Le territoire présaharien marocain entre gouvernance et émergence

Mohamed BEN ATTOU, Enseignant chercheur, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Résumé

L’article est un essai conceptuel et étymologique sur le rapport de la gouvernance et de l’émergence d’une société tribale au territoire. Ce rapport évolue aujourd’hui dans un contexte de régionalisation voulue élargie. L’éveil du local est-il alors une question d’adaptation sociétale face à l’enjeu de la nouvelle régionalisation institutionnelle ou c’est le fait d’une réorientation dans la politique publique du géopolitique vers le géostratégique et la durabilité par anticipation sur le projet de l’autonomie des provinces sahariennes dans le but de consolider davantage la souveraineté nationale? L’analyse précise des faits économiques, sociopolitiques et territoriaux des villes de et de permet de comprendre les mécanismes de fonctionnement et les stratégies mettant en rapport l’action de l’Etat à la la promotion sociale et territoriale tantôt via la verticalité politique tantôt via la mobilisation culturelle et la régulation territoriale.

Abstract: The Moroccan presaharian territory between the governance and the emergence

This article is a conceptual and an etymologic approach concerning the relationship between the governance and the evolution of a tribal society in a given territory. This alliance is currently progressing in an expanded regionalism. The local appearance is then a social adaptation concern inserted in recent institutional regionalism issue or it is the fact of a public policy reorientation toward the geostrategic sustainability using the technique of project anticipation, saharian provinces autonomy instead of the geopolitics in order to strengthen the national sovereignty? The precise analysis of the economic facts, sociopolitical and territoriality of the cities: Guelmim and Bouizakarne allow us to understand the functional mechanisms and the strategies relating between the government’s actions and the territorial social promotion at the same time toward the vertical politic and the cultural mobilization for the territorial regulation. يهخص : انًدال انشبّ انصحزأ٘ انًغزبٙ بٍٛ انحكايت ٔاإلَبثاق

انًمال يماربت يفاًْٛٛت ٔ إحًٕٛنٕخٛت نهؼاللت انخٙ حزبظ حكايت ٔاَبثاق انًدخًغ انمبهٙ بانًسأنت انخزابٛت. ْذِ انؼاللت حخفاػم انٕٛو فٙ إطار خٕٚٓت أرٚذ نٓا أٌ حكٌٕ يٕسؼت. فُٕٓض اإلطار انًحهٚ ٙفضٙ بانضزٔرة إنٗ شزٛػت انسؤال: ْم حك اإلػالٌ انًحهٚ ٙسخدٛب إنٗ يسأنت انًالءيت االخخًاٛػت فٙ ظم خٕٚٓت يؤسساحٛت خذٚذة، أو ٚخؼهك األيز بخٕخّ ٙػَٕ نهسٛاست انؼًٕيٛت يٍ يًارست خٕٛسٛاسٛت حكًج انًداالث شبّ انصحزاٚٔت بٕاد٘ ٌَٕ نؼمٕد، فٙ احداِ َٓح خٕٛاسخزاحٛدٚ ٙٓذف االسخذايت اإلسخبالٛت نًشزٔع انحكى انذاحٙ نأللانٛى اندُٕبٛت بٓذف انزبظ انًخٍٛ نهسٛادة انٕطُٛت؟ انخحهٛم انذلٛك نهٕالغ االلخصاد٘ ٔانسٕسٕٛ- سٛاسٙ ٔانًدانٙ نًذٌ كهًٛى ٔبٕٛسكارٌ ًٚكٍ يٍ فٓى

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يٛكاَٛشياث ٔاسخزاحٛدٛاث ػاللت فؼم انذٔنت باإلؼَاش االخخًاٙػ ٔانخًُٛت انخزابٛت ٔفك يُظٕر يشدٔج حارة ححكًّ انؼًٕدٚت انسٛاسٛت ٔحارة أخزٖ انخدُٛذ انثمافٙ ٔانًٕاسَت انخزابٛت.

Introduction

L’article est un essai sur la gouvernance et l’émergence dans une société tribale qui évolue dans un contexte où l’enjeu territorial est important aussi bien sur le plan géopolitique que sur le plan géostratégique. La ville de Guelmim (porte du Sahara) et tout le territoire présaharien de l’oued Noun font l’objet d’une recomposition socioculturelle, économique et politique portée par un Etat économiquement entrepreneurial et politiquement de providence. Comment réagit la société locale à la gouvernance et à l’émergence ? Dans quelle mesure son référent culturel forge son identité, régule ses rapports de force par rapport au territoire, à l’appropriation du sol, aux acteurs et à l’Etat ? Le territoire présaharien constitue-t-il une zone tampon de sécurité ou une charnière du territoire favorable à l’émergence? Que recouvre le concept de l’émergence lui-même dans les pays en développement ?

Le territoire est un construit social certes, mais, plus particulièrement, dans les pays en voie de développement et/ou émerge l’effacement progressif du local face aux dédales du système politique n’est pas l’aboutissement d’une révolution culturelle. Le territoire n’est pas, non plus, le reflet d’un ordre religieux, naturel ou spontané. L’ordre politique véhicule des priorités, des normes, de l’indécision parfois et des valeurs elles-mêmes subites dans un contexte de globalisation et de défis de sécurité dans lesquelles les sociétés locales ne se retrouvent pas. Dans un territoire, les identités locales, en l’occurrence tribales, sont instrumentalisées et récupérées dans des configurations sociopolitiques dont les rapports de domination (MOLENA, 2013), et la centralité de la société civile l’emporte sur les interactions ou la rationalité des individus (CROZIER, 1977).

Ce même système politique n’est cependant pas figé ; il évolue aux rythmes des processus géostratégiques, sociopolitiques et territoriaux, que celles-ci soient endogènes ou exogènes. L’être politique dans ce système est à la fois, l’initiateur, l’acteur institutionnel, le précurseur de l’émergence durable et le responsable de l’acte administratif et territorial. L’espace présaharien marocain de l’oued Noun et du Bani, en l’occurrence à travers sa capitale régionale, la ville de Guelmim, témoigne bien du rôle important que le système politique affecte à la « construction territoriale ». D’une zone tampon de sécurité dans le conflit à propos du Sahara marocain, Guelmim et sa zone d’action vont se repositionner progressivement en tant que cordon ombilicale entre le Sahara marocain et le reste du Royaume. Désormais, la ville se construit autour de son territoire. Elle est entrain de se désengager d’un modèle militaire monofonctionnel ayant longtemps articulé la dimension tribale et l’appropriation foncière comme mécanisme d’auto-régénération de l’approche sécuritaire.

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Aujourd’hui, à la veille de la mise en place du projet de la régionalisation élargie, le « mode de développement de Guelmim » paraît, pour la première fois, plus à caractère durable. D’une part, le nouveau contexte géopolitique et sécuritaire se cristallise désormais autour de « l’intégrisme », c’est-à- dire vers des zones plus excentriques par rapport à l’oued Noun, c’est la priorité des priorités1. Le Maroc est trop engagé vis-à-vis de ses partenaires européens, américains et africains. D’autre part, dans le contexte de la « régionalisation élargie », le Sahara atlantique se trouve progressivement inséré dans un redéploiement stratégique qui vise de faire des Provinces sahariennes des hubs d’interface vers l’Afrique subsaharienne. La création progressive des Provinces de Tata, de et d’ ainsi que la redéfinition de la région de Guelmim-oued Noun sur le triangle Tan-Tan-Ifni-Guelmim et la main levée sur les projets touristiques structurants de la plage blanche et de l’oued , confirment bien le début d’une certaine territorialisation émergente. Celle-ci permet d’inverser la tendance sociopolitique à caractère régionaliste reposant sur les faveurs d’un Etat providence vers une « complémentarité territoriale » en mesure de forger de nouvelles identités locales et vers une citoyenneté plus « structurée » et « durable ».

Bien que cette communication se construit sur les principes de la théorie de l’évolution et de la bonne gouvernance urbaine (GODARD, 1997) qui repose sur certains principes de l’action publique au niveau local, sur la régulation politique et la mobilisation des acteurs et des relations plus contractuelles entre collectivités publiques, on est amené à adopter ici une approche chronologique des diagnostics et évolutions qui ont marqué l’espace, la société et le politique. Cette approche s’articulant sur le champ de la géopolitique et de la géostratégie est nouveaux au Maroc. L’appui sur des rapports des assemblées municipales, sur l’évaluation de la gouvernance pratiquée à partir des débats de la société civile et des études d’impact de la pertinence des documents officiels d’urbanisme permettent d’analyser, de démontrer et d’argumenter minutieusement la question spécifique de la communication à savoir le passage des territoires présahariens marocains d’un contexte géopolitique à un contexte géostratégique producteur de l’émergence durable. Parmi les principales conclusions de la communication on peut affirmer qu’un même territoire présaharien peut basculer entre intégration et désintégration selon la manière dont il est volontairement ou involontairement inscrit dans les champs géopolitique ou stratégique. Le référent culturel et l’identité ethnique ne constituent pas des entités figées et non réceptives à l’émergence durable. Ce référent constitue un dispositif à la fois réceptif et récupérable. Il est réceptif à l’action du changement elle-même. Lorsque le développement du territoire présaharien est affiché

1 La priorité n’est pas conçue à oued Noun en termes « d’intégrisme-terrorisme » en soi comme articulation sur le système monde quoi que cela est officiellement affiché. A notre sens, il s’agit plutôt, dans la logique des pouvoirs publics, d’un positionnement par anticipation sur le glissement séparatiste à partir d’une « zone de turbulence ».

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sur l’agenda d’une orientation stratégique volontaire au niveau supérieur de l’Etat, le même référent culturel s’intègre totalement ou partiellement dans le nouvel ordre.

I- La ville présaharienne dans l’ordre géopolitique, Territoire émietté et « militarisation de l’espace urbain : cas de Guelmim et de Bouizakarne

1-La tribalisation de la vie urbaine Guelmim: enjeu du pouvoir ou enjeu de la société ?

