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Un Fauteuil a L'academie

Un Fauteuil a L'academie

JEAN-JACQUES GAUTIER

UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE

'histoire commence comme un conte de fées : « // L était une fois »... Il y avait une fois neuf amis de moins de quarante ans, qui, s'étant connus sous les lambris de l'hôtel de Rambouillet, avaient pensé qu'il serait agréable de se retrouver ailleurs pour céder à leur péché mignon, lequel était de parler des choses de l'esprit, de littérature et de grammaire, et peut-être de fronder, avec une discrétion de bon aloi, l'action des princes qui nous gouvernent. Ne pouvant supprimer d'un coup tous les notables de la société précieuse dont les piqûres l'impatientaient, le grand Cardinal résolut d'étouffer aimablement dans les plis de son grand manteau de pourpre certains des membres les plus émi- nents de cette nouvelle petite coterie, qui composaient un bureau d'esprit à part. C'est le mot fameux : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être l'organisateur. » Voilà pourquoi et comment Richelieu eut l'idée de faire sien le cénacle en question. Celui-ci n'avait aucune envie d'être agrandi et protégé. Ses parti• cipants comprirent néanmoins qu'il était prudent d'accepter le haut et puissant patronage qui leur était proposé avec une si bienveillante autorité. Mais il est certain que cette modeste assemblée, ce distingué groupuscule, serait mort de sa belle mort à la mort du dernier de ses fondateurs — dont nul n'avait fait, reconnaissons-le, œuvre immortelle — si le pouvoir absolu ne l'avait ainsi annexé pour étendre à quarante le nombre de ses futurs membres. Là est la sagesse : quarante académiciens à la fois et renou• velables, quarante chances de ne pas laisser échapper le génie UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 19 quand il s'en présenterait un. Vous connaissez le mot superbe de François Mauriac, venant demander à vingt ans la main d'une belle jeune fille à son père. Celui-ci questionne : « Serez- vous de l'Académie, Monsieur? — Il y en a quarante par géné• ration. Il est impossible, Monsieur, que je n'en sois pas!», répliqua fièrement notre jeune homme, conscient d'être celui qu'il deviendrait. Quant à la foule des obscurs, qui se mélangent aux illustres, « il faut, selon la parole de d'Alembert, voir ce qu'en pensait le public de leur temps ». N'oublions pas la faveur dont jouit Pradon. N'oublions pas la gloire de Campistron. « Sur le Racine mort, le Campistron pullule. » N'oublions jamais que Népomucène Lemcrcicr, tenu, de son vivant, pour un poète tragique incomparable, s'acharna contre la candidature de Victor Hugo. Que voulez-vous ? 11 n'aimait pas le romantisme, cet homme, et, pour la tantième fois, il s'écria : « Moi vivant, M. Hugo ne sera jamais de l'Aca• démie ! » A quoi Dumas lui objecta : « Pour lui avoir si souvent refusé votre voix, prenez garde, mon cher confrère, d'être un jour obligé de lui donner votre fauteuil... » Ce qui eut lieu. O immortalité ! « Maigre immortalité noire et dorée Consolatrice affreusement laurée... » traduit lyriquement Paul Valéry dans son Cimetière marin. Etait-ce de l'Académie qu'il parlait ? J'ai fait le compte : sur tous les académiciens élus depuis l'origine, il y a environ une centaine d'immortels vraiment connus de la postérité. La proportion me paraît équitable. Les autres sont « les inconnus dans la Maison ».

e voudrais vous parler de quelques-uns d'entre eux. J Comment croyez-vous que je les ai choisis ? Ayant été élu au fauteuil laissé vacant par la disparition du regretté , j'ai éprouve la curiosité bien naturelle de savoir quels étaient les premiers occupants de ce siège, qui compte à ce jour dix-sept titulaires dont certains firent rejaillir sur lui un peu de leur gloire. 20 UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE

