Conception Jean Chouët Photo de la 4 de couverture : Thierry Martinot © Editions Bibliophane, 1987 JEAN PIERRE ALLALI / HAIM MUSICANT

DES HOMMES LIBRES histoires extraordinaires de l'histoire de la L.I.C.R.A.

préface de PIERRE BLOCH

EDITION BIBLIOPHANE 26 RUE DES ROSIERS 75004 PARIS 48878220

Pour Michèle Pour Nelly

PRÉFACE

La L.I.C.A. devenue L.I.C.R.A., fête cette année son soixan- tième anniversaire. Mes amis Haim Musicant et Jean-Pierre Allali, ont pris l'heureuse initiative d'écrire et de publier cet ouvrage. Il tombe à point. Il rappellera aux jeunes l'histoire, les combats, les luttes des militants de la L.I.C.A. et de la L.I.C.R.A. qui sont fidèles au souvenir des anciens. Un fait divers meurtrier est à l'origine de la L.I.C.A. Les anciens, peu nombreux hélas, se souviennent avec émotion de cette séance de la cour d'assises à Paris où Samuel Schwarzbard était défendu par le célèbre avocat Henry Torrès. A l'époque, c'était le 26 octobre 1927, après le meurtre de l'organisateur des pogromes en Russie blanche, Henry Torrès, par sa magni- fique plaidoirie fit acquitter le justicier au milieu des applaudis- sements de la salle. C'est quelques mois plus tard, en février 1928 que Bernard Lecache déposa les statuts d'une association régie par la loi de 1901; la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémi- tisme était née. Bernard Lecache, le fondateur, en était le premier président. Il le restera jusqu'à sa mort en 1968. C'est une histoire passionnante que nous racontent, avec beaucoup de talent, Haim Musicant et Jean-Pierre Allali. L'histoire d'un combat qui dure depuis 60 ans, contre la haine, contre le racisme et l'antisémitisme. De l'affaire Schwarzbard au cas de la thèse fantaisiste d'Henri Roques, du procès Frankfurter à l'aventure des enfants Finaly, du pogrome de Constantine à la chasse aux nazis, comme Klaus Barbie, « le boucher de Lyon », sans oublier la visite de Jules Isaac au Vatican, la tragédie de la famille Grynspan, le projet Blum-Viollette pour l'Algérie, le procès de Prague, celui des « blouses blanches » ou encore l'action en justice contre Jean- Marie Le Pen. Un combat qui est malheureusement loin d'être terminé. A la Libération, nous aurions préféré qu'il n'y ait plus de L.I.C.A. Hélas, cela n'a pas été possible. Les partisans de la haine n 'ont rien appris, rien oublié. Voilà pourquoi, plus que jamais, le combat de la L.I.C.R.A. est nécessaire. Comme toujours, la L.I.C.R.A. préférera l'éducation à la violence. Hier comme aujourd'hui nous disons : « Mieux qu'à la force de nos lois, il convient de s'adresser aux consciences. » Je suis sûr que tous les militants de la L.I.C.R.A., les anti- racistes et les démocrates de ce pays sauront réserver au livre de Haim Musicant et Jean-Pierre Allali, l'accueil qu'il mérite amplement. PIERRE-BLOCH Président de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme Ancien ministre Président de la L.I.C.R.A. CHAPITRE I