L’un des principaux clivages qui a toujours dominé le rapport de la société à la ville dans les Provinces sahariennes et présahariennes est le dilemme du tribalisme. S’agit-il d’une ville dans la société tribale ou d’une société tribale dans la ville ? Le tribalisme est un fait de société ou c’est un fait politique dans un contexte de “périphérisation territorial” ? La réponse est mitigée. C’est à la fois un fait sociétal et politique instrumentalisé de part et d’autres par le fait et/ou dans le fait urbain donc territorial. Guelmim, dans l’oued Noun, est le terrain le plus fertile d’une revendication tribale socio-territoriale. D’une part, l’oued Noun est limitrophe à la fois à la société amazigh et celle hassanie. D’autre part, il est l’acheminement historique de la grande confédération dont les tribus les plus puissantes, à l’échelle du Sahara, sont représentées en tant qu’identité guerrière ayant contribué dans la lutte armée contre les colonisateurs français et espagnol. Identité instrumentalisée, en ville, comme pouvoir d’identification sociale et comme revendication politico-économique de rattachement aux Provinces sahariennes.

Dans la gestion de la ville, est ce que c’est le fait tribal qui configure l’action politique ou, au contraire, c’est la dimension politique qui régule le fait tribal ? Ni l’un ni l’autre, les deux se combinent dans un contexte où c’est le pouvoir public qui régule verticalement le fait sociopolitique selon une obsession sécuritaire, dont le jeu politique et assujetti au fait tribal. Cependant, il s’agit d’un fait tribal, lui-même construit sur les rivalités ethniques dominantes qui se partagent le pouvoir selon la conjoncture politico- sécuritaire et les évènements. En fait, il est plus question d’un pouvoir politique central qui dépasse, dans la réalité, les clivages tribaux dans l’organisation de l’ordre et du fait administratif sans pour autant entraver, dans le déroulement quotidien, la machine tribale, élément essentiel de mise en équilibre sociétale et de légitimité de gouvernance. Tantôt ce sont les Ait-Moussa Ou Ali qui gouvernent la Ville, tantôt se sont Ait Oussa. (Figure 1).

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Figure : 1 Les quartiers de Guelmim selon la domination tribale 1960-2000

Les tribus minoritaires servent à équilibrer l’échiquier politique souhaité à un moment donné. Lorsque les rivalités deviennent difficiles à gérer, ce sont les tribus minoritaires comme les Ait Baâmrane qui vont gouverner. L’action de la société civile va dans le sens de l’ordre politique préétabli. Tout se fait pour assurer une pérennité dans les formes politiques et sociétales d’encadrement de la population. L’évolution du fait tribal dans les quartiers de Guelmim entre 1960 et 2013, montre son encrage dans les formations

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sociales. Cependant, au niveau de la dominance tribale, il paraît que le phénomène est très changeant d’une période à l’autre en fonction de la régulation du pouvoir central du moment.

Figure : 2. Les quartiers de Guelmim selon la domination tribale 2001-2013

En effet, la dominance des Zouafet et d’Ait Moussa Ou Ali jusqu’en 2000, s’est estompée en 2013 en faveur des Ait Oussa, des Ait Baâmrane et des tribus composites. Les fonctions administrative et militaire polarisent un contingent important issu des Sraghna, Rhamna, Ouarzazate et Demnate ; alors que l’extension tribale sur le sol

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urbain fonctionne sous l’effet du « frieg »2 au sein de la cellule tribale elle-même. L’émiettement de l’espace urbain à cause des conflits à propos de l’appropriation foncière tribale est inévitable. La tribalisation de la vie urbaine est rythmée, en fonction du pouvoir municipal et de la mobilisation foncière, sur des bases ethniques (Figure 1). Sur une période de plus de 20 ans, la moyenne annuelle des demandes d’enregistrement s’est située à 424.7 pour une production moyenne annuelle de 199.2 titres fonciers, soit un taux de satisfaction de 46.8% seulement. Le contentieux à propos du foncier concerne 28.5% des demandes d’enregistrement, soit, une moyenne annuelle de 121 oppositions sur la période allant de 1988 à 2009. Il est à noter que 81.7% du contentieux restent, juridiquement, en instance (Tableau 1).

Tableau 1- Evolution des enregistrements fonciers à Guelmim et situation des assiettes foncières 1988-2009 Années Demandes Titres Contentieux d’enregistrement fonciers Affaires Affaires Affaires en produits enregistrées jugées instances 1988 189 21 1 1 - 1999 267 127 12 5 7 2000 321 210 12 - 12 2001 315 185 20 - 20 2002 470 192 37 2 35 2003 720 257 60 13 47 2004 854 248 122 13 99 2005 312 171 146 36 110 2006 494 132 188 29 159 2007 511 263 247 38 209 2008 394 454 321 47 247 2009 250 130 287 44 243 Sources : Service de la Conservation Foncière, Registre des Affaires Civiles du Tribunal de 1ère Instance de Guelmim, 2010.

Ceci est le fait conjugué de plusieurs facteurs. Premièrement, les oppositions prennent un caractère communautaire qui concerne symboliquement et socialement le « frieg » et la famille plus que l’individu opposant. Deuxièmement, le fait que les actes de propriété

2 Unité regroupant par essaimage les membres descendants de plusieurs branches au sein de la tribu. Autrefois, le « frieg » constituait la base de la cellule militaire constituant le corps du dispositif de lutte contre le colonialiste. Le système du « frieg » est utilisé à Guelmim pour revendiquer le droit d’appropriation foncière communautaire et passe avant le droit de la propriété privée du sol. Ce qui explique le nombre important des oppositions de propriétés enregistrées par le tribunal de Guelmim.

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fournis par les pétitionnaires et/ou oppositionnaires montrent clairement que l’origine de la propriété des terrains provient essentiellement d’actes de continuité affirmés communautairement par des témoignages, d’actes sous seing privés et d’actes « adulaires ». Les transactions passées devant les notaires sont quasiment absentes (Figure 3).

Le passage vers la nouvelle loi 39/08, exigeant la formulation des actes de transfert ou de création des droits réels par les notaires et les avocats semble difficile à réaliser dans le contexte foncier de Guelmim.

Figure : 3. Situation foncière à Guelmim entre 2005 et 2009

Troisièmement, le manque du foncier public (11% seulement de l’assiette foncière totale de la ville en 2009 contre 85% pour la propriété privée), associé au retard de l’instauration de la conservation foncière de Guelmim (1998), augmente la proportion du foncier non enregistré qui représente 60% contre seulement 25% pour le foncier enregistré. En 2009, le taux d’opposition foncière se situe à 15%. L’examen détaillé des demandes d’enregistrement et des titres fonciers délivrés, selon qu’il s’agit d’un foncier construit ou non construit, montre l’état d’instabilité qui pèse sur le foncier non construit. En effet, les demandes d’enregistrement les plus importantes concernent le foncier non construit (53%), mais le taux de satisfaction de ces demandes ne dépasse pas 33%. Alors que les demandes d’enregistrement à propos du foncier construit, qui ne dépasse pas dans l’ensemble 47%, connaissent un taux de satisfaction de 67%. Cette situation d’impasse est le fait de nombreuses oppositions à caractères communautaires, mais qui finissent par être récupérées dans des enjeux de pouvoir municipal. Ce dernier, tire aussi sa légitimité du fait foncier devenant un fait politique. Lequel par la mobilisation tribale devient un enjeu électoral, dont la solution réside dans la “non-solution”, le gel et/ou la régulation foncière par décision politique et non administrative. C’est un jeu de pouvoir local qui n’échappe pas au contrôle, aux

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enjeux d’équilibrage territorial et à la question sécuritaire du pouvoir central. L’examen du profil tribal des Assemblées municipales qui ont gouverné la ville de Guelmim au cours des différents mandats politiques confirment bien cette hypothèse (Tableau 2) et (Figure 3).

Tableau 2- Assemblées municipales de Guelmim selon l’appartenance tribale des membres (1960-2015) Mandats Formations 1960- 1977- 1983- 1992- 1997- 2003- 2009- P.V Total tribales 1964 1983 1992 1997 2003 2009 2015 Ait 3 6 5 3 7 6 10 8 46 Baâmrane Zouafet 2 3 4 8 4 7 7 10 45 Ait Lahssen - 4 3 5 3 4 4 5 28 Ait Oussa - 2 1 3 7 2 5 2 22 A.Moussa 3 5 5 4 4 1 2 3 27 Ou Ali Tarkez 1 - - - 3 1 1 1 7 Lakhssas - - - - - 1 1 2 4 Ait Bouhou - 1 - - 1 1 - - 3 Ait Hmad - - - - 1 1 - - 2 Autres - - 3 1 - 8 5 2 19 Source : Site électronique de la Municipalité de Guelmim, Trikzi, 2009 P.V : Nombre de Présidents et vice-présidents d’Assemblées Municipales élues par mandat et formation tribale.

La domination tribale du fait municipal s’inscrit dans des cycles de pouvoir dans lesquels, la représentation politico-tribale se renforce, s’estompe, se recompose et s’efface selon des équilibres qui se construisent, se négocient et s’éclipsent en fonction d’un ordre stratégique préétabli dans lequel le pouvoir local est assujetti au pouvoir public selon le rôle affecté à l’oued Noun : tampon de sécurité ou “cordon ombilical”. Ainsi, le pouvoir des Zouafet qui ont dominé la scène politique locale pendant les années 60 et 70 s’est effacé en faveur des Ait Lahsen et Ait Moussa Ou Ali jusqu’au début des années 90. Cette formation sociale va depuis, essayer de réinvestir le champ politique dominé, désormais, par les Ait Oussa et les Ait Baâmrane. Le passage au pouvoir se fait selon deux éléments régulateurs : la gouvernance urbaine par l’activation des verrous fonciers selon des stratégies instrumentalisant le fait foncier comme cheval de bataille qui mène au pouvoir de la ville et la capacité d’insertion dans le fait territorial au politique.

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Tout en restant dans la logique du référent culturel, la reconduction des Ait Baâmrane à la tête du 10ème Conseil Municipal de Guelmim, met en évidence la stratégie des pouvoirs publics d’amortir les rivalités tribales autour du foncier pour asseoir l’environnement favorable d’abord à la promotion des programmes de développement portés par l’Agence du Sud et les partenaires sociaux : PVSB, INDH, la qualification urbaine des quartiers sous-intégrés, l’initiative de la promotion de l’emploi et du développement… Le passage d’un contexte de « zone tampon de sécurité » à un contexte de « régionalisation élargie » est un fait qui se prépare. En effet, le projet de l’autonomie des Provinces sahariennes sous la notoriété nationale est une nouvelle donnée. Le passage des Ait Baâmrane d’une tribu minoritaire à Guelmim pendant les deux premières décennies de l’indépendance, à une tribu presque dominante aujourd’hui, n’est pas le fait du hasard ni celui d’une mobilité spontanée. Les Ait Baâmrane sont moins impliqués dans l’enjeu foncier que les autres rivalités. Ce qui a permis de mener plusieurs projets dans la ville. Dans cette orientation, la fonction administrative et commerciale a permis un brassage culturel durant les deux dernières décennies. La part des origines diverses et non tribales dans la formation sociale de Guelmim devient progressivement importante.