Mais, avant d'en arriver à saluer ces nom illustres, quelle impressionnante phalange d'anciennes notabilités oubliées ! Souvenez-vous de la réplique péremptoire que Montherlant a fait choir des lèvres de Mgr de Péréfixe, archevêque de , venu sermonner ses filles de Port-Royal : « Refuser l'Aca• démie est une vanité comme une autre » ! Je crois que, pour les sept premiers de mes prédécesseurs, c'eût été au moins d'une immodestie flagrante. Au reste, rien n'indique que l'idée ne soit venue à un seul d'entre eux. Le jeune et si discret calviniste Valentin Conrart, à propos duquel Boileau disait qu'il faut « imiter de Conrart le silence prudent », l'adroit Conrart donc, ayant été chargé de sélectionner les premiers immortels à vie, eut toutes les peines du monde à en trouver quarante, habitant Paris. C'est presque la seule clause qui justifie l'élévation à cet état d'Auger de Moléon, sieur de Granier : un peu abbé, un peu libraire, il avait édité, entre autres, des Mémoires inédits de Marguerite de , reine de Navarre. Ses reliures étaient belles, et ses livres, il en faisait cadeau. Mais, surtout, il recevait largement, fastueusement, beaucoup, beaucoup de personnes connues auxquelles il ouvrait la table la plus généreusement servie. On a toujours des amis quand on offre à manger à Paris. La preuve, c'est que les trois seules voix qui lui manquèrent pour être élu à l'unanimité furent celles de gens qui n'allaient pas dîner chez lui. Malheureusement, la carrière académique de cet amphitryon modèle, cet amphitryon où l'on dîne, fut une des plus brèves que l'on connaisse. Huit mois après son élection, il lui fut reproché d'avoir dilapidé des fonds que lui avaient confiés des religieuses. Malheur à celui par lequel le scandale arrive ! Le Cardinal retira sa main puissante, et Granier chut dans le vide. Radié, à l'unanimité cette fois, on n'entendit plus jamais parler de lui. C'est ainsi que le premier titulaire de ce siège qui m'a été dévolu fut aussi le seul des membres de l'Académie exclu pour indélicatesse.

l fut remplacé, en hâte, par un nommé Balthazar I Baro qui avait servi de secrétaire à Honoré d'Urfé, auteur du premier des romans galants et précieux : l'Astrée. UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 21

Le sieur Baro fit aussi jouer maintes tragédies que le temps a miséricordieusement ensevelies dans « le linceul de pourpre où dorment les dieux morts». C'est peut-être cette dernière activité dramatique qui le fit juger digne par ses pairs de collaborer à la rédaction des Sentiments de l'Académie sur "le Cid", mémo• rable tissu d'âneries qu'Armand du Plessis, deux fois trop éminent en la circonstance, ne dédaigna pas d'annoter dans les marges, comme un pion. Un si grand homme qui avait dit aux acadé• miciens : « Je vous aimerai comme vous m'aimerez »... pouvait bien n'être point un confrère excessivement charitable.

n certain devait succéder à notre Baro ; U homme savant s'il en fut, et respectable Dieu sait ! Imaginez un professeur de droit canon, doyen du Collège royal, chargé d'écrire l'histoire de la politique de son Seigneur et Maître et d'enseigner à Monseigneur le Dauphin ce qu'il savait. Il y avait de quoi faire : il parlait sept langues, il avait même conjugué les charmes d'une grammaire espagnole et les attraits d'un lexique gascon. Voltaire a dit de lui qu' « il faisait, tous les ans, un enfant à sa femme et un livre ». Cette assiduité laborieuse et virile ne l'empêcha pas de voter contre La Fontaine. Selon moi, c'est à ce titre navrant qu'il devrait rester dans l'histoire des Lettres. Lorsque Jean Doujat mourut, il fut remplacé par l'abbé Eusèbe Rcnaudot qui avait la chance d'être le fils de son père, Théophraste Renaudot, inventeur du fameux journal appelé la Gazette et qui est, en somme, l'ancêtre de toute la presse française contemporaine.

uand, à son tour, l'abbé Eusèbe Renaudot rendit Q au bon Dieu son âme d'immortel, il se vit (ou plutôt ne se vit pas) donner pour successeur, un autre abbé, Henri-Emmanuel de Roquette. La vie secrète de ce secret génie fut si secrète qu'on ne sait absolument pas ce qu'il a fait. On a si peu parlé de lui qu'on n'en a même pas dit de mal.

l y avait à cette époque un évêque d'Antin qui n'avait I rien écrit. Par bonheur pour son avenir, il avait un passé, et une famille. Son papa avait été le plus célèbre cour- 22 UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE

tisan du royaume de France. Lors d'une visite de sa propriété, le souverain lui ayant dit que la situation d'un certain petit bois lui semblait inopportune, M. d'Antin père, dès le lendemain, ramena, par des voies détournées, son prince au même endroit. Celui-ci ayant réitéré sa critique, l'hôte lui déclara : « Sire, faites signe et ces arbres tomberont. » Le roi fit un signe... et la forêt s'abattit, car le duc d'Antin avait, pendant la nuit, fait scier tous ses arbres, en donnant ordre aux bûcherons de les laisser debout sur leur fût. Et les manants n'avaient plus eu, à son signal, qu'à tirer sur les cordes qui enserraient les troncs. Un tel zèle vaut bien un fauteuil, je pense. C'est donc à ce « duc et père » que l'évêque d'Antin, fils du précédent, dut son éléva• tion. Tant d'obscurité autorise par la suite toutes les ambitions. Oublions miséricordieusement le successeur du précédent : Nicolas François Dupré de Saint-Maur. Son nom était plus long que son œuvre car son principal titre de gloire est d'avoir écrit une Etude sur le prix de revient des grains et leur cours sur le marché avant et après le concile qui se tint en 794 à Francfort- sur-le-Main. Avouez que c'est très particulier !