SCHWARZBARD, LE VENGEUR DES POGROMES

Le 25 mai 1926 à Paris, l'horloger juif Samuel Schwarzbard abat de sept coups de pistolet, Simon Petliura, ancien président du Directoire, ataman en chef des armées de la République démocratique ukrainienne. Le lendemain, l'événement fait la une des journaux. Le Figaro titre en première page : « Un crime politique. M. Petliura, ancien chef du gouvernement ukrainien a été tué hier au Quartier latin. Son assassin est un de ses compatriotes. » Voici comment le quotidien du matin relate l'affaire : « M. Simon Petliura, âgé de 47 ans, qui était en 1917, chef du gouvernement ukrainien, a été tué hier, au début de l'après-midi au Quartier latin. Dès que nous avons eu connaissance de ce drame, nous avons procédé à une enquête dont voici les résultats. "M. Samuel Schwarzbard est né en 1888 à Smolensk (Russie). Il est israélite. Il s'engagea au début de la guerre dans l'armée française et il prit part à divers combats en Argonne et en Champagne. En 1917, il a été attaché en qualité d'interprète à une mission militaire française qui se rendit à Petrograd puis à Odessa. C'est alors qu'il entendit parler du général Petliura qui en , martyrisait, disait-on, les israélites. A la suite de nombreux récits de ses coreligionnaires, Samuel Schwarzbard conçut une haine violente contre celui qu'il considérait comme un persécuteur. Après la guerre, Schwarzbard, marié, sans enfant, vint s'établir comme horloger au 82, boulevard de Ménilmontant. Pendant ses loisirs il préparait un livre sur les pogromes. Il lisait de nombreux journaux publiés en langue russe. Ainsi apprit-il que son ennemi s'était réfugié en Pologne et prônait une propagande antisémite très active. Le gouvernement des So- viets demanda même son expulsion au gouvernement polonais. Petliura se réfugia alors en Tchécoslovaquie où il continua sa propagande. Puis il vint en France en 1920. Schwarzbard était au courant de ses déplacements. Il acheta un pistolet auto- matique du calibre de 7,65 mm et se mit à la recherche de Petliura. Pour être sûr de le reconnaître, il découpa son portrait dans une encyclopédie. Il y a trois semaines, à la sortie d'une brasserie au Quartier latin, il l'aperçut. Petliura était en compa- gnie de sa femme et de sa fille âgée de 14 ans. Schwarzbard le dévisagea mais n'osa pas tirer dans la crainte de blesser d'autres personnes. Hier, l'horloger déjeunait avec sa femme née Inda Render, dans l'unique pièce qui compose leur logement, au-dessus de leur magasin d'horlogerie, lorsqu'on vint le prévenir qu'une personne le demandait au téléphone. Il revint, un quart d'heure après et dit à sa femme : "Je vais faire une course" et, tête nue, sans même retirer sa blouse blanche, il quitta l'appartement. A 2 h 15, il se trouvait rue Racine, à l'angle du boulevard Saint-Michel. Il attendit Petliura qui déjeunait dans un restaurant voisin. Lorsque celui-ci quitta l'établissement, Schwarzbard s'avança vers lui. 'Vous êtes bien le seigneur Petliura?' La réponse fut affirmative. L'horloger, sortant aussitôt un révolver cria : 'Canaille, tu vas payer ta dette', et il tira deux balles à bout portant. Sa victime s'écroula sur le bord du trottoir. Après quelques secondes d'hésitation, l'assassin tira encore cinq balles sur le blessé qui murmurait : 'Assez, assez, au secours'. Au bruit des détonations, le gardien de la paix Mercier, de service boulevard Saint-Michel, accourut. Schwarzbard lui ten- dit son arme : 'Vous pouvez m'arrêter.' Conduit au commissa- riat de police du quartier de l'Odéon, l'assassin fut longuement interrogé par le commissaire M. Mollard : 'Je ne regrette pas mon acte', dit-il (...). M. Petliura, qui avait été atteint par les sept projectiles, avait été transporté à l'hôpital de la Charité. Il y succombait vingt- cinq minutes après y être entré, sans avoir repris connais- sance (...)." » Pour comprendre le geste de Schwarzbard et le retentisse- ment que connut son procès aux Assises de Paris, il faut remonter quelques années en arrière. Au printemps 1917, avec la chute des tsars, une ère nouvelle semble s'ouvrir pour les populations de l'immense Russie. L'un des premiers actes du nouveau gouvernement est de proclamer le principe de l'égalité de tous les citoyens sans distinction de race ou de religion. Mais l'illusion d'un nouvel « âge d'or » allait être de courte durée. Le 7 novembre, la révolution bolchevique et l'instauration du régime des Soviets plonge le pays dans la guerre civile. Comme toujours, les Juifs sont pris entre le marteau et l'enclume. D'un côté, on les taxe de bourgeois enrichis et donc de contre-révolutionnaires. De l'autre, on les accuse d'être des éléments subversifs et donc dangereux. La situation classique du bouc émissaire. C'est dans ce contexte ambigu qu'un nouvel Etat voit le jour en Ukraine. Une République indépendante dirigée par l'ataman Simon Petliura, qui voit s'affronter sur son sol les « Blancs », les « Rouges » et les « Petliuriens ». Un affrontement qui ne va pas sans massacres dont les Juifs font les frais pour l'èssentiel. Dans chaque village, dans chaque bourg, dans chaque ville, c'est le pogrome. A Proskourov on dénombre 1 500 morts, à Felstine, 600 morts. Deux massacres successifs ont lieu à Jitomir. En tout, près de cent mille morts. Envoyé spécial du Quotidien, journal dirigé par Henri Dumay et auquel collabore Tristan Bernard, Bernard Lecache parcourt l'Ukraine pendant trois mois, interroge des centaines de per- sonnes, survivants des pogromes, témoins des massacres. Son reportage est accablant. Il est publié en feuilleton tout au long des mois de février et mars 1927 (1). D'entrée de jeu, le ton est donné et l'opinion du journaliste, sans détours : « Pogrome est un mot slave. On le prononce depuis toujours de Varsovie à Bakou, de Moscou à Bucarest. Tout l'Orient

( 1) Ce reportage a été réuni en un ouvrage édité par les éditions du Progrès civique : Quand Israël meurt, Paris, 1927. européen le mâche et le remâche et le crache à la face du Juif : "Youpin, voici le pogrome ! Cache-toi, cours!" « Le juif se cache. Il court. Voilà des siècles qu'il court. On le rattrape et on le tue. S'il se défend (...) Schwarzbard est en prison. Fouillez l'Histoire, dépouillez les manuscrits. Vous buterez à chaque pas dans un cadavre juif. Aussi loin que vous puissiez chercher, vous trouverez le pogrome (2). » Pour Bernard Lecache, on ne peut plus attendre, car dit-il, « quand là-bas le sang coule, chez nous, c'est de l'encre » et « l'un d'entre nous, Schwarzbard, n'a pas attendu. Cet Occiden- tal de fraîche date n'a pas compris la règle du jeu. Un jour, il a quitté ses montres, sa loupe d'horloger, sa petite boutique de Ménilmontant. Il a rencontré Simon Petliura. Il l'a tué. (...) Petliura laisse une veuve, une orpheline. A son tour victime, il est à son tour pleuré. Mais il fut, avec d'autres, un conquérant de l'Ukraine. On l'appelait le babko, le petit père. Quand ses troupes revenaient de massacrer des Juifs, elles l'acclamaient pour chef. Il avait une armée régulière, des partisans, des généraux, un gouvernement. Il en était le maître. Chaque jour, en son nom l'assassinat continuait. Il le savait, il en était informé. Un jour il fut vaincu, s'enfuit, abandonnant le terrain sur lequel par dizaines de milliers, les cadavres juifs pourris- saient... ». Près de dix ans plus tard, lorsque Samuel Schwarzbard abat l'ataman Petliura, comme lui réfugié à Paris, il ne fait aucun doute, de son point de vue, qu'il vient de se faire justice en éliminant le responsable de la mort de milliers de ses frères Juifs ukrainiens. A Paris, des deux côtés, on s'organise. D'une part, Bernard Lecache mobilise ses amis et connaissances pour demander l'acquittement de Schwarzbard. L'ancêtre de la L.I.C.R.A. est née : C'est la Ligue internationale contre les pogromes qui compte parmi ses membres la comtesse de Noailles, Maxime Gorki, , , , Edmond Fleg, André Spire, Victor Basch et bien entendu Henry Torrès, qui, au procès, assurera la défense de Schwarzbard. De l'autre, la veuve de l'ataman défendue par M César Campinchi et ses

