DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSE UNIVERSITÉ DE TOULOUSE II-LE MIRAIL

UMR Dynamiques Rurales

LA REPRODUCTION D’UN SYSTÈME PAYSAN A TRAVERS LES REVENUS EXTÉRIEURS À L’EXPLOITATION. LE CAS DE LA RÉGION DU BUTUTSI AU

Thèse pour l’Obtention du titre de Docteur en Géographie/Aménagement

Mention « Études Rurales »

Présentée et soutenue publiquement par : Aloys NDAYISENGA

Sous la direction de : Laurien UWIZEYIMANA, Professeur des universités, Université de Toulouse II-Le Mirail

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REMERCIEMENTS

A la fin de ce travail, j’ai le grand plaisir d’exprimer mes sentiments de gratitude à l’égard de toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à sa réalisation et à son aboutissement.

J’adresse ici ma profonde reconnaissance au Professeur Laurien UWIZEYIMANA qui a accepté de guider cette recherche et pour l’attention permanente qu’il a portée à ce travail. Sa disponibilité, son dévouement, ses conseils et ses encouragements me furent précieux pour la réalisation de ce travail. Je remercie tout autant tous les membres du jury qui ont accepté avec bienveillance d’évaluer ce travail.

Je dois également exprimer mes sentiments de reconnaissance au Ministère Français de la coopération à travers le service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France au Burundi. Sans l’appui financier qui m’a été attribué par l’intermédiaire d’Égide, cette étude n’aurait certainement pas vu le jour. Je dis également merci au personnel d’Égide-Toulouse particulièrement à Madame Bernadette GALY pour l’accueil aussi chaleureux et pour tous les services rendus.

Nos remerciements vont également à l’endroit de la Direction de la Recherche de l’Université du Burundi pour le financement des travaux d’enquêtes. Ici, j’adresse particulièrement mes sincères remerciements à Monsieur Jean-Marie SABUSHIMIKE, Directeur de la Recherche à l’Université du Burundi et Professeur au Département de Géographie, pour son soutien et ses sages conseils ainsi que pour son accompagnement tout au long de cette entreprise.

Je ne manquerais pas également de dire merci à mes collègues du Département de Géographie (Université du Burundi) chacun pour sa contribution dans la réalisation de cette thèse. Je remercie toutes les personnes enquêtées qui, gentiment m’ont ouvert les portes et qui ont bien voulu me prêter leur temps. Je rends hommage à leur accueil chaleureux et surtout à leur patience lors des enquêtes. Que les étudiants Johnny BUMEKO, Jean-Marie NARAGUMA, Lydie NTIRUHUNGWA et Dieudonné MANIRAKIZA qui nous ont accompagnés au cours de nos enquêtes sur terrain sachent que leur concours nous a été d’une grande utilité. 2

Que puisse également trouver l’expression de ma profonde gratitude ma famille qui a toujours été à mes côtés et qui m’a soutenue moralement et matériellement surtout pendant les derniers moments de réalisation de ce travail qui étaient les plus durs.

Que mon collègue et ami Erasme NGIYE soit remercié pour son travail cartographique, pour sa gentillesse et sa bonne compagnie.

Aux amis du Laboratoire Dynamiques Rurales particulièrement PHAN Viet Ha et RUNYAGU Valos pour leur bonne collaboration et pour avoir rendu agréable notre séjour à Toulouse.

A la communauté burundaise de Toulouse, à mes amis du Burundi Mathias NKURUNZIZA, Antoine NDAYIZAMBA et Donatien NIBOGORA, je dis merci pour l’amitié et la confiance qu’ils ont toujours témoignées en moi.

Je ne terminerais pas sans remercier ma chère épouse Claudine qui a régulièrement enduré de longues périodes d’absence durant mes séjours à Toulouse. La réussite de ce travail est aussi la sienne.

Enfin, à toute personne qui a contribué d’une manière ou d’une autre à la réalisation de cette thèse, je dis sincèrement merci.

Aloys NDAYISENGA

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LISTE DES ILLUSTRATIONS

1. Tableaux

Tableau n°1: Données de précipitations mensuelles (en mm) dans quelques stations de la .... 44 Tableau n°2: Evolution globale de la population burundaise de 1935 à 2008 ...... 61 Tableau n°3: Evolution de la population du Burundi par province de 1979 à 2008 ...... 62 Tableau n°4: Evolution de la population de quelques communes situées entièrement ou en partie dans le Bututsi de 1995 à 2007...... 63 Tableau n°5: Evolution de l’occupation du sol de 1948 à 1982 par région naturelle (en km²) 63 Tableau n°6: Taille moyenne des exploitations par province en 2002 ...... 64 Tableau n°7: Les litiges civils et pénaux enregistrés en 2006 ...... 66 Tableau n°8: Taille de l’exploitation : la fraction exploitée et celle encore en friche ...... 72 Tableau n°9: Comparaison de deux exploitations du Bututsi ...... 86 Tableau n°10: Rendements moyens en vivres au Burundi ...... 87 Tableau n°11: Evolution de la production agricole estimative par produit de 1985 à 2000 (en milliers de tonnes) au Burundi...... 116 Tableau n°12: Evolution de la production vivrière en tonnes au Burundi de 2000 à 2004 (en tonnes) ...... 118 Tableau n°13: Evolution du revenu rural moyen par tête et par an de 1985 à 2000 (en USD) ...... 119 Tableau n°14: Productions des centres semenciers (en tonnes) du Projet Bututsi de 1990 ... 122 Tableau n°15: Distribution des semences (en tonnes) par le Projet Bututsi de 1990 à 1995 . 122 Tableau n°16: Production des semences par les fermes semencières du PASS (1991-1997) de Kajondi ...... 123 Tableau n°17: Distribution des taureaux de race Sahiwal sur certaines collines par le Projet Bututsi-sud en 1979 ...... 124 Tableau n°18: Affectation des budgets de quelques projets financés par le PNUD selon les grandes rubriques de dépenses ...... 125 Tableau n°19: Structure des consommations annuelles des ménages par ...... 134 Tableau n°20: Superficie moyenne (en ares) des principales cultures par ménage et par commune (zone couverte par le Projet Bututsi) en 2003...... 137 4

Tableau n°21: Productions moyennes des cultures vivrières dans les communes situées dans le Bututsi (en tonnes) en 2005 ...... 138 Tableau n°22: Valeur de la production vivrière dans les communes situées dans le Bututsi en 2005 (en tonnes et en millions de Fbu) ...... 139 Tableau n°23: Estimation des productions agricoles annuelles (en kg) par ménage (en 2007) et leurs valeurs nutritionnelles ...... 142 Tableau n°24: Comparaison des bovins des exploitations du Bututsi avec ceux des autres provinces ...... 145 Tableau n°25: Comparaison des effectifs du cheptel de la province avec ceux des autres provinces en 2006 ...... 145 Tableau n°26: Effectif des bovins par commune en 2007 ...... 147 Tableau n°27: Effectifs du gros bétail dans quelques communes du Bututsi ...... 148 Tableau n°28: Effectifs du cheptel par ménage du Bututsi ...... 149 Tableau n°29: Situation du cheptel et volailles des communes du Bututsi en 2005 ...... 150 Tableau n°30: Quelques chiffres sur la consommation laitière en Afrique ...... 153 Tableau n°31: Classement des produits animaux par ordre d’importance ...... 155 Tableau n°32: Evolution de la consommation de la viande dans le monde, en kg/personne/an ...... 157 Tableau n°33: Statistiques des animaux abattus en 2005 ...... 157 Tableau n°34: Poulaillers modernes du Bututsi (en 2009) ...... 160 Tableau n°35: Situation de l’apiculture au Bututsi ...... 161 Tableau n°36 : Comparaison des revenus de la pomme de terre dans trois exploitations de la colline Mutangaro (commune )...... 171 Tableau n°37: Evolution de la superficie de la bananeraie depuis 1948 ...... 174 Tableau n°38: Revenu monétaire annuel en provenance des produits vivriers par ménage du Bututsi en 2007 ...... 176 Tableau n°39: Les principales matières taxables en commune en 2003 et en 2004 .. 177 Tableau n°40: Recettes de quelques communes du Bututsi en 2007 ...... 178 Tableau n°41: Evolution des boisements au Burundi depuis 1992 ...... 186 Tableau n°42: Répartition des superficies boisées du Bututsi (2006) ...... 186 Tableau n°43: Valeur de la production vivrière du Bututsi par ménage en 2007 (en Fbu) .... 189 Tableau n°44: Revenu monétaire de l’élevage (moyenne/an/ménage) ...... 192 Tableau n°45: Dépenses annuelles relatives à l’activité agropastorale/ménage en 2007 (en Fbu) ...... 194 5

Tableau n°46: Dépenses relatives à l’alimentation/ménage/an en 2007 (en Fbu) ...... 195 Tableau n°47: Autres dépenses annuelles/ménage/an (en Fbu) ...... 197 Tableau n°48: Synthèse des dépenses monétaires/ménages/an en 2007 (en Fbu) ...... 198 Tableau n°49: Bilan global annuel des revenus internes des exploitations et des dépenses .. 199 Tableau n°50: Répartition des ménages suivant le nombre d’activités exercées ...... 205 Tableau n°51: Répartition des ménages suivant le nombre de revenus ...... 205 Tableau n°52: Taille de l’exploitation et activités extra-agricoles (AEA) au Bututsi ...... 214 Tableau n°53: Rapport âge/formation/pluriactivité ...... 216 Tableau n°54: Effectifs de la main-d’œuvre employée par le Projet d’Appui au Secteur Semencier de Kajondi (d’août 1994 à décembre 1997) ...... 219 Tableau n°55: Salaires de la main-d’œuvre journalière et du personnel sous-contrat du PASS ...... 220 Tableau n°56: Recettes communales générées par les activités commerciales en 2007 ...... 221 Tableau n°57: Répartition des infrastructures commerciales et des commerçants par commune en 2007 ...... 223 Tableau n°58: Les unités de production artisanale dans quelques communes du Bututsi en 2007 ...... 227 Tableau n°59: Importance de l’activité artisanale dans le Bututsi ...... 228 Tableau n°60: Revenus tirés du métier de charbonnier ...... 231 Tableau n°61: Unités de travail du bois ...... 233 Tableau n°62: Revenus salariaux annuels ...... 235 Tableau n°63: Les paroisses du Diocèse Bururi (catholiques) par ordre de fondation ...... 237 Tableau n°64: Les paroisses du Diocèse Matana (anglicane) en 2009 ...... 237 Tableau n°65: Paroisse de l’Eglise Pentecôte de (2009) ...... 238 Tableau n°66: Les infrastructures sanitaires et les différents personnels du secteur de la Santé dans le Bututsi en 2006 ...... 238 Tableau n°67: Etablissements scolaires et personnels de l’éducation en 2006 ...... 239 Tableau n°68: Nature de la mobilité et les principales destinations ...... 254 Tableau n°69: Intensité du flux de personnes entre la région du Bututsi et la ville de Bujumbura (véhicules de transport des personnes) ...... 256 Tableau n°70: Intensité du flux de personnes entre la région du Bututsi et Bujumbura ...... 258 Tableau n°71: Nombre et capacité d’accueil par province des écoles primaires du Burundi en 2006 ...... 264 6

Tableau n°72: Nombre et capacité d’accueil des écoles primaires en 2006 (communes du Bututsi) ...... 265 Tableau n°73: Population totale, population scolaire (écoles secondaires) et ...... 266 Tableau n°74: Nombre et capacité d’accueil par province des écoles secondaires du ...... 267 Tableau n°75: Nombre et capacité d’accueil des écoles secondaires en 2006 (communes du Bututsi) ...... 267 Tableau n°76: Fréquentation scolaire au secondaire en 2006 ...... 268 Tableau n°77: Rapport exploitations sans relève/scolarisation/emplois ...... 271 Tableau n°78: Rapport dépenses pour l’entretien de l’exploitation/revenus tirés ...... 275 Tableau n°79: Origine de la main-d’œuvre agricole allochtone au Bututsi ...... 278 Tableau n°80: Produits apportés par les familles rurales aux citadins lors des visites ...... 287 Tableau 81: Les produits vivriers reçus par les citadins de leurs familles ...... 287 Tableau n°82: Fréquence des visites des citadins chez les parents ...... 289 Tableau n°83: Les principales motivations des visites des citadins ...... 290 Tableau n°84: Infrastructures hôtelières et redynamisation des centres ruraux ...... 292 Tableau n°85: Argent envoyé par les citadins aux familles rurales (en Fbu)/mois ...... 297 Tableau n°86: Argent reçu par chaque ménage ayant un (des) enfant (s) en ville/mois ...... 297 Tableau n°87: Les causes de la dépendance des exploitations vis-à-vis de l’extérieur (selon les avis de 50 citadins interrogés) ...... 299 Tableau n°88: Les usages de l’argent envoyé par les citadins à leurs familles ...... 300

2. Figures

Figure n°1: Diagramme des précipitations ...... 45 Figure n°2 : Evolution de la population burundaise de 1935 à 2008 ...... 62 Figure n°3: Le calendrier agricole des principales cultures (sur colline) dans le Bututsi ...... 79 Figure n°4 : Valeur de la production agricole à l’ha (en Fbu) ...... 88 Figure n°5: Evolution de la production des principales cultures de 2000 à 2004 ...... 119 Figure n°6: Evolution du revenu moyen au Burundi (en USD) ...... 120 Figure n°7 : Superficie occupée par chaque culture dans l’exploitation (en %) ...... 137 Figure n°8 : Valeur de la production vivrière des communes du Bututsi en 2005 (en millions de Fbu) ...... 139 Figure n°9 : Productions agricoles des communes Matana et Mabanda (en tonnes) ...... 143 Figure n°10 : Le cheptel des provinces Bururi, Ruyigi, Cibitoke et Kayanza ...... 146 7

Figure n°11: Comparaison des effectifs de bovins des quatre provinces ...... 146 Figure n°12 : Effectifs du cheptel et de la volaille ...... 150 Figure n°13 : Revenus tirés des produits vivriers ...... 176 Figure n°14 : Recettes communales de Matana en 2003 et 2004 ...... 177 Figure n°15 : Valeur de la production agricole par ménage (en Fbu) ...... 190 Figure n°16 : Dépenses relatives à l’agri-élevage ...... 194 Figure n°17 : Achats de produits alimentaires ...... 196 Figure n°18 : Autres types de dépenses ...... 198 Figure n°19 : Répartition globale des dépenses ...... 199 Figure n°20 : Bilan revenus internes/dépenses (en Fbu) ...... 200 Figure n°21 : Evolution de la population et de la densité du Bututsi ...... 213 Figure n°22: Ratio élèves/salle et élèves/enseignant ...... 265 Figure 23: Rapport dépenses/revenus ...... 276 Figure n°24 : Produits apportés par les familles rurales aux citadins ...... 287 Figure n°25 : Nature du vivrier apporté (en %) ...... 288 Figure n°26 : Résidence principale des propriétaires (en %) ...... 294

3. Cartes

Carte n° 1: Localisation du Burundi en Afrique et dans la région des Grands-Lacs ...... 33 Carte n° 2: Le Burundi et l’Afrique des Grands-Lacs ...... 34 Carte n° 3: Le Bututsi à travers les autres régions traditionnelles du Burundi ...... 35 Carte n° 4: Les provinces du Burundi ...... 36 Carte n° 5 : Régions naturelles et provinces du Burundi ...... 39 Carte n° 6: Le Bututsi à travers la province de Bururi et les autres communes ...... 40 Carte n° 7: Les projets de développement agricole au Burundi en 1991 ...... 104 Carte n° 8: Zone d’action du Projet Bututsi et les centres semenciers (à partir de 1998) ...... 111 Carte n° 9: Fermes semencières et communes concernées par la multiplication des semences ...... 113 Carte n° 10: La zone couverte par le Projet Bukirasazi en 1994 ...... 115 Carte n° 11: Les infrastructures scolaires et sanitaires ...... 240 Carte n° 12: Répartition des sites de déplacés en 2002 au Burundi selon l’enquête ESD-SR (Enquête Socio-Démographique et de Santé Reproductive) ...... 249 Carte n° 13: Les principales voies de désenclavement du Bututsi ...... 251 8

Carte n° 14: Les principales destinations des habitants de la région du Bututsi (400 = nombre de personnes) ...... 255 Carte n° 15: Immigration ouvrière dans le Bututsi ...... 279

4. Photos

Photo n° 1: Une vue de la partie nord du Bututsi ...... 37 Photo n° 2: Une vue du Bututsi du Sud-Est ...... 37 Photo n° 3: La réserve naturelle de Bururi (Ikibira) ...... 46 Photo n° 4: Avantages de la culture associée (trois cultures sur une même parcelle) ...... 76 Photo n° 5: Cultures associées à ...... 80 Photo n° 6: Association céréale (le sorgho), légumineuse (petit pois) et patate douce ...... 81 Photo n° 7: des bananiers, du manioc, de la patate douce et du haricot ...... 81 Photo n° 8: un grenier à Vyanda ...... 140 Photo n° 9: Un troupeau de bovins et d’ovins ...... 151 Photo n° 10: Un champ de maïs en pleine maturité associé à la bananeraie ...... 166 Photo n° 11: une parcelle portant du haricot ...... 167 Photo n° 12: une exploitation dominée par la bananeraie ...... 180 Photo n° 13: Boisement privé à Butwe (Matana) ...... 182 Photo n° 14: Boisement privé à Mutangaro (Rutovu) ...... 183 Photo n° 15: Crête quartzitique reboisée (boisements domaniaux à Vyanda) ...... 183 Photo n° 16: un privé qui commence à reboiser une partie de sa propriété ...... 184 Photo n° 17: Un exemple de déboisement ...... 184 Photo n° 18: A Butwe (Matana) Chargement du charbon de bois dans un camion ...... 187 Photo n° 19: un champ de Tripsacum laxum en bas du finage ...... 189 Photo n° 20: Four pour briques cuites ...... 229 Photo n° 21: briques cuites ...... 230 Photo n° 22: les produits de la poterie ...... 230 Photo n° 23: Carbonisation du bois ...... 232 Photo n° 24: Sacs de charbon de bois au bord de la route, en attente de vente ...... 232 Photo n° 25: Minibus de transport qui attend les passagers ...... 257 Photo n° 26: Un paysage très humanisé ...... 273 Photo n° 27: Un espace presque vide ...... 273 Photo n° 28: Une exploitation devenue fantôme ...... 274 Photo n° 29: Approvisionnement de la ville de Bujumbura en charbon de bois ...... 286 9

Photo n° 30: Passagères qui attendent l’autocar pour aller à Bujumbura (les sacs contiennent des produits vivriers qu’elles amènent à leurs parentés résidant en ville)...... 288 Photo n° 31: exemple d’une infrastructure hôtelière à Matana ...... 294 Photo n° 32: Une belle villa en pleine campagne (Matana), signe de réussite en ville ...... 295 Photo n° 33: Aspect général de l’habitat (Rutovu) ...... 296

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LISTE DES SIGLES

ACOR: Agency for Cooperation and Research in Development AEA : Activités Extra-Agricole AMAP: Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne APRODH : Association Burundaise pour la Protection des Droits Humains et des Personnes Détenues ARF: Association des Ruralistes Français CDS : Centre de Santé CEGET: Centre d’Etudes de Géographie Tropicale CIDEP : Centre International de Recherche en Population/Développement CIRAD: Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le CNDD-FDD : Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie CNEARC: Centre National d’Etudes Agronomiques des Régions Chaudes CNI : Carte Nationale d’Identité CNTB: Commission Nationale Terres et autres Biens COOPEC : Coopérative d’Epargne et de Crédit COPED: Conseil pour l’Education et le Développement COSOME: Coalition de la Société civile pour le Monitoring Electoral CSLP: Cadre Stratégique de Croissance et de Lutte contre la Pauvreté CURDES: Centre Universitaire de Recherche pour le Développement Economique et Social CVHA : Cultures Villagesoises de Hautes Altitudes DAPA: Département de l’Aquaculture et de la Pêche Artisanale Développement DPAE: Directions Provinciales d’Agriculture et d’Elevage EHESS: Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales ESD-SR : Enquête Socio-Démographique et de Santé Reproductive FACAGRO : Faculté des Sciences Agronomiques FAD: Fonds Africain de Développement FAO: Food and Agriculture Organization FIDA: Fonds International de Développement Agricole FLSH: Faculté des Lettres et Sciences Humaines 11

FSEA: Faculté des Sciences Economiques et Administratives HDR: Habilitation à Diriger les Recherches IDA: Association Internationale de Développement IDEC : Institut de Développement Economique IGB : Impôt sur le Gros Bétail INEAC: Institut National d’Etudes Agronomiques au Congo-Belge INRA : Institut National de la Recherche Agronomique INSEE: Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques ISABU: Institut des Sciences Agronomiques du Burundi ISTEEBU: Institut des Statistiques et d’Etudes Economiques du Burundi OAG: Observatoire de l’Action Gouvernementale ONATOUR : Office National de la Tourbe OTRACO : Office des Transports en Commun PABV: Projet d’Aménagement des Bassins-Versants PASS: Projet d’Appui au Secteur Semencier PCDC : Plan Communal de Développement Communautaire PDAP: Projet pour le Développement Agro-Pastoral PDT: Pomme de terre PME : Petites et Moyennes Entreprises PNP : Politique Nationale de Population PNUD: Programme des Nations Unies pour le Développement PQDES: Plan Quinquennal de Développement Economique et Social PREBU : Programme pour le Réhabilitation du Burundi PTPCE : Projet des Travaux Publics et de Création d’Emplois PTRPC: Programme transitoire de reconstruction post-conflit QUIBB: Questionnaire Unifié des Indicateurs de base du Bien-être RGPH: Recensement Général de la Population et de l’Habitation RN : Route Nationale RNP : Régie Nationale des Postes SOSUMO : Société Sucrière du Moso SRD: Société Régionale de Développement SRDI : Société Régionale de Développement de l’Imbo TGI: Tribunal de Grande Instance UB : Université du Burundi 12

UGL : Université des Grands-Lacs UNESCO: Organisation des Nations-Unies pour l’Education, la Science et la Culture UPRONA : Union pour le Progrès National USAID: United States Aid of International Developement UTM: Université de Toulouse-Le Mirail ZAR: Zone d’Action Rurale

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TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENTS ...... 1 LISTE DES ILLUSTRATIONS ...... 3 1. Tableaux ...... 3 2. Figures ...... 6 3. Cartes ...... 7 4. Photos ...... 8 LISTE DES SIGLES ...... 10 INTRODUCTION GÉNÉRALE ...... 17 1. Contexte général, problématique et hypothèses de recherche ...... 17 2. Méthodologie de travail ...... 25 a. Recherche bibliographique ...... 25

b. Les enquêtes de terrain ...... 26

1° Le choix de l’échantillon et sa représentativité ...... 26

2° La collecte des données ...... 27

3. Présentation générale de la région du Bututsi ...... 32 1ère partie : LE BUTUSI ENTRE DES RESSOURCES NATURELLES MÉDIOCRES ET DES PROJETS DE DÉVELOPPEMENT INEFFICACES ...... 52 Chapitre I : LE SYSTÈME PRODUCTIF PAYSAN AU BUTUTSI ...... 53 1.1 La pression démographique : rendements décroissants ou effets « Boserup » ? ...... 53 ™ Vers une dynamique conflictuelle ...... 64

1.2 Fonctionnement du système de production paysan au Bututsi ...... 68 1.2.1 Le système de production ...... 70

1.2.1.1 Le système de culture ...... 73

a. Les principaux types de systèmes de culture ...... 73

b. Le choix des systèmes de culture ...... 82

1.2.1.2 Le système d’exploitation ...... 88

a. Les fonctions du système d’exploitation ...... 89

b. Analyse du fonctionnement des unités de production ...... 89

1.3 Les tentatives de modernisation de l’agriculture par les projets de développement .. 99 14

Introduction ...... 99

1.3.1 Contexte général ...... 100

1.3.2 Les objectifs ...... 102

1.3.3 Les principaux bailleurs du secteur agricole au Burundi ...... 104

1.3.3.1 Les bailleurs extérieurs ...... 105

1.3.3.2 Le gouvernement du Burundi ...... 107

1.3.4 Aperçu général des projets qui ont œuvré sur le territoire du Bututsi ...... 108

1.3.4.1 Le Projet Bututsi‐sud……………………………………………………108

1.3.4.2 Le Projet Bututsi ...... 110

1.3.4.4 Le projet forestier Bukirasazi ...... 114

1.3.5 Evaluation de l’impact des projets de développement agricole ...... 116

1.3.5.1 Les principaux critères d’évaluation ...... 116

1.3.5.2 Hypothèses sur les causes de l’inefficacité des projets ...... 121

™ Insuffisance des appuis par rapport à la demande ...... 121

™ Mauvaise affectation des financements ...... 124

™ La plupart des projets ont duré un temps relativement court ...... 127

™ L’inefficacité des méthodes vulgarisées ...... 127

™ La mauvaise gouvernance ...... 129

Chapitre II : ESSAI D’ÉVALUATION DES REVENUS DES EXPLOITATIONS AGRICOLES ...... 131 2.1 Les productions agro-pastorales du Bututsi...... 132 2.1.1 La production vivrière et le problème de la quantification ...... 132

2.1.1.1 Evaluation de la production agricole ...... 136

2.1.2 Les productions animales ...... 144

2.1.2.1 Les effectifs du bétail ...... 144

2.1.2.2 Les produits animaux ...... 151

2.2.1 Les revenus issus du secteur agro‐pastoral ...... 164

2.2.1.1 La part des produits vivriers ...... 164 15

™ Le revenu céréalier ...... 165

™ Le revenu généré par les légumineuses ...... 166

™ Les plantes à tubercules comme source de revenu ...... 168

™ La place du bananier ...... 172

™ L’importance du bois, de son charbon et les cultures fourragères ...... 180

2.2.1.2 Les revenus de l’élevage ...... 191

2.2.2 Les dépenses des ménages ...... 192

2ème partie : MULTIPLICATION DES SOURCES DE ...... 201 REVENUS ET REPRODUCTION DU SYSTÈME ...... 201 PAYSAN ...... 201 Chapitre III : LA PLURIACTIVITÉ COMME SOURCE D’APPOINT ET COMME SOURCE DE DIVERSIFICATION DES REVENUS ...... 203 3.1 Qu’est-ce que la pluriactivité en milieu rural ? ...... 203 3.2 Pourquoi les paysans pratiquent-ils la pluriactivité ? ...... 206 3.3 Pluriactivité et rationalité ...... 211 3.4 Les facteurs qui influencent l’importance d’activités extra-agricoles ...... 213 3.4.1 La pression démographique ...... 213

3.4.2 L’âge et la formation des exploitants ...... 215

3.4.3 La proximité d’un centre accessible ...... 217

3.4.4 Les autres facteurs ...... 220

3.5 Les principales activités non-agricoles dans le Bututsi ...... 221 3.5.1 Le commerce ...... 221

3.5.2 L’artisanat ...... 225

3.5.3 Le salariat ...... 233

Chapitre IV : LE RÔLE DE LA MOBILITÉ ET DE LA VILLE DANS LA ...... 244 REPRODUCTION DU SYSTÈME PAYSAN ...... 244 4.1 La part des mobilités ...... 244 4.1.1 Le concept de mobilité ...... 244

4.1.2 La mobilité, pour quelle finalité, pour quelles perspectives ? ...... 246

4.1.3 Amélioration du réseau routier et intensification des mobilités dans le Bututsi ...... 249 16

4.1.4 Le Bututsi comme point de départ ...... 253

4.1.4.1 Les mobilités « rural‐rural » ...... 258

4.1.4.2 L’exode rural ...... 260

™ L’exode rural et la scolarisation...... 262

4.1.5 Le Bututsi, terre d’accueil? ...... 276

4.2 Le rôle de la ville dans la vie des ménages du Bututsi ...... 280 4.2.1 Approche globale sur les solidarités ville/campagne ...... 281

4.2.2 La mobilité des hommes et les échanges entre ville et campagne ...... 284 4.2.2.1 Le Bututsi approvisionne la ville en produits agricoles et en énergie ...... 284

4.2.2.2 La part de la ville dans l’économie du Bututsi...... 289

™ Les envois d’argent par les citadins aux familles rurales ...... 297

A quoi sert l’argent envoyé par la ville ? ...... 299

™ Les citadins créateurs d’emploi à la campagne ...... 302

™ L’action des associations de natifs résidant en ville...... 303

CONCLUSION GÉNÉRALE ...... 306 BIBLIOGRAPHIE ...... 311 ANNEXES ...... 323 17

INTRODUCTION GÉNÉRALE

1. Contexte général, problématique et hypothèses de recherche

Le Burundi est un petit pays enclavé situé au cœur de l’Afrique entre le Rwanda au nord, la Tanzanie dans toute la partie orientale et la République Démocratique du Congo (RDC) à l’ouest. Ce pays sort d’une crise socio-politique qui a duré plus d’une décennie et traverse une crise économique sans précédent. C’est un pays essentiellement rural avec un système agricole dont la gestion future reste pleine d’incertitudes. C’est cependant cette agriculture qui constitue le poumon de l’économie du Burundi ; l’industrie, l’artisanat ainsi que les diverses activités du Tertiaire occupent une place très négligeable1. Son taux d’urbanisation figure parmi les plus faibles de la planète (très peu de villes avec une absence quasi-totale de villages ; en 2008, la population urbaine n’excède pas les 10%2 de la population totale). « Le Burundi est un pays rural par excellence : 92% des 6,9 millions de Burundais vivent de l’agriculture. Peu de pays au monde conservent un tel taux. L’agriculture représente 50% du PIB, fournit 80% des recettes d’exportation et nourrit la très nombreuse population »3. La densité rurale est très élevée : sur un territoire de 25800km² (superficie de la terre ferme c’est- à-dire la superficie de tout le pays qui est de 27834km² moins la partie des eaux territoriales du lac Tanganyika revenant au Burundi), vit une population de 8.038.618 habitants4 soit une densité moyenne nationale estimée à 311 hab. /km². Cette densité cache en son sein de nombreuses disparités. En effet, même si la partie des eaux territoriales burundaises du lac Tanganyika n’est pas prise en compte dans le calcul de cette densité, cette dernière reste un peu biaisée dans la mesure où les montagnes quartzitiques non occupées parce que hostiles à l’occupation humaine, les portions encore couvertes par les forêts, les réserves naturelles et les parcs nationaux, sont par contre intégrés dans ce calcul. Cela revient donc à dire que si tous ces paramètres étaient écartés dans ce calcul, ce chiffre dépasserait largement les 311 hab. /km². En plus, ce chiffre n’est qu’une moyenne nationale, certaines régions étant bien plus densément peuplées par rapport à d’autres.

1 D’après les données publiées dans « Mémoires du Burundi, Troisièmes Conférences des Nations Unies sur les Pays les Moins Avancées, 2000 », « l’agriculture et l’élevage contribuent pour 40 à 60% du Produit Intérieur Brut, contre 10% pour l’industrie et 30% pour les services». 2 http://perspective.usherbrooke.ca 3 CAZENAVE-PIARROT Alain, Burundi : une agriculture à l’épreuve de la guerre civile, In Cahiers d’Outre- mer, Afriques, 2004 4 Résultats préliminaires du troisième recensement général de la population et de l’habitation du Burundi de 2008. 18

L’agriculture burundaise est en général une agriculture de subsistance avec une faible productivité due à plusieurs facteurs (exploitations agricoles trop petites, méthodes et techniques agricoles inadaptées, problèmes liés au climat, à l’insécurité ou encore à la non- maîtrise de la démographie, etc.).

« Il ne pourra y avoir de développement durable pour le continent (Afrique) sans une maîtrise de la croissance démographique et une modernisation de son agriculture »5. Cette affirmation de Gérard CLAUDE parle de l’Afrique en général mais elle peut parfaitement s’appliquer au cas du Burundi dans la mesure où les deux paramètres (maîtrise de la démographie et modernisation agricole) restent encore un grand défi à relever pour le pays. En effet, la croissance démographique entraîne une augmentation de la demande alimentaire. Cette dernière peut être satisfaite soit en défrichant de nouvelles terres (si elles sont encore disponibles), soit en essayant d’augmenter le rendement par unité de surface, par exemple en cultivant beaucoup plus intensivement. « …la satisfaction des besoins alimentaires du monde rural ne se heurte pas seulement à la détérioration des terres, mais aussi à leur indisponibilité. A force d’être morcelées suite à une croissance démographique (2,7%), les exploitations sont devenues exiguës et se sont en plus appauvries »6. Pour le cas du Burundi, la terre cultivable est devenue dans certaines régions une denrée rare. Sa fertilité est aussi variable suivant les régions ou suivant l’intensité de son exploitation. L’accroissement démographique a donc provoqué dans beaucoup de régions du pays la mise en culture des terrains marginaux jusqu’à l’exploitation des marais qui jadis étaient considérés, dans la mentalité des gens, comme abritant de mauvais esprits. L’intensification a consisté à fumer les exploitations de façon systématique pour en accroître les rendements, à améliorer les semences en luttant contre le vieillissement du matériel végétal, à une association très poussée des différentes cultures sur une même parcelle, à des assolements plus ou moins réfléchis, etc.

Comme par le passé, la production agricole au Burundi, base de l’alimentation de la population et même de l’économie nationale, repose en grande partie sur la petite exploitation familiale. Depuis des siècles, le paysan burundais doit sa survie à l’exploitation de la terre et donc des activités agricoles, raison pour laquelle il lui est naturellement et viscéralement

5 CLAUDE Gérard., Les agricultures de l’Afrique tropicale : diversité, crise et mutations, In WACKERMANN, Gabriel, L’Afrique en dissertations corrigée, Paris, Ellipses, 2004, p.267 6 MWOROHA Emile, Le développement rural, facteur d’amélioration de la condition paysanne, In UNIVERSITE DU BURUNDI, Questions sur la paysannerie au Burundi, Table ronde sur les sciences sociales, humaines et développement rural, Université du Burundi, FLSH, Bujumbura, 1985, p.22 19 attaché. C’est-à-dire que la terre est pour le paysan, un milieu d’ancrage et d’enracinement profonds. Les autres activités, malgré leur importance dans la reproduction des systèmes d’exploitation agricoles du pays (un chapitre de ce travail est consacré à la place de ces activités extra-agricoles), restent dans l’ensemble secondaires.

Comme beaucoup de chercheurs qui ont travaillé sur la région des Grands-Lacs d’Afrique l’ont, à maintes reprises, déclaré le Burundi et son voisin du nord le Rwanda sont deux pays particulièrement montagneux et très peuplés avec un extraordinaire moutonnement de collines (ce qui d’ailleurs a valu à ces deux pays le surnom de « pays aux mille et une collines »). Quelques fois même, l’on se demande (mais sans trouver de réponses fiables) comment deux pays aux petites dimensions7 par rapport à la plupart des pays africains et même du monde entier, situés au cœur de l’Afrique loin des côtes africaines (le Burundi est situé à 1200 km de l’Océan Indien et à 2200 km de l’Atlantique) et loin des routes donnant accès à la mer, soient les plus densément peuplés de tout le continent. Certains ont donné comme élément d’explication à cette forte densité, la salubrité liée à l’élévation en altitude qui met ces régions à l’abri de certaines maladies caractéristiques des zones basses mais, cette hypothèse qui n’est pas forcément fausse, n’est pas non plus la plus vraisemblable : on observe, en effet, sur le continent, des contrées présentant les mêmes caractéristiques mais qui ont des densités inférieures à 50 hab. /km². Beaucoup d’autres éléments d’explication ont été soumis à de nombreuses critiques et quelquefois même, mis en cause.

La question qui suscite toujours des interrogations chez beaucoup de burundais et d’autres chercheurs qui s’intéressent à ce pays reste donc celle de savoir comment une population rurale et à très forte densité (surtout à partir de la deuxième moitié du 20ème siècle) qui doit sa subsistance à l’unique exploitation de la terre a pu, tant bien que mal, maintenir sa survie malgré un taux d’accroissement naturel très élevé. A propos de cet accroissement, Van Der BURGHT affirmait déjà tout au début du 20ème siècle (1903) qu’ « au Ruanda-Urundi, les naissances surpassent les décès »8. Cette thèse sera confirmée cinquante ans plus tard pour le cas du Burundi par Pierre GOUROU : « ce pays a depuis longtemps une excellente

7 Avec respectivement 27834 km² et 26338km², chacun des deux pays est 80 fois plus petit que le Congo voisin (l’actuel République Démocratique du Congo), 34 fois plus petits que la Tanzanie, à peu près 20 fois moins vastes que la France ; le Burundi a une superficie inférieure à celle du Midi-Pyrénées, une des vingt-et-une régions (dont Toulouse est la capitale) qui constituent la France métropolitaine. 8 Van Der BURGHT cité par NIYUNGEKO L., Population et développement, Cahiers du CURDES, n°6, 1988 20 démographie c’est-à-dire de forts excédents des naissances sur les décès »9. En 1985, MWOROHA E. alors Secrétaire Général du Parti UPRONA (parti unique à cette époque) et Professeur à l’Université du Burundi s’inquiétait déjà du rythme avec lequel la population burundaise augmentait : « Si, comme c’est prévisible, dans 15 ans, la population s’établit à plus de 8 millions, l’étroitesse des propriétés aura atteint des niveaux catastrophiques. L’on ne doit pas oublier que 95% de Barundi vivent du secteur rural qui représente plus de 60% du produit intérieur brut et 90% des exportations des marchandises » (MWOROHA E., 1985). Les rapports de l’administration coloniale (Plan Décennal de Développement Economique et Social du Ruanda-Urundi, 1950-1960) ainsi que d’autres travaux réalisés par les experts au cours des années 1960 faisaient déjà état d’un déséquilibre entre population et ressources alors qu’à cette époque, la population était 4 fois moins nombreuse que 50 ans plus tard (en 2000).

L’on peut dire que la population rurale burundaise a donc essayé de s’adapter à ce problème de pression démographique sur la terre en adoptant par exemple de nouvelles stratégies, de nouvelles méthodes pour sa survie. Malheureusement, force est de constater que dans certaines régions du Burundi densément peuplées (Mirwa, Buyenzi, Kirimiro) la catastrophe, longtemps attendue, est déjà tombée comme en témoigne les famines répétitives qui affectent une bonne partie du Burundi depuis l’année 1999, les départs massifs de jeunes actifs souvent sans qualification vers la ville ou vers d’autres régions pouvant offrir plus d’opportunités ou encore la situation d’insécurité permanente liée à la terre ou aux conflits fonciers. Cela vient remettre en cause les affirmations de COCHET H. qui écrivait très récemment (en 2001) sur le Burundi que: « contrairement aux discours alarmistes répétés ça et là, l’explosion démographique n’a pas encore provoqué la catastrophe attendue »10. L’espace cultivable a déjà manqué suite au trop-plein de bras sur de minuscules lopins de terres comme l’écrit GUICHAOUA A. pour le cas du Burundi et du Rwanda : « Au Burundi et au Rwanda, l’abondance de la main d’œuvre potentiellement mobilisable a aiguisé les imaginations. Que ce soit pour le portage, les grands travaux ou même l’exportation de main-d’œuvre, les réserves humaines apparaissent illimitées»11. Cela vient prouver que le recours aux autres méthodes culturales telles que l’intensification agricole pour parer au problème d’exiguïté des

9 GOUROU Pierre, La densité de la population au Rwanda-Urundi, Esquisse d’une étude géographique, Bruxelles : IRCB, 1952, 239 p. 10 COCHET Hubert., Crises et révolutions agricoles au Burundi, Paris, Karthala, 2001 11 GUICHAOUA A., Destins paysans et politiques agraires en Afrique centrale. Tome I : L’ordre paysan des hautes terres centrales du Burundi et du Rwanda, Paris, Harmattan, 1985 21 terres, a certainement des limites. Etienne VERHAEGEN souligne à ce propos que « les ressources ne sont pas indéfiniment exploitables, elles ne sont pas inépuisables, et la croissance de la population est contrainte par la limite de la disponibilité des ressources »12.

La région du Bututsi qui fait l’objet de notre étude, est une des onze régions naturelles qui constituent le Burundi. Elle n’évolue pas en vase clos ; elle s’intègre dans le schéma général de l’évolution économique, sociale, démographique, etc. du Burundi. Elle a néanmoins des caractéristiques, des réalités, des traits physiques et sociaux qui lui sont spécifiques.

Les nombreux travaux qui ont été faits sur la région ont tous un point commun : la pauvreté des sols et l’insuffisance de la production agricole qui en est le corollaire. « Les pédologues qui se sont penchés sur les sols du Bututsi confirment tous leur extrême pauvreté ». …« Les sols des versants du Bututsi sont très pauvres pour l’agriculture. L’apport du fumier permet encore une production vivrière à la limite de la survie. Les paysans sont trop pauvres pour se procurer des engrais chimiques dont les prix deviennent de plus en plus inabordables »13. Les causes principales de ce déficit alimentaire sont, les unes similaires à celles des autres régions, les autres sont propres à la région (acidité des sols et leur toxicité aluminique élevée qui sont responsables de leur très faible fertilité).

En effet, si le Bututsi a échappé aux récentes famines et disettes14 qui ont affecté beaucoup de régions du Burundi surtout du nord et du nord-est (2005, 2006, 2007, 2010) ce n’est pas parce qu’il a sensiblement amélioré son agriculture ; les explications sont à chercher ailleurs (il est depuis longtemps resté à l’abri des sécheresses qui ont durement affectées les régions du nord comme Muyinga et Kirundo). Il est vrai que le paysan essaie, tant bien que mal, de s’adapter en faisant recours à certaines pratiques culturales (intensification agricole, lutte contre l’érosion, extension progressive des défrichements, etc.), les organismes d’encadrement les accompagnant dans cette tâche, mais sans vraiment être efficaces. Le Bututsi se caractérise par des sols pauvres et dégradés comme nous venons de le souligner. Leur faible productivité

12 VERHAEGEN E., Faits et théories en matière d’interaction entre population, environnement et société (Partie II), Cahiers du CIDEP, Louvain-La-Neuve, 1994-1995 13 NDAYISHIMIYE Jean-Pierre, Le paysan des hautes terres du Burundi : L’exemple du Bututsi, thèse de doctorat, Bordeaux, Université de Bordeaux III, Institut de Géographie, 1980 14 Ces dernières avaient essentiellement pour cause les aléas climatiques (sécheresse dans les provinces de Kirundo et Muyinga au nord du Burundi, fortes inondations dues aux précipitations excessives un peu partout ailleurs, grêle détruisant les cultures, excès d’eau ne permettant pas le développement ainsi que la croissance des cultures, etc.). L’on a pu se rendre compte que l’essentiel de l’aide humanitaire alimentaire était acheminée vers les régions du nord, du centre et de l’Est qui pourtant étaient jadis considérées comme des greniers du pays. 22 ajoutée aux pratiques culturales restées traditionnelles, a des incidences graves sur la production agricole et sur les rendements, étant donné que la quantité de matière fertilisante (fumier animal, compost, engrais chimiques, etc.) reste dans l’ensemble insuffisante.

Malgré cette situation, la région du Bututsi a, comparativement à la plupart d’autres, des exploitations agricoles relativement plus grandes vu sa densité : 170 habitants au kilomètre carré15, densité nettement inférieure à la moyenne nationale qui est aujourd’hui estimée à 311 habitants au kilomètre carré.

En effet, cette exiguïté des terres cultivables due au problème de démographie galopante n’a pas, en effet, encore provoqué dans le Bututsi, la catastrophe, la crise malthusienne comme c’est déjà le cas ailleurs. Des espaces non encore mis en valeur restent encore visibles dans le paysage, et constituent des zones de parcours pour le bétail. Ces espaces sont aujourd’hui en régression constante, ce qui explique la réduction (ou la stagnation) consécutive des effectifs du bétail (la région figure encore aujourd’hui parmi celles où l’élevage du gros bétail est encore prépondérant). Il va quand même sans dire que les efforts du gouvernement en matière d’amélioration du niveau alimentaire et de protection de l’environnement à travers les projets de développement agro-sylvo-pastoral, depuis la période coloniale jusqu’aujourd’hui, ont dans une moindre mesure, contribué à une augmentation de la production agricole dans la région malgré de nombreuses lacunes qui ont été observées dans leur fonctionnement.

Sur une gamme très variée de cultures que l’on pratique sur les collines du Bututsi, très peu sont d’origine indigène. C’est-à-dire que ces plantes sont pour la grande majorité d’origine étrangère (Afrique, Asie, Amérique, Europe). Nous n’avons pas à notre disposition d’images datant de plusieurs siècles (3 à 4), présentant la physionomie, le faciès des paysages du Burundi en général, et du Bututsi en particulier, mais nous pouvons nous représenter les versants des collines du Bututsi ôtés de toute la bananeraie, de tout ce qui est boisements artificiels (eucalyptus, cèdres, pinus, gréviléa, calliandra, etc.), un paysage sans pomme de terre ni patate douce, sans haricot ni petit pois, sans oublier les céréales comme le maïs et le blé, etc.16 Les historiens et archéologues qui ont étudié l’agriculture ainsi que l’alimentation de nos ancêtres nous apprennent que les cultures indigènes étaient essentiellement constituées

15 Nous avons calculé cette densité à partir des estimations fournies par l’ISTEEBU, Projet Appui à la Politique Nationale de Population, 2007 16 Toutes ces cultures sont d’origine étrangère (Europe, Afrique, Asie, Amérique Latine) et la plupart de celles-là sont arrivées longtemps avant la colonisation (18ème et 19ème siècles). 23 de céréales comme le sorgho et l’éleusine et de quelques plantes potagères et légumes (les courges et autres légumes qu’on appelle : inyabutongo, imbwija, insogo, etc. en langue locale). L’ouverture des frontières accompagnée de la révolution des transports et des mobilités depuis des siècles, le franchissement des côtes africaines et la pénétration des peuples européens et asiatiques, ont complètement changé le visage des paysages du Burundi qui se sont métamorphosés pour prendre les caractéristiques actuelles. Plus tard (pendant la période coloniale et surtout à partir des années 1960), l’administration ainsi que les projets de développement ont en plus, apporté un soutien technique, matériel dans la vulgarisation des nouvelles cultures et dans la rationalisation des systèmes d’exploitations agricoles.

En définitive, malgré les efforts déployés par divers intervenants en matière d’agriculture, d’élevage et de protection de l’environnement, la région qui fait l’objet de notre étude reste une région aux maigres ressources, défavorisée par la nature surtout en matière pédologique et se caractérisant toujours par un déficit important au niveau de la production agricole. Cela est d’autant plus vrai que sa production agricole figure parmi les plus faibles au niveau national selon les chiffres disponibles. Certaines cultures qui, ailleurs constituent la base de l’alimentation ou qui génèrent même des revenus monétaires importants (manioc, riz, café, thé, etc.) sont quasi absentes sur les collines du Bututsi ou ont des rendements faibles, ce qui oblige les habitants de la région à s’approvisionner en vivres dans les régions limitrophes (Kumoso, Imbo, Buragane, Mirwa et Kirimiro dans une moindre mesure).

La question que l’on peut dès lors se poser est celle de savoir comment une population aux maigres ressources et à caractère rural parvient à se maintenir sur la colline, à assurer sa continuité, sa subsistance et sa reproduction alors que sa principale activité (l’agriculture) ne suffit guère, même pour l’autoconsommation des ménages ; comment les systèmes d’exploitation agricole du Bututsi parviennent-ils à se reproduire dans un contexte d’extrême fragilité écologique ? Existe-t-il des ressources « cachées », autres qu’agricoles qui pourraient être une sorte de complément ? Après s’être posé toutes ces questions, nous avons émis l’hypothèse suivante : dans un contexte de crise permanente occasionnée par la faiblesse des productions agricoles, les paysans adoptent d’autres stratégies pour assurer la survie et pour ainsi permettre la reproduction du groupe ou du système. Cette reproduction n’est possible que grâce à des revenus et des activités lucratives extérieurs à l’exploitation. 24

Cette hypothèse sera à la fin de ce travail confirmée ou infirmée. Les investigations que nous avons menées sur le terrain avaient justement pour objectif de vérifier si l’hypothèse de départ était valide ou pas. BEGUIN H. écrit à ce propos : « Lorsqu’on dispose d’hypothèses explicatives, il reste à les confronter à la réalité afin d’examiner leur validité. Il s’agit d’organiser un test, c’est-à-dire choisir les faits à observer et vérifier leur concordance avec ce qu’en dit la théorie »17. Rien n’empêche qu’à la fin, ces hypothèses peuvent se révéler insuffisantes pour apporter une explication fiable à la question de départ. C’est ce que précise toujours BEGUIN H.: «le test conduit au rejet ou au non-rejet de l’hypothèse explicative. S’il y a rejet, c’est que l’hypothèse explicative ne constitue pas une explication générale du phénomène étudié. Il faut donc l’abandonner ou la modifier ; ou encore la mettre à l’épreuve dans d’autres circonstances et ne conclure qu’ensuite. S’il n’y a pas rejet, c’est que l’hypothèse reste plausible pour expliquer le cas considéré, sans plus »18. Il serait d’ailleurs inutile, aberrant, de développer une hypothèse dont on sait à l’avance qu’elle ne sera pas mise en cause. « On n’apprend rien, en effet, à tester une hypothèse dont on sait à l’avance qu’elle ne pourra jamais être rejetée en tant qu’hypothèse générale » (BEGUIN H., 1985), ajoute le même auteur.

Pour avoir travaillé sur cette région (nous avons déjà réalisé deux travaux se rapportant sur la région du Bututsi : le mémoire de maîtrise ainsi que celui de DEA) et connaissant plus ou moins la région pour y être né et y avoir grandi, après avoir fait beaucoup d’observations et posé beaucoup de questions sur le fonctionnement du système paysan d’une société rurale aux ressources maigres, nous avons choisi de faire cette étude sur la même région et nous l’avons intitulé : « la reproduction d’un système paysan à travers les revenus extérieurs à l’exploitation. Le cas de la région du Bututsi au Burundi».

17 BEGUIN Hubert, La théorie dans la démarche géographique, Paris, L’Espace Géographique, n°1, 1985, p.67 18 BEGUIN Hubert, op.cit, p.67 25

2. Méthodologie de travail

L’approche méthodologique que nous avons retenue pour réaliser ce travail du début jusqu’à la fin est constituée de différentes étapes.

a. Recherche bibliographique La recherche bibliographique sur la zone d’étude (et sur le Burundi en général) était une démarche préliminaire pour la réalisation de ce travail. Elle nous a permis de construire la problématique et d’émettre les hypothèses de recherche. Beaucoup d’autres données recueillies sur la région du Bututsi ont permis d’obtenir des informations variées se rapportant à notre sujet et d’approfondir la recherche. Il s’agit par exemple des données quantitatives qui ont trait aux conditions physiques et environnementales (la topographie, le milieu bioclimatique), à la population et son évolution et enfin les données en rapport avec les différents secteurs d’activités qui constituent l’économie rurale de la région (les activités agropastorales, l’artisanat et les activités du tertiaire). Ce travail bibliographique a également été l’occasion d’avoir accès à certaines données concernant les politiques publiques en matière de développement agricole et pastorale (politiques d’assistance au monde rural, d’encadrement des paysans, etc.) à travers les projets dits de développement rural. D’autres ouvrages généraux qui cadrent avec notre sujet de recherche ont été exploités. Les bibliothèques que nous avons fréquentées le plus sont celles des universités de Toulouse et la bibliothèque centrale de l’Université du Burundi. Nous avons également été dans d’autres centres de documentation de la France comme la Bibliothèque de la Maison des Suds attachée à l’Université de Bordeaux III Michel de Montaigne, la Bibliothèque du CIRAD à Montpellier, etc.

Travaillant sur les systèmes de production agricole et leur reproduction, il était indispensable de définir un cadre théorique sur lequel devait reposer le travail. Des outils et des concepts qui cadrent avec le thème ont été étudiés et appliqués à la zone d’étude. Ainsi, les concepts de système de production qui englobe le système de culture et le système d’exploitation ont été étudiés. Après avoir émis l’hypothèse selon laquelle la reproduction du système paysan de la région n’est pas possible sans intervention de ressources d’appoint extérieures à l’exploitation, d’autres concepts tels la pluriactivité et la mobilité, ont aussi fait l’objet de réflexion sans oublier l’étude des rapports ville/campagne. 26

b. Les enquêtes de terrain Après la définition des hypothèses et du cadre théorique, des visites de terrain ont été organisées avant de commencer les enquêtes proprement dites et ces dernières ont été faites en trois principales phases.

Première phase : la première phase de l’enquête et la plus importante a été réalisée aux mois de juin, juillet, août et septembre 2007. Elle avait l’objectif de déterminer tous les éléments qui concourent au fonctionnement des différentes unités de production et de mettre en exergue les stratégies de survie des paysans face à des situations d’incertitudes ainsi que les logiques qui les animent.

1° Le choix de l’échantillon et sa représentativité

Au total 100 chefs d’unités de production ont été choisis et ont fait l’objet d’enquête pendant la première phase. Pour avoir un échantillon plus ou moins représentatif, nous avons cherché sur chaque colline une personne guide (chef de colline, conseiller collinaire ou quelqu’un d’autre) qui était censée connaître tous les ménages et les réalités de la colline. La base d’identification des unités d’enquête était le ménage. Celui-ci est défini, pour le cas de la France, par l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques) de la façon suivante : « De manière générale, un ménage, au sens statistique du terme, désigne l'ensemble des occupants d'un même logement sans que ces personnes soient nécessairement unies par des liens de parenté (en cas de cohabitation, par exemple). Un ménage peut être composé d'une seule personne». Selon toujours l’INSEE (au sens des enquêtes auprès des ménages en France), « font partie du même ménage, des personnes qui ont un budget commun, c’est-à-dire :

1) qui apportent des ressources servant à des dépenses faites pour la vie du ménage,

2) et/ou qui bénéficient simplement de ces dépenses». Pour le cas du Bututsi, les individus qui dorment sous le même toit et ayant un budget commun ont été considérés comme faisant partie d’un même ménage et à chaque ménage correspond une exploitation. Il s’agit généralement de l’homme, de la femme, des enfants et d’autres personnes qui habitent dans la même maison. Certains membres du ménage surtout les jeunes célibataires peuvent ne pas partager l’essentiel de leurs revenus avec les autres (ils font par exemple quelques économies en vue de se préparer au mariage) mais ils n’ont pas été écartés du ménage. Les chefs de 27 ménages enquêtés devaient en plus être des exploitants agricoles (à temps plein ou à temps partiel) et résider sur l’exploitation. Ainsi, parmi ces chefs d’unités il y avait :

‐ Des cultivateurs sans autres professions,

‐ Des cultivateurs ayant une autre activité mais considérée comme secondaire,

‐ Des gens qui avaient une profession principale non agricole (commerçants, artisans, salariés) mais qui étaient toujours chefs d’exploitation,

‐ De « grands », « moyens » et « petits » propriétaires terriens (capital terre),

‐ De « grands », « moyens » et « petits » éleveurs (capital bétail), etc.

Des individus disposant de plus de moyens (commerçants, fonctionnaires, cadres, officiers) et résidant en ville (ou dans les petits centres de la région) peuvent emprunter, louer ou exploiter les terres dont ils sont propriétaires et pratiquer des cultures (pour leur autoconsommation mais pouvant également être commercialisées). Ceux-là n’étaient pas concernés par cette enquête (1ère phase) mais la 2ème et la 3ème phase les concernaient.

2° La collecte des données

Un questionnaire d’enquête à passage unique avait été élaboré à l’avance. Dans un premier temps, on s’est intéressé à connaître les ressources productives du ménage. La force de travail dans les différents ménages est constituée par la main-d’œuvre familiale (ou interne à l’exploitation) c’est-à-dire l’homme, la femme et les enfants en âge de travailler. Les élèves et écoliers ont été considérés comme des demi-unités. Certains ménages font recours à une main-d’œuvre extérieure salariale. Cette dernière peut être permanente c’est-à-dire que l’ouvrier travaille tous les jours sur l’exploitation (et y réside) avec un salaire mensuel. La main-d’œuvre peut également être temporaire ou occasionnelle et on y fait surtout recours pendant les périodes d’intenses activités agricoles. La rémunération est journalière pour cette catégorie de main-d’œuvre. Une autre ressource productive qui a retenue notre attention est constituée par la terre. Les paysans ayant des notions sur les mesures de longueur, chacun sait approximativement combien mesure son exploitation (la longueur et la largeur) et il devient facile d’estimer la superficie. Selon la FAO l’exploitation est définie comme suit : «L’exploitation s’entend de toute terre utilisée entièrement ou en partie pour la production agricole et qui, considérée comme une unité technique, est exploitée par une personne seule 28 ou accompagnée d’autres personnes, indépendamment du titre de possession, du mode juridique, de la taille ou de l’emplacement ». Suivant la même méthode, il a été également possible d’estimer la partie de l’exploitation qui porte les cultures et la partie non encore exploitée. Soulignons que toutes les mesures effectuées (estimations de la taille des parcelles, de la quantité de la production agricole, des revenus et des dépenses) ont permis la quantification de tout le système de production. On s’est aussi intéressé à connaître les cultures pratiquées et on les a classé en plusieurs catégories à savoir : les céréales, les légumineuses, les tubercules, les fruits et légumes et la banane. Même si la banane fait partie des fruits, elle a été ici considérée comme une catégorie à part du fait de son importance dans l’économie paysanne. L’estimation de la production agricole n’était pas une tâche facile. C’est-à-dire que le paysan n’enregistre nulle part (sur un support papier ou informatique) la quantité de ses récoltes. Nous avons malgré cela surmonté cette difficulté en estimant les diverses productions agricoles en termes de sacs. Pour la banane il suffisait d’estimer le nombre moyen de régimes récoltés chaque mois pour avoir une idée plus ou moins exacte de la production. Lors des entretiens, nous avons également cherché à connaître les handicaps à l’activité agricole.

L’activité agricole étant profondément associée à l’élevage, quelques questions relatives à l’élevage ont été posées : les effectifs du gros et du petit bétail, de la volaille, le rôle des animaux d’élevage dans l’économie des ménages, les contraintes à l’activité pastorale, la pratique des cultures fourragères, etc.

Nous avons aussi été amené à faire des estimations quant aux sources de revenus des ménages. Ces derniers peuvent être fournis par les différentes productions de l’exploitation (vente des produits agricoles, vente des animaux ou de leurs produits). On a d’abord estimé la valeur de la production agricole totale et ensuite la valeur de la fraction vendue pour avoir une idée sur les revenus monétaires avec lesquels on fait les dépenses. La région ayant intégré l’économie de marché, chaque ménage doit acheter ce qu’il ne produit pas dans son exploitation (complément alimentaire, dépenses en rapport avec l’activité agricole, équipement de la maison, soins de santé, frais scolaires, habillement, etc.). C’est pour cela que l’on s’est intéressé à connaître les différents types de dépenses auxquelles les ménages font face quotidiennement.

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Une question fondamentale était posée à toutes les personnes enquêtées : celle de savoir si leurs exploitations agricoles sont viables, c’est-à-dire si les familles peuvent vivre uniquement avec l’exploitation de la terre et indépendamment de l’extérieur. La dépendance vis-à-vis de l’extérieur des ménages (certains membres actifs du ménage peuvent exercer des activités lucratives non agricoles et extérieures à l’exploitation) a révélé la fragilité du système de production agricole de la région. C’est à partir de ce moment que nous nous sommes intéressé sur ces activités extérieures à l’exploitation qui apportent des revenus d’appoint et qui jouent un rôle dans la reproduction du système. Ces activités se font pour la plupart à travers des mobilités circulatoires entre le domicile et le lieu de travail. Pour ce qui est de la mobilité, il était intéressant pour nous de connaître quels en sont les types, les mobiles qui poussent les gens à partir, les zones d’accueil, la fréquence, la durée de séjour ainsi que l’apport de cette mobilité dans la reproduction du système. L’estimation des revenus issus des activités extérieures nous a permis de mesurer leur place dans le fonctionnement du système paysan. Nous avons enfin cherché à savoir d’autres sources de revenus extérieurs et la ville nous a semblé être un acteur incontournable dans la mesure où la détermination des flux d’argent en provenance du monde urbain l’a prouvé. Cela nous a d’ailleurs poussé à réaliser une autre enquête en ville (à Bujumbura) à l’endroit des citadins originaires du Bututsi en vue d’appuyer les données de la première phase d’enquête.

Deuxième phase : Cette enquête a été réalisée aux mois de juillet et août 2008. Nous avons interrogé au total 50 citadins originaires du Bututsi qui exercent un emploi et qui viennent en aide à leurs familles restées sur la colline d’origine. Le choix de l’échantillon a tenu compte de la diversité socioprofessionnelle de ces citadins (fonctionnaires, commerçants, cadres moyens, hommes d’affaires, hauts cadres, militaires, plantons, employés de maison, etc.). L’objectif visé était de recueillir les avis et considérations de la part des citadins natifs de la région sur la viabilité des exploitations de leurs parents. Il était également question d’étudier le rôle que peut jouer la ville dans l’économie paysanne de la région (divers échanges, investissements des citadins à la campagne et leurs impacts, etc.) ainsi que les relations qui unissent les ruraux et les citadins. La détermination des sommes d’argent et beaucoup d’autres biens que les citadins envoient pour venir en aide à leurs familles a encore révélé l’attachement qu’ont les citadins envers leurs familles et collines d’origine. Les visites des parents à leurs enfants et autres parentés proches qui habitent en ville (ou des citadins à leurs parents) pour des motifs multiples témoignent de la perpétuation des rapports entre citadins et leurs villages natals. 30

Troisième phase : Enfin en mars et avril 2009, nous avons réalisé la troisième phase d’enquête qui s’est surtout focalisée sur les activités non agricoles principalement les métiers liés aux activités artisanales (maçonnerie, menuiserie, poterie, vannerie, briqueterie, tuilerie, charbonnerie, cordonnerie, couture, etc.). La présence de ces métiers un peu partout dans la région nous a conduit à réfléchir sur leur pérennité, leur importance ou leur rôle dans l’organisation et le fonctionnement des différentes unités de production. Ainsi, 82 artisans au total (6 maçons, 6 menuisiers, 6 potiers, 6 briquetiers, 6 tuiliers, 6 cordonniers, 6 vanniers, 6 tailleurs et 34 charbonniers) répartis dans 5 communes situées dans le Bututsi ont été interviewés. 67,1% de ces individus avaient l’artisanat comme activité principale, l’activité secondaire restant bien entendu l’agriculture.

Toujours au cours de la troisième phase, une enquête sur l’emploi de la main-d’œuvre extérieure à l’unité de production a aussi retenu notre attention. Cette enquête visait à préciser le rôle joué dans le procès de production par les personnes actifs de la famille ainsi que la main-d’œuvre extérieure et rémunérée. La réalisation de cette enquête a été également motivée par le fait qu’on s’était rendu compte, lors de la première phase, que les exploitations agricoles de la région du Bututsi avaient un fort taux d’utilisation de cette main-d’œuvre et que cette dernière était pour la plupart allochtone.

Enfin, des entretiens ont été menés à l’intention de certaines personnes ressources comme les responsables administratifs (administrateurs communaux ou leurs conseillers, chefs de secteurs et conseillers collinaires), des responsables (ou ex-responsables) de projets de développement et du Ministère de l’agriculture et de l’Elevage, des responsables des associations de natifs, etc.

Après chaque phase, nous avons procédé à la saisie, au traitement statistique des données d’enquête, à l’analyse et à l’interprétation des résultats. Beaucoup de tableaux et de graphiques ont été construits à partir de la base de données déjà constituée. Pour illustrer davantage le travail, de nombreuses photographies ont été prises sur la région.

Il nous paraît important de souligner ici les problèmes majeurs que nous avons eu à surmonter pendant la réalisation de ce travail. Pour mener à bien les enquêtes de terrain, les différents entretiens et la collecte des données bibliographiques, l’accès à une source de financement 31

était pour nous indispensable. Pour les travaux de terrain, nous avons obtenu de la part de la Direction de la Recherche de l’Université du Burundi, un appui financier mais ce dernier s’est révélé insuffisant vu les besoins. Le Bututsi, est situé à une centaine de kilomètres de Bujumbura. On peut dire que la région est désenclavée car elle est reliée à Bujumbura par deux routes nationales asphaltées (la Route Nationale n°7 et la Route Nationale n°16 via la RN3). Mais, l’accès au cœur des collines n’est pas toujours facile et cela est dû en grande partie à un habitat très dispersé ainsi qu’à des pistes rurales de très mauvaise praticabilité où seuls les véhicules tout terrain (4X4) peuvent accéder. Les moyens qui étaient mis à notre disposition ne nous permettaient pas de louer une automobile. C’est pour cela que pour accéder à ces collines surtout celles qui ont un accès difficile, les véhicules à deux roux comme le vélo ou la moto et la marche à pieds étaient nos moyens de locomotion. Tout cela rendait difficile les conditions de travail et de séjour dans la région.

Cette thèse a également été réalisée sous le régime de cotutelle avec l’appui financier du Gouvernement Français à travers son Ministère de la Coopération. Cet appui était constitué par la prise en charge du séjour en France et le billet d’avion aller/retour. Les conditions de travail en France étant nettement meilleures par rapport au Burundi, nous aurions aimé avoir, chaque année, des séjours plus longs (la durée des séjours était comprise entre 4 à 6 mois par an). De plus, cette thèse a été menée dans un contexte de vie professionnelle. En effet, ayant un statut d’enseignant-assistant à temps plein à l’Université du Burundi, il était très difficile de concilier la recherche pour le doctorat et les autres activités académiques de tous les jours.

Enfin, l’accès à certaines archives (surtout concernant l’évolution socio-économique) qui auraient pu enrichir de plus notre travail, a été difficile tandis que certaines autres données étaient même impossibles à trouver. De surcroît, les régions « naturelles » ou « traditionnelles » du Burundi n’étant pas administratives, les données disponibles sont fournies par provinces et communes alors que les frontières de ces dernières ne coïncident pas avec celles des régions. Cela a été un grand handicap à l’établissement de données pouvant isoler le Bututsi.

Toutes ces difficultés justifient donc le retard accusé dans le respect du calendrier de soutenance de cette thèse. Il nous a fallu, malgré tous ces handicaps, travailler et mettre en adéquation les maigres moyens qui étaient à notre disposition, les contraintes liées au temps et les ambitions de recherche. 32

La dernière étape de ce travail a été la mise en commun de tout le paquet de données, leur confrontation avec le cadre théorique, la rédaction et la soutenance. Cette thèse comprend deux parties qui sont chacune subdivisées en deux chapitres.

3. Présentation générale de la région du Bututsi

Le mot « Bututsi » est composé du préfixe Bu- qui signifie lieu, endroit, région et du terme Tutsi qui est le nom d’une des trois composantes ethniques du Burundi (les autres ethnies sont les hutus et les twas). Actuellement, une catégorie de la population se réclame être un quatrième groupe ethnique : il s’agit de l’ethnie Ganwa ; les Baganwa étant l’ancienne famille royale qui constituait la monarchie burundaise du 16ème siècle jusqu’en 1966, date à laquelle la République a remplacé la Monarchie. Etymologiquement donc, le mot Bututsi signifie une entité ou région peuplée exclusivement de Tutsis, ce qui, en réalité, n’est pas vrai. Au Burundi, il n’est pas exact de dire que telle ou telle colline est peuplée par telle ethnie car toutes les composantes ethniques occupent les collines de tout le pays sans distinction. Ce qui serait à l’origine de cette appellation à notre avis, et selon les dires de certaines personnes interrogées, c’est plutôt son passé marqué par la prépondérance des activités d’élevage du gros bétail19. Cette explication rejoint celle de NDAYISHIMIYE J.P. qui écrivait en 1980 que « la région ne porte pas le nom de Bututsi parce que les Tutsis y seraient majoritaires, car rien ne le prouve. Selon les personnes interrogées, la région aurait hérité ce nom de son passé profondément pastoral ». De plus, aucun recensement ethnique n’a été effectué au Burundi sauf les statistiques établies par le colonisateur pour faciliter la perception de l’impôt de capitation. D’après ces chiffres, on estimait les hutus à 84%, les tutsis 15% et les twa 1%.

Le Bututsi est situé au sud du Burundi dans de hauts plateaux compris généralement entre 1700 et 2000m d’altitude et, à quelques endroits, ces plateaux atteignent facilement plus de 2100m (exemples : le mont Rumonyi : 2317m, Sure : 2186m, le complexe montagneux de Kibimbi culmine à 2500m). Le Bututsi couvre une superficie d’à peu près140.000 ha, ce qui représente 5,3% du territoire national. Les régions qui entourent le Bututsi sont le Kirimiro au nord, le au nord-ouest, les Contreforts ou « Mirwa » à l’ouest, le Buragane au sud et au sud-Est, ainsi que le Buyogoma du côté oriental.

19 Traditionnellement, les Tutsis étaient un peuple d’éleveurs. La plupart se sont donc installés dans la région à la recherche des pâturages pour leurs troupeaux de vaches. 33

Carte n° 1: Localisation du Burundi en Afrique et dans la région des Grands-Lacs Source : CAZENAVE-PIARROT A. et al. Géographie du Burundi, Le Pays et les Hommes, EDICEF, 1979

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Carte n° 2: Le Burundi et l’Afrique des Grands-Lacs Source : CAZENAVE-PIARROT A., Altitude, latitude et espaces ruraux. Territoires de conquête et territoires de déshérence au Burundi et dans les Pyrénées, Bordeaux-Pessac, Université de Bordeaux III-Michel de Montaigne, HDR, 2003

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Carte n° 3: Le Bututsi à travers les autres régions traditionnelles du Burundi

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Carte n° 4: Les provinces du Burundi

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Photo n° 1: Une vue de la partie nord du Bututsi

Photo n° 2: Une vue du Bututsi du Sud-Est

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Comme nous l’avons déjà précisé, les régions du Burundi sont dites « naturelles » ou « traditionnelles » et ne sont pas administratives à l’instar des régions françaises. Quelques endroits où la limite d’une province coïncide avec la frontière entre deux régions peuvent exister mais ils sont très rares. D’ailleurs, la limite entre deux régions n’est pas toujours bien nette, il peut exister entre les deux une zone dite « intermédiaire » ou zone de transition. D’après une délimitation de BERGEN D.W (1992), la région du Bututsi est située à cheval sur plusieurs provinces et communes administratives du Burundi: quatre provinces à savoir : Bururi, Makamba, Gitega et Mwaro et onze communes : Bururi, Vyanda, , Matana, Rutovu, Mugamba, Bisoro, Ryansoro, Buraza, Gishubi et Vugizo20. D’après nos propres observations, on peut ajouter à cette liste des communes situées (en partie ou en totalité) dans le Bututsi, deux communes de la province de Rutana à savoir : Rutana et Gitanga et la commune Makamba située en province Makamba. Par contre, la commune de Gishubi (province Gitega) n’a pas, d’après nos observations, une moindre portion de son territoire située dans le Bututsi. Cela porte les communes situées (en entièreté ou en partie) à treize (voir carte n°6) mais plus de 95% de la superficie de la région sont couverts par quelques communes (Matana, Songa, Bururi, Rutovu, Ryansoro, Bisoro, Vyanda et Vugizo) tandis que la province de Bururi occupe à elle seule à peu près 75% du territoire du Bututsi. Le Bututsi couvre le centre-sud du pays tout en chevauchant sur le prolongement de la crête Congo-Nil vers le sud-ouest dans Vyanda et Vugizo.

20 BERGEN D.W, Contribution à la connaissance des régions naturelles du Burundi : données de superficie et de population par colline de recensement, ISABU, Département de SER, publication n°161, 1992, pp.26-27 39

Carte n° 5 : Régions naturelles et provinces du Burundi

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Carte n° 6: Le Bututsi à travers la province de Bururi et les autres communes 41

Le relief du Bututsi présente un modelé varié et un peu particulier : « Le Bututsi accumule sur son territoire des modelés d’échelle moyenne et d’autres formes que l’on observe nulle part dans les plateaux centraux du Burundi »21. Il est essentiellement formé de plateaux constitués de collines et quelques reliefs quartzitiques qui représentent des crêtes et massifs montagneux surplombant des zones déprimées. Il s’agit par exemple du complexe montagneux de Kibimbi-Inanzerwe qui constitue la frontière avec le Buragane, la chaîne de Muhabo à la limite nord-ouest, les barres quartzitiques para-appalachiennes de Nyaruganda, Karwa, Ngabwe-Gikwazo, Mutsinda, Musenyi etc. (SABUSHIMIKE J.M, 1993). Les parties déprimées sont soit granitiques, soit schisteuses et sont taillées dans un modelé collinaire avec quelques formes de détails. Les massifs montagneux sont constitués de roches dures (les quartzites) résistantes au phénomène d’érosion différentielle tandis que les parties basses sont essentiellement formées de roches tendres (les granites ou les schistes) qui se détruisent très facilement. Les zones occupées par l’homme correspondent généralement aux zones de plateaux (granitiques, schisteux et à quelques endroits constitués de roches basiques ou ultrabasiques) sauf quelques rares endroits où la pression foncière a obligé les paysans à défricher les versants en pentes fortes des reliefs quartzitiques. Les altitudes des zones à forte emprise humaine varient en général entre 1700 et 1900 m (quelques dépressions intra montagneuses culminent à 1950m), mais l’altitude moyenne reste estimée 1800m dans les modelés collinaires.

Cette topographie constituée en général par un modelé collinaire peut être un atout à l’aménagement agricole et pastoral. En effet, à l’exception de la partie sud-ouest de la région (Vyanda et Vugizo), les versants des collines du Bututsi se caractérisent par une topographie qui n’est pas accidentée comme les Contreforts ou Mirwa (qui surplombent la plaine de l’Imbo) ou les autres plateaux centraux. Le modelé collinaire domine le paysage de la région (collines en dissection arrondie ou allongée suivant les endroits) avec des vallées à fond plat (vallées de la Jiji, Ruvyironza, Gitanga et autres petits cours d’eau). Toutes ces unités du relief ont des pentes moyennes à faibles et sont par ce fait, favorables à l’aménagement agro- pastoral. Les terrains en pente faible ne sont pas nécessairement les plus fertiles du point de vue agronomique, mais ils sont faciles à aménager et ne subissent pas l’effet de l’érosion au même degré que les zones en forte pente. Même certaines crêtes surplombant les parties

21 SABUSHIMIKE, J.M., Géomorphologie des hautes terres du Burundi, Bordeaux, Université de Bordeaux III Michel de Montaigne, thèse de doctorat, 1993 42 basses, ont des sommets tabulaires avec, à quelques endroits, des versants convexes pouvant être occupés par l’homme et offrant d’importantes zones de parcours.

Le climat du Burundi en général et du Bututsi en particulier présente des particularités dans la mesure où il n’obéit pas à la règle générale de la répartition des climats sur la terre. Malgré sa position latitudinale proche de l’équateur, le Bututsi comme la majeure partie des hautes terres du Burundi et même de l’Afrique des Grands-Lacs, jouit d’un climat tropical22 « tempéré » par l’altitude (le Burundi fait partie intégrante de la zone de l’Afrique orientale appelée « Afrique des Hautes Terres »). Il est donc surprenant de trouver un climat tropical aussi bien marqué dans un pays situé non loin de l’équateur (entre 2°20’ et 4°27’ de latitude sud). Le climat du Bututsi est donc, comme dans les autres plateaux centraux du Burundi, tropical « tempéré par l’altitude », mais il est relativement moins clément car, « plus froid et plus venteux que dans les autres régions naturelles du centre du pays »23. Il a toutes les caractéristiques d’un climat tropical humide. « Les climats tropicaux sont des climats qui, tous, ont des saisons bien tranchées : une saison pluvieuse plus ou moins longue, parfois coupée en deux par un fléchissement au milieu de la saison et d’autre part une saison sèche qui peut se réduire à deux, trois, quatre mois… »24. La saison humide est plus longue par rapport à la saison sèche avec respectivement 8 mois et 4 mois. Le calendrier cultural est calqué au rythme des saisons, c’est-à-dire que l’année culturale commence avec le mois de septembre (généralement mi-septembre début octobre) et se termine en juin, date à laquelle on récolte les dernières cultures (sauf les cultures pérennes comme le café à quelques rares endroits où il existe, le bananier, etc.). C’est également du climat dont dépend l’adaptation des différentes espèces végétales et même animales. En outre, les différents types de sols ainsi que la végétation qui sont des facteurs bioclimatiques, sont également fonction du climat. Du point de vue pluviométrique, la répartition n’est pas partout la même car des nuances locales s’observent ici et là. Ces dernières sont dues à l’influence de la disposition du relief et de sa position surélevée qui commande le vent. Le volume pluviométrique est d’une moyenne annuelle de 1500 millimètres avec des températures partout inférieures à 20°c (autour de 17°c dans les stations de Mahwa, Rutovu, Kiremba, Buta, Bururi et Matana).

