DES HOMMES LIBRES Histoires Extraordinaires De L'histoire De La L.I.C.R.A

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DES HOMMES LIBRES Histoires Extraordinaires De L'histoire De La L.I.C.R.A Conception Jean Chouët Photo de la 4 de couverture : Thierry Martinot © Editions Bibliophane, 1987 JEAN PIERRE ALLALI / HAIM MUSICANT DES HOMMES LIBRES histoires extraordinaires de l'histoire de la L.I.C.R.A. préface de PIERRE BLOCH EDITION BIBLIOPHANE 26 RUE DES ROSIERS 75004 PARIS 48878220 Pour Michèle Pour Nelly PRÉFACE La L.I.C.A. devenue L.I.C.R.A., fête cette année son soixan- tième anniversaire. Mes amis Haim Musicant et Jean-Pierre Allali, ont pris l'heureuse initiative d'écrire et de publier cet ouvrage. Il tombe à point. Il rappellera aux jeunes l'histoire, les combats, les luttes des militants de la L.I.C.A. et de la L.I.C.R.A. qui sont fidèles au souvenir des anciens. Un fait divers meurtrier est à l'origine de la L.I.C.A. Les anciens, peu nombreux hélas, se souviennent avec émotion de cette séance de la cour d'assises à Paris où Samuel Schwarzbard était défendu par le célèbre avocat Henry Torrès. A l'époque, c'était le 26 octobre 1927, après le meurtre de l'organisateur des pogromes en Russie blanche, Henry Torrès, par sa magni- fique plaidoirie fit acquitter le justicier au milieu des applaudis- sements de la salle. C'est quelques mois plus tard, en février 1928 que Bernard Lecache déposa les statuts d'une association régie par la loi de 1901; la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémi- tisme était née. Bernard Lecache, le fondateur, en était le premier président. Il le restera jusqu'à sa mort en 1968. C'est une histoire passionnante que nous racontent, avec beaucoup de talent, Haim Musicant et Jean-Pierre Allali. L'histoire d'un combat qui dure depuis 60 ans, contre la haine, contre le racisme et l'antisémitisme. De l'affaire Schwarzbard au cas de la thèse fantaisiste d'Henri Roques, du procès Frankfurter à l'aventure des enfants Finaly, du pogrome de Constantine à la chasse aux nazis, comme Klaus Barbie, « le boucher de Lyon », sans oublier la visite de Jules Isaac au Vatican, la tragédie de la famille Grynspan, le projet Blum-Viollette pour l'Algérie, le procès de Prague, celui des « blouses blanches » ou encore l'action en justice contre Jean- Marie Le Pen. Un combat qui est malheureusement loin d'être terminé. A la Libération, nous aurions préféré qu'il n'y ait plus de L.I.C.A. Hélas, cela n'a pas été possible. Les partisans de la haine n 'ont rien appris, rien oublié. Voilà pourquoi, plus que jamais, le combat de la L.I.C.R.A. est nécessaire. Comme toujours, la L.I.C.R.A. préférera l'éducation à la violence. Hier comme aujourd'hui nous disons : « Mieux qu'à la force de nos lois, il convient de s'adresser aux consciences. » Je suis sûr que tous les militants de la L.I.C.R.A., les anti- racistes et les démocrates de ce pays sauront réserver au livre de Haim Musicant et Jean-Pierre Allali, l'accueil qu'il mérite amplement. PIERRE-BLOCH Président de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme Ancien ministre Président de la L.I.C.R.A. CHAPITRE I SCHWARZBARD, LE VENGEUR DES POGROMES Le 25 mai 1926 à Paris, l'horloger juif Samuel Schwarzbard abat de sept coups de pistolet, Simon Petliura, ancien président du Directoire, ataman en chef des armées de la République démocratique ukrainienne. Le lendemain, l'événement fait la une des journaux. Le Figaro titre en première page : « Un crime politique. M. Petliura, ancien chef du gouvernement ukrainien a été tué hier au Quartier latin. Son assassin est un de ses compatriotes. » Voici comment le quotidien du matin relate l'affaire : « M. Simon Petliura, âgé de 47 ans, qui était en 1917, chef du gouvernement ukrainien, a été tué hier, au début de l'après-midi au Quartier latin. Dès que nous avons eu connaissance de ce drame, nous avons procédé à une enquête dont voici les résultats. "M. Samuel Schwarzbard est né en 1888 à Smolensk (Russie). Il est israélite. Il s'engagea au début de la guerre dans l'armée française et il prit part à divers combats en Argonne et en Champagne. En 1917, il a été attaché en qualité d'interprète à une mission militaire française qui se rendit à Petrograd puis à Odessa. C'est alors qu'il entendit parler du général Petliura qui en Ukraine, martyrisait, disait-on, les israélites. A la suite de nombreux récits de ses coreligionnaires, Samuel Schwarzbard conçut une haine violente contre celui qu'il considérait comme un persécuteur. Après la guerre, Schwarzbard, marié, sans enfant, vint s'établir comme horloger au 82, boulevard de Ménilmontant. Pendant ses loisirs il préparait un livre sur les pogromes. Il