Jacques Sevin de la Compagnie de Jésus DU MÊME AUTEUR

A LA MÊME LIBRAIRIE

* SILENCES ET RÉFLEXIONS DU SCOUTMESTRE. Préface du Père SEVIN. ♦ ÉQUILIBRE - SANTÉ, MAÎTRE - MOT DU SCOUTISME. * EN COURS DE ROUTE (épuisé). * LE SERVICE DU SOLDAT (épuisé). GEORGES TISSERAND Préface de S.E. Mgr LALLIER

Le Père Jacques Sevin Fondateur

Scouts de France... © by Spes, Paris - 1965 In memoriam - In spem. A la Mémoire du R.P. Jacques SEVIN s. j., en hommage de fidèle et profonde reconnaissance, malgré les ans.

Aux Dames de la Sainte-Croix de Jérusalem, en ce grand jour de l'érection canonique de leur Congrégation, 15 septembre 1963, et à tous ceux qui ont passé par Chamarande. G. T.

...Sainte-Croix de Jérusalem

PRÉFACE

Si Georges Tisserand m'a demandé de préfacer son livre, ce n'est pas seulement à cause de l'amitié qui nous unit depuis près de quarante ans. Voulait-il que le témoignage d'un Evêque vînt accréditer le sien? Sans doute. Mais, soucieux de précision, désireux d'être fidèle à l'historicité des faits et de ne trahir en rien le visage spirituel du Père Jacques Sevin, je pense qu'il a voulu, surtout, faire appel aux souvenirs d'un autre témoin. Le lecteur me pardonnera donc de me pencher, en sa présence, sur mon passé... Comme tant d'autres, je ne peux oublier le pre- mier accueil et le regard du Père Sevin, au début du 5e Cours de Chamarande, le 12 juillet 1924. Quand l'Evangile me devint fami- lier, je compris pourquoi cette rencontre s'est inscrite, profondé- ment, dans notre mémoire et notre coeur : « Alors, Jésus fixa sur lui son regard et se prit à l'aimer... » Nous avons eu conscience d'être reçus, chacun, par un Autre que le Père, ce Christ-Jésus qui l'avait lui-même « saisi » (cf. Phil., III, 12) et dont, pas un jour, le service ne l'a déçu. Eut-il déjà l'intuition que je pensais moi-même au sacerdoce? je ne sais. Mais ce camp fut à l'origine d'une amitié qui ne se démentit jamais. Pas plus que celle du Seigneur et des siens, elle ne se départit, chez le Père, de cette autorité dont parle l'Evangile et, chez moi, d'un respect tout naturel. Mais elle s'exprima très vile en une confiance qui me révéla les difficultés de sa tâche et le renoncement qu'imposait aux fondateurs l'impérieux devoir de travailler ensemble. Je m'en aperçus mieux encore l'année suivante, lorsque le Père Sevin me demanda d'être son assistant à Chamarande et que j'eus le bonheur de faire avec lui le pèlerinage de . Sans nul doute, la personnalité sensible et forte du Père, l'influence qu'il exerçait, la ténacité de ses résolutions déconcertaient le Chanoine Cornette et bon nombre de chefs... Tandis que lui-même avait humblement conscience de connaître mieux que personne la méthode et les exigences du scoutisme. Il en résulta des affrontements, dont je fus témoin pendant des années puisque, avant même mon ordination et jusqu'au jour où il quitta Chamarande, je fus à nouveau l'assistant du Père, pour les camps d'aumôniers. De ces difficultés, dont Georges Tisserand n'a pas eu tort de parler, je n'ai jamais été « scandalisé ». Parce que le caractère même des deux fondateurs les rendait inévitables, elles n'ont jamais altéré leur mutuelle estime et il fallait sans doute ces souffrances, cachées au cœur de deux prêtres comme il y en a peu, pour faire de la petite semence des débuts le grand arbre du scou- tisme catholique : « Si le grain ne tombe en terre »... Aurais-je pansé, si imparfaitement que ce soit, la blessure du Père en refusant de prendre sa relève, comme aumônier du camp- école? Ou bien, au contraire, éprouva-t-il quelque joie à la pensée qu'avec Pierre Delsuc et Pierre de lYJontjamont je n'aurais, à Chamarande, d'autre « source d'inspiration » que lui? Il avait bien trop la pudeur de ses sentiments profonds pour jamais me le dire. Mais, comme il avait été présent à toutes les épreuves et à toutes les joies de ma vie depuis 1924, son amitié, discrète et fervente, m'a suivi jusqu'à la fin : vous lirez plus loin que, croyant me reconnaître sous les traits du religieux qui lui apportait le viatique, il prononça plusieurs fois mon nom... Ainsi fut-il admirablement fidèle à cette lettre qu'il m'adressa le jour même de mon entrée au Séminaire: « Quoique tu n'en aies pas besoin et que notre Seigneur te suffise — à toi qui vas tout donner — je veux qu'à côté de cette présence divine qui t'environne tu sentes encore une pauvre présence humaine, paternelle et fraternelle à la fois, présence du prêtre auprès du futur prêtre et du mestre de camp auprès de son cher assistant, avec qui Vêpres et Complies étaient si douces à dire, sous la tente, à Chamarande. « Oui, toutes les épreuves que tu connais et dont ton affection a voulu prendre sa part, tout cela s'accepte avec joie pour avoir le bonheur de se dire; aujourd'hui 6 novembre, Marc est tout à Dieu et, dans quatre ans et demi, Dieu sera tout à lui. »

