L’Église catholique et la politique de défense au début des années 1980 Étude comparative des documents pastoraux des évêques français, allemands et américains sur la guerre et la paix

Catherine Guicherd

DOI : 10.4000/books.iheid.1832 Éditeur : Graduate Institute Publications Édition imprimée Année d'édition : 1988 ISBN : 9782130422693 Date de mise en ligne : 29 septembre 2014 Nombre de pages : xii-336 Collection : International ISBN électronique : 9782940549573

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Référence électronique GUICHERD, Catherine. L’Église catholique et la politique de défense au début des années 1980 : Étude comparative des documents pastoraux des évêques français, allemands et américains sur la guerre et la paix. Nouvelle édition [en ligne]. Genève : Graduate Institute Publications, 1988 (généré le 27 janvier 2017). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782940549573. DOI : 10.4000/books.iheid.1832.

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© Graduate Institute Publications, 1988 Creative Commons - Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported - CC BY-NC-ND 3.0 1

En octobre 1982, les évêques américains faisaient une entrée remarquée dans le débat sur la politique de défense. Non contents de rappeler les principes généraux de l'enseignement de l'Eglise, ils se livraient à une analyse minutieuse des stratégies et des systèmes d'armes dans un avant-projet de texte intitulé « Le défi de la paix ». De mois en mois, ils furent imités par une douzaine de conférences épiscopales. De quel droit, avec quelles justifications les évêques venaient-ils prendre part au débat public sur la politique de sécurité ? Ne dépassaient-ils pas par là largement leur champ de compétence ? En outre, comment se fait-il qu'en dépit de l'unité du moment et de la tradition éthique, ils aient, selon les pays, abouti à des conclusions sensiblement différentes sur la dissuasion nucléaire, la défense conventionnelle, la non-violence ou la forme de l'ordre international ? L'auteur a choisi de répondre à ces questions par l'analyse des textes français, américain et allemand, représentatifs de la diversité des sensibilités. Son étude minutieuse de leurs procédures d'élaboration et d'argumentation met en évidence les pressions de toutes origines – politique, sociologique, théologique, ecclésiale – qui en ont fait des documents aussi ambigus que novateurs. A partir de l'examen des positions particulières, elle pose la question du rapport de l'Eglise au pouvoir politique dans chaque contexte national. Le poids de l'histoire ne serait-il pas à la racine de bien des divergences dans les attitudes contemporaines de l'Eglise sur la défense ? Au-delà de l'analyse spécifique des contenus, cet ouvrage se veut un vigoureux plaidoyer pour une Eglise pluraliste et engagée, dans la ligne dessinée par Vatican II, au risque de devoir renoncer à l'autorité d'une parole unique.

CATHERINE GUICHERD 2

SOMMAIRE

Liste des principales abréviations

Avant-propos

Préface Jean-Yves Calvez

Introduction 1. Un choix de textes 2. Les évêques, le politique et la politique 3. De la stratégie à l’éthique 4. Plan d’analyse

Chapitre I. Eglise, politique et Etat dans la tradition catholique I. Les justifications d’une intervention II. Modes d’intervention de l’Eglise dans le domaine politique III. Le pouvoir politique dans la tradition catholique

Partie I. Des temps anciens aux temps nouveaux : le discours de l'eglise sur la guerre et la paix

Chapitre II. Points de repère historiques I. L’approche traditionnelle : la guerre juste II. Vatican II sur la guerre et la paix III. Panoramas nationaux

Chapitre III. Les déclarations épiscopales au jour le jour I. Les Etats-Unis II. L’Allemagne III. La France

Partie II. La dissuasion nucléaire

Partie II. La dissuasion nucléaire

Chapitre IV. Le jugement éthique de la dissuasion nucléaire : aspects stratégiques En guise de préalable : l’évolution du concept de dissuasion nucléaire Le cas particulier de la dissuasion française La problématique I. L’emploi des armes nucléaires II. Discrimination, proportionnalite et dissuasion III. Dissuasion : « oui » – emploi : « non » 3

Chapitre V. Le jugement éthique de la dissuasion nucléaire : limites théologiques et politiques I. Les évêques américains sont-ils « conséquentialistes » ? II. Les évêques américains, le Vatican et la dissuasion nucléaire III. Les divergences de vues entre les conférences épiscopales IV. L’acceptabilite morale de la dissuasion : un jugement transitoire

Partie III. Pour sortir de la dissuasion

Partie III. Pour sortir de la dissuasion

Chapitre VI. Non-violence et autorité politique I. Guerre juste et objection de conscience dans les lettres pastorales II. La non-violence, moyen de défense ? III. La désobéissance civile

Chapitre VII. A la recherche d’une éthique des relations internationales I. Les présupposés du dialogue II. Le dialogue politique : détente ou changements structurels ? III. A la recherche d’une éthique commune

Conclusion Aux Etats-Unis En France En Allemagne

Bibliographie

I. Sources

II. Ouvrages et études 4

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet ouvrage a été publié pour la première fois en 1988, dans la collection Publications de l'Institut de hautes études internationales, Genève, aux Presses universitaires de France, Paris (ISBN 2-13-042269-1). 5

Liste des principales abréviations

1 BDKJ : Bund der Deutschen Katholischen Jugend

2 BK : Bensberger Kreis

3 CDU : Christlich-Demokratische Union

4 CEF : Conférence épiscopale française

5 CoP : “The Challenge of Peace”

6 DBK : Deutsche Bischofskonferenz

7 DC : La Documentation Catholique

8 EKD : Evangelische Kirche in Deutschland

9 GP : « Gagner la Paix »

10 GS : „Gaudium et Spes“

11 GsF : „Gerechtigkeit schafft Frieden“

12 HSFK : Hessische Stiftung für Friedens- und Konfliktforschung

13 IFRI : Institut Français des Relations Internationales

14 IHEDN : Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale

15 IKvu : Initiative kirche von unten

16 KAEF : Katholischer Arbeitskreis Entwicklung und Frieden

17 NCCB : National Conference of Catholic Bishops

18 PT : “Pacem in Terris”

19 RH : “Redemptor Hominis”

20 SPD : Sozialdemokratische Partei Deutschlands

21 ST : Somme Théologique

22 USCC : United States Catholic Conference

23 ZdK : Zentralkomitee der deutschen Katholiken 6

Avant-propos

Si le guetteur a vu venir l'épée et n'a pas sonné du cor, si bien que le peuple n'a pas été averti, et que l'épée survienne et fasse chez eux une victime, celle-ci périra victime de sa faute, mais je demanderai compte de son sang au guetteur. Ez 33, 6-7

1 Cet ouvrage est le produit d’un long cheminement qui conjugue curiosité intellectuelle et engagement personnel. 1983. J’effectuais alors des recherches à l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève. A cette époque, les mouvements de paix fleurissaient en Europe et aux Etats-Unis, aiguillonnés par la décision atlantique de stationnement des « euromissiles ». Les milieux catholiques que j’avais l’habitude de fréquenter encourageaient leurs membres à s’engager dans le débat public. Confusément, je sentais qu’au nom de mes convictions éthiques, je ne pouvais rester silencieuse sur des questions aussi importantes que la guerre, la paix et la manière dont une société conçoit sa défense. J’étais convaincue que l’Eglise a quelque chose à dire sur ces problèmes. Mais elle ne peut dire n’importe quoi : il faut des distinctions, des critères de jugement. En entreprenant la recherche sur les lettres pastorales des évêques allemands, américains et français qui a abouti à la rédaction de cet ouvrage, je souhaitais donc en même temps répondre à un questionnement personnel et faire œuvre d’élucidation scientifique.

2 Je ne peux remercier ici toutes les personnes qui ont été associées, directement ou indirectement, à mon entreprise. Cependant, je voudrais signifier, sans les nommer, ma plus sincère gratitude à tous ceux qui, de près ou de loin, m’ont soutenue au cours de cet effort. Je crois devoir évoquer en tout premier les personnes qui. à travers les interrogations qu’elles ont soulevées dans mon esprit par leur attitude ou leurs paroles, m’ont incitée à entreprendre cette tâche. Il me faut ensuite rappeler combien les conseils dispensés par mon directeur de recherche, souvent par lettres à cause des contraintes de distance, me furent précieux à chaque étape d’orientation et de rédaction de mes travaux. Je souhaiterais aussi remercier d’une manière toute particulière les personnes qui, à Paris, à Genève ou de l’autre côté de l’Atlantique, ont accepté de relire et commenter mes écrits, malgré le poids de leurs occupations personnelles.

3 En remontant plus avant dans le cours du temps, je rencontre les visages de tous les interlocuteurs qui, en Allemagne, aux Etats-Unis, en France ou ailleurs m’ont fourni les 7

éléments d’information sans lesquels ce travail n’aurait pas été possible. Je voudrais exprimer plus spécialement ma reconnaissance à ceux d’entre eux qui, malgré leurs responsabilités et la lourdeur de leur charge, ont accepté de me recevoir et de me communiquer les matériaux souvent confidentiels qui m’ont permis d’appuyer mon argumentation. J’espère en avoir fait un usage digne de la confiance qu’ils m’ont accordée.

4 D’autres personnes m’ont prodigué une aide non moins estimable en me donnant les moyens matériels de mener à bien ma tâche. Que ceux qui m’ont hébergée, conseillée, soutenue financièrement pendant mes recherches sachent que ma gratitude leur est aussi adressée. Je remercierai tout particulièrement la Fondation Rotary, qui a financé mon séjour d’une année à l’Université de Bloomington, aux Etats-Unis, le D.A.A.D. qui a accordé son concours financier pour une partie de mes recherches en Allemagne, et surtout, l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève qui. par le soutien constant qu’il m’a apporté au cours de ces longues années, a permis l’aboutissement de mon œuvre. 8

Préface

Jean-Yves Calvez

1 1983 a été une année exceptionnelle pour la réflexion morale des Eglises à propos des problèmes de défense des communautés politiques et spécialement, à propos des armements et stratégies nucléaires. Plusieurs groupes de responsables des Eglises se sont en effet prononcés à ce sujet au cours de cette année par d’importantes déclarations, qui ont pour quelques-unes le caractère de véritables traités. Trois d’entre elles surtout ont retenu l’attention : la lettre pastorale des évêques catholiques des Etats-Unis, le 3 mai ; au même moment, le document, intitulé lettre pastorale également, des évêques catholiques de la République fédérale d’Allemagne ; finalement, plus bref, en novembre, celui des évêques français, dit précisément : « Document » de la Conférence épiscopale de France. Les Américains titraient « Le défi de la paix : la promesse de Dieu et notre réponse », les Allemands « La justice construit la paix », les Français « Gagner la paix ».

2 Au-delà même des titres, ces trois documents comportent à la fois de significatives convergences et des divergences. Catherine Guicherd, dans le livre qu’elle nous présente ici, cherche à pénétrer au cœur de la problématique qu’enferme ce nœud de convergences et de divergences. Pourquoi, surtout, les divergences, se demande-t-elle ? Pourquoi, en particulier, la différence entre la déclaration américaine, plus fortement critique du recours aux armements et stratégies nucléaires, et les déclarations allemande et surtout française, moins sévères ?

3 Catherine Guicherd offre à notre discussion, avec beaucoup de nuances assurément – je simplifie ici – cette thèse : la position des évêques américains, plus critique des armements et des stratégies nucléaires, est significative d’une Eglise plus libre à l’endroit d’une tradition catholique de la soumission au pouvoir établi qui marque encore, et indûment, les comportements des Eglises d’Europe – surtout celui de Rome. Jeunesse de l’Eglise des Etats-Unis, plus libre à l’égard des vieilles dépendances pour retrouver la sève de l’Evangile. Lourdeur en revanche du côté des Eglises d’Europe, en vertu d’une interprétation nominaliste du droit naturel – qui a succombé au décret ou diktat du souverain, tirant dans ce sens les versets de Saint Paul sur l’obéissance à l’autorité politique. 9

4 On peut faire remarquer, il est vrai, que c’est, il n’y a pas si longtemps, un important archevêque américain, le cardinal Spellman, qui fut à la tête de la résistance à la réserve que le Concile Vatican II marqua finalement à l’égard de la dissuasion nucléaire et, à tout le moins, de la très dangereuse course aux armements qu’elle entraîne !

5 J’aperçois, de plus, d’autres explications au comportement particulier de l’Eglise des Etats-Unis, de ses évêques surtout. Si ces derniers se distinguent de leurs collègues d’Allemagne ou de France, ils ont en revanche des réactions proches de celles des évêques russes. J’ai eu personnellement l’occasion de m’en convaincre lors de conversations entre représentants de l’Eglise catholique et de l’Eglise orthodoxe du Patriarcat de Moscou. Et je dirais que les évêques américains et russes rejoignent Américains et Soviétiques tout court dans un sentiment de plus grande responsabilité que les Européens quant au danger des stratégies nucléaires.

6 Les uns et les autres font en tout cas volontiers percevoir à leurs interlocuteurs européens qu’ils portent, eux, une responsabilité que les Européens ne portent pas, ne sauraient porter – et que les décisions vraiment importantes pour le monde dépendent d’eux seuls… Caricaturons : les Européens, pour leur part, ne peuvent faire ni beaucoup de bien ni beaucoup de mal. Voilà un contexte qui peut expliquer la critique, même minutieuse, des armements et plus encore des stratégies diverses qu’on trouve sous la plume des évêques américains… Je ne nie certes pas pour autant tout effet de la tradition théologique évoquée par Catherine Guicherd. Encore que j’aie souhaité voir nuancer aussi l’idée d’une tradition catholique – et catholique seulement – uniforme et constante de soumission au pouvoir établi…

7 A me voir entrer ainsi dans le débat, le lecteur comprendra aisément l’intérêt de l’ouvrage que Catherine Guicherd a composé, et l’importance de la contribution qu’il représente à la réflexion morale contemporaine en matière de défense. La situation évolue il est vrai, rapidement. Le traité de Washington et sa mise en œuvre actuellement marquent dans cette évolution une étape capitale. Mais les données les plus fondamentales de la question morale demeureront longtemps : elles concernent la puissance destructive des armes en cause, le genre d’usage, y compris dissuasif, dont elles sont passibles, ensuite les degrés divers de cet usage, dissuasif ou pas seulement dissuasif.

8 Il ne faut pas oublier que, même si on détruisait un grand nombre des armes nucléaires (et autres armes de destruction massive), voire toutes ces armes absolument, l’humanité contemporaine n’aurait nullement cessé de savoir en produire à nouveau en peu de temps. C’est donc bien au raisonnement moral, à la conscience et au progrès institutionnel qu’il faut se confier, par-delà les désarmements mêmes.

9 Il est ainsi capital que le débat moral soit alimenté et poursuivi, avec tout le sérieux dont les hommes sont capables. Et publiquement, à la face de tous les autres hommes, inévitablement concernés. Catherine Guicherd y a mis, pour sa part, de l’érudition, de la patience, du sérieux, et de la passion. Je ne me rallie pas à tous ses points de vue, mais je veux témoigner qu’à discuter avec elle, on éprouve le sentiment d’avancer. J’ai pour ma part éprouvé le sentiment de m’enfoncer non seulement dans le problème, mais dans le dialogue des consciences qu’il requiert.

10 Dans le monde catholique, deux prises de position encadrent la discussion contemporaine. Quant à l’emploi des armes de destruction massive, celle-ci : « Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions 10

avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation » (Concile Vatican II).

11 Et, quant à l’usage dissuasif, cette autre déclaration : « Dans les conditions actuelles, une dissuasion basée sur l’équilibre, non certes comme une fin en soi mais comme une étape sur la voie d’un désarmement progressif, peut encore être jugée comme moralement acceptable » (Jean-Paul II, 1982).

12 Cette seconde déclaration doit, il est vrai, être prise dans son sens très précis. Elle est éclairée par des formules qui la suivaient : « Toutefois, disait Jean-Paul II, pour assurer la paix, il est indispensable de ne pas se contenter d’un minimum toujours grevé d’un réel danger d’explosion ». Tous les épiscopats qui se sont exprimés en 1983 ont aussi dit cela, quoi qu’il en soit de leurs différences plus particulières. L’épiscopat français, par exemple, relativement ouvert à la dissuasion nucléaire, n’en a pas moins affirmé : « Cette ligne de crête est fort dangereuse », et souligné l’urgence de sortir au plus vite de cette situation, manifestant ainsi le devoir de tout responsable d’y travailler sans relâche. Il est clair que l’attitude de qui s’installe, sans plus, dans la défense par la dissuasion au moyen de l’arme nucléaire, n’est pas compatible avec la requête morale fondamentale qu’a exprimée unanimement sur ce point, l’Eglise catholique.

13 C’est dans le cadre de ce point de vue englobant que s’ouvre le dialogue des trois épiscopats que Catherine Guicherd nous invite ici à revivre, avec ses tenants et ses aboutissants dans les situations historiques et présentes des diverses églises, tout autant que dans la tradition de la réflexion éthique, profane et chrétienne à la fois. Catherine Guicherd contribue aussi elle-même à ce grand débat qui n’est pas clos.

AUTEUR

JEAN-YVES CALVEZ 11

Introduction

1 La vague de protestation antinucléaire qui a déferlé sur l’Occident dans les années 1980-83 a ébranlé de larges couches de l’opinion publique et suscité une avalanche de prises de position, déclarations, appels, analyses de la part des groupes les plus divers. Les Eglises ne furent pas les dernières à faire entendre leur voix et on leur reconnaît un rôle essentiel dans le développement des « mouvements de paix »1. N’intervenaient-elles pas dans le débat, tout comme une grande majorité de ceux-ci, au nom d’impératifs éthiques ? L’Eglise catholique elle-même, connue pour ses positions nuancées et souvent formulées en termes abstraits, ne resta pas hors de la bataille et en vint à se prononcer sur des questions très concrètes par la voix de plusieurs de ses conférences épiscopales nationales. Même si certaines choisirent de le faire en termes plus généraux – telle la Conférence épiscopale allemande – leur déclaration n’en intervenait pas moins dans un contexte très particulier qui était celui du stationnement des « euromissiles »2 dans cinq pays de l’Europe de l’Ouest. Mais il serait erroné de croire que seules les Eglises de l’Ouest s’engagèrent dans la discussion : dans le monde catholique, les évêques hongrois et allemands de l’Est s’exprimèrent également, ces derniers n’hésitant pas à faire une critique poussée de l’entraînement militaire imposé aux élèves de l’enseignement secondaire et du programme de remplacement du service militaire offert aux objecteurs de conscience3. Au total, c’est une douzaine de conférences épiscopales qui se prononcèrent dans le contexte des discussions sur la poursuite des politiques d’armement, sans compter de multiples déclarations et appels individuels4.

2 Que l’Eglise5 parle de paix n’est pas nouveau. Guerre et paix sont des concepts bibliques ; la théorie de la guerre juste, dont on attribue la systématisation à Thomas d’Aquin (1225-1274) a fait partie du patrimoine catholique avant d’influencer le développement du droit international. La nouveauté réside dans l’accent des prises de position é piscopales et dans le rôle central que tient le jugement éthique de la dissuasion nucléaire dans toutes les déclarations. Vingt années auparavant, alors que les stratèges s’efforçaient de bâtir une théorie cohérente de la dissuasion nucléaire, le Concile Vatican II avait abordé la question sans y apporter de réponse définitive. Il constatait l’existence d’un « procédé de dissuasion »6, qu’il jugeait insuffisant pour fournir les assises d’une paix véritable, tout en laissant à la réflexion des théologiens la tâche d’en examiner la légitimité morale. Déjà on s’apercevait que les catégories traditionnelles de la guerre juste n’étaient plus adaptées aux conditions de la guerre 12

moderne et encore moins à l’analyse de la dissuasion nucléaire. Le Concile appelait donc à « reconsidérer la guerre dans un esprit entièrement nouveau » (GS § 80.2), impliquant par là que l’Eglise ne devait pas se contenter de fournir une liste de critères selon lesquels une guerre pouvait encore être « justifiée », mais envisager les modifications structurelles qui permettraient aux Etats et aux sociétés de résoudre leurs conflits sans recourir à la force. Il poursuivait donc le rapprochement déjà amorcé par Pie XII entre deux thèmes présents depuis des siècles dans la doctrine catholique mais qui, depuis le Moyen Age, avaient été progressivement séparés : le discours sur la guerre et la vision de l’ordre politique qui en constituait le contexte. Les récentes déclarations épiscopales s’ancrent sur cette nouvelle tendance en liant étroitement les impératifs de « prévention de la guerre » et de « promotion de la paix ». Toutefois, sur cette même base, elles ont pris des accents très différents selon les contextes nationaux. Ce sont surtout ces divergences qui retiendront notre attention.

1. Un choix de textes

3 Pour des raisons pratiques nous avons choisi de faire porter l’analyse sur un nombre de cas limités, en retenant les textes publiés en 1983 par les Conférences épiscopales des Etats-Unis, d’Allemagne fédérale et de France7. Ces trois pays présentent des similitudes suffisantes dans les domaines politique (démocraties pluralistes) et stratégique (membres de l’Alliance Atlantique) pour que la comparaison ait un sens. Bien que la France ne participe pas à la structure militaire de l’OTAN, l’installation des missiles nucléaires à moyenne portée qui a stimulé l’ensemble des controverses des années 1980-83 n’est pas indifférente à sa position de défense et les discussions qui y ont eu lieu ne peuvent être isolées des réflexions globales de l’Occident sur le sens de ses options stratégiques. Du côté de l’Eglise, la population catholique – au moins nominalement – des trois pays est assez importante pour que la voix de leurs évêques ait trouvé un écho significatif dans le brouhaha des prises de position de toutes origines. Enfin les trois textes auxquels nous nous intéressons sont les plus complets parmi les déclarations épiscopales (à l’exception du document des évêques néerlandais) et développent une analyse assez élaborée des concepts de guerre et de paix, de dissuasion nucléaire et d’ordre international.

4 Malgré la similitude des contextes et des thèmes abordés, les documents considérés présentent des divergences significatives. La diversité des perspectives s’énonce dès la lecture des premières lignes de chaque texte. « La famille humaine tout entière parvient à un moment décisif de son évolution », déclarent les évêques américains, situant aussitôt le danger nucléaire au centre de ce moment (CoP, p. 718). La priorité qu’ils accordent à la menace nucléaire annonce un développement concret, centré sur la réfutation de l’argument alors en vogue parmi les stratèges américains sur la possibilité de mener et éventuellement de gagner une guerre nucléaire. Leurs confrères allemands laissent prévoir une approche plus directement théologique et une volonté d’éviter le débat politique en affirmant en début d’introduction : « L’Evangile de la paix est un nom biblique pour le message du Christ » (GsF, p. 568). Avec les évêques français, on revient au concret. « Le spectre d’une troisième guerre mondiale hante à nouveau les esprits », déclarent-ils (GP, p. 5). Mais le danger nucléaire n’apparaît pas sous un jour spécifique. Au contraire, la dénonciation immédiate de la menace communiste laisse augurer d’un développement tout aussi politique, mais dans une direction sensiblement différente de celui des évêques américains. 13

5 A la variété des contenus s’ajoute une diversité des objectifs, qui se traduit par le choix de genres littéraires différents. Les évêques américains sont les seuls à avoir retenu pour leur document le titre de « lettre pastorale », qui lui confère une certaine autorité, du moins moralement, pour la communauté catholique. Une décision qui ne fit pas l’unanimité, certains leur reprochant de vouloir imposer à l’ensemble des fidèles, sous prétexte de jugement éthique, leurs conclusions propres qui ne seraient que purs jugements de circonstances8. Les deux autres conférences épiscopales ont adopté une attitude beaucoup plus souple. Du côté allemand, on a innové en dénommant le texte „Hirtenwort“, terme intraduisible en français9 et qui n’a pas de définition théologique. Les évêques allemands veulent donner à leur prise de position un aspect pastoral sans pour cela en faire une directive. L’incertitude la plus complète demeure quant au degré d’obligation qui en découle, ce qui n’est peut-être pas totalement fortuit. Les évêques français quant à eux ont choisi de publier un simple « document », choix qui indique le caractère beaucoup plus limité de leurs intentions et leur prédisposition – au moins théorique – à la discussion10.

2. Les évêques, le politique et la politique

6 En dépit de l’identité de la situation et du corps de doctrine qui leur servait à l’appréhender, les trois conférences ont abouti à des conclusions sensiblement différentes. Il suffit d’évoquer ici l’approche morale de la dissuasion nucléaire, l’évaluation de la défense conventionnelle ou l’attitude à l’égard des moyens de défense civile non-violente. Au-delà des facteurs d’explication théologiques et stratégiques mis en évidence par certains auteurs, il apparaît que des facteurs de nature politique entrent en ligne de compte dans l’explication de ces divergences. Ceci implique à un premier niveau d’analyse une étude approfondie des contextes nationaux dans lesquels furent élaborées les lettres pastorales permettant, à un second niveau, d’aboutir à un examen plus global de la relation de l’Eglise au politique et au pouvoir. Il ne s’agit pas là de deux étapes successives mais d’une imbrication étroite des deux niveaux, qui pourra se lire à travers l’analyse de chacun des thèmes principaux abordés dans les lettres pastorales.

7 Au premier niveau, on mettra en évidence l’imbrication étroite qui existe entre les prises de position de l’Eglise sur la guerre, la paix et les armements et sa situation sociologique dans une communauté nationale particulière. Son rapport à l’autorité politique et son degré d’assimilation des valeurs dominantes apparaîtront comme des variables déterminantes. Ici, les facteurs historiques sont une source essentielle d’explication et d’interprétation. Ainsi, la prise de position des évêques américains n’aurait pas été possible sans un processus bicentenaire d’intégration de l’Eglise catholique au « système » américain et à l’émergence d’une nouvelle compréhension de son rôle de la part de la conférence épiscopale, stimulée à la fois par Vatican II et par des événements d’origine purement nationale. De même, on ne peut comprendre l’attitude des évêques allemands si l’on ne prend conscience du rôle que jouèrent les catholiques dans la construction de la République fédérale et leur détermination à la constituer comme partie intégrante du monde occidental. En France, le traumatisme de la séparation entre Eglise et Etat intervenue au début du siècle continue d’avoir des répercussions sur toute prise de position d’origine religieuse dans le domaine politique.

8 L’étude des déterminants nationaux des conclusions épiscopales passe par une analyse de l’intervention des divers groupes qui ont tenté de marquer de leur sceau les lettres 14

pastorales à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise. Quatre d’entre eux ont joué un rôle de premier plan : les groupements catholiques de diverses obédiences, les milieux gouvernementaux, le Vatican et les conférences épiscopales elles-mêmes, qui se sont mutuellement influencées. En analysant en détail le processus de rédaction des lettres pastorales, nous découvrirons la manière dont les contraintes internes et externes ont pu influer sur l’appréhension des réalités concrètes de la part des évêques et éventuellement, « altérer » la pureté de leur jugement éthique. Ceci est particulièrement le cas en matière de dissuasion nucléaire.

9 L’avènement de la bombe nucléaire apporte une nouvelle dimension à l’analyse des conflits dans l’arène internationale ainsi qu’à la manière dont l’Eglise situe sa propre compétence par rapport aux Etats parties à ces conflits. Est-ce seulement succomber à un « mythe »11 que de la considérer comme un objet extérieur au pouvoir étatique, qui imposerait par sa seule présence une sorte de « sur-détermination » à la nature des relations internationales et en particulier entre les superpuissances ? Si la dissuasion nucléaire fait exploser le canevas traditionnel des rapports inter-étatiques, devenant une nouvelle forme d’incarnation de 1’« Esprit du monde » hégélien12, doit-on en conclure, comme le fait Jean-Paul Sartre, qu’elle rend l’homme définitivement libre puisqu’elle le met enfin en possession de sa mort13 ou au contraire, comme le fait Erich Fromm, qu’elle le dépossède à jamais de sa dignité en tant qu’être libre14 ? L’interrogation ne peut être indifférente à l’Eglise dont l’intervention dans le domaine politique est précisément justifiée par une certaine vision de l’être humain et du sens de son existence.

10 A la base de l’analyse de la compréhension qu’ont les évêques du « politique », nous ferons l’hypothèse que l’adoption de la dissuasion nucléaire comme composante centrale de la politique de défense occidentale a entraîné un changement fondamental de la nature du pouvoir concentré aux mains de l’autorité politique. La question qui se pose est alors la suivante : quelle validité garde le concept catholique traditionnel de l’autorité politique comme garant et promoteur du « bien commun » dans un âge nucléaire qui accorde aux gouvernements un pouvoir de vie et de mort illimité sur leurs propres citoyens, et même au-delà ? Selon notre hypothèse, l’intervention de l’Eglise dans le domaine de la politique de défense ne soulève pas seulement le débat traditionnel sur la séparation du religieux et du politique. Elle touche à l’« essence » même du politique15, qui sert chez de nombreux auteurs à définir le pouvoir politique organisé en Etat et qui repose sur le monopole de l’usage de la force sur un territoire donné16. Traditionnellement, le rapport de l’Eglise au politique se pose au double niveau de son droit de s’exprimer sur les moyens – exceptionnellement les buts – qu’utilise le pouvoir politique pour concourir à un objectif donné, et du contenu des interventions par lesquelles elle peut être amenée à remettre en cause telle ou telle décision de l’autorité étatique. On en reste cependant à une critique que nous pourrions qualifier d’« externe ». Or, les prises de position sur la défense nous semblent d’une beaucoup plus grande portée, dans la mesure où elles impliquent des interrogations radicales sur la nature même de la puissance politique en tant que détentrice du monopole de l’usage de la force. En prenant position sur la question de la défense nationale et de l’organisation des relations internationales, l’Eglise pose implicitement le problème de l’organisation et des objectifs de la société politique en tant que telle.

11 Mais les évêques vont-ils jusqu’au bout de leur raisonnement ? La critique que contiennent en germe leurs hypothèses sur la nature de l’être humain et le devenir des 15

relations internationales déploie-t-elle toutes ses potentialités dans leur analyse de la politique de défense ?

12 Les documents épiscopaux sur la guerre et la paix traitent, explicitement ou non, de deux composantes de la politique de sécurité : le maintien de la paix par des moyens d’abord militaires et accessoirement politiques, la promotion et la construction de la paix dont les éléments constitutifs sont de nature à la fois politique, sociologique et spirituelle. Nous voudrions montrer qu’il existe un écart, voire une contradiction, entre les propositions relatives au premier domaine, caractérisées par leur timidité et leur crainte d’ébranler le statu quo, et celles qui relèvent du second, beaucoup plus hardies et parfois idéalistes. L’explication de ce paradoxe passe par une analyse des conceptions du politique qui se dégagent des documents épiscopaux.

13 Le politique sera compris ici dans sa double fonction, conflictuelle et intégratrice. Le politique est toujours une dialectique entre une certaine « permanence nationale » et un « consensus qu’il s’agit d’élargir par conquêtes successives ». Les deux moments, celui du conflit, où s’affirment les enjeux partisans, et celui du dépassement du conflit par le passage à un niveau supérieur d’intégration, en sont les composantes essentielles et indissociables. « Ainsi entendu, le politique accepte la crise et la surmonte »17. Le moment de la gestion du conflit et de la violence en est donc un moment crucial.

14 Le recours à la terminologie utilisée par le politologue allemand Bernard Sutor pour analyser les lettres pastorales permet de mettre plus clairement encore en évidence ce processus. Sutor a recours aux trois termes de “policies”, “polity” et “politics” utilisés par la science politique américaine18, que nous traduirons respectivement par les décisions politiques, l’ordre politique et « la » politique. Alors que les décisions politiques se caractérisent par des valeurs, des buts ou des moyens concrétisés dans tel ou tel programme, l’ordre politique vise le consensus global sur des valeurs et des institutions à un niveau quasi métaphysique. « La » politique apparaît ainsi comme le médiateur entre le niveau inférieur des décisions politiques et le niveau supérieur de l’ordre politique, intermédiaire qui permet l’instauration d’un jeu dialectique par lequel les antagonismes caractérisant les relations entre différentes décisions politiques sont finalement dépassés pour aboutir à un renforcement de l’ordre politique. En conséquence, elle est un élément incontournable à la fois de l’émergence du consensus et de la gestion des conflits.

15 Pour notre part, nous définirons le politique comme l’articulation entre les valeurs et intérêts portés par les différents groupes sociaux au sein de la nation en vue de parvenir, par la gestion des conflits, à un consensus sur un nombre toujours croissant d’intérêts et de valeurs. Nous définirons la politique comme le moyen de la gestion de ces conflits.

16 Les évêques semblent avoir rencontré des difficultés dans leur appréciation du politique dans ses deux composantes, conflictuelle et consensuelle. Il faudra se demander si le reste d’une conception traditionnelle de l’Etat, caractérisée par une retenue excessive dans tout questionnement de l’autorité politique, supposée a priori garante du bien commun, n’est pas à l’origine de leur incapacité à concevoir le politique sous son aspect procédural de réalisation d’un consensus.

17 D’un autre côté, les évêques ont abordé le politique comme conflit et comme lieu de gestion des conflits avec une certaine réticence à cause d’une crainte existentielle de la division, qui va à rencontre de l’idéal catholique de l’unité, crainte doublée d’une prise en considération insuffisante de la distinction entre conflit et violence. 16

18 En examinant de plus près chaque document épiscopal, il apparaîtra que la valeur explicative de ces éléments varie dans chaque contexte national. Alors que les évêques allemands et français sont prêts à adhérer à la politique de défense de leurs gouvernements, leurs homologues américains font résolument front contre la politique de défense de l’administration Reagan. Cependant, nous verrons que les trois conférences s’identifient très étroitement avec la problématique particulière du débat sur la défense dans chaque contexte national.

3. De la stratégie à l’éthique

19 La difficulté et, par là même, l’intérêt du sujet choisi, tient à deux facteurs : d’une part la diversité des domaines en jeu, de l’autre son actualité historique.

20 1) Notre champ d’investigation se situe au point de confluence de disciplines aussi diverses que la stratégie, la science politique, la théologie et la philosophie. Ce n’est pas nécessairement pratiquer la confusion des genres que de faire appel tour à tour à différents types d’explication. Le point crucial des documents pastoraux étant le jugement éthique des stratégies nucléaires, leur étude exige, à cause de la nature du phénomène, le recours à une évaluation politico-stratégique des situations et la justification du choix d’une méthode de jugement moral. Elle présuppose aussi la mise en évidence d’un certain système de valeurs sous-jacent auquel on se réfère.

21 La littérature sur les aspects éthiques de l’armement et de la dissuasion, qui a fleuri entre 1980 et 1983, a deux origines principales : théologique et stratégique. Une faible partie seulement est d’origine politologique. Sa valeur est très inégale, les contributions se rangeant d’un exposé simplificateur et partiel de la situation en vue de justifier telle ou telle prise de position partisane, à une analyse approfondie des multiples composantes de la sécurité au moyen de principes de jugement éthique clairement précisés. Aux « classiques »19 sont venus s’ajouter toute une série d’articles et d’ouvrages souvent parus sous la forme de commentaires et de critiques des documents épiscopaux. Parmi les ouvrages éminents20, on peut citer : dans le contexte allemand, Frieden in Sicherheit, Zur Weiterentwicklung der katholischen Friedensethik, édité par Ernst-J. Nagel et Norbert Glatzel21, Politik und Ethik der Abschreckung, édité par Franz Böckle et Gert Krell22, „Gerechtigkeit schafft Frieden“, Die Katholische Friedensethik im Atomzeitalter23 de Rupert Feneberg ; aux Etats-Unis, Catholics and Nuclear War, A Commentary on “The Challenge of Peace”, édité par Philip Murnion24, Nuclear Ethics25 de David HOLLENBACH, The Conduct of Just and Limited War26 par William O’BRIEN, Nuclear Ethics27 de Joseph NYE. Sur la base des discussions et réflexions des années antérieures, ce dernier ouvrage, qui part d’une analyse philosophique et non théologique, constitue une excellente tentative pour relier les catégories du jugement éthique à la décision politique concrète. Ce n’est pas le cas de l’ensemble de la littérature : certaines contributions, d’origine théologique, démontrent peu de compréhension à l’égard des réalités stratégiques, alors que les analyses d’origine stratégique, si elles commentent la pertinence politique des propositions épiscopales, tendent à ignorer les contraintes du jugement moral. Même parmi les ouvrages de valeur, le lien entre les deux aspects, éthique et stratégique, reste souvent insuffisant, du fait que nombre d’entre eux sont des collections d’articles. En langue française, la littérature sur les aspects éthiques de la dissuasion est quasi inexistante, rançon sans doute du fameux « consensus » sur ce mode de défense, ainsi que de la réticence traditionnelle d’une société sécularisée à poser les problèmes politiques en termes moraux. 17

22 Pour suppléer aux carences de la littérature existante, il est nécessaire d’introduire une analyse de type politologique, qui apparaît comme le lien indispensable entre les approches théologique (ou philosophique) et stratégique. Les lettres pastorales ont peu été étudiées sous cet aspect. Il n’existe à notre connaissance que le court article de Bernard Sutor, mentionné plus haut, qui ne se limite pas aux trois documents américain, allemand et français, mais effectue une analyse globale des prises de position épiscopales dans le monde catholique. La littérature comparative des documents est peu répandue. Il faut citer à titre d’exception l’étude systématique des lettres américaine et allemande entreprise par Hans Langendörfer dans le cadre d’un travail de thèse28. Bien qu’elle contienne une analyse approfondie des aspects militaires de la dissuasion, cette étude se place dans une perspective très différente de la nôtre dans la mesure où elle a pour but de déterminer le meilleur moyen d’énoncer un jugement éthique sur la dissuasion nucléaire. Sans négliger cet aspect, l’apport de la science politique peut, à notre avis, constituer un complément important en liant les analyses théologiques et stratégiques. Elle peut mettre en évidence des facteurs explicatifs décisifs des initiatives épiscopales autant que de leurs conclusions. Néanmoins, le recours à certains principes de base de la théologie morale sera un préalable nécessaire à notre étude. Nous y ferons appel de la manière la plus succincte possible qui ne nuise pas à la compréhension de l’argument.

23 2) L’actualité du sujet constitue une seconde limite à l’analyse des déterminants politiques des textes. Si la discussion des propositions éthiques et stratégiques peut faire l’objet d’une appréhension et d’une critique directes, l’étude des déterminants politiques nécessite une connaissance détaillée des processus d’élaboration des documents. Or, l’institution catholique est connue pour le secret qui accompagne la prise de décision en son sein. Les évêques américains firent cependant une exception très appréciée du journaliste autant que du politologue. En adoptant un processus de rédaction public, ils permirent une comparaison directe des différentes moutures du texte et une connaissance assez complète des pressions extérieures, le plus souvent véhiculées par la grande presse. De plus, le compte rendu journalistique de Jim Castelli29, qui a bénéficié d’un accès direct auprès de certains évêques, constitue un outil essentiel de connaissance des débats30. Dans le cas allemand, l’absence d’informations directes provenant des évêques a pu être heureusement compensée par l’exposé du processus de rédaction contenu dans l’ouvrage de Hans Langendörfer, complété par les nombreuses conversations que nous avons eues avec cet auteur.

24 En règle générale, afin d’éviter toute information partielle ou superficielle, nous avons décidé d’aller directement à la source des documents pastoraux, c’est-à-dire à leurs propres auteurs : membres des commissions préparatoires, évêques ou théologiens, dont l’apport à la recherche va bien au-delà de la fourniture d’éléments de fait et permet de reconstituer l’atmosphère des discussions selon la personnalité et les opinions de chacun. En France, ils furent d’ailleurs notre source d’information essentielle, vu l’absence de documentation écrite sur le processus d’élaboration du texte épiscopal. Nous avons également eu de nombreux entretiens avec des représentants des mouvements de paix catholiques et des groupes conservateurs qui ont réagi sur les documents ou participé à des discussions directes avec les évêques, ainsi qu’avec des théologiens ou stratèges ayant publié des analyses des textes dans des revues spécialisées et eu des échanges de vues avec les épiscopats sur le sujet. Les journalistes spécialisés dans les manifestations publiques de l’Eglise, qui ont suivi régulièrement la rédaction des lettres pastorales, comptèrent aussi parmi nos sources d’information. 18

25 La méthode adoptée pour les interviews effectuées auprès de ces personnes fut celle que les spécialistes américains appellent « élitaire ». Plutôt qu’une formule standard, elle utilise une série de questions adaptées aux compétences particulières de la personne interrogée. Lorsqu’un point a été suffisamment clarifié par la convergence de plusieurs réponses, il est délaissé au profit d’autres thèmes afin que demeurent le moins possible de cases blanches sur le damier de la recherche. Généralement ces entretiens furent aussi l’occasion de réunir des documents complémentaires, confidentiels ou de circulation limitée, introuvables en bibliothèque.

26 Outre le problème de l’accès aux sources, l’actualité du sujet pose la question de la validité des conclusions. La défense constitue pour l’Eglise un domaine d’intervention relativement récent. Une attitude qui semblait marquer une tendance à long terme peut s’avérer, à la longue, n’être qu’un cas isolé. La découverte d’informations nouvelles peut entraîner à modifier, voire à infirmer, certaines conclusions. Depuis 1983, date de publication des documents pastoraux, le paysage politico-stratégique a sensiblement changé, entraînant avec lui l’évolution des appréciations éthiques. Les progrès accomplis sur la voie du désarmement entre les grandes puissances, la politique d’ouverture tentée par M. Gorbatchev en URSS, l’approfondissement de la réflexion sur la défense et la dissuasion civiles conduisent à des réappréciations. Les évêques américains en ont pris acte dès 1985 en décidant d’entreprendre un réexamen de la politique de défense du gouvernement Reagan au vu des critères élaborés dans leur lettre pastorale de 198331. Ces évolutions seront prises en compte dans la critique des trois documents épiscopaux, qu’il faudra cependant éviter d’extraire du contexte très particulier des années 1981-83. Nous espérons échapper aux écueils résultant d’une trop grande proximité de l’actualité en replaçant l’analyse des documents épiscopaux à l’intérieur d’un type global de comportement de l’institution catholique face à la décision politique. En effet, si certains traits singuliers – qu’il faudra analyser – se détachent des lettres pastorales, nombre de leurs conclusions ne sont explicables que si l’on se situe dans le contexte d’une évolution séculaire des relations entre Eglise et pouvoir politique.

4. Plan d’analyse

27 Notre cadre d’analyse est celui de l’engagement politique de l’institution Eglise. Il faudra en poser les principes et les limites, ainsi que rappeler la théorie catholique du pouvoir politique et de l’Etat en préalable à l’étude des déclarations épiscopales. Cette étude elle- même se déroulera en trois étapes. La première partie tentera une synthèse et une interprétation de l’évolution du discours catholique sur la guerre et la paix au cours des siècles en mettant l’accent sur les défis posés à la théorie traditionnelle par l’arme nucléaire et l’effort récent de réorientation vers la « construction de la paix ». Elle sera aussi l’occasion d’exposer en détail le processus de rédaction des documents épiscopaux et de mettre en évidence leur étroite dépendance par rapport aux contextes nationaux dans lesquels ils ont pris naissance. L’étude approfondie des aspects éthiques de la dissuasion nucléaire sera l’objet de notre seconde partie. Les conclusions épiscopales seront étudiées ici autant sous l’angle de leurs motivations stratégiques, politiques, que théologiques ou ecclésiologiques. Après avoir mis en évidence les contradictions inhérentes aux jugements épiscopaux sur la dissuasion et les contraintes qui en sont les causes, nous aborderons dans notre troisième partie le problème des « solutions de rechange » : autres moyens d’assurer la sécurité et construction de la paix. Une certaine 19

timidité des premiers, un certain idéalisme des seconds nous mèneront à nous interroger sur les limites de la compréhension du politique dans l’Eglise catholique, domaine à la fois sacré et tabou, qu’elle craint d’aborder par tradition et à cause de son expérience historique, et dont elle n’a peut-être pas suffisamment saisi la dynamique.

NOTES

1. Nous utiliserons ce terme plutôt que celui de « mouvement pacifiste » qui, en plus de sa connotation péjorative, tend à être employé pour désigner tous les opposants à la politique de défense occidentale, sans tenir compte de la diversité des options qui peuvent être les leurs : « pacifisme » absolu, défense non-violente, défense « civile » ou « territoriale », primauté de la défense conventionnelle, etc. Le terme « mouvement de la paix » est ambigu en Français car il désigne une branche déterminée de ces mouvements, idéologiquement très proche du Parti communiste et de l’Union soviétique. La formule « mouvement pour la paix » n’est pas non plus satisfaisante car elle laisse supposer que tous ceux qui n’appartiennent pas à ce mouvement sont des bellicistes. 2. Au total 108 missiles Pershing II (missiles de portée intermédiaire basés au sol), devant être installés en Allemagne fédérale et 464 missiles de croisière (“cruise”) répartis entre le Royaume- Uni, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et la RFA. Le déploiement de ces missiles commença en décembre 1983. 3. „Friedenshirtenbrief der ungarischen Bischöfe : Wir rufen feierlich : Halt für die todbringenden Waffen“ ; „Gemeinsamer Hirtenbrief der katholischen Bischöfe in der DDR zum Weltfriedenstag 1983“ ; in Bischöfe zum Frieden, Stimmen der Weltkirche, 2te erw. Aufl., 1983, Hrsg. Sekretariat der Deutschen Bischofskonferenz, Bonn, pp. 193-195, 177-83. Les Eglises protestantes se prononcèrent également, à l’Ouest et à l’Est. Pour un résumé de leurs prises de position, voir Herder Korrespondenz, Freiburg, Heft 11/1983, pp. 498-90. 4. Le livret Bischöfe zum Frieden recense les textes des lettres pastorales, appels, déclarations, etc. en provenance des Etats-Unis, Pays-Bas, Allemagne de l’Est, Autriche, Hongrie, Suisse, Irlande, Belgique, Japon, France, Angleterre et Pays de Galles et un appel du Cardinal Basil Hume, archevêque de Westminster. En français une partie de ces textes est reproduite dans Les Eglises contre la bombe ? Les Eglises chrétiennes et les armements nucléaires, éd. François Vaillant, Bernard Quelquejeu, Paris, Cerf (Recherches morales), 1985, 208 p. Une compilation des thèses principales des documents épiscopaux a été réalisée par Kris Savat pour Pro Mundi Vita : Dossiers, Bruxelles, Nr.28. 1/1985, 35 p. 5. Nous utiliserons dans la suite de notre développement le terme « Eglise » pour désigner l’Eglise catholique quand celui-ci ne prêtera pas à confusion, puisque notre analyse portera sur certaines prises de position au sein du monde catholique. 6. L’Eglise dans le Monde de ce Temps, Etudes et Commentaires autour de la déclaration pastorale “Gaudium et Spes” de Vatican II, sous la direction de Guilherme Barauña, Bruxelles, Desclée de Brouwer, 1967 ; texte de la déclaration pp. 14-177, ici § 81.2, p. 159. Par la suite il sera fait référence à ce texte par les initiales GS en citant directement le paragraphe et éventuellement l’alinéa concerné. 7. National Conference of Catholic Bishops (NCCB), “The Challenge of Peace, God’s Promise and Our Response”, May 3, 1983, Origins 13(1), 1983, pp. 2-32 (ci-après CoP) ; traduction sous le titre 20

« Le défi de la paix, la promesse de Dieu et notre réponse », DC, Nr. 1856, 1983, pp. 715-62. Egalement édition Pax Christi, Les évêques américains disent Non à la guerre nucléaire, Paris, éd. Ouvrières, 1983, 219 p.; Deutsche Bischofskonferenz (DBK), Gerechtigkeit schafft Frieden, 18 April 1983, Hirtenbrief Nr.34, Hrsg. Sekretariat der DBK, Bonn, 1983, 91 p. (ci-après GsF) ; traduction sous le titre « La justice crée la paix », DC, Nr. 1853, 1983, pp. 168-94 et traduction dite « autorisée » par les évêques suisses, La Justice crée la Paix, Déclaration de la Conférence é piscopale allemande sur la paix, 18 avril 1983, Déclaration complémentaire de la Conférence des évêques suisses, Fribourg, 1983, 72 p. Conférence épiscopale française (CEF), Gagner la paix, 3 nov. 1983. Les grands textes de la Documentation catholique, Nr.46, Paris, 1983, 14 p. (ci-après GP). Les trois textes seront cités directement dans l’édition de la DC. 8. MURPHY, Matthew, “Why Bishops Should not Take Sides”, Center Journal, Winter 1983, pp. 153-63 ; OBERHEM, Harald, Interview du 5 mars 1985. Nous reviendrons ultérieurement sur ce sujet. 9. La DC a choisi le titre « lettre pastorale », alors que les évêques suisses ont adopté le terme « déclaration ». 10. Nous essaierons de respecter ces intitulés dans notre développement, mais pour des raisons stylistiques ce ne sera pas toujours possible. 11. Comme l’affirme Lucien Poirier : Des Stratégies Nucléaires, Paris, Hachette, 1977, pp. 39-45. 12. ibid., pp. 41-43, 84. 13. SARTRE, Jean-Paul, « La fin de la guerre », in Situations III, Paris, Gallimard, 3e éd., 1949, pp. 68-69. 14. FROMM, Erich, „Argumente zur einseitigen Abrüstung“, in Strategie der Abrüstung, Hrsg. Donald G. Brennan & Uwe Neriich, Gütersloh, Bertelsmann, 1962, pp. 208-18. 15. FREUND, Julien, L’essence du politique, Paris, Sirey, 1965, 764 p. 16. D’après la célèbre définition de Max Weber : « Nous entendons par Etat une “entreprise politique de caractère institutionnel” lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime » ; WEBER, Max, Economie et Société, vol. 1, Paris, Plon, 1971, p. 57. 17. RIOUX, Jean-Pierre, « Les variables politiques », in La mémoire des Français, Quarante ans de commémorations de la seconde guerre mondiale, Centre Régional de Publication de Paris, Institut d’Histoire du Temps Présent, Paris, Ed. CNRS, 1986, p. 89. 18. SUTOR, „Das Politische in den Friedenserklärungen katholischer Bischofskonferenzen“, Stimmen der Zeit, Heft 7/1984, pp. 455-74. 19. Citons ici RAMSEY, Paul, The Just War, Force and Political Responsibility, New York, NY, Charles Scribner’s Sons, 1968, 554 p. ; WALZER, Michael, Just and Unjust Wars, New York, NY, Basic Books, 1977, 361 p. 20. Les articles de revues, même spécialisées, sont trop nombreux pour être cités ici. On se reportera à la bibliographie. 21. Freiburg/Basel/Wien, Herder, 1982, 288 p. 22. Grunewald, Kaiser, 1984, 256 p. 23. München, Kösel, 1985, 200 p. 24. New York, NY, Crossroads, 1983, 346 p. 25. New York, Ramsey/Paulist Press, 1983, 100 p. 26. New York, NY, Praeger, 1981, 495 p. 27. New York/London, MacMillan/The Free Press, 1986, 162 p. 28. LANGENDÖRFER, Hans, Atomare Abschreckung und kirchliche Friedensethik, Eine Untersuchung zu neuesten katholischen Friedensverlautbarungen und zur ethischen Problematik heutiger Sicherheitspolitik, München/Mainz, Kaiser/Grünewald, 1987, 234 p. 29. CASTELLI, Jim, Bishops and the Bomb. Waging Peace in a Nuclear Age, New York, NY, Garden City/Image Books, 1983, 283 p. 21

30. Au dire de la plupart des membres du comité de rédaction de la lettre pastorale, cet ouvrage, bien que dénué de toute référence aux sources, est fidèle au contenu et au ton des débats. 31. “Nuclear Deterrence: Are the Conditions being Met?”, Origins 15(24), 1985, pp. 399-400 ; BERNARDIN, Cardinal Joseph, Progress Report of the Ad Hoc Committee for the Moral Evaluation of Deterrence, Address to the National Assembly of Bishops, Nov. 17, 1987. Origins 17(24), 1987, pp. 425-27. 22

Chapitre I. Eglise, politique et Etat dans la tradition catholique

1 Depuis les origines du christianisme, la relation entre Eglise et pouvoir politique est une question très discutée – et disputée. Tout l’éventail des modèles possibles, de la théocratie à la séparation la plus absolue entre religion et politique, qui réduit la foi à un champ purement privé, a été évoqué, sinon traduit dans la pratique1. L’évolution historique fut marquée par des moments aussi divers que la suspicion mutuelle au temps des premiers chrétiens, en passant par la christianisation de l’Empire, les querelles du Moyen Age pour la suprématie entre pouvoir politique et religieux, les diverses étapes de la sécularisation2 pour aboutir à la disparition de la puissance temporelle de l’Eglise à la fin du XIXe siècle, disparition que le Saint Siège mit plusieurs décennies à accepter. En réalité cette acceptation n’aboutit pleinement qu’avec la « Déclaration sur la liberté religieuse » de Vatican II3. Il n’est pas de notre propos de retracer dans le détail les étapes de ce processus historique. Mais nous voudrions souligner par le rappel de quelques principes clés que l’évolution des rapports entre l’Eglise et l’Etat et, plus largement, de la foi au champ de l’action politique, est toujours en devenir.

2 Au point de départ de l’analyse, il y a l’hypothèse catholique selon laquelle la foi ne pourra jamais être une affaire purement privée. Nous examinerons en premier lieu la logique fondatrice de cette position, développée par Vatican II et précisée par des textes subséquents. L’exposé des justifications sera suivi d’un début de réflexion sur les modes d’intervention de l’Eglise dans le domaine politique. Enfin, on complétera cette première approche par un rappel des éléments essentiels de la théorie catholique de l’Etat et du pouvoir politique, qui constituent une base essentielle à la compréhension des prises de position épiscopales sur les questions de défense nationale. Le recours éventuel à certains éléments de la théologie calviniste ou luthérienne aura pour but d’éclairer la spécificité du modèle catholique plutôt que de développer une véritable analyse comparative.

I. Les justifications d’une intervention

3 « [L’Eglise] ne se dégage des intérêts de ce monde que pour mieux être en mesure de pénétrer la société… », déclarait Paul VI au corps diplomatique accrédité auprès du 23

St Siège en 19664. C’est, en quelques mots, résumer toute la philosophie du document conciliaire “Gaudium et Spes” et des développements subséquents au sein de l’Eglise. Affirmer que la foi a une dimension sociale et politique pose le problème de sa relation à l’action politique, qui est le lieu où se manifeste l’éthique. Les diverses confessions religieuses apportent sur ce point des réponses sensiblement différentes, ce qui n’est pas sans conséquences sur la manière dont chacune appréciera sa relation à l’autorité politique. Au sein de l’Eglise catholique surgit en outre la nécessité d’une distinction entre les compétences du magistère et des laïcs, distinction qui, nous le verrons, ne fut pas aisée dans le débat sur les armements, en particulier aux Etats-Unis.

1. Les dimensions sociales et politiques de la foi

4 Réfléchissant à la situation de l’Eglise dans le cadre politique d’un Etat pluraliste, les évêques allemands écrivaient en 1969 : Parce que l’Eglise n’est pas du monde, mais se compose cependant d’êtres humains et ne peut exercer son action que dans le monde, elle n’a pu, depuis ses origines, échapper au dialogue avec la collectivité politique et avec la société dans lesquelles elle vit. Qu’elle le veuille ou non, elle se voit toujours placée dans un certain mode de relations par rapport aux Etats et confrontée aux valeurs sociales dominantes qui guident les efforts d’une communauté politique à un moment donné de son histoire5.

5 L’Eglise n’est pas une entité abstraite ; elle est aussi une institution – et même un Etat – ce qui implique un certain nombre de contacts avec la société politique. De plus, ses membres ne sont pas isolés de la société dans laquelle ils évoluent : ils sont à la fois fidèles de l’Eglise et citoyens de leur Etat, une double allégeance qui n’est pas toujours sans poser problème.

6 Si cette constatation d’ordre sociologique suffit déjà à expliquer certaines interventions de l’entité ecclésiale dans le domaine politique, elle est loin d’en épuiser tous les fondements. Il faut pour ceci avoir recours à une explication de nature théologique, dont les principes directeurs sont énoncés dans le document conciliaire “Gaudium et Spes”.

7 La Constitution Pastorale “Gaudium et Spes” insiste dès ses premières lignes sur le fait que l’Eglise, « Peuple de Dieu », est « réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (CS § 1) et en dialogue constant avec la famille humaine (GS § 3.1). Exposant plus en détail le rôle de l’Eglise dans le monde, elle déclare : « Si la mission propre que le Christ a confiée à son Eglise n’est ni d’ordre politique, ni d’ordre économique ou social,... de cette mission religieuse découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affermir la communauté des hommes selon la loi divine » (GS § 42.2). Il n’y a pas de séparation entre l’activité temporelle des hommes et la construction du Royaume de Dieu : l’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller : le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir. C’est pourquoi, s’il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuera une meilleure organisation de la société humaine (GS § 39.2)6.

8 Même s’il n’atteint pas encore sa perfection, « le Royaume est déjà présent sur cette terre » (GS § 39.3), une affirmation qui donnera du fil à retordre aux évêques américains (Voir Chap. VI). En conséquence, « le message chrétien ne détourne pas les hommes de la 24

construction du monde et ne les incite pas à se désintéresser du sort de leurs semblables : il leur en fait, au contraire, un devoir plus pressant » (GS § 34.5)7. D’une part, l’activité temporelle de l’homme acquiert un sens religieux, de l’autre, l’effort spirituel de l’Eglise contribue au développement humain. Il est donc possible au Concile d’affirmer qu’il existe une complémentarité et un soutien mutuel de l’Eglise et de la communauté humaine (GS § 11.3). L’Eglise apparaît comme « l’âme de la société humaine » (GS § 40.2), alors même qu’elle reconnaît positivement l’apport que peut lui fournir le monde profane (GS § 44)8. Dans cette perspective, l’activité politique s’inscrit dans la téléologie du salut avant même toute intervention de l’éthique.

9 Jean-Paul II vient donner substance aux affirmations du Concile à partir d’une démarche qui lie étroitement sa vision religieuse et une anthropologie basée sur la notion de « dignité humaine ». Davantage encore que ses prédécesseurs9, il affirme que, par son incarnation et sa rédemption, le Christ a rendu à tout homme l’accès possible à la pleine dignité humaine. La doctrine de l’incarnation permet d’affirmer que le message de l’Evangile ne touche pas seulement l’homme abstrait, l’homme spirituel, mais l’être dans son unité même, dans ses dimensions à la fois matérielle et spirituelle10. Le christianisme est une religion éminemment historique11. La croyance en un Dieu qui se manifeste concrètement dans l’Histoire ne peut rester sans implications politiques.

10 Ces implications deviendront d’autant plus réalité que l’Eglise affirme le caractère communautaire du salut (GS § 24-25, § 32). Chez Jean-Paul II, ce postulat d’une dimension sociale, communautaire, de la personne humaine se réalise sociologiquement par un lien organique entre la religion et la culture qui, selon lui, sont toutes deux, et de manière indissociable, constitutives de l’ontologie humaine12, jusqu’à la dimension de la transcendance13, si bien que la foi ne peut être étrangère au corps social dans lequel se manifeste la culture14. Le Christ étant venu sauver l’homme dans son intégralité, être concret, ayant accès à la transcendance, être unique n’ayant d’existence que par rapport à une communauté, l’Eglise ne peut se désintéresser de l’aspect temporel de l’activité humaine, ni éviter dans son discours la référence aux sphères sociales, culturelles et politiques de cette activité. Elle se présente alors comme le garant du respect des « droits de l’homme » au sens le plus compréhensif du terme, par quoi elle entend l’ensemble des conditions de l’épanouissement matériel et spirituel de l’être humain15.

2. Salut, éthique et politique

11 Si la formulation a changé, une dominante de la tradition catholique demeure : royaume terrestre et royaume céleste sont deux domaines distincts, mais en compénétration permanente. La construction du premier contribue à l’avènement du second. La parole de l’Eglise sera donc à la fois spirituelle et éthique, comme le veut le Concile (GS § 33.2), sans qu’il y ait toujours possibilité de distinguer l’une et l’autre composantes. L’intervention de l’Eglise en politique relève surtout du discours éthique, mais la dimension spirituelle n’est pas totalement sans incidence sur ce domaine16.

12 La position catholique se distingue d’une approche luthérienne qui tend à séparer totalement éthique et sanctification17. Elle est proche de l’éthique calvinienne, du moins dans son évolution récente, qui fait de l’action une conséquence directe de la foi18. Pour Luther, c’est la situation de l’homme « devant Dieu », dans laquelle il n’y a pas de libre- arbitre, qui détermine son accès au salut19. La volonté humaine peut, certes, s’exercer dans le domaine de l’éthique – qui est bonne et nécessaire –, mais face à Dieu, elle est sans 25

incidence. Tenter de se justifier par l’éthique serait une entreprise vaine, motif de désespérance plutôt que d’espérance, car vouée à l’échec à cause du péché de l’homme. Chez Calvin, on trouve grâce au « troisième usage de la loi »20 une tentative plus poussée pour relier l’éthique et l’Evangile, ce dernier n’étant plus seulement expression du don de Dieu mais message éthique à usage didactique, destiné à conduire à l’obéissance des croyants.

13 Un lien étroit entre Evangile et éthique se profile également dans la théologie catholique. Pour Thomas d’Aquin, qui reprend la tradition aristotélicienne, l’action humaine est déterminée par sa fin – l’objet de la volonté – cette fin étant la recherche du bien21. Ainsi que le résume Alain de la Morandais : Toute action vise une fin, qui est d’abord la sienne propre et qui vise, par-delà les fins immédiates, une fin ultime, explicitement ou implicitement voulue. Cette fin ultime, en rassemblant la multiplicité de nos actes et la diversité de nos intentions particulières donne à [notre] existence une certaine unité propre et joue par rapport aux valeurs morales, qui restent des valeurs d’action, le rôle de suprême principe d’unification22.

14 Selon Thomas d’Aquin, la fin ultime ne peut être que Dieu, car Dieu est le Souverain Bien23 . L’homme, en réalisant sa nature ontologique, obéit par là même à la loi éternelle. La doctrine thomiste est donc une théologie basée sur une téléologie. Grâce divine et volonté de l’homme concourent à l’action éthique24 qui a un sens à la fois pour le développement humain et la réalisation du Royaume de Dieu.

15 Nous laisserons à la théologie la poursuite de la réflexion sur le rapport entre éthique et sanctification. Néanmoins, il appartient à la science politique d’examiner le sens et les limites du discours éthique de l’Eglise qui, à partir du moment où elle ne se borne pas au champ de l’action individuelle, a immédiatement une portée dans le domaine politique.

16 Si la parole que prononce l’Eglise sur des matières politiques se veut motivée par l’éthique, cela ne préjuge pas pour autant de sa nature et de son contenu concret. Doit- elle se limiter à un jugement négatif, un « tu ne dois pas » adressé au pouvoir politique, qui interviendrait soit a priori comme un balisage, soit a posteriori, comme une sanction ? Ou doit-elle aussi poser des impératifs positifs, avec le danger de céder à un pur légalisme ? Dans ce cas. comment faire droit à l’infini de l’exigence éthique, qui dépasse toute prescription ? Doit-elle fournir soutien et assistance aux responsables politiques dans leur tâche de gestion et de promotion du « bien commun », comme semble l’envisager le Concile (GS § 40-44, 73-76) ou doit-elle au contraire assumer un rôle de contestation prophétique sans nécessairement proposer de solution aux problèmes en cause ? Doit-elle se limiter à l’énoncé de principes généraux qui risquent de rester formels (« faire le bien », « éviter le mal ») ou lui appartient-il de se prononcer sur des propositions politiques concrètes ?

17 A ces questions, qui accompagnent tout engagement politique d’une instance spirituelle, s’ajoute dans le contexte catholique la difficulté du partage des compétences entre laïcat et magistère, difficulté qui a acquis une acuité toute particulière dans le débat relatif aux prises de positions épiscopales sur la guerre et la paix.

3. Le partage des compétences

18 Le Concile affirme qu’« aux laïcs reviennent en propre, quoique non exclusivement, les professions et les activités séculières… C’est à leur conscience, préalablement formée, 26

qu’il revient d’inscrire la loi divine dans la cité terrestre ». Ils doivent attendre pour cela de la part des prêtres « lumières et forces spirituelles », sans penser pour autant que leurs pasteurs aient une compétence telle qu’ils puissent leur fournir « une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux » (GS § 43.2). Il reconnaît qu’il est possible d’opter pour différentes solutions à partir d’une même vision chrétienne des choses, autorisant un pluralisme politique dans l’Eglise, jusque-là considéré avec une extrême circonspection. En conséquence, « personne n’a le droit de revendiquer d’une manière exclusive pour son opinion l’autorité de l’Eglise » (GS § 43.3). En posant cette affirmation, le Concile a cherché à accroître l’autonomie du temporel et à limiter les formes de cléricalisme, trop fréquentes dans l’histoire de l’Eglise. Cette orientation est formulée encore plus clairement dans la lettre apostolique “Octogésima Adveniens” du pape Paul VI : Face à des situations variées, il nous est difficile de prononcer une parole unique comme de proposer une solution qui ait valeur universelle. Telle n’est pas notre ambition, ni même notre mission. Il revient aux communautés chrétiennes d’analyser avec objectivité la situation propre de leur pays, de l’éclairer par la lumière des paroles inébranlables de l’Evangile, de puiser les principes de réflexion, des normes de jugement et des directives d’action dans l’enseignement social de l’Eglise…25.

19 Il est donc essentiel que le magistère se limite aux fonctions qui lui sont réservées selon les stipulations du texte “Lumen Gentium”26 et se garde d’empiéter sur le domaine de compétence des laïcs.

20 Cependant, cela n’implique pas une abstention totale de sa part sur les sujets relatifs au domaine politique. Le Concile revendique le droit de l’Eglise – qui apparaît comme droit du magistère – de « porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand le droit fondamental de la personne ou le salut des âmes l’exigent », afin qu’elle « puisse accomplir sa mission parmi les hommes » (GS § 76.5). La difficulté sera de déterminer les bornes de cette prérogative, à la fois au sein de l’institution et vis-à-vis de l’ensemble de la communauté politique.

II. Modes d’intervention de l’Eglise dans le domaine politique

21 La plupart des auteurs s’accordent à considérer que les sources de la morale catholique sont au nombre de deux : la Révélation et le droit naturel27. En termes de morale sociale, la seconde fut traditionnellement le mode d’interprétation dominant, entraînant une sclérose de la doctrine dont les effets se font encore sentir. En réaction, des pressions se manifestèrent pour un retour à une morale plus « évangélique ». Nous retracerons à grands traits les principes de la morale naturelle et leur évolution historique avant de mettre en évidence les problèmes que poserait une morale directement tirée de l’Evangile.

1. La loi naturelle

22 La théorie du droit naturel repose sur un présupposé anthropologique : il existe une norme morale immanente à l’être humain qui correspond à « la structure de l’homme comme personne et comme être social » et qui doit être respectée pour que la vie en 27

société soit possible « quelle que soit la forme particulière sous laquelle elle se réalise et permet à l’homme de se réaliser ». Ainsi que la résume Jean-Marie Aubert, « l’idée de droit naturel ne fait qu’exprimer l’ordre de choses exigé par la vie humaine en communauté sans laquelle l’homme n’est ni pensable ni possible »28. En conséquence, l’éthique sera l’expression de lois immanentes à l’agir humain. Mais contrairement à la philosophie du siècle des Lumières, développée en grande partie en réaction à son égard, la doctrine catholique ne postule pas une nature totalement appréhendable et dirigeable par le biais de la raison humaine. Au contraire, elle établit des liens indissolubles entre Nature et Révélation. Le développement de l’homme s’accomplit simultanément sur les plans spirituel et humain. La téléologie définie par Thomas d’Aquin n’a jamais été remise en question. Etant donné que le salut annoncé par l’Eglise est celui de l’homme concret, le droit naturel apparaît comme une « médiation entre la Révélation et la réalité humaine » 29. Cette hypothèse a un corollaire important : il revient à l’Eglise, gardienne de la Révélation, et en particulier à son magistère, d’interpréter les lois régulatrices de la nature de l’homme et, en conséquence, de définir les normes éthiques capables de guider sa conduite.

23 Historiquement, cette prétention a donné lieu à de nombreux abus, qui ont largement contribué à jeter le discrédit sur la théorie catholique du droit naturel. Aujourd’hui encore, même après une saine critique venue de l’intérieur comme de l’extérieur de l’Eglise, on hésite à y faire explicitement référence ; ce qui ne signifie par son abandon.

Le risque d’une interprétation réductrice de la loi naturelle

24 L’interprétation réductrice de la morale naturelle est due à une confusion entre les deux termes de « droit naturel » et de « loi naturelle », souvent employés comme synonymes, ou comme sous-groupe l’un de l’autre, alors qu’il existe en réalité une différence qualitative entre eux30. Alors que le premier exprime une « participation matérielle au vouloir divin », comme telle ou telle inclination objective à assumer, ou tel ou tel acte à accomplir31, la seconde manifeste une participation formelle dont la raison se fait l’instrument en donnant à l’homme la capacité de « [percevoir] la nécessité morale qui relie à la fin de l’homme tel ou tel acte… comme moyen à fin »32. En d’autres termes, « la loi naturelle est la raison humaine à l’œuvre sur la réalité humaine globale (corps et âme) à régler ; le droit naturel est cette réalité elle-même, non pas définie une fois pour toutes, mais s’offrant à l’action régulatrice de la raison sous forme de tendances et d’inclinations »33. Jean-Marie Aubert insiste longuement sur l’idée de tendances, qui suppose une réalité humaine ouverte, évolutive au fil des circonstances historiques34. Dans la pratique, ce caractère empirique et existentiel35 du droit naturel a été évacué sous l’influence de l’interprétation réductrice de la scolastique des XVIe et XVIIe siècles, renforcée d’un côté par le matérialisme, de l’autre par l’idéalisme des philosophies subséquentes. Il en est résulté une dichotomie insurmontable entre nature et liberté, absente de la théorie thomiste des origines36.

25 Dans cette perspective, la nature est considérée non plus comme « un réel à l’état de tendances », sur lequel doit œuvrer la raison, mais comme un donné figé et immuable, détaché des aléas des circonstances historiques. La tendance volontariste, inaugurée par Dun Scot et transférée dans le domaine de la loi naturelle par Suarez37 conduisit en outre à considérer la loi comme un impératif extérieur à la nature, indépendante des conditions de l’épanouissement humain, obligatoire du seul fait qu’elle est imposée par l’autorité 28

divine38. Ces deux tendances, alliées à la prétention du magistère à la primauté de l’interprétation de la volonté divine, introduisirent une vision restrictive de l’éthique dans la doctrine catholique. Des « principes primaires », inscrits dans la raison humaine, l’autorité ecclésiastique se crut autorisée à tirer par déduction le contenu des normes éthiques universelles directement applicables à l’action, alors que celui-ci aurait dû faire l’objet d’une évaluation spécifique dans chaque cas distinct39.

26 Nul n’a mis en évidence avec plus de clarté les implications politiques de cette déformation historique que le juriste allemand Ernst-Wolfgang Bökkenförde. Böckenförde constate l’existence d’un hiatus profond entre la nature de la décision politique, par essence contingente, liée à une série de facteurs hétérogènes en association et en dissociation constantes, souvent résultat d’un compromis ou d’un choix entre diverses alternatives, et une attitude qui consiste à déduire à partir de principes généraux des normes simultanément universelles et intemporelles d’une part, immédiates et applicables à l’action d’autre part. Le danger est alors de « qualifier d’intangibles et inaliénables les domaines et contenus partiels du bien commun » – objet de l’action politique dans la théorie catholique, nous y reviendrons – « qui relèvent directement du droit naturel, y compris là où des évaluations comparatives et des compromis seraient nécessaires, et d’en faire le noyau (concret) du bien commun »40. On perd alors de vue le caractère global du bien commun et par suite, de l’action politique, au profit d’intérêts particuliers déclarés supérieurs à cause de leur relation immédiate au droit naturel. La conséquence de cette déviation est double : 1. D’une part on aboutit à une réduction de la morale naturelle à une « morale pour cas limite » („Grenzmoral“), « dans la mesure où les droits dits “naturels” ne sont plus définis par rapport à la Nature comme totalité, au sens du développement et de la réalisation totale du “telos” contenu en elle, mais par rapport à la Nature comme attribut élémentaire, minimum inaliénable, dont la perte ou la violation entrave ou remet en question la nature humaine dans son essence constitutive »41. Tout ce qui se situe en-deçà de cette limite, en particulier le mode d’organisation de la communauté politique, est considéré comme extérieur au champ d’application de la loi naturelle, pourvu que soient respectés un certain nombre de principes de base qui constituent un « cadre »42. On observe en résultat une tendance marquée des catholiques à définir leur attitude à l’égard de l’Etat et de la société à partir de leur situation en tant que fidèles de l’Eglise, gardienne des valeurs « essentielles », plutôt qu’en tant que citoyens de la communauté politique. La notion de « bien commun » est alors fréquemment assimilée à un intérêt particulier qui est la protection de l’Eglise et valeurs attachées (liberté de l’enseignement et liberté de culte essentiellement)43 ; 2. D’autre part, la volonté de faire découler, à partir des principes de la loi naturelle, des conclusions concrètes immédiatement applicables à l’action conduit à un positivisme de la théologie morale qui la rend très dépendante des idéologies et courants politiques qui traversent une société à un moment donné. L’impossibilité d’échapper au dilemme universalité-concrétude aboutit à « un remplissage au moyen de propositions et jugements contingents… qui ont un caractère d’évidence pour ceux à qui le droit naturel s’adresse en premier lieu… ce caractère d’évidence [servant] de preuve indirecte à leur faculté d’être universellement identifiés »44. Le danger de glissement est d’autant plus grand que la matière traitée est plus éloignée du domaine de réflexion de l’ontologie humaine : ainsi les règles de la morale individuelle peuvent-elles être extraites du droit naturel plus directement que les principes d’organisation de la communauté politique. Leur universalité est aussi moins discutable. C’est aussi pourquoi la morale sociale individuelle a traditionnellement fait l’objet d’un développement beaucoup plus élaboré que la morale sociale collective (la « doctrine sociale » de l’Eglise) et celle-ci à son tour que la morale politique à proprement parler. Les relations interétatiques en particulier ont été à peine 29

abordées jusqu’à une date récente, hormis par le biais de la théologie de la « guerre juste », dont le caractère de „Grenzmoral“ est particulièrement marqué (Voir Chap. II).

27 Les avatars historiques de la « loi naturelle », l’inacceptabilité croissante de l’idée d’« ordre moral » dans un monde laïcisé et plus généralement, la lourde connotation idéologique du concept, conduisirent de nombreux catholiques non pas à remettre en cause le principe même d’existence d’une loi naturelle, mais à en relativiser le contenu et à chercher à revenir à une morale plus « authentiquement » chrétienne, basée sur l’Evangile, qui est longtemps restée l’apanage de quelques Eglises protestantes minoritaires.

2. Les difficultés d’une éthique évangélique

28 Les commentaires du texte conciliaire “Gaudium et Spes” ont souligné la rupture que celui-ci introduisait avec la méthodologie traditionnelle de la morale naturelle45. Il est vrai que les termes de « loi naturelle » ou de « droit naturel » n’apparaissent plus guère dans les documents conciliaires, alors même que l’encyclique “Pacem in Terris”, publiée pendant le Concile, s’appuyait encore très largement sur ces concepts46. La volonté des Pères du Concile d’accorder une plus grande autonomie au monde temporel en est l’une des raisons. Cependant, la recherche d’une théologie biblique qui accompagne ce mouvement porte en elle le risque d’une interprétation fondamentaliste des textes évangéliques, inaugurant au sein du monde catholique une forme de théologie politique différente des anciennes formes de cléricalisme, certes, mais non moins inacceptable.

29 Détaché des choses terrestres, l’Evangile retrouve sa force contestatrice, telle qu’elle apparaît dans la théorie luthérienne de la séparation des deux règnes47. Mais le danger réside alors dans la tentation de transformer ce pouvoir de contestation en programme politique positif n’autorisant aucune dérogation puisqu’il découlerait directement de la parole divine. Ce danger guette l’ensemble des mouvements de paix d’obédience chrétienne au début des années 1980, soulevant des débats passionnés à propos de l’interprétation à donner au « Sermon sur la Montagne » dans le cadre de la politique d’installation des euromissiles. En Allemagne en particulier, la discussion prit l’allure d’une véritable polémique à partir de la publication de l’opuscule du journaliste Franz Alt, membre de la CDU, Friede ist möglich, Die Politik der Bergpredigt48, et de la réponse que lui adressa Manfred Hättich49. Alors que pour le premier l’ensemble de l’enseignement de Jésus, contenu dans le Sermon sur la Montagne, est politique50, le second admet, comme déjà l’avait fait Luther, qu’il est impossible de gouverner selon l’Evangile. Ce serait le triomphe des méchants51.

30 A cause de sa tradition de morale naturelle et parce que, historiquement, l’interprétation fondamentaliste fut surtout le fait de certains groupes protestants en réaction à l’attitude de l’institution catholique52, celle-ci reste très méfiante à l’égard de toute tentative d’application politique d’une éthique évangélique, comme nous le verrons en particulier chez les évêques allemands et français.

31 La définition d’une éthique qui ne soit pas uniquement négative et n’empiète pas pour autant sur les prérogatives du pouvoir politique se heurte en outre dans le contexte catholique à une longue tradition de déférence vis-à-vis de l’autorité étatique, gardienne du « bien commun ». Un bref exposé de la conception catholique de l’Etat et de l’autorité politique est un préalable nécessaire à l’interprétation des prises de position épiscopales sur les politiques de défense. 30

III. Le pouvoir politique dans la tradition catholique

32 L’appréhension du politique dans la doctrine catholique est marquée par deux traditions qui apparaissent à la fois complémentaires et contradictoires : la première est une théorie de l’autorité politique d’inspiration paulinienne et augustinienne ; la seconde est la théorie thomiste, d’origine aristotélicienne, sur le bien commun. La philosophie des droits, introduite dans le discours catholique par Jean XXIII, ainsi que la reconnaissance conciliaire de l’autonomie du politique ont apporté des modulations à ces deux tendances, sans toutefois les remettre entièrement en question, comme il apparaîtra dans l’analyse des déclarations épiscopales sur les politiques de défense.

1. L’autorité politique

33 « Il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu » écrit St Paul dans la lettre aux Romains (Rom 13,1). Aucune affirmation des Ecritures n’a eu des conséquences aussi déterminantes dans l’histoire et la théorie des relations entre Eglise et pouvoir politique que cette proposition. C’est sur elle que s’appuya l’Eglise pour tenter d’asseoir son pouvoir temporel sur des princes particulièrement récalcitrants, en se présentant comme l’interprète privilégiée de la volonté divine53. Mais c’est aussi elle qui fournit un appui aux puissances temporelles pour conférer un caractère sacré à leur pouvoir absolu54.

34 La théorie augustinienne, qui s’inspire directement de St Paul, fait de l’autorité politique un remède à la concupiscence et un moyen de coercition pour forcer l’homme pécheur à coopérer avec ses frères55. Dans le domaine temporel, le péché domine, même si la grâce est aussi présente56. Pour cette raison, Dieu a permis la création d’institutions, dont l’Etat, afin d’éviter que le méchant détruise ce qui est bon. Dans cette perspective, la loi édictée par le pouvoir politique acquiert un rôle positif qui s’inscrit dans le contexte de la providence divine ; en effet, en fixant les conditions de la coexistence entre les hommes grâce, au besoin, à la contrainte sur les méchants, elle permet aux justes de subsister57.

35 L’interprétation catholique de la théorie augustinienne, en soulignant le rapport entre loi et sanctification, prédisposait à faire du pouvoir politique l’instrument du vouloir divin, cette fois-ci non plus seulement négativement, comme chez Luther, mais positivement, la garantie juridique offerte par le pouvoir devenant en même temps garantie d’accomplissement de la volonté divine58. Le risque de confusion entre les deux niveaux, inhérent à toute théorie du droit naturel, a jalonné toute l’histoire de l’Eglise jusqu’au Concile Vatican II.

36 Si la souveraineté civile est « voulue par le Créateur… afin qu’elle réglât la vie sociale selon les prescriptions d’un ordre immuable dans ses principes universels »59, l’obéissance à l’autorité civile devient une norme de la morale et de la foi. Dans la pratique historique, cet impératif eut un impact plus grand en Europe qu’aux Etats-Unis. Léon XIII y recourut en 1892 pour inciter les catholiques français à se « rallier » à la République60. Les communautés catholiques française et allemande, chacune de leur côté, soutinrent la politique de guerre de leurs gouvernements pendant la première guerre mondiale et restèrent sourdes aux appels à l’arrêt des hostilités lancés par le pape Benoît XV61. Chacune cherchait sans doute à obtenir sa réhabilitation dans la collectivité nationale, 31

après une dure période d’opposition au pouvoir civil62. L’effort de réintégration n’aurait pas été possible sans une grande confiance accordée à l’autorité politique. Mais cette confiance atteignit un point que l’on peut considérer comme dramatique en Allemagne avec la caution offerte à l’un des régimes les plus totalitaires qui ait jamais existé. Si les évêques allemands prirent peu à peu leurs distances vis-à-vis du pouvoir hitlérien, leur attitude en 1933 n’aurait pu montrer davantage d’enthousiasme aveugle63.

37 Aux Etats-Unis, l’isolement des catholiques dans une population en majorité protestante ne permit pas l’adoption d’une attitude similaire. Non pas que les catholiques américains fussent moins prêts à soutenir les détenteurs du pouvoir – ils le devaient à cause des soupçons d’antipatriotisme qui pesaient sur eux – mais les circonstances historiques étaient autres (Voir Chap. II). La tradition d’indépendance dont se réclament à l’heure actuelle les évêques américains est davantage une réalité de lointaine origine à l’égard de Rome que du gouvernement des Etats-Unis.

38 L’expérience européenne a poussé l’Eglise à la prudence. Dans son encyclique “Pacem in Terris”, le pape Jean XXIII affirme encore que le principe de l’autorité politique relève de la loi divine64. Le Concile lui-même déclare quelques années plus tard que « la communauté politique et l’autorité publique trouvent leur fondement dans la nature humaine et relèvent par là d’un ordre fixé par Dieu » (GS § 74.3), introduisant la nature comme un intermédiaire nécessaire entre Dieu et l’organisation du monde, malgré sa réticence envers le concept de loi naturelle. L’admission du pluralisme politique au sein du catholicisme et l’acceptation de la liberté religieuse indiquent un changement profond de perspective. La relation qui demeure entre volonté divine et autorité politique n’implique plus que l’Eglise ait la primauté d’interprétation de cette volonté dans le domaine de l’activité politique concrète65. De plus, l’insistance nouvelle mise sur la légitimité du pouvoir à partir d’une philosophie des droits prend peu à peu le pas sur le thème de l’autorité dans les déclarations du magistère.

2. Le « bien commun »

39 L’idée de l’Etat comme garant et promoteur du « bien commun », reprise par Thomas d’Aquin de la philosophie aristotélicienne, constitue le second pilier de l’appréhension catholique du pouvoir politique. Comme Aristote, le grand théologien catholique considère l’Etat comme la “societas perfecta” dans laquelle s’effectue le développement naturel de l’homme. Le Concile ne s’éloigne d’ailleurs pas totalement de cette assertion en présentant la communauté politique comme l’un des « liens sociaux nécessaires à l’essor de l’homme… [qui] correspondent plus immédiatement à sa nature humaine »66. Dans cette perspective, l’Etat est défini en fonction non plus de sa nature (l’autorité) ou de son origine (la volonté divine), mais de ses attributs : la promotion du « bien commun ». On s’oriente donc vers une définition fonctionnelle.

40 La Constitution pastorale “Gaudium et Spes” définit le bien commun comme « l’ensemble des conditions de la vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles, et aux groupements de s’accomplir plus complètement et plus facilement » (GS § 74.1)67. La base sociale sur laquelle repose l’Etat (la société civile) est conçue de manière organique. On suppose une construction harmonieuse dans laquelle il y aurait accord entre l’ontologie humaine et sa réalisation sociale et politique, tous ces éléments étant ordonnés à une même origine, le Dieu créateur68. 32

41 La conception de l’Etat comme garant du bien commun différencie nettement la doctrine catholique classique de toutes les théories contractuelles, qu’elles soient d’inspiration rousseauiste ou lockéenne, ainsi que de la théorie marxiste. Le rejet des théories contractuelles fut exprimé avec une vigueur toute particulière dans l’encyclique “Immortale Dei” de Léon XIII69. Pour l’Eglise, l’idée de l’existence d’une sphère politique qui s’établirait sur la base du seul arbitraire de la raison humaine, indépendamment de tout fondement divin, est en effet inconcevable70. Jean XXIII le réaffirme avec force dans son encyclique “Pacem in Terris”71.

42 La théorie catholique est également très éloignée du modèle pluraliste tel qu’il s’est développé aux Etats-Unis – ce qui ne sera pas sans poser problème aux évêques américains. Alors que dans ce modèle, l’Etat apparaît comme un simple arbitre entre intérêts divergents des groupes sociaux72, elle lui accorde une fonction positive de promotion de ces intérêts, tout en restant fidèle au principe de « subsidianté » selon lequel toute fonction sociale devrait être exercée au niveau le plus bas dans la hiérarchie des groupes compétents sur un sujet donné73. Mais elle ne réfute pas moins toute théorie d’inspiration marxiste qui fait de l’Etat la simple expression des intérêts d’une classe dominante. Elle ne conçoit pas que l’Etat puisse être un « Etat de classe », ce qui pose un présupposé négatif à la remise en cause des décisions de l’autorité politique. En insistant sur le consensus autour du « bien commun », l’Eglise risque d’ignorer le moment du conflit, qui occupe une place centrale dans les théories pluralistes ou marxistes, et donc d’ignorer le moment de « la » politique. Le rattachement du « bien commun » à un ordre naturel et l’attribution d’un rôle central à l’autorité dans sa poursuite tendent à le faire apparaître comme un donné, non sujet à discussion. Ainsi, la variable consensuelle du politique acquiert-elle une prépondérance aux dépens de sa variable conflictuelle dans la doctrine catholique traditionnelle.

43 Cette approche ne sera pas sans implications pour une théorie de la désobéissance (civile). En reconnaissant le principe de la primauté de la conscience individuelle74, la doctrine catholique a développé une théorie du refus d’obéissance à l’autorité au cas où celle-ci prendrait des dispositions manifestement contraires à l’ordre moral, ainsi qu’une théorie de la juste révolution pour renverser un pouvoir tyrannique. Thomas d’Aquin affirmait en effet que : La loi humaine a raison de loi en tant qu’elle est conforme à la droite raison ; à ce titre, il est manifeste qu’elle découle de la loi éternelle. Mais dans la mesure où elle s’écarte de la raison, elle est déclarée une loi inique, et dès lors n’a plus raison de loi, elle est plutôt une violence75.

44 Toutefois, ce droit de désobéissance à l’autorité, admis par la théorie, eut très peu d’applications reconnues dans la pratique. Pour Thomas d’Aquin lui-même, il n’était pas inconditionnel : « L’homme n’est pas obligé d’obéir à la loi, si sa résistance n’entraîne pas de scandale ou d’inconvénient majeur », précisait-il76. Généralement, on stipulait la responsabilité des dirigeants, de manière à ce que les subordonnés – qui n’en avaient pas la compétence – n’aient pas à refaire eux-mêmes l’examen de conformité de l’ordre donné à la loi morale77. L’intégration de la théorie de l’Etat à celle de la loi naturelle fit que la première fut le plus souvent victime des déboires de la seconde. Les conditions associées à la légitimité de l’Etat – essentiellement la poursuite du bien commun – furent généralement interprétées comme des hypothèses vérifiées, sur la base de ce qui peut apparaître comme un syllogisme : 1) selon la volonté divine, obéissance est due à l’autorité politique légitime ; 2) l’autorité politique est légitime si elle garantit le bien 33

commun ; 3) or, l’autorité politique garantit, de par sa nature, le bien commun ; donc obéissance lui est due. On cède ainsi à la tentation de projeter un modèle sur le réel et d’en déclarer certains aspects déjà effectifs, sans tenir compte des pesanteurs historiques. Théorie augustinienne de l’autorité et théorie thomiste du bien commun se rejoignent par l’intermédiaire d’une vision positiviste du droit naturel.

45 Depuis Jean XXIII on note dans les déclarations magistérielles une nouvelle insistance sur les conditions de légitimité de l’Etat. Cette réorientation, qui passe par l’affirmation des droits, est-elle à même de provoquer une révision de la théorie classique de l’autorité ? C’est sur ce dernier point que nous nous interrogerons afin de pouvoir par la suite étudier l’incidence de ces développements sur les documents pastoraux relatifs à la guerre et la paix.

3. Etat et philosophie des droits chez Jean-Paul II

46 La doctrine des « droits de l’homme » inaugurée au sein du catholicisme par le pape Jean XXIII78 et diffusée par Jean-Paul II, reste d’inspiration thomiste, complétée chez ce dernier par une forte influence de la philosophie personnaliste.

47 Pour Jean-Paul II, l’exigence du respect de la « dignité humaine » relève d’un ordre moral objectif. Le pape n’en spécifie pas le contenu, mais il accorde à la liberté de conscience et à la liberté religieuse une place primordiale dans cet ordre. Elles sont en effet la condition sine qua non de l’accomplissement humain, car le sens de l’action humaine se résout dans la recherche de la vérité. En conséquence, tout pouvoir, et donc tout pouvoir politique, n’aura de légitimité que s’il respecte l’ordre moral objectif79. L’Etat ne peut tirer son autorité que de la nation, qui est l’émanation de la culture80. Dès le moment où il n’est plus l’expression de celle-ci telle qu’elle a été façonnée à partir de la libre détermination des individus qui la composent, le pouvoir politique perd sa légitimité81.

48 On remarque un certain flou dans le vocabulaire pontifical. Le Concile ne faisait pas de différence entre les concepts de « communauté civile » et de « communauté politique ». Jean-Paul II, pour sa part, opère une distinction nette entre l’Etat et la société civile82. Il identifie celle-ci avec la « nation » et parfois avec le « peuple »83. D’autre part, l’« Etat » et l’« autorité politique » apparaissent comme synonymes. Le concept de « communauté politique »84 leur est également assimilé, quoiqu’il soit difficile de dire si cette équation est générale ou désigne les cas où l’autorité étatique est effectivement résultat de l’auto- détermination de la nation. On a donc deux séries de deux termes équivalents : Etat – autorité politique, d’une part, nation – société civile – (peuple), d’autre part, avec la notion intermédiaire flottante de « communauté politique »85.

49 La philosophie des droits, qui doit beaucoup au personnalisme chrétien, vise à faire réapparaître l’homme comme sujet « capable de décider lui-même et tendant à se réaliser lui-même »86. Elle permet ainsi le retour à une conception de la nature humaine comme être en devenir, que le rationalisme et le matérialisme du XVIIIe siècle avaient tenté d’occulter. Dans une perspective chrétienne, l’homme, être spirituel, n’aurait jamais dû être considéré comme un simple objet87. L’infinitude humaine est une condition de participation de l’homme au but téléologique de l’Histoire et, vu sous un angle spirituel, à la réalisation du Royaume de Dieu. Le recours à une anthropologie basée sur une philosophie des droits, telle que l’expose Jean-Paul II, implique de redonner primauté à la « loi naturelle » définie en termes de potentialité, de pouvoir de l’homme sur lui-même, sur le « droit naturel », défini comme une série d’attributs invariables. Elle s’accommode 34

mal d’une vision de l’Etat où dominerait le principe d’obéissance inconditionnelle à l’autorité et d’un modèle de société politique où le contenu du bien commun serait déterminé une fois pour toutes.

50 Lorsque l’Eglise s’interroge sur la dissuasion nucléaire et plus généralement sur toute question touchant à la distribution du pouvoir entre les hommes, on peut s’attendre à ce que son concept anthropologique de la personne humaine joue un rôle essentiel. Qu’en est-il dans les récentes déclarations sur la guerre et la paix ? L’analyse que font les évêques de la puissance étatique et de sa prérogative d’usage de la force est-elle cohérente avec la vision de l’homme qu’ils développent par ailleurs dans leurs documents ? Est-elle cohérente avec le modèle de relations internationales qu’ils ébauchent, et qui semble directement lié à leurs conceptions anthropologiques ? Ou une certaine inhibition par rapport au politique, que l’on peut partiellement imputer à la tradition catholique de respect de l’autorité étatique, ne les empêche-t-elle pas de tirer toutes les conséquences de leur vision chrétienne de la paix ?

NOTES

1. Sur l’éventail de ces modèles, voir l’introduction de De MURALT, André, « La structure de la philosophie politique moderne, D’Occam à Rousseau », in Souveraineté et Pouvoir, Genève/ Lausanne/Neuchâtel, 1987 (Cahiers de la Revue de Théologie et de Philosophie, Nr.2), pp. 3-10. 2. Sur le déroulement historique du processus de sécularisation, voir BÖCKENFÖRDE, Ernst- Wolfgang, „Die Entstehung des Staates als Vorgang der Säkularisation“, in Säkularisation und Utopie, Erbracher Studien, Ernst Forsthoff zum 65, Geburtstag, Stuttgart, Kohlhammer, 1967, pp. 75-94. 3. „Dignitatis Humanae Personae“, Déclaration sur la Liberté Religieuse, DC, Nr. 1463, 1966, col. 97-110. Bien que celle-ci affirme que « la liberté religieuse... ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral de l’homme et des associations à l’égard de la vraie religion et de l’unique Eglise du Christ », un changement fondamental a été opéré du fait que le devoir de chercher la vérité n’apparaît plus comme une obligation juridique, qui reposerait sur une garantie offerte par le pouvoir politique, mais seulement comme une obligation morale : BÖCKENFÖRDE, Ernst-Wolfgang, „Religionsfreiheit als Aufgabe der Christen“, in BÖCKENFÖRDE, Kirchlicher Auftrag und politische Entscheidung, Freiburg, Rombach, 1973, pp. 172-90 ; „Die Konzilerklärung über die Religionsfreiheit“, in ibid., pp. 191-205 ; « Je crois à une nouvelle résurrection de l’Eglise », Interview du cardinal Pavan, La Croix, 22 nov. 1986, p. 18. 4. PAUL VI, Discours au corps diplomatique, 8 janv. 1966, DC, Nr. 1464, 1966, col.282. 5. DBK, Die Kirche in der pluralistischen Gesellschaft und im demokratischen Staat der Gegenwart, Hrsg. Sekretariat der DBK, Bonn, 1969, p. 4, (Hirtenschreiben der deutschen Bischöfe, Nr.2). (Traduction CG). 6. Egalement GS § 34.1. 7. Voir aussi GS § 43.1. 8. En termes prudents, certes, mais cette reconnaissance constitue un immense progrès par rapport à une longue tradition de dévalorisation du monde profane. Sur les rapports mutuels de l’Eglise et du monde, voir plus généralement GS § 40-44 ; appliqué à la communauté politique. GS § 76. 35

9. GS § 35, 64 ; JEAN XXIII, Encyclique “Pacem in Terris”, 11 avril 1963, § 152, Paris, Le Centurion, p. 102 (Ci-après, PT) ; PAUL VI, Encyclique “Populorum Progressio”, 16 avril 1967, DC, Nr. 1492, 1967, § 14, 43 (Ci-après, PP) : exhortation apostolique “Evangelii Nuntiandi”, 8 déc. 1975, DC, § 31, Nr.1689, 1976, pp. 6-7. 10. JEAN-PAUL II, Encyclique “Redemptor Hominis”, 4 mars 1979, DC, Nr.1761, 1979, § 13-15 (ci- après RH) ; Discours à la 36e Assemblée Générale des Nations Unies, 2 oct. 1979, DC, Nr.1772, 1979, § 7, 14. 11. « ... le christianisme n’est pas une révélation spéculative, mais historique. L’absolu ne se manifeste pas immédiatement, à chacun ou à la conscience universelle, mais dans l’histoire, dans sa particularité contingente. L’incarnation communique l’universel, le Verbe que pose éternellement la liberté divine par la médiation de l’histoire. Impossible, par conséquent, d’abstraire la raison des conditions de sa pratique, de délier son exercice des situations historiques » ; BRUAIRE, Claude, La raison politique, Paris ; Fayard, 1974, p. 226. Jean-Paul II affirme dans son encyclique “Redemptor Hominis” : « Jésus-Christ a universellement sensibilisé [les chrétiens] au problème de l’homme » ; RH § 15. 12. JEAN-PAUL II, Audience Générale du 14 nov. 1979, § 2-3, L’individu, la nation et l’Etat, Textes de Jean-Paul II (oct. 1978-janv. 1980), Commission Pontificale Justice et Paix, Cité du Vatican, 1981, pp. 9-10. Aussi GS § 12.4. 13. JEAN-PAUL II, Discours à l’UNESCO, 2 juin 1980, DC, Nr. 1788, 1980, § 8-9 ; RH § 11. 14. JEAN-PAUL II, Allocution sur la place de Varsovie, 2 juin 1979, DC, Nr. 1767, 1979, pp. 602-4 ; Allocution à la Conférence épiscopale polonaise, 5 juin 1979, ibid., pp 619-22. 15. GS § 41 : JEAN-PAUL II, Discours à Puebla, 28 janv. 1979, DC, Nr.1758, 1979, pp. 169-70 ; Audience à l’ambassadeur d’Italie auprès du St Siège, 25 juin 1979, DC, Nr. 1768, 1979, p. 681 ; Discours au Président Carter, 6 oct. 1979, L’individu, la nation et l’Etat, p. 41. 16. Dans ce sens, CALVEZ, La politique et Dieu, Paris, Cerf (Essais), 1985, 119 p. 17. ANSALDI, Jean, Ethique humaine et sanctification chrétienne, Genève, Labor et Fides, 1983, 200 p. (Le Champ Ethique Nr.9). 18. LEUBA, Jean-Louis, « La Loi chez les Réformateurs et dans le protestantisme actuel », Loi et Evangile, Héritages confessionnels et interpellations contemporaines, Genève, Labor et Fides, 1981, pp. 101, 107-8 (Le Champ Ethique, Nr.5). 19. ibid., p. 102. 20. Les deux premiers usages, communs au luthéranisme et au calvinisme sont l’usage dit « élenctique » : amener l’homme à reconnaître son péché et l’usage politique, qui a pour but de permettre la vie en société au milieu d’hommes brutaux et insoumis. Luther tend à accorder la priorité au premier, alors que Calvin mentionne initialement le second ; ibid., pp. 93-96. 21. THOMAS D’AQUIN, Somme Théologique (ST), I, II, q 1.2, 3, q 7.4, q 8. (Nous nous reportons à la nouvelle édition commentée de la Somme Théologique, Paris, Cerf, 1984-85, vol. 2, pp. 77-82). 22. De la MORANDAIS, Alain, La Torture pendant la Guerre d’Algérie, Thèse d’Histoire (Université Paris Sorbonne) et Théologie (Institut Catholique de Paris), ronéotypée, 1983, p. 667. Cette étude contient un excellent exposé des fondements de la loi naturelle, pp. 664-92. 23. ST, I, II, q 1.8. 24. Thomas d’Aquin reprend le principe aristotélicien de la causalité réciproque et totale de la volonté et de la fin pour l’appliquer au concours de la volonté divine et de la volonté humaine dans l’acte. La volonté divine crée la puissance humaine à agir, qui est d’ordre général : elle agit par une « motion prévenante » qui est particulière à chaque acte. Mais, ce faisant, elle meut la puissance à agir selon la propriété de sa nature, sans la violenter. Il va donc concours de deux causes totales, divine et humaine, dans l’accomplissement de l’acte ; De MURALT, André, Actualité de la Philosophie médiévale, cours donné au semestre d’été 1986 du Département de Philosophie de l’Université de Genève (notes de l’auteur). 25. PAUL VI, Lettre apostolique “Octogesima Adveniens”, DC, Nr. 1587, 1971, § 4. 36

26. Lumen Gentium, Vatican II, Constitution Dogmatique sur l’Eglise, 21 nov. 1964, Paris, Cerf (“Unam Sanctam”, Nr.51), 1965, 159 p. 27. AUBERT, Jean-Marie, « Pour une herméneutique du droit naturel », Recherches de Sciences Religieuses, Nr.59, 1971, p. 461. 28. ibid, p. 454. 29. ibid., p. 461. 30. ibid., p. 468. 31. ibid., p. 465 ; Aubert parle de « réalité naturelle, tendancielle, allant de l’instinct de conservation au besoin de communiquer avec ses semblables, au désir de connaître et aimer Dieu, en passant par la sexualité... ». 32. ibid. 33. ibid., p. 468. 34. ibid, pp. 466, 469, 478. 35. ibid., p. 479. 36. ibid., pp. 469-74. 37. ibid., p. 471 ; BÖCKLE, Franz, „Natürliches Gesetz als göttliches Gesetz“, in Naturrecht in der Kritik, Hrsg. Franz Böckle, Ernst-Wolfgang Böckenförde, Mainz, Grünewald, 1973, pp. 175-78. Böckle s’appuie ici sur les travaux de ARNTZ, J.-Th., „Die Entwicklung des naturrechtlichen Denkens innerhalb des Thomismus“, in Das Naturrecht im Disput, Hrsg. Franz Böckle, Düsseldorf, Patmos, 1966. Sur les fondements scotistes et l’interprétation suarezienne du droit naturel, dans la perspective d’une philosophie politique, voir De MURALT, « La structure de la philosophie politique moderne », op. cit., pp. 44-47, 60-63. 38. AUBERT, op. cit., p. 472. 39. Thomas d’Aquin précise « ...le principe premier de la raison pratique est celui qui se fonde sur la raison de bien, et qui est : “le bien est tout ce que les êtres désirent”. C’est donc le premier précepte de la loi qu’il faut faire et rechercher le bien, et éviter le mal. C’est sur cet axiome que se fondent tous les autres préceptes de la loi naturelle... » ST, I, II, q 94, a 2.3. Il ne parle pas d’un processus déductif des normes générales aux normes spéciales. Sur ce point, voir ANTOINE, Pierre, « Conscience et loi naturelle », Etudes, mai 1963, p. 174. 40. BÖCKENFÖRDE, „Kirchliches Naturrecht und politisches Handeln“, in Naturrecht in der Kritik, p . 101 (Traduction CG). 41. ibid., p. 107 (Traduction CG). Egalement AUBERT, op.cit., pp. 476-77. 42. C’est ce qui a permis à l’Eglise de proclamer de manière répétée son indifférence aux formes de régimes politiques, tout en se prévalant d’un certain nombre de droits considérés comme faisant partie du « minimum » découlant de la loi naturelle. 43. E.-W. Böckenförde en a fait la démonstration magistrale à propos de l’attitude des évêques allemands lors de la prise de pouvoir de Hitler ; BÖCKENFÖRDE, Ernst-W., „Kirchliches Amt und politische Entscheidung im Jahre 1933 und danach“ (réunion de trois articles publiés entre 1961 et 1966) in BÖCKENFÖRDE, Kirchlicher Auftrag und politische Entscheidung, pp. 30-122. Pour une thèse semblable quant à l’engagement politique des catholiques français, MADELIN, Henri, « Motivation des Chrétiens en matière politique », Etudes, juil. 1972, pp. 15-31. 44. BÖCKENFÖRDE, „Kirchliches Naturrecht“, op.cit., p. 109 (Traduction CG). Jean-Marie Aubert souligne le même risque, op.cit., p. 469. 476-77. 45. De RIEDMATTEN, Henri, « Histoire de la Constitution Pastorale », L’Eglise dans te Monde de ce Temps, Schéma XIII, Commentaires, Paris, Mame, 1967, pp. 42-92 : ALBERIGO, Guiseppe, « La Constitution dans le cadre général du Concile », L’Eglise dans le Monde de ce Temps, Etudes et commentaires autour de la Constitution Pastorale “Gaudium et Spes”, sous la direction de Guilherme Barauña, Bruges, Desclée de Brouwer, 1967, vol. 1, pp. 223-50 ; LYONNET, Stanislas, « A propos des fondements bibliques de la Constitution », ibid., pp. 253-70. 37

46. PT § 5-7, 9, 28, 30, 38, 51, 55, 79, 132-33, 157, 160. L’index de l’édition du Centurion précise sous l’entrée « droit naturel » : « Expliciter les exigences du droit naturel en vue de l’établissement de la paix entre les hommes, c’est l’objet de toute l’encyclique », ibid., p. 121. 47. Voir la conclusion de LEUBA, op.cit., pp. 107-9 en faveur d’une approche de type luthérien. 48. München/Zürich, Piper, 1983, 119 p. (En français sous le titre, Les Béatitudes, l’arme absolue, La Politique selon le Sermon sur la Montagne, Paris, Oeil, 1983, 157 p.). 49. Weltfrieden durch Friedfertigkeil, Eine Antwort auf Franz Alt, München, Gunter Olzog, 1983, 96 p. 50. ALT, op. cit., p. 28-29. 51. LUTHER, « De l’autorité temporelle et des limites de l’obéissance qu’on lui doit », Œuvres, vol. 4, Genève, Labor et Fides, 1959, pp. 19-21, cité par LEUBA, op. cit., pp. 104-5. 52. NUTTALL, Geoffrey F., Christian Pacifism in History, ed. World Without War Council, Berkeley, California, 1971, 84 p. 53. Historiquement, cette conception prévalut entre les XIe et XIIIe siècles, soit sous les pontificats de Grégoire VII à Boniface VIII. 54. On pense ici plus particulièrement à la Constitution de l’Eglise gallicane imposée à l’Eglise catholique de France par Louis XIV en 1664 ou au Joséphisme en Autriche. 55. BOSC, Robert, Sociologie de la paix, Paris, Spes, 1965, p. 167. 56. AUGUSTIN, La Cité de Dieu, Livre XII, 2-5, 20-22, Livre XIII, 3-6, Paris, Desclée de Brouwer, 1959, « Œuvres », (vol. 35, pp. 155-63, 217-29, 255-65). C’est cette perspective que reprendra Luther (Cf. supra). 57. ibid., Livre V, 11 (vol. 33, pp. 689-90), Livre XIX, 17, 19 (vol. 37, pp. 127-33, 135-37, 139-41). 58. Voir note 3. 59. PIE XII, Encyclique “Summi Pontificatus”, 20 oct. 1939, in Relations Humaines et Société Contemporaine, Synthèse chrétienne, Directives de SS, Pie XII, éd. Alain Savignal selon l’édition allemande de A. F. Utz et J. F. Groner, Fribourg/Paris, Ed. St Paul, 1956, vol. l, Nr.44, p. 22 (ci- après, UTZ-GRONER). Pie XII reprend ici les termes de l’Encyclique “Immortale Dei” de Léon XIII (1885). 60. LEON XIII, « Au milieu des sollicitudes », 16 févr. 1892, in La Doctrine Sociale de l’Eglise à travers les Siècles, Ed. Arthur Utz, Bâle/Rome/Paris, Beauchesne, XXIII, Nr. 177-207 (Ci-après, UTZ). 61. En particulier l’appel à la réconciliation du 1 er août 1917. Sur l’attitude des catholiques allemands, voir FENEBERG, op.cit., pp. 41-42, 68-71. Pour les catholiques français, voir VAUSSARD, Maurice, Histoire de la démocratie chrétienne, vol. l, France, Belgique, Italie, Paris, Seuil, 1956, p. 84. 62. Le „Kulturkampf“ en Allemagne (environ 1870-80) : la querelle qui aboutit à la loi de Séparation de 1905 en France. 63. La lettre pastorale que publièrent les évêques allemands à l’occasion de l’avènement de Hitler en 1933 déclare en effet : « En plus d’un amour profond pour la patrie et pour le peuple, notre époque se caractérise par un remarquable accent mis sur l’autorité et par l’exigence d’une intégration organique complète de l’individu et des groupes dans l’ensemble étatique. Elle se fonde ainsi sur les postulats du droit naturel selon lesquels aucune communauté n’est possible sans autorité et selon lesquels l’adhésion volontaire au peuple et la soumission obéissante aux dirigeants légitimes de la nation sont une garantie de la puissance et de la grandeur du peuple... Il ne nous est donc pas difficile, à nous catholiques, d’adhérer à cette nouvelle insistance sur l’autorité à l’intérieur de l’Etat allemand et de nous y soumettre avec empressement, car elle n’est pas seulement une vertu naturelle mais bien plutôt surnaturelle et il nous est donné d’apercevoir dans toute autorité humaine un reflet de la puissance divine et une participation à l’autorité éternelle de Dieu » ; Cité par BÖCKENFÖRDE, Kirchlichcr Auftrag und polilische Entscheidung, 1973, pp. 39-40 (Traduction CG). 64. PT § 46. 38

65. CALVEZ, Jean-Yves, « L’Eglise a-t-elle changé dans son appréciation du politique ? », Revue Française de Science Politique, vol. 36, Nr.3, 1986, pp. 344-45. Notons qu’en cela l’Eglise catholique se rapproche de la perspective luthérienne. 66. GS § 25.2. L’autre lien social nécessaire étant la famille. 67. Dans l’Encyclique “Mater et Magistra” (1961), le bien commun était défini comme « l’ensemble des conditions sociales qui permettent et favorisent dans les hommes le développement intégral de leur personnalité » ; JEAN XXIII, Encyclique “Mater et Magistra”, 15 mai 1961, DC, Nr.1357, 1961, col. 956. 68. Le type même de cette vision est résumé dans PT § 47. 69. LEON XIII, “Immortale Dei”, 1er nov. 1885, in UTZ, op.cit., XXI, Nr.24-48. 70. PORTIER, Philippe, « La philosophie politique de l’Eglise catholique : changement ou permanence ? », Revue Française de Science Politique, vol. 36, Nr.3, 1986, pp. 344-45. André de Murait a bien montré que la théorie politique moderne n’avait pu se développer que sur la base d’une philosophie qui avait rompu avec le raisonnement thomiste ; De MURALT, « La structure de la philosophie politique moderne », op.cit. 71. « On ne peut, certes, admettre la théorie selon laquelle la seule volonté des hommes serait la source unique et première d’où naîtraient droits et devoirs des citoyens, et d’où dériveraient la force obligatoire des constitutions et l’autorité des pouvoirs publics », PT § 78. Notons cependant que l’Eglise ne réfute pas la thèse de la souveraineté du peuple, même si elle affirme que Dieu est le fondement de l’autorité. 72. Pour le détail de cette théorie, voir LASKI, Harold, The American Democracy, A Commentary and an Interpretation, New York, The Wiking Press, 1948, 785 p. ; TRUMAN, David, The Governmental Process, Political Interesls and Public Opinion, New York, A.A. Knopf, 1958, 544 p. 73. PT § 65-66 ; GS § 75.2. 74. ST, I, II, q 19, a 5-a 6. 75. ST, I, II, q 93, a 3, s 2. Sur le tyrannicide, voir ST, II, II, q 42, a 2, s 3. 76. ST, I, II, q 96, a 4, s 3. 77. Voir par exemple, FELTIN, Cardinal, « L’enseignement de l’Eglise sur le respect de la personne humaine », DC, Nr.1340, 1960, col. 1421-26. 78. PT § 27. 79. RH § 17 ; Discours au Président Carter, 6 oct. 1979, op.cit., pp. 28-29. 80. JEAN-PAUL II, Discours à l’UNESCO, 2 juin 1980, op.cit., p. 604. 81. JEAN-PAUL II, Allocution au corps diplomatique, 12 janv. 1979, L’individu, la nation et l’Etat, p. 26. Egalement, Allocution au corps diplomatique, 16 janv. 1982, DC, Nr. 1823, 1982, pp. 135-36. 82. Discours aux Nations Unies, 2 oct. 1979, op.cit., § 6. 83. Allocution au Corps diplomatique, 12 janv. 1979, op.cit. 84. Allocution au Président Carter, op.cit., p. 28 ; RH § 17. 85. A notre avis, l’imprécision du terme est à la fois cause et conséquence de l’ambiguïté du concept d’Etat défini d’un côté par le biais d’un principe extérieur d’origine divine, de l’autre par l’approche fonctionnelle du bien commun. 86. CALVEZ, « L’Eglise a-t-elle changé ? », op.cit., p. 347. 87. AUBERT, op.cit., p. 478. 39

Partie I. Des temps anciens aux temps nouveaux : le discours de l'eglise sur la guerre et la paix 40

Chapitre II. Points de repère historiques

1 Les prises de position épiscopales dans le débat sur les armements des années 1980-83, si elles apparaissent comme une nouveauté à cause de l’engagement politique concret qu’elles traduisent, n’ont pas pris naissance dans un vide historique. Elles se situent sur un fond millénaire de débats entre l’Eglise et le pouvoir et de réflexions théologiques sur les questions de la guerre et de la paix. Il est donc indispensable de rappeler les principaux éléments de l’attitude de l’Eglise en la matière, longtemps marquée par sa fidélité au concept de la « guerre juste » avant de mettre l’accent sur l’évolution amorcée par Pie XII et développée plus complètement par le pape Jean XXIII et le Concile Vatican II. Il faudra aussi examiner comment, sur la base d’une communauté de principes, les catholiques de France, d’Allemagne fédérale et des Etats-Unis se sont situés en pratique dans les discussions sur la paix et les armements affectant leur propre nation. On pourra observer que dans les trois cas, le comportement de la majorité d’entre eux est étroitement dépendant des relations qu’entretiennent les institutions Eglise et Etat.

I. L’approche traditionnelle : la guerre juste

2 Il n’est pas question de retracer ici l’ensemble des développements auxquels a donné lieu le concept de la guerre juste, qui a constitué la base du jugement de l’Eglise sur la guerre et la paix au cours des siècles1. Nous rappellerons simplement ses origines et les difficultés auxquelles elle s’est trouvée confrontée avec l’avènement de l’arme nucléaire.

1. Bref survol historique

3 St Augustin (354-430) comme Thomas d’Aquin, traditionnellement considérés comme les deux pères de la pensée catholique sur la guerre juste, n’ont jamais envisagé la guerre que comme une solution de « moindre mal ». Chez Augustin, l’idée de l’inévitabilité des guerres est étroitement liée à une conception de l’homme qui est d’abord considéré comme pécheur. La perfection auquel tout être humain aspire est inaccessible dans la « Cité des hommes »2, ce qui rend parfois nécessaire le recours à la force pour prévenir 41

l’injustice. Augustin, qui s’était élevé de manière véhémente contre la cruauté de la guerre3 a dû prendre en compte les circonstances historiques et notamment les accusations adressées aux chrétiens d’être responsables de la chute de Rome (410) à cause de leur philosophie de non-résistance4. Toutefois, il se garde de développer une théorie générale de la guerre et se limite à en énoncer trois critères qui sont conditions de son acceptabilité : cause juste, intention droite, compétence de l’autorité qui la déclare.

4 Thomas d’Aquin reprendra ces trois critères dans une systématisation qui restera la base aussi bien juridique que théologique de la théorie classique5. Plus encore qu’Augustin, il part d’une présomption contre la guerre. Il en traite en effet à partir de la question « Faire la guerre est-il toujours un péché ? »6. Il est encore plus significatif qu’il traite des conditions de la guerre sous l’intitulé « De la Charité ». Il souligne par là la composante téléologique de son approche : la guerre ne peut être autorisée pour poursuivre n’importe quel but. Elle est le moyen de veiller à ce que justice soit faite et que soient préservées les valeurs fondamentales. Clairement, il y a chez lui une hiérarchisation des valeurs qui fait de la justice un impératif supérieur à celui de l’absence de violence. La théologie catholique ne s’est jamais fait le porte-parole d’un pacifisme « fondamentaliste » basé sur l’axiome de non-violence contenu dans l’Evangile. Dans les siècles qui suivront, l’idéal érasmien de paix universelle se développera en grande partie en opposition à elle.

5 Pourtant, le recours à la violence apparaît par trop contradictoire avec l’idéal de paix et de fraternité évangélique. C’est pourquoi Thomas d’Aquin reprend l’énoncé des critères ayant pour objectif de limiter les hypothèses de recours à la guerre. La cause juste exige que la guerre soit entreprise pour venger une injustice ou exiger réparation d’une offense avec, généralement, l’idée sous-jacente de punition du coupable7. L’intention droite doit assurer que les objectifs du prince qui recourt à la guerre demeurent dans les limites de la cause juste et en particulier ne visent pas l’annihilation totale de l’ennemi ; une certaine proportionnalité doit donc exister entre l’importance de l’injustice que l’on veut corriger (ou les buts de guerre) et les moyens mis en œuvre pour atteindre ce résultat La compétence de l’autorité qui déclare la guerre est également un élément essentiel à une époque de querelles constantes entre seigneurs et princes féodaux ; elle vise à ce que la guerre ne soit entreprise que par les princes au-dessus desquels n’existe aucune autorité supérieure capable de trancher le différend par des moyens pacifiques. Enfin la guerre doit rester un dernier recours, auquel on ne se résout que lorsque tous les moyens pacifiques de règlement des différends ont été épuisés8.

6 Outre cette série de critères, l’Eglise a développé dans la pratique plusieurs mécanismes comme l’interdiction du combat certains jours ou périodes de l’année (« Trêve de Dieu »), la condamnation de l’usage d’armes particulièrement meurtrières (l’arbalète au Concile du Latran de 1139), l’instauration de franchises pour certaines couches de la population ou certains lieux (« Paix de Dieu »), ou l’offre de bons offices pour régler les différends entre souverains.

7 La théorie de la guerre juste fut reprise, complétée et réinterprétée par la scolastique espagnole des XVI-XVIIe siècles. Sous l’influence de Vitoria (1480-1546), elle devait prendre une connotation de plus en plus juridique et se détacher de son fondement initial – la nécessité de recourir à la violence, qui fait problème à la conscience chrétienne – pour devenir de plus en plus une justification au service de la volonté de puissance des princes. Vitoria préparait ainsi la réception de la théorie par les premiers penseurs du « droit des gens ». Il développa davantage que ne l’avait fait Thomas d’Aquin l’idée de proportionnalité entre injustice subie et dommages prévisibles du fait de la guerre et 42

pressentit aussi la possibilité d’harmonisation politique de l’univers par l’intermédiaire du droit, avec, en conséquence, la prérogative de l’Etat d’agir par substitution fonctionnelle pour rétablir la paix tant que la société internationale resterait inorganisée9 . Suarez (1548-1617) de son côté développa le critère de « certitude suffisante (ou raisonnable) de la victoire ». Forme du principe de proportionnalité dans le “jus ad bellum”, ce critère devait veiller à ce qu’un Etat ou un prince n’entreprît pas une guerre où les destructions seraient purement gratuites puisque l’issue – négative – du combat serait connue d’avance.

8 Avec l’éclatement de la chrétienté et le juridisme croissant du concept de guerre juste, il apparut de plus en plus que la « justice » de la cause pouvait être revendiquée par les deux adversaires. Positivement, cette évolution contribua à une modération du “jus in bello” et à une humanisation de la guerre. Mais inversement la prérogative de l’Etat de recourir à la guerre (“jus ad bellum”) en tant qu’instrument essentiel de l’exercice de son autorité, n’était pratiquement plus remise en cause. La théorie devint progressivement un catalogue formel de critères permettant de conclure à la licéité ou à l’illicéité de la guerre 10. En théorie demeurait le droit de l’individu de refuser sa participation à une guerre qu’il estimait injuste, en conséquence de la primauté de la conscience individuelle (Cf. Chap. I) 11. Mais dès lors que l’enjeu devenait l’expression publique et pratique de cette primauté de la conscience, l’Eglise se montra beaucoup plus réticente. L’accent mis sur l’autorité de l’Etat rendit généralement le principe ineffectif. Aux XVIIIe et XIXe siècles les critères de la guerre juste demeurèrent stériles et n’eurent aucune prise sur les conflits de nationalités 12. On doit cependant remarquer au tournant du XXe siècle une contradiction entre l’attitude des catholiques, souvent pressés de prouver leur loyauté aux régimes en place et les discours pontificaux, résolument opposés au système des armées permanentes comme à celui du service militaire obligatoire13.

9 Il fallut attendre la première guerre mondiale et la prise de conscience des destructions qu’elle avait causées pour que les catholiques se posent à nouveau la question de la légitimité de la guerre. Cependant, ce renouveau se situant dans la mouvance du droit humanitaire naissant (Conférences de La Haye de 1889 et 1907) devait entériner la réorientation du discours sur la guerre de la discussion sur les fins vers l’argumentation sur les moyens qui avait été amorcée dès le XVIe siècle. Les critères de « proportionnalité » et de « discrimination » devinrent alors des éléments essentiels de la théologie de la guerre juste. Une série d’ouvrages publiés à partir des années 1920 témoigne de cette redécouverte14, en même temps que se développaient des tendances pacifistes dans le cadre des mouvements d’action catholique de jeunesse en Italie (avec Don Sturzo), en Allemagne (avec Fransiskus Stratmann)15 et en France (avec Marc Sangnier). Certains allèrent jusqu’à déclarer l’impossibilité d’une juste guerre16, alors que la grande majorité restait attachée à l’idée de justice d’une guerre défensive tout en condamnant éventuellement la guerre d’agression17.

10 Avec la répétition à une plus grande échelle des ravages causés par la guerre généralisée, et surtout avec l’avènement des armes nucléaires, se posa plus radicalement encore la question de l’adaptabilité – ou même de l’adéquation – de la guerre juste comme cadre d’appréhension des conflits modernes.

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2. La guerre juste à l’époque nucléaire

11 A l’image de la plupart des contemporains, l’Eglise catholique ne vit pas dans les explosions nucléaires de Hiroshima et Nagasaki un phénomène qualitativement nouveau qui exigeait un bouleversement radical de son discours sur la guerre. Les quelques voix qui s’élevèrent pour clamer qu’il s’agissait d’un phénomène sui generis, auquel les principes traditionnels de la guerre juste n’étaient plus applicables, restèrent sans écho, même lorsqu’elles venaient de membres respectés de la Curie elle-même18. Pour la majorité des théologiens, l’arme nucléaire et l’avènement de la « guerre totale » rendaient d’autant plus pressante l’insistance sur les critères de proportionnalité et de discrimination.

a. Pie XII et la « guerre juste »

12 Premier pape à se trouver confronté au phénomène nucléaire, Pie XII (qui occupa ses fonctions de 1939 à 1958) y vit une incitation à renforcer les barrières destinées à empêcher la guerre. D’abord il introduit une limitation nouvelle au domaine de la juste cause. La guerre d’agression est clairement condamnée comme « un péché, un délit et un attentat contre la majesté de Dieu, créateur et ordonnateur du monde »19. Notons cependant que la notion d’agression demeure aussi indéterminée dans la théologie catholique qu’elle l’était dans le droit international de l’époque20. D’autre part, devant la permanence des conflits et l’absence de moyen supranational de règlement des différends, la guerre défensive demeure un droit et même une obligation pour les Etats21. Le critère déterminant est alors celui de proportionnalité. En 1953, Pie XII n’hésite pas à affirmer : « Lorsque les dommages entraînés par la guerre ne sont pas comparables à ceux de l’injustice tolérée, on peut avoir l’obligation de subir l’injustice »22. L’année suivante, parlant de la guerre ABC (Atomique, Bactériologique et Chimique) qu’il assimile à la « guerre totale moderne », il précise : « Quand toutefois la mise en œuvre de ce moyen entraîne une extension telle du mal qu’il échappe entièrement au contrôle de l’homme, son utilisation doit être rejetée comme immorale. Ici il ne s’agit plus de défense contre l’injustice et de la sauvegarde nécessaire de possessions légitimes, mais de l’annihilation pure et simple de toute vie à l’intérieur de son rayon d’action Cela n’est permis à aucun titre »23. Le souci de discrimination des populations civiles était alors une de ses préoccupations majeures. Cependant Pie XII refuse de réduire la proportionnalité à sa composante purement matérielle : « Ni la seule considération des douleurs et des maux dérivants de la guerre, ni le dosage soigné de l’action et de l’avantage ne sont finalement capables de déterminer s’il est moralement licite ou même, en telles ou telles circonstances concrètes, obligatoire… de repousser l’agresseur par la force ». Se limiter à ces considérations serait céder à un « sentiment empreint d’eudémonisme et d’utilitarisme d’origine matérialiste [auquel] manque la solide base d’une obligation étroite et inconditionnelle »24. L’intention de se démarquer d’un courant pacifiste souvent dénigré est ici évidente. Mais une proportionnalité rapportée au seul critère de la juste cause pose davantage de problèmes qu’elle n’en résout car elle risque de faire disparaître les règles du “jus in bello” au profit du “jus ad bellum”. Faut-il en conclure, comme l’a fait le Père Gundlach – un des proches conseillers de Pie XII – que : « Même au cas où le seul succès serait une manifestation de la majesté de Dieu et de l’Ordre qu’il a institué et dont nous lui sommes redevables en tant qu’humains, le droit et le devoir de défense des 44

valeurs les plus élevées demeurent concevables. En vérité même si le monde devait être anéanti, cela ne constituerait pas un argument valable contre notre raisonnement »25 ?

13 Pousser la logique jusqu’à de telles aberrations est certes un cas extrême. Mais la conclusion n’est pas totalement fortuite26. Elle est le type même des excès auxquels a pu conduire l’interprétation restrictive de la loi naturelle telle que la dénonce E.- W. Böckenförde27. L’« éthique de détresse » à laquelle on aboutit ne permet en aucun cas de poser les conditions d’un ordre international plus stable ou plus pacifique car elle n’intervient qu’au moment où le bien que l’on veut protéger est déjà virtuellement détruit. Cette carence fait apparaître la théorie de la guerre juste de plus en plus inadaptée au développement des armes nucléaires qui remettent en cause la nature même du phénomène appelé « guerre ». N’y a-t-il pas un hiatus insurmontable entre l’objectif de la guerre – le rétablissement de la justice – et le moyen que l’on se propose d’utiliser pour y parvenir ? En d’autres termes, n’y a-t-il pas contradiction fondamentale entre la fin et les moyens ? De plus, le développement de la stratégie de dissuasion nucléaire place le moraliste devant une série de questions nouvelles. Peut-on utiliser les mêmes critères pour juger de l’emploi des armes nucléaires et de leur affectation à un but dissuasif (reposant sur la menace ou la simple possession) ? Pie XII avait jugé les armes nucléaires sans apporter de modification à la théorie classique28. Il les considérait encore en priorité comme des instruments militaires, bien qu’il semble les avoir perçues vers la fin de son pontificat comme des moyens politiques. Cependant, à partir du moment où la dissuasion devint bilatérale et fut consacrée comme modalité du rapport politique entre les superpuissances, la méthode du jugement moral dut s’adapter aux mutations du cadre stratégique.

b. Guerre juste et dissuasion nucléaire

14 Le jugement éthique de la dissuasion nucléaire, qu’il soit le fait des théologiens, des scientifiques ou des stratèges, s’est traditionnellement – c’est-à-dire dans les années 1957-65 environ – orienté à partir de l’interrogation : « dans quelles conditions une guerre menée avec des armes nucléaires peut-elle être juste ? », ce qui renvoyait immédiatement aux deux critères du “jus in bello”, proportionnalité et discrimination. Question stratégique et éthique étaient liées. A la fois l’impératif de crédibilité et l’impératif moral poussaient les stratèges à tenter de définir une forme de dissuasion qui, en cas d’échec, permette d’échapper au tout ou rien des « représailles massives » (“massive retaliation”)29. Le débat sur la nature des armes fut peu à peu remplacé par un débat sur la distinction des cibles30.

15 L’examen des critères de proportionnalité et discrimination renvoie immédiatement à la question pratique de la contrôlabilité de l’usage de l’arme nucléaire. Les théologiens tout comme les stratèges31 ou les scientifiques ont abouti à des conclusions diverses à ce sujet. Le théologien catholique John Courtney Murray, s’appuyant sur les déclarations de Pie XII en matière de guerre ABC conclut que « puisqu’une guerre nucléaire peut devenir une nécessité, elle doit devenir une possibilité. Il faut créer cette possibilité », ce qui suppose, entre autres, la « construction d’une sorte de “modèle” de la guerre limitée » 32. En Allemagne, où la discussion dans les milieux catholiques s’est développée plus directement à partir des déclarations pontificales, d’âpres débats eurent lieu sur la signification de l’élément de contrôlabilité, auquel le message de Pie XII à l’Association Médicale Mondiale attribuait un rôle central (Cf. supra). Pour le Père Gundlach. cette 45

condition ne s’appliquait pas à la qualité technique des armes, mais à un facteur humain, du fait que la « mécanisation de la guerre, une fois déclenchée, échappe à la conscience des détenteurs du pouvoir »33. A l’encontre de cette interprétation, qui a en fait pour conséquence de « banaliser » les armes nucléaires, s’élève la majorité des commentateurs, pour qui la condition de contrôlabilité doit être comprise d’abord dans un sens technique. C’est le cas dans les écrits de Johannes Hirschmann34, dans la « déclaration des sept théologiens » – dont Hirschmann – qui avait connu un certain retentissement à l’époque, dans la réplique de Böckenförde et Spaemann, ou encore chez des auteurs de tendance pacifiste. Alors que les « sept théologiens » concluent que « selon l’opinion de spécialistes consciencieux, il n’est pas exact que les effets des armes atomiques échappent entièrement à ce contrôle »35, laissant ouverte la possibilité d’un usage légitime de ces armes, Böckenförde et Spaemann rejettent la thèse de Gundlach selon laquelle les armes ne seraient qu’un instrument dépourvu d’intentionnalité36. Les adversaires de l’armement nucléaire de leur côté excluent tout emploi effectif d’armes qu’ils affirment n’être plus techniquement contrôlables37.

