SYNOPSIS collection dirigée par Francis Vanoye

L'Homme qui tua Liberty Valance

étude critique de Jean-Louis Leutrat

NATHAN Du même auteur Dans la même collection : Hiroshima mon amour, 1994. Dans la collection « 128 » : Le cinéma en perspective : une histoire, 1992. Autres ouvrages sur le : L'Alliance brisée : le western des années 1920, Lyon, PUL, 1985. Le Western : archéologie d'un genre, Lyon, PUL, 1987. La Prisonnière du désert de John Ford, Paris, Adam Biro, 1990. Les Cartes de l'Ouest (en collaboration), Paris, A. Colin, 1990. Le Western, Paris, Découvertes-Gallimard, 1995.

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AVANT-PROPOS

Roger Tailleur écrivait à la fin des années 1960, dans le pressentiment que l'œuvre de John Ford venait d'arriver à son terme : « Ford est un arbre qui, depuis un demi-siècle, donne des films. Bon an, mal an, les fruits tombent sur nos genoux comblés. L'arc d'une telle carrière rap- pelle bien davantage ceux décrits par les peintres et les écrivains qu'il n'évoque les fulgurances plus ou moins avortées des confrères cinéastes. » Et il dressait le bilan imparable de l'apport de Ford au genre du western : « Pour ne plus quitter la Prairie, la cinquantaine de films que présente l'œuvre fordienne ne souffre pas de comparaison. Que pèsent, en regard, la trilogie, pourtant de grande classe, signée par Howard Hawks, l'allègre douzaine de Budd Boetticher, les deux, éta- lées, de Raoul Walsh, les dix films d'Anthony Mann, les palmarès moindres encore de Delmer Daves, John Sturges, Henry Hathaway, King Vidor, William Wellman, Nicholas Ray ou Samuel Fuller ? » Il convient d'ajouter la double précision que l'œuvre considérable de Ford, qui regroupe plus de cent trente films, s'étend de 1917 à 1966, et qu'une part importante de celle-ci n'est pas constituée de westerns : ainsi, pour ne citer que quelques exemples, La Patrouille perdue, Vers sa destinée, Les Raisins de la colère, Qu'elle était verte ma vallée, L'Homme tranquille, , La Dernière Fanfare, La Taverne de l'Irlandais, Frontière chinoise... Cependant, dans cet ouvrage, l'accent sera mis essentiellement sur ce genre puisque L'Homme qui tua Liberty Valance en relève. La vie et les films DE JOHN FORD

John Ford, de son vrai nom John du film de Anthony Asquith, Fanny Martin Feeney, est né le 1 février by Gaslight (L'Homme fatal, 1944). 1894 à Cape Elizabeth, dans l'État du Barbara Curran, la mère, qui était née Maine, près de Portland. Ses parents dans l'île d'Aran au large de l'Ir- sont irlandais. Ils eurent onze enfants lande, ne savait ni lire ni écrire en dont cinq moururent en bas âge : anglais mais connaissait en revanche quatre garçons (John était le plus le gaélique. Semi analphabète, elle jeune) et deux filles survécurent. fréquentait beaucoup les nickelo- John Feeney, le père, d'abord fermier, deons. Femme plutôt austère, elle a ensuite tenu un bar à Portland : de donna à son fils une éducation reli- tels lieux avaient une réputation équi- gieuse rigoureuse et aurait souhaité voque, d'autant qu'ils servaient aux qu'il devînt prêtre. John accompagna immigrés à se divertir et à se réunir. son père dans ses voyages en Irlande John se trouvait, toute proportions et apprit le gaélique. Vers huit ans, gardées, dans la situation de l'héroïne malade de la diphtérie, il dut rester alité de nombreux mois. Sa sœur velles entre 1900 et 1910. Un jour aînée (dont le mariage venait cependant, John et sa mère le virent d'échouer) s'occupa de lui. Elle lui apparaître sur un écran. Francis revint fit la lecture de Stevenson et Mark à Portland auréolé de sa nouvelle Twain. John devint grand lecteur. Il réputation. John tenta en vain d'en- gagna sa vie, comme