nfin Malesherbes vint. E Il était temps. Ce fauteuil avait besoin d'un grand homme. Esprit universellement cultivé, remarquable orateur, partisan de la liberté de conscience, de pensée, d'opinion et d'expression ; imbu des idées de justice et d'humanité, tolérant, équitable, indépendant jusqu'à l'audace tranquille, défenseur d'une première forme d'œcuménisme, soutien des encyclopédis• tes, M. de Malesherbes, en tant que président de la Cour des aides, présenta au roi Louis XV les vigoureuses remontrances de 1770-1771. On connaît le résultat: la juridiction réduite au silence ; son chef, renvoyé à ses chères études, retourne avec une noble sérénité cultiver son jardin. Mais Louis XV, cédant à la voix populaire, rappelle notre magistrat. Celui-ci est rétabli dans ses fonctions et en profite incontinent pour porter, une seconde fois, les plaintes du peuple au pied du trône. Ces nouvelles remontrances ont un retentissement prodi• gieux. La popularité de Malesherbes devient même légèrement encombrante. UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 23

Le souverain, désireux de récupérer à son profit un peu de cette popularité, lui offre de devenir à ses côtés ministre d'Etat. Et l'on sait qu'il ne demeure point longtemps en place : « Un magistrat ami de la règle, accoutumé à résister à tous les excès du pouvoir dans l'intérêt des principes, et à lutter contre les abus de l'administration, est peu propre à des fonctions ministé• rielles. » Mais lorsqu'il s'en va de son plein gré, il reste popu• laire, ce qui, selon l'incisive formule d'un contemporain, est plus rare comme ancien ministre que comme exilé.

MALESHERBES (Rogcr-Viollet)

C'est vers cette époque qu'après l'Académie des sciences et celle des inscriptions, notre Compagnie accueillit ce parfait honnête homme. A proprement parler, il ne se présenta point aux suffrages de ses contemporains. En 1775, les académiciens vinrent en cohorte le chercher et le prier de leur faire l'honneur de siéger parmi eux. Il est porté à la dignité académique par la volonté du peuple et l'enthousiasme de la nation. En apprenant 24 UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE

quel était leur rival, tous les candidats ayant quelque chance d'accéder à une telle situation se retirent devant lui. C'est que, dit M. de Grimm, « ce qui, pour tout autre, n'eût été qu'une couronne littéraire, est devenu pour M. de Malesherbes une couronne civique ; et l'Académie, en décernant ces honneurs au magistrat de la patrie, au citoyen de la nation, a paru remplir les fonctions d'interprète de l'opinion publique ». Sa réception fut triomphale. Election ? Non, plébiscite. Malesherbes prit pour sujet de son discours : « Du rang que tiennent les Lettres entre les différents ordres de l'Etat. » Le nouvel élu y parla de Montesquieu, de la liberté, des grandes idées dont il devait, vingt ans plus tard, être la hautaine victime. Il alla, en dépit de la Cour qui l'observait, jusqu'à tracer à l'Assemblée son devoir de justice, d'humanité, d'affranchisse• ment. Il y aura, par la suite, voix prépondérante, au milieu des esprits les plus avancés de l'époque, pour ce qui sera de tra• vailler, sur le plan de la transformation des mentalités, à l'achè• vement de la plus grande « modification » de l'histoire de la France, dont il avait été l'un des tout premiers promoteurs. Jamais les révolutions ne sont aussi bien préparées que par les grands seigneurs libéraux. Mais lorsque son roi est arrêté, il se hâte d'écrire au prési• dent de la Convention cette lettre si belle que l'on ne m'en voudra pas de la citer, quoiqu'elle soit extrêmement connue :

« Paris, le 11 décembre 1792 J'ignore si la Convention nationale donnera à Louis XVI un conseil pour le défendre, et si elle lui en laissera le choix. Dans ce cas-là, je désire que Louis XVI sache que, s'il me choisit pour cette fonction, je suis prêt à m'y dévouer... J'ai été appelé deux fois au Conseil de celui qui fut mon maître, dans le temps que cette fonction était ambitionnée par tout le monde ; je lui dois le même service lorsque c'est une fonction que bien des gens trouveront dangereuse... »

Je ne résisterai pas davantage à la tentation de rappeler la dernière phrase tombée des lèvres dédaigneuses de ce grand honnête homme que le peuple allait tuer. UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 25