16 Aux Etats-Unis la question de contrôlabilité a rejailli sur la discussion de validité du critère de discrimination des populations civiles. La problématique générale est mise en évidence par Paul Ramsey lorsqu’il examine les affirmations du Concile Vatican II. Ramsey rejette la distinction établie à ce propos par certains auteurs entre « intention directe » et « intention indirecte » d’utilisation des armes contre les populations civiles38 au profit d’une articulation entre « intention » et « conséquences prévisibles », ces dernières étant soustraites du domaine de l’intention. Il reporte donc le débat au niveau du couple conséquences intentionnées – conséquences inintentionnées. Il peut alors considérer une frappe nucléaire contre-forces comme moralement acceptable, malgré les retombées possibles sur la population civile, pourvu que celles-ci demeurent dans les limites de ce qu’exige le critère de proportionnalité. L’objectif de Ramsey est de définir une stratégie de dissuasion nucléaire qui soit à la fois crédible et moralement légitime. Selon son hypothèse, « une dissuasion légitime est l’effet indirect des effets indirects inévitables (les dommages collatéraux infligés aux populations civiles) d’un emploi des armes nucléaires dont les cibles seraient définies de manière appropriée et qui serait donc juste dans ses intentions et dans sa conduite »39. Mais comme le fait remarquer Robert Tucker dans son commentaire, si l’on sait que, de l’usage des armes s’ensuivra inévitablement un « double effet », d’une part la destruction des forces ou du potentiel économique de soutien ennemi – intentionnée –, d’autre part la destruction de sa population civile – non intentionnée –, quel critère permet de juger de l’intention, sinon le résultat quantitatif de l’acte40 ? Walter Stein résume ainsi l’ambiguïté majeure du raisonnement de Ramsey : « L’erreur décisive dans l’argumentation de Ramsey tient à la dépendance de sa soi-disant, dissuasion collatérale, (collateral deterrence) par rapport à des effets essentiels aux objectifs de la stratégie, directement indispensables, profondément souhaitables, et qui doivent cependant être sanctionnés comme effets collatéraux »41. Ainsi, le souci de Ramsey de définir une stratégie qui laisserait sauf le principe de discrimination des populations civiles semble-t-il conduire à sa négation même. La stratégie de “counterforce plus avoidance” qu’il préconise paraît peu apte à résoudre le problème moral de la dissuasion nucléaire.

17 Le dilemme est fondamentalement le suivant : pour que la dissuasion nucléaire soit crédible et par là même, efficace, ne doit-elle pas menacer l’adversaire potentiel d’un risque incalculable ? Cette incalculabilité du risque qui est un de ses éléments essentiels, 46

est liée en particulier à la possibilité d’« escalade » du conflit. Il s’ensuit que la dissuasion qui paraît la plus sûre est aussi celle qui menace de la destruction la plus grande ou qui porte le plus haut risque d’escalade à partir d’une guerre conventionnelle42. Une dissuasion qui reposerait sur la simple possession des armes nucléaires serait-elle envisageable ? Paul Ramsey avait initialement considéré la possibilité d’un « bluff » nucléaire, mais il s’est ensuite distancé de cette solution qui lui paraissait à la fois peu crédible, irréaliste et moralement insatisfaisante43.

18 Certains auteurs ont voulu réagir à la tendance de plus en plus nette de la théologie de la guerre juste à s’identifier au critère de discrimination. C’est le cas en particulier du juriste catholique William O’Brien qui, en cherchant à réhabiliter la réflexion sur le “jus ad bellum”, met en même temps l’accent sur le critère de proportionnalité44. En effet, les moyens employés ne trouvent leur signification ou leur limitation qu’en fonction des objectifs que l’on se fixe. O’Brien cherche à replacer au cœur des débats la préoccupation de justice, de plus en plus marginalisée au cours des siècles. Cependant ses efforts, davantage encore que ceux de Ramsey, restent centrés sur la définition d’une stratégie qui se donnerait les moyens de mener une guerre limitée et donc morale. Ainsi ne parvient-il pas réellement à sortir du cadre du “jus in bello”.

19 Dans l’ensemble de ces discussions, l’accent mis sur les critères de discrimination et de proportionnalité dans la conduite de la guerre tend à faire oublier une des composantes essentielles de la dissuasion, qui est son aspect politique. L’objectif de la dissuasion est avant tout d’instaurer un certain rapport de force entre des puissances antagonistes dont aucune n’est capable d’imposer définitivement sa volonté à l’autre. La construction d’un arsenal nucléaire, malgré les dangers qu’il comporte, a pour but d’éviter un mal estimé supérieur, en l’occurrence l’occupation armée venant de l’extérieur et l’imposition de valeurs étrangères. La détention d’armes nucléaires est alors considérée comme le moindre entre les deux maux que représentent leur probabilité d’emploi modulée par leur puissance de destruction d’une part, les conséquences désastreuses de leur abandon unilatéral d’autre part. Cette seconde approche, qui repose sur l’évaluation comparative de deux situations politico-militaires jugées insatisfaisantes, fait abstraction de la destination opérationnelle des armes et permet de faire l’économie de critères absolus comme celui de discrimination des populations civiles. Elle a cependant l’inconvénient de séparer artificiellement les fins recherchées par la dissuasion et les moyens que l’on se propose d’utiliser pour y parvenir. D’une certaine manière, « la fin justifie les moyens ».

20 Si certains penseurs commencèrent à traiter de l’aspect politique des armements nucléaires au tournant des décennies 1950-6045, cette composante fut largement laissée sous silence dans toute la première phase de discussion éthique à leur sujet dans les milieux catholiques – aussi bien que protestants. Bien que sous-jacente, elle n’était pas thématisée en tant que telle.

21 Les traits dominants des premiers débats sur les armes nucléaires restent donc les suivants : 1) l’utilisation d’une méthode de jugement de la dissuasion identique à celle du jugement de l’emploi des armes ; 2) l’accent mis sur le critère de discrimination et sur un concept de proportionnalité généralement limité aux dommages matériels de la guerre ; 3) la définition de stratégies dites « morales » qui seraient basées essentiellement sur la contrôlabilité technique de l’arme nucléaire. A ces constatations, on peut avancer quatre types d’explications : 1) l’incertitude et les tâtonnements des stratèges à la recherche d’un concept de dissuasion nucléaire crédible ; 2) leur recherche d’une alternative à la doctrine des « représailles massives » sous la forme d’une guerre limitée ; et plus précisément dans 47

les milieux catholiques ; 3) l’influence des textes pontificaux mettant l’accent sur la condition de contrôlabilité ; 4) la tendance générale à isoler le discours sur la guerre juste de l’appréciation des systèmes politiques dans leur globalité.

22 L’insuffisance de la théologie classique lorsqu’il s’agit de juger de la dissuasion nucléaire a été clairement perçue par le Concile dont les déclarations en la matière se caractérisent par une extrême prudence. En même temps, il apparut nécessaire de dépasser cette approche essentiellement négative par une vision plus positive de l’ordre international capable de maintenir la paix.

II. Vatican II sur la guerre et la paix

1. Vatican II et la guerre

23 Le document conciliaire traite de la guerre dans son chapitre V (GS § 79-82), dont nous nous bornerons à rappeler les innovations par rapport à l’approche classique. La singularité de “Gaudium et Spes”, en comparaison avec les discussions antérieures, est d’avoir dissocié les questions d’usage des armes et de dissuasion nucléaire.

24 1) L’affirmation la plus souvent citée en ce qui concerne l’emploi de la force armée est certainement la suivante : Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation (GS § 80.4).

25 Cette formule appelle deux types de commentaires. En premier lieu, elle doit être rapportée à l’appréciation traditionnelle du “jus in bello”. Certains auteurs y ont vu une réaffirmation inconditionnelle du principe de discrimination prononcée avec une vigueur sans précédent46, alors que d’autres la situaient dans la logique d’un principe de proportionnalité47. Le contexte mentionne les « actes belliqueux » qui « lorsque l’on emploie de telles armes, peuvent en effet causer d’énormes destructions, faites sans discrimination, qui, du coup, vont très au-delà des limites d’une “légitime défense” » (GS § 80.1). Le critère déterminant paraît ici être la proportionnalité, mais en réalité, la discrimination en est posée comme l’une des conditions48. A l’affirmation traditionnelle de l’inviolabilité des vies innocentes, il faut ajouter que l’Eglise ne peut guère se situer en- deçà des règles du droit international en vigueur, qui prohibent les destructions massives de populations civiles en cas de conflit49. En même temps, elle n’a jamais posé la préservation de la vie physique comme un absolu50 et l’intégration du critère de discrimination dans la « tradition » de la guerre juste est disputée à cause de son origine récente et de son caractère de droit positif51. Préalablement à l’application du principe se pose toute une série de questions définitionnelles portant sur l’« intentionnalité directe » de l’attaque, la qualité de « non-combattants » des personnes et d’« objectifs non- militaires » des installations visées52. Paul Ramsey a vigoureusement souligné le besoin d’une distinction entre les deux concepts, toute destruction indiscriminée n’étant pas nécessairement disproportionnée et une destruction pouvant être disproportionnée sans être nécessairement indiscriminée53. La modulation de l’impératif de discrimination par le critère de proportionnalité rend son utilisation très délicate. Nous n’entrerons pas ici dans des discussions détaillées à propos de l’articulation des deux critères54. Il suffit pour l’instant d’indiquer que les adversaires de l’arme nucléaire tendent à absolutiser le 48

principe de discrimination, alors que ses partisans ont recours de préférence à un examen de proportionnalité.

26 Le Concile pour sa part – et c’est sa seconde caractéristique – se refuse à faire un cas particulier des armes nucléaires, contrairement à ce qu’auraient souhaité certaines tendances au sein de l’Eglise55. Il condamne un type de guerre, à cause de ses effets, et non pas une arme singularisée56.

27 2) La dissuasion n’est pas traitée conjointement avec la guerre mais avec la course aux armements57. Elle fait l’objet d’une définition très générale qui renvoie à une « capacité foudroyante d’exercer des représailles » et à une « accumulation d’armes » (GS § 81.1) destinée à empêcher la guerre, sans que l’on sache très bien par quel mécanisme. Le Concile se situe d’abord en prudent observateur de la dissuasion. Il constate que : Beaucoup pensent que c’est là le plus efficace des moyens susceptibles d’assurer aujourd’hui une certaine paix entre les nations (GS § 81.1)58.

28 Mais il s’enhardit ensuite en déclarant : Quoi qu’il en soit de ce procédé de dissuasion, on doit néanmoins se convaincre que la course aux armements,... ne constitue pas une voie sûre pour le ferme maintien de la paix et que le soi-disant équilibre qui en résulte n’est ni une paix stable, ni une paix véritable (CY § 81.2).

29 Affirmer que la dissuasion ne constitue par une « paix stable » relève encore du registre de la constatation, mais souligner qu’elle n’est pas une « paix véritable » et qu’elle « ne constitue pas une voie sûre » pour une solution durable du problème de la paix est déjà l’embryon d’un jugement moral. La déclaration conciliaire introduit, quelques alinéas plus bas et sans la lier directement au concept de dissuasion, une notion de délai (GS § 81.4), qui sera reprise plus tard par Jean-Paul II (Cf. infra). Elle se refuse cependant à porter un jugement définitif sur la dissuasion nucléaire59. Temporairement, l’arme nucléaire, dans la mesure où elle peut contribuer à la dissuasion, ne peut être bannie. Seul son usage indiscriminé le serait. “Gaudium et Spes” sous-entend la bonne volonté des Etats de ne pas utiliser les armes qu’ils accumulent à des fins de dissuasion, alors que l’encyclique “Pacem in Terris”, publiée à l’époque des premières discussions du Concile, leur faisait explicitement crédit sur ce point60. Parallèlement, la prérogative étatique du recours à la défense armée est rappelée (GS § 79.4), mais sans être assortie de la traditionnelle « présomption de droit » de l’Etat.

30 3) Cette omission est à rapprocher d’une des innovations fondamentales du Concile : la reconnaissance de la légitimité de l’objection de conscience au service militaire. Le texte ne se limitait pas seulement à autoriser une objection sélective, découlant du principe classique de la primauté de la conscience, mais il prévoyait la possibilité d’une objection générale, toutefois modulée par l’exigence de la poursuite du bien commun61. Celle-ci fait pendant à l’éloge de la non-violence, qui est considérée comme un moyen de défense légitime. Cette affirmation ne faisait sans doute pas l’unanimité parmi les Pères conciliaires62. Cependant, on voit par là se dessiner une évolution cherchant à briser le cercle vicieux auquel a conduit le raisonnement casuistique traditionnel. Ainsi, Vatican II préconise-t-il de « considérer la guerre dans un esprit entièrement nouveau » (GS § 80.2). Ceci implique en premier lieu de rétablir un lien entre les discours sur la guerre et la paix, depuis longtemps séparés et en même temps, de renouveler la discussion sur les fins, évacuée au cours des siècles au profit de l’argumentation sur les moyens.

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2. Vatican II et le contexte politique de la guerre

31 Les Pères du Concile, en disant leur espoir qu’un jour la guerre « pourra être absolument interdite », déclarent que : Ceci, assurément, requiert l’institution d’une autorité publique universelle, reconnue par tous, qui jouisse d’une puissance efficace, susceptible d’assurer la paix à tous, la sécurité, le respect de la justice et la garantie des droits (GS § 82.1).

32 Avant d’examiner le sens de cette affirmation, revenons brièvement sur ses fondements.

a. Les fondements

33 L’affirmation de l’existence d’une « famille humaine » (GS § 24, § 75.4), est depuis longtemps l’un des postulats du droit naturel. Elle superpose à la tradition stoïcienne de « société commune du genre humain », fondée sur l’universalité de la raison, l’idée chrétienne de fraternité des hommes, tous même Père63 ayant même origine et même fin. La base sur laquelle l’Eglise assoit son hypothèse de structuration progressive de la société internationale est très proche de celle qui conduisit au XVIe siècle au développement du droit des gens. L’idée de droit naturel, commun à tous les hommes, en est un élément essentiel64. La rupture de la communauté humaine – qui est aussi rupture avec Dieu – du fait du péché, doit être dépassée dans un processus de « reconnaissance » mutuelle auquel Hegel donnait pour fondement l’amour préconisé par le message chrétien65. De ce fait, la réconciliation entre les hommes sera aussi réconciliation avec Dieu.

34 Dans la pratique, après l’extinction du mythe de l’unité et de la paix universelle apporté par l’Empire chrétien, il fallut attendre le XVIe siècle pour que réapparût l’idée d’une « unité politique de l’univers », en lien avec les premières ébauches du droit des gens. Mais elle était vouée à demeurer en tension permanente avec l’assertion de la souveraineté des Etats naissants. Le premier, Vitoria a senti que ce conflit n’était pas sans conséquences sur la théologie de la guerre. Il en tirait la conclusion : Puisqu’un Etat est une partie de l’ensemble de l’Univers, si une guerre est utile à un Etat, mais au détriment de l’Univers, je pense que de ce fait, la guerre est injuste66.

35 Mais ce généreux postulat fut battu en brèche tout au long des siècles suivants, qui virent l’affirmation des Etats souverains et le développement des nationalités, alors que de son côté, l’Eglise s’identifiait au pouvoir politique ou au contraire, rejetait toute forme de responsabilité dans la sphère publique67.

36 Pourtant, au début du XXe siècle, l’Eglise ne sut pas reconnaître dans la Société des Nations la traduction concrète des principes qu’elle proclamait en théorie. Elle y vit une sorte d’internationale laïque qui prétendait ériger une communauté des peuples sur la base de principes qu’elle n’avait cessé de condamner68. L’accueil réservé par Pie XII à l’Organisation des Nations Unies fut beaucoup plus enthousiaste. Avant même la fin de la guerre, il exprimait son soutien au nouveau projet d’organisation de la communauté internationale, tout en affirmant que « l’avenir de la paix dépend de la reconnaissance [du] principe » selon lequel « l’ordre absolu des décrets divins que Nous avons maintes fois recommandés inclut aussi une exigence morale et, comme couronnement du développement social, l’unité du genre humain et de la famille des peuples »69. La vision d’un monde mu par des principes chrétiens, conformes au droit naturel, marque 50

l’ensemble des proclamations de Pie XII sur la communauté internationale, de même que sur la construction européenne70. Ainsi le pape va-t-il jusqu’à déclarer : Si l’humanité, se conformant à la volonté divine, applique ce moyen sûr de salut qu’est le parfait ordre chrétien dans le monde, elle verra bien vite s’évanouir pratiquement jusqu’à la possibilité de guerre, même juste, qui n’aura plus aucune raison d’être du moment que sera garantie l’activité de la Société des Etats comme véritable organisation pour la paix71.

37 Pourtant, à la même époque, l’Eglise n’a de cesse de réaffirmer le principe de souveraineté de l’Etat, en particulier sous la forme de sa prérogative la plus essentielle : le recours à la force pour des besoins de légitime défense72. On croit pouvoir résoudre la difficulté de compatibilité entre les, deux thèses par un recours au principe de « subsidiante » qui, de même qu’il s’applique dans les rapports de la société civile à l’Etat, serait également valable dans les relations de l’Etat à une éventuelle autorité internationale73. Toutefois Pie XII reste prudent : il n’emploie pas directement ce terme74.

b. Le concept d’ordre international dans “Gaudium et Spes”

38 Sur la base du tournant déjà amorcé par Pie XII, Jean XXIII fut le premier pape à réclamer la « constitution d’une autorité publique de compétence universelle » au nom de « l’ordre moral » dans son encyclique “Pacem in Terris”75.

39 On lui a alors reproché d’ignorer les phénomènes de pouvoir et de faire fi du « réalisme » dont se targue traditionnellement l’Eglise. Le Concile a pris acte de ces critiques, si bien qu’il reste plus circonspect dans sa mention de « l’autorité publique universelle » comme moyen d’abolir la guerre et met immédiatement l’accent sur le désarmement, dévolu aux institutions internationales existantes (GS § 82.1). Il intègre par contre largement la rhétorique onusienne de l’interdépendance lorsqu’il vient à traiter des matières économiques (GS § 83-87). Les injustices économiques sont décrites comme une des premières « causes des discordes entre les hommes » et de là, l’une des principales causes de guerre (C75 § 83.1). Il convient donc de les éliminer si l’on veut construire une communauté internationale pacifique. Ici apparaît l’un des thèmes qui feront école dans la littérature aussi bien religieuse que profane à partir des années 1960 : l’affirmation d’un lien entre le sous-développement et les conflits, – et en corollaire, entre le développement et le désarmement – sans que soient toujours détaillées leurs multiples composantes et ramifications, ou prises en compte les données politiques en jeu.

40 La principale critique que l’on peut adresser à la vision conciliaire de l’ordre international est analogue à celle que le juriste allemand Hans Barion dirigeait contre la théorie de l’Etat proposée par “Gaudium et Spes”76. Les Pères du Concile – tout comme Jean XXIII – n’essaient pas d’expliquer par quel mécanisme les communautés politiques, organisées en Etats, pourraient s’agréger pour déférer le pouvoir à une autorité internationale. L’existence de celle-ci n’est supposée que sur la base d’un postulat théologique : l’unicité de la famille humaine, et plus timidement, sur la base de la constatation empirique d’une interdépendance entre les nations77. Mais il manque un fondement philosophique pratique qui puisse faire le lien entre le passage de la souveraineté étatique à une souveraineté (totale ou partielle) internationale, au-delà du simple agrégat des individus isolés. L’Eglise tend à céder à la double tentation du mythe de la fraternité universelle, qui déplace l’eschatologie au niveau du monde concret, et de la rationalité organisatrice universelle, propre aux théories fonctionnalistes du politique78. L’hypothèse d’une souveraineté internationale qui ferait du droit la solution universelle de tous les conflits, 51

conduirait à une négation du politique et de la nécessité de négociation permanente qu’il implique. Elle serait une utopie ou risquerait de dégénérer en despotisme79. Rien ne garantit que l’usage de la force serait rejeté en cas d’existence d’une autorité internationale, comme semble le supposer le texte conciliaire (GS § 79.4, 82.1). Cette autorité aurait toujours un pouvoir de coercition, incluant l’usage éventuel de la violence armée. La guerre ne disparaîtrait pas en tant que telle, à moins que l’on puisse prouver qu’elle montrerait nécessairement plus de modération, plus de sagesse dans l’emploi de la force que l’Etat lui-même. Il faudrait au préalable redonner au « droit des gens » la primauté qui lui a peu à peu échappé au profit du droit des Etats, ce qui demanderait une réflexion sur les bases sociologiques d’une communauté politique à l’échelon universel80.

41 La seconde fonction d’une éventuelle autorité universelle, l’instauration d’une plus grande justice entre les nations (GS § 83-84), qui limiterait ou éliminerait les causes de la guerre, paraît plus réaliste. Il faut remarquer que le Concile ne lie pas directement la question de l’injustice internationale à celle de la rivalité entre grandes puissances – sur laquelle il reste étonnamment discret –, semblant ainsi vouloir souligner une certaine indépendance entre les dimensions Est-Ouest et Nord-Sud des relations internationales81. Mais il demeure très proche du postulat optimiste des années 1960, selon lequel la coopération internationale permettrait de résoudre à courte échéance le problème du sous-développement et d’éliminer les conflits interétatiques82.

c. Renouveau du discours sur la paix

42 Avec Pie XII et plus encore avec Jean XXIII et le Concile, le discours politique de l’Eglise sur la guerre et la paix connaît un profond renouveau. Alors que le discours sur la guerre était toujours resté politique, le discours sur la paix avait eu tendance à se réduire peu à peu à une dimension spirituelle par soustraction au jugement éthique d’une grande part de la décision de l’autorité politique. Ainsi, la notion augustinienne de la paix comme « tranquillité de l’ordre »83 a-t-elle plus souvent servi dans l’histoire à ratifier le conservatisme politique existant qu’à promouvoir une transformation des structures.

43 A l’époque contemporaine, l’Eglise tente de se démarquer de 1’« éthique pour cas limites » de la scolastique et de la néo-scolastique pour revenir au concept thomiste de la paix comme « œuvre de la justice ». Sans doute cette réorientation se trouve-t-elle en accord avec les grands courants de la pensée moderne. Peu à peu on se rend compte, surtout à partir du début des années 1960, que l’absence de guerre n’équivaut pas à la paix. La prise de conscience de la persistance, voire de l’accroissement des inégalités entre mondes riche et pauvre prend une place déterminante dans l’analyse des réalités internationales. Si les termes de « violence structurelle », de « paix positive »84 ne sont pas encore définis, les idées qu’ils véhiculent sont déjà présentes dans le débat éthico- politique.

44 Dans le milieu catholique, la réorientation de la réflexion sur la paix a été préparée par de nombreux penseurs depuis 194585. Au cours des années 1960 et 1970, l’idée de paix comme « œuvre de la justice », véhiculée par de nombreux documents ecclésiaux86 n’a eu aucune difficulté à s’intégrer aux revendications pour une plus grande justice internationale alors formulées dans de multiples forums internationaux87. Plus tard, à partir du milieu de la décennie 1970, alors que l’attention générale se tourne vers la cause des droits de l’homme, l’Eglise participe également de cette réorientation. L’élection d’un pape originaire d’un pays socialiste n’y est certainement pas étrangère. Le processus 52

d’Helsinki, aussi bien que la dégradation du climat international en 1979-80, trouvent leur résonance dans le discours catholique.

45 Il faut remarquer que l’évolution du contenu n’entraîne pas nécessairement un changement du discours. A tout moment, il est possible de revenir à la paix comme “tranquilitas ordinis” en définissant l’« ordre » comme toute organisation des rapports politiques et sociaux qui assure la justice entre ses membres ou le respect des droits de l’homme. Ainsi, une certaine philosophie du droit naturel qui dit rarement son nom continue-t-elle à nouer le discours du Concile, comme celui des papes qui l’ont suivi. Pour le premier, La paix est le fruit d’un ordre inscrit dans la société humaine par son divin fondateur et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d’aspirer à une justice plus parfaite (GS § 78.1).

46 Pour Jean-Paul II, reprenant une affirmation de Paul VI, La paix ne se réduit pas à l’absence de guerre, fruit de l’équilibre toujours précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d’un ordre voulu de Dieu, qui comporte une justice parfaite entre les hommes88.

47 Les concepts de base demeurent, mais la réalité qu’ils recouvrent a profondément changé.

48 Le discours contemporain de l’Eglise sur la paix est très marqué par la philosophie des droits de l’homme de Jean-Paul II. Le pape des années 1980 part d’une anthropologie biblique pour définir la place de l’homme et le sens de son activité dans l’univers (Cf. Chap. I). Il s’appuie pour cela sur l’idée de l’homme « image de Dieu », centrale au texte conciliaire “Gaudium et Spes”89. Conformément à la tradition, le pape postule que la paix totale est inaccessible sur cette terre à cause du péché qui a rompu l’unité de l’homme avec Dieu, unité fondatrice de l’intégrité de l’homme dans la vérité90. Cependant, la réconciliation apportée par le Christ offre la possibilité de surmonter cet état de rupture. Donc la paix est possible – c’était le leitmotiv des discours de Paul VI –, la guerre n’est pas une fatalité91. De plus, le salut chrétien s’adressant à l’homme dans sa totalité, la paix n’a pas seulement une dimension spirituelle : Elle résulte du dynamisme des volontés libres, guidées par la raison vers le bien commun à atteindre dans la vérité, la justice et l’amour. Cet ordre rationnel et moral s’appuie précisément sur la décision de la conscience des êtres humains à la recherche de l’harmonie dans leurs rapports réciproques, dans le respect de la justice pour tous, et donc des droits humains fondamentaux inhérents à chaque personne92.

49 L’approche de Jean-Paul II, qui fait ultimement reposer la paix sur l’accès à la vérité dans sa dimension transcendante, semble donc essentiellement spirituelle et, par certains aspects, plutôt individuelle, en comparaison de l’élargissement qu’avait voulu opérer le Concile. Cependant les implications politiques en sont évidentes dans la mesure où l’exigence du respect de la liberté de conscience et de la liberté religieuse en sont un corollaire immédiat. Le pape lui-même n’hésite pas à les formuler dans des circonstances où son discours aura la plus large audience. Le thème de la « vérité, source de paix » et, en conséquence, le rejet des idéologies qui déforment cette vérité ou en interdisent l’accès est récurrent dans ses « messages pour la journée de la paix »93. Parmi ces idéologies, il dénonce en particulier celles qui répandent l’idée que « l’homme et l’humanité entière réalisent leur progrès par la lutte violente » et ont « cru pouvoir le vérifier dans l’histoire »94. Bien qu’il se garde de toute condamnation spécifique, l’inflexion de son discours sur les droits de l’homme ne pourra manquer d’avoir des répercussions sur ses 53

propres prises de position et sur celles de l’Eglise tout entière sur la paix dans les relations Est-Ouest.

50 Ces évolutions théoriques générales se traduisent de manière différente à chaque niveau national, lorsqu’il s’agit de juger concrètement de la prérogative étatique de recourir à la force ou d’en menacer pour faire valoir sa souveraineté. Un rappel historique succinct des attitudes catholiques à l’égard des questions de la guerre, de la paix et de l’armement permettra de situer le terrain sur lequel ont pris naissance les déclarations épiscopales de 1983 dans les trois pays considérés.

III. Panoramas nationaux

51 L’attitude des catholiques à l’égard des problèmes concrets de la guerre et de la paix ne peut être séparée du contexte global des relations Eglise-Etat dans chaque pays. Celles-ci ayant connu une évolution spécifique dont les dates charnières sont différentes dans chaque cas, nous renonçons à fixer pour notre survol un point de départ unique. L’unité de l’approche sera reconstituée par l’accent mis sur la période la plus récente.

1. L’Allemagne

52 Pour l’Allemagne, le tournant historique, c’est bien sûr 1945 : tout est à repenser après la débâcle hitlérienne, de l’organisation économique au régime politique, en passant par les rapports sociaux, les fondements idéologiques, l’éducation et les buts collectifs. Dans cette phase de reconstruction, les Eglises jouent un rôle important pour plusieurs raisons. Elles sont les seuls groupements à être sortis quasi indemnes de la tempête, l’Eglise catholique encore davantage que son homologue protestante car elle jouissait des garanties que lui apportait le Concordat passé avec le régime en 193395. Elles bénéficient d’une mesure de crédibilité assez élevée aux yeux d’une majorité de la population à cause de la participation d’un nombre non négligeable de leurs fidèles et de certains de leurs prélats à la résistance contre le régime hitlérien96. Enfin elles apparaissent à beaucoup comme le seul asile spirituel – même si le phénomène fut très limité dans le temps – après la dérive idéologique du nazisme. Pendant la période 1945-49, les Eglises furent donc les seules forces sociales constituées pouvant servir à la fois de pôle de rassemblement et de porte-paroles chargés de faire valoir les revendications de la population auprès des puissances occupantes97.

53 Ainsi la conjoncture incitait-elle l’Eglise catholique à penser qu’un rôle particulier lui incombait dans la reconstruction du pays. Elle était décidée à se donner les moyens de mener à bien cette mission. Certains acquis ne pouvaient être remis en cause, comme la collaboration entre catholiques et protestants qui s’était développée pendant la guerre pour lutter contre le régime nazi. Aussi jugea-t-elle plus judicieux d’encourager la création d’un parti biconfessionnel, plutôt que d’essayer de ressusciter l’ancien „Zentrum“ qui avait fait la preuve de son impuissance devant la montée du totalitarisme98 . En même temps, elle chercha à rassembler ses troupes sous la bannière de l’Action Catholique afin d’éviter la fragmentation dont avait été victime le catholicisme sous la République de Weimar à cause de la toute puissance des « ligues » („Verbände“) qui avait interdit la constitution d’un front commun face à l’hitlérisme. Cette initiative n’ayant pas connu le succès escompté à cause de son caractère artificiel par rapport aux structures sociales, il parut préférable de coordonner l’ensemble des organisations laïques 54

catholiques dans un organisme qui regrouperait pour moitié des représentants des diocèses et pour moitié des représentants des „Verbände“99. Ce fut fait par l’intermédiaire de la recréation du Comité Central des Catholiques Allemands (Zentralkomitee der deutschen Katholiken) en 1952, qui sous l’impulsion du Père Böhler, une des figures marquantes du catholicisme allemand de l’après-guerre100, fut amené à jouer un rôle essentiel dans l’expression politique des catholiques. A l’initiative de Böhler fut également créé dès 1949 un „Katholisches Büro“, organisé sur le plan fédéral et des Länder afin d’assurer un processus de consultations continues entre hiérarchie catholique et instances gouvernementales, alors que le „Kirchenpolitisches Gremium“ et le „Katholischer Klub“ permettaient des contacts plus informels101. Notons pour terminer la création de l’agence de presse KNA (Katholische Nachrichtendienst Agentur) qui fournit un instrument de communication et de rayonnement puissant à l’Eglise catholique à partir de 1952.

54 L’objectif des évêques dans les années de reconstruction était à la fois d’obtenir la garantie d’un certain nombre de droits pour l’Eglise, droits qui, malgré le Concordat, avaient été grignotés peu à peu par le régime, et d’assurer à l’Allemagne une constitution démocratique qui excluerait à jamais une retombée dans la barbarie nazie. Pour de nombreux prélats, ces deux buts ne faisaient qu’un dans la mesure où ils voulaient fonder la Constitution fédérale („Grundgesetz“) sur les postulats du droit naturel chrétien102 qui, comme s’était empressé de le déclarer Pie XII en 1944, constituaient les garanties les plus irréprochables du respect de la démocratie et des libertés103. Bien que n’ayant pas obtenu satisfaction sur le premier objectif, les évêques décidèrent de donner leur aval à la Loi Fondamentale104. A partir de là put se développer une coopération étroite entre hiérarchie catholique et pouvoir politique.

55 Même si la CDU, sous la direction d’Adenauer, prit soin de garder constamment une certaine distance vis-à-vis de l’épiscopat105, il n’en reste pas moins que le parti confessionnel apparaissait comme le garant le plus sûr de la concrétisation des valeurs chrétiennes dans le domaine politique106, ainsi que le plus solide rempart contre la menace communiste, très vivement ressentie à partir de 1948. Le soutien apporté à la politique d’Adenauer apparut très nettement à l’occasion du débat sur le réarmement107. D’une majorité hostile au réarmement de l’Allemagne en 1948108, les catholiques se transformèrent en quelques années en supporters convaincus d’une participation allemande à sa défense armée109. Bien que le développement de la guerre froide ait pu modifier les convictions de plus d’un, il semble que l’épiscopat ait joué un rôle moteur dans ce retournement. La prédication du Cardinal Frings en juillet 1950, reprenant et concrétisant le message diffusé par Pie XII pour Noël 1948110, mit en mouvement une cascade de ralliements parmi les associations et la presse catholiques, si bien que la nécessité d’une armée allemande n’était plus rejetée que par une frange marginale du catholicisme à la fin de l’année 1952111. A partir de cette date, la discussion s’orienta vers la définition des principes de l’„Inneres Gefüge“ (ou „Innere Führung“) qui visaient à énoncer les conditions dans lesquelles l’armée – dont la constitution n’était pas encore formellement décidée – pourrait à la fois autoriser un maximum de libertés à ses soldats et ne pas constituer un danger pour la démocratie112. L’acceptation du réarmement allemand par de nombreux catholiques avait été motivée par la promesse, qui en était aussi une condition, de l’intégration de la future armée à une structure atlantique (selon le plan américain discuté à la réunion des Ministres des Affaires Etrangères des trois puissances occidentales occupantes du 12 au 26 septembre 1950) ou européenne (selon le 55

plan Pleven, présenté le 24 octobre 1950) dans laquelle elle ne serait qu’un contingent dépourvu de commandement autonome. L’idée d’intégration européenne, alors très fortement encouragée par les déclarations pontificales, exerçait une attraction certaine sur un grand nombre de catholiques. La question de sa compatibilité avec l’objectif de réunification de l’Allemagne fut consciemment ou inconsciemment rejetée par une partie de l’opinion qui voulait croire que les deux étaient encore possibles simultanément113. Il est évident que pour la CDU, l’intégration au bloc occidental et la reconnaissance de l’Allemagne comme nation démocratique au sein de celui-ci avait la priorité sur la réunification. L’épiscopat tendait à s’associer à cette vision des choses à cause de sa crainte du communisme114 et parce qu’il partageait la méfiance toute rhénane d’Adenauer envers une culture prussienne étrangère au catholicisme depuis bien avant le „ Kulturkampf“. Cette tendance prévalut au sein de l’Eglise catholique, si bien que le principe du réarmement et de l’intégration au bloc occidental fut retenu, même en l’absence de concrétisation de l’idée européenne115.

56 Les années qui suivirent confirmèrent la participation pleine et entière des catholiques à la vie politique et sociale de la nation116 et l’intérêt qu’ils portaient à la défense des valeurs constitutionnelles à l’intérieur et à leur affirmation vis-à-vis de l’extérieur. Dans le débat sur les armements nucléaires des années 1958-60, déjà évoqué, seul un petit noyau parmi les catholiques, le même qui s’était déjà opposé au réarmement allemand, semble avoir pris radicalement position contre l’équipement de la Bundeswehr en moyens atomiques117. Contrairement aux protestants qui harcelèrent le gouvernement d’interrogations éthiques, les catholiques restèrent dans leur ensemble étrangement silencieux à ce stade de la discussion118. La « déclaration des sept théologiens » (Cf. supra) put être interprétée comme un aval semi-officiel donné par la hiérarchie catholique à la politique de défense gouvernementale119. Elle venait à point pour soutenir le combat des politiciens en exercice contre « l’intrusion » des moralistes120. Par la suite, les catholiques remirent rarement en cause les politiques extérieure et de défense de leur pays121. Leur préoccupation semble être allée davantage dans le sens d’une « réconciliation » avec les peuples voisins, dont le mouvement Pax Christi s’est fait le plus ardent avocat122. Par ailleurs, nombre d’entre eux ont préféré mettre l’accent sur l’aide au développement, dans la foulée des déclarations pontificales et épiscopales de la fin des années 1960 et du début des années 1970123. La question de la défense à proprement parler ne fut abordée que par l’intermédiaire des discussions sur l’objection de conscience qui soulevèrent parfois des controverses acerbes124. Les évêques ne prirent pas directement position dans ce débat. Ils laissèrent au Synode général des évêchés allemands, qui se déroula de 1971 à 1975, le soin d’en tirer les conclusions. Bien que le service armé y soit reconnu et valorisé comme « service pour la paix », le document du Synode se montre particulièrement favorable aux doléances des objecteurs de conscience : il réclame une réforme libérale des modalités de reconnaissance de l’objection ainsi qu’un élargissement matériel des possibilités d’accomplir un service civil et retient la thèse d’une complémentarité parfaitement symétrique des deux services125.

2. Les Etats-Unis

57 Comme celle de leurs corréligionnaires allemands, l’attitude des catholiques américains à l’égard de la politique extérieure et de l’engagement armé de leur gouvernement fut étroitement dépendante de la place qu’ils occupaient dans la nation. Seulement, celle-ci 56

était fondamentalement différente. Jusqu’au milieu du XXe siècle, ils se sont rarement distingués par des prises de position originales nées de leur appartenance à une communauté religieuse spécifique. Ils préféraient se consacrer au maintien de leur identité religieuse dans un environnement le plus souvent hostile, tout en travaillant d’arrache-pied à leur intégration à la nation américaine. Que ces deux buts n’aient pas été nécessairement compatibles fut largement prouvé au cours de l’histoire : certains groupes mirent l’accent sur la première option ; d’autres accordèrent priorité à la seconde. Le conflit entre les deux tendances atteignit son paroxysme à la fin du XIXe siècle, au moment de la querelle entre ceux que l’on appela les « américanistes » – les partisans d’une adhésion pleine et entière aux principes fondateurs de la nation américaine – et ceux que l’on nomma, a contrario, les « anti-américanistes », pour qui l’acceptation de ces principes aurait entraîné la disparition de leur identité religieuse126. Malgré la condamnation pontificale en 1889 de « l’américanisme », faussement interprété comme un prélude à la contestation « moderniste » qui allait ébranler les certitudes théologiques européennes au début du siècle suivant127, la tendance à l’intégration comme fait social se développa de plus en plus largement. De fait, l’aspiration des catholiques à se débarrasser de leur image de « citoyens de deuxième classe » passait avant tout par leur promotion économique dans un système où la libre entreprise était devenue le credo commun. Aussi firent-ils porter leur effort dans cette direction, tout en prenant soin d’affirmer leur soutien à l’Etat dans sa politique extérieure. Ils appuyèrent la politique de neutralité américaine, puis l’engagement du pays dans la première guerre mondiale, développant un service particulièrement actif de secours aux blessés et d’encadrement civil de l’effort de guerre grâce à la création du “National Catholic War Council” (NCWC)128. Le NCWC, devenu “National Catholic Welfare Conference” en 1922 suscita un engagement très poussé des catholiques dans le domaine social entre les deux guerres sous l’impulsion d’hommes comme l’abbé John Ryan129. Cependant, les évêques évitèrent toute prise de position en matière de politique étrangère qui aurait pu les rendre suspects aux yeux de leurs concitoyens130.

58 Lors du second conflit mondial, la loyauté prévalut encore parmi les catholiques lorsque fut prise la décision d’abandonner le traditionnel isolationnisme après l’attaque de Pearl Harbour, quoique leur anticommunisme ait nécessité une intervention de l’administration Roosevelt auprès du Vatican pour aider à surmonter les réticences à l’idée d’une alliance avec l’Union soviétique131. La “Catholic Association for International Peace” (CAIP), créée en 1928 par John Ryan, resta fidèle aux principes de la guerre juste. Une infime minorité de catholiques, pour la plupart issus du “Catholic Worker”132 de tendance pacifiste, essayèrent de faire valoir leur droit à l’objection de conscience ; ils ne rencontrèrent pas d’opposition de la part de la hiérarchie, ni non plus de soutien dans une situation difficile, dans la mesure où la loi n’envisageait pas qu’un catholique pût être objecteur de conscience133. Les évêques pour leur part restèrent dans leur majorité silencieux à l’égard des bombardements massifs de populations civiles (excepté dans le cas du bombardement de Rome en 1943) et après les événements de Hiroshima et Nagasaki, contrairement à certains théologiens et à une partie de la presse catholique134. Toutefois on note une plus grande réticence parmi les catholiques que dans l’ensemble de la population à l’égard de ces pratiques indiscriminées ainsi que de l’exigence de reddition inconditionnelle de l’Axe décidée à Casablanca en janvier 1943135.

59 Après la seconde guerre mondiale, la CAIP appuya la politique gouvernementale de soutien à l’ONU et à la sécurité collective, ainsi que la décision de poursuivre le 57

programme atomique, seul moyen de faire face à la menace que l’on pressentait du côté de l’Union soviétique à cause des persécutions croissantes dont étaient victimes les catholiques dans l’ensemble du bloc socialiste136. Un certain nombre de membres de ses comités consultatifs occupaient d’ailleurs des postes de responsabilité au sein des universités, du Département d’Etat, de l’Armée137. Contrairement à l’Allemagne, où les discussions sur la moralité des armes nucléaires s’appuyèrent sur les déclarations pontificales en la matière, le débat semble avoir été très limité et coupé de cette base aux Etats-Unis138. La tradition de la guerre juste était largement méconnue du catholicisme américain qui ne la découvrit que progressivement au cours des années 1960, en particulier à travers la réinterprétation qu’en fit Paul Ramsey139. Une exception pourtant à cette règle fut fournie par le jésuite John Courtney Murray, dont les écrits sur la guerre juste servirent d’interprétation quasi officielle de la doctrine catholique avant 1960140. Sa position à l’égard de la guerre nucléaire était entièrement cohérente avec son attitude envers le système politique américain. Murray est sans doute le théologien qui a fourni les justifications les plus poussées à l’intégration des catholiques dans le moule américain et à leur acceptation de ses principes fondateurs141. Ceci impliquait, entre autres, une non remise en cause des postulats de la politique extérieure, par laquelle s’affirmaient avec une particulière netteté les idéaux constitutifs de la nation. Murray fournissait ainsi le terrain sur lequel la défense des valeurs catholiques pouvait être assimilée au messianisme américain142. Bien sûr, cette tendance majoritaire avait ses dissidents, mais leur impact resta très limité, du moins jusqu’à la fin des années 1950. L’intervention américaine dans la guerre de Corée rencontra peu de résistances de la part des catholiques comme du reste de la population. Dans la première partie de la décennie, l’action du principal mouvement de paix catholique, le “Catholic Worker”, se résuma à la lutte contre l’anticommunisme virulent qui infiltrait alors l’ensemble de la société. C’est à partir de 1955 qu’il commença à développer les tactiques de résistance non-violente qui allaient connaître un grand succès quelques années plus tard avec le mouvement pour les droits civils et la protestation contre la guerre du Vietnam143. Le refus de l’entraînement de la population à la défense civile en cas d’attaque nucléaire marqua l’entrée du mouvement de paix catholique dans la protestation antinucléaire. Il mobilisa ses rangs jusqu’au moment où la préoccupation principale devint le refus de la conscription contre la guerre du Vietnam (1964)144.

60 L’attitude des évêques américains dans les années 1960 fut déterminée par une référence abstraite à la théorie de la guerre juste, qui ne connut qu’une inflexion tardive dans son application pratique. Ainsi l’Etat a-t-il le droit de mener une guerre s’il s’estime en situation de légitime défense – ou pour assister un Etat allié qui l’appelle au secours – mais, conformément à la théorie traditionnelle, le catholique en tant qu’individu conserve la possibilité de refuser de lui apporter son concours en s’appuyant sur ce que lui dicte sa propre conscience145. En fait, la « présomption de droit » de l’Etat fut régulièrement invoquée pour justifier un refus de l’objection de conscience. Tel était par exemple le sens de l’intervention du Cardinal Spellman lors des discussions au Concile146. Le même Cardinal est également connu pour la motion qu’il rédigea contre la partie du document conciliaire traitant de l’arme atomique, motion dans laquelle il interprétait le texte comme une condamnation absolue de l’armement nucléaire et y faisait objection147. C’est cette attitude « dure » que l’on a retenue comme caractéristique des positions de l’épiscopat américain au Concile148. L’échec de la circulaire Spellman et surtout la reconnaissance de la légitimité de l’objection de conscience hors du cadre de la guerre juste furent considérés comme des victoires par les groupes et individus qui avaient 58

exercé des pressions très fortes pendant toute la durée du Concile pour demander l’abandon de la théorie traditionnelle et la reconnaissance de l’option non-violente en référence directe à l’Evangile149.

61 L’écart se creusa encore davantage entre une base de plus en plus engagée dans des mouvements de protestation contre la guerre du Vietnam et une hiérarchie le plus souvent effacée derrière quelques voix puissantes justifiant et appuyant la politique gouvernementale. L’action du “Catholic Worker” s’élargit à partir des années 1964-65 où elle se conjugua avec celle d’autres mouvements catholiques comme “Pax” et la “Catholic Peace Fellowship” pour organiser des actes de protestation et un réseau de soutien actif aux objecteurs de conscience. En 1966 fut fondé le mouvement “Clergy Concerned about Vietnam”150 à partir duquel se développa l’action de la “Catholic Left” qui connut son point culminant avec le procès des frères Berrigan en 1971-72151. Face à ces initiatives qui renouaient avec la tradition la plus radicale de la résistance civile américaine, les déclarations de l’épiscopat paraissaient bien timides152.

62 Le 18 novembre 1966 une déclaration de l’Assemblée Plénière de l’Episcopat considérait comme justifiée la présence américaine au Vietnam, sans toutefois vouloir faire de ce jugement une règle obligatoire pour tout catholique, et demandait que soient recherchés d’autres moyens que la violence pour résoudre le conflit153. Un mois plus tard, les fruits de cette circonspection étaient réduits à néant par un discours prononcé à Saigon par le Cardinal Spellman. Le cardinal avait voulu apporter personnellement son soutien à ceux qui combattaient « pour la défense de la civilisation » et exprimait l’espoir « que la victoire nous soit bientôt acquise, cette victoire que nous appelons de tous nos vœux, au Vietnam et dans le reste du monde »154. L’ensemble des évêques préféra cependant poursuivre une politique de prudence qui le mettait à l’abri des accusations de déloyauté à l’égard de la patrie, tout en autorisant certaines concessions en faveur des opposants à la guerre, en particulier des objecteurs de conscience, de plus en plus nombreux. Le 15 novembre 1968 la lettre pastorale “Human Life in Our Day” demandait une modification du “Selective Service Act” afin d’autoriser l’objection de conscience sélective155. Un document de l’USCC156 faisait un pas de plus en mars 1971 en demandant la suppression du service militaire obligatoire après une période transitoire157. Ces exigences étaient reprises à leur compte par les évêques en octobre 1971158. Il fallut attendre la fin de la même année pour que la Conférence épiscopale se résolût à porter un jugement d’ensemble sur la guerre du Vietnam et à répondre négativement à la question de proportionnalité qu’elle s’était posée en 1968 : Au point où nous en sommes, il nous paraît évident que tout le bien que nous pouvons espérer tirer de la poursuite de notre engagement dans cette guerre est aujourd’hui dépassé par la destruction des vies humaines et des valeurs morales qu’il occasionne159.

63 Le retard avec lequel les évêques aboutirent à cette conclusion, en comparaison avec les dénonciations précoces de l’immoralité de la guerre par les pacifistes catholiques radicaux, devait enclencher au sein de l’épiscopat américain un processus de prise de conscience qui marquerait profondément son engagement sur les questions de paix et d’armement dans les années ultérieures.

64 En 1976, la conférence catholique sur la justice rassemblant des délégués de tous les diocèses et de la plupart des organisations catholiques lançait un « Appel à l’Action » et à 59

l’engagement, à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance américaine. En matière d’armes nucléaires, elle recommandait : • La condamnation par la communauté catholique de la « production, la possession, la prolifération et la menace d’utilisation des armes nucléaires et de toutes les autres armes à effet indiscriminé, même dans le cadre d’une politique de dissuasion » ; • L’adoption de la part des évêques d’un rôle de leadership dans la « défense de la vie, amenant le peuple des Etats-Unis à prendre conscience des questions morales relatives à la production et à l’utilisation de ces armes » ; • Le développement de « programmes d’éducation pour la paix » mettant l’accent sur « les dangers et le mal intrinsèques à la course aux armements et à une position militaire agressive du fait de la menace qu’elles représentent pour l’humanité »160.

65 La même année, les évêques américains commencèrent à développer un enseignement original sur la guerre moderne et la dissuasion. En janvier, Mgr. Gerety, archevêque de Newark, présentait au nom de l’USCC une déposition devant le Comité des Affaires Etrangères du Sénat, dans laquelle il rappelait une fois de plus la condamnation de l’usage des armes nucléaires contre les centres de population – en conséquence de Vatican II. Quant à la dissuasion, il laissait ouverte la possibilité de sa légitimité comme le moindre entre deux maux, cette légitimité ne pouvant être que temporaire et conditionnée par la qualité des efforts pour promouvoir la limitation et la réduction des armements161. En novembre de la même année, la conférence épiscopale adoptait une lettre pastorale sur les « valeurs morales » contenant une affirmation marginale sur la dissuasion, dont on ne saisit pas toutes les implications à l’époque : En tant que possesseurs d’un vaste arsenal nucléaire, nous devons également prendre conscience que non seulement c’est un mal que d’attaquer les populations civiles, mais même de menacer de les attaquer, dans le cadre d’une stratégie de dissuasion162.

66 Cette proposition fut reprise et commentée par le cardinal Krol, archevêque de Philadelphie, dans une déposition faite au nom de l’USCC devant le Comité des Affaires Etrangères du Sénat en septembre 1979 pour soutenir la ratification du traité SALT II163. Le cardinal insistait sur l’importance de poursuivre des négociations sur la limitation des armements et ajoutait : Si cet espoir venait à disparaître, il serait pratiquement inévitable que l’attitude morale de l’Eglise catholique évolue vers une condamnation sans compromis à la fois de l’usage et de la possession des armes nucléaires164.

67 La volonté de la hiérarchie catholique de ne pas rester à l’écart de la discussion sur la dissuasion nucléaire devenait de plus en plus claire. Déjà, en novembre 1978, le Bureau administratif de l’USCC avait publié une déclaration enjoignant aux catholiques de prendre leurs responsabilités dans le débat public en matière de défense165.

3. La France

68 A l’inverse de leurs homologues américains, les évêques français des années 1950-1970 donnent l’impression d’une beaucoup plus grande réticence à l’égard de l’institution militaire et de l’usage de la force armée. Une certaine méfiance réciproque avait caractérisé au XIXe siècle les rapports mutuels entre l’Eglise et le corps des officiers, foyer traditionnel d’anticléricalisme. Le rapprochement qui s’était effectué à l’occasion de l’affaire Boulanger fut renforcé lors de l’affaire Dreyfus qui conforta l’alliance entre 60

l’Eglise et l’Armée166. La première guerre mondiale, puis davantage encore la seconde, cimentèrent cette union, bien que les traces d’internationalisme « papiste » d’un côté, de républicanisme athée de l’autre ne permissent pas une coexistence sans heurts. L’ambiguïté de la relation Eglise-Armée ne faisait que refléter avec peut-être un peu plus d’intensité la difficulté des rapports de l’Eglise catholique avec le pouvoir politique. La querelle qui l’opposait à l’Etat républicain depuis sa naissance lors de la Révolution française avait été momentanément apaisée mais non pas totalement évacuée avec la Loi de Séparation de 1905. Au contraire, elle s’enflamma davantage pendant plusieurs années avant qu’une amélioration notable puisse se dessiner à partir des années 1920167. Malgré tout, une distance réservée resta de règle pendant plusieurs décennies. Contrairement à l’Allemagne, les politiciens chrétiens-démocrates n’ont jamais été assez nombreux, ni n’ont occupé des postes gouvernementaux pendant une durée assez longue pour que la hiérarchie catholique puisse songer à prendre appui sur eux pour promouvoir ses intérêts 168. De plus, une suspicion latente régnait dans l’ensemble du monde catholique à l’égard de la démocratie chrétienne, accusée à droite d’un trop grand progressisme, à gauche d’une trop grande promptitude au compromis avec l’idéologie libérale. La réconciliation avec la démocratie devait se faire plutôt par le biais du développement de l’Action Catholique. Née dans l’entre deux-guerres, elle connut un regain de vigueur sous l’impulsion de penseurs comme Jacques Maritain169, et d’une presse active170. En même temps, le catholicisme français semble avoir profité de son indépendance à l’égard du pouvoir politique pour se diversifier très largement. Les années 1950 sont celles du développement d’un « catholicisme de gauche » autour des revues Témoignage Chrétien, Vie Nouvelle, Esprit171, de l’expérience des prêtres-ouvriers puis de la crise de ce mouvement en même temps que celle de l’Action Catholique172. Alors que la majorité des catholiques restait de tendance plutôt modérée et mettait l’accent sur le renouveau spirituel, se développait également à droite un courant intégriste nourri d’un anticommunisme virulent qui trouva des adeptes parmi les anciens officiers de la guerre du Vietnam173 et ne resta pas sans impact pendant la guerre d’Algérie.

69 Les deux questions concrètes auxquelles se trouvaient confrontés les évêques étaient d’une part, les guerres coloniales, d’autre part, et plus tardivement, le développement d’une force nucléaire française indépendante. L’épiscopat français qui avait adopté très tôt une attitude de principe ouverte en matière de décolonisation174 est resté très discret quand il fallut en venir aux problèmes concrets. Contrairement aux vicaires apostoliques vietnamiens, qui prirent position dès 1945 en faveur de l’indépendance du territoire, la hiérarchie métropolitaine garda le silence sur ce sujet175. Le respect traditionnel de la décision de l’autorité politique, la séparation stricte des deux pouvoirs, et surtout le contexte international de la guerre froide sont des facteurs d’explication possibles. Peut- être le Vietnam était-il aussi considéré comme une préoccupation secondaire, une cause perdue, à laquelle il ne fallait pas s’attacher exagérément : mieux valait concentrer son énergie sur la reconstruction de la France métropolitaine et son intégration à une Europe qui promettait de se constituer sur des bases chrétiennes.

70 La guerre d’Algérie, parce qu’elle se déroulait sur un terrain beaucoup plus proche, parce qu’on en connaissait mieux les particularités et les enjeux, et parce que sa légitimité fut beaucoup plus contestée dans l’opinion française, poussa l’épiscopat à sortir de son mutisme. Sur la politique à mener à l’égard de l’Algérie, les évêques semblent avoir suivi prudemment le cheminement tortueux du Général de Gaulle, en se contentant longtemps de répéter le voeu utopique d’une possibilité de cohabitation des deux communautés sur 61

un même territoire, avant d’accepter l’inévitabilité de la rupture176. Dans l’ensemble, ils ont été beaucoup plus sensibles à l’utilisation de la violence par les deux parties au conflit qu’à la justification de la cause de chacune d’elle. Ainsi « l’insurrection » algérienne n’est- elle pas déclarée illégitime177, de même que le refus de combattre des catholiques n’est accepté que du bout des lèvres tant que l’Armée reste loyale envers le pouvoir politique178 . Si le rappel du devoir de soumission du chrétien à l’autorité légitime est une constante, les évêques insistent également sur le respect des règles d’humanité dans la guerre. Cependant, leur refus de prendre position sur des questions concrètes leur permet d’ignorer que ces deux principes ne sont pas forcément compatibles179. De plus, l’objection de conscience bénéficiait d’une audience croissante au sein de couches de plus en plus larges du catholicisme et les évêques ne pouvaient ignorer l’impulsion donnée à sa reconnaissance par d’éminents théologiens français180.

71 La tourmente de la guerre d’Algérie a fait passer au second plan la décision prise par la IV e République, puis mise en œuvre par le Général de Gaulle, de développer une « force de frappe » indépendante181. Au début des années 1950 les évêques avaient affirmé leur condamnation totale des bombardements massifs à l’aide de l’arme nucléaire182. Mais dans un contexte où l’on ne connaissait pas d’autre usage du feu nucléaire, leur prise de position apparaissait davantage comme un rejet radical de cette arme, assez similaire aux slogans véhiculés à l’époque par le « Mouvement de la paix »183. Le sentiment antinucléaire était d’ailleurs assez répandu dans l’ensemble de la population française à l’époque et y demeura majoritaire jusqu’au milieu des années 1960. En contradiction avec la politique qu’ils avaient menée sous la Vie République, les socialistes, notamment sous l’impulsion de Jules Moch menèrent campagne contre la « bombinette ». Les communistes, de leur côté, maintinrent avec constance leur opposition à la bombe atomique au cours des années 1950-60. Le ralliement du centre et des indépendants ne se produisit que progressivement au cours de cette seconde décennie, en même temps qu’ils étaient peu à peu intégrés à une majorité parlementaire de plus en plus large184. Les critiques s’appuyaient globalement sur trois motifs : 1) le coût de la bombe, trop élevé pour permettre à la France de se doter d’un arsenal suffisant ; 2) la non-crédibilité du dispositif français face à la supériorité massive de l’ennemi, notamment soviétique185 ; 3) la rupture avec l’Alliance Atlantique que constituerait la création d’un arsenal nucléaire français indépendant186.

72 Il ne semble pas qu’il y ait eu une attitude spécifiquement catholique à l’égard de la bombe nucléaire française. Des théologiens comme le Père Dubarle discutèrent avec beaucoup de nuances à la fois de l’opportunité politique et des implications éthiques de la décision de se doter d’un arsenal atomique187. Un évêque et trentaine de prêtres signèrent l’appel diffusé par l’Humanité le 2 décembre 1959 pour demander au gouvernement de renoncer à tout essai nucléaire et de répondre favorablement à une demande de la Croix- Rouge pour l’abolition de toutes les armes nucléaires188. Les catholiques en particulier étaient sensibles à un certain nationalisme gaullien risquant de couper la France de l’Alliance Atlantique et d’entraver les efforts de construction européenne189.

73 Dans la première moitié des années 1960, plusieurs évêques prirent individuellement position contre le développement de l’arme atomique française190. Ils s’illustrèrent aussi au Concile par leurs interventions en faveur d’un renforcement des propositions visant à élever des barrières contre la guerre191 et par leurs prises de position en faveur de l’objection de conscience ou de la non-violence192. Ils firent ainsi figure de « pacifistes » face au bellicisme apparent des évêques américains, même s’ils restaient, en tout état de 62

cause, une minorité. Cette image fut renforcée par leur vive réaction aux déclarations du Cardinal Spellman au sujet de la guerre du Vietnam193 et par certains jugements acerbes portés sur la politique américaine en Asie du Sud-Est194.

74 D’autre part, la méfiance qui marquait de nouveau les rapports entre l’Eglise et l’Armée depuis la guerre d’Algérie195 s’exacerba dans les années 1969-74, après que cette dernière eût terminé sa reconversion pour passer de l’armée de lutte contre-révolutionnaire qu’elle était encore au moment du conflit algérien à une armée occidentale moderne196. La détérioration eut pour origine plusieurs prises de position de prélats catholiques en faveur de certains de leurs fidèles – souvent des ecclésiastiques – qui avaient renvoyé leurs livrets militaires pour protester contre le développement de la force atomique française197. Le conflit culmina en juillet 1973 avec une polémique entre Mgr. Riobé et l’Amiral de Joybert198, qui défraya la chronique au moment où se multipliaient les mouvements de protestation contre les essais nucléaires français dans le Pacifique et où se renforçait la résistance des paysans aveyronnais contre l’extension du camp militaire du plateau du Larzac199. Le mouvement Pax Christi lui-même, jusqu’alors assez modéré à l’égard de l’arme nucléaire, condamna en bloc « l’équilibre de la terreur » et tout ce qui pouvait conduire à l’instaurer200 ; il avait déjà exprimé sa désapprobation de la politique française de ventes d’armes en 1970201. C’est aussi à la même époque que fut publiée conjointement par le Conseil permanent de l’Episcopat français et le Conseil de la Fédération protestante de France une « Note de Réflexion sur le commerce des armes » qui émettait un jugement plutôt sévère sur les ventes françaises d’armement et par contrecoup, sur la politique de défense qui les rendait économiquement nécessaires. Ce document allait jusqu’à envisager la renonciation à un « appareil militaire moderne doté de moyens nucléaires au profit d’un autre système de défense », qui pouvait être « l’organisation de la nation armée » ou même « des moyens non-violents »202. Les controverses auxquelles ce texte donna lieu pendant et après sa rédaction203 montrent la profondeur des divergences de vues qui existaient au sein du catholicisme français sur le rôle de l’Armée, de l’objection de conscience et l’utilité de l’armement atomique.

75 Sans que les options se soient rapprochées au cours des années suivantes, on assiste à une certaine « dépolarisation » du débat. Les officiers chrétiens, sous l’impulsion du Général Dominique Chavanat, ont beaucoup contribué à améliorer l’atmosphère des relations entre Armée et épiscopat204. Le signe du « réchauffement » fut donné par la participation de Mgr. Riobé, dénoncé comme l’instigateur de la querelle des années précédentes, à la session de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale en 1975205. Comme la majorité de la population française, l’épiscopat effectuait sa « conversion » progressive à la défense nucléaire. Le seul point sur lequel il exprimait ouvertement son désaccord avec la politique gouvernementale était la question des ventes d’armes. Une prise de position du cardinal Marty, archevêque de Paris, le 11 janvier 1976, qui regrettait que « par nécessité économique mal comprise, [la France] se [permette] d’équilibrer sa balance des paiements en développant le commerce des armes » et demandait aux chrétiens « d’élever la voix » à rencontre de cette pratique, fit grand bruit dans les milieux politiques. Elle donna lieu à la publication d’une étude spéciale de la revue du Mouvement des Cadres Catholiques (MCC), qui visait à remettre les choses au point en confrontant les approches206. Il faut signaler en outre qu’un grand nombre d’évêques était prêt, depuis la guerre d’Algérie et conformément aux voeux du Concile, à défendre l’objection de conscience face à une législation particulièrement restrictive. 63

76 C’est dans ce décor plutôt diversifié malgré une unité de principes de base, qu’émergèrent les lettres pastorales. Œuvre des évêques certes, mais non pas d’eux seuls. Chaque prise de position est une réponse à une situation politiquement et culturellement marquée. Même si la question matérielle était identique – l’armement nucléaire à moyenne portée en Europe –, les enjeux et, en conséquence, les réponses diffèrent en fonction de liens politico-stratégiques et historiques. La description du processus de rédaction des documents pastoraux nous permettra de percevoir intuitivement l’existence de ces liens que la suite de notre développement tentera de porter au grand jour.

NOTES

1. La littérature sur le sujet est très vaste. On pourra se référer par exemple aux ouvrages et articles suivants : COSTE, René, Le problème du droit de la guerre dans la pensée de Pie XII, Paris, Aubier-Montaigne, 1962, 522 p. ; JOHNSON, James T., Just War Tradition and the Restraint of War, A Moral and Social Inquiry, Princeton, Princeton University Press, 1981, 380 p. ; HERR, Edouard, Violence, guerre et paix, Etude éthique et théologique, Dissertation présentée en vue de l’obtention du grade de docteur en théologie, Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1987, Partie II : « Guerre et paix. Une lecture historique et systématique de la tradition catholique », pp. 131-482 ; CHENU, Marie-Dominique, « L’évolution de la théologie de la guerre juste », Lumière et Vie, vol. VII, Nr.38, juil. 1958, pp. 76-97. 2. AUGUSTIN, La Cité de Dieu, livre XIX, 12 (vol. 37, pp. 99-109). 3. ibid., livre [II, 16-29 (Vol.33, pp. 449-517), livre IV, 3 (Vol.33, pp. 534-41), livre XV. 4 (Vol.36, pp. 45-47). livre XIX. 7 (Vol.37. pp. 87-89). 4. FORTIN, Ernest L.. « Christianity and the Just War Theory ». Orbis, 27(3), Fall 1983, pp. 529-30. 5. ST, II. II. q 40. a 1, q 64. 6. ST, II, II, q 40. 7. Dans le contexte d’un univers chrétien, il peut s’agir d’offenses faites à la religion. Cependant Thomas d’Aquin sera plus prudent dans ce domaine que certains de ses successeurs ; GsF, pp. 575-76. 8. ST, II, II, q 40, a 1. 9. PERRIER, Jacques, Ce que l’Eglise catholique dit sur la guerre moderne, 1939-80, Positions et opinions, Etude préparée pour l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, Paris, 1979-80, pp. 14-15 ; COSTE, op. cit., pp. 90-91. CHENU, op.cit., pp. 90-95. 10. On peut se demander si l’utilisation commune des termes de « théorie » ou de « doctrine » de la guerre juste n’est pas un indice du formalisme croissant des principes et de l’interprétation valorisante du recours à la violence qui a peu à peu supplanté la présomption initiale à rencontre de l’utilisation de la force armée. 11. La théologie de la guerre juste a donc toujours permis une objection de conscience « sélective » – selon le terme usité aux Etats-Unis –, contrairement à un pacifisme absolu qui postulerait le rejet de l’usage de la force dans toutes les circonstances. 12. Au XIXe siècle seul le juriste Taparelli d’Azeglio fit exception à « l’oubli » général de la théologie de la guerre juste avec son monumental Essai théorique de droit naturel (Tournai, Casterman, 1857). 64

13. Nous avons déjà rappelé quelle fut l’attitude des catholiques français et allemands pendant la première guerre mondiale (Cf. Chap. I). De son côté, le pape Léon XIII affirmait en 1889 : « La multiplication menaçante des armées est plus propre à exciter qu’à supprimer les rivalités et les soupçons : elle trouble les esprits par l’attente inquiète des événements à venir, et offre ce réel inconvénient qu’elle fait peser sur les peuples des charges telles qu’on est en doute de savoir si elles sont plus tolérables que la guerre ». LEON XIII, Allocution au Consistoire secret, 11 févr. 1889, in UTZ, op.cit., XXIX, Nr.3. 14. Citons entre autres, VANDERPOL, Alfred, La doctrine scolastique du droit de la guerre, Paris, 1925 ; STRATMANN, Fransiskus, Weltkirche und Weltfriede, , 1924 ; STURZO, Luigi, La communauté internationale et le droit de la guerre, Paris, 1931 ; R.P. REGOUT, La doctrine de la guerre juste de St Augustin à nos jours, Paris, 1935. 15. Un résumé de l’action du mouvement de paix dans les milieux catholiques en Allemagne entre les deux guerres est donné par FENEBERG, op.cit., pp. 75-79. 16. Par exemple le texte signé par six théologiens, dont Don Sturzo et F.M. Stratmann, déclarant la guerre moderne illégitime à cause de l’ampleur de ses destructions et de l’impossibilité de distinguer agresseur et agressé. Ce document préconisait l’objection de conscience pour tout chrétien ; COMBLIN, Joseph, Théologie de la Paix, Paris, Ed. universitaires, 1960, vol. 2, p. 46. 17. C’est le cas du « Manifeste des théologiens de Fribourg » (octobre 1931) qui était une sorte de « remise en ordre » en réaction aux tendances pacifistes ; COMBLIN, ibid. ; PERRIER, op.cit., p. 19. 18. Il faut citer ici le très conservateur cardinal Ottaviani qui écrivait en 1947 dans ses Institutiones iuris publici ecclesiastici (Rome, 3e éd.) : “The war of their treaties is not the war of our experience... Principles derive from the very nature of things: the difference between war as it was and war as we know it is precisely one of nature... modern war can never fulfill the conditions which govern, theoretically, a just and lawful war. Moreover, no conceivable cause could ever be sufficient justification for the evils, the slaughter, the moral and religious upheavals which war today entails”, cité par Thomas Merton dans Thomas Merton, The Nonviolent Alternative, Revised ed. of Thomas Merton on Peace, edited and with an Introduction by Gordon C. Zahn, New York, Farrar/ Strauss/Giroux, 1980, p. 86. Voir également, FENEBERG, op. cit., pp. 101-102. Un commentaire du même passage se trouve dans Herder Korrespondenz, Heft 3/1948, pp. 122-23. Ce dernier article souligne que le cardinal reste ambigu sur la légitime défense en cas d’agression armée. 19. PIE XII, Message de Noël 1948, DC, Nr. 1034, 1949, col. 72. Il s’agit alors d’une guerre d’agression « contre ces biens que l’ordonnance divine de la paix oblige sans condition à respecter et à garantir », ibid. S’agit-il d’une condamnation de toute guerre d’agression ? Certains auteurs, s’appuyant sur la distinction traditionnelle entre trois types de « causes justes » : “ad vindicandas offensiones” (pour obtenir réparation d’une offense), “ad repetendas res” (pour se réapproprier une chose subtilisée), “ad repellendas iniurias” (pour repousser une agression armée) ont interprété les déclarations de Pie XII comme excluant les deux premiers cas de figure pour n’autoriser que la guerre de légitime défense au titre de la juste cause. MURRAY, John C., “Remarks on the Moral Problem of War”, Theological Studies, 20(1), March 1959, pp. 40-61. D’autres attribuent ce tournant radical au pape Jean XXIII : « C’est pourquoi il devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d’une violation de droits », PT 127. Pie XII avait demandé dès 1944 que soit fait « tout ce qui est possible pour proscrire et bannir une fois pour toutes la guerre d’agression comme solution légitime pour les controverses internationales et comme moyen de réalisation des aspirations nationales ». Radio-Message de Noël 1944, « Points fondamentaux de la doctrine sur la vraie démocratie », in UTZ-GRONER, op.cit., vol. 2, Nr.3610-53, pp. 1722-38. 20. Certains ont suggéré qu’elle désignait l’introduction de « l’ordre de violence », ce qui ne fait que repousser la question à un niveau supérieur dans la mesure où on ne définit pas le terme « violence » ; COMBLIN, op.cit., vol. 2, p. 356. 65

21. Ceci est affirmé très nettement dans le message de Noël 1948 : « Le précepte de la paix est de droit divin. Sa fin est de protéger les biens de l’humanité en tant que biens du créateur. Or parmi ces biens, il en est de tant d’importance pour la communauté humaine que leur défense est sans aucun doute pleinement justifiée », DC, Nr. 1034, 1949, col. 73. Dans le même sens, le message de Noël 1956, DC, Nr. 1242, 1957, col. 19. Rappelons que les contextes de ces deux déclarations étaient respectivement le début de la guerre froide et l’intervention soviétique en Hongrie doublée de la menace soviétique d’utiliser les armes nucléaires contre la France et la Grande- Bretagne dans l’affaire de Suez. 22. PIE XII, Allocution à l’Office International de Documentation de Médecine Militaire, 19 oct.1953, DC, Nr.1160, 1953, col. 1409-18. 23. PIE XII, Allocution à la VIIIe Assemblée de l’Association Médicale Mondiale, 30 oct. 1954, DC, Nr. 1184, 1954, col. 1284. On voit apparaître ici le lien du critère de proportionnalité à la question de contrôlabilité, qui alimentera la controverse de la théologie morale, surtout allemande, dans les années suivantes (voir ci-dessous). Sur la limitation des moyens utilisables dans la guerre, voir aussi, PIE XII, Allocution au IVe Congrès international de droit pénal, 3 oct. 1953, DC, Nr.1159, col. 1351-54. 24. PIE XII, Message de Noël 1948, op. cit, col. 72-73. 25. GUNDLACH, Gustav, „Die Lehre Pius XII vom modernen Krieg“, Stimmen der Zeit, April 1959, vol. 164, p. 13 (Traduction CG). 26. Raisonnant sur la base du principe de proportionnalité. Albert de Soras, pourtant connu comme l’un des premiers et plus vigoureux critiques de l’idée de guerre juste, écrit : « L’injustice, autrement inévitable, contre laquelle de tels moyens de défense seraient utilisés, devrait être une injustice d’une gravité telle qu’elle équivaudrait à détruire les fondements mêmes de l’ordre international » ; De SORAS, Morale internationale, Paris, Fayard, 1961, p. 89. La proportionnalité autoriserait-elle des destructions en retour de même ampleur que cette injustice ? 27. BÖCKENFÖRDE, Ernst-Wolfgang, „Kirchliches Naturrecht und politisches Handeln“, op. cit., pp. 114- 15. E.-W. Böckenforde et le théologien Robert Spaemann réagirent aux affirmations de Gundlach dans un article très remarqué publié dans le journal de l’aumônerie militaire. BÖCKENFÖRDE, Ernst W., SPAEMANN, Robert, „Christliche Moral und atomare Kampfmittel“, Militärseelsorge, 1961, pp. 267-301 (reproduit dans BÖCKENFÖRDE, Kirchlicher Auftrag und politische Entscheidung, pp. 123-55). 28. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait accordé aucune attention à la construction d’un ordre international plus pacifique. Sur ce sujet, voir COSTE, op.cit., pp. 379-497. 29. Pour un survol historique des discussions aux Etats-Unis et en Allemagne, voir DELBRÜCK, Jost, „Die Anwendung der Atomwaffen als ethisch-rechtliches Problem. Die Auseinandersetzungen über das ethische Problem der atomaren Kriegsführung in den Vereinigten Staaten und der Bundesrepublik Deutschland“, Abschreckung und Entspannung, 50 Jahre Sicherheitspolitik zw ischen bipolarer Konfrontation und begrenzter Kooperation, Berlin, Duncker & Humblot, 1976, pp. 95-147. Delbrück relève une nette séparation entre discussion éthique et politique en Allemagne, ce qui ne fut pas le cas aux Etats-Unis. Dans le contexte français, les positions de base sont explicitées dans un dossier très documenté confectionné par Pax Christi ; L’Atome pour ou contre l’homme, Paris, Pax Christi, 1958, 356 p. Les approches théologiques présentées dans cet ouvrage traitent de la fabrication, des essais et de l’emploi de l’arme atomique. Elles s’appuient pour la plupart sur les positions pontificales des années 1950. 30. WALZER, op. cit., p. 281. 31. Parmi les ouvrages stratégiques, citons : la remise en cause de la doctrine des représailles massives par le général Maxwell Taylor. The Uncertain Trumpet, New York, NY, Harper, 1960, 203 p. ; Henry Kissinger, Nuclear Weapons and Foreign Policy, New York, Harper, 1957, 455 p. ; The Necessity for Choice, Prospect on American Foreign Policy, New York, Harper, 1961, 372 p. ; les tentatives de contrôle de l’« escalade » dans l’emploi des moyens militaires par Herman Kahn, On 66

Thermonuclear War, Princeton, Princeton University Press, 1960, 651 p. ; Thinking about the Unthinkable, New York, Horizon Press, 1962, 254 p. Egalement TUCKER, Robert, The Just War, (Md), The Johns Hopkins Press, 1960, 207 p. ; OSGOOD, Robert E., Limited War: The Challenge to American Strategy, Chicago, Chicago University Press, 1957, 315 p. 32. MURRAY, “Remarks on the Moral Problem of War”, op. cit., p. 58 (Traduction CG). Murray mentionne alors l’ouvrage de Kissinger (Nuclear Weapons and foreign Policy) comme la tentative la plus avancée dans ce sens, tout en soulignant l’interdépendance entre moralité et doctrine stratégique. 33. GUNDLACH, op. cit., p. 4 (Traduction CG). 34. HIRSCHMANN, Johannes, „Kann atomare Verteidigung gerechtfertigt sein ?“, Stimmen der Zeit, 1957-58, vol. 162, p. 295. 35. AUER, Alfons & al., „Ein katholisches Wort zur atomaren Rüstung“, Herder Korrespondenz, Heft 12/1957-58, p. 397 (Traduction DC, Nr. 1279, 1958, col. 713-18). Cette déclaration fut publiée à l’origine dans le Bulletin, organe de presse officiel du gouvernement. Celui-ci entendait l’utiliser pour appuyer sa politique de défense à l’encontre des nombreux groupes qui, sur la base d’arguments éthiques, rejetaient le stationnement d’armes nucléaires sur le sol allemand. La déclaration des théologiens était de fait une réponse à la « Déclaration de Göttingen » publiée par un groupe de 18 scientifiques de renom le 12 avril 1957 qui pressaient le gouvernement de renoncer à l’armement atomique ; Appell von 18 Atomwissenschaftlern für den Verzicht der BRD auf Atomwaffen vom 12, April 1957, Sicherheitspolitik der Bundesrepublik Deutschland, Dokumente 1945-1977, Teil 2, Hrsg. und eingeleitet von Klaus von Schubert, Köln, Berend von Nottbeck, Verlag Wissenschaft und Politik, 1979, pp. 182-83. Cette déclaration fut longuement commentée par Karl Jaspers : La bombe atomique et l’avenir de l’homme, Paris, Buchet/Chastel, 1963, pp. 357-75. 36. Selon ces auteurs, un objet façonné par l’homme peut être de par sa nature, destiné à un usage immoral. „Eine Waffe, die vom Hersteller von vornherein als Massen vernichtungsmittel geplant und konstruirt ist, wird nicht dadurch erlaubt, dass der. der sie anwenden muss, es an sich nur auf militärische Ziele abgesehen hat. Herstellung und Anwendung sind ein einheitlicher Prozess“. BÖCKENFÖRDE, SPAEMANN, op. cit., p. 141. 37. Par exemple, SCHMIDTHUES, Wort und Wahrheit, Heft 6/1958 ; NELLEN, Gewerkschaftliehe Monatshefte, Bd. 9, 1958, pp. 531 ss, cités par DELBRÜCK, op.cit., pp. 129-30 ; DIRKS, Walter, „Die Gefahr der Gleichschaltung“, Frankfurter Hefte, Nr. 13, 1958, pp. 379-91 ; Dirks remet surtout en question la compétence des théologiens dans un tel jugement de fait. 38. RAMSEY, Paul, “Tucker’s bellum contra bellum iustum”, Just War and Vatican Council II, A Critique, New York, Council on Religion and International Affairs, 1966, pp. 73-79, 87-90 (reproduit dans The Just War, pp. 391-424, ouvrage qui reprend l’ensemble de ses thèses publiées de 1960 à 1968) ; Peace, the Churches and the Bomb, New York, Council on Religion and International Affairs, 1965, pp. 46-47 (The Just War, pp. 285-313). L’audience de Ramsey, moraliste protestant, fut telle dans ce domaine que nous ne pouvons pas ne pas le mentionner dans ce contexte. 39. RAMSEY, Paul, “More unsollicitcd advice to Vatican Council II”, in The Just War, p. 294 (Traduction CG). 40. TUCKER, Robert, Just War and Vatican Council II, pp. 28-29. 41. STEIN, Walter, “The Limits of Nuclear War: Isa Just Deterrence Strategy Possible?”, Peace, the Churches and the Bomb, p. 81 (Traduction CG) ; également, WALZER, op.cit., p. 280. 42. BÖCKLE, Franz, „Ethische Prinzipien der Sicherheitspolitik“, in Politik und Ethik der Abschreckung, p. 22. 43. RAMSEY, Paul, “A Political Ethics Context for Strategic Thinking”, Strategic Thinking and its Moral Implications, Ed. Morton A. Kaplan, Chicago, University of Chicago Center for Policy Study, 1973, p. 142. 44. Ses thèses sont regroupées dans l’ouvrage The Conduct of Just and Limited War (1981), qui marque l’aboutissement de réflexions menées depuis le début des années 1960. 67

45. KISSINGER, op.cit. ; ARON, Raymond, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calman-Lévy, 1962, 800 p. ; également SCHELLING, The Strategy of Conflict, Cambridge, Harward University Press, 1960, 309 p. 46. RAMSEY, “Tucker’s bellum”, op. cit., pp. 71-73 ; “A Political Ethics Context”, op. cit., p. 134. 47. TUCKER, Just War and Vatican Council II, pp. 43-50. 48. Sur la volonté des Pères de condamner toute destruction indiscriminée de populations civiles, qu’elle soit directement voulue ou conséquence d’actes de guerre autrement légitimes, voir l’exégèse de Edouard Herr, qui semble mettre un point final aux débats sur le sujet ; HERR, Violence, guerre et paix, pp. 374-90. 49. BARREA, Jean, L’utopie ou la guerre, D’Erasme à la crise des euromissiles, Louvain-la-Neuve, Ciaco, 1984, pp. 310-13. 50. ST, II, II, q 64, a 6, s 3. 51. O’BRIEN, The Conduct of Just and Limited War, pp. 42-45. 52. ibid., p. 46. 53. RAMSEY, “A Political Ethics Context”, op. cit., pp. 132-33. 54. Nous y reviendrons dans le cadre de l’étude de la lettre pastorale américaine (Chap. IV et V). 55. Des représentants de divers groupements catholiques « pacifistes », parmi lesquels quelques français et de nombreux américains, s’étaient réunis à Rome pour faire pression sur les Pères du Concile en vue d’une condamnation radicale des armes nucléaires. 56. Pour une interprétation « authentique » du texte, voir la réponse de NNSS. Garrone et Schroeffer à la circulaire du cardinal Spellman, DC, Nr. 1465, 1966, col. 367-68 ; HERR, Violence, guerre et paix, pp. 401-2. 57. Là encore, le Concile ne parle pas de la dissuasion nucléaire en particulier, mais de l’accumulation des « armes scientifiques » dans le but de prévenir la guerre (GS § 81.1). 58. Le pronom « c’ » , en latin “quod”, se rapporte à l’ensemble de la situation de dissuasion et non pas exclusivement à la capacité foudroyante d’exercer des représailles ou à l’accumulation des armes. 59. Sur la décision de laisser en suspens le jugement moral, voir DUBARLE, Dominique, « La sauvegarde de la paix et la construction de la communauté des nations », L’Eglise dans le monde de ce temps, Vatican II, Publié sous la direction de Yves Congar et M. Peuchmard, Paris, Le Cerf (Unam Sanctam), 1967, vol. 2, pp. 571-630. Voir également, pour un exposé détaillé, HERR, op.cit., pp. 406-15. 60. PT, § 128. 61. « Il semble en outre équitable que des lois pourvoient avec humanité au cas de ceux qui, pour des motifs de conscience, refusent l’emploi des armes, pourvu qu’ils acceptent cependant de servir sous une autre forme la communauté humaine » (GS § 79.3). Dans son message de Noël 1956, Pie XII déclarait encore « Si donc une représentation populaire et un gouvernement élus au suffrage libre, dans une nécessité extrême, avec les moyens légitimes de politique extérieure et intérieure, établissent des mesures de défense et exécutent les dispositions qu’ils jugent nécessaires, ils se comportent également d’une manière qui n’est pas immorale, en sorte qu’un citoyen catholique ne peut faire appel à sa propre conscience pour refuser de prêter les services et de remplir les devoirs fixés par la loi ». DC, Nr.1242, 1957, col. 19. 62. La formulation tortueuse de la phrase en témoigne : « Nous ne pouvons pas ne pas louer ceux qui, renonçant à l’action violente pour la sauvegarde des droits, recourent à des moyens de défense qui, par ailleurs, sont à la portée même des plus faibles, pourvu que cela puisse se faire sans nuire aux droits et aux devoirs des autres ou de la communauté » (GS § 78.5). Sur la discussion de cette affirmation, HIRSCHMANN. Johannes B., „Dienst am Frieden, Die Aussagen des zweiten vatikanischen Konzils“, Stimmen der Zeit, 178(8), 1966, pp. 118-19 ; HERR, Violence, guerre et paix, pp. 352-54. 68

63. CHENU, op.cit., pp. 83-86. Dans son encyclique “Summi Pontificatus”, Pie XII affirmait : « Le genre humain, en effet, bien qu’en vertu de l’ordre naturel établi par Dieu, se divise en groupes sociaux, nations ou Etats, indépendants les uns des autres pour ce qui regarde la façon de s’organiser et de régler leur vie interne, est uni cependant par des liens mutuels, moraux et juridiques, en une grande communauté... » in UTZ-GRONER, op.cit., Nr.53, p. 26. 64. SUAREZ, De Legibus, II, 19, 9, cité par BOSC, Robert, Evangile, violence et paix, Paris, Centurion (« Croire et comprendre »), 1975, p. 52. 65. BOSC, Evangile, violence et paix, pp. 61-62. 66. De VITORIA, Francisco, De Potestate Civili, q 13, cité par CHENU, op.cit., p. 95. 67. Cette attitude, souvent en réaction à la première, marqua le rejet radical de toute forme d’organisation du pouvoir politique basée sur les postulats rationalistes du XVIIIe siècle. Le rejet de l’Etat libéral fut particulièrement net en France à cause de l’héritage révolutionnaire et influença durablement les prises de position pontificales à son encontre. A ce sujet, LATREILLE, André, REMOND, René, Histoire du Catholicisme en France, vol. 3, Paris, Spes, 1962, pp. 35-37, 307-8, 390. 68. OSSIPOW, William, La transformation du discours politique de l’Eglise, Lausanne, L’Age d’Homme, 1979, pp. 143-45. La méfiance vaticane à l’égard de la SDN, qui s’exprima en particulier dans l’Encyclique “Ubi arcano”, était aussi motivée par le fait que celle-ci était fondée sur le principe des nationalités, dénoncé depuis Pie IX comme facteur de guerre ; PIE XI, “Ubi Arcano”, 23 déc.1923, in UTZ, op.cit., XXIII, Nr.27-93. 69. PIE XII, Message de Noël 1944, op.cit. 70. Les encouragements de Pie XII à l’Europe sont particulièrement évidents dans le message de Noël 1956, op.cit., col. 17-21 ; Discours au participants du Congrès de l’Europe, 13 juin 1957, DC, Nr.1255, 1957, col. 847-50 ; Audience aux parlementaires de la CECA, 4 nov. 1957, DC, Nr. 1265, 1957, col. 1497-1500. Voir également MAYEUR, Jean-Marie, « Pie XII et l’Europe », in Les Eglises chrétiennes et les relations internationales au XXe siècle, Genève, 1981, pp. 413-25 (Annales de Relations Internationales, Nr.27). 71. PIE XII, Message de Noël 1951, DC, Nr. 1 112, 1952, col. 7. 72. Cf. les messages de Noël 1948 et 1956, op.cit. 73. De SORAS, op.cit., pp. 47-51. 74. Cependant, s’exprimant sur les plans visant à « réaliser une organisation politique efficace du monde », Pie XII déclare le 6 avril 1951 : « Rien n’est plus conforme à la doctrine traditionnelle de l’Eglise », DC, Nr. 1093, 1951, col. 449. Pie XII se référait alors au programme du Mouvement Universel pour une Confédération Mondiale. 75. PT, § 137. 76. BARION, Hans, „Weltgeschichtliche Machtform ? Eine Studie zur politischen Theologie des zweiten vatikanischen Konzils“, Epirrhosis, Festgabe für Carl Schmitt, Berlin, Duncker & Humblot, Bd. 1, pp. 13-59. 77. Voir aussi, JEAN-PAUL II, « Pour parvenir à la paix, éduquer à la paix », Message pour la journée de la paix 1979, DC, Nr. 1 755, 1979, § 11 ; « La paix est une valeur sans frontières », Message pour la journée de la paix 1986, § 4, DC, Nr.1909, 1986, p. 3. 78. BRUAIRE, op. cit., p. 79. 79. Pour une critique de la tendance à vouloir faire du droit un substitut du politique, voir FREUND, op. cit., pp. 240-42, 722-27. En relation avec l’organisation internationale, ibid., pp. 456-80. Egalement, JASPERS, op. cit., pp. 188-203. 80. Dans ce sens, voir De SORAS, op.cit., pp. 47-50. On peut à la limite envisager une communauté des nations sur la base de la culture, mais une communauté des Etats est difficile a concevoir, dans la mesure où l’Etal est justement une institutionnalisation du « nous » contre le « eux ». La réflexion moderne sur les droits de l’homme et les droits des peuples nous paraît s’orienter dans la première direction. 69

81. En comparaison, l’encyclique “Populorum Progressio” du pape Paul VI qui affirme « le développement est le nouveau nom de la paix » est apparue beaucoup plus ambiguë, op.cit., § 76-80. Le Synode des évéques de 1971 affirme aussi nettement le lien entre le développement et la paix, « La Justice dans le Monde », DC, Nr. 1600, 1972, pp. 12-18, de même que le fait l’encyclique de Jean-Paul II du 30 décembre 1987, “Solliciludo rei socialis”, DC, Nr.1957, 1988, § 20, 23, pp. 240-41. 82. Le pontificat de Jean XXIII (1959-67) fut marqué en outre par un dégel des relations entre le Vatican et les pays socialistes à la faveur de la période khrouchtchévienne ; STEHLE, Hansjakob, Die Ostpolitik des Vatikans, München, Piper, 1975, pp. 316-48. 83. AUGUSTIN, La Cité de Dieu, Livre XIX, 13 (vol. 37, p. 111). 84. Voir, GALTUNG, Johan, “Violence, Peace and Peace Research”, Essays in Peace Research, Copenhagen, Christian Ejlers, 1975, vol. 1, pp. 109-34. Egalement ses nombreux articles publiés dans le Journal of Peace Research. 85. Notamment Jacques Maritain, le Père J.T. Delos, Mgr Bruno de Solages, Albert de Soras, le Père Heckel, etc. auxquels il faut ajouter plus spécifiquement en France les forums que constituaient les Semaines Sociales tenues dans la plupart des grandes villes. 86. PT, § 80-129 ; GS § 82-85 ; « La justice dans le monde », op. cit. 87. « Programme d’Action adopté par l’Assemblée générale de l’ONU le 1 er mai 1974 », (Résolution 3202), in Nouvel Ordre International et Non Alignement, Bandoung/Badgad, 1955-1982, Recueil de documents, Paris, Ed. du Monde Arabe, 1982, pp. 502-22 ; « Charte des Droits et Devoirs Economiques des Etats » adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 12 déc. 1974 (Résolution 3281) in ibid., pp. 523-35. 88. PAUL VI, “Populorum Progressio”, op.cit., § 76, cité par JEAN-PAUL II, « Développement et solidarité : deux clés pour la paix », Message pour la journée de la paix 1987, § 9, DC, Nr. 1931, 1987, p. 18. 89. Cette idée est développée dans le chapitre I du document (GS § 12-22), qui constitue le pilier des affirmations subséquentes sur les questions politiques et sociales. 90. JEAN-PAUL II, « La paix, don de Dieu confié aux hommes », Message du 1er janv. 1982, § 11-12, DC, Nr.1832, 1982, pp. 67-73. 91. JEAN-PAUL II, ibid ; Discours à Hiroshima, 25 févr. 1981, DC, Nr.1805, 1981, p. 332 ; Message du 1er janv. 1979, op.cit., p. 12. Egalement, PAUL VI, Message du 1er janv. 1970, DC, Nr.1555, 1970, pp. 55-56 ; Message du 1er janv. 1973, DC, Nr.1623, 1973, pp. 1-4 ; Message du 1er janv. 1974, DC, Nr.1645, 1974, pp. 1-3. 92. JEAN-PAUL II, Message du 1er janv. 1982, op.cit., § 4. 93. Voir en particulier, JEAN-PAUL II, « La vérité, force de paix », Message du 1er janv. 1980, DC, Nr. 1777, 1980, pp. 1-4 ; « pour servir la paix, respecte la liberté ». Message du 1er janv. 1981, DC, Nr.1799, 1981, pp. 1-4 : « Le dialogue pour la paix, un défi pour notre temps ». Message du ler janv. 1983, DC, Nr. 1844, 1983, pp. 67-71. 94. JEAN-PAUL II, Message du 1er janv. 1980, op.cit., § 2. 95. Ce Concordat, très controversé par la suite, couronnait les efforts entrepris dès le début des années 1920 par le futur Pie XII, alors Nonce à Berlin, pour fournir à l’Eglise certaines garanties contre les abus du pouvoir étatique. Le premier but était d’éviter un nouveau „Kulturkamp“ identique à celui qu’elle avait enduré pendant les années 1870-80. Sur le Concordat, voir MARGIOTTA BROGLIO, Francesco, « La politique concordataire du Vatican vis-à-vis des Etats totalitaires », Annales de Relations Internationales, Genève, 1981, pp. 319-42 ; VOLK, Ludwig, „ Nationalsozialismus“, Der Soziale und Politische Katholizismus, Entwicklungslinien in Deutschland, 1803-1963, Bd. l, Hrsg. Anton Rauscher, München/Mainz, Günter Olzog, 1981, pp. 165-208. 96. La réaction unanime des évêques catholiques lors de l’avènement de Hitler, dont nous avons fait mention, fit place par la suite à une diversification. Trois évêques en particulier sont célèbres pour leurs interventions contre le régime : Mgr von Preysing (Berlin), von Galen (Münster) et 70

Faulhaber (Munich). L’Eglise protestante jouissait d’une réputation beaucoup plus mitigée. Une partie de ses membres s’était profondément compromise avec le régime hitlérien alors qu’une autre partie, sous l’impulsion de Karl Barth et de « l’Eglise confessante » lui avait opposé une résistance ferme depuis 1934 („Barmer Erklärung“). La « déclaration de culpabilité » („ Stuttgarter Erklärung“) adoptée rapidement après la défaite (18 octobre 1945) contribua certainement beaucoup à la réhabilitation des protestants auprès de leurs concitoyens. 97. Les partis politiques se constituèrent (Parti Chrétien Démocrate) ou se reconstituèrent (Parti Socialiste, Parti Libéral) peu à peu, mais leur développement jusqu’ à 1949 fut entravé par les sévères restrictions imposées par les puissances occupantes. Sur le rôle d’intermédiaire joué par les Eglises, voir l’excellente description fournie par SPOTTS, Frederic, Kirchen und Politik in Deutschland, Stuttgart, Deutsche Verlags- Anstalt, 1973, pp. 45-102. 98. De nombreux prélats catholiques auraient discrètement mais efficacement fait pression sur leurs fidèles pour qu’ils apportent leur soutien à la CDU plutôt qu’au Zentrum dans les années 1945-50. SPOTTS, op.cit., pp. 130-37. Pour une analyse différente, FORSTER, Karl, „Neue Ansätze der gesellschaftlichen Präsenz von Kirche und Katholizismus nach 1945“, Kirche und Katholizismus, 1945-49, Hrsg. Anton Rauscher, Paderborn, Schöningh, 1977, pp. 109-33. 99. FORSTER, op.cit. 100. Le Père Böhler était le principal conseiller du Cardinal Frings, archevêque de Cologne et Président de la Conférence épiscopale de 1945 à 1965. Sur ces deux personnages importants du catholicisme allemand de l’après guerre : FRINGS, Joseph, Für die Menschen bestellt, Erinnerungen, Köln, Bachem, 1973, 317 p. ; In Memoriam Wilhelm Böhler, Erinnerungen und Begegnungen, Hrsg. Bernhard Bergmann, Josef Steinberg, Köln, Bachem, 1965, 175 p. 101. Sur ces diverses instances : NIEMEYER, Johannes, „Institutionalisierte Kontakte zwischen Kirche und staatliche-politischen Instanzen“, Kirche und Staat in der BRD, 1949-63, Hrsg. Anton Rauscher, Paderborn, Schöningh, 1979, pp. 69-94 ; WÖSTE, Wilhelm, „Verbindungstellen zwischen Staat und Kirchen, Die katholische Kirche“, Handbuch des Staatskirchenrechts der BRD, Berlin, Duncker & Humblot, Bd. 2, 1975, pp. 285-97. 102. Pour un exposé des attitudes catholiques lors de la discussion sur les fondements de la constitution, voir Katholizismus, Rechtsethik und Demokratiediskussion, 1945-63, Hrsg. Anton Rauscher, Paderborn/München, Schöningh, 1981, 181 p. 103. PIE XII, Message de Noël 1944, op.cit., pp. 5-13 ; Pour une critique de ce « ralliement » tardif, voir OSSIPOW, William, op.cit., pp. 141-42 ; « Pouvoir et Vérité : la transformation du discours politique dans l’Eglise », Pouvoir et Vérité, Paris, Cerf, 1981, p. 244. 104. „Hirtenwort der deutschen Bischöfe zum Grundgesetz der BRD“, Kirchlicher Anzeiger für die Erzdiözese Köln, Heft 13/1949, pp. 221-29. Les évêques avaient cherché à faire inclure dans la Constitution une liste de droits qui devaient être garantis au citoyen et au croyant selon les principes de la loi naturelle ; voir „Hirtenwort der deutschen Bischöfe zur bevorstehenden Wahl zum Bundestag“, ibid., Heft 17/1949, pp. 293-99. Apres leur échec sur certains points, en particulier le droit des parents de faire éduquer leurs enfants dans les établissements de leur choix, ils menacèrent de refuser leur aval à la Constitution. Il ne fallut pas moins de toute l’énergie de Böhler, qui avait acquis l’appui du Cardinal Frings, pour les convaincre que ce rejet aurait été un très grave danger pour la démocratie allemande en général et pour la CDU en particulier. 105. SPOTTS, op.cit., pp. 249-77 ; MORSEY, Rudolf, „Katholizismus und Unionsparteien in der Ära Adenauer“, Katholizismus im politischen System der Bundesrepublik, 1949-63, Hrsg. Albrecht Langner, Paderborn, Schöningh, 1978, pp. 33-60. 106. La lettre pastorale précédant les élections législatives de 1949 constatait : „Wir müssen leider feststellen, dass Abgeordnete der sozialistischen und liberalistischen Weltanschauungen für wesentliche christliche Forderungen kein Verständnis gehabt haben“ et, après avoir évoqué la liberté d’enseignement comme pilier essentiel du système de valeurs morales chrétiennes, elle 71

interrogeait : „Kann ein gläubiger Christ es mit seinem Gewissen vereinbaren, einem Kandidaten seine Stimme zu geben, der in entscheidenden Bildungsund Erziehungsfragen die Macht des Staates über die Freiheit des Gewissens stellt ?“, „Hirtenwort der deutschen Bischöfe zur bevorstehenden Wahl zum Bundestag“, op.cit., pp. 296-97. Les relations de l’Eglise et du parti socialiste (SPD) dont les fondements restaient ceux du programme de Gotha (1875), furent longtemps glaciales. Un réchauffement progressif se produisit à partir de l’abandon de ce programme pour celui de Bad Godesberg (1959). Toutefois il fallut attendre la « grande coalition » (1966-69) pour que les rapports deviennent vraiment cordiaux ; ARETZ, Jürgen, „Katholizismus und deutsche Sozialdemokratie, 1949-63“ in Katholizismus im politischen System der BRD, 1949-63, pp. 61-81. Les relations de l’Eglise avec le Parti Libéral (FDP) sont restées de tout temps tendues, des frictions sérieuses ayant encore lieu au début des années 1970. Sur le comportement des catholiques à l’égard des partis politiques sous Adenauer, voir GOTTO, Klaus, „Die deutschen Katholiken und die Wahlen in der Adenauer Ära“, in ibid., pp. 7-32. Cette étude démontre l’existence d’une forte corrélation entre la pratique religieuse des catholiques et le vote en faveur de la CDU. La diversification progressive du vote catholique à partir des années 1960 serait davantage une conséquence de la baisse de la pratique religieuse que du changement d’attitude politique des catholiques. Egalement, SCHMIDTCHEN, Gerhard, „Religiöse Legitimation im politischen Verhalten : Wandlungen und Motive im Wahlverhalten der Katholiken“, in Kirche, Politik, Parteien, Hrsg. Anton Rauscher, Köln, Bachem, 1974, pp. 57-103. 107. Nous empruntons la majorité des données sur ce débat à DOERING- MANTEUFFEL, Anselm, Katholizismus und Wiederbewaffnung, Die Haltung der deutschen Katholiken gegenüber der Wehrfrage, 1945-55, Mainz, Grünewald, 1981, 259 p. Pour une lecture différente, voir HÜRTEN, Hans, „Zur Haltung des deutschen Katholizismus gegenüber der Sichcrheits- und Bündnispolitik der BRD. 1948-60“ in Katholizismus im politischen System der BRD, 1949-63, pp. 83-102. 108. Un sondage publié par le journal Mann in der Zeil en novembre 1948 indiquait que 60 % des catholiques étaient opposés à toute forme de service militaire ; DOERING-MANTEUFFEL, op.cit., p. 69. 109. Peut-être un de leurs soucis était-il de ne pas prêter flanc à une certaine suspicion qui cherchait à imputer aux « pacifistes » la responsabilité de l’ascension d’Hitler. Le „Friedensbund deutscher Katholiken“, sous l’impulsion du Père Fransiskus Stratmann, avait avant la guerre compté jusqu’à 40 000 membres. Le Père Stratmann joua encore un rôle dans l’expression des idées pacifistes après 1945 : STRATMANN, Fransiskus, Krieg und Christentum heute, Trier, Paulinus, 1950, 192 p. 110. La reprise de ce message, qui postule l’existence d’un ordre divin que l’Etat a le droit et même le devoir de défendre s’il est menacé – ce qui implique l’inacceptabilité de l’objection de conscience – intervenait quelques semaines après le début de la guerre de Corée (elle fut renouvelée par la suite). Le fait que le Mann in der Zeit, journal catholique très proche de l’épiscopat, ait aussitôt modifié sa position à l’égard du réarmement, donne à penser que la majorité des évêques approuvait la position du Cardinal Frings ; DOERING-MANTEUFFEL, op.cit., pp. 85-91. 111. Il y eut certes des résistances, de la part de personnalités éminentes proches du catholicisme comme Rheinhold Schneider ou de la gauche catholique réunie autour des Frankfurter Hefte (Walter Dirks, Eugen Kogon) et des Werkhefte Katholischer Laien, très proches du mouvement de paix ; STANKOWSKI, Martin, Linkskatholizismus nach 1945, Köln, Pahl-Rügenstein, 1974, pp. 118-21, 160-64, 231-39. Il y eut également des défections parmi certains membres de la CDU (Helena Wessel) qui se joignirent à Heinemann, Ministre de l’Intérieur et Président du Conseil de l’Eglise évangélique, après sa démission fracassante du gouvernement (automne 1950) pour fonder le „ Gesamtdeutsche Volkspartei“ en 1952. Au sein du „Bund der Deutschen Katholischen Jugend“ (BDKJ), fédération chapeautant l’ensemble des organisations de jeunesse catholiques, eut lieu une tentative de constitution d’un „Arbeitskreis katholischer Jugend gegen die 72

Wiederaufrüstungspolitik“, mais il n’eut pas beaucoup de résonance dans l’ensemble du catholicisme. La tendance générale était au soutien de la politique d’Adenauer, marqué en particulier par le ralliement, en mars 1952, du congrès annuel du „Katholischer Arbeiter Bewegung“ (KAB) aux thèses de Theodore Blank, un de ses dirigeants et conseiller d’Adenauer en matière de sécurité et par la « Déclaration de Elmstein » du BDKJ (avril 1952) qui rejetait la neutralité et décrivait le réarmement comme une nécessité ; DOERING-MANTEUFFEL, op.cit., pp. 140-56. Sur l’opposition au réarmement au sein du catholicisme, ibid., pp. 157-85. 112. Pour les catholiques, il s’agissait en plus de déterminer les principes de comportement du soldat chrétien. Cette discussion connaît ses prolongements actuels dans une aumônerie militaire très active qui publie, entre autres, depuis 1958, la revue Militärseelsorge. 113. Au sein du catholicisme, il semble que cette tendance ait été très forte parmi les membres du BDKJ. Les protestants de leur côté étaient divisés. Si une minorité plutôt bruyante (Niemöller, Heinemann, Barth) accordait la priorité à la réunification, la majorité tendait à marquer son adhésion au camp occidental, la question de la réunification devenant secondaire. En novembre 1950 les instances dirigeantes de l’Eglise évangélique décidèrent de ne pas prendre position sur le réarmement. 114. La répression religieuse qui avait commencé à l’Est à partir de 1948 lui servait amplement de justificatif : STEHLE, op.cit, pp. 177-315. 115. Le document des évêques allemands de 1953 sur les « devoirs et les limites de la puissance publique », par ailleurs très riche en enseignements sur la conception catholique traditionnelle de l’Etat, reconnaît le droit de celui-ci « d’exiger de ses citoyens une participation à la défense de son existence, dans certaines circonstances jusqu’à la mise en jeu de leur propre vie. au cas où celui-ci serait menacé d’une agression injuste ». „Lehrs-chreiben der deutschen Bischöfe zur Aufgaben und Grenzen der Staatsgewalt“, in Die Katholiken vor der Politik, Hrsg. Gustav Kafka, Freiburg, Herder, 1958, p. 14 (Traduction CG). 116. Le Concordat fut reconduit par décision du Tribunal Constitutionnel (Bundesverfassungsgericht) du 26 mars 1957. 117. STANKOWSKI, op.cit., pp. 199-201. 118. DELBRÜCK, op.cit., pp. 121-47 ; FENEBERG, op.cit., p. 22. 119. STANKOWSKI, op.cit., p. 199. 120. DELBRÜCK, op.cit., pp. 141-45. 121. Il y eut toutefois des résistances à l’« Ostpolitik » du SPD au début des années 1970 de la part de la hiérarchie catholique, de la CDU et du ZdK. à rencontre du Vatican qui développait alors une politique très active de rapprochement avec l’Est sous l’impulsion du Cardinal Casaroli ; SPOTTS, op. cit., pp. 186-203. STEHLE, op. cit., pp 349-401. 122. Pax Christi fut créé en France au lendemain de la guerre pour travailler à la réconciliation des peuples français et allemand. Il s’étendit rapidement à l’Allemagne, puis à d’autres pays (sans qu’il faille exagérer son poids au sein de la population catholique). En Allemagne il lit porter son effort sur l’amélioration des relations avec la France et la Pologne. Son développement fut favorisé par l’épiscopat dans l’après-guerre à cause de son apolitisme, aux dépens de l’ancien „Friedensbund deutscher Katholiken“ qui fut dissous. FENEBERG, op. cit., pp. 195-96. Une diversification s’est fait jour dans les années récentes, marquées par des prises de position plus radicales de certaines branches du mouvement, dont nous aurons à reparler. 123. Cette réorientation était facilitée par l’existence d’un réseau d’organisations caritatives très puissantes (Missio, Adveniat, Misereor, etc.) qui agissent souvent en coordination avec les pouvoirs publics. Voir « L’aide au Tiers-Monde, la coopération avec l’Etat », dans « Les Eglises dans les deux Allemagne », Problèmes Politiques et Sociaux, La Documentation Française, Nr.452, déc. 1982, pp. 20-22. 124. Une âpre discussion eut lieu en 1972 autour de la déclaration du ZdK „Der Wehrdienst als Beitrag zum Frieden“ (14 April 1972, ZdK/Berichte und Dokumente, Nr. 16, Bonn, 1972, pp. 71-82). Le 73

BDKJ exprima son opinion dissidente en publiant aussitôt après : Stellungnahme des Bundesvorstands des BDKJ zur Erklärung des Beirates für politische Fragen des Zentralkomitees der deutschen Katholiken ’Der Wehrdienst als Beitrag zum Frieden’, 24 Juli 1972, Ronéotypé, 2 p. 125. Gemeinsame Synode der Bistümer in der BRD, „Der Beitrag der katholischen Kirche in der BRD für Entwicklung und Frieden“, in Frieden und Sicherheit, Hrsg. Sekretariat der DBK, Bonn, 1981 (Arbe tshilfen Nr.21), pp. 32-36. La thèse de la complémentarité est très disputée. Alors que certains voudraient faire du service armé l’exception, d’autres veulent le conserver comme la règle. Voir les commentaires de E.-J. Nagel à propos de : BDKJ, „Dienste für den Frieden“ (12 déc. 1969) et „Frieden und Gerechtigkeit, Startpositionen“ (23 juin 1981) in, NAGEL, OBERHEM, op.cit., pp. 88-100. Nous reviendrons sur la question de complémentarité à propos de la lettre pastorale (Chapitre VI). 126. Les premiers étaient représentés surtout par les catholiques d’origine irlandaise, les seconds par les catholiques d’ascendance allemande ; ELLIS, John Tracy, American Catholicism, Chicago/ London, The University of Chicago Press, 2d ed., 1969, pp. 110-23 ; O’BRIEN, David, The Renewal of American Catholicism, New York, etc. Paulist Press, 1972, pp. 94-108 ; HENNESEY, James, American Catholics, A History of the Roman Catholic Community in the United States, New York/Oxford, Oxford University Press, 1981, pp. 250-53, 263. 127. Cette condamnation intervint par l’Encyclique “Testent Benevolentiae”, du pape Léon XIII (22 janv. 1899). La condamnation de l’« américanisme » fut motivée par la traduction en français d’une biographie de Isaac Hecker. l’un des pères de la pensée sociale du catholicisme américain et fondateur de la congrégation des “Paulist Fathers”. Alors que le modernisme reposait sur une critique théologique et biblico-historique du catholicisme traditionnel, il semble qu’il faille voir l’américanisme comme une simple tentative d’adaptation du catholicisme aux conditions particulières de la société américaine, sans qu’intervienne à aucun moment la remise en cause du dogme ; HENNESEY, op.cit., pp. 196-7, 216-17. 128. HENNESEY, op.cit., pp. 226-28. 129. Le programme de reconstruction sociale publié en 1919 par la Conférence épiscopale s’inspirait profondément des idées de John Ryan. Il annonçait le New Deal presque quinze ans à l’avance ; “Program of Social Reconstruction” issued by the Administrative Committee of the National Catholic War Council, Feb. 12 1919, in Justice in the Marketplace, Collected Statements of the Vatican and the US Catholic Bishops on Economic Policy, 1891-1984, Washington DC, NCCB, 1985, pp. 367-83. 130. A titre d’exception, on peut signaler la lettre pastorale de 1926 à propos du Mexique. Les prélats auraient préféré une politique plus interventionniste de la part des USA pour mettre fin à la persécution religieuse qui sévit dans ce pays de 1926 à 1929 ; HENNESEY, op.cit., pp. 250-53, 263. 131. ibid., pp. 275-6. 132. Le “Catholic Worker”, créé en 1933 par Dorothy Day et Peter Maurin, mettait l’accent sur la conversion personnelle à l’action non-violente qui impliquait aussi une action pour la justice sociale « à la base ». Le mouvement s’est beaucoup inspiré du « satyagraha » gandhien et plus tard, de la pensée du moine Thomas Merton à partir desquels il a développé des tactiques de protestation et de résistance non-violentes : Thomas Merton, The Nonviolent Alternative ; MERTON, Thomas, Faith and Violence, Christian Teaching and Christian Practice, Notre Dame (In), University of Notre Dame Press, 1968, 291 p. 133. Ce « privilège » était réservé aux membres des Eglises historiquement pacifistes : Mennonites, Brethren, Quakers, qui avaient la charge d’établir des « camps de la paix » pour ceux de leurs membres qui refusaient le service armé. Les objecteurs de conscience catholiques furent généralement dispersés entre ces différents camps, bien que le “Catholic Worker” ait lui-même essayé d’établir des camps au début de la guerre. Patricia McNeal donne le chiffre de 223 objecteurs de conscience catholiques pendant la seconde guerre mondiale (alors qu’ils n’auraient été que 4 pendant la première) ; McNEAL, Patricia, The American Catholic Peace Movement. 1928-1972, 74

New York, Arno Press, 1978, pp. 93-106 ; également, BROCK, Peter, Twentieth Century Pacifism, New York, Van Nostrand Reinhold, 1970, pp. 171-99 ; ZAHN, Gordon, War, Conscience and Dissent, London, Geoffroy Chapman, 1967, 317 p. 134. McNEAL, op.cit., pp. 108-12 ; HENNESEY, op. cit., pp. 281-2. L’immoralité des bombardements massifs de population civile fut dénoncée avec le plus de vigueur par le théologien John Ford. “The Morality of Obliteration Bombing”, Theological Studies, V(3), 1944, pp. 261-309. Ford condamna ultérieurement les bombardements de Hiroshima et Nagasaki, “The Hydrogen Bombing of Cities” in Morality and Modern Warfare, ed. William J. Nagle, Baltimore, Helicon Press, 1960, pp. 98-103. 135. HENNESEY, op. cit., p. 282. 136. ibid., pp. 289-90. 137. Soulignons à l’intérieur de la CAIP le rôle de l’“Arms Control Subcommittee” de l’“International Law and Juridical Institutions Committee” qui a largement contribué à définir les positions officielles de l’Eglise catholique aux Etats-Unis en matière de défense de 1958 à la fin du Concile Vatican II. Y siégeait entre autres le juriste William O’Brien, qui fut encore présent en marge de la rédaction de la lettre pastorale sur la guerre et la paix de 1983 ; McNEAL, op.cit., p. 172 ; ZAHN, War, Conscience and Dissent, pp. 15-16, 297-98. 138. DELBRÜCK, op.cit., pp. 109-13. 139. Paul Ramsey est, rappelons le, théologien protestant. Du côté catholique les travaux de William O’Brien jouèrent également un rôle important mais à une date un peu postérieure (après 1965). Mis à part son ouvrage récent The Conduct of Just and Limited War, citons : O’BRIEN, William V., Nuclear War. Deterrence and Morality, Glen Rock (N.J.), Newman Press, 1967, 120 p. ; War and-or Survival, New York, Doubleday, 1969, 289 p. ; „Strategie. Moralität und Recht in der Verteidigungsdoktrin der USA“, Jahrbuch für Internationales Recht, Institut für Internationales Recht an der Universität Kiel, Göttingen, Van den Hoeck & Ruprecht, 1965, pp. 42-74. 140. MURRAY, “Remarks on the moral Problem of War”, op. cit. Comme les déclarations pontificales, Murray base son raisonnement sur la question de contrôlabilité. Les armes nucléaires ne sont donc considérées que sous cet angle limité. 141. Murray a publié de nombreux articles dans ce sens dans le jounal Theological Studies dont il fut le rédacteur en chef pendant de longues années. Ses thèses principales sont reprises dans l’ouvrage, We hold these Truths (New York, Sheed and Ward, 1960, 336 p.). Il y démontre que les principes sur lesquels est basé le consensus constitutif de la nation américaine sont ceux-là mêmes que la doctrine catholique tire de la loi naturelle. 142. Toutefois il faut reconnaître que l’anticommunisme viscéral des catholiques aurait peut-être suffi à fonder leur soutien au gouvernement des Etats-Unis pendant les quinze ou vingt années de l’après-guerre. Sur leur altitude pendant la période maccarthyste, voir HENNESEY, op.cit., pp. 290-95. 143. Une retraite sur la protestation non-violente organisée par le moine Thomas Merton en novembre 1964 joua un rôle déterminant dans l’engagement de la « gauche catholique » contre la guerre du Vietnam de 1965 à 1971-72. 144. Parmi les personnes engagées dans les mouvements de paix, Gordon Zahn et Thomas Merton semblent être les seuls à avoir accordé une réflexion particulière à l’arme nucléaire ; MERTON, Thomas, “Christian Ethics and Nuclear War”. “Christianity and Defense in the Nuclear Age”, in Thomas Merton, The Non-violent Alternative, pp. 82-93 ; ZAHN, Gordon C., An Alternative to War, New York, Council on Religion and International Affairs, 1963, 32 p. La première action de destruction de livrets militaires à rencontre la guerre du Vietnam eut lieu à l’initiative de deux membres du “Catholic Worker”, Thomas Cornell et Christopher Kearns ; McNEAL, op.cit., p. 223. 145. John Courtnay Murray développa l’argumentation en faveur d’une objection de conscience sélective (dans la ligne thomiste) aux Etats-Unis ; McNEAL, op.cit., pp. 226-27. 75

146. Intervention du Cardinal Spellman, 132e Congrégation Générale, 21 sept. 1965, DC, Nr.1458, 1965, col. 1850-51. 147. Circulaire du Cardinal Spellman faisant objection au Schéma XIII sur la guerre, DC, Nr. 1465, 1966, col. 366-67. L’archevêque de New York avait obtenu pour cette intervention le soutien de trois autres prélats américains, NNSS Hannan (La Nouvelle Orléan), O’Bayle (Washington), Sheehan (Baltimore). 148. Il semble en fait que seuls les « faucons » se soient exprimés, alors que la majorité se protégeait par un inconfortable mutisme. 149. Un groupe du “Catholic Worker”, ainsi que du mouvement “pax”, qui lui était proche, allèrent à Rome pour faire pression sur les Pères du Concile dans le but d’obtenir la condamnation de l’arme nucléaire et la reconnaissance de l’objection de conscience ; McNEAL, op.cit., pp. 197-204. 150. Ensuite élargi aux laïcs pour devenir “Clergy and Laity Concerned About Vietnam” (CLCAV). 151. McNEAL, op.cit., pp. 241-98. Voir aussi pour un exposé de l’action des frères Berrigan, De CERTEAU, Michel, « Conscience chrétienne et conscience politique aux USA », Etudes, oct. 1971, pp. 353-70. Tous les membres du “Catholic Worker” n’approuvèrent pas l’action des frères Berrigan et d’autres militants de la “Catholic Left” – essentiellement des effractions ayant pour objet la destruction de fichiers de conscription – qui leur paraissait contrevenir à l’option non- violente qu’ils s’étaient fixée. Voir ZAHN, Gordon C., “Original Child Monk: An Appreciation”, in Thomas Merlon, The Non Violent Alternative, pp. X-XLI ; MERTON, Thomas, “Peace and Protest. A Statement”, ibid., pp. 67-69 ; “Note for Ave Maria”, ibid., pp. 231-33. Il y eut d’âpres discussions dans le mouvement pacifiste catholique à cette époque sur la signification de l’action non- violente et les limites de la désobéissance civile ; CORNELL, Thomas, Interview du 21 déc. 1983. 152. Un résumé de leurs positions est donné par McNEAL, op.cit., pp. 214-36. 153. NCCB, Déclaration sur la paix au Vietnam, 18 nov. 1966, DC, Nr.1485, 1966, col. 41-44. L’épiscopat reprenait à son compte la position énoncée par le Cardinal Sheehan dans sa lettre pastorale du 28 juin 1966 qui demandait aux catholiques de passer la guerre du Vietnam au crible des conditions de la guerre juste et rappelait la déclaration du Concile sur l’objection de conscience tout en réaffirmant sa confiance en la bonne foi du gouvernement à mener des négociations. 154. Déclaration du Cardinal Spellman à Saïgon, 24 déc. 1966, DC, Nr. 1487, 1967, col. 255-56. 155. Traduction dans DC, sous le titre « La vie humaine aujourd’hui », Nr.1537, 1969, pp. 331-38. 156. Sur le rôle de l’USCC (United States Catholic Conference), voir Appendix A, in BENESTAD, J. Brian, The Pursuit of a Just Social Order, Policy Statements of the US Catholic Bishops, Washington DC, Ethics and Public Policy Center, 1982, pp. 143-44. 157. “In context: The Bishops and War”, Origins, vol. 1, 1971, p. 214. 158. Déclaration des évêques américains sur l’objection de conscience générale ou sélective, 22 oct. 1971, DC, Nr. 1605, 1972, pp. 282-84 159. Résolution des évêques américains sur le Sud-Est asiatique, 19 nov. 1971, DC, Nr. 1605, 1972, pp. 281-82. 160. Justice Conference “A Call to Action”, Recommendations on Humankind, Oct. 21-23 1976, Origins, 6(21), 1976, p. 330 (Traduction CG). 161. USCC Administrative Board, “US Foreign Policy: A Critique from Catholic Tradition”, Testimony of Archbishop Peter L. Gerety before the Senate Foreign Relations Committee, Jan. 21 1976, Origins 5(33), 1976, pp. 520-28. 162. « Les valeurs morales », nov. 1976, DC, Nr. 1712, 1976, p. 70 (Titre original : “To live in Christ Jesus”). 163. KROL, Archbishop John, Testimony to the Senate Foreign Relations Committee, US Senate, The SALT II Treaty, Hearings on Ex.Y., 96.1, 1979, Part IV, pp. 116-31 (Ci-après, KROL, “Testimony to the Senate”). 76

164. ibid., p. 128. 165. « L’Evangile de la paix et le danger de la guerre », DC, Nr.1739, 1978, pp. 345-46. 166. REMOND, René, L’anticléricalisme en France de 1815 à nos jours, Bruxelles, Complexe (Les grandes études contemporaines), 1985, pp. 197-205. 167. Avec notamment la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Vatican en 1921-22. 168. Le Mouvement Républicain Populaire (MRP), qui, bien que parti non confessionnel, était dirigé par une majorité de catholiques et recevait son soutien des votes catholiques, connut un succès électoral éclatant mais éphémère en 1949. Dès l’année suivante, il fut directement concurrencé par le Rassemblement du Peuple Français (RPF) du Général de Gaulle qui s’adressait à un électorat identique, si bien qu’il perdit rapidement toute chance d’exercer une influence sur la vie politique française. 169. L’audience de Maritain s’étendit bien au-delà des frontières françaises, notamment aux Etats-Unis où il séjourna pendant la guerre. Avant Murray, il chercha à prouver la compatibilité entre christianisme et démocratie à partir d’une vision humaniste basée sur les droits de l’homme : MARITAIN, Jacques, Du régime temporel et de la liberté, Paris, Desclée de Brouwer, 1933, 268 p. ; Christianisme et Démocratie, Paris, Hartmann, 1945, 93 p. 170. Par exemple le journal Sept publié par les Dominicains, ou L’Aube, dirigée par Georges Bidault. 171. Bien qu’excluant toute référence explicite au catholicisme, la revue Esprit, fondée par Emmanuel Mounier, était très proche de la sensibilité catholique. 172. Au sein de l’Action Catholique demeurait une tension constante entre d’une part, l’option de l’action sociale humanitaire, d’autre part, la lâche d’évangélisation. La crise qui toucha d’abord la JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique) devant l’impossibilité de tenir simultanément les deux orientations rejaillit ensuite sur l’ensemble de l’ACJF (Association Catholique de la Jeunesse Française) en 1955. C’est la même année que fut condamnée par Rome l’expérience des prêtres- ouvriers, suspects d’une trop grande complaisance envers les mouvements socialistes et communistes, une condamnation que l’épiscopat français aurait souhaité éviter. Sur ces deux chapitres, voir LATREILLE, REMOND, op.cit., pp. 651-61. Notons qu’à cette époque les expériences des catholiques français eurent beaucoup d’impact sur le développement de la gauche catholique en Allemagne. 173. LATREILLE, REMOND, op.cit., pp. 637-39. Les auteurs mentionnent le mouvement « Cité Catholique ». 174. En particulier sous l’impulsion du cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, et de Mgr Chappoulie qui avait accompli toute sa carrière dans des postes relatifs aux questions missionnaires ; KEMPF, Françoise, « Les catholiques français », Les Eglises chrétiennes et la décolonisation, sous la direction de Marcel Merle, Paris, A. Colin, 1957, pp. 156-57 (Cahiers de la Fondation Nationale de Sciences Politiques, Nr. 151). 175. ibid. 176. Déclaration de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, 7 mars 1958, DC, Nr. 1273, 1958, col. 340 ; 14 oct. 1960, DC, Nr. 1339, 1960, col. 1367-68. Egalement, KEMPF, op.cit., pp. 166-69, 174-79. 177. ANCEL, Mgr, « Le problème de la légitimité de l’insurrection en Algérie », mars 1958, DC, Nr. 1306, 1959, col. 311-12. 178. « Les apects moraux du drame algérien », Note théologique de la Commission Doctrinale de la Chronique Sociale de France, DC, Nr. 1343, 1961, col. 35-36. On peut supposer que cette note était en accord avec les vues de l’épiscopat. 179. Ceci est particulièrement évident dans les allocutions du Cardinal Feltin. Vicaire aux Armées ; FELTIN, op.cit. Egalement, Déclaration de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, 14 oct. 1960, op.cit. 77

180. De SORAS, Albert, « L’objection de conscience et le cas du prophète », Revue de l’Action Populaire, avr. 1950, repris par DC, Nr.1067, 1950, pp. 537-42 ; LORSON, Pierre, Un Chrétien peut-il être objecteur de conscience ?, Paris, Seuil, 1950, 204 p. Egalement CONGAR, Yves, « La jeunesse, l’Armée et le service de la nation », Semaine Sociale de Reims, 11-16 juil. 1961, DC, Nr.1.159, 1961, col. 1109-34. 181. Sur les origines et le développement de la politique nucléaire française, voir RUEHL, Lothar, La politique militaire de la France, Paris, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1976, 430 p, et, plus récemment, les actes du colloque organisé à Arc-sur-Senans les 27, 28, 29 sept. 1984 par l’Université de Franche-Comté et l’Institut Charles de Gaulle, qui clarifient bien des points restés obscurs dans la genèse de la politique nucléaire française, L’aventure de la bombe, De Gaulle et la dissuasion nucléaire (1958-69), Paris, Plon, 1985, 380 p. Pour un débat « en situation », voir Pour ou contre la force de trappe, Déclarations du Général de Gaulle, Opinions et commentaires, Paris, Ed. John Didier, 1963, 270 p. 182. Appel des Cardinaux et Archevêques de France, 14 juin 1950, DC, Nr. 1073, 1950, col. 907-8. Bien que se référant à Pie XII, leur déclaration allait plus loin et annonçait la condamnation que porterait Vatican II quinze ans plus tard. 183. Si les évêques avaient exprimé leur méfiance extrême à l’égard de l’Appel de Stockholm, ils n’avaient pas cru devoir interdire aux catholiques de le signer, vraisemblablement par égards à nombre de leurs fidèles engagés dans le mouvement ouvrier. Les réactions à l’appel de Stockholm dans les milieux catholiques sont résumées dans DC, Nr.1078, 1950, col. 1233-48 ; Nr. 1079, 1950, col. 1318-39. 184. Sur l’évolution de l’opinion française à l’égard de la bombe atomique, voir GALLOIS, Pierre- Marie, « La dissuasion du faible au fort », in L’aventure de la bombe, pp. 165-72 ; PLANCHAIS, Jean, « Les réactions de l’opinion à travers la presse et les sondages », ibid., pp. 243-54 ; De la GORCE, Paul-Marie, « Les réactions de l’Armée et des forces politiques », ibid., pp. 255-66 ; ENGAMMARE, Philippe, « Les partis politiques fiançais face à la bombe atomique : de la clandestinité au consensus », Défense nationale, févr. 1987, pp. 37-52. 185. Non crédibilité qui ignore justement la logique de la « dissuasion proportionnelle », décrite par le général Gallois comme la capacité d’infliger à l’adversaire un dommage supérieur à l’enjeu que constitue le dissuadeur : KLEIN, Jean, « La stratégie de dissuasion de la France et la stratégie des Etats-Unis dans l’Alliance Atlantique », in L’aventure de la bombe, p. 177 ; Le général Gallois attribue cette incompréhension à la nouveauté radicale du concept, qui tranche avec celui de la guerre classique, où la supériorité quantitative sur l’adversaire était un élément majeur ; GALLOIS, Pierre-Marie, « La dissuasion du faible au fort », in ibid., pp. 165-67. 186. ENGAMMARE, op.cit. ; De la GORCE, op.cit., pp. 260-65 ; GALLOIS, ibid. ; PLANCHAIS, op.cit., Le dernier argument était commun aux socialistes et à une partie de la droite (MRP, indépendants). Raymond Aron se fit le plus ardent partisan d’une force atomique française intégrée à la stratégie américaine de réponse flexible, en opposition au général Gallois, pour qui cette théorie vidait un arsenal atomique indépendant de sa raison d’être ; KLEIN, « La stratégie de dissuasion... », op.cit. ; PLANCHAIS, op.cit., pp. 244-47. 187. DUBARLE, Dominique, « L’atome, notre destin », La Nef, 1955 ; « La France et les armements nucléaires », La Vie intellectuelle, juin 1955, pp. 57-79 ; voir aussi dans son ouvrage La civilisation et l’atome, (Paris, Cerf, 1962) le chapitre VI : « La bombe atomique française », pp. 81-94. Personnellement opposé à la construction d’un arsenal atomique français pour des raisons d’opportunité politique et d’éthique internationale au sens de l’exemple que la France pourrait donner à la communauté des nations, le Père Dubarle n’en déduit pas l’immoralité de la décision gouvernementale, mais il affirme qu’elle ne saurait être prise sans débat public dûment argumenté. 188. PLANCHAIS, op.cit., p. 245. 189. KLEIN, Jean, Interview du 15 mai 1985. 78

190. GUERRY, Mgr, « La conscience chrétienne face à la bombe atomique française », DC, Nr. 1321, 1960, col. 159-64 ; « L’Eglise et la course aux armements », DC, Nr.1448, 1965, col. 913-28 ; GUILHEM, Mgr, « Le péril atomique », in Des évêques face au problème des armes, Dossier préparé par Pierre Toulat, Paris, Centurion, 1973, pp. 29-36 (Ci-après, TOULAT, Des évêques) (DC, Nr.1423, 1964, col. 578-82) ; également, GUYOT, Mgr, Interview à La Dépêche du Midi, 22 mai 1970, in ibid., pp. 56-59 (DC, Nr.1566, 1970, pp. 617-18). 191. GUILHEM, Mgr, Intervention à la 118e Congrégation Générale, 9 nov. 1964, DC, Nr.1438, 1960, col 1680 ; GARRONE, Mgr, Intervention à la 143e Congrégation Générale, 6 oct. 1965, DC, Nr. 1460, 1965, col. 2075-76 ; MARTIN, Cardinal, Intervention à la 144e Congrégation Générale, 7 oct. 1965, ibid., col. 2082 ; GOUYON, Mgr, ibid., col. 2084, Mgr Garrone joua un rôle essentiel dans la rédaction du chapitre V de GS où est traité le problème de la guerre. 192. BOILLON, Mgr, Intervention à la 145e Congrégation Générale, 8 oct. 1965, DC, Nr.1460, 1965, col. 2093-96. 193. Le Cardinal Schmitt, évêque de Metz, a dit avoir éprouvé un sentiment de « consternation » après la déclaration du Cardinal Spellman et a exprimé son inquiétude de voir toute l’Eglise engagée par de telles paroles : SCHMITT, Mgr Joseph, Lettre ouverte au Cardinal Spellman, in TOULAT, Des évêques, pp. 50-51, Le Cardinal Martin, Archevêque de Rouen, rejetait toute justification de la guerre moderne en s’appuyant sur le texte du Concile et déclarait qu’« on ne défend pas une civilisation, surtout la civilisation chrétienne, à coup de canons ». Il parlait également de la nécessité de créer un vaste mouvement contre la guerre. DC, Nt. 1487, 1966, col. 257-64. 194. GOUYON, Mgr, « Les bombardements américains au Nord Vietnam, un geste cruel et inutile ». DC, Nr.1510, 1968, col. 269-70. 195. De la MORANDAIS, op.cit. 196. L’acceptation de la force nucléaire ne fut pas immédiate dans tous les corps d’armée, à cause des bouleversements qu’elle impliquait autant dans la stratégie que dans les mentalités ; De la GORCE, op.cit., pp. 255-60. 197. Déposition de Mgr Riobé, évêque d’Orléans, au procès des abbés Desbois, Perrin et de M. Muller, 8 janv 1969, in TOULAT, Des évêques, pp. 52-54 (DC, Nr.1534, 1969, pp. 197-98) ; Interview de Mgr Ménager, évêque de Meaux, 14 nov. 1969, DC, Nr.1538, 1969, p. 374. 198. Les éléments principaux de cette discussion sont repris dans DC, Nr.1637, 1973, pp. 709-13 ; Nr.1640, 1973, pp. 871-73. Pour un exposé détaillé des controverses des années 1969-74, voir TOULAT, Des évêques. 199. Le mouvement de résistance du plateau du Larzac joua un grand rôle dans la vulgarisation des idées de défense et de résistance non-violente. A la même époque émergea le Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN), qui publie le magazine Non-violence Actualité. La revue Alternatives Non-violentes est également très proche de ce mouvement. 200. Pax Christi-France, Communiqué sur les essais nucléaires dans le Pacifique, DC, Nr. 1635, 1973, p. 646. Tout en soulignant la responsabilité spécifique de la France dans cet engrenage, Pax Christi faisait également appel aux autres puissances nucléaires pour un changement de politique. 201. Déclaration du 16 janvier 1970. DC, Nr.1556, 1970, p. 147. 202. Conseil permanent de l’Episcopat français, Conseil de la Fédération protestante de France, Note de réflexion sur le commerce des armes, 13 avril 1973, Paris, Centurion, 1973, pp. 23-24. 203. KLEIN, Jean, Interview du 15 mai 1985 ; CHAVANAT, Général Dominique, Interview du 28 nov. 1985. 204. La publication par l’Equipe nationale des groupes chrétiens d’officers des « Réflexions sur la Défense », qui se voulaient surtout un travail de conscientisation, a amorcé un réchauffement des relations. Ces réflexions sont publiées dans la Revue de Défense nationale, oct. 1973, pp. 17-46 et dans DC, Nr. 1640, 1973, pp. 357-70. 79

205. Les prises de position de Mgr Riobé ont fait l’objet d’exploitation du côté des mouvements de paix comme de celui des militaires. L’ambiguïté de ses déclarations y portait : 10 juil. 1973 « ... je me dois, dans ma conscience d’homme, de chrétien et d’évêque... de dire “non aux armes nucléaires”, et ceci indépendamment de toute considération d’ordre international. Aucun intérêt politique ou économique d’aucun peuple ne saurait justifier l’emploi de la bombe atomique. Prétendre que c’est une force de dissuasion, c’est supposer qu’on a l’intention de s’en servir si l’on est attaqué. On n’a pas le droit de nourrir pareil projet » ; 29 nov. 1975 : « les forces françaises de dissuasion, dans la situation actuelle mondiale, semblent nécessaires, et devraient même, à l’avenir, être perfectionnées pour devenir de plus en plus crédibles ». RIOBE, Guy-Marie, La Passion de l’Evangile, Ecrits et Paroles, Paris, Cerf, 1978, pp. 44, 62. Cette seconde affirmation n’était-elle qu’une concession de circonstances accordée à son auditoire (l’IHEDN) ? 206. « Que penser du commerce des armes », Responsables, Nr.85, mars 1977, 135 p. L’homélie de Mgr Marty et une interview subséquente sont reproduites pp. 46-47. Les réactions directes de la presse et des hommes politiques sont données pp. 47-51. 80

Chapitre III. Les déclarations épiscopales au jour le jour

1 Toute intervention publique du magistère de l’Eglise, même si elle ne prétend qu’énoncer des principes généraux, prend néanmoins racine dans une conjoncture particulière, qu’elle se propose d’aider à interpréter. Les déclarations épiscopales de 1983 témoignent de la volonté de rétablir un lien trop longtemps inexistant entre débat stratégique et jugement éthique1. Elles sont la résultante d’une confrontation de la tradition catholique en matière de jugement moral sur la guerre et la paix avec le débat public sur la défense qu’a connu l’Occident au début des années 1980, débat où les aspects philosophiques, politiques et stratégiques étaient étroitement mêlés.