Quand la planification et l’aménagement sont compromis par l’enjeu foncier. L’étude d’évaluation du Plan d’Aménagement de Guelmim effectuée par l’Agence urbaine en 2010 permet de rendre compte de l’importance de l’instrumentalisation sociopolitique de l’enjeu foncier dans la planification urbaine. En effet, lancé en 1995, mais homologué en 2001, ce plan s’est vu transgresser de fond et de forme par la spéculation et l’obsession foncière tribale portée comme projet politique et élément d’identification/hiérarchisation sociales. Le manque d’assainissement foncier jusqu’en 2010 a induit une planification articulée plus sur des suppositions techniques construites sur la base d’un potentiel démographique que sur la maîtrise du fait foncier.

Résultat, globalement, le taux de réalisation de l’ensemble des actions sectorielles programmées est réduit à des proportions alarmantes (moins de 6%). D’une part, ce plan a programmé un besoin en espace de près de 500 ha partagés entre zone nouvelle d’habitat (presque entièrement de type économique) et zone d’activités et d’infrastructures publiques sur la base de 50 logements/ha. Ce qui traduit un besoin en activités et en espace public de 218 ha. Les concepteurs de la « planification urbaine » souvent des bureaux d’études étrangers ont conçu le plan d’Aménagement selon leur convenance (étalement, modernisation…) et non selon la demande caractérisée de la société urbaine locale, où le foncier à une double utilisation dans les champs de pouvoir et de la société. Dans leur orientation, les concepteurs ont ignoré la réalité que le foncier à Guelmim, de par son instrumentalisation culturelle et politique, est un cheval de bataille (TRIKZI, 2009). Au contraire, le plan va adopter un zonage démesuré, très injustement optimiste et non bien conçu qui s’étendra sur plus de 2400 ha programmés

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sur un foncier, le moins qu’on puisse qualifier, de contentieux3. Un zonage de 2447 ha articule le plan d’aménagement de la manière suivante: 70.6% pour l’habitat, 20.4% pour les activités et près de 7% comme réserve foncière stratégique. Le reste (2%) est déclaré zone industrielle.

Ce zonage ne correspond pas aux besoins réels de la ville. A titre indicatif, la programmation d’une zone d’activité agricole de 500 ha dans le périmètre urbain en l’absence de toute activité agricole productive, ne peut se concevoir. L’objectif non déclaré c’est la constitution de « réserves foncières préventives ». C’est-à-dire, le contrôle du « trab » et à travers lui le contrôle de la présence tribale sur le sol urbain afin de garder les « équilibres politiques fonctionnels ». Pour ce faire, l’instrumentalisation du droit d’expropriation pour l’utilité publique reste envisageable. Les orientations du plan vont à l’encontre des processus de construction de la ville. En effet, au moment où la tendance générale des pratiques de constructions épouse la logique de la ville intensive, répondant à un besoin social sur le logement familial (R+2) à faible coût pour supporter les risques d’un foncier non immatriculé et revendiqué par le domaine, le plan tend vers la ville extensive. Il programme 820 ha pour le logement R+1 et 217 ha d’habitat dispersé. C’est à dire dans le sens d’un nouveau conflit foncier plus conséquent. Résultat, la ville qui se fait ne répond pas à la ville programmée. Dès lors, c’est la ville réelle qui s’impose réduisant au maximum les actions programmées dans un processus de fabrication urbaine incertaine, où les modes de régulations sociales et la spontanéité l’emportent sur les ratios techniques d’appropriation et/ou d’utilisation du sol (NAVEZ BOUCHANINE, 2005).

Sur le plan sectoriel, l’état des lieux en 2010 rend compte de beaucoup de dysfonctionnements et de glissements. En effet, selon les travaux initiés par le Ministère des Equipements et Travaux publics, le taux de réalisation se situe à 24% pour un taux de glissement de 10%, ce qui signifie que le taux d’actions non réalisées avoisine les 66%. Pour les Ministères de la Santé et de l’Education Nationale, les taux enregistrés des équipements sociaux sont situés entre 23 et 47%.Le Ministère de la Culture n’arrive pas à atteindre un seuil de réalisation de 20%. Ce qui signifie que 80% des actions programmées dans le Plan d’Urbanisme n’ont pas vu le jour. Le foncier réservé pour certaines actions culturelles a glissé vers d’autres affectations. L’incommodité du plan prend un caractère général. Elle touche également le secteur commercial et l’Administration publique. Pour le premier secteur, le seuil de réalisation se limite à 16% pour un glissement à niveau de 11% et un taux de non réalisation de 73%. Pour le deuxième, sur un ensemble de 14 actions, quatre ont été réalisées pour un taux de glissement et de non réalisation de 71%.

3Pour des raisons de complexité de structures foncières et de processus d’auto-construction et du stigmate social, le zonage du plan d’aménagement de Guelmim a exclu le quartier El Fila au Sud de la ville de la zone de restructuration (182 ha).

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Sur le plan environnemental, le constat est plus inquiétant, sur 106 espaces verts programmés, le taux de réalisation se limite à 15%. L’examen détaillé de l’état des lieux de la programmation permet de s’imprégner de l’impact négatif d’une programmation bureaucratique qui se fait à l’insu des populations et hors de tout processus de négociation, de participation et/ou de gouvernance de proximité (Tableau 3). Sur 52 km programmés comme voirie urbaine, 12 km, sont réalisés, soit seulement 23%. Une moyenne de 18.5% des actions ne sont pas réalisées parce que les sites programmés sont occupés par des constructions. Le détournement vers d’autres affectations4et les réalisations hors des sites programmés par complications de situations foncières, ainsi que les réalisations inachevées ou sous dimensionnées par manque de ressources et/ou de convergence, ne sont pas moins importantes. Elles concernent 6.3 % des actions programmées.

Tableau 3 :Etat des lieux de la planification « bureautique » à Guelmim (2001-2010)

Etat des lieux des actions (2009)

Affectations

(équipements)

programmées

Réalisées Réalisées aménagement partiellement Réalisées sans site sur un autre Réalisées Encours Réaffectées réalisées Non Occupées constructions par Non les Actions (2001) programmées Espaces verts 2 81 18 1 102 Parkings 2 2 55 21 4 84 Places publiques 1 31 16 48 Eq. commerciaux 2 13 3 18 Eq. scolaires 5 1 1 10 17 Administration et éq. publics 2 5 1 5 13 Eq. socio-culturels 2 8 10 Eq. sanitaires 1 1 3 5 Dans le cadre de l’INDH 1 1 2 4 Source : Agence urbaine de Guelmim, 2010.

4 A titre indicatif, une action programmée comme équipement sanitaire fut détournée vers la construction d’un arrondissement. De même, les équipements sanitaires programmés dans le cadre de l’INDH, sont affectés pour la plupart sur les sites déjà programmés parking ou espace vert dans le Plan d’Aménagement.

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Aussi faut-il noter que près de 2% des actions définies dans le Cahier des Charges ne sont pas du tout programmées par le plan. Des fois c’est le programme INDH qui récupère le site et efface ainsi l’action du plan. Dans d’autres cas, ce sont les partenaires qui ne répondent pas présents sur le plan de financement. Plus souvent, ce sont la Municipalité, la Région ou les particuliers qui assurent un équipement en voirie qui, initialement, n’était pas programmé dans le plan d’urbanisme. Il n’est pas rare aussi de transformer un parking en un espace vert, ou bien de considérer les espaces séparant les cimetières des habitations comme espaces verts sans le moindre équipement conséquent. Ceci rend davantage les conflits fonciers plus tendus et les solutions plus compliquées, des fois insolubles5 en dehors d’un compromis conclu à travers de médiations officielles6. Sur l’ensemble de 21 demandes (dont 14 sont formulées par l’Agence de Promotion et du Développement Economique et Social des Provinces du Sud) pour bénéficier, en 2008, de certaines exceptions permettant la réalisation des projets d’investissements socio-économiques sur les espaces déjà affectés par le Plan d’Aménagement, la réponse du Comité Régional chargé d’examiner ces demandes est unanime :« Oui mais, à condition de régulariser la situation foncière ». En 2009, la plupart des demandes d’exception (7 sur 10)7 insistent sur le changement du zonage et la possibilité de réaffectation des actions programmées par le Plan d’Aménagement sur d’autres sites.

Il faut préciser que le Plan d’Aménagement manquait aussi de pertinence. Comment peut-on programmer démesurément dans une ville semi-aride à aride plus de 100 actions d’espaces verts ? Ceci, sachant que dans un tel climat, un parc urbain arborisé demande au moins 35 m3/jour d’eau d’irrigation par ha en saison sèche,ce qui exige des dotations en eau d’irrigation qui ne sont pas disponibles. Si l’on rajoute les transferts estimés à 45 litres/seconde qui sont effectués vers la ville de Tan-Tan et environ 6 L/S vers les douars périphériques, il est clair que la programmation n’est pas adaptée à la réalité.

5 Dans certaines mesures, l’homologation d’un plan d’urbanisme pour des villes comme Guelmim où le taux d’immatriculation est relativement faible est synonyme de déstabilisation psychologique poussant les usagers de certains espaces de la ville, les quartiers Tiyert et Al Fath en l’occurrence, à se presser de vendre « ourfis » leurs immobiliers de peur qu’ils soient expropriés pour des raisons d’utilité publique. Cette passation de propriété qui se fait souvent à la hâte cause d’importants glissements fonciers. Il n’est pas rare qu’une même et unique propriété se trouve sujet de conflits parce qu’elle a été vendue à plusieurs propriétaires en même temps. 6. Dans le souci et la volonté de filtrer les assises foncières, la conservation foncière de la région de Guelmim- Es-Smara procède, depuis quelques années à travers un Comité Provincial, à organiser des réunions de concertation avec les propriétaires de titre de « moulkia » demandeurs d’enregistrement (dans les quartiers Al Fath et Tiyert), et les dépositaires de demandes d’opposition de propriété dans le but de chercher des solutions à l’amiable face au blocage juridique de deux lois opposés d’une part, et face à la légitimité de l’action d’expropriation pour l’utilité publique qui pose énormément de problèmes dans un contexte d’urbanisation extensive d’autre part. 7 Procès-verbal du Comité Régional chargé d’examiner les demandes d’exception pour investissement.