C'est le 22 avril 1794. M. de Malesherbes sort de la prison pour monter dans la charrette. Son pied heurte un pavé. Il fait un faux pas. Il se redresse et, souriant tristement : « Voilà, dit-il, un mauvais présage ; à ma place, un Romain serait rentré chez lui. »

i noble caractère vint un certain Andrieux, /~Y également magistrat, mais de moindre envergure, auteur dramatique et poète au talent tempéré, homme d'enve• loppe fragile, et de taille exiguë, minuscule même, réputé pour son amour du prochain et la tendresse de sa nature. Mais la douceur de son caractère n'empêcha pas cette âme séraphique de se déchaîner contre la candidature de Lamartine, qu'il obligea à se présenter une demi-douzaine de fois. Le brave homme exécrait le romantisme comme d'autres les juifs ou la franc- maçonnerie. Son ami Patin aimait à raconter qu'il l'avait trouvé, un jour, se promenant de long en large comme un furieux dans sa chambre, les Méditations à la main, et invectivant furieuse• ment l'auteur absent : « Le poète mourant, le poète mourant... Eh bien, crève donc, animal. Tu ne seras pas le premier ! »

Voyez-vous ça, la douceur !... Et pourtant, ce gentil petit homme avait fait, à deux repri• ses, dans son existence, la preuve qu'il ne manquait pas de vaillance... Voici dans quelles circonstances : le Premier Consul lui ayant reproché de ne point manifester une soumission suffi• sante, il lui répondit avec une certaine audace : « Général, on ne s'appuie bien que sur ce qui résiste ! » Mot qui fait contre• poids à celui d'un parlementaire de la IIL République s'écriant : « Appuyons-nous toujours sur les principes. Ils finiront bien par céder ! » Une autre fois M. Andrieux se battit dans le camp de Charles de Lacretelle, dit Lacretelle le Jeune, qui protestait auprès du roi contre une loi visant à étouffer la liberté de la presse. Ce qui me confirme dans l'idée qu'il est quand même plus facile d'avoir du courage civique que de pratiquer la confra• ternité, « cette haine vigilante », comme dit l'autre. 26 UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE

harles Monselet dénombrait en Monsieur Thiers ce C qu'il appelait les trois tiers : le premier, mi-Grec mi-Marseillais ; plein d'aplomb ; gagnant, comme pour faire une blague à l'Université, plusieurs fois le même concours sous des noms différents ; ne doutant de rien, alliant les connaissances à la force ascendante, et qui, salué par ses jeunes camarades du titre d' « Adolphe premier » répond seulement : « Pourquoi pas ? » Rastignac. Et voici le second qui, ayant préparé la révolution de 1848, « a sa minute de pâleur » lors du coup d'Etat de 1851. Le troisième se présente comme commis voyageur de la paix après 1870, «avec un plant d'olivier au fond de son chapeau ». Tous les historiens, depuis, ont découvert bien d'autres Thiers, mille petits bonshommes qui changent avec le temps, et dont les mini-portraits juxtaposés font pendant au « M. Thiers libérateur du territoire », statufié en bronze sur les places publi• ques de l'Histoire de notre pays dont les provinces n'apprécient pas tellement la Commune ! D'abord, regardez-le à travers les documents d'époque : haut d'un mètre cinquante, replet, teint bronzé, cheveux noirs, lunettes ovales et voix de crécelle, pantalon trop court, chapeau d'Auvergnat et bottes de porteur d'eau... Puis, redingote marron à jupe évasée enserrant son petit torse dodu, gilet de casimir rouge, pantalon beige collant, cha• peau de poil à boucle d'argent, cravate retombant sur le jabot...... Ensuite, petit homme taillé dans le bois, avec sa petite voix d'huissier audiencier et son petit ventre de chansonnier. Et quand il aura pris du poids, gilet jaune et pantalon de nankin, riant de sa propre image lorsqu'il se reconnaîtra dans le personnage de Joseph Prudhomme. Enfin, boutonné, boudiné de partout, teint mat, jaunâtre, un peu momifié, les saillies du visage plus accusées, des traits moins mobiles, les lunettes de fer maintenant incrustées dans le masque parcheminé. Il n'y a pas qu'au physique... Je me suis amusé à relever dans toutes les biographies et études que j'ai pu consulter des traits complémentaires et souvent contradictoires : il sent le génie de Delacroix, mais fait la petite UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 27 bouche devant Raphaël, et, pour son plaisir, collectionne de simples copies de madones qui lui suffisent bien, car lui ce qu'il aime, ce sont les têtes de madones, copies ou non. Son récit de voyage des Alpes aux Pyrénées vaut par la bonne

