ETUDE

Département thématique Politiques externes

LA SITUATION POLITIQUE AU CACHEMIRE

AFFAIRES ETRANGERES

Mars 2005 FR Direction Générale pour les Politiques Externes de l'Union Direction pour des Délégations Interparlementaires et Département Thématique Département Thématique Relations Extérieures

TITRE

LA SITUATION POLITIQUE AU CACHEMIRE

Résumé: La crise du Cachemire, ouverte dès les lendemains de la partition qui fit naître Inde et Pakistan en 1947, reste le point de friction majeur entre les deux pays. En 1989, l'insurrection de jeunes cachemiris contre la présence indienne au Jammu et Cachemire fut aussitôt appuyée par le Pakistan, qui y infiltra bientôt des combattants du jihad, sans pour autant déloger les forces indiennes. Les changements structurels récents (nucléarisation des deux pays en 1998, effets régionaux du 11 septembre et montée en puissance de l'Inde) amenèrent finalement les deux pays à calmer le jeu, après deux périodes de graves tensions, en 1999 et en 2002. Les positions rigides d'autrefois évoluent. Le général Musharraf, et une partie des séparatistes de la Conférence Hurriyat, abandonnent désormais les résolutions de l'ONU qui préconisaient un référendum, sans pour autant accepter la logique du statu quo, que l'Inde accepterait. Les hypothèses de découpages régionaux créant, de part et d'autre de la ligne de contrôle, des entités politiques spécifiques ne seront pas acceptées par New Delhi, récusant toute nouvelle partition du territoire. Mais à défaut, l'ouverture de liaisons entre les deux Cachemires prend corps. Le dialogue "composite" entamé par l'Inde et le Pakistan en 2004 n'est donc pas sans effet, sans qu'on puisse envisager une solution de jure à court terme. En revanche, Indiens, Pakistanais et Cachemiris pourraient, non sans ambiguïtés et non sans soupçons, avancer vers une stabilisation de facto de la région, si l'Inde assouplissait sa gestion du Cachemire, et si le Pakistan confirmait un début de changement de paradigme régional. Dans ce contexte, l'Union européenne peut encourager les dialogues croisés entre Inde et Pakistan et entre Cachemiris, en offrant son expérience de gestion des conflits et de frontières ouvertes, et en proposant de nouvelles coopérations économiques bénéficiant au Cachemire indien comme au Cachemire pakistanais, après le séisme d'octobre 2005. Sur le plan diplomatique, des convergences avec les autres grands acteurs — Etats-Unis au premier chef, Chine et Russie—, pourraient, avec la souplesse requise, conforter les deux adversaires dans la voie de nouvelles flexibilités permettant de sortir le Cachemire d'un long cycle de violences meurtrières, au bénéfice des Cachemiris eux-mêmes, et de toute la région.

EXPO/B/AFET/2005/38/01010 March 2005 PE 381.390 FR

Cette étude a été demandée par la commission Affaires étrangères du Parlement européen.

Cette étude est publiée Dans les langues suivantes : FR

Auteur: Jean-Luc RACINE Directeur de recherche au CNRS Centre d'Etudes de l'Inde et de l'Asie du Sud, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris

Administrateur responsable: M. Xavier NUTTIN Editeur Parlement européen Direction générale pour les Politiques externes de l'Union Département thématique ATR 09K 050 rue Wiertz B-1047 Brussels E-mail: [email protected]

Manuscrit complété le 10 mars 2006.

Cette étude est disponible sur internet http://www.europarl.europa.eu/activities/expert/eStudies.do?language=FR

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Bruxelles: Parlement européen, mars2006.

D'éventuelles opinions exprimées sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle du Parlement européen.

© Communautées Européennes, 2006.

La reproduction et la traduction à des fins non commerciales sont autorisées, moyennant la mention de la source et à condition notifier au préalable l'éditeur et d'envoyer au préalable une copie de la publication à l'éditeur.

2 PLAN

INTRODUCTION ...... 4

I. LE CONTEXTE HISTORIQUE 1. Un héritage de guerres et de tensions : 1947-1989 ...... 4 2. L'insurrection de 1989 et ses suites: identités, jihad et sale guerre ...... 5

II. LES POSITIONS DES DEUX CAMPS ...... 6

III. LES CHANGEMENTS STRUCTURELS DEPUIS 1998 ...... 7

IV. LE DIALOGUE EN COURS. NEGOCIATIONS ET NOUVEAUX DISCOURS 1. Procédures, avancées, ambiguïtés ...... 8 2. Les propositions pakistanaises ...... 9 3. Les positions de la Conférence Hurriyat (APHC) ...... 11 4. Les inflexions indiennes ...... 11 5. Le difficile dialogue entre les séparatistes et New Delhi, et entre Cachemiris ...... 12 6. Les conséquences du séisme d'octobre 2005 ...... 14

V. HYPOTHESES ET SCENARIOS 1. La capacité du Pakistan à changer de paradigme ...... 14 2. Les possibles concessions indiennes ...... 15 3. L'évolution des Cachemiris ...... 15 4. Le contexte international ...... 15 5. Trois scénarios ...... 16 a)-La rechute dans la tension indo-pakistanaise ...... 16 b)- Une solution de jure ...... 16 c)- Une stabilisation de facto ...... 16

VI. QUEL ROLE POUR L'UNION EUROPEENNE ? ...... 16 1. Les grands acteurs internationaux : Etats-Unis et Chine ...... 17 2. Le Parlement européen et le Cachemire ...... 17 3. L'Europe et la résolution des conflits ...... 18 4. Nourrir la réflexion, faciliter le dialogue ...... 18 5. Dans le domaine économique et social : coopération et prospective ... 18 6. Dans le domaine diplomatique ...... 19

ANNEXES 1. Bibliographie ...... 20 2. Population et religions ...... 21 3. Partis et mouvements politiques...... 22 4. Les avancées du dialogue indo-pakistanais ...... 28 5. Cartographie ...... 30

3 INTRODUCTION

Née dès les lendemains de la sanglante partition de l'Empire des Indes, la question du Cachemire est un sujet si sensible et si complexe qu'il ne peut être abordé par une instance politique, parlementaire ou exécutive, qu'avec les plus grandes précautions. D'un côté, une bataille de principes : le droit à l'autodétermination contre l'intégrité nationale; la dénonciation des violations des droits de l'homme, ou celle du terrorisme; des conceptions opposées de la nation: multiculturelle en Inde, religieuse au Pakistan. De l'autre côté, la réalité plus obscure des convictions et des passions, mais aussi des ambiguïtés, des tactiques et des manipulations. A l'arrière-plan, de grands enjeux : l'Inde émergente, le Pakistan tournant peut-être la page de vingt-cinq ans d'instrumentalisation de l'Islam combattant. A l'horizon, la Chine, les Etats-Unis, la prolifération nucléaire, les ramifications internationales de réseaux terroristes. Le bilan humain est lourd : 40 000 morts au moins, en quinze ans d'insurrection, de répression, d'attentats, d'assassinats, de disparitions. L'aspiration à la paix dans la justice et profonde, mais les Cachemiris sont divisés entre indépendantistes, islamistes ou non, pro-pakistanais, pro- indiens. L'échiquier religieux est complexe : sunnites, chiites, hindous, bouddhistes. La mosaïque linguistique l'est tout autant, dans ce milieu himalayen compartimenté. Au nord de la Ligne de contrôle s'étendent les Territoires du Nord et l'Azad Cachemire, pakistanais. Au sud, la vallée de , le cœur de l'insurrection, ainsi que le Jammu et le Ladakh, indiens. Au-delà de l'Himalaya: les terres sous contrôle chinois: la vallée de la Shaksgam et l'Aksai Chin : quasi vides, mais stratégiques, entre Tibet et Sinkiang. Au total, un territoire contesté de 222 000 km2 et près de 15 millions d'habitants (deux tiers de l'Allemagne en superficie, presque les Pays-Bas en population) vivant au point de contact des trois pays nucléarisés d'Asie, dans un héritage de guerres, de tensions, de méfiance et de rancoeurs accumulées. Le dialogue aujourd'hui engagé entre Islamabad et Delhi n'est pas le premier, mais il se déploie dans un nouvel environnement régional et global, auquel n'échappe pas les dynamiques internes du Cachemire lui-même. Les avancées sont lentes, mais prometteuses. Les soupçons planent toutefois, dans chaque camp. Un rappel historique, l'exposé des positions des deux camps, l'évocation des récents changements structurels et l'analyse du dialogue en cours nourriront ici hypothèses et scénarios, avant d'évoquer un possible rôle pour l'Union Européenne.

I. LE CONTEXTE HISTORIQUE

1. Un héritage de guerres et de tensions : 1947-1989 L'image dominant l'histoire du Cachemire contemporain est celle d'un territoire contesté, marqué par des tensions récurrentes et des guerres multiples: 1947-48, 1965, 1971, 1999. En 1947, des mouvements cachemiris s'opposent au maharaja qui les gouverne, sans partager les mêmes objectifs. La "Conférence musulmane", pro-pakistanaise, lance la révolte, qu'appuient très vite des francs-tireurs venus du Pakistan, encadrés par des officiers pakistanais. Le maharaja en appelle à l'Inde, qu'il décide de rallier. Cette accession à l'Inde est censée préserver une très grande autonomie au Cachemire, et doit être entérinée par référendum. Les troupes pakistanaises entrent en action. Sous l'égide de l'ONU, qui a renvoyé dos à dos les deux parties, une ligne de cessez-le feu tranche le Cachemire à compter du 1er janvier 1949. Des résolutions de l'ONU (1948, 1949, 1957) appellent au référendum, après retrait préalable des forces engagées. A Srinagar, la "Conférence nationale" de Sheikh Abdullah arrive au pouvoir en 1949, avec l'appui de Delhi. Mais ses appels à l'autonomie sont jugés ambigus. Abdullah sera longtemps emprisonné, tandis que l'Inde rogne peu à peu l'autonomie promise. L'assemblée du Jammu et Cachemire confirme le rattachement à l'Inde (1954) puis adopte une Constitution

4 spécifique pour le Jammu et Cachemire, "partie intégrante de l'Inde" (1957). Sheikh Abdullah entérina cette évolution en 1975 en revenant au pouvoir. Côté pakistanais, le Cachemire est défini comme "territoire contesté". Il n'est pas officiellement intégré au pays. Le bastion de la "Conférence musulmane", près de Muzzafarabad, devient l'Azad Cachemire, le Cachemire libre, avec Président, Premier ministre et Assemblée, mais sans souveraineté. En réalité, Islamabad contrôle tout, comme elle contrôle les Territoires du Nord, sous administration directe, sans assemblée. En 1957, la Chine a discrètement mis la main sur l'Aksai Chin, au-delà de l'Himalaya. En 1963 le Pakistan lui a cédé la vallée transhimalayenne de la Sashgam. Le Cachemire maximal hérité du maharaja est donc divisé entre Inde, Pakistan et Chine. Mais il est aussi très divers sur le plan linguistique, le cachemiri (38% du total) n'étant langue majoritaire que dans la vallée de Srinagar et sur ses marges. Les musulmans, sunnites et chiites comptent pour 99% dans la zone pakistanaise. En 1981 ils comptaient pour 68% dans la zone indienne (95% dans la vallée de Srinagar) avec des régions où dominent les hindous ( 66 % au Jammu) et les bouddhistes (51% au Ladakh). Les guerres de 1965 (lancée par le Pakistan) et de 1971 (contrecoup de la guerre de sécession du Bangladesh, aidée par l'Inde) ne modifièrent pas sensiblement le partage du territoire. Mais par l'accord de Shimla, en 1972, Inde et Pakistan affirmaient que "les deux pays ont résolu de régler leurs différends de façon pacifique, par des négociations bilatérales ou par d'autres moyens pacifiques définis d'un commun accord", la Ligne de contrôle devant "être respectée par les deux parties, sans préjudice de leur position respective". La question du Cachemire ne résulte pas seulement d'une compétition portant sur des terres d'importance stratégique (ressources en eaux de l'Indus, route vers la Chine). Sont aussi en cause deux conceptions opposées de la nation, formulées à la veille de l'indépendance: un Pakistan, terre musulmane fondée sur l'identité religieuse, face à une Inde multiculturelle, prônant "l'unité dans la diversité". Plus tard, les crises auraient peut-être été évitées si l'Inde avait su s'attacher les Cachemiris sous son contrôle. Ce ne fut pas le cas: elle abandonna l'idée du référendum, rogna l'autonomie. Nombre de Cachemiris déplorèrent la manipulation de la vie politique locale par New Delhi (on pourrait dire de même côté pakistanais). La fraude aux élections de 1987, au détriment du nouveau Front Musulman Uni, accrut les frustrations. Fin 1989 la révolte éclatait à Srinagar.

