrant vers l’ancienne Alliance démocratique, (comptant Fega). Fonlupt et Wasmer, qui situent leurs orientations dans celles du MRP national, veulent des hommes nouveaux.

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Des hommes nouveaux au Conseil général

83 La liste dressée par le congrès pour les élections cantonales des 23 et 30 septembre 1945 répond le mieux à ce critère83. Le Conseil général élu en 1945 compte 20 nouveaux sur 26 conseillers. Parmi les anciens, les socialistes le maire de Mulhouse Wicky, Charles Klein élu à Mulhouse battant le candidat MRP François Vogel, Fuchs (MRP) élu à Habsheim84. Le Conseil comprend 18 MRP85, 5 indépendants proches du MRP, 2 socialistes, 1 républicain de gauche. Parmi les nouveaux, l’ancien capitaine FFI Ehlinger qui bat le député sortant Hartmann (réhabilité) à Masevaux, imposant son retrait de la course à la députation86. Et le vice-président de la section MRP de Colmar, le résistant Joseph Rey. Au cours de la première séance le 29 octobre, le colonel Amiot maire d’Altkirch (MRP) est élu président, Haedrich (MRP) de Guebwiller 1er vice- président87.

Une campagne électorale engagée à Colmar

84 La campagne électorale de Colmar est un bon exemple de la campagne cantonale des hommes nouveaux. Le 17 septembre, Xavier Weber préside la réunion publique MRP. Marcel Jacob parle du rôle du Conseil général, et Joseph Rey explique pourquoi il s’est porté candidat contre Edouard Richard, tête de la liste commune aux municipales88. La profession de foi de Rey est particulièrement nette : C’est de l’espoir indestructible dans la résurrection de la France, malgré la défaite de 1940, qu’est née notre volonté de lutter contre l’oppresseur et […] a procédé le serment de travailler et de coopérer à l’œuvre de sa reconstruction spirituelle et matérielle […]. De notre propre faim spirituelle, de l’expérience des souffrances spirituelles de nos frères condamnés à mort, de la confiance en Dieu des croyants, du retour à Lui de camarades jusque là indifférents et de l’abandon silencieux à sa Toute-Puissante volonté qu’a procédé le serment d’œuvrer à la diffusion de la foi en Dieu, pour une France chrétienne, fille aînée de l’Église catholique, pour la diffusion sans entraves de la doctrine et de l’enseignement chrétiens dans une école libre et soutenue par l’État. C’est sur ce double serment que se fonde ma candidature au Conseil général89.

85 Neu und Treu, [Hommes nouveaux, hommes de fidélité] titre Jacob pour son éditorial de l’entre-deux tours, qui s’applique à tous les candidats MRP, mais aussi à Joseph Rey90 qui a imposé un ballotage au socialiste Richard et le bat au second tour assez largement91.

86 Les sections locales ont arrêté chacun de leur côté leur position pour les élections municipales. À Colmar, c’est une liste unique de tous les partis qui s’est imposée, menée par le maire sortant et « maire de la Libération », Edouard Richard92. À Mulhouse par contre, (comme à Strasbourg), s’affrontent une liste Union républicaine, démocratique et antifasciste (SFIO, PCF, CGT), 1 liste MRP, menée par Fuchs et Fega, suivis de 31 noms classées par ordre alphabétique, ce qui met François Vogel, Mme Wasmer-Gillet et Marie‑Louise Weber en dernier, et une liste des « intérêts municipaux ». Ces deux dernières fusionneront pour le deuxième tour, que remporte largement la liste Wicky.

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La bataille des candidatures nationales

87 Il faudra 4 séances du Comité directeur de la Fédération MRP du Haut-Rhin pour arrêter la liste des candidats à la Constituante. Pour le préfet Paira : les différences de tendance des membres du MRP initial et de l’ancien PRP ne tardèrent pas à se manifester […] autour de la question de l’unification en matière confessionnelle. Cette situation se corsa devant la difficulté où se trouvait le MRP d’assurer un siège aux anciens parlementaires encore rééligibles et aux éléments plus jeunes également désireux de poursuivre une carrière politique93.

Bataille des tendances, bataille des personnes et des villes

88 Le 7 septembre au Comité directeur de Colmar, les deux tendances se dessinent clairement et s’affrontent : Fonlupt, Wasmer et Geschwind contre Pfleger et Hincky, dont on ne sait pas très bien s’il a été autorisé ou non à se porter candidat par Mgr Ruch, décédé le 30 août94. Faisant le point le 12 septembre, Paira envisage la possibilité d’une scission dans le MRP entre les « cléricaux » (Pfleger et Hincky) et les « orthodoxes » attachés à la ligne du MRP national (Fonlupt et Wasmer)95. Ce jour-là un vote établit le rapport de forces des deux tendances. Alors que Pfleger souhaitait être tête de liste, tous les scrutins mettent Fonlupt en tête, Wasmer en 2e, Hincky en 3e et Pfleger en 4e. Outre les questions de « tendances », jouent la rivalité des villes. Il faut une liste géographiquement équilibrée par arrondissements : en premier Colmar, en second Mulhouse, en troisième Colmar, en quatrième Mulhouse. Mettre les dirigeants Fonlupt (originaire de Mulhouse, domicilié à Colmar), Pfleger (de Turckheim), Hincky (curé de Colmar) en tête, c’est humilier les Mulhousiens et cela est impossible96. Enfin, jouent les rivalités d’ancienneté : Fuchs, député sortant ne veut pas être placé après le jeune Wasmer97. Bref, on décide une nouvelle réunion du Comité pour trancher la question. Elle doit avoir lieu à Colmar, le 24 septembre.

La fraction « cléricale » et ses alliés bas-rhinois battus à Colmar (24 septembre)

89 Henri Meck, ancien président de l’UPR voisin et membre du Comité directeur du MRP du Bas-Rhin voisin, s’en mêle. Première volée de bois vert adressé à son camarade Hartmann (député sortant de Thann, ancien président de la CFTC haut-rhinoise). Ses conseils viennent un peu tard. Les résultats du Haut-Rhin me consternent. Vous vous êtes laissés tirer par le bout du nez toi et Fuchs. C’est donc la revanche de Rossé. J’aurai donc avec mes collègues du Haut-Rhin, les mêmes relations fraternelles qu’avec celui-ci. C’est encourageant ! Si vous avez encore pour deux sous de bon sens, faites d’abord désigner des délégués dans des réunions cantonales, préparées selon les statuts de notre parti (UPR de 1925) et non pas par les clans montées par les Fonlupt, Geschwind et autres Wasmer. Cette opération nous coûtera cher dans le Haut‑Rhin et tout ceci parce que toi et Fuchs vous n’avez pas suffisamment travaillé et organisé le parti comme il aurait fallu l’organiser. Ajournez votre réunion des délégués jusqu’après la réunion des cantonales, comme nous l’avons fait dans le Bas-Rhin98.

90 Il est fort imprudent quand on est bas-rhinois de vouloir se mêler des affaires du Haut‑Rhin. Meck s’en aperçoit à ses dépens. Son intervention ne change strictement rien au rapport de forces désormais fixé dans la Fédération du Haut-Rhin. Le 24 septembre, le Comité directeur réunit 49 membres, principalement des conseillers

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généraux élus au premier tour ou candidats bien placés. Le MRP est le premier parti du Haut-Rhin, ce qui rassure. Fonlupt se fait attaquer vivement sur son inéligibilité comme préfet par Meck et par Pfleger. De plus, il se serait allié aux anciens partisans de Rossé et aurait épargné la maison d’édition de Rossé, l’Alsatia. Impavide, Fonlupt maintient qu’il est éligible. Le procès de Rossé ? Tous n’en sont pas partisans parmi les anciens, il le sait. Il faut le faire, soutient-il99. Et mettre sous séquestre la maison Alsatia100. Et il dénonce la fraction « cléricale » du parti (Hincky et Meck) qui concentrent leurs attaques sur lui. Et quand on passe au vote, il est encore placé en tête d’une liste qui se présente comme suit : Fonlupt, Wasmer, Pfleger101. On convient de se revoir encore une fois pour arrêter la liste définitive. En attendant, Meck, mauvais perdant, exhale sa mauvaise humeur. Il envoie un rapport au MRP national, avec copie à Tessier, membre du Comité directeur du MRP et président de la commission d’Alsace et Lorraine, lui demandant de peser pour une invalidation de la candidature Fonlupt, faute de quoi Pfleger et Fuchs se présenteront. Et il soutiendra leur liste, dont il ne précise pas l’étiquette. M. Fonlupt s’est fait nommer préfet du Haut-Rhin avec l’intention arrêtée d’y devenir député ou sénateur. Avec l’aide de quelques éléments qui n’ont jamais fait partie du parti chrétien, mais de l’Alliance démocratique (Fega, Geschwind) des éléments nouveaux qui ne faisaient pas partie du parti chrétien et les anciens dirigeants de l’UPR tendance Rossé il a constitué des clans qui marchent à sa volonté. Et c’est ainsi que pour la seconde fois, hier à Colmar, il s’est fait nommer tête de la liste par 26 voix contre 23 voix et une abstention […]. La façon dont furent désignés les délégués est tout autre chose que démocratique. Le tout est préparé de longue main, d’une façon très systématique. Le résultat est que nous aurons deux listes dans le Haut-Rhin : l’une Pfleger, Fuchs, Hartmann, etc. L’autre : Fonlupt, Wassmer etc. Il est bien entendu que j’irai parler dans le HR pour la liste Pfleger, Fuchs etc. Les méthodes employées par M. Fonlupt me rappellent celles chères à M. Rossé. Ce sont en effet les éléments Rossé et l’Alliance Démocratique sur lesquelles s’appuie M. Fonlupt. Je suis sûr d’avance que nous aurons les 3/4 de nos électeurs pour la liste Pfleger, Fuchs. Mais la lutte enchantera nos adversaires et après le succès triomphal du MRP aux cantonales, on aura à s’attendre à autre chose. Pour cette raison, je vous prie de bien vouloir arranger les choses. Il se pose en outre une question d’ordre technique. M. Fonlupt est inéligible parce qu’un préfet ayant quitté ses fonctions depuis moins de 6 mois ne saurait être candidat. M. Fonlupt prétend qu’il peut parfaitement poser sa candidature, malgré ces prescriptions légales. Qu’en pensez vous102 ?

91 On ne trouve pas, au moment même où la question a surgi, de traces d’une position publique sur cette question. Or il est évident que le ministre de l’Intérieur se l’est posée. La réglementation fort précise – et abondante – sur l’inéligibilité des nombreuses catégories d’élus déclarés inéligibles pour fait de collaboration prescrivait aux préfets d’en refuser la candidature ou aux maires s’ils avaient échappé à la vigilance des préfectures, de refuser leurs bulletins ou encore de les annuler sans les compter. Paira relate que le Commissaire de la République Bollaert lui a demandé de refuser l’inscription de la candidature de Fonlupt. Ayant consulté Tixier, Paira refuse de le faire103. Le ministère n’a pas voulu traiter les résistants comme étaient traités les indignes et a appliqué la règle : laisser l’Assemblée juger de la validité des élections. Et Fonlupt, fin juriste, avait dû préparer son argumentation. Le commissaire de la République Yves Farge (qui sera compagnon de la Libération en novembre 1945) était dans le même cas : il venait de quitter ses fonctions et se présentait aux élections, mais sera battu.

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Pour l’Assemblée nationale constituante : des républicains populaires qui s’engagent pour « l’unification »

92 Le comité colmarien réuni le 2 octobre à la veille du comité directeur se met d’accord sur le soutien à accorder à Pfleger et Hincky. Mais ceux-ci se retirent désormais, certains de ne pouvoir renverser la position arrêtée des Mulhousiens, regroupés derrière Fonlupt. Ce dernier a pourtant proposé de laisser la première place au vieux sénateur pour prendre la seconde, mais Pfleger a refusé et ne se rend même pas au comité directeur. À Mulhouse, c’est donc une nouvelle liste que l’on met au point. Aux deux candidats déjà désignés, l’on ajoute les noms nouveaux : d’abord le maire d’Husseren-le-Chateau, André Bas, proposé et soutenu par son beau-frère Xavier Weber, président de la section MRP de Colmar104, Alfred Haedrich de Guebwiller, qui vient d’être élu conseiller général et le maire d’Oberbruck, Gebel. La liste s’établit donc comme suit105 : Fonlupt, Bas106, Wasmer107, Fuchs, Haedrich108, Gebel109. La présence de Haedrich, protestant, donne à la liste son brevet « interconfessionnel ». Mais on n’était pas au bout de ses peines. Député sortant, Fuchs vient d’être réhabilité, mais il refuse toujours d’être placé derrière Wasmer et se retire à son tour. Il est donc remplacé par le secrétaire des mineurs CFTC de Mulhouse, candidat malheureux aux cantonales de Mulhouse, François Vogel110. Ainsi, Fonlupt et Wasmer avaient éliminé les anciens. La biographie de tous les candidats insiste sur leur passé résistant111. Quoiqu’en puissent dire les adversaires, à gauche ou à droite, on pouvait répondre : le MRP n’est pas le parti de Rossé et Stürmel112.

93 C’est encore Meck qui tire la leçon politique de cette bataille des candidatures haut- rhinoises, en assumant pleinement le sens que lui avait donné Fonlupt, qui voulait libérer le parti du « cléricalisme ». Et tout à coup le Haut-Rhin de Rossé a des qualités à ses yeux ! Tout ce que j’apprends sur la désignation des candidats dans le HR m’écœure. Donc le parti chrétien du Haut-Rhin jadis si intransigeant dans la question scolaire nous présentera M. Fonlupt qui n’a jamais caché ses intentions de transiger. Avouez que je ne comprends plus rien du tout, c’est précisément parce que je sais que nous aurons une lutte difficile à livrer ces mois prochains pour sauvegarder notre patrimoine des écoles chrétiennes que je me suis prononcé pour la candidature d’un ecclésiastique [Hincky]113. […] J’ai bien l’impression que j’irai à Paris le poignard dans le dos pour ce qui concerne la lutte que nous aurons à livrer pour la défense de l’école chrétienne d’Alsace. Et dire que c’est le Haut-Rhin qui a fait cela114.

94 Mais l’opération réussie de Fonlupt avait fait beaucoup de mécontents. Attribuer l’apparition de la liste résistante à la seule présence urticante de l’ancien préfet sur la liste MRP serait cependant aventureux.

Une liste « gaulliste »

95 Les associations résistantes ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un programme fondé sur celui du CNR, divisées qu’elles sont entre celles qui soutiennent le PCF et la SFIO et les associations de droite. Ce sont ces dernières – dont l’Union Alsacienne de la Résistance de Winter (Daniel) et Kalb (Jacques d’Alsace) – qui parviennent à mettre sur pied une liste que réunit la seule référence au général de Gaulle. Et Pfleger et Hincky recommandent de voter pour elle et contre la liste Fonlupt115.

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La campagne électorale : le renouveau par l’unification

96 Fonlupt et Wasmer lancent tous deux leur campagne électorale116. À Dannemarie, où Wasmer attend encore la confirmation de son élection comme conseiller général, Fonlupt prend une attitude très offensive. Il parle en alsacien et en français. Il insiste : « le MRP n’a rien de commun avec l’UPR. L’UPR a ouvert la voie aux nazis, En votant MRP vous votez contre Rossé et Stürmel ». Et Fonlupt de développer les thèmes de son programme : pour l’unification et contre l’assimilation. À Saint-Louis, à Mulhouse, à Colmar, Fonlupt développe encore les thèmes de son programme117.

97 La campagne se déroule aussi dans la presse qui a pu porter ses tirages à 4 pages par numéro, au lieu de deux. C’est par la Tribune de Mulhouse que s’exprime principalement la campagne électorale du MRP haut-rhinois. Le programme du MRP est longuement analysé, et l’accent mis sur les principes qui doivent présider à la nouvelle déclaration des droits, à l’organisation constitutionnelle, à la démocratie économique et sociale. Et l’on répète : le MRP n’est pas l’UPR118. Dans son allocution radiodiffusée aux électrices et électeurs du Haut-Rhin, Fonlupt affirme : Le MRP est un parti nouveau, ce n’est pas le nom nouveau d’un ancien parti. […] Né dans la Résistance, fondé et dirigé à Colmar comme à Mulhouse, comme à Paris, à Lille et Bordeaux, par des résistants authentiques, le MRP se refuse à ravaler la Résistance au niveau d’une politique…119

98 Le 28 septembre, Antoine Fischer avait écrit : Nous savons bien que le MRP demande l’unification législative. Nous savons fort bien que le MRP ne prétend pas maintenir éternellement en Alsace un régime spécial qui à la longue risquerait à nouveau de creuser un fossé entre notre province et la France. Nous savons aussi que nous vivons en démocratie et que le MRP a le droit de demander que les lois appliquées tant à l’intérieur qu’en Alsace soient des lois de progrès de liberté et de justice.

99 Le 10 octobre, il annonce : Dans peu de jours la Constituante va se mettre à l’œuvre et modifier profondément l’édifice constitutionnel et législatif français. Le moment pour l’unification sera propice. Si celle-ci se fait dans le respect de la liberté et de la démocratie, elle ne trouvera pas de plus chaleureux défenseur que le MRP.

100 Le Républicain du Haut-Rhin publie l’accord passé entre le MRP national et ses fédérations départementales du 28 août et prétend par là apporter la preuve que le MRP repousse « l’unification ». La Tribune demande une explication plus convaincante120.

101 Enfin, le 20 octobre, c’est Fonlupt qui signe l’article « Unification ou laïcité ? » Il vaudrait mieux parler net. Ce n’est pas de l’unification qu’il s’agit […] dans l’esprit de certains de nos contradicteurs. Car ils savent bien que autant qu’eux, nous la voulons […]. Dans l’immense masse de nos lois, ce sont les seuls textes relatifs au régime cultuel et scolaire dont l’introduction immédiate leur importe. L’unification une fois réalisée sur ce point, on pourra attendre pour le reste et discuter. […] Leur attitude a un inconvénient majeur. En portant principalement la discussion sur les lois laïques, ils ne favorisent ni ne hâtent l’unification : ils la retardent au contraire. […] Une solution raisonnable doit pouvoir […] être trouvée. Solution que nous voulons la même pour toute la France et qui devra garantir aux membres de toutes les familles spirituelles l’intégral respect de la conscience de leur enfants, par une neutralité respectueuse des convictions religieuses et par un enseignement religieux accessible à tous121.

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Succès du MRP

102 Le 21 octobre, dans le département du Haut-Rhin, le scrutin attribuait au MRP 44 % des suffrages, 27 % à la SFIO, 16 % à l’Union de la Résistance. Le Haut-Rhin comptait en 1936, 5 députés UPR sur 7. La SFIO n’en avait aucun. En 1945, la SFIO en a deux. Les élections sont marquées par un succès socialiste, note René Paira, qui signale que le MRP a réuni les suffrages de l’UPR et de l’APNA, et que l’Union de la Résistance a remporté un succès auquel elle ne croyait pas122.

inscrits votants exprimés MRP SFIO PCF URESIST

281293 218410 210387 93519 57222 14740 35025

77,65 % 74,79 % 33,25 % 20,34 % 5,24 % 12,45 %

44,45 % 27,20 % 7,01 % 16,65 %

103 Le Nouvel Alsacien de Meck ne pouvait s’empêcher d’ironiser sur ce voisin qui d’habitude votait mieux et pour « les listes de l’Alsace chrétienne ».

La première constituante et l’échec de la politique d’unification

L’Alsace à la Constituante

104 Les députés alsaciens gagnent Paris pour l’ouverture de l’Assemblée constituante au début de novembre. Ils sont désormais astreints à la discipline de leurs groupes. La commission de vérification des pouvoirs valide les élections des députés du Haut-Rhin le 7 novembre et comme prévu, réserve à la suite d’une lettre du ministre de l’Intérieur, signalant que l’intéressé était encore préfet 6 mois avant la date des élections, le cas de Fonlupt-Esperaber. Fonlupt n’en est pas moins présenté et élu dans la commission de la Constitution le 29 novembre 1945.

105 C’est l’ancien commissaire‑adjoint à l’Intérieur d’Alger Jean Pierre‑Bloch qui a été chargé du rapport. Pierre-Bloch recommande la validation des pouvoirs en s’appuyant sur un argument de droit, et de fait (Journal Officiel du 9 décembre 1945). La nomination de préfet de la Libération est exceptionnelle ; elle est intervenue dans la clandestinité, dans des circonstances exceptionnelles. Or en mars 1871, l’Assemblée nationale de Bordeaux a validé l’élection d’un commissaire extraordinaire du gouvernement de la Défense nationale de 1870, jugeant que les décrets sur l’inéligibilité des préfets ne s’appliquaient pas à ces fonctions et ces circonstances exceptionnelles123.

106 Mais il se fondait également sur le brillant passé résistant de Fonlupt et sur les sacrifices consentis par sa famille et lui124. Il y avait peu de chances qu’une Assemblée faite d’un grand nombre de jeunes hommes qui après une brillante résistance entraient dans la carrière, invalide l’un des leurs.

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107 Les questions d’Alsace et de Lorraine surgissent dès la discussion budgétaire, dans un débat sur le budget des cultes où interviennent Naegelen, Meck et Oberkirch. Ils renvoient au statut international du concordat. Naegelen et Tixier ont renvoyé la question de l’unification au futur débat constitutionnel. Elles sont à nouveau posées dans un débat sur l’Éducation nationale et le statut scolaire local, où le ministre de l’éducation nationale renvoie à une étude à faire sur place en Alsace125. En janvier, le nouvel évêque de Strasbourg, Mgr Weber remet à Fonlupt-Esperaber une lettre pour Francisque Gay, où il propose : Une commission siégeant à Strasbourg et où tous les intérêts seraient représentés, examinerait contradictoirement les quelques points en litige, et j’ose espérer que nous arriverions à un statut viable et acceptable pour tous.

108 Le départ du général de Gaulle rend cette proposition caduque.

Le départ du général de Gaulle – le compromis du tripartisme

109 « La démission du général de Gaulle, le 20 janvier a d’abord provoqué la stupeur, elle provoque vite l’inquiétude » Voilà en quels termes, Georgette Elgey ouvre le chapitre consacré à la formation du gouvernement tripartite SFIO, PCF, MRP. Puis elle ajoute : Conduite par Fonlupt-Esperaber, une délégation MRP est allé interroger M-E Naegelen (revenu en hâte de Strasbourg) sur l’attitude de la SFIO devant la laïcité de l’enseignement. Les républicains populaires souhaitent que les écoles libres bénéficient de subventions et que les établissements d’État soient pourvus d’aumôniers. Les socialistes ne veulent pas en entendre parler. Léon Blum trouve le compromis : le futur gouvernement socialiste s’engage à ne pas étendre les lois laïques à l’Alsace et à la Lorraine. En revanche, le MRP ne posera pas le problème pour le reste du pays126.

110 Et en effet la charte du tripartisme, signée le 22 janvier porte : Maintien du régime scolaire « Les trois partis se déclarent d’accord pour maintenir, pendant la durée de ce gouvernement, le statut de 1939 relatif au régime scolaire, étant entendu que chacun d’eux se réserve de défendre ses propres conceptions en respectant les engagements pris en commun an sujet des controverses entre partis127.

111 C’était donc renvoyer la question au débat constitutionnel. Il va ressurgir sur l’article XIII de la Déclaration des Droits du premier projet de constitution. Nous l’avons retracé ailleurs. Retenons que tous les députés MRP alsaciens, ont voté pour l’article XIII de la Déclaration des Droits. La liberté de conscience et des cultes est garantie par la neutralité de l’État à l’égard de toutes les croyances et de tous les cultes. Elle est garantie notamment par la séparation des églises et de l’État, ainsi que par la laïcité des pouvoirs et de l’enseignement public.

112 Le MRP a obtenu que le président de la Commission précise que cet article n’était pas d’application immédiate ; elle sera laissée à une loi à débattre ultérieurement, ce qui est rappelé à Mgr Weber qui a exprimé son inquiétude, par le commissaire de la République, Bollaert128.

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Le MRP haut-rhinois : la défense du tripartisme et de l’Article XIII de la Déclaration

113 Au printemps 1946, la direction du MRP haut-rhinois, avec environ 2 500 adhérents, est assumée par les députés Fonlupt et Wasmer, et le secrétariat départemental par le permanent Fahrer, la trésorerie par Balestreri129. À Colmar, Hincky et Pfleger ont repris l’offensive contre … les constituants MRP qui ont voté l’article XIII, ce qui suscite l’étonnement du Républicain du Haut-Rhin. Le député socialiste Jean Wagner y dénonce : certaines gens qui font mine d’ignorer la portée de ce vote de principe, mécontents d’avoir été éliminés comme candidats aux élections. Ils cherchent maintenant à monter leur propre parti contre ses élus afin de les éliminer à la prochaine occasion130.

114 Les députés MRP défendront leur position tout au long du printemps. L’article XIII ne préjuge nullement d’un « nouveau statut scolaire négocié au plan national ». Au congrès départemental MRP de Mulhouse du 30 mars, le vice-président de l’Assemblée nationale Henri Teitgen évoque avec lyrisme « une France nouvelle » qui devra également définir « un enseignement nouveau ». À Saint-Louis, Henri Teitgen évoque « la victoire du MRP » sur l’article XIII : il a obtenu le dépôt d’une loi spéciale sur l’enseignement. Ce que développe Fonlupt dans son exposé en alsacien. Tous deux plaident pour la poursuite du gouvernement tripartite de Felix Gouin « pour reconstruire la France ». Dans les meetings, à Altkirch, Kaysersberg, Ribeauvillé, Sainte- Marie-aux-Mines, les orateurs MRP en font autant. Apparemment, sur ce terrain, leurs arguments portent.

Le Non à la première constitution

115 Mais le 18 avril, à l’Assemblée nationale, le groupe MRP qui a été jusqu’au bout des concessions vote contre le projet de constitution. Elle est adoptée le 19 avril.

116 Adversaires de l’article XIII et adversaires de toute la Constitution se rejoignent pour appeler à voter non, ce qui est fait par 53 % de Non, le 5 mai 1946.

117 L’assemblée est dissoute, une législative aurait du lui succéder. Ce fut une seconde Constituante.

Pour la seconde Constituante : une orientation confirmée

118 Le Comité directeur du MRP du Haut-Rhin se réunit le 7 mai 1946 pour désigner les candidats à la Constituante. Au comité précédent déjà, Hincky et Pfleger avait voulu que l’on condamne les députés du Haut‑Rhin, coupables d’avoir voté pour l’article XIII de la Déclaration des droits, alors que le député résistant Winter avait voté contre. Ils n’avaient pas été suivis. Pfleger préconise l’établissement d’une liste composée de tous les partis opposés aux socialistes et aux communistes. Cette union devrait englober notamment les démocrates, les éléments de la Résistance, le MRP et le PRL. Il n’est pas suivi. Du coup Pfleger s’est désintéressé de la constitution de la liste du MRP, qui est sensiblement la même que lors des dernières élections. Mais il se réserve pour son compte personnel, et en réalité au nom de la fraction cléricale, les pourparlers avec les différents partis politiques en vue de la mise au point d’une liste unique qui s’opposerait au MRP.

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119 Le MRP a donc arrêté sa liste, composée Fonlupt, Bas, Wasmer, Marie-Louise Weber – une cadre et syndicaliste CFTC mulhousienne –, Haedrich, conseiller général et Silbermann, négociant mulhousien.

120 Il n’y eut pas de liste de la Résistance. La droite libérale présente une liste « Cartel Républicain » avec le conseiller général Philippe Rieder et le PRL Zuber.

Inscrits votants exprimés MRP SFIO PCF Cartel

297689 228911 221999 122897 59912 22496 16704

76,90% 74,57% 41,28% 20,13% 7,56% 5,61%

100,00% 55,36% 26,99% 10,13% 7,52%

121 Sont élus le 2 juin 1946, Fonlupt, Bas, Wasmer, Marie Louise Weber et les sortants socialistes Wagner et Richard. Weber est la première député femme de l’histoire du suffrage universel en Alsace.

La Seconde Constituante

L’alinéa 13 du Préambule

122 Fonlupt-Espéraber va jouer un rôle plus important à la commission de la Constitution de la Seconde Constituante. Les débats commencent le 2 août sur la base d’un texte proposé par André Philip, le président et Paul Coste-Floret le rapporteur général. Le terme « préambule » a remplacé celui de « Déclaration des Droits ». Le 8 août, on en arrive au texte destiné à remplacer l’ancien article XIII. On se met d’accord pour considérer que « l’égal accès » garanti par la Nation, recouvre « la liberté de l’enseignement », reconnue comme une loi fondamentale de la République131, mais que Philip et la majorité ne veulent pas introduire telle quelle dans la constitution parce qu’elle pourrait entraîner une obligation constitutionnelle de rétablir les subventions à l’école libre accordées par Vichy. La seconde phrase suscite le débat. « L’organisation de l’enseignement public à tous les degrés est un devoir de l’État ». Philip demande que l’on y ajoute « laïcité ». Bastid (radical‑Socialiste) propose « neutralité ». Fonlupt accepterait le mot « laïcité », mais se rallie à « neutralité », « afin d’éviter de rouvrir dans nos départements de l’Est, une campagne inopportune ». Coste-Floret propose « enseignement public, gratuit et laïc ». Puis le débat se noue entre Kriegel‑Valrimont (PCF originaire de Strasbourg) et Fonlupt. Kriegel – mes amis et moi, tenons essentiellement au mot « laïc ». Fonlupt – … Il faut éviter de susciter dans nos départements de l’Est une inquiétude qui déclencherait des incidents pénibles… Personnellement le mot “laïc” ne me choque pas, mais d’autres y verront des menaces, qui craindraient notamment que par voie oblique, on ne résolve défavorablement la question de l’enseignement dans nos départements. Et puis il ne faut pas que du point de vue international risquer que ces régions, celles de toute la France qui ont le plus souffert ne rejettent au prochain référendum le projet de constitution. Songez aux conséquences internationales que pourrait avoir un rejet de la Constitution par l’Alsace ; Kriegel – Il est indispensable d’introduire en Alsace et en Lorraine toute la

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législation française, spécialement en matière d’enseignement si l’on veut que nos départements de l’Est soient rattachés définitivement à la France. … l’argumentation de M. Fonlupt-Espéraber ne m’a pas convaincu car elle est contraire aux intérêts réels de la France en Alsace. Le Président (André Philip) – Nous n’avons pas à résoudre ici le problème de l’introduction de la législation française en Alsace et en Lorraine.

123 Guérin (MRP) demande si l’enseignement supérieur sera également gratuit. Et la formule est arrêtée : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État »132. L’alinéa est adopté par la commission à l’unanimité. On rajoutera ultérieurement les termes « formation professionnelle ».

124 Comme les y poussent Pflimlin et Henri Meck, les députés MRP, y compris ceux d’Alsace, se rallient à cette formulation133, et votent donc le préambule.

125 Le texte du projet de Constitution est adopté le 29 septembre par 440 voix contre 106. MRP, SFIO, PCF ont voté pour et appellent à voter Oui au référendum constitutionnel du 13 octobre. Il y a quinze jours de campagne électorale.

La campagne du Comité diocésain

126 Hincky avait appelé à la résistance dès le mois d’août, au nom de l’impossibilité d’accepter le nouvel alinéa 13 du préambule. Mais c’est le discours d’Epinal du 29 septembre et l’appel à voter Non du général de Gaulle qui va troubler l’électorat et le MRP dont la rupture avec le général de la Libération s’étale désormais au grand jour devant les électeurs.

127 Le MRP mobilise toutes ses troupes. Un grand meeting réunit le mardi 8 octobre à Colmar et à Mulhouse, Maurice Schumann et Pierre‑Henri Teitgen, ministre de la justice qui y expliquent le Oui du MRP à une constitution qu’il juge pourtant perfectible et veut déjà réformer134.

128 L’appel de Mgr Weber du 1er octobre, à voter « selon sa conscience de façon à assurer la bonne administration du pays, le respect des droits, tant de l’individu, que de la famille et de l’Église » est en général interprété comme un prudent appel au Oui135. Un communiqué du « Comité catholique d’Action et de défense familiales » du 8 octobre fait une longue analyse du préambule. Certes, certains partis politiques n’ont pas caché leur intention de faire de la laïcité une arme contre le christianisme, mais elle peut aussi être comprise comme stricte neutralité. Le préambule confirme « les principes fondamentaux de la République » au nombre desquels la liberté de l’enseignement. Le texte ne comprend plus l’ancien article 13. Certes le nouveau texte commande à l’État de créer des écoles laïques, mais cela ne fait pas obstacle à l’existence – en même temps que d’écoles laïques –, d’écoles chrétiennes publiques ou privées. Et de conclure : la défense de nos droits est parfaitement garantie dans le cadre de la nouvelle constitution136.

129 Visiblement des députés MRP avaient collaboré étroitement à la rédaction de ce communiqué137.

Le MRP haut-rhinois entre Oui et Non

130 La Tribune de Mulhouse avait appelé à voter Oui, le Nouveau Rhin Français avait juxtaposé les appels à voter Oui et un éditorial où il déclarait refuser de condamner ceux qui

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voteraient Non. Fonlupt appelle à « Dire Oui » dans le NRF du 12 octobre, titre d’un article fort clair, expliquant pourquoi la constitution d’octobre n’avait rien à voir avec celle d’avril. Hincky avait fait tirer des tracts appelant à voter Non. Il revendiquera son action par une lettre à L’Alsace du 20/21 octobre : j’ai fait … la propagande pour le Non parce que le général de Gaulle reste le meilleur conseiller et le guide le plus sûr de la France renaissante. En plus je ne voulais pas voter pour une Constitution qui refuse à la famille française la garantie de sa stabilité et qui contient des textes dangereux pour les écoles chrétiennes138.

131 Hausherr, le rédacteur en chef de L’Alsace relève : « Hincky fait campagne contre un parti dont il est l’un des dirigeants. »

132 Enfin, le 1er octobre, paraissait l’édition clandestine d’un journal gaulliste l’Est-Matin qui appelait à voter Non139.

Le référendum du 13 octobre : l’Alsace et le Haut-Rhin votent non à la IVe République

133 Le 13 octobre, la France adopte la Constitution de la IVe République. Elle sortait du provisoire ; elle « tournait la page ». Le Bas-Rhin disait Oui à une légère majorité d’exprimés, le Haut-Rhin Non. Et l’Alsace disait Non. Les craintes de Fonlupt s’étaient donc concrétisées. Et les conséquences de politique intérieure apparaissaient évidentes.

Référendum du 13 octobre 1946 en Alsace

Oui Non

Bas-Rhin 129977 115031

Haut-Rhin 68782 102050

Alsace 198759 217081

134 L’Alsace relève le chiffre élevé des abstentionnistes (41 %) et note : un peu partout, les électeurs du MRP tiraillés entre leur attachement au général de Gaulle et les consignes officielles de leurs dirigeants, se sont abstenus en masse. Le prestige du général est resté intact dans notre département140.

135 Le Républicain de Mulhouse démentait que le vote socialiste ait été très affecté par l’appel du général et attribuait la défection des électeurs républicains populaires à la passivité de l’Église catholique ou même à son hostilité, témoin l’attitude du Nouveau Rhin Français.

136 Ce dernier estimait141 : Les « Non » de l’Alsace doivent être attribuées à l’attachement au général de Gaulle et au mécontentement général. Ni les mots d’ordre du MRP ni ceux de la SFIO n’ont été suivis complètement. Dans les deux départements, des motivations d’ordre religieux ont dû jouer qui ont empêché de voter pour un Oui, qui aurait pu être interprété comme une acceptation inconditionnelle des effets de certaines dispositions de la Constitution. Et les gouvernants feraient une lourde faute s’ils ne tenaient pas compte des chiffres élevés des Non et des abstentions tout particulièrement dans notre région.

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Le référendum du 13 octobre 1946 dans le Haut-Rhin par arrondissements

inscrits votants exprimés Oui Non

Colmar 58586 33842 31862 12176 19626

Ribeauvillé 29999 17773 17153 5520 11632

Guebwiller 33752 19344 18542 8071 15471

Mulhouse 115849 67859 64722 33409 31273

Thann 38773 22138 20846 3693 13143

Altkirch 29697 17362 16316 5913 10905

306656 178318 169441 68782 102050

40,59% 60,23%

Les élections législatives de novembre 1946 : les députés MRP à l’Assemblée nationale

137 L’appel de Mgr Weber a-t-il provoqué le resserrement des rangs du MRP et lui avait-il évité la scission tant de fois annoncée, entre l’aile « cléricale » et l’aile « orthodoxe » ? 142 Toujours est-il qu’au comité directeur du 19 octobre à Mulhouse, l’aile « orthodoxe » de Fonlupt reste majoritaire. Pfleger a renoncé à l’opposition et est investi pour les élections au Conseil de la République de la fin novembre. La liste des sortants est reconduite : Fonlupt, Bas, Wasmer, Weber, Haedrich, Silbermann.

138 Une liste Rassemblement gaulliste démocratique et républicaine apparaît également le 15 octobre143. L’avocat colmarien René Kuehn qui la met sur pieds est soutenu par les dirigeants d’association de résistance (Kalb, Borocco), les radicaux de Colmar et Wallach, qui entre au bureau de l’Union Gaulliste et finance les quelques numéros d’Est Matin qui paraitront pendant la campagne référendaire et législative. Les socialistes n’ignorent pas que les radicaux de la liste RGDR vont leur coûter des voix à Colmar144. Le MRP sait que le « gaullisme » de la liste raillée par Fonlupt va également leur enlever des suffrages. Au MRP d’Alsace, l’heure est au « Front commun chrétien ». L’expression est employée dans les congrès des Fédérations départementales, particulièrement dans le Bas-Rhin où l’on met en relief le caractère interconfessionnel des listes de candidats145. Et si le catholique Ami du Peuple appelle à voter pour les listes MRP le 10 novembre 1946 (Fonlupt dans le Haut-Rhin et Meck dans le Bas‑Rhin), il le fait pour défendre : L’école chrétienne, que la Constitution et son article 13 ne menacent plus, mais qu’il faut continuer de défendre en votant MRP. Car l’unification qui va à l’encontre des droits des parents et des enfants chrétiens est rejetée. L’école laïque … ce serait fouler aux pieds les convictions religieuses de la majorité de nos familles composées de catholiques et de protestants.

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Haut-Rhin, élections législatives du 10 novembre 1946 par arrondissements

Inscrits Votants Exprimés Communistes SFIO MRP « Gaullistes »

Guebwiller 33808 24803 23919 3136 4463 11750 4568

Altkirch 29615 21802 21203 1230 2016 12142 5815

Thann 35725 26259 25290 3128 3822 12109 5976

Mulhouse 115308 80366 77081 9516 21077 30328 15386

Colmar 58574 41851 42049 4272 11469 22726 9100

Ribeauvillé 30030 22096 21443 1262 3961 10435 5783

Haut-Rhin 303060 217177 210985 22544 46808 99490 41130

100 10,6 22,18 47,15 22,38

139 Le MRP conservait ses sièges (Fonlupt, Bas, Wasmer, Weber), la SFIO perdait celui de Colmar (Wagner adjoint de Mulhouse, seul élu), et l’Union Gaulliste (René Kuehn) remportait un siège. Le RGDR reprenait au MRP 26 000 voix et à la SFIO 16 700. Le nombre de voix gaullistes dans les différents arrondissements témoignait des réserves possibles d’un parti qui allierait les résistants de droite (Kalb, Borocco, et les Mulhousiens) et les anciens de l’APNA (Hincky). La stratégie alternative pour le MRP envisagée par Fonlupt, avec une aile « Fédération Républicaine » et une aile de « Centre-Gauche » était encore en réserve.

140 Les élections législatives du 10 novembre sont marquées dans le Bas-Rhin par un léger recul MRP, qui perd un siège (avec 4 sièges), une incontestable poussée gaulliste (Clostermann, Kauffmann et Wolff) et le maintien des sièges de Naegelen (SFIO) et de Rosenblatt (PCF).

Le MRP au Conseil de la République

141 Le mode de scrutin du conseil de la République reposait sur l’élection au suffrage direct de délégués présentés par les partis, puis l’élection par ceux-ci de futurs « conseillers de la République ». Les partis doivent donc présenter un nombre important de délégués au suffrage des électeurs : 392 pour Mulhouse (par secteurs), 121 pour Thann, 114 pour Guebwiller, 190 pour Colmar, 102 pour Ribeauvillé. Seuls les grands partis bien implantés parviennent à mobiliser ces nombres, qui reflètent le plus souvent l’appartenance des conseils municipaux. Trop récente, le RGDR y renonça et appela au boycott. Le 25 novembre 1946, le MRP et la SFIO recueillent le MRP 702, la SFIO 176, le PCF 115, les Républicains indépendants 37 délégués. Les « restes » sont attribués à des candidats sur le plan national. Le 8 décembre, à Colmar, les « grands électeurs » accordent leur suffrages aux MRP Amiot maire d’Altkirch président du Conseil général, et Pfleger, l’ancien sénateur, qui retourne au Luxembourg, 18 ans après y être entré pour la première fois (en 1928) mais dans des conditions bien différentes. Dans le Bas- Rhin également, le MRP avait désigné Oberkirch146 avec Wehrung, tête d’affiche de

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l’opération d’interconfessionnalisation du parti. La répartition des restes sur le plan national avait lieu le 8 décembre et permet à Edouard Richard, maire de Colmar, et dans le Bas-Rhin à Westphal (Union Gaulliste) de rejoindre les rangs des conseillers de la République.

Conclusion

142 Ces victoires tardives masquent mal le tournant qui avait eu lieu. Ainsi s’achevait la période de reconstruction politique en Alsace, avec la désignation de ses députés pour les 5 années de la Législative à venir. L’objectif des « unificateurs » avait été en partie atteint. En Alsace, un nouveau parti français, le MRP, avait réussi à s’assurer avec ses Fédérations départementales la majorité des électrices et électeurs alsaciens. Mais un débat profond s’était déroulé dans les rangs du MRP. Dans le Bas‑Rhin, Henri Meck, bien plus subtil qu’il n’y paraît, pouvait proclamer la pérennité de l’unité et de l’influence du « peuple chrétien d’Alsace ». Dans le Haut-Rhin, le MRP « national » avait réussi à assurer la relève d’une UPR totalement discréditée par la collaboration. Il avait confié cette relève à un groupe d’hommes, sous la direction de Fonlupt-Espéraber, décidés à s’inscrire dans la suite de leur résistance, dans le vent de la rénovation de la démocratie chrétienne française, désireux de détacher l’Alsace catholique du cléricalisme de l’avant guerre. Y était-il parvenu ? Bien engagé dans la résistance nationale, ouvert aux courants de la gauche démocrate chrétienne, Fonlupt avait bien dégagé les points de convergence possible des orientations des socialistes et des républicains populaires : statut scolaire fondé sur le régime de l’aumônerie à tous les degrés, renégociation d’un concordat. La première étape celle de la Constitution avait été franchie. Tous les députés d’Alsace avaient voté l’article XIII de la première déclaration des droits, décidés cependant à défendre le « statut particulier » sur le plan législatif et parlementaire. Ils avaient voté l’alinéa 13 du Préambule de la Constitution de la IVe République (devenu Déclaration des Droits de la Ve République) dont l’interprétation qu’ils avaient défendue (et que le RPF fera sienne) consacrait la pérennité provisoire du « statut » à défendre sur le plan parlementaire. Et par le suffrage universel. Mais c’est le double Non de l’Alsace, celui du 5 mai et celui du 11 octobre, qui impose – provisoirement ? – l’abandon de ce champ miné de l’unification. Voilà qui contraste avec celui, mal étudié encore, qui conduit à « l’unification » de la Sécurité sociale le 6 octobre 1945, avec son article 84 : « Les dispositions de la présente ordonnance sont applicables dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. … Un décret… détermine les dispositions du régime local qui restent provisoirement en vigueur et les modalités suivant lesquelles s’effectuera le passage du régime local au régime général ». Ce qui est fait avec le décret du 12 juin 1946, dont la disposition principale instaure ce qu’on appellera « le régime local ».

143 En novembre 1946, au lendemain du référendum du 11 octobre le préfet du Bas-Rhin, Cornut-Gentille dressait ce portrait de l’Alsace qui entrait dans la IVe République en ayant dit « Oui et Non » comme avait écrit Marcel Jacob. Bien que toutes les tendances politiques locales soient maintenant rattachés aux grands partis nationaux, l’opinion est dans le fond peu ouverte aux discussions politiques … et très attachée à la liberté et recherchant une autorité ferme et ordonnée. La liquidation d’une tragédie telle que l’annexion allemande a posé sur place dans

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les esprits et dans les cœurs des problèmes d’une complexité effrayante : épuration, opposition entre expulsés et restés sur place, recherche des mobilisés de la Wehrmacht, destructions, spoliations… toutes questions qui ne pouvant recevoir de solution intégrale, nette et rapide, ont énervé, irrité et divisent encore un peuple déjà marqué par l’esprit de contradiction et atteint de la maladie de la persécution, rançon des vicissitudes subies. Cette population, au caractère rendu difficile par les odyssées, témoigne par surcroit d’un complexe interne qui la ronge. Elle est profondément désireuse de faire corps avec la nation, mais dans le même temps, elle n’ose pas rompre avec des habitudes, des traditions, une législation, dont le maintien intégral lui est présenté par certains, non seulement comme la sauvegarde de sa personnalité, mais encore comme une marque de supériorité. Troublé, perplexe, incertain, le subconscient alsacien balance douloureusement entre le désir sincère de se débarrasser du complexe d’infériorité que lui causent dialecte et Concordat, et la crainte, non moins sincère, qu’un renoncement à ces deux remparts du particularisme ne le laisse sans défense contre une violation possible de ses goûts et de ses us…147

NOTES

1. L’HUILLIER (Fernand), Libération de l’Alsace, Paris 1975, p. 210 et s. L’Huillier attribue à Fonlupt- Esperaber le mot « rien oublié, rien appris » qui vise les dirigeants UPR, Meck et Walter, alors qu’il est de Naegelen, dans son article de la Presse Libre 4/5/1945. 2. Également membre du comité directeur du MRP à sa fondation AN. AP MRP 350 AP 12. Premier congrès national des 25 et 26/11/1944 et 2 MRP 1 Dr 1. Brouillet est chargé de la liaison avec les commissaires de la République et participe avec Courcel aux réunions autour de Tixier et du général de Gaulle. FOULON (Charles Louis), Le pouvoir en France à la Libération, Paris, 1975. 3. AN. Archives du général de Gaulle 1940-1958. En particulier 3 AG 43 Dossier I. Alsace. Notes et correspondance relatives à la situation générale. 4. IGERSHEIM (François), « L’Alsace et la Lorraine à Londres et à Alger », in Revue d’Alsace, 136, 2010. 5. AN F/1bI/1072, Fonlupt-Esperaber, préfet du Haut-Rhin. Le dossier de recommandation pour un poste de préfet qui date de 1923 contient outre celles de Millerand, Maringer, Barthou, les recommandations de la plupart des hommes politiques Bloc national d’Alsace, Pfleger, Charles Frey, de Leusse, Jourdain. 6. ABR J 72. AP Fonlupt-Esperaber. Dans une lettre du 12 février 1949, Fonlupt expose à Pflimlin qu’il a rapporté cet avis au CGE à la fin 1943 et a eu du mal à rallier l’avis de Paul Bastid. De même, il l’évoque dans son intervention sur la déconcentration régionale à l’Assemblée nationale le 22 mars 1946, rappelant que se trouvent dans la salle de séances quelques participants de ces séances du CGE (dont Paul Bastid). 7. Fonlupt Jacques, né à Mulhouse en 1886 avait fait ses études à Nancy, Lille, puis Paris, et a commencé une carrière d’avocat à Brest, avant que la guerre ne le ramène en Alsace, au commissariat général puis à la préfecture du Bas-Rhin, enfin au barreau de Strasbourg. Réfugié à Pau, ce beau-père de P.-H. Teitgen l’un des fondateurs du réseau Combat et animateur du Comité général d’Études participe avec son gendre (et ses autres gendres et ses filles) à la résistance et sera membre du CDL des Basses-Pyrénnées. Défenseur de Pierre Mendes France au procès de Clermont (et Lyon). Notice Fonlupt-Esperaber très complète de Léon Strauss, NDBA 998-990.

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8. AN 3 AG 43. Fonlupt à Bidault le 19/9/1944 et transmis par Bidault au général de Gaulle. - Tampon vu par le général et ABR 72 J 7. AN. F/1a/3300. Fonlupt à Tixier le 19/9/1944. et ABR. 72 J 7. Papiers Fonlupt. 9. Souligné par Tixier et annoté : tout cela devra leur être dit. 10. Tixier – souligné. 11. AN C 15 273. Assemblée consultative provisoire. Séance plénière. Débat sur le règlement intérieur. Le 10/11/1944. 12. Article repris dans la Presse Libre du 6/2/1945. 13. AN F/1a/3299. Le 27/09/1944. Tixier à Laffon et Laffon à Tixier avec note de Marzolf du 26/9/1944. 14. AN. F/1a/3300. Naegelen à Tixier. 16/10/44. 15. AN. F/1a/3300. Courcel à Tixier le 27/11/1944. 16. AN. 519 AP 11. 22/11/1944. Congrès constitutif du MRP. Fonlupt été l’un des délégués du PDP (avec Champetier de Ribes et Paul Simon) qui a négocié la rédaction d’un programme commun avec les délégués MRP, sous la présidence de Pierre-Henri Teitgen, avec André Colin, et les délégués Jeune République (dont Maurice Lacroix Maurice Schumann). Voir aussi DAZET-BRUN (Philippe), Champetier de Ribes (1882-1947) un catholique social en République, Biarritz, 2008. 17. AN C 15274 ACP, Commission d’Alsace et de Lorraine le 5/12/1944. 18. Walter s’était installé à Périgueux, comme 1er adjoint au maire de Strasbourg. Dernier député UPR à quitter l’Alsace (et Molsheim), Meck avait assumé la présidence de l’UPR. 19. AN. 3 AG 1/329. 20. AN. F/1a/3301. Tixier à Courcel le 7/1/1945. 21. AN F/1a/3299. Tixier à Courcel le 14/03/1944. 22. Joseph Brom décède le 15 janvier 1945, à Mulhouse. 23. ABR J 72. AP. Fonlupt. Fonlupt à Tixier. Copie du Rapport mensuel du préfet au Ministre de l’intérieur du 3 avril 1945. Cette copie ne semble pas avoir été conservée aux AN (F1cIII 1224) ni aux AHR. 24. AHR 787 W 2. Le préfet du Haut-Rhin à Marcel Jacob, le 15 février 1945. 25. AHR 787 W 2. Le 15 juillet 1945, dans l’étude notariale Feltz de Schiltigheim, souvent chargée des actes de l’évêché, est dressé l’acte d’une SARL, le Nouveau Rhin Français, dont les actionnaires principaux sont Marcel Jacob, Schmidt-le-Roi président du comité des œuvres du diocèse de Strasbourg, Hincky, Mappus, 25 000 chacun, et des associés simples (1 000 F), sénateur Pfleger, l’avocat Gilbert Struss, le Dr. Metzger, Eugène Hussmann, le professeur de lycée M.-J. Bopp, Léon Adolf, Philippe Rieder, l’abbé Antoine Noth, l’abbé Georges Ham. 26. AHR 787 W 2- Le préfet du Haut-Rhin à Marcel Jacob, le 15 février 1945. 27. ABR J 72. Papiers Fonlupt. Extrait du rapport mensuel du préfet Fonlupt au Ministre. 3 avril 1945. 28. Ibidem. Fonlupt n’avait pas apprécié la lettre pastorale du 14 décembre 1944 dont les thèmes avaient été déclinés lors de la messe de Te Deum de Mulhouse le 16 décembre. 29. Antoine Fischer, était alors rédacteur à L’Echo de l’Est, journal strasbourgeois fondé par Mullenheim. Il avait été rédacteur en chef de La République de l’Est de Besançon, à tendances modérées… et avant guerre rédacteur du Messager d’Alsace de l’APNA. ABR 544 D 1. Rapports du Préfet du Bas-Rhin au ministre de l’Intérieur (Rapport RG du 7 février 1945 sur la presse du Bas- Rhin). 30. ABR 72 J Papiers Fonlupt. Extrait du rapport mensuel du préfet Fonlupt au Ministre. 3 avril 1945. 31. ABR 406 D 3 (Archives de la Direction régionale de l’Information). Rapport d’activité de la Direction régionale de l’information le 3 août 1945. La publication du décret du 13 septembre 1945 portant réglementation provisoire de la presse périodique dans les départements de l’Est, limite l’exercice de la profession aux titulaires de la carte professionnelle

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délivrée après avis d’une commission paritaire spéciale. Elle siège à partir de décembre 1945. En juin 1946, Marcel Jacob est suspendu d’exercice pour 5 ans. Il fait appel, qui est considéré comme suspensif par les services centraux. Ultérieurement, la mesure est rapportée. 32. AN Jury d’honneur. AL/5292. 33. AN 3 AG 43. Tixier à Blondel le 24/02/1945. Copie au cabinet du général de Gaulle. 34. AN 3 AG 43. Tixier au général de Gaulle, lui transmettant un rapport du 2e Bureau sur l’article des 11 et 12 février (avec une interview de Brogly, attribuée à Rossé lui-même) suivi du PV de l’Assemblée consultative provisoire (AN. ACP C 15274) où Noguères demande au gouvernement sa position sur Rossé à la suite de l’interview. Et la réponse du ministre de la justice François de Menthon, selon lequel Rossé est actuellement détenu dans les locaux de la sécurité à Colmar, où il sera traduit devant la cour de justice dès qu’elle sera constituée. Six mois plus tard, le 19/7/1945, Bollaert affirmait : « Rossé ne semble nullement renoncer à la vie publique, mais essaie au contraire de faire figure de martyr, injustement persécuté, tant par le gouvernement français que par les nazis. Ainsi Rossé pourrait dans un avenir relativement proche, devenir le chef d’un nouveau mouvement autonomiste. Son passé politique et ses qualités intellectuelles lui permettraient aisément de jouer ce rôle ». AN 3 AG 43. Bollaert à Tixier 19/07/1945. 35. AN. Jury d’honneur. Gullung. Et JO du 30/9/1945 : non relevé. 36. AN. Jury d’honneur. AL /5292 Fonlupt au VP du Conseil d’État, président du Jury d’honneur, à propos des députés du Haut-Rhin. « je ne les ai pas relevés lorsque j’en avais la possibilité comme préfet du Haut-Rhin et cela au nom de deux raisons : d’abord parce que ce pouvoir exorbitant attribué au préfet me paraissait abusif, ensuite parce que le comité de Libération n’a siégé régulièrement qu’à un moment où il ne m’appartenait plus de me prononcer sur l’éligibilité des hommes politiques. Mon collègue du Bas-Rhin, dont les scrupules étaient moindres, a relevé, sans avoir pris jamais l’avis du CDL, c’est à dire en violation de la loi, les Walter et consorts. Il a ainsi rendu au pays un déplorable service, en valorisant un homme (et peut être des hommes) dont le crédit moral ici même était terriblement atteint et qui n’avait aucun titre quelconque de résistance à faire valoir. » 37. ABR. AP Fonlupt 72 J. Papiers Fonlupt. Extrait du rapport mensuel du préfet Fonlupt au Ministre. 3 avril 1945. 38. Ibidem. 39. Nouvel Alsacien du 2/3/1945. 40. Le 16 décembre, L’Alsace avait publié un compte-rendu de l’interview de Georges Bidault au Sunday Times, où le ministre se disait partisan de Briand et de Locarno, mais non pas du démembrement de l’Allemagne, ce qui ne cadrait pas avec les positions du général de Gaulle. Hincky, mais aussi Pfleger et Oberkirch s’en était vivement ému. 41. La référence aux promesses de 1914 ou aux « promesses de Joffre » fait partie de l’argumentation classique de l’Église catholique après 1918 (de Mgr Ruch et de son directeur des œuvres le chanoine Hincky). L’argument est utilisée par l’UPR de Haegy et par l’APNA de Pfleger. 42. AHR. 1452 W. 25. Les RG au Préfet le 21 mars 1945. 43. Comme le dit A. Irjud. Entretien inédit de l’auteur avec Alphonse Irjud, octobre 2003 (retranscription). Et. IRJUD (Alphonse), « Le MRP, Du rétablissement de la légalité républicaine au réveil politique (1944-1945) », RA 2004, p. 16. 44. BICHET (Robert), La démocratie chrétienne en France, Besançon, 1980, p. 57‑59. 45. Archives de la CFDT. Tessier à Meck, le 6 mars 1945. Meck n’ignore nullement que Tessier est partisan d’une extension du MRP à l’Alsace et l’appuie. Mais après tout la formule adoptée en 1919 (par Tessier, Thiele et Keppi) pour la CFTC pouvait lui convenir : une Confédération nationale et une Fédération régionale avec un autre sigle. Plus gênante par contre, la perspective d’un parti régional concurrencé par la dissidence d’un parti national. 46. Les « Amis de l’aube », reconstitution d’une association fondée par Francisque Gay avant la guerre, autour du journal « L’aube » sont relancés aussi à Strasbourg. En mars 1938, Gay en avait

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relevé les adhérents : dans le Bas-Rhin, Gemaehling, Prélot, Fonlupt. Dans le Haut‑Rhin, Pierre Marthelot professeur à Mulhouse (Institut Marc Sangnier, Archives Francisque Gay). 47. AHR 1452 W 25. 20/3/1945. Copie d’un lettre de Bichet à Moser. Bichet le remercie du bon accueil et l’informe qu’il a vu Francisque Gay (alors directeur au ministère de l’Information, dont P.-H. Teitgen est secrétaire d’État). Il lui demande de trouver des permanences pour L’aube et le MRP à Mulhouse et Strasbourg et l’assure que le financement sera pris en charge par L’aube. UPR avant guerre, Me Moser, antenne de l’Elsässische Hilfsdienst à Mulhouse en 1940, puis « avocat de la résistance mulhousienne », a été membre du CDL de Mulhouse dans les premiers jours de la libération (29/11/44 Rapport ESAL à Ministère Guerre F/1a/3299). Le 1er avril 1945, il est suspendu d’exercice au barreau de Mulhouse par la commission d’épuration professionnelle et attend sa comparution devant la chambre civique (en janvier 1946). Elle va le blanchir. Entre autres, Paul Winter, alors député du Haut-Rhin, témoigne en sa faveur. MOSER (André), De la ferme au prétoire, Steinbrunn, 1982. 48. Entretien avec A. Irjud cité. Les ICS organisent un meeting du RP Chaillet et d’André Mandouze au Palais des Fêtes de Strasbourg le 14 mai 1945 et le 15 mai à Mulhouse. 49. Bichet, op.cit., p. 58. 50. Conseil national 7/04/1945, rapport de Bichet : « Notre rayonnement est tel qu’avant que l’Alsace ne soit complètement libérée, au lendemain de la libération de Mulhouse, alors qu’on devait se battre dans la plaine du Rhin, pendant des semaines encore, nous avons vu venir à nous un délégué des Jeunes alsaciens qui nous a déclaré que ceux-ci ne voulaient plus reconstituer un parti régional et voulaient adhérer au MRP qui leur apparaissait comme le facteur de l’unité de la nation française (Applaudissements). Nous nous sommes rendus André Colin et moi à leur appel, nous avons l’espoir, nous avons même la certitude que l’Alsace sera bientôt en grande majorité MRP et c’est avec joie que je salue aujourd’hui dans cette salle, car je pense qu’ils sont là, les représentants de l’Alsace libérée (applaudissements). » Plus loin il interrompt le débat pour signaler « je signale que la Fédération de l’Alsace est arrivée (Vifs applaudissements). » AN. Archives du MRP. 350 AP 55 et 2 MRP 3 Dr 3. 51. Nouveau Rhin Français, le 27/3/1944. Abrégé NRF. 52. AN. F/1a/3299. Le commissaire de la République Courcel au ministre de l’intérieur Tixier. 03/04/45. Texte du projet Capitant dans Revue des Sciences religieuses, janvier 2011. (François Igersheim), Entre contestations et accomodements, la présence des sœurs congréganistes dans l’enseignement public en Alsace. 53. LATREILLE (André), De Gaulle, la Libération et l’Eglise catholique, Cerf 1978. Latreille, alors chargé de mission pour les cultes au Ministère de l’Intérieur fait le point sur les différentes réflexions en cours à ce moment-là : la commission Philip, le projet Capitant, qui vont être remisées du fait du vote du 28 mars, et … du refus du gouvernement de s’engager plus nettement. (p. 99‑128). 54. NRF le 24/4/1945. Visite de Capitant à Colmar. 55. AN. F/1a/3299. Le commissaire de la République Courcel au ministre de l’intérieur Tixier. 03/04/45. 56. ABR AP Fonlupt J 72. Préfet du HR au Ministre de l’Intérieur sur mars 1945. avril 1945. Extrait. 57. AHR 1452 W 25. Rapport RG au préfet le 24/3/1945. 58. Le nombre d’adhérents alsaciens recensés au 23 août 1945, juste avant l’adhésion des nouvelles Fédérations ex-PRP, est de 100 pour le Bas-Rhin et 200 pour le Haut-Rhin, chiffres à accueillir avec les réserves qui s’imposent. AN AP. MRP. 350 AP 6. MRP - 23/08/45. Statistique des adhérents. 59. La Tribune de Mulhouse du 13 mai 1945. 60. Fuchs détaille sa biographie dans la Tribune de Mulhouse du 31/5/1945. Son dossier au jury d’honneur en reprend les éléments. Rentré à Mulhouse en septembre 1940, prend un emploi de comptable, refuse tout engagement dans une organisation nazie, de même que sa femme ou ses enfants. Il a en particulier une fille, sœur de Ribeauvillé, réduite à un emploi civil. En 1942 il

