Un Fauteuil a L'academie
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JEAN-JACQUES GAUTIER UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 'histoire commence comme un conte de fées : « // L était une fois »... Il y avait une fois neuf amis de moins de quarante ans, qui, s'étant connus sous les lambris de l'hôtel de Rambouillet, avaient pensé qu'il serait agréable de se retrouver ailleurs pour céder à leur péché mignon, lequel était de parler des choses de l'esprit, de littérature et de grammaire, et peut-être de fronder, avec une discrétion de bon aloi, l'action des princes qui nous gouvernent. Ne pouvant supprimer d'un coup tous les notables de la société précieuse dont les piqûres l'impatientaient, le grand Cardinal résolut d'étouffer aimablement dans les plis de son grand manteau de pourpre certains des membres les plus émi- nents de cette nouvelle petite coterie, qui composaient un bureau d'esprit à part. C'est le mot fameux : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être l'organisateur. » Voilà pourquoi et comment Richelieu eut l'idée de faire sien le cénacle en question. Celui-ci n'avait aucune envie d'être agrandi et protégé. Ses parti• cipants comprirent néanmoins qu'il était prudent d'accepter le haut et puissant patronage qui leur était proposé avec une si bienveillante autorité. Mais il est certain que cette modeste assemblée, ce distingué groupuscule, serait mort de sa belle mort à la mort du dernier de ses fondateurs — dont nul n'avait fait, reconnaissons-le, œuvre immortelle — si le pouvoir absolu ne l'avait ainsi annexé pour étendre à quarante le nombre de ses futurs membres. Là est la sagesse : quarante académiciens à la fois et renou• velables, quarante chances de ne pas laisser échapper le génie UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 19 quand il s'en présenterait un. Vous connaissez le mot superbe de François Mauriac, venant demander à vingt ans la main d'une belle jeune fille à son père. Celui-ci questionne : « Serez- vous de l'Académie, Monsieur? — Il y en a quarante par géné• ration. Il est impossible, Monsieur, que je n'en sois pas!», répliqua fièrement notre jeune homme, conscient d'être celui qu'il deviendrait. Quant à la foule des obscurs, qui se mélangent aux illustres, « il faut, selon la parole de d'Alembert, voir ce qu'en pensait le public de leur temps ». N'oublions pas la faveur dont jouit Pradon. N'oublions pas la gloire de Campistron. « Sur le Racine mort, le Campistron pullule. » N'oublions jamais que Népomucène Lemcrcicr, tenu, de son vivant, pour un poète tragique incomparable, s'acharna contre la candidature de Victor Hugo. Que voulez-vous ? 11 n'aimait pas le romantisme, cet homme, et, pour la tantième fois, il s'écria : « Moi vivant, M. Hugo ne sera jamais de l'Aca• démie ! » A quoi Dumas lui objecta : « Pour lui avoir si souvent refusé votre voix, prenez garde, mon cher confrère, d'être un jour obligé de lui donner votre fauteuil... » Ce qui eut lieu. O immortalité ! « Maigre immortalité noire et dorée Consolatrice affreusement laurée... » traduit lyriquement Paul Valéry dans son Cimetière marin. Etait-ce de l'Académie qu'il parlait ? J'ai fait le compte : sur tous les académiciens élus depuis l'origine, il y a environ une centaine d'immortels vraiment connus de la postérité. La proportion me paraît équitable. Les autres sont « les inconnus dans la Maison ». e voudrais vous parler de quelques-uns d'entre eux. J Comment croyez-vous que je les ai choisis ? Ayant été élu au fauteuil laissé vacant par la disparition du regretté Louis Armand, j'ai éprouve la curiosité bien naturelle de savoir quels étaient les premiers occupants de ce siège, qui compte à ce jour dix-sept titulaires dont certains firent rejaillir sur lui un peu de leur gloire. 20 UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE Mais, avant d'en arriver à saluer ces nom illustres, quelle impressionnante phalange d'anciennes notabilités oubliées ! Souvenez-vous de la réplique péremptoire que Montherlant a fait choir des lèvres de Mgr de Péréfixe, archevêque de Paris, venu sermonner ses filles de Port-Royal : « Refuser l'Aca• démie est une vanité comme une autre » ! Je crois que, pour les sept premiers de mes prédécesseurs, c'eût été au moins d'une immodestie flagrante. Au reste, rien n'indique que l'idée ne soit venue à un seul d'entre eux. Le jeune et si discret calviniste Valentin Conrart, à propos duquel Boileau disait qu'il faut « imiter de Conrart le silence prudent », l'adroit Conrart donc, ayant été chargé de sélectionner les premiers immortels à vie, eut toutes les peines du monde à en trouver quarante, habitant Paris. C'est presque la seule clause qui justifie l'élévation