2 La discussion ayant pris des formes et suivi des inclinations différentes dans chaque contexte national, il est logique que les réactions épiscopales répondent à la même spécificité. Aussi est-il nécessaire de rappeler à grands traits le substrat politique sur lequel ces déclarations se sont construites. Nous commencerons tout naturellement par nous intéresser aux Etats-Unis qui, autant comme garants de la défense occidentale que par la vitalité de leur conférence épiscopale, ont joué un rôle phare dans les débats. Nous situerons pour chaque pays les caractéristiques essentielles de la discussion ainsi que les formes de l’engagement catholique qui ont présidé aux déclarations épiscopales.

I. Les Etats-Unis

A. Le contexte

3 En 1979-80, les Etats-Unis paraissent en perte de vitesse. Les déboires de la fin de l’ère Carter (volte-face sur la question de la bombe à neutrons, affaire des otages en Iran, contrecoups de la crise pétrolière) ont infligé de cruels revers à la puissance américaine et porté préjudice à l’image du pays au plan national et international. De nouveaux défis s’annoncent à l’horizon avec l’intervention soviétique en Afghanistan, le coup de force vietnamien au Cambodge, la détérioration de la situation en Amérique centrale. Sur le plan des rapports militaires Est-Ouest, le cri d’alarme lancé par le Chancelier Schmidt en septembre 19772 a porté au grand jour l’absence de réactions occidentales au processus d’armement euro-stratégique soviétique (l’installation des missiles SS-20 en particulier) 81

et a apporté de l’eau au moulin de ceux qui dénoncent l’apathie de l’Alliance devant l’armement unilatéral de l’URSS depuis la ratification des accords SALT I3. Le trouble des conservateurs ne fait que s’approfondir après la signature des accords SALT II (1979), qu’ils accusent d’entériner et de renforcer le déséquilibre existant4.

4 Devant autant de signes de faiblesse qui semblent accabler l’Occident, Reagan apparaît comme le « champion du “réarmement” tous azimuts, moral, politique, économique et surtout, militaire »5. Certes, la « double-décision » de l’OTAN6 ainsi que la Directive présidentielle 59 (PD.59)7 qui poursuivait la réorientation amorcée par la « doctrine Schlesinger » en 1974 en direction d’options contre-forces, sont-elles antérieures à son arrivée aux affaires. Cependant, c’est sous son administration que sont repris les projets de construction du bombardier B-l et de la « bombe à neutrons » (arme à radiations renforcées) abandonnés par le Président Carter, que sont votés les crédits pour un nouveau missile stratégique basé à terre, le MX, pour un missile mobile de petite taille, le Midgetman, et pour un nouveau missile stratégique basé sur sous-marin, le Trident D-5 (d’une portée de 11,000 km)8.

5 Les critiques dénoncent cette série de mesures comme visant à l’acquisition d’une capacité de première frappe (“first strike”), qui pourrait offrir la tentation de lancer une attaque préemptive9. A cette époque, les militaires et les stratèges parlent de plus en plus de la possibilité de mener une guerre nucléaire et de la gagner10, une prétention que l’administration Reagan elle-même n’est pas la dernière à revendiquer11. Sur le théâtre local européen, la doctrine d’“Airland Battle”, présentée par l’Armée de Terre américaine en 1982 (dans le manuel de combat FM-105)12 et la stratégie de “Follow-on Forces Attack” (“FoFa”), proposée par le Général Rogers la même année13 envisagent les modalités d’une conduite de la guerre. La première, qui est une doctrine d’emploi opérationnel des forces terrestres, prévoit un emploi de l’arme nucléaire de théâtre (ANT), alors que la seconde développe un schéma de frappe en profondeur grâce à des armements conventionnels très perfectionnés (basés sur les « technologies émergentes »), avec recours éventuel à l’ANT en cas de nécessité.

6 Face au bellicisme apparent de l’administration en place s’éveille un vaste courant de protestation dans lequel l’épiscopat va s’inscrire. Déjà en 1979 il avait, à rencontre des tendances conservatrices, pris position en faveur des accords SALT II14. A partir de l’hiver 1981-82, des évêques de plus en plus nombreux vont apporter leur appui au « mouvement pour le gel des armes nucléaires » (“National Freeze Campaign”) qui s’est développé à partir de la côte Est des Etats-Unis, sous l’impulsion des communautés scientifique et médicale15. Le mouvement catholique Pax Christi mena une campagne active en faveur du “freeze” et, par l’intermédiaire de son président, Mgr Gumbleton, réussit à convaincre un grand nombre d’évêques (132 en 1982, sur un total de 280 environ) de lui donner leur assentiment16. Si l’opposition à la politique de défense reaganienne bénéficiait d’un soutien de plus en plus large dans la hiérarchie catholique, elle jouissait aussi de l’appui d’une grande part de l’“establishment” libéral de la côte Est, dont de nombreux membres, qui avaient joué un rôle essentiel dans la définition des options de politique étrangère et de défense des administrations antérieures, prenaient la tête d’un vaste mouvement en faveur de l’adoption d’une politique de « non-emploi en premier » de l’arme nucléaire17. C’est en partie à ces experts qu’eurent recours les évêques pour étayer leur argumentation.

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B. La lettre pastorale « le défi de la paix la promesse de Dieu et notre réponse »

1. Naissance du projet

7 La décision formelle de rédiger un document sur la guerre et la paix fut prise par l’Assemblée générale de la NCCB à l’automne 1980. Déjà à cette époque se dégageait un consensus au sein de la conférence épiscopale en faveur e l’élaboration d’un texte synthétisant l’enseignement de l’Eglise sur la guerre et la paix depuis Vatican II et en faisant application à la situation américaine contemporaine18. En juin de la même année, Mgr Hunthausen, évêque de Seattle, avait fait la « une » de la presse nationale en lançant un appel au désarmement nucléaire unilatéral des Etats-Unis et en déclarant refuser de payer la moitié de son impôt sur le revenu en signe de protestation contre la politique nucléaire de son gouvernement19. De nombreuses autres prises de position allaient suivre, à un rythme relativement mesuré jusqu’à l’automne 1981 où la décision du Président Reagan de reprendre la construction de la bombe à neutrons20, ajoutée aux suspicions déjà latentes, déclencha une série de déclarations, lettres pastorales, articles, etc., de la part d’évêques toujours plus nombreux et à un rythme toujours plus accéléré21. Au début décembre 1981, une lettre du cardinal Cooke, archevêque de New York, adressée aux aumôniers militaires prenait le contre-pied de ce courant de protestation en affirmant le droit de l’Etat à assurer sa défense, au besoin grâce à des moyens nucléaires, et son devoir d’assistance à d’autres nations qui escomptent son soutien22. A cette époque, il devenait plus qu’urgent de rassembler les bergers afin que le désordre qui régnait entre eux ne conduise à l’égarement de leur troupeau.

8 Dès le début, il fut convenu que l’on utiliserait une procédure de rédaction publique, car il s’agissait non seulement de porter un jugement moral sur une question d’actualité, mais de prendre part à un débat d’opinion dans lequel la confrontation des options et des analyses jouait un rôle primordial23. Il semble que nul n’ait envisagé d’opérer différemment au sein de la conférence épiscopale. Il fut décidé que le projet serait confié à un comité “ad hoc”, qui procéderait à une série d’auditions d’experts, avant de rédiger la première esquisse d’un document soumis ensuite à l’appréciation de l’ensemble de la conférence épiscopale.

9 Le comité de rédaction (ci-après « Comité ») devant reproduire l’équilibre des tendances au sein de l’épiscopat, on choisit comme président Mgr Bernardin, alors archevêque de Cincinnati, qui jouissait d’une grande considération dans le monde catholique en général et parmi ses pairs en tant qu’ancien président de la conférence épiscopale. Ses interventions sur la question de l’avortement et en matière sociale lors de précédentes échéances nationales l’avaient fait connaître au grand public et lui avaient donné une certaine expérience de l’action politique24. Les deux pôles du Comité étaient représentés, du côté des « colombes » par Mgr Gumbleton, Président de Pax Christi, qui avait largement contribué à faire du mouvement, en moins de dix ans, un des fers de lance des tendances « pacifistes » au sein du catholicisme américain et avait réussi à lui rallier une soixantaine de ses confrères, du côté des « faucons », par Mgr O’Connor, auxiliaire du Cardinal Cooke à l’aumônerie militaire, qui avait derrière lui une brillante carrière dans la Marine. Mgr O’Connor, promu depuis lors au titre de Cardinal et nommé archevêque de New York, était connu pour son engagement dans le mouvement pour le « droit à la vie » – contre l’avortement. En matière nucléaire, il avait interprété les enseignements de 83

l’Eglise comme n’excluant pas un usage limité de l’arme tactique sur le champ de bataille 25. Deux autres évêques, NNSS, Fulcher (Colombus) et Reilly (Norwich) étaient membres du Comité. Ne se réclamant d’aucune compétence particulière en matière de guerre et paix, ils étaient là autant pour modérer des débats qui promettaient d’être houleux que pour fournir un microcosme des réactions de l’ensemble de la conférence épiscopale aux propositions du groupe préparatoire. Le Comité était assisté de deux représentants des ordres religieux : pour les ordres féminins, Sœur Juliana Casey et, pour les ordres masculins, le Père Richard Warner. Il faut aussi mentionner la participation de J. Bryan Hehir, Directeur du département Justice et Paix de l’USCC/NCCB et de Edward Doherty, Conseiller pour les affaires politiques et militaires dans ce même département. M. Doherty, ancien diplomate, qui fut longtemps en poste en Allemagne fédérale, et surtout le Père Hehir, dont les séjours à Harvard furent fortement marqués par les personnalités de Henry Kissinger et Stanley Hoffmann, semblent avoir joué un grand rôle dans l’engagement politique de la conférence épiscopale à partir de la fin des années 1970, que ce soit en matière économique, de présence des Etats-Unis en Amérique centrale ou sur les questions de défense26. Ils devaient de nouveau se trouver sous les feux de la critique en tant que coordonnateurs de l’initiative pastorale sur la guerre et la paix. Pour compléter le tableau, il faut encore mentionner la présence de Bruce Russett, politologue de l’Université de Yale. qui assista le Comité sur toutes les questions stratégiques lors de la première phase de rédaction du projet.

2. La première mouture : “God’s Hope in a Time of Fear”

10 La première phase des travaux du Comité se déroula de juillet 1981 à juillet 1982. Elle débuta par une série d’auditions de « témoins » allant d’anciens membres du gouvernement aux exégètes, en passant par des spécialistes de théologie morale, des représentants de mouvements de paix catholiques, des théoriciens de la résolution des conflits, d’anciens militaires et des membres de l’administration en place dont Caspar Weinberger, Secrétaire d’Etat à la Défense, Lawrence Eagleberger, Sous-Secrétaire d’Etat aux Affaires Politiques, Eugène Rostow, Directeur de l’Agence pour la Maîtrise des Armements et le Désarmement (ACDA) et le Général Edward Rowny27. Une première mouture du document intitulée “God’s Hope in a Time of Fear”28 fut rédigée fin mai 1982 et distribuée à tous les membres de la conférence épiscopale lors d’une retraite à Collegeville (Minnesota) qui les réunit du 13 au 23 juin 1982. Elle fut également envoyée à un cercle restreint de destinataires, dont le Vatican, certaines conférences épiscopales européennes et quelques théologiens. Une partie de cette mouture, qui n’était pas destinée à être rendue publique, filtra cependant dans des cercles assez étendus29. Jointe aux déclarations individuelles de nombreux évêques parues durant les mois précédents, elle laissait augurer de la direction dans laquelle s’engageait l’ensemble de la conférence épiscopale.

a. Le texte

11 Le texte se voulait d’abord une invitation adressée aux chrétiens à répondre aux « signes des temps », selon la formule de Jean XXIII, signes de mauvais augure puisqu’ils laissent présager de la destruction possible de l’humanité (CoP 1, p. 1). Après une introduction rappelant les fondements de l’agir chrétien pour la paix dans l’Ancien et le Nouveau Testaments (ibid., pp. 2-7), il se divisait en cinq parties de longueur inégale. La première, 84

intitulée « La paix dans le monde moderne » présentait d’emblée la non-violence évangélique comme un impératif moral pour le chrétien sans qu’il soit d’ailleurs possible de distinguer clairement son concept de non-violence de celui de non-résistance (ibid., pp. 9-11). Le droit à l’auto-défense, ensuite avancé comme une alternative morale pour le chrétien, apparaissait comme résiduel, d’autant plus que le texte sous-entendait que ce droit n’était qu’un avatar de l’inorganisation actuelle de la communauté internationale destiné à se résorber lorsqu’elle atteindrait un niveau de structuration suffisant (ibid., pp. 10-12). Le rappel de la tradition de la guerre juste venait ensuite, introduit par une allusion furtive à l’impératif de justice, mais réduit pour l’essentiel à un catalogue de propositions formelles régissant le “jus ad bellum” et le “jus in bello” (ibid., pp. 13-18).

12 La deuxième partie intitulée « La guerre dans le monde moderne », était focalisée sur l’arme nucléaire et le danger de destruction de l’humanité dont elle est porteuse. Sa seconde section se présentait comme un catalogue d’interrogations adressées aux décideurs politiques sur la solidité à long terme de la dissuasion, sur la possibilité de contrôler et de limiter l’emploi des armes nucléaires, en particulier en respectant le principe de discrimination des populations civiles (ibid., pp. 21-22). Elle débouchait sur une justification méthodologique destinée à fonder la décision épiscopale d’intervenir sur des aspects contemporains et concrets de la politique de défense et exposant le choix de la vaste consultation entreprise (ibid., pp. 23-24).

13 La troisième partie, traitant des problèmes socio-politiques et moraux de la guerre et de la paix, constituait le cœur du développement. Elle s’ouvrait sur un catalogue d’« impératifs immédiats » : 1) le respect du principe de discrimination des populations civiles en cas de guerre, en référence au document conciliaire (GS § 80.4), mais étendu aux actions en représailles, principe que le critère de proportionnalité ne doit pas conduire à vider de son contenu (CoP l, pp. 25-26), comme le document le rappelait encore ailleurs ( ibid., p. 31) ; 2) le non-usage en premier de l’arme nucléaire, décrit comme la « démarche morale la plus sûre » devant le danger d’escalade de tout conflit nucléaire (ibid., pp. 26-28) 30 ; 3) le rappel de la déclaration de 1976 selon laquelle « non seulement c’est un mal que d’attaquer les populations civiles, mais même de menacer de les attaquer, dans le cadre d’une stratégie de dissuasion » (ibid., pp. 28-30) ; 4) la limitation d’un emploi éventuel des armes nucléaires dans les bornes les plus étroites possibles, soit seulement après qu’elles aient été utilisées contre notre territoire ou celui de nos alliés, et, même dans cette hypothèse, seulement d’une manière extrêmement limitée et discriminante contre des cibles militaires (ibid., p. 30) ;

14 5) la possession, bien qu’à contrecoeur, d’un arsenal nucléaire, dont l’abandon unilatéral laisserait les Etats-Unis sans défense face à leur adversaire soviétique ; 6) en continuité avec la déclaration du Cardinal Krol de 1979 devant la Commission des Affaires Etrangères du Sénat, la justification d’une attitude de « tolérance » de la possession de l’arme nucléaire, bien que la situation globale de dissuasion et l’intention de se servir des armes incluses dans la menace soient qualifiées de « mal moral », dans la mesure où toute alternative conduirait à un résultat encore plus catastrophique. Aboutissant d’évidence à une conclusion moralement insatisfaisante, le document consacrait plusieurs pages à justifier cette attitude de tolérance, ayant recours tour à tour au rappel de certains principes de la théologie catholique, à des observations politico-stratégiques et à l’énoncé de conditions concrètes afférentes à la politique militaire, qui conditionnaient la poursuite de cette tolérance (ibid., pp. 33-38). 85

15 La seconde section de la troisième partie était un appel lancé sur la base des constats précédents. Appel à « des efforts actifs et accélérés pour la maîtrise, la réduction des armements et le désarmement » dans le cadre desquels « l’arrêt immédiat, par tous les Etats, de la mise au point, de la production et du déploiement de tous les nouveaux principaux systèmes d’armes et de vecteurs nucléaires » apparaissait comme un impératif (ibid., p. 38). Le gouvernement des Etats-Unis était encouragé à se montrer plus actif dans les négociations ainsi qu’à prendre certaines « initiatives indépendantes », dont la renonciation aux armements de première frappe pouvait être un exemple (ibid., p. 40). Appel ensuite à tirer les conclusions qui s’imposaient d’une renonciation à l’emploi en premier de l’arme nucléaire : il pourrait devenir nécessaire de renforcer les moyens de la défense conventionnelle, un renforcement auquel des Etats autres que les Etats-Unis – mais qui ne sont pas nommés – devraient aussi participer (ibid., p. 41). Les évêques se défendaient cependant de vouloir « rendre le monde plus sûr pour une guerre conventionnelle » et rappelaient leur rejet de la conscription obligatoire en temps de paix exprimé en 1980. Appel aussi à mettre au point des moyens non-violents de résolution des conflits, par la diplomatie ou des stratégies de résistance non-violente (ibid., pp. 43-44). Appel enfin à promouvoir une idée de la paix qui ne soit pas statique mais inclue la construction d’un ordre international plus juste (ibid., p. 45).

16 La quatrième partie revenait plus en détail sur la question déjà abordée de la responsabilité de l’Eglise et de son magistère dans les problèmes modernes de la défense. Il vaut la peine de rapporter les propos par lesquels les évêques justifiaient leur ingérence dans ce domaine de la politique publique : Les questions de la guerre et de la paix ont une dimension morale profonde. qu’il est impossible pour des chrétiens responsables d’ignorer. Ce sont des questions de vie et de mort. Il est vrai que ces questions ont également une dimension politique parce qu’elles plongent leurs racines dans la politique publique. Mais le fait qu’elles soient aussi politiques ne doit pas être une excuse pour nier à l’Eglise l’obligation qui est la sienne d’offrir à ses membres l’aide dont ils ont besoin pour former leur conscience. Nous devons apprendre ensemble comment élaborer des jugements moraux corrects et responsables. C’est pourquoi nous rejetons la critique de ceux qui accusent l’Eglise de s’occuper de ces questions au motif qu’elle ne devrait pas se mêler de politique. Nous sommes appelés à passer du débat au témoignage et à l’action (ibid., p. 47).

17 Cependant, les évêques poursuivaient : En même temps, nous reconnaissons que l’autorité de l’Eglise n’a pas le même poids quand elle traite de solutions techniques relatives à des moyens particuliers que lorsqu’elle s’exprime sur les principes ou sur les fins.

18 Des distinctions sont nécessaires, mais le texte n’en définissait les critères que par allusion (ibid., p. 48). L’appel à la prière et à la pénitence, qui terminait la quatrième partie, était précédé d’un court paragraphe reliant l’intervention de l’épiscopat sur la politique de défense à ses prises de position contre l’avortement dans une même démarche qui se voulait celle du respect de la vie (ibid., pp. 48-49) – démarche confirmée et affinée ultérieurement par l’épiscopat.

19 La cinquième et dernière partie apparaissait comme un « message d’encouragement et d’espoir » adressé à des groupes de catholiques selon leurs situations particulières (éducateurs, théologiens, militaires, chercheurs, médecins, employés des industries d’armement, professionnels de la communication, membres du gouvernement, etc.), puis à l’ensemble des catholiques américains dans leur responsabilité de citoyens. Il faut noter 86

à cet égard l’appel à davantage de compréhension envers les pacifistes et non-violents ( ibid., pp. 53-54), qui contraste avec les réserves accompagnant la reconnaissance de la valeur de la profession militaire (ibid., pp. 54-55). Notable également, mais logique avec le reste de l’argumentaire, la conclusion qui envisage l’hypothèse où même la possession de l’arme nucléaire ne serait plus moralement tolérable, ce qui impliquerait que toute participation à leur fabrication ou mise au point deviendrait immorale (ibid., p. 58). Inquiets d’apparaître comme des traîtres à la patrie, les évêques justifient leur engagement en déclarant : En tant que citoyens loyaux, les catholiques aiment leur patrie. Mais c’est cet amour lui-même et cette loyauté qui les poussent à exercer une surveillance constante sur le rôle de leur pays dans les affaires mondiales, exigeant qu’il soit à la hauteur de ses potentialités en tant que modèle et messager de paix et de justice pour toute l’humanité (ibid., p. 64).

b. Les réactions

20 Les commentaires du texte les plus acerbes vinrent de la part de théologiens tels Germain Grisez, qui reprochaient au projet le « conséquentialisme » de son jugement de la dissuasion nucléaire31. Le commentaire reçu du Vatican suggérait l’inclusion d’un certain nombre de déclarations pontificales – en particulier du jugement prononcé sur la dissuasion par le Cardinal Casaroli au nom du pape lors de la seconde session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le désarmement en juin 198232 – mais ne remettait pas en cause la décision des évêques d’analyser les problèmes contemporains de la guerre et de la paix au vu des enseignements de l’Eglise, ni leur choix d’une procédure de rédaction publique. Il exprimait cependant des réserves sur l’interprétation de la tradition catholique (guerre juste comparée au refus de porter les armes), sur le jugement de « tolérance » à propos de la dissuasion nucléaire, qu’il estimait confus, et sur certaines conclusions concrètes formulées à son avis de manière trop abrupte (emploi en premier de l’arme nucléaire, exigences exprimées à l’égard du gouvernement). Il demandait aussi une plus grande clarté dans la distinction entre énoncé des principes moraux et jugements politico-stratégiques circonstanciés33.

21 Les premières critiques de la part de l’administration s’exprimèrent indirectement. Une lettre de William Clark, Conseiller du Président pour les Affaires de Sécurité, adressée à Clare Boothe Luce, membre du “John Paul II Center for Prayer and Study for Peace”, présidé par Mgr O’Connor, rejetait le « non-usage en premier de l’arme nucléaire » contenu dans le projet34, reprochait aux évêques d’ignorer les propositions américaines en matière de désarmement et affirmait que la stratégie officielle ne visait pas directement les populations civiles. Lawrence Eagleberger, Sous-Secrétaire d’Etat aux Affaires Politiques, critiquait le soutien que le texte apportait au « gel » nucléaire35. Enfin Eugene Rostow, Directeur de l’Agence pour le Controle des Armements et le Désarmement (ACDA), et Caspar Weinberger, Secrétaire à la Défense, réagirent également au projet, en particulier à sa proposition de non-usage en premier36. Le Président lui-même entra dans la polémique par un discours prononcé en août 1982 à l’occasion du cent cinquantième anniversaire des “Knights of Colombus”, où il affirmait résolument son rejet du « gel » nucléaire et remerciait cette association de notables catholiques pour son soutien à la stratégie de dissuasion37. 87

22 Entretemps, le Comité préparatoire avait reçu une somme de commentaires si importante qu’il se voyait obligé de différer jusqu’à mai 1983 la publication de la lettre pastorale, prévue initialement pour novembre 1982.

3. La seconde mouture : “The Challenge of Peace: God’s Promise and our Response”

a. Le texte

23 La publication de la seconde mouture du projet38 en octobre 1982 fit des évêques catholiques américains l’objet d’une attention nationale – et même internationale. Ce document, s’il était beaucoup plus élaboré que la première mouture et totalement restructuré, n’en différait pas sur ses affirmations essentielles. Les propositions concernant la dissuasion nucléaire étaient maintenant distinctes de celles qui se rapportaient à l’emploi des armes mais leur jugement éthique continuait de relever d’un mode semblable de raisonnement (CoP 2, pp. 315-17). Sur le second point, le texte reprenait le refus précédemment exprimé de la guerre anti-cité et de l’usage en premier de ces armes ; il réunissait des observations auparavant disparates sur la guerre limitée dans une partie distincte (ibid., p. 315). Sur le premier, il rappelait les principes énoncés par la lettre pastorale de 1976 et la déposition du Cardinal Krol devant la Commission des Affaires Etrangères du Sénat, tout en leur juxtaposant la « petite phrase » de Jean-Paul II aux Nations Unies (ibid., pp. 316-17). Si les deux argumentations mettent en jeu des modalités différentes du jugement éthique39, elles relèvent également l’insuffisance de la notion de dissuasion pour assurer la paix. Il fallait donc développer des critères d’acceptabilité – ou de « tolérance » – conditionnelle de cette dissuasion. Ces critères, qui seront peu modifiés par la suite et apparaîtront dans de nombreux textes – en particulier dans la lettre pastorale des évêques allemands –, condamnent la recherche d’options effectives de combat nucléaire, soulignent l’impératif de stabilité de la dissuasion et l’exigence de sa compatibilité avec le désarmement (ibid., p. 317).

24 En matière de recommandations spécifiques, on retrouvait l’encouragement au gel nucléaire, qui s’appliquait aux « systèmes stratégiques » (ibid.)40. S’y ajoutaient le soutien à un « traité global d’interdiction des essais nucléaires », la demande adressée aux deux superpuissances de négocier des coupes importantes dans leurs arsenaux, en particulier parmi les armes les plus déstabilisantes, ainsi que de retirer toutes les armes nucléaires des zones frontières et d’améliorer les systèmes de contrôle et commande des armes tactiques afin d’éviter tout accident (ibid.). En outre, le texte s’opposait à : 1. « l’addition d’armements susceptibles d’inviter à une attaque et qui, en conséquence, peuvent conduire à penser que les Etats-Unis cherchent à acquérir une capacité de première frappe grâce à des moyens de “destruction des cibles dures” »41, en mentionnant expressément le missile MX dans cette catégorie ; 2. « la volonté de renforcer des plans stratégiques qui cherchent à avoir une capacité nucléaire de combat » ; 3. des « propositions qui ont pour effet d’abaisser le seuil nucléaire et de brouiller la distinction entre les armes nucléaires et conventionnelles » (ibid.).

25 Dans sa troisième section, consacrée à l’énoncé d’une série de propositions constructives en faveur de la paix, le projet insistait à nouveau sur l’importance des efforts bilatéraux en matière de désarmement ainsi que sur le rôle des « initiatives indépendantes ». Il demandait le respect effectif du Traité de non-prolifération nucléaire, un contrôle plus étroit sur les exportations d’armes et encourageait la recherche de moyens non-violents 88

de résolution des conflits (ibid., pp. 318-19). Enfin, comme la première mouture, il envisageait clairement la nécessité de renforcer la défense conventionnelle afin de remédier aux tares éthiques de la dissuasion nucléaire (ibid., p. 319-20). Comme le déclara Mgr Bernardin lors de sa présentation des travaux du Comité à l’Assemblée plénière de l’épiscopat en novembre 1982. le sens général de ce document était que Le danger de guerre nucléaire est grand, l’orientation actuelle de la course aux armements accroît le danger, les coûts moraux, politiques, économiques et humains de la course aux armements sont intolérables, et l’impératif du moment est un changement profond et substantiel de politique, de perception personnelle et de pratique afin d’amorcer un réel processus de désarmement42.

26 La discussion qui s’ensuivit au sein de la conférence épiscopale43 mit en évidence la nécessité d’apporter une série de modifications au texte, dont les principales portaient sur les cinq points suivants : le jugement éthique de la dissuasion nucléaire, l’autorité des différentes affirmations contenues dans la lettre pastorale, la théologie de la paix, la « menace » à laquelle le processus d’armement dénoncé voulait faire face et enfin, la relation réciproque entre la guerre juste et la non-violence dans la tradition catholique – un point auquel le Vatican était particulièrement attentif. Malgré ces insuffisances et les critiques parfois vives de certains évêques44, un sondage indicatif tenté lors de l’assemblée de novembre 1982 montrait que le projet de lettre pastorale jouissait déjà de l’appui d’une partie non négligeable de l’épiscopat : 195 évêques se disaient « fondamentalement en accord », 71 avaient des « réserves importantes » à formuler et 12 seulement exprimaient leur « désaccord fondamental »45.

b. Les réactions

27 Cependant les tribulations du Comité étaient loin d’être terminées. Les compromis en son sein et au sein de la conférence épiscopale n’étaient qu’un préalable aux négociations à entreprendre avec toute une série d’agents extérieurs, qui s’imposaient d’autant plus que les évêques avaient choisi eux-mêmes comme « règle du jeu » une méthode de rédaction publique. Ils devaient premièrement affronter la critique de plus en plus acerbe de l’administration, relayée par les catholiques conservateurs ; en second lieu il leur fallait s’assurer du feu vert du Vatican ; enfin et surtout, ils devaient tenir compte des réticences des conférences épiscopales européennes qui ne voyaient pas d’un très bon œil ce sursaut de vitalité outre-Atlantique, qui risquait de mettre en péril la sécurité de leurs propres nations.

28 D’un autre côté, ils avaient pour eux le soutien d’un certain nombre de groupes appartenant au mouvement de paix ou tout simplement opposés à la politique de défense reaganienne. Pax Christi, utilement relayé par le réseau “Network”46 et par le mouvement “Benedictines for Peace” dans le milieu des ordres religieux, fut le fer de lance de cet engagement. Déjà en août 1980, Pax Christi avait lancé un « appel aux consciences » pour que l’Eglise catholique se mobilise sur les questions de la paix et de l’armement47 et en mars 1981 dix-sept évêques membres du mouvement s’adressaient à Mgr Bernardin en son titre de président du Comité de rédaction de la lettre pastorale, priant celui-ci de s’interroger sérieusement sur la validité de la tradition de la guerre juste à l’époque nucléaire48. De son côté, “Benedictines for Peace” demandait aux évêques de développer une « théologie globale de la paix » au centre de laquelle se trouverait l’idée de non- violence49. Les deux mouvements, ainsi que le “Catholic Worker”, pacifiste de longue tradition, firent campagne en faveur de la seconde mouture de la lettre pastorale50. Le 89

National Catholic Reporter ouvrit très largement ses colonnes aux prises de position en faveur du projet tout au long du processus d’élaboration. Les évêques jouissaient aussi de l’appui officiel ou officieux de larges groupes religieux tels que l’Eglise Méthodiste Unifiée (United Methodist Church), dont l’un des représentants, Mgr James Armstrong, était également Président du Conseil National des Eglises (NCC), une organisation chapeautant un nombre important d’Eglises protestantes et orthodoxes, connue pour ses engagements à l’encontre de la politique reaganienne, en particulier en Amérique Latine51.

29 Le crédit des évêques, déjà large dans une grande partie des milieux « libéraux », ne fit que s’accroître après la publication par le New York Times le 16 novembre 1982 d’une lettre de William Clark à Mgr Bernardin, qui atteignit le grand public avant même d’être reçue par son destinataire. L’incident prit d’autant plus d’éclat qu’il se produisit pendant l’assemblée annuelle de la Conférence épiscopale, alors qu’une grande partie de la presse était déjà mobilisée pour suivre les discussions du deuxième projet. La lettre du Conseiller pour les Affaires de Sécurité prenait à parti le Comité pour sa « lecture fondamentalement erronée de la politique américaine », soulignait la cohérence de celle- ci avec les critères d’acceptabilité de la stratégie nucléaire énoncés par les évêques, faisait une longue énumération des propositions américaines en matière de réduction des armements et fustigeait le document pour son ignorance du danger que représente l’Union soviétique pour les valeurs de la civilisation occidentale52. A partir de là, les évêques se trouvèrent au centre d’un enjeu national, chaque groupe d’opinion venant à situer ses propres options en matière de défense par rapport à leurs propositions. Quelques jours après la lettre de William Clark, un texte signé par vingt-quatre intellectuels de renom et anciens membres du gouvernement défendait le droit des prélats de prendre position dans le débat sur les armements et se portait témoin du sérieux de l’entreprise53. De nombreux échanges de propos, directs et indirects, allaient encore ponctuer la trame des relations entre le monde politique et la conférence épiscopale de novembre 1982 à avril 198354. Les Européens eux-mêmes ne restèrent pas hors du débat. En avril 1983, Georg Leber et Alois Mertes, deux éminents politiciens catholiques allemands, membres du ZdK, appartenant respectivement au parti social- démocrate et chrétien-démocrate, adressèrent une lettre ouverte à Mgr Bernardin dans laquelle ils critiquaient vivement l’option de « non-emploi en premier » retenue par la lettre pastorale, reprochant au texte sa « vision américaine » des problèmes55.

30 Les catholiques conservateurs apportèrent un soutien précieux au gouvernement. L’argument d’incompétence des évêques en matière de défense et de dissuasion fut l’un de leurs principaux instruments. Le plus prolifique d’entre eux fut certainement Michael Novak, chercheur à l’“American Enterprise Institute”, qui rédigea une multitude d’articles contre le document pastoral et alla jusqu’à publier une « contre-lettre » accompagnée d’une campagne de signatures auprès des laïcs catholiques56. Plusieurs comités se formèrent en particulier à Chicago et à Washington DC pour exprimer publiquement leur désaccord avec le document. L’un d’eux, l’“American Catholic Committee”, (Washington DC), comptait parmi ses membres un certain nombre de fonctionnaires de l’administration Reagan. Il travaillait en lien étroit avec la très conservatrice “Heritage Foundation” et son “Ethics and Public Policy Center” sous l’égide duquel furent publiés plusieurs ouvrages critiquant l’engagement politique des évêques et en particulier leur lettre pastorale sur la guerre et la paix57. A Washington DC, le “Saint John Peace Institute” agissait dans le même sens58. Des journaux comme Catholicism in Crisis ou Center Journal, nés dans la vague conservatrice qui déferla sur les Etats-Unis au 90

début des années 1980, se firent également les porte-paroles de l’opposition aux évêques59 .

31 Pour aboutir à certaines clarifications et apaiser quelque peu les polémiques, on décida que de nouveaux entretiens auraient lieu au début janvier 1983 entre le Comité et des représentants du Pentagone et du Département d’Etat. Les conversations semblent avoir porté essentiellement sur le choix des cibles dans la stratégie américaine, les évêques voulant s’assurer que les populations civiles n’étaient pas visées directement. Selon les participants, il s’est agi davantage d’un monologue de la part de l’administration que d’un véritable échange60. Toutes les divergences étaient loin d’être aplanies.

32 Deux semaines plus tard devait avoir lieu à Rome une importante rencontre entre les évêques américains, des représentants du Vatican et des conférences épiscopales européennes. On a beaucoup spéculé sur les tenants et les aboutissants de cette réunion, dont très peu de choses ont filtré dans la presse. On la suspecta d’être une « remise au pas » des évêques américains sous la triple pression de leurs confrères européens, soucieux des conséquences de certaines de leurs propositions (en particulier le « non- usage en premier » et le « gel » des armes nucléaires), du gouvernement Reagan, et du Vatican lui-même, inquiet de leur trop grande indépendance et de l’exemple qu’ils pourraient éventuellement créer pour d’autres conférences épiscopales61. Les thèmes abordés furent très proches de ceux que les évêques américains s’étaient accordés à réviser lors de leur assemblée de novembre. L’autorité du document en était un point essentiel ; en effet si personne n’interdisait aux évêques américains de s’exprimer sur des questions politico-stratégiques concrètes, les gardiens de la doctrine étaient là en la personne du cardinal Ratzinger pour leur demander de ne pas confondre les grands principes de l’enseignement de l’Eglise avec leurs jugements politiques particuliers62. Il était fait application de cette distinction au sujet de l’usage en premier des armes nucléaires, de la guerre limitée et de la dissuasion. Dans le premier domaine on aboutit à une solution de compromis selon laquelle « la mise en œuvre du non-usage en premier prendra du temps ; elle ne saurait être opérée immédiatement car elle requiert des modifications spécifiques de la doctrine et de la planification stratégique de l’OTAN »63. La dissuasion avait fait l’objet d’un long exposé du cardinal Casaroli, interprétant le message du pape. Il était clair que la « petite phrase » de Jean-Paul II devait occuper un rôle central et qu’il n’était pas question de condamner radicalement la stratégie de dissuasion. Celle-ci devait être remise dans la perspective du double danger auquel elle a pour but de parer64. La discussion porta aussi sur la relation entre guerre juste et non-violence : on reprochait aux évêques américains de placer les deux attitudes sur un plan équivalent dans la tradition catholique, alors que la première devait nettement conserver la préséance65. Le dernier point abordé fut le lien entre la paix comme promesse eschatologique et la paix du monde ; le projet avait tendance à télescoper les deux aspects en présentant l’avènement du Royaume de Dieu comme le résultat de la construction d’un monde temporel plus pacifique66.

33 Au sein du Comité, Mgr O’Connor voyait sa position renforcée à la suite des discussions de Rome ; il en profita pour présenter toute une série de nouvelles propositions67. Cependant, si certaines de ses suggestions aboutirent (Cf. infra), les directions du Comité et de la conférence épiscopale réussirent à minimiser l’impact auprès des évêques du mémorandum rédigé par le Père Jan Schotte, NNSS. Bernardin et Roach joignirent à l’envoi du texte romain leur propre mémorandum accompagné d’une lettre de couverture faisant état des conversations plutôt positives qu’avait eues le Cardinal Bernardin avec les 91

Cardinaux Casaroli, Ratzinger et le pape lui-même quelques temps auparavant68. Les évêques recevaient sous le même pli la troisième mouture de la lettre pastorale, qui accusait des différences importantes avec la version précédente.

4. La troisième mouture69

34 La troisième mouture du texte, qui parut au début avril 1983, fut saluée par le gouvernement comme un « retour à la raison » de la part des évêques70. Le projet paraissait effectivement plus modéré sur plusieurs thèmes situés au cœur de la contestation publique à rencontre de la politique de défense reaganienne. Les deux modifications les plus importantes concernaient l’une, l’usage en premier des armes nucléaires, l’autre, la question du gel nucléaire. Sur le premier point, l’affirmation radicale de la deuxième mouture était devenue : Nous exprimons la plus profonde réticence envers l’idée de déclencher une guerre nucléaire, quelque restreinte qu’en soit l’échelle71.

35 Le texte poursuivait en stipulant : Il existe une grave obligation morale de mettre au point aussi rapidement que possible des stratégies défensives afin de supprimer toute justification à l’emploi des armes nucléaires en réponse aux attaques non-nucléaires (ibid.).

36 Sur le second point, on a noté surtout le remplacement du verbe “halt” se rapportant à l’expérimentation, la fabrication et le déploiement des armes nucléaires par le terme “curb” (ibid., pp. 715, 716), qui fut interprété comme un retrait du soutien auparavant accordé au mouvement pour le gel nucléaire. Peu de commentateurs cependant ont remarqué que l’objet de la limitation avait été élargi des systèmes stratégiques à l’ensemble des armes nucléaires72. Par ailleurs, le nouveau texte adoptait une attitude beaucoup plus modérée à l’égard de la politique gouvernementale, faisant une large place à une citation de William Clark sur le choix des cibles nucléaires (ibid., p. 714), modérant ses critiques à l’égard de certains systèmes d’armes (le MX en particulier)73 et saluant les efforts de l’administration en matière de maîtrise des armements (ibid., pp. 715, 716-17). Dans le jugement de la dissuasion, simple mention était faite des textes de 1976 et 1979, toute allusion à leur contenu ayant disparu. Le projet citait beaucoup plus longuement le message de Jean-Paul II aux Nations Unies que la version précédente et y ajoutait la référence à d’autres documents pontificaux (ibid., pp. 713-14). La « menace » soviétique faisait l’objet d’un traitement plus systématique et d’une appréciation beaucoup plus dure (ibid., pp. 707, 720) qui prenait largement appui sur une citation extraite du message pontifical pour la journée de la paix 198374. Une plus grande attention était accordée au risque de guerre conventionnelle, une conséquence probable des inquiétudes exprimées par les Européens (ibid., p. 717). Enfin, un important effort de clarification avait été fait pour distinguer les différents niveaux d’expression du texte (ibid., pp. 700-701) et pour situer les mérites respectifs des « traditions » de la guerre juste et de la non-violence dans l’enseignement de l’Eglise (ibid., pp. 705-706).

37 Cette nouvelle mouture semblait donc entériner les critiques exprimées par l’administration et dans une moindre mesure, par le Vatican et les évêques européens. Mais la direction de la Conférence épiscopale était décidée à réagir aux allégations de faiblesse et d’irrésolution. Quelques jours après une présentation malencontreuse de la troisième version par Mgr Bernardin75, ce dernier décida, conjointement avec Mgr Roach, président de la conférence épiscopale, de publier un communiqué rectificatif dont la substance se résumait dans les trois affirmations suivantes : 92

1) ... l’opinion selon laquelle il n’y aurait que quelques rares et insignifiantes différences entre la politique américaine et la politique prônée par la lettre pastorale est inacceptable ; 2)… la troisième mouture est bien davantage le produit d’une réflexion et d’un dialogue au sein de la communauté catholique que d’un dialogue entre le Comité de rédaction et l’administration ; 3) En ce qui concerne la question d’un gel nucléaire, ni la seconde version, ni la troisième ne prônent un « gel » en tant que tel.76

38 Sur ce dernier point, le communiqué ajoutait : Dans les deux projets, l’intention est de lancer un appel à freiner la course aux armements et à réduire les arsenaux des deux côtés aussi rapidement que possible, en mettant l’accent en particulier sur les systèmes potentiellement les plus instables. De même que le second projet ne prenait pas partie pour une proposition particulière en matière de gel nucléaire, le troisième ne peut ni ne devrait être utilisé pour rejeter telle ou telle proposition spécifique77.

39 Il est douteux que cette déclaration ait suffi à mettre les choses au point, et en particulier à satisfaire les partisans du gel qui comptaient sur le soutien des évêques78. Le texte restait ambigu et beaucoup se demandaient si l’apparente soumission de l’épiscopat n’était qu’un repli tactique ou constituait un retour à une position traditionnelle après une période de rébellion initiale.

5. The Challenge of Peace: God’s Promise and our Response

40 La réponse fut donnée à Chicago, les 2-3 mai 1983, lorsque les évêques s’assemblèrent pour voter le texte final de la lettre pastorale. Comme le reste du processus de rédaction, cette assemblée était publique et se déroula sous les feux des caméras de télévision et en présence de très nombreux journalistes. Les conférences épiscopales européennes avaient elles aussi été conviées à envoyer des représentants.

41 Il était convenu que la structure du texte ne serait pas fondamentalement modifiée. Le vote aurait lieu sur les quelque 500 amendements regroupés au préalable en cinq catégories, selon leur ordre d’importance. La procédure choisie donnait aux partisans et adversaires de chaque amendement le droit d’argumenter en quelques minutes en faveur de leur position, avant que l’assemblée ne passe au vote. Une grande habileté tactique de la part de quelques évêques favorables à un nouveau « durcissement » du texte, ajoutée à la présence d’un terrain réceptif de la part d’une majorité des membres de la conférence épiscopale, permit le retour à un certain nombre d’affirmations controversées de la seconde mouture79. Il faut ajouter que la plupart des propositions présentées lors de la discussion finale avaient déjà fait l’objet d’échanges approfondis au sein du Comité, qui savait parfaitement distinguer la frontière entre l’acceptable et l’inacceptable80. Les modifications les plus remarquées furent le retour à une certaine forme de « gel » nucléaire81 et au non-emploi en premier de l’arme nucléaire. Cependant, sur ce dernier point, la formulation radicale de la deuxième mouture82 était juxtaposée à la proposition modérée de la troisième mouture, ce qui n’était pas sans contradiction. Le document final reprenait le « non » rhétorique à la guerre nucléaire (ibid., pp. 735, 739), déjà présent dans les précédentes versions, tout en restant ambigu sur la réelle possibilité de limiter un conflit atomique83. En même temps qu’il revenait à des conclusions plus déterminées sur des aspects concrets de la politique de défense, le texte faisait un nouvel effort de distinction entre les niveaux de ses différentes affirmations (ibid., p. 761). Une des 93

applications directes de cette clarification concernait le « non-usage en premier » des armes nucléaires, à propos duquel on précisait en note : Nos conclusions et jugements dans ce domaine, bien qu’ils se basent sur une étude sérieuse et sur une réflexion en matière d’application des principes moraux, n’ont bien évidemment pas la même force que les principes eux-mêmes et laissent donc la place à des opinions différentes… (ibid,. Nr.69, p. 738).

42 Une claire concession à la tendance représentée par Mgr O’Connor – et aux évêques européens. Comme la troisième mouture, le texte était davantage attentif aux dangers de guerre conventionnelle que ne l’avait été la seconde version (ibid., p. 738, 747). Par contre, les modifications dont s’était félicitée l’administration (outre le gel et l’usage en premier de l’arme nucléaire) avaient perdu beaucoup de leur impact. La citation de William Clark sur la frappe anti-cités était maintenant réléguée à une note de bas de page (ibid., Nr.81), tandis que le développement sur la nature du système soviétique, illustrant à l’origine le curieux critère de « justice comparative », avait été introduit dans le paragraphe traitant du rapport entre les superpuissances, ce qui permettait de replacer les Etats-Unis devant leurs responsabilités en matière de respect des droits de l’homme (ibid., p. 751).

43 Le passage sur la dissuasion nucléaire avait à nouveau été modifié, redonnant un léger avantage à la déclaration du Cardinal Krol dans ses affirmations non controversées. La nuance rétablissait un certain équilibre perdu précédemment au bénéfice du message pontifical (ibid., p. 741). Enfin la relation réciproque de la non-violence à la guerre juste, du devoir du soldat à celui de l’objecteur de conscience avait été une ultime fois remaniée afin que la guerre juste apparaisse clairement comme la tradition catholique, tout en laissant sa place à la seconde option comme totalement cohérente avec le message de l’Evangile (ibid., pp. 727-28, 733-34).

44 Le texte final fut voté par 238 voix sur un total de 288 évêques présents. Seuls 9 membres de l’épiscopat lui refusèrent leur soutien84. La majorité des prélats s’était donc prononcée en faveur d’un texte plus critique de la politique gouvernementale et plus concrète dans ses affirmations que ne l’était la version précédente. Si leurs conclusions devaient plaire aux militants des mouvements de paix, elles étaient loin de satisfaire l’ensemble de la population catholique, aux Etats-Unis et dans le monde. Quelques jours seulement auparavant – le 27 avril exactement – les évêques allemands avaient publié un document d’une tonalité sensiblement différente.

II. L’Allemagne

A. Le contexte

45 L’Allemagne a vécu jusqu’à 1976-77 dans l’apaisement créé par la détente. Les accords de 1970-72 avec la RDA, la Pologne, l’Union soviétique, puis les accords d’Helsinki en 1975 avaient pu laisser croire que l’« Ostpolitik », si elle ne résolvait pas les problèmes fondamentaux, pouvait durablement en diminuer l’acuité. Elle avait peu à peu fait l’objet d’un consensus de toutes les formations politiques pour des raisons économiques et parce que, dans la mesure où l’on pouvait compter sur la garantie militaire américaine, la coopération avec l’Est paraissait plus favorable à la sécurité collective qu’une politique de confrontation85. Or, la prise de conscience par le gouvernement social-démocrate en 1977 du fait que la détente n’avait en rien ralenti la politique d’armement soviétique, puis les 94

événements subséquents d’Afghanistan, de Pologne, etc., firent remonter à la surface les angoisses de toujours où se mêlent les questions de sécurité et d’identité nationale.

46 Dans ce contexte, le stationnement des missiles Pershing II se faisait le révélateur d’une double crainte. D’un côté, c’est la peur lancinante du « découplage », c’est-à-dire de la rupture du lien assurant que les intérêts américains en Europe – et en Allemagne en particulier – resteraient à jamais inséparables des intérêts de l’Europe elle-même. Sur le plan stratégique, cela se traduit par la volonté de rendre inconcevable toute guerre, et a fortiori toute guerre nucléaire limitée à l’Europe – celle-là même que les stratèges américains et le Président en personne semblent envisager. Les missiles Pershing II devaient être l’instrument de ce « recouplage » en assurant que toute attaque soviétique contre l’Europe de l’Ouest se heurterait à l’éventualité d’une attaque en retour sur le cœur de la Russie soviétique. Celle-ci à son tour rendrait envisageables des représailles sur les cités américaines86. C’est donc la probabilité de l’escalade nucléaire qui renforcerait la dissuasion. De la même manière, les responsables politiques et militaires allemands sont opposés à toute proposition susceptible d’élever le seuil nucléaire parce qu’elle accroîtrait les chances qu’une guerre soit menée sur leur territoire ; guerre conventionnelle, certes, mais dont les destructions seraient pour eux insupportables. C’est aussi une logique identique qui les pousse à rejeter énergiquement le concept du « non-usage en premier » des armes nucléaires de la part des USA, stratégie qui ne pourrait à leurs yeux que rendre une guerre conventionnelle plus probable87.

47 A l’inverse, pour les Allemands qui se reconnaissent dans les mouvements de paix, cette volonté de se donner les moyens de mener la guerre pour rendre la dissuasion plus crédible apparaît comme une duperie et une trahison. L’installation des Pershing, la doctrine d’“Airland Battle”, la banalisation des concepts de « guerre limitée », de « frappe en profondeur », etc., réveillent les consciences à la douloureuse réalité de se trouver sur la ligne de front88 et, si un conflit devait intervenir, d’en être les premières victimes. Les Pershing en particulier, à cause de leur caractère d’armes de première frappe et de la courte durée séparant leur mise à feu de la frappe des cibles, semblent constituer soudain un danger très grand89. La détérioration du rapport militaire entre les deux Grands paraît porter un coup fatal à la détente qu’avaient créée les petits pas persévérants de l’« Ostpolitik ». Une nouvelle fois, le rêve d’une Allemagne réunie – sinon réunifiée – et neutre entre les grandes puissances s’évanouit. La conscience de ne pas être un pays souverain à part entière s’exacerbe et, à son tour, exaspère le ressentiment contre le « protecteur » dont on a l’impression de n’être que le jouet. C’est dans ce contexte que se développent les mouvements de paix, dont les revendications vont du rejet de l’installation des missiles de croisière et des Pershing90 à la sortie de l’OTAN 91 et à la création de zones exemptes d’armes nucléaires le long de la frontière allemande92, ou en Europe centrale, ou dans l’Europe tout entière93.

48 A l’intérieur comme à l’extérieur – en particulier en France – on a vu non sans inquiétude se développer ces mouvements dont nationalisme et neutralisme semblaient être les deux traits dominants. Or, les choix de politique étrangère faits par la République fédérale depuis 1949 ont eu pour objectif premier l’élimination de ces hypothèses. La réunification est impossible parce que la neutralité l’est aussi : c’est cette constatation qui avait amené le gouvernement chrétien-démocrate à se déterminer en faveur de la solidarité occidentale aux dépens de l’unité allemande dans les années 1950, choix qui n’a jamais été remis en cause par la suite. Les menaces de sortie de l’OTAN proférées par une partie du mouvement de paix, ou simplement la volonté déclarée d’accommodation avec l’Est, vont 95

clairement dans une direction opposée, suscitant en Allemagne et en France des préoccupations sérieuses sur l’avenir de la sécurité occidentale, doublées dans ce dernier pays de craintes pour sa propre sécurité au cas où disparaîtrait un jour le « glacis » allemand, obligeant la défense française à commencer non plus sur le Rhin, mais sur l’Elbe94.

49 Les mouvements politiques qui se sont développés au début des années 1980 ont pu évoquer aussi le spectre d’une grande Allemagne, réunifiée, puissante et agressive95. Si cette éventualité ne saurait être exclue, on aurait tort d’y voir le résultat d’une volonté politique clairement déterminée de tel ou tel groupe. La remise en cause du « modèle occidental » qui se manifeste dans les mouvements écologistes, doublée du rejet de la politique de défense qui lui est intimement associée, sont les conséquences d’une crise récurrente d’identité qui n’a pas cessé de se manifester par à coups depuis la guerre,... si toutefois cette identité a jamais existé96.

50 Pourtant, la majorité des Allemands reste attachée à ce qui demeure, n’en déplaise à beaucoup, le « système de Yalta ». Les sondages, malgré la divergence de leurs résultats sur l’installation des euromissiles, montrent que l’appartenance à l’OTAN n’est pas remise en cause97.

Chez les catholiques

51 A partir du début des années 1970, la conférence épiscopale allemande s’est prononcée à plusieurs reprises sur les questions du terrorisme et de la situation politique interne98, mais n’a pas pris officiellement position sur les problèmes de la défense et de l’armement. Elle a préféré laisser cette tâche aux organisations laïques catholiques et au Comité Central des Catholiques allemands. Outre sa prise de position de 1972 sur l’objection de conscience, déjà évoquée, celui-ci publia en novembre 1981 une déclaration intitulée Zur aktuellen Friedensdiskussion99 qui imputait au bloc socialiste l’entière responsabilité de la mise en danger de la paix et dénigrait la transposition politique de l’éthique chrétienne de l’amour du prochain comme pure « éthique de conviction », à laquelle elle opposait une politique responsable basée sur l’examen rationnel des faits ; elle décrivait aussi la « double-décision » de l’OTAN comme « l’exemple d’une politique qui, par-delà la recherche de l’équilibre militaire, vise à la décroissance du processus d’armement, à la détente et à la paix »100. Cette prise de position fut vivement contestée. Elle se heurta à l’opposition du BDKJ et de Pax Christi et, plus généralement, des courants sympathiques au mouvement de paix au sein du catholicisme101. Le BDKJ, qui avait élaboré en mai 1981 un document de base de réflexion sur la paix, publia par l’intermédiaire de son Comité directeur une prise de position intitulée Positionspapier des BDKJ-Bundes-vorstandes zur Sicherheits- und Abrüstungspolitik en août 1982102. Pax Christi de son côté s’était déjà exprimé par un programme publié en novembre 1980 sous le titre Abrüstung und Sicherheit – Plattform der Pax Christi103. Ces deux documents militent en faveur d’une politique de sécurité dépassant la seule dimension militaire, critiquent l’équilibre de la dissuasion nucléaire et se prononcent pour une option de désarmement « graduel »104 dans le cadre d’un « concept alternatif de la défense et de la sécurité ». A la modération et à la prudence des organes dirigeants des deux mouvements, on peut opposer le radicalisme des groupes de l’Initiative Kirche von unten (IKvu) (ou « Eglise de la base »). L’IKvu, rassemblement hétéroclite de groupuscules se définissant davantage par opposition à la hiérarchie que sur un programme concret, s’était particulièrement fait entendre lors du Katholikentag de Düsseldorf en 1982105. Même si elle ne représentait qu’une petite minorité du 96

catholicisme allemand, elle bénéficiait de solides soutiens intellectuels106 et risquait de faire tâche d’huile sur certains groupes du BDKJ ou de Pax Christi, découragés par l’attitude prudente de leurs dirigeants107. De plus, devant le silence prolongé de leurs évêques, des catholiques de plus en plus nombreux se tournaient vers les Eglises protestantes en quête de principes directeurs dans leur engagement pour la paix108.

52 Le magistère de l’Eglise catholique avait lui aussi commencé à s’exprimer sur les questions de guerre et paix à partir de 1981. Au début de l’année, la conférence épiscopale avait publié une courte déclaration109 et le Cardinal Höffner, son président, avait repris le thème dans son discours d’ouverture de l’assemblée annuelle d’automne110. Mais ces prises de position, qui dénonçaient la précarité de la paix basée sur l’équilibre de la dissuasion, paraissaient trop modérées dans leur incitation à un dialogue dépassionné, trop classiques dans leur rappel du droit de l’Etat à recourir à la défense armée et trop méfiantes à l’égard de ceux qui semblaient ignorer cet impératif. Une déclaration conjointe des Présidents des Conférences épiscopales française et allemande du 15 juin 1982 reprenant les affirmations traditionnelles sur le désarmement (bilatéral, progressif et contrôlé), la dissuasion (insatisfaisante à long terme) et l’équilibre (nécessaire aux négociations)111 paraissait également trop timide aux catholiques de plus en plus nombreux qui voyaient dans le stationnement des fusées à moyenne portée le principal danger pour la paix. De plus, le dynamisme des évêques américains, puis l’événement créé par la déclaration des évêques d’Allemagne de l’Est au début janvier 1983 exigeaient de la part de leurs collègues ouest-allemands une prise de position plus nette dans le débat en cours.

B. La lettre pastorale « la justice crée la paix »

53 Les évêques allemands résistèrent continuellement à l’idée de se prononcer sur des problèmes concrets, à la manière de leurs homologues américains112 malgré les très fortes pressions des catholiques engagés dans les mouvements de paix et en dépit du souhait de certains membres de la conférence épiscopale. Il semble qu’ils aient dû se détourner de leur idée originelle de publier un document très court synthétisant les enseignements de l’Eglise sur la paix, pour s’orienter sous l’influence des événements extérieurs vers la rédaction d’un document beaucoup plus complet et plus engagé113. Ils décidèrent néanmoins de limiter leur déclaration à l’énonciation de principes généraux capables de fournir des orientations en matière d’attitude personnelle et politique à l’égard de la paix. D’emblée, la prérogative du magistère de l’Eglise était donc plus réduite que dans le document américain.

1. Premières ébauches114

54 Le processus de rédaction de la lettre pastorale allemande fut en un certain sens plus pragmatique que celui du texte américain, du moins à ses débuts. La décision formelle de publier un document sur les questions contemporaines de la guerre et de la paix fut prise par le Conseil permanent de l’épiscopat lors de sa réunion du 4 mai 1982, ce qui permit la tenue d’une première discussion au sein de l’épiscopat dans son ensemble lors de l’assemblée annuelle de septembre 1982. Cette discussion eut lieu sur la base de trois documents préparatoires rédigés par trois théologiens, Franz Böckle, moraliste, Karl Kertelge, spécialiste du Nouveau Testament, et Karl Lehmann, expert en dogmatique, à 97

partir des contributions que chacun d’entre eux avait présentées au Katholikentag de Dusseldorf115.

55 Le rapport de Franz Böckle établissait une distinction nette entre les deux dimensions de la « paix » et de la « sécurité », qui allait demeurer une constante de la lettre pastorale. Il était à son avis indispensable de ne pas confondre la « paix » au sens plein du terme, comme « œuvre de la justice » et la recherche de la sécurité, ou absence de violence armée. Seule la première est du ressort actif de l’Eglise, alors que la seconde ne peut faire l’objet que de jugements moraux sur les moyens utilisés116. Sa définition de la paix comme « un processus dynamique, caractérisé par une diminution de la violence et une augmentation de la justice »117 justifiait l’établissement d’un lien entre la promotion de la paix d’une part, le respect des droits de l’homme et la mise en œuvre de la justice sociale d’autre part. Sur le plan de la politique de sécurité, il désignait la stabilité comme le but premier des efforts militaires et condamnait en conséquence toute politique visant à se doter d’une capacité de première frappe ou tendant à la supériorité118. Il mettait aussi l’accent sur la nécessité de donner la priorité à la recherche de moyens de règlement pacifique des conflits119.

56 Les interventions de Karl Lehmann et Karl Kertelge avaient pour but de clarifier la relation entre la finitude de la réalité humaine et le concept chrétien de paix, à la fois don de Dieu et tâche de l’homme, qui pouvait commencer à se réaliser ici-bas mais n’atteindrait sa plénitude que dans une perspective eschatologique120. La tension entre les deux pôles ne devait pas être artificiellement abolie. Il était donc indispensable pour le chrétien de mettre en œuvre les maximes de l’Evangile dans son attitude quotidienne, tout en évitant de sombrer dans l’utopie d’une grande « fraternité universelle » et de la « paix perpétuelle »121.

57 L’assemblée générale de la conférence épiscopale décida de confier la tâche de préparation d’un premier document au petit groupe de théologiens mentionné, auquel s’adjoignit Harald Oberhem, directeur du bureau „Militärseelsorge und Öffentlichkeit“ auprès de l’aumônerie militaire. Aucune procédure formelle de consultation ne fut décidée, mais chacun des membres du comité de préparation bénéficiait d’un réseau de relations suffisamment étendu pour qu’aient lieu des échanges de vue aussi nombreux que discrets avec de multiples politiciens, stratèges, politologues et théologiens122. Le comité était aussi en rapport étroit par des liens familiaux, amicaux et de travail avec la „Hessische Stiftung für Friedens-und Konfliktforschung“ (HSFK) de Francfort, dont les experts avaient contribué à de nombreuses initiatives du „Katholischer Arbeitskreis Entwicklung und Frieden“ (KAEF), un organisme de conseil et d’étude auprès de la conférence épiscopale pour les questions de paix et de développement123. De plus, le KAEF, alors présidé par Franz Bockle, avait lancé en 1978-79 un projet d’étude globale sur les problèmes éthiques de la sécurité appliqués à la situation allemande. Ce projet devait être confié conjointement à la faculté de théologie de Bonn, sous l’égide du même Franz Böckle pour les aspects éthico-théologiques, et à la HSFK, sous la direction de Gert Krell, pour les aspects stratégiques124.

58 Le rythme du travail de préparation s’accéléra brusquement à partir de décembre 1982, si bien qu’on ne peut exclure l’hypothèse d’une course de vitesse avec l’épisocpat américain. Le 11 du même mois, les membres du comité se partagèrent les tâches selon les cinq chapitres prévus pour la déclaration. Au lendemain de leur réunion du 15 janvier 1983, ils remirent leurs travaux à Heinz-Theo Risse, secrétaire de la KAEF, qui était chargé d’en 98

élaborer une synthèse devant être soumise à examen du Conseil permanent de l’épiscopat le 24 janvier.

2. La première mouture : „Dienst der Kirche am Frieden“

59 La première mouture du texte reprenait l’argumentation déjà développée par Franz Bockle, Karl Lehmann et Karl Kertelge, tout en la complétant. Comme la lettre pastorale américaine, le projet faisait largement place à l’évolution du concept de paix à travers la Bible et rappelait aussi la théologie de la guerre juste. Cependant, il s’agissait moins ici de faire une énumération de ses critères, à l’image du projet américain, que d’en démontrer l’altération historique marquée par un juridisme croissant et une inadéquation de plus en plus flagrante à l’évaluation de la guerre moderne. Le recours à la défense armée, s’il ne saurait être refusé à l’Etat, ne peut garder un sens que s’il est replacé dans le contexte d’un concept global de paix125. A la légitime défense, au moyen de la force armée si nécessaire, doivent donc faire pendant des efforts concrets en matière de détente, de règlement pacifique des différends et de perfectionnement des structures internationales. Théologiquement, ces deux aspects étaient reliés à la problématique du « déjà là » et du « pas encore » de la réalisation du Royaume de Dieu. Parce que ce Royaume ne peut se réaliser totalement dans un monde imparfait, le recours à la défense armée peut rester parfois indispensable – d’où le rejet de l’utopie de la paix perpétuelle – mais parce que sa construction commence dès ici-bas. le chrétien a le devoir de transposer le message d’amour du prochain de l’Evangile dans ses actes personnels jusque dans la politique. Toutefois, celui-ci ne peut s’appliquer de la même manière dans les rapports interindividuels et les rapports entre communautés politiques126.

60 Après avoir émis ces réserves, le texte aborde la question du jugement éthique de la dissuasion nucléaire. Pour l’auteur – en l’occurrence Franz Böckle – l’exigence première est la prévention de toute guerre, non pas comme le résultat d’une casuistique, mais comme impératif éthique – on pourrait dire catégorique – à cause des destructions insupportables qu’elle occasionnerait. Or, c’est cet objectif même que se fixe la dissuasion nucléaire. Celle-ci doit juger d’après ses buts plutôt que d’après les conséquences qu’aurait son échec – comme en traitent les évêques américains. Si le but final est la prévention de la guerre, la fin intermédiaire doit être le maintien de la stabilité. L’auteur énonce alors des critères permettant de juger des moyens de garantir cette stabilité, critères relativement proches de ceux que définissent les évêques américains pour évaluer l’acceptabilité de la dissuasion127. Il remarque que la délicate question de l’« usage en premier » de l’arme nucléaire devrait également être appréciée en fonction de sa contribution à la stabilité de la dissuasion128. Etant donné l’impératif qu’il s’est fixé – la prévention de toute guerre – le texte n’entre pas dans le détail d’une critériologie destinée à délimiter un usage « moral » des armes. Seuls sont rappelés les principes de discrimination des populations civiles et de limitation des dommages129.

61 Le Conseil permanent de l’épiscopat, lors de son examen du projet le 24 janvier confirma le choix du thème de la paix comme « œuvre de la justice » qui devait devenir le fil directeur du document. Il donna également son accord au traitement dans la lettre pastorale de problèmes concrets afférents à la politique de sécurité130. Une nouvelle tâche de remaniement fut confiée à Heinz-Theo Risse et le 7 février l’esquisse fut envoyée à l’ensemble des membres de la conférence épiscopale afin qu’ils puissent en prendre connaissance avant la réunion de Trèves (21-24 février 1983) où elle devait être discutée pour la première fois en assemblée plénière. 99

3. La seconde mouture : „Gerechtigkeit und Frieden“

62 La seconde mouture conservait la distinction essentielle établie au départ par Franz Böckle entre la sauvegarde de la paix („Friedenssicherung“) et la promotion de la paix („Friedensförderung“), qui délimitait aussi la compétence de l’Eglise. Elle approfondissait la réflexion sur le sens du « Sermon sur la montagne » pour l’action politique – une précision essentielle eu égard à l’usage extensif de ce passage de l’Evangile dans les discours politiques de tous bords. Tout en reconnaissant que ce texte énonçait des « positions de base (Grundeinstellungen) essentielles pour la conduite de vie des chrétiens », le projet considérait comme une erreur de « vouloir organiser les rapports socio-politiques par déduction directe à partir de telles positions »131. Sur le plan historique, l’attitude de l’Eglise à l’égard de la guerre et du service militaire dans les premiers siècles faisait l’objet d’une évaluation plus prudente que précédemment pour accommoder la contradiction des données historiques à ce sujet132.

63 La nouvelle mouture comprenait un passage supplémentaire sur le respect du droit sous toutes ses formes (droit constitutionnel, droit international, droits de l’homme, etc.) comme condition première des efforts de « construction de la paix ». Quant à la dissuasion, elle continuait d’être appréciée selon ses objectifs. Le jugement moral la concernant était celui du message pontifical aux Nations Unies en juin 1982. Les deux conditions d’acceptabilité de la dissuasion énoncées par Franz Böckle avaient été dissociées par Heinz-Theo Risse en trois exigences éthiques, ce qui les rendait quasi identiques aux trois critères définis par la lettre pastorale américaine133. Cependant le texte se refusait à examiner tout scénario d’emploi des armes nucléaires correspondant à tel ou tel type de dissuasion, à l’inverse du document américain. Même la question de l’emploi en premier de l’arme nucléaire, abordée dans la première mouture, était maintenant exclue134.

La discussion

64 Si le contenu de la discussion épiscopale de Trèves resta en grande partie secret, une certaine agitation régna à la périphérie de la conférence. Un comité représentatif de quatorze groupes catholiques appartenant au mouvement de paix s’était rassemblé sous la bannière „Frieden wollen heisst Frieden wagen“ (« vouloir la paix, c’est oser la paix ») pour demander aux évêques de prendre « une position claire et concrète contre l’armement nucléaire »135 et de « plaider en faveur de mesures de désarmement unilatérales propres à créer la confiance »136. Il semble que certains évêques aient été très impressionnés par leur action et soient intervenus dans la discussion en faveur d’une plus grande netteté dans les exigences politiques du texte137.

65 Dans l’ensemble, les évêques se montrèrent satisfaits de l’esquisse du groupe de travail. Ils n’ajoutèrent cependant pas moins d’une centaine d’amendements au projet, dont l’objectif était, entre autres, de lui donner un contenu plus « prophétique ». Ainsi, un passage qui sera repris plus tard sous le titre d’« espoir de paix » („Friedenshoffnung“) fut-il ajouté aux deux composantes de „Friedenssicherung“ et „Friedensförderung“. Il devait permettre de concrétiser le sens du Sermon sur la montagne pour l’action politique et de relier davantage les possibilités d’action concrète au concept théologico- anthropologique de paix développé antérieurement. Dans ce contexte, il fut proposé de traiter de la défense non-violente comme modalité pratique, mais cette tentative 100

n’aboutit pas. Enfin, il faut signaler la réintroduction du passage sur l’emploi en premier de l’arme nucléaire, sans que d’autres thèmes relatifs à l’usage effectif des armes soient abordés138.

66 En fin de réunion, on décida que des amendements écrits pourraient être apportés au projet jusqu’au 3 mars 1983. La tâche du groupe de préparation prendrait fin après leur incorporation et le texte serait alors pris en charge par un groupe de cinq évêques : NNSS. Hemmerle (Aix-la-Chapelle), Kamphaus, Kampe, Schwarz (Auxiliaire à Trèves) et Wöste (Auxiliaire à Munster).

4. La troisième mouture

67 Un des traits marquants de la troisième mouture est l’attention accrue accordée au marxisme-léninisme et au danger idéologique qu’il représente. Le thème est abordé au tableau des différents concepts historiques de paix (Section II) et repris dans le cadre du jugement éthique de la politique de sécurité (Section IV). Celui-ci évoque clairement les deux menaces qui pèsent sur la paix dans le monde : d’une part « la menace sur la liberté des nations et de leurs citoyens émanant de systèmes totalitaires », d’autre part, « la menace qui émane de la course aux armements avec une accumulation inimaginable d’armes nucléaires et conventionnelles »139. Cependant, il précise que l’on doit faire face à ce double danger en priorité par des moyens politiques, tout comme le chapitre II insistait sur l’importance d’une réflexion « politique, spirituelle et morale » au sujet du marxisme 140. En présence de ces deux dangers, la dissuasion nucléaire apparaît encore comme un moindre mal. Le témoignage des chrétiens devrait en tout cas montrer qu’« autre chose » est possible. Les évêques évoquent alors la « politique des petits pas » qui peut porter ses fruits dans les relations internationales, mais ils font preuve d’une extrême prudence en demandant « d’envisager des initiatives dans la mesure où elles ne mettent pas en péril la sécurité et les propres intérêts légitimes »141.

68 Le chapitre final, qui traite de la contribution de l’Eglise et des chrétiens à la paix, a été entièrement remanié, après une discussion pied à pied entre Mgr Kampe et Harald Oberhem142. Mais même si les services civil et militaire apparaissent tous deux comme « services pour la paix », l’épreuve de force semble bien s’être soldée par une victoire de l’aumônerie militaire sur Pax Christi143. Enfin, un paragraphe décisif sur la protestation illégale a été ajouté au texte, précaution nécessaire à un moment où le débat sur le « droit à la résistance » („Widerstandsrecht“) et la désobéissance civile battait son plein en marge des actions entreprises par les mouvements de paix contre le stationnement des Pershing II144.

69 La troisième mouture fut envoyée à tous les évêques le 15 mars 1983 afin que le groupe de préparation fût en mesure d’incorporer les derniers amendements lors de sa réunion du 31 mars.

5. La quatrième mouture

70 Les modifications essentielles ayant été apportées au texte par l’assemblée de Trèves, celles qui devaient intervenir par la suite apparaissaient plutôt mineures. Il faut cependant mentionner une restructuration qui a réuni sous forme résumée au début de la section IV les fondements anthropologiques des thèmes développés dans la lettre. Ces fondements, au départ dispersés (moutures 1 et 2), avaient fait l’objet d’un chapitre spécial dans la troisième version. 101

71 L’appréciation des dangers qui menacent la paix fut modifiée pour placer nettement en premier l’existence de « systèmes totalitaires » et en second la « course aux armements » 145. Malgré le « non » répété à toute forme de guerre, au motif que « jamais il n’a été aussi évident que tout bénéfice possible ne serait pas en rapport avec les sacrifices à fournir », on s’interroge : « les armes qui doivent servir à la dissuasion, avec pour objectif d’empêcher la guerre, peuvent-elles encore être utilisées dans une guerre en respectant le principe de proportionnalité des moyens ? »146. La contradiction est proche de celle que l’on a rencontrée chez les évêques américains entre l’impératif catégorique contenu dans le critère de discrimination et le résultat du jugement éthique sur la dissuasion.

72 C’est sur la base de cette quatrième mouture que se déroula l’assemblée de Würzburg (18 avril 1983) qui devait procéder à l’adoption du texte. Dès le départ il fut entendu qu’aucun vote n’aurait lieu : le projet serait adopté par consensus147.

6. Le produit final : „Gerechtigkeit schafft Frieden“

73 Le texte définitif n’est pas très différent de sa quatrième version148. La section III souligne davantage que « l’hostilité mortelle entre le socialisme révolutionnaire et le “capitalisme” », sur laquelle repose le conflit Est-Ouest, « appelle une confrontation intellectuelle et politique spécifique »149 ; il accentue également la thèse de la complémentarité entre le « développement récent de l’éthique de paix depuis Jean XXIII » et la « doctrine de la “juste défense” »150. Enfin, décision importante, le passage relatif à l’emploi en premier des armes nucléaires a été supprimé.

74 La lettre pastorale fut tenue secrète pendant une dizaine de jours, le délai nécessaire à l’incorporation des derniers amendements, puis présentée au public le 27 avril par le cardinal Höffner. La presse lui accorda une grande attention et la gratifia généralement de commentaires favorables151. Cependant, beaucoup – en particulier dans les rangs des mouvements de paix – attendaient avec une plus grande impatience l’adoption de la version définitive de la lettre pastorale américaine qui devait avoir lieu quelques jours plus tard.

75 Du côté français, six mois allaient encore s’écouler avant la publication d’un texte qui fit l’effet d’une « bombe »152.

III. La France

A. Le contexte

76 Il est vrai que, mis à part l’environnement international, rien ne requérait d’urgence une intervention des évêques français sur les problèmes de défense. Apparemment, le « consensus national » en faveur de la dissuasion nucléaire était capable de résister à toutes les tempêtes déchaînées ailleurs par les mouvements de paix. Après le ralliement progressif de la droite au projet gaullien de création d’une force nucléaire indépendante dans les années 1960, la gauche socialiste et communiste s’était peu à peu « convertie », au cours de la décennie suivante153, si bien que le Président Mitterrand pouvait déclarer à l’automne 1983 : « La pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion en France, c’est le chef de l’Etat, c’est moi »154, sans créer de grands remous.

77 Certes, la France ne peut ignorer le débat qui se déroule de part et d’autre de l’Atlantique. Sa sécurité n’est pas indépendante de celle du reste de l’Europe – et en particulier de celle 102

de l’Allemagne fédérale155. Les progrès technologiques des deux « grands » l’obligent constamment à adapter son appareil de défense et, par là même, à repenser sa stratégie. Mais en 1983 la discussion commence à peine à s’ouvrir au-delà d’un cercle limité de spécialistes. Les ouvrages publiés à partir de cette date mettront au grand jour les contradictions qu’impliquent l’extension et la modernisation de la force nucléaire malgré le maintien d’une armée conventionnelle importante, ainsi que le flou qui demeure dans les doctrines d’emploi et les difficultés d’intégration de la défense française à un système militaire européen156.

78 Mais la majorité des Français semble encore faire confiance à ses missiles et à son président pour conjurer la menace que tous – mis à part les communistes – sont d’accord pour situer du côté de Moscou. Le rôle des communistes est d’ailleurs ambigu. Forcés d’adhérer implicitement aux postulats socialistes, comme condition de leur accès au pouvoir, ils n’ont pu que tenter timidement de profiter du climat international pour mobiliser les foules contre les euromissiles par l’intermédiaire du « Mouvement de la Paix » et de l’« Appel des Cent »157. Ils réussirent ponctuellement à rassembler quelque deux cents à trois cent mille personnes pour la « fête de la paix » à Vincennes en juin 1982 et 1983, mais sous un mot d’ordre si vague qu’il en perdait toute signification158.

79 L’emprise du parti communiste sur les mouvements de paix et l’absence de relai de la part d’autres forces politiques crédibles est sans doute l’une des raisons qui expliquent le peu d’engouement des Français à leur égard. La tentative du CODENE159 à partir de 1981-82 pour faire contrepoids au Mouvement de la Paix ne rencontra un véritable succès qu’à partir de l’été 1983, lorsqu’il réussit à démontrer nettement son indépendance par rapport aux forces communistes et à s’imposer comme véritable partenaire des mouvements de paix européens160. Le syndrome d’un pacifisme « munichois », l’absence d’une base sociale écologiste ou « alternative », l’extériorité de la France par rapport aux structures militaires de l’OTAN et sa volonté d’affirmer son indépendance grâce à sa force nucléaire, le ralliement des principales formations politiques à la dissuasion sont autant de motifs qui jouent à rencontre des initiatives du mouvement de paix en France161.

80 Cependant, l’unité de façade dont jouit le système de défense est fragile. Un sondage réalisé durant l’été 1984 par le Secrétariat Général à la Défense Nationale (SGDN) montre que si les Français dans leur majorité espèrent que « la force de frappe française peut contraindre un éventuel agresseur à ne pas nous attaquer », ils pensent aussi que le Président n’utiliserait pas les armes nucléaires en cas d’échec de la dissuasion ou s’opposent à leur usage car ils sont persuadés qu’ils n’échapperaient pas à l’holocauste162. Le « consensus nucléaire » ne reposerait-il donc que sur un « bluff » ? C’est la conclusion de Pierre Lellouche, qui émet ainsi l’hypothèse d’un « neutralisme à la française » réduisant au domaine du discours tout engagement vis-à-vis des alliés européens et consacrant pour soi-même une version du « plutôt rouge que mort » tant dénigré chez les voisins163. Le modèle français de dissuasion évince, par sa nature même, l’hypothèse de l’emploi des armes nucléaires. C’est la raison pour laquelle la majorité des Français est favorable au développement simultané de moyens de résistance populaire militaires, mais aussi non-violents164. Le rassurant discours des pouvoirs politiques et militaires sur la dissuasion aurait donc tort de conduire à la passivité d’un peuple qui reste, malgré tout, conscient des limites de son armement nucléaire.

103

Dans les milieux catholiques

81 C’est particulièrement les milieux chrétiens de « gauche » – catholiques et protestants – qui fournissent un terrain de prédilection à la contestation radicale non seulement de la dissuasion nucléaire mais du système de défense dans son ensemble en proposant une « alternative non-violente ». Le concept de non-violence y a depuis longtemps fait son chemin par l’intermédiaire de militants comme Lanza del Vasto, fondateur des communautés de l’Arche, ou de Jean et Hildegard Goss. Au début des années 1980, cette tendance plutôt spiritualiste converge dans une certaine mesure avec les travaux des théoriciens de la défense non-violente, qui se sont développés en France au cours des années 1970 sous l’impulsion de Jean-Marie Muller, Christian Mellon, Jacques Sémelin et plus généralement autour du « Mouvement pour une Alternative non-violente » (MAN)165. La progression de l’idée de non-violence, sous sa forme spirituelle ou politique selon les cas, fait que les Eglises constituent au début des années 1980 et surtout à partir du vote de la loi du 8 juillet 1983166 un réservoir potentiel d’objecteurs de conscience167.

82 Malgré tout, les catholiques engagés dans les mouvements de paix ne constituent qu’une infime minorité. La difficulté du CODENE et des mouvements affiliés, dont nombre sont d’obédience chrétienne, à se démarquer du Mouvement de la Paix, en est l’une des causes. Par ailleurs, la présence de Pax Christi dans le domaine de l’action catholique laïque pour la paix depuis 1945 a certainement servi à rallier les catholiques qui se seraient autrement engagés auprès d’autres groupes. Or, au début des années 1980, la section française de Pax Christi reste attachée à une ligne prudente et traditionnelle justifiée par le désir de conserver au sein du mouvement le pluralisme des opinions.

83 En conformité avec les déclarations pontificales, elle continue à plaider la cause d’un désarmement mutuel, équilibré et contrôlé168 et, dans le débat européen sur les missiles nucléaires à moyenne portée, elle a exprimé son désaccord avec la prise de position du mouvement international à rencontre de la décision de l’OTAN169.

84 Du côté de la hiérarchie, aucune position n’a été prise jusqu’à la fin du printemps 1982. La première déclaration officielle sera le communiqué conjoint des Présidents des Conférences épiscopales allemande et française du 15 juin 1982 (Cf. supra). Il sera suivi quelques semaines plus tard de la remise d’un document au Président de la République par des représentants des Eglises catholique et protestante à l’occasion de la session extraordinaire des Nations Unies sur le désarmement. Ce texte, très modéré dans son approche, se contentait d’exprimer son inquiétude devant l’extrême dépendance de la défense française et européenne à l’égard de l’arme nucléaire et souhaitait que le gouvernement prenne de nouvelles initiatives en matière de désarmement et de restauration de la confiance entre l’Est et l’Ouest170.

85 A cette époque, les Eglises catholique et protestante cherchaient la voie d’un cheminement commun. Dans la ligne de leurs travaux sur les ventes d’armes du début des années 1970, la Commission Justice et Paix de l’Eglise catholique et la Commission économique, sociale et internationale de la Fédération protestante de France avaient commencé en 1981 une réflexion conjointe sur la défense. En octobre 1981, elles publièrent un communiqué insistant sur l’urgence de trouver une alternative à la défense armée et suggérant que soient étudiées les possibilités de recours à des moyens non- violents171. Une première analyse des « menaces », soulignant la nécessité de se démarquer des approches purement militaires et d’inclure dans la réflexion des facteurs 104

sociaux, économiques et idéologiques fut portée à la connaissance du public en janvier 1983 sans recevoir beaucoup d écho172. Rarcontre, la publication en avril suivant sous l’égide de la seule Commission Justice et Paix des « Eléments de réflexion sur la dissuasion nucléaire française » suscita des remous dans les milieux catholiques intéressés. Cette analyse condamnait la stratégie « anti-cités » comme contraire à l’éthique chrétienne et demandait que l’on saisisse l’occasion de l’effervescence internationale et du « consensus » des grandes formations politiques sur la défense pour qu’un réel débat non partisan puisse s’instaurer en France173.

86 L’écart entre l’attitude prudente des évêques et les positions de l’organisme qui lui sert d’étude et de conseil sur les questions de paix et d’armement ne devait pas rester sans conséquences dans les débats qui eurent lieu autour de la lettre pastorale.

B. « Gagner la paix »

1. L’initiative épiscopale

87 Face à l’audience que gagnait peu à peu l’initiative américaine, à la faveur croissante que trouvait l’option non-violente dans les cercles catholiques militants et devant le danger de se voir dépassée par sa propre Commission Justice et Paix, la Conférence épiscopale française se trouvait dans une situation de plus en plus inconfortable. Son silence devenait chaque jour plus difficile à justifier. Ses délégués avaient participé à la rencontre de Rome où fut discuté le projet de lettre pastorale américaine174 et elle avait été régulièrement informée des progrès de la rédaction du document allemand175. Il semble que, dès l’hiver 1982-83, les instances dirigeantes de la Conférence aient considéré comme indispensable la publication d’un document176, sans envisager d’échéance précise.

88 Le Secrétariat général de l’Episcopat avait d’ailleurs commencé dès 1980 à réunir une documentation sur la défense, d’abord en réaction à l’intervention soviétique en Afghanistan177, puis dans le cadre plus large d’un examen des aspects éthiques et stratégiques de la dissuasion nucléaire. Dans le numéro 5/1981 de Documents Episcopat, bulletin de liaison interne à la conférence épiscopale, le Contre-amiral Sevaistre établissait un premier bilan du « phénomène militaire ». En janvier 1982 un dossier sur le désarmement préparé par l’équipe nationale de Pax Christi était transmis aux évêques178. En juin de la même année, un groupe de représentants des mouvements non-violents avait remis à Mgr Vilnet, Président de la Conférence épiscopale, une note réagissant à la déclaration « Faire la paix », suite à un entretien avec le Père Defois, Secrétaire général de la Conférence. Le 19 novembre 1982, un groupe d’étude et de recherche de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN) sur « la défense nationale, le pacifisme et le neutralisme » remettait à son tour un dossier au Secrétaire général de l’Episcopat, formulant de manière plus détaillée le contenu d’une entrevue du 11 octobre précédent. Déjà en septembre 1982, le Colonel Chavanat, alors officier d’Etat-major de la 1re Armée, avait adressé à l’épiscopat ses propres réflexions sur le projet de lettre pastorale des évêques américains179. Au tout début janvier 1983, les membres de la conférence épiscopale recevaient du Père Defois un ensemble de « documents sur la paix et le désarmement », dont une suite de réflexions qui avaient été demandées par le Secrétariat général de l’Episcopat au Secrétariat général à la Défense Nationale et à l’IHEDN. Ces réflexions portaient sur quatre thèmes : 1) la conception actuelle de la défense en France ; 2) les raisons du refus de la France à renoncer à un emploi en premier des armes nucléaires ; 3) ses raisons de ne pas renoncer à une stratégie anti-cités ; 4) l’opinion des 105

personnes sollicitées sur les aspects éthiques de la dissuasion180. Un mois plus tard, les évêques recevaient par lettre circulaire un texte rédigé par le Père Defois lui-même, qui semble avoir fourni la base des positions françaises lors de la réunion de Rome181. Entre mars et septembre 1983 ils devaient encore recevoir divers documents dont un article de Jean Klein, chercheur à l’Institut Français de Relations Internationales, alors délégué laïc de Pax Christi182, un article du Père René Coste183, le compte rendu de la réunion de janvier au Vatican184, une lettre du Père Schotte à M. et Mme Parodi, militants non-violents du mouvement de l’Arche, qui avaient entrepris un « jeûne pour la paix »185, ainsi que les conclusions de la 13e Assemblée générale des Conférences épiscopales européennes, réunie à Zagreb du 16 au 21 avril 1983186.

89 Sur le plan des relations publiques, le Père Defois indiquait dans une interview accordée au journal Le Matin en mars 1983 qu’une déclaration était concevable « d’ici à six mois », en même temps qu’il contestait vivement certaines propositions de la lettre pastorale américaine, en particulier le « gel nucléaire »187. Sa prise de position souleva une telle polémique qu’il dut publier une mise au point la semaine suivante. Celle-ci justifiait la divergence d’approche par la différence des situations stratégiques188. Un mois plus tard une nouvelle interview dans l’hebdomadaire Le Pèlerin s’efforçait de souligner qu’« il n’y a pas de divergences entre l’épiscopat américain et l’épiscopat français »189. Mais il devenait de plus en plus évident que les évêques français ne pourraient éluder une prise de position190. Le Père Defois envisageait officiellement à cette époque la possibilité de travaux préparatoires dans un avenir proche191. De son côté, le Cardinal Lustiger, archevêque de Paris, avait déclaré dans une interview accordée fin janvier au magazine allemand Der Spiegel que les problèmes moraux de la dissuasion nucléaire nécessitaient un « réel débat public » faisant appel à « la responsabilité de la nation et à son sens de l’identité nationale »192. De fait, outre les documents déjà mentionnés, des consultations informelles avaient eu lieu en mars et avril entre le Secrétariat de l’épiscopat et des représentants des milieux militaires ou favorables à la dissuasion nucléaire française d’une part193, des représentants des tendances non-violentes et des mouvements de paix d’autre part194.

90 Un débat eut lieu lors de l’assemblée générale des évêques en mai 1983 sur la base de ces consultations, des études préparatoires, ainsi que des positions présentées par les délégués français à la réunion de Rome en janvier 1983. Aucune décision concrète ne semble alors avoir été prise, sinon celle de confier la charge du dossier au Conseil permanent de l’épiscopat. En juin, le Père Defois prit l’initiative de réunir un groupe de travail en vue d’élaborer le brouillon d’une éventuelle déclaration.

2. Le « comité » de préparation

91 Il était naturel que les évêques les plus directement concernés par les questions de paix et de défense fussent intégrés au comité de préparation. Celui-ci devait donc comprendre, outre le Père Defois, Mgr Jullien, alors évêque de Beauvais, théologien moraliste de formation qui avait une longue expérience des milieux militaires à cause de ses années de service à Brest, port d’attache des sous-marins nucléaires, Mgr Ernoult, Président de Pax Christi, Mgr Fihey, nouvellement nommé à la tête de l’aumônerie militaire et Mgr Gaillot qui s’était fait connaître en témoignant au procès d’un objecteur de conscience quelques années auparavant et dont la sympathie pour la tendance non- violente apportait un certain équilibre au sein du comité. Une première rencontre du groupe était prévue pour le début juin. Victime d’un grave accident, Mgr Ernoult ne put y 106

participer ; Mgr Gaillot de son côté dut s’excuser à cause d’un emploi du temps trop chargé. Etaient donc présents le Père Defois, Mgr Jullien et Mgr Fihey, qui décidèrent que chacun rédigerait son propre texte et l’enverrait ensuite à ses collègues. Une réunion de mise en commun et de confrontation des approches aurait lieu le 8 septembre195.

92 Il s’avéra que Mgr Jullien fut le plus assidu à la tâche. S’appuyant sur des réflexions qu’il avait menées antérieurement196, il rédigea très rapidement un texte197 qu’il envoya le 8 juillet au Secrétariat de l’épiscopat ainsi qu’à quelques évêques et personnes de sa connaissance198. Il semble que le Père Defois ait trouvé ce texte en accord parfait avec ses propres convictions et n’ait pas jugé utile de doubler le travail de Mgr Jullien. La réunion du groupe de préparation eut bien lieu comme prévu au début septembre, mais le nombre de ses membres s’était encore réduit : seuls le Père Defois et Mgr Jullien étaient présents. Mgr Ernoult restait hospitalisé, l’attention de Mgr Fihey était retenue par les événements du Tchad et il semble que Mgr Gaillot n’ait pas été re-contacté199. Un seul texte était donc disponible, rédigé par Mgr Jullien.

93 Le 12 septembre, ce texte fut présenté au Conseil permanent de l’épiscopat, qui décida d’en faire la base de discussion de l’assemblée plénière de Lourdes au mois de novembre. Cependant, aucune décision ne fut prise concernant la nature exacte d’un éventuel document. On évoqua la possibilité de rédiger un « livre blanc » comprenant une préface, des documents de réflexion déjà élaborés par l’épiscopat français, ainsi que des passages de déclarations des épiscopats étrangers. Ce « livre blanc » aurait été suivi d’une courte déclaration adoptée par l’Assemblée des évêques200. Mgr Jullien envisageait à l’époque de publier son texte à titre personnel, initiative qu’approuvait le Père Defois. Quelques amendements proposés par Mgr Fihey y furent toutefois introduits, si bien qu’il put être envoyé à l’ensemble de l’épiscopat le 15 octobre, accompagné d’une lettre de couverture indiquant qu’il serait la « seule information essentielle » à partir de laquelle aurait lieu l’échange de vues201.

94 Le texte fut mis en discussion les 4-5 novembre à Lourdes. Très vite il s’avéra que le débat ne portait pas tant sur son contenu que sur son statut. En d’autres termes, ce qui ne devait être qu’une plateforme de discussion, un document préparatoire, devint soudain un projet sur lequel les évêques étaient appelés à se prononcer. Le rôle de quelques évêques très respectés parmi leurs confrères, en particulier Mgr Lustiger, archevêque de Paris, Mgr Matagrin, évêque de Grenoble et Mgr Vilnet, Président de la conférence épiscopale, semble avoir été déterminant dans ce revirement. Un vote d’orientation eut lieu, faisant apparaître qu’une vaste majorité (89 sur 107)202 était favorable à prendre le texte pour base. A partir de là, la procédure s’accéléra. Vingt-trois amendements furent présentés, et presque tous intégrés. Le vote final donna les résultats suivants : oui, 93 ; non, 8 ; bulletins blancs, 2203. La « bombe » des évêques était prête à exploser !

3. Le contenu du « document » pastoral204

95 Un bref examen du contenu du texte – le document de Mgr Jullien assorti de quelques amendements – nous permettra d’en saisir la ligne directrice. La lettre « Gagner la paix » ne contient pas, à l’inverse des documents allemand et américain, de longue partie introductrice sur le concept de paix dans la théologie catholique. Elle part directement d’une analyse de situation. Les trois parties qui la composent sont intitulées respectivement « entre la guerre et le chantage », « la dissuasion nucléaire » et « construire la paix ». La première traite essentiellement de la menace, qu’elle nomme 107

clairement : il s’agit avant tout de « l’idéologie marxiste-léniniste » et de sa volonté conquérante (GP, p. 6). En comparaison, la menace représentée par l’accumulation des armements apparaît secondaire. A ce propos, les évêques français, tout comme leurs confrères allemands, mettent en garde contre la minimisation du risque de guerre conventionnelle par rapport au danger d’un conflit nucléaire (ibid., p. 5). Devant la menace évoquée, le texte examine les perspectives de l’action non-violente, dont se réclament un certain nombre de groupes chrétiens (ibid., pp. 7-8). Rappelant que « l’Eglise a toujours reconnu au pouvoir politique le droit de repousser la violence par la force », les évêques s’interrogent : « ... la non-violence est-elle transposable telle quelle aux Etats ?... La non-violence est un risque que peuvent prendre les personnes. Les Etats qui, par fonction, doivent défendre la paix, peuvent-ils prendre ce risque ? » (ibid., p. 7). Ils vont jusqu’à affirmer : « ... la logique (menace/contre-menace) ne pourra durer éternellement… Les non-violents n’ont-ils pas raison à long terme ? » Mais ils concluent provisoirement par la négative (ibid., p. 8).

96 S’ensuit une analyse de la dissuasion nucléaire qui, après avoir fortement insisté sur l’impératif de prudence dans cette matière délicate205, rappelle l’enseignement de l’Eglise sur le sujet – GS et la « petite phrase » de Jean-Paul II – (ibid., p. 9). Le texte procède ensuite à l’évaluation spécifique de la dissuasion nucléaire française. Une affirmation sous-tend l’ensemble du raisonnement : La menace n’est pas l’emploi.

97 C’est elle qui permet de considérer la dissuasion nucléaire (française) comme un « moindre mal » dans les conditions actuelles (ibid., p. 10). Acculés à cette « éthique de détresse »206, les évêques énoncent ensuite, comme leurs homologues américains et allemands, une série de critères fondant l’acceptabilité conditionnelle de la dissuasion ( ibid.)207. Ils soulignent enfin les dangers et les coûts qu’entraîne une course sans fin aux armements (ibid., pp. 10-11).

98 La troisième partie visant à fournir l’ébauche d’une action positive pour la paix reprend l’analyse de la solution non-violente. Elle prend acte de sa fidélité à l’Evangile et, au-delà du caractère « prophétique » qu’elle lui accorde, elle reconnaît que ses protagonistes sont peut-être les pionniers d’un réalisme futur (ibid., p. 11).

99 Cette concession, qui ne figurait pas dans le texte initial, a été introduite à la demande de l’assemblée de Lourdes208. De même, à la requête insistante des évêques, fut renforcé le paragraphe suivant sur le désarmement, considéré comme une tâche essentielle209. Citant longuement le message de Jean-Paul II pour la journée de la paix 1983, le document accorde une grande place au « dialogue », quelles qu’en soient les exigences et les difficultés (ibid., pp. 12-13).

100 Il tente en conclusion d’élaborer un concept de paix plus large que celui de la simple sécurité militaire. Reprenant les quatre composantes de la paix énoncées par le pape Jean XXIII dans l’encyclique “pacem in Terris” (Vérité, Liberté, Justice et Solidarité), les évêques français rejoignent leurs confrères américains et allemands dans leur affirmation du respect des droits de l’homme et de la construction de la communauté internationale comme conditions essentielles de la paix (ibid., pp. 13-14). Au-delà de la composante sociale, la paix est fondamentalement un problème moral et spirituel. Renvoyant alors dos-à-dos le « matérialisme pratique occidental » et le « matérialisme théorique de l’Est », les pasteurs mettent en garde leurs fidèles contre l’appauvrissement moral de leur 108

civilisation et incitent les chrétiens à s’engager effectivement pour la paix (ibid., pp. 14-15).

101 Les évêques n’ont pas conçu leur document comme une parole finale sur la question. Aux considérations de prudence introduites dans le corps de la déclaration, ils ajoutent en conclusion : Bien des points restent à élucider, bien des pistes restent à explorer, bien des champs restent ouverts où de légitimes divergences peuvent et doivent s’affronter : un dialogue loyal est un chemin de paix, il peut ouvrir au pardon et à la réconciliation (GP, p. 15).

102 En réalité, le « dialogue » ne faisait que commencer ! Il devait s’ouvrir par une série de critiques cinglantes de la part de certains milieux catholiques : on reprochait au texte à la fois sa procédure d’adoption, marquée par un manque flagrant de consultations210, et son contenu211. Au sein de la conférence épiscopale, la dissidence s’exprima par la voix de Mgr Gaillot, seul évêque a avoir explicité publiquement les raisons de son désaccord212. Plus tard, après que les passions se fussent quelque peu taries, le dialogue put devenir réellement constructif. Les groupements catholiques engagés pour la paix, et en particulier, les groupements favorables à la non-violence prirent les évêques au mot. Ils organisèrent une vaste consultation dans les milieux catholiques en vue de rédiger un texte qui pouvait apparaître à la fois comme un complément et une réplique aux évêques 213.

NOTES

1. HEHIR, J. Bryan, “Nuclear Weapons, The Two Debates”, Commonweal, March 13, 1981, pp. 135, 139. 2. Discours à l’Institut International d’Etudes Stratégiques de Londres (IISS) publié dans Survival XX/1, Jan.-Feb. 1978, pp. 2-10. Schmidt demandait essentiellement que les fusées à moyenne portée en Europe soient incluses dans le futur accord SALT sans faire de proposition concrète de réponse au stationnement des SS-20. Il abordait également les problèmes politiques du commerce Est-Ouest. 3. Un résumé de ce processus d’armement se trouve dans LELLOUCHE, Pierre, L’Avenir de la Guerre, Paris, Mazarine, 1985, pp. 65-72. 4. Le “Committee on the Present Danger” fut particulièrement actif ; voir RANGER, Robin, “The Salt II Debate”, Britannica Book of the Year, 1980, Chicago, etc. Encyclopedia Britannica Inc., p. 289-92. 5. HERR, Edouard, « présentation de l’enseignement de l’Eglise catholique sur la Paix et la Guerre », Sécurité et Stratégie, Bruxelles, Centre d’Etudes de la Défense, 4(3), Nov. 1984, p. 40. 6. Rappelons que la « double-décision », prise en décembre 1979, prévoyait le stationnement des 108 missiles Pershing II et 464 missiles de croisière à partir de décembre 1983 si aucun accord sur les missiles nucléaires à moyenne portée en Europe n’intervenait dans l’intervalle. Il y a donc offre de négociation, doublée d’une menace de mise à exécution des mesures d’armement en cas d’échec des pourparlers. 109

7. La directive présidentielle Nr.59 définit une stratégie dite de « compensation » (“countervailing”) qui prévoit une riposte contre les « bases militaires, industrielles et politiques du pouvoir et du régime soviétique lui-même », en d’autres termes, contre les moyens qui permettent aux Soviétiques d’asseoir leur puissance politique et militaire ; TATU, Michel, Le Monde, 8 août 1980. Egalement, “Carter said to back a plan for limiting any nuclear war”, , Aug. 6, 1980. 8. GASTEYGER, Curt, Searching for World Security, London, Frances Pinter, 1985, p. 46. 9. Alors que le concept d’« attaque préventive » était basé sur une prise de conscience progressive de la disparition de la supériorité nucléaire américaine au cours des années 1950 et pouvait s’appliquer à toute attaque qui aurait lieu avant l’inversion totale de l’équilibre des forces en présence, l’attaque “préemptive” est beaucoup plus localisée. Elle s’applique à toute hypothèse où l’on aurait de fortes raisons de croire à l’imminence d’une attaque soviétique. Intervenant en situation – au maximum – d’égalité des forces de l’attaquant sur celles de la victime, elle sous-entend une supériorité technique incontestable du premier et réclame la supériorité morale de la légitime défense ; FREEDMAN, Lawrence, The Evolution of Nuclear Strategy, London, McMillan, 6th ed., 1985, pp. 126-27. Une telle distinction est contestée par certains auteurs. 10. GRAY, Colin, PAYNE, Kenneth, “Victory is Possible”, Foreign Policy, Nr.39, 1980, pp. 14-27. Dans le sens contraire, BALL, Desmond, “Can Nuclear War be controlled?”, Adelphi Papers, Nr. 169, London, IISS, Fall 1981, 51 p. 11. Du moins, c’est ce qui ressort des extraits publiés du document “Defense Guidance” de 1982 définissant les options stratégiques pour les années 1984-88 ; HALLORAN, Richard, “Pentagon draws up First Strategy for Fighting a Long Nuclear War” ; The New York Times, May 30, 1982 p. A12 ; “Weinberger denies US Plan for ‘Protracted Nuclear War’”, ibid., June 21, 1982, p. A5. 12. BOYER, Yves, « Implications stratégiques des nouvelles technologies en matière d’armes classiques », Nouvelles technologies et défense de l’Europe, Travaux et Recherches de l’IFRI, Paris, 1985, pp. 89-109. 13. La doctrine FoFa ou « d’attaque des forces d’exploitation et de remplacement » fut proposée en septembre 1982 et finalement adoptée à l’automne 1984. 14. KROL, “Testimony to the Senate”, op.cit. 15. Voir l’appel : A Call to Stop the Arms Race, non daté, 2 p. (liste des signataires au verso). Parmi les scientifiques, l’organisation “Physicians for Social Responsibility”, sous le leadership de Helen Caldicott, fut particulièrement active. 16. Voir par exemple, McMANUS, Bishop William, “Message on the Armaments Race”, Jan. 1, 1982, Origins, 11(33), 1982, pp. 526-30 ; MALONE, Bishop James, “peacemakers in the Nuclear Age”, Christmas 1981, Origins, 11(30), 1982, pp. 480-81 ; CASTELLI, op.cit., pp. 52-53. 17. Cf. le célèbre article de BUNDY, McGeorge, KENNAN, George, McNAMARA, Robert, SMITH, Gerard, “Nuclear Weapons and the Atlantic Alliance”, Foreign Affairs, 60(4), 1982, pp. 753-68 ; également, McNAMARA, Robert, “What the United States can do”, Newsweek, Dec. 5, 1983, pp. 48, 50, 55 ; KENNAN, George, Le mirage nucléaire, Les relations américano-soviétiques à l’âge de l’atome, Paris, La Découverte, 1983, 258 p. 18. CASTELLI, op.cit., pp. 13-25. Le livre de Castelli nous servira de fil directeur tout au long de cette partie. 19. HUNTHAUSEN, Bishop Raymond, “A Call to protest the Arms Race”, June 12, 1981, Origins 11 (7), 1981, pp. 110-13 ; voir The New York Times, July 13, 1981. 20. “President Reagan decides to go forward with the full production of neutron weapons”, The New York Times, Aug. 9 1981. Voir également, The New York Times du 12 au 31 août 1981. 21. D’après Castelli, plus de quarante évêques se seraient exprimés dans les mois précédant novembre 1981, op.cit., pp. 26-39 ; voir The New York Times, Oct. 18 1981. Parmi les déclarations qui ont fait beaucoup de bruit, il faut citer la campagne contre la bombe à neutrons lancée par Mgr. 110

Matthiesen (Amarillo, Texas), demandant aux employés de l’usine d’assemblage nucléaire Pantex, située dans son diocèse, d’envisager de quitter leur emploi au bénéfice d’activités civiles ; MATTHIESEN, Bishop Leroy, Statement protesting the production of nuclear weapons, Aug. 21, 1981, Origins 11(12), 1981, pp. 180-81 ; voir The New York Times, Sept. 8 1981. La revue de l’épiscopat américain, Origins, a publié de nombreuses autres déclarations dans les années 1981-83 (Voir bibliographie). 22. COOKE, Cardinal Terence, “The Church. Military Service and Nuclear Weapons”, Dec. 7 1981, Origins 11(30), 1982, pp. 469-73. La presse donna un large écho à cette lettre qui suscita de nombreuses réactions, The New York Times, Dec. 15, 1981, Dec. 18, 1981. 23. HEHIR, J. Bryan, Conférence donnée à Indianapolis, 5 oct. 1983 (notes de l’auteur). 24. Un débat ambigu avait eu lieu, entre autres, au sujet de la politique sociale du Président Nixon en 1973 et avec le candidat Carter sur la question de l’avortement en 1976 ; CASTELLI, op. cit., pp. 66-68. 25. Notamment dans son ouvrage In Defense of Life, Boston, St Paul, 1981, 140 p. Pour des éléments biographiques, voir The New York Times, Feb. 1, 1984, Feb. 14, 1984. 26. L’Eglise catholique des Etats-Unis s’est fréquemment exprimée sur la situation en Amérique centrale, à partir de 1981, rejetant la plupart du temps l’analyse du conflit faite par l’administration Reagan et en conséquence, sa politique à l’égard des pays de la région, NCCB, Statement on Central America, Nov. 19 1981, Origins, 11(25), 1981, pp. 393-96 ; USCC (J. Bryan Hehir), Testimony before a Subcommittee of the House Foreign Affairs Committee concerning Military Aid to El Salvador, Feb. 25 1982, Origins, 11(39), pp. 615-19 ; USCC (Archbishop James Hickey), Testimony on Central America, March 7, 1983, Origins, 12(41), 1983, pp. 649-56 ; ROACH, Archbishop John, “Toward a Diplomatic, Non Military Solution in Central America”, July 22, 1983, Origins, 13(10), 1983, pp. 165-67. Pour une critique de cet engagement, avec des attaques spécifiques contre le personnel de l’USCC, voir BENESTAD, op. cit., pp. 100-113. 27. La liste complète des personnes interviewées par le Comité est donnée dans l’édition française publiée par Pax Christi, op. cit., pp. 195-97. 28. NCCB Ad hoc Committee on War and Peace, God’s Hope in Time of Fear, First Draft, Pastoral Letter on Peace and War, June 11, 1983, 70 p. (non publié). Chaque mouture de la lettre pastorale américaine sera notée CoP, suivi du numéro d’ordre correspondant ; ici CoP 1. 29. CASTELLI, op.cit., pp. 93-94. 30. Le projet affirmait : “We do not perceive any situation in which the deliberate initiation of nuclear warfare, on however restricted a scale, can be condoned. Non-nuclear attacks by another state must be deterred by other than nuclear means”, op. cit., pp. 26-27. Jim Castelli signale que cette formulation avait été adoptée à la demande de Mgr O’Connor de préférence à celle de “Use nuclear weapons first” ; Mgr O’Connor pensait qu’il était possible d’utiliser en premier l’arme nucléaire sans déclencher une guerre nucléaire. CASTELLI, op. cit., p. 89. Toutefois le texte renvoyait (en note) à l’article des quatre auteurs américains publié quelques mois auparavant dans Foreign Affairs (Spring 1982, 60(4)). 31. GRISEZ, Germain, “The Moral Implications of a Nuclear Deterrent”, Center Journal, 2(1), Winter 1982-83, pp. 9-24. Réduit à son expression la plus caricaturale, le conséquentialisme s’identifie à l’adage « qui veut la fin veut les moyens ». Le terme n’est utilisé que dans un sens péjoratif par les adversaires du « proportionnalisme ». Nous reviendrons en détail sur ce sujet au chapitre V. 32. « Dans les conditions actuelles, une dissuasion basée sur l’équilibre, non certes comme une fin en soi, mais comme une étape sur la voie d’un désarmement progressif, peut encore être jugée comme moralement acceptable ». DC, Nr. 1833, 1982, pp. 663-67. Cette « petite phrase » devenue célèbre, a fait couler beaucoup d’encre. Nous y reviendrons. 33. Commission pontificale “lustitia et Pax”, Observations on the first Draft Pastoral Letter of the NCCB on Peace and War “God’s Hope in a Time of Fear”, July 8 1982 (non publié). 34. CLARK, William, Letter to Mrs Clare Boothe Luce, July 30 1982 (non publié). 111

35. EAGLEBERGER, Lawrence, Letter to Archbishop Bernardin, June 5, 1982 (non publié). 36. ROSTOW, Eugene, Director of the Arms Control and Disarmament Agency, Letter to Fr. Bryan Hehir, July 20 1982 (non publié) ; WEINBERGER, Caspar, Response to the First Draft of the Peace Pastoral, Sept. 13 1982, Origins 12(19), 1982, pp 292-94. 37. REAGAN, President Ronald, Address to the Knights of Colombus, Aug. 3, 1982, Origins 12(11), 1982, pp. 171-75. 38. NCCB Ad Hoc Committee on War and Peace, “The Challenge of Peace: God’s Promise and Our Responses”, Second Draft of a Proposed Pastoral Letter on War, Armament and Peace, Origins 12 (20), 1982, pp. 305-26 (Ci-après CoP 2). 39. A ce sujet, voir ci-dessous, chapitre IV. 40. Le texte parlait aussi, à la suite de la première mouture de « gel des principaux systèmes d’armes et de vecteurs nucléaires » (p. 318). On peut supposer qu’il s’agit également des systèmes stratégiques. 41. On désigne généralement par « cibles dures » les silos de stockage et de protection des missiles terrestres. 42. BERNARDIN, Joseph, Nov. 15 1982, in “US Bishops debate War and Peace Pastoral”, Origins 12 (25), 1982, p. 395 (Traduction CG). 43. “US Bishops debate War and Peace Pastoral”, ibid., pp. 401-8. 44. Voir en particulier les interventions de Mgr Hannan et Cooke, in ibid., pp. 401-5. Les deux prélats avaient un passé très lié à l’institution militaire, le premier comme vétéran de la seconde guerre mondiale, présent lors du débarquement en Normandie, le second comme successeur du Cardinal Spellman à la tête de l’aumônerie militaire de 1968 à 1983. 45. CASTELLI, op.cit., p. 117. 46. Réseau catholique de lobbyjng pour la paix et la justice basé à Washington DC. 47. A Catholic Call to Conscience, signed by 39 theologians at meeting sponsored by Pax Christi USA, Maryknoll, New York, Aug. 1980, 5 p. (ronéotypé). 48. “Toward a Christian Response to War and Peace”, Letter to Archbishop Bernardin, March 13, 1981, Origins 10(47), 1981, pp. 744-46. 49. “The Monastic Tradition of Peace and Non Violence”, Letter to Archbishop Bernardin, Oct. 1981, Origins 11(21), 1981, pp. 327-28. 50. Pax, Dec. 1982, Benedictines for Peace, Erie (Pa), 15 p. Ce numéro relate l’action de “Benedictines for Peace” à l’occasion de l’Assemblée de novembre 1982 où fut débattue la seconde mouture de la lettre pastorale. L’action des mouvements de paix catholiques se déploya également lors de la session extraordinaire des Nations Unies sur le désarmement : Catholic Disarmament Assembly, Statement, New York, June 12, 1982, 6 p., ronéotypé. 51. CASTELLI, op.cit., p. 121. Le Conseil National des Eglises fit publiquement connaître son approbation du document catholique après la publication de la version finale, “National Council of Churches Governing Board Praises Roman Catholic Bishops Pastoral Letter”, The New York Times, May 14, 1983, p. 3. 52. The New York Times, Nov. 17 1982, p. B4. William Clark s’exprimait au nom du Président Reagan, du Secrétaire d’Etat George Shulz, du Secrétaire à la Défense Caspar Weinberger, du Directeur de l’ACDA Eugene Rostow et d’« autres membres du gouvernement ». 53. “Prelates backed in Dispute on Arms”, The New York Times, Nov. 18 1982 ; parmi les signataires on trouvait William Colby, ancien directeur de la CIA, Gerard Smith, négociateur du traité SALT I, Paul Warnke, son homologue pour SALT II, le Sénateur Hatfield, Hans Bethe, prix Nobel, etc.. 54. Citons entre autres : un long article de John Lehman, Secrétaire d’Etat à la Marine, Wall Street Journal, Nov. 15 1982 ; un discours du Président Reagan devant l’Assemblée Nationale de l’Eglise évangélique, The New York Times, March 9 1983 ; une lettre signée par vingt-quatre membres catholiques de la chambre des Représentants critiquant le projet de lettre pastorale, “Letter of 24 Congressmen on US Bishops’ Pastoral”, Dec. 15 1982, Origins, 12(31), 1983, pp. 492-96 ; deux 112

déclarations du Vice-Président Bush et du Secrétaire d’Etat Shulz fin février 1983, critiquant l’engagement politique de l’Eglise catholique en Amérique centrale : “Marxist do not sway Catholics”, International Herald Tribune, March 4, 1983 ; CASTELLI, op.cit., p. 140. Du côté des évêques, une homélie prononcée par le Cardinal Krol le 1er janvier 1983 critiquait le gouvernement pour avoir refusé d’engager un dialogue avec l’Union soviétique sur la base de la proposition Andropov sur les euromissiles de décembre 1982. KROL, Cardinal John, “A Perspective on Arms Control Dialogue”, Jan. 2 1983, Origins 12(33), Jan. 27 1983, pp. 532-34. 55. LEBER, Georg, MERTES, Alois, „Wir wollen Frieden, aber Frieden in Freiheit“, Frankfurter Rundschau, 13 April 1983. Tous deux étaient co-auteurs de la réponse allemande à la proposition américaine de « non emploi en premier », KAISER, Karl, LEBER, Georg, MERTES, Alois, QSCHULZE, Franz-Joseph, “Nuclear Weapons and the Preservation of Peace”, Foreign Affairs, 60(5), Summer 1982, pp. 1157-71. 56. NOVAK, Michael, “Moral Clarity in the Nuclear Age”, The National Review, XXXV(6), April 1 1983, pp. 354-92. Cette lettre fut traduite en allemand par la Konrae-Adenauer Stiftung, fondation de recherche liée au parti chrétien-démocrate, Klarheit des ethischen Standpunktes im Nuklearzeitalter, Ein Brief katholischer Geistlicher und Laien aus den Vereinigten Staaten von Amerika, Sankt Augustin bei Bonn, Konrad-Adenauer Stiftung, 1983, 74 p. 57. BENESTAD, op.cit. ; American Catholic Committee, Justice and War in the Nuclear Age, Ed. Philip F. Lawler, Lanham/New York/London, University Press of America, 1983, 119 p. 58. Our Moral Duty to Defend Freedom, A Seminar Presenting Scholarly Viewpoints from Different Religious Perspectives, The Reserve Officiers Association Building, Washington DC, March 7 1983, sponsored by the St Joan Peace Institute, Eagle Forum Education and Eagle Defense Fund, 1983, 46 p. ; SCHLAFLY, Phyllis, The Pastoral Lettre on War and Peace We Wish the Bishops had written, Nov. 14 1982, Washington DC, St Joan Peace Institute, Eagle Forum Education and Legal Defense Fund, 14 p. 59. McARTHUR, Ronald, “The Challenge of Peace: A Theology of Defeat”, Catholicism in Crisis, April 1983 ; MURPHY, op.cit., pp. 153-63. Sur l’ensemble de l’opposition conservatrice aux évêques, voir ASKIN, Steve, “Conservative Voices rise up against Bishops”, National Catholic Reporter, Dec. 3, 1982. 60. CASTELLI, op. cit., p. 129 ; GUMBLETON, Mgr Thomas, interview du 4 janv. 1984 ; CASEY, Sr. Juliana, Interview du 7 janv. 1984. 61. En novembre 1982, des bruits avaient couru selon lesquels le Général Vernon Walters avait été dépêché par le gouvernement américain auprès du Vatican pour demander expressément l’appui du pape contre les évêques, “Will the Pope stop Nuclear Heresy? ”, The New York Times, Nov. 18, 1982. Si Walters a bien eu des entretiens au Vatican à l’époque, il n’existe aucune preuve que la lettre pastorale ait été au centre des conversations. Il pouvait s’agir d’une simple visite de routine, les Etats-Unis et le Vatican n’ayant pas encore établi de relations diplomatiques et Walters assumant alors le rôle de représentant officieux. 62. SCHOTTE, Jan, La réunion de Rome des 19-20 janvier, sous le titre « Les évêques américains et les défis de l’âge nucléaire », DC, Nr.1856, 1983, pp. 711-12 (ci-après, SCHOTTE, “Mémorandum”). 63. BERNARDIN, Joseph, ROACH, John, Memorandum to the US Bishops, Jan. 25 1983, Origins 12 (43), 1983, p. 696 (Traduction CG). 64. SCHOTTE, “Mémorandum”, op. cit., p. 714. 65. ibid., pp. 713-14. 66. ibid., pp. 713. 67. CASTELLI, op. cit., pp. 134-37. 68. ibid., pp. 147-48. 69. Third Draft of Pastoral Letter, “The Challenge of Peace: God’s Promise and Our Response”, Origins 12(44), 1983, pp. 697-728 (Ci-après, CoP 3). 113

70. “Administration hails new Draft of Arms Letter – Says Bishops ‘improved’ the nuclear Statement”, The New York Times, April 7 1983 ; “New Draft of Pastoral Letter condemning the nuclear Arms Race changed to accomodate views of Reagan Administration”, Washington Post, April 6 1983 ; “Administration: ‘Draft substantially improved’”, National Catholic Reporter, April 15 1983. 71. “We abhor the concept of initiating nuclear war on however restricted a scale”, CoP 3, p. 711 (Traduction CG). 72. RUSSETT, Bruce, “Ethical and Practical Dilemmas of Deterrence”, International Security 8(4), Spring 1984, p. 52 (Note 18). 73. Le MX, auparavant mentionné dans le texte, n’apparaissait plus qu’en note (Nr.78). 74. JEAN-PAUL II, Message pour la journée de la paix 1983, op.cit., § 7, cité par CoP 3, p. 720. 75. CASTELLI, op.cit., pp. 148-49. 76. BERNARDIN, Archbishop Joseph, ROACH, Archbishop John, “How the proposed Pastoral relates to US Policy”, April 8 1983, Origins, 12(45), 1983, p. 738 (Traduction CG). 77. ibid. 78. Une résolution sur le gel nucléaire était alors en discussion au Congrès. 79. CASTELLI, op. cit., pp. 155-78. La grande respectabilité dont jouissaient les défenseurs d’un texte proche de la seconde mouture, en particulier Mgr John Quinn, archevêque de Chicago, Mgr James Hickey, archevêque de Washington DC et Mgr Malone, évêque de Youngstown (Ohio), influa sensiblement sur l’issue des débats. 80. NOVAK, Michael, “The Bishops speak out”, The National Review, Nr.17, June 10 1983, p. 674. Le compte-rendu de Jim Castelli corrobore cette impression, CASTELLI, ibid. 81. Le texte affirmait son soutien à des « accords immédiats bilatéraux et vérifiables pour arrêter l’expérimentation, la fabrication et le déploiement de nouveaux systèmes d’armes nucléaires », Col. p. 743 ; également p. 745. 82. « Nous n’entrevoyons aucune situation où le déclenchement délibéré d’une guerre nucléaire, quelque restreinte qu’elle soit, puisse moralement se justifier. On doit répondre par un autre moyen que le nucléaire aux attaques non-nucléaires d’un autre Etat », CoP, p. 738. 83. Cette question fera l’objet d’un développement approfondi au chapitre IV. 84. CASTELLI, op. cit., p. 177. 85. LELLOUCHE, op. cit., pp. 154-59. 86. Sur les SS-20 et la double-décision de l’OTAN, la littérature est pléthorique. Citons seulement deux courts articles qui nous paraissent résumer clairement l’enjeu : LELLOUCHE, op. cit., pp. 66-72 ; NAGEL, „Der Doppelbeschluss“, Frankfurter Rundschau, 4 Juli 1983. 87. A ce sujet, voir la réponse à l’article de Bundy, Kennan, etc. par quatre politiciens allemands. KAISER u.a., op. cit. 88. Voir KELLY, Petra, Rede zum deutschen Bundestag, 22 Nov. 1983, in Die Nachrüstungsdebatte im deutschen Bundestag, Protokoll einer historischen Entscheidung (ci-après, Die Nachrüstung im Bundestag), Hamburg, Rohwolt, 1984, pp. 190-94. 89. Un résumé des principaux arguments avancés par les adversaires de l’installation des euromissiles occidentaux se trouve chez FENEBERG, op. cit., pp. 144-53. Feneberg mentionne : 1) le saut qualitatif dans la course aux armements que représente cette installation ; 2) la précision des armes ; 3) la déstabilisation de l’équilibre, les Etats-Unis pouvant atteindre directement l’Union soviétique, alors que l’inverse n’est pas vrai pour le même type d’armes ; 4) la qualité d’armes de combat (et non de dissuasion) des Pershing, même si leur nombre ne permet pas d’envisager une première frappe. 90. Par exemple l’Appel de Krefeld, lancé au début 1981, qui a réuni plus de deux millions de signatures contre le stationnement des “cruise” et des Pershing II : STRÄSSER, Christoph, „Der Krefelder Appell“, in Frieden in Deutschland, Hrsg. Hans Pestalozzi, Ralf Schlegel, Adolf Bachmann, München, Wilhelm Goldmann, 1982, pp. 87-92. 114

91. Cette exigence, qui n’est pas générale à l’ensemble du mouvement de paix, est cependant commune à une grande partie des courants qui le composent, dont le parti des Verts : Pershing II, Cruise Missile, NEIN !, Reader, Positionen in der Friedensbewegung, Bonn, Koordinationsausschuss der Friedensbewegung, non daté, non paginé ; LAFONTAINE, Oskar, „Den Austritt aus der NATO wagen“, Der Spiegel, 37 Jg., Nr.35, 29 Aug. 1983, pp. 44-56 (Extraits de son livre, Angst vor den Freuden, Hamburg, Rohwolt, 1983, 192 p.). 92. A l’image de la proposition du groupe réuni autour d’Olof Palme, Common Security, A Programme for Disarmament, Report of the Independent Commission on Disarmament and Security issued under the Chairmanship of Olof Palme, London, Pan Books, 1982, 202 p. 93. Campaign for European Nuclear Disarmament, „Atomwaffenfreies Europa von bis Portugal“, Berlin, Mai 1983, Notes de l’auteur. Pour un tableau des manifestations du mouvement de paix en Allemagne entre 1979 et 1983, voir Ramsès, Rapport annuel sur le système économique et les stratégies, 1983-84 Paris, IFRI (Economica), 1984. 94. „Der ‘Geist von München’ und die Friedensbewegung“, Ein Gespräch mit Henri Ménudier, Herder Korrespondenz, 37 Jg., 1983, pp. 456-61. 95. Von BREDOW, Wilfried, „Zusammensetzung und Ziele der Friedensbewegung in der BRD“, Aus Politik und Zeitgeschichte, Bd. 24, 1982, pp. 3-13. 96. Une excellente analyse des mouvements qui traversent l’Allemagne au début des années 1980 et reposent sous un jour nouveau la question de l’identité allemande est fournie par SAUZAY, Brigitte, Le vertige allemand, Paris, Orban, 1985, 261 p. Voir aussi De Sà REGO, Carlos, Une nostalgie de grandeur, Essai sur la France Etat-Nation, Paris, Ramsey, 1985, pp. 142-53. 97. Frankfurter Allgemeine Zeitung, 3 Juni 1982 ; Der Spiegel, 29 Aug. 1983, pp. 28-29. D’après ce dernier article, qui compare les résultats de divers sondages, il est seulement possible de conclure à l’accroissement du nombre des opposants à l’installation des euromissiles et du sentiment anti-américain entre 1981 et 1983, sans pouvoir trouver une majorité dans l’un ou l’autre cas. 98. Voir ces textes dans Katholische Kirche im demokratischen Staat, Hirtenworte der deutschen Bischöfe zu wichtigen Fragen der Zeit und zu den Bundestagswahlen, 1945-80, Hrsg. Alfons Fitzek, Wurzburg, Naumann, 1981, 264 p. 99. ZdK Vollversammlung, Bad Godesberg, 14 Nov. 1981, Hrsg. Generalsekretariat des ZdK, Bonn, 1981, 16 p. Voir également le texte préparatoire à cette déclaration, „Die ethischen Grundlagen der Aussen- und Sicherheitspolitik“, Erklärung der Kommission 1. “politik, Verfassung, Recht“ des ZdK, in Frieden und Sicherheit, Bonn, Sekretariat der DBK, 1981, pp. 11-18 (Arbeitshilfen Nr.21). 100. Zur aktuellen Friedensdiskussion, p. 13 (Traduction CG). 101. Voir par exemple la critique point par point de l’Einigung Katholischer Studenten an Fachhochschulen (EKSF), Stellungnahme zur ZdK-Stellungnahme, „Zur aktuellen Friedensdiskussion“, Altenberg, 9 Jan. 1982, Hrsg. EKSF Zentralstelle, Köln, 1982, 9 p. 102. 24 Aug. 1982, Düsseldorf, 3te Aufl., 10 März 1983, 20 p. ; pour le document de 1981, BDKJ Hauptversammlung, Frieden und Gerechtigkeit, Schwerpunktthema des BDKJ, Mai 1981, (Id. Dokumentation BDKJ) Düsseldorf, 1981, 4 p. 103. Pax Christi, Delegiertenversammlung, Pax Christi, Deutsches Sekretariat, Frankfurt/Main, 5te Aufl., Jan. 1982, 14 p. (Dokumentation Kirche und Abrüstung, Nr.4). 104. Pax Christi n’utilise pas ce terme, quoiqu’il en décrive le mécanisme, ibid., § 39. La paternité du concept de « gradualisme », reviendrait à Charles Osgood, “A Case for graduated unilateral Disarmament”, Bulletin of Atomic Scientists, 16(4), 1960, pp. 127-31 ; An Alternative to War and Surrender, Urbana, University of Illinois Press, 1962, 183 p. Ce concept a acquis droit de cité dans de nombreux groupes de recherche sur la paix en RFA. Ses versions sont multiples mais ont pour point commun de préconiser des initiatives unilatérales prudentes en matière de désarmement afin d’amorcer un processus de « désescalade » de la course aux armements. 115