2. L'insurrection de 1989 et ses suites: identités, jihad et sale guerre A partir de 1990, les excès des forces de répression indienne (400 000 hommes?) opérant sous la protection de lois d'exception aidèrent en fait l'insurrection cachemirie à s'étendre. Le Pakistan fournit très vite aux jeunes Cachemiris passant la Ligne de contrôle un soutien actif, dans des camps établis en Azad Cachemire. Pour contrebalancer les indépendantistes du Front de Libération du Jammu et Cachemire (JKLF), Islamabad renforça son appui au pro-pakistanais. En 1993, le Pakistan appuya en sous-main la création, à Srinagar, de la All Party Hurriyat Conference (APHC), regroupement de partis et de mouvements sociaux séparatistes. En parallèle, Islamabad et ses services secrets (l'ISI) formaient et infiltraient au Cachemire des combattants, pakistanais pour l'essentiel, menant le jihad contre l'Inde. Parmi eux deux groupes phares: les Lakshar e Taiba et l'Harkat ul Ansar, transformé en Jaish e Mohammad en 2000. Ces forces n'avaient plus pour philosophie la "" traditionnelle. Elles étaient liées à de complexes réseaux de groupes radicaux armés, jihadis au Cachemire, extrémistes sunnites anti- shiites au Pakistan. Certains combattants étaient passés par des camps d'entraînement des Talibans, en Afghanistan, où Osama ben Laden était revenu en 1996. En quinze ans d'insurrection et de répression, on dénombrait au Cachemire 40 000 morts (certains disent 75 000), victimes, comme tant d'autres survivants, de la guerre asymétrique et de ses dommages collatéraux, des attaques terroristes contre les civils, des assassinats ciblés, des opérations

5 militaires, des ratissages urbains ("cordon and search operations"), des disparitions après arrestations, des morts en détention. Après six ans d'administration directe (1990-96), la crise persista sous un nouveau gouvernement élu, dirigé par Farooq Abdullah, leader de la National Conference. A New Delhi, les gouvernements successifs —dont le Bharatiya Janata Party (BJP), bras politique du nationalisme hindou— ne purent ni vaincre l'insurrection, ni négocier avec les séparatistes (une tentative avorta rapidement en 2000). Pour autant, la politique pakistanaise de "saigner l'Inde" par insurgés interposés pesait sur les Cachemiris, sans réussir à changer leur statut. En outre, l'instrumentalisation de l'islam radical par les services secrets de l'ISI, en Afghanistan et au Cachemire, devenait risquée pour le Pakistan lui-même.

II. LES POSITIONS DES DEUX CAMPS

A la fin des années 40, le Pakistan définit le Cachemire, en majorité musulman mais rattaché à l'Inde par son maharaja hindou, comme étant "l'agenda inachevé de la partition" . La construction nationale pakistanaise est donc mise en avant plus que les attentes des Cachemiris, qui sont supposés, en tant que musulmans, vouloir être pakistanais. Le Jammu et Cachemire est "occupé par l'Inde", l'ensemble du Cachemire étant "territoire contesté". De cette notion résulte le statut d'attente des Territoires du nord et celui de l'Azad Cachemire, en réalité entièrement dans la main d'Islamabad. Le Pakistan ne se prononce pas sur l'Aksai Chin tenu par Pékin. Dans une deuxième phase, les autorités pakistanaises ont plutôt mis en avant "le droit inaliénable des Cachemiris à l'autodétermination", énoncé par les résolutions des Nations Unies. Ce discours est encore entendu aujourd'hui, alors même qu'à la fin des années 90 une troisième formule se fait jour : la solution au problème du Cachemire doit se faire "selon les vœux des Cachemiris", sans toujours mentionner un référendum. Les positions officielles pakistanaises ont donc varié au fil de l'histoire, usant tour à tour d'interprétations juridiques, de grands principes, ou de la mise avant des Cachemiris, mais elle ont toujours contesté le statu quo. Les thèses indiennes, à l'opposé, affirment la validité de l'accession du Cachemire à l'Inde, au terme des règles régissant le statut spécifique des Etats princiers à l'heure de la Partition. D'où une position officielle maximaliste : tout le Cachemire est indien, y compris les terres "occupées par le Pakistan" et celles "occupées par la Chine". Le référendum promis n'a pu avoir lieu (le Pakistan n'ayant pas retiré ses troupes), mais les résolutions de l'Assemblée du Jammu et Cachemire ont confirmé, au suffrage indirect, le rattachement à l'Inde. En fait, l'Inde s'accommoderait de l'officialisation du statu quo, transformant la Ligne de contrôle en frontière, qui pourrait être ouverte. Le contentieux frontalier avec la Chine est par ailleurs négocié avec Pékin. A en croire la thèse indienne, l'insurrection au Cachemire, lancée par "des jeunes gens égarés", ne se prolonge qu'avec l'appui du Pakistan, et les combattants jihadis qu'il infiltre côté indien : à la fin des années 1990, Delhi parle de "guerre par procuration" (proxy war) menée par Islamabad et de "terrorisme transfrontalier" (transborder terrorism). Le Pakistan parle de "combattants de la liberté" (freedom fighters) indigènes et voit dans la répression indienne un "terrorisme d'Etat". La guerre des argumentaires et le rappel récurrent des vilenies de l'autre camp ne sauraient masquer les failles des deux thèses en jeu. La faiblesse indienne s'exprime dans l'insurrection même, et dans la frustration manifeste des Cachemiris, qui ne sont pas simplement manipulés par le Pakistan. Mais si l'Inde n'arrive pas à régler la crise, elle peut en revanche tenir bon sur le terrain le temps qu'il faudra. Tâche sur la démocratie indienne, le Cachemire ne peut pour autant effacer, à l'échelle nationale, les succès et la stabilité d'un véritable régime parlementaire d'une ampleur inégalée. La puissance émergente de l'économie indienne ajoute à

6 son image. La communauté internationale, qui plus est, se satisferait du statu quo territorial souhaité par l'Inde, sous réserve d'une meilleure gouvernance. Côté pakistanais, l'appel aux grands principes ne saurait masquer une stratégie récurrente d'intervention violente toujours niée (dès 1947, et a fortiori à compter de 1990). Le double jeu de 1999 (accord politique de Lahore avec l'Inde, suivi de la "guerre de Kargil") menant au coup d'état qui porte le général Musharraf au pouvoir, et l'instrumentalisation tous azimuts (Afghanistan et Cachemire) de l'islamisme armé ternissent l'image du pays. Le Pakistan de l'an 2000, habitué aux régimes militaires, apparaît comme un pays déstabilisateur, où nucléaire et culture du jihad coexistent. Mais ce facteur est aussi une force : nul ne souhaite voir le chaudron pakistanais s'enferrer dans une impasse dangereuse. Le général Musharraf saura bientôt en tirer parti.

III. LES CHANGEMENTS STRUCTURELS DEPUIS 1998

Trois paramètres ont profondément transformé la crise du Cachemire en quelques années. En premier lieu, les essais nucléaires conduits par l'Inde et le Pakistan en mai 1998 contribuèrent à internationaliser la question du Cachemire, ce que l'Inde a toujours voulu éviter depuis les années 50. Mais cette internationalisation joua contre le Pakistan, quand Washington, avec l'accord silencieux de Pékin, contraignit Islamabad à retirer ses forces infiltrées, au-delà de la Ligne de contrôle, sur les hauteurs de Kargil (1999). La tentation de la guerre limitée ouverte sous parapluie nucléaire paraissait trop risquée dans un tel contexte. En 2002, après l'attaque terroriste contre le Parlement indien, New Delhi mobilisa massivement ses troupes sur la frontière du Pakistan, qui mobilisa à son tour. Le face à face dura dix mois, sans que l'armée indienne passe à l'action, pour les mêmes raisons : le seuil menant à la dérive nucléaire est trop incertain. Second changement : les marges de manœuvre du Pakistan se rétrécirent considérablement après le 11 septembre et le lancement, en Afghanistan, de la "guerre contre le terrorisme". L'aventurisme transfrontalier d'Islamabad cherchant une "profondeur stratégique" face à l'Inde dut se résorber, d'abord en Afghanistan puis, de façon plus ambiguë, au Cachemire. Le général Musharraf se résolut en janvier 2002 à condamner le jihad au Cachemire. Cette nouvelle ligne, si limitée fut-elle, engendra des scissions: la Conférence Hurriyat, le Hizbul Mujahideen et le Jaish e Mohammad se divisèrent en 2003, tandis qu'une frange radicale chercha à assassiner Musharraf par deux fois. Après le 11 septembre, l'Inde marqua des points, son discours dénonçant le terrorisme devenant plus audible, mais Washington jouait en même temps la carte Musharraf contre les Talibans et al Qaeda. Troisième facteur, l'émergence économique et géopolitique de l'Inde en Asie a conforté son statut diplomatique. Le rapprochement entre New Delhi et Washington, à partir de l'an 2000, et la normalisation en cours avec Pékin ont altéré la géométrie traditionnelle des relations des Etats-Unis et de la Chine avec l'Asie du sud. Dans le même temps, la croissance économique de l'Inde a accru la disparité entre Inde et Pakistan, en termes de PNB mais aussi de budget de la défense. Cette double évolution a affaibli le statut relatif du Pakistan face à son grand voisin. Ces évolutions structurelles ont fait bouger les choses au Cachemire même. Après le 11 septembre, la Conférence Hurriyat comprend que la stratégie du jihad mise en œuvre par le Pakistan en appui des insurgés cachemiris dessert désormais la cause et l'image de ces derniers. L'Hurriyat demande aux "frères" combattants de se tenir coi, mais n'a pas de pouvoir sur eux. Sa stratégie, du coup, devient peu lisible. Ceux qui proposent un dialogue avec Delhi se sentent menacés, quand ils ne sont pas abattus, tel Abdul Ghani Lone, un des leaders de l'Hurriyat, assassiné en 2002, et Abdul Majid Dar, ancien commandant du Hizbul Mujahideen, assassiné en 2003. Côté politique, les élections de l'automne 2002 au Jammu et Cachemire, jugées honnêtes

7 mais boycottées largement dans certaines villes de la Vallée, amènent au pouvoir un nouveau parti cachemiri, le Parti Démocratique du Peuple (People Democratic Party) de Mufti Mohammad Sayeed, en coalition avec le parti du Congrès. Sayeed souhaite discuter avec toutes les parties, et préconise une politique d'apaisement ("healing touch") au bénéfice des Cachemiris écrasés par douze années de violence (au terme de l'accord de coalition, un chef de gouvernement congressiste, Ghulam Nabi Azad, a succédé à Mohammad Sayeed en novembre 2005, à mi-mandat). Mais c'est bien Delhi qui continue de définir la politique à suivre vis-à-vis des insurgés, de l'Hurriyat, des jihadis et du Pakistan. Du côté des sociétés civiles, les choses bougent aussi. En Inde comme au Pakistan le Cachemire est l'objet d'un large consensus national, qui n'empêche pourtant pas les bonnes volontés de travailler, au sein de diverses associations, à un dialogue indo-pakistanais conduit hors des cercles diplomatiques ou des réseaux paradiplomatiques de la "second tract diplomacy". Au Pakistan même, après le 11 septembre, des voix s'élèvent publiquement pour remettre en cause la stratégie mise en œuvre au Cachemire.

IV. LE DIALOGUE EN COURS. NEGOCIATIONS ET NOUVEAUX DISCOURS

Depuis 2002, le général Musharraf proclamait vouloir dialoguer "n'importe où, n'importe quand, à n'importe quel niveau". La réponse indienne était ferme : pas de dialogue sans arrêt du terrorisme (formule dure) ou des infiltrations (formule adoucie). La sortie de la crise militaire à l'automne 2002 a eu le mérite de pousser les deux parties à revoir leur position.