Le lecteur comprendra maintenant pourquoi le travail auquel vient de se livrer Georges Tisserand m'a si vivement intéressé. Tout au long de ces pages, j'ai reconnu l'application du qui « ne fait rien à moitié », la rigueur du technicien et la ferveur du disciple. Remarquable officier de chars, l'auteur de ce livre a gardé l'habitude de ne pas s'avancer à la légère. Ce qu'il affirme, il l'a, plutôt dix fois qu'une, vérifié! Ainsi l'ampleur de ses informations, sa connaissance des « temps héroïques » et les citations mêmes qui émaillent son texte apportent-elles à l'histoire du scoutisme une con- tribution de qualité. Cet ouvrage prouve à l'évidence qu'à l'égal du Chanoine Cornette et, d'une certaine manière, plus que lui, le Père Sevin mérite d'être considéré comme le fondateur du scou- tisme catholique. Nul n'a étudié comme le Père la méthode de Baden-Powell. Nul n'a saisi mieux que lui la richesse qu'elle constitue pour les garçons de France. Nul, sans doute, n'a compris, aimé, servi, davantage que lui, chefs et cheftaines. Nul, certainement, n'a tant souffert pour les Scouts de France... A ce titre, nous devons affectueusement remercier Georges Tisserand d'avoir consacré de longues heures à la rédaction de ce livre. De sa lecture attentive, même les plus proches du Père Sevin apprendront beaucoup. Par exemple, tout ce qui a trait à l'enfance et à la jeunesse du Père, qui parlait si peu de lui; ce lent travail de la grâce et ces chemins détournés qui, à son insu, le préparaient à la grande tâche de sa vie ; le temps qu'il a donné, dans sa « retraite », à l'Ordre de la Sainte-Croix ! Mais, surtout, à travers ces pages et tous les mystères, joyeux et douloureux, qu'elles évoquent, les scouts des premiers temps pénétreront plus avant dans l'intimité du Père Sevin, dans sa vie intérieure et son âme. Dois-je le dire? Si son style a vieilli, comme ses poésies et ses chansons, quand il traite des réalités de ce monde qui passe, il reste étonnamment jeune, fort et vigoureux, quand il évoque les réalités surnaturelles qui demeurent ! A cet égard, la règle des Dames de la Sainte-Croix me semble significative de la spiritualité du Père Sevin, si référée à la parole de Dieu et si proche de toutes les contin- gences humaines. Quelle remarquable « définition », entre autres, de deux vertus théologales : l'Espérance, « c'est l'attente joyeuse de l'ave- nir divin (le ciel) et l'entrain à le conquérir, c'est la confiance certaine que Dieu nous aide, en tout »; et la Charité, « c'est la chance immense, que seul l'homme partage avec les anges, de pouvoir aimer Dieu ». En ces derniers textes spirituels du Père Sevin, nous retrouvons les meilleurs de ses messages, que les chefs et les scouts de mainte- nant auraient tant d'intérêt à lire et méditer. Nous croyons l'entendre nous dire encore : « En alignant vos tentes et leurs piquets et leurs tendeurs, c'est votre âme elle-même que vous mettez à l'ordonnance et que vous rectifiez. » Nous nous rappelons ces exhortations, si viriles et si pressantes, à ne pas tricher avec les exigences de la rude vie des camps. Parce qu'il faut que le scout, dans son corps et son âme, soit vraiment équipé à la légère... De ce détachement, le Père nous a donné l'exemple, ce qui vaut mieux que tous les sermons. Lorsque, pour des raisons qui n'étaient pas toutes sans fondement, il dut quitter Chamarande et ne plus assumer aucune responsabilité dans l'Association qui lui devait la vie, le Père ne s'est pas plaint, il n'a pas critiqué, il est resté silencieux. A la différence de certains qui, devant renoncer à ce qu'ils croient être leur « vocation particulière », ne savent plus que faire, il lui suffit de demeurer fils de saint Ignace et prêtre de Jésus-Christ pour garder la joie et travailler encore. Jusqu'à la fin ! C'est au temps de l'épreuve que Dieu juge un homme. L'un des mérites du livre de Georges Tisserand est, sans nul doute, de nous le rappeler et de nous donner la certitude qu'au seuil de la tente éternelle le Seigneur était là pour accueillir son prêtre : « Servir et sauver », ce fut vraiment toute sa vie. Et si la plupart des Scouts de France, en 1963, ne connaissent pas même le nom du Père Sevin, ils sont pourtant, auprès de Dieu, sa lettre de recommandation... (cf. II Cor, III, 1 à 3). t Marc LALLIER Archevêque de Marseille. AVERTISSEMENT

