Représentations De L'individu En Chine
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MICHEL VIEGNES ET JEAN RIME (DIR.) REPRÉSENTATIONS DE L’INDIVIDU EN Selon un cliché vieux de plusieurs siècles, une identité essentiellement collective aurait toujours prévalu dans l’Empire du Milieu, tandis que la conscience CHINE ET EN EUROPE FRANCOPHONE individuelle aurait façonné, depuis les Grecs, le socle philosophique et politique de l’Occident. Les études qui composent ce volume replacent cette idée reçue dans l’histoire des représentations de l’individu, tant au pays de ÉCRITURES EN MIROIR Confucius que dans l’espace européen – ici limité à l’Europe francophone. À travers la littérature, creuset majeur de la fabrication du Je, mais aussi à travers la philosophie et la linguistique, des spécialistes européens et chinois explorent les méandres historiques de cette notion d’individu dont les crises et les paradoxes s’éclairent à la lumière d’une confrontation avec l’altérité culturelle, chaque monde se réfléchissant au miroir de l’autre. MICHEL VIEGNES ET JEAN RIME (DIR.) RIME JEAN ET VIEGNES MICHEL Une place particulière a notamment été réservée aux figures qui, des jésuites du XVIIIe siècle à François Cheng en passant par Claudel, Segalen ou Malraux, se sont employées à bâtir des ponts entre les deux civilisations SOCIÉTÉS ou à illustrer leurs relations complexes et parfois ambiguës. Les enquêtes réunies ici, consacrées non seulement à ces passeurs culturels mais aussi à des auteurs a priori moins attendus et à des écrivains-voyageurs suisses, contribuent à nuancer une opposition souvent trop simpliste entre l’individuel et le collectif. Michel Viegnes est professeur ordinaire de littérature française et comparée à l’Université de Fribourg depuis 2006. Son champ de recherche inclut la poésie des XIXe et XXe siècles, les littératures de l’imaginaire et la poétique du récit bref. Il a publié en 2014, aux éditions La Baconnière, L’Œuvre au bref. La nouvelle de langue française depuis 1900. Jean Rime est assistant diplômé en littérature française à l’Université de Fribourg. Ses recherches, menées conjointement à l’Université Paul-Valéry de Montpellier, portent sur l’histoire littéraire de la presse au XIXe siècle. Il a également réalisé une édition commentée du Rouet des brumes de Georges Rodenbach. ISBN : 978-2-88930-044-0 CHINE EN DE L’INDIVIDU REPRÉSENTATIONS FRANCOPHONE EUROPE EN ET ÉCRITURES MIROIR EN 39 CHF 9 782889 300440 REPRÉSENTATIONS DE L’INDIVIDU EN CHINE ET EN EUROPE FRANCOPHONE ÉCRITURES EN MIROIR MICHEL VIEGNES ET JEAN RIME (DIR.) REPRÉSENTATIONS DE L’INDIVIDU EN CHINE ET EN EUROPE FRANCOPHONE ÉCRITURES EN MIROIR ÉDITIONS ALPHIL-PRESSES UNIVERSITAIRES SUISSES © Éditions Alphil-Presses universitaires suisses, 2015 Case postale 5 2002 Neuchâtel 2 Suisse Ce livre est sous licence : www.alphil.ch www.pressesuniversitairessuisses.ch Alphil Distribution [email protected] ISBN 978-2-88930-066-2 DOI : 10.33055/ALPHIL.03041 Cet ouvrage est publié avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientique dans le cadre du projet pilote OAPEN-CH. Image de couverture : Lucas Giossi Responsable d’édition : Inês Marques 6 AVERTISSEMENT e présent volume recueille les travaux menés à l’occasion de deux rencontres internationales sur « La notion d’individu en Chine et en Europe francophone : réflexions en miroir », l’une organisée par Michel Viegnes et LJean Rime à l’Université de Fribourg du 24 au 26 octobre 2013 et l’autre par Xiaoquan CHU et Li YUAN à l’Université Fudan de Shanghai du 22 au 24 mai 2014. Les éditeurs remercient Xiaoquan CHU et Li YUAN pour leurs conseils dans la transcription et la traduction des noms et titres chinois, Noël Cordonier, Patrick Suter et Markus Winkler pour leur lecture attentive, ainsi que Lucas Giossi pour l’illustration de couverture. Ils expriment également leur reconnaissance au Fonds national suisse de la recherche scientifique, au Rectorat et à la Faculté des lettres de l’Université de Fribourg ainsi qu’à l’Ambassade de France en Suisse pour leur soutien et leur patronage. Pour éviter toute confusion, les noms des contributeurs originaires de Chine sont indiqués « à l’occidentale », en faisant suivre le prénom par le nom de famille en capitales. En revanche, tous les autres noms chinois respectent l’ordre habituel à cette langue : nom de famille d’abord, prénom ou surnom ensuite. Dans la mesure où les écrivains français du XVIIe au XXIe siècle représentés dans ce volume ont adopté diffé- rentes transcriptions pour les noms propres ou les toponymes chinois, il est apparu illusoire de vouloir moderniser toutes les translittérations. Aussi plusieurs graphies, anciennes ou actuelles, cohabitent-elles dans le corps de l’ouvrage. Un index placé en fin d’ouvrage rétablit la correspondance entre ces graphies traditionnelles et la romanisation communément admise aujourd’hui. 7 INTRODUCTION MICHEL VIEGNES ET JEAN RIME u visiteur occidental qui découvre, intimidé par la dimension du lieu et du