1. Procédures, avancées, ambiguïtés En avril 2003 A.B. Vajpayee tend au Pakistan "la main de l'amitié". S'ouvre une phase de contacts secrets qui aboutissent, en novembre, à la proposition pakistanaise de cessez-le-feu le long de la Ligne de contrôle, et en janvier 2004 à une déclaration conjointe ouvrant le dialogue, engagé le mois suivant. Chacun a fait des concessions : l'Inde engage le dialogue alors que les infiltrations, en baisse en hiver, n'ont pas été verrouillées, et que les groupes durs, Cachemiris ou non, ont toujours des bases en Azad Cachemire. Les attentats se poursuivent toujours, du reste, au Cachemire ou à Delhi. Quant au Pakistan, il abandonne les résolutions de l'ONU, que le général Musharraf "met de côté" le 16 décembre 2003. Cette concession importante, en rupture de la doctrine pakistanaise traditionnelle, est inspirée par un constat pragmatique (la communauté internationale n'entend pas appliquer ces résolutions). Mais elle n'implique pas de retournement stratégique. L'objectif affiché reste d'aller au-delà du statu quo, en invoquant les vœux des Cachemiris, l'indépendance du Cachemire tout entier restant cependant exclue. Le chef de l'Etat pakistanais abandonne aussi la doctrine du "Cachemire d'abord" (qui veut que les autres contentieux et les échanges commerciaux ne soient abordés qu'après de réelles avancées sur le Cachemire) pour revenir à la proposition indienne, acceptée par Islamabad en 1997, mais rejetée ensuite, celle d'un dialogue "composite", abordant toutes les questions selon une structure 2+6 : les deux questions clés, sécurité/nucléaire et Cachemire étant traitées en même temps que six autres dossiers (dont, au Cachemire, le glacier du Siachen, militarisé en 1984 par les deux pays, et le barrage de Wullar). Après les grands sommets décevants (Lahore 1999) ou ratés (Agra, 2001), l'heure est aux mécaniques diplomatiques structurées, avec cycles de négociations très préparés. Après les élections indiennes de mai 2004, la défaite du BJP et l'arrivée au pouvoir de Manmohan Singh, à la tête d'une coalition menée par le Parti du Congrès, n'affectent pas le dialogue, qui se poursuit au même rythme. Engagé début 2004, ce dialogue est un processus lent, mais durable pour le moment. Au Cachemire même, la principale avancée est l'ouverture, en avril 2005, de la liaison routière Srinagar-Muzaffarabad entre les deux Cachemires, une initiative mesurée mais emblématique, encore impensable il y a peu de temps, et qui sera suivie d'autres liaisons. Politiquement, pas de

8 grandes avancées —et les faucons des deux camps le dénoncent, doutant de la réelle bonne volonté de l'autre camp. Pour les uns, l'Inde ne chercherait qu'à gagner du temps, sans rien céder d'important. Elle gérerait le conflit, sans chercher à la résoudre. Pour les autres, la nouvelle ligne du général Musharraf ne serait qu'un leurre: l'armée pakistanaise, Etat dans l'Etat, a trop à gagner à maintenir ouverte la question du Cachemire. Le climat change, pourtant, sans être pleinement serein. En avril 2005, une déclaration conjointe Musharraf-Singh affirme que "le processus de paix est irréversible", et que le terrorisme ne saura le faire dérailler. En parallèle, les avancées sur les autres dossiers sont lentes, mais pas négligeables. La réouverture annoncée de voies de communications routières et ferroviaires entre l'Inde et le Pakistan va dans le sens d'une normalisation, que tempèrent régulièrement, d'un côté ou de l'autre, des signes d'impatience. L'Inde s'inquiète de la persistance des attentats. Le Pakistan dénonce le peu de mobilité de l'Inde sur le statut du Cachemire. En fait, tout le monde bouge, mais différemment, dans la forme comme dans le fond. Le climat généré par le dialogue offre en effet, hors de la table de négociations, l'opportunité de tenir de nouveaux discours, et d'envisager de nouvelles options inégalement réalistes, mais qui toutes témoignent d'une mobilité relative des deux parties par rapport aux rigidités d'autrefois.

2. Les propositions pakistanaises Le général Musharraf a pour tactique de multiplier, hors des circuits diplomatiques, des propositions diverses, au nom d'une nécessaire "flexibilité". De style très différent du Premier ministre indien, il joue volontiers des médias. Mais derrière son côté parfois brouillon, cet activisme est aussi tactique: il s'agit de montrer à la communauté internationale que le Pakistan essaie d'avancer, tandis que l'Inde ne bouge guère. Derrière la rhétorique pakistanaise, on trouve des formulations de principes nouvelles, mais de bon sens, comme cet appel à trouver une solution de compromis en rejetant les thèses inacceptables pour l'Inde, le Pakistan et les Cachemiris. On note aussi des concessions considérables (mettre de côté les résolutions de l'ONU en 2003, accepter un dialogue composite en 2004) mais qui sont moins des propositions stricto sensu que des ajustements au principe de réalité. Au-delà, le contenu reprend désormais des hypothèses anciennes, qui toutes s'appuie sur l'idée que, d'une façon ou d'une autre, l'appartenance religieuse doit servir de guide à des changements de statut territorial, qui permettraient d'une façon ou d'une autre de reconnaître une personnalité particulière aux districts indiens à majorité musulmane, voire sunnite. Les propositions, souvent formulées en primeur devant la presse au risque de vouloir placer les dirigeants indiens devant le fait accompli, restent généralement imprécises : il s'agit sauf exception de principes, que les négociations officielles pourraient, le cas échéant, préciser. Dressons-en un court tableau.

La formule du 25 octobre 2004 : les sept régions Le 25 octobre 2004, le général Musharraf offre à des journalistes pakistanais "de nouvelles options" sur Cachemire, "pour lancer le débat au Pakistan". Il reprend les découpages en sept régions ethno-linguistiques (et religieuses) du Cachemire : deux du côté pakistanais (Azad et Territoires du Nord) et cinq du côté indien (i- les districts du Jammu à majorité hindoue; ii- les districts du Jammu à majorité musulmane; iii- la vallée du Cachmire à majorité musulmane; iv- la partie du Ladakh à majorité chiite; v- la partie du Ladakh à majorité bouddhiste). Musharraf suggère d'identifier ces régions, puis de les démilitariser avant d'en changer le statut, au cas par cas. Plusieurs options sont envisagées rattachement à l'Inde ou au Pakistan, autonomie, condominium indo-pakistanais, mandat de l'ONU ou autre. Ce sont là des positions nouvelles pour le pouvoir, mais qui renvoient à diverses options envisagées depuis des années par le Kashmir Study Group ou, dans l'esprit sinon dans la forme, à l'ancienne "formule Chenab" (donnant la Vallée et les zones à majorité musulmanes au Pakistan), ou encore au plan Dixon de référendum par région avancé dans les années 50. Devant

9 les protestations de l'opposition, le Ministère des Affaires étrangères pakistanais dément le 29 octobre que le président pakistanais aie fait là des "propositions" . Deux jours plus tôt, le Pakistan Observer, avait publié un rectificatif précisant que, contrairement à ce que pouvaient comprendre ses lecteurs, Président n'avait pas "dévié de la position nationale sur le Cachemire"… L'Inde ne donne pas suite à ces positions non formulées officiellement, et rappelle qu'elle ne saurait entériner un nouveau partage du Cachemire sur des bases religieuses.

Démilitarisation et "self-governance" Dans les semaines qui suivent, sans se référer nécessairement au découpage régional, les autorités pakistanaises mettent deux concepts en avant : la démilitarisation, en précisant qu'elle concernerait aussi l'Azad Kashmir pakistanais (mais rien n'est dit des Territoires du Nord), et la "self-governance" , un concept imprécis, qui permet d'éviter le mot "autonomie", plus souvent avancé côté indien). Les deux concepts deviennent des leitmotiv du discours pakistanais, entre autres quand le mirwaiz Omar Farooq, leader de l'Hurriyat, rencontre le général Musharraf à Islamabad, le 5 janvier 2006. L'Inde, qui a pourtant déplacé quelques milliers d'hommes en 2005, remarque que la démilitarisation ne peut être à l'ordre du jour tant que des infiltrations et des attentats se poursuivent. Cette thèse n'en demeure pas moins celle qui est mise en avant par Islamabad à la veille de la visite du Président Bush en Inde et au Pakistan.

La démilitarisation de trois villes Le 7 janvier 2006, dans une interview à une télévision indienne, le général Musharraf suggère, cette fois de façon limitée mais précise, de commencer par démilitariser trois villes du Cachemire indien: Srinagar, Kupwara et Baramullah. En échange, il promet assez curieusement "de faire en sorte la violence des groupes militants s'arrête" ("Pakistan would ensure there was no violence by militants", The News, 8.1.2006), ce qui implique qu'il dispose d'influence sur ces groupes. Les observateurs indiens soulignent que les trois villes citées sont précisément de hauts lieux de la violence, Kupwara et Baramullah, proches de la Ligne de contrôle, étant les chefs- lieux des districts où les infiltrations ont été maximales dans le passé. La proposition, unilatérale, revient à démilitariser le côté indien de la Ligne de contrôle. C'est ambigu, par rapport à une autre option qui serait la démilitarisation d'un ruban de plusieurs kilomètres de profondeur, des deux côtés de la Ligne. L'Inde ne donne pas suite. Au terme de la réunion de reprise du troisième cycle du dialogue bilatéral, la déclaration conjointe indo- pakistanaise du 19 janvier ne se réfère à aucune de ces propositions, mais se dit satisfait des progrès accomplis. A la presse, Syam Saran, Foreign Secretary indien, précise toutefois les positions de New Delhi : il faut voir au-delà des propositions pakistanaises, et faire de la Ligne de contrôle une "Ligne d'amitié"et que la self-governance devrait plutôt s'appliquer au Cachemire sous contrôle pakistanais, qui ne dispose pas d'assemblées élues comparables à celle du Jammu et Cachemire.

Le discours d'Oslo: 24 janvier 2006 En visite en Norvège, le général Musharraf précise le 24 janvier que l'indépendance du Cachemire doit être exclue, puisque l'Inde comme le Pakistan la rejettent. Il rejette aussi, comme 'le peuple cachemiri", "l'autonomie dans le cadre de la Constitution indienne". Comme l'Inde ne veut pas changer les limites territoriales (boundaries) et que le Pakistan refuse d'entériner la Ligne de contrôle, il faut envisager un "mécanisme de gestion conjointe " (joint management mechanism) garantissant la sécurité et la "self-governance" sous la supervision de l'Inde, des Cachemiris et du Pakistan. La presse pakistanaise est très discrète sur ces propos. Le mécanisme évoqué n'est pas précisé par la suite.

10 La visite attendue de George W. Bush, mars 2006 Fin février 2006, à la veille de la visite du Président G.W. Bush en Inde et au Pakistan, il semble que les contacts entre diplomates pakistanais et américains s'intensifient, pour rendre la proposition de démilitarisation et de "self-governance" plus acceptable à New Delhi. Le Président américain a précisé dans le même temps qu'il juge nécessaire l'implication des cachemiris dans le dialogue indo-pakistanais, mais aussi une action plus ferme contre les groupes terroristes.

3. Les positions de la Conférence Hurriyat (APHC) Dans le camp "séparatiste", l'APHC est divisée depuis 2003. La ligne dure, minoritaire, est incarnée par , toujours favorable aux résolutions de l'ONU et au rattachement au Pakistan. Geelani, cependant, comme la Jamaat e Islami pakistanaise, dénonce désormais la "flexibilité unilatérale envers l'Inde" du général Musharraf qui n'a "aucun mandat pour proposer une solution politique inacceptable pour la population du Jammu et Cachemire occupé". (no mandate to propose a political solution unacceptable to the people of occupied J&K). Cette ligne semble en voie d'affaiblissement, mais elle peut être réactivée si nécessaire. La ligne dominante, dite modérée, est incarnée par le mirwaiz Omar Farooq, qui plaide pour intégrer les Cachemiris au dialogue indo-pakistanais. En visite au Pakistan, Omar Farooq, le 9 juin 2005, s'aligne de fait sur Musharraf sur de nombreux points: dépasser les résolutions de l'ONU, refuser d'officialiser la Ligne de contrôle, démilitariser avant toute chose. Il n'avance aucune proposition concrète de "solution", mais imagine l'hypothèse d'Etats-Unis du Cachemire, un concept délibérément flou, qui pourrait impliquer une large autonomie des cinq grandes entités administratives constituant aujourd'hui le Cachemire de part et d'autre de la Ligne de contrôle (Jammu, Cachemire, Ladakh du côté indien, Azad Cachemire et Territoires du Nord du côté pakistanais). Omar Farooq précise à New Delhi, en novembre 2005, qu'il n'est pas l'heure d'avancer des hypothèses précises ou des arguments juridiques, mais qu'il convient de construire des préalables et des mesures de confiance. Il réclame de nouveau la démilitarisation du Cachemire (et la cessation parallèle des opérations des "militants"), la libération des prisonniers politiques, l'arrêt des violations des droits de l'homme, la mise en place d'un dialogue entre les deux parties du Cachemire. Il souligne l'impérieuse nécessité d'impliquer sérieusement les Cachemiris dans le dialogue indo-pakistanais, au départ sous forme de dialogue tripartite, les Cachemiris étant consultés séparément par Delhi et Islamabad, ensuite sous forme de dialogue trilatéral, les trois parties discutant ensemble. Le mirwaiz refuse toujours de participer à des élections au Jammu et Cachemire, ce qui vaudrait reconnaissance de la Constitution indienne. Aux yeux de New Delhi, la représentativité de l'Hurriyat reste ainsi contestable, faute de test électoral.