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demande à être expulsé vers la France en qualité de francophile. En janvier 1943, il est arrêté par le Gestapo, incarcéré avec sa famille au camp de Schelkingen (Bade) puis assigné à résidence à Murg (Bade) ; ses enfants, interdits d’études, travaillent en usine. Arrêté le 23 août 1944, à nouveau en prison et rendu à sa famille le 23/12/1944. Libéré par les troupes françaises et rentré à Mulhouse le 23 mai 1945. 61. AHR 1452 W 25. RG au Préfet, 2/6/1945. 62. AN F1cIII 1224. Rapports des Préfets, série départementale. Rapport du Préfet du Haut‑Rhin pour le département du Haut-Rhin. Avril 1945. 63. D’après BRAEUNER (Gabriel), Joseph Rey, un maire pour Colmar, Colmar, 2001, p. 126, Rey aurait adhéré directement au MRP. 64. AN. F/1bI:1072. Dossier Fonlupt, préfet du Haut-Rhin. 65. NRF. Le 13 juin 1945. 66. Ibidem. 67. ABR. 544 D. 1. Rapport du Commissaire RG Leonard au Préfet du Bas-Rhin, le 13/7/1945. 68. Le NRF le 4 juin y consacre un article. 69. BAECHLER (Christian), Le Docteur Oberkirch et le problème allemand (1919-1947), Strasbourg, 1990, p. 114‑119. 70. ABR 544 D 1, le Préfet du Bas-Rhin au Ministre de l’Intérieur. 13/07/45. 71. Dont l’influent Schmidt-le-Roi, lui aussi ancien de l’APNA, destiné à prendre la direction de la branche sportive et culturelle du mouvement catholique diocésain, L’Avant-Garde du Rhin ABR. 544 D 1. Rapport 2/6/1945. 72. Dans son petit hebdomadaire “Honneur et Patrie”, l’ancien rédacteur de la Voix d’Alsace de Ferenzy et du Messager d’Alsace de Haenggi (et Hincky), Ley (APNA), résistant des maquis des Vosges, appelle à rayer Walter sur la liste des élections municipales d’octobre en termes rudes : « Für Friede, Ordnung und Sauberkeit ». Il affirme « ce n’est pas pour cela que nos jeunes sont morts, pour que des Walter puissent continuer leur désastreuse politique d’avant-guerre ». Ley est exclu du MRP, qui invite les adhérents à éviter tout rapport avec son hebdomadaire. Il publiera quelques semaines après les articles d’Albert Schmitt élu député MRP. Les électeurs de Bischwiller rendent au MRP le service de les débarrasser de ce « ballast » en refusant d’élire leur ancien conseiller général Walter aux cantonales de septembre. Walter renonce à la Constituante, mais conserve le poste d’adjoint au maire de Strasbourg jusqu’à sa mort le 29 janvier 1947. 73. Avant la guerre, Fonlupt logeait au 32 rue Herder,Strasbourg. À Colmar, sa permanence de député est située rue Bartholdi. 74. Nouvel Alsacien - le 29/07/1945. NRF, 29‑30 juillet 1945. 75. Titre du Nouvel Alsacien du 29 juillet 1945. 76. Y compris les inéligibles, comme Gullung ! Le député d’avant guerre Gullung est le père d’un autre gendre de Fonlupt (qui avait eu 8 enfants principalement des filles), Gullung, notaire à Hirsingue. 77. 27/08/45. Conseil national du MRP. A350 AP MRP 56 et 2 MRP 3 D 25. 78. Républicain du 2 août 1945. 79. AHR. 1452 W 25. rapport RG du 07/08/45. 80. AHR 1452 W 3. Rapport du Préfet Paira au Ministre de l’intérieur. 17/8/1945. 81. La Tribune de Mulhouse 21/8/1945. NRF 22/8/1945. 82. AHR. 1452 W 20. RG Colmar, 1/9/1945. 83. Tribune de Mulhouse, L’Alsace. 25/9/1945. Sauf indication contraire les candidats MRP sont élus. Colmar Rey, Andolsheim, Fleith Neuf-Brisach, Ferrari, Wintzenheim Beyer, Sainte-Marie- aux-Mines, Balland, Kaysersberg Rieder (MRP), Munster Krummenacker (indep sout.), Lapoutroie Tempé (indep sout.), Ribeauvillé Haag ; Guebwiller, Haedrich, Rouffach Monath, Ensisheim Bourgeois, Soultz Herrissé, Thann Zussy (indép. sout.), Cernay Kauffmann, Saint-Amarin Hartmann, élu Ehlinger, Masevaux Albert Hincky, Mulhouse-nord Vogel, élu Charles Klein (SFIO),

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Mulhouse-sud Fahrer, élu Wicky (SFIO), Habsheim Fuchs, Huningue Hurst, Sierentz/Landser, Kirchoffer (résistant. Sout). Altkirch Amiot, Dannemarie Wasmer ; Hirsingue Meyer ; Ferrette Thony. 84. AN. F/1a/3301. Le préfet Paira au Ministre de l’Intérieur, rapport sur les élections municipales et cantonales. 1/10/45. 85. Felsenstein, Le Monde du mercredi 3 octobre 1945. 86. Comme les autres députés sortants UPR Walter à Bischwiller, Seltz à Erstein, Elsässer à Wissembourg. 87. NRF du 30 octobre 1945. 88. AHR. AHR. 1452 W 25. rapport RG du 18/09/1945. 89. NRF 21/9/1945, Traduction. 90. NRF 28/9/1945. 91. NRF 2/10/1945. 92. Appel de la liste unitaire de la SFIO, MRP, PCF, Parti radical, Front National (résistance, proche du PCF), Libération Nord (résistance, proche de la SFIO), UAR (Kalb). 93. AN F1cIII. 1224. Le préfet du Haut-Rhin. Rapport spécial sur l’activité des partis politiques du département du 30 mars 1946. 94. AHR 1375 W 1. Note de Paira du 1/9/1945. Mgr Ruch aurait donné son accord sur « son lit de mort », d’après Wasmer, venu se plaindre d’une éventuelle candidature de René Kuehn alors encore sous-préfet à Altkirch. 95. AHR. 1375 W 1. Le préfet au Ministre de l’Intérieur. 12/09/45. 96. AHR 1375 W. 1. Rapports des RG Colmar et RG Mulhouse 15/9/1945. 97. AHR 1360 W 29. RG Mulhouse 15/9/1945. 98. Archives de la CFDT. 4 H 1. Meck à Hartmann copie à Tessier. 18/09/45. 99. AN 3/AG/43. Le 16 octobre, le Garde des sceaux P.-H. Teitgen fait savoir au général de Gaulle, président du gouvernement provisoire, que Rossé a été renvoyé devant la Cour de Justice de Colmar, et qu’une information a été ouverte contre les administrateurs et gérants de l’Alsatia. En fin de compte, Rossé comparaîtra devant la Cour de Nancy. 100. ABR 72 AJ 11. Extrait d’une note rédigée en 1947 par Fonlupt-Espéraber. (Pour un article, ou droit de réponse ?). « 1) pourquoi l’Alsatia pas mise sous séquestre ? En droit il semble bien qu’il y avait pas moyen. On pouvait séquestrer les biens ennemis, les sociétés ayant publié des journaux. Mais ce n’était pas l’Alsatia qui publiait pendant l’occupation, c’était le Kurier. En tous cas, le préfet ne pouvait mettre sous séquestre que les biens des personnes (évidemment physiques) dont il prononçait l’internement (résidence forcée ou déplacement). L’Alsatia n’a pas publié de journaux pendant l’occupation, les journaux avaient été repris par une société allemande. Le préfet ne pouvait interner que les personnes, je ne pouvais interner l’Alsatia ». [Et sur l’affaire Rossé] « 5) pourquoi le criminel Rossé n’est pas paru devant les tribunaux ? Ce n’est pas le préfet qui dirige la justice. Je me suis contenté de prendre un arrêté d’internement (avec mise sous séquestre des biens) mais Rossé que la police n’a pas retrouvé s’est livré lui même aux militaires. Je n’ai donc jamais eu d’action sur l’affaire. J’ajoute que le « retard » qui a permis « d’étouffer » le dossier n’a certes pas favorisé Rossé ». 101. AHR. 1375 W 1. Sûreté au préfet. 24/09/45. 102. Archives de la CFDT. 4 H 1. Meck à Tessier 27/09/45. 103. PAIRA (René), Affaires d’Alsace, Strasbourg, 1990, p. 184-185. 104. BAS (Jean-Christophe), Combats pour l’entente, André Bas. sl, sd. (1981). 105. 8AHR. 1375 W 1. Le préfet au Ministre de l’Interieur. 04/10/45. 106. Né en 1881, maire de Husseren-le-Château. Ancien combattant français de la guerre de 14-18. Maire de Husseren le Château, passeur dans la Gironde puis dans le Puy de Dome. 107. Né à Mulhouse le 1/9/1910. Avocat à Mulhouse depuis 1932. Capitaine Justin des FFIA. Secrétaire du CDL du Haut-Rhin.

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108. Né à Munster le 12/1/1909. Technicien du textile. Président du CDL de Guebwiller. 109. Né le 3/1/1894 à Oberbruck. Marchand de bois. Engagé volontaire de 1914. Passeur. Maire d’Oberbruck. 110. Né le 21/1/1911 à Ruelisheim. Passeur (frontière franco-suisse). Secrétaire du syndicat des mineurs CFTC. 111. La Tribune de Mulhouse du 20/10/1945. 112. Le préfet du Haut-Rhin au ministre de l’Intérieur, rapport sur la situation août 1945. 113. Meck avait demandé au curé de Molsheim Bornert (qui revenait de déportation) de se présenter dans le canton de Molsheim et avait été élu dans son ancien canton. 114. Archives de la CFDT. 4 H 1 Meck à Tessier 21/09/45. 115. AHR. 1375 W 1. Le préfet au ministre de l’Intérieur. 15/10/45. 116. AHR. 1452 W 25. RG au Préfet 27/09/45. 117. 1452 W 25. RG au Préfet. 10/10/45. 118. Tribune de Mulhouse, le 20 septembre 1945. 119. Tribune de Mulhouse le 18/10/1945. 120. Tribune de Mulhouse le 13/10/1945, titré « Qui tourne autour du pot ? » 121. Tribune de Mulhouse le 20/10/1945. 122. AHR1375 W 1. Le préfet au Ministre de l’Intérieur. 23/10/45. 123. L’inéligibilité des préfets était édictée par un décret de 1852, et un décret du 29 janvier 1871. Le Traité de droit politique, électoral et parlementaire d’Eugène Pierre (5e édition, 1924), estime sur la base du précédent de 1871, que les dispositions sur l’inéligibilité des préfets ne s’appliquent pas à ces fonctions exceptionnelles. 124. Assemblée nationale constituante. 11 décembre 1945, p. 903. Dans sa séance du 6 novembre 1945, le 7e bureau a été saisi d’une communication du ministre de l’Intérieur contre l’élection de M. FE. Le bureau s’est réservé le cas de M. FE et à validé l’élection des autres députés du Haut-Rhin. … Le ministre avait fait valoir que M. Fonlupt exerçait encore les fonctions de préfet, 6 mois avant la date des élections. Il appartenait donc à l’Assemblée de se prononcer sur son inéligibilité conformément à la loi du 30 novembre 1875, art. 12. … Nous l’avons soumis à un examen approfondi, car nous avons appartenu au gouvernement provisoire d’Alger et savons comment les préfets et sous-préfets de la Libération ont été nommés. Dans la plupart des cas, ils ont été nommés à titre provisoire. C’est le cas aussi de M. Fonlupt-Espéraber, nommé préfet du Haut-Rhin à titre provisoire […] dans des circonstances exceptionnelles. M. Fonlupt a été chargé dans la clandestinité en 1943, de l’administration du département du Haut-Rhin. À ce moment là, il avait été chargé aussi par le CGE d’un rapport sur la situation particulière de l’Alsace et de la Lorraine. Quand à Alger, on a avancé des propositions pour la préfecture du Haut-Rhin, M. Fonlupt a été désigné. Rappelons qu’en février 1945, une partie seulement du département du Haut-Rhin avait été libéré, et le reste était zone de guerre. Quelles que soient les divergences d’opinion, l’on ne peut soupçonner Fonlupt-Espéraber d’avoir pendant ces temps de guerre préparé sa campagne électorale. Il apparaît difficile, de faire à un élu du peuple le reproche d’avoir assumé pendant une période difficile, une charge difficile, quand cet élu a été un authentique résistant, qui a été durement atteint dans sa famille. Le bureau conclut donc à la validation des pouvoirs de M. Fonlupt-Espéraber. 125. Revue des sciences religieuses 79 n o4 (2005). IGERSHEIM (François), « Statut confessionnel et statut scolaire en Alsace et Lorraine. Les débats de 1945-1946 ». 126. ELGEY (Georgette), La République des Illusions, 1965, p. 165. 127. Le Monde, 26/1/1946. « Le protocole d’accord des trois grands partis ». 128. Revue des sciences religieuses 79 no 4 (2005), art. cit. 129. AHR 1360 W 60. 18/01/46. RG au Préfet. 130. Le Républicain du Haut-Rhin, 23/3/1946.

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131. Et qui sera indirectement introduite dans le préambule par un amendement MRP déposé en séance plénière et combattu par Philip, par 274 voix contre 272. 132. AN C// 15309. Deuxième Assemble nationale Constituante. Commission de la Constitution. Procès-verbal des séances. 8 août 1946. 133. Au cours de la réunion du Comité diocésain d’action et de défense familiales du 18 août 1946, où ont été invités les députés MRP d’Alsace, à laquelle n’a pas participé Fonlupt (retenu à Paris). Fonlupt était cependant en relations avec l’abbé Elchinger chargé par Mgr Weber de suivre les questions politiques. 134. NRF le 8 octobre 1946. 135. NRF ibidem. 136. NRF et Tribune de Mulhouse 11/10/1946. Ami du Peuple 13 octobre 1946 (version française) jour du scrutin. L’AP est vendu dans les églises. La version allemande a paru 8 jours auparavant. 137. Nouvel Alsacien, le 11/10/1946. Tribune de Pierre Pflimlin « Que nous offre la nouvelle constitution ? ». 138. L’Alsace le 20/21 octobre 1946. 139. L’avocat Kuehn avait demandé en vain une autorisation pour l’Est-Matin, et ne l’avait pas obtenue. C’est sans autorisation qu’est diffusé l’Est-Matin, en octobre puis à nouveau pour les législatives en novembre. Plainte est déposée auprès du procureur de la République, mais les poursuites abandonnées quelques mois après. L’Est-Matin régulier paraît à partir de 1947. 140. L’Alsace 14/10/1946. 141. NRF le 13/10/1946. 142. AN. 5/11/1946. Rapport du Préfet sur la situation du département du Haut-Rhin en octobre 1946. 143. IGERSHEIM (François), « Le gaullisme dans le Haut-Rhin sous la IVe République entre MRP et Modérés », AUDIGIER (François), SCHWINDT (Frédéric), Gaullisme et Gaullistes dans la France de l’Est sous la IVe République, Rennes, 2009. 144. 7ADHR 1452 W 23. RG à Préfet 1/10/46. 145. Nouvel Alsacien le 20 et 21/10/1946, CR du congrès MRP du Bas-Rhin. 146. Pour quelques semaines, puisqu’il décède le 14 janvier 1947. 147. AN F1cIII 1224. 1/11/1946. Rapport du Préfet du Bas-Rhin au Ministre de l’Intérieur sur le mois d’octobre 1946.

RÉSUMÉS

Les Commissaires de la République et Préfets des départements libérés ont à rétablir les principes républicains et un régime démocratique fondé sur le multipartisme et des élections libres, en tenant compte de l’épuration indispensable de ceux qui avaient collaboré avec l’ennemi nazi. L’avocat strasbourgeois résistant Fonlupt-Esperaber, établi pendant la guerre à Pau, est nommé préfet à Colmar. Sa tâche est difficile car il a à rétablir une vie politique normale dans un département dominé pendant la guerre par la puissante personnalité de l’UPR Joseph Rossé, alors en prison en attente d’un procès. Fonlupt-Esperaber, membre fondateur du MRP, s’emploie à créer une nouvelle Fédération MRP du Haut-Rhin, formé d’hommes nouveaux issus de la résistance et de cadres anciens, attaché aux principes travaillistes du MRP national, bien différents de ceux du MRP bas-rhinois, pour qui la restauration de l’ancienne UPR et du statut

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local est prioritaire. Fonlupt est élu député du Haut-Rhin et membre des deux commissions de la constitution de la IVe République, et a cru qu’il pourrait y définir les bases d’un nouveau régime cultuel et scolaire transitoire pour l’Alsace-Lorraine. Mais la logique des conflits de politique intérieure l’emporte et après le départ du général de Gaulle, le pacte du tripartisme entraine la neutralisation du débat sur le statut particulier de l’Alsace-Lorraine et de ce fait, les orientations du puissant MRP du Bas-Rhin l’emportent alors que le gaullisme devient la force politique principale du Haut-Rhin et l’appui du régime local.

Commissaires de la République and Prefects in the liberated départements of occupied France had to restore the Republican principles and first of all a democratic system founded on multipartysm and free elections, as much as possible, as the purge of collaborators and traitors was inevitable. The Strasbourg lawyer Fonlupt-Esperaber, who had spent the war years in Pau, was appointed to Colmar as Prefect. His task was difficult, as he had to restore a sane political life in a departement dominated before the war by the christian party and the powerful personnality of Joseph Rossé, then in prison and awaiting trial. Founding member of the new French MRP, Fonlupt-Esperaber managed to gather together new men from the resistance and old party members to form a new MRP Federation in the Haut-Rhin, attached to the principles of the national MRP and very different from these of the restored UPR of Bas-Rhin, whose staunch principle was to stick to the old religious regime of Alsace-Lorraine and be as much as possible autonomous. Fonlupt was elected députy of Haut-Rhin, member of the Constitution commitees, and thought he might be able to devise a new and transitory regime for Alsace-Lorraine and why not for France. But the logics of inner politics prevailed and after the departure of General de Gaulle, the triparty system shelved all discussions on Alsace-Lorraine and so the politics of the powerfull MRP in Bas-Rhin prevailed, while the Gaullist party soon became the leading party in the Haut-Rhin and a stauch supporter of the local statutes.

(vorab die Erläuterung einiger Abkürzungen. - UPR: Abkürzung für Union populaire républicaine. = ehemalige, katholisch dominierte, elsässische Regionalpartei. - MRP: Abkürzung für Mouvement républicain populaire. = eine der großen Parteien der Nachkriegszeit, stellte mehrere Premier Ministre) Die Commissaires de la République und die Präfekten der befreiten Départements bekommen die Aufgabe, die Prinzipien der Republik und ein demokratisches System wiedereinzuführen. Grundlagen dieses Systems müssen sein: Mehrparteiensystem und freie Wahlen. Gleichzeitig muß die Gesellschaft von all denen gereinigt werden, die mit den Nazis zusammengearbeitet haben. Präfekt von Colmar wird Fonlupt-Esperaber, ein Rechtsanwalt und Widerstandskämpfer aus Strasbourg, der während des Krieges in Pau verweilte. Seine Aufgabe ist schwierig, denn er muß ein normales politisches Leben wiedereinführen in einem Département, das während des Krieges von der starken Persönlichkeit von Joseph Rossé, dem führenden Kopf der UPR beherrscht war, der in diesen Tagen im Gefängnis auf seinen Prozeß wartete. Fonlupt-Esperaber ist Gründungsmitglied der MRP. Im Oberelsaß macht er sich daran, eine neue regionale Organisation der MRP aufzubauen. Die entscheidenden Mitglieder sollen unverbrauchte Männer aus dem Kreis der Widerstands-kämpfer sein. Daneben soll auch auf Männer zurückgegriffen werden, die früher in der MRP Frankreich führende Positionen hatten und aufgeschlossen für die sozialen Belange des Volkes waren. Das waren aber Kräfte, deren politische Vorstellungen sich nicht mit denen des MRP des Unterelsaß vertrugen. Vorrang für diese hatten vielmehr die Wiederbelebung der früheren UPR und des besonderen Statuts des Elsaß. Fonlupt wird im Oberelsaß zum Abgeordneten der Nationalversammlung gewählt und wird Mitglied der zwei Parlamentsausschüsse, die die Verfassung der IV. Republik erarbeiten. Er war überzeugt, daß er dort die Grundlagen einer neuen Ordnung des kultischen Lebens seiner Heimat und eine Übergangslösung für die Schulen des Elsaß festlegen könnte. Doch die Logik des Ablaufs der

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innenpolitischen Konflikte behält die Oberhand. Und nach dem Ausscheiden von de Gaulle führt der Drei-Parteien-Pakt dazu, daß die Erörterung eines Sonderstatuts für das Elsaß auf Eis gelegt wird. Die Folge dieser Entwicklung ist, im Unterelsaß setzt sich die einflußreiche MRP durch. Aber vorherrschende politische Kraft im Oberelsaß werden der Gaullismus und der Ruf nach einem regionalen Sondersystem.

AUTEUR

FRANÇOIS IGERSHEIM Professeur émérite d’Histoire de l’Alsace de l’Université de Strasbourg

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La vie démocratique et l'opinion de l'Alsace

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Les élections municipales et européennes du printemps 2014 en Alsace

Richard Kleinschmager

1 Face à la persistance des difficultés économiques et sociales, alors même que d’autres pays semblaient voir leur horizon s’ouvrir, les élections du printemps 2014 ont été marquées en Alsace comme ailleurs par une forte morosité parfois muée en exaspération, deux ans après la victoire du représentant du Parti Socialiste, François Hollande. Cet état d’esprit a imprégné les élections municipales et européennes, les premières élections générales depuis que la gauche est aux affaires mais aussi depuis que l’UMP se déchire à sa tête consécutivement à la défaite de Nicolas Sarkozy.

La consolidation des forces en présence aux municipales

2 Les élections municipales des 23 et 30 mars 2014 à mi-mandat présidentiel, ont vu l’amorce d’une certaine reconquête territoriale par les forces de droite. Selon l’expression consacrée dans les commentaires, une « vague bleue » a déferlé sur ces élections. Au plan national, la gauche a perdu pas moins de 155 communes de plus de 9 000 habitants pour n’en gagner que seize. La droite républicaine a conquis Toulouse mais aussi Limoges, Saint‑Étienne, Tours, Angoulême ou Chambéry. Le FN s’est emparé de Béziers et Fréjus ainsi que de huit autres villes dont Hayange en Moselle. Les centristes ont pu revendiquer une cinquantaine de villes, notamment Pau conquise par François Bayrou. Les Verts se sont imposés comme des alliés indispensables du PS et ont conquis Grenoble pour leur compte. La résistance locale du PS n’a toutefois pas été négligeable, là où les maires ont pu faire valoir un bilan acceptable. Le PS a ainsi conservé nombre des plus grandes villes du pays, notamment Paris, Lyon, Lille, Nantes, Rennes, Poitiers, Clermont-Ferrand, Rouen, Le Mans, et dans l’Est, Metz et Strasbourg.

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3 Dans ce contexte, la situation de l’Alsace, terre de droite où la gauche a réalisé des percées spectaculaires au cours des quarante dernières années, en particulier au niveau local, la vague bleue nationale n’a pas été la caractéristique la plus marquante de cette élection dans la région, même si le contestation de la politique nationale du PS a été un argument constamment évoqué par les candidats de droite. La plupart des 904 communes alsaciennes ont élu leurs maires sans référence politique explicite, les questions locales cristallisant le débat. Dans la cinquantaine de communes de plus de 5 000 habitants, l’affiliation politique des candidats a été un élément plus déterminant des choix des électeurs mais elle est loin d’avoir été toujours déterminante. Globalement, la droite a repris certaines des villes alsaciennes à la gauche qui a résisté davantage qu’il ne pouvait être attendu dans ce contexte défavorable au Parti Socialiste (PS), dans une région aussi marquée à droite que l’Alsace.

4 La victoire du socialiste Roland Ries à Strasbourg en est un des symboles les plus marquants. Après un premier tour qui a laissé au coude à coude Fabienne Keller, arrivée en tête avec 32,9 % des suffrages contre 31,4 % à son adversaire socialiste, le maire sortant a fini par l’emporter avec une courte avance de 1 509 électeurs au deuxième tour dans une triangulaire avec le Front National. En 2008, 12 838 suffrages séparaient les mêmes protagonistes. La campagne avait été menée avec intensité par la challenger Fabienne Keller, impatiente de reprendre la ville perdue en 2008 avec Robert Grossmann. Sa remontée progressive et constante dans les sondages préélectoraux aurait pu faire croire à sa victoire ultime. La présence du Front National au deuxième tour, en la personne de Jean-Luc Schaffhauser, ancien collaborateur de Marcel Rudloff qui s’était maintenu après avoir obtenu près de 11 % des voix au premier tour, a nettement joué en défaveur de la candidate de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) désignée par les instances de son parti dès juillet 2013. Même l’accord conclu entre les deux tours avec l’ancien ministre François Loos, candidat de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) qui avait totalisé 7,6 % des voix au premier tour, n’aura pas suffi. Roland Ries qui avait été désigné par une primaire des militants et sympathisants PS emportée haut la main en octobre 2013, a assuré sa deuxième victoire sur son nom, la quatrième du PS à Strasbourg depuis 1989. L’accord passé après le premier tour avec Europe Écologie les Verts (EELV) mené par Alain Jund, ancien adjoint de la précédente mandature, en a certainement été un des puissants adjuvants.

5 Dans le reste du Bas-Rhin, fief presque absolu des droites jusqu’à la première victoire municipale d’Alfred Muller, à Schiltigheim en 1977, la droite républicaine peut s’enorgueillir d’avoir fortement consolidé ses positions municipales. Même s’il ne saurait être question en Alsace de « bérézina rose » selon les termes du quotidien Libération (31 mars 2014), la bascule la plus importante de cette élection est sans conteste la victoire à Schiltigheim de l’UDI- ex Gauche Moderne, Jean-Marie Kutner, emportée sur le conseiller général et maire sortant, le socialiste Raphaël Nisand. L’alliance avec certains écologistes menés par Danielle Dambach et le Front de gauche de Marc Baader, n’aura pas suffi au maire sortant pour vaincre l’alliance forgée par Jean-Marie Kutner, 57 ans, pharmacien, avec le jeune Christian Ball, leader local de l’UMP. En emportant ainsi la troisième ville du Bas-Rhin, la droite a perturbé la domination absolue du PS sur la communauté urbaine de Strasbourg. Ailleurs les victoires contre les maires sortants de droite ont été obtenues par des adversaires de la même sensibilité. Ainsi à Bischwiller, Nicole Thomas a perdu son siège au bénéfice de son opposant divers droite, l’universitaire Jean-Lucien Netzer. Par ailleurs la gauche a

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plutôt bien résisté, à l’image de sa victoire dans la capitale régionale. Au sud de l’agglomération Jacques Bigot l’a emporté haut la main dès le premier tour à Illkirch- Graffenstaden avec 59 % des suffrages tout comme Jean-Marc Willer, divers gauche réélu (63 %) à Erstein ou Jean-Marie Beutel à Ostwald élu au deuxième tour, avec pas moins de 62 % des suffrages. À Wissembourg, dans une triangulaire, Christian Gliech, divers gauche, a conservé sa mairie d’un souffle avec 28 voix d’avance sur la liste de Jean-Max Tyburn qui comptait dans ses rangs l’ancien maire et actuel conseiller général UMP Pierre Bertrand.

6 Dans les autres villes du Bas-Rhin la droite a le plus souvent clairement emporté la mise. Le mieux élu de tous les maires urbains a sans conteste été Laurent Furst, UMP, député et maire de Molsheim depuis 1995 qui a totalisé pas moins de 83,4 % des suffrages, si l’on compte à part la situation de Schirmeck où Frédéric Bierry a été élu avec 100 % des voix en l’absence d’autres listes que la sienne. L’UMP conserve dès le premier tour, les mairies de Hoenheim avec Vincent Debes (78,8 % des suffrages), de Souffelweyersheim avec Sébastien Zaegel (78,2 %), d’Obernai avec Bernard Fischer (68,3 %), de Lingolsheim avec Yves Bur (64,5 %), de Sarre-Union avec Marc Séné (59,4 %) d’Eckbolsheim avec André Lobstein (59,3 %), de Brumath avec Étienne Wolf (56,7 %), de Haguenau avec Claude Sturni (54,7 %, apparenté UMP), de Saverne avec Stéphane Leyenberger (52,5 %), soit autant de nettes victoires traduisant la solidité de l’implantation locale de ces maires de la droite alsacienne. Jean‑Louis Hoerlé, UMP, président de la Chambre régionale de commerce et d’industrie, candidat à la succession d’André Klein-Mosser réussit même l’exploit de se faire élire pour sa première candidature dès le premier tour avec 51,7 % des suffrages à Bischheim, un ancien fief de la gauche jusque dans les années 1980. Marcel Bauer, UMP est réélu au deuxième tour (51,4 %) à Sélestat de même que les candidats divers droite, Gilbert Scholly à Barr (51,1 %) et Jean-Luc Schickelé à Mutzig (48,9 %), ou Pierre Schwartz (44,5 %) à Vendenheim, Pierre Perrin, divers droite également ayant été élu dès le premier tour (60 %) à Souffelweyersheim.

7 Dans le Haut-Rhin, à Mulhouse, le maire sortant Jean Rottner UMP qui avait été élu en cours de mandat par le conseil municipal en mai 2010, suite à la démission volontaire de Jean-Marie Bockel, a réussi sans coup férir à se faire consacrer par le suffrage universel. Avec 45,8 % des suffrages soit une avance de 2 420 voix sur son adversaire socialiste Pierre Freyburger (36,7 %), dans une triangulaire avec la candidate du Front National Martine Binder (17,5 %), ce médecin urgentiste de 47 ans a consolidé les positions de la droite républicaine dans la cité du Bollwerk, après les 18 ans sous le pavillon socialiste de Jean-Marie Bockel, avant son ralliement à Nicolas Sarkozy et la fondation de son parti la Gauche Moderne, en 2007. À Guebwiller, le socialiste Denis Rebmann a été battu de peu par son adversaire de droite Francis Kleitz. Autour de Mulhouse, Hubert Nemett à Riedisheim, Yves Goepfert à Wittelsheim, Jean-Luc Schildknecht à Illzach, Francis Hillmeyer à Pfastatt et Olivier Becht à Rixheim ont consolidé l’emprise locale de la majorité alsacienne. Seuls, Antoine Homé avec 47,8 % des suffrages au deuxième tour à Wittenheim et Jo Spiegel à Kingersheim dès le premier tour, ont conservé leurs villes au PS. Après soixante ans de domination de l’entente communale conservatrice, Denis Meyer a fait basculé Soultz à gauche profitant de la désunion du camp adverse. À Colmar, Gilbert Meyer a emporté calmement son quatrième mandat de maire dès le premier tour à Colmar avec 51,3 % des voix, en dépit des oppositions venues de son propre camp avec contre lui un candidat de la société civile, Bertrand Burger (28,2 %), le Vert Frédéric Hilbert (9,3 %) et

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la socialiste Victorine Valentin (8,7 %). D’autres villes haut-rhinoises ont été emportées avec aisance par la droite avec des scores sans appel. En témoigne la victoire des maires sortants, Jean-Marie Zoellé à Saint-Louis (79,9 % des suffrages), Jean‑Marc Deichtmann à Huningue (70,2 %), Claude Abel à Sainte-Marie-aux-Mines (70 %), Serge Nicole ((70,4 %), Michel Sordi à Cernay (69,2 %), Jean-Luc Reitzer à Altkirch (66,4 %), ou Michel Habig à Ensisheim (55 %). À Thann, avec une équipe de proches de l’ancienne équipe de Jean-Pierre Baeumler, maire socialiste pendant vingt-cinq ans, Romain Luttringer l’a nettement emporté sur une liste plus marquée à gauche. Ces élections municipales dans le Haut‑Rhin ont globalement consolidé l’emprise des droites. Que ces élus n’aient pas toujours mis en avant une étiquette UMP ou UDI, ils n’ont en pas moins renforcé dans le département les positions de la fraction de la droite alsacienne qui se reconnaît dans le vocable de majorité alsacienne.

Elections européennes 2014 en Alsace. Liste Union pour un Mouvement Populaire

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Elections européennes 2014 en Alsace. Liste Union de la Gauche

Elections européennes 2014 en Alsace. Liste Front National

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Elections européennes 2014 en Alsace. Liste Europe-Ecologie-Les Verts

8 L’élection le même jour et sur le même bulletin que pour les élections municipales des conseillers communautaires n’a pas apporté de surprise du fait des obligations de relative concordance entre les deux dispositifs de candidatures dans les communes concernées. Quant à la parité homme-femme devenue obligatoire sur les listes municipales des communes de plus de 1 000 habitants, elle a mécaniquement abouti à une présence nouvelle et accrue des femmes dans la politique locale. Elle n’a toutefois pas touché à la surrepésentation des hommes à la tête des communes. On chercherait en vain une femme élue parmi les cinquante premières communes alsaciennes. Elles sont de l’ordre de 70 femmes premières magistrates sur 904 communes et président pour l’instant aux destinées de communes plus modestes par la taille, alors qu’en Alsace Catherine Trautmann puis Fabienne Keller avaient ouvert la voie à Strasbourg. Faut-il rappeler que seules deux femmes sur quinze, Sophie Rohfritsch et Arlette Grosskost représentent l’Alsace sur les bancs de l’Assemblée Nationale. Laurence-Muller-Bronn à Gerstheim, ancienne adjointe, l’universitaire Pia Imbs à Holtzheim, Anne Guillier soutenue par le maire sortant Frédéric Reiss à Niederbronn, Michèle Eschlimann qui succède à son père, l’ancien sénateur et maire Joseph Ostermann, à Wasselonne, Béatrice Bulou, ancien chef de service au Conseil Régional, à Mundolsheim sont quelques-unes de ces nouvelles figures féminines de la vie politique régionale, apparues à l’occasion de cette élection.

9 Le ferment de l’ancrage à droite de la vie politique régionale réside sans conteste dans cette force des implantations locales de l’UMP et de l’UDI, que les candidats mettent ou non en avant ces étiquettes. Elles forment un réseau puissant et constant qui ne laisse aucune ouverture à des formations minoritaires ou à l’extrême droite nationale qui n’est, jusqu’à ce jour, pas parvenu à percer la carapace protectrice que construisent ces élus de droite à forte implantation locale. Seule une grande formation comme le PS,

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parti des mondes urbains, appuyé aujourd’hui davantage sur les classes moyennes urbaines que les milieux populaires traditionnels où il perd de son influence, peut faire contrepoids à cette majorité alsacienne des territoires. Ensemble, le PS, l’UMP et l’UDI n’ont jusqu’à ce jour laissé aucun véritable espace local à l’extrême-droite nationale, bien que celle-ci s’exprime fortement dans d’autres élections comme les élections européennes.

Aux européennes, une secousse à droite de la droite moins forte en Alsace qu’au plan national

10 Les élections européennes du 23 mai 2014 resteront dans les annales de la vie politique française comme le jour de la première victoire majeure du Front National. Le quotidien « Le Monde » du mardi 27 mai titrait : « Le triomphe du Front National dévaste le paysage politique français ». La formation de Marine Le Pen est arrivée en tête dans 70 % des départements, en particulier à l’est du pays, avec un surplus de voix dans le Nord, la Picardie, la Lorraine, en Champagne-Ardennes et sur le littoral méditerranéen. Avec 24,9 % des suffrages exprimés représentant 4 712 461 électeurs, il s’est placé nettement en tête au niveau national, devant l’UMP (20,8 %) et le PS (13,9 %). Le FN a ainsi obtenu vingt quatre des soixante quatorze sièges de députés européens français, l’UMP vingt, le PS treize, l’Alternative centriste sept, EELV six et le Front de gauche trois, auxquels s’ajoute un divers gauche. Ce scrutin met en cause la distribution traditionnelle des forces politiques en paraissant réduire à trois blocs, droite républicaine et centriste, extrême-droite nationale, gauches et alliés écologistes, le paysage politique nationale.

11 Les cartes des votes par commune composées par Jean-Philippe Droux à l’atelier cartographique du CRESAT à l’Université de Haute Alsace détaillent l’implantation géographique des diverses formations et dessinent les contours des zones d’influence des principales formations à ces élections. En Alsace, le FN a totalisé 141 099 électeurs soit 27,2 % des suffrages exprimés devant l’UMP 126 089 électeurs (24,3 %), le PS 60 884 électeurs (11,7 %) l’UDI-Modem 55 045 électeurs (10,6 %) et Europe écologie les Verts 43 714 électeurs (8,4 %). Aux précédentes élections européennes en 2009, le FN n’avait totalisé que 37 878 électeurs. Il a fait un bond vertigineux de 103 221 électeurs d’une élection à l’autre tandis que l’UMP a perdu 25 410 électeurs et le PS 7 502 électeurs. Europe Écologie les Verts a enregistré une perte sévère de 35 106 électeurs à l’inverse des centristes (Modem en 2009, Modem-UDI en 2014) qui progressent de 9 398 voix. La forte abstention (58 %) à ce type d’élection, moins forte toutefois qu’en 2009 (61 %), explique que le total des électeurs du FN soit resté loin du score de la présidentielle 2012 où Marine Le Pen était arrivée en deuxième position derrière Nicolas Sarkozy, avec 219 252 voix soit 22,1 % des suffrages contre 32,9 % au président sortant. Un pourcentage de 27,2 % est toutefois le plus fort pourcentage de voix réalisé sur la région, toutes élections confondues. Aux élections européennes, il était à 13,6 % en 1989, 14,6 % en 1994, 8,5 % en 1999, 13,2 % en 2004 et 8,1 % en 2009. À cette élection de 2014, le reflux de l’électorat lepéniste vers Nicolas Sarkozy enregistré depuis la présidentielle de 2007 ne s’est pas maintenu, faute sans doute de leader fort à l’UMP depuis la défaite présidentielle de 2012 et compte tenu de la profonde désorganisation du parti fondé par Jacques Chirac en 2002 qui s’en est suivie. Le PS n’a résisté qu’à Strasbourg où il arrive en tête dans sept cantons sur dix, le FN le devançant

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dans le canton 10 du Port du Rhin-Neuhof, un de ses vieux fiefs strasbourgeois et dans le canton 9 Koenigshoffen-Montagne-Verte dont le conseiller général socialiste Éric El Kouby est un proche du député PS Armand Jung. À Mulhouse, seul le canton Est offre une majorité de voix à l’UMP et non au FN. Dans le reste de la région, les rares cantons qui résistent au rouleau compresseur frontiste se situent dans la grande périphérie strasbourgeoise où les cantons de Haguenau, Brumath, Hochfelden, Truchtersheim, Mundolsheim, et Rosheim ont donné la préférence à l’UMP de même que les cantons de la périphérie colmarienne, de Colmar-Sud, Kaysersberg et Wintzenheim auxquels on peut ajouter le canton frontalier de Huningue.

12 Les cartes communales soulignent davantage les continuités des implantations des partis que des ruptures marquées. Le Haut-Rhin a accordé comme bien souvent davantage de suffrages au FN (30,05 %) que le Bas-Rhin (25,2 %) où l’UMP (24,9 %) fait presque jeu égal avec lui. Rappelons qu’au dernier trimestre 2013, le taux de chômage était de 9,7 % dans le Haut-Rhin contre 8,6 % dans le Bas-Rhin et que la proportion d’ouvriers est de 18,3 % de la population active dans le premier et de 16,5 % dans le second. Que le FN ait une réception importante dans les milieux populaires n’est plus une découverte pour personne mais que la gauche y perdent tant d’influence est sans nul doute une des révélations de ce scrutin. Si l’on prend en compte le canton du Port du Rhin-Neuhof, le plus lepéniste des cantons strasbourgeois, il totalisait déjà 19 % de vote pour le FN aux européennes de 1989. Il culmine en 2014 à 26,3 %. Le PS qui faisait 28 % des suffrages exprimés dans le canton n’en a obtenu que 19,6 % en 2014. La question est posée de savoir si ce scrutin singulier à un tour sans effet national direct, dans un contexte de crise de l’UMP et de difficultés gouvernementales du PS, peut se confirmer dans des élections à deux tours et en particulier dans des élections où l’implantation locale des partis se posera inéluctablement lors de prochaines consultations.

13 À plusieurs reprises, davantage que d’autres, les électeurs alsaciens ont surpris par le surplus de voix qu’ils ont accordé au Front National par rapport à d’autres régions. Aux présidentielles de 1995, c’est en Alsace que le père fondateur du FN a obtenu son meilleur score avec 25,4 % des voix contre 15 % en moyenne nationale. Pour cette élection européenne de 2014, l’Alsace se place désormais en situation intermédiaire de vote pour le FN (27,2 %), huit régions et notamment les régions proches de Lorraine (30,5 %) et de Franche-Comté (28,8 %) la dépassant pour le résultat en faveur du Front National. L’effet de l’aspiration des voix frontistes par Nicolas Sarkozy en 2007 s’est d’une certaine façon poursuivie au bénéfice de l’UMP. Cela explique que l’Alsace n’ait pas été au premier rang de la victoire du FN à ces élections européennes de 2014.

14 En ce qui concerne les élus européens issus de la région, la représentation de l’Alsace s’est affaiblie. Marquante est la disparition de la représentation régionale au Parlement Européen de la socialiste Catherine Trautmann, ancien maire de Strasbourg, ancien ministre de la Culture de Lionel Jospin. Elle avait acquis une réputation d’experte pour les questions de recherche et s’était notamment illustrée dans la défense de la position de Strasbourg comme ville siège du Parlement. Elle a été victime du choix de son parti. Les instances du PS lui ont préféré le très médiatique leader ouvrier de la CFDT Edouard Martin qui avait été l’une des figures de proue des sidérurgistes de Florange dans le combat contre la fermeture du site. La haut-rhinoise Michèle Striffler placée en troisième position de la liste UDF-Modem n’a pas non plus retrouvé son siège. Seule Anne Sander, docteur en économie de l’Université de Strasbourg, ancienne assistante

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au parlement européen de Joseph Daul, un des leaders européens de la majorité démocrate chrétienne et de droite du Parlement qui ne se représentait pas, a été élue en troisième position sur la liste UMP de la circonscription Est conduite par l’UMP Nadine Morano de Toul, ancienne ministre très sarkozyste des gouvernements Fillon.

Pour conclure

15 Dans l’histoire politique récente de l’Alsace, ces élections municipales et européennes du printemps 2014 n’ont pas marqué de ruptures fortes avec les évolutions politiques régionales récentes. La forte adhésion à Nicolas Sarkozy d’une fraction importante de l’électorat ne s’est pas démentie jusqu’en 2012. L’Alsace se révèle en 2012 encore la région la plus sarkozyste avec 63,4 % des suffrages au président sortant contre 48,4 % en moyenne nationale au deuxième tour de la présidentielle. Cet électorat dont une fraction avait abandonné ses proximités antérieures avec le FN est revenue pour une part au parti de Marine Le Pen. Depuis plus longtemps qu’ailleurs l’électorat pratique les allers-retours de l’extrême-droite nationale à la droite classique. La recherche d’une certaine forme autoritaire de gouvernement dans la tradition bonapartiste n’est certainement pas étrangère à ces oscillations. À ces élections européennes, le Front National n’a pas conservé à l’Alsace ses anciennes premières places. Quant au PS, ses électeurs strasbourgeois sont restés fidèles à leur option municipale. Partout ailleurs, la déroute du parti au pouvoir est sévère. Il ne dépasse les 10 % des suffrages que dans un tiers des 75 cantons alsaciens. Les élections municipales par contraste n’ont octroyé aucune municipalité au FN contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres régions. Elles ont souligné la faible implantation partisane locale du FN et sa difficulté à s’affranchir des élections à la proportionnelle pour marquer son audience. Ces élections municipales ont confirmé le clivage entre l’électorat strasbourgeois et la zone de métabolisme péri-strasbourgeois avec le reste de l’espace politique alsacien marqué par l’influence confirmée de la droite UMP et centriste. Cette dernière a repris l’essentiel de ses positions municipales sauf Strasbourg, confirmant son influence de longue durée sur les territoires non métropolitains de la région même si la gauche des villes alsaciennes a résisté dans un contexte national très défavorable.

AUTEUR

RICHARD KLEINSCHMAGER Professeur de Géographie, Université de Strasbourg

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Positions d'habilitation et de thèses

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La ville négociée Pouvoir et commune dans l’urbanisation médiévale de la Haute-Alsace1

Gabriel Zeilinger

1 Il est presque impossible aujourd’hui de comprendre entièrement le dynamisme particulier du changement démographique, économique, social, culturel et politique en Europe du XIe au XIV e siècle et ses effets durables. Le synchronisme et l’interdépendance de la croissance démographique, de la progression de la mobilité et des migrations, du renforcement des infrastructures, des innovations techniques, de la formation des communes dans les villages et les villes, de la révolution commerciale ainsi que du développement des structures de pouvoir – pour mentionner quelques aspects seulement – sont difficiles à expliquer ensemble. C’est pourquoi on les traite souvent séparément ou on les divise. Mais tous ces processus dynamiques se retrouvent dans l’urbanisation progressive du continent à l’époque.

2 Urbanisation – ce n’est justement pas un phénomène des temps modernes. Par-delà les époques et les disciplines différentes on peut décrire l’urbanisation comme la diffusion des formes de vie urbaines des villes aux environs ruraux. Cette diffusion s’est produite au Moyen Âge non seulement dans les villes qui naissaient et croissaient alors mais aussi à travers les effets que celles-ci avaient sur la campagne – qui concernent pratiquement tous les types de processus de changement historiques évoqués plus haut. Quand on conçoit la recherche sur l’urbanisation médiévale de cette manière, il est évident qu’il ne s’agit pas seulement de l’histoire de certaines villes mais de la transformation de régions entières concernant les villes (croissantes) mais aussi la diffusion des formes de vie présomptivement ou réellement urbaines dans les milieux ruraux ou nobles.

3 Il y eut deux étapes d’urbanisation au cours du Moyen Âge : d’abord les processus d’urbanisation prononcés dans l’Italie du Nord et dans la zone entre la Seine et le Rhin Inférieur ; puis, plus tard, une deuxième génération de régions urbanisées. L’une de ces régions était particulièrement dynamique et connut en conséquence une urbanisation très dense : l’Alsace. L’urbanisation de l’Alsace s’est effectuée – comme dans d’autres régions – en plusieurs phases, qui sont marquées par leurs particularités seigneuriales et économiques : Jusqu’au XIIe siècle on comptait en Alsace avant tout la vieille ville romaine et épiscopale Strasbourg, qui avait été en partie préservée puis s’était

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développée, tout comme les villes sœurs sur le Rhin et la Moselle qui avaient la même histoire de genèse et qui étaient comme des « Inseln in einer rustikalen Umwelt » (Edith Ennen). À part ça, le côté occidental du Rhin Supérieur était encore marqué par la ruralité.

4 Les Hohenstaufen furent les premiers à promouvoir largement des villes en Alsace et ils furent par conséquent les premiers à donner des impulsions majeures à l’urbanisation de la région. En plus de leur centre de prestige en Alsace, le palais et la future ville d’Haguenau, ils y ont fondé ou plutôt privilégié encore une dizaine d’autres villes. Mais d’autres seigneurs laïques et ecclésiastiques avaient – en partie déjà avant la fin de la dynastie des Hohenstaufen – commencé à aménager et à équiper un nombre croissant de centres de pouvoir. Vers 1400, la plupart des 60‑70 villes de l’Alsace médiévale étaient déjà formées. Malgré les relations et les interdépendances qui existaient, la Haute-Alsace et la Basse-Alsace avaient des structures urbaines différentes : en Basse- Alsace, elle était caractérisée par la domination forte de la métropole de Strasbourg et en Haute-Alsace, en particulier dans sa partie nord, par la concentration de petites villes et de villes de taille moyenne.

5 Dans cette thèse, l’urbanisation en Haute-Alsace (du nord) au XIIe, XIIIe et au début du XIVe siècle est analysée dans toutes les dimensions de l’histoire sociale et politique. Les études de cas conçues à cette fin examinent ainsi les processus d’urbanisation sans s’intéresser en premier lieu à l’augmentation quantitative et qualitative de la centralité fonctionnelle dans quelques villes. Elles traitent avant tout de l’interaction, dans la mesure où elle est saisissable à l’écrit, entre seigneurie et commune concernant les questions de la fonction et de la qualité d’un lieu. Après que la recherche sur le développement des villes médiévales a longtemps analysé la présence des fonctions centrales et les premières formes de communes urbaines médiévales, la combinaison de ces aspects avec une telle analyse de l’interaction semble être adéquate pour comprendre encore mieux l’urbanisation médiévale.

6 Puisque l’objet d’analyse est lié à des aspects très divers et à des problèmes différents quant aux événements de l’époque et à la recherche historique – notamment parce qu’espace, pouvoir, ville, commune, etc. ne sont pas faciles à exposer (aussi dans les sources écrites) –, une première partie du travail explique les rapports entre les villes et la campagne à l’aide des sources ainsi que des méthodes et des résultats des recherches antérieures sur l’Alsace, tout en portant un regard comparatif sur les régions voisines. Ensuite, une deuxième partie développe le programme d’une nouvelle recherche sur l’urbanisation médiévale et l’applique à des études de cas. Premièrement, Sélestat, Colmar, Mulhouse et Kaysersberg sont réexaminés sous la perspective des rapports entre les communes et les Hohenstaufen et les autres seigneurs locaux pendant la première phase du développement urbain. Puis, les villes des évêques de Strasbourg dans l’Obermundat (en premier lieu Rouffach), certaines villes des Habsbourg en Haute-Alsace du nord (Ensisheim, Thann, Cernay et Bergheim notamment), les lieux centraux de la seigneurie des Ribeaupierre et enfin Turckheim – commune entre Munster, Habsbourg et l’Empire – suivent. Le panorama se termine avec une étude sur quelques lieux qui ne sont pas, ou seulement très tard, devenus des villes.

7 Les résultats principaux sont les suivants : Au Moyen Âge central et tardif, il y avait en Haute-Alsace uniquement des villes, qui n’étaient pas seulement pendant la première phase de l’urbanisation marquées par la présence aristocratique. Il est frappant qu’il y

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avait à l’endroit de nombreuses futures villes d’abord plusieurs seigneurs avec des droits seigneuriaux et avec des représentations locales durables. En outre, les alleux nobles ou ecclésiastiques ne constituaient pas un terreau plus fertile pour le développement urbain que les avoueries ou même les engagements. Le rôle primordial des médiateurs entre les seigneuries et les communes – les avoués, les procureurs, les prévôts, les juges, les membres des conseils urbains et autres – concernant la naissance et le développement des villes était aussi important en Haute-Alsace qu’ailleurs, mais doit être souligné avec force. La présence de plusieurs seigneurs parfois rivaux dans un même lieu avait quelquefois pour conséquence que les médiateurs et/ou les communes, qui n’étaient justement pas des blocs monolithiques, avaient plus de libertés. Les partis en lutte à Colmar et à Mulhouse par exemple le prouvent de façon saisissante.

8 Les communes connaissaient le plus souvent deux lieux de socialisation et de vie publique : l’église (paroissiale) et sa cour, pas seulement le cimetière, ainsi que les communaux et le pouvoir d’en disposer. La plupart des premiers documents sur les activités des communes se réfèrent au moins à un de ces endroits. Ce n’est pas encore un fait exceptionnel qui met en évidence les communes (pré-)urbaines par rapport aux villages, mais l’appropriation par la communauté des habitants (avant tout de la cour de l’église) et les ventes faites en son nom (avant tout du bien communal) dans les communes mentionnées se rencontrent très tôt ; elles avaient souvent à moyen terme des conséquences « urbaines ». Toutefois, on ne peut pas encore considérer que ces actes étaient exercés par une communauté de personnes égales en droit. À Colmar, par exemple, les ministériaux locaux des Hohenstaufen ont manifestement accaparé la commune naissante contre les autres seigneurs de la ville (les abbés de Payerne et de Munster ainsi que le chapitre de la cathédrale de Constance). Chose étonnante, mais peut-être explicable par cela, le serment avait aussi en Haute-Alsace une signification probablement importante pour la socialisation des communes, mais il est rarement attesté explicitement. Pourtant, jurés ou non : les communautés, les confréries, les corporations, mais aussi le voisinage des gens de statut juridique différent qui appartenaient toutefois à la même paroisse étaient le fondement de la commune et apparaissent en tant que tel. En revanche, c’est plutôt à la fin du processus de développement urbain que l’on rencontre des droits urbains bien fixés dans la région.

9 Au moins pour les communes plus anciennes dans les plus grandes villes, les rapports entre le conseil municipal et le tribunal municipal étaient de grande importance. En l’occurrence, les fonctionnaires de la seigneurie étaient – comme c’était souvent le cas – les personnes-clés qui apportaient un « savoir dominateur », de la confiance en soi dans le domaine de la politique et un prestige social (quasi-) aristocratique dans la ville – ils restaient quand même quelquefois à la limite entre les deux sphères. On voit dans de nombreux passages de cette étude que les dernières décennies des Hohenstaufen, l’Interrègne et le règne de Rodolphe de Habsbourg furent à cet égard, et à d’autres, une période charnière dans l’histoire des villes. Cette forme de transformation, notamment sociale, apparaît de façon plus nette dans un système spatial plus vaste que dans une seule ville. Les négociations entre l’empereur Frédéric II, son fils Henri VII et leurs partisans dans la région d’un côté et les évêques de Strasbourg de l’autre prouvent pour les années 1220 de façon impressionnante que les ministériaux avaient grand intérêt à s’installer dans les villes et à vivre more civium (à la manière des bourgeois). On trouve cette forme de vie, qui se répandait un peu partout, entre autres dans des témoignages indirects d’urbanisation, par exemple dans le terrier des Habsbourg. Les seigneurs devaient réagir. Mais aussi les réseaux de communication, politiques ou même

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familiaux des représentants des seigneurs et des élites urbaines, qui débouchaient dans des alliances intercommunales à partir du milieu du XIIIe siècle, manifestent les effets de l’urbanisation dans la région.

10 L’interaction entre seigneurie et commune analysée dans cette thèse montre au sujet du développement urbain que les processus de communication et leur mise en écrit sont souvent plus significatifs que les facteurs de centralité. C’est pourquoi les processus analysés avec leurs dimensions chronologiques et spatiales et avec leurs formes de négociation différentes montrent et expliquent au moins certains aspects du déroulement de l’urbanisation plus précisément que lorsqu’on s’en tient aux questions, certes indispensables, de la centralité ou du degré d’urbanité d’un lieu. C’est pourquoi ce travail n’opère pas de distinction stricte entre village et ville, d’une part parce qu’elle comporte le risque de détourner l’attention d’évolutions fort intéressantes, de l’autre parce que le processus d’urbanisation touchait pratiquement l’ensemble du paysage naturel et social. Ajoutons qu’il n’est pas facile de faire un catalogue de ce dynamisme, ni d’en faire la cartographie, justement parce que ses facettes sont si diverses.

11 Ce qui est en revanche mesurable, c’est le progrès de la culture de l’écrit et de la production d’actes écrits envers les villages. Celle-ci caractérise non seulement les villes plus anciennes et plus grandes mais aussi, de plus en plus, les villes plus petites en Haute-Alsace. Cette remarque semble banale. Mais tous les processus de densification du pouvoir s’y cumulent. Le recours à l’écrit dans la ville était d’une part une offre s’adressant aux environs, mais d’autre part – à l’égard des seigneurs – en fin de compte la marque d’une autogestion (partielle), ce qui ne signifie pas forcément autonomie. L’urbanisation se montre ainsi dans la ville prise isolément comme dans la région entière par la densité croissante et par la diffusion des pratiques judiciaires, administratives et scripturaires. Les villes arrachaient de plus en plus ces éléments et l’idée de l’ordre public à l’ancien monopole de l’Église et de la cour, elles les adaptaient à tel point que ces lieux sociaux se réformaient réciproquement. Urbanisation signifie aussi la diffusion, répandue mais pas illimitée, des pratiques de la vie publique et privée, que les contemporains considéraient désormais comme « urbaines ». L’urbanisation, c’est donc aussi le recours à l’écrit, et sa conservation, sur ce qui touche à l’interaction entre seigneurie et commune. La manière et le développement de cette interaction indiquent également l’urbanité d’un endroit et la qualifient. C’est bien sûr le cas quand les deux côtés et leurs acteurs agissaient et négociaient consciemment dans une « ville ».

12 Isidore de Séville le savait déjà : Ce sont les gens et non les pierres qui font les villes. Et cette forme de la vie commune était apparemment très attirante. Sinon, le souhait d’autant de personnes de vivre more civium, que les seigneurs enregistraient en partie à leur grand étonnement, qu’ils combattaient parfois ou qu’ils encourageaient parfois, ce souhait ne se serait pas répandu si vite et il n’aurait pas changé non seulement l’Alsace, mais aussi toute l’Europe médiévale si durablement.

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NOTES

1. Verhandelte Stadt. Herrschaft und Gemeinde in der frühen Urbanisierung des Oberelsass vom 12. bis 14. Jahrhundert, thèse d’habilitation soutenue à l’Université de Kiel 2013, en préparation pour la publication dans la série „Mittelalter-Forschungen“. L’auteur remercie cordialement Nathalie Zeilinger, Eckernförde, et Olivier Richard, Mulhouse, pour leurs propositions précieuses quant au texte français.

AUTEUR

GABRIEL ZEILINGER Docteur en histoire

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Patrimoine régional, administration nationale : la conservation des monuments historiques en Alsace de 1914 à 1964

Nicolas Lefort

1 Cette thèse en histoire intitulée Patrimoine régional, administration nationale : la conservation des monuments historiques en Alsace de 1914 à 19641 constitue l’aboutissement de recherches commencées en 2002 dans le cadre d’un mémoire de maîtrise sur la conservation des monuments historiques dans le département du Haut-Rhin entre 1919 et 1939 et poursuivies dans le cadre d’un DEA sur le service des monuments historiques en Alsace de 1919 à 1959, puis d’un doctorat préparé à l’Université de Strasbourg entre 2007 et 2013.

2 Ces recherches sur la conservation des monuments historiques en Alsace s’inscrivent dans le courant de l’histoire des politiques du patrimoine. Après les travaux pionniers de Dominique Poulot, Jean-Michel Leniaud et Françoise Bercé sur la période révolutionnaire et les débuts de la protection des monuments historiques, l’histoire des politiques du patrimoine a connu un essor considérable ces vingt dernières années. À l’échelle nationale, les principaux jalons de l’histoire critique du service des monuments historiques aux XIXe et XXe siècles ont été posés par les thèses récentes d’Arlette Auduc2, de Patrice Gourbin3 et de Xavier Laurent 4. À l’échelle de l’Alsace, l’histoire de la conservation des monuments historiques et de la Denkmalpflege jusqu’en 1914 a été retracée par François Igersheim dans sa Fabrique des monuments parue en 20065. Cependant, la période postérieure à 1918 restait presque entièrement à explorer.

3 Pendant son demi-siècle d’annexion à l’Empire allemand de 1871 à 1918, l’Alsace avait connu un régime largement décentralisé où les députés, les conseillers généraux et les municipalités pesaient fortement sur les décisions politiques et administratives, où les grandes lignes des budgets et des comptes locaux et régionaux dépendaient largement de leur vote, déterminé par les pressions des collectivités et des associations. Cela était

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aussi le cas pour les monuments historiques. Mais en 1918-1919, l’Alsace retourna à la France où la conservation des monuments historiques était fortement centralisée. Dès lors se pose toute une série de questions. Quel régime juridique le gouvernement français appliqua-t-il aux monuments historiques d’Alsace après 1918 ? Quelles institutions mises en place en Alsace sous le Reichsland furent maintenues en vigueur après l’Armistice, voire étendues au reste de la France ? Quelle politique d’inventaire et de protection des monuments historiques fut appliquée en Alsace ? Quels moyens financiers furent mis au service de la politique de protection, de conservation, de restauration et de mise en valeur des monuments historiques d’Alsace ? Quelles furent les grandes réalisations du service des monuments historiques en Alsace ? Quelle autonomie fut laissée aux départements, aux municipalités et aux associations dans la protection de leurs monuments ? Enfin, comment l’action du service des monuments historiques fut-elle reçue par les élus et la population alsacienne ?