Le travail que nous présentons répond aux sollicitations que nous avons reçues de rédiger une biographie assez complète du Père Jacques Sevin, maître en scoutisme, cofondateur des Scouts de France, et fondateur de la Congrégation religieuse des Dames de la Sainte-Croix de Jérusalem. Cofondateur officiel de la grande famille des Scouts de France, le Père Sevin fut, dès les premières heures du Mouvement, un prestigieux animateur. Après avoir jeté de solides bases à son organisation, rédigé son règlement intérieur, édité ses premiers manuels techniques, dans le même temps qu'il composait ses premiers chants, il en fut aussi le plus sûr défenseur. Le scoutisme se trouvait alors en butte à une incompréhension, voire à une hostilité, de la part de parents, de médecins, d'éducateurs professionnels et d'ecclésias- tiques, avant qu'il ne fût, quelques années plus tard, menacé de condamnation par Rome même. Par dessus tout, le Père Sevin fut le Commissaire national, pendant près de dix ans incontesté et incontestable, à la forma- tion des cadres de l'Association : directeur de la revue Le Chef et mestre, en même temps qu'aumônier, de l'unique camp- école établi à Chamarande. Fondateur, à lui seul, des Dames de la Sainte-Croix de Jéru- salem, c'est par une famille strictement religieuse que le Père Sevin a parachevé son œuvre volontaire, tenace, à certains moments difficile, mais toujours efficace parce que constamment bâtie avec soin dans le concret, selon les aspirations mûrement réfléchies d'une mystique évangélique à laquelle il voudra donner un « mode » particulier.