beaucoup trer à l'école navale d'Annapolis ; il d'Américains de son âge, en faisant fut expulsé de l'Université pour une de petits métiers avant ou après rixe avec un étudiant raciste. Il choi- l'école et travailla aussi dans deux sit donc l'exemple fraternel. théâtres de Portland, ville dans En 1914, il se rendit en Californie. laquelle beaucoup de compagnies fai- Son voyage fut décrit par lui comme saient débuter leurs tournées. John y « la traversée de l'Atlantique », à vit de grands acteurs (John Barry- l'image du voyage des immigrants. Il more, Carter DeHaven, Sidney débuta auprès de son frère Francis, Toler). Il répétait en famille ce que sa qui était acteur-réalisateur, de 1914 à mémoire fidèle conservait des rôles 1916 comme acteur, costumier, qu'il avait vu interpréter, notamment accessoiriste... Il fit tout. Et notam- le monologue de Marc-Antoine dans ment assistant réalisateur pour douze Jules César de Shakespeare. Il tint films. Au passage, il adopta le pseu- d'ailleurs de petits rôles dans des donyme de son frère et se fit appeler spectacles. Il avait aussi un talent Jack Ford. Pour expliquer l'origine pour le dessin et la peinture. Près de de ce pseudonyme, Francis a dit avoir Portland vivait le peintre Winslow pensé à la voiture de Henry Ford : en Homer, qui était très connu. John a fait à l'époque du succès du fameux pu croiser sa route, sinon le rencon- modèle T (1908), Francis portait déjà trer ; en tout cas, l'influence de cet ce surnom. Une anecdote rapportée artiste est perceptible dans ses films. par John dit que ce choix résulta d'un Ses parents voyaient en lui un futur hasard : Francis aurait remplacé un avocat ou un médecin. Lui, rêvait certain Ford inapte à jouer son rôle ; d'être amiral. Sa passion était la mer. le nom lui serait resté (il s'agit d'une Son frère Patrick était pêcheur. Une anecdote de la vie de l'acteur Kean). carrière d'officier de marine était Les deux hypothèses sont donc peu prestigieuse et aurait compensé sa plausibles. On a invoqué aussi le per- situation d'immigré affronté aux sonnage de Ford dans Les Joyeuses vexations des enfants de Wasps Commères de Windsor. John assuma (White Anglo-Saxon Protestants). À le nom d'artiste du frère et se donna seize ans, il est connu comme foot- comme prénom le nom d'un profes- balleur sous le surnom de « John le seur de Portland, William Jack, qui Taureau ». Un événement familial l'avait incité à quitter Portland. Ce important est alors déterminant dans William Jack, selon Ford lui-même, les choix à venir, le départ du frère de fut avec son père l'un des homme les John, Francis, qui s'enfuit de la mai- plus importants de sa vie. son où son père voulait le faire tra- Ford mûrit dans le Hollywood des vailler dans ses bars. Il disparut années 1910. Il y manifesta une littéralement, sans donner de nou- volonté acharnée de réussir et réalisa son premier film en 1917, The Tor- En 1927, il est nommé président de nado. Il ne reste que dix des cin- l'Association des réalisateurs. Four quante neuf films de ses débuts. Sons, en 1928, eut du succès. Le L'acteur Harry Carey (issu de la haute rythme de travail de Ford était très bourgeoisie) le prit sous sa protection rapide. La même année 1928, par et l'accueillit dans son ranch où il exemple, il tourna quatre autres recevait des amis. Comme il était films ; dans l'un d'entre eux, on note reconnu à Hollywood, c'est lui qui la première apparition de John Wayne imposa Ford comme réalisateur. Il dans son œuvre. Deux influences sont collabora avec lui durant vingt-cinq alors décisives, celles de David Wark films. Dans la plupart, il interprétait Griffith et de F.W. Murnau. Le un personnage de cow-boy intègre, cinéaste