22 Alternance de deux saisons : une saison humide plus longue (8 à 9 mois) et une saison sèche plus courte (3 à 4 mois). 23 MERTENS A., Contribution à la connaissance des régions naturelles du Burundi : le système traditionnel d’exploitation au Bututsi, ISABU, Département de SER, publication n°65, 1984 24 BIROT P., Géographie physique générale de la zone intertropicale (à l’exclusion des régions arides et semi- arides), Paris, Centre de Documentation Universitaire, Paris V, 1962 43

La position altitudinale élevée des plateaux centraux en général et du Bututsi en particulier leur confère un climat plus ou moins salubre. Au début des années 1950, Pierre GOUROU a accordé une très grande importance à l’altitude comme facteur ayant influencé la salubrité et les fortes densités de populations dans les hauts plateaux du Ruanda-Urundi. « L’altitude favorise la pluviosité…. ». « L’altitude est un facteur d’affaiblissement de certaines maladies infectieuses tropicales (maladie du sommeil, malaria, etc.) ». « L’altitude est un facteur de salubrité pour le bétail (disparition des trypanosomiases) ». NDAYISHIMIYE J.P., écrivait en 1985 à propos de la situation altitudinale élevée du Bututsi : « La région reste à l’abri des maladies qui provoquent une mortalité considérable dans les zones plus basses. La glossine ne franchit pas l’isohypse 1500, la maladie du sommeil y est inconnue. L’anophèle étant rare à partir de 1800m, le paludisme n’y constitue pas une endémie »25. Mais aujourd’hui, l’isohypse 1800m ne constitue plus la limite supérieure à la propagation du moustique (l’anophèle femelle), car des cas de paludisme se sont multipliés dans ces dix dernières années dans des endroits atteignant même 2000m d’altitude chez des sujets n’ayant jamais fréquenté les régions basses où prolifèrent les vecteurs de cette maladie. Outre le paludisme, d’autres maladies caractéristiques des zones basses surtout celles qui attaquent le bétail, causent moins de dégâts dans la région : la trypanosomiase est aujourd’hui inconnue après l’abandon de la transhumance26 ; la théilériose (une maladie réputée mortelle et contagieuse surtout chez les bovins due à des parasites du genre Tleileria pava et Theileria annulata transmis par les tiques), bien que présente, n’occasionne pas beaucoup de pertes par rapport aux régions basses voisines, car elle aussi diminue avec l’altitude.

L’autre avantage de l’altitude est que, d’une manière générale dans les zones tropicales, les régions d’altitude élevée sont les plus arrosées (exemple de la Crête Congo-Nil au Burundi). Les volumes de précipitations que reçoit le Bututsi sont, si elles étaient bien réparties (et surtout bien gérées) sur l’année, amplement suffisantes pour les activités agro-pastorales. Par exemple, on enregistre des moyennes annuelles de 1490,5 mm de pluie à Bururi, 1304,6 mm à

25 NDAYISHIMIYE J.P., Géographie et développement rural. Les paramètres écologiques de la mise en valeur du Bututsi et du Mugamba-sud, in UNIVERSITE DU BURUNDI, Questions sur la paysannerie au Burundi, Table ronde sur les sciences sociales, humaines et développement rural, FLSH, 1985 26 Depuis des siècles, les éleveurs de la région partaient avec leurs troupeaux au début du mois de juin, vers les régions basses (Kumoso, Buragane, Imbo) à la recherche des pâturages. Ils revenaient vers fin octobre ou début novembre quand les pâturages du Bututsi étaient redevenus verts. La spéculation foncière due à l’augmentation de la population ainsi que la crise politique et socio-économique qui a débuté en 1993, ont été à l’origine de l’abandon de la transhumance. Plus de 2000 têtes de gros bétail appartenant aux éleveurs du Bututsi, qui étaient en transhumance à Gihofi (non loin de la SOSUMO, société sucrière du Moso) ont, en effet, été volées, en octobre 1993, vers la Tanzanie. 44

Buta, 1529,8 mm à Kiremba, 1393,4 mm à Matana, 1334,2 mm à Ruvyironza et 1635,3 mm à Rutovu. Le nombre annuel de jours de pluie est également élevé par rapport à la plupart d’autres régions du pays : 170 à Ruvyironza, 152 à Rutovu, 123 à Bururi et 165 à Matana.

Tableau n°1: Données de précipitations mensuelles (en mm) dans quelques stations de la Rutovu Bururi Buta Kiremba Matana Ruvyironza (2013m) (1886m) (1795m) (1870m) (1934m) (1822m) Janvier 200,8 194,8 115,8 216,8 164,0 1757 Février 195,9 165,6 127,5 166,6 170,2 176,1 Mars 219,7 197,7 177,2 189,8 187,7 181,8 Avril 259,7 216,8 210,4 226,3 203,7 193,2 Mai 105,0 103,3 132,2 82,1 79,3 71,6 Juin 7,5 16,0 16,8 4,0 11,3 9,7 Juillet 4,1 4,6 7,4 8,2 38 7,7 Août 9,2 16,7 30,5 10,6 15,5 9,7 Septembre 44,5 57,3 81,1 41,3 71,8 48,1 Octobre 124,0 130,0 120,2 138,1 126,4 111,0 Novembre 229,6 186,4 173,4 216,0 186,3 179,7 Décembre 235,3 201,3 112,1 230,0 173,4 170,0 Total 1635,3 1490,5 1304,6 1529,8 1393,4 1334,2 Source : TESSENS E., Données climatologiques du Burundi : Précipitations, températures, durée d’insolation (1960-1987).

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Figure n°1: Diagramme des précipitations

Source : D’après les données du tableau n°1

Le réseau hydrographique y est dense ; ceci s’explique par les volumes pluviométriques importants qu’enregistre la région et par la présence de massifs quartzitiques ou gréseux qui constituent d’importantes sources d’eau. Une multitude de vallées avec pour la plupart un écoulement permanent même en période de saison sèche, isole de petites unités de collines. Cette permanence des écoulements pourrait rendre possible l’irrigation, surtout dans les parties inférieures des versants pendant la saison sèche. Le phénomène d’érosion s’est accentué à cause de l’empreinte humaine (surpâturage, déboisement, feu de brousse, extension des superficies emblavées, etc.). Bref, les plateaux centraux du Burundi en général et ceux du Bututsi en particulier, ne souffrent pas outre mesure de déficit d’eau. Ils sont plutôt classés parmi les régions nanties du point de vue hydrographique comme l’écrit BERGEN D.W : « La richesse principale du pays (pluviométrie) qui permet une double culture sur colline et souvent une culture supplémentaire en marais »27.

La végétation naturelle du Bututsi est constituée par une savane très dégradée, signe d’une anthropisation très ancienne. Cette dégradation est due essentiellement aux feux de brousse

27 BERGEN, D.W, Perspectives de la spécialisation régionale comme stratégies de développement. Synthèse nationale des dossiers par région naturelle sur les flux des produits agricoles, ISABU, SER, publication n°94, 1986 46 répétitifs28, au surpâturage (malgré la généralisation des cultures fourragères dans la région, l’essentiel de l’alimentation du bétail reste constitué par l’herbe qui pousse dans des endroits non encore occupés par les cultures et qui constituent les pâturages), aux déboisements intensifs29, à la mise en valeur agricole des terres, à l’utilisation plus ou moins intensive des ressources forestières, etc. Cette végétation est quasiment formée d’Eragrostis (ishinge), d’Hyparrhenia Loudetia (umukenke ou umukenkanya) à quelques rares endroits. Quelques buissons et galeries forestières, vestiges de l’ancienne forêt naturelle, s’observent le long de quelques cours d’eau dont les vallées ne sont pas encore exploitées. Le Bututsi était autrefois couvert d’une végétation naturelle très dense comme en témoignent les recherches de BONNEFILLE : « Le Bututsi, comme le reste du plateau central, était couvert il y a plusieurs siècles par une formation forestière dont la forêt ombrophile de Bururi reste le vestige»30.

Forêt primaire

Photo n° 3: La réserve naturelle de Bururi (Ikibira)

Après une très longue phase d’évolution, nous sommes aujourd’hui en présence d’une végétation qui a atteint le stade ultime de la dégradation. L’essentiel de la végétation qui domine les paysages de la région n’est formée que par des boisements artificiels (eucalyptus, gréviléa, pinus, cèdre, caliandra, etc.) qui sont l’œuvre de la colonisation et des projets de

28 La région du Bututsi est une région à vocation pastorale. Vers le début du mois de septembre (période où les pâturages sont très secs), certains éleveurs mettent le feu sur les pâturages (umuriro wa nyakanga) déjà dégradés afin que puisse pousser, après les premières averses, une herbe bien fraîche pour le bétail. 29 Le Burundi connaît un manque criant de bois suite à une demande urbaine constante et de plus en plus forte. Les régions surpeuplées n’ont plus de bois à mettre sur le marché, ce qui fait que l’essentiel du charbon de bois, principal combustible à Bujumbura, la capitale et la seule grande ville du pays, provient de deux régions : le Mugamba-sud et le Bututsi. 30 BONNEFILLE cité par NDAYISHIMIYE J.P. (1980) 47 reboisement qui ont été créés après l’indépendance (1962). Ces boisements appartiennent soit à l’Etat (boisements domaniaux), aux communes (boisements communaux) ou aux particuliers. Il va sans dire qu’une bonne partie de la végétation est constituée par les cultures pérennes (surtout la bananeraie) et, dans une moindre mesure, par les cultures saisonnières.

Les sols du Bututsi sont, dans l’ensemble, peu fertiles et le facteur sol est sans conteste, l’entrave la plus importante à la mise en valeur agricole du Bututsi. Ils se caractérisent par une extrême pauvreté. « le Bututsi est une région réputée importatrice de vivres ». « Du point de vue pédologique, le Bututsi est réputé être l’une des régions les plus déshéritées du pays »31. « Les sols de la région sont rangés à plus de 95% dans le grand groupe des ferralsols humifères à horizons sombres de profondeur » (MERTENS A., 1985). La faible fertilité de ces sols serait liée, d’après les agronomes et les pédologues à leur acidité (ces sols ont un PH qui oscille entre 5 et 5,5), à leur toxicité aluminique qui est responsable de la faible efficacité des engrais, à une pluviosité élevée qui représente une menace d’érosion dans des terrains faiblement couverts de végétation avec des pentes un peu fortes sur certains versants. «Les sols y sont si acides et si chargés en aluminium toxique que l’agriculture n’est possible que dans les plis des collines où l’érosion a concentré les éléments nutritifs du sol, ou dans les lopins autour des habitations où le fumier animal et les déchets domestiques assurent la même fonction »32. D’après une classification faite par l’Institut des Sciences Agronomiques du Burundi (ISABU), quatre principales associations de sols ont pu être distinguées dans le Bututsi : - « les ferrisols qui sont des sols argileux avec un horizon humifère de très faible épaisseur. Ce type de sol est souvent dérivé de formations granitiques, raison pour laquelle il est localisé dans des dépressions où affleurent les roches granitiques ; - les ferralsols orthotypes qui contiennent beaucoup de fer et d’aluminium. Ils ont des profils pauvres en éléments minéraux altérables. Il s’agit des sols peu fertiles qui sont plutôt à vocation pastorale33et qui généralement couverts de modules de cuirasses surtout dans la région de Rutovu au sud-est du Bututsi ;

31 MERTENS A., Contribution à la connaissance des régions naturelles du Burundi. Système traditionnel d’exploitation au Bututsi, Bujumbura : ISABU, pub. n°65, 1984.

32 WILLIAM I Jones et ROBERTO Egli, Système de culture en Afrique. Les hautes terres du Zaïre, Rwanda et Burundi, Banque Mondiale, Washington DC, 1984 33 Sur les plateaux cuirassés de la région de Rutovu où affleure ce type de sol, on y fait paître le bétail dans la mesure où ces cuirasses qui sont des formations indurées, très compactes résultant de l’accumulation des oxydes de fer et d’aluminium, ont un impact très négatif sur la fertilité des sols. 48

- les lithosols : il s’agit des sols caractéristiques des zones où affleurent les roches quartzitiques (sur toutes les montagnes qui surplombent les zones de plateaux). Ce sont des sols minces qui présentent des textures sableuses ou sablonneuses. Bref, ce sont des sols grossiers dont la roche-mère est quartzito-gréseuse. Ils sont à vocation forestière (la plupart des boisements artificiels sont localisés sur ces sols) vu leur très faible fertilité ; - les histosols ou sols récents des formations alluvionnaires : ils sont souvent dérivés de schistes et sont riches en matières organiques. Ils sont de texture argileuse et limoneuse. Les alluvions présentent des débris de matière organique d’épaisseur souvent variable. Certaines vallées de la région sont depuis longtemps mises en culture pendant la saison sèche car elles présentent un potentiel agricole très substantiel »34.

Pour essayer d’améliorer les rendements de ces sols, on doit obligatoirement y apporter des amendements (de la fumure organique ou minérale). Il va sans dire que la principale motivation de l’éleveur de la région n’est ni la production du lait, ni de la viande, mais celle du fumier pour la fertilisation des champs. « L’élevage dans le Bututsi est pratiqué essentiellement dans un esprit d’intégration agriculture-élevage »35. Il a été démontré que dans les exploitations agricoles du Bututsi, le paysan qui a le plus de vaches a également les champs les meilleurs, c’est-à-dire que les parcelles fumées ont des rendements nettement supérieurs à ceux qui ne bénéficient pas de cet apport (voir tableau n°8). Dans les conditions normales, même en ne sachant pas le nombre de têtes de bétail que compte un ménage, on peut le deviner en observant l’état de ses champs.

Ce fumier n’est pas à la disposition de tout le monde dans la mesure où un bon nombre de paysans du Bututsi ne possèdent pas de bétail et ne produisent pas assez de fertilisants. C’est ainsi que certains de ces paysans font recours à d’autres méthodes pour arriver à apporter à leurs champs une fertilisation : le compost qui résulte de la décomposition aérobie des matières organiques (restes des cultures, restes de cuisine et autres débris végétaux) avant de les incorporer au sol. La plupart des paysans restent dans l’ignorance de cette technique pourtant moins coûteuse, très bénéfique et respectueuse de l’environnement. Le paillage,

34 BIGURA C., Etude pédologique de la région naturelle du Bututsi, Bujumbura, ISABU, 1987 35 PDAP de Bututsi, Situation de référence du projet de développement agro-pastoral de Bututsi, cellule Suivi- Evaluation et Planification, 1998

49 c’est-à-dire l’ensemble des débris végétaux qui ne sont pas enfouies dans le sol mais étalés sur les champs n’est vraiment pas une technique très utilisée par le paysan des hautes terres du Bututsi. Enfin, la mise en jachère des terrains qui consiste à les mettre au repos pendant quelques années et qui aboutit à la reconstitution du sol et de la végétation, reste une pratique peu connue dans la région. L’agroforesterie s’intègre de plus en plus dans le système de culture de la région et les feuilles mortes détachées des branches d’arbres et qui se répandent au ras du sol, contribuent à rendre les sols un peu plus productifs.

A côté de la fumure organique, les engrais chimiques sont de plus en plus utilisés dans la région malgré leur coût élevé par rapport au pouvoir d’achat extrêmement bas de la population paysanne de la région. Pour ceux qui parviennent à s’en procurer, ces engrais ont beaucoup contribué à l’augmentation du rendement à l’unité de surface. Les personnes interrogées ont tous confirmé qu’avec l’usage d’engrais chimiques dans les systèmes de culture, les rendements à l’unité de surface se sont nettement améliorés. Malheureusement, l’engrais chimique reste toujours une denrée rare dans la région du fait de son coût exorbitant. Rares sont les paysans qui parviennent à acquérir des moyens pour s’en acheter. Le pays ne produisant pas lui-même cet intrant (la quasi-totalité des engrais chimiques sont importés), même la quantité disponible sur le marché ne suffit pas à satisfaire la demande. Pendant la saison B 2009, la DPAE Bururi (d’après les informations qui nous ont été fournies par le Directeur provincial de l’agriculture et de l’élevage) a distribué 40 tonnes d’engrais chimiques (urée, DAP, NPK) dans toutes les communes de la province, quantité qui, somme toute, reste insuffisante vus les besoins (150 tonnes). Il faut, en plus, souligner que même les 150 tonnes ne suffisent pas pour toute la population, c’est plutôt par rapport à ceux qui en avaient exprimé la demande.

La disponibilité (relative) des pâturages (malgré la pauvreté de la prairie) dans une région à vocation pastorale peut être un élément favorable à la mise en valeur agropastorale de la région. Ces zones de parcours pour le bétail constituent bien entendu des réserves d’espaces à défricher dans l’avenir. « Posséder un cheptel aussi important est possible au Bututsi, car la faible densité de la population (relative) n’exerce pas encore trop de pression sur l’occupation des terres libres : il reste des espaces herbeux où les animaux peuvent paître » (MERTENS A., 1984). Un quart de siècle après les observations de MERTENS, on constate encore qu’aujourd’hui, cette (relative) faible densité reste visible dans le paysage. Il est vrai, en effet, que la région connaît une forte croissance de sa population à l’instar des autres 50 régions du Burundi, mais l’activité pastorale au Bututsi reste encore possible et présente même quelques atouts que l’on ne peut pas rencontrer ailleurs au Burundi, surtout dans les régions très densément peuplées comme le Buyenzi et le Kirimiro où il n’y a presque plus d’animaux en pâture. « Aujourd’hui, la majorité des agriculteurs n’ont pas de bétail de bovin en particulier dans les régions les plus densément peuplées où les pâturages sont en voie de disparition. Mais dans les régions où les transferts de fertilité sont encore possibles aujourd’hui (là où il existe encore des pâturages), l’élevage fut-il « traditionnel » et « improductif » (faible production de lait et de viande) permet de concentrer la fertilité sur les terres assolées et d’accroître les rendements» (COCHET H., 2001). Depuis bien longtemps, le Bututsi et le Mugamba-sud, sont considérés comme des régions à vocation pastorale.

Concernant la disponibilité des terres cultivables, elles sont encore importantes (relativement) mais leur défrichement progressif se fait pour certains à une allure inquiétante et, bien entendue, au détriment des zones de parcours pour le bétail. D’après les enquêtes que nous avons nous-mêmes effectuées dans les communes du Bututsi, très rares sont les ménages dont tout l’espace est défriché. Nous avons essayé de comparer dans chaque ménage enquêté, la superficie cultivée et celle qui ne l’est pas encore et les résultats ont prouvé que, pour beaucoup d’exploitations (41%), l’espace non encore mis en valeur reste supérieur à celui qui porte les cultures. Les cultures sont généralement localisées autour de l’enclos (le rugo), l’espace restant étant réservé aux boisements et aux pâturages. « Dans la gestion des terres, les exploitants ont conçu un schéma d’aménagement qui va de l’enclos au marais et se résume comme suit : Enclos → Cultures vivrières → Cultures pérennes → Pâturages→ Boisements→ Marais »36. Le Bututsi reste donc une région où le bétail peut encore trouver de l’espace pour paître. Ces pâturages constituent cependant des espaces potentiels pour de nouveaux défrichements.

La population du Bututsi est moins nombreuse par rapport à la plupart des autres régions du Burundi, mais il s’agit d’une population qui, dans l’ensemble est croissante. En 1979, la région comptait une population de 172.830 habitants, ce qui représentait 4,3% de la population totale37. Selon la même source, la densité était de 125hab/km², une densité inférieure à la moyenne nationale. En 1990, cette population était de 194.896 habitants, soit

36 PDAP de Bututsi, Situation de référence du projet de développement agro-pastoral de Bututsi, cellule Suivi- Evaluation et Planification, 1998 37 République du Burundi, Ministère de l’Intérieur, Département de la Population, Recensement général de la population, 1979 51 un accroissement de 22.066 personnes en 11 ans avec une densité de 139 hab. /km². En 2003, la même région comptait une population estimée à 217.000 habitants (densité : 155 hab. /km²). Les données actualisées sur la population ne sont pas encore disponibles dans la mesure où l’on ne dispose pas encore de chiffres détaillés (par colline de recensement)38. En s’appuyant sur les données fournies par l’ISTEEBU par commune en 2007, nous avons estimé la population du Bututsi à 238.000 habitants soit une densité de 170 hab. /km².

La répartition spatiale de cette population ne se fait pas de façon uniforme ; certaines collines sont densément peuplées (colline Kivubo en commune Rutovu : 355 hab. /km² en 1990) alors que d’autres se caractérisent par des densités très faibles (colline Mahango à Matana : 67hab. /km²). Ces disparités dans la répartition de la population s’expliquent par de nombreux facteurs tant physiques qu’humains.

L’on peut se poser la question de savoir pourquoi les paysages du Bututsi ne sont pas surpeuplés à l’instar du Kirimiro, du Buyenzi ou des Mirwa par exemple. L’on peut expliquer cela par le fait que les sols du Bututsi sont d’une extrême pauvreté, donc moins attirants. Le Bututsi est plutôt une terre d’émigration : il s’est caractérisé dans le passé par des départs massifs vers les régions voisines plus basses et plus fertiles (Kumoso, Buragane, Imbo) et vers la ville. Il est toutefois important de souligner que la région a, à un certain moment accueilli des populations d’éleveurs attirés par les pâturages.

38 Le recensement général de la population de 2008 n’a pas encore publié les données détaillées. Dans son rapport préliminaire, il n’a produit que des chiffres globaux par province et par commune alors que l’on sait que certaines de ces dernières chevauchent sur deux, trois, …régions naturelles. 52

1ère partie : LE BUTUSI ENTRE DES RESSOURCES NATURELLES MÉDIOCRES ET DES PROJETS DE DÉVELOPPEMENT INEFFICACES

53

Chapitre I : LE SYSTÈME PRODUCTIF PAYSAN AU BUTUTSI

Le système productif paysan de la région du Bututsi (et aussi de l’ensemble du Burundi) est complexe et il est difficile d’imaginer, pour la région, une issue meilleure dans un proche avenir vu ses multiples contraintes à son développement. La croissance rapide d’une population rurale à majorité agricole a des conséquences sur la production agricole et les rendements. Le système de production agricole, tel qu’il se présente actuellement, n’est pas très dynamique et évolue peu. Cela revient à dire que l’organisation des différents systèmes de culture et d’exploitation aboutit, le plus souvent, à de mauvais résultats. Les facteurs qui sont à l’origine de ces insuffisances peuvent être endogènes ou exogènes au système. D’après les chiffres disponibles, la production agropastorale du Burundi en général et du Bututsi en particulier reste, dans l’ensemble, stationnaire ou décroissante par habitant malgré l’action des projets de développement rural et des ONG depuis plusieurs décennies. Ces organismes d’encadrement avaient pourtant comme objectif primordial : l’augmentation et l’amélioration de la production alimentaire et donc l’amélioration du niveau de vie de la population rurale.

1.1 La pression démographique : rendements décroissants ou effets « Boserup » ?

La population burundaise en général et celle de la région du Bututsi en particulier augmente à un rythme inquiétant. Ce qui aggrave cette situation c’est que cette même population est essentiellement rurale (plus de 90%) et ayant comme principale activité l’agriculture. Dans toutes les provinces du Burundi, la pression démographique provoque l’extension des emblavures au détriment des zones de parcours et fait que l’agriculture et l’élevage évoluent vers une dynamique conflictuelle. Le morcellement des terres dû à un partage successoral de père en fils depuis bien longtemps aboutit, tôt ou tard, à l’atomisation, à la fragmentation des terres suivie d’une offre de plus en plus limitée de denrées alimentaires. VERHAEGEN E. et DEGAND J. écrivent à ce propos: «Depuis toujours, les fils d’exploitants sont appelés à devenir à leur tour chefs d’exploitation, et pour cela, ils héritent au moment de leur mariage d’une partie de la propriété parentale. A la mort des parents, tous les enfants se partagent les dernières terres restées aux mains des parents. On imagine à quel rythme s’est effectué le morcellement des terres à partir du moment où toute la surface agricole disponible fut 54 exploitée »39. Le Bututsi, comme la plupart d’autres régions du Burundi, est touché par ce phénomène. La spéculation foncière, surtout celle liée à la préservation des pâturages pour le gros bétail, est ici plus accentuée que partout ailleurs au Burundi. On peut alors dire que dans telle situation, l’anxiété qu’éprouve Malthus est fondée.

VERHAEGEN E., s’inspirant du malthusianisme et en combinant « la loi de la population et la théorie de la rente » a pu formuler de manière très succincte et simplifiée l’argumentation principale de la « théorie classique du développement agricole » de la façon suivante40 : 1. La croissance démographique entraîne une augmentation de la demande alimentaire. 2. Cette augmentation de la demande alimentaire peut être satisfaite soit en mettant de « nouvelles » terres en culture, soit en cultivant plus intensivement les terres déjà mises en culture c’est-à-dire par augmentation du travail par unité de surface. 3. La terre n’est pas seulement un facteur rare (offre limitée), mais aussi de fertilité variable. Les terres les plus fertiles sont mises en culture les premières. Ensuite, en réponse de la pression continue de la population, des terres de moins en moins fertiles sont successivement cultivées. Puisque dans le raisonnement classique la fertilité de la terre est synonyme de « productivité », la mise en culture des terres moins fertiles (extensification) entraîne une diminution de la productivité du travail agricole. 4. Si un surcroît de travail est apporté aux terres déjà cultivées (intensification), sa productivité marginale diminuera à cause de la loi des rendements décroissants. 5. Puisque la décroissance des rendements marginaux du travail agricole est inévitable, la production des biens alimentaires aura toujours tendance à progresser moins rapidement que la population. A long terme la population butera toujours sur la limite de l’offre de produits alimentaires, à un niveau de subsistance. Même si le taux de croissance de la production vivrière peut temporairement être supérieur à celui de la population, du fait, par exemple, d’un déclin inattendu de la population ou de la découverte d’une méthode de production plus performante, la croissance démographique doit inévitablement provoquer à long terme un abaissement de la disponibilité de vivres par habitant au niveau de subsistance.

39 DEGAND J. et VERHAEGEN E., Evolution des systèmes agricoles au Burundi, Une dynamique conflictuelle, Bruxelles : Cahiers du CIDEP, n°17, 1993 40 VERHAEGEN E., Faits et théories en matière d’interaction entre population, environnement et sociétés (Partie II), Cahiers du CIDEP, Louvain-la-Neuve, 1994-1995 55

Ce raisonnement malthusien part du principe que la quantité de nourriture offerte aux hommes n’est pas extensible et que ce manque d’élasticité est le facteur essentiel qui commande la croissance de la population. Les néo-malthusiens soutiennent l’idée que tant que la terre reste en abondance, la croissance de la population va au même rythme que la production agricole. Lorsque la terre est occupée en entièreté, on augmente la production en jouant sur le facteur travail mais la production supplémentaire obtenue par ce travail supplémentaire a tendance à diminuer (loi des rendements décroissants). David RICARDO va dans le même sens en soulignant que l’augmentation de la population entraîne la réduction des terres et de la productivité. D’après cette vision (de Malthus et des malthusiens), l’on voit qu’à court ou à long terme, l’augmentation de la population aboutit indubitablement à la diminution de la disponibilité des produits alimentaires. Paraphrasant Malthus, Philippe JOUVE écrit : « l’augmentation de la population rurale entraîne un accroissement de la pression sur les ressources et en particulier sur la terre. Ce phénomène se traduit par une baisse de la fertilité de la terre, générant une diminution des rendements des cultures et donc une baisse de la production agricole disponible, provoquant à terme des famines qui, d’une certaine façon, rétablissent l’équilibre entre la population et les capacités productives des espaces considérés»41.

Au Burundi, l’explosion démographique suivie de l’atomisation de la terre et de sa surexploitation a mis en péril la durabilité de l’agriculture, provoquant ainsi un déséquilibre entre la population et les ressources. Selon MALASSIS L., « l’expérience prouve que lorsqu’il n’existe plus de terres libres, la population doit s’organiser pour vivre sur un espace déterminé en utilisant une technologie pratiquement constante, la production ne croît pas proportionnellement à la population »42. Le système coutumier d’héritage au Burundi a un impact sur l’exploitation familiale. Il est basé depuis des temps immémoriaux sur le partage successoral de la propriété foncière entre les fils d’un même parent. Cela revient à dire par exemple qu’une propriété de trois hectares qui appartenait à une seule personne il y a un demi-siècle, doit être aujourd’hui partagée entre 12 héritiers (en supposant qu’il a eu 3 garçons et que ces derniers ont engendré chacun à son tour trois fils). La terre restant inchangée (sauf les effets néfastes de l’érosion ou de la surexploitation dont elle peut être victime), chacun aura si le partage est équitable 0,25 ha. MANIRAKIZA R. (2007) écrit à ce

41 JOUVE P., Transition agraire : la croissance démographique, une opportunité ou une contrainte ? », Afrique contemporaine 1/2006 (no 217), p. 43-54.

42 MALASSIS L., Agriculture et processus de développement. Essai d’orientation pédagogique, Paris, UNESCO, 1993 56 propos : « La croissance démographique pèse sur la taille des exploitations parce que le système traditionnel coutumier bien qu’ayant été toujours vigilant sur les alliances pour garantir la reproduction du patrimoine familial et le maintien de rang, n’a pas été à la hauteur de sauvegarder l’intégrité du patrimoine terrien. L’accès à l’héritage de la propriété du père de tous les fils entraîne des partages de la terre en autant de parties que le père a de fils ».

Dans le temps, les fils mariés pouvaient se tailler hors de l’exploitation de leurs parents, d’autres domaines soit par achat, soit par dons ou par défrichement de nouvelles terres. Actuellement, suite à une rareté de plus en plus poussée de terres ainsi qu’à la spéculation, les terres disponibles font de plus en plus défaut. Il devient donc aujourd’hui de plus en plus difficile de maintenir une production agricole pouvant nourrir toute la population. Dans beaucoup de régions du Burundi, surtout les plus densément peuplées et particulièrement dans certaines exploitations du Bututsi, le déséquilibre entre population et ressources agricoles (crise malthusienne) est déjà une réalité. Les chiffres concernant les densités de la population et la taille des exploitations agricoles viennent renforcer cette hypothèse (voir tableaux n°2, p.61 et n°6, p.64).

Le courant anti-malthusien dont Ester BOSERUP est considérée comme la figure emblématique est opposé à ce principe. BOSERUP E. part de l’hypothèse selon laquelle l’accroissement de la population induit l’accroissement de la production agricole. « La croissance de la population est une variable indépendante, laquelle à son tour est un des facteurs importants commandant les développements de l’agriculture »43. Le même auteur poursuit en disant que «la production d’une superficie donnée répond beaucoup plus largement que ne le disent les néo-malthusiens à un apport additionnel de travail humain»… « le développement démographique est le facteur déterminant essentiel des changements technologiques survenus en agriculture ». Concernant ce même modèle, on peut également lire chez VERHAEGEN E. (1994) : « BOSERUP (et les anti-malthusiens) font l’hypothèse que les producteurs possèdent un « réservoir » d’améliorations techniques dans lequel ils peuvent puiser pour faire face à l’augmentation de la pression démographique. Le progrès technique est donc endogène et consécutif à la nécessité de produire plus ».

43 BOSERUP Ester, Evolution agraire et pression démographique, Paris, Flammarion, 1970 57

BOSERUP E. et ses disciples pensent qu’en l’absence de changements techniques visibles, des ajustements dans l’occupation du sol et dans l’allocation de la force de travail doivent être opérés dans le but de maintenir les équilibres. L’augmentation de la population rurale est, suivant la logique boserupienne, un facteur favorable à l’intensification agricole. C’est-à-dire qu’on ne peut pas s’attendre à une intensification agricole si la densité de la population est faible. Selon toujours le modèle de BOSERUP et de son école, le ratio terre/homme est aussi le déterminant décisif du système d’utilisation de la terre, des méthodes de culture et du choix des outils à un moment donné. « Quand la densité démographique augmente, une utilisation plus intensive de la terre est progressivement adoptée, s’accompagnant de nouveaux outils et méthodes de culture, de manière à contrecarrer tout déclin de la production par tête résultant de la loi des rendements décroissants » (BOSERUP E., 1970).

D’autres auteurs opposés à la démarche de Malthus vont jusqu’à contester l’affirmation selon laquelle il y aura dans un proche avenir un manque de ressources agricoles. On peut donner ici l’exemple du Professeur SIMON J. de l’Université de MARYLAND aux Etats-Unis. Selon cet auteur, « il n’y pas à craindre de pénuries de ressources car plus une population est nombreuse plus sa capacité d’invention et d’innovation technologique (produits de remplacement) est grande »44. Et à Jean-Claude CHESNAIS, un autre anti-malthusien d’ajouter : « L’accroissement démographique est un symptôme de progrès économique et par certains aspects, un moteur du développement »45.

L’observation des situations agraires de l’Afrique subsaharienne montre, avec des exemples à l’appui, que certaines de ces situations connaissent une évolution malthusienne tandis que d’autres relèvent d’une logique boserupienne. Les exemples sur le continent africain qui montrent que la pression démographique sur la propriété foncière s’est traduite par une surexploitation du milieu et une dégradation de l’environnement entraînant une régression de l’agriculture, sont multiples et le Burundi en est un exemple. « Ainsi l’évolution de l’état des ressources naturelles au Yatenga (Burkina Faso) sous l’effet de l’augmentation de la pression foncière, décrite par Marchal (1983), ou celle du pays Serer au Sénégal que rapporte Lericollais (1970), confirment de façon assez manifeste, une dynamique de type malthusien » (JOUVE P., 2006).

44 SIMON J. (cité par VERHAEGEN), The Ultimate Resource, Princeton university Press, 1981, 415p. 45 CHESNAIS J.C. (cité par VERHAEGEN), La croissance démographique, frein…ou moteur du développement ? In BRUNEL S., Tiers Monde. Controverse et réalités. Economica. Fondation Liberté Sans Frontières, Paris, 1987, pp.119-142 58

A côté de ces exemples qui ont connu une évolution malthusienne, on trouve d’autres régions où la forte densité de la population a plutôt favorisé une intensification de l’agriculture, une augmentation de la production agricole et une gestion durable des ressources productives du milieu. Mary TIFFEN et Michaël MOLTIMORE ont fait une étude de cas au District de MACHAKOS au Kenya chez le peuple Kamba et ont montré l’exemple d’une région qui a su faire face à une augmentation très rapide de la population entraînant une dégradation de l’environnement et une régression de la production agricole par tête (modèle de BOSERUP revisité). On peut lire par exemple : « Dans ce district de 13.600km², la densité atteignait 27 hab. /km² dès 1948. Durant la décennie précédente (1930-1940) l’érosion des sols menaçait déjà gravement les terres agricoles, et la région n’arrivait plus à assurer son autosuffisance vivrière. Pourtant de 1948 à 1990, la population a quintuplé et l’amélioration de la situation écologique est spectaculaire. En 60ans, entre 1930 et 1990, la production par tête a été multipliée par trois et les rendements à l’hectare par dix. Le reboisement des terres agricoles progresse et les cultures en terrasses se sont généralisées sur les sols en pente pour lutter contre l’érosion»46. TIFFEN M. apporte quelques éléments explicatifs de l’adaptation des habitants de MACHAKOS face à la pression démographique : proximité de Nairobi, l’accès à la formation qui a permis l’amélioration des techniques agricoles, la création d’activités non agricoles, etc. JOUVE P. (2006) donne un autre exemple, celui du pays Bamiléké au sud- ouest du Cameroun où « certains « quartiers » dont la densité de la population avoisine les 1000 habitants par km² arrivent à produire des surplus pour alimenter les villes de Douala ou Yaoundé ».

Le modèle anti-malthusien, qui prévoit que la production agricole augmente en réponse à la croissance démographique, a été, à un certain moment, valable pour le cas du Burundi et il a été développé par VERHAEGEN E. (1994), DEGAND J. et DELOR-VANDUEREN A. (1992), COCHET H. (2001). A partir du moment où toutes les terres disponibles ou presque sont sous exploitation, et tant que le « capital matériel » (outillage) ou le « capital circulant » (semences, les fertilisants) n’augmentent pas, l’adaptation dans les systèmes de cultures passe de l’extensification à l’intensification agricole. Celle-ci consiste en une diversification des cultures sur une même parcelle au cours de l’année, une complexification des associations culturales, une augmentation des densités de semis, bref, l’intensification à

46 TIFFEN M. et MOLTIMORE M., Crise et population en Afrique. Crises économiques, politiques d’ajustement et dynamiques démographiques, In COUSSY J. et VALLIN J., Etudes du CEPED, n°13, 1996 59 base de travail à l’unité de surface. Dans toutes les régions du Burundi, l’adaptation à la croissance démographique s’est également faite par la mise en culture des marais. Cela peut constituer une réponse à la question que se posait NKURUNZIZA F. (1991) dans son étude portant sur la population et les systèmes agraires au Burundi : « Certains auteurs ont prévu pour le Burundi, comme son voisin le Rwanda une situation malthusienne imminente, caractérisée notamment par des famines dues à une rupture entre populations et ressources. Les uns la situant dans les années 60, d’autres dans les années 80 et les autres je ne sais quand encore. Qu’est-ce qui a permis de reculer à chaque fois les échéances du déséquilibre population/ressources pourtant inévitable vu la forte expansion démographique »47. COCHET H. (2001) a, lui-aussi, calqué la démarche boserupienne à la situation du Burundi en affirmant que depuis des décennies, la population du Burundi s’est adapté de façon satisfaisante à la crise foncière occasionnée par l’accroissement de la population. Il écrit par exemple : « Contrairement à une idée fort répandue, l’agriculture burundaise a connu depuis plusieurs décennies d’importantes transformations mises en œuvre grâce au savoir-faire des agriculteurs et à leur capacité d’innovations ». Selon divers chercheurs qui se sont intéressés à la problématique de la pression démographique au Burundi et particulièrement au rapport population/terre, les paysans burundais ont, depuis des décennies, adopté des stratégies visant à maintenir l’équilibre (les innovations) mais la question reste de savoir si la vitesse de l’innovation était suffisante pour contrecarrer les effets de la croissance démographique sur la terre cultivable.

C’est pour cela que ces auteurs nuancent dans leurs conclusions en précisant qu’au Burundi (dans les régions densément peuplées), malgré les efforts des acteurs institutionnels et des structures d’encadrement en matière d’agriculture, le modèle de BOSERUP a atteint ses limites d’application et la thèse malthusienne est de nouveau d’actualité. « Le risque de basculement dans la pauvreté, la perte de l’autonomie sociale, économique et technique, les transferts des gains de productivité, ont conduit la majorité des paysans à n’opérer que des ajustements visant à maintenir les équilibres fondamentaux, nutritionnels, monétaires et de fertilité des sols. Cette logique conflictuelle de changement conduit les systèmes agricoles à une impasse. Aujourd’hui, malgré les structures d’encadrement, la capacité d’adaptation des agriculteurs à l’évolution des contraintes et des incitants atteint une limite et les solutions

47 NKURUNZIZA F., Population et espace agraire au Burundi. Les limites de l’ajustement, Cahiers du CIDEP, n°9, Bruxelles, 1991

60 passent inévitablement par la sécurisation de leur environnement et une redéfinition des rapports Etat-paysans » (DEGAND J. et VERHAEGEN E., 1993). La population burundaise s’est tant bien que mal adaptée à pression foncière occasionnée par l’augmentation rapide de la population en pratiquant l’intensification agricole, les différents assolements, en cherchant du travail en dehors de l’exploitation, etc. pour survivre. « Les paysans de la région nord de la Crête Zaïre-Nil burundaise (région de Muruta), face à la contrainte foncière et à des pressions diverses, ont fait preuve jusqu’à ce jour d’une remarquable adaptation dans leurs pratiques agricoles et logiques de production. Cette adaptation se traduit par une intégration de plus en plus marquée à l’économie de marché : extension des cultures de rente, abandon partiel de cultures vivrières traditionnelles, recherche de travail hors exploitation, … » (DEGAND J. et VERHAEGEN E., Ibidem, 1993). Malheureusement, plusieurs régions du Burundi ont déjà atteint, depuis longtemps, les limites de l’ajustement, ce qui fait qu’on est déjà retourné dans des logiques malthusiennes. Cela revient à dire que, quelles que soient les techniques utilisées, quelles que soient les méthodes mises en œuvre, quel que soit le degré de technicité, une exploitation de moins de 10 ares ne peut, à elle seule, faire vivre un ménage de plus de cinq personnes et assurer sa reproduction.

Une bonne partie des exploitations agricoles du Bututsi s’inscrivent dans ce contexte (augmentation de la population et effets « Malthus »). Le manque ou l’insuffisance de terres cultivables est déjà une réalité bien que la situation reste pire dans d’autres régions. Face à une offre limitée (surtout de terres fertiles), certains paysans du Bututsi, victimes de la pression humaine sur la terre cultivable, commencent à défricher les terres jadis considérées comme marginales et à accroître le taux d’utilisation de la terre, c’est-à-dire à réduire les superficies occupées par les pâturages, les boisements ainsi que les jachères à quelques rares endroits où elles existent encore. Que ça soit sur les exploitations les plus petites ou sur les plus grandes, l’intensification agricole est un trait permanent dans les systèmes de culture de la région. Toutefois, la région a d’autres caractéristiques qui lui sont spécifiques. En effet, bien que 40% des exploitations (d’après nos enquêtes de 2007) aient une superficie inférieure ou égale à 1 hectare, le Bututsi n’est pas considérée, au Burundi, comme une région « surpeuplée ». D’autres exploitations sont beaucoup plus grandes que les premières (46% des exploitations ont une taille comprise entre 1 et 3 ha tandis que 14% ont plus de 3 hectares) et certaines d’entre-elles évoluent vers l’abandon et d’autres encore sont devenues fantômes, faute de relève. Rappelons que dans plusieurs régions du Burundi, la moyenne d’une exploitation agricole est inférieure à 1 ha et, d’après l’enquête ESD-SR (2001), certains 61 ménages des régions surpeuplées ont des exploitations n’excédant pas 10 ares. La particularité du Bututsi réside donc dans le fait que d’un côté, on a des exploitations en phase d’atomisation (< 1 ha) et dont les perspectives d’ajustements sont limitées et d’un autre des propriétés plus vastes que les précédentes mais qui suivent le même schéma d’évolution. Enfin, nous avons une dernière catégorie d’exploitations considérées comme « grandes propriétés » foncières mais qui, elle-aussi, sont loin d’être viables et cela est dû, pour la plupart, à un manque de main-d’œuvre interne à l’exploitation.

L’on se trouve donc face à une situation où l’augmentation rapide de la population a profondément transformé le paysage burundais. Les chiffres disponibles indiquant l’évolution de cette population depuis les années trente sont trop alarmants (il s’agit bien entendu des estimations car, depuis que le pays existe, il n’a organisé que trois recensements généraux de la population : 1979, 1990 et 2008). Les données sur l’évolution de la population, l’évolution de l’occupation du sol et de la taille des exploitations (voir les tableaux : 2, 3, 4, 5 et 6) du Burundi en général et du Bututsi en particulier, prouvent qu’effectivement la logique malthusienne est déjà une réalité dans plusieurs régions.

Tableau n°2: Evolution globale de la population burundaise de 1935 à 2008 Années Population Densité (hab. /km²) 1935 1.524.000 58,7

1960 2.234.000 86,1

1965 3.210.000 123,7

1979 4.028.420 154,3

1980 4.065.988 156,7

1990 5.292.793 204,0

1993 5.769.144 230,0

1998 6.300.488 242,79

2002* 7.274.927 261,3

2008** 8.038.618 311,5 Source : Unité de Planification de la Population (UPP) n°2, Cahiers démographiques du Burundi (CDB) n°8, 1999 *MANIRAKIZA R., op.cit, 2007, p.270 62

**Résultats préliminaires du troisième recensement général de la population et de l’habitation du Burundi de 2008

Figure n°2 : Evolution de la population burundaise de 1935 à 2008

Tableau n°3: Evolution de la population du Burundi par province de 1979 à 2008 Province 1979 1990 2002 2008 Bubanza 154093 222953 329528 348188 Bujumbura 292577 373491 476350 565070 Bururi 313016 385490 471010 570929 Cankuzo 107550 142797 190816 221391 Cibitoke 179853 279843 449767 460626 Gitega 471020 565174 669283 715080 Karuzi 210589 287905 398219 433061 Kayanza 383085 443116 501975 585096 Kirundo 289181 401103 564280 636298 Makamba 120897 223799 336056 428917 Muramvya* 377242 441653 257868 294891 Muyinga 257259 373382 553866 632346 Mwaro* - - 249823 269.048 Ngozi 349351 482246 674632 661310 Rutana 141357 195834 275119 336394 Ruyigi 167982 238567 341033 400818 Mairie de 168368 235440 365383 478155 Bujumbura Total 4028420 5292793 7274927 8038618 Source : - MANIRAKIZA R., op cit, p.270 - Recensement général de la population et de l’habitation, 2008

*Le 20 janvier 1999, la province de Muramvya a été scindée en deux et cette division a donné naissance à une nouvelle province : la province de Mwaro. La population de cette jeune 63 province est donc incluse dans celle de la province Muramvya pour les chiffres de 1979 et 1990.

Tableau n°4: Evolution de la population de quelques communes situées entièrement ou en partie dans le Bututsi de 1995 à 2007. Communes Population 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 Bururi 59755 60811 62576 64994 67290 70559 74203 Matana 31780 32342 33277 34564 35785 37522 39460 Mugamba 47686 48529 49934 51863 53696 56304 59212 Rutovu 35677 36309 37360 38804 40175 42127 44302 Songa 39197 39892 41047 42633 44140 46283 48674 Vyanda 21453 21833 22466 23334 24158 25331 26640 Ryansoro 29385 29634 30467 31484 32425 34000 35756 Bisoro 26156 26372 26876 27637 28318 29693 31226 Total 291089 295722 303983 315313 325987 341819359473 Source : ISTEEBU, Projet Appui à la Politique Nationale de Population (PNP), 2007

Tableau n°5: Evolution de l’occupation du sol de 1948 à 1982 par région naturelle (en km²) Région naturelle Superficie totale Superficie cultivée Superficie cultivée en 1948 en 1982 Bugesera 1941,7 187 1100 Bututsi 1382,1 300 490 Buyenzi 2077,1 1081 1370 Buyogoma 4238,8 1093 1220 Bweru 2421,4 129 1420 Imbo 1926,9 176 950 Kirimiro 2812,9 1598 1670 Kumoso et Buragane 4065,4 812 870 Mugamba 2503,9 553 1230 Mumirwa 2578,8 762 1250 Source : BIDOU J.E. (1994)

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Tableau n°6: Taille moyenne des exploitations par province en 2002 Province Terres occupées Population Nombre de Taille moyenne ménages des exploitations Bubanza 68.873,5 329.528 74.051 0,93 Bujumbura-rural 108.749,5 476.350 107.045 1,02 Bururi 227.136 471.010 105.845 2,15 Cankuzo 106.881 190.816 42.880 2,49 Cibitoke 119.829 449.767 101.071 1,19 Gitega 162.442 669.283 150.401 1,08 Karuzi 125.891,5 398.219 89.487 4,41 Kayanza 105.172,5 501.975 112.803 0,93 Kirundo 138.362 564.280 126.804 1,09 Makamba 160.799,5 501.975 112.803 1,43 Muramvya 517.10 266.396 59.864 0,86 Muyinga 148.597 553.866 124.464 1,19 Ngozi 124.363 674.632 151.603 0,82 Rutana 147.685 751.19 61.824 2,39 Ruyigi 149.890 345.033 77.536 1,93 Mwaro 78.574 241.295 54.224 1,45 Mairie de 8.652 365.383 72.785 0,12 Bujumbura Total 2.033.787,5 7.274.927 1.625.492 1,25 Source : MANIRAKIZA R., op cit, 2007

™ Vers une dynamique conflictuelle

Le modèle malthusien part du postulat que l’augmentation de la population qui suit une courbe géométrique aboutit aux trois parques mortelles (les guerres, les épidémies, les famines). Le morcellement de la terre consécutif au partage successoral de la propriété dans une population en constante augmentation qui vit de l’agriculture à plus de 90% ainsi que le retour des réfugiés de 1972 qui cherchent à être réhabilités dans leurs anciennes propriétés, sont le plus souvent à l’origine des conflits fonciers. Dans toutes les régions du Burundi, les statistiques du Ministère de la Justice montrent que parmi les conflits les plus couramment enregistrés, ceux liés au foncier viennent en première position. D’autres sources (Nations Unies : mars 2007, OAG : avril 2008 et PANA : juin 2008) affirment que « 80% des affaires judiciaires au Burundi sont liées aux conflits fonciers ». Depuis quelques temps, on entend ici et là à travers tout le pays des gens qui sont assassinés, accusés à tort de pratiquer la sorcellerie : 75 meurtres en 2009 selon un rapport de Human Rights Watch et de l’APRODH alors que le motif réel de l’assassinat est la terre. D’autres sont tués, surpris la nuit chez eux en plein sommeil, souvent par leurs voisins directs pour des mobiles non élucidés mais c’est souvent la terre qui est à l’origine. Dans un discours du représentant de la Commission 65

Européenne au Burundi, l`ambassadeur Alain DARTENUCQ (2008), on lit : « Les gens meurent pour un lopin de terre et ce genre de conflits opposent souvent les personnes d`une même famille. Près de 70% des conflits portés devant les tribunaux de résidence sont liés aux litiges fonciers ». Nous avons nous-mêmes effectués des enquêtes dans le cadre du programme de reconstruction initié par le Gouvernement du Burundi et financé par la GTZ (un projet allemand). L’enquête portait sur deux provinces, une densément peuplée (Gitega) et une autre qui figure parmi les moins peuplées du pays (Ruyigi). Ce que ces deux provinces ont en commun, c’est qu’elles ont toutes été durement touchées par la guerre. Que ça soit à Gitega ou à Ruyigi, les conflits fonciers sont un casse-tête. A la question de savoir pourquoi les litiges au sujet des terres sont de loin les plus importants, tout le monde donne comme réponse : amatongo yaraze (les terres sont devenues trop exiguës à cause de la pression démographique).

Dans le Bututsi comme dans le Mugamba-sud, régions où la pression foncière n’est pas aussi aiguë comme dans le Kirimiro ou le Buyenzi, il est surprenant de constater que les contentieux au sujet des terres sont de loin les plus nombreux (voir tableau n°7). Cela n’est pas un phénomène nouveau car on trouve des écrits qui relatent cette situation de conflits fonciers vieux de plusieurs décennies. « Au tribunal de Matana, 80% environ des affaires juridiques concernent les litiges fonciers dont certains remontent à trente ans » (NDAYISHIMIYE J.P., 1980). Selon le rapport d’activité du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Bururi (2005), nous constatons ce qui suit : le tribunal a été saisi de 65 affaires au Rôle Civil (RC), 2 affaires au Rôle Social (RS), 1560 au Rôle Civil en Appel (RCA), 228 au Rôle Pénal (RP) et 119 au Rôle Pénal en Appel (RPA) soit un total de 1984 affaires fixées au TGI de Bururi. D’après les informations issues du même rapport, le tribunal est essentiellement saisi et encombré des affaires civiles et plus de 80% de ces affaires sont relatives au foncier. En plus, même les affaires pénales dont le tribunal est saisi comportent en grande partie des infractions qui ont comme origine la terre. Il s’agit notamment de destruction méchante des champs, enlèvement de bornes, coups et blessures simples ou graves, rébellion à l’exécution des jugements, etc.

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Tableau n°7: Les litiges civils et pénaux enregistrés en 2006 Commune Nombre total de Dossiers en rapport % par rapport au dossiers avec la terre nombre total de enregistrés dossiers Matana 332 271 81,6 Songa 249 197 79,1 Bururi 172 130 75,5 Vyanda 84 67 75 Rutovu 114 89 78 Total 951 760 77,8 Source : Monographies des communes, 2007

Dans les cinq communes, on constate que sur une gamme variée de conflits qui opposent les habitants du Bututsi, ceux en rapport avec la terre sont de loin les plus nombreux (à peu près 80%). Qu’est-ce qui pourrait être à l’origine de cette situation de conflits permanents dans une région qui ne souffre pas outre mesure de pénurie de terres? C’est, à notre avis, la complexité des affaires foncières caractéristiques de la région. En effet la grande majorité des paysans du Bututsi (comme ceux du Burundi en général) vit essentiellement de l’agriculture et pour elle, le droit à la terre est synonyme de droit à la vie. L’exercice de ce droit engendre donc souvent des querelles entre propriétaires voisins ou apparentés. La réduction de l’exploitation familiale consécutive à l’augmentation du nombre de bras et de bouches est à l’origine de nombreux conflits. Une propriété foncière de dimensions importantes acquise il y a un siècle ne peut pas héberger indéfiniment la descendance, la postérité du propriétaire originel. Elle se morcelle progressivement et aujourd’hui, il n’est pas rare de rencontrer deux voisins qui se disputent pour des portions de terre de très petites dimensions. Si le TGI de Bururi est encombré par des infractions dont la grande majorité ont comme origine la terre, ce n’est pas parce que la densité de la population y est la plus élevée. Si tel était le cas, les régions du Buyenzi, Kirimiro, Mumirwa les plus densément peuplées du pays lui voleraient la vedette. L’explication principale est un fort attachement à la terre doublé d’une spéculation très poussée. L’association agriculture/élevage (surtout l’élevage bovin), caractéristique de la région du Bututsi, impose la disponibilité d’espaces relativement plus grands pour l’agriculture et pour l’élevage.

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Les contentieux opposent souvent les membres ayant des parentés proches ou dans une moindre mesure des personnes n’ayant aucune relation parentale mais qui ont des exploitations proches ou voisines. Ils découlent de la contestation par l’une ou l’autre partie. Le règlement de ces conflits pose un sérieux problème de justice social. A ce propos, NDAYISHIMIYE J.P. écrivait il y a une trentaine d’années : « Afin d’avoir gain de cause, les parties antagonistes (pour qui la perte ou la récupération de la terre équivalent à la ruine ou à la prospérité) n’hésitent pas de soudoyer grassement le juge et les témoins en bétail ou en argent ». Cette pratique n’a jamais disparu48 ; elle continue plutôt de se généraliser dans la mesure où le nombre de bras sur la terre ne cesse de s’accroître et que l’exploitation continue à se morceler.

Aujourd’hui, le mouvement de retour des réfugiés suite à la paix « retrouvée » pose un sérieux problème de terres. Les anciens propriétaires (les réfugiés de 1972 devenus aujourd’hui rapatriés) veulent chasser les immigrants qui, installés depuis bientôt 40 ans, refusent de quitter ces terres. Beaucoup d’immigrés originaires du Bututsi installés dans les provinces Rutana, Makamba et dans les communes de Rumonge et de Nyanza-Lac sont dans ce collimateur et sont menacés d’expulsion. Dans un rapport de la COSOME sorti en novembre 2009 et intitulé « Conflits fonciers au Burundi : une nouvelle guerre à l’horizon » on peut lire : « Au lendemain d’une guerre fratricide qui a occasionné des mouvements d’asile des burundais vers des pays étrangers , et au moment où les réfugiés sont retournés en masse dans le pays, une nouvelle guerre se dessine à l’horizon si des mesures sérieuses ne sont pas prises, dans l’urgence , pour résoudre les conflits fonciers entre rapatriés et ceux qui sont restés au pays ».

La Commission Nationale Terres et Autres Biens (CNTB), organisme de médiation et d’arbitrage des conflits fonciers mis en place en 2006 par le Gouvernement du Burundi pour un délai de trois ans (Juillet 2006-Juillet 2009) a, actuellement, du pain sur la planche. D’après le Président de ladite commission (en août 2009) dans une interview radiotélévisée, à peu près 50% des conflits fonciers enregistrés (6000 sur 12000) ont été tranchés avant l’échéance de la commission. La commission a beaucoup focalisé ses forces sur trois provinces du sud (Bururi, Makamba et Rutana) car ce sont ces dernières qui ont accueilli plus

48 D’après les rapports de la plupart des organisations de défense des droits de l’homme et d’autres organisations de la société civile, la magistrature burundaise est loin d’être indépendante. La population burundaise en général est très mécontente de la justice, l’accusant d’être corrompue et le plus souvent, c’est le plus fort, celui qui a le plus de moyens qui gagne. 68 de rapatriés que d’autres49. C’est donc dans ces provinces qu’on a enregistré le plus grand nombre de conflits, les conflits les plus complexes et les plus compliqués.

1.2 Fonctionnement du système de production paysan au Bututsi

La production agricole est le résultat de la combinaison de plusieurs facteurs. Elle repose en premier lieu, quel que soit le système de production mis en œuvre par les différents acteurs, sur l’exploitation familiale. LAMARCHE H. précise à ce propos que: « quels que soit les systèmes socio-politiques, quelles que soient les formations sociales, quelles que soient les évolutions historiques, dans tous les pays où un marché organise les échanges, la production agricole est toujours, plus ou moins, assurée par des exploitations familiales »50. C’est au sein de l’exploitation agricole familiale que les prises de décision concernant l’organisation, la gestion, la conduite, tous les moyens qu’il faut mobiliser pour aboutir à la production finale etc., ont lieu. Bien d’autres facteurs se combinent (c’est ce que nous allons développer dans les paragraphes qui suivent) autour de l’exploitation familiale pour aboutir à la production finale.

Le dénominateur commun à tous les systèmes de production agricole de notre région reste la faiblesse des moyens, des techniques et partant, de la production agricole au niveau global. Cependant, il n’existe pas de système productif que l’on peut qualifier d’universel, c’est-à- dire qui peut être applicable à toutes les régions agricoles du monde. Ces systèmes sont très diversifiés et varient d’un pays à un autre, d’une région à une autre, d’une société de cultivateurs à une autre et même d’un individu à un autre. Jean-Marc GASTELLU (dans l’introduction de CAHIERS DES SCIENCES HUMAINES n°3-4, 1987) écrit à ce propos que « les systèmes de production d’Afrique tropicale sont divers, hétérogènes par l’écologie, les densités, les espèces animales et végétales, les outils aratoires, les techniques culturales, les combinaisons ou dissociations de production. Les comportements des cultivateurs sont d’une extrême richesse, variables d’une région à l’autre, d’un village à l’autre, d’une habitation à l’autre, d’une infinie souplesse, adaptables à toutes les modifications de l’environnement physique et humain ».

49 Les massacres interethniques de 1972 ont commencé dans le sud et le sud-ouest du Burundi (Bururi, Makamba et surtout dans les communes Rumonge et Nyanza-Lac). La répression sanglante du gouvernement d’alors a fait de nombreuses victimes et a provoqué un déplacement important de population vers la Tanzanie. Ce sont ces réfugiés de 1972 et leurs descendances qui sont aujourd’hui de retour. Leur réinstallation et leur réinsertion constituent donc une question épineuse à l’administration territoriale. 50 LAMARCHE H., L’agriculture familiale. Une réalité polymorphe, Paris : Harmattan, 1992

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Pour bien comprendre l’organisation et le fonctionnement du système productif en agriculture, il importe de rappeler la définition de trois concepts de base à savoir : le système de production qui comprend le système de culture et système d’exploitation. Ce sont d’ailleurs les notions sur lesquelles nous allons insister tout au long de ce chapitre. Il existe de nombreuses définitions qui ont été données depuis l’apparition de cette notion. CHOMBART DE LAUWE (1963), HENIN et al. (1969) et beaucoup d’autres encore ont proposé des définitions et ont essayé d’étudier l’évolution de ce concept dans le temps dans le contexte agricole. Robert BADOUIN, après avoir analysé les définitions et les différentes descriptions qui ont été données par ses prédécesseurs sur ce sujet, en a fait une synthèse et propose les définitions suivantes : « Le système de production, relatif aux combinaisons, s’attache à définir les relations de complémentarité et de substitution qui existent entre les principaux types de ressources productives ainsi que la fonction économique de chacune d’elles. Le système de production se rapporte aux combinaisons des ressources productives mises en œuvre, aux dosages opérés par les producteurs entre les principaux facteurs de production : ressources naturelles, travail, consommations intermédiaires et biens d’équipement »51. Selon la FAO, « un système de production agricole est la représentation qui s’approche de la réalité dont nous disposons sur la manière de penser et de décider des agriculteurs ». « Le système de culture désigne les combinaisons culturales adoptées par les agriculteurs, l’ensemble plus ou moins structuré des productions végétales et animales retenues par eux. Une typologie permet de situer les systèmes de culture les uns par rapport aux autres, leur interprétation révèle les mobiles qui président au comportement des agriculteurs» (BADOUIN R., 1988). Le groupe de travail de l’INRA-INA-PG avait proposé, 5 ans avant (1975) une autre définition. Pour lui, « le système de culture est un sous ensemble du système de production, défini pour une surface de terrain traitée de manière homogène, par les cultures avec leur ordre de succession et les itinéraires techniques52 » (COMBE L.). « Le système d’exploitation s’intéresse au mode de fonctionnement des unités de production. Il est opportun de rechercher comment une modification intervenue sur l’un des éléments du système productif se répercute sur les autres » (BADOUIN R., 1988).

51 BADOUIN R., L’analyse économique du système productif en agriculture, In CAHIERS DES SCIENCES HUMAINES, Systèmes de production agricole en Afrique tropicale, vol.23, n°3-4, ORSTOM, 1987 52 Itinéraire technique signifie ici « la suite logique et ordonnée des techniques culturales appliquées à une espèce végétale cultivée depuis le semis jusqu’à la récolte » (COMBE L.) 70

L’économiste rural est donc amené à considérer que tout système productif comporte, en agriculture, trois aspects que l’on peut dénommer système de production avec ses deux composantes que sont le système de culture et le système d’exploitation. Nous allons dans ce chapitre faire une description du système productif en agriculture en général et voir si tous les cas de figure peuvent être valables ou applicables dans le Bututsi.

1.2.1 Le système de production

Dans les pays développés, les systèmes de production doivent faire face à un enjeu majeur : la notion de durabilité des systèmes d’exploitation. Les aspects physiques, biologiques et socio- économiques doivent être intégrés au niveau de l’exploitation agricole. Cela revient à dire que l’agriculteur moderne doit respecter les considérations suivantes : assurer la pérennité de l’exploitation, mettre en place un système de production respectable de l’environnement, répondre à la demande des industries et des consommateurs, mettre sur le marché des produits à un prix et à un niveau de qualité acceptables pour le consommateur, etc. (WWW.Wikipedia.org ). L’Etat doit lui aussi veiller à ce que les agriculteurs aient des revenus justes, corrects. Dans les pays en développement par contre, le système est beaucoup plus tourné vers la subsistance, toutes les décisions sont prises dans l’objectif de nourrir d’abord la famille et d’assurer la reproduction du groupe.

Le système de production se rapporte, comme on l’a déjà signalé dans la définition, aux combinaisons productives. A l’intérieur de ces combinaisons, des dosages doivent être opérés entre les principales ressources productives (les ressources naturelles, le travail, les consommations intermédiaires et les biens d’équipement). Le système de production du Bututsi s’intègre dans une économie de subsistance où règne essentiellement l’autoconsommation. Il s’agit d’un système qui est un peu à l’écart des flux économiques. La production alimentaire nécessaire à l’existence de la famille repose sur la petite exploitation familiale sans qu’il y ait souvent d’échanges monétaires. Un tel système est dirigé par ce que l’on nomme les paysans. Les paysans du Bututsi font face, depuis bien longtemps, à de nombreux défis : pauvreté naturelle des sols, leur surexploitation, le manque d’intrants agricoles et récemment des défis causés par les changements climatiques (une pluviométrie de plus en plus imprévisible). Pour remédier à tous ces problèmes, le paysan essaie d’adopter de nouvelles stratégies en optant par exemple pour les cultures ayant un grand rendement (la pomme de terre) ou qui génèrent 71 plus de revenus monétaires (le bananier), en pratiquant l’intensification agricole, en intégrant dans les systèmes de culture des techniques nouvelles (les projets de développement ont ici une grande responsabilité dans l’application et la vulgarisation de ces méthodes).

Le système de production peut être de type extensif. Dans ce cas, la terre et les autres ressources productives occupent une place très prépondérante. Les superficies agricoles utiles et disponibles sont suffisantes et le paysan peut même se permettre de pratiquer une longue jachère pour assurer une bonne conservation du sol. Dans le cas contraire, c’est-à-dire quand les superficies s’avèrent insuffisantes pour porter les différentes cultures, l’agriculteur est alors obligé de faire recours à certaines méthodes et techniques pour que la reproduction de l’exploitation et du ménage soit assurée. Il sera par exemple contraint d’apporter des amendements au sol, des fertilisants, de pratiquer l’intensification agricole et d’appliquer de nouvelles techniques, etc. BOSERUP E. fait une classification des systèmes d’utilisation du sol fondée sur le degré d’intensité. Elle fait, par ordre d’intensité croissante, un classement en cinq catégories à savoir : 1. Culture à jachère-forêt ; 2. Culture à jachère-buisson ; 3. Culture à jachère courte ; 4. Récolte annuelle ; 5. Récolte multiple. « Une population clairsemée se met à faire un peu de travail agricole pour compléter le produit de la cueillette et de la chasse. Lorsque son territoire se peuple davantage, il lui faut travailler plus, tirer presque toute sa subsistance de la culture, mais elle peut encore y parvenir avec seulement quelques heures de travail de temps à autre, sans se livrer jamais à un labeur quotidien régulier. Que le mouvement démographique s’accentue, il faudra passer de la jachère forêt à la jachère-buisson, raccourcir la durée de la jachère ou prolonger celle de la culture. Arrive alors un moment où cette population doit accepter de se livrer à un travail réellement pénible pendant une ou deux saisons de l’année, relativement courtes. Elle continue cependant à jouir de longues périodes pendant lesquelles le travail agricole est nul, ou minime » (BOSERUP E., 1970).

Si un système de production à base de travail est adopté, il peut être confronté à des limites qui se résument en deux types : la première limite est de caractère technique. En effet, une pression démographique continue sur les terres accroît par le fait même, l’effectif des 72 agriculteurs. Si cet accroissement se fait de façon constante, il devient impératif d’ajouter des doses de travail à l’unité de surface. Mais si cet accroissement se poursuit, les doses additionnelles de travail aboutiront à des suppléments très minimes et, au bout du compte, nuls. « Deux fois plus de bras sur un petit lopin de terre ne produisent pas généralement deux fois plus de riz, mais demandent toujours deux fois plus de nourriture » 53(loi des rendements décroissants). A partir du moment où l’équilibre entre population et ressources est rompu, il faut agir à temps pour le rétablir. A l’exception de quelques collines surpeuplées dont les exploitations se morcellent de façon constante, il existe encore des espaces où on peut encore défricher au Bututsi. D’après les données de nos enquêtes, il ressort qu’en moyenne la fraction de l’exploitation non encore mise en valeur est plus ou moins égale à celle qui porte les cultures (respectivement 0,97 ha et 1,08 ha).

Tableau n°8: Taille de l’exploitation : la fraction exploitée et celle encore en friche Superficie exploitée Nombre Superficie en friche Nombre (en ha) d’exploitations (en ha) d’exploitations ≤ 0,5 28 ≤ 0,5 35 Entre 0,51 et 1 39 Entre 0,51 et 1 32 Entre 1,01 et 1,5 17 Entre 1,01 et 1,5 12 Entre 1,51 et 2 9 Entre 1,51 et 2 9 Plus de 2 7 Plus de 2 12 1,08 100 0,97 100 Source : Enquêtes 2007

La deuxième limite est d’ordre économique. Elle correspond à une situation très différente de la précédente c’est-à-dire où un système intensif à base de travail se heurte à un manque de main-d’œuvre. Il arrive en effet que la force de travail manque suite au phénomène d’exode rural par exemple. Cette ponction démographique, liée à l’attrait des villes ou au progrès économique engendre une réduction du nombre des agriculteurs. Il se peut toutefois que l’exode se produise sans pour autant créer un vide sur le terrain de travail (dans les régions à forte densité de population), ce qui signifie que les départs sont des excédents de main- d’œuvre agricole. Cela ne compromet pas l’activité agricole. Il arrive par contre que les ressources en main-d’œuvre deviennent insuffisantes pour atteindre les objectifs. Aujourd’hui,

53 BAIROCH, cité par NDAYIZEYE E., Pression démographique sur l’espace rural dans la région de Gitega, Université du Burundi, mémoire. 73 l’ensemble du milieu rural burundais n’a pas à s’inquiéter du problème de main-d’œuvre. Il connaît par contre un trop-plein de cette dernière, en témoigne l’exode de jeunes des régions du Buyenzi et du Kirimiro qui quittent leurs terres devenues trop exiguës, en direction des centres urbains et surtout de la ville de Bujumbura et les autres régions rurales, à la recherche du travail et des conditions de vie meilleures. La région du Bututsi accuse par contre un certain déficit de main-d’œuvre familiale. Les causes qui seraient à l’origine de ce creux sont de plusieurs ordres: la scolarisation chez certaines familles, l’exode chez certaines autres sans oublier la pluriactivité (voir chap.III et IV).

1.2.1.1 Le système de culture

a. Les principaux types de systèmes de culture

On ne peut pas dire exactement combien de combinaisons culturales on trouve dans un système de production quelconque car ces combinaisons varient indéfiniment, « les systèmes de culture se caractérisent par leur diversité, leur complexité et leur plasticité » (BADOUIN R., 1988). On peut néanmoins repérer les principaux systèmes de culture qui sont le plus couramment observées au Burundi en général et en particulier dans la zone d’étude. Il s’agit principalement du système de culture à structure unitaire et du système de culture à structure associative. La typologie de ces deux ensembles se fonde sur le nombre de productions finales retenues et sur les liens pouvant les unir.

1° Peut-on parler de monoculture dans le système de culture du Bututsi ?

Les systèmes de culture à structure unitaire ne retiennent qu’une seule production finale. Dans ce système, l’agriculteur peut se choisir une gamme de cultures suivant ses objectifs et, bien entendu, les conditions physiques d’adaptation au milieu, mais, une production commande l’ensemble du système. Il s’agit en d’autres termes de la modalité de système de culture la plus simple qu’on peut appeler la monoculture. Une production finale est visée par l’agriculteur avec peu ou pas de productions intermédiaires.

Un système de culture plus ou moins proche de la précédente existe et se caractérise par une culture dominante. « L’agriculteur pratique plusieurs cultures et s’adonne parfois à une variété assez grande de productions, mais, à travers cette diversité, apparaît une culture largement prépondérante, tant du point de vue des superficies qui lui sont consacrées que des tonnages récoltés » (BADOUIN R., 1988). L’agriculteur choisit la culture dominante sur 74 laquelle il compte tirer une production très importante, mais autour de cette culture, peuvent graviter plusieurs autres qui représentent un intérêt mineur dans l’ensemble du système. Ce type de système de culture où une culture domine l’ensemble est beaucoup observé dans les agricultures de subsistance des pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie (le mil en Afrique de l’ouest surtout dans le Sahel, le riz à Madagascar ou en Asie du sud, du sud-est et en Extrême- Orient, les ignames dans certaines contrées d’Afrique centrale situées dans la zone forestière, etc.).

Dans la région naturelle du Bututsi, il existe, certes, des cultures que l’on peut qualifier de dominantes, mais suite à une association de cultures très poussée, les autres productions ne sont pas à négliger. Cela revient à dire qu’un système de culture de type monoculture est inexistant dans le périmètre du Bututsi. Pour certains agriculteurs, le maïs représente une fraction importante des productions végétales. Il est donc la culture la plus importante. Pour certains autres c’est le haricot et pour d’autres encore la pomme de terre. D’après les résultats de nos enquêtes, nous pouvons classer les différentes cultures pratiquées dans le Bututsi par ordre d’importance selon les réponses de nos interlocuteurs. A la question de savoir la culture la plus importante pour le paysan, 34% ont classé le haricot au premier rang, 30% pour le maïs, 19% pour le bananier, 14% pour la pomme de terre, 11% pour la patate douce et 2% seulement pour le manioc54. Le total ne fait pas 100% ; cela est dû au fait que pour certains individus, il y a des cultures qui font ex aequo.

Ces préférences des paysans ne sont pas dues au hasard. En effet, plusieurs facteurs, tant physiques qu’humains expliquent ces choix. Il serait aussi curieux de savoir pourquoi la pomme de terre et le bananier (devenus cultures spéculatives pour certains) n’ont pas, chez le paysan, les places qu’elles méritent alors qu’elles génèrent plus de revenus monétaires. On peut également se poser la question de savoir pourquoi le haricot, culture se caractérisant par une faible production et un faible rendement, vient au premier rang dans ce classement. La banane par exemple constitue, pour un effectif non négligeable de paysans, une ressource de revenus très importante, car par la vente de sa bière, ils parviennent à couvrir certaines dépenses que ne le peuvent ceux qui en produisent rarement. Le haricot est présent sur tous

54 De par la nature de ses sols, le Bututsi est une région qui se prête mal à la culture du manioc bien qu’il s’agisse d’une culture d’une grande importance dans l’alimentation des burundais. Le manioc est pratiqué dans une bonne partie des plateaux centraux (Kirimiro, Buyenzi, Buyogoma, Bweru, Kumoso, etc.) mais son rendement est meilleur dans le Kumoso, l’Imbo et le Buragane. C’est pourquoi les quelques rares endroits où on trouve cette culture sont situés dans des zones de transition (entre le Bututsi et les Mirwa, entre le Bututsi et le Kumoso ou le Buyogoma) 75 les plats burundais (haricot-légume, haricot-pâte de maïs, de blé ou de manioc, haricot- pomme de terre, haricot-patate douce, haricot-taro, haricot-riz, etc.), donc indispensable surtout dans les régions du Plateau Central. La raison en est donc que le paysan privilégie d’abord les cultures qui servent à l’alimentation de tous les jours des membres du ménage, à l’autoconsommation avant de spéculer sur les cultures de rente55. La plupart des cultures vivrières (maïs, haricot, pomme de terre) sont trop exigeantes en matières fertilisantes. C’est pour cela que ceux qui en produisent plus ont pour la plupart un effectif important de cheptel, plus particulièrement les bovins. En plus, ces cultures n’ont pas les mêmes exigences en éléments nutritifs du sol et les collines n’ont pas les mêmes aptitudes agronomiques ou la même texture-structure ; ce qui explique que certaines collines se prêtent mieux à telle culture plutôt qu’à telle autre. On peut trouver sur certaines autres collines des cultures qui occupent 80 à 90% du finage (maïs, bananier, manioc, etc.). Les conditions physiques (un type de sol peut être favorable à telle culture, un autre à telle autre culture) sont souvent à l’origine de cette complexité dans la répartition spatiale des plantes cultivées.

Il n’existe donc pas, à proprement parler, de systèmes de culture de type monocultural dans le Bututsi. Il s’agit comme on l’a déjà souligné, d’une agriculture de subsistance presque fermée sur elle-même ou qui est, dans une moindre mesure, tournée vers le marché local. Dans le contexte actuel, aucune exploitation ne peut survivre en cultivant une seule culture. Quelques cas exceptionnels peuvent s’observer ici et là mais il s’agit pour la majorité, des exploitations appartenant à une « bourgeoisie » souvent urbaine disposant de moyens propres (ou de l’Etat), supérieurs à ceux des paysans et ayant d’autres sources de revenus généralement plus importants que les revenus tirés de l’activité agricole.

2° La culture associée

Il s’agit du système de culture qu’on trouve dans toutes les exploitations de la région du Bututsi. Plusieurs cultures sont présentes et ici, l’agriculteur ne vise pas une seule production; plusieurs productions finales sont recherchées et elles sont liées entre elles par des relations de complémentarité. Ce type de système de culture« comprend des systèmes dans lesquels les

55 Au Burundi, les cultures de rente les plus connues sont le café, le thé, le coton, le palmier à huile dans les régions de Rumonge et Nyanza-Lac, le riz dans la plaine de l’Imbo, le tabac dans l’Imbo-nord, etc. Avec la chute des cours de ces produits sur le marché international, certains paysans les ont abandonné petit à petit pour spéculer sur d’autres cultures (cultures vivrières). Toutes ces cultures sont quasi absentes dans le Bututsi et ce sont les cultures vivrières comme le bananier, la pomme de terre ainsi que les produits forestiers (boisements artificiels et individuels) qui procurent des revenus aux paysans de la région. 76 diverses parcelles peuvent être affectées à des cultures identiques mais portent plusieurs cultures à la fois » (BADOUIN, 1988). Dans les agricultures des pays développés qui disposent de très grands espaces avec une forte intensité d’utilisation des engrais, la culture associée suscite des controverses quant aux avantages comparés, ce qui n’est pas le cas dans les agricultures de subsistance. La principale raison qui pousse les paysans à pratiquer la culture associée, c’est sa rentabilité.

Photo n° 4: Avantages de la culture associée (trois cultures sur une même parcelle)

Manioc Restes des tiges de maïs Patate douce Le reste de la parcelle est constitué par les jeunes pousses haricot.

