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LE MONDE DES LIVRES SPECIAL ALLEMAGNE VENDREDI 16 MARS 2001 LITTÉRATURE BALADE BERLINOISE ESSAIS JEUNESSE Le feuilleton de Pierre Lepape page II pages IV et V Entretien avec le philosophe page VII Panorama historique, p. III Hans-Georg Gadamer, p.XII La jeune génération Heidegger et « l’essence des écrivains berlinois, p.VI de la vérité », p.X HISTOIRE Actualité des parutions en France, p.II à XV L’état des débats outre Rhin, page XIV p.XI Place Marlene Dietrich sur “ tyrans in nucleo ”. Il ne s’agissait sonnes. Je pensais au Chaplin du a la Postdamer Platz pas seulement des nazis. A l’épo- Kid. Mais mon film visait aussi à que, j’avais besoin de cet alibi, mais dépeindre la petite bourgeoisie, est bon est toujours venu de la pro- je crois que cette métaphore est comme un tombeau glauque. Pen- vince : Goethe, c’était Weimar ; aujourd’hui un peu dépassée. dant l’élaboration du film, Grass me Schiller, c’était Stuttgart ; Böll, c’est C’était plutôt un film sur l’adoles- reprochait d’être “ protestant et car- Cologne ; Grass, c’est Dantzig… cence. J’ai continué avec Kleist, tésien ”. Il trouvait qu’à mon scéna- Numéro spécial : » Heinrich Böll, qui déchirait le Michael Kohlaas, le rebelle (1969), rio, il manquait “ l’irruption irration- voile du silence jeté sur le passé hit- qui contient lui aussi une leçon nelle du temps ”. Qu’avec Jean- lérien, puis s’est engagé contre l’hys- sociale : il dépeint ce qu’il y a d’à la Claude Carrière, nous avions mis térie dans laquelle son pays bascu- fois admirable et effrayant chez un trop d’ordre dans son histoire. C’est lait à l’époque de la bande à Baader, héros allemand, lorsqu’il perd vrai, je suis d’éducation protestan- a marqué cette nouvelle vague de contact avec la réalité au nom de te, et lui, c’est un catholique… très son empreinte. Le premier film de son idéal, comme on le vit plus tard païen ! Il croit à une religion qui Jean-Marie Straub, Les Non-Réconci- avec les terroristes. J’ai tourné Baal, s’enfonce dans la sensualité, le liés (1965), histoire de deux lycéens d’après Brecht, pour la télévision, péché, et qui favorise l’irrationnel. qui se retrouvent trente ans après afin de cerner la germanité anar- A cause de cela, on l’a qualifié de les années troubles du nazisme, est chiste, avec Fassbinder dans le rôle baroque ; moi je dirais plutôt adapté de Böll ; Peter Schamoni a de la bête bavaroise. “barbare”. Grass a inventé un réalis- lui aussi adapté Böll… Heinrich Böll » Que je le veuille ou non, je bai- me burlesque. D’où mes difficultés : était un conteur avant tout, le ciné- gne dans la littérature. Et j’ai choisi je suis porté vers le réalisme, je me ma raconte des histoires, et Böll aussi d’adapter des auteurs vivants, méfie de tout ce qui n’est pas con- afin d’avoir un dialogue trôlable par la raison. avec eux. C’est ma » Même quand j’ai adapté Le Volker Schlöndorff façon de réagir contre Coup de grâce (1976), j’ai été captivé une idée de la littéra- par le cadre historique plus que par était celui qui en fournissait le plus. ture guindée, officielle, assomman- la tragédie racinienne, au grand Il est devenu une sorte de te. Je me suis toujours braqué sur déplaisir de Marguerite Yourcenar. conscience. J’ai personnellement, ces questions : qu’est-ce que l’Alle- Proust (Un amour de Swann, 1984), dans un climat de chasse aux sorciè- magne ? Qui sont les Allemands ? c’était un peu mon éducation senti- res, adapté L’Honneur perdu de Qu’est-ce que l’identité nationale ? mentale : je l’avais lu à dix-sept ans, Katharina Blum (1971). Avec Marga- Quelle part de notre Histoire pou- Sans doute ma lecture est-elle plus l’Allemagne rethe von Trotta, je cherchais à faire vons-nous assumer ? Et quelle part expressionniste que celle d’un Fran- un film sur la “ criminalisation ” des rejeter ? Mes lectures m’aident à çais. J’y ai fait ressortir le côté Dos- groupes révolutionnaires, de la gau- répondre à ces questions. toïevski de Proust, son paroxysme. che. Un film qui dénonce la presse à » Günter Grass était devenu un » Aujourd’hui, j’aimerais adapter sensations (la presse Springer) et les monument national en Allemagne : les extraordinaires Short stories d’In- méthodes policières. Böll était des- Le Tambour, ce mélange de conte go Schulze, un patchwork d’histoi- cendu dans l’arène en se mêlant de de fées et de cauchemar, avait res qui s’enchevêtrent dans une peti- l’affaire Baader-Meinhof et avait apporté une libération par rapport te ville de l’Allemagne de l’Est. éprouvé ce qu’est une campagne dif- à l’époque nazie. Grass a été derriè- Hélas !, les droits sont