allemand lui lègue l'héritage Cheyenne Harry. Son jeu préfigurait expressionniste et l'aide à mieux celui de John Wayne dont il fut aussi définir son style. Griffith lui apprend le mentor. La série commença en l'importance des détails et la néces- 1917 avec deux films de deux sité d'établir dans les limites du cadre bobines, The Sould Herder et Cheyen- des relations entre les personnages, ne's Pal, puis un film de cinq bobines, ainsi qu'entre eux et le monde phy- (Le Ranch Dia- sique qui les entoure. Ford prend volo). Après la mort de Harry en aussi l'habitude de définir rapidement 1947, Ford restera fidèle à sa femme, un personnage dès sa première appa- Olive, et à son fils, Harry Carey Jr. rition par une série de traits fortement En 1920, Ford épousa Mary marqués. Ford s'est rendu à Berlin en McBride Smith, descendante d'une 1927 pour rencontrer Murnau. grande famille de Virginie, dont il eut Ford franchit aisément le passage deux enfants, Patrick (1921) et Bar- du muet au sonore. En 1933, année de bara (1922). Il quitta la Uni versai en la mort de sa mère, il tourna le pre- 1921 pour la Fox et, en 1923, prit le mier d'une série de trois films avec nom définitif de John Ford. Cette Will Rogers, , et fit la ren- même année, il fit tourner Tom Mix contre de Merian Cooper qui tra- dans deux films, North of Hudson vaillait pour la RKO. Sous son Bay et Three Jumps Ahead. En 1924, patronage, il réalisa The Lost Patrol il réalisa un epic, c'est-à-dire un film (La Patrouille perdue) et The Infor- à grand spectacle, une épopée, The mer (Le Mouchard, 1934-1935). À Iron Horse (Le Cheval de fer), qui eut cette époque, la tyrannie des produc- du succès. Son autre epic, Three Bad teurs et le système de la standardisa- Men (1926, Trois sublimes canailles) tion étaient plus lourds que jamais et en eut moins. Très tôt donc, il se défi- Ford, contre vents et marées, avait nit comme un réalisateur de films sur l'art d'utiliser le système à son profit. l'Ouest américain : quarante-trois Il avait la réputation de monter au films sur cinquante neuf des débuts. tournage et, par conséquent, de tour- Néanmoins, entre Trois sublimes ner le minimum. Désormais, il avait canailles et Stagecoach (La Chevau- atteint les sommets. Entre 1937 et chée fantastique), qui est de 1939, il 1941, il conçut une série impression- ne réalisa aucun western. nante de chefs-d'œuvre. Pour la seule année 1939, outre Stagecoach, il L'empire hollywoodien vacillait ; les tourna Young Mr Lincoln (Vers sa genres qui le constituaient avec lui. destinée) et La période de la fin des années 1940 (Sur la piste des Mohawks), films qui fut marquée par des manifestations du traitent de deux mythes « fondateurs » désir d'indépendance de plusieurs des États-Unis : la figure de Lincoln réalisateurs. Fritz Lang créa en 1945 et l'esprit de 1776. Ford est captivé la Diana avec Walter Wanger et Joan par l'Histoire ; ses lectures abon- Bennett : deux films en résultèrent, dantes en témoignent. En 1936, l'an- Scarlet Street (La Rue rouge, 1945) et née de la mort de son père, il The Secret Beyond the Door (Le rencontre Katherine Hepburn sur le Secret derrière la porte, 1948). En tournage de Mary of Scotland (Marie 1945, Frank Capra associé à William Stuart). Ce fut le début d'une relation Wyler, George Stevens et Samuel passionnée à laquelle les intéressés Briskin fonda Liberty Films, société décidèrent de mettre fin quelques qu'ils durent vendre en 1949 à Para- mois après, mais dont ils conservèrent mount. En 1946, Ford suivit le même le souvenir toute leur vie. La théma- chemin en créant avec Merian C. tique du renoncement est très présente Cooper Argosy Pictures. Huit films dans l'œuvre de Ford. portant