105. „Katholiken von unten : religiös und selbstbewusst“, Herder Korrespondenz, Heft 10/Okt. 1982, pp. 473-75 ; „Demonstration gegen die Sicherheitspolitik“, Kölner Staatsanzeiger, 25 Aug. 1982 ; „Die ‘linken Frommen’ machen ihren eigenen Katholikentag“, Westdeutsche Allgemeine Zeitung, 14 Aug. 1982 ; ‘Das Thema Frieden schafft Fronten : drei Grossdemonstrationen auf den Katholikentag geplant“, ibid., 25 Aug. 1982 ; etc. Pour une présentation de l’IKvu par elle-même, voir Katholisch und rebellisch, Ein Wegweiser durch die andere Kirche, Hrsg. Siegfried Rudolf Dunde, Hamburg, Rohwolt, 1984, 341 p. 106. Par exemple Walter Dirks ou Heinrich Böll. Indirectement par le biais du „Bensberger Kreis“, cercle d’intellectuels catholiques fondé en 1966 en vue de formuler des « opinions alternatives sur des sujets politiques et sociaux actuels ». Le Bensberger Kreis a publié en 1982 un mémorandum intitulé Frieden, für Katholiken eine Provokation ? (Hamburg, Rohwolt, 1982, 122 p.) dans lequel il se prononce en faveur d’un désarmement graduel et regrette « l’attitude généralement conservatrice des catholiques allemands en matière de politique de sécurité et de paix ». Le journal Publik Forum (Frankfurt/Main) se fait généralement le porte-parole des thèses de l’IKvu. 107. Le Comité directeur de Pax Christi publia en décembre 1982 une déclaration demandant au gouvernement ouest-allemand de continuer sans relâche à négocier, sans fixer au préalable une date de stationnement des euromissiles ; Erklärung des Geschäftsführenden Vorstandes zum Jahrestag des Doppelbeschlusses der NATO, Frankfurt, 6 Dez. 1982, Pax Christi, 1/1983, 35.Jg, p. 9. 108. Le Conseil de l’Eglise évangélique (EKD) adopta le 5 novembre 1981 un document de réflexion Frieden wahren, fördern und erneuern (Gütersloh, 1982, 97 p.) qui servit de référence à de nombreux groupes catholiques dans l’élaboration de leurs propres prises de position. 109. „Gerechtigkeit und Frieden“, Erklärung der Frühjahrs- Vollversammlung 1981 der DBK, in Frieden und Sicherheit, p. 5 ; également, „Friede und Sicherheit“, Pressebericht, ibid., pp. 6-10. 110. HÖFFNER, Joseph, Das Friedensproblem im Licht des Christlichen Glaubens, 21 Sept. 1981, Bonn, Sekretariat der DBK, 1981, 27 p. (Der Vorsitzende der DBK, Nr. 18). Traduction sous le titre « Le problème de la paix à la lumière de la foi chrétienne », DC, Nr.1820, 1981, pp. 1113-23 (Ci-après, HÖFFNER, « Le problème de la paix »). 111. « Faire la paix », 15 juin 1982, DC, Nr.1833, 1982, pp. 680-82. Edition allemande, Für den Frieden, Erklärung des Vorsitzenden der Deutschen Bischofskonferenz und des Vorsitzenden der Französichen Bischofskonferenz, Hrsg. Sekretariat der DBK, Bonn, 1982 (Stimmen der Weltkirche, Nr. 15). Il semble que les deux Conférences aient, pendant une certaine période, considéré que cette déclaration clôrait le problème de leur intervention dans le débat sur la défense. 112. KAMPE, Bischof Walther, in „Was sagen die katholischen Bischöfe der BRD zum Thema Frieden ?“, Probleme des Friedens, Heft 1/1983, p. 62. 113. HOMEYER, Bischof Josef, Interview du 16 janvier 1986. 114. Une grande partie de l’information concernant le processus de rédaction de la lettre pastorale allemande provient de l’ouvrage de Hans Langendörfer ; LANGENDÖRFER, Hans, Atomare Abschreckung, pp. 65-82. Nous y avons ajouté quelques éléments glanés au cours de nos interviews. 115. BÖCKLE, Franz, „Sehnsucht nach Frieden-Frage nach Heil“, Die Christliche Friedensbotschaft, 5 Sept. 1982, Bonn, Sekretariat der DBK, pp. 29-37 (Arbeitshilfe Nr.28) ; LEHMANN, Karl, „Friede, eine Frucht der Erlösung“, ibid., pp. 37-47 ; KERTERLGE, Karl, „Ehre sei Gott-Friede auf Erden“, ibid., pp. 60-64. 116. D’après LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, p. 69. 117. BÖCKLE, „Sehnsucht“, op. cit., p. 31. 118. ibid., pp. 32-33. 119. ibid., pp. 34-35. 120. LEHMANN, op. cit., pp. 38-44 ; KERTELGE, op. cit., pp. 63-64. 116

121. LEHMANN, op. cit., pp. 44-46 ; LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, pp. 69-70. 122. Harald Oberhem a été pendant plusieurs années assistant du professeur Nagel, Directeur de l’„Institut für Theologie und Frieden“ de Hamburg, et enseignant à la „Hochschule der Bundeswehr“. Ernst-Joseph Nagel, théologien de renom, spécialiste des questions éthiques de la guerre et de la paix, fut l’un des experts de la délégation allemande lors de la rencontre de Rome des 18-19 janvier 1983. Franz Böckle, Recteur de l’Université de Bonn, est connu pour ses positions modérées au sein du ZdK, dont il est l’un des membres à titre individuel. D’après les renseignements dont nous disposons, il bénéficie d’une grande considération autant de la part de la CDU que du SPD. 123. CZEMPIEL, Ernst-Otto, Schwerpunkte und Ziele der Friedensforschung, München/Mainz, Kaiser/ Grünewald, 1972, 124 p. (Entwicklung und Frieden, Wissenschaftliche Reihe, Nr.4) (Ci-après, CZEMPIEL, Schwerpunkte) ; Abrüstung und Sicherheit, eine Konsultation mit Wissenschaftlern und Politikern, Hrsg. Gert Krell, Werner Damm, München/Mainz, Kaiser/Grünewald, 1979, 197 p. (Entwicklung und Frieden, Mal. Nr. 10) ; RISSE-KAPPEN, Thomas, Analyse und synoptische Dokumentation von Stellungnahmen aus den Kirchen in der Bundesrepublik Deutschland, Bonn, KAEF, April 1982, 126 p. (KAEF Arbeitspapier Dokumentation Nr. 13) ; KRELL, Gert, RISSE-KAPPEN, Thomas, SCHMIDT, Hans-Joachim, Die Herausforderung der Nuklearrüstung, Gutachten zum Pastoralbrief der US-Bischofskonferenz zu Krieg und Frieden, Bonn, KAEF, Aug. 1983, 77 p. (KAEF Arbeitspapier Dokumentation Nr.20). Ce dernier titre est l’édition revue et corrigée de l’étude de la lettre pastorale américaine effectuée par les chercheurs de la HSKF pour le KAEF après la rédaction de la deuxième mouture du document. 124. La recherche des deux sous-groupes fut différée. Elle aboutit cependant à un stade intermédiaire au printemps 1983 avec la publication de l’ouvrage Politik und Ethik der Abschreckung. C’est dans le cadre de ce projet que fut rédigée la thèse de Hans Langendörfer ( Atomare Abschreckung und kirchliche Friedensethik. citée) et que furent réalisées plusieurs études sur les aspects éthiques de l’armement publiées dans la collection „Arbeitspapier“ de la KAEF (devenue en 1984 Commission Justice et Paix). Outre l’étude Die Herausforderung der Nuklearrüstung, citée, voir notamment RISSE-KAPPEN, Thomas, „‘Fahrplan zur Abrüstung’ ? Zur INF-Politik der Bundesrepublik Deutschland 1970-1983“, ARB 38/85, Febr. 1985, 111 p. ; „Abschrek-kung. Rüstungskontrolle und Raketenabwehrwaffen“, Zur Diskussion um die strategische Verteidigungsinitiative (SDI) der USA, ARB 40/86, Jan. 1986, 44 p. 125. D’après LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, p. 71. 126. ibid., p. 72. 127. ibid., pp. 72-73 ; également BÖCKLE, „Sehnsucht“, op. cit., pp. 32-33. 128. BÖCKLE, ibid., p. 33. 129. D’après LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, pp. 72-73. 130. Rappelons que quelques jours auparavant avait eu lieu la rencontre de Rome où fut discuté le projet de lettre pastorale américaine. La délégation allemande se composait du Cardinal Höffner, Président de la conférence épiscopale, de Mgr Homeyer, Secrétaire général de la conférence, du professeur Nagel, de Mgr Kampe, évêque auxiliaire de Limburg, alors Président de la section allemande de Pax Christi et de Mgr Hengsbach, évêque de Essen et Président de la Commission des évêques de la CEE (COMECE). Notons qu’aucun d’entre eux n’était alors formellement associé à la préparation de la déclaration allemande, quoique Mgr Kampe ait été incorporé au groupe de travail à partir du 5 février, en même temps que Mgr Kamphaus, évêque de Limburg. 131. Cité par LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, p. 75. 132. ibid. 133. Le premier critère veille à ce que les moyens militaires actuels ou en projet ne rendent pas la guerre « plus réalisable ou plus vraisemblable ». Le second doit garantir que le but de la dissuasion reste la stabilité, qui doit prévenir la guerre, et rejette toute prétention à la 117

supériorité. Selon le troisième, cette stabilité doit se réaliser au plus bas niveau d’armement possible, ce qui implique que la politique de dissuasion choisie soit compatible avec les efforts de limitation des armements et de désarmement. D’après LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, p. 76. 134. ibid. 135. „Friedensdisput in Trier“, Herder Korrespondenz, 37 Jg., Heft 4/1983, p. 151. 136. LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, pp. 77-78. 137. KAMPE, Bischof Walther, Interview d’avril 1985. 138. LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, p. 78. 139. ibid., p. 80 (Traduction DC, Nr.1853, 1983, p. 585). 140. ibid., p. 79. 141. ibid., p. 81 (Traduction DC, Nr.1853, 1983, pp. 588-89). 142. KAMPE, Mgr Walther, Interview d’avril 1985 ; OBERHEM, Harald, Interview du 5 mars 1985 ; KOSCHEL, Interview du 17 avril 1985. 143. Nous reviendrons en détail sur la relation entre services civil et militaire au chapitre VI. 144. LANGEN DÖRFER, Atomare Abschreckung, p. 81. La question sera développée au chapitre VI. 145. ibid., p. 82. 146. ibid., p. 83 (Traduction DC, Nr.1853, 1983, p. 587). 147. ibid. ; KAMPE, Mgr Walther, Interview d’avril 1985. 148. LANGENDÖRFER, ibid. 149. ibid. ; GsF, p. 578. 150. LANGENDÖRFER, ibid. ; GsF, p. 580. 151. Voir à ce sujet la revue de presse effectuée par la conférence épiscopale, qui ne compte pas moins de 330 articles publiés dans les jours qui suivirent par la presse locale, nationale et étrangère ; Pressespiegel zum Wort der deutschen Bischofskonferenz Gerechtigkeit schafft Frieden, Bonn, Pressestelle der DBK, 385 p. (Ci-après, Pressespiegel zum Wort der DBK). 152. TOULAT, Jean, « La bombe et l’Evangile », Le Monde, 11 nov. 1983 ; TOULAT, Pierre, « Quel est le message ? », Le Monde, 12 nov. 1983 ; JACQUES, Michel, « La bombe des évêques », L’Express, 18-21 nov. 1983, p. 18. 153. A ce sujet, voir MELLON, Christian, « Histoire du ralliement : 1972-1981 », Alternatives Non- violentes, Nr.46, 1982, pp. 14-23 ; HOWORTH, Jolyon, France: The Politics of Peace, London, Merlin Press/European Nuclear Disarmament, 1984, pp. 34-47. 154. Déclaration à Antenne 2, le 16 novembre 1983, Défense Nationale, janv. 1984, p. 195. 155. Le Président Mitterrand l’a confirmé en allant « voter » lui-même devant le Bundestag en faveur de l’implantation des euromissiles sur le sol allemand le 20 janvier 1983, Le Monde, 21 janv. 1983. 156. C’est davantage des doctrines comme celles d’„Airland-Battle“, définissant les modalités du combat sur le sol européen qui inquiètent militaires et stratèges français. Elles obligent à reposer la question jamais totalement résolue du rôle de l’arme nucléaire tactique (ANT) et le problème de l’extension du « sanctuaire ». La discussion sur la défense française prendra un ton plus ouvert en 1984-85 avec la publication d’une série d’ouvrages critiques. Citons : COPEL, Etienne, Vaincre la Guerre, Paris, Lieu Commun, 1984, 246 p. ; De ROSE, François, Contre la stratégie des Curiaces, Paris, Julliard, 1983, 128 p. ; LELLOUCHE, op. cit. 157. L’Appel des Cent, signé à l’origine par cent personnalités dont certaines – mais non pas toutes – étaient proches du parti communiste, avait pour but de faire échec à la méfiance qu’exprimait la quasi totalité de la presse face aux initiatives du Mouvement de la Paix et de réunir une manifestation de masse à l’occasion de la seconde assemblée spéciale des Nations Unies sur le désarmement ; HOWORTH, op. cit., pp. 59-62. Texte de l’appel, in ibid., pp. 91-92. 158. Chiffres donnés par Le Monde, respectivement 20-21 nov. 1983, 21 juin 1983. L’Appel des Cent, sous la bannière duquel s’est déroulée la manifestation de 1982, ne contenait aucune 118

allusion ni aux SS-20, ni aux Pershing II. Il affirmait seulement son soutien aux efforts de la session spéciale des Nations Unies sur le désarmement et, plus généralement, aux négociations en vue du désarmement. Le rassemblement de 1983 s’est déroulé sous le slogan. « J’aime la vie, j’aime la paix » ; HOWORTH, op. cit., pp. 72-73. 159. Comité pour le Désarmement Nucléaire en Europe. Le CODENE est un regroupement hétérogène de mouvements « Verts » ou « alternatifs » (Parti des Verts, Les Amis de la Terre, Ecoropa, Greenpeace, etc.), de mouvements en faveur de l’objection de conscience et du service civil (Mouvement des objecteurs de conscience. Service Civil International, etc.), de groupuscules de la gauche politique (PSU), d’initiatives antimilitaristes locales (Larzac), de mouvements non- violents (MAN, Artisans de Paix, MIR). Y participent également des groupements chrétiens (MRJC). Signalons enfin le rôle du Mouvement pour le Désarmement, la Paix et la Liberté (MDPL), créé dans les années 1960 par le journaliste Claude Bourdet pour rallier tous les opposants à la « force de frappe ». Voir HOWORTH, op. cit., pp. 62-70. 160. Notamment à l’occasion de la rencontre internationale du Larzac en août 1983 ; HOWORTH, op. cit., pp. 74-79. 161. LEGGEWIE, Klaus, ”Keine Friedensbewegung in Frankreich ? Zehn Gründe für ihre relative Unterentwicklung“, in Krieg der Erwachsenen gegen die Kinder, Möglichkeilen einer Friedenserziehung, Redaktion Reiner Steinweg, Frankfurt/Main, Suhrkamp, 1984, pp. 283-299. Même si les thèses développées dans cet article sont discutables, l’auteur nous paraît bien résumer les causes de la faiblesse du mouvement de paix en France. Voir aussi l’excellente analyse de HOWORTH, op. cit. 162. Les principaux résultats de ce sondage, ainsi qu’une interprétation sont donnés par CHAVANAT, Dominique, « Opinion Publique et Défense », Défense Nationale, nov. 1984, pp. 19-31. Egalement LELLOUCHE, op. cit., pp. 17-25. 163. LELLOUCHE, op. cit., pp. 21-25. 164. 59 % des personnes interrogées estiment tout à fait nécessaire (36 %) ou assez nécessaire (23 %) une formation de la population civile à la résistance non-violente. Ce résultat vient confirmer le sondage Louis Harris, La Vie réalisé du 8 au 14 oct. 1982 selon lequel 61 % des Français seraient favorables à ce qu’une part du budget de la défense soit affectée à la mise au point de moyens de défense fondés sur des méthodes non-violentes. Par ailleurs, ce même sondage, à la question : « Si un conflit menaçait directement le territoire français, dans quel mode de défense auriez-vous le plus confiance ? » donne les réponses suivantes : 18 % dans la force de frappe nucléaire, 28 % dans l’armée conventionnelle, 20 % dans une résistance armée de toute la population préparée à l’avance, 17 % dans une résistance non-violente de toute la population préparée à l’avance ; La Vie, 18 Nov. 1982. Selon un sondage Louis Harris, Atlantic Institute for International Affairs de novembre 1983, 52 % des Français seraient cependant prêts à utiliser les armes nucléaires si la France était attaquée par le même moyen (mais 8 % seulement en cas d’attaque non-nucléaire), Ramsès, 1983-84, p. 64. 165. MULLER, Jean-Marie, L’Evangile de la Non-violence, Paris, Fayard (Points Chauds), 1969, 216 p. ; Stratégie de l’Action non-violente, Paris, Fayard, 1972, 267 p. ; Vous avez dit Pacifisme ?, De la menace nucléaire à la défense civile non-violente, Paris, Cerf, 1984, 312 p. ; SEMELIN, Jacques, Pour sortir de la violence, Paris, Ed. ouvrières, 2e éd., 1983, 200 p. Christian Mellon fonda en 1973 la revue Alternatives Non-Violentes dont il partage la direction avec Jacques Sémelin. Les trois chercheurs cités sont les auteurs du rapport La dissuasion civile, Principes et méthodes de la résistance non- violente dans la Stratégie Française, Paris, Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, 1985, p. 15 (Ci-après, La dissuasion civile). Ce rapport a été rédigé à la demande de Charles Hernu, alors Ministre de la Défense. 166. Loi sur l’objection de conscience, Loi Nr 83-605 Journal Officiel, (contenu en partie publié). 167. Il faut ajouter que nombre de catholiques ont été mêlés depuis le début des années 1970 au mouvement de résistance des paysans du Larzac, devenu l’un des hauts lieux de la protestation politique et non-violente contre la politique de défense française. 119

168. Les « principes et objectifs d’action » de Pax Christi-France expriment « la volonté de rassembler dans le Mouvement des hommes et des femmes de sensibilités politiques différentes, des militaires et des non-violents... réunis par le même idéal de paix », et plus loin, « Pax Christi ne se présente pas comme un mouvement de pression mais d’éducation pluraliste... », Principes et objectifs d’action de Pax Christi, Brochure, 4 p., non datée. 169. La délégation française, conjointement avec les délégations autrichienne et luxembourgeoise, signa une « note de minorité » désapprouvant la déclaration du Conseil International de Fribourg (18 mai 1983) qui prenait position contre la modernisation des armes nucléaires en Europe, Pax Christi International sur le Désarmement et la Sécurité, Anvers, Secrétariat Pax Christi, 2e éd. (non-daté), pp. 12-13. 170. « Le désarmement, point de vue d’Eglises chrétiennes de France », 2 juil. 1982, DC, Nr.1835, 1982, pp. 787-88. Cette déclaration fut présentée par une délégation comprenant le Cardinal Gouyon, Président de Pax Christi, Mgr Ménager, Président de la Commission Justice et Paix, le Père Gérard Defois, Secrétaire de l’Episcopat et le Pasteur Maury, Président de la Fédération protestante de France. 171. Déclaration commune de la Commission française Justice et Paix et de la Commission économique, sociale et internationale de la Fédération protestante de France, 19 oct. 1981, DC, Nr. 1820, 1981, pp. 1128-29. 172. « Recherche œcuménique sur la défense et la guerre. Propositions d’un groupe de travail », déc. 1982, DC, Nr.1844, 1983, pp. 113-16. 173. Quelle défense pour la paix ? Eléments de réflexion sur la dissuasion nucléaire française, Commission Justice et Paix, Paris, Avril 1983, XXIV p. 174. La délégation française se composait de Mgr Vilnet, Président de la Conférence épiscopale, du Père Gérard Defois, Secrétaire de l’Episcopat, de Mgr Ernoult, Président de Pax Christi et du Père René Coste, théologien de la Faculté catholique de Toulouse. 175. Le Père Defois participa à l’assemblée de Würzburg lors de laquelle fut discuté le texte final de la lettre pastorale allemande : DEFOIS, Père Gérard, Interview du 7 juin 1985. 176. COSTE, Père René, Interview du 4 juin 1985. 177. Secrétariat général de l’Episcopat, Lettre circulaire Nr. 19/1980 (non publiée). 178. Secrétariat général de l’Episcopat, Lettre circulaire Nr.21/1982 (non publiée). 179. CHAVANAT, Colonel Dominique, Les évêques américains et la dissuasion nucléaire, Eléments de réflexion, Strasbourg, 20 sept. 1982, 7 p. (non publié). 180. Secrétariat général de l’Episcopat, Documents sur la paix et le désarmement, Paris, 3 janv. 1983 (non publiés). 181. Secrétariat général de l’Episcopat, « L’Eglise en France et les armements nucléaires ou conventionnels », Lettre circulaire du 16 févr. 1983. Ce texte est publié quasi intégralement sous le titre « Armements modernes et responsabilités éthiques » dans le numéro de décembre 1983 de la revue Etudes, pp. 585-601. 182. Secrétariat général de l’Episcopat, Lettre circulaire Nr.22/1983, 24 mars 1983 ; texte reproduit dans KLEIN, Jean, « Les chrétiens, les armes nucléaires et la paix », Stratégique, 1er trim. 1983, pp. 7-34. 183. Documents Episcopat, Nr. 13, 1983, reproduit dans COSTE, René, « Le problème éthique de la dissuasion nucléaire », Esprit et Vie, vol. 93, Nr.39, 1983, pp. 513-28. 184. Secrétariat général de l’Episcopat, Lettre circulaire Nr.26/1983, 21 avril 1983 (non publiée). 185. Secrétariat général de l’Episcopat, Lettre circulaire Nr. 50/1983 (non publiée). 186. Secrétariat général de l’Episcopat, Lettre circulaire Nr. 54/1983 (non publiée). Sur ce point, voir La Croix, 21 sept. 1983. 187. « L’épiscopat français condamne le pacifisme de l’Eglise catholique américaine », Le Matin, 24 mars 1983. Le Père Defois reprochait aux évêques américains leur prise de position en faveur 120

d’un « gel nucléaire unilatéral », alors que la deuxième version de la lettre pastorale dont il était alors question ne parle que de gel négocié. 188. « Le Père Defois s’explique », Témoignage Chrétien, 11 avril 1983, pp. 2-3. 189. Interview du Père Defois, Secrétaire général de l’épiscopat, Le Pèlerin, 15 mai 1983, p. 14. 190. Sur le rôle de la lettre pastorale américaine dans l’initiative française, voir QUELQUEJEU, Bernard, « La lettre des évêques américains sur les armements et son accueil en France », Le Supplément, Nr.148, 1984, pp. 5-18. 191. Le Pèlerin, 15 mai 1983, p. 14. 192. LUSTIGER, Kardinal Jean-Marie, Interview au magazine Der Spiegel, 31 Jan. 1983, p. 117. 193. Une rencontre entre le Secrétariat, Jean Klein, le Père Laurent de la revue Projet et de l’Action Populaire, Mgr Jullien, alors évêque de Beauvais, et deux officiers supérieurs du SGDN eut lieu le 8 mars 1983. 194. Le Secrétariat rencontra les représentants de Pax Christi, Justice et Paix, et quelques théologiens (Bernard Quelquejeu, Paul Valadier) au début avril ; certains d’entre eux, ainsi que des représentants du MAN (François Vaillant) à d’autres occasions. Les informations que nous avons reçues au sujet de ces consultations sont très confuses et contradictoires. Il semble qu’il se soit agi plutôt de « conversations de couloir » – ou d’appels téléphoniques – que de consultations en bonne et due forme, ce qui n’est certainement pas étranger au sentiment éprouvé par plusieurs groupes de ne pas avoir été consultés. Aucun texte de la Commission Justice et Paix n’avait été transmis aux évêques. 195. DEFOIS, Père Gérard, Interview du 7 juin 1985 ; JULLIEN, Mgr Jacques, Interview du 9 juin 1985. 196. Entre autres, « Morale, conscience et Force de Frappe », Masses Ouvrières, avril 1965, pp. 6-16, mai 1965, pp. 54-82 ; L Homme debout, Desclée de Brouwer (Croire aujourd’hui), 1980, pp. 109-134. Mgr Jullien rédigea également une réponse à la première mouture de la lettre pastorale des évêques américains. 197. JULLIEN, Mgr Jacques, Gagner la Paix, Projet de texte : contribution au projet à soumettre au Conseil permanent de l’épiscopat, 28 juin 1983, 25 p. (non publié). 198. JULLIEN, Mgr Jacques, Interview du 5 juil. 1985. Notons que le texte ne fut pas envoyé à Mgr Gaillot ; GAILLOT, Mgr Jacques, Interview du 24 juin 1985. 199. Sur ce point précis, nous n’avons reçu que des réponses évasives, y compris de la part de Mgr Gaillot. 200. Conseil permanent de l’Episcopat, minutes de la réunion du 12-14 sept. 1983 (non publiées). 201. JULLIEN, Mgr Jacques, Interview du 5 juil. 1985. 202. Chiffre cité par Mgr Jullien, Interview du 9 juin 1985. 203. Alors qu’on avait par erreur tout d’abord annoncé 2 « non » et 8 bulletins blancs. La presse reproduisit ces chiffres erronés. 204. Gagner la Paix, Document de la Conférence épiscopale française, Paris, nov. 1983, 15 p. (Les Grands Textes de la Documentation Catholique, Nr.46) (ci-après GP). 205. ibid., p. 8. Un paragraphe placé en annexe du projet de Mgr Jullien a été ici introduit dans le texte. Evoquant la diversité et la complexité des questions techniques en jeu, il met en garde à la fois contre l’évacuation du jugement éthique et les « jugements péremptoires de type déductif, qui feraient bon marché des composantes techniques ». Il conclut : « Entre les deux excès, il convient de chercher à formuler un jugement prudentiel au plus près des contingences pesées avec une extrême circonspection et qui accepte une modulation des certitudes et des interrogations : il y va du respect des choses en jeu et du crédit d’une parole responsable ». Le texte renvoie en note à une considération d’Aristote sur la prudence, commentée par St Thomas d’Aquin. 206. Ce terme n’est employé que dans une note de bas de page, également tirée de l’annexe au projet de Mgr Jullien, reprenant et commentant une citation de Mgr Beck, archevêque de 121

Liverpool, au Concile sur l’aporie du jugement éthique de la dissuasion nucléaire. On craignit que le terme « éthique de détresse » (à distinguer de « situation de détresse » ou de « logique de détresse ») qui avait été largement employé dans les discussions sur l’avortement ne prêtât à controverse : JULLIEN, Mgr Jacques, Interview du 9 juin 1985. 207. L’addition de ces critères est due à l’initiative de Mgr Fihey. 208. Le cardinal Etchegaray, alors évêque de Marseille, a particulièrement insisté dans ce sens ; JULLIEN, Mgr Jacques, Interview du 5 juil. 1985. 209. Une citation du pape rappelant les trois impératifs traditionnels du désarmement : mutuel, équilibré et contrôlé, fut remplacée par une autre citation soulignant le danger de militarisation de l’économie créé par la course aux armements et l’importance du dialogue pour la réduction des armements. Le texte fait aussi référence à l’exigence du Concile réclamant l’institution d’une autorité publique universelle. 210. Sur ce point, TOULAT, Jean, op. cit. ; TOULAT, Pierre, op. cit. ; WARNIER, Philippe, « L’occasion manquée », La Croix, 18 nov. 1983. Plus généralement, « Quelle paix à l’ombre des missiles ? », L’Actualité Religieuse dans le Monde, Nr.7, 15 déc. 1983, pp. 39-53 ; « “Gagner la Paix” : oui à l’espérance ! Non au texte des évêques français », Témoignage Chrétien, 21 -27 nov. 1983, pp. 4-15 ; de nombreuses réactions dans La Croix, dans Le Journal de la Paix (journal de Pax Christi) de décembre 1983 à juin 1984 ; également, Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne (MRJC), Communiqué de presse du 7 déc. 1983, 2 p. ; Mouvements et Groupes de la Mission Ouvrière, Gagner la Paix par l’engagement de tous, Communiqué du 24 nov. 1983, 1 p. ; Mouvement « Vivre Ensemble l’Evangile Aujourd’hui », Note de presse, non datée, 2 p. ; « La sainte colère du “chrétien de gauche” Georges Montaron », Libération, 10 nov. 1983. Le Secrétariat général de l’épiscopat a répertorié l’ensemble des réactions à la lettre pastorale et reproduit un certain nombre d’entre elles : « L’assemblée plénière (Lourdes, 5-8 nov. 1983) à travers la presse », La Presse et l’Actualité, Nr.48, 30 nov. 1983, 82 p. 211. Il faut signaler qu’un certain nombre de réactions « à chaud » se basèrent sur la « Note de presse » rédigée par le Père Boullet pour résumer le contenu de la lettre pastorale. Or, cette note faisait totalement abstraction des développements positifs sur la non-violence introduits à Lourdes. Une trop grande hâte dans la rédaction du document en est la cause ; JULLIEN, Interview du 9 juin 1985. 212. GAILLOT, Mgr Jacques, « pourquoi j’ai voté contre », Le Monde, 12 nov. 1983 ; « Gagner la paix : un simple mot », La Croix, 19 nov. 1983 ; « Les raisons d’un refus », Témoignage Chrétien, 21-28 nov. 1983, p. 15. 213. La Paix Autrement, Se défendre sans se renier. Des Chrétiens s’expriment dans le débat sur la dissuasion nucléaire, Paris, Secrétariat du collectif « La Paix Autrement », 1986, 30 p. Le texte contient en annexe la liste des groupes et personnes signataires, parmi lesquelles on compte cinq évêques. Il est intéressant de noter que 12 000 exemplaires ont été écoulés dans les cinq mois suivant sa publication. Quelques jours après la publication du texte des évêques catholiques, l’Assemblée générale de la Fédération protestante de France, réunie à La Rochelle adoptait à son tour une déclaration qui préconisait un « gel nucléaire, même unilatéral », dépassant ainsi les vœux de son président, le pasteur Maury ; Assemblée générale de la Fédération protestante de France, « La lutte pour la paix », in Les Eglises contre la bombe ?, pp. 133-34. Voir Le Monde, 15 nov. 1983. Pour la suite des débats, voir également, Commission française « Justice et Paix », Commission sociale, économique et internationale de la Fédération protestante de France, Pour Construire la paix, Recherche œcuménique, Paris, Le Centurion, 1985, 72 p. 122

Partie II. La dissuasion nucléaire 123

Partie II. La dissuasion nucléaire

1 Le jugement porté par les évêques sur la dissuasion nucléaire est un point central, et sans doute le plus controversé des documents pastoraux. Il fut projeté au centre des débats par l’initiative des prélats américains qui, pour la première fois, s’immisçaient dans un domaine encore largement réservé aux experts. La « démocratisation » de la réflexion sur la politique de défense atteignait aussi l’Eglise. Les deux chapitres qui vont suivre prennent pour base les concepts et l’argumentation élaborés par le « Défi de la Paix » à la fois comme un objet d’étude en soi et comme une sorte de tremplin. Leur objectif est de fournir simultanément une étude approfondie du thème central du document américain : le jugement éthique de la dissuasion nucléaire, et en écho, une analyse de ses répercussions dans les textes français et allemand, tout en mettant en évidence la diversité des approches. Alors que le chapitre IV analysera la signification stratégique des thèses épiscopales, les développements du chapitre V mettront en lumière les contraintes politiques, théologiques et ecclésiologiques de tous ordres qui ont pesé sur le raisonnement des évêques. 124

Chapitre IV. Le jugement éthique de la dissuasion nucléaire : aspects stratégiques

1 Il existe une littérature suffisamment abondante et bien documentée sur le concept de dissuasion pour que nous n’ayons pas besoin de retracer l’ensemble de son évolution historique, ni d’en détailler tous les aspects1. Il paraît cependant nécessaire de rappeler quelques définitions et principes généraux qui permettront de cerner l’objet concret du jugement éthique, avant d’aborder le fond de celui-ci tel qu’il apparaît dans les documents épiscopaux.

En guise de préalable : l’évolution du concept de dissuasion nucléaire

2 Dans un ouvrage pionnier, publié en 1957, Henry Kissinger définissait la dissuasion de la manière suivante : La dissuasion est la tentative faite pour empêcher un adversaire d’adopter une certaine ligne d’action en lui opposant des risques qui lui paraissent sans commune mesure avec les gains escomptés2.

3 Cette définition générale, quoiqu’avec des nuances et des évolutions, est restée la base de la stratégie nucléaire américaine depuis ses origines – jusqu’au début des années 1980, ajouteraient les opposants à la politique de défense reaganienne. En posant le principe d’une menace de punition inacceptable infligée à l’adversaire en cas de velléités agressives de sa part, elle se distingue de la dissuasion « classique » qui se fondait sur la capacité de dénier à l’ennemi toute espérance de gain (“deterrence by denial”). Pour celle-ci, la parité des forces était essentielle car les mêmes armes servaient à la fois à la défense et à la dissuasion. Dans le cas de la stratégie nucléaire, la recherche de cette parité est moins impérative, du moins en théorie.

4 La stratégie des « représailles massives » (“massive retaliation”) définie par un document du Conseil National de Sécurité en 1953 et précisée par John Foster Dulles dans un discours au “Council on Foreign Affairs” de New York en 19543 était à la fois le résultat de 125

la supériorité nucléaire américaine, de l’imprécision des armes alors disponibles et de choix économiques défavorables aux armements conventionnels. L’acquisition par les Soviétiques de la capacité de mise au point des armes stratégiques en 1957 provoqua une crise de la doctrine dont on ne devait sortir qu’en 1967 avec l’adoption officielle de la stratégie de « réponse flexible », après le passage par une multitude de stades intermédiaires4.

5 Pendant les deux premières années de l’administration Kennedy déjà, on avait essayé d’instaurer une forme de « réponse contrôlée » (“controlled response”) qui, outre la définition d’une politique de choix des cibles en priorité contre des objectifs militaires, mettait en avant l’idée de réduction des dommages (entre autres par une protection civile) et insistait sur la nécessité pour les Etats-Unis de conserver une capacité de seconde frappe après une attaque nucléaire soviétique. Cette dernière exigence avait été posée en 1959 par Albert Wohlstetter comme condition de stabilité de la dissuasion5. L’évolution générale était le résultat des critiques de stratèges tels que William Kaufman, Bernard Brodie, Henry Kissinger, le général Maxwell Taylor, ensuite relayées par les réflexions de penseurs – tels que Robert Osgood, Herman Kahn, George Kennan, Thomas Schelling qui, pour des raisons à la fois éthiques et stratégiques, souhaitaient sortir du « tout ou rien » des représailles massives6.

6 Le célèbre discours prononcé par McNamara à Ann Arbor le 16 juin 1962 proposait une stratégie de « réponse flexible » basée sur un schéma d’escalade du conflit qui envisageait d’abord la frappe anti-forces avant de recourir, si nécessaire, à une frappe anti-cités7. Un des objectifs de cette stratégie était de renforcer la crédibilité de la garantie américaine à l’égard de l’Europe, dont on avait commencé à douter à partir de l’acquisition par les Soviétiques de forces de représailles stratégiques. Cependant, les objections auxquelles elle se heurta, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur8, puis le besoin, dans une période de détente, de répudier le concept de « guerre nucléaire » et de mettre l’accent sur la stabilité, conduisirent peu à peu McNamara à se satisfaire d’une situation de « destruction mutuelle assurée » (MAD) et à en faire la base de la stratégie américaine. La « MAD » repose sur la détention par chacun des adversaires, d’une capacité de seconde frappe qui lui permettrait de causer des dommages inacceptables en représailles, même après une première frappe surprise9.

7 A ce stade, il paraît nécessaire de faire une distinction entre la politique déclaratoire et la politique opérationnelle. La destruction mutuelle assurée, même si elle repose en dernier recours sur la frappe massive anti-cités, ne signifie pas que, dans un engagement effectif, les objectifs « démographiques » seraient les premiers visés. Il faut plutôt la comprendre comme la détention d’une capacité de détruire la population civile soviétique après une première frappe stratégique sur les Etats-Unis10. En ce sens, la crédibilité de la dissuasion repose sur le fait que l’escalade à la guerre totale ne pourrait jamais être exclue. L’assimilation traditionnelle de la « destruction mutuelle assurée » à la « dissuasion minimale » (minimal deterrence), qui reposerait sur la seule seconde frappe anti-cités est donc pour le moins excessive11. La stabilité qui en résulterait d’après la théorie, dans la mesure où la capacité de seconde frappe contre-cités ne nécessiterait pas l’équivalence avec l’adversaire à chaque niveau d’armement, s’est avérée très aléatoire dans la pratique. La « MAD » se révéla de fait peu apte à freiner la course aux armements, si ce n’est qu’elle permit d’éviter le développement des systèmes de défense antimissiles12.

8 Pour des raisons tenant à la fois de l’éthique, des progrès technologiques, de la crédibilité de la dissuasion et du « couplage » Europe – Etats-Unis, elle fut de plus en plus remise en 126

cause. La définition de la « doctrine Schlesinger » en 1974 visait à répondre aux critiques en instaurant un pluralisme dans le choix des objectifs stratégiques par l’introduction d’options contre-forces13. Cette orientation fut confirmée et renforcée à la fin de l’administration Carter par l’adoption de la Directive Présidentielle 59 qui cherche à définir des options « contre-valeurs » et prévoit de se doter de capacités de mener des guerres nucléaires et conventionnelles limitées. Dans une certaine mesure, c’est un retour à la doctrine McNamara du tout début des années 196014. En même temps, on note aussi le souci de remettre en accord la politique déclaratoire avec la politique opérationnelle, qui sera à la base de la doctrine de défense reaganienne.

9 C’est grâce à l’évolution technologique en particulier, qui permet la mise au point d’armes de plus petite taille et plus précises, que l’abandon des représailles contre-cités au profit de la frappe limitée contre-forces apparaît à beaucoup au début des années 1980 comme une option réaliste. Outre qu’elle cherche à apparaître plus « morale », cette stratégie se fonde sur l’hypothèse selon laquelle les Soviétiques valoriseraient non pas tant leur population, mais la force militaire et les moyens de la produire et de la reproduire15. Selon ses détracteurs, la dissuasion contre-forces, que ce soit sous sa forme de première ou de seconde frappe, vise à détruire la capacité de représailles par seconde frappe de l’ennemi. Elle a donc pour objet de le laisser sans possibilité d’infliger des dommages en retour, soit qu’elle détruise totalement sa capacité de représailles (première frappe), soit qu’elle se montre capable d’absorber une seconde frappe contre-forces de l’adversaire et de l’empêcher d’infliger des dommages supplémentaires à notre population civile16. En conséquence, du fait qu’elle vise à « rendre impotentes les forces de représailles de l’adversaire, tout en empêchant celui-ci de causer des dommages équivalents aux nôtres… elle a essentiellement pour fin la supériorité »17. Elle porte donc en germe la tentation de se doter d’une capacité de première frappe, ce qui la fait apparaître comme dangereusement déstabilisante dans la mesure où elle permettrait d’exclure tout danger pour soi-même, tout en maintenant une menace inacceptable pour l’autre partie. Il faut souligner ici que ses partisans tout comme ses adversaires s’accordent à considérer qu’une même logique inspire l’initiative de défense stratégique du Président Reagan, dont l’objectif est de mettre les Etats-Unis totalement à l’abri d’une frappe ennemie, la recherche d’une capacité stratégique contre-forces et le développement de schémas d’engagement des forces, au besoin nucléaires, sur le théâtre européen, grâce à la doctrine d’“Airland- Battle” par exemple18. Mais les protagonistes de la dissuasion contre-forces font valoir qu’en renforçant la crédibilité de la menace – dans la mesure où on rétablit la continuité de l’échelle de l’escalade, et donc la cohérence entre menace et emploi des armes –, on rend ainsi la guerre moins probable19. Ils accusent au contraire la stratégie anti-cités de manquer de stabilité à cause de la non-crédibilité de la menace sur laquelle elle repose, ce qui risque de permettre la guerre. Celle-ci éclaterait probablement au niveau infra- nucléaire, mais son escalade ne pourrait être contrôlée20.

10 Cependant, l’option de la stratégie contre-forces devient inquiétante lorsque l’on se donne pour objectif l’acquisition de moyens de mener une guerre nucléaire21. Même si la rhétorique de l’administration Reagan au sujet de la « guerre nucléaire limitée » s’est sensiblement affaiblie de 1981 à 1984, cette éventualité fait partie des grandes orientations de la politique de défense américaine pour les années 1984-88 : Le rôle prioritaire des forces nucléaires stratégiques américaines est d’empêcher, par la dissuasion, une attaque nucléaire contre les Etats-Unis, leurs forces et leurs alliés. Si une telle attaque devait cependant se produire, la capacité nucléaire américaine doit l’emporter, même dans les conditions d’une guerre prolongée, 127

11 déclare le document “Defense Guidance” pour les années 1984-8822.

12 A l’encontre de cette évolution, la stratégie française demeure résolument une dissuasion contre-cités.

Le cas particulier de la dissuasion française

13 La dissuasion nucléaire française, dite « du faible au fort », telle qu’elle a été définie en particulier par les généraux Gallois et Beaufre au début des années 196023, repose sur la capacité du « faible » de causer des dommages inacceptables à son adversaire, dommages qui seraient en tout cas égaux ou supérieurs à la valeur de l’enjeu qu’il représente24. Aux critiques qui font valoir la non-crédibilité des représailles du faible, Gallois objecte qu’une contre-riposte du fort détruirait par là même l’enjeu qu’il convoite25.

14 Le modèle de dissuasion nucléaire français suppose l’existence d’un « seuil critique » au- delà duquel seule demeurerait l’alternative entre le tout ou rien26 : le tout d’une réponse nucléaire stratégique avec le danger d’une contre-riposte de l’adversaire, qui signifierait la destruction totale du pays ; le rien d’une soumission totale à l’assaillant, qui pourrait prendre possession du territoire par des moyens conventionnels. On voit immédiatement l’incompatibilité avec la stratégie américaine de réponse flexible et, par conséquent, l’impossibilité d’intégrer la défense nucléaire française à celle de l’Alliance atlantique27. Dans le modèle français, la détermination du seuil serait dévolue à l’armement nucléaire tactique destiné à « tester » les intentions de l’adversaire à l’aide d’un « coup de semonce » précédant la frappe stratégique. Cette stratégie suppose un engagement clair des forces de chaque côté. Elle laisse sans réponse le cas d’une exploitation progressive de la situation de la part du fort28.

15 Malgré une tentative de modification des options sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, en particulier dans le sens de l’élargissement du « sanctuaire »29, la dissuasion française a peu varié au début des années 1980 par rapport à son concept d’origine. La traduction militaire de la menace sur laquelle elle repose serait bien évidemment suicidaire. Il s’agit donc avant tout d’établir un rapport de nature politique avec l’adversaire, en faisant le pari que la menace ne devra jamais être mise à exécution. Une amorce d’ouverture en direction des alliés européens a commencé à se manifester après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 198130. Elle fut encouragée par l’inconfort qui s’exprima de plus en plus distinctement à partir de 1983, d’une part à cause de l’incompatibilité du modèle de dissuasion français avec les engagements du pays envers l’Alliance atlantique, d’autre part à cause des évolutions technologiques qui bouleversent le paysage stratégique. La nécessaire intégration de ces facteurs dans la politique de sécurité a permis d’amorcer quelques révisions, dont la création d’un « Conseil de défense et de sécurité franco-allemand », la constitution d’une brigade mixte, l’organisation de manœuvres communes du type « moineau hardi » se veulent les premières esquisses, à quoi il faut ajouter les efforts de revitalisation de l’UEO depuis 198431. Mais de l’avis de la plupart des observateurs, on est encore très loin de la réalisation d’une véritable défense franco-allemande et encore davantage d’une défense européenne intégrée. D’autre part, le rôle dévolu aux armes tactiques reste une pomme de discorde au sein de la classe politique française, le Président Mitterand ayant clairement fait connaître son attachement au modèle classique de la dissuasion « du faible au fort », où elles jouent le 128

rôle d’ultime avertissement, alors que la droite envisage d’en faire des armes de combat dans le cadre d’une stratégie qui s’apparente à la « réponse flexible »32.

La problématique

16 Quelle que soit sa forme, la stratégie de dissuasion repose sur un double pilier : une composante politique (y compris les facteurs psycho-sociologiques) qui touche aux objectifs de la dissuasion : établir un rapport de force tel que l’ennemi renonce à toute entreprise belliqueuse ; une composante militaire concernant les moyens concrets de mettre en œuvre la menace. De la crédibilité de ces moyens dépend la solidité de la dissuasion. Le moraliste ne peut porter un jugement sans tenir compte simultanément de l’un et l’autre aspects.

17 Il peut alors poser la question : « Les moyens militaires de la menace pourraient-ils moralement être mis en œuvre en cas d’échec de la dissuasion ? ». Mais il risque dans ce cas d’assimiler trop rapidement menace et emploi des armes et d’ignorer que leur détention a justement pour objectif d’en prévenir l’emploi. Au contraire, s’il aborde le sujet en mettant l’accent sur les fins de la menace, c’est-à-dire la prévention de la guerre ou de l’agression, il court le danger de négliger l’hypothèse de sa traduction militaire. Le fondement moral d’une stratégie reposant sur la menace anti-cités ne peut relever que de cette seconde approche, qui prend appui sur la stabilité née de l’idéal de non-emploi de l’arme. Au contraire, la stratégie contre-forces sélective favorise la première méthode qui associe très étroitement menace et usage des moyens militaires.

18 Il existe donc un lien étroit entre le modèle de dissuasion et le jugement éthique qui s’y rapporte. La force de ce lien est illustrée avec éclat par la différence des méthodes adoptées par la conférence épiscopale américaine d’une part, les évêques européens et le Vatican d’autre part dans leur évaluation éthique de la dissuasion nucléaire. Si la spécificité de la dissuasion française permet de justifier a priori le choix d’une approche que nous appellerons « politique », la préférence des évêques allemands pour une logique similaire contraste avec l’approche militaire de leurs collègues américains. Cette divergence, qui confine parfois à la rivalité, dénote une différence de perception étroitement liée aux facteurs géopolitiques nationaux. Une vision partielle des choses rend difficile pour les uns d’éviter le Charybde de l’analyse purement stratégique, alors que les autres menacent de tomber dans le Scylla d’un déterminisme politico-idéologique qui fait bon marché des facteurs militaires. Ce n’est qu’en analysant l’armement nucléaire sous sa double nature d’instrument de combat et de force de dissuasion que l’on peut porter un jugement éthique, certes non satisfaisant, mais du moins cohérent, à son égard.

19 Ces préalables étant posés, il est indéniable que l’articulation de la lettre pastorale américaine a profondément influencé la réflexion des conférences épiscopales européennes. Les évêques américains ont poussé le plus loin la recherche d’un modèle stratégique à la fois viable et répondant aux canons de la morale catholique. Ils ont dû pour cela mener une analyse détaillée des facteurs militaires de la dissuasion nucléaire, un effort entrepris jusque-là seulement par une minorité de moralistes et, en tout cas, une « première » pour le magistère de l’Eglise. Leurs confrères allemands et français les rejoignent jusqu’à un certain point, mais la différence des approches rend presque sans objet la projection des critères américains sur les documents des épiscopats européens. Inversement, les analyses développées par ces derniers mettent en évidence l’insuffisance d’une thématique essentiellement militaire telle qu’elle apparaît dans la lettre pastorale américaine. 129

I. L’emploi des armes nucléaires

20 C’est à partir de la doctrine de la guerre juste que l’Eglise a traditionnellement émis un jugement sur les « armes de destruction massive ». Mais si, depuis Pie XII, elle condamne les destructions indiscriminées de populations civiles, elle ne les a jamais assimilées au résultat d’une frappe perpétrée avec des armes nucléaires. Leur emploi reste régi par les critères traditionnels de discrimination et de proportionnalité. Ne disposant pas d’un arsenal épistémologique spécifique pour aborder la dissuasion nucléaire, les évêques américains ont cherché dans la tradition catholique comment ces deux principes pouvaient éclairer leur réflexion.

1. Le critère de discrimination

21 « Parce que la défense du principe de l’immunité de la population civile est si importante pour une éthique de la guerre » (CoP, p. 738), les évêques américains sont amenés à accorder une attention spéciale à la « guerre contre la population civile ». Pour eux, conformément à la tradition catholique, « la vie de personnes innocentes ne peut être sacrifiée directement, quel que soit l’objectif avancé pour agir ainsi » (CoP, p. 732). En conséquence : En aucune circonstance, les armes nucléaires ou d’autres instruments de destruction de masse ne peuvent être utilisés dans le but de détruire des agglomérations ou d’autres objectifs civils (CoP, p. 737).

22 Il s’agit ici seulement d’un rappel de la condamnation de la « guerre totale », déjà prononcée par Pie XII, et précisée par Vatican II (GS, § 80.2), texte dont leurs collègues allemands et français reconnaissent également l’héritage. Les premiers mentionnent cet impératif dans le contexte de l’évolution du concept de guerre juste sans faire expressément allusion au principe de discrimination (GsF, p. 580). Ils y font de nouveau une référence indirecte dans leur discussion de la stratégie de dissuasion, pour souligner la contradiction insurmontable entre la menace que l’on brandit, dont la mise à exécution serait « moralement insoutenable » (GsF, p. 587), et le rôle positif de cette menace dans la prévention de la guerre. C’est également pour mettre en évidence cette aporie que les évêques français renvoient à la phrase du Concile (GP, p. 10)33.

23 Ni les uns, ni les autres cependant n’en tirent la même conséquence pratique que les prélats américains : Cette condamnation, dans notre jugement, s’applique même à l’utilisation, en guise de représailles, d’armes frappant les villes ennemies après que nos propres villes aient été touchées (CoP, p. 737).

24 Aucun document d’Eglise n’avait encore poussé la conclusion aussi loin. Elle apparaît pourtant comme une déduction logique des propositions de Vatican II34. Non seulement les évêques américains rejettent globalement toute frappe anti-cité, mais ils condamnent ici expressément le modèle de seconde frappe sur lequel repose la destruction mutuelle assurée35.

25 L’intangibilité qu’ils attribuent au principe de discrimination les a conduits à présenter à l’administration un catalogue de questions pressantes sur sa politique de choix des cibles militaires. Ce fut l’objet d’un important échange de courrier36, ainsi que le principal sujet des consultations additionnelles entre le Comité et certains fonctionnaires du 130

Département d’Etat et du Pentagone les 7 et 8 janvier 198337. La troisième version de la lettre pastorale exprimait une certaine satisfaction devant les réponses obtenues. Elle accordait une large place à la lettre du Conseiller pour les Affaires de Sécurité : Pour des raisons morales, politiques et militaires, les Etats-Unis ne prennent pas pour objectif la population civile soviétique en tant que telle38,

26 et citait également le rapport annuel du Secrétaire à la Défense au Congrès pour l’année 1983 : Pour la politique de l’administration Reagan, en aucun cas de telles armes ne peuvent être utilisées délibérément dans le but de détruire des populations39.

27 Cependant, cette version et davantage encore le texte final – puisqu’il reléguait les deux citations en note infrapaginale – tenaient à faire savoir qu’ils considéraient cette réponse comme insatisfaisante. En effet, elle laissait sans solution le cas des cibles militaires placées au beau milieu des centres de population. Il revient au critère de proportionnalité d’évaluer ces situations où, « même si les moyens utilisés ne sont pas mauvais en eux- mêmes » (CoP, p. 732), les dommages causés pourraient être sans rapport avec le bien que l’on peut tirer de l’emploi des armes.

2. Le critère de proportionnalité40

28 La question s’est trouvée au centre des préoccupations des évêques américains du fait même de l’attention qu’ils accordaient au principe de discrimination. Après avoir obtenu de la part de l’administration une certaine assurance qu’il n’était pas de sa politique de viser « directement » les populations civiles de l’adversaire, les évêques se sont aperçus qu’un grand nombre de cibles nucléaires était situé à l’intérieur de périmètres urbains ou dans leur immédiate proximité41. La très forte probabilité que les populations civiles subiraient des dommages importants en cas d’attaque sur ces cibles rend le simple principe de discrimination insuffisant pour juger de la moralité de l’emploi des armes. Quels que soient les objectifs initiaux de la frappe, les destructions produites seraient disproportionnées par rapport à l’enjeu. La localisation de cibles industrielles ou économiques, militairement importantes, à l’intérieur de zones à population dense ou dans des zones touchées par des retombées radioactives, pourrait bien entraîner un nombre tellement massif de victimes civiles que, à notre avis, une telle attaque devrait être considérée comme moralement disproportionnée, bien qu’elle ne soit pas volontairement indiscriminée (CoP, p. 742), affirment-ils.

29 En conséquence, Tenter de justifier l’emploi d’une arme qui tue « indirectement » ou « sans intention préalable » un million d’innocents parce qu’ils se trouvent près d’une « cible militaire importante », serait une perversion de la politique gouvernementale ou une déformation casuistique de la morale (CoP, p. 744).

30 L’accusation, qui n’est pas sans rappeler les critiques adressées dans les années 1960 à la théorie de “counterforce plus avoidance” de Paul Ramsey42, est sérieuse, vu le nombre de cibles nucléaires situées en périmètre urbain43.

31 Elle met en évidence la difficile compatibilité, voire la contradiction, entre les critères de proportionnalité et de discrimination. Les évêques américains font de la seconde une condition de la première. Contrairement à des auteurs comme William O’Brien qui n’excluent pas qu’une frappe proportionnée bien qu’indiscriminée soit moralement justifiable44, la discrimination apparaît chez eux comme un présupposé de la 131

proportionnalité, excluant ainsi l’échappatoire de la justification par « l’intentionnalité indirecte » ou la théorie des « effets secondaires ». Politiquement, la prépondérance accordée à la discrimination porte un coup sévère au modèle de planification stratégique qui soud-tend la dissuasion américaine et laisse augurer du préjugé défavorable avec lequel les évêques aborderont celle-ci. Il reste alors à savoir si, de leur texte, relève une remise en cause générale de la stratégie contre-forces.

32 Sur ce point, l’argumentation épiscopale est beaucoup plus ambiguë. Le problème qui se pose concrètement, avant même l’application du critère de proportionnalité, est celui de la contrôlabilité de l’emploi des armes, comme l’avait déjà entrevu Pie XII (Cf. Chap. II)45. La contrôlabilité représente un seuil minimal, en deçà duquel aucun usage des armes ne pourrait être juste, la porte s’ouvrant toute grande sur la possibilité de la guerre totale. Or la question du contrôle est avant tout une question technique, sur laquelle les avis des experts divergent. Le discours épiscopal en la matière reste donc grevé d’incertitudes, voire de contradictions.

33 a. Les évêques américains tiennent un double discours sur la contrôlabilité de l’usage des armes nucléaires et en corollaire, sur la guerre limitée. Sa première forme caractérise leur approche du “jus in bello” lorsqu’ils exposent la théorie de la guerre juste (I,C,3), les deux parties introductrices à l’examen des problèmes contemporains de la guerre et de la paix (II, A&B)46 ainsi que leur traitement de la question de l’usage en premier de l’arme nucléaire (II,C,2). La seconde s’applique à la discussion directe du thème de guerre nucléaire limitée.

Première forme du discours :

34 Le leitmotiv du premier type d’argumentation est le « non » répété à la guerre nucléaire (CoP, p. 735, 736). Pour fonder ce « non », les évêques s’appuient très largement sur un certain nombre de messages pontificaux et de rapports établis par l’Académie pontificale des sciences, mettant en évidence la différence de nature qui distingue la guerre nucléaire de la guerre classique47. Cette différence tient à l’ampleur des destructions qui résulteraient d’une guerre nucléaire, menaçant « la personne humaine, la civilisation que nous avons lentement construite et jusqu’à l’ordre créé lui-même » (CoP, p. 734). Ultérieurement, ils ajoutent une caractéristique propre, à leurs yeux, à la guerre nucléaire : son déclenchement signalerait le franchissement d’un seuil psychologique au- delà duquel l’humanité ne pourrait plus tabler sur aucune forme d’expérience pour assurer le contrôle des événements (CoP, p. 739). Cherchant à asseoir sur des bases solides une conclusion qui pourrait n’apparaître encore que comme une simple opinion, les évêques ont recours à la caution des experts : Les ouvrages techniques et le témoignage personnel de personnalités civiles étroitement liées à la stratégie nucléaire américaine nous ont convaincus de l’écrasante probabilité qu’un échange nucléaire important n’aurait pas de limites (CoP, p. 737)48.

35 De crainte que cette affirmation laisse encore planer un doute, ils la confortent par une longue citation d’un rapport de l’Académie pontificale des sciences : Même si l’attaque nucléaire était dirigée sur les installations militaires uniquement, elle serait tout autant dévastatrice pour l’ensemble du pays. Car les installations nucléaires sont dispersées plutôt que concentrées en quelques zones. De cette façon, de nombreuses armes nucléaires exploseraient. En outre, la radiation s’étendrait grâce aux vents naturels et aux mélanges dans l’atmosphère, tuant 132

d’innombrables personnes et contaminant d’immenses régions. Les installations sanitaires de n’importe quel pays seraient inadéquates pour s’occuper des survivants. Un examen objectif de la situation sanitaire après une guerre nucléaire conduit à une seule conclusion : la prévention est notre seul recours49.

36 C’est à partir de ces conclusions qu’ils abordent la question de l’emploi en premier des armes nucléaires, alors au centre du débat public aux Etats-Unis. Leur prise de position sans équivoque à l’encontre du “first use” (CoP, p. 738) est intéressante par ses motifs. Ceux-ci se résument en une affirmation succincte : Le danger de l’escalade est si grand qu’il serait moralement injustifiable de déclencher une guerre nucléaire quelle que soit sa forme (CoP, p. 738).

37 Certes, le texte fournit un argument supplémentaire qui fait intervenir la « responsabilité spécifique et lourde » qu’entraînerait le « fait de consentir à prendre l’initiative d’une guerre nucléaire », ce qui supposerait « la transgression d’une barrière fragile – politique, psychologique et morale – qui a été élevée depuis 1945 » (CoP, p. 738). Mais ce motif n’apparaît que secondaire par rapport à la justification principale qui tient à la probabilité écrasante de non-limitation d’une guerre nucléaire50.

38 Pourtant, après avoir, semble-t-il, apporté une réponse conclusive sur ce thème, les évêques ouvrent directement la discussion sur la question spécifique de la guerre nucléaire limitée.

Deuxième forme du discours

39 Face à la rhétorique gouvernementale sur la guerre nucléaire limitée, « la question qui est en jeu est la possibilité réelle, en tant qu’opposée à la possibilité théorique, d’un “échange nucléaire limité” » (CoP, p. 739). Dans le concret se pose toute une série de questions d’ordre technique portant sur la fiabilité des circuits d’information en période de crise, la capacité des organes dirigeants à prendre des décisions en un temps record et plus précisément, la notion de « limitation » de la guerre. Les évêques pressent les responsables politiques et militaires d’apporter des réponses claires sur ces points. • « Les responsables disposeraient-ils d’une information suffisante pour connaître ce qui se passe dans un échange nucléaire ? • Seraient-ils capables, soumis à une grande tension, pressés par le temps et disposant d’informations fragmentaires, de prendre la décision extraordinairement précise, nécessaire pour maintenir un échange limité, si cela était techniquement possible ? • Le commandement militaire serait-il capable au milieu des destructions et de la confusion créées par un échange nucléaire de maintenir une politique de “cibles sélectives” ? Cela est- il possible dans une guerre moderne menée sur de grandes distances par des avions et des missiles ? • Etant donné les accidents qui se sont produits en temps de paix, peut-on être sûr que les erreurs d’ordinateurs pourraient être évitées au cœur d’un échange nucléaire ? • Ne dénombrerait-on pas encore les victimes par millions, même dans une guerre définie comme limitée par les stratèges ? • Quelle serait la “limite” des conséquences à long terme des radiations, de la famine, de l’éclatement social et de l’écroulement économique ? » (CoP, p. 739).

40 L’épiscopat lui-même ne donne pas de réponse définitive à ces interrogations. Il se contente d’exprimer son profond scepticisme sur l’éventualité d’une guerre nucléaire limitée, tout en imputant la charge de la preuve à « ceux qui soutiennent qu’une limitation significative est possible » (CoP, p. 739). 133

41 Mais avant même de soumettre ce catalogue d’exigences, il était revenu sur ses conclusions précédentes en affirmant : Nous reconnaissons que le débat public sur cette question est resté en suspens et que tous les participants en sont toujours à faire des projections hypothétiques sur les réactions probables en cas d’échange nucléaire (CoP, p. 739)51.

42 Le « non » rhétorique à la guerre nucléaire n’est donc pas accompagné d’un « non » pratique aussi catégorique. Il s’agit davantage de dire non à Vidée de guerre nucléaire qu’à la guerre elle-même, conçue comme échange militaire concret. C’est d’ailleurs cette formule que les évêques emploient ultérieurement lorsqu’ils énoncent les critères d’acceptabilité de la dissuasion (CoP, p. 743), contrairement à la formule radicale du « non » à la guerre nucléaire utilisée précédemment (CoP, p. 735). On est ici en présence d’un double registre du langage, dont une forme se place au pur niveau du discours alors que l’autre s’applique aux phénomènes concrets. Les évêques ont essayé de limiter au maximum l’éventualité morale théorique d’une guerre nucléaire satisfaisant les deux critères qu’ils posent, mais ils ne l’ont pas supprimée. Pourquoi sinon affirmeraient-ils : Une réponse nucléaire à une attaque, soit conventionnelle, soit nucléaire, peut causer des destructions qui vont bien au-delà de la « légitime défense ». Un tel emploi des armes nucléaires ne serait pas justifié (CoP, p. 739)52.

43 L’argumentation utilisée pour rejeter l’usage en premier de l’arme nucléaire aurait dû logiquement conduire au rejet de tout emploi de cette arme. Plusieurs critiques ont souligné cette contradiction de la lettre pastorale53, à laquelle seule l’analyse du jugement sur la dissuasion permettra d’apporter une explication (Cf. infra).

44 b. Les évêques allemands ne consacrent pas un développement spécifique à l’examen du critère de proportionnalité. Cependant, ils reviennent à plusieurs reprises sur la question de la guerre nucléaire limitée, étroitement liée à l’application de ce principe. Le thème est abordé sous un angle très différent de celui qu’avait adopté la lettre pastorale américaine. Au départ, on y fait appel à titre d’élément de crédibilité de la dissuasion, la non- contrôlabilité de l’emploi des armes apparaissant sous cet angle comme un facteur positif. ... du point de vue de la prévention de la guerre, la menace réciproque de dommages inacceptables et le risque qu’elle comporte sont des éléments essentiels de la stratégie de dissuasion. Précisément, la perspective d’une guerre conventionnelle et nucléaire impossible à limiter crée pour l’adversaire un risque incalculable, qui doit assurer la dissuasion réciproque devant la guerre sous toutes ses formes (GsF, p. 587).

45 La question morale n’est pas pour autant résolue. Comme leurs confrères américains, les évêques allemands hésitent. D’un côté, ils affirment : ... jamais les conséquences de la guerre n’ont été aussi manifestes, et jamais il n’a été aussi évident que tout bénéfice possible ne serait pas en rapport avec les sacrifices à fournir (GsF, p. 586)54.

46 De l’autre, ils s’interrogent à la manière du document américain : Les armes qui doivent servir à la dissuasion, avec pour objectif d’empêcher la guerre, peuvent-elles être encore utilisées dans une guerre en respectant le principe de la proportionnalité des moyens ? Le danger de l’escalade d’une utilisation, aussi limitée soit-elle, n’est-il pas si grand qu’aucune situation n’est pensable dans laquelle on pourrait assumer la responsabilité d’utiliser des armes nucléaires, quels que soient les biens en cause ? (GsF, p. 587). 134

47 Encore moins que leurs confrères, ils n’apportent de réponse, ne fournissant même pas un indice qui permette de juger de leur opinion. Au contraire, la solution proposée tient plutôt de l’échappatoire. Nous espérons et prions que ne se produise jamais une situation dans laquelle quelqu’un se voie contraint de prendre une telle décision (GsF, p. 587).

48 Dans un passage antérieur – à propos de « l’élargissement d’une éthique de l’Eglise sur la paix » –, se référant à la position traditionnelle de l’Eglise, le texte rappelait que : Le Concile ne prend pas position sur la question de savoir si les effets de certains armements atomiques sont contrôlables ou non (GsF, p. 580).

49 L’usage du terme restrictif « certain » autorise à conclure qu’ils n’excluent pas, en fait, l’hypothèse d’un emploi limité des armes nucléaires, qui satisferait en conséquence aux critères de discrimination et de proportionnalité55. Il faut souligner que cette affirmation est en contradiction évidente avec un passage du discours d’ouverture du Cardinal Höffher devant l’assemblée annuelle de la conférence épiscopale en septembre 1981. Se référant au Concile, le cardinal déclarait alors : Etant donné que la guerre menée avec des armes modernes scientifiques provoque « d’énormes destructions faites sans discrimination » et dépasse de loin « les limites d’une légitime défense », la question de la guerre doit « être reconsidérée dans un esprit entièrement nouveau »56.

50 Comme leurs confrères américains, les évêques allemands ont visiblement des difficultés à prendre une option définitive sur ce sujet57. Malgré quelques déclarations en sens contraire, la règle reste le refus de faire de la guerre conduite avec des armes nucléaires un cas particulier58.

51 c. Les évêques français n’ont même pas jugé nécessaire de s’interroger directement sur les questions de proportionnalité et de contrôlabilité. La dissuasion française étant basée sur la frappe anti-cité, sa traduction militaire ne pourrait avoir lieu qu’en violation flagrante du principe de discrimination. Ils abordent cependant le sujet à propos de la nature de la guerre, qu’ils décrivent comme non proportionnée, « démentielle », au niveau conventionnel déjà, l’escalade au plan nucléaire tactique, puis stratégique pouvant difficilement être évitée (GP, pp. 5-6).

52 C’est ici qu’apparaît l’une des différences essentielles entre les documents français et allemand d’une part, américain d’autre part. Après avoir défini les critères de discrimination et de proportionnalité et en avoir fait un usage opérationnel pour juger de l’emploi des armes, ce dernier va tenter de les appliquer à la dissuasion nucléaire elle- même. Au contraire, les deux premiers, s’appuyant sur la déclaration de Jean-Paul II, optent en faveur d’une méthode de jugement où dissuasion et utilisation des armes relèvent de deux modes de raisonnement différents.

II. Discrimination, proportionnalite et dissuasion

53 L’affirmation selon laquelle « il n’est pas moralement acceptable de vouloir tuer des innocents dans le cadre d’une stratégie de dissuasion nucléaire » (CoP, p. 742), pose l’équivalence éthique entre emploi et intention d’emploi – sur laquelle serait basée la dissuasion59. Non seulement la frappe des populations civiles, mais encore l’intention délibérée de la perpétrer, seraient inacceptables. Le principe de discrimination qui occupe une place centrale dans le jugement de l’utilisation des armes est ainsi transféré à 135

l’évaluation de la dissuasion. Qu’ils approuvent ou non l’absolutisation du critère, les critiques, dans leur quasi unanimité ont lu dans le document américain une condamnation sans appel de la stratégie anti-cités qui conduit à la destruction mutuelle assurée (« MAD »)60.

54 Deux questions se posent alors : 1) « Le défi de la paix » condamne-t-il également toute dissuasion contre-forces ? Dans ce cas, il rejetterait les deux modèles stratégiques qui, alternativement ou de manière combinée, ont constitué la base de la dissuasion nucléaire américaine depuis ses origines ; 2) Une autre forme de dissuasion que celle qui menace explicitement d’une frappe contre-cités ou d’une frappe contre-forces est-elle envisageable ? C’est là que les avis divergent.

55 Comme son homologue allemand et français, l’épiscopat américain énonce une série de critères justifiant son acceptation conditionnelle de la dissuasion. Ces critères sont étroitement liés aux conditions posées par le message du pape aux Nations Unies. Ils sont juxtaposés dans la lettre pastorale américaine aux conditions déjà présentes de discrimination et de proportionnalité, alors qu’ils s’y substituent dans les documents allemand et français en matière de jugement de la dissuasion.

1. Les critères d’acceptabilité conditionnelle de la dissuasion

56 Les conditions d’acceptabilité de la dissuasion énoncées par les documents américain et allemand sont très voisines. Cette ressemblance n’est pas fortuite et vient conforter la référence commune au message pontifical qui pose comme essentiels l’équilibre et la compatibilité de la dissuasion avec le désarmement. Sans doute la volonté d’aboutir à une unité de vues sur ce point central était-elle présente chez les deux épiscopats, bien que les évêques allemands se soient défendus d’avoir « copié » ces critères sur la lettre pastorale américaine61. Le texte français, tout en exprimant des principes similaires, en reste à une formulation plus vague. Plus fondamentalement, ces critères sont ceux que l’école de la « maîtrise des armements » considère généralement comme la base d’une dissuasion stable62. Politiquement, ils situent les évêques dans le cadre d’une approche réformiste des relations internationales.

a. Le refus du combat nucléaire

57 Pour les évêques américains, le premier impératif est le refus d’une stratégie offensive accréditant l’idée de déclencher et de mener une guerre nucléaire. Ils ont à cet égard une formule des plus incisives : Si la dissuasion nucléaire existe uniquement pour empêcher que d’autres ne se servent d’armes nucléaires, toute proposition de dépasser ce niveau pour projeter, pendant des périodes prolongées, des tirs et des contre-tirs nucléaires répétés ou pour « sortir vainqueur » d’une guerre nucléaire n’est pas acceptable. Cela encourage l’idée qu’une guerre nucléaire peut-être engagée avec des conséquences humaines et morales tolérables. Nous devons au contraire toujours dire non à l’idée d’une guerre nucléaire (CoP, p. 743).

58 En comparaison, la formulation de la lettre pastorale allemande paraît bien pâle : Les moyens militaires déjà existants ou projetés ne doivent rendre la guerre ni plus réalisable, ni plus vraisemblable (GsF, p. 587),

59 d’autant plus qu’aucune précision n’est donnée quant auxdits moyens. En réalité, le premier critère d’acceptabilité de la dissuasion leur sert surtout d’instrument pour 136

mettre en évidence le paradoxe qui sépare la menace que l’on maintient par la dissuasion et l’inacceptabilité de l’emploi effectif des armes (GsF, pp. 587). Ils restent très réticents à s’engager sur le terrain de la condamnation de telle ou telle stratégie. Leur principale préoccupation semble plutôt de conjurer tout automatisme qui résulterait de la délégation des pouvoirs de décision de l’homme à la machine en cas de crise (GsF, pp. 586-87).

60 La « stabilité en cas de crise » est également une cause d’inquiétude pour les évêques américains qui complètent ce refus de l’automatisme par une demande de retrait des armes nucléaires (tactiques) des zones risquant d’être affectées en premier par un conflit –essentiellement l’Europe centrale et les deux territoires allemands (CoP, p. 744). Ils rejoignent ici des propositions comme celles de la Commission Palme pour la création de zones dénucléarisées en Europe. De plus, le texte américain met l’accent sur l’impératif de la « stabilité stratégique » en rejetant le recours à des armes qui, tout en étant éventuellement vulnérables à une attaque, n’en possèdent pas moins une capacité de « destruction rapide des cibles dures » qui menace de rendre vulnérables les forces de représailles de l’autre camp (CoP, p. 743).

61 Dès l’introduction du concept de dissuasion, ils précisaient : Une situation de dissuasion stable dépend de la capacité de chaque partie de déployer ses forces de représailles de telle sorte qu’elles ne soient pas vulnérables à une attaque (c’est-à-dire protégées contre un « premier tir ») ; préserver la stabilité exige que les deux parties soient d’accord pour éviter de déployer des armes qui apparaissent comme ayant une capacité de premier tir (CoP, p. 739).

62 Ils soulignaient par là l’importance que chaque partie conserve une capacité de seconde frappe, traditionnellement reconnue comme condition essentielle de stabilité nucléaire. Davantage encore, on peut se demander si la stratégie contre-forces mérite encore à leurs yeux le nom de dissuasion. Si la mention du MX et du Pershing II, qu’ils citent à titre d’exemples, est reportée en note infrapaginale dans le texte final (CoP, p. 743), le refus de cautionner l’orientation de plus en plus nette de la stratégie nucléaire américaine vers le modèle de la pure dissuasion contre-forces est ici évident.

63 Les évêques allemands, de leur côté, restent beaucoup plus timorés en matière de propositions stratégiques concrètes, choisissant au contraire de faire porter le poids de leur argumentation sur le refus de toute forme de guerre, nucléaire et conventionnelle. Outre le fait que leur premier critère ne fait aucune distinction entre conflit classique et nucléaire, ils précisent dans une partie introductive au jugement de la dissuasion l’angle sous lequel il est nécessaire d’approcher les stratégies en vigueur. Le but poursuivi est l’élément en fonction duquel doit s’ordonner toute appréciation éthique. Ce but ne peut être autre que la « prévention de la guerre » (GsF, p. 586). Il ne doit pas demeurer du pur domaine déclaratoire, mais « les dirigeants politiques et militaires doivent pouvoir justifier que et pourquoi cette stratégie est véritablement capable d’empêcher la guerre » (GsF, p. 586).

64 Le texte français ne pose pas une telle exigence. Quant à la fin recherchée par la dissuasion nucléaire, il se contente de demander « qu’il s’agisse seulement de défense » (GP, p. 10). Or le discours militaire ne présente-t-il pas la dissuasion « du faible au fort » comme par nature, défensive, dans la mesure où sa traduction sur le champ de bataille signifierait le suicide de la nation tout entière ? En outre, le concept de « défense » est grevé de tant d’ambiguïtés qu’on peut se demander si son invocation a davantage de 137

valeur qu’un vœu pieux. D’une part, comme le font remarquer les documents allemand et américain, la nature défensive d’un système d’armes n’est pas un critère suffisant de son acceptabilité. Les moyens de la « juste défense » ne sont pas illimités. D’autre part, les évêques soulignent que « les armes offensives et défensives sont, en gros, les mêmes » (GP, p. 9), proposition qui n’a de valeur que si elle est nuancée. Dans la mesure où nulle mention n’est faite des stratégies auxquelles sont destinées ces armes, elle est peu apte à aider le discernement du jugement éthique. Une distinction entre position « agressive » – du domaine politique ou stratégique – et « offensive » – du domaine militaire ou tactique – aurait peut-être permis de traduire plus fidèlement leur pensée. Enfin on remarque que la question centrale de la perception par l’adversaire du processus d’armement français n’est abordée à aucun moment. En fin de compte, c’est l’ensemble du problème de l’adéquation des moyens aux fins qui est passé sous silence. Il reviendra aux militaires et à eux seuls d’en juger. Au contraire, les évêques allemands soulignent comme second préalable au jugement de la dissuasion la nécessité que le choix des moyens soit cohérent avec la volonté d’empêcher la guerre (GsF, p. 586).

b. Equilibre

65 Le deuxième critère énoncé par les lettres pastorales rappelle la condition d’équilibre du message pontifical. Elles sont cependant plus précises que le texte de Jean-Paul II qui n’offrait aucune clé d’interprétation d’un concept extrêmement vague, qu’il faut en tout cas éviter de penser en termes purement quantitatifs63.

66 Les évêques allemands sont les plus explicites. Après avoir formulé un critère général : On ne peut déployer que les moyens militaires encore nécessaires, en qualité et en quantité, pour une dissuasion orientée vers le but d’une prévention de la guerre (GsF, p. 587),

67 ils précisent : En particulier, les moyens militaires ne doivent pas provoquer une course à la supériorité64. Ils doivent bien davantage être orientés vers la stabilité, qui existe lorsqu’aucune des parties ne peut tirer un avantage politique ou militaire de son armement (GsF, p. 587).

68 Si les évêques américains utilisent une formule plus ambiguë, il nous semble inexact de leur imputer une conception de l’équilibre qui serait purement numérique65. Certes, leur expression est plus lapidaire : Si la dissuasion nucléaire est notre but, la capacité « suffisante » pour dissuader est une stratégie adéquate ; la recherche de la supériorité nucléaire doit être rejetée (CoP, p. 743).

69 Mais leur opposition maintes fois répétée à la recherche d’une capacité de première frappe (CoP, pp. 739, 743) témoigne de leur refus d’une stratégie bâtie autour du couple première frappe – supériorité et de leur préférence de principe pour une dissuasion « minimale » – nonobstant les contradictions qui surgiront à propos de la compatibilité de celle-ci avec les critères de discrimination et de proportionnalité (Cf. infra). Cette pétition de principe s’accompagne d’une série de recommandations précises dont le dénominateur commun est la stabilité des potentiels. Ainsi en est-il du « gel » nucléaire, du soutien aux réductions bilatérales des arsenaux nucléaires à longue et moyenne portée et de l’encouragement à la conclusion d’un traité d’interdiction globale des essais nucléaires (CoP, pp. 743-44). 138

70 Les évêques français, quant à eux, demandent « que l’on évite le surarmement » (GP, p. 10), en précisant que « la dissuasion est atteinte à partir du moment où la menace formulée rend déraisonnable l’agression d’un tiers » (ibid.). La condition de « suffisance » ainsi posée reste excessivement vague. On peut même se demander si elle va au-delà de l’argument des stratèges définissant les conditions de crédibilité de la dissuasion française66. Pour une argumentation de type éthique dans le contexte particulier de la France, il serait nécessaire d’examiner dans quelle mesure le pays ne risque pas, sans rechercher une supériorité qui serait dans ce cas illusoire, d’avoir à se mettre au pas de la compétition armée entre les deux « Grands », les progrès technologiques intervenus dans les arsenaux des deux superpuissances le poussant sans arrêt dans la « spirale de la course à l’armement » que les évêques eux-mêmes déplorent (GP, p. 10).

71 Si l’objectif des trois conférences épiscopales est le rejet du concept de supériorité, leur insistance sur le critère de « stabilité » apparaît a contrario comme une caution de la « dissuasion minimale » par détention d’une capacité assurée de seconde frappe. « Moindre mal » peut-être, cette solution risque de contredire leurs efforts visant à sortir de la logique dissuasive. Alors que les évêques américains sont conscients de cette possibilité de glissement67, la stabilité de la dissuasion demeure un objectif primordial, du moins dans le court et moyen terme, pour leurs collègues allemands et français.

c. Compatibilité avec le désarmement

72 La compatibilité de cet objectif avec l’impératif de désarmement, qui constitue le troisième critère d’acceptation de la dissuasion68 devient alors problématique. Cet impératif, inlassablement repris par les papes depuis 1945, a été intégré au message pontifical de 1982 dans une formulation qui nous paraît elle-même extrêmement discutable. Les évêques américains la reprennent mot pour mot. La dissuasion doit être utilisée comme une étape vers le désarmement progressif (CoP, p. 743).

73 Cette proposition semble postuler l’existence d’une condition d’antériorité sinon chronologique, du moins logique, entre la dissuasion et le désarmement. Comment la dissuasion, qui repose sur un rapport de profonde suspicion mutuelle, peut-elle être un préalable au désarmement, dont l’un des présupposés est la confiance entre les parties ? Le Concile Vatican II était à ce propos plus cohérent lorsqu’il établissait un lien intrinsèque entre dissuasion et course aux armements69. Le problème ne peut se poser, à notre avis, qu’en termes de compatibilité sous peine de n’avoir aucun sens. C’est d’ailleurs ainsi que l’abordent les évêques allemands en demandant que : tous les moyens militaires [soient] compatibles avec les objectifs d’une limitation des armements, d’une réduction des armements et d’un désarmement efficaces et bilatéraux (GsF, p. 587)70.

74 La question posée est alors de savoir dans quelle mesure la dissuasion ne constitue pas un obstacle au désarmement, qui reste, au regard de l’Eglise, l’objectif prioritaire.

75 Les adversaires d’une dissuasion contre-forces font généralement valoir que celle-ci conduit à la course aux armements, à cause d’une tendance qui lui est inhérente à la recherche d’une supériorité. Mais l’expérience montre que la dissuasion anti-cités, malgré les avantages de stabilité qu’on lui attribue, n’a pas conduit dans la pratique à un arrêt de la course aux armements et encore moins à une réduction des arsenaux. Dès le lendemain de la signature des accords SALT I (1972), qui consacraient la reconnaissance 139

de la destruction mutuelle assurée comme mode de relation stratégique entre les deux superpuissances, les Etats-Unis commencèrent à déployer des missiles à têtes multiples, profitant ce que le traité limitait non pas le nombre de têtes nucléaires, mais seulement le nombre des lanceurs. Les Soviétiques, quant à eux, en profitèrent pour entreprendre un vaste programme de développement de leur armement stratégique contre-forces71. Dans les années suivantes, la course qualitative et quantitative se poursuivit à l’intérieur des plafonds définis pour les armes stratégiques et sans aucune contrainte pour les autres types d’armements. Le programme soviétique de modernisation des forces de portée intermédiaire mené à partir du milieu des années 1970 (essentiellement le remplacement des SS-4 et SS-5 par les SS-20 beaucoup plus précis) en témoigne. La « maîtrise des armements » telle qu’elle s’est pratiquée à partir du début des années 1970 a bien davantage entériné une « course contrôlée aux armements » qu’une « limitation contrôlée » de ceux-ci. Le phénomène d’action-réaction et l’analyse conservatrice des situations (“worst case analysis”) qui présidaient à l’élaboration des programmes militaires72 ont rendu vaine toute tentative négociée d’endiguer la course aux armements. On peut aller plus loin encore, à la manière de l’école « critique » de recherche sur la paix, pour laquelle la dissuasion n’est pas seulement un modèle stratégique mais un mode d’existence des sociétés occidentale et socialiste, qui structure l’ensemble des relations sociales, économiques et politiques. Un véritable désarmement nécessiterait le bouleversement total de ce « système » de la dissuasion. Parler de désarmement à l’intérieur même du rapport dissuasif n’a donc pas de sens car les deux termes sont essentiellement incompatibles73.

76 Au moment de la rédaction des lettres pastorales, les faits corroboraient ces conclusions pessimistes : les négociations de Vienne sur les armements conventionnels n’avaient produit aucun résultat tangible malgré quelques ouvertures en 1982 ; les négociations prévues sur les armes stratégiques (SALT III) n’avaient été que très laborieusement amorcées à cause du blocage intervenu après la signature de SALT II ; les négociations sur les armes nucléaires de portée intermédiaire (INF) s’enlisaient dans un dialogue de sourds 74.

77 Cinq ans plus tard, les progrès accomplis dans les discussions entre les deux grandes puissances invitent à réviser ces conclusions. En signant le 8 décembre 1987 l’accord sur le démantèlement des euromissiles, MM. Reagan et Gorbatchev ont en même temps inauguré l’ère du désarmement nucléaire. C’est à l’intérieur même du système dissuasif qu’a été conclu cet accord et que sont menées les négociations sur les armes stratégiques visant à réduire de moitié le potentiel des deux superpuissances75. Aucun des deux protagonistes n’a au préalable renoncé explicitement à ses plans de modernisation76 – sinon sous le poids des contraintes économiques – et les programmes militaires mettent l’accent sur le développement d’armes sophistiquées et précises particulièrement adaptées à la conduite de la guerre. Le désarmement se produit donc dans les circonstances jugées, du point de vue militaire, les plus défavorables, dans la mesure où l’accroissement, d’une part, des armements offensifs contre-forces, d’autre part, des armements défensifs, les uns et les autres à l’ordre du jour, est traditionnellement considéré comme un catalyseur de la course aux armements du fait qu’il incite l’adversaire à prendre des contre-mesures.

78 De fait, seules des explications de type politique peuvent rendre compte des évolutions en cours depuis 1986. Il semble que les leaders américain et soviétique aient reconnu le bien- fondé de l’affirmation des évêques américains selon laquelle « des intérêts mutuels 140

objectifs existent bel et bien entre les deux superpuissances » (CoP, p. 752), cette communauté d’intérêts rendant à la fois possible et nécessaire un minimum de dialogue. Quant à la nature de ces intérêts, elle serait simultanément politique et économique. Pour réussir sa politique de « Perestroïka », Mikhail Gorbatchev a impérativement besoin de dégager des fonds autrefois affectés aux dépenses militaires et d’intensifier les échanges économiques avec l’Ouest sur la base d’une nouvelle phase de détente, seul moyen d’acquérir un influx de technologie et de capitaux suffisant en qualité et en quantité pour moderniser son économie. De l’autre côté, il est important pour un Président Reagan dont le blason s’est un peu terni en fin de course (notamment depuis l’“Irangate”) de confirmer par les actes l’image d’homme de paix qu’il a voulu se donner durant son deuxième mandat. Nul doute aussi que des économies sur le budget militaire soulageraient de manière appréciable le déficit du budget américain qui reste un casse-tête pour les décideurs politiques.

79 Des progrès ont été faits grâce à la flexibilité politique des deux leaders, M. Gorbatchev renonçant peu à peu à toute une série de présupposés qui avaient jusqu’alors constitué la base des positions soviétiques77, et le Président Reagan faisant preuve d’une réceptivité et d’un pragmatisme impensables aux premières heures de son entrée en fonction.

80 L’éclairage apporté par cinq années de relations entre les superpuissances depuis la publication des lettres pastorales met en lumière leurs forces et leurs faiblesses. Les faits corroborent l’intuition de l’épiscopat américain selon laquelle un “modus vivendi” pourrait permettre d’améliorer considérablement les relations entre les deux superpuissances sans qu’aucune d’entre elles n’ait renoncé à ses prétentions idéologiques. A l’inverse, ils soulignent l’excès d’attention accordé par les évêques américains, mais aussi allemands, aux facteurs militaires aux dépens des facteurs politiques.

81 Les évêques américains demandaient que : toute extension éventuelle de notre système stratégique ou tout changement dans la doctrine stratégique [soit] évalué précisément à la lumière de la question suivante : cela rend-il plus ou moins probables les étapes vers le désarmement progressif ? (CoP, p. 743).

82 Leurs confrères allemands formulaient leur troisième condition d’acceptation de la dissuasion nucléaire dans les termes suivants : Tous les moyens militaires doivent être compatibles avec les objectifs d’une limitation des armements, d’une réduction des armements et d’un désarmement efficaces et bilatéraux (GsF, p. 587).

83 Ce faisant, les uns et les autres prennent en compte un aspect du problème : le conditionnement du politique par le militaire, certes très fort au début de la décennie. Mais ils ne prévoient pas que le politique puisse avoir sa dynamique propre, indépendamment des plans de modernisation militaires, rendant possibles des accords si seulement les décideurs y appliquent leur volonté. C’est ce que démontrent les développements intervenus en 1987 et 1988, qui devraient conduire les évêques à apporter un jugement sur la politique de défense reaganienne plus nuancé en 1988 qu’en 198378.

84 Le droit de regard potentiel que s’arrogent les évêques américains sur la décision gouvernementale devrait ainsi être utile dans une double optique : celle d’une surveillance permanente de la politique de défense et celle d’une rectification éventuelle de leurs propres critères, afin d’en accroître la pertinence au plus près de la réalité 141

politique. Cette dynamique est absente des textes allemand et français, plus soucieux de mettre l’accent sur la stabilité de la dissuasion.

85 Le document « Gagner la paix » ne mentionne pas expressément le « désarmement » comme critère d’acceptabilité conditionnelle de la dissuasion. Il exige seulement « que la nation qui prend le risque de la dissuasion nucléaire poursuive par ailleurs une politique constructive en faveur de la paix » (GP, p. 10). S’il apparaît ainsi plus modéré, il fait aussi preuve d’une plus grande prise en compte des réalités, dans la mesure où il évite l’équivoque de la formule pontificale. Mais sa prudence risque de cautionner certaines ambiguïtés de la politique française dans ce domaine, dont les deux constantes sont la décision ferme de ne pas commencer à désarmer avant que les grandes puissances aient fait le premier pas et le refus catégorique de lier le sort de la défense de l’Hexagone au résultat des négociations américano-soviétiques. Cependant, la formule « politique constructive en faveur de la paix » permet d’englober des démarches plus variées que le seul désarmement, telles que les « mesures de confiance », ignorées des documents allemand et américain et mentionnées allusivement dans le texte français (GP, pp. 12-13). A ce propos, il faut saluer les initiatives présentées par la France lors de la première session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le désarmement, dont certaines ont donné naissance à la « Conférence sur le Désarmement en Europe » (CDE). La CDE, qui s’est ouverte à Stockholm en janvier 1984, a abouti en septembre 1986 à des mesures significatives de « renforcement de la confiance » sur le plan des rapports militaires en Europe79.

86 Cette possibilité d’introduction de la démarche politique, laissée ouverte par le texte français, est absente de la lettre américaine, tout entière dirigée vers la définition d’une grille de critères militaires – y compris en matière de désarmement –, qui conditionnent la possibilité d’une dissuasion nucléaire « morale ». Les critères énoncés posent une sérieuse présomption à rencontre de la recherche d’une capacité contre-forces. Ils rejoignent en cela les conclusions déjà tirées à propos de la proportionnalité et confortent le « non » rhétorique à la guerre nucléaire. Etant donné le rejet de la stratégie anti-cités qu’entraîne l’utilisation du critère de discrimination, n’y a-t-il pas contradiction à déclarer la dissuasion « encore moralement acceptable » ? A ce sujet, les avis des analystes divergent.

2. Le jugement éthique de la dissuasion nucléaire dans la lettre pastorale des évêques américains

87 L’analyse de la dissuasion dans le document américain a donné lieu à deux principaux types d’interprétations. D’un côté, on trouve les auteurs pour qui la sévérité des conditions posées équivaut à la condamnation de tout emploi des armes nucléaires, impliquant de ce fait le rejet des deux types classiques de dissuasion : contre-cités et contre-forces ; de l’autre, ceux qui considèrent que la lettre pastorale laisse ouverte une possibilité marginale d’emploi des armes nucléaires qui satisferait à la fois les exigences de proportionnalité et de discrimination, cette possibilité étant la condition de leur acceptation temporaire de la dissuasion. Nous voudrions maintenant confronter ces deux types d’analyses en essayant de montrer pourquoi la seconde nous paraît la plus plausible.

142

a. « Non » à tout emploi des armes nucléaires ?

88 Nul n’a fait davantage pour accréditer cette première thèse que Francis Winters, professeur de théologie morale à la Faculté d’études diplomatiques de l’Université de Georgetown. Winters a publié de nombreux articles dans des revues aussi bien américaines qu’européennes80 et tenté à l’occasion de multiples contacts de diffuser son interprétation sur le continent. Concédons que la formule qu’il utilise pour caractériser la thèse des évêques n’est pas celle de la condamnation de tout emploi des armes nucléaires, mais de tout emploi militairement significatif (“all military meaningful use”)81. Cependant, ceci ne modifie en rien la logique de son argumentation dans la mesure où l’enjeu est la nécessité d’un emploi crédible des armes nucléaires comme condition de crédibilité de la menace dissuasive. Il est rejoint dans ses conclusions par Charles Krauthammer82, McGeorge Bundy83, et Robert Tucker84. Implicitement Albert Wohlstetter85, François Gorand86 Susan Moller-Okin et les auteurs allemands de l’évaluation publiée par la KAEF aboutissent à un résultat identique au sujet de l’emploi des armes87, mais tous n’en tirent pas les mêmes conséquences en matière de dissuasion.

89 Tous s’accordent à considérer que l’utilisation restrictive du critère de discrimination, telle qu’elle apparaît dans la lettre pastorale, entraîne un rejet catégorique de la dissuasion anti-cités. Ils remarquent aussi que le critère de proportionnalité est assorti de conditions si contraignantes que la frappe anti-forces ne pourrait jamais être agréée. A partir de là leurs conclusions divergent.

90 Albert Wohlstetter accuse les évêques de saper la crédibilité de la dissuasion en excluant justement l’hypothèse de la frappe limitée anti-forces sur laquelle pourrait reposer une dissuasion à la fois morale et crédible88. François Gorand confirme cette analyse en leur reprochant d’en « avoir trop fait » s’ils voulaient lutter contre la tendance de l’administration Reagan à penser en termes de guerre plutôt que de dissuasion, ou au contraire « pas assez », parce qu’ils rejettent les fondements essentiels de la dissuasion sans toutefois répudier ouvertement celle-ci89. Charles Krauthammer leur fait un procès sévère, soulignant également leur incohérence et la perte de crédibilité de la dissuasion qui résulterait de leurs propositions : « On peut garder les armes, mais on n’a pas le droit de s’en servir. En résumé, la seule politique nucléaire morale est le bluff nucléaire »90. Robert Tucker met en évidence les difficultés qu’ont rencontrées les évêques à définir une forme de dissuasion encore crédible après avoir condamné tout emploi des armes nucléaires. Il n’y a à son avis « aucune chance que la politique nucléaire américaine – passée, présente ou telle qu’on peut la prévoir dans le futur – puisse être conciliable avec les positions des évêques »91. Les études de Susan Moller-Okin et des chercheurs allemands de la KAEF, qui fournissent les analyses les plus fouillées du jugement éthique de la dissuasion énoncé dans la lettre pastorale, font apparaître la contradiction qui résulte de l’utilisation des critères de discrimination et de proportionnalité d’une part, de la définition des conditions de stabilité de la dissuasion d’autre part. La première en conclut que, finalement, les évêques sont beaucoup plus pacifistes qu’ils ne veulent l’avouer. L’application stricte de leurs critères équivaut virtuellement à une condamnation de toute dissuasion nucléaire, ce que seules des raisons extérieures, de nature « politique », les empêcheraient de reconnaître92. Pour Gert Krell, Thomas Risse- Kappen et Hans-Joachim Schmidt, l’évidence parle d’elle-même : les critères visant à la limitation des dommages dans la guerre sont absolument inadaptés à l’évaluation des moyens d’empêcher celle-ci de survenir93. 143

91 Prenant le contre-pied, d’un côté de ceux qui fustigent le document américain pour le manque de crédibilité de son modèle dissuasif, de l’autre, de ceux qui attaquent la validité de son jugement moral, Francis Winters applaudit l’ingéniosité de l’épiscopat, qui a réussi à définir une forme de dissuasion à la fois morale et crédible. Contrairement à la majorité des commentateurs américains et français, Winters refuse catégoriquement d’assimiler à un « bluff » ce que propose – selon son interprétation – la lettre pastorale, cherchant au contraire à montrer que la solution des évêques ne repose pas seulement sur les apparences. Il conçoit la possibilité d’une dissuasion fondée sur le seul maintien de l’arsenal nucléaire, qui signalerait une capacité toujours présente de mise en œuvre des forces, alors même que la politique officielle serait celle d’une renonciation à ces armes. Le renforcement du potentiel conventionnel qui irait nécessairement de pair ferait clairement comprendre à l’adversaire que la volonté de défense occidentale n’a pas fléchi 94. C’est une thèse qu’il avait déjà émise en 1981, au moment où l’agitation qui commençait à se développer au sein de la conférence épiscopale jetait rétrospectivement une lumière sur la déposition du cardinal Krol de 1979 à propos des accords SALT II, jusque-là largement restée dans l’ombre95. Son argumentation, qui apparaissait à nouveau dans ses articles commentant la deuxième mouture de la lettre pastorale, encore très dépendante du raisonnement du cardinal96, bénéficia d’un solide appui avec la publication d’un article de McGeorge Bundy dans The New York Review of Books au lendemain de l’adoption définitive de la lettre pastorale. Bundy reconnaît aux évêques le mérite d’avoir défini les conditions d’une « dissuasion existentielle » (“existential deterrence”)97 qui serait indépendante de tout schéma d’emploi des armes et reposerait sur leur simple possession. L’incertitude régnant à propos de leur emploi, qui ne pourrait jamais être totalement exclu, suffirait à la crédibilité du dispositif. Elle permettrait d’éviter une course aux armements destinée à répondre au coup par coup à toute modification du rapport de force initiée par un nouveau déploiement de l’adversaire. Bundy, comme Winters, souligne la cohérence de l’approche avec l’encouragement au renforcement du potentiel conventionnel que suggère la lettre pastorale98.

92 Si nombre d’auteurs partagent l’analyse que porte Winters à propos du jugement épiscopal sur la dissuasion, rares sont ceux qui seraient prêts à corroborer l’optimisme de ses conclusions99. Il paraît en effet très difficile de cautionner sa thèse en faveur d’une politique de « non-emploi quelles que soient les circonstances » qui ne nuise pas à la crédibilité de la dissuasion et soit en même temps morale. Comment avoir la certitude que l’arsenal que l’on maintient ne sera jamais employé, malgré une politique déclaratoire de non-emploi, même doublée d’une intention honnête ? Si la dissuasion échoue, les armes venant à être utilisées, sera-t-il possible de se disculper en niant avoir jamais eu l’intention d’en faire usage ? L’hypothèse de l’emploi ne pouvant jamais être totalement exclue, l’absence de dispositions pour cette éventualité ne risque-t-elle pas d’avoir des conséquences plus immorales, car plus indiscriminées, qu’une politique planifiée de choix sélectif des cibles ? Tel est bien le dilemme auquel étaient confrontés les évêques américains. Comme l’affirme Michael Novak : Quelles que soient les intentions subjectives du commandant en chef et de ceux qui reçoivent ses instructions, l’intention objective du système est d’être prêt à l’emploi. L’intention du système en tant que tel est de dissuader l’adversaire de faire usage de ses armes. Cependant, en tant que système, il est objectivement prêt à être utilisé100.

93 On rejoint ici la critique que Michael Walzer adressait à Paul Ramsey lorsque celui-ci rejetait l’intention d’utiliser des armes nucléaires contre des centres de population, tout 144

en soulignant que leur simple possession impliquait que « l’ennemi ne pouvait jamais être certain… que ses cités ne seraient pas détruites ». Il sauvegardait ainsi l’intention, mais au prix d’une solution toute théorique du problème éthique101. Au-delà de la formulation de Novak, c’est bien l’homme qui confère son intention au système ; les armes elles-mêmes ne peuvent être soustraites à sa volonté.

94 Mais si l’on suppose, comme le font les évêques, que l’intention puisse être maintenue en toutes circonstances en accord avec la politique déclaratoire, la solution proposée ne ruine t-elle pas un des fondements essentiels de la dissuasion ? Celle-ci repose sur le double pilier de la menace militaire et du discours qui l’accompagne. Si le discours dissuasif disparaît, l’adversaire ne risque-t-il pas d’être tenté de mettre à l’épreuve par des manœuvres limitées et progressives la volonté de réaction du camp qui proclamerait avoir renoncé à tout emploi de l’arme nucléaire ? Dès qu’il se rendrait compte de l’irréalité de la menace militaire, il lui apparaîtrait clairement qu’il n’a affaire qu’à un « bluff » lui permettant de prendre sans danger toutes les initiatives. William O’Brien est sévère à propos de la construction de Winters qui, à ses dires, aboutit à une théorie « insensée » en voulant sauver l’intention tout en continuant à bénéficier de la protection de la « MAD »102. Si inversement on cherche à garantir la crédibilité, alors il est impossible de conserver l’intention droite dans un modèle comme celui de Winters. Plus rien ne permet de différencier sa proposition – ou la thèse qu’il impute aux évêques – de la destruction mutuelle assurée.

95 C’est la nécessité de sortir de cette contradiction qui, selon les auteurs de la seconde école, a poussé l’épiscopat américain à ne pas condamner tout emploi des armes nucléaires.

b. Un « centimètre de possibilité »

96 Comme le déclare Bryan Hehir, secrétaire du Comité de rédaction de la lettre pastorale, le texte a voulu laisser ouvert un « centimètre de possibilité »103. Et comme il l’explique, c’est ce centimètre qui a permis de ne pas condamner la dissuasion104. Cette interprétation est partagée par un certain nombre d’auteurs, pour la plupart catholiques ou proches du Comité de rédaction. Pour Bruce Russett, l’équivalence posée entre l’acte et l’intention exclut la menace d’un emploi immoral. Même au cas d’une intention déclarée de non-emploi, l’impossibilité d’exclure absolument qu’un arsenal resté intact soit utilisé militairement élimine l’hypothèse d’un « bluff »105. Outre la formulation rapportée plus haut à propos de la guerre nucléaire limitée, un incident survenu lors de la discussion finale du projet permet d’accréditer la thèse de la non-condamnation totale de l’usage des armes nucléaires. A Chicago, Mgr Quinn, archevêque de San Francisco et l’un des défenseurs les plus ardents des thèses « pacifistes » au sein de la conférence épiscopale avait proposé l’amendement suivant : Notre opposition à tout emploi des armes nucléaires pour des raisons morales ne doit laisser aucune ambiguïté106.

97 Sa proposition fut entérinée, puis annulée par une modification du texte en sens contraire fermement appuyée par le cardinal Bernardin au motif de la cohérence de l’argument107.

98 Dans le même sens, une clé d’interprétation est fournie par l’évolution survenue au fil de la rédaction de la lettre pastorale. La première mouture envisageait explicitement l’emploi des armes nucléaires contre des cibles militaires isolées108. Cette possibilité fut 145

retranchée des versions ultérieures, car elle aurait pu être lue comme une caution accordée à l’option stratégique reaganienne en faveur de la guerre nucléaire limitée. Cependant, aucune d’entre elles n’avance l’affirmation inverse. Nulle part il n’est dit que la guerre nucléaire soit autorisée, nulle part non plus qu’elle soit absolument interdite109. Enfin, la déposition du cardinal Krol, utilisée dans les deux premières moutures, apporte un indice supplémentaire. Elle faisait appel à trois notions différentes : la « menace », « l’intention déclarée d’emploi » et la « possession » des armes nucléaires. En l’absence de définition, la formulation du cardinal incite à penser que les deux premières désignent une seule et même attitude. Interprétant le passage du texte “To Live in Christ Jésus” qui condamnait la menace d’attaquer des populations civiles, il commentait : Le jugement moral contenu dans cette déclaration est que non seulement l’emploi des armes stratégiques, mais aussi l’intention déclarée de les employer qui fait partie de notre politique de dissuasion, sont tous deux un mal110.

99 Les deux termes de « menace » et d’« intention déclarée » sont ici employés comme synonymes.

100 La suite de la déposition peut autoriser à penser que la possibilité d’une dissuasion reposant sur la simple possession des armes nucléaires ne serait pas exclue par principe bien qu’elle ne correspondît pas aux conditions contemporaines de la stratégie américaine. Le texte disait en effet la doctrine morale catholique prête à « tolérer la possession des armes nucléaires à des fins de dissuasion, comme le moindre entre deux maux », à condition que des efforts réels de négociation soient poursuivis « en vue d’une réduction progressive des arsenaux nucléaires jusqu’à leur élimination complète »111. Mais c’est bien parce que cette simple possession, qui serait couverte de la franchise de la « neutralité morale »112, ne fut pas, après réflexion, considérée comme suffisante pour garantir la crédibilité de la dissuasion, que la conclusion du cardinal Krol dut être abandonnée dans les moutures subséquentes de la lettre pastorale113. C’est aussi pour cela que le raisonnement sur la guerre limitée, qui avait conduit les évêques à rejeter l’usage en premier des armes nucléaires, ne fut pas généralisé à tout emploi de ces armes.

101 Malgré leurs divergences, est-il possible de trouver un terrain d’entente entre les deux approches ? Nous avons précédemment fait remarquer que Francis Winters (contrairement à Charles Krauthammer, par exemple) n’affirme pas que les évêques aient condamné tout usage des armes nucléaires. A son avis, leur raisonnement n’exclut pas l’utilisation « diplomatique » de ces armes. Il cite à titre d’exemple l’emploi d’une arme nucléaire contre un bateau isolé en mer, comme moyen de montrer sa détermination (“signal resolve”) à un moment de tension internationale élevée114. En laissant de côté la question de l’opportunité d’une telle réponse, pourrait-on alors envisager une subtile distinction entre « l’emploi des armes nucléaires », qui pourrait sous condition être moral et la « guerre nucléaire », qui ne le serait en aucune circonstance ? Etant donné les réserves exprimées par le document épiscopal à propos de la limitation de la guerre nucléaire, ainsi que son emploi indifférencié des termes « guerre nucléaire » et « emploi des armes nucléaires », cette hypothèse paraît peu plausible. Seul Mgr O’Connor semble avoir conçu cette possibilité, mais l’adoption de sa proposition au sujet du non-emploi en premier115 fut une question de complaisance plutôt que de conviction de la part des autres membres du Comité. Modifier la terminologie ne résout pas en dernière analyse le problème de fond. A la racine des deux approches demeurent deux conceptions divergentes de la dissuasion nucléaire, reposant l’une sur une articulation de la menace et de l’emploi, l’autre sur une dissociation des deux éléments. 146

102 C’est sur une dissociation semblable que repose l’argumentation des évêques allemands et français. Mais elle n’intervient pas, comme chez Winters, au niveau du concept de dissuasion. Elle apparaît seulement à un deuxième degré, qui est celui du jugement éthique.

III. Dissuasion : « oui » – emploi : « non »

103 Plutôt que de recourir à une analyse déductive sur la base d’une critériologie, les documents allemands et français, ainsi que, autant que l’on puisse en juger, le message pontifical aux Nations Unies, utilisent une méthode inductive, dont le point de départ est l’observation de la situation internationale concrète dans laquelle s’inscrit la dissuasion. Le « danger » auquel elle doit permettre de faire face y tient nécessairement une place centrale.

1. Analyse de situation

104 La « mise en situation » des évêques allemands confronte la présence de « deux dangers » : d’une part, la menace pour la liberté des nations et de leurs citoyens émanant des systèmes totalitaires qui méprisent dans leur domaine de souveraineté les droits de l’homme les plus élémentaires, et qui pourraient être tentés d’utiliser leur puissance pour leur expansion ou à des fins d’influence politique ou de chantage,

105 d’autre part, la menace qui émane de la course aux armements avec une accumulation inimaginable d’armes nucléaires et conventionnelles qui pourraient un jour, comme beaucoup le craignent, aboutir à la catastrophe d’une guerre (GsF, p. 585).

106 Cette théorie des « deux dangers », que l’on retrouve dans d’autres passages de la lettre (GsF, p. 588) et que l’on sait être l’expression d’un durcissement progressif à l’égard du marxisme-léninisme (Cf. Chap. III) n’est pas sans rappeler une distinction élaborée par le cardinal Casaroli à propos du message pontifical lors de la réunion de Rome en janvier 1983. On note cependant une inversion de l’ordre des menaces par rapport à celui que proposait le cardinal, qui démontrait une volonté – quelque peu artificielle – de mettre l’Est et l’Ouest sur un pied d’égalité116. Pour les évêques allemands, le danger totalitaire reste primordial et une garantie offerte par des moyens militaires demeure indispensable pour y faire face (GsF, p. 585). Toutefois, le but recherché doit être « non pas de faire la guerre, mais d’empêcher la guerre, toute guerre ». En effet, c’est « sous l’angle de cet objectif et de cette orientation » que doivent être évalués moralement « le réarmement et la stratégie », « de même que les moyens » envisagés (GsF, p. 588)117. Cette affirmation est importante ; elle sous-tend l’ensemble du jugement des évêques allemands sur la dissuasion.

107 Dans le texte français, l’évaluation éthique de la dissuasion renvoie directement au tableau dressé au tout début du document, qui décrit la guerre nucléaire comme « le suicide de l’humanité », « la guerre démentielle » qui risque de conduire au « spasme » final et dépeint les effets de la guerre classique comme insupportables, d’autant plus que l’engrenage vers le conflit atomique ne pourrait probablement pas être évité (GP, pp. 5-6). De l’autre côté, il y a le « chantage », exercé par certains pays qui « entendent bien tirer les avantages de la guerre sans payer le prix de son déclenchement » (ibid., p. 6). Même si 147

« les Etats marxiste-léninistes n’ont pas le monopole de l’impérialisme… il serait injuste de renvoyer tout le monde dos à dos et de fermer les yeux sur le caractère dominateur et agressif de l’idéologie marxiste-léniniste » pour laquelle « tout, même l’aspiration des peuples à la paix, doit être utilisé pour la conquête du monde » (ibid.). C’est sur la base de cette analyse de guerre froide que les évêques se prononcent sur la dissuasion. Avant tout autre considération, l’hypothèse d’un désarmement unilatéral est exclue. Il pourrait même « provoquer l’agressivité des voisins en nourrissant la tentation de saisir une proie trop facile » (ibid.)118. Les prémisses étant connues, on peut juger de la valeur morale de la dissuasion nucléaire.

2. Le jugement éthique de la dissuasion nucléaire chez les évêques allemands et français

108 Dans l’un et l’autre document se trouve au centre du jugement le message de Jean-Paul II aux Nations Unies : Dans les conditions actuelles, une dissuasion basée sur l’équilibre, non certes comme une fin en soi, mais comme étape sur la voie d’un désarmement progressif, peut encore être jugée comme moralement acceptable (GsF, p. 586 ; GP, p. 9).

109 Tous deux présentent cette conclusion comme le choix d’un « moindre mal » (GsF, p. 588 ; GP, p. 10) et tentent d’en examiner la signification pour leurs pays respectifs.

110 Immédiatement, les évêques français se voient confrontés à un dilemme. La dissuasion française, qui est celle du faible au fort, « repose sur une stratégie anti-cités… condamnée, elle, clairement et sans appel par le Concile » (GP, p. 10)119. Ils affirment par ailleurs que la crédibilité de la défense exige « qu’on se montre résolu à passer à l’action si la dissuasion échoue » (GP, p. 9). Que faut-il entendre par cette expression ? La marque d’une résolution est une condition du succès de la dissuasion, qu’avait particulièrement prisée le Général Beaufre120. Sur le plan éthique, on est ramené à une problématique similaire à celle que soulevait la déposition du cardinal Krol. Si l’on suppose que l’emploi des armes serait dans tous les cas immoral, la menace ne peut être morale que si l’intention en est dissociable, en d’autres termes, que si cette menace est un pur « bluff », c’est-à-dire si elle se réduit au niveau du discours, le menaceur n’étant en aucun cas disposé à la mettre à exécution121.

111 Les évêques français ont-ils considéré cette éventualité ? C’est peu probable. Dans la lettre qu’ils envoyèrent aux évêques américains, commentant le premier projet de lettre pastorale, ils soulignaient la nécessité de crédibilité de la dissuasion comme condition de son efficacité, ajoutant que cette crédibilité disparaîtrait si l’utilisation ou la possession venaient à être interdites. La dissuasion est basée sur « la menace réelle de représailles contre toute attaque » affirmaient-ils, rejetant la tentative américaine de dissociation entre la possession et la menace d’emploi122. En conséquence, nous croyons pouvoir affirmer que l’expression « se montre résolu » de la lettre pastorale n’a pas cherché à séparer menace et intention. Le texte trouve au contraire une issue de secours en affirmant que « la menace n’est pas l’emploi ». De cette dissociation, qui est présentée comme « la base de la dissuasion », il résulte qu’on ne doit pas « [attribuer] à la menace la même qualification morale qu’à l’emploi » (GP, p. 9). C’est cette distinction et elle seule qui permet de conserver le jugement d’acceptabilité de la dissuasion tout en déclarant immorale toute forme de guerre nucléaire. 148

112 Les évêques allemands rencontrent des difficultés similaires. Leur évocation de la dissuasion nucléaire semble correspondre à la situation de destruction mutuelle assurée, bien qu’en l’absence de définition claire, l’incertitude soit permise123. Quoi qu’il en soit, au cas où ils envisagent une dissuasion anti-forces, ils font ultimement reposer sa crédibilité sur le risque qu’elle échappe à tout contrôle (GsF, p. 587). En constatant que « les armes ne peuvent être efficaces comme moyen de dissuasion que lorsque la menace de les employer est crédible » (ibid.)124, ils semblent exclure la solution du « bluff » et de la dissuasion existentielle. Ils ont effectivement conscience de l’existence d’une « contradiction quasiment insurmontable » entre le fait que la dissuasion repose sur la « menace d’une extermination massive » et que l’exécution de cette menace serait « moralement insoutenable » (GsF, p. 587). C’est ce qui les conduit à affirmer que « toute appréciation des stratégies et des armements nucléaires ne tenant pas compte de ces objectifs politiques ne pourrait inévitablement conduire qu’à une condamnation radicale » (GsF, pp. 586-87), une version modérée et plus diplomatique de la formule lapidaire des évêques français « la menace n’est pas l’emploi ». Et, pour circonscrire encore plus étroitement leur jugement d’acceptabilité, ils ajoutent : Cette incroyable tension ne peut être acceptée que si l’ensemble de la politique de sécurité a pour but la prévention de la guerre, et que les mesures militaires restent subordonnées à l’idée primordiale de la recherche de la paix par des moyens politiques (GsF, p. 587).

113 Le jugement de la dissuasion reste en suspens. Il est en quelque sorte renvoyé à une étape ultérieure. Il ne constitue pas, comme chez les évêques américains, un noyau dur, quasi indépendant du reste de leur développement. Mais de même qu’il est conditionné par des éléments antérieurs – l’analyse de situation – il dépendra aussi d’éléments ultérieurs – la « promotion de la paix » et la recherche de la sécurité par des moyens autres que militaires. Lorsque la question des moyens est abordée, ce n’est pas pour en vérifier la moralité intrinsèque, ni même pour contrôler leur adéquation à la fin recherchée, mais seulement pour poser l’exigence de cette adéquation.

114 Cette timidité dans l’examen des moyens ne risque-t-elle pas de « geler » la fin recherchée, à savoir, la paix fondée sur la dissuasion, qui n’est elle-même qu’une fin intermédiaire, et ceci, aux dépens de la fin ultime qui, aux dires du Concile et des évêques, reste l’établissement d’une « paix véritable » ? L’approche choisie par les évêques allemands et français renforce l’ambiguïté et les contradictions déjà mises en lumière à propos des critères d’acceptation conditionnelle de la dissuasion. L’impératif de stabilité qui réduit le danger immédiat n’est jamais totalement réconciliable avec la disparition ultime de la menace nucléaire. L’incompatibilité entre les deux premiers critères d’acceptabilité de la dissuasion, qui visent cette stabilité, et le troisième, qui cherche à éliminer le risque grâce au désarmement, reste difficilement surmontable125.

115 L’analyse des documents américain tout autant que français et allemand met en évidence l’extrême difficulté de porter un jugement moral satisfaisant sur la dissuasion nucléaire, quelle que soit la méthode d’approche. Contradiction logique en elle-même, puisqu’elle consiste à menacer de l’acte qu’on veut à tout prix éviter, la dissuasion conduit à l’aporie du raisonnement éthique. Cherche-t-on à en approuver les fins, alors on est réduit à taire la question des moyens. Veut-on au contraire en limiter les moyens que l’on se heurte au problème de sa crédibilité. Une des difficultés essentielles tient au fait que l’on ne dispose pas d’un arsenal épistémologique spécifique pour aborder la question de la dissuasion. On doit donc se résigner à recourir aux critères classiques d’appréciation de la guerre qui, 149

sans être totalement inappropriés, ne permettent pas de rendre compte de la singularité de l’objet. Outre leurs contradictions internes – par exemple entre les conditions de proportionnalité et de discrimination – ces critères rencontrent leurs limites dans le fait que toute leur signification est tournée vers la volonté de limiter la guerre, alors que l’objectif de la dissuasion est sa prévention. Faut-il insister, comme le font les évêques américains, sur l’impératif de limitation des dommages une fois que la guerre aurait éclaté, ou au contraire, comme le font leurs confrères allemands et français, sur celui de la prévention du conflit en consentant à proférer la menace de dommages inacceptables ? Comment en même temps empêcher la guerre et prévoir sa limitation, conserver la stabilité stratégique et s’acheminer vers le désarmement, garantir la sécurité militaire et ne pas envenimer les rapports politiques ?

116 Les théologiens ne sont pas les seuls à avoir buté sur cette contradiction. D’autres moralistes l’ont aussi rencontrée. La conclusion de Michael Walzer, parmi eux l’un de ceux qui ont le plus réfléchi au problème de la guerre, n’est guère plus satisfaisante que celle des évêques. Bien que parti, comme l’épiscopat américain, du rejet de tout utilitarisme de principe et de règles présidant à la conduite de la guerre (“the war convention”) qui s’énoncent en « termes absolutistes »126, il cautionne en fin de compte ce qu’il appelle lui-même un « utilitarisme des cas extrêmes » qui brise en dernier recours ces règles après avoir poussé leur respect jusqu’à l’ultime limite. Il conclut : La violation des règles est toujours un choix difficile, et le soldat ou l’homme d’Etat qui y est conduit doit être prêt à accepter les conséquences morales et le fardeau de la culpabilité qu’entraîne son action. En même temps, il est tout à fait possible que la violation des règles soit la seule issue qui lui reste offerte : en fin de compte, il doit affronter ce que l’on peut sans contresens appeler la « nécessité »127.

117 Ce qu’il résume par la formule : Do justice unless the heavens are (really) about to fall128.

118 Mais il esquive par là toute la problématique morale du « cas limite » sur laquelle porte justement la dissuasion nucléaire. Comme le constate Hans Langendörfer, la pensée de Walzer est contradictoire car il admet que l’on puisse avoir à agir immoralement en cas d’« extrême nécessité », tout en justifiant simultanément cette attitude129.

119 « Les armes nucléaires ont fait exploser la théorie de la guerre juste »130. C’est pourquoi chacun est laissé devant le libre choix de sa méthode de jugement, qui dépendra étroitement de sa perception politique des dangers en présence et de son appréciation technique des moyens disponibles.

NOTES

1. Outre une multitude d’articles dans les revues spécialisées telles que Défense Nationale, Foreign Affairs, Survival, Revue de l’OTAN, Stratégique, les études de cas détaillées des séries “Adelphi Papers”, « Sept-Epées », on peut mentionner, pour une approche générale de la stratégie de dissuasion, FREEDMAN, op. cit. ; POIRIER, op. cit. ; MANDELBAUM, Michael, The Nuclear Question, 150

The United States and Nuclear Weapons, 1946-76, Cambridge, Cambridge University Press, 1979, 277 p. 2. KISSINGER, Henry, Nuclear Weapons and Foreign Policy, cité par POIRIER, Lucien, op. cit., p. 101. 3. Document NSC 162/2, 30 oct. 1953 ; Discours de John Foster Dulles du 12 janvier 1954, cités par LELLOUCHE, op. cit., pp. 56-57 ; FREEDMAN, op. cit., pp. 84-88. 4. Document MC 14/3, 1967, cité par LELLOUCHE, op. cit., pp. 61-62 ; FREEDMAN, op. cit., pp. 249-56, 285-87. 5. WOHLSTETTER, Albert, “The Delicate Balance of Terror”, Foreign Affairs, 37(2), Jan. 1959, pp. 211-34. 6. Sur ce chapitre, voir POIRIER, op. cit., pp. 95-108, pp. 223-41 ; FREEDMAN, op. cit., pp. 97-110, 203-23. 7. POIRIER, op. cit., pp. 229-34 ; WOHLSTETTER, “Bishops, Statesmen, and Other Strategists on the Bombing of Innocent”, Commentary, June 1983, pp. 23-25 (Ci-après, WOHLSTETTER, “Bishops”) ; FREEDMAN, op. cit., pp. 224-39. 8. La nouvelle doctrine paraissant indissociable de la volonté de se doter d’une capacité de première frappe. 9. FREEDMAN, op. cit, p. 246. 10. WOHLSTETTER, “Bishops”, op. cit., pp. 25-26 ; également, FREEDMAN, op. cit., pp. 245-46. 11. ibid. ; POIRIER, op. cit., pp. 227-28, 362 ; sur le même sujet et en particulier sur la distinction entre politiques déclaratoire et opérationnelle, BALL, Desmond, “US Strategic Forces: How Would they be Used ?”, International Security, Winter 1982-83, 7(3), pp. 31-60. L’association de la dissuasion minimale à la dissuasion anti-cités est elle-même discutable. Cependant, il semble que la possibilité de baser une dissuasion minimale sur une menace anti-forces ne soit apparue que récemment dans la théorie stratégique. 12. POIRIER, op. cit., chap. XIII. 13. POIRIER, op. cit., pp. 358-70 ; FREEDMAN, op. cit., pp. 375-82. 14. Sur les similitudes et les différences entre ces deux doctrines, voir FREEDMAN, op. cit., pp. 380-81. 15. O’BRIEN, William V., “Just War Doctrine in a Nuclear Context”, Theological Studies, Nr.44, 1983, p. 202 ; WOHLSTETTER, “Bishops”, op. cit., p. 27 ; WEBSTER, Alexander F.C., “Toward a More Credible US Deterrent”, Catholicism in Crisis, April 1985, pp. 9-18. 16. MOLLER-OKIN, Susan, “Taking the Bishops Seriously”, World Politics, July 1984, XXXVI(4), p. 542. 17. ibid., (Traduction CG). 18. LELLOUCHE, op. cit., pp. 73-90. Son analyse sur ce point rejoint étonnamment celle des mouvements de paix ; voir par exemple, “Weder Sternenkrieg noch Tiefschlag”, Publik Forum, Nr.25, 21, Dez, 1983. Mais elle s’en distancie à propos du stationnement des Pershing II. 19. WOHLSTETTER, “Bishops”, op. cit., pp. 30-32. 20. ibid., p. 31. Pour une discussion des principaux points de contentieux entre les deux théories, voir KEENY, Spurgeon M., PANKOVSKY, Wolfgang K.H., “Mad vs. Nuts”, Foreign Affairs, 60(2), Winter 1981/82, pp. 286-304. Les auteurs concluent à l’impossibilité de sortir de la « MAD ». 21. Voir le célèbre article de Colin Gray et Kenneth Payne, op. cit. 22. Cité dans, « Le bras armé des Etats-Unis », Le Monde Diplomatique, sept. 1982, p. 13. Cette publication mentionne également un mémorandum du Conseil National de Sécurité adopté par le Président Reagan le 21 mai 1982 et contenant des orientations similaires. 23. GALLOIS, Général Pierre-Marie, Stratégie de l’Age Nucléaire, Paris, Calman-Lévy, 1960, 238 p. BEAUFRE, Général André, Introduction à la stratégie, Paris, IFRI (Economica), 1985, 125 p. (1re éd., A. Colin, 1963) ; Dissuasion et Stratégie, Paris, A. Colin, 1964, 208 p. La paternité du concept de « dissuasion du faible au fort » revient au Colonel Charles Ailleret, qui a joué un grand rôle dans les débuts de la réflexion sur la dissuasion nucléaire française, POIRIER, op. cit., pp. 298-305. 151

24. POIRIER, op. cit., p. 307 ; FREEDMAN, op. cit., p. 316. 25. POIRIER, op. cit., p. 309. 26. ibid., p. 224. 27. KLEIN, Jean, « La stratégie de dissuasion de la France et la stratégie des Etats-Unis dans l’Alliance Atlantique », in L’aventure de la bombe, pp. 175-88 (en particulier pp. 186-87). 28. ibid., p. 323. 29. MERY, Guy, « Une Armée pourquoi faire et comment », Revue de défense nationale, juin 1976, pp. 11-34 ; GISCARD D’ESTAING, Valéry, Allocution à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, 1er juin 1976, ibid., juil. 1976, pp. 5-20 ; également, LELLOUCHE, op. cit., pp. 270-71. 30. A propos de la mise en place de cette coopération, Le Monde, 22, 23, 24-25 oct. 1982. La création de la « force d’action rapide », dont l’intervention éventuelle est aussi envisagée sur le territoire allemand, est un élément de cette inflexion. Le Monde, 25 oct. 1983. 31. Pour les manœuvres « moineau hardi », voir Le Monde, 11 sept. 1988 ; sur le Conseil de défense et de sécurité, Le Monde, 23 janv.1988. Plus généralement, sur l’organisation de la défense européenne et les changements qu’elle induit pour la France : Le couple franco-allemand et la défense de l’Europe, sous la direction de Karl Kaiser et Pierre Lellouche, Paris, Travaux et Recherches de l’IFRI, 1987, 353 p. (L’Europe et sa défense, vol. 1). 32. Le Monde, 1er mars 1988. 33. La discussion du jugement éthique de la dissuasion nous permettra de revenir en détail sur ces questions. 34. A ce sujet, voir HERR, Violence, guerre et paix, pp. 388-90, 405. Certains auteurs ont conclu de ce passage que les évêques vont au-delà de ce que prévoit le droit international, qui n’excluerait pas la frappe anti-cité en tant que mesure de représailles : KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., p. 13. Cependant le premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1977, art. 51 § 2 stipule que « sont interdites les attaques dirigées à titre de représailles contre la population civile ou les personnes civiles », une stipulation qui ne se trouvait pas dans les conventions antérieures. Voir BARREA, op. cit., p. 312. Une interprétation identique se trouve dans CONDORELLI, Luigi, BOISSON De CHAZOURNES, Laurence, « Quelques remarques à propos de l’obligation des Etats de “respecter et faire respecter” le droit international “en toutes circonstances” », Tiré à part des Etudes et Essais sur le Droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge, en l’honneur de Jean Pictet, éd. Christophe Swinarski, Genève/La Haye, Martinus Nijhoff, 1984, pp. 20-21. 35. MOLLER-OKIN, op. cit., p. 532. 36. En particulier d’une lettre de William Clark au cardinal Bernardin en date du 15 janvier 1983 et d’une lettre de Caspar Weinberger à Mgr O’Connor datée du 9 février 1983. Un extrait de la lettre de William Clark est reproduit dans la note 81 du texte final, CoP, p. 742. 37. CASTELLI, op. cit., pp. 129-30. 38. CoP 3, p. 714 (Traduction DC). 39. ibid. 40. Nous examinerons ici le critère de proportionnalité tel qu’il est défini dans le “jus in bello”. Dans le cadre du “jus ad bellum” (CoP, p. 731), la condition de proportionnalité ne nous paraît pas différente de celle de la « justice comparative » que nous évoquerons plus loin. Notons que les évêques font entrer la dimension spirituelle dans leur définition de la proportionnalité. 41. RUSSETT, op. cit., pp. 44-47. 42. TUCKER, op. cit. ; STEIN, op. cit. 43. CoP 3, p. 714 ; CoP, p. 742 ; BALL, “US Strategic Forces”, op. cit. La lettre pastorale s’appuie largement sur les informations fournies par cette étude. 44. Ainsi, O’Brien : “Although... some forms of strategic nuclear countervalue war or of theater/ tactical nuclear war in heavily populated areas might be prima facie disporportionate, one has to be careful about generalizations when asserting proportionality. The high cost of means do not 152

automatically render them disproportionate. Much depends on the weight given to the ends” ; O’BRIEN, William V., “Just War Doctrine in a Nuclear Context”, op. cit., p. 209. 45. D’une manière un peu curieuse, les évêques envisagent aussi la proportionnalité dans un cadre plus large, qui n’est pas seulement celui de l’emploi des armes mais des conséquences de la course aux armements : « Les coûts exorbitants, le climat général d’insécurité engendré, la possibilité d’une explosion accidentelle d’armes à haut potentiel de destruction, le danger d’erreur et de faux calcul qui pourrait provoquer des représailles et la guerre, de tels maux, ou d’autres connexes et découlant indirectement de la course aux armements, ne font-ils pas de la course aux armements elle-même une réponse disproportionnée à l’agression ? », CoP, p. 732. 46. Qui portent respectivement sur la description du « nouveau moment » auquel l’humanité se trouve confrontée du fait de l’avènement des armes nucléaires et sur l’exposé du rôle de la conférence épiscopale dans le débat public sur la défense, CoP, pp. 734-36. 47. Les références renvoient à JEAN-PAUL II, Message pour la journée de la paix 1982, cité par CoP, p. 732 ; « La prévention de la guerre nucléaire », Déclaration d’un groupe de savants, 23-24 sept. 1982, DC, Nr. 1839, 1982, p. 992-93, cité par CoP, p. 732, 734. 48. La formule « échange nucléaire important » est équivoque car elle signifierait inversement qu’un échange nucléaire réduit resterait limité, ce qui serait une évidence et ne correspondrait pas aux témoignages cités en note (Nr.61) qui insistent sur le fait que tout échange nucléaire, aussi limité soit-il à l’origine, « escaladerait » probablement en une guerre totale. 49. « Déclaration sur les conséquences de l’emploi des armes nucléaires », 7-8 oct. 1981, DC, Nr. 1882, 1982, p. 106, cité par CoP, p. 737. 50. Cette interprétation est renforcée par l’affirmation subséquente : « C’est précisément à cause de ce scepticisme [sur les possibilités de maîtriser un échange nucléaire] que nous jugeons le recours aux armes nucléaires pour répondre à une attaque conventionnelle comme moralement injustifiable », CoP, p. 738. Notons que Robert McNamara utilise exactement le même argument pour justifier son rejet du “first use” dans sa tentative pour définir la stratégie nucléaire de la fin du siècle : McNAMARA, Robert, Blundering into Disaster, New York, Pantheon Books, 1986, p. 35 (ci- après, McNamara, Blundering...). 51. Cette contradiction est très clairement analysée par Susan MOLLER-OKIN, op. cit., pp. 533-34. 52. Souligné par nous. 53. MOLLER-OKIN, op. cit., pp. 534-35 ; KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., pp. 24-25. 54. Egalement, « Le développement récent d'armes nucléaires d'une puissance inimaginable rend en fin de compte impossible toute interprétation positive d'une guerre entre Etats, au sens dans lequel on le comprenait autrefois », GsF, p. 579. 55. FENEBERG, op. cit., pp. 36, 129-31. 56. HÖFFNER, « Le problème de la paix », op. cit., p. 1122 ; également FENEBERG, op. cit., p. 131. 57. Hans Langendörfer conclut également à l’ambiguïté de leur propos sur l’emploi des armes nucléaires en comparant leur questionnement final à l’affirmation introduisant leur évaluation de la dissuasion nucléaire : « Toute appréciation des stratégies et des armements nucléaires ne tenant pas compte de ces objectifs politiques ne pourrait inévitablement conduire qu’à une condamnation radicale » (GsF, pp. 586-87) ; LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, p. 98. 58. La réaction du groupe d’experts de la Commission Justice et Paix allemande à la « Déclaration de Feuerstein » de Pax Christi sur l’objection de conscience de novembre 1986 le confirme. On y lit en effet : „Die eindeutige Verurteilung der kirchlichen Lehre gelte allen Kriegshandlungen, die auf die Vernichtung der Zivilbevölkerung ausgerichtet sind, nicht jedoch bestimmten Waffensystemen. Die kirchliche Lehre – von ‘Gaudium et Spes’ bis zu den Hirtenbriefen der US – und der deutschen Bischöfe – lasse bewusst offen, ob eine begrenzte atomare Antwort auf einem atomaren Angriff immer sittlich verwerflich sei“ ; Einwände gegen die „Feuersteiner Erklärung“ von Pax Christi, Stellungnahme der Sachverständigengruppe „Sicherheitspolitik“, Hrsg. Deutsche Kommission Justitia et Pax, Bonn, 19 Feb. 1987, p. 2. 153

59. On rappelle que dans la première mouture – non publiée – les discours sur la dissuasion et l’emploi des armes n’étaient même pas distincts. 60. DWYER, Judith, “The Morality of Using Nuclear Weapons”, New Catholic World, vol. 226, Nr. 1356, Nov/Dec. 1983, pp. 244-48 ; GORAND, Francois, « Questions aux évêques américains », Etudes, 359(4), oct. 1983, pp. 378 ; KRAUTHAMMER, Charles, “On Nuclear Morality”, Commentary 76(4), Oct. 1983, p. 49 ; MOLLER-OKIN, op. cit., pp. 530-32 ; RUSSETT, op. cit., pp. 42-44 ; WINTERS, Francis, “US Bishops on Deterrence: Wise as Serpents, Innocent as Dovers”, Sciences, Technology and Human Values 8(3), 1983, pp. 25, 28 (Ci-après, WINTERS, “Wise, Innocent” ; “Bishops and Scholars: The peace Pastoral under Siege”, The Review of Politics 48(1), Winter 1986, pp. 36-43 (Ci-après, WINTER, “Bishops and Scholars”) ; évêques américains ont condamné tout emploi des armes nucléaires, ce qui les amène à conclure à leur rejet de tout intention d'emploi de ces armes. Nous approfondirons ultérieurement cette question centrale. 61. RISSE, Heinz-Theo, Interview du 25 février 1985. 62. KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., p. 28. 63. Sur l’ambiguïté du concept d’équilibre, voir GASTEYGER, op. cit., pp. 36-37. 64. Les évêques suisses utilisent ici la formule « laisser discerner une aspiration à la supériorité » (op. cit., p. 50), qui paraît plus exacte pour traduire la phrase : „Insbesondere dürfen die militärischen Mittel nicht Über-legenheitsstreben vermuten lassen“. 65. Comme le font KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., p. 37. 66. GALLOIS, Stratégie de l’âge nucléaire, pp. 153-65. 67. Leur utilisation du conditionnel en est un indice : « si la dissuasion nucléaire est notre but... » (CoP, p. 743). 68. Il s’agit en fait du quatrième critère chez les évêques français qui posent en troisième lieu l’exigence « que toutes les précautions soient prises pour éviter une “erreur” ou l’intervention d’un dément, d’un terroriste, etc. » (GP, p. 10). 69. « Quoi qu’il en soit de ce procédé de dissuasion, on doit néanmoins se convaincre que la course aux armements... ne constitue pas une voie sûre pour le ferme maintien de la paix... », GS § 81.2. 70. Ils reprennent par la suite la formule pontificale, mais la distance qu’ils marquent à son égard est un indice de leur scepticisme : « Si la dissuasion veut être, comme l’a déclaré le pape, “une étape sur la voie d’un désarmement progressif”... », GsF, p. 587. 71. BARREA, op. cit., pp. 513-14. 72. Pour une description aussi synthétique que saisissante des phénomènes d’action-réaction qui président à la course aux armements, voir McNAMARA, Blundering..., pp. 52-59. 73. SENGHAAS, Dieter, Abschreckung und Frieden, Studien zur Kritik organisierter Friedlosigkeit, Frankfurt, Europäische Verlagsanstalt, 1981, 3te Aufl., spécialement pp. 145-60. Il est intéressant de noter que l’auteur s’appuie ici très largement sur une étude de Heinz-Theo Risse (datant de 1964), qui sera vingt ans plus tard le secrétaire rédacteur de la lettre pastorale des évêques allemands. 74. Sur les vicissitudes de ces négociations, voir l’étude détaillée de Jean KLEIN, Sécurité et désarmement en Europe, Paris, Institut français des relations internationales (Travaux et recherches de l’IFRI), 1987, Chap. II, IV. 75. Négociations qui, malgré les obstacles que posent les missiles de croisière embarqués sur sous-marins (SLCM), les missiles balistiques mobiles et l’interprétation du traité ABM, laissent présager d’un accord prochain. 76. Le communiqué conjoint Reagan-Gorbatchev du 10 décembre 1987 ne fait plus de la négociation sur les systèmes anti-missiles balistiques un préalable à un accord sur les armements stratégiques offensifs. Toutefois, il en fait une condition de l’applicabilité d’un tel accord au bout d’un certain délai et engage les deux superpuissances à ne pas violer le traité ABM de 1972 dans l’intervalle. « Déclaration conjointe américano-soviétique sur la réduction des armements, les 154

droits de l’homme, les questions humanitaires, les conflits régionaux et les relations bilatérales entre les deux pays », Washington, 10 déc. 1987, Documents d’Actualité Internationale, N° 2, 15 janvier 1988, pp. 22-25. 77. Séparation de la négociation sur les euromissiles des discussions sur les armements stratégiques, renonciation à inclure les arsenaux britanniques et français dans la première négociation, renonciation à déployer en Asie les missiles retirés à l’Ouest, acceptation de « l’option zéro », de mesures poussées de vérification ; en matière d’armements stratégiques, abandon du préalable de la renonciation américaine à tous travaux en matière de défense stratégique pour la mise en oeuvre de négociations, etc. 78. NCCB Ad Hoc Committee on the Moral Evaluation Of Deterrence, “Report on ‘the Challenge of Peace’ and Policy Developments 1983-1988”, June 25 1988, Origins, 18(9), 1988, pp. 133-148. 79. Pour un résume de ces mesures, voir “Binding Stockholm Deal Boosts Peace Hopes”, Financial Times, Sept. 22 1986, p. 3 ; GHEBALI, Victor-Yves, « Le succès de la première phase de la Conférence de Stockholm sur le désarmement en Europe », Défense Nationale, Janv. 1987, pp. 55-72. 80. Les principaux sont les suivants : WINTERS, “Wise, Innocent”, op. cit. ; “Did the Bishops Ban the Bomb? Yes and No”, America, Sept. 10 1983, pp. 104-8 ; « Un regard pascalien », Etudes, oct. 1983, 359(4), pp. 388- 92 ; “Bishops and Scholars”, op. cit. Ce dernier article reprend ses thèses antérieures tout en les précisant et effectue une revue quasi exhaustive des commentaires politico-stratégiques sur le jugement éthique de la dissuasion nucléaire dans la lettre pastorale. 81. C’est le leitmotiv de l'article “Bishops and Scholars”, op. cit. 82. KRAUTHAMMER, op. cit. 83. BUNDY, McGeorge, “The Bishops and the Bomb”, The New York Review of Books, 30(10), June 16 1983, pp. 3-8. 84. TUCKER, Robert, “The Nuclear Debate”, Foreign Affairs, 63(1), Fall 1984, pp. 18-22. 85. WOHLSTETTER, “Bishops and Scholars”, op. cit. 86. GORAND, op. cit., pp. 378-79. 87. MOLLER-OKIN, op. cit. ; KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., pp. 28-29. 88. WOHLSTETTER, “Bishops and Scholars”, op. cit. 89. GORAND, op. cit, pp. 377-80. 90. KRAUTHAMMER, op. cit., p. 49 (Traduction CG). 91. TUCKER, “The Nuclear Debate”, op. cit., p. 19. 92. MOLLER-OKIN, op. cit. ; nous reviendrons sur ces raisons dans notre chapitre V. 93. KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., pp. 26-29. 94. WINTERS, “Wise, Innocent”, op. cit., p. 28 ; “Bishops and Scholars”, op. cit., pp. 42-45. 95. WINTERS, Francis X., “The Bow or the Cloud? US Bishops Challenge the Arms Race”, America, July 18-25, 1981, pp. 26-30. 96. WINTERS, “Wise, Innocent”, op. cit. ; « Des révolutionnaires malgré eux : les évêques américains s’opposent à la course aux armements », Etudes, juil. 1982, pp. 4-19. 97. BUNDY, op. cit., pp. 4-8. 98. ibid., pp. 4-5. 99. Nous ne pouvons manquer de trouver suspect le fait que le fond de l’analyse de Winters ne varie pas depuis son étude de la déposition du Cardinal Krol jusqu’à ses commentaires du texte final de la lettre pastorale. Ne projette-t-il pas ses propres options sur les documents épiscopaux plutôt qu’il n’analyse leur évolution ? 100. NOVAK, Michael, “Nuclear Morality”, America, July 5, 1982, p. 7 (Traduction CG). 101. WALZER, Michael, op. cit., p. 281. Notons que l’argumentation de Ramsey concerne seulement la frappe anti-cités. La menace d’une frappe anti-forces demeure dans sa théorie moralement possible, ce qui allège considérablement le dilemme de la crédibilité. Walzer cite aussi Bernard Brodie (War and Politics, New York, 1973, p. 404) qui semble partager la conception 155

de Winters sur la dissuasion : “We do not need to threaten anything. Their being there is quite enough”, op. cit., p. 281. 102. “Father Winters... believes that it is possible to condemn both MAD and flexible response counterforce and still enjoy the continuing protection of the MAD balance of terror while we solve the problem of arms control... Given the centrality of credibility to deterrence, I repeat that this proposition is ‘insane’, however august its authors... I consider Father Winters’s casuistic ploy escapist and ironically so, coming as it does from an advocate of moral certainty and garanteed control. I trust that it does not, in fact, represent the position of the American bishops in their next Statement”, O’BRIEN, William V., “A response”, in “From the University: American Catholics and the Peace Debate”, Washington Quarterly, 5(4), Fall 1982, p. 142. 103. Une formule que Hehir a utilisée dans de nombreuses conférences prononcées tout autour des Etats-Unis après la publication de la lettre pastorale, mais qu’il a rarement consignée par écrit. 104. HEHIR, J. Bryan, „Kommentar zum Hirtenbrief der amerikanischen katholischen Bischöfe“, in Kernwaffen und christliche Moral, Zehn christliche Positionen zur Nuklearrüstung, Hrsg. Ethics and Public Policy Center, Washington DC, München, Günter Olzog, 1984, p. 101. 105. RUSSETT, op. cit., pp. 48-49. 106. CASTELLI, op. cit., p. 169 (Traduction CG). 107. ibid., p. 170. L’incident est également rapporté par RUSSETT, op. cit., p. 50 ; DWYER, op. cit., p. 246 ; MOLLER-OKIN, op. cit., p. 634. 108. “If nuclear weapons may be used at all, they may be used only after they have been used against our own country or our allies, and, even then, only in an extremely limited, discriminating manner against military targets”, CoP l, p. 30. 109. HEHIR, op. cit., pp. 99-101. 110. KROL, “Testimony to the Senate”, op. cit., p. 128. 111. ibid. 112. WINTERS, “The Bow or the Cloud”, op. cit., pp. 28-29. 113. A ce propos, voir ci-dessous, chapitre V. Les implications éthico-politiques du document de 1976, dont le cardinal Krol reprit l’argumentation, ne furent saisies immédiatement que par quelques rédacteurs et conseillers de la conférence épiscopale ; CASTELLI., op. cit., pp. 22-23. 114. WINTERS, “Bishops and Scholars”, op. cit., p. 38 ; également WINTERS, “Did the Bishops Ban the Bomb?”, op. cit., pp. 104-8. 115. CASTELLI, op. cit., p. 89. 116. Les deux facteurs auxquels le cardinal fait allusion sont : « a) Le danger d’un conflit nucléaire (avec les conséquences à la fois de nature humaine et morale), b) La menace pour l’indépendance et la liberté de peuples entiers (à l’Est comme à l’Ouest, la suspicion mutuelle “d’impérialisme” : à l’Ouest, la crainte supplémentaire de se voir imposer une idéologie et un régime “socialiste”) », SCHOTTE, “Mémorandum”, op. cit., p. 714. 117. Le terme « réarmement » qui est utilisé par les deux éditions françaises pour traduire le mot „Rüstung“ est sans justification. « Armement » serait plus adéquat, d’autant plus que dans le contexte des débats sur le stationnement des fusées à moyenne portée en Europe, l’emploi de « réarmement » pourrait porter à confusion. 118. Le texte cite également les évêques allemands : « Une renonciation unilatérale et déclarée à cette protection et à cette résistance peut, comme l’expérience de l’histoire nous l’a appris, être comprise comme un signe de faiblesse et, éventuellement, comme une invitation au chantage politique. Une telle renonciation est de nature à favoriser précisément ce qu’elle est censée empêcher : que des innocents soient opprimés, qu’ils soient victimes de la souffrance ou de la violence », GsF, p. 582, cité par GP, pp. 6-7. 119. Le texte fait ici référence à GS § 82.2. 120. BEAUFRE, Introduction à la stratégie, pp. 70-73. 156

121. MELLON, Christian, Chrétiens devant la guerre et la paix, Paris, Le Centurion, (« Eglise et Société »), 1984, pp. 172-73. 122. Conférence épiscopale française, Response to the First Draft of Proposed Pastoral Letter on War and Peace by the NCCB Ad hoc Committee on War and Peace, Sept. 24, 1982 (non publiée). 123. « On se menace mutuellement, en cas d’attaque de l’adversaire, de quelque chose qu’en dernière analyse personne ne peut vouloir, à savoir l’extermination mutuelle », GsF, p. 586. 124. En allemand, „Wenn ihr Einsatz auch glaubhaft angedroht werden kann“, GsF, p. 53. 125. OBERHEM, Harald, Interview du 5 mars 1985. 126. WALZER, op. cit., p. 47. 127. ibid., p. 231. 128. ibid. 129. LANGENDÖRFER, „Abschreckung und Sittlichkeit“, in Politik und Ethik der Abschreckung, p. 181. 130. WALZER, op. cit., p. 282. 157

Chapitre V. Le jugement éthique de la dissuasion nucléaire : limites théologiques et politiques

1 L’objectif de tout jugement éthique – du moins dans une tradition thomiste et aristotélicienne – étant de trouver une articulation entre les valeurs d’un côté et les actes de la vie sociale de l’autre1 afin de définir la praxis subséquente, un va-et-vient constant entre les deux pôles de la théorie morale et de l’analyse de situation s’imposa aux évêques. L’argument de théologie morale ne peut jamais faire abstraction des réalités empiriques. Celles-ci sont partie intégrante du donné sur lequel s’exerce la raison pour aboutir au jugement moral. L’exercice est périlleux car il exige le maintien d’un équilibre constant entre les deux pôles. Il est facile de tomber dans une morale « déontologique », insensible aux particularités de l’enjeu, ou à l’inverse, dans une pure « morale de situation », les principes de jugement n’intervenant plus alors que comme une justification a posteriori d’une conclusion déjà tirée. La rigidité de la première méthode ne permet pas d’inclure les impératifs de flexibilité de toute action politique ; la seconde tend à ignorer l’éthique au profit d’une pure tactique.