4 Les bornes chronologiques de cette enquête n’avaient rien d’évident au départ. La date de 1914 fut préférée à celle de 1918 pour intégrer l’étude des premières mesures prises par l’Administration militaire française pour la protection des monuments historiques dans les territoires occupés d’Alsace, et celle de la préparation par la Conférence d’Alsace-Lorraine de la réintégration à la France des provinces de l’Est. Le choix du terminus ad quem fut moins évident. L’année 1964 a été choisie parce qu’elle marqua la fin du long processus d’introduction en Alsace et en Lorraine de la loi française de 1913 sur les monuments historiques et parce qu’elle permettait d’évoquer les grandes réformes du « moment Malraux » : la loi sur les secteurs sauvegardés, qui fut rapidement appliquée à Colmar et à Strasbourg, et la création de l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, qui choisit l’Alsace et la Bretagne comme « régions pilotes ».

5 Comme pour toute étude relative au XXe siècle, les sources permettant d’aborder l’ensemble de ces questions sont surabondantes et très dispersées. Cela imposait de faire des choix. Cette thèse repose donc essentiellement sur le dépouillement d’archives administratives et d’imprimés officiels. Les archives centrales du service des monuments historiques conservées à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine à Charenton-le-Pont ont permis d’étudier les questions relatives à la législation, à l’organisation, au personnel et au budget du service, ainsi que les débats de la commission des monuments historiques et des exemples de chantiers de restauration. Les fonds de l’inspection des monuments historiques d’Alsace puis des agences départementales des bâtiments de France du Bas‑Rhin et du Haut‑Rhin, versés aux archives départementales, ont renseigné sur l’organisation régionale et départementale du service et sur sa pratique administrative quotidienne. Les archives des services d’Alsace et de Lorraine et des préfectures ont permis d’étudier l’introduction de la législation française et certains problèmes politiques posés par la conservation des monuments historiques. La consultation des archives privées laissées par les architectes, notamment des papiers de Paul Gélis, Charles Czarnowsky, Bertrand Monnet et Hugues Herz, a apporté d’utiles compléments. Enfin, les Journaux officiels, les procès‑verbaux et les budgets d’Alsace et de Lorraine et des départements du Bas‑Rhin et du Haut‑Rhin ont complété ce corpus.

6 En résumé, il s’agit principalement de sources administratives souvent très « sèches » qui ne permirent pas d’aborder les questions relatives à la symbolique et à la réception

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des monuments ou à la doctrine de restauration, ni les grands débats concernant l’architecture et l’urbanisme.

7 Le plan chronologique s’est imposé pour rendre compte des continuités et des ruptures. La première partie étudie les années 1914 à 1925 : les monuments historiques d’Alsace dans la Grande Guerre, la préparation du retour à la France et le régime transitoire du commissariat général de la République à Strasbourg. La seconde partie concerne les années 1925 à 1939 : la centralisation du service des monuments historiques d’Alsace au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts à Paris et ses conséquences, les difficultés budgétaires du service des monuments historiques liées à la crise économique des années 1930 et la préparation de la guerre. Enfin, la troisième partie traite les années 1939 à 1964 : la Seconde Guerre mondiale et la période de l’annexion de fait de l’Alsace à l’Allemagne nazie, la réorganisation du service des monuments historiques après la Libération et la deuxième reconstruction d’après-guerre. Chaque partie a été divisée en chapitres thématiques concernant la législation, l’organisation, le budget, la protection et la restauration des monuments. L’étude de chacune de ces questions a permis de mettre en évidence un grand nombre d’éléments nouveaux.

8 Pendant toute la période considérée, de 1914 à 1964, l’Alsace conserva un régime juridique des monuments historiques particulier par rapport au reste de la France. En 1914, la législation alsacienne et lorraine sur les monuments historiques était en retard par rapport à celle de la France. Durant la Première Guerre mondiale, la Conférence d’Alsace-Lorraine se prononça donc pour l’introduction complète et immédiate de la grande loi française du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Mais après l’Armistice de 1918, le gouvernement français fut contraint de procéder par étape en raison du maintien en vigueur du régime local des cultes dont relevait la majorité des monuments historiques. Dans un premier temps, l’urgence de protéger les anciens champs de bataille de la Grande Guerre dans les Vosges conduisit le commissaire général de la République Alexandre Millerand à prendre l’arrêté du 20 juin 1919 rendant applicable à l’Alsace et à la Lorraine les dispositions de la loi de 1913 concernant les immeubles et des dispositions issues d’un projet de loi sur le classement des « vestiges et souvenirs de guerre » en préparation à Paris. La réalisation de l’inventaire supplémentaire des monuments historiques prévue par la loi de 1913 fut repoussée en Alsace et Lorraine à 1929 en raison de l’existence d’une liste complémentaire de 2 247 monuments qui avait été publiée par le conservateur des monuments historiques d’Alsace Felix Wolff en 1903. La partie de la loi de 1913 concernant la protection des objets mobiliers n’entra en vigueur en Alsace et Lorraine qu’en 1963 car les objets d’art des églises étaient restés sous la protection de l’administration des Cultes et le clergé alsacien demeura longtemps opposé à leur inventorisation. Il a donc fallu quarante-cinq ans pour que la loi française de 1913 sur les monuments historiques soit entièrement appliquée en Alsace et en Lorraine. Par contre, la loi française du 21 avril 1906 sur la protection des sites et monuments naturels de caractère artistique fut introduite rapidement et sans difficulté. Son application dans les départements du Rhin fut même jugée exemplaire par les associations nationales de protection des paysages. Enfin, le député Eugène Muller dut intervenir longuement à la Chambre pour réclamer la remise en vigueur de la loi alsacienne et lorraine de 1910 sur la protection de l’aspect local ou Ortsbild qui avait été abrogée du fait de l’introduction de la législation française de 1881 sur la liberté de la presse. En effet, cette loi de 1910 permettait aux maires de lutter efficacement contre les abus de l’affichage et contre les constructions jugées inesthétiques. Elle fut remise

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en vigueur en 1925 mais ne fut jamais étendue au reste de la France en raison de son caractère trop décentralisateur.

9 Après 1918, l’Alsace conserva également une organisation des services d’architecture particulière. En 1919, l’ensemble des services d’architecture et des beaux-arts d’Alsace et de Lorraine fut regroupé en une même direction au sein du commissariat général de la République à Strasbourg. Pour permettre l’introduction immédiate en Alsace et en Lorraine des méthodes « françaises » de conservation des monuments historiques, qui étaient opposées schématiquement aux méthodes « allemandes », de jeunes architectes français formés à l’École nationale supérieure des Beaux‑Arts de Paris furent nommés aux postes à responsabilités au détriment des architectes alsaciens et lorrains formés dans les écoles techniques supérieures d’outre-Rhin (Technische Hochschule). L’architecte Robert Danis (1879‑1949) occupa les fonctions administratives de directeur de l’architecture et des beaux-arts d’Alsace et de Lorraine jusqu’en 1925, de directeur de la nouvelle École régionale d’architecture de Strasbourg, et celles d’architecte en chef des bâtiments civils, des palais nationaux et des monuments historiques « insignes » : la cathédrale, les palais Rohan de Strasbourg et Saverne, et le Mont Sainte-Odile. Paul Gélis (1885‑1975) fut chargé de tous les autres monuments historiques classés d’Alsace et de l’inspection des édifices cultuels, c’est-à-dire du contrôle esthétique et technique des travaux de construction et de réparation des églises, des temples et des synagogues. Il était secondé par l’architecte et archéologue alsacien Charles Czarnowsky (1879‑1960). Le service des monuments historiques d’Alsace installa son agence au palais du Rhin à Strasbourg où se trouvaient également les archives régionales des monuments historiques ou Denkmalarchiv, une institution sans équivalent dans le reste de la France et considérée comme un modèle à étendre.

10 En 1918, les Français découvrirent aussi en Alsace une organisation des services d’architecture publique différente de celle des départements « de l’Intérieur ». En France, chaque ministère s’occupait de ses propres bâtiments. En Alsace et en Lorraine, le service d’architecture publique était assuré par des architectes fonctionnaires chargés à la fois de tous les bâtiments de l’État et des départements, mais aussi du contrôle des travaux dans les bâtiments communaux de leur circonscription (mairies, écoles). Après 1918, cette organisation fut maintenue en vigueur et les postes confiés à de jeunes architectes alsaciens et lorrains connaissant la réglementation locale et maîtrisant la langue allemande dans laquelle se tenait encore la comptabilité.

11 En 1925, le commissariat général de la République fut supprimé et les services d’architecture d’Alsace et de Lorraine rattachés au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts à Paris. Dans les années 1930, le ministère des Finances chercha à les supprimer par souci d’économie mais il n’y parvint pas en raison du maintien en vigueur de la législation locale sur les travaux communaux. À la Libération, Robert Danis fut nommé directeur général de l’architecture au ministère de l’Éducation nationale : il étendit le modèle d’organisation alsacien et lorrain à l’ensemble de la France en créant des agences départementales des bâtiments de France dirigées par des architectes fonctionnaires chargés des travaux d’entretien dans les monuments historiques et les bâtiments civils.

12 Au moment de l’Armistice, 133 monuments se trouvaient classés en Alsace. Il s’agissait principalement d’églises et de châteaux du Moyen Âge, de vestiges de l’Antiquité et de quelques édifices civils de la Renaissance. De 1919 à 1925, de nombreux classements furent prononcés par une commission de l’architecture et des beaux-arts d’Alsace et de

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Lorraine siégeant à Strasbourg et composée de représentants de l’administration centrale des Beaux-Arts et de spécialistes des questions artistiques en Alsace et Lorraine.

13 Pour éviter les profanations et conserver le souvenir de la Grande Guerre, cette commission se préoccupa tout d’abord de classer les anciens champs de bataille du front d’Alsace (Hartmannswillerkopf, Linge et Tête des Faux), ainsi que la plateforme de tir d’artillerie de Zillisheim qui fut la toute première construction du XXe siècle à être protégée parmi les monuments historiques en France. Elle empêcha la multiplication des monuments commémoratifs au sommet de l’Hartmannswillerkopf et encadra l’aménagement du monument national du col du Silberloch dont la réalisation fut confiée à l’architecte Robert Danis. Dans le Haut‑Rhin, elle protégea aussi quelques monuments qui avaient été endommagés du fait de la guerre pour permettre leur réparation suivant les méthodes du service français des monuments historiques : l’église de Wattwiller, la Halle aux blés de Thann et la Porte de Thann à Cernay. Enfin, elle classa de nombreux monuments publics des XVIIe et XVIIIe siècles perçus comme des symboles de l’Alsace française : les palais Rohan de Strasbourg et de Saverne, les hôtels de la place Broglie à Strasbourg et le lycée de Colmar.

14 Après la centralisation des services d’Alsace et Lorraine en 1925, les nouveaux classements furent décidés par la commission des monuments historiques à Paris. La commission valida les classements prononcés pendant la période du Reichsland sauf pour l’église néo-gothique de Froeschwiller qui fut déclassée. Elle entreprit le classement des monuments privés de l’époque moderne dont la protection était pratiquement impossible avant l’entrée en application de la loi de 1913 : les maisons à colombage et à oriel caractéristiques de l’architecture régionale traditionnelle furent alors protégées en nombre et tout l’îlot de la Petite France à Strasbourg fut classé. En outre, la commission des monuments historiques n’hésita pas à utiliser la procédure du classement d’office pour protéger les ensembles les plus intéressants comme la Cour du Corbeau à Strasbourg. Par contre, elle ne put empêcher la destruction des monuments situés sur le tracé de la Grande Percée comme l’ancien Poêle des Maréchaux sis 138, Grand’rue, dont les éléments les plus intéressants furent toutefois réemployés au musée de l’Œuvre Notre-Dame.

15 Dans les années 1930, les nouveaux classements furent plus rares et le service des monuments historiques privilégia la mesure d’inscription à l’inventaire supplémentaire, moins onéreuse pour l’administration et moins contraignante pour les propriétaires. C’est ainsi qu’en 1937, 247 monuments se trouvaient classés en Alsace et 555 inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.

16 De la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’en 1964, les nouveaux classements furent très rares. La commission des monuments historiques protégea le camp du Struthof comme témoignage de la « barbarie allemande », les monuments endommagés du fait de la guerre jugés réparables, et quelques monuments de premier ordre qui avaient été « oubliés » des listes précédentes, en particulier les églises des Franciscains et des Dominicains de Colmar. Elle ne prononça que tardivement et avec beaucoup de réticences le déclassement des monuments jugés irréparables ou trop coûteux à réparer comme les églises de Fort‑Louis et de Herrlisheim.

17 L’inventaire supplémentaire ne progressa presque plus malgré la création en 1944 d’un service de recensement qui devait établir le « Casier archéologique de la France ». De même, le projet d’inventaire établi en 1952 par la Fédération des Sociétés d’Histoire et

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d’Archéologie d’Alsace ne put aboutir avant la création par le ministère des Affaires culturelles du service de l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France.

18 La question du budget des monuments historiques est cruciale pour comprendre les choix de protection et de restauration. De 1919 à 1925, d’importants crédits furent inscrits au budget des Beaux-Arts d’Alsace et de Lorraine pour la restauration des monuments historiques. En théorie, les églises classées et inscrites pouvaient également bénéficier de subventions sur les crédits du budget des Cultes d’Alsace et de Lorraine. En pratique, ces subventions étaient rares. Le budget des Cultes ne fut presque pas revalorisé car son maintien était contraire au régime de séparation des É glises et de l’État des autres départements français. Après la centralisation des services en 1925, les crédits des monuments historiques d’Alsace furent incorporés au budget général des Beaux-Arts. Dès lors, les monuments historiques d’Alsace furent confrontés à une pénurie budgétaire qui s’aggrava avec la crise des années 1930.

19 Les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin prirent donc le relais. Ils votèrent des crédits annuels pour l’entretien et la restauration des monuments historiques et pour la construction et la réparation des édifices cultuels. Leur répartition fut confiée aux commissions permanentes des départements au sein desquelles les abbés jouaient un rôle déterminant dans la définition des critères de répartition : l’abbé Xavier Haegy dans le Haut‑Rhin, et l’abbé Georges Gromer dans le Bas‑Rhin.

20 Après la Seconde Guerre mondiale, la direction de l’architecture du ministère de l’É ducation nationale chercha à rationnaliser la gestion des faibles crédits dont elle disposait et qui étaient toujours très inférieurs aux besoins exprimés par le service des monuments historiques. Des crédits départementaux furent rétablis assez tardivement dans le Bas‑Rhin et le Haut‑Rhin et leur gestion confiée directement aux architectes des bâtiments de France, ce qui n’alla pas sans contestations de la part des élus locaux qui souhaitaient en conserver le contrôle. Malgré les pénuries, les solutions de décentralisation proposées par les élus alsaciens dans les années 1950 ne furent pas retenues par le gouvernement. La situation budgétaire ne commença à s’améliorer qu’avec l’intégration des monuments historiques au IVe Plan d’équipement de 1962 à 1965, et le vote de la deuxième loi de programme pour la restauration des monuments historiques fin 1967.

21 Avec les faibles crédits dont il disposait, le service des monuments historiques d’Alsace dut pourtant faire face à de nombreux défis. Après 1918, il poursuivit et acheva les délicats travaux de consolidation des fondations du pilier nord en cours à la cathédrale de Strasbourg. Il termina également la restauration du château des Rohan de Strasbourg. Mais en dehors de ces deux chantiers exceptionnels, les gros travaux furent rares pendant l’entre‑deux‑guerres et les architectes durent se limiter à des travaux de strict entretien et de consolidation.

22 Dès 1935, le service des monuments historiques d’Alsace prépara un plan de « défense passive » à mettre en œuvre en cas de nouveau conflit pour assurer la protection des monuments et l’évacuation des œuvres d’art. La crise de septembre 1938 servit de répétition générale. En septembre 1939, les portails sculptés des églises furent protégés, les vitraux déposés et mis à l’abri avec les objets d’art au château de Hautefort en Dordogne où se replièrent les services d’architecture et des beaux-arts d’Alsace et de Lorraine.

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23 La « drôle de guerre » causa quelques pertes. Les bombardements alliés de 1943‑1944 et les combats de la Libération firent d’importants dégâts. L’Alsace fut la région la plus touchée après la Normandie : sur environ 900 monuments protégés en 1945, plus de 300 furent plus ou moins endommagés, dont une vingtaine irrémédiablement détruits.

24 Après 1945, et pendant plus de trois décennies, le service des monuments historiques d’Alsace, désormais dirigé par l’architecte en chef Bertrand Monnet (1910 1989), se consacra à la réparation des dommages de guerre. Dans un premier temps, les ruines furent déblayées, consolidées et mises hors d’eau. Les restaurations définitives ne commencèrent qu’en 1950. Elles furent l’occasion de « dé-restaurer » et de « dé- germaniser » les monuments qui avaient été restaurés au XIXe siècle comme l’église Saint-Georges de Sélestat ou l’église de Pfaffenheim. Les délais étaient longs. L’église classée monument historique était souvent le dernier bâtiment de la commune encore en ruine. L’impatience des élus et de la population se fit grandissante. Les plaintes sur la lenteur du service des monuments historiques et la lourdeur de ses procédures se multiplièrent en vain. En 1979, soit trente-quatre ans après la fin des hostilités, la réparation des dommages de guerre dans les monuments historiques d’Alsace n’était toujours pas achevée… Le problème n’était pas seulement budgétaire. Les lenteurs étaient souvent liées à la méconnaissance de la réglementation par les élus locaux. En outre, la restauration des monuments historiques demandait de longues études préalables et la mise en œuvre de techniques traditionnelles par une main d’œuvre spécialisée et rare.

25 Durant la période étudiée, le service des monuments historiques étendit progressivement son intervention aux « abords » des monuments classés et aux quartiers anciens qui n’étaient pas encore protégés par la législation patrimoniale.

26 Depuis la loi du 25 février 1943 sur les abords des monuments historiques, tous les projets de construction ou de réparation dans le champ de visibilité d’un monument étaient soumis à l’autorisation de l’architecte des bâtiments de France. Les cas les plus problématiques étaient transmis à Paris. La commission des monuments historiques s’opposa aux constructions projetées sur les remparts de Neuf-Brisach mais elle ne put empêcher la construction de la tour Valentin-Sorg, place de l’Homme-de-Fer, ni celle du pylône radio de la place de Bordeaux à Strasbourg : les intérêts politiques, économiques et sociaux en jeu étaient trop importants et les arguments avancés par la commission souvent dépassés sur le plan technique.

27 Malgré les réticences des municipalités alsaciennes, la loi Malraux du 4 août 1962 sur les secteurs sauvegardés fut rapidement appliquée. À Colmar, la restauration du quartier des Tanneurs, qui était initialement voué à la destruction, fut perçue comme un modèle dans le reste de la France, en Europe et dans le monde, au point que la municipalité réclama l’extension du périmètre sauvegardé à la quasi-totalité du vieux centre. À Strasbourg, un secteur sauvegardé fut également créé en 1974 mais il fut limité à la partie sud de la Grande Île.

28 Comme toute recherche, cette thèse comprend certaines limites et appelle de multiples prolongements.

29 Le projet de départ était de poursuivre l’enquête jusqu’en 1985 pour pouvoir étudier la politique menée à partir de 1973 par la Région Alsace en faveur des monuments historiques, mais aussi les premières mesures de décentralisation en matière de protection du patrimoine avec la création en 1983 des zones de protection du

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patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), et en 1984, des commissions régionales du patrimoine historique, archéologique et ethnologique (COREPHAE), l’élargissement du champ des protections à l’architecture du XIXe siècle et à l’architecture rurale, le rôle grandissant des associations locales de protection pour la consolidation et la mise en valeur des ruines de châteaux-forts. Un tel programme était trop ambitieux dans le cadre d’une seule thèse, et surtout, une partie importante des archives n’a pas encore été versée.

30 Il reste encore à étudier les pratiques de restauration des monuments historiques, à multiplier les études de cas, et à explorer un demi-siècle de presse régionale et les innombrables revues d’histoire, d’art et d’archéologie pour étudier l’image des monuments historiques d’Alsace et la réception de leur protection et de leur restauration au XXe siècle. Voilà d’autres chantiers.

NOTES

1. Thèse de doctorat en histoire de l’Université de Strasbourg soutenue le 28 septembre 2013 devant un jury composé de Laurent Baridon, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Lumière Lyon 2, président ; François Igersheim, professeur émérite d’histoire de l’Alsace à l’Université de Strasbourg, directeur de thèse ; Claude Muller, professeur d’histoire de l’Alsace à l’Université de Strasbourg ; Arlette Auduc, agrégée d’histoire et docteur de l’EPHE, conservateur en chef du patrimoine, chef du service Patrimoines et Inventaire de la Région Île- de-France ; Anne-Marie Châtelet, professeur d’histoire et de culture architecturales à l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg. 2. AUDUC (Arlette), Quand les monuments construisaient la nation, Le service des monuments historiques de 1830 à 1940, Paris, Comité d’histoire du ministère de la Culture, 2008 (Travaux et documents no 25), 640 p. Notre compte-rendu dans Revue d’Alsace, 135, 2009, p. 499‑502. 3. GOURBIN (Patrice), Les monuments historiques de 1940 à 1959, Administration, architecture, urbanisme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008 (Art & Société), 286 p. Notre compte-rendu dans Revue d’Alsace, 134, 2008, p. 474‑477. 4. LAURENT (Xavier), Grandeur et misère du patrimoine d’André Malraux à Jacques Duhamel (1959-1973), Paris, 2003 (Mémoires et documents de l’École des chartes no 70, Travaux et documents du comité d’histoire du ministère de la Culture no15), 380 p. 5. IGERSHEIM (François), L’Alsace et ses historiens, 1680-1914, La fabrique des monuments, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2006, 524 p.

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AUTEUR

NICOLAS LEFORT Agrégé de l’Université, docteur ès lettres

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Approche géohistorique de la gestion et de la prévention du risque d’inondation : le cas de la vallée de la Lauch (Haut-Rhin) de 1778 à nos jours

Lauriane With

1 Les évènements récents1, survenus en Bretagne et dans le Sud de la France, nous ont montré, une fois de plus, à quel point les risques naturels pouvaient perturber le fonctionnement des territoires, malgré les efforts réalisés dans la gestion pré- et post- crise. Si le risque d’inondation est le plus fréquent et le plus dommageable en France avec près de 50 % des communes exposées 2, dans le Haut-Rhin, ce sont 303 communes sur les 377 que totalise le département, soit 80 %, qui ont déjà fait l’objet d’un ou de plusieurs arrêtés de catastrophe naturelle à la suite d’un phénomène d’inondation3.

2 Comparativement à l’importance des écrits consacrés aux cours d’eau majeurs (Rhin et Ill), force est de constater une relative pauvreté des travaux dédiés aux cours d’eau secondaires, responsables de nombreuses inondations. Parmi ces derniers, si la Lauch a déjà fait l’objet de plusieurs études, notamment en hydrogéologie, en géographie, en géomorphologie, aucune recherche historique n’a véritablement été menée de manière approfondie et problématisée sur les inondations de ce cours d’eau et leur mode de gestion en adoptant une perspective temporelle longue. Théâtre des dernières grandes inondations survenues en Alsace en février 1990, cette rivière de moyenne montagne constitue donc un sujet d’étude particulièrement intéressant d’un point de vue géohistorique.

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Localisation et présentation de la vallée de la Lauch

L. With.

3 Cours d’eau « non navigable ni flottable », la Lauch prend sa source dans les Vosges méridionales (1 200 m d’altitude) et parcourt plus de 40 km avant de rejoindre l’Ill à Colmar (185 m d’altitude). Traversant plusieurs ensembles naturels, la Lauch est dotée d’un écoulement mixte, lui conférant un caractère original. Dans la partie supérieure du bassin, la forte pente est responsable d’un écoulement de type torrentiel jusqu’à Guebwiller. Étroite, encaissée et très urbanisée en raison de son passé industriel, la vallée de la Lauch est un secteur sensible au risque d’inondation. À son débouché en plaine, la rivière change de physionomie et coule dans une vallée large à fond plat où la pente et la vitesse de l’eau se réduisent considérablement. Signalons toutefois que le cours inférieur de la Lauch, baignant notamment la ville de Colmar, préfecture de plus de 68 000 habitants, est soumis aux fluctuations de la nappe phréatique (infiltrations ou résurgences) pouvant, en cas d’inondation, constituer un phénomène aggravant. D’apparence paisible4, le comportement de cette rivière reste très instable et son régime hydrologique assez complexe.

4 À défaut de pouvoir éradiquer le risque d’inondation, l’homme a, au cours de l’histoire, engagé des actions pour s’en prémunir ou au moins tenter d’en réduire les effets. En s’interrogeant sur la manière et la proportion dont les évènements historiques ont été pris en considération dans les politiques de gestion et de prévention du risque d’inondation mises en place dans la vallée de la Lauch, durant plus de deux siècles, cette thèse pose ainsi la question de la place du « détour historique ». Pour répondre à une telle problématique, nous avons eu recours à une approche diachronique, avec pour point de départ l’événement funeste de février 1990, et fait appel à une démarche interdisciplinaire et multiscalaire. Aussi, cette étude se veut-elle originale.

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5 La thèse s’organise en trois parties d’inégale importance. Résultant d’un choix délibéré visant à proposer une entrée en matière percutante, la première partie est centrée sur le dernier évènement dommageable en date, synonyme de rupture et de traumatisme pour la population. Dans cette vallée, on parle effectivement d’un avant et d’un après 1990. Une deuxième partie est dédiée à la manière dont s’est progressivement construite la gestion globale du risque entre 1778 et 1990 et enfin une troisième partie consacrant cette gestion globale à partir de l’événement-catastrophe.

L’événement majeur de février 1990 : point de départ d’une recherche sur le risque d’inondation

6 À l’instar de Georges Duby dans son ouvrage Le dimanche de Bouvines : 27 juillet 12145, il nous a semblé intéressant de débuter cette étude par l’exposition des faits et la recherche d’explications quant aux causes et aux conséquences de ceux-ci. Que s’est-il réellement passé en février 1990 ? Et surtout, comment faut-il s’y prendre pour reconstituer et valoriser de tels évènements ?

La crue de février 1990 : reflet du comportement spécifique d’une rivière de moyenne montagne

7 En février 1990, de terribles inondations se produisent et touchent une grande partie de la France dont l’Ouest, le Sud-Est mais également le Nord‑Est. On déplore 81 victimes. Au total, 20 départements sont concernés et 1 086 communes sont déclarées sinistrées par arrêté de catastrophe naturelle. En Alsace, le bilan est lourd : 6 personnes6 ont perdu la vie et 223 communes sont sinistrées, dont 111 dans le Haut-Rhin.

8 Les 14, 15 et 16 février 1990, l’Alsace vit une catastrophe naturelle comme elle n’en a pas connu depuis plus de 30 ans. Des pluies torrentielles d’une rare intensité (de l’ordre centennal en deux jours avec 242,6 mm au poste de Linthal-Lac de la Lauch7), accompagnées d’un important redoux (11°C en plaine et 2 à 5°C en montagne), ont raison du manteau neigeux (50 cm dès 600 m d’altitude) accumulé sur le massif vosgien. La moitié de la région est sous les flots, « du jamais vu8 » selon les Dernières Nouvelles d’Alsace. Dans la vallée de la Lauch, la crue paraît « extraordinaire » par bien des aspects, notamment parce qu’elle atteint un débit remarquable (estimé à 72 m3/s, soit 2 m de hauteur d’eau à Guebwiller9) supérieur à 50 ans de retour dans la partie amont et compris entre 20 et 50 ans de retour dans la partie aval10.

9 Cette vallée offre un véritable spectacle de désolation : villages inondés (1 m à 1,30 m d’eau les rues de Buhl et de Merxheim), maisons dégradées voire détruites, prés submergés, entreprises et établissements industriels sinistrés, importantes pertes d’animaux et de récoltes. Les dommages à la voirie sont considérables, en effet, quantité de routes sont coupées voire arrachées comme par exemple la « pénétrante » (RD 430) sur 2 km de long en amont de Buhl. C’est ainsi quatre années de travaux et 19,3 millions de francs qui ont été balayés par les eaux de la Lauch en seulement quelques heures. Les ouvrages hydrauliques ont aussi énormément souffert : digues submergées, ponts endommagés, seuils arrachés, murs de soutènements et berges emportés. L’armée est appelée en renfort pour prêter main forte aux sapeurs pompiers et aux particuliers. L’hélicoptère de la protection civile intervient pour sauver des

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personnes prises au piège dans une maison11. « De mémoire de Guebwillerois on a jamais vu ça ! Même en 1947. Jamais la Lauch n’a déversé autant d’eau dans les rues12 ».

10 Au-delà des phénomènes météorologiques, la configuration naturelle du bassin versant confère à la Lauch un comportement et un écoulement spécifique d’une rivière de moyenne montagne13. Ces éléments, conjugués à une forte densité de population, font de cette vallée un secteur prédisposé aux risques d’inondation. Ainsi, les dégâts occasionnés aux équipements publics sont considérables et s’élèvent, pour l’ensemble du département à 108 millions de francs14, dont 31,2 millions de francs estimés15 pour les communes riveraines de la Lauch entre Linthal et Merxheim. En l’absence du déclenchement du Plan Orsec, des moyens d’envergure (80 millions de francs) sont mis en place par le Conseil général du Haut‑Rhin. L’estimation des dégâts, l’importance des sommes allouées aux réparations16, la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle17et de calamités agricoles pour les communes sinistrées, ainsi que la durée des travaux de réparation tenant compte des leçons livrées par l’expérience de 1990 et qui s’échelonnent jusqu’en 1999, témoignent de l’ampleur et de la gravité de l’événement.

Reconstitution schématique du champ d’inondation de la crue de la Lauch à Buhl en février 1990

L. With.

11 L’un des objectifs de cette thèse était de parvenir à produire un savoir scientifique en reconstituant spatialement les grandes inondations historiques, afin de faciliter la connaissance des principaux évènements dévastateurs. Loin d’être évidentes à réaliser, ces cartes synthétiques retracent l’itinéraire emprunté par les eaux de crue et localisent avec précision les lieux sensibles. Par chance, à Buhl, nous avons eu accès à une source tout à fait inédite : le rapport d’intervention des sapeurs pompiers qui inventorie et détaille chaque intervention en précisant l’objet, la date et surtout le lieu exact de celle-ci. Ces informations, additionnées à celles livrées par les témoignages

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locaux, les archives de la presse et des services techniques de la Direction départementale de l’agriculture et de la forêt (DDAF) et du Conseil général, ont permis la reconstitution de la carte ci-dessous.

L’aboutissement de l’enquête en archives et la valorisation des données

12 Le recours aux archives est indispensable pour parvenir à une bonne connaissance du risque. Ainsi, notre travail de recherche avait pour but de reconstituer, par le biais d’une méthode régressive, l’histoire des évènements passés de la Lauch, de 1778 à nos jours, à partir de sources hétéroclites18 dont la qualité, la quantité et la fiabilité sont très variables. Aussi, il nous appartenait de redonner un sens aux documents en les replaçant au cœur d’une réflexion sur le temps long pour mieux comprendre les circonstances dans lesquelles les phénomènes se sont déroulés.

13 Seuls les évènements ayant eu une incidence sur des enjeux quelconques ont laissé une trace dans les archives. Par conséquent, notre démarche a été conditionnée par des sources non exhaustives constituant, de fait, une limite à notre recherche. De plus, en Alsace, nous avons été confrontés à deux difficultés lors de la phase de collecte des données : des documents rédigés en allemand et la discontinuité des sources liée à son histoire.

14 L’enquête en archives a permis de reconstituer la chronologie des inondations de la Lauch et a révélé 107 évènements entre 1778 et 2013 et au-delà de la période étudiée, 142 entre 1012 et 2013. Pour valoriser les données recueillies, donner de la consistance à cette chronologie et surtout parvenir à hiérarchiser les crues, un système de classification détaillant cinq niveaux d’intensité19 a été élaboré à partir des dommages occasionnés. Douze évènements extrêmes ont pu être identifiés sur la période mais l’étude approfondie de ces derniers n’a pas permis d’en déterminer le plus funeste car la comparaison entre des évènements distants de plusieurs décennies voire siècles est délicate. Si ce système de classement n’est pas parfait, il aura néanmoins rempli son office et permis de quantifier l’événementiel. Dotée de critères de classement adaptables, cette classification est transposable à tous les cours d’eau.

15 Parallèlement, il nous appartenait également de valoriser les informations recueillies dans les archives, de les rendre accessibles et de participer ainsi à l’élaboration et au partage d’un savoir scientifique sur le risque d’inondation. Dans ce but, des documents de synthèse ont été produits, notamment des graphiques mettant en scène de manière pertinente la période d’apparition des crues mais également les lieux les plus exposés aux risques. La représentation graphique de la chronologie a révélé l’existence de six phases d’activité intenses de la Lauch, hébergeant certains évènements exceptionnels.

16 En rétablissant la chronologie des évènements, nous avons révélé et rendu possible les retours d’expérience. L’information historique participe ainsi à l’appropriation du risque pour une meilleure maîtrise de celui-ci.

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La construction d’une gestion globale du risque (1778-1990)

17 Cette partie met en perspective l’évolution de la gestion des inondations sur la période considérée en fonction à la fois des évènements hydrologiques, des enjeux et de la vulnérabilité, des contextes politiques, très contrastés, et des acteurs.

Vers un accroissement de la vulnérabilité des personnes et des biens

18 Au préalable, il nous a fallu établir l’existence d’une vulnérabilité dans le bassin de la Lauch mais également déterminer sa localisation et son évolution entre 1778 et 1990. Aussi, nous avons porté une attention particulière à l’exposition des usagers de l’eau dans cette vallée qui fut aux XIXe et XXe siècles, le bastion d’une industrie textile de renom. L’étude de la vulnérabilité a permis de distinguer deux catégories : la vulnérabilité choisie et la vulnérabilité subie. Installés à proximité de la Lauch pour en exploiter la force hydraulique, les établissements préindustriels, puis industriels, sont les plus exposés à un risque d’inondation conséquent, pris délibérément au terme d’un bilan coût / avantage positif. On peut alors parler de risque calculé ou de vulnérabilité choisie. Animés par une forte conscience et connaissance du risque, ils se sont forgés une véritable culture du risque, s’appuyant sur les expériences passées et sur la mémoire collective. Le développement de leur activité, s’accompagnant du développement d’aménagements hydrauliques nécessaires à leur fonctionnement, mais également d’aménagements de protection destinés à réduire les effets des dévastations, a modifié les conditions d’écoulement de la rivière et de ce fait, a augmenté la vulnérabilité des autres usagers de l’eau et des riverains. À un risque consenti s’ajoute une vulnérabilité subie, très souvent révélée par les nombreux conflits sur l’eau.

19 Parallèlement, notre étude historique de l’occupation du sol et plus particulièrement de l’urbanisation, consistant en la confrontation de documents cartographiques d’époques différentes, a permis d’identifier précisément les secteurs où l’extension de l’urbanisation a été la plus significative mais a également révélé un accroissement de la vulnérabilité des personnes et des biens dans l’ensemble de la vallée. Il convient toutefois d’opérer une distinction quant à l’origine de la hausse de l’urbanisation et donc de la vulnérabilité entre la partie amont et aval de la vallée. Dans la partie amont de la vallée, l’urbanisation (habitat ouvrier), corollaire de l’industrialisation au XIXe siècle, a modifié l’occupation du sol et les conditions d’écoulement de la rivière lors des crues, par la réduction des zones inondables. Il s’ensuit une hausse des conséquences dommageables, de la vulnérabilité et des aménagements de protection dont la portée est restée limitée. Les modifications faites par l’homme ont ainsi aggravé le risque d’inondation. A ce titre, la reconstitution cartographique du champ d’inondation de la crue de décembre 1947 à Buhl met particulièrement bien en évidence le niveau important de vulnérabilité de cette ville, d’autant que l’ensemble de la zone inondée en 1947 est aujourd’hui entièrement urbanisé ! Dans la plaine, moins exposée au risque malgré les remontées de nappe phréatique, intervient, dans la seconde moitié du XXe siècle, un important développement urbain, responsable d’une hausse significative de la vulnérabilité en raison d’une extension de l’habitat résidentiel dans des zones à risque, comme c’est le cas à Colmar, à l’arrière de la digue de

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protection. Il résulte de cela, l’apparition d’un « surrisque » lié à la présence même des aménagements, une fausse impression de sécurité (recul de la vigilance), conduisant à l’oubli du risque chez les locaux et à son ignorance chez les nouveaux habitants.

20 Il ressort de cette étude que, outre le site d’implantation et la situation, le niveau de vulnérabilité dépend également des individus, de leur perception du risque, de son acceptation et de la mémoire des évènements.

Des évènements d’octobre 1778 à la rupture de 1871 : vers davantage de prévention

21 Après avoir établi l’existence d’une vulnérabilité, nous nous sommes attachés à identifier les acteurs du risque et à déterminer leurs prérogatives et actions dans les processus de lutte contre les inondations de 1778 à 1871. L’examen de la chronologie a révélé quatre protagonistes, que nous avons déclinés en deux catégories d’acteurs. La première comprend l’intendant / préfet et le maire dotés de compétences administratives et organisationnelles. La seconde catégorie comprend les acteurs « de terrain » : l’ingénieur des Ponts et Chaussées, concepteur de projets, détenteur du savoir scientifique et de la connaissance technique ; le riverain, exécutant, directement concerné par le phénomène inondation et ayant une perception du risque qui lui est propre.

22 La présente étude a eu également pour objectif de mettre l’accent sur les tournants initiés par les grands évènements, en vue de suivre l’évolution de la politique de gestion et de prévention du risque. Ainsi, une corrélation évidente a pu être établie entre les grands évènements destructeurs et la prise de mesures structurelles et / ou non structurelles, témoignant de fait d’une absence d’anticipation. De la fin du XVIIIe siècle à la mi-XIXe siècle, les pouvoirs publics mènent une politique interventionniste de réparation où les travaux sont ponctuels et faits à la hâte au lendemain d’inondations dévastatrices. Le début du XIXe siècle est marqué par un investissement de l’État dans la protection contre les inondations, par la loi de 1807 qui avait notamment pour objet de regrouper les riverains en associations syndicales pour effectuer des travaux plus cohérents, mais la portée de cette loi est restée limitée en Alsace.

23 La grave crise fluviale touchant la France dans les années 1840‑1850 confirme la nécessité de réaliser des travaux d’ensemble cohérents mais également le besoin urgent d’acquérir des renseignements sur les cours d’eau (débit / hauteur d’eau) via le développement de l’annonce de crue. La création d’un service hydraulique agricole est d’ailleurs une des conséquences de la crise fluviale. S’ajoutant à une liste déjà conséquente de catastrophes, les inondations funestes qui ravagent l’Alsace en septembre 1852 confortent le gouvernement dans l’idée qu’il faut agir et annoncent un tournant politique inévitable. La crise fluviale atteint son paroxysme avec les évènements de mai-juin 1856 qui s’avèrent décisifs quant au repositionnement, par Napoléon III, de la politique de gestion du risque vers davantage de prévention. Basée sur la recherche des causes des inondations et la compréhension des mécanismes de leur déroulement, en vue d’adapter au mieux les remèdes, cette politique interventionniste combine mesures structurelles et mesures non structurelles, favorisant ainsi une meilleure coordination à l’échelle du bassin versant. Les évènements de 1856 sont le moteur du développement de l’annonce de crues et d’une

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amélioration de la surveillance des cours d’eau. C’est la première fois de l’histoire que des évènements naturels ont des conséquences politiques et législatives, avec l’adoption de la loi de 185820. Toutefois, localement, la portée de cette politique est restée limitée. En effet, il a fallu attendre un siècle pour voir la mise en place d’un service d’annonce de crues dans la vallée de la Lauch.

24 En raison d’un désintérêt des Ponts et Chaussées pour les cours d’eau et en l’absence d’un consensus en matière d’aménagement et de protection contre les crues, des associations syndicales de propriétaires se mettent en place dans la vallée de la Lauch à la fin de la décennie 1850. Constituées en vue de réaliser des travaux plus cohérents à l’échelle du bassin versant, ces associations manquent de moyens et de coordination. Le bilan de leurs actions reste mitigé.

Entre Allemagne et France, quels bouleversements pour la gestion des rivières alsaciennes (1871-1990) ?

25 Dès leur prise de pouvoir, les autorités allemandes procèdent à une réorganisation administrative et placent leurs ingénieurs à la tête des services chargés de la gestion des problèmes hydrauliques. Très actives, elles réalisent des travaux de grande ampleur visant à répondre aux besoins accrus de l’industrie21 mais également à réduire le risque d’inondation22. Le long des petits cours d’eau, les autorités se cantonnent à l’entretien de l’existant et à réparer ponctuellement les dégradations occasionnées par les inondations. Animées par une tradition de mémoire et de culture du risque, elles placent des repères de crue sur les ouvrages d’art des différents cours d’eau alsaciens. Malheureusement, nombre de ces témoins ont disparu lors des conflits du XXe siècle. Mais l’innovation la plus significative de la période réside dans la création des Flussbauverbände, premiers syndicats fluviaux, dont l’objectif est d’assurer la cohérence et la coordination de la gestion des cours d’eau et un meilleur suivi des ouvrages. Créé en 1908, le Syndicat fluvial de la Lauch inférieure a perduré jusqu’en 1993. Durant l’annexion, les Allemands mènent une politique structurelle de gestion du risque d’inondation, alliée à des mesures plus légères en faveur d’une gestion globale.

26 Après la victoire de 1918, les autorités françaises se réinstallent en Alsace où, en plus des problèmes liés à la reconstruction, le nouveau corps du Génie rural dorénavant chargé de la gestion des cours d’eau, doit faire face à d’importantes inondations en 1919-1920, dont les réparations s’échelonnent jusqu’au milieu de la décennie suivante.

27 La décennie 1930 est marquée, au plan national, par un important progrès de la législation du risque avec l’instauration des Plans de surfaces submersibles (PSS) en 1935, procédure spécifique au risque d’inondation affectant l’usage des sols. Historiquement, les PSS sont les premiers documents à présenter une carte de l’aléa. C’est la première véritable évolution depuis la loi de 1858.

28 En 1940, L’Alsace est annexée au IIIe Reich. Or, malgré une alternance des autorités en place, une certaine continuité de l’administration et de la gestion des cours d’eau et du risque est constatée en Alsace.

29 L’après-guerre s’illustre par l’apparition d’inondations catastrophiques en 1947 qui révèlent la nécessité d’accroître la prévision des crues par le développement de services d’annonce de crues plus performants en Alsace et de mettre en œuvre des mesures de

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protection contre les inondations. Au niveau national, des mesures ont également été prises en faveur de la prévention, notamment avec l’apparition des plans Orsec. Touchant la France entière, les évènements de 1955 ont des répercussions sur la politique de gestion du risque d’inondation, notamment avec l’instauration la même année des « périmètres de risques » (article R.111-3 du code de l’urbanisme). Par ailleurs, une première avancée est réalisée dans le domaine de l’indemnisation avec l’établissement d’un système de garantie pour les calamités agricoles (loi du 10 juillet 1964). L’évolution de la réglementation à la suite d’événements à répétition témoigne d’une véritable préoccupation de l’État pour le problème du risque.

30 Mais c’est entre 1970 et 1990, que l’on assiste à d’importants bouleversements tant dans l’action des protagonistes qu’au niveau de la réglementation. Le Conseil général devient le pilier de la gestion du risque d’inondation et le moteur d’une véritable dynamique au plan local. Dès 1972, il engage une politique volontariste d’aménagement des rivières basée sur des méthodes douces et destinée à lutter contre le problème des inondations en privilégiant la solidarité amont-aval.

31 Riche en évènements et en rebondissements, la décennie 1980 constitue le point de départ d’une véritable politique de prévention du risque en France. En effet, parmi les éléments fondateurs, on note la création du « Commissariat à l’étude et à la prévention des risques naturels majeurs » en 1981 et la promulgation de la loi du 13 juillet 1982 qui, au-delà du volet indemnitaire, crée les Plans d’exposition aux risques (PER), premiers documents préventifs visant à réduire les dangers par le contrôle de l’urbanisation. La loi du 22 juillet 1987 vient compléter le dispositif national en intégrant la notion de risque dans le code de l’urbanisme, en réorganisant les secours et en introduisant le droit à l’information sur les risques et sur les mesures de sauvegarde de ceux-ci.

32 Parallèlement, en Alsace, les évènements destructeurs de 1983 donnent lieu à la mise en place des périmètres de risque, en vue de préserver les zones inondables naturelles, et à la modernisation de l’annonce de crue en 1986. Peu avant les évènements de 1990, un syndicat mixte voit le jour dans la partie supérieure de la Lauch, jusqu’ici dépourvue de structure.

33 On assiste bel et bien, au cours de la décennie 1980, à la naissance d’une véritable politique de prévention du risque en France et en Alsace.

Vers une gestion globale du risque après 1990

34 Au lendemain des évènements de février 1990, on note l’émergence de nouvelles idées et de plusieurs dynamiques s’articulant à différents niveaux institutionnels en vue de favoriser une gestion cohérente et globale du risque d’inondation.

Après la catastrophe de février 1990 : une nouvelle dynamique engagée ?

35 L’après 1990 est caractérisé par un double engagement en faveur de la prévention. En effet, notre étude a mis en exergue deux dynamiques se développant en parallèle, l’une au plan local et l’autre au plan national.

36 Au plan local, le bilan de la politique d’aménagement et gestion des rivières du Conseil général s’avère positif. Aussi, la collectivité territoriale décide de poursuivre son

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engagement, en collaboration avec les différents syndicats mixtes. La dynamique engagée par le Conseil général dans les années 1980 se poursuit, prend de l’ampleur et gagne en performance lorsque celui-ci crée en 1999, un Service d’aménagement des rivières (SAR) adoptant ainsi une position originale et unique en France. En vue de parvenir à une gestion globale, le Conseil général assure la coordination et la concertation entre les acteurs, la cohérence dans l’entretien et la gestion des cours d’eau. Parallèlement, il dispose de son propre réseau de stations permettant une surveillance optimale des cours d’eau. En moins de deux décennies, le Conseil général est devenu l’acteur incontournable de la gestion du risque d’inondation.

37 Au plan national, la récurrence des évènements du début de la décennie donne lieu à plusieurs avancées en matière de prévention notamment, dans l’information des populations avec l’apparition des premiers documents d’information préventive destinés au public issus de la loi de 198723 ; la gestion à l’échelle du bassin versant avec la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 qui prône une solidarité entre les acteurs et une meilleure répartition des volumes de crue par le partage des nuisances ; et la gestion des zones inondables avec notamment l’instauration des atlas de zones inondables par la circulaire du 19 décembre 1994.

38 Mais la plus grande avancée de la décennie reste l’adoption de la loi Barnier le 2 février 1995 créant les Plans de prévention des risques (PPR) et relançant la politique de prévention du risque en France. Se substituant aux procédures antérieures jugées inadaptées, le PPR est aujourd’hui l’instrument unique de l’action de l’Etat en matière de prévention du risque. Dans le bassin versant de la Lauch, la procédure s’est déroulée dans la contrainte eu égard aux enjeux élevés et à la forte exposition au risque. Ainsi, au terme de neuf ans de procédure, le constat est évident : l’information historique est très succincte et le zonage du risque est largement sous-estimé. Si la cartographie du PPR est discutable au regard des évènements historiques dommageables, elle a, néanmoins, le mérite d’exister. En définitive, s’il n’est pas parfait, le PPR reste performant et permet une gestion plus cohérente, complète et raisonnée des cours d’eau.

39 En matière de gestion et prévention du risque d’inondation, les dynamiques locale et nationale sont complémentaires et s’articulent plutôt bien formant ainsi un tout assez cohérent.

De la loi Barnier aux directives européennes : la reconnaissance du volet prévention

40 Les catastrophes naturelles à répétition marquant la fin des années 1990 et le début des années 2000 et notamment l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en 2001, poussent le législateur à réformer le système de prévention par la loi du 30 juillet 2003, dite loi Bachelot. Spécialement consacré aux inondations, son volet « risque naturel » a pour objet de relancer et renforcer le dispositif de prévention existant, en vue de mettre en œuvre une politique de prévention plus performante et se décline autour de quatre grands axes (développement de l’information et de la conscience du risque ; optimisation de la surveillance des cours d’eau et de la prévision des crues ; réduction de l’aléa ; réduction de la vulnérabilité). L’objectif est de parvenir à une appropriation du risque par l’information.

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41 La survenance de chaque inondation laisse apparaître l’existence d’un différentiel au niveau de la connaissance et de la mémoire des évènements entre les personnes exposées. Difficile à appréhender, l’état de la mémoire oscille entre savoir, refus, ignorance et oubli. Mais, la mémoire est très importante pour parvenir à une bonne gestion du risque puisqu’elle permet les retours d’expérience. Pour restaurer la mémoire des inondations et accroître la connaissance des phénomènes, il convient de sensibiliser la population au risque en vue de promouvoir une véritable culture du risque. En ce sens, la présente recherche contribue, par la restitution des informations contenues dans les archives, à une meilleure connaissance de l’aléa, à une plus grande diffusion de l’information, à l’entretien et à la restauration de la mémoire et à la constitution d’un savoir sur le risque d’inondation.

42 Parallèlement, une dynamique européenne se met en place avec l’adoption de la Directive cadre sur l’eau (octobre 2000) et de son volet « inondation » par la directive d’octobre 2007. L’objectif de cette dernière est d’améliorer la gestion du risque d’inondation afin d’en limiter les impacts sur l’homme, les biens, les activités et l’environnement. Pour y parvenir, la directive prévoit une Évaluation préliminaire des risques inondation (EPRI) pour mieux connaître les phénomènes et définir les lieux de leur apparition. Cette première phase s’accompagne, en France, du lancement de la Base de données historiques sur les inondations (BDHI) dont l’objectif est de capitaliser les informations relatives aux inondations passées et leurs conséquences figurant dans les archives. À l’issue du diagnostic de l’EPRI, des Territoires à risques importants d’inondation (TRI) sont identifiés. Une cartographie des zones inondables et des risques d’inondation est établie pour chaque TRI et présente une probabilité d’inondation forte, moyenne et faible ainsi que les dommages potentiels. Des Plans de gestion du risque inondation (PGRI) sont élaborés à l’échelle du district hydrographique et fixent un niveau de protection approprié pour chaque bassin. La directive inondation a pour but de parvenir à une gestion globale et raisonnée des risques à l’échelle des grands bassins européens en mettant en œuvre une coopération et une coordination inter-états efficaces et en favorisant la solidarité internationale par le partage des nuisances. Ainsi, la loi Bachelot et la directive inondation tendent vers un même but, une gestion cohérente et partagée du risque d’inondation.

Conclusion

43 S’inscrivant dans une logique de démarche appliquée, cette étude a pour ambition d’apporter une contribution à la thématique du risque, d’améliorer l’information sur les phénomènes alsaciens, et d’éclairer les politiques sur la question des inondations pour ne pas réitérer les erreurs passées. En effet, il paraît fondamental de connaître l’aléa afin de pouvoir l’anticiper, s’en prémunir et mieux le gérer. Au terme de cette étude, nous sommes plus à même de comprendre l’actuelle politique de gestion menée au plan local, national et supranational. En effet, la référence aux évènements passés et à leurs conséquences a permis de comprendre les repositionnements successifs des politiques de gestion du risque d’inondation. La recherche historique trouve ici toute sa dimension. Véritable cas d’expérimentation d’une démarche plus ambitieuse de recherche sur l’histoire des inondations, l’analyse géohistorique ici proposée constitue également un modèle transposable à d’autres vallées.

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NOTES

1. Thèse de doctorat d’histoire contemporaine sous la direction de Nicolas Stoskopf et Brice Martin, soutenue à l’Université de Haute-Alsace à Mulhouse le 14 février 2014, devant un jury composé de Madame Anne-Marie Granet-Abisset (professeur d’histoire contemporaine, Université de Grenoble) et Messieurs Laurent Schmitt, (professeur de géographie physique et d’hydrologie, Université de Strasbourg), Emmanuel Garnier (maître de conférences HDR d’histoire moderne, Université de Caen, Institut universitaire de France), Nicolas Stoskopf (professeur d’histoire contemporaine, Université de Haute-Alsace), Brice Martin (maître de conférences de géographie, Université de Haute-Alsace) et Régis Creusot, (ingénieur ENGEES, chargé de mission « risque inondation », DREAL Alsace). 2. Selon le ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire (MEEDDAT), DPPR, février 2008. 3. La lettre de l’État dans le Haut-Rhin, numéro spécial PPRT-PPRI, no5, septembre 2010, p. 4 ; Préfecture du Haut-Rhin, Service interministériel de défense et de protection civile (SIDPC), Dossier départemental des risques majeurs, 2013. 4. Selon la DREAL Alsace et le site de la Banque Hydro de France (www.hydro.eaufrance.fr), le débit moyen de la Lauch est de 1,73 m3/s à Guebwiller et 2,33 m3/s à Rouffach. 5. DUBY (Georges), Le dimanche de Bouvines : 27 juillet 1214, Paris, Gallimard, 1973, 302 p. 6. Quatre personnes ont péri dans Haut-Rhin : dans le Bourbach, un affluent de la Doller, dans la Thur, dans les ²eaux de la Fecht et de l’Ill. Deux personnes sont décédées dans le Bas-Rhin en tombant dans la Rothaire et dans la Bruche. 7. DREAL Alsace, SRAE : Rapport sur la crue des 15 et 16 février 1990, juillet 1990. Ce rapport précise que 337,4 mm de pluie sont tombés au poste de Linthal-lace de la Lauch entre le 10 et le 16 février, soit une fréquence de retour comprise entre 50 et 100 ans. 8. DNA du 16/02/1990. 9. DREAL Alsace, SRAE : Rapport sur la crue des 15 et 16 février 1990, juillet 1990. 10. Id. ; DDT-DDAF 68. 11. DNA du 16/02/1990. 12. L’Alsace du 16/02/1990. 13. La singularité de l’écoulement des rivières de moyenne montagne alsacienne est due notamment, à l’affrontement entre l’histoire géologique, tectonique et climatique. En effet, la composition et l’occupation du sol, la forme, l’orientation, la surface, la pente du bassin versant et le climat, sont autant de variables qui conditionnent l’écoulement des cours d’eau comme la Lauch. 14. D’après la préfecture du Haut-Rhin et le Conseil général du Haut-Rhin. 15. En l’absence des déclarations de dommages émanant des particuliers, dont le caractère, confidentiel, est soumis à un délai légal de communication de 50 ans selon la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA), il nous est impossible de chiffrer avec plus de précisions le coût de la crue de février 1990. 16. D’après le Conseil général du Haut-Rhin, le coût total des travaux de réparation effectués dans le département s’élève à plus de 116,6 millions de francs dont plus de 30 millions de francs pour la région de Guebwiller. 17. Publié au Journal officiel le 23 mars 1990, l’arrêté interministériel du 16 mars 1990, relatif à la constatation de l’état de catastrophe naturelle reconnait comme « zones sinistrées », les communes suivantes : Linthal, Lautenbach-Zell, Lautenbach, Buhl, Guebwiller, Issenheim, Merxheim, Rouffach, Colmar.

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18. Il s’agit d’archives publiques pour la plupart (archives nationales, départementales, municipales ; archives de la presse ; archives des administrations en charge de la gestion du risque c’est-à-dire Conseil général 68, DDT 68, DREAL Alsace ; etc.), de quelques archives privées, complétées par des références bibliographiques d’une grande richesse et enrichi par des entretiens, des témoignages et de nombreuses sorties sur le terrain. 19. Les évènements faibles, moyens, forts, exceptionnels et les évènements inclassables du fait de leur imprécision. 20. Loi du 28 mai 1858, relative à l’exécution des travaux destinés à mettre les villes à l’abri des inondations (cf. Bulletin des lois, XIe série, 1er janvier-30 juin 1858, t. XI, no575-617, Paris, Imprimerie Impériale, 1858, no5628, p. 1137‑1140). 21. Par la création de sept lacs réservoirs dans les Vosges. 22. À ce titre, rappelons les importants travaux d’endiguement et de détournement des eaux réalisés sur l’Ill et le Rhin en vue de protéger les villes de Mulhouse, Colmar et Strasbourg. 23. Il s’agit du Dossier départemental sur les risques majeurs (DDRM), du Document communal synthétique (DCS) et du Dossier d’information communal sur les risques majeurs (DICRIM).

AUTEUR

LAURIANE WITH Docteur en histoire

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Comptes rendus

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Comptes rendus

Sources et ouvrages de référence

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RICHER DE SENONES, La chronique de Richer, moine de l’abbaye de Senones Traduction par Dominique Dantand, Le Festival des abbayes, Entreprise et Culture en Lorraine et Société Philomatique Vosgienne, 2013, 156 p.

Gilles Banderier

RÉFÉRENCE

RICHER DE SENONES, La chronique de Richer, moine de l’abbaye de Senones, traduction par Dominique Dantand, Le Festival des abbayes, Entreprise et Culture en Lorraine et Société Philomatique Vosgienne, 2013, 156 p.

1 La Chronique de Richer, moine de Senones († c. 1267), est une source importante et pas seulement pour l’Histoire de l’abbaye de Senones de dom Calmet, qui lui a emprunté, parmi d’autres choses, l’anecdote du comte Henri III de Salm enterré vivant. Connu par différents manuscrits, l’ouvrage de Richer fut plusieurs fois imprimé, ce qui n’interdit pas d’accueillir comme il convient cette traduction nouvelle, agréable à lire, sous une mise en page qui se veut attrayante. L’appareil scientifique est fort réduit, le lecteur renvoyé à des travaux publiés ailleurs ou disponibles sur le réseau Internet. Aucune note infrapaginale ne vient éclairer les allusions historiques ou les citations scripturaires ; certaines informations sont rejetées à la fin du volume, dans plusieurs indices bien faits. On peut le regretter, mais ce parti-pris offre l’avantage d’un face-à- face direct avec l’œuvre, sans qu’une glose ne vienne s’interposer entre Richer et son moderne lecteur. Selon l’usage médiéval, la Chronique commence à la création du monde, sur laquelle Richer n’insiste toutefois pas, plaçant Moïse (comme auteur du Pentateuque) parmi ses modèles, au même titre qu’Eusèbe de Césarée ou Paul Orose. On trouvera dans cette narration bien des éléments typiques du Moyen Âge : attente angoissée de l’Antéchrist (IV, 40), antijudaïsme exacerbé (IV, 36-38, avec description d’un meurtre rituel perpétré à Haguenau), fraîcheur et naïveté du récit (termes qui ne

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sont pas à prendre en mauvaise part : les historiens marxistes furent autrement naïfs, mais pas moins). Richer déclare vouloir dresser « la liste et [l]es actes de nos abbés de cette église de Senones » (IV, 21). Mais son propos dépasse largement la vallée du Rabodeau, puisqu’on trouve des récits relatifs à la prise de Jérusalem par Godefroy de Bouillon (II, 21), à la croisade des enfants (IV, 3), aux rivalités entre Franciscains et Dominicains (IV, 16-18), à Hildegarde de Bingen (IV, 15), ... Richer décrit l’époque où le massif vosgien se couvre d’un blanc manteau d’abbayes, comme l’eût dit Raoul le Glabre. La limite administrative moderne qui coupe en deux le massif n’existant pas encore, il est souvent question de l’Alsace dans cette Chronique : saint Déodat se rend à Ebersmunster et Hunawihr (I, 5-6), puis accomplit un miracle à Sigolsheim (I, 9) ; les agissements de Walther de Geroldseck, évêque de Strasbourg, sont longuement rapportés (V, 15). Les habitants de Barr se réjouiront d’apprendre que leur cité était « peuplée d’honnêtes gens » (V, 2). Ce que Richer écrit de sainte Odile (I, 15) ne doit pas être rejeté avec dédain, mais lu à la lumière du paradoxe aristotélicien suivant lequel la fiction serait plus proche de la vérité que l’histoire.

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ROTH HEEGE (Eva), Ofenkeramik und Kachelofen. Typologie, Terminologie und Rekonstruktion Schweizerischer Burgenverein, 2012, 380 p.

Delphine Bauer

RÉFÉRENCE

ROTH HEEGE (Eva), Ofenkeramik und Kachelofen. Typologie, Terminologie und Rekonstruktion, Schweizerischer Burgenverein, 2012, 380 p.