(2) Le Quotidien du 5 février 1927. amis réunis en un Comité commémoratif Simon Petliura, qui cherchent à montrer que loin d'être antisémite, Petliura était un ami des Juifs. Des « Documents sur les pogromes en Ukraine et l'assassinat de Simon Petliura à Paris (3) » sont publiés. On y trouve entre autres un appel de Petliura contre les pogromes, la liste des ministres de la République nationale ukrainienne qui comporte un secrétariat général des Affaires juives que dirige M. Silberfarb puis P. Krasny, des textes de lois relatives à l'ouverture et au développement d'écoles juives à Kiev, en Podolie et en Volhynie, des décisions de tous ordres concernant les pogromes prises par le gouvernement de l'ataman. C'est ainsi par exemple qu'on y découvre (document n° 33) un communiqué de l'ataman en chef dans lequel celui-ci « a remarqué avec joie que les cosaques de l'armée ukrainienne ont établi des postes de garde devant les boutiques et les dépôts des Juifs, pour les défendre contre le pillage. Il espère qu'à l'avenir, de tels faits vont se multiplier pour le plus grand bien et la tranquillité du pays. « Il fait savoir que souvent les pogromes ont été intentionnel- lement fomentés par des agitateurs bolcheviks sur les derrières même de l'armée ukrainienne, afin de désorganiser le front ukrainien et tout le travail accompli par le Gouvernement ukrainien » ; on apprend que (document n° 34) : « le 17 juillet 1919, s'est présentée à l'ataman en chef Petliura une délégation de la population juive, en la personne du rabbin Gutmann, des représentants : Kleidermann, pour la communauté de Kamia- netz, Oltmann, pour les sionistes et la communauté, Kraise, pour la population des travailleurs juifs ; Drachler, pour le parti ouvrier Poaleï-Sion ; Bagrad, comme représentant du Bund et des socialistes unifiés. « L'ataman en chef s'est adressé à la délégation et lui a déclaré qu'il avait demandé au ministre des Affaires juives qu'il lui soit adressé une délégation de toute la population juive et non pas des partis, afin de discuter les vues de l'ataman en chef et les vues des représentants de la population juive sur le moyen d'organiser le mieux possible la vie pacifique en commun de ces deux peuples ».

(3) Ed. de la Librairie du Trident, Paris, 1927. Ou encore (document n° 42) que le gouvernement de la République nationale de l'Ukraine a lancé un appel aux travail- leurs juifs de l'Ukraine dans lequel il est dit que : « Le gouvernement socialiste qui se trouve à la tête de la République mène, conjointement à l'ataman en chef Petliura, une lutte décisive contre les pogromes. « Pour enquêter sur tous les faits des pogromes, sur l'agita- tion visant les pogromes et pour la livraison des coupables entre les mains du Conseil de guerre extraordinaire, il a été créé une commission spéciale d'enquête avec des pouvoirs étendus. Des représentants de la démocratie juive figureront comme mem- bres dans cette commission... « Le gouvernement est prêt à aider activement le comité central panukrainien près le ministère juif pour secourir les victimes des pogromes, et à assister son activité pour recons- truire et organiser les foyers juifs. A titre de subside provisoire sur les fonds de l'Etat, il a été assigné plus de 20 000 000 de hrivni...