Par cet ouvrage nous exprimons non pas tant un témoi- gnage personnel que celui de prêtres et de laïcs qui, eux aussi, mieux que nous pour certains d'entre eux, ont connu et aimé, ou encore simplement apprécié le Père Sevin en ses différentes fonctions. En effet, afin de composer un ouvrage sans trop grande lacune nous avons recherché tout ce qui pouvait contribuer à éclairer l'attachante figure du Père, ou bien à expliquer ses œuvres et sa ténacité. Nous l'avons fait systématiquement, pourrait-on dire, en portant nos investigations non seulement aux quatre points cardinaux du scoutisme catholique, mais aussi dans diverses directions de la « royale rose des vents » du Mou- vement déclenché par Baden-Powell. Pour fermer le cycle de nos informations, nous avons sollicité de la part de religieux (qui ont tenu à rester anonymes) le concours indispensable à un laïc soucieux d'esquisser le jésuite et sa mystique.

Pour rappeler les faits tels qu'ils se sont réellement produits, et tenter de présenter l'homme le plus fidèlement possible, l'historien impartial, après s'être livré à de patientes recherches, doit effectuer la critique serrée d'une documentation triée sur le volet. Dans notre cas, notre tâche parfois délicate a cependant été facilitée dès le début grâce à une documentation de première main. A cela, il y avait trois raisons. La première, c'est d'avoir vécu le scoutisme de 1921 à 1940, dans ses trois âges : louveteau, éclaireur, routier, et à presque tous les échelons de la hiérarchie des Scouts de France. L'exercice assidu de fonctions, souvent diverses et simultanées, nous a permis de faire une ample moisson de jugements, d'impressions et de souvenirs relatés par un nombre relativement important d'aumôniers, de cheftaines et de chefs, issus de tous les milieux sociaux de plusieurs provinces, ou y travaillant. La deuxième, c'est d'avoir eu la chance (la chance pour l'historien d'aujourd'hui, et le bonheur aussi pour le scoutmestre d'hier) de participer, pendant de longues années, à la plupart des travaux du Père Sevin concernant « le Chef » et le camp-école de Chamarande. Nous nous sommes donc trouvé particulièrement bien placé pour communier au même idéal, pour comprendre ses préoccupations et ses desseins, et pour prendre part à ses joies et à ses peines. La troisième raison, c'est d'avoir eu le privilège de disposer de textes du Père Sevin qui n'ont jamais été publiés. Ces pages, souvent constituées par des notes au style condensé, ont sans aucun doute été pour nous la source la plus riche et la plus sûre quant à la vie même du Père, à sa pédagogie et à sa spiritualité.

Pendant plus de douze ans, l'histoire du Père Sevin se confond avec celle des Scouts de France. A tel point que le lecteur trou- vera dans le présent travail un historique succinct, et incomplet, de cette Association. Il ne pouvait, et pour cause, en être autre- ment. Et c'est sans doute fort bien ainsi. Après Chamarande, l'aventure de son « patron », belle aven- ture malgré tout, s'inscrit ailleurs dans un monde plus restreint, mais sur un plan plus surnaturel encore. En effet, elle se lie plus intimement à celle d'un ordre ou d'un institut religieux, peu importe le mot, au commun des mortels qui n'est pas canoniste. Cet ordre naîtra onze ans plus tard, sous le nom depuis long- temps choisi de : « La Sainte-Croix de Jérusalem. »