lisait de nombreux journaux publiés en langue russe. Ainsi apprit-il que son ennemi s'était réfugié en Pologne et prônait une propagande antisémite très active. Le gouvernement des So- viets demanda même son expulsion au gouvernement polonais. Petliura se réfugia alors en Tchécoslovaquie où il continua sa propagande. Puis il vint en France en 1920. Schwarzbard était au courant de ses déplacements. Il acheta un pistolet auto- matique du calibre de 7,65 mm et se mit à la recherche de Petliura. Pour être sûr de le reconnaître, il découpa son portrait dans une encyclopédie. Il y a trois semaines, à la sortie d'une brasserie au Quartier latin, il l'aperçut. Petliura était en compa- gnie de sa femme et de sa fille âgée de 14 ans. Schwarzbard le dévisagea mais n'osa pas tirer dans la crainte de blesser d'autres personnes. Hier, l'horloger déjeunait avec sa femme née Inda Render, dans l'unique pièce qui compose leur logement, au-dessus de leur magasin d'horlogerie, lorsqu'on vint le prévenir qu'une personne le demandait au téléphone. Il revint, un quart d'heure après et dit à sa femme : "Je vais faire une course" et, tête nue, sans même retirer sa blouse blanche, il quitta l'appartement. A 2 h 15, il se trouvait rue Racine, à l'angle du boulevard Saint-Michel. Il attendit Petliura qui déjeunait dans un restaurant voisin. Lorsque celui-ci quitta l'établissement, Schwarzbard s'avança vers lui. 'Vous êtes bien le seigneur Petliura?' La réponse fut affirmative. L'horloger, sortant aussitôt un révolver cria : 'Canaille, tu vas payer ta dette', et il tira deux balles à bout portant. Sa victime s'écroula sur le bord du trottoir. Après quelques secondes d'hésitation, l'assassin tira encore cinq balles sur le blessé qui murmurait : 'Assez, assez, au secours'. Au bruit des détonations, le gardien de la paix Mercier, de service boulevard Saint-Michel, accourut. Schwarzbard lui ten- dit son arme : 'Vous pouvez m'arrêter.' Conduit au commissa- riat de police du quartier de l'Odéon, l'assassin fut longuement interrogé par le commissaire M. Mollard : 'Je ne regrette pas mon acte', dit-il (...). M. Petliura, qui avait été atteint par les sept projectiles, avait été transporté à l'hôpital de la Charité. Il y succombait vingt- cinq minutes après y être entré, sans avoir repris connais- sance (...)." » Pour comprendre le geste de Schwarzbard et le retentisse- ment que connut son procès aux Assises de Paris, il faut remonter quelques années en arrière. Au printemps 1917, avec la chute des tsars, une ère nouvelle semble s'ouvrir pour les populations de l'immense Russie. L'un des premiers actes du nouveau gouvernement est de proclamer le principe de l'égalité de tous les citoyens sans distinction de race ou de religion. Mais l'illusion d'un nouvel « âge d'or » allait être de courte durée. Le 7 novembre, la révolution bolchevique et l'instauration du régime des Soviets plonge le pays dans la guerre civile. Comme toujours, les Juifs sont pris entre le marteau et l'enclume. D'un côté, on les taxe de bourgeois enrichis et donc de contre-révolutionnaires. De l'autre, on les accuse d'être des éléments subversifs et donc dangereux. La situation classique du bouc émissaire. C'est dans ce contexte ambigu qu'un nouvel Etat voit le jour en Ukraine. Une République indépendante dirigée par l'ataman Simon Petliura, qui voit s'affronter sur son sol les « Blancs », les « Rouges » et les « Petliuriens ». Un affrontement qui ne va pas sans massacres dont les Juifs font les frais pour l'èssentiel. Dans chaque village, dans chaque bourg, dans chaque ville, c'est le pogrome. A Proskourov on dénombre 1 500 morts, à Felstine, 600 morts. Deux massacres successifs ont lieu à Jitomir. En tout, près de cent mille morts. Envoyé spécial du Quotidien, journal dirigé par Henri Dumay et auquel collabore Tristan Bernard, Bernard Lecache parcourt l'Ukraine pendant trois mois, interroge des centaines de per- sonnes, survivants des pogromes, témoins des massacres. Son reportage est accablant. Il est publié en feuilleton tout au long des mois de février et mars 1927 (1). D'entrée de jeu, le ton est donné et l'opinion du journaliste, sans détours : « Pogrome est un mot slave. On le prononce depuis toujours de Varsovie à Bakou, de Moscou à Bucarest. Tout l'Orient ( 1) Ce reportage a été réuni en un ouvrage édité par les éditions du Progrès civique : Quand Israël meurt, Paris, 1927. européen le mâche et le remâche et le crache à la face du Juif : "Youpin, voici le pogrome ! Cache-toi, cours!" « Le juif se cache. Il court. Voilà des siècles qu'il court. On le rattrape et on le tue. S'il se défend (...) Schwarzbard est en prison.
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