4. Les inflexions indiennes Si l'Inde, contrairement au Pakistan, ne multiplie pas les propositions médiatiques, on ne saurait la taxer d'immobilisme. A.B. Vajpayee s'était rendu à Lahore en 1999, avait invité Musharraf à Agra en 2001, et avait appelé de nouveau au dialogue en 2003. Depuis 2004 le dialogue s'est poursuivi, sans que les infiltrations disparaissent pour de bon, et alors que les attentats ont frappé le pays. L'ouverture de la liaison Srinagar-Muzzafarabad en 2005 eut aussi une valeur symbolique forte. Certes, New Delhi ne change pas sa ligne sur le fond : pas de redécoupage territorial du Cachemire, soit entre Inde et Pakistan, soit par le biais de régions chevauchant la Ligne de contrôle, que les dirigeants indiens préféreraient officialiser, après avoir opéré des ajustements mineurs si besoin était. Des inflexions sont pourtant notables sur plusieurs plans. New Delhi serait prête à ouvrir la Ligne de contrôle pour favoriser les échanges entre les deux parties du Cachemire, et entre le

11 Cachemire et le Pakistan. L'Inde propose d'ailleurs au Pakistan de rétablir rapidement deux autres axes routiers fermés de longue date : au Jammu, la route Jammu-Sialkot, au Ladakh, la route Kargil-Skardu. Côté indien, le Jammu et Cachemire pourrait bénéficier d'une autonomie accrue, mais sans revenir à la situation prévalant jusqu'en 1953, quand seules la défense, la monnaie et les communications étaient sous la juridiction du Centre. Sur ce point, les propositions de la Conférence Nationale, faites à l'Assemblée du Jammu et Cachemire en 2000 devraient pouvoir être partiellement reprises, même si certains élus cachemiris voudraient revenir à 1952. Par ailleurs, New Delhi envisage de réduire sa présence militaire, si la situation le permettait, (quelques milliers d'hommes ont déjà été transférés), ce qui renvoie explicitement à la question décisive des infiltrations et du terrorisme. A cet égard, New Delhi s'interroge sur la stratégie du général Musharraf, qui n'a toujours pas sérieusement inquiété les dirigeants des groupes les plus radicaux (, émir de la Jamat ud Dawa, la maison-mère des Lashkar e Taiba, et le maulana , chef du Jaish e Mohammad). L'état-major indien considère qu'il reste toujours des infiltrations et des camps de jihadis au Cachemire pakistanais, même si les chiffres de 2005 marquent une baisse sensible des infiltrations par rapport à 2004 (-50%) et à 2003. Sur un terrain moins tendu, New Delhi donne aussi des signes encourageants en matière de dialogue et de ce qu'on appelle "les contacts de peuple à peuple". Depuis 2003 les visites de délégations diverses se multiplient entre Inde et Pakistan (sportifs, jeunes, élus, groupes professionnels). Pour la première fois, en 2004, des journalistes pakistanais ont pu se rendre au Jammu et Cachemire. Pour la première fois aussi, Delhi accepte (voire appuie) des rencontres portant sur le Cachemire auxquelles participent des Cachemiris venus des deux côtés de la Ligne (initiatives Pugwash en décembre 2004 à Kathmandu et en avril 2005 à Srinagar, rencontre du Centre for Dialogue and Reconciliation à Gurgaon près de New Delhi en janvier 2006). En matière de droits de l'homme, Delhi tente de faire bonne figure. Le gouvernement d'alliance PDP-Congrès a mis en avant une politique de "healing touch", et la présidente du Peoples Democratic Party, Mehbooba Mufti, est sensible à ce dossier. Son père, le chef du gouvernement Mufti Mohammad Sayeed a bien démantelé le Special Operations Group de triste mémoire, mais ses hommes ont été recasés dans d'autres unités. L'Hurriyat et tous les séparatistes continuent de soulever ce point essentiel. C'est précisément en leur direction que New Delhi va tenter d'avancer.

5. Le difficile dialogue entre New Delhi et les séparatistes, et entre Cachemiris Depuis des années le gouvernement de New Delhi a multiplié les tentatives de nouer des contacts discrets avec les principales figures contestant son autorité: les leaders de l'Hurriyat et Shabir Shah, chef du Democratic Freedom Party en particulier (voir la liste des partis et mouvements politiques en annexe 3). Des émissaires du gouvernement ont été nommés sous le BJP (K.C Pant, A.S. Daulat, N.N. Vohra) et un groupe de personnalités a même été encouragé a créer un "Kashmir Committee" qui a noué un dialogue répété avec les séparatistes, sans réussir toutefois à les convaincre de participer aux élections de 2002. "Poudre aux yeux" commentèrent souvent les groupes cachemiris. Des liaisons secrètes ont toujours été maintenues, même quand certains leaders (Syeed Shah Geelani et en particulier), étaient arrêtés. En 2000, une rencontre avec des émissaires du Hizbul Mujahideen, mouvement armé, avait tourné court pour avoir été rendue publique. A compter de 2004, des leaders de l'Hurriyat commencent à rencontrer les dirigeants indiens au plus haut niveau. Deux visites les mènent jusqu'au vice- premier ministre et ministre de l'intérieur L.K. Advani, les 22 janvier et 27 mars 2004, jour où la délégation rencontre aussi A.B. Vajpayee, le Premier ministre. Il s'agit de premiers contacts publics, pas encore de négociations.

12 Après l'arrivée au pouvoir de Manmohan Singh, il faut attendre plus d'un an pour qu'une rencontre officielle ait lieu. L'Hurriyat décline l'invitation du Premier ministre en avril 2005 (mais rencontre Musharraf alors à Delhi). L'Hurriyat ne rencontre Manmohan Singh qu'en décembre 2005. Le Premier ministre indien invite ensuite d'autres leaders séparatistes hors Hurriyat : Sajjad Lone, chef d'une faction de la Peoples Conference en janvier 2006, et Yasin Malik, leader du JKLF, en février 2006. Hurriyat et autres leaders séparatistes déclinent un peu plus tard l'invitation faite de participer à la Conférence sur le Cachemire organisé par le Premier ministre le 25 février 2006. A cette conférence, où siègent des élus du Cachemire, Manmohan Singh annonce toutefois qu'une politique de libération de prisonniers va être mise en œuvre: c'est l'une des revendications majeures de l'Hurriyat. Le dialogue entre les séparatistes et le pouvoir indien est donc très ambigu. Jamais le fil n'a été sérieusement coupé entre les deux camps, mais aujourd'hui le mouvement cachemiri semble hésiter sur la marche à suivre, pour plusieurs raisons. La première tient aux objectifs mêmes des opposants: sont-ils encore, en majorité, de vrais séparatistes ? Ils affichent leur refus d'une "solution dans le cadre de la Constitution indienne", c'est-à-dire le respect de la Ligne de contrôle, son ouverture, et une autonomie accrue pour le Jammu et Cachemire. Ils bougent sur la question du référendum. Mais pour le reste, le flou prévaut. Un flou qui s'aligne sur les propositions pakistanaises : démilitarisation, soit, et "self-governance", dont le contenu et les contours territoriaux ne sont pas précisés, car ils seraient précisément l'objet d'une négociation entre les trois parties. A cet égard, qui représenterait les Cachemiris? Hurriyat et autres groupes qui l'ont quittée ne peuvent mettre de côté les élus du Jammu et Cachemire, même s'ils ont traité les élections de "farce". D'autres paramètres affaiblissent les séparatistes. Leurs divisions d'abord, des pro- pakistanais à ceux qui pourraient être tentés de participer aux prochaines élections. L'incorrigible factionnalisme de nombreuses formations, affaiblies par des luttes internes et des exclusions réciproques. L'absence d'un leader charismatique incontesté. L'ombre du terrorisme plane aussi : tous ceux qui avancent vers la voix d'un compromis sont en péril, comme tous ceux qui participent au jeu électoral et au pouvoir. Des attentats ont visé les grandes forces politiques établies (Conférence Nationale, People Democratic Party entre autres), des ministres, des élus, mais aussi les séparatistes eux-mêmes (Abdul Ghani Lone) ou leur proche (dernier signal : l'assassinat de l'oncle du mirwaiz, Mustaq Ahmed, en 2004). Le pouvoir d'influence de l'Hurriyat ou du JKLF sur les groupes jihadis est minimal. L'Hurriyat sollicitait de Delhi l'autorisation de se rendre en Azad Kashmir pour "convaincre les combattants" : l'argument est incertain, même si l'on dit Syed Salahuddin, chef du Conseil Uni du Jihad, prêt à certaines inflexions. Enfin, les liens entre l'Hurriyat et Islamabad sont considérables. Chacun à besoin de l'autre pour avancer, mais entre les deux, l'Etat pakistanais pèse évidemment plus lourd. On peut conclure de ce bilan qu'une multiple dynamique de consultations est nécessaire : -d'une part, entre les "séparatistes cachemiris" et les forces politiques parlementaires du Jammu et Cachemire indien. Par-delà leurs différences, quels compromis, quelles avancées pourraient être envisagés sur l'allégement des forces militaires, le contrôle des droits de l'homme, les changements politiques (autonomie ou self-rule) ? -d'autre part entre les "séparatistes cachemiris" et les représentants "ouverts" de l'Azad Kashmir (tel Abdul Qayoom, ancien Premier ministre et ancien Président). La chose vaut aussi entre ces derniers et les élus du Jammu et Cachemire, si des synergies devaient être développées entre les deux parties du Cachemire - enfin, entre les "séparatistes cachemiris" et les gouvernements indien et pakistanais. A cet égard, l'Hurriyat et ses épigones semblent encore réticents à rencontrer les représentants de New Delhi, balançant entre la volonté affichée d'être partie prenante du dialogue indo-pakistanais, et la politique du doute vis-à-vis de New Delhi, dont les initiatives, telle l'ouverture de la ligne de bus, sont toujours jugées "insuffisantes".

13 Au-delà des hypothèses encore prématurées de "solution" du problème du Cachemire, l'une des questions délicates du moment est bien de définir la façon d'associer tous les mouvements cachemiris (séparatistes ou non) à la recherche de nouvelles options, conduite à New Delhi comme à Islamabad. L'ambiguïté du moment ne doit pas faire oublier que vis-à-vis des séparatistes comme entre Inde et Pakistan, la conduite continue du dialogue depuis 2004 a permis des avancées, récapitulées dans l'annexe 4.

6. Les conséquences du séisme d'octobre 2005 Au-delà de la tragédie qu'il engendra —80 000 morts et des centaines de milliers de sinistrés au Pakistan, 1400 morts en Inde— le séisme du 8 octobre 2005, dont l'épicentre était en Azad Cachemire, a conforté le sentiment d'identité partagée entre les deux côtés de la Ligne, et a accru la volonté des populations locales de pouvoir la franchir (moins bureaucratiquement qu'aux cinq postes qui furent lentement ouverts en novembre 2005). L'aide indienne a été appréciée, mais Islamabad a refusé les hélicoptères indiens, dès lors que Delhi entendait les envoyer avec leurs pilotes. Sur un autre plan, le séisme semble avoir confirmé la présence de bases militantes en Azad Cachemire, et les forces islamistes radicales (la Jamat ud Dawat, maison mère des Lashkar e Taiba) ont saisi l'opportunité d'intensifier leur travail social en conduisant d'efficaces opérations de secours. L'avenir dira si les lenteurs des réactions officielles, juste après le séisme, nourriront une critique de l'armée, et plus largement du rapport de domination d'Islamabad sur l'Azad Cachemire et plus encore sur les Territoires du Nord. Un tel mécontentement favoriserait la demande d'une autonomie accrue, et donc la normalisation des relations avec le Jammu et Cachemire, qui elle-même permettrait aux Territoires du Nord d'espérer un nouveau statut, probablement comme Province pakistanaise. Des personnalités de premier plan d'Azad Kashmir (dont le Premier ministre Sikandar Hayat Khan et l'ancien Président Abdul Qayoom) ont en tout cas regretté qu'Islamabad n'ait pas accepté l'aide indienne d'urgence sur le terrain, alors qu'elle aurait été beaucoup plus accessible à travers la Ligne de contrôle que les secours lentement acheminés depuis le Pakistan.