2 Les évêques n’étaient pas à l’abri de l’un et l’autre danger. Tentée par une approche déontologique, la conférence épiscopale américaine dut à de multiples reprises modifier son raisonnement sous la force des pressions extérieures, laissant surgir des doutes quant à la validité de sa méthode. Tout en demeurant réticents à s’exprimer sur telle ou telle décision particulière, ses homologues allemande et française restèrent beaucoup plus proches de la réalité politique, démontrant une dépendance en sens inverse, mais non moins forte que celle des évêques américains à l’égard des conditions du débat national sur la défense.

3 Au lien avec des contextes nationaux spécifiques, il faut ajouter un ensemble de considérations de « politique d’Eglise » portant à la fois sur des questions doctrinales au sein de l’institution et idéologiques dans le cadre des relations Est-Ouest pour expliquer la diversité des accents des lettres pastorales et les fluctuations intervenues au fil des versions du document américain. Les limites ainsi posées de l’extérieur au jugement 158

moral nous amèneront à nous interroger sur le sens de l’affirmation du caractère transitoire de la dissuasion nucléaire.

I. Les évêques américains sont-ils « conséquentialistes » ?

4 Accusés après la rédaction des deux premières moutures de leur document d’obéir à une philosophie utilitariste, les évêques américains ont tenu à démontrer leur attachement à un principe classique de la théologie catholique : C’est un mal que d’avoir l’intention de faire le mal.

5 L’objection de « conséquentialisme » qu’on leur opposait a pesé lourd dans leur raisonnement, alors que de semblables difficultés n’ont été soulevées ni en France ni en Allemagne fédérale. Un détour par la théologie morale classique est nécessaire pour comprendre les enjeux de cette discussion.

1. La théologie morale classique

6 Le terme « conséquentialisme » fut utilisé par certains moralistes conservateurs de l’école « déontologiste » pour critiquer le courant que nous appellerons « proportionnaliste », de plus en plus répandu parmi les théologiens catholiques2. L’école « proportionnaliste » dont le représentant le plus connu aux Etats-Unis est certainement Richard McCormick, est accusée de prôner une théologie utilitariste et relativiste, répondant à l’adage « qui veut la fin veut les moyens ». Son principal adversaire est le Révérend Harry Flynn, qui écrit sous le pseudonyme de Germain Grisez3. Il faut rappeler que l’utilitarisme a toujours eu très mauvaise presse dans le catholicisme, qui a généralement préféré procéder par des impératifs absolus, ou tout du moins, donner l’impression qu’il procédait ainsi, ce qui garantissait l’intangibilité des normes énoncées4. Les évêques pouvaient craindre en particulier qu’une position interprétée comme relativiste sur la dissuasion nucléaire n’élargît la brèche déjà largement ouverte dans l’enseignement catholique sur la contraception et l’avortement, à propos duquel s’était justement développé le conflit entre proportionnalistes et déontologistes5.

7 Dans la lettre pastorale, le reproche de conséquentialisme visait le jugement de « tolérance » émis par le cardinal Krol devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat en 1979. La possession des armes nucléaires dans un but dissuasif y était « tolérée » comme le moindre entre deux maux6. Les théologiens – toutes écoles confondues – firent remarquer que l’utilisation du concept de tolérance dans cette acception était nouvelle. Traditionnellement, ce concept est relatif au principe dit du « double effet » d’un acte. En schématisant, ce dernier principe part de la constatation simple qu’un acte unique peut avoir simultanément des conséquences positives et négatives. Un acte accompli pour une fin louable peut en particulier avoir des retombées négatives. C’est sur la prise en compte de ces retombées dans le jugement moral que porte la controverse. Selon la théologie classique, l’acte n’est pas moralement mauvais si son accomplissement répond aux quatre conditions suivantes : 1) L’action n’est pas moralement mauvaise en elle-même, ses conséquences néfastes mises à part ; 2) L’agent agit avec une intention droite, c’est-à-dire que le mal causé ne fait pas partie de son intention ; 3) Le mal causé n’est pas un moyen du bien recherché : pour ceci les deux effets doivent être simultanés dans la série des 159

causes, ou du moins, le mal ne doit pas être logiquement antérieur ; 4) Il existe une raison proportionnellement sérieuse d’autoriser la commission du mal ; en particulier, aucune alternative ne doit être disponible7. Lorsque ces quatre conditions sont simultanément remplies, il est possible de « tolérer » le mal résultant de l’accomplissement de l’acte sans que ce dernier soit considéré comme moralement mauvais. Sans entrer ici dans les détails de l’interprétation des quatre critères8, il faut signaler que des difficultés d’application sont intervenues en particulier à propos du troisième d’entre eux.

2. Application à la lettre pastorale

8 S’interrogeant sur la capacité de la dissuasion nucléaire à satisfaire cette condition, Francis Winters décrit l’effet positif comme le maintien de la stabilité internationale et d’un environnement favorable à la limitation des armements, l’effet négatif étant « la possibilité résiduelle que l’arme soit mise à feu, en violation d’une politique nationale qui aurait renoncé à la guerre nucléaire »9. Winters demeurant attaché à son hypothèse d’une dissuasion « existentielle » qui aurait banni l’intention d’employer les armes nucléaires, il n’a pas besoin de stipuler que l’efficacité de cette dissuasion serait dépendante d’un moyen mauvais en soi : l’intention d’employer l’arsenal nucléaire10.

9 Germain Grisez, pour qui la volonté d’emploi demeure la condition de crédibilité de la dissuasion, aboutit à une conclusion différente. Il fait remarquer que l’usage du concept de « tolérance », tel qu’il était employé par les évêques dans les deux premières moutures de la lettre pastorale, impliquait l’acceptation d’un acte mauvais dont on serait soi-même l’auteur. Aux Etats-Unis, société démocratique, les citoyens sont tenus pour responsables de la politique menée par le gouvernement, et donc des menaces qui pourraient être exercées par celui-ci. Dans ce cas, le mal contenu dans l’acte n’est plus extérieur à la volonté qui tolère. Il devient un moyen indispensable à l’accomplissement de la fin sur laquelle porte la volonté11. Grisez en déduit l’inacceptabilité morale d’une dissuasion nucléaire reposant sur la menace d’une frappe elle-même moralement inacceptable12. Les doutes exprimés par le projet de lettre pastorale sur la possibilité d’un emploi moral des armes ont conduit les évêques dans leur deuxième mouture à décrire la course aux armements et son élément central, la dissuasion, comme une « situation de péché » (CoP 2, pp. 311, 312, 317). La tolérer serait donc tolérer son propre mal moral, solution qui ne pourrait être que condamnable. La dissuasion existentielle ou le « bluff » étant exclus, la seule conclusion éthique serait l’obligation de renoncer aux moyens destinés à assurer la dissuasion nucléaire. Craignant de devoir aboutir à une position unilatéraliste en matière de désarmement nucléaire, les évêques américains jugèrent plus prudent d’abandonner leur concept de « tolérance »13 et de se ranger à une forme de dissuasion n’excluant pas un emploi moral des armes.

10 Pourtant, leurs confrères allemands recourent eux aussi à ce terme sans que son utilisation se soit apparemment heurtée chez eux à des difficultés particulières. Il semble qu’ils se soient situés dans ce domaine plus près de l’analyse proportionnaliste.

3. L’approche proportionnaliste

11 Leur raisonnement s’explique si l’on fait appel à la distinction entre les notions de mal « physique » (ou « ontique » ou « prémoral ») et de mal « moral », qui est celle à laquelle se réfère habituellement la théorie proportionnaliste14. Selon cette théorie, il n’existe pas 160

d’acte moralement mauvais en tant que tel (ex objecto). Il est impossible de donner une qualification morale à une action simplement d’après son contenu matériel ou, en d’autres termes, indépendamment des circonstances dans lesquelles elle s’inscrit15. En ce sens, il n’y a plus d’acte « absolument mauvais », à moins de qualifier d’acte une proposition qui décrit déjà le résultat d’un jugement moral, qui désigne déjà en elle- même une « valeur ». Ainsi, comme le fait remarquer McCormick, le principe de discrimination des populations civiles n’est pas la simple description d’un acte matériel, mais le résultat d’un raisonnement de type téléologique prenant en compte les circonstances – la caractérisation des populations comme « innocentes », de l’attaque comme « directe », la définition des objectifs poursuivis – pour aboutir au fait que, une fois tous les éléments positifs et négatifs pesés les uns contre les autres, ces derniers dominent finalement dans tous les cas16. L’acte matériel reste toujours du domaine prémoral. Ceci ne signifie pas que le bien ou le mal ontique en jeu soit moralement indifférent17. Il est possible, comme le suggèrent les protagonistes de la théorie proportionnaliste, de sortir de la rigidité et de l’artificialité de l’approche déontologique classique sans tomber dans le relativisme. Il ne s’agit pas de porter un coup mortel à la moralité, mais au contraire de lui redonner tout son sens en la reliant au “telos” de l’accomplissement humain. La téléologie telle qu’elle est prônée par une frange des moralistes catholiques ne se réduit pas à un pur calcul utilitariste des pertes et gains18. Elle exige au contraire une approche large dont le pivot peut être constitué par le concept d’« épanouissement humain » (“human flourishing”) ou de “beneficientia”, qui suppose l’existence d’une « association de valeurs fondamentales » (“association of basic goods”) interdépendantes19. Toute action qui contribuera à cet épanouissement sera considérée comme moralement bonne, alors que celle qui l’entravera sera jugée moralement mauvaise. Il se peut que l’on découvre que certains actes constituent dans tous les cas une atteinte à la dignité de l’homme, en ce qu’ils seraient toujours « contre-productifs » par rapport au but que l’on s’est fixé20. Mais leur interdiction ne découlerait pas d’un principe posé a priori ; elle serait le résultat d’un jugement de proportionnalité21.

12 Il faut remarquer que, selon cette théorie, l’équivalence morale entre l’acte et l’intention n’est pas remise en cause : il reste toujours immoral d’avoir l’intention de perpétrer un acte immoral. La fin ne justifie pas les moyens22. Seulement, l’immoralité de l’acte n’est pas donnée d’emblée, par simple description ; elle est le résultat d’une évaluation globale tenant compte de tous les éléments en jeu. McCormick n’hésite pas dans ce cas à affirmer que « les fins justifient les moyens »23. Transposée dans notre domaine d’étude, cette distinction entraîne la disparition du critère de discrimination en tant qu’absolu a priori. Le jugement se réduit à une question de proportionnalité. En conséquence, il devient impossible de rejeter la dissuasion au motif qu’elle comprend l’intention de perpétrer des actes mauvais en soi24.

4. Application aux lettres pastorales française et allemande

13 Dans la mesure où les évêques allemands ne s’appuient pas sur un principe absolu de discrimination mais retiennent plutôt l’impératif de proportionnalité, ils peuvent beaucoup plus aisément que leurs collègues américains envisager la possibilité d’une dissuasion morale, même au cas où ils retiendraient l’équivalence entre intention et emploi. « La justice crée la paix » présente l’acceptabilité conditionnelle de la dissuasion comme le résultat d’un choix entre deux maux : d’une part la menace totalitaire et la 161

perte des libertés, de l’autre les destructions monstrueuses qu’entraînerait l’emploi des armes. McCormick fait remarquer que ces deux maux ne sont pas de même nature25. Dans le premier cas, il s’agit d’un mal extérieur, physique, qui ne dépend pas de notre propre action ou volonté. Dans l’autre, c’est notre propre intention de faire le mal qui est en jeu. En effet, en décrivant comme « une perspective moralement insoutenable » « une extermination massive, qu’on n’a jamais le droit d’exécuter » (GsF, p. 587), les évêques allemands caractérisent, selon McCormick, explicitement comme un mal moral une intention d’utilisation des armes nucléaires qui entraînerait des destructions massives. Le théologien ne voit plus alors qu’une issue à ce dilemme : supposer qu’un usage moral (donc limité) des armes nucléaires est possible26. Celui-ci n’incluerait pas alors l’intention de faire le mal, qui dans la théologie catholique équivaut à la commission du mal lui- même. L’ambiguïté relevée plus haut à propos de la contrôlabilité de la guerre nucléaire (Cf. Chap. IV) est peut-être destinée à maintenir cette soupape de sécurité, dont dépend l’acceptabilité conditionnelle de la dissuasion27.

14 Cependant, même si la critique de McCormick est justifiée, il ne semble pas que les évêques allemands aient tenu ce type de raisonnement. Leur jugement relève effectivement d’une forme de proportionnalisme, mais d’une nature différente. Bien que leur analyse ait pour base l’existence de deux maux, elle consiste moins à peser ces deux maux l’un contre l’autre qu’à vérifier l’adéquation des moyens (la dissuasion) au but (la prévention de la guerre), une forme de proportionnalisme que McCormick lui-même ne désavouerait pas28. On peut toutefois la concevoir comme une comparaison entre les deux maux que représentent la poursuite de la dissuasion et un désarmement nucléaire unilatéral. Mais même si l’on retient cette interprétation, leur approche constitue un déplacement important vis-à-vis du raisonnement américain. Dans celui-ci, les armements étaient considérés comme moyens par rapport à la limitation de la guerre29, même si l’objectif proclamé restait sa prévention. Dans le texte allemand, les moyens restent les mêmes, mais c’est la fin qui a changé pour donner un nouvel éclairage aux moyens. En soi, les moyens n’ont pas de sens ou, plus exactement, ne peuvent représenter qu’un mal « prémoral »30. Ils ne valent que par rapport à la fin qu’ils visent. On est ici aux antipodes d’une conception déontologique de la fin et des moyens.

15 Il ne fait pas l’ombre d’un doute que ce déplacement est imputable à une différence de perceptions politiques. Pour les évêques américains, l’objectif est le maintien d’une guerre éventuelle dans le périmètre des critères de discrimination et de proportionnalité, ce qui implique l’examen de l’adéquation des moyens militaires à l’impératif de limitation du conflit. Au contraire, pour les évêques allemands, les moyens sont examinés d’abord selon leur capacité à répondre à l’objectif de prévention de la guerre, qui conditionne l’angle sous lequel aura lieu l’analyse de proportionnalité. Selon cette approche, les moyens ne sont pas ignorés, mais ils sont relégués à l’arrière-plan. Plus la « foi » en la capacité de la dissuasion d’assurer la sécurité sera grande, moins leur examen sera nécessaire. Le raisonnement des évêques allemands aboutit ainsi à en faire presque totalement abstraction, malgré la tension morale insoutenable qui en résulte. La conclusion n’a pas de quoi satisfaire, ce que traduit bien la formule de « l’éthique de détresse ». Mais aucune autre solution n’est possible si l’on se donne pour priorité de ne pas mettre en danger l’équilibre dissuasif.

16 Les évêques français ont eux aussi recours à la formule de « l’éthique de détresse »31. En guise d’explication de leur méthode de jugement, ils font longuement référence à une déclaration de Mgr Beck, archevêque de Liverpool, lors de la discussion du 162

« Schéma XIII » au Concile. En reprenant à leur compte cette argumentation, qui décrit la dissuasion comme « une occasion de péché grave » (GP, p. 10), ils ne vont pas tout à fait jusqu’à la caractériser de « situation de péché », comme l’avaient fait leurs confrères américains. Ils évitent de justesse le piège de la « tolérance » du mal moral. Malgré tout, il est douteux que ces considérations soient entrées dans leur raisonnement. L’échappatoire qui pouvait encore être offerte aux évêques allemands leur permettant de stipuler que tout emploi des armes nucléaires ne serait pas nécessairement immoral est ici exclue, étant donné le rôle central de la frappe anti-cités dans la dissuasion française. Le jugement moral ne peut dissimuler la contradiction fondamentale qu’implique la profération d’une menace dont on ne peut jamais assumer la mise en œuvre. Là encore, la conclusion ne s’explique que par l’adoption d’une forme de proportionnalisme semblable à celle qu’ont retenue les évêques allemands. La proportionnalité n’est pas à évaluer par rapport aux conséquences d’un échec de la dissuasion, mais par rapport à l’objectif de celle-ci, qui est d’empêcher la guerre.

17 En guise de conclusion provisoire de ce débat, mentionnons les propositions auxquelles aboutit un échange informel qui eut lieu à Washington en mars 1985 entre théologiens et stratèges allemands et américains associés à la rédaction des documents pastoraux deux ans plus tôt32. Selon le consensus obtenu dans ce groupe de réflexion, pour être morale, une stratégie de dissuasion doit être « proportionnée » de deux manières différentes : 1) en tant que moyen par rapport au but recherché, qui est la prévention de la guerre ; ceci implique que l’on tienne compte de l’existence éventuelle de moyens plus satisfaisants ; 2) la mise en œuvre militaire des instruments de dissuasion doit permettre de rester dans la limite de dommages proportionnés par rapport au bien que l’on espère tirer de l’engagement des armes. Sur ce second point l’on observe qu’étant donné la diversité des expertises, il est impossible de savoir a priori si les dommages causés par la menace que l’on profère seront proportionnés ou non. Certes, on peut affirmer que certains moyens ne seront jamais proportionnés, mais on ne peut pas définir les conditions dans lesquelles d’autres le seront éventuellement. Or, c’est justement sur cette impossibilité que repose l’efficacité de la dissuasion33. Le jugement sur sa moralité est donc virtuellement reporté au moment même où les armes seront mises en œuvre. Mais cet instant peut se réduire à quelques minutes, voire quelques secondes, un délai totalement inapproprié aux évaluations nécessaires, d’autant plus que l’on se trouverait dans une période de crise imposant de sévères contraintes à la psychologie humaine. A ces éléments s’ajoute la brièveté des délais de mise à feu des armes modernes, qui contribue à faire du facteur temps un élément essentiel du jugement moral. Hans Langendörfer propose de l’intégrer sous la forme d’un calcul de probabilité effectué a priori : s’il existe une très grande probabilité („höchst Wahrscheinlichkeit“) que le critère de proportionnalité ne soit pas respecté en cas d’échec de la dissuasion, alors celle-ci ne serait pas moralement acceptable34.

18 Ces conclusions, qui restent provisoires35, nous paraissent signaler une évolution significative de part et d’autre de l’Atlantique. Il n’est plus question d’un critère absolu de discrimination, mais seulement d’un jugement de proportionnalité. C’est une concession importante du côté américain. De plus, l’admission du fait que la proportionnalité doit être évaluée aussi sous l’angle de l’adéquation des moyens au but de prévention de la guerre constitue la prise en compte d’un aspect largement négligé dans « Le défi de la paix ». Inversement, la partie allemande reconnaît expressément que les conditions 163

d’emploi des armes ne peuvent être exclues du jugement moral, une exigence qu’elle n’avait jamais niée, mais devant laquelle elle s’était dérobée dans la pratique.

19 Mais il est plus aisé de construire un modèle “in abstracto” au sein d’un petit groupe d’experts, abrité des pressions extérieures, que lors de la discussion publique de textes destinés à devenir documents d’Eglise. Les considérations politiques au sein de l’Eglise et dans le processus d’interaction avec l’environnement extérieur pesèrent au moins autant que les considérations théologiques dans l’élaboration des lettres pastorales. Nous examinerons en premier lieu l’influence du Vatican sur l’évolution des conclusions des évêques américains avant de mettre en évidence le rôle de l’ancrage dans les milieux politiques et culturels nationaux dans l’explication des divergences entre conférences épiscopales.

II. Les évêques américains, le Vatican et la dissuasion nucléaire

20 Contrairement à un certain nombre d’analyses qui imputent à l’intervention vaticane le « retournement » des évêques américains après la seconde mouture de la lettre pastorale, Francis Winters affirme que leur choix en matière de dissuasion était antérieur à la délivrance du message aux Nations Unies et à la rencontre de Rome36. Nous lui donnerons raison sur cette conclusion, tout en maintenant nos réserves quant à son argumentation.

1. Les présupposés

21 Il est vrai que la première mouture de la lettre pastorale ne condamnait pas la dissuasion nucléaire, ni même tout emploi de l’arme nucléaire. Sur le premier point, elle reprenait l’argumentation de la lettre “To Live in Christ Jésus” de 1976 et la déposition du cardinal Krol de 1979 qui prononçait un jugement de « tolérance » (CoP l, pp. 28-38). Sur le second, elle envisageait expressément un emploi discriminé en deuxième frappe (ibid., p. 30), proposition qui fut abandonnée par la suite. Le jugement de tolérance était motivé par la considération des conséquences d’un désarmement unilatéral : risque de perte des libertés et diminution de l’incitation à négocier de la part de l’adversaire37. Jusqu’ici le raisonnement était en parfaite concordance avec l’analyse du Vatican et des évêques européens. Il était clair dès le départ que la conférence épiscopale n’aurait pas pu prôner un désarmement unilatéral, même si quelques voix isolées le souhaitaient38. Cette conclusion aurait été inacceptable pour certains membres du Comité – Mgr O’Connor certainement, NNSS. Bernardin, Reilly et Fulcher probablement – pour la majorité des évêques, pour un grand nombre de catholiques américains et pour les catholiques européens. Plutôt que d’encourager également les employés des industries d’armement et les militaires de carrière qui décidaient pour des raisons morales de quitter leur emploi et ceux qui souhaitaient au contraire le conserver, les évêques auraient dû appeler tous les catholiques actifs dans les forces nucléaires et l’industrie de défense à proposer leur démission39. Un appel qui n’aurait très probablement réussi qu’à leur aliéner une grande masse de leurs fidèles, sans aucun bénéfice en contrepartie40, d’autant plus que les catholiques proches des milieux militaires sont aussi les plus susceptibles d’apporter un soutien à la hiérarchie sur les questions de moralité individuelle où leur autorité est mise à mal. Les évêques, comme tout groupe en position décisionnelle, quel que soit par ailleurs son mode de désignation, ont à tenir compte des vœux et demandes de leur 164

public : la légitimité ne se maintient que dans les limites d’un certain usage de l’autorité. Faire fi de l’avis de « l’opinion » aurait été par trop contradictoire avec la méthode de rédaction ouverte qu’ils avaient choisie.

22 L’hypothèse du rejet du désarmement nucléaire unilatéral, et donc de l’acceptation d’une certaine forme de dissuasion ne fut jamais remise en cause. Mais le choix de l’attitude à adopter le long du spectre possession-menace-intention-utilisation des armes nucléaires ne fut pas clair dès l’origine41. La difficulté provint de la nécessité d’harmoniser l’option retenue en matière de dissuasion avec leur choix méthodologique d’une part, avec le message pontifical d’autre part. L’articulation du raisonnement sur la théorie de la guerre juste, qui supposait l’assimilation entre acte et intention d’emploi dans un but dissuasif, les conduisit aux difficultés dont nous avons fait état, à partir du moment où ils s’aperçurent qu’un jugement de tolérance n’était pas théologiquement acceptable. C’est ce qui motiva leur choix de ne pas prononcer de condamnation contre tout emploi de l’arme nucléaire (Cf. supra), afin de conserver une crédibilité à la dissuasion.

23 Malgré leur présupposé originel, qui les retenait de cette condamnation, la méthode vers laquelle ils s’orientèrent à partir des critères de discrimination et de proportionnalité les éloignait visiblement de cette hypothèse. Face aux contraintes nées de la dynamique interne de leur raisonnement, quel fut le rôle du Vatican dans leur décision de ne pas condamner toute forme de dissuasion nucléaire ?

2. L’attitude du Vatican

24 L’hypothèse d’une « dissuasion existentielle » ou d’un « bluff », envisagée un moment par les évêques américains, aurait-elle pu être acceptable pour le Vatican ? Les discours du cardinal Casaroli, tout autant que ceux du pape lui-même, sont ambigus à ce sujet. Dans son adresse de 1979 aux Nations Unies, Jean-Paul II constatait : Les préparatifs de guerre continuels que manifeste en divers pays la production d’armes toujours plus nombreuses, plus puissantes et plus sophistiquées, montrent qu’on veut être prêt à la guerre, et être prêt veut dire en mesure de la provoquer. Cela veut dire aussi courir le risque que, à tout moment, en tout lieu, de toute manière, quelqu’un puisse mettre en mouvement le terrible mécanisme de destruction générale42.

25 Le pape n’affirme pas que la dissuasion repose sur ce risque ; celui-ci peut rester seulement un artéfact indésirable, sans objet direct sur l’efficacité de la dissuasion. Mais plusieurs textes du cardinal Casaroli donnent à penser qu’il n’est pas dans l’intention du Saint-Siège de séparer usage des armes et dissuasion. Il est vrai que son exposé de Rome, lors de la réunion inter-épiscopats de janvier 1983, semblait traduire la plus grande indécision. Il affirmait alors : Bien évidemment… on doit appliquer au problème de la dissuasion… des principes moraux généraux qui sont intimement liés à ceux qui concernent l’utilisation des armes nucléaires, dans la mesure où la dissuasion consiste en fin de compte essentiellement dans la menace (ou dans l’intention déclarée) de recourir éventuellement, en dernier recours, à l’usage des armes nucléaires sous une forme ou sous une autre,... ou bien dans la simple possession des armes elles-mêmes, avec en conséquence la possibilité de s’en servir43.

26 Les deux alternatives restent ouvertes sans qu’aucune clé soit fournie pour fonder le choix de l’une ou l’autre. 165

27 La conférence de presse qu’il prononça à New York le 11 juin 1982 semblait faire un pas de plus dans la dissociation entre dissuasion et emploi. Selon le compte-rendu établi par le Département de l’Information des Nations Unies, il déclarait à la fois que : 1) « les arsenaux nucléaires [sont] inacceptables en eux-mêmes, de même que le [sont] toutes les armes de destruction massive » ; 2) « toutefois, si un Etat nucléaire “[menace] d’en détruire” un autre, la dissuasion nucléaire [peut] être envisagée »44. Les deux affirmations ne sont compatibles que si la première fait référence à l’utilisation, sinon la seconde, qu’elle fasse reposer la dissuasion sur la seule possession ou sur la menace effective, ne serait pas tenable.

28 Mais dans un discours tenu à San Francisco en novembre 1983 le cardinal paraît avoir fait un choix inverse. En affirmant : ... compte tenu d’une réalité qui semble malheureusement loin de pouvoir encore être changée, ils [l’Eglise et les papes] reconnaissent que l’on ne peut condamner le recours à une dissuasion non indiscriminée, comme moyen pour défendre la sécurité et résister à d’injustes agressions…45,

29 il suppose implicitement une étroite association entre mode dissuasif et usage effectif des armes. Pour formuler sa déclaration de manière différente : on ne pourrait condamner une dissuasion qui reposerait sur une frappe capable d’épargner les populations civiles. Pourtant, dans le même exposé, le cardinal ne déclarait-il pas : Les effets et les conséquences d’une guerre nucléaire sont tels, dans tous les cas, qu’ils représentent en réalité une sorte de massacre-suicide collectif, malgré les efforts déployés pour tenter de circonscrire les dommages et les conséquences, en rendant les armes nucléaires plus précises et leurs effets plus limités46 ?

30 D’un côté l’on cherche à élaborer les critères d’une dissuasion qui, si elle venait à échouer, permettrait cependant un emploi moral des armes ; de l’autre on affirme que toute guerre nucléaire équivaudrait à un « massacre-suicide collectif ». La seule conclusion logique serait que ces critères ne peuvent jamais être remplis. Or le Vatican continue de déclarer la dissuasion comme « encore moralement acceptable » … Mais le message de Jean-Paul II aux Nations Unies n’aborde pas l’épineuse question de la relation entre menace et emploi. En aucune circonstance, il n’entre dans les arcanes des modèles militaires sur lesquels peut reposer une stratégie de dissuasion. Il évite ainsi l’écueil dans lequel tombèrent les évêques américains, qui consiste à dire que la dissuasion implique l’intention de faire ce qui est mal. Il ne pèse pas non plus l’un contre l’autre le mal et le bien obtenus par tel ou tel type de comportement.

31 A ce niveau, il est possible de faire intervenir plusieurs facteurs explicatifs. D’une part, les formulations contournées du cardinal Casaroli démontrent la gêne du Saint-Siège dans un domaine où appréciations techniques, politiques et éthiques sont inextricablement liées. En second lieu, les circonstances dans lesquelles est prononcé tel ou tel discours ne sont pas à négliger. Il est possible qu’à San Francisco, le cardinal Casaroli, s’adressant à un auditoire purement américain, relativement réduit et après la publication du « Défi de la paix », ait jugé utile de faire quelques concessions aux évêques américains, du moins en matière de mode de jugement de la dissuasion nucléaire, dans la mesure où le résultat – l’acceptation conditionnelle – était acquis.

32 Les circonstances dans lesquelles il délivra le message de Jean-Paul II aux Nations Unies en 1982 étaient tout autres. L’agitation fébrile qui se développait parmi les évêques américains laissait augurer de la direction que prendrait le document collectif alors en gestation. Quand les gouvernements européens se sentaient submergés par le raz-de- 166

marée pacifiste, les évêques américains ne venaient-ils pas grossir encore la vague ? On a certainement craint à Rome et plus généralement en Europe qu’ils ne viennent à mettre sérieusement en danger l’équilibre Est-Ouest en condamnant la dissuasion. En prononçant la « petite phrase » du pape à la tribune des Nations Unies à New York, le cardinal Casaroli avait choisi ses destinataires directs : les évêques américains, ses témoins : le monde entier, et son heure : les débuts de la rédaction du document é piscopal. En termes stratégiques, on pourrait parler de « frappe préemptive »… Dès sa conception, cette petite phrase était destinée à un grand avenir.

3. Conséquence pour la lettre pastorale américaine

33 D’un point de vue purement logique et a posteriori, il semble que cette petite phrase n’ait pas été vraiment nécessaire. Le raisonnement des évêques américains eux-mêmes les aurait conduits à une acceptabilité conditionnelle de la dissuasion, non pas à cause de leur méthodologie, mais étant donné leur hypothèse initiale de refus du désarmement nucléaire unilatéral. Cependant, elle n’était pas dépourvue de sens politiquement. Il s’agissait moins de dicter à l’épiscopat des Etats-Unis la manière de porter un jugement moral sur la dissuasion que de lui rappeler quelles déterminations géo-politiques motivaient le choix d’une telle stratégie. Les variations du discours du cardinal Casaroli, ainsi que l’absence de justifications théologiques qui caractérise le message du pape, sont des indices du peu de valeur qu’attribue le Vatican à la casuistique traditionnelle pour juger de la dissuasion nucléaire. Au centre du jugement se trouve l’évaluation comparative des deux dangers, telle qu’elle a été rappelée par le Secrétaire d’Etat à Rome 47. La crainte de la Curie a pu être éveillée plus spécifiquement par le rejet de l’emploi en premier de l’arme nucléaire, affirmé dès la première mouture du document américain (CoP 1, pp. 26-27). Cette option apparaissait déjà comme un affaiblissement considérable de la dissuasion, en particulier dans sa version étendue, affectée à la défense de l’Europe. On a pu redouter à Rome et plus largement en Europe que la condamnation de tout emploi de l’arme nucléaire n’en achevât l’érosion. C’est donc une approche globale de type politique, qu’adopte le Vatican – de même que les évêques français et allemands – pour déterminer les caractéristiques éthiques de la dissuasion nucléaire.

34 Qualifier la « petite phrase » de Jean-Paul II de « principe d’enseignement moral catholique », comme l’ont fait par exemple les évêques irlandais48 paraît alors quelque peu exagéré49. Il s’agit d’une conclusion obtenue par une méthode possible du raisonnement moral qui, de plus, ne cherche même pas à ancrer ses fondements dans la tradition catholique comme l’a fait l’épiscopat américain. Sans doute les experts de la Curie étaient-ils conscients du risque de se heurter aux mêmes difficultés. Pourquoi le Vatican, qui jouit par définition du prestige de l’autorité, aurait-il dû se créer des obstacles inutiles ? Il n’en était pas de même pour les évêques américains qui, se trouvant en position d’accusés, avaient à prouver leur bonne foi.

35 Deux événements, l’un affectant directement la rédaction de la lettre pastorale américaine, l’autre lui étant extérieur, démontrent que le Vatican n’aurait pas vu d’un très bon œil une condamnation radicale de tout emploi des armes nucléaires, quel que soit par ailleurs le mode de raisonnement retenu en matière de dissuasion. Le premier est rapporté par Jim Castelli. De retour de Rome après la rencontre de janvier et des discussions privées avec plusieurs membres de la Curie, le cardinal Bernardin fit savoir que « le Comité ne pouvait pas engager l’enseignement de l’Eglise à condamner tout 167

emploi possible des armes nucléaires parce que l’Eglise ne l’avait pas encore fait »50. Le second a trait à la rédaction du document pastoral néerlandais sur la guerre et la paix, qui fut publié quelques jours après la lettre pastorale américaine. Divisés entre eux sur la question du rejet inconditionnel de l’emploi de l’arme nucléaire – avec une majorité favorable à une condamnation radicale –, les évêques néerlandais prirent la décision de consulter Rome. Ils en rapportèrent une conclusion identique à celle du cardinal Bernardin : il n’était pas possible d’aller au-delà de ce qu’avait dit le Concile, même en limitant la portée de la déclaration à la situation particulière d’un pays. L’emploi des armes nucléaires était condamné dans la mesure où il aurait pour conséquence la destruction indiscriminée des centres de population, et seulement dans cette limite51. Ce qui valait pour les évêques néerlandais valait a fortiori pour leurs confrères américains, dont les conclusions étaient d’une portée bien supérieure pour la défense de l’Europe.

36 Que conclure de ces développements ? Tout d’abord, il est certain que le Vatican a éprouvé des inquiétudes vis-à-vis d’une évolution possible du projet de lettre pastorale américaine et a exprimé en conséquence une série de mises en garde dès le premier stade d’élaboration du document. Ces réserves ont servi de cadre au Comité de rédaction, fixant les limites à ne pas franchir. Il est en tout cas hors de question de prétendre que Rome ait « dicté » aux évêques telle ou telle conclusion. Il n’est d’ailleurs pas sûr que le cadre imposé de l’extérieur ait été plus étroit que celui que les évêques avaient eux-mêmes choisi d’emblée ou auraient été conduits à définir sous la pression conjuguée de leur mode de raisonnement, des divergences d’opinion au sein de la conférence épiscopale et des contraintes émanant de leur public potentiel aux Etats-Unis. De fait, leur raisonnement sur la base des principes de la guerre juste n’a de déductif que l’apparence. Les ajustements auxquels ils ont dû procéder sous la triple poussée de leurs propres hypothèses – le non au désarmement unilatéral –, des interventions politiques de toutes origines et de la « petite phrase » de Jean-Paul II ont considérablement altéré la pureté de leur logique originelle. Il reste que le jugement de la dissuasion contenu dans le message de Jean-Paul II s’intègre très mal dans leur mode de raisonnement, dans la mesure où l’axiome de départ concernant la relation entre usage des armes et dissuasion est radicalement différent de part et d’autre. Mais on peut se demander si, en dernière analyse, la « petite phrase » du pape ne leur a pas fourni la bouée de sauvetage inespérée pour sortir de la casuistique de la guerre juste. Objectivement, l’alternative n’aurait pu être que le silence, une position difficilement acceptable au vu des objectifs de leur entreprise. Une condamnation sans appel de la dissuasion nucléaire les aurait placés devant la situation impossible de devoir définir dans l’immédiat d’autres solutions de défense. Les difficultés éprouvées à propos du “no first use” étaient suffisamment importantes pour ne pas envisager de penser une alternative à l’ensemble de la défense occidentale.

37 Face à ce dilemme, le message de Jean-Paul II offrait une conclusion ecclésialement « autorisée » et politiquement acceptable qui pouvait être intégrée au document pastoral au prix de quelques entorses discrètes au raisonnement. Les évêques américains ont dû déployer une grande habileté pour apparaître à la fois conséquents avec eux-mêmes, politiquement réalistes et en accord avec les positions officielles de l’Eglise. Dans cette lutte, le postulat de l’acceptabilité conditionnelle de la dissuasion a constitué un dénominateur commun à toutes les déclarations épiscopales. Sa flexibilité a permis de trouver un terrain d’entente entre des options très différentes, parfois a priori incompatibles. En effet, la diversité des situations géopolitiques avait pour conséquence 168

que des solutions moralement acceptables d’un côté de l’Atlantique pouvaient paraître totalement immorales de l’autre et vice-versa. Nous avons choisi de l’illustrer par l’étude des divergences sur l’« emploi en premier » et la défense conventionnelle.

III. Les divergences de vues entre les conférences épiscopales

38 Du point de vue politique, il est possible de déceler trois domaines principaux de contentieux entre les évêques américains et leurs confrères européens qui – on ne sera pas surpris de le constater – constituent aussi le nœud des controverses entre les « experts » de part et d’autre de l’Atlantique. Ces trois domaines sont étroitement dépendants les uns des autres et s’organisent autour de l’axe central du « couplage » entre les défenses américaine et européenne. Les deux premiers sont relatifs à la question des moyens : la guerre conventionnelle et l’« emploi en premier » des armes nucléaires. Le troisième, qui conditionne les précédents, ouvre un débat plus philosophique sur les dangers auxquels on est confronté : menace totalitaire d’un côté, risque de destruction totale par la bombe de l’autre.

1. Guerre conventionnelle et “No First Use”

39 Les évêques américains se sont inscrits dans le mouvement de protestation libéral porté par la campagne pour le gel nucléaire et les opposants à l’« emploi en premier » de l’arme nucléaire. Les querelles autour du “no first use” et du stationnement des fusées à moyenne portée en Europe, qui constituèrent le cadre de rédaction des documents pastoraux, sont une manifestation certes plus aiguë, mais dans sa substance non différente des précédentes tensions euro-américaines sur la question du « couplage » entre défense de l’Ancien et du Nouveau Mondes. Comme dans les années 1960, le problème de la garantie nucléaire américaine offerte à l’Europe est à l’origine des « malentendus transatlantiques »52. Ces malentendus, qui existent au niveau politique, se reproduisent presque intégralement dans les milieux ecclésiaux. Devant le risque d’un « découplage » qui se profilait à travers les propositions américaines, évêques et politiciens européens unirent leur effort pour tenter d’endiguer le mouvement.

a. Les évêques américains et le problème stratégique

40 Si les Etats-Unis se sont bien laissés convaincre, non sans quelques réticences originelles53 , d’installer des fusées à moyenne portée en Europe pour répondre au stationnement des SS-20 soviétiques, nombre de développements stratégiques de la fin des années 1970 et du début des années 1980 semblent prendre la direction opposée54 : l’insistance américaine sur l’accroissement de l’effort de défense conventionnelle européen55, les plans de modernisation de la défense grâce aux « technologies émergentes » (FoFa et Airland Battle), le vaste mouvement d’opinion aux Etats-Unis en faveur du “no first use”, auxquels il faudrait encore ajouter l’initiative de défense stratégique du Président Reagan, dont le statut pour d’Europe était loin d’être clair, sont autant de signes de la perméabilité du « parapluie » américain. Pour Pierre Lellouche, celui-ci « s’il conserve une valeur politique encore importante, a perdu sa signification stratégique. L’Amérique se battra sans doute pour l’Europe –, mais elle se battra avec des armes classiques, sans 169

risquer une escalade incontrôlable au niveau nucléaire »56. Cet auteur en conclut que l’Alliance se trouve déjà de facto « dans une situation de non-emploi en premier de l’arme nucléaire américaine »57.

41 Si les responsables de l’OTAN ne sont pas allés aussi loin, le général Rogers, alors commandant suprême des forces alliées en Europe, s’est déclaré lui-même favorable à une stratégie de “no early use” de l’arme nucléaire, qu’il souhaite en particulier mettre en œuvre grâce aux armes « intelligentes »58. Stratèges et mouvement de paix (dans sa branche favorable au “no first use”) se rejoignent donc pour prôner un désengagement américain vis-à-vis de l’Europe, du moins dans sa composante nucléaire59. Henry Kissinger ne déclarait-il pas en 1979 que « les Européens doivent cesser de demander aux Etats-Unis des garanties qu’ils ne peuvent plus donner »60 ?

42 Les évêques américains ne font pas exception à cette tendance61. Leur jugement extrêmement défavorable à l’égard de la dissuasion nucléaire, ainsi que leur option en faveur du “no first use” les placent devant l’obligation de devoir envisager une accentuation de l’effort de défense conventionnelle (CoP, p. 747). Prétendre qu’ils ont « lancé un nouvel appel à l’armement » comme le fait Francis Winters62 est certainement exagéré, mais constater qu’ils ont voulu redonner à la guerre sa place dans les rapports interétatiques63 n’est peut-être pas inexact. Les nombreuses interprétations « pacifistes » de la lettre pastorale américaine refuseraient probablement d’admettre cette conclusion. Cependant, elle ne semble pas être le résultat d’un glissement qui se serait opéré à l’insu de ses auteurs. Si les évêques n’envisagent évidemment pas de gaieté de cœur la perspective d’un engagement armé, quelle que soit sa nature, ils soulignent dès leur première mouture que « le refus de certaines formes de dissuasion nucléaire pourrait donc éventuellement exiger qu’on accepte de payer des coûts plus élevés pour développer des forces conventionnelles » (CoP 1, p. 41), une affirmation qui défiera vents et tempêtes de la critique pour se retrouver inchangée dans le texte final (CoP, p. 747). L’éventualité d’un rétablissement de la conscription, explicitement envisagée par la première version (CoP l, pp. 41-42) fut ensuite abandonnée, probablement à cause de son impopularité aux Etats-Unis et parce que seulement quelques années auparavant, le Bureau administratif de l’USCC s’était prononcé contre cette mesure prise en temps de paix64. Mais la constatation que « les responsables et les peuples d’autres nations devraient sans doute aussi accepter de payer un coût plus élevé pour leur propre défense, si la menace d’employer en premier les armes nucléaires disparaissait », demeure une constante de toutes les moutures et précise à partir de la troisième que cette obligation s’imposerait « particulièrement en Europe occidentale » (CoP 3, p. 717 ; CoP, p. 747). De plus en plus au cours de la rédaction de leur lettre, les évêques se sont donc identifiés sur ce point à l’opinion dominante aux Etats-Unis qui, depuis plusieurs décennies, cherche à faire porter aux Européens une plus grande responsabilité dans leur propre défense.

43 Certes, ils essaient de désamorcer les inquiétudes en se défendant d’« encourager l’idée de “permettre au monde de mener des guerres conventionnelles en toute sécurité” » (CoP, p. 747), en souhaitant qu’un désarmement conventionnel puisse aller « de pair avec une dépendance moins grande de la dissuasion nucléaire » (ibid.), en déclarant leur conviction « qu’il existe de grandes possibilités qui, si elles sont exploitées énergiquement, pourraient apporter des garanties pour que la réduction des armements nucléaires n’ait pas pour contrepartie le renforcement des armes conventionnelles » (ibid.)65. Mais ces assurances ne peuvent manquer d’apparaître artificielles. La guerre nucléaire reste par nature à leurs yeux différente du conflit conventionnel (CoP, p. 739). La conclusion à 170

laquelle ils aboutissent pour des raisons morales est identique à celle que d’autres tirent pour des raisons politiques et stratégiques : dans le cadre de l’Alliance Atlantique, le nucléaire ne dissuade que du nucléaire66. Pour McGeorge Bundy, les évêques américains ne croient pas à la version étendue de la dissuasion nucléaire (“extended deterrence”)67.

44 Pourtant, la majorité des Européens reste persuadée de la viabilité à long terme de cette forme de dissuasion, en justifiant son option par les coûts prohibitifs d’une défense exclusivement ou essentiellement conventionnelle. Les quatre auteurs allemands qui ont répondu à l’article de Foreign Affairs en faveur du “no first use” interprètent comme une profession d’irréalisme les propositions de renforcement du dispositif conventionnel qui accompagneraient son adoption. Quel que soit l’effort de défense de l’Europe – et ils soulignent que cet effort est économiquement limité – elle ne parviendra jamais à opposer une dissuasion crédible à l’énorme potentiel militaire soviétique. Si « l’équilibre », voire même la supériorité de l’Occident existe au niveau global, l’Ouest demeure dramatiquement inférieur à son adversaire sur le théâtre européen et ce rapport de force n’est pas près de changer, ne serait-ce que pour des raisons géo-politiques68. Pour les Allemands, stratèges ou évêques, le nucléaire doit dissuader non seulement d’une attaque nucléaire, mais aussi et surtout d’une attaque conventionnelle69. Le raisonnement est a fortiori valable pour la France, dont c’est la raison d’être de sa force de dissuasion.

45 Les chercheurs de la HSFK qui ont fait l’analyse de la lettre pastorale américaine partagent entièrement ces conclusions. Après avoir envisagé plusieurs options possibles de renforcement du potentiel conventionnel, ils concluent par la négative pour des raisons économiques, mais surtout politiques : outre l’ébranlement de la cohésion interne de l’Alliance qui en résulterait, une telle évolution serait néfaste à la politique de détente (« Ostpolitik ») menée par l’Allemagne fédérale depuis le début des années 1970 et risquerait par répercussion d’entraîner une déstabilisation interne du bloc socialiste, qui accroîtrait l’éventualité d’une guerre70. De plus, l’orientation progressive de la dissuasion vers une stratégie d’interdiction (“deterrence by denial”) depuis la fin des années 1970 implique la nécessité d’une adéquation de plus en plus étroite du potentiel nucléaire de chaque partie à celui de son adversaire71, les déséquilibres régionaux prenant une signification croissante. Il serait donc extrêmement dangereux de négliger l’immense effort d’armement nucléaire à moyenne portée accompli par l’Union soviétique dans la seconde moitié des années 1970.

46 Mais, alors que les uns – en Allemagne surtout – voient dans l’adoption d’une posture de “no first use” et le renforcement de la défense conventionnelle une réponse inadaptée, voire dangereusement déstabilisante, aux dilemmes de la dissuasion, d’autres applaudissent les évêques américains pour l’ingéniosité de leur raisonnement72 ou le « réalisme » de leurs propositions73. Pour Bruce Russett, « même si les opinions des experts militaires sont divergentes quant à la faisabilité réelle d’une défense non- nucléaire de l’Europe occidentale, il existe de nombreux arguments cohérents et bien étayés en faveur de sa possibilité. Les véritables obstacles sont de nature politique, plutôt qu’économique ou militaire… »74. C’est aussi sur des facteurs de nature politique que s’appuient les chercheurs de la HSFK. Mais leur optique est tout à fait différente, ce qui explique qu’ils aient abouti à des conclusions exactement inverses : pour eux, l’enjeu est le délicat équilibre politique Est-Ouest ; pour Russett, ainsi que pour l’ensemble du mouvement américain en faveur du “no first use”, il s’agit avant tout de l’équilibre des relations au sein de l’Alliance. 171

47 Si certains Américains partagent les craintes européennes75, vu d’Europe, ils paraissent bien impuissants à enrayer une tendance menaçante pour la sécurité du vieux continent. C’est pourquoi une réaction vigoureuse s’imposait. Nous nous limiterons à son analyse dans les milieux catholiques.

b. La réponse des catholiques européens

48 La critique la plus catégorique du catholicisme allemand à l’encontre des positions américaines est certainement celle de Alois Mertes et Georg Leber, parue dans la Frankfurter Rundschau en avril 198376. Leber et Mertes attaquent le projet de lettre pastorale (il s’agit de la seconde mouture) pour « sa vision américaine des choses, incompatible avec les perspectives non moins légitimes d’autres Américains, d’autres nations et d’autres branches de notre Eglise universelle »77. Ils lui reprochent en particulier son ignorance de la réalité politique européenne, où la présence soviétique n’est pas seulement une abstraction, mais une donnée qui doit être incluse dans le calcul politique et moral quotidien. Une défense purement conventionnelle de l’Europe est jugée impossible et son instauration potentiellement dangereuse. Enfin, la méthode elle-même du jugement moral, basée sur l’hypothèse d’un échec de la dissuasion, est rejetée comme la preuve d’une profonde incompréhension des objectifs et mécanismes de la dissuasion78.

49 Comme on l’a mis en évidence (Cf. Chap. III & IV), les évêques allemands ne se prononcent pas directement en faveur de telle ou telle stratégie. Ils se contentent d’insister à de multiples reprises sur l’impératif de prévention de la guerre, quelle que soit sa nature. Leurs deuxième et quatrième projets faisaient allusion au non-emploi en premier des armes nucléaires. Le sujet fut débattu lors de l’assemblée de Trêves (février 1983), qui décida de ne pas en faire mention. Très vraisemblablement, les auteurs pressentaient-ils que leur raisonnement mené à son terme n’aurait pu les conduire qu’à tirer des conclusions inverses à celles de l’épiscopat américain, ce qu’ils souhaitaient à tout prix éviter79.

50 Quelques affirmations habilement introduites ne peuvent laisser de doutes quant à leurs réticences devant les propositions avancées par « Le défi de la paix ». Ainsi, il convient de ne pas juger isolément les armes ou systèmes particuliers en dehors du contexte global de la stratégie à laquelle ils se réfèrent. Si la dissuasion a pour objectif de conférer aux armes un sens politique dans le cadre de la prévention de la guerre, alors il faut juger ces armes et ces systèmes sous cet angle (GsF, p. 586).

51 L’emploi en premier des armes nucléaires, tel qu’il a été abordé par la lettre pastorale américaine, tombe sans aucun doute sous le coup de cette règle d’usage. Ceci ressort du commentaire envoyé par la conférence épiscopale allemande sur le premier projet des évêques américains80. Pour l’épiscopat allemand, il est impératif de « peser l’un par rapport à l’autre le risque du caractère de plus en plus incontrôlable de l’emploi du nucléaire » – qui motive le rejet américain de l’emploi en premier – et la « probabilité croissante d’une guerre conventionnelle » (GsF, p. 587). Le rappel de la logique politique selon laquelle doit s’apprécier la dissuasion (GsF, pp. 585-86) exprime une conviction de la part des évêques allemands, aussi bien qu’une mise en garde adressée à leurs confrères.

52 Le risque d’escalade, que garantit l’hypothèse de l’emploi en premier de l’arme nucléaire, constitue le fondement de la dissuasion (ibid., p. 587) – et du couplage de la défense européenne à la défense américaine. Supprimer cette éventualité, c’est rendre de 172

nouveau la guerre possible, au niveau infra-nucléaire, certes, mais qui ne serait pas moins inadmissible pour les Allemands.

53 Un indice supplémentaire, révélé ultérieurement, vient confirmer qu’il existait une réelle inquiétude chez les évêques allemands vis-à-vis des positions américaines, au centre desquelles se trouvait le non-emploi en premier. Au début de 1985, le Service d’information de l’AGP („Arbeitsgemeinschaft von Priester und Solidaritätsgruppen“) reproduisait une lettre confidentielle du cardinal Höffner à Alois Mertes, en date du 26 avril 1983, dans laquelle le prélat exprimait sa gratitude pour l’intervention des deux membres du ZdK auprès de ses collègues d’outre-Atlantique en espérant que « cette prise de position de deux éminents représentants des deux grands partis politiques n’avait pas manqué d’avoir son effet »81. L’aura traditionnelle de l’archevêque de Cologne au sein de la conférence épiscopale allemande permet de penser que cette opinion n’était pas seulement celle de son auteur, mais qu’elle faisait l’objet d’un large consensus parmi les évêques.

54 La question de l’emploi en premier des armes nucléaires fut longuement débattue à Rome. Elle fut l’occasion pour le cardinal Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, de soulever une distinction doctrinale importante. Selon ses propos, une conférence épiscopale en tant que telle n’a pas de “mandatum docendi”, c’est-à-dire le pouvoir d’effectuer des développements doctrinaux, celui-ci n’étant « conféré qu’aux évêques, pris individuellement, ou au collège des évêques avec le pape »82. Cette distinction, contestable sur le plan du droit canon83 avait une visée directement politique. En premier lieu, le Vatican a pu se sentir menacé d’être progressivement dépossédé de son rôle de gardien de la doctrine par l’engagement de plus en plus poussé de certaines conférences épiscopales qui prennent peu à peu conscience de la puissance que leur confère l’effort de collégialité84. Mais surtout, il souhaitait satisfaire ceux des catholiques qui contestaient la compétence à la fois technique et dogmatique des évêques à s’exprimer sur des points concrets du débat stratégique85. La relativisation des conclusions de l’épiscopat américain semble avoir été une préoccupation importante à la fois du Vatican et des épiscopats européens. C’est sur elle que le Père Schotte, représentant de la Commission pontificale Justice et Paix, fait porter tout le poids de son intervention au colloque « Episcopats catholiques sur le thème de la paix », qui réunit en décembre 1983 à Bonn des personnes associées à la rédaction des lettres pastorales européennes et américaine86. Déjà le rapport de janvier 1983 soulignait l’ambiguïté de la proposition américaine : jugement moral définitif ou solution contingente ? S’appuyant sur l’absence de consensus sur ce point entre les experts, il exprimait sa préférence pour la seconde option, demandant aux évêques de réviser en conséquence le statut de leur affirmation87. Avec davantage encore de vigueur, son allocution trace une ligne de séparation entre l’activité des évêques, qui doivent se limiter à leur fonction pastorale et celle des laïcs, qui peuvent à juste titre prendre des positions politiques concrètes au nom de leur foi : Aucune action ni aucun enseignement contraire aux principes établis par “Lumen Gentium” ne peut être justifié, aussi urgents qu’ils pussent paraître sur le moment à une personne individuelle, parce que si un tel enseignement ou une telle action était en contradiction avec le rôle qu’est appelé à jouer l’évêque, il compromettrait fondamentalement l’identité de la charge pour laquelle il a été ordonné et qui lui a été confiée pour le bien de l’Eglise88,

55 affirme-t-il. Et plus loin, 173

... les évêques devraient se garder d’entrer trop profondément dans les détails techniques ou pratiques qui pourraient servir soit à distraire des principes qu’ils essaient d’introduire dans le débat, soit à placer des opinions prudentielles contingentes sur le même niveau que les principes de la morale chrétienne. Un tel danger existe pour une série de raisons : confusion des principes et des jugements contingents, affaiblissement possible de l’autorité morale des évêques en tant qu’enseignants de la foi, refus opposé aux laïcs d’un rôle qui est proprement le leur par le biais d’une nouvelle forme de cléricalisme89.

56 Mais il exprime aussi un des présupposés de la réunion de Rome qui n’est pas explicitement mentionné dans le rapport officiel : Plusieurs conférences épiscopales… ont exprimé leur préoccupation devant les implications possibles de certaines des positions prises par le projet [des évêques américains]90.

57 Dans ce domaine « la fraternité collégiale et les réalités du problème lui-même » devraient inciter toute conférence épiscopale qui souhaite s’exprimer sur un sujet spécifique à « considérer les implications de son attitude et de son influence au-delà de sa propre juridiction, en particulier s’il s’agit d’une question internationale ou ayant un impact au-delà de son pays »91.

58 Il ne fait pas de doute que l’emploi en premier était l’une des principales pommes de discorde entre les conférences épiscopales – de même qu’il l’était au sein du Comité de préparation de la lettre pastorale américaine (Cf. Chap. III) – et qu’une partie des mises en garde était destinée à relativiser les conclusions des évêques américains en la matière.

59 Il faut souligner que les évêques français étaient préoccupés tout autant, sinon davantage, que leurs collègues allemands par la prise de position américaine. Le commentaire qu’ils adressèrent au Comité de préparation de la conférence épiscopale américaine sur son premier projet de lettre pastorale faisait de l’emploi en premier un point essentiel d’argumentation. Il soulignait le danger d’accélération de la course aux armements conventionnels qui pourrait s’ensuivre, disait son inquiétude devant le risque d’un pacifisme nucléaire américain qui risquait de priver l’Europe de ses moyens de négociation en cas de crise et invitait les évêques américains à « peser les conséquences internationales d’une telle position »92. Les déclarations ultérieures du Père Defois corroborent cette crainte. Dans le texte qui, semble-t-il, servit de base à la délégation française à Rome, il constate que, pour la France, la menace de l’usage en premier des armes nucléaires tactiques est un argument essentiel de la dissuasion du « faible au fort »... Refuser cette menace conduirait la France et l’Europe à se lancer dans une impossible course aux armements conventionnels, afin de rétablir l’équilibre si dangereusement compromis, ou à nous abandonner au bon vouloir des envahisseurs, perdant alors notre identité et notre liberté nationales93.

60 De cette déclaration découlent plusieurs conséquences. Tout d’abord, il est entendu que le non-emploi en premier ne peut ni ne doit être adopté par la France. Deuxièmement, le refus de cette option s’applique non seulement à celle-ci, mais à l’Europe entière. L’argumentation, d’abord centrée sur un seul pays, s’élargit à un domaine géographiquement et politiquement beaucoup plus vaste, qui ne peut laisser douter que l’auteur ait eu d’abord pour intention de répondre aux propositions américaines. Dans son entretien controversé avec le journal Le Matin, en mars 1983, le Père Defois faisait aux évêques américains une objection semblable à celle que l’on pouvait lire en filigrane à travers le document allemand. Mentionnant entre autres le premier emploi, il leur reprochait d’isoler le fait nucléaire en prenant en considération son seul aspect militaire 174

aux dépens des composantes politiques94. Enfin, il n’est pas exclu que les évêques français, tirant la même conclusion que les stratèges, aient vu dans le plaidoyer américain en faveur du “no first use” une raison supplémentaire d’insister sur la nécessité d’une défense nucléaire française autonome. En 1980, encore plus qu’en 1960, les partisans de la dissuasion nucléaire française pouvaient affirmer que la vision du général de Gaulle s’était avérée juste95.

61 En conséquence de la critique, une certaine modération intervint effectivement dans la troisième mouture. La formule de rejet radical de la seconde version fut remplacée par un passage plus modéré introduisant la notion d’une période transitoire entre la situation actuelle et le moment où une politique de “no first use” pourrait devenir effective (Cf. Chap. III), cependant que le texte final revenait à la formule tranchée de la seconde mouture96, tout en conservant parallèlement l’idée d’une période transitoire. Mais il accompagnait ce passage d’une note précisant : Nos conclusions et nos jugements moraux dans ce domaine, bien que fondés sur une étude et une réflexion approfondies de l’application des principes moraux, n’ont pas, bien évidemment, la même force que les principes eux-mêmes et permettent donc des avis différents… (CoP, p. 738).

62 Notons que, tout en acceptant de remodeler leur document et de distinguer plus nettement les différents niveaux de leurs propositions (CoP 3, pp. 700-701 ; CoP, pp. 719-21), les évêques américains ont systématiquement réfuté, dès leur première mouture, « les critiques de ceux qui reprochent à l’Eglise de s’occuper de ces questions, en arguant “qu’elle ne doit pas se mêler de politique” » (CoP l, p. 47 ; CoP 2, p. 322 ; CoP 3, p. 722 ; CoP, p. 755). La dimension politique du sujet n’exclut pas un apport moral à sa discussion, conformément à la ligne tracée par “Gaudium et Spes”. Si les questions de guerre et de paix sont véritablement des « questions de vie et de mort » (ibid.), il appartient à l’Eglise de porter un jugement moral car « les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent » (GS § 76.5).

63 Mais si aucune conférence épiscopale ne niera l’importance de l’enjeu ni ne se déclarera incompétente en matière de guerre et de paix, toutes sont loin d’établir la même échelle des priorités. La perception du danger qui menace les valeurs fondamentales sur lesquelles toutes, pourtant, s’accordent, est un paramètre essentiel de leurs choix stratégiques.

2. La perception du danger

64 Du point de vue philosophique, la question que posent les évêques français et allemands est la même que celle que formule le philosophe André Glucksmann : comment rejeter en même temps Auschwitz et Hiroshima97 ? On n’est plus en présence, comme c’était peut-être encore le cas au début du siècle, d’un seul, mais de deux « impératifs catégoriques »98. La critique que le philosophe français adresse aux « pacifistes » et aux évêques américains n’est pas sans rappeler le refus des thèses proportionnalistes par les déontologistes que sont Paul Ramsey et Germain Grisez. Etablir une hiérarchie entre les différents maux est impossible « car les maux extrêmes sont précisément extrêmes, donc incommensurables »99. De plus, le calcul des évêques américains ou des « pacifistes » est vicié à l’origine car, selon leurs critiques, la fin ainsi posée place au sommet de la hiérarchie la survie biologique. Les « valeurs » à protéger, en particulier la liberté, en sont soustraites ou rabaissées à un niveau secondaire. Pour Glucksmann, l’acceptation du 175

phénomène totalitaire, de sa perpétuation et de son extension, menace la survie de l’Occident dans le sens le plus profond. En d’autres termes, accepter d’être « rouge », c’est aussi accepter d’être « mort ». Refuser la « première mort », la mort physique, c’est accepter une « seconde mort » encore plus funeste que la première, puisqu’elle prive l’homme de sa « première mort », de la manifestation ultime de sa liberté qui va jusqu’à la possibilité de se donner lui-même la mort100. La question du « moindre mal » ne se pose donc pas en prenant pour réfèrent l’intention d’utiliser les armes nucléaires, mais l’inaction occidentale face au phénomène totalitaire. En refusant de réagir, l’Ouest sacrifie ses propres valeurs au but aléatoire de la survie biologique. La réponse qu’apporte Glucksmann : l’acceptation du « vertige » de la dissuasion, n’est pas différente de celle qu’imaginèrent, à l’origine, les premiers penseurs de cette stratégie101.

65 Comme le courant conservateur aux Etats-Unis, le philosophe français reproche aux évêques américains de n’avoir pas posé la question de la relation entre le « danger de vitrification et celui du goulag », tel que la soulevait le cardinal Casaroli à Rome102. Il est vrai que les auteurs du projet, excepté Mgr O’Connor, n’ont modifié leur texte qu’avec beaucoup de réticence pour y inclure une description de la « menace » soviétique. Dans la troisième version, l’existence d’un « impérialisme » soviétique était clairement dénoncée, mais l’on ne prenait pas parti sur le caractère agressif ou défensif de ses œuvres (CoP 3, p. 721). S’appuyant sur le message de Jean-Paul II pour la journée de la paix 1983103, le texte faisait une analyse de la menace idéologique soviétique, sans en tirer les conséquences dans le domaine de la sécurité en général et de la sécurité européenne en particulier (CoP 3, p. 721 ; CoP, pp. 751-52).

66 Pour les évêques américains, le premier danger pour la sécurité, c’est Hiroshima. L’affirmation répétée de la primauté de la menace nucléaire (CoP, pp. 718, 726, 731-32, 736-38, 761), la priorité accordée à la prévention de celle-ci dans les buts à poursuivre (CoP, p. 736), ne laissent aucun doute à ce sujet. Ceci n’est pas sans contradiction avec leur reprise du discours pontifical qui fixe la liberté et le respect des droits au sommet de la hiérarchie des valeurs à rechercher. Après avoir présenté la paix comme condition de la liberté104, ils reprennent le message de Jean-Paul II pour le 1er janvier 1982 : Le respect inconditionnel et effectif des droits imprescriptibles et inaliénables de chacun est la condition sine qua non pour que la paix règne dans une société. Par rapport à ces droits fondamentaux, tous les autres sont en quelque sorte dérivés et seconds105.

67 La contradiction est apparemment résolue en postulant qu’une véritable paix ne peut s’appuyer que sur le respect de la liberté et des droits de l’homme (ibid.). Mais le jeu sur la diversité des sens du terme « paix » est évident. Alors qu’au départ on voulait signifier la simple absence de guerre, on a ici en vue un concept beaucoup plus global de la paix, chargé d’un contenu positif. Dans la pratique, autant le problème de la hiérarchie des valeurs que celui des moyens de la garantir reste entier.

68 Chez les évêques allemands et français au contraire, la priorité accordée à la justice en termes de préservation des libertés clarifie d’emblée les enjeux et les objectifs. Mais il faut aussi ajouter que les visions de l’Apocalypse sont différentes. Pour les Américains, quelle que soit l’école stratégique à laquelle ils se rattachent, l’Apocalypse, c’est la frappe stratégique. Pour certains d’entre eux – tels les évêques – tout engagement nucléaire, aussi limité soit-il à l’origine, y conduit quasi automatiquement. Le seul moyen de la prévenir est alors de rendre de nouveau possible la guerre conventionnelle. Au contraire, pour les autres, faire des prévisions en vue de celle-ci est le meilleur moyen de conduire à 176

la catastrophe que l’on veut éviter. Les évêques français mettent en garde contre la tentation de « minimiser les guerres “conventionnelles” modernes », rappelant que les bombardements massifs de Tokyo, Dresde ou Hambourg ont fait plus de morts que ceux de Hiroshima ou Nagasaki et soulignant qu’une guerre classique pourrait bien être le détonateur menant à un conflit nucléaire (GP, pp. 5, 6). Leurs confrères allemands sont à deux doigts de caractériser les deux guerres mondiales de guerres de destruction massive, mettant l’accent sur leur parenté avec le conflit atomique106. Pour les conférences épiscopales européennes, Apocalypse et goulag se confondent. Il n’y a plus alors qu’à accepter le « vertige » de la dissuasion pour éviter l’un et l’autre. Mgr Jullien, le principal rédacteur du document pastoral français, ne cache pas son admiration pour André Glucksmann, dont on retrouve aussi la mention sous la plume du Père Defois107.

69 L’argument du vertige est ambigu. Résultant théoriquement de la volonté de placer les deux maux sur un pied d’égalité, il ne peut éviter d’apparaître a contrario comme une hiérarchisation des préférences. Il faut permettre Hiroshima pour éviter Auschwitz. Glucksmann réfuterait sans doute cette interprétation, mais elle nous paraît inévitable. Cependant, prendre le risque d’Hiroshima, n’est-ce pas aussi sacrifier ses propres valeurs, non pas seulement potentiellement, mais déjà actuellement ? N’est-ce pas accepter un totalitarisme au quotidien qui dépossède l’être humain de sa liberté et de sa dignité en le conditionnant à répondre à l’agression par la destruction totale de son adversaire ?108 Les analyses psychologiques de la dissuasion nucléaire ont démontré la logique auto- destructrice de ce mécanisme. Depuis que la guerre n’autorise plus l’illusion de sauver l’ami en détruisant l’ennemi, c’est-à-dire ne permet plus d’imaginer la survie de l’objet d’amour mais seulement la destruction de toute vie, elle offre finalement aux hommes la possibilité de ne plus voir dans la guerre elle-même qu’une incitation réciproque à la mort109.

70 L’équation à laquelle l’homme se trouve confronté du fait du péril atomique n’est plus alors l’ancienne formule « ta mort, c’est ma vie » (ou inversement, « ta vie, c’est ma mort »), mais « ta mort, c’est ma mort »110. Cette logique destructrice ne pourra être remplacée par la proposition corollaire « ta vie, c’est ma vie » que par la renonciation à la violence111.

71 Le Père Defois lui-même, co-rédacteur de la lettre pastorale française, n’hésite pas à dénoncer la perversion éthique sur laquelle repose la dissuasion : des mentalités individualistes ou protectionnistes, il apparaît légitime de recourir à l’emploi de l’arme nucléaire pour protéger son refuge et pour que soit maintenu un bonheur individuel et immédiat. Il n’est pas étonnant alors que les gouvernements, à l’Est comme l’Ouest, utilisent cette angoisse latente, cette indifférence fondamentale des populations pour légitimer un armement nucléaire qui assure idéologiquement ou théoriquement une sécurité112.

72 A ces considérations éthiques, il faut ajouter la constatation technique selon laquelle, excepté dans l’optique de la dissuasion française, les développements de la stratégie nucléaire au début des années 1980 s’éloignent de la statique du « vertige » (Cf. supra). En prévoyant des guerres nucléaires limitées, l’administration américaine refuse le vertige dissuasif qui réside dans une paralysie mutuelle des deux antagonistes. Si une guerre nucléaire « devient pensable, plausible, intégrable même dans une stratégie »113, le discours de la bombe n’a plus de sens. Hiroshima redevient aussi probable et aussi tragique qu’Auschwitz. C’est ce que veut dire le mouvement de paix en refusant le silence devant l’ampleur du risque de destruction : 177

Autrefois nous n’avons pas ouvert la bouche à temps devant l’extermination… Cette fois nous ne pouvons pas nous taire ! Pas cette fois114,

73 affirment ses porte-paroles, issus en grand nombre des rangs chrétiens. La mémoire collective qui empêche les évêques allemands de faire l’hypothèse d’une guerre juste est aussi celle qui pousse leurs critiques à dénoncer leur silence devant le danger nucléaire115. Le postulat de rationalité sur lequel repose le « vertige » nucléaire ne saurait être une garantie suffisante.

74 En se déterminant d’abord par rapport au but de la dissuasion, qui met en avant l’impératif de stabilité, les conférences épiscopales allemande et française entrent nécessairement en contradiction avec le troisième critère d’acceptabilité conditionnelle de la dissuasion, qui lui confère un caractère purement transitoire. Dans quelle mesure ce postulat est-il crédible et compatible avec l’ensemble de leurs propositions stratégiques ? Ce sera l’objet de notre conclusion à l’étude de la dissuasion dans les lettres pastorales.

IV. L’acceptabilite morale de la dissuasion : un jugement transitoire

1. La notion de délai

75 Dans son message aux Nations Unies, Jean-Paul II introduisait comme première limite d’acceptabilité de la dissuasion l’exigence qu’elle ne devienne pas une « fin en soi ». Certains ont vu dans cette proposition une évidence116. Mais peut-être y a-t-il ici davantage. En posant cette condition, et en demandant que des négociations soient menées simultanément en vue du désarmement, le pape reprend et précise la notion de délai introduite par “Gaudium et Spes”. Le texte conciliaire déclarait en effet que la dissuasion « ne constitue pas une voie sûre pour le maintien de la paix » (GS § 81.2) et demandait que nous « [mettions] à profit le délai dont nous jouissons et qui nous a été concédé d’en haut pour que, plus conscients de nos responsabilités personnelles, nous trouvions les méthodes qui nous permettent de régler nos différends d’une manière plus digne de l’homme » (GS § 81.4). La question qui se pose alors est de savoir si, dans son message aux Nations Unies, Jean-Paul II dit réellement quelque chose de nouveau par rapport à ce qu’avait affirmé le Concile, ou s’il ne fait que répéter sous une forme différente ce qui avait déjà été proclamé vingt ans plus tôt – allongeant ainsi le délai – ou encore si son affirmation traduit une régression sur les positions antérieures de l’Eglise117.

76 La notion même de délai est ambiguë. Karlheinz Koppe, membre du Comité directeur de Pax Christi-Allemagne, souligne que ce terme est employé inconsidérément avec deux significations différentes. Dans un premier sens, il s’agit « du délai que Dieu laisse encore aux hommes (“qui nous a été concédé d’en haut”) pour qu’advienne enfin le règne de la raison ». Dans une seconde acception, on vise « le délai que nous aurions dû nous-même nous fixer depuis longtemps pour abolir un système qui menace d’annihiler toute vie et toute civilisation encore digne de ce nom »118. La première forme de délai n’a de limite que la volonté de Dieu elle-même : aussi longtemps que le monde d’ici-bas existera, Dieu laissera aux hommes la chance d’agir raisonnablement. C’est un postulat classique de la philosophie catholique. Il ne s’agit pas ici d’un délai temporel. En d’autres termes, le délai dont parle Jean-Paul II, et que reprennent à leur compte les évêques français (GP, p. 9) et allemands (GsF, p. 36) est un délai au sens conditionnel du terme, les conditions elles- mêmes n’étant pas limitées dans le temps. Ceci a pour conséquence, ainsi que le souligne 178

Hans Langendörfer, que même si l’on devait conclure à l’immoralité de la dissuasion nucléaire actuelle, on ne peut exclure l’émergence future d’une forme de dissuasion qui serait de nouveau morale119.

77 Au contraire, la seconde forme du délai, qu’essaient d’accréditer les mouvements de paix catholiques, place au centre du concept le facteur temps. La déclaration de Neustadt (30 octobre 1983) de l’assemblée des délégués allemands de Pax Christi stipulait : … aujourd’hui déjà cette dissuasion a perdu sa légitimation. A nos yeux, le délai est déjà écoulé120,

78 et un an plus tard, la même assemblée priait les évêques de « se poser sérieusement la question de savoir combien de temps, dans les circonstances actuelles, ils pourront considérer que le délai court encore »121. La branche américaine du mouvement agissait également sur la base de l’idée d’une expiration prochaine du « délai » quand elle proposait, en octobre 1983, de mettre sur pied un comité chargé d’examiner la conformité de la politique gouvernementale avec les exigences posées par « Le défi de la paix » en matière de dissuasion122. A la même date, les commissions européennes « Justice et Paix », si elles admettaient que des réflexions restent nécessaires pour préciser la notion de « délai », caractérisaient celui-ci comme un « temps limité dont on a besoin pour une réévaluation du système », en soulignant que « si la durée n’est pas limitée ou déterminée, le délai peut être reconduit et renforcer le statu quo »123.

2. Le délai dans les lettres pastorales

79 Parmi les conférences épiscopales, les évêques américains sont les seuls à ne pas faire appel à la notion de délai. Cette omission peut être interprétée de diverses manières. Une approche sévère affirmera que la rigidité de leur méthode – l’utilisation casuistique de la théorie de la guerre juste – les empêche de donner un caractère dynamique à leur jugement. Pourtant, aucun texte ne met aussi nettement en demeure les instances gouvernementales de modifier leur politique. Sans détour ils déclarent : Toute extension éventuelle de notre système stratégique ou tout changement dans la doctrine stratégique doit être évalué précisément à la lumière de la question suivante : cela rend-il plus ou moins probables les étapes vers le désarmement progressif ? (CoP, p. 743).

80 Et, en novembre 1985, un groupe d’évêques présentait à la conférence épiscopale une motion demandant, au vu des développements militaires récents, de « se rendre publiquement à l’évidence que les conditions d’acceptabilité morale de la dissuasion ne sont pas remplies »124. Sans aller jusqu’à reprendre à son compte cette conclusion, la Conférence épiscopale a accepté de mettre sur pied un « Comité Ad Hoc pour l’Evaluation morale de la dissuasion », dont la tâche est celle d’une « [évaluation] de tous les principes factuels et moraux pertinents, nécessaires pour présenter aux membres de la Conférence épiscopale un jugement sur le statut éthique de la dissuasion »125. Les conclusions tirées dans la lettre pastorale sont donc sujettes à l’avenir à réévaluation.

81 Les évêques français et allemands ne sont pas allés aussi loin. Les premiers ont bien conscience du fossé qui sépare Européens et Américains : ... les évêques américains ont lancé un cri d’alarme au monde : « Le défi de la Paix ». Cependant, la situation n’a pas évolué au point de rendre caduc le jugement pratique du Concile126. 179

82 Il est vrai que par rapport à des déclarations antérieures, les prélats américains ont modéré leurs exigences. La lettre pastorale ne reprend pas l’avertissement du cardinal Krol devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat en 1979, qui menaçait de condamner en bloc usage et possession des armes nucléaires si l’espoir de négociations en vue de la réduction des arsenaux et de l’abolition ultime de la stratégie de dissuasion disparaissait127. L’explication est double. D’une part cette admonestation est liée au jugement controversé des textes de 1976 et 1979. Mais surtout, la notion de « délai » qu’elle présuppose serait très difficilement compatible avec celle qu’implique le jugement pontifical. Les évêques allemands eux aussi ont renoncé à rendre leurs exigences plus contraignantes, comme ils l’avaient envisagé à une certaine étape de leurs travaux128.

83 Mais en concluant, encore plus nettement qu’il y a vingt ans, que la dissuasion est « encore moralement acceptable », l’Eglise ne risque-t-elle pas de conforter le statu quo et d’empêcher justement que se mette en route la dynamique de changement qu’elle voulait insuffler ? Les restrictions dont s’accompagne cette acceptation – dissuasion comme moyen et non comme fin, équilibre, efforts de désarmement – sont trop imprécises et trop dépendantes d’une appréciation subjective pour constituer un frein sérieux à la volonté des décideurs politiques et militaires.

84 Prenons l’exemple de la lettre pastorale allemande. En l’absence de référence à des stratégies ou systèmes d’armes particuliers et en l’absence de spécification du délai, chacun a pu y trouver de quoi conforter ses propres thèses. Il est douteux que les avertissements des évêques aient eu un effet quelconque sur la conduite de la politique de défense. Les réactions émanant de groupes ou d’individus directement liés à la mise en œuvre de cette politique en témoignent129.

85 Pour le théologien Rupert Feneberg, la séparation établie au début du document pastoral entre « maintien de la paix », qui serait de la compétence du pouvoir politique et « promotion de la paix », de la responsabilité du corps social et en particulier de l’Eglise (GsF, pp. 8-9), est à la racine de son inefficacité sur le plan politico-militaire. Cette séparation porte en germe une séparation irrémédiable entre « éthique de responsabilité » et « éthique de conviction ». L’Eglise se reconnaît effectivement une compétence dans le deuxième domaine, mais elle ne soumet le premier qu’à un jugement éthique extérieur, laissant l’entière responsabilité des choix concrets en matière de défense au pouvoir politique et militaire130. La tentation de la résignation, voire de l’échappatoire, est très forte chez les évêques allemands. La recherche de « solutions provisoires pour sauvegarder la paix » risque d’apparaître comme un pis-aller durable si elle doit se prolonger jusqu’au jour où seront réunies les conditions de structuration de l’ordre international, aucune indication n’étant donnée sur les délais de réalisation de celui-ci (GsF, pp. 584-85). Dans le jugement général de la dissuasion, alors qu’ils sont conscients d’aboutir à une impasse, plutôt que de préciser leur pensée au moyen d’exemples concrets, les évêques déclarent : Nous désirons nous orienter vers la parole de Dieu qui nous promet cette paix que ce monde ne peut pas nous donner par lui-même. C’est la tension entre la promesse et la réalité des faits qui nous porte à conseiller un ordre de détresse, mais nous guide simultanément aussi au-delà de ce qui est possible maintenant. En effet, nous croyons que « pour Dieu, tout est possible » (GsF, pp. 588).

86 Peut-être le chrétien angoissé peut-il trouver dans cette affirmation l’apaisement de ses craintes, mais elle est de peu d’utilité pour la conduite d’une politique de défense. Pax Christi, Rupert Feneberg et plus généralement, les groupes et individus se situant 180

dans la mouvance des mouvements de paix auraient préféré que les évêques tirent eux- mêmes les conclusions claires découlant des principes qu’ils avaient énoncés, conclusions qui auraient dû au minimum les amener à rejeter le stationnement des Pershing II sur le sol allemand et éventuellement à condamner l’évolution de la stratégie de l’Alliance intervenue au début des années 1980131.

87 Cependant, les évêques n’étaient pas prêts à cette issue. Plusieurs indices révélés postérieurement à la publication du document épiscopal donnent à penser que les artisans de la « double-décision » de l’OTAN avaient davantage de raisons de s’estimer confortés dans leurs options que ses opposants. Les premiers ont trait à l’attitude personnelle du cardinal Höffner, président de la conférence épiscopale. Dans son discours d’ouverture de l’assemblée générale d’automne 1983, il déclarait en effet : Lorsque l’on discute de la dissuasion comme moyen de prévention de la guerre, il s’agit d’une question au sujet de laquelle avec une égale sincérité les chrétiens peuvent aboutir à des jugements différents132,

88 et dans son allocution de clôture de la même assemblée, il précisait qu’en matière de stationnement des nouvelles armes eurostratégiques, ce qui est en jeu, ce n’est pas la loi morale, mais la question de savoir quelle est la meilleure manière de préserver la paix133.

89 Autrement dit, il s’agit d’une pure décision technique… Mais déjà en 1981, ne déclarait-il pas dans des circonstances similaires : Dans le domaine du maintien de la paix, il est des questions à propos desquelles les chrétiens, « avec une égale sincérité », peuvent aboutir à des jugements différents,

90 citant à titre d’exemples le stationnement des nouvelles armes à moyenne portée et les exportations d’armes134 ?

91 Pourtant, la lettre pastorale semblait avoir des implications beaucoup plus contraignantes lorsqu’elle prônait la mise en œuvre du Sermon sur la montagne jusque dans le jugement moral des options stratégiques : Ce dont il s’agit ici, ce n’est pas seulement d’une attitude intellectuelle pacifique, mais du comportement dont émane la paix. C’est donc dans l’esprit du Sermon sur la montagne que nous nous posons concrètement la question de savoir si le fait de se donner, ou de ne pas se donner certains moyens contribue à sauvegarder ou à mettre en péril la paix et les justes conditions qui la garantissent (GsF, p. 582).

92 Il ne s’agit pas ici de renvoyer l’appréciation à la compétence des techniciens, comme tend à le faire le cardinal Höffner lorsqu’il aborde l’actualité concrète. On peut supposer que le préjugé favorable du Président de la conférence épiscopale à l’égard de la mesure de stationnement a conduit les évêques à s’abstenir de tirer des conclusions politiques qui auraient paru trop contradictoires avec l’esprit du document pastoral135.

93 Un second indice de l’orientation générale dans laquelle se situait la conférence épiscopale est donné par le contenu du « guide » élaboré par le « Comité catholique pour l’éducation des adultes » (KBE), dont la publication n’aurait pu être autorisée sans le feu vert des évêques136. A partir de citations extraites du texte des évêques, ce « guide » s’applique à réfuter point par point les arguments et les revendications des mouvements de paix. Abordant plus particulièrement la politique de défense occidentale, il nie qu’elle affiche quelque volonté de mener des guerres nucléaires limitées137, met en garde contre des mesures de désarmement unilatéral qui risqueraient de compromettre l’équilibre des forces138, développe une série d’arguments en faveur du stationnement des Pershing II139 et réfute tout « droit à la résistance » à l’encontre de cette mesure140. Bien qu’il ne se 181

prononce pas définitivement en faveur de la politique de défense de l’OTAN, ce document, que beaucoup considèrent comme une interprétation « authentique » de la lettre pastorale, apparaît comme un désaveu formel de toutes les thèses du mouvement de paix. Visiblement, les évêques ont choisi leur « camp », ce qui remet sérieusement en doute leur capacité critique à l’égard de la politique de défense officielle. Le « délai » entre la situation actuelle et l’idéal visé risque de s’allonger pour une durée indéterminée.

94 Une réflexion analogue pourrait s’appliquer au document français. Pas plus que leurs confrères allemands, les évêques de l’Hexagone ne précisent les conséquences de leur jugement éthique. Ils se défendent en disant ne pas vouloir entrer « dans les débats techniques des spécialistes sur la crédibilité de notre défense, sur l’échelonnement de nos moyens classiques, nucléaires, tactiques et stratégiques, et leur articulation avec des systèmes d’alliance » et renvoient à ce sujet à la « vertu de prudence » (GP, p. 8). Celle-ci est certes nécessaire, mais elle demeure un principe trop abstrait pour servir utilement de guide à l’action, même si elle est précisée négativement par deux remarques : Il faut se garder de deux excès : 1) L’évacuation du jugement éthique comme si l’on devait abandonner des choses aussi lourdes de signification humaine à la seule logique technique ; 2) Les jugements péremptoires de type déductif, qui feraient bon marché des composantes techniques (GP, p. 8).

95 Peut-on porter un jugement éthique pertinent si l’on se refuse à examiner la portée concrète des techniques en jeu ? Peut-on juger de la fin sans en même temps analyser les moyens ? Les évêques français n’ignoraient pas les incertitudes demeurant sur des questions aussi essentielles que la fonction des armes tactiques ou la définition du « sanctuaire » que doit protéger la force de dissuasion, mais ils en ont fait totale abstraction dans leur jugement éthique. Quelques critères auraient sans doute été utiles à une époque où l’on parle de plus en plus de « bataille de l’avant » et où l’on s’éloigne de la dissuasion « minimale » sur laquelle s’appuie la force de frappe française. C’est sur une « conception dépassée de la dissuasion nucléaire »141 que s’appuient les évêques pour porter leur jugement moral, alors même que le bouillonnement des débats stratégiques autour d’eux témoigne d’une remise en cause de cette forme de dissuasion à la fois par la classe militaire et les partisans de moyens de défense dits « alternatifs ». De plus, la tendance des évêques français à se reconnaître dans une philosophie comme celle d’André Glucksmann (Cf. ci-dessus) met sérieusement en doute la validité de leur argument sur le délai. Hans Langendörfer a bien montré qu’une telle philosophie est incompatible avec l’idée d’une dissuasion comme période transitoire parce qu’elle fait de la bombe le révélateur ultime et le messager de la vérité sur l’homme142.

3. Conclusion

96 Malgré son approche casuistique, le document américain semble finalement le plus à même de rendre crédible le plaidoyer catholique en faveur d’un dépassement du système de sécurité basé sur la dissuasion nucléaire. Il ne doit pas cette efficacité à la méthode adoptée, qui inclinerait au contraire à la confirmation du statu quo, mais au choix délibéré d’aborder des questions aussi concrètes que les systèmes d’armement et les stratégies de défense. On pourra objecter que les évêques américains dans leur précipitation, vont trop loin, réduisant le « délai » à une portion si congrue qu’il devient inexistant. La qualité dynamique du jugement serait alors télescopée en une série d’affirmations qui ne traduiraient rien d’autre qu’une pure éthique de conviction. La tâche la plus ardue est certainement la définition des étapes intermédiaires entre une situation actuelle 182

insatisfaisante et une situation future où le concept de paix exposé dans les lettres pastorales pourra se concrétiser.

97 La difficulté du passage est illustrée par une déclaration du cardinal Casaroli devant l’Agence Internationale de l’Energie en mars 1986, qui contient en quelques mots tout le paradoxe du jugement d’acceptation transitoire. S’exprimant sur les positions de l’Eglise à l’égard de la dissuasion, il suggérait : On peut estimer qu’un moindre mal serait que les parties, tant qu’elles restent enfermées dans la perspective de la dissuasion, appliquent au concept même de dissuasion quelques critères éthiques clairs et mutuellement acceptés. Ainsi le consensus qui existe sur le caractère inacceptable de l’emploi effectif des armes nucléaires devrait-il logiquement s’étendre à la menace d’y recourir143.

98 L’intérêt de cette proposition, acclamée par certains catholiques comme un pas de plus de la part d’une voix « autorisée » du Vatican vers le désaveu de la dissuasion nucléaire, n’a d’équivalent que son ambiguïté. Comment peut-on envisager que les parties « tant qu’elles restent enfermées dans la perspective de la dissuasion », trouvent un terrain d’accord sur des valeurs qui en consacreraient l’inanité ? Le discours dissuasif n’est-il pas par essence celui de la méfiance, qui maintient les adversaires à distance ? Tout en faisant leur la formule pontificale, les évêques irlandais ne remarquent-ils pas que « la dissuasion… est basée sur la menace ; par conséquent, elle a un effet exactement inverse à la construction de la confiance nécessaire à la paix »144 ? Sans doute le cardinal envisage- t-il l’hypothèse où la dissuasion ne reposerait plus que sur la simple possession – dépourvue de menace d’utilisation – des armes nucléaires. Mais les difficultés apparues à propos de la lettre pastorale américaine témoignent éloquemment de l’ambiguïté d’un tel postulat. Le cas de figure serait celui d’une extinction de la dissuasion par une sorte de désuétude, comme le résultat du développement d’une coutume de droit international. Peut-être encore faut-il interpréter la proposition dans un sens à la fois plus restrictif et plus « politique », comme un appel lancé aux adversaires à reconnaître simplement qu’ils n’ont pas de véritable raison de se menacer ? Cependant, la question du « pourquoi » reste entière. Comme le rappelle Dieter Senghaas, Si la politique de menace a aussi pour but de maximaliser l’intérêt commun des adversaires, c’est-à-dire de ne pas transformer la menace en une action réelle, pourquoi n’est-il alors pas possible d’éviter d’emblée cette politique de menace et de concrétiser l’intérêt commun d’une manière qui ne ressemble pas à un jeu irrationnel avec la mort145 ?

NOTES

1. DUMONT, Louis, Essais sur l’individualisme, Paris, Seuil (Esprit), 1983, p. 45. 2. Il n’existe pas une définition unique des termes de « proportionnalisme », « conséquentialisme », « déontologie » ; voir SOWLE-CAHILL, Lisa, “Theology. Utilitarianism and Christian Ethics”, Theological Studies, 42(1981), pp. 602-4. Une classification possible est celle de Charles Curran : CURRAN, Charles, “Utilitarianism and Contemporary Moral Theology: Situating the Debates”, Louvain Studies, 6(1977), pp. 239-55. 183

3. GRISEZ, Germain, Abortion, the Myths, the Realities and the Arguments, Washington, Corpus Books, 1970, 559 p. ; “Toward a Consistent Natural Law Ethics of Killing”, American Journal of Jurisprudence, Nr. 15, 1970, pp. 64-96 (Ci-après, “Toward a Consistent Ethics”) ; également, GRISEZ, Germain, SHAW, Russell, A Grisez Reader for “Beyond the New Morality”, ed. Joseph Casey, Washington DC, University Press of America, 1972. Paul Ramsey est aussi très critique vis-à-vis du proportionnalisme ; voir RAMSEY, Paul, “Incommensurability and Indeterminability in Moral Choice”, in Doing Evil to Achieve Good, ed. Richard McCormick & Paul Ramsey, Chicago, Loyola University Press, 1978, pp. 69-144 (ci-après, “Incommensurability”). 4. Bruno Schüller a démontré que la théologie catholique avait beaucoup plus souvent qu’on ne le pensait tenu un raisonnement téléologique, SCHÜLLER, Bruno, Die Begründung sittlicher Urleile, Düsseldorf, Patmos, 2te Aufl., 1980, 213 p. Dans un récent discours à un congrès international de théologie morale, le pape Jean-Paul II affirmait : « Il existe des normes morales qui ont leur contenu, précis, immmuable et inconditionnel... Nier qu’il existe des normes ayant une telle valeur, seul peut le faire celui qui nie qu’il existe une vérité de la personne, une nature immuable de l’homme, fondée en dernière analyse sur cette Sagesse créatrice qui donne la mesure de toute réalité » ; JEAN-PAUL II, « Réflexion éthique et fidélité au Magistère et à la Tradition », 10 avril 1986, DC, Nr. 1918, 1986, p. 484. Le pape avait en vue ici plus précisément les questions de la contraception et de l’avortement. 5. Les évêques américains s’efforcèrent constamment de lier leur position à l’égard de l’armement nucléaire à celle qu’ils avaient prise dans le débat sur l’avortement, ainsi que sur l’euthanasie et la peine capitale, au nom d’une même éthique de la vie. Voir par exemple, BERNARDIN, Joseph, A Consistent Ethic of Life: An American Catholic Dialogue, Gannon Lecture, Fordham University, Dec. 6, 1983, ronéotypé, 10 p. (Traduction française : DC, Nr. 1872, 1984, pp. 44, 3-47) ; A Consistent Ethic of Life: Continuing the Dialogue, The William Wade Lecture Series, St Louis University, March 11, 1984, ronéotypé, 9 p. Pour la thèse d’une double éthique, individuelle d’une part (surtout sexuelle), sociale d’autre part, voir OVERBERG, Kenneth, An Inconsistent Ethics?, Teaching of the American Catholic Bishops, Lanham (MD), University Press of America, 1980, 210 p. 6. KROL, “Testimony to the Senate”, op. cit., p. 128. 7. McCORMICK, “Ambiguity”, op. cit., p. 7 ; GRISEZ, “Toward a Consistent Ethics”, op. cit., p. 78 ; également, CONNER Y., John, “Catholic Ethics: Has the Norm for Rule-Making Changed?”, Theological Studies, 48(1981), pp. 240-43. 8. L’interprétation du principe du « double-effet » a donné lieu à une littérature très abondante depuis le début des années 1970. Le collectif Doing Evil to Achieve Good lui est entièrement consacré. Pour une présentation synthétique des différentes conceptions, voir SOWLE-CAHILL, op . cit.. 9. WINTERS, “Did the Bishops Ban the Bomb?”, op. cit., p. 107. 10. Winters souligne que la rectitude de l’intention est conservée au cas où un responsable politique ou militaire agirait à l’encontre de la politique officielle de non emploi ; ibid. ; également, WINTERS, “Bishops and Scholars”, op. cit., p. 41. 11. GRISEZ, Germain, “The Moral Implications of a Nuclear Deterrent”, op. cit., p. 18 ; voir également McCORMICK, “Notes on Moral Theology”, Theological Studies, 45(1984), p. 127 (Ci-après, « Notes », 1984) ; CURRAN, Charles, “A Complex Document for a ‘Big Church’”, in “The Bishops and the Bomb – Nine Responses”, Commonweal, Aug. 13, 1982, 109(14), p. 439. 12. Son argumentation est très proche de celle que les deux auteurs allemands Robert Spaemann et Ernst-Wolfgang Böckenförde utilisaient en 1960 ; BÖCKENFÖRDE, SPAEMANN, op. cit. 13. Dans la version finale, le concept de « situation de péché » a disparu du passage relatif au jugement moral de la dissuasion, bien qu’il demeure sous une forme des plus équivoques dans la partie introduisant à l’examen des questions de la « guerre et la paix dans le monde moderne » ; 184

« La question morale en jeu engage le sens du péché dans ses dimensions les plus visibles », CoP, p. 734. 14. A ce sujet les articles de McCormick et Schüller dans Doing Evil to Achieve Good, pp. 7-53, 165-92, 193-267, et la critique de Ramsey sur ces notions, ibid., pp. 69-144. 15. McCORMICK, “Notes”, 1984, op. cit., p. 88 ; également, le commentaire de McCormick sur les théories de Peter Knauer, William van der Marek, Cornelius van der Poel et sa propre synthèse, “Ambiguity”, op. cit., pp. 9-21, 35-50. 16. McCORMICK, “Notes”, 1984, op. cit., p. 89 ; “Ambiguity”, pp. 31-32, 43-44 ; “Commentary on the Commentaries”, in Doing Evil to Achieve Good, pp. 238, 251-54 (ci-après “Commentary”) ; également, BÖCKLE, Fundamentalmoral, München, Kösel, 1981, pp. 311-12. 17. On peut par exemple se référer à l’existence de devoirs et obligations “prima facie” dont le respect serait contraignant sauf intervention d’une raison exceptionnelle validement fondée qui vienne en empêcher l’accomplissement. Voir SCHÜLLER, Bruno, “The Double Effect in Catholic Thought: A Reevaluation”, in Doing Evil to Achieve Good, pp. 181-82. Pour une application à la problématique de la guerre, CHILDRESS, James F., “Just War Theory”, Theological Studies 39(1978), pp. 427-45 ; “Just War Criteria”, in War or Peace?, ed. Thomas A. Shannon, New York, Maryknoll, 1980, pp. 40-58. 18. McCORMICK, “Ambiguity”, op. cit., pp. 45-50 ; plus généralement, “Commentary”, op. cit., pp. 193-267 ; BÖCKLE, Fundamentalmoral, pp. 212-13. 19. Le terme “beneficientia” est retenu par McCormick. “Ambiguity”, op. cit., pp. 47ss. ; “Commentary”, op. cit., pp. 249ss. McCormick utilise dans le même sens le concept d’“ordo bonorum” emprunté à Schüller. L’idée d’“association of basic goods” a été développée par FINNIS, John, Natural Law and Natural Rights, Oxford, Clarendon Press, 1980. Voir sur ce point, HOLLENBACH, Nuclear Ethics, p. 21 ; McCORMICK, “Commentary”, op. cit., p. 229 ; SOWLE-CAHILL, op. cit., p. 619. 20. McCormick considère que c’est le cas de l’attaque directe des non-combattants, McCORMICK, “Ambi-guity”, op. cit., pp. 31-32, 43-44 ; “Commentary”, op. cit., pp. 237-38. Il qualifie alors ce principe de “virtually exceptionless norm”. 21. En supposant l’existence d’une “association of basic goods” qui seraient tellement interdépendants que la violation de l’un entraînerait nécessairement la violation des autres, on résout, ou du moins, on diminue fortement l’acuité des conflits de valeurs ; voir McCORMICK, “Commentary”, op. cit., p. 262. 22. Contrairement à ce qu’affirme la critique des déontologistes à l’égard des proportionnalistes. McCORMICK, “Notes”, 1984, op. cit., p. 88. 23. McCORMICK, “Ambiguity”, op. cit., p. 44 ; Ramsey qualifie cette théorie de “multivalue consequentialism”, RAMSEY, “Incommensurability”, op. cit., p. 121. 24. LANGENDÖRFER, „Abschreckung und Sittlichkeit“, op. cit., p. 168. 25. McCORMICK, “Notes”, 1984, op. cit., pp. 131-32. 26. ibid., p. 132. 27. Rupert Feneberg aboutit implicitement à cette conclusion, op. cit., pp. 136-37. 28. McCormick semble suggérer à propos de l’avortement thérapeutique un calcul du même type lorsqu’il déclare : “What is being weighed, commensurated. proportioned here is not one life against the other, the value of the mother’s life versus the value of the child’s. What is being weighed is the relationship of a killing intervention (abortion) to the end sought”, McCORMICK, “Commentary”, op. cit., p. 224. Ne pourrait-on pas traduire, dans le cas de la dissuasion en disant que ce que l’on doit peser l’un contre l’autre, ce ne sont pas d’un côté les vies des innocents sacrifiés, de l’autre la perte des libertés, mais l’adéquation de la dissuasion à la fin recherchée – la prévention de la guerre ? Mais ceci supposerait que le meurtre des non-combattants puisse être moralement pris en compte, même par un calcul téléologique. ce que McCormick semble exclure. 185

29. Ainsi, quand le texte affirme, « ... nous disons que les bonnes intentions (défendre son pays en protégeant la liberté, etc.) ne peuvent justifier des méthodes immorales (l’emploi d’armes qui tuent sans discrimination et menacent la société tout entière) », CoP, p. 761. 30. Sur ce point, voir LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, p. 95. 31. En note infrapaginale seulement, GP, Nr.20, p. 10, (Cf. Chap. III). 32. Informations rapportées par Hans Langendörfer lors d’une conversation avec l’auteur, Bonn, 26 mars 1985. 33. On n’est pas loin ici de l’argumentation de Ramsey qui fait reposer l’efficacité – et la moralité – de la dissuasion sur l’impossibilité pour l’adversaire de savoir a priori si notre emploi des armes contre ses objectifs militaires entraînerait en même temps la destruction de ses centres de population ; RAMSEY, The Just War, pp. 248-58, 391-424. 34. LANGENDÖRFER, Interview du 26 mars 1985. Egalement, LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, pp. 158-64. Il faut distinguer ce calcul de probabilité du raisonnement pascalien qu’ont proposé certains auteurs pour analyser la dissuasion. Dans ce dernier cas, le calcul de probabilité porte sur les chances que la dissuasion continue à fonctionner ou au contraire échoue ; GLUCKSMANN, op. cit., pp. 155-200 ; GORAND, op. cit. On note ici la différence entre l’argumentation de Langendörfer et celle de Ramsey. Pour ce dernier, l’impossibilité de savoir a priori si tout emploi des armes nucléaires serait immoral exclut la condamnation de la politique de dissuasion nucléaire. RAMSEY, “A Political Ethics Context for Strategie Thinking”, op. cit., pp. 130-47. Sa conclusion rejoint alors celle des proportionnalistes, bien qu’il se réclame d’une approche déontologiste. Langendörfer essaie de définir une position médiane en introduisant au contraire des éléments déontologistes dans une approche à la base proportionnaliste, selon un raisonnement qui n’est pas sans rappeler celui de McCormick sur l’immunité des populations civiles. 35. Une seconde réunion a eu lieu à Bonn en septembre 1986. Elle n’a pas fourni d’élément nouveau déterminant sur ce point. 36. WINTERS, “Bishops and Scholars”, op. cit., p. 39. 37. ibid., pp. 40-41. 38. GUMBLETON, Bishop Thomas, Interview du 7 octobre 1983 ; RUSSETT, Bruce, Interview du 21 décembre 1983. 39. Rappelons que la proportion de catholiques engagés dans l’Armée est supérieure à leur proportion par rapport à la population américaine totale : 35 % environ contre 25 % environ (Francis Winters donne le chiffre de 40 % dans son article de la revue Eludes de juillet 1982, p. 17). 40. Les déboires de Mgr Matthiesen en sont la preuve. Il dut renoncer à appeler les catholiques travaillant à l’usine d’assemblage nucléaire Pantex à quitter leur emploi sous les menaces de retrait de financement d’organisations chapeautées par le diocèse, The New York Times, March 23, 1982, p. 32. 41. RUSSETT, Bruce M., Second Draft outline of Possible Pastoral Letter taking into account comments on the first draft at our January 27 meeting, Feb. 12, 1982, p. 3 (non publié). 42. JEAN-PAUL II, Adresse aux Nations Unies, 2 oct. 1979, op. cit., § 10. 43. In SCHOTTE, « Mémorandum », op. cit., p. 714. 44. Press Conference by Secretary of State of Holy See, 11 June 1982, New York, United Nations Department of Information, p. 2 (non publiée) (Traduction CG). 45. CASAROLI, Cardinal Agostino, « Le St-Siège, le désarmement et la paix », discours à l’Université de San Francisco, 18 nov. 1983, DC, Nr. 1867, 1984, pp. 156-57. 46. ibid., p. 152. 47. SCHOTTE, “Mémorandum”, op. cit., p. 714. 48. Irish Bishops Conference, The Storm that Threatens, Catholic Press and Information Office, Dublin, July 28, 1983, p. 10. 186

49. McCORMICK, “Notes”, p. 133. Voir également la critique de Jean-Marie Muller, « La petite phrase de Jean-Paul II », Le Monde, 7 mai 1983. 50. CASTELLI, op. cit., p. 136 (Traduction CG) ; NOVAK, Michael, “The Bishops speak out”, op. cit., p. 680. 51. Le projet néerlandais s’énonçait à l’origine de la manière suivante : « A notre avis, la responsabilité des risques que représente l’emploi des armes nucléaires pour la création et l’humanité ne peut se justifier ». Après consultation de Rome, il était devenu : « A cause des conséquences qui en résulteraient, la responsabilité des risques que représente un emploi effectif des armes nucléaires qui causerait la destruction de villes et de régions entières avec leurs habitants ne peut se justifier », le pronom « qui » ayant ici une valeur limitative. L’ambiguïté de la formulation du document néerlandais rendait toutefois possible l’interprétation contraire, dans le sens d’une condamnation totale de l’emploi des armes atomiques. Voir à ce propos, NEUMAN, H.J., „De bom en de moraal- een case study : Rome“, in Te beginnen bij Nederland, Amsterdam, Van Vornhof, 1983, pp. 171-80. 52. Titre d’un ouvrage de Henry Kissinger (Paris, Denoël, 1965, 288 p. ; traduit de l’anglais, The Troubled Partnership, A reappraisal of the Atlantic Alliance, New York, Mc Graw-Hill, 1965, 266 p.). 53. KLEIN, op. cit., pp. 253-62 ; LELLOUCHE, op. cit., pp. 74-75 ; NAGEL, „Der Doppelbeschluss“, op. cit. 54. LELLOUCHE, ibid., pp. 73-90 ; également, KAISER, Karl, “Domestic and Security Concerns in Europe”, Programme for Strategic and International Security Studies, Seminar on International Security, Genève, July 15, 1986 (notes personnelles) ; Ramsès, 1983-84, pp. 46-56, 66-68. 55. En particulier sous la pression du lobby conduit par le Sénateur Sam Nunn. L’engagement d’une augmentation annuelle de 3 % des dépenses de défense pris en 1978 a rarement été tenu par les pays européens ; voir ASHBIRE, David, « La défense classique de l’OTAN : une stratégie des ressources est nécessaire », Revue de l’OTAN, Nr.5, oct. 1984, pp. 8-13. 56. LELLOUCHE, op. cit., p. 88. 57. ibid. 58. ROGERS, Bernard, “The Atlantic Alliance: Prescriptions for a Difficult Decade”, Foreign Affairs, Summer 1982, 60(5), pp. 1146-56 ; “NATO Debate shifts to Conventional Weapons”, International Herald Tribune, Oct. 6, 1982. 59. LELLOUCHE, op. cit., pp. 73-90, 159-64. 60. Cité par LELLOUCHE, ibid., p. 47. 61. GORAND, op. cit., p. 379. 62. WINTERS, “Bishops and Scholars”, op. cit., p. 39. 63. ibid, p. 36. 64. USCC Administrative Board, “Registration and the Draft”, Feb. 12-14, 1980, Origins 9(38), 1980, pp. 606-8. Le passage du texte concerné était le suivant : “1. Registration: We acknowledge the right of the state to register citizens for the purpose of military conscription, both in peacetime and in times of national emergency. Therefore we find no objection in principle to this action by the government. However, we believe it necessary to present convincing reasons for this at any particular time. 2. Military conscription: We are opposed to any re-institution of military conscription except in the case of a national defense emergency”, ibid., p. 607. 65. Il s’agit d’une « croyance » plus que d’une certitude. Qui le prouvera, au vu, par exemple, des résultats décevants des négociations MBFR qui se sont éternisées pendant plus de quinze ans ? 66. BUNDY, op. cit., p. 6. C’est aussi la thèse sur laquelle le général Copel base toute son argumentation ; COPEL, op. cit. 67. BUNDY, ibid. 68. KAISER u.a., op. cit., pp. 1162-65. 69. Ceci apparaît clairement dans les interventions des membres du gouvernement allemand devant le Bundestag lors du débat sur les euromissiles de l’automne 1983 ; KOHL, Helmut, 187

Bundeskanzler, Rede zum deutschen Bundestag, 21 Nov. 1983, in Die Nachrüstung im Bundestag, p. 13 ; GENSCHER, Hans-Dietrich, Bundesminister für Auswärtige Politik, Rede zum deutschen Bundestag, 21 Nov. 1983, in ibid., p. 72. 70. KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., pp. 45-50. 71. ibid. 72. WINTERS, “A fair hearing for the Bishops”, in “From the University; American Catholics and the Peace Debate”, The Washington Quarterly, 5(1982), p. 137. 73. RUSSETT, op. cit., p. 55. Dans le même sens, McNAMARA, Blundering..., pp. 119-24. 74. ibid., (Traduction CG). 75. TUCKER, “The Nuclear Debate”, op. cit. 76. LEBER, MERTES, op. cit. 77. ibid. (Traduction CG). 78. ibid. 79. Christine Zauzich rapporte qu’au moins un évêque aurait menacé de refuser d’approuver le document s’il contenait une phrase à propos du “no first use” ; ZAUZICH, Christine, „Abschreckung ist eine Notlösung“, Rheinischer Merkur, 8 Mai 1983, p. 20. Cette menace ne serait pas restée sans implications, au vu de la décision d’adopter le document par consensus. 80. Un des thèmes centraux de ce commentaire portait sur la nécessité d’une distinction entre les principes moraux généraux et leurs implications politiques. Il en faisait application en particulier à la question de l’emploi en premier ; German Bishops Conference, Response to the First Draft of Proposed Pastoral Letter bythe NCCB Ad hoc Committee on War and Peace, Aug. 18, 1982 (non publiée). 81. „Höffner lässt die ‘Katze aus dem Sack’“, SOG-Papiere, Informationsdienst der AGP. 85/2, 15 mars 1985, p. 11 (Traduction CG). 82. SCHOTTE, « Mémorandum », op. cit., p. 711. 83. DULLES, Avery, “The Teaching Authority of Bishops’ Conferences”, America, 148(23), June 11, 1983, p. 453. 84. MALONE, Archbishop James, « Au carrefour de l’opinion publique et de la politique », Discours d’ouverture à l’Assemblée plénière de la Conférence épiscopale, 11 nov. 1984, DC, Nr. 1889, 1985, p. 188. 85. NOVAK, “Moral Clarity”, op. cit. ; MURPHY, op. cit. ; SWEENY, E.J., “The Bishops and National Security Policy”, The Wanderer, Feb. 10, 1983. 86. SCHOTTE, Mgr Jan, „Der Apostolische Stuhl und die Bischofskonferenzen im Bereich der Soziallehre“, Vortrag vor dem Symposium „Katholische Bischofskonferenzen zum Thema ‘ Frieden’“, des Instituts für Theologie und Frieden, Barsbüttel, und der Wissenschaftlichen Kommission des KAEF, Bad-Godesberg, 8-10, Dez, 1983, in Militärseelsorge, 26 Jg., 1984, pp. 309-30 (Römische Dokumente zum Frieden I (26 Juni 1972 – 14 Jan. 1984)). 87. SCHOTTE, « Mémorandum », op. cit., p. 713. 88. SCHOTTE, „Der Apostolische Stuhl“, op. cit., p. 317 (Traduction CG) ; également, p. 319. 89. ibid., p. 328 (Traduction CG). Voir aussi pp. 322, 325. 90. ibid., p. 327 (Traduction CG). 91. ibid., p. 328 (Traduction CG). 92. Conférence épiscopale française, Response to the First Draft of Proposed Pastoral Letter on War and Peace by the NCCB Ad hoc Committee on War and Peace, op. cit.. 93. DEFOIS, Gérard, “Armements modernes”, op. cit., pp. 591-92. 94. op. cit. ; les autres domaines mentionnés étaient la guerre nucléaire limitée, la stratégie anti- cités et le « gel nucléaire », sur lequel portèrent les polémiques. 95. LELLOUCHE, op. cit., p. 83. 188

96. « Nous n’entrevoyons aucune situation où le déclenchement délibéré d’une guerre nucléaire, quelque restreinte qu’elle soit, puisse moralement se justifier. On doit répondre par un autre moyen que le nucléaire aux attaques non nucléaires d’un autre Etat » (CoP, p. 738). 97. GLUCKSMANN, André, La force du vertige, Paris, Grasset, 1983, pp. 138-47. 98. ibid., p. 135. 99. ibid, p. 163. 100. ibid., pp. 188-99, 215-18. 101. “Deterrence theory was worked out at the height of the cold war between the United States and the Soviet Union... Underlying the American doctrine, there seemed to lurk some version of the slogan ‘better dead than Red’. Now that is not really a believable slogan; it is hard to imagine that a nuclear holocaust was really thought preferable to expansion of Soviet power. What made deterrence attractive was that it seemed capable of avoiding both”, WALZER, op. cit., p. 273. 102. Ibid., pp. 210-12. 103. JEAN-PAUL II, Message du 1er janvier 1983, op. cit., p. 69, cité par CoP 3, p. 721. 104. « La paix est le cadre dans lequel le choix moral peut s’exercer le plus efficacement. Comment pouvons-nous progresser vers cette paix, qui est indispensable à la vraie liberté humaine ? », CoP, p. 726. 105. JEAN-PAUL II, Message pour la journée de la paix 1982, op. cit., § 9, cité par CoP, p. 727. 106. « Les deux guerres mondiales ne peuvent plus être définies avec la notion jusque là en vigueur de conflits militaires – toujours conçus comme limités et limitables. Avec ces formes de guerres, il n’y a plus depuis longtemps déjà d’objectifs limités, mais l’on voit se profiler la menace de l’anéantissement de la vie de peuples et d’Etats entiers », GsF, pp. 578-79. 107. JULLIEN, Mgr Jacques, « Problématique de l’éthique et de la mystique », La Vie spirituelle, mars-avril 1984, pp. 192-210 ; « Hiroshima-Kampuchea », Prêtres diocésains, mars 1984, pp. 107-15 ; DEFOIS, Gérard, « L’Eglise et la dissuasion », Revue de l’OTAN, Nr.3, juin 1984, pp. 15-20. On a soupçonné Mgr Jullien d’avoir rédigé son texte en s’inspirant des thèses de Glucksmann, ce qu’il nous a personnellement démenti en assurant qu’il avait lu cet ouvrage ultérieurement, tout en y trouvant une ample coïncidence avec ses propres vues ; Interview du 5 juil. 1985. 108. SEMELIN, Jacques, Interview accordée à Non violence politique, avril 1983, pp. 12-13. 109. FORNARI, F., Psychanalyse de la situation atomique, Paris, Gallimard, 1969, p. 73, cité par SEMELIN, Pour sortir de la violence, p. 70. 110. SEMELIN, ibid., pp. 68-72. Sémelin s’appuie sur les travaux de Fornari. 111. Ibid., pp. 70-71. 112. DEFOIS, « Armements modernes », op. cit., p. 590. 113. LUYCKX, Marc, Postface à l’édition française de la lettre pastorale américaine publiée par Pax Christi, op. cit., p. 200. 114. „Diesmal wollen wir nicht schweigen“, Spiegel, 29 Aug. 1983, p. 24. 115. Selon Rupert Feneberg, l’absence d’auto-critique du catholicisme sur son attitude dans les années 1930 est un des obstacles majeurs à une prise de position réelle et sincère sur la question de la paix ; FENEBERG, op .cit., pp. 80-100, 177-91. 116. MULLER, Jean-Marie, « La petite phrase de Jean-Paul II », op. cit. 117. C’est l’avis de Jean-Marie Muller, ibid. 118. KOPPE, Karlheinz, „Die Politik geht andere Wege“, Pax Christi, 1/85, 37 Jg., p. 18. Egalement KOPPE, Interview du 4 avril 1985. 119. LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, pp. 177-80. La conclusion serait également valable pour le document de l’Eglise évangélique „Frieden wahren, fördern und erneuen“, op. cit. 120. Pax Christi, Delegiertenversammlung, Abschreckung schon heute ohne Legitimation, Hrsg. Pax Christi, Deutsches Sekretariat. Frankfurt, 30 Okt. 1983, p. 1 (Traduction CG). 121. Pax Christi, Delegiertenversammlung, 26, bis 28, Okt. 1984, décision reproduite sous le titre „Bitte an die Bischöfe“. Pax Christi, 1/85, 37 Jg., p. 16 (Traduction CG). A la suite du cardinal 189

Höffner (Conference de presse présentant la lettre pastorale), Pax Christi parle de „Galgenfrist“, littéralement : le délai de grâce. 122. Pax Christi General Assembly, Oct. 7-9, 1983, Cincinnati, (notes personnelles). 123. Commissions Justice et Paix d’Europe, « Exigences éthiques et dissuasion nucléaire », Paris, 14-16 oct. 1983, DC, Nr. 1874, 1984, p. 536. 124. Origins, Nr. 15, 1984-85, pp. 339-40 (Traduction CG). 125. BERNARDIN, Cardinal Joseph, Report of the Ad Hoc Committee for the Moral Evaluation of Deterrence, op. cit., p. 425. 126. GP, p. 9. Le texte poursuit en citant le message de Jean-Paul II aux Nations Unies, ce qui laisse supposer que les évêques français voient celui-ci comme une reprise pure et simple des positions de “Gaudium et Spes”. 127. KROL, “Testimony to the Senate”, op. cit., p. 128. 128. La troisième mouture entérinait en effet l’affirmation suivante : « Cette tolérance de la dissuasion, à laquelle il est admis que l’on ne pourrait renoncer immédiatement et sans solution alternative en vue d’un maintien de la sécurité sur le chemin éprouvant du désarmement, est liée à des conditions très restrictives, qui doivent devenir d’autant plus restrictives à mesure que diminue le délai qui nous est octroyé » ; cité par FENEBERG, op. cit., p. 132 (Traduction CG). 129. Voir par exemple, Heiner GEISSLER, Secrétaire général de la CDU, in „Gerechtigkeit schafft Frieden“, Zum Wort der DBK, Bonn, Deutschland- Union-Dienst, 27 April 1983, Pressespiegel zum Wort der DBK, p. 241 ; Alois MERTES, Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, in KNA, 391/IV/83 FS, Nr.18, 28 April 1983 ; Theodor WAIGEL, Porte-parole de la CDU, Rede zum Deutschen Bundestag, 21 Nov. 1983, in Die Nachrüstung im Bundestag, p. 87. 130. FENEBERG, op. cit., pp. 52-54, 104-114. 131. Pax Christi, „Bitte an die Bischöfe“, op. cit. ; FENEBERG, op. cit., pp. 120-31, pp. 154-64 („Die Nachrüstungswaffen sind ethisch nicht zu rechtfertigen“) ; Angehörige des Philosophischen Instituts der Freien Universität Berlin, Offener Antwortbrief auf das Hirtenwort „Gerechtigkeit schafft Frieden“, Berlin, 26 Mai 1983, 5 p., in Pressespiegel zum Wort der DBK, pp. 263-67. 132. Herder Korrespondenz, 37 Jg., Heft 10/1983, p. 485. 133. Cité par FENEBERG, op. cit., p. 155. 134. HÖFFNER, « Le problème de la paix », op. cit., p. 1121. Le cardinal renvoie à l’article 43 de la Constitution pastorale “Gaudium et Spes”. Nous avons substitué notre propre traduction à celle de la DC que nous jugeons insatisfaisante. En effet, celle-ci rendait le terme „Friedenssicherung“ par « édification de la paix », „Nachrüstung“ par « armement » et déformait la citation de “Gaudium et Spes” en traduisant „bei gleicher Gewissenhaftigkeit“ par « selon leur conscience préalablement formée ». 135. Du moins, c’est ce que l’on peut déduire de la publication partielle d’un échange de lettres entre le théologien Heinrich Spaemann et le cardinal ; SPAEMANN, Heinrich, Ehe es zu spät ist, München, Kösel, 2te erw, Aufl., 1984, p. 38. 136. Frieden schaffen, Hrsg. Katholische Bundesarbeitsgemeinschaft für Erwachsenenbildung (KBE), Bonn, non daté, 32 p. 137. ibid., p. 12. 138. Ibid., pp. 12-13. 139. Ibid., p. 15. 140. Ibid., pp. 20-31. Sur le « droit à la résistance », voir chap. VI. 141. Titre d’un article de Christian Mellon dans L’Actualité Religieuse dans le Monde, Nr.7, 15 déc. 1983, pp. 46-47. 142. LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, pp. 171-74. 143. CASAROLI, Discours à l’AIEA, op. cit., p. 413. 144. Irish Bishops Conference, op. cit., p. 11. 145. SENGHAAS, Abschreckung und Frieden, p. 132. 190

Partie III. Pour sortir de la dissuasion 191

Partie III. Pour sortir de la dissuasion

1 L’examen du jugement de la dissuasion nucléaire dans les documents épiscopaux nous a permis de mettre en évidence les limites qui affectent d’une part l’approche américaine, de l’autre, l’approche franco-allemande. Prisonniers d’une méthode déductive sur la base des critères de la guerre juste, les évêques américains ont eu des difficultés à intégrer le donné politique dans leur raisonnement. La rigidité de leur approche ne leur a pas permis de prendre en compte toutes les nuances de l’action politique et les a conduits à faire leur un certain nombre de mots d’ordre diffusés par les mouvements de paix sans étudier suffisamment les conditions concrètes du changement. Leurs collègues européens au contraire, tout en ayant conscience de l’ampleur du champ laissé à l’action politique, ont eu tendance à tirer leur épingle du jeu par une définition étroite de leur domaine de compétence. Ils laissent alors sans réponse la question de la pratique d’une éthique politique.