1 Auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages et articles relatifs à la céramique de poêle, Eva Roth Heege, avec la participation de plusieurs spécialistes européens de la question, nous propose un nouvel ouvrage ayant pour but d’élaborer une typologie et surtout une terminologie uniforme en plusieurs langues pour faciliter le travail des spécialistes. Cet ouvrage se divise en cinq chapitres. Le mobilier qui y est présenté est avant tout issu de fouilles ou de collections de musées suisses.

2 Le premier chapitre (B) traite des questions de définitions et retrace l’historique de la recherche dans le domaine de la céramique de poêle. Il s’agit notamment de définir ce qu’est un poêle en faïence et de retracer son historique depuis ses origines, aux VIIIe et IXe siècles.

3 Dans le deuxième chapitre (C) sont abordées les différentes techniques de fabrication de la céramique de poêle, depuis son origine jusqu’au XXe siècle, avec de nombreux exemples à l’appui. Ce chapitre fait intervenir à plusieurs reprises l’archéologie expérimentale. En effet, les différentes étapes de fabrication d’un carreau de poêle, à la manière d’un potier/poêlier du XVIe siècle, y sont décrites et illustrées. La fabrication de tous les types de céramiques de poêle y est abordée, des pots de poêle aux carreaux plats, en passant par les carreaux-niche. Une large place est également faite aux moules et aux sources d’inspiration des motifs, avec notamment l’importance des gravures des

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maîtres du XVe et du XVIe siècle, tels que le Maître E. S. ou Hans Sebald Beham. Pour clore ce chapitre, une partie est consacrée aux différentes techniques de décor de la céramique de poêle.

4 Le troisième chapitre (D) s’intéresse à la construction et à la reconstruction de poêle de différentes périodes, notamment à partir des éléments mis au jour lors de fouilles (argile, éléments de structure interne du poêle, céramique de poêle). Des exemples concrets, de la fouille à la reconstruction, y sont présentés. Ce chapitre traite également des sources iconographiques et des poêles miniatures, dont ceux de l’importante collection du Musée d’histoire de Bâle. Ces sources peuvent être utilisées dans la reconstruction de poêles anciens.

5 Le chapitre 4 (E) est relativement court. Il présente les différentes méthodes de description avec les éléments indispensables à une bonne fiche descriptive, ainsi que des exemples de fiches pour différents types de céramique de poêle.

6 Le dernier chapitre (F) est consacré à la typologie et à un glossaire en dix-sept langues. La première partie de ce chapitre est constituée de remarques préliminaires en allemand, en français et en anglais, et d’exemples de poêles de toutes les périodes avec, pour chacun des cas, les termes spécifiques en allemands de chaque partie du poêle. La deuxième partie du chapitre présente le catalogue des types. Chaque élément de la typologie est accompagné d’une description, de plusieurs illustrations et de sa traduction dans les langues des pays qui se trouvent dans la zone de répartition du chauffage au poêle.

7 Au final, cet ouvrage est une synthèse réactualisée de nos connaissances sur la céramique de poêle, agrémentée d’un lexique multilingue fort utile lorsqu’on a à consulter des ouvrages étrangers sur la question. Eva Roth Heege nous propose un outil de travail agréable, d’utilisation simple et aux illustrations utiles et bien amenées. Une petite critique peut cependant être émise quant aux choix des traductions françaises, parfois trop compliquées, et qui, dans quelques cas, ne correspondent pas aux termes les plus usités dans les publications françaises.

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

Préhistoire

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BRÄUNING (Andrea), LÖHLEIN (Wolfgang) et PLOUIN (Suzanne), Die frühe Eisenzeit zwischen Schwarzwald und Vogesen – Le Premier Âge du Fer entre la Forêt- Noire et les Vosges Archäologische Informationen aus Baden-Württemberg, tome 66, 2013, 288 p.

Bernadette Schnitzler

RÉFÉRENCE

BRÄUNING (Andrea), LÖHLEIN (Wolfgang) et PLOUIN (Suzanne), Die frühe Eisenzeit zwischen Schwarzwald und Vogesen – Le Premier Âge du Fer entre la Forêt-Noire et les Vosges, Archäologische Informationen aus Baden-Württemberg, tome 66, 2013, 288 p.

1 C’est un volume largement bilingue – une nouveauté appréciable pour les lecteurs francophones – que nous propose le Landesamt für Denkmalpflege du Regierungspräsidium de Stuttgart. Paru en 2012 à l’occasion de l’« année des Celtes » et de la grande exposition régionale « Die Welt der Kelten » à Stuttgart, cet ouvrage dresse un bilan actualisé des connaissances, devenu indispensable en raison des nombreuses informations livrées par l’archéologie préventive sur la période hallstattienne des deux côtés du Rhin au cours des dernières décennies. L’un des principaux mérites de ce livre est en effet de restituer une vision globale sur les débuts de la civilisation celtique, tant dans le Bade-Wurtemberg qu’en Alsace, en redonnant sa cohérence à cette région entre Vosges et Forêt-Noire grâce à une collaboration transfrontalière fort bienvenue. Il est ainsi possible d’appréhender les diverses facettes de cette entité culturelle commune

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qu’a constituée la civilisation hallstattienne entre 800 et 450 avant J.-C. de part et d’autre du Rhin, fleuve qui n’avait alors rien d’une frontière.

2 Les nombreuses découvertes, les programmes de recherches menés en Allemagne et en France, de même que la collaboration engagée entre universitaires et archéologues français et allemands permettent de proposer aujourd’hui une large synthèse sur cette période-charnière de la Protohistoire. Tous les aspects de ces sociétés sont abordés tour à tour, après une introduction générale signée de Christoph Huth et une présentation rapide des sites les plus importants du Rhin supérieur (Rolf Dehn), du Baar (Thomas Knopf) et du Hegau (Jürgen Hald).

3 L’économie de cette période se caractérise par l’apparition de la métallurgie du fer, à travers de nombreux petits ateliers de réduction du minerai (Guntram Gassmann). Les aspects religieux sont encore peu connus, mais l’étude des rites funéraires permet d’approcher le monde des croyances (Wolfgang Löhnlein et Andrea Brauning) et des symboles où dominent les thèmes astraux. Certains sites naturels ont également été investis par des pratiques religieuses, tel le Heidentor d’Egesheim et ses dépôts sacrificiels par exemple (Hartmann Reim).

4 Les rites et pratiques funéraires sont communs à l’ensemble du domaine hallstattien : généralisation de l’inhumation qui remplace la pratique, dominante au Bronze final, de l’incinération ; construction de vastes tertres funéraires, parfois à enclos de pierres, pour protéger la tombe ; abondance du mobilier déposé auprès du défunt… Ces structures tumulaires se retrouvent aussi bien en Bade-Wurtemberg (Magdalenenberg près de Villingen, Kappel am Rhein, Ihringen…) qu’en Alsace (Nordhouse, Mussig, Pulversheim, Forstfeld…) où des sépultures au riche mobilier funéraire font écho à celles retrouvées dans le Bade-Wurtemberg (Suzanne Plouin). Elles traduisent une hiérarchisation de la société avec la présence d’une élite aristocratique en relation avec le monde méditerranéen (vaisselle en bronze importée, objets de parure en ambre, en bronze et en or…). L’habitat se concentre dans des sites de hauteur fortifiés, centres d’artisanat et de pouvoir, et dans une multitude de petites fermes en plaine se développant en hameaux et en villages à la fin de la période. Ces sites, qui révèlent une riche civilisation agro-pastorale, ont livré en abondance des objets de la vie quotidienne : céramiques de toutes sortes, pièces de parure, objets liés aux activités domestiques etc.

5 La qualité de l’illustration contribue également à rendre cet ouvrage très attractif non seulement pour le spécialiste, mais aussi pour l’amateur de découvertes archéologiques. Un regret, peut-être, au regard des nombreux sites évoqués à travers textes et illustrations : celui de ne pas y trouver associés succinctement les noms des responsables qui ont dirigé ces fouilles (ils sont absents, sauf dans le crédit photographique en fin d’ouvrage) et sans les travaux desquels la rédaction de ce bilan, qui s’appuie largement sur les fouilles les plus récentes, n’aurait pas été possible.

6 Cet excellent ouvrage de synthèse se doit de figurer dans toute bonne bibliothèque archéologique et une suite consacrée au second Âge du Fer, dans la même collection, serait la bienvenue.

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

Moyen Age

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SAUVE (Jean-Sébastien), Notre-Dame de Strasbourg. Les façades gothiques Didymos-Verlag, Korb, 2012, 366 p.

Jean-Paul Lingelser

RÉFÉRENCE

SAUVE (Jean-Sébastien), Notre-Dame de Strasbourg. Les façades gothiques, Didymos-Verlag, Korb, 2012, 366 p.

1 C’est la première fois qu’un ouvrage consacré à la cathédrale de Strasbourg, produit par un auteur canadien talentueux qui a travaillé à Karlsruhe, édité en Allemagne, est publié en français. Une telle démarche est tout à fait nouvelle. Elle mérite d’être saluée et va permettre aux historiens de l’art des deux côtés du Rhin de confronter leurs recherches pour marquer de nouveaux progrès dans la connaissance de cet édifice insigne.

2 Ouvrage méthodique, parfaitement structuré, il dévoile de nouvelles sources tirées des archives. Mais surtout, il procède à un nouvel examen de l’édifice et à une nouvelle expertise des dessins d’architecture que l’auteur a pu mener sous la houlette d’un spécialiste du Karlsruher Institut für Technologie, Fachgebiet Baugeschichte de l’université de Karlsruhe, le professeur Johann Josef Böker.

3 D’emblée, Jean-Sébastien Sauvé met l’accent sur l’examen de la liaison entre la nef gothique et la façade occidentale pour distinguer deux stades : une façade dite Strasbourg I, aujourd’hui disparue, puis une façade dite Strasbourg II qui est celle qui nous est parvenue. Il s’attache ensuite à établir une nouvelle chronologie de la tour septentrionale, qui aurait été achevée au cours de la seconde moitié du XVe siècle. Enfin, l’auteur réunit pour la première fois la transcription intégrale des sources archivistiques relatives à son champ d’étude (p. 283-337), un corpus extrêmement précieux qui démontre le sérieux de son travail.

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4 Il convient à présent de suivre le cheminement de sa démonstration. C’est tout d’abord la première travée de la nef, la plus occidentale, qui fait l’objet d’une analyse précise et méticuleuse. L’auteur examine avec grand soin la liaison entre cette travée et le flanc oriental du narthex et relève les anomalies visuelles tant du côté sud que du côté nord. Il note les discordances des parties basses extérieures mais aussi des parties hautes, l’alignement des contreforts, les changements de décor du feuillage, le remplage des baies, etc… tout comme il s’intéresse à l’examen des fondations du pilier nord du narthex mené par Johann Knauth au moment des travaux de consolidation. Mais, selon notre auteur, les fouilles de cet architecte colonais ne permettraient pas d’avoir une réelle certitude sur les étapes de reconstruction de la façade occidentale et les quelques sondages ultérieurs sont trop limités pour étayer toute réelle chronologie. Il en est de même du débat concernant les dégâts provoqués par l’incendie de 1298, dont on ne connaît pas de trace visuelle véritable. Dans ces conditions, il est difficile d’établir ce qui a été déconstruit et reconstruit. Pour expliquer les anomalies caractérisant la jonction entre le massif occidental et la dernière travée, Jean-Sébastien Sauvé émet l’hypothèse d’une façade intermédiaire dite Strasbourg I qui aurait été érigée devant l’édifice et qui se serait substituée à la façade romane restée en place lors de la reconstruction de la nef gothique.

5 L’argumentaire de Sauvé repose sur l’existence d’une pierre en saillie du pilier sud du narthex, à la hauteur de la base du triforium méridional et qui serait un vestige d’une structure disparue, celle d’une première façade gothique. Il est cependant difficile de tirer argument de ce vestige. L’auteur poursuit donc ses investigations en cherchant à conforter son hypothèse à partir des différentes traces de remaniement dans la liaison entre le narthex et les bas-côtés nord et sud. Ce sont ensuite les différents dessins d’architecture des projets de la façade qui sont convoqués et confrontés à la façade actuelle pour en déduire que la façade de Strasbourg I découlerait du dessin A et aurait été érigée concomitamment à l’achèvement de la dernière partie occidentale de la nef de la cathédrale. C’est enfin une nouvelle façade occidentale, plus originale et plus audacieuse, qui a été entreprise, et qui serait plus conforme aux nouvelles aspirations des classes dirigeantes de Strasbourg après la bataille de Hausbergen.

6 Jean-Sébastien Sauvé développe longuement toutes les informations déjà connues sur maître Erwin qui, maître d’œuvre de la cathédrale puis administrateur de l’Œuvre Notre-Dame, aurait dirigé le chantier jusqu’à sa mort en 1318. Selon lui, ce maître d’œuvre serait originaire de Steinbach (p. 142), une localité non identifiée. Il s’appuie pour cela sur les écrits de Jakob Wimpheling du XVIe siècle, dont le point de vue n’est néanmoins corroboré par aucune source épigraphique ou archivistique. Et l’étonnante inscription du portail septentrional aujourd’hui disparue ne peut servir de preuve, aucune analyse sur son degré d’authenticité n’étant plus possible. Si ce point a été tranché par de nombreux spécialistes, comme Robert Will en 1980, la fascination suscitée par maître Erwin reste toujours très forte dans l’historiographie allemande, comme elle l’avait été, sur le plan local, chez Grandidier, Schneegans et beaucoup d’autres. L’auteur procède à une analyse très fine des différents dessins d’architecture où il croit pouvoir reconnaître le langage architectural d’Erwin. Pour lui, le dessin A1 est resté un projet sans suite, tandis que le dessin B, plus novateur et lui aussi de la même main erwinienne, aurait servi au départ du chantier pour ensuite être délaissé au profit du dessin 15 dont le tracé se rapproche beaucoup plus des parties occidentales de la construction. Mais comme les portails latéraux de la façade sont plus larges que

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nécessaire, Sauvé voit dans cette anomalie un indice suffisant pour envisager une reconstruction d’une nouvelle façade qu’il dénomme Strasbourg II. Les contreforts orientaux placés dans le champ de la dernière travée des bas-côtés nord et sud en seraient les preuves matérielles. Si les portes du grand portail n’ont été mises en place qu’en 1343 (mais ne s’agissait-il pas d’une rénovation ?), c’est que le narthex était enfin achevé à cette date avec la grande rose qui serait ainsi plus tardive. Quant à l’incendie de 1298, il aurait entraîné une réduction du caractère monumental de la façade telle qu’elle avait été envisagée au départ. On le voit, pour expliquer l’abandon de certains dessins et préconiser une reconstruction de la façade pour le moins incertaine, l’auteur pose de nombreux jalons hypothétiques qui ont le mérite d’ouvrir le débat.

7 Sauvé poursuit l’analyse comparative bien connue des tours nord et sud. C’est cette dernière, appelée tour « ancienne », qui présente un achèvement plus complet des lancettes sur sa face nord avec une clé annulaire plus grande que celle de la tour nord. Celle-ci est plus sommaire et a été terminée après sa sœur jumelle. La tour sud, légèrement plus petite que sa voisine, permet de penser que la plateforme actuelle n’était pas envisagée au départ. Enfin, le dessin 5, d’une exceptionnelle qualité avec sa polychromie et son décor sculpté, livre une représentation du beffroi comme travée médiane de la façade occidentale, mais sa datation ne fait pas l’unanimité et le dessin a été complété après coup par un collage, comme le démontre l’analyse matérielle. On le voit, les hypothèses émises concernant le beffroi montrent combien il est difficile de faire coïncider les dessins qui subsistent à la réalisation actuelle.

8 Mais c’est la construction de la tour octogonale, flanquée de quatre escaliers en vis et surmontée d’une flèche pyramidale, véritable dentelle de pierre, qui va faire l’objet d’une nouvelle théorie chronologique. C’est que Sauvé remet en cause l’attribution de la flèche de la cathédrale à Jean Hultz, qui l’aurait achevée en 1439. Pour ce faire, il s’appuie sur un passage de la Petite chronique de la cathédrale selon laquelle des travaux auraient été exécutés par Hans Hammer en 1488. Pour autant, il est, là aussi, malaisé d’intégrer certains dessins dans une suite logique sur le plan chronologique, tout comme il est difficile d’établir une parfaite correspondance entre tel ou tel projet et sa réalisation effective. Pour donner corps à sa démonstration, Jean-Sébastien Sauvé réévalue le rôle joué par Jost Dotzinger, considéré jusqu’à présent comme un maître très secondaire. L’auteur met en avant son style artistique, qu’on retrouve dans les arcs entrecroisés en accolade. Il souligne que l’activité du chantier s’est poursuivie sous sa direction, valant sa reconnaissance auprès de la confrérie des tailleurs de pierre à Ratisbonne en 1459 et la nomination de Strasbourg au rang de loge suprême de l’Empire. À coup sûr, la réputation de ce maître d’œuvre devait certainement faire l’unanimité.

9 Enfin, le dessin 7, attribué au maître d’œuvre Hans Hammer, et considéré jusqu’à présent comme une ébauche de la seconde tour qui a été abandonnée, serait en réalité une reprise du dessin 8 de Jean Hultz pour la tour nord. Ce dessin de Hans Hammer démontrerait son intérêt pour le couronnement de la flèche septentrionale et donc la poursuite de ce chantier. On mesure toute l’audace de ce jeune et talentueux chercheur qui remet en cause la chronologie de la flèche qui a été, jusqu’à présent, acceptée par toute la communauté scientifique. Il suffit simplement de se rappeler les festivités de 1939 qui ont marqué le cinquième centenaire de l’achèvement de la cathédrale. Avec Sauvé, on peut regretter que la flèche de la cathédrale ait été gravement endommagée par la foudre en 1654 et que nous ne soyons plus en présence, depuis longtemps, de

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l’état originel de cette partie sommitale de l’édifice. Malgré la présence de pierres d’époque – qu’il est difficile de dater – aucune étude archéologique de cette partie du bâti ne permettrait sans doute plus de tirer des conclusions fiables et d’avoir quelque certitude quant à une attribution à tel ou tel maître d’œuvre. En tout cas, l’argumentation de l’auteur proposant une nouvelle chronologie de la tour et de la flèche mérite d’être entendue.

10 Jean-Sébastien Sauvé a réalisé une contribution extrêmement importante et novatrice dans l’étude de la cathédrale de Strasbourg. Ses propositions vont incontestablement relancer de nouvelles recherches qui viendront confirmer ou infirmer ses affirmations. De nombreux travaux s’appuyant sur une expertise à la fois pluridisciplinaire mais aussi archéologique s’avèrent, dès à présent, nécessaires pour déceler les interruptions des chantiers et leur reprise, les ruptures et les changements de projets. L’expertise des dessins d’architecture ne saurait en effet suffire, même si elle a apporté d’importantes nouveautés. Notre-Dame de Strasbourg reste un édifice singulier et certainement celui qui a été le plus étudié dans l’univers de l’architecture gothique, comme le montre son impressionnante bibliographie. En tout cas, gageons que la cathédrale n’a pas encore livré tous ses secrets.

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

XVIIe-XIXe siècles

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ANDRIOT (Cédric), Les chanoines réguliers de Notre-Sauveur Riveneuve Éditions, 2012, 473 p.

Gilles Muller

RÉFÉRENCE

ANDRIOT (Cédric), Les chanoines réguliers de Notre-Sauveur, Riveneuve Éditions, 2012, 473 p.

1 Le remarquable ouvrage de Cédric Andriot, chercheur à l’Université de Nancy 2, nous éclaire sur une congrégation encore trop peu connue. Elle est ignorée de l’historiographie religieuse jusqu’aux travaux pionniers de l’historien Jules Rogie (1838-1917) à la fin du XIXe siècle. Cédric Andriot détaille deux siècles d’existence (XVIIe-XVIIIe) des chanoines réguliers de Notre-Sauveur. Dans le contexte de la Réforme catholique insufflée par le concile de Trente, Pierre Fourier (1565-1640) fonde en 1623 la congrégation de Notre-Sauveur. Solidement implantés en Lorraine, les chanoines tentent de répondre aux préoccupations d’une société demandeuse de pastorale et d’éducation. Aussi la congrégation cherche-t-elle un subtil compromis entre la vie régulière et la vie séculière. « Construite à la frontière de ces deux mondes, la congrégation de Notre-Sauveur fut un résumé de ces deux tendances de l’Église catholique ».

2 Une des difficultés de l’auteur fut de rassembler des sources abondantes mais disparates. Son dépouillement minutieux regroupe les archives parisiennes, lorraines, et alsaciennes. Les données les plus pertinentes pour la région se concentrant aux Archives départementales du Bas-Rhin sous la cote H 1345-1347. Ces sources sont en partie complétées par les travaux de deux historiens alsaciens : le biographe de Pierre Fourier à savoir Alexandre D’Hangest (1700-1777) et l’ancien professeur des universités de Strasbourg, Lyon et Nancy : Louis Châtellier.

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3 Désireuse de s’étendre hors de ses terres lorraines, la congrégation regarde vers la province d’Alsace et s’y installe sans grande réussite. Les implantations aux Trois-Épis et à Fort-Louis-du-Rhin échouent peu après leur fondation. Mais les chanoines réussissent partiellement à Strasbourg où ils administrent la paroisse Saint-Louis à partir de 1687. Sept chanoines se chargent des prédications et du catéchisme, mais se heurtent à la barrière de la langue. Les fidèles de la paroisse sont donc avant tout, des Français installés en Alsace suite à la conquête. Dans un article paru en 2012 dans la Revue d’Alsace (p. 61-81) l’auteur souligne que la paroisse strasbourgeoise devient au cours du XVIIIe siècle une des maisons les plus marginales de la congrégation de Notre- Sauveur. Seule véritable réussite : la fondation de la confrérie du Saint Sacrement érigée en 1707 en l’église Saint-Louis.

4 L’auteur nous entraîne au cœur d’une congrégation originale désireuse de vivre avec son siècle. Laissons-lui le mot de la fin : « La congrégation de Notre-Sauveur peut donc, dans l’histoire de l’Église, être considérée comme une rare tentative de tout concilier, de tout essayer, avec une dimension véritablement globalisante ».

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FLUCK (Pierre), Antoine-Grimoald Monnet. Voyages. Aventures minéralogiques au siècle des Lumières en Alsace, Lorraine et Franche Comté Éditions du Patrimoine Minier, 2013, 615 p.

Claude Muller

RÉFÉRENCE

FLUCK (Pierre), Antoine-Grimoald Monnet. Voyages. Aventures minéralogiques au siècle des Lumières en Alsace, Lorraine et Franche Comté, Éditions du Patrimoine Minier, 2013, 615 p.

1 Heureux l’homme qui allie avec brio la plume à la spatule ! Quand il ne creuse pas l’été dans les galeries de Sainte-Marie-aux-Mines, Pierre Fluck, professeur à l’Université de Haute Alsace, parcourt l’hiver les rayonnages des bibliothèques. En arpentant celle de l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris, il découvre une collection de neuf manuscrits demeurés inédits, œuvres d’Antoine Grimoald Monnet (1734-1817), inspecteur général des mines, lequel parcourt à sept reprises le massif vosgien et ses marges, du nord au sud et d’est en ouest.

2 Il faut l’audace de Pierre Fluck, comme le relève dans sa préface Gérard Lagarde, pour publier un tel « routard des Lumières », mine – si l’on peut dire – de renseignements de toutes sortes, en particulier en matière de minéraux. Monnet accroche par son approche très pertinente de son métier. Il ne peut concevoir l’étude des sciences de la terre autrement que par la confrontation avec le terrain. Quelques-unes de ses réflexions méritent d’être citées : « C’est à Sainte-Marie-aux-Mines que la métallurgie

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s’est fortifiée, simplifiée et perfectionnée et qu’on y a dépassé de beaucoup les meilleurs travaux de l’Allemagne. Rien ne peut paraître plus singulier au minéralogiste que le mélange confus qui constitue les premiers monticules qui sont sur les bords de la plaine d’Alsace. Il pourrait trouver dans quelques-unes une collection complète de toutes les roches qui constituent les montagnes des Vosges. »

3 Si le filon constitue le fil directeur des observations de Monnet, la publication de ses observations, avec la présentation et les annotations éclairantes de Pierre Fluck, nous entraîne aussi dans le récit de voyage tellement à la mode à la fin du XVIIIe siècle. Et là apparaît un autre monde : aléas du voyage, description de personnes rencontrés, eaux thermales, désindustrialisation, paysages… Même le signataire de ces lignes y trouve son compte : « Les religieux [cisterciens] qui résident dans cette maison [Pairis] passent leur temps à bien régaler leur hôte sans parler de leurs roches de granit. »

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BUCK (Janice), L’École centrale du Bas-Rhin (1796-1803). Contribution à l’histoire de l’instruction publique Société académique du Bas-Rhin pour le progrès des Sciences, des Lettres, des Arts et de la Vie économique, Bulletin t. CXXXI-CXXXII, 2011-2012, 182 p.

Eric Ettwiller

RÉFÉRENCE

BUCK (Janice), L’École centrale du Bas-Rhin (1796-1803). Contribution à l’histoire de l’instruction publique, Société académique du Bas-Rhin pour le progrès des Sciences, des Lettres, des Arts et de la Vie économique, Bulletin t. CXXXI-CXXXII, 2011-2012, 182 p.

1 L’ouvrage présente l’histoire d’un foyer majeur de la vie intellectuelle strasbourgeoise pendant la Révolution. Instaurées par la loi sur l’instruction publique du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), les écoles centrales sont appelées à naître, une par département, pour offrir un enseignement général hérité de l’encyclopédisme des Lumières, en rupture avec les collèges d’Ancien Régime. Rapidement, elles disparaissent sous le Consulat, pour laisser place aux lycées. On comprend tout de suite l’intérêt d’étudier cette institution charnière, qui en tant que telle pose la question de la rupture et de la continuité. Pour y répondre, Janice Buck choisit l’« histoire totale » et le plan le plus efficace pour cela : présentation du cadre (matériel, institutionnel), puis des acteurs et enfin des enjeux de la création d’un nouvel enseignement secondaire.

2 Autant dire tout de suite que l’objectif est amplement atteint. Après une introduction qui montre une parfaite maîtrise de la bibliographie et permet de replacer l’établissement dans le contexte tant national de la Révolution que local du XVIIIe siècle strasbourgeois, l’auteur retrace l’histoire du bâtiment (actuel Lycée Fustel de Coulanges) et nous guide, autant que possible, pièce après pièce, dans des locaux peu

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reluisants. Le bâtiment est trop petit pour accueillir les équipements dont il doit être pourvu : bibliothèque du département (qui contient le précieux Hortus Deliciarum), jardin botanique, cabinets d’histoire naturelle et de physique-chimie. Le lecteur est donc amené à se promener dans les rues du vieux Strasbourg et à franchir la porte des cabinets privés des professeurs. Dans son fonctionnement, comme les autres écoles centrales, celle de Strasbourg se caractérise par son autonomie – un système qui ne manque pas de trouver quelques résonances dans les débats actuels. Mais si l’organisation de l’établissement repose entre les mains du Conseil général de l’École, du Conseil d’administration de l’École et du jury d’Instruction publique près de l’École centrale, ces mains sont liées par l’État, qui tient les cordons d’une bourse bien peu remplie. Dans cette limite, les professeurs organisent un enseignement original, dans un contexte d’autant plus difficile qu’à la désorganisation générale du système scolaire s’ajoutent les complications d’une situation linguistique particulière. Ils mettent en place un cursus de six ans proposant trois branches spécialisées et se distinguent en cela du modèle théorique, suivi plus ou moins fidèlement par la plupart des autres écoles centrales. Difficile cependant de faire accepter aux élèves cet encadrement, qu’il est encore question d’étendre au travail à la maison : le règlement appel de ses vœux la concertation entre parents et professeurs ! Mais si l’assiduité des élèves apparaît chaotique, l’École centrale connaît une fréquentation tout à fait correcte (150-200 élèves). Elle peut notamment compter sur le vivier que représente pour elle le Gymnase protestant, véritable école préparatoire qui lui fournit nombre de ses meilleurs éléments. Son directeur, Jérémie-Jacques Oberlin, n’est d’ailleurs autre que le zélé bibliothécaire de l’École centrale. Il a le même statut que les professeurs et assure collégialement avec eux la direction de l’établissement. Au cours de ses sept années d’existence, l’institution a vu douze professeurs se succéder à ses neuf chaires officielles. Rien n’est oublié (origines, parcours, recrutement, réseaux, opinions politiques) pour établir l’identité de ce corps professoral qui porte l’École centrale à bout de bras par sa qualité et son dévouement. Le tableau (décomposé portrait par portrait dans un glossaire à la fin de l’ouvrage) présente l’image de la continuité avec les Lumières. Acteurs essentiels de toute histoire scolaire, les élèves se retrouvent eux- aussi minutieusement étudiés. Les origines géographiques apparaissent les mieux documentées. Si les deux tiers de l’effectif proviennent de Strasbourg, le dernier tiers arrive d’un grand quart nord-est de la France dans lequel les autres communes du département s’avèrent relativement peu représentées. « Aussi, comme le dit l’auteur en conclusion, n’est-il pas incorrect de parler de l’École centrale de Strasbourg » au lieu de celle du Bas-Rhin. La diversité des origines sociales entraîne quant à elle des attentes différentes, dont traite la dernière partie. Comme dans tout bon mémoire de master, travail d’où est issu l’ouvrage, l’auteur fait état d’un riche corpus de sources et d’une bibliographie complète. On remarquera l’importance des sources manuscrites, dont l’exploitation minutieuse fait la qualité de l’étude. Seul bémol, certains plans et cartes, par ailleurs très utiles pour les premiers et bien pensées pour les secondes, auraient pu faire l’objet de plus de soin dans leur reproduction ou production.

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BELOT (Robert) (dir.), 1870, de la guerre à la paix Editions Hermann, 2013, 314 p.

Gabrielle Claerr Stamm

RÉFÉRENCE

BELOT (Robert) (dir.), 1870, de la guerre à la paix, Editions Hermann, 2013, 314 p.

1 Il s’agit des Actes du colloque international qui s’est tenu à Strasbourg et à Belfort les 4 et 5 novembre 2011. Robert Belot souligne d’emblée le rapport singulier de la société française avec cette guerre, « un phénomène d’amnésie l’a frappée à peine le traité de Francfort signé ». « La cause majeure de cette sorte d’embarras mémoriel vient certainement de l’issue de cette guerre sanctionnée par une défaite rapide et cinglante ».

2 Le colloque a pour thème le « Retour sur une guerre oubliée » au vue des nouvelles tendances historiographiques. Rappel de l’histoire de 1870‑71, du rôle de Bismarck et de Napoléon III, des monuments de mémoire en Allemagne, autant de chapitres qui composent la première partie. La seconde s’attache à nous faire découvrir la vie culturelle de l’Alsace annexée, avec notamment la création du Musée alsacien à Strasbourg, la restauration de la cathédrale, la vie musicale, la persistance de l’esprit français (avec l’exemple de Mulhouse)… La troisième partie, intitulée « L’événement dans la psyché nationale : figures, mémoires et mythes », évoque le siège de Belfort à travers l’iconographique et la mémoire des Belfortains, l’Alsace-Lorraine dans l’imaginaire français et les figures de Denfert-Rochereau, Bartholdi ou encore Albert Kahn.

3 L’ouvrage accueille de nombreuses illustrations, gravures d’époque, photographies anciennes et reproductions de lettres et documents d’archives.

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

Vie politique entre 1871 et 1940

Revue d’Alsace, 140 | 2014 426

MULLER (Claude), Dieu, la Prusse et l’Alsace (1870-1914) Éditions du Signe, 2013, 374 p.

Catherine Maurer

RÉFÉRENCE

MULLER (Claude), Dieu, la Prusse et l’Alsace (1870-1914), Éditions du Signe, 2013, 374 p.

1 Quittant le pré carré de l’universitaire, Claude Muller propose un livre pour « grand public cultivé » sur un sujet longtemps délaissé, celui de l’histoire religieuse de l’Alsace pendant la période du Reichsland. Le livre est néanmoins imposant et n’oublie pas les informations sur les sources et la bibliographie, en français comme en allemand, propres à tout travail issu de l’Alma Mater. Mais il comporte aussi de nombreuses illustrations, souvent inédites, rendant infiniment plus proche un monde que l’on croyait perdu, et un rappel commode des biographies des principaux protagonistes, souvent connues grâce à des travaux antérieurs. Surtout, il adopte un style alerte que connaissent bien les lecteurs de Claude Muller et qui rend attrayant le moindre conciliabule de sacristie ou la méditation silencieuse d’un évêque, même s’il peut sans doute dérouter certains. Claude Muller fait le pari clairement assumé de redonner vie aux acteurs en leur laissant le plus possible la parole grâce aux citations multiples de chroniques, récits et correspondances, sans oublier le recours à la presse. On regrette d’autant plus l’absence de notes de référence, peut-être imposée par l’éditeur ou mise en œuvre pour ne pas effrayer l’amateur éclairé. Mais, incontestablement, le livre est fondé sur une grande connaissance de l’histoire ecclésiastique de l’Alsace et de l’histoire de l’Alsace tout court.

2 En effet, contrairement à ce qu’indique le titre, la Prusse est beaucoup moins présente ici, sinon à l’arrière-plan du livre, que la province annexée, avec quatre thématiques particulièrement chères à Claude Muller et rappelées dès l’introduction : le mythe de l’Alsace véhiculé par les artistes, à commencer par Charles Spindler et Jean-Jacques Waltz, plus connu sous le nom de Hansi ; la pluralité religieuse qui réunit catholiques,

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protestants et juifs, « sans oublier une poignée d’anabaptistes et tous ceux qui refusent Dieu » ; l’importance du catholicisme ; l’Alsace entre France et Allemagne. Ces thématiques courent tout au long de l’ouvrage qui présente un plan chronologique classique, divisé en cinq parties : la courte période dite du paragraphe de la dictature, imposée à l’Alsace jusqu’en 1874 ; la fin de l’épiscopat de Mgr Raess, l’évêque encore nommé du temps de la France, en 1842 ; la phase de transition avec l’épiscopat de Mgr Stumpf, peu apprécié par son prédécesseur mais qui avait l’avantage, dans un contexte troublé, d’être Alsacien ; enfin, la période de l’épiscopat de Mgr Fritzen, un évêque « vieil allemand » qui se fera progressivement apprécier dans son diocèse, un temps long divisé en deux parties jusqu’en 1914, de part et d’autre de la césure de 1897 qui voit l’entrée en politique du jeune « abbé de presse » Émile Wetterlé. Si le rythme du livre est donné par celui de l’histoire de l’Église d’Alsace et de ses dignitaires, Claude Muller fait constamment le lien avec l’histoire politique de la région, servi en cela par les relations étroites qui existaient alors entre clergé catholique et vie de la cité. Tout en rappelant avec clarté les grandes étapes de l’existence du Reichsland, il campe une galerie de personnages souvent de valeur, généralement hauts en couleur, tels Landelin Winterer, Nicolas Delsor ou encore Wetterlé. Le choix méthodologique qui consiste à laisser les protagonistes s’exprimer directement le plus souvent possible renforce l’impression que le clergé alsacien était une collection d’individualités, pas toujours très dociles ni même charitables envers leurs confrères, mais fréquemment inventives et intellectuellement fécondes. Il n’était pas uniquement cela mais, comme vient de le montrer aussi l’ouvrage de Christian Baechler (voir le compte rendu que lui consacre François Igersheim), la période de l’annexion au Reich allemand a été particulièrement propice à une éclosion aujourd’hui un peu oubliée mais qui s’est prolongée jusqu’à une date encore récente par l’intermédiaire de personnalités comme celle de Mgr Elchinger, dont le rayonnement, plus encore peut-être que celui de ses prédécesseurs du temps du Reichsland, débordait les limites de son Alsace natale. À l’instar de Claude Muller néanmoins, concluons que « ceci est une autre histoire », une histoire que le directeur de l’Institut d’histoire de l’Alsace nous contera peut-être un jour avec verve…

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BAECHLER (Christian), Clergé catholique et politique en Alsace (1871‑1940) Presses Universitaires de Strasbourg 2013, 252 p.

François Igersheim

RÉFÉRENCE

BAECHLER (Christian), Clergé catholique et politique en Alsace (1871‑1940), Presses Universitaires de Strasbourg 2013, 252 p.

1 Christian Baechler, historien des relations franco-allemandes et de l’Allemagne, a choisi pour ses « Mélanges » que l’on réunit à la fin de sa carrière, de revenir à son premier champ de prédilection, l’histoire contemporaine de l’Alsace. Il s’était distingué par sa grande thèse sur Le parti catholique alsacien 1890-1939, parue en 1984 et qui reste le travail historique majeur sur l’entre-deux-guerres en Alsace en particulier. Il nous présente, dans son Clergé catholique et politique en Alsace, deux études d’ensemble sur « le clergé catholique alsacien et la politique 1871‑1939 », dont la première version était parue dans la Revue d’Alsace en 1985, et « la question sociale et la réception de l’encyclique Rerum Novarum » (1990), ainsi que quatre biographies de prêtres alsaciens, celles de Wetterlé et Haegy, déjà parues dans les Archives de l’Église d’Alsace, et des chanoines Delsor et Muller, députés et sénateurs. C’est un choix que l’auteur n’explicite pas assez. Car il aurait pu en donner d’autres, issues des notes biographiques approfondies qu’il avait publiées dans sa thèse. Deux d’entre elles auraient, sans doute, été les très bienvenues, parce que leurs personnalités sont moins connues, celles du très moderne abbé Muller-Simonis, abondamment cité dans la biographie de Delsor, et abordé dans le travail de Catherine Maurer sur la « Caritas d’Alsace », ou encore celle d’un observateur perspicace et profond, le chanoine Didio, un compagnon d’études et contemporain de Haegy. Ces prêtres politiques ne sont pas tous de la même génération. Delsor, né en 1847, est le plus âgé ; Muller et Wetterlé, nés en 1861, sont contemporains ; Haegy

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est le plus jeune. Christian Baechler ne dissimule pas la fascination qu’exerce sur lui la personnalité de Haegy, « le meilleur représentant de la génération des clercs formés entre 1880 et 1900, convaincus de la nécessité d’un parti de masses pour s’opposer au socialisme et reconquérir les milieux ouvriers ».

2 C’est l’étude neuve consacrée à Nicolas Delsor (p. 63 à 106), mise en regard de celle qu’il avait consacrée à Wetterlé (p. 107 à 157), qui retiendra tout d’abord notre attention. Né en 1847, Strasbourgeois, élève au petit séminaire puis professeur, très fermement attaché à la France, Delsor a été un protestataire et restera toute sa vie un francophile « patriote ». Engagé dans le Volksfreund de 1870 et 1871, qu’il quitte brutalement au nom de « l’honneur français » pour protester contre les Guerber (et Mgr Raess) qui cherchent un accommodement avec le nouveau régime allemand, il ne revient à la politique qu’en 1882, comme rédacteur en chef de la Revue catholique d’Alsace, revue de langue française qui se fixe pour programme la défense de « l’honneur de notre Église d’Alsace » (Delsor, p. 66). Sur les 600 abonnés de la Revue, on ne sait pas quel est le nombre d’abonnés français ; ils doivent pourtant être un certain nombre dans les rangs des clercs et laïcs catholiques optants en France. Et sans doute faudrait-il une nouvelle étude sur les catholiques français et l’Alsace-Lorraine. Delsor se contente du rôle de meneur d’opinion avant d’entrer dans la vie politique active comme député au Reichstag en 1898, dans la circonscription de Molsheim-Erstein, détenue depuis 1878 par le conservateur Hugo Zorn de Bulach. Dans ses commentaires de la législation sociale de l’Empire de Bismarck, Delsor s’en tient aux positions du libéralisme sur l’assurance libre et responsable et le refus d’un État omnipotent. C’est contre le socialisme matérialiste et athée qu’il convient de se mobiliser. « On finira par comprendre que la politique dans le sens national et chrétien constitue une part essentielle des devoirs du prêtre et du laïque, qu’il faut tenir compte du mouvement social qui entraine le monde contemporain, qu’il faut étudier pour les diriger les aspirations du quatrième état qui est en train de devenir le maître du monde, qu’il est grandement temps d’opposer les principes catholiques à ceux du socialisme et d’organiser le parti ouvrier chrétien pour le pas le laisser devenir la proie de ces utopistes » (RCA 1886, « Le clergé catholique alsacien et la politique 1871-1939 », p. 22). Les positions de Delsor sur l’organisation du parti catholique reflètent les nécessités de sa situation électorale. Curé d’une petite ville alsacienne, Marlenheim, dans une circonscription de Molsheim-Erstein où la grande industrie n’est pas aussi présente qu’à Mulhouse, et les petites entreprises nombreuses, l’artisanat et la paysannerie majoritaires et où les notables influencent fortement l’opinion, Delsor adopte les mêmes positions que Wetterlé ; il refuse un parti « confessionnel ». « Si nous arborons le drapeau du groupe alsacien, écrit-il, nous attirerons à nous une grande partie des catholiques non pratiquants. Avec le programme du groupe alsacien, nous pourrons, là où un candidat catholique n’a pas de chances de réussir, faire passer un candidat indépendant d’un autre culte » (RCA 1892-1893, Delsor, p. 72). C’est le même programme que celui de Wetterlé député de Ribeauvillé pour son alliance avec Blumenthal et Preiss. Mais le parti catholique est un parti arrondissementier, qui laisse à chaque arrondissement le soin de décider l’adhésion au Zentrum (p. 79). Un parti non- confessionnel ? Entendons-nous. L’Elsass-Lothringische Landespartei fondé en 1903 sur la proposition de Delsor a une assemblée issue de Vertrauensmänner, désignés par les curés des paroisses. Mais il est vrai que Delsor dénonce, en 1903, des élections faites « entre catholiques partisans de la liberté religieuse d’un côté, entre protestants anticléricaux, francs-maçons sectaires de l’autre » et le danger d’une progression de l’anticléricalisme

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en Alsace (RCA, juin 1903, p. 80). Face à une coalition possible des libéraux et démocrates et des socialistes, faut-il un rassemblement, mot-clé pour Delsor comme pour Wetterlé ? Rassemblement alsacien, destiné à promouvoir la cause de l’autonomie de l’Alsace et la défense de ses intérêts ? Que mettrait en danger le ralliement au Zentrum, que Delsor continue de refuser. Que promeuvent les formules d’Union lancées par Wetterlé : Union nécessaire, Union nationale, qui seront inopérantes, car c’est l’union dans le Zentrum, qui permettra au « parti catholique » de faire face à la vague du grand bloc qui s’impose sans l’emporter dans les élections de 1911 (Landtag) et de 1912 (Reichstag). Là, Delsor se sépare de Wetterlé, devenu la bête noire « nationaliste » du gouvernement Wedel-Bulach et des autres partis du Landtag : « Ma formule n’est pas la France d’abord, mais avant tout Dieu et l’Église, écrit-il durement à Pfleger. Pour moi ce n’est pas Knatschke qui est l’ennemi, c’est Boll [réd-chef du Journal d’Alsace-Lorraine]. Si on veut faire de la politique catholique, j’en suis, de la politique nationaliste non » (Delsor, p. 89). Mais il se sépare aussi de Haegy qui participe avec les démocrates et les socialistes aux manifestations pacifistes des printemps 1913 et 1914 de Mulhouse. Qui a voté les crédits de guerre ? Sont absents le 4 août 1914 à Berlin, où le Reichstag vote par assis-debout : Emmel, Hauss, Delsor, Haegy. Delsor affirme dans une carte à Hauss, le 8, qu’il aurait voté « pour évidemment ». À partir de 1918, Delsor, devenu sénateur « Bloc national », adopte une position prudente, pour éviter de mettre en cause, par d’éventuelles provocations, le statut local, et d’abord la confessionnalité des écoles.

3 Dans l’article de tête de ce recueil, « le clergé catholique alsacien et la politique 1871-1939 », Christian Baechler s’interroge sur les raisons qui ont fait que tant de clercs ont été députés au Reichstag, 40 sièges sur les 132 au cours des 12 scrutins au suffrage universel par arrondissement. Les raisons avancées : l’émigration d’une partie des élites laïques, la politique anticléricale de Bismarck. Cela a été contesté : les assemblées locales n’ont jamais manqué d’« élites laïques ». En 1909, Delsor revient sur les bonnes élections de 1898, pour le parti catholique, où sont élus 4 clercs. « Ce n’est pas la constitution de brillants états-majors qui nous garantira contre les défaites futures, mais la cohésion parfaite des chefs avec les masses. En 1898, nous avions repris contact avec la terre, c’est à dire avec notre peuple alsacien, car nous n’avions pas voulu lui imposer une direction autre que celle de ses justes rancunes, de ses griefs, de son impatience des charges écrasantes… Notre langage était un langage qu’il comprenait » (Delsor, p. 83). Cette formulation est celle qu’utilise le chanoine Didio dans son « Die Rolle der Geistlichen im öffentlichen Leben » du Mémorial Haegy, Im Dienst der Kirche und des Volkes, de 1935 que reprend Christian Baechler. Didio insiste sur le contrat passé alors entre le clergé catholique et le peuple alsacien. « C’est lors des élections protestataires de 1874 que débuta le rôle politique du clergé catholique en Alsace. … Pourquoi ? Parce que le clergé avait accepté le mandat politique que lui confiait le peuple. Celui-ci a reconnu la fidélité du clergé au mandat politique… Dans cette période ils avaient été les chefs du peuple catholique sur le plan politique. Mais Didio insiste plus que ne le fait Baechler sur le caractère unique de cette rencontre du clergé catholique et du « peuple alsacien » : les élections de 1874, où le clergé proclama l’attachement à la France et exprima la protestation du peuple alsacien (en français dans les textes). Patriotes certes, mais aussi interprètes d’un peuple et exprimant ses sentiments profonds. Conjonction unique dont tout découle. Car après tout, depuis 1848 et le suffrage universel, le clergé était déjà entré dans l’arène électorale. Un curé au moins parmi les élus, avait-il projeté en 1848. Il n’en avait eu aucun. Dans tous les cantons il n’avait été qu’une force d’appoint. Aux élections de février 1871, Mgr Freppel avait figuré sur la

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liste catholique du Bas‑Rhin, mais n’avait pas été élu. Il s’agissait, il est vrai, dans les deux cas, de scrutin départemental de liste. En 1874, le scrutin était d’arrondissement et les circonscriptions mixtes religieusement avaient été évitées. Les premiers clercs hommes politiques, Winterer, Guerber, Simonis avaient commencé leur carrière à ce moment-là et se souvenaient de ces évènements, tout comme Mgr Raess. Et Delsor est proche d’Ignace Simonis. « Mais à partir de là, poursuit Didio, ils entreprirent de développer le programme politique du peuple catholique ». S’ouvre alors la seconde étape de l’engagement du clergé alsacien, sur le modèle de celui du Volksverein allemand, dans l’action politique et sociale. L’étude sur « la question sociale et la réception de l’encyclique Rerum novarum » – titre réducteur car l’étude embrasse tout le développement de l’organisation sociale catholique (et en particulier le rôle du curé Cetty) – ainsi que l’étude biographique sur le rôle de l’abbé Haegy – justement réévalué – l’approfondit. Haegy avait précisé dès 1905 : « il faut donner les postes de responsabilité aux laïcs sous peine de voir le clergé devenir étranger au peuple » (Haegy, 1905, p. 174). C’était là mettre en garde contre la « cléricalisation » du parti catholique. Reste à s’entendre sur le mot « cléricalisation ». En ce sens, nous ne croyons nullement que l’adhésion du PRP au MRP en juillet 1945 met « un point final à la décléricalisation du parti », comme l’affirme, un peu vite, sans doute, Christian Baechler dans sa conclusion (p. 232). À la fin de sa carrière (1925), Wetterlé écrit à Delsor : « Nous avons commis une grosse faute, en jetant le clergé dans la politique. Le prêtre est là pour sauver les âmes… Il ne doit pas rêver de dominer la société civile » (Wetterlé, p. 155). Il avait bien changé d’avis depuis son entrée en politique. Mais c’est que la situation a changé : « Nous vivons dans une démocratie où nous n’avons pas, pour l’heure, la majorité. [Il fallait bénéficier] des sympathies que les Français les plus sectaires avaient pour nous. Pour cela, il fallait ne pas laisser suspecter notre patriotisme » (Wetterlé, p. 155). Le regrette-il, Wetterlé, ce prêtre à rabat (que seul le clergé alsacien-lorrain continue de porter à ce moment-là), entre des notables laïcs (Weydmann ?), des officiers français , un jeune scout (?) et des dames de la Ligue des Femmes françaises (?) de la photographie de la manifestation place Kléber de Strasbourg, qui fait la couverture de l’ouvrage, mais qu’on n’a pas légendée ?

4 La biographie du chanoine Muller, professeur à la Faculté de Théologie catholique, un grand défenseur du patrimoine alsacien, sénateur et président de l’UPR d’Alsace, un modéré qui se situe entre l’UPR et l’APNA, apporte d’utiles éclairages, en particulier sur la première après-guerre. Mais ce ne fut pourtant pas le seul parlementaire alsacien à ne pas avoir été relevé de son incapacité politique pour avoir voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, mais le seul parlementaire bas-rhinois. Dans le Haut-Rhin, ni Burrus, ni Gullung, ni Jourdain ne furent relevés. Muller a été maintenu le 4 octobre 1945 dans l’inéligibilité, parce que le jury d’honneur avait jugé qu’il n’avait pu être établi qu’il avait participé à la lutte contre l’occupant ou l’usurpateur. Le Comité départemental bas-rhinois de la Libération, qui n’avait pas été consulté sur les arrêtés de relèvement pris par Haelling en décembre 1944 et janvier 1945 pour tous les autres, avait refusé de se prononcer en juillet 1945. Le préfet Cornut-Gentille, dans une demande de révision du 31 juillet 1946, relève : « Il apparaît que le Chanoine Muller n’a pas été relevé du fait qu’il était le seul de ces parlementaires à ne pas détenir, après la Libération, de mandat électif ». (AN Jury d’honneur ; AL/5292).

5 Le travail que nous livre Christian Baechler offre plus d’intérêt que celui d’un keepsake nostalgique. En outre, les citations abondantes dont il nourrit son texte et qui

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soutiennent sa démonstration sont toujours fort éclairantes. Ces études restent d’actualité.

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WILMOUTH (Philippe), Images de propagande. L’Alsace-Lorraine de l’Annexion à la Grande Guerre, 1871-1919 Serge Domini éditeur, 2013, 173 p.

Jean-Noël Grandhomme

RÉFÉRENCE

WILMOUTH (Philippe), Images de propagande. L’Alsace-Lorraine de l’Annexion à la Grande Guerre, 1871-1919, Serge Domini éditeur, 2013, 173 p.

1 Figure littéraire incontournable de la période 1870-1918, thème récurrent de la vulgate patriotique et plus encore de la rhétorique nationaliste, l’Alsace-Lorraine fait partie du bagage intellectuel et iconographique de tous les petits Français de la IIIe République. L’image qu’en conservent les écoliers de cette époque – même devenus grands – est pourtant parfaitement stéréotypée, popularisée par Alphonse Daudet (La Dernière classe), Hervé Bazin (Les Oberlé), Maurice Barrès (Colette Baudoche) ou encore Hansi (Mon Village). La littérature n’est pas seule en cause, une multitude d’autres supports sont utilisés : noms de rues et de place (Alsace-Lorraine, Strasbourg, Metz), chansons, pièces de théâtre, premiers films cinématographiques, bons points et images, tableaux, bandes dessinées, caricatures, affiches, cartes postales, médailles, plats décorés, etc. C’est à un vaste panorama de toute cette iconographie que nous invite Philippe Wilmouth, qui l’étudie, la classe par thèmes, par artistes, par périodes, la commente en historien.

2 Car cette propagande, comme il est d’ailleurs de règle, ne reflète en effet pas la réalité. Cocardes tricolores, poilus souriants et Alsaciennes en coiffe ont bel et bien existé, mais les faits furent moins monocolores, évidemment. Après plus de quarante ans d’annexion, l’Alsace-Lorraine avait changé et s’était inévitablement germanisée. Si le Souvenir français, les Sœurs enseignantes de Ribeauvillé, la Lorraine sportive ou ce qui

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s’appellera après 1919 L’Avant-garde du Rhin ont maintenu un fort sentiment irrédentiste, ou au moins autonomiste, la masse de la population s’était résignée à un état de fait impossible de modifier sans en passer par une guerre.

3 En entrant dans les « Provinces recouvrées » en novembre 1918 – parachevant l’œuvre commencée dans le sud de l’Alsace dès août 1914 –, les soldats français y perdirent leur latin. La question de la pratique généralisée, et en beaucoup d’endroits exclusive, du dialecte et de la langue allemande n’est en effet jamais évoquée dans la propagande. Les « libérateurs » furent un peu partout des incompris, au sens premier du mot. Bien d’autres particularités devaient les étonner : régime des cultes, écoles confessionnelles, régime social très en avance sur celui de la France, etc. En créant une image fossilisée de l’Alsace-Lorraine, sorte de réserve indienne qui n’aurait pas évolué depuis 1871, la propagande préparait des lendemains qui déchantèrent quelque peu : ceux du « malaise alsacien », puis de l’autonomisme.

4 Mais si l’on n’oublie pas qu’elle avait été conçue essentiellement à destination des « Français de l’Intérieur », on peut dire qu’elle avait largement atteint son but. Par l’exaltation patriotique – dont l’Alsace‑Lorraine était une composante majeure, ce livre le rappelle à son heure, alors que se multiplient les études qui voudraient prouver qu’elle était presque complètement oubliée dans les cœurs –, la République avait mobilisé moralement deux générations de citoyens, les yeux rivés sur la « ligne bleue des Vosges », avant de les mobiliser tout court, pour quatre années et demie.

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WOEHRLING (Jean-Marie) (dir.), Centenaire de la Constitution de 1911 pour l’Alsace-Lorraine Institut du droit local alsacien-mosellan, Strasbourg, 2013, 393 p.

François Uberfill

RÉFÉRENCE

WOEHRLING (Jean-Marie) (dir.), Centenaire de la Constitution de 1911 pour l’Alsace-Lorraine, Institut du droit local alsacien-mosellan, Strasbourg, 2013, 393 p.

1 Le centenaire de la Constitution de 1911 nous a valu, en mai 2011, un grand colloque organisé par l’Institut du droit local alsacien-mosellan, avec le soutien de la Région Alsace. La richesse du colloque tient à la variété des points de vue et au croisement des regards portés sur ce texte et sur le moment qui a permis sa promulgation par des universitaires français et allemands, juristes et historiens, mais également membres d’institutions régionales.

2 Les contributions ont été regroupées en trois ensembles : « Du traité de Francfort à la Constitution de 1911 » ; « Au-delà de cette Constitution » ; enfin, « Le renouvellement contemporain du débat institutionnel régional ». Dans ce riche florilège, il a été nécessaire de faire des choix, car il n’est pas possible de rendre compte de toutes les pièces qui le composent.

3 En ouverture, Bernard Vogler et Sophie Charlotte Korth (Université Humboldt de Berlin) retracent le contexte historique et le cadre constitutionnel du Reichsland. Jean- Materne Staub (Université de Strasbourg) démonte l’organisation des pouvoirs du texte de 1911, insistant sur le fait que l’Empereur dispose, certes avec le Landtag, de l’initiative des lois, mais qu’il a le droit de veto, promulgue les lois et a le pouvoir de dissolution. Toutefois, la Constitution a le mérite d’exister et l’Alsace-Lorraine fait

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presque figure d’État. Elle est d’essence transitoire et peut être interprétée comme une étape nécessaire vers l’indépendance future.

4 Les contributions de deux juristes, Dian Schefold (Université de Brême) et Eric Maulin (Université de Strasbourg), présentent l’originalité de reprendre les analyses de deux de leurs illustres prédécesseurs, tous deux ayant enseigné à l’Université de Strasbourg, sous le Reichsland ou dans l’entre-deux-guerres. Le premier, reprenant l’argumentation de Paul Laband, montre qu’il n’était pas possible d’annexer l’Alsace-Lorraine à un ou à plusieurs États membres, comme le Pays de Bade ou la Bavière, ou encore à la puissance dominante, la Prusse. C’est pour cette raison que Bismarck inventa la solution de la « Terre d’Empire », qui mettait ce territoire, qu’il décrivait, devant le Reichstag, comme un glacis défensif contre une attaque française, sous l’autorité directe du pouvoir central impérial. Avec le vote de la Constitution de 1911, la Terre d’Empire se trouvait enfin à égalité, sous tous les rapports, avec les autres États membres du Reich allemand. De son côté, Eric Maulin affirme qu’avec le vote de la Constitution, l’Alsace-Lorraine n’est pas une Nation. S’appuyant sur les analyses du grand juriste Carré de Malberg, il montre à quel point la différence de statut est nette entre le Reichsland et les États de la Fédération et que l’organisation statutaire imposée par la loi du 31 mai 1911 ne forme pas une constitution digne de ce nom.

5 Pour Stefan Fisch (Université de Spire), qui apporte « le point de vue d’un historien allemand », la Constitution réalise une avancée considérable du point de vue démocratique, mais l’absence d’un drapeau et d’un lignage à la tête du Land met ce territoire sous « une souveraineté commune ». Le Reichsland est, de ce fait, un Land pas comme les autres. Stefan Fisch montre comment s’est développé un système des partis « unitaires », c’est à dire non divisés entre partis pour Alsaciens-Lorrains d’origine et partis d’immigrants, organisation qui correspond au système allemand comportant quatre grands partis.

6 La contribution d’Eric Sander (Institut du droit local) ouvre la seconde partie intitulée « Au-delà de la Constitution de 1911 ». Dressant le bilan de l’activité législative du Landtag entre 1911 et 1918, il affirme qu’il ne correspond pas à ce qu’on aurait pu attendre à la suite de la modification de 1911. Il montre que toutes les réformes les plus importantes ont déjà été réalisées par des lois d’Empire et que les parlementaires alsaciens-lorrains n’ont pas voulu ou su se saisir des nouvelles prérogatives que leur attribuait la loi constitutionnelle, d’où un bilan en demi-teinte.

7 Il était inévitable d’aborder l’affaire de Saverne. Son analyse est l’occasion pour Pierre Koenig (Université R. Schuman) de signaler l’existence d’un journal, Am Hof der Hohenzollern, rédigé entre 1865 et 1914 par Hildegard Varnbüler, baronne de Spitzemberg. Tout à la fin de son journal, fort volumineux, elle évoque longuement cette affaire « en des termes qui pourraient être ceux de la critique historique d’aujourd’hui ». Son témoignage montre bien que la portée de l’événement était largement ressentie par les milieux gouvernementaux de l’époque. Ce journal constitue une des sources les plus précieuses d’informations sur les milieux politiques de l’Empire allemand. Il jette une lumière crue sur l’« Empire triomphant » ainsi que sur l’entourage de Guillaume II.

8 François Roth (Université de Metz) analyse comment les immigrés allemands, les « indigènes lorrains » et les principaux partis politiques ont réagi par rapport à la Constitution. Les élus lorrains au Landtag ont tenu à préserver leur particularisme et à éviter de se fondre dans les groupes parlementaires communs avec les Alsaciens.

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9 Dans le prolongement du débat sur la Constitution de 1911, François Igersheim analyse comment les fédérations alsaciennes du PCF, à la fois héritières de la culture politique du SPD et de la SFIO, ont été amenées à formuler clairement le droit à l’autodétermination de la « minorité nationale » et à réclamer son autonomie.

10 Enfin, dans la troisième partie, intitulée « Le renouvellement contemporain du débat institutionnel régional », trois juristes lancent quelques pistes. Claire Barthélémy (Institut de la gouvernance territoriale) remet en perspective les problématiques de la Constitution de 1911 par rapport aux caractéristiques du régionalisme institutionnel actuel et met en avant l’apport européen dans un débat institutionnel souvent national. Robert Herzog, professeur de droit public (IEP, Strasbourg), qui, dès 1994, avait présenté au Conseil régional un rapport sur la fusion des départements du Rhin et de la Région Alsace, invite à la prudence dans toute comparaison entre les institutions régionales actuelles et celles de l’Alsace-Lorraine du Reichsland. Ce ne sont plus les mêmes territoires ; les institutions propres à la sphère du droit local se sont réduites au fil du temps ; la vie politique est tournée vers le centre Paris alors que le Reichsland vivait dans le cadre du Reich et de Berlin. Dans ces conditions, il serait absurde de revendiquer un statut d’État fédéré isolé dans un État unitaire. Interrogeant l’histoire d’Alsace après 1919, Robert Herzog constate que la référence au passé est restée taboue. Même les régionalistes n’ont jamais fait mention du Reichsland.