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En somme, les risques fonciers impactent bien la société urbaine, la territorialité, et altèrent l’action de la planification dans sa globalité. Mais, rien de plus faux que de croire que l’origine de ces risques n’émane que des seuls acteurs tribaux. Ces derniers sont totalement absorbés dans le tissu social, culturel et politique, mais c’est le contexte géopolitique et géostratégique (porte du Sahara) qui a longtemps activé des processus d’urbanisation structurés sur la portée démographique, la frontière sécuritaire, mentale et territoriale, sur l’attentisme, le militarisme, la rivalité et la notion du « trab »8 pour faire jouer les équilibres sociaux-territoriaux souhaités(COMITÉ RÉGIONAL CHARGÉ D’EXAMINER LES DEMANDES D’EXCEPTION POUR INVESTISSEMENT). Cette hypothèse se confirme avec l’éclaircissement géopolitique et le projet d’autonomie des Provinces sahariennes et le chantier de la « régionalisation avancée ». Le problème foncier, depuis peu, n’entrave plus l’action de l’aménagement. Désormais Guelmim est une ville en mouvement qui oriente l’oued Noun dans une nouvelle phase de son évolution. Celle où oued Noun est plus un cordon ombilical de nécessité qu’un tampon de sécurité. Le Maroc est désormais plus réceptif au débat sur les droits de cultures (UNESCO, 2003).

2- La tribu, un dispositif sociopolitique pesant dans la gouvernance des petites villes présahariennes, Bouizakarne ou la « militarisation « de l’espace urbain

Le système oasien en tant qu’unité de production, d’identification et de pratiques sociales régulées sur le fait communautaire et la durabilité est relativement révolu. Or, le mode d’appartenance sociale et culturel ayant forgé l’identité tribale sur une longue période demeure, dans les zones de marges présahariennes, un dispositif transposable du rural à l’urbain. Bien évidement, il a perdu sa cohésion sociale naturelle, voir sa légitimité mais, il est souvent affiché comme une revendication territoriale, foncière et sociétale. Cette revendication prend, sur les marges sahariennes, toute sa vivacité et sens. Selon les enjeux et les contextes, cette vivacité prend des ampleurs différentes d’un territoire à l’autre et d’une société ethnique à l’autre9. Bouizakarne ne fait pas exception.

« La militarisation urbaine » n’est pas seulement une fonction parmi autres. Elle impacte profondément la société et l’espace en introduisant des éléments hétérogènes dans un territoire circonscrit. Ce qui mobilise un système réactionnel de revendication territoriale via le groupe social, l’ethnie, l’alliance politique et l’émission excessive dans la gestion du fait urbain d’un positionnement tribal qui s’inscrit dans le territoire et

8 La notion du « trab » est plus forte que celle de l’appropriation foncière. Le « trab » est un droit de propriété individuelle qui permet l’acquisition d’une propriété donnée revenant de fait à une appartenance ethnique faisant valoir le droit de propriété dans un contexte de rivalité tribale. La confédération Tekna est une coalition politique qui n’exclue pas la distinction ethnique au niveau du foncier. 9 Sur cette question voir, M Ben Attou et Ahmed Belkadi, 2014.

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dans la société. Cependant, au fil du temps, ce dispositif est coupé de son environnement, de ses bases arrières et donc progressivement en décomposition.

L’analyse du référent tribal dans les structures de la gestion urbaine de la ville de Bouizakarne nous permet de comprendre le fonctionnement de la « société oasienne », du territoire de marge dans la réalité de tous les jours. Plus, elle rend compte du processus de transformations qui traverse les sociétés traditionnelles dans le contexte d’aujourd’hui. Un contexte subit, régulé sur des impératives exogènes qui finissent par êtres appropriées ou refusés par certains plus que par d’autres selon des projets de vies individuels et des aspirations différentielles de la société. Ce qui rend un territoire initialement communautaire et d’usage collectif, un espace conflictuel à plusieurs échelles.

Dans cette optique, le cas de Bouizakarne présente un intérêt particulier pour étudier l’interaction entre la « militarisation urbaine » et le fait tribal à l’échelle de la petite ville. En effet, le recoupement de l’origine tribale avec les différents usages de l’espace permet de comprendre les jeux de domination sociale mais aussi les différentes stratégies mises en place pour amortir, niveler et/ou réguler la société urbaine. Tout d’abord, il existe une relation entre les types de quartiers et les fractions tribales. La tribu dominante de Lakhssas se concentre dans le tissu traditionnel et au centre ville. Alors que les Aït Oussa occupent le tissu informel de Hay Al Massira qui constitue un bassin d’exode rural tribal notamment chez les Ait Brahim et les Ait Rkha entourés par des tribus d’origine composite. Les équipements de scolarisation, sanitaires et récréatifs exercent une certaine influence au niveau de l’attraction démographique de ce tissu informel. L’ensemble des équipements situés au centre-ville constituent avec les quartiers militaires et administratifs une barrière de séparation intertribale. Il est à noter le caractère conflictuel de la stratégie et les rapports de forces qui naissent autour de l’appropriation et/ou de l’usage du sol urbain. En effet, la tribu Lakhssas essaye d’investir le champ informel de Hay Al Massira pour renforcer son poids politique dans la gestion du fait municipale. Cependant, à travers les autorisations de construire et la création de nouveau lotissements, l’autorité public va dans le sens d’affaiblir le poids dominant de ce dispositif socio-territorial. Les tribus d’origine composites, les militaires issus de la région de Demnate ainsi que les équipements de commerce et services servent de tampon de sécurité pour équilibrer le champ social urbain structuré sur trois grands morceaux épousant le réseau routier.

L’approche de la gouvernance locale via la constitution des Conseils Municipaux dans le temps et dans l’espace, permet de rendre compte de l’articulation et de la mobilité du fait tribal et des rapports de forces sous-tendant la gestion urbaine.

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Tableau 4 : Structures tribales comparées et appartenance politique des conseillés municipaux à Bouizakarne

Tribus 2013 Partis Elections Tissu Tissu politiques 2003 2009 traditionnel d’extension Ait Brahim 8 % 14% Travailliste 9 5 Ait Rkha 4% 7% PAM 1 7 Demnat 3% 4% UC 2 - Ait Oussa 11% 20% USFP 1 2 Lakhssas 27% 14% PRE 2 1 Tribus 47% 41% Composites Source : Travail de terrain, Ben Attou, Tamouh, Municipalité de Bouizakarne, 2013 La comparaison de l’appartenance tribale du Conseil Municipal de Bouizakarne pour le mandat actuel montre que le fait tribal aujourd’hui, n’est pas homogène même à l’échelle d’une petite ville. En effet, les structures sociales dominantes sont beaucoup affaiblies mais non effacées. C’est-à-dire que c’est la hiérarchie socio-tribale qui change d’un moment à l’autre, d’un espace à l’autre en fonction des événements sociaux, de la légitimité des chefs de files et de la faiblesse et/ou le retour du pouvoir public. Ainsi, la tribu dominante dans le tissu traditionnel reste bien LaKhssas (27%) mais son pouvoir n’est pas absolue, il est régulé par la présence en force des tribus d’origine composite (47%). Dans le reste de la ville, la tribu la Khssas n’est pas du tout dominante, elle est mise en perte de vitesse par les Aït Oussa (20%) et les autres tribus composites (41%). Dans ce jeu de pouvoir, le rôle des parties politiques reste important mais il est relégué en seconde position. Le fait tribal comme fait de mobilisation sociale l’emporte sur l’encadrement politique proprement dit. Mais, il s’agit d’un pouvoir tribal amorti, désormais reconfiguré par le pouvoir public. La balkanisation est un fait très pratiqué dans la petite ville présaharienne10. Les deux formations politiques à savoir le parti des Travaillistes (60% de l’ensemble des conseillés) et le PAM (46%) qui dominent la scène politique à Bouizakarne lors des deux derniers mandats montrent clairement que la mobilisation politique n’est pas un fait lié au processus d’évolution de l’espace et de la société présaharienne. Ce qui met directement en rapport de force la tribu et le pouvoir public. La stratégie utilisée dans ce rapport de force s’articule autour de la « Asabia11 »,

10 Il s’agit d’une balkanisation qui ne repose pas sur des principes partisantes puisque la proportion des élus locaux disposant d’un niveau d’étude supérieur ne dépasse pas 6% en 2013. 11 La notin de « Asabia » a beaucoup évolué depuis la définition d’Ibn Khaldoun qui repose sur le lien de sang, l’alliance et des mécanismes internes qui font perdurer la Asabia dans le temps et dans le groupe ethnique. Selon V. Bisson 1994 et 2005, L’Asabia permet de distinguer, entre autres, des lobbys moyennant le lien de sang non pas dans le sens de partage d’un même mode de vie collectif mais pour des influences individuelles et d’ambition politique. D’après nos études récentes sur la société saharienne marocaine, la notion de la Asabia au sein de la population commence à s’estomper en faveurs de la société civile toujours d’origine ethnique mais plus tourner vers la revendication du développement et des avantages sociaux.

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la notabilité locale et le financement des campagnes électorales. Dans ce contexte, la planification urbaine devient un jeu de pouvoir plus qu’un outil d’organisation et de gestion de l’espace. Quand la planification urbaine est un enjeu de domination dans la petite ville présaharienne : L’une des problématiques essentielles de la planification urbaine dans les zones de marges c’est le décalage qui existe entre l’élaboration des documents d’urbanisme et la mise en place des organismes de tutelle en matière de planification. En effet, le Plan d’Aménagement de Bouizakarne fut homologué en 2002 alors que l’Agence urbaine de Guelmim n’a vu le jour qu’en 2004. De ce fait, le Plan n’a pas été consolidé en termes d’appuis financier, de suivie et de ressources humaines nécessaires. L’intervention de l’Agence de Promotion et de Développement Economique et Sociale des Provinces de Sud quoique importante pour les zones de marges, elle reste, verticalement, déconnectée d’un projet urbain structuré et concerté à Bouizakarne. Les ressources financières dont dispose la commune urbaine restent bien en déca des moyens nécessaires12 pour la mise à niveau et la restructuration de la ville. Le tissu associatif qui se compose de 85 associations et coopératives manque de formation, de soutien et de professionnalisme pour pouvoir articuler le développement urbain par le bas. D’une part, 80% de ce tissu est constitué d’associations embryonnaires à caractère social (enfance, genre). D’autre part, au sein du tissu associatif, le tribalisme est sous-jacent à l’action sociale. De ce fait, même lorsqu’il existe des associations dynamiques, rodées dans le civisme, l’environnement local ne leurs permet pas de se produire dans des domaines porteurs comme le patrimoine, l’infrastructure, l’habitat, le tourisme. Ceci ne veut pas dire que l’action sociale n’impacte pas la société, seulement, elle le fait dans des proportions très réduites et dans des domaines plus à caractère culturel, artistique et/ou folklorique qui n’arrivent pas à mobiliser la société devenue éparse.