2 Les trois lettres pastorales font le constat commun que la dissuasion, même si elle est encore « acceptable », est un moyen insuffisant pour assurer la paix. L’impératif éthico- politique est donc de lui trouver des moyens de substitution. L’Eglise propose pour cela d’agir dans deux directions. La première est la recherche d’autres moyens d’assurer la sécurité, la seconde est le travail de « construction de la paix » sur lequel elle met l’accent depuis Vatican II. Certaines actions, telles que les négociations sur le désarmement ou l’instauration de « mesures de confiance » dans le domaine militaire participent des deux efforts. D’autres, comme l’investigation de nouveaux modes de défense ou le développement du droit international, se classent plus distinctement dans l’une ou l’autre catégorie.

3 L’analyse de la non-violence dans les lettres pastorales (Chapitre VI) et des orientations données pour la construction d’une éthique des relations internationales (Chapitre VII) viendra confirmer et compléter les conclusions tirées de l’étude du jugement de la dissuasion. Dans les trois documents on constatera une difficulté à saisir la composante politique de l’action non-violente souvent liée à la désobéissance civile, qui doit être clairement distinguée de l’impératif éthique. On remarquera aussi la quasi absence de propositions concrètes dans le domaine politique pour accroître la confiance entre les 192

adversaires, au profit d’une approche pragmatique essentiellement militaire chez les évêques américains, d’une approche théorique souvent idéologique chez leurs confrères allemands et français. A l’inverse, les trois conférences semblent avoir une vision assez précise du « corps politique » au niveau international, qui les conduit à énoncer un certain nombre de principes de construction de l’ordre international (droit et organisation internationaux). Mais insuffisamment reliés au concret de l’action politique, ceux-ci paraîtront hors de portée des décideurs. Une étude plus détaillée des conditions de changement du système („Systemwandel“) qui articulerait davantage intérêts et valeurs aurait pu permettre aux évêques de trouver une plus grande cohérence entre leur vision de l’ordre politique international et les mesures politiques concrètes qui doivent y présider. 193

Chapitre VI. Non-violence et autorité politique

1 Pour de nombreux opposants à la politique de défense dans les milieux catholiques, la critique de la dissuasion passe par la non-violence. Attitude personnelle, stratégie politique ou combinaison des deux, elle seule permettrait de dépasser le « mal radical » que constituent les armes nucléaires, d’échapper à l’engrenage de la menace et de la contre-menace et, ultimement, de réconcilier les moyens utilisés avec la fin recherchée. La philosophie sous-jacente est celle de Gandhi lorsqu’il affirme que : « Les moyens sont comme la graine et la fin comme l’arbre. Le rapport est aussi inéluctable entre la fin et les moyens qu’entre l’arbre et la semence »1. En d’autres termes, on ne peut utiliser la violence pour mettre fin à la violence ou pour réaliser la justice sans être entraîné soi- même dans la spirale de la violence.

2 L’idée de non-violence apparaît dans les documents épiscopaux à plusieurs reprises et sous plusieurs chefs d’argumentation. Nous en distinguerons trois principaux. Le premier est l’objection de conscience, thème classique dans la théologie catholique sur la guerre et la paix. Il est commun aux trois textes pastoraux. Le second concerne la question plus nouvelle de la défense non-violente, comme modalité particulière de la défense « populaire » ou « civile »2. Les évêques américains lui font la plus large part, alors que leurs confrères français l’évoquent pour faire connaître leur scepticisme et que les Allemands la passent presque entièrement sous silence, préférant développer une argumentation singulière en réponse au débat politique sur l’éthique du « Sermon sur la Montagne ». Le troisième et dernier aspect est aussi largement spécifique à l’Allemagne – du moins sous la forme exacerbée qu’il prit avec l’expansion du mouvement de paix –, même si ses racines intellectuelles sont surtout américaines : il s’agit de la discussion du « droit à la résistance » associée au mouvement de « désobéissance civile » à rencontre de la politique de défense de l’OTAN. A la suite de prises de position parfois contradictoires de divers groupements catholiques, les évêques ont été amenés à se prononcer brièvement mais nettement sur ce sujet dans leur lettre pastorale.

3 Dans la pratique, ce sont généralement les mêmes groupes qui revendiquent un droit étendu à l’objection de conscience, se déclarent favorables au développement d’un système de défense non-violente et se disent prêts à s’engager dans des actions de désobéissance civile, la référence commune restant le Sermon sur la Montagne. 194

Cependant, le recoupement n’est pas automatique. On peut être partisan de la désobéissance civile sans se réclamer du texte évangélique, chercher à promouvoir un modèle de défense non-violente sur la base d’un pur jugement d’efficacité technique ou politique, ou encore, aboutir à une objection de conscience totale au service militaire dans un monde nucléaire à partir des principes de la guerre juste.

4 Le plus souvent, les positions, tout autant que leurs motivations, restent peu claires. Elles ne l’étaient certainement pas totalement dans l’esprit des évêques américains et français, et, on peut en douter, chez leurs confrères allemands. Les trois documents ont exprimé des réserves importantes vis-à-vis de certaines actions accomplies au titre de la non- violence. Nous voudrions montrer dans ce qui suit que, si certaines de ces réserves sont explicables et justifiées, d’autres proviennent d’une compréhension insuffisante des thèses émises par des groupes divers, trop vite amalgamés sous le vocable péjoratif de « pacifistes ». Cette analyse nous conduira nécessairement à réexaminer le rôle de l’Etat comme « détenteur d’un monopole incontesté de l’utilisation de la violence sur son territoire ». Là où surgit la non-violence, une brèche s’ouvre dans ce monopole. Le conflit entre évêques et mouvements de paix ne porte donc pas seulement sur l’interprétation politique du Sermon sur la Montagne mais aussi sur une divergence de conception des rapports entre société civile et autorité politique, entre légalité et légitimité et finalement, sur la nature de la démocratie.

I. Guerre juste et objection de conscience dans les lettres pastorales

5 L’Eglise reconnaît depuis Vatican II la légitimité de l’objection de conscience au service militaire, à la condition que ceux qui se refusent à l’emploi des armes « acceptent cependant de servir sous une autre forme la communauté humaine » (GS § 79.3). Elle admet aussi le bien-fondé d’un recours à des « moyens de défense qui sont à la portée même des plus faibles [excluant la violence] pourvu que cela puisse se faire sans nuire aux droits et devoirs des autres et de la communauté » (GS § 78.5). Ces principes ont été relayés par nombre de textes adoptés dans les différents contextes nationaux, confirmant son engagement en faveur de l’objection de conscience « générale » ou « sélective » selon les cas3.

6 Le statut de la « non-violence » en tant que telle est plus controversé. Tout d’abord, la plupart des textes qui en font mention sont imprécis. Ils oscillent sans cesse entre sa caractérisation comme attitude « prophétique », dont l’objectif essentiel serait le témoignage d’un « au-delà » de paix dans un monde de violence et comme technique d’action, moyen concret de réponse à des situations conflictuelles. Dans ce deuxième cas, il faudrait encore faire une distinction entre la non-violence comme mode individuel d’approche du conflit, comme instrument tactique de résolution des différends et comme option stratégique destinée à reconstruire les rapports entre les adversaires. Il est très rare que ces divers niveaux soient nettement séparés. Dans de nombreux textes catholiques, objection de conscience et non-violence ne font pas l’objet d’un traitement distinct. On les différencie dans un premier temps pour mieux les soumettre ensuite à un jugement commun, en opposition aux postulats traditionnels de la guerre juste.

7 Au début des années 1980, de nombreux groupes au sein de l’Eglise souhaitent que l’institution accorde une plus grande attention au Sermon sur la Montagne dont le 195

contenu, selon eux, a été édulcoré au cours des siècles par le développement d’une théorie de plus en plus permissive de la guerre juste et des compromissions répétées avec l’autorité politique. D’un autre côté, les milieux gouvernementaux, surtout en Allemagne, s’inquiètent de ces pressions qui leur font craindre une renonciation à toute « éthique de responsabilité »4. C’est parce que le Sermon sur la Montagne est devenu un sujet de débat politique que les évêques ont été poussés à réinterpréter la « tradition » catholique, afin d’y situer la place respective de la guerre juste et de la non-violence. Les auteurs du « Défi de la paix » ont dû réviser leur copie sur ce point, sous l’œil vigilant du Vatican et de leurs confrères européens.

1. Une relecture de l’histoire

8 Le premier projet américain mentionnait les deux attitudes possibles du chrétien à l’égard du port des armes en renvoyant au passage de “Gaudium et Spes” selon lequel les fidèles peuvent « avec une égale sincérité » porter « à bon droit » des jugements divergents sur des situations concrètes (GS § 43.3) (CoP 1, pp. 9-10). Sa deuxième mouture élevait la non-violence au rang d’une « tradition » de l’Eglise, au même titre que la guerre juste (CoP 2, p. 311). Elle reprenait et développait l’argument de la diversité des options pratiques en soulignant simplement la motivation évangélique du refus de l’acte de tuer telle qu’elle apparaît dans les écrits d’auteurs comme Tertullien et Origène (ibid.). Les deux textes mentionnaient également que le refus des premiers chrétiens de porter les armes était motivé en outre par leur ferme volonté de ne pas rendre à l’empereur le culte idolâtre qui faisait partie intégrante des obligations du soldat (CoP l, p. 12 ; CoP 2, p. 311).

9 Si l’attitude des communautés chrétiennes pendant les premiers siècles fut bien le refus de porter les armes, il est probable que leurs motivations furent plus variées que ne le soupçonnaient les évêques américains. Il est douteux que ce comportement ait été généralisé ou élevé au rang d’un dogme. D’autre part, les figures historiques mentionnées dans le texte pastoral : François d’Assise, Martin Luther King, Gandhi, Dorothy Day (CoP 2, p. 311), restent trop isolées ou marginales, ou trop étrangères au catholicisme – bien qu’elles aient pu s’en inspirer – pour pouvoir réellement appuyer la thèse de l’existence d’une véritable « tradition ». C’est pourquoi le postulat américain de la présence d’une tradition non-violente au sein du catholicisme fut vivement contesté, autant aux Etats- Unis qu’à l’extérieur, entraînant une relecture de cette tranche d’histoire assez peu connue que furent les premiers siècles.

10 Historiquement, l’interprétation de l’attitude des premiers chrétiens dans le sens de la non-violence a surtout été le fait des Eglises de tradition pacifiste : Quakers, Eglise des Frères, Mennonites. Au début des années 1980, on assiste à une tentative de réappropriation de cette partie de leur histoire par des milieux chrétiens qui s’en étaient jusque-là désintéressés, les uns reprenant l’argumentation des Eglises pacifistes sur l’existence d’une tradition non-violente, les autres cherchant au contraire à prouver qu’il n’y a jamais eu dans l’Eglise de position univoque à cet égard. Les arguments de cette dernière école sont en résumé les suivants.

11 En plus de la mention du risque d’idolâtrie, on souligne que : 1) du fait qu’il n’existait pas dans l’Empire romain de système de conscription obligatoire, la question du service militaire ne se posait pas nécessairement aux chrétiens ; 2) de nombreux chrétiens appartenaient à la classe des esclaves ou des affranchis, et à ce titre, n’étaient pas éligibles pour le service militaire ; 3) si certains écrits des premiers siècles interdisaient 196

aux chrétiens de prendre part à la guerre, ils n’exigeaient pas qu’un soldat converti quittât sa profession et permettaient au chrétien de s’employer à des tâches pacifiques au sein de l’Armée, nombreuses à cette époque5. En définitive, la tendance des premiers chrétiens à refuser leur participation au service armé était davantage imputable à leur statut de minorité au sein de l’Empire qu’à une doctrine bien définie. Leur objectif initial n’était pas de christianiser la politique, mais au contraire de s’aménager un espace à l’extérieur de la politique où ils pourraient témoigner de l’absolu de l’idéal évangélique – une attitude dont s’inspireraient les Mennonites au XVIe siècle. En ce sens, ils pouvaient s’accommoder de la violence de l’Empire, qui leur restait extérieure. Mais leur position originelle, largement motivée par la foi en un avènement tout proche du Royaume de Dieu, devint de moins en moins tenable au fur et à mesure que celui-ci paraissait de moins en moins imminent et que l’Empire se christianisait6.

12 C’est cette évolution que mettent en évidence les évêques allemands dans une description relativement brève mais très bien documentée de la diversité des attitudes autant théoriques que pratiques à l’égard du service armé dans les premiers siècles (GsF, pp. 574-75). La clé d’interprétation est à leurs yeux le fait sociologique du passage des communautés chrétiennes d’un statut de minorité à celui de majorité dans l’Empire. Les chrétiens n’auraient pu rester inactifs sans être accusés d’irresponsabilité, voire de trahison (GsF, p. 575). Leur participation à la défense de l’Empire devenait d’autant plus inévitable que celui-ci était soumis à des assauts de plus en plus violents de la part des hordes barbares. Pour répondre à l’accusation selon laquelle leur pacifisme avait précipité la chute de Rome, ils durent s’engager massivement dans les armées levées par l’empereur7. Mais l’Empire lui-même étant devenu chrétien, sa préservation devenait aussi une condition de survie de la religion – ce que les évêques ne mentionnent pas.

13 Ils rappellent par contre que c’est dans ces circonstances qu’Augustin fut amené à énoncer les conditions d’une juste guerre. Le dilemme auquel se trouvait confronté l’évêque d’Hippone est finalement très voisin de celui qu’ont à résoudre ses successeurs quelques quinze siècles plus tard, ce qui justifiera l’adoption de solutions analogues (GsF, p. 575). Il y a contradiction entre l’impératif évangélique de l’amour du prochain et l’acte de guerre, pourtant inévitable. « Quiconque considère avec douleur ce grand mal, sinistre et dévastateur, doit reconnaître qu’il s’agit d’une misère », déclare Augustin8. Son argumentation, tout comme celle des évêques, est sous-tendue par une justification théologique : à cause du péché, le fossé qui demeure entre « cité des hommes » et « cité de Dieu » ne pourra jamais être totalement comblé, et la violence restera à la fois inévitable et nécessaire pour combattre l’injustice dans la « cité des hommes ». Les rapports humains ne pourront jamais être caractérisés par une non-violence totale (GsF, p. 575). La question de la non-violence et de sa traduction en politique rejoint donc nécessairement celle de la relation entre le Royaume de Dieu et l’Histoire, le premier étant conçu comme le domaine de la paix éternelle et la seconde restant subordonnée aux aléas des conduites humaines dont la violence est partie intégrante.

14 Au moment où ils étaient accusés d’accorder à la non-violence une place indue, les évêques américains se voyaient également soumis à interrogation sur leur compréhension de la relation entre le Royaume de Dieu et l’Histoire. Les deux questions firent l’objet d’une révision commune lors de la réunion de Rome. On fit remarquer que l’affirmation de la lettre pastorale selon laquelle « la promesse du Royaume de Dieu par Isaïe, dont la paix sera une des caractéristiques essentielles, se réalisera dans l’Histoire » n’était pas correcte et que « “la croyance que la paix est possible” n’[exprimait] pas un 197

article de foi mais une simple conviction qui respecte la nature eschatologique du royaume »9. Les évêques allemands, au contraire, dénoncent la « “paix éternelle” en tant que programme historiquement réalisable » comme une utopie10, liant d’ailleurs par une argumentation singulière cette dénonciation à celle de l’idéologie marxiste11.

15 La relation de la non-violence à la guerre juste donna lieu aux observations suivantes. Selon certains participants à la rencontre de Rome, il était inexact d’affirmer qu’« il existe une tradition pacifiste soutenant que “toute utilisation de la force militaire est incompatible avec la vocation chrétienne” » ; il n’était pas non plus démontré, à travers les ouvrages des théologiens des quatre premiers siècles « qu’il existait une certaine forme d’opposition au service militaire fondée sur des passages de l’Evangile »12. Il serait également exagéré de lire dans les affirmations du Concile sur la guerre et la paix « la réémergence d’un soutien de l’option pacifiste »13. Le rapport du Père Schotte concluait sur ce point qu’« il n’y a qu’une seule tradition catholique : la théorie de la guerre juste », tout en concédant que « cette tradition a été soumise à des tensions internes venant d’un désir de paix toujours présent »14. Ces modifications entraînèrent des changements importants, mais moins radicaux que certains les auraient souhaités dans les moutures suivantes du « Défi de la paix ».

16 En effet, dans le troisième projet, les éléments historiques faisant état d’une large pratique de la non-violence durant les premiers siècles furent précisés et renforcés, le texte du Concile restant interprété comme soutien d’une « objection de conscience à toute guerre » et l’attitude non-violente étant honorée du titre de « tradition » (CoP 3, p. 709). Mais le développement relatif à l’objection de conscience, qui intervient sous l’intitulé « la valeur de la non-violence », n’arrive qu’après un long rappel du droit de l’Etat à l’auto-défense et une présentation détaillée des critères de la guerre juste (ibid., pp. 705-9). La question était déjà abordée antérieurement, conjointement à la non- violence en tant que telle, dans une section traitant de « la présomption contre la guerre et du principe de la légitime défense » (ibid., pp. 705-6). Les évêques envisageaient alors trois formes de non-violence, sans remarquer apparemment qu’elles se situent à des niveaux différents. Alors qu’ils semblent vouloir se placer à l’origine sur le terrain de l’efficacité, seule la dernière forme évoquée vise réellement des moyens de lutte contre l’agression ou l’injustice, alors que les deux premières concernent plutôt des actions symboliques15. L’ambiguïté est renforcée par la difficulté du changement de perspective entre les deuxième et troisième moutures : de la priorité accordée à la paix, on passe à la prépondérance de la justice, mais l’articulation entre les deux concepts reste peu claire, du moins jusqu’au rappel des textes pontificaux et ecclésiaux classiques (ibid., p. 706).

17 Faute d’avoir saisi cette dialectique de manière adéquate, les évêques américains n’ont pu qu’à grand peine réconcilier les deux attitudes apparemment antagoniques du recours à la force pour préserver la justice, et de la non-violence.

2. La thèse de la complémentarité

18 Cette conciliation s’opère au moyen de deux thèses différentes : d’une part la non- violence est présentée comme une option individuelle qui n’attente donc pas, en principe, au droit et à l’obligation de l’Etat de recourir à la force armée, d’autre part, les évêques supposent un lien de complémentarité entre les deux positions. Ces deux thèses, qui apparaissent dans la troisième mouture (CoP 3, pp. 706, 709), sont confirmées dans le texte final (CoP, pp. 728, 733-34). En présentant la non-violence comme une option 198

individuelle, les évêques répondent avant tout aux critiques qui les avaient accusés de soutenir que « toute utilisation de la force militaire est incompatible avec la vocation chrétienne »16. Cette affirmation, qui réclamerait pour elle-même l’exclusivité, ne serait pas tenable conjointement avec la tradition de la guerre juste17. Par contre, la restriction de la non-violence au plan individuel n’a plus aucune justification si le sujet en discussion est la possibilité réelle d’une défense non-violente18.

19 La thèse américaine de la complémentarité se résume de la manière suivante : La doctrine catholique considère qu’il existe une relation complémentaire entre ces deux réponses morales distinctes, en ce sens que toutes deux cherchent à servir le bien commun. Elles diffèrent dans leur perception de la manière dont le bien commun doit être défendu le plus efficacement possible, mais les deux réponses témoignent de la conviction chrétienne que la paix doit être recherchée et les droits défendus en tenant compte des contraintes morales dans le contexte de la définition des autres valeurs humaines fondamentales (CoP, p. 728).

20 Plutôt que de faire apparaître une complémentarité, il nous semble que ce passage met en évidence un certain parallélisme, une série de points communs entre les deux attitudes, résumés par la formule : Elles divergent sur certaines conclusions spécifiques, mais partagent une commune présomption contre le recours à la force en tant que moyen pour régler les conflits (CoP, p. 734).

21 Les évêques se rassurent – et tentent d’apaiser la critique – en affirmant que « l’une et l’autre plongent leurs racines dans la tradition théologique chrétienne » et que, en fin de compte, « à une époque de guerre technologique…, l’analyse à partir de la non-violence et l’analyse à partir de la doctrine de la guerre juste convergent et concordent souvent dans leur opposition à des méthodes de guerre qui, en fait, ne peuvent se distinguer de la guerre totale » (ibid.). Les nombreux évêques sympathisants des mouvements non- violents n’auraient pu concéder davantage, après que l’assemblée de Chicago eût modifié une ultime fois le texte pour affirmer que « la doctrine de la guerre juste [avait] nourri manifestement… la pensée catholique pendant 1500 ans »19. Cependant, la manière dont s’articule cette complémentarité reste peu explicitée dans le texte final. Les évêques « croient » que les deux perspectives « s’épaulent et se complètent mutuellement » (CoP, p. 734), ils affirment que « chacune apporte sa pierre à la vision morale plénière dont nous avons besoin dans la recherche d’une paix humaine » (ibid.), mais ils ne nous disent pas comment.

22 Selon les critiques allemands de la lettre pastorale américaine, il est erroné de rapporter le concept de complémentarité au niveau de la prise de décision éthique individuelle, car cela signifierait que les deux formes de service – armé et non armé – sont éthiquement conditionnées l’une par l’autre. Or, il serait difficile de montrer que le service armé a nécessairement pour condition de validité éthique l’existence d’un service civil20. La complémentarité serait plutôt à comprendre en référence aux deux branches constitutives d’une politique de paix, telle que la définissent les évêques allemands : d’un côté, politique de sécurité, qui continue à exiger des moyens militaires tant qu’il n’existe pas d’autre solution pour la protection des populations et la défense des droits, de l’autre, politique de promotion de la paix, qui doit contribuer à diminuer les causes de tension et s’efforcer d’introduire des méthodes de règlement pacifique des conflits internationaux. La légitimité de la politique de sécurité au sens strict dépendrait de la vigueur des efforts entrepris dans le domaine de la promotion de la paix21. On rejoint ici le raisonnement 199

proposé par Jean-Paul II en matière de dissuasion, celle-ci ne restant acceptable qu’à condition que des efforts sérieux soient entrepris en faveur du désarmement.

23 Les évêques allemands ont eu beaucoup moins de difficultés que leurs collègues américains à articuler leur thèse de la complémentarité à cause de la distinction établie initialement entre « maintien de la paix » et « promotion de la paix » (GsF, pp. 569-70). De plus, cette distinction n’est pas isolée du reste de leur développement. Au contraire, elle s’appuie dès l’origine sur un solide fondement théologique qui éclaire la relation entre paix eschatologique et paix humaine. Beaucoup plus systématiquement que leurs confrères, ils font la différence au début de leur exposé entre paix de Dieu et paix des hommes, paix comme promesse eschatologique et paix comme devoir terrestre qui incombe à tout chrétien (ibid., p. 570). Cette distinction existe aussi dans le texte américain, surtout dans sa mouture finale, mais elle se trouve dispersée sous plusieurs titres d’argumentation, si bien qu’il est difficile d’en reconstituer la cohérence (CoP, pp. 721, 722, 727). Dans la lettre allemande, le raisonnement théologique de la première partie, qui introduit la notion néo-testamentaire de la paix en la rapportant aux concepts d’incarnation et de rédemption (GsF, pp. 571-72), trouve sa suite logique lorsqu’il s’agit de justifier la nécessité d’une défense armée dans le monde concret des Etats (ibid., pp. 581-82)22. Schématiquement, l’articulation est la suivante : 1) La rédemption de l’homme par le Christ permet sa réconciliation avec Dieu après la rupture causée par le péché ; donc la paix est possible ; 2) Cependant, l’homme reste pécheur, ce qui fait que la violence demeure toujours une potentialité. Ici, la distinction entre accès au Royaume de Dieu – qui est aussi royaume de paix –, rendu possible par le Christ et réalisation de la paix dans le monde est essentielle. Elle permet d’affirmer que « la paix éternelle ne peut être instaurée sous la forme d’un nouvel ordre politique, quel qu’il soit » (GsF, p. 581 ) ; 3) Il reste donc nécessaire de se protéger contre cette violence, contre l’oppression et la violation des droits qu’elle peut entraîner. C’est là qu’intervient la prérogative de l’Etat d’utiliser éventuellement les moyens violents dont il dispose pour faire respecter le droit et la justice (GsF, p. 582), en l’absence d’instrument supranational de résolution des conflits. La logique des évêques allemands se déploie donc sans rupture des postulats théologico-anthropologiques jusqu’aux conséquences politiques. Sa complexité apparente se résume en une formule : Cette contribution [militaire à la défense] est finalement une conséquence de la misère résultant de la cassure de l’homme qui rend nécessaire la défense contre l’injustice (GsF, p. 585) ;

24 4) Malgré tout, le chrétien ne peut se résigner à cette situation de violence. L’Evangile lui permet de croire qu’un « mieux » est possible et exige de sa part une contribution positive à la recherche de solutions non-violentes des conflits et la construction d’un monde plus pacifique (GsF, p. 582).

25 C’est à la lumière de cette argumentation que le texte aborde la question de la place relative du service militaire et de l’objection de conscience. Tout comme “Gaudium et Spes”, ce passage, entièrement retravaillé pour concilier les vues de Pax Christi et celles de l’aumônerie militaire (Cf. Chap. III), reconnaît à la fois la légitimité aux yeux de l’Eglise de la position du soldat, qui décide de défendre la justice par le moyen des armes, et de l’objecteur de conscience, qui estime pouvoir contribuer plus efficacement à la paix par un service civil (GsF, p. 583)23. Mais cette double reconnaissance est cependant limitée par une hiérarchisation. Il est clair qu’il n’y a pas rapport symétrique de dépendance entre les deux services, comme on aurait pu l’inférer du « Défi de la paix ». Reprenant presque mot 200

pour mot l’argumentation proposée par Franz Böckle devant le Katholikentag de Düsseldorf en septembre 1982, le texte constate le paradoxe attaché aux deux types de situations24. Le soldat qui sert la sauvegarde de la paix doit supporter la tension résultant du fait qu’il s’arme au nom de l’Etat, se prépare au combat, et apprend à faire ce qu’il espère ne jamais devoir accomplir, parce qu’il ne veut rien de façon plus résolue que de sauvegarder la paix sans recourir à la force, et résoudre les conflits par la voie de négociations (GsF, p. 593).

26 Cependant, la situation de l’objecteur de conscience est encore plus ambiguë à partir du moment où elle est jugée conditionnelle par rapport à l’accomplissement du service du soldat : Le service accompli par le soldat, et qu’il ne peut accomplir lui-même, rend possible, dans certaines conditions, précisément la solution pacifique des conflits en faveur de laquelle il milite dans la liberté, et peut-être manifeste (ibid.).

27 La crainte qui sous-tend cette affirmation n’est pas sans rappeler les inquiétudes des milieux militaires allemands face à la prolifération des demandes d’objection de conscience : Si tous suivaient son exemple, il en résulterait un vide de pouvoir qui pourrait conduire à un vide politique, ce qu’il ne veut assurément pas (ibid.)25.

28 C’est comme un crescendo à la louange du soldat que progresse ensuite le texte. Après avoir rappelé le document conciliaire (GS § 79.5), il précise : Dans la mesure où la politique de sécurité poursuit des buts éthiquement licites, et même obligatoires – prévention de la guerre, défense des valeurs morales et politiques contre une menace totalitaire, recherche du désarmement – et qu’elle recourt pour ce faire à des méthodes et moyens acceptables sur le plan éthique, le service accompli par le soldat est indispensable et moralement justifié (GsF, p. 593).

29 L’argument est rhétorique : les conditions posées à l’acceptabilité éthique de la politique de défense sont considérées comme remplies à mesure qu’elles sont énoncées. Malgré le rappel initial de la formule de complémentarité du texte du Synode de 197526, le ton est sensiblement différent de celui-ci qui, aussitôt après avoir reconnu la contribution effective du service armé au maintien et à la construction de la paix, mettait l’accent sur le nécessaire contrôle parlementaire et démocratique de la Bundeswehr et le besoin d’une réflexion continue et approfondie sur le principe de commandement et d’obéissance à une époque où les conséquences de l’emploi des armes peuvent être fatales27. Dans la lettre pastorale, la thèse de la complémentarité soutenue à propos de l’agencement réciproque des tâches de maintien et de promotion de la paix n’est pas reconduite dans la discussion du service armé et de l’objection de conscience28. L’un conditionne l’autre, mais il n’y a pas réciprocité. En contrepied aux nombreuses prises de position de la fin des années 1960 et du début des années 1970, qui tendaient à refuser au service militaire le qualificatif d’un « service pour la paix »29, le texte affirme clairement que « le soldat contribue lui-même au service de la paix par une conscience claire de sa responsabilité morale » (GsF, p. 583). Non seulement il peut compter sur le soutien de l’Etat et de la société, mais aussi de l’Eglise (ibid.). En comparaison, le court paragraphe destiné à la reconnaissance de l’objection de conscience paraît insignifiant30.

30 L’accent du texte américain est totalement différent. Il se rapproche davantage des réserves du document synodal allemand de 1975 que de la lettre pastorale de 1983. S’adressant aux membres des forces armées, les auteurs du « Défi de la paix » rappellent que l’emploi de la force n’est pas sans limites, qu’il doit toujours exister une relation 201

entre les valeurs que l’on veut défendre et les moyens utilisés dans ce but, qu’il est des circonstances dans lesquelles il faut savoir désobéir à un ordre, que le respect de la dignité humaine du soldat dans le fonctionnement quotidien des forces armées autant que dans le rôle qui leur est assigné en cas de guerre est un impératif primordial (CoP, pp. 758-59). Cette série d’exigences, qui n’est pas sans évoquer les discussions allemandes des années 1950 à propos de l’„Innere Führung“ (Cf. Chap. II), était déjà formulée dès la première mouture (CoP 1, pp. 54-56) avec pour seule note positive à l’endroit de l’Armée la reconnaissance de la fidélité des militaires à des normes éthiques particulièrement élevées (ibid., p. 54).

31 Reprises telle quelle dans la seconde version (CoP 2, p. 324), elle fut ensuite rééquilibrée pour tenter d’apaiser les craintes exprimées par les milieux militaires qui, même si les évêques affirmaient ne pas vouloir « créer des problèmes aux catholiques engagés dans les forces armées » (CoP 3, p. 724 ; CoP, p. 758) étaient peu disposés à se laisser convaincre 31.

32 Les troisième et dernière moutures accusent cinq changements principaux sur ce point par rapport aux textes précédents. Tout d’abord, les évêques font leur l’attitude positive de Vatican II à l’égard du soldat (CoP 3, p. 724 ; CoP, p. 758). Ils se déclarent ensuite « persuadés que les défis de cette lettre seront consciencieusement pris en compte » (ibid. ) et que les militaires ont pleinement conscience que le sens de leur activité est de défendre la paix. Dans le même sens, ils ajoutent à la mention des qualités personnelles des militaires, déjà présente, la reconnaissance de leurs qualités professionnelles et de leurs responsabilités (ibid.). A l’inverse, la référence à certains types d’action, comme la frappe délibérée de populations civiles, qui aurait pu paraître trop accusatoire, a été supprimée. Enfin, l’assistance et le conseil des aumôniers militaires sont sollicités, eux seuls étant jugés à même de fournir les orientations pastorales adéquates au milieu militaire (CoP 3, p. 725 ; CoP, p. 759). Notons que le cas du soldat n’est pas traité en parallèle avec celui de l’objecteur de conscience dans le texte américain. Il fait au contraire l’objet d’un développement séparé, ce qui peut expliquer certaines des contradictions de la thèse de la complémentarité.

33 Dans une large mesure, ces débats n’ont pas eu lieu à propos de la lettre pastorale française. Le ton général de l’argumentation dispensait sans doute les évêques d’assurer les soldats de la légitimité de leur service : de par l’approbation – même comme ultime nécessité – du système de dissuasion, ils se sentaient déjà justifiés. « Gagner la paix » n’aborde pas non plus la question de l’objection de conscience en tant que telle. En France, le débat sur ce sujet dans les milieux catholiques a eu lieu largement dans les années 1970 à l’occasion de procès d’objecteurs32. Il n’était donc pas nécessaire d’y revenir en 1983, d’autant plus que la loi sur l’objection venait de satisfaire une grande partie des revendications. Le texte épiscopal substitue à ce thème une – ou plutôt deux – discussions relativement originales sur la défense non-violente. C’est un thème qu’abordent également de manière assez confuse les évêques américains. Notre première tâche sera de clarifier l’argumentation des deux épiscopats, à la suite de quoi nous pourrons tirer quelques conclusions sur la conception de la société politique qui s’en dégage.

II. La non-violence, moyen de défense ?

34 Il y a plus de cinquante ans que Gandhi a donné ses lettres de noblesse à la non-violence comme mode d’action politique, et non plus seulement comme témoignage prophétique. 202

Cependant, son expérience est encore très largement regardée comme une singularité historique, spécifique à une époque et à des circonstances données, non transposable à une civilisation qui repose sur des fondements philosophiques entièrement différents et se trouve confrontée à une menace de tout autre nature. Les catholiques ne font pas exception à ce sentiment, leur réticence ayant des causes multiples : confusion entre attitude non-violente et « pacifisme », tradition pragmatique de la doctrine catholique, respect de la décision de l’autorité politique, passivité qui empêche la critique des modèles existants et la réflexion sur des « utopies créatrices », crainte de l’engagement politique sur des sujets controversés au nom d’une fausse philosophie de l’unité33, etc. Réticence et ignorance se mêlent dans les lettres pastorales, qui avancent malgré tout un certain nombre de propositions assez nouvelles en matière de non-violence.

A. La non-violence dans les lettres pastorales

1. Gagner la Paix

35 Le texte « Gagner la Paix » aborde à deux reprises la question de la non-violence. Il est remarquable que l’angle d’approche soit directement celui de l‘« alternative non- violente » (GP, p. 7), c’est-à-dire de la non-violence comme moyen effectif de défense, là où on aurait pu s’attendre à un traitement beaucoup plus classique de la non-violence comme témoignage évangélique. Le sujet sera abordé ultérieurement (GP, p. 11), mais jamais comme point central d’argumentation.

36 Surtout dans sa première partie (I, c), le texte trahit une certaine intention polémique, ses auteurs ayant visiblement souhaité donner réplique à divers groupes catholiques qui tentaient d’obtenir de leurs pasteurs un rejet de la dissuasion nucléaire34. C’est surtout pour en souligner les insuffisances que Mgr Jullien parlait à l’origine de la non-violence, les remarques valorisantes à son endroit ayant été en grande partie introduites à Lourdes (Cf. Chap. III). Le scepticisme de l’auteur de la première mouture s’exprime dès le moment où il analyse la menace de « chantage » à laquelle sont soumises les démocraties occidentales. Reprenant un passage de la lettre pastorale des évêques allemands, il dénonce les conséquences potentiellement désastreuses d’un désarmement unilatéral (GP, pp. 6-7). Le « chantage », s’il est d’abord extérieur, a aussi ses relais à l’intérieur sous la forme des mouvements qui préconisent l’abandon de la défense armée. Le spectre de Munich, avec sa tendance à assimiler tout mouvement de paix à une abdication politique et militaire, hante encore les esprits (GP, p. 6)35.

37 D’un autre côté, le texte reconnaît dans les appels à la non-violence le souci de fidélité à l’Evangile (GP, p. 7, p. 11) et leur accorde un caractère prophétique (GP, p. 11). Mais il ne parvient pas à distinguer analytiquement leur légitimité évangélique et leur légitimité politique. Après avoir suggéré la diversité des courants qui se réclament de la non- violence, « depuis la non-violence absolue, tous azimuts, jusqu’à la résistance non- violente », il semble réduire l’ensemble du spectre à la « non-violence du Christ » (GP, p. 7). Cette expression, déjà discutable en soi, est immédiatement suivie de l’interrogation fatidique : « La non-violence est-elle transposable telle quelle aux Etats ? ». Comme le note Christian Mellon, en posant cette question dans un tel contexte, « le texte semble assimiler le refus de la violence (position éthique, religieuse ou mystique respectable, mais non universalisable) et la stratégie de défense non-violente (proposition politique, préconisée par des croyants et des incroyants). Les évêques récusent, à juste titre, l’idée que la non- 203

violence évangélique soit transposable telle quelle aux Etats, hypothèse que ne soutiennent pas non plus les partisans de la défense non-violente »36. Une distinction plus claire des divers niveaux de non-violence aurait certainement permis d’éviter les erreurs d’interprétation37.

38 Outre l’impossibilité théologique et juridique d’imposer la mise en œuvre d’une conviction d’origine religieuse à un Etat laïc, il faudrait ajouter que la traduction de la non-violence en système de défense collectif suppose bien davantage qu’une simple multiplication d’attitudes individuelles mues par une éthique de conviction. Elle exige une préparation approfondie autant du point de vue des objectifs que des techniques d’action38. Il ne s’agit pas seulement, comme la qualifie à l’occasion la lettre pastorale, de « résistance passive » (GP, p. 8) ou comme elle le suggère, de solution improvisée39, mais d’un mode actif et organisé de résistance à l’agresseur. De plus, il n’est pas nécessairement question de substitution radicale et immédiate comme semble le craindre l’auteur principal de « Gagner la paix »40, une crainte toutefois récusée par un amendement introduit à Lourdes41. Une moins grande hâte lors de la discussion finale aurait sans doute permis d’éviter de telles contradictions. Une grande partie des théoriciens de la défense non-violente ne propose d’ailleurs pas davantage que ce que suggère cet amendement, même s’ils divergent quant au degré de compatibilité possible et souhaitable des deux modèles de défense42.

39 Dans sa version non amendée et, dans une moindre mesure, dans sa version finale, la lettre pastorale française tend à poser l’alternative en termes de « tout ou rien ». D’un côté, elle établit trop facilement l’équation : non-violence – résistance passive – non- résistance – paix à tout prix, cette dernière étant identifiée au « désarmement unilatéral » (GP, p. 6). De l’autre, le devoir de l’Etat de défendre ses citoyens, qui implique la possibilité de se doter des « moyens adaptés » aux menaces auxquelles il doit faire face (GP, p. 7) est rapidement assimilé à la justification de la « dissuasion de contre-menace armée » (GP, p. 8), qui, dans les faits, prend la forme de la dissuasion nucléaire43. Entre une dissuasion nucléaire « tous azimuts » et une « non-violence tous azimuts », il ne semble pas exister d’alternative (GP, p. 8).

40 Les amendements introduits à Lourdes ont contribué à estomper ce manichéisme mais ils sont loin de résoudre toutes les contradictions. On concède que la non-violence « ne saurait se définir par le seul refus de la violence », ni se réduire à de simples « techniques mises au point par Gandhi » (GP, p. 11). Mais déjà ici le texte est ambigu : la première proposition concerne l’ontologie de la non-violence, alors que la seconde porte sur ses modalités concrètes. Le passage poursuit en affirmant que « la non-violence est un esprit qui puise toute sa sève dans les Béatitudes… », pour conclure que « l’Evangile est efficace ». Le risque contre lequel mettait en garde Christian Mellon, risque de confondre la non-violence comme position éthique et comme stratégie de défense, est de nouveau présent. La non-violence est une question délicate car elle se situe à un point d’équilibre toujours instable entre « éthique de conviction » et « éthique de responsabilité ». Les évêques l’ont pressenti en déclarant de ceux qui refusent la violence : C’est être réaliste que d’en appeler à la possibilité de transformation qui habite le réel d’aujourd’hui, ils sont peut-être des pionniers (GP, p. 11).

41 Mais la voie est étroite, et elle ne s’accommode pas de jugements péremptoires. Au contraire, elle exige une approche nuancée qui ne peut prendre forme que par une politique des « petits pas ». L’Eglise elle-même n’hésite pas dans certains cas à parler du rôle créateur des « utopies »44. Comme le souligne Jean Barrea, cette voie de l’« utopie » 204

pousse à un dépassement constant des situations existantes et permet d’introduire des idées, des concepts qui, d’abord perçus comme des « contre-valeurs », trouvent ensuite – parfois au bout de plusieurs siècles – leur concrétisation dans les systèmes juridiques ou politiques45.

42 Sans parler d’utopie – un terme qui inquiète – certaines possibilités d’évolution pourraient être envisagées. Entre la dissuasion nucléaire et la défense civile non-violente existe toute une panoplie d’autres moyens de résistance à l’agression. Ces moyens, relativement peu étudiés en France, vraisemblablement à cause de la foi collective en la dissuasion nucléaire46, ont fait l’objet d’une attention beaucoup plus grande à l’étranger, en particulier en Allemagne47. Il n’appartient pas aux évêques d’échafauder un nouveau modèle de défense nationale, ni même de faire un choix parmi divers modèles qui leur seraient proposés. On est cependant en droit d’exiger qu’ils reconnaissent l’existence de réflexions sérieuses sur un spectre de propositions qui s’échelonnent entre la pure dissuasion nucléaire et une défense exclusivement non-violente. Tout en restant dans le cadre de la défense armée, certaines évolutions sont envisageables. Même si les thèses du « transarmement »48, du passage d’un système militaire offensif à un système purement défensif, dont la « technoguerilla » est un exemple, restent controversées, leurs auteurs n’en émettent pas moins des propositions dignes d’intérêt. En réduisant leur discours à l’alternative dissuasion-pacifisme, les évêques français ont renoncé à faire usage d’éléments de réflexion qui auraient pu éclairer le jugement éthique. Ils se sont ainsi privés d’un moyen important de renforcer leur argumentation sur le caractère transitoire de la dissuasion nucléaire. Comment affirmer en effet qu’elle est un « moindre mal » si l’on refuse d’examiner la possibilité d’autres solutions ? Et comment envisager de la dépasser si l’on assimile toute alternative à une capitulation plutôt que de rechercher des moyens de substitution progressifs et par là même, dotés d’un haut potentiel de crédibilité ?

2. Le défi de la paix

43 Comme celle de leurs homologues français, l’argumentation des évêques américains en matière de non-violence est équivoque. La pression à laquelle ils furent soumis en vue d’une clarification de la « tradition » catholique n’y est certainement pas étrangère. En même temps qu’ils essayaient de souligner la priorité du maintien de la justice et accordaient en conséquence une plus large place au droit de l’Etat de recourir à la défense armée, ils tentèrent d’expliquer ce qu’ils entendaient par « non-violence ». Mais chez eux aussi, le terme désigne tour à tour un témoignage prophétique, un appel né d’une conviction éthique à motivation religieuse – en particulier lorsqu’ils discutent de la relation de la non-violence à la guerre juste – et un système de défense basé sur des moyens autres que la lutte armée ; ceci, souvent au sein d’un même passage (CoP, pp. 728, 733). La difficulté essentielle provient du fait que la non-violence est résolument présentée comme option individuelle, le texte final accentuant davantage encore cette restriction49. Or, il est clair que, dès le moment où l’on parle de non-violence comme mode de défense, il ne peut plus s’agir d’option individuelle. La plupart des théoriciens de la défense non-violente insistent au contraire sur la participation collective comme condition de son efficacité. Bien plus encore que la défense armée, elle ne peut avoir quelque espoir de succès si elle ne repose sur l’engagement massif des populations concernées, décidées à protéger les valeurs sur lesquelles se fonde l’ordre social et organisées dans ce but50. 205

44 Les évêques insistent à plusieurs reprises sur la nécessité de développer des moyens non- violents de réponse à l’agression (CoP, pp. 728, 733, 748). Mais leur argumentation, contrairement à celle de leurs collègues français, se situe rarement sur le plan de l’efficacité : elle s’applique au contraire à démontrer la légitimité de ce moyen de défense et son ancrage dans la tradition évangélique (ibid., pp. 728, 733). A ceci, on peut avancer deux types d’explications. D’une part, le soupçon d’« hérésie » qui a pesé tout au long du processus de rédaction de la lettre pastorale a forcé ses auteurs à déclarer sans cesse leur fidélité aux racines catholiques. D’autre part, l’idée de non-violence a progressé au sein du catholicisme américain à partir d’une vision fortement teintée de prophétisme, qui a marqué les luttes des années 1960 et 1970 (protestation contre la guerre du Vietnam, contre la discrimination raciale, pour les droits des travailleurs agricoles de Californie, etc.) et s’étend au début des années 1980 sous l’impulsion de mouvements comme Pax Christi ou “Benedictines for Peace” au domaine des relations internationales51.

45 La plupart de ces groupes s’inspirent très largement du modèle gandhien, qui n’est pas sans racines dans les textes évangéliques52. En développant son système, Gandhi avait pour objectif de « moraliser », voire de « révolutionner la politique par l’éthique »53. Que cela n’ait pas été possible, du moins au degré où il l’entendait, l’histoire l’a suffisamment montré et lui-même en a fait l’expérience54. Son modèle pose le problème de la transposition d’attitudes individuelles en comportements collectifs55.

46 En tant que représentants d’une éthique spécifique, les évêques peuvent difficilement échapper au même genre d’équivoques. Dans un paragraphe intitulé « efforts pour développer des moyens non-violents en vue de résoudre les conflits », « Le défi de la paix », traite essentiellement des méthodes de la défense civile non-violente56, alors que l’Eglise réserve habituellement cette terminologie aux procédures classiques que constituent la diplomatie et l’arbitrage. Il résume les principaux objectifs d’une défense non-violente : empêcher un gouvernement non démocratique d’imposer sa volonté ; en énonce les exigences : préparation et organisation, volonté unie de la population, esprit de sacrifice ; en suggère les moyens : la non-coopération avec l’ennemi. Le souci gandhien de mettre en accord fins et moyens de la défense est souligné, en lien avec la critique formulée envers la défense nucléaire (CoP, p. 748). S’appuyant sur les études déjà effectuées aux Etats-Unis57, les évêques rappellent que la défense non-violente a déjà connu certaines applications dans l’histoire et font remarquer que sa concrétisation future ne dépend que de la volonté que l’on déploiera à sa promotion (CoP, p. 748). Contre le risque d’être accusés de défaitisme, ils déclarent que « la non-violence n’est pas le chemin réservé aux faibles, aux lâches ou aux impatients » (ibid.). Ils suggèrent aussi que la mise en œuvre de stratégies de défense non-violente n’aurait pas nécessairement des conséquences moins dramatiques que celle des modes de défense armée en vigueur (ibid.) 58.

47 Par la suite, ils s’avancent en terrain moins ferme, lorsqu’ils cherchent de nouveau à concilier défense armée et non-violente. En affirmant que « la résistance non-violente présente un terrain commun d’accord pour ceux qui optent pour le pacifisme chrétien,... allant jusqu’à accepter de mourir plutôt que de tuer, et ceux qui choisissent l’option de la force meurtrière autorisée par la théologie de la guerre juste » (ibid.), ils commettent aux moins deux erreurs. D’une part, ils suggèrent que la résistance non-violente découle nécessairement d’un choix éthico-religieux, d’autre part, ils semblent indiquer qu’elle pourrait être une des modalités de la guerre juste, comme elle est une modalité du pacifisme, ce qui est une contradiction en soi59. Il y a effectivement un terrain commun, 206

mais ils se situent au niveau des objectifs plutôt que des moyens : la non-violence, non en tant que conviction, mais en tant que technique d’action, a, tout comme l’emploi de la force selon les critères de la guerre juste, pour axe central la sauvegarde ou le rétablissement de la justice60. Si, comme on peut le supposer, l’intention épiscopale était de revaloriser la première vis-à-vis de la seconde, il aurait été plus judicieux de souligner la concordance sur ce terrain tout en mettant en évidence la préoccupation essentielle dans la défense non-violente de respecter une cohérence entre les moyens et la fin, qui est celle de la justice.

48 On retrouve le souci de justification caractéristique de la lettre pastorale quand, après avoir exposé la philosophie de la défense non-violente en termes gandhiens – la recherche du bien de l’adversaire, la transformation de l’ennemi en ami – les évêques rappellent que les principes qui la gouvernent sont totalement compatibles avec, et dans une certaine mesure dérivés de la doctrine chrétienne (CoP, p. 748). Notons que le thème de la recherche de la « vérité » et de la « conversion » de l’adversaire est aussi problématique qu’il l’était chez Gandhi lui-même. La référence chrétienne ne fait qu’accroître la difficulté, d’autant plus que les évêques précisent : « la défense populaire irait au-delà de la solution des conflits pour aller jusqu’à une synthèse fondamentale des croyances et des valeurs » (ibid.)61.

49 Mais la question se pose immanquablement au plan interne, dès lors qu’il faut donner une raison d’être au dispositif de défense. La préservation d’un système politique et social n’a de sens que s’il existe à la base un « consensus » sur un certain nombre d’idéaux et de normes communes dont le maintien a, aux yeux de la population, une valeur égale ou supérieure à celle qu’aurait leur remplacement par un système différent à la suite d’une domination étrangère. L’importance de ce consensus est particulièrement mise en évidence par les partisans de la défense populaire, qui soulignent que « ce qui fait une nation unie, ce n’est pas d’abord un Etat puissant mais des citoyens profondément attachés aux valeurs qui fondent la vie sociale et déterminés à les défendre le cas échéant »62. Selon cette conception, la primauté classique de l’autorité politique dans la défense de la nation disparaît. La société civile63 elle-même rentre en possession des moyens de sa propre défense, dont elle devient à la fois l’objet et l’acteur64. Cette réappropriation serait la condition sine qua non du développement d’un véritable « esprit de défense » que les militaires considèrent comme un élément essentiel de l’efficacité de la défense nationale65. Sans aller jusqu’aux bouleversements que représenterait la mise en place d’un dispositif de défense civile, les stratèges classiques commencent eux aussi à redécouvrir la place centrale de la composante sociale de la défense66. Entre la dissuasion nucléaire, qui repose ultimement sur la décision d’un seul ou d’un très petit nombre, et la dissuasion civile, qui dépend de la participation des masses, il y a un abîme. On est ici en présence de conceptions fondamentalement différentes de la nature de l’Etat, de la démocratie, de la relation entre société civile et pouvoir politique. Où les évêques se situent-ils dans le spectre des options possibles ?

B. La défense, responsabilité de l’autorité politique ou de la société civile ?

50 L’appel aux principes de la guerre juste, qui postule un droit de recours à la défense armée lorsque les valeurs fondamentales ou l’existence d’un peuple sont menacées, est un trait commun aux trois documents épiscopaux. Pourtant, dès que l’on s’intéresse au 207

titulaire de ce droit, ou à la justification de son existence, on note des différences entre les textes. Allemands et Français ont une conception très « traditionnelle » du rôle de la puissance publique dans la prise en charge de la défense, bien que les fondements qu’ils lui donnent diffèrent sensiblement : le souci de justification par référence à la tradition de l’Eglise dans le premier cas est remplacé par une approche beaucoup plus pragmatique dans le second. Les évêques américains insistent au contraire de manière pressante sur la responsabilité de la nation en tant que telle, à laquelle répond une constante exigence de justification adressée au pouvoir politique.

1. Les lettres pastorales allemande et française

51 L’attitude des évêques allemands à l’égard de l’utilisation de la force armée par l’autorité politique s’appuie fermement sur leur adhésion à « l’Etat de droit ». A l’instar des philosophies politiques d’inspiration hégélienne, ils font de celui-ci la condition de l’instauration de rapports politiques pacifiques : Pour notre vie en commun dans la démocratie et la liberté, il s’ensuit que nous défendons d’autant mieux la paix extérieure et intérieure que les principes de l’Etat de droit déterminent notre comportement… Si chacun considère son point de vue comme juste et celui de l’adversaire comme injuste, c’est le plus puissant, le plus intelligent, le plus rapide ou le plus cynique qui obtiendra gain de cause… Par l’assimilation du pouvoir de l’Etat à un ordre fondamental orienté vers les droits de l’homme, le droit du plus fort a été en principe rendu caduc. L’Etat démocratique garantit, par son ordre de droit, que les conflits peuvent être résolus selon les règles convenues, notamment par des tribunaux indépendants… La paix par le droit exige la reconnaissance d’un droit qui engage d’égale façon les partenaires au conflit, droit qui garantit tout autant la liberté de l’un qu’elle restreint également celle de l’autre (GsF, p. 583).

52 C’est à partir du moment où l’ordre intérieur est établi sur des rapports de droit que se justifie la prérogative étatique du recours à la force militaire : Parmi les devoirs suprêmes de la politique de l’Etat, figure le devoir de protéger l’ordre du droit à l’intérieur, tout comme l’existence et la liberté de son peuple contre l’agression et le chantage à l’extérieur. Les responsables de l’autorité de l’Etat doivent ici faire face à une lourde responsabilité politique qu’ils doivent assumer avec leur propre compétence (GsF, pp. 569-70).

53 Cette responsabilité entre en action lorsque les droits fondamentaux de l’homme, que garantit le système constitutionnel, sont en danger (GsF, p. 582). Chez les évêques allemands, l’analyse politique est doublée d’une justification théologique qui vient renforcer leur conclusion. Ainsi, l’affirmation d’inspiration paulinienne sur la légitimité de l’autorité politique est-elle confirmée : C’est précisément en résistant à l’injustice et à l’oppression, en respectant les droits de l’homme et en protégeant les innocents que la force publique montre qu’elle se trouve au service de Dieu (Rm 13,4) (GsF, p. 573).

54 L’approche des évêques français, si elle reprend certains points de l’argumentation de leurs collègues67, s’en différencie sur deux plans au moins. D’une part le rôle de l’autorité étatique est évoqué sur la base d’une référence purement laïque qui est celle de la philosophie politique de Julien Freund68. Dans son ouvrage majeur, L’essence du politique, Freund définit le « bien commun », concept qui a des racines profondes dans la théologie catholique, comme le but du politique. S’appuyant sur Hobbes, il y voit deux composantes : le maintien de la sécurité extérieure et la garantie de l’ordre et de la concorde intérieurs, les deux aspects étant intrinsèquement liés69. Quant au moyen 208

spécifique du politique, il s’agit de la force qui est à la fois principe constitutif des Etats et fondement de la paix extérieure70. En mettant d’abord en exergue le rôle de la force avant de la présenter comme la garantie de la règle de droit71, les évêques français se distinguent à un second titre de leurs collègues allemands qui adoptaient le processus inverse. En outre, le texte français s’attarde peu à justifier le rôle qu’il attribue à l’Etat, que ce soit par une analyse de type politique ou théologique. Ainsi, sa position apparaît- elle comme un soutien tacite accordé à l’autorité politique, sans qu’une logique argumentée vienne en éclairer les fondements. Le rappel de la vertu de patriotisme (GP, p. 7), la caution donnée à l’Etat comme détenteur exclusif – et raisonnable72 – de la force ( ibid.), la sanction de la dissuasion nucléaire (ibid., pp. 9-10) et finalement, la confiance accordée aux stratèges et aux experts (GP, p. 8)73 sont remarquables, d’autant plus qu’ils ne sont contrebalancés que par des exigences très réduites ou introduites seulement a posteriori, ce qui en diminue sérieusement l’impact.

55 « Gagner la paix » ne développe pas une logique bien rôdée qui commencerait par l’énoncé d’une série de convictions fondamentales dont il tirerait ensuite les conséquences. Les justifications n’arrivent qu’en toute dernière position. Elles viennent plutôt comme un ultime sursaut, un retour de dernière heure à l’essentiel, que résume la reprise de l’appel lancé par Jean-Paul II lors de sa visite en France en 1980 : « France, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » (GP, p. 14). Les évêques, comme s’ils étaient tout à coup secoués par cet appel, semblent prendre conscience qu’« au-delà des moyens de vivre, se pose la question des raisons de vivre » qui pour eux, est avant tout une question spirituelle (ibid.). S’ils mentionnent à ce titre des valeurs que l’on pourrait qualifier de spécifiquement « catholiques » – l’amour, la famille, la foi –, ils n’entendent pas se limiter à elles. Leurs interrogations portent sur les comportements collectifs face aux immigrés, sur les attitudes dans le débat politique (ibid.) et, plus pathétiquement, sur le matérialisme ambiant qui ronge les sociétés occidentales tout autant que celles de l’Est ( ibid., p. 15). A ce stade, l’appel devient angoissé, presque apocalyptique : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous (Luc 13,3) » (ibid.).

56 Il ne saurait bien évidemment être question de transposer une exigence de nature spirituelle sur une société sécularisée. En revanche, la critique radicale que contiennent les deux dernières pages de la lettre pastorale n’aurait pas dû rester sans implications sur les développements antérieurs. Ne va-t-elle pas jusqu’à remettre en cause toute l’argumentation précédente sur la défense ? Si les « valeurs » qui gouvernent actuellement la société française en particulier et les sociétés occidentales en général ne sont plus dignes d’être désignées comme telles, leur défense a-t-elle encore un sens ? Ceci, d’autant plus que l’on envisage pour les protéger l’utilisation de cet instrument redoutable que constitue la dissuasion nucléaire ? Au-delà de la question pratique de proportionnalité des moyens, le maintien des arsenaux ne devient-il pas une « idolâtrie » 74, l’idolâtrie suprême qui permettrait la perpétuation d’un monde lui-même idolâtre ? Les évêques allemands décrivent la recherche de sécurité hors du recours à Dieu comme vaine parce qu’elle repose précisément sur l’acte de séparation qui définit l’idolâtrie75. Non sans justification, la critique leur a reproché de ne pas tirer les conséquences pratiques de leur exégèse biblique76. C’est au « réalisme » en effet que revient le dernier mot : « L’aide de Dieu n’est pas un substitut à une prévoyance nécessaire en matière de politique de sécurité » (GsF, p. 571).

57 Sans vouloir tenter une synthèse générale sur la question du lien entre Royaume de Dieu et Histoire, il nous faut remarquer qu’il existe déjà au niveau de l’analyse politique une 209

contradiction dans la lettre pastorale française – allemande aussi, nous le verrons – entre les conditions posées au développement d’un « esprit de défense » et la caution donnée aux modalités actuelles de la défense. Pourtant dans son article « Armements modernes et responsabilités éthiques », dont disposait Mgr Jullien lorsqu’il rédigea le projet de lettre pastorale, le Secrétaire général de l’épiscopat, le Père Gérard Defois affirme que : La question morale en matière d’armement a une dimension politique et culturelle, c’est-à- dire que les facteurs militaires sont à interpréter dans le cadre des finalités morales que les instances politiques ou les groupes de citoyens se donnent pour asseoir leur vouloir-vivre ensemble et leur sécurité dans le monde77.

58 Il souligne aussi que « la sécurité d’un peuple lui vient d’abord de son dynamisme et de ses convictions »78. Mais dès lors qu’il en vient aux modalités pratiques de la défense, le discours de l’auteur change radicalement. La référence n’est plus le peuple, mais les « hommes politiques » et les « experts » qui, seuls, sont à même de juger de l’existence de l’« équilibre » militaire79. La dissuasion – nucléaire – n’apparaît pas comme un « choix militaire ou politique parmi d’autres, elle est en fait une donnée de base et incontournable de la défense nationale »80. Les contradictions de la lettre pastorale sont exactement de même nature, bien qu’elles s’expriment de manière un peu plus atténuée. D’un côté l’on pose les conditions d’une défense relevant d’un idéal éthique et démocratique, de l’autre on entérine la situation existante sans la moindre considération des incompatibilités, voire de l’antagonisme fondamental, entre les deux modèles.

59 La conviction personnelle des principaux auteurs du document pastoral est sans aucun doute l’une des explications de la caution apportée à la dissuasion. Mais elle doit être complétée et modulée par d’autres facteurs. On ne peut douter de la sincérité des évêques lorsqu’ils s’expriment sur les valeurs morales qui donnent à une société ses raisons de vivre. On ne peut non plus accuser la majorité d’entre eux d’adhérer à un modèle de démocratie autoritaire qui priverait les citoyens de toute participation à la définition de ces valeurs et à leur mise en œuvre. Interrogés sur leur conception de la démocratie, seulement 13 % des évêques français en retiennent une version autoritaire. Les trois quarts d’entre eux, même s’ils accordent la priorité à la recherche du bien commun – conduite par l’autorité politique – sur le processus démocratique, se montrent favorables à un modèle corporatiste-participatif ou à une démocratie sociale81.

60 L’attitude des évêques français, plutôt qu’une déférence vis-à-vis de l’autorité pour elle- même, est le résultat d’une combinaison de la tradition catholique et de l’histoire particulière de l’Eglise en France. Les deux siècles de débats qui ont agité les relations Eglise-Etat depuis la Révolution française incitent l’épiscopat à faire preuve de prudence. Même si la majorité de la population semble accepter le rôle de l’Eglise dans la définition des valeurs morales qui orientent la société82, une intervention dans un domaine directement classé comme « politique » risque toujours de réveiller les démons des querelles passées. Les évêques en ont fait l’expérience en matière de défense nationale à plusieurs reprises dans les années 1970. Sans doute les invectives de l’Amiral de Joybert, leur enjoignant de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »83 leur ont-elles laissé des souvenirs amers. Ils sont conscients des limites de la liberté dont ils bénéficient dans le système politique français.

61 L’acceptation de ces limites se concilie sans difficulté avec la tradition catholique d’indifférence proclamée aux formes de gouvernement, la légitimité de celles-ci dépendant fonctionnellement de leur contribution au bien commun84. Elle est également cohérente avec l’expérience de sécularisation française qui a permis très tôt le pluralisme 210

politique des catholiques et le retrait épiscopal de la scène politique au bénéfice de l’engagement des laïcs85. La primauté de la préoccupation spirituelle des évêques et des prêtres affirmée par le Concile et précisée dans le document de l’épiscopat français de 1972, « Pour une pratique chrétienne de la politique »86, confirme cette tendance.

62 En renvoyant aux experts la décision concrète en matière de défense nationale, le Père Defois et Mgr Jullien sauvegardent l’autonomie du politique, mais en même temps, ils vouent leur critique sur les valeurs à demeurer au niveau de la déclaration d’intention. Quelle que soit la vigueur de celle-ci, il manque le lien nécessaire à sa traduction sur le plan de la décision pratique.

2. La lettre pastorale américaine

63 L’attitude des évêques américains à l’égard de la prérogative étatique du recours à la défense armée est très différente de celle de leurs confrères. On peut la nommer celle du « doute systématique », le fil directeur de leur pensée étant la limitation de l’action gouvernementale par une sorte de contrôle populaire à chaque stade de la décision. C’est d’ailleurs par rapport à cette exigence qu’ils définissent leur tâche en tant que leaders religieux : Nous cherchons à encourager une attitude publique qui limite rigoureusement le type d’action que notre gouvernement et les autres gouvernements entreprendront dans le domaine de la politique nucléaire (CoP, p. 736).

64 La vigilance est prônée à tous les niveaux : application des critères établis pour l’acceptabilité de la dissuasion nucléaire (CoP, pp. 743, 745), décision éventuelle de recourir à la conscription (ibid., p. 749), politique de choix des cibles nucléaires (ibid., pp. 742-43). Outre la méfiance exprimée à l’égard des options de défense, la critique s’exerce aussi dans le domaine de la politique de maîtrise des armements (ibid., p. 746), des ventes d’armes (ibid., p. 749), de l’aide au développement (ibid., p. 753), de l’attitude des Etats-Unis vis-à-vis des institutions multilatérales (ibid., pp. 753-54), de l’engagement en faveur des droits de l’homme (ibid., pp. 751-52).

65 Pourtant, cette remise en question n’est pas destructrice en ce sens qu’elle ne remet pas en question les valeurs sur lesquelles repose le système ni les institutions qui lui donnent consistance. Elle tente au contraire de s’appuyer sur les idéaux qui ont servi de base à la constitution de la nation pour souligner la différence qui existe entre le potentiel et l’actuel, différence qui demande à être comblée (CoP, p. 750). On ne trouve pas, comme chez les évêques français, l’idée d’une « gangrène » qui aurait corrompu le substrat moral sur lequel repose la vie de la nation. Aux yeux des évêques américains, les fondements restent intacts. Il s’agit seulement de les dépoussiérer pour en dévoiler toutes les potentialités.

66 L’impératif est donc double : d’un côté, soutien au modèle politique et aux valeurs qui le fondent, de l’autre, critique des mesures qui les contredisent. Pour résumer en une formule : La vertu de patriotisme signifie que, en tant que citoyens, nous honorons notre pays, mais notre amour et notre loyauté même font que nous examinons soigneusement et régulièrement son rôle dans le monde, en demandant qu’il utilise à plein toutes ses possibilités pour être un agent de paix dans la justice pour tous les hommes (ibid., p. 760).

67 Cette exigence ne s’impose pas seulement au groupe restreint que constituent les deux cent cinquante évêques catholiques. Elle concerne la nation tout entière : 211

Dans une démocratie, la nation et ses citoyens ont la même responsabilité… C’est le devoir des gouvernés que d’analyser en hommes responsables les mesures concrètes de la politique publique (ibid.).

68 C’est parce que les mesures prises par le gouvernement sont finalement le reflet de la volonté des citoyens que ceux-ci ont prise sur la décision politique, d’où l’appel renouvelé à l’opinion publique (ibid., pp. 720-21, 736, 760). Pour les évêques américains, il n’est pas question de dénoncer le modèle de la démocratie pluraliste, mais plutôt de veiller à ce qu’elle fonctionne le plus fidèlement possible aux principes qu’elle proclame. En affirmant leur soutien aux valeurs collectives, ils cherchent à désamorcer les soupçons de déloyauté dont ils étaient l’objet et à promouvoir leur cause en prenant à témoin l’ensemble de l’opinion publique. Il ne faudrait pas voir dans leur attitude un simple opportunisme politique. Il a fallu à l’Eglise catholique américaine quelque deux cents ans pour entrer dans le jeu de la démocratie pluraliste, mais dès lors qu’elle l’eût accepté, elle souhaita y participer pleinement – ce qui n’est évidemment pas sans risques d’excès.

69 Au-delà de cet acquis historique, on peut déceler une certaine logique entre les réflexions épiscopales sur la dissuasion nucléaire et sur les rôles respectifs de la société civile et de l’autorité politique en matière de défense. Selon le « Défi de la paix », le fait nucléaire introduit une nouveauté radicale. En permettant des destructions d’une ampleur inégalée jusqu’alors, voire la disparition de la planète tout entière (CoP, pp. 718, 720, 726, 732, 734), il remet totalement en question la prérogative traditionnelle qu’avait l’Etat d’utiliser la force sur son territoire : Dans le système nation-Etat, la présomption selon laquelle la souveraineté implique la capacité de protéger le territoire et la population d’une nation est précisément niée par les possibilités nucléaires des deux superpuissances (CoP, p. 737).

70 La capacité de décision du pouvoir politique est comme paralysée, ce que traduit d’ailleurs parfaitement la notion d’« équilibre de la terreur ». L’Etat n’a plus la possibilité d’utiliser dans ses relations extérieures l’instrument traditionnel que constitue le recours à la force armée. A l’inverse, les concepts de guerre nucléaire limitée ou gagnable traduisent le refus de cette paralysie et la volonté de conserver, envers et contre tous les changements techniques et politiques, le modèle de comportement qui fut celui de l’Etat souverain depuis sa fondation. Les évêques rejettent énergiquement ces concepts au profit d’un modèle se rapprochant de la dissuasion minimale (Cf. Chap. IV).

71 On pourrait alors les accuser de chercher à perpétuer l’incapacité de l’autorité politique pour justifier leur méfiance à son égard. D’un autre côté, ils encouragent le développement de moyens de défense conventionnels, qui auraient pour conséquence de rendre aux décideurs politiques les moyens d’utiliser la force. Leur position n’est donc pas sans ambiguïté. Mais il nous semble possible d’en retrouver le fil directeur. Le rappel de la théorie de la guerre juste suppose la reconnaissance et l’approbation du rôle traditionnel de l’autorité politique dans la défense de la nation. Mais pour les évêques américains, sa compétence s’arrête, ou du moins, n’est plus automatique, là où commence l’armement nucléaire. A partir du moment où celui-ci entre en jeu, un contrôle vigilant devra être exercé par les citoyens sur la décision du pouvoir politique, afin de savoir s’il convient ou non de le reconduire dans ses attributions traditionnelles. Ceci ne signifie pas que l’armement nucléaire constitue une borne infranchissable : en ne rejetant pas absolument son emploi (Cf. Chap. IV, V) et en rappelant les dangers de la guerre conventionnelle (CoP, pp. 731-32), le « Défi de la paix » évite d’en faire un absolu. Il faut plutôt y voir un 212

élément-test, à partir duquel une attention et une suspicion particulières seraient requises, l’enjeu étant la dénaturation de l’Etat-nation lui-même.

72 Bien sûr, le choix de ce « témoin » est discutable, Il a cependant l’intérêt d’exister, alors que l’on ne trouve rien de semblable dans les documents pastoraux français et allemand. Certes, le rappel des conditions de la guerre juste et les limites énoncées à propos de la dissuasion nucléaire imposent déjà des contraintes non négligeables à la décision de l’autorité politique en matière de défense. Pourtant, un paradoxe demeure. La contradiction qui existe à l’état d’hypothèse dans la déclaration américaine entre la préférence pour une dissuasion minimale et le rappel de la prérogative traditionnelle d’ emploi de la force est plus flagrante encore dans les textes allemand et français. La volonté du premier de dire « non » à toute forme de guerre, l’adhésion du second au dogme de la « dissuasion pure » supposeraient logiquement une modification de leur compréhension du rôle de l’autorité politique. Celle-ci ne serait plus libre d’employer militairement la force comme elle l’entend, bien qu’elle restât maîtresse de son utilisation politique.

73 Mais si l’on considère que « la nature de la dissuasion est… tout entière dans le phénomène intellectuel d’une communication entre nations fondée sur la menace et la peur réciproques », comme le fait le Père Defois87, la question des moyens disparaît. L’action sur l’esprit et la résistance psychologique de l’adversaire occupe le centre du jeu. Que la partie se déroule au bord de l’abîme importe peu : à partir du moment où l’échange de menaces et de contre-menaces est intelligemment mené, les dirigeants politiques sont supposés remplir correctement leurs fonctions. L’éventualité d’un échec ne fait pas partie du paysage. Elle sera prise en compte a posteriori, comme un accident, une conséquence inintentionnée, extérieure au cadre que l’on s’était fixé. Dans ces conditions, point n’est besoin d’un contrôle continu de la décision politique par l’ensemble de la nation. Le feu vert est donné à l’origine, le succès ou l’échec venant ultérieurement sanctionner le choix initial. Au contraire, une critique répétée pourrait gêner les actions souvent délicates qu’exige le « poker » nucléaire.

74 Ni les évêques allemands, ni les évêques français ne vont aussi loin dans leurs conclusions, mais leur tendance à s’attacher aux objectifs plutôt qu’aux moyens porte le danger d’une telle dérive. Si l’on peut largement imputer cette attitude en France à la confiance qu’accordent les auteurs de la lettre pastorale à la dissuasion nucléaire et aux incertitudes qui continuent à caractériser la situation de l’Eglise sur l’échiquier politique, il faut en Allemagne compléter l’explication par un autre type de motivations. L’époque de la rédaction du texte était aussi celle du développement d’un vaste mouvement de protestation à l’encontre de la politique de défense gouvernementale au sein duquel se manifestait la revendication d’un « droit à la résistance » ou à la « désobéissance civile ». Il vaut la peine de s’y arrêter, tant le sujet a soulevé les passions au début des années 1980 et tant il est riche en enseignements sur l’attitude épiscopale.

III. La désobéissance civile

75 La discussion moderne sur le « droit à la résistance » et la désobéissance civile coïncide avec le développement en Allemagne fédérale d’une opposition extra-parlementaire (APO) dont le cheval de bataille fut la politique de l’environnement (construction de centrales nucléaires, agrandissement de l’aéroport de Francfort, aménagements immobiliers, etc.) avant de devenir la politique de défense, les deux domaines ayant pour point commun de supposer des mesures à long terme, jugées irréversibles, qui engagent 213

non seulement les conditions de vie d’un peuple mais sa capacité d’existence. Dans ce débat, situé au carrefour de l’éthique, de la politique et du droit, l’écheveau des arguments est souvent difficile à démêler, faute d’une définition préalable des termes de référence. Il paraît plus éclairant de procéder par élimination à partir des concepts de « résistance » et de « désobéissance civile », avant d’examiner la position des évêques eux-mêmes88.

A. Position du problème

1. L’article 20 al. 4 de la Constitution allemande

76 Quelques voix isolées, en particulier dans les rangs des Verts, se sont réclamées dans leurs actions de protestation d’un « droit à la résistance » tel qu’il est consigné dans l’article 20, alinéa 4 de la Constitution allemande89 : A défaut d’autre recours, tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser ce régime constitutionnel90.

77 Cet article, intégré à la Loi Fondamentale en 1968, a pour référence historique la tentative de renversement de Hitler perpétrée par le groupe du Comte de Stauffenberg le 20 juillet 194491. Curiosité juridique, puisqu’il fait appel à la garantie de l’Etat pour entériner éventuellement son propre renversement92, il relève d’une justification de droit naturel, qui doit permettre le cas échéant de contester la légitimité de l’ordre positif. La plupart des commentateurs, y compris parmi les partisans d’une rupture de la légalité pour lutter contre l’installation de centrales nucléaires ou les euromissiles, reconnaissent que les conditions de sa mise en œuvre ne sont pas réunies dans la situation politique contemporaine. Elle suppose en effet la présence d’un danger grave et imminent menaçant les valeurs et institutions qui garantissent l’existence de la démocratie libérale et en particulier des droits imprescriptibles contenus dans les articles 1 à 20 de la Constitution93. Ce n’est visiblement pas le cas en 1980 ou 1983, même si des motifs de mécontentement peuvent s’exprimer à bon droit sur le fonctionnement de la démocratie. Il n’est donc pas question d’invoquer l’article 20, al. 4 pour justifier d’une action illégale94. En conséquence, si l’on utilise le terme de « résistance », cela ne peut être qu’en tant que synonyme de « désobéissance civile ».

2. L’invocation des droits fondamentaux

78 Certains font appel au contenu des premiers articles de la Constitution pour dénoncer la violation du « droit à la vie » et à l’« intégrité physique » (GG art. 1 & 2) – étendu aux générations futures – dont se serait rendue coupable la puissance publique en matière d’environnement ou d’armement95. La résistance à ses décisions serait alors non seulement un droit, mais une obligation juridique et éthique96. L’argument peut aussi faire valoir la distinction entre les domaines susceptibles d’être soumis à un vote majoritaire („abstimmbar“) et ceux qui ne le sont pas („nichtabstimmbar“). Ainsi, lorsque l’enjeu porte sur des questions « dernières », la décision devrait-elle être soustraite au processus majoritaire, alors qu’en-deçà, elle y resterait soumise97. Le principe en lui- même n’est pas disputé. Par contre, la classification de la décision dans telle ou telle catégorie est loin de faire l’unanimité98.

79 A partir d’une idée semblable, le juriste Ralf Dreier a essayé d’apporter une justification à la rupture de la légalité basée sur les droits fondamentaux. Plutôt que de recourir 214

directement au droit à la vie, il s’appuie sur le droit à la liberté d’expression et de manifestation (GG art. 5 & 8). Pour lui, la désobéissance civile ne serait illégale que prima facie, mais non pas en dernière analyse. La règle qu’il énonce est la suivante : Toute personne a le droit, seule ou avec d’autres, d’enfreindre publiquement, de manière non-violente et pour des motifs éthico-politiques une norme d’interdiction lorsqu’elle proteste contre une injustice grave et que ses moyens de protestation sont proportionnés99.

80 Dreier postule la subordination de la loi qui lui paraît inférieure à celle qu’il estime supérieure. Rares sont cependant les juristes qui seraient prêts à le suivre, comme le prouvent les décisions des tribunaux100. Il ne reste plus alors aux manifestants et à leurs sympathisants qu’à demander au juge de faire preuve de clémence101 ou à protester contre ce qu’ils considèrent comme une extension indue du qualificatif de „Nötigung“ (contrainte)102. La querelle est politique tout autant que juridique. La définition du terme « violence » et, par contrecoup, de celui de « non-violence » est contestée. Les manifestants vilipendent les politiciens en exercice qui n’hésitent pas à déclarer que « la résistance non-violente est une violence »103, mais eux-mêmes ne sont pas unanimes sur sa signification104. Le débat allemand du début des années 1980 n’est pas sans rappeler les longues discussions qui eurent lieu presque vingt ans auparavant aux Etats-Unis à propos des manifestations contre la guerre du Vietnam et du mouvement pour les droits civils105. Il ne s’agit pas alors d’invoquer un « droit à la résistance » mais de se réclamer d’une pratique de « désobéissance civile » qui, bien évidemment, ne saurait être entérinée juridiquement.

3. La désobéissance civile

81 L’expérience et la réflexion américaine jouent un grand rôle dans le mouvement allemand de désobéissance civile, posant le problème du transfert d’un concept né dans un contexte culturel spécifique à d’autres circonstances de temps et de lieu. La référence lointaine reste Henry David Thoreau, pionnier de la « désobéissance civile »106, mais la philosophie à laquelle se sont ralliés la plupart des groupes après une période d’hésitation initiale est celle qu’expose John Rawls dans sa Théorie de la Justice. Pour Rawls la désobéissance civile est un acte public, non violent, mais politique, décidé en conscience, et accompli le plus souvent pour amener à un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s’adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté et on déclare que, selon son opinion mûrement réfléchie, les principes de la coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pas actuellement respectés107.

82 Cette définition appelle un certain nombre de commentaires qui porteront successivement sur les justifications, les objectifs et les hypothèses sous-jacentes à la désobéissance civile108.

a. Les justifications

83 La plus grande partie des artisans de la désobéissance civile justifie ses actions par l’appel à une décision de conscience. Analytiquement, il faut distinguer deux, ou même trois, attitudes qui ne sont pas toujours différenciées dans la pratique. La première est celle du chrétien, qui prend pour règle de conduite la formule « il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Actes 5, 19). La seconde se réclame de l’obéissance à une exigence supérieure 215

sans la relier à une conviction de foi particulière109. Il s’agit en général d’une norme de droit naturel placée au-dessus de tout droit positif. Dans la pratique, cette attitude ne pose pas un problème différent de la première110. Elle n’en est qu’une version sécularisée, qui rejoint les fondements du « droit à la résistance » tel qu’il est entériné par l’article 20 al. 4. Mais la situation change radicalement à partir du moment où l’on suppose que ces normes sous-tendent les convictions communes qui fondent le consensus social et sont consignées dans les valeurs fondamentales entérinées par la Constitution.

84 Dans la première hypothèse, la protestation est avant tout individuelle et symbolique ; en même temps qu’elle veut démontrer l’exaspération devant une situation que l’on considère comme ayant dépassé les bornes de l’acceptable, elle a, dans l’optique chrétienne, un caractère prophétique et participe de la recherche du salut111. Qu’elle relève de cette approche ou de celle du droit naturel, la protestation basée sur la seule décision de conscience devient contestable à partir du moment où elle prétend sortir du cadre individuel pour acquérir une valeur collective. Dans le cas du chrétien se pose la question du “status confessionis”, qui tend à faire d’une position politique particulière un article de foi112.

85 L’appel à un droit naturel supérieur se heurte à la barrière de la subjectivité. En effet, de quel « droit » peut-on se déclarer conscience de la collectivité, ou même de l’humanité ? 113 Il est rare que soient distinguées clairement les justifications auxquelles on fait appel : très souvent, la composante émotionnelle individuelle ne fait qu’un avec l’évocation de normes qualifiées de supérieures que l’on suppose ancrées dans les institutions communes, la référence religieuse pouvant éventuellement être superposée à l’ensemble 114. Le double caractère, à la fois « prophétique » et « politique », de la désobéissance civile est gage de son ambiguïté. On peut, certes, tenter de distinguer ses objectifs à court et à long terme115. Si cette distinction permet d’appuyer auprès des tribunaux une demande de différenciation entre les actions qui visent uniquement la conscientisation et celles qui souhaitent réellement empêcher la mise en oeuvre d’une décision de la puissance publique116, elle n’est pas toujours en mesure de clarifier les motivations des actes de désobéissance.

86 Cependant, une forte présomption de fidélité à la philosophie « réformiste » de la désobéissance civile est donnée par la disposition à accepter les sanctions légales qui en sont la conséquence. A la suite de Rawls, la plupart des groupes qui la pratiquent s’y déclarent prêts117. Ils n’ont alors pas seulement l’intention de manifester un « esprit de sacrifice » souvent évoqué dans un tel cadre118, mais de démontrer leur fidélité aux valeurs dont ils se réclament.

b. Les objectifs

87 Rawls souligne dans sa définition le fait que la désobéissance civile « interpelle la majorité de la communauté sur son sens de la justice ». C’est à notre avis un élément essentiel, qu’il précise de la manière suivante : [L’acte de désobéissance civile] recourt à la conception commune de la justice qui sous-tend l’ordre politique. Dans un régime démocratique relativement juste, il y a une conception publique de la justice qui permet aux citoyens de régler leurs affaires politiques et d’interpréter la Constitution119.

88 Lorsqu’il y a désobéissance civile, une mesure particulière est remise en question, mais l’ordre politique en tant que tel n’est pas contesté. Au contraire, les valeurs communes 216

constituent le sous-bassement de l’appel120, ce qui explique que la désobéissance civile ait un caractère politique121. Elle ne s’appuie pas sur des normes éthiques privées – même si, comme le note Rawls, celles-ci peuvent coïncider avec les valeurs communes – mais sur des principes qu’on peut raisonnablement assumer comme faisant partie de l’intersubjectivité d’une société particulière. Elle se distingue ainsi de l’objection de conscience qui, en tant qu’elle décrit une protestation individuelle contre une mesure souvent individuelle, ne fait pas appel au sens de la justice de la majorité122. Rawls résume ainsi la fonction de la désobéissance civile : Elle exprime la désobéissance à la loi dans le cadre de la fidélité à la loi, bien qu’elle se situe à sa limite extérieure. La loi est enfreinte, mais la fidélité à la loi est exprimée par la nature publique et non-violente de l’acte, par le fait qu’on est prêt à assumer les conséquences légales de sa conduite123.

89 Mais à partir de là, les positions se raidissent. Pour les uns, à la suite de Rawls, la désobéissance civile est à la fois preuve et garantie d’existence d’un système démocratique et constitutionnel : En résistant à l’injustice dans les limites de la fidélité à la loi, elle sert à empêcher les manquements vis-à-vis de la justice et à les corriger s’il s’en produit. Que les citoyens soient prêts à recourir à la désobéissance civile justifiée conduit à stabiliser une société bien ordonnée, ou presque juste124.

90 Jürgen Habermas va encore plus loin lorsqu’il décrit la désobéissance civile comme la « pierre de touche d’une compréhension adéquate des fondements moraux de la démocratie »125, comme « un élément indispensable de toute culture politique ayant atteint sa maturité »126. Selon cette interprétation, elle n’est plus seulement un cas exceptionnel, mais devient partie intégrante du jeu politique au quotidien, dans un mouvement infini dont le telos est d’aboutir à une concordance de plus en plus étroite entre droit positif et prétentions éthico-politiques du système127.

91 Les adversaires de la désobéissance civile mettent au contraire en garde contre le danger que représente pour la démocratie une banalisation de la contestation des dispositions légales. Mais là encore, il semble qu’il y ait beaucoup de confusion, volontaire ou involontaire. Il nous paraît en tout cas injustifié de s’appuyer sur un usage étendu du terme « résistance » pour rejeter toute forme de désobéissance civile128. S’il est vrai que les mouvements de protestation ont pu employer abusivement le terme de « résistance », qui rappelle inévitablement l’article 20 al. 4 de la Constitution, il semble que des distinctions préalables auraient pu permettre d’éviter bien des malentendus129. Une fois éliminée l’hypothèse de la « résistance », elles auraient autorisé une discussion de fond sur la « désobéissance civile ». Il est vrai que les résultats n’en auraient vraisemblablement pas été différents, car l’enjeu, au-delà des questions terminologiques, était bel et bien la différence des conceptions de la démocratie. Il est normal que des menaces constantes de « dénonciation du contrat social »130 aient été vues comme un danger par ceux qui se considéraient justement comme les gardiens de l’ordre établi sur la base de ce contrat.

c. Les hypothèses

92 La discussion sur le « droit à la résistance » et la « désobéissance civile » intervient dans le contexte de l’apparition des « Verts » comme mouvement d’opposition extra- parlementaire sur la scène politique. Leur accès aux responsabilités nationales à partir de 1983 n’a mis fin ni à leur critique de la démocratie parlementaire, ni aux suspicions les 217

accusant de mettre en danger cette démocratie. Au coeur du débat se trouve l’incompatibilité fondamentale entre les projets politiques. Le reproche essentiel qu’adresse la mouvance alternative à la démocratie parlementaire porte sur son formalisme. Selon l’expression de Niklas Luhmannn, le système politique ne tirerait sa légitimité que des « procédures »131, en l’occurrence la pratique du vote à intervalles plus ou moins réguliers, par laquelle les citoyens aliènent leur pouvoir de décision à des élus sur lesquels ils n’ont plus ensuite aucun contrôle. A partir du moment où ceux-ci ne sont plus les « délégués » du peuple, mais leurs « représentants »132, l’« absolutisme représentatif » qui en résulte133 ne sert en fait qu’à la perpétuation d’intérêts particuliers, le plus souvent de nature économique134, plutôt qu’à la promotion du bien collectif.

93 Sans être aussi radicaux dans leur critique, certains auteurs sont d’avis que les conditions qui régissent le fonctionnement du régime parlementaire ne sont plus remplies dans les circonstances actuelles. Leur thèse s’appuie sur l’examen d’une série de critères qui doivent, selon eux, gouverner l’application du principe majoritaire. Celui-ci devrait obéir aux normes suivantes : 1) Il ne s’applique qu’aux questions d’intérêt public et non pour conforter des intérêts privés ; inversement, il doit s’appliquer à toutes les affaires d’ordre public ; 2) Il n’est valable que dans le cadre d’institutions constitutionnelles dont les règles ne peuvent être modifiées par la majorité selon son bon vouloir ; 3) Les décisions prises à la majorité doivent être réversibles. En quelque sorte, il s’agit d’un élargissement de l’impératif kantien à la dimension du futur ; 4) Il suppose que l’intensité des préférences de la majorité et des minorités soit sensiblement égale – ce qui pose un difficile problème d’évaluation ; 5) Il admet l’existence d’un certain nombre de valeurs communes qui fondent le « vouloir vivre ensemble », ce que Locke appelait « une communauté de destin nationale »135.

94 A partir du moment où ces conditions ne sont plus remplies, le respect de la décision majoritaire n’a plus de sens. Pour la plupart des auteurs de l’ouvrage An den Grenzen der Mehrheitsdemokratie, une des tentatives les plus poussées pour insérer la désobéissance civile dans le modèle de démocratie pluraliste occidentale, il ne s’agit pas de renier le principe majoritaire en tant que tel mais, comme l’indique le titre choisi, d’en souligner les limites et les conditions de validité136. Dans son essence, le projet est proche de celui de Rawls. Mais d’une part, on ne nie pas que certaines décisions puissent échapper à ce principe, à cause de l’enjeu qu’elles représentent137 ; de l’autre, il doit être clair que la règle majoritaire n’est valable que pour autant que la « communauté de destin nationale » demeure une réalité vivante. Si l’on soutient que la société civile n’est plus formée d’une, mais de deux ou plusieurs entités qui n’ont plus aucune valeur commune138, elle perd sa raison d’être. Il n’est plus possible de donner une définition au « bien commun » et de là, de trouver des repères permettant d’évaluer telle ou telle décision de l’autorité politique. Conçue au départ comme « système de règlement des conflits »139 et d’arbitrage des intérêts, la démocratie parlementaire aurait perdu cette capacité. Le pouvoir politique n’étant plus capable de discerner le contenu du « bien commun », il y aurait divorce total entre légalité et légitimité. Il est clair que, dans ce cas, parler de « désobéissance civile » pour renforcer la démocratie n’a plus de sens. La pratiquer serait vouloir la fin de la démocratie et laisser la place à l’anarchie.

95 C’est parce qu’aucun indice précis ne permet de déterminer le point de passage entre les deux attitudes du respect limite de la démocratie et de son renversement que l’on s’est inquiété dans un certain nombre de milieux devant la montée d’idées et de pratiques rejetant en bloc le modèle parlementaire traditionnel. Les interrogations du politologue 218

Winfred Steffani à propos du programme des Verts résument bien les préoccupations qui ont pu être celles des dirigeants en exercice, ainsi que d’un certain nombre de corps établis, dont l’Eglise catholique140, devant la poussée des mouvements alternatifs et d’opposition à la politique de défense. Face à une argumentation souvent ambiguë, la question que pose Steffani est celle de la compatibilité entre la conception de la démocratie défendue par les Verts et les présupposés du système parlementaire. Après une étude minutieuse, l’auteur aboutit à la conclusion suivante : La présomption de droit et le monopole de la force dont jouit l’Etat constitutionnel démocratique peuvent être rejetés dès le moment où ils entrent en conflit avec l’identité des Verts telle qu’elle s’exprime à travers leur programme, ou avec leur interprétation de ce qui constitue les véritables préoccupations et intérêts des hommes… Proclamée comme ligne directrice du parti pour la pratique quotidienne, la thèse de la légitimité permanente de la résistance conduit forcément à un dangereux affaiblissement de la force du droit dans sa fonction de garant de la paix sociale. Appeler de manière aussi désinvolte à la résistance dans le cadre d’un Etat constitutionnel démocratique, dès lors que l’on ne trouve ni parmi les électeurs, ni au parlement, ni au gouvernement l’appui ou l’attention souhaités sur des questions déclarées « d’intérêt pour l’humanité », revient à mettre aux enchères l’Etat constitutionnel141.

96 Sans aucun doute, c’est une crainte identique qui a motivé la prise de position des évêques allemands face aux revendications de nombreux mouvements de paix.

B. L’attitude des catholiques

97 Pour comprendre leur attitude, il faut se souvenir du rôle qu’a joué l’Eglise dans la construction de l’Etat ouest-allemand comme « Etat de droit » après 1945. Même s’il y eut au départ des tensions sérieuses quant aux valeurs à consigner dans les fondements constitutionnels (Cf. Chap. II), on peut considérer le catholicisme comme un des piliers du système politique et social allemand. Le document du Synode de 1975 est très clair à ce propos : L’ordre démocratique libéral et l’Etat de droit garantissant le bien être social, tels qu’ils sont ancrés dans la Loi Fondamentale de la République fédérale allemande et régis par elle ont une signification essentielle pour la promotion de la paix interne autant qu’internationale. C’est pourquoi le Synode appelle toutes les forces démocratiques et tous les citoyens à contribuer au maintien et à la protection de l’Etat de droit et à son développement dans le sens de l’établissement d’une justice toujours plus grande…142.

98 Ainsi, il n’est pas question de rejeter l’ordre démocratique existant, mais bien plutôt de le renforcer. Même la prise de position du BDKJ sur le « droit à la résistance », si elle exprime une certaine sympathie pour le mouvement de désobéissance civile, rappelle que l’Etat dont on refuse les décisions est celui-là même à l’érection et au renforcement duquel les mouvements de jeunes catholiques ont contribué de manière décisive et engagée depuis la seconde guerre mondiale et à l’intérieur duquel ils continueront à travailler activement143.

99 Le soutien à l’« Etat de droit » et la reconnaissance de sa fonction « pacificatrice »144 sont généraux dans les milieux catholiques145. Il n’est donc pas surprenant que les évêques eux-mêmes accordent autant d’importance au respect du droit dans leur déclaration.

219

1. La position des principaux groupes catholiques146

100 Si l’on voulait situer la position des évêques allemands dans la discussion du « droit à la résistance » par rapport à l’attitude des autres groupes catholiques, on les placerait en troisième position sur une échelle allant du plus « libéral », le Bensberger Kreis, au plus « conservateur », le ZdK, en passant par Pax Christi et le BDKJ147. Ces deux derniers font preuve d’une grande modération, vraisemblablement en vue de freiner les initiatives d’une base prête à s’engager sans réserve dans les protestations contre le stationnement des euromissiles.

101 Tous deux rejettent la thèse selon laquelle la décision gouvernementale ne serait pas une décision « majoritaire », soit que l’on prétende prouver « objectivement » l’existence d’une majorité contre le stationnement148, soit que l’on considère qu’il n’y a pas eu de réelle discussion démocratique sur le sujet149, soit encore que ce genre de question, de par ses conséquences potentielles, dût être exclu du processus de décision majoritaire formel (Cf. ci-dessus). Le BDKJ affirme de manière très nette que « même après la décision de stationnement, la République fédérale d’Allemagne reste à nos yeux un Etat de droit dont nous respectons les règles, même si nous n’avons pas souhaité ces développements »150. Il n’est question ni pour l’un ni pour l’autre des deux mouvements d’invoquer l’article 20, al. 4 de la Constitution, qui suppose la disparition de l’Etat de droit151.

102 Tout en refusant d’exclure les actes de désobéissance civile, l’un et l’autre essaient cependant d’en limiter au maximum le champ d’application. Pax Christi en fait une solution de dernier recours, après qu’aient été épuisés tous les moyens légaux de protestation152, tandis que le BDKJ souligne que la décision d’y recourir est purement personnelle, ce qui nous paraît vider de tout son sens la référence à Rawls, qui fait justement du caractère politique de la désobéissance civile un élément essentiel153. On est ramené, semble-t-il, à la théorie catholique traditionnelle de l’objection de conscience, avec son corollaire contesté : l’affirmation de la primauté de la conscience, même erronée 154.

103 Le Bensberger Kreis, s’il fait aussi appel à la primauté de la conscience individuelle, justifie la désobéissance civile en s’appuyant sur la doctrine thomiste du refus de la loi injuste155. Il se garde cependant de faire mention des restrictions dont Thomas l’accompagnait156. De même, lorsqu’il prend appui sur le texte du Concile, qui autorise les citoyens à « défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyens contre les abus de pouvoir, en respectant les limites tracées par la loi naturelle et la loi évangélique »157, il peut se réclamer d’une tradition reconnue par la théologie catholique ; mais il est douteux qu’il trouve un soutien dans l’Eglise pour en confirmer l’applicabilité aux circonstances en cause. La qualification par le terme « abus de pouvoir » des mesures prises en matière de politique de défense est loin de faire l’unanimité. La tradition catholique de subordination de l’individu au corps social porterait plutôt à faire référence à la première partie du paragraphe 74.5 de “Gaudium et Spes”, que ne cite pas le Bensberger Kreis : Si l’autorité publique, débordant sa compétence, opprime les citoyens, que ceux-ci ne refusent pas ce qui est objectivement requis pour le bien commun (GS § 74.5).

104 Il faut souligner en outre l’ambiguïté du mémorandum à l’égard de la loi naturelle : d’un côté, il exprime sa méfiance par rapport à un concept qui a souvent servi à justifier autoritairement telle ou telle forme de régime sous prétexte qu’elle était conforme aux principes de la droite raison158, de l’autre, il y recourt pour justifier un droit à la résistance qui relèverait d’une certaine manière d’une plus grande perspicacité dans la 220

découverte des règles générales qui régissent la vie humaine159. Obéissance à des normes supérieures plutôt qu’à la loi positive, telle est la règle. Mais en posant ce principe, le risque est grand de tomber dans le piège que l’on dénonçait, c’est-à-dire d’objectiver ce que l’on considère comme raisonnable en oubliant justement que la conscience peut être erronée. En tout cas, le magistère, qui s’est traditionnellement réservé l’interprétation de la loi naturelle, ne pouvait recevoir cette prétention que comme un défi.

105 Ce sont d’ailleurs des craintes identiques qu’exprime la déclaration du ZdK. La prétention des opposants à la politique de défense à incarner la conscience collective est pour lui inacceptable160. En particulier, l’utilisation du Sermon sur la Montagne comme « une sorte de contre-morale opposée à celle de l’Etat libéral démocratique », afin de « justifier la résistance des chrétiens », ne saurait être tolérée161. Des convictions personnelles qui relativisent les concepts de justice et d’injustice n’ont aucune légitimité à être élevées au rang d’absolu162. La déclaration souligne au contraire, en écho à la lettre des évêques (GsF, p. 583) que l’existence d’un ordre dans l’Etat et entre les Etats est une des exigences de l’amour du prochain, et « condition d’une paix durable »163. En conséquence, l’attitude à adopter est claire : Lorsque la décision prise est anticonstitutionnelle, la voie du recours au Tribunal constitutionnel reste ouverte. Si elle est conforme au cadre constitutionnel, elle doit être acceptée même par ceux qui la considèrent comme contraire au droit164.

106 C’est non seulement l’existence d’un « droit à la résistance » dans les circonstances contemporaines qui est rejetée165 – un rejet prévisible – mais également les actions de « désobéissance civile »166. Le processus de décision majoritaire qui définit l’Etat de droit ne doit pas être remis en cause.

2. La position des évêques

107 L’éthique de « responsabilité » que revendique le ZdK est aussi celle à laquelle fait appel la lettre pastorale dans sa discussion de la désobéissance civile. Dans un passage bref, relégué en fin du texte, et sans lien nécessaire avec ce qui précède ou ce qui suit, les évêques énoncent en quelques phrases leur position. A titre de préalable, ils constatent : La paix intérieure et extérieure d’une société ne doit pas être mise en cause (GsF, p. 594).

108 Après avoir fixé le cadre, ils poursuivent : Les décisions majoritaires légitimées par la démocratie et qui peuvent se réclamer de la justice et du droit exigent d’être respectées, précisément par les chrétiens. Cela vaut en particulier dans l’éventualité où, dans des cas d’espèce, elles ne concordent pas avec notre propre jugement (ibid.).

109 Bien que les évêques ne mentionnent aucune mesure particulière, étant donné les circonstances, le « cas d’espèce » dont il s’agit ne peut être que le stationnement des euromissiles. La décision ne remet pas en cause la qualité démocratique du système.

110 Si cette conclusion ne figure pas explicitement dans la lettre pastorale, elle est confirmée par les prises de position ultérieures du cardinal Höffner. Dans son allocution de clôture de l’assemblée épiscopale de Fulda en septembre 1983, ainsi que dans une lettre adressée aux prêtres de son diocèse quelques jours auparavant, Höffner déclare beaucoup plus directement qu’un « droit à la résistance contre le stationnement des nouvelles fusées nucléaires est illégitime aux yeux de l’Eglise catholique », soulignant l’importance du respect de la règle majoritaire dans un système démocratique et justifiant sa position par 221

le fait que la décision de stationnement relèverait d’un simple jugement de pragmatisme politique et non pas d’un problème de conscience (cf. Chap. V)167.

111 La raison pour laquelle le respect des décisions prises démocratiquement s’impose « précisément aux chrétiens » est moins évidente. Un article de Franz Böckle, qui reprend mot pour mot l’affirmation des évêques, apporte quelques éléments d’explication. Böckle fait mention de la responsabilité particulière des chrétiens pour le « bien commun » et présente comme une contradiction le recours à une action illégale pour illustrer symboliquement cette responsabilité168. Un second argument porte sur la question de l’adéquation des moyens aux fins169, faisant écho à la mise en garde épiscopale : Les groupes et mouvements qui ressentent les décisions prises par les hommes politiques comme erronées doivent toujours examiner si les méthodes de leur opposition ou de leur protestation témoignent de façon crédible de leur volonté chrétienne de paix (GsF, p. 594).

112 Ce qu’entendent les évêques par cette exigence de crédibilité des moyens apparaît clairement dans leur conclusion, qui s’énonce en trois propositions. La première et, dans une certaine mesure, la seconde, découlent logiquement de leur raisonnement précédent : Nous les [les groupes sus-mentionnés] prions de choisir des moyens dont ils puissent dire de façon justifiée qu’ils demeurent exempts de violence, répondent aux exigences des valeurs de base de la Constitution… (GsF, p. 594).

113 Visiblement, l’interprétation du terme violence pose problème. Le fait que les évêques se sentent obligés de mettre l’accent sur l’impératif de « non-violence », alors que tous les groupes catholiques engagés dans la protestation contre la politique de défense y souscrivent170, montre qu’une profonde incompréhension mutuelle demeure. Le rappel constant des principes de non-violence et de respect des valeurs fondamentales prouve que leur contenu est loin de faire l’unanimité. On peut seulement supputer que leur interprétation de la part des évêques était plus proche de celle des tribunaux et du gouvernement que de celle des mouvements de désobéissance civile.

114 En demandant également que les gestes de protestation « ne conduisent pas à des actions illégales »171, les évêques semblent de nouveau tomber dans l’amalgame caractéristique des positions gouvernementales : droit à la résistance et désobéissance civile sont rejetés en bloc. On peut, comme le fait Hans Langendörfer, juger que les conditions de la désobéissance civile, telles qu’elles sont définies entre autres par Rawls, ne sont pas réunies dans le cas d’espèce172. Dans cette hypothèse, il aurait fallu en donner les raisons, après avoir au préalable nettement distingué « droit à la résistance » et « désobéissance civile » et précisé la relation entre cette dernière, que l’on rejette, et objection de conscience individuelle, qui reste possible dans certaines circonstances. Les deux attitudes prennent en effet appui sur la primauté de la conscience individuelle. Ne pourrait-on pas alors accuser les évêques d’appliquer des critères différents à des situations semblables, voire de se livrer au plus pur exercice de positivisme juridique ? N’acceptent-ils pas l’objection de conscience au service militaire parce qu’elle est consignée dans la loi – ce qui n’était pas aussi évident lors de la grande querelle des années 1950 ? Ne refusent-ils pas une objection de conscience plus large parce qu’elle ne bénéficie d’aucune garantie légale ?

115 A ces arguments, on peut apporter plusieurs types de réponses. La première est fournie par la distinction établie par Rawls entre la désobéissance civile et l’objection de conscience173. Du fait que la seconde n’a pas le caractère politique de la première, le 222

risque de déstabilisation, inhérent au caractère politique de la protestation, en est absent, alors qu’il reste toujours présent dans le cas de la désobéissance civile. La tentative de certains groupes de faire de la désobéissance civile une objection de conscience élargie, en se déclarant « directement concernés » par les mesures prises est rejetée par l’épiscopat.

116 Un second type d’argumentation consisterait à faire valoir que la reconnaissance de la primauté de la conscience n’entraîne pas nécessairement l’acceptation de la protestation illégale. Dans le cas de l’objection de conscience au service militaire, s’il n’existe pas de législation prévoyant l’exemption, seule la rupture de la loi reste possible à celui qui veut obéir à sa conscience. Dans le cas du stationnement des euromissiles, nombre de moyens de protestation légaux, garantis par la liberté d’expression, peuvent être mis en œuvre pour contester les mesures prises. L’illégalité ne deviendrait acceptable qu’à partir du moment où une « injustice grave » aurait été commise. Mais le jugement relève alors de considérations politiques et non plus théologiques.

117 Il ne peut exister de théorie catholique de la désobéissance civile en tant que telle, car celle-ci est un fait politique. Il peut seulement y avoir une théorie de l’objection de conscience et de la résistance selon les principes du droit naturel. En matière de désobéissance civile, les évêques n’ont d’autre choix que de s’en remettre aux normes communément acceptées par la société. Or, il semble que la plus grande partie de la société allemande du début des années 1980 n’ait pas été prête à considérer que les conditions d’application d’une désobéissance civile étaient réunies. Une prise de position conjointe des dirigeants des deux principales Eglises, catholique et protestante, au lendemain du vote du Bundestag en faveur du stationnement, résume cette conviction : Le consensus démocratique, qui lie l’ensemble des citoyens, ne doit pas être mis en danger, la dissension à l’intérieur ne conduira pas à la paix174.

118 Si, pour les évêques américains, l’enjeu était bien les missiles, pour leurs confrères allemands, il porte avant tout sur la démocratie. Lorsque Trutz Rentdorff incite les Eglises à reconnaître dans le débat sur la paix une discussion sur la démocratie175, il ne fait que renforcer une conviction qui est déjà pleinement la leur. En rappelant la méfiance des Eglises à l’égard de la démocratie de Weimar et les conséquences désastreuses qui s’ensuivirent, l’auteur met le doigt sur un facteur essentiel, évoqué avec beaucoup de réticences dans les milieux catholiques, mais qui constitue toute la motivation et la justification de leur engagement en faveur de la démocratie allemande. L’attitude politique contemporaine de l’Eglise – catholique et protestante – ne serait pas explicable sans le traumatisme des années 1933-45.

119 Mais les avis divergent à propos du comportement qu’il convient d’adopter à la suite de cette expérience. Pour les uns, c’est justement à cause du manque de vigilance dans la période suivant la première guerre mondiale qu’il est indispensable à l’heure actuelle de soutenir sans réserve un régime qui a fait la preuve de sa nature démocratique. La prévention du danger totalitaire passe justement par le renforcement de l’Etat de droit. Ce n’est pas l’Etat lui-même qui est coupable de totalitarisme, mais au contraire les forces qui cherchent à le déstabiliser parce qu’elles ne comprennent pas le rôle de l’ordre institué par la puissance publique pour assurer la paix d’une société176.

120 Dans cette optique, la comparaison avec l’évolution politique des démocraties populaires sert souvent de référence négative pour souligner la nécessité de l’attachement au modèle occidental et renforcer la résolution à le protéger de toute tentative de déstabilisation entreprise par des puissances extérieures ou par les groupes qu’on accuse 223

d’être leurs relais –volontaires ou involontaires – à l’intérieur177. L’ébranlement auquel se trouve soumise la République fédérale au début des années 1980 inquiète parce qu’il constitue une remise en cause fondamentale du choix de société fait en faveur du modèle de la démocratie parlementaire à l’occidentale entre 1945 et 1949. A cause du rôle qu’ils ont joué dans ce choix, les catholiques ne peuvent qu’en être les premiers affectés. En 1983, le système se trouve assailli de toutes parts. Non seulement la démocratie parlementaire et les principes de la société libérale qui la sous-tendent sont directement rejetés par les mouvements alternatifs, mais la protestation contre les euromissiles, au- delà de sa composante militaire, acquiert une signification politique profonde. En combattant une mesure qui traduit militairement l’ancrage dans le bloc occidental (le « recouplage »), les mouvements de paix contestent l’option essentielle prise par la génération de l’après-guerre pour essayer de donner une « identité » à la République en train d’être créée178. Choix arbitraire et de circonstances, peut-être, qui ne résout pas le réel problème de 1’« identité » allemande. Il n’en reste pas moins que ce fut une décision consciente et réfléchie, à laquelle se rallièrent peu à peu tous les partis politiques179. A partir de ces présupposés, toute menace proférée contre la démocratie libérale apparaît comme la remise en cause non seulement d’une forme particulière d’organisation, mais comme un danger pour l’existence même de l’entité politique. Déjà dans les années 1970 la vague terroriste avait fait naître des craintes similaires, et les évêques s’étaient alors prononcés à plusieurs reprises sur la question, soulignant l’importance de la protection de l’Etat de droit contre toute tentative de déstabilisation180.

121 Pour une autre catégorie de commentateurs, souvent plus jeunes, les évêques n’ont rien appris de l’expérience du nazisme. En premier lieu, ils n’ont jamais accepté de reconnaître la responsabilité collective des Allemands en général, et la leur en particulier, dans le désastre de la seconde guerre mondiale181. Tant qu’ils ne s’y résoudront pas, il leur sera impossible de tenir un discours à la fois honnête et crédible sur la paix. Ensuite, ils tombent à nouveau dans le piège qui a provoqué leur erreur historique de 1933 : une conception positiviste de la légalité, sous-tendue par un respect incontesté de l’autorité politique. En accordant un droit absolu à la décision prise selon les procédures légales, à cause de cette légalité même, ils favorisent la lettre de la règle constitutionnelle aux dépens de son esprit.

Quelques Conséquences :

122 Du débat qui s’est déroulé au début des années 1980, surtout en Allemagne, mais aussi dans des cercles plus restreints dans un certain nombre d’autres pays occidentaux, émergent quatre grands types d’interrogations qui relient la capacité de l’Etat à représenter les intérêts de la nation et son monopole traditionnel d’utilisation de la force. Ces interrogations, lancées par les groupements alternatifs aux tenants du pouvoir, sont les suivantes : 1. Notre Etat est-il encore un Etat de droit démocratique capable de maintenir la paix à l’intérieur ? 2. Les valeurs sur lesquelles il repose sont-elles encore dignes d’être défendues, en particulier vis-à-vis du modèle de démocratie dit « socialiste » ? 3. Comment notre Etat démocratique peut-il être défendu par des moyens en accord avec sa nature démocratique, c’est-à-dire qui ne dépossèdent pas les citoyens de toute participation à la défense (aspect interne) ? 224

4. Quels moyens pouvons-nous utiliser pour défendre notre démocratie qui soient compatibles avec les valeurs dont nous nous réclamons (aspect externe) ?

123 A ces questions, les évêques n’apportent pas de réponse univoque. Le « oui » des prélats allemands aux deux premières interrogations n’est pas relayé par une réflexion approfondie sur les deux suivantes, bien que l’on trouve dans leur développement de nombreux éléments pertinents sur le quatrième point. S’ils avaient abordé la question de la non-violence comme modalité de défense, ils auraient dû s’avancer sur le terrain glissant de la troisième interpellation. Mais même les documents des épiscopats français et américain, qui traitent pourtant de la défense non-violente, esquivent le sujet. Les premiers ne pourraient que se trouver devant un dilemme insurmontable, étant donné leur attitude à l’égard de la dissuasion nucléaire, alors que les seconds font davantage porter leur réflexion sur les conditions « extérieures » d’une défense démocratique, plutôt que sur son aspect « intérieur » qui risquerait de les entraîner dans des discussions gênantes à propos de la conscription. Quant à la question de l’Etat de droit, elle ne se pose même pas pour les évêques américains. Leur réponse affirmative est sous-entendue. La question des valeurs, par contre, fait l’objet d’un débat, qui se solde par un « oui » décidé, alors que chez les Français, le doute exprimé à leur égard sur le plan théorique contraste avec l’impératif de leur défense. L’articulation entre démocratie interne et mode de défense est loin de faire l’objet d’une analyse satisfaisante dans les trois textes pastoraux.

124 Les partisans de la défense non-violente – comme modalité particulière de la défense civile – soulignent au contraire la double supériorité de leur système : sur le plan intérieur, du fait que l’acte défensif serait en même temps manifestation et instrument de garantie de la démocratie182 et sur le plan extérieur, parce que les moyens utilisés ne seraient pas contradictoires avec les fins recherchées183. Dans ce modèle, la lutte pour la démocratie à l’intérieur n’est pas substantiellement différente des moyens d’action envisagés pour faire face à l’agression extérieure184. Ceci a une double conséquence : d’une part, le moyen de la défense civile que constitue la désobéissance organisée est banalisé dans le domaine du fonctionnement quotidien de l’Etat démocratique ; d’autre part, la distinction classique essentielle entre l’« ami » et l’« ennemi »185, entre l’espace intérieur et extérieur, qui définit la compétence de l’autorité politique, disparaît. Les partisans de la défense non-violente espèrent pallier ces deux inconvénients par le renforcement de la société civile, qui devrait être rendue maîtresse de son destin grâce à la prise de conscience de ses valeurs et à l’instauration de procédures participatives aux différents niveaux de la prise de décision. L’objectif est louable. La question qui se pose est celle de sa possibilité historique.

125 Dans la pratique, bien des questions restent irrésolues dès que l’on entreprend d’examiner les fondations du modèle démocratique. Les évêques en ont certainement conscience. Dans le cas de la France, si l’on s’accorde, comme le font la plupart des analystes, à considérer que la nation est le produit de l’Etat et non l’inverse186, il faudrait trouver un autre fondement aux valeurs communes que la seule existence d’une société politique, soit qu’on le construise de toute pièce, soit qu’on en découvre peu à peu les composantes dans des tréfonds encore inexplorés de la conscience collective. Mais il faut admettre que dans le concret, la question de l’identité nationale n’est posée que par des groupes marginaux, sans influence déterminante sur le débat politique. L’interrogation est beaucoup plus sérieuse en Allemagne, où l’on est confronté à l’éternelle question de l’« identité » de la nation. Celle-ci reste insoluble dans le cadre de la seule République fédérale, puisque l’on est immédiatement renvoyé à un cadre plus vaste, qui est celui de la 225

grande communauté de culture allemande, ou plus étroit, qui est celui des sous-cultures avec le thème des deux – ou des multiples – sociétés187.

126 Dans un certain sens, le problème ne se pose pas aux Etats-Unis. Le fait que l’identité nationale s’y soit développée sur la base du concept de démocratie, contrairement aux vieux pays européens où celle-ci n’est qu’une modalité du parcours historique, rend superflue toute une série d’interrogations brûlantes. C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles les évêques américains sont beaucoup plus à l’aise à l’égard des questions de défense non-violente et de désobéissance civile. Certes, leur manque de sensibilité pour les problèmes de sécurité européens, doublé de leur détermination à prendre le contrepied systématique des positions gouvernementales sont des explications possibles à leur attitude. Mais l’entrée de l’Eglise catholique dans le système pluraliste constitue un moteur tout aussi puissant. Ceci dit, il n’est pas certain qu’elle ait saisi toutes les implications de ce changement et analysé toutes ses modalités. Ainsi, il est peu probable qu’elle ait déduit directement ses prises de position sur la désobéissance civile et la défense non-violente de son adhésion au pluralisme démocratique. Cependant, les premières auraient été quasi impossibles sans la seconde. La volonté sans cesse réaffirmée dans la lettre pastorale de prendre part au débat public selon les règles du modèle pluraliste (CoP, pp. 720-21, 736, 760-61) indique de la part du magistère épiscopal américain une compréhension nouvelle de son rôle à l’intérieur du système politique, sans laquelle ses positions sur les problèmes de défense n’auraient pas été possibles.

127 Ce qui est justifiable dans un système politique particulier ne l’est pas forcément dans un autre. Lorsque les mouvements allemands en faveur de la désobéissance civile se réclament du modèle américain188, ils n’ont pas, à notre avis, suffisamment analysé les conditions historiques du développement de la démocratie allemande189. Après quarante ans d’existence, celle-ci est loin d’avoir acquis la solidité de son homologue d’outre- Atlantique. La conscience historique des évêques allemands est sans doute l’une des explications majeures de leur attitude à l’égard de l’autorité politique et de ses prérogatives dans le domaine de la défense. La question ne se posait pas du côté américain. Elle aurait pu être soulevée en France, mais les groupes prêts à le faire étaient trop peu nombreux et trop faibles pour susciter un véritable débat d’opinion.