Sur cette image, on voit les restes de quelques tiges de maïs qui venait d’être récolté (en haut de la photo), des billons un peu espacés portant du manioc et quelques boutures de patate douce (bien que ces dernières ne soient pas très visibles). Au mois de juin, quand le haricot aura été récolté, le champ portera encore le manioc et la patate douce. On voit donc que, sur le même champ, on a récolté 4 cultures différentes en une année. Si le champ avait porté 77 uniquement le maïs en première saison et le haricot en deuxième saison, les rendements de ces deux cultures auraient été presque les mêmes (ou légèrement supérieurs). L’avantage réside donc dans le fait qu’en plus de la récolte du maïs et du haricot, on a également produit deux tubercules (patate douce et manioc) qui sont d’une grande importance dans l’alimentation de la population.

Le Burundi étant un des pays africains les plus densément peuplés où la pression foncière s’est déjà manifestée dans plusieurs de ses régions, le choix des cultures associées ainsi que la généralisation de l’intensification agricole deviennent une nécessité, voire un impératif. « La pratique des cultures associées permet de récolter plusieurs sortes de plantes sur une surface réduite »56. H. Dupriez n’a-t-il pas écrit que la meilleure agriculture paysanne en Afrique intertropicale est celle qui parvient à associer au mieux les espèces complémentaires. « Cette complémentarité s’exprimant aussi bien dans la valorisation du produit que dans le respect des équilibres écologiques à court et à long terme »57. Le cas du Bututsi est un peu particulier dans la mesure où certains paysans disposent de terres relativement vastes et donc où la culture pure est possible. Le manque de main-d’œuvre nécessaire pour certains, l’insuffisance des fertilisants pour fumer une superficie importante du finage pour d’autres, la réserve d’espaces de parcours pour le bétail et d’espaces pour le boisement, sont les principaux facteurs explicatifs de la pratique de la culture associée. Par ailleurs, la mise au point de ces associations culturales est le résultat d’une très longue expérience agricole. La diversification des plantes cultivées dans l’espace agraire ainsi que leur multiplication dans le temps n’est pas un fait du hasard. « L’absence d’une délimitation remarquable dans le paysage agraire entre les différents champs et les diverses parcelles fait rapidement croire à l’observateur non averti à une indiscipline culturale. La répartition des champs obéit pourtant à un ordre donné, dont les habitudes séculaires de mise en valeur sont devenues une rigueur » (NDAYISHIMIYE J.P., 1980, p.170).

A l’exception des cultures de rente (café et thé à quelques rares endroits situés à la périphérie du Bututsi) et de quelques plantes cultivées dans les marais (maïs, pomme de terre), les cultures pures sont donc rares dans la région. C’est-à-dire que la majorité des champs cultivés comportent au même moment des cultures associées ayant souvent des cycles végétatifs

56 NTIRWIMURA A., Pression démographique et involution au Burundi. Cas de Buhonga, In UNIVERSITE DU BURUNDI, Questions sur la paysannerie au Burundi, Actes de la Table Ronde sur « Sciences sociales, humaines et développement rural » organisée par la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Bujumbura, 1985 57 DUPRIEZ H. (cité par NTIRWIMURA A.), Paysans d’Afrique Noire, éd. Terres et Vie, 1982 78 différents. Le champ joue ainsi un rôle de grenier, de réserve permanente de nourriture, d’autant plus que les cultures associées n’ont pas la même période végétative (c’est-à-dire qu’il y a chevauchements entre les différentes cultures).

Les parcelles prennent alors un aspect anarchique avec 3, 4 ou même 5 cultures en association. Dans la région, la culture associée est basée sur la combinaison d’espèces différentes : céréales, légumineuses, plantes à tubercules, légumes et quelques arbres fruitiers et agro-forestiers peuvent cohabiter sur un même champ.

L’autre avantage de la culture associée est qu’elle permet en effet d’augmenter le nombre de plantes par unité de surface sans ignorer qu’en cas d’épidémies ou d’aléas climatiques, on a plus de chances de ne pas tout perdre. De plus, dans certaines conditions particulières, la production agricole s’améliore par intensification car, les attaques causées par certains insectes et rongeurs ainsi que la concurrence des « mauvaises herbes » sont souvent moins graves en culture associée. De surcroît, les cultures qui se succèdent sur un même champ n’ont pas forcément les mêmes besoins et certaines cultures fabriquent des éléments qui peuvent être bénéfiques aux cultures suivantes (la rotation ou l’assolement) tandis que la conservation des sols se trouve bien assurée. Les racines de haricot fabriquent par exemple des substances azotées qui sont absorbées dans les particules du sol et qui seront utiles à la culture suivante comme le sorgho.

Dans certains cas, la mise en place d’une culture sur une parcelle se fait avant que la précédente ne soit mûre et récoltée. L’exemple qu’on peut donner ici et qui est le plus couramment observée dans la région, est constitué par le maïs et le haricot. Sauf quelques exceptions, la culture du maïs a une seule récolte par an (sur colline) tandis que le haricot est généralement récolté deux fois par an. Le maïs est semé sur colline au début de la première saison culturale c’est-à-dire fin-septembre ou début-octobre (tout dépend du début de la saison des pluies). Avant qu’il ne soit mûr (février-mars), on sème entre ses pieds du haricot pour éviter que ce dernier ne soit victime d’une éventuelle arrivée précoce de la saison sèche qui perturberait sa croissance et qui provoquerait la sécheresse des plants avant d’arriver à maturité, étant donné que la pratique de l’irrigation est inexistante dans la région. On ajoute aussi quelques billons de patate douce (amabundi), du petit pois, de manioc par endroit, etc. Après avoir récolté tout le maïs, le même champ porte déjà d’autres cultures qui, elles aussi, n’ont pas un même cycle végétatif. Pendant la saison sèche, après la récolte du haricot (ku 79 mpeshi) il restera sur le champ la patate douce, des bananiers espacés les uns par rapport aux autres et quelques arbres fruitiers et agroforestiers58, des haies antiérosives constituées de cultures fourragères, mais le sol n’est pas totalement couvert.

Figure n°3: Le calendrier agricole des principales cultures (sur colline) dans le Bututsi

octobre novembre décembre janvier février mars avril mai juin juillet août septembre

Maïs Maïs

Haricot Haricot

Patate Patate

PDT

Durée du cycle de la culture

Première saison

Deuxième saison

Les enquêtes réalisées par MERTENS en 1984 sur le système traditionnel d’exploitation au Bututsi, ont pu dénombrer 513 spéculations différentes produites à partir de 25 espèces de plantes : l’arachide, l’aubergine, la banane, le café, la canne à sucre, les choux, les colocases, les courges, l’éleusine, le froment, le haricot, le maïs, l’oignon, la patate douce, le petit pois, le piment, les plantes fourragères, le pois cajan, le poireau, la pomme de terre, la salade, le

58 Le bananier ainsi que les arbres agroforestiers sont des cultures pérennes qui protègent le sol toute l’année. 80 soja, le sorgho, le tabac et le thé. Bien qu’elle soit très critiquée par les spécialistes en économie rural, la culture associée est donc préférée par le paysan parce que, pour lui, elle a plus d’avantages et plus rentable par rapport à la culture pure.

Maïs et haricot

Choux et haricot

Haricot

Photo n° 5: Cultures associées à Vyanda

On voit sur cette photo une belle illustration de la culture associée. Le maïs a déjà atteint sa maturité tandis que le haricot est à l’état de jeunes pousses. Une bonne partie du champ porte du haricot et quelques plants de choux dispersés entre le haricot. Ce dernier sera récolté en juin (au début de la saison sèche). La culture précédente était le maïs qui a fait place au haricot. Soulignons que ce haricot a été semé quelques jours avant que le maïs n’atteigne sa maturité (c’est-à-dire qu’au moment de la prise de cette photo, la coupe des tiges du maïs avait eu lieu une semaine avant). On remarque un peu en haut de la photo des tiges de maïs entre lesquels se trouvent de jeunes pousses de haricot. Il s’agit du haricot grimpant et ces tiges de maïs vont servir de tuteurs. On remarque aussi la présence de quelques bananiers, une culture presque partout omniprésente dans les exploitations.

81

Photo n° 6: Association céréale (le sorgho), légumineuse (petit pois) et patate douce Boutures de patate douce Petit pois La culture dominante est constituée par le sorgho

Photo n° 7: des bananiers, du manioc, de la patate douce et du haricot Bananiers Manioc Patate douce

Sur la photo, la grande partie de la parcelle (la partie nue) venait d’être plantée de haricot qui n’avait pas encore germé. 82

b. Le choix des systèmes de culture

Quand on fait une étude sur le fonctionnement des systèmes productifs en agriculture, il convient de rechercher les raisons qui poussent les agriculteurs à se prononcer en faveur de tel système plutôt que de tel autre. Même si le système de culture choisi est une simple monoculture, il est rare que l’agriculteur, dans toutes ses manifestations, n’ait qu’une seule préoccupation. Lorsqu’on se trouve en présence d’un système complexe, plusieurs déterminants sont possibles pour le cultivateur et ces derniers peuvent être groupés en trois principales catégories.

Premièrement, dans la détermination des systèmes de culture, l’agriculteur, dans toutes ses démarches, vise la réduction des risques. La première considération dont l’agriculteur doit tenir compte est relative à la « sécurité ». Cette dernière peut correspondre à des objectifs divers (sécurité alimentaire, sécurité financière et sécurité commerciale).

En effet, dans le choix du système de culture, le paysan envisage en premier lieu à se procurer une quantité plus ou moins suffisante de nourriture pour son alimentation. Dans ce cas, la sécurité est envisagée sous l’angle purement alimentaire. Un tel système où l’objectif primordial reste celui de la sécurité alimentaire du groupe domestique, caractérise le plus les agricultures de subsistance comme celle de notre région. Dans ce cas, les cultures d’autoconsommation et les cultures de rapport doivent se partager l’espace. L’objectif primordial visé par le paysan du Bututsi est la satisfaction de ses besoins vitaux dont celui de nourrir sa famille. Il ne parvient pas, malheureusement, à assurer entièrement cette sécurité alimentaire vu le volume total de sa production agricole qui reste déficitaire. La région est réputée être importatrice de produits vivriers. Il va donc sans dire que la plus grande partie des vivres récoltés par le paysan du Bututsi sert à l’autoconsommation des ménages et très peu de gens arrivent à dégager un excédent de récoltes qu’ils peuvent vendre au marché.

L’agriculteur doit, en second lieu, tenir en considération l’aspect financier. Il est vrai que les agricultures de subsistance sont beaucoup présentes en Afrique et au Burundi en particulier, mais l’agriculteur a toujours besoin d’autres produits qu’il ne parvient pas à produire dans son exploitation. Il doit donc, dans la mesure du possible, trouver des moyens pour se procurer ces biens indispensables à sa survie. S’il n’est pas pluriactif, ces moyens doivent être tirés de la vente d’une fraction de la récolte quelle que soit la quantité obtenue. Il est d’ailleurs 83 surprenant de constater que, dans la région, ceux qui vendent une partie de la récolte ne sont pas pour autant les grands producteurs comme l’écrit LANDY F. : « De petits producteurs agricoles dépendent du marché pour l’essentiel de leur consommation ; et certains d’entre eux vendent une partie de leur production non qu’il s’agisse de véritables surplus mais parce qu’ils ont besoin d’argent »59. Le paysan peut également avoir des annuités à payer à un certain moment de l’année (une dette, des impôts ou des taxes et beaucoup d’autres charges). Pour toutes ces raisons, le paysan doit insérer dans son système de culture des productions qu’il pourra vendre afin de couvrir ces dépenses.

Très peu de paysans du Bututsi vendent une partie de leur récolte. Les résultats de nos enquêtes l’ont fort confirmé (14% grignotent une partie de la récolte des céréales qu’ils vendent au marché, 16% pour les plantes à tubercules et 7% pour les légumineuses. La banane vendue sous forme de bière avec une valeur ajoutée est la culture qui procure plus d’argent : 92% des ménages vendent ce produit). Traditionnellement, une partie du surplus de la récolte était donnée aux ouvriers en contrepartie de leurs prestations, une autre offerte comme dons (kugemura ou kwimburira) aux amis et parentés proches et enfin une troisième réservée aux semences pour la prochaine saison. Il était par ailleurs indigne et déshonorant, dans la mentalité des gens, de voir quelqu’un, en période de semis, acheter ou quémander les semences (gusaba imbuto). Certaines gens avaient même une stratégie consistant à aller acheter au marché du haricot (ou autres produits qui se conservent longtemps à sec) produit ailleurs pour la consommation du ménage en laissant ses propres haricots récoltés dans ses champs, minutieusement conservés et qui serviront de semences pour la prochaine saison.

En définitive, l’aspect financier n’est pas la première préoccupation du paysan du Bututsi qui mise avant tout sur l’autoconsommation. Nous verrons plus loin que pour nombre de ménages, l’essentiel des revenus monétaires servant à couvrir les autres besoins, vient de l’extérieur de l’exploitation familiale.

Le troisième aspect de ce souci de sécurité est d’ordre commercial. Il est beaucoup plus observé dans les économies rurales où les cultures commerciales occupent une place importante. Dans les pays en voie de développement, la commercialisation des produits agricoles ne s’effectue pas de la même manière ; certains produits sont, du point de vue

59 LANDY F., Entre villes et campagnes. La politique alimentaire de l’Inde, In CHALEARD Jean-Louis et DUBRESSON Alain., Villes et campagnes dans les pays du sud. Géographie des relations, Paris, Karthala, 1999 84 commercial plus importants que d’autres (café, coton, cacao, thé, arachide etc. pendant la période post-coloniale et le vivrier marchand après la crise des cultures de rente). Au Burundi, les cultures dites commerciales ou de rente ont été introduites et vulgarisées par le colonisateur. Elles étaient essentiellement constituées de café dans beaucoup de régions, du thé dans le Mugamba (haute altitude), du coton dans les zones basses et chaudes, etc. et elles étaient génératrices de revenus monétaires60. Plus récemment, on a introduit dans certaines régions le palmier à huile, le riz, la canne à sucre, le tabac. Aucune de ces cultures ci-haut citées ne pousse dans la région du Bututsi. Elles sont quasi inexistantes alors qu’ailleurs elles constituent une source très importante de revenus monétaires.

Pendant la période coloniale, l’autorité de tutelle exigeait à chaque burundais adulte et valide d’avoir une plantation de café. Les personnes âgées de la région interrogées racontent que le soir même du jour du repiquage, les paysans retournaient pendant la nuit dans les champs qui venaient d’être plantés avec de l’eau à ébullition qu’ils versaient au pied de chaque plant. L’on comprend donc que ces plants ne pouvaient pas grandir et les spécialistes ont conclu que « la région se prête mal à la culture du café », ce qui n’était pas forcément faux. Cette culture a été encore une fois réintroduite au début des années 1980 et cette fois-ci les paysans étaient plus que motivés ; ils croyaient y tirer quelques revenus monétaires comme les paysans de Ngozi, Kayanza, etc. Mais, les rendements se sont avérés très faibles vus les soins y apportés et l’énergie dépensée par le paysan. Dès lors, la culture a été négligée et, plus tard, abandonnée. Dans le paysage actuel du Bututsi, les périmètres caféicoles sont extrêmement rares. Les agronomes disent par contre que, compte tenu des conditions climatiques et pédologiques de la région, la culture du thé pourrait y être cultivée. Nos enquêtes ont toutefois prouvé que certaines cultures vivrières telles que la banane (vendue à l’état brut ou sous forme de bière), la pomme de terre ainsi que les produits forestiers (bois, charbon de bois, planches), commencent, depuis quelques temps, à faire objet de spéculation car elles constituent des sources non négligeables de revenus monétaires.

Deuxièmement, une autre préoccupation de l’agriculteur est constituée par les considérations relatives au foncier. Ces considérations peuvent être liées au souci d’assurer la conservation du sol et de ses capacités productives. Certaines cultures n’assurent pas une bonne

60 Malheureusement, les cours de ces produits restent, dans l’ensemble toujours plus bas particulièrement chez le paysan producteur. Les dividendes tirés de ces produits restent accaparées par l’Etat, les grands négociants et les multinationales chargées de la transformation et de la distribution. 85 couverture du sol et de ce fait, peuvent mettre en danger le sol arable qui devient fragile et susceptible de subir le phénomène d’érosion par ruissellement de surface ou par lessivage. Dans d’autres cas, ce sont les aptitudes agronomiques du sol qui sont mises en cause. Les méthodes et techniques utilisées pour avoir une bonne fertilité et la conservation du sol ne sont pas souvent adaptées aux systèmes de culture. Certains agriculteurs disposant d’assez de terres peuvent pratiquer la jachère qui consiste à mettre une terre au repos pendant quelques années dans le souci d’assurer la régénération du sol, ce qui n’est plus possible dans les exploitations de taille déjà réduite.

La pratique de la jachère est quasi absente chez les sociétés paysannes du Bututsi malgré l’existence des terrains non encore mis en valeur. Pour l’agriculteur, cette partie non encore défrichée est réservée aux pâturages pour le bétail et aux boisements. Les champs cultivés sont rarement mis au repos ; le fumier que procure le bétail sert à restituer au sol les éléments que la culture précédente a prélevés, donc à lui restituer sa fertilité. Les sols du Bututsi sont en général d’une fertilité médiocre ; ils ont donc besoin d’un apport d’engrais et d’amendements pour pouvoir produire. C’est pourquoi le souci numéro un de l’éleveur61 du Bututsi n’est ni la production du lait ni celle de la viande, mais celle du fumier pour la fertilisation de ses champs. Autrefois, la possession d’un troupeau important de vaches (quelle que soit sa race) conférait au propriétaire un certain prestige social dans son entourage. Aujourd’hui, il serait anachronique de parler encore de prestige social pour un paysan possédant un grand troupeau (ingwizamurongo) et ne produisant ni lait ni viande avec une quantité médiocre de fumier. La différence de rendement à l’unité de surface entre deux champs de la région ayant la même superficie ainsi que les mêmes aptitudes agronomiques, mais ne bénéficiant pas de la même quantité de fumure (organique ou minérale), peut être grande comme on peut le voir dans l’exemple suivant (tableau n°9).

61 Tout éleveur de la région est en même temps agriculteur, mais l’inverse n’est pas toujours vrai. 86

Tableau n°9: Comparaison de deux exploitations du Bututsi Caractéristiques de Exploitation 1 Exploitation 2 l’exploitation Taille de l’exploitation (en 7 7,5 hectare) Partie cultivée (en hectare) 2,5 2,5 Cheptel Bovins 10 3 (nombre de Caprins 5 2 têtes) Ovins 4 0 Porcins 0 0 Volailles 85 14 Production Céréales 3 0,9 agricole (en Légumineuses 0,8 0,4 tonnes) Tubercules 6 1,8 Banane 3 0,6 Fruits 0,5 0,02 Légumes 0,3 0,01 Total de la 13,6 3,73 production agricole Source : Enquêtes de terrain, 2007

Les deux exploitations sont situées sur deux collines voisines, ont presque les mêmes dimensions (7 et 7,5 ha) tandis la partie qui porte les cultures est exactement la même (2,5 ha). Aucune des deux n’utilisent les engrais chimiques. Elles sont par contre différentes par le nombre d’animaux que chacune possède, ce qui justifie justement l’écart au niveau de la production agricole globale (13,2 tonnes contre 4,13). Cette différence peut être expliquée par d’autres paramètres (nature des sols, degré d’intensification, etc.) mais on voit ici que le facteur « quantité de fertilisants » est plus déterminant.

Malgré une méconnaissance quasi totale des sciences du sol et des méthodes et techniques modernes, le paysan, de par son expérience (il connaît mieux que quiconque son exploitation, ses atouts et faiblesses), sait que telle culture répond à tel type de sol ou à tel terroir. Les autres fertilisants utilisés sont le compost, le paillage ainsi que l’enfouissement de certaines herbes qui fermentent au bout d’un certain temps. Alors, peut-on dire que ces méthodes d’engraissement du sol qu’utilise le paysan sont les plus rationnelles ? Avec les moyens dont ils disposent, le paysan n’a pas d’autres choix et la rationalité réside dans le fait qu’il arrive à assurer la reproduction du groupe.

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Le droit de propriété ou d’usage du sol est un autre aspect qui mérite une attention particulière. La propriété de la terre au Bututsi est privée et relève souvent de la succession de père en fils (héritage) ou, dans une moindre mesure, d’éventuels dons ou achats. Le métayage au vrai sens du terme n’existe pas. Certains exploitants peuvent toutefois faire louer leurs terres à des tiers (une sorte de vente temporaire) qui doivent donner une contrepartie (en argent ou en nature) après la récolte. Il arrive même qu’un agriculteur prête à titre gratuit, un morceau de terre suivant le degré d’amitié ou de parenté. Troisièmement, une autre considération qui intervient dans le système de culture est relative à la rentabilité des diverses cultures. Le paysan pratique sur sa terre des cultures diverses selon ce qu’il compte tirer de chacune d’elles. Ces cultures n’ont pas la même rentabilité même si elles sont cultivées dans les mêmes conditions. L’agriculteur doit donc naturellement privilégier les cultures qui donnent plus de rendements que d’autres. La culture de la pomme de terre, d’une introduction et d’une vulgarisation récentes dans le Bututsi, donne de meilleurs rendements à l’unité de surface aussi bien sur colline que dans les marais. Le paysan y tire quelque profit dans la mesure où à côté de la quantité autoconsommée, il vend le reste et se procure de d’argent indispensable à la couverture des dépenses des ménages. Dans la région, la pomme de terre viendrait en tête au niveau du rendement devant le maïs et le haricot, bien que cela ne lui confère pas, comme on l’a déjà précisé, la place de première culture. Cette culture exige beaucoup de fumier surtout quand elle est plantée sur colline et pose des problèmes quant à sa conservation une fois récoltée. Dans les marais, la préparation et l’entretien des champs sont un travail de dur labeur.

Tableau n°10: Rendements moyens en vivres au Burundi Saison Spéculation Rendements Prix au kg en Valeur de la (kg/ha) FBU(en production à 2007)* l’ha (en Fbu) 1988 A Pomme de terre 3500 300 1.050.000 Maïs 844 450 379.800 1988 B Pois 222 1000 222.000 1989 A Patate douce 14500 120 1.740.000 Maïs 1032 450 464.400 2000 A et B Haricot 920 700 644.000 Source : GOURDIN J. et al, Exploitation vivrière et fourragère des sols alliques d’altitude au Burundi, ISABU, Publication n°145, 1990 *Enquêtes personnelles (2007) 88

A : Première saison culturale (octobre-décembre) B : Deuxième saison (mars-juin)

Figure n°4 : Valeur de la production agricole à l’ha (en Fbu)

Source : Données du tableau n°10

L’on voit, à travers ce graphique, que le paysan est doué d’un certain savoir-faire : il connaît pratiquement les cultures les plus rentables que d’autres et ce sont celles-là qu’il met en culture en premier lieu. Il sait ce qu’il fait, il privilégie ce qui l’avantage. « Dans les pays du Tiers Monde, les paysans ignorants et paresseux n’existent pas, car ils sont morts depuis longtemps ». R. Chambers cité par DECOUDRAS P.M. (1997).

1.2.1.2 Le système d’exploitation

Le système d’exploitation s’intéresse à la façon dont les différentes unités de production fonctionnent. Il s’agit, en fait, de ce qu’on peut appeler l’organisation socio-économique des unités de production. De par le monde, les modes de fonctionnement des unités de production sont tellement diversifiés qu’il importe de les nuancer. Le métier d’agriculteur a plusieurs fonctions ; c’est-à-dire que pour faire fonctionner l’unité économique que constitue l’exploitation agricole, l’agriculteur prend des décisions de natures très différentes.

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a. Les fonctions du système d’exploitation

Pour assurer un bon fonctionnement des unités de production, l’agriculteur a la charge de prendre des décisions qui s’imposent pour que, au bout du compte, les résultats soient satisfaisants. Le chef d’exploitation doit par exemple prendre des décisions concernant les opérations techniques nécessaires pour une bonne production (fumure, préparation de la terre, qualité des semences, date du semis, etc.). Il existe au Burundi et particulièrement au Bututsi, un calendrier agricole bien élaboré depuis bien longtemps et qui doit être scrupuleusement respecté si, bien entendu, il n’y pas de perturbations climatiques. Le paysan tient également à la qualité des semences qu’il utilise. S’il ne se trouve pas dans une situation de pénurie, il se méfie par exemple des semences qu’il n’a pas produit lui-même. Nous avons déjà précisé, à ce propos, que dans ses stratégies, le paysan et sa famille préfèrent manger des vivres achetés ailleurs en conservant pour la prochaine saison les semences produites par son terroir. La vieillesse des semences peut par contre être responsable de la chute de la production et des rendements.

A un certain moment, le paysan se trouve dans une situation où il doit acquérir un financement pour fournir à l’exploitation un capital nécessaire à son fonctionnement. Dans la paysannerie du Bututsi (ou même du Burundi), le crédit agricole est presqu’inexistant. Même à l’époque où les projets agricoles étaient encore opérationnels, les conditions qui étaient exigées aux paysans pour être éligible à l’octroi de cet emprunt, étaient très discriminatoires. Dans ces conditions, le capital ne peut être obtenu que par autofinancement ou par des revenus tirés à l’extérieur de l’exploitation.

La fonction d’organisation mérite elle aussi une attention particulière car elle est indispensable au bon fonctionnement des unités de production. Elle s’inspire de la division du travail. Il s’agit d’organiser le travail de façon rationnelle et de veiller à ce que le travail assigné à chacun soit bien exécuté. Tous les membres actifs et valides du ménage doivent participer aux travaux.

b. Analyse du fonctionnement des unités de production

Certains éléments doivent être pris en compte lorsqu’il s’agit d’analyser le fonctionnement des unités de production. 90

1° La détention du pouvoir de décision

Le premier élément sur lequel il faut s’interroger est tout d’abord la détention du pouvoir de décision. Le choix du système de culture, la détermination d’un système de production ainsi que l’affectation des revenus d’exploitation représentent l’essentiel du pouvoir de décision. Le pouvoir de décision est généralement interne à l’unité de production et peut revêtir diverses modalités. Il peut en premier lieu appartenir à une seule personne qui, naturellement, est le chef d’exploitation. Celui-ci décide en dernier ressort même s’il peut prendre des avis des autres membres de l’unité de production. Il s’agit donc ici d’un pouvoir de décision de type individuel et répond à la formule selon laquelle l’exploitation est « une pensée unique ».

En second lieu, ce pouvoir peut être de type pluraliste et appartenir à deux ou plusieurs individus. Cette situation où le pouvoir de décision relève de la compétence de plusieurs personnes est souvent observée dans les systèmes de métayage c’est-à-dire qu’ici ce pouvoir est assuré conjointement par le métayer et le propriétaire de la terre ; ce qui revient au propriétaire est généralement lié au résultat de l’exploitation.

Le pouvoir de décision peut également revêtir une allure collective dans le cas des coopératives agricoles de production. Tous les membres de la coopérative participent aux décisions concernant sa gestion et son administration. Dans certains cas, surtout dans des coopératives de grande taille, les membres choisissent des organes dirigeants auxquels ils délèguent leur pouvoir de décision. Le pouvoir de décision peut également dépendre des pressions exercées par ce que l’on peut appeler l’environnement. En effet, dans les agricultures de subsistance, l’environnement social peut s’opposer à l’introduction de cultures nouvelles, à l’utilisation de terrains frappés d’interdit de culture, à l’emploi des techniques inédites, etc. Le pouvoir de décision se trouve alors ici en quelque sorte limité par des pressions qu’exerce l’environnement immédiat. Enfin, les décisions prises par les unités de production peuvent être orientées par des organismes d’encadrement (projets agricoles de développement, ONG) qui favorisent certaines cultures au détriment d’autres.

Dans la plupart des exploitations du Bututsi, c’est une personne (le chef d’exploitation) qui a le pouvoir de décision. C’est, en principe, le mari ou son épouse quand le premier n’est pas là (absent ou décédé) ou bien la décision est prise en commun accord entre les deux mais en cas de mésentente, l’homme décide en dernier ressort. Dans les familles où l’homme est souvent 91 absent, le pouvoir de décision est conféré à la femme. Les organismes d’encadrement comme les projets agricoles et les ONGs ont existé et certains existent encore dans la région (surtout les ONGs) et exercent aussi un certain pouvoir car lorsqu’il s’agit par exemple de l’introduction ou de la vulgarisation d’une culture, ils sont toujours présents dans les prises de décision.

2° Modes de disposition des ressources productives

Un autre élément sur lequel on s’interroge quand on fait une analyse du fonctionnement des unités de production est constitué par les modes de disposition des ressources productives. Ces modes concernent l’accès à la terre, les disponibilités en travail, l’approvisionnement en consommations intermédiaires et en biens d’équipement.

On peut alors mettre en valeur une terre en tant que propriétaire, locataire, attributaire ou gestionnaire. L’exploitation de la terre en tant que propriétaire implique un droit d’usage et celui de percevoir les revenus issus de sa mise en culture. Pour acquérir un droit de propriété sur une étendue de terre, plusieurs voies existent mais deux sont les plus fréquentes. Le premier consiste à s’adresser au marché foncier. On achète une certaine superficie de terres en fonction des objectifs qu’on se fixe et en fonction des moyens dont on dispose. La seconde voie pour acquérir une propriété foncière réside dans la transmission par héritage ou transmission successorale. La succession à la terre de parents en enfants est le mode de disposition le moins onéreux et le plus répandu. On peut également mettre en valeur une terre en tant que locataire. Le droit d’usage d’une certaine superficie de terre arable peut également être acquis par une attribution à titre gratuit. Dans certaines agricultures de subsistance d’Afrique tropicale, le droit d’usage peut découler des normes sociales. Ce droit d’usage peut revêtir soit un caractère commercial soit une allure collective. Les autorités politiques ont aussi les pouvoirs pour attribuer une terre à une personne tierce quand cette dernière se trouve dans le besoin ou à la faveur de certains types de réforme agraire. Ce droit d’usage peut aussi être confié à l’ensemble de la communauté rurale qui, dans le respect des usages et des décisions des autorités, doit répartir, de la façon la plus équitable, les terres entre les familles. Au Burundi, l’attribution des terres par l’Etat a été opérée dans les années 1950 dans la plaine de la Rusizi dans le cadre des paysannats. « Les terres attribuées doivent être distinguées des terres possédées, car des obligations permanentes y sont attachées ; notamment les exploitants y sont soumis à un contrôle plus ou moins étroit de leur activité par les pouvoirs 92 publics » (BONVIN J., 1986). Les paysans burundais étant très attachés à des droits stables et complets de propriété, sont sensibles au caractère partiel de leur droit de propriété sur les terres attribuées et préfèrent en général bénéficier d’un droit entier de propriété. Cela explique la fréquence des abandons des paysannats par les paysans de la plaine, surtout pendant les premières années de leur création. Cette attribution de terres a eu également une incidence sur le choix des cultures dans la mesure où l’Etat obligeait au bénéficiaire d’entreprendre certaines cultures commerciales, quelle que soit leur rentabilité.

La location de la terre au Bututsi joue un rôle secondaire (d’après nos enquêtes, 4% seulement des personnes interrogées nous ont affirmé qu’ils louent un morceau de terre) et les paysans, possèdent soit par héritage ou achat, soit ont reçu par attribution de la part de l’Etat l’essentiel des terres qu’ils cultivent.

En ce qui concerne le travail, trois solutions sont possibles et peuvent être utilisées conjointement. La main-d’œuvre nécessaire à l’exploitation peut être fournie par la famille. Cette dernière est composée par le chef de l’exploitation, sa femme et ses enfants en âge de travailler. Dans les pays où la polygamie est pratiquée, le chef accroît l’effectif de la main- d’œuvre en épousant plusieurs femmes. Tous les membres de l’exploitation assurent tout ou une partie des travaux. Il arrive souvent que les terres soient abondantes par rapport à la main- d’œuvre familiale non rémunérée. Dans une telle situation, les chefs d’exploitation se trouvent dans l’obligation d’adopter de nouvelles stratégies en vue de combler ce vide. La stratégie la plus retenue au Bututsi est le recrutement d’une main-d’œuvre extérieure salariale. L’expression de main-d’œuvre salariale semble indiquer que celle-ci est rémunérée par un salaire.

Le gros du travail au Bututsi est fourni d’une part par une main-d’œuvre familiale et une main-d’œuvre salariée d’autre part. Les enfants qui vont à l’école participent, eux-aussi, dans les travaux champêtres et domestiques (dans 21% des ménages) pendant les moments libres (certains après-midi et les jours de congés). Pour le reste du Burundi, la réalité est presque la même comme on peut l’observer à travers ce qu’affirme BONVIN J. à propos de certaines provinces: « La quantité du travail que les familles paysannes consacrent à la production agricole peut être saisie par le nombre d’unités à plein temps engagées, qu’il s’agisse d’adultes ou d’enfants, de membres du ménage ou de salariés. Les enfants de moins de 15 ans ont été comptés comme demi-unité. Quant aux ouvriers agricoles ou aux membres de la 93 famille, qui travaillent à temps partiel, ils ont été convertis en unités à plein temps en admettant que celui-ci corresponde à 300 jours de travail par an »62. Il y a une trentaine d’années, CAZENAVE-PIARROT A. décrivait le mode d’exploitation familiale des barundi : « le mode familial utilise la force de travail de toute la famille et même celle de l’enfant qui est considéré comme un capital à exploiter aussitôt que possible »63. Dans le temps, les parentés éloignées, amis et voisins etc. pouvaient participer aux travaux des champs à côté de la famille-ménage (ikibiri). Cet aspect de solidarité a complètement disparu dans les campagnes du Bututsi pour être remplacé par le salariat agricole. Ce dernier est composé d’une main-d’œuvre permanente ou temporaire en fonction des saisons. Il n’est pas rare de trouver dans la région des ouvriers qui ont un statut permanent ; leur origine peut être locale ou étrangère à la région. On les appelle en Kirundi abanyamwaka et leurs activités ne se limitent pas seulement aux travaux des champs ; ils sont prêts à exécuter tous les travaux nécessaires au bon fonctionnement du groupe familial.

Au début des années 1980, Jean-Pierre NDAYISHIMIYE estimait la taille moyenne du ménage du Bututsi à 4,5 personnes. Ce groupe comprend les parents, les enfants et toute autre personne qui vit à l’intérieur du ménage y compris les ouvriers agricoles permanents. Cinq années plus tard, MERTENS A. donne un chiffre un peu plus élevé : 6,36 personnes. Nos enquêtes dans le Bututsi en 2007 sont arrivées au résultat de 5,24 personnes par ménage. Ajoutons que dans ce groupe figurent les enfants qui vont à l’école. Il a été constaté que chez les familles ayant des enfants qui ont réussi à l’école et qui habitent en ville, la main-d’œuvre familiale non rémunérée est très minime ; elle peut même être nulle dans certains cas. Ces familles doivent impérativement recourir à une main-d’œuvre salariale extérieure à l’exploitation. BONVIN J. (1986) écrit à propos de la relation entre main-d’œuvre et scolarisation au Burundi : « Comme dans tous les pays en développement, les enfants jouent un rôle non négligeable dans l’exploitation familiale ; par suite, plus ils sont scolarisés, moins ils peuvent contribuer à la production. On peut se demander si la productivité à l’hectare ne décroît pas lorsque le taux de scolarisation augmente pour cette raison.».

Quant aux autres ressources productives, consommations intermédiaires et biens d’équipement, elles ne peuvent être obtenues que soit par auto approvisionnement, soit par acquisition à l’extérieur de l’exploitation. Dans le premier cas, l’exploitation peut faire

62 BONVIN Jean, Changements sociaux et productivité agricole en Afrique centrale, Paris, OCDE, 1986 63 CAZENAVE-PIARROT Alain, La vie rurale traditionnelle au Burundi, Bujumbura, ENS, 1974 94 recours à des ressources comme le cheptel et tout ce qui est nécessaire pour son entretien. L’exploitant peut se fabriquer lui-même certains outils qu’il utilise (les produits artisanaux par exemple). Dans le cas contraire, le producteur s’adresse au marché pour se procurer à l’extérieur de l’exploitation des outils et autres ressources qu’il ne produit pas lui-même. Cela peut être illustré pour le cas du Bututsi par l’exemple suivant en encadré :

MISAGO est en même temps cultivateur, ouvrier agricole et aide-maçon. Il a 46 ans et habite la colline Kampezi (commune Ryansoro). Il a une propriété d’un hectare qui est, en totalité, sous exploitation (il loue quelquefois même des parcelles afin d’augmenter la production). Son troupeau s’élève à 2 vaches et 10 chèvres. Avec sa production agricole et pastorale, il n’arrive pas à dégager un excédent pour le marché sauf un bidon de 20 litres de bière de banane qu’il vend en moyenne chaque mois. Il arrive aussi à vendre en moyenne une chèvre par an. Ses autres sources de revenus sont constituées par la vente des produits forestiers de son petit boisement individuel ainsi qu’un petit salaire journalier qu’il perçoit quelquefois en louant ses bras dans les exploitations de ses voisins. Le métier d’aide-maçon étant exercé de façon ponctuelle et intermittente (uniquement pendant la saison sèche), ses revenus ne sont pas réguliers. Certaines ressources productives et consommations intermédiaires peuvent alors être obtenues à l’intérieur de l’exploitation par auto approvisionnement tandis que d’autres sont acquises à l’extérieur. La totalité du travail des champs est assurée, par exemple, par la main-d’œuvre familiale (lui et sa femme) c’est-à-dire qu’il n’utilise jamais la main-d’œuvre extérieure et salariale. C’est aussi lui qui se construit sa maison, l’étable de ses bêtes, son enclos et leur entretien. Avec ses revenus monétaires, il achète à l’extérieur tout ce qu’il ne produit pas chez lui: matériel agricole, la nourriture, les semences, les engrais, les produits phytosanitaires, le matériel de cuisine, les habits, etc.

3° La division sexuelle du travail : le rapport homme /femme

Dans l’étude du fonctionnement des unités de production, il est nécessaire d’étudier la répartition des tâches entre rôles masculins et féminins. En effet, cette répartition des tâches entre l’homme et la femme et d’autres membres du foyer familial est un peu complexe mais, pour le cas du Bututsi, on constate, surtout dans les familles paysannes où l’homme et la femme sont tous présents sur l’exploitation, que cette répartition n’est pas du tout équitable. « Les temps de travaux agricoles varient bien sûr en fonction de la taille de l’exploitation, de celle de la famille, selon la région, mais il demeure une constante : ils pèsent davantage sur 95 les femmes que sur les hommes, la différence s’élevant à plus d’une dizaine d’heures par semaine en moyenne, sans compter les travaux ménagers » (BIDOU J.E, 1994). Selon le ministère burundais de l’action sociale et de la promotion de la femme (2005), les femmes burundaises représentent 52% de la population totale et plus de 70% des agriculteurs. « Dans le contexte burundais, les traditions perpétuent un partage de rôles basé sur les inégalités préjudiciables à la jouissance des droits humains. La culture ainsi que certaines pratiques opposées à l’égalité des genres restent tenaces et influencent négativement le développement de la société humaine en général et le développement agricole en particulier »64. Dans la région du Bututsi comme dans le Mugamba voisin, les femmes sont généralement seules dans les champs et les hommes restent aux pâturages avec leurs maigres troupeaux ou passent une partie de la journée dans un cabaret.

Par des chiffres recueillis, nous avons comparé le volume horaire journalier ou hebdomadaire presté par les hommes et les femmes, et nous nous sommes rendus compte qu’un peu partout en Afrique (et au Burundi en particulier), l’homme continue à exploiter sa femme. Selon le rapport mondial sur le développement humain (1993), la journée de travail des femmes qui n’exercent pas un emploi salarié est beaucoup plus longue que celle des hommes mais malheureusement le travail qu’elles effectuent (tâches domestiques, soins prodigués aux enfants et personnes âgées) n’est pas valorisé dans la comptabilité nationale (MASUMBUKO C., 2005). GOUROU P. décrit pour le cas de l’Afrique tropicale une forme de domination voire d’exploitation que l’homme exerce sur sa compagne : « en plus du temps maximum que la femme doit réserver aux travaux des champs (on comprend bien que des bantous considèrent que par principe, l’agriculture soit chose féminine), c’est elle qui s’occupe de la cuisine, du ramassage du bois, la recherche de l’eau, les travaux de propreté, etc. »65. Pour illustrer ce phénomène, il donne l’exemple du village Moutampa situé au sud de Brazzaville : 1400 heures de travail masculin par an contre 3200 heures chez les femmes. Pierre VENNETIER (cité par GOUROU) a, quant à lui relevé dans le nord du Congo Brazzaville, 960 heures de travail agricole féminin par an contre 560 heures de travail masculin. Dans l’ensemble du Burundi, CAPECCHI (cité par NDAYISHIMIYE) a estimé à 37 heures 6 minutes le temps moyen de travail par semaine pour l’homme contre 59 heures 30 minutes

64 MASUMBUKO C., Le genre et le développement agricole : expérience du Burundi, rapport final, Bujumbura, IDEC, 2005 65 GOUROU P., L’Afrique Tropicale. Nain ou Géant agricole ? Paris : Flammarion, 1991,199 p.

96 pour la femme. Au Bututsi, NDAYISHIMIYE (1980) a relevé respectivement 28 heures et 56 heures par semaines. Nos enquêtes de terrain dans la même région (2009) ont quant à elles évalué le travail hebdomadaire de la femme active rurale à 59 heures contre 38 pour les hommes.

Quant à la répartition des tâches, on constate que les travaux les plus durs sont une corvée féminine. Les activités non agricoles et moins dures (petit commerce, petit artisanat, etc.) sont généralement une tâche masculine. D’après nos enquêtes, les travaux réservés aux hommes sont les suivants : la coupe de l’herbe ou des buissons sur le terrain qui va être défriché, construction de la clôture de haies autour des champs afin de les protéger contre les déprédations du bétail, construction et l’entretien de l’enclos et de la maison familiale, prodiguer des soins aux vaches de la traite jusqu’au gardiennage, entretien de la bananeraie. Tous ces travaux sont considérés comme moins pénibles si on les compare à ceux réservés aux femmes qui sont les plus durs, plus astreignants et les plus nombreux : les travaux des champs, la préparation de la nourriture pour le mari et tout le groupe familial, la corvée de l’eau, propreté (balayage de la maison et de l’enclos, la lessive, la vaisselle), c’est la femme qui doit s’occuper des enfants, la recherche du bois de chauffe, la garde des vaches quand le mari est absent, cailler le lait, etc.

En décrivant les paysanneries africaines, Pierre GOUROU raconte une situation qu’il a observée en Afrique Centrale où la femme est prise comme une esclave : « En Afrique Centrale, une paysanne parcourt, sous une pluie persistante quelques kilomètres à l’aller et au retour pour tenter de vendre sur un pauvre marché quelques légumes. Elle va pieds nus sans autre vêtement que son pagne détrempé. Dans les plis de ce pagne elle porte sur son dos un bébé déjà pesant qui tète à la demande. Dès son retour à la maison il lui faudra s’affairer pour préparer le repas qu’attend paisiblement un mari nonchalant » (GOUROU, 1991). Voici ce que raconte NDAYISHIMIYE J.P à ce propos pour le cas du Bututsi, la zone d’étude : « L’intensité du labeur de la femme en milieu paysan est telle qu’elle fait douter de l’idée communément répandue que la femme serait a priori moins endurante que l’homme. En effet, voir une femme rentrer à la maison avec la cruche d’eau ou le fagot de bois sur la tête, la houe à l’épaule, un enfant sur le dos (souvent un autre dans les entrailles) est un spectacle pour le moins émouvant » (NDAYISHIMIYE J.P, 1980). Trente ans après, les choses n’ont pas beaucoup évolué, c’est-à-dire que malgré quelques avancées en matière d’égalité de genres (depuis les années 1990) la femme rurale continue à être exploitée par son compagnon 97 dans la mesure où le temps de travail ainsi que la répartition des tâches restent toujours inégalitaires en défaveur de la femme (59 h contre 38 h par semaine). Cette situation où l’homme exploite le travail agricole et culinaire de sa compagne n’expliquerait-elle pas (du moins en partie) la faible production agricole du Bututsi quand on sait que dans tous les pays du monde, le premier facteur à l’origine du développement est le travail ?

4° La participation dans les activités autres qu’agricoles

Un autre phénomène peut enfin déterminer en partie, le fonctionnement de l’appareil productif de l’exploitation : sa participation dans des activités productives extra-agricoles. Dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud, l’économie paysanne devient de plus en plus polyvalente ; c’est-à-dire que les emplois ruraux non agricoles se multiplient. «Le second gisement important d’emplois et d’auto-emplois se trouve dans les activités rurales non agricoles. Le paysan est à tour de rôle agriculteur, éleveur, défricheur, bâtisseur de sa propre maison, bricoleur et artisan produisant pendant la saison agricole basse ses outils, ses vêtements, voire des articles destinés au marché. Ainsi, une partie du temps de la famille paysanne va aux activités non agricoles »66.

Dans certains cas, l’exploitation agricole peut être autonome, c’est-à-dire que tous ses membres n’ont d’autres activités productives que celles liées à l’exploitation elle-même. Tous les objectifs que se fixent les ménages doivent être réalisés à partir de la seule exploitation agricole. Dans les petites exploitations familiales, l’agriculteur a une certaine idée de ce qu’il gagne. CHOMBART (1969) propose une manière très simple de compter : « L’agriculteur tire des produits de son exploitation ; il en utilise une partie pour la nourriture de la famille et il en vend le reste. Avec les recettes, il paie les dépenses de la famille et les dépenses de l’exploitation ». La différence entre les dépenses et les recettes peut constituer l’épargne de la famille et servir, en cas de besoin, à couvrir les autres dépenses en achetant par exemple les objets que l’on ne produit pas sur l’exploitation.

Certaines agricultures de subsistance peuvent paraître autonomes alors qu’en réalité, il n’en est rien. Cette autonomie apparente s’observe par exemple quand un agriculteur parvient à faire des économies mais en vivant dans la misère. CHOMBART (1969) écrit à ce propos : « Tel un agriculteur de montagne enraciné dans des méthodes archaïques parvient à faire des

66 ABRAMOVAY R. et SACHS I., Nouvelles configurations ville/campagne, UNESC0, 1999 98

économies en vivant misérablement. L’argent qu’il met de côté vient non pas de la bonne gestion de son exploitation, mais de son ventre creux ; et aussi longtemps qu’il trouvera normal de vivre comme ont vécu ses pères, il ne s’en apercevra pas ».

Dans le cas où l’exploitation se trouve dans l’incapacité de s’autosuffire, il existe une possibilité qui d’ailleurs est la plus observée dans beaucoup de systèmes productifs des agricultures de subsistance : certains membres du ménage participent à des activités extérieures à l’exploitation et génératrices de revenus. Il est bien évident, et le plus souvent dans les exploitations qui ne sont pas autonomes, que l’exercice d’une activité étrangère à l’exploitation a une incidence sur le fonctionnement des unités de production et sur leur reproduction.

Dans un pays comme le Burundi où les activités des paysans sont essentiellement agricoles, les revenus issus des activités extérieures à l’exploitation sont apparemment minimes alors qu’en réalité elles font vivre une part non négligeable de la population. On verra par exemple, pour le cas du Bututsi (chapitre III), que certains métiers comme le petit commerce, l’artisanat, et d’autres activités comme le travail salarial à l’extérieur, etc. peuvent avoir un impact significatif dans le fonctionnement du système productif paysan. Le nombre de ménages bénéficiant de revenus acquis en dehors de l’exploitation ne cesse de croître. Selon BONVIN J. (1986) « l’économie du Burundi, y compris l’agriculture dans certaines régions, a déjà connu une évolution suffisante pour que la ville et même l’agriculture offre un certain nombre d’emplois aux familles paysannes ». Le même auteur a démontré que les activités extérieures ont, toujours pour le cas du Burundi, une incidence positive sur la gestion des exploitations. Le premier effet favorable est, selon lui, relatif à l’investissement : « il est évident qu’une activité à l’extérieur procure des ressources complémentaires, elle confère donc un avantage aux familles où ces activités existent, par rapport aux familles qui disposent de superficies comparables mais ne reçoivent pas de revenu supplémentaire. Par suite, ce genre d’activité devrait permettre à ces familles de financer des investissements plus facilement que les autres familles » (BONVIN J., 1986).

En définitive, les différentes combinaisons productives que nous avons décrites dans la région du Bututsi aboutissent à un système de production qui reste, dans l’ensemble, peu productif (agriculture de subsistance) et déficitaire. Les projets de développement rural financés pour la plupart par des bailleurs extérieurs, ont été implantés partout dans le pays (y compris le 99

Bututsi) depuis les années 1970 dans le but d’augmenter la production agricole et d’améliorer le niveau de vie de la population bien que leurs impacts restent pourtant peu visibles.

1.3 Les tentatives de modernisation de l’agriculture par les projets de développement

Introduction Le terme « projet » a eu de nombreuses définitions mais qui, au bout du compte, avaient presque la même signification. Nous proposons ici la définition de DURUFLE G., FABRE R. et YUNG JM. (1988), selon laquelle « un projet (pour notre cas, un projet de développement rural) est la mise en œuvre d’un ensemble de moyens matériels, humains, financiers et organisationnels visant à créer ou à accroître la production agricole dans des conditions économiquement et socialement viables »67. Cette définition semble valable pour les projets d’agriculture intensive mais elle s’avère inadéquate pour notre cas où la production agricole est le fait d’un grand nombre de paysans indépendants. Ce sont les bailleurs, en collaboration avec l’Etat du Burundi, qui conçoivent les projets sans aucune concertation avec le paysan qui n’est qu’un simple exécutant, ce qui explique, en partie, les échecs de la plupart des projets. Selon toujours DURUFLE G. et al. (1988), « les projets de développement rural se proposent, de l’extérieur, d’introduire de nouvelles cultures ou d’étendre des cultures déjà existantes avec de nouvelles méthodes culturales, ce qui bouleverse les techniques et l’organisation sociale traditionnelles ». C’est cette rencontre entre un milieu rural et une volonté profonde de transformation, initialement extérieure à ce milieu, qui fait la principale spécificité (et aussi la principale difficulté) du projet de développement rural. D’après BUIJSROGGE P., l’échec des projets est dû au fait que les acteurs institutionnels (les organismes internationaux de financement et les Etats) et les équipes de techniciens ont voulu imposer un développement exogène ignorant, par ce fait, que les paysans avaient leurs propres logiques. « Le développement rural est d’abord l’affaire des ruraux. Le développement ne saurait être qu’endogène »68. Par développement endogène BUISJROGGE P. veut signifier que l’innovation dans une société paysanne doit venir de l’intérieur de la société même. Voici comment il l’explique d’une façon un peu imagée : « Lorsque les bourgeons éclatent au printemps, c’est en vertu d’un développement endogène biologique des arbres, chacun selon son espèce, et quand les conditions extérieures sont favorables. On peut « forcer » des plantes à fleurir hors saison, en agissant sur ces

67 DURUFLE G., FABRE R. et YUNG JM., « Les effets sociaux et économiques des projets de développement rural », Manuel d’évaluation, Ministère Français de la Coopération, 1988 68 BUISJROGGE Piet, Initiatives paysannes en Afrique de l’Ouest, Paris, L’Harmattan, 1989 100 conditions. On peut même créer de nouvelles variétés en agissant sur le capital génétique d’une espèce. Mais tout cela passe par le dynamisme biologique interne des végétaux. Tirer sur une plante pour la faire pousser plus vite aboutit à l’arracher et à la détruire… Les hommes, les sociétés humaines, les paysans ne sont-ils pas au fond comme les plantes ? Peuvent-ils s’imposer et imposer à leurs congénères des développements qui les traumatisent ? Le développement endogène serait donc ce développement à la fois spontané et calculé que les hommes consentent à s’imposer pour leur avantage. Le contraire (le développement exogène) serait la proposition traumatisante, mal reçue et finalement refusée, d’un développement jugé extérieur, désavantageux et incompréhensible» (BUISJROGGE P., 1989).

1.3.1 Contexte général

L’autorité coloniale s’est vite rendu compte, dès son arrivée, qu’il y avait de plus en plus un déséquilibre entre la population et les ressources agricoles disponibles. C’est ainsi que quelques cultures nouvelles ont été introduites dans les systèmes de culture dans le but de prévenir ou d’éradiquer les famines. La culture de certaines plantes (cultures commerciales comme le café, le thé, et les certains tubercules tels la patate douce, la pomme de terre, le manioc) ainsi que l’exploitation des marais avait même un caractère obligatoire. Après l’indépendance, les besoins en nourriture pouvant satisfaire une population nombreuse et en croissance rapide exigeaient une amélioration du système agricole ou, tout au moins, un apport de nouvelles technologies ou de nouvelles innovations. Les projets de développement rural ont donc été créés durant la période qui a succédé l’indépendance.

Pendant la période coloniale et surtout vers la fin de la décennie 1960 et au début des années 1970, des projets agricoles ont été implantés un peu partout dans le pays dans le but de relever les nombreux défis auxquels faisait face le monde rural. Le gros des investissements a été prioritairement consentis dans le secteur agricole (ou agropastoral) à travers ces projets dits de développement rural. Mais il faut savoir qu’au départ, avec les besoins en devises pour les Etats, la notion de projet a été d’abord utilisée pour la production à grande échelle des cultures d’exportation (essentiellement le café et le thé pour le cas du Burundi). Plus tard (dans les années 1980), des « projets de développement rural intégré » ont vu le jour avec toujours les mêmes bailleurs. Les projets les plus importants étaient les SRD (Sociétés Régionales de Développement) de Buyenzi et de Kirimiro, le projet CVHA (Cultures Villageoises de Haute 101

Altitude) dans le Mugamba ainsi que le projet Bututsi. Une autre génération de projets est née à partir de 1988 lors de l’exécution du Vème Plan Quinquennal de Développement Economique et Social. Ils ont couvert les provinces de Kirundo, Muyinga, Rutana et la région naturelle de Buragane dont une grande partie est située dans la province de Makamba (voir carte n°7 p.104). D’autres, de taille encore plus réduite (couvrant généralement une ou deux communes) ont aussi existé (exemple : Shombo-Nyabikere en province Karuzi au nord-Est, Butanganzwa en province Ruyigi et le PDAC d’Isale-Mubimbi dans Bujumbura-Rural).

Si des efforts considérables et des moyens substantiels ont été consentis dans le secteur agro- sylvo-pastoral, il est bien évident que c’était d’une part dans l’objectif de promouvoir le développement rural par l’accroissement de la productivité au niveau agro-pastoral, la lutte contre la famine et la préservation de l’environnement et d’autre part le besoin, pour les Etats, de quadriller l’espace. La question qu’il importe de poser est celle de savoir si les actions menées ont réellement produit les effets attendues.

Actuellement, sauf quelques exceptions, la plupart de ces projets ont fermé leurs portes; les anciennes SRD se sont transformées en Directions Provinciales d’Agriculture et d’Elevage (DPAE) financés par les fonds de l’Etat. Ce sont plutôt les ONG qui, dans une certaine mesure, ont pris la relève. Les unes appartiennent aux confessions religieuses et en grande partie à l’Eglise Catholique mais aussi à d’autres confessions. Les autres sont des ONG internationales.

L’évaluation de l’impact (ou des impacts) de ces projets doit tenir en considération les critères comme l’augmentation de la production agricole et du revenu du paysan, le nombre d’emplois créés etc. comme l’écrit HABARUGIRA P. « L’impact d’un projet s’évalue sur les composantes comme l’augmentation de la production et du revenu, la création d’emplois, l’effet sur la balance des paiements, la répartition de la valeur ajoutée, et d’autres effets sur l’économie »69. Les projets de développement rural ont eu certes quelques impacts positifs visibles qu’on ne peut pas ignorer (plus particulièrement dans le Bututsi) mais, en comparant les situations d’avant et d’après, force est de constater que la plupart se sont soldés par des échecs et de gros efforts restent à consentir dans ce domaine70. Des faiblesses et des

69 HABARUGIRA P., Problématique du financement des projets de développement agricole au Burundi ; essai d’évaluation de leur impact, Bujumbura, IDEC, 2002 70 Dans l’ensemble, la production agricole n’a pas augmenté, le paysan moyen continue à s’appauvrir. 102 insuffisances au niveau de la conception, de l’organisation et de la gestion, les ont caractérisées sans oublier que la population concernée n’était pas bien associée car elle n’a jamais été consultée.

1.3.2 Les objectifs

Comme on l’a précisé ci-haut, la paysannerie burundaise a connu, depuis longtemps, une crise consécutive à une population dont les effectifs augmentaient à un rythme rapide et inquiétant, et à un système de production au bord de la faillite. C’est ainsi qu’est née l’idée de création des projets agricoles qui, dans la quasi-totalité, étaient financés par les organismes internationaux, les coopérations bilatérales ou multilatérales et plus tard, les ONG. Compte tenu de l’hétérogénéité des milieux naturels71, des études de faisabilité ont été faites pour chaque projet afin de décider des lieux ou des régions où il fallait implanter tel ou tel projet suivant les potentialités de chacune. Le point commun à toutes ces organisations est qu’ils visaient à développer le monde rural, améliorer les conditions d’existence de la population rurale. « Tout projet de développement rural s’organise autour des rapports entre projet et paysans dont la nature particulière le différencie des autres projets productifs » (DURUFLE G., 1988). Certains projets œuvraient beaucoup plus dans le secteur agro-pastoral tandis que d’autres se penchaient essentiellement sur le secteur sylvicole. A côté des visées communes, chaque projet, suivant la région où il était implanté, avait des objectifs spécifiques. Les principaux objectifs des projets qui avaient comme zone d’action le Bututsi étaient les suivants : - l’aménagement agro-sylvo-pastoral afin d’assurer à la population l’augmentation des revenus monétaires avec le développement de l’agriculture et de l’élevage et de la sylviculture (exemple : Projet Bututsi-Sud à partir de 1969) ; - l’augmentation de l’utilisation des semences sélectionnées et leur plus grande diffusion en milieu rural (exemple : PASS de Kajondi dès 1990) ; - la recherche de l’autosuffisance dans l’approvisionnement en produits forestiers, la protection de l’environnement et la conservation des ressources naturelles (eau, sol), intégration d’arbres à usages multiples dans les exploitations agricoles (agroforesterie), amélioration des pâturages par la création des haies-paddocks (Projet forestier Bukirasazi, 1991) ;

71 Le pays compte onze régions naturelles et chaque région a ses propres caractéristiques surtout physiques (climat, aptitude des sols, topographie, etc.), ses propres potentialités, etc. 103

- renforcer les structures associatives par la création et la redynamisation des regroupements dans les domaines agricole, agro-pastoral, artisanal et commercial grâce notamment à la formation et à l’accès au crédit, promouvoir les activités génératrices de revenus en faveur des femmes et des jeunes en particulier pour accroître les opportunités d’emplois hors de l’exploitation agricole (PDAP : Projet pour le Développement Agro-Pastoral du Bututsi). Leurs stratégies étaient essentiellement centrées sur les activités de formation, de mise en place des infrastructures socio-économiques de base en vue d’augmenter ou d’améliorer la production agricole pour le bien-être économique et social. Ainsi, la plupart des projets étaient appelés : « projet de développement… », « projet d’appui à… », « projet de promotion… », « projet d’intégration… », « projet de lutte contre… », etc. (voir Annexe I).

104

Carte n° 7: Les projets de développement agricole au Burundi en 1991 Source : BIDOU J.E. et al, Géographie du Burundi, Hatier, 1991, p.161

1.3.3 Les principaux bailleurs du secteur agricole au Burundi

Compte tenu de la faiblesse des structures financières burundaises, il est normal que les principaux bailleurs soient les partenaires extérieurs. L’appui au secteur agricole au Burundi est donc fourni par les organismes internationaux de développement comme le PNUD, les banques (comme la Banque Mondiale) et fonds régionaux ou interrégionaux (le FIDA, la BAD, l’IDA etc.), les partenaires bilatéraux (il s’agit pour le cas du Burundi des pays comme 105 la Belgique, la France, l’Allemagne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, etc.), les

ONGS et enfin, dans une moindre mesure, l’Etat du Burundi.

1.3.3.1 Les bailleurs extérieurs

Les partenaires extérieurs d’appui au développement ont financé depuis bien longtemps le secteur agricole du Burundi. Il est important de souligner que les financements accordés par les divers bailleurs, étaient sous forme de crédits ou de prêts (BAD, FIDA et IDA) à moyen ou à long terme avec des taux d’intérêt relativement bas. Les financements du PNUD, de l’Union Européenne à travers le FED (Fonds Européen de Développement) sont par contre des dons.

Le PNUD a souvent centré ses interventions dans le développement des cultures vivrières, l’aménagement des marais, l’introduction de nouvelles technologies rurales de transformation et de conservation des produits vivriers, la multiplication des intrants avec la production des semences sélectionnées, l’aide à la formation des associations d’agriculteurs, la formation et l’encadrement des agriculteurs, la protection de l’environnement par des programme de reboisement, la recherche de la fertilisation des sols par l’amélioration des techniques culturales, etc.

Certaines des interventions de la BAD, du FIDA et de l’IDA sont les mêmes que celles que nous venons de citer pour le cas du PNUD (protection de l’environnement par le reboisement, aménagement des marais, l’approvisionnement en intrants agricoles etc.). En tant qu’institutions financières, les financements de toutes ces activités doivent être remboursés (sauf au PNUD). C’est probablement pour cette raison qu’elles ont beaucoup financé la promotion des cultures d’exportation (café, thé, coton, canne à sucre) supposées plus rentables du point de vue financier par rapport aux cultures vivrières. Aujourd’hui, le FIDA (Fonds International pour le Développement Agricole) finance, à travers le PTRPC (Programme Transitoire de Reconstruction post-Conflit), des activités de repeuplement du cheptel (bovin et caprin), d’aménagement des marais, bref, de soutien au secteur agropastoral dans trois provinces à savoir : Bururi, Bujumbura et Ruyigi. Le FIDA était également le principal bailleur du Projet Bututsi. A titre d’exemple, le 29 novembre 1988, un montant de 6.700.000 DTS a été approuvé par le FIDA pour le « Développement agro-pastoral du Bututsi ». L’Union Européenne, à travers le Fonds Européen de Développement, est beaucoup intervenu 106 dans le financement des anciennes Sociétés Régionales de Développement. Ces sociétés avait la finalité de promouvoir l’encadrement des paysans en milieu rural et dans cet encadrement, l’agriculture occupait une place très importante.

A l’exception de la Belgique (ancienne puissance colonisatrice) qui a depuis longtemps apporté un appui financier et matériel à la Faculté des Sciences Agronomiques de l’Université du Burundi et à quelques projets comme le Centre Semencier de Kajondi (se trouvant dans le Bututsi), les partenaires bilatéraux ne se sont pas beaucoup intéressés au financement du monde rural. Le Gouvernement belge a également financé entre 1988 et 1991 le Projet Pilote d’Aménagement Forestier du Sud Kirimiro-Bututsi (plus de 2000 ha de crêtes situées dans le Bututsi ont été reboisés). La Belgique s’est retiré en 1993, année qui correspond au déclenchement de la guerre civile qui a duré plus d’une décennie. La France a octroyé des bourses de stage et de perfectionnement des ingénieurs agronomes et d’autres professionnels du secteur agricole. Le Royaume-Uni, à travers l’ONG « Action Aid » mènent des actions en faveur du monde rural depuis plus de trois décennies. Les Etats-Unis, à travers l’ONG « USAID » ont également financé le Centre Semencier de Kajondi. La Chine s’est surtout intéressée à l’aménagement des marais et à la construction des infrastructures d’irrigation dans les périmètres rizicoles de la région d’Imbo. Ce sont, en fait, ces mêmes pays qui se retrouvent dans les organismes internationaux et c’est plutôt à travers ces institutions qu’ils préfèrent donner leurs aides.

Enfin, les Organisations Non Gouvernementales (ONGS) ont multiplié les activités ces dernières années surtout à cause de la guerre civile qui a débuté en 1993. Sauf quelques exceptions comme ACORD72, ces organisations concentrent leurs aides dans l’humanitaire (distribution des aides alimentaires), d’autres font la multiplication et la distribution des semences. Dans le Bututsi, quelques ONG comme COPED, CORDAID interviennent encore dans le secteur agricole et dans la construction des infrastructures (écoles, centres de santé, aménagement de sources d’eau potable, etc.).

72 ACORD (Agence de Coopération et de Recherche pour le Développement) est une ONG qui intervient dans la seule province de Cankuzo, travaille comme acteur du développement du secteur rural et agricole par des programmes de formation, de recherche, d’encadrement des paysans, de distribution d’intrants agricoles, et d’octroi des crédits en espèces ou en nature. 107

1.3.3.2 Le gouvernement du Burundi

Comme nous venons de le voir, le gros du financement du secteur agricole au Burundi est assuré par les partenaires extérieurs. L’Etat du Burundi intervient, lui aussi, dans le financement des projets agricoles et de l’agriculture en général, mais avec un pourcentage très faible. Il a toutefois un grand rôle à jouer dans la mesure où c’est lui qui prend en charge certains aspects comme l’administration du secteur par l’intermédiaire du ministère de tutelle, le Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage. D’après le Projet de loi portant Fixation du Budget Général de la République du Burundi pour l’exercice 2010 et adopté le 29/12/2009 par l’Assemblée Nationale du Burundi, les charges de l’Etat pour l’exercice 2010 s’élèvent à 860,927 milliards de Fbu. Les secteurs sociaux comme l’éducation nationale (y compris l’alphabétisation des adultes et l’enseignement des métiers) et la santé publique ont les plus grands budgets même si dans ces secteurs beaucoup de défis restent à relever. Ces ministères ont respectivement 169,629 milliards (soit 19,7%) et 66,509 milliards (7,7%). Le Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage n’a eu qu’une somme dérisoire de 18,037 milliards soit 2% seulement du budget total. Ce budget alloué au secteur agricole est jugé insuffisant dans un pays où sévissent des famines récurrentes dans de nombreuses régions et où plus de 90% de la population vivent de l’agriculture. Les spécialistes des questions agricoles estiment que, pour en finir avec l’insécurité alimentaire devenue chronique et la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, l’Etat devrait consacrer au moins 10% de son budget à l’agriculture qui, pour le pays, est un secteur hautement stratégique.

Dans un contexte de sortie de crise et de besoins criants en matière de développement, le Gouvernement du Burundi a souscrit en 2006 à un certain nombre de stratégies et a conçu son propre document de référence à savoir le Cadre Stratégique de Croissance et de Lutte contre la Pauvreté (CSLP). Dans un rapport de l’OAG (Observatoire pour l’Action Gouvernementale) qui fait une analyse sur la loi des finances 2007 au Burundi, on déplore la mauvaise affectation du budget de l’Etat qui accorde peu d’importance au secteur agricole. « Ce document (CSLP) place l’agriculture au centre des préoccupations des pouvoirs publics, mais le constat est que malheureusement le Budget national ordinaire consacré au Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage s’élève à un montant de 19 949 418 111 Fbu, soit environ 3,6% du total des dépenses ordinaires et d’investissement de l’Etat, ou 2,4% du 108

Budget national consolidé »73. Le même rapport souligne l’insuffisance notoire des budgets alloués aux Directions Provinciales de l’Agriculture et de l’Elevage (DPAE), considérées comme les bras droits du Ministère et qui ont besoin d’être dotées de moyens substantiels en termes de ressources financières et humaines. Il plaide en faveur de la l’affectation plus ou moins équitable du budget qui, aujourd’hui, est accaparé par le Cabinet du Ministère. Ce cabinet absorbe en effet, à lui seul, 74,9% des crédits alloués au Ministère (NZOSABA J-B., 2008). Le rapport déplore enfin le soutien insuffisant accordé à la recherche agricole (ISABU) et insiste sur la nécessité d’investir dans l’augmentation des rendements agricoles tenant compte de l’exiguïté des exploitations et de la forte densité de la population. Signalons que depuis plusieurs années, le budget de la Présidence de la République est de loin supérieur à celui de ce ministère.

1.3.4 Aperçu général des projets qui ont œuvré sur le territoire du Bututsi

1.3.4.1 Le projet Bututsi-sud

C’est le premier projet de développement rural à avoir vu le jour dans la région du Bututsi. Il a été créé en 1969 avec son siège à Mahwa en plein cœur du Bututsi à 100km de Bujumbura. Il s’inscrit dans le prolongement des ZAR (Zone d’Action Rurale) créées par l’INEAC (Institut National d’Etudes Agronomiques au Congo Belge) en 1957. Au départ, sa zone d’action s’étendait sur un petit nombre de collines pilotes : - Mahango (en commune Matana), - Mutangaro (en commune Rutovu), - Mubango (en commune Songa)

La première phase fut terminée en 1975, la seconde en 1980. Après la 3ème phase (la dernière) qui a pris fin en 1985, le projet s’étend sur tout le Bututsi et deviendra plus tard (en 1990) le Projet Bututsi qui lui aussi vient de fermer (2008) suite au manque de financements et à son incapacité à fonctionner avec ses fonds propres.

73 NZOSABA Jean Bosco, Analyse critique de la loi des finances, OAG, 2008

109

A son actif, le projet Bututsi-Sud a fait quelques réalisations dans sa zone d’action (une petite partie du Bututsi) bien qu’aujourd’hui, les impacts restent, dans l’ensemble, moins visibles. Il importe toutefois de citer quelques actions du projet. Le Projet Bututsi-sud a initié à la population les techniques agricoles comme l’usage des engrais de tout genre, la lutte antiérosive et l’amélioration des systèmes d’utilisation du fumier. Toujours sur le plan agricole et environnemental, le projet a financé le creusement sur les terroirs de collines de fossés antiérosifs. Les paysans, surtout ceux qui n’avaient pas assez de bétail, ont été incités à aménager des compostières pour produire du fumier. Sur des versants de colline en pente, des terrasses garnies de sétaria et de pennissetum servant de fourrage, ont été aménagées.

Dans le secteur de l’élevage, le projet visait surtout l’amélioration du cheptel bovin par le croisement, l’amélioration de l’alimentation et de la santé du bétail. Ainsi, en vue de gérer de façon rationnelle les pâturages, les parcours naturels ont été divisés en de petites parcelles appelées « paddocks ». Ces derniers ont un double avantage : en plus de leur rôle de diviser les pâturages en parcelles en vue de les enrichir et de ne pas les gaspiller, les arbres plantés constituent aujourd’hui l’essentiel du bois utilisé dans la région. Pendant la saison sèche, la plupart des éleveurs partaient en transhumance dans les régions basses voisines car les pâturages du Bututsi devenus très secs, n’étaient plus en mesure d’assurer l’alimentation du bétail. C’est pour cela que le projet a sensibilisé la population rurale sur la nécessité de planter les fourrages en vue d’abandonner petit à petit la pratique de la transhumance et d’apporter au bétail un complément alimentaire pendant la morte saison. Huit centres de dippage (ou dipping-tanks) ont été aménagés dans la zone d’action dans le cadre de l’amélioration de la santé animale. Certaines maladies qui avaient comme origine les tiques ont pu ainsi être maîtrisées grâce à cette opération de dippage. Enfin, la castration de jeunes taureaux jugés peu productifs ainsi que le croisement de la race locale Ankolé avec la race Sahiwal ont été effectués. Il a été démontré qu’un taureau castré (inkone) améliorait son rendement en fumier tandis qu’une vache hybride voyait son rendement en lait et en fumier doubler. On déplore aujourd’hui le fait que ces pratiques ne se sont pas propagées à travers tous les éleveurs de la région.

Dans le domaine de la sylviculture, le projet Bututsi-Sud avait l’ambition de reboiser toutes les crêtes dénudées en vue de les protéger contre l’érosion et de produire plus tard assez de bois. C’est ainsi que les chaînons de Ngabwe, Mutsinda, Kinwa…ont été plantés d’arbres et constituent aujourd’hui une ressource très importante en bois 110

1.3.4.2 Le Projet Bututsi

Le Projet pour le Développement Agro-Pastoral (PDAP) se situe, comme on l’a souligné ci- haut, dans le prolongement du Projet Bututsi-sud. Il a débuté en 1990 pour une durée de 5 ans (1ère phase) avec l’appui du FIDA et du FAD. Les activités proprement dites de la première phase ont débuté en 1992. Pour la première phase, sa zone d’action se limitait sur les communes de la province de Bururi situées dans le Bututsi. Il s’agit des communes Bururi, Matana, Songa, Rutovu et Vyanda. Avec la « provincialisation » des projets d’agriculture et d’élevage, la deuxième phase qui a débuté en 1998 a inclus la commune Mugamba dans la zone d’action du PDAP (voir carte n°8). Cette commune était depuis longtemps encadrée par le Projet CVHA. A l’instar d’autres projets agricoles, le PDAP avait comme finalité directe ou indirecte l’augmentation de la production ou du revenu agricole. Il avait comme mission principale la production et la diffusion des semences. La production était axée sur la multiplication des semences sélectionnées de pomme de terre, de maïs, de haricot, de petit pois, de sorgho, de blé et des boutures de patate douce. Cette multiplication se faisait à travers six centres semenciers appartenant au projet et répartis dans sa zone d’action. Il s’agit de Bururi et Muzenga en commune Bururi, Bitezi, Gitandu et Rubanga en commune Matana et en commune Rutovu.

111

Carte n° 8: Zone d’action du Projet Bututsi et les centres semenciers (à partir de 1998)

112

1.3.4.3 Le Projet d’Appui au Secteur Semencier (PASS) de Kajondi

Le PASS a été créé en 1981 sous le nom de « Ferme Semencière de Kajondi ». Dans la finalité de multiplier les cultures vivrières en haute altitude, il était considéré comme une extension du projet CVHA dont le siège était à Muramvya dans le centre du pays. A sa création, le PASS était financé par l’USAID, une ONG américaine. C’est à partir de 1990 que la Ferme Semencière de Kajondi se détache du projet CVHA et devint « Projet d’Appui au Secteur Semencier » sous le financement du gouvernement belge.

Contrairement à ce que certains croient et malgré son siège implanté en plein cœur du Bututsi à Kajondi (en commune Rutovu), le projet n’avait et n’a pas une connotation régionale. La mission qui lui était assignée était la production des semences sélectionnées en milieu rural, leur multiplication et leur plus grande diffusion à travers tout le pays via les DPAE. Son système de production des semences était organisé sous une forme pyramidale : il y a d’abord ce qu’on appelle la production « en régie » qui consiste en une multiplication des semences de pré-bases à partir des résultats directs de l’ISABU74. Cette action se faisait à partir de trois fermes semencières de base : les fermes semencières de Kajondi (en commune Rutovu avec 450ha) et Ruhuma avec 25ha (en commune Bukemba dans le Kumoso) toutes les deux situées dans le secteur sud, ainsi que la ferme semencière de Karuzi (environ 50ha) dans le secteur nord. Le projet collaborait aussi avec les privés multiplicateurs de semences. Il s’agissait en effet de procéder à une large multiplication des semences de base qui se faisait avec ces privés qui étaient éparpillés du sud au nord du pays en passant par le centre. Ce sont les communes : Bukemba, Rutovu, Songa, Ryansoro, Matana, Mugamba, Gisozi, Mugongomanga, Rusaka dans le secteur « sud » et Buhiga, Bukeye, Muruta, Ngozi, Busiga, Gashikanwa dans le secteur « nord ». Les semences de base étaient à leur tour données à toutes les DPAE du pays. Ces dernières devaient faire la même chose c’est-à-dire multiplier les semences de base pour produire des semences de troisième génération et enfin les distribuer à la population.

74 L’ISABU (Institut Agronomique du Burundi) à travers ses centres de recherche répartis un peu partout dans le pays, produit des semences de pré-bases qu’il donne au PASS en vue de leur multiplication. 113

Carte n° 9: Fermes semencières et communes concernées par la multiplication des semences 114

1.3.4.4 Le projet forestier Bukirasazi

Entre 1988 et 1991, un Projet Pilote d’Aménagement Forestier du Sud Kirimiro-Bututsi financé par le Gouvernement belge entreprend le reboisement de certaines crêtes quartzitiques du sud-Kirimiro et du Bututsi. Son champ d’action s’étendait sur plusieurs communes du sud Kirimiro dans la province Gitega (Gishubi, Ryansoro, Buraza et Bukirasazi) et une commune de Bururi (Rutovu). Après 1994, les activités forestières et agroforestières se sont étendues sur d’autres communes : Matana et Songa dans Bururi, Itaba et Makebuko dans Gitega ainsi que la commune Gitanga en province Rutana (voir carte n°10). Il avait pour ambition le reboisement des terres domaniales, la couverture des zones de pâturages par des haies paddocks ainsi que l’instauration d’un grand volet agroforestier dans les exploitations agricoles de la zone d’intervention. Dans son programme, il visait également la production et la diffusion d’herbes fixatrices dans les différents aménagements.