bloqués. famatoire. Il a travaillé aussi avec re l’Ostpolitik de Willy Brandt, il » Les jeunes réalisateurs d’aujo- nous pour ce film collectif que fut donnait l’exemple d’un écrivain qui urd’hui, eux, ont abandonné cette RUDOLF SCHAEFER L’Allemagne en automne (1978), film s’engage en tant qu’écrivain et non forte influence de la littérature alle- à sketches pour lequel il m’écrivit en tant que politicien. Dans Le Tam- mande : ils s’inspirent du cinéma une Antigone, et pour Guerre et paix bour (1974), ce qui m’intéressait, américain des quinze dernières (1983), un film sur la guerre atomi- moi qui avais toujours été un enfant années. » que. Et puis des écrivains se sont sage, c’était la révolte de l’enfant Propos recueillis mis à écrire pour le cinéma, comme contre le monde des grandes per- par Jean-Luc Douin Peter Schneider pour Le Couteau dans la tête de Reinhard Hauff, un film dans lequel la victime d’une bavure policière incarne une Alle- Romans, films : magne amnésique, orpheline de son identité (1979). Nous avions un programme commun : retrouver les traces du passé dans le présent. » De son côté, Rainer Werner Fas- au Salon sbinder a adapté Döblin (Berlin Alexanderplatz, 1980) et Theodor Fontane (Effi Briest, 1974) : lui se souciait peu de fidélité. Il se servait même combat de la littérature comme matériau tographique du Juif Süss), et qui con- pour faire du Fassbinder. C’était Engagé dans tinuaient à filmer un pays baigné d’ailleurs formidable ! Et Hans Jür- d’harmonie, qui exaltaient le coura- gen Syberberg s’emparait de Karl un « réalisme social », ge de nos vaillants petits soldats May (1974), celui que l’on a surnom- dévoyés par un sale dictateur ! Jus- mé le Jules Verne allemand. le cinéma allemand qu’à ce que notre génération refuse » Moi j’étais un cas un peu à part. J des années 1960 à 1980 cette hypocrisie de la restauration, Je suis cosmopolite, j’ai fait mes étu- usqu’aux années 1960, le ciné- et dénonce ce que nous avons appel- des en France. D’abord dans un col- ma allemand s’était désintéressé de lé le « cartel des nanars », pour se lège de jésuites à Vannes, où j’ai la littérature allemande. L’adapta- s’est souvent inspiré ranger derrière la bannière des écri- joué Siegfried et le Limousin de Jean tion de la légende des Nibelungen vains du Groupe 47, dont les livres Giraudoux, et où j’ai pris la décision par Fritz Lang (1924) restait un cas à d’ œuvres littéraires. constituaient à nos yeux une clé que, si un jour je faisais du cinéma, part. Le Faust de Murnau (1926) pour comprendre notre société. ce serait pour prouver à mes cama- n’était pas une adaptation littéraire. Nous avons demandé » A une époque où la vague du rades qu’il y avait une autre Allema- Le cinéma expressionniste s’était cinéma érotique submergeait tout, gne que celle de Nuit et brouillard fait sans aucune référence aux écri- au cinéaste Volker le cinéma s’est rapproché de la litté- d’Alain Resnais, une Allemagne que vains. C’est dommage : Alfred rature quand Alexander Kluge a jeté j’allais chercher chez Büchner Döblin ou Bertolt Brecht auraient Schlöndorff de les bases d’un nouvel art (un peu autant que dans les films de Pabst, pu y jouer un rôle, mais cela n’a pas dans l’esprit de la nouvelle vague de Lang et de tout un cinéma réalis- été le cas. La fascination des gens commenter cette française lancée par les Cahiers du te qui tranche avec l’image tradition- d’image pour une inspiration complicité avec les cinéma), tournant le dos aux recher- nelle d’une Allemagne ténébreuse. Demandez notre supplément romantique à laquelle s’est rattaché ches purement formelles pour décri- J’ai continué mes études à Paris au plus tard Werner Herzog, ce cinéas- re et analyser la société allemande. lycée Henri-IV, je suis devenu assis- te proche d’Arnim, de Jean-Paul, de écrivains de son pays La télévision nous a beaucoup tant de Louis Malle. Et puis, cinéas- Hölderlin, était inexistante. Il n’y a aidés : elle nous a permis de poser te à mon tour, je me suis mis à adap- d’ailleurs qu’en France que l’on goû- » Mais tout a changé avec la nou- les bases d’une production indépen- ter beaucoup d’écrivains, alors que te ce folklore à la Victor Hugo, cet velle vague. Après la guerre, le ciné- dante, de faire des films typique- je rêvais d’un cinéma d’auteur. J’ai exotisme des brouillards du Rhin… ma allemand était resté aux mains ment allemands au lieu de lorgner commencé par Robert Musil, Les Les Allemands ne se voient pas du de cinéastes, de vedettes et de pro- vers les coproductions internationa- Désarrois de l’élève Toerless (1966), tout comme cela ! Et Werner ducteurs qui avaient travaillé sous les.