11 Il appartenait à l’actuel président de l’Institut du droit local, Jean‑Marie Woehrling, de s’interroger sur la nature du droit local. Sa réponse est sans ambiguïté : le droit local n’est qu’un ersatz de statut particulier. Il ne comporte aucun pouvoir régional qui pourrait le faire évoluer. Pour lui, « les Alsaciens-Mosellans n’y sont attachés que pour sa dimension historique et sa valeur symbolique ». Il estime que pour qu’il puisse mieux répondre aux attentes et disposer d’un avenir, il devrait se redéployer vers des matières qui auraient aujourd’hui besoin d’une réglementation régionale spécifique, comme le domaine de la langue et de la culture régionale.

12 L’ensemble des contributions a montré que, cent ans après la promulgation de la Constitution, le contenu du texte, son interprétation et sa portée dans la vie de la province Alsace, pouvaient encore faire l’objet d’un vaste débat d’historiens et de juristes. Un élément supplémentaire a contribué à aiguiser la curiosité des participants. Au moment du colloque, la vie politique régionale était animée par les discussions autour du projet de Conseil d’Alsace unique qui débouchèrent deux ans plus tard sur un référendum. On en connaît le résultat.

13 Le lecteur trouvera en annexe une série de documents, en particulier un substantiel article de Carré de Malberg, alors professeur de droit à l’université de Nancy, datant de 1912, « La condition juridique de l’Alsace-Lorraine dans l’Empire allemand » (p. 321‑363). Une belle conclusion pour ce colloque !

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

Première guerre mondiale

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BRASSEUR-WILD (Laëtitia) et BRÜNING (Rainer) (dir.), Vivre en temps de guerre des deux côtés du Rhin / Menschen im Krieg 1914-1918 am Oberrhein Landesarchiv Baden-Württemberg / Archives départementales du Haut- Rhin, 2014, 315 p.

Jean-Noël Grandhomme

RÉFÉRENCE

BRASSEUR-WILD (Laëtitia) et BRÜNING (Rainer) (dir.), Vivre en temps de guerre des deux côtés du Rhin/ Menschen im Krieg 1914-1918 am Oberrhein, Landesarchiv Baden- Württemberg / Archives départementales du Haut-Rhin, 2014, 315 p.

1 Le thème de la réconciliation franco-allemande est depuis longtemps devenu l’un des lieux-communs les plus rabâchés lorsqu’il s’agit de conclure, en Alsace tout particulièrement, une étude sur la mémoire de l’une ou de l’autre des guerres mondiales. Pourtant, les réalisations franco-allemandes ne sont pas concrètement si nombreuses. L’exposition dont cet ouvrage forme le catalogue en est une, à part entière, fruit d’une collaboration de plusieurs années entre deux partenaires institutionnels – émaillée de quelques incompréhensions, paraît-il, tant les cultures d’origine, bien que proches, peuvent être parfois radicalement différentes sur certains points.

2 Les auteurs ont choisi de développer les biographies de trente-deux hommes et femmes pris dans la guerre des deux côtés du Rhin, c’est‑à‑dire, à l’époque, dans le même pays, l’Empire d’Allemagne. Après avoir présenté un tableau rapide de l’état, en 1914, de

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l’Alsace, composante du Reichsland Elsass-Lothringen, et du grand-duché de Bade, son voisin, le livre redonne vie à un certain nombre de personnages, illustres comme Louise de Prusse, Hansi, Ernst von Salomon ou encore René Schickelé, ou oubliés. Chacun est inséré dans un chapitre thématique replacé dans son contexte par un « chapeau » introductif.

3 Il est ainsi question, pour commencer, d’une société militarisée à l’extrême, qui entre en guerre pour ainsi dire « à la maison » (l’Alsace se muant en front dès août 1914, le grand-duché de Bade en arrière immédiat des lignes). Après la fin de la guerre de mouvement, des combats, riches en symboles à défaut d’être d’un véritable intérêt stratégique, se déroulent non loin de la frontière, notamment au Hartmannswillerkopf (qui fait l’objet ici d’un développement spécial).

4 On s’attarde ensuite sur les soldats, dont les deux frères alsaciens Rudrauf, qui ont combattu l’un dans l’armée allemande et l’autre française, cas non pas unique, mais tout de même beaucoup plus rare que ne voudrait nous le faire croire le monument aux morts de la place de la République à Strasbourg. Ces combattants sont suivis jusque dans les zones d’étapes, les lazarets, les hôpitaux psychiatriques, les camps de prisonniers.

5 La population civile, principalement victime, mais aussi parfois actrice de la guerre, est, dans l’intervalle, longuement évoquée : hommes, femmes et enfants (et il en est de nouveau question dans l’avant-dernier chapitre, consacré à la guerre totale). Enfin, le volume se termine sur le dénouement du conflit et une ouverture vers un avenir plus radieux, après l’épreuve d’une nouvelle guerre. Outre la richesse de ses textes, ce livre vaut également par son admirable iconographie.

6 Cette exposition et cet ouvrage nés d’une volonté politique nette, de part et d’autre, de faire revivre et de réinterpréter un passé commun, une guerre accomplie (pour la grande majorité des combattants) sous le même uniforme, a évidemment un côté « histoire officielle » (ce qui sera en soi un sujet d’études plus tard pour les historiens qui s’intéresseront aux célébrations ayant marqué le centenaire de 1914). Mais il n’est pas que cela. En touchant au plus près la vie de ces « gens en guerre », il ramène chacun à des souvenirs de famille plus ou moins lointain et humanise ce conflit déshumanisé.

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DUBAIL (André et Emmanuel), La Grande Guerre dans le Sundgau. Un front secondaire… mais pas trop ! Société d’histoire du Sundgau / Les Amis du Kilomètre 0, 2014, 136 p.

Jean-Noël Grandhomme

RÉFÉRENCE

DUBAIL (André et Emmanuel), La Grande Guerre dans le Sundgau. Un front secondaire… mais pas trop ! Société d’histoire du Sundgau / Les Amis du Kilomètre 0, 2014, 136 p.

1 Si le grand public connaît les noms du Linge, du Hartmannswillerkopf et éventuellement de la Tête-des-Faux, il a longtemps ignoré que le front d’Alsace ne se limitait pas aux Vosges pendant le premier conflit mondial. En 2011 la spectaculaire découverte du Killianstollen à Carspach – un abri préfabriqué qui est devenu le caveau funéraire de vingt-et-un soldats allemands – a toutefois mis en lumière ce front « calme » et « secondaire ».

2 Après la guerre de mouvement, les lignes se sont en effet stabilisées dans le Sundgau comme ailleurs. Elles courent de Pfetterhouse, à la frontière suisse (le Kilomètre 0, dont une association à laquelle appartiennent les deux auteurs met depuis plusieurs années en valeur les vestiges), jusqu’à Steinbach, au pied de l’Hartmannswillerkopf, passant à l’ouest d’Altkirch, resté allemand. De part et d’autre, les belligérants s’adaptent à la guerre de positions en établissant là comme ailleurs des tranchées, des abris à mitrailleuses ou à canons, des dépôts de munitions, protégés par des réseaux de barbelés. André Dubail, spécialiste du béton sur le front, est ici dans son élément.

3 Les affrontements prennent différentes formes. L’artillerie entre périodiquement en action, réduisant à peu de choses plusieurs villages dont la population souffre souvent longtemps avant d’être évacuée. On se livre également à la guerre de mines. Après l’échec de la stratégie de débordement dans les Vosges, le Sundgau devient le théâtre

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d’opérations de diversion. Ainsi, les 21 et 24 février 1916, au moment de l’offensive de Verdun, les Allemands lancent-ils une attaque appuyée sur le bois Schönholz. Ils bombardent aussi Belfort par le Long Max, un canon géant de 380 millimètres installé à Zillisheim. En août 1918 les Alliés mènent à leur tour dans la région une action d’intoxication vis-à-vis des Allemands, confiée aux Américains.

4 Tout cela est très bien retracé par André et Emmanuel Dubail, qui s’attachent aussi au point de vue des civils, aux relations entre les belligérants et les Suisses. L’ouvrage est abondamment illustré – souvent par des photos inédites –, il comporte de nombreuses cartes et schéma explicatifs. C’est le type même de l’étude minutieuse qui peut présenter à la fois de l’intérêt pour un public très local et pour tout passionné de la Grande Guerre, qui y trouvera des éléments de comparaison fort utiles avec les autres fronts. Il est permis néanmoins d’estimer qu’un sous-titre plus adapté aurait dû être choisi : celui-ci, à la limite entre le langage des cours de récréation et celui des commentateurs sportifs, ne reflète pas le contenu, éminemment sérieux de l’ouvrage.

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GRANDHOMME (Jean-Noël et Francis), Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre La Nuée Bleue, 2013, 511 p.

Claude Muller

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GRANDHOMME (Jean-Noël et Francis), Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre, La Nuée Bleue, 2013, 511 p.

1 Voici un ouvrage réalisé par deux frères, tous deux spécialistes du même thème, qui pourtant n’est pas un écrit de circonstance. Mais, longtemps mûri par des années de recherches approfondies, il paraît au moment de la commémoration du centenaire de la Grande Guerre, bénéficiant ainsi de l’intérêt suscité par celle-ci. Disons-le d’emblée : cette somme est appelée à rester une référence incontournable pendant un temps certain. À l’instar de toutes les grandes synthèses, celle-ci vaut par sa masse de connaissances accumulées, présentées avec méthode et clarté, sans omettre la palette des nuances qu’il faut décliner dès que l’on aborde l’Alsace et une partie de la Lorraine, pays d’entre-deux.

2 Comme il faut s’y attendre, l’histoire militaire occupe une place de choix dans un volume consacré à la guerre. L’on suit ainsi l’évolution d’un front mouvant bientôt statufié, l’envoi des soldats alsaciens d’abord sur le front ouest contre les Français, puis sur le front est contre les Russes, avec un retour sur le front ouest après le traité de Brest-Litovsk. Mais les Alsaciens ne combattent pas seulement dans les rangs de l’armée allemande, certains s’engagent dans l’armée française. Les deux derniers chapitres délaissent l’histoire-bataille. Le premier évoque la souffrance de la population et montre comment, petit à petit, les privations, tant de nourriture que de liberté,

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aboutissent au rejet de l’Allemagne. Le second, intitulé « le temps de la mémoire », correspond à l’évolution de l’historiographie contemporaine.

3 Il faut, en dernier lieu, remercier l’éditeur d’avoir su se donner les moyens d’enrichir ce bon ouvrage en le transformant en bel ouvrage par les très nombreuses illustrations, bien représentatives d’une terrible époque. Une dernière précision pour conclure. L’Alsace n’a pas été la cause essentielle de la guerre franco-allemande. Ce sont les Balkans qui ont mis le feu aux poudres.

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KAHN (André), Journal de guerre d’un juif patriote 1914-1918 Présenté par Jean-François Kahn et Axel Kahn, Tallandier, 2014, 335 p.

Jean-Noël Grandhomme

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KAHN (André), Journal de guerre d’un juif patriote 1914-1918, présenté par Jean-François Kahn et Axel Kahn, Tallandier, 2014, 335 p.

1 André Kahn s’inscrit dans toute une lignée de descendants de juifs optants alsaciens de 1871 qui ont laissé un témoignage de leur passion pour la France et pour la République, qu’ils ont été amenés à défendre les armes à la main.

2 Né à Lyon en 1886, Marc Bloch, plus tard grand médiéviste (co-créateur de l’école historique dite des Annales) et résistant assassiné en 1944 par les nazis, est ainsi le fils d’un enseignant de Fegersheim. Lui‑même professeur au lycée d’Amiens, il est mobilisé comme sergent au 272e d’infanterie en août 1914 et combat sur la Marne et en Argonne. Fils d’un officier supérieur alsacien républicain, l’historien Jules Isaac (né à Rennes), continuateur après-guerre des manuels d’Albert Malet, fait trente-trois mois de front comme simple fantassin et est blessé à Verdun. Darius-Paul Bloch (qui prendra plus tard le nom de Dassault), né à Paris d’un médecin strasbourgeois originaire de Fénétrange, polytechnicien, est capitaine d’artillerie en 1914-1918. Son frère Marcel, diplômé en 1913 de l’École nationale supérieure d’aéronautique et de construction mécanique, est mobilisé comme sergent au 1er régiment d’aviation et conçoit un premier avion en 1917. La liste est longue, et ne se limite pas à ces quatre noms, citons encore ceux de l’humoriste Pierre Dac ou du professeur de médecine Robert Debré.

3 Déjà publiée en 1978, la correspondance d’André Kahn est ici précédée et suivie de réflexions de ses petits-fils, le journaliste Jean-François Kahn et le généticien Axel Kahn, textes qui offre un grand intérêt pour qui étudie la transmission de la mémoire de la Grande Guerre au sein d’une famille. Les écrits d’André Kahn révèlent quant à eux

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une personnalité complexe et contradictoire. À la fois défenseur inconditionnel de son pays et pacifiste, juif et athée, bourgeois insurgé contre les traditions de sa communauté et de sa famille – à laquelle il tente d’imposer l’élue de son cœur, qui ne correspond pas aux critères dont rêvaient ses parents –, on peut imaginer qu’il a pu servir de référence, sinon de modèle, à son bouillant petit-fils, le fondateur du magazine Marianne.

4 À travers ses lettres à sa « fiancée », André Kahn nous livre le récit poignant d’un soldat qui a vécu toute la guerre, d’août 1914 à novembre 1918, en participant à la plupart des grandes « affaires » : Morhange, la Course à la mer et la mêlée des Flandres, Ypres, l’Artois, la Champagne, Verdun, la Somme, le Chemin des Dames et les terribles batailles de la reprise de la guerre de mouvement en 1918. On notera, entre autres, un épisode peu courant, la captivité éclair de l’auteur : pris en Lorraine annexée le 20 août 1914, il est échangé contre des prisonniers allemands à travers la Suisse dès le 31 (réglementation en vigueur pour le personnel du service de santé).

5 Cet ouvrage nous en apprend donc beaucoup sur ces Alsaciens ou descendants d’Alsaciens – mais qui portaient encore haut les couleurs de leur région d’origine – pendant le premier conflit mondial, mêlés à l’immense cohorte des « poilus » venus de toutes les régions de France. Toutefois, le travail d’accompagnement du texte reste malheureusement très superficiel, avec même des erreurs (comme cette confusion entre les généraux Bonneau et Pau lorsqu’il est question de la première prise de Mulhouse en août 1914). Il est dommage que le document ne soit pas mieux mis en perspective et expliqué.

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MENGES (Jean-Paul), Marie-Claire Mengès. « Mon journal de la Guerre 1914-1918 sur le front d’Alsace » Éditions Place des Victoires, 2013, 288 p.

Claude Muller

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MENGES (Jean-Paul), Marie-Claire Mengès. « Mon journal de la Guerre 1914-1918 sur le front d’Alsace », Éditions Place des Victoires, 2013, 288 p.

1 La publication du manuscrit de Marie-Claire Mengès par son petit-fils Jean-Paul Mengès n’est pas seulement un hommage familial. Elle apporte une pièce supplémentaire à notre connaissance de la Grande Guerre qui s’étoffe de manière substantielle, centenaire oblige. La pièce est intéressante, car rédigée en français, par une femme et, qui plus est, au jour le jour. Marie-Claire Duby, une Welche catholique, née à Lapoutroie en 1870, épouse d’Eugène Mengès, ne fait pas mystère de ses sentiments francophiles. Le 6 août 1914, elle note : « La ville est débarrassée [des Allemands] ; on éprouve un sentiment de soulagement. Toutes les autorités, les employés s’enfuient dans le duché de Bade avec sac et bagage. La gare est déserte. On ne voit plus briller le casque allemand » (p. 28). Et quand les troupes françaises entrent pour la première fois à Mulhouse, elle s’exclame : « Comment dépeindre l’enthousiasme et le délire de la population qui ne peut rester muette en voyant passer ces belles troupes ? » (p. 28).

2 Femme pieuse, Marie-Claire Mengès relève des détails jusqu’ici inédits, notamment le sort de certains ecclésiastiques. « 10 août 1914 : On cherche, le revolver au poing, le curé de Dornach et ses trois vicaires. Ils sont conduits dans un petit débit (réduit ?) où se tiennent déjà le pasteur et le rabbin. On leur reproche, par les plus grossiers propos, d’exciter la population. » (p. 32). Plus grave, le 18 août 1914, « le curé de Horbourg a été emmené, ligoté sous un canon, pieds nus et sommairement vêtu. Pendant le combat, il fut traîné vers Altkirch. Les soldats lui crachaient au visage. Il eut pendant trois jours

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les poignets enchaînés qui lui mirent la chair à vif. Puis il fut emmené à Mulhouse pour y être jugé. »

3 Arrêtons-là le florilège des citations. L’ouvrage est illustré par une iconographie soignée et nombreuse, quasiment uniquement française, respirant un patriotisme ardent autour du thème du retour des provinces perdues. Le choix se justifie pleinement par la nature même des propos de la diariste. L’Alsace tricolore se dévoile ainsi pleinement à nos yeux. Mais lisons de plus près ce que dit aussi Marie-Claire Mengès le 17 octobre 1914 : « Mon passage au marché fut marqué par un petit incident. Je me trouvais près d’une dame, faisant ses achats, qui causait en français. Près d’elle surgit une personne qui l’apostrophe catégoriquement en langue allemande. “Ne savez- vous pas qu’il est défendu de causer le français ? Nous sommes Allemands et nous resterons Allemands. Allez-vous en, sale Française”. Et sur ce, elle fait mine d’aller chercher la police. » (p. 48).

4 Surprise ! Voici donc une Alsacienne favorable à l’Allemagne. Cherchons d’autres chroniques, ce qui n’a pas été fait dans le cadre de cette publication, et lisons ce qu’écrit, en allemand, une jeune femme luthérienne de vingt-deux ans, Frédérique Matter [texte publié par Robert Dietrich, dans Annuaire de la société d’histoire de Munster, t. 58, 2004, p. 23‑40]. Quand elle évoque les troupes du Kaiser, elle note « die unseren », soit « les nôtres », et « der Feind », « l’ennemi », désigne les Français. Si nous ne pouvons que nous réjouir de la publication du journal de Marie-Claire Mengès, attention à ne pas ériger son opinion, irréfutable, en valeur absolue. En Alsace, l’histoire connaît la valeur relative et pose la question du loyalisme.

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

Seconde Guerre mondiale

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KLEINHENTZ (Laurent), Kriegsmarine sang d’ancre Serpenoise, 2013, 573 p.

Jean-Noël Grandhomme

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KLEINHENTZ (Laurent), Kriegsmarine sang d’ancre, Serpenoise, 2013, 573 p.

1 Voici plus de soixante-dix ans, en août 1942, les décrets des Gauleiter Wagner et Bürckel conduisent à l’incorporation de force de 130 000 hommes dans l’armée allemande. Des milliers d’Alsaciens et de Mosellans (c’est de ces derniers qu’il est surtout question ici) ont été incorporés de force dans la Kriegsmarine. Laurent Kleinhentz, qui s’intéresse à la question de l’incorporation de force depuis de nombreuses années et a déjà plusieurs ouvrages à son actif, a recueilli les souvenirs de très nombreux survivants, dont la plupart sont disparu aujourd’hui. Malgré quelques entorses à la méthode historique – ainsi un certain manque, parfois, de croisement des sources comme dans le cas du récit de ce « pauvre Malgré-nous » sous-marinier dont le dossier conservé aux archives départementales de la Moselle prouve que les conditions d’incorporation furent peu claires –, son œuvre est d’une très grande importance, il a sauvé du néant la mémoire de dizaines de témoins.

2 Après avoir subi la formation classique du militaire, c’est-à-dire le Drill, dressage à la prussienne, les marins sont dirigés vers les nombreuses spécialités de l’arme : le service sur les navires (croiseurs, cuirassés, torpilleurs, vedettes, dragueurs de mines), pour la plupart en mer du Nord ou dans la Baltique, plus rarement en Méditerranée (parmi les spécialités de bord : l’artillerie, les torpilles, les machines, les transmissions, le service d’ordonnance, la cuisine) ; d’autres rejoignent les sous-marins, l’artillerie et la Flak côtières, les stations de projecteurs et de radars, les stations météorologiques ; les derniers enfin sont affectés au service dans les ports, au service de santé, à la marine marchande, aux arsenaux, enfin, dans l’infanterie de marine (ou souvent l’infanterie tout court à la fin de la guerre).

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3 Sous l’uniforme allemand, la plupart des Alsaciens-Lorrains sont le jouet d’événements qui les dépassent et se font discrets. Certains pratiquent cependant une sorte de résistance passive. Ils manifestent une tendance bien naturelle à se regrouper. Cela n’exclut nullement une camaraderie sincère avec leurs autres compagnons, les jeunes marins allemands. Ils se plaignent rarement d’avoir été l’objet de discriminations en raison de leurs origines.

4 Même s’il faut bien se garder de généraliser, car certains cas ont été dramatiques (torpillage, attaques aériennes), les Malgré-nous de la Kriegsmarine sont des privilégiés, du moins pour ce qui concerne leur existence quotidienne. Le marin embarqué ne connaît pas les misères du troupier perdu sur le front russe ; même à terre, dans un port, sa situation reste enviable, surtout en ce qui concerne le couchage et la nourriture. L’idée de la désertion hante beaucoup d’entre eux. Certains n’osent pas franchir le pas par crainte des conséquences pour leur famille ; tous d’ailleurs ne bénéficient pas d’un contexte favorable.

5 En 1945 les incorporés de force de la marine connaissent les terribles journées du « Crépuscule des dieux » dans la poche de Lettonie, encerclée par les Soviétiques ; dans la plaine hongroise ou en Poméranie. Les pertes à terre sont colossales tandis que plusieurs torpillages de navires remplis de troupes et de réfugiés font à chaque fois des milliers de morts (notamment ceux des paquebots Arcona et Wilhelm Gustloff).

6 La capture par les Britanniques ou par les Américains est le lot de beaucoup de marins. Si tous les Malgré-nous prisonniers des Alliés occidentaux n’ont pas été forcément bien traités, ils ont été plus chanceux que ceux qui sont tombés entre les mains des Soviétiques. Pour quelques histoires qui se terminent bien, combien d’autres se sont achevées dans la misère et la maladie à Tambov, « le camp des Français », ou ailleurs ? Cet ouvrage qui laisse la place principale aux témoins raconte tout cela.

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MORGEN (Daniel), Mémoires retrouvées. Des enseignants alsaciens en Bade, des enseignants badois en Alsace : Umschulung 1940-1945 Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2014, 403 p.

Eric Ettwiller

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MORGEN (Daniel), Mémoires retrouvées. Des enseignants alsaciens en Bade, des enseignants badois en Alsace : Umschulung 1940-1945, Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2014, 403 p.

1 Daniel Morgen avait publié en 2008, en collaboration avec Meryem Bolatoglu et Gerald Schlemminger, un premier ouvrage sur le sujet : 1940‑1950, Umschulung et réintégration. Il s’agissait essentiellement d’un livre de témoignages. Les quarante pages de présentation de la Umschulung se limitaient aux années 1940‑1942 et énuméraient différents types de « rééducation forcée » et de formation des enseignants dans l’Alsace nazifiée. Elles n’ont pas contenté Daniel Morgen, qui vient, six ans plus tard, de publier, seul, une somme entièrement consacrée au sujet. Mémoires retrouvées répond assurément au besoin d’approfondissement suscité par la première étude, grâce à un élargissement considérable des sources consultées. L’ouvrage de 2008 s’appuyait sur les archives départementales du Bas‑Rhin, quelques archives privées et 16 témoignages ; le nouveau livre puise ses renseignements d’une dizaine d’archives publiques des deux côtés du Rhin, notamment des archives régionales de Karlsruhe, jusque‑là réputées ne rien devoir livrer, et de 105 témoignages. Ces derniers sont essentiellement alsaciens, mais quelques témoignages de remplaçants badois en Alsace justifient le titre de

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l’ouvrage. Naturellement, tous les témoins étaient réfractaires au nazisme et restaient de sentiments français. On ne peut pas reprocher cette univocité à l’auteur. C’est la loi du genre des enquêtes orales sur la période en Alsace. Au contraire, les paroles recueillies et très bien exploitées – pas de partie « témoignages », mais un soutien constant à la démonstration – dessinent une expérience en noir et blanc.

2 On aurait souhaité que cette mine d’informations fût moins labyrinthique. Une définition plus précise des limites du sujet et une utilisation plus restrictive du terme Umschulung auraient permis de clarifier les choses et d’éviter une partie sur « les trois types d’Umschulung » composée de sept chapitres, dont cinq peuvent prétendre traiter, chacun, d’au moins un type. La « véritable Umschulung » (2008, p. 198) ne recouvre, comme Daniel Morgen l’écrit lui-même, que la « rééducation » des instituteurs titulaires. Les élèves-instituteurs et élèves-institutrices suivent une formation aménagée, qui s’achève par le Sonderlehrgang ou Sonderkurs ; ceux et celles qui commencent leur formation sous le régime nazi entrent dans la voie ordinaire des nouvelles écoles normales allemandes, les Lehrerbildungsanstalten (LBA). Pourquoi ne pas avoir bâti le plan de l’ouvrage autour de ces trois catégories si spécifiques ? Cette réserve n’enlève rien à la minutie d’un remarquable travail de recherche, dont l’auteur nous laisse espérer la continuation, qui s’annonce dirigée vers le recensement, entre autres, des enseignants du secondaire « rééduqués » ou formés pendant l’annexion de fait.

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RICHARD (Christian), 1939-1945 / Raymond Ditchen, Malgré-nous, évadé, maquisard Geste éditions, 2013, 249 p.

Jean-Noël Grandhomme

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RICHARD (Christian), 1939-1945 / Raymond Ditchen, Malgré-nous, évadé, maquisard, Geste éditions, 2013, 249 p.

1 Ce n’est pas parce que les parutions de souvenirs de Malgré-Nous se sont multipliées depuis une vingtaine d’années qu’il faut faire le blasé ou le difficile. Chaque récit de vie enrichit le corpus des historiens d’aujourd’hui et de demain et conduit à une meilleure connaissance d’ensemble du phénomène de l’incorporation de force.

2 Le destin de Raymond Ditchen, raconté ici par un historien autodidacte de la Vienne, est d’ailleurs particulièrement original. Ce Strasbourgeois a treize ans lorsqu’il est évacué en Dordogne avec ses parents, en septembre 1939. De retour en Alsace après l’armistice, il la quitte une deuxième fois, en août 1941, à la suite de l’instauration du RAD. Après avoir exercé divers métiers dans la Vienne, il semble repris par le mal du pays puisqu’il rentre une nouvelle fois en Alsace, à dix‑sept ans, en mars 1943. Passeur inexpérimenté pour les prisonniers de guerre français évadés d’Allemagne qui cherchent à franchir les Vosges, il est presque aussitôt arrêté et brièvement interné au camp de concentration du Struthof, puis à celui de « rééducation » de Schirmeck.

3 Incorporé de force dans le RAD en octobre 1943, puis dans les Waffen SS en janvier 1944, il est affecté à la tristement célèbre division Das Reich, pour des opérations contre la résistance en Périgord et dans le Limousin. Évadé de l’armée allemande en Normandie le 23 juin 1944, il échappe à la Milice au Mans et il est recueilli par le maquis de Lussac‑les‑Châteaux, dans la Vienne. À partir de là, il est de tous les combats de son

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unité dans le cadre de la Libération, notamment l’affaire de Chauvigny le 25 août 1944 ; puis il prend part à la réduction de la Poche de Royan avec le 1er bataillon de Bigorre en avril 1945. Au moment de la capitulation de l’Allemagne, il est titulaire de la croix de guerre et de deux citations. Ayant pris goût à cette existence d’aventure et de dangers, il devient militaire de carrière, participant par la suite, entre autres, aux guerres d’Indochine et d’Algérie. Cette vie valait la peine d’être racontée.

4 Réjouissons-nous aussi en passant du fait – non pas unique, mais tout de même peu fréquent – qu’un éditeur non alsacien-mosellan se soit intéressé à l’histoire d’un incorporé de force.

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WILMOUTH (Philippe), Mémoires parallèles. Moselle-Alsace de 1940 à nos jours. L’annexion de 1940-45 / Les Malgré-Nous / Le procès de Bordeaux Serge Domini Éditeur, 2012, 192 p.

Léon Strauss

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WILMOUTH (Philippe), Mémoires parallèles. Moselle-Alsace de 1940 à nos jours. L’annexion de 1940-45 / Les Malgré-Nous / Le procès de Bordeaux, Serge Domini Éditeur, 2012, 192 p.

1 Jeune instituteur, Philippe Wilmouth fonda, en 1989, l’association Ascomémo (Association pour la conservation de la mémoire de la Moselle en 1940-45) qui, au fil du temps, a collecté d’innombrables documents sur la Moselle en guerre et la Moselle annexée et nazifiée, accessibles depuis 1997 dans un « Espace-Mémoire » à Hagondange (et dont l’illustration abondante de ce volume prouve la valeur). Depuis lors, le président-fondateur d’Ascomémo a rédigé plusieurs livres, dont certains sont devenus des ouvrages de référence sur l’histoire de la Moselle et des Mosellans de 1936 à 1945. Désormais, il est passé aux travaux universitaires puisque Mémoires parallèles est la publication d’un mémoire de Master soutenu à Metz en 2011 en attendant une thèse sur « le peuple catholique mosellan dans la Seconde Guerre mondiale ».

2 Au moment où il est question de constituer une région réunissant l’Alsace et la Lorraine, le thème de ce travail est particulièrement opportun : étudier la façon dont Mosellans, d’une part, et Alsaciens, de l’autre, se souviennent des événements

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identiques ou voisins qu’ils ont vécus de 1940 à 1945 et de leurs suites. Le contraste est frappant quand on analyse les réactions réciproques face au procès de Bordeaux de 1953. De nombreux historiens ont mis en lumière le choc de deux mémoires victimaires, celle du Limousin pour qui tous les accusés de Bordeaux, Allemands ou Alsaciens, étaient coupables et celle de l’Alsace : les 13 Alsaciens incorporés de force étaient des victimes du nazisme au même titre que les 642 massacrés d’Oradour. On ne mentionna guère de ce côté des Vosges jusqu’à une date récente les 9 massacrés venus d’Alsace, dont 8 originaires de Schiltigheim. Wilmouth cherche à mettre en lumière un troisième ensemble de réactions à l’époque du procès, celui de l’opinion mosellane. Il n’y avait pas eu de Malgré-Nous lorrains parmi les massacreurs d’Oradour. En revanche, les expulsés de Moselle avaient été lourdement frappés puisque 39 habitants originaires de Charly et 5 de Montoy-Flanville, soit 10 hommes, 17 femmes et 17 enfants périrent dans le massacre. Contrairement à l’Alsace, où l’indignation contre le verdict de Bordeaux apparut à peu près générale, sauf chez les communistes, en Moselle, la solidarité avec les victimes mosellanes domina : Pierre Barral a parlé en 1983 de « désolidarisation mémorielle » par rapport aux départements voisins.

3 La communauté de destin entre 1871 et 1918, si elle avait produit un « droit local » commun, avait-elle réellement fondé une communauté des émotions ? Un rapide rappel de l’évolution politique de la Moselle entre les deux guerres montre qu’elle est fort différente de celle de l’Alsace, en particulier par l’inexistence de l’autonomisme, sauf dans quelques cantons de l’Est du département. En juin 1940, la Moselle fut annexée de fait au IIIe Reich, germanisée et nazifiée comme l’Alsace. Pourtant, l’ancien Reichsland n’est pas reconstitué : la « Lorraine » fit partie du Reichsgau Westmark tandis que l’Alsace relevait du Reichsgau Oberrhein. Et le Gauleiter Bürckel conduisit la germanisation et la nazification de manière différente de celle de Wagner. Il expulsa en masse les francophones tandis qu’en Alsace on prétendit les rééduquer. Plus du quart de la population mosellane fut expulsée ou resta volontairement en France : une bonne part des Mosellans n’a donc pas subi directement les effets du totalitarisme nazi et de l’incorporation de force. À l’inverse, environ 85 % de la population alsacienne resta en Alsace annexée et subit une politique d’éducation forcée dont l’incorporation de force fut un élément fondamental. Pour l’auteur, « dans la mémoire collective, le concept « Alsace-Lorraine » est mort avec la Seconde Guerre mondiale » et « définitivement enterré » en 1972 avec la création de la région Lorraine. Quant à la mémoire de la guerre, elle est plus fragmentée en Moselle qu’en Alsace : celle des francophones « partis » est très différente de celle des dialectophones « restés ». En Alsace, au contraire, la mémoire collective des incorporés de force se serait imposée à tous, ce qui est illustré par la participation de dirigeants des Anciens de la Brigade Alsace-Lorraine ou du GERAL (Groupement des expulsés et réfugiés d’Alsace et de Lorraine) au consensus protestataire en février 1953. Ce discours de notables n’excluait pas cependant, selon mes souvenirs, l’existence de réactions plus critiques, bien moins audibles, car plus faibles numériquement, venant essentiellement des expulsés et évadés, des résistants et des juifs.

4 La suite de l’ouvrage approfondit l’analyse historique des effets du procès de Bordeaux en Moselle. L’attention y est plus distante qu’en Alsace du fait que, malgré l’incorporation de Mosellans, peu nombreux, dans la Waffen SS, aucun d’entre eux ne figurait parmi les massacreurs d’Oradour. Le procès fut largement couvert par la presse de Metz, mais celle-ci demeura « neutre » en se bornant le plus souvent à des comptes rendus des audiences, sans commentaires. Une bonne part des associations patriotiques

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de la Moselle s’étaient désolidarisées publiquement et collectivement dès le 17 janvier des manifestations de solidarité alsaciennes à l’égard des accusés incorporés de force et elles furent encore plus nombreuses le 23 février. Quant à l’Association mosellane des Malgré‑Nous, elle adopta presque constamment le parti d’observer le silence. Les parlementaires furent contraints de prendre position deux fois. La première fois, le 27 janvier 1953, il s’agissait d’une modification de la loi de 1948 sur la responsabilité collective défendue par les élus MRP alsaciens. Alors que tous les parlementaires alsaciens, à l’exception du communiste Rosenblatt, la soutinrent, les députés et conseillers de la République mosellans se divisèrent entre l’acceptation, le refus et l’abstention. Le vote de l’amnistie pour les Malgré-Nous alsaciens fut, lui, unanime pour les Mosellans à l’exception du député communiste Pierre Muller que le parti obligeait à refuser de « s’associer à la réhabilitation des individus qui ont personnellement participé au crime d’Oradour-sur-Glane ».

5 La dernière partie de l’ouvrage montre combien la présence de Mosellans parmi les victimes fut invoquée pour demander que justice se fasse ou pour justifier le silence. Une large place est faite au destin de la population expulsée de Charly, qui devint officiellement Charly-Oradour en 1950, et en particulier au témoignage du petit rescapé de huit ans, Roger Godfrin. Aux multiples manifestations alsaciennes en faveur des incorporés de force, la seule manifestation mosellane pour protester « contre l’oubli », c’est-à-dire l’amnistie, réunit près de 5 000 personnes à Charly-Oradour le 8 mars.

6 En conclusion, l’auteur revient sur la désolidarisation mémorielle entre la Moselle et l’Alsace, creusée par le procès de Bordeaux. Il remarque que si, en Alsace, une génération a été soudée par le drame de l’incorporation de force et sa victimisation, la « balkanisation » mémorielle des Mosellans entre « restés » et « partis » n’a pas permis de créer une identité liée à la Seconde Guerre mondiale et a fait prévaloir le silence : le mutisme de Robert Schuman sur Oradour est significatif à cet égard. Ce refus d’une mémoire commune a rejailli à l’occasion de l’édification du Mémorial de Schirmeck, qui n’est que théoriquement « Mémorial de l’Alsace-Moselle ». Il faudra faire de gros efforts quand l’Alsace et la Lorraine seront réunies dans une même région pour faire coexister un peu plus calmement non pas deux mais trois expériences mémorielles et historiques différentes de la Seconde Guerre mondiale, celle de l’Alsace, celle de la Lorraine annexée et celle du reste de la Lorraine. On voit ainsi que Philippe Wilmouth nous offre une mise au point très pertinente sur un sujet qui n’est pas seulement important pour les passionnés d’histoire, mais aussi pour l’ensemble des citoyens de notre future région.

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

Après 1945

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STEIB (Antoine), Au Fil des agendas 1959-1962. Ma guerre d’Algérie. Récit-Témoignage Editions Publi’h (chez l’auteur), 2011, 126 p.

Jean-Noël Grandhomme

RÉFÉRENCE

STEIB (Antoine), Au Fil des agendas 1959-1962. Ma guerre d’Algérie. Récit-Témoignage, Editions Publi’h (chez l’auteur), 2011, 126 p.

1 Si un certain nombre de témoignages de soldats alsaciens de la Première Guerre mondiale ont été publiés, si ceux concernant la Seconde ne manquent pas (émanant surtout de Malgré-Nous, mais pas uniquement), la guerre d’Algérie restait jusque-là en Alsace Terra quasi Incognita. Or, des milliers d’Alsaciens y ont participé, au même titre que les autres Français. Quelques centaines y ont laissé la vie. Antoine Steib ne fait pas partie des « rappelés » du début des « évènements » (seulement reconnus par le Parlement comme une « guerre » en 1999), il est envoyé en Algérie en novembre 1959, pendant la période la plus dure peut-être, en tout cas la plus confuse. Même si, professeur d’allemand, il a essayé « d’esquiver » l’Afrique du Nord en demandant à être affecté comme interprète aux Forces Françaises en Allemagne, il n’a, à aucun moment, songé à l’insoumission, ni même à opter pour le statut d’objecteur de conscience. Après un voyage dans un wagon à bestiaux, puis à fond de cale depuis Marseille, il découvre la caserne du 19e régiment du génie à Hussein-Dey, près d’Alger. Même s’il ressent parfois le Heimweh (mal du pays) – par exemple lorsque sa fiancée lui annonce par courrier son intention de rompre –, le jeune Alsacien mûrit et découvre le monde, tout comme l’infinie variété des types psychologiques humains : du « bon copain » au frère d’armes, avec qui ce sera « à la vie à la mort », en passant par quelques « peaux de vaches » comme ces sergents et caporaux qui s’ingénient à humilier, pendant leurs classes, les « intellectuels » destinés à préparer l’école des officiers de réserve. Entre vie de

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garnison, enseignement pour le compte d’une SAS (section administrative spécialisée) et missions sur le terrain dans la région des Oasis, dans le Sud, Antoine Steib intervient aussi pour le maintien de l’ordre lors de la semaine des barricades à Alger en janvier 1960, avant d’être témoin passif, dans le désert, du putsch des généraux en avril 1961 et des débuts de l’OAS.

2 Ce petit ouvrage qui se lit d’une traite décrit à notre sens admirablement la vie d’un appelé en Algérie. Point de faits marquants, mais une multitude de tâches quotidiennes, souvent non guerrières (travaux de génie civil, cours, déplacements, attente). Point de torture, point de fusillades, mais une rencontre avec une autre culture, avec la beauté fascinante du Sahara, et la confirmation d’une vocation d’enseignant. Vingt-six mois de perdus ? Pas tout à fait, donc, puisque cette expérience a à tel point marqué Antoine Steib qu’il a voulu, cinquante années plus tard, en faire un livre. On ne peut qu’encourager ce type d’initiative et espérer que d’autres anciens d’AFN mettront leurs souvenirs par écrit, afin que les historiens et le grand public puissent se faire une idée plus conforme (au lieu des poncifs véhiculés ici ou là) de ce que fut la guerre d’Algérie et de la place que les Alsaciens y ont tenu.

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SCHMITT (Thomas), Les séminaristes strasbourgeois en mai 1968 Ercal, 2012, 253 p.

Claude Muller

RÉFÉRENCE

SCHMITT (Thomas), Les séminaristes strasbourgeois en mai 1968, Ercal, 2012, 253 p.

1 La couverture de ce livre ne peut être mieux choisie. Le bon vieux Palais Universitaire disparaît littéralement sous un raz-de-marée humain ou estudiantin, agitant force pancartes et caliquots. Le décor de mai 1968 à Strasbourg est bel et bien planté. Dans son bel essai, Thomas Schmitt nous entraîne, d’une plume alerte, non pas au cœur de la pensée situationniste, mais aux marges que l’on ne soupçonne pas : l’apport et la réflexion des séminaristes alsaciens quant aux événements. Par un judicieux aller- retour entre une trame événementielle solide et des témoignages de contemporains, l’auteur met en évidence un catholicisme de gauche, qui éclot sous le soleil de mai et qui se heurte pourtant à la volonté de Mgr Léon Arthur Elchinger, l’évêque diocésain.

2 La personnalité de ce dernier jaillit en pleine lumière. Ayant accepté l’épiscopat, quoique « semblable au capitaine d’un vaisseau en perdition » selon ses termes, avant- gardiste en matière théologique au Concile de Vatican II, Mgr Elchinger se raidit en mai 1968 sur des positions politiques à l’opposé de celles exprimées par les jeunes lévites. « Vous voulez que je vous parle de mon ami Chaban Delmas ? », ose-t-il en les passant en revue.

3 La bonne synthèse de Thomas Schmitt est suivie du « Livre blanc mai-juin 1968 de la faculté de théologie catholique de l’université de Strasbourg » dont l’édition a été établie par le professeur Jean-Luc Hiebel. Ce remarquable document témoigne à sa

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façon de l’intense réflexion générée par cette période unique dans l’histoire contemporaine et du bouillonnement intellectuel de l’époque.

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Comptes rendus

Les lieux et les hommes

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Comptes rendus

Les lieux et les hommes

Les villes et les campagnes

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BOCQUILLON (Sophie) et PEREGO (Armand), Grandir à Strasbourg dans les années 1940 et 1950 Éditions Wartberg, 2012, 63 p.

Benoît Wirrmann

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RÉFÉRENCE

BOCQUILLON (Sophie) et PEREGO (Armand), Grandir à Strasbourg dans les années 1940 et 1950, Éditions Wartberg, 2012, 63 p.

1 « Je vous parle d’un temps que les moins de… », tel est l’esprit de ce livre de souvenirs illustrés qui témoigne de l’atmosphère des Trente Glorieuses. Il est ici question d’un Strasbourg disparu, celui des années au lendemain de la guerre. Du noir et blanc à la couleur, de l’Europe d’Hitler à celle de Robert Schuman, cet ouvrage retrace en accéléré la vie quotidienne dans une ville germanisée par la force puis libérée de l’envahisseur, et qui, une fois les plaies pansées, se tourne résolument vers la construction d’un nouvel espace politique garantissant la paix. Ce livre se lit comme un album de famille sur deux décennies : le drapeau nazi flottant sur la cathédrale, les camions chargés de meubles durant l’exode, les vendeurs de journaux à la criée, les noëls qui se succèdent, les publicités émaillées, et puis les photos de classe de l’enfance, les processions religieuses et les communions, les foires et les bals… On y retrouve aussi les grandes personnalités qui ont jalonné cette époque : De Gaulle, Adenauer, Schuman, Schweitzer… On regrettera toutefois la brièveté du propos, l’absence de plan qui fait passer sans lien logique de la tarte flambée à Albert Schweitzer ou de Robert Schuman à Notre-Dame de Dusenbach. Le choix de ce dernier lieu est d’ailleurs surprenant pour un court ouvrage consacré au Strasbourg des années 1940 et 1950. Destiné à un large public, le livre d’Armand Perego et Sophie Bocquillon s’adresse peut-être et surtout aux générations qui n’ont pas connu cette époque, et leur parle d’un Strasbourg qui, passé les années noires, avait tout simplement retrouvé la joie de vivre.

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BRAEUNER (Gabriel), Colmar en France. Chronique des années cinquante et soixante Éditions du Belvédère, 2014, 271 p. (48 p. d’ill. hors texte)

Jean-Luc Eichenlaub

RÉFÉRENCE

BRAEUNER (Gabriel), Colmar en France. Chronique des années cinquante et soixante, Éditions du Belvédère, 2014, 271 p. (48 p. d’ill. hors texte)

1 Le titre choisi par Gabriel Braeuner fait immédiatement penser à Hansi – son ouvrage « Colmar-en-France » paraît en 1923 – dont une belle photographie (la première des 48 pages d’images) illustre d’ailleurs le volume. Est moins explicite (sauf erreur, ce n’est pas indiqué) le gros plan sur une partie de l’enseigne de la pharmacie du Cygne à Colmar qui orne la couverture, enseigne due au même artiste, très attaché à sa ville natale.

2 C’est donc sous ses auspices qu’ont été réunies les pages que les lecteurs du journal l’Alsace ont pu lire chaque semaine pendant deux ans, illustrées d’images a priori reproduites par Roger Struss (ce n’est pas clairement précisé, ni en page de couverture ni en page de titre). Pour insister encore un peu sur Hansi, mentionnons ici les pages (20-21) qui lui sont consacrées et les photographies (p. II du premier cahier) de ses funérailles.

3 C’est une très bonne idée de rassembler ces textes qui, à partir du dépouillement d’un journal local, rappellent ce qu’a été, tel que la presse le présente, le quotidien de ses lecteurs, à Colmar et dans le monde. En effet les horizons, et c’est bien rappelé, vont bien au-delà de la France.

4 L’écriture est alerte et la dizaine de pages consacrée à chaque année se lit d’une traite. Les quatre cahiers de photographies – entre les p. 64 et 65, 128 et 129, 192 et 193, 224 et

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225 – sont chacun numéroté en chiffres romains de 1 à 16. On aurait bien aimé quelques précisions de date dans les légendes, et aussi avoir mention de la source ; ceci étant, elles apportent une vie supplémentaire, permettant de voir ceux dont il est question ou des vues de la ville.

5 L’information est sûre – une lecture attentive suggère deux petites corrections à apporter : p. 124, il faut lire Alfred Kern, prix Renaudot 1960 (et non André) ; p. 197, Edouard Richard n’avait pas trois ans de différence avec Joseph Rey, son successeur à la mairie, mais treize ; le lecteur aura sûrement corrigé de lui-même.

6 La chronique est complétée par une chronologie bienvenue (p. 235‑271). Pas de sommaire ni de table des matières – mais le titre courant y supplée –, pas d’index non plus, qui aurait été utile.

7 Quoi qu’il en soit, ces années 1950 à 1969, à la fois proches et déjà lointaines, revivent. Années de reconstruction et de développement économique, de libération des mœurs, on les redécouvre du procès de la Gestapo de Colmar aux premiers pas de l’homme sur la lune, et je suis sûr que cette chronique sera utile quasiment au quotidien : même si l’histoire ne se répète pas, on prendra connaissance avec grand intérêt, par exemple, des pages consacrées au musée Unterlinden et à la Société Schongauer en 1957 (p. 81-82) et en 1969 (p. 223).

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La Cave du Roi Dagobert. Chroniques d’une aventure collective, 1952‑2012 ID. L’édition, 2012, 96 p.

François Uberfill

RÉFÉRENCE

La Cave du Roi Dagobert. Chroniques d’une aventure collective, 1952‑2012, ID. L’édition, 2012, 96 p.

1 Alors qu’une abondante littérature est consacrée depuis quelque temps à la vigne et au vin en Alsace, cette monographie portant sur un « pays d’Alsace » nous conte l’« aventure collective » qu’a constitué la création, puis l’extension de ce qui était au départ la « Cave coopérative de la région de Molsheim ». Car c’est bel et bien une aventure qui nous est relatée. Les pionniers, une poignée d’agriculteurs, qui fondèrent, à peine six ans après la fin de la guerre, une cave coopérative, avaient le goût du risque, alors qu’il fallait panser les blessures du conflit et gérer la pénurie des fournitures viticoles.

2 L’entreprise au départ est modeste : 181 adhérents, presque tous des polyculteurs, 70 hectares de vignes engagés. Les débuts sont difficiles. Il faut se battre sur tous les fronts. Les mauvaises années se succèdent, avec des gelées de printemps, des orages de grêle et la baisse des cours. Et puis, on ne s’improvise pas gestionnaire. La cave change à plusieurs reprises d’appellation et conclut des accords de partenariat avec des caves des environs, mais peu à peu, elle accroît sa capacité de traitement des raisins et son volume de stockage. Le livre, qui abonde en illustrations, des photos anciennes, des étiquettes, nous fait revivre l’évolution de ce coin d’Alsace, les coteaux de la Mossig et les villages du pourtour du Scharrachberg. Ce n’est pas le moindre intérêt de l’ouvrage que de retracer les progrès de la technologie, l’accroissement spectaculaire des ventes, mais aussi la transformation des mentalités. Car nos agriculteurs de l’après-guerre

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n’avaient pas l’esprit de coopérative inscrit dans leurs gènes. Mais, à force de ténacité et à la persévérance, la réussite est au rendez-vous à partir des années 1970. L’une des clefs du succès : la stabilité de l’équipe dirigeante. En 63 ans de fonctionnement, la Cave du Roi Dagobert n’a connu que quatre présidents (deux maires et deux ingénieurs) et seulement trois directeurs chargés de la vinification. La Cave se lance aujourd’hui dans la viticulture raisonnée, respectueuse de l’environnement et qui laisse aux générations futures un terroir et des sols intacts. Depuis 2010, plusieurs viticulteurs se sont lancé dans la démarche de la production portant le label bio AB. À l’ère des grands regroupements, la Cave du Roi Dagobert a lancé depuis 2006 un GIE (Groupement d’intérêt économique) commercial « Alsace-Alliance » avec la Cave de Turckheim. Pour mesurer le chemin parcouru en soixante ans, on regrettera que les auteurs n’aient pas songé à fournir, à la fin de l’ouvrage, une chronologie des grandes étapes de cette passionnante aventure.

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HOCHREITER (Walter), GSCHWIND (Eva), SALVISBERG (André), SIEBER (Dominik) et SIEBER-LEHMANN (Claudius), Drinnen, Draussen: Dabei. Die Geschichte der Stadt Rheinfelden Verlag regionalkultur, 2014, 336 p.

Olivier Richard

RÉFÉRENCE

HOCHREITER (Walter), GSCHWIND (Eva), SALVISBERG (André), SIEBER (Dominik) et SIEBER-LEHMANN (Claudius), Drinnen, Draussen: Dabei. Die Geschichte der Stadt Rheinfelden, verlag regionalkultur, 2014, 336 p.

1 Ce beau livre in-quarto, bien illustré, retrace l’histoire de Rheinfelden, situé sur la rive gauche du Rhin à une vingtaine de kilomètres en amont de Bâle, et qui compte actuellement 12 000 habitants. Pourquoi parler ici d’un ouvrage sur une petite ville Suisse ? Parce qu’il n’est pas seulement un livre sur cette localité, mais aussi sur ce qu’est une petite ville du Rhin supérieur. Les cinq auteurs se sont réparti le travail selon un plan chronologique classique, une moitié du livre étant consacrée à l’époque allant du Moyen Âge à 1848 (quatre chapitres), l’autre (trois chapitres) à l’époque contemporaine. Le volume ne présente cependant pas une chronique événementielle, mais bien une réflexion, avec beaucoup de qualité pédagogique : les institutions, les réalités sociales et économiques sont expliquées avec simplicité mais sans caricature, et les auteurs proposent même ça ou là des réflexions sur les sources utilisées par les historiens. Par ailleurs, des encadrés mettent en valeur des événements, personnages ou caractéristiques de la ville (par exemple « vivre sur la frontière », p. 278‑279).

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2 L’histoire de Rheinfelden, à bien des égards, ressemble à celle des villes d’Alsace (de Haute-Alsace surtout). On trouve dans son sol des traces de la présence romaine ; puis, dominée et soutenue par les Zähringen, avant de devenir ville d’Empire sous Frédéric II de Hohenstaufen, elle tombe au XIVe siècle sous la domination des Habsbourg. Elle devient alors un bastion de l’Autriche antérieure et ce n’est qu’au début du XIXe siècle que Rheinfelden quitte l’orbite autrichienne pour devenir argovienne et, partant, suisse. Napoléon a donc joué un rôle essentiel dans le destin de Rheinfelden : c’est à son époque que l’Autriche antérieure disparaît au profit du grand-duché de Bade, et que les frontières germano-franco-suisses sont fixées. Dans la seconde moitié du XXe siècle, Rheinfelden, connue pour ses salines et sa brasserie, est de plus en plus attirée dans l’agglomération bâloise.

3 Drinnen, Draussen : Dabei pourrait servir de modèle pour l’histoire de bien des villes alsaciennes, car les mêmes ingrédients sont là : la position, au Moyen Âge, entre Empire et Habsbourg, la situation de frontière, les changements d’appartenance étatique. Les auteurs parviennent par leur travail à démontrer que dans la région du Rhin supérieur, toute histoire, même la plus locale, ne peut être conçue que comme transfrontalière ; ici, ils s’attachent par exemple à évoquer régulièrement la ville sœur, Rheinfelden en Bade, qui s’est développée (à partir du second XIXe siècle surtout) sur la rive droite du Rhin.

4 On l’aura compris : ce livre pourra instruire et délecter un large public, intéressé par Rheinfelden ou par le Rhin supérieur en général. Doté d’un index, de notes de bas de page et d’une bibliographie fournie, il sera également utile aux spécialistes.

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Comptes rendus

Les lieux et les hommes

Sanctuaires et fortifications

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KOEHLER (Patrick) et ALEXANDRE (Daniel), Alsace, terre mariale. Sur les chemins de l’espérance… Histoire et tradition orale Éditions du Signe, 2013, 229 p.

Jean-Noël Grandhomme

RÉFÉRENCE

KOEHLER (Patrick) et ALEXANDRE (Daniel), Alsace, terre mariale. Sur les chemins de l’espérance… Histoire et tradition orale, Éditions du Signe, 2013, 229 p.

1 Est-ce parce que la Contre-Réforme y fut poussée vigoureusement que l’Alsace est à ce point une « terre mariale », comme la décrit l’abbé Patrick Koehler, recteur du sanctuaire du Mont Sainte-Odile, dans ce très bel ouvrage richement illustré par les photographies de Daniel Alexandre ? En tout cas, ce ne sont pas moins de quatre-vingt- huit sanctuaires consacrés à la Sainte Vierge qui sont ici présentés département par département, dans l’ordre alphabétique. Étude religieuse, mais tout autant historique, artistique et même ethnographique, cet ouvrage nous plonge dans une Alsace catholique fière des spécificités de sa foi et de ses traditions. Elle puise à la fois aux sources d’archives, à la bibliographie et aux récits transmis « de génération en génération ».

2 On y retrouvera bien sûr la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg et les grands pèlerinages dont la renommée a dépassé les frontières de l’Alsace : Thierenbach, Schauenberg, Les Trois-Épis, Marienthal. D’autres ne sont guère connus que dans leurs environs immédiats, comme la charmante petite chapelle Notre-Dame des Malades à Ranrupt. Même si la « compétence » de la Mère de Dieu est universelle, chaque Vierge a ses spécificités : consolation des malades à Dusenbach ; soutien des prêtres, religieux et séminaristes à Monswiller ; repos des défunts au Bischenberg. En dépit de la baisse de la

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pratique religieuse, en Alsace comme ailleurs, certains de ces lieux restent bien fréquentés, quelques-uns connaissant même un renouveau dans la période récente. Surtout, ils font depuis longtemps partie du patrimoine commun à tous les Alsaciens, comme l’illustre le fait que ce livre soit préfacé par le président du Conseil régional, un protestant.

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MULLER (Claude), LESER (Gérard) et SCHLUSSEL (Benoît) (dir.), L’abbaye bénédictine Saint-Grégoire de Munster. Pouvoir et Savoir Éditions du Signe, Institut d’Histoire d’Alsace, 2012, 305 p.

Eric Ettwiller

RÉFÉRENCE

MULLER (Claude), LESER (Gérard) et SCHLUSSEL (Benoît) (dir.), L’abbaye bénédictine Saint-Grégoire de Munster. Pouvoir et Savoir, Éditions du Signe, Institut d’Histoire d’Alsace, 2012, 305 p.

1 L’ouvrage réunit les actes du colloque organisé les 1er et 2 juin 2012 à Strasbourg et à Turckheim à l’occasion du 700e anniversaire de l’élévation de cette dernière localité, possession de l’abbaye de Munster, au rang de Ville d’Empire. Les contributions couvrent ensemble les douze siècles d’histoire du monastère bénédictin, depuis sa fondation au VIIe siècle jusqu’à sa fermeture sous la Révolution. Elles se caractérisent par la diversité des approches, permise par la variété des talents réunis. Les plumes aguerries se mêlent à celles parfois encore hésitantes (remplacer 1530 par 1555 p. 102 et barrer « lui-même luthérien » p. 162) mais prometteuses de jeunes chercheurs. Est-il besoin de préciser que tous ces spécialistes maîtrisent parfaitement une historiographie déjà importante et enrichie par bon nombre d’entre eux au cours des dernières années ? Comme le dit Claude Muller en introduction, le temps était venu d’une mise au point.

2 René Bornert s’attèle le premier à la tâche en croisant les éclairages sur la fondation de l’abbaye. Benoît-Michel Tock revisite une charte de donation de 748 par un fructueux travail de comparaison qui nous permet de mieux cerner les conditions de rédaction de ce type de documents. On passe de l’écriture à la lecture avec Jean-Luc Eichenlaub, qui

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guide l’historien dans les archives de l’abbaye et les recoins les plus anciens des restes de sa bibliothèque. Laurent Naas focalise son attention sur un document en particulier, l’obituaire, déjà publié en 1933 : sa relecture permet notamment de dresser une fascinante géographie des lieux d’inhumation. Géographie du pouvoir avec Georges Bischoff, qui dresse le tableau d’une « seigneurie élastique » en démêlant, à son habitude, les fils qui enserrent l’abbaye dans l’écheveau de la géopolitique médiévale alsacienne. L’Empire s’impose et permet la naissance de la communauté de la ville et du Val de Munster avec la charte de 1287. Deux pouvoirs pour une vallée, la lutte peut commencer.

3 On la suit avec intérêt dans l’article de Vincent Fellmann, qui nous mène jusqu’au traité de Kientzheim ou traité de Schwendi (1575), sur fond de passage à la Réforme. L’auteur explique l’ampleur (et donc naturellement aussi les limites) de cette victoire de la communauté sur l’abbaye. Cette dernière a encore d’autres sujets, à Turckheim, avec lesquels les relations connurent des hauts et des bas, comme le montre Florent Edel en se fondant sur différents documents des archives municipales allant du XIVe siècle à la veille de la Révolution. Gérard Leser nous ramène à Munster pour nous montrer qu’à partir du XVIe siècle, l’opposition entre l’abbaye et la communauté de la ville et du Val revêt les habits du conflit religieux : tout d’abord à l’avantage de la majorité protestante, le rapport de force s’inverse en faveur du catholicisme lorsque l’Alsace est annexée au royaume de France. Le processus d’intégration du monastère dans ce nouvel espace est l’objet de l’article de Françoise Naas. La monarchie aidera-t-elle les abbés à réaffirmer leur autorité ? Valérie Feuerstoss montre que non, grâce à un minutieux dépouillement d’archives.

4 Archives encore, manuscrites et figurées, avec Philippe Jéhin, qui dégage les grandes phases de l’exploitation du patrimoine forestier de l’abbaye et met à jour le déclin du flottage. Archives toujours, alsaciennes, bâloises, parisiennes, avec Claude Muller, qui continue de nous entraîner dans les coulisses du pouvoir ecclésiastique afin de disséquer les jeux d’alliance. Il n’en est pas moins attentif à l’activité intellectuelle des bénédictins. Gilles Banderier creuse ce sillon en s’intéressant à la pensée de deux d’entre eux, en particulier l’abbé Sinsart (1745-1776), qui a bien compris tout le danger contenu dans les Lumières. Histoire architecturale enfin, qui réunit Pierre Brunel et Gérard Leser autour de la cour colongère de l’abbaye à Turckheim et que retrace seul le second pour l’abbaye elle-même, après nous avoir raconté les conditions de sa fermeture au début de la Révolution. L’ouvrage se termine avec deux instruments mis à disposition du chercheur (ou du curieux) : l’inventaire des ouvrages restants de la bibliothèque de l’abbaye conservés à la Bibliothèque de la Ville de Colmar, dressé par Gérard Bobenrieter (un travail de bénédictin !), et une présentation par ses concepteurs, Angèle et Bernard Schaffner, de la maquette reproduisant ladite abbaye telle qu’elle s’élevait à la veille de la Révolution, désormais exposée à la mairie de Munster.

Revue d’Alsace, 140 | 2014 479

SERAMOUR (Michaël), La Ligne Maginot. Ses casernes disparues Alan Sutton, 2013, 136 p.

Jean-Noël Grandhomme

RÉFÉRENCE

SERAMOUR (Michaël), La Ligne Maginot. Ses casernes disparues, Alan Sutton, 2013, 136 p.