Certains contemporains du Père Sevin, plus ou moins âgés aujourd'hui, pourront regretter de ne pas retrouver dans ces pages tout ce qu'il a fait, dit, écrit ou pensé. Parmi eux quelques- uns s'étonneront peut-être de n'y voir figurer que trop peu des noms de ceux qui ont de très près approché le Père avant, pen- dant et après Chamarande. Certes, le Père Sevin rendait volon- tiers hommage aux hommes qui l'avaient formé spirituellement, ou qui l'avaient aidé dans l'accomplissement de sa tâche. A tort ou à raison nous sommes resté dans la limite des extraits (d'ailleurs nombreux) spécialement choisis. D'autres lecteurs, beaucoup plus jeunes et pratiquant le scoutisme, pourront éprouver quelque difficulté à comprendre certaines tendances et à s'imaginer certains aspects des premières manifestations d'un Mouvement qui leur est cher. Ils pourront être surpris, voire choqués de rencontrer dans notre ouvrage des expressions « anachroniques », au sens de : non conformes aux mœurs et aux goûts actuels, ou tout simplement de : disparues du glossaire scout en usage aujourd'hui. S'il en est ainsi, qu'ils veuillent bien admettre que nous ne pouvions guère transposer les termes employés par le Père Sevin ou par les contemporains qui ont témoigné à son égard. Il n'y a pas d'autre règle à suivre pour exprimer fidèlement la pensée des hommes et les aspirations de leur propre génération. D'ailleurs les mots importent peu au regard de l'esprit. Si le type du vrai scout a considérablement évolué — passant du scout de première classe ou du chevalier au « raider », puis au « pionnier » préparé par l'entraînement du « » — si sa tenue, ses insignes de compétence et de service ont été adaptés aux besoins, aux goûts et au vocabulaire de la jeunesse actuelle, si même le texte de la loi a été modifié, l'esprit Scout de France, parce qu'il est foncièrement catholique, persiste. Le scoutisme catholique continue malgré tout. Et nous nous en réjouissons profondément.

Nous devions faire revivre le passé. De notre mieux nous nous y sommes efforcé, sans la moindre nostalgie du scoutisme de 1920, de 1930 ou de 1940. Nous avons, une fois de plus, travaillé en nous soumettant aux règles d'une stricte discipline intellectuelle. Nous sommes resté, comme toujours, dans une assez grande indépendance vis-à-vis des gens et des choses. Celle que le Père Sevin a su si bien respecter du premier jour de notre collaboration à la revue le Chef jusqu'aux dernières heures de son enseignement à Chamarande.

De la confiance et de l'amitié que le Père nous a données nous conservons au fond du cœur une gratitude qui ne saurait combler la dette contractée envers lui, à son insu. Du zèle qu'il a déployé et des résultats auxquels il est parvenu nous gardons dans le cœur et dans l'esprit une profonde admiration. Notre enthousiasme à son égard, de tout temps raisonné et aujourd'hui longuement mûri par l'âge, rejoint heureusement celui de divers contemporains du Père Sevin : assistants, dis- ciples et observateurs non engagés dans le mouvement des Scouts de France mais très attentifs à ce qui s'y passait. Si vraiment une certaine ferveur, même mesurée, eût été unique et personnelle, nous aurions eu scrupule à la laisser filtrer à travers les pages de notre ouvrage. Mais parce qu'elle émane de différentes personnes, son expression ne saurait atténuer le caractère d'objectivité que nous avons entendu conserver à notre travail tout au long de sa rédaction.

D'ailleurs, dans un souci de loyauté envers les uns et les autres et afin d'éviter toute erreur personnelle d'interprétation au sujet de leurs déclarations, nous n'avons guère sacrifié à la synthèse des textes documentaires, encore moins à leur exégèse. Au contraire, et au risque de rendre moins aisée la lecture de quelques passages de ce livre, nous avons fait place à de longues citations, en les complétant même par des notes et des addenda, dans la mesure où cela nous a paru nécessaire, ou utile. Nous avons voulu, le plus possible, laisser parler le Père Sevin, les faits et les documents.

