Georg Wolfram, Un Érudit Allemand Au Temps Du Reichsland Jean-François Thull
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georg wolfram, un érudit allemand au temps du reichsland jean-françois thull « Litteris et Patriae ». Cette devise gravée au fronton du Palais (1) – Son frère Karl Wolfram sera maître Universitaire de Strasbourg (ancien Kollegiengebäude) pourrait définir de chapelle et compositeur. Paul Wentzcke, à elle seule l’itinéraire de Georg Wolfram. Georg Wolfram zum Gedächtnis, Frankfurt, Verlag Moritz Diesterweg, 1941, p. VIII. Ce Thuringeois naît le 3 décembre 1858 dans l’ancienne cité d’Allstedt, (2) – John E. Craig, « La Kaiser-Wilhelms-Universität située dans une enclave du Grand-Duché de Saxe-Weimar. La famille Strassburg 1872 – 1918 » dans La science sous Wolfram, de souche protestante, a des origines terriennes. C’est dans influence : L’université de Strasbourg enjeu un cadre agreste - la maison familiale est bordée par un jardin et l’ho- des conflits franco-allemands rizon des champs est proche - que le jeune garçon grandit aux côtés de 1872 – 1945, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005. ses deux frères, recevant une solide éducation où la musique occupe une place prépondérante (1). Bach et Haendel sont les enfants du pays. Georg Wolfram, qui a treize ans lorsque Guillaume Ier signe le traité de Francfort (1871), fait ses études secondaires au Gymnasium d’Eisleben, ville natale de Luther, où il se découvre une passion pour les langues anciennes et témoigne d’un goût précoce pour l’étude en compilant et publiant les légendes (Sagen) d’Alstedt. Au printemps 1878, après l’ob- tention de l’Abitur, il intègre la Johann Friedrich Universität d’Iéna et entame des études d’histoire et de germanistique. Son intérêt pour ces disciplines est attisé par l’enseignement du professeur Dietrich Schäfer (1845-1929) qui, dans ses séminaires, exalte la mission historique de l’Allemagne. Wolfram quitte la Thuringe de son enfance pour s’installer à Strasbourg (1878) et goûter la vie étudiante dans la capitale du Reichsland Elsass-Lothringen où la nouvelle université impériale a été inaugurée six ans auparavant. Alors que le Trévirois Johann Baptist Keune (1858-1937) est familier de l’Allemagne rhénane, Wolfram ignore le versant ouest du Reich. L’Alsace-Lorraine va devenir pour lui une seconde patrie. i – un étudiant d’exception dans la nouvelle université impériale Dans l’Alsace-Lorraine érigée en Terre d’Empire (Reichsland), l’Université est, à ses débuts, un bastion du protestantisme dont le rôle est d’illustrer le prestige de la science allemande, la modernité de l’Allemagne wilhelminienne et l’excellence de son système d’enseignement. La Kaiser-Wilhelms-Universität accueille 5 facultés : Théologie protestante (et catholique à partir de 1902), Philosophie, Droit et Sciences Politiques, Médecine, Mathématiques et Sciences de la Nature. Elle dispose de crédits importants, d’un corps profes- soral jeune (Palatins, Rhénans, Hessois, Badois et Wurtembergeois principalement), d’équipements modernes (instituts, laboratoires, observatoire), et se situe à la pointe des sciences nouvelles, notamment en matière de pharmacologie et de chimie physiologique (2). Professeurs et étudiants (allemands pour l’essentiel) sont les porte-étendards de la germanité et les pionniers de l’esprit allemand (Pioniere des deutschen Geistes). La formation (Arbeit) et la recherche (Forschung) occupent une place centrale dans la vie universitaire. n° 3/4 ~ décembre 2009 . georg wolfram, un érudit allemand au temps du reichsland 31 Wolfram intègre la Faculté de Philosophie provisoirement installée dans le palais des Rohan, avant que le plan d’extension de Strasbourg ne fasse émerger (entre 1880 et 1910) une nouvelle ville où sont édifiés les bâtiments universitaires dont la monumentalité doit asseoir le statut de capitale de la ville impériale. Ses maîtres, ceux qui influent de façon décisive sur sa pensé et sa méthode, sont les archéologues et historiens Adolf Michaelis (1835-1910) et Heinrich Rissen, de même que le Saxon Hermann Baumgarten (1835- 1893), titulaire de la chaire d’histoire moderne, le germaniste Ernst Martin, et aussi et surtout le professeur Paul Scheffer-Boichhorst (1843-1902) (3) venu de Westphalie pour enseigner l’histoire médiévale. Ce dernier se plaint de la vie coûteuse dans la capitale du Reichsland et de l’isolement de la « colonie scienti- fique allemande » au sein de la société strasbourgeoise (4). Pur produit de l’école historique allemande, Wolfram s’affirme comme un étudiant studieux et une forte personnalité au regard perçant et à l’écriture nerveuse, qui cultive une aimable drôlerie. (3) – À sa disparition, Wolfram lui rend un vibrant hommage Aux côtés de Wilhelm Reinhardt et Walter Rühle, il dans un article du Straßburger Post (2 février 1902, n° 103) participe à la fondation de la première corporation dans lequel il déplore « einen schweren Verlust für étudiante allemande à Strasbourg, la Burschenschaft die deutsche Geschichtswissenschaft ». Germania (1880) [ill.1]. Dans les cafés et brasseries de (4) – Stéphane JONAS Jonas (dir.), Annelise Gérard, la capitale