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L’aboutissement d’une carrière de cinéaste Élie Castiel

Number 28-30, Fall 1986

URI: https://id.erudit.org/iderudit/22072ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Castiel, É. (1986). Review of [L’aboutissement d’une carrière de cinéaste / Hannah and Her Sisters]. 24 images, (28-30), 69–70.

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L'aboutissement d'une carrière de cinéaste ÉlieCastiel

depuis Annie Hall, chaque , vedette de son pro­ Sydow), compagnon de Lee, artiste- nouveau film de chain film, Annie Hall. Cette liaison peintre à ses heures, mentor assidu D devient l'occasion, pour la souligne l'aspect auto-biographique de sa compagne. Et Mickey (Woody majeure partie de la critique, de faire de cette œuvre qui constitue l'abou­ Allen), ex-époux de Hannah, hypo­ le point sur sa carrière. Maintenant, à tissement de nombreuses années de condriaque impulsif, travaillant juste titre, nous sommes en mesure recherches et le prélude d'une nou­ comme producteur pour une chaîne de confirmer la dualité de son œuvre. velle orientation. de télévision. On peut considérer le premier L'habitude de se raconter devient Autour de cette galerie de personna­ «cycle» du cinéaste, celui qui pré­ alors une constante que l'on ges aussi mal ajustés les uns que les cède la réalisation de Annie Hall, retrouve dans la plupart des films qui autres, les parents d'Hannah, tout comme une tentative d'adaptation et suivront, à l'exception près de trois aussi désaxés: son père (Lloyd une série de recherches formelles au œuvres «intermédiaires», Broadway Nolan) et sa mère (Maureen O'Sulli- niveau du langage cinématographi­ Danny Rose, Zelig et The Purple rose van: la mère de dans la que. Malgré la valeur que nous leur of Cairo, véritables tours de prestidi­ vie). accordons aujourd'hui, les films gitation, manifestent le savoir-faire Parler de l'intrigue, ou plutôt des qu'il tourne à cet époque sont sou­ ambivalent du cinéaste. intrigues, peut sembler superflu, car vent de facture discordante, déme­ Hannah and her Sisters rejoint les celles-ci s'ébauchent et se brisent, surée, volontairement imparfaite, films du second «cycle» dans la se mêlent et s'entremêlent tout en voire même anarchique. Conscient mesure où l'on voit resurgir la plu­ conservant une apparence de conti­ de ses racines et de son identité jui­ part des thèmes chers à l'auteur. nuité. Woody Allen a construit un ves, le cinéaste arrive à un accord Mais c'est aussi le film le plus film en plusieurs épisodes bien dis­ illusoire avec son statut de minori­ achevé. Ce qui, auparavant, était tincts qui, au fond, possèdent le taire en tournant des comédies qui suggéré de façon tacite et condition­ même fil conducteur: deux scènes vont le propulser vers d'autres cieux nelle, semble maintenant lucide et identiques, le repas d'un jour d'ac­ et d'autres temps. Une façon comme absolu. tion de grâce, qui ouvrent et clôtu­ une autre de sublimer son apparte­ rent le film. Entre ces deux plans nance en se proclamant universel et De quoi est-il question? Woody Allen d'images remarquablement figno­ intemporel. Dans Sleeper ((Woody et nous parle de l'absurdité de la vie, lées, un an s'est écoulé dans la viede les robots), il avance dans le temps. des angoisses de la mort et des diffi­ tous les personnages. Une année Dans Love and Death (Guerre et cultés d'aimer. Et bien sûr, comme remplie d'angoisses et d'incertitu­ Amour), il recule. Il s'invente un lieu souvent, l'action de situe à New des, mais aussi de satisfactions et mythique, l'île de San Marcos dans York, son lieu de prédilection. de découvertes. Elliot a fini par com­ Bananas. Il tourne aussi Everything Hannah and her Sisters s'apparente prendre qu'il aime Hannah d'un You Always Wanted to Know about assez bien à Interiors (Intérieurs), amour sincère et solide. Lee s'est Sex, but... (Tout ce que vous avez tou­ dont il ne reproduit pas cependant trouvé un ami, mais elle a quitté Fre­ jours voulu savoir sur le sexe...), un les aspects rigides et bergmaniens. derick. Mickey, en proie à des affres best-seller de l'heure qu'il trans­ Nous retrouvons trois femmes, en devant la mort à cause d'un faux dia­ forme en une sorte d'exercice d'auto- l'occurrence trois sœurs. Reneta, la gnostic apprend qu'il ne court aucun psychanalyse et qui devient, du jour poétesse de Interiors, est devenue danger. Il épouse Holly, devenue au lendemain, un vif succès critique ici Hannah (Mia Farrow), comé­ plus sereine. et commercial. Entre-temps, il aura dienne et femme d'intérieur; Flynn, Jamais film de Woody Allen n'avait tourné Take the Money and Run l'actrice, et Joey, celle qui n'arrivait montré autant de personnages. On (Prends l'oseille et tire-toi), une pas à trouver une situation qui satis­ parle beaucoup dans Hannah and comédie bouffe. fasse ses aspirations, ont été rem­ her Sisters. On parle comme on le placées par Lee (Barbara Hershey) En outre, Woody Allen est convaincu fait dans la vie de tous les jours, ex-alcoolique et Holly (Dianne que de nombreux conflits intérieurs espérant que chaque syllabe pronon­ Wiest), vraie perdante dans tout ce sont liés à la sexualité et plus spécia­ cée, chaque phrase énoncée com­ qu'elle entreprend. lement aux rapports que l'on entre­ blera le vide d'une existence fade et tient avec les femmes (qui pour lui Mais il y a aussi les hommes. Elliot précaire, même si tout finit par s'ar­ sont synonymes à la fois d'échecs et (Michael Caine) en ménage avec ranger. d'amours perdus). Sur le plan per­ Hannah, mais plus épris de Lee que Woody Allen nous parle aussi de la sonnel, il ébauche une liaison avec de celle-ci. Frederick (Max von mort. Ici, il essaie de la repousser par