Quoi qu'il en soit de notre essai d'historien doublé d'un vieux Scout de France chevronné, nous avons pensé qu'il ne serait pas dépourvu d'intérêt pour ceux qui par devoir ou par vocation sont amenés à méditer sur les origines du scoutisme catholique français, sur son évolution et sur ses perspectives d'avenir. Nous ne croyons pas d'ailleurs nous être complètement abusé en supposant que ce travail pourrait être bienfaisant, en dépit de ses imperfections. Nous avons espéré que certaines de ces pages permettraient — à travers les œuvres du Père Sevin, telles que nous les présentons — de retrouver quand même un peu de son souffle jeune, ardent et scout, et, au-dessus d'elles, quelques rayons de sa lumineuse et transparente spiritualité. Nota. — Nous ne saurions trop remercier tous ceux qui nous ont adressé des relations ou des notes, ainsi que les auteurs dont nous avons reproduit les allocutions ou articles. Nous tenons à dire que le numéro du Chef des Scouts de France du mois de novembre 1951, dans lequel nous avons large- ment puisé, fut pour nous un document de choix. SA VIE

ENFANCE ET ADOLESCENCE

Jacques Sevin naît à Lille, quartier d'Esquermes, le 7 décem- bre 1882, dans la maison de ses grands-parents maternels, 136, rue Colbert. Il est baptisé le lendemain 8 décembre, en la paroisse Notre-Dame de Consolation, dite paroisse Vauban. Son père, Adolphe Sevin, né à Amiens en 1852, était l'arrière- petit-fils d'un émigré qui n'avait jamais voulu dire son nom et s'était contenté, lorsqu'il avait été interrogé sur l'état civil de son fils Jean, de répondre : « On l'appellera Sevin. » Il se rattachait probablement à la famille Sevin de Quincy, dont un aïeul fut Compagnon de Jeanne d'Arc, et un autre général des armées de Louis XIV. Sa mère, née à Lille en 1856, s'appelait Louise Hennion. Lors de sa naissance, les parents du petit Jacques habitaient Tourcoing. Son père était courtier-juré, une très importante profession dans l'industrie textile de l'agglomération Roubaix- Tourcoing. Sa famille s'établit bientôt à Dunkerque. C'est à ce port que se rattachent les souvenirs de première enfance de celui qui deviendra plus tard le Père Sevin. Ces souvenirs évoquent la maison familiale située 11, rue de Beaumont, les églises Saint-Eloi et Saint-Jean-Baptiste, la statue de Jean Bart, la chapelle de Notre-Dame-des-Dunes, à la voûte de laquelle pendaient de petits bateaux ex-voto, et l'immense plage qui s'appelait alors Rosendaël, devenue depuis Malo-les-Bains. A Dunkerque, Jacques Sevin allait à « l'asile », chez les Sœurs de la Sainte-Union. En 1888, il revient à Tourcoing. D'abord élève des Fran- ciscaines de Notre-Dame-des-Anges, le garçon entre ensuite en huitième au collège du Sacré-Cœur, où il commence — en 1890 — l'étude du latin. « Oserai-je dire — nous confiera M. le Chanoine Masure, un de ses camarades de classe — sans vouloir déprécier sa chère ville natale et les mœurs très tranquilles de l'époque, que la famille Sevin, et Jacques en particulier, apportaient une note psychologique plus ouverte, plus distinguée, distincte du carac- tère du terroir ? Ce sentiment n'était que confus dans mon âme d'enfant, mais je le retrouve encore tr's net dans ma conscience. » Suivant en cela les traces de son père, Jacques Sevin est bientôt pensionnaire au collège de la Providence, à Amiens. C'est sans doute à son professeur de sixième, le Père Duvocelle, qu'il doit son enthousiasme d'enfant pour la marine et la cheva- lerie. Il racontera plus tard que la classe était divisée en deux camps, ou deux équipages de frégate : l' Alerte et la Joyeuse. Aux murs resplendissaient les armoiries d'un ordre de chevalerie dans lequel on pouvait devenir successivement chevalier, baron, comte, marquis ou duc, et même grand-maître de l'ordre. Mais le Père Sevin n'a jamais dit quel titre a pu lui être un jour décerné! 1893 est l'année de sa « première communion » et de sa confirmation.

