REVUE MUSICALE

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS : Le Concours de Rome.

Chaque année, à pareille époque, on peut lire dans les gazettes musicales les mêmes critiques sur le concours de Rome. Pourquoi envoie-t-on les musiciens à la Villa Médicis, à quelle fin ? Quand donc renouvellera-t-on la forme du concours, en supprimant l'épreuve de la cantate, en lui substituant une composition plus moderne ? A quoi sert vraiment le et que prouve-t-il pour l'avenir d'un musicien ? A ces remarques, lesquelles, de prime abord, semblent assez justes, il est facile à un ancien pensionnaire de l'Académie de France de répondre. Pourquoi envoyer les musiciens à Rome ? Tout simplement parce que l'Etat, ayant en Italie une école léga• lement et pratiquement constituée pour y recevoir les peintres, les sculpteurs, les architectes et les graveurs, jeunes artistes placés sous la surveillance d'un artiste chevronné, tels que furent Ernest Hébert, Eugène Guillaume, Carolus Duran, Albert Besnard, , , il a paru naturel d'y adjoindre aussi les musiciens. Actuellement, c'est le compositeur , ancien romain, qui préside aux destinées de la Villa Médicis.

* * *

Tout d'abord le séjour de Rome est un repos bienfaisant pour celui qui vient de faire de longues études en gagnant diffici• lement sa vie : ce qui est le cas de nombreux titulaires du Grand Prix. Mais surtout, dans cette atmosphère artistique, un jeune musicien, qui a beaucoup étudié et entendu, commence à s'aper-" REVUE MUSICALE 109 cevoir qu'il y a autre chose au monde que l'art des sons. Dans ce merveilleux séjour — nul n'ignore que la Villa Médicis est la plus belle villa de Rome et que ses jardins sont un enchantement — devant le panorama de la Ville Eternelle, au milieu des chefs- d'œuvre du passé qu'il a pu contempler à Gênes, à Florence, à Pise, à Bologne, puis plus tard à Venise, à Naples et jusqu'en Sicile ou en Grèce s'il a l'humeur voyageuse, comment un jeune artiste, à l'âme sensible, ne sevait-il pas vivifié par cette source de beauté qu'il avait seulement pressentie dans les agitations de la vie de ? Il ne faut pas croire d'ailleurs que les pensionnaires musi• ciens sont des reclus dans leur villa comme le Saint-Père dans son Vatican. Ils ont le devoir d'accomplir un voyage en Allemagne ou en Autriche-Hongrie. Le pèlerinage musical à Bayreuth ou à Munich s'impose pour eux. Les plus illustres compositeurs français ont pour la plupart ob• tenu le prix de Borne. Berlioz, Gounod, Massenet, Bizet, Debussy, sont parmi les noms les plus glorieux. N'est-ce pas dans le recueillement de Rome que Berlioz écrivit sa poétique symphonie de Harold en Italie ? C'est aussi sous les ombrages de la Villa Médicis que Bizet entreprit la composition de sa brillante suite d'orchestre, Borna. Plus tard, M. Gustave Charpentier, dans ses vivantes Impressions d'Italie, se fit l'interprète des paysages italiens. Debussy n'a-t-il pas rapporté de Rome sa pure Damoiselle élue, digne de Fra Angelico ? Et combien d'autres œuvres je pourrais citer qui ont pris leur essor de cette somptueuse demeure, de cette admirable Villa Médicis, pour laquelle nous autres, anciens romains, nous gardons au cœur un souvenir reconnaissant et attendri !... Donc le séjour en Italie ne peut pas être inutile aux jeunes compositeurs. Pendant ces trois années de calme, ils ont le loisir de compléter leurs études littéraires, souvent négligées, de penser aux œuvres qu'ils traiteront au cours de leur carrière, et surtout ils sont à Rome pour tâcher d'oublier la musique, pour échapper aux influences parisiennes, aux divergences d'école ; ils vont se recueillir, se mieux connaître, se ressaisir. Au contact des autres arts « ils reposent leurs oreilles et ils ouvrent leurs yeux » ; cette phrase est de Gounod, qui avait gardé de la Villa Médicis un sou• venir enchanté. Le prix de Rome n'est certes pas un brevet de génie et beaucoup de grands musiciens s'en sont passé, notamment Saint-Saëns, Lalo, Chabrier, Gabriel Fauré ; mais j'estime que cette distinction 110 LA REVUE aurait pu faire connaître certains d'entre eux vingt ans plus tôt. En outre, le séjour à la Villa leur aurait permis d'écrire des œuvres de longue haleine, dont Péclosion fut certainement retardée chez eux par les soucis quotidiens de la vie matérielle.