12 Lorsque la Commune Urbaine de Bouizakarne affiche, pour l’année 2012, un budget communal de 21 millions de DH, cela ne reflète pas la réalité de la budgétisation communale qui est beaucoup moins importante à l’échelle des zones de marges. Il s’agit plutôt d’un report de budgets précédents mal dépensé. Dans la réalité, la production de la TVA communale est engloutie par le budget de fonctionnement. A titre de comparaison, le budget communal de la ville de Tata ne dépasse pas 10 millions de DH en 2010 ; alors que cette ville occupe le 4ème rang dans la région de Guelmim-Es-Semara.

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Le plan d’Aménagement de Bouizakarne homologué en 2002 était trop ambitieux. Il a programmé la restructuration de tout l’ensemble informel de Hay Al Massira ainsi qu’une partie à Hay Amal. Pour lutter contre l’empiètement sur l’Oasis, il a proposé une zone touristique comme barrière entre l’extension de Hay Al Madaris. Il a pensé aussi à rendre la ville plus compacte grâce au remplissage des hiatus urbains par une zone d’habitat R+1 encadrée au niveau de l’axe routier par de bandes d’immeubles résidentiels et à usage professionnel. En même temps, il a essayé d’accompagner la demande en matière d’habitat sur le front d’urbanisation autour de l’axe de Tata par une zone d’habitat R+2. Les lotissements en chantier, El Baraka et L’oasis s’inscrivent dans cette vision.

Afin de créer une sorte de mixité sociale, le plan a prévu deux zones villas de type moyen sur le front d’urbanisation spontanée en direction de Tata et comme jonction spatiale entre le tissu traditionnel à valoriser et Hay Al Amal. En matière d’équipement, le plan a programmé de renforcer et de moderniser le centre carrefour d’activité au tour de Hay Lakhssasi et Madaris ainsi que sur l’axe d’urbanisation vers Tata. Vu le développement en parallèle d’un axe d’urbanisation orientée vers l’axe de Tiznit- Agadir, une zone villa de type standing fut programmée. L’axe d’urbanisation en direction de Guelmim a été déclarée zone de réserve foncière.

Pour une ville ne disposant d’aucun document d’urbanisme, cette planification aurait permis une certaine organisation et requalification de l’espace urbaine. Cependant, un élément essentiel n’a pas été estimé à juste valeur : c’est le foncier militaire, Ce dernier a influencé la valeur foncière du sol et altéré le projet de ville compacte. La question du foncier militaire à Bouizakarne s’inscrit dans un enjeu plus important que le cadre local. Cet enjeu est lié au contexte actuel des provinces sahariennes, au projet de la régionalisation élargie, à l’autonomie de gestion sous souveraineté marocaine et au-delà pour des raisons géostratégiques. C’est pourquoi, il est prévu une extension, au sein du périmètre urbain, de nouvelles installations militaires conséquentes 13. Le blocage du

13 Rappelons que le Conseil du Gouvernement a approuvé le 4 mars 2013, le projet de décret n° 2-12-662 changeant et complétant le décret n° 2-94-763 du 25 novembre 1994 pour l’application du projet de loi n° 2-94-

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lotissement l’Oasis depuis 5 ans exprime deux faits. D’une part, la complexité de la contrainte foncière et de l’ambigüité que recouvre la notion de réserves foncières en matière d’usage et de bénéficiaires. D’autre part, l’oasis est relativement située loin de l’agglomération, elle constitue une offre non conforme à la demande sociale. C’et pourquoi elle a été doublée par l’habitat spontané de Hay Al Massira accueillant aussi les jeunes couples qui ne peuvent plus vivre avec leurs familles dans le tissu traditionnel saturé et/ou délabré. En équipant depuis 2008, plus de 23 Ha comme première tranche loin de l’agglomération, l’Erac-Sud puis l’Oumrane ont voulu créer une ville-nouvelle d’une consistance de 650 lots d’immeubles (R+2 et R+3), 245 lots pour usage professionnel (2- 3-4 niveaux) en plus des équipements collectifs et de proximité. Le prix moyen de 60 milles DH le lot, apparaît, a priori, accessible. En réalité, ce prix n’est pas à la portée d’un bon nombre parmi la population à revenu limité. Malgré cela, le prix n’est pas la raison principale qui explique la faible demande sur ce produit. C’est plutôt, la situation foncière non encore assainie qui se dresse devant l’acquisition des lots. La population, selon ses moyens, se tourne vers la partie restructurée dans les quartiers Al Amal et Al Massira ou directement vers le marché foncier non structuré dominé par les lotisseurs tribaux. Il est à signaler que l’accessibilité au marché locatif (500 DH en moyen/ Mois) à Hay Al Massira limite l’accès à la propriété jugée instable en raison des problèmes d’assainissement foncier.

En terme d’équipements collectifs, jusqu’à maintenant, le plan d’urbanisme n’arrive pas à équilibrer l’équipement de la ville en fonction de la disposition des quartiers et des hiatus spatiales. L’Agence Urbaine qui n’est pas concernée par le Plan de 2002, pense déjà à un autre document plus cohérent. Les différents départements ministériels ne gèrent pas leurs actions sur le terrain d’une manière concertée et à partir d’une planification de base. Lorsqu’il agit, chaque organisme le fait d’une manière verticale. En matière d’infrastructure scolaire dans le primaire, les deux extrémités Est-Ouest de la ville ne sont pas équilibrées. Le plan a prévu la construction de deux établissements à Hay Al Amal et l’Oasis. 11 ans après, elles n’ont pas encore vu le jour. Si au niveau des collèges, le problème ne se pose pas, il est à souligner que pour le secondaire, le seul lycée de la ville de suffit plus. Sa localisation à Hay Al Amal rend son accès par rapport à l’ensemble de la ville, plus difficile. Ce problème n’a pas été traité dans le plan d’urbanisme proposé. L’unité de formation professionnelle programmée n’a pas été réalisée non plus. Lorsqu’on compare le taux d’encadrement scolaire, on trouve que le collégial et le secondaire semblent mieux disposés avec respectivement 16.5 et 18.8 élèves pour chaque enseignant ; alors que le primaire se situe à 22.3 élèves pour un enseignant.

498 du 23 septembre 1994 relatif la création d’une Agence de Logements et d’Equipements Militaires. Le nouveau projet proposé par le Ministre Délégué auprès du Premier Ministre chargé de la Défense consiste à accélérer la création de casernes militaires et à alléger la procédure administrative en matière de délivrance d’autorisation de construire et de livraison de permis d’habiter relatifs aux projets de logements militaires. La nouvelle agence a pour mission aussi de faciliter la procédure d’enregistrement du foncier et de l’immobilier militaire.

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En fait, ceci exprime un autre phénomène : c’est l’abandon scolaire au niveau de l’enseignement secondaire pour différentes raisons.

Au niveau de l’encadrement sanitaire, Bouizakarne affiche un taux de 1195 personnes pour un médecin-pharmacien. C’est un taux qui se situe bien en déca de la moyenne nationale. La ville ne dispose que d’un seul hôpital militaire de chirurgie dont la compétence a été presque totalement transférée à Guelmim. Les deux centres de santé situés aux quartiers Al Massira et Lakhssasi datent de l’époque coloniale et sont dans un état de délabrement avancé. Ce niveau inférieur d’encadrement sanitaire a poussé les pouvoirs publics à entamer la construction d’un nouvel hôpital14 d’une superficie de 3Ha sur l’axe d’urbanisation Tiznit-Agadir. L’hôpital et destiné aussi à recevoir les malades des oasis voisines : , Timoulay, Aït Boufaln, Tagant. Cet hôpital est en train de se construire sur une zone qui avait été décrétée dans le plan d’aménagement comme zone résidentielle de type villas. Ce qui pose le problème de la pertinence de ce type de documents ainsi que du cadre institutionnel dans son ensemble. Le système des élites locales est fragilisé dans son propre enjeu tribal et politique face à l’administration locale, aux pouvoir foncier d’une ville à prépondérance militaire et face à plus d’un organisme et acteur-intervenants en matière de planification urbaine.

Après l’expiration de la durée de vie du Plan d’Aménagement en 2012, les espaces verts programmés n’ont jamais été réalisés. Ils restent sous forme de terrains vides à l’intérieur et aux extrémités du périmètre urbain. Ceci nous amène à se questionner sur les intensions du plan d’aménagement en matière de programmation généreuse des espaces verts qui ne se réaliseront pas. S’agit-il d’une forme quelconque de consolidation, non déclarée, des réserves foncières permettant de faire accepter la procédure de l’expropriation pour l’utilité publique ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un transfert de la propriété privée vers le patrimoine foncier municipal pour consolider les ressources de fonctionnement de la municipalité ? La programmation des espaces verts dans les extrémités du périmètre urbain et non à travers les quartiers en fonction du besoin donne l’impression qu’il s’agit bien d’une réserve foncière déguisée en espace vert. Le contexte climatique ainsi que le stress hydrique ne l légitiment pas ce genre de programmation. Des points d’interrogation restent posés à propos de l’usage réel de ces espaces programmées.

Sur le plan touristique, le site de Bouizakarne n’a pas vraiment été mis en valeur dans le plan d’Aménagement. La valorisation des sites historiques au sein de la médina-Ksar n’a pas été abordée en termes de préservation matérielle et immatérielle. Ni la muraille, ni les Sabats ni le Ksar de Caïd Al Madani n’ont été insérés dans une approche touristique quelconque. Non plus, l’étude commanditée par l’Agence du Sud en 2009 sur la mise en valeur des sites à potentialités touristiques dans la région de Guelmim-Es-

14 Il s’agit d’un petit hôpital d’une capacité de 45 lits dont le coût d’investissement ne dépasse pas les 30 millions de DH.