à cet état d'Auger de Moléon, sieur de Granier : un peu abbé, un peu libraire, il avait édité, entre autres, des Mémoires inédits de Marguerite de France, reine de Navarre. Ses reliures étaient belles, et ses livres, il en faisait cadeau. Mais, surtout, il recevait largement, fastueusement, beaucoup, beaucoup de personnes connues auxquelles il ouvrait la table la plus généreusement servie. On a toujours des amis quand on offre à manger à Paris. La preuve, c'est que les trois seules voix qui lui manquèrent pour être élu à l'unanimité furent celles de gens qui n'allaient pas dîner chez lui. Malheureusement, la carrière académique de cet amphitryon modèle, cet amphitryon où l'on dîne, fut une des plus brèves que l'on connaisse. Huit mois après son élection, il lui fut reproché d'avoir dilapidé des fonds que lui avaient confiés des religieuses. Malheur à celui par lequel le scandale arrive ! Le Cardinal retira sa main puissante, et Granier chut dans le vide. Radié, à l'unanimité cette fois, on n'entendit plus jamais parler de lui. C'est ainsi que le premier titulaire de ce siège qui m'a été dévolu fut aussi le seul des membres de l'Académie exclu pour indélicatesse. l fut remplacé, en hâte, par un nommé Balthazar I Baro qui avait servi de secrétaire à Honoré d'Urfé, auteur du premier des romans galants et précieux : l'Astrée. UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE 21 Le sieur Baro fit aussi jouer maintes tragédies que le temps a miséricordieusement ensevelies dans « le linceul de pourpre où dorment les dieux morts». C'est peut-être cette dernière activité dramatique qui le fit juger digne par ses pairs de collaborer à la rédaction des Sentiments de l'Académie sur "le Cid", mémo• rable tissu d'âneries qu'Armand du Plessis, deux fois trop éminent en la circonstance, ne dédaigna pas d'annoter dans les marges, comme un pion. Un si grand homme qui avait dit aux acadé• miciens : « Je vous aimerai comme vous m'aimerez »... pouvait bien n'être point un confrère excessivement charitable. n certain Jean Doujat devait succéder à notre Baro ; U homme savant s'il en fut, et respectable Dieu sait ! Imaginez un professeur de droit canon, doyen du Collège royal, chargé d'écrire l'histoire de la politique de son Seigneur et Maître et d'enseigner à Monseigneur le Dauphin ce qu'il savait. Il y avait de quoi faire : il parlait sept langues, il avait même conjugué les charmes d'une grammaire espagnole et les attraits d'un lexique gascon. Voltaire a dit de lui qu' « il faisait, tous les ans, un enfant à sa femme et un livre ». Cette assiduité laborieuse et virile ne l'empêcha pas de voter contre La Fontaine. Selon moi, c'est à ce titre navrant qu'il devrait rester dans l'histoire des Lettres. Lorsque Jean Doujat mourut, il fut remplacé par l'abbé Eusèbe Rcnaudot qui avait la chance d'être le fils de son père, Théophraste Renaudot, inventeur du fameux journal appelé la Gazette et qui est, en somme, l'ancêtre de toute la presse française contemporaine. uand, à son tour, l'abbé Eusèbe Renaudot rendit Q au bon Dieu son âme d'immortel, il se vit (ou plutôt ne se vit pas) donner pour successeur, un autre abbé, Henri-Emmanuel de Roquette. La vie secrète de ce secret génie fut si secrète qu'on ne sait absolument pas ce qu'il a fait. On a si peu parlé de lui qu'on n'en a même pas dit de mal. l y avait à cette époque un évêque d'Antin qui n'avait I rien écrit. Par bonheur pour son avenir, il avait un passé, et une famille. Son papa avait été le plus célèbre cour- 22 UN FAUTEUIL A L'ACADEMIE tisan du royaume de France. Lors d'une visite de sa propriété, le souverain lui ayant dit que la situation d'un certain petit bois lui semblait inopportune, M. d'Antin père, dès le lendemain, ramena, par des voies détournées, son prince au même endroit. Celui-ci ayant réitéré sa critique, l'hôte lui déclara : « Sire, faites signe et ces arbres tomberont. » Le roi fit un signe... et la forêt s'abattit, car le duc d'Antin avait, pendant la nuit, fait scier tous ses arbres, en donnant ordre aux bûcherons de les laisser debout sur leur fût. Et les manants n'avaient plus eu, à son signal, qu'à tirer sur les cordes qui enserraient les troncs. Un tel zèle vaut bien un fauteuil, je pense. C'est donc à ce « duc et père » que l'évêque d'Antin, fils du précédent, dut son éléva• tion. Tant d'obscurité autorise par la suite toutes les ambitions. Oublions miséricordieusement le successeur du précédent : Nicolas François Dupré de Saint-Maur. Son nom était plus long que son œuvre car son principal titre de gloire est d'avoir écrit une Etude sur le prix de revient des grains et leur cours sur le marché avant et après le concile qui se tint en 794 à Francfort- sur-le-Main.