NOTES

1. GANDHI, Tous les hommes sont frères, Paris, Gallimard, 1969, p. 149. 2. Le terme « défense civile » est ambigu en français. Alors que l’anglais distingue les deux concepts de “civil defense” et “civilian defense”, le vocabulaire français ne dispose que d’une seule expression pour désigner deux choses très différentes. La première concerne uniquement les tâches de protection civile (envisagées en particulier en cas d’attaque nucléaire), la seconde désigne un mode de défense actif où l’ensemble de la société civile est mise à contribution. Sur cette distinction, voir La dissuasion civile, p. 38. Nous utiliserons indifféremment dans la suite de notre développement les termes « défense civile » et « défense populaire » en ajoutant éventuellement le qualificatif « non-violente » s’il y a lieu. 226

3. NCCB, « La vie humaine aujourd’hui », op. cit., pp. 331-38 ; USCC Administrative Board, “Registration and the Draft”, op. cit. ; Gemeinsame Synode der Bistümer in der BRD, op. cit., pp. 32-35. Chez les évêques français, il ne semble pas exister de prise de position commune ; toutefois, les déclarations individuelles favorables à l’objection de conscience et à la non-violence sont nombreuses ; voir TOULAT, Des évêques, pp. 37-46, 52-58, 66-69, 83-88, 92-95, 106-7, 142-45. 4. CARSTENS, Karl, Bundespräsident, Rede anlässlich der Wiedereröffnung des St. Petri Doms in Bremen, 19 April 1981, (Auszüge), in Argumente für Frieden und Freiheit, Hrsg. Hans-Joachim Veen, Melle, Ernst Knoth, 2te Aufl., 1983, p. 82 (Konrad-Adenauer Stiftung, Forschungsbericht Nr.5). 5. FORTIN, op. cit., pp. 527-28. 6. Ibid., p. 529. Egalement, MAIER, Hans, Worauf Frieden beruht, Weihnachtsmeditationen, Herder, Freiburg/Basel/Wien, 1981, pp. 17-20. 7. FORTIN, op. cit., p. 529. 8. Cité par GsF, p. 575. 9. SCHOTTE, « Mémorandum », op. cit., p. 713. On se réfère ici à CoP 2, p. 310. 10. L’argumentation est celle du théologien Karl Lehmann (plus tard nommé évêque) dans son intervention au Katholikentag de Düsseldorf ; LEHMANN, op. cit., pp. 38-39. 11. GsF, p. 578. Le marxisme-léninisme présente, certes, la réalisation de la paix comme l’aboutissement du processus historique, mais toute croyance en une solution historique du problème de la guerre ne signifie pas une adhésion à l’idéologie marxiste, comme tend à le suggérer le texte épiscopal. 12. SCHOTTE, op. cit., p. 714. 13. Ibid. ; on retrouve ici les arguments de NAGEL, Ernst-Joseph, „Praxisnähe aus pastoralem Engagement. Anmerkungen zum zweiten Entwurf des US-amerikanischen Friedenshirtenbriefes“, Probleme des Friedens, Heft 1/1983, pp. 36-37. Rappelons que E.J. Nagel était présent à la rencontre de Rome en tant qu’expert de la délégation allemande. 14. SCHOTTE, « Mémorandum », op. cit., p. 714. Le rapport développait ainsi une observation contenue dans le commentaire de la Commission pontificale Justice et Paix sur la première mouture de la lettre pastorale, qui rejetait l’utilisation de GS § 43.3 pour relativiser l’un à l’égard de l’autre le recours justifié aux armes et la non-violence ; Commission Pontificale “Iustitia et Pax”, Observations on the First Draft Pastoral Letter of the NCCB. 15. “We see many deeply sincere individuals who, far from being indifferent or apathetic to world evils, believe strongly in conscience that they are best defending true peace by refusing to bear arms. In some cases they are motivated by their understanding of the gospel and the life and death of Jesus as forbidding all violence. In others, their motivation is simply to give personal example of Christian forbearance as a positive, constructive approach toward loving reconciliation with enemies. In still other cases they propose or engage in ‘active nonviolence’ as programmed resistance to thwart agression or to render ineffective any oppression attempted by force of arms” ; CoP 3. p. 705. 16. SCHOTTE, « Mémorandum », op. cit., p. 714. 17. NAGEL, „Praxisnähe“, op. cit., p. 37. Nous ne voyons pas pourquoi cette position serait nécessairement exclusive de tout autre. Si l’on suit le raisonnement de Nagel, selon lequel le Concile n’aurait jamais entériné une objection de conscience à toute guerre, on aboutit à autoriser la seule objection de conscience sélective, donc une objection basée sur les critères de la guerre juste – qui peut éventuellement mener au refus de tout service armé. Il s’agit à notre avis d’une interprétation trop restrictive des affirmations du Concile, celui-ci ayant souhaité donner sa chance à l’inspiration évangélique. 18. Sur cette question, voir ci-dessous, II. 19. CoP, p. 734. L’amendement avait été proposé par Mgr Bernard Law, promu cardinal en mars 1984 ; NAGEL, Ernst-Joseph, „Zum Beschluss der nordamerikanischen Bischofskonferenz ‘Die Herausforderung des Friedens’“, Mililarseelsorge, Nr.2, 25 Jg., 1983, p. 212. La traduction française 227

est édulcorée par rapport à l’original anglais : “the just war teaching has clearly been in possession for the past 1500 years of Catholic thought”, CoP, p. 12. 20. KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., p. 7. 21. Ibid. Notons le parallèle avec l’argumentation de David Hollenbach qui, par une approche purement théologique, aboutit à la même conclusion ; HOLLENBACH, Nuclear Ethics, pp. 25-33. 22. Cette logique de type augustinien n’est pas sans rappeler l’argumentation de Jean-Paul II dans son message pour la journée de la paix 1982, op. cit. ; voir aussi ci-dessus, Chap. II, II, 2c. 23. Dans le cas du soldat, la référence au texte du Concile (GS § 79.5) est directe. Dans le cas de l’objecteur, on se réfère au Synode allemand de 1975, qui renvoie lui-même au texte du Concile, GS § 79.3, cité par Gemeinsame Synode der Bistümer, op. cit., pp. 33-34. 24. BÖCKLE, Franz, „Sehnsucht nach Frieden – Frage nach Heil“, op. cit., p. 36 ; également, BÖCKLE, Franz, „Ethische Probleme der Sicherheitspolitik“, Lebendiges Zeugnis, Heft 4/Nov.l981, p. 34. 25. Böckle n’exprimait cette inquiétude dans aucune de ses deux contributions. 26. « Dans la mesure où les divers services en faveur de la paix concordent quant à leur but et aspirent à la sauvegarde et à la promotion mondiales de la paix, on peut dire qu’ils se conditionnent et se complètent mutuellement, dans la diversité de leurs démarches », Gemeinsame Synode der Bistümer, op. cit., p. 35, cité par GsF, p. 592. 27. Ibid., pp. 34-35. 28. Voir la critique de Pax Christi, Stellungnahme von Pax Christi zum „Wort der Deutschen Bischofskonferenz ‘Gerechtigkeit schafft Frieden’“, Frankfurt, 27 April 1983, p. 4 (ronéotypé). 29. NAGEL, OBERHEM, op. cit., pp. 88-94, 98, 107-112. 30. « Ceux qui, devant le dilemme engendré par la sauvegarde de la paix, refusent pour des raisons de conscience d’accomplir leur service militaire et accomplissent un service civil, travaillent aussi pour la paix, et ceci, surtout s’ils donnent des impulsions créatrices, par exemple par leur action en faveur des personnes désavantagées et des groupes marginaux de la société. Nous sommes conscients de l’efficacité de ce service et reconnaissons cet engagement », GsF, p. 593. 31. Les craintes des militaires étaient réelles. Nous avons eu l’occasion de nous en rendre compte au cours d’une discussion avec un aumônier militaire à Washington en mars 1984. 32. Voir TOULAT, Des évêques, pp. 52-54, 83-86. 33. MADELIN, op. cit., pp. 15-31. 34. Essentiellement les groupes et personnes auteurs de La Paix autrement. 35. Alfred Grosser souligne qu’il continue à servir de référence culturelle à la majorité des Français en matière de défense ; GROSSER, Alfred, Interview par Bernard Brigouleix et Rupert Neudeck, Documents, Revue des questions allemandes, déc. 1982, p. 177. 36. MELLON, Chrétiens devant la guerre et la paix, p. 163. 37. Ibid. 38. Voir à ce sujet l’excellent rapport, La dissuasion civile et l’ensemble d’études déjà anciennes, mais toujours d’actualité, The Stralegy of Civilian Defense, Nonviolent Resistance to Aggression, ed. Adam Roberts, London, Faber & Faber, 1967, 320 p. 39. Par Opposition à la défense armée, dont la longue préparation serait le gage de sérieux, GP, p. 8. 40. En posant la question : « Peut-on affirmer que ces méthodes sont convaincantes au point de rendre caduque une défense armée ? », GP, p. 8. 41. « Le temps ne serait-il pas venu, sans renoncer bien sûr à la défense armée, d’examiner soigneusement le rôle et l’efficacité des techniques non-violentes, de mieux poser leurs risques et leurs chances comme aussi le rôle et les risques de la course aux armements ? », GP, p. 11. 42. La plupart des auteurs sont d’avis que diverses combinaisons sont possibles, avec des substitutions plus ou moins rapides et d’ampleur variable de la défense armée à la défense non- 228

violente ; La dissuasion civile, pp. 14-15, 45, 184-85 ; The Strategy of Civilian Defence, articles de Alan Gwynne Jones, pp. 17-30, Basil Liddell Hart, pp. 195-211. Adam Roberts, pp. 215-54, pp. 291-301. Dans le sens contraire, l’article de Gene Sharp, ibid., pp. 87-105. Le théologien allemand Theodor Ebert défend la thèse de l’incompatibilité radicale des deux modèles ; EBERT, Theodor, „Ziviler Widerstand – mix oder pur ? Zur Kontroverse zwischen Militärstrategen und Friedensforschern über die Zukunft wehrhafter Neutralität“, in EBERT, Soziale Verteidigung, Bd. 2, Waldkirch, Waldkircher Verlag, 2te Aufl., 1983, pp. 73-103 ; „Die soziale Verteidigung im Bezugsfeld alternativer Sicherheitskonzepte“, in ibid., pp. 151-63. Le degré de compatibilité entre défense armée et non armée fut l’un des points essentiels de débat lors du colloque organisé à Strasbourg en novembre 1985 pour faire l’état des perspectives de la défense civile. La plupart des intervenants abordèrent directement ou indirectement le sujet, prouvant par là qu’il reste un obstacle majeur à l’introduction de stratégies non-violentes dans les systèmes de défense ; Les stratégies civiles de défense, Actes du colloque international de Strasbourg, 27-29 nov. 1985, Alternatives Non-violentes/Institut de Recherche sur la Résolution Non-Violente des Conflits, 1987, 254 p. En France, les groupes catholiques favorables au développement de la défense non- violente n’en font pas une réponse exclusive aux problèmes de sécurité ; Pour construire la paix, pp. 47-64 ; La Paix autrement, pp. 22-24. 43. Ailleurs, Mgr Jullien affirme encore plus clairement que : « défavorisée par le rapport des armes classiques, [la France] est bien obligée de recourir à une contre-menace armée et celle-ci. actuellement, ne peut être que nucléaire » ; JULLIEN, « Hiroshima-Kampuchea », op. cit., p. 112. 44. PAUL VI, “Octogesima Adveniens”, op. cit., § 37. Dans son étude sur le rôle de l’Eglise dans la construction de la paix, la Commission doctrinale de Pax Christi parle d’« utopies mobilisatrices », « Comment aujourd’hui l’Eglise construit la paix », DC, Nr.1981, 1985, p. 306. 45. Barrea applique à la problématique de la paix la thèse blochienne de la « fonction utopique », (BLOCH, Ernst, Le principe espérance, t. I, Paris, Gallimard, 1976, pp. 174-79). Selon Bloch la « fonction utopique » se réalise par le biais de la « conscience anticipante » qui anticipe les « possibles » de la réalité. Il distingue le « possible dans l’objet » qui correspond à l’actualisation d’une faculté existante et ne représente rien de fondamentalement nouveau, et le « possible devant l’objet » ou « non encore être » de l’objet. C’est à celui-ci que correspond l’utopie constructive, qui crée le futur ; BARREA, op. cit., pp. 42-47, 396. Concrètement, cette utopie se manifeste par des « contre-valeurs », portées par des « contre-forces » qui s’incarnent dans des « contre-formes » pour donner naissance à une « nouvelle culture » qui débouchera finalement sur une « nouvelle politique », ibid., pp. 63-95. Ces derniers concepts sont empruntés à SCHWARZENBERG, Roger Gérard, Sociologie politique, Paris, Montchrestien, 1974, pp. 389-423. 46. A titre d’exception, on peut citer l’ensemble d’études publiées par le CIRPES sous la direction d’Alain Joxe en 1984 dans les Cahiers d’études stratégiques, Nr.3, 4, 5. 47. L’impulsion ayant été donnée par les travaux de Horst Afheldt : AFHELDT, Horst, Verteidigung und Frieden, Politik mit militärischen Mitteln, München, Hanser, 1976, 345 p. ; Defensive Verteidigung, Hamburg, Rohwolt, 1983, 157 p. Voir aussi, LÖSER, Jochen, Weder rot noch tot, Überleben ohne Atomkrieg – Eine Sicherheitspolitische Alternative, München (Geschichte und Staat, Bd 257/258), 1981. 48. FISCHER, Dietrich, Preventing War in the Nuclear Age, Totowa (NJ)/London, Rowman & Allan- hill/Croom Helm, 1984, 249 p ; Les stratégies civiles de défense, pp. 135-254. 49. La troisième mouture insistait sur le caractère individuel du choix non-violent seulement dans le paragraphe destiné à l’étude de la relation de la non-violence à la guerre juste, CoP 3, p. 706. Le texte final renchérit dans le passage relatif à la non-violence en tant que telle, CoP, p. 734. 50. EBERT, Theodor, “Organization in Civilian Defense”, The Strategy of Civilian Defense, pp. 255-73 ; La dissuasion civile, pp. 49-50, 149-66. 229

51. A Catholic Call to Conscience, pp. 4-5 ; “Toward a Christian Response to War and Peace”, op. cit. ; Benedictines for Peace, “The Monastic Tradition of Peace and Nonviolence”, op. cit. 52. BROCK, op. cit., p. 71 ; LASSIER, Suzanne, Gandhi et la non-violence, Paris, Seuil, 1970, pp. 31-32, cité par MULLER, Stratégie de l’action non-violente, p. 34. 53. BROCK, op. cit., pp. 74-75. 54. En particulier à propos de la partition de l’Inde, qu’il avait toujours cherché à éviter ; BROCK, op. cit., p. 100. 55. L’ambiguïté est présente en puissance dans cette affirmation de Gandhi : « La non-violence m’est un credo, le souffle de ma vie. Mais je ne l’ai jamais présentée comme un credo. Je l’ai présentée comme une méthode politique destinée à résoudre des problèmes politiques », cité par La dissuasion civile, p. 20, d’après PANTERBRICK, S., Gandhi contre Machiavel, Paris, Denoël, 1963, pp. 36-37. Egalement, MULLER, Stratégie de l’action non-violente, pp. 31-33. 56. Les évêques américains s’expriment également – avec un certain scepticisme – sur les mesures de protection civile entreprises par leur gouvernement, CoP, p. 747. 57. FISHER, R., URY, W., Getting to Yes: Negotiating Agreemenls Without Giving In, Boston, 1981 ; SHARP, Gene, The Polilies of Nonvielent Action, Boston, 1973, cités par CoP, p. 748. 58. Cette observation est exacte si l’on ne considère que l’élément de gravité des conséquences de la mise en oeuvre des moyens militaires. Elle ne tient pas compte de l’élément de probabilité qui est l’un des arguments majeurs des partisans de la dissuasion nucléaire. L’objection peut cependant en grande partie être levée si l’on considère les préparatifs à la défense civile non- violente non seulement comme un système de défense, mais comme un système de dissuasion. Sur ce point, voir l’argumentation très pertinente de La dissuasion civile, pp. 182-87. 59. La guerre juste étant entendue ici comme recours à l’emploi effectif de la force ou le résultat de l’application des critères, plutôt que l’ensemble de critères permettant de conclure à l’impropriété de tout emploi de la force. 60. La dissuasion civile, pp. 28-31. 61. Nous verrons au chapitre VII la difficulté d’aborder la question de l’affrontement Est-Ouest en termes de valeurs. 62. La dissuasion civile, pp. 47-48. 63. Nous reprendrons ici la définition de la « société civile » retenue par le rapport La dissuasion civile, p. 35. Il s’agit de « l’ensemble des institutions politiques, sociales, économiques, culturelles et religieuses par la médiation desquelles les hommes participent à la vie collective de la cité ». Les auteurs précisent : « Nous n’employons donc pas cette expression dans le sens restrictif qui lui est souvent donné et selon lequel elle désigne la sphère sociale où se déroule la vie privée des individus que l’on entend ainsi distinguer de celle où se déroule la vie publique des citoyens ». 64. ibid., pp. 35-36, 47-50. 65. ibid., pp. 153-58. 66. Un facteur auquel Clausewitz accordait pourtant un rôle décisif ; HOWARD, Michael, “The Forgotten Dimensions of Strategy”, Foreign Affairs, Summer 1979, pp. 975-86. Les conclusions de Howard sont cependant radicalement opposées à celles des partisans de la dissuasion civile non- violente : pour lui l’impératif est d’obtenir l’adhésion populaire la plus large possible à la dissuasion nucléaire. 67. En particulier l’affirmation selon laquelle « la charité ne peut remplacer le droit », GsF, p. 583, GP, p. 10. Une citation de Mgr Etchegaray peut servir de commentaire à cette proposition : « La charité exige la justice, là où elle est vraie, elle l’engendre et ne cesse de la développer. Le Concile Vatican II va jusqu’à dire : “Il faut satisfaire d’abord aux exigences de la justice de peur que l’on offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice” (Décret sur l’apostolat des laïcs, n ° 8) ». ETCHEGARAY, Cardinal Roger, Conférence à l’UNDRO, 6 mars 1986, DC, Nr.1918, 1986, p. 496. 68. FREUND, Julien, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Seuil, 1975, pp. 118, 131, 167, cité par GP, p. 7. 230

69. FREUND, L’essence du politique, pp. 651-65. L’ouvrage auquel se réfère la lettre pastorale est un condensé des thèses développées de manière plus exhaustive dans cette étude. 70. ibid., pp. 704-50 (pp. 712-13). Freund s’appuie ici sur Raymond Aron. 71. « La menace de la force “publique” et, en cas de nécessité, son usage conforme au droit sont un progrès politique : un Etat “policé”... est une garantie de paix pour les citoyens ». GP, p. 7. 72. « Il ne faut pas nier que le fait matériel pour un pays de développer constamment sa capacité de riposte nucléaire, même s’il est lié à la volonté d’écarter la guerre, comporte en soi une sorte de tentation, celle du recours à la menace nucléaire. C’est l’une des faiblesses de cette position et l’on ne peut se prémunir là-contre qu’en confiant le soin des affaires de la nation à des hommes conscients de leur responsabilité. Une “nation nucléaire” doit être une nation raisonnable... », GP, p. 10 (note 21). Qui se portera garant de cette rationalité ? 73. Comparer avec, DEFOIS, « Armements modernes », op. cit., p. 593. 74. L’expression a d’abord été utilisée par Mgr Hunthausen aux Etats-Unis ; HUNTHAUSEN, In, “US Bishops debate War and Peace Pastoral”, op. cit., pp. 405-6. 75. Ils utilisent le terme “gott-los”, intraduisible tel quel en français, GsF, p. 572. 76. SPAEMANN, Heinrich, op. cit., pp. 26-32. En effet, les évêques citent la mise en garde d’Isaïe à propos du comportement d’Israël dans les crises de politique étrangère de son histoire : « Si vous ne croyez pas, vous ne tiendrez pas » (Is 7,9), en soulignant que la promesse de Dieu « mérite une plus grande confiance que tout l’art diplomatique et toute la force militaire », GsF, p. 571. 77. DEFOIS, « Armements nucléaires », op. cit., p. 588. 78. Ibid., p. 598. 79. Ibid., pp. 593, 597. 80. Ibid., p. 591. 81. Ces résultats sont le fruit d’une analyse détaillée du comportement politique des évêques français ; VASSORT-ROUSSET, Brigitte, Les évêques de France en politique, Paris, Cerf/Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1986, pp. 90-91. 82. „Die Kirche – Ein ‘Stand auf der Kirmes’ ?“, Ein Gespräch mit Professor René Rémond über die Kirche und Religion in Frankreich, Herder Korrespondenz, Nr.3, 40 Jg., Mai 1986, p. 224. 83. De JOYBERT, Amiral, « La monnaie de César », Le Figaro, 14-15 juil. 1973, reproduit dans DC, Nr. 1637, 1973, p. 709 84. VASSORT-ROUSSET, op. cit., pp. 79-87. 85. „Die Kirche – Ein ‘Stand auf der Kirmes’ ?“, op. cit., p. 222. 86. Assemblée plénière de l’épiscopat français, « Pour une pratique chrétienne de la politique », 28 oct. 1972, DC, Nr.1620, 1972, pp. 1011-21 (Ci-après, PPCP) ; VASSORT-ROUSSET, op. cit., pp. 72-75. 87. DEFOIS, « Armements nucléaires », op. cit., p. 592. 88. Nous ne reviendrons pas ici sur les types d’action que sous-tendent ces termes ; pour une description des principaux d’entre eux, voir „Diesmal wollen wir nicht schweigen“, op. cit., p. 25 ; JESCHKE, Axel, MALANOWSKI, Wofgang, „Gewalt ist so ein gewaltiges Wort“, DerSpiegel, 37 Jg., Nr.35, 29 Aug. 1983, p. 34. 89. Voir, GRASS, Günter, „Vom Recht auf Widerstand“, Die Zeit, Nr.6, 4 Feb. 1983, p. 39 ; BECKOBERDORF, Rede zum Deutschen Bundestag, 22 Nov. 1983, in Die Nachrüstung im Bundestag, p. 225 ; REENTS, Rede zum Deutschen Bundestag, 22 Nov. 1983, in ibid., p. 244. 90. « Loi fondamentale du 23 mai 1949 », in RIALS, Stéphane, Textes constitutionnels étrangers, Paris, PUF (« Que sais-je ? », Nr.2060), 1982, pp. 49-50. 91. JESCHKE, MALANOWSKI, op. cit., pp. 36-37 ; DREIER, Ralf, „Widerstand und ziviler Ungehorsam im Rechtsstaat“, in Ziviler Ungehorsam im Rechtsstaat, Hrsg Peter Glotz, Frankfurt, Suhrkamp, 1983, pp. So-SS. On fera référence à la Constitution par ses initiales allemandes : GG („ Grundgesetz“). 231

92. Le juriste Martin Kriele a sévèrement critiqué cet illogisme ; KRIELE, Martin, „Ein Recht auf Widerstand ? – Kritische Fragen eines Verfassungsrechtlers“, in Widerstand, Recht und Frieden, Hrsg Eckehart Lorenz, Erlangen, 1984, pp. 102-111. 93. JESCHKE, MALANOWSKI, op.cit. 94. RENTDORFF, Trutz, „Widerstand heute ? Sozialethische Bemerkungen zu einer aktuellen Diskussion“, Aus Politik und Zeitgeschichte, Bd.39/1983, pp. 25-26 ; BDKJ-Bundesvorstand, „Weiterer Rüstung entgegenwirken – Die Achtung vor dem Rechtsstaat fördern“, 7 Sept. 1983, in Probleme des Friedens, Heft 3, 1983, p. 51 ; WENNER, Ulrich, „Juristische Überlegungen zum Widerstandsrecht“, in ibid., p. 41 ; LANGENDÖRFER, Hans, „Selig sind, die Widerstand leisten ?“, in ibid., p. 25 (ci-après, LANGENDÖRFER, „Selig“) ; HABERMAS, Jürgen, „Ziviler Ungehorsam – Testfall für den demokratischen Rechtsstaat ; Wider den autoritären Legalismus in der Bundesrepublik“, in Ziviler Ungehorsam im Rechtsstaat, p. 93 (ci-après, HABERMAS, „Ziviler Ungerhorsam“) ; BÖCKLE, Franz, „Falschmünzerei gegen den Rechtsstaat ?“, Rheinischer Merkur, 22 Juli 1983, p. 3 (ci-après, BÖCKLE, „Falschmünzerei“), etc. 95. Bensberger Kreis, „Widerstand gegen Rüstung“, Ein Memorandum deutscher Katholiken, Publik-Forum Sonderdruck, 26 Aug. 1983, § 30-33.44 (ci-après, BK, „Widerstand“) : REDER, Konrad, „Widerstandgegen den Wahnsinn ?“, Publik-Forum, 26 Aug. 1983, p. 3 ; GUGGENBERGER, Bernd, OFFE, Claus, „Politik aus der Basis – Herausforderung der parlamentarischen Mchrheitsdemokratie“, in An den Grenzen der Mehrheitsdemokratie, Politik und Soziologie der Mehrheitsregel, Hrsg Bernd Guggenberger, Claus Offe, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1984, pp. 16-17 ; HUBER, Wolfgang, „Die Grenzen des Staates und die Pflicht zum Ungehorsam“, in Ziviler Ungehorsam im Rechtsstaat, pp. 116-17. Dans le même sens, HABERMAS, „Ziviler Ungehorsam“, op. cit., pp. 45-47. 96. BK, „Widerstand“, op. cit., pp. VI, VIII. 97. SIMON, Helmut, „Fragen der Verfassungspolitik“, in Ziviler Ungehorsam im Rechtsstaat, pp. 103, 106 ; KRECK, Walter, „Wenn diese schweigen, werden die Steine schreien“, in Die Nachrüstung im Bundestag, p. 294. Le vote majoritaire du Bundestag ne s’appliquerait pas aux questions « existentielles » ; voir Parlament der Mehrheit, Bonner Deklaration, 20 Nov. 1983, et discussions subséquentes, in Die Nachrüstung im Bundestag, pp. 286-98. 98. Pour une protestation contre le rétrécissement du champ de l’„Abstimmbares“, voir ARNDT, Claus, „Bürger oder Rebell ? Zum Widerstandsrecht im Grundgesetz“, Aus Politik und Zeitgeschichte, Bd.39/83, p. 39. 99. DREIER, op. cit., p. 69 (Traduction CG) ; également p. 60. Pour une discussion de son argumentation, voir LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, p. 196. Pour une thèse analogue, BK, „Widerstand“, op. cit., § 32. Si Dreier ne fait pas appel directement au droit à la vie, sa mise en danger est présupposée par le terme „schwerwiegendes Unrecht“. 100. Toute infraction est sanctionnée en vertu du paragraphe 240 du Code Pénal qui punit toute action de violence ou toute menace exercée sur autrui pour l’obliger à faire, tolérer ou renoncer à un acte, JESCHKE, MALANOWSKI, op. cit., p. 40. 101. BDKJ, „Weiterer Rüstung entgegenwirken“, op. cit., pp. 57-58. 102. BK, „Widerstand“, § 34-39 ; SCHÜLER-SPRINGORUM, Horst, „Strafrechtliche Aspekte ziviler Ungehorsam“, in Ziviler Ungehorsam im Rechtsstaat, pp. 76-98. 103. ZIMMERMANN, Friedrich, Ministre de l’Intérieur, cité par JESCHKE, MALANOWSKI, op. cit., p. 40. Dans le même sens, Hans-Jochen Vogel, Président du groupe SPD au Bundestag, NAHRENDORF, Rainer, „Dem Druck nicht gewichen“, Handelsblatt, 22 Nov. 1983, reproduit dans Die Nachrüstung im Bundestag, p. 319. 104. „Diesmal wollen wir nicht schweigen“, op. cit., p. 30. Pour une discussion de ce point voir, LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, pp. 194-95. 105. ZAHN, Gordon, Introduction to Thomas Merton, The Nonviolent Alternative, pp. XXVII-XXXIX. 232

106. Le terme “civil disobedience” n’apparaissait pas dans son essai initialement intitulé Resistance to Civil Government. Le titre de l’édition courante est Essay on Civil Disobedience, published with an introduction by Gene Sharp, London, Peace News, 1963. 107. RAWLS, John, Théorie de la Justice, Paris, Seuil, 1987, p. 405 (Edition anglaise originale, A Theory of Justice, Cambridge, The Belknap Press, 1971. La traduction allemande date de 1975). 108. Nous ne reviendrons pas sur son caractère « non-violent », dont Rawls lui-même ne donne pas de définition précise, ibid., pp. 406-7. 109. KELLY, op. cit., p. 194. 110. Il faudrait s’interroger sur l’empreinte dans les mouvements séculiers d’un piétisme protestant marqué par la recherche de l’absolu ; SAUZAY, op. cit., pp. 148-54. 111. SCHILLEBEECKS, Edward, „Auf der Suche nach dem Heilswert politischer Praxis“, in Atomrüstung – Christlich zu verantworten ?, pp. 78-97 ; HAUNHORST, Benno, „Widerstand gegen die Nachrüstung“, in Probleme des Friedens, Heft 3/1983, pp. 33-34. Dans son mémorandum sur la résistance, le Bensberger Kreis semble près, à un certain point, de faire de la protestation contre les euromissiles une question de foi, „Widerstand“, op. cit., § 12. C’est dans une optique un peu similaire que Hans Langendörfer aborde la discussion du « droit à la résistance » et de la « désobéissance civile ». Il étudie leur valeur en tant que rejet du « encore » qui qualifie l’acceptation de la dissuasion nucléaire et appelle à la dépasser. LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, p. 190. 112. La question du “status confessionis” a été soulevée par la Fédération des Eglises réformées d’Allemagne à propos de la dissuasion nucléaire ; Moderamen des reformierten Bundes, „Das Bekenntnis zu Jesus Christus und die Friedensverantwortung der Kirche“, 12 Juni 1982, Auszüge in Frieden Stiften – Die Christen zur Abrüstung, Eine Dokumentation, Hrsg Günter Baadte, Armin Boyens, Ortwin Buchbender, München C.H. Beck, 1984, pp. 79-82. 113. ZdK, „Erklärung zum Widerstandsrecht “, 16 Dez. 1983, ZdK/ Berichte und Dokumente, Bonn, Nr.54, März 1984, pp. 66, 67. 114. La confusion de ces différents niveaux nous semble particulièrement flagrante dans le mémorandum du Bensberg Kreis, op. cit., § 23-26. 115. WENNER, op. cit., p. 39, 40, 43, 44 ; également, LEINEN, Jo, „Ziviler Ungehorsam als fortgeschrittene Form der Demonstration“, in Ziviler Ungehorsam im Rechtsstaat, pp. 23-28. 116. WENNER, op. cit., pp. 40, 43, 44. 117. WENNER, op. cit., pp. 39-44 ; BDKJ, „Weiterer Rüstung entgegenwirken“, op. cit., p. 52. Tout en acceptant cette règle, Pax Christi et, bien plus nettement encore, le Bensberger Kreis, s’élèvent contre tout durcissement du droit de manifestation ; Pax Christi-Präsidium, Erklärung zu den Aktionen der Friedensbewegung im Herbst 1983, 22 Juni 1983, Pax Christi-Deutsches Sekretariat, Frankfurt, pp. 3-4 (ronéotypé) ; BK, „Widerstand“, op. cit., § 33-39. 118. L’idée de sacrifice est surtout présente dans la théorie gandhienne de la résistance civile ; BROCK, op. cit., pp. 74-75. Mais elle se retrouve aussi dans de nombreuses théories modernes, souvent inspirées du Mahatma. 119. RAWLS, op. cit., p. 406. 120. On ne peut s’empêcher de rapprocher cette logique de celle des évêques américains exposée ci-dessus (II, B, 2). 121. RAWLS, op. cit., pp. 405-6 ; DREIER, op. cit., p. 63. 122. RAWLS, op. cit., pp. 409. 123. Ibid., p. 407. 124. Ibid., p. 423. 125. HABERMAS, „Ziviler Ungehorsam“, op.cit., p. 36 (Traduction CG). 126. Ibid., p. 43. 127. Ibid., p. 39. Dans le même sens, Pax Christi, Gruppe Bonn, „Zur Kampagne ‘Ziviler Ungehorsam bis zur Abrüstung’“, ronéotypé, 1986, p. 3 ; BK, „Widerstand“, op. cit., p. X (Thèse 5). L’idée d’„ 233

Aufklärung“, de conscientisation d’une population incapable de déterminer par elle-même le lieu de ses véritables intérêts est souvent présente ; voir, EBERT, Theodor, „Ziviler Ungehorsam aus politischer Verantwortung“, in Gewaltfreie Aktion und Bürgerinitiativen, Hrsg Deutsches Pax-Christi Sekretariat, Frankfurt, (Pax-Christi Schriften, Nr.20, 4/1982), p. 55. 128. Trutz Tentdorff, par exemple, rejette l’idée de « droit à la résistance » au motif que la Constitution reconnaît un « droit à la contestation » qui peut s’exprimer dans le cadre légal ; RENTDORFF, op. cit., p. 25 ; également, ZdK, „Erklärung zum Widerstandsrecht“, op. cit. et dans une certaine mesure, BÖCKLE, „Falschmünzerei“, op. cit. 129. Les distinctions ébauchées par Ralf Dreier constituent un effort louable dans ce sens, même si son concept de „‘kleines’ Widerstandsrecht der ‘Normallage’“ est discutable, DREIER, op. cit., p. 57. 130. Voir par exemple, EBERT, „Ziviler Ungehorsam aus politischer Verantwortung“, op. cit., p. 60. 131. LUHMANN, Niklas, Legitimation durch Verfahren, Frankfurt 1969 ; voir aussi, HABERMAS, Jürgen, „Legitimation Problems in the Modern State“, in Communication and the Evolution of Society, Ed. Thomas McCarthy, London, Heinemann, 1979, pp. 185-186. 132. GREVEN, Michael, „‘Sachzwang’ und demokratische Entscheidung. Überlegungen zur überfälligen Verfassungsreform“, Vorgänge, Heft 5/1984, Nr.71, pp. 15-16. La discussion a porté dans le contexte allemand sur l’interprétation de la proposition constitutionnelle : « La souveraineté émane du peuple. Elle est exercée par le peuple au moyen d’élections et de plébiscites et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire » (GG art. 20, al. 2, in RIALS, op. cit., p. 49), le problème étant de savoir si le rôle du peuple est seulement celui d’un pouvoir constituant ou si, au contraire, il exerce sa souveraineté de manière continue. Greven conclut en faveur de cette seconde thèse ; op. cit., pp. 16-17. Pour l’interprétation contraire, STEFFANI, Winfried, „Zur Vereinbarkeit von Basisdemokratie und parlamentarischer Demokratie“, Aus Politik und Zeitgeschichte, Bd.2, 1983, pp. 8-9. 133. L’expression est de NARR, Wolf Dieter, „Strukturdefizite der parteistaatlichen/ parlamentarischen Demokratie und mögliche Alternativen“, Vorgänge, Heft 5/1984, Nr.71, pp. 95-111. 134. GREVEN, op. cit., p. 27 ; NARR, op. cit., pp. 103-4. 135. OFFE, Claus, « Politische Legitimation durch Mehrheitsentscheidung ? ». An den Grenzen der Mehrheilsdemokratie. pp. 160-72 ; GUGGENBERGER. Bernd. « An den Grenzen der Mehrheitsdemokratie », ibid., pp. 189-92. Notons que tous les partisans de la désobéissance civile s’appuient sur une conception lockéenne de la démocratie, dans laquelle les droits de l’homme précèdent la constitution positive de l’Etat. Une telle conception implique une constante remise en cause du droit positif par le droit naturel. La situation serait entièrement différente dans un système d’inspiration rousseauiste ; ARENDT, Hannah, « La désobéissance civile », in Du mensonge à la violence. Paris, Calman-Lévy, 1972. pp. 55-109. 136. Cette intention est très claire dans l’introduction de Offe et Guggenberger. op.cit., pp. 8-19. 137. GUGGENBERGER, OFFE, op.cit., pp. 14-15; BOBBIO, Norberto, « Die Mehrheitsregel : Grenzen und Aporien », in An die Grenzen der Mehrheitsdemokratie. pp. 108-31; HAUNHORST. op.cit.. p. 33. Cet auteur souligne en outre le fait que les décisions en matière d’armement ne sont objectivement pas uniquement le résultat d’un choix majoritaire à cause du rôle qu’y joue le « complexe militaro- industriel ». Il serait donc abusif de se réclamer de ce principe pour les défendre. 138. STEFFANI. Winfried, op.cit., p. 8 ; RENTDORFF, op.cit., p. 30. 139. STEFFANI. Winfried, op.cit., p. 8 ; RENTDORFF, op.cit., p. 30. 140. Voir par exemple les déclarations du ZdK vis-à-vis du parti des Verts. Frankfurter Rundschau, 3. Janv. 1982; Die Welt, 15. Nov. 1982. 141. Ibid., p. 16 (Traduction CG). Il est intéressant de mettre en parallèle l’argumentation de l’auteur avec la discussion qui eut lieu au sein du SPD sur l’opportunité d’une alliance éventuelle 234

avec les Verts ; SANDOZ, Gérard, « La crise de la social-démocratie allemande », Documents, juin 1982, pp. 21-24. 142. Gemeinsame Synode der Bistümer, op. cit., p. 37 (Traduction CG). 143. BDKJ, „Weiterer Rüstung entgegenwirken“, op. cit., p. 46 (Traduction CG). 144. Le terme allemand est „friedensstiftend“ pour lequel n’existe pas d’équivalant satisfaisant en français. 145. Voir aussi, BDKJ, Der Wehrdienst, p. 113 ; ZdK, „Der Wehrdienst“, op. cit., pp. 77-78. Comparer à WAIGEL, Theodor, Rede vor dem Deutschen Bundestag, 21 Nov. 1983, in Die Nachrüstung im Bundestag, p. 89. 146. On trouvera un résumé des positions dans „Friedensdiskussion. die Katholiken zum heissen Herbst“, Herder Korrrespondenz, 37 Jg., Heft II/1983, pp. 498-500. 147. Il faudrait encore mentionner l’IKvu qui, prenant appui sur les thèses du Bensberger Kreis, a choisi d’orienter son action à partir de 1982 sur le mot d’ordre « Ethique de la résistance et action non-violente » ; Ikvu, Presseerklärung, Bonn, 20 Okt. 1982, 1 p. ; IKvu-Delegiertenversammlung, Beschlusszur Weilcrarbeil am Thema Frieden, Eschborn, Okt. 1982, 2 p. ; „Widerstand gegen den Götzen Rüstung“, Presseerklärung, Bonn, 14 März 1983, 2 p. 148. BECK-OBERDORF, op. cit., p. 223 ; ALT, Franz, Brief an die Bundestagsabgeordneten von CDU/ CSU, 10 Nov. 1983, in Die Nachrüstung im Bundestag, p. 279 ; REUBAND, Karl-Heinz, UTTIZ, Pavel, „Wer hat die Mehrheit ? Nachrüstung und Friedensbewegung in der öffentlichen Meinung“, Die Neue Gesellschaft, Nr.2, 1984, pp. 178-81 ; Parlament der Mehrheit, op. cit., pp. 286-99. 149. HAUNHORST, op. cit., p. 32. 150. BDKJ, „Weiterer Rüstunga Ventgegenwirken“, op. cit., p. 50 (Traduction CG). 151. BDKJ, ibid., p. 511 ; sur l’attitude de Pax Christi par rapport à l’Etat de droit : Pax Christi Präsidium, Erklärung zu den Aktionen der Friedensbewegung im Herbst 1983, pp. 4-5. Le Bensberger Kreis proclame également son attachement à l’Etat de droit, même si ses positions sont parfois plus ambiguës, „Widerstand“, § 32. 152. Pax Christi Präsidium, ibid., pp. 4-5. 153. Y a-t-il eu erreur d’interprétation ? La traduction utilisée par le BDKJ fait ici un contresens. Elle parle de „öffentliche, gewaltlose, gewissensbestimmte, aber politisch gesetzwidrige Handlungen...“, BDKJ, „Weiterer Rüstung entgegenwirken“, op. cit., p. 53, là où Rawls utilise la formule : « acte public, non-violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi », RAWLS, op. cit., p. 405. Notons que la formule du BDKJ „politisch gesetzwidrig“ n’a pas de sens. 154. C’est ce qu’implique un passage qui tient lieu de conclusion provisoire : „Bürgerlicher Ungehorsam hat seine mögliche Legitimation gerade auch im Blick auf den Rechtsstaat einzig und allein aus dem Anspruch des Gewissens – und sei es ein irriges – der dem Betroffenen verbietet, einem bestehenden Gesetz zu gehorchen“, BDKJ, „Widerstand gegen Rüstung“, op. cit., p. 55. 155. BK, „Widerstand“, op. cit., § 23 ; la citation (sans référence) provient de ST I, II, q.93, a.3, s.2. 156. ST I, II, q.96, a.4, s.3 (Cf. Chap. I, II). 157. GS § 74.5, cité par BK, „Widerstand“, op. cit., § 26. 158. BK, „Widerstand“, op. cit., § 24. 159. ibid., § 25. 160. ZdK, „Erklärung zum Widerstandsrecht“, op. cit., pp. 66, 67. 161. ibid., p. 67. 162. ibid., p. 65. Dans le même sens, ZdK, „Zur Wahrung der Rechtsordnung in der Demokratie“, 1 5/16 Mai 1981, ZdK/Berichte und Dokumente, Bonn, Nr.47, pp. 24-25. 163. ZdK, „Erklärung zum Widerstandsrecht“, op. cit., p. 67. 164. Ibid., p. 65 (Traduction CG). 165. Ibid., p. 64. 166. Ibid., pp. 65-67. 235

167. „Kardinal Höffner : Gegen die Nachrüstung, kein Widerstandsrecht“, Tagesspiegel, 24 Sept. 1983 ; HÖFFNER, Kardinal Joseph, „Brief an die Priester und Diakone im Erzbistum Köln über den Frieden“, Amtsblatt des Erzbistums Köln, 123 Jg., 15 Sept. 1983, pp. 180-81. L’affirmation décisive de ce texte est la suivante : „Es würde sich für die staatliche Ordnung verhängnisvoll auswirken, wenn einzelne Gruppen ihre privaten Meinungen über Friede und Abrüstung für so absolut und einzig richtig hielten, dass sie gegen Andersdenkende Gewalt anwenden würden oder demokratische Mehrheitsentscheidungnen durch Widerstand zu Fall bringen suchten“, ibid., p. 181. 168. BÖCKLE, „Falschmünzerei“, op. cit. 169. Ibid. 170. „Erklärung von Mitarbeitern von Friedensorganisationen, die an dem Loccumer Gespräch teilnehmen wollten“, 24 Sept. 1983, in Probleme des Friedens, Heft3/1983, pp. 61-63 ; BDKJ, „Weiterer Rüstung entgegenwirken“, op. cit., pp. 55-56. Pax Christi Präsidium, Erklärung zu den Aktionen der Friedensbewegung, pp. 5-6 ; BK, „Widerstand“, op. cit., § 46 ; ce dernier conteste cependant la notion de « violence » retenue par les tribunaux. 171. GsF, p. 594. Cette affirmation fait écho à une proposition isolée antérieure : « Oeuvrer en chrétien pour la paix signifie... protester et résister de manière non-violente contre l’injustice dans les limites du droit », GsF, p. 588. 172. LANGENDÖRFER, Atomare Abschreckung, pp. 199-200 ; „Selig“, op. cit., p. 36. 173. RAWLS, op. cit., pp. 408-11. 174. Gemeinsames Wort des Vorsitzenden der DBK und des Vorsitzenden des Rates der EKD, 23 Nov. 1983, Pressedienst der DBK, Bonn. Sans se prononcer directement sur la question de la résistance ou de la désobéissance civile, les deux évêques concluent : „Verhandlungen sind das einzige Mittel, um Unterschiede und Meinungskonflikte beizulegen und dem Wettrüsten ein Ende zu bieten“. Dans le même sens, SCHMIDT, Helmut, Rede vordem Deutschen Bundestag, 21 Nov. 1983, in Die Nachrüstung im Bundestag, p. 94. 175. RENTDORFF, op. cit., p. 30. 176. BUCHHEIM, Hans, „Die totalitäre Bedrohung des Menschen, eine Besinnung in Rückblick auf das Jahr 1933“, Vortrag vorder Vollversammlung des ZdK, 29/30 April 1983, ZdK/Berichte und Dokumente, Nr.53, Bonn, März 1983, p. 53. 177. Cette approche est caractéristique des déclarations du ZdK : par exemple, ZdK, „Zur aktuellen Friedensdiskussion“, op. cit., pp. 2-8 ; „Der Wehrdienst“, op. cit., pp. 77-80 ; BUCHHEIM, op. cit., pp. 52-54. 178. Le lien entre décision de stationnement des euromissiles et ancrage culturel et politique est particulièrement apparent dans les discours de la majorité gouvernementale devant le Bundestag les 21-22 novembre 1983 ; KOHL, op. cit., pp. 11-32 ; WAIGEL, op. cit., pp. 82-83. 179. La plupart des analystes font dater le ralliement du SPD au modèle de la démocratie libérale au programme de Godesberg (1959). Cependant, dès 1949, tous les partis fondateurs souscrivaient aux principes de l’ordre démocratique ouest-allemand ; WEIDENFELD, Werner, « Intégration européenne et réunification de la nation », Documents, Mars 1982, pp. 14-15. 180. Erklärung der DBK, „Gegen Gewalttat und Terror in der Welt“, 27 Sept. 1973 ; Erklärung der Vollversammlung der DBK zum Terrorismus, 21 Sept. 1977, in Katholische Kirche im demokratischen Staat, pp. 136-41, 181-97. 181. FENEBERG, op. cit., pp. 13, 11-12, 177-94. 182. Les auteurs de La dissuasion civile reprennent une formule de Gene Sharp : la défense civile non-violente est une « défense démocratique de la démocratie », ibid., p. 48. 183. Ibid., pp. 43, 128. 184. EBERT, Theodor, Ziviler Ungehorsam, Waldkirch, 1984, p. 255 ; „Die wehrpolitische Lücke im Programm antikapitalistischer Strukturreformen“, in Soziale Verteidigung, Bd. 1, pp. 29-43 ; „ Verteidigungspolitik aus der Sicht der Ökologiebewegung“, in ibid., pp. 129-44. Cette tendance 236

comporte le risque d’attribuer à l’éventualité de la déstabilisation de la démocratie interne et à l’agression extérieure de la part de pays alliés et ennemis une probabilité et une incidence identiques ; voir EBERT, Gewaltfreier Aufstand, Alternative zum Bürgerkrieg, Waldkirch, Waldkircher Verlag, 1983, pp. 12-83, 208-11. 185. L’expression est originellement de Carl Schmitt, Der Begriff des Politischen, München/Leipzig, Duncker & Humblot, 1932, p. 14. Elle est reprise par Julien Freund comme l’un des trois présupposés du politique, FREUND, L’essence du politique, pp. 94-100, 442-49. 186. ROVAN, Joseph, « Nation, Etat, patrie dans l’histoire allemande », Documents, juin 1983, p. 78 ; De Sà REGO, op. cit. ; FREUND, op. cit., pp. 291-300. 187. De Sà REGO, op. cit., pp. 142-53 ; SAUZAY, op. cit., pp. 43-64. 188. Le refus de l’impôt de Mgr Hunthausen a maintes fois servi d’exemple, dans les milieux catholiques aussi bien que séculiers ; par exemple, IKvu-Delegiertenversammlung, „Wiederstand gegen den Götzen Rüstung“, op. cit., p. 1 ; KELLY, op. cit., p. 259 ; MULLER, Jean-Marie, « L’archevêque contre la bombe », La Croix, 26 sept. 1981. 189. C’est le reproche qu’adresse Mme Hamm-Brücher (FDP) à l’ensemble du mouvement de paix ; HAMMBRÜCHER, Rede vor dem Deutschen Bundestag, in Die Nachrüstung im Bundestag, p. 196. 237

Chapitre VII. A la recherche d’une éthique des relations internationales

1 Les propositions des épiscopats en matière de « promotion de la paix » ne sont pas sans lien avec leur attitude à l’égard des théories alternatives de la défense et avec la conception de l’Etat et de la démocratie qui se laisse percevoir à travers leurs documents. A la recherche d’une éthique des relations internationales qui permette de sortir de l’impasse de la dissuasion, les évêques s’orientent dans deux directions : d’une part la définition des conditions de la détente entre les blocs, de l’autre la construction de l’ordre international sur la base d’une éthique et d’une organisation communes. Dans la première direction, qui relève du domaine politique, on retrouve la même attitude prudente et réservée que l’on a pu noter dans la discussion de la non-violence. Dans la seconde au contraire, qui met en jeu le monde des valeurs, les propositions épiscopales sont beaucoup plus ambitieuses. Ce contraste ne peut manquer de susciter une interrogation : les évêques ne font-ils pas de l’éthique et du politique deux domaines séparés, alors qu’il conviendrait de définir une éthique qui pénètre au sein même du politique afin de le transformer ? Cette question sera étudiée à partir de l’analyse du concept de « dialogue », repris du discours pontifical dans les trois documents épiscopaux, puis de l’application qu’ils en font aux relations Est-Ouest. Bien sûr, les divergences entre conférences épiscopales trouvent ici encore leur retentissement, qu’il faudra mettre en lumière. L’élucidation du concept de « dialogue » constituera un préalable à l’évaluation de leurs propositions.

I. Les présupposés du dialogue

2 Les fondements du dialogue auquel se réfèrent les évêques ne sont pas définis dans les lettres pastorales. Toutefois, dans la mesure où les trois textes s’appuient largement sur le discours pontifical, il est possible d’en dégager les présupposés communs. Pour Jean- Paul II, le dialogue est ancré dans un donné ontologique, dont se déduit une philosophie nettement optimiste. De son incompatibilité radicale avec la violence, il ne faudrait cependant pas conclure que toute forme de lutte en soit absente. 238

1. Présupposés ontologiques

3 Ces présupposés, qui ne sont pas une nouveauté dans le discours catholique, sont explicités avec une clarté toute particulière dans le message pontifical pour la journée de la paix 1983. Jean-Paul II affirme que la possibilité d’un « dialogue pour la paix » repose sur « la considération de la nature profonde de l’homme ». Nul besoin pour cela d’une référence de foi particulière, même si elle peut constituer un point d’appui supplémentaire. « La confiance dans l’homme, dans sa capacité d’être raisonnable, dans son sens du bien, de la justice, de l’équité, dans sa possibilité d’amour fraternel et d’espérance, jamais totalement pervertis » permettent de miser sur le recours au dialogue ou sur sa reprise s’il a été interrompu1. Une certaine vision de l’homme, qui va au-delà de l’universalité de la raison, explique que puisse s’établir l’intersubjectivité qui permet l’éclosion du dialogue. La nature sociale de l’homme2 fait que le dialogue est un élément constitutif de son existence.

4 L’anthropologie de Jean-Paul II ne remet pas en cause les postulats classiques de la loi naturelle, sur lesquels, selon la vision catholique, doit continuer à se baser l’organisation juridique et politique de la société. « Dans la variété et la mutabilité des conditions historiques », le droit naturel assure aux systèmes juridiques – nous pourrions ajouter politiques – « leur valeur éthique, leur perfectibilité continue et leur communicabilité croissante en vue d’une civilisation s’étendant toujours plus jusqu’à la civilisation universelle »3, affirme-t-il. Dans son esprit, ces valeurs communes sur lesquelles pourrait reposer la civilisation universelle, sont très semblables aux principes édictés par la Déclaration des droits de l’homme de 1948 et les pactes subséquents4.

2. Une philosophie optimiste

5 La référence à une loi naturelle permet en premier lieu de stipuler que, malgré l’existence de « tensions, oppositions et conflits », quelque chose « reste commun aux hommes »5. C’est pourquoi, même en présence des difficultés apparemment les plus infranchissables, il ne faut pas renoncer au dialogue. Dans un discours repris par les lettres pastorales française et américaine, le pape va très loin dans ce sens en préconisant un « dialogue lucide », même « lorsque les situations politiques apparaissent les plus bloquées, lorsque la communication devient presque impossible de pays à pays et de bloc à bloc, lorsque les institutions internationales sont paralysées avec la menace constante d’une accélération de la course aux armements »6. Le dialogue est « un pari sur la sociabilité des hommes, sur leur vocation à cheminer ensemble, avec continuité, par une rencontre convergente des intelligences, des volontés, des cœurs, vers le but que le Créateur leur a fixé : rendre la terre habitable pour tous et digne de tous »7.

6 Dans le dialogue pour la paix, l’idée de l’existence d’une « famille humaine » joue un rôle important. Sur la base de ce postulat d’origine à la fois théologique et philosophique, Jean-Paul II n’a de cesse de rappeler l’existence d’un « bien commun international »8. C’est autour de ce « bien commun universel », déjà longuement évoqué dans “Gaudium et Spes” et “Pacem in Terris”9, que pourront et devront se concentrer les efforts de dialogue pour la paix. Paix, dialogue, droits de l’homme sont les trois composantes essentielles autour desquelles se structure la pensée de Jean-Paul II sur les relations internationales.

239

3. Dialogue et violence

7 Par définition, le dialogue exige « l’ouverture » et « l’accueil de l’autre »10. Il suppose le droit de l’autre à être reconnu comme interlocuteur valable, porteur d’idées, d’aspirations, d’espérances, qu’il doit pouvoir exprimer pour advenir à sa liberté11. Tout rejet du dialogue porte en lui les prémisses d’une violation des droits de l’homme car il refuse à l’autre cette reconnaissance. Il est en même temps rupture d’une fraternité et donc rupture de la paix12.

8 Mais si le dialogue est véritablement un donné ontologique, la violence est un mensonge car elle va à rencontre de la vérité… de notre humanité. La violence détruit ce qu’elle prétend défendre : la dignité, la vie, la liberté des êtres humains. La violence est un crime contre l’humanité, car elle détruit le tissu même de la société13.

9 De leur côté, les évêques allemands affirment : « Le respect du droit du prochain reste une exigence minima de l’amour » (GsF, p. 583). Et dans un développement qui réunit un certain nombre de considérations anthropologiques préalables à la discussion de la politique de sécurité, ils précisent : Il n’est pas indifférent de savoir comment l’autre homme, l’autre peuple, l’autre Etat est considéré. Quiconque est en mesure de voir en autrui, même dans l’adversaire, un homme égal à lui, un être humain responsable sur le plan moral, ne cessera jamais d’aller au-devant de l’autre, d’être attentif à ses conceptions et intentions. Il orientera également sa propre politique vers la « règle d’or » du Sermon sur la Montagne. « Ainsi tout ce que vous vouiez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-même pour eux » (Mt 7,12). Une telle politique de paix, qui se laisse guider par les exigences de Jésus, accorde à autrui, et même à l’adversaire, des possibilités de se convertir et d’apprendre ensemble (GsF, p. 582).

10 Cette attitude oblige à opérer une distinction entre l’ennemi en tant qu’interlocuteur mû par des prétentions, des aspirations, des sentiments humains, et le système politique ou idéologique qu’il incarne. Quel que soit le jugement que l’on porte sur ce dernier, les individus qui en sont les représentants – et peut-être les victimes – ne doivent pas cesser d’être considérés comme des êtres humains. Ici, l’objectif est similaire à celui de la politique qui, tout en cherchant à conduire l’adversaire à réviser son attitude, préserve son droit absolu d’exister14. Gandhi utilisait dans ce contexte le concept d’“ahimsa”, qui désigne non seulement une volonté de respect de la personne de l’ennemi, mais une attitude positive à son égard, qui doit l’amener à changer de comportement15. Le rapport établi devait permettre à la « force de la vérité » ou “satyagraha” de s’imposer16. Ceci implique, certes, une disposition de l’adversaire à reconnaître ses torts, mais aussi, de la part des deux parties, une ouverture propre à autoriser le processus d’« apprentissage » que suppose la recherche de la vérité17.

11 Cependant, le risque que l’une des parties s’arroge le monopole de la vérité, tendance qui fut reprochée à Gandhi, reste constamment présent. Pour éviter cette dérive fatale, il est nécessaire de prendre conscience du fait que tout dialogue n’est pas à deux, mais à trois termes, car en plus des partenaires, il implique une commune référence aux valeurs. En effet si le dialogue aboutissait à la victoire d’une pensée sur une autre, il n’échapperait pas à la catégorie de la violence. Il faut donc que les dialoguants reconnaissent explicitement ou implicitement une vérité et une justice qui leur sont à la fois transcendantes et 240

virtuellement immanentes, qui peuvent transformer leur moi du dedans, tout en promouvant leur personne18.

12 Cette constatation du philosophe personnaliste Jean Lacroix est développée avec une clarté toute particulière dans les réflexions de Paul Ricoeur sur le comportement éthique 19.

13 Plutôt que : de partir d’impératifs a priori – impératif formel kantien ou corps de règles relevant du droit naturel –, Ricoeur constate à l’origine l’existence du désir humain, qui est d’abord désir de liberté. Mais la liberté du sujet, du « je », n’est pas immédiate, sauf peut-être dans sa forme négative, comme l’expérience de l’inadéquation qu’elle perçoit entre son désir d’être et sa réalisation effective. Sous sa forme positive, elle doit toujours être attestée par un acte qui témoigne du « je peux ». Dans l’ordre de l’action, le « je » est situé face à un « tu » dont il reconnaît le désir de liberté comme condition de sa propre liberté, mais qui s’affronte en même temps à son propre désir de liberté. Entre le « je » et le « tu » un troisième terme est nécessaire : c’est le « il », qui constitue la « règle ». Remarquons que ce « il » n’est pas totalement neuf, il n’est pas le produit d’une pure intersubjectivité, car toute situation de communication est déjà moralement marquée. Il repose plutôt sur une sédimentation, résultat de la totalité des événements antérieurs, qui trouvent leur résonance dans des valeurs. Dans un certain sens, le « il » correspond à ce que Hegel appelait l’« esprit objectif »20.

14 Sa fonction éthique est de faire émerger un « valable » qui soit différent de chacun des « désirables » particuliers du « je » et du « tu ». Ce « valable » ne doit pas être réduit au plus petit dénominateur commun des deux « désirables » antagoniques. Il ne relève pas du compromis, mais représente des exigences intangibles que seul le « il », le tiers aura pu faire apparaître21. Alors que le « désirable » renfermerait chacun dans sa propre singularité, le « valable » permet la communication. Il implique la reconnaissance de l’autre. Ainsi, les valeurs apparaissent-elles comme quasi objectives, transcendantes à la fois par rapport aux subjectivités particulières du « je » et du « tu » et à leur intersubjectivité22.

15 Par rapport à l’essentialisme ou au nihilisme moral, la théorie de Ricoeur possède des qualités non négligeables : 1) Elle ne postule pas une séparation entre la subjectivité du désir et l’objectivité d’une loi naturelle ou d’un impératif formel qui lui serait opposé. Au contraire, chez lui c’est le désir qui, confronté à un autre désir, s’objective en « valable » intersubjectif. Ricoeur ancre l’acte éthique dans l’ontologie humaine, sans postuler d’obligation a priori. Le désir du « je » ne saurait être absolu, sous peine de mener à sa destruction totale. Comme l’affirmait Hegel : « Je suis un être pour soi qui n’est pour soi que par un autre »23. L’établissement du dialogue suppose l’acceptation préalable de ce postulat. 2) La théorie ricoeurienne montre qu’il n’y a pas d’éthique, qu’il n’y a pas de valeurs définies hors de l’action. L’éthique est avant tout une “praxis”, qui naît de l’intercommunicabilité entre les hommes, à partir de la confrontation de leurs désirs sur un objet concret, matériel ou immatériel.

16 Quel rôle le concept d’« amour de l’ennemi », fréquemment utilisé dans les milieux chrétiens au cours du débat des années 1980-83 sur les armements, peut-il jouer dans ce contexte ? Sans adhérer à une non-violence de type gandhien, nombre d’auteurs reconnaissent que « l’amour de l’ennemi, dans la mesure où il évite que surgissent des situations de ressentiment profond entre adversaires, constitue la disposition optimale pour l’apprentissage cognitif »24. Toutefois, ce terme, que les évêques allemands ont repris probablement sous la pression des mouvements de paix, est ambigu. Parler 241

d’« amour de l’ennemi » ne peut être que l’expression d’une affirmation de foi25, du moins si on le comprend comme un renoncement à toute exigence à l’égard de l’adversaire, « ce qui retire de fait à celui-ci toute possibilité d’imposer ses droits en tant qu’ennemi »26. Cette vision semble peu compatible avec l’approche ricoeurienne qui, loin de préconiser de la part du « je » l’abandon de son « désirable » devant les exigences de l’autre, suppose une sublimation des deux « désirables » en un « valable » qui leur est supérieur.

17 Tout comme le moraliste Wilhelm Korff, les évêques ne peuvent cautionner une telle transposition politique de l’« amour de l’ennemi ». L’ensemble de leur développement, au premier rang duquel le jugement sur la dissuasion nucléaire, montre qu’ils n’entendent pas renoncer à toute prétention de droit. D’autre part, ils ont tenu à se distancer dès le début de leur texte d’une pure « éthique de conviction » appuyée sur la lettre de l’Evangile. Dès leur entrée en matière, ils mettent en garde leurs lecteurs contre une interprétation littérale de la Bible qui ferait fi de l’expérience historique (GsF, pp. 569, 570). Par la suite, ils affirment que Ce serait donc une méprise que de vouloir organiser et ordonner la vie socio- politique directement selon les principes du Sermon sur la Montagne… C’est pourquoi l’Eglise ne peut présenter les enseignements du Sermon sur la Montagne comme des normes suffisantes pour l’action politique, qui seraient obligatoires par elles-mêmes, sans considération des circonstances et des biens à assurer… Les enseignements du Sermon sur la Montagne ne sont justement pas des lois qui peuvent être appliquées de façon schématique (ibid., p. 573).

18 Pourtant, ils n’en déclarent pas moins que pour les chrétiens, l’impératif des enseignements de Jésus est valable aux divers niveaux de la vie sociale, et jusque dans les conséquences politiques (ibid.).

19 La clé est un recours à l’esprit du Sermon sur la Montagne plutôt qu’à sa lettre (ibid.). Il s’agit non pas d’énoncer « les conditions idéales d’un avenir lointain » en élaborant le schéma d’un monde utopique dont aurait disparu toute violence, mais d’influer sur les conduites politiques en montrant que le Sermon sur la Montagne peut commencer à agir « ici et maintenant » (ibid.). Cependant, dans la pratique, l’usage que font les évêques allemands du concept d’« amour de l’ennemi » reste flou. S’il se réduit à un refus d’anathématiser l’adversaire, ou même s’il indique une simple ouverture d’esprit, il n’a rien de spécifiquement évangélique.

20 Certains analystes politiques ont fait remarquer à ce propos que le précepte évangélique de l’amour de l’ennemi (Mt 5,44 ; Lc 6,27) concernait non pas les ennemis politiques mais seulement les ennemis personnels ou privés. Ainsi, une traduction correcte du texte biblique exigerait-elle une distinction entre les termes latins d’“inimicos” (ennemi personnel) et “hostes” (adversaire politique), le précepte évangélique se rapportant seulement au premier27. Il serait donc faux de vouloir appliquer des normes éthiques identiques aux comportements personnels et aux comportements politiques. Mais les évêques ne pouvaient le concéder ouvertement sans paraître remettre en cause le discours catholique traditionnel sur l’unicité de l’éthique28.

21 Les réflexions de certains chercheurs sur la défense non-violente qui, de plus en plus, renoncent à se référer directement aux principes évangéliques, peuvent fournir un embryon de solution.

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4. Dialogue et conflit

22 Pour le chercheur britannique W.R. Miller, il serait erroné de confondre l’attitude non- violente avec l’amour du prochain. Si celui-ci peut en être une motivation, elle ne lui est pas identique. La non-violence est « une manière de mener un conflit social qui est compatible avec l’amour »29. Jean-Marie Muller souligne que si l’amour de l’ennemi se manifeste, c’est plutôt négativement – ne pas porter atteinte à l’ennemi dans sa dignité d’homme – que positivement30. La non-violence n’abolit pas le conflit, elle est bien plutôt une manière de le gérer. De même, le dialogue, en ce qu’il s’efforce d’établir un rapport non-violent avec l’adversaire, ne supprime pas l’antagonisme. Paradoxalement, la philosophie sous-jacente à la non-violence « politique » se rapproche davantage de celle de Hegel, pour qui la communication et le respect entre les hommes procéderont toujours d’une lutte permanente pour la reconnaissance, que de celle de Kant, pour lequel cette communication et ce respect naîtront d’un « accord volontaire des libertés », d’une „Hospitalität“ mutuelle31. Le détour hégélien permet de mettre en lumière certains aspects du conflit qui n’apparaissent pas directement dans l’approche de Ricoeur. « Toute liberté ne peut exister que dans sa relation avec d’autres libertés »32, tel est le postulat de base des théories aussi bien hégélienne que ricoeurienne. Le désir d’être reconnu, qui préside à la liberté du « je », entre en conflit avec le désir concurrent du « tu », et c’est de là que naît la lutte.

23 Sur le plan de la pratique politique, l’articulation du dialogue au sens strict, de la parole, et de la contrainte, devient alors particulièrement délicate. Dans une situation de conflit exacerbé, le dialogue qui vise à la persuasion de l’adversaire n’est plus suffisant. La vérité seule ne fait pas cesser le mal. Ainsi, pour Jean-Marie Muller, à un certain degré de confrontation, une forme de contrainte devient nécessaire33 : Il ne s’agit pas seulement de faire appel à la conscience de l’adversaire, afin qu’il se convertisse, il s’agit aussi de le contraindre soit à ce qu’il ne fasse pas ce qu’il veut faire, soit à ce qu’il fasse ce qu’il ne veut pas faire, et cependant il s’agit bien de le contraindre sans violence. Il s’agit non seulement de tenter de le convaincre mais aussi de le vaincre, c’est-à-dire d’établir un rapport de forces en notre faveur qui l’oblige à céder34.

24 Poursuivant cette réflexion, les auteurs de l’étude française La dissuasion civile affirment : L’action non-violente recherche l’efficacité par la force ; elle se situe donc bien dans le registre de la lutte politique. Ce serait un contresens que de la réduire à une « protestation symbolique » ou à un « témoignage prophétique ». La stratégie de l’action non-violente vise à mettre en œuvre une force de contrainte qui oblige l’adversaire à renoncer à toute tentative d’agression ou de domination. Contrairement à ce que laissent entendre les caricatures qui en sont présentées, l’action non-violente ne cherche pas à convaincre l’adversaire mais à le contraindre35.

25 Dans son étude sur le soulèvement non-violent („Gewaltfreier Aufstand“), Theodor Ebert fait remarquer à juste titre que les deux éléments de « conversion » et de « coercition » sont présents dans toute action de lutte politique non-violente, mais alors que les artisans du soulèvement ou de la résistance insistent plutôt sur le premier, c’est le second que mettent en avant les titulaires du pouvoir en place, chacun cherchant à justifier sa position. Pour Ebert, les deux aspects sont essentiels au succès d’une stratégie d’action non-violente36. C’est encore aux auteurs de La dissuasion civile qu’il revient de résumer la nature de l’action politique non-violente : 243

L’action non-violente est… bien une lutte. Là encore, il serait illusoire de ne miser que sur le dialogue pour obtenir justice. Ce qui caractérise une situation d’injustice, c’est précisément l’impossibilité du dialogue entre les opprimés et les oppresseurs : c’est parce que le dialogue n’est pas possible que la lutte est nécessaire. Dans un tel conflit, la lutte doit créer les conditions du dialogue en obligeant l’autre à me reconnaître comme un interlocuteur nécessaire sinon valable. S’il est souhaitable que tout conflit s’achève par des négociations, celles-ci ne peuvent permettre une solution juste que si la lutte a permis de changer le rapport de forces entre les deux parties37.

26 Mais alors, dira-t-on, la différence qui demeure entre l’action non-violente et l’action violente est-elle significative ? Que devient le respect des droits de l’autre ? Hannah Arendt fait objection aux théories de la coercition non-violente en remarquant que si le droit à la vie de l’adversaire est respecté, c’est à l’exclusion de tous ses autres droits38. Jean-Marie Muller admet qu’il existe une parenté étroite entre la violence et la non-violence et que la seconde ne peut jamais abolir totalement la première, même si elle peut la réduire considérablement39. Pourtant, il existe une différence qualitative entre les deux termes, dont Paul Ricoeur nous fournit le critère distinctif : « La visée de la violence, le terme qu’elle poursuit implicitement ou explicitement, directement ou indirectement, c’est la mort de l’autre – au moins sa mort ou quelque chose de pire que la mort », qui est l’avilissement de l’autre, la destruction de ce qui, au-delà de sa vie, fait sa dignité d’être humain40. Au contraire, la lutte non-violente renonce à toute destruction de l’autre.

27 Comme chez Hegel, le processus est une dialectique, dans laquelle la lutte et la reconnaissance sont deux moments successifs d’un mouvement permanent qui permet une réorientation constante de la relation entre les deux adversaires. Plutôt que de s’exclure, ces deux moments sont indispensables l’un à l’autre. Chez les partisans de la défense non-violente, l’élément essentiel tient à ce que la contrainte, si elle peut être nécessaire à l’origine, n’est pas l’objectif visé mais le moyen d’amener l’adversaire au dialogue. Dans la mesure où ce dernier reste reconnu dans sa dignité d’être humain, même si la communication est objectivement inexistante à un moment donné, elle est toujours hypothétiquement possible, parce que le droit de l’autre conserve une validité intangible.

28 Au-delà de leur valeur heuristique, les termes de ce débat peuvent-ils avoir une application dans la pratique politique ? Les rapports entre communautés politiques semblent marqués plus souvent par le moment de la lutte que par celui de la reconnaissance. La volonté de puissance, la méfiance réciproque ne sont-elles pas des obstacles insurmontables qui donneront éternellement raison à Calliclès sur Socrate, la reconnaissance ne pouvant alors qu’être l’acceptation par le plus faible du « diktat » du plus fort ?41

29 Les buts politiques du « dialogue » ne devraient-ils pas se limiter à une simple gestion des épiphénomènes de la confrontation entre les deux principaux adversaires, au premier rang desquels une course aux armements qui acquiert des proportions démentielles, et ceci, sans que la nature du conflit en soit changée ? Ou au contraire, la reconnaissance doit-elle aller jusqu’à une nouvelle synthèse des besoins, des intérêts, des aspirations des adversaires qui entraînerait une modification radicale du système des relations internationales ?

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II. Le dialogue politique : détente ou changements structurels ?

30 Très souvent, on assimile le terme de « dialogue » à celui de « détente » dans le cadre du conflit Est-Ouest, alors même que tous deux sont dotés d’une grande variété de définitions. Adoptée comme politique officielle de l’OTAN dans le Rapport Harmel de 1967 42, la « détente » s’est vu attribuer depuis lors des priorités et des contenus différents dans la politique des pays de l’Alliance atlantique, sans parler des divergences qui existent à son sujet entre les blocs. Pour l’Occident, il s’agissait d’abord d’éliminer les excès les plus dangereux de la course aux armements, alors que, pour le camp socialiste, la priorité était l’établissement d’un dialogue politique sur l’ensemble des questions de paix et sécurité en Europe43, une exigence soulevée sans répit depuis les années 1950. Dans ce cadre, la question des frontières issues de la guerre et plus spécifiquement, la « question allemande » jouaient un rôle primordial. Jusqu’au début des années 1970, la discussion sur la détente s’articulait autour de trois pôles : les traités de paix, qui devaient résoudre définitivement la question des suites politiques de la guerre, le problème de la réunification de l’Allemagne et la question de l’armement. La signature des traités de renonciation à l’usage de la force entre l’Allemagne fédérale et l’URSS (12 août 1970) d’une part, la Pologne d’autre part (18 novembre 1970), la conclusion de l’accord des quatre puissances sur Berlin (3 septembre 1971) qui permit aux deux Allemagne de signer à leur tour un accord sur le transit vers et en provenance de Berlin, et enfin le „Grundvertrag“ (21 décembre 1971) entérinant l’existence et la reconnaissance mutuelle des deux Etats dans leurs frontières issues de la guerre, modifièrent sensiblement les données du problème. Il devenait possible de parler de détente en Europe sans que soit remis en cause le statu quo territorial. Cependant, ceci ne permettait pas de décider a priori si la détente devait se limiter aux facteurs militaires ou au contraire inclure une discussion beaucoup plus radicale sur la divergence des systèmes politiques de l’Est et l’Ouest.

A. Les objectifs du dialogue

31 Lorsque l’OTAN décida en 1967 de faire de la détente la « seconde fonction » de la politique de l’Alliance, elle ne précisa pas comment celle-ci allait s’agencer avec son premier objectif, celui du maintien d’une politique de sécurité basée sur les moyens militaires de la dissuasion. La détente se voyait assigner le but de « progresser vers l’établissement de relations plus stables qui permettront de résoudre les problèmes politiques fondamentaux »44. Projet ambitieux, que la pratique devait réduire à des dimensions beaucoup plus modestes, du moins si l’on constate la persistance des divergences entre les modèles économiques et sociaux.

1. Les buts politiques

32 Sur le même mot d’ordre du couplage entre la détente et la dissuasion furent menées des politiques sensiblement différentes selon les coalitions en place. Donnons-en un bref aperçu avant de revenir à la question de compatibilité de manière plus théorique.

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a. La variété des conceptions

33 Dans le cadre Est-Ouest, « l’Ostpolitik » du SPD fut certainement la tentative la plus poussée pour faire de la détente la priorité incontestable de la politique de sécurité. Elle prenait le contre-pied de toute la politique de lien entre la détente et le règlement de la question allemande, activement pratiquée par la CDU dans les années 1955-58, puis 1963-6745. Reposant sur l’acceptation du statu quo territorial, elle faisait des « deux piliers » de la détente et de la dissuasion les bases de la politique de sécurité46.

34 Dans ce cadre émergèrent deux concepts spécifiques. Le premier est celui de „Sicherheitspartnerschaft“ (« partenariat de sécurité »), qui postule une indivisibilité de la sécurité entre l’Ouest et l’Est ou, selon une interprétation plus restrictive, la possibilité de mesures qui, en accroissant la sécurité d’une des parties, ne diminuent pas celle de l’autre. Ce concept avait un sens en particulier dans le contexte européen dans la mesure où il aurait permis d’envisager une certaine indépendance de la sécurité européenne vis- à-vis de l’action des deux grandes puissances47. Le second concept, celui de „Wandel durch Annäherung“ (« changement par le rapprochement ») introduit par Egon Bahr en 196348 impliquait une transformation à long terme, par doses quasi homéopathiques, des structures sociales, politiques, économiques et idéologiques de l’Est et de l’Ouest. Le caractère progressif de l’évolution permettrait d’éviter de susciter une réaction brusque de la part d’une Union soviétique qui, à l’inverse, risquerait de se sentir menacée par des changements violents.

35 Toute politique qui se fixe pour objectif une transformation forcée du système de l’adversaire, que ce soit par des moyens militaires ou des pressions économiques, est en effet vouée à l’échec49. Plutôt que d’accroître la sécurité mutuelle par réduction de la menace, elle risque d’inciter l’adversaire à renforcer la fermeture de son système politique et à répondre éventuellement par l’accroissement d’un potentiel militaire déjà sur-valorisé en tant qu’élément de la politique de sécurité. Lorsque la détente devient politique de « subversion », elle n’assure plus la sécurité d’aucun des deux adversaires ; elle les met au contraire en danger50.

36 C’est pourtant en ces termes que les gouvernements occidentaux avaient compris la politique de détente dans les années 1963-6751 et c’est pour partie ainsi que continuait à l’interpréter la CDU en 1983. Dans la mesure où l’entière responsabilité des tensions est imputée au bloc socialiste, seul un changement en profondeur de celui-ci pourra amener la fin de la confrontation52. Inversement, les concepts de „Wandel durch Annäherung“ et de „Sicherheitspartnerschaft“ sont très contestés à droite. S’il est vrai, comme le déclare Theodor Waigel, que les Allemands de l’Ouest vivent « sur la ligne où se font face la liberté et l’absence de liberté », tout compromis est impossible. « Toute solution intermédiaire serait au désavantage de notre ordre de valeurs, et c’est fondamentalement ce qui rend le concept de „Wandel durch Annäherung“ du collègue Bahr irréaliste et dangereux »53. D’autre part, s’il s’avère que « l’URSS pense… exclusivement dans les termes agressifs de son propre besoin de sécurité, qui ne recherche pas l’équilibre mais la domination », qu’elle déclare sa sécurité comme « le sanctuaire, le saint des saints », un réel « partenariat de sécurité » avec Moscou est impossible54. De la même manière, Alois Mertes dénonce les tentatives d’utilisation d’une formule jusque-là réservée aux relations entre membres de l’Alliance atlantique pour caractériser les rapports entre deux systèmes radicalement différents. La tentation du « neutralisme politique » qu’elle renferme serait un grand danger pour l’avenir de l’Allemagne55. Au concept social- 246

démocrate de « partenariat de sécurité », la CDU oppose celui de « sécurité égale » qui, dans la configuration militaire du début des années 1980, signifie le rétablissement, grâce aux euromissiles occidentaux, de l’« équilibre » rompu par le stationnement des SS 2056.

37 Mais c’est bien aussi au nom de sa politique des « deux piliers » que le SPD avait entérinée en 1979 la « double décision » de l’OTAN : offre de négociations d’une part, résolution à ne pas sacrifier sa propre sécurité de l’autre57. La critique a fait remarquer la contradiction de cette attitude, qui pose la question de compatibilité logique et politique entre armement et détente58.

b. Détente et dissuasion

38 Dans une perspective diachronique, la relation entre les deux termes peut apparaître sous trois approches différentes. Dans la première, politique de sécurité militaire au plan interne et politique de détente au plan international sont vues comme deux orientations à long terme, la nature du conflit entre les deux antagonistes n’étant remise en cause ni par l’une ni par l’autre. La détente ne pourrait donc aboutir qu’à une stabilisation des effets du conflit, sans impact sur ses causes. Selon la seconde, leur simultanéité serait réduite à une phase initiale qui servirait à tester la solidité de la détente, sans renoncer dès l’origine à une garantie militaire. A mesure que la confiance entre les deux adversaires se renforcerait, la politique de sécurité militaire devrait peu à peu céder le pas à un élargissement du champ de leurs relations au-delà du strict domaine de l’équilibre des armements. La troisième approche, qui pousserait à terme ce processus, verrait une simultanéité temporaire et strictement limitée de la détente et de la dissuasion comme un épisode intermédiaire qui permettrait une restructuration totale du système de la course aux armements vers un ordre de paix démilitarisé59.

39 La première approche donne en fait à la détente un contenu très proche de la conception soviétique de la « coexistence pacifique », pour laquelle il n’a jamais été question d’aplanir les différences entre deux systèmes sociaux et politiques. Au contraire, il ne s’est jamais agi pour l’URSS d’autre chose que d’une double stratégie ouvertement déclarée, selon laquelle la renonciation à la violence dans les relations interétatiques et une coopération dans des domaines particuliers vont main dans la main avec l’élargissement de sa sphère d’influence sociale, c’est- à-dire le soutien aux mouvements révolutionnaires indépendantistes et de libération accompagné d’un renforcement de la lutte idéologique60.

40 Lorsque le gouvernement allemand cherche à limiter la détente aux relations entre Etats et à l’exclure entre systèmes de sociétés, à la réduire à un modus vivendi61, ses objectifs ne diffèrent guère de ceux des dirigeants soviétiques. Il faudrait peut-être cependant, comme le préconise Johan Galtung, faire la distinction entre une coexistence positive, qui implique un certain degré de coopération, surtout dans les domaines économiques et culturels, et une coexistence passive ou négative qui se limite à une ignorance mutuelle62. Dans le premier cas, on ne peut exclure dans un horizon lointain un élargissement de la zone de travail en commun, alors que dans le second, toute évolution devra être précédée du laborieux processus d’établissement du dialogue.

41 C’est dans la perspective d’un élargissement du concept de sécurité au-delà de la seule composante militaire que le SPD a tenté dans les années 1970 d’orienter sa politique selon la seconde conception. Tout en proclamant son attachement à l’Alliance, il a toujours refusé de s’assigner pour unique objectif la stabilisation de l’équilibre militaire. Une réduction réelle des potentiels, qui entraînerait éventuellement, à terme, une 247

modification des relations entre les blocs, est constamment demeurée à son programme63. Qu’il ne soit pas parvenu, dans la pratique, à des solutions aussi radicales que l’aurait souhaité la gauche du parti est autant un signe du manque de cohésion social-démocrate sur la politique de défense – qui n’a cessé de s’accroître après la « double décision » de l’OTAN – que de 1’étroitesse de la marge de manœuvre de la politique étrangère allemande, prise entre la fidélité à l’Alliance atlantique et le désir d’apaiser les tensions sur la frontière de l’Est.

42 La politique de détente menée de concert par l’Est et l’Ouest pendant la première moitié des années 1970 n’est pas restée totalement sans résultats. Ses répercussions furent considérables, en particulier pour l’Allemagne, dans les domaines économiques et humains. Sur le plan strictement militaire, on s’entendit pour éviter les débordements les plus dangereux grâce à la maîtrise des armements. Mais la compétition armée n’en fut pas endiguée pour autant. Elle reprit dès le milieu des années 1970 avec l’accélération de la politique d’armement nucléaire soviétique et s’exacerba avec l’accroissement des tensions en 1979-80. Les accords passés au cours des années 1970 dans un secteur marginal, aussi bien géographiquement (l’Europe), qu’en termes de domaines concernés (économiques, relations humaines, armes nucléaires stratégiques) restèrent sans incidence sur la configuration des relations entre les deux blocs. Il aurait d’ailleurs été surprenant qu’il en fût autrement, dans la mesure où ils reposaient sur la consécration du statu quo territorial issu de la seconde guerre mondiale, qui entérinait la séparation des deux modèles politiques et sociaux64. Plutôt que de rapprocher les deux systèmes, ils transférèrent leur confrontation hors du champ européen vers d’autres régions du monde.

43 La définition d’une stratégie qui, des mesures limitées de réduction des tensions dues à la course aux armements, permette de passer à une révision des relations entre l’Ouest et l’Est, nécessiterait un élargissement du concept de sécurité bien au-delà des seuls facteurs militaires. Elle exigerait également que l’on s’attaque aux causes profondes du conflit plutôt que de tenter d’en apaiser les conséquences les plus dangereuses au coup par coup.

2. Détente et changements structurels

44 A titre de préalable à leur analyse des propositions de l’épiscopat américain pour sortir de l’engrenage de la dissuasion, les chercheurs de la HSFK distinguent deux conceptions de la politique de maîtrise des armements. La première, qui a prévalu dans la pratique, « se fixe exclusivement pour but la stabilisation d’un système de dissuasion dont on est en train de perdre le contrôle ». Dans ce cas, « la limitation des armements reste soumise à la logique de la planification militaire ; elle doit simplement éliminer les excroissances de la dissuasion ». La seconde « va au-delà, dans la mesure où elle voit la maîtrise des armements comme une première étape sur la voie de leur réduction et finalement, du désarmement. La maîtrise des armements a alors pour objectif l’établissement d’un système de sécurité basé sur la coopération, qui doit fournir progressivement l’équivalent fonctionnel des mesures militaires ». Selon cette seconde conception, « la dissuasion militaire doit être subordonnée à la politique de limitation des armements et de détente » 65.

45 On retrouve ici les deux premières des trois approches de la détente évoquées plus haut. Les trois critères d’acceptabilité de la dissuasion énoncés par les conférences épiscopales : rejet des armes déstabilisantes, de la recherche d’une supériorité militaire, compatibilité 248

avec le désarmement, vont très nettement dans le sens de la seconde interprétation, qui fait de la détente non pas seulement un moyen, mais un objectif à long terme. La question du passage du premier au deuxième niveau reste cependant posée sur un plan pratique. La détente, entendue comme élimination des risques majeurs d’usage de la force peut-elle étendre ses conséquences jusqu’à la guérison des causes profondes du conflit ou est-elle vouée à ne rester qu’un palliatif ?

46 La réponse à cette question nécessite une analyse plus approfondie de la nature du conflit Est-Ouest que la plupart des chercheurs, et plus encore, des politiciens, ne la font habituellement. C’est seulement à partir d’une typologie des niveaux du conflit qu’il sera possible d’établir une hiérarchie des solutions selon les objectifs recherchés.

a. Les niveaux du conflit

47 En vue d’une réévaluation de la « double décision » de l’OTAN dans le contexte global des rapports Est-Ouest, le chercheur allemand Ernst-Otto Czempiel propose d’analyser le conflit entre les blocs comme un système pyramidal à quatre degrés. Son approche structurelle n’est pas destinée à avoir seulement valeur heuristique ; elle correspond aussi aux étapes d’un développement historique66. Selon son schéma, le bas de la pyramide, qui constitue le premier degré, représente le conflit originaire entre les deux systèmes ; il résulte d’une divergence fondamentale des conceptions de l’ordre social, économique et politique. Sur ce premier niveau se greffe une préoccupation de sécurité, qui se traduit concrètement par la crainte constante d’une attaque militaire de la part de l’adversaire. Cette préoccupation, et le conflit qui en résulte, n’existaient pas à l’origine : leur émergence date de la formation des deux blocs après la seconde guerre mondiale67. Le troisième niveau, apparu à peu près à la même période, mais distinct du précédent, correspond à la concurrence sans merci que se livrent les deux grandes puissances pour accroître leur influence dans le reste du monde. Le quatrième niveau, qui est aussi le plus récent, est celui par lequel se manifeste la course aux armements. Il n’est pas originaire mais dérivé, principalement à partir du second niveau. Bien que ses racines soient les moins profondes, c’est lui qui produit les tensions les plus sérieuses, contrairement aux conflits sous-jacents, dont les conséquences immédiates restent généralement peu sensibles68.

48 Si le conflit est défini comme une « différence des positions » entre les deux antagonistes 69, son intensité est d’autant plus grande que l’on descend du haut vers le bas de la pyramide, où les divergences sont les plus importantes. Inversement, il sera plus facile d’agir au niveau des manifestations ou des dérivations du conflit, en l’occurence, la course aux armements, qu’au niveau de ses causes profondes70. En conséquence, il est essentiel de ne pas confondre détente et éradication du conflit, comme ce fut souvent le cas dans les débats, en particulier aux Etats-Unis durant les années 197071. La détente, telle qu’elle a été mise en œuvre – et telle que l’auteur la conçoit à l’origine72 –, doit être prise dans sa signification très limitée de réduction de la tentation d’usage de la force, qui caractérise généralement l’émergence des tensions.

49 Sur le théâtre européen, l’auteur fait remarquer que le conflit n’eut jamais pour objet, depuis Yalta, une domination territoriale, la plus susceptible de conduire à l’utilisation de la force militaire, mais plutôt la lutte entre deux systèmes économiques, politiques et sociaux différents. Il n’était donc nullement nécessaire qu’il acquît la forme d’une compétition armée. En conséquence, aucun obstacle ne s’oppose, logiquement, à la 249

réduction de sa dimension militaire73. La première urgence est la redécouverte de sa dimension fondamentale, au-delà de toutes les excroissances qui ont pu s’y greffer74.

b. Les priorités

50 La redécouverte de la nature profonde du conflit passe en premier lieu par une redéfinition du concept de puissance („Macht“) dans les relations internationales. Trop souvent, celui-ci a été associé à la capacité de mise en œuvre de la force militaire75. Deux déformations en ont résulté : d’une part, la tentation d’associer puissance et capacité d’agression, de l’autre, celle de réduire le concept de sécurité à sa dimension militaire. Pour corriger la première distorsion, Czempiel propose de remplacer le concept de puissance par celui de „Nient-Anpassung“ (que l’on peut traduire par « non-soumission ») 76, qu’il définit comme le fait de « renoncer à imposer sa propre volonté à son entourage et au contraire, de limiter son effort à ne pas subir la domination d’une volonté étrangère ». Alors la composante traditionnelle, offensive, de la puissance, disparaît, sans porter préjudice à sa composante défensive77.

51 La résolution à ne pas perdre du terrain devant l’adversaire, tout en s’abstenant de le menacer, ouvre la possibilité d’une conception plus large de la sécurité qui incluerait aussi des facteurs idéologiques, sociaux et économiques78. Dans ces domaines, l’Ouest possède une supériorité incontestée. S’il les incluait dans le calcul de sa puissance, il n’aurait aucune raison de s’inquiéter devant un déséquilibre partiel à ses dépens dans certains secteurs de l’armement. Par ailleurs, du fait qu’il bénéficie du système le plus flexible, c’est à lui que revient la charge d’initier un processus de changement pour endiguer l’inutile course aux armements et ramener la préoccupation de sécurité à sa vraie dimension79.

c. La stratégie proposée

52 La stratégie que propose Czempiel est celle du « gradualisme », qui doit enclencher dans les relations entre les deux adversaires un processus de désescalade parallèle, mais de sens inverse à celui qui a permis la course aux armements. L’auteur en adopte une interprétation restrictive80, qui distingue nettement ses propositions de celles du désarmement unilatéral. Le processus commence, certes, par un geste à sens unique de la part du pays A, qui doit signaler à son adversaire B le sérieux de son intention de désarmer. En cas de réponse positive, c’est-à-dire d’une initiative correspondante de la part de B, A ferait un nouveau pas en avant pour inciter B à répondre à son tour, et ainsi de suite. En cas de réponse négative, A répondrait au contraire au refus de B en augmentant son niveau d’armement ou en renversant sa mesure de désarmement, montrant ainsi qu’il ne s’agit nullement pour lui d’une attitude de faiblesse81. Dans cette perspective, Czempiel considère la « double décision » de l’OTAN comme un progrès, dans la mesure où elle repose sur ce double mouvement de la menace et de la promesse82. Mais elle reste à ses yeux ancrée dans l’ancienne logique qui l’empêche déjouer le rôle de catalyseur du changement, essentiel au démarrage d’un processus de désarmement graduel83. Ce qui lui manque, c’est la capacité d’introduire des « changements structurels » („Systemwandel“), vers lesquels doit être orientée toute la stratégie du gradualisme.

250

d. La logique du changement

53 Dans la construction de Czempiel, le « système » est considéré à la fois dans sa composante interne et internationale. La stratégie proposée repose sur la valeur de « l’exemple », non pas par moralisme, mais au sens où l’action entreprise par l’initiateur démontrerait à l’adversaire que lui aussi a un intérêt à évoluer dans une direction parallèle, en l’occurrence, à dépasser une définition uniquement militaire de sa sécurité84. La rivalité entre les deux parties pourrait ainsi se déployer au niveau qui lui revient : celui de la compétition des systèmes politiques et sociaux, sans prendre nécessairement la forme d’une confrontation armée. L’intérêt à faire valoir aux yeux de l’adversaire serait avant tout de nature économique, la renonciation au surarmement permettant d’accroître le niveau de vie à l’Est sans restreindre sa puissance, simplement en la faisant changer de registre85. Il deviendrait alors évident qu’un accroissement de la sécurité pour les deux parties pourrait résulter d’une politique de désarmement et de détente.

54 Un des présupposés du modèle de Czempiel est l’existence d’une dépendance étroite entre la structure des systèmes internes et celle des relations internationales86. Il y aurait évolution des structures politico-économiques à l’Ouest et à l’Est, en même temps que transformation des relations entre les blocs, le mouvement étant lancé unilatéralement du côté occidental. L’auteur admet que les changements seraient plus faciles et plus rapides à l’Ouest, mais il se refuse à renoncer à toute possibilité d’évolution du côté du bloc socialiste – en quoi la politique de “glasnost” inaugurée par M. Gorbatchev lui donne raison. D’évidence, une telle construction s’exclut d’emblée si l’on considère au contraire le système soviétique comme essentiellement basé sur la propension à l’agressivité et à la domination87. Dans ce cas, les relations économiques avec l’Est ne peuvent qu’être vues comme un instrument de récompense ou inversement, de punition, sanctionnant la politique mondiale de l’URSS ou son attitude dans les négociations sur les armements88. A l’inverse d’une telle approche, Czempiel se refuse à considérer son modèle comme « interventionniste »89.

55 Dans ce sens, on peut avancer les arguments suivants : 1) il envisage un processus de changement sans violence ; 2) il ne cherche pas à imposer à l’adversaire un modèle de société mais à lui démontrer son intérêt à évoluer de sa propre initiative ; 3) il ne gomme pas l’existence d’un conflit de fond entre les deux systèmes, mais au contraire définit les conditions d’un traitement sérieux des différends en éliminant les excroissances qui en dissimulent la nature réelle et en augmentent le danger de manière exponentielle. L’objectif est clairement, par la brèche ouverte dans l’incommunicabilité des systèmes grâce au jeu des intérêts, de permettre à terme un débat pacifique à propos de leur hiérarchie de valeurs. Czempiel n’entre pas lui-même dans cette problématique, mais son analyse présuppose qu’une solution durable du conflit Est-Ouest devra nécessairement se situer sur ce plan90. C’est ce qu’espérait le chancelier Brandt lorsqu’il lança sa « politique à l’Est » au début des années 197091 et c’est aussi ce que suggèrent les évêques en matière de promotion de la paix.

B. La position des évêques

56 Le modèle de Czempiel nous fournira une clé pour l’analyse des propositions épiscopales en vue du dialogue et du désarmement. Bien que les différents niveaux du conflit soient potentiellement pris en compte dans les lettres pastorales, on peut regretter l’absence 251

d’une articulation entre eux, qui aurait permis d’envisager ensuite des solutions adaptées à chaque échelon de la confrontation.

1. L’analyse de situation

57 Dans les trois documents, le conflit de base entre systèmes idéologiques et politiques est mentionné, quoique son rôle dans l’antagonisme entre les adversaires soit envisagé de manière très différente. Chez les évêques français, l’agressivité et la propension expansionniste de l’idéologie marxiste-léniniste apparaissent comme la cause essentielle du conflit et des tensions qui en résultent. Les questions de la sécurité et de la course aux armements n’en sont pas distinctes ; elles n’interviennent pas avec leurs causes propres, partiellement détachables du conflit originel (GP, p. 6). Dans certaines parties de leur texte, les évêques allemands présentent une analyse voisine. Ainsi, si l’introduction essaie d’imputer le conflit à un fait objectif, à une incompatibilité entre deux systèmes, il est clair dès l’origine que l’un d’eux porte une responsabilité supérieure92.

58 Par la suite, le jugement devient plus nuancé. A côté des éléments idéologiques, l’épiscopat allemand admet que le conflit Est-Ouest est aussi le fait d’autres facteurs qui seraient à classer au registre de la sécurité selon le modèle de Czempiel : « les aspirations hégémoniques, la tradition russe de méfiance craintive, les expériences historiques, les retards en matière de modernisation, les mécanismes de pouvoir parmi les dirigeants, la crainte pour la stabilité du système dans le cadre des peuples qui lui sont soumis » (ibid., p. 578). Il fait apparaître en conséquence la nécessité d’une prise en compte des besoins de l’adversaire, de ses « expériences », de ses « craintes », de ses « intérêts », de ses « reconnaissances » et de ses « évaluations » en matière de sécurité (ibid., pp. 585, 588), une attitude qui est présentée tantôt comme un résultat de l’application politique de l’éthique du Sermon sur la Montagne (ibid., p. 585), tantôt comme un frein aux aspirations hégémoniques contraires à « la volonté de Dieu et [aux] intérêts de la survie d’une humanité qui ne peut plus résoudre ses problèmes que dans la coopération et la solidarité » (ibid., p. 588). Quant à l’idéologie, si le marxisme-léninisme apparaît encore comme la cause majeure de conflit, la lettre demande à plusieurs reprises une discussion sérieuse, intellectuelle et politique, de ses bases et de ses prétentions (ibid, pp. 578, 585). Il n’est question nulle part de « partenariat de sécurité », mais un dialogue semble possible, autant au niveau idéologique de celui des intérêts93.

59 Dans le texte américain prévaut clairement la volonté de conciliation, ou plutôt d’équilibrage, malgré une accentuation progressive des domaines de contentieux au fil des versions. La divergence idéologique est vue comme un facteur conflictuel, sans que soit imputée à une source particulière la responsabilité des tensions (CoP, p. 751). L’existence d’un expansionnisme soviétique est mentionnée mais les évêques renoncent à trancher sur ses causes : idéologie ou volonté de puissance, attitude agressive ou volonté défensive ? (ibid.). Cependant, dans la mesure où le danger principal est attribué à la menace nucléaire réciproque (ibid., p. 752), il est beaucoup plus facile de définir un terrain commun, qui est celui du non-emploi des armes nucléaires (ibid.). La conception de la détente qui se dégage du document épiscopal est très proche de celle de certains « observateurs européens », comme l’avouent eux-mêmes ses auteurs (ibid.). En clair, il s’agit d’aboutir à un modus vivendi qui rendrait la coopération possible dans certains domaines politiques, économiques et idéologiques, mais ne résoudrait pas les « différences de position » – pour reprendre la définition de Czempiel – sous-jacentes ( 252

ibid.). Sur ce point, les évêques sont fidèles aux conclusions de leur lettre de 1980 sur le marxisme-léninisme. De leur point de vue : La doctrine catholique entend éviter d’exacerber l’opposition idéologique et met l’accent sur deux problèmes qui exigent des efforts communs au-delà de la ligne de séparation idéologique : maintenir la paix et donner un pouvoir aux pauvres94.

60 Les ambitions du dialogue tel qu’il est préconisé par la lettre pastorale américaine sont donc plus limitées que celles du texte allemand. Cette limitation a plusieurs causes. Alors que les évêques allemands, poussés par les mouvements de paix et influencés par les théories de la recherche sur la paix tendaient à définir les contours extérieurs du dialogue, leurs confrères avaient à se défendre de prôner une philosophie conciliatrice qui les aurait fait soupçonner de défaitisme. La volonté de limiter le dialogue aux « intérêts » communs correspond aussi davantage à une culture qui a fait de la tolérance le principe de base de la cohésion sociale95. Pour les évêques américains, sa transposition au niveau des relations internationales ne semble pas être une impossibilité.

61 Chez les uns et les autres, cependant, les propositions de dialogue se heurtent à un certain nombre de limites tenant à leur réserve, à leur imprécision ou à l’étroitesse de l’approche.

2. Des propositions timides

62 A la suite de nombreuses déclarations pontificales, les trois documents s’appliquent à demander la poursuite des efforts de négociation sur la limitation des armements et, éventuellement, le désarmement. Dans ce domaine, une fois de plus, les évêques américains font les propositions les plus hardies, ce qui ne signifie pas qu’elles soient les plus aptes à résoudre les problèmes de fond.

a. Le document américain

63 Outre une série de mesures bilatérales qui rejoignent les exigences d’une partie de la classe politique (CoP, pp. 743-44)96, ils cherchent à imposer une retenue volontaire dans certains domaines afin de diminuer la menace potentielle envers l’adversaire, qui accroîtrait le danger réciproque (ibid., p. 743). La perspective est bien celle du désarmement nucléaire total, de la progression « vers un monde libéré de la dépendance de la dissuasion nucléaire » (CoP, p. 743). C’est ce qui apparaît dans « le soutien de négociations en vue d’importantes réductions bilatérales dans les arsenaux des deux superpuissances » (ibid., p. 744) et dans l’encouragement au « travail accéléré pour le contrôle, la réduction des armes et le désarmement » (Section III, A, 1). La logique qu’ils suggèrent à ce niveau répond sans la nommer à celle du gradualisme, tel qu’il est exposé par Czempiel. Il ne s’agit pas de désarmer unilatéralement, mais de « faire les premiers pas », de prendre des « initiatives indépendantes pour réduire certains des plus graves dangers afin d’encourager une réponse soviétique constructive » (CoP, p. 745). Ces « pas en avant » devraient être « limités et soigneusement choisis », réduits à « une période déterminée » au cours de laquelle on chercherait à obtenir une réponse correspondante de l’adversaire. « Si une réponse appropriée ne vient pas, les Etats-Unis ne seraient plus liés par ces pas en avant » (ibid.). Les évêques soulignent que de tels pas ont déjà été faits par les deux superpuissances dans le passé, mais ne font aucune suggestion pour la poursuite d’une politique identique (ibid., p. 746). 253

64 Les limites auxquelles se heurte leur approche sont de deux types. La première est due à l’étroitesse de la philosophie sous-jacente. L’immense majorité de leurs propositions est orientée vers la réduction du danger dont est porteuse la course aux armements, assimilée le plus souvent au danger de conflit nucléaire (CoP, pp. 746, 752). Certes, il est question d’encourager les « négociations » visant à limiter les forces conventionnelles et à instaurer la confiance entre d’éventuels adversaires, surtout dans des régions où des affrontements militaires sont possibles, celles qui ont pour but de « réduire les tensions politiques qui motivent la fabrication des armes », ainsi que d’avoir « le souci constant d’établir un maximum de contacts politiques avec les gouvernements des adversaires éventuels »97, en « prévoyant des discussions et des négociations systématiques et répétées sur les domaines litigieux » (ibid., p. 746). Mais telles qu’elles sont formulées, ces exigences relèvent davantage du pragmatisme politique que d’une volonté systématique d’examiner les causes sous-jacentes et à long terme de la rivalité entre les deux blocs.

65 Cette constatation nous mène au deuxième type de limitation. Malgré l’ampleur « horizontale » du dialogue prôné, la dimension « verticale » lui manque. Les évêques ne disent pas si, et comment, ce dialogue doit conduire, à échéance, à une modification des « positions » respectives des deux superpuissances. En d’autres termes, la notion de „Systemwandel“, présente chez Czempiel, est absente. La possibilité d’un changement du système des relations entre les blocs est évoquée, mais elle se place dans le cadre de l’eschatologie plutôt que dans celui d’une construction politique progressive98. De même, la description du devoir-être de l’ordre international n’est pas accompagnée d’une indication des modalités de passage de l’actuel au souhaitable99. Les mesures envisagées afin de réduire les tensions sont sans incidence sur la structure du système.

66 Deux hypothèses centrales du modèle de Czempiel sont absentes de la lettre pastorale. La première a trait au caractère concret, pratique, de la stratégie de gradualisme. Comme le fait remarquer cet auteur, il serait vain d’attendre une évolution simplement « par le biais d’échanges de notes et de points de vue au sein de conférences internationales » ; le changement ne peut advenir que « sur le terrain des comportements concrets »100. En clair, cela signifie qu’insister sur le dialogue pour le dialogue, comme ont tendance à le faire les évêques101, est insuffisant. Il est vrai que toutes les négociations sur la limitation des armements n’ont rien changé à la structure des relations entre les adversaires. On peut au contraire se demander si elles ne servent pas plutôt à leur donner la légitimité leur permettant de se perpétuer102. Le dialogue en soi risque de rester statique. Ce qui est nécessaire, c’est une pensée créatrice qui permette, par le geste, de briser le cercle des arguments et des contre-arguments. Les évêques ne s’engagent pas dans cette direction. On pourra concéder que cette ligne de réflexion dépasse le champ de leurs compétences et qu’il leur suffit – comme ils le font d’ailleurs – d’encourager le développement des recherches sur la paix et la résolution des conflits (CoP, p. 749). Cependant, même s’il ne leur appartient pas de désigner des solutions concrètes, ils n’auraient pas, à notre avis, outrepassé leurs attributions en suggérant des formes de dialogue qui débordent les buts immédiats d’une réduction de la course aux armements.

67 La deuxième hypothèse manquante touche à la compréhension qu’ont les évêques du gradualisme. Czempiel insiste lourdement sur la nécessité, pour tout pays cherchant à influencer la conduite de son adversaire, de « ne pas agir unilatéralement, mais d’adopter un comportement tel que celui de l’autre également en soit changé »103. Il ne s’agit pas de prendre n’importe quelles mesures unilatérales, simplement comme geste de bonne volonté, mais d’adopter des initiatives qui fassent apparaître à l’adversaire la possibilité 254

d’une évolution de la situation plus attractive que la poursuite de sa politique actuelle, c’est-à- dire une non-diminution de sa sécurité et une réduction du danger mutuel104. Les gestes dont fait état la lettre pastorale n’entrent que très partiellement dans ce schéma105, dans la mesure où la négociation apparaît plutôt comme un effet secondaire, certes souhaitable, mais non pas partie intégrante de la proposition initiale. Dans des circonstances moins favorables, de telles initiatives risqueraient de demeurer purement unilatérales et de n’avoir aucune répercussion sur les rapports entre les deux adversaires.

68 Par ailleurs, on peut se demander si le renforcement de la défense conventionnelle que suggèrent les évêques américains n’irait pas radicalement à rencontre d’un des fondements de la stratégie gradualiste, à savoir la non-déstabilisation du système par des mesures que l’ennemi interpréterait comme une menace. Le risque d’une militarisation de la population, qui accroîtrait les problèmes de légitimité de l’Armée, le danger d’une déstabilisation du bloc de l’Est, en particulier si l’OTAN développait des stratégies de plus en plus sophistiquées de frappe en profondeur, ne sauraient être exclus. En même temps, Moscou exercerait très certainement des pressions pour un renforcement de la cohésion du bloc de l’Est et le Pacte de Varsovie pourrait se lancer dans une nouvelle course aux armements conventionnels en augmentant la composante offensive de sa stratégie106. Les auteurs qui expriment ces craintes sont également très critiques vis-à-vis des propositions de restructuration de la défense occidentale sur un mode purement défensif « à la Afheldt », a cause des déséquilibres internes à l’Alliance qu’elles pourraient causer, conduisant par contrecoup à une déstabilisation de l’ensemble du système des relations entre les deux blocs107. Cette conversion ne créant nullement une incitation à renoncer à un armement offensif pour le Pacte de Varsovie, elle diminuerait la sécurité des deux adversaires plutôt qu’elle ne la renforcerait. Notons que cette éventualité est justement celle à laquelle le premier critère d’acceptabilité de la dissuasion nucléaire énoncé dans les lettres pastorales a voulu parer. Les évêques qui, en matière nucléaire, insistent sur la nécessité d’une politique de suffisance et rejettent la recherche d’une supériorité afin d’éviter un déséquilibre du système, devraient appliquer la même logique à d’autres modes de défense. Mal interprété, le gradualisme risque d’accroître le danger plutôt que de le réduire.

b. Les évêques allemands

69 Les réserves que l’on peut exprimer vis-à-vis du texte allemand sont de nature différente. Sans conteste, les évêques allemands saisissent plus profondément le nœud de l’antagonisme Est-Ouest ; ils restent cependant très timides lorsqu’il s’agit d’envisager concrètement la possibilité d’une évolution des relations entre les blocs. La perspective immédiate est celle du « contrôle des armements », plutôt que celle du désarmement (GsF, p. 587). Celui-ci demeure l’objectif ultime, mais les voies qui peuvent y conduire ne sont évoquées que dans des termes extrêmement vagues. Qu’est-ce qu’une « vraie stratégie du désarmement » ? Comment instaure-t-on des « relations de coopération à tous les niveaux où celles-ci sont possibles : diplomatique, économique, politique et psychologique » ? Comment aboutit-on à la « clarté des conceptions » et à la « crédibilité des personnes des deux côtés, afin que, par-delà la prévisibilité réciproque du comportement, puisse naître une confiance justifiée » ? (ibid.)

70 En toute logique, les propositions gradualistes devraient pouvoir s’intégrer sans difficulté dans l’approche de l’épiscopat allemand, en particulier dans le cadre d’une mise en pratique politique du Sermon sur la Montagne. L’hypothèse d’une « politique de paix qui 255

accorde à autrui, et même à l’adversaire, des possibilités de se convertir et d’apprendre ensemble »(GsF, p. 582) n’est pas sans similarité avec l’idée de „Systemwandel“ qui préside au gradualisme, abstraction faite des motivations religieuses108. Il ne s’agit pas d’une simple éthique de conviction. « Au-delà de sa valeur générale de signe, l’amour de l’ennemi acquiert une puissance de changement des structures et devient le facteur d’une éthique sociale réelle » affirme Wilhelm Korff109. Les évêques allemands partagent implicitement ce point de vue, allant même jusqu’à affirmer que quiconque ne fait pas les démarches possibles et donc nécessaires vers la paix, quiconque ne sonde pas les chances de coopération et dénie aux autres gouvernements et aux autres peuples par principe toute capacité de s’ouvrir en direction d’une solution pacifique des conflits, ne laisse pas seulement passer une occasion de diminuer la violence ; il se rend également coupable envers l’avenir des vivants et des générations futures, compte tenu de la situation menaçante dans laquelle se trouve notre monde (ibid., p. 589).

71 Pourtant, la timidité du document est patente lorsque vient le moment d’aborder des problèmes concrets. Des « initiatives », qui ne sont qualifiées ni d’indépendantes ni d’unilatérales110, sont envisagées, « dans la mesure où elles ne mettent pas en péril la sécurité et les propres intérêts légitimes » (GsF, pp. 588-89). Les évêques font écho à l’incitation de Jean-Paul II, qui encourage « les hommes politiques responsables » à « faire tous les pas, même les plus petits, qui rendent possible un dialogue raisonnable dans ce domaine capital »111. Mais l’objectif reste limité : le texte ne mentionne d’autre but que de « renforcer la confiance dans les relations internationales » (GsF, p. 587). Il est certain qu’il souhaite éviter toute proposition susceptible de remettre en discussion la question controversée du statu quo territorial et politique en Europe. Mais il est tout de même remarquable que nulle part ne soit évoquée la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe et ses « mesures de confiance », qui apparaissent pourtant comme un élément essentiel à l’instauration d’un véritable dialogue entre l’Est et l’Ouest. Les évêques ont-ils poussé à l’extrême la volonté de ne pas s’engager sur des terrains concrets ? Ont-ils craint des résistances de la part d’une frange des catholiques112 ? Ont-ils eu peur de voir assimiler leurs propositions à celles d’une partie de la social-démocratie, voire à certains courants du mouvement de paix ? Le concept d’« amour de l’ennemi » est sans aucun doute une concession à ces derniers. Le concrétiser davantage aurait accru le danger d’une théologie politique et risqué de provoquer d’inextricables contradictions avec le jugement porté sur la dissuasion.

c. Les évêques français

72 Les évêques français, une fois de plus à cause de l’extrême rapidité de rédaction de leur document, n’ont pas une vision claire des implications du dialogue. D’un côté, ils l’envisagent dans le cadre des négociations sur le désarmement, citant Jean-Paul II. Dans ce cas, ses objectifs restent limités au freinage de la course aux armements, les termes utilisés (réciprocité, dialogue raisonnable) (GP, p. 12) suggérant ici une grande prudence.

73 Dans un passage ultérieur, le document semble aller beaucoup plus loin. Il fait entièrement sienne la conception de Jean-Paul II qui admet la possibilité d’un « dialogue de détresse » pour une « situation de détresse » (ibid.). Cette attitude est aussi celle que prônait Karl Jaspers dans sa célèbre réflexion sur les conséquences de l’événement atomique pour l’avenir de l’humanité, affirmant que Personne n’est en droit de rompre politiquement les rapports qu’établit le dialogue, quand bien même l’adversaire n’use pas de sa parole pour faire part de son désir 256

d’une rencontre ouverte et franche. Toute conversation entre hommes renferme encore la possibilité qu’on se rencontre malgré tout finalement dans la vérité113

74 A partir du moment où s’ébauche le dialogue, l’impérialisme de l’entendement („Verstand“) peut toujours être brisé et laisser place à la communication entre deux raisons („Vernunft“) rivales114. Le règne du totalitarisme de la pensée peut être rompu parce qu’existe un espace entre la raison et la rationalité humaines115. En conséquence, la pensée critique peut toujours être réveillée ; elle ne peut être anéantie qu’avec la disparition de l’homme lui-même. Pour sortir de l’impasse, Jaspers propose de susciter un renouvellement de la pensée116, en soi unilatéral, qui n’est pas sans rappeler la logique du changement des structures envisagée par la théorie gradualiste.

75 Sans reprendre à leur compte cette articulation, les évêques français suggèrent que le dialogue doit aller au-delà du simple apaisement ponctuel des tensions (GP, p. 13). La mention – bien que très rapide – du processus d’Helsinki dans ce contexte donne une indication concrète des moyens envisagés. En faisant suivre leur encouragement au dialogue de leurs propositions en matière de promotion de la paix, ils mettent en lumière davantage que leurs homologues allemands et américains le lien à la fois théorique et pratique entre dialogue et construction de la paix.

76 Dans l’ensemble, la formulation des objectifs concrets du dialogue politique et militaire reste donc limitée dans les trois lettres pastorales. Alors que les conférences épiscopales sont prêtes – à la suite des papes – à concéder qu’une véritable paix ne pourra survenir qu’avec des changements structurels dans les relations politiques et économiques entre monde industrialisé et pays en voie de développement (CoP, p. 753 ; GP, p. 14)117, elles évitent une problématique identique dans les rapports Est-Ouest. Elles préfèrent définir une « éthique commune » permettant de s’acheminer vers l’idéal d’une « paix véritable » qui irait bien au-delà d’une simple élimination des excès les plus dangereux de la course aux armements, et même de l’acceptation d’un statu quo figeant les relations entre les blocs dans l’attitude de deux chiens de faïence. L’objectif est ambitieux. Le développement de l’organisation internationale et du droit international en fournirait les moyens. Mais la formation du consensus sur les valeurs qu’il présuppose ne se heurte-t- elle pas à des obstacles politico-idéologiques insurmontables, qui n’auraient pas entravé la réalisation de buts politiques plus modestes ?

III. A la recherche d’une éthique commune

77 Avant d’envisager les moyens de cette éthique : développement du droit et structuration des rapports internationaux, il est nécessaire d’énoncer un certain nombre de présupposés qui président à sa définition et de mettre en évidence les obstacles qui surgissent à partir des conditions dont elle est assortie dans la doctrine catholique.

A. Les conditions d’une éthique commune

78 L’encyclique “Pacem in Terris” du pape Jean XXIII considérait la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 comme « un pas vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale »118. Par la suite, les papes ont repris le leitmotiv des droits de l’homme en le détachant partiellement de ses fondements de droit naturel mais en conservant le lien entre l’éthique commune dont ils constituent la base et la construction juridique qui doit en garantir le respect. L’insistance du magistère 257

catholique sur les droits de l’homme présente plusieurs difficultés dans le cadre d’une réflexion sur la construction de la paix. Celles-ci tiennent à la manière dont est définie l’articulation entre les deux termes, au jugement porté sur la capacité de l’adversaire à accéder aux normes ainsi définies et à la compréhension dernière de la nature de la paix. Malgré ces obstacles, il semble possible de définir l’embryon d’une éthique commune.

1. L’articulation paix-droits de l’homme

79 On trouve dans l’argumentation épiscopale et pontificale un thème récurrent du discours politique occidental sur les relations entre les blocs : une véritable paix ne pourra s’instaurer que sur la base du respect des droits de l’homme, entendus en premier lieu au sens des droits civils et politiques119.

80 Nous avons vu que toutes les philosophies de la « reconnaissance », qu’elles soient d’inspiration religieuse ou séculière, font de l’acceptation de l’autre comme « personne libre, comme sujet de “droits” » un signe du refus de la violence à son égard et donc une condition de la paix. Les philosophies de la raison („Vernunft“) y ajoutent l’intersubjectivité qui permet la reconnaissance de l’autre comme sujet capable de penser et d’agir sur la base de jugements motivés. En conséquence, le respect de la liberté de pensée et d’expression qui caractérise la démocratie serait une condition de pénétration de la raison dans le peuple tout entier, qui lui permettrait de prendre en mains sa destinée et d’échapper à la guerre120. D’une manière plus pragmatique, on peut affirmer qu’une plus grande liberté d’expression à l’Est permettrait une discussion publique de la politique de défense et une remise en cause de ses aspects les plus offensifs121.

81 La plupart des auteurs s’accordent en outre à constater, sur la base de l’expérience historique, qu’il est beaucoup plus facile de mobiliser une société « totalitaire » pour des objectifs d’agression extérieure qu’un système démocratique où la majorité des citoyens n’ont aucune revendication fondamentale à l’égard de la direction politique122. Sans succomber à l’optimisme des penseurs du XVIIIe siècle qui crurent mettre définitivement fin à la guerre par l’avènement universel de la démocratie, il faut admettre que la tentation de la « fuite en avant » et de la mobilisation des énergies sur la menace externe, afin de détourner la population des difficultés intérieures, sont un risque constant dans les régimes incapables de satisfaire les exigences essentielles de leur société civile.

82 Le problème qui se pose alors est celui de l’évaluation du système politique auquel on a à faire face. Plus l’on insistera sur son caractère totalitaire, moins l’on sera prêt à concéder la possibilité d’un dialogue, autant du point de vue politique que philosophique. Au contraire, plus l’on mettra en évidence les aspects positifs de la différence, plus il sera possible de dégager les bases d’une éthique commune allant au-delà du seul impératif de survie physique.

2. Dialogue et totalitarisme

83 Si l’adversaire est considéré comme puissance totalitaire, tout dialogue avec lui ne peut qu’être déclaré impossible, le totalitarisme reposant justement sur l’aliénation de l’homme en tant qu’être pensant et responsable123. Le mensonge qui en résulte ne peut qu’être à l’origine de rapports violents, car il bloque le processus de recherche de la vérité qui s’appuie sur l’échange ininterrompu entre les deux partenaires. Inversement, le dialogue ne peut qu’apparaître comme un danger pour le totalitarisme car il menace de détruire le mensonge qui en constitue le fondement124. Le dilemme est identique à celui 258

auquel se heurtent les partisans de la défense non-violente, dans la mesure où ils font du dialogue avec l’adversaire un élément central de leur stratégie125. Les sceptiques ne manquent pas de soulever la question de l’adéquation de la lutte non-violente à la résistance contre le totalitarisme126. Gandhi lui-même en percevait toute la difficulté, mais il n’a jamais renoncé à la considérer comme la moins mauvaise solution, quelles que soient les circonstances127. Les partisans les plus enthousiastes de la défense civile non- violente, de leur côté, poussent leur effort de recherche historique pour montrer que, dans la pratique, la non-violence fut davantage le fait de sociétés régies par des régimes totalitaires que démocratiques128.

84 Mais il reste à savoir si l’adversaire est véritablement « totalitaire » au sens le plus étroit 129, ou s’il laisse encore un espace de liberté qui n’interdirait pas entièrement le développement de la pensée et de la critique.

85 C’est pourtant le terme de « totalitarisme » ou des métaphores équivalentes qu’utilisent les trois lettres pastorales pour caractériser le système dominant à l’Est. Les évêques allemands dénoncent comme un des principaux dangers « la menace sur la liberté des nations et de leurs citoyens émanant des systèmes totalitaires, qui méprisent dans leur domaine de souveraineté les droits de l’homme les plus élémentaires, et qui pourraient être tentés d’utiliser leur puissance pour leur expansion ou à des fins d’influence politique et de chantage » (GsF, p. 585). Leurs collègues français ne recourent pas à ce qualificatif ; mais par leur référence au nazisme et leur dénonciation du « caractère dominateur et agressif du marxisme-léninisme » (GP, p. 6), ils n’en portent pas un jugement moins tranché. « Le défi de la paix », tout en mettant en garde contre un antisoviétisme primaire (CoP, p. 752), associe le terme « totalitaire » à celui de « tyrannique », pour mettre en évidence la distance entre un système occidental qui reconnaît l’existence de droits fondamentaux et un système socialiste qui les nie ou les bafoue systématiquement (ibid., p. 751)130.

86 A quelques années de distance, l’expérience du gorbatchévisme conduirait certainement les évêques à réviser leur jugement, laissant a posteriori apparaître leur formulation de 1983 comme une surenchère participant de la démonisation de l’adversaire. Celle-ci n’était certes pas nécessaire pour justifier d’une défense occidentale solide. Les ouvertures de M. Gorbatchev autant le domaine du respect des droits de l’homme à l’intérieur qu’en politique étrangère131 devraient amener à davantage de circonspection : la brèche ainsi marquée dans le totalitarisme ne constitue-t-elle pas l’incise par laquelle peut s’engager le dialogue ?

3. Paix et vérité

87 Si, comme l’affirme Wilhelm Korff dans le « manuel de l’éthique de paix chrétienne », la question de la paix est, en dernière analyse, la question de la vérité sur l’homme, sa réalisation ne peut tolérer aucun compromis132. La seule issue possible est l’élimination de l’adversaire, qui s’impose comme une obligation morale, puisqu’il est perçu comme faisant obstacle à la vérité. La logique qui entraîna au Moyen Age l’Inquisition, puis les guerres de religion, structure-t-elle aujourd’hui le conflit Est-Ouest ? Si l’antagonisme ne se résout plus en confrontation militaire, ce n’est pas parce que les convictions se sont rapprochées, mais parce que les capacités de destruction aux mains des deux parties leur interdisent de régler leurs différends par les moyens de la violence, sous peine d’éradication non plus unilatérale, mais mutuelle133. 259

88 La relation entre vérité et paix dans la doctrine catholique est particulièrement mise en évidence dans l’Encyclique “Pacem in Terris” du pape Jean XXIII, qui fait reposer l’« ordre », aussi bien dans les relations interindividuelles qu’à l’intérieur des communautés politiques et dans les rapports inter-étatiques sur les quatre piliers de la vérité, la justice, la charité et la liberté134. C’est par l’accomplissement d’un ordre de droit naturel fondé sur ces valeurs, voulu par Dieu, qu’adviendra la paix135. La vérité, toujours citée en premier, apparaît comme une condition de réalisation de l’ensemble des valeurs.

89 Parmi les trois conférences épiscopales, seuls les évêques français reprennent systématiquement l’approche du pape Jean XXIII dans leurs propositions visant la construction de la paix (GP, p. 13). Leurs confrères américains y font brièvement allusion par deux fois (CoP, pp. 726-27, 749) tout en évitant d’insister trop lourdement sur le sujet lorsqu’ils tentent de définir les conditions d’une coexistence entre les blocs (CoP, pp. 750-52), au contraire des évêques allemands (GsF, pp. 573, 582, 583, 585, 592). Dans un effort de déplacement d’une éthique de droit naturel vers une éthique plus évangélique, ces derniers ne se réfèrent pas à Jean XXIII mais prennent constamment appui sur Jean- Paul II, qui a repris et amplifié le lien établi par son prédécesseur (Cf. Chap. II). De ce fait même, ils accroissent le risque toujours présent dans le discours catholique d’une confusion entre différents niveaux.

90 Dans son argumentation sur les possibilités d’un dialogue avec les pays qui se réclament du marxisme-léninisme, l’Eglise, puissance à la fois spirituelle et temporelle, superpose constamment trois dimensions : la dimension politique, qui définit les conditions de prévention de la confrontation armée entre les blocs, la dimension anthropologique, qui vise le respect des droits de l’homme, et enfin, la dimension religieuse, qui pose le problème de l’athéisme. Sur ce dernier terrain, il ne peut s’agir que d’une lutte à mort, car l’Eglise ne peut qu’en vouloir l’éradication136. Mais si l’on pose la liberté religieuse comme premier droit de l’homme et fondement de toutes les autres libertés137 et si l’on fait par la suite du respect des droits de l’homme tels qu’on les a définis une condition sine qua non de la paix138, la confrontation spirituelle ne reste pas isolée ; elle rebondit sur le champ politique par approche anthropologique interposée. La question fondamentale est alors de savoir si l’athéisme est le trait central et déterminant de l’idéologie marxiste-léniniste. Si c’est le cas, comme semblent le supposer certains observateurs romains139, aucun rapprochement entre marxisme et christianisme n’est possible, de même qu’entre systèmes de société marxiste et occidental – en admettant que la référence à une transcendance est un élément fondamental dans la hiérarchie des valeurs de ce dernier140. Si, au contraire, l’athéisme n’est qu’une modalité historique parmi d’autres des régimes socialistes, une recherche commune de la vérité reste possible.

4. Les bases d’une éthique commune

91 Les fondements d’une éthique commune sont contenus dans la doctrine traditionnelle de l’Eglise. La loi naturelle en renferme les éléments indispensables – à condition que soient révisées les déviations auxquelles elle a pu donner lieu dans l’histoire.

92 Tablant sur la possibilité d’une approche historique de la loi naturelle, Robert Bosc affirme qu’elle « permet le contact entre des philosophies traditionnelles, même religieuses, et des philosophies modernes, même aussi résolument athées que le marxisme »141. Bosc s’appuie ici sur une citation de l’auteur soviétique Chichkine qui, dans son traité d’éthique, admet que « les fondateurs du marxisme-léninisme reconnaissent 260

l’existence de valeurs morales éternelles », entendant par là, « non point des lois et des règles de morale extra-historique, mais des règles élémentaires de la vie en société élaborées par les hommes au cours de leur histoire, et indispensables à leur vie en commun »142. Tout en concédant le danger qu’une approche comme celle de Chichkine évolue vers une « morale de situation » où l’éthique n’est plus qu’une émanation de l’arbitraire de la volonté humaine, abusivement identifiée à la raison, Bosc, utilisant l’approche théorique du jésuite Pierre Antoine, admet la possibilité de convergence vers une éthique commune. A son avis, une compréhension différente de loi naturelle au sein du catholicisme est possible : L’existence de la loi naturelle signifie la possibilité d’une compréhension, d’un dialogue, d’une collaboration entre les cultures les plus diverses, parce qu’elle est à la fois sens universel de la culture et critique universelle des cultures. Mais le véritable consensus moral n’est pas à rechercher du côté de je ne sais quelle primitivité antérieure aux différenciations culturelles. Il est bien plutôt, comme d’ailleurs tout l’ordre moral, « à faire » dans l’unification progressive de l’humanité et dans l’humanisation du monde – dans une unité qui ne sera pas pour autant exclusive de la diversité des particularités, parce que l’unité est d’un autre ordre que ce qu’elle unit. Reconnaître la loi naturelle, c’est reconnaître que cette volonté de rendre l’humanité effective a un sens et qu’elle s’impose143.

93 La reconnaissance de l’historicité de la loi naturelle permet l’acceptation d’une praxis éthique telle que la définit Paul Ricoeur. Elle implique l’acceptation du caractère « procédural » de la vérité144 dans la mesure où elle suppose l’abandon d’une définition a priori de règles éternellement immuables. Dans la théorie ricoeurienne, comme dans celle des épistémologues de l’Ecole de Francfort145, la vérité apparaît comme le résultat – jamais terminal – d’une évaluation opérée dans une situation concrète. Elle repose sur un échange jamais définitif d’arguments et de contre-arguments, de jugements sans cesse remis en cause.

94 Mais encore faut-il que les deux parties en présence soient prêtes à accepter cette règle du jeu. La définition soviétique de la « coexistence pacifique » laisse planer des doutes à ce sujet. Ainsi, un article paru en 1985 dans la revue communiste Science et Religion vient fort à propos rappeler la différence des conceptions en analysant l’engagement de l’Eglise pour la paix : L’expérience tout entière des contacts entre pays socialistes et capitalistes montre que la coexistence pacifique est liée aux rapports des gouvernements entre eux et ne se répercute pas dans la sphère idéologique, dans la lutte entre le marxisme- léninisme et la variété des conceptions du monde bourgeois et post-bourgeoises… Entre des gouvernements qui ont des régimes sociaux différents, il est impossible d’éviter de profondes oppositions, mais la lutte entre les idéologies communiste et bourgeoise n’exclut pas la possibilité de faire appel à la collaboration en vue du soutien de la paix, de la compréhension et de la confiance mutuelles, dans la condamnation de l’hystérie militaire, des dangers et de la violence militaires, des manifestations d’hostilité nationale, de la discrimination raciale et de la haine de l’humanité146.

95 Les conséquences d’une telle analyse, que le magistère catholique garde sans doute à l’esprit lorsqu’il exprime ses positions sur les relations entre les blocs, sont résumées de la manière suivante par le théologien René Coste. Les dirigeants soviétiques appliquent une politique « réaliste » gouvernée par trois principes directeurs sur le plan international : 1 ) Il faut éviter à tout prix une guerre nucléaire, dont les conséquences seraient catastrophiques pour l’ensemble de la planète ; 2) La technologie occidentale est indispensable au développement de l’économie soviétique ; 3) Des liens peuvent se créer 261

entre des hommes qui « ne sont pas des saints » mais ont le sens de la politique internationale147, ces liens ayant l’avantage de démontrer aux uns et aux autres que l’adversaire n’est pas satanique et qu’il existe un fondement humain commun. A la suite de cette analyse, René Coste préconise une « politique des petits pas », qui est aussi celle que recommande Jean-Paul II. Cette politique passe par le développement du droit et de l’organisation internationale.

B. Stratégie des moyens : le développement du droit et de l’organisation internationale

96 L’idée d’un « bien commun universel » ou « bien commun de l’humanité », qui constituait le noyau dur de l’argumentation de “Pacem in Terris”148 reste à la racine de l’encouragement inlassable que prodigue l’Eglise depuis Pie XII149 au développement des organisations internationales, et plus précisément, des organisations onusiennes. Si, dans certains cas, ce « bien commun » semble se limiter à assurer une justice distributive et à gérer des intérêts concurrents entre entités étatiques150, le plus souvent l’organisation internationale apparaît comme le lieu de concrétisation et de promotion des valeurs communes151, le développement du droit international étant un des moyens de leur mise en œuvre152.

97 Sur cette base unique, chacune des conférences épiscopales accorde à l’organisation et au droit internationaux une place et un rôle différents dans sa stratégie de construction de la paix.

1. L’attitude des épiscopats

98 a. Les évêques américains sont les plus affirmatifs. L’encouragement qu’ils apportent à l’intégration du système international repose sur les justifications habituellement avancées par les papes : postulat théologique de l’« unité de la famille humaine », constatation empirique d’une interdépendance croissante entre les nations, qui donne à un grand nombre de problèmes une ampleur, une gravité et une complexité telles que leur résolution échappe à toute entité politique isolée (CoP, pp. 749-50). Sur le plan pratique, cette conviction se traduit par un soutien répété à l’ONU, d’autant plus accentué que se manifestaient alors aux Etats-Unis des tendances très fortes en faveur d’un retrait de participation financière (ibid., pp. 731, 750, 753-54). Du point de vue théorique, le texte s’appuie sur une réinterprétation de “Pacem in Terris”. Constatant que l’encyclique accorde une « valeur morale relative » aux Etats souverains « parce que les limites de l’Etat souverain ne suppriment pas les rapports plus profonds de responsabilité dans la communauté humaine » (ibid., p. 750), il reprend l’exigence posée par celle-ci de la constitution d’une « autorité publique de compétence universelle »153.

99 Les évêques regrettent qu’une telle autorité « capable de structurer notre interdépendance matérielle dans la direction de l’interdépendance morale [fasse] défaut à l’ordre mondial actuel » (ibid., p. 750). Pour eux l’évolution est inéluctable. Elle est le fruit d’un processus historique : De même que l’Etat-Nation a été une étape importante dans l’évolution des gouvernements à une époque où le commerce en développement et de nouvelles technologies appliquées aux armes ont rendu le système féodal impropre à résoudre les conflits et à assurer la sécurité, de même nous entrons maintenant dans une ère nouvelle où les interdépendances globales exigent des systèmes 262

globaux de gouvernement pour résoudre les conflits et assurer notre sécurité commune (ibid.).

100 Il ne resterait aux Etats-Nations qu’à prendre conscience de cette nécessité.

101 Non seulement l’autorité mondiale n’apparaît pas comme une simple option, mais elle est présentée comme la solution « définitive et complète » au problème de la paix154 dans un passage significatif à cause de sa situation en conclusion du document. L’emploi du terme « internationale » plutôt que « supranationale » ne doit pas faire illusion : c’est bien un organisme supranational qu’ont en vue les évêques155. Toutefois, dans ce dernier passage, on constate un rétrécissement du propos par rapport à l’approche adoptée antérieurement. Il n’est plus question que d’un organisme destiné à conduire la négociation en vue d’une diminution des énormes potentiels d’armement (CoP, p. 761 ). Ici les deux exigences essentielles des évêques américains en matière de construction de la paix : négociations pour la réduction des armements, constitution d’une autorité supranationale, se télescopent en une seule proposition. Mais il semble que le rétrécissement du propos soit dû davantage à la vision étroite du danger, qui prédomine dans l’ensemble du document, qu’à un retrait sur l’idée d’autorité internationale.

102 b. Les évêques français, tout en rejoignant leurs confrères sur certaines affirmations, n’en tirent pas des conclusions aussi tranchées. Leur argumentation reste caractérisée par une certaine imprécision. Bien qu’ils citent une des propositions les plus radicales de “Gaudium et Spes”, demandant l’« institution d’une autorité publique universelle » comme moyen d’interdire la guerre156, ils en concluent simplement qu’« il faut renforcer les organismes internationaux » tout en se montrant relativement pessimistes à cet égard (GP, p. 12).

103 Au-delà du domaine étroit des armements, l’ « organisation de la communauté humaine » est prônée « pour promouvoir un véritable bien commun » (ibid., p. 14). Cependant, ce qu’il faut entendre par « communauté humaine » reste imprécis. Tantôt l’expression prend une signification sociologique, tantôt elle est employée dans un sens plutôt juridico-politique, comme synonyme de « communauté internationale ». Le recours au texte du Concile ne clarifie pas les choses : il semble envisager les institutions internationales comme une première étape vers la construction d’une autorité mondiale chargée de résoudre les problèmes communs à toute l’humanité. Les évêques ne tirent pas eux-mêmes explicitement cette conclusion157.

104 Le concept allemand d’« ordre de paix mondial » („Weltfriedensord-nung“) (GsF, p. 584) pourrait aisément se prêter à des objections identiques s’il ne prenait pas par la suite une connotation nettement juridique. A la base de son imprécision, on peut reconnaître le double souci de ne pas s’engager sur des terrains concrets et de prendre de la distance vis-à-vis des théories du droit naturel utilisées dans “Pacem in Terris”.

105 c. Les évêques allemands, contrairement à leurs collègues d’outre-Atlantique, se montrent assez réservés vis-à-vis des propositions de “Gaudium et Spes” et “Pacem in Terris”. Lorsqu’ils évoquent l’idée d’une autorité mondiale, ils ne le font qu’accessoirement (GsF, p. 580) ou pour constater qu’« il n’existe pas de monopole d’une force internationale ayant le pouvoir de sanctionner », ce qui justifie en contrepartie le recours de l’Etat à la légitime défense (ibid., p. 582).

106 Quand ils abordent ensuite le thème de la « construction de la paix », le développement d’un « ordre mondial de paix » ne vient qu’en troisième position (ibid., pp. 584-85), après le respect des droits de l’homme – qui suppose la protection de l’Etat de droit 263

démocratique – (ibid., p. 583) et la promotion de la justice internationale (ibid., pp. 583-84). Cet « ordre de paix », malgré l’absence d’une définition, peut être saisi par certaines de ses caractéristiques. 1) Le respect du droit, dont la force, « fondatrice de la paix », joue un rôle essentiel (ibid., p. 584). Le développement antérieur sur les droits de l’homme est ici élargi à l’ensemble du droit international, et en particulier aux principes de la Charte des Nations Unies (ibid., pp. 584-85). Ce droit ne doit pas reposer sur des garanties uniquement politiques mais bénéficier également d’une assise juridique, par la création d’une « Cour Suprême mondiale dont les décisions seraient obligatoires et pourraient être appliquées avec un pouvoir de sanction correspondant » (ibid., p. 585). 2). La prudence est un trait marquant de leur document. Loin d’exprimer un soutien sans condition à l’ONU, ils remarquent, à la suite de Jean-Paul II, que « les organisations internationales ont trop souvent fait l’objet de tentatives de manipulations de la part de nations désireuses d’exploiter de telles instances »158.

107 Sans réclamer leur abandon pur et simple, ils émettent un certain nombre de réserves, qui tranchent avec l’analyse des évêques américains. Ils soulignent l’importance de garder comme principe directeur la règle de « subsidiarité », selon laquelle toute fonction pouvant être assurée de manière satisfaisante à un niveau inférieur ne devrait pas être prise en charge par une autorité supérieure. « Une… autorité mondiale apte à protéger la liberté et la paix ne doit… pas être conçue à l’exemple d’un Etat unitaire centralisé », déclarent les évêques allemands (ibid, p. 585), concédant qu’« inversement, les Etats doivent être disposés à abandonner quelques-uns de leurs droits de souveraineté » (ibid.) ; mais ils ne précisent pas lesquels.

108 Leur attitude est proche des déclarations pontificales, parfois même en retrait par rapport à certaines d’entre elles. Dans son allocution à la CIJ en 1985, Jean-Paul II affirmait qu’une organisation de la paix mondiale était devenue techniquement possible et qu’il suffisait d’une volonté politique pour la mettre en œuvre ; il évoquait également le « besoin de développer un système législatif mondial » et laissait supposer, par ses encouragements au développement d’une « autorité judiciaire totalement efficace » qu’un organisme exécutif chargé d’appliquer les jugements passés par la Cour deviendrait nécessaire159. Le cardinal Casaroli, pour sa part, dans un discours prononcé à l’occasion de l’anniversaire des encycliques “Pacem in Terris” et “Populorum Progressio”, adopte une approche dialectique qui repose sur un équilibre très délicat entre un exposé « neutre » de leurs propositions (reprises par Jean-Paul II) et leur défense prudente contre les accusations d’utopisme auxquelles elles ont donné lieu160.

109 Le caractère quasi contraignant qui marquait nombre de documents des années 1960 et qui reste présent dans le texte américain a disparu du message romain. Il est aussi absent de la lettre pastorale allemande, qui évite ainsi de supposer que tous les problèmes seront automatiquement résolus avec la constitution d’une autorité supranationale chargée de régler les conflits. En contrepartie de son encouragement au développement d’une autorité supranationale, le pape n’a de cesse d’insister sur le rôle irremplaçable que joue la nation, organisée sur le mode de l’Etat, pour la promotion du bien commun des individus161. C’est bien ainsi que l’entendent les évêques allemands lorsqu’ils proclament leur attachement à l’Etat de droit démocratique comme garant du « bien commun » des citoyens (ibid., pp. 569-70, 582, 583).

110 Jean-Paul II pense pouvoir résoudre la contradiction par le concept d’« harmonie de la famille des Nations »162, qui suppose une complémentarité entre les différentes entités étatiques nationales et un accord entre elles sur une plateforme de valeurs communes. 264

2. La place de l’éthique dans les relations internationales

111 Les évêques américains envisagent au niveau universel le déroulement d’un processus historique identique à celui qui a abouti à la construction de l’Etat-nation. Sans doute font-ils preuve d’un trop grand optimisme en négligeant certains obstacles qui, dans le champ des relations internationales, empêchent la « reconnaissance » qui préside à l’établissement de la paix. Dans la pratique politique interne, le schéma hégélien accordait une place essentielle au droit, l’Etat ayant pour fonction d’en promouvoir le développement, afin de permettre une reconnaissance mutuelle de plus en plus poussée des libertés163. Cependant, si Hegel voyait dans le développement de l’Etat la réalisation de l’Histoire universelle, il constatait aussi que les relations des Etats entre eux restaient déterminées par un « état de nature » caractérisé par l’absence d’une volonté universelle qui aurait pu s’imposer à la diversité et à l’antagonisme des volontés particulières. Le développement du droit international – qu’il appelle « droit universel » – qui permettrait une paix éternelle sur le modèle kantien, demeure pour lui du domaine du « devoir-être » et donc une impossibilité historique164. Pourtant il affirme que, même dans la guerre, la situation de reconnaissance entre les Etats n’est pas remise en cause165. Sans sombrer dans l’utopie kantienne, le principe de la reconnaissance ne peut-il pas permettre la modération des conflits entre entités étatiques au-delà de ce que prévoyait Hegel ? C’est ainsi qu’on peut lire les théoriciens de la défense non-violente. En cherchant à évacuer la catégorie de l’“inimicos” du processus politique pour ne reconnaître que celle de l’“hostes”, ils excluent l’éradication de l’ennemi comme but de la lutte. De ce fait, l’autre conserve son droit d’exister, même si c’est en tant qu’adversaire.

112 Sur le plan philosophique, les concepts hégéliens peuvent aider à définir les conditions d’une reconnaissance entre Etats. C’est ce que tente le philosophe français Claude Bruaire après une réfutation partielle du schéma hégélien. Bruaire pose le politique comme « intermédiaire entre la nature et la liberté »166. Il est ce qui permet aux rapports sociaux de prendre forme, d’exister. Il est le « tiers » qui, par le droit qu’il édicte, permet à l’identique liberté de chacun de s’exprimer167. Pour Bruaire, comme pour Ricoeur, l’idée de « reconnaissance réciproque », qui résulterait de la dialectique exclusive du « je » et du « tu », n’a pas de sens. Bruaire applique ici au niveau politique la constatation de Paul Ricoeur à propos de l’éthique individuelle. La relation entre le Moi et l’Autre étant toujours, nécessairement, antagonique, l’Etat et ses institutions sont ce qui permet d’éviter le rapport d’immédiateté. Si l’Etat devient l’Autre, perd sa neutralité, la garantie d’une reconnaissance pacifique disparaît car il n’y a plus d’intermédiaire entre le « je » et le « tu »168.

113 A partir de ces postulats, il devient possible de préciser la relation toujours difficile à saisir entre droit, éthique et politique. Le politique a effectivement une exigence éthique immanente : c’est de garantir, par la force dont il dispose, le droit, droit dont l’essence consiste dans l’instauration d’un espace social de (et pour) la liberté, de telle manière que cette dernière puisse s’accomplir dans sa propre dynamique de solidarité et de communion169.

114 En d’autres termes, « le politique est une condition de réalisation de l’éthique », mais il ne l’épuise pas. Inversement, l’éthique « mobilise [les sujets] au service de la politique dans sa tâche de transformation des forces en droit », mais elle ne dispose pas du pouvoir nécessaire pour donner consistance sociale aux valeurs ainsi définies170. Le pouvoir politique, grâce au droit qu’il édicte, joue donc un rôle « d’intermédiaire entre la force et 265

la valeur »171, l’hypothèse étant que le droit n’est pas arbitraire mais résulte d’un échange constant entre pouvoir et corps social, duquel émanent ces valeurs. L’existence d’un impératif supra-politique n’implique pas un désintérêt pour la chose politique. Au contraire, il donne sens à l’action politique172

115 Qu’en est-il dans le domaine des relations internationales ? Est-il possible d’imaginer une entité politique capable d’énoncer un droit qui permettrait à la liberté de tous les membres de la communauté internationale de se concrétiser ? Ou bien leurs relations sont-elles vouées à se déployer selon des principes qui auraient, certes, un rôle d’orientation éthique, mais auxquels il manquerait la garantie nécessaire pour devenir vraiment efficace ? Une éthique des relations internationales peut-elle prendre consistance sans le développement de la nation mondiale qui apparaît à la fois comme un danger et une utopie ?

116 Au vu de leurs développements sur les organisations internationales et supranationales, les trois conférences épiscopales apporteraient sans doute des réponses différentes à cette question. L’épiscopat américain place ses espérances dans un changement structurel qui entraînerait une évolution des attitudes et des mentalités. Ses homologues allemand et français, tout comme Jean-Paul II, raisonnent d’abord en termes de valeurs avant de passer au domaine du droit, puis en troisième lieu, à celui des institutions173. Mais tous mettent également l’accent sur le développement du droit international. Ce dernier apparaît comme le « tiers » qui, sans être une entité extérieure aux deux parties, comme le veut le schéma de Bruaire, impose cependant à l’une et à l’autre des obligations nécessaires à leur interférence pacifique. Tout en se différenciant de l’une et l’autre, il est le produit d’une évolution née de l’interaction séculaire entre elles et avec leur environnement. Plutôt que d’être un donné arbitraire imposé de l’extérieur, ce droit apparaît comme le résultat d’une évolution constante des rapports entre collectivités étatiques, issu de l’expérience de leur intérêt commun à la pacification du système international et à la gestion collective de certaines activités. L’idée de reconnaissance y joue un rôle essentiel à plusieurs niveaux. Sur un plan général, la reconnaissance politique entre Etats est la condition même de la mise en œuvre de ce droit entre deux collectivités174. Au niveau du droit particulier, le concept de reconnaissance est particulièrement important dans le développement d’une théorie des droits de l’homme (Cf. ci-dessus).

117 La théorie catholique semble de plus en plus prête à faire de ceux-ci la cristallisation d’une certaine mesure de la « valeur » – pour parler en termes ricoeuriens – qui jouerait le rôle de tiers pour l’ensemble des nations de la planète et fournirait une base toujours plus large à la reconnaissance mutuelle175. Les droits de l’homme, tels qu’ils apparaissent dans la déclaration de 1948 et dans les textes subséquents n’étant dotés d’autre fondement que le consensus176, ils répondent à l’exigence ricoeurienne du refus d’une mesure a priori et fournissent l’embryon d’une éthique commune.

118 Mais en se situant à ce niveau, les évêques font l’hypothèse d’un conflit de base de nature idéologique, qui pourrait être résolu ou du moins modéré, par un rapprochement en termes de valeurs entre les systèmes. Cette analyse serait satisfaisante si l’on supposait que les Etats agissent suivant une rationalité basée sur des valeurs („wertrational“) pour reprendre la terminologie wébérienne. Or, pour Max Weber, les relations entre Etats s’établissent essentiellement selon un modèle construit sur l’hypothèse d’une rationalité exprimée en termes de finalités („zweckrational“)177. Il est possible de modérer certains traits de leur antagonisme, mais non pas d’en modifier le principe directeur. 266

119 C’est à ce niveau qu’apparaît l’une des limites des documents épiscopaux. Les évêques définissent les conditions d’une éthique commune, mais cette éthique demeure au niveau de l’idéal, lorsqu’elle n’est pas légaliste. Le politique, au coeur duquel se prend la décision éthique, en est exclu. Comme le souligne Bernard Sutor (confirmant Ricoeur), Une éthique du politique ne doit pas planer comme une super-structure morale au- dessus des situations et des problèmes qu’elles impliquent, mais elle doit les habiter 178.