L’autosuffisance en produits forestiers qui constituent la principale source d’énergie du Burundi, la satisfaction des besoins locaux de la population en bois (bois d’énergie et de service) étaient les objectifs spécifiques de ce projet. Tous ces travaux contribuent de façon notable à la protection de l’environnement, à la conservation des ressources naturelles en eau et en sol qui sont des facteurs essentiels au développement du monde rural. Il s’agit donc d’un projet qui s’inscrivait parfaitement dans la politique forestière du Burundi.

Le projet Forestier Bukirasazi est donc une prolongation du Projet d’Aménagement Forestier du Sud-Kirimiro-Bututsi. Officiellement, les activités ont débuté durant la campagne 1993- 1994 sous le financement du Fond Africain de Développement. D’après les accords, son financement devait arriver à terme en 1998 mais grâce à un élargissement d’une phase de prolongation, le projet a finalement fermé ses portes en juin 2000. Aujourd’hui, sous une autre appellation, sa zone d’action s’est considérablement élargie et il opère sur tout le territoire national. Il est connu sous le nom de Projet d’Aménagement des Bassins Versants (PABV) et relève du Département des Eaux et Forets du Ministère de l’Aménagement, de l’Environnement et des Travaux Publics.

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Carte n° 10: La zone couverte par le Projet Bukirasazi en 1994

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1.3.5 Evaluation de l’impact des projets de développement agricole

Le Burundi, comme la plupart des pays en développement, a une économie basée sur le secteur primaire (essentiellement l’agriculture). Comme nous l’avons déjà souligné, le gros des investissements ont été consentis dans le secteur de l’agriculture à travers les projets de développement agricole financés par les bailleurs étrangers. La plupart de ces projets étant déjà terminés (leurs durées de vie étaient relativement courtes), le ministère ayant l’agriculture et l’élevage dans ses attributions devrait faire une évaluation pour voir leurs impacts socio-économiques afin d’en tirer les leçons et, si nécessaire, penser aux ajustements. Dans les lignes qui suivent, nous allons essayer de faire une évaluation des résultats de ces projets pour voir si ces derniers ont contribué directement ou indirectement, dans l’immédiat ou à terme, au développement du monde rural.

1.3.5.1 Les principaux critères d’évaluation

La quasi-totalité des projets de développement agricole (ou projets de développement rural intégré) s’étaient fixés comme objectifs primordiaux l’augmentation de la production agricole et du revenu des paysans. On constate malheureusement que, dans l’ensemble, la production agricole n’a pas augmenté durant ces vingt dernières années alors que le nombre de bouches à nourrir n’a cessé d’augmenter. La production a même chuté pour certaines cultures. Le premier critère d’évaluation est donc de voir si la production agricole ainsi que les revenus ont augmenté (voir tableau n°11, 12 et 13).

Tableau n°11: Evolution de la production agricole estimative par produit de 1985 à 2000 (en milliers de tonnes) au Burundi Maïs paddy blé sorgho éleusine haricot Petit arachide Pomme pois de terre 1985 157 20 6 240 12 301 32 80 37 1986 164 20 14 220 12 313 36 80 45 1987 165 23 15 200 12 315 38 80 47 1988 170 23 17 291 10 316 40 85 55 1989 138 37 8 72 10 287 27 94 32 1990 168 40 9 64 13 330 36 97 45 117

1991 172 40 9 65 13 338 37 98 46 1992 178 41 9 67 14 346 37 99 46 1993 172 39 9 65 13 337 37 14 45 1994 116 30 7 50 10 258 27 11 37 1995 153 27 9 66 14 319 37 13 42 1996 144 42 9 66 11 288 36 10 42 1997 195 50 10 68 17 280 37 9 51 1998 140 41 10 68 11 278 37 9 29 1999 129 59 8 60 10 227 32 10 24 2000 118 52 6 61 9 187 30 11 24

Patate manioc colocase igname banane Canne Coton Café Thé douce à graine marchand sec sucre 1985 555 520 105 7 1384 6 7 26 3 1986 615 554 126 7 1436 7 8 31 4 1987 615 555 130 7 1440 41 8 37 4 1988 650 620 140 10 1480 45 8 33 5 1989 659 698 127 8 1608 79 7 32 4 1990 664 569 128 8 1547 87 5 34 4 1991 680 584 132 8 1580 132 7 29 4 1992 700 597 135 8 1645 150 5 34 6 1993 680 584 132 8 1585 146 9 23 6 1994 507 471 103 8 1305 121 5 33 4 1995 674 501 102 8 1421 133 4 26 5 1996 670 544 95 8 1544 159 3 25 4 1997 680 603 105 11 1543 175 2 20 4 1998 576 792 96 11 1543 190 3 16 6 1999 734 617 90 13 1511 200 3 30 7 2000 687 657 81 10 1514 201 3 18 7 Source : Rapports des missions conjointes MAE-FAO-PAM 1985-2000

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Tableau n°12: Evolution de la production vivrière en tonnes au Burundi de 2000 à 2004 (en tonnes) Année 2000 2001 2002 2003 2004 Culture Maïs 117840 124395 126799 120376 123199 Blé 6097 8667 8290 8092 7493 Riz paddy 51678 60920 62648 61256 64532 Sorgho 60690 69074 72246 71471 74171 Eleusine 9465 10586 10706 10597 10597 Haricot 187437 248914 245287 230241 220218 Petit pois 29787 33174 33330 33091 32819 P de terre 24039 27319 27944 26338 26091 Igname 9628 9924 9924 9912 9912 Patate douce 687382 780859 833470 807940 834394 Manioc 656656 712713 749938 736012 709574 Colocase 80734 84700 85705 61136 61703 Banane 1513997 1548897 1602979 1550026 1586536 Source : Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, Département des Statistiques et Information Agricole, 2005.

Au regard de ces chiffres, on constate que pour certaines cultures, les quantités de 2004 sont inférieures à celles de 1985. Prenons par exemple le cas du maïs : la production est passée de 157000 à 123000 tonnes soit une diminution de 21%. La production du haricot est passée de 301000 à 220000 tonnes pendant la même période (soit une diminution de 27%). Pour d’autres cultures, la production est restée stable ou a enregistré une petite augmentation mais cette augmentation est très minime si on la compare à celle de la population. Les cultures commerciales comme le café et le coton ont également connu une régression.

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Figure n°5: Evolution de la production des principales cultures de 2000 à 2004

Source : Données du tableau n°12

Quant aux revenus de la population en général, le constat est que la situation est plus préoccupante.

Tableau n°13: Evolution du revenu rural moyen par tête et par an de 1985 à 2000 (en USD) Année 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 Revenu 238 259 253 240 225 213 212 200 Année 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 Revenu 163 193 208 144 159 143 127 120 Sources : 1. Burundi, problèmes de développement et d’ajustement structurel, rapport n°6754-BU, 2002 2. Mémoire du Burundi, Troisième Conférence des Nations Unies sur les Pays les Moins Avancés, 2002

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Figure n°6: Evolution du revenu moyen au Burundi (en USD)

L’on constate, à travers les chiffres (ou le graphique ci-haut), que la situation des revenus monétaires au Burundi est encore plus alarmante car le revenu moyen a été divisé par deux en 15 ans (ils sont passés de 238 à 120 USD de 1985 à 2000). On peut donc conclure que le burundais moyen mange de moins en moins et devient de plus en plus pauvre.

Le deuxième critère principal d’évaluation est de voir si les actions initiées par les différents projets ont été plus ou moins durables. En effet, en dehors de l’augmentation de la production agricole et du revenu, l’on peut se demander si les projets ont laissé derrière eux des traces visibles, palpables dans le paysage. On constate, malheureusement, que le degré de pérennité des actions des projets est extrêmement faible de telle sorte qu’on en perd facilement les traces.

Il est toutefois important de souligner que les projets de reboisement qui avaient comme zone d’action le Bututsi (ou même d’autres régions), ont laissé des traces tangibles : en reboisant les versants (dénudés par le surpâturage et les feux de brousse) et crêtes souvent rocheuses, ils ont contribué de façon notable à la lutte contre l’érosion et à la protection de l’environnement (voir annexe II). En plus, ces boisements constituent aujourd’hui la principale source d’énergie pour la région et les zones urbaines, sans oublier que certains paysans ayant planté leurs propres boisements dans leurs exploitations, perçoivent des revenus monétaires plus ou moins substantiels (voir chapitre II).

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1.3.5.2 Hypothèses sur les causes de l’inefficacité des projets

En analysant les données des tableaux numéro 11, 12 et 13, nous avons constaté que, globalement, la production n’a pas augmenté alors que le taux d’accroissement naturel de la population reste toujours très élevé. La situation d’insécurité et de guerre qui ont secoué le pays pendant plus d’une décennie, est également à l’origine de la chute de la production agricole et des rendements. Après quatre décennies d’exercice et d’intervention de ces projets, la situation alimentaire et celle des revenus laissent encore à désirer. Les défis du secteur agricole sont encore plus nombreux et de gros efforts restent aujourd’hui à faire pour enfin arriver à produire assez de vivres pour l’alimentation de la population. L’on peut dès lors se poser la question de savoir ce qui serait à l’origine de l’échec de ces organismes de financement malgré les moyens injectés dans le secteur agricole. De toutes les façons, il y a eu des lacunes dans le système de fonctionnement et de financement de ces projets et nous allons en relever quelques unes.

™ Insuffisance des appuis par rapport à la demande

Tous les organismes de développement du monde rural se sont caractérisés par la faiblesse des ressources financières consenties en matière agricole et par une incapacité notoire à organiser les approvisionnements. BUISJROGGE P. écrit à ce propos pour le cas de l’Afrique de l’Ouest : « Il faut remarquer les faibles investissements consentis par les planificateurs autoritaires en matière agricole, par opposition aux secteurs « modernes » de l’industrialisation et de la ville »75. Les quantités d’intrants agricoles ou d’autres équipements se sont toujours révélées insuffisantes (vu les besoins) et, c’est surtout la bureaucratie qui a le plus profité des avantages au grand dam du paysan. « L’agriculture a peu recueilli et les agriculteurs encore moins ! Souvent, ces organismes se sont montrés incapables d’organiser vraiment ce qu’ils préconisaient (approvisionnement en intrants, en équipements) et ont ponctionné à leur profit les revenus paysans » (BUISJROGGE P., 1989).

En nous appuyant sur les données recueillies auprès de ces projets, nous nous sommes rendu compte qu’effectivement l’offre des appuis des projets était loin de satisfaire la demande. Prenons par exemple le cas de la production ainsi que de la distribution des semences par le Projet Bututsi :

75 BUIJSROGGE Piet, Initiatives paysannes en Afrique de l’Ouest, Paris, L’Harmattan, 1989, p.185 122

Tableau n°14: Productions des centres semenciers (en tonnes) du Projet Bututsi de 1990 1990 1991 1992 1993 1994 1995 Maïs 27,658 24,44 29,16 27,5 28,3 20,71 Haricot 7,561 7,84 8,21 12,4 9,92 10,167 Petit pois 2,215 1,56 3,26 7,2 8,25 2,650 Blé 19,2 29,71 51,21 43,4 42 24 Pomme de 134,329 250,05 254,7 256,8 259,6 180,846 terre Sorgho 0 6,27 10,97 12,5 13 5,317 TOTAL 190,863 319,87 357,51 359,8 361,07 243,690 Source : Projet Bututsi, Rapports annuels.

Au regard de ces chiffres, on constate que cette production de semences sélectionnées est dérisoire par rapport à une forte demande sans cesse croissante. On va prendre comme exemple le cas du maïs, culture principale dans la région et qui occupe un espace important dans l’exploitation. Considérant que la population du Bututsi était de 195.000 habitants en 1990 avec une moyenne de 5 personnes par ménage, on avait à peu près 39.000 ménages. En supposant que le projet devait distribuer de façon équitable toute la quantité produite (ce qui n’est pas le cas), c’est-à-dire : 27.658kg de maïs à tous les ménages de la région, chaque ménage ne recevrait que 0,7 kg alors que pour planter un hectare de maïs, il faut au moins 50 kg de graines.

Tableau n°15: Distribution des semences (en tonnes) par le Projet Bututsi de 1990 à 1995 Années 1990 1991 1992 1993 1994 1995 TOTAL Cultures Maïs 5,99 20 19,247 15 10,26 17,71 88,207 Haricot 1,437 4,3 13,79 12,082 11,618 9,832 53,061 Pois 1,918 1,011 2,78 6,5 7,16 1,95 21,319 Blé 2,250 24 21,043 2,668 2,546 9,34 61,847 Pomme 27,943 111 194,595 160,113 154,977 145 769,628 de terre Sorgho 0 5,72 8,81 10,98 11,3 4,374 41,184 Source : Projet Bututsi, Rapports annuels

En comparant les données des tableaux numéro 14 et 15, nous pouvons faire les observations suivantes : on constate qu’il y a une différence très nette entre la quantité produite et celle distribuée à la population. L’on sait que chaque fois après la récolte, il y a une partie qui doit être réservée aux semences pour la saison suivante mais ce qui suscite interrogation c’est que la quantité distribuée nous paraît trop petite par rapport à la production totale pour une même 123 année : 21,043 tonnes de semences de blé distribuées aux agriculteurs (moyennant paiement ou en acceptant de restituer la quantité reçue après la récolte) en 1992 alors que la production totale avait été de 51,21 tonnes (quantité distribuée : 41% de la production totale). Supposons que la distribution a été la plus équitable possible (ce qui n’a jamais été le cas), chaque ménage obtiendrait moins d’un kilo de blé (0,55 kg).

Tableau n°16: Production des semences par les fermes semencières du PASS (1991- 1997) de Kajondi Année agricole Culture Superficie en Production en Rendement (en ha tonnes T/ha) 1990-1991 PDT 21 335,131 15,958 Maïs 22 56,620 2,573 Blé 47 72,2 1,536 1991-1992 PDT 32,5 528,636 16,265 Maïs 26,4 92,764 3,513 Blé 39 82 2,102 1992-1993 PDT 19,58 401 20,480 Maïs 37 65,636 1,773 Blé 45 101 2,244 1993-1994 PDT 12 164,008 13,667 Maïs 31,7 79,25 2,5 Blé 35,7 91,5 2,563 1994-1995 PDT 25 282,504 11,3 Maïs 35 52,5 1,5 Blé 45 96,25 2,138 1995-1996 PDT 31,7 404,374 12,756 Maïs 63 106,911 1,697 Blé 31 35,025 1,129

1996-1997 PDT 34,45 243,475 7,067 Maïs 47,14 30,564 0,648 Blé 19,5 9,342 0,479 Source : Projet d’Appui au Secteur Semencier, Rapports annuels.

D’après les données de ce tableau, on peut faire le commentaire suivant : pour un projet qui produit des semences pour les distribuer dans tout le pays, les superficies emblavées sont trop petites pour produire les semences pouvant satisfaire la demande nationale. En plus, les différentes productions (blé, maïs, pomme de terre) sont jugées trop insuffisantes pour fournir les semences à toutes les DPAE du Burundi.

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Tableau n°17: Distribution des taureaux de race Sahiwal sur certaines collines par le Projet Bututsi-sud en 1979 Collines Nombre de Population Nombre de Nombre de Nombre de vaches en 1979 taureaux vaches pour personnes (sahiwal) un taureau pour un taureau Gahanda 848 1790 1 848 1790 Gihanga 1260 1440 5 252 288 Gikwazo 400 1960 - - - Kampezi 1220 1680 - - - Kiririsi 567 1220 1 567 1220 Mahwa 915 1640 4 228,8 410 Musenyi 1666 2220 5 333 444 Muzenga 421 1720 1 421 1720 Mutangaro 1643 1160 8 202,5 145 Ruringanizo 1808 1820 9 200 202,2 Rutoke 511 1180 - - - Rwego 671 1250 10 67,1 125

Total 11.930 19080 44 271,1 704,8

Source : - Projet Bututsi-Sud, Rapport annuel, 1979 MERTENS A., Contribution à la connaissance des régions naturelles du Burundi : Superficie et population par colline de recensement, ISABU, publication n°5, 1981

Ces taureaux sont en nombre très insuffisant par rapport au nombre total de vaches et d’éleveurs: 44 taureaux c’est-à-dire 1 pour 271,1 vaches et 1 pour 704,8 personnes. En plus, la distribution n’a pas été effective sur toutes les collines et ne s’est pas poursuivi les années qui ont suivi.

™ Mauvaise affectation des financements

Certains projets (surtout ceux financés par le PNUD) se sont avérés inefficaces du fait de la mauvaise répartition des montants des budgets. «Dans les pays (en Afrique en particulier) où le développement inconsidéré de l’appareil étatique constitue l’un des problèmes-clé, la fonction de ces projets est très souvent de faire vivre une bureaucratie d’Etat confondant administration et développement et dont le coût est sans commune mesure avec son impact sur la production ou son efficacité au plan social »76.

76 MICHAÏLOF Serge, Les apprentis sorciers du développement. Mythes technocratiques face à la pauvreté rurale, Paris, ECONOMICA, 2ème édition, 1988

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Tableau n°18: Affectation des budgets de quelques projets financés par le PNUD selon les grandes rubriques de dépenses Code et/ou titre du Période Montant du Rubriques des dépenses projet couverte Budget en USD Personnel Formation Equipements Divers (salaires) BDI/85/005 1986-1989 909060 617883 79999 126085 85093 « Intensification des (=68%) (=9%) (=14%) (=9%) cultures vivrières dans les marais de Muyinga », phase I BDI/85/008 « Promotion 1986-1989 684923 368104 71700 165010 80109 de la production agricole (54%) (=10%) (=24%) (=12%) par la transformation des produits vivriers et l’introduction de la traction animale » BDI/87/010 « Appui au 1989-1993 1636000 1477000 0 (0%) 43000 (3%) 116000 développement rural (=90%) (7%) intégré de la province de Karuzi » BDI/87/011 1989-1993 201000 158500 10500 20000 12000 « Intensification des (=79%) (=5%) (=10%) (6%) cultures vivrières dans les marais de Muyinga », phase II BDI/89/001 « Promotion 1989-1992 1505310 953380 183330 235000 133600 des technologies agro- (=63%) (12%) (=16%) (=9%) alimentaires artisanales » BDI/93/007 « Appui à la 1993-1997 2818050 2516650 55000 211400 35000 coordination de (=89%) (=2%) (=8%) (1%) l’assistance et au programme de réhabilitation, de reconstruction et de relance de l’économie » Développement de base 1993-1997 9665800 5518800 1635000 1289000 1223000 d’une politique de (=57%) (=17%) (=13%) (=13%) sécurité alimentaire durable, volet « Augmentation de la production agricole » BDI/97/006/ « Appui à 1995-1997 1704130 1089130 90000 20000 505000 la sécurité alimentaire (=64%) (=5%) (=1%) (=30%) Total 19124243 12699447 2125529 20000 2189800 (=66%) (=11%) (=11%) (=12%) Source : Recueil des fiches de projets, Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), Bujumbura-Burundi, Décembre 1998

La rubrique « Personnel » indique les salaires payés aux différents personnels techniques locaux ou expatriés ainsi que le personnel d’appui (comptables, secrétaires). La rubrique « Formation » concerne les formations sur place et les bourses d’études à l’étranger pour quelques personnels. La rubrique « Equipement » est constituée des véhicules tout terrain et 126 autres véhicules, le matériel de bureau, l’équipement de télécommunication, etc. Les divers comprennent les autres dépenses qui ne sont pas classées dans les rubriques précédentes. Il s’agit notamment des frais de mission pour le personnel, de l’entretien des équipements, des fonds d’appui aux agriculteurs et éleveurs.

A travers ces chiffres, on constate que les salaires se taillent la part du lion dans les dépenses des projets (66%). Pour certains projets, cette proportion va jusqu’à 90% (« Appui au Développement Rural Intégré de la Province Karuzi », « Appui à la coordination de l’assistance et au programme, de reconstruction et de relance de l’économie »). Les autres rubriques se partagent le reste des financements (entre 10 et 12% pour chacune). DECOUDRAS P.M. souligne à propos : « Le coût très élevé, au regard de l’efficacité de la méthode, était une autre approche, de même que les sommes dérisoires qui revenaient aux bénéficiaires annoncés, les agriculteurs, puisque l’essentiel du financement servait au fonctionnement d’un appareil administratif peu productif »77. Le même auteur ajoute qu’ « outre le fait que l’on cherchait encore à imposer plutôt qu’à convaincre on sait quelles sommes considérables furent dépensées, dont une faible partie seulement était réellement investie au niveau des bénéficiaires supposés, en milieu rural » (DECOUDRAS P.M, 1997). Ces salaires sont en plus répartis de façon très inégale entre les personnels. En effet, avec les mêmes qualifications, les mêmes expériences et la même charge horaire, un expert expatrié gagne 5 fois plus qu’un expert national. On voit donc que la plus grande partie des fonds est utilisée pour payer un personnel expatrié. Ce dernier n’est pas, à proprement parler, impliqué dans les activités de production. Le pays dispose d’un certain nombre de personnel qualifié (ingénieurs agronomes, économistes) pouvant remplacer valablement ces experts expatriés.

Quant aux équipements achetés par les projets (véhicules tout terrain, matériel de bureau, matériel de télécommunication, etc.), ils ont surtout servi à leur fonctionnement interne et le paysan, supposé premier bénéficiaire des bienfaits des projets, n’en a tiré aucun avantage.

Les fonds alloués aux « divers » n’ont pas non plus profité aux agriculteurs. Elles représentent toutefois une part non moins importante du budget (30% par exemple pour le projet BDI/97/006 « Appui à la sécurité alimentaire »).

77 DECOUDRAS Pierre-Marie, A la recherche des logiques paysannes, Paris, Karthala, 1997, p.12 127

La rubrique « formation » a été très négligée (2% pour certains projets, nulle pour d’autres) alors que c’est elle qui devait être privilégiée car l’acquisition des connaissances agronomiques pratiques ou théoriques s’avèrent indispensable pour la population bénéficiaire et pour la réussite d’un projet agricole.

Vu la façon dont les fonds ont été utilisés par les projets financés par le PNUD, on peut conclure que le monde rural en général et l’agriculture burundaise en particulier, n’en ont pas profité.

™ La plupart des projets ont duré un temps relativement court

« Certains spécialistes des questions du développement pensent que le faible impact des actions menées par les projets de développement rural est en partie dû à leur brièveté temporelle sur terrain » (HABARUGIRA P., 2002). Nous partageons le même point de vue avec cet auteur car on s’est rendu compte que, pour le cas du Burundi, certains projets (surtout ceux financés par le PNUD) avaient une durée de vie très courte (2 à 3 ans). Les projets sont en effet destinés aux populations rurales souvent sans aucune formation. Or, assimiler les différentes formations suppose un temps relativement long au bout duquel le paysan devrait s’en servir et de façon autonome. En plus, étant donné que le paysan n’a jamais été associé dans les phases préparatoires, ce temps reste insuffisant pour la bonne compréhension des avantages des projets. Les projets qui avaient le Bututsi comme zone d’intervention, ont tous couvert une période plus ou moins longue par rapport aux projets du PNUD (chaque phase couvrait au moins une période de 4 ans et chacun a eu deux ou trois phases). Mais le constat de l’échec reste le même dans la mesure où certains projets se sont effacés, n’ont pas laissé de traces tangibles après leur fermeture. D’autres projets ont, tout de même, eu des effets bien qu’il arrive que ces derniers soient difficiles à observer.

™ L’inefficacité des méthodes vulgarisées

L’approche des experts des projets de développement partait du postulat qu’il existait des techniques modernes et efficaces démontrées par les spécialistes en agronomie et indispensables pour l’amélioration de la production agricole. En les imposant, manu militari, au monde rural, on croyait que, dans la suite, tout irait mieux. On supposait que les parcelles de démonstration et les tournées nombreuses du personnel administratif et technique chargé de la formation, de la vulgarisation et de la mise en application de ces techniques suffisaient à 128 convaincre la population cible. Cette méthode de transfert de technologie décidé au plus haut pour être imposé aux paysans, a été plutôt le point de départ de l’échec. « Un premier inconvénient majeur résidait dans le fait que l’information s’effectuait toujours dans le seul sens descendant » (DECOUDRAS P.M, 1997). SENTAMBA E. a fait, pour le cas du Projet Agro-Sylvo-Pastoral de Rutana, le même constat : « la conception et la direction des actions s’opère au centre et sont ensuite imposées à la périphérie »78.

Les projets ayant œuvré dans le périmètre du Bututsi organisaient, plus souvent, des séances de démonstration des méthodes et techniques agricoles. Le projet Bututsi a par exemple, dans le volet agriculture, organisé des séances de démonstration sur des parcelles : méthodes culturales, semis en ligne, utilisation des semences sélectionnées, les amendements, utilisation des engrais et des produits phytosanitaires, etc. Le projet a également vulgarisé l’aménagement des compostières et les méthodes de lutte contre l’érosion. Dans le secteur de l’élevage, des séances d’insémination artificielle pour le croisement de la race Sahiwal et Ayshire avec la race locale ankolé (amélioration génétique) ont été organisé à l’intention des éleveurs du Bututsi. La deuxième phase du projet (qui a débuté en 1998) prévoyait inséminer 500 à 600 vaches par commune et par an. Le développement des fermettes laitières79 a eu un impact positif sur la production du lait. En vue d’améliorer l’alimentation du bétail et la santé animale en général, des blocs à lécher ont été distribués ainsi que des produits vétérinaires et concentrés. Enfin, des concours agricoles étaient organisés chaque année et les agriculteurs modèles recevaient des primes constitués d’argent, d’animaux de race moderne et de matériel agricole.

Pendant ce moment où les projets étaient opérationnels, tout semblait marcher bien. Certains agriculteurs et éleveurs ont par ailleurs profité des actions du projet (ou des projets) dans la mesure où ces dernières ont contribué à l’augmentation de la production agricole et pastorale. Leur nombre était malheureusement limité et ces actions ne se sont pas généralisées sur toutes les collines ou chez la majorité des paysans. L’on voit maintenant que les techniques vulgarisées n’ont pas servi à grand-chose car le système de production n’a pas beaucoup

78 SENTAMBA E., Représentations, pouvoirs et développement local : le projet agro-sylvo-pastoral de Rutana (Burundi), Pau, Université de Pau et des Pays de l’Adour, Thèse, 2001, 650 p.

79 Il s’agissait de donner à crédit des génisses de race laitière (Sahiwal, Ayshire, Frisonne) aux éleveurs remplissant certaines conditions (ne pas avoir par exemple plus de trois têtes de gros bétail, avoir planté dans son exploitation au moins 25 ares de culture fourragère, avoir creusé dans son exploitation une compostière et une fosse, etc.). 129 changé. On est toujours en présence d’une paysannerie qui ne vise que la subsistance. « On comprend alors que, quel que soit l’environnement agro-écologique ou socio-économique, l’objectif prioritaire permanent en milieu rural se situe avant tout au niveau de la reproduction du groupe et de sa sécurité » (BUISJROGGE P., 1989). Le paysan continue à cultiver comme il le faisait il y a 60 ans avec un matériel agricole moins performant et rudimentaire. La production agricole n’a pas dans l’ensemble augmenté surtout après la fermeture du projet.

™ La mauvaise gouvernance

Les troubles et guerres civiles qui ont secouées le pays depuis les années 1960 n’étaient pas de nature à favoriser la croissance économique et en particulier celle de la production agricole. Elles ont plutôt fait de nombreux dégâts tant humains que matériels et ont perturbé l’activité agricole. La guerre de 1993 a par exemple contraint des centaines de milliers de burundais à fuir leurs collines qui servaient de terrain de bataille, certains devenant des déplacés intérieurs, d’autres franchissant les frontières du pays pour se réfugier dans les pays voisins surtout la Tanzanie. Aucune région du Burundi n’a été épargnée par la guerre mais cette dernière n’a pas eu partout la même ampleur. La région du Bututsi par exemple figure parmi celles qui ont été les moins touchées mais elle a subi des attaques répétitives (1997, 1998, 2000, 2001) qui l’ont beaucoup déstabilisé provoquant ainsi une chute notable de la production agricole sans oublier un nombre important de personnes qui y ont laissé leurs vies.

La même guerre a également contraint certains bailleurs d’arrêter (momentanément ou définitivement) leurs activités et de retourner chez eux. Le Projet d’Appui au Secteur Semencier de Kajondi qui bénéficiait d’un financement du gouvernement belge s’est vu laissé à lui-même. Les financements promis au Projet Bututsi n’ont jamais été décaissés (ils n’ont jamais dépassé 50%) en totalité pendant la période de crise. Cela signifie que le désengagement des bailleurs internationaux n’a pas été suivi d’une prise en main de ces projets par l’Etat.

Les lacunes du Gouvernement du Burundi ont également été observées ici et là. Le personnel de direction des projets a par exemple été changé plusieurs fois, ce qui a souvent provoqué une certaine instabilité dans le déroulement des travaux. L’Etat burundais n’a pas en plus prévu ses propres financements afin de permettre aux projets de continuer à fonctionner après 130 le départ des bailleurs. Enfin, selon certains analystes, quelques dépenses étaient jugées inutiles sans parler de détournements ou de malversations éventuelles qui auraient conduit les projets à la ruine. Les équipes chargées de la gestion financière et administrative des projets en sont, dans tous les cas, responsables.

Au Burundi comme dans beaucoup de pays du Tiers-Monde, la mauvaise gouvernance politique et économique est certainement un facteur très important du sous-développement. En matière agricole par exemple, la mauvaise gouvernance s’est aussi exprimée à travers l’absence d’une politique de soutien aux agriculteurs et de valorisation du métier (amélioration des conditions de travail). En conclusion, les projets de développement rural se sont, dans l’ensemble, soldés par des échecs dans la mesure où l’objectif fondamental, qui était l’augmentation de la production et l’amélioration du cadre de vie de la population, n’a pas été atteint. Sur le bilan du projet agro- sylvo-pastoral de Rutana, commencé en 1980 et achevé dix ans plus tard, SENTAMBA E. (2001) écrit par exemple: « Le projet a réussi sur les mesures d’accompagnement, c’est-à- dire dans la construction des infrastructures d’appui comme les pistes rurales, les travaux de génie civile, la construction de bâtiments… et échoué sur le cœur de la policy projet politique, c’est-à-dire l’agro-sylvo-pastoral ». MICHAÏLOF S. (1988) conclut en écrivant : « La lutte contre la pauvreté rurale est souvent décevante de lenteur et constitue à travers le monde une longue suite de déceptions, de difficultés et d’échecs». C’est pour cela que le Gouvernement du Burundi devrait revoir les approches d’intervention dans le secteur agricole. A côté des montants qui peuvent s’avérer insuffisants vu la demande, les financements n’ont pas été affectés aux activités s’attaquant aux vrais problèmes du secteur. Les distorsions dans l’allocation des ressources disponibles devaient donc être corrigées et donner ainsi la priorité aux actions qui visent à aider le paysan à sortir de la misère dans laquelle il croupit.

131

Chapitre II : ESSAI D’ÉVALUATION DES REVENUS DES EXPLOITATIONS AGRICOLES

La région traditionnelle du Bututsi connaît, comme on l’a déjà souligné, des problèmes complexes au niveau de la gestion de son système agricole. Elle s’inscrit dans le contexte général de l’évolution des exploitations agricoles du Burundi. Sa production alimentaire globale actuelle est loin de satisfaire la demande locale ou, tout au moins, d’assurer l’autoconsommation des ménages.

Dans la plupart des régions du Burundi, la crise alimentaire est due en grande partie aux exploitations agricoles devenues trop exiguës suite à une forte pression démographique en milieu rural. Il s’agit ici d’une question devenue problématique car nous sommes en présence d’une population essentiellement rurale (plus de 90% de la population totale) qui doit sa survie à la terre. L’explosion démographique en milieu rural a provoqué au Burundi un accroissement considérable de la pression foncière et cela a eu comme conséquence une extension des surfaces cultivées au détriment des pâturages et des jachères, la diminution de la surface moyenne de l’exploitation agricole, une régression de l’élevage, le défrichement des terrains marginaux, l’accentuation du phénomène d’érosion, la baisse généralisée de la fertilité avec ses effets sur la production et les rendements, ce qui a provoqué la généralisation du chômage ou du sous-emploi à la campagne. Une pareille situation n’est pas totalement absente dans le Bututsi même si elle n’est pas encore généralisée. L’espace cultivable n’est pas totalement épuisé ou en passe de l’être80. Mais, ce qui reste toujours étonnant c’est ce déficit au niveau de la production agricole qui maintient toujours la région dans une perpétuelle dépendance vis-à-vis des régions voisines.

Depuis la colonisation, les autorités politiques et administratives ont très tôt constaté que les terres (agricoles comme non agricoles) du Burundi se dégradaient à un rythme inquiétant. C’est ainsi qu’elles ont entrepris des mesures visant à protéger les sols contre l’érosion sous toutes ses formes et à augmenter la production agricole (lutte antiérosive, programmes de

80 D’après les données de 2002 sur la taille moyenne des exploitations du Burundi par province (MANIRAKIZA R., 2007), la province de Bururi qui englobe 75% du territoire du Bututsi vient en troisième position après Karuzi et Cankuzo (Karuzi : 4,41ha, Cankuzo : 2,49 ha, Bururi : 2,15 ha contre 0,93 ha pour Kayanza et 0,86 ha pour Muramvya, la moyenne nationale étant de 1,25 ha). Les estimations issues de nos enquêtes de 2007 sur le Bututsi donnent une moyenne de 2,05 ha par exploitation. 132 reboisement, création de centres de recherche agronomique et zootechnique, diffusion d’animaux de race plus productive, etc.). Un peu plus tard, après l’indépendance (à partir des années 1970), des projets de développement intégré ont été implantés à travers le pays. Ils convergeaient tous sur le même objectif : amélioration du secteur agricole, pastoral et sylvicole, et par conséquent celle du niveau de vie de la population. Malgré l’action de ces projets, l’agriculture du Bututsi accuse toujours un grand déficit au niveau de sa production et l’importation des vivres en grande quantité reste une réalité dans la région. Par contre, le nombre de bouches à nourrir n’a cessé d’augmenter jusqu’aujourd’hui. Nous allons dans ce chapitre faire un aperçu de la production agricole et pastorale globales ainsi que les revenus issus des exploitations.

2.1 Les productions agro-pastorales du Bututsi

Malgré son faible rendement, le travail de la terre reste au centre du système paysan du Bututsi et toutes les autres activités sont, dans l’ensemble, considérées comme secondaires. Cela veut dire que le secteur agricole du Bututsi est à considérer à la fois comme source d’alimentation de la grande majorité de la population, principal pourvoyeur d’emploi et de revenus et donc moteur principal de l’économie paysanne. Ce sont les cultures vivrières en l’occurrence les céréales, les légumineuses, les tubercules ainsi que les fruits et légumes qui fournissent l’essentiel de la production agricole du Bututsi. Les cultures dites commerciales (ou de rente) comme le café cultivé dans la plupart des régions du Plateau Central, le thé cultivé principalement dans le Mugamba, le coton dans l’Imbo et dans le Kumoso, le palmier à huile, etc. ne poussent pas dans le Bututsi. L’élevage pratiqué est un élevage extensif et peu productif constitué du gros et du petit bétail. Il joue néanmoins un rôle primordial dans le système de production agricole grâce surtout au fumier qui contribue de façon significative à l’amélioration de la production.

2.1.1 La production vivrière et le problème de la quantification

Il n’est pas aisé de déterminer avec précision la quantité de produits alimentaires récoltés dans les exploitations d’autant plus que le paysan burundais n’est pas habitué à mesurer et à enregistrer sur un support (papier, ordinateur) la quantité de ses récoltes. Même les statistiques disponibles produites et publiées par l’ISTEEBU ou le Ministère de tutelle (Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage) via les différentes DPAE installées dans toutes les provinces du Burundi, ne sont que des estimations, elles aussi difficiles à obtenir. 133

« L’estimation de la production d’une exploitation agricole, estimation qui doit être aussi fiable que possible, à défaut d’être précise, est une tâche ardue » (COCHET H., 2001). BIDOU J.E. écrit quant à lui à propos des données concernant la production agricole du Burundi : « la production alimentaire est mal connue ; elle est d’autant plus difficile à connaître que les outils de la statistique agricole sont encore peu précis »81. Bien qu’elle soit estimative, une étude quantitative reste malgré tout nécessaire dans la mesure où elle nous aide à avoir une idée plus ou moins approximative sur le volume de la production agricole ainsi que celle des produits de l’élevage. En plus, l’intégration de la paysannerie burundaise dans l’économie de marché nous impose de tenter de faire des estimations des revenus monétaires du paysan.

Les bilans portant sur la production vivrière nationale ont été publiés de façon un peu régulière sous forme de rapports de l’administration coloniale belge. Après l’indépendance, ces informations étaient publiées dans les annuaires statistiques ou dans les rapports du Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage. Ces données ont été souvent soumises à des critiques car elles se caractérisaient par une certaine discontinuité. Cette dernière s’observe entre les séries de la période coloniale et celles de la période post-coloniale. Des irrégularités ont été également observées surtout quand il s’agit de tracer une courbe d’évolution de la production notamment des hausses ou baisses brusques de la courbe. « De façon générale, de telles réévaluations de la production suivent des enquêtes agricoles régionales qui montrent régulièrement une sous-estimation de la production » (BIDOU J.E., 1994).

Dans les systèmes d’agriculture de subsistance comme celle du Burundi, une bonne partie de la récolte est autoconsommée par les membres du ménage, une autre minutieusement conservée pour servir de semences pour la prochaine saison tandis que la troisième partie est offerte au marché. « L’autoconsommation constitue 90% du volume des vivres produits, l’échange des 10% restant sert à nourrir la population non agricole »82. Le tableau suivant illustre les modes d’acquisition des aliments dans les différentes régions du Burundi.

81 BIDOU J.E., Croissance de la population et mutations agraires au Burundi, Bordeaux, Université Michel de Montaigne de Bordeaux III, Thèse d’Etat, Géographie, tome I et II, 1994 82 D’HAESE Luc, NDIMIRA Pascal-Firmin et NDIMUBANDI Jean, Suivi et Evaluation des Projets de Développement Rural dans la Région des Grands-Lacs d’Afrique. Leçons tirées de l’expérience du Burundi en matière de suivi-évaluation des projets agricoles, Institute of Development Policy and Management, University of Antwerp, 2004

134

Tableau n°19: Structure des consommations annuelles des ménages par

Part du mode d’acquisition Achats Auto- Cadeaux Aides (en %) consommation alimentaires (en %) Ensemble 48,4 46,0 3,4 2,3 Milieu rural 43,0 50,9 3,6 2,5 Milieu urbain 92,7 5,5 1,6 0,2 Bujumbura 94,8 3,6 1,5 0,1 mairie Bugesera 53,5 39,5 3,7 3,3 Buragane 32,7 62,4 2,9 2,0 Bututsi 57,2 40,7 1,7 0,4 Buyenzi 41,7 52,8 4,8 0,7 Buyogoma 39,0 54,4 3,4 3,2 Bweru 43,8 46,5 3,7 6,1 Kirimiro 40,6 53,8 3,4 2,2 Kumoso 32,9 51,7 2,9 12,6 Imbo hors Buja 51,5 43,3 3,4 1,8 mairie Mugamba 45,4 52,0 2,4 0,2 Mumirwa 41,1 55,3 3,5 0,2

Source : ISTEEBU, 2006

Il ressort de ce tableau que le Bututsi est un grand consommateur de produits achetés à l’extérieur de l’exploitation : 57,2% alors que la moyenne nationale n’est que de 48,4%. Après les zones urbaines (mairie de Bujumbura et les autres milieux urbains) où les activités agricoles ou pastorales ont une importance minime, on constate que le Bututsi occupe le premier rang (sur onze régions naturelles) dans l’achat au niveau des structures de consommation. Elle est classée par contre à l’avant-dernière position au niveau de la consommation de ce qui a été produit dans l’exploitation (autoconsommation). Malgré ce déficit, le Bututsi ne figure pas sur la liste des régions qui bénéficient de l’aide alimentaire des organisations humanitaires (0,4% seulement).

Si on arrive à dégager un surplus, ce dernier peut être vendu et procurer, par le fait même, des revenus monétaires indispensables à la satisfaction d’une partie des besoins des ménages. Il peut même ne pas s’agir de véritable surplus car, la plupart des fois, le paysan vend une partie de sa récolte non pas qu’il s’agit d’excédent mais parce qu’il a besoin d’argent. Il ne faut pas oublier que dans certaines régions comme le Bututsi, et cela figure dans les traditions et 135 mentalités des gens, une partie de la récolte peut être offerte gratuitement ou sous forme de dons aux voisins, aux amis ou proches parentés (kugemura). Aujourd’hui, avec l’ « essor » de l’urbanisation, un parent qui va rendre visite à ses enfants résidant en ville n’y va pas les mains vides. Il part avec une quantité de vivres constitués essentiellement de haricot, de maïs, un régime de banane (ou une cruche de bière produite à partir de cette même culture), de la pomme de terre, quelques farines (de maïs, de blé, de sorgho, de manioc) et quelques fois un poulet.

Le total de toutes ces quantités de vivres constitue la production agricole globale et reste, dans tous les cas, estimatif. Pour bien faire cette estimation, il faut bien entendu prendre en compte toutes les productions de l’exploitation et pas seulement la partie de la récolte qui donne lieu à des échanges monétaires (produits vivriers et bière de banane qui sont vendus au marché). C’est-à-dire qu’on doit obligatoirement inclure la partie autoconsommée par le ménage sans oublier les éventuels dons offerts aux amis ainsi que les rémunérations en nature données à certains ouvriers agricoles.

Il devient dès lors difficile de déterminer avec précision la production agricole annuelle ou saisonnière83 de la région. Mais il faut savoir que depuis longtemps, le Bututsi est la région qui vient au dernier rang au niveau de la production agricole. Sur l’ensemble du territoire national, il existe une énorme disparité entre les régions du point de vue production agricole : « Du point de vue régional, on distingue des régions généralement excédentaires (Bugesera, Imbo, Bweru, Kumoso) qui occupent les plaines et plateaux de l’Est et de l’Ouest du pays où la pression démographique est modérée, des régions déficitaires de montagnes (Mugamba, Bututsi) et des régions où la densité de population est très forte (Buyenzi). D’autres régions fort peuplées (Kirimiro et Mumirwa) atteignent tout juste la couverture de leurs besoins alimentaires » (BIDOU J.E, 1994). Toujours d’après le même auteur, il n’existe pas au Burundi de données agricoles qui puissent donner une image de son agriculture pour un moment donné, comme c’est le cas pour son voisin le Rwanda. « Au Burundi, les enquêtes S.N.E.S s’étalent sur une période de 7 ans pour couvrir la totalité du pays, périodes où alternent les bonnes et les mauvaises années. L’année 1985 est excellente au Buyogoma pour

83 Le pays connaît deux saisons culturales : la première commence avec la fin de la saison sèche donc avec la tombée des premières pluies (mi-septembre, début octobre). C’est la saison A ou Agatasi. La seconde débute avec le mois de février-mars quand on sème ce qui sera récolté en juin-juillet (début de la saison sèche). On l’appelle saison B ou Impeshi. 136 le haricot, très bonne également au Bututsi pour le maïs en 1982-83. Ceci altère évidemment la physionomie d’ensemble » (BIDOU J.E., 1994).

2.1.1.1 Evaluation de la production agricole

Les paramètres écologiques (conditions pédologiques et climatiques) du Bututsi jouent un rôle déterminant dans la mise en valeur agricole de la région. Nous avons déjà décrit les sols de notre zone d’étude et nous avons vu qu’ils se caractérisent globalement par une extrême pauvreté. Nous avons par la suite souligné qu’il y a une forte différence entre les champs fumés et ceux qui sont dépourvus de tout fertilisant, ce qui démontre que le rôle primordial du fumier dans la production agricole de la région. La plupart des personnes interrogées nous ont affirmé que: « udafise amase nti yimbura » (sans fumier, on ne peut pas prétendre avoir une bonne production). Cela veut dire que posséder un troupeau important influe de façon significative sur le volume de la production. C’est pourquoi d’ailleurs l’objectif numéro un du paysan-éleveur de la région reste toujours la production du fumier pour la fertilisation de ses champs. D’après nos enquêtes (2007), 77% des ménages possèdent au moins 1 bovin, 92% ont au moins un animal domestique (bovin, ovin, caprin, porcin, lapin ou volaille) en vue de produire du fumier.

Il importe aussi de signaler que la détermination de la superficie moyenne de l’exploitation est nécessaire dans la quantification de la production. D’après les données de nos enquêtes, la taille moyenne de l’exploitation agricole du Bututsi, en 2007, était de 2,05ha. Il s’agit d’une superficie relativement importante par rapport celle de la plupart des régions autres surtout celles régions surpeuplées. Afin de rendre significative la quantité de la production agricole, il est également nécessaire de faire le point sur les superficies emblavées par chaque type de culture. A partir de ce moment, il devient possible de déterminer les productions par unité de surface (rendements).

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Tableau n°20: Superficie moyenne (en ares) des principales cultures par ménage et par commune (zone couverte par le Projet Bututsi) en 2003 Culture Bururi Matana Mugamba Rutovu Songa Vyanda Superficie % par moyenne rapport à par la culture superficie totale cultivée Maïs 30 80 41 34 52 74 51,8 42 Pomme de 10 25 18 9 9 9 13,33 11 terre Patate 5 22 11 14 31 9 15,33 12 douce Haricot 2 18 28 9 19 13 14,8 12 Manioc 12 - - 3 13 47 12,5 10 Légumes 0,2 0,7 0, 2 4 0,2 1 1,05 1 Le bananier 12,97 16,3 2 14,05 17,8 18,1 13,53 12 Total (en 59,2 145,7 98,2 73 124,2 152 122,23 100 ares) Sources : - Projet Bututsi pour les données communales - Les deux dernières colonnes ont été créées par nous-mêmes à partir des données communales.

Figure n°7 : Superficie occupée par chaque culture dans l’exploitation (en %)

Source : réalisé à partir du tableau n°20

Cette répartition des superficies occupées par chaque culture n’est pas un fait du hasard ; elle a une signification. En effet, il existe traditionnellement une trilogie culturale dans le Bututsi. Celle-ci est essentiellement composée de légumineuses, de céréales et de tubercules. Parmi les 138 légumineuses, le haricot occupe une place de premier plan. Le petit pois est considéré dans la région comme une légumineuse de seconde zone.

Dans la deuxième catégorie, le maïs occupe actuellement presque exclusivement la quasi- totalité de la superficie emblavée par les céréales (42,37%). Le sorgho accaparait il y a quelques décennies une place de choix (20%) dans les exploitations de la région. Aujourd’hui, cette céréale a presque complètement disparu des exploitations agricoles du Bututsi. Plus de 80% de la récolte du sorgho étaient transformés en une bière qui était très appréciée par la population de la région et même considérée comme fondement des relations sociales.

Enfin, les plantes à tubercules dominées par la patate douce et la pomme de terre sont parmi les cultures constituant la base de l’alimentation de la population et occupent à peu près un quart des superficies emblavées (23,53%).

Tableau n°21: Productions moyennes des cultures vivrières dans les communes situées dans le Bututsi (en tonnes) en 2005 banane haricot maïs maniocpatate pomme colocase blé petit douce de pois terre

Bururi 6095 2005 3993 3520 7920 7749 493 - 85 Matana 11400 1031 3186 05 8701 3498 295 - 25 Rutovu 16403 1477 5764 6186 42295 11137 452 29 17 Songa 14371 2685 8207 11779 11748 9450 - - - Vyanda 3300 1810 2165 2564 4910 4599 493 - 83 Ryansoro 17147 3219 4110 400 33850 278 - - - Total 86716 12227 2742524454 10942436711 1733 29 210 Source : Ministère de la Planification du Développement et de la Reconstruction, Programme d’Appui à la Gouvernance, Monographie de la province Bururi, DPAE Bururi, 2006

139

Tableau n°22: Valeur de la production vivrière dans les communes situées dans le Bututsi en 2005 (en tonnes et en millions de Fbu) Prix à Bururi Matana Rutovu Songa Vyanda Ryansoro Valeur la totale tonne Banane 80.000 487,6 912 1312,2 1149,6 264 1371,7 5497,1 Haricot 600.000 1203 618,6 886,2 1611 1086 1931,4 7336,2 Maïs 400.000 1597 1274,4 2305,6 3282,8 866 1644 10969,8 Manioc 250.000 880 1,25 1546,5 2944,7 641 100 6113,45 Patate 100.000 792 870,1 4229,5 1174,8 491 3385 10962,4 douce Pomme 250.000 1937,2 874,5 2784,2 2362,5 1149,7 69,5 9177,6 de terre Colocase 200.000 98,6 59 90,4 - 98,6 - 346,6 Blé 550.000 - - 159,5 - - - 159,5 Petit pois 900.000 76,5 22,5 17,1 - 74,7 - 190,8

Figure n°8 : Valeur de la production vivrière des communes du Bututsi en 2005 (en millions de Fbu)

Source : Etablie à partir du tableau n° 22

Au cours de nos enquêtes, nous avons fait des estimations quantitatives sur la production agricole du Bututsi. La méthodologie utilisée consistait d’abord à regrouper les cultures par catégorie : les céréales, les légumineuses, tubercules, les fruits et légumes et la banane. Pour les trois premières catégories, chacune est dominée par une culture : le maïs pour la catégorie des céréales, le haricot pour les légumineuses tandis que la patate douce et pomme de terre se 140 partagent plus ou moins équitablement la fourchette des tubercules. Ensuite, pour mesurer les quantités, nous nous sommes donné des unités de mesure. Chaque paysan sait plus ou moins approximativement les dimensions d’un sac de céréale ou de légumineuse (sous forme de graines sèches) qui pèse 50kg ou 100kg. On a donc mesuré ces deux cultures en terme de sac (pour quelqu’un qui dit par exemple qu’il a obtenu pour la haricot 1 sac de 100kg et la moitié d’un sac de 50kg, l’on comprend directement qu’il a récolté au total 125kg).

Pour le cas du maïs, il s’est posé un problème : certains paysans conservent cette denrée dans les greniers (surtout ceux qui en produisent encore plus). Dans ce cas les épis ne sont pas séparés des graines. Il y en a même qui, pour éviter les éventuelles déprédations des insectes ou des rongeurs, ne les séparent pas de l’écorce extérieur et les laissent souvent sécher à l’extérieur c’est-à-dire dans la partie située à l’arrière de la maison principale (mu kigo). Il devient dès lors difficile d’estimer la quantité produite. Ce problème n’a pas non plus été difficile à résoudre car le paysan sait déduire le nombre de sacs de graines que peut contenir un grenier plein de maïs : au moins 5 sacs de 100kg soit une demi-tonne. Toujours dans cette gymnastique, on pouvait estimer le poids d’un grenier moitié plein (ou moitié vide), rempli au ¾, etc.

Photo n° 8: un grenier à Vyanda

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Quant aux tubercules, ils ne sont pas conservés dans des sacs parce qu’ils sont périssables quelques jours après la récolte. Pour le cas de la patate douce par exemple, on va dans le champ et on prélève la quantité qu’on va consommer endéans au maximum deux jours ou éventuellement, la fraction que l’on veut immédiatement vendre au marché. L’estimation de la quantité récoltée a été obtenue en mesurant la quantité qu’un ménage moyen consomme par jour (1,8 kg) et en estimant le nombre total de jours de prélèvement. Ce nombre varie aussi en fonction des dimensions de la parcelle et du rendement. La pomme de terre peut être conservée pendant un temps relativement long (par rapport à la patate) dans un hangar sous certaines conditions de température et d’humidité. Comme elle figure parmi les cultures les plus vendues dans la région, chaque paysan sait approximativement combien de sacs ou de kilos il en a vendu ou consommé.

Pour la banane, nous avons estimé qu’un régime moyen de banane pesait autour de 25kg. Le paysan peut donc savoir facilement combien de régimes en moyenne il cueille par mois. On peut également partir du nombre de cruches de bière produits par mois pour savoir le nombre de régimes de banane récoltés (pour fabriquer par exemple une cruche de bière de 20 litres, il faut en moyenne 3 régimes).

Concernant la dernière catégorie c’est-à-dire celle constituée de fruits et légumes, nous avons procédé de la même façon (en terme de sacs). Signalons ici que les plantes fruitières ainsi que les légumes, n’occupent pas chez l’agriculteur de la région, une place aussi privilégiée que celle des trois premières catégories. Les données de nos enquêtes sur la production agricole du Bututsi ont été recueillies en 2007 mais l’on sait qu’une année peut être bonne par rapport à la précédente (ou à la suivante), les conditions météorologiques ou pédologiques y étant déterminantes. Le volume de la production peut également dépendre pour chaque culture d’une colline à l’autre, d’une commune à l’autre ou même d’une exploitation à une autre etc.

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Tableau n°23: Estimation des productions agricoles annuelles (en kg) par ménage (en 2007) et leurs valeurs nutritionnelles Aliment Quantité Nombre de Nombre Nombre Nombre Nombre moyenne kilocalories de g de de g de de g de total de produite pour 100g protides glucides lipides kcal (en kg) pour pour pour 100g 100g 100g Maïs 411 97,1 3,7 18,7 1,2 399081 16% 79% 5% Blé (farine) 35 353 1,2 75 9,5 123550 1% 88% 11% Pomme de terre 400 81,72 2 18,9 0,1 326880 10% 90% 0% Patate douce 500 111,52 1,8 26 0,5 557600 6% 92% 2% Autres Taro - - - - - tubercules Manioc 20 350 0,6 86 1,5 70000 (farine) 1% 98% 2% Haricot (sec) 270 318,22 20,2 58,8 1,6 859194 25% 73% 2% Petit pois 29 87,49 6,4 4 0,4 25372 59% 37% 4% Fruits (avocat) 50 131,56 1,8 0,8 14,2 65780 11% 5% 85% Légumes choux 44 34 0 7 1,2 14960 0% 85% 15% tomates 55 21,15 1 3,7 0,3 11632 20% 74% 6%

Productions Viande 10 250 20 1 17 25000 animales bœuf 53% 3% 45% Viande 7 160 9,5 0 19 11200 chèvre 33% 0% 67% Lait 146 litres 60,49 3,2 4,6 3,5 90965 (150,38kg) 28% 41% 31% Total 258121 4 Source : - Enquêtes personnelles (2007) - www.p.rozet.free.fr (pour les valeurs nutritionnelles)

On peut lire sur le site http://www.food.gov.uk les informations suivantes sur la consommation de calories: « Les recommandations données pour une consommation journalière de calories font référence à un adulte avec une activité modérée. Pour les femmes, elle devrait être autour de 2000 et pour les hommes autour de 2500-2800 kilocalories par jour. Les jeunes enfants ont besoin d’environ 1300 kilocalories par jour. Pour les enfants de 7 à 10, les besoins énergétiques moyens estimés sont de 1970 kilocalories par jour pour les 143 garçons et 1740 kilocalories pour les filles. Mais ceci n’est pas un guide ; de nombreux enfants ont besoin de plus que ces estimations et certains moins, selon plusieurs facteurs, dont leur niveau d’activité physiques». Il faut donc pour un ménage de 5 personnes (un homme, une femme, deux enfants de plus de sept ans et un jeune enfant) environ 9500 kilocalories par jour. Ce qui fait que le même ménage aura besoin de consommer en moyenne 3.500.000 kilocalories pendant une année, une quantité de calories largement supérieure à celle que peut générer les différentes productions (végétales et animales) des exploitations.

La comparaison des productions des communes du Bututsi avec celles des régions voisines prouve effectivement que la région est moins productive.

Figure n°9 : Productions agricoles des communes Matana et Mabanda (en tonnes)

Source : Monographies des deux communes, 2006

La commune de Matana, avec une population de 37522 habitants (en 2005)84 se trouve dans la province Bururi et est située entièrement dans la région du Bututsi. Sa production agricole moyenne annuelle (entre 2001 et 2005) a été estimée à 28141 tonnes. Quant à la commune Mabanda, située entièrement dans la région basse du Buragane (voisine du Bututsi), sa production annuelle a été estimée à 105600 tonnes, pendant la même période, et avec une

84 ISTEEBU, Projet Appui à la Politique Nationale de Population (PNP), 2007 144 population de 36826 habitants. L’on se rend compte donc que la commune Mabanda est plus productrice que la commune Matana (0,74 tonnes par habitant pour Matana contre 2,86 tonnes/habitant pour Mabanda)85.

2.1.2 Les productions animales

2.1.2.1 Les effectifs du bétail Malgré la régression de l’élevage survenue durant les deux dernières décennies suite à la réduction plus ou moins sensible des zones de parcours et à la crise politico-sociale qui a secoué le Burundi depuis 1993, cette activité garde toujours dans la région une place très prépondérante. Un paysan sans bétail (essentiellement les bovins) voit sa production agricole diminuer d’année en année.

Les effectifs des bovins du Bututsi comparés à ceux des autres régions du Burundi, sont de loin les plus importants (voir tableaux n°24 et 25). Le cheptel bovin est inégalement réparti sur le territoire national et cette inégale répartition est due, en partie, à la disponibilité (ou la non disponibilité) de pâturages. D’après les chiffres des années 80, les provinces de Bururi, Muramvya et Kayanza d’une superficie d’à peu près 25% de la superficie du pays, abritaient 47% du cheptel national. « Ces provinces correspondent globalement aux régions du Bututsi et du Mugamba où le nombre de têtes par hectare s’élève à 0,80 au Bututsi et 0,30 au Mugamba alors que celui par habitant est respectivement de 0,65 et 0,30. L’effectif du troupeau bovin (du Burundi) a été estimé en 1988 à 424.100 têtes» (BIDOU J.E et al. 1991, p.148). Signalons que le cheptel burundais a été fortement touché par la guerre civile qui a commencé en 1993 comme on peut le lire dans ce qui suit : « Avec plus de 500.000 bovins recensés avant la guerre civile des années 1994 et plus de 1,5 million de petits ruminants auxquels s'ajoutaient 100.000 porcs et au moins 2 millions de volailles, le pays disposait, en effet, d'un élevage consistant qui pouvait facilement contribuer à 5% du Produit intérieur brut (PIB), dit-on dans les milieux spécialisés d'éleveurs au Burundi. L'effectif bovin se situerait aujourd'hui à moins de 400.000 têtes de bétail, estime-t-on du côté du ministère burundais de l'Agriculture et de l'Elevage»86. Le Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage (1983) estimait la population bovine du Bututsi à 113.200 têtes, ce qui représentait environ le cinquième du

85 Par cet exemple, nous avons voulu montrer que le Bututsi est moins productif par rapport à ses régions voisines. 86 http://www.afriquejet.com/afrique-centrale/burundi/repeuplement-intensif-du-cheptel-bovin-au-burundi, septembre 2009 145 cheptel national alors qu’à cette époque la population du Bututsi qui s’élevait à 172.830 habitants (BERGEN D.W., 1981) représentait 4,3% de la population totale. Au début des années 80, NDAYISHIMIYE J.P. estimait l’effectif moyen de bovins par exploitation à 4,3 têtes, une moyenne largement supérieure à la moyenne nationale comme on peut le voir dans le tableau suivant.

Tableau n°24: Comparaison des bovins des exploitations du Bututsi avec ceux des autres provinces Colline du Bututsi % d’exploitations Nombre moyen de Nombre moyen de avec bovins bovins/ exploitant bovins/exploitation avec bovin Mahango 64 4,3 6,6 Ruzira 51 2,8 5,5 Rutundwe 62 3,8 6 Rwego 62 4,3 6,9 Mutangaro 57 5,5 9,7 Kiririsi 58 7,3 12,6 Moyenne 57 4,3 7,6 Quelques provinces du Burundi Ngozi 24 0,7 2,8 Gitega 33 0,7 2,1 Muyinga 13 0,6 4,8 Ruyigi 40 1,5 3,8 Source : NDAYISHIMIYE J.P., 1980

Tableau n°25: Comparaison des effectifs du cheptel de la province Bururi avec ceux des autres provinces en 2006 Bovins Ovins Caprins Porcins Volailles Total Bururi 99237 55411 98084 11930 115323 379985 Ruyigi 7970 6231 68069 2556 39269 124089 Cibitoke 16662 7683 91365 10165 57554 183429 Kayanza 16877 19950 103193 22824 27023 189867 Source : Monographies des provinces, DPAE (2006)

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Figure n°10 : Le cheptel des provinces Bururi, Ruyigi, Cibitoke et Kayanza

Source : Etablie à partir des données du tableau n°25

Figure n°11: Comparaison des effectifs de bovins des quatre provinces

Source : Etablie à partir des données du tableau n°25

Soulignons que les chiffres disponibles sur les effectifs de bovins ne sont pas bien précis : ils sont souvent sous-estimés. En effet l’impôt sur le gros bétail existe depuis la période coloniale. Lors des recensements, les éleveurs ne déclarent jamais toutes les têtes de bétail 147 qu’ils possèdent87. Le jour de la perception de cette taxe, ils les cachent dans les buissons ou les agents communaux chargés de la perception reçoivent des pots de vin et ferment les yeux. « Le Ministère de l’agriculture et de l’élevage centralise les résultats des recensements par commune, par province, et finalement donne généralement des effectifs largement sous- estimés. En effet, ces chiffres sont liés à la perception de l’impôt, dû par les éleveurs sur toutes les têtes de gros bétail de plus de un an. La dissimulation est générale » (BIDOU J.E (1994).

Nous référant par exemple aux données plus récentes du Ministère de l’Intérieur et du Développement Communal (2007) sur les recettes communales et sachant que la commune perçoit 500 Fbu par tête quel que soit l’âge de la bête, nous avons encore une fois fait des estimations des effectifs du gros bétail pour certaines communes et nous sommes arrivés aux résultats suivants :

Tableau n°26: Effectif des bovins par commune en 2007 Commune Effectif Bururi 2938 Songa 1720 Matana 1747 Rutovu 2646 Vyanda 279

Comme nous l’avons déjà vu, ces données sont exagérément sous-estimées si nous les comparons à celles fournies par la DPAE Bururi (voir tableau n°27) deux ans avant (2005). Le refus de payer l’impôt explique en partie cette sous-estimation. En plus, un effectif non déterminé de vaches appartenant aux personnes vulnérables (les orphelins : ils sont en nombre non négligeable dans la région surtout ceux du SIDA, les handicapés) n’est pas inclus dans la

87 Ceci rappelle une anecdote : en 2001, le mouvement politique rebelle du CNDD-FDD (actuel parti au pouvoir depuis août 2005) a attaqué la partie sud-est du Bututsi (Rutovu) et la commune Gitanga (province Rutana) située au sud de Rutovu, faisant plusieurs victimes (dégâts humains et matériels). Beaucoup de paysans se sont vus dépossédés de leurs troupeaux de bovins. L’administrateur de Rutovu de passage à Muhweza accompagné de militaires, a rencontré la population sinistrée qui avait fui pour se regrouper sous la protection des forces de l’ordre. Cette population a donc imploré l’administrateur pour que ce dernier fasse tout son possible afin de récupérer leurs troupeaux volés. Et à l’administrateur de répondre de façon très sadique : « maintenant que vous les avez perdues vous en acceptez la possession, mais quand il s’agit de payer l’impôt gros bétail, vous dites que vous n’en avez pas» (ubu ho ko bazitwaye muremera ko mwari muzifise ariko iyo hageze gutanga ikori nti muzemera). 148 mesure où ces personnes ne paient pas l’impôt sur le gros bétail. On peut aussi se demander si les administrateurs communaux transmettent à leurs autorités hiérarchiques (Ministère de l’Intérieur) de « vraies » données concernant la trésorerie de leurs communes, dans la mesure où les écarts entre les chiffres fournis par les deux ministères, sont énormes comme on peut le constater dans le tableau suivant.

Tableau n°27: Effectifs du gros bétail dans quelques communes du Bututsi En 2005(1) En 2007(2) Bururi 16750 2938 Songa 12000 1720 Matana 12102 1747 Rutovu 15993 2646 Vyanda 6350 279 Total 52395 9330 Source : (1) Direction Provinciale d’Agriculture et d’Elevage de Bururi (2) MININTER, Département des Finances Communales

On constate donc, à travers ces données, que les résultats sont aussi dissemblables que possibles (le rapport est situé entre 5 et 6).

Dans les années 1970-1980, seules les campagnes de vaccination systématique contre certaines épidémies du bétail (surtout contre la fièvre aphteuse et le charbon) ou le système de dipping-tank (ou bains détiqueurs) pour éradiquer les tiques pouvaient fournir des données plus fiables88. BIDOU J.E (1994) a fait le même constat et a souligné qu’il n’existait pas de méfiance des éleveurs vis-à-vis des services vétérinaires. « Ce sont donc des statistiques relativement sûres et, à l’époque (lors des enquêtes SEDES de 1969), elles avaient permis de mesurer la sous-estimation par rapport au rôle de l’impôt à 50% environ ; le pourcentage déclaré variant entre 25 et 88% selon les arrondissements ». Maintenant le dipping-tank a été abandonné parce que présentant des effets négatifs sur l’environnement et certains paysans possèdent leurs propres pulvérisateurs pour le détiquage de leurs troupeaux. Le Ministère de l’agriculture et de l’élevage, via les services vétérinaires, n’organise plus de campagnes de vaccination.

88 Chaque vache se trouvant dans la zone d’action du projet Bututsi-Sud devait porter sur son oreille une boucle portant un numéro individuel. Cette opération s’effectuait après le dippage qui avait lieu au moins une fois par semaine et permettait de connaître avec beaucoup plus d’exactitude l’effectif du gros bétail (sauf les petits veaux) de la zone d’action du projet. 149

Les données issues de nos enquêtes concernant les effectifs du cheptel par ménage sont contenues dans le tableau suivant :

Tableau n°28: Effectifs du cheptel par ménage du Bututsi Animaux Effectif Bovins 4,72 Ovins 1,74 Caprins 2,99 Porcins 0,16 Volaille 3,3 Autres 0,002 (1) (1) Lapins essentiellement Source : Enquête personnelle (2007)

Ces données sont plus récentes et ne sont pas très différentes de celles fournies J.P. NDAYISHIMIYE : 4,72 bovins par ménage en 2007 contre 4,3 en 1980. L’on a souligné au début de ce chapitre que l’élevage a régressé alors que l’effectif moyen actuel par exploitation est légèrement supérieur à celui de 1980, ce qui semble paradoxal ou contradictoire. Ce qu’il faut préciser ici c’est que le nombre de paysans possédant du bétail a sensiblement augmenté (77% des personnes enquêtées possèdent au moins un bovin). Dans le temps il n’était pas rare de voir un troupeau de 50 bêtes (ou même plus) appartenant à un seul propriétaire, chose extrêmement rare aujourd’hui. C’est donc le nombre de gros éleveurs qui a régressé. Notons que ces données ne sont que des estimations mais qui ne sont pas éloignées de la réalité car quand l’enquêteur n’est pas un agent communal, il peut récolter des informations plus fiables concernant le gros bétail. Il s’agit aussi des moyennes dans la mesure où l’effectif du cheptel varie d’une exploitation à une autre (pour les personnes enquêtées, l’effectif des bovins varie de 0 à 30).

A travers les chiffres des tableaux n°28 et 29, on constate que les bovins ne sont pas les seules bêtes qu’on élève dans la région : caprins, ovins, porcins, quelques volailles ont leur place dans le fonctionnement de l’appareil productif des exploitations du Bututsi.

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Tableau n°29: Situation du cheptel et volailles des communes du Bututsi en 2005 Communes Bovins Ovins Caprins Porcins Volailles Total Bururi 16750 4323 7715 1622 15315 45725 Matana 12102 5103 8532 1926 14900 42563 Rutovu 15993 3021 9512 929 12667 42122 Songa 12000 3200 6054 3950 6100 31304 Vyanda 6350 5850 10130 975 12300 35605 Ryansoro 7847 3888 6828 647 5311 24521 Vugizo 3461 2714 7643 411 6214 20443 Total 74503 28099 56414 10460 72807 Source : Ministère de la planification, du développement et de la reconstruction nationale, Monographies des communes, 2006

Figure n°12 : Effectifs du cheptel et de la volaille

Source : Etablie à partir des données du tableau n°29

151

Photo n° 9: Un troupeau de bovins et d’ovins

2.1.2.2 Les produits animaux

Les bovins du Bututsi sont pour la plupart de race locale ou « ANKOLE ». Elles sont de taille moyenne avec un rendement faible (en lait, en viande et en fumier). D’après le tableau n°23, (p.142) l’apport nutritionnel des aliments d’origine animale est négligeable dans l’alimentation de la population de la région (4,9%). Il en est de même pour tout le pays comme le souligne BIDOU J.E (1994) : « Au Burundi, l’apport nutritionnel qui est à plus de 95% végétarien est étroitement lié aux cultures vivrières. On estime en effet que seulement 1,5% des calories proviennent de l’élevage et 0,5% de la pêche ». Ces bovins sont par contre beaucoup plus résistants aux maladies. Cette insuffisance des productions animales est aggravée par les pâturages de la région qui restent dans l’ensemble pauvres et très dégradés suite à leur surexploitation ou aux feux de brousse répétitifs. Même avec la complémentation fourragère, l’alimentation du bétail est toujours lacunaire comme l’a démontré POSY P, « Les sols du Bututsi sont extrêmement pauvres en calcium, phosphore, sodium, Les herbes ou fourrages cultivées sur ces sols sont également pauvres en minéraux. Les besoins de l’animal 152 ne sont pas couverts par le broutage du parcours et la complémentation fourragère. Un apport spécifique en minéraux est nécessaire »89

La période de lactation dépasse rarement 6 mois ; après la quantité de lait est minime. « Déduction faite de la quantité absorbée par le veau, la production de lait d’une vache est estimée à 100 litres par lactation. Pour tout le Burundi, la F.A.O estime la consommation moyenne à 14 litres par habitant et par an, quantité extrêmement basse en comparaison avec celle des autres pays90 : A l’échelle planétaire (selon la même source), les plus grands buveurs de lait en 2004 étaient les roumains avec 163 l/personne, secondés par les australiens (98,2 l) puis les américains (89,1 l). Pas moins de 86% de la production mondiale de lait provient de la vache, 10% du buffle des Indes et le reste est produit par d’autres animaux laitiers comme la chèvre, la brebis, le chameau. Les chiffres détaillés sur la production et la consommation de lait au Burundi en général et dans le Bututsi en particulier font défaut mais nous sommes convaincus que, du fait du nombre relativement élevé de bovins par rapport à d’autres régions, la production et la consommation du Bututsi dépassent la moyenne nationale. D’après nos estimations, chaque ménage du Bututsi produirait 0,4 litre de lait/jour, c’est-à-dire qu’un habitant du Bututsi consomme en moyenne 29,2 litres de lait par an. Du fait du nombre relativement élevé de têtes de bovins par rapport à d’autres régions, on voit que la production et la consommation dépasse la moyenne nationale. Cette moyenne (du Bututsi) est plus ou moins comparable à celle de certains Etats d’Afrique subsaharienne comme le montre le tableau suivant :

89 POZY P., L’alimentation des bovins dans le Bututsi, Atelier du Bututsi, Service Pré vulgarisation, Fiche technique n°17, ISABU, 1993

90 WWW.Passeportsante.net 153

Tableau n°30: Quelques chiffres sur la consommation laitière en Afrique Pays Consommation de lait et Apport protéique journalier produit laitier assuré par cette consommation laitière (sur base de 30g de protéine par litre de lait) Burkina Faso 26 l/personne/an 2,14 Cameroun 15 l/personne/an 1,23 Mali 55 l/personne/an 4,52 Moyenne Afrique sub- 35 l/personne/an 2,88 saharienne Source : COLLECTIF ALIMENTERRE, Les enjeux du développement de la filière laitière en Afrique, 2006

Dès la création du centre zootechnique de la Ruvyironza (Mahwa) dans les années 50, des croisements entre race locale et race moderne (sahiwal) ont été effectués dans le but d’améliorer le rendement. Les spécialistes en matière du croisement affirment que la pratique du croisement d’absorption des animaux de race Ankolé par la race zébu Sahiwal entraîne une amélioration de la productivité laitière du troupeau exploité en conditions d’élevage semi- extensif. « Avec un rationnement composé du broutage sur parcours naturel toute l’année et d’une complémentation fourragère en saison sèche, la quantité de lait trait d’une vache croisée Sahiwal x Ankolé est au moins double de la quantité de lait trait d’une vache Ankolé »91.

La quantité de beurre que l’on peut extraire d’un volume de lait dépend de la quantité de cette matière première (le lait). Les exploitations qui produisent encore ce produit sont en nombre suffisamment réduit. La pénurie du beurre modifie négativement l’équilibre gastronomique de la population. Elle se traduit par la diminution des éléments lipidiques dans le régime alimentaire. Dans les années 50 et 60, le beurre était vendu aux marchands arabes installés dans les centres de négoce de Bururi et de Matana. Après le départ de ces derniers, le commerce de ce produit est devenu très rare jusqu’aujourd’hui. Le beurre a été par la suite échangé contre les pots des artisans Batwa ou contre certains de leurs services (par exemple la réparation des ustensiles de cuisine). Dans la zone d’étude, le beurre extrait du lait de vache a été remplacé par l’huile de palme en provenance de Rumonge et de Nyanza-Lac, deux grandes zones productrices de cette plante oléagineuse, situées dans la partie basse du sud- ouest du pays au bord du lac Tanganyika. Malgré cette insuffisance du beurre et du lait, il

91 POZY P. et BANZIRA M., Etude du croisement d’absorption Sahiwal en haute altitude au Burundi (Bututsi), ISABU, 1988 154 importe de souligner l’existence de deux fromageries dans le Bututsi, l’une à Kiryama appartenant au Diocèse catholique de Bururi, l’autre à Rutovu, gérée par un privé. Les prix de ce produit sont prohibitifs (le prix au producteur d’un fromage de 400g est de 2,5 dollars en moyenne) tandis que la quantité offerte reste insignifiante. Il faut en effet 10 litres de lait pour fabriquer un kilo de fromage (www.suisswold.org). D’après les responsables des deux fromageries, celle de Rutovu produit en moyenne 1000kg/an et celle de Kiryama 2500kg. Bujumbura constitue d’ailleurs le grand marché d’écoulement de cette denrée. D’après nos enquêtes, 75% des personnes interrogées ont au moins un revenu en provenance de l’activité pastorale, mais 1,3% seulement de ces dernières nous ont affirmé qu’elles vendent du beurre. Il s’agit d’un produit qui a très rarement fait objet d’une quelconque commercialisation dans la région et ceux qui en produisent encore peuvent l’offrir gratuitement aux amis ou aux enfants et parentés qui habitent la ville.

Un autre produit animal, avec un rôle primordial dans le système de production, est constitué par le fumier du bétail produit dans les étables. Le rôle du fumier dans le système de culture du Bututsi est très déterminant. La pratique de la fumure est très ancienne et a été depuis bien longtemps mise en évidence : « Les paysans du Ruanda-Urundi se préoccupent de fumer leurs terres. Outre les déjections abandonnées sur les éteules par les troupeaux, les paysans transportent soigneusement sur leurs champs le fumier qu’ils ont accumulé à l’extérieur de leur rugo Le nom d’ifumbiro est donné au tas de fumier qui est chaque jour enrichi des déchets provenant de la maison et des excréments du bétail » (KJEKSHUS H. cité par BIDOU, 1994). La paysannerie burundaise et celle du Bututsi en particulier a élaboré une civilisation agro-pastorale où l’agriculture et l’élevage sont complémentaires, intimement liés, voire indissociables. Pour qu’ils puissent produire quelque chose, les sols doivent obligatoirement bénéficier d’un apport d’engrais (organiques ou chimiques). C’est pourquoi le rêve de tout paysan de la région est d’acquérir un bovin ou un autre animal (caprin, ovin) par achat ou par un autre moyen, pour pouvoir produire un peu de fertilisants. « Au Bututsi, les exploitants sans bétail achètent le fumier ; pour beaucoup d’autres qui n’ont qu’un seul bovin c’est souvent un mâle, signe manifeste qu’on a abandonné l’espoir d’autres bénéfices de l’élevage et que la production de fumier est devenue la raison primordiale de son maintien dans l’exploitation » (MERTENS A.1984).

Les projets de développement rural avaient dans leur perception l’augmentation de la production du fumier. La rupture de l’entretien de la fertilité pouvait entraîner l’effondrement 155 de la production agricole, c’est pour cela que ces projets ont encouragé la construction d’étables. Cette politique a connu un succès dans le Bututsi dans la mesure où elle répondait parfaitement au souci des paysans. La généralisation des cultures fourragères dans les exploitations (12 ares92 aujourd’hui contre 8 ares93 en 1988) et le croisement entre la race locale ankolé avec le sahiwal sont des éléments importants pour la production du fumier.