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Semara n’a pas intégré le site de Bouizakarne parmi les 40 sites d’intérêt touristiques répertoriés dans la région. Dans la province de Guelmim, dix sites ont été classés pour faire l’objet de trois circuits locaux au départ de Guelmim. Le premier de trois nuitées reliant Guelmim- l’oasis de Tighmert- le site d’Asrir- les sources thermales d’Abaynou- Guelmim. Le deuxième circuit de deux nuitées relie Guelmim-L’oasis d’Ifran de l’Anti- Atlas- la vallée Kasbah d’Amtoudi-L’oasis de Taghjijt-Les sources thermales d’Aday- Guelmim. Le troisième circuit d’une nuitée reliant Guelmim à la Plage Blanche. Ainsi Bouizakarne s’est trouvée deux fois à la périphérie des grands projets de développement : une fois comme oasis dans le programme POS, une autre fois comme ville d’étape sur le deuxième circuit touristique local. S’agissant pour la plupart de circuits touristiques oasiens et de découverte, Bouizakarne a sa place.

II- Guelmim dans l’ordre géostratégique : Une ville en mouvement structurante de son territoire, la régionalisation avancée au Maroc oblige

Guelmim dans l’ordre géostratégique : une ville en mouvement structurante de son territoire Bien avant les nouvelles perspectives de la « régionalisation avancée » et la politique de la ville, les pouvoirs publics recourent à une mise au point territoriale en matière du développement dans l’oued Noun. Réceptifs à la question sécuritaire, parfaitement conscients des enjeux territoriaux qui peuvent en découler et/ou de glissements sociaux dans les zones frontalières et le pré-Sahara en général, ils ont entamé une série de mesures incitatives au développement territorial, humain et social. En effet, Guelmim, en tant qu’ossature de l’urbanisation présaharienne et plate-forme de diffusion du développement, a bénéficié de plusieurs initiatives portées par l’ensemble des acteurs et partenaires socio-économiques. La couverture en documents d’urbanisme, la régulation entamée du marché foncier, le renforcement des équipements de base, la mise en place d’une station d’épuration et la création d’une décharge publique, sont autant de mesures qui ont commencé à faire sortir la ville de sa marginalité.

1- La mise à niveau territoriale

La mise à niveau de Guelmim passe par la recomposition du système tribal et le déblocage foncier La ville n’a pas encore retrouvé le rythme d’investissement qu’elle mérite à cause de la complexité des procédures d’assainissement foncier, avec tout ce que cela comporte en termes de production informelle de l’économie et du tissu urbain. L’intervention publique s’efforce de gagner le pari d’un espace présaharien stratégiquement sécurisé, et ce, à coups d’investissements. En dépit de ce que cela implique en termes de prolifération de la facture du développement, l’objectif l’emporte désormais sur les moyens.

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L’analyse de la situation foncière du principal lotissement de la ville, à savoir Al Qods, permet de saisir les efforts déployés dans le nouveau contexte stratégique de gestion publique du fait foncier. En effet, lancé en 1989 sur une superficie de 29 ha avec une consistance de 1000 lots, dont 75% comme espace résidentiel, avec un taux de villas de 31% et 25% comme espace commercial, ce lotissement souffre de beaucoup d’informalités juridico-foncières. Englobant aussi un bon nombre d’infrastructures administratives de commandement régional, Al Qods a connu beaucoup de difficultés en termes d’enregistrement, d’opposition de propriétés et de multiplication de prétendants de droit à la même propriété. Ceci a pris des dimensions importantes surtout avec le prolongement et la lourdeur des procédés et processus juridiques, agissant directement sur la main levée foncière. Cette situation est, en grande partie, liée à l’acteur promoteur, jadis unique, dans les villes sahariennes à savoir l’ERAC-Sud. Cet établissement a injecté dans ce projet une valeur d’investissement de près de 37 millions de DH. L’attribution des lots par l’ERAC s’est faite sans assainissement foncier (enregistrement, conflits) et sans livraison de titres fonciers (Tableau 4).

En 2002, les pouvoirs publics ont essayé de résoudre administrativement le problème par la promulgation d’un décret d’expropriation foncière (Décret n° 16.07.2002). Bien que cette procédure suscite des réactions sociales quant à son injustice foncière, presque 30% de l’ensemble de l’assiette foncière du lotissement a été assaini et l’activation de la livraison des titres fonciers est déclenchée. Le reste est soumis à des procédures juridiques activées ou fait l’objet de compromis à l’amiable entre les opposants. Tableau 5 : Projets de développement territorial inscrits à Guelmim et à oued Noun (2005-2010) Investis Programmes Période sement en 106

DH 2007- Qualification des infrastructures 193,9 2009 Qualification des quartiers sous intégrés 2005 184,0 2007- Initiative pour le développement et l’emploi 95,0 2008 Qualification urbaine 2011 80,0 2005- INDH-Quartiers de Guelmim 57,0 2009 Lutte contre la désertification et promotion des 2006- 32,0 oasis 2010 2006- Mise en place de l’infrastructure de base 29,5 2008

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Réhabilitation et requalification du Ksar 2006- 29,0 d’Assa 2007 Projets de proximités 2008 18,5 Création : plate-forme pour l’économie 2008- 15,0 portuaire à 2010 2005- Création d’un complexe touristique à Assa 8,0 2006 2005- Création d’un complexe touristique à Zag 8,0 2006 Développement du trafic aérien Casablanca- 2007- 7,0 Guelmim 2008 2005- Création d’une station de forage à Aday 4,0 2007 Développement du trafic aérien Casablanca- 2005- 3,7 Tan-Tan 2006 2007- Promotion des Jef Crédits 3,0 2009 2005- Elaboration du Plan d’Aménagement Régional 3,0 2008 2006- Mise en place du complexe artisanal de Tata 2,5 2007 Electrification rurale 2007 2,3 2008- Création d’une zone industrielle à Assa 2,0 2010 Etude du Plan d’assainissement solide de Tan- 2005- 0,7 Tan 2007 Projets d’irrigation à Laksabi 2006 0,4 2005- Total 857,9 2010 Sources : Atlas des chantiers des Provinces du Sud, oued Noun, 2009 ; Municipalité de Guelmim, 2009 ; Agence du Sud, 2009 ; Service Economique et Social de la Wilaya de Guelmim, 2009.

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Cette dernière procédure donnera naissance Figure 5. Population de la ville de Guelmim par à une vraie action de civisme qui a permis, par la suite, l’apparition des widadiyats et quartier 2009-2010 coopératives d’habitat. Celles-ci vont exploiter le référent culturel et le nouveau contexte stratégique de Guelmim pour contourner la question foncière en l’approchant comme ressource territoriale1 et non comme objet de discordance. Ce même dispositif va être mobilisé pour réaliser des projets structurants aussi bien pour la ville que pour sa zone d’action. Projets qui ne pouvaient pas être portés dans le contexte antérieur à 2005. La qualité de la production d’un nouveau tissu urbain tant sur le plan morphologique qu’au niveau de la fonctionnalité témoigne de l’évolution des mentalités et d’un volontarisme sans précédent. La mixité sociale progressive du tissu urbain et le renouvellement générationnel au niveau des quartiers constituent un brassage vers l’intégration socioculturelle qui passe par le développement humain, la qualification urbaine et la reconversion de la géopolitique vers plus de la géostratégique.

2- Le projet urbain, la porte d’entrée d’une gouvernance citoyenne au politique La mise à niveau de la ville s’insère dans le principe d’un projet urbain qui passe nécessairement par le renforcement des capacités, l’éducation-formation et l’égalité des chances en matière d’emploi et d’accès aux études supérieures. Ceci, afin d’éviter l’exclusion et la fracture sociale au sein d’une population jeune, qui à défaut d’une bonne insertion socio-économique, se refuge, politiquement, dans le tribalisme et le régionalisme, si non dans le séparatisme. En effet, l’ouverture d’une Faculté Pluridisciplinaire à Guelmim, d’un Institut de Technologie Appliquée relevant de l’Université Ibn Zohr d’Agadir, ainsi que le renforcement de la formation professionnelle (OFPPT) par deux instituts spécialisés, l’un en Hôtellerie et Tourisme, l’autre en Technologie Moderne des Medias et Communications contribuent dans l’effort de l’intégration socio-territoriale de Guelmim par le biais d’un changement de mentalités. Spatialement, la partie nord de Guelmim, donnant sur la route de ,

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offre désormais un espace « Irfan » en phase de structuration en pôle d’orientation d’une urbanisation qualitative. Cet espace forme avec l’aménagement de la corniche de l’oued Oum Lâachar, un paysage urbain référentiel. Ce fait est d’importance, Guelmim ne présente pas aujourd’hui une simple morphologie linéaire axée sur un seul axe d’urbanisation dominant à savoir celui vers Agadir, mais celle d’une ville « inclusive » mieux structurée. Cependant, cet espace « Irfan » nécessite, dans le futur immédiat, une bonne articulation en système modal de transport en commun pour le rendre davantage accessible. De même que la corniche nécessite des installations de protection contre les inondations de l’oued Oum Laâchar.

Bien évidemment, tout en s’inscrivant dans une logique de promotion et de recompositions territoriales, visant à intégrer l’ensemble du Maroc présaharien dans la dynamique socio-économique nationale, la stratégie est restée centrée sur la multipolarité de la ville de Guelmim. De la promotion de l’activité urbaine pour absorber une part du chômage chez les jeunes à l’encadrement par les services urbains, en passant par la qualification des espaces sous intégrés et la promotion foncière, force est de reconnaître que l’oued Noun, malgré les facteurs de dépassement qui persistent encore, n’a jamais fait l’objet d’autant d’attention particulière au plus haut niveau de la sphère politique. La notion de stratégie urbaine dans le pré-Sahara a ses limites certes, puisque nous n’avons pas encore réussi à atténuer l’effet territorial « centre-périphérie » qui semble encore aujourd’hui une caractéristique de l’organisation de l’espace marocain. La notion en soi n’est pas originale.

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Figure : 6. Localisation des projets structurants réalisés récemment à Guelmim

Il est bien clair que pour l’ensemble du Maroc, il est difficile d’asseoir une politique urbaine efficiente et durable à cause du décalage qui existe entre les besoins socio-économiques exponentiels et les ressources insuffisantes. L’originalité de cette notion provient cependant, du contexte stratégique actuel dans lequel évolue oued Noun et le Maroc saharien. Désormais, Guelmim, principal enjeu de la stratégie territoriale publique, ne peut se distinguer que par sa vocation d’encadrement et accessoirement par un certain dynamisme socio-économique.