V. HYPOTHESES ET SCENARIOS

L'avenir du Cachemire, qui reste imprévisible, dépend de quatre facteurs :

1. La capacité du Pakistan à changer de paradigme. C'est un critère décisif. Le général Musharraf appelle ses concitoyens à la "modération éclairée" tout en réaffirmant le soutien du Pakistan à la cause des Cachemiris. Deux options- types peuvent être envisagées par l'armée, qui est restera après 2007 —fin (??) du mandat présidentiel de Pervez Musharraf— l'instance décisive en matière de relations indo- pakistanaises, de stratégie au Cachemire, et de questions de sécurité. Première option : jouer la réforme minimale, voir en trompe l'oeil. La méfiance envers l'Inde reste déterminante. Le dialogue se poursuit, mais sans céder sur la Ligne de contrôle, et sans verrouiller totalement les groupes extrémistes, qui permettent de maintenir une certaine pression. L'hypothèse d'un redécoupage "ethnique" (lire : religieux" ) du Cachemire resterait avancée, et bloquée par Delhi. Seconde option : l'armée considère qu'une réforme de fond est souhaitable pour l'avenir du Pakistan. Une normalisation des relations avec l'Inde ouvrirait la voie à une dynamique régionale dans le cadre de la SAARC, (Association régionale pour la coopération en Asie du Sud, qui vient d'intégrer l'Afghanistan) et de la SAFTA, sa zone (encore virtuelle) de libre- échange. Le Pakistan pourrait accélérer son redressement économique, tirer pleinement parti de son rôle de plaque tournante entre Chine, Océan indien, Moyen-Orient, Asie centrale et Asie du Sud, et afficher à la fois modération et puissance, afin de hausser son statut mondial. Les

14 tensions internes au pays (zones tribales, Baloutchistan, équilibre régional, crise latente dans les Territoires du nord) pourraient être mieux gérées dans un contexte régional apaisé. L'opinion publique suivrait. L'opposition parlementaire (Muslim League pro-Nawaz Sharif et Pakistan People Party pro Benazir Bhutto) aussi, quitte à critiquer la méthode. Les partis islamistes (Muttahida e Majlis e Amal, MMA) ne sont pas en mesure de s'opposer réellement à une évolution, modeste ou profonde, qu'entérineraient l'Hurriyat et l'armée.

2. Les possibles concessions indiennes Sans récuser la Ligne de contrôle, fondement de sa doctrine, New Delhi peut faire évoluer sa gestion du Cachemire de façon significative sur trois points : a)- alléger sa stratégie répressive en satisfaisant certaines des demandes de l'Hurriyat (lois d'exception, droits de l'homme, prisonniers politiques), le retrait de troupes restant lié pour partie à la fin des attentats, qui se poursuivent pour l'heure (66 morts dans trois attentats à la bombe à Delhi le 29 octobre 2005). L'Inde n'acceptera sans doute pas une présence internationale dans une éventuelle zone démilitarisée le long de la Ligne de contrôle. Un accord sur le Siachen aurait une valeur emblématique forte. b)- avancer des propositions concrètes en matière d'autonomie, à l'endroit des Cachemiris pro-indiens, à l'inverse de la fin de non-recevoir opposée par le gouvernement Vajpayee aux propositions de la Conférence nationale en 2000. c)- faciliter les relations entre les deux Cachemires, en matière de communication, de gestion des ressources naturelles et de dialogues en tous genres.

3. L'évolution des Cachemiris L'heure de vérité approche pour la faction modérée de l'Hurriyat, qui s'appuie toujours sur le Pakistan pour peser sur l'Inde, en vue d'une véritable avancée sur le statut du Cachemire, et non d'un simple retour au calme. L'évocation floue d'Etats-Unis du Cachemire n'a qu'un objectif: pointer du doigt un type de solution acceptable, réunissant avec une certaine souplesse les deux Cachemires, ou des éléments des deux Cachemires. En clair, après l'abandon des résolutions de l'ONU, l'Hurriyat abandonne la thèse de l'indépendance ou du simple rattachement au Pakistan. Si l'hypothèse d'un tel statut politique (et toutes ses variantes) reste inacceptable pour New Delhi, une part de son contenu pourrait être négociable. Musharraf a besoin de l'Hurriyat à double titre : pour faire pression sur l'Inde, et pour légitimer d'éventuelles concessions supplémentaires du Pakistan. Reste la question de la représentativité de l'Hurriyat: boycottera-t-elle encore les élections au Cachemire en 2008 ? L'exemple du Hamas en Palestine n'est pas du même ordre, l'Hurriyat n'ayant pas de branche armée en propre. Mais on ne peut écarter l'hypothèse de la participation d'une fraction de l'Hurriyat ( la People's Conference de Sajjad Lone, déjà tentée en 2002).

4. Le contexte international. Opposé au jihad et ne soutenant pas le droit à l'autodétermination, la communauté internationale est plutôt favorable à un statu quo territorial accompagné de l'arrêt des attentats, du respect des droits de l'homme et, si nécessaire, d'une autonomie accrue. Elle n'entend pas se mêler des subtilités de nouveaux découpages régionaux, mais verrait d'un bon œil des coopérations entre les deux Cachemires. Tout compromis calmant durablement le jeu aurait sa faveur, à défaut d'une accord en bonne et due forme. Le contexte est donc plutôt favorable à l'Inde, qui sait très bien que son échec à entrer comme membre permanent au Conseil de sécurité en 2005 n'a rien à voir avec le Cachemire, même si un règlement de la question du Cachemire améliorerait son image.

15 5. Trois scénarios Ceci noté, trois scénarios principaux peuvent être envisagés. a)-La rechute dans la tension indo-pakistanaise Le dialogue s'interrompt ou échoue, moins faute de résultats, que pour des raisons de politique intérieure impérieuses. Côté pakistanais, on pourrait arguer d'une mauvaise volonté indienne à offrir des concessions suffisantes sur le Cachemire. Autre cas de figure : la disparition du général Musharraf susciterait des incertitudes, mais un de ses proches à l'état-major pourrait prendre le relais. Côté indien, un attentat majeur contre les dirigeants ou le public pourrait affecter le dialogue. Une campagne terroriste de grande ampleur qui frapperait à la fois au Cachemire, en Inde et au Pakistan pour les déstabiliser pourrait avoir un effet opposé, en poussant les décideurs à s'unir pour tourner la page. L'hypothèse d'une rechute ne paraît pas la plus vraisemblable aujourd'hui, mais l'histoire tourmentée des dialogues indo-pakistanais incite à la prudence. b)-Une solution de jure A court terme, sauf coup de théâtre, ce scénario est peu vraisemblable. La disparité des positions affichées y fait obstacle. Le rôle des aléas de la vie politique est plus incertain Côté indien, même si le BJP sous Vajpayee a inauguré une politique de rapprochement avec le Pakistan, il pourrait s'opposer à une avancée significative, pour des raisons tactiques. Un scénario parallèle au Pakistan est possible, mais sans la même efficacité, l'armée restant l'acteur clé. Par ailleurs, certains plans de redécoupage régional envisagent ouvertement une longue période de transition entre réforme et ratification.

c)-Une stabilisation de facto C'est le scénario optimiste le plus prudent, qui ne signifie pas un retour à 1989. Sans entériner un accord de jure, Inde et Pakistan peuvent continuer d'avancer sur un certain nombre de points, dans l'ensemble de leurs relations bilatérales (le 2+6). La normalisation croissante de leurs relations atténue en partie le climat de méfiance, et gagne l'appui des sociétés civiles et de la communauté internationale. Au Cachemire, l'Inde avance en matière de gouvernance et d'autonomie. La Ligne de contrôle s'ouvre, et les relations entre les deux Cachemires s'intensifient. Le Siachen est démilitarisé. Le scénario "soft power, soft border" convient bien à l'Inde, sans qu'elle baisse sa garde. Si Musharraf a affirmé que l'ouverture de la Ligne de contrôle n'est pas une solution en soi, il a concédé en juin 2005 qu'elle "puisse être un pas confortant la confiance qui peut faciliter une solution" ("Soft borders are not a solution (…). This may be a step towards confidence building that could facilitate a solution" ). Les optimistes verront dans cette stratégie de la "soft border" une solution "post-moderne", permettant de dépasser les crispations frontalières des états-nations. D'autres n'y verront qu'une façon nouvelle de "mettre le Cachemire de côté" ("pushing Kashmir on the backburner") sans régler vraiment la question. D'autres encore préconiseront d'aller plus loin dans l'ouverture, en instaurant une manière de condominium indo-pakistanais ou d'état autonome sans pleine souveraineté sur le cœur des zones en débat, la Vallée de Srinagar et l'Azad Cachemire). Cette dernière hypothèse, inacceptable pour New Delhi, renverrait du reste à un règlement de jure.

VI. QUEL ROLE POUR L'UNION EUROPEENNE ?

L'Union européenne n'est pas sans voix sur la question du Cachemire, et elle s'est souvent prononcé sur le dossier. En temps de crise, comme en 2002, la troïka a pesé dans le concert international appelant l'Inde et le Pakistan à calmer le jeu et à dialoguer. Sur un plan plus large, l'Union est le principal partenaire commercial de l'Inde et du Pakistan. Elle a développé avec

16 l'Inde un dialogue régulier depuis 2000, et signé avec New Delhi en 2004 un "Partenariat stratégique Union Européenne-Inde". Un cran au-dessous, un accord de troisième génération a finalement été signé avec le Pakistan en 2001. Il n'a été ratifié qu'en 2004, suite aux critiques de la mission d'observateurs envoyée lors des élections générales de 2002, mais le Conseil et la Commission entendent bien rester engagés au Pakistan.

1. Les grands acteurs internationaux : Etats-Unis et Chine Très présente (trop discrètement peut-être) sur le front de la coopération et de l'économie, l'Union et les Etats membres ne sont toutefois pas l'acteur en pointe sur le plan stratégique et de sécurité. L'enlisement du projet de Constitution n'a fait que renforcer cette perception, en Asie du sud comme ailleurs. S'agissant du Cachemire et des relations indo-pakistanaises, les Etats-Unis sont d'évidence le pays qui compte. Washington a répété maintes fois ne pas vouloir être médiateur entre les deux pays, mais être prêt à jouer un rôle de facilitateur du dialogue en cours. C'est peu dire. L'activité des think tanks américains sur le Cachemire (et sur l'Asie du sud en général) est intense. L'existence d'une feuille de route sur le Cachemire inspirée par les Etats- Unis a été niée, à Washington comme à Islamabad, mais sans convaincre tout à fait. Washington dispose de moyens de pression sur Islamabad et, plus discrètement, sur Delhi (projet d'accord sur l'énergie nucléaire civile et les technologies duales), tout en voulant sortir du jeu à somme nulle dans ses relations bilatérales. L'administration Bush ménage le Pakistan, mais parie sur l'avenir de l'Inde. Autre acteur clé dans la région, la Chine ne semble plus vouloir perturber le jeu. Certes, la Chine a joué contre l'Inde la carte du Pakistan, qu'elle a contribué à nucléariser. Elle est aussi partie prenante de la question du Cachemire, puisqu'elle contrôle des terres transhimalayennes revendiquées par l'Inde. Dans les Territoires du Nord, la Chine a modernisé la route du Karakorum, qui connecte le Sinkiang et le Pakistan : c'est l'axe qui la reliera au nouveau port de Gwadar, construit par le Pakistan aux portes du Golfe Persique, avec de gros financements chinois. Mais depuis 1997, Pékin appelle le Pakistan à normaliser ses relations avec l'Inde sans faire du Cachemire un préalable. La Chine s'est aussi inquiétée des réseaux de l'islam radical établis entre Afghanistan, Pakistan et Cachemire, et de leur influence sur les séparatistes ouighours, musulmans turcophones qui s'agitent au Sinkiang. Elle n'a pas soutenu l'intrusion pakistanaise à Kargil, et a contribué, avec les autres puissances, à la sortie de crise en 2002. Aujourd'hui, Pékin discute avec New Delhi de leur contentieux frontalier tout au long de l'Himalaya. Elle accroît son commerce avec l'Inde, et entend apparaître partout comme cherchant la paix sur son pourtour, au profit d'un essor économique partagé. Au service de ses objectifs stratégiques à long terme, la Chine accroît sa présence au Pakistan, tout en se satisfaisant du statu quo au Cachemire où elle ne saurait être favorable ni à l'autodétermination, ni à l'indépendance. Au-delà des Etats-Unis et de la Chine, il faut porter attention à la Russie, pour qui le croissant qui court de l'Afghanistan au Sinkiang et qui borde l'Asie centrale, est d'un intérêt stratégique évident, comme le sont les liens de coopération militaire avec l'Inde, et la volonté pakistanaise d'avoir de meilleures relations avec Moscou.