Pour les bovins, la production de la bouse est fonction de plusieurs facteurs (l’âge de l’animal, son poids, la qualité ainsi que la quantité de son alimentation, etc.). Le fumier utilisé par le paysan du Bututsi provient, après quelques mois de fermentation, d’un mélange entre la litière et les déjections animales (bouse, urines). Nous avons estimé la production moyenne d’un bovin à 1,3 tonne de fumier par an. Sachant que le nombre moyen de têtes de gros bétail par ménage est de 4,72, la production annuelle peut atteindre 6 tonnes par exploitation. Elle est légèrement supérieure chez les paysans qui possèdent, en plus des bovins, les petits ruminants (caprins, ovins, porcins, volaille dans une moindre mesure). Soulignons enfin que les conditions de stockage de ce fumier avant de le répandre sur les champs, sont mauvaises. On extrait le fumier de l’étable après une certaine période de fermentation (tous les trois à quatre mois) et on l’entasse dans l’enclos ou dans les champs (à la surface du sol) sous une chaleur qui facilite l’évaporation de certains éléments comme les substances azotées nécessaires à la santé et à la vie de la plante.

Tableau n°31: Classement des produits animaux par ordre d’importance Produits % Fumier 90 Lait 48 Argent 74 Viande 9 Autres (1) 4 Source : Enquêtes personnelles (2007) (1) Œufs, beurre, peaux, etc.

Ce tableau donne par ordre d’importance l’utilité de chacune de ces productions. On constate donc que 90% des éleveurs classe le fumier au premier plan. Viennent ensuite les revenus monétaires que le paysan peut tirer de la vente sur-pied des animaux ou de leurs produits. La vente d’une bête sur-pied constitue, par contre, la première source monétaire d’origine animale.

92 Enquêtes personnelles (2007) 93 POZY P., op cit, 1988 156

Un autre produit d’une importance capitale mais peu présent dans les habitudes gastronomiques des paysans de la région, est constitué par la viande. L’élevage d’embouche est en effet inexistant dans le Bututsi. Traditionnellement, il était pratiquement rare de voir un éleveur de la région consommer la viande de sa propre vache surtout une vache qui meurt avant d’arriver à la vieillesse. Le paysan était très attaché à ses bêtes qu’il ne pouvait oser les manger. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne mange jamais de la viande. 4% seulement des personnes enquêtées avouent qu’elles consomment la viande de leurs bêtes, mais il s’agit généralement de petits ruminants et de la volaille. Les abattages contrôlés94 ont lieu les jours de marché dans les centres de négoce mais il existe d’autres abattages non contrôlés sur les collines et la consommation d’une bête atteinte d’une maladie infectieuse peut être fatale. Dans les régions densément peuplées et sans pâturages et où les effectifs de caprins sont les plus importants (Kirimiro, Buyenzi), la viande de chèvre est très consommée sous forme grillée dans les points de vente de bière de banane. La mort d’un animal même vieux constitue une perte énorme pour le propriétaire. « De nos jours, la saison sèche occasionne une forte mortalité de vieilles bêtes. C’est alors l’occasion très rare de consommer une viande endurcie par l’âge de la bête et infestée de cysticerque. Les parents et voisins achètent cette viande pour soulager l’éleveur sinistré. Très peu paient en espèces. Les plus honnêtes paient en nature (sorgho). D’autres promettent en permanence de payer à la prochaine saison-café alors qu’ils n’en cultivent guère » (NDAYISHIMIYE J.P., 1980). Aujourd’hui comme hier, la situation est presque restée inchangée ; la viande n’est pas beaucoup présente sur l’assiette des paysans du Bututsi. Elle a lieu à l’occasion de certaines circonstances exceptionnelles (célébrations familiales comme la dot, le mariage, la levée de deuil, etc.) ou à l’occasion des fêtes de Noël et de nouvel an ou de Pâques.

En définitive, le marché de la viande est très réduit dans la région du Bututsi. Cela est essentiellement lié à la faiblesse du pouvoir d’achat du paysan qui n’arrive pas à débourser de l’argent pour acheter un kilo de viande. La consommation de la viande est donc généralement le fait d’une minorité composée de fonctionnaires travaillant dans les petits centres de la région.

94 En principe, un technicien vétérinaire doit examiner la bête abattue et prouver que cette dernière n’est pas dangereuse pour la consommation. En plus, une taxe communale est perçue pour chaque animal abattu dans ces lieux connus. 157

Tableau n°32: Evolution de la consommation de la viande dans le monde, en kg/personne/an 1964/66 1974/76 1984/86 1997/99 Monde Viande (poids de carcasse) 24 27 31 36 Pays en développement Viande (poids de carcasse) 10 11 16 26 Pays industrialisés Viande (poids de carcasse) 62 74 81 88 Pays en transition Viande (poids de carcasse) 43 60 66 46 Source : WWW.observ.be, Consommation de viande : un lourd tribut environnemental, Un dossier de l’Observatoire Bruxellois de la Consommation Durable-OBCD, p.6

D’après les données de 2004 sur le Burundi (WWW.statistiques-mondiales.com/burundi.htm), la production en viande était estimée à 23000 tonnes/an. Avec les estimations de la population à cette époque (7 millions), la consommation en viande serait donc de 3,28 kg/personne/an, une moyenne très en-dessous de celle des pays en développement. Pour le Bututsi, on peut tenter d’estimer la production globale de la viande en considérant le nombre d’animaux abattus par an.

Tableau n°33: Statistiques des animaux abattus en 2005 Commune Bovins Caprins Ovins Porcins Total Songa 544 948 512 790 2794 Bururi 1196 1968 540 1468 5172 Rutovu 318 2160 180 298 2956 Matana 432 876 220 487 2015 Vyanda 222 578 460 75 1335 Vugizo 7 164 12 10 193 Total 2719 6694 1924 3128 14465 Poids moyen 300 12 14 70 d’une bête transformée en viande (en kg) Quantité 815700 80328 26936 218960 1.141.924 totale de viande (en kg) Source : Monographies des communes (2006), enquêtes personnelles

Les données concernant le poids moyen d’une bête abattue sur base de poids carcasse nous ont été fournies par les services de l’Abattoir Public de Bujumbura. Considérant que le nombre de moyen de bêtes abattues chaque année dans les 6 communes, est resté stable 158 jusqu’en 2008 (la population de ces communes était de 294.628 habitants d’après les données du Recensement Général de la Population et de l’Habitation de 2008) nous avons trouvé que chaque habitant du Bututsi consommerait en moyenne 3,87kg de viande/an. Cette moyenne, bien que légèrement supérieure à la moyenne nationale (3,28kg/personne) prouve que les habitants du Bututsi ne sont pas consommateurs de viande et que la production de cette denrée reste dérisoire dans la région.

Il importe aussi de souligner le rôle des peaux d’animaux dans l’économie de la région. Le paysan burundais connaissait depuis bien longtemps l’importance de la peau et l’utilisait pour de multiples usages. Après l’abattage (ou la mort naturelle d’une bête), on enlevait de façon soigneuse la peau de l’animal et cette dernière était étendue et séchée au soleil. Ce sont les marchands Arabes et indo-pakistanais qui ont introduit les cotonnades pour la première fois au Burundi. Avant, les adultes portaient un petit morceau de tissu fabriqué à partir de l’écorce de certains arbres. Les autres catégories de population ayant des moyens inférieurs aux précédents pouvaient se vêtir d’une peau soigneusement préparée et rendue souple par le beurre tandis que les enfants allaient tous nus. La peau de chèvre ou de mouton était utilisée par les femmes pour porter leurs bébés au dos. Les tambours du Burundi traditionnellement et aujourd’hui internationalement appréciés, sont façonnés au moyen des peaux bien sèches et bien tannées. Les peaux pouvaient servir de tapis dans certaines familles qui accusaient un manque de nattes.

Depuis longtemps, la commercialisation des peaux était florissante au Burundi. « Dès les années 1920, les peaux faisaient l’objet d’une intense commercialisation. Elles constituaient la principale richesse exploitable au début de l’occupation coloniale. La production atteignait les 1000 tonnes par an pour l’ensemble du territoire du RUANDA-URUNDI »95. Par après, ce commerce a connu des hauts et des bas. En 1977, le Gouvernement de la République du Burundi a créé une entreprise de tannerie, le BURTAN. Cette société était chargée du traitement et de la commercialisation des peaux. Malheureusement, cette société n’a pas fonctionné suite à la mésentente entre les principaux actionnaires et le gouvernement du Burundi. « Le Burundi a décidé de se doter de tanneries afin de traiter sinon la totalité, du moins en partie, les peaux de bovins et de caprins qu’il exporte, ce qui paraît logique. Pour cela il s’associe avec une société anglo-pakistanaise pour implanter une première tannerie à

95 LEURQUIN P., Le niveau de vie des populations rurales du Ruanda-urundi, Louvain, 1960, p.65 159

Bujumbura. Un protocole d’accord est signé, une partie des machines est mise en place, mais l’usine ne fonctionne pas parce que les partenaires qui détiennent la moitié des capitaux exigent l’entière direction de l’entreprise, ce que n’admettent pas les responsables burundais »96.

Actuellement, il existe à Bujumbura (Quartier industriel), une tannerie dénommée AFRITAN chargée de la collecte, du traitement et de l’exportation des peaux. Au cours de nos enquêtes, aucune personne ne nous a affirmé pouvoir vendre ce produit. On pourrait se demander s’il s’agit d’un mauvais échantillonnage ou si les personnes enquêtées n’ont pas voulu révéler l’information En principe, ayant les chiffres sur le nombre d’animaux abattus et sachant que les usages traditionnels de ce produit ont presque complètement disparus, le nombre de peaux ne devrait pas s’éloigner de celui des bêtes qu’on abat. De toutes les façons, on ne peut pas dire que les peaux du Bututsi, principale région d’élevage bovin, ne sont pas vendues sur le marché. Les peaux sont en réalité vendues par les paysans comme sous-produit de l’élevage et les acheteurs sont les commerçants ambulants. D’après les informations fournies par un des responsables de l’usine AFRITAN, les grandes zones d’approvisionnement sont constituées par l’Abattoir Public de Bujumbura et les autres centres d’abattage situées à travers tout le pays sans oublier les commerçants qui font la collecte depuis la colline.

Enfin, une autre production animale mérite une attention particulière malgré sa moindre importance dans la consommation des habitants de la région. Il s’agit de la production des œufs. La volaille du Bututsi se caractérise par son très faible rendement quant à la production des œufs. Elle est essentiellement représentée par les poules dans le Bututsi et même dans les autres régions du Burundi. L’élevage des canards et, dans une moindre mesure, des pigeons est surtout le fait des centres urbains qui ont une influence de la civilisation musulmane. La moyenne de poules par famille du Bututsi se situe autour de 2,99 têtes. La poule du Burundi se caractérise par sa petite taille : elle ne pèse qu’en moyenne 3kg et son œuf pèse environ 40g. Une poule adulte peut pondre jusqu’à une dizaine d’œufs et l’éclosion peut être bonne et transformer tous les œufs en poussins. Suite à un taux de mortalité très élevé lié aux maladies, épidémies et à certains prédateurs (chats sauvages, chiens, éperviers, etc.), les effectifs restent stationnaires. Leur alimentation très négligée ainsi que l’insuffisance de soins (une poule atteinte d’une épidémie comme la typhose aviaire est condamnée à mourir et, des fois, elle ne

96 SIRVEN P., La sous-urbanisation et les villes du Rwanda et du Burundi, 1984, p.636 160 meurt pas seule car la contamination est très rapide et les épidémies sont dévastatrices) sont en grande partie responsables de la faible production. Son alimentation est composée d’insectes et de déchets qu’elle trouve en fouillant les ordures ménagères et d’autres déchets qu’elle trouve dans le fumier ou le compost. A quelques rares occasions, elle peut recevoir quelques graines de céréales comme le maïs de la part du propriétaire. Pendant certaines périodes, elle reste enfermée dans un poulailler de fortune pour l’empêcher de dévorer les jeunes pousses de haricot ou lors de la floraison. Pour lui donner un minimum de liberté, la poule traîne un morceau de bois (qu’elle est capable de tirer en se déplaçant) attaché à son pied par une corde, afin qu’elle ne puisse passer à travers les interstices de l’enclos (ou du Rugo). Dans les années 70, la station expérimentale de la Ruvyironza a introduit dans ses environs des géniteurs sélectionnés plus rentables en vue d’améliorer cet élevage. Pourtant aujourd’hui, il est pratiquement rare de voir dans les rugos et poulaillers du Bututsi des espèces de poules de race moderne. Cependant, il importe de souligner que quelques éleveurs souvent groupés en association sous le financement de certains bailleurs ou travaillant à leur propre compte avec leurs propres moyens, possèdent des poulaillers avec des poules de race moderne (les poules pondeuses). Ils sont malheureusement en nombre très négligeable comme le montre le tableau suivant.

Tableau n°34: Poulaillers modernes du Bututsi (en 2009) Communes Nombre de Nombre de poules poulaillers Matana 5 528 Bururi 8 1315 Rutovu 3 402 Songa 3 217 Ryansoro 2 284 Vyanda 1 85 Total 22 2831 Source : Enquêtes 2009

Des quantités d’œufs approvisionnent quotidiennement les centres urbains jusqu’à Bujumbura situé à 80km du Bututsi. Dix-huit pourcent (18%) des personnes enquêtées avouent qu’elles vendent des œufs et 10% seulement peuvent en consommer une partie. La plupart des adultes disent qu’ils ne mangent jamais les œufs, que ce sont plutôt les enfants qui mangent souvent ce produit.

161

L’apiculture est aussi une activité ancienne dans le Bututsi bien que cette dernière reste depuis longtemps rare et marginale. Dans les années 70, les communes du Bututsi produisaient une quantité relativement importante de miel et de cire. L’hydromel (Ubuki), un produit de l’apiculture était une boisson rare mais prestigieuse. Le roi du Burundi buvait de l’hydromel contenant du poison (il se suicidait) quand il devenait incapable de gérer une crise grave.

Tableau n°35: Situation de l’apiculture au Bututsi Communes Nombre Ruches Miel (en kg) Cire (en kg) d’apiculteurs peuplées Bururi 475 830 7150 8000 Matana 47 707 4000 5000 Mugamba 51 870 6050 7000 Rutovu 58 501 3050 4500 Total 611 2908 20250 24500 Source : Département de l’agronomie : Rapport annuel 1977-1978

Au début des années 70, cette activité a connu au Burundi un progrès significatif : « Dans tout le pays, cette activité prend un essor remarquable : 58000 ruches ont été recensées sur tout le territoire » (BIDOU J.E. et al. 1991). La production du miel et de la cire reste toujours insuffisante dans la région dans la mesure où le nombre d’apiculteurs a considérablement régressé. D’après les informations données par les responsables administratifs à l’échelle de la commune, 132 apiculteurs ont été recensés en 2009 sur l’ensemble du territoire du Bututsi, chacun ayant en moyenne 15 ruches et produisant autour de 70 kg de miel par an. Un apiculteur moderne et modèle de la commune Vyanda (un ancien haut responsable politique) parvient à produire une quantité de miel plus importante par rapport à d’autres : il possède plus de 500 ruches et produit en moyenne 2400 kg de miel chaque année.

Quant à la production du poisson, elle était depuis bien longtemps l’apanage des régions riveraines des lacs du pays (Lac Tanganyika, le plus grand et le plus poissonneux et les petits lacs du nord : Cohoha, Rweru, Kanzigiri, Rwihinda et Gacamirinda). L’essentiel du poisson consommé dans tout le Burundi et même dans les pays limitrophes est pêché dans les eaux du lac Tanganyika.

Le poisson élevé dans les étangs piscicoles existe depuis bien longtemps au Burundi (depuis la période coloniale). La pisciculture a été introduite au début des années 1950 par l’administration coloniale belge. Elle était caractérisée par l’utilisation de méthodes 162 extensives avec la création de vastes étangs individuels de 0,25 à 0,50 ha. De 1991 à 1994, un projet de développement de la pisciculture rurale a été mise en place. Il est parvenu à former 54 encadreurs de base et 225 pisciculteurs pilotes. Ce même projet avait également pour objectif la production et la multiplication du matériel didactique, la vulgarisation des techniques piscicoles améliorées à savoir la construction des étangs, l’utilisation du son de riz pour l’alimentation des poissons, etc. Il existe, d’après la FAO (2004), 2000 pisciculteurs exploitant 2500 étangs sur 60ha. La production piscicole annuelle et nationale est évaluée, d’après la même source, à 120 tonnes (soit une consommation moyenne annuelle par personne de 0,017kg de poisson élevé dans les étangs par an). Selon toujours la FAO, la quantité du poisson destiné à la consommation humaine directes au Burundi est évaluée à 14.897 tonnes, soit une consommation moyenne d’à peu près 1,8kg par an.

Dans la zone d’étude, aucun étang piscicole fonctionnel n’a été recensé au moment de notre enquête. En commune Songa par exemple, les essais initiés par le Projet DAPA ont littéralement échoué. C’est le Projet Bututsi qui avait vulgarisé l’activité de pisciculture dans sa zone d’action, et quelques étangs piscicoles ont pu être aménagés (à Kiremba par exemple) mais n’ont pas connu de succès dans la mesure où quelques temps après ils ont été délaissés par les propriétaires pour cause de leur non rentabilité. Quelques étangs ont par contre été recensés en communes Burambi et Buyengero (situées en dehors du Bututsi mais en province Bururi) mais avec des rendements médiocres : 8 étangs à Burambi d’une superficie totale de 26 ares avec une production de 106 kg en 2005 ; 1 seul à Buyengero de 2,6 ares avec une production de 10kg la même année.

Bien que le poisson séché est consommé un peu partout dans le pays y compris dans le Bututsi, il va sans dire que le paysan du Bututsi n’est ni producteur, ni grand consommateur de poisson (y compris le poisson péché dans le lac Tanganyika). Son revenu en provenance du poisson (excepté ceux qui en font la commercialisation) est quasiment nul, les grandes zones de consommation restant celles situées en bordure du lac Tanganyika dans la plaine de l’Imbo.

163

2.2 Revenus annuels tirés de l’exploitation et les dépenses des ménages

Nous allons dans ce point essayer d’étudier les revenus (monétaires et non monétaires) que les paysans tirent de leurs exploitations agricoles (la partie de la récolte vendue et la partie autoconsommée) afin de voir si ces revenus contribuent de façon autonome, au financement des dépenses et autres réseaux de solidarité.

L’évaluation du revenu dans une paysannerie ancrée dans un système d’autosubsistance où on n’enregistre nulle part les quantités de récolte pour chaque culture, est une tâche ardue. Quand on arrive à estimer de façon plus ou moins approximative la production totale, il devient facile d’en déduire la valeur monétaire. Du point de vue élevage, le problème reste le même. Non seulement il est particulièrement difficile d’estimer la quantité de fumier produit dans une étable et sa valeur, mais aussi il n’est pas aisé de quantifier et d’évaluer le lait autoconsommé, le beurre et autres produits animaux. Pour évaluer les revenus monétaires de l’élevage, nous nous sommes beaucoup plus intéressés à la fraction vendue et sa valeur (vente sur-pied d’une bête, du lait, du beurre, des œufs, des peaux etc.) sans toutefois ignorer que même les produits non vendus concourent de façon très significative à la satisfaction des besoins des ménages.

Il est sans nul doute connu que le Bututsi est une région déficitaire du point de vue production agricole. La quantité vendue au marché n’est pas à proprement parler un véritable surplus de récolte, loin de là. Avant que la monétarisation de l’économie paysanne ne soit une réalité, il était même honteux de vendre les produits de sa récolte, même pour ceux qui produisaient assez de vivres et qui pouvaient dégager un surplus commercialisable. Cela pouvait même être considéré comme une forme de gaspillage (Gusesagura, Kurya imbuto). Le paysan de la région vend une partie de sa récolte parce qu’il est dans l’obligation de chercher de l’argent.

Le problème d’estimation des revenus a été depuis longtemps évoqué par de nombreux chercheurs qui se sont penchés sur ces questions. L’on remarque souvent que les dépenses sont toujours de loin supérieures aux revenus ; problème de sous-estimation. Cela est une réalité aussi bien en ville qu’à la campagne. Selon SIRVEN P. (1984), « le fait le plus surprenant est que les dépenses dans tous les quartiers africains sont plus importantes que les revenus, ce qui fait que les revenus sont largement sous-estimés. En supposant que les 164 revenus soient entièrement dépensés, la sous-estimation atteint 28% à Buyenzi, 31% à Nyakinama (Kigali), 38% à Kinama. Les revenus occasionnels ou plus ou moins licites sont rarement déclarés, or c’est grâce à eux qu’une partie importante de la population de Bujumbura et de Kigali peut vivre en ville ».

2.2.1 Les revenus issus du secteur agro-pastoral

2.2.1.1 La part des produits vivriers

Nous appuyant sur les données concernant les estimations de la quantité moyenne de la production agricole par ménage, nous avons pu estimer les revenus en valeur monétaire. Mais cette démarche ne manque pas d’inconvénients. Il est vrai que l’estimation de la plupart des produits vivriers a été possible mais certains autres produits échappent à toute sorte de quantification. Il s’agit notamment des légumes récoltés aux abords du rugo ou de feuilles vertes de haricot et autres plantes dont les feuilles sont comestibles. Ces légumes sont pourtant d’une importance capitale dans l’alimentation de la population.

La région se caractérisant toujours par un important déficit de sa production agricole, ses revenus vivriers restent très bas si on les compare à ceux d’autres régions. « Si nous l’estimons à 29.700fbu (349,4£), il était de 24.000fbu en 1976. Pendant cette année, les revenus des paysans moyens des autres régions étaient : 38.000fbu au Buyenzi, 35.300fbu au Kirimiro, 37.500fbu au Bweru, 43.200fbu au Buyogoma, 38.900fbu au Mugamba, 42.700fbu au Mumirwa97. Aujourd’hui, on ne dispose point de données actualisées concernant ces revenus (les responsables de l’ISTEEBU affirment qu’une enquête détaillée sur les revenus coûterait cher et exigerait un temps assez long), mais on ose croire que le revenu agricole de la région du Bututsi serait de façon générale légèrement supérieur à celui d’il y a trente ans. Ce qui nous pousse à affirmer cela, c’est la production sans cesse croissante de certaines cultures comme la pomme de terre, la banane et l’usage d’engrais chimiques par quelques paysans qui contribue véritablement à l’augmentation de la production, l’intériorisation par les paysans des méthodes antiérosives, etc.

97 CAPECCHI, cité par NDAYISHIMIYE J.P., op.cit, p270 165

™ Le revenu céréalier

Au Bututsi les céréales sont largement dominées (à plus de 90%) par le maïs « ibigori ». « Le maïs constitue la première céréale du Bututsi sur le plan alimentaire. Il occupe dans l’exploitation une superficie d’environ 20 ares. Sur l’ensemble du plateau central, il couvre 25,1% des terres exploitées »98. En 2003, le Projet Bututsi estimait la superficie moyenne occupée par cette culture à 51,8 ares soit 42,3% de la superficie totale cultivée, ce qui démontre l’importance de cette céréale dans l’alimentation des habitants de la région. Comparée à celle du blé, la production moyenne de maïs (sous forme de graine sèche) par ménage du Bututsi prouve qu’effectivement c’est la céréale la plus importante dans la région (411kg de maïs contre 35kg de blé).

En supposant que tout habitant du Bututsi cultive au moins une céréale (ce qui est tout à fait vrai), la production annuelle moyenne a été estimée en 2007 à 446kg. La valeur totale des céréales est de 202.450 Fbu (170 dollars). Il s’agit ici de la valeur monétaire de toute la production mais la partie vendue reste minime (seulement 3,4% de la production totale sont vendus) ; le gros de la production (96,6%) étant réservé à l’autoconsommation des membres du ménage, aux semences et, si possible, une fraction de la récolte peut être offerte comme dons (kugemura, kwimburira) aux amis et parentés. Depuis quelques décennies, l’ISABU et les différents projets agricoles (surtout le Projet d’Appui au secteur semencier de Kajondi) se sont attelés à sélectionner des variétés de maïs aux meilleurs rendements. Ces derniers ne se sont pas véritablement améliorés parce que le problème de fertilisants (organiques et minéraux) n’est pas pour autant résolu chez le paysan.

98 NDAYISHIMIYE J.P., op.cit, p.141 166

Photo n° 10: Un champ de maïs en pleine maturité associé à la bananeraie

™ Le revenu généré par les légumineuses

Le haricot «ibiharage» est la principale légumineuse de la région et même de tout le pays. Avec la patate douce et la farine de manioc99, il est presque toujours présent sur les plats des burundais. C’est une culture d’origine américaine et constitue la base de l’alimentation des burundais des plateaux centraux. « Le haricot constitue la base de toute l’alimentation de la zone interlacustre occidentale, et il est le principal fournisseur de protéines » (BIDOU J.E., 1994). Malgré son rôle ô combien crucial dans l’alimentation de la population, le haricot n’est pas produit en quantité suffisante dans la région. Le tableau résumant les dépenses alimentaires de la population du Bututsi (tableau n°46, p.195) révèle que les habitants de cette région sont de grands acheteurs de haricot : sur notre échantillon de 100 ménages, tous cultivent le haricot mais 75% achètent un supplément de haricot tandis que 7% seulement en vendent100. Pour ces quelques cultivateurs en nombre minoritaire qui vendent un peu de haricot, il est surprenant de constater qu’ils n’en sont pas les grands producteurs. Un cultivateur enquêté de la colline de Mahwa (commune Ryansoro) produisant une moyenne de 150kg de haricot par an (une quantité inférieure à la moyenne de la région qui est de 270kg), nous a affirmé que quelquefois il prend quelques kilos sur cette maigre quantité et les vend au

99 Les trois cultures (haricot, patate douce, manioc et surtout sa farine) constituent la base de l’alimentation de la grande majorité de la population rurale burundaise. 100 Enquêtes personnelles, 2007 167 marché en vue de se procurer d’un peu d’argent. Un autre de Kijima (Rutovu) ne produisant que 300kg pour une famille nombreuse de 9 personnes vend un cinquième de la production alors que la quantité totale ne suffit guère pour satisfaire la demande familiale. La valeur de la production totale par ménage de cette légumineuse s’élevait à 189.000 Fbu (160 dollars) tandis celle de la fraction vendue n’était que de 13.800 Fbu (11,5 dollars) en 2007.

Photo n° 11: une parcelle portant du haricot

Le haricot est secondé par le petit pois malgré la faible importance de ce dernier dans la région. «ubwishaza» ou «ubushaza» (pisum savitum) serait originaire du Proche-Orient. Son aire d’expansion se serait étendue à partir des montagnes éthiopiennes. Il serait parvenu dans la région des Grands-Lacs suite à la migration des peuples pasteurs101 ». C’est une culture de haute altitude par excellence (entre 1800 et 2000m) raison pour laquelle il est cultivé dans les hautes terres du Burundi. De par son altitude plus élevée, le Mugamba et la partie proche de la crête Congo-Nil restent les zones les plus aptes et les plus productrices du petit pois. Le Bututsi produit une quantité dérisoire : une moyenne de 30kg par ménage soit 30.000 Fbu (25 dollars). Presque la quasi-totalité est autoconsommée, la fraction offerte sur le marché restant insignifiante.

101 BRUYERE R. et RASSEL A., La culture du pois dans les régions d’altitude du Rwanda et du Burundi, 1970, pp150-154, In NDAYISHIMIYE J.P., op.cit, p.140 168

™ Les plantes à tubercules comme source de revenu

La fourchette des tubercules dans le Bututsi est dominée par deux plantes à savoir la patate douce et la pomme de terre. Le manioc pousse très difficilement dans les hauts plateaux et ne se rencontre que généralement dans les zones de transition entre la Bututsi et les parties basses (Kumoso, Buragane, Imbo). La colocase, culture de case, est consommée pendant la saison sèche. Sa place dans l’alimentation du paysan reste négligeable.

La patate douce «ikijumbu» constitue une ressource alimentaire importante. Elle est la culture capable de rendre la période de soudure moins sévère car elle peut être récoltée toute l’année. Adaptée à la plupart des sols, elle supporte une sécheresse prolongée et une humidité forte. C’est également une culture d’origine américaine. Elle est traditionnellement cultivée dans la région voisine du Kirimiro et constitue la culture principale et la base de l’alimentation de la région. Au Bututsi, elle occupe des superficies relativement importantes (autour de 15,3 ares soit 15,5% de la superficie cultivée) sur colline ainsi que dans les marais. Au début du 20ème siècle, le Burundi a été le théâtre des famines et des disettes dues en grande partie aux perturbations climatiques et aux invasions des prédateurs de plantes (criquets, sauterelles). C’est ainsi que l’administration coloniale prit des mesures pour remédier à ces crises qui commençaient à perdurer en proposant l’introduction de cultures susceptibles de freiner ou d’éradiquer les famines. «Tout indigène adulte et valide, non régulièrement tenu par l’exercice habituel d’un métier ou d’une profession et non engagé à cette fin pour l’autorité compétente, est tenu d’entretenir les cultures individuelles suivantes : 35 ares de cultures vivrières saisonnières, 25 ares de plantes vivrières non saisonnières dont au moins 15 ares sont obligatoirement plantés en manioc, sauf pour ceux au-dessus de 1900m qui plantent les 25 ares en patate douce et en pomme de terre »102. L’autorité coloniale a donc rendu ces cultures obligatoires et avait même prévu des sanctions qui devaient être infligées aux récalcitrants. Des coups de chicotte103 étaient donc administrés, selon la gravité de la faute, aux réfractaires. C’est de cette manière énergique que patate douce et pomme de terre furent diffusées et vulgarisées dans le Bututsi. Au départ, la culture de la patate douce n’a pas été bien accueillie par les éleveurs de la région la traitant de « racines des profondeurs » (imizi y’ukuzimu). Il y avait même des interdits alimentaires selon lesquels la consommation du lait

102 Procès-verbal de la réunion du conseil supérieur tenue à Kitega du 18 au 29 mai 1957, p.30, In NDAYISHIMIYE J.P., op.cit, p.144 103 L’unité de mesure était 8 coups de fouet ou de chicotte. Suivant l’ampleur de la faute, les coups pouvaient donc varier de 8,16, 24 etc. 169 de vache était soumise à des incompatibilités. Il était par exemple interdit de manger certaines cultures dites « nouvelles » comme la patate quand on avait, au cours de la même journée, bu le lait de vache. Les auteurs de cette théorie disaient ceci : « inka zica zihumana » (les vaches ne peuvent plus donner du lait). La patate douce figurait sur la liste noire des cultures dont la consommation était prohibée par certains éleveurs. C’est ainsi que cette culture a d’abord été adoptée par les paysans qui n’avaient pas de vaches.

D’après la plupart des paysans interrogés, l’usage d’engrais chimiques permet d’avoir une amélioration très nette de la production de la patate douce. Des familles qui, jadis, achetaient régulièrement un complément de cette denrée, en produisent aujourd’hui en abondance. Le revenu moyen annuel procuré par la patate douce est estimé à 60.000 Fbu (50 dollars) soit une moyenne de 500kg par ménage. La partie autoconsommée demeure de loin la plus importante. Quarante-neuf pour cent (49%104) des ménages par ailleurs achètent un supplément de tubercules surtout la patate douce.

La pomme de terre (ikiraya) serait née dans les Andes péruviennes (Amérique latine) il y a à peu près dix mille ans entre le Machou Pichou et le lac Titicaca105. Elle s’est ensuite répandue à travers le monde. Il en existe plusieurs centaines de variétés. Cette culture a été introduite au Burundi pour la première fois par les allemands puis diffusée à travers les régions où elle se prête bien par les belges.

Comme la patate douce, l’introduction de la pomme de terre n’a pas été facile au Burundi dans la mesure où la plupart des habitants y étaient hostiles. Pour arriver à la diffuser dans les exploitations, les agents agricoles optèrent pour une stratégie : ils jetaient dans les champs à l’insu des propriétaires, des semences de pommes de terre. Avec la pluie, les pommes de terre poussaient abondamment sans aucune autre forme de soins. Les paysans ont alors eu peur de cette culture qu’ils accusaient d’abîmer le sol et de ruiner leur troupeau. La pomme de terre fut longtemps consommée par l’ethnie des Batwa (l’ethnie la plus minoritaire et la plus défavorisée) tandis que chez les autres catégories, sa consommation était interdite. C’est donc à partir du moment où la culture de pomme de terre a été rendue obligatoire qu’elle s’est répandue dans le Bututsi et dans le Mugamba.

104 Enquêtes personnelles, 2007 105 France 2, Envoyé Spécial du 30 octobre 2008 170

Actuellement, la pomme de terre a connu un progrès considérable dans les deux régions avant de devenir une culture de spéculation pour un nombre important et de plus en plus croissant de paysans. Les projets de développement agropastoral ont vulgarisé cette culture en apportant des semences sélectionnées à la population et en apprenant aux paysans les techniques de sa culture. La pomme de terre n’est donc plus une culture frappée d’interdits alimentaires, elle fait plutôt objet de spéculation et ses revenus sont de plus en plus importants. Trois récoltes sont possibles par an. Elle est d’abord semée en première saison dans les marais à partir de juin-août, ensuite sur colline avec le début de la saison humide (septembre, octobre, novembre) et enfin en mars-avril. Actuellement et surtout dans le Mugamba, on trouve des champs de pomme de terre en pleine maturité tous les mois de l’année. Un autre avantage de cette culture est qu’elle peut être conservée pendant longtemps avant qu’elle ne soit consommée, ce qui n’est pas le cas pour la patate douce qui se détériore vite aussitôt après sa récolte.

La production moyenne de la pomme de terre dans le Bututsi est estimée à 300kg par famille soit un revenu total de 120.000 Fbu (100 dollars)106. La partie commercialisée reste minime (12%) par rapport à la production totale. Cela revient à dire que la grande partie est autoconsommée tandis qu’une autre est offerte comme vivrier non marchand aux amis, aux parentés, surtout les citadins. Les agriculteurs les plus rusés, qui ont fait de la culture de la pomme de terre une activité lucrative, conservent dans des hangars construits à cette fin la totalité de la production pour pouvoir vendre à un prix plus ou moins élevé les semences pendant la période des semis. Signalons enfin que les 300kg ne sont qu’une moyenne de la région ; les agriculteurs qui en ont fait une culture spéculative produisant de grosses quantités pour le marché locale et même pour le marché de Bujumbura, sont de plus en plus nombreux dans la région (au moment où nous effectuions nos enquêtes, un producteur de pomme de terre venait d’être primé en commune Rutovu par le chef d’Etat comme agriculteur modèle). Certains autres (ils sont les plus nombreux) disposant de moyens très limités ne produisent que de maigres quantités. Les monographies des trois exploitations suivantes (tableau ci- dessous) constituent une illustration de la diversité des situations. Cela veut dire que quelques paysans parviennent à s’en tirer plus que d’autres.

106 Enquêtes personnelles, 2007 171

Tableau n°36 : Comparaison des revenus de la pomme de terre dans trois exploitations de la colline Mutangaro (commune Rutovu) Exploitation 1 Exploitation 2 Exploitation 3 Taille de l’exploitation 7 2,5 0,5 (en ha) Superficie occupée par 1,2 0,3 0,12 la pomme de terre (en ha) Effectif du Bovins 10 4 0 bétail Caprins 0 0 5 Ovins 0 0 0 Porcins 0 0 0 Volailles 85 9 3 Production 0rganiques 18 tonnes 5,8 tonnes 0,75 tonnes d’engrais (fumier, compost) chimiques 150 kg 30 kg 0 Revenus monétaires 3.200.000 (2666 270.000 (225 270.000 (225 annuels extérieurs à dollars) dollars) dollars) l’exploitation (en Fbu) Production de la 5 0,85 0,3 pomme de terre en tonnes (2 récoltes par an) Rendement (tonnes/ha) 2,08 1,41 1,25 Revenus de la pomme 1250 212,2 75 de terre (en dollars) Source : Enquêtes 2007

En comparant les trois exploitations, on constate qu’elles enregistrent des résultats annuels bien différents. Cette différence au niveau de la production, des rendements et donc des revenus s’explique justement par l’écart entre les moyens mobilisés par chacune d’elles (superficies emblavées, investissements, etc.). La première exploitation par exemple dispose d’une grande superficie pour les cultures en général et pour la pomme de terre en particulier. Elle possède en outre un grand nombre de têtes de bétail et produit donc beaucoup plus de fumier. En plus, elle emploie des engrais chimiques. Elle bénéficie enfin des revenus très importants qui proviennent de l’extérieur de l’exploitation (tirés essentiellement du commerce). Cela a eu un impact significatif sur la production en général, les rendements ainsi que les revenus. La deuxième exploitation est moins nantie par rapport à la première (plus petite, moins de têtes de bétail, moins d’intrants). C’est pour cela qu’elle a enregistré une production et un rendement nettement inférieurs, ce qui influe sur le revenu. La dernière exploitation est encore plus petite, produit très peu de fumier (ou de compost) et n’emploie 172 jamais d’engrais chimiques. C’est pour cela qu’elle vient en dernière position en ce qui concerne la production et le rendement.

Il est également curieux de remarquer que la quasi-totalité des « grands » producteurs ne sont pas de « vrais » paysans. En effet pour avoir un bon rendement et une production importante, il faut disposer d’un espace assez étendu, d’une importante fumure (engrais chimiques mélangés aux engrais organiques) et de produits phytosanitaires en quantité suffisante. Cela suppose alors la disponibilité de beaucoup de moyens qui manquent aux paysans de notre région. Un grand exploitant rencontré dans la région de Matana travaille dans une institution bancaire à Bujumbura, un autre de Rutovu est en même temps haut responsable d’un projet de développement rural, un troisième de Songa est un haut gradé de l’armée et bien d’autres encore. Un retraité de l’armée (colonel), cultivant la pomme de terre et originaire de la commune Vyanda, produit en moyenne 30 tonnes/an.

™ La place du bananier

« Le bananier serait introduit au Burundi à partir du couloir du Zambèze, remontant le fossé d’effondrement dont fait partie la marge occidentale de ce pays »107. Il serait connu depuis bien longtemps en Afrique Orientale. Il marque de façon permanente les paysages des plateaux centraux, des Mirwa et même d’une bonne partie de l’Imbo au Burundi, au Rwanda, en Ouganda, bref dans une bonne partie de l’Afrique des Grands-Lacs. COCHET H. souligne par contre, le caractère récent de l’introduction de cette culture au Burundi (et au Bututsi). Il écrit : « Notre hypothèse est pourtant que l’irruption du bananier dans les exploitations agricoles ainsi que son extension constituent des phénomènes relativement récents, en aucun cas antérieurs à la fin du XIXème siècle, et caractérisant surtout l’évolution de l’agriculture de cette région au XXème siècle » (COCHET H., 2001). La bananeraie est donc un élément important et omniprésent dans les paysages du Burundi et dans les systèmes de culture. Cette culture pérenne deviendra plus tard le symbole de la stabilité et même de la sédentarisation. Son essor a commencé à se faire remarquer avec l’introduction du système monétaire. L’introduction de cette culture est très récente dans le Bututsi (à partir des années 1930).

107 NTAHITANGIRA I., Le café et la banane : deux cultures de rapport du Kirimiro, mémoire, ENS, Bujumbura, 1976, p.26 173

« Quant à la région du Bututsi, elle aurait « découvert » les bananeraies à « l’époque belge»108 .

« A Kiremba (près de Bururi), seules quelques familles possédaient déjà quelques touffes de bananiers derrière le rugo en 1930, et le développement de véritables bananeraies aurait été amorcé dans les années 1935-1938 »109. Les premiers plants qui ont peuplé la bananeraie du Bututsi sont venus de l’Imbo pour la partie qui en est proche (la partie occidentale) tandis que le reste est venu du Kirimiro. Avant sa mise en culture dans le Bututsi, les habitants de la région buvaient déjà la bière de banane en provenance des deux régions voisines. La bière de banane a donc été commercialisée depuis très longtemps. Avant la monétarisation de l’économie paysanne, elle était troquée contre les produits alimentaires de la région (beurre, sorgho, petit pois, etc.). « La bière de banane a surtout été à l’origine du contrat d’UBUGABIRE (une forme de féodalité) entre les paysans de l’Imbo et les éleveurs voisins du Bututsi et du Mugamba. Les premiers apportaient à ces derniers force cruches de bière contre un taurillon » (LEURQUIN P., 1960).

Il existe plusieurs variétés de banane mais qui peuvent être groupées en deux : la variété à cuire ainsi que les variétés à brasser. Le gros de la bananeraie est constitué par les variétés qui produisent le cidre destiné au marché. « . Les variétés pour la fabrication de la bière de banane prédominent largement, de l’ordre de 70 à 90% des superficies consacrées à la bananeraie selon les régions » (GUICHAOUA A., 1989). Dans les années 1980, les pouvoirs publics ont incité la population à multiplier la variété à cuire en vue d’améliorer le niveau de l’alimentation et surtout de rendre les périodes de soudure moins critiques. A cette époque, la variété à cuire couvrait seulement 5% des pieds dans les plantations. Aujourd’hui, elle n’en couvrirait que 8%. Depuis son arrivée au Burundi et sa mise en culture effective, la culture du bananier a connu une extension spatiale très remarquable. « Symbole d’appropriation foncière, support des relations sociales, élément important de l’alimentation, il était normal que le bananier colonise l’espace au même rythme que l’homme se multipliait » (BIDOU J.E., 1994). Le même auteur ajoute, à propos de cette extension, que la documentation disponible est assez disparate et plus ou moins incertaine (les statistiques de 1948 et 1982 ont été selon

108 E. RASSE et D. SEXTON, Diagnostic du système agraire du Bututsi, Paris, 1991, Mémoire ISARA/INA-PG, p.23 (Cité par COCHET H.) 109 J. CIZA, La Mission pentecôtiste de Kiremba et son impact sur le milieu : de 1935 à 1991, Bujumbura, 1993, Mémoire de licence, FLSH, 1993, p.25 (Cité par COCHET H.) 174 lui soumises à de nombreuses critiques) mais elle peut aider à donner une image plus ou moins conforme aux grands traits de l’évolution.

Tableau n°37: Evolution de la superficie de la bananeraie depuis 1948 Région 1948 (en ha) 1981-87 (en ha) Croissance 1948-84 (% par an) Bugesera 1279 24469 8,5 Bututsi 2388 7544 3,2 Buyenzi 27479 41967 1,2 Buyogoma 8145 26452 3,3 Bweru 3612 32771 6,3 Imbo 6920 10544 1,2 Kirimiro 22868 43854 1,8 Kumoso 4143 15483 3,7 Mugamba 2364 14685 5,2 Mumirwa 17350 28577 1,4 Burundi 96548 246346 2,6 Source : Plan décennal et enquêtes S.N.E.S (BIDOU J.E, 1994, Tome2, p.376)

Le bananier est incontestablement la culture qui génère le plus de revenus monétaires dans le Bututsi comme dans la plupart d’autres régions du Burundi. « L’autre grande opportunité de gains monétaires (la plus importante en volume et en exploitations concernées) provient de la bananeraie. Un exploitant peut ne pas avoir de caféière, mais ne « peut » pas ne pas avoir de bananeraie quelles que soient ses autres sources de revenus, sauf bien entendu dans les régions de très haute altitude où la banane ne végète pas » (GUICHAOUA A., 1989). COCHET H. (2001) a le même point de vue et ajoute qu’à l’exception de quelques petites régions du pays, la bananeraie constitue le dénominateur commun de l’immense majorité des exploitations du Burundi. On peut alors dire que cette culture constitue maintenant le pilier de l’économie paysanne. Le signe extérieur de richesse chez le paysan ne se trouve non seulement dans la possession d’un grand troupeau de bovins, mais aussi dans la taille de sa bananeraie. LOPEZ A. écrit à propos : « La bananeraie est toujours au Burundi un signe extérieur de richesse, elle confère à son propriétaire un certain prestige social. Dans la mesure où, comme nous le constaterons plus loin, la production est presque totalement transformée en une boisson alcoolisée, posséder une grande bananeraie signifie d’une part que le paysan est capable de produire beaucoup de cidre, boisson indispensable au maintien 175 des relations de bon voisinage, et d’autre qu’il dispose d’une exploitation assez grande pour se permettre d’entretenir une culture superflue »110.

L’autre avantage de la bananeraie a été démontré, pour le cas du Burundi, par COCHET H. (2001) quand il parle de « bananeraie : usine à biomasse, réservoir de fertilité ». En effet, le premier acte agricole d’un jeune agriculteur ou de l’immigré qui arrive dans une nouvelle région est la mise en place d’une bananeraie surtout dans les parties les plus proches de l’enclos. Les jeunes plants de bananier bénéficient alors de beaucoup de soins de la part du propriétaire (apport de matières organiques : fumier, déchets ménagers, déjections humaines, etc.). C’est ainsi que les sols sous bananeraie sont les sols les plus riches, les plus profonds et les plus fertiles. Voici comment COCHET décrit ces types de sols: « la fertilité naturelle de ces lieux (emplacements réservés à la bananeraie) ne suffit pas à expliquer les qualités exceptionnelles qui caractérisent aujourd’hui les sols sous bananeraie de la plupart des exploitations agricoles du pays : grande épaisseur du sol, structure très favorable, faible pierrosité, taux élevé de matière organique (jusqu’à 10% et plus), PH neutre ou faiblement acide, richesse en éléments nutritifs (saturation du complexe absorbant), etc. » En plus, une bananeraie intense protège le sol contre le ruissellement intense de surface et le lessivage, donc contre l’érosion, ce qui permet de préserver les éléments minéraux du sol (azote phosphore, potassium). Les résidus de banane (feuilles, tiges, épluchures et les pâtes qui restent après avoir extrait le jus) produisent du carbone qui va enrichir la matière organique du sol. La bananeraie produit en plus une bonne quantité de biomasse qui est incorporée au sol et peut même continuer à assurer le maintien du transfert de fertilité indépendamment du bétail qui, par ailleurs, est en régression constante dans le pays. Dans certaines régions densément peuplées, la bananeraie a également permis, par le transfert de fertilité qu’elle rend possible, le développement de la culture du café.

Malgré son rendement relativement faible par rapport aux autres régions, le bananier peut être comparé à l’or vert (café) des régions caféicoles (Buyenzi, Kirimiro, etc.) où le café constitue la principale source de revenus. Son revenu monétaire (la partie vendue) annuel moyen a été estimé à 126.610 Fbu (106 dollars) soit 62,1% des revenus monétaires en provenance des produits de l’agriculture ; la valeur de la production totale de la banane (fraction autoconsommée et fraction vendue) étant estimée à 225.000 Fbu (187,5 dollars).

110 LOPEZ A., La bananeraie burundaise, Travaux et Documents du CEGET, n°42, Bordeaux, 1981, p.138 176

MANIRAKIZA R. (2007) souligne l’importance de cette culture dans la paysannerie burundaise : « Première culture nationale par sa superficie, elle est aussi une des plus importantes sources de revenu pour le paysan par l’intermédiaire de la bière que l’on fabrique ». Le même auteur ajoute: «Et il est vrai que cette plante occupe aujourd’hui une place considérable dans les paysages de maintes régions, dans l’alimentation, et surtout la boisson des Burundais, ainsi que dans les relations sociales et la culture populaire ».

Tableau n°38: Revenu monétaire annuel en provenance des produits vivriers par ménage du Bututsi en 2007 Cultures Revenu % par rapport au Exploitants qui vendent monétaire revenu total une partie de la récolte annuel moyen (en %) Céréales 6.972,5 4 14 Tubercules 15.000 7 16 Légumineuses 2.030 1 7 Fruits et légumes 4.815 2 19 Bananier 126.610 62 92 Cultures fourragères 5.430 3 5 Produits forestiers 42.798 21 41 Total 203.655,5 100 - Source: Enquêtes personnelles, juin, juillet, août 2007

Figure n°13 : Revenus tirés des produits vivriers

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Source : Etabli à partir des données du tableau n°38 Tableau n°39: Les principales matières taxables en commune Matana en 2003 et en 2004 Matières taxables Recettes perçues en Recettes perçues en 2003 (en Fbu) 2004 (en Fbu) 1. Impôt vélos 124.450 141.500 2. Impôt gros bétail (IGB) 861.900 23.200 3. Impôt, extraits, attestations, 1.010.400 836.700 inscriptions, mariages 4. Vente carte nationale d’identité 560.000 529.000 5. Amendes 396.000 157.500 6. Carte assurance maladie 1.000.810 796.100 7. Attribution, achat des parcelles 5.122.500 10.115.000 8. Marchés des vivres 589.000 337.500 9. Boutiques 100.000 100.000 10. Pompe à essence 1.659.100 2.032.000 11. Taxe bière locale (de banane) 4.877.400 5.695.000 12. Taxe gros bétail 2.282.000 4.874.200 13. Taxe petit bétail 20.000 10.000 14. Taxe stationnement bus 993.200 1.081.200 15. Impôts locatifs 115.800 115.000 16. Frais de justice 205.497 66.760 17. Don 5.706.410 722.500 18. Poste à souder - 15.000 Source : Commune Matana, Rapports annuels, 2003 et 2004

Figure n°14 : Recettes communales de Matana en 2003 et 2004

Source : Etabli à base des données du tableau n°39

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Tableau n°40: Recettes de quelques communes du Bututsi en 2007 Matières Bururi Vyanda Songa Matana Rutovu taxables IGB 1.468.900 139.000 860.300 873.600 1.323.100 Taxe attestation 1.528.500 716.000 1.118.600 2.385.000 2.395.000 et extrait Délivrance CNI 725.000 206.000 449.000 557.000 389.000 Amende 4.147.200 763.500 1.513.400 947.000 777.450 administrative Impôt sur 3.615.000 - - 1.175.700 466.150 revenus locatifs Entretien 13.198.990 2.307.500 10.177.050 30.263.700 3.010.050 marché Taxe sur 840.000 343.500 283.800 270.000 652.500 boutique Cabaret bière 355.000 211.500 378.000 - 255.000 locale Taxe sur vente 6.076.740 1.984.715 2.857.000 3.880.500 4.506.200 bière locale Taxe hydromel 2.400.940 247.000 - - - vin de palme Cabaret bière 140.000 73.000 - 50.000 industriel Chargement - - 3.566.308 2.144.000 1.081.800 produits de reboisement Attribution 708.000 1.699.370 4.106.330 430.000 parcelle Autres 18.240.477 3.418.150 989.160 5.882.914 2.197.250 Total 52.796.747 11.184.865 23.964.988 52.931.144 17.533.700 Source : Ministère de l’Intérieur, Département des finances communales, Rapports annuels pour les communes Bururi, Vyanda, Songa, Matana, Rutovu, exercice 2007

L’on constate à travers ces données que sur une longue liste de matières taxables (à peu près une cinquantaine), la taxe sur vente de bière locale (bière de banane) représente une part importante des recettes communales : 11,7% de recettes pour la commune de Bururi, 17,7% pour Vyanda, 11,9% pour Songa, 7, 3% pour Matana et 25,7% pour la commune de Rutovu. Elle constitue la première recette communale pour la commune Rutovu, la deuxième pour les communes Bururi, Vyanda et Songa, et la troisième recette pour Matana.

La bière de banane a une fonction sociale cruciale. L’échange de la bière renforce les relations sociales et d’amitié au niveau des rapports horizontaux entre familles ou individus. Presque toutes les circonstances (heureuses ou malheureuses) donnent des occasions pour offrir et 179 boire de la bière. Solliciter une vache ou la main d’une fille, célébrer un mariage, investir un notable, lever le deuil, célébrer Noël et le Nouvel an, etc., sont autant de temps sociaux où les gens se rencontrent pour partager la bière. « C’est à tout moment qu’il faut pouvoir en offrir, pour les fiançailles, pour le mariage, pour faire cultiver, pour remettre un nouveau toit à la hutte, pour introduire une plaidoirie, pour amadouer le chef de colline, pour louer un champ. (…) aujourd’hui, véritable argent liquide, la bière occupe une place de choix dans les circuits monétaires. Elle est devenue un des modes classiques de redistribution des encaisses entre indigènes » (LEURQUIN P., 1960, p.211). « Les rencontres au cabaret ont lieu autour de la consommation de bière de banane, toute réception est associée à sa consommation et surtout les travaux effectués en commun. Les « sociétés » ou « tontines » paysannes, outre qu’elles fournissent des occasions privilégiées d’en consommer, ont parmi leurs principales raisons d’exister la capitalisation des recettes provenant de la vente de bière » (GUICHAOUA A., 1989).

Aujourd’hui, avec la disparition du sorgho et un nombre pratiquement insignifiant d’apiculteurs et avec l’intensification de la bananeraie, la bière de banane (Urwarwa) semble voler la vedette aux autres boissons. A côté de la bière industrielle (Amstel, Primus) qui n’est consommée que par une minorité de gens relativement aisés, c’est la bière de banane qui est commercialisée dans tous les cabarets ruraux. Le cabaret est devenu un lieu autour duquel les individus ou les groupes de consommateurs se rencontrent tous les jours. Les points de vente de cette boisson sont généralement localisés le long des axes routiers et des pistes rurales, à proximité d’un centre de santé ou d’une école, au voisinage d’un marché, non loin d’une église et dans les petits centres à vocation urbaine. Bref, il existe au moins sur chaque sous- colline (ou cellule) un point de vente de cette bière.

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Photo n° 12: une exploitation dominée par la bananeraie

Nous venons de voir que dans la paysannerie et dans les différents aménagements agraires du Bututsi, le bananier occupe une place de choix. Il procure à la population qui le cultive sécurité alimentaire et sécurité financière. Nonobstant, le Bututsi n’est pas la région où la production est la meilleure, loin de là. La plupart des régions du Burundi ont des rendements nettement supérieurs. Les régions de Rugombo (dans l’Imbo nord), Bukirasazi (Sud Kirimiro) et Bukemba (sud Moso) sont les premières productrices de la banane et de sa bière.

™ L’importance du bois, de son charbon et les cultures fourragères

En 1931, l’administration coloniale a rendu obligatoire la création des boisements communaux, c’est-à-dire que les collectivités territoriales étaient tenues à mettre en place chaque année et à leur profit, au moins 1ha pour 300 contribuables. Ce n’est que plus tard, toujours pendant la colonisation, que les premières grandes plantations ont eu lieu. Pendant la décennie 1970, les projets de reboisement ont encore planté plusieurs milliers d’hectares à travers le pays.

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Un paysan enquêté sur la colline Mutangaro nous a dit : le bois est mon café111 (ibiti ni yo kawa yanje). Sur les collines de Mahwa et Kampezi (toutes situées en commune de Ryansoro), 72% des personnes enquêtées ont des revenus monétaires issus de la vente des produits forestiers tandis les salariés de ce secteur (qui font la coupe du bois, sa carbonisation, le transport du charbon jusque sur les principaux axes) ainsi que les commerçants du charbon, sont en nombre non négligeable. Après les revenus monétaires générés par la banane et par sa bière, la vente des produits forestiers vient en deuxième position, soit 21% des revenus tirés de l’agriculture.

Avant la mise en œuvre d’une politique de reboisement, les collines non cultivées ainsi que les chaînons quartzitiques du Bututsi étaient presque complètement nues. Il subsistait quelques lambeaux forestiers et buissons, vestiges d’une ancienne forêt ombrophile comme celle de Bururi. On peut lire par exemple dans le Rapport de Tutelle de 1949 que: « Le problème du bois de chauffage est crucial au Ruanda-Urundi ; quelles que soient les étendues qu’on pourra reboiser, elles seront insuffisantes pour couvrir les besoins sans cesse croissants, si le bois n’est pas exploité rationnellement et utilisé avec parcimonie » (SIRVEN P., 1984). En 1975, cette mise en garde fut reprise sous forme de constat d’échec par l’ancien résident général du Ruanda-Urundi J.P. HARROY dans un article du journal Le Soir. Il écrivait : « De 1952 à 1961, la Belgique a consacré sur son budget métropolitain plus de quatre cent millions, somme à cette époque considérable, à financer les chantiers forestiers du Rwanda et du Burundi. Aujourd’hui, faute de crédits, cet effort s’est relâché. Le bois de feu devient par endroit de plus en plus introuvable » (SIRVEN P., 1984).

Depuis bien longtemps au Bututsi oriental et austral par exemple, du bois de chauffage en provenance du Kumoso était troqué contre certaines denrées alimentaires comme le petit pois ou le beurre. En période de grande pénurie, l’herbe sèche (ishinge), les racines sèches de certaines graminées (urwiri) ainsi que certaines déjections animales comme de la bouse sèche de vache (ibisheshe) étaient utilisées comme combustibles.

La cause essentielle de cette dégradation de la végétation naturelle reste certainement les feux de brousse répétitifs dont les éleveurs, en quête de pâturages riches en graminées ou en jeunes

111 Le café, première culture d’exportation du Burundi (à peu près 80% des exportations) constitue une source de revenus monétaires importants dans certaines régions où cette culture se prête bien. Ce paysan du Bututsi veut donc signifier que ses plantations de bois sont, pour lui, ses premières sources de revenus. 182 pousses, sont en grande partie responsables. Ces incendies ne sont pas seulement observés dans le Bututsi ; le Buyogoma, région par contre où l’élevage n’est pas très pratiqué, est la première région du pays qui subit les feux de brousse et leurs effets néfastes112. En outre, la pression humaine sur la terre, les besoins en bois de plus en plus croissants, le surpâturage et le phénomène d’érosion de surface sont venus aggraver la situation.

Comme nous l’avons déjà souligné, les projets de reboisement (Projet Bututsi, Projet Bukirasazi, Projet Bututsi-sud) ont contribué de façon très significative à l’augmentation des disponibilités en bois ainsi qu’à la protection de l’environnement (lutte anti-érosive, protection des bassins-versants, multiplication des pépinières, agroforesterie, etc.). C’est-à- dire que depuis l’implantation des projets dans les années 1970 jusqu’à nos, des dizaines de milliers d’hectares (voir tableau n°42) ont été plantés dans le Bututsi et leurs impacts dans la vie socio-économique des paysans n’est plus à démontrer. Aujourd’hui, très rares sont les paysans ne possédant pas un petit boisement privé qui procure du bois de chauffe ou de service sans oublier les revenus monétaires.

Photo n° 13: Boisement privé à Butwe (Matana)

112 D’après les chiffres du Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, plus de 5.000 hectares de forêts ont été ravagés par les feux sauvages en 2006. Dans la province de Ruyigi, à l'est du Burundi, ce sont plus de 600 hectares de forêts qui ont été brûlés la même année. « La saison qui a le plus marqué les esprits par les dégâts occasionnés fut l'année 1994-1995 où près de cent mille hectares de forêts ont été consumés par les flammes » (Rapport d'activités de 1995 élaboré par le département des forêts).

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Photo n° 14: Boisement privé à Mutangaro (Rutovu)

Photo n° 15: Crête quartzitique reboisée (boisements domaniaux à Vyanda)

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Photo n° 16: un privé qui commence à reboiser une partie de sa propriété

Photo n° 17: Un exemple de déboisement

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Le charbon de bois, principal combustible à Bujumbura et dans les centres urbains du pays, devient une denrée de plus en plus rare. Compte tenu du coût onéreux de l’électricité et du gaz, les citadins, même dans les couches les plus aisées, utilisent du charbon de bois pour cuire les aliments. L’énergie électrique n’est utilisée que pour assurer l’éclairage nocturne, l’alimentation des appareils électriques et le repassage des vêtements.

Dans les années 1970 et 1980, la ville de Bujumbura était approvisionnée par du charbon de bois en provenance du Congo, du Nord-Imbo ou de la région de Kayanza à près de 100km de la capitale (SIRVEN P., 1984). Aujourd’hui, l’essentiel du charbon de bois utilisé à Bujumbura vient par la Route Nationale n°7 (RN7) sur plus de 80km entre Rutovu et Matara (à 25km de Bujumbura). Cela veut dire que le Mugamba-sud et le Bututsi constituent pour la capitale deux grands centres d’approvisionnement en charbon de bois. Dans les autres régions du pays (surtout les régions densément peuplées), la forte demande en bois liée à la forte pression démographique (ainsi que les défrichements consécutifs) a fortement réduit les disponibilités en bois. Au charbon de bois, il faut ajouter le bois de chauffe utilisé dans tous les ménages ruraux, celui nécessaire à la fabrication des briques ainsi que le bois d’œuvre (planches servant à la fabrication du mobilier). L’on peut donc conclure que, compte tenu de leurs besoins sans cesse croissants en bois, les villes sont les principaux prédateurs et les artisans de la déforestation au Burundi.

En 1980, un sac de charbon de 40kg coûtait à Bujumbura l’équivalent de 8£ U.S) (SIRVEN P., 1984). Aujourd’hui (2010), suite à une demande de plus en plus croissante de cette énergie dans les zones urbaines, le prix de ce même sac a presque doublé (autour de 15£ U.S). Il faut en plus souligner que le pouvoir d’achat de la population a été fortement réduit par rapport à cette période.

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Tableau n°41: Evolution des boisements au Burundi depuis 1992 Année Superficie Superficie Bilan Superficie reboisée en ha déboisée en ha totale boisements (en ha) 1992 200281 1993 950 32000 -31050 169231 1994 650 7300 -6650 162581 1995 650 4068 -3418 159063 1996 3160 3515 -355 158708 1997 3500 3860 -360 158348 1998 3460 5193 -1733 156615 1999 7740 5600 2140 158755 2000 6960 6200 -760 159510 2001 7200 4800 2400 161910 2002 7400 4800 2600 164710 2003 4900 4944 -44 164666 Source : Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Environnement et des Travaux Publics, Département des Eaux et Forêts

Tableau n°42: Répartition des superficies boisées du Bututsi (2006) Communes Boisements (communaux, domaniaux et privé) en ha Songa 147,5 Vyanda 5000 Rutovu 2050,8 Matana 129,5 Bururi 147 Ryansoro 430,5 Total 7905,3 Source : Monographies des communes, 2006

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Photo n° 18: A Butwe (Matana) Chargement du charbon de bois dans un camion

Les disponibilités en bois (boisements naturels ou artificiels) à l’échelle nationale laissent donc à désirer dans la mesure où les citoyens burundais tirent la quasi-totalité de leur énergie domestique dans le bois de chauffe. La solution à ce problème pourrait, semble-t-il, se trouver dans l’utilisation des importantes ressources en tourbe disponibles dans les marais de certaines rivières du Burundi113. A partir de l’année 1985, l’Office National de la Tourbe (ONATOUR) commence à extraire la tourbe dans certains marais du Burundi dont deux sont situés au Bututsi (marais de Gitanga en commune Ryansoro et celui de Kidimbagu en commune Matana). Au niveau national, la production moyenne mensuelle est évaluée à 800 tonnes. Le prix d’une tonne de tourbe tourne autour de 50 dollars (soit 4 centimes d’euros le kg) un prix relativement élevé vu le pouvoir d’achat de la population. En plus, la plupart des paysans ont leurs boisements individuels, d’autres exploitent, dans l’illégalité, les boisements domaniaux situés à proximité de chez eux (certains commencent même à s’en approprier), ce qui fait qu’ils ne sont pas habitués à acheter les combustibles. La tourbe est donc souvent utilisée par les camps militaires et quelques établissements scolaires à régime d’internat, les

113 D’après les estimations du début des années 1980, les réserves de tourbe exploitable équivaudraient à 350.000.000 de tonnes au Burundi (SIRVEN P., p.679). Ce chiffre contraste avec celui donné par l’ONATOUR lui-même et « Cartier Limitée », une société canadienne d’ingénierie, qui avancent le chiffre de 1 milliard de tonnes (1993) de réserves. 188 hôpitaux, les établissements pénitenciers, les petites industries, etc. La tourbe n’est pas beaucoup appréciée par de nombreux usagers des milieux urbains du fait d’une fumée abondante qu’elle dégage lors de sa combustion. En milieu rural non plus, cette source d’énergie est presque totalement inutilisée car son coût élevé en limite l’accessibilité.

Enfin, une culture « nouvelle » commence à susciter un regain d’intérêt chez les agro-éleveurs de la région désireux d’améliorer l’alimentation de leur bétail et d’acquérir un certain revenu ; il s’agit de plantes fourragères. En effet, les plantes fourragères ont été vulgarisées depuis bien longtemps par les projets et les responsables soit administratifs soit relevant du Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage mais cette sensibilisation n’a pas eu, à proprement parler, d’effet notable. La disparition progressive de la pratique de la transhumance saisonnière vers les régions voisines de basse altitude en saison sèche suite à des raisons déjà évoquées, a contraint les éleveurs du Bututsi à planter quelques ares de cultures fourragères dans leurs exploitations ; cela pour parer au problème de manque criant d’aliments de bétail (surtout le gros bétail) pendant la saison sèche. Les principales herbes qui constituent l’essentiel des pâturages de la région ont un enracinement très superficiel de telle sorte qu’après quelques jours de chaleur du soleil et sans pluie, ces pâturages en payent le plus lourd tribut. La technique de conservation du fourrage qui consiste à le transformer en matière sèche (comme la technique d’ensilage dans les pays connaissant l’hiver) est inexistante. Actuellement, la pratique des cultures fourragères est généralisée à tel point que même les paysans ne possédant pas de bovins en ont au moins une parcelle. Le revenu monétaire que ces cultures génèrent est à la base de cet engouement chez le paysan. D’après les données de nos enquêtes, environ 81% des ménages du Bututsi ont au moins une parcelle de cultures fourragères tandis que la superficie moyenne qu’occupe cette culture dans les exploitations se situe autour de 12 ares. Le revenu monétaire que peut procurer cette culture est dans l’ensemble modeste : 3% (voir figure n°13) mais, quand même, ceux qui la cultivent et la vendent savent, plus que quiconque, son importance. Sur les collines des communes qui ont fait objet de nos enquêtes, la commune de Matana vient en tête dans la culture des fourrages. Dans le cadre de la lutte anti-érosive, les parcelles des exploitations en pente (forte ou moyenne) ont été aménagées sous forme de terrasses et entre ces dernières, des haies en haut du talus séparent ces parcelles. C’est le système d’approvisionnement en produits fourragers le plus ancien.

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Photo n° 19: un champ de Tripsacum laxum en bas du finage

Tableau n°43: Valeur de la production vivrière du Bututsi par ménage en 2007 (en Fbu) Culture Prix (au kg) Quantité de la Valeur totale récolte (en kg) (en Fbu) Maïs 450 411 184.950 Autres céréales 500 35 17.500 Haricot 700 270 189.000 Petit pois 1000 30 30.000 Pomme de terre 300 400 120.000

Patate douce 120 500 60.000

Autres tubercules 250 200 50.000

Régime de banane 2500 90 (régimes) 225.000 Total 876.450 Source : Enquêtes personnelles (2007)

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Figure n°15 : Valeur de la production agricole par ménage (en Fbu)

Cette valeur de la production vivrière n’est qu’une estimation et n’est valable que pour l’année 2007. En effet, les prix des différentes denrées alimentaires ne sont pas partout les mêmes dans les marchés de la région. Les marchés situés à la périphérie du Bututsi proposent des produits relativement moins chers par rapport à ceux situés à l’intérieur de la région. Cela est expliqué par le fait que les marchés périphériques sont alimentés par des produits vivriers en provenance du Kumoso, Buragane, Imbo et ces régions sont largement plus productives que le Bututsi et leurs produits concurrencent, sur le marché, ceux produits localement. En plus, le prix d’un produit n’est pas stable toute l’année. Il dépend de la quantité offerte sur le marché (loi de l’offre et de la demande) et cette quantité dépend des périodes de l’année et des conditions climatiques.

Cette valeur de la production vivrière moyenne par ménage (876.450 Fbu) représente un revenu brut dont il faut déduire toutes les charges de production (paiement de la main- d’œuvre extérieure à l’exploitation, achat d’engrais et de produits phytosanitaires, loyer des terres louées, redevances versées pour les engrais et les semences, l’achat du bétail et de ses aliments, l’équipement agricole et son amortissement, etc.). Pour obtenir un revenu net total, il faut ajouter les revenus extérieurs à l’exploitation dont certaines familles peuvent bénéficier. D’après BONVIN J. (1986), on distingue trois notions : 191

1. Revenu agricole brut 2. Revenu agricole net = 1 – dépenses pour tous les inputs 3. Revenu net total = 2 + revenus reçus à l’extérieur

2.2.1.2 Les revenus de l’élevage

Certains produits de l’élevage participent très substantiellement à la production agricole. L’importance du fumier par exemple n’est plus à démontrer dans le système de culture de la région. « Aujourd’hui comme hier, les déjections animales constituent le principal produit de l’élevage. De nombreux agriculteurs gardent encore chez eux un taurillon ou une génisse qui ne leur appartient pas dans le but de disposer librement des déjections de cet animal » (COCHET H., 2001). Traditionnellement, le prêt d’un animal avait pour principal objectif la fourniture du fumier aux voisins ou amis qui ne pouvaient pas en produire assez (gutanga uduse : donner du fumier). Cet objectif cachait un autre qui était celui d’assurer la sécurité alimentaire.

Toujours à propos du fumier animal, il existe aujourd’hui un phénomène nouveau et qui tend à se généraliser dans la région. Avec le développement de la culture de la pomme de terre, quelques paysans ont comme source de revenu monétaire le fumier. En effet, certains fonctionnaires travaillant dans les petits centres urbains de la région se sont lancés dans une course effrénée dans la culture de la pomme de terre, devenue pour certains une culture de spéculation. Cette culture très exigeante en fumier surtout quand elle est plantée sur colline, oblige cette petite « bourgeoisie urbaine » à acheter du fumier à proximité de leurs parcelles qui sont souvent propriétés de ces mêmes paysans.

La principale source de revenus de l’élevage est sans conteste la vente sur pied d’une bête secondée, dans une moindre mesure, par le lait. Les autres produits d’élevage (beurre, peaux, viande, miel, volaille et ses produits) génèrent quelques revenus mais leur place reste très dérisoire. L’élevage de la volaille échappe par exemple au contrôle du chef d’exploitation parce que le plus souvent la consommation et la vente de ses produits (les œufs) est le fait des enfants.

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Tableau n°44: Revenu monétaire de l’élevage (moyenne/an/ménage) Animaux Revenu Ménages qui vendent une moyen/ménage/an bête ou ses produits (en %) (en Fbu) Bovins 50.700 45 Caprins 5.956 34 Ovins 3.660 20 Porcins 1.320 4 Volailles 3.103 14 Produits animaux Lait 24.660 10 Beurre 900 1 Œufs 2.454 18 Miel 340 1 Peaux 0 0 Fumier 540 2 Total 93.633 Source : Enquêtes personnelles (2007)

Ces données sont des moyennes calculées sur un échantillon de 100 ménages ruraux. Pour les obtenir, on s’est intéressé à la partie vendue (animaux et leurs produits dérivés) et on a rapporté le montant total pour chaque catégorie à l’échantillon. Parmi les revenus que le paysan du Bututsi tire de son cheptel, la vente sur pied des bovins ainsi que le lait viennent au premier rang (50700 + 24660 = 73360 sur un total de 93633). Sur les 92% des ménages qui possèdent au moins un animal domestique (excepté les chats et les chiens), 76% y gagnent un revenu monétaire.

2.2.2 Les dépenses des ménages

Le mode de consommation exprime la forme que prend cette consommation à un moment de l’évolution, compte tenu des ressources disponibles. La consommation peut toutefois être le reflet de la culture. Elle est un des usages possibles du revenu, lequel peut être consommé ou réservé à l’épargne.

BONVIN J. (1986) écrit à propos du Burundi que: « les prévisions des plans de développement n’ont de valeur que si les habitudes, les structures et les niveaux de dépenses des différents groupes sociaux sont suffisamment connus. D’autre part, un indicateur indispensable pour mesurer la situation économique est l’indice du coût de la vie ; or, le 193 calcul de cet indice repose sur des enquêtes de consommation. Mais les enquêtes de ce genre sont rares sinon inexistantes au Burundi ». Le paysan du Bututsi prélève une fraction de sa récolte qu’il vend au marché afin de pouvoir s’acquitter de certaines de ses obligations. Il ne s’agit pas, comme on l’a déjà souligné, de véritables surplus : le paysan vend une partie de la production parce le besoin d’argent l’y oblige. Les dépenses auxquelles les familles doivent faire face sont multiples et variées : celles relatives à l’activité agropastorale, celles liées à l’achat de suppléments de vivres pour combler le déficit de la production et enfin beaucoup d’autres dépenses courantes que les ménages doivent effectuer.

Dans notre méthodologie, nous avons classé les dépenses en trois grandes catégories : les dépenses relatives à l’activité agropastorale (paiement de la main-d’œuvre, achat du matériel agricole, d’engrais et de semences), les dépenses en rapport avec l’alimentation (achat des produits alimentaires : céréales, tubercules, légumineuses, fruits et légumes, de sel, de l’huile, de tous les ingrédients, etc.) et enfin la catégorie des dépenses non alimentaires tels que celles liées aux soins de santé (consultations médicales, examens médicaux, médicaments, hospitalisation, etc.), aux frais scolaires des enfants, à l’habillement, aux loisirs et cérémonies (dot, mariage, décès, levée de deuil, anniversaire, naissance, baptême etc.), transport et communication, etc. On a alors demandé à chacun des ménages de notre échantillon (100 ménages), rubrique par rubrique, combien d’argent elle dépense mensuellement ou annuellement. On peut prendre par exemple le cas de la main-d’œuvre rémunérée. La main- d’œuvre salariale peut être permanente ou occasionnelle. Pour la première, il est facile de savoir combien elle est payée car chaque ouvrier a un salaire mensuel fixe. Pour la seconde, elle est embauchée surtout pendant les périodes d’intenses activités agricoles. On demandait alors à nos interlocuteurs d’estimer le nombre d’ouvriers temporaires qu’ils engagent en moyenne chaque mois et la rémunération journalière de chaque ouvrier. On pouvait alors avoir un chiffre plus ou moins exact sur les dépenses annuelles allouées au paiement de la main-d’œuvre.

Pour l’achat des semences, des engrais, etc., chaque paysan sait combien de kilos il a acheté pour la première ou la deuxième saison culturale. Le paysan sait également le nombre de houes qu’il acheté l’année dernière et combien ça lui a coûté. Bref, la méthode de questionnement varie un peu suivant le type de dépense mais pour chacune des dépenses, l’objectif était de pouvoir en estimer le montant annuel. Nous avons procédé presque de la même façon pour les autres catégories de dépenses (dépenses alimentaires et autres). 194

Tableau n°45: Dépenses annuelles relatives à l’activité agropastorale/ménage en 2007 (en Fbu) Type de dépense Somme dépensée (en % par rapport % de ceux qui Fbu) au total des effectuent le type de dépenses dépense Main-d’œuvre 138630 55,74 69 Semences 36795 14,79 92 Engrais 18466 7,42 73 Produits phytosanitaires 3147 1,26 33 Equipement agricole 4089 1,64 100 Achat de bétail 9020 3,62 11 Aliments de bétail 23004 9,25 65 Produits vétérinaires 14060 5,65 71 Location de la terre 1480 0,59 11 Total 248691 100 - Source : Enquêtes personnelles 2007

Figure n°16 : Dépenses relatives à l’agri-élevage

Source : Données du tableau n° 45

La main-d’œuvre salariée accapare la plus grande partie des dépenses relatives à l’activité agropastorale (56%). Nous avons déjà vu que beaucoup de ménages de la région du Bututsi 195 accusent un déficit de main-d’œuvre familiale non rémunérée, raison pour laquelle ils font recours à une main-d’œuvre extérieure rémunérée. 76 ménages enquêtés sur 100 utilisent au moins une fois par an une main-d’œuvre salariale extérieure. Cela veut dire que 53% des ménages emploient la main-d’œuvre permanente tandis que 69% emploient la main-d’œuvre temporaire ou occasionnelle. Cette dernière peut être locale ou d’origine extérieure à la région. Les autres dépenses en rapport avec l’agriculture et l’élevage se départagent le reste c’est-à-dire 44% (achats de semences, d’engrais, équipement agricole, aliments du bétail, etc.).

Tableau n°46: Dépenses relatives à l’alimentation/ménage/an en 2007 (en Fbu) Type de dépense Somme dépensée % par rapport % de ceux qui au montant total effectuent la dépense Céréales 27090 10,65 75 Tubercules 16910 6,64 49 Légumineuses 33703 13,25 75 Fruits 2510 0,98 54 Légumes 7606 2,99 82 Banane 8890 3,50 44 Sel, huile, ingrédients 45414 17,85 100 Bière (locale ou 99604 39,16 82 industrielle) Autres (1) 12574 4,97 100 Total 254301 100 - Source : Enquêtes personnelles (2007) (1) Poisson, viande, sucre, tabac, etc.