M. THIERS, par André Gill humeur, la prestesse, la gaillardise. C'est de l'excellent repor• tage. « // faut, dira-t-il, prendre tout au sérieux, rien au tragique. » Il parle plus qu'il n'écoute, déconcerte par sa faconde les gens qui s'apprêtent à le renseigner. Sainte-Beuve lui accorde « l'esprit le plus net, le plus vif, le plus curieux, le plus perpétuellement 28 UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE frais ». Mais il corrige aussitôt : « M. Thiers commence toujours par parler des choses ; il finit quelquefois par les apprendre. » Et Chateaubriand : « L'homme doit croître ou décroître : il y a des chances pour que M. Thiers devienne un grand ministre, ou reste un brouillon. » Royer-Collard complète : « C'est un polis• son bon enfant qui a même quelques lueurs de grand esprit, mais bon surtout à perdre un empire par son étourderie et son enivrement. » Hugo achève : « J'ai toujours éprouvé pour cet éminent orateur, cet écrivain médiocre, ce cœur étroit et petit, un sentiment indéfinissable d'aversion et de dédain. » Ce même M. Thiers, qui restera comme un parangon de la bourgeoisie, déclare : « Par naissance, je suis du peuple. Par éducation, je suis bonapartiste. Par goût, je suis un aristocrate. Je n'ai aucune sympathie pour les bourgeois. »

Ce bon enfant, ce grand cœur sur la main, ce richissime citoyen, fait preuve d'une étonnante sécheresse vis-à-vis de sa mère qu'il laisse mourir en solitude et presque demi-pauvreté dans un petit logement des Batignolles. Défenseur de la morale bourgeoise, il a peut-être été l'amant de sa belle-mère avant d'épouser la fille. Louis-Philippe, quand il a besoin de voir d'urgence son président du Conseil, est obligé de le faire appeler dans les rues sous les fenêtres de ses maîtresses. Et si l'on sait lire les textes des personnes du sexe qui l'environnent au sommet de sa puisssance, il semble bien que le premier magistrat de la République ait eu, au hasard des soirées, la main étrangement vagabonde et distraitement indiscrète. Ce nain fascinant, ce farfadet omniscient, ce Figaro de Lilliput, ce Scapin d'une tragédie nationale où il fut aussi un héros, prend, à la fin de sa vie, plus de relief et de sévérité. Ce voltairien a même des accès de spiritualité. Une spiritualité — comment dire ? — très... cambrée ! Je ne sais quel chroniqueur le décrit ainsi : « Quand il assiste à la messe d'action de grâces à Saint-Louis, flanqué de sa femme et de sa belle-sœur, il redresse sa petite taille, sa houppe devient plus agressive, il se juge grandiose et l'on devine qu'il trouve en son âme et cons• cience que "la Justice divine a eu de la chance de le rencon• trer". » Du coup, il blâme hautement le matérialisme de la Vie de Jésus de M. Renan, tellement plus haut écrivain que lui. UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 29

Finalement, cet homme souple, matois, entêté, ambitieux, arriviste, remuant, cynique, avide, prudent et comédien, cet homme tout court, si j'ose dire, joua un rôle de premier plan qui a transformé, à plusieurs reprises, le destin de notre pays.

uand on dit que l'on occupe le fauteuil dans lequel Q s'est assis, au xixc siècle, un certain , tout le monde vous demande toujours s'il s'agit du peintre, de l'historien ou de l'homme politique. Il s'agit de « celui de l'ave• nue » du même nom, c'est-à-dire un historien qui fit de la poli• tique. J'ai eu la curiosité de consulter la notice nécrologique d'Henri Martin dans les journaux du temps, et j'ai été étonné de la froideur si peu conventionnelle. Voici ce que, quinze jours à peine après sa disparition, l'on dit du travail d'historien de ce beau grave barbu dont le Larousse illustré de ma jeunesse publiait encore le portrait : « Sans être une œuvre de premier ordre, car elle ne renferme aucun de ces aperçus de haut vol qui sont la marque des grands écrivains et des penseurs origi• naux, son Histoire de France est un ouvrage qui fait honneur à Henri Martin, ouvrage de compilation, il est vrai, mais qui dut coûter un long effort à son auteur. C'est quelque chose, en vérité, que de laisser après soi un livre qui, pour n'être assuré que d'une durée limitée, respire d'un bout à l'autre l'amour de la France... » ! C'est plutôt sévère, non ?

rôle de corps, cette Académie : un de ses membres D défend le roi ; un autre préside la République ; certains existent par leur style : Racine, Chateaubriand, Mau• riac, Montherlant ; d'autres par les personnages qu'ils ont inven• tés, par le monde qu'ils ont créé : Jules Romains : Knock et les Hommes de bonne volonté, Pagnol : Marins, Achard : Jean de la lune ; quelques-uns par les monuments qu'ils ont laissés. Songez à la bizarre destinée de : il est consul à Alexandrie, il se fait remarquer par la louable tenue lors de l'épidémie de peste de 1835. Le pacha d'Egypte le charge alors de secouer l'apathie de son fils Saïd qui est énorme, et que, de ce fait, l'on prive de manger à sa faim. Ferdinand de Lesseps 30 UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE l'oblige à faire des marches, des promenades, des randonnées à cheval, et, quand son jeune compagnon est bien affamé, lui auto• rise un grand plat de macaronis dont l'autre se gave avec recon• naissance. Saïd n'oubliera pas, le moment venu. Il se souviendra avec gratitude des macaronis du consul de France. L'impératrice des Français de son côté, à l'heure où le promoteur du canal de Suez aura besoin d'appui, se rappellera qu'un jour, lorsqu'elle était encore Mademoiselle de Montijo. elle avait prié M. Ferdinand de Lesseps, représentant de notre pays à Madrid, de demander au gouvernement espagnol la grâce de treize jeunes officiers de la garnison de Valence, qui avaient participé à un pronunciamento. Et M. de Lesseps avait obtenu, ce qui n'était pas simple, qu'ils eussent la vie sauve.

