Michel Jobert Et La Diplomatie Française
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Michel Jobert et la Diplomatie Française Mary Kathleeen WEED L'image publique d'un homme secret Michel Jobert et la Diplomatie Française Éditions Fernand Lanore François SORLOT, éditeur 1, rue Palatine - 75006 Paris A ma mère ISBN 2-85157-042-0 © Éditions F. Lanore, François SORLOT éditeur, Paris, 1988. AVANT-PROPOS Ce livre n'est ni une hagiographie ni un plaidoyer en faveur de Michel Jobert, comme son mouvement politique l'aurait peut- être souhaité. Ce n'est pas non plus une somme d'attaques et d'accusations comme d'autres l'auraient désiré. Plus modestement, c'est un travail de recherche réalisé à partir de ma thèse de Doctorat en Études Politiques (Relations Internationales) soutenue en janvier 1982 à l'Institut d'Études Politiques à Paris, sous l'œil bienveillant du Professeur Alfred Grosser. D'autres entrevues de 1982 à 1986 m'ont permis d'étendre ce travail et de l'affranchir d'un certain style universitaire. Construire cet ouvrage sur la base de ma seule thèse était insuffisant et trop académique. J'ai dû repartir enquêter sur le terrain et interviewer des hommes politiques et des fonctionnaires qui ont travaillé avec l'ancien ministre. Quelques mois seulement avant l'arrivée de Michel Jobert au ministère du Commerce Extérieur en mai 1981, ils me parlaient sans hésitation. Par la suite, obtenir des renseignements fut beaucoup plus délicat. La discrétion et la réserve tranchaient avec l'ouverture que j'avais pu apprécier avant que Jobert ne soit nommé ministre en mai 1981. J'ai dû briser ce silence, rechercher les témoins et construire des rapports de confiance avec mes interlocuteurs. Dès le début de mes recherches au printemps 1978 (c'est-à-dire au lendemain des élections législatives) Michel Jobert m'avait fourni des piles de documents, pour compléter, sans doute, mes informations. J'ai conservé et classé soigneusement les documents qui m'ont été remis : des textes officiels, des notes manuscrites, des dossiers de presse en français, anglais, en italien voire en coréen ou en arabe ! Ces informations, ainsi que celles obtenues par la loi sur l'Information aux États-Unis, m'ont aidée à poser les questions importantes et, avec le recul que me confère ma double nationalité irlandaise et américaine, de les poser avec suffisamment d'audace à mes interlocuteurs. J'ai dû ensuite étudier tous les témoignages ainsi recueillis au fil des années pour en tirer l'essentiel sans tenir compte de la subjectivité de chacun. La période d'enfance de Michel Jobert m'a paru la plus délicate à retracer : la rareté, voire la disparition des archives de l'époque du protectorat français au Maroc, la dispersion des témoins qui avaient connu Michel Jobert dans les années d'avant-guerre ont compliqué la tâche. Il y avait, bien sûr, ses livres notamment comme Mémoires d'Avenir, ou l'Autre Regard. Mais sa vision de sa propre enfance est romancée. De plus, il fallait s'habituer à la réserve qu'il manifeste pour tout ce qui le concerne. J'ai travaillé aux côtés de Michel Jobert pendant plus de cinq ans. Il a eu l'occasion de m'ouvrir ses archives, de m'expliquer les subtilités et les roueries de la politique française. Il lui est aussi arrivé de se raconter et même de se fâcher quand j'allais trop loin dans mes investigations, mais il s'est finalement toujours expliqué avec clarté et avec chaleur. Il reste particulièrement attaché à la période 1973-1974 pendant laquelle il était ministre des Affaires Étrangères et qui constitue la toile de fond de ce livre, une période passionnante au cours de laquelle sa personnalité originale due à un cursus peu traditionnel a pu se mettre en valeur. Il est évident que mes écrits n'engagent que moi. Je porte seule la responsabilité de l'interprétation, de la sélection et de l'utilisation des documents sur la vie et les responsabilités de Michel Jobert. Il me faut enfin remercier sincèrement tous ceux et celles qui m'ont aidés — par leur travail ou simplement par leur soutien moral ou amical — dans cette tâche. INTRODUCTION Le 20 mars 1983, Michel Jobert quitte ses fonctions de ministre d'État, ministre du Commerce Extérieur, qu'il assumait depuis mai 1981. Dix ans auparavant, presque jour pour jour, il était devenu ministre des Affaires Étrangères du deuxième gouvernement Messmer. C'est le seul homme politique de la Cinquième République à avoir été ministre dans un gouvernement de gauche et dans un gouvernement de droite. Inclassable dans le sérail politique, Michel Jobert reste pour beaucoup un mystère. En 1973, on voyait en lui le futur Premier ministre de Georges Pompidou. La mort du Président met un terme à son ascension. Il attend sept ans avant d'être choisi par le nouvel élu. Avant