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Figure n°17 : Achats de produits alimentaires

Source : Données du tableau n°46

Comme nous l’avons maintes fois déjà souligné, le Bututsi a toujours été une région déficitaire du point de vue alimentaire. Il est, de ce fait, condamné à acheter des suppléments de vivres pour compléter la ration. A travers la figure ci-dessus, nous constatons que tous les produits alimentaires, que ce soit les céréales, les tubercules, les légumineuses, etc., sont les bienvenus car la plus grande partie des ménages en achètent. Il importe aussi de souligner ici la place accordée à la consommation de la bière. La bière prend à peu près 40% du budget alloué à l’achat de produits alimentaires. Cela vient, une fois de plus, souligner l’importance (économico-sociale) que la population accorde à la consommation de la bière. Le rôle du partage de la bière dans le renforcement des liens sociaux a été souligné par beaucoup de chercheurs ayant travaillé sur le Burundi. Le Bututsi n’en constitue pas une exception. GUICHAOUA A. (1989) renforce cette idée en précisant, pour le cas du Burundi et du 197

Rwanda, que la fonction sociale de la bière n’a pas de prix. « L’installation de la bananeraie sur de bonnes terres, une fumure abondante et une extension régulière tout au long de l’existence sont en milieu rural la base de la richesse et l’élément-clé du prestige social compte-tenu du rôle de la boisson dans les échanges entre familles au niveau du voisinage. La fonction sociale n’a alors pas de prix et contrebalance la tendance à la banalisation de la bière de banane comme production purement commerciale pour le cabaret et le marché : « l’argent, ça passe, le voisin ne passe pas ».

Tableau n°47: Autres dépenses annuelles/ménage/an (en Fbu) Type de dépense Somme dépensée % par rapport % de ceux qui au montant total effectuent la dépense Bois de chauffe 1320 0,97 8 Habillement 23572 17,43 86 Frais scolaires 28792 21,29 54 Soins de santé 11558 8,54 88 Construction, entretien 9967 7,37 63 de la maison, de l’enclos, etc. Equipement de la 7730,5 5,71 96 maison Contributions liées au 31694 23,44 93 social Impôt 1432 1,05 76 Epargne 0 0 0 Autres (1) 19135 14,15 100 Total 135200,5 100 - Source : Enquêtes personnelles, 2007 (1) Crème pour la peau, produits cosmétiques, énergie, etc.

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Figure n°18 : Autres types de dépenses

Source : Données du tableau n°47

On se rend compte que, à côté des dépenses alimentaires ainsi que celles en rapport avec les activités agropastorales, les ménages doivent effectuer d’autres types de dépenses. Parmi celles-là les frais scolaires pour les enfants, celles liées à la solidarité familiale, à l’habillement, la santé, etc. occupent une place prépondérante dans la consommation des ménages.

Tableau n°48: Synthèse des dépenses monétaires/ménages/an en 2007 (en Fbu) Types de dépenses Montant dépensé Pourcentage Dépenses relatives à l’activité 248691 38,96 agropastorale Dépenses alimentaires 254301 39,84 Dépenses non alimentaires 135200 21,18 Total 638192 100 Source : Synthèse des données des tableaux n°45, 46 et 47

199

Figure n°19 : Répartition globale des dépenses

Source : Données du tableau n°48

La plus grande partie des dépenses des ménages va à l’alimentation de tous les jours (40%) ; ceci confirme la thèse d’une région aux maigres ressources surtout les ressources alimentaires. La rubrique relative à l’activité agricole et pastorale prend une place non moins importante (39%) tandis que celle liée aux «dépenses non alimentaires » consomment elle aussi une part non négligeable des dépenses des familles (21%).

Tableau n°49: Bilan global annuel des revenus internes des exploitations et des dépenses Revenus monétaires internes Dépenses Nature du revenu Montant Nature de la dépense Montant monétaire Agriculture et 209.085,5 Dépenses relatives à 248.691 sylviculture l’activité agropastorale Elevage 93.533 Dépenses liées à 254.301 l’alimentation Autres types de 135.200,5 dépenses TOTAL 302.618,5 618.192,5 Solde 335.574 Source : Données des tableaux n° : 38, 44, 45, 46 et 47

201

2ème partie : MULTIPLICATION DES SOURCES DE

REVENUS ET REPRODUCTION DU SYSTÈME

PAYSAN

202

Introduction

Pour un observateur non averti, les paysages agraires du Bututsi reflètent l’image d’un monde rural où prédominent les activités agricoles et pastorales, ce qui n’est pas forcément faux. L’agriculture dans la région est effectivement une activité apparemment dominante mais qui, en réalité, ne l’est pas car elle n’est pas en mesure de subvenir à tous les besoins des familles. Comme on l’a vu au chapitre II, la production agricole totale annuelle d’une exploitation agricole ne donne pas assez de calories, de protéines, de lipides, de glucides, etc. pour satisfaire les besoins nutritionnels et énergétiques d’un ménage de cinq personnes. On a également vu dans le même chapitre que l’agriculture fournit moins de la moitié des revenus des ménages. Cela signifie que les ménages du Bututsi consomment plus qu’ils ne produisent dans leurs exploitations. Dans un tel contexte, les paysans se trouvent dans une situation particulièrement difficile et doivent obligatoirement adopter d’autres stratégies de survie. La pratique des activités lucratives non agricoles le plus souvent à travers des mobilités semble être la meilleure voie de sortie. Cela signifie que, dans un monde rural comme celui du Bututsi, il est toujours erroné de séparer l’activité agricole des autres activités dans la mesure où elle n’en constitue que l’un des aspects. La ville, par les différents appuis (matériel et surtout financier) intervient, elle aussi, d’une façon ou d’une autre dans le maintien et la reproduction du système paysan.

203

Chapitre III : LA PLURIACTIVITÉ COMME SOURCE D’APPOINT ET COMME SOURCE DE DIVERSIFICATION DES REVENUS

Dans notre méthodologie, nous ne nous sommes intéressés qu’à des individus vivant sur une exploitation agricole, donc à des exploitants agricoles à temps complet ou à mi-temps. Les ménages enquêtés peuvent avoir, à côté des revenus issus de l’exploitation (produits de l’agriculture et de l’élevage), d’autres sources de revenus et quelquefois même supérieurs aux revenus de l’agriculture. On trouve par exemple des ménages dont un membre exerce une activité commerciale ou artisanale, des personnes exerçant une activité salariale, les diverses activités relevant du tertiaire, etc. Ces activités hors-exploitation et génératrices de revenus dans un système agricole qui ne vise que la subsistance ne seraient-elles pas une sorte de supplément qui permet finalement au système paysan d’assurer sa continuité et de se reproduire?

3.1 Qu’est-ce que la pluriactivité en milieu rural ?

Encore appelée agriculture à temps partiel (quand elle est pratiquée par un agriculteur), multiactivité , multitravail, double activité ou double emploi etc. selon les auteurs, la pluriactivité est comme le sens étymologique du mot l’indique, la pratique, par les différents actifs, d’activités variées ou diversifiées au courant de l’année soit en alternance de façon saisonnière, soit de façon simultanée. Elle est opposée à la monoactivité (pratique d’une seule activité) beaucoup plus présente dans les pays développés depuis la révolution agricole. La pluriactivité a depuis longtemps caractérisé les familles rurales un peu partout dans le monde. MAYAUD J.L. (1999) écrit à propos de la pluriactivité dans campagnes françaises du 19ème siècle : « Sans limite est, au siècle dernier, la liste des exemples de pluriactivité qui n’épargnent aucun espace de campagne de la Normandie à la Loire et au Tarn, de la Meurthe-et-Moselle et de la Provence à la Picardie et au Vaucluse, de la Bretagne et du Nord au Périgord, au Perche et à la Franche-Comté »114. Henri MENDRAS (1984) ajoute que « la pluriactivité est un trait historique permanent des sociétés rurales ; il n’y a jamais eu de sociétés rurales purement agricoles et on a toujours fait un peu de tout à la campagne. Nous avons trop tendance à l’oublier ». NEGRO Yves, dans sa thèse sur « les activités et emplois non-agricoles en milieu rural français écrit : « la pluriactivité agricole a toujours existé à la

114 MAYAUD Jean-Luc, La petite exploitation rurale triomphante. France XIXème siècle, Paris, BELIN, 1999 204 campagne, bien avant l’industrialisation massive du pays après la seconde guerre mondiale »115. DELOR-VANDUEREN A. et DEGAND J. montrent pour le cas du Burundi que les activités non agricoles constituent un moyen de lutte contre le chômage rural consécutif à l’insuffisance des terres cultivables. « Les opportunités de salariat, d’activités commerciales ou artisanales constituent aujourd’hui un exutoire particulièrement intéressant pour le trop-plein de main-d’œuvre dans les collines. Dans les régions à très forte densité de population, le revenu hors exploitation est devenu, pour la majorité d’exploitations, une composante essentielle du revenu total annuel »116.

A donc été considérée (par nous-même) comme activité extra-agricole, pour le cas du Bututsi, toute activité lucrative exercée hors exploitation agricole familiale et fortement dissociée de la production de l’exploitation proprement dite. Ainsi, un paysan qui vend la force de ses bras dans les champs de ses voisins moyennant une certaine rémunération est considéré comme pluriactif. Toutefois, la vente sur le marché des produits bruts de l’exploitation ne relève pas d’une activité extérieure. Les activités non agricoles de notre zone d’étude sont essentiellement constituées par l’artisanat, l’achat suivi de la revente d’articles divers (commerce), les services ainsi que le salariat sous toutes ses formes.

La pratique de la pluriactivité a beaucoup aidé les ménages agricoles dont les exploitations ne parvenaient pas à se reproduire sans intervention d’un appoint extérieur. La personne qui pratique la pluriactivité n’est pas isolée ; ses activités s’inscrivent dans une structure familiale. Son conjoint (ou sa conjointe) ou les autres personnes en âge de travailler faisant partie du ménage, peuvent avoir leurs propres activités qui sont aussi variées. D’après nos enquêtes dans le Bututsi, 40% seulement des exploitations agricoles sont monoactives, c’est-à-dire que dans ces ménages, la totalité de la famille se consacre exclusivement au seul travail de la terre. Dans ce cas, l’exploitation doit tout au moins être suffisante pour entretenir les bras qui la cultivent. Dans notre échantillon (100 ménages) nous avons essayé de répartir les ménages par le nombre d’activités et nous sommes arrivés aux résultats suivants :

115 NEGRO Yves, Activités non-agricoles en milieu rural : Mutations et résistances, 361p. Thèse, Université de Toulouse II-Le Mirail, 1994. 116 DELOR-VANDUEREN A. et DEGAND J., Burundi : Démographie, Agriculture et Environnement, Bruxelles, Cahiers du CIDEP n°14, 1992 205

Tableau n°50: Répartition des ménages suivant le nombre d’activités exercées Ménages Ménages avec 1 Ménages avec 2 Ménages avec 3 Total monoactifs activité activités activités (agriculture seule) extérieure extérieures extérieures 40 43 12 5 100 Source : Enquêtes, 2007

L’on voit à travers ce tableau que 40 ménages sur 100 sont monoactifs c’est-à-dire que toutes les personnes actives ont une seule activité à savoir l’agriculture. Les ménages qui ont une activité en dehors de l’exploitation en plus de l’agriculture sont les plus nombreux (43 sur 100) tandis qu’au-delà, l’effectif se réduit. On doit ici préciser que, bien que ces familles soient monoactives, elles ne s’autosuffisent pas pour autant. Cela veut dire qu’elles ne vivent pas exclusivement de leurs exploitations. Elles ont des sources de revenus qui ne relèvent pas nécessairement de l’exercice d’une quelconque activité. Il y en a par exemple qui reçoivent de l’argent et d’autres biens matériels et services de la part des citadins, d’autres perçoivent une pension de retraite, une rente de survie d’un membre de la famille décédé (si ce dernier était fonctionnaire ou militaire), d’autres encore ont une maison ou une terre en location, etc. Cela nous a amené à répartir les ménages en termes du nombre de revenus.

Tableau n°51: Répartition des ménages suivant le nombre de revenus Ménages Ménages Ménage Ménages Ménages Ménages Total « monorevenus » avec 1 avec 2 avec 3 avec 4 avec 5 (revenu de revenu revenus revenus revenus revenus l’agriculture) extérieur extérieurs extérieurs extérieurs extérieurs 2 49 35 12 1 1 100 Source : Enquêtes, 2007

Dans les années 1990, VERHAEGEN E. et DEGAND J. ont démontré que dans la région de CAMPAZI-MURUTA117, une des stratégies de survie réside dans le recours aux activités hors exploitation (plus de 55% des ménages). « Nous avons estimé que 56% des chefs d’exploitation en moyenne bénéficiaient d’un travail hors-exploitation durant l’année 1987 et que 80% des exploitations comprenaient au moins un membre salarié, commerçant ou artisan »118. Durant la même période, HUBERT J.P. (1994) travaillant sur un espace

117 La colline de CAMPAZI est située dans la commune Muruta, à Kayanza, une province du Burundi très densément peuplée. 118 VERHAEGEN E. et DEGAND J., L’évolution des systèmes agricoles au Burundi. Une dynamique conflictuelle. Cahiers du CIDEP, 1993 206 beaucoup plus étendu (4 communes du Burundi situées dans les quatre coins du pays : Buyengero au sud-ouest, Bukemba au sud-est, Makebuko au centre et Gatara au nord), est arrivé à la même conclusion.

Ce même auteur a, en 1994, dressé une liste plus ou moins exhaustive des principales sources de revenus extra-agricoles dans les quatre communes rurales. La liste est la suivante : - Salaire (manœuvre permanent ou journalier, fonctionnaire), - Indépendant : commerçant, fixe ou ambulant, de produits vivriers, d’articles ménagers et d’habillement, de cultures de rente (café), bar, restaurant (bière de banane, bière Primus, brochettes, bananes légumes, dépôt de boissons, extraction et vente d’huile de palme, boucher, pêcheur, tailleur/couturier/raccommodage, maçon, potier, briquetier et tuilier, boulanger, forgeron, vannerie et articles en sisal et autres fibres, cordonnier, menuisier (meubles, fenêtres, portes, charpentes…), sciage du bois, soudeur, réparateur de vélos, de radios, de montres, artiste (sculpture), coiffeur, studio photo/studio musique/animation de soirées, lavanderie, peinture, garage/réparation de pneus, moulins, transport par taxis/minibus/bus/camionnettes/camions.

Exception faite de quelques activités spécifiques à l’une ou l’autre région (extraction ou vente d’huile de palme par exemple), la plupart de ces activités se retrouvent toutes dans le Bututsi malgré leur faible importance.

3.2 Pourquoi les paysans pratiquent-ils la pluriactivité ?

Pour se maintenir dans leurs villages (la ville étant pour certains villageois un milieu redouté du fait de nombreux problèmes auxquels elle est confrontée aujourd’hui), les populations rurales ont choisi de diversifier leurs sources de revenus. C’est par exemple ce que rapporte GUETAT-BERNARD, H. à propos des paysans du delta du Nil en Egypte : « les acteurs ruraux jouent d’une appartenance à plusieurs espaces économiques. Ils recourent aussi à des revenus agricoles et non agricoles pour s’assurer un ancrage villageois, la vie au village étant souvent valorisée face à un marché de l’emploi incertain et un monde urbain parfois redouté »119. Après avoir observé et étudié la paysannerie française, MENDRAS H. écrivait

119 GUETAT-BERNARD Hélène, Nouvelles articulations villes/campagnes. Pluriappartenance et mobilité spatiale et professionnelle des ruraux du delta du Nil, REGARS-CNRS, n°3, 1998, p.253 207 en 1980 : « la pluriactivité recouvre tous les moyens que les petits agriculteurs se donnent pour compléter les revenus de leurs exploitations et leur permettre de vivre ou simplement de survivre »120. MAYAUD. J.L. (1999) en décrivant l’exploitation rurale française au XIXème siècle, confirme la thèse selon laquelle les ruraux pratiquent le multitravail parce que l’exploitation seule est incapable de nourrir et entretenir toute la famille. Il écrit : « Les ruraux doubles-actifs équilibrent leur budget par un salaire d’appoint, se maintiennent au village et deviennent des paysans tisserands doués d’un véritable savoir-faire ». LACOMBE P. (1984) écrivait dans les années 1980 que dans les pays de l’Europe Occidentale, les pluriactifs sont généralement installés sur des « exploitations de petites dimensions », soulignant l’idée que l’activité extérieure vient souvent compenser un sous-emploi agricole et les faibles revenus qui en sont issus. Et enfin CLERC F. ajoute : « la généralisation de la pluriactivité reviendrait à reconnaître que le revenu tiré des exploitations agricoles ne permet pas aux agriculteurs de vivre sans le concours d’un appoint extérieur »121.

Le recours à la pluriactivité par les agriculteurs constitue donc, comme bon nombre d’auteurs l’ont souligné, une façon de rechercher une ressource extérieure pour survivre, les exploitations agricoles ne parvenant plus à elles seules à assurer la reproduction des ménages. « Difficilement viables par le seul travail agricole, elles (les petites exploitations ou microtenures) se maintiennent par le recours à d’autres formes de revenu procurées par la pluriactivité » (MAYAUD J.L., 1999). Il s’agit pour les familles ou les individus, d’une diversification des stratégies économiques en vue de parer aux problèmes que peut engendrer la monoactivité. Chez les paysans du delta du Nil en Egypte, « les acteurs locaux, en réponse à des situations de crise, révèlent une adaptation aux changements favorisant une recomposition des sociétés et des économies locales » (GUETAT-BERNARD H., 1998). Ces stratégies économiques favorisent beaucoup la pluriappartenance et la pluriactivité des ruraux qui essayent d’élargir les ressources économiques familiales. Françoise IMBS (1991) démontre, sur le cas de trois pays d’Afrique noire (Burkina Faso, Sierra-Léone et Kenya) dans les années 1975-1980 à quel point les unités de production familiales rurales dites domestiques sont contraintes à la pluriactivité : « autrement dit, les producteurs agricoles

120 MENDRAS Henri, Une politique nouvelle pour une nouvelle classe rurale, In ASSOCIATION DES RURALISTES FRANÇAIS, La pluriactivité des familles agricoles, Paris, ARF, 1984, p.69

121 CLERC François, La pluriactivité contre l’exploitation familiale ? In ASSOCIATION DES RURALISTES FRANÇAIS, op.cit, 1984 208 vivent de moins en moins de leur activité supposée principale, de plus en plus de petits métiers naguère pensés comme annexes ou dérivées de la baisse d’activités de mortes- saisons ».

Pour le cas du Burundi, « la raison d’exercer une activité extra-agricole, mentionnée par la grande majorité des exploitants, est la nécessité de rentrées monétaires pour couvrir les multiples besoins ménagers et familiaux. L’activité extra-agricole est considérée par quelques-uns comme la principale ou la seule source de rentrées monétaires. Quelques-uns considèrent aussi que cette activité rapporte plus d’argent que l’agriculture » (HUBERT J.P., 1994). Concernant la région qui fait l’objet de notre recherche, l’on constate que les ménages du Bututsi sont, pour la plupart, pluriactifs. D’après nos enquêtes, il y a au moins une personne active dans 60% des ménages qui exercent une activité extérieure génératrice de revenus monétaires (voir tableau n°50). En effet, la crise foncière (pour certaines collines) consécutive à la forte densité démographique, l’incapacité des sols à produire assez de vivres pour nourrir la population, les problèmes liés à l’amélioration ou à la modernisation de l’agriculture, etc. sont autant de facteurs qui sont à l’origine de la multiplication des activités extra-agricoles en milieu rural. Très rares sont les paysans du Bututsi qui parviennent à vivre uniquement de l’exploitation de leurs terres. A la question de savoir si l’exploitation familiale se reproduit d’elle-même c’est-à-dire sans intervention d’aucun apport extérieur, 8 personnes seulement sur 100 avouent qu’elles y parviennent. Là aussi, il s’agit souvent d’exploitations très grandes et disposant d’un effectif important de bétail qui fournit du fumier pour la fertilisation. On s’est rendu compte à la suite d’autres questions, qu’ils avaient d’autres sources de revenus extérieures (revenus provenant principalement de la ville) qui contribuent directement ou indirectement au bon fonctionnement de l’appareil de production. Au final, on a trouvé deux ménages seulement sur cent qui n’avaient aucune ressource d’appoint en dehors de l’agriculture et qui vivaient très misérablement.

Les principales motivations qui poussent les habitants de la région à se lancer dans des activités non agricoles sont souvent d’ordre socio-économique : - Motivation sociale : exceptés les travaux effectués en tant que journaliers chez les exploitations des voisins (salariat agricole), les activités hors exploitation sont considérées comme mieux rémunératrices et mieux valorisantes par rapport aux activités agricoles. En plus de son dur labeur, le travail agricole est méprisé par les gens d’un rang social « élevé » et se situe au bas de l’échelle de tous les autres 209

travaux. Il est important ici de préciser que les « vrais » paysans sont des gens qui n’ont pas fait l’école ou qui savent à peine lire et écrire. Les fonctionnaires et autres salariés qui ont un certain niveau d’étude (primaire ou secondaire) sont les plus nombreux dans cette catégorie de pluriactifs. Ils représentent le 1/3 (21 sur 60) des ménages qui exercent une activité extra-agricole. - Motivation économique: dans la plupart des régions du Burundi et surtout dans les régions à très fortes densités de populations, le trop-plein de main-d’œuvre agricole pousse les actifs à se lancer à la recherche des revenus hors exploitation. Dans les autres régions moins productives du point de vue agricole à l’instar du Bututsi, la réaction a été la même. Un peu plus de la moitié des ménages du Bututsi (33 sur 60) qui recourent à la pluriactivité se trouvent dans cette situation. - Motivation de survie : la nécessité impérieuse de se procurer des revenus surtout monétaire pour faire face à l’insuffisance des vivres oblige les membres actifs du ménage à rechercher ces revenus en dehors de l’exploitation familiale. Ainsi, 6 ménages sur les 60 concernés par la pluriactivité le font parce qu’ils n’ont pas une autre marge de manœuvre et qu’ils se trouvent dans les conditions les plus précaires.

Le cas suivant est une illustration de la façon dont vit une bonne partie des paysans de la région :

BUZUBONA a 40 ans et a un emploi de domestique à temps complet au centre de Rutovu. Sa colline d’origine est Ruhando situé à quelques 5km (à 1 heure de marche) du centre de Rutovu. Il est considéré comme chef d’exploitation bien qu’il ne s’occupe presque jamais de l’activité agricole chez lui, faute de temps. Il a un salaire mensuel de 12.000fbu (à peu près 10$), un revenu extrêmement bas par rapport aux multiples besoins auxquels sa famille doit faire face. Il rentre chez lui le week-end pour y passer une demi-journée ou exceptionnellement une nuit et regagne le soir (ou le lendemain matin) son poste d’attache. Sa femme, aidée par son fils aîné qui a abandonné l’école, s’occupe des travaux champêtres. L’exiguïté de l’exploitation agricole (20 ares) conjuguée aux moyens extrêmement limités dont dispose le ménage ne permet pas sa reproduction malgré l’existence d’un revenu extérieur (le salaire du mari). Cela a contraint l’épouse à chercher elle aussi une activité extra- agricole. C’est ainsi que tous les mardis, elle part très tôt le matin pour s’approvisionner à Gatereni (commune Gitanga, province Rutana dans le Kumuso), un marché situé à une vingtaine de kilomètres. Elle parcourt donc à pied et en une journée environ 40km aller/retour 210 portant sur sa tête un lourd fardeau (produits alimentaires qui pèsent entre 30 et 40kg). Des fois, elle porte en plus sur son dos, un bébé qui tète à la demande. Les mercredis matin, elle prend la même charge et va la revendre au marché de Kato près de Rutovu (à environ 7km de chez elle). L’essentiel des marchandises commercialisées par cette dame est principalement constitué de produits alimentaires. De cette activité, elle peut gagner une somme de 10.000fbu en moyenne par mois (8$). Ces deux revenus (celui du mari qui travaille comme salarié et celui de sa femme commerçante) s’ajoutent aux revenus de l’agriculture. Ainsi, l’exploitation de BUZUBONA ne parvient à se reproduire que grâce à l’appui des deux activités extra- agricoles.

Il est toutefois à rappeler que le recours à la pratique de la pluriactivité n’est pas toujours une nécessité économique (dans les pays développés) : C’est pour certaines gens un « style de vie ». On a par exemple depuis longtemps observé dans les pays du nord, des sociétés dites « monoactives » et ne vivant pas d’activités agricoles qui ont toujours entretenu un jardin- potager. MENDRAS H. (1984) parle à ce propos d’ « activités agricoles des non- agriculteurs »122 dans leurs parcelles. « Sans masquer la réalité de la pluriactivité comme solution pour les agriculteurs marginalisés, il convient de ne point négliger celle qui est art de vivre et se découvre structurellement liée à l’exploitation paysanne » (MAYAUD, J.L., 1999). Actuellement, même dans les sociétés agricoles ou industrielles des pays développés, la pluriactivité n’est pas perçue comme une activité d’agrément, où la conduite de l’exploitation agricole est plus considérée comme un passe-temps, un loisir. Il y a de plus en plus de pluriactifs et cela est toujours lié à l’insuffisance du revenu principal. « Un million de français seraient pluriactifs, soit un vingtième des actifs français. La plupart de ces pluriactifs font le double-emploi pour joindre les deux bouts du mois »123. Il en est de même au Bututsi où la pluriactivité reste un recours, une stratégie pour la survie et pour la reproduction des familles.

Il est vrai que l’activité rurale de la région tourne autour de l’activité considérée comme principale (l’agriculture) mais le paysan se cherche une activité hors exploitation dans le but de trouver une sorte de complément aux revenus agricoles qui restent insuffisants pour

122MENDRAS Henri, Une politique nouvelle pour une nouvelle classe rurale, In ASSOCIATION DES RURALISTES FRANÇAIS, La pluriactivité dans les familles agricoles, Paris, ARF, 1984, 343p.

123 FRANCE2, Envoyé Spécial du 27 novembre 2008 211 l’autosatisfaction des exploitations. Le cas de BUZUBONA en constitue un bel exemple. Cela revient à dire que la monoactivité basée sur l’agriculture reste jusqu’aujourd’hui très rare dans les systèmes de production de la région. Tel agriculteur est en même temps artisan fabriquant quelques objets destinés à la vente, tel autre a un petit commerce souvent à temps partiel et s’occupe de temps en temps d’autres activités lucratives tel le salariat dans les divers secteurs. Tous ont un point d’ancrage autour ou à partir duquel s’organise la vie rurale : l’exploitation familiale.

3.3 Pluriactivité et rationalité

La mobilité professionnelle a le plus souvent suscité des critiques et des reproches de la part des spécialistes de l’économie. A la fin du XIXème siècle par exemple, Karl KAUTSKY (cité par MAYAUD J.L., 1999) critique la pluriactivité du monde rural lorsqu’il constate le poids important d’agriculteurs exerçant un métier accessoire: « la combinaison de travaux absolument différents a une action paralysante : si le petit marchand ou le petit colporteur perd le goût du travail agricole soutenu et n’a plus la force de le faire, d’un autre côté le paysan est le plus souvent un mauvais artisan et l’artisan un mauvais paysan ». Cette combinaison de travaux différents porte donc atteinte à la rationalité économique, selon KAUTSKY.

Dans les années 1980, MESLIAND C. (1984) se posait la question de savoir si « la pluriactivité ne serait-elle pas un défi à la rationalité où la technique triomphante enferme le monde ou si elle témoigne de la difficulté que la société paysanne éprouverait à y entrer ». De toutes les façons, un bon nombre de ménages agricoles dans les sociétés rurales sont contraints de rechercher des ressources d’appoint parce que la principale activité qu’est l’agriculture ne parvient pas à satisfaire les besoins vitaux de la population. « Il n’en demeure pas moins que l’accès à la pluriactivité devient un élément important dans l’analyse des capacités de reproduction des exploitations »124.

Les économistes ont toujours critiqué la pluriactivité en l’accusant de porter atteinte à la rationalité ; mais cette pratique continue malgré tout de se maintenir même dans les campagnes des pays développés (en témoigne la création des AMAP : Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) où l’agriculteur doit être compétitif. « Les économistes

124 MATHIEU N., L’emploi rural. Une vitalité cachée, Paris, Harmattan, 1995, p.41 212 laissent entrevoir la généralisation progressive d’exploitations modernes susceptibles d’assurer le plein emploi des travailleurs et un revenu assurant la consommation et l’investissement ; les exploitations ne pouvant pas accéder à ce modèle sont condamnées à disparaître » (LACOMBE P., 1998). BALTHEZ A. (cité par CLERC F., 1984) écrit quant à elle que «l’activité extérieure dénonce le leurre d’une agriculture familiale qui oblige les familles à aller chercher hors de l’exploitation de quoi faire bouillir la marmite ».

A l’opposé, la pluriactivité ne manque pas d’avantages. Elle participe en effet dans les pays du Nord où les densités rurales sont faibles, à la vie locale et à maintenir les gens à la campagne. « Les doubles actifs témoignent concrètement de leur désir de vivre au pays, assurent le maintien d’activités et parfois même contribue à les créer » (LACOMBE P., 1984). La pluriactivité est considérée comme « le moyen de conserver le patrimoine familial » (NEGRO Y. 1994). MENDRAS H.(1992) souligne l’importance des activités non agricoles en milieu rural malgré les faibles revenus que les paysans en tirent : « toutes ces activités sont marginales, parfois minuscules, mais elles sont innombrables et surtout elles permettent à de très nombreuses exploitations de continuer à vivre, à de nombreux ménages de mieux vivre, de rester à la campagne, de construire eux-mêmes leurs maisons, de ne pas grossir le nombre de chômeurs et de ne pas demander un logement en ville ». Cette vision positive de la pluriactivité peut être assimilable au cas du Bututsi où la précarité des ressources agricoles a poussé un bon nombre d’actifs ruraux à développer d’autres activités en dehors de leurs exploitations agricoles en vue de survivre. De toutes les façons, c’est sans doute, malgré les nombreuses critiques des économistes, des raisons d’ordre économique liées à la recherche de l’amélioration des revenus des ménages qui expliquent ce comportement. La première motivation du paysan du Bututsi n’est pas de produire d’énormes quantités destinées au marché de consommation ; il vise plutôt la subsistance et la reproduction du groupe.

En définitive, quels que soient les revenus tirés par les pluriactifs de l’exploitation agricole ou en dehors de cette dernière, le double emploi constitue une façon de réduire ou d’éviter l’exode, de lutter contre le chômage et d’éviter l’abandon d’espaces et d’habitations.

213

3.4 Les facteurs qui influencent l’importance d’activités extra-agricoles

Trois principaux facteurs peuvent, d’une façon ou d’une autre, influencer la création et le développement d’activités non agricoles génératrices de revenus. Il s’agit en effet de la pression démographique qui a occasionné dans plusieurs régions du Burundi une pression sur les terres cultivables jusqu’à leur atomisation. Ensuite, l’âge et le niveau de formation scolaire des membres actifs du ménage peuvent favoriser le développement des activités autres qu’agricoles. Enfin, la proximité d’un centre urbain accessible est un autre facteur déterminant.

3.4.1 La pression démographique

La pression démographique suivie de la pression foncière a été dans plusieurs régions du Burundi à l’origine de l’apparition d’activités extra-agricoles. L’on sait que partout en milieu rural burundais, l’activité économique repose en premier lieu sur l’agriculture. Cette dernière exige de l’espace pour pouvoir produire assez de vivres pour la population. Ce manque d’espace cultivable est donc souvent à l’origine de la création d’activités lucratives hors exploitation par les paysans eux-mêmes. Le Bututsi ne figure pas parmi les régions les plus peuplées mais on voit que sa population augmente très rapidement, ce qui fait qu’il y a des collines ou des exploitations où la pression humaine est déjà une réalité.

Figure n°21 : Evolution de la population et de la densité du Bututsi

214

Source : - Recensement Général de la Population de 1979 - Recensement Général de la Population et de l’Habitation 1990 - ESTEEBU, Projet Appui à la Politique Nationale de Population, 2007

A partir des données recueillies sur terrain, nous avons établi une relation entre la taille des exploitations et l’importance des activités extérieures aux exploitations et les résultats sont aussi vraisemblables que possible.

Tableau n°52: Taille de l’exploitation et activités extra-agricoles (AEA) au Bututsi Superficie (en ha) Nombre d’exploitations Nombre de ménages ayant une AEA ≤ 1 ha 40 33 1,1-2 ha 33 18 2,1-3 ha 13 6 3,1-4 ha 5 1 + 4 ha 9 2 Total 100 60 Source : Enquêtes, 2007

En principe, les exploitations les plus petites le sont suite au partage successoral de père en fils qui aboutit à leur morcellement. En effet, 40 exploitations sur 100 enquêtées avaient une superficie inférieure ou égale à 1ha, superficie considérée, dans l’ensemble, comme petite par rapport à la taille moyenne de l’exploitation agricole de la région (2,05 ha). Sur les 40 215 ménages, 22 avaient une activité extérieure, 7 avaient deux activités extérieures tandis que 4 ménages en avaient trois (33/40 soit 82,5%) ; la catégorie des ménages ayant des exploitations d’une superficie comprise entre 1,1 et 2 ha a moins d’AEA (18/33 soit 54,5%) par rapport à la précédente, ainsi de suite. Il apparaît donc clairement que les exploitations les plus petites sont, en général, celles qui recourent le plus aux activités hors exploitation. En plus, sur 19 ouvriers agricoles enquêtés, 17 avaient de très petites exploitations (inférieures à 1ha). Nous avons alors constaté que les gens qui font les « petits » métiers (les ouvriers, les manœuvres ainsi que les employés de maison) se recrutent dans la catégorie des paysans moins nantis ou de petits propriétaires terriens.

Pour le cas du Burundi, HUBERT J.P. (1994) a comparé deux communes l’une densément peuplée (Gatara : plus de 350 hab. /km²) et l’autre relativement moins dense (Bukemba : 70 hab. /km²) et est arrivé presque aux mêmes résultats. Après enquête, il a démontré que la commune de Gatara avait un taux très élevé d’activités non agricoles par rapport à la commune Bukemba. Cela est dû au fait que la pression sur la terre cultivable était plus accentuée à Gatara tandis qu’à Bukemba il s’agissait plutôt à l’époque d’une terre d’immigration : «Dans la région la moins peuplée, à Bukemba, la superficie des exploitations dépasse fréquemment deux hectares, alors qu’elle est très fréquemment inférieure à un hectare dans les régions très peuplées, comme à Gatara. Toutefois, le site de Gatara, le plus densément peuplé, présente un taux relativement élevé d’activités extra-agricoles. Il est fort probable que cette particularité traduise la pression exercée par la démographie sur les disponibilités en terres cultivables » (HUBERT, J.P., 1994). Dans les régions surpeuplées, l’étroitesse des exploitations oblige les paysans à rechercher d’autres sources de revenus par le recours aux activités extra-agricoles, d’autant plus qu’ils se retrouvent face à un trop-plein de main-d’œuvre. Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une véritable diversification de sources de revenus, l’exercice d’activités extra-agricoles relève plutôt d’un moyen d’assurer la survie du ménage.

3.4.2 L’âge et la formation des exploitants

« La formation des exploitants est un des facteurs qui différencient le plus les sites et les groupes ayant ou n’ayant pas d’activités extra-agricoles. Il faut toutefois aussi souligner la forte liaison entre l’âge des exploitants et leur niveau de formation. La variable âge est par ailleurs fortement liée à l’exercice ou non d’une activité extra-agricole » (HUBERT, J.P, 216

1994, p.48). Notre enquête a ciblé les populations rurales vivant sur leurs exploitations agricoles, c’est-à-dire que la grande majorité de ces personnes ont comme principale activité l’agriculture et on sait que les paysans constituent la catégorie de la population la moins instruite. C’est pour cela que plus de la moitié des chefs d’exploitation (53 sur 100) n’ont aucune formation. Dans la catégorie des gens « formés », beaucoup n’ont pas franchi le cap du primaire (31 personnes). Quatorze exploitants seulement avaient un niveau secondaire et sont tous des salariés ou des retraités de la fonction publique ou de l’armée. Excepté la catégorie des ouvriers agricoles qui sont pour la plupart jeunes sans formation, les autres salariés ont au moins le niveau primaire. Deux personnes de notre échantillon avaient un niveau universitaire, ce qui est extrêmement rare. Ils n’étaient pas, en effet, de véritables exploitants car, après avoir perdu leurs parents et étant tous chômeurs, ils sont devenus chefs d’exploitation mais le jour où ils trouveront un emploi correspondant à leur qualification, ils laisseront la gestion de l’exploitation à quelqu’un d’autre (un ouvrier agricole ou un membre de la famille).

Tableau n°53: Rapport âge/formation/pluriactivité Tranche Nombre Niveau de formation Exploitants Taux de Taux d’âge d’exploitants avec AEA formation d’AEA Sans Avec (%) (%) formation formation suivant suivant les les tranches tranches d’âge d’âge ≤ 40 ans 29 8 21 22 72,4 75,8 41-50 29 15 14 19 48,2 65,5 ans 51-60 24 16 8 12 33,3 50 ans 61-70 16 12 4 7 25 43,7 ans +70 ans 2 2 0 0 0 0 Total 100 53 47 60 - - Source : Enquêtes, 2007

En croisant les différentes variables (âge, formation et activité extra-agricole), nous avons effectivement conclu qu’il existe une corrélation entre ces variables. En effet, c’est dans la tranche des « jeunes » (≤ 40 ans) qu’on trouve le plus grand nombre de chefs de ménages ayant acquis une certaine formation (21/29 soit 72,4%) et c’est dans cette même tranche qu’on a le plus grand nombre d’exploitants avec une activité extra-agricole (22/29 soit 75,8%). Dans 217 la tranche comprise entre 41 et 50 ans où nous avons exactement le même nombre d’exploitants que dans la tranche précédente, le nombre de personnes qui ont une formation diminue (14/29 soit 48,2%) de même que le nombre de pluriactifs (19/29 soit 65,5%). Il ressort de ce tableau que l’exercice d’une activité économique extra-agricole est nettement plus fréquent chez les exploitants plus jeunes par rapport aux exploitants plus âgés. De plus, les exploitants ayant une activité hors exploitation sont largement plus formés que tous les autres.

3.4.3 La proximité d’un centre accessible

Le Burundi est un pays rural par excellence ; plus de 90% de la population vivent encore dans les campagnes souvent difficilement accessibles à cause d’une dispersion très poussée de l’habitat ou de l’absence presque totale de villages. Le pays ne connaît, à proprement parler, qu’une seule grande ville, Bujumbura la capitale avec 478.155 habitants125. Viennent ensuite Gitega, Ngozi, Rumonge qui sont considérés comme des centres urbains mais aucun d’entre eux ne dépasse 20.000 habitants. Tous les chefs-lieux de provinces, quel que soit l’effectif de leur population sont classés comme centres urbains. La région naturelle du Bututsi ne connaît pas de centre pouvant être assimilé une ville. A l’exception du chef-lieu de la province (Bururi) situé à l’extrême ouest de la région et remplissant certaines fonctions urbaines, les autres centres de la région ne sont que de petites bourgades mi-rurales mi-urbaines. Ces petits centres éparpillés à travers toute la région influencent néanmoins l’apparition ou la création d’activités extra-agricoles comme le précisent DEGAND J. et DELOR-VANDUEREN A. (1992) : « l’apparition de petits centres urbains favorise la création d’activités de service plus permanentes et peut générer une nouvelle dynamique dans le secteur agricole». Par exemple, à chaque chef-lieu de commune, il y a le bureau communal et toute une administration. On trouve, à côté, le tribunal de résidence chargé de régler les conflits à l’échelon de la commune. A proximité de ce centre, se trouve souvent une école primaire et/ou secondaire, un établissement sanitaire, une agence de la COOPEC, une église, un marché, des commerces, des unités de production artisanale et bien d’autres infrastructures qui sont créateurs d’emplois non agricoles. La population qui y travaille a besoin de s’approvisionner en différents produits et services. C’est ainsi que bien d’autres activités naissent autour des précédentes. On voit proliférer dans chaque centre des boutiques proposant à leur clientèle des produits de consommation courante, des bars/restaurants, des centres d’hébergement (motels,

125 Recensement Général de la Population et de l’Habitation de 2008, Résultats préliminaires. 218 guests houses), des salons de coiffure (si le centre est alimenté en électricité), des chantiers de construction de maisons, etc. Signalons également que dans la presque quasi-totalité des ménages de ces centres, on trouve un domestique travaillant souvent à temps-plein, une bonne (si le ménage a un/des enfants) soumise au même régime ou au même contrat.

Les personnes actives et ayant un travail dans ces centres peuvent être classées en deux catégorie : la première est constituée de fonctionnaires ou de tout autre personnel œuvrant dans les différentes administrations. On peut ajouter à cette dernière les commerçants ayant un chiffre d’affaire relativement élevé et employant une certaine main-d’œuvre ou un certain personnel. Le deuxième groupe est formé principalement d’actifs qui sont souvent des subalternes aux premiers : domestiques, bonnes, ouvriers de toute sorte, artisans (cordonniers, réparateurs de montres, de radios, de vélos), etc.). Ce groupe est composé de pluriactifs dans la mesure où ces ouvriers, ces artisans ou ces domestiques, ont tous leurs familles à la campagne environnante et certains y logent tous les soirs. Ils ont comme activité principale celle qu’ils exercent en dehors de l’exploitation familiale mais leurs conjointes (ou conjoints) ou d’autres membres actifs de leurs familles, s’occupent des activités agricoles.

La présence d’un projet de développement utilisant une main-d’œuvre importante peut également être à l’origine du développement d’activités non agricoles. A côté du personnel permanent, les projets embauchent de façon intermittente des effectifs non négligeables d’ouvriers. Malgré la faiblesse des revenus qu’ils y gagnent, ces ouvriers perçoivent une somme d’argent qui les aide à couvrir certaines dépenses. A l’époque où le projet Bututsi bénéficiait des sources de financement lui permettant de fonctionner normalement, le nombre d’ouvriers et de manœuvres qu’il employait se comptait par milliers. Il en était de même pour les projets Bukirasazi et Kajondi.

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Tableau n°54: Effectifs de la main-d’œuvre employée par le Projet d’Appui au Secteur Semencier de Kajondi (d’août 1994 à décembre 1997) Année Mois Nombre Année Mois Nombre d’ouvriers d’ouvriers 1993 Août 3850 1996 Janvier 10794 Septembre 4842 Février 11389 Octobre 3367 Mars 9753 Novembre 5394 Avril 10781 Décembre 5736 Mai 13915 Juin 11846 1994 Janvier 6927 Juillet 9895 Février 4965 Août 7080 Mars 5779 Septembre 5079 Avril 6248 Octobre 6341 Mai 7361 Novembre 7986 Juin 6281 Décembre 7627 Juillet 6431 Août 6605 1997 Janvier 7659 Septembre 6605 Février 7640 Octobre 5551 Mars 6611 Novembre 5515 Avril 8659 Décembre 4367 Mai 6895 Juin 10092 1995 Janvier 4570 Juillet 7253 Février 5881 Août 4317 Mars 5031 Septembre 4685 Avril 5438 Octobre 6149 Mai 6123 Novembre 8660 Juin 5830 Décembre 8057 Juillet 5948 Août 5164 Septembre 5189 Octobre 9382 Novembre 9592 Décembre 10528

Source : Archives du Projet Kajondi

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Tableau n°55: Salaires de la main-d’œuvre journalière et du personnel sous-contrat du PASS

Année Salaire de la main- Salaire du personnel d’œuvre (en Fbu) sous-contrat (en Fbu) 1990 11.024.181 8.542.650 1991 13.822.370 12.456.000 1992 14.384.108 12.821.012 1993 12.213.256 18.115.814 1994 16.570.270 14.533.051 1995 18.290.065 15.010.200 1996 19.512.348 15.631.349 1997 17.620.921 16.138.940 Source : Archives du Projet Kajondi

Ces données sur la main-d’œuvre journalière employée par le Projet d’Appui au Secteur Semencier de Kajondi pendant la décennie 90 où le projet bénéficiait encore de financements, prouvent que les populations paysannes vivant aux environs y trouvaient leur compte. Jusqu’en 1997, le salaire journalier d’un ouvrier du projet s’élevait à 300 fbu (0,8 dollars à l’époque). Pendant la campagne 1997-1998, le Projet Bukirasazi a engagé 460 ouvriers dans les communes Ryansoro, Rutovu et Gishubi et a injecté un montant de 23.210.293 Fbu soit un salaire moyen par mois et par ouvrier de 5.292 Fbu.

3.4.4 Les autres facteurs

Les facteurs influençant le développement des activités non agricoles ne sont pas que les trois précédemment décrits. D’abord, l’intensité des travaux agricoles n’est pas la même toute l’année ; il y a des périodes de pointe de travaux et d’autres qui se caractérisent par un certain répit. Certains paysans, surtout les petits propriétaires terriens, peuvent profiter du temps libre pour s’adonner à d’autres activités en attendant que les périodes d’intense activité agricole surviennent (labours, semis, sarclages, etc.). Selon VERHAEGEN E., DEGAND J. et D’HAESE (1990) cités par HUBERT J.P. (1994), « il est difficile de quantifier la tendance à la diversification des activités car la proportion des agriculteurs engagés comme salariés est très variable dans le temps. Beaucoup de salariés sont temporaires et profitent d’opportunités conjoncturelles, telles que la construction d’une route ou l’installation de pépinières ». On parle souvent d’activités extra-agricoles « lourdes » ou « légères » et quelques fois, il y a 221 incompatibilité entre activité extra-agricole et les travaux au champ surtout quand il s’agit d’AEA « lourde ». Ensuite, pour les activités artisanales, l’importance et la régularité de la demande conditionnent le développement d’AEA. « L’instabilité des revenus issus des activités extra-agricoles (imprévisibilité ou rareté de la demande, dépenses intermédiaires imprévues, etc.) est aussi un facteur influençant leur développement » (HUBERT J.P., 1994). Enfin, que ce soit dans les projets ou dans les différents centres urbains de la région, l’acquisition d’une activité extra-agricole est fonction de la distance ; c’est-à-dire que ceux qui habitent à proximité ou aux environs des « pôles d’attraction » ont beaucoup plus de chances d’être embauchés par rapport à ceux qui vivent dans des endroits éloignés.

3.5 Les principales activités non-agricoles dans le Bututsi

3.5.1 Le commerce

Dans la région du Bututsi, l’activité commerciale n’est pas prépondérante vu le nombre d’actifs qui l’exercent et le chiffre d’affaire de chacun. 14% seulement des ménages enquêtés ont au moins un des membres qui exerce, en plus de l’agriculture, une activité commerciale. La faiblesse des taxes perçues par chaque commune est révélatrice de la faiblesse des échanges.

Tableau n°56: Recettes communales générées par les activités commerciales en 2007 Matana Songa Rutovu Bururi Vyanda Entretien marché 30.263.700 10.177.050 3.010.050 13.198.990 2.307.500 Taxe sur 270.000 283.800 652.500 840.000 343.500 boutiques Cabaret bière - 378.000 255.000 355.000 211.500 locale Taxe sur vente de 3.880.500 2.857.000 4.506.200 6.076.740 1.984.715 la bière locale Chargement des 2.144.000 3.566.308 1.081.800 - - produits de reboisement Total 36.558.200 17.262.158 9.505.550 20.470.730 4.847.215 (30465$) (14385$) (7921$) (17.058$) (4039$) Population 39.460 48.674 44.302 74.203 26.640 Ratio 926 (0,77$) 354 (0,29$) 214 (0,17$) 275 (0,22$) 181 (fbu/habitant) (0,15$) Source : - Ministère de l’Intérieur, Département des Finances Communales, Rapport annuel, 2007 - ISTEEBU, Projet Appui à la Politique Nationale de Population (PNP), 2007 222

Le commerce a, en plus, été sérieusement perturbé pendant la période de crise socio-politique. La région a été, à maintes reprises, attaquée par des groupes rebelles qui ont détruit et pillé, à leur passage, centres de négoce, magasins et boutiques. Le commerce consiste principalement dans l’achat au gros des produits importés (ou fabriqués localement), des produits alimentaires qui sont souvent à l’état brut et leur revente au détail sur les marchés ou dans les petites boutiques.

Malgré les nombreuses contraintes liées aux activités commerciales, la plupart des personnes interrogées déclarent être intéressés par cette activité. Ces contraintes sont constituées le plus souvent par la faiblesse du capital, les problèmes de transport, de concurrence, etc. HUBERT J.P. (1994) écrit à propos pour le cas du Burundi : « Généralement, les petits commerçants sont confrontés à des problèmes de trésorerie, de transport, de stockage, de concurrence, si bien que le commerce reste une activité de second plan ou parallèle à l’agriculture familiale » Certains commerçants sont mécontents du système de taxation car pour eux, les taxes communales sont jugées trop élevées. Pour ceux qui donnent des marchandises à crédit, certains d’entre eux peuvent être ruinés par la non solvabilité de certains clients. Selon l’avis de la plupart de paysans interrogés qui exercent une activité commerciale, l’accès au crédit, les difficultés d’approvisionnement, l’absence d’information et d’encadrement, l’enclavement, l’état du réseau routier, la sécurité, etc. sont également des contraintes majeures à l’activité commerciale.

André GUICHAOUA (1991) a identifié, pour le cas du Burundi trois groupes de commerçants selon l’âge et le volume du capital investi : • Les « commerçants installés », généralement âgés de plus de trente ans et pères de famille, possèdent ou louent des bâtiments autour de la place du marché ou le long de grands axes présents dans la commune. Souvent, la vente d’articles divers est associée à la vente de bière et à la petite restauration (brochettes). • Les « commerçants ambulants » dont l’âge est généralement inférieur à trente ans. L’activité est exercée les jours de marché. • Les « petits vendeurs » qui proposent généralement un seul article.

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Tableau n°57: Répartition des infrastructures commerciales et des commerçants par commune en 2007 Commune Type Nombre Nombre de Nombre d’infrastructures d’unités commerçants d’emplois Bururi Boutiques 217 217 227 Cabarets (produits 231 231 298 Brarudi et bière locale) Kiosques 59 59 59 Restaurants 32 32 46 Pharmacies 10 10 20 Magasins 5 5 14 Stations services 3 3 6 Marchés ou centres 6 292* 292* de négoce Rutovu Boutiques 51 51 64 Cabarets 37 37 48 Restaurants 5 5 22 Commerce de gros 5 5 12 de produits Brarudi Stations services 1 1 2 Marchés ou centres 4 218* 218* de négoce Matana Boutiques et 238 238 259 cabarets Stations services 1 1 2 Marchés 2 176* 176* Vyanda Boutiques 35 35 44 Cabarets 24 28 42 Petits détaillants 31 31 31 Marchés ou centres 3 90* 90* de négoce Songa Boutiques 53 53 73 Cabarets 51 51 67 Marchés ou centres 5 97* 97* de négoce Ryansoro Marchés ou centres 5 214* 214* de négoce Magasins et 99 99 112 boutiques Cabarets 50 50 68 TOTAL 2329 2601 Source : Rapports annuels des communes Bururi, Rutovu, Matana, Vyanda et Songa (2006), Monographies de ces mêmes communes (2006), Enquêtes personnelles (2007) *Nombre de commerçants uniquement les jours de marché

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Certains de ces commerçants et employés dans le secteur commercial sont des chefs de ménage tandis que d’autres sont de jeunes actifs célibataires mais qui apportent tous leurs contributions dans le fonctionnement du système paysan de leurs familles respectives. Il importe en plus de souligner ici que dans la quasi-totalité de ces personnes, le revenu du commerce s’ajoute au revenu de l’agriculture. Pour certains, le commerce est l’activité principale tandis que pour d’autres, il s’agit d’une activité secondaire. Tout dépend du chiffre d’affaire de chacun et du temps consacré à cette activité (le nombre d’heures par semaine). Par exemple un commerçant qui a ouvert une boutique au centre le plus proche de chez lui, qui y travaille tous les jours et qui loge à la maison le soir, a le commerce comme activité principale. Par contre, un commerçant qui n’ouvre sa boutique que les jours de marché (généralement 2 fois/semaine) et qui, pendant les autres jours, s’occupe des travaux champêtres, exerce le commerce comme activité secondaire. En plus, à partir d’un certain niveau (un chiffre d’affaire supérieur aux revenus de l’agriculture), le commerçant opte de consacrer une grande partie de son temps à cette activité. Qu’elle soit principale ou secondaire, l’activité commerciale exercée par un ou plusieurs membres d’un ménage apporte un revenu et ce dernier constitue une partie (ou une fraction) du revenu total. Ce supplément participe donc à la reproduction du système paysan. Les deux encadrés qui suivent sont des exemples qui montrent l’importance de l’activité commerciale dans la vie des ménages.

NTIRAMPEBA a 44 ans et habite la colline Gikana (Rutovu) sur son exploitation de 60 ares. Il a une femme et 5 enfants. Comme formation, il sait à peine lire et écrire car il a fait l’école catéchiste (Yagamukama). Avec son exploitation devenue trop petite et des sols peu fertiles, il lui est difficile de faire face aux multiples besoins de sa famille (alimentation, frais scolaires pour les enfants, soins de santé, habillement, etc.). C’est pour cette raison qu’il a opté pour le commerce (il est propriétaire d’une boutique). Cette activité est considérée comme principale pour lui car il passe au moins 5 jours par semaine dans trois marchés (Kato, Muhweza où il vend les articles divers et Kayogoro où il s’approvisionne). Il utilise un vélo comme moyen de transport de ses marchandises. Il parvient à avoir en moyenne une marge bénéficiaire de 45000 Fbu (25€) par mois dans cette activité et arrive ainsi à couvrir les dépenses de la famille.

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NITEGEKA est une commerçante du sud-est du Bututsi. Elle vend comme grossiste les produits Brarudi (la bière Amstel, Primus et les limonades). Son mari fait la même activité mais les deux travaillent sur deux sites différents. Ils ont des enfants qui vont à l’école tandis que d’autres n’ont pas encore atteint l’âge de scolarisation. Ils ont deux exploitations agricoles (l’une relève de l’héritage des parents et l’autre a été acquise par achat). Les deux exploitations totalisent ensemble une superficie d’environ 7 hectares, la partie déjà mise en valeur n’excédant pas 3 ha. Avec un effectif important de troupeaux (12 vaches et 80 poules pondeuses), le couple est considéré comme un modèle sur sa colline et même sur les collines voisines. Avec l’argent gagné dans le commerce, la famille a beaucoup investi : dans l’agriculture et l’élevage ce qui lui permet d’avoir des revenus importants (vente de produits agricoles comme la pomme de terre, les fruits et légumes, et des produits de l’élevage : le lait et les œufs). Le couple possède également une maison en location construite avec les revenus tirés de l’activité commerciale. La production de leur l’exploitation est largement suffisante pour la reproduction du système. Pour ce cas d’exploitation qui, apparemment, est capable de se reproduire d’elle-même, il reste à voir l’origine du capital investi pour arriver à produire suffisamment de vivres et même à dégager un surplus commercialisable. C’est justement l’activité commerciale qui est à l’origine de cette autosuffisance.

3.5.2 L’artisanat

DENIEUL (1986) cité par HUBERT J.P. distingue dans l’artisanat paysan plusieurs groupes selon des critères socio-économiques. Le premier groupe est constitué par ceux qui ont une formation et dont le métier n’est pas seulement un appoint mais l’activité principale. Le second groupe est formé d’anciens apprentis pouvant effectuer des opérations élémentaires, s’en remettant parfois à leur ancien patron, n’ayant pas toujours les outils adaptés et maîtrisant mal les débouchés de la clientèle. Le troisième groupe est celui de la subsistance. Le métier y est exercé sans formation, parfois sans outils, et de manière occasionnelle. Ce chercheur a travaillé sur un pays très éloigné du Burundi (Haïti) mais on constate que cette classification peut facilement être calquée au cas du Burundi. La grande majorité des artisans du monde rural burundais et du Bututsi en particulier se recrute dans les deuxièmes et troisièmes groupes. Il s’agit, le plus souvent, de paysans ayant comme principale activité l’agriculture qui entendent ajouter au moins un revenu plus ou moins régulier aux gains agricoles.

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Dans la plupart des ménages du Bututsi, il y a un ou plusieurs membres qui exercent un métier d’appoint, tantôt occasionnellement tantôt de façon permanente. Au sein même de ce métier d’artisanat, certains individus peuvent exercer plusieurs activités à la fois. Un forgeron peut aussi fabriquer certains produits de la vannerie ; un tailleur peut en même temps être cordonnier ; il n’est pas rare de voir un menuisier qui pratique la maçonnerie, etc. Le marché d’écoulement des produits artisanaux ainsi que la mobilité de la clientèle étant fortement réduits, les commandes se font souvent à proximité directe de la zone de fabrication.

On distingue dans la région deux principaux types d’artisanat : l’artisanat de production et l’artisanat de service. Le premier (artisanat de production) est le plus pratiqué dans la région. Il est encore appelé « artisanat utilitaire ». Il accapare le plus grand nombre d’artisans ou d’unités de productions artisanales. Ce type d’artisanat comprend beaucoup de métiers qui, dans leur exécution, aboutissent à une série de transformations des matières premières en produits finis. On peut citer, en guise d’illustration, la tuilerie, la briqueterie et le carrelage pour la filière « terres cuites et carrières », la menuiserie pour la filière « bois », la vannerie et la fabrication des sacs, des cordes pour la filière « fibres végétales », la forge et autres constructions métalliques pour la filière « métal », la broderie et la couture pour la filière « textiles ». L’artisanat de production est une activité qu’on trouve dans toute la région du Bututsi. La qualité ainsi que la quantité des produits varient en fonction du capital de l’artisan et du pouvoir d’achat de la clientèle sans oublier la technique du savoir-faire de l’artisan.

Le second type d’artisanat (artisanat de service) regroupe des métiers tels que la cordonnerie, la couture, les ateliers de réparation électromécanique (radios, télévisions, frigos, montres) et mécanique (réparation de vélos, motos, automobiles) etc. Cette catégorie est, le plus souvent, rencontrée dans les centres urbains de la région (chefs-lieux de provinces, de communes et autres centres).

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Tableau n°58: Les unités de production artisanale dans quelques communes du Bututsi en 2007 Rutovu Matana Songa Bururi Vyanda Ryans Total Nombre oro d’emplois créés Artisanat de production Menuiseries 34 33 59 53 7 5 191 289 Briqueteries 25 5 1 1 0 4 36 106 Tuileries 5 2 0 2 0 12 21 46 Carrelage 2 0 0 1 0 3 6 21 Boulangeries 14 0 0 6 0 0 20 60 Poteries 12 8 9 10 2 0 41 41 Forge 3 0 3 3 0 24 33 33 Vanneries et 3 2 3 5 2 19 34 34 tissage Broderies 2 20 0 0 0 0 22 22 Artisanat de Rutovu Matana Songa Bururi Vyanda Ryan service soro Couture 17 4 2 18 3 25 79 102 Soudure 3 2 1 7 0 2 15 15 Réparation 3 1 1 6 0 3 14 23 mécanique Cordonnerie 19 1 1 5 1 25 52 52 Broderie 1 0 0 1 0 1 3 3 Salon de 1 6 0 3 0 6 15 23 coiffure Mouture 2 3 2 4 3 3 17 25 TOTAL ------895 Source : - Monographies des communes Rutovu, Matana, Songa, Bururi et Vyanda, 2006 - Enquêtes personnelles 2007

Comme on le voit à travers ce tableau, l’artisanat occupe peu d’actifs dans la région (moins de 1000 actifs sur une population de plus de 200.000 habitants) et les revenus qu’il génère sont, dans l’ensemble, jugés trop insuffisants. C’est pour cette raison que cette activité n’est pas encore perçue comme pouvant garantir des revenus substantiels à une grande partie de la population. Il est vrai que parmi les personnes interrogées, certaines ont une activité extérieure principale mais la terre reste au centre de tout car rien ne peut se faire en dehors d’elle. L’on comprend donc que les artisans, grands ou petits, sont très attachés à leurs terres. Même ceux qui ont pu surmonter les difficultés liées à l’apprentissage ou à l’acquisition du matériel trouveront dans l’exercice de l’activité artisanale la possibilité d’acheter la main- d’œuvre agricole nécessaire pour le travail de la terre.

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Au cours de nos enquêtes (2009), on a interrogé plusieurs catégories d’artisans qui exercent ce métier en plus de l’activité agricole et on a pris un échantillon de 6 personnes pour chaque catégorie (menuisiers, maçons, potiers, vanniers, tuiliers, briquetiers, cordonniers, tailleurs et charbonniers).

Tableau n°59: Importance de l’activité artisanale dans le Bututsi Effectif Exercent Exercent Revenu % par comme comme moyen/mois rapport au profession profession (en fbu) revenu total principale secondaire des ménages Menuisiers 6 4 2 66.600 60,4 Maçons 6 5 1 58.100 64,1 Potiers 6 5 1 20.300 67,8 Vanniers 6 0 6 10.000 40 Tuiliers 6 0 6 48.000 49 Briquetiers 6 4 2 53.000 55 Cordonniers 6 4 2 45.000 48 Tailleurs 6 0 6 25.000 20 Total 48 22 26 Source : Enquêtes, 2009

Parmi ces artisans, certains exercent le métier comme activité principale tandis que les autres le font temporairement (les jours de marché ou pendant les périodes où l’activité agricole est moins intense). Les revenus mensuels tirés de l’artisanat peuvent être pour certains importants. On voit par exemple que les menuisiers, les maçons et, dans une moindre mesure, les briquetiers, s’en tirent mieux que les autres. Il arrive même que le revenu généré par l’artisanat soit supérieur (plus de 50%) aux autres sources de revenus du ménage. Il importe de préciser ici que le métier de potiers est exclusivement pratiqué par l’ « ethnie » des Batwa (ethnie minoritaire affiliée aux pygmoïdes et la plus défavorisée). Les revenus issus de ce métier sont extrêmement bas alors que c’est leur principal métier. Malgré les nombreuses difficultés126 liées aux métiers, tout le monde est unanime pour dire que l’exercice d’une

126 Les artisans ont des contraintes dans l’exercice de leurs métiers et les plus évoquées sont les suivantes : manque de matières premières, conditions climatiques (chez les briquetiers et tuiliers), risques d’accident liés à chaque métier, concurrence, capital insuffisant, problème de mévente ou manque de débouchés, manque de matériel adapté et performant (cordonnerie), problème d’accès au crédit, etc. 229 activité artisanale apporte un revenu d’appoint qui représente une part non négligeable dans les dépenses des ménages et qui participe à la reproduction du système.

TOYI est un fabricant de briques cuites de la colline Rwamabuye en commune Rutovu. Il est âgé de 38 ans avec une femme et 6 enfants. Son activité principale reste, bien entendu, l’agriculture puisque la période propice à la production des briques est la saison sèche qui ne dure que 3 à 4 mois par an. Il cultive principalement sur son exploitation du maïs, un peu de blé, du haricot, de la patate douce, de la pomme de terre (en marais) sans oublier le bananier qui domine l’ensemble du finage. La taille de son exploitation (plus de 2 hectares) est relativement suffisante pour nourrir sa famille, ce qui n’est pas malheureusement le cas. Il lui arrive souvent de vendre au marché une partie de la production en vue d’avoir quelque somme d’argent. Mais cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’un surplus de la production. Avec les revenus générés par son exploitation, il n’arriverait donc pas à couvrir toutes les dépenses de sa famille. C’est pour cela qu’en période de saison sèche, période se caractérisant par une faible intensité de l’activité agricole, il s’occupe de la production de briques cuites. Le revenu qu’il tire de ce métier (47% du total de ses revenus) n’est pas, selon lui, suffisant pour lui permettre de vivre plus ou moins décemment mais il constitue quand même une sorte de complément sans lequel la reproduction du système serait difficile voire compromise.

Photo n° 20: Four pour briques cuites 230

Photo n° 21: briques cuites

Photo n° 22: les produits de la poterie

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Nous avons, par la suite, fait une étude de cas sur la transformation du bois en charbon par carbonisation. Le bois, au Burundi, est une ressource très exploitée et qui est, par conséquent, menacée par ceux-là même qui devaient le protéger. Nous avons déjà montré l’importance du bois dans la région et les revenus qu’il génère chez le paysan. Au total 34 charbonniers ont été interrogés et 23 parmi eux, soit 67,6%, font ce métier comme activité principale (l’activité secondaire restant l’agriculture). Il s’agit d’une population totalement masculine d’un âge compris entre 18 et 45 ans et qui, en majorité, travaille pour son propre compte (70,5%). Malgré la faiblesse relative des revenus qu’ils tirent de cette activité, tout le monde avoue que l’exercice de ce métier est très utile dans la mesure où ce revenu participe à la vie du ménage (achat de produits alimentaires, frais scolaires pour les enfants, soins de santé, habillement, etc.). Pour les jeunes célibataires, l’argent gagné dans ce métier leur permet de s’équiper pour le mariage. Chez ceux qui en ont fait leur activité principale, le métier de charbonnier leur procure des revenus pouvant aller jusqu’à plus de 60% du revenu total.

Tableau n°60: Revenus tirés du métier de charbonnier Revenu Effectif Exercent comme Exercent comme % par moyen/mois (en activité activité rapport au fbu) principale secondaire revenu total du ménage ≤ 20.000 5 1 4 35 21.000 - 40.000 16 11 5 51 41.000 - 60.000 8 8 0 64 61.000 - 80.000 3 3 0 70 + 80.000 2 2 0 75 Total 34 25 9 59 Source : Enquêtes, 2009

Quelques charbonniers, en nombre réduit gagnent de ce métier une somme d’argent relativement faible (≤ 20.000 Fbu) et ce métier n’est pas leur activité principale. Le plus grand nombre de fabricants de charbon de bois (24/34) ont un revenu mensuel compris entre 21.000 et 60.000 Fbu, la plupart de ceux-là l’exercent comme activité principale (19/24) et le revenu que l’activité génère représente plus de 50% du revenu total. Enfin, quelques « grands » producteurs y gagnent des revenus substantiels (75% du revenu total).

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Photo n° 23: Carbonisation du bois

Photo n° 24: Sacs de charbon de bois au bord de la route, en attente de vente

La filière « Bois » ne concerne pas uniquement la transformation du bois brut en charbon de bois par la technique de carbonisation. Des scieries et des menuiseries ont été recensées un peu partout dans la région et procurent des revenus à la population. 233

Tableau n°61: Unités de travail du bois Rutovu Songa Bururi Matana Vyanda Ryansoro Total Nombre d’emplois

Scieries 60 176 31 18 21 19 325 806 Menuiseries 34 59 53 33 7 20 206 302 Unités de 86 54 22 18 9 56 245 749 fabrication de charbon Total 180 289 106 69 37 95 776 1857 Source : - Monographies des communes (2006) - Enquêtes personnelles 2007

MINANI habite la colline Muzenga en commune Rutovu. Il est menuisier et a 56 ans. Il a une exploitation d’1 hectare (la partie exploitée et celle qui ne l’est pas encore) mais la menuiserie est son activité principale. La pauvreté du sol, sa relative exiguïté conjuguée au manque de fertilisants sont en partie responsables de la non viabilité de son exploitation. Il vend du lait au centre de Rutovu et quelques autres produits (produits agricoles, volaille, etc.) mais l’essentiel de ses revenus monétaires est tiré de son métier de menuisier. Les dépenses qu’il fait annuellement sont de loin supérieures à la moyenne des dépenses globales de notre échantillon (1.040.000Fbu de dépenses totales contre une moyenne de 638.000Fbu). Il nous a affirmé qu’il a droit au moins à une bière industrielle Primus chaque jour, luxe que ne peuvent se payer la majorité des paysans de la région. Avec seulement son exploitation, il dit que sa famille ne pourrait pas vivre (ou vivrait très difficilement), c’est donc l’exercice de son métier de menuisier qui est à la base de ses revenus monétaires (environ 50.000Fbu/mois en moyenne). Le reste des dépenses est comblé par la vente des produits de sa terre ainsi qu’une modeste somme d’argent que lui envoie régulièrement sa fille résidant en ville (10.000Fbu/mois).

3.5.3 Le salariat

Excepté les salariés qui ont un contrat à durée indéterminé, les possibilités d’obtenir un emploi salarié sont, dans la région, souvent conjoncturelles. Dans notre échantillon, 44 ménages sur 100 ont au moins un de leur membre qui exerce, en plus de l’activité agricole, une activité salariale (fonctionnaires, ouvriers, manœuvres, domestiques ou toute autre 234 personne ayant un revenu régulier ou occasionnel issu d’un salaire). A l’exception des ouvriers agricoles (permanents ou occasionnels) ainsi que les manœuvres qui font des travaux divers (entretien de maisons, d’enclos, fabrication des planches, du charbon de bois, des briques, etc.), les autres salariés travaillent souvent dans les petits centres de la région. Malgré l’insuffisance des revenus salariaux, le salariat constitue un des piliers de la diversification des revenus monétaires. Selon VERHAEGEN E., DEGAND J. et D’HAESE (1991), « le phénomène de salariat est une des clés de voûte de l’évolution des systèmes agricoles et un nombre sans cesse croissant d’agriculteurs ont placé l’avenir de leur exploitation dans les revenus extra-agricoles ».

En milieu rural burundais et surtout dans les régions les plus peuplées, les perspectives d’absorber une main-d’œuvre de plus en plus pléthorique sont minimes. A partir d’une modélisation des exploitations dans le Mugamba-Nord, NDIMIRA P.F. (1991) estime que « les exploitations agricoles traditionnelles ont une faible capacité d’absorption des excédents de main-d’œuvre d’exploitations plus petites ». Il ajoute que « l’offre du travail issue des exploitations agricoles est non seulement de faible importance, mais également temporaire et de courte durée ». Le salariat repose essentiellement sur de petits travaux exercés par des gens généralement non qualifiés. L’importance du salariat comme source de revenus monétaires varie d’une exploitation à l’autre. Un ménage peut par exemple compter un, deux ou trois salariés tandis qu’un autre très proche peut n’en compter aucun. Cela dépend de plusieurs facteurs à savoir le niveau de formation, l’âge des personnes actives de la famille, l’importance du revenu total tiré de l’exploitation, etc. Le travail de salarié dans les exploitations (ouvriers agricoles) offre dans le Bututsi des perspectives un peu limitées. Au moment de notre enquête (juin, juillet, août 2007), la rémunération journalière du travail d’un ouvrier dans une exploitation agricole était de 700Fbu (50 centimes d’euros).

Nous l’avons déjà souligné, les exploitations agricoles du Bututsi, malgré leur morcellement progressif dû à la pression démographique, n’ont pas encore atteint le stade ultime d’atomisation à l’instar des régions surpeuplées. De plus, le taux de scolarisation élevé qui prive beaucoup de familles d’une force de travail oblige les familles du Bututsi à embaucher une main-d’œuvre agricole supplémentaire. D’après les données recueillies sur le terrain, 53 ménages sur 100 utilisent une main-d’œuvre avec un statut permanent tandis que 69 ménages font recours à une main-d’œuvre occasionnelle surtout lors des périodes d’intenses activités agricoles. Certaines familles rurales utilisent à la fois la main-d’œuvre permanente et la main- 235 d’œuvre occasionnelle rémunérées (certains ménages pour la plupart vieux et bénéficiant d’un apport important d’argent en provenance de la ville peuvent aller jusqu’à deux, trois ou même quatre unités de main-d’œuvre permanente ; les uns s’occupant des travaux des champs, les autres les travaux ménagers et les autres gardant les vaches).

Ces données contrastent énormément avec celles que BONVIN J. (1986) a recueillies dans plusieurs provinces du Burundi (Ruyigi, Ngozi, Bubanza, etc.). D’après son enquête, « plus de 2/3 des paysans n’emploient jamais de main-d’œuvre extérieure à la famille ». Il ajoute que cette proportion varie selon les régions et encore plus selon les communes : à Bubanza, il ne s’agit presque jamais d’une main-d’œuvre permanente. Le pourcentage d’exploitants y recourant ne représente que 3,9% des exploitants à Bubanza, 0,4% à Ngozi et 1% à Ruyigi (contre aujourd’hui 53% dans le Bututsi). La rémunération de cette main-d’œuvre est mensuelle pour celle qui a un statut permanent ou journalière pour la main-d’œuvre temporaire. Le mode de rémunération peut être en argent ou en nature (produits agricoles), tout dépend des termes du contrat entre l’employeur et l’employé.

Il y a 30 ans, NDAYISHIMIYE J.P. (1980) écrivait déjà que dans le Bututsi, les salaires constituaient la source principale des revenus monétaires. Aujourd’hui, le nombre d’actifs bénéficiant de revenus monétaires salariaux a considérablement augmenté. D’après nos enquêtes de 2007, le revenu salarial moyen d’un ménage de la région s’élevait à 176.800 Fbu/an (soit 21% du revenu total).

Tableau n°62: Revenus salariaux annuels Salaires (en fbu) Nombre de ménages sur les 100 enquêtés Entre 100.000 et 200.000 19 Entre 201.000 et 300.000 12 Entre 301.000 et 400.000 2 Entre 401.000 et 500.000 3 Plus de 500.000 8 Total 44 Source : Enquêtes 2007

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Les trois premières catégories de salariés (33 ménages sur 44 soit 75%) ont un revenu salarial annuel inférieur ou égal à 400.000 Fbu (330 dollars) et sont essentiellement constituées par les personnes exerçant les « petits » métiers (ouvriers de tout genre, domestiques, etc.). Le reste des ménages (avec plus de 400.000 Fbu) est constitué par des gens qui perçoivent régulièrement un salaire (enseignants, auxiliaires médicaux, agents de l’administration communale et autres personnels) et chez qui l’activité salariale est principale.

Au début des années 1980, la région totalisait 6 centres religieux satellisant six écoles secondaires et une vingtaine d’écoles primaires. Ces établissements étaient dotés d’ateliers, garage, jardins potagers, boutiques, coopératives, etc. Aujourd’hui, le nombre d’écoles primaires a été multiplié par 10 tandis que celui des écoles secondaires a augmenté sept fois (voir tableau n°67, p.239). A cette liste, il faut ajouter les petits employés et tout le personnel enseignant qui voit ses effectifs augmenter chaque année au fur et à mesure que celui des écoles augmente. L’administration provinciale ou communale emploie un personnel varié (agent de l’administration, police, veilleurs, plantons, etc.). Les établissements sanitaires (hôpitaux, centres de santé) engagent eux aussi un personnel non négligeable (quelques médecins en nombre très réduit, infirmiers, auxiliaires, assistants médicaux, travailleurs, etc.). En plus des trois hôpitaux que compte la région (Bururi, Matana, Rutovu), chaque commune compte en moyenne 4 centres de santé. Les services judiciaires (les tribunaux de résidence implantés au chef-lieu de chacune des communes, l’établissement pénitencier de Bururi) constituent un employeur non moins important à l’échelle de la région. Quelques institutions financières comme les COOPEC, la RNP et quelques banques ont installés des agences ou des succursales dans la région. Les projets de développement rural installés dans la région depuis les années 1960 ont, en plus du personnel contractuel, embauché des centaines, voire des milliers de paysans pour l’exécution des différents travaux d’aménagement. A leur tour, tous ces employés et fonctionnaires engagent chez eux une main-d’œuvre agricole permanente ou occasionnelle ou un domestique chargé d’exécuter les travaux agricoles et ménagers.