120 En définissant la paix non pas comme un donné mais comme une procédure, les évêques reconnaissent qu’elle n’est pas l’absence de conflit, mais le règlement pacifique des conflits179. Pourtant, ce postulat n’est pas exploité dans leurs documents, dont les analyses politiques demeurent attachées à un concept statique de la paix. Or, une éthique de la paix qui se veut utile ne peut pas se contenter de délimiter le champ de l’action politique ; bien davantage, elle doit refléter cette action elle-même, qui est en premier lieu gestion du conflit et du pouvoir180.

121 En limitant leur compétence au jugement éthique extérieur, les évêques allemands (et, de fait, français) excluent d’emblée cette attitude, qui est condition de définition d’une véritable éthique politique. Le conflit – caractéristique du politique –, trop souvent assimilé à la violence dans les documents catholiques181, suscite une certaine crainte qui ne permet pas aux évêques d’aller jusqu’à la définition d’une morale pratique. Les principes supra-politiques qu’ils énoncent sont insuffisamment relayés par des propositions concrètes permettant d’introduire un « changement du système ».

NOTES

1. JEAN-PAUL II. Message pour le 1er janvier 1983, op. cit., § 5. 2. JEAN-PAUL II, RH § 13, 14. Audience générale du 14 novembre 1979, op. cit., § 2, 3. 3. JEAN-PAUL II, Discours à la Conférence nationale de l’Union des juristes catholiques italiens, 6 déc. 1980, in Le thème de la violence. Textes de Jean-Paul II (oct. 1978-oct. 1985), présentés par le Dr. Geogio Fillibeck, Commission pontificale “Iustitia et pax”, Cité du Vatican, 1985, § 4, p. 44 (Enseignement social de Jean-Paul II, Nr. 11) (ci-après, JEAN-PAUL II, « Discours aux juristes italiens »). 4. JEAN-PAUL II, Discours à l’ONU, 2 oct. 1979, op. cit., § 13. 5. JEAN-PAUL II, Message pour la journée de la paix 1983, op.cit., § 6. 6. Ibid., § 7. Jean-Paul II mentionne : « le mensonge tactique et délibéré, qui abuse du langage, recourt aux techniques les plus sophistiquées de la propagande, piège le dialogue et exaspère l’agressivité », ainsi que les « idéologies qui. malgré leurs déclarations, s’opposent à la dignité de la personne humaine, à ses justes aspirations, selon les saints principes de la raison, de la loi naturelle et éternelle, d’idéologies qui voient dans la lutte le moteur de l’histoire, dans la force la source du droit, dans le discernement de l’ennemi l’ABC de la politique », [si bien que le dialogue devient] « figé et stérile ou, s’il existe encore, il est en réalité superficiel et faussé ». Voir aussi CoP, p. 752 ; GP, p. 12. 7. Ibid., § 6. 267

8. JEAN-PAUL II, ibid., Allocution aux Pèlerins polonais, 16 mai 1979, in L’individu, la nation, l’Etat, pp. 34-35 ; Allocution au Corps diplomatique, 12 janv. 1979, ibid., p. 34 ; Allocution au Président Carter, 6 oct. 1979, ibid. ; Message pour la journée de la paix 1983, op. cit., § 9, 10 ; Message au Président de la 40e Assemblée générale de l’ONU, 18 oct. 1985, § 2, 4, DC, Nr.1906, 1985, pp. 1052-53 ; encyclique “Sollicitudo rei socialis”, § 10, 42, 30 déc. 1987, DC, Nr.1957, 1988, pp. 237, 252. 9. GS § 3.2, 5.3, 9.3, 24, 30-2, 42, 55.1, 69.1, 71.5, 75.4, 84.1, 3, 92.1, 3 ; PT § 7, 98-100, 121, 124-25, 129-32, 135, 137-40, 144, 146, 155, 167. 10. JEAN-PAUL II, Message pour le 1er janvier 1983, op.cit., §6. 11. Sur le lien entre « dignité de la personne » et dialogue, voir aussi JEAN-PAUL II, « Le droit à la liberté religieuse », Discours aux membres d’un colloque international, 10 mars 1984, DC, Nr. 1874, 1984, p. 510, § 2. 12. BOSC, Evangile, violence et paix, pp. 106-7 ; également, JEAN-PAUL II. Discours aux juristes italiens, 6 déc. 1980, op.cit. 13. JEAN-PAUL II, Homélie à Drogheda, 29 sept. 1979, § 9, DC, Nr.1772, 1979, p. 854. 14. EBERT, Theodor, „Bürgerinitiativen und gewaltfreie Konfliktaustragung“, in EBERT, Theodor, Gewaltfreie Aktion und Bürgerinitiativen, pp. 17-18. Voir aussi, KORFF, Wilhelm, „Grundsätze einer christlichen Friedensethik“, Handbuch der christlichen Friedensethik, Bd. 3, Freiburg/Basel/Wien, Herder/Gütersloher Verlagshaus, Gerd Mohn, 1982, p. 501 ; GANDHI, op. cit., p. 158. 15. BROCK, op. cit., pp. 73-74 ; GANDHI, op. cit., pp. 153-88. 16. BROCK, ibid. ; GANDHI, op. cit., pp. 157-58. 17. BROCK, ibid., p. 72. 18. LACROIX, Jean, « La société mondiale de culture », Le Monde, 29 avril 1964. 19. RICOEUR, Paul, « Avant la loi morale, l’éthique », Symposium « Les enjeux », Supplément à l’ Encyclopedia Universalis, Paris, 1985, pp. 42-45. 20. Ibid., p. 43. 21. Certes, il y a toujours un moment où la « règle » apparaît comme l’interdiction, mais cette interdiction est nécessaire pour assurer la continuité de la personne morale et pour mettre les valeurs à l’abri de l’ambition de chacun, ibid., p. 45. C’est là que la distinction kantienne entre „ Wille“ et „Willkür“ prend toute sa signification. 22. La valeur est un « mixte entre d’une part, la capacité de préférence et d’évaluation liée à la requête de liberté, prolongée par la capacité de reconnaissance qui me fait dire que ta volonté vaut autant que la mienne et d’autre part, un ordre social déjà éthiquement marqué », ibid., p. 44. 23. Cité par LACROIX, op. cit. 24. CZEMPIEL, Schwerpunkte und Ziele der Friedensforschung, p. 109. Czempiel s’appuie ici sur LUHMANN, Niklas, in Die Weltgesellschaftliche Archiv für Rechts- und Sozialphilosophie, LVII/2, 1971, pp. lss, 16s. Voir également KORFF, op. cit., p. 500. 25. KORFF, op. cit., p. 500. 26. Ibid. (Traduction CG). 27. SCHMITT, op. cit., p. 17 ; FREUND, L’essence du politique, pp. 391-93. 28. Voir PT § 7, 80. 29. MILLER, W.R., Nonviolence: A Christian Interpretation, London, Allen & Unwinn, p. 177, cité par MULLER, Stratégie de l’action non-violente, p. 45. 30. MULLER, ibid., p. 52. 31. L’opposition entre les deux systèmes est mise en évidence par BOSC, Evangile, violence et paix, p. 24. 32. LACROIX, op. cit. 33. MULLER, Stratégie de l’action non-violente, pp. 40-41, 44. 34. Ibid., p. 45. Pour une application particulière de ce principe à la lutte non-violente contre les régimes totalitaires, voir EBERT, „Bürgerninitativen“, op. cit., p. 18. 268

35. La dissuasion civile, p. 24. 36. EBERT, Gewaltfreier Aufstand, pp. 80-82. 37. La dissuasion civile, p. 26. 38. ARENDT, Hannah, On Violence, London, Allen Lane, The Penguin Press, 1969, p. 71. 39. MULLER, Stratégie de l’action non-violente, pp. 56-60. 40. RICOEUR, Paul, Histoire et vérité, Paris, Seuil, 1955, p. 236. 41. Voir le commentaire de Julien Freund sur le dialogue entre Socrate et Calliclès ; FREUND, L’essence du politique, pp. 146-51. Freund prend position en faveur de Calliclès qui, à son avis, fait preuve d’une beaucoup plus grande lucidité historique. 42. « Rapport sur les tâches futures de l’Alliance », Annexe au communiqué final de la réunion ministérielle de l’OTAN, Bruxelles, déc. 1967, Revue de l’OTAN, vol. 16, Nr. l, janv. 1968, p. 26. 43. „Kann Europa abrüsten ?“, Bericht einer Studiengruppe unter Mitarbeit von Ulrich Albrecht, Johan Galtung, Pertti Joenniemi, Dieter Senghaas, Sergui Verona, in Kann Europa abrüsten ?, Friedenspolitische Optionen für die siebziger Jahre, Hrsg Johan Galtung, Dieter Senghaas, München, Carl Hanser, 1973, pp. 174-75. 44. « Rapport sur les tâches futures de l’Alliance », op. cit. 45. KÖRNER, Klaus, „Die Wiedervereinigungspolitik“, Handbuch der deutschen Aussenpolitik, Hrsg Hans- Peter Schwarz, München/Zürich, Piper & Co, 1975, pp. 587-616 ; „Die innerdeutschen Beziehungen“, in ibid., pp. 625-27. 46. Zur Sicherheit der Bundesrepublik Deutschland und zur Entwicklung der Bundeswehr, Weissbuch 1971/1972, Bonn, Presse- und Informationsamt der Bundesregierung, § 1, § 5. Tout en proclamant la fidélité de l’Allemagne à l’Alliance et l’importance d’un maintien de l’équilibre des forces en Europe, le « livre blanc » de 1971/1972 prenait soin de ne pas remettre en cause la politique soviétique et proclamait son désir de garder de bonnes relations avec Moscou, ibid., § 20-38. 47. Voir, BRANDT, Willy, „Friedenspolitik in unserer Zeit“, Vortrag anlässlich der Verleihung des Friedens- Nobelpreises 1971, 11 Dez 1971, in Sicherheilspolitik der Bundesrepublik Deutschland, pp. 556-7, 560. 48. BAHR, Egon, „Wandel durch Annäherung“, Rede vor der evangelischen Akademie Tutzing, 15 Juli 1963, in ibid., pp. 550-53. 49. Ibid. ; BRANDT, op. cit., pp. 563, 565. 50. MUTZ, Reinhard, Sicherheilspolitik und demokratische Öffentlichkeit in der Bundesrepublik, Probleme der Analyse, Kritik und Kontrolle militärischer Macht, München/Wien, Oldenburg, 1978, p. 122. 51. KÖRNER, „Die Wiedervereinigungspolitik“, op. cit., p. 605. 52. MERTES, Alois, „Friedenserhaltung-Friedensgestaltung, Zur diskussion über ‘Sicherheitspartnerschaft’“, in Argumente für Frieden und Freiheit, pp. 97-103. 53. WAIGEL, op. cit., p. 82 (Traduction CG). 54. Ibid., p. 80. 55. MERTES, op. cit., pp. 99-101. 56. „ Der Antrag der Koalition von CDU/CSU und FDP“, in Die Nachrüstung im Bundestag, pp. 272-74. Il est intéressant à cet égard de comparer les « livres blancs » sur la défense du début des années 1970 et de 1983. Alors que le livre blanc de 1971/72 faisait de la paix l’objectif primordial (§ 1), celui de 1983 place au premier rang le maintien de la démocratie libérale et le respect des droits de l’homme (§ 1). Il insiste à nouveau sur ce point (§ 3, § 16), ainsi que sur la réunification (§ 5, § 14) et la responsabilité ouest-allemande pour la population de la République démocratique (§ 5), ensemble de thèmes qui avaient disparu des livres blancs du gouvernement social-démocrate. L’évaluation de la politique soviétique est l’élément qui distingue le plus nettement les deux approches. 57. SCHMIDT, Rede zum deutschen Bundestag, op. cit., p. 96. 269

58. BREDOW, Wilfried von, THIELEN, J.H. Helmut, „Kritik der Sicherheitspolitik der BRD“, in Ein Anti-Weissbuch, Materialen für eine alternative Militärpolitik, Hrsg Freimut Duve, Hamburg, Rohwolt, 1974, pp. 20-23. 59. MUTZ, op. cit., p. 147. 60. JACOBSEN, Hans-Adolf, „Bedingungsfaktoren realistischer Entspannungspolitik“, Zur Entspannungspolitik in Europa, (DGFK Jahrbuch 1979/80), Baden-Baden, Nomos Verlag, 1980, pp. 73-74 ; également p. 67. 61. Bundesminister der Verteidigung, Zur Sicherheit der Bundesrepublik Deutschland und zur Entwicklung der Bundeswehr, Weissbuch 1975/76, Bonn, 1976, § 128, p. 70, cité par MUTZ, op. cit., p. 148. 62. GALTUNG, Johan, „Europa-bipolar, bizentrisch oder kooperativ“, in Kann Europa abrüsten ?, pp. 54-55. 63. MUTZ, op. cit., p. 149. Alors même qu’à cette époque Henry Kissinger définissait les objectifs d’une politique de détente comme le partage des influences entre les grandes puissances dans un contexte militaire aussi peu dangereux que possible ; JACOBSEN, op. cit., p. 69. 64. C’est l’une des raisons de la détérioration des rapports entre Allemagne et Etats-Unis après 1963. A cause de la détente américano-soviétique, des concessions devenaient possibles pour l’Ouest dans le domaine de la sécurité alors qu’Adenauer avait toujours cherché à lier celles-ci au règlement de la question allemande ; HARTMANN, Jürgen, « L’Allié américain », Documents, Sept. 1983, pp. 25-37. 65. KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., p. 57 (Traduclion CG). 66. CZEMPIEL, Ernst-Otto, „Nachrüstung und Systemwandel. Ein Beitrag zur Diskussion um den Doppel-beschluss der NATO“, Aus Politik und Zeitgeschichte, Bd. 5, 1982, pp. 22-46. 67. Ibid., p. 26. 68. Ibid., pp. 25, 27. 69. Ibid., pp. 28, 30. 70. Ibid., p. 30. 71. Ibid., p. 25. 72. Ibid., p. 28. L’auteur admet que sa définition est proche du concept soviétique de « coexistence pacifique », ibid., p. 25. Toutefois, ses propositions ne s’arrêteront pas à ce niveau. 73. Ibid., pp. 28-29. 74. Ibid., p. 30. 75. Ibid, pp. 33-34. 76. Le concept est extrait des théories de Karl Deutsch : DEUTSCH, Karl, The Nerves of Government, Models of Political Communication and Control, New York/London, McMillan/The Free Press, 1966, pp. 247-48, cité par CZEMPIEL, ibid., p. 34. 77. CZEMPIEL, ibid., p. 34. 78. Ibid., p. 35. On remarque la similitude de logique entre le schéma de Czempiel et les propositions des groupes de défense non-violente, telles qu’elles sont exposées dans La défense civile par exemple, pp. 125- 81. 79. Ibid., p. 36. 80. En comparaison avec la description qui en est donnée par la prise de position du BDKJ du 24 août 1982. Celle-ci prévoit la poursuite des mesures unilatérales de désarmement après un certain délai, quelle que soit la réaction de l’adversaire, tout en émettant l’hypothèse qu’« aucun pays ou système d’alliance ne peut à long terme se soustraire à un changement clairement signalé des positions de l’adversaire », BDKJ-Bundesvorstand, Positionspapier zur Sicherheits- und Abrüstungspolitik, pp. 14-15 (Traduction CG). 81. CZEMPIEL, „Nachrüstung“, op. cit., p. 39. 82. C’est d’ailleurs comme offre de négociation visant à une diminution des armements qu’elle a été présentée. 270

83. Ibid., pp. 43-46. A son avis, la « double décision » n’est pas capable d’inciter Moscou à renoncer au stationnement de ses SS-20 et au développement de la nouvelle gamme de missiles SS-21 et SS-22 car elle ne fait pas apparaître à ses yeux l’avantage décisif qu’aurait un tel geste. A titre expérimental, Czempiel suggère une renonciation occidentale au stationnement des euromissiles au cas où Moscou accepterait le simple remplacement de ses SS-4 et SS-5 par le même nombre de tètes de SS-20. Le risque impliqué pour la défense de l’Europe occidentale ne serait pas sensiblement majoré, du fait qu’elle a renoncé à l’équilibre eurostratégique depuis les années 1970 dans un contexte où la supériorité stratégique globale américaine avait déjà disparu, ibid., p. 44. 84. Ibid., p. 42. Dans le même sens, voir l’idée de „gewinnfreie Werbung“ dans, CZEMPIEL, Schwerpunkte und Ziele der Friedensforschung, pp. 95-97. 85. CZEMPIEL, „Nachrüstung“, op. cit., pp. 40-41. 86. Ibid., pp. 23-24. 87. Comme le font la plupart des intervenants dans la discussion de la politique soviétique au Symposium organisé par la Fondation Konrad-Adenauer du 18 au 21 novembre 1982 à Bad Godesberg, „Wohin entwickelt sich die sowjetische Politik ?“ in Die Zukunft der Deutsch- amerikanischen Beziehungen, Hrsg Hans- Joachim Veen, Melle, Ernst Knoth, pp. 140-55 (Konrad- Adenaucr Stiftung, Forschungsbericht Nr.23). 88. „Wirtschaftsstrategie gegenüber dem Osten“, (aus amerikanischer Sicht und aus deutscher Sicht) in ibid., pp. 154-67. 89. CZEMPIEL, op. cit., p. 37. 90. Czempiel va donc plus loin que Galtung dans son étude des conditions d’un rapprochement Est-Ouest du début des années 1970. Galtung garde une vision purement structurelle des problèmes en ce qu’il exclut tout rapprochement mutuel des systèmes vers un milieu commun, ainsi que toute « conversion », même partielle, de l’un aux valeurs de l’autre. Il pense solutionner leur antagonisme par la création d’organismes de gestion commune des divers domaines de leur activité ; GALTUNG, „Europa, bipolar, bizentrisch oder kooperativ“, op. cit. 91. Brandt proclame son attachement à un certain nombre de valeurs qu’il pose comme universelles et qui devront être concrétisées dans le dialogue Est-Ouest : souveraineté, intégrité territoriale, non-violence, droit à l’autodétermination, respect des droits de l’homme : BRANDT, op. cit., p. 564. 92. « En ce qui concerne le conflit Est-Ouest, l’un des principaux motifs réside dans la tension entre l’exigence idéologique du système communiste, qui est orienté vers la lutte des classes et la révolution mondiale, et les conceptions de l’homme qui, à l’inverse, exigent un régime juridique et social de liberté comme fondement de la coexistence des hommes » (GsF, p. 568). 93. Dans le même sens, voir l’interview accordée par le cardinal Ratzinger à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, sous le titre „Auch ein Feind hat legitime Interessen“, Nr.19, 1983, pp. 122-30. 94. « Foi chrétienne et marxisme », DC, Nr.1808, 1981, p. 500, cité par CoP, p. 751. 95. Comme le fait remarquer Robert Wolf, la tolérance repose sur l’interprétation des exigences de l’adversaire comme l’expression de ses intérêts et non de ses valeurs. Si, en effet, je juge ses exigences comme des erreurs morales, ma propre position équivaut à la tolérance du mal, ce qui est inacceptable. Inversement, j’augmente mes chances de faire valoir mes propres exigences, que je sais être moralement erronées, si je les présente comme des intérêts ; WOLF, Robert, “Beyond Tolerance”, in MARCUSE, Herbert, MOORE, Barington, WOLF, Robert, A Critique of Pure Tolérance, Boston, Beacon Press, 1965, p. 21. 96. On rappelle qu’à la même époque, une résolution sur le gel des armes nucléaires était en discussion au Congrès, que la « Commission Scowcroft » venait de rendre public son rapport qui conseillait, entre autres, le remplacement des missiles à têtes multiples très vulnérables à une 271

première frappe par des missiles à tête simple. Les évêques se retrouvaient aussi parmi les partisans d’un traité sur l’interdiction des essais nucléaires. 97. Traduction Pax Christi, op. cit., p. 111. 98. Les évêques affirment : « Croire que nous sommes simplement condamnés à l’avenir à revivre ce qu’ont été dans le passé les relations Etats-Unis-Union soviétique revient à sous-estimer à la fois notre possibilité humaine de diplomatie créatrice et l’action de Dieu parmi nous, qui peut conduire à des changements difficilement imaginables. Nous ne devons pas renforcer l’idée illusoire qu’à l’avenir les relations entre les superpuissances seront dépourvues de tensions ou qu’il sera facile de parvenir à la paix. Mais ce contre quoi nous mettons en garde, c’est la “dureté du coeur” qui peut nous fermer, nous ou les autres, aux changements nécessaires pour construire un avenir différent du passé », CoP, p. 752. 99. Sur ce point, voir ci-dessous, III. 100. CZEMPIEL, „Nachrüstung“, op. cit., p. 37. 101. En reprenant l’argumentation de Jean-Paul II dans son message pour la journée de la paix 1983, CoP, p. 752. 102. „Kann Europa abrüsten ?“, op. cit., pp. 138-47, 149-50. On retrouve ici la difficulté soulevée à propos du troisième critère d’acceptation de la dissuasion nucléaire dans les lettres pastorales. La poursuite des négociations sur le désarmement ou la limitation des armements ne garantit en aucune manière la disparition de la dissuasion. 103. CZEMPIEL, „Nachrüstung“, op. cit., p. 45 (Traduction CG). 104. REUTER, Hans-Richard, „Aufruf zur politischen Vernunft“, in Zur Debatte, Themen der katholischen Akademie in Bayern, 12. Jg, Nr. 1, Jan./Feb. 1982, p. 6. En 1988, on peut se demander si la politique d’ouverture menée par M. Gorbatchev ne signifie pas la reconnaissance implicite de ce principe. Certes, ses initiatives unilatérales sont d’un type spécial, mais elles ne relèvent pas moins d’une décision autonome, indépendante de toute pression extérieure. 105. Il s’agit du moratoire unilatéral sur les essais nucléaires déclaré par Kennedy en 1963, qui a conduit de fil en aiguille au traité d’interdiction partielle de ces essais, et à un retrait de 10 000 hommes de troupes d’Europe centrale de chaque côté, sans que soient précisées l’origine et la signification de l’initiative. 106. KRELL, RISSE-KAPPEN, SCHMIDT, op. cit., pp. 45-49. 107. Ibid., pp. 49-50. Le chercheur allemand Theodor Ebert tente de pallier ce risque de déséquilibre en définissant des moyens de défense contre l’ennemi extérieur qui soient semblables aux moyens de lutte contre l’ennemi intérieur ou l’ancien « ami » ; EBERT, Gewaltfreier Aufstand, pp. 33-53. 108. Le processus envisagé rappelle aussi l’“ahimsa” gandhien. Cf. supra. 109. KORFF, op. cit., p. 501 (Traduction CG). 110. Le terme allemand est „Vorleistungen“. Plus que le terme français « initiatives », il contient l’idée d’unilatéralisme. L’expression qu’utilise la traduction suisse, « prestations préalables », op. cit., p. 54, paraît plus adéquate. 111. JEAN-PAUL II, Message pour le 1er janvier 1983, op. cit., p. 70, cité par GsF, p. 589. 112. Voir les jugements plutôt sévères du ZdK à propos de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe : ZdK, „Erklärung zum zweiten Folgetreffen der Konferenz über Sicherheit und Zusammenarbeit in Europa“, 8 Okt. 1980, ZdK/Berichte und Dokumente, Nr.43, Bonn, Feb. 1981, pp. 43-45 ; MAIER, Hans, „Bericht zur Lage“, vor der Vollversammlung des ZdKs, 14 Nov. 1980, ibid., pp. 53-54. 113. JASPERS, op. cit., p. 271. 114. Pour des précisions au sujet du sens de ces deux termes chez Jaspers, voir ARON, Raymond, « Karl Jaspers et la politique », in « Raymond Aron 1905-1983. Histoire et Politique », Commentaire, vol. 8, Nr.28-29, 1985, pp. 530-38. 115. JASPERS, op. cit., pp. 391-409. 272

116. Concept dont l’illustration occupe toute la troisième partie de son ouvrage intitulée « éclairement de la situation de l’homme dans l’englobant », ibid., pp. 335-692. 117. Les évêques américains citent JEAN-PAUL II, RH, § 16 ; Homélie au Yankee Stadium de New York, 2 oct. 1979, DC, Nr.1772, 1979, p. 881 ; cité par CoP, p. 753. Dans cette homélie, s’adressant aux catholiques américains, le pape déclarait : « Dans le cadre de vos institutions nationales et en collaboration avec tous vos compatriotes, vous devez chercher les raisons structurelles qui alimentent ou engendrent les différentes formes de pauvreté dans le monde et dans votre pays, afin d’y apporter les remèdes nécessaires ». Les évêques français citent l’encyclique “Populorum Progressio” de Paul VI pour appeler à « l’apprentissage de nouveaux modes de vie internationale », GP, p. 14. On pourrait rappeler aussi dans ce contexte les changements radicaux réclamés par “Pacem in Terris” en matière d’organisation de la communauté internationale, PT, § 130-45. 118. PT § 144. 119. „Das Grösste Problem liegt hinter dem eisernen Vorhang“, Militärbischof Francis Roque zur aktuellen Friedensdiskussion, KNA, Nr.50, 11 Nov. 1983 ; CDU-Bundesgeschäftsstelle, „Kein Frieden ohne Freiheit“, Berliner Rundschau, 22 Sept. 1983. 120. JASPERS, op. cit., pp. 577-78. 121. ORLOV, Yuri, Conférence sous les auspices d’Amnesty International et du Comité « Yuri Orlov » du CERN, Genève, 8 nov. 1986 (notes de l’auteur). 122. CZEMPIEL, Schwerpunkte und Ziele der Friedensforschung, pp. 51ss. 123. JASPERS, op. cit., pp. 205-211. Jaspers s’appuie ici sur l’étude de Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, New York, 1951. 124. Sur le rapport entre violence et mensonge, voir BOSC, Evangile, violence et paix, p. 102. Bosc reprend ici les conclusions d’un article de Pierre Hassner paru dans la Revue française de science politique, déc. 1973, pp. 1300-1303. 125. BDKJ-Bundesvorstand, „Weiterer Rüstung entgegenwirken“, op. cit., pp. 56, 57 ; KOSCHEL, Angsar, „Gewaltfreie Aktionen in diesem Herbst“, Brief an die Mitglieder von Pax Christi, in Probleme des Friedens, Heft3/1983, pp. 60-61 ; RAWLS, op. cit., p. 406 ; MULLER, Stratégie de l’action non-violente, pp. 203-11 ; etc. 126. ARENDT, On Violence, p. 53. De même les évoques français se demandent « ce qui serait arrivé si Gandhi, au lieu d’avoir pour partenaire lord Louis Mountbatten, avait eu un des bourreaux célèbres de l’Europe », GP, p. 8 (note Nr.9). 127. A son avis, la violence ne serait pas plus efficace dans la résistance à un Etat totalitaire, sans compter que ses conséquences seraient, dans la majorité des cas. bien plus tragiques que celles du recours à la non-violence. BROCK, op. cit., pp. 97-98. Pour une argumentation similaire, voir aussi MULLER, Stratégie de l’action non-violente, pp. 51-52. Cependant. Gandhi lui-même n’a pas contesté la décision des Alliés de résister à Hitler par la force militaire, La dissuasion civile, p. 31. Il affirmait également : « Je préférerais mille fois prendre le risque de recourir à la violence plutôt que de voir émasculer toute une race... Je ne peux que préférer la violence à l’attitude de celui qui s’enfuit par lâcheté » ; GANDHI, op. cit., p. 179. 128. Ainsi Theodor Ebert en étudiant la résistance des instituteurs norvégiens au nazisme, la révolte de 1953 en Allemagne de l’Est, les événements de 1956 en Hongrie et ceux de 1968 en Tchécoslovaquie : EBERT, Theodor, “Nonviolent résistance against communist régimes?”, in The Strategy of Civilian Defense, pp. 173-74 ; „Gewaltloser Widerstand gegen Stalinistische Regime? Der Juni- Aufstand in der DDR 1953“, „Der ziviler Widerstand in der Tschechoslowakei – Eine Analyse seiner Bedingungen und Kampftechniken“, etc. in EBERT, Soziale Verteidigung, Bd. 1, 200 p. Un effort qui reste peu probant aux yeux de nombreux observateurs ; voir par exemple, SCHMID, Alex P., « Quand les Russes arrivent : la défense civile et la puissance militaire soviétique », in Les stratégies civiles de défense, pp. 169-97. 273

129. Les définitions du totalitarisme sont multiples. Pour une approche synthétique de la littérature existante, voir FERRY, Luc, PISIER-KOUCHNER, Evelyne, « Théorie du totalitarisme », in Traité de Science Politique, vol. 2, publié sous la direction de Madeleine Grawitz et Jean Leca, Paris, PUF, 1985, pp. 115-59. 130. Le passage en question, absent des deux premières moutures, résulte dans la version finale du transfert d’un argument apparu au titre de la « justice comparative » dans la série des critères de la guerre juste (CoP 3, p. 707). Selon sa formulation primitive, ce critère était particulièrement discutable car il tendait à verser dans un cautionnement a priori de la juste cause, par une sorte de retournement de la prétention traditionnelle de la doctrine marxiste-léniniste : certain d’être en possession d’un vérité plus haute, l’Occident serait automatiquement justifié à s’imposer au système socialiste. 131. Voir notamment les thèses adoptées par la Conférence nationale du PCUS au début de l’été 1988 ; Le Monde, 25 mai, 29 juin, 2, 3-4 juil. 1988. 132. Pour cet auteur, la définition théologique classique de la paix comme « oeuvre de la justice » laisserait une marge de manoeuvre beaucoup plus grande car elle équivaudrait avant tout à la « résolution équitable de conflits d’intérêts », KORFF, op. cit., p. 489. Il serait à notre avis erroné de réduire le terme de « justice » à cette seule dimension dans les déclarations pontificales ou dans les lettres épiscopales sur la paix. 133. KORFF, op. cit., pp. 495-96. 134. PT, § 35-37, 80, 86-90, 114, 149, 163, 167. 135. PT, § 37-38, 47, 85. 136. JOBLIN, Joseph, « Jean-Paul II et les socialismes ; l’arrière-plan de l’éthique de la décision », Nouvelle Revue Théologique, Nr.108, 1986, p. 60. 137. JEAN-PAUL II. Message aux Nations Unies pour le 30 e anniversaire de la déclaration des droits de l’homme, 2 déc. 1978, DC, Nr. 1755, 1979, p. 2 ; Discours à la 36e Assemblée générale des Nations Unies, 20 oct. 1979, op. cit., § 14-16, § 20 ; « La liberté religieuse », message aux chefs d’Etats signataires de l’Acte final d’Helsinki, 1er sept. 1980, DC, Nr 1789, 1980, pp. 172-75. Message paour le 1er janv. 1981, op. cit., § 6 ; Discours au colloque international d’études juridiques, Rome, 8-10 mars 1984, DC, Nr 1874, pp. 510-11. 138. JEAN-PAUL II. Discours à la 36e Assemblée générale des Nations Unies, 20 oct. 1979, op. cit., § 7, 11-12 ; Discours à l’UNESCO, 2 juin 1981, op. cit., § 22 ; Message pour le 1er janv. 1981, op. cit. ; Message pour le 1er janv. 1984, op. cit., § 2-3 ; Discours au corps diplomatique, 11 janv. 1986, § 9, DC , Nr. 1912, 1986, p. 202. 139. « L’un des objectifs des régimes totalitaires marxistes est de briser l’Eglise », JOBLIN, op. cit., p. 242. 140. Parmi les trois pays qui nous concernent, cela nous semble au moins être le cas aux Etats- Unis où la Déclaration d’indépendance, texte de base autour duquel s’est constituée l’identité de la nation, invoque « le Dieu créateur » et les « Lois de la Nature » octroyées par celui-ci, et en Allemagne fédérale où les Eglises jouissent d’une protection contractuelle. 141. BOSC, Sociologie de la paix, p. 160. 142. CHICHKINE, A., Ethique, Moscou, 1972, pp. 317-18, cité par BOSC, ibid., p. 161. 143. ANTOINE, op. cit., p. 176. 144. KORFF, op. cit., pp. 496-97. 145. En particulier, HABERMAS, Jürgen, “Towards a Theory of Communicative Competence”, Inquiry, vol. 13, 1970, pp. 360-75. 146. DANILOV, A., « Une analyse soviétique de l’engagement de l’Eglise pour la paix », Naouka i Religija, 9 sept. 1985, traduit par la DC, Nr. 1912, 1986, p. 215. 147. COSTE, René, Interview du 4 juin 1985, notes de l’auteur. René Coste fait mention du modèle de relations qui s’était établi entre l’administration Nixon et les dirigeants du Kremlin, telles que 274

les décrit Henry Kissinger dans ses mémoires ; KISSINGER, Henry, A la Maison Blanche 1968-73, Paris, Fayard, 1979, pp. 131-36. 148. PT, § 7, 98-100, 124-25, 132, 135, 137-40, 146, 155, 167. Le pape Jean XXIII utilisait généralement le terme de « bien commun universel ». Jean-Paul II lui préfère celui de « bien commun de l’humanité », plus proche du vocabulaire onusien. 149. PIE XII, Message de Noël 1944, op. cit. 150. JEAN-PAUL II, Allocution au corps diplomatique, 12 janv. 1979, op. cit. 151. JEAN-PAUL II, Allocution aux Nations Unies, 2 oct. 1979, op. cit. ; « La paix et les jeunes marchent ensemble », Message pour la journée de la paix 1985, § 6-8, DC, Nr.1888, 1985, pp. 86-87 ; Message au Président de la 40e Assemblée générale de l’ONU, 18 oct. 1985, op. cit., pp. 1051-53 ; Discours au corps diplomatique, 11 janv. 1986, op. cit., § 9. 152. JEAN-PAUL II, Discours aux juristes italiens, 6 déc. 1980, op. cit. ; Allocution à la Cour Internationale de Justice, 13 mai 1985, DC, Nr. 1898, 1985, pp. 634-37 ; Message au Président de la 40e Assemblée générale de l’ONU, 18 oct. 1985, op. cit., § 4. 153. PT § 137, cité par CoP, p. 750. 154. Une partie de la force de cette affirmation est perdue par la traduction française qui emploie le pluriel « des solutions » (ibid., p. 761) là où l’original emploie le singulier « a solution ». 155. « Il doit être doté par toutes les nations du pouvoir d’imposer ses commandements à chacune d’elles ». Cependant, le texte ajoute immédiatement : « Il doit être constitué de telle sorte qu’il ne menace aucune souveraineté nationale », CoP, p. 761. La question de compatibilité entre les deux affirmations n’est pas abordée. 156. GS § 82,1, cité par GP, pp. 11-12. Alors que les évêques américains ne citent que GS § 79.3, moins hardie dans ses exigences. 157. Le passage du texte conciliaire cité est le suivant : « Les institutions internationales déjà existantes, tant mondiales que régionales... apparaissent comme les premières esquisses des bases internationales de la communauté humaine tout entière pour résoudre les questions les plus importantes de notre époque : promouvoir le progrès en tout lieu de la terre et prévenir la guerre sous toutes ses formes ». GS § 84.3, cité par GP, p. 14. 158. JEAN-PAUL II, Message pour la journée de la paix 1983, op. cit., p. 70, cité par GsF, p. 584. 159. JEAN-PAUL II, Allocution à la Cour Internationale de Justice, 13 mai 1985, op. cit., § 2,4. 160. CASAROLI, Cardinal Agostino, Discours au congrès « Le développement des peuples, nouveau nom de la paix », 7-9 avril 1983, DC, Nr.1853, 1983, p. 553. S’il faut constater des variations du discours selon les circonstances et le public visé, l’attitude du Secrétaire d’Etat traduit bien la tonalité générale des positions du Vatican sur « l’autorité universelle » au début des années 1980 : reprise prudente de l’argumentation des prédécesseurs sans qu’il y ait jamais d’appropriation totale. 161. Voir les textes réunis dans L’individu, la nation, l’Etat, Section 3, pp. 15-24 ; Section 4, pp. 26-30. 162. JEAN-PAUL II, Allocution au Bureau du Parlement européen, 5 avril 1979, in ibid., pp. 33-34 ; également, Message pour le 1er janvier 1986, op. cit., § 4. 163. HEGEL, Principes de la Philosophie du droit, Paris, Gallimard, 1940, § 258-260. 164. Ibid., § 333. 165. Ibid., § 338. 166. BRUAIRE, op. cit., p. 115. 167. Ibid., p. 35. 168. Ibid., pp. 29-31. 169. HERR, Edouard, « De la dissuasion au désarmement par la politique », Revue théologique de Louvain, Nr.15, 1984, pp. 428-29. 170. Ibid. ; également, BRUAIRE, op. cit., p. 190. 275

171. HERR, op. cit., pp. 419-20,430. Les concepts de « force » et de « valeur » chez Herr semblent correspondre à ceux de « nature » et « liberté » chez Bruaire, dont il s’inspire d’ailleurs. 172. ANTOINE, op. cit., pp. 236-37. 173. JEAN-PAUL II, Discours aux juristes italiens, 6 déc. 1980, op. cit., p. 43 ; Discours au Président de la 40e Assemblée générale de l’ONU, 1985, op. cit., § 3,4. 174. COMBACAU, Jean, « L’Etat », in Droit International Public, par Jean Combacau, Hubert Thierry, Serge Sur, Charles Vallée, Paris, Montchrestien, 1984, pp. 211-15. 175. Sur ce point, MARITAIN, Jacques, Christianisme et démocratie, p. 43. 176. FERRY, Luc, PISIER KOUCHNER, Evelyne, « Les fondements des droits de l’homme », Encyclopedia Universalis, Supplément « Les enjeux », Paris, 1984, pp. 52-57. 177. WEBER, op. cit., pp. 219-20. Pour le détail des différents types de rationalité chez Weber, ibid., pp. 22- 23. 178. SUTOR, „Das Politische in den Friedenserklärungen“, op. cit., p. 473 (Traduction CG). 179. Ibid., p. 468 (GP, p. 13 ; CoP, pp. 425-26 ; GsF, p. 573). 180. Ibid., p. 469 (Traduction CG). 181. A titre d’exception, voir JEAN-PAUL II, Discours aux juristes italiens, op. cit., p. 44. Jean- Paul II esquisse ici une distinction entre violence et force, qui est « de la justice au concret ». 276

Conclusion

1 L’intervention de l’Eglise dans le débat sur la politique de défense, sa prise de distance par rapport aux principes classiques de la guerre juste, son insistance sur la « promotion de la paix » comme complément nécessaire à la politique de sécurité sont autant d’éléments qui prouvent qu’elle a pris au sérieux les changements provoqués par le développement des forces nucléaires et se refusera à concéder sans mot dire à l’autorité politique un pouvoir absolu sur ces instruments. Cependant, la distance critique qu’elle a acquise demeure insuffisante dans certains cas, inadéquate dans d’autres. Dans toutes les hypothèses, on observe une dépendance très étroite des conclusions épiscopales par rapport aux conditions du débat public dans chaque contexte national. On aboutit ainsi à une grande diversité des conclusions malgré une unité de principes d’évaluation et en dépit de l’identité du problème politico-stratégique à résoudre. Le mode d’influence des facteurs exogènes, dont nous avons montré le rôle dans les conclusions des documents épiscopaux, est conditionné par la compréhension qu’a l’Eglise dans chaque cas national de sa relation au politique, compréhension elle-même étroitement dépendante de son expérience historique. Ainsi, la symbiose des conclusions épiscopales avec des intérêts politiques existants se traduit-elle de manière différente aux Etats-Unis, en France et en Allemagne. Les évêques américains s’associent au mouvement de protestation libéral contre la politique reaganienne, succombant à un certain idéalisme. Leurs collègues français accordent leur caution à la dissuasion « du faible au fort », alors que leurs homologues allemands sont très soucieux de ne pas critiquer ouvertement la politique de défense du gouvernement chrétien-démocrate. Visiblement, les trois conférences épiscopales éprouvent une grande difficulté à garder une juste distance à l’égard de la décision gouvernementale.

2 Chez les évêques américains demeure un écart profond entre la modestie des objectifs du dialogue politique et l’idéalisme de la vision de l’ordre international. En mettant alternativement l’accent sur les aspects militaro-stratégiques de la sécurité et sur la description d’un ordre éthique idéal, ils se situent tantôt au niveau des décisions politiques (en particulier dans le domaine militaire), tantôt au niveau des valeurs à réaliser, de l’ordre politique, mais évacuent le stade intermédiaire, celui de la politique, indispensable pour nouer le lien entre les deux autres aspects. Les moyens concrets de la transition, qui prennent en compte les conflits existants et élaborent des voies pour les gérer pacifiquement, sont quasi absents de leur document. 277

3 Leurs collègues allemands et français sont beaucoup plus conscients des aspects politiques de la confrontation Est-Ouest, une attitude qui trouve entre autres sa résonance dans leur jugement de la dissuasion nucléaire. Mais, au sein même du jugement éthique, leur prise en compte du politique se heurte à plusieurs limites. Tout d’abord, ils analysent le conflit comme étant essentiellement de nature idéologique. Comme celui des gouvernements en place, leur objectif est d’éloigner le débat du cadre purement militaire où tendaient à le confiner les mouvements de paix et de le replacer sur le terrain politique. Dans le triangle constitué par les trois pôles éthique, politique et militaire du débat, c’est l’axe éthico- politique qui prévaut chez eux, alors que le discours des évêques américains reste orienté selon l’axe éthico-militaire. Mais la tentation est grande dans les deux documents de réduire le politique à l’idéologie. Si les évêques allemands concèdent que le comportement soviétique est motivé par d’autres facteurs (GsF, p. 578), ils ne font aucune analyse de la manière dont la volonté expansionniste de Moscou se manifeste au niveau mondial et façonne sa politique, et ils continuent de considérer le marxisme-léninisme comme la cause majeure du conflit. Ceci a pour conséquence, sur la plan pratique, que la « justice » sur laquelle repose la paix, ainsi que le veut le thème de la lettre (ibid., pp. 570-71) est réduite au respect des « droits de l’homme » selon une définition nettement occidentale (ibid., pp. 581-82). L’élargissement de l’approche qu’esquissent les évêques français dans leur conclusion (GP, pp. 13-15) vient trop tard pour modifier la perspective de leur jugement sur la dissuasion et sur la non-violence, qui reste guidée par l’analyse manichéenne caractéristique du début de leur document.

4 En second lieu, la distinction opérée explicitement par les évêques allemands et à laquelle adhèrent implicitement leurs confrères français entre « maintien de la paix » et « promotion de la paix » tend à faire de l’éthique un simple catalogue de recettes plaquées du dehors sur le politique, alors qu’elle devrait l’habiter, le modeler de l’intérieur. Les évêques allemands font un pas dans ce sens en affirmant que l’esprit du Sermon sur la Montagne a un rôle à jouer en politique, mais ils laissent le lecteur sur sa faim quant aux modalités pratiques de cette intervention.

5 D’une manière générale, les épiscopats européens résistent à la tentation de se prononcer sur toute prérogative qui appartient à leurs yeux aux privilèges de l’autorité étatique. L’Etat n’apparaît pas seulement comme le garant du bien commun de la nation ; il en est aussi le définisseur. Ainsi, le consensus sur lequel est basé l’ordre politique intervient-il comme un acquis plutôt que comme un processus, conduisant à une approche très moralisante du pouvoir1. En conséquence, toute remise en cause de ses décisions au nom d’une « démocratie de base » ne peut que soulever le spectre du dérangement de l’ordre et de la rupture de l’harmonie toujours recherchée entre les membres de la communauté. La crainte du conflit à l’intérieur rejoint la timidité à envisager une évolution politique sur le plan des relations internationales.

6 Contrairement à la recherche « critique » sur la paix, qui n’hésite pas à tirer un fil rouge entre transformations structurelles à l’intérieur d’une société et transformation de ses relations avec d’autres entités politiques2, les épiscopats rejettent toute idée de modification interne du système politique et social occidental comme préalable à une évolution des relations Est-Ouest. En adoptant les thèses de l’école de la « maîtrise des armements », ils refusent, certes, le statu quo politico-militaire, mais ils rejettent aussi une analyse des causes internes de la course aux armements qui, selon l’école critique, doit suppléer ou compléter le modèle classique de l’action-réaction3. Les partisans du gradualisme ou de la défense civile suggèrent au contraire qu’une modification des 278

rapports entre puissances ne s’effectuera que s’il y a d’abord changement auto-induit des comportements. La probabilité que de telles stratégies soient impossibles sans un renversement des valeurs, qui se répercuterait automatiquement sur les structures économiques et sociales4, les rend très suspectes aux yeux des corps constitués. Dans le contexte de la querelle sur les euromissiles, toute remise en cause du modèle d’organisation sociale, telle celles qui s’exprimèrent avec une particulière virulence en Allemagne, ne pouvait qu’apparaître comme une corruption des esprits par une idéologie dont le but ultime était la déstabilisation du système occidental. « Le conquérant aime toujours la paix. Il souhaiterait pénétrer sur notre territoire sans trouver de résistance » écrivent les évêques français, citant Clausewitz5.

7 En définitive, l’approche des évêques français et allemands n’est pas non plus exempte d’idéalisme, dans la mesure où elle s’attache aux résultats, laissant le choix des moyens à l’autorité politique plutôt que d’examiner comment ils pourraient être définis par un débat démocratique.

8 Outre-Atlantique, les évêques admettent plus facilement le modèle d’une démocratie participative, dans la tradition du pluralisme : l’Etat doit défendre les intérêts des individus et des groupes sociaux, mais pas jusqu’au point de détenir à leur égard un droit de vie ou de mort. Tel est le message que tente de faire passer l’épiscopat. En apparence, il peut sembler identique à celui que portent les groupes contestataires de la politique de défense en Europe. En réalité, il est beaucoup moins radical. Pour ceux-ci, l’Etat, puisqu’il est Etat de classe, maintient une situation de violence structurelle. Dans ce cas, il n’a plus droit légitimement au monopole de la force.

9 Quelles que soient leurs positions particulières, on constate un contraste entre les discours épiscopaux sur l’ordre international et sur les questions de sécurité. Ce contraste provient du fait que le premier se situe dans le registre des valeurs, voire dans un registre eschatologique, alors que le second, même imparfaitement, tient compte de la configuration des forces politiques. Mais lorsqu’il s’agit de passer de celui-ci au premier, on recherche en vain l’indication d’une démarche politique. En reprenant à leur compte la définition de la paix comme « processus ayant pour objectif une diminution de la force et une augmentation de la justice » (GsF, p. 568), les évêques allemands admettent que la paix n’est pas l’absence de conflit mais une modalité de règlement de celui-ci selon certaines règles établies ou à établir. Mais, tout comme leurs confrères américains, ils tendent à assimiler trop rapidement la définition de ces règles à l’aboutissement du processus de paix. L’élément dynamique autorisant l’insertion du processus politique disparaît6.

10 Cette limite a pour première conséquence l’absence de définition des effets pratiques du petit mot « encore » qui qualifie l’acceptation conditionnelle de la dissuasion nucléaire. Elle est à l’origine de la difficulté de concevoir la problématique d’un changement structurel qui, à travers une évolution de l’analyse de la sécurité, conduirait à une transformation du système, telle qu’elle apparaît comme l’objectif final dans les trois lettres pastorales. L’approche ne suffit pas à susciter l’émergence d’« utopies constructives » qui, sans bouleverser le système actuel, permettraient de déplacer les bornes d’une « éthique de responsabilité ». Peut-être une distinction plus claire entre les objectifs à court, moyen et long terme des efforts de détente et de promotion de la paix aurait-elle pu permettre d’éviter une certaine confusion des discours politique et eschatologique ? 279

11 Une éthique politique ne peut relever que de la raison pratique. Elle doit se définir au cœur de l’action, au cœur de la contingence. Une analyse plus poussée du politique à la fois comme domaine du conflit et processus de formation progressive d’une communauté aurait permis aux évêques de prendre davantage en compte le rôle de cette contingence dans leurs jugements. A son tour, cette prise en compte les aurait aidés à garder une distance critique vis-à-vis de la décision de l’autorité politique et à échapper aux pressions externes. En d’autres termes, ils auraient acquis une plus grande maîtrise de la situation, un préalable nécessaire à l’énoncé de toute proposition pratique.

12 Appartient-il pour autant au magistère de l’Eglise de fournir des solutions aux problèmes concrets qui se posent au décideur politique à un moment donné, que ce soit dans le domaine de la défense ou de l’économie ou sur tout autre sujet ? Nous ne le pensons pas. Cependant, il apparaît que seule une Eglise en dialogue avec la société civile et avec le pouvoir politique peut parvenir à faire entendre sa voix qui, dans le brouhaha des opinions, vient rappeler l’exigence du respect de certaines valeurs fondamentales. Or, dialogue exige compétence, ce qui nécessite une intervention au niveau des décisions concrètes, sans quoi la parole est vouée à rester sans prise sur la situation7. Mais cette intervention, nécessaire au nom des valeurs morales, n’implique pas que toute parole du magistère soit élevée au rang d’un dogme. En conséquence, il doit faire preuve d’une certaine prudence en distinguant clairement parmi ses propositions les divers niveaux d’argumentation et leur valeur. Certes, il lui reste difficile, tout comme à l’opinion publique en général, de faire la différence entre l’intervention de l’Eglise sur des questions éthiques et son enseignement dans le domaine de la foi. Mais, comme le montre l’exemple des évêques américains, dans le domaine éthique, sa parole ne peut apparaître comme un argument d’autorité, car l’éthique ne relève pas de l’idéal, mais bien du quotidien concret.

13 Son intervention est bien plutôt de l’ordre du questionnement. Elle ne vise pas à donner des solutions toutes faites, mais à attirer l’attention sur des événements, des faits sociaux ou politiques qui, s’ils n’étaient pas débattus, pourraient mener à de graves conséquences pour la vie de la communauté nationale ou internationale. Le discours épiscopal est celui de la stimulation, qui à la limite, peut se faire provocateur pour réveiller les consciences endormies. N’est-ce pas par là que l’Eglise peut retrouver un rôle prophétique sans s’évader dans un discours eschatologique sans portée sur le monde concret ? En même temps, elle participerait à la dynamique politique, dont l’un des principes de base est le débat public.

14 Ainsi les évêques n’ont-ils pas à définir les meilleurs moyens d’assurer la défense de l’Europe ou de l’Alliance atlantique. Mais, après avoir mis en garde contre une trop grande dépendance vis-à-vis de l’arme nucléaire pour assurer la sécurité, ils peuvent légitimement s’interroger sur l’opportunité de suppléer, par d’autres moyens, aux carences de celle-ci. Ce qui ne veut pas dire qu’ils doivent prendre fait et cause pour une défense conventionnelle, ou territoriale, ou même non-violente. Cependant, à partir du moment où tout le monde s’accorde à considérer que la dissuasion nucléaire est une situation notoirement insatisfaisante, il leur appartient de souligner que d’autres moyens de défense sont à l’étude dans certains milieux. Ils fourniraient ainsi une contribution importante au débat qui tend à rester réservé au cercle étroit des experts en stratégie, contribution d’autant plus opportune que les groupes qui effectuent des recherches sur une autre manière d’assurer la sécurité se réclament fréquemment de valeurs proches de 280

celles de l’Eglise. Un simple questionnement sur le sens d’une défense non-violente, à la manière de celui que hasardent les évêques français, est déjà un grand pas.

15 Prendre acte de certains développements et les porter à la connaissance du public n’appartient-il pas au devoir de vigilance du guetteur ? Pourtant ce n’est pas à lui de défendre la ville, mais à ceux qui, alertés par son cri, auront pris les mesures nécessaires. Ainsi, l’Eglise doit-elle être semblable au guetteur et, dans un monde où la dérisoire éclipse souvent l’essentiel, distinguer dans le flot des événements les valeurs en danger qu’il convient de préserver.

16 Dans la pratique des conférences épiscopales, ce sont les évêques américains qui sont les plus proches du modèle que nous venons d’esquisser. Leur expérience historique est sans doute un des facteurs déterminants. C’est cette même expérience qui conduit leurs confrères allemands et français à des positions bien différentes. Reprenons brièvement les données du problème dans les trois situations envisagées.

Aux Etats-Unis

17 Leur prise de position sur les problèmes contemporains de la dissuasion et de l’armement a conféré aux évêques américains une audience dans le débat de politique étrangère dont ils ne bénéficiaient pas jusqu’alors. Loin de n’être que l’émergence d’une manifestation isolée ou une réponse purement conjoncturelle à des événements extérieurs, elle fait partie d’une stratégie expérimentée au cours de la seconde moitié des années 1970 et formulée de plus en plus clairement depuis 1980. Une hypothèse de base et trois lignes de force jalonnent le discours des dirigeants de la conférence épiscopale entre 1981 et 1984. L’hypothèse est celle de Vatican II : il n’y a pas et il ne doit pas y avoir de séparation entre l’Eglise et la société, alors même que la séparation entre l’Eglise et l’Etat est un acquis irréversible indispensable à la liberté des deux parties8. La première ligne de force réside dans la volonté déclarée de faire émerger de débats souvent confinés aux cercles technocratiques du pouvoir la dimension morale des problèmes en cause et de faire pression pour qu’elle soit prise en compte dans le concret de la décision9. En second lieu, on assiste de la part des évêques à une prise de conscience du rôle de l’opinion publique dans la formulation des choix politiques et en conséquence, de l’importance d’une formation préalable de cette opinion. Il ne s’agit donc plus seulement de donner une sanction morale a posteriori à la décision politique – contrairement à ce que les évêques allemands conçoivent en matière de maintien de la paix – mais d’exercer une influence à la racine du choix politique. La formule “help to shape the public debate”, qui est revenue très souvent dans la bouche des dirigeants de l’Eglise catholique américaine au cours des discussions sur « Le défi de la paix »10, résume bien cette intention. Hors de la référence théologique, qui est celle de la réponse aux « signes des temps »11 l’attitude épiscopale apparaît comme un mélange idiosyncratique de l’esprit pluraliste américain et, à doses homéopathiques, de certaines idées développées par l’analyse critique des sciences sociales. D’une certaine manière, les évêques se posent en thérapeutes d’une société inconsciente des véritables enjeux qui hypothèquent son avenir, soit à cause de sa passivité, soit du fait de son absence d’esprit critique vis-à-vis de la rhétorique gouvernementale (CoP, p. 736). Ils ont véritablement occupé une place de leaders au sein de la communauté catholique dans le débat sur les armements. En s’attribuant ce nouveau rôle, le magistère catholique démontre une claire prise de conscience de la puissance potentielle dont dispose l’Eglise dans une société pluraliste : puissance à cause 281

de sa vision, qui accorde à la composante sociale un rôle central ; puissance en tant qu’institution, capable de se situer sur un plan d’égalité avec d’autres institutions dans le dialogue politique12. La cohésion acquise par la conférence épiscopale au cours de la rédaction de la lettre pastorale fut un élément déterminant, autant du point de vue de sa situation sur l’échiquier politique interne que vis-à-vis du Vatican.

18 En avouant qu’elle se trouve en compétition avec d’autres groupements porteurs de hiérarchies de valeurs différentes13, l’Eglise admet implicitement que l’enjeu est une véritable lutte pour la définition de l’assise respective de diverses philosophies et institutions dans une configuration sociale donnée et de là, de leur influence sur la décision politique qui en émane. A ce propos, il est intéressant de remarquer que si la puissance de l’Eglise en tant que groupe social est une préoccupation commune des évêques américains, européens et du Vatican, les opinions divergent totalement quant aux attitudes susceptibles de la consolider ou au contraire de la mettre en danger. Alors que l’épiscopat américain voit dans son engagement sur des questions politiques concrètes un renforcement de l’influence catholique sur le processus de prise de décision politique, Rome et une grande partie des évêques allemands craignent qu’en proposant des opinions fondées sur l’évaluation de facteurs techniques ou militaires, « les fidèles [soient] troublés, leur liberté légitime de choix gênée, le magistère des évêques atténué, et donc l’influence de l’Eglise dans la société affaiblie »14.

19 La divergence des conceptions apparaît encore plus clairement si l’on considère le troisième principe directeur de l’engagement des évêques américains. En demandant que les responsables religieux soient soumis « aux mêmes examens de rationalité que tout autre individu ou institution » dans le cadre du débat public15, les évêques renoncent à réclamer pour eux-mêmes un statut particulier16. Ce principe a pour conséquence immédiate l’impossibilité de se cantonner à un discours abstrait, qui ne serait que le rappel de règles morales générales. Rationalité exige compétence, qui conduit nécessairement à l’intervention sur des problèmes concrets. Or, la tendance qui s’est dessinée depuis le Concile et que préconise Rome, surtout en matière d’armements, est exactement inverse.

20 Bryan Hehir propose de baser l’intervention de l’Eglise dans le débat politique sur une « philosophie publique » plutôt que sur une « théologie publique »17. Alors que la seconde fait appel aux « symboles de communauté, d’interdépendance et d’amour humains, qui plongent leurs racines dans la tradition biblique »18, la première préfère s’appuyer sur les ressources de l’argumentation rationnelle telle qu’elle a été intégrée à la tradition catholique depuis Thomas d’Aquin. Les catégories de la « religion civile »19, issues du protestantisme, sont toujours restées étrangères au monde catholique20. Elles apparaissent trop particularistes pour fonder une éthique universellement valable, même sur le plan national. De l’avis de Hehir, il est nécessaire de garder une certaine séparation entre les aspects internes et externes de la réflexion morale. La tâche de définition des options de l’Eglise (comme communauté et comme institution) doit rester distincte de la projection de la perspective catholique dans le débat public21.

21 Si cette distinction est utile sur le plan théorique, elle est difficile à mettre en œuvre dans la pratique. Les évêques américains n’ont pas toujours su se soustraire au danger inhérent à toute « philosophie publique », qui risque de n’être qu’une « réaffirmation sans discernement des catégories de la culture contemporaine et une réappropriation de partis pris culturels en contradiction avec le contenu moral de la foi chrétienne »22. Nombre d’observateurs européens leur ont reproché de s’être laissés porter par les 282

tendances alors en vogue au sein de l’opinion, cédant de ce fait à l’émotivité et renonçant à leur capacité de jugement23.

22 Mais la critique n’a pas infléchi la ligne des évêques américains : au contraire, elle les a renforcés dans leur conviction que l’Eglise a à la fois mission et compétence pour intervenir dans le débat politique public24 et elle les a incités à clarifier avec plus de netteté les niveaux de leurs interventions pour en renforcer la pertinence éthique25.

23 Les controverses américaines sur le pluralisme dans l’Eglise catholique ne sont pas sans rappeler les débats qui se déroulèrent au sein du catholicisme français au début des années 1970.

En France

24 La discussion en cours dix ans plus tard aux Etats-Unis apparaît largement comme une transposition du débat qui eut lieu à partir des réflexions épiscopales sur les relations entre socialisme et appartenance à l’Eglise26, puis à propos des prises de position de certains prélats sur la question des armements27. Les conclusions du document publié en 1972 par la Conférence épiscopale française sur la signification de l’action politique, le sens de l’engagement chrétien en politique, les possibilités et les limites d’un pluralisme politique dans l’Eglise, et plus largement, la relation entre foi et politique, sont très semblables à celles que tirera ultérieurement son homologue américaine28. Ces conclusions se résument en quatre grands principes.

25 1) La foi a une dimension sociale et politique29 ; en corollaire, le rôle de l’Eglise s’articule avec celui de l’ensemble des forces sociales dans le jeu politique30.

26 2) Le pluralisme des options politiques est légitime au sein du catholicisme31 ; un pluralisme qui, cependant, ne doit pas être absolu, sous peine de se transformer en indifférentisme, renvoyant la foi à une affaire privée ou se drapant de la couverture d’une fausse neutralité des options politiques à l’égard des exigences éthiques posées par la Bible32. S’il faut concéder que celle-ci ne définit pas un « programme » politique, les exigences éthiques qu’elle contient ne permettent pas n’importe quelle option. Les évêques américains ne disent rien d’autre quand ils insistent sur le fait que « les jugements moraux [portés] dans des cas spécifiques, tout en n’étant pas contraignants pour la conscience, doivent recevoir de la part des catholiques une grande attention et un sérieux examen chaque fois qu’ils s’interrogent sur la cohérence de leurs jugements moraux avec l’Evangile » (CoP, p. 719).

27 3) Le pluralisme, admis et encouragé parmi les militants chrétiens, pose un problème spécifique en cas d’engagement politique des évêques et des prêtres. Dans ce domaine, la règle d’or doit être celle de la cohérence « avec la mission de l’Eglise et leur mission spécifique dans l’Eglise », qui est au service de « l’unité » et de « l’universalité »33. C’est aussi ce que rappelait le Père Schotte en faisant allusion aux évêques américains devant le symposium de Bad Godesberg en décembre 198334.

28 Mais la neutralité pastorale à laquelle le Vatican souhaiterait réduire les conférences épiscopales ne semblait pas être du goût des évêques français au début des années 197035, comme elle ne le sera pas de leurs collègues américains dix ans plus tard.

29 4) L’Eglise a en effet une tâche critique à exercer sur le politique36. Afin qu’elle soit à même de remplir cette fonction, une indépendance et un respect mutuel sont nécessaires 283

entre Eglise et instances politiques. L’Eglise « a le droit d’avoir un statut spécifique, “de droit”, ou “de fait”, qui lui permette de remplir sa fonction37 », mais elle doit aussi respecter « l’autonomie de la société politique et de ses responsables »38.

30 C’est sans doute en partie parce que l’on a reproché dix ans plus tôt aux évêques français ce manque de respect, précisément dans le domaine de la défense nationale, qu’ils se montrent d’une extrême prudence en 1983. A priori, le respect de l’autonomie du politique contredit la volonté critique et l’ouverture au dialogue qui caractérisaient l’épiscopat français au début des années 1970, faisant apparaître la prise de position de 1983 sur la guerre et la paix comme paradoxale. En réalité, le paradoxe existe davantage au niveau de ses procédures d’élaboration que de son contenu. La réserve que souhaitait garder l’épiscopat à l’égard de la décision politique coïncidait avec le souci de se démarquer de mouvements qui contestaient le courant de pensée dominant caractérisé par un fort anti- communisme et une adhésion presque sans faille à la dissuasion nucléaire. Les évêques ont voulu à tout prix éviter de se faire dépasser par une minorité revendicatrice, un impératif qui rejoignait leurs convictions propres en matière de défense et leur crainte d’un engagement politique trop poussé.

En Allemagne

31 L’interprétation dominante des relations Eglise-Etat en Allemagne, que ce soit au sein des Eglises catholique ou protestante, rejette la séparation catégorique caractéristique des modèles américain et français. Sur la base de son expérience allemande, le cardinal Ratzinger écrivait en 1984 : [L’Etat] doit reconnaître qu’une structure de base constituée par des valeurs d’inspiration chrétienne est le fondement de son existence. Dans ce sens, il doit reconnaître son lieu historique, le terreau dont il ne peut totalement se séparer sans se disloquer. Il doit apprendre qu’il existe des vérités permanentes qui ne sont pas soumises au consensus mais qui, au contraire, le précèdent et lui permettent d’émerger39.

32 Comme l’a fait remarquer un commentateur, il est difficile de justifier le sous-titre choisi pour cette contribution : « arguments à l’encontre d’une théologie politique », alors même que le sens de l’article apparaît justement comme une intervention, au nom des valeurs chrétiennes, dans l’organisation de la société politique40. Toutefois, l’approche du cardinal, plutôt que d’être l’exception, paraît bien être la règle. La contribution des Eglises à la formulation des valeurs est reconnue en Allemagne par le droit positif et s’exprime par le concept de „Öffentlichkeitsauftrag der Kirche“, dont le Tribunal constitutionnel a reconnu qu’il ne dépendait pas d’un droit octroyé par l’Etat, mais de la nature même de l’institution ecclésiastique41. Si l’étendue de cet „Öffentlichkeitsauftrag“ porte parfois à controverse42, son existence n’est pas remise en cause. Il confère aux Eglises une prérogative particulière dans la vie politique et sociale nationale, qui n’existe pas aux Etats-Unis ou en France, où celle-ci n’ont que le droit d’exprimer leur opinion au même titre que tout autre groupe constitué.

33 Cette position a à la fois un avantage et un inconvénient. Positivement, elle exempte l’Eglise d’une justification a priori de son intervention dans les domaines politiques et sociaux. Négativement, le modus vivendi passé entre l’Eglise et le pouvoir constitue un obstacle à la remise en cause des décisions de l’une de la part de l’autre. La fonction d’interpellation « prophétique » que s’attribue l’Eglise par son „Hüter- und Wächtersamt“ 284

43 ne peut s’exprimer dans la pratique que sous une forme très atténuée. A cela, comme nous l’avons montré, il faut ajouter le fait qu’en Allemagne, la marge de manœuvre de l’institution catholique est réduite par l’étroitesse des relations instaurées depuis 1945 entre la hiérarchie et l’appareil du parti chrétien-démocrate, le Comité Central jouant un rôle médiateur essentiel entre les deux instances (Cf. Chap. II). C’est sans conteste la raison de la réserve des évêques allemands en matière de propositions stratégiques concrètes. Il leur eût été impossible de ne pas contredire les positions du gouvernement ou du ZdK s’ils voulaient en même temps éviter d’apparaître en contradiction flagrante avec leurs confrères américains et de s’aliéner une grande partie des mouvements de paix catholiques. Le double mouvement qui caractérise leur position : absence de critique des décisions stratégiques concrètes, mise en garde contre les risques de déstabilisation du système que représentent les actions des mouvements de paix, est symptomatique de leur dépendance à l’égard des courants qui ont agité le monde politique allemand entre 1980 et 1983. L’étroitesse du lien, non seulement avec un parti spécifique, la démocratie chrétienne, mais avec le modèle politique élaboré depuis 1949, aurait difficilement pu permettre une attitude différente.

34 Quelle que soit la justification apportée par les conférences épiscopales à leur intervention – participation au débat public ou énonciation de principes moraux intimement liés aux dogmes de la foi catholique –, quel que soit le mode de jugement dont elles se réclament – loi naturelle ou propositions bibliques –, les conclusions auxquelles elles aboutissent restent étroitement dépendantes du contexte national dans lequel elles s’inscrivent. En conséquence, évêques allemands et français ont adopté une « éthique de responsabilité » attribuable pour les premiers au rôle qu’ils se reconnaissent dans le système politique, pour les seconds à l’impossibilité de prendre leur distance par rapport au consensus national sur la dissuasion. Leurs confrères américains, plus portés à l’origine vers une « éthique de conviction », ont dû renoncer à certaines de leurs thèses sous la triple pression des épiscopats européens, du Vatican et des groupes soutenant la politique de défense. Certes, le choix d’une éthique de responsabilité ne saurait être reproché aux évêques. Au terme de cette étude, nous exprimerons une seule crainte : l’impossible critique de la décision politique ne risque-t-elle pas de réduire à la stérilité la conviction même qui a motivé l’intervention des évêques, à savoir l’idée, déjà contenue dans les documents du Concile Vatican II, selon laquelle la dissuasion ne pourra jamais procurer une paix véritable ?

NOTES

1. SUTOR, „Das Politische in den Friedenserklärungen“, op. cit., p. 470. 2. MUTZ, op. cit., p. 128-32. 3. Ibid., p. 135 ; SENGHAAS, Abschreckung und Frieden, pp. 145-60 ; „Kann Europa abrüsten ?“, op. cit., pp. 100-111. 4. « La recherche sur la résolution non-violente des conflits en Allemagne fédérale », Entretien avec Theodor Eben, Non violence politique, avril 1983, pp. 7-8. 285

5. GP, p. 6. Mgr Jullien nous a confié que cette citation a été incluse dans le texte à la suggestion d’un militaire. 6. SUTOR, Bernhard, „Frieden schaffen durch Politik, Der politische Gehalt lehramtlicher Aussagen der Kirche“, Stimmen der Zeit, 1982, Bd.200/4, pp. 219-32. 7. Dans ce sens, voir VALADIER, Paul, L’Eglise en procès, Catholicisme et société moderne, Paris, Calman- Lévy (Coll. « Liberté de l’Esprit »), 1987, pp. 143-45. 8. ROACH, Archbishop John, “The Need for Public Dialogue between Religion and Politics”, Address to the Annual Meeting of the NCCB, Nov. 17, 1981, Origins 11(25), 1981, p. 392. 9. ROACH, Archbishop John, “The Public Policy Task of the Church”, Address to the annual Supreme Council Meeting of the Knights of Colombus, Aug. 18, 1981, Origins 11(12), 1981, p. 179 ; HEHIR, J. Bryan, “Nuclear Weapons”, op. cit., pp. 135, 139. 10. BERNARDIN, “A Consistent Ethic of Life: An American Catholic Dialogue”, op. cit., p. 2. Nous croyons savoir que cette formule revient à Bryan Hehir. 11. Théologie inaugurée par Jean XXIII et reprise par le Concile, PT § 39-45, GS § 4.1. 12. Mgr Malone souligne : « une déclaration de la conférence sur une question particulière nous donne en tant qu’évèques une place dans l’opinion publique qui est différente de toute expression isolée de la même position », MALONE, « Au carrefour... », op. cit., p. 188. 13. Mgr Roach mentionne la « Majorité Morale » ; ROACH, “The Need for Public Dialogue”, op. cit., p. 392. 14. SCHOTTE, « Mémorandum », op. cit., p. 712. 15. MALONE, op. cit., p. 187 ; également, ROACH, “The Need for Public Dialogue”, op. cit., p. 392. Roach ajoute le critère de la compétence en matière d’analyse morale. 16. Mgr Malone est clair à ce sujet : « Nous ne cherchons aucun statut spécial et on n’a pas à nous en accorder un » ; MALONE, ibid. 17. HEHIR, J. Bryan, “The Perennial Need for Philosophical Discourse”, Theology and Philosophy in Public: A Symposium on John Courtney Murray’s Unfinished Agenda, Theological Studies, vol. 40, Nr.4, Dec. 1979, p. 712. 18. HOLLENBACH, David, “A Fundamental Political Theology”, Conclusion to the Debate, ibid., p. 713 (Traduction CG). 19. Sur la « religion civile », voir BERGER, Peter, The Sacred Canopy, New York, Anchor Books, 1967 ; BENNETT, W. Lance, “Political Sanctification: The Civil Religion and American Politics”, Social Science Information, 14(6), 1975, pp. 79-102. 20. HART, Roderick P., The Political Pulpit, Purdue (In). Purdue University Press, 1977, p. 63. 21. HEHIR, “The Perennial Need for Philosophical Discourse”, op. cit., pp. 710-11. 22. HOLLENBACH, “A Fundamental Political Theology”, op. cit., p. 715 (Traduction CG). 23. Ainsi le Père Schotte au Symposium „Katholische Bischofskonferenzen zum Thema Frieden“ : „Inmitten einer Diskussion, die zeitweise sehr lautstark war und es immer noch ist, müssen sie in der Lage sein, frei und offen in Treue zu ihrer Sendung, aber auch mit kritischer Intelligenz zu sprechen – ohne sich vom Druck und dem manchmal leeren Wortschwall öffentlicher Ereignisse, den Übertreibungen durch die Medien und der widersprüchlichen Verteidigung von Interessen ablinken zu lassen“, SCHOTTE, „Der Apostolische Stuhl und die Bischofskonferenzen“, op. cit., p. 314. 24. Conviction réaffirmée lors de la préparation de la lettre pastorale sur l’économie en 1985 ; MALONE, « Au carrefour... », op. cit. ; et plus récemment, en prévision des élections présidentielles de 1988 ; USCC, Conseil Administratif, « Responsabilité politique : Des choix pour l’avenir », 14 oct. 1987, DC, Nr.1955, 1988, pp. 166-72. 25. Ainsi, la structure de la lettre pastorale de 1986 sur l’économie permet-elle de distinguer plus nettement les principes moraux (Chap. II) de l’examen des problèmes spécifiques (Chap. III) : NCCB, « Justice économique pour tous : enseignement social catholique et économie 286

américaine », Lettre pastorale, 13 nov. 1986, DC, Nr.1942, 1987, pp. 617-81 (en particulier § 20, 135). 26. Voir LEHALLE, Michel, PACCIONI, Francis, Essai sur certaines positions prises par l’Episcopal en matière politique dix ans après Vatican II, IEP Paris, DEA d’Histoire, 1976, pp. 13-16. Le principal document incriminé est le texte de la Commission épiscopale du monde ouvrier, « L’option socialiste des militants ouvriers et les évêques », in Des évêques français prennent position, La société, la politique, le socialisme, les pouvoirs publics, la civilisation, Dossier présenté par Pierre Toulat, Paris, Centurion, 1972, pp. 102-115. 27. « Débat autour de la bombe atomique française », DC, Nr. 1637, 1973, pp. 709-13. 28. PPCP et travaux préparatoires, in Politique, Eglise et Foi, Pour une pratique chrétienne de la politique, Rapports présentés à l’Assemblée plénière de l’Episcopat français, Lourdes, 1972, Paris, Centurion, 204 p. Voir aussi, Commission épiscopale du monde ouvrier, « L’Eglise et la classe ouvrière », 14-16 mai 1971, in Des évêques français prennent position, pp. 88-101 ; « L’option socialiste des militants ouvriers et des évêques », op. cit. 29. PPCP op. cit., pp. 1012, 1019 ; « Le pluralisme politique des catholiques français », Politique, Eglise et Foi, Annexe 3, p. 180. 30. PPCP, op. cit., pp. 1019-20. 31. PPCP, op. cit., p. 1012 ; « Le pluralisme politique des catholiques français », op. cit., pp. 190-92. 32. PPCP, op. cit., p. 1013 ; « Le pluralisme politique des catholiques français », op. cit., pp. 182-84, 186-87. Voir aussi GS § 43.1. 33. PPCP, op. cit., p. 1017. 34. SCHOTTE, „Der apostolische Stuhl und die Bischofskonferenzen“, op. cit., p. 325. 35. La priorité du souci pastoral n’implique pas une neutralité absolue, en raison même des solidarités sociales dans lesquelles s’exerce la tâche pastorale, et aussi parce que « l’Evangile n’est pas neutre », affirment les évêques français ; PPCP, op. cit., pp. 1017-18. 36. Ibid., pp. 1016, 1017 ; « Le pluralisme politique des catholiques français », op. cit., pp. 191-92. 37. PPCP, op. cit., p. 1020. 38. Ibid., p. 1019. 39. RATZINGER, Kardinal Joseph, „Der Mut zur Unvollkommenheit und zum Ethos – Was gegen eine politische Theologie spricht“, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 4 April 1984 (Traduction CG). 40. FISCHER, Erwin, „Kirche und Staat in katholischer Sicht“, Vorgänge, Heft 5/1984, Nr.71, pp. 6-9. 41. D’après le professeur Listl, „Die Kirchen seien ihrem Wesen nach und daher auch rechtlich. Institutionen, deren Gewalt und Befugnisse sich nicht aus der staatlichen Ordnung herleiten“, LISTL, Joseph, in „Diskussionsbericht“, Kirche und Staat in der Bundesrepublik, 1949-63, p. 167. De manière plus détaillée, LISTL, J., „Das Staatskirchenrecht in der BRD von 1949 bis 1963“, ibid., pp. 9-40. 42. Voir les discussions qui ont suivi la publication de la lettre pastorale des évêques catholiques pour les élections de 1980 ; „Der Wahlhirtenbrief 1980 : eine Anfrage an die deutsche Bischöfe“, Herder Korrespondenz, Heft 11/1980, pp. 570-73 ; ou ont eu lieu à propos de certaines prises de position de l’Eglise évangélique, „Helmut Schmidt : ‘Weil sie nicht beten können’...“, Publik Forum, Nr.8, 17 April 1981, p. 5. 43. Aufgaben der Kirche in Staat und Gesellschaft, Ein Arbeitspapier der Sachkommission V der Gemeinsamen Synode der Bistümer in der Bundesrepublik Deutschland, Sonderdruck aus « Synode 1/1973 », Bonn, Sekretariat der Deutschen Bischofskonferenz, p. 6. 287

Bibliographie 288

I. Sources

Pour chaque auteur, les sources sont présentées par ordre chronologique et les ouvrages par ordre alphabétique. Certains articles courts mentionnés en note infrapaginale ne sont rappelés que par les titres des périodiques cités en fin de bibliographie.

A. Non publiées a. France

- Sources écrites

CHAVANAT, Colonel Dominique, Les évêques américains et la dissuasion nucléaire, Eléments de réflexion, Strasbourg, 20 sept. 1982, 7 p. Conférence épiscopale française, Response to the First Draft of Proposed Pastoral Letter on War and Peace by the NCCB Ad hoc Committee on War and Peace, Sept. 24, 1982. Conseil Permanent de l’Episcopat français, minutes de la réunion du 12-14 septembre 1983. JULLIEN, Mgr Jacques, Gagner la Paix, Projet de texte : contribution au projet à soumettre au Conseil Permanent de l’Episcopat, 28 juin 1983, 25 p., Annexes. Secrétariat général de l’Episcopat, Documents sur la paix et le Désarmement, Paris, 3 janv. 1983. Lettre circulaire Nr. 19/1980. Lettre circulaire Nr.21/1982. Lettre circulaire Nr.26/1983. Lettre circulaire Nr.50/1983.

- Interviews

BOUDOURESQUES, Bernard, Prêtre de la Mission de France, rédacteur de La paix autrement, Paris, 18 juin 1985. CHAVANAT, Général Dominique, Directeur de l’Ecole Polytechnique, Paris, 28 nov. 1985. COSTE, Père René, Théologien de la Faculté Catholique de Toulouse, Toulouse, 4 avril 1985. DAVID, Dominique, Expert à la Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, Paris, 4 nov. 1985. 289

DEFOIS, Père Gérard, Recteur de l’Université Catholique de Lyon, précédemment Secrétaire général de la Conférence épiscopale, Lyon, 7 juin 1985. FIHEY, Mgr Jacques, Evêque en charge du Vicariat aux Armées, Paris, 14 juin 1985. GAILLOT, Mgr Jacques, Evêque d’Evreux, Evreux, 24 juin 1985. JULLIEN, Mgr Jacques, Evêque de Rennes, Paris, 9 juin 1985, Rennes, 5 juil. 1985. KLEIN, Jean, Chercheur à l’Institut Français de Relations Internationales, Délégué laïc de Pax Christi, Paris, 15 mai 1985. LEMAN, Mgr Gérard, Délégué ecclésiastique de Pax Christi, Paris, 19 juin 1985. MATAGRIN, Mgr Gabriel, Evêque de Grenoble, Grenoble, 1er juil. 1985. TOULAT, Abbé Pierre, Secrétaire de la Commission française Justice et Paix, Paris, 21 mai 1985. b. Allemagne

- Sources écrites

German Bishops Conference, Response to the First Draft of Proposed Pastoral Letter by the NCCB Ad hoc Committee on War and Peace, Aug. 18, 1982.

- Interviews

BAADTE, Günter, Chargé de recherches à la „Katholische Sozialwissenschaftliche Zentralstelle“, Mönchengladbach, 22 juil. 1985. BÖCKENFÖRDE, Ernst-Wolfgang, Directeur de l’Institut de Droit Public de l’Université de Freiburg/Breisgau, Juge au Tribunal Constitutionnel Fédéral (Bundesverfassungsgericht), 23 juil. 1985. BÖCKLE, Franz, Théologien, Recteur de l’Université de Bonn, Bonn, 12 févr. 1985. HARLES, Lothar, Président du „Bund der Deutschen Katholischen Jugend“, Bonn, 6 mars 1985. HOMEYER, Mgr Josef, Evêque de Hildesheim, Secrétaire général de la Conférence épiscopale de 1971 à 1983, Hildesheim, 16 janv. 1986. KAMPE, Mgr Walther, Evêque auxiliaire de Limbourg, Président de Pax Christi-Allemagne, Membre du Comité de rédaction de la lettre pastorale, Limbourg, avril 1985. KERTELGE, Karl, Théologien, Université de Münster, 28 févr. 1985. KOPPE, Karleinz, Membre de Pax Christi et du „Bensberger Kreis“, Bonn, 11 mars 1985. KOSCHEL, Angsar, Secrétaire général de Pax Christi-Allemagne, Frankfurt/Main, 17 avril 1985. LAMERS, Karl, MdB, Président directeur de la „Karl-Arnold Stiftung“, Bonn, 29 avril 1985. LANGENDÖRFER, Hans, Théologien moraliste Bonn, 21 févr. 1985, 26 mars 1985. MAIER, Hans, MdB, Président du „Zentralkomitee der deutschen Katholiken“, Munich, 23 juil. 1985. NAGEL, Ernst-Joseph, Directeur de 1’„Institut für Theologie und Frieden“, Barsbüttel (Hambourg), 26 févr. 1985. OBERHEM, Harald, Conseiller auprès de l’aumônerie militaire, Bonn, 5 mars 1985. PAWLOWSKI, Harald, Rédacteur en chef de Publik-Forum, Frankfurt/Main, 17 avril 1985. REICHART, Chargé de relations avec l’Eglise catholique au Parti Social-Démocrate (SPD), Bonn, 7 mars 1985. RISSE, Heinz-Theo, Secrétaire du „Katholischer Arbeitskreis Entwicklung und Frieden“, Bonn, 25 févr. 1985. 290

SCHULZE-BERNDT, Marielle, Porte-parole de 1’„Initiative Kirche von unten“, Bonn, 22 mars 1985. ZAUZICH, Christine, Journaliste au Rheinischer Merkur, Bonn, 7 mars 1985. c. Etats-Unis

- Sources écrites

CLARK, William, National Security Adviser, Letter to Mrs. Clare Boothe Luce, July 30, 1982. EAGLEBERGER, Lawrence, Undersecretary of State for Political Affairs, Letter to Archbishop Bernardin, June 5, 1982. GUMBLETON, Bishop Thomas, “The Bishop in the American Political and Economic Context”, Address to the National Assembly of Bishops, Collegeville, June 13-23, 1982, ronéotypé, 26 p. NCCB Ad hoc Committee on War and Peace, God’s Hope in a Time of Fear, First Draft, Pastoral Letter on Peace and War, June 11, 1982, 70 p. ROSTOW, Eugene, Director of the Arms Control and Disarmament Agency, Letter to Fr. Bryan Hehir, July 20, 1982. RUSSETT, Bruce M., Second Draft Outline of Possible Pastoral Letter, taking into account comments on the first draft at our Jan. 27 meeting, Feb. 12, 1982, 4 p.

- Interviews

BERNARDIN, Cardinal Joseph, Archevêque de Chicago, Président du Comité de rédaction de la lettre pastorale, Chicago, 14 mars 1984. CASEY, Sr. Juliana, “Leadership Conference of Women Religious” (LCWR), membre du Comité de rédaction de la lettre pastorale, Detroit (Mi), 7 janv. 1984. CHITTISTER, Sr. Joan, Ancienne Présidente du LCWR, Erie (Pa), 29 déc. 1983. CORNELL, Thomas, Membre du “Catholic Worker”, de Pax Christi-USA et de la “Catholic Peace Fellowship”, Waterbury (Ct), 21 déc. 1983. CURRAN, Fr. Charles, Théologien moraliste, Catholic University of America, Washington DC, 15 déc. 1983. DOHERTY, Edward, Expert de l’“Office of Justice and Peace” de l’USCC/NCCB, Assistant de rédaction de la lettre pastorale, Washington DC, 19 mars 1984. FULCHER, Mgr. George, Evêque de Lafayette (In) (+), Membre du Comité de rédaction de la lettre pastorale, Bloomington (In), 19 janv. 1984. GILLIGAN, Governor, John, Université de Notre Dame (In), 7 nov. 1983. GREMILLION, Mgr. Joseph, Université de Notre Dame (In), 8 nov. 1983. GUMBLETON, Mgr. Thomas, Evêque auxiliaire de Detroit, Président de Pax Christi-USA, Membre du Comité de rédaction de la lettre pastorale, Cincinnati, (Ohio), 7 oct. 1983, Detroit (Mi), 4 janv. 1983. HEHIR, J. Bryan, Secrétaire de l’“Office of Justice and Peace” de l’USCC/NCCB, Washington DC, 16 déc. 1983. HESBURGH, Rev. Theodore, Président de l’Université de Notre Dame (In), 8 nov. 1983. KANE, Fr. Frank, Office for the Ministry of Peace and Justice, Archevêché de Chicago, 3 janv. 1984. LANGAN, John, Woodstock Theological Center, , Washington DC, 15 déc. 1983. MURPHY, Matthew, United States Arms Control and Disarmament Agency, Washington DC, 20 mars 1984. 291

O’BRIEN, William V., Directeur du Département de Sciences Politiques, Georgetown University, Washington DC, 16 déc. 1983. O’CONNOR, Cardinal John, Archevêque de New York, Membre du Comité de rédaction de la lettre pastorale, Scranton (Pa), 20 déc. 1983. POTTER, Ralph, Théologien, Harvard Divinity School, Cambridge (Ma), 22 déc. 1983. RUSSETT, Bruce M., Politologue, , Conseiller du Comité de rédaction de la lettre pastorale pour les questions stratégiques, New Haven, 21 déc. 1983. VANDERHAAR, Gerard, Membre du Bureau directeur de Pax Christi- USA, Cincinnati (Ohio), 7 oct. 1983. ZAHN, Gordon C., Membre du Bureau directeur de Pax Christi-USA, Cincinnati (Ohio), 7 oct. 1983. d. Autres origines

- Sources écrites

Commission pontificale “Iustitia et Pax”, Observations on the First Draft Pastoral Letter of the NCCB, on Peace and War “God’s Hope in a Time of Fear”, July 8, 1982. Press Conference by Secretary of State of Holy See, 11 June 1982, New York, United Nations Department of Information, 2 p.

- Interviews

BACKIS, Mgr. Audrys, Sous-Secrétaire d’Etat aux Affaires Publiques de l’Eglise, Rome, 16 avril 1986. JADOT, Mgr. Jean, Délégué apostolique aux Etats-Unis de 1973 à 1981, Bruxelles, 26 sept. 1986. De JONGHE, Etienne, Secrétaire général de Pax Christi International, Anvers, 22 avril 1985. PRIGNON, Mgr. Albert, Secrétaire de la Conférence épiscopale belge, Liège, 8 juil. 1985.

B. Publiées

1. Déclarations épiscopales a. France

ANCEL, Mgr., « Le problème de la légitimité de l’insurrection en Algérie », mars 1958, DC, Nr.1306, 1959, col. 311-12. Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, Appel du 14 juin 1950, DC, Nr.1073, 1950, col. 907-8. Déclaration du 7 mars 1958, DC, Nr.1273, 1958, col. 340. Déclaration du 14 octobre 1960, DC, Nr.1339, 1960, col. 1367-68. Assemblée plénière de l’Episcopat français, Pour une pratique chrétienne de la politique, Lourdes, 28 oct. 1972, DC, Nr.1620, 1972, pp. 1011-21. Conférence épiscopale française, Gagner la paix, Les grands textes de la Documentation Catholique, Nr.46, Paris, 1983, 15 p. Des évêques face au problème des armes, Dossier présenté par Pierre Toulat, Paris, Le Centurion, 1973, 168 p. Des évêques français prennent position, La société, la politique, le socialisme, les pouvoirs publics, la civilisation, Dossier présenté par Pierre Toulat, Paris, Le Centurion, 1972, pp. 102-115. 292

FELTIN, Cardinal, « L’enseignement de l’Eglise sur le respect de la personne humaine », DC, Nr.1340, 1960, col. 1421-26. GAILLOT, Mgr. Jacques, « Pourquoi j’ai voté contre », Le Monde, 12 nov. 1983. « Gagner la paix : un simple mot », La Croix, 19 nov. 1983. « Les raisons d’un refus », Témoignage Chrétien, 21-28 nov. 1983, p. 45. GOUYON, Mgr, « Les bombardements américains au Nord Vietnam, un geste cruel et inutile », DC, Nr.1510, 1968, col. 269-70. GUERRY, Mgr, « La conscience chrétienne face à la bombe atomique française », 10 janv. 1960, DC, Nr.1321, 1960, pp. 159-64. JULLIEN, Mgr Jacques, L’Homme debout, Desclée de Brouwer (Croire aujourd’hui), 1980, pp. 109-134. « Problématique de l’éthique et de la mystique », La Vie spirituelle, mars-avril 1984, pp. 192-210. « Hiroshima-Kampuchéa », Prêtres diocésains, mars 1984, pp. 107-15. LUSTIGER, Mgr Jean-Marie, Homélie prononcée à St Louis des Invalides, 11 nov. 1982, DC, Nr.1846, 1983, pp. 214-15. „Der Klassenkampf führt zum Gulag und zu Pol Pot“, Interview au magazine Der Spiegel, 31 Jan. 1983, pp. 111-17. MENAGER, Mgr, Interview du 14 nov. 1969, DC, Nr.1538, 1969, p. 374. Politique, Eglise et Foi, Pour une pratique chrétienne de la politique, Rapports présentés à l’Assemblée plénière de l’Episcopat français, Lourdes, 1972, Paris, Le Centurion, 204 p. RIOBÉ, Mgr Guy, La Passion de l’Evangile, Ecrits et Paroles, Paris, Cerf, 1978, 144 p. b. Allemagne fédérale

Deutsche Bischofskonferenz, „Hirtenwort der deutschen Bischöfe zur bevorstehenden Wahl zum Bundestag“, 14 Juli 1949, Kirchlicher Anzeiger für die Erzdiözese Köln, Heft 1/1949, pp. 293-99. „Lehrschreiben zur Aufgaben und Grenzen der Staatsgewalt“, in Die Katholiken vor der Politik, Hrsg Gustav Kafka, Freiburg, Herder, 1958, pp. 9-21. Die Kirche in der pluralistischen Gesellschaft und im demokratischen Staat der Gegenwart, Bonn, Sekretariat der DBK, (Hirtenschreiben der deutschen Bischöfe, Nr.2), 1969, 29 p. Zur Bundestagswahl, 1980, 25 Aug. 1980, Bonn, Sekretariat der DBK, (Hirtenschreiben der deutschen Bischöfe, Nr.9), 1980, 7 p. Gerechtigkeit schafft Frieden, Wort der Deutschen Bischofskonferenz zum Frieden, 18 April 1983, Bonn, Sekretariat der DBK, (Hirtenschreiben der deutschen Bischöfe, Nr.34), 1983, 91 p. (Editions françaises : « La justice crée la paix », DC, Nr.1853, pp. 168-94 ; La Justice crée la paix, Déclaration de la Conférence épiscopale allemande sur la paix, 18 avril 1983, Déclaration complémentaire de la Conférence des évêques suisses, Fribourg, 1983, 72 p.). FRINGS, Kardinal Joseph, Predikt zum Diözesankatholikentag, Bonn, 23 Juli 1950, Kirchenzeitung für das Erzbistum Köln, Nr. 16, 1950, pp. 245-46. HÖFFNER, Kardinal Joseph, Das Friedensproblem im Licht des christlichen Glaubens, 21 Sept. 1981, Bonn, Sekretariat der DBK, (Der Vortsitzende der deutschen Bischofskonferenz, Nr. 18), 1981, 27 p. (Edition française, DC, Nr. 1820, 1981, pp. 1113-23). Brief an Alois Mertes, 26 April 1983, in SOG-Papiere, Informationsdienst der AGP, Nr.2, 15. März 1985. „Brief an die Priester und Diakone im Erzbistum Köln über den Frieden“, Amtsblatt des Erzbistums Köln, 123 Jg., 15 Sept. 1983, pp. 180-81. Predigt beim Gottesdienst zur Eröffnung der Herbstvollversammlung der Bischofskonferenz, 20 Sept. 1983, Herder Korrespondenz, 37 Jg, Heft 10/1983, p. 485. 293

Katholische Kirche im demokratischen Staat, Hirtenworte der deutschen Bischöfe zu wichtigen Fragen der Zeit und zu den Bundestagswahlen 1945-80, Hrsg Alfons Fitzek, Würzburg, Naumann, 1981, 264 p. c. Etats-Unis

BERNARDIN, Cardinal Joseph, “Progress Report by the US Bishops’Ad hoc Committee on War and Peace before the Bishops”, Origins, 11(25), 1981, pp. 403-4. “Address to the Bishops’meeting on the War and Peace Pastoral”, Nov. 15-18, 1982, Origins, 12(25), 1982, pp. 393-98. “Answer to the 24 Congressmen”, Jan. 13, 1983, Origins, 12(34), 1983, pp. 545-46. A Consistent Ethic of Life: An American Catholic Dialogue, Gannon Lecture, Fordham University, Dec. 6 1983, ronéotypé, 8 p. (Traduction DC, Nr. 1872, 1984, pp. 443-47). « Les lettres pastorales des évêques sur la guerre et la paix », Conférence donnée à l’Université de Louvain, 1er févr. 1984, DC, Nr. 1874, 1984, pp. 538-44. A Consistent Ethic of Life: Continuing the Dialogue, The William Wade Lecture Series, St Louis University, March 11, 1984, ronéotypé, 9 p. Progress Report of the Ad Hoc Committe for the Moral Evaluation of Deterrence, Address to the National Assembly of Bishops, Nov. 17, 1987, Origins, 17(24), 1987, pp. 425-27. BERNARDIN, Cardinal Joseph, ROACH, Archbishop John, Memoranda on the Rome Meeting, Jan. 25, 1983, March 21, 1983, Origins 12(45), 1983, pp. 690-91, 695-96. “How the proposed Pastoral relates to US Policy”, April 8, 1983, Origins, 12(45), 1983, pp. 738-39. CASEY, Archbishop James, “Another Holocaust: The Nuclear Arms Race”, April 1978, Origins 8(3), 1978, p. 48. COOKE, Cardinal Terence, “Making War Impossible”, Address to the American Synod of Bishops, Oct. 1980, Origins 10(19), 1980, pp. 295-97. “The Church, Military Service and Nuclear Weapons”, Pastoral Letter to the Military Chaplains, Dec. 14, 1981, Origins, 11(30), 1982, pp. 469-73. “Letter to Members of the Military Service”, Dec. 7, 1982, Origins 12(30), 1983, pp. 478-79. “Fourteen US Bishops oppose the MX Missile”, Statement, Sept. 20, 1983, Origins, 13(18), 1983, pp. 308-9. HANNAN, Bishop Philip, Letter to the Priests of the Diocese, July 21,1983, ronéotypé, 2 p. HICKEY, Archbishop James, “Peace and Nuclear Weapons: A Call to Reflection”, June 3, 1982, Origins 12(7), 1982, pp. 101-5. “To be Peacemakers”, Sept. 1982, Origins, 12(17), 1982, pp. 269-71. HOYE, Bishop Daniel, “The Pastoral Letter and the Political Parties”, Sept. 1983, Origins, 13(18), 1983, p. 309. HUNTHAUSEN, Bishop Raymond, “A Call to protest the Arms Race”, June 12, 1981, Origins 11(7), 1981, pp. 110-13. In the Name of Peace, Collective Statements of the United States Catholic Bishops on War and Peace, 1919-80, Ed. David Byers, Washington DC, NCCB/USCC, 1983, 121 p. KROL, Cardinal John, Testimony to the Senate Foreign Relations Committee, US Senate, The Salt II Treaty, Hearings on Ex.Y, 96.1, 1979, Part IV, pp. 116-30. “The Churches and Nuclear War”, Address to the Meeting of the Religious Committee on SALT, Sept. 1981, Origins, 11(15), 1981, pp. 235-36. “A Pespective on Arms Control Dialogue”, Jan. 2, 1983, Origins, 12(33), 1983, pp. 532-34. McMANUS, Bishop, William, “Message on the Armaments Race”, Jan. 1, 1982, Origins, 11(33), 1982, pp. 526-30. 294

MAHONY, Bishop Roger, “Becoming a Church of Peace Advocacy”, Pastoral Letter, Dec. 30, 1981, Origins, 11(32), 1982, pp. 504-11. MALONE, Archbishop James, “Peacemakers in the Nuclear Age”, Pastoral Letter, Christmas 1981, Origins 11(30), 1982, pp. 480-81. “The Role of the Bishops: A Look Back at Collegeville”, Aug. 17, 1982, Origins, 12(17), 1982, pp. 257-64. « Au carrefour de l’opinion publique et de la politique », Discours d’ouverture à l’assemblée plénière de la Conférence épiscopale, 11 nov. 1984, DC, Nr. 1889, 1985, pp. 186-91. MATTHIESEN, Bishop Leroy, Statement Protesting the Production of Nuclear Weapons, Aug. 21, 1981, Origins 11(12), 1981, pp. 180-81. National Conference of Catholic Bishops (NCCB), “Consciencious Objection and Selective Consciencious Objection”, Oct. 22, 1971, Origins 1(19-20), 1971, pp. 333-37 (Traduction DC, Nr.1605, 1972, pp. 282- 84). Resolution on South East Asia, Nov. 19, 1971, Washington DC, USCC Publications Office, 1971 (Traduction DC, Nr.1605, 1972, pp. 281-82). To Live in Christ Jesus, A Pastoral Reflection on Moral Life, Nov. 11, 1976, Washington DC, USCC Publication Office, 1976, 48 p. (Traduction DC, Nr. 1712, 1976, pp. 60-71). “Marxist Communism”, Pastoral Letter, Nov. 10-13, 1980, Origins, 10(28), 1980, pp. 433-35 (Traduction DC, Nr.1808, 1981, pp. 491- 501). “Statement on Central America”, Nov. 1981, Origins, 11(25), 1981, pp. 393-96. “The Challenge of Peace: God’s Promise and Our Response” - Second Draft, Oct. 1982, Origins 12(20), 1982, pp. 304-28. - Third Draft, April 1983, Origins 12(44), 1983, pp. 697-728. - Final Text, May 1983, Origins 13(1), 1983, pp. 1-32 (Editions françaises : « Le défi de la paix, la promesse de Dieu et notre réponse », DC, Nr. 1856, 1983, pp. 715-62 ; Les évêques américains disent Non à la guerre nucléaire, Paris, Ed. ouvrières, 1983, 219 p.). “Nuclear Deterrence, Are the conditions being met?”, Origins 15(24), 1985, pp. 399-400. « Justice économique pour tous : enseignement social catholique et économie américaine », Lettre pastorale, 13 nov. 1986, DC, Nr. 1942, 1987, pp. 617-82. Pax Christi Bishops, “Towards a Christian Response to War and Peace”, March 13, 1981, Origins, 10 (47), 1981, pp. 744-46. QUINN, Bishop Francis, “The Case for a Nuclear Arms Freeze”, March 17, 1982, Origins, 11(42), 1982, pp. 675-76. QUINN, Archbishop John, “Overview of Church Concerns”, Address to American Bishops Meeting, April 29, 1980, Origins, 9(47), 1980, pp. 759-61. “Instruments of Peace, Weapons of War”, Pastoral Statement, Oct. 4, 1981, Origins, 11(18), 1981, pp. 284-87. ROACH, Archbishop John, “The Neutron Bomb: A Step Closer to Nuclear War?”, Aug. 12, 1981, Origins, 11(11), 1981, pp. 166-67. “The Public Policy Task of the Church”, Address to the Annual Supreme Council Meeting of the Knights of Colombus, Aug. 18, 1981, Origins, 11(12), 1981, pp. 177-80. “The Need for Public Dialogue between Religion and Politics”, Address to the Annual Meeting of the NCCB, Nov. 17, 1981, Origins 11(25), 1981, pp. 389-93. “Abortion and the Bomb: Choices that make us what we are”, Address to the Bishops Meeting, Nov. 15, 1982, Origins, 12(24), 1982, pp. 377-81. “Towards a Diplomatic, Non Military Solution in Central America”, July 22, 1983, Origins, 13(10), 1983, pp. 165-67. 295

SPELLMAN, Cardinal, Circulaire faisant objection au Schema XIII sur la guerre, DC, Nr.1465, 1966, col. 366-67. Declaration a Saigon, 24 dec. 1966, DC, Nr. 1487, 1967, col. 255-56. Statement of 14 Bishops opposing the MX Missile, Sept. 20, 1983, Origins, 13(18), 1983, pp. 308-9. SULLIVAN, Bishop Walter, “The Spiraling Arms Race: Tragic Loss of Value and Dignity”, Pastoral Letter, May 25, 1978, Origins, 8(4), 1978, pp. 49-53. “US Bishops debate War and Peace Pastoral”, Origins, 12(25), 1982, pp. 393-408. d. Autres pays et internationales

Bischöfe zum Frieden, Bonn, Sekretariat der DBK, (Stimmen der Weltkirche, Nr. 19), 2te, erweiterte Aufl., 1983, 273 p. Conférence épiscopale française et Conférence épiscopale allemande, « Faire la paix », 15 juin 1982, DC, Nr. 1833, 1982, pp. 680-82. Les Eglises contre la bombe ?, Les Eglises chrétiennes et les armements nucléaires, ed. François Vaillant, Bernard Quelquejeu, Paris, Cerf (Recherches morales), 1985, 208 p. Symposium des Conférences épiscopales européennes, « Responsabilité des chrétiens dans l’Europe d’aujourd’hui et de demain », 28 sept. 1980, DC, Nr.1794, 1980, pp. 949-53.

2. Papes (Dans l’ordre chronologique)

- Documents antérieurs à 1945 :

La doctrine sociale de l’Eglise à travers les siècles, Documents pontificaux du XVe au XXe siècle, publiés et introduits par Arthur F. Utz avec la collaboration de Médard Boeglin, Bâle/Rome, Herder, Paris, Beauchesne, 1970, vol. 3, L’ordre politique Nr.XIX-XXVII, pp. 1871-2708 ; vol. 4, Nr.XXVIII- XXX, pp. 2709-3092. Relations humaines et société contemporaine, Synthèse chrétienne, Directives de St Pie XII, ed. Alain Savignat, selon l’édition allemande de A.F. Utz et J.F. Groner, Fribourg, Paris, Ed. St Paul, 1956, vol. 1, Nr. 1-2831, 1310 p. ; vol. 2, Nr.2832-4446, pp. 1315-2381.

- Documents postérieurs à 1945 :

PIE XII, Radiomessage de Noël 1948, DC, Nr.1034, 1949, col. 65-74. Radiomessage de Noël 1951, DC, Nr.1 112, 1952, col. 1-11. Allocution au IVe Congrès international de droit pénal, 3 oct. 1953, DC, Nr.1 159, col. 1351-54. Allocution à l’Office International de Documentation de Médecine Militaire, 19 oct. 1953, DC, Nr.1 160, 1953, col. 1409-18. Allocution à la Ville Assemblée de l’Association Médicale Mondiale, 30 oct. 1954, DC, Nr.1 184, 1954, col. 1284. Radiomessage de Noël 1956, DC, Nr.1242, 1957, col. 17-21. JEAN XXIII, Encyclique “Mater et Magistra”, 15 mai 1961, DC, Nr. 1357, 1961, col. 945-90. Pacem in Terris, La Paix entre les nations, Lettre encyclique, Paris, Le Centurion, 1963, 125 p. PAUL VI, Allocution aux Nations Unies, 4 oct. 1965, DC, Nr.1547, 1965, col. 1729-38. “Populorum Progressio”, Sur le développement des peuples, Lettre encyclique, 20 févr. 1967, DC, Nr.1492, 1967, pp. 673-704. Lettre apostolique “Octogesima Adveniens”, 14 mai 1971, DC, Nr.1587, 1971, pp. 502-13. Exhortation apostolique “Evangelii Nuntiandi”, 8 déc. 1975, DC, Nr.1689, 1976, pp. 1-22. 296

Message à la Session extraordinaire de l’ONU sur le Désarmement, 6 juin 1978, DC, Nr.1745, 1978, pp. 601-4. JEAN-PAUL II, Message aux Nations Unies pour le 30e anniversaire de la déclaration des droits de l’homme, 2 déc. 1978, DC, Nr.1775, 1979, pp. 1-3. « Pour parvenir à la paix, éduquer à la paix », Message du 1er janv. 1979, DC, Nr.1755, 1979, pp. 11-14. Encyclique “Redemptor Hominis”, 4 mars 1979, DC, Nr. 1761, 1979, pp. 301-23. Homélie à Drogheda, 29 sept. 1979, DC, Nr.1772, 1979, pp. 851-55. Discours à la 36e Assemblée générale des Nations Unies, 2 oct. 1979, DC, Nr.1772, 1979, pp. 872-79. Homélie au Yankee Stadium de New York, 2 oct. 1979, DC, Nr.1772, 1979, pp. 880-82. « La vérité, force de paix », Message du 1er janv. 1980, DC, Nr. 1777, 1980, pp. 1-4. Discours à l’UNESCO, 2 juin 1980, DC, Nr.1788, 1980, pp. 603-9. « La liberté religieuse », Message aux chefs d’Etat signataires de l’Acte final d’Helsinki, 1er sept. 1980, DC, Nr.1798, 1980, pp. 1172-75. « Pour servir la paix, respecte la liberté », Message du 1er janv. 1981, DC, Nr.1799, 1981, pp. 1-4. Discours à Hiroshima, 25 févr. 1981, DC, Nr.1805, 1981, pp. 331-32. « La paix, don de Dieu confié aux hommes », Message du 1er janv. 1982, DC, Nr.1832, 1982, pp. 67-73. Message à la IIe Session extraordinaire de l’ONU sur le Désarmement, 14 juin 1982, DC, Nr.1833, 1982, pp. 663-67. « Le dialogue pour la paix, un défi pour notre temps », Message pour le 1er janv. 1983, DC, Nr.1844, 1983, pp. 67-71. « La paix et les jeunes marchent ensemble », Message pour le 1er janv. 1985, DC, Nr.1888, 1987, pp. 85-88. Angélus du 1er janv. 1985, « L’enjeu des négociations URSS-USA à Genève », DC, Nr.1889, 1985, p. 183. Allocution à la Cour Internationale de Justice, 13 mai 1985, DC, Nr.1898, 1985, pp. 634-37. Message au Président de la 40e Assemblée générale de l’ONU, 18 oct. 1985, DC, Nr.1906, 1985, pp. 1051-53. « La paix est une valeur sans frontières », Message pour le 1er janv. 1986, DC, Nr.1909, 1986, pp. 1-5. « Développement et solidarité : deux clés pour la paix », Message pour le 1er janv. 1987, DC, Nr.1931, 1987, pp. 14-19. “Sollicitudo rei socialis”, Lettre encyclique, 30 déc. 1987, DC, Nr. 1957, 1988, pp. 233-56. Autres textes dans L’individu, la nation et l’Etat, Textes de Jean-Paul II (oct. 1978-janv. 1980), Commission Pontificale Justice et Paix, Cité du Vatican, 1981, 57 p. Le Thème de la violence, Textes de Jean-Paul II (oct. 1978-oct. 1985), présentés par le Dr. Georgio Fillibeck, Commission Pontificale Justice et Paix, Cité du Vatican, 1985, 125 p.

3. Curie et organismes pontificaux

Académie pontificale des Sciences, Déclaration sur les conséquences de l’emploi des armes nucléaires, 7-8 oct. 1981, DC, Nr.1882, 1982, pp. 105-6. « La prévention de la guerre nucléaire », Déclaration d’un groupe de savants, 23-24 sept. 1982, DC, Nr.1839, 1982, pp. 992-93. CASAROLI, Cardinal Agostino, Discours au congrès « Le développement des peuples, nouveau nom de la paix », 7-9 avril 1983, DC, Nr. 1853, 1983, pp. 551-55. « Le St Siège, le désarmement et la paix », discours à l’Université de San Francisco, 18 nov. 1983, DC, Nr.1867, 1984, pp. 151-57. 297

« Paix et justice entre l’Est et l’Ouest », Allocution à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, Vienne, 6 mars 1986, DC, Nr.1916, 1986, pp. 412-13. Commission Pontificale Justice et Paix, Le Saint-Siège et le Désarmement, Rome, Presses de la Cité du Vatican, 1976, 21 p. ETCHEGARAY, Cardinal Roger, Conférence à l’UNDRO, 6 mars 1986, DC, Nr.1918, 1986, pp. 494-97. RATZINGER, Cardinal Joseph, Interview, „Auch ein Feind hat legitime Interessen“, Der Spiegel, Nr.19, 1983, pp. 122-30. « Le Saint Siège et le désarmement nucléaire », Communiqué de presse, 12 déc. 1981, DC, Nr.1822, 1982, pp. 104-5. SCHOTTE, Mgr Jan, La réunion de Rome des 19-20 janv., « Les évêques américains et les défis de l’âge nucléaire », DC, Nr. 1856, 1983, pp. 710-15. ”Der Apostolische Stuhl und die Bischofskonferenzen im Bereich der Soziallehre“, Vortrag vor dem Symposium ”Katholische Bischofskonferenzen zum Thema ‘Frieden’“ des Instituts für Theologie und Frieden, Barsbüttel, und der Wissenschaftlichen Kommission des KAEF, Bad- Godesberg, 8-10 Dez. 1983, Militärseelsorge, 26 Jg., 1984, pp. 309-30 (Römische Dokumente zum Frieden I (26 Juni 1972-14 Jan. 1984)).

4. Concile, Synodes, Pères de l’Eglise et sources mixtes des catégories précédentes

Conférence épiscopale française, Conférence épiscopale allemande, « Faire la paix », 15 juin 1982, DC, Nr.1833, 1982, pp. 680-82. Dienst am Frieden, Stellungnahmen der Päpste, des II, Vatikanischen Konzils und der Bischofssynode von 1963 bis 1982, 2te Aufl., Bonn, Sekretariat der DBK, 1982, 329 p. “Dignitatis Humanae Personae”, Déclaration sur la liberté religieuse de Vatican II, DC, Nr.1463, 1966, col. 97-110. L’Eglise devant la menace nucléaire, Textes de Vatican II, Jean-Paul II, des épiscopats allemands et français, publiés par Gérard Defois, Paris, Le Centurion, 1983, 114 p. GARRONNE, Mgr, SCHROEFFER, Mgr, Réponse à la circulaire du cardinal Spellman, DC, Nr.1465, 1966, col. 367-68. “Gaudium et Spes”, in L’Eglise dans le monde de ce temps, Etudes et commentaires autour de la Constitution Pastorale, publié sous la direction de Guilherme Barauna, Bruges, Desclée de Brouwer, 1967, pp. 1-177. Lumen Gentium, Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise, 21 nov. 1964, Paris, Cerf, 1965, 159 p. (Coll. “Unam Sanctàm”, Nr.51). Synode général des Evêques, « La justice dans le monde », DC, Nr.1600, 1972, pp. 12-18. THOMAS D’AQUIN, Somme Théologique, Paris, Cerf, 1984-85, vol. 2, 827 p., vol. 3, 1158 p. Worte der Kirche an Soldate, Päpste, II, Vatikanisches Konzil, Deutsche Bischöfe, 1965-1984, Hrsg, vom Katholischen Militärbischof für die deutsche Bundeswehr, Bonn, 1984, 203 p.

5. Déclarations d’origine confessionnelle a. France

Commission doctrinale de la Chronique Sociale de France, Note théologique, DC, Nr.1343, 1961, col. 35-36. 298

Commission française Justice et Paix, « Le monde entre deux ères, réflexions sur la guerre et la paix dans le temps présent », 20 févr. 1980, DC, Nr.1784, 1980, pp. 387-95. Quelle défense pour la paix ?, Eléments de réflexion sur la dissuasion nucléaire française, Paris, Avril 1983, XXIV p. Commission française Justice et Paix, Commission économique, sociale et internationale de la Fédération protestante de France, Déclaration sur le désarmement, 19 oct. 1981, DC, Nr.1820, 1981, pp. 1128-29. « Recherche oecuménique sur la défense et la guerre, propositions d’un groupe de travail », déc. 1982, DC, Nr.1844, 1983, pp. 113-16. Pour construire la paix, Recherche oecuménique, Paris, Le Centurion, 1985, 72 p. Conseil permanent de l’Episcopat français, Conseil de la Fédération protestante de France, Note de réflexion sur le commerce des armes, 13 avril 1973, Paris, Le Centurion, 1973, 25 p. DEFOIS, Gérard, « Armements modernes et responsabilités éthiques », Etudes, déc. 1983, Nr.359/6, pp. 585-601. Interview au journal Le Matin, « L’épiscopat français condamne le pacifisme de l’Eglise catholique américaine », 24 mars 1983. « Le Père Defois s’explique », Témoignage Chrétien, 11 avril 1983 pp. 2-3. Interview accordée au journal Le Pèlerin, 15 mai 1983, p. 14. Eglises chrétiennes de France, « Point de vue sur le désarmement », 12 juil. 1982, DC, Nr.1835, 1982, pp. 787-88. Equipe nationale des groupes chrétiens d’officiers, « Réflexions sur la Défense », DC, Nr.1640, 1973, pp. 357-70. La Paix Autrement, Se défendre sans se renier, Des Chrétiens s’expriment dans le débat sur la dissuasion nucléaire, Paris, Secrétariat du collectif « La Paix Autrement », 1986, 30 p. Pax Christi-Section française, Déclaration sur les ventes d’armes, 16 janv. 1970, DC, Nr.1556, 1970, p. 147. Communiqué sur les essais nucléaires dans le Pacifique, 21 mai 1973, DC, Nr.1635, 1973, p. 646. « Principes et objectifs d’action de Pax Christi », Le Journal de la Paix, Nr.262, juil. 1978. « Voter pour la paix », DC, Nr.1807, 1981, pp. 438-40. « Que penser du commerce des armes », Responsables, Nr.85, mars 1977, 135 p. b. Allemagne fédérale

„Alle Gewalt kommt vom Volke aus“, Probleme des Friedens, InfoDokumentation Pax Christi, Heft 3/1983, 64 p. Atomrüstung-Christlich zu verantworten ?, Christen gegen die Atomrüstung, Hrsg Achim Battke, Düsseldorf, Patmos, 1982, 168 p. AUER, Alfons, u.a., „Ein katholisches Wort zur atomaren Rüstung“, Herder Korrespondenz, Heft 12/1957-58, pp. 395-98 (Traduction DC, Nr.1279, 1958, col. 713-18). Aufgaben der Kirche in Staat und Gesellschaft, Ein Arbeitspapier der Sachkommission V der Gemeinsamen Synode der Bistümer in der Bundesrepublik Deutschland, Sonderdruck aus „Synode 1/1973“, Bonn, Sekretariat der Deutschen Bischofskonferenz, 28 p. Bensberger Kreis, Frieden, für Katholiken eine Provokation ?, Memorandum, Rohwolt, 1982, 122 p. „Widerstand gegen Rüstung“, Ein Memorandum deutscher Katholiken, Publik Forum, Sonderdruck, 26 Aug. 1983, 12 p. BDKJ Bundesvorstand, Stellungnahme zur Erklärung des Beirates für politische Fragen des Zentralkomitees der deutschen Katholiken ‘Der Wehrdienst als Beitrag zum Frieden’, 24 Juli 1972, 299

ronéotypé, 2 p. Positionspapier zur Sicherheits- und Abrüstungspolitik, 24 Aug. 1982, Düsseldorf, 3te Aufl., 10 März 1983, 20 p. Bund der Deutschen Katholischen Jugend (BDKJ), Hauptversammlung, Frieden und Gerechtigkeit, Schwerpunktthema, Mai 1981, Id-Dokumentation, Hrsg BDKJ-Bundesstelle, Düsseldorf, 1981, 4 p. Positionen des BDKJ 20 Jahre nach Veröffentlichung der Enzyklika “Pacem in Terris”, April 1983, Hrsg BDKJ-Bundesstelle, Düsseldorf, 1983, 16 p. Die Christliche Friedensbotschaft, Bonn, Sekretariat der DBK, 5 Sept. 1982, 92 p. (Arbeitshilfe Nr.28). Einigung Katholischer Studenten an Fachhochschulen (EKSF), Stellungnahme zur ZdK- Stellungnahme „Zur aktuellen Friedensdiskussion“, Altenberg, 9 Jan. 1982, Hrsg EKSF Zentralstelle,Köln, 1982, 9 p. Einwände gegen die „Feuersteiner Erklärung“ von Pax Christi, Stellungnahme der Sachverständigengruppe „Sicherheitspolitik“, Hrsg Deutsche Kommission Justitia et Pax, Bonn, 19 Feb. 1987, 4 p. Evangelische Kirche in Deutschland (EKD), Frieden wahren, fördern und erneuern, EKD-Denkschrift, Hrsg Kirchenkanzlei der EKD, Gütersloher Verlag, 1982, 97 p. Frieden schaffen, Hrsg Katholische Bundesarbeitsgemeinschaft für Erwachsenenbildung (KBE), Bonn, non daté, 32 p. Frieden stiften, Die Christen zur Abrüstung, Aussagen der nationalen Bischofskonferenzen, Päpste, ÖRK, einzelner Kirchengruppen, 1982-83, Hrsg Günter Baadte, Armin Boyens, Otwin Buchbender, München, CH. Beck, 1984, 242 p. Frieden und Sicherheit, Bonn, Sekretariat der DBK, (Arbeitshilfen Nr.21), 1981, 50 p. Initiative Kirche von unten (IKvu), Presseerklärung, Bonn, 20 Okt. 1982, 1 p. IKvu-Delegiertenversammlung, Beschluss zur Weiterarbeit am Thema Frieden, Eschborn, Okt. 1982, 2 p. „Widerstand gegen den Götzen Rüstung“, Presserklärung, Bonn, 14 März 1983, 2 p. Katholische Junge Gemeinde (KGJ), Aufstehen für Abrüstung, Hintergrunde und Aktionsideen, Düsseldorf, KGJ-Verlag, 1982, 278 p. Kehrt um und glaubterneuert die Welt, 87, deutscher Katholikentag, 1-5 Sept. 1982, Düsseldorf, Bd 1, Dokumentation, 640 p. ; Bd 2, Vortragsreihen, pp. 165-395, Paderborn, Bonifatius, 1982. „Pax Christi Beiträge zum Hirtenbrief der Bischöfe der USA ‘Die Herausforderung des Friedens- Gottes Verheissung und unsere Antwort’“, Probleme des Friedens, Heft 1/1983, 62 p. Pax Christi, Delegiertenversammlung, Abrüstung und Sicherheit, Plattform der Pax Christi, 9 Nov. 1980, Pax Christi, Deutsches Sekretariat, Frankfurt, 5te Aufl., Jan. 1982, 13 p. (Dokumentation Kirche und Abrüstung, Nr.4). Abschreckung schon heute ohne Legitimation, 30 Okt. 1983, Pax Christi, Deutsches Sekretariat, Frankfurt, 1983, 4 p. „Bitte an die Bischöfe“, 26 bis 28 Okt. 1984, Pax Christi, 1/1985, 37 Jg., p. 16. Anlagen zum Bericht der Kommission „Abrüstung und Sicherheit“, 26 bis 28 Okt. 1984, Bonn, Pax Christi, Deutsches Sekretariat, Frankfurt, 1984, 38 p. Pax Christi-Geschäftsführender Vorstand, „Erklärung zum Jahrestag des Doppelbeschlusses der NATO“, Frankfurt, 6 Dez. 1982, Pax Christi, 1/1983, 35 Jg., p. 9. Pax Christi-Gruppe Bonn, „Zur Kampagne ‘Ziviler Ungehorsam bis zur Abrüstung’“, 1986, ronéotypé, 3 p. Pax Christi-Präsidium, Erklärung zu den Aktionen der Friedensbewegung im Herbst 1983, 22 Juni 1983, Pax Christi, Deutsches Sekretariat, Frankfurt, 4 p. 300

Schritte zur Abrüstung, Welche Initiativen kann die Bundesrepublik ergreiffen und was können die Kirchen tun, Arbeitsgruppe „Schritte zur Abrüstung“, Mai 1981, 17 p. Vorsitzender der Deutschen Bischofskonferenz, Vorsitzender des Rates der Evangelischen Kirche in Deutschland, Gemeinsames Wort zur Stationierung der neuen Mittelstreckeraketen, 23 Nov. 1983, Pressedienst der Deutschen Bischofskonferenz, 1 p. Zentralkomitee der deutschen Katholiken (ZdK), „Der Wehrdienst als Beitrag zum Frieden“, 14 April 1972, ZdK/Berichte und Dokumente, Nr. 16, Bonn, 1972, pp. 71-82. „Erklärung zum zweiten Folgetreffen der Konferenz über Sicherheit und Zusammenarbeit in Europa“, 8 Okt. 1980, ZdK/Berichte und Dokumente, Nr.43, Bonn, 1981, pp. 43-45. „Die weltpolitische Herausforderung der BRD : ihre Aufgaben nach innen und aussen“, ZdK/ Berichte und Dokumente, Bonn, Nr.43, 1981, pp. 17-27. “Zur Wahrung der Rechtsordnung in der Demokratie“, 15/16 Mai 1981, ZdK/Berichte und Dokumente, Bonn, Nr.47, 1981, pp. 24-25. Zur aktuellen Friedensdiskussion, Vollversammlung Bad-Godesberg, 14 Nov. 1981, Hrsg Generalsekretariat des ZdK, Bonn, 1981, 16 p. „Erklärung zum Widerstandsrecht im demokratischen Staat“, 16 Dez. 1983, ZdK/Berichte und Dokumente, Bonn, Nr.54, 1984, pp. 64-67. c. Etats-Unis

Benedictines for Peace, “The Monastic Tradition of Peace and Non-Violence”, Letter to Archbishop Bernardin, Oct. 1981, Origins, 11(21), 1981, pp. 327-28. CASEY, Sister Juliana, “Women, Power and Peacemaking”, Address to the LCWR, Aug. 14-18, 1983, Origins, 13(13), 1983, pp. 222-25. A Catholic Call to Conscience, signed by 39 theologians at meeting sponsored by Pax Christi USA, Maryknoll, New York, Aug. 1980, ronéotypé, 5 p. Catholic Disarmament Assembly, Statement, New York, June 12, 1982, ronéotypé, 6 p. CHITTISTER, Sr. Joan, “Women Religious, Witness for Peace”, Address to the LCWR, May 30, 1982, Origins, 12(17), 1982, pp. 99-101. Justice Conference “A Call to Action”, Recommendation on Humankind, Oct. 21-23, 1976, Origins, 6(21), 1976, pp. 325-30. Ministers General of the Franciscan Order, “Message to the Government on Nuclear Disarmament”, Wall Street Journal, Jan. 14, 1982, p. 30. Religious Committee on SALT, “Letter to President Carter”, Aug. 23, 1979, pp. 199-200. USCC, Administrative Board, “US Foreign Policy: A Critique from Catholic Tradition”, Testimony of Archbishop Peter L. Gerety before the Senate Foreign Relations Committee, Jan 21, 1976, Origins, 5(33), 1976, pp. 520-28. “The Gospel of Peace and the Danger of War”, Feb. 15, 1978, Origins, 7(37), 1978, pp. 578-80, (Traduction DC, Nr. 1739, 1978, pp. 345-46). “Political Responsibility: Choices for the 1980’s”, Oct. 26, 1979, Origins, 9(22), 1979, pp. 349-55. “Registration and the Draft”, Feb. 1980, Origins 9(38), 1980, pp. 605-8. « Responsabilités politiques : Des choix pour l’avenir », DC, Nr. 1955, 1988, pp. 166-72. USCC, Office of Justice and Peace, “Catholic Doctrine and Modem War”, Testimony of J. Bryan Hehir before the House Committee on Armed Service, March 14, 1980, Origins, 9(42), 1980, pp. 675-80. Testimony of J. Bryan Hehir before a Subcommittee of the House Foreign Affairs Committee concerning military Aid to El Salvador, Feb. 15, 1982, Origins, 11(39), 1982, pp. 615-19. Testimony of Archbishop James Hickey on Central America, March 7, 1983, Origins 12(41), 1983, pp. 649-56. 301

d. Internationales

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6. Documents d’origine politique

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7. Prises de position sur les trois documents épiscopaux a. France

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II. Ouvrages et études

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- Livres

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- Articles

ANTOINE, Pierre, « Conscience et loi naturelle », Etudes, mai 1963, pp. 163- 83. AUBERT, Jean-Marie, « Pour une herméneutique du droit naturel », Recherches de Sciences Religieuses, Nr.59, 1971, pp. 449-92. CONNERY, John, “Catholic Ethics: Has the Norm for Rule-Making Changed?”, Theological Studies, Nr.48, 1981, pp. 232-50. CURRAN, Charles, “Utilitarianism and Contemporary Moral Theology: Situating the Debates”, Louvain Studies, Nr.6, 1977, pp. 239-255. GRISEZ, Germain, “Toward a Consistent Natural Law Ethics of Killing”, American Journal of Jurisprudence, Nr. 15, 1970, pp. 64-96. 305

LEUBA, Jean-Louis, « La Loi chez les Réformateurs et dans le protestantisme actuel », Loi et Evangile, Héritages confessionnels et interpellations contemporaines, Genève, Labor et Fides, 1981, pp. 91-109 (Le Champ Ethique, Nr.5). McCORMICK, Richard, “Notes on Moral Theology”, Theological Studies, Nr.45, 1984, pp. 80-96. RICOEUR, Paul, « Avant la loi morale, l’éthique », Symposium « Les enjeux », Supplément à l’ Encyclopedia Universalis, Paris, 1985, pp. 42- 45. SOWLE-CAHILL, Lisa, “Theology, Utilitarianism and Christian Ethics”, Theological Studies, Nr.42, 1981, pp. 601-29.

2. Théorie politique

- Livres

An den Grenzen der Mehrheitsdemokratie, Politik und Soziologie der Mehrheitsregel, Hrsg Bernd Guggenberger, Claus Offe, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1984, 326 p. ARENDT, Hannah, On Violence, London, Allen Lane, The Penguin Press, 1969, 106 p. BRAILLARD, Philippe, Philosophie et relations internationales, Genève, Institut universitaire de hautes études internationales, 1974, 126 p. DUMONT, Louis, Essais sur l’individualisme, Paris, Seuil (Esprit), 1983, 267 p. EBERT, Theodor, Gewaltfreie Aktion und Bürgerinitiativen, Deutsches Pax-Christi Sekretariat, Frankfurt, (Pax-Christi Schriften, Nr.20), 1982, 62 p. Gewaltfreier Aufstand, Alternative zum Bürgerkrieg, Waldkirch, Waldkircher Verlag, 1984, 275 p. Ziviler Ungehorsam, Waldkirch, Waldkircher Verlag, 1984, 275 p. EDELMAN, Murray, The Symbolic Use of Politics, Urbana, University of Illinois Press, 1977, 141 p. FREUND, Julien, L’essence du politique, Paris, Sirey, 1965, 764 p. HEGEL, Principes de la philosophie du droit, Paris, Gallimard, 1940, 380 p. HOFFMANN, Stanley, Duties beyond Borders, On the Limits and Possibilities of Ethical International Politics, Syracuse, Syracuse University Press, 1981, 252 p. RAWLS, John, Théorie de la Justice, Paris, Seuil, 1987, 666 p. RICOEUR, Paul, Histoire et vérité, Paris, Seuil, 1955, 267 p. SAUZAY, Brigitte, Le vertige allemand, Paris, Olivier Orban, 1985, 260 p. SCHMITT, Carl, Der Begriff des Politischen, München/Leipzig, Duncker & Humblot, 1932, 65 p. WEBER, Max, Economie et société, vol. 1, Paris, Plon, 1971, 650 p. WOLFF, Robert P., MOORE, Barrington, MARCUSE, Herbert, A Critique of Pure Tolerance, Boston, Beacon Press, 1965, 117 p. Ziviler Ungehorsam im Rechtsstaat, Hrsg Peter Glotz, Frankfurt. Suhrkamp, 1983, 150 p.

- Articles

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FERRY, Luc, PISIER KOUCHNER, Evelyne, « Les fondements des droits de l’homme », Encyclopedia Universalis, Supplément « Les enjeux », Paris, 1984, pp. 52-57. GREVEN, Michael, „‘Sachzwang’ und demokratische Entscheidung, Überlegungen zur überfälligen Verfassungsreform“, Vorgänge, Nr.71, Heft5/1984, pp. 14-29. HABERMAS, Jürgen, “Legitimation Problems in the Modern State”, Communication and the Evolution of Society, ed. Thomas McCarthy, London, Heinemann, 1979, pp. 179-205. “Towards a Theory of Communicative Competence”, Inquiry, vol. 13, 1970, pp. 360-75. KRIELE, Martin, „Ein Recht auf Widerstand ? – Kritische Fragen eines Verfassungsrechtlers“, Widerstand, Recht und Frieden, Kriterien legitimen Gewaltsgebrauchs, Hrsg Eckehart Lorenz, Studien aus dem lutherischen Weltbund, 1984, pp. 102-111. De MURALT, André, « La structure de la philosophie politique d’Occam à Rousseau », Souveraineté et pouvoir, Genève/Lausanne/Neuchâtel (Cahiers de la Revue de Théologie et de Philosophie, Nr.2), 1987, pp. 3-83. NARR, Wolf-Dieter, „Strukturdefizite der parteistaatlichen/parlamentarischen Demokratie und mögliche Alternativen“, Vorgänge, Nr.71, Heft5/1984, pp. 95-111. RENTDORFF, Trutz, „Widerstand heute ? Sozialethische Bemerkungen zu einer aktuellen Diskussion“, Aus Politik und Zeitgeschichte, Bd. 39, 1983, pp. 25-31. STEFFANI, Winfried, „Zur Vereinbarkeit von Basisdemokratie und parlamentarischer Demokratie“, Aus Politik und Zeitgeschichte, Nr.2, 1983, pp. 3-17.

3. Ethique de la guerre et de la paix a. France

- Livres

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- Articles

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- Livres

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- Articles

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- Livres

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4. Religion et politique – Eglise et politique a. France

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6. Recherches sur la paix – stratégies alternatives

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- Articles

CZEMPIEL, Ernst-Otto, „Nachrüstung und Systemwandel, Ein Beitrag zur Diskussion um den Doppelbeschluss der NATO“, Aus Politik und Zeitgeschichte, Nr.5, 1982, pp. 22-46. « La dissuasion civile », Alternatives Non-violentes, Nr.59, avril 1986, pp. 60. FAIVRE, Maurice, « Défenses alternatives », Defense nationale, août-sept. 1984, pp. 9-22 ; oct. 1984, pp. 27-42. GALTUNG, Johan, “Violence, Peace and Peace Research”, Essays in Peace Research, Copenhagen, Christian Ejlers, vol. 1, pp. 109-34.

7. Mouvement de paix et pacifisme

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