Comme stipulé dans le SRAT, Guelmim devra acquérir une nette dominante reproductive avec prédominance de la reproduction élargie (assez bon niveau de l’intervention de l’Etat) (SRAT DE LA REGION DE GUELMIM-ES-SEMARA, 2010). Les projets réalisés, ou en cours de réalisation1, ne consistent pas seulement à faire l’alignement d’initiatives de développement, mais ils insistent sur la qualité de l’urbanité, la bonne gouvernance et la régulation du rapport formalité/informalité.

Guelmim entame aujourd’hui une nouvelle étape de son développement. Celle-ci est marquée par une recomposition territoriale stratégique articulée sur la polarisation urbaine de la ville « motrice » comme locomotive de développement dans le pré- Sahara15. En effet, le nouveau processus de réappropriation territoriale régulée sur la présence de l’Etat selon ses priorités, ses capacités à inverser les tendances, à mobiliser le dispositif sociétal, à redynamiser les ressources territoriales et à niveler la demande sociale, est, sans doute, en mesure de repositionner le territoire et la société présahariens. La nouvelle constitution, le nouveau code de l’urbanisme, la

15 Il est à signaler que la visite royale à Guelmim a activé le processus du changement et la levée de nombreux blocages. L’inauguration en 2007 du noyau universitaire par sa majesté le Roi tient lieu d’un signal fort de la volonté du changement stratégique des espaces présahariens.

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régionalisation avancée et la politique de la ville devront suffire pour garantir le passage de la marginalité à l’intégrité socio-territoriale dans les espaces de marges présahariennes. Les projets de mise à niveau urbaine et de requalification des espaces traditionnels sont là pour témoigner de la « fausse problématique » du foncier. L’Etat providence/ entrepreneurial est en mesure de négocier, de gérer et de promouvoir le territoire lorsqu’il décide de le faire verticalement ou horizontalement, sur les bases d’une « gouvernance citoyenne » ou « territoriale » qui s’inscrit à son tour dans un contexte de « régionalisation intégrée ».

Tableau 6 : Structure du projet de ville de Guelmim Estimation Projets structurants du Coût en 106 DH Acquisition des assiettes foncières pour les équipements 738,0 structurants Construction et aménagement du pôle universitaire 500,0 Nouveau pôle urbain « Reg Lasfar » 320,0 Achèvement de la qualification urbaine 320,0 Construction d’une canalisation pour alluvions et 300,0 élargissement du réseau d’assainissement Construction et aménagement du centre hospitalier 250,0 régional Nouveau Centre urbain 203,0 Achèvement de la rocade urbaine 200,0 Construction d’un stade et d’une salle d’entraînement 150,0 Protection de la ville contre les inondations 100,0 Construction du siège de la Municipalité et ses annexes 86,0 Aménagement d’une zone industrielle 70,0 Construction de 20 équipements de proximité 60,0 Construction du pôle religieux 50,0 Construction de 8 piscines de quartiers 48,0 Programme de qualification des établissements scolaires 40,0 et annexes Construction d’un Abattoir moderne pour viande rouge 40,0 Construction de 4 centres commerciaux de quartiers 40,0 Aménagement du cimetière Rahma (mosquée et annexes) 32,0 Réhabilitation du tissu urbain traditionnel 30,0

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Enfouissement des câbles électriques de tension moyenne 30,0 et branchement des habitations Achèvement de la décharge publique contrôlée et aménagement d’un centre de tri pour la valorisation des 30,0 déchets Construction d’un Abattoir moderne pour volaille 25,0 Reconstruction de la Kasbah d’Agouider 20,0 Extension de la ceinture verte 20,0 Aménagement d’une zone de logistique 16,0 Aménagement d’une zone touristique 14,0 Qualification des autres cimetières 8,5 Construction d’un marché de gros pour produits 3,0 halieutiques TOTAL 3743,5 Source : Commune Urbaine de Guelmim, 2010

Le réaménagement du jardin Touaghil dans le centre historique de Guelmim sous un nouveau concept environnemental, ainsi que le réaménagement-extension du Souk Amhirich constituent les éléments essentiels d’un projet urbain intégré. L’aménagement et l’embellissement de la corniche de l’oued Oum Lâachar et la mise en place d’une infrastructure d’enseignement supérieur (Faculté pluridisciplinaire, Institut de Technologie, (OFPPT) dans le Nord-Ouest de la ville, ainsi que l’espace récréatif structuré au sud-est de la ville autour d’un complexe sportif sur la route d’Assa, forment avec la réalisation de la rocade reliant la route d’Agadir à celle d’Assa et la construction des portes d’entrées de la ville, autant d’exemples inscrivant désormais Guelmim dans une nouvelle phase de son développement comme tête de pont vers le contexte du nouveau modèle du développement régional des Provinces du Sud (C.E.S.E, 2013).

Reg Lasfar, l’enjeu de l’aménagement stratégique de Guelmim d’aujourd’hui : le système des Widadiyats et coopératives pour désactiver l’obstacle foncier L’un des faits symboliques de la recomposition socio-territoriale de Guelmim en particulier et de l’oued Noun est, sans doute, l’élaboration par l’Agence Urbaine du plan d’aménagement sectoriel de la zone Reg Lasfar (Fig. 5). Ce plan constitue avec la réalisation des projets structurants, le profil d’un projet urbain à l’échelle d’une ville présaharienne comme Guelmim. En effet, ce lieu est chargé de symbolique d’une volonté de changement partagée à la fois par les formations sociales qui se trouvent de moins en moins dans l’enjeu politico-tribal et les pouvoirs publics soucieux de sécuriser, une fois pour toute, cette zone stratégique.

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Le fait que Reg Lasfar se trouve relativement à proximité de l’aéroport16 est important. Ceci atteste de la main levée de la stratégie défensive adoptée jusqu’ici par les pouvoirs publics en matière de renforcement de la fonction militaire17. Aujourd’hui, les widadiyats et les coopératives acquièrent des assiettes foncières dans la zone limitrophe à l’aéroport selon le zonage adopté par le nouveau plan de Reg Lasfar. Ce qui confirme l’hypothèse d’une volonté publique de renforcement de la dynamique urbaine. D’ailleurs, la mise à niveau de la ville a reposé essentiellement sur le budget de l’Etat. Sur un coût d’équipement, d’aménagement et de construction à Guelmim qui s’élève à 1477 millions de DH, c’est la Direction Générale des Collectivités Locales et l’Agence du Sud qui injecteront l’essentiel du financement, soit 54.3% pour une contribution de 16.7% de la Commune urbaine de Guelmim et 6.4% seulement pour le Ministère de l’Habitat et la Politique de la Ville. Le reste est assuré par les différents partenaires sociaux18. Ces même partenaires sociaux vont soutenir le PCD de Guelmim (BUREAU D’ETUDES REJJES, 2010) et s’inscrivent dans un programme de financement estimé à 1 500 millions de DH pour la période 2010-2015.

Le nouveau plan de zonage est aussi une expression-revendication des Collectivités locales à marquer le changement et dénoncer l’irrationalité du plan d’urbanisme, souvent accaparé par des bureaux d’études siégeant loin des territoires et sociétés sujets de la planification. Il s’agit d’une étude élaborée en 2011 par l’Agence urbaine19 selon une concertation locale et par des moyens propres. Il est certain que Reg Lasfar constitue une valeur immobilière et des placements d’investissements sécurisés qui interpellent différents acteurs et promoteurs parapublics et privés. Les actions d’embellissement de la corniche, les projets d’immeubles et villas, ainsi que la promotion de l’habitat social à Guelmim constituent des potentialités de création de la valeur ajoutée. L’université, les autres structures d’enseignement supérieur et technique garantissent et légitiment la dynamique et l’investissement dans cette zone. Déjà, les synergies et la négociation commencent à se mettre en place. En effet, face aux manques de moyens permettant de relier Reg Lasfar au réseau d’assainissement de la ville de Guelmim dans le cadre d’un Plan Directeur d’Assainissement élaboré par l’ONEP, le holding Al Oumrane s’est proposé d’assurer un financement de 14 millions de DH à cet

16 Malgré la programmation de quelques vols civils reliant Guelmim aux villes du Sud en particulier et les Iles Canaries, l’activité de l’aéroport reste principalement de type militaire. Bien que le positionnement de la partie militaire sur le zonage ne soit pas officiellement clair, les Services de la Direction de l’Aviation civil n’ont formulé aucune opposition. La seule condition c’est que les logements qui se localiseront à proximité de l’aéroport ne dépassent pas R+3. Il faut signaler aussi que dans ce sens, l’Agence urbaine a dépêché trois écrits (2928.13.2012 ; 830.9.12 et 13076.3.12) respectivement aux autorités militaires, Services de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la politique de la ville et enfin le Ministre délégué auprès du premier Ministre. 17Rappelons que le Plan d’aménagement homologué en 2001 a décrété l’entourage de l’aéroport comme zone non ædificandie. 18 Il s’agit du Ministère de la Jeunesse (10%), le Service des Eaux et Forêts, ONE, ONEP, Secrétariat d’Etat à l’Eau, Conseil Régional et INDH. Tous réunis, ces derniers ont participé à un niveau de 12%. 19 L’Agence Urbaine de Guelmim a restitué pour concertation sa conception du plan le 06 juin 2011. Après 5 mois, le plan a été élaboré sur les caractéristiques des besoins locaux et soumis à l’approbation.

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effet, à condition, bien évidement, d’amortir l’investissement au moment des dépositions des demandes de constructions qui seront présentées par les différents promoteurs, widadiyats et coopératives.

Des obstacles existent encore, la taille des investissements nécessaires est importante. Certains problèmes itinérants relatifs au raccordement au réseau d’électricité demeurent, et des revendications sont portées par les widadiyats à propos du retard enregistré en matière de livraison de leurs lots20. Cependant ce qui est intéressant ici c’est de rendre compte comment l’urbanisation commence à mobiliser le champ social d’une manière organisée en dehors de l’enjeu foncier et tribal. La constitution de ces widadiyats et ces coopératives d’habitat témoigne d’un profond changement qui commence à investir le champ socio-politique.