* * *

Venons-en maintenant au concours de cette année et à ses diffé• rentes épreuves. Il y a deux périodes dans ce concours : 1° le can• didat doit écrire en loge, en huit jours, une fugue à quatre parties sur un sujet imposé et un chœur à plusieurs voix avec accompa• gnement d'orchestre ; 2° les candidats admissibles après la première épreuve (on en reçoit cinq à six sur une moyenne de vingt), doivent composer une scène lyrique à trois personnages, entièrement orches• trée, d'une durée de vingt minutes environ, sur un poème inconnu d'eux ; cette épreuve doit s'effectuer en loge également, en l'espace de cinq semaines. Dans une fugue et un chœur, écrits et orchestrés sans le secours d'un piano, un bon élève peut prouver qu'il « connaît son métier », qu'il a du goût et de la sensibilité. Dans la composition de la can• tate, épreuve pour laquelle le concurrent a la libre disposition d'un piano, un jeune artiste peut montrer des dons d'intelligence dramatique, d'invention mélodique, un bon sentiment orchestral : c'est tout ce qu'on lui demande. Il n'est pas obligé ce jour-là d'avoir du génie, mais il doit donner aux membres du jury l'impression qu'il aura peut-être du talent. Assurément ce système ne favorise pas les artistes attirés par la symphonie ou la musique de chambre. A ce propos, il y a quelques années, Paul Dukas et Henri Rabaud avaient émis le vœu que l'on substituât tous les deux ans à la fastidieuse cantate un poème symphonique sur un texte littéraire, vers ou prose, de Victor Hugo, Chateaubriand ou autres grands écrivains, conçu dans l'esprit musical des poèmes de Liszt ou de Saint-Saëns: les Préludes, Le Rouet d'Ompkale. Nous pourrions ajouter aujourd'hui VAp• prenti Sorcier ou La Procession Nocturne. Nul doute qu'en cinq semaines, dans le recueillement du Palais de Fontainebleau, nos jeunes candidats, doués pour la symphonie, seraient plus à leur aise devant une belle page descriptive à traduire que sur un poème de cantate, généralement médiocre, écrit en vers de mirliton. REVUE MUSICALE 111

Heureusement pour les candidats, c'est M. Randal Escalada qui depuis trois ans voit ses poèmes choisis au concours. La donnée du sujet de cette année, La Boite de Pandore, mettait aux prises trois personnages ayant chacun un caractère propre à exciter l'ima• gination d'un artiste : Pandore, la première femme créée sur l'ordre de Zeus pour punir les hommes du vol du feu ; Prométhée, voleur du feu de Zeus ; Epiméthée, son frère. Dans le prélude sympho- nique, les musiciens devaient dépeindre les ardentes et sombres forges d'Héphaïstos, divin forgeron de l'Olympe. D'autre part, leurs dons dramatiques pouvaient se manifester dans des scènes adroitement agencées par le librettiste qui, cette fois, leur pré• sentait un texte lyrique de belle envergure, écrit dans une langue souple, attrayante. N'oublions pas que depuis trois ans les œuvres des concurrents sont exécutées avec orchestre, dans la salle de l'ancien Conserva• toire, réforme que réclamaient jadis en vain Berlioz et Gounod et qui, grâce à M. Lapie, ancien ministre de l'Education nationale, rend au Concours de Rome sa véritable signification. candidats de cette année ont tous un métier d'orchestre très sûr. Deux d'entre eux, MM. Casterède et Aubain, paraissent particulièrement doués en cette matière. C'est d'ailleurs M. Jacques Casterède, élève de M. Tony Aubin, qui a remporté le premier grand prix : la solide construction de ses œuvres, ses dons mélodiques et son écriture harmonique très per• sonnelle le désignaient à l'attention du jury. Il est regrettable que M. Jean Aubain, qui, à mon sens, avait écrit la meilleure page symphonique, ait perdu pied par la suite. M. Roger Boutry, élève également de M. Tony Aubin, a montré des qualités séduisantes, un peu trop faciles peut-être ; et M. Pierre Houdy, élève de MM. et J. Rivier, possède des dons mélodiques certains, joints à une jolie sensibilité : on leur a décerné fort juste• ment les seconds prix. Mlle Ginette Keiler et M. Jean-Michel Defay, déjà pourvus d'un second prix, ne pouvaient prétendre qu'à la suprême récompense : ce sont aussi des artistes doués qu'un échec momentané ne saurait décourager. Il faut féliciter M. Pierre Dervaux, chef d'orchestre de l'Opéra- Comique, du soin et du goût qu'il a apportés à la présentation orchestrale des six partitions, et nous devons remercier les dix- huit interprètes qui défendaient vocalement les œuvres parfois périlleuses des six jeunes compositeurs. 112 LA REVUE

* * *

En terminant, formons le vœu que MM. les peintres et sculpteurs, architectes et graveurs, membres de l'Académie, veuillent bien ne plus casser le jugement que rendent les musiciens de l'Institut auxquels sont adjoints six compositeurs, choisis en dehors de l'Académie. Jadis, certains votes malheureux ont éloigné de la Villa Médicis des musiciens tels que Saint-Saëns, Paul Dukas et . Il me semble qu'il est impossible à un artiste des arts plastiques de lire une partition d'orchestre ou de porter un jugement définitif sur une œuvre musicale après « une seule audition ». On évoque il est vrai le souvenir d'Ingres et d'Hébert, qui, parce qu'ils jouaient du violon, se croyaient musiciens ; ils ne manquaient jamais d'assister aux concours de Rome et de voter selon leurs propres sentiments. J'imagine que les anges-musiciens qu'ils ont peints sur leurs toiles célèbres « s'y connaissaient » beau• coup mieux qu'eux. Dans tous les cas, ils ne faisaient de musique qu'en images, et ils ne votaient pas !...

HENRI BUSSER.

1