« La population juive soutient activement la République nationale ukrainienne. Dans toute une série de déclarations, tous les partis politiques juifs se sont prononcés pour l'indépen- dance intégrale de l'Ukraine. « La démocratie juive ayant à sa tête le Bund, les socialistes unifiés, Poaleï-Sion et le parti populaire, soutient le gouverne- ment national et les représentants desdites associations font partie du conseil du ministère juif et elle a ses agents qualifiés aux postes responsables des ministères. » Cosigné par le président de Conseil des ministres nationaux, Boris Martos et par le ministre national des Affaires juives, Pinkhos Krasny, l'appel s'achève sur un « Vive la vie en com- mun dans la fraternité et l'égalité des peuples ukrainiens et juif dans l'Ukraine ». Plus étonnant encore, le texte d'un soutien des sionistes de la ville de Kamenetz en Podolie (document n° 58). « Le congrès des sionistes tenu à Kamenetz en Podolie, s'est clôturé par une séance solennelle qui a eu lieu dans la salle du Théâtre municipal. M. Fratkine a ouvert la réunion au nom de la présidence du congrès. « M. Siniavsky a adressé un salut au congrès au nom du parti ukrainien des socialistes-fédéralistes et a fait remarquer que son parti avait toujours sympathisé avec les sionistes. « "Vous ne pourrez organiser, a-t-il dit, une Palestine indé- pendante qu'en conjuguant tous vos efforts, de même que nous organiserons notre patrie commune, l'Ukraine indépendante, par l'effort commun des peuples ukrainien et juif." Le discours du représentant des socialistes-fédéralistes a été couvert de bruyants applaudissements. M. Fratkine répondit par un long discours en ukrainien. « M. Fratkine croit que les sphères ukrainiennes compren- dront la justesse des exigences juives et qu'on trouvera un terrain d'entente. Il remercie les socialistes-fédéralistes ukrai- niens du salut envoyé et exprime l'espoir que le parti sioniste juif et le parti socialiste-fédéraliste ukrainien ne cesseront de se prêter un concours mutuel dans l'organisation d'une Palestine et d'une Ukraine indépendantes. » Ou les attendus d'une convention signée le 4 septembre 1921 entre Vladimir Jabotinski et le chef de la gendarmerie ukrainienne (document n° 75), accord fixant les attributs de la gendarmerie juive : « 1° La gendarmerie de l'armée de la République démocrati- que ukrainienne comportera pendant la période transitoire une gendarmerie autonome juive qui devra spécialement protéger la population juive dans les localités occupées par l'armée ukrai- nienne ; « 2° La gendarmerie juive ne prend aucune part aux actions militaires ; « 3° La gendarmerie juive est recrutée par une organisation spéciale israélite et sous sa responsabilité; cependant il est précisé que les communistes ne peuvent pas faire partie de la gendarmerie ; « 4° Le chef de la gendarmerie juive est un israélite nommé d'un accord commun entre l'organisation juive susmentionnée et le commandement de l'armée ukrainienne ; « 5° Le chef de la gendarmerie juive est soumis au comman- dant de la gendarmerie ukrainienne dans les affaires d'ordre général; dans les affaires ressortissant de la compétence spé- ciale de la gendarmerie juive, le chef de cette dernière peut entrer directement en rapport avec le chef de l'état-major à qui sera soumise la gendarmerie entière pendant la période des opérations militaires, ou avec toute autre personnalité dont il relèvera ; « 6° Les membres de la gendarmerie juive jouissent des mêmes droits que les membres de la gendarmerie ukrainienne et répondent de leurs actes aux termes des lois qui régissent ces derniers ; « 7° La gendarmerie juive, de même que la gendarmerie ukrainienne, marche sur les derrières immédiats de l'armée ukrainienne. Elle doit accomplir sa tâche spécifiée aussitôt après l'occupation par l'armée de la République démocratique ukrainienne, ou des localités comportant une population juive. Les forces de cette gendarmerie sont réparties au point de vue territorial et à tous les autres selon un plan d'ensemble préparé par le chef de la gendarmerie juive et confirmé par l'état-major. Dans les limites de la zone déterminée par ce plan, la gendar- merie juive devient autonome... » Le procès de Samuel Schwarzbard est l'occasion de joutes oratoires particulièrement vigoureuses. Parmi les témoins, l'écrivain Joseph Kessel déclare : « L'acte de Schwarzbard, je ne l'aurais sans doute pas commis, mais simplement parce que je suis moins courageux. Quand ce ne serait que pour avoir attiré l'attention du monde civilisé sur l'atrocité des pogromes, Schwarzbard devait faire ce qu'il a fait. » Le 26 octobre 1927, le tribunal de la Seine prononce l'acquit- tement de Samuel Schwarzbard. C'est la première victoire de la Ligue créée par Bernard Lecache. Quelques mois plus tard, la Ligue internationale contre les pogromes change d'appellation. Elle étend son champ d'action et devient la Ligue internationale contre l'antisémitisme (L.I.C.A.) qui plus tard sera la L.I.C.R.A. (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme). Soixante ans après le procès de Samuel Schwarzbard, la polémique sur la responsabilité de Petliura dans les pogromes d'Ukraine se poursuit. En mai 1986, Renée Néher-Bernheim (4) écrit : « Simon Vassilievitch Petliura, le plus grand massacreur de Juifs avant Hitler. Ses sinistres exploits devancent de vingt ans ceux des