C'est deux ans plus tard, le 30 juin 1895, au cours d'une promenade de collège avec un camarade, que Jacques Sevin prend conscience de sa future vocation sacerdotale qui, dès ce moment, n'est pas autrement envisagée que dans le cadre d'un ordre religieux. La retraite de la rentrée du mois d'octobre 1897 est le tour- nant décisif de sa vie spirituelle, non seulement marqué par le renforcement de sa vocation, mais aussi par une orientation, sinon déjà par un choix. Cette grâce lui est donnée le 15 octobre, en la fête de Sainte-Thérèse d'Avila, quinze jours après la mort de la Petite Sainte de Lisieux. Là se trouve, à n'en pas douter, l'origine de la dévotion du Père envers les deux saintes Thérèse, et de la spiritualité carmélitaine qu'il transmettra, en même temps que celle de Saint Ignace, aux Dames de la Sainte-Croix de Jérusalem.

En juillet 1898, il passe avec succès la première partie du baccalauréat. En mars 1899, des maux de tête dus à la crois- sance l'obligent à quitter le collège. Son père l'envoie passer l'été en Angleterre, à Londres et à Wanstead, dans la banlieue, où, sans s'en douter, il se prépare au scoutisme. En octobre de la même année, il reprend ses études en philosophie, comme demi-pensionnaire au collège Saint-Joseph de Lille. En mars 1900, à la faveur d'une session extraordinaire, il réussit les épreuves de la deuxième partie du baccalauréat. Sans désemparer, dès Pâques, il commence les études de la licence d'anglais à l'université catholique de Lille. Mais elles sont bientôt interrompues. Depuis le 15 octobre 1897, la grâce, dans l'âme de l'étudiant Jacques Sevin, avait fait son chemin. Une première retraite, faite seul, en 1898, à Notre-Dame du Hautmont, près de Tour- coing, l'avait davantage orienté vers la Compagnie de Jésus. Une deuxième retraite, faite avec des condisciples, en mai 1900, avait confirmé cette élection. Or, il n'y avait plus à attendre pour la mettre à l'épreuve, et bien peu à faire ou à dire pour en prendre la décision, à la suite d'un très court entretien, le 1er août, avec le R.P. Bastien, confesseur du père de Jacques Sevin et supérieur de la maison de retraite de Mouvaux. — Que faites-vous ? — Ma licence. — Vous n'en avez pas besoin pour entrer au noviciat. Deman- dez à votre père qu'il vous autorise à partir. Ainsi fut fait. Le lendemain, Jacques Sevin écrivait au Maître des novices. Son père avait fixé son départ au 26 août, lendemain de la fête de sa mère. En fait, il quitta ses parents le 3 septembre, à 6 heures du matin. Ses frères et sœurs ignoraient tout et le croyaient en villégiature chez un ami. Le 3 septembre, à 10 heures du matin, il sonnait à la porte du noviciat de Saint-Acheul, et entrait en retraite. Le 9, fête de Saint-Pierre-Claver, il fit pour la première fois son élection pour la Compagnie. Le 12, il commençait sa « première probation ». Et, ses parents ayant répondu oui à la demande qu'il leur avait adressée de rester sans revenir faire d'adieux, il devenait novice le 15 septembre 1900, en la fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs. LA FORMATION DU JÉSUITE

Dès lors, pendant quatorze ans, Jacques Sevin va suivre, non sans quelques sérieuses péripéties, le cycle de la formation du Jésuite. Il n'attendra pas de l'avoir complètement terminé pour étudier le scoutisme, et en tenter avec succès ses premières expériences dans la clandestinité, puis au grand jour.