L’église dans la région est aussi, mais dans une moindre mesure, un autre créateur d’emploi car elle a un personnel permanent ou temporaire qui perçoit un salaire. Il y a en effet dans chaque paroisse catholique un secrétaire, deux employés de maison, un veilleur, 2 ouvriers agricoles permanents et 5 autres qui sont saisonniers. En plus, chaque paroisse possédant au moins 6 succursales dans sa zone d’action, il y a 6 catéchistes responsables de ces succursales qui sont payés par l’Evêché de Bururi. Les missions protestantes, principalement l’Eglise 237

Anglicane et l’Eglise Pentecôte) sont également présentes (beaucoup de paroisses ayant de nombreuses succursales). Les pasteurs et catéchistes du Diocèse anglicane de Matana et de la Mission Pentecôtiste de Kiremba n’ont pas de salaire fixe mais ils reçoivent quand même de la part de leurs églises respectives quelques revenus qui les aident à bien accomplir leur mission. Tableau n°63: Les paroisses du Diocèse Bururi (catholiques) par ordre de fondation Paroisse Année de fondation Paroisse Année de fondation 1. Makamba 1934 12. Kigwena 1969 2. Rumeza* 1935 13. Mugamba 1975 3. Rutovu* 1940 14. Nyanza-Lac 1989 4. Rumonge 1950 15. Buyengero 1990 5. Bururi* 1954 16. Kaganza* 1998 6. Martyazo* 1961 17. Gihofi 2000 7. Murago 1962 18. Kayogoro 2000 8. Rutana 1965 19. Kivoga* 2004 9. Butwe* 1967 20. Muhweza* 2004 10. Minago 1967 21. Kanyinya 2005 11. Mabanda 1967 Source : Archives de l’Evêché Bururi *Paroisses situées dans la région du Bututsi

Tableau n°64: Les paroisses du Diocèse Matana (anglicane) en 2009 Paroisse Nombre de Paroisse Nombre de catéchistes et catéchistes et pasteurs pasteurs Matana 32 Rweza 7 Bitezi 11 Mutumba 6 Mutangaro 12 Murama 6 Tagara 10 Bururi 6 Kiruri 6 Gakombe 6 Ngabwe 11 Gihiza 8 Source : Archives du Diocèse anglicane de Matana

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Tableau n°65: Paroisse de l’Eglise Pentecôte de Kiremba (2009) Paroisse Nombre de catéchistes et pasteurs Bwatemba (Vyanda) 5 Murinda (Bururi) 2 (Bururi) 4 Buhinga (Bururi) 2 Mugomera (Mugamba) 3 Tora (Mugamba) 3 Bigoti (Buyengero) 2 Kivoga (Buyengero) 2 Murambi (Songa) 3 Nyakigongwe (Songa) 3 Karambi (Songa) 2 Gitobo (Rutovu) 3 Source : Archives de l’Eglise Pentecôte de Kiremba

Tableau n°66: Les infrastructures sanitaires et les différents personnels du secteur de la Santé dans le Bututsi en 2006 Rutovu Matana Songa Bururi Vyanda Ryansoro Total Nombre de 4 4 4 11 3 3 29 CDS Nombre 1 1 0 1 0 0 3 d’hôpitaux Total 5 5 4 12 3 3 32 Personnel 41 44 34 89 22 12 242 soignant Personnel 21 24 20 68 18 13 164 d’appui Total 62 68 54 157 40 25 406 Source : - Monographies des communes - Enquêtes personnelles

A peu près 50% de ces personnels sont en même temps des exploitants agricoles. Excepté les médecins (il y avait au total 9 médecins dans toute la région en 2009), quelques cadres de l’administration et quelques infirmiers, les autres personnels, de catégorie inférieure, sont pluriactifs, c’est-à-dire qu’ils ont, à côté de l’activité principale, une autre activité qui est l’exploitation de la terre. 239

Tableau n°67: Etablissements scolaires et personnels de l’éducation en 2006 Rutovu Matana Songa Bururi Vyanda Ryansoro Vugizo Total Nombre 24 17 27 55 27 14 22 186 d’écoles Primaires Nombre 217 681 357 1242 209 172 246 3124 d’enseignants du primaire Personnel 52 39 57 128 55 30 46 407 d’appui Nombre 6 6 6 14 3 5 4 44 d’écoles secondaires Nombre 71 123 76 155 28 41 51 545 d’enseignants du secondaire Personnel 97 132 124 298 24 88 34 797 d’appui Universités 0 0 0 1 0 0 0 1 Personnels 0 0 0 8 0 0 0 8 d’appui Total 437 975 614 1831 316 331 377 4881 personnels Source : Monographies des communes, enquêtes personnelles 240

Carte n° 11: Les infrastructures scolaires et sanitaires

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A travers le tableau n°67, l’on voit que l’Education Nationale est un gros employeur dans la région et un pourcentage important de ce personnel de l’enseignement exerce l’activité agricole : Personnel enseignant : - Ecoles primaires : pour les anciennes écoles qui sont localisées loin des centres (succursales), à peu près 98% des enseignants rentrent le soir à la colline. Pour les écoles situées dans les centres, c’est autour de 50% qui exercent l’activité agropastorale. Les écoles nouvellement créées ont pour la plupart un personnel jeune originaire d’autres régions et 70% de ce personnel ne s’occupe pas des activités agricoles, faute de terre. - Ecoles secondaires : collèges communaux : un quart des enseignants (25%) sont en même temps des exploitants agricoles. Dans les lycées, la grande majorité des enseignants ont un niveau universitaire. Ils peuvent avoir une parcelle portant des cultures mais très peu habitent sur l’exploitation de leurs parents (5% seulement). Personnel d’appui : - Dans chaque collège communal on trouve : 1 veilleur, 1 planton, 1 secrétaire, 1 économe, 2 bibliothécaires, 2 surveillants. Sur les huit personnes, au moins cinq (62%) habitent sur l’exploitation et pratiquent donc l’agriculture et l’élevage. - Dans les écoles à cycle complet et à système d’internat, c’est-à-dire les lycées (Rutovu, Matana, Bururi, etc.), on trouve généralement un personnel d’appui beaucoup plus important: 3 veilleurs, 2 plantons, 3 secrétaires, 1 économe, 5 surveillants, 1 électricien, 1 chauffeur (plus 1 convoyeur), au moins 20 cuisiniers, 20 ouvriers permanents ou saisonniers qui s’occupent de l’entretien des champs ou des animaux si l’école est dotée d’une ferme. Donc, sur un total de 57 salariés (il s’agit d’une moyenne car tous les établissements n’ont pas un nombre égale de travailleurs), environ 48, c’est-à-dire 84,2% sont des exploitants agricoles. - Les écoles primaires sont moins employeurs par rapport aux précédents (un planton et un veilleur tous exploitants agricoles). - L’Université des Grands-Lacs (UGL) située à Kiremba est l’unique université dans la région. Presque la totalité de son personnel enseignant a un statut de visiteur (ce sont des enseignants de l’Université du Burundi et des autres universités de Bujumbura). Elle utilise en plus un personnel d’appui avec un effectif qui ne dépasse pas 7 unités (un secrétaire académique, un dactylographe, un comptable, trois plantons qui font en même temps la propreté des locaux et un chauffeur). Toutes ces personnes perçoivent 242

un salaire mensuel et cinq d’entre-elles exercent en plus une autre activité : l’exploitation de la propriété familiale.

Dans les communes Matana et Ryansoro, l’ONATOUR, une société qui exploite de la tourbe dans les marais des rivières Kidimbagu et Gitanga, emploie une population rurale non négligeable. En saison de pluie, une main-d’œuvre permanente et contractuelle de la société (30 personnes) s’occupe du chargement des camions qui, à leur tour, assurent la distribution sur le marché national. En saison sèche, on accroît le nombre d’ouvriers qui s’élèvent à 180. Pendant cette période, on privilégie le recrutement des jeunes élèves en vacances, ce qui constitue un coup de main, une aubaine pour les parents en ce qui concerne les frais de scolarité.

En définitive, le travail en dehors de l’exploitation familiale est une affaire qui concerne beaucoup d’actifs dans la région du Bututsi tandis les revenus gagnés dans les activités extra- agricoles sont une sorte de complément qui permet enfin au système paysan d’assurer sa continuité et de se reproduire. Certains exploitants agricoles sont en même temps des commerçants, des artisans ou exercent une activité salariale. Certaines familles peuvent en même temps avoir plusieurs sources de revenus extérieures. Les exemples suivants en encadré sont des cas de figure de ce type de ménages multirevenus :

Serges est un militaire à la retraite âgé de 57 ans. Il est marié et a quatre enfants tous adultes (le dernier est à l’université). Il fait partie de ces gens qui ont un pied en ville, un autre à la colline d’origine. Après une carrière militaire, il a eu un autre emploi (il est chauffeur dans un organisme des Nations-Unies). Pendant qu’il était militaire, il a pu acquérir une maison en location vente (en 1985) et maintenant, il a liquidé tout le crédit et ladite maison est en location. Il se trouve alors dans une situation « confortable » car il a trois revenus : une pension, un salaire, les revenus qui proviennent de la location de sa maison. Son épouse restée sur la colline a elle aussi une activité extérieure : elle fait la couture depuis plus d’une trentaine d’années. Avec l’argent qu’elle a gagné dans ce métier, elle a construit une maison au centre le plus proche et cette maison est en location. Elle a donc deux revenus extérieurs : celui qu’elle tire de son métier et de la location de la maison. Avec au total cinq sources de revenus extérieurs à leur exploitation, la famille de Serges est parmi les plus aisées et considérée comme un modèle sur la colline. Son exploitation agricole actuelle mesure 4 hectares (1 hectare hérité de ses parents et 3 hectares achetés avec l’argent gagné à 243 l’extérieur). A côté de cette propriété, la famille a aussi acheté une dizaine de vaches et cinq porcs qui ont, à leur tour, engendré des petits, ce qui fait qu’aujourd’hui la famille possède un troupeau important. L’exploitation de Serges étant largement suffisante pour l’agriculture et bénéficiant d’une quantité importante de fumier animal, elle n’éprouve aucune difficulté pour se reproduire mais, n’eussent été ces sources de revenus extérieurs, elle n’en serait pas en mesure.

Jean-Marie est un enseignant dans une école secondaire qui habite et qui exploite la propriété héritée de ses parents. En plus des deux activités, il fait le commerce du gros bétail (il est tous les dimanches au grand marché de bétail de Matana, le seul de toute la région). Sa femme, est aussi enseignante et a donc un salaire. Comme le métier d’enseignant est leur activité principale, ils n’ont pas le temps pour s’occuper des travaux champêtres. C’est pour cela qu’ils ont engagé trois domestiques chargés d’exécuter ces travaux sous leurs ordres. Avec tous ces revenus extérieurs qui participent à la couverture de toutes les charges de la famille, la famille de Jean-Marie avoue qu’elle n’a pas de problèmes de trésorerie. Elle peut acheter, en plus de toutes les charges familiales, en moyenne 2 vaches par an et ces derniers jouent un rôle important dans le fonctionnement de l’appareil productif (production du fumier et du lait). L’on comprend donc que ce sont, en grande partie, les revenus générés à l’extérieur de la propriété familiale qui font fonctionner cette dernière.

Salvator est un élu du peuple (conseiller collinaire). La commune lui verse chaque mois un salaire forfaitaire en échange de ses prestations. Il travaille en plus dans un cabaret où il prépare les brochettes grillées bien appréciées par la clientèle locale. Sa femme aidée par sa fille qui a abandonné l’école s’occupe des champs et gère en même temps un petit commerce (un petit cabaret où elle vend la bière locale de banane, urwarwa). Les autres enfants vont tous à l’école. Avec ces revenus, la famille de Salvator parvient, tant bien que mal à se nourrir, à payer les frais scolaires pour les enfants, bref à assurer la continuité du système paysan, ce que son exploite à elle seule ne saurait faire.

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Chapitre IV : LE RÔLE DE LA MOBILITÉ ET DE LA VILLE DANS LA

REPRODUCTION DU SYSTÈME PAYSAN

4.1 La part des mobilités

La rupture de l’équilibre entre la population et les ressources (surtout les ressources agricoles) contraint les gens à chercher des solutions de rechange. La première réaction du paysan face à ce problème a été l’extension des emblavures qui se fait le plus souvent au détriment des pâturages et des espaces réservés aux boisements et la mise en culture des terrains jadis considérés comme marginaux (terrains rocailleux, marais). La forte association de l’agriculture et de l’élevage oblige pourtant le paysan du Bututsi à réserver un espace pour le pâturage, ce qui fait que dans cette région, l’intensification agricole est pratiquée avant l’épuisement de l’espace cultivable. L’autre réaction du paysan a été, comme on l’a démontré au chapitre III, la pratique des activités non agricoles. Cette pluriactivité se fait le plus souvent, à travers les mobilités. En effet, les paysans du Bututsi vont chercher du travail loin de leurs familles (à l’intérieur de la région, dans les régions voisines ou même en ville) parce leurs exploitations ne sont pas en mesure de satisfaire les besoins des ménages. Ils se dirigent donc vers des zones pouvant offrir plus de perspectives. DUPONT V. et GUILMOTO C. (1993) nous rapportent que « les flux migratoires sont envisagés comme des mécanismes de régulation et d’ajustement à l’espace économique : les déplacements de populations répondent aux déséquilibres spatiaux ».

4.1.1 Le concept de mobilité

De par le monde, les gens bougent, se déplacent, voyagent, se lancent même dans des aventures, d’un lieu donné (lieu d’origine) vers un autre lieu (lieu de destination). Ce mouvement ne concerne pas seulement les êtres humains : des biens, des marchandises, des idées, des informations, des systèmes de valeurs etc. sont également impliqués. Mais, dans tous les cas, l’homme est au centre du système puisqu’en se déplaçant, ce n’est pas seulement son corps et les objets physiques qu’il peut transporter avec lui qui se meuvent ; il se déplace aussi avec les idées et le savoir-faire.

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Etudier la mobilité revient donc à analyser tout ce qui est mouvement, tout ce qui est déplacement dans l’espace et dans le temps, et cette espace dont on parle est construit par les déplacements, les échanges, les interrelations entre au moins deux lieux différents dans un sens comme dans un autre. « Ce sont les déplacements entre des lieux différents qui construisent l’espace géographique ; ce sont les flux de personnes, de marchandises, qui véhiculent aussi des idées, des informations, des pratiques culturelles etc. qui donnent sa forme à l’organisation de l’espace géographique »127. C’est donc ce terrain que les hommes empruntent pour bouger, pour se mouvoir, pour passer d’un lieu à un autre à n’importe quel moment durant toute leur vie, qui constitue le support physique de la mobilité. « L’homme vit dans l’espace-temps. A tout moment, l’individu peut être localisé dans l’espace »128.

Le modèle micro-économique conçoit la mobilité comme une forme d’investissement qui vise à accroître la productivité des ressources humaines par la recherche de meilleures opportunités d’emplois. BONVALLET C. et BRUN J. écrivent à propos : « du point de vue micro-économique, le migrant potentiel effectue une comparaison entre les revenus qu’il espère obtenir s’il migre vers un lieu déterminé et ceux qu’il obtiendrait en restant sur place »129. Les deux auteurs poursuivent : « Pour rendre compte des comportements des mobilités, les chercheurs font l’hypothèse que l’homme est un être rationnel cherchant à optimiser ses choix. La décision de migrer, de résider à tel endroit peut donc être représentée, plus ou moins simplement, à l’aide d’un modèle économétrique. Dans chaque cas, l’individu examine les avantages et les inconvénients des possibilités qui s’offrent à lui et choisit celle qui lui est la plus favorable en termes économiques »

Le choix des destinations par les personnes qui se meuvent mérite aussi une attention particulière. L’on peut même se demander pourquoi les migrants en provenance d’un espace géographique bien déterminé choisissent telle zone plutôt que telle autre même plus éloignée. Il n’y a pas une réponse unique à cette question qu’on peut appliquer à toutes les régions parce que chaque région a ses propres réalités, a des relations particulières avec telle autre. La fréquence, l’intensité ainsi que la durée de séjour sont aussi à appréhender avec précaution

127 PUMAIN Denise et SAINT-JULIEN Thérèse, Les interactions spatiales. Flux et changements dans l’espace géographique, Paris, Armand Colin, 2001, 191 p. 128 POULAIN, 1983, cité par BARBARY O. et DUREAU F., In CAHIERS DES SCIENCES HUMAINES, Mobilités spatiales et urbanisation. Asie, Afrique, Amérique, vol.29, n°2 et 3, ORSTOM, 1993, p.396 129 BONVALLET Catherine, BRUN Jacques, L’accès à la ville. Les mobilités spatiales en questions, In LEVY Jean-Pierre et DUREAU Françoise, Etat des lieux des recherches sur la mobilité résidentielle en France, Paris, Harmattan, 2002 246 parce qu’elles dépendent dans bien des cas de la distance entre le lieu de départ et celui de destination. Elles dépendent aussi de l’état et de la qualité des voies et moyens de communication mis en place pour rendre possible et rapide les déplacements, les transports à moindres coûts.

4.1.2 La mobilité, pour quelle finalité, pour quelles perspectives ?

Les moteurs des déplacements peuvent être d’ordre économique, socioculturel, politique, administrative, etc. Dans bien des cas, c’est la précarité des ressources (surtout agropastorales pour le cas du Bututsi) qui conduit les gens à rechercher des activités complémentaires hors de leur village ou de leur terre dans l’espoir de trouver de meilleures conditions de vie et, dans une large mesure, pour survivre. « Partir est-il une question de survie ? », voilà une question (en même temps titre d’un article) que se posaient il y a plus d’une décennie Véronique DUPONT et Christophe Z. GUILMOTO (In CAHIERS DES SCIENCES HUMAINES n°2 et 3, 1993) à propos des mobilités spatiales dans les pays du Tiers-Monde (Asie, Afrique, Amérique). Ce sont les mobilités à caractère socio-économique qui intéressent notre démarche dans la mesure où, à travers ces mobilités, les populations du Bututsi arrivent à avoir un revenu d’appoint qui participe au fonctionnement des unités de production et donc à la reproduction du système paysan. Les cas de mobilités à caractère économique sont donc les plus observées, les plus fréquents, multiples et variés. Pour le cas du Bututsi, les facteurs physiques et humains déjà décrits sont à l’origine des départs de populations de leurs villages vers les régions rurales moins peuplées et plus productives du point de vue agricole, situées à proximité ou même vers les régions lointaines et aussi vers les zones urbaines (exode rural). De toutes les façons, les logiques qui animent les individus sont a priori en fonction de la situation économique.

Les raisons d’ordre économique incitent certes une grande partie des personnes à la recherche de stratégies de survie, mais des raisons à caractère social sont également invoquées par une grande partie de la population de la région qui fait l’objet de notre étude. Ainsi, les visites entre individus ou entre familles résidant dans des espaces plus ou moins éloignés les uns par rapport aux autres, témoignent de la perpétuation de relations entre les migrants et la région d’origine. Les exemples sont nombreux et très variés. Nous avons remarqué que dans le Bututsi, les mobilités ayant pour cause les raisons sociales, sont nombreuses surtout entre la campagne et la ville ou entre la campagne et le centre le plus proche. Les gens qui partent à 247

Bujumbura par exemple y vont pour de multiples raisons à caractère social (simple visite, levée de deuil, enterrement, mariage et dot, soins médicaux, établissement ou renouvellement de certains papiers administratifs, affaire à régler en justice, etc.). Le plus souvent, le déplacement vers la ville a un caractère à la fois économique et social car, au cours de leurs visites, les ruraux reçoivent de l’argent, quelques cadeaux de la part de leurs enfants ou autres parentés résidant en ville.

Il existe une forme de migration qui n’est ni sociale ni directement économique mais non moins importante dans notre région. Il s’agit de la migration scolaire. Un bon nombre de jeunes étudiants ou élèves de la région quittent leurs régions natales pour aller poursuivre leurs études. Le plus souvent, la plupart des jeunes diplômés préfèrent rester et s’installer en ville au terme de leurs études et la migration qui, au départ était temporaire peut devenir définitive bien que les relations avec la région d’origine demeurent, ou ne sont pas rompu pour autant. Cette migration qui n’avait pas au départ un caractère économique se transforme et devient une migration qui vise la recherche de l'emploi. Depuis la création de l’école par le colonisateur jusqu’aujourd’hui, le nombre de gens qui ont quitté leurs familles pour les études et qui se sont installés ailleurs (le plus souvent en ville), est allé croissant (augmentation considérable des écoles et du taux de scolarisation). Ces anciens étudiants ou élèves installés en ville de façon durable apportent un soutien constitué d’argent et d’autres biens à leurs familles et participent donc au bon fonctionnement des unités de production. Il s’agit pour les parents, d’un investissement à long terme dans la mesure où, pour certaines familles, le revenu en provenance de la ville est devenu indispensable à la reproduction du système paysan.

Il est également à remarquer que des mouvements massifs de populations sont observés dans les pays en développement surtout en Afrique pour des raisons politiques. En effet, les conflits armés qui opposent souvent ethnies, tribus ou autres groupes sociaux provoquent des mouvements importants de populations et les contraignent à l’exil. Pour ce cas un peu particulier, le départ n’est pas volontaire et l’individu ou son groupe n’a pas de choix quant à la destination. La date de retour n’est pas aussi certaine car ni les belligérants, ni les fugitifs ne savent ni quand ni comment le conflit se terminera. Les conflits ethnico-politiques qui ont secoué et qui secouent toujours la région des Grands-Lacs d’Afrique (Burundi, Rwanda, la région du Kivu en République Démocratique du Congo) sont par exemple responsables d’importants mouvements de populations vers les pays limitrophes (la guerre de 1972, 1988 et 248

1993 au Burundi a provoqué l’exil d’au moins 500.000 burundais vers la Tanzanie). Un autre groupe de réfugiés est constitué par les déplacés intérieurs de 1993 qui restent encore dans des « camps de déplacés » érigés le plus souvent près du chef-lieu de commune. La carte n°12 illustre la répartition des sites de déplacés au Burundi en 2002.

Dans tous les cas, ces mouvements de populations fuyant l’insécurité dans leurs pays, les unes franchissant même la frontière nationale, les autres restant à l’intérieur du pays en se regroupant dans les « sites de déplacés », doivent inévitablement avoir des impacts négatifs sur le plan économique en l’occurrence sur la production agricole et pastorale.

249

Carte n° 12: Répartition des sites de déplacés en 2002 au Burundi selon l’enquête ESD- SR (Enquête Socio-Démographique et de Santé Reproductive) Source : ETCHELECOU André, Atlas démographique des personnes déplacées au Burundi, 2004

4.1.3 Amélioration du réseau routier et intensification des mobilités dans le Bututsi

Comme le coût du déplacement est fonction de la distance qui peut être aussi mesurée en temps de parcours, cette distance n’est pas extensible à l’infini. C’est pourquoi en général, l’intensité et la fréquence des flux décroît avec l’éloignement du lieu considéré comme 250 origine. « La distance matérialise une séparation, une difficulté d’accès mesurée en effort, en coût, en temps, en acquisition d’information, elle résume la dilution des possibilités d’intervention d’un acteur au fur et à mesure qu’il considère une zone de plus en plus vaste autour de lui L’observation majeure est que l’intensité et la fréquence des interactions décroissent, plus vite que linéairement, avec la distance qui sépare les lieux » (PUMAIN et SAINT-JULIEN, 2001). Aujourd’hui, avec l’augmentation de la vitesse de circulation due à l’amélioration des voies et moyens de transport, la portée des interactions spatiales s’est considérablement élargie. « Tout se passe comme si l’espace physique, topographique se réduisait lorsque les possibilités d’interaction sont évaluées en temps de parcours » (PUMAIN et SAINT-JULIEN, 2001).

La construction de la Route Nationale n°7 (Bujumbura-Jenda-Matana-Rutovu-Rutana), au début des années 1980, a remarquablement révolutionné la circulation dans toutes les régions traversées par cette route. Avant l’inauguration de cette voie (en 1985), Bujumbura était difficilement accessible: à peu près 8 heures de voyage pour faire Bujumbura-Rutovu alors qu’aujourd’hui on fait le même trajet endéans 2 heures. Le sud-ouest du Bututsi (une bonne partie de la commune Bururi, une petite partie de Songa et de Vyanda) est relié à Rumonge par la RN16. La RN7 (prolongée par la RN8 et la RN11) permet aussi l’accès à l’extrême sud du Burundi (Makamba, Gihofi, Nyanza-Lac).

La connexion entre Bururi et Gitega et entre Bururi et Makamba par des routes asphaltées serait, pour la région, un pas de plus franchi dans le processus de désenclavement et de développement des voies de communication. Après la construction de ces voies de désenclavement, les transports (de biens et de personnes) entre le Bututsi et Bujumbura ou avec d’autres régions se sont intensifiés plus que jamais. 251

Carte n° 13: Les principales voies de désenclavement du Bututsi

252

La répartition spatiale et la modernisation des voies et moyens de transport n’étant pas uniformes partout, les facteurs de fréquence, d’intensité, de durée de séjour, varient suivant les régions. A l’intérieur du Bututsi, certains endroits sont plus accessibles par rapport à d’autres. Le réseau des voies de communication affiche d’importantes disparités quant à leur répartition. L’on peut dire que les riverains de la RN7 et de la RN16 sont plus favorisés dans la mesure où ces routes les relient directement à Bujumbura, Gitega ou Rumonge. La commune de Vyanda par contre, avec sa topographie un peu accidenté et des pistes difficilement praticables qui la relient au centre de Bururi et Rumonge (à Kigwena) est très enclavée. Par exemple, pour presque toutes les autres communes de la région, la liaison avec Bujumbura se fait tous les jours par l’intermédiaire des minibus appartenant aux privés, alors que Vyanda n’est desservie deux fois par semaine que par un bus de l’OTRACO (Office des Transports en Commun), une société de l’Etat. Les routes en terre (routes provinciales, routes d’intérêt général jusqu’aux pistes) pénètrent jusqu’au cœur des collines et facilitent (du moins à leur manière) le transport des personnes et des marchandises. Malheureusement, elles ne desservent pas tous les lieux. Faute d’entretien, ces pistes deviennent glissantes et boueuses en saison des pluies et quelquefois totalement impraticables parce que le ravinement causé par les eaux de ruissellement les a détruites. La topographie peut expliquer l’absence ou la rareté des pistes mais aussi le caractère très dispersé de l’habitat n’est pas de nature à désenclaver totalement la région.

La seule voie que les burundais en général et les habitants du Bututsi en particulier empruntent pour se déplacer ou pour transporter les marchandises, reste donc la voie routière ou les sentiers empruntés par les piétons. Pour les distances relativement courtes, le portage sur la tête est partout le moyen de transport le plus usité à côté du vélo et de l’automobile.

En définitive, plus une entité territoriale développe et intensifie son réseau de communication (réseau routier pour le cas du Bututsi), plus les systèmes de mobilités, les échanges, deviennent intenses et cela a, d’une façon ou d’une autre, un impact positif sur l’économie en général et sur les revenus des ménages en particulier. Avant la construction de ces voies de désenclavement qui ont facilité les transports routiers, les habitants du Bututsi qui allaient chercher du travail dans les régions voisines basses faisaient tout le trajet, à l’aller comme au retour, à pieds. Des fois, surtout au retour, ils portaient sur la tête des charges pouvant peser une trentaine de kilos ou plus. Aujourd’hui les choses se sont sensiblement améliorées puisqu’ils utilisent les véhicules de transport pour se déplacer. 253

4.1.4 Le Bututsi comme point de départ

Les paysans du Bututsi sont, comme tous les autres paysans du Burundi, connus pour leurs habitudes casanières. Il s’agit d’une paysannerie profondément ancrée et enracinée à la terre. L’effondrement de la production agricole consécutive à des facteurs tant physiques qu’humains, a pourtant obligé les habitants du Bututsi à se mouvoir temporairement ou de façon définitive vers d’autres régions. Depuis le 19ème siècle, les paysans pasteurs étaient toujours en quête de bons pâturages et de terrains plus étendus. Mais, leur mobilité se limitait aux zones des hauts plateaux, la plaine étant redoutée pour ses maladies comme la trypanosomiase (ou maladie du sommeil) qui a comme vecteur la mouche tsé-tsé, ainsi que le paludisme. Avec l’apparition et le développement de la médecine (humaine et vétérinaire), les hommes ont commencé à émigrer vers les parties basses et chaudes (Kumoso, Buyogoma, Buragane, Imbo). NDAYISHIMIYE J.P (1980) écrit à ce propos : « Les riches pâturages du Buyogoma n’ont pas laissé indifférents les éleveurs du Bututsi chassés par la dégradation de la végétation. Les immigrants trouvent dans cette région d’accueil un cadre naturel inespéré où se reconstitue leur capital bétail menacé au Bututsi de disparition. Les paysans aux exploitations exiguës et peu fertiles sont attirés par les terres riches et moins peuplées d’Imbo et du Buragane »

Les mobilités à caractère temporaire ou saisonnier sont toujours observées dans la région et touchent tant les hommes que les femmes. D’après nos enquêtes, 72 chefs de ménages sur 100 interviewés ont déclaré avoir effectué des déplacements au cours des 12 derniers mois. Il s’agit soit des mouvements temporaires à courte ou à longue durée, des mouvements saisonniers ou tout simplement de mouvements pendulaires qui s’effectuent quotidiennement du domicile au lieu de travail. Le motif du déplacement varie d’un individu à l’autre ; il peut être économique, social ou les deux à la fois. Les zones d’accueil sont, comme on l’a déjà précisé, les régions voisines sans oublier les zones urbaines principalement la ville de Bujumbura.

254

Tableau n°68: Nature de la mobilité et les principales destinations Nature de la mobilité Motif du Destination déplacement Mouvements Mouvements Economique Social La Bututsi Régions temporaires pendulaires ville voisines (ou saisonniers) ane g Imbo Bura Kumoso 47 30 41 47 39 34 6 7 4 Source : Enquêtes, 2007

255

3520

3040

400 480

560

Carte n° 14: Les principales destinations des habitants de la région du Bututsi (400 = nombre de personnes)

La fréquence des déplacements ainsi que la durée de séjour dépendent de la nature de la mobilité et des objectifs poursuivis par chaque individu. Pour les mouvements pendulaires par exemple, le départ est quotidien. Un ouvrier qui travaille au le centre le plus proche de chez 256 lui s’y rend tous les jours excepté le week-end tandis qu’un autre ouvrier qui va chercher un emploi un peu plus loin passe des semaines voire même des mois loin de sa famille. Un commerçant qui quitte la région pour aller s’approvisionner à Bujumbura n’y séjournera pas aussi longtemps qu’un vieux (ou une vieille) qui y va pour rendre visite à ses enfants ou pour se faire soigner. Le commerçant par contre aura une fréquence beaucoup plus élevée d’autant plus que l’approvisionnement en marchandises doit être régulier et permanent. Le tableau suivant montre l’intensité des transports entre la région du Bututsi et la capitale Bujumbura.

Tableau n°69: Intensité du flux de personnes entre la région du Bututsi et la ville de Bujumbura (véhicules de transport des personnes) Point de Nombre de Nombre de places par Nombre d’aller/retour départ à véhicules/jour véhicule par jour destination MINI- TAXI- MINIBUS TAXI- MINIBUS TAXI- de BUS VOITURE VOITURE VOITURE. Bujumbura Bururi 6 4 18 4 1 1 Matana 10 0 18 - 1 - Rutovu 8 0 18 - 1 - Songa 1 0 18 - 1 - Vyanda 2 0 18 - 1/3 - Rutana(1) 9 0 18 - 1 - Kayogoro(1) 6 0 18 - 1 - Bisoro 1 0 18 - 1 - Ryansoro 2 0 18 - 1 - Vugizo 1 0 18 - ½ - TOTAL 46 4 828 16 Source : Enquêtes personnelles, mars 2009 (1) Ces deux localités (Rutana et Kayogoro) ne sont pas situées dans le Bututsi mais les véhicules qui s’y rendent (ou qui vont dans l’autre sens c’est-à-dire à Bujumbura) peuvent ramasser, en cours de route, des passagers du Bututsi dans la mesure où ils empruntent la même voie (la RN7) que ceux de Rutovu, Matana, Songa, Bisoro et Ryansoro.

Pour obtenir ces chiffres, nous nous sommes rendus sur deux emplacements de Bujumbura (Musaga et Kinindo) où a lieu le chargement des passagers. Après nous être entretenu avec 257 quelques chauffeurs et convoyeurs (ils se connaissent pratiquement tous), nous avons eu le nombre exact de véhicules de transport de personnes et le nombre approximatif130 de passagers qui quittent chaque jour la région du Bututsi vers Bujumbura ou dans le sens inverse (Bujumbura-Bututsi). Il ressort donc de ce tableau qu’environ 46 minibus de transport et 4 taxi-voitures quittent ou, en quelque sorte, traversent la région du Bututsi à destination de Bujumbura transportant en moyenne 844 passagers par jour à l’aller comme au retour. Bujumbura constitue bien entendu la plus grande destination mais il existe à côté de cette dernière d’autres « lignes » comme Bururi-Rumonge, Rumonge-Gitega via le Bututsi, Bururi- Makamba via Rumonge, Bururi-Matana, etc.

Photo n° 25: Minibus de transport qui attend les passagers

En plus de ces véhicules de transport des personnes, il existe des camions et camionnettes qui transportent les marchandises sans oublier les autres véhicules (voitures, véhicules tout terrain ou 4X4, camionnettes) appartenant aux administrations, projets, ONG, confessions religieuses, etc. qui se rendent de temps en temps à Bujumbura. Pour cette catégorie de véhicules, il nous a été difficile de quantifier le nombre de personnes qu’ils peuvent transporter chaque jour dans la mesure où ils ne sont pas réguliers. On s’est contenté de

130 Tous ces minibus ont chacun 18 places assises, cela veut dire que ce chiffre est le nombre de personnes autorisé à transporter. Ces véhicules ne sont pas tous les jours pleins de passagers car le nombre de clients varie d’un jour à l’autre. D’autres jours par contre, les chauffeurs soudoient les agents de la Police Spéciale de Roulage (PSR) et ces minibus sont pleins à craquer (jusqu’à 25 passagers). Comme il y a des jours où les places ne sont pas toutes occupées et d’autres où il y a des passagers de trop, nous avons considérés qu’il y a compensation et que donc les minibus sont toujours pleins de passagers. 258 compter ces véhicules à leur arrivée aux barrières de Musaga et à Kanyosha (à ces deux endroits, chaque véhicule doit s’arrêter pour répondre aux contrôles des agents de la mairie, de la douane, ou des services de sécurité publique et routière) et on est arrivé aux estimations suivantes : Tableau n°70: Intensité du flux de personnes entre la région du Bututsi et la ville de Bujumbura (véhicules de transport des marchandises et autres catégories) Catégorie de Nombre moyen de Nombre de Nombre total de véhicule véhicules par jour en personnes personnes provenance du Bututsi transportées transportées/jour par chaque véhicule/jour Camions 3 3 9 Camionnettes 5 8 40 Véhicules 4X4 3 5 15 Voitures 7 5 35 Motos 3 1 3 Total 24 102 Source : Enquêtes personnelles, 2009

4.1.4.1 Les mobilités « rural-rural »

Des déplacements internes ou externes rural-rural touchent des populations toujours en quête de ressources d’appoint pour la survie de leurs ménages. Il s’agit dans bien des cas des déplacements temporaires ou saisonniers où les migrants vont louer leurs bras dans les plantations ou sont employés comme ouvriers, manœuvres, domestiques, etc. Ces migrations peuvent également avoir un caractère définitif quand il n’y a pas de mouvement de retour ; cela signifie que le migrant a trouvé dans la région d’accueil une terre plus fertile et plus vaste et, s’il est éleveur, de bons pâturages pour les bêtes.

Dans les conditions normales, les migrations intra-rurales s’effectuent des régions surpeuplées aux sols pauvres, des régions frappées par la sécheresse, les inondations à répétition etc. vers les zones encore fertiles, moins peuplées et bénéficiant encore des conditions climatiques plus favorables aux activités agropastorales. Pour le cas du Burundi, les régions de la Crête Congo- Nil et du Plateau Central constituent des zones d’émigration, les zones d’accueil étant pour la plupart les dépressions périphériques de l’ouest, de l’est et du sud (Imbo, Kumoso et Buragane). Depuis bien longtemps, ces régions périphériques surtout l’Imbo (les communes 259 de Rumonge et de Nyanza-Lac) ont constitué des pôles d’attraction des paysans du Bututsi en quête de travail. La culture du palmier à huile par exemple a permis d’embaucher un nombre considérable de travailleurs de notre région. Nous avons interrogé quelques personnes (10 au total) qui effectuent ce genre de mobilité (ou qui l’ont effectué au moins une fois de leur vie) et on a conclu que, malgré la faiblesse des revenus et les travaux durs qu’ils font, cette mobilité apporte un complément et permet aux familles de survivre (voir les deux exemples ci-dessous en encadré).

SAKUBU est un habitant du Bututsi (commune Songa) âgé de 38 ans et qui travaille dans l’Imbo dans les plantations de palmier à huile depuis 8 ans. Il était, au moment de notre enquête, en vacances de 10 jours qu’il a passées auprès de sa famille. Il a une femme et 5 enfants avec une propriété d’environ 2 hectares. A la question de savoir le motif qui l’a poussé à aller travailler loin de sa famille, il répond que son exploitation ne pouvait, à elle seule, faire vivre sa famille (nourriture, frais scolaires, soins de santé, dépenses diverses). Ne possédant ni bétail (avant son départ) ni autres moyens pour s’octroyer les engrais et n’ayant aucune autre source de revenu que sa terre, il s’est trouvé dans l’obligation de partir chercher de quoi faire vivre sa famille. Avec l’argent qu’il gagne maintenant, il envoie une partie à sa famille qui parvient ainsi à assurer sa continuité. En plus, il a déjà acheté une vache qui a deux veaux, ce qui a un impact positif sur la production agricole (production du fumier et du lait dans une moindre mesure). Les enfants vont à l’école sans difficulté. Bref, cette mobilité économique a permis à la famille de SAKUBU de joindre les deux bouts et ainsi de se reproduire, ce qui n’était pas possible avant.

NDUWAYO est un ancien militaire de 41 ans, marié et père de quatre enfants. Il n’a pas de pension car il a été chassé de l’armée pour des raisons disciplinaires. Dépourvu de tout autre revenu d’appoint pour subvenir aux besoins de sa famille (le revenu tiré de son exploitation n’en étant pas capable), il a eu la chance, depuis quatre ans, de faire partie de l’équipe des ouvriers de la Société Sucrière du Moso (SOSUMO) mais de façon intermittente (uniquement pendant la période de « campagne sucre » c’est-à-dire 6 mois sur 12). Il reste donc, pendant toute cette période, loin de son exploitation à la recherche de ce qui pourrait aider sa famille. Avec ce revenu extérieur supplémentaire, il parvient, tant bien que mal, à acheter le supplément de vivres, à payer les frais scolaires pour les enfants, à acheter les habits pour lui, sa femme et ses enfants etc. 260

Aujourd’hui, les effets de la guerre se font toujours sentir et ont eu un impact négatif sur les mobilités. Le mouvement des populations vers les régions périphériques à la recherche du travail, a connu un ralentissement remarquable pendant la période de crise. Ces régions jadis considérées comme terre d’immigration continuent de voir leurs populations augmenter suite à un accroissement naturel élevé (environ 3,5% par an). En plus, depuis 1972, le contexte des cycles de violences et d’instabilité politique chronique a eu comme conséquence la fuite des milliers de populations des provinces du sud (Makamba, Bururi et Rutana) et l’occupation souvent irrégulière de leurs terres. Le rapatriement des réfugiés pose de nombreux défis liés à la gestion des conflits fonciers. Les populations autochtones de ces zones d’accueil deviennent, par ailleurs, de plus en plus réticentes face à l’arrivée des gens des plateaux et au retour des anciens propriétaires. La situation d’insécurité permanente due à la crise ethnico- politique qui a secoué le pays pendant plus d’une décennie, est venu amplifier la situation. Cela ne veut pas dire que ces mobilités des paysans du Bututsi vers les régions périphériques n’existent plus mais ils ont, quand même, connu une chute notable.

4.1.4.2 L’exode rural

Le Burundi figure parmi les pays les moins urbanisés du monde (les citadins représentent moins de 10% de la population totale). Mais Bujumbura, la seule grande ville du pays connaît, comme la plupart des villes d’Afrique subsaharienne, une extension spatiale et démographique vertigineuses. En effet, cette ville a connu, après l’indépendance, un afflux important de populations en provenance des zones rurales. Cette situation ne pouvait pas manquer d’avoir des effets pervers car l’installation en masse de jeunes arrivants n’avait pas été planifiée par les autorités compétentes. Il s’en est donc suivi une crise qui n’a eu d’autres effets que la dégradation généralisée des conditions de vie et surtout chez les couches défavorisées et non qualifiées venues de l’arrière-pays : prolifération de quartiers spontanés, paupérisation des quartiers dits « populaires », problèmes d’hygiène et de salubrité, chômage, sous-emploi, insécurité, etc.

En vue de remédier à cette situation et de ne pas continuer à gonfler le nombre de chômeurs en ville, le Gouvernement du Burundi a, dans les années quatre-vingt, financé des campagnes de sensibilisation contre l’exode rural surtout vers Bujumbura la capitale. On incitait en effet les ruraux à rester à la campagne, à cultiver leurs champs en scandant des slogans anti- urbains. La chanson « Bararuhiga yagiye i Bujumbura » (l’homme qui s’appelait Bararuhiga 261 et qui voulait la mort est allé à Bujumbura) était chantée à la radio nationale tous les jours et reste dans la mémoire des gens une des illustrations de cette politique de lutte contre le mouvement de départ vers la ville. « Beaucoup de jeunes gens déambulent en ville à la recherche d’un emploi hypothétique », écrivait déjà NDAYISHIMIYE J.P. au début des années 80. Il ajoute : «Afin d’en finir avec ce que la presse locale se plaît de nommer délinquance, le pouvoir apprêtait en 1975 des camions pour ramener manu militari tous les chômeurs à la campagne. Simultanément, on licenciait tous les salariés ayant un revenu inférieur à 3000Fbu (37,5 dollars US à l’époque) afin de les contraindre à regagner la colline. Quelques mois plus tard, la ville regorgeait de chômeurs ». Cette politique était aux yeux de certains, contre productive, car la plupart des gens qui partaient étaient des « jeunes paysans sans terre » qui n’avaient d’autre choix que celui de partir à la recherche du travail. Jusqu’aujourd’hui, le mouvement d’exode rural continue de s’accentuer, la ville de Bujumbura ne cesse de s’agrandir et le nombre de chômeurs continue à augmenter.

Le mouvement d’exode rural des actifs « non qualifiées » du Bututsi vers la ville à la recherche du travail existe mais on sait que les régions surpeuplées du nord et du centre du Burundi ont les plus grands contingents (employés de maison, maçons et ouvriers de tout genre, porteurs au Marché Central de Bujumbura, etc.). Avec un faible niveau d’études (école catéchiste ou primaire), peu d’opportunités d’emplois sont offertes à eux. Nous avons interviewé quelques uns (9 personnes). Six parmi ceux-là étaient mariés et trois étaient célibataires. Le constat général qui s’est dégagé c’est que ceux qui parviennent à trouver un emploi se plaignent du niveau des rémunérations (16 dollars en moyenne par mois). Et, quel que soit le montant du salaire, ils doivent envoyer une partie à la famille laissée au village. Pour les célibataires, c’est l’occasion de se préparer pour le mariage (construction d’une maison sur la colline natale, achat de quelques équipements, etc.). Nous avons également eu l’occasion de nous entretenir avec une autre catégorie de gens constituée par des « migrants de retour » (7 personnes au total) qui, pour la plupart, avaient passé en ville une période allant de 5 à 10 ans. Il s’agit des individus qui avaient déserté la campagne pour une vie meilleure en ville et qui, après quelques années de travail, ont décidé de retourner au bercail. Malgré le faible niveau des revenus urbains pour ces gens non qualifiés et prêts à accepter toute offre d’emploi, ils ont pu, tant bien que mal, apporter quelque chose à leurs familles restées sur la colline (envoi d’argent et autres biens, certains ont pu se construire un logement plus ou moins décent, etc.).

262

Le mouvement d’exode le plus important et qu’il importe d’analyser en profondeur pour le cas du Bututsi est celui lié à la scolarisation. Les données concernant les effectifs des personnes actives ayant un niveau d’étude (niveau secondaire ou universitaire), par province d’origine ou par région, font défaut mais l’on sait que la province de Bururi (dont le Bututsi fait partie) est plus nantie en matière d’infrastructures scolaires. « La province de Bururi fait partie des deux provinces les plus scolarisées du Burundi. 83% des enfants de 7 à 12 ans de la province, âge légal d’être à l’école primaire, étaient effectivement inscrits à l’école au cours de l’année scolaire 2003-2004. Le taux net de scolarisation au niveau national était de 59,2% à cette période…Au niveau de l’enseignement secondaire, c’est la province de Bururi qui dispose du plus grand nombre d’écoles. Sur les 419 écoles secondaires du pays, 69 dont 3 techniques relèvent de cette province » (Monographies de la province Bururi, 2006).

™ L’exode rural et la scolarisation

L’école au Burundi est une création de la colonisation. Sa vulgarisation n’a pas été facile ; elle s’est heurtée à la réticence des burundais vis-à-vis des choses nouvelles mais, petit à petit, les burundais s’y sont intéressés. Les jeunes enfants sont scolarisés à partir de 6-7 ans. Certains s’arrêtent au niveau du primaire. Avec ce niveau relativement faible, ils ont très peu de chances d’obtenir un emploi non-agricole surtout en ville. Ils peuvent être embauchés pour de « petits métiers » et ceux qui ont de la chance sont enrôlés dans l’armée (dans la catégorie des « hommes de troupe » c’est-à-dire la catégorie inférieure). Ces jeunes ne rompent jamais avec la colline d’origine même si le lieu de travail se trouve dans une région éloignée. La plupart de ceux-là construisent d’ailleurs leurs maisons sur l’exploitation de leurs parents et s’y marient. Ce sont les élèves qui parviennent à franchir le cap du secondaire ainsi que ceux qui ont fait l’université qui cherchent un emploi ailleurs autre qu’agricole, souvent en ville, et s’y installent de façon durable. Dans le mouvement d’exode rural, la scolarisation a donc joué un rôle très important et le Bututsi figure parmi les premières régions qui ont commencé à investir dans l’école. La situation actuelle (un nombre d’écoles primaires et secondaires de loin supérieur à la moyenne nationale, un nombre plus élevé de diplômés : fonctionnaires, militaires, cadres, etc.) peut être expliquée par des facteurs politiques.

En effet, depuis le 28 novembre 1966, date qui correspond à la chute de la monarchie131 au

131 Cette monarchie avait été fondée vers la fin du 17ème siècle par le premier roi du Burundi NTARE I RUSHATSI CAMBARANTAMA. 263

Burundi, le jeune Capitaine Michel MICOMBERO proclame la Première République du Burundi quatre ans après l’indépendance de ce pays. Son règne connut des crises politico- ethniques graves (1969, 1970, 1972) qui ont occasionné plusieurs morts et emprisonnements surtout dans le camp de ses opposants politiques. Le Président MICOMBERO était originaire de la province Bururi. Dix ans plus tard (le 1er novembre 1976), il est renversé par un autre jeune officier de la même province, le colonel Jean-Baptiste BAGAZA lui-aussi qui sera demis de ses fonctions, 11 ans plus tard (le 03 septembre 1987), par un autre militaire de Bururi, le major Pierre BUYOYA. Ce dernier quittera le pouvoir après les premières élections démocratiques du 1er juin 1993, élections qu’il a perdues face à Melchior NDADAYE, premier président démocratiquement élu et issu de l’ethnie hutu (les trois premiers présidents, à part qu’ils étaient ressortissants de la même province de Bururi, étaient tous de l’ethnie tutsi). Ce président dont le règne sera éphémère ne gouvernera que trois mois et sera assassiné le 21 octobre 1993, date qui correspond au déclenchement de la plus grave crise sociopolitique de l’histoire du Burundi et qui, selon les chiffres officiels, a fait plus de 300.000 morts toutes ethnies confondues. Le Major BUYOYA reprendra le pouvoir par un autre coup d’Etat militaire le 25 juillet 1996. C’est lui qui fut l’initiateur des négociations d’Arusha (en Tanzanie) avec les mouvements armés, négociations qui ont abouti en 2003, au Gouvernement de transition et aux élections de 2005. Celles-ci furent remportées par l’ancienne rébellion du CNDD-FDD devenu parti politique agréé.

La province de Bururi (qui englobe 75% du territoire du Bututsi) a donc eu trois présidents de la république natifs de son sol pendant plus de 30 ans. Pendant tout ce temps, un certain favoritisme a caractérisé ces dirigeants ce qui a fait que la plupart des cadres, la majorité des officiers de l’armée, les hauts responsables politico-administratifs comme les ministres, les directeurs généraux des ministères et des entreprises étatiques ou paraétatiques, les directeurs, les chefs de service jusqu’aux agents de l’administration étaient originaires de cette province. Il n’existe pas malheureusement de statistiques officiels pour le prouver mais jusqu’en août 2005, on reste convaincu que les ressortissants de la province Bururi en général et du Bututsi en particulier, étaient encore plus nombreux dans l’administration, dans l’armée par rapport aux autres provinces ou régions du pays. En 2008, une enquête pilotée par la Chambre Haute du Parlement burundais (le Sénat) a été effectuée dans les différents ministères. Un des objectifs de cette enquête était le classement des personnels de l’Etat par province d’origine et par ethnie. Nous avons cherché à obtenir les résultats de cette enquête mais en vain car ils n’ont jamais été publiés. Les statistiques disponibles et plus récentes (tableaux n°71, 72, 73, 264

74, 75 et 76) sur la répartition des écoles primaires et secondaires, le nombre de classes et d’enseignants, le ratio élèves/salle ou élèves/enseignant révèlent par contre que la région a, pendant trois décennies, été privilégiée dans le domaine scolaire par rapport au reste du pays.

L’on peut, tout de même, souligner que, dans une moindre mesure, les facteurs naturels et humains comme la pauvreté des sols qui est à l’origine de la faiblesse de la production, l’absence des cultures de rente génératrices de revenus monétaires, la précarité générale dans les campagnes, expliquent l’engouement de l’école chez les parents et les enfants de la région.

Tableau n°71: Nombre et capacité d’accueil par province des écoles primaires du Burundi en 2006 Province Nombre Nombre Nombre Nombre Ratios d’écoles de salles d’écoliers d’enseignants Ecoliers/salle Ecoliers/ enseignant Bubanza 80 578 46587 946 81 49 Bururi 330 2006 123735 4247 61 29 Cankuzo 72 550 35350 751 64 47 Cibitoke 126 797 68813 1363 87 50 Gitega 175 1447 131521 2226 91 58 Karuzi 91 672 75013 901 112 82 Kayanza 123 979 97159 1635 106 59 Kirundo 135 950 92101 1359 97 68 Makamba 152 939 74991 1506 80 50 Muramvya 82 616 64057 972 104 66 Muyinga 124 798 74160 889 92 83 Mwaro 85 602 59301 1408 99 42 Ngozi 139 1045 99756 1446 96 69 Rutana 115 585 51504 976 88 53 Ruyigi 119 791 64073 988 81 65 Total 1948 13355 1158121 21653 86 53 Source : Monographies des provinces du Burundi, 2006

265

Figure n°22: Ratio élèves/salle et élèves/enseignant

Source : Données du tableau n°71

On voit, à travers le tableau n°71 et de la figure n°22, que la province Bururi est la plus nantie en matière d’infrastructures scolaires : le plus grand nombre d’écoles et d’enseignants, ce qui donne le ratio écoliers/salle et écoliers/enseignant le plus bas du pays (61 écoliers/salle et 29 écoliers/enseignant contre 92 écoliers/salle et 83 écoliers/enseignant pour la province Muyinga).

Tableau n°72: Nombre et capacité d’accueil des écoles primaires en 2006 (communes du Bututsi) Ecoles primaires Commune Nbre Nbre Nbre d’élèves Nbre Ratios d’écoles de d’Ens. Tot. CC salles G F T Elèves Elèves/ /salle Ens. Bururi 55 41 354 9153 9267 18420 1242 52 14 Matana 17 17 145 4645 5434 10079 681 69 15 Rutovu 24 21 171 5951 5449 11400 217 66 52 Songa 27 24 163 5934 5619 11553 357 70 32 Vyanda 27 21 140 3479 3191 6760 209 48 32 Vugizo 22 17 136 4889 4430 9319 246 68 37 Ryansoro 14 10 85 3730 3970 7700 172 90 45 Total 186 151 1194 37781 37360 75231 3124 66,1 32,4 Source : Directions Provinciales de l’Enseignement de Bururi, Makamba et Gitega, 2006 CC : cycle complet Ens. : Enseignant G : garçons F : filles T : total

266

Tableau n°73: Population totale, population scolaire (écoles secondaires) et établissements par province en 1975 Province P.T (%) Etablissements Nombre % Nombre % d’élèves d’écoles Bubanza 6,56 2 3,05 313 3,10 Bujumbura 9,82 17 25,75 1617 15,89 Bururi 11,31 7 10,60 2396 23,54 Gitega 17,57 17 25,75 1335 13,12 Muramvya 11,61 6 9,10 2227 21,88 Muyinga 12,50 4 6,06 506 4,97 Ngozi 20,51 9 13,63 1069 10,50 Ruyigi 10,12 4 6,06 712 7 Total 100 66 100 10175 100 Source : Ministère de l’Education Nationale, Statistiques scolaires 1974-1975 P.T : population totale de la province (pourcentage par rapport à la population du pays).

N.B. En 1975, il y avait 8 provinces au Burundi et 79 communes. C’est la réorganisation administrative de 1982 qui a fait passer les provinces de 8 à 15. Récemment (en janvier 1999) une 16ème province est née (Mwaro) et aujourd’hui, la mairie de Bujumbura est considérée comme une province à part entière.

L’on voit déjà en 1975, à travers le tableau n°73, qu’avec 11,31% de la population totale du pays, la province de Bururi venait en troisième position quant au nombre d’écoles secondaires : 7 écoles contre 17 pour Bujumbura et 17 pour Gitega. Elle avait, par contre, le plus grand nombre d’élèves au niveau national : 2396 élèves soit 23,54% du total national. Ce sont ces élèves qui, plus tard, deviendront les élites du pays. Trois décennies plus tard, le nombre d’élèves et d’écoles a fortement augmenté comme on peut le voir dans les tableaux n°74 et n°75.

267

Tableau n°74: Nombre et capacité d’accueil par province des écoles secondaires du Burundi en 2006

Provinces Ecoles secondaires Nombre Nombre Nombre Nombre Ratios d’écoles de salles d’élèves d’enseignants Elèves/salle Elèves/ enseignant Bubanza 13 123 5184 227 43 23 Bururi 69 577 26564 948 46 28 Cankuzo 14 91 3531 106 44 35 Cibitoke 21 127 7982 215 63 38 Gitega 46 319 16534 718 52 23 Karuzi 17 93 5228 82 56 64 Kayanza 36 220 11500 341 53 34 Kirundo 24 152 7754 184 51 42 Makamba 27 184 9067 293 49 31 Muramvya 20 143 9263 281 65 32 Muyinga 20 135 5821 293 43 19 Mwaro 31 220 10935 492 50 22 Ngozi 31 223 9844 333 44 29 Rutana 17 105 6034 144 57 53 Ruyigi 20 147 5792 137 39 42 Total 406 2859 141033 4794 49 29 Source : Monographies des provinces du Burundi, 2006 Tableau n°75: Nombre et capacité d’accueil des écoles secondaires en 2006 (communes du Bututsi) Ecoles secondaires Nbre Nbre Nbre d’élèves Nbre Ratios d’écoles de d’Ens Tot. CC salles G F T Elèves/ Elèves/ salle Ens Bururi 14 6 122 3428 2902 6330 155 51 40 Matana 6 1 66 1999 1991 3990 123 60 32 Rutovu 6 2 54 1445 1073 2518 71 46 35 Songa 6 1 62 1585 1361 2946 76 47 39 Vyanda 3 1 22 501 526 1027 28 46 36 Vugizo 4 1 33 838 750 1588 51 48 31 Ryansoro 5 5 28 1012 694 1706 41 61 42 Total 44 17 387 10808 9297 20105 545 51,2 36,4 Source : Directions Provinciales de l’Enseignement de Bururi, Makamba et Gitega 2006 CC : cycle complet Ens. : Enseignant G : garçons F : filles T : total

L’on comprend donc, à travers les deux tableaux précédents, qu’au niveau des écoles secondaires, des salles de classe et du nombre d’élèves et d’enseignants, la province de Bururi 268 dont le Bututsi fait partie intégrante, a de loin les effectifs les plus élevés de tout le pays (elle vient en deuxième position après la mairie de Bujumbura). L’effectif des élèves des communes situées dans le Bututsi (les communes de Matana, Rutovu, Songa, Bururi, Vyanda, Vugizo et Ryansoro) s’élève à environ 20.000 (supérieur à celui de toute la province Gitega, province la plus peuplée du Burundi et deuxième du classement). Parmi ces élèves, certains fréquentent les écoles situées non loin de chez eux (collèges ou lycées communaux) et rentrent le soir, tandis que d’autres logent dans les écoles à régime d’internat (à peu près une dizaine d’écoles à régime d’internat avec un effectif moyen de 800 élèves/école existent dans le Bututsi)132. En plus, il importe de préciser qu’un autre nombre non moins important d’élèves ressortissant de la région vont étudier à Bujumbura ou dans d’autres provinces.

Tableau n°76: Fréquentation scolaire au secondaire en 2006 Taux par rapport à la population en âge scolaire (école secondaire) Ensemble du pays 12,3 Milieu Urbain 35,1 Rural 8,8 Province Bubanza 5,8 Bujumbura Mairie 37,7 Bujumbura Rural 12,5 Bururi 21,6 Cankuzo 9,4 Cibitoke 9,8 Gitega 11,9 Karuzi 2,2 Kayanza 10,0 Kirundo 3,8 Makamba 13,1 Muramvya 10,3 Muyinga 6,9 Mwaro 10,8 Ngozi 6,5 Rutana 10,1 Ruyigi 4,0 Source: Enquête QUIBB, 2006

132 Il s’agit de : Lycée Bururi, Lycée Kiremba, Petit Séminaire de Buta, Lycée Matana, Lycée Rubanga, Lycée Rutovu, Lycée Rumeza, Ecole Technique Secondaire de Kiryama, Ecole Paramédicale de Bururi, Ecole Technique des Infirmiers Vétérinaires de Mahwa) 269

Ce tableau montre qu’après la mairie de Bujumbura, la province de Bururi vient largement en tête en ce qui concerne la scolarisation au secondaire (21,6% contre une moyenne nationale de 12,3%). Cela est expliqué par le nombre plus élevé d’écoles primaires et le fort taux de réussite au Concours National133 qui donne accès à l’école secondaire.

Compte tenu de toutes ces statistiques, le Bututsi a, comparativement à la plupart d’autres régions, une population plus nombreuse avec un niveau d’instruction qui lui permet de travailler en dehors du secteur agricole, donc à l’extérieur de l’exploitation des parents. Le mouvement d’exode rural a le plus touché les individus ayant un certain niveau d’éducation, une catégorie d’un rang « supérieur » c’est-à-dire celle des diplômés. Cela a, bien entendu, un impact significatif sur l’emploi et les revenus dans les familles rurales. Certaines exploitations accusent, par ce fait, un manque criant de main-d’œuvre interne car, le plus souvent, quand les exploitants sont vieux, inactifs ou après leur mort, elles manquent quelqu’un pour prendre la relève.

Le rapport scolarisation et exploitations sans relève

Les parents ont envoyé leurs enfants à l’école ; certains ont mieux réussi par rapport à d’autres et se sont installés ailleurs (en ville) de façon durable (à Bujumbura, Gitega, Rumonge, etc.). Or, la réussite à l’école est synonyme de réussite à la vie. On peut même dire que l’école a, depuis quelques décennies, constitué une sorte de solution au problème de chômage et de morcellement de terres dû à la succession par héritage de père en fils. Un phénomène nouveau, diamétralement opposé à l’évolution des exploitations du Burundi en général et du Bututsi en particulier s’observe de plus en plus dans le Bututsi. Il s’agit des exploitations qui manquent de relève après la mort des parents, les enfants étant partis en ville et ayant embrassé d’autres carrières. L’on pourrait même dire que ce sont les conséquences , à long terme, de la scolarisation des enfants sur la succession à l’exploitation.

D’un côté, on a des exploitations du Bututsi qui ont des densités comparables à celles des régions surpeuplées. Le plus souvent, les familles qui manquent de terres à cultiver sont celles

133 Ce test de sélection est organisé chaque année à travers tout le pays à l’endroit des écoliers de la sixième année primaire. Ceux qui ont obtenu la meilleure note sont généralement affectés dans les écoles publiques à cycle complet (les lycées) et à système d’internat, les seconds sont orientés dans les collèges ou lycées communaux. Dans ce concours, sauf exception, la province de Bururi vient toujours en deuxième position (après la mairie de Bujumbura) au niveau des réussites. 270 qui n’ont pas d’enfants ayant réussi à l’école car les enfants qui réussissent abandonnent les exploitations de leurs parents pour s’installer en ville. D’un autre côté, on a un phénomène inverse et nouveau et dont l’ampleur se fait de plus en plus remarquer : celui des exploitations qui évoluent vers la fermeture, l’abandon et qui peuvent même devenir fantômes. Il n’est donc pas rare actuellement de voir une famille du Bututsi qui est totalement absente sur l’exploitation après la mort des parents. L’encadré ci-dessus en est une illustration.

KAGABO était un vieux qui habitait la partie centrale du Bututsi et mort en 2004 à l’âge de 78 ans. Sa femme était décédée 3 ans avant. Ils avaient eu ensemble 6 enfants dont 3 garçons et 3 filles. Les trois garçons ont tous fait des études universitaires (le premier est mort laissant deux garçons à Bujumbura, le second est un cadre du ministère de l’agriculture et de l’élevage et vit à Bujumbura, le troisième a fait ses études universitaires en Europe et s’y est installé définitivement). Toutes les trois filles sont mariées (la première n’a pas fait d’études et s’est mariée à quelques 10 km de chez elle, la seconde s’est mariée avec un rwandais et habite donc au Rwanda, la dernière habite Bujumbura). Il ne reste donc plus personne sur l’exploitation après la mort des parents. Mais ce qui est un peu étonnant, c’est que l’exploitation de KAGABO continue encore de fonctionner (mais de façon très artificielle). Comme tous les autres burundais, les héritiers, même étant absents, n’entendent pas céder leur terre à quelqu’un d’autre même de la famille très proche. C’est ainsi qu’ils ont confié la gestion de l’exploitation à deux ouvriers salariés non pas pour rendre l’exploitation plus rentable et plus productive mais pour éviter qu’elle ne devienne fantôme, ce qui, aux yeux de l’entourage, serait une honte.

Les cas similaires à celui de KAGABO sont multiples dans la région et ne cessent de croître. D’après nos estimations, il y aurait sur chaque colline de recensement134 au moins 5 exploitations qui, après la mort du papa et de la maman, n’ont pas eu de relève. Selon toujours nos enquêtes, 14% des habitants de Bujumbura interrogées et natifs du Bututsi nous ont affirmé qu’il ne reste plus personne sur l’exploitation sauf un ouvrier salarié (ou deux) chargé de son entretien ; 16% ont encore un ou les deux parents, souvent vieux et inactifs qui vivent au dépens de leurs enfants qui sont en ville.

134 Une commune du Bututsi compte en moyenne une vingtaine de collines de recensement ou « secteurs ». 271

Les exploitations où il ne reste aucun membre de la famille sur place peuvent être classées en deux catégories. Soit les parents sont morts un peu tôt à cause de la pandémie du SIDA ou d’une autre maladie et, leurs enfants, étant encore mineurs, sont prises en charge par la famille proche (oncles, tantes, cousins). D’après une étude réalisée par l’association CECOS sur les orphelins et autres enfants vulnérables en janvier 2005, il y avait, dans les communes du Bututsi, environ 23480 enfants vulnérables et parmi ceux-là à peu près 55% étaient des orphelins du SIDA. La deuxième catégorie est constituée d’exploitations fantômes ou entretenues par un ouvrier qui perçoit un salaire suite au phénomène de scolarisation. Nous avons déjà souligné que les ressortissants de Bururi ont été au pouvoir pendant plus de trois décennies, ce qui a eu des impacts sur la scolarisation, la taille actuelle des exploitations agricoles, la création de l’emploi comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous.

Tableau n°77: Rapport exploitations sans relève/scolarisation/emplois Ménages Année de Age à la Taille de Nombre Nombre Nombre décès du mort du l’exploitation d’enfants d’enfants d’ouvriers dernier dernier (en ha) encore en résidant qui parent parent vie en ville (1) entretiennent l’exploitation KAGABO 2004 78 3,5 4 4 2 NIYONGABO 2009 83 7 7 4 2 NTAHOBARI 1988 76 2 5 3 0 NIMBONA 1976 54 5 1 1 0 NZUNOGERA 1995 57 4 6 6 1 NIMENYA 1996 66 4,5 3 2 1 MBONIHANKUYE 2008 68 15 4 3 1 NIBONA 1988 47 1,5 5 5 1 NYAWAKIRA 2009 74 2,6 4 3 1 NTUNGWANAYO 1987 90 4,3 3 2 1 WAKANA 2002 56 4 8 8 2 BAPFUTWABO 2006 82 6 5 5 3 RIBAKARE 1986 75 3,5 2 2 1 BANUMA 2005 76 4 5 1 1 NDUWAYO 2006 66 7 9 6 3 NYABENDA 2001 72 4,3 6 6 1 NGURUBE 2000 70 5,2 3 2 1 SINAMENYE 1999 64 8 7 7 1 RUKAKA 2006 70 5 12 12 2 KANA 2009 73 5,5 4 4 2 Source : Enquêtes, 2009 (1) Ces enfants qui résident en ville ont pour la plupart un certain niveau d’études (un diplôme), ceux qui ne travaillent sont soit des étudiants ou élèves, soit à la recherche d’un emploi. 272

Pour obtenir ces chiffres, nous avons pris un échantillon de 20 exploitations qui n’ont pas eu de relève après la mort du dernier parent. Cela veut dire que les héritiers qui devaient prendre cette relève habitent maintenant en ville. Ces exploitations sont, pour la plupart, entretenues par une main-d’œuvre agricole extérieure et rémunérée et quelques unes sont devenues fantômes. Quelques fois, le nombre d’enfants vivant en ville est impressionnant (jusqu’à 12 enfants). Le premier constat est que ces exploitations sont largement plus grandes (une moyenne de 5 ha) par rapport à la taille moyenne de l’exploitation agricole de la région qui est de 2 ha. Cela s’explique par le simple fait qu’elles sont restées intactes et n’ont donc pas fait l’objet d’un quelconque partage entre fils. L’autre constat est que ces exploitations procurent du travail dans la mesure où la majorité d’entre elles continuent, tant bien que mal, à fonctionner. En effet, ces successeurs qui ne sont pas des paysans mais qui héritent de la terre et du bétail n’abandonnent pas cet héritage. C’est pour cela qu’ils confient la gestion de l’exploitation à des personnes étrangères qui perçoivent une contrepartie (de l’argent ou parfois, un morceau de terre prêtée par le patron). Dans notre échantillon, 2 exploitations seulement sur 20, soit 10%, ne sont pas entretenues et sont devenues fantômes (voir photo n°28). Les héritiers ne sont pas pourtant morts et n’ont pas totalement abandonnés ces exploitations. Un d’entre eux nous a, par ailleurs, signifié qu’il est en conflit ouvert avec certaines personnes de sa famille proche qui veulent s’approprier une partie de sa terre (déplacement de bornes). Lors d’une conversation, un ressortissant de la région installé en Europe depuis plus de trente ans (pour celui-ci, la probabilité de rentrer et de se réinstaller sur sa terre natale est nulle) nous a dit qu’il est bouleversé par des conflits fonciers qui l’opposent à des membres de sa famille (oncles et cousins), les parents étant tous morts.

273

Photo n° 26: Un paysage très humanisé

Photo n° 27: Un espace presque vide 274

Photo n° 28: Une exploitation devenue fantôme

On voit sur la photo n°28 des arbres hauts un peu alignés qui constituaient l’ancien enclos. Ils cachent à l’intérieur une maison en matériaux durable, elle aussi abandonnée et en état de délabrement. La partie qui suit directement l’enclos devait, comme c’est pareil partout dans la région, porter des cultures comme la bananeraie.

Quel serait l’avenir des exploitations sans relève ?

Le fort attachement à la terre pour le paysan du Bututsi est une pure réalité. Le citadin est moins attaché mais il ne rompt jamais les relations avec sa colline natale et n’accepte pas, sauf en cas de force majeure, que l’exploitation dans laquelle il est né et a grandi soit abandonnée ou concédée à quelqu’un d’autre, même de sa famille proche. Cela veut dire qu’après la mort du dernier parent, l’exploitation continue à fonctionner (sous la garde d’un domestique) mais de façon artificielle (ou en apparence) car sans un quelconque appui extérieur, elle est vouée à la disparition. Ici la terre n’est pas exploitée dans le sens de la rendre rentable, productive et d’en tirer des revenus qui permettront la reproduction. La plupart des citadins continuent à exploiter la terre de leurs parents pour éviter qu’elle ne devienne fantôme. Le constat général est que ces citadins dépensent plus qu’ils ne gagnent de leurs exploitations (payer un ouvrier qui entretient la terre et probablement un autre qui garde les vaches, acheter la nourriture de ces ouvriers en plus de ce qu’ils récoltent, etc.) comme le montre tableau suivant :

275

Tableau n°78: Rapport dépenses pour l’entretien de l’exploitation/revenus tirés Ménages Montant d’argent Vivres reçus Valeur envoyé par an (en approximative des Fbu) vivres (en Fbu)

KAGABO 700.000 200 kg de PDT 45.000 6 régimes de banane NIYONGABO 620.000 4 régimes de banane 12.000 NTAHOBARI 240.000 0 0 NIMBONA 100.000 0 0 NZUNOGERA 300.000 0 0 NIMENYA 500.000 100kg de haricot 74.000 8 régimes de banane MBONIHANKUYE 550.000 150 kg de haricot 105.000 100 kg de maïs NIBONA 300.000 0 0 NYAWAKIRA 450.000 150 kg de haricot 75.000 NTUNGWANAYO 560.000 300 kg de PDT 45000 WAKANA 600.000 0 0 BAPFUTWABO 1.000.000 250 kg de PDT 85.000 150 kg de maïs RIBAKARE 300.000 200 kg de PDT 30.000 BANUMA 400.000 300 kg de PDT 45.000 NDUWAYO 900.000 150 kg de haricot 156.000 150 kg de maïs 12 régimes de banane NYABENDA 400.000 0 0 NGURUBE 500.000 100 kg de haricot 80.000 100 kg de maïs SINAMENYE 580.000 200 kg de PDT 75.000 150 kg de maïs RUKAKA 700.000 200 kg de maïs 96.000 12 régimes de banane KANA 660.000 100 kg de maïs 30.000 Moyenne 546.000 47.250 Source : Enquêtes, 2009

276

Figure n°23: Rapport dépenses/revenus

Source : Données du tableau n°78

Aujourd’hui, pour mettre en valeur les exploitations de façon durable, les plus malins commencent à les reboiser135. Bien que ce reboisement des exploitations nécessite un certain investissement de la part des héritiers absents, il a l’avantage d’exiger moins de suivi et de générer plus tard des revenus (vente du bois).

En définitive, les exploitations fermées ou celles en voie de l’être deviennent de plus en plus nombreuses dans la région et le phénomène ne semble pas reculer dans un proche avenir. Ce qui est certain, elles finiront à long terme par être totalement abandonnées dans la mesure où l’enfant de l’immigrant citadin a une autre mentalité et sera moins intéressé (par rapport à son père) par les histoires de terres sur lesquelles il n’a pas vécu et grandi.

4.1.5 Le Bututsi, terre d’accueil?

Les personnes âgées avec qui nous nous sommes entretenus nous ont raconté que la région du Bututsi n’est pas la terre de leurs arrières grands-parents. Certains parmi eux disent que leurs ancêtres seraient venus des régions orientales (le Buyogoma), du Kirimiro ou du Mugamba. D’autres, moins nombreux par rapport aux précédents, sont originaires de Muramvya (centre)

135 Avec la pression démographique forte et surtout avec le retour des réfugiés que le gouvernement doit installer, certains commencent à avoir peur que leurs terres ne leur soient retirées et cherchent à les mettre en valeur en les reboisant. 277 ancienne capitale du pays sous l’ancien régime monarchique. Les derniers immigrants seraient arrivés au début des années 1950. Les raisons de leur installation dans le Bututsi sont diverses : la recherche des pâturages pour les troupeaux, la promotion sociale (le roi du Burundi pouvait confier aux hommes, surtout de sa lignée, l’administration d’un territoire proche ou lointain et ces derniers s’y installaient définitivement) etc. En plus, les individus qui n’étaient pas en bons termes avec le roi ou les chefs, les récalcitrants, les personnes victimes d’injustice, etc. pouvaient se voir infliger des sanctions pouvant aller même jusqu’à la dépossession (kunyaga) et à l’exil ou à l’expulsion (kwangaza). C’est ainsi que les condamnés se réfugiaient loin de la cour pour commencer une nouvelle vie dans un autre entourage et certains choisissaient le Bututsi comme refuge.

Aujourd’hui, le Bututsi n’est pas, à proprement parler, une terre d’accueil des immigrants. Pourtant, comme nous l’avons déjà évoqué, le Bututsi n’est pas une région très densément peuplée à l’instar d’autres régions comme le Kirimiro, Buyenzi, Mirwa, etc. Des espaces libres sont encore visibles dans le paysage. Mais une spéculation foncière poussée à outrance fait qu’il n’y a presque plus de terres à distribuer car certaines personnes s’en sont appropriées souvent avec la complicité des responsables administratifs. L’objet de cette spéculation est que le Bututsi a, en effet, une particularité par le simple fait que c’est la première région d’élevage du Burundi. Le caractère extensif de cet élevage exige des zones de pâturages plus ou moins vastes, raison pour laquelle les gens cherchent à acquérir d’importants domaines. D’après les données du IVème Plan Quinquennal de Développement Economique et Social (PQDES) de 1982, la superficie moyenne de l’exploitation occupée par les pâturages était de 68,7% dans le Bututsi contre 17,7% dans le Bugesera, 32,8% dans le Buyenzi, 21,7% dans Bweru et 42,6% dans le Kirimiro. MANIRAKIZA R. (2007) souligne cette particularité du Bututsi quand il écrit : « Malgré la législation sur les terres pour ceux qui ont encore de grandes propriétés, l’exploitation respecte le modèle traditionnel où on avait des parties mises en valeur ainsi d’autres en friche servant de ressources en bois de chauffage, en pâturage privé, etc. L’exemple nous est fourni par la région du Bututsi. Dans le paysage, on voit des espaces vides mais, les statistiques sur la disponibilité des terres montrent le contraire ».

Toutefois, le Bututsi accueille sur son territoire, depuis des décennies, un effectif non moins important de jeunes ouvriers venant du Kirimiro voisin à la recherche du travail. Très récemment (à partir de 2000), un nouveau contingent d’ouvriers originaires des régions du 278 nord (Buyenzi, Bweru, c’est-à-dire les provinces de Kayanza, Ngozi, Muyinga et Karuzi) et des régions orientales (Buyogoma c’est-à-dire les provinces Ruyigi et Rutana) a afflué massivement dans la région et leurs effectifs ne cessent de gonfler. Le tableau suivant ainsi que la carte n°13 montre l’origine et l’ampleur de ce mouvement flux d’ouvriers vers le Bututsi.

Tableau n°79: Origine de la main-d’œuvre agricole allochtone au Bututsi Région d’origine Effectifs %

Mirwa (province Bujumbura-Rural et Bubanza) 3 6,5

Kirimiro (province Gitega et Mwaro) 20 43,4

Buyenzi (province Ngozi et Kayanza) 9 19,5

Bweru (province Karuzi et Muyinga) 12 26

Buyogoma (province Rutana et Ruyigi) 2 4,3 Total 46 100 Source : Enquêtes 2009

Cet échantillon de 46 ouvriers a été choisi dans cinq communes situées dans la région du Bututsi. Il s’agit d’une jeunesse à grande majorité masculine (95%) et célibataire (71,7%) d’une moyenne d’âge qui oscille autour de 22 ans, chassée par la dégradation des conditions d’existence dans leurs régions natales. Le surpeuplement des régions du nord (Buyenzi) ainsi que la paupérisation d’autres régions, pourtant, moins densément peuplées (Bweru, Buyogoma) sont à l’origine de cet afflux. D’après les estimations données par les responsables administratifs (administrateurs communaux ou leurs conseillers), il y aurait, dans la région, autour de 6000 travailleurs (ouvriers, manœuvres, domestiques, maçons, etc.) originaires de ces régions ci-haut mentionnées. A la question de savoir s’il est facile de trouver un emploi dans la région d’accueil, 91% des personnes interrogées nous ont affirmé qu’ils n’ont éprouvé aucune difficulté, qu’ils ont été embauchés aussitôt arrivés. Cela prouve que la région, en général, dispose d’un certain pouvoir d’achat qui lui permet d’engager cette main-d’œuvre allochtone136 et que ces régions dont cette main-d’œuvre est originaire constituent, pour le Bututsi, un réservoir important d’ouvriers.

136 La demande forte en main-d’œuvre extérieure à la région prouve que la main-d’œuvre autochtone est déficitaire. 279

Légende Carte n° 15: Immigration ouvrière dans le Bututsi 2609

1565

1174

391

261 280

Toujours d’après nos enquêtes, la grande majorité des personnes interviewées affirment que, par rapport à la situation qu’ils vivaient chez eux, ils n’ont pas à se lamenter outre mesure, les conditions de vie se sont, dans l’ensemble, améliorées. Une bonne partie d’entre eux (76%), qu’ils soient célibataires ou mariés, envoient une partie de leur salaire à leur famille (à peu près la moitié de ce qu’ils gagnent mensuellement). Ceux qui viennent des régions surpeuplées aimeraient s’installer de façon définitive, chose difficile car les terres à offrir sont en voie d’épuisement. La question d’octroi des terres s’est caractérisée dans le passé par beaucoup d’irrégularités, de telle sorte qu’aujourd’hui, seul le gouverneur de province a ce droit avec un plafond qu’il ne doit pas dépasser (4ha). L’on comprend donc que ces ouvriers ont moins de chances de se voir octroyer une terre pour s’installer durablement dans le Bututsi. Quant au temps qu’ils viennent de passer dans la région, la moyenne est de 5 ans. Ils font des va-et-vient entre leurs régions d’origine et le Bututsi.