2. Le Parlement européen et le Cachemire Les activités du Parlement sur le Cachemire se sont intensifiées avec la création en 2000 du "Groupe multipartis sur le Cachemire" (All Party Group on Kashmir). En 2003 une ONG cachemirie, l'International Council on Human Rights, a ouvert à Bruxelles un "Kashmir Centre- EU", dirigé par un cadre du Jammu and Kashmir Liberation Front. Organisées conjointement par le groupe parlementaire et par le Kashmir Centre-EU, une semaine "Cachemire-EU" en 2004 et deux conférences en 2004 et 2005, entre autres activités, ont mis en avant trois points: les violations des droits de l'homme au Cachemire indien, la nécessité d'un dialogue indo- pakistanais incluant les Cachemiris, et le droit des Cachemiris à l'autodétermination. Sur ce point

17 au moins, le Kashmir Centre-EU est donc en retrait sur le Pakistan et sur l'Hurriyat (mirwaiz), tout en affichant, par son nom et par son logo, des liens privilégiés avec l'Union européenne. Les visites conduites par une délégation ad hoc du Parlement européen en Azad Cachemire et à Islamabad (2003) et au Jammu et Cachemire et à Delhi (2004) résultent d'une autre logique, officielle et symétrique celle-là. Les six résolutions jointes au rapport de la délégation en novembre 2004 offrent un cadre pertinent pour envisager ce que pourrait être une politique européenne vis-à-vis du Cachemire, en tenant compte des orientations du Conseil et de la Commission, et des derniers développements des relations indo-pakistanaises et intra- cachemiries. Sans reprendre, faute de place, le détail des recommandations parlementaires, on peut offrir ici quelques remarques et suggestions.

3. L'Europe et la résolution des conflits L'Europe en ce domaine offre des atouts (la réconciliation franco-allemande après 1945 et la construction européenne elle-même) mais aussi des faiblesses (l'échec en Bosnie, le rejet de la Constitution et donc les limites de sa politique de puissance et de sécurité). Le Pakistan et les séparatistes cachemiris ont toujours souhaité voir l'Europe jouer un rôle accru au Cachemire, l'Inde souhaitant seulement qu'elle fasse pression sur Islamabad sur la question du terrorisme. Des experts pakistanais invoquent, au titre de solutions hypothétiques, des expériences européennes (la Sarre, Trieste, Andorre, les îles Aland, ou l'accord irlandais du Vendredi saint). Plus largement, l'expérience européenne en matière de "soft border" et d'espace de paix peut être offerte à la réflexion. L'Union peut aussi souligner l'intérêt de penser l'avenir à long terme. Au- delà d'un marché commun d'Asie du Sud (entériné par la SAARC en 2005, mais prenant du retard), si l'hypothèse plus hypothétique d'une monnaie commune sud-asiatique (envisagée par certains experts pakistanais) prenait corps, l'implication en serait évidente pour les relations entre les deux Cachemires, quel que soit alors leur statut.

4. Nourrir la réflexion, faciliter le dialogue Ces hypothèses, et tout ce qui touche au dialogue sur le Cachemire peuvent être l'objet de conférences envisagées par les recommandations du Parlement Européen. Question: l'Union doit- elle ajouter à ce qui existe déjà, et que doit-elle ajouter ? Il existe diverses options : celles de type "second tract diplomacy", et celles privilégiant ONG et sociétés civiles; celles focalisées sur le Cachemire, et celles l'abordant parmi d'autres thèmes; celles qui sont ouvertes; et celles, plus utiles à l'étranger, qui sont fermées et discrètes. Au vu des dynamiques en cours, il pourrait être envisagé d'organiser hors des feux médiatiques des rencontres où participeraient, aux côtés d'indispensables autres intervenants, des élus du Parlement indien, du Parlement pakistanais, de l'Assemblée du Jammu et Cachemire indien, de l'Assemblée de l'Azad Cachemire, en pariant sur la capacité à échapper à la "langue de bois". Problème: les Territoires du Nord, qui ont des choses à dire, n'ont pas d'Assemblée. L'important est d'obtenir l'accord de toutes les parties, et de travailler dans la discrétion (Chatham's rules). Plaider pour l'intégration des Cachemiris au dialogue, comme le recommande le Parlement, implique que tous les grands courants d'opinion du Cachemire soient présents, afin d'aider au dialogue, y compris au sein du Jammu et Cachemire. Sur un plan plus modeste, un appui au dialogue stratégique conduit depuis plusieurs années entre experts allemands, français et indiens d'une part; allemands, français et pakistanais d'autre part, serait utile, en élargissant les participations de think tanks européens, qui devraient mieux se coordonner.

5. Dans le domaine économique et social : coopération et prospective L'Union européenne est un acteur considérable dans le champ de la coopération, tant en Inde qu'au Pakistan, en matière économique comme sur le plan de la gouvernance. Education,

18 santé, développement rural et ressources, réhabilitation après catastrophes, définissent autant de besoins essentiels dans un Cachemire affaibli par des décennies de violences. Une stratégie de soutien psychologique à des milliers de familles endeuillées par ces violences serait aussi nécessaire. Plus largement, l'Union pourrait proposer à New Delhi et à Islamabad d'étendre aux deux Cachemires des modes de coopération qui ont déjà été approuvés pour des Etats indiens (Chhattisgarh, Rajasthan) et pour des provinces pakistanaises (Sindh, NWFP), en sus de ce qui se fait déjà dans les Territoires du Nord. Un intérêt particulier peut être porté aux infrastructures qui favoriseront les communications au travers de la Ligne de contrôle, le trafic marchandise étant désormais envisagé. Bien entendu, les besoins de la reconstruction après le séisme d'octobre 2005 doivent être pris en compte.

Il existe depuis peu des études portant sur les dimensions économiques de la crise du Cachemire, sur les potentiels ouverts par le développement des échanges entre les deux Cachemires, et sur leurs domaines d'intérêts communs, tels que ressources naturelles, développement durable, partage des eaux. Ces travaux méritent d'être poursuivis. Ils vont bien au-delà des contentieux existants (la Banque mondiale est médiatrice sur la question du barrage de Baghliyar, construit par l'Inde et contesté par le Pakistan). Notons également au passage que des pays européens hors EU, la Norvège et la Suisse, sont actifs en matière de développement dans les Territoires du Nord, côté pakistanais (Projet IUCN).

6. Dans le domaine diplomatique Diverses lectures du conflit au Cachemire et diverses opinions quant à la façon de le résoudre s'expriment naturellement au sein du Parlement Européen. Reste à la Commission et au Conseil de définir une politique vis-à-vis de cette question. Veulent-ils prendre une position explicite, ou plutôt procéder par petites touches ? La discrétion semble la voie choisie. Quelle que soit la forme retenue par la diplomatie, de grandes lignes peuvent être l'objet d'un consensus. Encourager le processus de dialogue quoi qu'il arrive. Vis-à-vis du Pakistan, encourager les dirigeants à poursuivre le changement de paradigme en cours, éclairer les bénéfices structurels que le pays tirerait d'une pleine normalisation de ses relations avec l'Inde. Vis-à-vis de l'Inde, encourager les dirigeants à donner les signes attendus au Cachemire, pour accroître la confiance dans une avancée pacifique, tant chez les "séparatistes" que chez le voisin pakistanais. Dans les deux cas, prendre garde à ne pas apparaître comme donneurs de leçons pratiquant l'ingérence. Tous ceux qui suivent de près les dialogues indo-pakistanais et les positionnements cachemiris, qu'ils soient officiels, semi-officiels, ou initiés par la société civile, connaissent à la fois les codes en usage, les stratégies en jeu et le champ laissé à l'ambiguïté. Ils savent aussi, au-delà des tactiques des uns et des autres, ce que sont les aspirations réelles et les bonnes volontés qui travaillent à sortir de l'impasse. Au-delà, l'Union européenne peut, dans un tel dossier, et dans le cadre général de sa politique envers l'Inde et envers le Pakistan, développer le dialogue avec les grands pays qui pèsent en Asie du Sud, particulièrement les Etats-Unis, la Chine, la Russie, pour favoriser concertations et suggestions communes. Le contrôle de la grave crise de juin 2002 donne un bon exemple des méthodes à suivre : des voies diverses d'intervention au service d'un objectif convergent, sans apparaître comme un bloc dictant une marche à suivre./.

19 ANNEXES ANNEXE 1. UNE COURTE BIBLIOGRAPHIE SUR LE CACHEMIRE (travaux récents) Ouvrages Bose, S., Kashmir. Roots of Conflict, Paths to Peace, Harvard University Press, Cambridge, MA, 2003, p. 306 Cheema, P.I., and Nuri, M.H., The Kashmir Imbroglio: Looking Towards the Future, Islamabad Policy Research Institute, Islamabad, 2005, p. 239 Ganguly, S. (ed), The Kashmir Question. Retrospect and Prospect, Frank Cass, London, 2003, p. 218 Kumar, R., Making Peace with Partition. Penguin Books, New Delhi, 2005, p. 126 Racine, J.L., Cachemire. Au péril de la guerre. Autrement, Paris, 2002, p. 160 Reynolds, N., Le Cachemire dans le conflit indo-pakistanais (1947-2004), L'harmattan, Paris, 2005, p. 340 Schofield, V., Kashmir in Conflict. India, Pakistan and the Unending War, I.B. Tauris, London, 2003, p. 304 Wirsing, R. G., Kashmir in the Shadow of War. Regional Rivalries in a Nuclear Age, M.E. Sharpe, Armonk & London, 2003, p. 296 Rapports Galez, C., Jammu and Kashmir and the India-Pakistan Dialogue. The Prospect Ahead. Report on Pughwash meeting 203, 11-14 december 2004, Kathmandu, Nepal European Parliament, Committee on Foreign Affairs. Visit of the ad hoc Delegation of the European Parliament to Kashmir. Summary Report. Recommandations, Brussels, November 2004. PE 346.887v04 Habibullah, W. ,The Political Economy of the : Opportunities for Economic Peacebuilding and for U.S. Policy, Special Report, United States Institute for Peace, Washington D.C., June 2004 International Union for Conservation of Nature: Northern Areas Strategy for Sustainable Development. Background Paper on Governance, Gland, October 2002 International Crisis Group, India/Pakistan Relations and Kashmir: Steps toward Peace, Asia Report Nº79, Brussels, 2004 Jaffrelot, C. et Zérénini, J. , La question du Cachemire. Après le 11 septembre et la nouvelle donne au Jammu et Cachemire, Occasional Paper 43, Institut d'études de sécurité de l'Union Européenne, Paris, mars 2003 Kashmir Study Group, Kashmir: a Way Forward, Larchmont, NY, 2005 Schaffer, Teresita C., Kashmir. The Economics of Peace Building. Centre for Strategic and International Studies, Washington, December 2005 Articles de Jean-Luc Racine sur des sujets proches (sélection) - The Case of Pakistan. A Strategy for Europe, in Daalder, I., Gnesotto, N. and Gordon, P. (eds) : The Crescent of Crisis. U.S.-European Strategy for the Greater Middle East, Brookings Institution Press, Washington, & European Union Institute for Security Studies, Paris, 2005, pp. 198-217 - European Union and South Asia: an Appraisal, in Khan, J. A. (ed) : Major Powers and South Asia, Institute for Regional Studies, Islamabad, 2004, pp. 131-162 - Cachemire: une géopolitique himalayenne, Hérodote, n°107, 4e trimestre 2002, pp. 17-45 Un site web neutre, présentant des études et des propositions : - Stimson Center Kashmir Forum : http://www.stimson.org/southasia/?SN=SA20050202767

20 ANNEXE 2. POPULATION ET RELIGIONS AU CACHEMIRE

DATA ON KASHMIR

area km2 population main religion 2001 main language 2001 2001 (1000) INDIAN SIDE

Kashmir 15 948 5 441 muslims 95% kashmiri 89%

Jammu 26 289 4396 hindus 66% dogri 53%

Ladakh 59 146 233 buddhists 51% tibetan 90%

TOTAL 101 383 10 070 muslims 64% kashmiri 52%

PAKISTAN SIDE

Azad Kashmir 13 297 3 194 muslims 99% punjabi 85%

Northern Territories 64 817 1 045 muslims 99% shina ?

TOTAL 78 114 4 139 muslims 99% punjabi 66%

CHINESE SIDE

Shaksgam 5 180 nil

Aksai Chin 37 755 nil

TOTAL 42 735 nil

GRAND TOTAL 222 236 14 209 muslims 75% kashmiri 37%

source. Kashmir Study group. Kashmir. A way Forward 2000. Kashmir. A way Forward. 2005

21 ANNEXE 3. PARTIS ET MOUVEMENTS POLITIQUES AU CACHEMIRE

I. LES PARTIS DU JAMMU ET CACHEMIRE INDIEN

A. Partis participant aux élections

Les élections à l'Assemblée du Jammu et Cachemire indien ont eu lieu en 2002, en dépit d'une campagne d'assassinats terroristes qui ont fait environ 500 victimes. Le taux de participation moyen dans l'Etat (43,70 %) a été jugé satisfaisant, vu les circonstances et l'appel au boycott des séparatistes. La participation a été très faible dans la Vallée de Srinagar (moins de 10% à Srinagar par exemple). Les observateurs nationaux et étrangers ont jugé crédible cette élection, qualifiée de "farce" par les séparatistes et par le Pakistan.