69 Mia Farrow et Michael Caine dans Hannah and her Sisters de Woody Allen des excès d'hystérie. Mais c'est humour impalpable. Et que dire de à Mickey qu'elle est enceinte de lui. essentiellement le couple qui l'inté­ cette autre scène où Mickey, avec Maintenant qu'il va être père, nous resse, l'homme et la femme qui, avec une pudeur expressive, lors de la nous demandons quelle sera sa nou­ toutes leurs similitudes et leurs dif­ visite d'un couple d'amis, demande velle démarche... férences, n'auraient besoin de faire au mari si celui-ci serait en mesure que peu d'efforts pour pouvoir vivre de lui «fournir» du sperme pour insé­ ensemble. miner sa femme qui ne peut engen­ Véritable directeur d'acteurs, Allen drer d'enfants de lui. HANNAH AND HER SISTERS États-Unis, 1985 conduit ses personnages jusqu'aux D'autre part, Woody Allen est un Ré.: Woody Allen limites de leurs possibilités afin cinéaste vernaculaire dans la Scé.: Woody Allen qu'ils laissent échapper leurs véri­ mesure où il demeure typiquement Ph.: Carlo Di Palma tés. Mia Farrow incarne une Hannah américain, et plus spécialement Int.: Woody Allen, (Mickey), Michael sobre, fragile dans ses gestes et newyorkais. Ici, il fait en sorte que Caine (Elliott), Mia Farrow (Hannah), d'une candeur inestinable. Dianne «sa» ville apparaisse sous un jour Carrie Fisher (April), Barbara Hershey Wiest, dans le rôle de Holly, possède brillant et inusité. À ce propos, la par­ (Lee), Lloyd Nolan, (le père d'Hannah), un jeu fugace et nerveux. Michael ticipation de Carlo di Palma comme Maureen O'Sullivan (la mère d'Hannah), Caine, Max von Sydow et Barbara Daniel Stern (Dusty), Max Von Sydow directeur de la photographie est (Frederick), Dianne Wiest (Holly), Lewis Hershey, nouveaux venus dans l'écu­ empreinte d'une constante observa­ Black (Paul), Julia Louis-Dreyfus (Mary), rie «Allen», sont tous trois d'une jus­ tion visuelle. En un montage adroit et Christian Clemenson (Larry), Julie Kav- tesse remarquable. rapide, nous sommes conviés à une ner (Gail), J.T. Walsh (Ed Smythe), John Quant à Woody Allen lui-même, sa courte mais mémorable visite de Turturro (l'écrivain) Rusty Magee (Ron), Allen Decheser et Artie Decheser (les performance s'apparente plus au quelques lieux architecturaux de . enfants d'Hannah), Ira Wheeler (le Dr comique de situation qu'à un jeu Abel), (le Dr Wilkes), sérieux et dramatique. À ce propos, Hannah and her Sisters est une œu­ Tracy Kennedy (l'invitée), Fred Melamed nous songeons à deux scènes du vre sincère, viscérale et aboutie. À (le Dr Grey), Benno Schmidt (le Dr Smith), film, peut-être les plus réussies. Tout travers ses personnages, Woody Johanna Gleason (Carol), Maria Chiara d'abord celle où Mickey, juif de sur­ Allen a su véhiculer toute une (Manon Lescaut), Stephen Defluiter (le Dr croît, annonce à ses parents son gamme d'émotions et de comporte­ Brooks, Boby Short (lui-même) intention de se convertir au catholi­ ments humains. Mais la fin du film 107 minutes, couleurs Dist.: ORION cisme, le tout présenté avec un nous laisse songeurs. Holly annonce

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