le label Argosy furent signés Dès 1939, Ford constitue son Field par lui de 1947 à 1953, dont The Photo Unit, une équipe de techniciens Fugitive (Dieu est mort, 1947), When compétents qui est intégrée à la Willie Comes Marching Home (Le marine. Pendant la Seconde Guerre Planqué malgré lui, 1950) et The mondiale, John Ford fut responsable Quiet Man (L'Homme tranquille, du service cinématographique de 1952). (Le l'Office of Strategic Service (l'OSS, soleil brille pour tout le monde, 1953) qui deviendra la CIA) et travailla est également produit par Ford et directement pour le gouvernement. Cooper, même si le film ne porte pas Entre 1941 et 1946, il réalisa ou le label Argosy. Les cinq autres films supervisa des films de propagande sont des westerns, Fort Apache (Le parmi lesquels (1941), Massacre de Fort Apache, 1948), The Battle of Midway (1942) et Three Godfathers (Le Fils du Désert, December 7th (1943). Il participa à 1948), She Wore A Yellow Ribbon (La des actions militaires, fut blessé à Charge héroïque, 1949), Wagon Mas- Midway et effectua des missions de ter (Le Convoi des braves, 1950) et reconnaissance photographique en Rio Grande (1950). Trois de ces divers lieux (Afrique du Nord, Inde, films, le premier, le dernier et La Chine, Normandie). La veine du Charge héroïque constituent ce qu'on montage de documents se poursuivra a coutume d'appeler le cycle de la tout au long de sa carrière : This is cavalerie. Deux d'entre eux sont tour- Korea (1951), The Growler Story nés dans le décor favori de Monument (1957), Korea : Battleground for Valley méthodiquement utilisé dans Liberty (1959). sept films qui constituent un groupe De 1946 à 1966, il réalisa trente- homogène. L'un d'entre eux, The trois films, dont treize westerns. Searchers (La Prisonnière du désert, 1956), reconstitue l'équipe Argosy, se souvenir en bien autant qu'en mal mais ce n'est le cas ni de Sergeant et était aussi fidèle que rancunier. La Rutledge (Le Sergent noir, 1960) ni vieillesse était là. Il vendit son bateau de Autumn Cheyenne (Les Cheyennes, en 1968. Il se rendit en Europe, où il 1964), deux œuvres postérieures, pas fut accueilli triomphalement à Paris plus (naturellement) que de La Che- en 1967 et à Venise en 1971. Il se vauchée fantastique ou de My Dar- retira malade à Palm Desert où il ling Clementine (La Poursuite recevait de temps à autre des visites. infernale, 1946), deux œuvres anté- En octobre 1972, la Screen Directors rieures. Cependant, Les Cheyennes Guild lui organisa un hommage. Le recoupent la réflexion de Ford sur les 31 mars 1973, l'American Film Insti- Indiens présente dans Le Massacre de tute lui accorda son premier Life Fort Apache et La Prisonnière du Achievement Award ; à cette occa- désert. En outre, Ford, depuis 1946, sion, le Président Nixon lui donna la s'éloigne de la forme « classique » du médaille de la Liberté et le promut western dont il déplace, de façon par- amiral. Il mourut d'un cancer le 31 fois imperceptible, les données. Les août 1973. films Argosy autour de l'année 1950 confirment cette tendance, de même que, en 1962, The Man Who Shot Liberty Valance (L'Homme qui tua Liberty Valance). Les choses changèrent durant les C'est un titre de western - décrivant années 1950. Pendant la période du une action comme The Man Who maccarthysme Ford ne hurla pas avec Killed Billy the Kid ; beaucoup de les loups et défendit Joseph L. Man- films sur l'Ouest ont un titre débutant kiewicz contre Cecil Blount De par « The Man » depuis The Man with Mille. Il risqua de perdre la vue lors the Gun jusqu'à The Man From Lara- d'une opération de la cataracte en mie –, même si le nom de Liberty 1953. Autour de lui, beaucoup de ses Valance