(4) Information juive, « Qui se souvient encore de Petliura... ? » nazis. A n'en pas douter, Hitler et les siens ont puisé dans les atrocités commises, en Ukraine et en Pologne, par les hommes de Petliura des modèles dont ils ont su tirer les leçons. (...) Les pogromes serviront de dérivatif à la rancœur des Ukrainiens contre l'échec de leur tentative d'indépendance. (...) On assas- sine, on pille, on saccage, on éventre les femmes enceintes, on viole, on coupe des bras, des jambes, on mutile à plaisir. « On force les mères à assister à l'assassinat de leurs enfants ; on brûle les maisons juives avec leurs habitants (...). » Léon Poliakov, pour sa part (5) estime que ni Petliura ni Denikine (6) ne furent des antisémites et encore moins des instigateurs de pogromes : si on peut leur adresser un reproche posthume, c'est de ne pas avoir démissionné, pour ne pas laisser couvrir de leurs noms des massacres auxquels l'un comme l'autre étaient foncièrement hostiles. Quant au mathématicien ukrainien exilé en France, Leonid Pliouchtch qui préside un « Comité contre la diffamation du peuple ukrainien » il rappelle (7) que le gouvernement de Petliura comprenait sept ministres juifs (Silberfarb, Rafès, Zolotariov, Revoutzky, Wulf-Latzki, Krasny et Goldelman), qu'Arnold Margoline, également juif, représenta l'Ukraine à la Conférence de la paix à Versailles, que 20 % des députés de la Rada centrale (le parlement ukrainien) étaient juifs et que les billets de banque émis par la République populaire ukrainienne étaient rédigés en quatre langues : ukrainien, russe, polonais et yiddish. Dans une lettre adressée à la L.I.C.R.A. (8) à l'occasion de son 36e Congrès, Leonid Pliouchtch estime que « l'acquittement de Schwarzbard ne peut signifier en aucune façon la responsabilité de Petliura ». Une chose toutefois demeure certaine : S'il n'a pas lui-même commis de pogromes, Petliura a incontestablement couvert des actes dont il endossa de ce fait la responsabilité. En tout état de cause, l'histoire retiendra que l'affaire Petliura-Schwarzbard a été à l'origine de la création de la L.I.C.(R.)A. (9)

(5) Information juive, octobre 1986. (6) Commandant de l'armée blanche de la Russie du Sud en 1918-1920 lors de la guerre civile russe. Note des auteurs. (7) Information juive, septembre 1986. (8) En date du 17 novembre 1986. (9) En 1967, les restes de Samuel Schwarzbard ont été inhumés en Israël. Mort en Afrique du Sud en 1938, Schwarzbard avait d'abord souhaité être enterré en Palestine.

CHAPITRE II

MASSACRE A CONSTANTINE

Constantine, Algérie, 5 août 1934, sept heures du matin. C'est dimanche, jour de marché et très tôt, les paysans arabes des environs de la ville ont investi le centre. Une grande nervosité règne dans l'air car les rumeurs les plus folles se propagent depuis l'avant-veille : « Les Juifs tuent les Arabes et brûlent les mosquées » ou encore : « Le docteur Bendjelloul a été assassiné par des Juifs. » Au lieu-dit « Les Pins », un meeting réunit un millier de personnes. Elles sont chauffées à blanc par les meneurs. A neuf heures, c'est le drame. Les Arabes, réunis aux Pins, déferlent sur la ville par les trois ponts qui enjambent le Rummel. Armés de couteaux et de gourdins, les émeutiers n'ont qu'un objectif en tête : les Juifs. C'est le pogrome. Tandis que les femmes les encouragent par des you-yous, les vandales cassent tout sur leur passage, lacèrent les marchandises des magasins, détruisent les dossiers et, dans leur folie meurtrière, ils tuent. On dénombre 27 morts et 600 blessés. Cinquante ans après, l'un des rescapés de l'horrible tuerie, Roland Halimi, se souvient et raconte : « Je conserve de tous ces faits des souvenirs extrêmement précis. Nous habitions au 12, rue Abdellah-Bey. Vers midi, les émeutiers ont d'abord enfoncé la porte de notre immeuble. Puis ils se sont introduits dans notre maison. Dans un premier temps, ils ont envahi l'entresol où la famille Zerdoun occupait un petit appartement. Ils sont ensuite arrivés au deuxième étage où il y avait ma famille. Tout le monde s'est alors replié dans un grenier situé au fond d'une terrasse et c'est là que toute ma famille a été massacrée. J'ai entraîné avec moi, une jeune femme de ménage, Rosette Benisti qui vivait avec nous et une femme arabe Fatma Turkia, vers une chatière où j'avais l'habi- tude de jouer. Nous nous sommes tapis dans les combles. Mon père et ma mère ont essayé de précipiter mes sœurs dans cette chatière mais ils n'en ont pas eu le temps. Mes petites sœurs s'étaient accrochées à la robe de ma mère et ne pouvaient pas s'en détacher. Pour couvrir notre retraite, mon père a fait basculer vers cette chatière un gros meuble en bois et c'est de derrière ce meuble que j'ai pu observer tout ce qui s'est passé. Des choses absolument affreuses. C'est la première fois que j'en parle. Il y avait des lessiveuses, des espèces de "kassea" ces bassines que nous utilisions en Algérie. Les émeutiers ont retourné ces bassines et s'en sont servis comme billots. Toute la famille a été égorgée. Pendant son affreux martyre, j'enten- dais mon père hurler d'une voix terrible le "Chema Israel". Ce qui s'est fiché dans ma mémoire à tout jamais. La tuerie a eu lieu entre midi et une heure. Puis les émeutiers qui savaient que la famille comportait d'autres personnes sont revenus sur les lieux pour essayer de retrouver les rescapés pour les égorger. Nous ne sommes pas sortis de notre cachette. Nous avons attendu. Les soldats sont arrivés vers quatre heures et ont emmené les corps. Nous n'avons pas encore jugé utile de sortir. J'étais effrayé. J'avais peur de tout ce sang, j'avais peur de tous ces cadavres, j'avais peur de toute cette odeur très particulière. Je suis donc resté caché ; vers cinq heures, comme je n'enten- dais plus de bruit, avec Fatma Turkia et Rosette Benisti, nous sommes sortis et descendus dans la rue, vers la rue Georges- Clemenceau. Un agent de police qui m'a reconnu m'a emmené vers la rue de France qui était le quartier juif où j'avais de la famille (1). » Les origines de cette flambée de violence sont pour le moins incertaines. On raconte qu'un militaire juif, le zouave Eliahou Khalifa, aurait offensé des musulmans en prière le vendredi 3 août. Pour les uns, il aurait tenu des propos blasphématoires