1 Spécialiste des fortifications, Michaël Séramour publie un petit livre illustré sur la vie quotidienne des garnisons de la Ligne Maginot. Alors que beaucoup d’ouvrages abordent des aspects architecturaux, techniques et stratégiques, celui-ci s’attache à ces centaines de milliers d’hommes qui effectuèrent leur service militaire dans la Ligne, puis / ou y furent mobilisés, essentiellement dans des « régiments de forteresse » ; mais aussi aux militaires de carrière qui y furent affectés. L’environnement naturel de tous ces hommes, souvent pendant, mais également en-dehors du service, c’était ces casernes, bien moins connues que les ouvrages fortifiés eux‑mêmes. Selon le principe de la collection, l’auteur introduit par un petit texte chacun des chapitres qui composent cet ouvrage, puis il commente une série de photos, dont la plupart sont inédites et proviennent de fonds privés. À noter, entre autres, cette partie consacrée aux étonnantes cités‑jardins des cadres, ainsi que celle qui évoque la vie sociale et culturelle de cette communauté particulière que formaient les hommes de la Ligne. Une grande partie des illustrations concerne l’Alsace et la Moselle.

Revue d’Alsace, 140 | 2014 480

WAHL (Jean-Bernard), 200 km de béton et d’acier. La Ligne Maginot en Alsace Gérard Klopp éditeur, 2013, 359 p.

Jean-Noël Grandhomme

RÉFÉRENCE

WAHL (Jean-Bernard), 200 km de béton et d’acier. La Ligne Maginot en Alsace, Gérard Klopp éditeur, 2013, 359 p.

1 Aucun ouvrage fortifié n’a été aussi décrié que la Ligne Maginot et pourtant les historiens ont encore beaucoup de choses à nous apprendre sur ce formidable ensemble de « béton et d’acier ». Réédition profondément revue et augmentée d’un livre paru en 1987 aux défuntes éditions du Rhin, le présent ouvrage de Jean-Bernard Wahl s’appuie sur des sources multiples et variées, rassemblées par l’auteur pendant plus de trente- cinq années. Même si elles ne sont pas présentées selon des critères scientifiques ni suffisamment mises en valeur en fin de volume, il est facile de deviner que de nombreux fonds d’archives ont été consultés en France et en Allemagne, ainsi qu’une abondante bibliographie. L’auteur a également puisé dans les archives familiales des anciens combattants et a eu recours à des enquêtes orales. La somme d’informations ainsi recueillie est colossale.

2 Après avoir succinctement retracé l’histoire de la Ligne, des avant‑projets des années 1920 jusqu’à sa construction dans les années 1930, Jean-Bernard Wahl nous plonge dans les combats de mai-juin 1940, « l’heure de vérité » ; avant de se livrer à une typologie des constructions (gros, petits ouvrages, casemates, observatoires, etc.) et de distinguer les différentes sortes de garnison qui leur correspondent. Ensuite, il nous invite, sur près de trois cents pages, à un voyage sur la Ligne Maginot, « des Vosges du Nord à la frontière suisse ». Photographies d’époque et d’aujourd’hui, cartes, schémas précis, clairs et éclairants, accompagnent un texte, peut-être parfois un peu trop rédigé dans

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l’esprit « honneur aux glorieux anciens », mais sans conteste éminemment sérieux et documenté.

3 Au fil des pages, nous touchons également au plus près le quotidien des soldats qui, en, temps de paix comme en tant de guerre – la Seconde Guerre mondiale et, réalité beaucoup moins connue, la Guerre froide –, ont garni la Ligne. Jean-Bernard Wahl les a entendu raconter leur(s) histoire(s) et nous les restitue avec maints détails et anecdotes, qui adoucissent un propos parfois forcément plutôt technique.

4 Enfin, l’ouvrage s’achève fort à propos par un chapitre sur le « tourisme de mémoire » autour de la Ligne Maginot et sur deux chapitres comparatistes : l’un avec le reste de la Ligne, au nord comme au sud de l’Alsace ; l’autre avec le mur Siegfried (Westwall), si mal connu en France.

5 Après la publication, en 2000, du monumental ouvrage de Philippe Truttmann : La Barrière de fer. L’architecture des forts du général Séré de Rivières (1872-1914), consacré au système défensif de la première moitié de la IIIe République, et un livre du même auteur sur l’ensemble de la Ligne Maginot dès 1985, les éditions Gérard Klopp nous offrent le complément naturel de ces études, centré sur l’Alsace, ouvrant la voie à d’autres monographies régionales.

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Comptes rendus

Les lieux et les hommes

Alsaciens célèbres

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LÜGER (Heinz-Helmut), GIESSEN (Hans W.) et WEIGEL (Bernard) (dir.), Entre la France et l’Allemagne : Michel Bréal, un intellectuel engagé Lambert-Lucas, 2012, 168 p.

Eric Ettwiller

RÉFÉRENCE

LÜGER (Heinz-Helmut), GIESSEN (Hans W.) et WEIGEL (Bernard) (dir.), Entre la France et l’Allemagne : Michel Bréal, un intellectuel engagé, Lambert-Lucas, 2012, 168 p.

1 Né en 1832 à Landau, en Palatinat bavarois, Michel Bréal s’installe avec sa mère à Wissembourg suite au décès de son père procureur. L’enfant effectue une scolarité brillante au collège de la ville, qu’il poursuit au lycée de Metz, ville d’origine de sa famille maternelle. Il intègre ensuite l’École Normale de la Rue d’Ulm (1852), où il poursuit des études de philologie, effectue son stage de professeur au lycée de Strasbourg (1855), avant de réussir son agrégation (1857) et de partir pour l’Université de Berlin se frotter à ce qui se fait de mieux alors en linguistique. De retour à Paris, il devient chargé de cours (1864) puis professeur (1866) de grammaire comparée au Collège de France, une fonction qu’il occupe jusqu’en 1905. Les liens du fondateur de la sémantique avec l’Alsace sont a priori relativement ténus. Et pourtant, ils suffisent pour avoir donné à Michel Bréal un puissant sentiment d’appartenance à la province, comme le prouvent ces lignes, écrites au moment de l’Affaire Dreyfus : « Coreligionnaire de Dreyfus, Alsacien comme Dreyfus, je sais un peu mieux que la plupart quel peut être « l’état d’âme » d’un officier juif alsacien ». Sachant cela, on comprend qu’il ne s’agit pas uniquement du réformateur de l’enseignement mais

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également de l’enfant de Wissembourg qui participe en 1871 à la fondation de l’École Alsacienne à Paris. On comprend également toute la profondeur autobiographique de la phrase suivante, qu’il écrit à un collègue en 1872 et qui se réfère à la récente guerre franco-allemande : « Vous pouvez penser si j’ai souffert depuis deux ans : le but de ma vie était de travailler à l’union des deux pays ». Malgré la douleur, l’homme de sciences effectue en 1873 un voyage dans cette Allemagne qui l’a tant déçu. Tels sont les éléments que l’on retiendra pour l’histoire de l’Alsace, répartis entre la première et la dernière contribution. Les sept autres évoquent différents aspects de l’œuvre de Bréal. On découvrira avec curiosité la part de l’Université de Strasbourg dans l’essor de la phonétique (article de Fernand Carton) et son importance (re)fondatrice pour la phraséologie (article de Vilmos Bárdosi).

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EMANE (Augustin), Docteur Schweitzer, une icône africaine Fayard, 2013, 284 p.

Jean-Paul Sorg

RÉFÉRENCE

EMANE (Augustin), Docteur Schweitzer, une icône africaine, Fayard, 2013, 284 p.

1 Tandis qu’en France le Docteur Schweitzer paraît appartenir à des temps coloniaux révolus, dont il aurait été l’alibi humaniste, et que son image sombre dans l’oubli ou s’efface derrière des clichés, au Gabon le gouvernement a célébré l’an dernier avec faste l’arrivée de Schweitzer – et de son épouse, infirmière – à Lambaréné en avril 1913. Et nombreux sont les intellectuels gabonais, de l’université Omar Bongo de Libreville ou d’ailleurs, qui redécouvrent la figure de ce colon atypique, « pas comme les autres », et la soumettent, avec des bonheurs divers, à la méthode historico-critique et à un examen anthropologique.

2 Un ouvrage de grande qualité humaine et littéraire est celui d’Augustin Emane, juriste en droit social, maître de conférences à l’université de Nantes. Comme il est né à l’hôpital Schweitzer de Lambaréné et qu’il le faisait savoir, des collègues, français et aussi allemands (car il a séjourné au Wissenschaftskolleg de Berlin), l’ont poussé à témoigner et à « expliquer le monde dont il était issu ». Ce qu’il a fini par réaliser sous forme d’une enquête en recueillant, au cours de ses multiples séjours au Gabon, les souvenirs et les impressions d’une soixantaine d’hommes et de femmes qui avaient connu l’Hôpital encore du vivant du « Grand Docteur ». Il s’entretenait avec eux dans les deux langues « indigènes » parlées dans la région, le fang et le galoa.

3 Le résultat, après des années de rumination et d’élaboration, est ce livre passionnant, surprenant, décoiffant, à la fois d’histoire et d’ethnographie, qui a eu la chance de trouver un bon éditeur parisien et de recevoir pour 2013 le Grand prix littéraire de l’Afrique Noire. Originalité : l’étude historique est sous-tendue par l’enquête

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ethnographique, l’auteur nous fait voir Schweitzer par les yeux des Gabonais qui, de par leur culture propre, leur « outillage mental » (Vorstellungsmaterial), leurs archétypes, leur langage, ont une autre approche (la leur !) de la réalité, de l’histoire, en particulier l’histoire coloniale – et postcoloniale –, et une autre perception de la médecine et du médecin, pour eux nganga, guérisseur et mage, « sorcier », mais pas au sens devenu négatif où nous, les Blancs, l’entendons. Plusieurs chapitres (qui font le corps du livre) sont consacrés aux similitudes ou analogies (saisies par les témoins gabonais) entre Schweitzer et l’onganga, entre son hôpital et non pas un village africain (les biographes ont pris l’habitude de parler de l’Hôpital Schweitzer comme d’un « village-hôpital »), mais plutôt un campement thérapeutique, espace de promiscuité et de « grand fouillis » (en fang, andzumé), plutôt encore un refuge protecteur et néanmoins provisoire, précaire. Sens africain de la précarité de toute chose et, corollairement, de la valeur de l’instant. Mbémbé assë dia (« Rien n’est éternel »).

4 Interprétations donc croisées et ambiguës de l’œuvre du Dr Schweitzer, personnage historique, européen et universel, d’un côté, et « icône africaine » de l’autre. La « figure » de l’homme fixée en icône et en caricature, magnifiée ici et insultée là… Pente ascendante et pente descendante de tout mythe ? L’icône africaine, construite sur place par la parole, la palabre, ne doit rien ou pas grand-chose à l’icône occidentale, peinte par les médias, que Schweitzer fut aussi dès les années cinquante. Les deux « images » ne se laissent pas superposer. L’une n’est pas plus juste que l’autre. Aucune n’est un reflet net de la réalité. Les deux sont des artifices, des artéfacts culturels. Augustin Emane nous invite en définitive à nous situer sur « le terrain du malentendu productif », à reconnaître que le malentendu entre les systèmes de culture, systèmes de perception, peut être au final productif, nous dirons même « créatif », en ce qu’il oblige à s’expliquer et qu’en expliquant on éclaire. La leçon d’anthropologie, bien conduite, débouche sur une leçon d’humanisme ou d’humanité.

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BOUNDZANGA (Noël Bertrand) et NDOMBET (Wilson-André) (dir.), Le malentendu Schweitzer L’Harmattan, 2014, 218 p.

Jean-Paul Sorg

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BOUNDZANGA (Noël Bertrand) et NDOMBET (Wilson-André) (dir.), Le malentendu Schweitzer, L’Harmattan, 2014, 218 p.

1 Nul doute que l’ouvrage collectif intitulé Le malentendu Schweitzer rebondit sur l’idée d’un malentendu productif, dégagée et soulignée par Augustin Emane dans Docteur Schweitzer, une icône africaine (voir notre compte rendu ci-dessus). Des universitaires gabonais y ont signé douze études fort diverses et de facture inégale, dont deux avaient été exposées au colloque international organisé à Lambaréné, les 8 et 9 juillet 2013, sur le thème général « Albert Schweitzer : une aventure africaine ». L’ensemble oscille, par saccades, entre la reconnaissance obligée de l’action humanitaire médicale du Dr Schweitzer, dont on ne saurait nier la valeur pratique, et le soupçon lancinant de rester collé à un « humanisme colonial », avec à la base une idéologie raciale (le genre humain comprend plusieurs races, parvenues à des degrés différents d’évolution technique), voire raciste (il existe des races congénitalement inférieures). Or, jamais Schweitzer ne s’exprime en ces termes. Dans son action comme dans sa pensée prévaut un humanisme universel qui commande la solidarité entre tous les hommes et vise un idéal de civilisation pluriculturelle.

2 Faute, malheureusement, d’accéder à des textes pourtant traduits en français, édités et disponibles, la plupart de ces chercheurs historiens et anthropologues gabonais ignorent qu’en chaire le pasteur Schweitzer avait dénoncé les atrocités du colonialisme avant la Grande Guerre déjà. « Qu’ont apporté là-bas nos nations européennes qui se targuent d’être chrétiennes ? Où l’homme blanc est passé, il y eut de l’effroi et du

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malheur, esclavage, massacres, alcool, débauche et prostitution. Le livre qui raconterait dans le détail comment les nations chrétiennes ont envahi le monde serait un livre d’horreur du commencement à la fin… » (Sermon du 26 janvier 1908 à l’église Saint- Nicolas de Strasbourg. Cf. Agir, 21 sermons sur les missions et l’humanitaire, éd. Ampelos, 2009).

3 Les auteurs du Livre noir du colonialisme (Robert Laffont, 2003) auraient pu citer des pages de Schweitzer. « De l’extermination à la repentance », avaient-ils affiché en sous- titre. Lui avait donné à son engagement humanitaire le sens d’une expiation des crimes commis au nom de la civilisation. Mais comme il est difficile, même pour les historiens, de comprendre un homme dans son époque, déterminé par elle, certes, mais se déterminant aussi dans le refus, la protestation contre ses idées et ses pratiques dominantes. Et comme il paraît plus difficile encore d’admettre que des hommes puissent agir en ayant un cœur pur, sans calculer leurs intérêts, sans compter sur des récompenses, ni en ce monde ni dans l’au-delà.

4 La modernité, une certaine modernité, se déploie comme « ère du soupçon » (Nathalie Sarraute). Les intellectuels gabonais se veulent modernes et prouvent leur esprit critique, leur indépendance, en cultivant le soupçon à l’égard de ceux qui venus sur leur continent avec de bonnes intentions ne sauraient pour autant être lavés d’arrière- pensées et disculpés des méfaits de la colonisation. En conclusion générale de l’ouvrage, on lit : « Il serait exagéré d’affirmer que l’humanisme d’Albert Schweitzer dans son hôpital de Lambaréné, toute sa vie durant, avait le regard rivé au miroir du Prix Nobel ». Ce serait exagéré, bon, mais tout de même, n’est-ce pas, il devait y penser… Ce n’est donc pas faux ! Ainsi se résume l’esprit collectif de ce livre qui, soupçonneux, mal fondé, mal étayé, sans bibliographie solide, n’est ni réellement critique ni historique.

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CAGNAC (Bernard), Alfred Kastler, Prix Nobel de physique 1966. Portrait d’un physicien engagé Éditions rue d’Ulm, 2013, 75 p.

François Uberfill

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CAGNAC (Bernard), Alfred Kastler, Prix Nobel de physique 1966. Portrait d’un physicien engagé, Éditions rue d’Ulm, 2013, 75 p.

1 En un demi-siècle, trois scientifiques alsaciens se sont vu attribuer un prix Nobel : Alfred Kastler (1966), Jean-Marie Lehn (1987) et, plus récemment, Jules Hoffmann (2011). Ils s’inscrivent dans la lignée des cinq scientifiques, enseignants et chercheurs, de la Kaiser-Wilhelms-Universität qui ont valu à la future Université Louis Pasteur une notoriété internationale.

2 L’intérêt du petit livre que Bernard Cagnac consacre à Alfred Kastler réside dans le fait qu’il ne se contente pas de retracer sa carrière scientifique. Depuis son premier grand article, publié à l’âge de trente ans et qui sera lu à l’Université de Princeton, où travaillait Einstein, jusqu’à son invention majeure, le pompage optique, puis la direction, avec Jean Brossel, d’un grand laboratoire de recherche à l’ENS, quelle succession de découvertes et d’applications pratiques ! Bernard Cagnac évoque, au-delà de son activité scientifique, le grand humaniste et l’intellectuel engagé dans la vie sociale et politique de son pays, ce qui l’amena à défendre de nombreuses causes : lutte contre la violence politique, combat contre la prolifération des armes nucléaires, défense des droits de l’homme et solidarité avec le Tiers-Monde. Malgré une activité multidimensionnelle et une santé fragile qu’il ne ménagea guère, il resta jusqu’à sa mort un défenseur de certaines valeurs.

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3 Sa double culture allemande et française et l’expérience de la Seconde Guerre mondiale firent de lui un fervent militant de la construction européenne. Une facette moins connue du personnage est celle du poète, qui publia un recueil, Deutsche Lieder eines französischen Europäers, traduit en français par son fils, sous le titre Europe, ma patrie. Mais l’Alsace et son Guebwiller natal restaient sa petite patrie, où il aimait venir se ressourcer.

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Comptes rendus

Arts et techniques

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Comptes rendus

Arts et techniques

Architecture

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ALBERTONI (Clémentine), HAEGEL (Olivier) et SCHEURER (Marie‑Philippe), L’ensemble paroissial de Villé Parcours du patrimoine, 2013, 64 p.

Gabrielle Claerr-Stamm

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ALBERTONI (Clémentine), HAEGEL (Olivier) et SCHEURER (Marie‑Philippe), L’ensemble paroissial de Villé, Parcours du patrimoine, 2013, 64 p.

1 L’ouvrage est le fruit d’un partenariat avec la Conservation régionale des Monuments historiques et la commune de Villé. L’ensemble paroissial de Villé, comprenant l’église paroissiale Notre-Dame-de-l’Assomption (1757), le cimetière « des bourgeois » et le presbytère catholique, offre un témoignage particulièrement représentatif de l’architecture rurale alsacienne après le rattachement de l’Alsace à la France. Il illustre le savoir-faire des artistes et artisans locaux ainsi que leur inscription dans les grands courants culturels européens. Du type église-halle, dû à l’architecte Chassain, le sanctuaire abrite un pèlerinage à Notre-Dame du bon secours. Le mobilier et la décoration de l’église sont d’époque, en style baroque. Le maître-autel est signé et daté par Mathias Jehl (1759). Le siège du célébrant, avec son décor en lambris, est également baroque tout comme les autels latéraux et la chaire. Le cimetière conserve plusieurs tombes remarquables du XVIIIe siècle. Le presbytère a connu trois phases de construction aux XVIe, XVIIIe et XXe siècles.

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CHATELET (Anne-Marie) et STORNE (Franck) (dir.), Des Beaux‑Arts à l’Université. Enseigner l’architecture à Strasbourg Éditions Recherches / École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, 2014

Hervé Doucet

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CHATELET (Anne-Marie) et STORNE (Franck) (dir.), Des Beaux‑Arts à l’Université. Enseigner l’architecture à Strasbourg, Éditions Recherches / École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, 2014

1 À l’occasion de l’inauguration du bâtiment conçu par Marc Mimram dans lequel est désormais généreusement logée l’école nationale supérieure d’architecture de Strasbourg (ENSAS) est paru un ouvrage qui retrace l’histoire de cette institution d’enseignement dont on a fêté les 90 ans d’existence. En même temps, une exposition consacrée à l’évolution de l’enseignement de l’architecture depuis les années 1920 était présentée dans la salle d’exposition du nouveau bâtiment. Celle-ci, située au rez-de- chaussée, occupe un espace totalement vitré. Cette boite de verre répond à une intention avant tout symbolique : il s’agit, par là, de montrer que l’école est ouverte sur la ville autant que d’inviter le passant à entrer. Cette fluidité entre l’école et son environnement urbain, au cœur de l’enseignement qui y est dispensé depuis sa création, s’est particulièrement concrétisée pendant toute la durée de l’exposition. Visibles de la rue, les maquettes et dessins qui étaient alors rassemblés ont séduit le flâneur et ont attiré en grand nombre les Strasbourgeois.

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2 La réalisation de cette exposition était une véritable gageure : les archives de l’École ne contenaient en effet aucun dessin. Si elle a pu voir le jour, c’est grâce à une collecte initiée auprès des familles des anciens étudiants. Il faut saluer cette initiative et espérer qu’elle continuera de porter ses fruits. À terme, c’est un fonds capable de nourrir de futures recherches qui pourra être constitué. Les dessins permettent non seulement de mieux connaître la personnalité, la sensibilité de leurs auteurs mais ils apportent aussi un éclairage incomparable sur l’enseignement qui était dispensé dans ce type d’institutions. Afin de valoriser les premiers résultats positifs de cette quête, les dessins jusqu’ici rassemblés ont été publiés dans un volume propre qui accompagne un volume de textes.

3 L’exposition et la publication ont vu le jour grâce à Anne-Marie Châtelet, historienne de l’architecture, qui était toute désignée pour diriger une telle entreprise. Enseignante à l’ENSAS, Anne-Marie Châtelet avait participé en 1985 à l’ouvrage dirigé par Louis Callebat intitulé Histoire de l’architecte1, au sein duquel la formation occupait, bien entendu, une place de choix. Anne-Marie Châtelet est également chargée de la rédaction des notices relatives aux femmes architectes dans le cadre du dictionnaire des créatrices (Éditions des Femmes).

4 Les deux volumes de l’ouvrage dont elle a assuré, avec Franck Storne, la direction – comme l’exposition – s’inscrivent dans le contexte actuel de la recherche. Plusieurs entreprises sont (ou ont été) menées pour mieux connaître la formation des architectes. C’est notamment le cas du dictionnaire des élèves architectes de l’École des beaux-arts (1800-1968), projet initié par Marie-Laure Crosnier-Leconte en 2004 à l’INHA2. Outre les travaux d’Annie Jacques3, on peut également citer le tout récent article de Guy Lambert consacré justement à l’enseignement dispensé dans les ateliers en France4.

5 Contrairement à ce qu’indique son titre, Des beaux-Arts à l’Université. Enseigner l’architecture à Strasbourg, le livre ne se contente pas de retracer l’histoire de l’École d’architecture de Strasbourg. D’une part, il a pour ambition, comme en témoigne notamment la partie 2 intitulée « Mémoires », de laisser la parole aux acteurs – étudiants, enseignants, directeurs – qui ont contribué à la vie et au dynamisme de cet établissement strasbourgeois et dont les souvenirs ici reproduits sont parfois tout à fait édifiants. D’autre part, l’ouvrage offre également des pistes de recherches futures grâce aux annexes (dictionnaires des élèves et des enseignants et catalogue des ouvrages du fonds anciens – tous deux réalisés par Franck Storne) qui forment sa troisième partie.

6 C’est la première partie de l’ouvrage qui en constitue le morceau de choix. C’est là qu’est retracée, dans toutes ses composantes – pédagogiques, humaines, matérielles –, l’histoire de l’école depuis sa création en 1921 jusqu’à nos jours. Cette première partie est elle-même divisée en trois chapitres. Le premier, « L’école en trois temps », épouse l’ensemble de la chronologie jusqu’au début des années 2000. Il est introduit par un texte de Marie-Jeanne Dumont qui rappelle les caractéristiques de l’enseignement du projet architectural et sa lente évolution depuis l’École des beaux-arts jusqu’à la création des écoles régionales d’architecture (rendue possible grâce au décret du 23 janvier 1903). Ces créations ne se firent pas sans mal. Le centralisme français, héritier de l’État mis en place sous Louis XIV, a à ce point pénétré les esprits qu’en 1880, l’on conseillait encore à tout « jeune homme se destinant à la profession d’architecte et désireux de faire des études très complètes, (…) de venir se fixer pour plusieurs années dans la capitale. »5 La décision de créer à Strasbourg une école provinciale

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d’architecture au lendemain du retour de l’Alsace-Lorraine à la France se comprend à des fins politiques. Ainsi que l’écrit Marie-Jeanne Dumont, dès 1919, on jugea nécessaire la création rapide d’une école régionale à Strasbourg « où des maîtres de valeur éprouvée, répandraient à nouveau le goût français, et épargneraient ainsi aux plus jeunes le mauvais goût allemand dont leurs aînés s’étaient malheureusement imprégnés à Munich ou à Karlsruhe »6. À Strasbourg, comme ailleurs en province, l’enseignement qui fut dispensé reprenait les recettes éprouvées à Paris. La copie des œuvres importantes de l’Histoire de l’architecture était une étape obligée et, comme le souligne fort justement Anne-Marie Châtelet, « ce n’était pas certes un savoir nécessaire à ces futurs architectes de la Reconstruction, mais un apprentissage relevant d’un principe largement répandu si l’on songe à la place qu’occupait alors l’enseignement des langues mortes au lycée. Il s’agissait de « faire ses humanités » avant d’obtenir une liberté dont atteste la diversité des projets de seconde et, surtout, de 1ère classe. »7 Ces traditions volèrent en éclat en 1968 comme le rapporte Michel Denès dont le texte, très vivant, est truffé d’anecdotes piquantes. Comme toutes les autres écoles d’architecture, celle de Strasbourg se présente sous la plume de Michel Denès comme la chambre d’écho des contestations qui agitèrent l’ensemble de la société française8 à la fin des années 1960. Bien loin de l’image utopique et artiste que l’on peut avoir aujourd’hui de cette époque, l’enseignement de l’architecture fut alors complètement repensé : « hors architecture, six départements sont créés : sciences physiques et techniques de construction, sciences de l’Homme et ses relations au milieu, sciences de l’architecture, sciences de la ville, mathématiques et sciences des systèmes, expression plastique et sémiologie. Comme on peut le constater, la science est partout »9. Cette réforme sera suivie de trois autres, en 1978, 1984 et 1998, auxquelles le texte de Diego Peverelli intitulé « L’indépendance (1975-2000) » fait référence pour en examiner les répercussions sur l’enseignement dispensé à Strasbourg.

7 Le deuxième chapitre de cette première partie historique est intitulé « Lieux et enseignements ». Les différents textes qui le composent mettent notamment en lumière les lieux successifs qui ont accueilli l’école de Strasbourg depuis le Palais du Rhin jusqu’à la reconversion d’un ancien garage automobile. C’est également dans ce chapitre qu’Amandine Diener consacre un très intéressant texte aux premières femmes élèves de l’école d’architecture de Strasbourg pendant l’entre-deux-guerres, faisant écho aux préoccupations actuelles de nombre de chercheurs et chercheuses.

8 Enfin, le troisième chapitre intitulé « Architecte en Alsace » rassemble des textes variés dont certains éloignent le lecteur à la fois de l’école d’architecture de Strasbourg et même de l’enseignement de l’architecture. Ils entendent contribuer à dresser le portrait du milieu local de l’architecture. Reprenant en l’amplifiant l’article qu’il avait fait paraître en 1985, Denis Durand de Bousingen10 dessine, par exemple, un panorama du milieu architectural strasbourgeois dans l’entre-deux-guerres. C’est dans ce chapitre que figure le texte de Christiane Weber, « Une autre voie : l’école impériale technique de Strasbourg (1895) », qui, lui, évoque parfaitement l’enseignement de l’architecture en Alsace en mettant en avant une école fondée alors que la région appartenait au Reich et qui est à l’origine de l’actuel Institut national des sciences appliquées (INSA), « l’autre » école d’architecture de Strasbourg. Celle-ci a été pensée pour former des professionnels du bâtiment. En ce sens, elle peut être rapprochée de l’École Spéciale d’architecture créée à Paris en 1865 et dirigée par Emile Trélat qui « constat[ait] – comme Viollet-le-Duc – qu’il [était] fréquemment demandé aux architectes, durant ce début de la seconde moitié du XIXe siècle, la réalisation d’œuvres plus communes, plus

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courantes que les grands édifices publics, qui nécessit[aient] une instruction et une formation spéciales, plus courte que la formation académique. À côté de l’architecte- artiste formé à l’École des Beaux-Arts, il f[allait] aussi, selon lui, un architecte qui soit un habile constructeur, un professionnel compétent (...) »11. L’idée était que les architectes avaient avant tout besoin de compétences techniques et que la culture classique si importante à l’École des Beaux-Arts n’était désormais plus essentielle à l’exercice du métier d’architecte. S’il semble que l’école technique répondait à des besoins similaires à celle de l’école spéciale, elle ne fut cependant pas exempte de reproches. Christiane Weber, citant une étude de 1967 sur la création des écoles techniques, rapporte en effet qu’« en 1903, l’une des représentations corporatives des diplômés des universités techniques, la Fédération des Architectes allemands (Bund deutscher Architekten), reprocha publiquement aux anciens élèves des Ecoles des métiers du bâtiment « d’appliquer sans discernement, dans la construction de simples maisons bourgeoises, leurs connaissances en matière de formes architecturales (par exemples des ordres antiques) » »12.

9 On le voit, l’enseignement de l’architecture en Alsace, en France ou même en Allemagne, a fait l’objet de réflexions et d’expériences multiples et parfois antagonistes tout au long des XIXe et XX e siècles. Parce qu’il a une influence évidente sur la production architecturale, l’enseignement de la discipline est un champ de recherche qu’il ne faut pas négliger. Cet ouvrage apporte sa pierre à la construction en cours de l’Histoire de l’enseignement de l’architecture.

NOTES

1. CALLEBAT (Louis) (dir.), Histoire de l’architecte, Paris, Flammarion, 1998. Au sein de cet ouvrage, Anne-Marie Châtelet avait signé l’article consacré à l’architecte au XXe siècle dans l’Europe libérale. 2. http://www.inha.fr/fr/recherche/le-departement-des-etudes-et-de-la-recherche/histoire-de- l-architecture/le-dictionnaire-des-eleves-architectes-1.html. 3. JACQUES (Annie) (dir.), Italia Antica : Envois de Rome des architectes français en Italie et dans le monde méditerranéen aux XIXe et XXe siècles, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 2002 ; JACQUES (Annie) (dir.) Les Beaux-Arts, de l’Académie aux Quat’z’arts, Paris, École nationale supérieure des Beaux-arts, 2001. 4. LAMBERT (Guy), « La pédagogie de l’atelier dans l’enseignement de l’architecture en France aux XIXe et XXe siècles, une approche culturelle et matérielle », Perspectives, no1, 2014, p. 129-136. 5. CHARTON (Jules), Guide pour le choix d’un métier, 1880, extrait reproduit dans JACQUES (Annie) (dir), Les Beaux-Arts, de l’Académie aux Quat’z’arts, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 2001, p. 196. 6. DUMONT (Marie-Jeanne), « L’École des beaux-arts et la création des écoles régionales », CHATELET (Anne-Marie) et STORNE (Franck) (dir.), Des Beaux-Arts à l’Université. Enseigner l’architecture à Strasbourg, p. 20. 7. CHATELET (Anne-Marie), « L’École régionale d’architecture de Strasbourg (1921-1965) », p. 27 et 28.

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8. On se référera à l’ouvrage : VIOLEAU (Jean-Louis), Les architectes et mai 68, Paris, Editions Recherches, 2005. 9. DENES (Michel), « La refondation (1965-1975) », p. 51. 10. DURAND DE BOUSINGEN (Denis), « L’architecture à Strasbourg de 1903 à 1918 : styles, écoles et Hommes », Annuaire de la Société des Amis du Vieux Strasbourg, 1985, p. 59-80. 11. SEITZ (Frédéric), L’École spéciale d’architecture 1865-1930, Paris, Picard, 1995, p. 27. 12. WEBER (Christiane), « Une autre voie : l’école impériale technique de Strasbourg (1895) », p. 150.

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Collectif, L’université impériale de Strasbourg. Le site de la porte des pêcheurs Réalisé par le service de l’inventaire du patrimoine de la Région Alsace, en partenariat avec le Jardin des Sciences de l’Université de Strasbourg, Lieux-dits, « Parcours du patrimoine », 2012, 72 p.

Gabrielle Claerr Stamm

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RÉFÉRENCE

Collectif, L’université impériale de Strasbourg. Le site de la porte des pêcheurs, réalisé par le service de l’inventaire du patrimoine de la Région Alsace, en partenariat avec le Jardin des Sciences de l’Université de Strasbourg, Lieux-dits, « Parcours du patrimoine », 2012, 72 p.

1 Conçu comme un guide de visite, ce « Parcours du patrimoine » met l’accent sur le projet architectural et urbain du site « devant la Porte des Pêcheurs » comme pièce maîtresse et pivot de la conception de la Neustadt. L’ouvrage débute par l’histoire de la création de l’Université de Strasbourg, du Gymnasium à la Kaiser-Wilhelm-Universität, un encart évoque celle de la faculté de médecine sur le site de la Porte de l’Hôpital. Le site de la Porte des Pêcheurs s’organise autour du palais universitaire, derrière lequel se distribuent, autour d’un jardin, selon un modèle évoquant celui des pavillons de l’architecture hospitalière, les différents bâtiments scientifiques conçus par Hermann Eggert dans les années 1870-1880. Se succèdent ainsi, d’ouest en est, les instituts de chimie, de physique, le jardin et l’institut de botanique, puis l’observatoire astronomique. Cet ensemble se prolonge vers le sud par les derniers instituts établis pour la géologie et la zoologie autour de 1890 dans la parcelle limitrophe, sise entre la rue de l’Université et l’actuel Boulevard de la Victoire. Chaque bâtiment fait l’objet d’un historique et d’une description extérieure et intérieure.

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ECKLE (Gérard), Strasbourg, L’image des quais, pierre par pierre Éditions du Belvédère, 2013, 160 p.

Nicolas Claerr

RÉFÉRENCE

ECKLE (Gérard), Strasbourg, L’image des quais, pierre par pierre, Éditions du Belvédère, 2013, 160 p.

1 Gérard Ecklé, architecte actif en Alsace des années 1960 aux années 2000, propose ses mémoires dans un ouvrage joliment illustré. Le titre est cependant trop ambitieux : contrairement à ce qu’il laisse sous-entendre, il ne s’agit pas d’une étude approfondie de l’évolution des quais strasbourgeois. L’ouvrage ne s’intéresse qu’à la portion allant du quai des Pêcheurs au Finkwiller – certes une des plus intéressantes de la ville – et l’auteur y propose une promenade avec quelques arrêts, généralement sur des parcelles ayant fait l’objet de restructurations durant les années 1970. On s’aperçoit vite que la moitié du livre est consacré aux réalisations de Gérard Ecklé lui-même : îlot Saint- Guillaume et Finkwiller principalement.

2 Passée cette déception initiale de n’avoir qu’un aperçu fragmentaire des quais strasbourgeois, on peut apprécier le récit détaillé des opérations immobilières auxquelles l’auteur a pris part, resituées dans leur contexte, égrenant les péripéties liées au rapide changement d’état d’esprit en matière d’urbanisme dans les années 1970.

3 Le cas de l’îlot Saint-Guillaume en est symptomatique : le projet initial visait à raser entièrement l’ensemble des bâtiments jugés inadaptés aux exigences du confort moderne et en profiter pour supprimer le goulot d’étranglement qui gênait la circulation automobile. Au final, seuls quatre immeubles trop insalubres sont remplacés par des constructions modernes, le reste étant restauré. Au Finkwiller, le contexte était différent : la chocolaterie Schaal ayant fermé ses portes, un vaste espace

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se libérait pour les promoteurs. L’architecte avait alors à cœur de créer des édifices pouvant s’intégrer dans leur environnement. Gérard Ecklé ne fut pas en effet un de ces architectes extrémistes ayant suivi aveuglément les théories de Le Corbusier, largement remises en question depuis. Il s’est ainsi opposé aux urbanistes qui n’hésitaient pas à vouloir raser des bâtiments historiques pour faire place à des stations-services.

4 L’ouvrage fait la part belle aux illustrations, dont on regrettera parfois l’absence ou la concision des légendes. L’ensemble des façades des quais de la Krutenau est représenté sous forme de dessins avec datation de chaque immeuble. Pour les constructions réalisées par l’auteur, on retrouve les différents projets, des plans de masse, des photographies avant / après.

5 À défaut d’être un véritable livre d’histoire, ce livre est le témoignage d’un architecte dont la carrière se déroule à une époque charnière de remise en question des théories de la première moitié du XXe siècle et de l’intégration (ou de la réintégration) de nouveaux paramètres dans la conception architecturale : qualité de vie, harmonie des formes et bientôt développement durable. La présentation s’achève sur la dernière construction de Gérard Ecklé, en 2004 : les deux petites maisons en bois du 7 place Henri Dunant, construites en fond de parcelle et donc le long du quai. Modestes par leurs dimensions, elles ne le sont pas par leur portée car elles témoignent d’une architecture à la fois innovante et pleinement respectueuse de son environnement.

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GRODWOHL (Marc), Dannemarie, à travers les âges. De la cave au grenier, 1474-1775 Éditions Ville de Dannemarie, 2014, 132 p.

Gabrielle Claerr Stamm

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GRODWOHL (Marc), Dannemarie, à travers les âges. De la cave au grenier, 1474-1775, Éditions Ville de Dannemarie, 2014, 132 p.

1 L’ouvrage fait suite à la datation par dendrochronologie de sept maisons de Dannemarie classées entre 1474 et 1684, deux conférences sur le bâti et une enquête étendue au cimetière fortifié pour préciser le tableau du Dannemarie médiéval. Le récit s’organise en « promenades ». La première introduit l’observation des éléments concrets devant lesquels nous passons, sans les voir ! La seconde confronte les rues et les bâtiments à la documentation historique (archives et livres). La troisième partie est archéologique, c’est la « tournée des caves ». Pour la quatrième promenade, on monte dans les greniers avec ses charpentes et ses « antiquités ».

2 Dannemarie s’élève à un carrefour de routes, un gros bourg, jamais entouré de murailles, mais avec une forte densité marchande et une foire annuelle. L’auteur nous propose de pénétrer dans la ville depuis Gommersdorf (les deux localités se touchent de nos jours) et de regarder les maisons, celles du « beau côté », à droite, où les colombages sont apparents, l’occasion de comparer photos actuelles et vues anciennes (cartes postales). Façades sur rue, pignons sur rue, et l’auteur nous fait découvrir l’organisation des pièces…

3 En 1767, le procureur fiscal interdit de déposer fumier et tas de bois devant les maisons ! 1775, la ville est façonnée par des géomètres et des ingénieurs. L’Intendance prend l’affaire en mains et entre en action pour l’alignement des maisons, la propreté

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des rues, l’école, les halles… Le résultat est encore bien visible sur le terrain. La descente dans les caves permet de retrouver le mur du cimetière fortifié. Photos, plans anciens et croquis, Marc Grodwohl nous entraîne dans sa découverte. Les greniers révèlent les parties les plus anciennes des maisons ; le grenier, bien ventilé, résiste mieux à l’humidité, les bois sont couverts d’un manteau de suie protectrice et là, rien de change au fil des siècles. Charpentes de 1525, 1548, 1604 : autant de jalons pour étudier l’habitat d’avant la guerre de Trente Ans. Maisons de 1671, 1680, 1682, 1684 permettent à l’auteur d’analyser les caractéristiques de l’après-guerre.

4 Le travail n’est pas achevé pour autant, il reste encore bien des maisons à analyser, mais l’ouvrage a le mérite de révéler au grand public ces nouvelles données sur le bâti de Dannemarie, quelque part entre ville et village, entre pays de parler alémanique et pays de parler roman, et d’enrichir la « Hausforschung » au niveau européen.

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MOSCA (Lucie), La faculté de droit de Strasbourg, réalisé par le service de l’inventaire du patrimoine de la Région Alsace En partenariat avec le Jardin des Sciences de l’Université de Strasbourg, Lieux-dits, « Parcours du patrimoine », 2012, 64 p.

Gabrielle Claerr Stamm

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MOSCA (Lucie), La faculté de droit de Strasbourg, réalisé par le service de l’inventaire du patrimoine de la Région Alsace, en partenariat avec le Jardin des Sciences de l’Université de Strasbourg, Lieux-dits, « Parcours du patrimoine », 2012, 64 p.

1 Après la Seconde Guerre mondiale, la construction du nouveau campus de l’Esplanade est venue enrichir le patrimoine universitaire de Strasbourg. C’est un des rares exemples en France de campus construit au sein de la ville. Il a été élaboré par deux architectes renommés, Charles-Gustave Stoskopf et Roger Hummel. Le campus s’articule autour de quelques édifices remarquables, comme la faculté de droit et l’institut de chimie. Après avoir replacé la construction de la faculté de droit dans son contexte historique et géographique, l’ouvrage propose une visite de l’extérieur puis de l’intérieur du bâtiment. Il s’enrichit d’une étude plus large sur d’autres œuvres des deux architectes Stoskopf et Hummel.

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Comptes rendus

Arts et techniques

Musique classique et arts populaires

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SCHILDBERG (Gerhard), Jean- Jacques Werner. L’heureuse évolution d’une carrière artistique Éditions Delatour, 2011, 31 p.

Paul-Philippe Meyer

Revue d’Alsace, 140 | 2014 508

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SCHILDBERG (Gerhard), Jean-Jacques Werner. L’heureuse évolution d’une carrière artistique, Éditions Delatour, 2011, 31 p.

1 Jean-Jacques Werner est un compositeur né à Strasbourg en 1935. Gerhard Schildberg lui consacre quelques pages réunies en un livret. En premier, une traduction française par Fredy Langermann du texte en allemand de Gerhard Schildberg, qui se trouve en seconde partie ; au centre, quelques pages avec des photos.

2 Le titre reprend-il le contenu ? Il s’agit en fait d’un témoignage de moments d’une jeunesse partagée par deux enfants puis adolescents. Schildberg est admiratif et même s’il ne comprend pas toujours la musique de son ami, il lui est reconnaissant pour ce vécu commun à Strasbourg. Le texte est aussi à lire entre les lignes. On perçoit alors l’ascétisme et la rigueur de la famille protestante, le sens des économies et l’absence du superflu qui ont permis aux membres de la fratrie de faire des parcours originaux et réussis. Schildberg s’arrête au moment où Werner rejoint la capitale française, même s’il retrace brièvement la participation au conflit en Algérie. Tout le récit de Schildberg est l’élan spontané du cœur, sans calcul, pour une amitié et une reconnaissance inconditionnelles jusqu’au plaisir de le retrouver, de savoir qu’il est venu s’installer en Alsace, qu’il est rentré au bercail. Pour appréhender la production du compositeur, le lecteur se reportera au compte rendu que nous avons rédigé sur le Catalogue des œuvres de Jean-Jacques Werner (ci-dessous).

Revue d’Alsace, 140 | 2014 509

MOINARD (Françoise), Jean-Jacques Werner. Catalogue des œuvres Éditions Delatour, 2013, 66 p.

Paul-Philippe Meyer

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MOINARD (Françoise), Jean-Jacques Werner. Catalogue des œuvres, Éditions Delatour, 2013, 66 p.

1 Il faut se référer au Catalogue des œuvres pour mesurer l’ampleur de la production musicale de Jean-Jacques Werner. D’une part on y découvre, avec stupéfaction, les titres et les références des nombreuses compositions. Tous les genres sont présents : de la mélodie accompagnée à l’œuvre symphonique en passant par les œuvres pour chœur a capella ou avec orchestre, des œuvres pour orgue, d’autres à vocation pédagogique et même des œuvres pour orchestre d’harmonie. Les repères biographiques retracent les étapes et l’évolution de la carrière de Jean-Jacques Werner passant par Paris, Taïwan, le Venezuela, les États-Unis, mais aussi celle de l’enseignant et du directeur de conservatoire. Enfin une discographie et une bibliographie complètent cet ouvrage.

2 De manière générale, un catalogue peut être perçu comme austère, mais il est une forme de bilan que l’on dresse à un moment de sa vie. Dans le cas de Werner, il coïncide avec son retour en Alsace, où Gerhard Schildberg est si heureux de le retrouver.

3 Jean-Jacques Werner. L’heureuse évolution d’une carrière artistique (voir mon compte rendu ci-dessous) et le Catalogue des œuvres, deux livrets avec chacun leur intérêt, qui se complètent à merveille pour connaître ou redécouvrir le compositeur. Il ne reste plus qu’à faire entendre davantage la musique de Jean-Jacques Werner en Alsace, alors qu’elle a déjà tant résonné ailleurs.

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MEYER (Pierre), Les plaques émaillées publicitaires de l’Émaillerie alsacienne de A à Z Éditions Jérôme Do Bentzinger, 2012, 255 p.

Christine Esch

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MEYER (Pierre), Les plaques émaillées publicitaires de l’Émaillerie alsacienne de A à Z, Éditions Jérôme Do Bentzinger, 2012, 255 p.

1 Collectionneur de plaques émaillées publicitaires, Pierre Meyer n’en est pas à sa première publication consacrée à l’Émaillerie alsacienne de Hœnheim. Il voue une véritable passion à cette entreprise et à sa production. En 2001, il édite un premier ouvrage auprès des Petites Vagues Éditions sous le titre L’Émaillerie alsacienne Strasbourg-Hœnheim (1923-1992) : son histoire, sa production, un livre hommage, dans lequel Pierre Meyer offre au lecteur une première approche de l’histoire de cette entreprise, des procédés de fabrication et de la production de plaques émaillées. En 2003, il consacre une exposition à cette entreprise alsacienne qui a été un des leaders européens dans son secteur d’activité. En 2012, il livre une nouvelle publication plus détaillée : Les plaques émaillées publicitaires de l’Émaillerie alsacienne de A à Z.

2 La démarche de Pierre Meyer se démarque de celle du collectionneur-type. Elle s’apparente à un travail d’enquête et de recensement autour de cette enseigne. Pierre Meyer a eu la chance de pouvoir se rendre dans les années 1990 sur le site de l’entreprise fermé. Il y découvre des bons de commande, des livres de compte, des esquisses, des pierres lithographiques, des pochoirs… documents que le collectionneur, avec l’accord des propriétaires, a récupéré. Il entreprend alors aussi de rencontrer des anciens salariés de l’émaillerie de Hœnheim et recueille leurs témoignages.

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3 Ainsi, documents d’archives, photographies d’époque, témoignages d’anciens salariés, pièces de collection se retrouvent côte à côte dans cette publication qui devient un travail de mémoire et laisse une trace écrite pérenne de cette aventure industrielle qui n’a pas seulement marqué Hœnheim. Sans nul doute, ces plaques font aujourd’hui partie de la culture populaire, d’une culture commune. Qui ne se souvient pas de ces marques et images familières : une vache enjouée symbole d’une spécialité fromagère, un Bibendum en chambres à air, un buveur de bière assis sur un tonneau, les célèbres Bouillon Kub…

4 Objets de collection désormais recherchés, les plaques émaillées furent jadis des objets familiers. Bien avant les spots publicitaires, elles vantaient les mérites de marques qui leur doivent en partie leur renom. Leur fabrication impliquait un procédé graphique et créatif. La plaque émaillée est un support de communication et de publicité qui a connu son plus grand développement dans la première moitié du XXe siècle jusque dans les années 1960-70. L’Émaillerie Alsacienne Strasbourg-Hœnheim a vu le jour en 1923 grâce à l’industriel Georges Weill, qui décide de se lancer dans l’émaillerie, activité alors novatrice en Alsace. Dans l’usine de Hœnheim, ont été fabriquées certaines des plus belles plaques publicitaires qu’on a pu voir et admirer sur les façades des magasins ou des garages de France. L’activité décline dès les années 1970, le site sera vendu en 1982 et, en 2005, le lieu historique de la plaque émaillée de France, comme le définit Pierre Meyer, sera démoli pour laisser place aujourd’hui à un quartier résidentiel dont les habitants ne soupçonnent probablement pas l’histoire industrielle exceptionnelle qui s’y est déroulée.

5 Ce livre raconte ainsi, en trois volets successifs, richement illustrés et documentés, l’aventure de cette usine alsacienne, du moins ce qu’il a été possible de reconstituer. Pierre Meyer y présente des pans de son histoire, livre des secrets de fabrication et une rétrospective de sa production de 1923 à 1982. L’auteur a opéré une sélection parmi les plaques dont il a dénombré plus de 10 000 modèles, plaques publicitaires et signalétiques confondues, pour illustrer dans cet ouvrage l’abondance, la diversité et la richesse de la production de l’Émaillerie alsacienne Strasbourg-Hœnheim et la sauver de l’oubli.

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SCHNEIDER (Malou) (dir.), Mémoires du judaïsme en Alsace, Les collections du Musée alsacien Éditions des Musées de Strasbourg, 2013, 160 p.

Jean Daltroff

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SCHNEIDER (Malou) (dir.), Mémoires du judaïsme en Alsace, Les collections du Musée alsacien, Éditions des Musées de Strasbourg, 2013, 160 p.

1 Cet ouvrage est un catalogue abondamment illustré consacré aux collections juives du Musée alsacien. Il invite à découvrir, à travers la collection d’objets, la vie quotidienne des communautés juives alsaciennes des XIXe et XXe siècles.

2 Le Musée alsacien de Strasbourg conserve la plus ancienne collection juive d’Alsace. Quelques mois après son inauguration, en 1907, ses directeurs prirent contact avec la Société d’histoire des Israélites d’Alsace et de Lorraine, qui avait été fondée dans le but de préserver et valoriser le patrimoine juif d’Alsace et de Moselle. Ils lui proposèrent de « créer une collection d’objets se rattachant à l’histoire, aux mœurs et au culte juif dans notre pays » et de la présenter dans les salles du musée. Cette collection initiale de 170 pièces s’est entre-temps élargie, jusqu’à rassembler aujourd’hui environ « 500 objets, pièces de mobilier et imagerie témoignant du judaïsme alsacien, toujours présentés au sein du musée ». « Près de 800 objets provenant de la geniza (dépôts concernant les objets religieux usagés) de Dambach viennent d’intégrer les collections du Musée alsacien », souligne Elisabeth Shimells, Conservatrice du patrimoine, responsable du Musée alsacien.

3 Le catalogue présente des contributions variées, traitant du judaïsme d’Alsace sur la célébration de la vie (Freddy Raphaël, président d’honneur de la Société d’histoire des Israélites d’Alsace et de Lorraine), de l’histoire des Juifs d’Alsace du Moyen Âge à

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l’an 2000 (André Marc Haarscher et Malou Schneider, Conservateur honoraire du Musée alsacien), du Musée alsacien et de la Société d’histoire des Israélites d’Alsace et de Lorraine (Malou Schneider, avec la participation de Jean Camille Bloch), de l’itinéraire d’une collection inscrite dans le projet du Musée alsacien (Elisabeth Shimells) et – contribution fondamentale, la plus dense – de la vie juive en Alsace aux XVIIIe et XIXe siècles (Malou Schneider).

4 Ayant fui dès le XVe siècle les persécutions dont elles étaient victimes dans les villes et trouvé refuge dans les campagnes, les communautés juives se caractérisent en Alsace par leur implantation rurale. S’il leur fut encore longtemps interdit d’exercer la plupart des métiers ruraux, elles vivent toutefois le plus souvent en relative bonne entente avec leurs voisins catholiques ou protestants. Leur mode de vie et leur art populaire présentent d’ailleurs quelques similitudes avec les coutumes et traditions chrétiennes, celles-ci attestant des influences réciproques qui ont pu s’exercer entre les communautés. Le livre est un guide à la portée de tous. Il nous présente les objets de la collection en reconstituant leur rôle et leur usage quotidien, invitant le lecteur à se familiariser avec les rites et grandes célébrations du calendrier juif, mais aussi à découvrir la vie quotidienne, communautaire et familiale du juif alsacien des XVIIIe et XIXe siècles : les métiers, le judéo-alsacien, la cuisine, l’imagerie religieuse, les fêtes de l’année, les âges de la vie et le costume. Entre art populaire et ethnologie, il permet de comprendre l’importance et la charge symbolique des objets de l’artisanat, humbles témoignages d’une vie fortement ritualisée que les événements historiques du XXe siècle ont fait disparaître.

5 La bibliographie aurait pu, cependant, être complétée par des catalogues d’exposition, dans un esprit d’ouverture, en citant d’autres collections d’objets juifs alsaciens : Les Juifs d’Alsace. Village, tradition, émancipation, catalogue d’exposition ; Musée d’Israël, Jérusalem, 1991 ; Art et traditions du judaïsme alsacien, catalogue d’exposition, communauté israélite de Haguenau, Musée historique de Haguenau, Drulingen, 1992 ; Richesses du patrimoine juif de l’Alsace Bossue, catalogue d’exposition, Association d’Histoire et d’Archéologie de Sarre-Union - Musée régional de l’Alsace Bossue, Drulingen, 1998. Le site allemand http://www.alemania-judaica.de aurait aussi pu être mentionné pour ses développements sur les synagogues, les cimetières et les collections des musées juifs d’Alsace.

6 À travers la sélection d’objets et de documents divers (environ 200 illustrations), c’est une très belle histoire de cette vie juive rurale d’Alsace qui nous est proposée dans ce catalogue du Musée alsacien de Strasbourg.

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Comptes rendus

Glanes

Revue d’Alsace, 140 | 2014 515

BÜMLEIN (Klaus), FEIX (Marc), HENZE (Barbara) et LIENHARD (Marc) (dir.), Kirchengeschichte am Oberrhein, ökumenisch und grenzüberschreitend Verlag Regionalkultur, 648 p.

Claude Muller

RÉFÉRENCE

BÜMLEIN (Klaus), FEIX (Marc), HENZE (Barbara) et LIENHARD (Marc) (dir.), Kirchengeschichte am Oberrhein, ökumenisch und grenzüberschreitend, Verlag Regionalkultur, 648 p.

1 Voici un livre intéressant, parce qu’il fait éclater les habituels cloisonnements. D’abord cloison politique, puisqu’on y évoque l’Oberrhein ou Rhin supérieur ou espace rhénan, au choix et sans ordre de préséance. Ensuite le compartiment religieux, puisque ne sont plus évoqués les seuls catholiques, protestants et juifs, mais qu’il leur est adjoint les musulmans, grands absents de l’historiographie régionale contemporaine. Ce gros ouvrage fait appel à des collaborateurs multiples (Ammerich, Andermann, Brunn, Bümlein, Clark, Ehrmann, Ehmer, Epp, Feix, Fornaçon, Gerwin, Greib, Haizmann, Herrmecke, Henze, Hiebel, Hussong, Kessler, Knoch, Krüger, Landgraf, de Lange, Lienhard, Mautner, Miron, Parmentier, Schlaefli, Schmider, Schwinge, da Silva, Vogler, Voigt, Warmbrunn, Wennemuth, Wolff), autant historiens que théologiens, plutôt allemands dans l’ensemble.

2 Alors que la plupart des études cherchent à distinguer et à caractériser chaque chapelle, cette œuvre d’envergure tend à regrouper les Églises pour montrer au moins

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une communion, sinon une communauté. Plus œuvre de synthèse et de réflexion que de recherches inédites, ce riche volume, où la période contemporaine est très présente, se distingue par une volonté affirmée de rassembler et de regrouper, rappelant, si besoin il en était, que religion vient étymologiquement de religare, ce qui signifie relier.

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Les Actes du CRESAT no11 2014, 173 p.

Frédéric Kurtz

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Les Actes du CRESAT no11, 2014, 173 p.

1 Le CRESAT vient d’achever sa trentième année. L’anniversaire vaut bien un éditorial de Nicolas Stoskopf, qui l’a dirigé de 2005 à 2011, et qui dirigea aussi, jusqu’à la même date, la publication de ses Actes (tous les numéros sont téléchargeables sur le site de l’Université de Haute-Alsace). Nul doute que son historique, vision de l’institution par l’un de ses acteurs, nourrira une histoire du CRESAT, dont il appelle de ses vœux l’écriture !

2 Les séminaires du CRESAT sont quatre, de 2012 et de 2013, à livrer leurs résultats dans les Actes de 2014. Dans un article en anglais, Peter R. Campbell, professeur invité à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, présente une historiographie des origines de la Révolution française qui alimente sa réflexion. Frédéric Gimello- Mesplomb, professeur à l’Université d’Avignon et chercheur au CNRS, contribue, sous un titre un peu compliqué pour le profane, à l’histoire du financement public du cinéma français depuis la Nouvelle vague ; en s’intéressant à la sélection des films, il écrit « une histoire du goût ». Marie Fournier, maître de conférences en géographie à l’Université de Haute-Alsace, « nouvelle venue au sein du CRESAT », propose, à partir d’une étude de cas sur la Loire moyenne à l’époque contemporaine, une méthodologie pour l’histoire des politiques de gestion du risque d’inondation, qui ne peut que trouver résonnance pour la recherche rhénane. Une autre locale, Aziza Gril-Mariotte, maître de conférences en histoire de l’art à l’Université de Haute-Alsace, va chercher, là encore, au-delà des Vosges, à Rouen, à Jouy (Oberkampf), à Paris (Dufour), les éléments de sa démonstration de la pleine appartenance du textile imprimé et du papier peint au domaine des arts, qu’elle illustre de pièces du début du XIXe siècle.

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3 Sur les trois mémoires de master résumés dans les Actes, il y en a un d’histoire, soutenu en juin 2003. Anthony Kettela a étudié « Le commerce de Strasbourg et de la province d’Alsace d’après le mémoire sur l’Alsace du comte du Muy (1766) ». Son objectif est, d’après l’expression de son directeur de recherche, Alain J. Lemaître, de « désenclaver l’histoire de l’Alsace […] en la réintégrant pleinement dans une histoire européenne sinon mondiale ». La rubrique sur les journées d’étude nous conduit de l’automne 2013… à l’automne 2014, déjà, Pierre Lamard et Nicolas Stoskopf explicitant la problématique des futures « 6e journées d’histoire industrielle de Mulhouse et de Belfort », où l’on discutera, les 23 et 24 octobre 2014, de transition énergétique. Au cours de l’année universitaire, on a parlé de méthodologie pour la conception de cartes historiques, à partir de questions concrètes issues de la pratique d’une entreprise de longue haleine, l’Atlas Historique de l’Alsace : Moyen Âge et préhistoire furent à l’honneur. On a traité de l’histoire de l’aménagement des cours d’eau, une ligne de force du CRESAT : parmi les nombreuses interventions, placées sous le signe de la comparaison des approches, quatre ont porté, entièrement ou partiellement, sur l’Alsace, qui fut également le thème de la table ronde clôturant le colloque. L’Alsace fut encore présente lors d’une journée d’étude sur le sucre, par la contribution de Clément Wisniewski sur « L’industrie sucrière en Alsace au lendemain de la Grande Guerre ». Enfin, il y a eu la journée d’étude « Le dessinateur dans les arts décoratifs et industriels, un technicien ou un artiste ? ». Sept intervenants (dont Bernard Jacqué, s’appuyant sur les archives de la manufacture Zuber & Cie) ont livré leur réponse ; l’article d’Aziza Gril-Mariotte dans la rubrique des séminaires nous la laisse aisément deviner. La relation des activités fait la part belle aux travaux de Pierre Fluck, collaborant toujours au projet d’archéologie minière à Sainte-Marie-aux-Mines, initiant ses étudiants à l’archéologie industrielle dans le Pays de Sarrebourg, prospectant, enfin, au Mexique, dont il promeut le « modèle » en matière de conservation du patrimoine industriel. Au chapitre des recherches et contrats en cours, Brice Martin présente Transrisk2, prolongement de Transrisk (voir Les Actes du CRESAT no10).

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LAPERCHE-FOURNEL (Marie-José), La représentation du massif vosgien (1670-1870) : entre réalité et imaginaire L’Harmattan, 2013, 249 p.

Christine Esch

RÉFÉRENCE

LAPERCHE-FOURNEL (Marie-José), La représentation du massif vosgien (1670-1870) : entre réalité et imaginaire, L’Harmattan, 2013, 249 p.

1 Marie-José Laperche-Fournel, historienne moderniste, est connue pour ses travaux sur la Lorraine. Maître de conférences honoraire, spécialiste de l’histoire sociale et culturelle, elle est l’auteur d’une thèse sur La Population du duché de Lorraine, de 1580 à 1720 (Presses universitaires de Nancy, 1985), d’une étude sur L’Intendance de Lorraine et Barrois à la fin du XVIIe siècle (CTHS, 2006), de Scandale à la cour de Lunéville. L’Affaire Alliot, 1751-1762 (Presses universitaires de Nancy, 2008) et des Gens de finance au temps du duché de Lorraine (Éditions Place Stanislas, 2011).