FERDINAND DE f.ESSEPS (Rogcr-Viollet)

On ne relate ces incidents que pour mettre en valeur le mélange de vertu et d'adresse de celui qui, au lendemain de l'achèvement de sa vaste entreprise, sera appelé « le plus grand des Français ». UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 31

Cela prouve qu'il y en a eu, successivement, plus d'un. Toutes les associations de ce pays veulent l'avoir pour prési• dent. Il est nommé grand-croix de la Légion d'honneur sans avoir été fait grand officier. Mais Renan, le recevant sous la Coupole, fait preuve d'une clairvoyance prophétique en lui disant : « Vous ne vous êtes pas dissimulé que le percement du canal servirait tour à tour des intérêts jort divers. L'isthme coupé devient un champ de bataille. Un seul Bosphore avait suffi jusqu'ici aux embarras du monde. Vous en avez créé un second. Vous avez marqué la place des grandes batailles de l'avenir. » En l'écoutant, Ferdinand de Lesseps médite. Sur la possi• bilité de lendemains qui déchantent. On connaît sa navrante fin de vie : le scandale de Panama dont on fit peser affreusement la responsabilité sur ses derniers jours : « Lesseps venait d'atteindre ses quatre-vingt-sept ans. Il était malade. Néanmoins, il tint à aller s'expliquer devant le juge d'instruction. Il se fit apporter son grand cordon de la Légion d'honneur, et appuyé au bras de deux amis, passant au milieu des siens et de ses serviteurs dont les larmes coulaient au spec• tacle d'une telle infortune, il monta en voiture pour déférer à la convocation du magistrat. » Il mourut le 7 décembre 1894 sans savoir qu'il avait été frappé d'une condamnation à cinq ans de prison. On parla comme toujours de « soufflet sur la joue de la France ». C'est une expression qui sert souvent. Mais l'injustice était passée.

t remplaça Ferdinand de Lesseps E quai Conti. Je n'ai pas la prétention de vous apprendre qui était Ana• tole France. Je voudrais simplement vous rappeler la façon dont il a parlé de ces « mauvais choix » que reprochent si volontiers à l'Académie ceux-là même qui ne les trouveraient point déplo• rables, s'ils en avaient été les bénéficiaires. Voici ce que disait Monsieur France : « Une compagnie formée exclusivement de grands hommes serait peu nombreuse et semblerait triste. Les grands hommes ne peuvent se souffrir les uns les autres et ils n'ont guère d'esprit. 32 UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE

// est bon de les mêler aux petits. Cela les amuse. Les petits y gagnent par le voisinage, les grands par la comparaison. Admi• rons par quel mécanisme ingénieux l'Académie française commu• nique à quelques-uns de ses membres l'importance qu'elle reçoit des autres. C'est une assemblée de soleils et de planètes où tout brille d'un éclat propre ou emprunté. Je dirai plus : les mauvais choix sont nécessaires à l'existence de cette assemblée. Quel affront pour ceux qu'elle n'accueillerait pas, si l'élu était toujours le meilleur ! » N'est-ce point d'une ironie délectable ?

t pourtant, tout le monde sait que Paul Valéry, qui E ne pardonnait point à « Monsieur France » d'avoir mal aimé Mallarmé, mit toute sa malice à faire, dans son discours, l'éloge de l'écrivain des Dieux ont soif, sans jamais le nommer : il l'appelle « votre grand confrère. Messieurs », « un homme si considérable », « le jardinier du Jardin d'Epicure », il parla de « la France dont il a pris le nom »... Décidément non, Paul Valéry n'aimait pas... « son glorieux prédécesseur » et, pourtant, Paul Valéry aimait beaucoup l'Aca• démie, ce qui est flatteur puisque... Monsieur Teste disait : « La bêtise n'est pas mon fort. » Ses journées étaient dévorées, grignotées plutôt, et lui-même assiégé sans répit, car ce solitaire était le plus sociable des hommes qui n'a jamais su dire non à personne. Aussi a-t-il vécu dans le monde plus que quiconque ; et peu d'écrivains ont autant travaillé sur commande, il s'en félicitait : « Que de choses je n'aurais pas vues, si je n'avais été conduit à les voir par l'obligation de travaux imposés. Ceci est contre la liberté. Trop de liberté enchaîne à ce que l'on est ou que l'on aime. » Il avait les yeux clairs, un mèche grise tombant du côté droit. Il arborait presque toujours un nœud papillon. Sa mous• tache grise comme une grosse brosse à dents était roussie par la nicotine ; l'index et le médius dorés par la fumée de l'éternelle cigarette. Au petit doigt, il portait une grosse chevalière. Il avait de très belles mains, et son visage semblait ravagé par le travail intense de la pensée et mille tourments secrets enfoncés dans sa chair. UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 33