alsacienne, les Stammtische donnent lieu à Marie-Noëlle Denis et Francis Weidmann, Strasbourg, de joyeuses libations où les chopes s’entrechoquent sur capitale du Reichsland Alsace-Lorraine et sa nouvelle université l’air de Die Wacht am Rhein tandis que les duels à 1871-1918, Strasbourg, Oberlin, 1995, p. 58. l’épée (Mensur) dans les salles d’armes ont pour toile de (5) – Partition composée par Wolfram en 1897 fond les bannières estudiantines frappées de la devise sur des paroles de C.E. Ney. martiale « Ehre, Freiheit, Vaterland ». Outre les sciences Bibliothèque nationale et universitaire historiques qui occupent la première place de ses acti- de Strasbourg (BNUS), Ms.1.696. vités, Wolfram cultive sa mélomanie en fréquentant les (6) – Sur le mouvement Wandervögel : Walter Flex, Le Pèlerin entre salles de concert strasbourgeoises et en composant deux mondes, Paris, Les Éditions du Porte-Glaive, 1996. quelques partitions qui célèbrent, non sans une certaine (7) – Après 1918 il se désolera de la destruction des monuments nostalgie, la camaraderie des Burschenschaften : commémoratifs allemands de la guerre de 1870. G. WOLFRAM, Metz und Lothringen. Mit einem Beitrag von Albert H. Rausch, « O Jugendzeit, o Burschenzeit, wie wert, Berlin, Deutscher Kunstverlag, 1926, p. 42. wie wert wie himmelweit bist du verweht, verflogen! Die Augen klar, die Herzen warm, wie bestem Freunde Arm in Arm, so ward die Welt durchzogen. » (5) Wolfram se plaît aussi à découvrir cette nouvelle terre d’adoption qu’il apprend à aimer et qui lui rappelle les vastes paysages de Thuringe. C’est l’époque où, en Allemagne, sous le nom de Wandervögel, un mouve- ment de jeunesse, refusant le matérialisme de la société industrielle, prône le retour à la nature, à une vie communautaire vécue comme un pèlerinage aux sources de l’âme allemande et cultive le rêve d’une germanité nouvelle, nourrie par une vision panthéiste, un vitalisme nietzschéen et une redécouverte des iden- tités régionales et des patries charnelles (Heimat) (6). Répondant à l’appel de la Wanderung, Wolfram péré- grine dans les ruines du château de Fleckenstein ou sur les champs de bataille de Wissembourg et Wörth (7). Armoiries de la Alte Straßburger Burschenschaft Germania fondée dans la capitale du Reichsland en 1880. Deutsche Burschenschaft (Heidelberg). 32 georg wolfram, un érudit allemand au temps du reichsland . n° 3/4 ~ décembre 2009 Après son doctorat obtenu en 1883 avec un travail sur Frédéric Ier et le (8) – G. Wolfram, Friedrich I. und das Wormser concordat de Worms (8) et un Staatsexamen consacré aux prédications Konkordat, Marburg, Elwert, 1883. et aux chants des Croisades (Kreuzpredigt und Kreuzlied), Wolfram (9) – Urkundenbuch der Stadt Strassburg : devient professeur assistant à la Realschule de Strasbourg. Son nom Aloys Schulte, Georg Wolfram, Stadtrechte und est cité lorsqu’il s’agit de désigner un précepteur à la cour du Aufzeichnungen über bischöflichstädtische Generalfeldmarschall et prince Albrecht de Prusse (1837-1906), petit- und bischöfliche Ämter, Band 4, Heidelberg, fils du roi Frédéric-Guillaume III. Mais il doit renoncer à cette G. Winter, 1888 & Hans Witte ; Georg Wolfram, perspective car c’est un professeur expérimenté qui est recherché ! Peu Politische Urkunden von 1332 bis 1380, avant la fin de ses études, jeune et élégant danseur aux moustaches Band 5, Heidelberg, G. Winter, 1896. blondes, il fait la rencontre de Käthe Harries. Sans même recueillir (10) – Sur ce thème : Line Skorka, « Le rôle des l’assentiment familial, Wolfram fait d’elle sa fiancée et bientôt convole archivistes allemands dans le développement en justes noces. Avec application, patience et discipline, il approfondit de la vie culturelle en Lorraine annexée », sa pratique de la recherche historique en participant à la publication du Les Cahiers lorrains, juin 2009, n° 1-2, p. 62-73. volumineux recueil des chartes de la ville épiscopale et impériale de (11) – François-Yves Le Moigne, « La fondation Strasbourg (9). Après avoir un temps envisagé un poste à Würzburg, sa de la Société d’Histoire et d’Archéologie bonne connaissance de la langue française et des fonds d’archives lui de la Lorraine », Les Cahiers Lorrains, valent d’être appelé à la direction des archives départementales Metz, n° 3-4, septembre-décembre, (Kaiserlicher Archivdirektor) de Lorraine. À ce poste, insufflant une Xe journées d’études mosellanes – vitalité nouvelle aux archives mosellanes, il contribue par de nouvelles Rencontre du centenaire (1888-1988), 1990. acquisitions à l’enrichissement des fonds et permet que soit construit (12) – Sur ce thème : Jean-Claude Laparra, un nouveau bâtiment (10). Wolfram s’installe à Metz avec sa jeune « Johann Baptist Keune, Directeur du musée épouse au cours de l’été 1888 dans un appartement de la Bischofstrasse, de Metz (1899-1918) : un Allemand si lorrain », à proximité de l’Évêché. C’est là que naîtront les deux enfants du couple Les Cahiers lorrains, juin 2009. n° 1-2, p. 22-27. (Fritz et Käthe). Il déménagera plus tard à Montigny-lès-Metz où il fait construire une maison à colombages qui offre une superbe vue sur la vallée de la Moselle et le mont Saint-Quentin.