(1) Entretien avec les auteurs, juillet 1984. Roland Halimi qui avait onze ans à l' époque des faits, a perdu son père Alphonse Halimi, sa mère Fortunée et ses sœurs Janine et Mady, lors du pogrome. à l'issue d'une altercation. Pour d'autres, il aurait uriné sur le mur extérieur d'une mosquée. En fait, il semble bien que cet incident n'ait été qu'un prétexte et que c'est ailleurs qu'il faut trouver une explication logique à cette violence qui, il faut le souligner, s'est accomplie sans que la troupe, qui se trouvait à quelques mètres du drame, n'intervienne. Envoyé spécial du Populaire, Jean Pierre-Bloch rejoint l'Al- gérie. Son enquête donne des éléments importants de réponse : « Plusieurs jours après le drame, Constantine donnait l'impres- sion d'une ville où un ouragan était passé : magasins de tissus saccagés, exemplaires jetés au sol... C'était abominable. Nous étions suffoqués. Les Juifs de Constantine étaient unanimes à déclarer : "Personne n'a bougé. On nous a laissé assassiner." Le maire, Morinaud, était en villégiature à Djidjelli. Il ne s'est dérangé que quarante-huit heures plus tard. La troupe n'est jamais intervenue. On a tué, assassiné, massacré. Ce serait une erreur de croire que les foules fanatisées des Arabes sont parties comme ça. Il y a eu derrière eux des agitateurs et ces agitateurs — je peux l'affirmer aujourd'hui — étaient des Européens. Il y avait déjà les amis de M. Doriot. Les fascistes de l'époque ont poussé les Arabes. Les chefs arabes que j'ai rencontrés, Bendjel- loul, Ferhat Abbas, Cheikh Benabi, n'ont jamais rien pu faire pour empêcher cette troupe fanatisée de se livrer au massa- cre (2). » Et, de fait, seule cette interprétation est plausible. Rejoignant l'immense majorité des Juifs de Constantine, qui prône le rapprochement judéo-arabe malgré le drame, la L.I.C.A. lors de son 5 Congrès national réuni à Paris les 24 et 25 novembre 1934, fait sienne l'interprétation du délégué de Constantine, M. Allouche, qui affirme : « Le pogrome de Constantine n'est pas issu uniquement de la colère populaire, longtemps et sauvagement réprimée. En Algérie, plusieurs courants tentent de capter à eux l'opinion des masses indigènes. L'élite indigène, sortie des écoles françaises, retrouve au contact de la presse arabe, la foi dans le vrai Coran. Cette presse qui caresse le chimérique espoir, de voir renouve- ler l'immense empire islamique. D'autre part il y a l'influence

(2) Entretien avec les auteurs, juillet 1984. néfaste des marabouts qui veille à l'ensommeillement de cette masse trop encline à l'inertie. Il y a encore un parti panislami- que qui, en lui insufflant la foi religieuse, et en l'éduquant, conjugue ses efforts au réveil de cette masse asservie. Il y a enfin, les partisans d'une Algérie française, les fonctionnaires et les salariés, qui ont intérêt à maintenir l'Algérie sous le contrôle d'une France "bonne et généreuse". » Pour M. Allouche qui estime que les gros colons, appuyés par les forces réactionnaires affament le peuple algérien, le Juif est encore et toujours le bouc émissaire. « Que l'Arabe sorte de sa passivité pour se jeter dans la bagarre, lui qui souffre et qui a faim, je le comprends. Qu'il lutte contre n'importe qui, pourvu qu'il clame sa lamentable misère, je le comprends. Mais ce que je refuse à admettre, c'est que "n'importe qui" soit partout et toujours le Juif. « Devant l'effervescence des masses arabes, devant tant de misères refoulées, le colonisateur s'inquiète : vite, il faut un dérivatif, un provocateur, et, à la faveur d'un incident sans importance, on retourne les Arabes contre les Juifs (3). » Lors de ce même Congrès, le président de la L.I.C.A., Bernard Lecache, annonce qu'il a participé à de nombreuses réunions avec des délégués arabes et propose un plan d'action axé sur le soutien de certaines revendications des musulmans algériens : « Nous avons proposé aux camarades musulmans de soutenir non pas la totalité de leurs revendications qui pour la plupart sont légitimes, mais l'essentiel de leurs revendications propres. Réclamer avec eux, organiser avec eux une campagne de propagande intense à travers la métropole et l'Afrique du Nord pour que les musulmans d'Algérie obtiennent, sous certaines réserves, le bénéfice de la loi Crémieux(4). Si nous travaillons à la naturalisation française de ces masses, il est probable que nous aurons endigué presque entièrement le fléau de l'antisémi- tisme. « Nous établirons un statut de revendications communes, qui nous permettra de mener la lutte contre ceux que j'ai appelés "nos oppresseurs communs", parce qu'il y a en Algérie, particu-