La duchesse de La Rochefoucauld rapporte qu'un jour, se laissant tomber dans un fauteuil de sa propriété de Montmirail, mi-riant, mi-mort de fatigue, il s'exclama : « Mourir, mourir pour ne plus travailler ! » Et de sa belle écriture ferme, nette, parfai• tement formée et régulière, qui s'accordait si bien à son grand talent de dessinateur, de graveur, d'aquarelliste et de peintre, il a écrit, aux derniers jours de son existence : « Je me résume. J'ai la sensation que ma vie est achevée, c'est-à-dire que je ne vois rien à présent qui demande un lendemain. » Et puis la petite phrase finale pathétique, parce que, venant d'un si puis• sant génie, elle traduit, on le sait, son énorme lassitude : « Après tout, j'ai fait ce que j'ai pu. » Il s'est assis à son bureau tous les jours à quatre heures du matin, pendant cinquante et un ans, après avoir bu sa tasse de fort café noir. Résultat : ses Cahiers. Une trentaine de volumes représentant plus de 26 000 pages. L'œuvre figure, on le sait, dans la collection de la Pléiade. J'espère que vous avez lu au moins tout le commencement, qui offre un si curieux portrait du poète, de l'auteur, de l'homme qui avait donné au monde de ceux qui croyaient le connaître une image si cordiale et si fausse. « Ici je ne tiens à charmer personne. » C'est donc dans ces Cahiers que Paul Valéry se montre vraiment dans ce qu'il appelle son « effrayante sécheresse ». « Ce que je sais faire m'ennuie, ce que je ne sais pas faire m'attriste... Je ne suis occupé que de ma dure et terrible guerre intérieure... Je ne m'aime pas... Je n'attends rien des autres... Je trouve en chaque humain des choses que je ne puis souffrir... Faut-il que les gens soient bêtes pour me trouver intelligent !... » Et cet orgueil amer : « Je souffre de souffrir de telles choses dont tout le monde souffre. » Et cette lucidité sarcastique : « Ma modestie est grande ; quand elle se hausse sur les pointes, elle arrive presque au nombril de mon orgueil. » Ou si vous préférez : « //.v m'ont élu le plus grand poète par 3 145 voix, or je ne suis ni grand, ni poète, ni eux 3 145, mais bien trois ou quatre tout seuls, perdus dans quelques cafés. » ... Et, avec quelle joie mau• vaise, cet homme, bienveillant et charmant en société, cite, quand il est seul, le mot du Père Hardouin : « Croyez-vous donc que je me serais levé toute ma vie à trois heures du matin pour ne penser que comme les autres ? » Enfin ces deux aveux qui confir-

2 34 UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE ment son horreur du sentiment et son dégoût des passions qui, selon lui, ne font dire et faire que « toutes les bêtises de l'homme en crise » : « Je hais les souvenirs... » « J'ai une sorte d'ennui des événements... » Ce qui ne l'empêchait pas d'avoir, et d'avoir eu, bien avant tous ceux dont le métier était d'apprécier la situation du point de vue politique, une vision merveilleusement claire de la marche des événements. Relisez Une conquête méthodique. Ce livre annonce en effet, dès les années 1890, l'avenir dramatique des relations franco-allemandes et les guerres qui suivirent. Enfin, c'est Paul Valéry qui a prononcé la phrase fameuse que lui empruntait souvent Malraux, lequel la lançait sur un ton apocalyptique donnant presque à croire qu'elle était de lui : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ! » Et puis je voudrais terminer sur l'humour, ces vers de Valéry, pour sa petite fille enfant : « La mer, c'est des montagnes qui dansent... Les dents, ça commence mieux que ça finit... Les parents, c'est des enfants qui n'ont pas été sages... »