pour désigner un hors-la-loi amis ou de ses proches s'éloignèrent : sonne étrangement, ainsi que l'a fait après Harry Carey, Francis son frère remarquer Lee Marvin. John Ford mourut ; il rompit avec Merian acheta les droits de la nouvelle et Cooper et avec Henry Fonda. Il trou- confia la rédaction du scénario à vait refuge dans l'alcool et partait Willis Goldbeck et James Warner Bel- parfois de longs mois sur son yacht lah qui avaient déjà travaillé ensemble « The Araner », accompagné d'amis. sur le scénario du Sergent noir. John Il sacrifiait tout au cinéma. Lors des Wayne venait de signer un contrat tournages, il jouait le rôle d'un avec la Paramount. Ford s'adressa à patriarche irascible et tyrannique qui cette compagnie et s'engagea person- voulait être le patron absolu sur le nellement pour la moitié du budget. plateau. Il se montrait sarcastique, Les responsables du studio attendront cruel, mais aussi généreux. Il assura cinq mois avant de donner leur accord. (brutalement) les débuts de John Le film fut tourné en septembre 1961 Wayne et de Robert Parrish. Il savait et distribué le 11 avril 1962. Dan Ford (le petit-fils du réalisateur) dit que George Stevens un roman de Jack ceux qui travaillèrent sur ce film Schæfer du même titre (1949), Jere- remarquèrent « le manque d'énergie » miah Johnson (1972) de Sydney Pol- de Ford ainsi que « son indifférence lack est tiré de Mountain M an (1965) pour les effets d'arrière-plans, de figu- de Vardis Fischer... Borden Chase rants, de fumées et de paniques ». En (alias Frank Fowler), Niven Busch, sens inverse, l'acteur Frank Baker a Frank Gruber, Alan LeMay sont témoigné que le scénario était impro- quelques-uns des écrivains qui tra- visé de manière importante chaque vaillèrent à des scénarios. Les rap- jour. On peut noter cependant que lors ports des films et de la littérature du tournage le réalisateur fit sans en peuvent être d'une toute autre sorte ; dire la raison répéter quarante-deux on verra que L'Homme qui tua fois une scène à Edmond O'Brien Liberty Valance entretient avec parce qu'il avait placé sa main sur la l'œuvre de Eugene Manlove Rhodes, palissade (« on the railing ») et non l'un des romanciers de l'Ouest les pendant par-dessus la palissade plus renommés, une relation secrète (« drooped over a railing ») ; le pro- mais forte. ducteur-scénariste Willis Goldbeck témoigne : « Quand on a fait L'Homme qui tua Liberty Valance, il restait assis dans un coin à manger des glaces, et il était au courant du moindre mouvement sur le plateau, de ce que chacun fai- sait, du moindre chuchote- ment... Il avait toujours tout parfaitement en main. » Les westerns cinématogra- phiques sont souvent reliés à des œuvres littéraires, soit parce qu'ils les adaptent, soit parce qu'un écrivain lui- même a participé au travail du scénario. Broken Arrow (La Flèche brisée, 1950) de Del- mer Daves est l'adaptation de Blood Brother (1947) de Elliot Arnold, High Noon (Le train sifflera trois fois, 1952) de Fred Zinnemann adapte une nouvelle de John M. Cun- ningham, « The Tin Star » (1947), Shane (L'Homme des vallées perdues, 1953) de « L'HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE », la nouvelle de Dorothy M. Johnson