dispositif, la fameuse « armée de terre cuite » exhumée depuis 1974 sur le site funéraire du premier empereur de Chine Qin Shihuangdi, les guides se Aplaisent à faire remarquer que l’on ne saurait trouver deux visages identiques parmi les quelque six mille officiers, archers, conducteurs de char, palefreniers, fantassins et fonctionnaires civils dont l’effigie accompagnait le fondateur de la Chine unifiée dans l’au-delà. « Tous les soldats ont leur propre expression », unique, et si « les têtes et les bras ont d’abord été moulés en série, on les a individualisés ensuite par la sculpture », affirme le catalogue de présentation du plus grand musée in situ du pays1. Probable sans être totalement vérifiable, étant donné les dimen- sions de l’ensemble, cette assertion relayée par le discours officiel des guides est très significative. Outre la valorisation artistique de ces figures grandeur nature, qui accèdent ainsi à la dignité de l’œuvre singulière, n’y aurait-il pas aussi, consciemment ou non, une réponse à un préjugé occidental tenace, celui de l’identité essentiellement collective qui aurait toujours prévalu dans l’Empire du Milieu, jusque dans son avatar le plus récent, sous le règne de l’« empereur rouge » dont le portrait géant domine encore la place Tiananmen ? Même à l’heure où la Chine s’ouvre au monde, et où la loi de l’enfant unique, mise en place par les successeurs de Mao, a créé une nouvelle génération de « petits empereurs » qui pourraient bien modifier la culture chinoise plus profondément que n’ont pu le faire les révolutions politiques du XXe siècle, beaucoup d’Occidentaux accordent encore un certain crédit à ce cliché vieux de cinq siècles qui voudrait que la conscience individuelle et la notion même d’individu, 1 MENG Jianming, L’Armée en terre cuite des Qin. Un monde de rêve, Lei Xiuquin et Meng Kuanrang (trad.), Éditions de Xi’an, 2006, p. 83-88. 9 MICHEL VIEGNES ET JEAN RIME telles qu’elles ont façonné le socle philosophique de l’Occident depuis les Grecs, n’aient pas la même consistance, ni a fortiori la même évidence, au pays de Confucius. Il est vrai que ce dernier, « Maître Kong » pour ses compatriotes, a professé l’allégeance de l’enfant aux parents, du cadet à l’aîné, de la femme à l’homme, du sujet au seigneur. Que cette philosophie, dont l’empreinte a été si profonde, jusque dans les cultures limitrophes de l’Empire du Milieu, ait pu être instrumen- talisée pour légitimer des systèmes complexes de servitude sociale et politique, n’a en soi rien d’étonnant, et cette situation n’a d’ailleurs rien de spécifique à l’Asie. Mais l’on aurait tort de réduire cette allégeance à une vulgaire subordination : le confucianisme est un véritable humanisme, auquel est seulement étrangère la notion d’un individu qui pourrait prospérer indépendamment, et a fortiori à l’encontre, des grandes structures sans lesquelles sa vie même serait inconcevable : la famille, l’État, les forces de la nature. Le Junzi, l’homme accompli et vertueux, est certes centrifuge, au sens où il doit fuir l’égocentrisme, mais c’est pour mieux se réaliser au service d’un Centre véritable, toujours plus grand que lui, a priori extérieur, mais qu’il se doit d’intérioriser pour s’identifier à cette norme. L’autre grand penseur confucéen, Meng Zi – le Mencius des jésuites – va plus loin dans l’affir- mation de l’individu en affirmant que c’est en lui-même que le sujet humain trouve les ressources intellectuelles et morales, et non pas en se soumettant passivement à des enseignements extérieurs, ceux-ci n’étant que l’adjuvant – certes précieux – que lui lègue la tradition pour éveiller dans sa conscience les principes recteurs qui s’y trouvent à l’état latent2. L’autre grande tradition spécifiquement chinoise, le taoïsme, va en apparence à l’encontre de cette valorisation de l’individu, dans la mesure où elle professe le Wu Wei, que l’on traduit généralement par « non-agir », ce qui a donné lieu à nombre de malentendus. S’il est vrai que les classiques taoïstes attribués à Lao Zi et Zhuang Zi enjoignent à l’homme de « gouverner par le non-agir », c’est pour le dissuader de toute initiative arbitraire qui lui serait inspirée par les caprices de sa psyché, pour au contraire agir en conformité totale avec l’ordre vertueux immanent à toute composante du cosmos. En d’autres termes, la vision du monde de la Chine traditionnelle exclut toute possibilité de penser l’individu comme un petit démiurge capable de réinventer à son profit l’ordre des choses : ce dernier n’est d’ailleurs pas un ennemi, au sens du triple Anankê – politique, religieux, naturel – dont l’homme doit se libérer, selon Victor Hugo3, pour réaliser son destin historique. Ainsi les deux grandes écoles de pensée spécifiquement chinoises professent-elles, avec des accentuations différentes, la même idée fondamentale d’un sujet individuel qui ne peut se développer qu’en harmonie, voire en symbiose, avec les trois grandes structures, familiale, sociétale et cosmique, qui garantissent son existence.