(3) Le Droit de Vivre, décembre 1934. (4) Voir le chapitre XIV, « Algérie, terre des occasions perdues ». lièrement, une minorité juive qui prétend représenter la masse des Juifs en Afrique du Nord et qui ne la représente pas effectivement, qui opprime et qui pressure à la fois la masse juive et la masse arabe. Je viens vous demander de nous accorder un blanc-seing pour que nous fassions la paix en Afrique, au risque de nous attirer les haines vigilantes de quelques Juifs qui dénaturent la véritable image des Juifs d'Algérie (5). » Avant de se séparer, les congressistes de la L.I.C.A. adoptent une motion où ils dénoncent fermement les autorités pour le laxisme manifesté face à l'antisémitisme rampant qui sévit en Algérie. « 1) Le Congrès déplore sincèrement que l'an passé, le gouvernement Chautemps n'ai pas cru devoir donner audience à la délégation indigène venue à Paris pour présenter un ensemble de revendications judicieuses ; « 2) dénonce publiquement la responsabilité des autorités officielles et, en premier lieu, celles de MM. Carde, gouverneur général de l'Algérie ; Kieffer, général de la division de Constan- tine ; Morinaud, député-maire de Constantine ; Miguel, commis- saire central de Constantine ; « 3) enregistrant des apparences de sanctions notoirement insuffisantes, exige, contre tous ces responsables, non pas des blâmes de principe, mais des sanctions sévères et exemplaires ; « 4) attire l'attention des pouvoirs publics sur la campagne odieuse et criminelle des organisations antisémites et de cer- tains journaux fascistes de Constantine, tels que Le Tam-Tam et L'Eclair qui, prenant prétexte de la crise actuelle, excitent les masses laborieuses pour les dresser les unes contre les autres ; « 5) Décide de mandater le Comité central pour prendre contact, le plus tôt possible, avec les représentants, à Paris et en Algérie, des indigènes, représentants qualifiés et donnant toutes garanties de loyauté, afin d'étudier ensemble et de mettre au point un plan d'amélioration sociale pour les masses juives et arabes ; « 6) préconise la création de groupes d'études locaux, qui

(5) Le Droit de Vivre, décembre 1934. auront pour but de rechercher et de maintenir le rapproche- ment, préface de la réconciliation judéo-arabe (6). » Sur cinq colonnes, dans Le Droit de Vivre, un appel aux Juifs et aux Arabes prône la réconciliation : « Musulmans et Juifs d'Algérie, unissez-vous. Le scandale continue. Après les tristes événements de Constantine, M. Carde est toujours gouverneur de l'Algérie. Ses fonctionnai- res sont toujours en place. Rien n'a changé : les coupables sont au pouvoir, les victimes dans leurs tombes et les anti-Juifs peuvent impunément annoncer que "ça va recommencer". Le gouvernement français attend-il qu'il y ait de nouveaux morts pour agir ? » Un an plus tard, alors que des bruits de bottes inquiétants parviennent d'outre-Rhin, la L.I.C.A., vigilante, appelle à la lutte contre l'antisémitisme et le racisme d'où qu'ils viennent : « Une année déjà s'est écoulée depuis le jour où, dans Constantine en feu, des femmes, des enfants et des vieillards furent lâchement égorgés. « A notre dernier Congrès national, nous élevant contre ces horreurs, nous avions dénoncé les véritables responsables, découvert les dessous de ces colères populaires savamment détournées contre une minorité toujours offerte en holocauste à la crise économique et sociale. « Si nous commémorons aujourd'hui cette misérable tuerie, c'est qu'au-delà du Rhin nous voyons les mêmes faits suivre le même processus. « L'Allemagne est aux abois, le boycottage de ses produits s'intensifie (7), l'opposition de l'Eglise catholique s'affirme : c'est le Juif qui est responsable. Les casques d'acier s'agitent : c'est le Juif qui est arrogant. Un évêque s'élève contre le régime : c'est le Juif qui proteste. « Il en va de même en Algérie. Le fellah meurt-il de faim ? C'est le Juif qui l'affame. L'Arabe demande-t-il sa naturalisa- tion ? C'est le Juif qui la lui refuse. La sécheresse anéantit les récoltes ? C'est le Juif qui a jeté le mauvais sort. « Et la presse antijuive subventionnée par Goebbels, insidieu- sement, chaque jour, appelle le pogrome. Les fanatismes

(6) Le Droit de Vivre, décembre 1934. (7) Voir le chapitre V, « Boycottez les bourreaux hitlériens ! » chauffés à blanc se réveillent. Les corps des enfants mutilés gisent dans la rue. Les hitlériens français sourient d'aise. « Depuis un an, ces scènes, heureusement, ne se sont pas renouvelées. Mais la presse antijuive n'a pas désarmé. Il lui faut de nouvelles victimes. Le malaise s'aggrave. On le noiera dans le sang juif. « Mais la défense passive est aujourd'hui périmée. « Le Juif défendrait sa vie s'il le fallait. Et les non-Juifs, l'élite musulmane en tête, l'y aideraient. « Si le Juif entre dans nos sections nord-africaines, s'il sait unir en un faisceau ardent les volontés offertes, l'antisémitisme sera bientôt mis hors la loi en Algérie (8). »

(8) Le Droit de Vivre, juillet 1935.