« L' homme qui tua Liberty Valance » est le titre d'une nouvelle de seize pages d' un écrivain nommé Dorothy M(arie) Johnson. Elle est l'auteur de plusieurs romans et de deux recueils de nouvelles, Indian Country (1953) et The Han- ging Tree (1958). Parmi ses nouvelles, plusieurs ont été à l'origine de films connus, comme A Man Called Horse (Un Homme nommé Cheval), The Han- ging Tree (La Colline des Potences) et L'Homme qui tua Liberty Valance. Cette dernière, avant d' être publiée dans Indian Country, parut dans Cosmopolitan. ert Barricune mourut en 1910. Une douzaine de personnes à peine assis- B tèrent à ses funérailles. Parmi elles, un jeune reporter enthousiaste qui espérait trouver matière à un papier d'intérêt humain ; des légendes couraient sur le défunt, qui aurait été un as du revolver en son temps. Quelques hommes vieillissants entrèrent sur la pointe des pieds, seuls ou par deux, la mine renfrognée et l'air crispé, serrant dans leurs mains leurs chapeaux bos- selés — des hommes qui s'étaient saoulés avec Bert, qui avaient joué au poker du pauvre avec Bert, pendant que le temps les oubliait. Une femme se montra, portant une lourde voilette noire qui dissimulait son visage. Des mèches blanches et jaunes étaient visibles dans ses cheveux teints en noir. Le reporter prit note mentalement : une ancienne petite amie du Vieux Quartier. Mais rien à tirer de ça — impossible de mentionner cette anecdote. Un par un, ils défilèrent devant le cercueil, regardant le visage figé du vieux Bert Barricune, qui n'avait été personne. Ses cheveux en brosse étaient blancs, sa figure ridée aussi vide que sa vie l'avait été. La mort, cependant, y avait ajouté de la dignité. Une grande gerbe s'étalait derrière le cercueil. Sur la carte, on lisait : « Sénateur et Madame Ransome Foster ». Il n'y avait pas d'autres fleurs, excepté quelques boutons pâles et sans feuilles, roses et jaunes, éparpillés sur le tapis recouvrant le pas de la porte et qui passaient presque inaperçus. Plis- sant les yeux, le reporter finit par les identifier : nom d'un fusil ! Des bou- tons de figuier de barbarie. Des fleurs de cactus. Cela paraissait approprié pour le vieux — des fleurs qui poussaient sur les terres en friche de la prai- rie. Bon, c'était gratuit pour ceux qui se donnaient la peine de les ramasser, et les amis de Barricune n'avaient pas l'air fortunés. Mais pourquoi le séna- teur avait-il envoyé une couronne ? Quelque chose retarda la cérémonie et l'entrepreneur des pompes funèbres s'impatienta. Le reporter se redressa sur son siège quand il vit entrer les deux derniers amis du défunt. Le sénateur Foster — pas de doute, c'est lui avec son bras estropié — et voilà probablement sa femme. Le Congrès est toujours en session, il a donc fait le chemin depuis Washington. Pourquoi se donnerait-il tant de peine pour une vieille épave comme Bert Barricune ? Quand l'enterrement fut terminé, le reporter lui posa la question. Le séna- teur faillit lui dire la vérité, mais il se retint à temps. Il déclara : « Bert Barri- cune a été mon ami pendant plus de trente ans. » Il ne pouvait pas donner la véritable réponse : il était mon ennemi ; il était ma conscience ; c'est lui qui m'a fait ce que je suis. Ransome Foster se trouvait dans le territoire depuis sept mois quand il tomba sur Liberty Valance. Il avait été mis à pied dans la prairie depuis deux jours quand il rencontra Bert Barricune. Jusqu'alors, Ranse Foster n'avait rien eu de spécial — c'était juste un type de l'Est, à la curiosité tranquille, La collection à tous ceux qui s'intér es- sent au cinéma et à l'étude des films l'une des oeuvres maî- tresses de l'histoire du cinéma. Chaque étude comporte une biographie du réalisateur, un résumé du film, la description de sa structure dramatique et narrative, l'analyse de ses thèmes principaux, de ses personnages, de ses particularités esthétiques et de sé- quences illustrées. Extraits critiques et bibliographie per- mettent de prolonger la réflexion.

Spécialiste de l'univers du western auquel il a consacré nombre d'articles et d'ouvrages, est professeur à l'université Paris-III Sorbonne Nouvelle.

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