Durant son noviciat à Saint-Acheul d'Amiens, il fait le catéchisme et le patronage dans la banlieue proche de la ville, au faubourg Saint-Maurice et il effectue son stage d'hôpital — épreuve ou experiment — chez les Petites Sœurs des Pauvres. En septembre 1901, le combisme, par sa loi sur les associations, chasse les Religieux de France. C'est l'exil qui durera jusqu'en 1919. La deuxième année du noviciat s'écoule à Arlon, dans le Luxembourg belge. Le 5 septembre 1902, le novice prononce ses vœux de scolastique et entre au juvénat... pas pour longtemps. Le 30 septembre il est, en effet, envoyé au collège d'Antoing, près de Tournai, pour y reprendre ses études de licence d'anglais interrompues par le noviciat. L'année est assez dure parce que consacrée en partie à un professorat de cours de vacances, alors que le jeune père doit travailler pour lui-même. Reçu à l'écrit de la licence en juillet 1903, il est envoyé en décembre professer l'anglais au collège français de Florennes, LE PÈRE JACQUES SEVIN de la Compagnie de Jésus Né à Lille le 7 décembre 1882, fait de brillantes études à la Providence d'Amiens puis à Lille. En 1900, il entre au Noviciat à St-Acheul. Après une licence ès-lettres (langues vivantes), il enseigne l'anglais au collège de Florennes (Belgique), ce qui lui vaut des séjours en Angleterre. Il est ordonné prêtre à Enghien le 2 août 1914. « Ceux de sa géné- « ration se rappellent le scolastique remarquable « que fut le Père Sevin. Il se distinguait par son « idéal très élevé, son enthousiasme vibrant. « Il écrivait avec une surprenante facilité en prose « et en vers, cultivait le chant, le dessin, la musique. Ces qualités de l'esprit et du cœur, « il allait les mettre au service d'une cause, à laquelle il se donnera sans compter. » En ses dernières années, « il lui suffit de demeurer fils de st Ignace et prêtre de Jésus- « Christ pour garder la joie et travailler encore jusqu'à la fin. « Servir et Sauver » fut « vraiment toute sa vie » (Mgr Lallier) — jusqu'au jour où, le 19 Juillet 1951, à Boran- sur-Oise, près de ses Filles, il rentre à la Maison du Père. FONDATEUR « Cet ouvrage prouve à l'évidence qu'à l'égal du Chanoine Cornette, le Père Sevin « mérite d'être considéré comme le Fondateur du Scoutisme Catholique. Nul n'a étudié « comme le Père la méthode de Baden-Powell. Nul n'a saisi mieux que lui la richesse « qu'elle constitue pour les garçons de France. » (Mgr Lallier) Depuis 1918, date à laquelle il entre en contact avec le scoutisme anglais et rencontre Baden-Powell, il ne cesse de travailler et d'approfondir la méthode. 1917 verra ses premiers essais à , en pays occupé — 1920, la Fondation des Scouts de France, et 1923 celle du Camp-École de Chamarande. Nommé Supérieur à Troyes en 1940, puis à Paris en 1946, il se consacre alors au projet mûri et pensé, jour après jour dans la prière. « De la lecture attentive de ce livre, nous apprendrons beaucoup. Ce lent travail de « la grâce et ces chemins détournés qui, à son insu, le préparaient à la grande tâche de « sa vie : la Fondation de la Sainte Croix de Jérusalem, couronnement de sa pensée. « A travers ces pages et tous les mystères joyeux et douloureux qu'elles évoquent, « nous pénétrerons plus avant dans l'intimité du Père Sevin, dans sa vie intérieure et son « âme. Il reste étonnament jeune, fort et vigoureux lorsqu'il évoque les réalités surnatu- « relies : ainsi, la Règle des Dames de la Ste Croix de Jérusalem si référée à la Parole de « Dieu et si proche de toutes les contingences humaines ! » (Mgr Lallier) Écrite en Janvier 1944, avant même que l'on ne parle « d'adaptations », le Père montre en vrai précurseur que « la vie religieuse la plus authentique peut revêtir les formes les plus modernes et s'adapter aux justes exigences de la mentalité, de la vie et de l'action contemporaines ». Ses Filles, il les veut à la fois Contemplatives et Mission- naires, « au milieu du monde où les place leur apostolat ». En une phrase, il résume l'esprit qu'il donne à cet Institut : « l'Évangile est notre première Règle de vie. »

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