la demande du professeur Mondor, Paul Valéry A présida la séance d'ouverture du Congrès de chirurgie à la veille de la dernière guerre. Et c'est Henri Mondor qui succéda au poète parmi les Quarante. Auvergnat d'ascendance, de naissance et de formation, il était devenu le plus parisien des Parisiens de Paris. Il avait six ans lorsqu'un vieux géologue couvert de mousse dit à la mère d'Henri Mondor : « Vous en ferez un médecin. » Il passe rêveusement son bachot. Sa mère l'envoie à Paris faire sa médecine. Il se propose alors d'être médecin colonial pour aller retrouver une jeune Algérienne dont le regard l'embra• sait. A la veille de son départ pour l'Afrique du Nord, un de ses camarades le persuada que les grands concours c'était bien aussi. Il s'y essaie et saute, l'une après l'autre, ces innombrables haies qui font ou faisaient d'une carrière médicale orthodoxe, UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 35 la plus dure, la plus serrée, la plus épuisante des courses d'obs• tacles. Sa vie devait être animée d'un mouvement pendulaire : ce jeune amateur de poésie, devenu un grand chirurgien, allait reve• nir à ses premières amours en compagnie de Stéphane Mallarmé... Pourquoi Mallarmé ? Depuis 1916, il préférait ses vers à tous. De 1916 à 1938, il avait acheté, par dévotion, maints auto• graphes de son grand homme. Un peu avant la guerre, des amis le mirent sur la piste d'une correspondance fragmentaire bourrée de révélations iné• dites. 1940 arrive. L'exode. Paris se vide. Le désespoir frappe à la porte. Certains, comme Thierry de Martel, se suicident. Mondor, lui, se livre à sa passion, se donne à Mallarmé. On dit que Cézanne passa la guerre de 1870 à peindre des pommes. Pendant deux années entières, « au soir de harassantes journées professionnelles », Mondor écrivit sa Vie de Mallarmé. Quand donc eût-il trouvé le temps d'écrire sinon la nuit, au cœur des nuits, car, tout le jour, et tous les jours, il faisait des cours, il consultait, il opérait, il dessinait aussi, car, à la manière de Paul Valéry, il ciselait des coquillages et des roses, de cette main déliée qui maniait la mine de plomb comme un bistouri. Et, de surcroît, il déjeunait et dînait en ville où il pétillait d'his• toires drôles et souvent scabreuses. Tel était cet homme complet. Il a semblé traverser le monde sous le signe d'une série d'impulsions fortuites, qui étaient toute âprcté à son goût du succès.

t nous en arrivons à mon prédécesseur direct, Louis E Armand. Il avait séduit tous les académiciens. Il les éblouissait comme il a toujours fait de tous les gens auxquels il s'est adressé. Car il aimait mieux parler qu'écrire, et il n'y avait pas pour lui d'auditoire privilégié. Il était de l'avis de Paul Valéry : « Toutes les oreilles sont équivalentes. » C'est pourquoi il s'adressait avec autant de plaisir aux jeunes lycéennes de Neuilly qu'aux lauréats du concours général ou aux anciens du IIe cuirassiers. Il avait été certes le Grand Prêtre de la S.N.C.F., mais également « le 36 UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE sourcier » des eaux minérales, et aussi un des plus ardents promoteurs de l'Europe. Il connaissait tout, savait tout, s'enten• dait à tout, et l'on pouvait dire de lui sans exagération qu'il était un «spécialiste universel », car sa science n'avait rien de superficiel, mais, son objectif étant d'apprendre aux hommes à réfléchir, il avait l'art intuitif d'exposer les questions de la façon la plus frappante ; d'établir des rapports inattendus qui accro• chaient l'attention ; de nouer des relations imprévues entre des notions apparemment indépendantes ; de créer des circuits qui raccourcissaient l'effort de l'auditeur ; si bien qu'en écoutant ce pédagogue extraordinaire, chacun s'émerveillait soudain de s'intéresser à des questions dont il se croyait fort éloigné. Louis Armand agitait les cerveaux, il secouait les intelligences, il disait de lui-même en souriant qu'il méritait le sobriquet de « Remue- méninges ». «Voilà que disparaît le plus vivant d'entre nous», s'est écrié notre ami Thierry Maulnier, le jour du décès de Louis Armand. Comme on dit d'un roi : « Sa Majesté », d'un prince, « Son Altesse », d'un cardinal, « Son Eminence », on aurait pu réserver à Louis Armand : « Sa Vitalité ». Et penser à lui, c'est, avant tout, aimer la vie qu'il a généreusement incarnée.

oilà donc terminée ou, du moins, si vous le per• V mettez, je dirai : provisoirement interrompue, l'his• toire d'un fauteuil de l'Académie, le 38e, qui fut pourvu, la première fois en 1635, et qui, aujourd'hui, m'intéresse au premier chef puisque c'est celui dans lequel j'ai l'honneur de m'asseoir. Mais, comme on dit: «5/ cette histoire vous amuse», demandez à mes trente-neuf éminents confrères (l'usage impose «confrères » et non «collègues », par souci d'égalité) de venir vous conter les avatars de leur siège. A la fin de la série, vous auriez ainsi revécu l'histoire de l'Académie qui (avec la Comédie-Française) demeure « la seule institution d'Ancien Régime encore debout sur tant de ruines royales ». JEAN-JACQUES GAUTIER de l'Académie française