Elus à l'Assemblée du Jammu et Cachemire en 2002 (mandat de six ans)

Jammu and Kashmir National Conference : 28 Indian National Congress : 20 Peoples Democratic Party : 16 Communist Party of India Marxist : 2 Panthers Party : 4 Autres partis : 4 Indépendants : 13

Total : 87 sièges

Depuis 2002 une coalition menée par le Parti du Congrès et le Parti Démocratique du Peuple gouverne le Cachemire, avec le soutien du petit Panthers Party et d'indépendants. Le Congrès à accepté de donner la direction du Gouvernement à Mufti Mohammad Sayeed, leader du PDP pour les trois premières années du mandat. Le Congressiste Gulam Nabi Azad a bien succédé à Sayeed le moment venu, en novembre 2005.

Les habitants du Jammu et Cachemire élisent aussi leurs représentants au Parlement indien

La Conférence Nationale Parti "historique" du Jammu et Cachemire indien, fondé en 1939 par Sheikh Abdullah, leader emblématique pro-indien au départ, arrivé au pouvoir en 1947, puis emprisonné par Nehru pour suspicion de sédition. Finit par entériner l'amenuisement de l'autonomie du Cachemire, par un accord signé avec Indira Gandhi en 1975. Chef du Gouvernement de 1975 à sa mort en 1982. Après son décès, son fils Farooq Abdullah prend les commandes du parti, et du gouvernement. Relations tumultueuses avec New Delhi. Revient au pouvoir aux élections de 1996, les premières depuis le lancement de l'insurrection en 1989-90. En 2000, à l'initiative de la Conférence Nationale (57 sièges sur 87) l'Assemblée du Jammu et Cachemire s'est prononcée en faveur d'une double autonomie ; des régions au sein du Jammu et Cachemire, et de l'Etat au sein de l'Inde. Ces thèses sont toujours défendues par Omar Abdullah (fils de Farooq Abdullah), l'actuel président du parti et chef de l'opposition à l'Assemblée. En 2002, la Conférence Nationale a perdu la moitié de ses sièges par rapport à 1996. Mais elle a des élus dans tout le Cachemire. Elle a gagné

22 18 sièges sur 40 dans la Vallée de Srinagar, 9 sièges sur 39 au Jammu, 1 sur quatre au Ladakh. Premier parti du Jammu et Cachemire, elle a trop subi l'usure du pouvoir pour forger une coalition apte à gouverner.Omar Abdullah (né en 1970) a été ministre délégué aux affaires étrangères (Union Minister of State for External Affairs) sous le gouvernement de A.B. Vajapayee, la Conférence Nationale ayant alors rejoint la coalition menée par le BJP.

Le parti du Congrès Revenu en force aux élections de 2002 avec 20 élus (contre 7 en 1996). Premier parti du Jammu, où il écrase le Bharatiya Janata Party (droite nationaliste), le Congrès a aussi des élus dans la Vallée de Srinagar. Branche locale du Parti du Congrès (Congrès National Indien), dont elle suit la ligne : en théorie, revendique tout le Cachemire de l'ancien maharajah, et donc les terres sous contrôle pakistanais. Prêt à une certaine autonomie, mais pas au retour à l'autonomie maximale de 1952. Posture ambiguë, car le parti incarne l'hégémonie de New Delhi et la longue histoire de subjugation du Cachemire depuis 1953, et de manipulation de sa vie politique. A adroitement cédé la première place au nouveau venu des partis cachemiris: le Parti Démocratique du Peuple. Au terme de l'accord conclu avec le PDP, c'est un congressiste qui est devenu chef du gouvernement de coalition à mi-mandat en novembre 2005: Ghulam Nabi Azad, musulman du Jammu, qui était alors ministre du gouvernement de Manmohan Singh, chargé des relations avec le Parlement

Le Parti Démocratique du Peuple (Peoples Democratic Party) Parti cachemiri en 1999 par Mufti Mohammad Sayeed, ancien du Parti du Congrès et du Janata Dal. Né en 1936, plusieurs fois ministre au Cachemire, il était ministre de l'intérieur du gouvernement central indien lors du lancement de l'insurrection. La coalition du Congrès et du PDP l'a fait chef du gouvernement du Jammu et Cachemire de 2002 à 2005. Les élus du PDP viennent de la Vallée de Srianagar. Le PDP, et particulièrement Mehbooba Mufti, fille de Sayeed, et présidente du parti, se prononcent pour le dialogue avec tous les opposants à l'Inde, politiques de la Conférence Hurriyat ou d'autres mouvements séparatistes, ou même militants des groupes armés cachemiris. Née en 1969, Mehbooba Mufti est élue au Parlement indien.

Le Parti Communiste Indien Marxiste Sa présence est modeste (deux élus) mais il a à sa tête une personnalité particulièrement respectée, Mohammad Youssef Tarigami, qui se prononce pour une solution du conflit dans le cadre de l'unité indienne

Le Panthers Party Mené par Bhim Singh. Allié à la coalition au pouvoir. Ses quatre élus représentent tous la région d'Udhampur. Séculariste, le parti est favorable à la création, au sein de l'Union indienn, d'un Etat du Jammu dissocié du reste du Cachemire.

Le Ladakh Union Territory Front Créé à la veille des élections de 2002, c'est le bras politique de l'Association Bouddhiste du Ladakh. Se prononce pour séparer le Ladakh du Cachemire pour en faire, à moyen terme, un "Territoire de l'Union", dans le cadre de l'Union indienne. Dispose de deux élus à l'Assemblée du Jammu et Cachemire, qui soutiennent la coalition Congrès-PDP, l'un des élus, Nadwang Rigzin, étant ministre. Le LUTF a gagné 21 des 25 sièges du Leh Autonomous Development Council, le conseil régional de la région orientale du Ladakh à majorité bouddhiste

23 Le Bharatiya Janata Party Le grand parti de la droite nationaliste hindoue n'a plus qu'un siège (au lieu de huit) à l'Assemblée du Jammu et Cachemire. En 2002, les tensions entre les instances nationales du BJP et la base du parti au Jammu, son ancien bastion, ont porté sur le futur du Cachemire. Le Rashtriya Swayamsevak Sangh, le noyau dur idéologique du nationalisme hindou, s'était prononcé pour la "tripartition" du Jammu et Cachemire (Cachemire, Jammu, Ladakh). Les instances nationales du BJP étaient contre, celles du Jammu plutôt pour. Le RSS avait alors lancé le Jammu State Morcha, alliance de divers mouvements sociaux et professionnels. Un compromis électoral avait été trouvé entre les deux factions.

B. Les partis "séparatistes", boycottant les élections

Le tableau des partis dits "séparatistes" se bornera à essayer d'éclairer une situation très confuse et fluide. Les mouvements connaissent tous des scissions à répétition. Cette complexité structurelle affaiblit la cause de ces mouvements, incapable de s'unir autour d'un leader inscontesté.

La All Party Conference Hurriyat (en abrégé : l'Hurriyat) La "Conférence de tous les partis pour la liberté" a été fondée en 1993, pour fournir une organisation commune a un ensemble de 26 partis politiques et associations sociales ou professionnelles, opposées à la présence indienne au Cachemire. Certains de ses membres avaient, comme Abdul Ghani Lone, siègé à l'Assemblée du Jammu et Cachemire.

L'Hurriyat regroupe par vocation des partis d'obédience et d'idéologie diverses, dont le seul point commun est l'opposition à l'Inde ou, dans le présent contexte, l'opposition au statu quo politique et territorial. L'actuel président de l'Hurriyat est un clerc, le mirwaiz de la grande mosquée sunnite de Srinagar: Omar Farooq. C'est la figure la plus connue de l'Hurriyat et la plus respectée. La plus médiatique aussi.

En 2003, une faction explicitement en faveur du rattachement au Pakistan a fait sécession. Elle est menée par Ali Shah Geelani (voir ci-dessous)

Les principaux partis membres de l'Hurriyat étaient au départ: - L'Awami Action Committee , dirigée par Omar Farooq - La Jamaat-e-Islami , dirigée par Syeed Shah Geelani - La Jammu and Kashmir People's Conference, dirigée par Abdul Ghani Lone - La Conférence musulmane (Muslim Conference ) dirigée par Abdul Ghani Bhatt - Le Front de Libération du Jammu et Cachemire (Jammu & Kashmir Liberation Front), dirigée par Yasin Malik - La Ligue du Peuple, dirigée par Sheikh Abdul Aziz - L'Ittihad-ul Muslimeen , dirigée par le moulvi chiite Abbas Ansari

Jusqu'à 2005, la ligne officielle de l'Hurriyat, énoncée en 1993, était le droit à l'autodétermination, en incluant une possibilité d'indépendance, non prévue par les résolutions de l'ONU. Demande la participation des Cachemiris aux négociations entre Inde et Pakistan. Récuse toute solution dans le cadre de la Constitution indienne. L'identité musulmane du Jammu et Cachemire dans son entier entend laisser toute leur place aux minorités religieuses.

24 L'Awami Action Committee Formation fondée en 1964 par le mirwaiz Mohammad Farooq, assassiné en 1990. Son fils Omar Farooq a hérité à la fois de la charge religieuse de son père, principal prêcheur de la grande mosquée de Srinagar, et du parti politique qu'il avait fondé. L'Awami Action Committee a rejoint la Conférence Hurriyat dès sa formation.

La Conférence du Peuple (People Conference) Formation fondée en 1979 par Abdul Ghani Lone, qui deviendra un des dirigeants principaux de l'Hurriyat, assassiné en 2002. Ses deux fils Sajjad et Bilal sont désormais opposés, et se sont réciproquement exclu du parti. Bilal Ghani Lone reste le représentant du parti au sein de la direction de l'Hurriyat. Il s'est prononcé contre la participation à la Conférence sur le Cachemire organisée par le Premier ministre indien à New Delhi le 25 février 2006. Sajjad Ghani Lone est président du parti. Il a en son temps accusé les islamistes d'avoir assassiné son père, coupable d'envisager de discuter avec New Delhi. Sajjad Lone a officiellement rencontré le Premier ministre Manmohan Singh à New Delhi en janvier 2006. Le Parti est soupçonné d'avoir présenté des candidats sans étiquette lors des élections de 2002, que l'Hurriyat avait appelé à boycotter.

Le Parti Démocratique de la Liberté (Democratic Freedom Party) Parti dirigé par Shabir Ahmed Shah, activiste de la première heure, ayant renoncé à la lutte armée. Pour l'autodétermination. N'affiche pas d'affiliation religieuse spécifique. Shabir Shah jouit d'un prestige personnel qui en fait un interlocuteur privilégié, mais réticent, des émissaires de New Delhi cherchant à nouer le dialogue avec les séparatistes. Le DFP fut un temps membre de l'Hurriyat. Le parti a connu une scission en 2003. Le DFP a refusé de siéger à la Conférence sur le Cachemire organisé par le gouvernement indien le 25 février 2006.

Le Jammu and Kashmir Liberation Front La plus vieille organisation luttant contre "l'occupation indienne", fondée en 1977. Son leader historique, Amanullah Khan, vit dans l'Azad Kashmir pakistanais. Le JKLF a connu une scission importante quand Yasin Malik, jeune militant de premier rang lors de l'insurrection de 1989, s'est séparé d'Amanullah Khan en 1995. Il avait abandonné la lutte armée en 1994, après quatre ans de prison. L'idéologie est indépendantiste, non religieuse. Comme Shabir Shah, Yasin Malik jouit d'un réel prestige. Le JKLF a quitté l'Hurriyat en 2004. Yasin Malik est, comme Shabir Shah, un interlocuteur qu'aimerait avoir le gouvernement. Malik a rencontré officiellement le Premier ministre Manmohan Singh en janvier 2006, mais le JKLF a refusé de siéger à la Conférence sur le Cachemire organisé par le gouvernement indien le 25 février 2006. Le Kashmir Centre-EU, qui défend à Bruxelles, auprès du Parlement européen, la cause des Cachemiris opposés à "l'occupation indienne", est animé par un membre du JKLF.

Jamat e Islami Jammu and Kashmir Parti islamiste, antenne cachemirie du Jamat e Islami du Pakistan. Pro-pakistanais. Son leader Ahmed Shah Geelani, ancien Président de l'Hurriyat a démis le conseil exécutif de l'organisation, jugé trop modérée, en 2003, pour fonder ensuite la Tehrik-e-Hurriyat Jammu and Kashmir, entraînant avec lui un certain nombre de mouvements de second rang, et jetant le trouble dans son parti, la Jammat e islami. Geelani représente aujourd'hui la tendance dure, opposée à toute discussion avec New Delhi.