2 Dans cette nouvelle publication, son champ de recherche se consacre plus particulièrement au massif vosgien. Longtemps boudé par les historiens, cet espace est devenu dès le XIXe siècle le terrain privilégié d’études de géographes, de naturalistes ou encore de folkloristes, avant que le tourisme ne s’en empare et que les historiens ne l’investissent. Traversée de frontières provinciales – celles de l’Alsace, de la Lorraine et, dans une moindre mesure, de la Franche-Comté – mais aussi départementales – celles des Vosges, de la Meurthe-et-Moselle, de la Moselle, du Haut et du Bas-Rhin, du Territoire de Belfort et de la Haute-Saône – la montagne vosgienne a fait l’objet d’études restées fragmentaires et souvent juxtaposées. Bien qu’une synthèse de ces

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études puisse être un axe proposé au lecteur, l’auteur a choisi de focaliser son approche sur ce qu’elle définit comme étant « l’histoire de la construction, au fil du temps, du paysage « mental » des Vosges », c’est-à-dire les représentations que les hommes, à différents moments, se sont fait du massif vosgien. L’espace temporel de son champ de recherche s’étend de 1670 jusque dans les années 1860. Selon Marie-José Laperche- Fournel, il s’opère durant cette période à la fois un changement de discours et une conversion du regard vers de nouveaux modèles d’appréciation.

3 L’auteur analyse au fil des pages un faisceau de discours divers pour saisir et extraire les genèses et les déterminants. Dans un premier temps, son étude se consacre aux sources littéraires les plus variées : relations de voyages, correspondances, journaux, mémoires, des grands classiques de la littérature vosgienne, mais aussi des mémoires d’intendants, rapports administratifs, topographies médicales, puis des guides, essais et poèmes traitant des Vosges. Elle esquisse les portraits de voyageurs, souvent mondains, parfois lettrés, certains étrangers. Dans un second temps, elle expose la vision des Vosges à l’époque moderne : une montagne qui terrifie, difficile à l’homme, barrière et frontière. Une montagne également demeure des dieux, temple des superstitions, voire repaire des puissances maléfiques. Un pays peuplé d’hommes à demi-sauvages, tantôt décrits comme proches de l’animalité, tantôt comme brigands ou déviants. Puis, dans un troisième temps, le massif vosgien se découvre, un lent basculement du regard s’opère, dès la fin du XVIIIe siècle. La montagne vosgienne se révèle aux curistes et savants (naturalistes, botanistes et minéralogistes). La littérature et l’art s’en emparent de même. Châteaux et ruines prennent place au cœur de la création. Enfin, dans un quatrième et dernier volet, l’auteur examine une ultime nouvelle perception et appréhension des Vosges et de ses montagnards : l’ère romantique des Vosges, fin du XVIIIe siècle et début du XIXe siècle.

4 Voilà une approche singulière de la montagne vosgienne, une étude des diverses représentations mentales de cette montagne et de ses habitants au fil du temps, empreintes de l’histoire culturelle. Des illustrations en noir et blanc ponctuent de ci de là le parcours. Une bibliographie, ainsi que la liste des sources manuscrites et imprimées nourrissent le développement.

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MAURER (Catherine) et STARCK- ADLER (Astrid) (dir.), L’espace rhénan, pôle de savoirs Presses Universitaires de Strasbourg, 2013, 446 p.

Claude Muller

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RÉFÉRENCE

MAURER (Catherine) et STARCK-ADLER (Astrid) (dir.), L’espace rhénan, pôle de savoirs, Presses Universitaires de Strasbourg, 2013, 446 p.

1 « La grande histoire du Rhin, c’est l’histoire de l’esprit », écrivait Lucien Febvre. Catherine Maurer, qui a succédé à l’illustre cofondateur des Annales à la tête de l’Institut d’histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg, et Astrid Strack-Adler, professeur émérite de langue, littérature et civilisation yiddish à l’Université de Haute- Alsace à Mulhouse, le démontrent bien dans un bijou publiant les actes d’un colloque de 2008. Le dit bijou combine, avec bonheur, brillante érudition et beauté typographique (l’œuvre de Christiane Weeda), sans omettre la fine illustration de la couverture, représentant les ponts sur le Rhin entre Strasbourg et Kehl.

2 Dans le propos introductif, Catherine Maurer soupèse la pertinence de l’expression « espace rhénan », rappelant au passage les termes également usités de « Rhin supérieur » ou de triangle d’or. Plus d’une vingtaine d’éminents contributeurs, essentiellement universitaires, provenant d’horizons divers, français, allemands, suisses, anglo-saxons, déclinent les multiples facettes de ce pôle de savoirs. Le livre occupe une place prépondérante dans cet ouvrage, sans être omniprésent, vu les apports sur les savoirs pratiques et techniques. Dans sa conclusion, Michel Hau souligne, sans surprise, l’importance du Rhin-lien plutôt que celle du Rhin-frontière, corroborant ainsi l’affirmation de Lucien Febvre.

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VOGLER (Bernard), Geschichte des Elsass Verlag Kohlhammer, 2012, 226 p.

Claude Muller

RÉFÉRENCE

VOGLER (Bernard), Geschichte des Elsass, Verlag Kohlhammer, 2012, 226 p.

1 Directeur de l’Institut d’Histoire d’Alsace de 1976 à 2003, Bernard Vogler, profondément attaché à sa province natale, mais ayant toujours dépassé le cadre d’une terre naturellement contenue entre le Rhin et les Vosges, a beaucoup travaillé pour et sur l’Alsace. Sa bibliographie parue dans Terres d’Alsace, chemins de l’Europe, publié par Dominique Dinet et François Igersheim aux Presses Universitaires de Strasbourg en 2003, est pour le moins impressionnante. Aux côtés de travaux universitaires pointus, le professeur s’est aussi attaché à livrer des synthèses claires et concises, d’une grande probité intellectuelle.

2 Citons notamment Histoire culturelle de l’Alsace, 1993, Histoire politique de l’Alsace, 1995 et Histoire économique de l’Alsace, 1997. Ces « manuels », selon l’expression de Georges Bischoff, se distinguent par leur volonté de rester accessible à tous et à toutes, dans un épurement et une absence d’esbroufe toute protestante, une somme de connaissances soigneusement ordonnées. Au terme d’une longue vie d’érudition, Bernard Vogler nous propose une Geschichte des Elsass, qui se situe dans la même ligne que ses synthèses précédentes, plutôt destinée à un public germanophone intéressé par l’histoire de notre petit pays.

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Chez nos voisins d'Outre-Rhin

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Le tome 162 – 2014 de la Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins

Eric Ettwiller

Articles

1 Sommaire

Elfriede Samo Fulrads Silbertal infra vasta Uosgo. Eine Spurensuche 1-27

Bistümer, Klöster und Stifte. Die „Helvetia Sacra“ und „Les Monastères Enno Bünz d’Alsace“ – zwei Grundlagenwerke zur kirchlichen 29-54 Institutionengeschichte

Linus Die ländlichen Rechtsquellen von 1296 und 1395 aus der 55-93 Möllenbrink Klosterherrschaft St. Wilhelm in Oberried (Breisgau)

Reichsstädtische Bündnisse im Elsass als Beweise für eine Duncan Hardy 95-128 ‚verbündende‘ politische Kultur am Oberrhein (ca. 1350–1500)

Überlegungen zum Gesandtschaftswesen der Stadt Straßburg zu Simon Liening 129-148 Beginn des 15. Jahrhunderts

Die Pfalzgrafen und ihre Universität. Ein Blick auf Heidelberg im 15. Jürgen Miethke 149-166 Jahrhundert

Vom badischen Kanzler zum Kartäusermönch: Johann Hochberg († Martin Burkart 167-189 1501) und sein Umkreis.

Christof Rolker Das Wappenbuch des Konrad Grünenberg: acta et agenda 191-207

Gašper Eine Gruppe von Tafelbildern aus dem Anfang des 16. Jahrhunderts in 209-230 Cerkovnik der Abtei Lichtenthal, Baden-Baden, und deren graphische Vorlagen

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Ralph Die schwedische Vorherrschaft am Oberrhein 1631-1634 231-259 Tuchtenhagen

Fürstliches Familienidyll: Luise von Degenfeld und Kurfürst Karl Michael Roth 261-278 Ludwig von der Pfalz in Schwetzingen.

De virtutibus et meritis Theologorum Reformatorum. Heidelberger Gerhard reformierte Theologieprofessoren des späten 17. und 18. Jahrhunderts, 279-316 Schwinge insbesondere Dominik Theophil Heddäus (1744-1795) und Johann Heinrich Hottinger d. J. (1681–1750)

Annette Geldhändler - Hausierer - Uhrenindustrielle. Geschichte der Juden im Brunschwig- 317-366 Gebiet des ehemaligen Fürstbistums Basel Ségal

„Ein reiner Irrsinn“. Die elsässischen Simultankirchen im 19. Claude Muller 367-378 Jahrhundert

Die Austauschstation Konstanz. Austausch und Internierung von Arnulf Moser schwerverwundeten Kriegsgefangenen im Ersten Weltkrieg (1915– 379-401 1920)

Verfolgt im Nationalsozialismus - zur Geschichte der Familie des Bernd Braun 403-429 Reichskanzlers Hermann Müller

Christian Das Kriegsende in der Region Freiburg in der amtlichen 431-457 Kuchler Berichterstattung der katholischen Geistlichen

Der Weg zur Residenz des Rechts. Die Bemühungen Karlsruhes um den René Gilbert 459-470 Sitz des Bundesgerichtshofes

Dieter Mertens Sine ira et studio? Eine Nachlese zum „Badischen Kulturgüterstreit“ 471-503 Volker Rödel 2006-2009

Eike Wolgast Nachruf auf Adolf Laufs 505-512

Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins de l’année 2013

2 La ZGO 2013 contient moins d’articles centrés sur l’Alsace que la précédente, avec un seul travail qui lui est entièrement consacré, celui de Tobie Walther, sur le monastère d’Ebersheim. Est-ce à dire que notre région est peu présente dans ce volume ? Certainement pas ! Trois articles en traitent plus ou moins longuement, celui de Jörg Diefenbacher, sur Matthäus Greuter, un graveur originaire de Strasbourg, celui de Christian Greiner, retraçant une année de la guerre de Succession d’Espagne dans le Sud du Saint-Empire, qui a vu le théâtre des hostilités se déplacer vers la province française d’Alsace, et celui d’Andre Gutmann sur le médiéviste fribourgeois Hans- Walter Klewitz. Enfin, de discrètes mentions apparaissent dans plusieurs autres

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travaux. Nous rendrons compte de tout, dans l’ordre d’importance qui vient d’être établi.

3 L’Alsacien Tobie Walther se confronte, avec le Chronicon Ebersheimense. Réflexions préliminaires à une édition et enquête sur un «texte complet» », à la tâche difficile d’analyser une œuvre littéraire médiévale, la chronique du couvent d’Ebersheim, ancien nom du couvent d’Ebersmunster. Les manuscrits sont partis en fumée, comme tant d’autres, lors de l’incendie de la Bibliothèque municipale de Strasbourg en 1870, mais la plus grande partie du texte a pu être reconstituée à partir d’éditions partielles effectuées entre 1665 et 1838, réunies en 1871 pour les Monumenta Germaniae Historica, et de la mise au jour de nouveaux extraits entre 1890 et 1909. Tobie Walther se concentre sur la première partie de la chronique, celle rédigée au milieu du XIIe siècle, qui concentre l’essentiel des questionnements sur la transmission du texte. L’auteur commence par là son étude, en complétant une « généalogie » établie au début du XXe siècle par Hermann Bloch. L’arborescence est schématisée avec une grande clarté (mais le manuscrit désigné sous le sigle H dans le texte apparaît sous le sigle N sur le schéma). La deuxième partie constitue l’essentiel de l’article. Elle se décompose elle-même en quatre sous-parties. Tobie Walther commence par caractériser l’œuvre, à la fois récit des origines, chronique, geste des abbés, cartulaire historique (présentant des chartes toutes falsifiées, selon l’habitude du monastère), livre de traditions. Il date ensuite sa rédaction, qui a dû avoir lieu sous l’abbatiat de Conrad (1109-1136) et celui de son successeur (1136-1162), une période d’affrontement entre le monastère et un pouvoir épiscopal renforcé. Une arme dirigée contre les évêques de Strasbourg que cette œuvre ? Oui. Mais elle n’est pas une « arme directe ». La Chronique d’Ebersheim s’adresse à la communauté monastique qui l’a produite. Sa fonction est de lui donner confiance face à l’adversité et conscience de soi. Tobie Walther s’interroge finalement sur les sources des différentes composantes de l’œuvre, alors qu’il ne reste rien de la bibliothèque médiévale du monastère. L’article se conclut par une troisième partie, courte, mais riche de promesses, car programmatique. La première édition critique du Chronicon Ebersheimense, réunissant tous les extraits connus, avec des traductions allemande et française et l’adjonction de textes complémentaires, est annoncée.

4 Généalogie, encore, mais d’êtres de chair et de sang, que celle établie par Jörg Diefenbacher dans son article biographique « Matthäus Greuter de Strasbourg (1566-1638), graveur en taille-douce et éditeur ». L’auteur se concentre ici sur l’étude des origines familiales et des débuts strasbourgeois, lyonnais et avignonnais de cet artiste, qui atteindra le sommet de sa renommée à Rome. Alors que l’historien de l’art s’apprête à revaloriser son œuvre dans un livre sur la famille Greuter, il paraît opportun que le public alsacien se familiarise avec cette figure relativement oubliée. « Vraisemblablement » né à Strasbourg en 1566, d’après le Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, il l’est effectivement, et baptisé le 31 octobre de cette année en l’église protestante Saint-Guillaume. Son père, Conrad Greuter, un orfèvre qui a acquis le droit de bourgeoisie en 1564, serait venu, avec sa femme, « de Kempten ». Mais Jörg Diefenbacher n’y a trouvé aucune trace de celui-ci dans les archives municipales. Il a poussé ses recherches à Prague et à Rome pour arriver à la conclusion suivante : Conrad Greuter est originaire de la capitale de la Bohême et s’est établi à Strasbourg après être passé par Kempten ; son fils aîné, Hans Conrad, orfèvre également, reviendra à Prague vers 1600. L’auteur revient ensuite à Matthäus Greuter, rendant compte, chronologiquement, de sa production artistique dans ses années strasbourgeoises,

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intimement liée à l’œuvre de l’architecte Daniel Specklin. Il reconstitue également, à partir de déductions, sa situation familiale pendant cette période. L’auteur s’interroge sur sa conversion au catholicisme en 1594, qui entraîne son départ pour Lyon : raisons matérielles ou révélation spirituelle ? « Cela reste obscur ». Jörg Diefenbacher remarque seulement qu’en 1593 encore, Matthäus Greuter, sur son portrait de Philippe V de Hanau-Lichtenberg, magnifiait le prince pour son appartenance au protestantisme. Il continue, ensuite, de suivre le graveur pas à pas jusqu’à son installation à Rome en 1603. La chronologie s’accélère à partir de là. Sans que l’activité artistique soit mise de côté, l’étude de la situation familiale et matérielle de Matthäus Greuter reprend le dessus.

5 « La campagne de 1704 d’après le journal de guerre du margrave Louis-Guillaume de Bade (1655-1707) » nous fait plonger au début de la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714). L’auteur de cet article, Christian Greiner, a, tout d’abord, dû compléter l’original lacunaire conservé aux archives nationales autrichiennes par une copie conservée à Karlsruhe et un ouvrage à la gloire du prince Eugène de Savoie, dont on sait que son auteur a puisé des informations dans le journal de Louis-Guillaume de Bade. Dans son intégralité, le récit couvre une période allant du 18 mai 1704, date de l’arrivée du margrave dans l’armée impériale des cercles de Souabe et de Franconie comme haut-commandant, au 27 novembre 1704, date de son départ, après que le haut- commandement a échu, le 22 septembre, au fils de l’Empereur, Joseph, roi des Romains. Christian Greiner commence par présenter les belligérants et le contexte militaire général : l’objectif de la Grande Alliance pour la campagne de 1704 est de repousser vers d’autres théâtres d’opération l’armée franco-bavaroise qui s’est formée en 1703 et a pris ses quartiers d’hiver entre Danube, Iller et Lech, menaçant « l’Autriche, le Tyrol, la Franconie et la Souabe ». La campagne se joue tout d’abord exclusivement à l’Est du Rhin, notamment dans la Forêt-Noire, qui n’oppose guère de résistance aux franco- bavarois. Il est dommage qu’une carte figurant les mouvements de troupes ne vienne pas clarifier le propos. L’Alsace, sanctuarisée par les fortifications de Vauban, protégée par des troupes nombreuses stationnant dans la région d’Offenburg, reste longtemps épargnée par le conflit. La situation change après la victoire du duc de Marlborough et du prince Eugène à Blenheim, le 13 août 1704. Les franco-bavarois défaits se replient vers Strasbourg, qu’ils atteignent le dernier jour du mois. Ils repartent ensuite défendre la ligne de la Queich, avant de se replier en catastrophe derrière la Lauter, puis, le 11 septembre, derrière la Moder. Louis-Guillaume de Bade souhaiterait les poursuivre et les pousser davantage vers le Sud, mais l’allié anglo-néerlandais refuse. Les troupes de la Grande Alliance commencent le siège de Landau – le troisième de cette guerre –, dont les Français ont renforcé la garnison au moment de leur repli. Le 23 novembre, les assiégés hissent le drapeau blanc. Les soldats français quittent la ville trois jours plus tard, pour rejoindre Haguenau, sous la garde de troupes impériales. C’est la fin du journal du margrave qui avait pour désir constant « la protection de la frontière de l’Empire sur le Rhin supérieur et le reconquête partielle de l’Alsace ».

6 Andre Gutmann s’intéresse à l’activité de Hans-Walter Klewitz pendant les trois dernières années de sa vie dans « Entre Barberousse, la recherche sur le Gau et les conférences pour la Wehrmacht, Hans-Walter Klewitz comme représentant de la médiévistique fribourgeoise, 1940-1943 ». Klewitz avait soutenu à Göttingen, en 1928, une thèse sur les ministériaux en Alsace jusqu’à la fin de l’Interrègne, publiée l’année suivante par l’Institut des Alsaciens-Lorrains dans le Reich à l’Université de Francfort. Nommé en 1939 à l’Université de Fribourg, le professeur – national-socialiste depuis

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1937 – y fonde, en novembre 1941, un institut d’histoire régionale. Cette même année, il commence à donner des conférences dans des hôpitaux militaires, dans le Bade, le Wurtemberg et en Alsace. Entre novembre 1941 et mars 1942, Klewitz discourt à quatre reprises de « l’Alsace dans l’histoire allemande », reprenant notamment l’idée développée depuis 1925 par Friedrich Metz d’une « unité naturelle de la région du Rhin supérieur ». Il sort, à cette occasion, de son champ de compétences, pour diviser l’histoire de l’Alsace en quatre phases. En 1942, il publie, dans le Kolmarer Kurier, un article sur Frédéric Barberousse à Colmar.

7 Il y a encore beaucoup à glaner par ailleurs. Jutta Krimm-Beumann évoque l’apport de l’Alsace à l’écriture de l’histoire du monastère Sankt Peter dans la Forêt-Noire (p. 49, 52 et 54), Susan Richter la part prise par un imprimeur originaire de Strasbourg (p. 97) et par le « cercle des humanistes strasbourgeois » (p. 98) dans la politique successorale du margrave Christophe Ier de Bade (1453-1527). Uli Steiger rappelle l’importance, pour les cisterciens d’Alsace, du chapitre provincial qui s’est tenu à Salem en novembre 1593 (p. 191), puis mentionne, parmi les fonds de la bibliothèque du monastère, les notes d’un étudiant en médecine passé par les universités de Bâle, Fribourg, Strasbourg et Vienne (p. 211). On apprend, grâce à Martin Furtwängler, qu’Anton Geiß, le premier président de l’État de Bade, a pérégriné en Alsace pendant sa jeunesse, vers 1883‑1884 (p. 299). Il n’est pas, non plus, inutile, pour l’histoire régionale, de connaître la situation politique compliquée du Bade voisin au sortir de la Première Guerre mondiale : Anton Geiß doit faire face à l’occupation de Kehl et du pays de Hanau – celui de la rive droite du Rhin – par les Français, qui y encouragent le séparatisme (p. 317‑318). Reiner Haehling von Lanzenauer, dans sa biographie de Reinhold Schneider, explique quel rôle important a joué Joseph Rossé, qui a permis au poète badois, honni du régime national- socialiste, de publier chez Alsatia pendant la Seconde Guerre mondiale (p. 467). Il mentionne aussi, pour l’après-guerre, une visite rendue en Alsace à Albert Schweitzer (p. 475).

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Relations transfrontalières

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2e colloque d’histoire transfrontalière à Strasbourg, Maison de la Région Alsace le 26 octobre 2013

Gabriel Braeuner 553-557 (éd.)

1 Le premier colloque d’histoire transfrontalière « De part et d’autre du Rhin, quelle histoire ? » s’était tenu à Offenburg. Il était organisé par l’Historischer Verein für Mittelbaden le samedi le 14 mai 2011 dans le cadre de la commémoration de son centenaire.

2 Le deuxième colloque a été organisé par la Fédération des Sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, avec le parrainage de M. Philippe Richert, président du Conseil Régional d’Alsace. Il a bénéficié du soutien matériel de Région Alsace et a été accueilli à la Maison de la Région Alsace. Il s’est déroulé dans l’Hémicycle pour les conférences et le Foyer pour le cocktail déjeunatoire offert par la Région Alsace. Ce colloque a également bénéficié du soutien du Fonds européen de Développement régional (Feder).

3 Le but de ces colloques transfrontaliers est de faire le point tous les deux ans sur la réalité de la recherche historique transfrontalière ; ils s’adressent au public des sociétés d’histoire du Rhin supérieur réunis depuis juin 2012 au sein d’un Réseau des sociétés d’histoire des trois pays du Rhin supérieur.

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4 Comme à Offenburg, le colloque a accueilli six conférences de 30 minutes chacune, suivies d’un débat de 15 minutes sur un sujet d’histoire transfrontalière, répartis entre deux chercheurs français, deux chercheurs suisses et deux chercheurs allemands. Les sujets ont couvert le champ chronologique le plus large possible du Moyen Âge à la période contemporaine, ils ont été présentés en français ou en allemand avec traduction simultanée.

Gabriel Braeuner

5 Si la première rencontre d’histoire transfrontalière s’inscrivait dans le cadre d’un anniversaire d’une société d’histoire, cette nouvelle édition marque la volonté des

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différentes sociétés d’histoire de part et d’autre du Rhin d’installer leur coopération dans la durée.

6 La présidente de la Fédération, Gabrielle Claerr Stamm, et Gabriel Braeuner organisateur du colloque ont eu le plaisir d’accueillir près de 80 participants, venant d’Allemagne, de Suisse et d’Alsace. La Fédération a salué des personnalités venues d’Offenburg, des représentants du Hebelbund de Lörrach, de la Badische Heimat, de l’ Historischer Verein für Mittelbaden, le Breisgau Geschichtsverein, l’Historischer Verein Hohberg, l’Historischer Verein der Pfalz, die Gesellschaft für Regionale Kulturgeschichte Baselland, les Archives de l’Ancien évêché de Bâle. Côté français, étaient présentes les sociétés d’histoire de Kaysersberg, la Société d’histoire du Sundgau, la Société d’Histoire des Hôpitaux civils de Colmar, la Société d’Histoire des Quatre cantons, le Musée du Sceau alsacien, la Société d’Histoire du Val et de la Ville de Munster, les Amis de la Bibliothèque humaniste de Sélestat, l’association d’archéologie et d’histoire de Horbourg-Wihr, la Société d’histoire de Mutzig, la Société d’histoire de Rixheim, la Société d’histoire de Masevaux, Société d’histoire de Riedisheim. Ont également assisté aux conférences M. Marcel Thomann, président d’honneur de la Fédération et M. Jean- Claude Hahn, président honoraire de la Fédération, M. Albert Poirot, directeur de la BNU accompagné de M. Hiroyuki Hatano venu du Japon, Mme Christine Heider du Service des Archives de la Région Alsace et M. Jean-François Reitzer chargé d’études au service tourisme et patrimoine du Conseil régional, Mme Sophie Muselier, de l’Université de Strasbourg…

Michael Bühler

7 La thématique du colloque n’était pas imposée. Ce sont les recherches en cours qui en font l’actualité. Du Moyen Âge à nos jours, le panel fut large et le déséquilibre assumé : la période contemporaine fut largement représentée. Michael Buhler, jeune chercheur allemand, ouvrit le colloque avec une contribution fort solide sur Strasbourg, terre d’élection pour la petite noblesse de l’Ortenau à la fin du Moyen Âge. Il y apparaît que la capitale alsacienne exerça sur le plan économique, social, résidentiel et judiciaire une

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attraction forte et durable sur une partie de la petite noblesse de l’Ortenau, généralement bien disposée à son égard malgré quelques dissensions et conflits, à la fin du XVe siècle quand le margrave Bernhard Ier chercha à s’en émanciper. Sa contribution est publiée dans la présente Revue d’Alsace.

Marco Jorio

Changement d’époque et de lieu avec la conférence de Marco Jorio, cheville ouvrière du Dictionnaire historique suisse, qui nous fit assister à La fin de l’évêché de Bâle au moment du Congrès de Vienne (1814-1815) après 800 ans d’une histoire mouvementée. L’évêché alors recouvrait comme on le sait l’essentiel de la Haute Alsace et le nord-ouest de la Suisse. La Révolution française lui porta un coup fatal, le congrès de Vienne l’incorpora définitivement dans le canton protestant de Berne et en supprima la souveraineté ecclésiastique. Séquelle du Congrès de Vienne, 200 ans plus tard, la question du Jura sur lequel s’étendait partiellement son emprise jadis et le référendum du mois de novembre 2013 où les habitants de langue française de l’ancien évêché de Bâle auront à se prononcer sur la réunion ou non du canton du Jura avec le Jura bernois pour constituer un nouveau canton jurassien. Le non l’a emporté. Cette intervention, traduite en français, paraîtra dans l’Annuaire 2014, de la Société d’histoire du Sundgau.

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Martin Stohler

Dominik Wunderlin

8 Un siècle plus tard, Bâle fait à nouveau parler d’elle en organisant, en 1912, le Congrès de l’Internationale socialiste pour faire échec à la guerre, celle des Balkans en l’occurrence. Il appartint à Martin Stohler, collaborateur de l’hebdomadaire Tageswoche de Bâle, et Dominik Wunderlin, directeur adjoint du Museum der Kulturen Basel, de nous présenter l’événement à travers La perception de la guerre des Balkans et le congrès de l’internationale socialiste de 1912 dans les médias du Dreiland. Une perception contrastée selon la position idéologique des journaux étudiés : bienveillante pour les journaux socio-démocrates, réservée sinon hostile dans la presse conservatrice catholique, mais

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toujours intéressée car le conflit avait des répercussions locales sur l’approvisionnement en céréales, en particulier, et l’augmentation des prix, en général. Voir l’article de Martin Stohler dans Baselbieter Heimatblätter, 78. Jahrgang, Nr.1, März 2013, p. 13-25.

Eric Ettwiller

9 Pendant ce temps, devenue nouvelle terre d’Empire (Reichsland), l’Alsace, en plein essor culturel, économique et social s’ouvrait à L’enseignement secondaire des filles dont nous parla Eric Ettwiller qui prépare actuellement une thèse de doctorat sur le sujet. La situation décrite est pour le moins nuancée, les acteurs étant autant des autochtones que des immigrés et les plus zélés défenseurs de cette école allemande à forte dimension patriotique ne sont pas automatiquement des Altdeutsche. Contrairement à une idée répandue, bon nombre d’établissements de la période française surent se maintenir en s’adaptant aux réalités allemandes avec beaucoup de pragmatisme et le personnel enseignant qui y exerçait était souvent alsacien. Même complexité dans les établissements congrégationalistes ou confessionnels où autochtones, germanophiles ou non, et Vieux-Allemands coexistent, le plus souvent en bonne intelligence, ainsi à Strasbourg le Bon Pasteur, établissement de diaconesses, où Alsaciennes, Vieilles- Allemandes et Suissesses cohabitent. Pour un aperçu général de la question de l’Alsace à l’époque du Reichsland, voir son article « L’essor de l’enseignement secondaire des filles en Alsace (1871-1918) », Revue d’Alsace 2012, p. 191-223, ainsi qu’une dizaine de monographies d’écoles supérieures de filles pour la même période dans des annuaires de sociétés d’histoire locale d’Alsace et de Lorraine.

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Kurt Hochstuhl

10 Notre colloque pouvait difficilement faire l’impasse sur la célébration du centenaire du début de la Première Guerre mondiale. Kurt Hochstuhl, qui dirige le Staatsarchiv Freiburg au sein du Landesarchiv Baden-Wurttemberg nous présenta l’un de ses acteurs le général Berthold von Deimling, commandant du 15e corps d’armée impérial de 1913 à 1917. Le destin de ce parfait représentant de l’armée impériale connut quelques inattendus et singuliers développements. Lui qui s’était sauvagement illustré dans les colonies allemandes de l’Afrique du Sud-Ouest, avait été nommé en Alsace pour y mettre de l’ordre et renforcer encore la politique de germanisation, finit par apprécier les soldats alsaciens de son armée au patriotisme sans reproche, alors qu’on s’en méfiait généralement, et devint, après-guerre, au soir de sa vie, un militant pacifiste sincère. Voir son article « Berthold von Deimling, ein Freund des Elsass? » dans la Revue d’Alsace, 2013, p. 181-203.

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Erdmuthe Mouchet

11 À l’opposé de Deimling, voici le peintre bien connu Otto Dix, que les nazis quelques années plus tard condamnèrent quasiment à l’inactivité avant de l’arrêter fin 44 et de l’envoyer au Volksturm, à 54 ans pour livrer les dernières batailles du « Reich millénaire ». Fait prisonnier en avril, il est interné dans les locaux de l’ancienne filature Haussmann, au Logelbach, aux confins de Colmar où il restera prisonnier jusqu’en février 1946. Cette passionnante page d’histoire méconnue – Otto Dix, peintre et prisonnier de guerre à Colmar (1945-1946) – nous a été restituée par Erdmuthe Mouchet, linguiste qui dirigea pendant 15 ans le bureau de l’Institut Goethe de Colmar. On y découvre un Dix, entouré d’autres peintres prisonniers, pris par une frénésie de peindre, dans des conditions difficiles, à l’intérieur comme à l’extérieur du camp, réaliser quelques authentiques chefs d’œuvres dont la fameuse Madone aux barbelés, retrouvée 40 ans plus tard. Voir ses articles publiés en 2011 en allemand dans le catalogue « Otto Dix Retrospektiv. zum 120. Geburtstag » par la Kunstsammlung GERA, et en français en 2012 dans l’Annuaire de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Colmar 2011-2012, « Otto Dix prisonnier à Colmar entre avril 1945 et février 1946 », p. 193-226.

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Activités de la Fédération

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Les premières notices du NetDBA mises en ligne en mai 2014

1 La Fédération évoquait ce projet depuis plusieurs années. C’est chose faite grâce au travail de la commission du NetDBA. Elle a mis en ligne en mai 2014, une centaine de notices, choisies selon des critères variés : sélection au hasard des notices existantes et rédaction des compléments, mise à jour de presque toutes les notices inachevées de la lettre M, enfin rédaction de nouvelles notices. L’ensemble donne des exemples variés de ce que sera le NetDBA.

2 On connaissait le NDBA (Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne sous la direction de Jean-Pierre Kintz) fruit du travail de nombreux rédacteurs bénévoles, rédigé entre 1980, époque de parution du fascicule no1 et 2007, qui a vu l’achèvement du travail avec les suppléments et l’index, no49, représentant au total 5 316 pages et plus de 14 000 notices.

3 Aujourd’hui, la Fédération se remobilise autour d’un nouvel objectif :

Entreprendre la mise à jour des notices et la rédaction de nouvelles biographies

4 Pour mettre en œuvre ce vaste chantier, la Fédération souhaite s’appuyer sur les Sociétés d’histoire membres de sa Fédération qui sont en mesure de compléter les notices existantes et aussi de repérer les personnages qui ne figurent pas encore dans le NDBA et qui mériteraient d’y avoir leur biographie, mais aussi sur tous historiens ou passionnés d’histoire qui voudra bien s’associer à ce travail et proposer des notices, nouvelles ou compléments.

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Voici la méthodologie que la Fédération vous propose

• La Fédération assure l’animation et la coordination de l’opération à travers une commission NetDBA • Les auteurs proposent la liste des notices à compléter et les noms de personnages « nouveaux ». Les propositions de notices sont à envoyer par mail à la Fédération. • Les auteurs pourront comparer avec l’index du NDBA déjà en ligne pour éviter les « doublons ». • Chaque nom proposé devra être assorti d’une courte notice justifiant le choix. • La Commission NetDBA statue sur les noms à retenir, en concertation avec l’auteur. • Les notices, complémentaires ou nouvelles, seront mises en ligne sur le site de la Fédération, au fur et à mesure de leur validation par la Commission NetDBA. Les compléments seront précédés de la notice originale que la Fédération scannera. Celle-ci, tout comme la notice complément porteront la signature de leur auteur. Il en est de même pour les toutes nouvelles notices.

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Publications de la Fédération

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Le cahier F du Dictionnaire historique des Institutions de l’Alsace

François Igersheim

1 Soumis à nos abonnés et lecteurs, le fascicule F du DHIA qui paraît cette année 2014 compte 175 notices. Pour ouvrir le volume voici le mot Fabrique. La notice traite de cette institution, le Heilgenwerk, par laquelle la communauté et les laïcs géraient (et gèrent encore) leur participation à la vie chrétienne, et qui malgré les admonestations des tutelles laïques et religieuses assurait bien souvent aux fabriciens des nourritures autres que spirituelles, rétribution de leurs efforts. Cette institution, s’est maintenue dans notre droit local, avec le Concordat et les articles organiques catholiques, réformée récemment cependant. La fabrique protestante n’est pas la simple continuation de l’ancienne institution romaine sous une autre tutelle. La sécularisation a souvent imposé un objet moral différent ou entraîné la disparition pure et simple. Ces évolutions sont décrites dans l’analyse de la « fondation », propriété affectée à un objet social, lieu du conflit permanent entre tutelle et affectataire qui veulent se réserver l’exclusivité de la jouissance des biens et revenus de mainmorte. Les communautés israélites avaient fait remarquer au roi de France que puisqu’on autorisait leur implantation dans certains villages d’Alsace il fallait aussi leur permettre de s’y réunir pour prier et d’y établir des

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lieux de prière entretenus par les communautés. Le roi en convint, mais imposa l’autorisation préalable.

2 Dans le fascicule F, se succèdent selon la rude discipline du dictionnaire alphabétique, très différent des dictionnaires amoureux qui embrassent qui ils veulent, mais sans doute pas moins sympathiques, les notices relevant du droit civil et du droit des personnes, comme les notices Femme, les notices de droit féodal comme Fief et Féodalité, les notices de droit agraire et communautaire comme Feld, Flecken, Fleckenbuch, Flur, Flurzwang, Fourrages, Fumier, ou de droit de police comme Feuerordnung, Fossoyeur, de droit administratif et domanial comme forêt ou faubourg, de droit commercial comme Faillite ou Foire. Pour le DHIA, l’institution c’est une règle juridique, mais aussi un ensemble de règles encadrant une activité sociale déterminée, et encore un ensemble organisé de faits sociaux et de représentations collectives. On trouvera donc une notice sur les Feux de la Saint-Jean, Johannisfir, Kantzifir, et des notices sur les Fifres et les Fêtes (Fête-Dieu). Institution encore que la Frontière, éminemment politique, mais aussi culturelle comme la Frontière qui sépare les langues germaniques des langues romanes ou celle qui sépare les pays des graisses animales et ceux des huiles végétales. Et en Alsace on sait bien que les frontières en tous genres politiques, culturelles, linguistiques ne se recouvrent jamais, sont toujours poreuses et jamais définitives. Dû à la trentaine d’auteurs qui depuis les débuts se sont attelés à l’entreprise, le Dictionnaire est d’abord celui de ses auteurs, et s’enrichit de la diversité des compétences, des approches, et des bagages scientifiques.

3 Cette entreprise, où les auteurs accordent leur attention prioritaire à ce qu’ils avaient eu souvent l’habitude de traiter en note de bas de page, découvre à l’évidence des territoires nouveaux et ouvre autant de pistes de recherche. Mais l’Alsace et l’histoire de l’Alsace est assez riche pour entreprendre de les approfondir, un jour.

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Septième fascicule de la collection Alsace Histoire « L’art de la guerre – Comment aborder l’histoire militaire de l’Alsace du Moyen Âge à la guerre de 1870 » de Norbert Lombard

Jean-Michel Boehler

1 Tout comme les publications précédentes, cette nouvelle publication est un manuel pratique qui propose aux amateurs et chercheurs un outil pour comprendre les relations entre l’organisation, l’équipement, la doctrine d’emploi et l’entraînement des armées dans l’issue des batailles.

2 Le cadre géographique de référence est l’Europe, au cœur de laquelle se trouve notre province, souvent actrice, parfois spectatrice engagée, mais toujours concernée par le déroulement des conflits.

3 La période étudiée, du Moyen Âge à la guerre de 1870, se caractérise par une grande continuité – la recherche de la bataille décisive pour ponctuer une campagne – et une rupture – l’Alsace passe de l’orbite germanique à l’orbite française – avec des différences en matière militaire qui se creusent à partir de la Révolution.

4 La méthode choisie qui consiste à partir du général (c’est quoi l’art de la guerre) pour aller au particulier (comment se déroule un conflit) en passant par l’évolution des techniques et des tactiques mises en œuvre par les belligérants, permet de comprendre

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la permanence du lien qui existe entre une société à un moment donné et l’armée qu’elle met sur pied pour atteindre ses objectifs politiques.

5 Des planches couleur « des petits soldats », dessinées par Jean Vinot, regroupées au cœur de l’ouvrage, permettent de suivre l’évolution de l’uniforme à travers les siècles. Jean Vinot dessine depuis son enfance. Il a d’abord travaillé sur les Gardes d’honneur de la Ville de Strasbourg et le Grand État-major de Napoléon, avant d’élargir ses recherches aux régiments de la période révolutionnaire notamment.

6 Riche de 132 pages, le fascicule comprend un index des noms propres de personnes et de lieux, mais aussi des thèmes et termes techniques abordés en langue française et allemande.

7 On peut se procurer l’ouvrage après de la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, 9 rue de Londres à Strasbourg, www.alsace-histoire.org et 03 88 60 76 40.

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Huitième fascicule de la collection Alsace Histoire Édifices, mobilier et objets dans l’espace juif alsacien, par Jean Daltroff

Jean-Michel Boehler

1 Paru en 2012 et consacré aux objets religieux des églises chrétiennes, catholiques et protestantes, le no 6 de la collection « Alsace-Histoire » nous avait interpellé, au cours de son élaboration, quant à la différence qui existe, dans ce domaine, avec les éléments non chrétiens. Nous en avons conclu que le mobilier et les objets religieux juifs, qui relèvent d’une logique différente et procèdent d’une autre culture, méritaient une étude spécifique.

2 Par ailleurs, le choix du thème se justifiait pleinement par la place qu’occupe le judaïsme qui a profondément marqué, au fil des siècles, l’histoire de l’Alsace. Cette étude n’aurait pas été possible sans l’engagement, à la fois rigoureux et passionné, de l’éminent spécialiste qu’est Jean Daltroff, historien du judaïsme alsacien.

3 La qualité des fruits est à la mesure de la promesse des fleurs. En dehors de sa grande familiarité avec les sources archivistiques, l’auteur se livre à une minutieuse enquête dans les musées, les synagogues et auprès des particuliers, qu’autorisait sa proximité avec la communauté juive. L’ouvrage n’a pas la prétention de rééditer une histoire du judaïsme alsacien mais, derrière chaque objet, chaque édifice, se profile la vie quotidienne d’une collectivité avec ses croyances et ses traditions.

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4 Ce fascicule obéit certes à une facture différente de celle à laquelle nous avons, jusque là, habitué nos lecteurs. Mais la relative brièveté du texte est largement compensée, de façon fort pédagogique, par le nombre et la qualité des illustrations légendées, ce qui n’exclut en aucune façon le souci constant de la rigueur scientifique.

5 Enfin, l’accent est mis sur la sauvegarde et la préservation du patrimoine juif, à une époque où de nombreuses synagogues, désaffectées ou désacralisées, tombent dans le domaine public ou privé à la suite de l’exode des familles juives vers les grandes villes à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Le but de la publication consiste en effet à sensibiliser le public à la défense de notre patrimoine commun.

6 On peut se procurer l’ouvrage après de la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, 9 rue de Londres à Strasbourg, www.alsace-histoire.org et 03 88 60 76 40.

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Publications des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace

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Publications des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace (année 2013)

Gabrielle Claerr Stamm

Bas-Rhin

Société académique du Bas-Rhin

Bulletin t. CXXXIII - CXXXIV, 2013-2014 - Mémoire concernant la province d’Alsace de Chrétien Frédéric Pfeffel, de la souveraineté en Alsace de 1648 à la fin de l’Ancien Régime

1 Première partie : L’Alsace et la politique internationale ; Un jurisconsulte au travail ; Une critique de la politique de la monarchie ; les enjeux : l’annexion et les limites de l’intégration ; Deuxième partie : Mémoire concernant la province d’Alsace. Contact : 9 place de l’Université - 67000 Strasbourg.

Alsace, mémoire du mouvement social - Almémos

Bulletin no19, de décembre 2013

2 Pierre BOULAY, Éditorial ; L’Après 68 en Alsace ; Uss’m Follik, une expérience de contre- information en Alsace ; Klapperstei 68 ou K68 ; Les années 68 de Jean-Luc Nancy ; Notices biographiques : J.-L. Nancy ; Ph. Lacoue-Labarthe ; De la JOCF aux autres engagements ; Notices biographiques : D. Weber ; J. Weber ; D. Ober ; L’engagement des étudiants chrétiens de Strasbourg pour la paix en Algérie ; Notes de lecture ; Au fil des expos ; Agenda : Le syndicalisme à l’épreuve de la Première Guerre mondiale. Contact : 18 rue de l’Observatoire - 67000 Strasbourg.

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Société d’Histoire de l’Alsace Bossue

Bulletin no67 - 2013

3 Friedel MATTY, Il était une fois ! (La vieille maison) ; Albert KIEFER et Jean-Marie LANG, Adjudication des biens d’un laboureur en 1743 ; Lucien BROMMER, Les risques du métier de maire ; Annelise BOUR, Rites, coutumes et monuments funéraires (chrétiens et juifs) ; Rodolphe BRODT, Habitat rural ancien en Alsace Bossue, Le style de Waldhambach.

Bulletin no68 - 2013

4 Irène OURY, Poésie : « De Rothschwiller Miehl » ; Jean-Claude SCHMITT, La cloche de Diedendorf ; Albert KIEFER, Jean-Michel LANG, Une nouvelle cloche à Herbitzheim ; Philippe JÉHIN, La faune en Alsace Bossue au XIXe siècle ; Lucien DROMMER, Les « Husname » de Rauwiller ; Albert KIEFER, Jean-Michel LANG, Discordes religieuses en Alsace Bossue ; Rodolphe BRODT, Habitat rural ancien : trouvailles en 2012 et 2013. Il était une fois la vieille maison ; Rodolphe BRODT, Domfessel : une église en grand péril. Contact : 3 place de l’école - 67430 Delhlingen.

Société d’histoire et d’archéologie de Brumath et Environs

Bulletin no41 - décembre 2013

5 Thierry LOGEL, Les dépôts d’objets en métal de l’âge du Bronze autour de Brumath ; Louis GANTER, Détecter les vestiges : Les prospections systématiques au sol ; Sébastien FRANTZ, Jean-Claude GOEPP, Louis GANTER, Les « aléas » de la prospection pédestre ; Sébastien FRANTZ, Jean-Claude GOEPP, Louis GANTER, Une bague gallo-romaine trouvée à Brumath ; Jean-Philippe NICOLLE, Les bronze figurés du musée archéologique de Brumath ; Jean-Claude GOEPP, Survol de la ville gallo-romaine de Brocomagus ; Charles MULLER, Le drame de l’appartenance ; Charles MULLER, Une stèle au cimetière israélite de Brumath ; Hommage à Georges-Daniel Krebs (Brumath le 20 février 1894 - Brumath le 9 juillet 1982) : Catherine HUEBER-FONNE, Notice biographique ; La rédaction, Objets, photos, réminiscences… précieux témoins de l’histoire : coussin commémoratif ; Louis GANTER, Le docteur Bostetter de retour à la Grafenbourg ; Bernard SCHREINER, Visite du chantier de la construction d’un réservoir d’eau ; Charles MULLER, Une comptine qui fait l’éloge de Brumath ; Michel ORTH, Le bretzel… une longue histoire. Contact : 72 rue du Gal. Duport - 67170 Brumath.

Société d’histoire et d’archéologie Dambach - Barr - Obernai

Annuaire no47 - 2013

6 Jean-Philippe MEYER, L’enclos canonial de l’abbaye d’Andlau. Organisation spatiale et bâtiments (XIIe - XVIIIe siècle) ; Christine MULLER, Veilleurs et trompettes au Kapellturm d’Obernai ; Patrick FOURNIAL, La Ziegelscheuer et les tuiliers à Mittelbergheim ; Valérie FEUERSTOSS, Alternative et simultaneum dans le bailliage de Barr : un nouvel équilibre entre luthériens et catholiques (1681-1789) ; Maurice SPECHT, Jean-Pierre RUTSCH,

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Michel Oster et les camaïeux de l’église catholique de Barr ; Marie-Anne HICKEL, Jean Frédéric Wenning, un Barrois oublié ; Dominique DEMENGE, Fernand de Dartein dévoilé… Jean Heimweh au grand jour ; Jean-Marie GYSS, L’Alsace des années 1920 d’après le Journal inédit de l’artiste Charles Spindler : de l’euphorie du retour à la France au malaise alsacien ; Marie-Anne HICKEL, In memoriam Hermann Brommer.

La seigneurie d’Andlau. Un hôtel aristocratique de la fin du XVIe siècle dans le vignoble alsacien. Hors série

7 Présentation du site et de l’étude : Les circonstances et la problématique de l’étude ; Le contexte topo-historique ; Le contexte historique ; Les interventions archéologiques ; L’immeuble : Le plan et la structure ; Les matériaux de construction et leur mise en œuvre ; Les façades ; Le rez-de-chaussée semi-enterré ; La restitution du premier étage ; La restitution du deuxième étage ; Les latrines : La fosse des latrines est ; La fosse des latrines sud ; La restitution du mode de fonctionnement des latrines ; Aspects de la vie matérielle : Les éléments architecturaux et les meubles ; La vie administrative et économique ; La cuisine et la table : la vaisselle et l’alimentation ; La santé et l’hygiène ; Les accessoires vestimentaires et de parure. Contact : BP 21 - 67141 Barr Cedex.

L’Essor-ACCS

Revue trimestrielle no237 - mars 2013 - 84e année : Les bois de cerf

8 Paul VOGEL, Histoire vécue fin 1948 à Schirmeck ; Roger BORGDORF, Souvenirs d’un marsouin ; Léone CHIPON, Senones : fin janvier 1915 ; Paul LOISON, Les rochers-bornes des bois de l’abbaye de Saint-Sauveur ; Christian CASNER, Une passion… Les bois de cerf ; Collectif, Hier… Aujourd’hui ; Alice et Hubert GRANDGORGE, La page en patois ; Pierre HUTT, En parcourant la gazette.

Revue trimestrielle no238 - juin 2013 - 84e année : Les vitraux du chœur de l’église de Hersbach

9 Joëlle WEILER, Editorial ; Pierre HUTT, L’église de Hersbach ; Marie-Claude PINGUET- EVRARD, Jean-Baptiste Evrard, Rédemptoriste (1876-1955) ; Paul LOISON, Un circuit d’évasion à partir de Saint-Blaise ; Théo TRAUTMANN, Observations naturalistes ; Gilles BANDERIER, L’inscription Belliccvs svrbvr au Donon ; Roger BORGDORF, Mes années de scolarité et de jeunesse ; Écrits de chez nous ; Collectif, Hier… Aujourd’hui ; Pierre HUTT, En parcourant la Gazette.

Bulletin no239 - septembre 2013 - 84e année

10 Jean-Pierre DIEHL, Les Diehl de père en fils ; Henri HIERHOLZ, Oberruss, village disparu ; Francis TISLER, Patois. Les espiègleries à Belmont ; Récit détaillé d’une évasion ; Paul LOISON, Monument disparu à Saint-Blaise ; Gustave KOCH, Spectra ; Francine BEAULIEU, Hier et aujourd’hui ; Pierre HUTT, En parcourant la gazette.

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Bulletin no239 - septembre 2013 - 84e année : Victor Vincent - Maréchal ferrant à Schirmeck

11 Roger BORGDORF, La Broque et la vie religieuse ; Léone CHIPON, La place Dom Calmet à Senones ; Jean-Marie PIERREL, Les commerces de la rue de l’église ; Théo TRAUTMANN, Observations naturalistes ; Gustave KOCH, Spectra - suite et fin ; Francis TISLER, La page de patois. « Les rubans et les rubaniers ». Contact : 67, rue de l’Eglise - BP 50032 - 67131 Schirmeck

Cercle généalogique d’Alsace

Bulletin no181 – mars 2013

12 Sources et recherches : Christian WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et quelques autres sources du XVIe siècle (X-Nierenschnabel-Rockenstroh) ; Bruno NICOLAS et Véronique MULLER, Alsaciens condamnés au bagne de Toulon (2e série, IV) ; Articles : Wilfred HELMLINGER, Un centenaire à Hoerdt, à cheval sur les XVIe et XVII e siècles Wolff Arle (1573-1673) ; Dr Eric WOLF, Johann Wilhelm Kobelt (1737-1817), un chirurgien à Strasbourg ; Véronique MULLER, L’ascendance de Jeanne Helbling (1903-1985), actrice à Hollywood.

Bulletin no182 - juin 2013

13 Sources et recherches : Christian WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et quelques autres sources du XVIe siècle (XI, Roederer-Schmid) ; Bruno NICOLAS, Véronique MULLER, Alsaciens condamnés au Bagne de Toulon (2e série, V, Casabianca-Damm) ; Articles : Christian C. EMIG, Courte et incomplète biographie du bagnard Jean Brauer de Riquewihr ; Bruno NICOLAS, Nationalité allemande ou française ? Option des bagnards de Toulon (1872) ; Philippe EDEL, Contribution à la généalogie de la famille Bojanus ; Philippe BURLET, Rolf EILERS, Christian WOLFF, À propos de Gottlieb Conrad Pfeffel (1736-1809), écrivain, poète, pédagogue ; Notes de lecture : Alsaciens hors d’Alsace : Aisne, Oise, Pyrénées-Atlantiques, Vosges, Suisse, Sri Lanka ; Courrier des lecteurs : Compléments d’articles antérieurs : A. Hillmeyer, Ascendance de Jeanne Helbling ; La page d’écriture : Baiser volé dans un champ, Berstett, 7 juin 1665.

Bulletin no183 - septembre 2013

14 Sources et recherches : Christian WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et quelques autres sources du XVIe siècle ; Bruno NICOLAS, Véronique MULLER, Alsaciens condamnés au Bagne de Toulon (2e série, VI, Damm-Ettlin) ; Articles : Jacques CÉRINI, Thiébaud Henning. Un sundgauvien au destin remarquable ; Jean- Michel WEYER, Famille Weyer. Une histoire d’un demi-millénaire ; Véronique MULLER, Ascendance alsacienne de la « Fanny » de Pagnol. Orane Demazis née Henriette Marie Louis Burgart (1894-1991) ; Luc ADONETH, Les Herrenberger de Sélestat et de Mutzig. Notables et rebelles ; Notes de lecture : Alsaciens hors Alsace : Hérault, Ille-et-Vilaine, Var, Vosges, Guyane française, Paquebot « France » ; Courrier des lecteurs : Compléments d’articles antérieurs ; La page d’écriture.

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Bulletin no184 - décembre 2013

15 Sources et recherches : Christian WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et quelques autres sources du XVIe siècle (XIII, Solothurn (von)-Streytt) ; Bruno NICOLAS, Véronique MULLER, Alsaciens condamnés au Bagne de Toulon (2e série, VII, Faeber-Foechterle) ; Articles : Véronique MULLER, L’ascendance rhénane de Jacques Piccard (1922-2008), océanographe, conquérant des abysses, et de son bisaïeul Charles Friedel (1832-1899), chimiste ; Christian WOLFF, Les familles mulhousiennes, montbéliardaises et bâloises de l’ascendance Piccard-Friedel ; Véronique MULLER, La descendance de Charles Friedel ; Courrier des lecteurs : Compléments d’articles antérieurs ; La page d’écriture : Lettre de Joseph Faeber, bagnard libéré, au maire d’Achenheim, 14.4.1858.

16 Contact : 41 rue Schweighaeuser - 67000 Strasbourg - [email protected].

Association « Les Amis des Hôpitaux universitaires de Strasbourg »

Histoire & Patrimoine Hospitalier - Mémoire de la Médecine à Strasbourg - no26 - 2013

17 Émile ROEGEL, La place de l’Hôpital « confluence » de la Faculté de médecine et du Burgerspital, l’hôpital des Bourgeois ; L’Hôtel des Prélats d’Ettenheimmünster au trois de la Place de l’Hôpital « Zu den Drei Muckenwedel » ; Jean SIBILIA, Le médecin « praticien »… un engagement professionnel et généreux ! Jean-Marc LÉVY, Le parcours d’un praticien ; René KLAUSSER, Médecin de campagne à Saâles en 1953 ; Jean-Marc LÉVY, Un médecin de famille : mon père, le docteur Arthur Lévy de Bischwiller ; Jacqueline WURTZ, Quelques souvenirs d’un médecin de quartier ; Guy MERKLEN, Mémoires de généraliste… ; Jean ROETHINGER, La moustache de Jean-Martin Charcot (1825-1893) ; Raymond MATZEN, Poème, « De Hüsdokter ». Le médecin de famille ; Françoise LAUTIER, Évocation du docteur H. Lautier (1896-1968) ; Raoul STEIMLÉ, Éric Weber (1891-1972) ; Georges SCHAFF, Le docteur Éric Hurter ; Maxime CHAMPY, Le médecin et l’art ; Georges HAUPTMANN, Le peintre sculpteur Gabriel Jenny ; Jean- Jacques BRAUN, Retour en Alsace d’une œuvre créée par Paul Spindler en hommage au professeur Jean-Alexandre Barré ; Gérard SCHOSSIG, À propos de notre couverture. Collectionneurs et conservateurs. Contact : Daniel Christmann, Service des maladies infectieuses et tropicales - Nouvel Hôpital Civil - 1, place de l’Hôpital - BP 426 - 67091 Strasbourg Cedex.

Fédération des Associations pour l’Étude et la mise en valeur du Patrimoine hospitalier et de la Santé en Alsace (FAEPHSA)

Les ruines du château de Lutzelbourg. À la mémoire du professeur Eugène Koeberlé - mai 2013

18 Pr Georges SCHAFF, Le professeur Eugène Koeberlé ; Dr Eric WOLF, Eugène Koeberlé, le chirurgien ; Véronique KREMER, Les propriétaires du château de Lutzelbourg ; Bernhard METZ, Nouveau regard sur le château de Lutzelbourg ; † Pr Eugène KOEBERLÉ, Les ruines du château de Lutzelbourg ; Jean-Marie HOLDERBACH, Notes topographiques ; Jean-Marie HOLDERBACH, Plan du château de Lutzelbourg.

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Historique de structures hospitalières en Alsace - no3 - 2012

19 Lionel PINERO, Hospice-hôpital de Mulhouse situé au quai du Fossé ; Gérard LAVAL, Centre hospitalier de Mulhouse. Hôpital du Hasenrain en 1898 ; Georges TOURRY, Centre hospitalier de Mulhouse. Maison médicale pour personnes âgées ; M. ZAGRADSKY, Centre hospitalier de Mulhouse. Hôpital Émile Muller, première tranche en 1978 ; Jean-Marie MARTINI, Centre hospitalier de Mulhouse. Hôpital Émile Muller, deuxième tranche en 1989 ; Louis PICCON, Hôpital Émile Muller, Service d’oncologie- radiothérapie ; Émile LOESCH, Fondation de la Maison du Diaconat à Mulhouse ; Maurice HERRENSCHMIDT, Le Centre hospitalier de Pfastatt ; Damien KUNTZ, Le sanatorium Lalance et son architecture : un fleuron du patrimoine du XXe siècle ; Marc WENZLER, Le Centre hospitalier de Rouffach. Établissement pavillonnaire, un exemple marquant ; Denis DURAND de BOUSINGEN, Le patrimoine architectural des Hôpitaux de Strasbourg de 1718 à nos jours ; Raymond MATZEN, Esprit et Humour. ‘s neje Spital von Strossburi, Le nouvel Hôpital de Strasbourg ; Christine FIAT, Le nouvel Hôpital Civil de Strasbourg ou les coulisses de l’exploit ; Lucien JECKER, L’Hôpital de Pairis à Orbey ; Michel SPITZ, Hôpitaux civils de Colmar. Hôpital Louis Pasteur de 1925 à 1937, de G. Umdenstock à William F. Vetter ; Jean-Jacques BOLLACK, Hôpitaux Civils de Colmar. Hôpital Louis Pasteur, l’architecture hospitalière évolutive ; Paulette SCHULLER, Il était une fois trois cliniques à Colmar : La Clinique du Diaconat ; Roland CINOTTI, La Clinique Saint-Joseph ; Pierre MARRENT, La Clinique Sainte-Thérèse ; Olivier MULLER, Groupe hospitalier du centre Alsace. L’Hôpital Schweitzer : une ambition forte pour la population. Jean LE CAMUS, L’Hôpital de Wissembourg. Contact : Secrétariat du Pr Christmann - 1 place de l’hôpital - BP 426 - 67091 Strasbourg Cedex - [email protected].

Association des Amis de la Maison du Kochersberg

Kochersbari - été 2013 - no67

20 Jean-Philippe MEYER, Les clochers romans de Pfettisheim et Offenheim et les débuts de l’architecture en brique en Alsace ; Jean-Marie SPEICH, Les Speich au XIVe siècle : des négociateurs ; Albert LORENTZ, L’implantation juive dans le Kochersberg ; Jean-Claude OBERLÉ, Abraham Levy de Wingersheim, ancêtre d’André Maurois et de Brice Lalonde ; Julien RIEHL, Les habitants de Hurtigheim de 1606 à 1906. Trois siècles d’immigration luthérienne (seconde partie) ; Isabelle FOREAU, L’épicerie de Rosalie ; Jean-Paul GANGLOFF, Dictons et comptines en usage dans le Kochersberg il y a un siècle ; Albert LORENTZ, Chroniques de Stutzheim et d’Offenheim. L’école allemande du Reichsland ; Théo TRAUTMANN, Les mosaïques de Raymond Wetta.

Kocherschbari - hiver 2013 - no68

21 François ENTZ, Sites archéologiques et fouilles à Ingenheim et Duntzenheim ; Jean- Marie SPEICH, Les Speich au XVe siècle, des négociants et des financiers, ou le siècle d’or. Première partie ; Jean-Philippe MEYER, Le clocher roman de Hurtigheim ; Albert LORENTZ, Construction de la nouvelle nef de l’église de Hurtigheim. 1863-1864 ; Michel FIX, En passant au village de Nieffern sur la route de Berstett à Vendenheim dans les années 1960 ; Jean-Marie QUELQUEGER, Autour du village du Kochersberg disparu au

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XXe siècle : Nieffern, commune de Berstett ; Eric ETTWILLER, Jacques Weinling (1795-1868), enfant de Pfettisheim, curé de Villé ; Maurice RUCH, Truchtersheim- Welschensteinach - 50 ans d’amitié transfrontalière. 1964-2014 ; Jean DENTINGER, Le roi des aulnes - Un poème de Goethe qui évoque l’histoire du maître d’école de Mittelhausbergen.

De l’écologie… aux trésors du grenier de grand-mère

22 Le grenier de ma grand-mère, mémoire de ma vie : Les commerces et l’artisanat ; L’habillement ; L’alimentation ; L’organisation de la vie au village ; La religion ; Les modes de transport ; L’électricité et l’eau ; La maladie ; Les naissances ; La mort ; Aujourd’hui, retrouvons le respect de la terre et de la nature : La société change très rapidement ; On passe de la société d’autosuffisance à la société de consommation ; Le manque d’anticipation des changements entraîne des choix qui mettent à mal la planète ; La mondialisation se généralise ; La prise de médicaments se banalise ; Les énergies fossiles s’épuisent ; Les forêts sont surexploitées ; Les perturbations climatiques sont médiatisées ; L’alimentation se coupe des producteurs ; Les naissances sont contrôlées pour limiter la croissance de la population ; Une réglementation évolutive devient nécessaire pour limiter l’impact écologique ; Grenelle 2 (résumé).