Tableau 7 : Les Widadyats et coopératives d’habitat à Guelmim selon la consistance et la situation actuelle des projets de construction Porteurs de Projets Lotissements Aire Nbre de Situation en m² Bénéficiaires actuelle Coopérative Al Houda 1 Al Houda 32079 64 TA& LD Coopérative Annour Annour 11000 39 TA & LD Widadiyat Charaf Charaf 50000 153 PAE Association des fonctionnaires Municipalité 25000 124 PAE de la Municipalité Widadiyat Al Baraka Al Baraka 23815 59 TA & LD Widadiyat Ferdaous Villas Ferdaous (V) 12422 43 PAE Widadiyat Al Majd Al Majd 10850 50 FAF Coopérative Achifa Achifa - 44 FAF Widadiyat Ferdaous Takadoum 55000 180 FAF Takadoum Widadiyat oued Noun oued Noun 11000 60 FAF Widadiyat Takadoum Takadoum 2 46000 200 AVL Coopérative Al Houda 2 Al Houda 2 26600 130 AVL Widadiyat Wifaq Wifaq 2 17200 95 AVL Al Oumran Al Janoub Al Waha 115000 600 PAE Widadiyat Nakhil Nakhil 40000 220 FAF Widadiyat Al Bassatin Al Bassatin 36500 190 FAF Widadiyat Al Inbiât Al Inbiât 37764 196 FAF

20 C’est le cas notamment des Widadiyats du lotissement l’Oasis.

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Widadiyat nouveau Ferdaous Ferdaous (N) 20000 105 FAF Widadiyat Assalam Assalam 37400 190 FAF Secteur Privé Al Baraka (HS) 140000 750 FAF Al Oumran Al Janoub Bab Sahra 165000 850 AVL Widadiyat Al Massira Al Massira 20000 110 FAF Secteur Privé Riad 19690 100 FAF Widadiyat Al Bassatin 2 Al Bassatin 2 16690 100 FAF Secteur Privé Talbi 50000 250 FAF Widadiyat Chourouq Chourouq 17500 95 FAF Widadiyat Miftah Al Khaïr Miftah Al 24544 120 FAF Khaïr Widadiyat Al Moustakbal Al Moustakbal 59900 200 FAF Widadiyat Narjiss Narjiss - - PRAF Widadiyat Al Khaïr Al Khaïr - - PRAF Widadiyat Al wafaa Al wafaa - - PRAF Widadiyat Al Kaoutar Al Kaoutar - - PRAF Widadiyat Al Andalouss Al Andalouss - - PRAF Widadiyat Al Jamiâa Al Jamiâa - - PRAF Widadiyat Al Moustakbal 2 Al Moustakbal - - PRAF 2 Source : Fédération des Widadiyats et Coopératives pour l’Habitat, Guelmim, 2013 Abréviations :PRAF = En phase de recherche d’assiette foncière, AVL = En attente de la validation du Lotissement, FAF = Finalisation de l’acquisition foncière, PAE = Phase d’Achèvement de l’équipement, TA = Travaux achevés, LD = lots distribués.

Les widadiyats et les coopératives sont porteurs de projets à la fois économiques et sociaux. Leur investissement engagé jusqu’à maintenant représente une masse de 217 000 000 DH. Chiffre qui franchira le seuil des 580 millions de DH une fois l’achèvement de l’ensemble des projets autorisés. Ce qui représente la création de nombreux emplois et une participation dans la reconstruction de la ville du droit. Le plafond à construire par l’action des widadyats et coopératives avoisinera les 800 000 m² avec un coût de construction inférieur ou égal à 2000 DH/m²,bien que l’on puisse formuler beaucoup d’interrogations quant à la procédure administrative à propos de l’orientation de l’urbanisation vers Reg Lasfar et l’octroi de l’autorisation de construire avant même d’homologuer le nouveau plan d’aménagement. Ce qui peut ouvrir le champ à de nouveaux glissements et articulations individuelles. Cependant, il est important de souligner que vu l’efficience de la planification à distance, conjuguée aux dédales administratifs doit réorienter désormais vers un urbanisme de concertation appuyé par la gouvernance locale et de proximité. C’est là où l’exemple de Guelmim prend toute sa

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signification. Porter l’urbanisation dans un contexte étudié d’intercommunalité urbaine ou rurale est peut être une solution plus adaptée que le jeu politique d’extension des périmètres urbains à l’infini. Ceci invite à penser l’aménagement en dehors des stéréotypes hérités qui ne correspondent plus au projet de ville qui doit d’abord être un projet de société.

Conclusion

Au terme de cette analyse, on est en droit de se demander si la petite ville présaharienne est le fait spontané d’un processus d’évolution endogène d’une société oasienne et nomade vers une société sédentarisée ou bien, la résultante de choix exogènes procédant d’un appareil de pouvoir et d’intervention verticale. Si, sous l’impulsion d’une fonction militaire héritée et consolidée après l’indépendance, les formations sociales de Bouizakarne font preuve de capacités d’adaptation, de résistance ou de stratégie de contournement. Une autre question a retenue notre attention, tout au long de cet article, le modèle d’organisation tribale comme appropriation et usage communautaire de l’espace public et privé est capable de se régénérer uniquement dans les espaces de marges présahariennes selon des mécanismes sociétales, des procédures de gouvernance et/ou le jeu d’acteur-élite locale est fondamentale. Force est de constater par ailleurs, que même dans les petites villes présahariennes, le modèle oasien constitue un système dont l’altération de l’un des composants peut engendrer la décomposition de tout le système articulé sur l’équilibre homme-ressource-territoire. Agissant sur l’économie locale, c’est agir directement sur la société toute entière et sur le territoire qui commence à perdre sa cohésion sociale, ses principes de production, d’appropriation et de gestion communautaire du territoire. Le monde de médina-Ksar, des sabats, des lieux de cultes, de l’artisanat et de la cohabitation sociale est un fait organique qu’on ne peut inventer partiellement sans risques de folklorisassions ou de banalisations.

L’article montre clairement à travers l’exemple de Bouizakarne, que le tribalisme dans la petite ville présaharienne n’est pas- plus un fait de revendication sociopolitique menée dans un contexte de rapport de force pour l’accès à la gouvernance urbaine- qu’un fait de société, encore profondément enraciné, jusqu’à aujourd’hui, dans l’identité de l’individu local, le fait tribal peut faire surface momentanément sous forme de mobilisation sur une demande sociale particulière et non pas comme identification territoriale. Ce qui confirme notre hypothèse selon lequel, la société communautaire n’est pas en phase de transition mais peut être en voie de disparition. Nous avons vu comment les élites tribales s’insèrent dans l’enjeu du pouvoir local. Nous avons vu comment, la fonction militaire configure et reconfigure l’espace urbain, l’accès à la propriété et comment, ses priorités et prorogatifs passent avant la planification et la production urbaine. L’émigration internationale, la mixité sociale, l’introduction des groupes sociaux hétérogènes et la relégation administrative sont autant de dispositifs faisant prévaloir une évolution des mentalités, l’affirmation de nouvelles valeurs sociales

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et une assimilation territoriale autre que lignagère même à l’échelle des petites villes. Dans les espaces de marges présahariennes, L’Etat central régule la question du développement selon des priorités géopolitiques et géostratégiques qui prennent en charge le territoire, la société et l’urbanisation. Ce mode de gouvernement des villes et territoires peut changer, voire s’améliorer avec le projet de la régionalisation avancée et l’autonomie des provinces sahariennes sous souveraineté marocaine. L’exemple de Guelmim en deux phases : Géopolitique et géostratégique.

Nous confirmons les changements importants ayant affecté la société et le territoire de Guelmim. L’éveil du local est le fait d’une action simultanée sur l’individu et sur l’espace. Dans cette entreprise, l’autorité publique détient la clé du développement dans le pré-Sahara marocain. L’exemple de l’oued Noun est dans ce contexte très édifiant. Il permet de saisir comment un même territoire peut basculer entre intégration et désintégration selon la manière dont il est volontairement ou involontairement inscrit dans les champs géopolitique ou stratégique. Il montre, en plus, qu’aussi bien le référent culturel que l’identité ethnique ne constituent nullement des entités figées et non réceptives. Il est certain que les événements historiques et les parcours individuels pèsent beaucoup dans l’identité communautaire. Cependant, le comportement foncier de la société et/ou de l’élite guelmimi à propos du foncier dans les deux phases de l’évolution de la ville, ainsi que l’organisation sociétale permettent de soutenir l’hypothèse selon laquelle le référent culturel serait un dispositif à la fois réceptif et récupérable. Il est réceptif à l’action du changement elle-même.

On ne pourra pas confirmer que l’urbanisation, lorsqu’elle est bien conçue, n’influence nullement les sociétés tribales. La preuve c’est qu’elle ne reste pas à la marge de l’action sociale (widadiyats, coopératives) ; au contraire, elle est absorbable dans les tissus associatifs. Le référent culturel est également récupérable par les forces en place que celles-ci soient d’origine politique, religieuse ou même ethnique. Ce sont ces forces qui instrumentent le référent culturel dans un sens ou dans un autre. Dans un contexte d’Administration territoriale construite sous une logique sécuritaire, la promotion de Guelmim en chef-lieu de région n’a pas aisément amené la paix sociale qu’elle a attiré plus de rivalités ethniques, rappelant toujours l’organisation tribale d’une entité Tekna qui, en réalité, est dissoute au sein de la société. Ce qui va activer l’obsession foncière entre Rguibat et tribus locales à travers le retour au « frieg » d’appuis. Obsession récupérée dans un contexte géopolitique soucieux de maintenir un équilibre social dans une région aussi large et problématique. Cependant, lorsque le développement territorial est affiché sur l’agenda d’une orientation stratégique volontaire au niveau supérieur de l’Etat et anticipant sur la « régionalisation avancée », ce même référent culturel s’intègre totalement ou partiellement dans le nouvel ordre.

Partant de ce qui précède, le concept d’émergence quoiqu’il soit récupéré différemment par chaque pays en développement selon son propre contexte, il reste du moins pour le cas marocain, une sorte de récupération volontaire conditionnée par le positionnement

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politique de l’Union Européenne vis-à-vis de la place du Maroc dans le marché capitalistique européen. Les exemples traités dans cet article montrent bien comment cette récupération peut être adaptée et/ou instrumentalisée. Force est de reconnaître que même récupérer, ce concept est capable de régénérer un développement local et un affichage territorial si l’action de l’Etat est orienter vers le sens de la durabilité sociale et territoriale.

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