25 C. Les mouvements armés

Tous les mouvements politiques insurgés ont eu au départ leur branche armée. La seule qui compte vraiment aujourd'hui, et qui soit cachemirie, est le Hizb ul Mujahideen. Les mouvements politiques séparatistes (Hurriyat, JKLF) se démarquent aujourd'hui des groupes combattants

Hizb ul Mujahideen Le Hizb ul Mujahideen n'est pas un mouvement politique, mais un groupe armé, le plus important des groupes insurgés cachemiri, encouragé par le Pakistan pour contrer le JKLF combattant du début des années 1990. Supposé proche du Jamaat e Islami. Syed Salahuddin, son leader historique est basé à Muzaffarabad, en Azad Kashmir, où il préside aussi le Conseil Uni du Jihad, qui regroupe les mouvements combattants cachemiris ou pakistanais opérant au Cachemire. Le commandant opérationnel dans la vallée de Srinagar, Abdul Majid Dar, avait tenté de négocié un cessez-le-feu avec l'Inde en 2000. Il a été assassiné en 2003. Syed Salahuddin avait fait pression sur l'Hurriyat pour boycotter les élections de 2002. En jnavier 2006, la presse pakistanaise supposait que Salahuddin, proche d'Islamabad, cherchait à convaincre Ahmed Shah Geelani, leader de l'Hurriyat "dur", de se rapprocher de l'Hurriyat "modérée" d'Omar Farooq.

Pour mémoire : groupes du jihad pakistanais. Lashkar e Taiba, Jaish e Mohammad Parmi les divers groupes de combattants du jihad recrutés et formés au Pakistan, les deux plus importants sont les Laskhar e Taiba et le Jaish e Mohammad

Les Lashkar e Taiba (Combattants de la pureté) sont la branche armée de l'Association pour la prédication de la parole divine, Markaz ud Dawat ul Irshad, basé à Muridkote, au Punjab pakistanais. Fondée en 1990, les Lashkar apparaissent au Cachemire en 1992. L'idéologie est radicale (école de pensée Ahle Hadit) et mène le jihad pour la réislamisation de l'Inde. Liens avec l'extrémisme radical dans toute la région. Interdit par le général Musharrf après le 11 septembre, l'organisation reste active. Son idéologue, Hafiz Mohammad Saeed, a transféré les Lashkar en Azad Kashmir, pour se concentrer ostensiblement sur l'organisation de prédication, rebaptisée alors Jamat ud Dawa.

La Jaish e Mohammad (l'Armée de Mohamed), est la réincarnation, apparue en 2000, d'une suite d'organisations combattantes pakistanaises Mujahideen et l'Harkat ul Ansar, classées comme terroristes par l'administration américaine. Elle a pour chef le maulana Masood Azhar, libéré par l'Inde après un détournement d'avion. Mouvement islamiste radical, combattant pour le jihad, interdit par le Général Musharraf en 2002, le Jaish n'a pas dispâru pour autant. Il a connu une scission en 2003.

II. LES PARTIS DU CACHEMIRE PAKISTANAIS

A. En Azad Kashmir

L'Azad Jammu et Cachemire a disposé de sa première Assemblée en 1971. L'Etat, pourvu d'un Président et d'un gouvernement, n'est pas indépendant. Aucun parti politique, et aucun candidat, ne peut s'opposer à "l'idéologie de l'accession de l'Azad Kashmir au Pakistan".

Conference Musulmane (Muslim Conference) Fondé en 1931. Fer de lance du mouvement contre le Maharajah en 1947. pro-pakistanais à partir de 1947. La "All Jammu-Kashmir Muslim Conference" (son nom complet) dispose d'une large

26 majorité à l'Assemblée: 31 sièges sur 48. Le gouvernement est dirigé par le Premier ministre Sardar Sikander Hayat Khan. La Chambre Haute, dite State Council, compte 14 membres, en majorité de la Conférence Musulmane. Le ministre fédéral des affaires du Cachemire est ex officio membre de ce Conseil.

Parti du peuple du Pakistan Branche locale fondée par le Pakistan Peoples Party de Benazir Bhutto (objet d'une scission depuis 2002). Dispose de 16 sièges.

B. Dans les Territoires du Nord (Northern Areas)

Les Territoires du Nord n'ont pas d'assemblée ni de gouvernement élu, et sont définis comme "Federally Administered Areas". Il existe depuis 1994 un Northern Areas Executive Council de 26 membres, devenu en 2000 Northern Areas Legislative Council, qui peut légiférer sur les affaires locales, les Territoires restant pour l'essentiel sous la férule du Ministry of Kashmir and Northern Areas Affairs, à Islamabad. Le ministre fédéral préside le Conseil Législatif. Il est aussi le chef de l'exécutif. Les projets de réforme du statut et de la vie participative (rapport de 2002) n'ont pas abouti. Les partis sécessionnistes tel le Balawaristan National front, ou autonomiste comme le Gilgit Baltistan United Action Forum for Self Rule ne disposent d'aucun espace politique pour s'exprimer, et sont jugés négligeables. Toute évolution du statut des Territoires du Nord, qui stabiliserait leur relation au Pakistan irait dans le sens d'une reconnaissance du statu quo et, indirectement, de la Ligne de contrôle.

27 ANNEXE 4. LES AVANCEES DU DIALOGUE INDO-PAKISTANAIS

Les faucons des deux pays dénoncent volontiers le dialogue engagé depuis 2004 comme n'apportant guère de résultats : pas d'avancée de fond sur le statut du Cachemire pour les faucons pakistanais, qui soupçonnent l'Inde de vouloir détourner Islamabad de la "question clé du Cachemire" (the core issue of Kashmir) au nom d'avancées économiques ou commerciales; pas d'éradication complète des groupes armés opérant au Cachemire pour les faucons indiens, qui soupçonnent le général Musharraf de double jeu. Il est de mode dans ces milieux de dénoncer le dialogue comme une illusion entretenue par les gouvernants demandant à leurs diplomates de "parler pour parler".

En réalité, le dialogue a apporté de multiples avancées, qu'il convient d'évaluer à la lumière d'un lourd héritage de tensions et de méfiance, voire de propagande. Les avancées peuvent sembler modestes, et favoriser davantage les mesures de confiance que la résolution des conflits. Les infiltrations et les attentats n'ont pas disparu, et les Cachemiris demandent toujours le respect des droits de l'homme et le retrait des militaires indiens des villes où ils sont implantés. La politique des petits pas permet cependant d'avancer.

A. Les avancées dans la pratique du dialogue

1)- Préparation au dialogue Avril 2003 : le Premier Ministre indien A.B. Vajpayee tend au Pakistan "la main de l'amitié". A partir d'avril : contact secrets entre les émissaires de Vajpayee et de Musharraf. Accord sur les modalités du dialogue à venir. Les deux pays abandonnent la formule des sommets médiatisés (type Agra en 2001) pour un travail de fond. Novembre : le Pakistan propose un cessez-le-feu le long de la Ligne de contrôle: accepté par l'Inde, qui propose de l'étendre au glacier du Siachen : accepté par le Pakistan. Le cessez- le-feu tient bon depuis. Un incident en 2005 n'a pas entraîné de dérives. Décembre : le général Musharraf propose de "mettre de côté" les résolutions de l'ONU en faveur d'un référendum sur le statut du Cachemire. Concession considérable. Fin décembre, les émissaires précisent le contenu de la déclaration qui suivra la rencontre de Vajpayee et de Musharraf en marge du sommet régional de la SAARC à Islamabad.

2)- Annonce du dialogue Janvier 2004: Vajpayee présent au sommet de la SAARC. Le 6 janvier: déclaration conjointe pour lancer le dialogue. Concession indienne, qui réfutait autrefois le dialogue "tant que le terrorisme et ses infrastructures ne seraient pas démantelées". Concession pakistanaise, la déclaration conjointe officielle précise : "President Musharraf reassured Prime Minister Vajpayee that he will not permit any territory under Pakistan's control to be used to support terrorism in any manner." Deuxième concession pakistanaise: le principe du dialogue "composite" est acceptée. L'Inde parlera du Cachemire, mais pas uniquement du Cachemire. Les autres contentieux et les autres domaines de coopération possible seront abordés. C'est un retour à l'accord de 1997. L'abandon de la thèse pakistanaise du "Kashmir first".

3)- Le processus de dialogue officiel Février 2004 Démarrage du premier cycle de négociations. Deux cycles seront conduits en 2004 et 2005. Le troisième cycle commençant en janvier 2006. Dialogue très structuré, à différent niveaux: dialogues techniques, rencontres des "Foreign secretaries", rencontres

28 des ministres des affaires étrangères, rencontres des chefs d'Etat et de gouvernement. Quatre déclarations conjointes entre le Président pakistanais et le Premier ministre indien scandent le cycle de rencontres : 6 janvier 2004, 24 septembre 2004, 18 avril 2005, 14 septembre 2005. En outre jamais les diplomates des deux pays ne se sont autant rencontrés.

Avril 2005. Déclaration conjointe (le 18) Musharraf et Singh déclarent que le processus de paix est "irréversible"

B. Les avancées du dialogue au Cachemire

1. Ouverture de la Ligne de contrôle Avril 2005. Première ligne de bus Srinagar Muzaffarabad Novembre 2005 . Cinq points de passage ouverts après le tremblement de terre d'octobre

Accord à mettre en oeuvre : *ouverture de la ligne Srinagar Muzaffarabad au trafic marchandise Propositions indiennes : *ouvrir à l'est de la Ligne la route Kargil Skardu, entre Ladakh et Baltistan *ouvrir au sud de la ligne la route Jammu Sialkot, entre Jammu et Punjab

2. mesures de confiance vis-à-vis des séparatistes cachemiris Janvier 2004. rencontre entre l'Hurriyat et le premier ministre indien A.B Vajpayee Octobre 2004. Première visites de journalistes pakistanais au cachemire indien Avril 2005. Première conférence à Srinagar avec des personnalités de l'Azad Kashmir. D'autres suivront Juin 2005. Delhi autorise l'Hurriyat et Yasin Malik à se rendre officiellement en Azad Kashmir Novembre 2005. Première conférence à Delhi où les leaders élus (PDP, National Conference) et le chef de l'Hurriyat partagent la tribune Décembre 2005. rencontre entre l'Hurriyat et le premier ministre indien Manmohan Singh Janvier 2006. Invitation de Sajjad Lone (Peoples Conference) par Manmohan Singh Février 2006 . Invitation de Yasin Malik (JKLF) par Manmohan Singh Février 2006. Manmohan Singh annonce la volonté de libérer les prisonniers politiques cachemiris.

3. infiltrations et attentats Avril 2005. déclaration conjointe de Musharraf et Singh : "they pledge that they would not allow terrorism to impede the peace process". Les attentats se poursuivent pourtant, au Cachemire et ailleurs en Inde Octobre 2005 : Le 29, trois bombes explosent à Delhi: 50 morts, 70 blessés. Le dialogue tient bon cependant.

Février 2006. le ministère de l'intérieur indien confirme la baisse des infiltrations répertoriées: 1395 en 2002; 1313 en 2003, 507 en 2004, 231 en 2005

29 C. Avancées générales du dialogue indo-pakistanais

1. intensification des communications et des relations économiques Janvier 2006 : ouverture de la liaison de bus Amritsar Labore (entre les deux Punjabs) Janvier 2006 : préparation pour l'ouverture de la liaison ferroviaire entre l'Etat indien du Rajasthan indien et la province pakistanaise du Sindh Février 2006 : ouverture de la liaison de bus Amritsar Nankana Sahib (lieux saints sikhs) Négociations en cours pour une liaison routière Poonch (Cachemire indien)-Rawahalkot (Azad Kashmir) Négociations en cours pour un gazoduc Turkmenistan-Afghanistan, Pakistan, Inde Négociations en cours pour un gazoduc Iran-Pakistan-Inde (incertain au vu des pressions américaines)

2. Négociations en cours sur des contentieux territoriaux Au Cachemire: à propos du glacier du Siachen Hors Cachemire : sur la frontière de Sir Creek, entre Sindh et Gujarat

3. Avancées en matière de dialogue stratégique Octobre 2005 accord de pré-notification de tirs de missiles balistiques Dialogue en cours sur : - les risques d'accidents nucléaires ou les tirs non autorisés - modalités des rencontres mensuelles entre commandants des deux côtés de la Ligne de contrôle

4. Autres sujets négociés Agriculture, santé, information, éducation, sciences et technologie, technologies de l'information, environnement, tourisme

30 ANNEXE 5. LE CACHEMIRE ET SES SUBDIVISIONS

Source : http://www.lib.utexas.edu/maps/middle_east_and_asia/kashmir_region_2004.jpg

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