23 Contact : 4 place du Marché - 67370 Truchtersheim. Mémoires Locales Marckolsheim

Bulletin annuel no3 - 2013

24 Michel KNITTEL, M’r brücha eich ; Raymond BAUMGARTEN et Michel KNITTEL, Un fantôme du passé qui réapparaît : la grange du « château Rohan » ; Michel KNITTEL, Note de lecture : Quand l’armée révolutionnaire cantonnait à Marckolsheim ; Michel KNITTEL, Un bien mystérieux « homme de lettres » : Louis Schauer de Marckolsheim (1815-1891) ; Hans RENCKER, traduit de l’allemand par Léon WALTER, Maman les p’tits bateaux… à vapeur ; Michel KNITTEL, Un aquarelliste renommé, enfant oublié de Marckolsheim : Ferdinand NOCKHER (1877-1965) ; Michel KNITTEL, Du Brückenkopf à la Festung Marckolsheim ? ; Raymond BAUMGARTEN, La Kilbe ; L’attaque du 15 juin 1940 vue par un officier allemand (Transcription : Véronique GEBHARDT et traduction : Michel KNITTEL) ; Le « film » de la traversée du Rhin, vu par la propagande allemande ; Guillaume SEVIN, La bataille d’Alsace ; Michel KNITTEL, Marckolsheim et Neuenburg- am-Rhein, « villes-sœurs » de la Neuordnung ; DREYER Roland, Activités du patrimoine : la cité paysanne et un baraquement de la Siedlung inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques ; Qu’est-ce qu’un monument historique ? Michel KNITTEL, Marckolsheim « ville-modèle » nazie ; sur la piste de Max Doster ; Raymond BAUMGARTEN et Michel KNITTEL, Les baraques françaises du centre-ville ; Léon WALTER, Scènes de vie des années 40 ; Michel KNITTEL et Raymond BAUMGARTEN, En attendant l’Armée Rouge… ; Ils auraient 100 ans : les conscrits de la classe 1913 ; « Avec conservateur ! » : dons reçus par MLM ; Tourisme du patrimoine : pour un circuit de mémoire 1939-1945 ; Raymond BAUMGARTEN et Michel KNITTEL, Notre nouvelle carte postale : Jolis costumes et belles voitures en 1910. Contact : MLM - mairie de Marckolsheim - 26 rue du Maréchal Foch - 67390 Marckolsheim.

Revue d’Alsace, 140 | 2014 557

Société d’histoire et d’archéologie de Molsheim et environs

Annuaire 2013

25 Louis SCHLAEFLI, Notes sur la musique à Molsheim sous l’Ancien Régime ; Christine MULLER, Veilleurs et trompettes municipaux à Rosheim (XVe - XVIe siècles) ; Jean- François RHODEN, Des inondations critiques à Avolsheim durant l’hiver 1783-1784 ; Pierre‑Valentin BLANCHARD, La chapelle Notre-Dame de Molsheim (1863-1867), œuvre de l’architecte Claude Léon Vautrin ; Roger EBERLING, Le centenaire de la statue du Sacré-Cœur au lieu-dit « Horn », à Wolxheim ; Louis SCHLAEFLI, Une singulière fondation chez les jésuites de Molsheim (1688) ; Coup de foudre à Ergersheim en 1651 ; Grégory OSWALD, La fièvre aphteuse de 1937-1938 et la situation agricole de l’arrondissement de Molsheim à la veille de la Seconde Guerre mondiale ; Raymond KELLER, Nouvelles du « chantier des bénévoles » de la chartreuse de Molsheim. Activités 2012. Contact : 4 cour des Chartreux - 67120 Molsheim.

Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace

Cahiers alsaciens d’archéologie d’art et d’histoire - tome LVI

26 Antony DENAIRE, Geispolsheim « Schlossgarten », un nouveau site du groupe de BORS en Basse-Alsace ; Thierry HATT, Marie-Noèl HATT-DIENER, Samedi 28 septembre 1940 : Jean-Jacques Hatt visite la grotte de Lascaux avec l’abbé Breuil ; Bernard GRATUZE, Jean-Pierre KOENIG, Suzanne PLOUIN, Jean-Michel TREFFORT, Les perles en faïence et en verre de l’âge du Bronze : contextes archéologiques et analyses pour l’Alsace et la Lorraine ; Muriel ROTH-ZEHNER, Les établissements ruraux de la fin du Hallstatt et du début de La Tène dans la plaine d’Alsace. État de la question ; Holger WENDLING, Monnaies et monnayage celtiques au Münsterberg de Breisach. Le temps des « chefs de guerre » dans le Rhin Supérieur ; Jérémie CHAMEROY, Illzach et Riedisheim : deux dépôts de monnaie de bronze du Bas-Empire trouvés près de Mulhouse (Haut-Rhin) ; Adrien VUILLEMIN, L’enceinte urbaine d’Ingwiller (Bas-Rhin) de 1345 à 2013 ; Boris DOTTORI, L’enceinte fortifiée de Westoffen (Bas-Rhin). Étude historique et architecturale (XIVe - XIX e siècles) ; Anne VUILLEMARD-JENN, Entre gothique et néogothique : les polychromies de Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg et la réception des travaux de Carl Schäfer ; Claire DECOMPS, La genizah de la synagogue de Dambach- la-Ville (67) : une découverte inestimable pour la connaissance de la vie juive dans une communauté rurale traditionnelle ; Véronique UMBRECHT, Pierre Valentin Boudhors (1754-1831), un architecte singulier au service de la ville de Strasbourg ; Daniel ZIMMER, L’architecte de la Cour de Hanau Christian-Louis Hermann (1688-1751) et le château de Brumath (1720-1728), ou l’arrivée du style français en Alsace au début du XVIIIe siècle par des voies inattendues ; Dominique TOURSEL-HARSTER, Le jardin de plaisance du château de Brumath sous les Hanau-Lichtenberg et les Hesse-Darmstadt ; Florian SIFFER, Récentes découvertes de dessins de Louise-Adéone Drölling (1797-1836) dans les collections du Cabinet des Estampes et des Dessins de Strasbourg. Clémentine ALBERTONI, Mesures de protection au titre des Monuments historiques. Année 2013 ; Christophe BOTTINEAU, Chronique des chantiers des Monuments historiques du Bas‑Rhin : année 2013 ; Richard DUPLAT, Chronique des chantiers des Monuments historiques du Bas-Rhin : année 2013 ; In memoriam : Maurice Seiller (1949-2013) ; In

Revue d’Alsace, 140 | 2014 558

memoriam : André Fleischmann (1926-2013). Contact : Palais Rohan - 2 place du Château - 67000 Strasbourg.

Société d’Histoire et d’Archéologie de Reichshoffen et Environs

Revue « Regards sur l’histoire » no33 - mars 2013

27 Jean-Claude NICOLA, L’église Saint-Michel de Reichshoffen ; Jo ROLL, L’église Saint- Michel retrouve sa méridienne ; Etienne POMMOIS, Une histoire de méridienne ; Jean- François KRAFT, La campagne d’Alsace en 1793 : Froeschwiller, clef de Landau ; Daniel MUCKENSTURM, Histoire des cloches de Griesbach après 1918.

L’église St-Michel de Reichshoffen, par Jean-Claude NICOLA – Extrait « Regards sur l’histoire - mars 2013

28 Les premières églises ; Les hésitations et finalement la décision de construction d’une nouvelle église ; Les péripéties d’un financement ; Les travaux ; L’édification du clocher, une aventure ! ; Les étapes de l’aménagement intérieur ; Le beffroi et son aménagement ; Aménagements et modernisations successives de la Révolution à nos jours ; Annexes. Contact : SHARE - Etienne POMMOIS - 8 rue des cerisiers - 67110 Niederbronn.

Société des Amis du Musée Régional du Rhin et de la navigation

Bulletin 2013 - no25. Ce bulletin est le dernier diffusé par la société, l’Assemblée Générale Extraordinaire du 10 avril 2014 ayant prononcé la liquidation avec effet immédiat

29 Jean-Marie WOEHRLING, La navigation fluviale et le droit local ; René DESCOMBES, Le Cardinal de Richelieu voyage sur les canaux et les rivières de France ; René DESCOMBES, Les Quilles-en-l’air ; LEPETIT BLOIS Léon, Les chevaux de halage ; René DESCOMBES, La politique de privatisation des canaux de Napoléon Ier ; Louis FIGUIER, Le bateau à vapeur de Denis Papin ; Henri MULLENBACH, Jouffroy d’Abbans et la navigation à vapeur ; René DESCOMBES, Le système général de navigation intérieure de la France de Barnabé Brisson ; René DESCOMBES, Les joutes de 1414 à Strasbourg : une histoire d’amour ! ; René DESCOMBES, Les métiers des eaux douces et de la batellerie - Le porteur d’eau ; René DESCOMBES, Les rites de construction des ponts ; Pierre DUBOIS, Le Vodianoï ; René DESCOMBES, Le Maréchal de Vauban, grand maître des eaux et des canaux ; René DESCOMBES, Les mots de la batellerie du Rhône et de la Saône ; Maurice ENGELHARD, Le lièvre au glaçon au pont de bateaux de Strasbourg ; René DESCOMBES, A la découverte des canaux de navigation de l’Empire romain ; Maurice MOSZBERGER, Souvenirs du Rhin et de la navigation dans les rues de Strasbourg ; Jean-Baptiste KLEIN, Souvenirs de Jean-Baptiste Klein, conducteur du Rhin ; Gérard ULRICH, Les casernes des pontonniers de Strasbourg. Contact : Société des Amis du Musée Régional du Rhin et de la navigation - 25 rue de la Nuée Bleue - 67000 Strasbourg

Revue d’Alsace, 140 | 2014 559

Société d’histoire et d’archéologie du Ried Nord

Annuaire 2012 - La guerre de 14. Civils et militaires dans la Grande Guerre

30 La Grande Guerre en Alsace. Réflexions, interprétations, questions ; Préambule : L’Alsace dans le Reichsland ; 1914 : Ouf, enfin la guerre ! 1915 : Une guerre qui s’éternise ; 1916 : Est-ce le canon de Verdun que l’on entend ? 1917 : Mars-avril : 15 jours où tout bascule : révolution en Russie et entrée en guerre des États-Unis ; 1918 : De l’arrivée de Clemenceau à la défaite de l’Allemagne ; 1918-1919 : Retour à la France ; Le mot de la fin : Merci aux poilus ; La vie du soldat par les courriers aux familles. Contact : 16 rue de la Gare - 67410 Drusenheim.

Société d’histoire et d’archéologie de Saverne et environs

Pays d’Alsace - cahier varia no242 - I-2013

31 Jean-Joseph RING, Une occupation gallo-romaine tardive (IVe‑Ve siècle) sur le site des tumuli du Falckenstein ; Rodolphe BRODT, Jeanne de La Petite-Pierre, une grande dame ; Stéphane XAYSONGKHAM, Enrôlé en état d’ivresse, le cas d’un bourgeois de Saverne au Messti de 1734 ; René RATINEAU † et Jean-Louis WILBERT, Les vœux de Drulingen et des villages environnants en 1793. Quatrième partie : les interventions de Philippe Rühl ; Gérard LALLEMENT, Histoire d’une voie ferrée ; Eric ETTWILLER, La Höhere Töchterschule de Bouxwiller (1875-1918). Les débuts de l’enseignement secondaire des filles dans le Pays de Hanau ; Raymond BERSUDER, le Willerholz, hameau de Marmoutier ; Henri HEITZ, L’affaire de Saverne, poème satirique et caricatures ; Pierre VONAU, Alexander Kraemer (1911-1991), docteur en médecine, militant autonomiste, Kreisleiter et historien du Pays de Hanau.

Pays d'Alsace - cahier varia no243 - II-2013

32 Albert KIEFFERT, Jean-Michel LANG, De Diemeringen à Bouxwiller : d’effroyables témoignages de sorcellerie au XVIIe siècle. Première partie ; Daniel PETER, Via Gottenhouse ; René RATINEAU (†), Jean-Louis WILBERT, Les vœux de Drulingen et des villages environnants en 1793. Cinquième partie : Drulingen se municipalise ; Henri HEITZ, La rue du Griffon à Saverne ; Francis KUCHLY, Loisirs et culture à Saverne et environs (1919-1939) ; Pierre VONAU, Vie, mort et héritage politique du Parti Social Français. Le cas de Saverne (1936-1939).

Pays d’Alsace - varia no244 - III-2013, hommage à Georges Lévy-Mertz

33 Bernadette SCHNITZLER, Un Genius oppidi tabernensis au Musée de Saverne ? Francis GOUBET, Nicolas MEYER, Nouvelles découvertes lapidaires sur la zone funéraire gallo-romaine du Fossé des Pandours ; Jean-Joseph RING, Eckartzwiller : nécropole gallo- romaine de la Rothlach. Une stèle funéraire insolite et inédite ; Florence MISCHLER, Le hameau de la Rothlach ; Antonin NÜSSLEIN, L’Alsace Bossue à l’époque romaine : recherches anciennes et nouvelles connaissances ; Nicolas WEISS, L’onomastique des habitants de Tres Tabernae ; Jean-Claude GEROLD, Rencontre interrégionale des prospecteurs du Parc naturel régional des Vosges du Nord ; Jean-Baptiste GERVREAU,

Revue d’Alsace, 140 | 2014 560

Florence MISCHLER, Steinbourg : premiers résultats des fouilles du TGV aux lieux-dits Altenberg et Ramsberg.

Pays d’Alsace - varia no245 - IV-2013

34 Albert KIEFER, Jean-Michel LANG, De Diemeringen à Bouxwiller : d’effroyables témoignages de sorcellerie au XVIIe siècle. Deuxième partie ; René RATINEAU (†), Jean- Louis WILBERT, Diemeringen et son vécu sous la Révolution. Première partie, Le complot du 6 février 1793 ; Pierre VONAU, Zabern 1913 - Saverne 2013 ; Louis SCHLAEFLI, Comment Saverne a failli perdre son château ; Jean-Joseph RING, De Saint- Jean-des-Choux à Saint-Jean-Saverne ; Henri HEITZ, Une petite promenade oubliée sur la Côte de Saverne.

Châteaux Forts d’Alsace no13 - CRAMS

35 René KILL, Un chercheur méconnu et injustement oublié : Friedrich Stolberg (1892-1975) et les châteaux forts alsaciens ; Jean-Michel RUDRAUF, Les plus anciennes représentations connues des châteaux de Haut-Barr et de Geroldseck, œuvres de Hans Baldung Grien (1545) ; René KILL, Une représentation du château de Haut-Barr de la première moitié du XVIIe siècle, antérieure à celles de Johann Jacob Arhardt et de Matthaeus Merian ; Bernadette SCHNITZLER, Un siècle et demi de travaux, fouilles et restaurations au château de Grand‑Geroldseck ; Jacky KOCH, Archéologie de la ville et du château de Kaysersberg à l’époque de Frédéric II de Hohenstaufen : état de la question ; Jean-Michel RUDRAUF, Un château des Vosges du Nord : le « petit château sur le Wittberg» ou Wittschloessel ; Jean‑Claude WEINLING, Les châteaux forts dans l’œuvre d’Erckmann et Chatrian ; René KILL, Bernadette SCHNITZLER, Quelques objets à caractère religieux trouvés aux châteaux de Haut-Barr et de Wangenbourg ; Bernard HAEGEL, Un fragment de figurine en terre cuite provenant du château de Greifenstein ; Bernard HAEGEL, Un fragment de figurine en terre cuite provenant du château de Vieux-Windstein ; Maxime WERLÉ, Jacky KOCH, Francis SCHNEIKERT, In memoriam Maurice Seiller ; René KILL, In memoriam Emile Ruetsch ; Chroniques 2011-2012 des châteaux forts alsaciens. Contact : BP 90042 - 67701 Saverne Cedex - [email protected].

Amis du Vieux Strasbourg

Annuaire XXXVIII - 2013

36 Jérôme RUCH, Le grenier à blé de Strasbourg ; Christian WOLFF, Exploration des registres de la Chambre des contrats au XVIe siècle ; Jean-Paul HAETTEL, Vauban et le règlement de Strasbourg (1688) pour la fortification des places ; Claude MULLER, Dieu et Euterre : la musique sacrée à la cathédrale de Strasbourg au XVIIIe siècle ; Benjamin STAUTH, Le pasteur Donnenberger face à la conscription et au régime napoléonien ; Bernard DECK, L’Ami du peuple Hebdo, au service de l’Église et de l’Alsace depuis 150 ans ; Maurice MOSZBERGER, Le parc de Kurgarten. Poumon vert du quartier du Neudorf ; François UBERFILL, Stéphanie Hamilton, une princesse suédoise, épouse du Statthalter Karl von Wedel, une amie de l’Alsace ; Jérôme SCHWEITZER, La bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg : une histoire mouvementée ; Marc LIENHARD, Un érudit renommé, grand ami du Vieux Strasbourg : Jean Rott (1911-1998) ; Horace BORZA, Le

Revue d’Alsace, 140 | 2014 561

Collège de l’Europe libre (Free Europe College) à Strasbourg ; Klaus SCHUMANN, Strasbourg et l’Eurodistrict CUS-Ortenau ; Dossier spécial Neustadt : Dominique CASSAZ, Edith LAUTON, Sophie EBERHARDT, Strasbourg valorise ses patrimoines : enjeux du Patrimoine Edith Lauton mondial de l’Unesco et du label Ville d’art et d’histoire ; Marie POTTECHER, L’inventaire du patrimoine de la Neustadt de Strasbourg - l’enquête en cours. Contact : BP 31 - 6 rue du Maroquin - 67060 Strasbourg Cedex.

Société d’histoire du Val de Villé

Annuaire no38 - 2013

37 Christian DIRWIMMER, Jean-Louis SIFFER, À la mémoire de Claude Jordy ; Christian DIRWIMMER, Freddy DIETRICH, Gabi GEIGER, Sortie de la SHVV le 7 octobre 2012 : Strasbourg hors des sentiers battus ; Jean-Marie GÉRARDIN, De la poste d’Itterswiller au Palais du Rhin : l’histoire d’une postière résistante ; Georges BISCHOFF, Henri de Jestetten et la reconstruction de Honcourt (1536-1548) ; Jean-Louis SIFFER, Une nouvelle association : « Les mains d’or du Frankenbourg » ; Fréddy DIETRICH, Le pautoué d’chu no ! Gabi GEIGER, Patrimoines : en voie de disparition ? Philippe SCHWOB, Le puits oublié du cimetière de Neuve-Église ; Gabi GEIGER, 1953 dans la presse régionale : 60 ans ! déjà ? Christian DIRWIMMER, À propos d’une tradition disparue ; Yves MARCOT, Croix et oratoires de Triembach-au-Val ; Jean-Marie GÉRARDIN, Au cimetière anabaptiste du Climont : une visite d’excellence ; Gabi GEIGER, Il y a 200 ans : 1813 les naissances dans la vallée de Villé ; Paul LEMOINE, Les régents ou maîtres d’école à Urbeis au XVIIIe siècle : compléments. Contact : Mairie - 67220 Villé.

Fédération du Club vosgien

Les Vosges - 1/2013

38 André DENNEFELD, Le facteur du Grand Ballon ; CV de Vagney, La cascade du Battion et la Roche des Ducs au départ de Rochesson ; Benoît MESSMER, Randonnée à Dambach- la-Ville, nature et patrimoine ; Nicolas FRIEDERICH, À l’heure du tram / train et des économies d’énergie, la ligne de tramway « Strasbourg-Ottrott » ; Jean-Robert ZIMMERMANN, Le Donon, haut lieu culturel gallo-romain (Ier, IIe, IIIe siècles), seconde partie : la religion ; Guillaume D’ANDLAU, Concours photo - photos primées ; Jean-Louis MAGNE, Panorama depuis la colline de Soultz‑les‑Bains ; Jean SALESSE, L’escalier de l’Erbsenthal ; Jean-Marc PARMENT, À la découverte de l’Heidelberg ; André SCHLAFLANG, Premier festival de la Marche Nordique ; Les activités du Club Vosgien.

Les Vosges - 2/2013

39 Simon LECLERC, Neufchâteau, Club Vosgien et protection de l’environnement ; Gérard BEULNÉ, Le Club Vosgien de Neufchâteau ; Bernard TOQUARD, Le relief de la région de Neufchâteau ; Xavière JOUDRIER, Aperçu historique de Neufchâteau ; Xavière JOUDRIER, L’amphithéâtre de Grand ; Pascal JOUDRIER, Images de Jeanne… en son pays ; Pascal JOUDRIER, La Chapelle Wiriot en l’Église Saint-Christophe de Neufchâteau ; Xavière JOUDRIER, Le Sépulcre des Cordeliers en l’Eglise Saint-Nicolas de Neufchâteau ;

Revue d’Alsace, 140 | 2014 562

Francis JACQUOT, Acturus… simo ; Les activités du club Vosgien ; Jean-Marc PARMENT, À travers les livres ; Robert KOEHL, À travers les revues.

Les Vosges - 3/2013

40 Rosine HIRLEMANN, Rapport moral 2012 ; Denis VOUIN, Formation GRP : dix-septième saison ; Jean SALESSE, Des plantes « qui disent quéqu’chose » ; CV de Remiremont, Le circulaire des étangs de la Demoiselle et du Renard ; Alix BADRÉ, la tourbière du Lispach ; Jean KLINKERT, Les fermes-auberges des Hautes Vosges ; Michel HELMBACHER, Le circuit du vignoble ; Maurice SCHMITT, Le Ban Saint-Jean ; Jean‑Paul AUBE, Laître sous Amance ; Les activités du Club Vosgien. Contact : 16 rue Sainte-Hélène - 67000 Strasbourg.

Haut-Rhin

Société d’histoire et de généalogie de Bennwihr

Mémoires d’autrefois - bulletin no12 - novembre 2013

41 Augustine WAGNER, Suzanne CLUZEL, Marie FUCHS, Osenbuhr, lieu de vacances inoubliables pour des générations d’enfants ; Augustine WAGNER, Gérard BARTH, Familles Wagner, cherchez et trouvez vos ancêtres communs ! Gérard WAGNER, Qui a connu le soldat Michel Zalot ? Marie GRESSER, Augustine WAGNER, † Étienne WAGNER, La formation des jeunes coopérateurs et les voyages d’études ; Jean-François REITZER, Les armoiries de François Kien, prévôt de Bennwihr ; Suzanne CLUZEL, Joseph XUEREB, La maison Groell, forgeron et maréchal-ferrant ; Thierry MINÉRY, Cartes postales anciennes. Contact : 3 rue des Vosges - 68360 Bennwihr.

Société d’Histoire de Bruebach

Bulletin no8 - 2012/2013

42 Jean-Paul EISELE, La viticulture à Bruebach ; Paul KARLEN, Commémoration du 8 mai à Bruebach en 2013 ; Rémy SELLET, Une figure d’autrefois : Le curé Baumann ; Rémy SELLET, Rue du Café à Bruebach ; Paul KARLEN, Quelques extraits d’inventaire ; Francis BANNWARTH Françis, Remise du buste de la république ; Yolande DIETSCH, Quotidien d’un chirurgien de campagne ; Albert WOESSNER, La conscription à Bruebach ; Paul KARLEN, Généalogie famille Delhotal. Contact : 12 rue d’Eschentzwiller - 68440 Zimmersheim.

Société d’histoire et d’archéologie de Colmar

Mémoire colmarienne no129 - mars 2013

43 Philippe JÉHIN, L’approvisionnement de Colmar en bois de chauffage à la veille de la guerre de Trente Ans ; Jean-Marie SCHMITT, Une œuvre inédite du peintre hongrois Cziráki Lajos, compagnon de captivité d’Otto Dix au camp de Colmar-Logelbach

Revue d’Alsace, 140 | 2014 563

(1945-1946) ; Jean-Luc ISNER, Claire MEYER-SEILLER, Une restauration de décors intérieurs à Colmar ; Francis LICHTLÉ, Les « Villes de France » fêtent leur 100 ans.

Mémoire colmarienne no130 - juin 2013

44 Francis LICHLTÉ, Le Ladhof aux XVIIIe et XIXe siècles ; Francis LICHLTÉ, Le voyage d’Antoine Schott à Vienne et à Ratisbonne en 1667 ; Christian WAGNER, En marge du 50e anniversaire ; les jumelages à Colmar ; Frédérique GOERIG-HERGOTT, La peinture en mouvement, les œuvres du musée Unterlinden sous le regard de Robert Cahen ; Jean- Marie SCHMITT, Notes bibliographiques.

Mémoire colmarienne no131 - septembre 2013

45 Francis LICHTLÉ, Un immeuble aujourd’hui disparu… Le grenier d’abondance (rue des clefs) ; Francis LICHTLÉ, La Maison Rouge ; Philippe JÉHIN, Les dégâts de gibier sur le ban de Colmar au lendemain de la Grande Guerre ; Richard EBERHARDT, Un peu de nostalgie… Le café de la Hardt. Contact : Archives municipales - Place de la Mairie - 68021 Colmar Cedex.

Société d’histoire d’Eguisheim

Eguisheim, terre d’histoire

46 Paul GINGLINGER, Claude MULLER, Aux origines de l’histoire ; Lucien GILG, La dynastie des comtes d’Eguisheim ; Paul GINGLINGER, Léon IX, le pape alsacien ; Lucien GILG, Le château et l’enceinte urbaine ; Lucien GILG, Les trois châteaux ; Paul GINGLINGER, Claude MULLER, L’abbaye de Marbach ; Paul GINGLINGER, Claude MULLER, De la prospérité à l’horreur ; Paul GINGLINGER, Claude MULLER, Eguisheim dans le royaume de France ; Paul GINGLINGER, Claude MULLER, La tourmente révolutionnaire ; Paul GINGLINGER, Claude MULLER, Le carcan urbain ; Paul GINGLINGER, Claude MULLER, La crise au temps du Reichsland ; Paul GINGLINGER, Claude MULLER, Le temps des transitions ; Paul GINGLINGER, Claude MULLER, L’accélération de l’histoire (1945-2008). Contact : 13A rue Porte Haute - 68420 Eguisheim.

Société d’histoire d’Eschentzwiller et de Zimmersheim

Publication no19 - « La viticulture dans le Sundgau » par Monique et Christian Voegtlin

47 La viticulture dans le Sundgau ; La vigne, considérations botaniques, écologiques ; Cycle végétal de la vigne ; Les plantes compagnes de nos vignes ; Les origines de la viticulture ; Plantation et conduite de la vigne ; Les travaux viticoles ; Les vendanges ; Du raisin au vin ; Le vignoble alsacien, une origine non élucidée ; Du haut Moyen Âge à la Guerre de Trente Ans ; La Guerre de Trente Ans ; La vignomanie du XVIIIe siècle ; Le malheureux état du vignoble ; La viticulture à l’époque du Reichsland ; Le déclin du vignoble sundgauvien ; La maison vigneronne du Sundgau ; La vigne et le vin dans les évangiles ; Les saints protecteurs du vignoble ; Outils viticoles et vinicoles anciens. Contact : 9 rue Bonbonnière - 68440 Eschentzwiller.

Revue d’Alsace, 140 | 2014 564

Fédération Généalogique de Haute-Alsace

Cahier SaiRePa no91 - Widensolen

48 André ZWINGELSTEIN, Relevé des registres paroissiaux de Widensolen : mariages 1650-1792, baptêmes 1660-1792, sépultures 1650-1789. État-civil (index) : mariages 1792-1814, naissances 1792-1814, décès 1792-1814, 5 707 actes.

Cahier SaiRePa no92 - Hirtzfelden

49 Marie-Jeanne FINGER, Relevé des registres paroissiaux de Hirtzfelden, mariages 1678-1792, baptêmes 1665-1792, sépultures 1678-1792, 3 556 actes.

Cahier SaiRePa no93 - Muhlbach-sur-Munster

50 Elisabeth BUHL et Liliane EGELE, Relevé des registres paroissiaux protestants de Muhlbach, mariages 1574-1792, baptêmes 1574-1792, sépultures 1675-1792, 18 431 actes. Contact : Centre départemental d’Histoire des Familles (www.cdhf.net)

Association généalogique et héraldique du Val de Lièpvre et environs

Recueil : Sainte-Marie-aux Mines

51 État civil. Mariages de 1851 à 1870, 1 882 actes.

Recueil : Saint-Hippolyte

52 Décès de 1684 à 1792, 505 actes.

Recueil : Riquewihr

53 État civil. Mariages de 1793 à 1935, 1 979 actes. Contact : Michel Krucker - 3 Grand’Rue - 68660 Lièpvre.

Société d’histoire de la Hardt et du Ried

Annuaire no25 - 2013

54 Patrick BIELLMANN, Une bague juive trouvée à Oedenburg-Biesheim ; Patrick BIELLMANN, De la dynamique de l’occupation d’Oedenburg-Biesheim par la répartition spatiale des monnaies ; Louis SCHLAEFLI, Une rareté bibliographique : un ouvrage imprimé à la ville-neuve de Brisach ; Jean-Philippe STRAUEL, Le moulin de Grussenheim ; Pierre MARCK, Migration de familles de Balgau-Nambsheim à Mussig au dix-septième siècle ; Robert SCHELCHER, Le relais de la poste aux chevaux de Fessenheim ; Anne‑Sophie STOCKBAUER, † Max † Mox † Marla : découverte d’un bauopfer à Mussig ; Oliver CONRAD, Droits, privilèges et exemptions : la seule survie pour Neuf-Brisach au dix-huitième siècle ? Pierre MARCK, Étude de l’évolution de la population de Mussig aux dix-huitième et dix-neuvième siècles ; Anne-Sophie STOCKBAUER, D’un lieu de culte à un autre : fragments d’histoire autour des églises de

Revue d’Alsace, 140 | 2014 565

Mussig (1802-1892) ; Norbert REPPEL, Dans le chœur de l’église de Mussig : les très beaux vitraux de Saint - Oswald ; Olivier CONRAD, Pharmacies et pharmaciens à Neuf- Brisach au dix-neuvième siècle ; Rémy LOSSER, Les écoles de Mussig ; Claude MULLER, L’œil épiscopal. La visite des églises du canton d’Ensisheim par Apollinaire Freyburger en 1865 ; Jean FUCHS, Un novateur : l’abbé Vetter, curé d’Urschenheim (1911-1955) ; Louis SCHLAEFLI, Notes relatives à l’église d’Urschenheim et à l’œuvre novatrice du curé Vetter ; Violette GROSS, Le sabotier Henri Stahl (1883-1967) ; Violette GROSS, Charles Diebold. Un pionnier du ski français ; Joseph ARMSPACH, Une tranche de l’histoire locale. Le Crédit Mutuel à Logelheim ; Patrick BAUMANN, Crash d’un avion en mars 1944 à Artolsheim, Mussig, Hilsenheim ; Jean-Philippe STRAUEL, Pour un sentier de la mémoire à Grussenheim : 27, 28 et 29 janvier 1945 ; Norbert LOMBARD, La fête de la jeunesse agricole chrétienne du Ried à Saasenheim. 6 juillet 1952 ; Norbert LOMBARD, La reddition de la place de Neuf‑Brisach ou les mobiles du Haut‑Rhin à la recherche de leur honneur perdu. 10 novembre 1870 ; Béatrice et Gilles BATAILLE- WINTERHALTER, Le siège de Neuf-Brisach en 1870 ; Aloyse BRUNSPERGER, Neuf‑Brisach, Neubreisach de 1870 à 1918. Bref aperçu historique ; Louis SCHLAEFLI, Complément ; Norbert LOMBARD, « Die Quartierleistung für die bewaffnete Macht im Frieden ». Contact : 5 rue de la Paix - 68320 Grussenheim.

Cercle d’histoire de Hégenheim et environs

Bulletin no17 - année 2013

55 Christophe SANCHEZ, In memoriam, Jean-Pierre Maeder (1928-2012) ; Christophe SANCHEZ, In memoriam, Walthari Gürtler (1931-2012) ; Gérard MUNCH, In memoriam, Emile Ruetsch (1930-2012) ; Fernand ZELLER, Louis HENRICHS, Rémy EHRHARDT, Médard JEANNERAT, Ginette RIEDLIN, Bernadette ERBLANG-GUTZWILLER, Jacqueline WIEDMER-BAUMANN, Christiane BORER-RIEDER, Im memoriam Paul Schleber, curé de Hégenheim, de 1961 à 2001 ; Huguette NAAS-MISSLIN, Hégenheim 2012 : chronique d’une année ; Roger NARGUES, Etobon ; Sylvia HAENEL-ERHARDT, Hégenheim il y a 100 ans à travers l’état civil ; Christophe SANCHEZ, Les tuiles décorées d’Alsace ; Christophe SANCHEZ, Poussières d’Histoire 2012 ; Christophe SANCHEZ, Hégenheim, aux origines de la marque Lacoste ; Claudine BAUMANN-FREUND, L’arbre généalogique de Georg Antoine Freund ; Bernard WEBER, Mon service militaire en Algérie… ; Jacqueline WIEDMER-BAUMANN, Folgensbourg il y a 100 ans à travers l’état civil ; Henri FRANK, Ma vie jusqu’à 15 ans racontée à mes enfants ; Hubert HOFF, La drôle de petite guerre des jeunes de Neuwiller, en 1830. Contact : 20 rue des Vignes - 67220 Hégenheim.

Société d’histoire des Hôpitaux civils de Colmar

Mémoire hospitalière no22 - novembre 2013

56 Francis LICHTLÉ, Les revenus agricoles et viticoles de l’hôpital de Colmar à la veille de la Révolution ; À la découverte de Molsheim et de la Chartreuse ; Christine FIAT, Départ à la retraite de Mademoiselle Marcelle Sauer ; Visite du musée de l’anesthésie à Besançon ; Françoise ETIENNE, … développer la pharmacie clinique ; Christine FIAT, En l’honneur des praticiens hospitaliers retraités ; Bernard HUBER, 45 ans à l’hôpital

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Pasteur ; In memoriam Pierre-Désiré Meyer et Pierre Aberer ; Bernadette STILHART, Allocution à l’occasion de mon départ à la retraite ; La seringue. Son origine, son histoire, son influence civilisatrice.

Hors-série no10 - mars 2013

57 Jacqueline HEINTZ, Michel ROGEZ, Table générale de la publication « Mémoire hospitalière » et des numéros hors-série de la Société d’histoire des Hôpitaux Civils de Colmar de 1995 à 2012. Contact : 39 avenue de la Liberté - Hôpital Pasteur - 68000 Colmar.

Société d’histoire et de culture d’Ingersheim

Bulletin no14 - novembre 2013

58 Ignace SCHWINDENHAMMER, Reichshoffen, j’y étais ! Joseph ESCHBACH, 12, rue du Maréchal Foch, Michel ROGEZ, Pour que passe la K.T.B. ! Michel ROGEZ d’après René JOOSS, René Jooss, en religion Frère Gilbert ; Bernard STRAUB, Bis Strüb’s, nos reines des vins d’Alsace ; Michel ROGEZ, L’index de Jean-Baptiste ; Michel ROGEZ, Louis Dagobert Scherer ; Joseph Gillet, inventeur ; Michel ROGEZ, La guide bilingue d’un parcours historique et architectural à travers Ingersheim ; Eugène SCHNUBEL, Le drapeau des conscrits de la classe 1926. Contact : 27 rue du Père J. Baptiste Frey - 68040 Ingersheim.

Société d’histoire de Kingersheim

Kingersheim et son histoire. Tome 2 : Histoire et géographie humaine et physique. Jean Checinski. Préface de Marie-Claire Vitoux. Épilogue de Jean-Pierre Kintz

59 Géographie physique : relief, superficie, armoiries, abornement, lieux-dits, forêts, flore, faune, hydrographie, Doller, Dollerbaechlein, climat, tremblements de terre ; Géographie humaine : voirie, urbanisme à travers les siècles, centre-ville, Strueth, les cités, le Kaligone, équipements publics, équipements scolaires, sportifs, socio-culturels, publics divers, anciens édifices, moulin, lieu de justice ; Partie historique : archéologie, Moyen Âge, noblesse, châteaux (avec Wittenheim), histoire de siècle en siècle jusqu’à mai 1968 ; Géographie politique : poussières d’archives, bourgeois, manants, artisans, paysans, élections, kilbes, vie du village autrefois, démographie, méfaits de la société actuelle. Contact : 3A rue de Lyon - 68260 Kingersheim.

Mémoires du Kuckuckstei

Hors série no1 - février 2011 : Le monument aux morts de Gueberschwihr

60 Philippe VOGEL, Jean-Paul SUTTER, Aperçu général du monument ; Iconographie du monument ; Aperçu historique.

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Bulletin no6 - avril 2011 : Le couvent Saint‑Marc à travers les siècles

61 Marie-Odile LICHTLÉ, L’histoire du couvent Saint-Marc ; Les revenus du couvent Saint‑Marc au XVIIIe siècle ; Procès et délits au couvent Saint‑Marc ; Le chapiteau du couvent Saint-Marc ; sœur Danièle VETTER, L’abbé Pierre Paul Blanck, fondateur de la congrégation des sœurs de Saint‑Joseph à Saint‑Marc ; Comité de rédaction du Kuckuckstei, Les métiers au couvent Saint‑Marc ; Comité de rédaction du Kuckuckstei, Les sœurs du couvent Saint‑Marc de Gueberschwihr ; Jean‑Paul SUTTER, La construction de la route de Saint‑Marc et le couvent.

Bulletin no7 - mars 2012 : L’eau à Gueberschwihr

62 Marie-Odile LICHTLÉ, L’eau à Gueberschwihr ; Lucie ROESCH, Gueberschwihr, un village précurseur ; Lucie ROESCH, Gueberschwihr : jadis célèbre station balnéaire ? Jean‑Maire KLEIN, Anne‑Marie MASINI, Les sources et réseaux ; Marie‑Odile LICHTLÉ, Les fontaines de Gueberschwihr ; Jean‑Paul SUTTER, François‑Xavier HARTMANN, L’eau du couvent Saint‑Marc ; Roger KLINGER, L’assainissement ; Roger KLINGER, À propos d’égout ; Sylvia RIBEIRO, La qualité de l’eau en Alsace ; Brigitte et Jean‑Pierre BAECHLER, Biodiversité au jardin et au verger ?

Bulletin no8 - avril 2013 : La famille Brunck de Freundeck et Gueberschwihr

63 Marie-Odile LICHTLÉ, L’histoire de la famille Brunck de Freundeck ; Marie-Odile LICHTLÉ, La maison et les dépendances du domaine Brunck ; Marie-Odile LICHTLÉ, Le presbytère ; Marie-Odile LICHTLÉ, La Badhus ou Badhof ; Marie-Odile LICHTLÉ, La chapelle Brunck du cimetière ; François-Xavier HARTMANN, Quelques anecdotes sur la famille Brunck de Freundeck ; Bernadette SCHMIDT-BURN, Richard Brunck et Gueberschwihr. Contact : 40 rue Haute - 68420 Gueberschwihr.

Société d’Histoire du canton de Lapoutroie - Val d’Orbey

Bulletin no32 - 4e trimestre 2013

64 Chantal LAURENT, Armand SIMON, Assemblée générale du 28 avril 2013 à Labaroche ; Rose-Blanche DUPONT, Membres de la Société d’histoire en 2012 ; Armand SIMON, Congrès de la Fédération à Lapoutroie le 29 septembre 2013 ; Yvette BARADEL, Les notables de fonction dans le Val d’Orbey au XVIIIe siècle ; Roger CLAUDEPIERRE, L’élevage dans le Val d’Orbey aux XVIIe et XVIII e siècles ; Claude MULLER, Mariages, baptêmes et décès à Lapoutroie de 1650 à 1792 ; Jacques DEMANGEAT, François Demangeat, maître de forges, 1759-1827 ; Raymond DODIN, Armand SIMON, Épisodes de la vie communale à Orbey en l’an XIII ; Benoît WIRRMAN, Eugène Thomas (1841-1918), un musicien alsacien ; Jean-Claude MASSON, Gilbert MICHEL, L’odyssée de la famille Jean-Baptiste Masson de Pairis pendant la Grande Guerre ; Suzanne ROMINGER- PRUD’HOMME, Le Carnet noir. Journal de René Prud’homme (14 juin-6 août 1940) ; Irène MULLER, Sœur Anne-Casimir. Hommage aux Sœurs de la Divine Providence de Ribeauvillé, ayant œuvré à Lapoutroie ; Germain MULLER, L’École du Lac Noir ; Jean- François MILLION, Armand SIMON, En mémoire du Père André Perrin (1931-2013) ; Gilbert MICHEL, Armand SIMON, En mémoire de Jean Mathieu (1923-2013) ; Gilbert

Revue d’Alsace, 140 | 2014 568

MICHEL, Petite étude lexicale de mots patois (5) ; Armand SIMON, Les tables de patois 2013 - L’enquête sur la pratique du patois ; Maurice HERMANN, Lo martchi d’Orbèy - Le marché d’Orbey ; Maurice HERMANN, Prako i pauw patwé - Parlons un peu patois. Dictons de table en patois ; Philippe JEHIN, Les évènements dans le canton de Lapoutroie en 1913 ; Armand SIMON, Nos membres ont publié ; Armand SIMON, Nos publications : Les Cahiers du Généalogiste ; Armand SIMON, Publications des sociétés amies : Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace. Rencontres Transvosgiennes. Contact : 27 rue Charles de Gaulle - 68370 Orbey.

Société d’histoire de la vallée de Masevaux

Patrimoine Doller - bulletin no23 - 2013

65 Jean-Marie EHRET, In memoriam : René Limacher, Pierre Koenig ; Maurice HAAN, la préhistoire dans la vallée : vestiges probables et interprétations possibles (III) ; Laurent FLUHR, Pour une histoire du moulin de Dolleren ; Jean-Marie EHRET, Denis FLUHR, Le pâturage et la ferme de l’Isenbach ; Jean LAUTER, Catherine Koos (1768-1837) : une ascendance très ancienne à Bourbach-le-Bas, et un ardent mysticisme ; André DEYBER, Les charges de guerre à Soppe-le-Bas : 1813-1815 ; Bertrand RISACHER, La papeterie Kuenemann Frères de Pont d’Aspach ; Guy JORDY, Les Bian à Sentheim : essor de l’industrie textile dans la basse vallée de la Doller ; Clarisse GRAFF, Guewenheim pendant l’année terrible : été 1870 - printemps 1871 ; Jean-Marie EHRET, Chronique de la paroisse de Dolleren. Première partie : 1872-1878 ; François WALGENWITZ, Charles Ringenbach (1904-1983), un peintre attaché à sa vallée ; Daniel WILLMÉ, Guewenheim à ses morts. 1933 : création de la section des anciens combattants. 1934 : édification du monument aux morts ; André BOHRER, Henri Schoen, Malgré-Nous non revenu : le travail de mémoire d’une famille burnhauptoise ; Marc et René LIMACHER, Éphéméride 2012. Contact : 1 rue du B.M. XI - 68290 Dolleren.

Société d’histoire et de géographie de Mulhouse

Annuaire 2013 - tome 24 : Les conflits à Mulhouse

66 Études et documents : Nicole BRÈS, Myriam GERWILL, Les grandes misères de la guerre de Jacques Callot : entre réalité historique et représentation ; Bernard JACQUÉ, Un Mulhousien émigré et sa mémoire : le comte Fries de Mulhouse ; Bernard JACQUÉ, Godefroy Engelmann et le Brésil ; Éric ETTWILLER, 1912-2012, le lycée Montaigne a… 140 ans ! Histoire de l’école supérieure de filles de Mulhouse (1872-1918) Deuxième partie ; Bertrand RISACHER, Jean Zuber père (1773-1852) : un notable de l’industrie dans un vallon enclavé et déshérité ; Marie-Claire VITOUX, Le Schweissdissi, entre mythe et vérité ; Jean-Michel CHÉZEAU, Alfred Werner, le Mulhousien prix Nobel ; Charles TROER, Deux Malgré-Nous racontent ; Raymond WOESSNER, Le tram-train de Mulhouse-Thann entre désirs et réalités ; Conférences : Claude GAUVARD, La résolution des conflits au Moyen Âge. Notes d’Odile Kammerer après la conférence ; Céline BORELLO, Mulhouse et la guerre de Trente Ans ; Yves FREY, La guerre d’Algérie à Mulhouse. 1945-1965 ; Jean‑Noël GRANDHOMME, La campagne d’Alsace-Lorraine d’août 1914 vue depuis le grand quartier général (GQG) de Joffre ; Lieux et images : André

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DOLL, Antoine HERBRECHT, Thierry SCHLAWICK, Canaux et voies ferrées dans l’Est de Mulhouse ; André DOLL, Antoine HERBRECHT, Thierry SCHLAWICK, Les gares de Mulhouse, Bernard JACQUÉ, Note sur la réhabilitation de la caserne Lefebvre ; Boîte à outils pour l’historien : Christiane BURGUNDER, Marie-Claire VITOUX, La collection de périodiques alsatiques conservés à la bibliothèque municipale de Mulhouse ; Vie culturelle : Marie‑Claire VITOUX, Chronique de l’université ; Éliane MICHELON, Chronique mulhousienne ; Alain LEMAÎTRE, Vie musicale à Mulhouse. Contact : 80 rue du Manège - 68100 Mulhouse.

Société d’Histoire de Pulversheim

Cahier no7

67 Au sommaire, les souvenirs savoureux de Lucie Weiss, figure emblématique de l’histoire du restaurant « Niemerich » de Pulversheim qui a traversé le siècle et qui sonnent aujourd’hui comme un hommage respectueux et nostalgique puisque Lucie nous a quitté le 19 juin dernier à l’âge de 93 ans. Mais, au sommaire aussi, l’histoire de la « Vieille Thur » entre Pulversheim et Colmar, qui fut rebaptisée au Moyen Âge « canal des douze moulins » pour entretenir l’activité soutenue de nombreux établissements le long de son cours et aussi… de nombreuses et houleuses querelles d’intérêts entre les meuniers, en quête de force motrice, et les propriétaires agricoles en besoin d’irrigation. La bataille pour l’eau, déjà… Contact : Jean Paul Spiegel, trésorier - 2 résidence du parc - rue des mineurs - 68840 Pulversheim.

Les Amis de Riedisheim

Bulletin no41 - septembre 2013

68 Georges MEYER, Il y a 40 ans la Société d’histoire (3e partie et fin) ; Jean VIROLI, Alfred Bach, artiste peintre amateur ; Émile DECKER (†), Rosette MEISTER, Poèmes ; Georges MEYER, Le père André Perrin, dernier curé de la paroisse Notre-Dame du Perpétuel Secours (Le Couvent - s’Kleschterla) ; Richard KLEINHENY, Histoire des rues « Les quartiers nord de Riedisheim » ; Gabrielle CLAERR STAMM, Il y a deux cents ans à Riedisheim. La famille Edmond, notaires à Riedisheim sous l’Empire et le Restauration (1ère partie) 1811-1816 ; René MULLER (†), L’abbé Jean-Marie Bernhard ; Gabrielle CLAERR-STAMM, Quand Joseph Schertz acheta sa maison. Contact : 1 rue du Dépôt - 68400 Riedisheim.

Société d’histoire de Rixheim

Bulletin no28 - 2013

69 René TESSIER, Les « Malgré Nous », conférence d’Eugène Riedweg ; Benoît MEYER, Les Casarin, une famille d’expulsés par les nazis en 1940 ; Christian THOMA, Paul Hirn, du combattant à l’interprète ; Christian THOMA et Benoît MEYER, Parcours de « Malgré Nous » rixheimois : Louis Freitag ; Eugène Furstoss ; Pierre Braun ; Léon Litzler ; Pierre Vetter ; Théophile Litzler ; Simon Nachbauer ; Alphonse et Jean Kissy ; Albert Paul Meyer ; Fernand Moeglin ; Robert Schwob ; Reine Litzler ; Chantal OFFERLE, Installation

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du char Sherman sur la rive nord du pont du Bouc ; Rixheim hier, Rixheim aujourd’hui ; Christian THOMA, Les 75 ans de la Conférence Saint-Vincent-de-Paul de Rixheim ; Véronique RIGO, « Rixa », poésie, Benoît MEYER, Lexique des lieux-dits. Contact : Maison des Associations - Allée du Chemin Vert - 68170 Rixheim.

Société d’histoire de Saint-Louis - Les Amis du patrimoine

Annuaire 2013

70 Biographies : Paul-Bernard MUNCH, Théodore Bachmann, maire de 1975 à 1987 ; Paul- Bernard MUNCH, Adolphe Cronimus, maire de 1987 à 1989 ; Célestin MEDER, La famille Ilg ; Histoire : Patrick SIMON, Délibérations du Conseil municipal en 1913 ; Danielle WITTMER, L’école Ernest Widemann à Saint-Louis ; Roland SPINDLER, Le parrainage « Saint-Louis-Strasbourg » en Algérie ; Antoine MISLIN, Ville-Neuve-Saint-Louis ; Léa ROGG, Bâle, Basel, Basilea (1ère partie) ; René SENFT, Troubles à la frontière franco- suisse en 1836 ; Joseph GROLL, Baldamus und seine Streiche, d’Oskar Wöhrle (2 e partie) ; Mémoires : Liliane TARDIO, La déportation de la famille Brise (1943-1945) ; Antoine MISLIN, C’était il y a 40 ans, le groupe Acacia ; Antoine MISLIN, 5 Centims’ Fetzer, sobriquet des Ludoviciens ; Associations : Louis PERIN, 35 ans de création théâtrale, la Compagnie du Lys ; Jean-Marie STATTNER, Bruno HEITMANN, Les débuts du Saint-Louis Neuweg-Volley-Ball ; In memoriam : Antoine MISLIN, À la mémoire de Richard Wittmer ; Poèmes : Joseph GROLL, E starn, Joseph GROLL, Fasenacht. Contact : 3 rue saint-Jean - 68300 Saint-Louis.

Association S’Lindeblätt

Les cahiers du patrimoine du Haut-Florival - no 36 - 2013 - Im Freihofe

71 Jean MEYER (†), Doris MICHEL, Jean-Marie LETSCHER, « Im Freihofe » – À la cour franche – raconte les démêlés du Freibauer Theobald Erny propriétaire du domaine du Schützlen à Sengern vers 1524, avec Bruno de Hus le châtelain de la Husenbourg qui surplombe les gorges de la Lauch. Une reconstitution imaginaire de ce château illustre la couverture de la revue. Maurice KECH, Émile Wagner : une biographie ; Francis GUETH, Bibliographie du Grand Ballon(I). Contact : BP 10 - 68610 Lautenbach - [email protected]

Société d’histoire « Les Amis de Soultz »

Bulletin no90 - septembre 2013

72 Roger MULLER, La saga des Seckler. Un certain 18 juin 1940… à Soultz ! Mémoires d’un ancien « incorporé de force » ; Claude MULLER, La culture du renseignement militaire. De Thann à Soultz à la veille de la guerre de Succession de Pologne ; Bertrand RISACHER, La tentative avortée de la ligne de chemin de fer de Soultz à Rimbach-Zell ; Édouard ROUBY, La chapelle de la famille Waldner dans l’église de Soultz. Contact : 7 rue Kageneck - Château du Bucheneck - 68360 Soultz.

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Société d’histoire du Sundgau

Annuaire 2013

73 In memoriam : Denis Ingold (1951-2012) ; Archéologie : Anne-Marie ADAM, La seigneurie celtique du Britzgyberg à Illfurth ; Architecture : Marc GRODWOHL, Le clocher (1267) et le cimetière fortifié d’Obermorschwiller ; Daniel ROUSCHMEYER, Chronogrammes régionaux ; Arts : Isabelle DE LANNOY, De l’impression au rêve, paysages de Henner ; Paul-Bernard MUNCH, Père Jean ZIMMERMANN †, Joseph Saur et le Sundgau ; Biographie : Pierre KLEIN, Emile Muller (Altkirch 1823 - Nice 1889) Un homme, une vie, une œuvre ; Alexandre BERBETT, Le controversé Dr Ricklin ; Économie : Bertrand RISACHER, Une histoire de famille : Alexandre Lang, de Durmenach à Jungholtz ; René PIERRE, Récoltant de joncs pour la tonnellerie ; Enseignement : Éric ETTWILLER, Les écoles supérieures de fille des sœurs de Bellemagny dans le Sundgau (1872-1887) ; Guerre de 1914-1918 : Maurice HIGELIN †, Kriegstagebuch - journal de guerre 1914-1919 (7 e partie) ; Guerre de 1939-1945 : Jean BABÉ, Les « jetés dehors » du Sundgau (2e partie) ; Histoire générale : Denis INGOLD †, Cernay vers le milieu du XVIe siècle, d’après les données d’un terrier de 1542 et des sources annexes ; Marc GLOTZ, Jacques Delille à Luppach : lorsque le Sundgau accueillait le poète le plus célèbre de son temps ; Religieux : Philippe LACOURT, Un prêtre au XVIIIe siècle : Jean-Jacques Werner, curé de Tagolsheim ; Claude MULLER, « Le bruit du canon et le son des cloches » : La visite pastorale de Mgr de Croy à Altkirch en 1820 ; Nicolas CLAERR, Quatre testaments de curés du canton de Hirsingue au XIXe siècle ; Raymond HEIDINGER, Les images pieuses du couvent de Landser ; Révolution : Claude MULLER, Le choix de la Révolution, une option familiale ? L’exemple des Deyber de Bernwiller ; Toponymie : Rolf Max KULLY, Le nom de Kiffis ; Divers : Daniel ROUSCHMEYER, Louis HERGÈS, L comme… ; Gabrielle CLAERR-STAMM, Éphéméride 2012 ; Poèmes : Sundgauschatta. S’Faldchritz ; Pierre SPENLEHAUER, Fyrio ! Fyrio ! D’Mordbrenner sin do ! Morand WALCH †, Wit vo d’Haim. Contact : BP 27 - 68400 Riedisheim - [email protected]

Rencontres transvosgiennes

Rencontres transvosgiennes - no3 - 2013

74 Actes de la XXIIe journée d’études transvosgiennes (Saint-Dié, 22 octobre 2012) : Francis GUETH, L’histoire extraordinaire d’un livre célèbre : l’exemplaire colmarien de la Cosmographia Introductio ; Claude FALTRAUER, Les boiseries de la bibliothèque abbatiale de Moyenmoutier ; Philippe JÉHIN, Livres et bibliothèques dans le val d’Orbey aux XVIIe et XVIIIe siècles ; Pierre HEILI, Les almanachs imprimés dans les Vosges, du XVIIIe siècle à nos jours ; Varia : Cédric ANDRIOT, L’abbaye d’Autrey sous la réforme de saint Pierre Fourier ; Gilles BANDERIER, Un projet de réforme de la Congrégation de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe ; Claude MULLER, La guerre dans la montagne ? Gramont de Villemontés et la vallée de Guebwiller (1783) ; Gilles BANDERIER, La suppression du pèlerinage de la Maix ; Cédric ANDRIOT, Les Annales de l’abbaye de Saint-Sauveur-en-Vosges (1692-1766). Une édition critique [première partie]. Contact : 12 rue Saint Grégoire - 68140 Munster.

Revue d’Alsace, 140 | 2014 572

Hors Alsace

Société Belfortaine d’Emulation

Bulletin no103 - 2012

75 Pierre MOSSON †, Michel RILLIOT, Marie-Thérèse RILLIOT, Agnès GRESET, La terre et les extinctions ; Olivier et Natacha HELLEC, Les tuileries Clavey à Foussemagne ; Jean- Michel KUNTZ, Du nouveau vélodrome belfortain (1924-1928) au square du Vélodrome (2012). Contact : B.P. 40092 - 90002 BELFORT Cedex

Souvenance anabaptiste - mennonitisches Gedächtnis

Bulletin no32 - 2013

76 Françoise NAAS, Assemblée Générale 2012 de l’AFHAM à Anould ; Monsieur l’Ambassadeur de France Gilles CURIEN, Les anabaptistes dans les Vosges ; Léone CHIPON, Le carré anabaptiste du cimetière communal de Senones ; Christoph WIEBE, Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé à savoir Jésus- Christ ; Neal BLOUGH, Convictions et tolérance en 1530 : un débat luthéro-anabaptiste strasbourgeois ; Jean-Claude KOFFEL, Les anabaptistes dans le bailliage de Lixheim ; Jean-Claude KOFFEL, Les anabaptistes du comte de Custine à Guermange et Assenoncourt ; Jean-Claude KOFFEL, Des anabaptistes à Hellering-lès-Fénétrange ; Robert BAECHER, Le moulin d’Ostheim : trois siècles de présence anabaptiste ; Edgard NUSSBAUMER, Les Mennonites de Weidesheim ; Jean-Michel ENGEL, Des meuniers anabaptistes à Lorentzen ; Jean HEGE, Le Schafbusch et ses mennonites de 1698 à 1906 ; Jean Pierre ROGGY, Une famille anabaptiste : Les Roggy - Rogy - Rogi ; Claude BAECHER, Recension ; Jean HEGE, Ouvrages et fascicules disponibles. Contact : 4 Grande Rue - 70400 Couthenans.

Société d’émulation de Montbéliard

Bulletin et mémoires - 157e année - no135 - 2012 (publié en 2013)

77 Mémoires : Christophe CORMIER, Les élèves des petites écoles de Montbéliard de la Réforme à la Révolution ; Stéphane BROUILLARD, Le traitement administratif des épizooties dans les Quatre Terres au dernier siècle de l’Ancien Régime ; Hervé Rouèche et Thierry MALVESY, Soixante-trois roches impériales au muséum Cuvier ; Frédéric PLANCARD, Les médaillés de Sainte-Hélène dans l’arrondissement de Montbéliard - 1857 ; Pierre CROISSANT, Le pasteur Louis-Frédéric Juillard, aumônier du corps expéditionnaire français en Chine (avril 1860-mai 1861) ; Jacques GAVIOLLE, Du maître d’école à l’instituteur dans le département du Doubs (1870-1914) : quelques spécificités du Pays de Montbéliard ; Documents : André BOUVARD, Le don gratuit des habitants de Montbéliard pour l’édification de la halle (1537) ; Mélanges : Jacques MONAMY, Le docteur Jehan Baudhin, patoisant montbéliardais ; Jacques SOUSSIA, Histoire des cloches de Montbéliard ; Yves PRADEILLES, La traversée de Montbéliard par le canal Monsieur 1825-1832 après un long parcours depuis la Saône ; Gérard PELOT, Les derniers grands feux ( ?) d’une maison comtoise et bourguigonne : Guillaume de

Revue d’Alsace, 140 | 2014 573

Vienne, seigneur de Saint-Georges et de Sainte-Croix, 1362-1437. Contact : BP 251 - 25204 Montbéliard Cedex.

Société philomatique vosgienne

Mémoire des Vosges - revue semestrielle - no26 - année 2013 « L’écrit »

78 Adeline CHOSEROT, Un conte oriental adapté en conte lorrain du Moyen Âge, Dolopathos et les sept sages ; Thierry CHOSEROT, Jean Ruyr et les sainctes antiquitez de la Vosge ; Claude MULLER, La foi constitutionnelle ou le zèle républicain de l’évêque Maudru ; René REVERT, Marie-Hélène SAINT-DIZIER, Une exceptionnelle vierge couronnée à l’enfant ; Anne PEROZ, La censure de la correspondance postale dans le département des Vosges pendant la Première Guerre mondiale ; Jean-Claude FOMBARON, Les lettres anonymes dans le canton de Saint-Dié en 1914-1918. Une guerre civile épistolaire ? Marie-Hélène SAINT-DIZIER, Sur les traces d’Albert Camus au Grand- Valtin en août 1950. Une œuvre héroïque par l’effort qu’elle demande à un malade ; Jean-Claude FOMBARON, L’ermite tatoué : le mystère du frère Joseph de Ventron. Une énigme cryptographique ? Jean-Claude FOMBARON, Erckmann, Brenner, Thomas, Jünger et quelques autres. Petit itinéraire littéraire de Saint-Dié ; Thierry CHOSEROT, Lecture et compréhension d’un document d’archives du 14e siècle. Une rente constituée de 1301 à Foucharupt (Saint-Dié).

Mémoire des Vosges - revue semestrielle - no27 - année 2013. « Identité, noms, prénoms »

79 Pierre COLIN, De la formation des noms de famille à partir des hypocoristiques de prénoms tirés du latin médiéval ; Raphaël TASSIN, Les patronymes italiens aux 17e et 18e siècles. Subsistance, transcription, francisation ; Elise CHAULACEL, L’« Amérique » aux déodatiens : la construction d’un mythe identitaire autour d’un nom ; Jean-Claude FOMBARON, Mourir pour la France sous un nom d’emprunt : les changements de patronymes des engagés volontaires alsaciens lors de la Première Guerre mondiale ; Jean‑Claude FOMBARON, Grande Guerre et mythes communautaires. Un régiment de Corse dans les Vosges, 1914-1916 ; Thierry CHOSEROT, Jean‑Claude FOMBARON, Le « camp celtique » de la Bure à Saint-Dié. Une nouvelle signalétique au sein d’un projet de valorisation. Contact : Local des associations - allée Georges Trimouille - BP 231 - 88106 Saint-Dié-des-Vosges Cedex.

Revue d’Alsace, 140 | 2014