CHAPITRE III

A GAUCHE, TOUTE! LA L.I.C.A. ET LE FRONT POPULAIRE

C'est un fait avéré en 1987. La L.I.C.R.A. n'est ni une organisation politique ni une organisation juive. Les choses étaient bien différentes il y a un demi-siècle et les conditions du moment ont fait de la L.I.C.A. un groupement juif à vocation unitaire fortement ancré à gauche. Le début des années trente voit la France très marquée par l'affaire Stavisky, escroquerie au Crédit municipal de Bayonne, qui contribue à la chute du cabinet de Camille Chautemps et ravive l'antisémitisme et la xénophobie savamment orchestrés par une extrême droite en plein essor. Avec, en point culmi- nant, le 6 février 1934, journée d'émeute qui voit les ligues droitières s'opposer à la police et à la garde républicaine. Dans ce contexte, pour le moins tourmenté, la communauté juive de France a tendance à se scinder essentiellement en deux ensembles quasiment disjoints. D'une part, la bourgeoisie, les Juifs assimilés d'implantation relativement ancienne, groupés autour du Consistoire et des mouvements à coloration religieuse de l'Union libérale israélite, et très à droite, l'Union patriotique des Français israélites créée en juin 1934 et dirigée par Edmond Bloch (1) dont l'argumentaire politique était largement em- prunté aux Croix-de-Feu du colonel de La Rocque. De l'autre, les immigrés, les tenants d'un judaïsme moins timoré et plus agressif, face aux menaces racistes de plus en plus marquées et

(1) Edmond Bloch se convertira par la suite au catholicisme. Il apportera son soutien à Xavier Vallat. A sa mort une messe sera célébrée à sa mémoire à Notre-Dame de Paris. surtout une grande partie de la jeunesse. La L.I.C.A., avec à sa tête, Bernard Lecache était favorable à ces derniers (2). Pour bien mesurer l'étroite collaboration qui existait entre le Consis- toire de Paris et la droite « patriote », il convient de rappeler que, de 1933 à 1936, lors du service religieux célébré à la mémoire des soldats français morts à la guerre de 1914-1918, des centaines de membres des Croix-de-Feu défilaient à la synagogue. A l'inverse, un rabbin fut délégué à plusieurs repri- ses pour représenter le Consistoire à des réunions des amis du colonel de La Rocque. Et lorsque Edmond Bloch forma son Union patriotique, Robert de Rothschild dans son discours devant l'assemblée générale du Consistoire, applaudit à cette création. A l'opposé, la L.I.C.A. qui, dès 1935, avait rejoint le mouvement en faveur du Front populaire, deviendra, après la victoire de ce dernier, l'un de ses plus ardents défenseurs. « Nous sommes 100 % Front populaire » était l'un des credos de la Ligue. Il était tout naturel que deux ensembles tels que ceux-là s'opposent et se combattent. « Les "Israélites patriotes" frater- nisent avec les antijuifs » titre Le Droit de Vivre (3). « L'Union nationale des Israélites patriotes n'existe plus. (A-t-elle jamais vraiment existé ?) Elle est morte de sa belle mort, mais, tel le phœnix, elle renaît de ses cendres et s'intitule aujourd'hui Union patriotique des Français israélites. Malgré toutes les déclarations et les professions de foi de MM. Edmond Bloch, Diamant-Berger, Koscziusko et consorts, le change ne peut plus être donné sur les véritables intentions de ces messieurs. « Ils ont partie liée, non seulement avec les aspirants fascistes les plus avérés mais avec les tenants de l'antisémitisme en France. Le 19 juin 1934, au palais des fêtes, rue aux Ours, un certain "Cercle d'études économiques, sociales et politiques" (C.E.E.S.P.) organisait une réunion contre les "étrangers indési- rables"... Ces bons Juifs n'ont pas craint de s'installer à la tribune, aux côtés de M. le Comte de Gueydon dit Vinceguide, chef des troupes d'assaut de la "Solidarité française" décerve-

(2) Voir David Weinberg, Les Juifs à Paris de 1933 à 1939, Calmann-Levy, édit. 1974. (3) Le Droit de Vivre, juin/juillet 1934.

JEAN-PIERRE ALLALI / HAIM MUSICANT préface de PIERRE BLOCH DES HOMMES LIBRES histoiresextraordinaires des l'histoirede la L.I.C.R.A.

en chef de La Terre retrouvée, Jean-Pierre Allali collabore également au Matin de Paris et à l'Arche. Il est l'auteur d'ouvrages sur les Juifs de Tunisie.

«... De l'affaire Schwartzbard au cas de la thèse fantaisiste d'Henri Roques, du procès Haim Musicant (à droite) et Frankfurter à l'aventure des Jean-Pierre Allali (à gauche), enfants Finaly, du pogrome de proposent avec « Des Hom- Constantine à la chasse aux mes libres » une véritable fres- nazis comme Klaus Barbie, le que retraçant le combat anti- « boucher de Lyon », sans ou- raciste des soixante dernières blier la visite de Jules Isaac au années, à travers l'histoire de Vatican, la tragédie de la fa- la L.I.C.R.A., Ligue interna- mille Grynspan, le projet tionale contre le racisme et Blum-Viollette pour l'Algérie, l'antisémitisme. le procès de Prague, celui des Directeur du bureau franco- « blouses blanches » ou encore phone du B'nai Brith, Haim l'action en justice contre Musicant collabore à de nom- Jean-Marie Le Pen. Un com- breuses publications parmi bat qui est malheureusement lesquelles l'Arche. Rédacteur loin d'être terminé... »