de le nommer numéro quatre de son gouvernement, François Mitterrand demande aux proches de son entourage de le lui définir. En surface, c'est un haut fonctionnaire métamorphosé tardivement en homme politique. Ce que l'on ne sait pas, c'est qu'avant d'être « l'homme de Pompidou », Jobert avait des idées personnelles et originales qu'il s'efforça de réaliser par la suite, en tant que ministre. On ignore aussi que, pendant près de trente ans, il fut l'éminence grise de nombreuses personnalités de tous bords politiques. A cet égard, il s'inspire autant de Pierre Mendès France et du général De Gaulle que de la pensée de Georges Pompidou. Il a également de solides liens d'amitié avec François Mitterrand, chef de « l'opposition » pendant de si longues années. M. Jobert dirige la diplomatie française pendant une année charnière dans les relations internationales : 1973-1974 marque une période, sans précédent depuis 1945, de crises et de tensions dans le monde. On se souvient de ses batailles contre le Goliath américain, Henry Kissinger ; Jobert est une sorte d'Astérix défendant pied à pied la France devant la puissance américaine. Son action est personnelle, à tel point que Le Monde parle de « diplomatie jobertienne » ! Mais, à quel point sa politique fut- elle indépendante de celle de Pompidou ? On sait que la dernière année de la présidence se distingue des années précédentes. Mau- rice Couve de Murville la qualifie de véritable « infléchissement » dans la diplomatie française. Est-ce dû à la crise internationale qui éclate, mettant la France devant de nouvelles contraintes ? Ou bien, s'agit-il d'une action volontariste des dirigeants français et plus particulièrement de Michel Jobert ? Jusqu'à quel point, cet homme aux pouvoirs limités peut-il imprimer aux événements sa marque personnelle ? Première Partie PORTRAIT D'UN SOLITAIRE Français du Maroc, énarque, puis membre des cabinets ministériels, Michel Jobert n'a rien en soi d'exceptionnel dans le monde politique français. Ce qui le rend unique est le fait que cet homme secret et solitaire se crée une silhouette publique pour répondre aux exigences des différentes étapes de sa carrière politique. Son apport personnel dans la gestion des affaires de l'État — à Matignon, à l'Élysée, à la tête du Ministère des Affaires Étrangères puis enfin, sept ans plus tard, au Commerce Extérieur — a une dimension politique certaine. Chapitre I L'ENFANCE SOUS LE PROTECTORAT : APPRENTISSAGE DE LA FRANCE « ... Alors qu'au fond le souvenir était là pour étayer l'action, pour éclairer, pour l'abriter même... » Michel Jobert. Sous la France de Lyautey Michel Jobert est né le 11 septembre 1921 à Meknès au Maroc. Il vit là-bas jusqu'à l'âge de 18 ans, puis part pour Paris faire ses études à l'École Libre des Sciences Politiques. La guerre éclate en Europe en 1939 et M. Jobert est mobilisé dans le troisième régiment de spahis marocains pour la bataille d'Italie. En 1942, il est grièvement blessé. Son admission à l'École Nationale d'Administration lui offre un avenir assuré dans la fonction publique mais, ses souvenirs d'enfance et de guerre laissent une empreinte indélébile dans la mémoire du jeune homme. « Je ne sortais pas d'une famille qui roulait sur l'or » répète souvent Jobert. Si, devenu ministre, il insiste sur la pauvreté des siens qui semble relever du mythe car les Jobert étaient des propriétaires assez aisés au Maroc. Le père apportait dans cette aventure un capital personnel mais aussi une solide formation d'ingénieur agronome, avec le souci de réussir, par un travail intense, à monter une entreprise de raffinage d'huile d'olive. Il travaillait aussi pour l'Administration française du Protectorat, qui lui avait concédé des terres. Les Jobert s'installent dans une ferme, perdue dans le bled, à 30 kilomètres de Meknès. Le Maroc comme son voisin oriental, l'Algérie, était un creuset. Sa population se composait à parts inégales de pionniers et d'indigènes. Les nouveaux colons attendaient tout du Maroc. S'ils n'allaient pas acquérir toute la richesse qu'ils avaient espérée, ils y gagnaient du moins le droit de vivre sous la protection de la France. C'était, en quelque sorte, la colonisation du Nouveau Monde. Michel, troisième et dernier enfant des Jobert est né sur le sol marocain. Dès sa naissance, Michel paraît plus fragile que ses frère et sœur. Il évoque très rarement ses premières années, mais elles sont particulièrement difficiles. Cette étape de sa vie contribue à lui forger un caractère combatif qui sous une pointe d'humour ne dédaigne pas l'ironie. « L'homme se construit à partir d'un enfant déjà tout préparé » Sa première éducation, il la doit à sa mère « qui faisait la classe aux trois enfants » précise-t-il. Ses premières influences viennent surtout d'elle.