En conclusion, les mobilités à caractère économique sont une des stratégies que les paysans adoptent afin de chercher les moyens pouvant compléter les revenus de l’exploitation familiale. En effet, les ressources disponibles dans la région ou même dans les ménages du Bututsi sont largement limitées pour satisfaire la demande et ainsi assurer la reproduction des ménages. Nous avons montré que le recours aux activités non agricoles (commerce, artisanat, salariat) qui impliquent aussi une certaine mobilité, est une façon, pour le paysan, de diversifier les sources de revenus afin de survivre. Dans la même perspective de diversification des ressources, le paysan du Bututsi peut aller chercher ailleurs, loin de sa famille, de quoi la faire vivre. Cela vient donc renforcer la capacité de reproduction des ménages.

4.2 Le rôle de la ville dans la vie des ménages du Bututsi

Nous avons vu que le système paysan du Bututsi évolue dans un contexte particulièrement difficile. La surexploitation des sols, leur acidité conjuguée à leur toxicité aluminique dans un système où les fertilisants (engrais organiques et chimiques) ne sont pas à la portée de tout le monde, accélèrent leur vieillissement et donc leur pauvreté. Pour sortir de cette impasse et ainsi permettre au système de se reproduire, les paysans adoptent d’autres stratégies en cherchant des revenus à l’extérieur de l’exploitation. Le chapitre III traite des activités extra- agricoles (commerce, artisanat, salariat, etc.) qui génèrent des revenus supplémentaires aux revenus agricoles ou agropastorales. Ces activités non agricoles peuvent s’exercer sur place à 281 travers des mobilités circulatoires entre l’exploitation et le nouveau lieu de travail. Ce dernier peut être proche (mouvement pendulaire) ou éloigné du domicile (mouvement saisonnier ou temporaire).

Nous allons enfin voir, dans ce chapitre, qu’à côté des activités internes à l’exploitation et de la pluriactivité rurale, la ville est un acteur majeur, un élément incontournable dans le fonctionnement et la reproduction du système paysan du Bututsi. De façon globale, la ville participe au développement socio-économique de la campagne. Les instances de décision, le siège du gouvernement et des ministères, la plupart des directions et directions générales, les représentations d’organismes internationaux, les organisations non gouvernementales (ONG) etc., y ont leurs sièges. Les associations de natifs jouent aussi un rôle non moins important dans l’encadrement social, économique, sécuritaire, …de la population rurale. Ce sont souvent ces associations qui négocient des financements chez les bailleurs de fonds en vue de mettre en place des infrastructures économiques et sociales (écoles, établissements sanitaires, marchés, adduction d’eau potable, électrification, bureau postal, etc.) ou de la réhabilitation de celles qui existent déjà. A côté de ces actes qui concernent l’ensemble de la population, chaque citadin ayant un emploi, donc un revenu, a la charge d’entretenir sa famille laissée au village en lui envoyant de façon régulière (chaque mois) de l’argent ou les autres biens pour combler le déficit de la production agricole et pastorale et donc lui permettre de survivre. Il faut aussi souligner le fait que certains citadins qui le peuvent font des investissements dans leur région d’origine et ces investissements profitent, d’une façon ou d’une autre, aux habitants de la région. La région du Bututsi à son tour n’est pas totalement un parasite se contentant, sans contrepartie, de profiter des bienfaits de la ville. Il est vrai que la région reçoit de la ville plus qu’elle ne lui donne mais on ne peut pas non plus parler d’échanges à sens unique. Certains produits de la région, marchands ou non (produits agropastorales, charbon de bois) alimentent le marché urbain ou la demande urbaine.

4.2.1 Approche globale sur les solidarités ville/campagne

De par leurs activités et leur organisation, la ville et la campagne sont deux espaces géographiques bien différents. Il existe cependant entre elles des relations réciproques qui se font à travers des mouvements, des mobilités spatiales. Ce sont ces relations qui se tissent à travers les déplacements dans les deux sens entre les deux ensembles qui construisent l’espace géographique. L’interaction spatiale constitue l’objet d’étude de la géographie et le trait 282 d’union entre deux espaces géographiques en est l’homme. « La géographie traite des relations triangulaires, complexes, qui se nouent entre les individus, les groupes auxquels ils se rallient et l’espace concret, milieux dans lesquels ils vivent. La géographie sociale s’attache plus spécifiquement aux liens interpersonnels et à leurs spatialisation diverses, qu’il s’agisse de la production d’espaces socio-économiques, supports aussi bien que produits des relations interpersonnelles »137. Le mouvement des hommes entre deux ou plusieurs lieux (pour le cas présent, entre la ville et la campagne) constitue la mobilité spatiale qui « se réfère en géographie à la pratique des échanges et des déplacements qu’effectuent les individus » (PUMAIN D. et SAINT-JULIEN T., 2001). La mobilité des personnes et des biens ainsi que l’intensité au niveau des interactions entre les deux ensembles géographiques ont considérablement augmenté partout dans le monde grâce au développement des moyens de transport et des voies de communication.

Longtemps considérés comme deux espaces de vie diamétralement opposés (même par les scientifiques), villes et campagnes ont, bien au contraire entretenu d’importantes relations. « Campagne et ville sont vues le plus souvent comme des mondes séparés, voire hostiles… les solidarités villes/campagnes sont ignorées, voire niées, y compris dans les œuvres documentaires »138.

Certains chercheurs ont fait une description du phénomène de la relation ville/campagne en partant du postulat que la campagne approvisionne la ville, cette dernière n’étant qu’un simple parasite. Ils parlent de citadins consommateurs face aux paysans producteurs. Or, on sait qu’actuellement l’agriculture africaine (et celle du Burundi en particulier) connaît des problèmes sérieux au niveau de sa productivité. Le titre d’un ouvrage de Maxime HAUBERT est en même temps une question : « Les paysans peuvent-ils nourrir le Tiers-Monde ? » COQUERY-VIDROVITCH, C. (1996) et al. dans leur ouvrage « Interdépendances villes/campagnes en Afrique » ont presque la même inquiétude : « les campagnes africaines nourrissent-elles encore les villes ? ».

D’autres chercheurs ont, tout de même, souligné l’importance de la ville dans le développement des zones rurales en mentionnant toutefois la domination de la ville sur son

137 DI MEO Guy, Géographie sociale et territoires, Paris, Nathan, 1998 138 COQUERY-VIDROVITCH C., Interdépendances villes/campagnes en Afrique. Mobilité des hommes, circulation des biens et diffusion des modèles depuis les indépendances, Paris, L’Harmattan, 1996 283 arrière-pays. Il est bien évident qu’une grande partie de produits alimentaires consommés en ville sont d’origine rurale (la grande majorité des citadins ne s’occupant que des activités non agricoles) mais à l’état actuel des choses, on ne peut plus s’en tenir aux visions trop simplistes de ceux qui parlent encore de flux à sens unique. La ville participe d’une façon plus active au développement et au bien-être de la campagne (développement de l’agriculture, élevage, mise en place des infrastructures économiques et sociales, encadrement, etc.). Selon CHALEARD J.L et DUBRESSON A., « les organisations internationales estiment que les villes fournissent aujourd’hui au moins 60% du PIB du sud et des économistes ont mis en valeur l’importance, dans certains pays, de la redistribution monétaire publique ou privée des villes vers les campagnes »139. « Cette redistribution est d’autant plus marquée que, contrairement aux discours dominants, les nettes ruptures entre citadins et ruraux sont assez rares : les migrants de première génération entretiennent toujours des rapports avec leurs villages d’origine, servent de relais aux migrants des générations ultérieures, et des mobilités circulatoires caractérisent des pays », ajoutent-ils. Dans certains cas, les citadins viennent en aide à leurs familles restées à la campagne, souvent devenues incapables de produire. « C’est ainsi qu’en Côte d’Ivoire, depuis la chute des cours du cacao et du café, les planteurs ne s’étant guère reconvertis vers le vivrier marchand, ce sont les membres de la famille vivant à Abidjan, fonctionnaires, enseignants, membres du tertiaire urbain, qui se cotisent, chaque fois que cela va mal c’est-à-dire souvent pour aider leurs parents restés à la campagne » (COQUERY- VIDROVITCH, C., 1996). « Ce sont les salariés pour la plupart citadins qui décident de construire une maison dans leur village d’origine. Ce sont les citadins qui reçoivent les jeunes ruraux, leurs neveux et nièces en quête d’école ou d’apprentissage », poursuit-elle. Une situation similaire est observée dans le Bututsi où chaque ménage en ville a, en plus de ses charges familiales, d’autres charges (la famille restée à la colline d’origine). Une bonne partie des familles de la région se maintiennent sur la colline, assurent la continuité du système grâce à l’argent et aux autres biens que les membres de la famille vivant en ville, envoient de façon régulière.

L’on peut donc conclure en disant que les deux ensembles (ville et campagne), au lieu d’être antagonistes, sont plutôt complémentaires, entretiennent des relations de moins en moins inégalitaires et de plus en plus réciproques.

139 CHALEARD, Jean-Louis ; DUBRESSON, Alain, Villes et campagnes dans les pays du sud. Géographie des relations, Paris, Karthala, 1999 284

4.2.2 La mobilité des hommes et les échanges entre ville et campagne

4.2.2.1 Le Bututsi approvisionne la ville en produits agricoles et en énergie

Malgré une production agricole qui reste dans l’ensemble déficitaire, le Burundi n’est pas un grand importateur de produits alimentaires. La plupart des denrées alimentaires proposées au Marché Central de Bujumbura (considéré comme le plus grand marché du pays) et dans les autres marchés de l’intérieur du pays sont produits localement (céréales, légumineuses, tubercules, fruits et légumes, plantes oléagineuses, etc.). Les régions du Burundi n’ayant pas les mêmes caractéristiques climatiques et pédologiques, chacune est spécialisée dans la fourniture de tel ou tel produit. L’on sait par exemple que l’essentiel du riz consommé dans le pays est produit dans la plaine de la Rusizi surtout dans le périmètre irrigué de la SRDI (Société Régionale de Développement de l’Imbo) et dans quelques vallées larges et marécageuses des plateaux centraux (Nyakijima, Nyamuswaga, Ndurumu, etc.). Le manioc transformé souvent en farine avant sa consommation est essentiellement produit dans les régions basses comme l’Imbo, le Buragane et la Kumoso. Presque la quasi-totalité de l’huile de palme est produit dans deux communes toutes situées dans la partie sud de la plaine de l’Imbo (Rumonge et Nyanza-Lac). La pomme de terre est, en grande partie, cultivée dans le Mugamba et le Bututsi et enfin, le haricot et le maïs, la patate douce un peu partout dans le pays, les légumes dans les régions de la crête Congo-Nil, etc. La SOSUMO (Société Sucrière du Moso) installée à Gihofi au sud-Est du pays, a la capacité de produire du sucre pouvant satisfaire toute la demande nationale (une moyenne de 25.000 tonnes/an).

La région qui fait l’objet de notre étude, n’est pas un grenier du pays, loin de là. Le caractère improductif des sols condamne la région à une perpétuelle dépendance alimentaire vis-à-vis des régions voisines. Mais, cela ne veut pas dire que l’on est en présence d’une région où rien ne pousse ; des efforts ont été entrepris par les pouvoirs publics par l’intermédiaire des projets de développement agricole et ont abouti à une augmentation, si petite soit-elle, de la production. L’introduction ainsi que la vulgarisation de la culture de la pomme de terre par exemple, l’usage d’engrais chimiques (chez les paysans capables de s’en procurer), la diffusion de semences sélectionnées, etc. ont beaucoup contribué à éradiquer les famines ou à atténuer l’ampleur des disettes pendant les périodes de soudure.

285

Les commerçants de la région avec qui nous nous sommes entretenus ne donnent pas de précisions sur les produits vivriers offerts à la ville car le Bututsi n’est pas la seule région où ils achètent les marchandises qu’ils revendent. Les services de la mairie qui perçoivent les taxes sur tous les véhicules de transport de marchandises n’enregistrent pas la provenance de ces véhicules. Il en est de même pour le Ministère de l’Environnement qui perçoit la taxe sur les produits forestiers (bois, charbon de bois, planches) mais qui n’enregistre nulle part l’origine de ces produits. Selon nos estimations, il y a en moyenne 2 camionnettes (trois tonnes chacune) chargés de produits vivriers qui arrivent à Bujumbura chaque jour en provenance de la région. Un petit nombre d’agriculteurs « modèles » se spécialisent dans certaines cultures (surtout la pomme de terre) et c’est Bujumbura qui constitue le principal marché d’écoulement. D’après nos enquêtes (2009), il y a au moins, dans chaque commune du Bututsi, 7 agriculteurs modèles, chacun exploitant en moyenne 6 à 7 hectares. Certaines associations d’agriculteurs (producteurs de pomme de terre) soutenues par des bailleurs (projets, confessions religieuses, ONG) commencent à se multiplier et leurs produits alimentent le marché urbain.

La région du Bututsi avec son voisin le Mugamba, restent, par contre, les principaux fournisseurs de charbon de bois à la ville de Bujumbura (principale consommatrice de ce combustible). Toutes les agglomérations urbaines du Burundi utilisent comme source d’énergie le charbon de bois pour cuire les aliments ; l’électricité étant produite en très petite quantité, coûtant cher et le gaz (sous forme de bombonne de butane) restant une denrée rare et chère. La quantité de charbon de bois qui alimente Bujumbura chaque jour via la RN7 est très importante: en moyenne 10 camions140 par jour chacun pouvant transporter 5 tonnes (100 sacs de 50 kg). A peu près le 1/3 de cette quantité de charbon provient de la région de Bututsi (Matana, Mahwa, Songa, Rutovu, Bururi).

140 D’après les données fournies par le service des recettes de la mairie de Bujumbura. 286

Photo n° 29: Approvisionnement de la ville de Bujumbura en charbon de bois

Des sacs de charbon sont entassés le long des routes et même un automobiliste non commerçant qui a une camionnette pouvant contenir ces sacs (ils sont un peu longs) peut s’en procurer (la région étant une zone de production, le charbon coûte moins cher par rapport à Bujumbura). Ce combustible a, en général, un impact positif sur l’ensemble de l’économie rurale. Le premier à en tirer profit reste bien entendu le propriétaire des boisements qui, par la vente du bois, parvient à avoir un revenu qui l’aide à subvenir aux besoins de la famille. Il importe aussi de souligner que la filière bois procure du travail à un nombre relativement important de paysans du Bututsi (charbonniers, menuisiers, commerçants, etc.). La commune perçoit aussi une taxe (qui varie en fonction de la quantité) sur tous les véhicules qui font le chargement du bois et d’autres produits forestiers sur son territoire. En 2007, les communes Songa, Matana et Rutovu ont perçu respectivement 3.566.308 Fbu, 2.144.000 Fbu et 1.081.800 Fbu de taxes sur le chargement du charbon de bois et autres produits forestiers.

D’autres produits vivriers sont envoyés par les familles rurales à leurs parentés résidant en ville (les produits vivriers sous forme de dons). Un habitant de la région qui va en ville pour rendre des visites (aux enfants, frères et sœurs, cousins, etc.) doit s’affairer pour avoir quelques produits alimentaires à offrir. Ces derniers sont essentiellement constitués de la banane, de la pomme de terre, quelques fois du maïs ou du haricot et de la volaille dans une moindre mesure. Nous avons pris un échantillon de 50 citadins qui avaient tous une famille à la colline natale et qu’ils soutiennent de façon régulière. On leur demandait ce que les parents (ou autre parenté restée au village) apportent lors des visites et les résultats sont contenus dans le tableau ci-dessous. 287

Tableau n°80: Produits apportés par les familles rurales aux citadins lors des visites Produits Ménages urbains bénéficiaires (en%) Produits vivriers 96 Volaille 38 Beurre 8 Argent 0 Autres 0 Source : Enquêtes personnelles, 2008

Figure n°24 : Produits apportés par les familles rurales aux citadins

Source : Réalisé à partir du tableau n°80

Tableau 81: Les produits vivriers reçus par les citadins de leurs familles Produits vivriers Nombre de familles qui reçoivent ces produits (en %) Pomme de terre 76 Maïs 60 Haricot 58 Régime de banane 92 Bière de banane 54 Autres (1) 16 Source : Enquêtes personnelles, juillet 2008 (1) Manioc, patate douce, avocats, blé, sorgho, petit pois, légumes 288

Figure n°25 : Nature du vivrier apporté (en %)

Source : Données du tableau n°81

Photo n° 30: Passagères qui attendent l’autocar pour aller à Bujumbura (les sacs contiennent des produits vivriers qu’elles amènent à leurs parentés résidant en ville). 289

4.2.2.2 La part de la ville dans l’économie du Bututsi

En contrepartie, la ville offre à la campagne un encadrement administratif, social et culturel sans ignorer une gamme bien diversifiée de produits manufacturés. « En outre, les ruraux ne sont pas seulement des producteurs mais aussi des consommateurs dont la demande stipule certaines activités urbaines » (CHALEARD J.L. et DUBRESSON A., 1999). Comme chez les ruraux, la fréquence et la durée de séjour au village par les citadins dépendent des motivations de chacun mais il est à signaler qu’elles restent inférieures à celles des ruraux en ville (la ville est plus attractive que la campagne).

Tableau n°82: Fréquence des visites des citadins chez les parents Nombre de visites/an Effectif Pourcentage Entre 1 et 5 31 62 Entre 6 et 10 10 20 Entre 11 et 15 6 12 Plus de 15 3 6 Total 50 100 Source : Enquêtes 2008

Le premier groupe, le plus important (62%), a la fréquence la plus basse c’est-à-dire comprise entre 1 et 5 visites par an. De nombreux citadins vont donc rarement chez eux soit parce que leurs moyens sont très limités, soit pour d’autres raisons. Le deuxième groupe (20%) est constitué par des citadins qui ont des revenus « moyens » ou « faibles » mais qui ont beaucoup de responsabilités à la colline d’origine (une femme et les enfants). La fréquence est assez grande chez les individus qui ont fait des investissements ainsi que chez les citadins les plus aisés (3ème et 4ème groupe) disposant de moyens matériels (véhicules) et financiers et qui ont donc un niveau économico-sociale « supérieur » . « Le lien avec le village est comme un signe de réussite en ville et les plus présents sont les plus aisés »141. Certains citadins qui ont fait des investissements plus ou moins lourds y vont tous les week-ends sauf en cas d’empêchement majeur.

141 DUBRESSON Alain et RAISON Jean-Pierre, L’Afrique subsaharienne, une géographie du changement, Paris, Armand Colin, 2003 290

Les motivations d’ordre social (100% des citadins interrogées) sont ici souvent les plus invoquées comme chez les ruraux : visiter les parents en week-end ou pendant les congés, venir à l’occasion des célébrations familiales (mariage, fête au village, funérailles, levée de deuil, …), règlement des conflits en particulier ceux liés au foncier. La fréquence des visites à caractère social est le plus souvent élevée pendant la période de saison sèche (de juin à septembre) surtout pour les cérémonies de levée de deuil définitive.

Tableau n°83: Les principales motivations des visites des citadins Nombre de Effectif Motivation Motivation sociale

visites par an économique

Mariage Levée de deuil Simple visite Règlement d’un conflit Funérailles Entre 1 et 5 31 5 8 30 18 5 19 Entre 6 et 10 10 6 2 10 7 2 6 Entre 11 et 15 6 6 1 6 5 3 4 Plus de 15 3 3 0 3 3 1 3 Total 50 20 11 49 33 11 32 Source : Enquêtes 2008

Tous apportent de l’argent, des produits urbains tels que le pain, le riz, les produits cosmétiques et beaucoup d’autres produits manufacturés. Même quand ils ne partent pas à la colline natale, ils envoient régulièrement de l’argent et autres biens dont les familles ont besoin. Des raisons à caractère économique (40% des enquêtés) poussent également les citadins à partir chez eux. Cette mobilité concerne alors les gens dont on vient de parler qui ont un certain investissement au village d’origine ou au centre le plus proche (agriculture, élevage et autres activités lucratives) et la catégorie de mi-citadins mi-ruraux (qui travaillent en ville mais qui ont leurs femmes et enfants à la campagne).

™ Les citadins font des investissements dans leur région d’origine

Nous avons déjà souligné que, comme partout ailleurs dans les pays en développement, il est rare de voir des citadins qui ont totalement rompu les relations avec l’arrière-pays. Des relations à caractère socio-économique caractérisent toujours le Bututsi et ses ressortissants 291 qui résident en ville. Les citadins ayant plus de moyens investissent à la campagne: construction de logements qui sont en général plus confortables, élevage du grand ou du petit bétail, activités agricoles, et, plus récemment, la construction d’infrastructures hôtelières.

Environ 34%142 des natifs du Bututsi résidant à Bujumbura ont un investissement (petit ou grand) dans leur région d’origine (agriculture et élevage, commerce, services). Il faut cependant préciser que dans ce chiffre (qui paraît grand), on a inclus les citadins qui travaillent en ville et qui ont la femme et les enfants à la campagne. A part ces gens qui ont un pied en ville et en autre à la campagne, d’autres citadins investissent aussi dans le secteur agro-pastoral. La pomme de terre est la culture qui fait le plus souvent objet de spéculation car plus rentable. D’autres avouent qu’ils possèdent quelques têtes de bétail produisant du lait et qu’ils peuvent vendre quand ils sont dans le besoin. Le propriétaire d’une pâtisserie à Bujumbura nous a affirmé que le lait, les œufs et quelques fois le fromage qu’il vend viennent d’un fournisseur du Bututsi mais qui a sa famille dans la capitale. Un ressortissant de la région qui a investi dans l’agriculture sur l’exploitation de ses parents nous a avoué que chaque année, il peut récolter en moyenne 10 tonnes de pomme de terre. Un apiculteur de Vyanda (un colonel à la retraite) exporte du miel produit dans son exploitation, un agriculteur de Matana s’est spécialisé dans la production de la banane, un autre de Matana récolte chaque année plusieurs tonnes de fruits (avocats, oranges, citrons, maracouja, ananas).

Depuis une dizaine d’années, les citadins commencent à faire des investissements plus ou moins lourds et durables en construisant des hôtels, restaurants, des gîtes, etc. dans les centres les plus proches de leurs collines d’origine. L’on a vu ces derniers jours les centres de Matana, Bururi, Rutovu, etc. dotés d’infrastructures d’accueil pouvant héberger et offrir à manger aux voyageurs. Comme le montre le tableau suivant, une trentaine d’établissements hôteliers ont été ouverts dans le Bututsi et la plupart de ces derniers appartiennent aux citadins natifs de la région.

142 Selon nos enquêtes 292

Tableau n°84: Infrastructures hôtelières et redynamisation des centres ruraux (mars 2009)

Lieu Hôtels bars-restaurants, gîtes Capacité d’accueil Emplois Résidence (nombre de créés principale du chambres) propriétaire

1. PHOENICIA Bururi 24 20 Bujumbura

2. CITY IN 13 7 Bujumbura

3. BERVEDERE 12 5 Bururi

4. BUKEYENEZA 12 3 Bururi

5. UMUBANO 14 4 Bururi

6. AUBERGE MONSEIGNEUR BERNARD BUDUDIRA 15 10 Bururi

7. GITE DE BURURI 4 1 Bujumbura

8. MASHUHA 15 4 Bujumbura

9. CAREL 5 1 Bujumbura

10. CHEZ LES PROTESTANTS 8 5 Bururi

1. HOTEL SAINT-BERNARD Buta 15 6 Buta

2. CENTRE PASTORAL 66 10 Buta

1. CHEZ MUSHIZE Kiremba 8 20 Kiremba

2. MAISON JAUNE 5 1 Kiremba

1. OÙ BE BEN Matana 10 10 Bujumbura

2. MOTEL MATANA I 6 4 Matana

3. MOTEL MATANA II 6 3 Bujumbura 293

4. SANTA JULIA LODGE 12 5 Bujumbura

5. CHEZ LUCIEN (en chantier) - - Bujumbura

6. CHEZ NDAYIRAGIJE (en chantier) - - Bujumbura

1. MOTEL AU COIN DE LA Rutovu PYRAMIDE 8 10 Bujumbura

2. MOTEL COLOMBUS 10 4 Bujumbura

3. CHEZ LEONCE 6 3 Bujumbura

4. GITE MUZENGA 12 2 Bujumbura

1. HOTEL RUMEZA Songa 10 5 Rumeza

2. HOTEL VYISINUBUSA 8 3 Bujumbura

3. HOTEL MORO 6 2 Bujumbura

4. GITE KIRYAMA 8 1 Bujumbura

1. HOTEL RWEZUMUTIMA Vyanda 8 2 Bujumbura

TOTAL 29 328 151

Source : Enquêtes 2009

294

Figure n°26 : Résidence principale des propriétaires (en %)

Le tableau n°84 est une illustration des équipements hôteliers qui, pour la plupart, ont été construits dans le Bututsi depuis l’année 2000 : 29 établissements hôteliers, 328 chambres et 151 emplois créés. Sur les 29 établissements, 18 (soit 62%) ont des propriétaires qui ont la résidence principale à Bujumbura. Les autres propriétaires de ces établissements (38%) ne sont pas non plus des ruraux (ou des paysans). Ce sont des commerçants, des confessions religieuses (église catholique et protestante), qui résident (ou ont leurs sièges) dans ces petits centres où ils ont construit ces infrastructures.

Photo n° 31: exemple d’une infrastructure hôtelière à Matana 295

Quelques citadins ont également construit leur propre maison soit sur la colline natale, soit au centre le plus proche (13%). Il importe de souligner ici que, même la maison des parents (en matériaux semi-durables c’est-à-dire en briques adobes ou rarement cuites et le toit en tôles ou en tuiles) a, le plus souvent été construite sous les financements des enfants résidant en ville. Par ailleurs, plus 80% d’ « habitats améliorés» de la région ont été édifiés avec un financement extérieur à l’exploitation familiale et le plus souvent en provenance de la ville.

Photo n° 32: Une belle villa en pleine campagne (Matana), signe de réussite en ville

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Photo n° 33: Aspect général de l’habitat (Rutovu)

Pierre est un homme d’affaire de Bujumbura natif de la commune Songa. Il a des biens immobiliers en ville qui lui rapportent des revenus mais il n’a pas oublié d’investir dans sa région natale. Avec son petit frère, lui aussi citadin, ils ont pu construire un logement plus ou moins décent à leurs parents (en briques adobes, toit en tôles, avec du ciment, etc.). Il s’est, lui aussi, fait construire sa villa sur la même colline. Il se rend régulièrement à la colline d’origine (au moins une fois par mois) où il a investi dans l’agri-élevage (champs de pomme de terre, 8 vaches de race moderne produisant beaucoup plus de fumier et de lait par rapport à la race traditionnelle). Dans ses projets à venir, il a l’ambition de construire un hôtel au centre le plus proche de chez lui. Il compte aussi faire un commerce dans la région, commerce qui va surtout s’intéresser aux produits qu’on ne trouve pas assez facilement dans la région (ciment, tôles, pharmacies, hydrocarbures, etc.), en imitant l’exemple d’autres natifs (Matana, Bururi et Rutovu).

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™ Les envois d’argent par les citadins aux familles rurales

La ville participe de façon très active à financer la campagne et ainsi à la reproduction des familles rurales. Pour le cas présent, les citadins natifs du Bututsi avouent qu’ils apportent tous un appui financier et matériel qui aide leurs familles respectives à vivre (ou à survivre). « Afin de venir en aide à leurs familles ou à leurs parents restés sur les hauts plateaux, ils transfèrent une part non négligeable de leur salaire dans la région » (NDAYISHIMIYE J.P, 1980). Pour l’enquête que nous avons effectuée à Bujumbura, nous avons pris un échantillon de 50 personnes natifs du Bututsi constitué d’individus de différentes catégories socioprofessionnelles : fonctionnaires, militaires, commerçants, cadres, employés de maison, ouvriers, plantons, etc. Ce que toutes ces personnes ont en commun, c’est qu’elles ont toutes un revenu régulier et qu’elles viennent en aide, régulièrement, à leurs familles restées à la campagne(voir tableaux n°85 et n°86)

Tableau n°85: Argent envoyé par les citadins aux familles rurales (en Fbu)/mois Montant envoyé par Effectif Pourcentage chacun ≤ 20.000 32 64 Entre 21.000 et 40.000 14 28 Plus de 40.000 4 8 Total 50 100 Source : Enquêtes 2008

En plus, 66% de ces personnes affirment qu’ils ne sont pas les seuls à envoyer de l’argent à leurs familles, c’est-à-dire qu’ils ont des frères (sœurs) qui les y aident. Trois familles rurales sur 50, soit 6% reçoivent chaque mois un peu plus de 100.000 Fbu, soit l’équivalent d’un salaire d’un cadre moyen de la fonction publique. Tableau n°86: Argent reçu par chaque ménage ayant un (des) enfant (s) en ville/mois Montant reçu par chaque Effectif Pourcentage ménage (en Fbu) ≤ 30.000 24 48 Entre 31.000 et 60.000 18 36 Entre 61.000 et 90.000 5 10 Plus de 90.000 3 6 Total 50 100 Source : Enquêtes 2008 298

Jean est un chef d’une PME, il a 52 ans, originaire de la commune Bururi et résidant à Bujumbura. Il est marié et père de 4 enfants. La taille totale de son ménage s’élève à 11 personnes (lui, sa femme, 4 enfants, un cuisinier, un veilleur et une bonne, sa nièce ainsi que la nièce de son épouse). En plus de cette famille nombreuse qu’il a la charge d’entretenir, il a aussi le devoir d’aider sa maman qui reste seule sur l’exploitation, son père étant mort et tous ses frères et sœurs s’étant mariés en dehors de l’exploitation de ses parents (deux de ses sœurs sont des paysannes et se sont mariées dans la même région tandis que sa troisième sœur et ses deux frères habitent à Bujumbura). L’exploitation des parents est donc restée intacte car les héritiers habitent en ville. Tous les 4 (ceux qui sont en ville) envoient, de façon régulière (c’est-à-dire chaque mois), une somme d’argent d’environ 25.000Fbu (soit 100.000Fbu). C’est cet argent qui permet le fonctionnement de l’exploitation et sa reproduction.

Il importe de préciser ici que ce ne sont pas tous les ménages du Bututsi qui ont quelqu’un de la famille en ville. Ainsi, toujours d’après nos enquêtes rurales (2007), 42 ménages de la région sur 100 bénéficient d’un apport d’argent en provenance de la ville et chacun de ces ménages recevrait chaque mois un montant de 20.000 Fbu. Si cette moyenne était rapportée à tout l’échantillon (100 ménages), chaque ménage aurait 8500 Fbu par mois. En essayant de comparer les chiffres donnés par les citadins et ceux fournis par les familles rurales bénéficiaires de l’aide, on se rend compte que ces données sont un peu contrastées. En effet, il n’est pas aisé de demander à un paysan de la région la quantité exacte de la récolte qu’il a eu la saison précédente ou toute question en rapport avec ses revenus. Dans sa mentalité, il a toujours tendance à sous-estimer ses biens (guca umwano en langue locale), ce qu’il gagne ou, des fois, il ne répond pas, considérant l’interlocuteur comme un espion. « Interrogés sur les sommes qu’ils encaissent (provenant de leur propre salaire ou envoyé par les membres de la famille salariés), les paysans répugnent à déclarer toute information quantifiable relative à ce sujet. D’ailleurs, une question de ce genre est généralement considérée comme une impolitesse grave » (NDAYISHIMIYE J.P, 1980, p.). Voici comment Henri MENDRAS critique la société paysanne française au début des années 1960 : « Questionner les paysans passe pour une tâche malaisée. Chacun sait qu’ils ne disent jamais ni oui ni non, qu’ils se plaignent quoi qu’il arrive et qu’ils cachent soigneusement leur vie et leur sentiment à tout étranger». Cette comparaison aurait été plus facile si les ménages urbains interrogés correspondaient exactement à ceux interrogés dans le Bututsi qui avaient quelqu’un en ville qui leur venait en aide (cela n’a pas été possible). De toutes les façons, les chiffres fournis par 299 les citadins, originaires du Bututsi nous ont semblé les plus vraisemblables.

A la question de savoir si les exploitations de leurs parents peuvent fonctionner indépendamment de l’aide extérieure, la grande majorité des citadins interrogés (92%) ont répondu négativement. Voici quelques réponses qu’ils ont données : les sols sont pauvres, la production agricole est très faible pour subvenir à tous les besoins, problèmes de ressources, les parents sont vieux, problème de main-d’œuvre, problème de rentabilité (ou de rendement), manque d’encadrement, mauvaise gestion, mauvaise planification, mauvaise organisation, manque de fertilisants, exploitations agricoles de petites dimensions, problèmes de ressources humaines, etc. La synthèse de toutes ces réponses est contenue dans le tableau suivant:

Tableau n°87: Les causes de la dépendance des exploitations vis-à-vis de l’extérieur (selon les avis de 50 citadins interrogés) Causes Effectif Pourcentage Sols pauvres 36 72 Insuffisance de fertilisants 19 38 Parents vieux 9 18 Insuffisance de la main- 22 44 d’œuvre familiale Problème de rendement 7 14 Problème d’encadrement 8 16 Exiguïté des exploitations 5 10 Source : Enquêtes, 2008

Toutes ces difficultés énoncées par la grande majorité des citadins originaires de la région entravent le développement d’une région rurale par excellence qui a comme principale activité, l’agriculture et l’élevage. C’est ainsi qu’une famille ne bénéficiant ni d’argent en provenance de la ville, ni d’autres sources de revenus monétaires extérieurs à l’exploitation, est contrainte de vivre dans la précarité la plus absolue.

A quoi sert l’argent envoyé par la ville ?

D’après les informations recueillies auprès des citadins de Bujumbura originaires du Bututsi, l’argent qu’ils envoient à la fin de chaque mois contribue, de façon très significative, au fonctionnement du système paysan. Les multiples usages de ces flux d’argent sont résumés dans le tableau suivant :

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Tableau n°88: Les usages de l’argent envoyé par les citadins à leurs familles Usages Effectif Pourcentage Achats de suppléments de 34 68 vivres Soins de santé 28 56 Frais scolaires 16 32 Paiement de la main-d’œuvre 45 90 agricole Achats de semences, engrais 33 66 et autres produits phytosanitaires Achat de l’équipement de la 9 18 maison (ustensiles de cuisines, mobilier) Aliments pour le bétail et 17 34 produits vétérinaires Dépenses en rapport avec le 46 92 social (mariage, levée de deuil et autres célébrations familiales) Construction et entretien de 44 88 la maison ou de l’enclos Source : Enquêtes 2008

Cette liste n’est pas exhaustive. Bref, l’argent de la ville est indispensable au fonctionnement du système paysan de la région du Bututsi car il sert à couvrir presque toutes les dépenses des familles rurales. Très souvent, les citadins apportent, en plus de l’argent, une assistance matérielle (en nature) à leurs parents : vêtements, médicaments, aliments de bétail, produits alimentaires comme le riz, équipement de la maison, etc. En plus, une grande partie des ménages urbains (78%) hébergent des élèves, étudiants ou chômeurs de la famille proche (frères ou sœurs, cousins, neveux, etc.) qui sont totalement à leur charge.

GAKOBWA est une veuve âgée de 70 ans. Elle a eu 4 enfants (deux garçons et deux filles) qui sont tous mariés et qui habitent en ville. Avec une exploitation de trois hectares et un troupeau de bovins (12 têtes), elle parvient à produire une quantité relativement importante de vivres (maïs, haricot, banane, patate douce, pomme de terre). Comme elle n’a plus assez de force pour cultiver, elle est aidée dans cette tâche par une main-d’œuvre permanente salariée (2 unités) et quelques fois, une main-d’œuvre occasionnelle en fonction des saisons. Une bonne partie de la récolte est autoconsommée (60%) par elle et les ouvriers, une autre fraction envoyée aux citadins et amis (à peu près 25%) tandis le reste servira de semences pour la 301 prochaine saison. Elle ne vend jamais sur le marché ses récoltes sauf la bière de banane qui lui procure quelques revenus monétaires (12.000 Fbu/mois). Avec ce revenu, elle n’arrive pas à couvrir ses dépenses mensuelles. L’essentiel des dépenses est donc assuré par l’argent envoyé par ses enfants résidant en ville (en moyenne 70.000Fbu/mois). « Avec l’argent de mes enfants, je paie la main-d’œuvre, j’achète les fourrages pour les bêtes, le complément alimentaire parce qu’il y a des cultures que je ne produis pas sur mon exploitation sans oublier le sel, l’huile, l’énergie pour l’éclairage nocturne, je paie aussi les frais en rapport avec le social (guterera), etc. », nous a-t-elle indiqué. En plus de cet argent envoyé sous forme liquide, ce sont les mêmes enfants qui lui achètent les vêtements, l’équipement de la maison (mobilier, ustensiles de cuisine), qui lui paient tous les frais relatifs aux soins de santé, les aliments du bétail comme le tourteau, les produits vétérinaires, etc. Ce sont en plus les mêmes enfants qui lui ont construit la maison dans laquelle elle vit (toit en tôles et murs en pierres), qui l’entretiennent avec l’enclos et l’étable qui sert d’abri pour le bétail.

Pierre-Claver est un jeune cadre célibataire de 34 ans, natif de Ryansoro. Il est l’aîné d’une famille nombreuse de 9 enfants. Son papa décédé il y a une dizaine d’années était un ancien militaire ; sa maman est morte 5 ans après143. Deux de ses petits frères ont eu leurs diplômes mais ils sont au chômage, donc sous sa charge en ville. Cinq autres sont encore sur le banc de l’école. Il a un petit frère militaire, dans la catégorie des « hommes de troupes » (les moins gradés). Sur l’exploitation de ses parents, il n’y a qu’un ouvrier travaillant en permanence (travaux champêtres, garde des vaches, etc.) et deux élèves qui rentrent le soir (les trois autres étudient dans des endroits un peu éloignés et ne rentrent qu’en période de vacances). Avec son petit frère militaire, ils ont la charge de supporter toute la famille et de faire fonctionner l’exploitation laissée par les parents. Il doit donc envoyer, tous les mois, de l’argent à la maison pour couvrir toutes les dépenses nécessaires au fonctionnement de l’unité familiale (main-d’œuvre, la nourriture, les frais scolaires, etc.). Dans de telles conditions, Pierre-Claver éprouve d’énormes difficultés à joindre les deux bouts ; il ne peut même pas se marier dans la mesure où il n’arrive pas à s’équiper en vue de préparer son mariage. C’est donc grâce à lui que l’exploitation de ses parents continue, tant bien que mal, à fonctionner et à se reproduire.

143 La pandémie du SIDA restant un sujet tabou chez la plupart des burundais surtout les paysans, très peu de gens peuvent oser affirmer qu’un des leurs en a été victime. Pour ce cas, la cause du décès des parents de Pierre- Claver serait vraisemblablement le SIDA (selon les dires des voisins). 302

L’on comprend donc que l’appui de la ville est indispensable à la reproduction des exploitations de la campagne du Bututsi. Il est vrai que toutes les familles n’ont pas un de leurs membres en ville, mais l’argent envoyé profite indirectement à beaucoup d’autres individus ou d’autres ménages. Une famille qui a un ou plusieurs de ses membres en ville reçoit, en plus des revenus que peut procurer son exploitation, de l’argent et beaucoup d’autres biens. Avec ce pouvoir d’achat, elle peut créer du travail en embauchant quelques ouvriers pour le travail des champs, acheter ce dont elle a besoin à la boutique ou au marché le plus proche (elle devient un acteur économique), soutenir les autres dans les moments durs (levée de deuil, enterrement, etc.) ou même dans des circonstances heureuses, etc.

™ Les citadins créateurs d’emploi à la campagne

Les citadins, à travers les activités lucratives qu’ils entreprennent dans leurs villages d’origine, contribuent, de façon significative, à créer l’emploi pour une population se trouvant dans le besoin et incapable de s’autosuffire avec l’exploitation de la terre. Les infrastructures hôtelières de la région (tableau n°84) par exemple ont été à l’origine de la création de quelques centaines d’emplois (151 postes). L’association « Horizons Ouverts » dont le responsable est un ancien homme politique, produit des plants agro-forestiers qu’elle distribue ensuite à la population dans les communes Matana, Vyanda et Rutovu. Elle contribue par ce fait, à la création d’emplois (autour de 100 ouvriers). Un agriculteur modèle de la commune Songa (mais ayant la résidence principale en ville) produisant principalement de la pomme de terre a déclaré qu’il embauche chaque année une vingtaine de travailleurs temporaires (pendant les périodes d’intenses activités culturales) et trois ouvriers permanents. Nous avons vu que la main-d’œuvre peut être locale ou d’origine extérieure à la région. La région se caractérisant par un important déficit de main-d’œuvre d’origine locale, elle fait recours à de jeunes travailleurs en provenance d’autres régions (voir carte n°15, p.279), surtout les régions à fortes densités de populations. Selon l’enquête réalisée en mairie de Bujumbura, 90% des citadins originaires du Bututsi affirment que le paiement de la main-d’œuvre est l’un des grands usages de l’argent qu’ils envoient à leurs familles respectives tandis que le nombre moyen d’ouvriers permanents chez ces familles qui ont un des leurs en ville est estimé à 1,42 303 ouvriers/ménage144. En plus, sur le montant total des rémunérations de toute la main-d’œuvre, environ 79% proviennent de la ville.

™ L’action des associations de natifs résidant en ville

Dans chaque commune du Bututsi, il existe une association pour le développement socio- économique dans. Ces communes accusent des retards (chacune à son degré) de développement sur plusieurs plans. Certaines d’entre-elles disposent pourtant d’un certain nombre de ressources qui, si elles étaient exploitées de façon efficiente, pourraient contribuer à l’accroissement du niveau de vie de la population. C’est ainsi que plusieurs personnes (constituées essentiellement de citadins), conscientes des contraintes qui handicapent le développement de leurs communes, se sont convenues de mener ensemble une réflexion sur les voies et moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour apporter un soutien aux populations rurales. Les citadins sont donc, en plus d’autres actions qu’ils mènent en faveur de la campagne, les promoteurs du développement de la campagne car ils se sont organisés, vers la fin des années 1980, en associations en vue de contribuer au développement socio- économique de leurs communes ou de leurs provinces respectives. « Le développement de la commune est une affaire qui concerne ses habitants et ses ressortissants où qu’ils se trouvent »145.

D’après leurs statuts, les associations de natifs ont comme objectif fondamental l’amélioration des conditions de vie des populations de leurs milieux d’origine respectifs. Au départ, ces associations visaient surtout le développement économique : promotion des infrastructures économiques, sociales et culturelles, assister la commune dans la recherche des financements nécessaires pour la réalisation de ses projets, assister techniquement l’administration communale, sensibiliser et mobiliser la population pour son auto-développement etc. tels étaient les grands traits communs à ses associations. A partir de 1993, année correspondant au début de la guerre politico-ethnique qui a endeuillé le pays pendant plus d’une décennie, on a intégré, dans les objectifs, des points en rapport avec la paix, la sécurité : «Contribuer au renforcement de l’Unité Nationale, au maintien de la paix et de la sécurité dans la commune », « cultiver l’esprit de solidarité et d’entraide mutuelle », etc.

144 Certaines exploitations qui manquent de main-d’œuvre interne peuvent aller jusqu’à 4 ouvriers permanents mais cela n’est possible que quand il s’agit d’une famille qui bénéficie d’une somme d’argent relativement importante envoyé par la ville 145 Termes de référence pour l’élaboration d’un plan global de développement de la commune Rutovu 304

Sur le plan économique et social, l’on peut dire que ces associations de citadins contribuent au développement des campagnes en finançant ou en négociant les financements des travaux de développement. Les domaines prioritaires financés sont la construction d’infrastructures scolaires, sanitaires, adduction d’eau, d’électricité, mise en place d’infrastructures de communication etc. le champ d’intervention couvre un domaine un peu vaste. Les organismes chargés de l’exécution de ces programmes comme le PTPCE (Projet de Travaux Publics et de Création d’Emplois) exigent une certaine participation (un pourcentage) de la part de la population bénéficiaire. C’est ainsi que par exemple en 2006, les ressortissants de la commune de Rutovu ont cotisé 12.000.000 Fbu (environ 8000€ à l’époque) pour la réalisation de trois adductions d’eau potables. On peut par exemple lire, dans un rapport d’activités d’une des associations de natifs, ce qui suit : « L’association a négocié et obtenu un financement de 33 millions de Fbu pour la réhabilitation d’un collège communal, la construction de deux blocs sanitaires et la réhabilitation d’une école primaire », « L’association a négocié et obtenu auprès du PREBU (Programme pour la Réhabilitation du Burundi), un projet de l’Union Européenne, la construction d’un marché, d’une école, la réfection d’un centre de santé, une adduction d’eau potable à trois endroits ». Bref, même si ces organisations manquent de moyens pour promouvoir le développement de leurs communes respectives, elles participent dans la négociation et la recherche des financements pour la mise en place des infrastructures économiques et sociales.

Actuellement, avec l’appui du Projet GUTWARA NEZA (Bonne Gouvernance) financé par l’Union Européenne dans le cadre de la décentralisation, des Plans Communaux de Développement Communautaire (PCDC) ont été réalisés dans les communes du Bututsi et chaque fois, les représentants des associations de natifs y étaient conviés. On fait d’abord un diagnostic participatif bien détaillé des problèmes dans tous les secteurs socio-économiques. On élabore ensuite ce plan qui doit contenir des propositions de solutions appropriées aux différents problèmes diagnostiqués par la population elle-même. Le plan final présenté est approuvé quand il répond parfaitement aux attentes de la population. Il est ensuite soumis aux bailleurs pour financement.

Il est vrai que ces associations de natifs sont des acteurs du développement dans leurs communes ou provinces d’origine L’on peut se demander, toutefois, le degré d’attachement de ces responsables à leurs entités administratives dont ils sont originaires A un certain 305 moment (pendant la période de crise) jusqu’avant août 2005146, ces présidents d’associations de natifs avaient beaucoup de pouvoirs, beaucoup d’influences et n’étaient pas vues d’un bon œil par les responsables administratifs. Le plus souvent, les présidents des associations étaient parmi les gens qui occupaient les hautes sphères de la politique du pays (ministres, directeurs généraux, directeurs généraux des entreprises paraétatiques, hommes d’affaires, etc.). Ils étaient souvent consultés quand il s’agissait de nommer les administrateurs communaux ainsi que les gouverneurs de province. De par leur influence dans l’appareil étatique, ils avaient également la force de limoger des administratifs qui ne se comportaient pas comme ils l’entendaient. Théoriquement, ces responsables d’associations se battent, se sacrifient pour l’intérêt général, pour le bien-être de la population, mais, en réalité, l’intérêt individuel prime sur l’intérêt collectif. Ces gens cherchent plutôt à accroître leur pouvoir dans leur région d’origine, ils cherchent la puissance, la notoriété, la popularité et, pourquoi pas, des voies au moment des élections. Cela veut dire qu’à un moment donné, ces associations leur servent de tremplin pour la conquête du pouvoir.

En conclusion, nous venons de voir que la région du Bututsi entretient des rapports avec la ville dans plusieurs secteurs mais ces rapports se caractérisent en général par une certaine dissymétrie : c’est-à-dire que la campagne reçoit beaucoup plus de la ville qu’elle ne lui donne. La grande majorité des citadins interrogés avouent que le rapport entre ce qu’ils offrent à leurs parents et ce qu’ils reçoivent de ces derniers est très inégalitaire. L’appui moral et surtout matériel et financier que les citadins donnent aux habitants du Bututsi contribue, de façon substantielle, à faire vivre les familles, à faire face aux multiples dépenses et autres obligations et ainsi à permettre la reproduction du groupe.

146 Août 2005 : mise en place d’un gouvernement issu des élections démocratiques. Les administrateurs communaux et les responsables de l’administration locale à la base ne sont plus nommés mais élus par la population. 306

CONCLUSION GÉNÉRALE

Ce travail est une contribution à l’étude socio-économique des sociétés rurales d’Afrique tropicale en général et de la région du Bututsi en particulier. Il a fondé ses orientations sur l’organisation, le fonctionnement, la gestion des unités de production ainsi que les revenus extérieurs aux exploitations qui constituent un appoint aux revenus de l’agriculture et qui permettent la reproduction du groupe. L’économie rurale se trouve confrontée à de multiples défis : un système de production agricole défaillant, un marché d’emplois non agricoles incertain, bref une paupérisation généralisée des campagnes.

Le déséquilibre entre population et ressources alimentaires est une réalité sur les collines du Bututsi. La croissance démographique galopante qui aboutit à l’étroitesse des exploitations jusqu’à leur atomisation chez certains exploitants est à l’origine de ce déséquilibre et engendre souvent des conflits fonciers. Ces derniers ont également pour cause la spéculation foncière qui atteint dans la région son paroxysme. Dans les conditions actuelles et quelle que soit sa taille, l’exploitation familiale n’est pas en mesure de produire des vivres pouvant nourrir la famille et générer des revenus servant à couvrir toutes les dépenses des ménages. La production agricole globale de la région du Bututsi s’est donc avérée insuffisante ne fût-ce que pour l’autoconsommation des membres de la famille. Cela veut dire qu’elle n’arrive pas à produire assez de calories, de protides, de lipides et de glucides indispensables à l’alimentation de la population. Cela oblige les ménages de la région à importer les vivres pour combler ce vide. Les régions limitrophes du Bututsi sont plus productives du point de vue agricole et constituent pour ce fait des grands centres d’approvisionnement en vivres.

La contrainte majeure à l’augmentation de la production agricole est l’incapacité manifeste de produire au-delà de la subsistance. La pauvreté des sols consécutive à leur acidité ainsi qu’à une toxicité aluminique élevée, la rareté des ressources, l’absence d’encadrement et de crédit agricole, bref, un système de production agricole déficient, sont autant de facteurs qui sont à l’origine de cette précarité. En plus, dans une région à tradition pastorale où l’activité agricole est fortement associée à l’élevage, la préservation des pâturages et l’absence des jachères condamnent la terre à une utilisation sans repos qui aboutit à son appauvrissement. Les pratiques culturales sont toujours de type traditionnel tandis que les outils aratoires utilisés jusqu’aujourd’hui n’ont pas véritablement changé depuis plusieurs siècles. 307

Les efforts de modernisation de l’agriculture par l’Etat burundais ou à travers les projets de développement rural n’ont pas eu des impacts significatifs car ils n’ont pas contribué à une augmentation notable de la production agricole et des revenus des paysans. Leur première faiblesse, dans la plupart des cas, est de n’avoir pas pu engendrer le développement. Le paysan qui était supposé être le premier bénéficiaire des bienfaits des projets n’a jamais été associé que ce soit au niveau de la conception ou de l’exécution des programmes. Il a, par ailleurs, été constaté que le plus souvent, les logiques des projets ne correspondaient pas aux attentes des paysans. Certains auteurs (MICHAÏLOF S., BUISJROGGE P., DECOUDRAS P.M., etc.) qui ont fait une évaluation de l’impact des projets ont constaté qu’on a voulu appliquer pêle-mêle les méthodes agricoles conçues en Occident et ont conclu que les concepteurs voulaient développer l’agriculture sans les agriculteurs. Ils ignoraient que, quel que soit l’environnement agro-écologique ou socio-économique, l’objectif prioritaire permanent chez les paysans se situe avant tout au niveau de la reproduction du groupe. BUIJSROGGE P. (1989) compare le comportement des paysans à l’égard de ces projets de développement à des hérissons : « On pourrait comparer les communautés villageoises à des hérissons qui, se sentant attaqués, se sont mis en boule, faisant le mort. Les politiques autoritaires gouvernementales pour faire bouger ces communautés « en boule », ressemble au bâton que l’on utilise pour faire bouger un hérisson replié sur lui-même en état d’auto- défense. Le véritable défi du développement rural est d’amener les communautés à marcher de leurs propres forces, à libérer leur énergie ». Bref, les causes des échecs de ces projets sont à chercher chez ceux-là même qui les avaient conçus. Il convient de souligner toutefois que dans le Bututsi, quelques projets ont eu des impacts positifs visibles sur le plan agricole et environnemental même si au niveau global, la production agricole ainsi que les revenus ne se sont pas améliorés.

En plus des sommes d’argent que le paysan doit débourser en vue d’acheter des suppléments de vivres, il doit aussi faire face aux multiples dépenses. Avec les revenus générés par l’exploitation de la terre et la pratique de l’élevage, force est de constater que ces revenus n’arrivent même pas à couvrir la moitié des dépenses. La recherche d’autres sources de revenus souvent extérieurs à l’exploitation devient une nécessité, voire un impératif pour la survie des ménages ruraux. Les activités non agricoles telles le commerce, l’artisanat, le salariat et autres services ne sont pas très développées du fait de la faiblesse des investissements et des revenus qui en sont issus mais elles représentent un intérêt majeur chez les individus qui les pratiquent. Les mobilités liées à la recherche du travail vers les régions 308 rurales voisines de basse altitude étaient plus fréquentes dans les vingt dernières années mais connaissent aujourd’hui une régression notable suite à des raisons sécuritaires et à une attractivité de moins en moins constante dans ces zones rurales d’accueil.

Le milieu urbain offre plus d’opportunités non pas en offrant plus d’emplois aux ruraux mais en apportant une aide constituée d’argent liquide et autres biens et services à la population rurale. Il a été constaté en effet qu’en plus d’éventuels revenus tirés des activités autres qu’agricoles, beaucoup de familles bénéficient des appuis, des dons constitués d’argent et beaucoup d’autres biens en provenance des membres de la famille résidant en ville. En plus de ces dons, quelques citadins qui le peuvent et surtout qui sont intéressés, commencent à investir dans leurs régions d’origine et créent par ce fait, l’emploi pour une population qui se trouve dans le besoin.

En définitive, le système d’exploitation agricole de la région n’arrive pas, dans un tel contexte, à se reproduire sans une intervention de ressources extérieures. Des ressources d’appoint aux revenus agricoles permettent d’arriver à cette reproduction. La formule selon laquelle : une exploitation = un revenu = un ménage ne peut donc pas être valable pour le cas du Bututsi. L’organisation du système de production de la région la condamne à vivre dans une situation d’autosubsistance mais aussi de dépendance perpétuelle vis-à-vis de l’extérieur (activités extérieures, revenus en provenance des zones urbaines, etc.). Pourtant, produire des vivres pouvant satisfaire aux besoins de la famille n’est pas une chose impossible au Bututsi. Quelques agriculteurs en nombre très réduit parviennent à s’en tirer. Il suffit d’apporter à la terre ce qui lui manque pour la rendre beaucoup plus productive. «Les agronomes disent volontiers qu’il n’y a plus de mauvaise terre mais seulement de mauvais agriculteurs qui ne savent pas en tirer parti » (MENDRAS H., 1992). Mais cela demande des moyens, des investissements plus ou moins lourds qui, le plus souvent, ne sont pas à la portée de la population.

Certaines exploitations de la région font semblant de tenir bon mais cela n’est qu’une apparence. Elles ne se maintiennent évidemment que grâce à l’appui matériel et surtout financier en provenance des zones urbaines ainsi qu’aux activités lucratives extra-agricoles. L’on peut même se demander pendant combien de temps cet équilibre aussi fragile pourra se maintenir. Dans un pays comme le Burundi où les conditions d’existence se dégradent de plus en plus (y compris dans les milieux urbains), un pays où le taux de chômage atteint un niveau 309 record, la ville sera-t-elle toujours dans la possibilité de continuer à soutenir des familles rurales incapables de se prendre en charge ? Le paysan du Bututsi est-il condamné à vivre indéfiniment dans une situation de précarité, de misère et de dépendance ?

La terre n’étant plus apte à nourrir la population et lui permettre de faire face aux multiples besoins, la paysannerie du Bututsi doit impérativement changer de méthode, sinon elle est appelée, à court ou à moyen terme, à vivre dans une situation d’impasse. Mais, pour contrecarrer cette situation catastrophique et permettre au système paysan à aller de l’avant, quelques pistes de réflexion et quelques perspectives peuvent être proposées à l’endroit de tous les acteurs du développement rural afin de continuer ce débat sur l’étude socio- économique du monde paysan et sur la reproduction des groupes.

D’abord, un Etat comme le Burundi qui a une population rurale très nombreuse, très dense et en rapide croissance, devrait définir et appliquer une politique de population dont l’objectif peut se résumer en deux mots : maîtrise du galop démographique et amélioration des conditions de vie de la population.

Malgré toutes les difficultés, le système productif paysan peut subir des transformations, connaître des innovations et devenir plus performant. Le Gouvernement du Burundi et tous les ministères ayant le développement rural dans leurs attributions sont ici interpellés. Les organismes de financement, d’encadrement et de développement du monde rural pourraient aussi apporter leur pierre à l’édifice en commençant par corriger les erreurs du passé et surtout en intégrant le paysan dans toutes les actions à mener.

La promotion et la vulgarisation (par le financement et l’investissement) d’une politique visant le développement d’activités extra-agricoles pouvant apporter des revenus d’appoint, viendrait à point nommé. Ces activités existent déjà comme on les a décrites, mais elles doivent bénéficier d’un important appui en vue de leur modernisation qui leur permettrait d’être plus compétitives et plus productives. Pour atteindre ces objectifs, la formation des exploitants pourrait être un facteur influençant le développement d’activités non agricoles. « A plus long terme, la formation de base s’avère être un atout pour développer des activités autres qu’agricoles. Elle est aussi un moyen d’améliorer l’agriculture elle-même en rendant les exploitants plus aptes à réaliser leurs propres essais d’intensification de la production » (HUBERT, J.P., 1994). Ainsi donc, pour une politique de développement rural, la formation 310 de base reste un axe à privilégier. Compte tenu du faible pouvoir d’achat de la population rurale burundaise en général et celle du Bututsi en particulier, le financement des PME (petites et moyennes entreprises) œuvrant dans les activités agricoles (mouvements associatifs, coopératives de producteurs) et non agricoles telles le commerce, l’artisanat, les divers services s’avère une nécessité. Ceci peut se réaliser par l’octroi de dons ou par l’accès facile au crédit. Si un tel pari était gagné, les activités salariales (surtout celles concernant les ouvriers) pourraient à leur tour être revalorisées. L’activité artisanale semble être actuellement une meilleure voie pour passer du secteur primaire au secteur secondaire ou tertiaire. Mais, jusqu’à présent, le caractère d’ « activité-annexe à l’agriculture » de bon nombre d’activités artisanales et le manque de capacité d’investissement n’ont pas été générateurs d’une dynamique commerciale. Le manque chronique d’organisation rationnelle de ce secteur informel profite surtout aux commerçants et aux spéculateurs au détriment du producteur et du consommateur. Un soutien au niveau de la formation des artisans, de l’accès au crédit et aux circuits de commercialisation est donc primordial pour développer ce domaine d’activités » (DELOR-VANDUEREN A. et DEGAND J., 1992).

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322

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323

ANNEXES

324

ANNEXE I : Assistance financière demandée par le Burundi auprès de ses partenaires de développement pour le financement de quelques-uns de ses projets de développement rural au cours du IVème PQDES

Titre du projet Secteur Coût total en Calendrier millions de USD d’exécution 1. Multiplication des semences Cultures vivrières 10,6 1983-1987 sélectionnées 2. Service national de protection des Cultures vivrières 2,7 1983-1988 végétaux 3. Fertilisation Agriculture 3,2 1983-1987 4. Renforcement des services de Cultures vivrières 2,8 1984-1987 vulgarisation 5. Projet pilote pour l’organisation de la Cultures vivrières 1,9 1985-1987 commercialisation des produits vivriers 6. Appui à l’Office National de Cultures vivrières 2,5 1985-1987 Mécanisation Agricole 7. Protection du sol et conservation des Cultures vivrières 7,3 1985-1991 eaux 8. Reboisement des crêtes de Kayanza Sylviculture 17,2 1985-1992 9. Projet de reboisement de la Sylviculture 11,3 1985-1989 région de Bukirasazi 10. Développement rural intégré de la Sylviculture 11,2 1983-1990 commune Rumonge 11. Mise en valeur de la province de Sylviculture 33,0 1985-1990 Kirundo 12. Développement rural de la Sylviculture 28,6 1985-1990 commune Buhoro 13. Développement rural intégré de la Sylviculture 31,0 1985-1991 région de Muyinga 325

14. Développement rural et peuplement Sylviculture 46,2 1985-1991 des communes Makamba et Mabanda 15. Développement rural de Nyanza- Sylviculture 25,9 1985-1992 Lac 16. Projet Kagunuzi Agriculture et 188,1 1987-1992 énergie 17. Développement rural intégré de la Cultures vivrières 26,4 1986-1990 région de Mumirwa 18. Développement rural intégré de la Cultures vivrières 30,8 1987-1992 région du Moso 19. Développement rural de la région Cultures vivrières 18,4 1985-1989 du Buyogoma 20. Amélioration de qualité du café Cultures 7,5 1984-1987 d’exportation 21. Consolidation de la théiculture Cultures 3,4 1983-1987 d’exportation 22. Développement de la culture du café Cultures 11,2 1985-1989 d’exportation

Total 521,2 Source : République du Burundi, Ministère à la Présidence Chargé du Plan, Table Ronde des Aides Extérieures, Février 1984, Fiches des Projets, Volume II

326

ANNEXE II : Les principaux projets de reboisement ayant vu le jour entre 1978 et 1993 Projets Bailleurs Période Activités Superficie Superficie Nature de fonds prévue réalisée du (en ha) (en ha) financement Production FED 1978- Boisement 3.200 2.175 Don de bois 1982 industriel d’œuvre Rugazi BMI IDA- 1979- Boisement 7.000 7.770 Crédit (Vyanda, PNUD- 1985 industriel Mageyo, FAC Gakara) Mugamba- FSD 1979- Boisement 2.000 7.367 Crédit+Don Bututsi Belgique 1986 de protection Mugamba- Belgique 1980- Boisement 10.000 2.000 Don Bututsi 1984 de protection PSTP BIT et 1980- Boisement 3.000 2.440 Don Muramvya autres 1982 de protection Kibira CCE 1980- Boisement 4.000 3.519 Crédit (CFD) 1986 tampon PSTP- BIT et 1983- Boisement 10.000 9.060 Don Ruyigi autres 1993 de protection BMII IDA-FAC 1986- Boisement 5.000 5.727 Crédit (Nord 1993 industriel Mumirwa, Mabanda, Vugizo) Appui à la FED 1987- Boisement 3.000 3.032 Don politique 1992 de forestière protection Sud Belgique 1988- Boisement 2.000 1.987 Don Kirimiro- 1992 de Bututsi (1) protection SRD Banque 1981- Boisement 12.000 12.898 Crédit (Kirimiro- Mondiale 1986 de Ngozi- protection Kayanza) Bukirasazi BAD 1993- Boisement 5.000 5.600 Crédit 2001 de protection TOTAL 66.200 63.575 Source : Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, Département des Eaux et des Forêts 327

(1) Les noms des projets écrits en caractère gras sont les projets qui ont reboisé les plateaux et les reliefs quartzitiques du Bututsi. Le nombre total d’hectares plantés dans le Bututsi va au-delà de dix mille hectares.

328

ANNEXE III : QUESTIONNAIRE D’ENQUETE

Première phase : Enquête dans le Bututsi

I. Identification de l’exploitant

1. Nom et prénom du chef d’exploitation : 2. Age et sexe : Âge : ….ans ; Sexe : M ou F 3. Etat matrimonial : a. Marié (e) b. Célibataire c. Veuf (e) 4. Colline, commune, province : 5. Profession principale : 6. Autres professions (à préciser) : 7. Niveau scolaire : a. primaire b. secondaire c. universitaire 8. Nombre de personnes que comprend le ménage : 9. Date de l’enquête :

II. La force de travail

1. Main-d’œuvre familiale (non rémunérée) Identification Age et sexe Temps de travail Temps de travail dans l’exploitation à l’extérieur (nombre de jours par (nombre de jours M F Age semaine) par semaine)

1. Chef de famille

2. Epouse Enfants 1. 2. 3. 4. 5. 6. Autres personnes

329

2. Main-d’œuvre extérieure à la famille (rémunérée)

Identification Age et sexe Mode de Rémunération rémunération

M F Age en en mensuelle journalière argent nature

Permanents 1. 2. 3. 4. Occasionnels 1. 2. 3. Total

III. La division sexuelle du travail : le rapport de genre a. Nombre moyen d’heures de travail par semaine chez la femme : …….h b. Nombre moyen d’heures de travail par semaine chez l’homme : …….h c. Les travaux réservés aux hommes : d. Les travaux réservés aux femmes : e. La répartition des tâches est-elle équitable ou satisfaisante? 1. Oui 2. Non f. Si non, comment ?

IV. Questions en rapport avec l’agriculture :

1. Quelle est la superficie (approximative) de ton exploitation agricole (en hectares) : 2. L’exploitation est-elle suffisante ? a. oui b. non 3. Quelle est l’étendue (approximative) de la superficie exploitée et de non exploitée ? Surface exploitée: ….ha Surface non exploitée : ….ha 4. Les cultures pratiquées

Les céréales Maïs Blé Sorgho Eleusine Légumineuses Haricot Petit pois Tubercules Patate douce Pomme de terre 330

Manioc Taro et colocase Bananier Variété à cuire Variété à brasser Légumes (donner la liste) Fruits (donner la liste) Cultures de rente Café Thé Autres cultures (à préciser)

5. La culture la plus importante, la plus rentable :

6. La production agricole moyenne annuelle (en kg)

Première saison : a. Céréales (sous forme de graines sèches) : 1° maïs : 2° blé : 3° sorgho : 4° éleusine : b. Tubercules : 1° patate douce : 2° pomme de terre : 3° taro et colocase : 4° manioc : c. Légumineuses (graines sèches) : 1° haricot : 2° petit pois : d. Banane (nombre de régimes): e. Fruits : f. légumes : g. Autres (à préciser) :

Deuxième saison : a. Céréales (sous forme de graines sèches) : 1° maïs : 2° blé : 3° sorgho : 4° éleusine : b. Tubercules : 1° patate douce : 2° pomme de terre : 3° taro et colocase : 4° manioc : c. Légumineuses (graines sèches) : 1° haricot : 2° petit pois : d. Banane (nombre de régimes): e. Fruits : f. Légumes : g. Autres (à préciser) :

7. Les contraintes liées à l’activité agricole : a. aléas climatiques (précipitations, inondations, sécheresse, fortes averses détruisant les cultures, etc.) ; b. problèmes de semences ; c. problèmes d’exiguïté des terres cultivables ; d. manque de main-d’œuvre ; d. sols pauvres ; e. manque de fumure ; f. maladies des plantes ; g. autres (à préciser) Commentaires et observations :

331

V. Elevage

1. Effectif du cheptel

Animaux Nombre de têtes Bovins Ovins Caprins Porcins Volailles Autres (à préciser)

2. En quoi votre cheptel vous utile ? a. Lait b. Fumier c. Viande d. Argent e. Autre (à préciser) 3. Quelles sont les contraintes liées à l’activité pastorale ? a. Sécheresse b. Maladies et épidémies c. Manque de pâturages d. Problèmes de rendement e. Autre (à préciser)

4. Pratiquez-vous les cultures fourragères ? 1. oui 2. non Si oui, quelle superficie ? ……ares

Votre exploitation agricole peut-elle se reproduire d’elle-même (êtes-vous capable de vivre uniquement avec les revenus votre exploitation? 1. Oui 2. Non Si oui, pourquoi ? Si non, quels sont vos revenus d’appoint ?

Commentaires et observations :

VI. Les sources revenus monétaires des ménages (revenus annuels)

1. Vente des produits agricoles (1ère et 2ème saison)

Produits Quantité Quantité Quantité Quantité Valeur récoltée (en consommée vendue (en offerte de la kg) (en kg) kg) comme dons quantité (en kg) vendue (en Fbu) maïs blé sorgho

Céréales Céréales éleusine patate PDT manioc

Tubercul es taro haricot

Lé gu mi pois Fruits 332

Légumes Régime de banane ou Vin de banane (en kg ou en litres) Produits forestiers Fourrages Autres (à préciser) Total

2. Vente des produits d’élevage

Produit Quantité vendue par an (en Valeur de la quantité nombre entier, litres ou kg) vendue par an (en FBU) Animaux (vente sur-pieds) Bovins Caprins Ovins Porcins Volaille Autre (à préciser) Produits animaux Lait Beurre Œufs Miel Peaux Fumier Autre (à préciser) Total

3. Autres sources de revenus

Source de revenu Revenu mensuel (en Fbu) Revenus tirés du commerce Vente de produits artisanaux Revenus salariaux Maison, terre ou autre chose en location Argent en provenance de la ville (ou de son enfant résidant à l’étranger) Pension de retraite Autre (à préciser) Total

Commentaires et observations : 333

VII. Les dépenses des ménages

1. Les dépenses en rapport avec l’activité agro-pastorale

Type de dépense Montant annuel dépensé (en Fbu) Main-d’œuvre Achat de semences Engrais (organiques ou chimiques) Autres produits phytosanitaires (pesticides…) Equipement agricole Achat de bétail Achat d’aliments de bétail Produits vétérinaires Location de la terre Transport des produits agricoles Autres dépenses (à préciser) Total

a. Les achats alimentaires

Produits Quantité achetée par mois Valeur (en Fbu) (en kg) maïs blé sorgho

Céréales Céréales éleusine patate PDT manioc

Tubercul es taro haricot

Lé gu mi pois Fruits Légumes Régime de banane Achat de bière (locale et industrielle) Sel, huile, viande, poisson, ingrédients, etc. Autres (à préciser) Total

334 b. Les achats (ou dépenses) non alimentaires Type d’achat (ou de dépense) Montant annuel (en Fbu) Achat du bois de feu, du bois d’œuvre ou du charbon de bois Habillement Frais de scolarité Frais pour les soins de santé Frais pour la construction ou pour l’entretien de la maison Frais d’équipement (ustensiles de cuisine, mobilier, radio, vélo, etc.) Frais en rapport avec le social Autres (à préciser) Total

VIII. Questions en rapport avec la mobilité de la population

1. Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de quitter votre domicile depuis ces 12 derniers mois ? a. oui b .non Si oui, de quel type de mobilité s’agissait-il ? 1° Mouvement temporaire 2° Mouvement saisonnier 3° Mouvement pendulaire 2. Quels étaient les mobiles de la migration ? a. Economique b. Sociale c. Politique d. Autres (à préciser)

2. Les zones d’accueil : 3. La fréquence de la mobilité (nombre de fois par an) : 4. Durée de séjour moyen pour chaque mobilité (en jours) : 5. L’apport de la mobilité dans la reproduction du ménage : - Argent (dépenses du ménage) - Investissement : • Nature de l’investissement : 1. Achat d’une terre 2. Achat du bétail 3. Construction d’une maison 4. Création d’une entreprise 5. Autres (à préciser)

Commentaires et observations :

335

Deuxième phase : Natifs du Bututsi résidant à Bujumbura

1. Identification :

- Nom et prénom : - Age et sexe : ……..ans 1. M 2. F - Etat matrimonial : a. Marié (e) b. Célibataire c. Veuf (veuve) - Profession : - Quartier : - Colline, commune et province d’origine : - Date de l’enquête : - Taille de votre ménage (toutes les personnes qui habitent la maison) :

2. Avez-vous une famille dans ta région natale le Bututsi ? a. Oui b. Non Si oui, Vous lui apportez un soutien (argent, autres biens) ? a. oui b. non 3. Nature du soutien :

Argent Vivres Médicaments Matériel Vêtements Equipement Autres (à scolaire de la préciser) maison

4. A quoi sert l’argent que vous envoyez : b. Payer la main-d’œuvre c. Achat de vivres d. Achat de semences e. Engrais (chimiques ou organiques) f. Autres produits phytosanitaires g. Equipement agricole h. Achat de bétail i. Aliments de bétail j. Produits vétérinaires k. Bois de feu ou de service l. Vêtements m. Frais scolaires n. Soins de santé o. Construction, entretien de la maison ou de l’enclos p. Equipement de la maison (ustensiles de cuisine, natte, mobilier, autres) q. Frais en rapport avec le social (Guterera) r. Autres (à préciser) Si main-d’œuvre il y a, est-elle permanente ou temporaire ? 1. Permanente 2. Temporaire Si permanente, combien en avez-vous maintenant ? 5. Quelle somme d’argent envoyez-vous en moyenne par mois ? 6. Avez-vous d’autres frères ou sœurs en ville qui vous aident dans cette tâche ? a. oui b. non 336

Si oui, - Ils sont à combien ? - Combien d’argent chacun envoie en moyenne par mois?

7. Recevez-vous des visites de la part des parents ou autres parentés proches restées à la campagne ? a. oui b. non 8. Si oui, que vous apportent-ils quand ils viennent ?

Argent Produits Volaille Vêtements Autres (à vivriers préciser)

Si produits vivriers, lesquels ? 9. Quels sont les raisons de leur déplacement ? a. Economique b. Social c. Politique d. Autres 10. Quel rapport entre ce que vous envoyez (argent et autres biens) et ce que vous recevez de vos parents? 11. Est-ce que l’exploitation de vos parents peut se reproduire (fonctionner sans difficulté) sans votre contribution, sans votre appui (vous et vos frères et sœurs résidant en ville) ? 1. Oui 2. Non Si oui, comment ? Si non, pourquoi ? a. Sols pauvres

b. Exiguïté des exploitations

c. Insuffisances des fertilisants

d. Parents vieux

e. Insuffisance de la main-d’œuvre familiale

f. problème de rendement

g. Problème d’encadrement

12. Est-ce que vous montez de temps en temps chez vous (chez les parents) ? a. oui b. non Si oui, quels sont les raisons de votre déplacement ? a. Economique : b. Social : d. Autres : 13. La fréquence du déplacement (nombre de fois par an): Commentaires et observations :

337

Troisième phase : Enquête complémentaire dans le Bututsi VI. Identification

‐ Nom et prénom :

‐ Age et sexe : ……….ans ……..M ………..F

‐ Colline, commune :

‐ Profession principale : Autre profession :

‐ Etat matrimonial : 1. Marié (e) 2. Célibataire 3. Divorcé (e) 4. Veuf (ou veuve)

VII. Questions adressées aux charbonniers : a. Le métier de charbonnier est-il votre profession principale : 1. Oui 2. Non b. Si non, quel est votre principale profession ? c. Depuis combien de temps vous l’exercez ? …….années d. Tu travailles pour ton propre compte ou pour le compte de quelqu’un d’autre ? 1. Pour moi 3. Pour quelqu’un d’autre e. Votre métier vous est-il utile ? 1. Oui 2. Non f. Si oui, comment ? (combien en moyenne vous gagnez chaque mois ? …Fbu) g. Combien de stères faut-il pour produire un sac de charbon de 50 kg. h. Un camion lourdement chargé peut contenir combien de sacs ? …..sacs combien de tonnes ? ……tonnes i. Quel pourcentage représente le revenu de ton métier par rapport au revenu total ? ……….% j. Quelles sont les contraintes à votre métier ?

VIII. Questions adressées aux artisans : a. Nature du métier : 1. Menuiserie 2. Maçonnerie 3. Poterie 4. Vannerie 5. Tuilerie 6. Briqueterie 7. Cordonnerie 8. Autre (à préciser) b. Votre métier d’artisan est-il principale activité ? 1. Oui 2. Non c. Si non, quelle est votre principale profession ? d. Depuis combien de temps vous l’exercez ? ……..années e. Tu travailles pour ton propre compte ou pour quelqu’un d’autre ? 1. Pour mon compte 2. Pour autrui f. Votre métier vous est-il utile ? 1. Oui 2. Non 338

g. Si oui, comment (combien vous gagnez en moyenne par moi ? …….Fbu h. Quel pourcentage représente le revenu de ton métier par rapport au revenu monétaire total ? ………% i. Quels sont les contraintes à votre métier ?

IX. Immigration dans le Bututsi

Questions réservées aux ouvriers agricoles, manœuvres qui viennent d’autres régions ‐ Quel est le motif qui t’a poussé à quitter ta colline (ou ta région) pour venir ici dans la région ? ‐ Est-il facile d’avoir un emploi ici dans la région ? 1. Oui 2. Non Si non, pourquoi ? ‐ Combien gagnes-tu en moyenne par moi ?...... Fbu/mois ‐ Es-tu marié ou célibataire ? 1. Marié 2. Célibataire ‐ Envoies-tu de l’argent à ta famille laissée dans ta région natale ? 1. Oui 2. Non Si oui, combien en moyenne par mois ? ………..Fbu/mois Si oui, par quelle voie ? 1. Par l’intermédiaire des gens qui vont dans la région 2. Par mandat postal 3. Autre (à préciser) ‐ Comptes-tu rester dans la région le reste de ta vie ou retourner chez vous après un certain séjour ici ? 1. Rester définitivement 2. Rentrer définitivement 3. Faire des va-et-vient entre la région d’accueil et la région natale 4. Autres (à préciser)